Université de Paris-Sorbonne
UFR d’Histoire
Le Refuge inattendu : les Huguenots de Manakin Town, 1692 - 1780.
Mémoire de Master de Laura Ducos
Sous la direction de M. François-Joseph Ruggiu
Année universitaire 2013/2014
Remerciements.
Mes remerciements vont en premier lieu à M. François-Joseph Ruggiu, pour sa patience, sa compréhension et son aide toujours précieuse. J’aimerais également adresser ma profonde reconnaissance à Mmes Katherine Chavigny et Lynn R. Laufenberg, professeurs d’histoire à Sweet Briar College, pour leur soutien sans faille dans la poursuite de mon projet, et M. John Casteen, professeur de littérature, pour s’être régulièrement enquis de l’avancée de mes travaux. Sans l’expertise et l’aide de Mme Ann Woodlief, bibliothécaire à la Manakin Episcopal Church et M. John Colby, archiviste de la Library of Virginia, mes recherches n’auraient jamais pu aboutir, et je les remercie encore une fois de leur patience et de leur enthousiasme à propos de mon projet. Je voudrais également remercier Mme Margaret Scouten, directrice de Junior Year in France pour m’avoir permis d’étudier à Sweet Briar College et ainsi de m’avoir rapproché encore un peu plus des Huguenots de Manakin Town. Enfin, toute ma gratitude va à ma famille et plus particulièrement à ma mère – c’est elle qui m’a donné le goût de l’Histoire, et de ses histoires.
Le Refuge inattendu : les Huguenots de Manakin Town, 1692 - 1780.
Table des matières
Introduction 4
I - Le contexte européen de Manakin Town : le hasard du refuge américain. 12
1 – Les Huguenots en Angleterre : entre assimilation et désirs d’ailleurs. 12
2 – Des Français à l’ouvrage : Ruvigny, l’Irlande et De Sailly. 15
3 – L’Amérique, ultime exil ? 17
4 – De détours en virages : Charles Coxe, la Carolana et le Comté de Norfolk. 20
5 – « As good land and as wholesome air in America » : la Virginie, le dernier espoir. 27
II - Des débuts difficiles : wilderness, pauvreté et divisions internes. 33
1 – La nature sauvage, premier obstacle. 33
2 – De Charybde en Scylla : une pauvreté omniprésente. 36
3– Des divisions internes problématiques. 41
4 – Vers l’organisation de la colonie. 45
III – L’invisible transformation : l’assimilation de Manakin Town à la Virginie coloniale. 49
1 – La naturalisation, une assimilation artificielle ? 49
2 – Une vie politique endémique à Manakin Town. 52
3 – Langages, héritages et mariages. 55
4 – Se conformer par défaut. 59
Conclusion 63
Bibliographie. 66
ANNEXES. 70
Introduction
Si un étranger vient s'installer dans votre pays, ne l'exploitez pas. Traitez-le comme s'il était l'un des vôtres. Tu l'aimeras comme toi-même: car vous avez été vous-mêmes étrangers en Egypte. Je suis l'Eternel, votre Dieu.
Lévitique, 19:33 - 19:34.
La migration façonne l'histoire. Le mouvement des populations ne transporte pas seulement des hommes, mais des vies dans tout ce qu'elles ont de plus intimes, formant un enchevêtrement bien plus complexe que des chiffres. La migration déplace invariablement le centre de gravité d'un groupe à un autre, forçant tout un système à repenser son orbite, et à se repositionner comme il le peut, s'il le peut d'ailleurs, dans un nouvel environnement. Avec eux, d'un point à un autre, les hommes amènent leurs histoires, leurs langues, leurs religions, leurs particularités, et bien souvent, c'est pour l'une de ces raisons qu'ils quittent leur zone d'origine pour s'installer ailleurs. La migration, lorsqu'elle prend le nom d’exil, soulève la question de l’identité dans toute sa globalité. L’étranger l’est à la fois en son pays et ailleurs, un ailleurs qui possède de nouvelles frontières aussi bien physiques qu’immatérielles. Pour l’historien, étudier l’exil, c’est relier les concepts philosophiques de l’histoire – qu’est-ce qu’une civilisation ? qu’est-ce qui constitue la cohérence d’un groupe ? quelle influence la position spatiale a-t-elle sur la position politique ou spirituelle du départ ? – à des interrogations plus prosaïques – quelles étaient les circonstances économiques et politiques ? quels étaient les chiffres ? quels étaient les moyens physiques du déplacement ? – pour obtenir le tableau le plus complet possible de ce groupe en mouvement dont les contours sont plus subtils à dessiner que ceux d’une population sédentaire. Les facteurs sociaux, économiques et culturels deviennent également plus perméables, soumis aux mutations inévitables qui s’exercent lorsqu’un mode de vie doit s’assimiler, s’intégrer ou se plier aux coutumes d’un autre. Etudier l’exil, c’est observer le dilemme souvent inconscient d’une population, partagée entre le souvenir de la terre d’origine et l’avenir qu’offre la terre d’asile, avec tout ce que cela implique de changements, d’abandons et de transformations.
La promulgation de l’édit de Fontainebleau, officialisant la révocation de l’Edit de Nantes le 18 octobre 1685 fut le déclencheur d’un bon nombre d’entre eux, entraînant une réaction en chaîne qui conduisit les protestants français, ou Huguenots (d’abord une appellation péjorative, puis reprise par les intéressés quand il fallut se démarquer d’un catholicisme triomphant) et leurs voisins vaudois, localisés surtout dans le Sud dans la France, à prendre les routes et quitter le royaume du Rex Christianissimus. Ultime pierre apposée à l’édifice anti-réforme construit par Louis XIV entre 1679 et 1685 (des temples furent condamnés, des abjurations obtenues grâce à la Caisse des Conversions, des biens furent confisqués et des foyers huguenots furent occupés par les dragons, soldats responsables des campagnes d’intimidation violente « envoyées partout dans le royaume », écrivit Jacques Fontaine, un Huguenot qui laissa l’un des plus fiables témoignages de cette époque
Cottret, Bernard, Mémoires d’une famille huguenote victime de la révocation de l’édit de Nantes, Montpellier, Presses du Languedoc, 1992, p. 115 ), l’édit de Fontainebleau faisait abandonner toute idée de conversion plus ou moins paisible ; il s’agissait clairement de contraindre une bonne fois pour toutes la France à s’allier toute entière sous « une foi, une loi, un roi ». Pour ce faire, il ne suffisait pas d’interdire les écoles protestantes (« [nous] défendrons les écoles particulières pour l'instruction des enfants de ladite R.P.R ») , de défendre la pratique de la devotio privata ( « [nous] Défendons à nosdits sujets de la R.PR. de ne plus s'assembler pour faire l'Exercice de ladite Religion en aucun lieu ou maison particulière ») ou de forcer les baptêmes catholiques (« A l'égard des enfants qui naîtront de ceux de ladite R.P.R., [nous] voulons qu'ils soient dorénavant baptisés par les curés des paroisses. […] et seront ensuite les enfants élevés en religion Catholique, Apostolique et Romaine, à quoi nous enjoignons bien expressément aux juges des lieux de bien tenir la main »)
Edit de Fontainebleau, 1685. mais d’interdire purement et simplement aux Huguenots de quitter le royaume, en faisant « très expresses et itératives défenses à tous nos sujets de ladite R.P.R. de sortir, eux, leurs femmes et enfants, de notre dit royaume, pays et terres de notre obéissance, et d'y transporter leurs biens et effets, sous peine pour les hommes de galères et de confiscation de corps et de biens pour les femmes »
Ibid, 1685.. Il ne s’agissait pas de se débarrasser des Huguenots, mais de les intégrer, ou plutôt de les réintégrer, de force à une société qui ne les tolérerait que s’ils se conformaient à ses vœux.
Dans bien des aspects, la révocation causa des effets inverses à ceux qui étaient attendus par la couronne. Myriam Yardeni explique comment la religion protestante, en proie à un lent déclin à l’orée des années 1680, regagna en vigueur pendant les persécutions, exaltant la foi et les passions
Yardeni, Myriam, Le Refuge protestant. Paris, PUF, 1985, p. 40., encourageant même au martyr. Les conversions obtenues n’étaient souvent que de façade, surtout celles obtenues par la Caisse des Conversions qui en échange d’une abjuration gratifiait le converti d’une somme d’argent variable – on fait état d’individus malhonnêtes qui se convertissaient plusieurs fois pour toucher la récompense. L’interdiction d’émigrer n’échappa pas à la règle. Malgré les conséquences particulièrement dangereuses, et les itinéraires incertains, près de 200 000 Huguenots décidèrent de quitter la France
Van Ruymbeke, From New Babylon to Eden: The Huguenots and their Migration to South Carolina, Columbia, University of South Carolina Press, p. 57, cette « nouvelle Babylone » pour un « Eden » plus accueillant. Les Provinces-Unies, l’Electorat de Brandebourg et les cantons suisses autour de Genève figuraient parmi les destinations principales des protestants français et vaudois. Mais c’est définitivement l’Angleterre, porte vers l’océan et son ultime frontière, l’Amérique, qui attira le plus Huguenots sur ses côtes. Cet exode européen, et dans une moindre mesure, extra-européen, qui créa l’une des circulations migratoires les plus importantes du dix-septième siècle, fut retenu sous le nom de Refuge par l’historiographie. L’important nombre de travaux consacrés aux Huguenots et aux divers refuges qui les ont accueillis pourrait résumer à lui seul toute l’importance et la complexité des rapports entre les protestants français et leurs nouvelles terres d’accueil. Citons, pour le concept de Refuge seul, les ouvrages de Myriam Yardeni, Le Refuge huguenot, assimilation et culture (2002) et Le Refuge protestant (1985), celui de Michelle Magdelaine et Rudolf von Thadden, Le Refuge Huguenot (1989), et pour les Huguenots en Angleterre et en Irlande, qui ont inspiré notre réflexion, les travaux de Bernard Cottret, The Huguenots in Britain (1992) et de Robin D. Gwynn, dont le plus marquant est sans doute The Huguenot Heritage : The History and Contribution of the Huguenots in Britain (1985). Le sujet des refuges européens est en fait largement couvert, mais à la lecture de ces ouvrages, on remarque le peu d’ouverture consacré aux colonies britanniques outre-Atlantique, sur lesquelles s’ouvre pourtant toute l’Angleterre en cette lucrative et excitante fin de dix-septième siècle.
Les Huguenots et l’Amérique, que l’on conçoit pour la suite de cette réflexion, comme les colonies anglaises nord-américaines, est une association rarement abordée dans le flot continuel de publications à propos des refuges protestants. Pourtant, leurs positions respectives semblaient destinées à les faire se rencontrer. L’un est peuple migrant, l’autre terre d’immigration. Le vocabulaire des Pères Pèlerins du Mayflower ressemble, dans son constant appel à la Providence, à celui des nombreux témoignages huguenots qui ont quitté la France et cherchent l’espoir d’un avenir meilleur loin d’une « Europe corrompue ». Les connexions ne sont bien entendues pas que théoriques. L’histoire des Huguenots et de l’Amérique a réellement existé, en commençant par des expéditions malheureuses et peu probantes, voire traumatisantes, au Canada, au Brésil, alors appelée « France Antarctique » et en Floride. Cette dernière expédition conduite en 1565 se termina dans un bain de sang et coupa toute relation avec l’Amérique jusqu’à ce que les Huguenots arrivent en Angleterre et se retrouvent mêlés, malgré eux ou désireux d’en faire partie, à la fièvre des colonies et aux turbulences de la politique anglaise de la fin du dix-septième siècle. Seuls quelques ouvrages de référence permettent alors d’envisager ce nouveau tournant dans l’itinéraire bien tumultueux des protestants français. Pendant longtemps, Charles W. Baird et son Huguenot Emigration to America (1885) en deux volumes a été l’unique ouvrage de référence, malheureusement plus un catalogue de noms et de lieux qu’une véritable analyse de l’arrivée des Huguenots en Amérique. Gilbert Chinard publia Les Réfugiés Huguenots en Amérique (1925). Il a fallu attendre Jon Butler et ses Huguenots in America (1992) pour enfin avoir accès à une vue d’ensemble – même superficielle pour les colonies de la Virginie et des Carolines – sur la question des Huguenots. Cette étude monumentale a alors ouvert la voie à d’autres travaux, sur les colonies de New York, Boston et Charleston, réparant ainsi petit à petit un large trou dans l’histoire de l’Amérique coloniale et ses relations, toujours fascinantes, avec ses migrants. Seule la Virginie, pourtant joyau de la couronne anglaise, première des colonies, sujet d’innombrables publications et recherches, demeure curieusement délaissée de l’analyse historique quand il convient d’explorer ses relations avec ces singuliers émigrés venus de France. C’est pourtant sur le Old Dominion que s’est établie la plus large colonie de Huguenots (accompagnée de Vaudois), en 1700, à Manakin Town près de la James River, dans le comté de Henrico. Seuls un article et deux ouvrages s’y consacrent totalement. Les recherches de James Bugg et son article « The French Huguenot Frontier Settlement of Manakin Town » (1953) ont posé les fondements de la recherche. The Protestant International and the Huguenot Emigration to Virginia (2010) par David Lambert est une étude en profondeur des raisons qui ont mené les Huguenot ; ensuite, Turf&Twigg (1985) par Priscilla Harris Cabell, une compilation cataloguée des actes notariés et de quelques testaments allant de 1700 à 1770. Enfin, l’ouvrage sur les femmes en milieu colonial de Joan R. Gundersen , To Be Useful to the World : Women in Revolutionary America (2006) contient une portion intéressante sur une descendante de Huguenots établis à Manakin Town. L’association paradoxale d’un manque d’analyses et d’une documentation historique importante invite donc à une étude au plus proche des sources.
Les sources disponibles sur Manakintown sont très différentes les unes des autres en terme de nature et d’usage, et nécessitent un exercice délicat de reconstruction (et parfois, d’imagination) historique afin de leur donner un sens. Elles sont toutes en anglais, et il est parfois indiqué qu’elles sont traduites du français. Il existe une compilation effectuée par Robert Alonzo Brock, membre de la Virginia Historical Society, qui publia en 1886 Documents Chiefly Unpublished relating to the Emigration in Virginia and to the settlement at Manakin-Town. Il s’agit de la masse la plus importante de documents concernant Manakintown, rassemblent pêle-mêle les listes des colons, des lettres officielles issus de la correspondance du gouverneur de Virginie et des dirigeants de Manakintown, et les registres baptismaux tenus par les colons de 1721 à 1754. Elle contient aussi la proposition de Wiliam Byrd, le Proposal Humbly Submitted, qui constitue l’acte fondateur de Manakintown. Cette compilation est d’une aide inestimable et permet de satisfaire la curiosité de l’historien en ce qui concerne les tenants et les aboutissants de l’installation de ces Huguenots en Virginie, une destination particulièrement inhabituelle pour ce groupe, particulièrement lorsqu’on y ajoute les entrées éclairantes des Calendar of State Papers, Colonial Series du volume consacré à l’année 1700, mais ses limites chronologiques ne permettent pas d’envisager la colonie dans sa globalité. Il faut donc y ajouter les vestry books de la paroisse du roi Guillaume, là où se trouvait Manakintown. Ces livres contiennent le résumé des assemblées tenues de 1707 à 1750, et autorisent une entrée plus incisive dans la vie de ces protestants français et de mesurer à quel point la colonie était active. Le seul témoignage direct dont nous disposons est celui de Francis Louis Michel, un Vaudois débarqué en Virginie en 1701 et arrivé à Manakin Town après des pérégrinations en Pennsylvanie et à New York. Son Report of the Journey of Francis Louis Michel From Berne, Switzerland to Virginia dispense quelques pages très précieuses sur son voyage de l’Europe jusqu’en Virginie et sur son passage à Manakin Town. Enfin, les sources les plus personnelles après le témoignage de Francis Michel sont contenues dans la compilation des testaments de Benjamin B. Weisiger, les Colonial Wills of Henrico County, Virginia, 1677 – 1737 et dans Turf&Twigg, où l’on trouve de nombreux actes notariés datés de 1700 à 1750. A défaut d’être en possession de lettres ou de notes, les testaments offrent une bonne ouverture sur ce que pouvaient être les relations familiales et personnelles des réfugiés de Manakintown, tout en mettant en exergue la juxtaposition de deux sociétés, l’une anglaise, l’autre huguenote, dans l’espace réduit d’un petit comté de Virginie.
Les problématiques du sujet se veulent donc amples, extraites de l’observation minutieuse des sources qui posent également les limites chronologiques. Qui étaient exactement les Huguenots arrivés à Manakintown et comment avaient-ils pris cette direction inhabituelle ? Comment se sont-ils adaptés à leur environnement ? Quelles étaient leurs relations avec leurs voisins anglais ? A la différence de David Lambert qui concentre principalement sa réflexion sur l’arrivée des Huguenots, cherche à se dresser ici un portrait plus global, des fondations de Manakintown près de dix ans avant l’arrivée des colons jusqu’à l’assimilation des Huguenots dans les années 1770, un processus qu’il est judicieux de découper en trois segments de réflexion distincts, étudiés dans un souci de chronologie : dans un premier temps, nous verrons le contexte européen des origines de la colonie et les difficultés rencontrées pour la mettre en place, couvrant une période d’environ dix ans ; ensuite, l’installation des Huguenots et leur situation durant les premières années de leur colonisation et enfin, les mécaniques d’assimilation et d’intégration des Huguenots dans l’environnement anglo-saxon de la Virginie. Il s’agit de saisir les particularités de la migration huguenote vers Manakintown, ses failles, ses réussites, et déterminer si effectivement, la colonie virginienne était ou non devenue un véritable refuge.
I - Le contexte européen de Manakin Town : le hasard du refuge américain.
1 – Les Huguenots en Angleterre : entre assimilation et désirs d’ailleurs.
L'établissement de près de sept cent Huguenots et Vaudois à Manakintown fut le résultat de nombreux changements de trajectoires, et l’itinéraire emprunta des virages sinueux, des origines irlandaises en passant par l’éphémère projet de la Carolana jusqu’au départ final de Londres. La colonie huguenote de Virginie vit ses premiers arrivants s'installer en avril 1700. Cependant, afin de comprendre le processus fastidieux qui mena les Huguenots « grâce à Dieu, dans cet aimable et beau pays », il est nécessaire de se déplacer à la fois dans le temps et l'espace. Déterrer les profondes fondations de Manakin Town, c'est d'abord réaliser l'importance du contexte européen dans le sort des réfugiés français en Angleterre, c'est prendre en compte l'importante implication anglaise dans leur exode vers l'Amérique et enfin, c'est s'intéresser à l'association d'hommes énergiques et déterminés, sincèrement dévoués à « la cause ».
L'arrivée des Huguenots en Angleterre lors du deuxième refuge se fit dans un contexte délicat, pétri de tensions politiques et religieuses principalement générées par Louis XIV. Le Rex Christianissimus multipliait en effet les politiques militaires agressives et les coups d'éclat destinés à affermir son autorité. Coup sur coup, la guerre de Hollande (1672-1679), les grignotages et annexions systématiques d’autres territoires et bien entendu, la Révocation de l'Edit de Nantes en 1685, provoqua l'ire de toute l'Europe protestante et notamment celle de Guillaume, stathouder de Hollande, qui, résolu à ne pas laisser les Provinces-Unies se faire systématiquement dépecer par les velléités de conquête de Louis XIV, opposait à ce dernier une farouche résistance. Cet antagonisme ne fit que s'accentuer lorsque William rejoignit la Ligue d'Augsbourg en 1688, puis devint roi d'Angleterre en 1689 après son invasion contre James II, pro-français, catholique et de ce fait, particulièrement impopulaire auprès des Anglais. Une entente entre James et Louis était possible et même cordiale, il est clair que les rivalités tant religieuses que politiques qui opposaient William et Louis ne permettaient pas une telle concorde. L’opinion anglaise et huguenote établie en Angleterre faisait d'ailleurs étalage de sa répulsion à l'égard de la Révocation à grands renforts de pamphlets : The Humble Petition of The Protestants of France to the French King, to recall his declaration for taking children from them at the age of seven years déchaîna les passions, utilisant le sujet sensible de la conversion des enfants pour échauffer les opinions. Le climat anticatholique qui régnait alors semble propice à un accueil chaleureux des Huguenots de la part des Anglais. La communauté française était par ailleurs solidement ancrée en Angleterre, depuis l’époque du premier refuge : Edward VI s’était montré particulièrement bienveillant envers les réfugiés. Sa charte du 24 juillet 1550 prévoyait la construction d’un temple à Londres « dans lequel les assemblées et services des Hollandais et autres étrangers puissent être célébrés ». Sur les quatre premiers pasteurs, deux (Richard François et François de la Rivière) étaient d’origine française. Dans sa Déclaration de Hampton Court, Charles II déclara en 1681qu’il « accordera à chaque Protestant persécuté qui viendra trouver refuge et résidera [en Angleterre] sa lettre de denization », c’est-à-dire un document qui confirme certains droits que seul un Anglais posséderait en temps normal. Plus qu’aucun autre groupe de migrants, les Huguenots étaient aptes à s’intégrer dans la société anglaise qui par ailleurs appréciait ces artisans travailleurs et qualifiés. Robin Gwynn rappelle par exemple que les Anglais apprécient la mode française et accueille à la fois les nouvelles techniques et ceux qui les apportent.
Gwynn, Robin. England’s “First Refugees”, History Today, 35, 5, 1985. De l’autre côté de la Manche, cette fuite de talents et de capitaux fut également ressentie. Vauban estime dans son Mémoire pour le rappel des Huguenots, publié en 1689, que « la désertion de quatre-vingts ou cent mille personnes, de toutes conditions, sorties hors du Royaume, [a] emporté [...] plus de trente millions de livres d'argent le plus comptant, [et] appauvri nos arts et manufactures particulières, la plupart inconnus aux étrangers, qui attiraient en France un argent considérable de toutes les contrées de l’Europe »
Vauban, Marquis de, Le Prestre, Sébastien. Mémoire pour le Rappel des Huguenots, 1689.. Ce contraste dans les réactions anglaises et françaises a souvent contribué dans l'historiographie protestante à faire du départ des Huguenots l'une des principales causes du déclin économique de la France à partir des années 1680 : cependant, Bertrand Van Ruymbeke tempère cette idée. Il est maintenant accepté que bien que le départ des Huguenots ait globalement affaibli et, à certains endroits, ruiné l’industrie, la stagnation économique qui toucha la France de 1680 jusqu’en 1720 avait de multiples causes en plus de la Révocation, telles que la guerre, la famine, un déclin démographique, une pression fiscale trop lourde et une politique économique rigide.
Van Ruymbeke, Bertrand. From New Babylon to Eden, Columbia, University of South Carolina Press, 2006, p. 58. En Angleterre, les Huguenots participaient à la vie intellectuelle de façon brillante, fondent des journaux – le Post Man, fondé par Jean de Fonvive et le Post Boy, fondé par Abel Roper, commencèrent à être publiés en 1695 et paraissaient trois fois par semaine, et furent précédés par le Gentleman’s Journal, fondé en 1692 par Pierre Motteux. Leur vie religieuse, ce pourquoi ils ont laissé famille, amis et biens, s’épanouit à Cantorbéry, centre de la spiritualité en Angleterre et à Londres, où l’on compte près de vingt-cinq églises huguenotes en 1700. Comme le formule Bernard Cottret, en Angleterre et dans une moindre mesure, en Irlande, « les réfugiés étaient le sel de la terre ».
Cottret, Bernard, The Huguenots in Britain, Cambridge, Cambridge University Press, 1991, p. 27
2 – Des Français à l’ouvrage : Ruvigny, l’Irlande et De Sailly.
Pour David Lambert, « there was no apparent English government necessity for a refugee migration [...] England needed all of the inhabitants it could use ».
Lambert, David. The Protestant International and the Huguenot Migration to Virginia. New York, Peter Lang, 2010, p. 67 En effet, la volonté de fonder des colonies - ou refuges - strictement huguenots était française, du moins dans un premier temps, et c'est celle de plusieurs personnages menés par Henri Massué de Ruvigny, Comte de Galway, Lord Justice d'Irlande et proche du roi Guillaume III. Protestant et militaire, Ruvigny connaissait bien l'Angleterre, où il a été envoyé en tant qu'escorte diplomatique lorsqu'il servait encore dans l'armée française. Il obtint même la charge de Député Général - que son père possédait avant lui - et représenta les Huguenots auprès Louis XIV à partir de 1679.
Harman Murtagh, Massué de Ruvigny, Henri de, In Oxford Dictionary of National Biography [en ligne]. Comme on l'imagine, il ne devait avoir que peu de marge de manœuvre à ce propos mais sa position lui évita le sort de ses coreligionnaires et il bénéficia du droit de culte malgré la Révocation. Cependant, il choisit l'exil et part le 9 février 1686 pour l'Angleterre, comme l'atteste une lettre qu'il adresse au Cardinal de Bouillon, où il écrit qu'il est « si fâché de [s'] en aller qu'[il est] résolu à examiner bien sérieusement [à]... changer de religion »
Collectif, Exposition Nationale : Les Huguenots, Archives Nationales, p. 99.. Une fois en Angleterre, Ruvigny choisit de se mettre au service de William III et rejoignit l'armée anglaise en 1691, une décision qui coupait définitivement les liens avec la France à une époque où l'identité se construisait selon quel Dieu on prie et pour qui l’on combat. Ce geste eut deux conséquences importantes pour les Huguenots : en premier lieu, cela permit à Ruvigny d'accéder à une certaine visibilité sur le plan politique et donc d'attirer l'attention de William, qui choisissait son entourage proche parmi des militaires, et surtout des étrangers, ce qui eut tendance à lui attirer la méfiance, voire la colère du Parlement. La longue tradition des rois anglais et de leurs favoris étrangers n'avait bonne réputation ni dans la House of Lords, ni dans la House of Commons. Ensuite, Ruvigny fut affecté en Irlande. Son siège au Conseil privé d'Irlande et son nouveau titre de Baron de Portarlington et de Comte de Galway, obtenus en 1692 après son intervention dans la pacification de l’Irlande, furent la première étape vers la colonie de Manakintown.
L'Irlande n'était pas une destination inconnue des Huguenots. Un nombre important de réfugiés s'était établi à Dublin, Cork et Kilkenny, et Myriam Yardeni note que ce sont là des « colonies fondées surtout par les soldats libérés des régiments orangeais »
Yardeni, Myriam, Le Refuge Protestant. Paris, PUF, 1985. (Collection l’Historien), dont Ruvigny faisait bien entendu partie. Sur sa propre parcelle, Ruvigny fonda la colonie militaire de Portarlington afin d’accueillir toujours de plus de réfugiés en provenance du continent. Cependant, son ambition ne s’arrêtait pas là. Mobilisant l’internationale protestante, selon les mots de David Lambert, Ruvigny joua enfin le rôle de Député Général qu’il n’avait pas pu incarner lorsqu’il était sous les ordres de Louis XIV. Son projet s’inscrivait dans le contexte triangulaire Angleterre-Suisse-France du Refuge : il s’agissait de faire venir les réfugiés huguenots et vaudois vivant dans les cantons suisses autour de Genève jusqu’en Irlande, et de les y installer durablement. Pour mener à bien cette entreprise, Ruvigny fit appel à Henri de Mirmand, noble nîmois qui avait pris la fuite pour s’établir à Zurich et avait ensuite été nommé conseiller de cour chez l’Electeur de Brandebourg. Mirmand fit lui-même appel à un aventurier, habitué des questions de « relocalisation huguenote », un certain Charles de Sailly, qui participa à l’aventure de « l’île d’Eden », qui n’est autre que l’île de la Réunion - alors appelée île Bourbon ou île Mascareigne - sous les ordres de Henri Duquesne (qui avait lui-même fait appel à la Compagnie néerlandaise des Indes Orientales pour monter ce projet bientôt avorté). Les conditions de la rencontre entre Mirmand et De Sailly ne sont pas connues, mais il est probable que Mirmand ait entendu parler de De Sailly par ses actions sur l’île d’Eden. Malgré les actions coordonnées des trois hommes, le projet irlandais périclita. Les réfugiés des cantons se montrèrent réticents et la Bourse de Lausanne, qui s’occupait de dresser les listes des partants, menaça même de couper « la charité » à ceux qui n’étaient pas assez enthousiastes.
Ducommun, Marie-Jeanne, Quadroni, Domnique. Le Refuge Protestant dans le Pays de Vaud (Fin XVIIème-XVIIIème siècles) : Aspects d’une migration, Genève, Droz, 1991. p. 47 Pour reprendre les mots d’Elisabeth Labrousse, les réfugiés huguenots se sentaient « fiers d’être français »
Labrousse, Elisabeth. Conscience et conviction : Etudes sur le XVIIème siècle, Oxford, Oxford Universitas, 1996, p. 71 et la plupart d’entre eux espéraient malgré tout un retour rapide en France. L’Irlande leur paraissait trop lointaine pour cette entreprise. Ensuite, l’argent manquait chez tous les protagonistes. Enfin, Ruvigny dut se rendre à l’évidence : il n’y avait presque plus de terres disponibles en Irlande, et même si d’aventure il parvenait à en trouver, la situation entre William III et le Parlement était si tendue qu’il serait impossible pour le souverain de lui accorder des concessions. Les terres irlandaises confisquées à la fin de la guerre contre les Jacobites étaient une constante source de conflit entre Guillaume et le Parlement, qui lui reprochait pêle-mêle d’avoir distribué avec trop de prodigalité à des favoris étrangers (dont Ruvigny fait partie), de passer trop de temps dans les Provinces-Unies et pas assez en Angleterre, et tout compte fait, de ne pas être assez anglais. Ce paradoxe est aussi celui des Huguenots, d’une certaine manière. Ennemis dans l'allégeance, frères dans la religion, ils occupaient une position bâtarde qui compromettait l’aide dont ils avaient besoin.
3 – L’Amérique, ultime exil ?
La Virginie n’est toujours pas entrée en compte à ce point de la réflexion, mais il est indéniable que Manakin Town trouva ses premières évocations en Irlande, grâce à la rencontre de Ruvigny et de Charles de Sailly. L’Amérique était une destination choisie par une minorité de Huguenots. Pour la plupart, ils restaient en Angleterre ou en Irlande, dans l’attente d’un retour en France ou bien parce que leurs affaires prospéraient d’une manière qui n’aurait pas été possible autre part. De plus, les quelques tentatives de colonisation américaine par des Huguenots n’avaient jusqu’alors jamais été couronnées de succès. La tentative de « Nouvelle-France floridienne » avait particulièrement marqué les esprits. Lancée par Gaspard de Coligny en 1562, l’expédition a conduit près de 200 Huguenots sur les côtes de la Floride et s’était terminée dans le sang sur fonds de conflit religieux et territorial avec les Espagnols en 1565. Sans dire que l’Amérique avait mauvaise réputation chez les Huguenots, on imagine sans mal une certaine méfiance vis-à-vis de ces territoires inconnus, par-delà des mers sur lesquelles voguaient des galères souvent chargées de Protestants qui n’ont pas abjuré.
Lestringant, Frank, « Genève et l’Amérique : le rêve du refuge huguenot au temps des guerres de Religion (1555-1600) », In Revue de l’histoire des religions, Volume 210, p. 333.
Pourtant, à la fin des années 1690, alors que l’idée d’un refuge irlandais s’éloignait lentement mais définitivement, la situation des Huguenots était précaire où qu’ils se trouvaient, et il est clair qu’une solution devait être trouvée. En France, les persécutions se renforçaient. Dans les cantons suisses, après que Victor-Amédée de Savoie s’allia avec Louis XIV, les réfugiés huguenots et vaudois ne furent plus autorisés à rester et furent contraints trouver un autre endroit où s’établir. En Irlande, là où étaient stationnées les anciennes troupes huguenotes de Guillaume III, les soldats français étaient sujets à la méfiance. Même en Angleterre, pourtant terre promise des Huguenots, un climat francophobe se mit à inquiéter les autorités protestantes. C’est peut-être ce qui facilita, voire encouragea, un certain regain d’intérêt pour l’Amérique chez les Huguenots. Paradoxalement, les principaux acteurs de cette nouvelle phase dans le déplacement des Huguenots n’étaient pas français, mais anglais. L’implication anglaise dans le départ des Huguenots pour l’Amérique contraste avec la réticence première des responsables français. En Irlande, ce fut par le biais du Council of Trade et des Lords Justices que l’idée d’une migration en Amérique fut pour la première fois évoquée pour les soldats étrangers stationnés sur l’île, afin de les « installer dans les Plantations ». La Virginie faisait partie des trois destinations proposées, avec le Maryland et la Jamaïque « that, of all places [...] are those which not only afford the fairest prospect [...] but where also the labours of such persons will most redound to the benefits of the kingdom ».
Lambert, 69. En Angleterre, la volonté de faire émigrer des Huguenots en Amérique fut le sujet d’une organisation bien plus déterminée. D’intensives campagnes de recrutement furent organisées par l’intermédiaire des Lords Propriétaires de Caroline, débutées par la distribution de pamphlets de propagande, comme Carolina, or a Description of the Present State of that Country publié en 1682, la Nouvelle Relation de la Caroline ou encore Plan pour former un établissement en Caroline tous deux publiés en 1685 en français, dans l’idée première de les distribuer dans les Provinces-Unies. On comprend que les Lords Propriétaires visaient spécifiquement les Huguenots en faisant publier les pamphlets en français et les distribuant dans les zones habituelles du Refuge. Louer leurs terres à des artisans qualifiés, experts dans la production « de vin, [d’] huile et [de la] soie » était la garantie de profits sûrs. La Caroline possédait son propre champion, un Anglais, le Comte de Shaftesbury. Il envoya ses agents partout en Europe et encouragea la distribution de ces pamphlets promotionnels.
Van Ruymbeke, p. 39. Van Ruymbeke explique que les Huguenots furent pris d’une « véritable fièvre », et de nombreux témoignages de réfugiés émigrés en Caroline témoignent de leur réussite économique et sociale.
Le chemin vers la Virginie est plus sinueux. En premier lieu, il n’y avait pas de littérature promotionnelle aussi abondante. Quelques contre-pamphlets furent publiés, notamment les Voyages d’un François exilé pour la religion avec une description de la Virginie et du Marilan dans l’Amérique par un certain Durand du Dauphiné. Ce document est particulièrement intéressant, car il est le seul qui relate les pérégrinations d’un Huguenot en Virginie. Peu d’éléments biographiques sont disponibles sur le personnage, mais Bertrand Van Ruymbeke retrace son parcours, typique du Refuge : Durand a fui le Dauphiné lors des dragonnades, et après s’être établi à Londres, a commencé à prospecter pour l’Amérique en espérant sans doute y trouver la fortune. Son récit est une véritable pastorale, vantant les mérites d’une Virginie édénique, « la plus agréable, la plus plaisante et la plus fertile de toutes les colonies »
Du Dauphiné, Durand, Voyage d’un François en Virginie. en opposition à la Caroline, dont les Lords Propriétaires ne font qu’exploiter les malheureux Huguenots qui ont cru aux « mensonges » des pamphlets. Il est très peu probable que ce texte seul ait pu convaincre des Huguenots à s’embarquer pour la Virginie, mais il soulève pour l’historien la question de savoir si la Virginie était, en théorie, une terre d’accueil satisfaisante pour les Huguenots.
4 – De détours en virages : Charles Coxe, la Carolana et le Comté de Norfolk.
Les critères d’un asile se définissent en fonction de ce dont les exilés sont privés dans leur pays d’origine. Pour les Huguenots, la réponse immédiate est bien entendu la liberté d’exercer leur religion sans craindre des représailles, des menaces ou la mort. A l’époque où commença la prospection, la Virginie était une colonie royale et était placée sous l’égide de l’Eglise d’Angleterre en ce qui concerne les affaires religieuses. C’est d’ailleurs la seule colonie où elle fut officiellement établie, occupant une place particulière au milieu d’un archipel de christianités différentes. Bien qu’un nombre important de sources fasse état d’un relâchement des mœurs et des croyances, l’Eglise était solidement implantée en Virginie et administrait la colonie de concert avec la House of Burgesses, la chambre basse de Virginie, bénéficiant même d’une certaine liberté au vu de son éloignement avec les autorités de Londres. Il n’y avait pas d’évêque résident en Virginie jusqu’à la Révolution américaine. On peut alors supposer que cette situation laissait la place à une certaine souplesse en ce qui concernait l’installation d’éventuels dissidents ou non-conformistes, dont les calvinistes Huguenots font partie. Un article de G. MacLaren Brydon semble corroborer cette hypothèse en avançant que « the Huguenots found themselves in the midst of a people of kindred spiritual ancestry »
Brydon, G. MacLaren, The Huguenots and their Times: An Address Delivered before the Annual Meeting of the Huguenot Society of Manakin Town, In The Virginia Magazine of History and Biography, Vol. 42, p. 328. Malheureusement, il n’y a pas de source écrite par un Huguenot pour confirmer – Durand ne s’attarde pas sur ce genre de considérations - mais la théorie d’un climat religieux accueillant pour les réfugiés français est tout à fait plausible.
Un habitué des prospections tel que Charles de Sailly songeait certainement à ce facteur lorsqu’il recommença à chercher une solution pour les réfugiés après l’échec irlandais. Les sources manquent pour établir de façon sûre le parcours de l’aventurier. On peut supposer qu’il était toujours en contact avec Ruvigny, mais ce dernier faisait face à des problèmes d’ordre politique et privé qui empêchait une implication plus poussée dans un projet de colonisation.
Oxford Dictionary of National Biography [en ligne]. [Consulté le 24/05/2014] Il est même possible que Ruvigny ait délégué la tâche de trouver une colonie convenable à Charles de Sailly, mais encore là, aucune source ne permet de confirmer ces suppositions, l’éventuelle correspondance entre les deux hommes ayant été perdue ou détruite. Il est aussi intéressant de noter que Henri de Mirmand n’apparaît plus du tout après l’échec irlandais. Cependant, Charles de Sailly n’était pas seul pour autant. Là encore, les sources manquent pour établir les circonstances de leur rencontre mais il se trouvait en association avec Olivier de la Muce, un Huguenot proche de la reine Marie et un certain William Waller, un Anglais, connu pour sa virulence anti-catholique. En effet, leurs trois noms apparaissent sur un contrat d’indenture daté de 1698, signé avec Daniel Coxe, propriétaire d’une concession appelée « Carolana » et qui s’étendait alors de la vallée du Mississippi jusqu’aux frontières de la Caroline.
Médecin de profession, habitant Londres, Daniel Coxe était visiblement bien établi puisqu’il faisait partie de l’entourage de Charles II. Membre de la Royal Society, il était impliqué dans bon nombre de débats scientifiques. Son intérêt résidait aussi dans les colonies, et en 1692, il acheta la concession de la « Carolana » à un certain James Shaen.
Oxford Dictionary of National Biography [en ligne]. Il est regrettable de ne pas connaître les circonstances exactes de la rencontre entre Coxe et de Sailly. La prospection du Français était-elle si intense que Coxe en entendit parler, ou était-ce ce dernier qui recherchait activement des colons qui pourraient rentabiliser ses terres – et Charles de Sailly aurait vu là l’occasion de pouvoir achever sept ans de recherche ? Quoiqu’il en soit, le contrat se révéla exceptionnellement favorable aux Huguenots. Les termes stipulent que Coxe leur vendit « 500, 000 acres, English measure » et les exempta de toute compensation financière pour une durée de sept ans: « [...] they shall enjoy the said lands seven years, paying only a rip ear of Indian Corn in the season if demanded, and from the expriing seven years 5 shillings Sterling money [...] as a Quitt-Rent for every 500 acres ».
Brock, R. A., Documents Chiefly Unpublished relating to the Huguenot Settlement at Manakin Town, 1886, p. 52-53. [En ligne] http://archive.org Enfin, il est clair que le but premier du contrat est bien d’établir une colonie huguenote en Carolana car si les deux parties ne parvenaient pas à établir une colonie viable en deux ans, la transaction était alors considérée comme nulle. Charles de Sailly avait donc réussi là où Ruvigny et lui avaient échoué précédemment : trouver une terre et en sécuriser l’acquisition avec le propriétaire. Néanmoins, cela ne signifiait pas qu’une colonisation de la Carolana serait autorisée par les autorités anglaises. Etrangement, les Huguenots et Coxe avaient signé le contrat avant que le Council of Trade and Plantations, l’organe officiel du gouvernement en ce qui concernait les colonies, ne soit informé des prérogatives de Coxe sur ce territoire. Charles de Sailly et ses associés étaient-ils au courant ou Coxe les avait-il poussés à s’engager sans leur en parler ? Dans le contrat, il est indiqué que les signataires étaient autorisés à six mois d’exploration « to view the country in order to their choice of Such Lands whereon they intend to settle ».
Ibid, pp. 52-53 En Octobre 1698, il envoya à ses frais deux navires, avec à son bord Olivier de la Muce et les fils de Charles de Sailly.
Coxe Jr, Daniel, A Description of the English Province of Carolana, by the Spaniards call’d Florida, and by the French La Louisiane, 1722, préface. [En ligne] http://archive.org Daniel Coxe était peut-être motivé par le désir sincère de voir les Huguenots s’établir sur des terres qui leur conviendraient vraiment, mais le but de cette expédition était sans doute de faire valoir ses droits en tant qu’acquéreur de la Carolana, puisqu’il ne l’avait acquis que par transaction. Envoyer de la Muce et les deux fils de Charles de Sailly était aussi un moyen de récupérer un récit fiable de ce qui se passait dans ces régions sur lesquelles il possédait une autorité toutefois très relative.
Pendant qu’Olivier de la Muce explorait la Carolana, Coxe et de Sailly étaient en contact et travaillaient ensemble à convaincre le Council of Trade de les autoriser à organiser l’installation des réfugiés. Le processus fut particulièrement fastidieux. Le croisement des sources – un mémoire présenté par Coxe au Council of Trade en 1719, A Description of the English Province call’d Carolana écrite par son fils Daniel Coxe en 1722 et diverses entrées des Calendar of State Papers, Colonial – permettent de reconstituer le déroulement des évènements entre Octobre 1698 et le début de l’année 1700. Les documents laissés par les Coxe présentent la même version de l’histoire : « il plut au roi d’ordonner un Conseil qui [...] accepta à l’unanimité [le projet] avec de grands applaudissements »
Lambert, p. 89. lit-on dans le mémoire rédigé par Coxe. Son fils adopta quasiment les mêmes mots dans la préface de sa Description : « the proprietor presented a memorial to his then Majesty King William of glorious memory, wherewith he was well pleas’d and satisfi’d [...] twenty of the Council, who were then present, [were] unanimously agreeing » »
Coxe Jr, Daniel, A Description of the English Province of Carolana, by the Spaniards call’d Florida, and by the French La Louisiane, 1722, préface. [En ligne] http://archive.org. Mais les entrées des Calendar of States Papers, Colonial Series de 1700 montrent que la situation était beaucoup moins facile que les Coxe voulaient le faire croire. Comme le fait remarquer David Lambert, le Council of Trade émit des réserves quand au fait d’installer des Huguenots si proches des possessions françaises du Mississippi : « a considerable part of the persons designing to engage in this undertaking are French refugees, who without a constant military force will be liable to be molested by those of a different religion »
Lambert, p. 105. Le Council of Trade craignait sans doute que cette proximité ne provoque non seulement des frictions entre Huguenots et Catholiques, mais aussi Français et Anglais. L’entreprise était déjà suffisamment délicate pour que de vieux conflits européens ne soient transposés sur le territoire américain.
Cette raison était visiblement assez prépondérante pour que Coxe accepte de changer l’emplacement de la colonie et choisit le comté de Norfolk, en Virginie. La préface des Calendar of State Papers, Colonial que « Dr Daniel Coxe, qui ayant abandonné ses plans pour la coloniser la ‘Carolana ou la Floride’, avait négocié avec les réfugiés pour les établir sur cette terre [Comté de Norfolk] »
Public Record Office, Calendar of State Papers, Colonial Series, America and West Indies, 1700, préface.. Une entrée du 8 janvier 1700 dans le même document nous apprend que Coxe a « consulted the chied of those concerned in subscriptions to carry on the design of planting Carolana or Florida, and those who agreed to settle in the country [...] acquainted them with the great difficulties and the most material objections, and suggested the expedient of establishing a Colony between Virginia an Carolina »
CSPC, p. 22.. Il poursuit en révélant que les réfugiés ont refusé et s’estiment dupés par le docteur, et qu’ils menacent de tourner leur intérêt (et l’argent du passage) vers quelqu’un d’autre.
CSPC, p. 31 La situation était donc très tendue entre les Huguenots (qui étaient désormais un groupe, et non plus seulement Charles de Sailly et Olivier de la Muce) et Coxe. Les raisons pour lesquelles les Huguenots ont refusé de se déplacer demeurent mystérieuses. On peut supposer que Charles de Sailly, après avoir subi l’échec de l’île d’Eden, de Portarlington et de l’Irlande en général, espérait enfin voir son plan s’accomplir après ces nombreux détours et voulait s’y tenir. Olivier de la Muce n’avait pas exploré cette partie de la concession, et accepter la proposition de Coxe revenait à avancer à l’aveugle, une situation risquée. Mais entre le 8 janvier et le 15 février 1700, Coxe adressa un rapport au Council of Trade, qui annonçait que l’un des bateaux qu’il avait envoyé en Carolana en Octobre 1698 était revenu : c’est la première fois que le comté de Norfolk est mentionné dans la correspondance de Coxe et du Council of Trade. Le 16 février 1700, c’est de Sailly qui se présenta face au Council of Trade « desiring to know at which places proposed by Dr. Cox their Lordships thought it best for the French refugees to settle, i twas told [to] him that Norfolk County in Virginia appeared to be much the safest and subject to least inconveniences ».
CSPC, p. 71. Charles de Sailly avait donc rectifié sa position. Qu’est-ce qui avait pu motiver un tel choix ? Le raisonnement le plus plausible est qu’il ait réalisé que le Council of Trade était fermement posé à une colonie trop proche des territoires français, et qu’en refusant la proposition du comté de Norfolk, il n’y aurait pas d’autres occasions. Mais plutôt que d’en s’en remettre une nouvelle fois à Coxe, de Sailly choisit d’en faire appel à la seule décision du Council of Trade. Les entrées des CSPC nous apprennent aussi que Coxe était malade en février 1700
Ibid, p. 71 ; de Sailly a peut-être pris peur et a préféré s’en remettre directement au Council of Trade au cas où Coxe venait à disparaître.
Le 20 février 1700, Coxe procura au Council of Trade un document qui attestait de sa propriété sur le comté de Norfolk. Le même jour, Charles de Sailly et Olivier de la Muce présentèrent leur pétition au secrétaire d’Etat James Vernon, membre du Council of Trade, pour qu’il le remette au roi : « we humbly request your majesty to recommend us unto the Governor of Virginia and to grant us some encouragement and assistance for many of those poor distressed refugees, who would readily embrace this undertaking, if petitioners were not unable to advance the charges » stipule le document.
Ibid, p. 75. Le 7 mars, le Council of Trade délibéra et s’adressa au roi, en ces termes : « we humbly represent that Norfolk County in Virginia being a place more secure than other remote parts formerly proposed for the Protestant refugees, your Majesty may be pleased».
CSPC, p. 113 Le projet semblait enfin être en bonne voie pour les Huguenots. Sous la protection directe de Guillaume III, leur situation était sécurisée et il n’y avait plus aucune raison pour que leur plan de s’établir dans le comté de Norfolk ne soit contrecarré.
Dans le même temps qu’il avait travaillé avec Coxe, Charles de Sailly s’était montré un infatigable artisan de la réussite du projet. Bien que peu de sources soient disponibles, David Lambert retrace le parcours du Français en 1699 et montre qu’il était l’un des membres les plus actifs de la petite association qu’il formait avec quelques autres Huguenots pour promouvoir le départ en Amérique. Lambert relie des dépenses effectuées pour « for all the copy and the maps left in several citys [sic] of Holland, Germany and Switzerland, and in Geneva, and printing 2000 projects in Geneva »
Brock, p. 12 à des voyages que Sailly a effectué sur le continent pour convaincre d’autres Huguenots de joindre leur projet. Etait-ce un moyen de racheter l’échec de la colonie irlandaise ? Lambert note que convaincus par de Sailly, « seventy-five refugees living in the Swiss cantons arrived in Rotterdam in July 1699, exhausted and with no money, intending to go on this voyage »
Lambert, p.. Il s’agissait sans doute de Vaudois, ces protestants francophones habitant le Sud de la France et la région du Piémont en Italie. Un document compilé par Brock, une liste des « François, Suisses, Genevois, Alemans et Flamans embarqués dans le navire [nommé] le Nasseau pour aller à la Virginie » contient peut-être leur nom mais il n’y a aucun moyen d’identifier ces 75 individus.
Brock, p. 29 On peut simplement supposer qu’après un voyage aussi long et risqué, ils étaient des plus déterminés à partir. Charles de Sailly retourna à Londres sans ce groupe mais attira certainement l’attention des communautés dispersées aux Provinces-Unies et en Suisse. Le partenaire de Charles de Sailly, Olivier de la Muce, monta également son propre outil de promotion, après être revenu de Carolana en 1699, sous la forme d’un comité, à Londres. Il se tenait « every Monday and Thursday, from three of the clock until five in the afternoon, at the Plow and Harrow » et « every Tuesday and Friday at the same hours, in Suffolk Street, at the Marquis de la Muce ».
« Proposals for a settling in Florida », In The Protestant International and the Huguenot Emigration to Virginia, p. 97 Les deux dirigeants prenaient à cœur l’organisation du voyage. Privé de l’influence de Ruvigny, de Sailly ne devait compter que sur sa persévérance et sur l’appui de ses rares soutiens pour espérer enfin traverser l’océan et s’établir en Virginie.
5 – « As good land and as wholesome air in America » : la Virginie, le dernier espoir.
Le 12 avril 1700, une entrée des CSPC fait état d’une lettre du Council of Trade envoyée au gouverneur de Virginie, Francis Nicholson. Les consignes sont claires : « we recommend the French Protestants to your favorable assistance in order to their intended settlement in Virginia ».
CSPC, p. 166 A cette date, Dr Coxe n’apparait pourtant plus dans les délibérations du Council of Trade au sujet des Huguenots. Un nouveau protagoniste était apparu entre temps, faisant une nouvelle fois bifurquer les Huguenots sur le chemin du Refuge. Il s’agissait de William Byrd II, un riche notable, natif du comté du Henrico County en Virginie, planteur et fils de planteur. Ses connexions avec les Huguenots avant avril 1700 sont inconnues, et on ignore comment il est parvenu à supplanter la solution de Daniel Coxe avec la sienne auprès des Huguenots. Selon la chronologie, il a sans aucun doute réussi à s’imposer fin mars 1700, car une autre lettre datée du 10 avril 1700 mentionne que Charles de Sailly et Olivier de la Muce sont prêts à partir pour la Virginie et demandaient à Byrd une lettre de recommandation.
CSPC, p. 156 De toutes les traces écrites que Byrd a pu laisser de ses affaires avec les Huguenots, c’est la première qui mentionne enfin l’emplacement de Manakintown, et la possibilité d’une colonie de Huguenots à cet endroit.
Le Proposal humbly submitted to the l’ds of the council of trade and plantations for sending the french protestants to Virginia, que l’on trouve dans la compilation de Brock, est le document fondateur de l’histoire de Manakintown en tant que projet concret. Il est accepté qu’il ait été écrit en 1698, mais cette datation soulève plusieurs questions. Byrd se réfère de nombreuses fois au projet avorté de Coxe dans son Proposal : est-ce que les deux projets étaient nés en même temps, et dans ce cas, pourquoi Byrd aurait-il attendu si longtemps avant de se manifester auprès des Huguenots ? Ou bien la datation est-elle erronée et le document date de 1700, permettant ainsi à Byrd d’avoir toutes les cartes en main pour démontrer en quoi son projet était plus ambitieux que celui de Coxe ? Dans tous les cas, son Proposal est bien une attaque contre le projet de Coxe, dont le statut n’est d’ailleurs pas clair en avril 1700. Est-ce que la proposition de Byrd a causé les Huguenots de s’en détourner ou était-ce déjà au point mort ? Les principaux protagonistes ne s’expriment pas personnellement sur le sujet et seules des suppositions peuvent remplir les zones d’ombre. On pencherait plutôt pour un ralentissement du projet, dû de nouveau à un climat politique tendu entre Guillaume et le Parlement. La proposition de Byrd n’aurait alors été que le coup final porté au projet moribond de Coxe, qui n’avait jamais été véritablement approuvé par les Huguenots. Ainsi, Byrd critique plusieurs aspects du projet de Coxe. Selon lui, le climat du comté de Norfolk est « very moist and unhealthy », le sol « unfit for planting and improvement » et ce serait « to send’em to their Graves » que d’accepter qu’ils s’installent dans le comte de Norfolk. L’argumentation de Byrd se fait ensuite plus politique, arguant qu’il y a « a dispute betwixt the Government of Virginia and ye proprietors of Carolina about this tract of Land » et que « if these poor people should go settle there they wou’d be under the perpetual vexation, both from those Proprietors and from Virginia ».
Brock, pp. 5-6 Une lettre du gouverneur de Virginie, Francis Nicholson, datée du 1 août 1700, adressée au Council of Trade atteste effectivement « there was no settling of ym [for them] in Norfolk [...] it is in dispute now betwixt us and North Carolina ».
CSPC, p. 449 Byrd était certainement au courant de cette affaire par les contacts qu’il entretenait en Virginie ; la question est de savoir si Coxe, le propriétaire du comté de Norfolk, en était informé ou s’il avait volontairement dissimulé cette information de première importance au Council of Trade et aux Huguenots auxquels il avait promis cet emplacement. Byrd profite également des dissensions politiques entre le roi et son Parlement pour glisser que « in a competition betwixt a plantation belonging to ye King and another belonging to Proprietors, the first ought always, in duty and by virtue of ye Prerogative to be prefer’d ». Byrd propose donc un autre emplacement en Virginie « [on] ye upper parts of the James River as [there is] good land and as wholesome air in America ».
Brock, pp. 5-6 Les historiens s’accordent pour que ce fameux emplacement soit en effet celui de Manakintown, qui se trouvait par ailleurs très proche du domaine de William Byrd I. Etait-ce la raison pour laquelle Byrd voulait amener les Huguenots à cet endroit précis, pensant peut-être qu’il pourrait utiliser ces artisans qualifiés pour faire fructifier les profits de sa famille ? Il prend cependant ses précautions en proposant que les Huguenots « be dispersed in small numbers all over ye Country, for then they would be less capable of raising any Disturbance ».
Ibid, pp. 5-6 Jusqu’ici, personne n’avait eu de plaintes à déposer à l’encontre du comportement des Huguenots menés par Charles de Sailly, encore moins de leur propension à cause du trouble. Encore une fois, on ne peut que se demander quelles étaient les véritables intentions de Byrd à l’égard des réfugiés, et pourquoi il craignait qu’ils ne puissent se montrer dérangeants.
Le 16 avril 1700 marqua le début de la véritable expédition vers Manakintown, même si l’endroit n’avait été décrit que de façon abstraite. William III lui-même donna congé à Monsieur de Sailly pour qu’il aille s’établir aux Antilles avec d’autres Protestant français. Le patronage de William se révéla par la suite important pour les Huguenots une fois qu’ils furent arrivés en Virginie, notamment dans leurs relations avec les autorités coloniales. David Lambert questionne le curieux usage du mot « Antilles » alors que le débat n’avait porté que sur la Virginie depuis des mois, mais il n’affecte en rien la destination des Huguenots. Leur départ était désormais certain, comme le démontrent le départ successif de cinq bateaux, chargés de Huguenots, pour la Virginie dans les jours et mois qui suivirent la décision du Council of Trade. Le Mary and Anne, le Peter and Anthony, le Nassau, le Galley of London et le William and Elizabeth transportèrent en tout près de 700 Huguenots vers la Virginie. Tous transportèrent des passagers vers Manakin Town, mais on ne dispose que de trois listes de passagers, pour le Mary and Anne, le Peter and Anthony et le Nassau. Ils partirent tous de Londres entre 1700 et 1701. L’organisation n’est renseignée que par les dates de départ et d’arrivées quand elles sont disponibles, c’est-à-dire par les reçus enregistrés par les capitaines. Le seul témoignage sur les conditions de recrutement et de voyage est celui de Francis Louis Michel, qui partit sur le Nassau, mais ses explications sont confuses et brèves. Il mentionne un certain Milord Galloway qu’il rencontre à Rotterdam le 30 octobre 1700 – se pourrait-il qu’il s’agisse de Lord Galway ?
Hinke, William, éd. trans., “Report of the Journey of Francis Louis Michel from Berne, Switzerland to Virginia, October 2, 1701-December 1, 1702,” In The Virginia Magazine of History and Biography, 24, 1, 1916, p. 3 Ceci expliquerait comment il aurait entendu parler d’une expédition vers la Virginie. Le même jour, il prit un bateau qui l’emmena vers l’Angleterre, et arriva à Londres le 4 Novembre. De là, il semble qu’il ait prospecté lui-même pour trouver un bateau qui l’emmènerait vers l’Amérique : « In order to gain my purpose, I went out daily to inquire when the West India ships would sail. After eight days I learned that within four weeks, as usual, a large number of ships would leave for that country but especially the ship Nassau [...] because of the King’s liberality, [i twas] possible to travel free of charge ».
Hinke, p. 5 Guillaume était donc encore investi dans le projet fin 1700. Mais il apparaît qu’entre la fin de décembre 1700 et janvier 1701, il ait été contraint de devoir s’en retirer car Michel (qui entretemps, avait pris une cabine sur le Nassau sans expliquer les tenants et les aboutissants de son choix) déplore le roi ait refusé de payer pour le passage des protestants francophones.
Ibid, p. 7 Après un retournement de situation rocambolesque – des voleurs s’étaient introduits sur le Nassau et furent mis en difficulté par les Huguenots – les Français se virent offrir le voyage par le propriétaire du vaisseau.
Ibid, p. 7 C’était un cas isolé. Le financement de l’expédition était financé par différentes parties : les colons, d’une part, qui payaient leur passage sur le bateau comme on peut le constater dans la liste du Peter and Anthony : « fives livres sterling for each man and woman ; fifty shillings shillings for children under the age of twelve » et des contributions financières de sympathisants et des autorités anglaises.
Brock, p. 16
Le Mary and Anne fut le premier navire à partir, comme l’atteste sa date d’arrivée du 23 juillet 1700. Il était donc parti très peu de temps après la décision du roi, et à son bord se trouvaient 205 personnes dont Charles de Sailly et Olivier de la Muce. Les sources font état de 13 semaines de voyage, et le bateau arriva à l’embouchure de la James River, à Kikotan près de Jamestown, un ancien village indien. Dans sa lettre du 1 août 1700, Nicholson relate la rencontre qui eut lieu entre le colonel Byrd (le père de William Byrd II), le colonel Harrison, les Huguenots et lui-même. Après avoir rappelé que l’idée du comté de Norfolk fut écartée à cause de la dispute entre la Virginie et la Caroline du Nord, Nicholson écrit : « we tought it would be best for them to go to a place twenty miles above the Falls of James River commonly called the Manakin Town ».
CSPC, p. 449 C’est la première mention directe de Manakin Town et la première illustration de sa relation avec les Huguenots, et c’est en définitive les autorités coloniales qui ont décidé d’y installer les protestants français. Nicholson continue, se révélant particulièrement clairvoyant alors qu’il réfléchit à la position d’équilibriste de ces Huguenots enfin débarqués en Virginie : « they [les Huguenots] may be prejudicial [...] by living long together and using their own language and customs [...] but according to my duty I shall endeavour to regulate these affairs ».
Ibid, p. 449 Ces quelques lignes devaient exposer les problématiques de Manakin Town après l’installation des Huguenots : une communauté française et francophone, subsistant pour la plupart de l’artisanat, aux croyances religieuses non-conformistes et de tradition urbaine devait désormais réapprendre à vivre dans un environnement profondément rural, anglophone et anglican.
II - Des débuts difficiles : wilderness, pauvreté et divisions internes.
1 – La nature sauvage, premier obstacle.
« The French Refugees at the Monacan [Manakin] Town have lately made a sort of Clarret, though they were gathered off of the wild Vines in the Woods. I was told by a very good Judge, who tasted it, that it was a pleasant, strong, and full bodied Wine. From which we may conclude, that if the Wine was but tolerably good, when made of the wild Grape, which is shaded by the Woods, from the Sun, it would be much better, if produc'd of the same Grape cultivated in a regular Vineyard ».
Beverley, Robert, The History and Present of Virginia, In Four Parts, Londres, 1705, p. 18. Ces lignes pittoresques sont extraites de History and Present State of Virginia, par Robert Beverley, planteur de Virginie et également l’un de ses premiers habitants. Elles illustrent en quelques mots le genre de situations auxquelles les réfugiés étaient confrontés dans leurs premiers temps à Manakin Town. Des hommes et des femmes habituées à la vie des villes se retrouvaient brusquement transportés dans une abondance d’étendues, de marais, ruisseaux et de rivières.
Ibid, p. 59 Les Huguenots durent avoir un aperçu de cette wilderness omniprésente, car Kikotan, là où ils avaient accosté n’était pas tout à fait à côté de Manakin Town : il leur fallut remonter la James River, et pour ce faire, louer de nouveaux bateaux. Le Mary and Anne avait été retenu au port de Kikotan à cause des Navigation Acts qui empêchaient tout navire étranger (ou possédé par des étrangers, comme dans le cas du Mary and Anne) de remonter la rivière
Reese, George, Proceedings in the Court of Vice-Admiralty of Virginia, 1698-1775, Richmond, Virginia State Library, 1983, pp. 43-45. Voir aussi James L. Bugg, The French Huguenot Frontier Settlement at Manakin Town.. Nicholson lui-même proposa un armateur afin que les Français puissent déplacer leurs biens jusqu’à l’emplacement que les autorités coloniales leur réservaient, se souciant visiblement du sort des réfugiés : « I humbly propose that Micajah Perry, merchant of London, may be spoken about with their passage [...] that they may have passages on the ships which come to the upper parts of the James River ».
CSPC, p. 450 Les sources ne font pas état d’une quelconque association avec Micajah Perry par la suite, ni si même les Huguenots ont choisi d’utiliser ses bateaux pour remonter la rivière, mais cela prouve que les autorités était particulièrement préoccupées du sort de ces réfugiés particuliers.
Les raisons derrière le choix de Manakin Town sont somme toute nébuleuses, si l’on excepte l’explication de Byrd dans son Proposal. Nicholson et ses officiers n’avaient certainement pas choisi par hasard, et la querelle à propos du comté de Norfolk n’était sans doute pas le seul argument. Robert Beverley nous apprend que l’emplacement « was formerly the Seat of a Great and Warlike Nation of Indians, called the Monacans, none of which are now left in those Parts; but the Land still retains their Name, and is called the Monacan Town ».
Beverley, p. 45 Nicholson voulait-il que Manakin Town serve de tampon entre la nature sauvage, encore dominée par les Indiens et les territoires tenus par les Anglais ? C’est une possibilité qui ne peut être écartée. Ensuite, l’endroit était des plus isolés. James L. Bugg écrit « between that point and the site of the Monacan Indian village lay some twenty-five miles of virgin and virtually trackless forests, a green and silent wall of loneliness which would separate the French from their closest neighbors».
Bugg, James, “The French Huguenot Frontier Settlement at Manakin Town”, in Virginia Magazine of History and Biography, 1953, pp. 359-392. [En ligne] http://huguenot-manakin.org Il est curieux que Nicholson ait délibérément choisi cet emplacement et ait cependant remarqué qu’il serait regrettable que les Français ne vivent et parlent qu’entre eux.
CSPC, p. 449 Il est évident qu’en choisissant de les établir dans une terre aussi reculée, les Huguenots n’auraient que peu de contacts avec les Anglais et qu’il serait d’autant plus difficile de garder un œil sur leurs activités et le supposé trouble qu’ils pourraient causer, selon les allégations inquiètes de William Byrd II.
Brock, pp. 5-6 La visible contradiction n’empêcha pas Nicholson et Byrd de mener les Huguenots à bon port, et les laissa s’installer, Charles de Sailly à leur tête, Olivier de la Muce étant resté près de Jamestown pour régler les affaires du Mary and Anne. En Août 1700, Manakin Town n’était donc plus la vague idée qui avait pris racine dans les premiers essais infructueux de Ruvigny et de De Sailly. Il fallait maintenant organiser la colonie et la rendre viable, d’autant plus que les passagers du Mary and Anne n’étaient pas les seuls colons. Deux autres bateaux arrivèrent par vagues successives, amenant avec leurs convois de nouveaux habitants pour Manakin Town. Le Peter and Anthony arriva en Octobre 1700 à Jamestown avec 169 personnes à son bord, dont Benjamin de Joux, le premier pasteur de la communauté. Le Nassau arriva en Virginie en Mars 1701 par la York River, au-dessus de la James River et de ses 191 passagers, seulement 23 décidèrent d’aller à Manakin Town.
[En ligne] http://huguenot-manakin.org/manakin/shiplists.org Les quatrième et cinquième bateaux, le Galley of London et le William and Elizabeth apparaissent dans la compilation de Brock sans être nommés, mais on peut évaluer qu’il est descendu du Galley of London entre 25 et 35 personnes. Une sorte de recensement fut compilé par Brock, divisant les colons qui étaient arrivés par les deuxièmes et quatrièmes navires et qui s’étaient établies au même endroit.
Brock, p. 47 Le William and Elizabeth arriva un an et quelques semaines après le Mary and Anne, en août 1701.
Brock, p. 38 En tout, l’historiographie estime que les bateaux amenèrent environ 700 personnes jusqu’en Virginie, mais les morts, les départs et les maladies réduisirent drastiquement le nombre des colons au cours des années. En mai 1701, une lettre de William Byrd faisait état de 250 personnes à Manakin Town, alors qu’il était arrivé en tout près de 400 colons par les convois du Mary and Anne et du Peter and Anthony.
Brock, pp. 42-43
2 – De Charybde en Scylla : une pauvreté omniprésente.
Les premiers mois passés à Manakin Town furent en effet désastreux. Pour commencer, les passagers du Mary and Anne avaient été dépouillés par leur capitaine, sans que la nature du vol ne soit précisée. Le méfait est simplement listé dans le registre des frais engagés par les réfugiés français : « for a Certificate how he [le témoin, un certain M. Servant] saw Capt. Hawes abuse us and our goods ».
Brock, p. 19 Ensuite, les fonds réunis par Charles de Sailly et Olivier de la Muce avaient fondu comme neige au soleil après qu’ils eurent dépensé une grande partie des économies pour louer les nouveaux bateaux. Bugg estime que la banqueroute fut presque totale : « from a total common fund of £1,443 12s 6p the Huguenots would expend £1,422 3s 11p by the end of 1700. ».
Bugg, [En ligne] http://huguenot-manakin.org/manakin/bugg.php Les autorités coloniales étaient au courant de cette situation préoccupante, comme en témoigne la tenue d’un conseil le 25 octobre 1700, au College of William and Mary. Les passages du Peter and Anthony étaient arrivés depuis le 6 octobre 1700, mais pour une raison inconnue, ne s’étaient pas directement rendus à Manakin Town après leur arrivée. Ils attendirent à Jamestown pendant une quinzaine de jours et s’adressèrent au Council of Virginia qui délibéra en ces termes : « his Excellency and the Hon’ble Councill [...] are of opinion that considering the poverty and the disability of the said refugees, their ignorance in the Customes and affairs of this Colony […] it will be most for their advantage and interest to disperse themselves ».
Brock, p. 49 Les autorités commençaient-elles à réaliser l’erreur qu’elles avaient commise en confinant les Français dans l’espace clos et isolé de Manakin Town ? Les réfugiés, en tout cas, ne répondirent pas à l’offre qui leur était faite : les colons de Manakin Town restèrent sur leurs terres et les passagers du Peter and Anthony vinrent s’y implanter à leur tour, espérant peut-être pouvoir faire dévier la trajectoire plutôt inquiétante de la colonie. Le 7 Novembre 1700, soit seulement deux semaines après, le conseil ne put pas se tenir car « Mr. Auditor Byrd was gone up to the settling of the French Refugees »
CSPC, p. 645. Byrd portait la responsabilité d’avoir lui-même proposé l’emplacement de Manakin Town pour les réfugiés français, et ses craintes de les voir « causer du trouble » se réalisaient sans doute plus vite qu’il ne l’avait prévu. L’historien de la Virginie Par deux fois, Brock a compilé des documents qui mentionnent des visites officielles ordonnées par le Council of Virginia à Manakin Town. Le premier, une entrée du Council of Virginia, est daté du 10 Mars 1700 mais il s’agit sans doute d’une erreur. Le document enjoint le Colonel Randolph et le capitaine Giles Webb « from time to time, to make inquiry into the state and condition of the ffrench [sic] Refugees Inhabiting at the Manakin Towne […] and always exhort the aforesaid French Refugees to live in unit peace and concord ».
Brock, p. 38 La date de cette entrée prête à confusion, d’autant plus qu’elle est compilée derrière une entrée datant du 9 mars 1700 mentionnant le Nassau qui est arrivé en Virginie en mars 1701. Il se pourrait qu’il s’agisse d’une erreur de transcription de la part de Brock, et qu’il s’agisse en fait d’une entrée de mars 1701, auquel cas il serait logique qu’elle fasse référence aux réfugiés français et à leur situation particulière. Le second document est la lettre de William Byrd, daté du 11 mai 1701. Il ne mentionne pas à qui elle est adressée. Par chance, son rapport est particulièrement détaillé – peut-être a-t-il été diligenté par le Council of Virginia ou le gouverneur Nicholson lui-même, car il est également accompagné de Giles Webb, du Colonel Randolph et d’un certain capitaine Epes. Le constat est alarmant. Il commente notamment l’incapacité des colons à travailler la terre (« they must not expect to enjoy ye land unless they would endavour to improve it, and if they make no corne for their subsistance next year they could not expect any further relief from the country ») et la précarité de leur installation, qualifiant leurs maisons de huttes.
Ibid, p. 42-43 En plus de ne pas savoir cultiver leurs champs, il semblerait que les Huguenots aient abîmé leurs parcelles : « there are many small patches but some are overrun w’th woods, and the horses [...] have spoiled more ».
Ibid, p. 43 La conclusion de Byrd, cependant, tranche avec ses descriptions d’indigence et de pauvreté : « Tho’ these people are very poor yet they seem very cheerful ».
Brock, p. 43 Tentait-il de minimiser la situation ? Byrd était accompagné de trois autres hommes, choisis par le Council : même s’il était le seul à écrire les lettres au Council of Virginia, il y avait peu de chances qu’il puisse dissimuler la véritable condition des réfugiés français, comme le prouvait l’entrée du 27 décembre 1700 du Concil of Virginia. La décision du Council était sans appel : ils ne désiraient plus voir de Huguenots arriver dans leur colonie (« it is for his Majesty’s service [...] that his Excellency do represent [...] the present state of ye ffrench protestant refugees, and the poverty and disability of the Country, and to address his Majesty that no more of them may be sent in »).
Ibid, p. 37 La demande n’arriva pas à temps à Londres pour empêcher le départ du Nassau en janvier 1701 et les autorités n’eurent pas d’autres choix que de les accepter par la suite. La survie de la communauté huguenote en dépendait.
3 – Une position délicate face aux autorités coloniales.
Pendant leurs premiers mois en Virginie, les Huguenots pouvaient en effet uniquement compter sur la charité des autorités coloniales et de celle de quelques notables dont les terres entouraient les leurs. Par exemple, Byrd délivra une « quantity not known, whether of Corn or Wheat, [...] two horses, two beeves [...] besides money, meat fish, Corne and wheat given by severrall [sic] charitable persons ».
Ibid, p. 35 Parmi ces « charitable persons », on comptait le gouverneur Nicholson qui donna 50 livres, James Blair, missionnaire et fondateur du College of William and Mary et le colonel Randolph, qui donnèrent tous deux 5 livres à la colonie. Les donations ne sont pas datées, mais celle de Byrd pourrait avoir été faite au printemps 1701, avant mai, puisqu’il mentionne dans sa lettre qu’il a envoyé du grain aux réfugiés, et qu’il ne pourrait d’ailleurs plus en envoyer avant quelques mois.
Ibid, p. 43 Ces libéralités étaient faites à la communauté entière, et non pas à des particuliers. Cependant, le nom de Benjamin de Joux apparaît dans le registre des donations compilé par Brock. Le gouverneur Nicholson lui donna 25 livres, pour lui et le groupe qui arriva à ses côtés.
Ibid, p. 36 De Sailly fut gratifié de 4 livres par le révérend Stephen Fouace, un collègue de James Blair au College of William and Mary.
Ibid, p. 36 Les membres les plus importants de la communauté huguenote entretenaient donc des relations assez cordiales – ou se montraient suffisamment convaincants - avec les autorités coloniales pour que ceux-ci leur versent personnellement de l’argent. Enfin, une collecte de fonds organisée à travers toute la Virginie fut organisée en mars 1701, sollicitant « the Burgesses of each respective County to call in the Briefs, with the subscriptions [sic] and donations given to the Relief of the French Protestant refugees, and that they return an account to the hon’ble Mr. Auditor Byrd and Benjamin Harrisson, who are appointed to distribute the same for the support of aforesaid ffrench Refugees ».
Brock, p. 37 Encore une fois, l’empressement de Byrd auprès des réfugiés huguenots est à noter ; son père, William Byrd I, avait pris une part active au sauvetage de Manakin Town et Robert Beverley écrivit dans son History of Virginia que le colonel reçut les Huguenots « with all the tenderness of a Father », les rendant objets de « his particular care ».
Beverley, p. 47 Daniel Lambert questionne judicieusement l’intérêt des Byrd pour les réfugiés français, mais ne propose pas de piste à explorer. Les Byrd comptaient peut-être leur générosité pour s’attirer les faveurs des Huguenots une fois que ces derniers seraient parvenus à se sortir de la pauvreté qui caractérisait leurs débuts. C’est une illustration caractéristique de la relation inégale, voire de rapport de force, qu’entretenait Manakin Town avec les autorités coloniales. Accepter l’ascendance financière des autorités sur Manakin Town était très différent de se fondre dans le climat économique accueillant de Londres. Leur pauvreté différenciait également les Huguenots de Manakin Town de ceux des autres colonies, particulièrement de ceux qui avaient choisi de s’établir en Caroline du Sud. Les analyses de Jon Butler montrent par exemple que les Huguenots de Caroline du Sud s’adaptèrent avec brio à leur environnement rural, même lorsqu’ils exerçaient une profession artisanale.
Butler, Jon, The Huguenots in America, Harvard University Press, 1992, p. 95 Bertrand Van Ruymbeke segmente la vie économique des Huguenots de Caroline du Sud en trois phases : ils commencèrent par la culture de la soie et des vignes comment les Lords Propriétaires l’espéraient, puis se concentrèrent sur le bétail et l’achat de terres meubles, et enfin, la riziculture.
Van Ruymbeke, p. 191 La transition avait donc été effectuée avec succès par ces Huguenots de Caroline du Sud, et leur succès économique était si éclatant et si fulgurant que l’expression « as rich as a Huguenot » s’implanta dans la colonie.
Ibid, p. 222 La différence de réussite entre les Huguenots de Caroline du Sud et de Virginie est d’autant plus curieuse que les profils de ces deux communautés n’étaient, en théorie, pas si distinct. La Virginie et la Caroline du Sud offraient globalement le même climat et les mêmes possibilités pour l’agriculture. Les Huguenots de Caroline du Sud étaient majoritairement issus d’un milieu urbain (Van Ruymbeke estime le pourcentage des citadins à 65%), tout comme les Protestants français de Virginie avaient pour la plupart transité à Londres et dans les autres villes du refuge, notamment Genève, Lausanne et Rotterdam. Cependant, ces similarités ne pouvaient pas résister à deux facteurs divergents d’une grande importance. Malgré leur environnement rural, les Prostestants français de Caroline du Sud étaient plus exposés à l’influence des villes que leurs coreligionnaires de Manakin Town. La Caroline du Sud abritait de grandes villes comme Charleston, où était par ailleurs établie une communauté de Huguenots. Installés le long de la rivière de Santee, les Huguenots étudiés par Van Ruymbeke bénéficiaient de l’activité importance du commerce fluvial et interagissaient avec leurs voisins anglais bien plus que ne le pouvaient la communauté isolée de Manakin Town. Il s’agissait même d’une des conditions imposées par les Lords Propriétaires afin de garantir la bonne circulation des biens et des échanges.
Ibid, p. 199 Manakin Town ne disposait pas d’une position aussi favorable. La difficulté de faire circuler ses biens fut en fait directement abordée par Benjamin De Joux, premier pasteur de la communauté, dans l’une de ses lettres au gouverneur Nicholson : « there is no carrying of things by water, your petitioners being likewise destitue of all necessaries for transporting things ».
Brock, p. Là encore, on mesure toute la différence entre les réfugiés de Caroline du Sud, impliqués dans un partenariat commercial avec les autorités coloniales, et les réfugiés de Virginie, qui dépendent constamment de leur bon vouloir.
3– Des divisions internes problématiques.
La question de l’hétérogénéité de la communauté est également à prendre en compte. Selon les recherches de Bertrand Van Ruymbeke, 395 Huguenots émigrèrent en Caroline du Sud entre 1680 et 1718, ce qui est bien moins que les 500 estimés de Manakin Town.
Van Ruymbeke, « Appendix », p. 225 Sur les 395 colons, Van Ruymbeke a identifié les origines de 259 d’entre eux : la plupart venaient de l’Ouest de la France et de Paris, mais on compte six Suisses et six natifs du Dauphiné, ou Vaudois. Il n’y avait donc en Caroline du Sud qu’une infime minorité de ces Protestants francophones non-français. A Manakin Town, en revanche, il s’agissait d’une communauté plus importante, à la fois en termes numériques et en termes sociologiques. Charles de Sailly avait réussi à faire venir 75 personnes des cantons suisses jusqu’à Rotterdam : ces 75 individus sont par la suite mentionnés dans la liste des frais de De Sailly.
Brock Dans la liste des « François, Suisses, Genevois, Alemans et Flamands » du Nassau qui arriva en 1701, on peut compter neuf Suisses, quatre Genevois, une Allemande et une Flamande. Charles W. Baird fait aussi part de ses conclusions en avançant que « a large proportion of the emigrants may have been Waldenses [...] the names of the Virginia colonists indicate this ; while the prominent mention of the Vaudois [...] would lead us to believe that they may have been formed the larger portion of the emigrating body ».
Baird, II, p. 179 En tout, l’historiographie de Manakin Town estime la présence protestante francophone non-huguenote aux environs de cinquante membres, en se basant surtout sur l’onomastique et les rares informations disponibles sur les habitants de la colonie virginienne.
Clot, Alberto, « Benjamin De Joux : A Waldensian Pastor in Virginia, 1700-1703 », In Journal of the Presbyterian Historical Society (1901-1930), Vol. 8, No. 2, 1915, p. 95 Peut-être étaient-ils même plus nombreux, mais les listes de passagers n’indiquent pas la provenance des colons. L’un d’eux est cependant très bien renseigné, par chance pour l’historien de Manakin Town. Il s’agit de Benjamin De Joux, arrivé par le Peter and Anthony en Octobre 1700. Il fut l’un des hommes forts de Manakin Town mais se fit paradoxalement le héraut de divisions internes qui vinrent affaiblir la communauté durement frappée par son isolement et sa pauvreté.
Ce fut le dénuement dans lequel vivaient les réfugiés qui permit l’ascension de Benjamin de Joux et lui offrit la visibilité dont il manquait en arrivant. Son parcours, retracé par Alberto Clot, pasteur et historien vaudois, et repris par David Lambert, traduit une personnalité énergique et déterminée, attachée à sa religion : ainsi, il disputa des questions de théologie avec un jésuite dénommé Calamart en 1659, et officia comme pasteur dans la région sensible du Dauphiné (Lambert émet même l’hypothèse qu’il ait pu rencontrer Durand du Dauphiné, le talentueux affabulateur propagandiste).
Lambert, p. 147 Il fuit la France l’année de la Révocation, et suivit le circuit typique du Refuge, passant à Genève, à Zurich et enfin à Londres, où il arriva en 1687. Les treize années qui précédèrent son départ pour la Virginie sont flous, tout comme les motivations qui le poussèrent à venir en Amérique. Il est en tout cas le premier inscrit sur la liste des passagers du Peter and Anthony en sa qualité de pasteur, et il semble avoir obtenu une lettre de recommandation du bishop de Londres afin d’être officiellement nominé pasteur de la colonie, ce qui signifierait qu’il était instruit dans la foi anglicane.
Brock, p. 14 Sa position et son caractère lui traçaient donc naturellement un chemin dans les affaires de Manakin Town, au risque de se heurter à ses dirigeants traditionnels, et particulièrement à Charles de Sailly, l’architecte infatigable du projet.
Le conflit qui opposa les deux hommes est renseigné par la pétition soumise par De Joux et ses partisans « on behalfe of all the ffrench Refugees » au gouverneur Nicholson. La pétition, qui n’est pas datée, expose les tenants et les aboutissants de la dispute. Les premières tensions apparurent peu après l’arrivée du groupe du Peter and Anthony. Après avoir débarqué à Jamestown, les colons menés par Benjamin De Joux marchèrent jusqu’à Manakin Town (au contraire de leurs prédécesseurs, qui avaient loué d’autres bateaux) malgré les efforts des autorités coloniales pour les en dissuader, compte tenu de la pauvreté de la colonie. Le groupe fut accueilli par Charles de Sailly, et De Joux décrit la rencontre en des termes peu élogieux pour le dirigeant de la communauté : « it was a considerable surprisall that instead of seeing this second party kindly received by Mr. De Sailly [...] his answer, on the contrary, to such an addrest him for reliefe was, that he had no bread nor sustenance for ‘em ».
Brock, p. 55 L’accueil n’était sans doute pas celui auquel s’attendaient les colons du Peter and Anthony, qui se virent interdire de s’installer « unless they would swear an oath of fidelity to such particular persons as he [Charles de Sailly] had made Justices of the Peace ».
Ibid, p. 55 Les passagers du deuxième convoi furent donc forcés de s’installer à l’écart de Manakin Town. Néanmoins, l’existence de la pétition prouve que les colons décidèrent d’agir. Ils élurent Benjamin De Joux comme leur représentant, à la fois auprès des autorités coloniales et auprès de De Sailly, auquel De Joux réitéra les demandes de vivres. La suite du document montre que De Joux et ses partisans étaient particulièrement outragés par le comportement de Charles de Sailly, mais ce qui est encore plus intéressant, c’est De Joux qui est choisi en dirigeant de toute la communauté, pas seulement des passagers du Peter and Anthony, outrepassant donc la position dont Charles de Sailly a abusé envers lui et ses compagnons. Pour des nouveaux venus, De Joux et ses partisans démontrent une connaissance et une acceptation lucide de la situation de Manakin Town, sans pour autant accepter que leurs coreligionnaires ne soient laissés dans la misère : « your petitioners can have no prospect of any good livelyhood in planting of tobacco, and that they cannot expect to be able in a short time to drive a trade in wings, flax, silk and hemp [...] they therefore petition your Excellency to use your interest with the King’s Majesty in procuring some encouragements ».
Brock, p. 56 Ils cherchent ensuite à prouver l’incompétence de De Sailly, notamment en pointant du doigt le fait qu’un temple n’a toujours pas été construit à Manakin Town, exigent que le Français débourse lui-même les 230 livres nécessaires à la construction de l’édifice, et demandent 30 livres de plus pour la construction d’une maison spécifiquement dédiée au pasteur.
Ibid, p. 56 La pétition est une véritable diatribe contre De Sailly, et les partisans de De Joux désirent faire apparaître leur champion comme un leader plus compétent. Ils requièrent que De Sailly comparaisse devant un conseil et le gouverneur, afin de justifier sa gestion des fonds et de la colonie : « De Sailly may, as soon as possible, give an account before such auditors [...] how he employed and laid out all ye money he has received, as well in London, as in this Government, for the use of ye said Colony ».
Ibid, p. 56 Enfin, De Joux réclame une meilleure administration de la colonie en demandant aux autorités coloniales d’accorder aux habitants de Manakin Town le droit de nommer leurs propres magistrats.
Ibid, p. 56 Cette pétition met donc en exergue la lutte de pouvoir entre De Sailly et De Joux, clairement remportée par ce dernier mais aussi la gestion sommaire de Manakin Town sous la direction de De Sailly. Ainsi, on apprend en premier lieu qu’il n’y avait pas de lieu de culte pour la communauté française. La migration des Huguenots était pourtant indubitablement liée à des motifs religieux. Le manque d’argent et la dureté de la vie étaient-elles les seules raisons pour lesquelles De Sailly n’avait pas consacré plus d’efforts à la construction d’un temple ? Si on ne peut écarter la dimension personnelle et domestique du culte protestant français, basée sur la méditation et la lecture, la communion au temple, notamment par le chant des psaumes était un aspect important de la foi. Cependant, la vie religieuse de Manakin Town, même dans ses extensions les plus lointaines, n’est mentionnée dans aucune source avant l’arrivée de Benjamin De Joux dans la colonie. On peut imputer ce changement aux origines vaudoises du pasteur. Plus calvinistes, plus stricts que leurs voisins huguenots, les Vaudois étaient attachés aux traditions et Benjamin De Joux ne faisait pas exception.
4 – Vers l’organisation de la colonie.
Manakin Town avait donc besoin de deux choses : il lui fallait un gouvernement efficace et une organisation religieuse satisfaisante. Les autorités coloniales jouèrent un rôle important dans l’installation d’une vie politique saine à Manakin Town ; il s’agissait de contrôler ces remuants réfugiés qui s’avéraient plus encombrants et plus compliqués à gérer que l’on s’y attendait.
Des propositions vinrent des deux ‘camps’ qui s’étaient établis à Manakin Town : Benjamin De Joux et ses partisants, et Charles De Sailly et Olivier de la Muce, symbolisant par la même occasion l’opposition Vaudois/Huguenot. Dans une lettre du 14 Novembre 1700 (sans doute quelques semaines après la pétition proposée par De Joux au Council), Charles de Sailly et Olivier de la Muce exprimèrent leur désir de partir de Virginie. Leurs explications sont intéressantes : apparemment victimes de fausses accusations (notamment provenant de « Popish emissaries ») en Angleterre et en Irlande, ils souhaitaient retourner en Europe pour se laver de tous soupçons.
Brock, p. 50 Afin de les remplacer, ils proposèrent le capitaine Giles Webbs, un proche de Nicholson : « but Capt. Webbs or some other must be appointed, w’th power and authority to rule and command them ».
Ibid, p. 50 Dans cette lettre, on apprend également que la querelle entre De Joux et De Sailly n’était pas réglée, et que De Joux et ses partisans vivent toujours à l’écart de Manakin Town. Magnanime, les deux Huguenot écrivent pourtant que « though they have given unto us great many supjects of Complaints in troubling and vexing us, we will Charitably spare y'm; and to avoid all disputes and quarrels, desiring to live quietly and peaceably, say nothing of ye malice and tricks they employ every day to blame and accuse us without justice ».
Ibid, p. 50 Mais ce qu’il y a de plus étonnant, c’est que De Sailly et De la Muce proposent De Joux comme pasteur officiel de la communauté : « it's necessary, that ye Minister De Joux be ordered to goe up to settle and stay in ye Town to preach, make prayers, and perform other dutys of his ministry ».
Brock, p. 51 Les raisons qui auraient pu motiver un tel changement restent mystérieuses, d’autant plus que De Joux et ses compagnons n’avaient pas baissé leur garde. Leur proposition de nommer des magistrats – une idée s’inscrivant dans la tradition calviniste d’auto-gouvernement, rappelant les consistoires et démontrant l’influence vaudoise de De Joux – menaçait directement le pouvoir autocratique symbolisé par De Sailly. Finalement, le Council ne retint aucune des deux propositions, et des observateurs impartiaux furent nommés en Mars 1701 – William Byrd, Colonel Randolph et Giles Webb, les deux auteurs de la lettre du 11 Mai 1701 décrivant les conditions difficiles de la colonie.
Bugg, [En ligne] http://huguenot-manakin.org/bugg.php Néanmoins, le système prouva qu’il n’était pas viable puisque moins d’un an plus tard, le Council revint sur sa décision et reconsidéra la proposition de De Joux et ses compagnons, qui avaient redéposé une pétition auprès du Council of Virginia : « upon representation made that the French Protestants at the Mannikin Town [Manakin Town] and parts adjacent want some tu rule and govern them [...] ordered that Mr. Chatin [Chastain] and Nicod be commissionated to govern them [...] consonant and agreeable to the Laws of England and this colony ».
Public Record Office, Calendar of State Papers, Colonial Series, 1701, ed. by Cecil Ceatham, 1910, p. 744 Ces deux noms apparaissent plus tard dans le récit de Francis Louis Michel, quand il vint à Manakin Town durant l’été 1701 : « I visted two French Swiss, named Nicon [Nicod and Dutoit [...] the captain or head of this place is a surgeon by profession named Chaltin [Chastain] who had long resided at Yverdon, Switzerland [...] ».
Hinke, p. 122. Voir aussi Bugg. Le système de magistrats semblait donc s’être solidement implanté. On remarquera également l’influence vaudoise sur le choix des deux magistrats.
Entretemps, le village était désormais devenu une paroisse, gagnant enfin le cadre nécessaire à l’organisation d’une vie religieuse stable. Le 5 décembre 1700, un « act making the ffrench Refugees, Inhabiting at the Mannikin Town and the parts adjacent, a distinct parish by themselves, and exempting them from ye payment of publick and county levies for 7 years » fut proclamé par le Council of Virginia.
Brock, p. 60 Le document ne mentionne aucune exigence de conformité à la religion anglicane de quelque manière que ce soit : les réfugiés étaient donc techniquement libres de leurs offices, et pouvaient communier selon leur choix. Il n’y a aucun doute sur le fait que les sermons étaient dits en français : dans une communauté aussi isolée et avec Benjamin De Joux en tant que pasteur, il aurait été curieux, voire contradictoire qu’il en soit autrement. Les Huguenots obtenaient enfin ce pourquoi ils avaient quitté leurs terres et leurs familles, et traversé l’océan après un périple trop souvent reculé : la liberté de culte. Cette tranquillité ne devait être que temporaire, mais elle accordait aux Huguenots la possibilité de se concentrer sur leurs préoccupations. De plus, par la suite, l’assemblée de la paroisse devint la principale force politique de Manakin Town.
Ainsi, lorsque Francis Louis Michel arriva à Manakin Town en été 1701, sa description du village trancha ausitôt avec les précédents rapports faits sur la colonie huguenote : « gardens are filled with all kind of fruits [...] the cattle are fat because of abundant pasture [...] lately two wealthy gentlemen [Byrd et Webb] came and had buildings erected there ».
Hinke, pp. 122-123 La situation s’était donc clairement améliorée, et allait donc permettre sous la surveillance attentive du Council of Virginia et des notables de Henrico County, le développement de la colonie, un développement économique, mais aussi culturel, social et religieux, et intrinsèquement lié au développement de la Virginie et de son histoire.
III – L’invisible transformation : l’assimilation de Manakin Town à la Virginie coloniale.
1 – La naturalisation, une assimilation artificielle ?
L’historiographie de Manakin Town ne s’attarde que peu sur les années qui suivent l’installation des colons. David Lambert ne consacre que quelques paraphes à la période entre 1703 et 1716. James Bugg, dans son long article, ne s’avance pas au-delà de 1730. Les évènements marquants de l’histoire de Manakin Town arrivent en fait dans les quinze premières années d’existence de la communauté, puis la vie quotidienne des habitants de Manakin Town sembla tomber dans une sorte de routine qui ne méritait plus l’intérêt des autorités coloniales, ni des chroniqueurs. C’est pourtant cette lente déliquescence qui est intéressante, de même que les mécanismes de l’assimilation et les raisons, s’il y en a, de ces changements d’autant plus que le cas des réfugiés de Manakin Town est particulièrement complexe. Par chance, des sources autres que les registres des autorités coloniales permettent d’investiguer l’évolution de la colonie, notamment les testaments et les vestry books, ainsi que des registres baptismaux, et de comprendre comment les réfugiés de Manakin Town ont vécu pendant près de cinquante ans en oscillant entre la préservation de leur identité et la lente intégration de celle-ci à l’intérieur d’une entité plus grande.
La question de l’identité et de l’identification des habitants de Manakin Town à un système trouve un premier écho dans le processus de naturalisation, qui va de pair avec la question de leur habitat. Arrivés quelque peu par hasard à Manakin Town, cet ancien village indien qui se trouvait proche des terres des Byrd, riches planteurs, les réfugiés s’étaient installés de façon quelque peu anarchique sur l’emplacement qui leur avait été accordé et ne possédaient pas de documents légaux qui expliquaient comment les parcelles étaient sensées être réparties entre les habitants. On imagine sans mal les dérives et les problèmes qu’une telle absence pouvait causer dans une communauté qui avait déjà prouvé qu’elle pouvait se montrer particulièrement divisée. La situation était certainement envenimée, car c’est en ces termes que le gouverneur Nicholson s’adressa au Council en revenant, en mars 1702, de deux jours passés à Manakin Town : « on the 5th and 6th I was up at their settlement and gave the necessary directions concerning them, and left the surveyors laying out their whole tract of land, as likewise each man’s particular lot ».
Public Record Office, Calendar of State Papers, Colonial Series, 1702, ed. by Cecil Cheatham, 1910, p. 155 Il est très intéressant de noter que l’entrée des CSPC suivante concerne Louis XIV et Jacques II d’Angleterre : « Loyal adress of the Governor and Council of Virginia to the King. We do exceedingly resent the attempt made upon our Religion, Laws and Liberties [...] by the action of the French King in owning and declaring the pretented Prince of Wales to be King of England ».
Ibid, p. 155 Une situation tendue avec la France devait certainement encourager les autorités coloniales à sécuriser Manakin Town et à surtout s’assurer la loyauté de ses habitants, au cas où des Français venus d’Acadie auraient marché vers la Virginie. Cette « Loyal Adress » fut proclamée deux jours avant la mort du roi Guillaume III. Les Huguenots de Manakin Town perdaient alors leur plus haut soutien anglais, mais la procédure de répartition des terres était lancée devant le Council. La chambre répondit en le 28 mai 1702 : « in order to qualify them in order to hold land [...] they must petition for Naturalization to the next session of Assembly ».
Executive Journals, Council of Colonial Virginia, Vol. II, 1702, ed. by H. R. McIlwaine, 1927, p. 247 Pour devenir propriétaires du sol sur lequel ils habitaient depuis près de deux ans, les réfugiés de Manakin Town devaient donc devenir des citoyens de la Virginie.
La question de la naturalisation n’était pas un sujet nouveau pour les Huguenots. En Angleterre, ils prenaient le statut de denizens. Une certaine portion des habitants de Manakin Town avaient même déjà bénéficié de la procédure de naturalisation, en mars 1700, sous le patronage de Guillaume III, sans que les noms ou les chiffres exact ne soient précisés. James Bugg fait alors remarquer qu’il y existait parmi les Huguenots de Manakin Town qui n’étaient pas naturalisés une volonté « naturelle » de s’identifier autant qu’ils le pouvaient avec leur nouvelle patrie.
Bugg, [En ligne] http://huguenot-manakin.org/manakin/bugg.php Mais avant 1702, aucune pétition ne fut soumise au Council of Virginia ou ) la House of Burgesses. Il n’y a qu’une fois que la répartition des terres que les Français de Manakin Town commencèrent à déposer de nombreuses pétitions pour demander leur naturalisation. Il fallut plus d’un an pour que leurs demandes soient prises en compte par la House of Burgesses. Le 3 avril 1703, il fut « resolved that a bill be prepared to enable the governor to commissionate for many persons as he shall think fit to administer the oaths and test to the French refugees at Manakin Town, in order to their Naturalization ».
Journal of the House of Burgesses of Virginia, ed. by H. R. McIlwaine, 1927, p. 21 Pour être naturalisé, il fallait en effet prêter serment devant le gouverneur, qui confirmait la naturalisation par un certificat. Les habitants de Manakin Town étaient-ils sincèrement désireux de se faire naturaliser, ou étaient-ils surtout motivés par le fait de pouvoir bénéficier d’une répartition très généreuse ? Après avoir ordonné une seconde vague de naturalisation le 26 april 1704 (« resolved that it is the opinion of this House that the ffrench refugees settled at the Manakin Town be naturalized by act of assembly »)
Ibid, p. 50, la House of Burgesses décida de partager 10,000 acres entre les familles de Manakin Town et de leur donner à chacune 133 acres, qu’importe le nombre de personnes dans le foyer ou la date d’arrivée des colons.
Ibid, p. 63 La décision fut acceptée le 3 mai 1704, et le jour suivant, une nouvelle action pour la naturalisation des réfugiés fut amenée devant le Council of Virginia, qui ordonna qu’une commission soit montée au plus vite afin de pouvoir faire prêter serment.
Ibid, p. 67 Les deux procédures étaient donc indubitablement liées. Ce fut William Byrd qui fut chargé d’organiser la répartition des parcelles parmi les réfugiés, et il compléta sa tâche en octobre 1704. Pourquoi ne pas avoir confié la tâché à l’un des dirigeants de Manakin Town, fraîchement naturalisé ? Les autorités soupçonnaient-elles une fragilité, une incapacité dans ces Français exigeants qui aurait rendu le processus encore plus fastidieux ? Manakin Town avait entretemps changé de dirigeant : la mort de Benjamin De Joux en 1703 avait laissé place à Claude Philippe de Richebourg, un Vaudois également, mais d’un caractère moins bien conciliant que son prédécesseur. En 1705, il exigea une parcelle plus large pour son propre usage, une requête qui comme le formule Bugg, causa sans doute l’irritation des autorités coloniales qui estimaient sans doute en avoir déjà fait beaucoup pour les réfugiés de Manakin Town.
Bugg [En ligne] http://huguenot-manakin.org/manakin/bugg.php La répartition finale des parcelles fut pourtant achevée par ces mêmes réfugiés, en 1710. Abraham Sallé, un Huguenot du premier convoi, jugea que le partage n’avait pas été juste et réclamèrent des autorités la possibilité de s’installer sur des terres qui n’avaient pas été encore réclamées. De façon assez surprenante, le Council of Virginia leur donna raison et ordonna qu’on privilégie la redistribution en faveur des premiers colons.
Brock, p. 71 Dix ans après leur arrivée, les réfugiés de Manakin Town étaient enfin installés et naturalisés.
2 – Une vie politique endémique à Manakin Town.
Cette étape était un pas important en direction de l’assimilation, mais il ne s’agit que d’un certificat sur lequel il est difficile d’émettre des certitudes. Comme on l’a vu, les habitants de Manakin Town n’avaient déposa des pétitions en ce sens que lors qu’ils avaient appris qu’ils ne pourraient accéder à la terre par ce moyen. Se sentaient-ils toujours « intrinsèquement français » ? Il n’y a pas de documentation qui indique des retours en Europe ou en France, contrairement à leurs voisins de Caroline du Sud.
Van Ruymbeke, p. 92 Il est difficile de se faire une idée de ce que les habitants de Manakin Town pensaient de leur environnement. Charles de Sailly et Olivier de la Muce n’exprimaient que rarement leurs opinions, si ce n’est pour décrire la situation catastrophique de la colonie durant les premiers mois. Les deux dirigeants historiques de Manakin Town quittèrent d’ailleurs la Virginie assez rapidement, en 1703 ou 1704 ; ils n’apparaissent plus dans les registres après ces dates. Leur départ mena de nouveaux dirigeants à la tête de la communauté : Benjamin de Joux dans un premier temps, puis Claude Philippe de Richebourg, et puis divers membres de l’assemblée de la paroisse, qui laissèrent les vestry books, c’est-à-dire les délibérations de l’assemblée. Les vestry books de Manakin Town furent tenus de 1707 à 1750 par différents colons tour à tour. Originellement en français, le traducteur nota tout de même que le clerc de l’assemblée portait les stigmates d’une éducation coloniale et écrivait mal la langue de son pays d’origine.
« The Vestry Book of King William Parish, Va., 1707-1750 (Continued) », In The Virginia Magazine of History and Biography, Vol. 12, 1905, p. 374 En eux-mêmes, ces comptes-rendus sont assez médiocres, mais ils permettent d’avoir un aperçu sur la façon dont les habitants de Manakin Town s’organisaient et de saisir des instants de leur vie quotidienne.
L’assemblée de la paroisse fut certainement établie avant 1707, mais la première mention qui en est faite est dans un document compilé par Brock. Il s’agit d’une lettre d’Abraham Sallé, le colon qui estimera en 1710 que la répartition des parcelles n’avait pas été effectuée de manière assez juste. Comme si les habitants de Manakin Town cherchaient à tout prix à donner raison à l’irritation des autorités coloniales, l’organisation de l’assemblée fut la source d’un conflit qui opposa Claude Philippe de Richebourg, alors pasteur de Manakin Town et Sallé. Richebourg, déjà présenté comme un personnage bouillonnant par ses précédentes actions concernant la répartition des parcelles, avait apparemment réitéré un coup d’éclat : « the first thing he did, was to demand the register of Christenings to be delivered up to him by the Clerk of the Vestry’s hands and in case he refused to do it, he would excommunicate him ».
Brock, p. 69 Après s’être interposé, Sallé fut vraisemblablement attaqué par « several of his party [Richebourg] » et fut menacé de mort par les partisans de Claude de Richebourg - si la situation n’avait rien de cocasse pour Sallé, une ligne pittoresque de sa lettre interpelle notre attention sur le mélange des langages : « that Bougre de Chien ought to be hanged up out of the way ».
Brock, p. 70 Enfin, il apparaît que le cœur du problème avait des racines plus profondes, et bien plus intéressantes pour l’étude de l’assimilation de Manakin Town, qu’une simple dispute entre les deux hommes. Les dissensions résidaient dans une divergence à propos de la façon dont l’assemblée devait être élue et dirigée. Abraham Sallé explique ainsi que « in that election the Law of this Country was punctually observed [...] they were not chosen for one year according to the electing elders in France, which Mr. Philippe would insinuate but where chosen as a lawful Vestry and for several years [...] they have been called Anciens because there is no word in their language for Vestryman ».
Ibid, p. 70 Enfin, il ajoute que la légalité de ces procédés n’avaient jamais été remis en question par qui que ce soit à Manakin Town, jusqu’à Richebourg. Il s’agissait donc d’une opposition entre deux identités. Abraham Sallé était partisan d’une identification aux rôles et aux lois de la Virginie – il menaça même ses attaquants mais « the Queen’s name [la reine Anne] had no effect upon them »
Ibid, p. 70 - tandis que Richebourg se conformait aux traditions françaises. On voit donc ici deux idées, deux conceptions distinctes : Abraham Sallé cherchait la conformité, en tous cas dans l’organisation politique et Richebourg souhaitait conserver les us et coutumes de sa terre d’origine. L’opinion d’Abraham Sallé sembla être la plus partagée par les autorités coloniales et le reste de la colonie. L’obstination de Richebourg lui coûta sa position de pasteur. Il quitta en effet la colonie de Virginie avec quelques partisans pour aller s’installer en Caroline du Sud, et croisa l’histoire des Huguenots de Charleston et de Santee, où il s’attira d’autres ennuis, selon Bertrand Van Ruymbeke.
Van Ruymbeke, p. 135 Il revint brièvement en Virginie, seulement pour se faire expulser de nouveau en 1711, après qu’Abraham Sallé et ses partisans eurent découvert que Richebourg avait dérobé les minutes de l’assemblée qui l’incriminaient.
« The Vestry Book of King William Parrish, Va., 1707-1750 », In The Virginia Magazine of History and Biography, Vol. 11, No. 3 (April 1904), p.429
3 – Langages, héritages et mariages.
Si Richebourg se conformait aux traditions françaises pour le gouvernement de sa paroisse, il y a fort à parier que c’était aussi le cas dans le domaine religieux, et c’est certainement aussi l’une des raisons qui a poussé Abraham Sallé à s’opposer à l’impétueux pasteur. Manakin Town possédait déjà un historique de non-conformisme. Il faut rappeler que le document permettant la création d’une paroisse ne mentionnait en aucun cas une obligation de se conformer à la liturgie anglicane. Pourtant, en 1702 (peu après le conflit opposant Benjamin De Joux et Charles de Sailly), le Council of Virginia enjoignit James Blair de se rendre à Manakin Town. Les instructions étaient claires : « Mr. Commissionary Blair to take care that the French Ministers at Manakin Town conform themselves to the liturgy of the Church of England ». L’entrée précise aussi que « the Refugees shall not thereafter use the title of Colony, and for the future all their petitions to him [Gouverneur Nicholson] shall be in the English tongue ».
CSPC, 1702, p. 472 Les autorités coloniales espéraient d’une part pouvoir tempérer les nombreuses dissensions de Manakin Town si elles restreignaient les libertés encombrantes permises aux colons français, y compris la liberté de pouvoir parler leur langue. Les empêcher de communiquer en français avec les autorités était une manière d’affirmer l’autorité du gouvernement de Virginie, et l’autorité royale, et de gommer la singularité de Manakin Town pour mieux l’incorporer dans son environnement virginien. Le français était justement perçu comme un facteur essentiel de l’identité de Manakin Town par les autorités coloniales.
Parler, écrire et écouter le français était une activité quotidienne à Manakin Town, et ce malgré les avertissements des autorités coloniales. L’usage du français était étroitement lié à la pratique de la religion, mais aussi à ce qui touchait la pratique du droit. Par exemple, sur douze testaments huguenots enregistrés auprès de la cour de Henrico County entre 1700 et 1737, 6 sont écrits en français. Les deux premiers furent enregistrés en 1707, le troisième en 1708, le quatrième en 1712, le cinquième en 1715 et le sixième en 1720.
Weisiger, Benjamin B., Colonial Wills of Henrico County, Virginia, 1677-1737, Iberian Publications, 1998, pp. 98-99, 100, 119, 133, 228. Outre le fait que la moitié des testaments soit écrite en français vingt ans après l’arrivée des colons, les documents présentent aussi des particularités intéressantes. En effet, sur dix des douze testaments, le rédacteur fit appel à des témoins français (ou vaudois) pour confirmer l’acte. Ainsi, le premier testament, celui de François Ribot, signé à Manakin Town le 9 mai 1707, eut pour témoins Richebourg, Abraham Sallé, Etienne Chastain et Etienne Raynaud. Le testament de Paul Diveraz, daté de 1712, eut aussi pour témoins Abraham Sallé et quatre autres Huguenots, Louis Dufertre, Gidéon Chambon, Antoine Maton, Jean Cairon. En 1720, Madalene Lefevre fit enregistrer son testament devant Jean LeVillain, Jean LaGrand et Pierre David. Parler français, c’était donc faire partie d’une communauté, une communauté à qui l’on faisait confiance et sur laquelle on reposait. Cependant, on constate qu’au fil des années, ce repli sur la communauté se craquèle et laisse la place à une plus grande diversité culturelle. Des Huguenots et leurs descendants prenaient des Anglais comme témoins. L’inverse pouvait également arriver, comme le démontrent les testaments plus tardifs compilés dans Turf&Twigg. Ainsi, en 1747, Jean Faure, arrivé dans le premier convoi de Huguenots avec son père et ses trois frères et sœurs, prit pour deux Anglais, William et Walter Scott, et un descendant de Huguenot, Jean Morriset, probable descendant de Pierre Morriset, arrivé avec le Mary and Anne. Le tuteur des enfants de Jean Faure, si son épouse venait à décéder, était également un Anglais, Robert Goode.
Harris Cabell, Priscilla, Turf&Twigg : A Study of the French Lands, Richmond, ed. by author, 1985, p.493 Trente-quatre ans plus tard, en 1771, la femme de Jean Faure, Marie, n’avait que des témoins anglais : Susanna Howlett, Susanna Parsons et Richard Harris.
Harris Cabell, p.393 En 1782, Jean Morisset n’avait plus que des témoins anglais à son tour : William Caulfield, Charles Clarke Jr, Young Short et Anderson Brittain.
Ibid, p. 404 La raison de cette lente mais certaine intégration tient à l’extension du territoire de la Virginie au fil des années.
En 1700 Henrico County, était à la frontière de la Virginie et de la wilderness. Manakin Town était l’un des villages les plus avancés et les plus isolés : il n’y avait personne aux alentours, et il fallait se déplacer à cheval ou en bateau pour gagner le petit village situé en ancien territoire indien. Près de cinquante plus tard, Henrico County était protégé par une barrière de huit nouveaux comtés. En 1790, il n’était plus qu’un petit comté comme tant d’autres, bien à l’abri des vicissitudes naturelles qui compliquaient autrefois la vie des premiers arrivants de Manakin Town.
Pour les cartes, voir annexes. Au fur et à mesure que la frontière se déplaçait, les hommes le faisaient avec elle et il est logique que Manakin Town se retrouve bientôt entouré d’autres fermes et villages, peuplés par des Anglais qui étaient devenus leurs voisins et plus seulement des observateurs ou des législateurs. Les colons de la deuxième génération étaient plus à même de s’entendre et de faire des affaires avec leurs voisins anglais. Ainsi, on peut suivre le parcours de la famille Faure, une nouvelle fois. Daniel Faure légua sa parcelle de 296 acres à ses fils Daniel et Jean en août 1735. Les deux fils la revendirent aussitôt à un Anglais du nom de John Nash : le montant n’est pas précisé. En 1747, Jean Morrisset racheta la parcelle à John Nash car elle longeait la sienne et l’achat lui permettait ainsi d’agrandir ses terres.
Harris Cabell, Priscilla, p.141 La transaction ne précise d’ailleurs pas les trois Huguenots venant de Manakin Town, mais bien de Henrico County. Ils sont traités au même titre que leur voisin anglais. Les parcelles pouvaient également passer aux Anglais par la voie du mariage. En 1765, un Huguenot, Jean LeVillain, découpa sa parcelle et légua 128 acres à sa fille Elizabeth et à son mari anglais Matthew Woodson. En cohabitant avec les Anglais, en épousant leurs fils ou leurs filles, les habitants de Manakin Town adoptaient peu à peu leurs habitudes et leur mode de vie. Ils commencèrent à posséder des esclaves, comme Elizabeth Dutoy Porter, fille de Huguenots mariée à un Anglais, Thomas Porter. Elle possédait trois esclaves, qui vivaient dans sa famille depuis 1723.
Gundersen, Joan R., To Be Useful to the World : Women in Revolutionary America, 1740-1790, Chapel Hill, The University of North Carolina Press, 2006, p. 3 Les registres baptismaux font également état d’une population conséquente d’esclaves présente à Manakin Town, en recensant les naissances d’enfants noirs. Myriam Yardeni, qui ne consacre que quelques lignes à Manakin Town, compte que sur les 402 naissances recensées entre 1721 et 1754, 162 étaient des naissances d’enfants noirs.
Yardeni, Myriam, Le refuge huguenot : culture et assimilation, Paris, Honoré Champion, 2002, p. 86 Ainsi, à la lecture de ces registres, il n’est pas rare de rencontrer des entrées telles que : « The 28th July, 1736, was born to Jean Vilain a black girl named Peg », « The 10th October 1748 was born to Pierre Guerran a black girl. Her name is Moll. » ou « The 11th March, 1753, was born a black to Jacque Brian ; his name is Sam ».
Brock, pp. 93, 107, 110. Il n’est pas possible de savoir si ces enfants étaient nés d’unions illégitimes – 162 serait un chiffre énorme comparé à la petite taille de la colonie – ou si la formulation signifiait que ces enfants étaient nés d’esclaves appartenant aux Huguenots. Dans les deux cas, la présence de cette population d’esclaves était significative dans la mesure où il s’agissait d’une absorption de la culture coloniale. Myriam Yardeni avance également l’hypothèse d’une dégradation de la vie morale et spirituelle, dans le cas où ces enfants noirs seraient bien issus d’unions illégitimes entre les maîtres huguenots et leurs esclaves. Sans parler de déchéance, il est vrai que la vie religieuse de Manakin Town souffrit de son environnement, et de ses propres croyants.
4 – Se conformer par défaut.
La vie religieuse de Manakin Town fut, dès l’installation des colons, un sujet de dissensions et de problèmes, tant à l’intérieur de la communauté qu’à l’extérieur. Malgré une apparente et relative autonomie, les autorités coloniales suivaient de près ce qui pouvait se passer comme on l’a vu, lorsqu’en 1702, le Council of Virginia demanda à James Blair de vérifier si les habitants de Manakin Town s’étaient conformés au rituel anglican. Ni sous Benjamin De Joux, le premier pasteur d’origine vaudoise, ni sous Claude Philippe de Richebourg, le second ministre du culte venant du Berry, Manakin Town ne sembla se conformer au rituel anglican, et pourtant, l’organisation de la paroisse répondait aux lois virginiennes, comme Abraham Sallé le rappelle dans sa plainte au Council of Virginia à l’encontre de Richebourg. Il existait donc une contradiction au sein même du temple de Manakin Town, une presque conformité dont l’existence devenait de plus en plus singulière au fur et à mesure que la colonie se retrouvait entourée par ses voisins anglais et leurs paroisses conformes aux exigences de l’Eglise d’Angleterre.
Après la mort de Benjamin De Joux et le départ de Claude de Richebourg pour la Caroline du Sud en 1711 - où les Huguenots de Charleston rencontraient également des difficultés et des dissensions à propos de la question délicate de la conformation
Van Ruymbeke, p. 137 - les réfugiés de Manakin Town trouvèrent un nouveau pasteur en la personne de Jean Cairon. Il était d’origine vaudoise comme De Joux, mais c’est à peu près tout ce qu’on sait sur ce personnage.
Lambert, p. 173 Les conditions de l’exercice de sa fonction, en revanche, furent très clairement précisées dans le vestry book de la paroisse : « in case he fills well and worthily the functions of holy minister [...] by personal conduct, preaching and adminsitration of the sacrament, visiting and consolation of the sick, the quaterly salary in kind shall be continued to him ».
« The Vestry Book of King William Parish, Va., 1707-1750 (Continued) », In The Virginia Magazine of History and Biography, Vol. 12, 1904, p. 24 Le souvenir de l’administration désastreuse de Richebourg devait être encore présent dans les mémoires des paroissiens. Selon le vestry book, Cairon conduisit son ministère de façon satisfaisante mais il mourut en 1715, laissant vide sa position de pasteur et ouvrant pour Manakin Town une longue période de recherche et de questionnement. Une entrée du vestry book nous apprend que le 30 septembre 1718, l’assemblée se réunit et « took the oaths of office and signed the test in conformity with the law ».
« The Vestry Book of King William Parish, Va., 1707-1750 (Continued) », In The Virginia Magazine of History and Biography, Vol. 12, 1904, p. 29 Ce « test » était en fait la ratification obligatoire du Test Act, passé en 1673. Toutes les institutions officielles étant obligées de le ratifier, Manakin Town et la paroisse de King William n’échappait pas à la règle. Cependant, cela ne changeait en théorie rien au problème de conformité religieuse. Le Test Act requérait de déclarer la transsubstantiation invalide. En cela, les Huguenots calvinistes et la Virginie anglicane se rejoignaient, et comme le serment prêté le prouve, les Huguenots ne s’émurent pas plus que cela qu’on leur demande de se conformer à la loi anglaise. Est-ce que cet acte aurait pu être considéré par les autorités coloniales comme une acceptation, même implicite, des lois de l’Eglise d’Angleterre ? L’absence de réaction nous laisse à penser qu’elles y étaient en fait plutôt indifférentes, prouvant aussi par là que Manakin Town commençait à perdre de sa singularité aux yeux des institutions officielles. Fidèle à sa tradition d’autonomie, la paroisse décida de combler le manque d’un pasteur par l’élection de deux membres de l’assemblée afin de parer au manquer spirituel éventuel.
Bugg [En ligne] http://huguenot-manakin.org/manakin/bugg.php Ce n’est qu’en 1724 que la paroisse trouva un nouveau pasteur, un certain « Mr. Finis » que Brock appelle « William Finney », un patronyme à consonance anglophone.
Brock, Introduction, X. Le pasteur venait d’une autre paroisse, comme le montre son contrat : « he shall come give us twelve sermons per year, except in case of ilness or of bad weather ».
« The Vestry Book of King William Parish, Va., 1707-1750 (Continued) », In The Virginia Magazine of History and Biography, Vol. 12, 1904, p. 255 Ces deux éléments laissent alors penser que ce pasteur était anglican. Est-ce que cela signifiait que Manakin Town s’était conformé quelque part en 1715 et 1724 ? Aucune entrée des vestry books ne fait mention d’un tel changement, mais il est possible qu’il manque des minutes au document. S’il était anglican, cela signifiait aussi qu’il parlait anglais et que Manakin Town avait entamé une transition du français à l’anglais somme toute assez conséquente. Pour une communauté où la langue et la religion étaient intimement mêlées, c’était en quelque sorte le sacrifice d’une part de son identité, et l’amorce indubitable vers la conformité.
L’acceptation de Manakin Town pour les rites de l’Eglise d’Angleterre fut confirmée en juillet 1728. Finney avait servi la paroisse jusqu’en 1727, quand il fut remplacé par le révérend Nern. Ce dernier ne prêcha que neuf fois, et ne resta pas longtemps à la paroisse car il devait repartir à Londres.
« The Vestry Book of King William Parish, Va., 1707-1750 (Continued) », In The Virginia Magazine of History and Biography, Vol. 12, 1904, p. 374
L’assemblée lui confia alors une lettre réclamant une aide financière, nécessaire pour la survie de la paroisse, arguant le fait que « since we are conformed to the Laws and Disciplines of the Church of England, and that our Parish is a royal gift to us French refugees, we think we ought not to consent to be dissolved and incorporated into another parish ».
Brock, p. 112 Ces lignes expriment toute la complexité de la situation. Les habitants de Manakin Town s’étaient conformés quelque part entre 1727 et 1728, mais désiraient que leur paroisse puisse garder sa particularité française. Cependant, la suite de la lettre contredit ce désir puisque l’assemblée admet que « many of our parishioners understand no English ; but for the sake of our Children and the English families settled amongst us, we should be heartily glad to have the Common Prayers and Sermons in English as well as French ».
Ibid, p.112 Manakin Town n’était plus tout à fait française. L’assimilation de la communauté avait déjà commencé, par des mariages, par l’arrivée d’esclaves, par des ventes de terrains à des Anglais : seule la religion différait, et désormais, ce point semblait être définitivement réglé. En 1730, le révérend James Marye, un natif de Rouen, devint le pasteur de Manakin Town. Son origine est curieuse compte tenu de l’affirmation de la conformité par l’Assemblée de Manakin Town, d’autant plus qu’il prêcha beaucoup plus en français qu’en anglais (31 sermons en français, 11 en anglais sur une période allant de Novembre 1730 à Août 1731, la seule qui soit renseignée alors qu’il officia jusqu’en 1735).
« The Vestry Book of King William Parish, Va., 1707-1750 (Continued) », In The Virginia Magazine of History and Biography, Vol. 12, 1904, p. 380
Il fut cependant le dernier pasteur francophone d’importance à Manakin Town. Après lui, à part l’apparition d’un certain Gavin en 1739, tous les pasteurs officiant à Manakin Town furent des Anglais conformistes nous dit Brock. Ils venaient des paroisses environnantes : à partir de 1750, et jusqu’à la fin du XVIIIème siècle, ce furent les révérends de Goochland County, une paroisse tout ce qu’il y avait de plus anglicane, qui vinrent prêcher dans la paroisse désormais banale de Manakin Town.
Brock, Introduction, X.
Conclusion
Manakin Town n’a pas complètement disparu. De la singulière petite colonie huguenote, il reste aujourd’hui quelques traces à l’ouest de Richmond, dont deux routes, le Huguenot Trail et la Manakin Ferry Road. Une petite église, la Manakin Episcopal Church, a été construite à leur jonction, lointaine descendante de la première construite par Benjamin De Joux en 1702. Dans une dépendance près de l’église, une petite bibliothèque contient le peu de documents disponibles sur Charles de Sailly, Olivier de la Muce et tous les autres colons, nommés ou non, remémorés ou évanouis dans l’enchevêtrement complexe de la compilation de R. A. Brock, des rares testaments utilisables et des minutes laconiques des Calendar of State Papers et autres chroniques officielles de ces existences à trous, qu’il faut reconstituer, imaginer, pour espérer saisir un peu de leur essence.
Le titre de cette étude, le Refuge inattendu, définit la réponse à la question qu’il pose en insistant sur la singularité de Manakin Town. Dans chacun de ses aspects, la colonie huguenote de Virginie était étonnante. Sa location intrigante et inhabituelle, à l’ultime fin du monde connu, fut le fruit d’un hasard plus qu’une volonté propre, le résultat d’un contexte européen défavorable aux Huguenots couplé aux intrigues habiles de planteurs virginiens désireux de voir arriver sur leurs immenses propriétés ces travailleurs que l’on disait doués et rentables. Comme on l’a vu, les espoirs des uns et des autres ne furent pas satisfaits. Contrairement aux autres colons huguenots, notamment ceux de Caroline du Sud qui connurent un succès fulgurant, les habitants de Manakin Town furent loin de répondre aux attentes du mythe construit à propos de leur prétendue réussite. Les premières années de la colonie furent un échec en termes d’autonomie financière, politique et religieuse. Leur incapacité à construire une colonie stable poussa les autorités coloniales à les considérer comme un problème qu’il fallait sans essayer de régler plutôt que d’envisager la présence des Huguenots comme une chance pour le commerce et l’agriculture. Au début sincèrement préoccupé par leur sort de ces exilés chassés pour cause de religion, le Council of Virginia n’hésita pas par la suite à faire connaître son irritation à propos de ces Huguenots et de ces Vaudois si étrangers à la Virginie.
L’isolement physique, sociologique, linguistique, politique et religieux de Manakin Town constituait un exil dans l’exil. Jamais les réfugiés ne durent se sentir plus étrangers que lorsqu’ils arrivèrent en Virginie pour la première fois en avril 1700, eux qui venaient pour la plupart de grandes villes. Même après avoir transité par l’Angleterre, ils ne comprenaient pas l’anglais, et les us et coutumes des colonies leur étaient tout à fait étrangères. Ces facteurs poussèrent les colons à se replier sur eux-mêmes et à recréer une « petite France » tant qu’ils le pouvaient, en perpétrant l’usage de leur langue, de leurs organisations et surtout, de leur religion. Créer un sentiment d’appartenance renforçait les liens entre les colons, des liens pourtant sensibles à la perméabilité entre les cultures, à la facilité avec laquelle la culture virginienne et coloniale pouvait s’entremêler avec la culture française et huguenote de Manakin Town. C’est finalement la Virginie qui a rattrapé Manakin Town et qui l’a encerclé. En rompant l’isolement physique, les autres barrières tombaient : les mariages devinrent mixtes, les parcelles appartenant à des Huguenots de souche furent vendus à des Anglais, des esclaves furent achetés et enfin, la religion des Huguenots se conforma à celle de ses voisins dans un calme presque surprenant. L’assimilation totale prit près de quatre-vingt ans : paradoxalement, c’est lorsque Manakin Town disparaît peu à peu des registres et des chroniques que l’on comprend le segment le plus important de son histoire, celui de sa fonte dans le moule colonial virginien.
Des pistes mériteraient d’être explorées dans l’historiographie encore trop clairsemée de Manakin Town, comme les motivations réelles des Byrd à l’encontre des ses habitants, ou la recherche de documents personnels afin de comprendre ce que les colons pensaient réellement de cette nouvelle vie. Mais pour le moment, à la fin de cette étude, nous ne pouvons que nous en tenir à cette conclusion, avec tout ce qu’elle implique de reconstruction historique délicate et de chaînons manquants : Manakin Town était bien un refuge inattendu, le refuge du caché et de l’invisible, celui d’une intégration qui laissa d’abord s’exprimer les échecs, les essais et les singularités des Huguenots avant de les absorber sans heurts. Là où la France avait échoué dans ses tentatives d’assimilation, la Virginie offrait aux Huguenots de Manakin Town d’être une part intrinsèque de leur espace.
Bibliographie.
Archives et sources primaires.
BROCK, Robert Alonzo, Documents, chiefly unpublished, relating to the Huguenot emigration to Virginia and to the settlement at Manakin-Town, with an appendix of genealogies, presenting data of the Fontaine, Maury, Dupuy, Trabue, Marye, Chastain, Cocke, and other families, Richmond, The Virginia Historical Society, 1886, 273 pages. [http://archive.org]
COTTRET, Bernard, Mémoires d’une famille huguenote victime de la révocation de l’édit de Nantes, Montpellier, Presses du Languedoc, 1992.
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http://docsouth.unc.edu/southlit/beverley/beverley.html (Numérisation de History and Present State of Virginia de Robert Beverley, offerte par l’Université de Caroline du Nord à Chapel Hill)
http://www.oxforddnb.com/ (Site de l’Oxford University Press rassemblant 59,012 notices biographiques)
ANNEXES.
Figure 1. Les comtés de Virginie en 1700.
Figure 2. Les comtés de Virginie en 1750.
Figure 3. Les comtés de Virginie en 1790.
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