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Les ressources du pouvoir urbain

Cet article est consacré aux effets territoriaux du processus d’agencification. Prenant appui sur l’analyse de l’intervention de deux agences – l’Agence nationale pour l’Habitat et l’Agence Nationale de Rénovation Urbaine – dans la conduite de politiques de requalification de deux quartiers anciens à Saint-Etienne entre 2003 et 2015, nous montrons que ces agences sont intégrées à la coalition d’acteurs publics et privés qui se structure localement dans ce domaine d’action. Le processus d’agencification fournit aux membres de la coalition des ressources budgétaires, d’expertise et politiques pour structurer une capacité d’action. Mais la relation n’est pas unilatérale : les représentants des deux agences retirent aussi des gains de cette intégration dans la fabrique de l’action publique locale en sécurisant un soutien politique dont ils ont besoin dans leurs négociations avec leurs administrations de tutelle. Notre travail apporte aussi un contrepoint aux thèses sur la résidualisation de l’État local. Le rôle de représentants locaux de l’ANRU et l’ANAH devient une ressource d’action pour la direction départementale des territoires (DDT) de la Loire qui lui permet de continuer à être partie prenante dans la définition et la mise en œuvre des politiques de renouvellement urbain dans un contexte institutionnel marqué par une forte réorganisation de la présence de l’État au niveau local

Métropoles 18 | 2016 Les ressources du pouvoir urbain L’agencification : opportunité ou contrainte pour renforcer la capacité d’action politique des villes ? Le rapport à l’ANRU et à l’ANAH dans la conduite de la politique de renouvellement urbain à SaintEtienne (2003 – 2015) Rémi Dormois Éditeur ENTPE - École Nationale des Travaux Publics de l'État Édition électronique URL : http://metropoles.revues.org/5252 ISSN : 1957-7788 Référence électronique Rémi Dormois, « L’agencification : opportunité ou contrainte pour renforcer la capacité d’action politique des villes ? Le rapport à l’ANRU et à l’ANAH dans la conduite de la politique de renouvellement urbain à Saint-Etienne (2003 – 2015) », Métropoles [En ligne], 18 | 2016, mis en ligne le 15 juin 2016, consulté le 02 octobre 2016. URL : http://metropoles.revues.org/5252 Ce document a été généré automatiquement le 2 octobre 2016. Métropoles est mis à disposition selon les termes de la licence Creative Commons Attribution - Pas d'Utilisation Commerciale - Pas de Modification 4.0 International. L’agencification : opportunité ou contrainte pour renforcer la capacité d’act... L’agencification : opportunité ou contrainte pour renforcer la capacité d’action politique des villes ? Le rapport à l’ANRU et à l’ANAH dans la conduite de la politique de renouvellement urbain à Saint-Etienne (2003 – 2015) Rémi Dormois 1 Aucun domaine de l’action publique ne semble être à l’écart du développement d’agences en son sein depuis la décennie 1990 : inspections, délivrance d’autorisations, versement d’allocations, pilotage de programmes de recherche ou de programmes d’actions, entretien d’infrastructures, développement et gestion de bases de données, préservation de l’environnement, gestion de grands équipements, collecte de taxes et d’impôts… pourront être assurés selon les pays tantôt par des administrations publiques tantôt par des agences (Pollitt & al., 2004). Qu’elles soient à vocation internationale, européenne, nationale ou locale, ces agences partagent un certain nombre de caractéristiques. Commençons par énoncer ce que les agences ne sont pas : ce ne sont ni des entreprises commerciales, même à caractère public (comme la SNCF), ni des services d’une administration publique fussent-ils désignés par des termes tels que celui de « mission ». Une agence est une organisation qui satisfait aux critères suivants (Pollitt & al., 2004) : ses statuts sont presque exclusivement définis par la loi, elle est fonctionnellement désolidarisée du ministère qui en exerce la tutelle et bénéficie d’une marge de manœuvre dans ses méthodes de management et dans ses modalités d’intervention, mais elle n’est pas complètement indépendante du ministère qui en exerce la tutelle et qui peut par ses décisions impacter son budget et ses priorités d’intervention. L’absence de codification juridique de la notion d’agence dans le droit français n’a pas empêché sa diffusion sous Métropoles, 18 | 2016 1 L’agencification : opportunité ou contrainte pour renforcer la capacité d’act... des statuts différents1 : en 2012 le Conseil d’État identifiait 103 agences employant 145 000 personnes, soit l’équivalent de 8% des effectifs de la fonction publique d’État (Conseil d’État, 2012). 2 Ce développement des agences dans la conduite de l’action publique a déjà fait l’objet de nombreuses analyses en science politique au sein desquelles il est possible de distinguer deux principales perspectives de recherche. 3 Une première perspective de recherche resitue la « fièvre des agences » (Pollitt & al., 2001) dans un processus plus global de diffusion du référentiel néolibéral dans la conduite de l’action publique. Les agences se voient parées d’un certain nombre d’avantages par rapport aux administrations publiques traditionnelles. À chaque agence peut être rattachée une mission clairement circonscrite, ce qui conduit à la délivrance d’une action publique plus efficiente et plus transparente. Les agences peuvent recruter des personnels qui disposent des compétences idoines pour la mise en œuvre de leur mission. En recourant aux contrats de droit privé, les agences sont aussi en capacité d’ajuster en permanence leurs effectifs à leurs besoins. Enfin, et les tenants du New Public Management sont plus discrets sur ce plan, les agences sont des instruments qui facilitent le contrôle des processus décisionnels. Les agences disposent de leur propre instance de gouvernance, dont l’accès est filtré, ce qui limite les interventions politiques de leurs administrations de tutelle. Les agences sont dotées de leur propre budget dont la discussion échappe elle aussi au débat politique classique que l’on rencontre pour le vote de la loi de finances ou pour le vote des budgets des collectivités territoriales. 4 Mais ce premier ensemble de travaux renseigne finalement peu sur l’impact de la généralisation des agences dans la conduite de l’action publique. Heureusement, d’autres recherches plus récentes sont venues combler cette zone d’ombre et ont revisité les supposés avantages de cette forme organisationnelle. En effet, la création des agences n’a pas abouti à un affaiblissement de l’État.Créer une agence, c’est envoyer, au contraire, les signes d’une reprise en main par l’État de certains secteurs. Par exemple, l’installation de l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM) en France au début des années 1990 a marqué un retour de l’État en matière de gestion du risque sanitaire à un moment où l’opinion publique avait perdu confiance dans l’indépendance de l’expertise produite dans ce domaine (Benamouzig & Bezançon, 2008). De plus, l’agencification n’a pas toujours été synonyme d’une rationalisation de l’organisation administrative. Le développement des agences ne s’est pas traduit par un démantèlement des administrations centrales qui devaient être, selon les préceptes du New Public Management, repositionnées sur les missions de pilotage et d’évaluation des politiques publiques. En outre, les administrations centrales ont rencontré des difficultés pour établir un contrôle sur les agences : les instruments de contractualisation sont restés rares et des relations directes se sont établies entre les cabinets ministériels et les agences (Benamouzig & Besançon, 2008). A titre d’illustration, on pourra citer les relations directes qui se sont nouées entre les ministres de la ville successifs et l’Agence Nationale de la Rénovation Urbaine, ce qui a placé la délégation interministérielle à la ville (DIV) dans l’incapacité d’exercer sa fonction de tutelle sur cette agence (Epstein, 2013). 5 Une seconde perspective de recherche s’est attachée à renseigner l’impact de l’agencification sur les rapports centre-périphérie dans le cas français (Epstein, 2006 ; Epstein, 2013 ; Aust & Cret, 2012 ; Béal & al., 2015). Après une période marquée par l’affirmation des pouvoirs locaux et par le renforcement d’une horizontalisation des Métropoles, 18 | 2016 2 L’agencification : opportunité ou contrainte pour renforcer la capacité d’act... rapports de coopération, certains auteurs ont vu dans la mise en place des agences une reprise en main par les États du design et du pilotage des politiques publiques. Il s’agit donc d’une forme de « retour de l’État » dans la conduite de l’action publique, mais avec un État agissant selon des modalités bien différentes que celles qui étaient les siennes pendant les Trente Glorieuses. L’État ne cherche pas à remettre en cause le processus de renforcement des pouvoirs locaux, mais organise une mise en concurrence de ces derniers pour faire en sorte que le contenu des politiques locales corresponde à ses objectifs d’intervention. Cette thèse a été particulièrement développée dans le champ des politiques urbaines. Renaud Epstein a montré comment l’État était parvenu au travers de l’instauration de l’Agence Nationale de Rénovation Urbaine (ANRU) en 2003 à établir une régulation institutionnelle lui permettant d’accéder à des capacités de mobilisation et d’orientation à distance des politiques urbaines menées localement sans pour autant remettre en cause le mouvement de montée en puissance des villes (Epstein, 2013). De son côté, Jules-Mathieu Meunier a mis en exergue la reprise en main par l’État central du pilotage des collecteurs du « 1 % patronal » à la fin des années 2000 conduisant à imposer l’usage de cette ressource financière extrabudgétaire au service de l’atteinte des objectifs retenus dans le cadre de la politique nationale du logement et notamment en matière de rénovation urbaine (Meunier, 2013). 6 Nous partageons, avec les travaux s’inscrivant dans cette seconde perspective de recherche, un objectif scientifique commun : mieux appréhender les effets de l’agencification sur la conduite de l’action publique et ainsi contribuer à la construction d’une sociologie politique des agences « par le bas » (Epstein, 2013). Mais alors que ces travaux antérieurs ont analysé les rapports entre les acteurs locaux et les agences dans le cadre de la mise en œuvre des programmes d’action pilotés par les agences, nous changeons de focale d’analyse en nous intéressant à l’intervention des agences dans la fabrique d’une politique locale où les programmes qu’elles pilotent ne constituent qu’un instrument parmi d’autres. Notre questionnement portera donc sur la structuration d’une capacité d’action politique dans un domaine d’action particulier et à une échelle locale et, dans ce cadre, nous nous interrogerons sur la place des agences dans cette dynamique d’action collective. En d’autres termes, l’analyse de la forme organisationnelle de l’agence et de ses modes d’intervention n’est pas notre point de départ, nous analysons l’agence à partir de ses interactions localisées avec d’autres acteurs publics et privés. 7 Notre perspective de recherche nous conduit à mobiliser la théorie des régimes urbains. L’approche par les régimes urbains permet d’aborder le rapport aux agences comme une ressource pour instaurer et maintenir une capacité d’action politique dans la durée. Des critiques ont été formulées à l’encontre de la mobilisation de cette théorie dans le contexte européen (Le Galès, 1995 ; Stoker & Mossberger, 1995). L’usage du concept de régime urbain en Europe ne serait pas approprié parce que les États, et plus largement les acteurs publics, y resteraient en position dominante dans le gouvernement urbain. Cette critique peut particulièrement être adressée au champ des politiques de renouvellement urbain dont on sait qu’elles sont fortement soutenues par les gouvernements nationaux2 (Bernt, 2009 ; Rink et al., 2012). Or si la définition des régimes urbains énoncée par Clarence Stone3 insiste bien sur leur caractère public-privé, elle ne conditionne pas l’existence d’un régime urbain à la présence d’acteurs privés dominants. Bien au contraire, en introduisant le concept de régime urbain Clarence Stone a voulu se démarquer de l’approche élitiste parce qu’elle donnait à voir les acteurs politiques comme systématiquement contrôlés par les intérêts économiques. On relèvera d’ailleurs Métropoles, 18 | 2016 3 L’agencification : opportunité ou contrainte pour renforcer la capacité d’act... que dans certains types de régimes urbains, tels que les régimes urbains progressistes, les acteurs privés ne font pas partie du noyau dur de la coalition de gouvernement (Di Gaetano & Klemanski, 1993). 8 Pour approfondir l’analyse de l’implication des agences dans des coalitions d’acteurs localisées, nous avons choisi comme objet de recherche la politique de renouvellement urbain mise en œuvre sur deux quartiers d’habitat ancien à Saint-Étienne (France, Loire). Le cas d’une ville confrontée à un processus de mutation économique et de déprise démographique nous a semblé intéressant à retenir puisque ce contexte rend plus difficile la structuration d’une capacité d’action politique comparativement à des contextes de forte croissance où l’offre en investissements est davantage présente chez les acteurs privés, mais aussi publics. Cette difficulté est accentuée dans le cas stéphanois, comme le soulignent des travaux antérieurs, par une faiblesse des traditions de coopération entre le milieu économique local et les élus locaux (Béal & al., 2010). En outre, le leadership politique de cette ville a été recomposé à plusieurs reprises puisque des alternances politiques se sont produites à l’issue des élections municipales de 2008 et de 2014. Cette monographie complétera donc utilement les travaux existants sur le pouvoir urbain en France, fortement centrés sur les grandes métropoles attractives. 9 Sur un plan méthodologique, nous proposons une analyse localisée du rôle des agences nationales dans la fabrique de l’action publique urbaine. Cette analyse « par le bas » se fait autour d’un objet bien circonscrit : l’opération de traitement de l’habitat ancien (OTHA) menée dans les quartiers du Crêt de Roc et de Beaubrun à Saint-Etienne (France). Nous avons aussi fait le choix de retenir une période d’analyse d’une quinzaine d’années pour rendre compte des changements intervenus dans les interactions entre les acteurs locaux et les représentants des agences nationales. Notre matériau de recherche articule des éléments de connaissance produits dans le cadre de recherches antérieures (Dormois & Menez, 2008 ; Béal & al., 2010 ; Morel Journel & Sala Pala, 2011 et 2013 ; Miot, 2012 ; Dormois & al., 2014) avec un matériau constitué spécifiquement pour ce travail comprenant des entretiens semi-directifs avec des représentants de l’ANRU et de l’ANAH et la participation à des forums techniques organisés par les deux agences à destination du réseau des DDT4. L’accès à ces réunions a été rendu possible par notre position professionnelle de chef du service Habitat au sein de la DDT de la Loire. Le fait de travailler pour un service déconcentré de l’État a permis de conserver une certaine distance vis-à-vis de l’objet de recherche, ce qui aurait été plus difficile si nous avions occupé une fonction de chef de projet ANRU au sein d’une collectivité territoriale. 10 L’article se compose de trois parties. La première partie revient sur le contexte dans lequel a été mis en place de l’opération de traitement de l’habitat ancien dans les deux quartiers stéphanois. Les instruments d’action publique mis en œuvre sont décrits précisément, ainsi que la composition de la coalition d’acteurs à l’origine de ce dispositif. Dans la seconde partie, nous montrons que le rapport aux agences fournit des ressources pour structurer une capacité d’action en faveur de la requalification des quartiers anciens. Dans la troisième partie, nous soulignons que cet échange de ressources n’est pas unidirectionnel puisque les représentants des agences nationales tirent aussi de leurs rapports avec le local des ressources pour démontrer leur efficacité opérationnelle et pour sécuriser leur financement. Métropoles, 18 | 2016 4 L’agencification : opportunité ou contrainte pour renforcer la capacité d’act... 1. L’opération de traitement de l’habitat ancien (OTHA) 1.1 La mise à l’agenda de la requalification des quartiers anciens à Saint-Étienne 11 Plusieurs chercheurs ont déjà explicité les facteurs qui avaient conduit à l’émergence d’une coalition d’acteurs publics et privés en faveur de la requalification de l’habitat ancien dans le centre-ville de Saint-Etienne (Miot, 2012 ; Sala Pala & Morel Journel, 2013; Béal & al., 2010 ; Béal, 2006 ; Dormois, 2008). Ils insistent sur l’émergence d’une fenêtre d’opportunité au début des années 2000 reposant sur la convergence de trois dynamiques. 12 Sur un plan politique, le maire UMP Michel Thiollière, élu en 2001, a développé un intérêt personnel pour l’urbanisme et pour les stratégies de reconversion des villes de tradition industrielle (Thiollière, 2007). Il dispose aussi d’une expérience politique et technique dans ce domaine puisqu’il était précédemment adjoint en charge de l’urbanisme. Cet intérêt du maire pour le renouvellement urbain contraste à cette période avec une faible capacité d’ingénierie locale sur cette thématique au sein des services techniques de la ville et de l’agglomération. Les interventions locales se sont cantonnées jusqu’alors à la mise en place d’Opérations Programmées pour l’Amélioration de l’Habitat (OPAH) cofinancées par l’ANAH et permettant d’apporter des aides financières à des propriétaires bailleurs souhaitant réhabiliter leur logement (Sala Pala & Morel Journel, 2013). En revanche, des démolitions et des réhabilitations ont été réalisées dès le début des années 1980 sur le parc locatif social situé dans les quartiers relevant de la politique de la ville sans que la municipalité de Saint-Étienne soit dans une position d’impulsion et de coordination. Ces opérations ont été très largement pilotées par les bailleurs sociaux et la Direction Départementale de l’Équipement (DDE). Une autre caractéristique du contexte institutionnel de ce début des années 2000 est que la structuration politique de l’intercommunalité est encore fragile. Une communauté de communes a été créée en décembre 1995 sur un périmètre géographique très étriqué (22 communes) au regard de la réalité territoriale du bassin de vie stéphanois. Il faudra attendre sa transformation en Communauté d’Agglomération en 2000 et son élargissement à 35 communes pour que les premières actions en matière d’habitat soient engagées avec, comme orientation politique principale, celle de rééquilibrer spatialement la localisation du parc HLM jusqu’alors très concentré dans les centres urbains. 13 La publication des résultats du recensement général de la population en 2000 est l’élément déclencheur de la mise à l’agenda local de la déprise urbaine et sociale des quartiers centraux de Saint-Etienne. Les données publiées par l’Institut National de la Statistique et des Études Économiques (INSEE) montrent que la ville-centre a perdu 18 958 habitants entre 1990 et 1999. Cette déprise démographique est en réalité beaucoup plus ancienne, mais son intensité ressort nettement à ce moment en raison d’une surestimation volontaire de la population décomptée en 1990 pour des enjeux financiers liés au maintien des dotations de l’État (Gubry, 1995). Métropoles, 18 | 2016 5 L’agencification : opportunité ou contrainte pour renforcer la capacité d’act... 14 Les données produites par les services techniques de la ville et par l’agence d’urbanisme Epures montrent aussi une paupérisation des quartiers anciens du centre-ville et un accroissement des écarts de richesse entre la ville-centre et les communes périphériques. Les quartiers du Crêt de Roc (7700 habitants, 4000 logements dont 17% sont vacants et 23% sans confort) et de Beaubrun (7300 habitants, 3800 logements dont 17% sont vacants et 16% sans confort) concentrent un nombre important d’îlots très dégradés. 15 Le contexte national offre à cette période des opportunités pour obtenir des aides financières en faveur de l’instauration de politiques locales de renouvellement urbain. Un appel à projets est lancé par le ministère de la ville en 1999 auprès des collectivités locales pour la mise en place de Grands Projets de Ville axés sur la rénovation urbaine des quartiers d’habitat social. Le maire de Saint-Étienne demande à ses services de préparer un dossier de candidature portant sur deux quartiers périphériques de type ZUP (Montreynaud et Montchovet) mais aussi sur deux quartiers centraux anciens (Beaubrun, Crêt de Roc). A la suite de la sélection du projet stéphanois, un groupement d’intérêt public (GIP) est mis en place en 2001 pour coordonner l’action locale en faveur du renouvellement urbain. Il associe l’État, la Ville de Saint-Étienne, la Communauté d’agglomération de Saint-Étienne Métropole et la Caisse des Dépôts et des Consignations. À peine installé, le GIP doit préparer un dossier de candidature auprès de la toute nouvelle Agence Nationale de Rénovation Urbaine créée en 2003. Il ne s’agit pas d’une simple formalité, car l’intervention sur les quartiers anciens n’apparaît pas prioritaire pour l’ANRU qui entend concentrer ses interventions sur la transformation urbanistique des quartiers d’habitat social (Epstein, 2013). L’historiographie officielle locale retient que c’est la proximité politique entre le ministre en charge de la rénovation urbaine, JeanLouis Borloo, et le maire de Saint-Étienne5 qui va permettre de faire bouger les lignes et obtenir un accord de l’ANRU pour intégrer dans la convention signée en 2005 des interventions dans les quartiers anciens du Crêt de Roc et de Beaubrun. Mais il faut aussi garder à l’esprit que, dans ses premières années de fonctionnement, l’ANRU veut montrer qu’elle est à l’écoute des préoccupations des maires. Métropoles, 18 | 2016 6 L’agencification : opportunité ou contrainte pour renforcer la capacité d’act... 2. Le contenu de l’OTHA et les modalités d’intervention des deux agences dans cette opération 16 « L’opération de traitement de l’habitat ancien » (OTHA) est une expression définie localement. Elle ne fait référence à aucun dispositif d’intervention national. En revanche, sa mise en œuvre fait appel à des outils juridiques définis par le Code de l’Habitat et de la Construction et aux dispositifs d’intervention portés par les deux agences6. 17 Les objectifs poursuivis au travers de la mise en œuvre de l’OTHA sont urbanistiques, mais aussi sociaux. Il s’agit de procéder à des démolitions d’immeubles vétustes, au recyclage de tènements fonciers délaissés, à des réhabilitations complètes d’immeubles présentant un intérêt patrimonial ou un potentiel d’attractivité résidentielle, au réaménagement ou la création d’espaces publics et à la construction de logements neufs sur des tènements fonciers libérés par des démolitions. L’OTHA a aussi comme objectif d’améliorer les conditions de logement des ménages en place tout en cherchant à attirer de nouvelles populations issues des classes moyennes et supérieures pour enrayer le processus de paupérisation de ces quartiers (Morel-Journel & Sala Pala, 2011). La programmation initiale prévoit qu’un tiers de l’offre nouvelle de logements produite dans le cadre de l’OTHA soit du logement locatif social destiné à assurer le relogement des ménages modestes dont les logements sont démolis ou regroupés avec d’autres logements dans le cadre de restructurations lourdes. Les deux tiers restants doivent permettre une diversification de l’offre résidentielle et de l’occupation sociale avec la mise sur le marché de logements locatifs privés et de logements destinés à des propriétaires occupants. 18 Sur le plan de contenu, l’OTHA comprend à la fois des actions incitatives et coercitives. Des aides publiques sont apportées aux collectivités locales et aux porteurs de projets privés pour acquérir des immeubles et procéder à leur démolition, pour mener des aménagements urbains, pour aider à la construction et à la réhabilitation de logements. Mais cette action incitative bute sur un certain nombre de difficultés tenant au caractère détendu du marché local de l’habitat, à fortiori dans des quartiers stigmatisés, avec une dynamique d’investissement privé quasi inexistante. Puisque l’action incitative ne suffit pas, des outils coercitifs sont mobilisés. Des arrêtés d’insalubrité sont pris par les services de l’État obligeant les propriétaires à réaliser des travaux de réhabilitation de leur logement avec la possibilité, le cas échéant, pour l’État de faire exécuter d’office les travaux prescrits. En outre, la Ville de Saint-Étienne met en place des opérations de restauration immobilière (ORI) sur un certain nombre d’immeubles très dégradés. Cette procédure permet de déclarer d’utilité publique la réalisation de travaux sur les parties communes d’un immeuble. Si les propriétaires sont dans l’incapacité de financer ces travaux, ils chercheront à vendre leur logement qui pourra alors être acquis par la Ville de Saint-Étienne ce qui permettra à cette dernière de devenir copropriétaire et ainsi d’agir plus directement en faveur du redressement de la copropriété. Dans certains cas, cette procédure a abouti à ce que la Ville de Saint-Étienne se retrouve propriétaire d’un immeuble complet. La propriété du bien est alors transférée à l’opérateur technique chargé de l’animation de l’OTHA, la société d’économie mixte du Département de la Loire (SEDL), qui procède à la réalisation des travaux et à la revente de l’immeuble réhabilité soit en globalité à un investisseur, soit à la découpe à des accédants à la propriété. 19 Autour de l’élaboration et de la mise en œuvre de l’OTHA se structure une coalition d’acteurs regroupant la Ville de Saint-Étienne, la Communauté d’agglomération de Saint- Métropoles, 18 | 2016 7 L’agencification : opportunité ou contrainte pour renforcer la capacité d’act... Étienne Métropole, la Direction Départementale de l’Équipement (qui devient Direction Départementale des Territoires en 2011), l’Établissement Public Foncier d’État Ouest Rhône-Alpes (EPORA), les bailleurs publics, des investisseurs privés et la SEDL. Décrivons les relations entre les membres de cette coalition. La Ville de Saint-Étienne assure la maîtrise d’ouvrage du dispositif OTHA. Saint-Etienne Métropole pilote les dispositifs incitatifs (OPAH, PIG) et apporte des aides aux travaux pour la réhabilitation du parc privé. Elle prend aussi en charge une partie du déficit des opérations d’aménagement. La DDE contrôle la gestion des crédits relatifs au développement de l’offre nouvelle HLM et à la réhabilitation du parc privé et représente localement les deux agences impliquées dans ce dispositif : l’ANAH et l’ANRU. EPORA réalise les acquisitions foncières, procède au relogement, à la dépollution des terrains et aux démolitions avec l’objectif de vendre les terrains ainsi libérés à la SEDL sur les sites où seront réalisés des espaces publics ou des programmes de logements neufs. Plusieurs acteurs privés interviennent dans le cadre de cette coalition. Il s’agit d’abord d’investisseurs locaux habitués à mener des projets de réhabilitation complète d’immeubles en mobilisant les aides de l’ANAH. Il s’agit ensuite de la société Créquy qui capte des investisseurs individuels privés intéressés par des abattements fiscaux liés à l’investissement locatif en quartier ancien à caractère patrimonial7. Cette société acquiert les immeubles, réalise les travaux de réhabilitation et assure la gestion locative pour le compte des investisseurs privés. L’OTHA apporte une lisibilité sur la programmation des réhabilitations au groupe Créquy et lui permet d’être associé très en amont au montage financier des opérations avec les collectivités locales et l’ANAH. En retour, le partenariat avec la société Créquy apporte aux acteurs publics des garanties opérationnelles dans un contexte où les investisseurs nationaux sont peu présents. Créquy prendra en charge finalement la restructuration complète d’une quarantaine d’immeubles sur le territoire de la ville de Saint-Etienne et ce, le plus souvent dans le cadre de l’OTHA. La SEDL agit à la fois comme un acteur public et privé. Certes, la SEDL bénéficie de subventions publiques pour mener à bien la concession d’aménagement que lui a confiée la Ville de Saint-Etienne pour le recyclage immobilier complet d’immeubles et pour l’aménagement de deux zones d’aménagement concerté situées dans le quartier du Crêt de Roc. Mais ces subventions publiques ne prennent en charge qu’une partie du déficit lié à ces opérations. Pour qu’elle ne soit pas obligée in fine de puiser dans ses fonds propres pour équilibrer ces opérations, la SEDL cherche à valoriser au meilleur prix les terrains qu’elle a aménagés et se comporte alors comme un aménageur privé. 20 L’ANRU et l’ANAH interviennent en complémentarité dans le cadre de l’OTHA. L’ANAH apporte des aides à la réhabilitation à des propriétaires occupants sous plafond de ressources pour améliorer leurs conditions de logement et à des propriétaires bailleurs pour renforcer la qualité de l’offre locative dans le quartier. Dans les quartiers du Crêt de Roc et de Beaubrun, les aides apportées par l’ANAH auront permis de réaliser 350 restructurations lourdes par des investisseurs et 370 réhabilitations plus légères par les propriétaires en place. L’ANRU apporte des financements pour la réhabilitation et la construction de logements locatifs publics (HLM), pour la prise en charge du déficit financier des opérations d’aménagement et pour la réalisation d’espaces publics. L’intervention de l’ANRU aura permis dans les deux quartiers de procéder à plus de 700 acquisitions de logements dont certains ont été démolis et d’autres regroupés ce qui aboutit à la création de 300 « nouveaux » logements. L’ANRU a aussi apporté des financements pour l’ingénierie du projet et pour la mise en place d’une cellule Métropoles, 18 | 2016 8 L’agencification : opportunité ou contrainte pour renforcer la capacité d’act... partenariale (État, Ville, CAF, Département) chargée d’organiser le relogement des ménages impactés par les programmes de démolition. 21 Les modalités d’intervention de chacune des deux agences sont, en revanche, sensiblement différentes. 22 La convention de rénovation urbaine signée entre l’ANRU et la Ville de Saint-Etienne précise les modalités de financement pour chacune des 300 opérations inscrites dans cette convention et ce, de façon pluriannuelle. Elle a fait préalablement l’objet d’une présentation par le maire devant le comité d’engagement de l’ANRU8. Chaque année, un point d’étape est organisé avec l’ensemble des partenaires de la convention pour suivre sa mise en œuvre. En fonction de l’avancement des projets, il est possible de modifier le contenu de la convention initiale par des avenants qui seront validés soit localement par la délégation territoriale de l’ANRU soit par le niveau central de l’ANRU selon l’importance des changements opérés par rapport au projet initial. Une chargée de mission territoriale a été désignée au sein de l’ANRU pour suivre dans la durée la réalisation de la convention. 23 L’ANAH a signé une convention pour la mise en place d’une OPAH-RU dans chacun des deux quartiers pour la période 2005-2010, mais ses financements restent annualisés. L’ANAH ne peut donc pas s’engager à l’instar de l’ANRU de façon pluriannuelle sur les moyens financiers qu’elle pourra apporter aux quartiers, ni sur les types d’intervention éligibles à ses aides, ni sur les montants de ses aides. Plusieurs partenaires lui reprochent ce défaut de visibilité. Les interventions de l’ANAH restent aussi régies par le règlement général de l’agence et ne se définissent pas en fonction du projet local de renouvellement urbain. Depuis 2012, des chargés de mission territoriaux ont été mis en place au sein des services centraux de l’ANAH sur le modèle de l’ANRU. Toutefois, contrairement à leurs homologues de l’ANRU, ces chargés de mission ont un rôle de suivi de l’ensemble des interventions de l’ANAH à l’échelle d’un département et ne sont pas positionnés uniquement sur le suivi des projets de renouvellement urbain. 3. Le rôle des agences dans les coalitions d’acteurs : une source de financement, mais pas seulement… 24 Nous proposons dans cette seconde partie de mettre en exergue les ressources d’action que retirent les acteurs locaux de leurs rapports avec l’ANAH et l’ANRU. Nous appréhendons la notion de ressources en termes de potentiel et non d’attribut : une compétence juridique ou une capacité d’expertise détenue par un acteur ne devient une ressource pour celui-ci que si d’autres acteurs ont besoin d’elle pour réaliser leurs objectifs. L’analyse des ressources devra donc être contextualisée puisqu’une partie seulement du stock de ressources détenu par un acteur sera effectivement utilisée pour générer et entretenir dans la durée une dynamique d’action collective. Dans le cadre de ce travail, nous nous demanderons en quoi le rapport aux deux agences, ANRU et ANAH, est porteur de ressources pour les acteurs engagés dans l’élaboration et la mise en œuvre de la politique de renouvellement urbain des quartiers anciens à Saint-Étienne? Quelles sont les ressources échangées ? A quels acteurs locaux ces ressources bénéficient-elles ? Qui sont les acteurs qui ressortent « gagnants » de l’instauration d’un rapport aux agences ? Métropoles, 18 | 2016 9 L’agencification : opportunité ou contrainte pour renforcer la capacité d’act... 3.1 Les ressources classiques apportées par les agences : aides financières, expertise, légitimité politique 25 Le rapport aux deux agences est d’abord pourvoyeur de ressources budgétaires. Les financements accordés par l’ANRU et l’ANAH permettent aux collectivités territoriales (ville et communauté d’agglomération) et aux services déconcentrés de l’État de faire fonctionner des dispositifs d’intervention sur le parc ancien. La perception d’aides financières de l’ANRU à hauteur de 21,1 millions d’euros et de l’ANAH à hauteur de 8,4 millions d’euros a permis un investissement total de 67 millions d’euros dans la requalification des deux quartiers anciens entre 2005 et 2015. Il est à souligner qu’une partie de ces financements publics apportés par les deux agences ont été captés par des acteurs privés, que ce soit la SEDL ou des investisseurs immobiliers. Dans le cas stéphanois, l’allocation de subventions par les deux agences nationales ressort comme une ressource particulièrement stratégique pour les acteurs locaux : la Ville de SaintEtienne comme la Communauté d’agglomération ont des capacités budgétaires limitées et cette situation s’est même dégradée depuis la crise financière de 2008. Elles ne peuvent pas augmenter leurs recettes fiscales car le potentiel financier de leurs habitants est très contraint9. On notera que les deux agences ne mettent pas en scène de la même façon l’activation de cette ressource budgétaire. Dès sa mise en place, l’ANRU communique sur la disponibilité de financements importants – il sera fait référence très souvent à la mise en place d’un plan Marshall pour les banlieues – et sur la facilité d’accès à ses financements au travers l’instauration d’un « guichet unique » permettant aux porteurs de projets de bénéficier non seulement des aides de l’ANRU mais aussi de l’ensemble des aides directes ou des prêts alloués par les autres partenaires publics signataires des conventions de rénovation urbaine (ville, EPCI, Caisse des Dépôts et des Consignations et, selon les territoires, Départements et Régions). Relevons que les porteurs de projets n’ont pas d’autres possibilités de financer leurs opérations de renouvellement urbain puisque la constitution du « guichet unique » a eu pour corollaire une réduction des moyens d’intervention du ministère du Logement et des collecteurs à un niveau local. Inversement, l’ANAH est soumise à un vote annuel de son budget et ne peut donc pas communiquer sur des disponibilités financières pluriannuelles. De plus, les financements de l’ANAH étant morcelés sous la forme d’un soutien à un nombre très important de dossiers portés par des particuliers, la visibilité de son intervention financière est moins forte que celle de l’ANRU, même si la consolidation a posteriori de ses interventions Métropoles, 18 | 2016 10 L’agencification : opportunité ou contrainte pour renforcer la capacité d’act... financières dans les deux quartiers anciens étudiés souligne l’importance du volume de ses aides financières. Montant total l’investissement sur de Montant le subventions des Montant perçues projet de renouvellement auprès de l’ANRU en urbain en millions d’euros millions (2005-2015) Crêt de 35,6 subventions des perçues auprès de l’ANAH en d’euros millions (2005-2015) (2005-2015) 12,3 4,5 8,8 3,9 d’euros Roc Beaubrun 31,3 Source : DDT, 2015, Bilan de l’exécution de la convention de rénovation urbaine de Saint-Etienne 26 Le rapport aux agences est aussi pourvoyeur de ressources d’expertise pour les membres de la coalition. De façon indirecte, les deux agences contribuent au renforcement de la capacité d’ingénierie locale. L’ANRU a financé à hauteur de 50% plusieurs emplois au sein de la « mission Rénovation urbaine et développement social » de la Ville de Saint-Etienne. L’ANRU et l’ANAH ont aussi cofinancé la réalisation d’études, le suivi-animation des dispositifs opérationnels et ont mis des experts nationaux à disposition des acteurs locaux pour réaliser des missions ciblées10. Les techniciens locaux ont aussi bénéficié des formations organisées par l’ANAH et par l’école de la rénovation urbaine financée principalement par l’ANRU. Enfin, les journées d’échanges entre élus, techniciens, professionnels et représentants des services de l’État, organisées à l’initiative des deux agences, ont favorisé la circulation et la diffusion de bonnes pratiques sur le traitement de l’habitat ancien11. En réalisant des présentations techniques au cours de ces journées, les acteurs locaux ont aussi produit un récit sur le déroulement des projets de renouvellement urbain qui participe à la construction d’une culture commune locale sur cette thématique et à une reconnaissance en externe de savoir-faire locaux. 27 Mais les agences ont aussi apporté directement des expertises aux membres de la coalition locale. Leurs représentants ont d’abord été en capacité de formuler des conseils aux acteurs locaux sur le contenu du projet de renouvellement urbain en s’appuyant sur les bonnes pratiques, et en puisant dans leur propre expérience professionnelle. Par exemple, la chargée de mission de l’ANRU qui a suivi l’élaboration et la mise en œuvre de la convention de rénovation urbaine de Saint-Etienne entre 2003 et 2015 avait précédemment travaillé à la Délégation Interministérielle à la Ville (DIV), ce qui lui avait permis d’acquérir une très bonne connaissance du milieu professionnel de la politique de la ville au-delà de l’ANRU. Les représentants des agences ont aussi acquis progressivement une expertise en matière d’ingénierie administrative et financière propre à chaque agence dont ils ont fait profiter les acteurs locaux pour assurer la bonne exécution des projets de renouvellement urbain. 28 Le rapport aux agences renforce aussi la légitimité politique des maires et de leurs adjoints. Pour comprendre les gains politiques que les élus locaux retirent de leur partenariat avec les deux agences, il faut garder à l’esprit que, depuis le début des années 1990, le leadership politique dans les villes repose moins sur le contrôle des partis et des Métropoles, 18 | 2016 11 L’agencification : opportunité ou contrainte pour renforcer la capacité d’act... structures de socialisation politique et davantage sur la stabilisation de systèmes d’échanges de ressources horizontaux entre acteurs qui permettent à l’exécutif de mettre en œuvre des projets (Borraz & John, 2004; Dormois, 2008; Pinson, 2010). Dans le cas stéphanois, le partenariat avec l’ANRU et l’ANAH a offert des ressources opérationnelles aux maires successifs et à leurs adjoints pour accélérer le rythme de réalisation des projets de renouvellement urbain dans les quartiers. Il est à noter que les deux agences ne donnent pas la même visibilité à cette ressource politique qu’elles peuvent apporter. L’ANRU met clairement et volontairement les maires en scène. Ce sont les maires qui sont conviés, avec le préfet en tant que délégué territorial de l’agence dans le département, à venir présenter le projet de convention de rénovation urbaine devant le comité d’engagement puis à venir justifier des redéploiements nécessitant la formalisation d’avenants à la convention initiale. Dans ses courriers, l’ANRU s’adresse au maire, désigné par le vocable de « porteur du projet de rénovation urbaine », quand bien même ce projet peut être fortement soutenu financièrement et techniquement par l’intercommunalité. De son côté, l’ANAH privilégie les relations directes avec sa délégation départementale représentée par le préfet et la DDT. Elle aura aussi davantage tendance à s’adresser aux intercommunalités compétentes en matière d’habitat qu’aux communes. En résumé, l’ANRU a mis en place un système efficace d’enrôlement des maires (Epstein, 2013) tandis que l’ANAH est restée sur un mode plus traditionnel de relations techniques internes à l’État. Relevons enfin que cette ressource politique que retirent les maires de leur relation aux agences œuvrant dans le champ des politiques urbaines n’est pas systématiquement convertie en ressource électorale. Malgré le soutien de l’ANRU et de l’ANAH à la politique locale de requalification des quartiers anciens, Michel Thiollière (UMP) sera battu aux élections municipales de 2008 et son successeur, Maurice Vincent (PS), le sera aussi aux élections municipales de 2014. Inversement, les problèmes régulièrement pointés par les représentants des deux agences concernant l’avancée des projets de rénovation urbaine à Marseille n’empêcheront pas son maire Jean-Paul Gaudin (LR) d’être réélu en 2008 et en 2014. 3.2 Le rapport aux agences comme ressource pour rééquilibrer des rapports de pouvoir 29 L’allocation de budgets, d’expertises et le renforcement de la légitimité politique des maires constituent donc un premier ensemble de ressources que les membres de la coalition locale ont su mobiliser pour amorcer et maintenir dans la durée une dynamique d’action collective en faveur du renouvellement urbain des quartiers anciens. Mais le rapport à l’ANRU et à l’ANAH véhicule d’autres ressources politiques pour les représentants de l’État local et pour les techniciens de la Ville de Saint-Etienne. 30 En premier lieu, le rapport aux agences a permis aux représentants de la Direction Départementale de l’Équipement, devenue Direction Départementale des Territoires (DDT) à partir de 2011, de conserver un rôle stratégique dans la coalition d’acteurs qui s’est structurée autour de l’objectif de renouvellement urbain des quartiers anciens. Avant de décrire le rapport que la DDT entretient avec les agences, revenons rapidement sur le contexte institutionnel du début des années 2000 qui ébranle sérieusement le positionnement des services déconcentrés de l’État à l’échelon départemental. 31 L’entrée en application de la Loi Organique relative aux Lois de Finances (LOLF) en août 2001 se traduit par la disparition du principe de fongibilité entre les chapitres budgétaires Métropoles, 18 | 2016 12 L’agencification : opportunité ou contrainte pour renforcer la capacité d’act... de l’Etat. Dorénavant le budget de l’Etat est structuré sur la base d’une centaine de programmes assortis d’objectifs et d’indicateurs précis, créant ainsi des blocs de dépenses qui constituent autant d’enveloppes non fongibles (Epstein, 2008). En parallèle, la révision générale des politiques publiques lancée par le président Sarkozy en juin 2007 conduit à un renforcement des services de l’État régionaux et à une réduction des effectifs au sein des services départementaux qui doivent fusionner au sein de Directions Départementales Interministérielles placées sous l’autorité des préfets. C’est notamment le cas des Directions Départementales de l’Équipement et des Directions Départementales de l’Agriculture et de la Forêt qui fusionnent à partir de 2010 pour donner naissance aux Directions Départementales des Territoires (DDT). 32 Alors que de nombreux observateurs parlent d’un retrait, d’une « résidualisation » voire d’une « marginalisation » de l’État à l’échelon local (Epstein, 2008 ; Le Galès, 2014), nous observons que la DDT de la Loire reste un membre actif de la coalition qui agit en faveur du renouvellement urbain dans les quartiers anciens stéphanois. Cette situation peut s’expliquer d’abord par le fait que ni les intercommunalités, ni le Département n’ont en effet demandé la gestion des aides à la pierre dans le domaine du logement. L’État local, par l’intermédiaire de la DDT, continue donc à allouer aux porteurs de projets les budgets pour le développement de l’offre nouvelle en logements locatifs publics et pour la réhabilitation du parc privé. En outre, les difficultés de coopération qui existent entre les élites politiques et économiques de ce territoire depuis les années 70 ont permis à l’État local de conserver une proximité avec les élites politiques locales qui ne se retrouve plus dans la plupart des agglomérations de cette taille démographique (Lévy, 2004 ; Béal & al., 2010). Mais le positionnement de la DDT de la Loire dans la coalition d’acteurs mobilisée pour le renouvellement des quartiers anciens ne s’explique pas seulement par ces spécificités institutionnelles locales. La DDT de la Loire, comme d’autres DDT, a su faire du rapport aux deux agences une ressource stratégique pour demeurer un partenaire central des politiques locales du logement et de l’aménagement. Par ses contacts réguliers avec les chargées de mission et les directeurs techniques des deux agences, la DDT de la Loire a conservé un accès privilégié à l’information sur le déroulement du programme national de rénovation urbaine (ANRU) et sur les évolutions de la politique de l’ANAH. Elle a pu ainsi obtenir des adaptations locales aux règles d’intervention établies par les deux agences. Par exemple, elle a obtenu de la part de l’ANRU que, dans un contexte de marché de l’habitat détendu, le nombre de logements HLM neufs inscrits dans la convention de renouvellement urbain soit en deçà du nombre de logements HLM démolis alors que le programme national de rénovation avait retenu le principe du « 1 pour 1 ». Si la DDT de la Loire, comme d’autres DDT, a su transformer son rapport à l’ANRU et à l’ANAH en ressource d’action pour se repositionner dans la fabrique des politiques urbaines, c’est aussi parce que les deux agences lui ont conféré un rôle institutionnel particulier, celui d’être leur délégation locale. Du côté de l’ANAH, les DDT ont toujours été positionnées comme les interlocuteurs locaux de l’agence auprès des collectivités territoriales et des porteurs de projet. Du côté de l’ANRU, l’affirmation des DDT comme relais local de l’agence n’est intervenue que plus récemment. Dans un premier temps, l’ANRU a cherché à établir un rapport direct avec les collectivités territoriales en court-circuitant ses délégations locales, pourtant instituées dès le premier règlement général de l’agence, dans ses négociations avec les porteurs de projet. Mais dès la fin 2005, elle doit gérer simultanément un nombre important de conventions qui sont à des stades d’avancement différents. Face à ces difficultés opérationnelles, la direction générale de l’ANRU prend la décision de renforcer le rôle de ses relais locaux que sont les préfets en tant que délégués Métropoles, 18 | 2016 13 L’agencification : opportunité ou contrainte pour renforcer la capacité d’act... territoriaux et les directeurs des DDE en tant que délégués territoriaux adjoints. L’ANRU parvient ainsi à mieux maîtriser la gestion administrative des conventions et à disposer d’informations qualitatives sur les conditions de mise en œuvre des projets de rénovation urbaine (Rapport du comité d’évaluation de l’ANRU, 2014). Une certaine revanche du réseau territorial de l’État se dessine donc, que Bertrand Dépigny décrit en ces termes : « Même si le ministre de la Ville Jean-Louis Borloo avait volontairement tenu à l’écart l’administration du ministère de l’Équipement de la mise en place de l’ANRU la considérant comme une « monarchie administrative », (…) la connaissance et l’expertise dont peuvent faire état les DDE (…) au sujet des opérations de renouvellement urbain en font un acteur essentiel de la mise en œuvre du Programme national de rénovation urbaine » (Dépigny, 2009, p.8). 33 Le statut de délégation locale de l’ANAH et de délégation territoriale de l’ANRU génère aussi des ressources pour les DDT dans leur rapport à l’autorité préfectorale et dans leurs relations avec les Directions Régionales de l’Environnement, de l’Aménagement et du Logement (DREAL). Les DDT sont d’abord confortées dans leur rôle de service technique référent auprès du corps préfectoral sur les thématiques du logement et de la rénovation urbaine. L’éclatement des compétences en matière d’habitat entre les DDT et les Directions Départementales de la Cohésion Sociale ainsi que la mise en place des délégués des préfets dans les quartiers pouvaient constituer des signes de remise en cause de la légitimité technique de la DDT dans ces domaines. Mais en positionnant quasi exclusivement les directeurs des DDT comme délégués territoriaux adjoints, les deux agences ont conforté le positionnement des DDT auprès de l’autorité préfectorale. En outre, les DDT tirent de leur rapport direct avec les représentants des deux agences des ressources pour conserver des marges d’autonomie vis-à-vis des DREAL à un moment où la déconcentration s’est accompagnée d’un renforcement du niveau régional comme échelon de pilotage des politiques de l’État tandis que le niveau départemental se voyait assigner davantage un rôle de mise en œuvre et de reporting (Poupeau, 2013). Malgré les interactions très fortes entre les projets de rénovation urbaine et le rôle des DREAL en matière de pilotage de la politique du logement à l’échelle régionale, l’ANRU ne leur a pas conféré de rôle particulier dans le premier programme de rénovation urbaine. Il conviendra de voir si cette situation évoluera, ou non, dans le cadre du nouveau programme de rénovation urbaine (NPNRU). On peut d’ores et déjà relever que les préfets de région ont joué un rôle plus important dans le choix des projets d’intérêt régional soutenus par l’ANRU dans le cadre du NPNRU par rapport au programme précédent où le choix de retenir certains quartiers n’étant pas classés en zone urbaine sensible dans le premier programme de rénovation urbaine s’était négocié très directement entre les délégations locales et l’ANRU. 34 En second lieu, les techniciens de la Ville de Saint-Etienne travaillant au sein de la « mission Renouvellement urbain et développement social » ont su aussi mobiliser le rapport aux agences comme une ressource d’action pour obtenir des évolutions de positions de la part de leurs élus référents et de leur hiérarchie. Leur encadrement et leurs élus référents ont réfuté plusieurs de leurs propositions techniques pour différents motifs : coût financier, risque politique… Le portage de ces propositions par les représentants locaux des deux agences et l’inscription de ces propositions dans des avis techniques formulés par les instances centrales de ces deux agences ont souvent permis de les faire aboutir. Les « opposants » ont préféré infléchir leurs positions initiales de crainte de perdre le soutien financier des deux agences. Pour illustrer cela, revenons sur la place accordée aux bailleurs publics dans la requalification des quartiers anciens. Au Métropoles, 18 | 2016 14 L’agencification : opportunité ou contrainte pour renforcer la capacité d’act... début des années 2000, l’objectif principal assigné à l’opération de traitement de l’habitat ancien est de faire revenir des ménages aux revenus intermédiaires et supérieurs dans le centre-ville. En conséquence, les opérateurs visés dans ce projet ne sont pas les bailleurs publics, mais les promoteurs, les bailleurs privés, investisseurs ou particuliers. Les techniciens de la Ville de Saint-Etienne et de la Société d’Équipement du Département de la Loire (SEDL) se rendent néanmoins rapidement compte que les opérateurs privés n’ont pas encore suffisamment confiance dans le changement d’image résidentielle de ces quartiers pour investir. L’exécution du programme de développement de l’offre nouvelle de logements prend donc du retard. En outre, l’avancée opérationnelle du projet rend nécessaire la construction de logements sociaux pour pouvoir reloger dans le quartier les ménages modestes qui résident dans les immeubles visés par les démolitions et les restructurations lourdes. Enfin, sans ventes de charges foncières, le déficit de l’OTHA risque de croître et donc de nécessiter un abondement financier de la part de la Ville de Saint-Étienne. À partir du milieu des années 2000, les techniciens de la Ville demandent donc à leurs élus référents de revoir la programmation pour permettre la création d’une offre nouvelle de logements locatifs publics. Ces derniers refusent dans un premier temps. Les représentants locaux et nationaux des deux agences alertent sur les impacts potentiels des retards observés dans l’exécution du programme : risque de reversement d’une partie des financements perçus du côté de l’ANRU, diminution de la dotation annuelle du côté de l’ANAH si les objectifs de réhabilitation de logements ne sont pas atteints. Les comptes rendus rédigés à l’issue des comités de pilotage annuels de suivi de la convention ANRU font aussi explicitement référence à la demande des représentants de l’agence qu’une offre dédiée au relogement soit produite par les bailleurs publics. Les élus sont amenés à revoir leur position et autorisent l’intervention des bailleurs publics pour la requalification complète d’immeubles anciens. 4. Le rapport au local renforce la légitimité des agences nationales et leur permet de faire évoluer leurs modalités d’intervention 35 L’échange de ressources entre agences et acteurs locaux n’est pas unidirectionnel. Les représentants centraux des deux agences tirent aussi des ressources de leur intégration dans des coalitions d’acteurs localisées. Ce mécanisme d’activation de ressources pour les agences reposant sur l’instauration de relations de coopération avec les acteurs locaux a été peu analysé dans les travaux académiques antérieurs. 4.1 Réduire les facteurs d’incertitude, sécuriser les soutiens politiques 36 Les agences ont été créées pour mettre en œuvre des missions ciblées et leur action est principalement évaluée sous cet angle. Les directions des agences doivent donc veiller à structurer une capacité opérationnelle sans laquelle leur feuille de route ne sera pas remplie. Elles doivent aussi s’assurer que leurs actions seront visibles. Si l’on revient plus précisément aux deux agences que nous étudions ici, l’ANRU et l’ANAH, l’une des difficultés pour satisfaire cet objectif d’opérationnalité est qu’elles ne sont pas directement les maîtres d’ouvrage des projets. Elles restent essentiellement des cofinanceurs. L’ANRU est dépendante des collectivités territoriales et des bailleurs Métropoles, 18 | 2016 15 L’agencification : opportunité ou contrainte pour renforcer la capacité d’act... publics. L’ANAH est dépendante d’une multitude de porteurs de projets – bailleurs ou propriétaires occupants – très indépendants dans leur prise de décision. La sédimentation des rapports de confiance avec les acteurs locaux est donc une ressource précieuse pour les deux agences. Elle leur permet d’avoir régulièrement des informations sur le déroulement des projets et ainsi de pouvoir mesurer un risque de retard, voire de réorientation profonde de leur contenu. En outre, l’établissement de rapports de coopération avec les collectivités locales constitue aussi une ressource pour faire connaître l’action des deux agences. Les agences vont en effet bénéficier des retombées des démarches de communication fréquemment mises en œuvre par les maîtres d’ouvrage locaux. Leurs logos figureront systématiquement sur les plaquettes de communication qui seront diffusées auprès des partenaires du projet et des habitants. 37 Le rapport direct aux élus devient aussi une ressource politique pour les directions des deux agences dans leurs relations avec leurs administrations de tutelle. La stabilisation de relations interindividuelles entre les cadres dirigeants des agences et des maires de grandes villes, qui sont souvent parlementaires, sert de ressource pour sécuriser les dotations budgétaires dans un contexte de réduction des dépenses d’intervention. La publication de rapports parlementaires aide aussi les directions des agences dans leurs négociations avec leurs administrations de tutelle au sujet de leurs priorités d’intervention ou de leurs dotations en moyens humain et financier. Par exemple, la publication du rapport du sénateur Braye12 (Braye, 2012) sur l’enjeu d’un renforcement de l’action publique pour enrayer la déqualification des copropriétés privées a permis à l’ANAH de maintenir son budget d’intervention dans une période où le ministère des Finances recherchait des économies budgétaires et où le ministère du Logement voulait confier à l’agence de nouvelles missions. Dans le cas de l’ANRU, l’instauration de relations privilégiées avec les maires lui a permis d’accélérer la signature des premières conventions de rénovation urbaine dès 2004 et 2005. Or sans cette montée en régime rapide du programme de rénovation urbaine, l’ANRU craignait que le ministère des Finances ne reprenne en main une partie de la ressource financière liée à Action Logement pour financer d’autres volets de la politique nationale du logement, voire pour abonder le budget général de l’État. 38 L’instauration de relations directes entre les porteurs de projets et les représentants de l’ANAH et de l’ANRU permet aussi aux deux agences d’orienter le contenu des politiques locales pour qu’il corresponde à leurs priorités d’intervention sans pour autant revenir à un mode de pilotage hiérarchique descendant. Les villes le font d’autant plus facilement que ces attentes du niveau central ne sont pas présentées comme des prescriptions étatiques, mais comme la capitalisation des expériences locales. Nous rejoignons ici les conclusions déjà formulées au sujet de la réaffirmation dans la période contemporaine du rôle de guidance de l’échelon central dans la fabrique des politiques urbaines (Epstein, 2013 ; Breton, 2014 ; Béal, 2011). Par l’instauration de labels ou d’appels à projets, les États obtiennent un alignement du contenu des politiques territoriales sur leurs objectifs tout en confortant l’autonomie politique des villes (Béal & al., 2015). Mais nous insistons pour notre part sur la ressource tirée par les agences de leur intégration à des coalitions d’acteurs localisées pour satisfaire cet objectif. Par une présence au quotidien de leurs représentants locaux, les agences obtiennent une convergence progressive entre le contenu des projets ou des politiques locales et leurs priorités d’intervention sans recourir à l’imposition. Métropoles, 18 | 2016 16 L’agencification : opportunité ou contrainte pour renforcer la capacité d’act... 39 Enfin, l’instauration de rapports de confiance entre l’ANRU ou l’ANAH et les acteurs locaux constitue une ressource pour la gestion des tensions qui peuvent apparaître autour de l’élaboration ou de la mise en œuvre opérationnelle de leurs interventions. 40 Dans le cas de l’ANAH, les principaux conflits avec les acteurs locaux sont liés à l’imprévisibilité des capacités de financement de l’agence à destination des villes et, plus largement, des territoires dotés de dispositifs opérationnels (PIG, OPAH). Pour comprendre ces tensions, il est important de garder à l’esprit que l’ANAH connaît des difficultés financières de deux types. Elle souffre d’abord d’une instabilité et d’un manque de visibilité sur ses propres recettes de financement (Cour des Comptes, 2013). La baisse des dotations directes de l’Etat nécessite pour l’ANAH de trouver d’autres ressources budgétaires, mais chaque nouveau financeur sollicité conditionne sa participation13 à des contreparties, ce qui nécessite de faire évoluer très fréquemment les modalités d’intervention de cette agence. Cela crée des tensions avec les collectivités qui s’engagent sous forme de conventions avec l’ANAH à mettre en place des dispositifs opérationnels sur 3 ans et recrutent un opérateur spécialisé pour assurer l’animation de leur dispositif pour, finalement, devoir faire évoluer leurs aides et leurs priorités en fonction des règles financières adoptées annuellement par l’ANAH. La stabilisation des relations de confiance entre l’ANAH et les acteurs locaux est alors particulièrement importante pour éviter que ces mécontentements ne se traduisent en conflit avec, par exemple, une dénonciation des conventions encadrant les dispositifs opérationnels... ce qui ne permettrait plus à l’ANAH de réaliser les objectifs fixés par ses administrations de tutelle. 41 Du côté de l’ANRU, le risque de conflit avec les villes est d’une tout autre nature. Bien que dans le cas stéphanois de tels conflits ne se soient pas produits, les projets ANRU peuvent donner lieu à des mobilisations collectives (Deboulet, 2006). De telles mobilisations portent fréquemment sur la dénonciation du bien-fondé des démolitions de logements sociaux au regard de la qualité du bâti devant être démoli et des conséquences d’une diminution du stock de logements sociaux sur l’allongement de la durée d’accès à un logement social. Elles peuvent aussi se cristalliser autour des processus de relogement des ménages à la suite des démolitions. Les propositions de relogement faites par les bailleurs sociaux sont jugées insatisfaisantes au motif que les typologies de logements proposés ne correspondent pas aux besoins des ménages ou que le niveau de la quittance (loyer et charges) n’est pas adapté à leur niveau de ressources. Quel que soit le motif invoqué, lorsque des oppositions fortes émergent avec les habitants dans la mise en œuvre du projet de rénovation urbaine, la stabilisation des relations de coopération avec les acteurs locaux devient une ressource pour l’ANRU. Elle lui permet de ne pas être directement confrontée aux contestataires. L’ANRU s’appuie en effet sur les bailleurs sociaux et les élus pour qu’ils assurent une médiation avec les opposants, voire, une canalisation des revendications en organisant la consultation au niveau local (Deboulet, 2010). Il est à noter que l’ANRU a pu aussi faire face à une opposition plus institutionnelle au sujet des démolitions de logements sociaux et que, là aussi, le rapport au local a servi de ressource à l’agence pour désamorcer ces conflits : « En faisant des maires les responsables de l’élaboration et de la conduite des projets de rénovation urbaine, l’ANRU leur a apporté un surcroît de légitimité vis-à-vis des autres parties prenantes de ces projets, ce qui a facilité leur mobilisation et la levée des oppositions locales qui auraient pu en entraver la formalisation ou la réalisation, en particulier celles de certaines DDE rétives aux démolitions de logements sociaux» (Epstein, 2013 ; p :240). Cette délégation du pilotage du projet de rénovation urbaine organisée par l’ANRU à destination des maires a permis à l’agence d’éviter de se voir directement Métropoles, 18 | 2016 17 L’agencification : opportunité ou contrainte pour renforcer la capacité d’act... imputer les problèmes rencontrés dans la mise en œuvre du projet de rénovation urbaine et dans ses effets ultérieurs. 4.2 La relation au local comme dynamique de changement 42 Le rapport au local peut être aussi une ressource pour impulser des dynamiques de changement dans les modalités d’intervention des agences. L’expérimentation locale permet des dérogations « encadrées » aux modalités d’intervention de l’ANRU et de l’ANAH. Ces dérogations permettent aux agences de tester des dispositifs qui pourront par la suite, si l’évaluation de cette expérimentation s’avère positive, être élargis à d’autres territoires et être intégrés dans le règlement d’intervention. Cette phase d’expérimentation est perçue comme un préalable nécessaire par les directions des deux agences pour pouvoir engager une discussion avec leurs administrations de tutelle – et particulièrement avec le ministère des Finances – et avec leurs conseils d’administration dont l’accord est requis pour faire évoluer leurs modalités d’intervention. L’ANAH a par exemple décidé de mettre en place en 2013 avec l’Établissement Public d’Aménagement de Saint-Etienne une expérimentation sur trois ans portant sur le financement d’un dispositif innovant de traitement de l’habitat ancien. L’EPASE est d’abord autorisé à percevoir directement les aides de l’ANAH alors que, dans le cas classique, les aides de l’ANAH sont perçues par des porteurs de projet privés. En outre, la mobilisation des aides de l’ANAH a été autorisée pour permettre à l’EPASE de faire des acquisitions immobilières et des travaux lourds de réhabilitation dans la perspective de vendre ces logements à des accédants à la propriété sous condition de ressources. L’EPASE agit dans ce cas-là comme un promoteur produisant une offre de logements réhabilités équivalents à des logements neufs destinés à des ménages modestes. Cela constitue une innovation dans les interventions de l’ANAH qui se limitaient jusqu’alors au développement d’une offre locative conventionnée ou à l’amélioration des conditions de logements occupés par leurs propriétaires. Le retour d’expérience dont l’ANAH disposera à l’issue de ce test lui permettra de proposer à son conseil d’administration une diversification des interventions de l’agence sur le segment de la production de logements en accession dans le parc ancien pour des ménages modestes. Conclusion 43 Ce travail sur le rôle des agences dans la fabrique de l’action publique urbaine débouche sur plusieurs résultats qui, nous l’espérons, feront l’objet de discussions, de critiques et d’approfondissements par d’autres chercheurs. 44 En premier lieu, la mobilisation de la théorie des régimes urbains a permis de renforcer les éléments de connaissance sur le rôle des agences dans la fabrique de l’action publique locale. En privilégiant une analyse localisée des coalitions d’acteurs, la théorie des régimes urbains montre que les représentants locaux de l’ANRU et de l’ANAH font partie intégrante de la dynamique d’action collective qui s’est formée autour de la requalification des quartiers anciens à Saint-Étienne sur la période 2003 – 2013. Elle met aussi évidence une grande diversité de ressources d’action, bien au-delà des seules dotations financières, que mobilisent les membres de la coalition pour structurer puis maintenir une capacité d’action collective pour la requalification des quartiers anciens. Métropoles, 18 | 2016 18 L’agencification : opportunité ou contrainte pour renforcer la capacité d’act... 45 En second lieu, nous avons mis en évidence que le développement des agences ne conduisait pas systématiquement à une résidualisation ou à une marginalisation de l’État local dans la conduite des politiques urbaines comme cela a pu être dit par d’autres auteurs (Epstein, 2013 ; Le Galès & Vezinat, 2014). Le rapport à l’ANRU et à l’ANAH est une ressource activée par les représentants de la DDT de la Loire pour conserver leur place dans la coalition d’acteurs qui se structure autour de la définition et de la mise en œuvre d’une politique de requalification des quartiers anciens. Il pourrait nous être reproché que ce résultat tienne aux spécificités de notre terrain d’étude : une ville confrontée à une crise démographique et à une évolution en profondeur de sa base économique où la structuration d’une capacité d’action politique reste encore problématique (Pinson & al., 2010). Mais la question de la spécificité des contextes se pose tout autant pour les travaux qui concluent à la disparition des services déconcentrés de l’État de la fabrique de l’action publique locale en ce qu’ils portent sur de grandes métropoles qui sont en croissance économique et démographique et qui sont fortement dotées en capacité d’ingénierie et en budget d’investissement. En outre, nos conclusions rejoignent celles établies par d’autres chercheurs qui ont eux aussi souligné le maintien du rôle des services déconcentrés de l’État dans la fabrique des politiques locales au sein des territoires périurbains et dans des quartiers jugés non stratégiques pour la mise en œuvre des politiques urbaines d’attractivité (Reigner & Segas, 2013). De même, nos conclusions participent à remettre en cause l’idée communément partagée selon laquelle le développement des agences renforcerait la dynamique de néolibéralisation des politiques urbaines. Nous avons montré que l’intervention de l’ANRU et de l’ANAH a permis de réintroduire la production de logements locatifs conventionnés – publics ou privés – dans les projets de renouvellement urbain menés sur les quartiers anciens de Saint-Etienne alors qu’initialement l’offre résidentielle nouvelle était destinée à des classes moyennes et supérieures. Le poids des acteurs institutionnels dans la culture politique française explique très certainement pourquoi l’intervention des agences dans la conduite des politiques urbaines n’aboutit pas à l’abandon des régulations publiques. 46 En troisième lieu, nous avons mis en évidence que l’intégration des agences dans des coalitions d’acteurs localisées était pourvoyeuse de ressources politiques et techniques que ces agences pouvaient mobiliser dans leurs rapports avec leurs administrations de tutelle. Ce faisant, nous apportons un contrepoint aux travaux existants qui avaient principalement insisté sur le déséquilibre de la relation de pouvoir entre les agences centrales et les acteurs locaux au bénéfice des premières. 47 Au terme de ce travail, nous souhaiterions esquisser une perspective de recherche relative à la comparaison de la territorialité des modes d’action des agences. Nous avons pu constater que l’ANRU et l’ANAH ont un rapport spécifique au territoire dans leurs interventions. L’ANRU privilégie un contact direct avec les maires et les présidents d’intercommunalité et se construit un positionnement de partenaire de la politique locale de rénovation urbaine. L’ANAH privilégie pour sa part un contact avec ses délégations locales et ne cherche pas à apparaître en premier rang dans les politiques locales de l’habitat. À partir d’études de cas menées dans d’autres secteurs d’action publique et dans plusieurs pays, il nous semblerait intéressant d’approfondir cette perspective de recherche sur la territorialité des agences, ce qui permettrait de compléter et de mettre en relation les travaux relevant de la territorialisation des politiques publiques et ceux relatifs à l’analyse du processus d’agencification. Métropoles, 18 | 2016 19 L’agencification : opportunité ou contrainte pour renforcer la capacité d’act... BIBLIOGRAPHIE Aust, J. et Cret, B. (2012), « L’Etat entre retrait et réinvestissement des territoires. 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Il s’agit principalement des ateliers de l’ANAH, des réunions nationales regroupant l’ensemble des délégations territoriales de l’ANRU et des réunions nationales regroupant l’ensemble des délégations locales de l’ANAH. 5. Jean-Louis Borloo et Michel Thiollière sont fortement impliqués dans les instances nationales dirigeantes du parti radical valoisien. 6. Il s’agit des OPAH-Renouvellement Urbain pour l’ANAH et des conventions de rénovation urbaine pour l’ANRU. 7. Les quartiers du Crêt de Roc et de Beaubrun font l’objet d’une Zone de Protection du Patrimoine Architectural, Urbain et Paysager (ZPPAUP) et d’un périmètre de restauration Métropoles, 18 | 2016 22 L’agencification : opportunité ou contrainte pour renforcer la capacité d’act... immobilière (PRI) mis en place par la Ville de Saint-Étienne. La présence simultanée de la ZPPAUP et du PRI ouvrent droit à des avantages fiscaux lors de la réalisation de travaux de réhabilitation de logements anciens. 8. Le comité d’engagement de l’ANRU est présidé par le directeur général de l’agence et comprend des représentants du ministère chargé de la politique de la ville et du ministère chargé du logement, de l’Union nationale des fédérations d’organismesd’habitations à loyer modéré, de l’Union d’économie sociale du logement et de la Caisse des Dépôts et Consignations. 9. Le potentiel financier mesure la richesse théorique d’une commune. Il est égal au potentiel fiscal, auquel est ajoutée la dotation forfaitaire de la Dotation Globale de Fonctionnement provenant de l’État et perçue par la commune l’année précédente (hors compensation de la suppression de la part salaire de la taxe professionnelle). Il permet de prendre en compte l'ensemble des ressources stables d'une collectivité. En 2013, le potentiel financier par habitant de Saint-Étienne était le plus faible des grandes villes de Rhône-Alpes et d’Auvergne. Il s’établissait à 1208 euros par habitant à St-Etienne contre 1264 euros par habitant à ClermontFerrand, 1484 euros par habitant à Grenoble et 1532 euros par habitant à Lyon. 10. Dans le cas stéphanois, ces expertises « flash » ont été mobilisées pour intervenir sur les copropriétés dégradées et pour développer l’offre commerciale dans des quartiers d’habitat social. 11. Il s’agit notamment des « Journées Nationales d’échanges des acteurs de la rénovation urbaine (JERU) » organisées par l’ANRU, des « ateliers de l’ANAH » et des « forums de l’habitat privé » organisés par l’ANAH. 12. Le sénateur Braye a été président de l’ANAH entre 2010 et 2014. 13. A titre d’illustration, le budget 2015 de l’ANAH est financé par la taxe sur les logements vacants, par Action Logement, par la Caisse nationale de solidarité pour l’autonomie et par des contributions financières apportées par les énergéticiens qui récupèrent « en échange ». RÉSUMÉS Cet article est consacré aux effets territoriaux du processus d’agencification. Prenant appui sur l’analyse de l’intervention de deux agences – l’Agence nationale pour l’Habitat et l’Agence Nationale de Rénovation Urbaine – dans la conduite de politiques de requalification de deux quartiers anciens à Saint-Etienne entre 2003 et 2015, nous montrons que ces agences sont intégrées à la coalition d’acteurs publics et privés qui se structure localement dans ce domaine d’action. Le processus d’agencification fournit aux membres de la coalition des ressources budgétaires, d’expertise et politiques pour structurer une capacité d’action. Mais la relation n’est pas unilatérale : les représentants des deux agences retirent aussi des gains de cette intégration dans la fabrique de l’action publique locale en sécurisant un soutien politique dont ils ont besoin dans leurs négociations avec leurs administrations de tutelle. Notre travail apporte aussi un contrepoint aux thèses sur la résidualisation de l’État local. Le rôle de représentants locaux de l’ANRU et l’ANAH devient une ressource d’action pour la direction départementale des territoires (DDT) de la Loire qui lui permet de continuer à être partie prenante dans la définition et la mise en œuvre des politiques de renouvellement urbain dans un contexte institutionnel marqué par une forte réorganisation de la présence de l’État au niveau local. Métropoles, 18 | 2016 23 L’agencification : opportunité ou contrainte pour renforcer la capacité d’act... This article deals with the territorial impact of the process of agencification. By mobilizing the Urban Theory Regime Theory, we study in details the interactions between local stakeholders and agencies in the building of a local political capacity. The case study concerns the urban renewal policies set up in two old and deprived districts located in the city of Saint-Etienne for the period 2003-2015. We insist on the stabilization of exchange assets between local and central levels. We discuss also the thesis of the peripherization of local State. The relation with central agencies becomes an asset for local State services to stay involved in the design of urban renewal projects in a context of State’s restructuring. INDEX Mots-clés : agence, agencification, État local, coalition d’acteurs, régénération urbaine, ANRU, ANAH, Saint-Étienne (France) Keywords : agency, Local State Administration, coalition, urban regeneration AUTEUR RÉMI DORMOIS Chef du service Habitat à la Direction Départementale des Territoires de la Loire et chercheur associé en science politique à EVS (UMR 5600) [email protected] Métropoles, 18 | 2016 24