Sept élections et peu de changements
Olivier Dabène, Gaspard Estrada, Erica Guevara, Frédéric Louault
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Olivier Dabène, Gaspard Estrada, Erica Guevara, Frédéric Louault. Sept élections et peu de changements. Les Études du CERI, 2014, 207-208, pp.54-66. hal-03429929
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Sept élections et peu de changements
Olivier Dabène, Gaspard Estrada, Erica Guevara, Frédéric Louault
2014 a été une année électorale particulièrement chargée pour l’Amérique latine, avec sept élections
présidentielles et d’importantes élections législative (Colombie) et locale (Pérou).
Tableau 1
Les élections présidentielles en 2014
Date
Pays
Vainqueur et parti
Tendance
2 février
Costa Rica
Luis Guillermo Solís
Parti action citoyenne
Gauche
2 février
Salvador
Salvador Sánchez Cerén
Front Farabundo Martí de libération
nationale
Gauche
4 mai
Panama
Juan Carlos Varela
Parti panaméen
Droite
25 mai-5 juin
Colombie
Juan Manuel Santos
Parti social d’unité nationale
Droite
5-26 octobre
Brésil
Dilma Rousseff
Parti des travailleurs
Gauche
12 octobre
Bolivie
Evo Morales
Mouvement vers le socialisme
Gauche
26 octobre-30 novembre
Uruguay
Tabaré Vázquez
Front large
Gauche
Dans l’ensemble, l’Amérique latine a connu plus de continuité que de changement, et la gauche
demeure la force politique dominante du continent.
Tableau 2
Alternances et continuités depuis 2011
Alternances
Orientation politique*
Continuités
Orientation politique*
Pérou (2011)
D→G
Venezuela (2013)
G→G
Mexique (2012)
D→C
Equateur (2013)
G→G
Chili (2012)
D→G
Salvador (2014)
G→G
Honduras** (2012)
G→D
Panama (2014)
D→D
Paraguay** (2013)
G→D
Colombie (2014)
D→D
Costa Rica (2014)
D→G
Bolivie (2014)
G→G
Brésil (2014)
G→G
Uruguay (2014)
G→G
* La pertinence des catégories utilisées – droite (D), gauche (G) et centre (C) – et leur application aux
différents pays sont bien sûr sujettes à débat.
** Alternances par rapport aux présidents destitués (Zelaya au Honduras en 2009 et Lugo au Paraguay
en 2012).
Dans quel contexte se sont déroulées ces élections ? Comment caractériser l’offre électorale et les
stratégies de campagne ? Comment expliquer ces résultats ? Et quelles perspectives générales se
dégagent ? Telles sont les questions abordées dans cette partie.
Les Etudes du CERI - n° 207-208 - Opalc - décembre 2014
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Le contexte
Le contexte politique de l’Amérique latine en 2014 a été décrit dans l’introduction générale de ce
volume. Au plan électoral, de nombreux observateurs s’attendaient à voir le mécontentement social
qui parcourt le continent se traduire par un vote sanction pour les équipes en place. Le faible nombre
d’alternances relevées plus haut – seul le Costa Rica a changé de cap en 2014 – tend à leur donner
tort. Pour autant, la continuité observée au plan des résultats électoraux masque parfois des évolutions
politiques notables. L’évolution de la participation électorale constitue notamment un indicateur de
la crédibilité des procédures électorales et, au-delà, de la qualité de la démocratie. Dans l’ensemble,
et sauf exceptions notables, la participation électorale a montré une bonne tenue, prouvant que le
mécontentement ne génère pas nécessairement une désertion électorale1.
Tableau 3
Evolution de la participation électorale (2011-2014)
Statut du vote
Obligatoire avec sanctions
Obligatoire sans sanctions
Non obligatoire
Pays
Taux de participation au
1er tour des présidentielles
Différence avec l’élection
précédente
Pérou
2011 : 83,1 %
- 5,6 %
Argentine
2011 : 79,4 %
+4%
Paraguay
2013 : 68,6 %
+ 4,6 %
Honduras
2013 : 61,2 %
+ 22,6 %
Equateur
2013 : 81,1 %
+ 7,7 %
Uruguay
2014 : 90,5 %
+ 0,59 %
Brésil
2014 : 80,6 %
- 1,3 %
Nicaragua
2011 : 73,9 %
+ 11,8 %
Mexique
2012 : 63,4 %
+ 7,8 %
Costa Rica
2014 : 68,8 %
- 0,2 %
Venezuela
2013 : 79,7 %
- 1,1 %
Chili
2013 : 49,4 %
- 43,7 %
Colombie
2014 : 40,6 %
- 17,5 %
Le Chili est un cas extrême qui mérite une explication. Depuis le retour à la démocratie, le vote était
obligatoire au Chili, mais l’inscription sur les listes électorales ne l’était pas. En conséquence, par rejet
ou indifférence, la jeunesse chilienne est longtemps restée en marge du système représentatif. Entre
1988 et 2009, le nombre d’inscrits au Chili est passé de 7,4 à 8,2 millions, alors que la population en
âge de voter bondissait de 8 à 12 millions. C’est dire à quel point l’électorat du pays a vieilli pendant
les années de la Concertation2. La réforme électorale de 2012 a rendu l’inscription automatique mais le
vote facultatif. Le Chili a vu le nombre de ses électeurs augmenter de plus de 50 %, atteignant 13 millions,
mais les nouveaux inscrits ont majoritairement opté pour l’abstention. Alors qu’on comptait 7,2 millions
de votants en 2009, ils n’étaient que 6,7 millions à se rendre aux urnes au premier tour de la présidentielle
le 17 novembre 2013. Depuis la fin de la dictature, jamais aussi peu de Chiliens n’avaient voté. La
tentation est forte d’établir un lien avec le mouvement social massif qui s’est déclenché d’abord chez
les lycéens en 2006 (révolte des « pingouins »), puis s’est amplifié dans les milieux étudiants en 20113.
1
O. Dabène, « Introduction », in O. Dabène (dir.), Amérique latine. Les élections contre la démocratie ?, Paris, Presses
de Sciences Po, 2007.
2
La Concertation des partis pour la démocratie (ou Concertation) est une coalition de partis politiques chiliens du centre
et de la gauche, au pouvoir de 1989 à 2010.
3
Voir notamment C. Baeza, « L’"hiver’ étudiant au Chili", Les Etudes du CERI, n° 198-199 (Amérique latine Political Outlook
2013), décembre 2013.
Les Etudes du CERI - n° 207-208 - Opalc - décembre 2014
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L’abstention serait-elle la simple traduction électorale du rejet massif de la politique exprimé par les
Chiliens4 ? Ce genre d’explication générale pèche par excès de simplification. Même s’il est indéniable
qu’une partie de la jeunesse chilienne rejette les élections et réclame une réforme constitutionnelle,
le contexte politique de l’élection a aussi été déterminant. En 2013 au Chili, la victoire de Michelle Bachelet
(Parti socialiste) ne faisait de doute pour personne. La droite, qui a changé plusieurs fois de candidats,
ne croyait guère en ses chances. La campagne a été morne, la favorite se contentant de surfer sur sa
cote de popularité, tout en prenant soin de s’assurer le soutien des jeunes mobilisés. La faible mobilisation
de l’électorat n’est guère surprenante dans ces conditions.
Ailleurs en Amérique latine, certaines campagnes ont vu les principaux candidats s’affronter sur des
enjeux importants, sans toujours parvenir à intéresser les électeurs.
En Colombie, l’autre pays enregistrant régulièrement des records d’abstention, certains médias avaient
pronostiqué un plébiscite concernant la négociation avec la guérilla. Le faible taux de participation, dans
ces conditions, a de quoi étonner, alors que la campagne a largement été consacrée à discuter la façon
de parvenir à la paix. Le président sortant, Juan Manuel Santos, défendait les négociations, tandis que son
principal rival, Oscar Iván Zuluaga, lui reprochait d’orchestrer l’impunité des Forces armées révolutionnaires
de Colombie (FARC). Cette campagne n’a guère passionné. Les sondages montraient même que la
négociation ne figurait pas parmi les préoccupations prioritaires des Colombiens. Et ceux d’entre eux qui
sont concernés depuis longtemps par la violence résident dans des zones qui votent habituellement peu.
En clair, il n’y a pas d’explications générales du phénomène de l’abstention. De même, la forte
participation électorale, qui doit être évaluée à l’aune du caractère obligatoire ou non du suffrage,
traduit des évolutions spécifiques aux contextes nationaux. Ainsi, la forte hausse de la participation
électorale au Honduras sanctionne la normalisation démocratique du pays après le coup d’Etat de
2009 et la présidence controversée de Porfirio Lobo. Elle est aussi le produit d’une polarisation droite/
gauche forte et inédite qui a mis un terme au bipartisme hérité du xixe siècle. La participation a même
progressé dans des pays qui ont connu des réélections aisées, au Nicaragua avec Daniel Ortega ou
en Equateur avec Rafael Correa.
Parmi les éléments de contexte fréquemment avancés pour rendre compte de résultats électoraux, les
indicateurs économiques arrivent généralement en bonne position, en vertu du fameux adage « it’s the
economy, stupid5 ».
Tableau 4
Indicateurs économiques et sociaux
Pays
Croissance en 2014*
Inflation en 2014*
Costa Rica
3,8 % (+0,3 %)
4,5 % (+0,8%)
PIB/habitant**
+3,7 %
Salvador
1,6 % (=)
2 % (+1,2 %)
+1,3 %
Panama
7,2 % (-0,8 %)
3,6 % (-0,1 %)
+8,9 %
Colombie
4,5 % (+0,2 %)
2,7 % (+0,8 %)
+2,6 %
Brésil
1,8 % (-0,5 %)
5,8 % (-0,1 %)
+0,2 %
Bolivie
5,1 % (-1,7 %)
5,5 % (-1 %)
+3,6 %
Uruguay
2,8 % (-1,4 %)
8,5 % (=)
+3,3 %
* Le chiffre entre parenthèses indique la variation par rapport à l’année précédente.
** Données correspondant à 2011-2012.
Sources : FMI, CEPAL
4
Selon le Latinobarómetro 2013, seuls 17 % des Chiliens se déclarent intéressés par la politique (www.latinobarometro.
org). Selon le LAPOP, seuls 1,6 % des Chiliens déclarent avoir participé à une réunion d’un parti politique en 2008 (www.
vanderbilt.edu/lapop/). Dans les deux cas, il s’agit des plus bas taux d’Amérique latine. Le Latinobarometro 2013 indique aussi
que 38 % des Chiliens répondent « ne sais pas », « aucun » ou refusent de répondre lorsqu’on leur demande de se situer sur
une échelle droite-gauche. Il s’agit cette fois du plus haut taux d’Amérique latine.
5
Célèbre phrase de James Carville, conseiller de Bill Clinton, adoptée par le candidat démocrate lors de sa campagne
victorieuse de 1992, face à Bush père qui se targuait de ses succès en politique internationale. Cette formule résume
l’importance capitale de l’économie dans la campagne présidentielle américaine.
Les Etudes du CERI - n° 207-208 - Opalc - décembre 2014
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Dans les sept pays où se sont déroulées des élections présidentielles en 2014, le ralentissement
économique n’a pas eu d’effet dirimant. Le Costa Rica a connu une alternance qui a beaucoup plus
à voir avec l’extrême usure du Parti de libération nationale (PLN) qu’avec l’économie. Ailleurs, les
six autres présidentielles se sont traduites par la continuité, en dépit d’indéniables difficultés
économiques. Il est vrai qu’à l’exception du Brésil et du Salvador, les pays concernés sont parvenus
à préserver une croissance économique raisonnable et des gains de PIB/habitant appréciables. Les
taux d’inflation dans les pays considérés sont loin des niveaux vénézuéliens ou argentins. Les chaînes
de télévision du monde entier ont relayé la frustration des Brésiliens face à la hausse des prix, surtout
pendant la Coupe du monde de football, mais celle-ci demeure pourtant modeste au regard des
périodes précédentes d’hyperinflation.
En clair, les progrès sociaux ont ralenti, ce qui peut générer de la frustration6, mais l’impact électoral
semble avoir été marginal. L’explication des résultats électoraux est bien plus à chercher dans les
caractéristiques de l’offre électorale et les stratégies de campagne.
L’offre éLectoraLe
Des recompositions partisanes se produisent et de nouvelles alliances se nouent dans plusieurs pays,
mais elles sont le produit de facteurs différents dans chaque cas. Cependant, les élections de 2014
confirment certaines tendances, telles que l’épuisement des clivages politiques « traditionnels », la plupart
des partis « conservateurs » ou « libéraux » étant relégués au second plan. Malgré des rebondissements
multiples, il est aussi important de noter l’absence d’outsiders parmi les candidats aux présidentielles.
En effet, tous s’appuyaient déjà sur une solide trajectoire politique, y compris Marina Silva, ancienne
sénatrice et ancienne ministre de Lula, devenue de manière tout à fait inattendue candidate à la
présidence pour le Parti socialiste brésilien (PSB) suite à la mort tragique d’Eduardo Campos dans un
accident d’avion. Les réorganisations partisanes et les coalitions ne concernent que les partis déjà
existants, dans un contexte plutôt complexe pour les petits partis d’opposition.
Ainsi, en Colombie, la campagne se centre très rapidement sur deux candidats issus de scissions du
camp uribiste, Juan Manuel Santos (qui cherche la réélection avec le Parti social d’unité nationale) et
Oscar Iván Zuluaga (Centre démocratique, parti créé avec le soutien de l’ancien président Alvaro Uribe
à la suite des profonds différends qui l’opposent à Santos). Les autres partis d’opposition, dont l’Alliance
verte et le Pôle démocratique alternatif (PDA), apparaissent très affaiblis en raison du départ ou du
retrait de certaines figures-clés (Antanas Mockus et Sergio Fajardo pour le Parti vert, Gustavo Petro
dans le cas du PDA, par ailleurs très affecté par de nombreux scandales7). L’enjeu principal de l’élection
est bien entendu la poursuite du processus de négociation de paix avec les FARC, étendard du
gouvernement de Juan Manuel Santos, âprement attaqué par les sympathisants d’Alvaro Uribe, partisans
d’une solution de mano dura.
Dans un contexte radicalement opposé, l’élection se joue également entre factions adverses issues
de la coalition de partis au pouvoir au Panama, les deux principaux candidats étant l’ancien viceprésident (Juan Carlos Varela, pour le Parti panaméen, PPAN) et un ancien ministre (Juan Carlos Navarro,
pour le parti Changement démocratique) du gouvernement de Ricardo Martinelli.
6
Ce que l’introduction du LAPO 2013 qualifiait de « moment hirschmanien ». Voir O. Dabène, « Introduction. Amérique
latine : le moment hirschmanien », Les Etudes du CERI, n° 198-199 (Amérique latine Political Outlook 2013).
7
« La difícil semana de Gustavo Petro », Semana, 4 septembre 2014 (www.semana.com/nacion/articulo/la-dificil-semanade-gustavo-petro/401550-3).
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Au Brésil, en Bolivie et au Salvador, où le clivage gauche/droite est beaucoup plus prégnant, ce
sont les partis dominant le spectre politique depuis le début des années 2000 qui continuent à
s’opposer. Le Parti des travailleurs (PT) brésilien, bien qu’il réussisse à gagner pour une quatrième fois
la présidence de la République, voit son groupe parlementaire à la Chambre des députés diminuer
sensiblement – une première depuis la création du parti en 1980. En Bolivie, la troisième élection
d’Evo Morales avec plus de 60 % des voix confirme la domination du Mouvement vers le socialisme
(MAS) face à une opposition très fragmentée et qui n’arrive pas à constituer de véritable coalition. La
gauche est elle aussi reconduite au Salvador, le Front Farabundo Martí de libération nationale (FMLN)
réussissant à se faire réélire pour la première fois de son histoire, avec de surcroît un candidat ancien
cadre de la guérilla, Salvador Sanchez Cerén. Mais le très faible écart entre les deux candidats lors du
second tour (moins d’un point), ainsi que le ton agressif des partis pendant la campagne reflètent une
polarisation idéologique héritée de la guerre civile entre le FMLN et l’Alliance républicaine nationale
(Arena), dont le candidat était le maire de la ville de San Salvador, Norman Quijano. Ce dernier parti
a cependant été partiellement affaibli par la dissidence de l’ancien président Tony Saca.
Dans ce panorama, l’élection costaricienne fait figure d’exception, celle-ci ayant consacré pour la
première fois depuis plus de trente ans un candidat issu d’un parti autre que le Parti de libération
nationale (PLN) ou le Parti unité sociale chrétienne (PUSC). Dans un contexte d’affaiblissement
structurel du système bipartisan, l’offre politique est cependant très fragmentée, l’élection opposant
treize candidats différents. C’est finalement le candidat Luis Guillermo Solís du Parti action citoyenne
(PAC, centre gauche) qui a créé la surprise en remportant l’élection alors que plusieurs sondages le
donnaient perdant quelques semaines avant le vote. Ce résultat est le fruit d’une campagne électorale
pour le moins atypique au Costa Rica.
Malgré l’hétérogénéité de l’offre politique dans les pays ayant élu un président en 2014, il est cependant
possible d’identifier certaines tendances, qui se reflètent dans les campagnes électorales.
Des campagnes éLectoraLes « saLes » et « houLeuses »
Attaques frontales, agressivité, scandales à répétition et rebondissements spectaculaires et inespérés
ont caractérisé les campagnes électorales de 2014, souvent qualifiées de particulièrement « sales » et
« houleuses ».
Ainsi, tandis qu’au Brésil la mort d’Eduardo Campos (PSB) deux mois avant l’élection a complètement
bouleversé le rythme de la campagne et obligé les candidats à revoir leur stratégie, la défection au
Costa Rica du candidat du PLN, Johnny Araya, un mois avant le second tour, a déstabilisé le candidat
du PAC, qui s’est retrouvé sans adversaire, l’enjeu de l’élection devenant alors celui du taux de participation.
Si toutes les campagnes ont été entachées par des accusations de corruption et des attaques directes
et personnelles entre les candidats, la Colombie et le Salvador se sont démarqués par l’intensité de
ces offensives. Durant toute la campagne, le parti Arena comme l’opposition n’ont eu de cesse de
rappeler le passé de l’ancien cadre de la guérilla du FMLN, Salvador Sanchez Cerén. A ceci s’est
ajoutée la dénonciation du processus non officiel de négociation d’une trêve mené par le gouvernement
de Mauricio Funes avec les maras, les gangs criminels ultra violents particulièrement actifs en Amérique
centrale. Affiches, spots télévisés, vidéos virales sur Internet ont alimenté une « campagne de la peur ».
Cependant, des scandales affectent aussi l’Arena, Norman Quijano étant à plusieurs reprises accusé
Les Etudes du CERI - n° 207-208 - Opalc - décembre 2014
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de corruption, tout comme l’ancien président Francisco Flores, qui démissionne du parti et prend la
fuite quelques jours avant le premier tour8.
En Colombie, à partir du mois d’avril, la campagne électorale a pris des allures de telenovela, chaque
jour apportant son lot d'épisodes plus dramatiques les uns que les autres. Cela a commencé avec l’arrivée
d’un nouveau conseiller en communication politique, Juan José Rendón, dans l’équipe de campagne de
Juan Manuel Santos. Déjà présent pendant la campagne de 2010, connu pour avoir contribué au succès
de plusieurs candidats dans toute la région, ce Vénézuélien a été rappelé en Colombie pour dynamiser
la stratégie du président, en baisse dans les sondages dans une campagne jusqu’alors assez morose.
Quelques semaines après, en se basant sur les déclarations de narcotrafiquants incarcérés, le journaliste
Daniel Coronell (dont l’influence est importante en Colombie) a accusé Rendón d’avoir reçu douze millions
de dollars de la part des cartels en 2010, en échange d’une intermédiation auprès du gouvernement
visant à accorder un régime de faveur à certains narcotrafiquants désireux de se rendre à la justice.
Puis, alors que la tension semblait redescendre après la démission de Juan José Rendón et du conseiller
politique Germán Chica, Oscar Iván Zuluaga s’est retrouvé au cœur d’un scandale médiatique. Un des
membres de son équipe de communication, Andrés Fernando Sepúlveda, a été accusé d’avoir intercepté
les communications électroniques entre le gouvernement et les FARC dans le cadre des négociations
de paix conduites à la Havane9. Une enquête a été ouverte par le ministère public afin de déterminer
qui avait commandité ou pris connaissance des actes de Sepúlveda au sein du parti de Zuluaga. Après
plusieurs démissions dans son camp, les accusations ont pris une nouvelle dimension avec l’entrée en
scène de l’ancien président Alvaro Uribe, qui s’est imposé à la une des médias en affirmant que deux
des douze millions reçus par Rendón auraient servi à financer la première campagne de Juan Manuel Santos,
et que le « scandale du hacker » n’était qu’un « rideau de fumée » destiné à dissimuler les scandales de
corruption de son propre parti, ce qui a déclenché un tollé général10. Les deux camps se sont ensuite
livrés à des accusations très dures11, jusqu’à mettre en cause la justice12. Lors du premier débat télévisé
du mois de mai, les deux candidats se sont invectivés et se sont mis au défit d’« avouer la vérité13 ».
Dans ce contexte, la Bolivie a fait figure d’exception, la campagne ayant été jugée terne et prévisible14.
Evo Morales a été omniprésent, l’opposition l’accusant même de détourner les ressources publiques
à des fins électorales.
Partout dans la région, les candidats-présidents ou les présidents sortants ont bénéficié d’une très
forte exposition médiatique. Certains anciens présidents ont aussi joué un rôle important, à l’image
d’Alvaro Uribe (Colombie), de Lula da Silva (Brésil), de Ricardo Martinelli (Panama) et d’Oscar Arias
(Costa Rica). Au Salvador, jusqu’au dernier jour et y compris pendant la trêve électorale, le président
sortant Mauricio Funes a utilisé son émission de radio hebdomadaire, « Conversando con el Presidente »
(« Conversations avec le président »), comme une plateforme de défense du bilan du FMLN et d’attaque
du candidat de l’opposition. Face aux difficultés de communication rencontrées par
8
« Francisco Flores permanecerá bajo arresto domiciliar », La Prensa Grafica, 5 septembre 2014 (www.laprensagrafica.
com/2014/09/05/francisco-flores-permanecera-bajo-arresto-domiciliar).
9
« Este es el hombre que habría interceptado al proceso de paz », Semana, 6 mai 2014 (www.semana.com/nacion/
articulo/habrian-vuelto-chuzar-al-presidente/386164-3).
10
« La gravísima acusación de Uribe contra Santos », Semana, 8 mai 2014 (www.semana.com/nacion/elecciones-2014/
articulo/la-gravisima-acusacion-de-uribe-contra-santos/386374-3).
11
« Así fue el día más "caliente" en lo que va de campaña presidencial », Semana, 9 mai 2014 (www.semana.com/nacion/
articulo/la-campana-se-calento-en-la-recta-final/386405-3).
12
« Batalla por la presidencia paso a estrados judiciales », El Tiempo, 9 mai 2014 (www.eltiempo.com/archivo/documento/
CMS-13962255).
13
« Santos y Zuluaga se retaron a decir la verdad », Semana, 22 mai 2014 (www.semana.com/nacion/elecciones-2014/
articulo/santos-zuluaga-se-retan-decir-la-verdad-sobre-escandalos-en-sus-campanas/389017-3).
14
« Ven aburrida y desigual campaña electoral en Bolivia ; derroche de Evo y pobreza en la oposición », Eju TV, 10 octobre
2014 (http://eju.tv/2014/10/ven-aburrida-y-desigual-campaa-electoral-en-bolivia-derroche-de-evo-y-pobreza-en-la-oposicin/).
Les Etudes du CERI - n° 207-208 - Opalc - décembre 2014
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Salvador Sanchez Cerén, non seulement en raison de son passé mais aussi par manque d’aisance à
l’oral, Mauricio Funes a occupé le devant de la scène au point d’être surnommé « le sixième candidat ».
En général, les campagnes se caractérisent par leur recours aux médias traditionnels (presse, télévision
et radio), ainsi qu’au hors-médias (affichage massif), le rôle des réseaux sociaux et d’Internet étant
encore limité, à quelques exceptions près (Brésil ou encore Colombie, où Twitter a par exemple
constitué l'un des moyens privilégiés d’expression de l’ancien président Alvaro Uribe). Au Brésil,
l’usage politico-électoral des réseaux sociaux a, pour la première fois, été l’objet d’une stratégie
spécifique, conçue en amont de la campagne officielle et pleinement intégrée au cœur de la prise de
décision – notamment dans l’équipe de campagne de Dilma Rousseff. En effet, avec plus de soixantehuit millions d’internautes, le Brésil est devenu le cinquième pays le plus « connecté » au monde en
201415. Parmi ces internautes, plus de la moitié ont entre 15 et 35 ans et résident dans le Sud-Est du
Brésil, là où la plupart des manifestations ont eu lieu en juin 2013. Ces dernières ayant été le fruit
d’une mobilisation horizontale via les réseaux sociaux, les responsables de la campagne de la présidente
ont estimé qu’il fallait créer un canal de communication spécifique pour ces électeurs, d’autant plus
que la précédente campagne présidentielle avait démontré, aux yeux de ces stratèges, le poids des
réseaux sociaux dans la construction de l’agenda médiatique d’une campagne de cette importance.
Par ailleurs, l’utilisation de cet outil de transmission horizontale et participative de l’information est
en adéquation avec la volonté de « désintermédier » l’information entre les candidats en campagne et
les électeurs. Cette stratégie est aujourd’hui à l’œuvre dans la plupart des gouvernements latinoaméricains16. Le fruit de cette réflexion fut le site Muda Mais17, lancé en mars 2014 et dirigé par l’ancien
ministre de la Communication sociale de la présidence, Franklin Martins. Durant la campagne, le site
a cherché à mobiliser les militants du PT tout en s’attachant à répondre aux discours de l’opposition
en temps réel. Suite aux succès de l’opération, le PT a décidé de maintenir le site en activité afin de
« défendre » l’action du gouvernement dans les réseaux sociaux pendant la période de transition.
Dans un contexte général de faible régulation des temps d’antenne et d’exposition médiatique des
candidats, ainsi que de contrôle irrégulier des sommes allouées à la communication électorale, les
partis ont recouru de manière inégale aux spots télévisés et radiophoniques, en fonction de leurs
moyens18. Concernant le hors-médias, si l’affichage a été massif dans certains pays, comme au Salvador,
il a été très limité dans d’autres, comme au Costa Rica, qui s’est en revanche distingué par la quantité
de débats télévisés organisés (de formats différents et ne réunissant pas toujours les mêmes candidats).
En Bolivie, le MAS s’est démarqué par son recours à des stratégies plus atypiques, comme celle de la
distribution de tracts par Evo Morales lui-même, à un carrefour très fréquenté de la ville de La Paz.
Malgré les différences de stratégies électorales et de plans médias, la tendance est cependant à la
professionnalisation de la communication électorale.
En effet, la tenue régulière d’élections à tous les niveaux (national, régional et municipal) en Amérique
latine depuis les années 1980 a permis l’éclosion d’un vaste champ d’étude pour les politologues19,
mais aussi d’un large marché pour les experts en stratégie électorale et en communication politique20.
15
Voir l’étude de ComScore au sujet des usages numériques des Brésiliens en 2014 : A. Banks, « 2014 Brazil Digital Future
in Focus », mai 2014 (http://usmediaconsulting.com/img/uploads/pdf/2014_Brazil_Digital_Future_in_Focus_EN.pdf).
16
A ce sujet, voir E. Guevara, « "Téleprésidents" ou "média-activistes" de gauche ? Argentine, Brésil, Vénézuela, Colombie »,
in O. Dabène (dir.), La Gauche en Amérique latine, 1998-2012, Paris, Presses de Sciences Po, 2012, pp. 105-144.
17
http://mudamais.com/.
18
Au Brésil, l’équipe de João Santana, directeur de la campagne audiovisuelle de Dilma Rousseff, a tourné ses spots
publicitaires avec des caméras utilisées pour le cinéma, dont le coût dépasse les 100 000 $USD/pièce.
19
Parmi ces études, nous pouvons notamment mentionner les travaux réalisés sur les partis politiques et les élites
parlementaires au sein de l’Université de Salamanque, ainsi que ceux qui ont abouti à la création de l’Opalc en 2007, suite
à la création de l’Observatoire des élections de 2006 à Sciences Po.
20
Selon l’ONG d’assistance électorale IDEA, le « marché mondial des élections » générerait entre six et huit milliards
de dollars par an, en fonction des pays qui sont effectivement en campagne. Dans cet ensemble, le coût des campagnes
présidentielles mexicaines et brésiliennes de 2000 et 2002 aurait dépassé les six cent millions de dollars. Voir R. Austin,
M. Tjernstrom (dir.), Funding of Political Parties and Election Campaigns, Stockholm, International IDEA, 2003.
Les Etudes du CERI - n° 207-208 - Opalc - décembre 2014
60
Ce marché, qui s’est constitué progressivement au cours des années 1980 et 1990, s’est consolidé lors
des cycles électoraux de 2005-2006 et 2012-2014. Désormais, le recrutement de « consultants », extérieurs
aux états-majors des partis, au sein des équipes de campagne est devenu une pratique courante21. S’ils
fournissent en premier lieu aux candidats une expertise dans l’utilisation massive d’études qualitatives
et quantitatives afin de produire une stratégie de campagne, ces derniers sont également devenus un
enjeu de communication des campagnes électorales à part entière. L’arrivée (ou le départ) de consultants
disposant d’une forte notoriété au sein d’une campagne est susceptible d’avoir des effets sur la perception
médiatique de cette dernière, au bénéfice ou au détriment du client (le candidat). De ce point de vue,
les cas salvadorien (Francisco Flores) et colombien (Juan José Rendón), précédemment cités, sont éclairants.
Cette tendance à la « starisation » des consultants politiques en Amérique latine s’accompagne également
d’une consolidation de la place des consultants latino-américains au détriment des consultants nordaméricains, qui avaient trouvé un débouché naturel dans la région pour maintenir leurs activités en
périodes non électorales aux Etats-Unis. En 2014, sur les quatorze candidats à la présidence de la
République arrivés en première ou en seconde position en Bolivie, au Brésil, en Colombie, au Costa Rica,
au Salvador, au Panama et en Uruguay, seuls deux ont eu recours à des consultants nord-américains.
Il y a quinze ans, lors du cycle électoral 1999-2002, cinq de ces sept pays étaient dans ce cas de figure.
La création et le développement de réseaux politiques régionaux, de gauche comme de droite, ont
favorisé la circulation des consultants à l’échelle continentale. Ainsi, le consultant fétiche du PT brésilien,
João Santana, s’est occupé des campagnes présidentielles de Mauricio Funes (Salvador, 2009),
Danilo Medina (République dominicaine, 2012), Hugo Chávez (Venezuela, 2012) et Nicolás Maduro
(Venezuela, 2013). En 2014, il a accepté de conseiller pour la première fois un candidat de droite,
José Domingo Arias (Panama), tout en se focalisant sur la campagne de Dilma Rousseff. Du côté de la
droite, en 2014, Juan José Rendón et Antonio Solá ont travaillé en Colombie, au Panama et au Salvador
dans le cadre de campagnes présidentielles. Malgré l’existence de plusieurs consultants « indépendants »,
il est possible de retrouver ici l’une des caractéristiques du mode de fonctionnement classique des
consultants politiques nord-américains, qui affichent une coloration politique clairement définie. Enfin,
l’année 2014 permet de confirmer la présence des consultants brésiliens dans la région, avec le retour
de Duda Mendonça dans une campagne présidentielle (Colombie).
tenDances et perspectives éLectoraLes
Que nous apprennent les scrutins de 2014 en ce qui concerne les évolutions des comportements
électoraux en Amérique latine ? Face à la diversité des enjeux et des contextes nationaux, il semble
difficile de tirer des conclusions générales. La théorie des réalignements électoraux nous semble cependant
constituer un outil stimulant pour mettre en perspective de manière comparative les élections de 2014.
Cette théorie permet de mettre à jour des transformations brutales et durables dans les équilibres
électoraux. Elle a été initialement proposée par le politologue cpour analyser les changements électoraux
intervenus à l’occasion des élections de Franklin Roosevelt en 1932 et 1936 aux Etats-Unis22, puis
21
En Europe, et notamment en France, cette « greffe » n’a pas fonctionné. La plupart des campagnes électorales sont
dirigées par des militants encartés – salariés des partis politiques pour la plupart, avec une affinité et/ou une trajectoire
professionnelle liée aux métiers de la communication, avec le concours éventuel de consultants en communication
d’entreprise ayant des affinités avec les membres de l’équipe de campagne.
22
V. O. Key, « Theory of critical elections », Journal of Politics, vol. 17, n° 1, 1955, pp. 3-17.
Les Etudes du CERI - n° 207-208 - Opalc - décembre 2014
61
progressivement enrichie et développée23. Elle a été appliquée par la suite à d’autres pays occidentaux
comme la France, le Canada ou la Belgique24. Cette théorie permet de saisir les mutations des équilibres
politiques en liant les enjeux conjoncturels et structurels. L’hypothèse d’un réalignement ne peut en effet
se vérifier qu’en observant les résultats de plusieurs scrutins consécutifs. L’alternance constituerait un
moment de rupture (critical election). S’ensuivrait une phase de réalignement de l’électorat (realignment
era), qui viendrait se confirmer lors des scrutins suivants, caractérisant un nouvel ordre électoral25. Cette
transformation s’accompagnerait en général de bouleversements politiques plus ou moins profonds
(réorganisation des systèmes partisans, reconfiguration de l’offre politique et des modes de représentations,
réorientations des politiques publiques, apparition de nouveaux enjeux, etc.).
Mobilisée avec précaution, la théorie des réalignements peut nous aider à mieux comprendre les
résultats électoraux liés au « tournant à gauche » de l’Amérique latine (initié en 1998 par l’élection
d’Hugo Chávez au Venezuela). Depuis le début du xxie siècle, les cycles électoraux successifs qu’a
connus l’Amérique latine ont également produit de nombreux cas d’étude permettant de tester
l’applicabilité de ces constructions théoriques à d’autres régions du monde.
Les alternances latino-américaines des années 2000 ont-elles entraîné des transformations « brutales
et durables » dans les comportements électoraux, que les scrutins de 2014 seraient venus confirmer ?
(hypothèse proposée pour la Bolivie, le Brésil, l’Uruguay et le Salvador). De manière plus contreintuitive, peut-on envisager des cas de réalignements en l’absence d’alternance forte ? (hypothèse
proposée pour la Colombie et le Panama). Enfin, certains scrutins portent-ils les signes d’élections
critiques laissant présager l’émergence de nouveaux ordres électoraux ? (hypothèse proposée pour le
Costa Rica). C’est ce que nous cherchons à vérifier brièvement dans les lignes qui suivent en esquissant
quelques éléments d’analyse26.
Comme indiqué plus haut, les résultats de 2014 confirment la tendance à la stabilité politique de la
région. Comme lors des élections précédentes, tous les candidats à la réélection ont été réélus (Morales,
Rousseff, Santos). Cela vient confirmer une tendance lourde, puisque depuis le retour des démocraties,
dix-huit tentatives de réélections présidentielles sur dix-neuf se sont avérées fructueuses (95 %). Seul
Hipólito Mejía en République dominicaine a manqué sa réélection en 2004 face à Leonel Fernández
(qui avait lui-même déjà présidé le pays entre 1996 et 2000). Par ailleurs, il se confirme que les partis
de gauche savent également assurer leur continuité au pouvoir en alternant les candidats : Sánchez
Cerén (FMLN) succède à Mauricio Funes au Salvador et Tabaré Vázquez (Front large) succède à Pepe
Mujica en Uruguay. La victoire de Vázquez, déjà président de l’Uruguay entre 2005 et 2010, confirme
par ailleurs une autre tendance forte signalée précédemment : la capacité des anciens présidents à
peser sur le jeu électoral. Seul le Costa Rica fait exception au jeu de continuité, avec la victoire de Luis
Guillermo Solís (PAC) contre le candidat de la continuité Johnny Araya. Alors que les réélections
semblent confirmer la consolidation d’un nouvel ordre électoral post-alternance dans plusieurs pays,
l’élection présidentielle costaricienne de 2014 porte au contraire certains signes d’une élection critique
(même si le changement est moins brutal qu’il n’y paraît, le PUSC ayant déjà commencé à s’effondrer
en 2006 et 2010 et le PLN n’ayant jamais gagné trois élections consécutives).
23
V. O. Key, « Secular Realignment and the Party System », Journal of Politics, vol. 21, n° 2, 1959, pp. 198-210 ; W. Burnham,
Critical Elections and the Mainsprings of American Politics, New York, Norton, 1970 ; J. Sundquist, Dynamics of the Party System
Alignment and Realignment of Political Parties in the United States, Washington DC, Brookings Institution, 1973 ; J. M. Clubb,
W. Flanigan, N. Zingale, Partisan Realignment Voters Parties and Government in American History, Beverly Hills, Sage, 1980.
24
P. Martin, Comprendre les évolutions électorales. La théorie des réalignements revisitée, Paris, Presses de Sciences Po,
2000 ; Dynamiques partisanes et réalignements électoraux au Canada, Paris, L’Harmattan, 2006 ; P. Baudewyns, Dynamiques
électorales en Belgique. Théorie des réalignements et analyse des résultats des élections législatives en Belgique depuis 1945,
Louvain-la-Neuve, Presses universitaires de Louvain, 2013.
25
Dans le cas d’une infirmation du réalignement lors des scrutins suivants, le vote ayant provoqué l’alternance sera
qualifié a posteriori d’élection « déviante ».
26
Nous centrons ici notre analyse sur les sept élections présidentielles : Bolivie, Brésil, Colombie, Costa Rica, Panama,
Salvador, Uruguay.
Les Etudes du CERI - n° 207-208 - Opalc - décembre 2014
62
Tableau 5
Scores des présidents élus ou réélus
Pays
Nom du vainqueur
er
Bolivie
E. Morales
Brésil
D. Rousseff
Colombie
J. M. Santos
Costa Rica
L. G. Solís
Panama
J. C. Varela
Salvador
S. Sánchez Cerén
Uruguay
T. Vázquez
Marge sur le candidat
arrivé second (points)
Score (%)
1 tour
61
+36,5
2e tour
-
-
1er tour
41,6
+8,1
2e tour
51,6
+3,2
1er tour
25,7
-3,6
2e tour
50,9
+5,9
1er tour
30,6
+0,9
2e tour
78*
+55,7
1er tour
39,1
+7,7
2e tour
**
-
1er tour
48,9
+9,9
2e tour
50,1
+0,2
1er tour
47,8
+16,9
2e tour
56,63
+13,26
Mandat
3e consécutif
2e consécutif
2e consécutif
1er
1er
1er
2e non consécutif
* L’autre candidat qualifié pour le second tour – Johnny Araya (PLN) – était en position très défavorable dans
les sondages et a décidé de ne pas faire campagne entre les deux tours.
** Au Panama, l’élection du président se fait au scrutin majoritaire simple à un tour.
Si l’on observe de plus près les résultats obtenus par les candidats élus et les mutations de la
géographie électorale, on constate cependant des situations fluctuantes d’un pays à l’autre qui mettent
à jour une variété de situations de réalignement.
Au Brésil, en Bolivie et en Uruguay, les élections de 2014 ont effectivement consacré le maintien des
équilibres post-alternances. La situation semble assez claire en Bolivie avec la réélection facile d’Evo
Morales pour un troisième mandat consécutif (dès le premier tour) et la consécration du MAS comme
force politique dominante. Après l’élection critique de 2005 et une période de réalignement marquée
par une forte polarisation politique, le MAS s’est implanté sur l’ensemble du territoire. Il s’est imposé
notamment dans les provinces orientales de Santa Cruz (fief de l’opposition en 2005 et 2009) et de Pando.
Il n’a été battu que dans la province de Beni, où il est arrivé dix points derrière l’UD (41,5 % contre 51,4 %).
Le réalignement semble tout aussi limpide en Uruguay, où l’arrivée au pouvoir du Front large en 2004
a bouleversé le système partisan et les rapports de force politiques. Reconduit en 2009, le Front large a
encore renforcé ses positions en 2014 dans dix-huit des dix-neuf départements que compte le pays. Il l’a
emporté dans quatorze départements, dont certains bastions des partis traditionnels (Rivera, Salto y Cerro
Largo), ne laissant le Parti national en tête que dans le Centre et le Centre-Est du pays.
Le cas du Brésil est plus ambivalent. La thèse du réalignement a été défendue par le politologue (et
ancien conseiller politique de Lula) André Singer pour qualifier les évolutions électorales du Brésil
entre 2002 et 201027. Singer voyait dans la recomposition des coalitions politiques et dans la profonde
mutation de la géographie du vote entre 2006 et 2010 la confirmation d’un réalignement amorcé en
2003 à la suite de la première élection de Lula (élection critique de 2002). Il compare ainsi – de manière
quelque peu hâtive – le cycle 2002-2006 au Brésil avec le cycle 1932-1936 aux Etats-Unis (New Deal
et réélection de Roosevelt). Le vote de 2014 semble lui donner raison, du moins pour l’élection
présidentielle : les équilibres politiques ont été globalement maintenus et la territorialisation du vote
demeure extrêmement stable par rapport aux deux élections précédentes. Malgré une érosion globale,
le PT s’impose encore très largement dans le Nord et le Nord-Est du pays – où les programmes de
redistribution touchent une part importante de la population – tandis que le Parti de la social-démocratie
brésilienne (PSDB) se renforce à São Paulo et dans le Sud (Paraná, Santa Catarina, Rio Grande do Sul).
27
A. Singer, « Raízes sociais e ideológicas do lulismo », Novos Estudos, vol. 85, n° 3, 2009, pp. 83-102 ; Os sentidos do
lulismo, São Paulo, Companhia das Letras, 2012.
Les Etudes du CERI - n° 207-208 - Opalc - décembre 2014
63
Cependant, le contexte est très différent de celui des Etats-Unis dans les années 1930. Le PT ne contrôle
que 13,5 % des sièges à la Chambre fédérale (70 sur 513) et ne gouverne que dans cinq des vingt-sept
Etats de la fédération. Il est donc loin de dominer la vie politique nationale et Dilma Rousseff doit
constituer une large alliance pour gouverner. Tout au plus pourrions-nous parler d’un « réalignement
du vote présidentiel », sans remise en cause réelle de la structure partisane (une opposition PT/PSDB
qui dure depuis 1994 avec le Parti du mouvement démocratique brésilien au centre du jeu). Au Brésil
comme dans d’autres pays de la région, la théorie des réalignements gagnerait donc à être adaptée,
notamment en raison de la faible identification partisane des électeurs, des spécificités des systèmes
électoraux et de la forte déconnexion entre les différents types d’élections.
Le Salvador semble à première vue suivre la même trajectoire que les trois pays susmentionnés, avec
une alternance historique en 2009 (la victoire de Mauricio Funes), suivie d’un maintien au pouvoir du
FMLN en 2014. S’agissant de la première élection post-alternance, il est encore trop tôt pour conclure
à un possible réalignement salvadorien. Il ne semble a priori pas que l’alternance de 2009 puisse être
interprétée comme une élection critique. Les équilibres politiques n’ont pas été chamboulés après
l’alternance de 2009 : la compétition politique est toujours centrée autour d’un duopole Arena/FMLN
et demeure excessivement serrée, sans qu’une reconfiguration de la géographie électorale apparaisse
(encore) clairement. Différents indices portent donc pour l’heure à considérer que le Salvador se
maintient dans l’ordre électoral instauré après les accords de paix de 1992 et l’élection d’Armando
Calderón Sol (Arena) en 1994.
Cependant, deux évolutions observées en 2014 pourraient remettre en cause cette analyse. D’abord
une amorce de reconfiguration de l’offre électorale avec la création d’un nouveau parti politique :
Unidad (emmené par l’ancien président Tony Saca). Avec 12 % des suffrages au premier tour (contre
49 % pour le FMLN et 39 % pour l’Arena), ce nouveau parti n’a pas réussi à faire vaciller le bipartisme.
Mais il ouvre la possibilité d’une tripartition à moyen terme de la vie politique. Ensuite, le renforcement
de l’implantation du FMLN dans plusieurs territoires. Au premier tour, le FMLN est arrivé en tête dans
treize des quatorze départements du pays. Il a surtout remporté plus de 50 % des voix dans six départements
jusqu’alors contrôlés par l’Arena : cinq dans l’Est du pays (San Vicente, Usulután, San Miguel, Morazán,
La Unión) et un dans l’Ouest (Sonsonate). Au second tour, il ne disposait que d’une très faible réserve
de voix et n’a pas su confirmer son avancée. Il s’impose dans sept départements et l’Arena – avec le
report des votes d’Unidad – l’emporte dans les sept autres. Le maintien du FMLN au pouvoir ne tient
finalement qu’à quelques milliers de voix (50,1 % contre 49,9 %).
En Colombie et au Panama, nous pouvons envisager de manière contre-intuitive l’existence de
réalignements en l’absence d’alternances politiques. Ces deux pays ont en effet connu une continuité
politique à droite dans les années 2000, qui s’est confirmée en 2014.
Dans le cas de la Colombie, la réélection difficile de Santos en 2014 semble synonyme de maintien
de l’ordre électoral instauré au début des années 2000. L’arrivée au pouvoir d’Uribe en 2002 avait
constitué un moment de rupture, alors même qu’elle ne constituait pas une réelle alternance. Issu du
Parti libéral, qui partageait le pouvoir avec le Parti conservateur depuis cent cinquante ans, Uribe
avait créé en 2001 un mouvement indépendant (Colombie d’abord) et lancé une candidature dissidente.
Sa victoire au premier tour, avec l’appui du parti au pouvoir (le Parti conservateur) et d’un groupe de
parlementaires libéraux, avait précipité le délitement du bipartisme traditionnel colombien, déjà visible
depuis le milieu des années 1990. Entre 2002 et 2006, le système politique colombien a connu une
transformation très profonde, avec de nombreux signes de réalignement : recomposition du système
partisan, importantes réformes électorales (dont l’une autorisant la réélection du chef d’Etat), polarisation
des débats autour de nouveaux « enjeux de valeur », etc.28. En termes d’action publique, Uribe a
engagé un changement de cap sécuritaire (« politique de sécurité démocratique »), qui marquera les
28
F. Gutierrez Sanín, « Dégel et radicalisation en Colombie », in O. Dabène (dir.), Amérique latine, les élections contre la
démocratie ?, Paris, Presses de Sciences Po, 2008, pp. 105-130.
Les Etudes du CERI - n° 207-208 - Opalc - décembre 2014
64
clivages politiques futurs. La réélection facile d’Uribe en 2006 puis l’élection de Santos en 2010 –
alors présenté comme son successeur – avaient confirmé l’hypothèse d’un réalignement. Les élections
de 2014 ont apporté de nouveaux changements, sans indiquer une nouvelle réorientation. Le premier
tour a confirmé la vigueur du multipartisme, avec la percée décisive du parti Centre démocratique de
l’ancien président Uribe, qui s’impose comme nouvelle force d’opposition à la droite de l’échiquier
politique. Le candidat de ce parti, Oscar Iván Zuluaga, est arrivé en tête du premier tour avec 29,3 %
des suffrages29. Au second tour, l’enjeu de la résolution du conflit armé a polarisé l’électorat, plaçant
face à face le projet réélectionniste de Santos (pour la négociation de paix) et le projet répressif d’Uribe
(contre la négociation de paix) porté par Zuluaga. Les résultats ont montré la forte implantation de
l’uribisme dans l’intérieur du pays (Antioquia, Tolima, Caldas, Huila, Casanare, etc.), tandis que Santos
renforce sa position dans le Nord et l’Ouest du pays (côtes atlantiques). Il s’impose également dans
les principales villes du pays, à l’exception notable de Medellin (fief de l’uribisme).
Au Panama, en revanche, l’élection de 2014 ne semble ni confirmer ni amorcer un réalignement.
Au-delà des changements de partis au pouvoir, la politique panaméenne demeure très stable depuis
l’intervention militaire des Etats-Unis en 1989 et le renversement du régime de Manuel Noriega. Trois partis
traditionnels se disputent le pouvoir depuis 1989 : le Parti révolutionnaire démocratique (PRD), héritier
de la dictature de Torrijos, le Changement démocratique (CD) et le PPAN. En 2014, la victoire de Juan
Carlos Varela (avec 39,1 % des suffrages au premier tour) a permis le retour au pouvoir du PPAN, qui
avait déjà gouverné le pays à deux reprises (1989-1994 puis 1999-2004). Il a devancé de plus de sept
points José Domingo Arias (CD), candidat du président sortant Ricardo Martinelli30. Outre la revanche
politique du premier sur le second, le principal fait notable de cette élection est l’érosion du PRD. Pour
la première fois depuis la chute de Noriega, le PRD connaît deux défaites présidentielles consécutives.
Arrivé en troisième position avec 28,2 % des suffrages, le parti perd 9,5 points par rapport l’élection
présidentielle de 2009. Cela ne remet toutefois pas (encore) en cause la tripartition de la vie politique,
aucun nouveau parti n’émergeant sur la scène électorale : sur les sept partis ou alliances engagés pour
l’élection présidentielle de 2014, les trois principaux (PRD, CD, PPAN) ont rassemblé 98,6 % des votes.
Pour clore ce panorama électoral, le cas du Costa Rica demeure à part, puisque la victoire de
Luis Guillermo Solís (PAC) pourrait constituer en elle-même un moment de rupture et remettre en
cause l’ordre électoral actuel. Pour la première fois depuis plus de trente ans, le vainqueur de l’élection
présidentielle n’appartient ni au PUSC ni au PLN. Ce dernier avait remporté les deux élections
précédentes : en 2006 avec Oscar Arias puis en 2010 avec Laura Chinchilla. Mais la recomposition
du système partisan costaricien est essentiellement due à un écroulement du PUSC entre 2002 et
2006. C’est d’ailleurs en 2002 que le PAC – créé en 2000 par des dissidents du PLN – a connu sa
première percée électorale (26,2 % au premier tour), pour ensuite s’imposer comme la deuxième force
politique du pays31. Si le nouveau président Solís était jusqu’alors relativement inconnu sur la scène
politique (il n’avait occupé aucun poste électif avant 201432), son parti est une formation rivale qui
menaçait la domination exercée par le PUSC/PLN depuis plus de dix ans. L’élection de 2014 s’est
toutefois déroulée dans des conditions particulières. A l’issue du premier tour, Solís est arrivé en tête
(30,6 %) devant le candidat du PLN (22,1 %). Sentant se profiler la défaite, ce dernier a décidé de ne
29
Ne pouvant légalement briguer un nouveau mandat présidentiel, Uribe s’est présenté au Sénat et a lancé Zuluaga
comme candidat à l’élection présidentielle.
30
En 2009, J. C. Varela avait été élu à la vice-présidence aux côtés de Martinelli, après avoir scellé une alliance entre le
CD et le PPAN. Mais les deux hommes s’étaient brouillés en cours de mandat et Varela avait rejoint l’opposition en 2011.
31
Le PAC a recueilli 41,1 % des voix au premier tour de la présidentielle de 2006, manquant la victoire pour quelques
milliers de suffrages ; puis 25 % des voix au premier tour de la présidentielle de 2010 (se plaçant là encore second).
32
Bien qu’inconnu du grand public jusqu’à la campagne électorale (dont le slogan était d’ailleurs « Conozcame », « Connaissezmoi »), le professeur universitaire Luis Guillermo Solís disposait déjà d’une longue expérience partisane. Membre actif du PLN
entre 1977 et 2005, il en a été le secrétaire général pendant les années 2002 et 2003. Il a par ailleurs occupé différents postes
auprès du ministère des Affaires étrangères et du Culte entre 1986 et 1998, dont celui de chef de cabinet. Il a quitté le PLN en
2005 suite à son opposition à la signature du traité de libre-échange avec les Etats-Unis, puis a rejoint le PAC en 2008.
Les Etudes du CERI - n° 207-208 - Opalc - décembre 2014
65
pas faire campagne entre les deux tours. Si l’élection est allée à son terme, c’est donc sans concurrent
direct que Solís a finalement été élu, avec un score qui ne reflète pas le rapport de force politique réel
(77 %). Cette élection constitue toutefois un événement majeur dans l’histoire électorale du Costa Rica.
Mais il faudra suivre les évolutions politiques durant le mandat de Solís (2014-2018) et attendre les
résultats des élections de 2018 pour qualifier l’élection 2014 de critique ou de déviante.
Au total, les élections de 2014 sont venues confirmer trois réalignements liés à des alternances politiques
(Bolivie, Brésil, Uruguay) et un réalignement sans alternance forte (Colombie). Nous avons par ailleurs
observé deux élections de maintien qui prolongent un ordre électoral plus ancien (Salvador, Panama).
Enfin, l’élection costaricienne pourrait constituer un moment de rupture ouvrant une période de
réalignement, mais cette hypothèse ne pourra être vérifiée qu’à l’issue des prochains scrutins. Le tableau
ci-dessous synthétise notre analyse des élections de 2014 sous l’angle des réalignements électoraux.
Tableau 6
Les élections présidentielles de 2014 et les réalignements électoraux en Amérique latine
Élection critique
Période de
réalignement
Ordre électoral
Election de 2014
Bolivie
2005 (Morales)
2006-2008*
2008-2014
Maintien de l’ordre électoral
Brésil
2002 (Lula)
2003-2006
2006-2014
Maintien de l’ordre électoral
Colombie
2002 (Uribe)
2003-2006
2006-2014
Maintien de l’ordre électoral
Costa Rica
2014 (Solís)
2015-2018 (?)
-
Election critique ou déviante
-
-
1989-2014
Maintien de l’ordre électoral**
Pays
Panama
Salvador
-
-
1994-2014
Maintien de l’ordre électoral***
Uruguay
2004 (Vázquez)
2005-2009
2009-2014
Maintien de l’ordre électoral
* Date du référendum révocatoire remporté par le président Evo Morales, qui sera ensuite réélu en 2009.
** Ordre électoral mis en place en 1989 à la suite de l’intervention militaire des Etats-Unis.
*** Ordre électoral mis en place en 1994 à la suite des accords de paix de 1992.
Pour conclure cette analyse, la principale caractéristique du mini cycle électoral de 2014 semble être
la continuité électorale. Les électeurs ont globalement renouvelé leur confiance aux dirigeants ou aux
partis politiques au pouvoir. A l’exception du MAS en Bolivie, les partis au pouvoir connaissent toutefois
une érosion dans les capitales et les grands centres économiques. Il en fut ainsi pour le PT à São Paulo
et Brasília, pour le Front large à Montevideo ou pour le FMLN à San Salvador – et dans une moindre
mesure pour le Parti social d’unité nationale à Bogota (Santos y est arrivé légèrement en tête au second
tour mais n’avait obtenu que 18,1 % des suffrages au premier tour). Dans plusieurs cas comme le Brésil
ou la Colombie, l’issue du scrutin traduit d’ailleurs une polarisation des électorats avec des lignes de
division fortes (territorialement et socialement). Dans ces deux pays, la continuité électorale s’est
paradoxalement faite dans un contexte de mécontentement croissant marqué par la multiplication des
mobilisations sociales, sur fond de tassement de la croissance économique. Les scores de Dilma Rousseff
et Juan Manuel Santos ont sensiblement diminué entre 2010 et 2014 (la première perd 4,2 points et le
second 19 points si l’on compare les seconds tours). Hormis Evo Morales en Bolivie et Tabaré Vázquez
en Uruguay, les présidents ont en général été élus dans des conditions difficiles (courte victoire au
Salvador, victoire avec moins de 40 % des voix au Panama, victoire large mais délégitimée par l’absence
de compétition entre les deux tours au Costa Rica, etc.). Plusieurs d’entre eux doivent par ailleurs diriger
des gouvernements minoritaires au Congrès (Brésil, Colombie, Costa Rica, Panama) et devront donc
composer des alliances parfois complexes et fragiles qui limiteront leur marge de manœuvre.
Au-delà des défis spécifiques liés aux agendas électoraux de chaque pays (comme par exemple la
résolution du conflit et la préparation d’une ère post-conflit en Colombie ou encore l’amélioration de la
sécurité publique au Salvador), deux thèmes seront à suivre de manière plus transversale dans les pays
ici considérés : la mise en œuvre ou la poursuite des réformes des systèmes politiques (dont les réformes
électorales et le renforcement des institutions électorales) et les conditions de relance des économies.
Les Etudes du CERI - n° 207-208 - Opalc - décembre 2014
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