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L'événement: accueil de l'imprévisible?

The event: reception of the unpredictable Our interpretation of the notion of event aims to underline both its unpredictable constitution, and its faculty to place the subject in the symbolic order. The problematic will be mainly concerned about contributions in the field of contemporary phenomenology (Romano, 1998; Barbaras, 2012) and phenom-enological psychopathology (murakami, 2013), related to a certain lecture of the event that will lead us to revaluate the concept of transpassibility 1 and convoke different approaches to it. These reflections will constantly be enlightened by the work of Henri maldiney. Событие: восприятие непредсказуемого Наша интерпретация понятия события стремится подчеркнуть как его непредсказуемое устрой-ство, так и его способность помещать субъект в порядок символического. Данная проблемати-ка интересна в основном для исследователей в области современной феноменологии (Романо, 1998; Барбарас, 2012) и феноменологической психопатологии (Мураками, 2013) в связи с опре-деленным пониманием события, которое приведет нас к переосмыслению понятия «сообщае-мость» и соберет вместе различные подходы к нему. Эти размышления инспирированы иссле-дованием Анри Мальдини.

HORIZON 2 (2) 2013 : 1. Research : S. Zúñiga : p. 38–49 Феноменологические исследования • Studien zur Phänomenologie • StudieS in Phenomenology • ÉtudeS PhÉnomÉnologiqueS santiaGo ZúñiGa * l’ÉVÉnement: ACCueil de l’imPrÉViSiBle? The event: reception of the unpredictable Our interpretation of the notion of event aims to underline both its unpredictable constitution, and its faculty to place the subject in the symbolic order. The problematic will be mainly concerned about contributions in the ield of contemporary phenomenology (Romano, 1998; Barbaras, 2012) and phenomenological psychopathology (murakami, 2013), related to a certain lecture of the event that will lead us to revaluate the concept of transpassibility1 and convoke different approaches to it. These relections will constantly be enlightened by the work of Henri maldiney. Keywords: event, transpassibility, experience, symbolic, desire, intentional, body. Событие: восприятие непредсказуемого Наша интерпретация понятия события стремится подчеркнуть как его непредсказуемое устройство, так и его способность помещать субъект в порядок символического. Данная проблематика интересна в основном для исследователей в области современной феноменологии (Романо, 1998; Барбарас, 2012) и феноменологической психопатологии (Мураками, 2013) в связи с определенным пониманием события, которое приведет нас к переосмыслению понятия «сообщаемость» и соберет вместе различные подходы к нему. Эти размышления инспирированы исследованием Анри Мальдини. Ключевые слова: событие, сообщаемость, опыт, символическое, желание, интенциональный, тело. inTroducTion Un sens d’accueil se met à l’œuvre dans toute expérience vécue. Ce dont nous sommes passibles s’avère le fond d’une forme identiiée, relative à notre subjectivité comme expérience propre. De ce fait, le contenu distinct du Moi s’offre dans son imprévisibilité, mais est aussitôt reconnu à partir d’un acte d’objectivation. Or, il faut se poser la question * 1 santiaGo ZúñiGa — magister of program of Erasmus Mundus Europhilosophie (2008–2010), PhD Student of CPDR (Centre of philosophy of law of Katolic Univercity of Leuven). сантьяго Cуньига — магистр программы Erasmus Mundus Europhilosophie (2008–2010), докторант (PhD Student) в рамках CPDR (Центр философии права Католического университета Лювена). () [email protected] On se permet ici la traduction de «transpassibilité» par transpassibility en prenant le radical passibility, équivalent de passibilité. © Сантьяго Суньига, 2013 38 pertinente: de quel fond d’expériences parle-t-on? Ce soubassement du fortuit auquel ma subjectivité se rapporte, atteint le caractère d’événement. Ainsi, l’inouï de l’événement devient un enjeu fondamental de l’existence qui poursuit sa déinition, toujours requise par ce qu’elle dévoile et l’affecte inéluctablement. Déini entre l’ouverture et son affectivité, l’événement détermine la vie subjective comme le fond même de l’expérience. Nous nous proposons donc de traiter la question de l’accueil de l’événement d’une part, et d’autre part, celle de l’action même qui mène à la réceptivité de cet événement. C’est ainsi que l’œuvre de Maldiney se concentre autour du concept de transpassibilité2. Le pouvoir pâtir du nouveau comme ouverture à l’événement anime la tempérance propre de la vie subjective. En conséquence, si une certaine endurance comme faculté de pâtir, au sens de la transpassibilité de Maldiney, s’instaure comme principe qui nous épargne de la maladie mentale (nuancée par l’impossibilité de contrôler l’excès ou défaillance affectives), il faut nécessairement se poser la question de ce qui est ouvert; s’agit-il du pur imprévisible, sans dessein ni dessin selon les termes employés par Maldiney, ou bien d’un effet issu de la projection du possible? Si l’événement nous atteint dans son unicité, voire détourne en apparence de toute intentionnalité, est-il toujours pertinent de nous prononcer sur l’Ouverture à l’imprévisible comme négation de tout projet, au sens du Rien propre à l’événement selon la démarche de Maldiney? Quel est donc le statut de ce Rien? La portée de la Transpassibilité apparaît chez Maldiney dans son ouvrage «Penser l’homme et la folie». Ainsi, il tente de libérer un champ de connaissance déterminant pour les études en psychopatologie phénoménologique. L’accès à l’événement, dans l’identiication à soi que pose toute rencontre, requiert un effort particulier de la part de l’existant. De la sorte, selon Maldiney, cet existant ne se ige pas dans sa condition réceptive comme synonyme de passivité, mais s’avère passible dans la rencontre de l’imprévisible, comme l’envers du souci heideggérien.3 Or, ce n’est pas autour du concept de transpassibilité que nos propos vont s’esquisser, mais plutôt par rapport au travail de compréhension sur l’événement, ain de décortiquer par la suite la position occupée par le concept de transpassibilité dans sa correspondance avec l’événement. Nous nous rapportons ainsi à trois moments insignes du problème de l’événement et son ouverture: premièrement à Claude Romano dans son ouvrage «L’événement et le Monde», puis à la critique adressée par Renaud Barbaras à Henri Maldiney, et à la passivité d’après Barbaras (et non pas passibilité) liée à l’ouverture par l’événement. Finalement on verra dans quelle mesure, le travail de Yasuhiko Murakami, à la lumière de ses recherches autour 2 3 «La transpassibilité implique une ouverture, ab-solue de tout projet. Dans l’accueil de l’événement ouvrant à chaque fois un monde autre, l’être-là se transforme. Souvent quand éclate l’ancien monde, il y a un moment d’incertitude où l’être-là est suspendu à l’événement dans la béance. Mais l’être-là se transformant, la béance disparaît à travers elle-même dans la patence de l’ouvert, comme ailleurs et de même, le vertige dans le rythme. L’être-là s’expose à lui-même sous un autre horizon. Cet horizon n’est pas le côté tourné vers nous des choses. Il est l’horizon du hors d’attente, d’où tout arrive, et tel qu’à l’exister nous nous arrivons nous-mêmes». Maldeney H. Penser l’homme et la folie. Grenoble: Jérôme Millon, 2007. P. 308. Voir page suivante quant à la déinition de transpassibilité comme opposée à toute logique du souci original au sens heideggérien. 39 de la phénoménologie lévinasienne, nous fournira une compréhension de l’événement rétablie en lien direct avec l’étude sur l’institution symbolique du sujet. On verra tout d’abord comment la notion d’événementialité chez Romano accueille l’imprévisible, en même temps qu’elle conteste toute projection du possible (la référence à Heidegger restera présente dans le parcours de nos analyses). Ensuite, Barbaras exposera sa critique à l’égard de Maldiney quant à l’indistinction de ce qui est ouvert par l’événement, et l’ouverture au Rien comme fond d’expériences. Peut-on dire en effet de l’événement et son accueil qu’ils sont complètement déliés de toute causalité, de toute projection, c’està-dire, tout simplement, imprévisibles? Est-ce qu’on assiste à l’épreuve du passible par l’événement, ou n’est-ce qu’une manière, selon Renaud Barbaras, de détourner la question sur la perception et son lien avec l´intentionnalité, par le sentir comme seule condition de l’expérience? Est-ce que la conception d’événement, à la suite des analyses complexes de diastase et hypostase de la subjectivité qui seront introduits par Murakami, peut demeurer encore compatible avec le concept de transpassibilité? Ainsi, notre tache consistera à faire un exercice critique de la notion d’événement, pour voir dans quelle mesure, celui-ci s’accorde à la structure de la transpassibilité (concept décisif pour les études en psychopathologie phénoménologique) et la valide. Dans ce sens, les trois versants théoriques évoqués nous assisteront pour le développement de notre étude. 1. l’ouverTure à l’événemenT sans dessein ni dessin Reprenons une des prémisses fondamentales de la Transpassibilité, en guise de repère théorique pour la suite de nos démarches: «La transpassibilité consiste à n’être passible de rien qui puisse se faire annoncer comme réel ou possible. Elle est une ouverture sans dessein ni dessin, à ce dont nous sommes pas apriori passibles. Elle est le contraire du souci. …La transpassibilité sans souci implique l’insouciance qui est le contraire de l’esprit de poids, le contraire de la Schwermut qui tend vers le fond dans un rapport obscur».4 Le séjour dans la passibilité comme accueil de l’événement est opposé à l’analyse existentiale heideggérienne, quant à la projection du champ des possibles. On n’afirme pas de prime abord que ceci implique l’abandon de toute intentionnalité, mais une mise à l’épreuve pour l’existant dans l’attente du Rien, du fond d’événements qui détermine le possible. Une des clés pour comprendre l’événement est à repérer chez Claude Romano, qui s’accorde aux prémisses de l’Imprévisible en tant qu’irruption fondatrice de l’existant. De ce fait, la portée de l’événemential n’est pas donnée d’emblée; elle serait reprise au fur et à mesure d’une rencontre à soi dont la logique est provisoirement absente: «D’un événement, au contraire, aucune archéologie causale ne peut livrer le chiffre ni en épuiser le sens, car il n’y a pas de sens à rechercher la cause de ce qui est l’origine même du sens pour l’aventure humaine».5 4 5 Maldiney H. De la Transpassibilité dans Penser l’homme et la folie. Grenoble: Jérôme Millon, 2007. P. 306. Romano C. L’événement et le Monde. Paris: Presses Universitaires de France, 1998. P. 59. 40 S. Zúñiga Selon Romano, on peut caractériser l’événement d’après quelques traits phénoménologiques fondamentaux: l’unicité, dans la mesure où chacun serait remis en question dans son identité, le caractère instaurateur de monde, et l’anarchie constituante.6 On voit bien d’après Romano que le sens ne peut être structuré qu’à partir d’une rencontre suscitée par l’existence ouvrante7, et non pas selon une schématisation ou préiguration du monde. L’avènement de l’événement est unique dans l’impossibilité de sa reprise et ne peut pas être reproduit, imité, prévu. Le sens survient à chaque rencontre et instaure une nouvelle démarche pour l’existant. La radicalité des propos de Romano semble exclure toute entente entre événement et possibilité à l’image d’un soi. De la sorte, la relance de l’événement sans commune mesure ici évoquée, est opposée à la structure du souci, dès lors que la projection des possibilités rapportée à une totalité (chez Heidegger), repose toujours sur le soi-même:8 «Comprendre un événement, par conséquent, c’est toujours le viser selon un projet interprétatif qui ne se déploie plus à partir d’un horizon de possibles préalables, mais se règle, au contraire, pour accéder à son sens, sur les possibles que l’événement, et lui seul, a fait surgir».9 L’irréductibilité de l’événement qu’on vise à comprendre peut être également reprise à partir de l’analyse de l’œuvre d’art, en tant que singularité engendrée dans sa propre rencontre.10 Par exemple, la forme de l’œuvre picturale qui atteint un degré d’originalité, selon Maldiney, ne répond à son propre motif qu’à partir de la saisie de la rencontre des couleurs; l’enlisement dans un seul thème pourrait épuiser ce que l’artiste doit néanmoins assumer comme présence à l’œuvre, différente de toute présence de l’œuvre. En outre, l’importance que confère Henri Maldiney à l’événementialité de l’événement,11 suppose une condition passible, différente de toute passivité comme acquiescence d’un thème. En s’accordant à cette perspective, Claude Romano conteste toute tentative d’égaler l’ouverture à un dessein repris de l’analyse existentiale heideggérienne, celle-ci déterminée à son tour comme on le sait bien, par l’événement par excellence qu’est la mort. Romano récuse cette optique relative au pouvoir-être limité par la clôture de l’existence: «Il n’y a pas de pouvoir-être formel, déterminable, par exemple, comme devancement de la mort, qui précéderait la situation où il me faut me décider. Tout possible ne se destine à moi, au contraire, que comme déjà ouvert, et par la même, déterminé, par l’événement et par la coniguration du monde qu’il fait surgir».12 La question principale repose ici non pas sur la faculté de l’ipséité de devancer par son seul pouvoir-être ce qu’elle est censée ouvrir, mais sur la faculté d’assimiler les expé6 7 8 9 10 11 12 Ibid. ref. P. 69. Ibid. Ref.: «Das Anrufverstehen offenbarte sich — ursprünglich verstanden — als vorlaufende Entschlossenheit. Sie beschließt ein eigentliches Ganzseinkönnen des Daseins in sich. Die Sorgestruktur spricht nicht gegen ein mögliches Ganzsein, sondern ist die Bedingung der Möglichkeit solchen existenziellen Seinkönnens». Heidegger M. Sein und Zeit. Tübingen: Max Niemeyer Verlag, 2006. S. 317. Romano C. L’événement et le Monde. Paris: Presses Universitaires de France, 1998. P. 88 Ibid. ref. P. 86 Cf. Mazzu A. Le Soi dans la maladie, considérations à partir de Ludwig Binswanger et Henri Maldiney // Bulletin d’Analyse phénoménologique. P. 432. Romano C. L’événement et le Monde. Paris: Presses Universitaires de France, 1998. P. 120 Horizon 2 (2) 2013 41 riences qui vont à chaque reprise composer l’ouverture même. L’agir répond à l’issue du possible dans l’aventure humaine, selon les mots de Romano. Dans cette mesure, l’ipséité est structurellement en retard par rapport à l’ampleur d’un horizon toujours ouvert par l’événement,13 elle se décale constamment par son propre renvoi réléchi comme mouvement. On voudrait ajouter dans ce sens que chez Heidegger il n’est aucunement question de iger le Dasein à une totalité qu’il n’a pas franchie, cependant, le devancement du possible reste souscrit à une dette originale. Cette dette tient à la projection des possibles par le soi. La tournure inscrite par Romano inverse le rapport à une telle dette et saisit un sens de la responsabilité toujours à l’œuvre avec ce qu’on doit assumer comme événement. Cette assomption sans mesure préalable ou prédictible, comme exposition radicale de soi dans l’ouverture, doit préparer l’ipséité dans sa réponse comme advenante, en faisant appel non pas à l’avenir de l’impossibilité par le biais de la mort, mais à tout le pouvoir d’une histoire reprise dans son origine, qui s’avère dès lors aussi dans un sens structurel, une ouverture de possibilités. Cette assomption de l’histoire particulière qui relève de la responsabilité n’est pas prise, telle que Romano tient à préciser, dans une visée juridique ou morale, mais comme cela-même qu’il faut irréversiblement retenir, l’insubstituable épreuve.14 L’événement nous confère désormais un caractère destinal. (Wo es war soll Ich werden, d’après la clôture de Freud à sa 31ème conférence de l’année 1932.) L’exigence de l’ipséité dans sa confrontation avec l’événement est donc inscrite dans une tension insurmontable entre ce qui est retenu comme inéluctablement vécu et l’ouverture comme ce qu’on doit néanmoins accueillir. Or, il faut à présent élargir le champ d’analyse de Romano au sujet de l’événement dans son unicité, pour partir du plan singulier vers une démarche intersubjective qui tienne aussi à la rencontre d’autrui comme élément fondateur, non seulement d’une connaissance, mais de ce qu’on peut déinir comme une co-naissance: «Naître constamment à autrui et le co-naître, c’est recevoir ainsi de l’événement les éventualités qui articulent notre histoire partagée».15 Sur ce point, on assiste bien à une rencontre avec la pensée de Maldiney, sans que ce dernier soit à son tour directement évoqué par Romano: «Rencontrer c’est se trouver en présence d’un autre, dont nous ne possédons pas la formule et qu’il nous est impossible de ramener au même, à l’identité du projet de monde dont nous sommes l’ouvreur».16 La rupture avec l’appel originaire de Heidegger dans l’analyse existentiale est ici évidente. Autrui me surplombe dans son événementialité (on peut faire ici référence à la dimension d’appel caractéristique du visage d’autrui, élément décisif chez Emmanuel Lévinas, dans «Totalité et Inini») et devient par la suite source d’une rencontre inépuisable. De ce fait, il faut s’accorder sur la distinction de base en phénoménologie, quant au sens de la perception de l’objet d’une part, et à l’apperception d’autrui dans sa transcendance radicale d’autre part. Toute compréhension de la mondanité atteint ici une portée résolument origi13 14 15 16 Ibid. «La disponibilité ne signiie pas ici simplement “passivité”; elle n’est pas non plus l’ordre d’une quelconque “activité”: être disponible, c’est être ouvert de telle sorte que je puisse répondre de ce qui m’advient en en faisant l’insubstituable épreuve». Romano C. L’événement et le Monde. Paris. P. 129. Ibid. P. 174. Ibid. P. 229. 42 S. Zúñiga nale puisqu’on ne peut pas faire référence au monde rabattu sur l’unicité, mais à l’encontre d’autrui, dans l’impossibilité de sa réduction à une connaissance objective. La critique du soi-même, du sujet déterminé par la projection de ses possibles, comporte chez Romano une allure tout-à-fait différente, celle-ci identiiable par la transformation des termes. On ne parle pas dans le cadre de ce tournant, de la passivité relative au sujet dans sa rencontre avec le monde comme pur prédicat, mais de l’advenant qui par sa condition passible doit assister à son dévoilement, à sa compréhension. Pour Romano l’interprétation liée au primat du sujet implique son interprétation comme substrat immuable du vécu et des expériences.17 Ces expériences ne doivent pas être comprises comme contenu hypostasié du sujet, voire comme conséquence inéluctable de la simple projection du possible, mais comme traversée de soi à soi, comme ce qui demeure pourtant l’avènement à soi comme un autre.18 2. sens d’ouverTure Par l’événemenT Il s’agit à présent de renouer le cours de notre problématique avec une autre perspective autour de l’événement, aussi fructueuse que la précédente, mais qui vise à relayer par la suite toute atteinte du concept de transpassibilité comme accueil sans dessein ni dessin, d’après les assertions de Henri Maldiney. Notre intérêt pour un tel choix entre différentes approches de la question de l’ouverture à l’événement, vient de l’intention de renforcer une perspective théorique autour de l’expérience qui se veut différente de toute entente avec la passivité, c’est-a-dire, de manière plus précise, en tant que compréhension de la passibilité. Ceci étant dit, une confrontation opportune avec la critique adressée par Barbaras à la transpassibilité comme synonyme de désir, serait selon nous, l’épreuve pour ressaisir la validité ou non du concept sous un nouveau jour. Plusieurs questions nous interpellent ainsi selon différentes couches d’analyse de l’événement, ain de répondre au sens d’accueil de l’événement chez Maldiney. Il nous semble alors pertinent de reprendre quelques critiques faites par Renaud Barbaras quant à la contradiction, selon lui inhérente au concept de Transpassibilité, qui confère aussi bien à l’existant un sens d’accueil de l’événement, qu’une capacité d’ouverture de cet événement. Dans sa conférence critique de l’œuvre de Maldiney, intitulée «L’essence de la réceptivité: transpassibilité ou désir?», Barbaras remet en cause une notion de réceptivité du sujet qui ne tient pas en compte une activité consciente de ce qu’elle ouvre. Il faut donc sur ce point précis se demander si la réceptivité de l’événement comme réceptivité de l’imprévisible, au sens d’un accueil sans pré-iguration, veut impliquer par la suite une réceptivité non-intentionnelle. La réponse de Barbaras est afirmative et risque d’ébranler ce qui a été gagné par la notion de passibilité: «La question est cependant la suivante: une ouverture aussi radicalement non intentionnelle peut-elle encore véritablement ouvrir? Une réceptivité poussée à ce point du côté de la passivité, puisque plus rien n’y est visé ni même éprouvé, est-elle 17 18 Ibid. P. 180. Ibid. P. 195. Horizon 2 (2) 2013 43 encore une réceptivité?».19 La question demeure pour Barbaras, comme lui-même le dit, de savoir s’il est encore pertinent de préserver la distinction tranchée entre ouverture et projet, de savoir si on peut toujours parler du concept de Transpassibilité comme étant si radicalement l’antilogique du souci heideggérien selon Maldiney. De ce fait, il faut se demander sur le statut acquis par l’événement quant à sa faculté de renouer un sens d’ouverture pour le monde de l’existant, tout en revenant à la question de l’imprévisibilité de l’événement et de son éloignement de toute chaine causale de la réalité. Pour Maldiney, le pouvoir transformateur de l’événement survient de la rencontre du Rien, de «…la dimension non-étante dans laquelle chaque étant plonge en tant qu’étant, à savoir le monde lui-même comme constitutif de la présence de tout étant».20 Or, Barbaras pose le questionnement d’après lequel l’événement n’est pas révélateur au sens strict, mais que chez Maldiney, il devient cela même qui occulte la trame des choses dans son imprévisibilité. L’existant, dans l’épreuve par l’événement chez Maldiney, s’avère contemporain de son issue; autrement dit, contemporain de sa propre ouverture. Pourtant, à ce moment précis de la critique, Barbaras semble radicaliser sa posture et s’attaquer au cœur même du problème de la réceptivité: «En effet, comment parler encore de réception si le sujet procède de ce qu’il reçoit, c’est-à-dire si personne ne reçoit, n’est là pour recevoir? Dès lors que le surgissement de l’événement est avènement de l’existant, cet événement ne peut d’aucune façon être pour cet existant et la transpassibilité n’est même plus alors une passibilité, c’est-à-dire une réceptivité».21 Le trouble nous semble ici évident, dans la mesure où cette critique pertinente remet en question le lieu de la réceptivité de l’événement comme étant celui du sujet qui doit dans un sens pertinemment phénoménologique, éprouver les conditions de possibilité de sa propre réceptivité. On assiste ici à la récupération du sujet comme lieu privilégié de l’intentionnalité. L’entrave, l’écueil mis en évidence par Barbaras à partir de l’indistinction entre le sujet et sa réceptivité, celle-ci condition de possibilité l’expérience subjective, relève une contradiction inhérente aux égards du concept de Transpassibilité. On ne peut pas en effet, selon cet abord de la problématique, avancer des conclusions sur la réceptivité d’un sujet si l’expérience n’a pas son lieu de réception. Or, d’après le concept de Transpassibilité, ce lieu de réception procède de l’expérience comme événement. Barbaras avance donc la thèse selon laquelle, l’attente qui est attente de Rien selon Maldiney, qui ne se comble que par ce qu’elle ouvre, atteint le caractère de désir et non celui d’ouverture à soi par l’événement; le soi n’apparaît ici que par éclats, c’est-à-dire de manière diffuse. Il est curieux de voir ainsi comment l’argument de Barbaras atteint ici une tournure vraisemblablement psychanalytique. Parler d’une ouverture à soi, comme affection à l’œuvre d’un procès d’auto-identiication, revient à poser un objet pour l’annuler immédiatement. Le désir comme principe de plaisir qui cherche toujours sa satisfaction, sa détente, semble décrypter de façon plus pertinente selon Barbaras la question de la réceptivité entendue comme passibilité: «Tout 19 20 21 Barbaras R. L’essence de la réceptivité : transpassibilité ou désir? // Conférence entretenue le 13 octobre 2012 à L’ENS. P. 1. Ibid. P. 5. Ibid. P. 7. 44 S. Zúñiga se passe comme si chaque objet qu’il se donne se révélait ne pas être son véritable objet, apparaitrait comme la négation de ce qu’il désire en vérité, ouvrait un horizon qui les transcende tous et serait le véritable corrélat du désir».22 Cette indistinction caractéristique entre deux mouvements effectués, au sens d’un sujet résolument actif et d’une affection correspondante comme événement, semble pourtant caractéristique de l’œuvre de Barbaras,23 un élément qui est à retrouver par exemple dans l’Ouverture du Monde. Ici, Barbaras reprend l’œuvre de Patocka et confère au sujet une faculté de dévoilement, en même temps que s’esquisse une actualisation de sens par sa capacité de dévoilement des étants.24 La préséance du lieu de l’expérience de l’événement implique que le sujet est ouvreur de ce qui lui affecte ultérieurement par sa faculté originale de dévoiler les étants. 3. amorce du sens de l’événemenT dans la diasTase eT hyPosTase de Premier ordre (murakami) Nous avons essayé jusqu’à présent d’opposer deux perspectives de rélexion sur l’événement, exposant d’une part la mise en valeur de l’imprévisible (Romano) et d’autre part la critique à la conscience non-intentionnelle comme impossibilité de réception (Barbaras). On a vu que l’attente de l’événement selon Barbaras aurait non pas le caractère de passibilité, mais celui d’une pure passivité, avènement sans dessin ni dessein. Il est pourtant fondamental d’accentuer le sens de l’ouverture remise en question. En est-elle toujours une? Si Maldiney fait référence au Rien comme fond de tout événement caractérisé par l’imprévisibilité, peut-on lui ôter encore toute pertinence en critiquant l’absence de la conscience intentionnelle? Il nous semble nécessaire de nous arrêter sur la critique menée par Barbaras autour du non-sens de l’Ouverture dans la Transpassibilité, étant donné que ce concept reste pour lui homologable à la démarche du désir comme carence qui bute toujours contre l’absence de son objet. La question d’une véritable réceptivité (à l’égard d’un objet intentionnel) ou du sens d’accueil au sein de la transpassibilité, n’est plus viable au dire de Barbaras. Ne faisant pas de référence à un objet en rapport avec une intentionnalité à l’œuvre, il n’y a pas de sens à parler de passibilité. Ces inquiétudes étant considérées, une autre voie nous semble abordable ain d’accéder à la compréhension de l’événement, cette fois-ci concordante avec les critères de la transpassibilité. Pour le dire de façon plus pertinente, la thématisation de l’événement n’est pas à retrouver dans la présence d’un sujet intentionnel, mais plutôt dans cela même qui constitue son sens comme sens se faisant, comme conscience non-intentionnelle. 22 23 24 Ibid. Voir, Barbaras R. L’Ouverture du Monde // Les éditions de la transparence, 2011, Lonrai-France. P. 267: «Nous sommes maintenant en mesure de répondre aux questions posées, c’est-à-dire de décrire le mouvement de la manifestation proprement dite dans l’indistinction fondamentale qui la caractérise, comme nous venons de le montrer, entre un mouvement effectué par le sujet et un mouvement qui affecte l’étant manifesté (ce que nous avons nommé événement)». Ibid. P. 268. Horizon 2 (2) 2013 45 Une lecture très suggestive sur la conscience non-intentionnelle et l’accueil de l’événement, nous est fournie par Yasuhiko Murakami, chez qui on constate le déploiement d’une rélexion phénoménologique rigoureuse en rapport avec la pensée d’Emmanuel Lévinas, souvent mise de côté par l’association exclusive avec la pensée de l’éthique. Il sera plutôt ici question de comprendre le passage fondamental que fait la subjectivité de l’élément indiscernable de l’expérience comme apeiron phénoménolgique vers son institution dans l’ordre symbolique.25 L’œuvre de Murakami nous présente en effet une notion d’événement conséquente avec le concept de transpassibilité, notamment dans Lévinas phénoménologue, où l’auteur s’adonne à une rélexion autour de la conscience non-intentionnelle, et à la préséance qu’elle aurait par rapport à la conscience intentionnelle comme primat de connaissance. Sur ce point, se pose donc la question fondamentale du sens à partir du dépassement de l’il’y a phénoménologique (qu’on cherchera à comprendre par la suite), en ayant comme point de repère initial l’explicitation du rôle des diastases et des hypostases. Murakami parle de l’institution de la conscience à la lumière des concepts de diastase et d’hypostase (de premier et deuxième ordre). Exposons ces deux versants de la vie subjective. En tant que tendance, le premier correspond à la dispersion de la subjectivité dans l’élément sensible du monde; le deuxième, à l’institution de la conscience intentionnelle articulée symboliquement, corrélative au sujet héritier d’une tradition de connaissance. Reprenons ce que Murakami, à la lumière de l’analyse de l’œuvre lévinasienne, entend par Diastase et par Hypostase. Les diastases de premier et deuxième degré sont déinies respectivement ainsi: «La “diastase de l’identique” est la décomposition de l’homme et du monde symboliquement identiiés. <…> 1) Dans la diastase de premier degré, le monde articulé se convertit en l’élément/il y a. La conscience intentionnelle retourne au simple vivant sans concept (qui jouit de l’élément ou qui est menacé par l’il y a). La diastase de premier degré dévoile la dimension phénoménologique sans concept qui se cache derrière la dimension symbolique de l’acte intentionnel. <…> 2) Dans la diastase de deuxième degré, le vivant sans concept se dissout ou s’abîme dans l’anonymat de l’élément/il y a. C’est la participation mystique présentée dans De l’existence à l’existant, où il n’y a plus de distinction du soi et du monde, de l’intériorité et de l’extériorité, et où il n’y a qu’un apeiron anonyme».26 25 26 Murakami Y. Lévinas phénoménologue. Grenoble: MILLON, 2002. P. 15. Note en bas de page 13, sur l’Institution symbolique, Murakami la déinit en reprenant quelques propos de Marc Richir: «L’Institution symbolique est, au sens de M. Richir, correspond approximativement à ce qu’on appelle dans la vie quotidienne “culture”, ou à ce que Lévinas appelle le Dit dans “Autrement qu’être”, mais elle est un concept plus précis: “Par institution symbolique, nous entendons tout d’abord, dans sa grande généralité, l’ensemble, qui a sa cohésion, des “systèmes” symboliques (langues, pratiques, techniques, représentations) qui “quadrillent” ou codent l’être, l’agir, les croyances et le penser des hommes, et sans que ceux-ci en aient jamais “décidé” (délibérément), ce pourquoi nous utilisons le terme, anonyme, d’institution, nécessaire pour comprendre ce qui, par l’institution, paraît comme toujours déjà “donné” d’ailleurs. Son paradoxe fondamental est donc de paraître toujours déjà constituée, tout d’abord et le plus souvent inaperçue comme telle, ne se livrant jamais avec son origine… L’institution est donc comme une “totalité” sans dehors, et ses “parties” sont chaque fois des “parties totales”». Richir M. L’Expérience de penser. P. 14. Ibid. P. 23. 46 S. Zúñiga Ce qui est donc mis en jeu par la suite est la compréhension du monde par l’homme. Entre ces deux degrés de la diastase on voit bien que le premier suppose l’amorce de la dissolution du symbolique; jouissance en pleine dépendance de l’objet qui n’est pas encore codée, elle est toutefois récupérable comme étant mon expérience. La diastase de deuxième degré, pour sa part, n’implique pas seulement le repli de tout ordre symbolique dans l’endeçà du plaisir que l’objet procure comme jouissance indistincte du corps et de l’objet (comme dans le premier degré), mais suppose immédiatement la dissolution de l’expérience dans l’indistinction du soi et du monde. Poursuivons donc notre démarche en déinissant le mouvement contraire à la diastase, c’est-à-dire l’hypostase: «L’hypostase de premier degré est la genèse de l’ici et du maintenant du Leib à partir de l’anonymat de l’apeiron. Il est le mouvement contraire de la diastase de deuxième degré. C’est la genèse du soi. L’hypostase de deuxième degré désigne la constitution de la conscience intentionnelle et du monde articulé qui est mouvement dans un sens opposé à la diastase de premier degré. Le soi de l’ici et du maintenant (le point-zéro du Leib) obtient ici la faculté de possession, du travail, de la représentation au fur et à mesure que l’apeiron (l’il y a ou l’élément) devient le monde symboliquement articulé et maitrisé».27 On constate ici la différence entre le surgissement du soi à partir de la jouissance de l’élément, lors de l’hypostase de premier degré, et la naissance du sujet symboliquement codé comme conscience intentionnelle, dans l’hypostase de deuxième degré. Ainsi, le premier type de conscience relié au premier degré de l’hypostase, est celui de la conscience non-intentionnelle. Dans cette mesure, il faut bien préciser, ce n’est pas la conscience intentionnelle qui va conférer toute portée à l’expérience ; bien au contraire, celle-ci ne pourra être structurée qu’à partir de la jouissance de l’élément, de contenu par rapport auquel le soi s’éprouve passible, au sens de la transpassibilité. La visée de l’objet intentionnel comme objet de connaissance ne peut se délier de l’avènement de l’expérience sensible, là où le sujet devient concevable par l’unicité de sa concrétude: «Pour iler une métaphore proche de celle de Lévinas, nous disons que la conscience non-intentionnelle est le miroir où le rayon de l’intentionnalité se relète. Ainsi pouvons-nous réléchir sur notre vécu, pouvons-nous percevoir notre vécu de façon interne (ce qui se relète est l’intentionnalité, mais le miroir lui-même, qui relète l’intentionnalité, n’est ni intentionnel, ni substantiel). L’institution du sujet concret n’est pas la conscience intentionnelle».28 La naissance du soi, comme conscience non-intentionnelle qui saisit l’ici et maintenant à partir de l’expérience du Leib,29 reste une instance fondamentale pour la constitution de la subjectivité. En partant de ce moment indépassable, Murakami met en valeur l’événement qui doit prévenir l’existant de s’enliser dans la symbiose avec le milieu, au risque de tomber dans la mélancolie. Ce rapport pathologique surgit de la conformité excessive avec l’environnement (en rapport à la diastase de second degré). Murakami se réfère à un excès d’hypostase: 27 28 29 Murakami Y. Lévinas phénoménologue. Grenoble: MILLON, 2002. P. 24. Ibid. P. 224–225. Ibid. Voir p. 15 et p. 27. Le Leib est le corps vivant, à partir duquel on peut parler d’un soi déinit comme l’ici et maintenant de toute expérience. C’est donc à partir du Leib que s’engendrent les mouvements de diastase et d’hypostase de la subjectivité. Horizon 2 (2) 2013 47 «Le mélancolique, s’adaptant excessivement à son Umwelt et à son rôle dans la société, est en dificulté d’accueillir l’événement imprévisible et le changement de la situation».30 On ne veut pas afirmer ici qu’il y ait une association entre la conscience intentionnelle et l’impossibilité d’accueillir l’événement, mais on ne peut certainement pas nier le fond sensible et imprévisible de l’expérience qui demeure indépassable lors de l’épreuve du soi par le Leib. Aussi, le sujet ne se révèle à son tour transpossible que par le dépassement de son propre possible comme pouvoir de renouvèlement. Cet accueil ne peut donc pas être décrypté à partir de la seule lumière de l’intentionnalité, mais aussi de la non-intentionnalité, dans la distinction essentielle de l’ici et maintenant dont fait l’épreuve le Leib. Avançons donc sur un autre moment de la lecture de l’événement chez Murakami, pour qui la non-intentionnalité de ce qui est requis par l’expérience sensible n’est pas le facteur d’indiscernabilité du sujet dans l’expérience qu’il procure pour soi, mais se fait bien toujours déjà à partir d’elle (hypostase de premier degré). Donc, à l’instar de ce qui a été afirmé précédemment chez Barbaras, quant à l’événement et l’impossibilité de son accueil (au sein de la Transpassibilité) dans la non-distinction entre un mouvement effectué par le sujet et un mouvement qui affecte l’étant manifesté,31 Murakami répond d’une part à travers une conception de l’événement rattachée à l’accueil de l’imprévisible (qui compose toute expérience), en même temps qu’il lui accorde une dimension collective et inclusive. L’événement est donc bel et bien imprévisible dans la sollicitude de son accueil, mais dépasse le sens prétendument assigné à quelqu’un, pour se convertir en cela-même qui est assigné à chacun: «L’instant, ou l’événement n’est pas un incident dans le cours du temps mais ce qui fonctionne comme moment instituant de l’institution sociale. …L’événement en tant que moment instituant est le moment de l’Urstiftung de l’institution secondaire de l’éthique. Mais l’origine peut-être plurielle».32 De ce fait, l’événement acquiert un sens historique fondamental qu’il faut toujours pouvoir incorporer comme étant décisif pour chacun. Ceci, on le constate bien, diffère de l’impossibilité d’accueil de l’événement chez Barbaras, au sens d’un sujet qui ne peut pas être distingué de ce qui est reçu (au moment d’adresser une critique au concept de transpassibilité). On le sait, pour Barbaras, l’événement correspond à l’affection conséquente de la démarche du désir qui bute en permanence contre le constat de la carence de son objet. Cette différence dans la saisie de l’événement conduit notre compréhension de la transpassibilité sur d’autres chemins. Il est aussi pertinent de voir, comment dans un autre écrit de Murakami, (Le passé imaginaire pour un bébé avorté et l’appel chez Maldiney, texte publié dans la Revue Annales de phénoménologie)33 la transpassibilité atteint une dimension également renouvelée, aucunement comparable à la logique du désir. Elle apparaît bien au contraire comme concept fondamental dans la reprise de sens face à l’arraisonnement de la béance de l’il y a du monde (L’il y a ou le réel traumatique au sens lacanien sont ici des termes équi30 31 32 33 Ibid. P. 113. Voir note em bas de page 19. Ibid. P. 266. Murakami Y. Le passé imaginaire pour un bébé avorté et l’appel chez Maldiney // Revue numéro 12, Annales de la phénoménologie 2013. Association pour la promotion de la phénoménologie. Р. 237–254. 48 S. Zúñiga valents). La question de la transpassibilité est cette fois-ci inclue dans une étude de cas concret. Dans l’analyse qui se tisse inement autour de l’interview faite à une inirmière dans une clinique d’avortements, Murakami expose deux moments fondamentaux d’un vécu initialement traumatique, inigurable, qui devient par la suite compréhensible, preuve de transpassibilité pour l’inirmière. Il est très suggestif de constater comment s’opère le partage dans la structure du discours de l’inirmière lors de l’utilisation récurrente de deux expressions, à savoir entre «yappari» (quand-même/même si) et «demo mâ demo» (mais pourtant malgré cela); c’est-à-dire, entre le moment de tension, préalable à la «naissance» du fœtus, et celui de la réconciliation par l’image adoucie d’un bébé comme phantasia perceptive. Un premier registre de l’expérience traumatique de l’inirmière se présente comme étant inavouable, l’autre fait preuve d’une capacité d’assimilation, de ce qui est néanmoins igurable à l’image de soi comme totalité corporelle. Cette étude de cas expose la structure de tout événement. D’une part, l’imprévisible s’attaque dans un premier moment au cœur de l’expérience sensible subie par le Leib, au risque même de se convertir dans l’il y a traumatique qui déigure l’expérience sensée d’y être reconnaissable à l’image de soi; d’autre part, dans un deuxième moment, l’événement convoque non pas l’unicité du sujet comme s’il était assigné à quelqu’un, mais requiert son insertion dans l’ordre symbolique par la rencontre de soi dans l’image du corps. conclusions À la suite de notre parcours, nous avons tenté d’esquisser quelques réponses à la question de la réception de la notion d’événement, pour savoir dans quelle mesure elle correspond au concept de Transpassibilité légué par Henri Maldiney. Trois voies nous ont semblées opportunes ain de construire quelques réponses possibles. La première, qui reprend l’événement dans son imprévisibilité, et par ce biais, nous propose de retracer une pensée selon laquelle l’existant procède de l’événement comme advenant. La deuxième, visiblement opposée aux critères de la Transpassibilité, traite la question du sujet intentionnel dans son rôle actif lors de la construction de son expérience, et précède ainsi l’affectivité tenue pour événement. Chez Murakami d’autre part, l’événement se révèle certainement imprévisible dans un premier moment, mais acquiert immédiatement du sens dans l’ordre de l’institution symbolique du sujet. Loin d’être l’il y a traumatique, à la lumière de la transpassibilité, l’événement conigure notre expérience subjective. Horizon 2 (2) 2013 49