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TRADUCTION ET DIDACTIQUE
LE MODÈLE SÉQUENTIEL DE LA TRADUCTION ET
SES AVANTAGES DIDACTIQUES INTRODUCTION La traduction professionnelle se situe dans un espace social, où tant l'auteur, qui écrit le texte original à l'intention de ses destinataires, que le traducteur, qui écrit sa propre version du texte à l'intention de ses propres destinataires, ont des objectifs et intérêts qui orientent leur énonciation; Le contenu informationnel d'un énoncé ne se limite pas à l'information que l'auteur veut faire passer, mais comporte également d'autres informations, dont une partie seulement dépend de sa volonté (la chose s'applique aux traductions autant qu'aux textes originaux). Cela peut justifier certains ajouts et omissions dans la traduction. Dans quelle mesure et de quelle manière les principes de communication et de fidélité interviennent-ils effectivement dans le processus de traduction ? La meilleure manière de répondre à cette question consiste à examiner des cas concrets. Le présent cours propose un cadre conceptuel qui intègre les considérations et les décisions du traducteur dans une description des différentes étapes de la traduction sous la forme d'un modèle. La traduction y est formalisée comme un processus qui s'articule en une succession récursive de traitements d'unités de traduction. Chacune passe par une phase de compréhension, puis par une phase de reformulation, avec des vérifications et des décisions et l'intervention de connaissances linguistiques et extralinguistiques. LE MODELE SEQUENTIEL DE LA TRADUCTION Selon ce modèle, le traducteur commence par la lecture d'une unité de traduction et l'élaboration d'une hypothèse sur le sens que véhicule cette unité. S'il ne dispose pas de connaissances suffisantes pour élaborer une telle hypothèse, il fait une recherche d’informations ad hoc dans des sources textuelles ou auprès des informateurs humains. Une fois une hypothèse de sens élaborée, il vérifie la plausibilité par rapport à ses connaissances. Si le résultat du test de plausibilité est insatisfaisant, il recherche une deuxième hypothèse de sens pour la même unité et la vérifie, et ainsi de suite. Une fois qu'il a trouvé une hypothèse de sens plausible, il peut passer à la phase de reformulation. Celle-ci démarre par la rédaction d'un premier énoncé en langue d'arrivée correspondant à l'unité de traduction. Si ses connaissances linguistiques ou extralinguistiques sont insuffisantes pour lui permettre de rédiger l'énoncé, il fait une recherche d'informations ad hoc. Une fois l'énoncé rédigé, il en vérifie l'acceptabilité linguistique ainsi que la fidélité. Si les résultats de l'un ou des deux tests sont insatisfaisants, il rédige un nouvel énoncé en langue d'arrivée, en vérifie l’acceptabilité et la fidélité, et ainsi de suite. Une fois qu'il a un énoncé acceptable et fidèle, il passe à l'unité de traduction suivante. Périodiquement, il vérifie également l'acceptabilité et la fidélité d’agrégats de plusieurs unités de traduction, pour s'assurer que l’acceptabilité de chacune est maintenue au niveau du texte dans son ensemble et qu'il n'a rien omis. LA COMPRÉHENSION DU TEXTE ORIGINAL
En traduction, pour prendre les bonnes décisions en matière
de formulation, un minimum de compréhension du texte de départ est indispensable. Le traducteur peut se contenter d'une compréhension superficielle du texte qu'il traduit, par exemple dans la traduction d'une nomenclature. Dans le cas de l’enseignement/apprentissage de la traduction en milieu universitaire, une compréhension suffisante du texte de départ ne va pas nécessairement de soi. Comprendre ce que dit ou écrit une autre personne est bien plus compliqué que ce qu'on a tendance à croire. FACTEURS DE DIFFICULTÉ DANS LA COMPRÉHENSION EN TRADUCTION Des connaissances extralinguistiques insuffisantes La compréhension d'un texte nécessite certaines connaissances qui permettent de compléter et d'interpréter les informations que donne l'énoncé. En leur absence, la compréhension est lacunaire ou incertaine. L'auteur d'un texte y met les informations qu'il estime nécessaires en fonction des connaissances de ses destinataires et non pas de celles du traducteur, qui se retrouve donc en déficit informationnel. Les techniques d'acquisition de connaissances permettent d'améliorer quelque peu sa situation, mais ne résolvent pas tous les problèmes. UNE MAITRISE INSUFFISANTE DE LA LANGUE DE DÉPART Il semble raisonnable de considérer qu'une excellente connaissance de la langue de départ est un préalable à la traduction professionnelle, principe qui est souvent mentionné dans la littérature. Premièrement, une « langue » (supra-)nationale est constituée d'une multitude de sociolectes, partiellement géographiques (variantes nationales ou régionales), partiellement déterminés par la classe d'âge des énonciateurs, partiellement propres à une activité professionnelle, voire à une entreprise donnée; Il est fait référence ici non pas à des langues de spécialité techniques, mais à des variantes lexicales, syntaxiques et stylistiques dans l'emploi du langage courant. Le traducteur est souvent confronté dans les textes de départ à des sociolectes qu'il ne maîtrise pas parfaitement, même si sa maîtrise de la langue standard ou de l'une de ses variantes est excellente. Les titres de la presse quotidienne anglo-saxonne fournissent de nombreux exemples que reconnaîtront sans peine les lecteurs anglicistes : ils peuvent être très à l'aise dans des registres techniques et littéraires et avoir néanmoins du mal à comprendre certaines manchettes des quotidiens britanniques ou américains. Deuxièmement, les langues sont en évolution constante, et un traducteur qui ne vit pas dans un pays où est parlée l'une de ses langues passives et qui ne traduit pas régulièrement des textes nombreux et variés à partir de cette langue peut se retrouver distancé dans certains domaines après quelques années. Enfin, bien que le traducteur soit supposé comprendre parfaitement ses langues passives, l'expérience montre qu'il lui reste parfois des lacunes. C'est d'ailleurs l'une des argumentations mises en avant dans la communauté traductologique depuis quelques années pour contester le principe de la priorité absolue donnée généralement à la traduction vers la langue maternelle. La compréhension imparfaite de la langue dans laquelle est écrit le texte original peut elle aussi être à l'origine de faiblesses dans la traduction au même titre que la maîtrise imparfaite de la langue d'arrivée. Une maîtrise imparfaite de la langue de départ ou du sociolecte concerné peut donc être à l'origine de difficultés de compréhension, même chez le traducteur expérimenté. LA MAUVAISE QUALITÉ DU TEXTE DE DÉPART
Une autre source d'incompréhension du texte de départ peut
être la mauvaise qualité de celui-ci : style maladroit, mauvais usage terminologique, fautes de grammaire ou d'usage lexical, logique difficile à comprendre. La qualité du texte de départ est parfois si mauvaise que le traducteur voudra être exonéré à l'avance de tout reproche pour une éventuelle erreur de traduction. La mauvaise qualité linguistique du texte de départ peut être due à plusieurs facteurs : Premièrement, l'énonciateur peut être mauvais rédacteur en raison d'une insuffisante maîtrise de sa langue maternelle comme outil d'expression, par manque de discipline, par manque d'esprit logique. Deuxièmement, l'énoncé peut avoir été rédigé dans de mauvaises conditions, par exemple dans des délais très brefs imposés par des circonstances particulières, ou dans un environnement bruyant ou difficile. Troisièmement, de nombreuses publications scientifiques et d'autres textes liés à des activités internationales sont écrits par des locuteurs non natifs. De ce fait, les fautes de langue et maladresses d'expressions peuvent y être nombreuses. Quatrièmement, des erreurs peuvent se glisser dans le texte du fait de l'éditeur ou de l'imprimeur, surtout quand il est écrit dans une langue qui n'est pas la leur. LES FLUCTUATIONS D'ATTENTION CHEZ LE TRADUCTEUR Comme n'importe quel lecteur, le traducteur connaît des moments de baisse de concentration quand il lit le texte original. Quand ils surviennent, il risque de mal comprendre le passage qu'il parcourt. Le risque lié à ces baisses d'attention interagit probablement avec d'autres facteurs tels que la mauvaise qualité linguistique du texte en question, sa technicité, de mauvaises conditions de travail et un manque de conscience professionnelle de la part du traducteur. MAUVAISES CONDITIONS DE TRAVAIL ET MANQUE DE CONSCIENCE PROFESSIONNELLE Il arrive que le traducteur doive travailler dans de mauvaises conditions, par exemple avec un texte de départ manuscrit et difficile à déchiffrer, ou mal photocopié, ou sous un éclairage insuffisant, ou dans un environnement bruyant qui perturbe sa concentration. Il arrive aussi qu'il ne vérifie pas sa lecture avec un soin suffisant. CONNAISSANCES ET ANALYSE DANS LA COMPRÉHENSION Ces facteurs de difficulté sont fréquents et sérieux, comme en témoignent de nombreuses erreurs de compréhension dans les traductions préparées par les étudiants Il apparaît donc souhaitable de chercher à réduire leur impact. Il peut être utile de rappeler la nature et les interactions des composantes de la compréhension du discours, à savoir les connaissances et l'analyse qui les complète. LA CONNAISSANCE PASSIVE DE LA LANGUE DE DÉPART Une connaissance minimum de la langue de départ, c'est-à-dire d'un certain lexique, de certaines règles syntaxiques, de certaines formes sonores (à l'oral) et visuelles (à l'écrit) est presque toujours indispensable à l'interprétation des signes linguistiques. En ce qui concerne la nature des connaissances requises, on soulignera qu'elles ne sont pas identiques pour la compréhension et pour l'énonciation. Dans le premier cas, il s'agit de reconnaître des signes et leur signification ; dans le second, d'évoquer ces signes. En ce qui concerne le degré de connaissance requis, on soulignera sa variabilité selon plusieurs paramètres, dont le degré de difficulté linguistique du texte (surtout syntaxique et lexical), la familiarité du lecteur (ou auditeur) avec la situation d'énonciation et ses différents paramètres, et sa connaissance du sujet. LES CONNAISSANCES EXTRALINGUISTIQUES La connaissance des signes de la langue est indispensable pour comprendre un énoncé, mais elle n'est pas suffisante, car il n'est pas possible de les interpréter si on ne sait pas quelque chose de la réalité extralinguistique qu'ils désignent. Même les énoncés les plus simples tels que les cris de surprise et de douleur ne peuvent être interprétés correctement que si l'on connaît déjà des situations de surprise et de douleur dans la vie. A fortiori, un énonce, qui fait référence à des objets, des actions, des personnes, etc. ne peut être interprété que si son récepteur en sait assez sur les objets, les actions, les personnes concernés pour faire le rapprochement entre les signes perçus et le monde qu'il connaît. Il est d'ailleurs difficile d'imaginer des connaissances linguistiques complètement détachées des connaissances extralinguistiques ; LA COMPLÉMENTARITÉ ENTRE LES INFORMATIONS LINGUISTIQUES ET LES INFORMATIONS EXTRALINGUISTIQUES S'il est difficile de dissocier de manière très nette les connaissances linguistiques des connaissances extralinguistiques, il est clair que la compréhension de l'énoncé se fonde sur l'interaction entre ces dernières. Plus le récepteur connaît le sujet et la situation dans laquelle s'inscrit l'énonciation, moins il a besoin de connaissances linguistiques, voire d'informations explicitées, linguistiquement ou non, pour interpréter l'énoncé. A mesure que les connaissances extralinguistiques du récepteur augmentent, pour lui, une partie de plus en plus grande de l'information explicitée linguistiquement devient redondante, en ce sens qu'elle ne lui apporte pas d'informations nouvelles. Quand une situation est bien comprise par un récepteur, il peut interpréter un énoncé même dans une langue dont il n'a que des connaissances linguistiques faibles ou médiocres. Ainsi, l'automobiliste français qui, à l'entrée d'un tunnel long sur une autoroute catalane, voit le panneau obligacio llums, fera facilement le rapprochement avec les panneaux autoroutiers français correspondants lui demandant d'allumer ses feux avant d'entrer dans un tunnel. L'ANALYSE Du fait de sa situation d'élément extérieur à la communication entre l'auteur et le destinataire et du déficit informationnel qui en découle presque inévitablement, le traducteur doit compléter ses connaissances pour avoir une compréhension suffisante de l'énoncé. Il en résulte pour lui la nécessité d'acquérir systématiquement des connaissances ad hoc. Les connaissances linguistiques et extra-linguistiques ne conduisent à la compréhension que par le biais d'une analyse. Dans la vie quotidienne, cette analyse est en grande partie subconsciente. Le traducteur y ajoute pour compenser son déficit informationnel chronique une analyse consciente, délibérée et systématique, afin d'exploiter au mieux les informations dont il dispose au départ ainsi que les informations que lui fournit le texte et les informations qu'il va rechercher à l'extérieur. LA PRÉVENTION DES ERREURS DE COMPRÉHENSION DANS LA TRADUCTION Pour les raisons évoquées plus haut, la compréhension d'un énoncé par son lecteur est souvent incomplète ou erronée, mais la fréquence de ces erreurs est difficile à évaluer. Il est vrai que des malentendus sont fréquemment observés dans la vie quotidienne, mais il est difficile de faire la part de ceux qui résultent de résistances inconscientes d'ordre affectif ou idéologique au message ou à la personnalité de l'énonciateur et de ceux qui résultent d'une insuffisance des mécanismes cognitifs en tant que tels. C'est dans le milieu scolaire que l'étendue de cette perte entre l'émetteur (l'enseignant) et le destinataire (l'apprenant) est la plus visible, et ce à travers les résultats des examens, partie intégrante du système d'enseignement. Dans les programmes de formation de traducteurs, la mauvaise compréhension des énoncés de départ se retrouve très régulièrement dans les exercices de traduction rendus par les étudiants. La démarche présentée ci-dessous vise à valoriser au mieux les connaissances du traducteur dans une démarche d'analyse pour prévenir autant que possible les erreurs de compréhension. LES CONNAISSANCES Le traducteur dispose, au moment où il aborde le texte à traduire, de connaissances linguistiques et extralinguistiques qui forment sa base de connaissances initiale. À mesure qu'il lit, cette base de connaissances s'enrichit de connaissances extralinguistiques apportées par l'énoncé de départ, mais aussi de connaissances linguistiques, généralement au niveau de la phraséologie et de la terminologie spécifique au domaine et au groupe auquel appartient l'énonciateur. La base de connaissances initiale du traducteur est très vaste, puisqu'elle englobe la totalité de ses connaissances acquises et non oubliées depuis son enfance et jusqu'au moment où il aborde le texte à traduire. Toutefois, seule une infime partie de ces connaissances va être mobilisée pour comprendre le texte à traduire, les autres n'étant pas pertinentes. D'un autre côté, la quantité d'informations acquises par la lecture d'un texte donné est infime par rapport à ces connaissances préexistantes, mais ces nouvelles informations sont toutes pertinentes par rapport à l'opération de traduction en cours. Parfois, les connaissances préexistantes et acquises au cours de la lecture de l'énoncé ne suffisent pas à en assurer la compréhension et à dégager une hypothèse sur son sens parce que le texte est mal rédigé ou rédigé pour des destinataires dont les connaissances sont très supérieures à celles du traducteur. Dans ces conditions, celui-ci ira chercher les informations nécessaires, terminologiques, conceptuelles ou autres dans des sources extérieures an texte, textuelles (livres de référence, glossaires, sites Web, base de données, etc.) ou humaines. L'acquisition de ces connaissances est une partie intégrante du processus de traduction, qui intervient également dans la phase de production du texte d'arrivée. LE TEST DE PLAUSIBILITÉ Un principe opérationnel qui semble avoir une certaine efficacité dans le cadre de la formation à la traduction est celui du test de plausibilité systématique. Il s'agit de considérer que le sens qui se dégage à la première lecture d'un énoncé n'est qu'une hypothèse de sens, et de la vérifier systématiquement en se posant deux questions : 1 / Ce qu'on pense avoir compris est-il logiquement cohérent par rapport au reste du texte ? Y a-t-il par exemple une contradiction entre une opinion exprimée dans une partie du texte et une opinion exprimée dans une autre partie du texte, ou entre deux faits décrits dans le même texte ? 2 / Ce qu'on pense avoir compris est-il compatible avec ce qu'o sait par ailleurs ? L'énoncé dit-il quelque chose dont le traducteur sait ou soupçonne fortement qu'il est faux ? Si la réponse à l'une des deux questions laisse subsister un doute, le traducteur relira la ou les partie(s) problématique(s) du texte en vérifiant que celui-ci dit bien ce qu'il semble dire. Quand la vérification d'une hypothèse de sens donne un résultat satisfaisant, le traducteur peut passer à l'étape de la reformulation du sens retenu. L'efficacité du test de plausibilité pour prévenir des erreurs de sens dépend fortement des connaissances préexistantes du traducteur. Si celui-ci ne connaît pas le domaine en question, il peut mal interpréter le texte original sans s'en rendre compte, car il ne pourra pas détecter de contradiction entre ce qu'il a compris et la réalité ou entre ce qu'il a compris à un endroit donné et ce que dit l'auteur à un autre endroit du texte. Nous appellerons « boucle de compréhension » le processus d'extraction d'une première hypothèse de sens à partir de l'énoncé de départ, de vérification de sa plausibilité, d'élaboration d'une deuxième hypothèse de sens au cas où la première s'avère peu plausible, etc. L'OPTIMISATION DE LA REFORMULATION Une fois que le traducteur dispose d'une hypothèse de sens qu'il considère acceptable, il peut passer à sa reformulation. Si ses connaissances linguistiques et extralinguistiques sont insuffisantes pour produire un énoncé d'arrivée, il procède à une acquisition de connaissances ad hoc. Toutefois, de même que dans la phase de compréhension, dans la phase de production, chaque énoncé produit en langue d'arrivée en reformulation d'une unité de traduction est considéré comme un énoncé provisoire, à vérifier. Cette vérification porte sur deux aspects de l'énoncé : 1 / Son acceptabilité éditoriale en tant qu'énoncé autonome dans la langue d'arrivée. Il s'agit de vérifier sa clarté et sa qualité linguistique (lexicale, syntaxique, stylistique, orthographique). 2 / Sa fidélité informationnelle (et dans la traduction littéraire, fidélité stylistique). REFORMULATION, RECHERCHE D'INFORMATIONS AD HOC ET SPÉCIALISATION Premièrement, comme la phase de compréhension, elle fait intervenir la base de connaissances préexistante, et souvent de manière plus massive. En effet, il s'agit de choisir soi-même, parmi différentes possibilités, le meilleur énoncé pour ré-exprimer les mêmes idées. La recherche nécessaire est généralement plus longue que la recherche faite à des fins de compréhension. Chez le traducteur professionnel, l'acquisition d'informations ad hoc à partir de sources extérieures au texte de départ est la composante de la traduction la plus consommatrice de temps - souvent le traducteur passe l'essentiel de son temps à cette recherche, et une petite partie de son temps à la rédaction de son texte. Une raison importante de la spécialisation des traducteurs techniques et scientifiques se situe dans ce fait. Rien n'empêche en principe un traducteur d'accéder à des sources adéquates et d'acquérir les connaissances nécessaires à la traduction de textes dans un domaine qu'il ne connaît pas, le processus peut être trop long – manque d’efficacité. La règle n'est pas absolue. Pour certains textes, quand on dispose de sources fiables ou quand on travaille en équipe avec un spécialiste, on peut avancer vite et bien même dans des domaines que l'on ne connaît pas. Une formule de travail en équipe avec un médecin pour des traductions médicales est décrite dans Gile (1986). Dans cette formule, le traducteur envoie le texte original au médecin, qui le lit et note à titre préparatoire des termes et tournures techniques en langue d'arrivée, ce qui permet au traducteur de rédiger rapidement un texte fiable dans le fond et la forme, que le médecin revoit et corrige éventuellement. Le gain de temps réalisé lui permet aussi de rémunérer correctement le médecin tout en augmentant ses propres revenus. Cette formule ou une variante peuvent s'appliquer tout domaine. REFORMULATION ET VALEUR AJOUTÉE DE LA TRADUCTION La phase de compréhension de l'énoncé en langue de départ a une fonction préparatoire ; la phase « productive» de la traduction celle où le traducteur prépare le texte qui sera remis au lecteur destinataire, est la phase de reformulation. C'est à ce moment qu'interviennent les éventuelles pertes, mais aussi et surtout la valeur ajoutée du service. Si le traducteur prend de bonnes décisions et dispose des connaissances et du savoir-faire nécessaires, il peut produire un texte en langue d'arrivée qui non seulement préserve les informations que l'auteur souhaitait faire passer à travers le texte de départ, mais les transmet de manière plus claire, plus agréable à tel point qu'un lecteur comprenant les deux langue, pourra préférer la traduction à l'original. REFORMULATION ET DIRECTION DE LA TRADUCTION La reformulation n'est pas immédiate, elle appelle un délicat dosage d'élégance rédactionnelle et de restitution informationnelle, la préservation totale de l'information véhiculée par l'énoncé de départ n'étant pas toujours compatible avec les règles rédactionnelles en langue d'arrivée. Ce dosage demande une bonne maîtrise stylistique de la langue d'arrivée, à laquelle on ne parvient que rarement dans une langue seconde. C'est la raison pour laquelle les employeurs qui visent des traductions de haut niveau de qualité recommandent fortement que l'on ne travaille que vers sa langue maternelle. Cette règle admet des exceptions. La plus fréquente résulte de l'absence de traducteurs ayant la combinaison linguistique souhaitée sur le marché en question. Ainsi, en Chine, au Japon, dans les pays d'Europe de l'Est, la quantité de travail vers l'anglais, mais aussi vers le français et d'autres langues est telle que les traducteurs anglophones, francophones et autres sur place sont vite saturés, et que la seule solution viable est le recours à des traducteurs de langue maternelle chinoise, japonaise, bulgare, tchèque, russe, etc. Les nouvelles technologies pourraient à terme alléger sensiblement ces contraintes en généralisant les traductions transfrontalières, le traducteur résidant dans un pays et le client dans l'autre. Par ailleurs, des traductions peuvent être réalisées en équipe, avec un locuteur natif pour corriger et améliorer un énoncé produit par un traducteur vers une langue non maternelle. Mais le principe de la traduction vers une langue maternelle garde ses avantages de principe — à condition que le traducteur ait une très bonne compréhension de la langue de départ. UTILISATION DU MODÈLE SÉQUENTIEL POUR L'IDENTIFICATION DES FAIBLESSES DES ÉTUDIANTS Pédagogiquement parlant, le modèle séquentiel sert d'abord à la présentation des différentes composantes de la traduction qui sont importantes pour l'optimisation de la qualité. Il sert aussi de référence pour identifier les causes des faiblesses des étudiants et pour les orienter dans leurs efforts vers l'amélioration de telle composante de leur travail. Faiblesses dans les connaissances L'insuffisance des connaissances, tant linguistiques qu'extra- linguistiques, est localisée dans la base de connaissances. Ses manifestations éventuelles dans le texte d'arrivée sont des fautes de sens et des fautes et maladresse de langue. Faiblesses dans la méthode De même que les faiblesses dans les connaissances, les faiblesses dans la méthode peuvent se traduire dans le texte d'arrivée par des fautes de sens et par des fautes et maladresses de langue. On peut, globalement, classer leurs sources en trois catégories : Une motivation insuffisante pour mener jusqu'au bout les différentes étapes nécessaires: la fatigue ou le manque de conscience professionnelle. De mauvaises conditions de travail, notamment des délais trop courts et l'absence de ressources pour la recherche des informations requises, qui peuvent empêcher le traducteur d'accomplir chacune des étapes de la traduction comme il le souhaiterait. Une insuffisante maîtrise d'une composante du travail, soit parce que le traducteur ne l'a pas assimilée, soit parce que tout en l'ayant comprise en principe, il n'a pas la capacité cognitive nécessaire à sa mise en oeuvre. Par exemple, il peut avoir du mal à résister aux interférences linguistique, ou être limité dans sa créativité linguistique et avoir du mal à trouver des solutions de reformulation en langue d'arrivée qui contournent les problèmes liés aux différences interlinguistiques. Symptômes et diagnostics On constate donc que dans la traduction, il est important de bien cerner les causes des faiblesses pour essayer d'y remédier. Une première étape dans la facilitation du diagnostic consiste à optimiser l'environnement de l'étudiant afin que certaines sources de problèmes soient éliminées d'emblée. Il s'agit premièrement, de vérifier à ce qu'il ait suffisamment de temps pour préparer sa traduction bien au-delà du temps dont il dispose généralement sur le marché du travail. L'un des avantages de l'environnement universitaire est cette possibilité qu'il donne de moduler la charge de travail en fonction de l'étape de l'apprentissage dans laquelle se trouve l'étudiant. Deuxièmement, il convient de choisir des textes de départ d'un degré de difficulté tel que le traducteur puisse les comprendre après une certaine recherche, et de s'assurer que les ressources nécessaires sont disponibles à la bibliothèque de l'université, sur Internet, etc. Troisièmement, il faut motiver les étudiants, par le discours, par l'exemple et par les autres moyens que donne l'université, notamment l'évaluation formelle, afin qu'ils s'engagent sérieusement dans le travail. La suppression partielle ou totale de certaines sources de problème ne suffit pas à résoudre le problème du diagnostic. Comment savoir en effet si telle faute de sens, telle faute de langue, telle maladresse résulte d'une connaissance insuffisante de la langue de départ, du sujet, d'une faiblesse dans la recherche documentaire, d'un état de fatigue cl l'étudiant ? L'une des possibilités consiste à interroger l'étudiant en question Une autre, plus pratique pour l'enseignant car elle permet de gagner du temps et lui donne un aperçu de la situation de toute une classe, consiste à demander aux étudiants d'expliquer par écrit, pour chaque traduction, les problèmes qu'ils y ont rencontrés, leurs actions et leurs décisions. CONCLUSION : VALEUR AJOUTÉE ET CONSCIENCE PROFESSIONNELLE DANS LA TRADUCTION Une traduction peut se faire sans les tests et avec une mobilisation minimum de sources extérieures. Quand le traducteur a connaissances linguistiques et extralinguistiques requises, il arrive que le résultat soit passable ou qu'il soit accepté par le client même s'il est médiocre ou mauvais. Sur le terrain, on voit de nombreuses traductions de mauvaise qualité et des traducteurs professionnels de faible niveau qui ont néanmoins une clientèle. Dans certains organismes et dans certaines situations professionnelles, il existe un contrôle de qualité plus ou moins efficace. Dans un tel cas, la qualité de la traduction sera déterminée par la conscience professionnelle du traducteur bien plus que par les forces du marché. Certains considèrent que la qualité à offrir au client doit être fonction du prix qu'il est disposé à payer. Cette attitude est dangereuse, car elle risque de dévaloriser le métier de traducteur et conduire à terme à des effets délétères sur les conditions de travail et sur la rémunération de l'ensemble de la profession. Il est souhaitable de chercher à maintenir, voire à améliorer le niveau de qualité global, pour donner davantage de satisfaction personnelle au traducteur et pour positionner la profession suffisamment haut. Une bonne formation peut y contribuer, d’où l’importance de la formation des traducteurs. BIBLIOGRAPHIE Gile, Daniel, 2005, La traduction, la comprendre, l’apprendre, PUF, Paris Gile, 1986, « La traduction médicale doit-elle être réservée aux seuls traducteurs-médecins? » Meta, 31, pp.26-30