En 1983...
" (...) Mes activités radiophoniques se complétaient enfin par une émission hebdomadaire de deux heures le mercredi soir entre 20 heures et 22 heures à un moment où, vu la concurrence de la télé, personne n’écoutait la radio. Elle s’intitulait « libre échange » et, dans son concept devait permettre l’expression de tous les courants de pensée et d’opinion dans notre radio. Cette émission me laisse un formidable souvenir, encore maintenant, non pas par ce qu’elle fut, que je n’ai pu entendre, non pas parce que c’était en direct, mais par les gens que j’ai eu l’occasion de croiser.
En fait toutes ces rencontres, dialogues, monologues m’ont payé de mon bénévolat. J’étais dans ce contexte dans la position d’un acteur, mais aussi d’un observateur, occupant une toute petite niche dans l’écosystème social, et cette petite place était pour moi comme une dunette, une échauguette ou un oriel qui me permettait de bien regarder le monde et toutes les choses de la vie.
Ce soir là, je recevais les responsables de la « convergence autogestionnaire ». L’émission se déroulait, faute de moyens, dans le petit local technique, situé sous la grande salle de la radio qui était en fait un ancien garage et sa cave. J’assumais seul la régie, c’est à dire que je réglais le volume des différents micros, et menais les interviews que j’entrecoupais de temps à autre de disques. Je ne sais pas si le résultat était bon du côté des auditeurs, mais c’est ainsi qu’on procédait faute de moyens humains et matériels.
Les responsables de la convergence autogestionnaire, reçus dans ces conditions, se sentirent chez eux, car j’imagine bien que ce groupuscule, invité au titre de la pluralité des opinions, n’avait vraiment pas plus de moyens matériels d’existence que nous n’en avions. Ils furent ravis de s’exprimer sur notre antenne et les deux heures qui m’étaient imparties, comme on dit, se déroulèrent du mieux du monde, bien que je doute fort que leurs idées, au demeurant fort généreuses, aient quelque chance de se voir appliquer un jour.
En effet, je me demande bien quels habitants de quelles villes se porteraient volontaires pour autogérer leurs rues, leurs quartiers, se concerteraient en d’interminables réunions pour décider qui du trottoir à refaire, qui du lampadaire à remplacer, qui du montant des impôts à payer. Les gens, de tout temps, ont toujours trouvé plus facile de se décharger de toutes ces contraintes gestionnaires sur leurs élus, ou sur leurs chefs, quitte ensuite à se plaindre amèrement de toutes les injustices dont ils étaient les victimes. Ainsi va le monde. Mais, quelqu'ait été le côté utopique des propos des convergents autogestionnaires, je les ai laissés s’exprimer en toute liberté, ce qu’il firent avec une gentillesse reconnaissante.
Qu’importe d’ailleurs les intentions, idées, qualités ; qui écoutait cette émission ? Leurs amis sans doute qui ne manquèrent pas de se manifester en intervenant en direct en posant plusieurs questions. Mais la très grande majorité des auditeurs potentiels était forcément ailleurs et j’étais sans illusion sur mon taux d’écoute. Quoiqu’il en soit, ils étaient adorables dans leur candeur et leur donner la parole fut un agréable plaisir. (...)"