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TD1 V.N.

R MASTERI SL DEPARTEMENT DE FRANÇAIS

I. Autour de la variation

I.1. La notion de variation sociolinguistique

La langue offre la possibilité de dire la même chose de plusieurs façons en raison


de l’impact de plusieurs facteurs, particulièrement, les facteurs sociaux. C’est ainsi
qu’on trouve au sein d’une même communauté linguistique, de nombreuses variétés
linguistiques qui y coexistent. On appelle ce phénomène sociolinguistique : variation.
A ce sujet, H. Boyer (2001 : 24) a relevé, dans ses propos, cet aspect des langues qui
« se transforment, se renouvellent, varient et s’enrichissent au fil du temps, dans les
espaces où elles sont pratiquées, et au gré des situations de communication ». Donc,
les langues ne peuvent être statiques, elles accompagnent généralement l’essor de nos
sociétés.
La variation constitue désormais pour les sociolinguistes, « l'objet d'une approche
susceptible d'en décrire la systématicité ». (Ibid.) Elle occupe ainsi une place centrale
au sein de la sociolinguistique.
La notion de variation a été développée grâce aux travaux de William Labov.
Celui-ci a décrit « les fonctionnements sociolinguistiques des variantes d’une même
forme, d’un même phénomène » (Boyer, 2001 : 19). Ses recherches se sont focalisées
essentiellement sur l’anglais américain et elles ont montré qu’il existait plusieurs
manières de parler l’anglais. Cette diversité est liée à plusieurs paramètres à savoir : la
classe sociale, l’âge, le sexe, etc.
William Labov est considéré comme le père fondateur de la sociolinguistique. Sa
vision de la langue objet hétérogène s’oppose à celle de De Saussure, qui considère la
langue comme un système homogène, c'est-à-dire qu’il n’ya qu’une manière de dire les
choses. Ses travaux portant sur la notion de variation ont permis à la sociolinguistique
de s’affirmer comme discipline scientifique de pleins droits dans les années 60 et qui
ont pour tâche de décrire les différents usages linguistiques tout en se référant aux
données extérieures (extralinguistiques).

Dans la même perspective, Marie- Christine Hazaël-Massieux écrit: « c'est le


désir d'expliquer cette variation, de trouver les causes de chaque variété en rendant
compte de toutes les données susceptibles d'être mises en relation avec les formes
produites, qui a donné naissance à la sociolinguistique ».
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I.2. Quelques facteurs de la variation

Pour comprendre le fonctionnement de la variation, il faut prendre en considération


le contexte linguistique et discursif. Ce dernier s’appuie sur les données sociales
(considérées comme paramètres extérieurs) dans lesquelles les variantes linguistiques
sont employées. Boyer en a distingué cinq facteurs :

a) Le facteur « géographique »
Le parler des locuteurs diffèrent selon l’espace géographique qu’ils
occupent. On parlera alors de variation géographique (appelée également
variation diatopique). C’est ce que confirme Sini (2015 : 78) dans ces propos « des
locuteurs d’espaces géographiques différentes partagent la même communauté de
langue présentent des réalisations phonétiques, syntaxiques et/ou lexico
sémantiques différentes ». Si on prend l’exemple de la francophonie, on peut constater
que les locuteurs de France, du Canada, de Suisse, de Belgique ou d’Algérie… n'ont
pas n’emploient pas de la langue française de la même manière : lexique, accent et
mêmes les formes grammaticales diffèrent d’une zone géographique à une autre.
Il est aussi à signaler qu’au sein même de ces pays, plusieurs variétés
peuvent être repérées. Par exemple, au Canada, on peut distinguer le français
acadien du français québécois. Au sein même de la province du Québec, plusieurs
sous-variétés du français peuvent être distinguées: variété montréalaise, variété
gaspésienne, variété parlée dans la ville de Québec, etc.
De ce fait, comme on l’a avancé ci-dessus, trois variations sont à dégager :
variation lexicale, phonétique et morphosyntaxique.

 Variation lexicale

Le lexique utilisé diverge d’une zone géographique à une autre. H. Boyer


donne un exemple du lexique employé pour les trois repas de la journée en France.
Dans la France dite « méridionale », le matin on prend son « déjeuner », à midi on «
dîne » et le soir on « soupe » alors qu'« au Nord de la Loire », les mêmes séquences
alimentaires sont désignées par : « petit déjeuner », « déjeuner », « dîner » (Boyer,
2001 : 24).
D’autres exemples à citer :
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Téléphone/ Mobile (Locuteurs français) Cellulaire (Locuteurs


quebéquois)
Fête (Locuteurs français) Party (Locuteurs quebéquois)

La variation lexicale se manifeste sous quatre formes (Chevillet (1991, p. 21))1 :

1) le même mot peut avoir un sens différent : par exemple :

En français hexagonal, le terme « lunatique » réfère à une personne dont l'humeur


change souvent, alors qu'en français québécois, le vocable renvoie à une personne qui
est dans la lune, distraite et même carrément folle.

2) le même mot peut comporter un sens supplémentaire : par exemple :


En français de France, « écœurant » renvoie uniquement à quelque chose qui «
écœure », qui rend malade, alors qu'en français québécois, le vocable renvoie non
seulement à quelque chose d'excellent, de génial, mais également à quelque chose qui
rend malade.

3) le même mot peut ne pas avoir la même fréquence statistique : par exemple :
En français hexagonal, un jeune locuteur désignera ses amis par le biais du mot «
copain » qui existe également en français québécois, mais dont l'usage est nettement
moins fréquent que le mot « chum ».
Le mot serpillère est aussi préféré aux autres termes renvoyant à la même réalité
(chiffon, cinse, lave- pont, loque, panosse, etc.)2
4) le même concept peut sous-tendre deux vocables différents : par exemple :
En français de France, on utilise le mot « pastèque » alors qu'au Québec, on
emploie « melon d'eau». En France, une « liqueur » correspond à un alcool alors
qu'au Québec, une « liqueur » correspond à un soda. Dans de tels cas, la variation
lexicale peut donc poser des problèmes d'intercompréhension entre les locuteurs.

 Variation phonétique/phonologique

1
Cité dans BIGOT, Davy et PAPEN, Robert, « Formation en linguistique variationniste», Publication
Subventionnée par l’Université Ouverte des Humanités (UOH), Ministère de l’enseignement supérieur et
de la recherche, France, 2014.
2
En mai 2015, 10000 personnes ont participé au sondage et ont répondu qu’ils utilisent beaucoup plus le
mot serpillère. Pour plus d’infos, consulter les résultats sur le site internet www.francaisdenosregions.com, qui
est un site consacré à la variation du français à travers les diverses régions du monde, et qui récence un grand
nombre de variations lexicales.
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La variation phonétique/phonologique renvoie aux différentes prononciations des


mots de la langue, autrement dit, elle est directement liée à l’accent. Chaque variété de
langue se caractérise par des traits phonétiques spécifiques qui permettent de « localiser
un interlocuteur » (Boyer, 2001 : 26).

Exemple3 :

Un Parisien se distingue très facilement d'un locuteur natif du Sud de la France ou


encore du Québec, car la prononciation de ces derniers est différente de celle des
habitants de la capitale française.

Prenons l'exemple du mot « samedi ». Il sera prononcé différemment par les trois
locuteurs :

- à Paris « samedi » est prononcé généralement [samdi] :

- dans le Sud de la France, on entendra généralement le E caduc comme dans


[samədi] :

- au Québec, on entendra généralement l'assibilation (c'est-à-dire le passage de la


consonne à la voyelle suivante réalisé par une sifflante, comme dans [samdzi]) :

Chevillet (1991 : 20) souligne que les différences de prononciation, et donc d'accent,


peuvent relever de la phonétique ou de la phonologie : « En schématisant à l'excès, on
dira qu'une différence phonétique est un accident de surface n'ayant aucune
répercussion sur le système, alors qu'une différence phonologique concerne
l'organisation du système, en profondeur. » On considère, en général, qu'il existe trois
types de différences phoniques :

- Les différences réalisationnelles : ne touchent pas l'organisation des phonèmes


d'une variété. Par exemple, en français standard international, le R est prononcé [ʁ] (une
fricative uvulaire) quelle que soit sa position (à l'initiale comme dans « rapide » [ʁapid],
à l'intervocalique comme dans « durée » [dyʁe] ou en position finale comme dans « lire
» [liʁ]), alors que dans certaines variétés locales, il sera prononcé [r] (c'est-à-dire roulé
avec la pointe de la langue contre les gencives supérieures) dans les mêmes contextes
linguistiques. Le /R/ dit « roulé » est minoritaire, il se maintient uniquement dans des
zones rurales. Partout ailleurs en France, c’est plutôt le /r / parisien (appelé également
«grasseyé ») qui domine.

3
Les exemples sont tirés du site : http://uoh.concordia.ca/sociolinguistique/m/module1/co/module1_8.html
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- Les différences distributionnelles : concernent l'organisation des phonèmes.


Chaque variété possède les mêmes phonèmes, mais ces derniers ne sont pas organisés
de la même façon. En d'autres mots, ils n'apparaissent pas dans le même contexte
linguistique. Par exemple, en français standard de France, le A est prononcé [a] en
position finale (comme dans « Canada » prononcé [kanada]), alors qu'en français
standard québécois, le A final est généralement prononcé [ɑ] en finale (comme dans «
Canada » prononcé [kanadɑ]).

La prononciation des consonnes finales de mots se terminant par la séquence –il 4


diffère aussi d’une zone à une autre. En France et en Suisse, sourcil se prononce comme
cil ; alors qu’en Belgique, on ne prononce pas la consonne finale de ce mot. Jusqu’au
siècle dernier, il était courant de ne pas prononcer la consonne finale de mots comme
nombril, baril, gril – habitude que l’on a conservée pour des mots comme outil ou fusil.
Les Québécois sont de ce point de vue plus cohérents que les Européens. Outre-
Atlantique, la non-prononciation du -l final dans les mots comme persil, sourcil,
nombril ou baril est la règle.
Une vaste enquête a été réalisée par l’équipe « Français de nos régions » sur la
prononciation de certaines consonnes finales en français. On prend l’exemple de la
consonne /l/finale dans le mot persil. Les résultats de l’enquête obtenus sont représentés sur
la carte ci-dessus5 :
La carte ci-dessous montre que la non-prononciation du /l/ ne s’étale que sur quelques
département du centre de l’Hexagone (Zone verte) par contre elle est prononcée dans la majorité du territoire
hexagone.

4
A consulter le site : www.francaisdenosregions.com

5
L’exemple est tiré du Cours de Dr Bessai B. « Variations, Normes, Représentations », Université de Bejaia
2018/2019.
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Figure 1 : Aire de (non-)prononciation de la consonne finale du mot persil, d’après


l’enquête Français de nos régions.
- Les différences d'inventaire sont identifiées lorsque deux variétés se distinguent
par le fait qu'elles ne possèdent pas les mêmes phonèmes. Par exemple, en français
standard de France, la voyelle nasale [ɛ]̃ a remplacé la voyelle [ɶ̃], comme dans « un
lapin », généralement prononcé [ɛl̃ apɛ]̃ plutôt que [ɶ̃lapɛ]̃ . La voyelle nasale [ɶ̃] existe
toujours en français standard québécois et on prononcera donc « un lapin » [ɶ̃lapɛ]̃ en
faisant une distinction très nette entre la voyelle nasale arrondie [ɶ̃] et la voyelle nasale
écartée [ɛ]̃ . On dit alors que les deux variétés ne possèdent pas le même inventaire de
phonèmes.
Dans tous les cas évoqués ci-dessus « le bon sens populaire aura su relever des
différences dans le comportement linguistique des locuteurs et on voit qu'il n'est pas
nécessaire d'être un spécialiste de la linguistique pour se rendre compte qu'il existe des
différences entre les productions phoniques des usagers d'une même langue » (Walter,
1977 :7 cité dans Boyer, 2001 : 26).
 Variation morphosyntaxique6 :
Ce genre de variations est moins présent que les autres types de variation car la
structure grammaticale est la chose la plus stable dans une langue.

La variation morphosyntaxique touche la morphosyntaxe (notamment les


formes d'accord) comme la syntaxe de la phrase (c'est-à-dire l'ordre des mots). Un
exemple concret de variation morphosyntaxique est l'emploi des trois formes « je vais »,
« je vas » et « m'as » en français canadien. En effet, lorsqu'il est employé comme semi-
auxiliaire (suivi d'un infinitif) comme dans « je vais manger une pomme », un locuteur
francophone du Canada peut dire :

1) j'vais manger une pomme [jvɛmɑ̃ʒeynpɔm]

2) j'vas manger une pomme [[jvɑmɑ̃ʒeynpɔm]

3) m'as manger une pomme [mɑmɑ̃ʒeynpɔm]

Il existe également une variante pronominale. A titre d'exemple :

En français canadien, on note l'emploi de « tous » et « tout » prononcés [tʊt] au


lieu de [tʊs] et [tu], quel que soit le groupe grammatical qui les suit. On oppose donc :

6
Tous les exemples de cette section sont relevés du site
http://uoh.concordia.ca/sociolinguistique/m/module1/co/module1_10.html
1) j'ai fait tout [tu] mon travail vs j'ai fait tout [tʊt] mon travail.

2) j'ai fait tous [tu] mes travaux vs j'ai fait tous [tʊt] mes travaux.

3) mes travaux, je les ai tous [tʊs] faits vs mes travaux, je les ai tous [tʊt] faits.

Ces exemples montrent que l'accord en genre et en nombre de « tout » et « tous »


est neutralisé sous une même forme phonique /tut/. Précisons que si ce phénomène est
bien connu et documenté en français canadien, il ne l'est pas en français de France.

La variation morphosyntaxique peut toucher également la syntaxe de la phrase :


le cas des interrogatives directes totales (c'est-à-dire les interrogatives auxquelles on
répond par « oui » ou par « non ») ainsi que le cas des interrogatives indirectes. En
français Québécois (et dans les autres variétés de français du Canada), les phrases
interrogatives directes fermées peuvent se construire de plusieurs façons :

- par inversion du sujet et du verbe comme dans « Vient-il au cinéma avec nous ce


soir ? » ;

- avec « est-ce que » comme dans « Est-ce qu'il vient au cinéma avec nous ce soir ? » ;

- par intonation comme dans « Il vient au cinéma avec nous ce soir ?;

- par ajout de la particule interrogative « -tu » comme dans « Il vient-tu au cinéma


avec nous ce soir ? ».

Comme on peut le constater, dans ces exemples, c'est bien l'agencement des
éléments grammaticaux et donc la syntaxe des phrases qui varie. Dans certaines
variantes, on a inversé l'ordre des mots, dans d'autres, on a ajouté un élément ou un
groupe d'éléments avant ou après le verbe.

Sur le même principe, on retrouve également de la variation syntaxique dans les


phrases interrogatives indirectes. Toujours en français québécois, on trouve les trois
variantes suivantes :

1) je me demande ce que tu fais avec ça ;

2) je me demande qu'est-ce que tu fais avec ça ;

3) je me demande que c'est que tu fais avec ça ;

4) je me demande qu'est c'est que tu fais avec ça.


Comme dans l'exemple précédent, ces quatre phrases expriment la même chose.
Elles ne sont cependant pas construites avec les mêmes éléments grammaticaux et leur
syntaxe diffère nettement. On soulignera que tout comme pour les interrogatives
directes, un locuteur n'emploie pas ces constructions dans un même contexte. Leur
utilisation dépend, notamment, de la situation de communication dans laquelle la
personne se trouve.

Dans certaines régions de France, les particularismes grammaticaux sont aussi


présents. Prenons l’exemple de l’usage de pronom « y ». L enquête menée par l’équipe

« Français de nos région »3 sur ce pronom a montré que son usage dans des phrases
comme: « je vais y faire » ; « je vais y prendre » ; « je vais y manger ?» couvre une aire
géographique plutôt large, qui ne se limite finalement pas au domaine franco-provençal 7
:

Figu
re 2 : Répartition et vitalité du pronom « y neutre » selon l’enquête le français de nos région.
7
L’exemple est tiré du Cours de Dr Bessai B. « Variations, Normes, Représentations », Université de Bejaia
2018/2019.
Le pronom « y » a tendance à remplacer pas un complément d’objet indirect : ex.
dans la phrase j’y vais), mais dans les différents exemples cités ci-dessus, il remplace un
complément d’objet direct, des compléments de type « quelque chose » ou « ça » (je
vais faire quelque chose, je vais prendre ça, je vais manger quelque chose/ça), et non
des compléments de type « à quelque chose » ou « à ça » (je vais faire à quelque chose,
je vais prendre à ça, je vais manger à quelque chose/ça, où l’astérisque signale que
l’énoncé est agrammatical). Dans ces régions, les gens n’utilisent pas le pronom le,
comme en français standard (je vais le faire, je vais le prendre, je vais le manger) ?8

Pour parler de ce phénomène, H. Boyer (2001) emprunte à G. Tallion l’exemple


suivant: « ce qui t’es arrivé, j’y sais déjà : c’est ton frère qui m’y raconté ». Ce type de
phrases ne sera pas entendu dans le sud-ouest de la France.

b) Le facteur « sexe »

Il existe également des variations liées au sexe appelé variation « sexuelle » ou «


diagénique ». La société en est le parfait exemple qui illustre ces flagrantes différences
entre le parler des hommes et celui des femmes. Ces deux sexes « n'emploient pas
nécessairement les mêmes formes dans des contextes sociaux similaires » (Bigot et
Papen, 2014 : 12), autrement dit, ils n’emploient pas souvent les mêmes formes
phonétiques, syntaxiques et lexicales. Ceci est dû aux différentes représentations que se
fait chaque catégorie des formes linguistiques et qui ont un impact direct sur leurs
pratiques langagières.

La variable «  sexe » a été le centre d’intérêt de beaucoup de travaux en


sociolinguistique. Nous évoquerons initialement l’enquête de W. Labov menée à a
menée à New York sur la stratification sociale de l’anglais. Ce sociolinguiste a constaté
que les femmes sont « plus sensibles [que les hommes] aux modèles de prestige », et «
utilisent moins de formes linguistiques stigmatisées (considérées comme fautives), en
discours surveillé » (Singy, 1998 : 12).
Pour Labov (1992, 22), les femmes font subir à la langue beaucoup de
changements linguistiques et ce dans plusieurs régions du monde :

8
A consulter le site : www.francaisdenosregions.com
« L'affaiblissement des affriquées en Argentine [...], la fusion des voyelles hautes devant /I/ au
Texas [...], l'avancement du noyau de /aw/ au Canada [...], les changements en chaîne des sept
voyelles brèves dans les grandes villes du Nord des États-Unis [...], la postériorisation des voyelles
longues en Californie et dans l'ouest des États-Unis, le recul du /e/ bref à Norwich [...], ainsi que les
nombreux changements vocaliques à New-York et à Philadelphie ».

W. Labov a expliqué dans ces propos la raison qui pousse les femmes à se
conformer aux normes sociolinguistiques prescrites plus que les hommes : « Il est [...]
possible d'interpréter le conformisme linguistique des femmes comme étant le reflet de
leur plus grande responsabilité dans l'ascension sociale de leurs enfants - ou du moins
dans la préparation des ressources symboliques nécessaires à cette ascension. »
(Labov, 1998 : 32 cité par Boyer).

Peter Trudgill9 (sociolinguiste britannique) rejoint W. Labov dans son interprétation du


conformisme linguistique des femmes. Ce sociolinguiste explique que ce phénomène
pourrait être la conséquence de la position socioéconomique inégalitaire entre les femmes
et les hommes:

« Les hommes semblent avoir moins d'efforts à faire afin de signaler leur statut et leur
position sociale. Ces derniers transparaissent directement à travers leur profession et leurs revenus.
Les femmes, ayant moins de pouvoir économique, signalent leur position sociale et leur statut au
travers de marques symboliques de pouvoir, en autres, les pratiques linguistiques des classes
dominantes » (Bigot et Papen, 2014 :26-27).

Bourdieu constate également que les hommes sont moins attirés par les façons de parler
légitimes alors que les femmes, surtout les jeunes scolarisées, s’efforcent à participer au
marché dominant des pratiques langagières :

« Par la division de travail entre les sexes, qui les spécialise dans le domaine de la consommation, et
par la logique du mariage, qui est pour elles la voie principale, sinon exclusive, de l’ascension sociale, et où
elles circulent de bas en haut », et elles sont ainsi prédisposées à se conformer aux exigences du marché des
biens symboliques, en particulier dans le domaine des pratiques linguistiques (Bourdieu cité par Hafez, 2006 :
39).
9
Pour consulter les résultats de l’un des travaux de ce chercheur, je vous renvoie au Cours de Bessai B.
« Variations, Normes, Représentations », Université de Bejaia 2018/2019. PP 16-17.
Dans le contexte algérien, ce phénomène peut apparaitre dans l’articulation de certains
phonèmes. Par exemple les femmes utilisent beaucoup plus le /r / « parisien » ou « grasseyé »
alors que les hommes lui préfèrent le /r/« roulé ». Cela n’est nullement dû à une raison de
nature physiologique, tel que le confirme Cherif Sini (2015 : 80) :
« La question relève du social et, plus précisément, du rapport qu’on a avec la langue concernée :
grasseyer rapproche d’une certaine manière de prononcer le français perçu prestigieux alors que rouler
marque, pour certains, une espèce de distance vis-à-vis du français métropolitain ou d’une appropriation de
la langue en lui donnant un cachet local ».
c) Le facteur « âge »

Le facteur « âge » est l’un des facteurs les plus déterminants de la variation.
Pierrette Thibault (1997 :20) explique que cette entité est très nécessaire pour la
compréhension des phénomènes linguistiques qui se produisent au sein d’une
communauté linguistique «l’âge des locuteurs est l’une des clés maîtresses pour la
compréhension de la dynamique des communautés linguistiques ». Quand nous
examinons les pratiques langagières dans la société, nous constatons l’existence de
beaucoup de formes linguistiques spécifiques. Chaque tranche d’âge a sa façon de
parler, c’est ce confirme Boyer (2001 : 27). « On pourrait dire qu'au sein d'une
communauté linguistique, à un moment donné de son histoire, coexistent plusieurs
synchronies, dont les diverses générations sont porteuses ».

Parmi les nombreuses recherches sociolinguistiques qui ont étudié l’impact des
entités sociales (âge, sexe, classe sociale, etc.) sur les pratiques langagières, nous citons
celle d’Eva Havu menée en 2006 sur les pronoms d’adresse de la langue française. Dans
son article intitulé « Quand les Français tutoient-ils ? »10, Eva Havu a exposé les
résultats de son enquête :

Il s’est avéré que lors d’une première rencontre avec un interlocuteur du même âge
(ou plus jeune), les participants se tutoient majoritairement. La tranche d’âge né entre
1960-1979 se tutoie parfois dans une situation similaire, par contre le tutoiement est
(presque) inexistant dans les générations antérieures. Quand l’interlocuteur est plus âgé,
le vouvoiement est largement majoritaire (1960- 1990) ou de règle (1900-1950).

Cette étude révèle clairement que l’âge de l’interlocuteur exerce une influence sur le
choix du pronom d’adresse. Le taux de tutoiement augmente généralement plus les
générations interrogées sont jeunes.

De nombreuses investigations sociolinguistiques se sont intéressées dernièrement aux


caractéristiques générales du langage des jeunes, appelé également « parler jeune », «
français des jeunes, « langue des cités » (Boyer, 2001).

Pour plus de détails sur cette enquête et ses résultats, nous vous renvoyons au Cours de Bessai B. «  Variations,
10

Normes, Représentations », Université de Bejaia 2018/2019. PP 18-20.


d) Le facteur social
Ce facteur intervient plus particulièrement dans un type de variation appelée « variation
diastratique ». Celle-ci s’intéresse à la relation qui lie la diversité des usages de la langue et
les caractéristiques sociales et démographiques des individus (l'appartenance à un milieu
socio-culturel). Les études variationnistes ont déjà mentionné l’influence des inégalités
sociales manifestées dans la langue avant même la naissance de la linguistique labovienne
(Bigot et Papen, 2014 :22).

Sur ce même principe d’inégalités sociales, l’étude du chercheur britannique Basil


Bernstein (1975) sur l’échec scolaire des élèves appartenant à des classes défavorisées a
démontré que leur utilisation d’un « code restreint » en est la cause. Par contre, la réussite
scolaire des élèves issus des classes supérieures provient de leur usage d'un code «
élaboré », spécifique aux groupes sociaux favorisés. (Bigot et Papen, 2014 : 22).
Cette thèse de déficit linguistique a été critiquée voire même rejetée par de nombreux
scientifiques. A ce sujet F. Gadet (1997 : 84) dit qu’: « on lui reproche tout d’abord de
supposer dans l’interprétation des données, qu’il y a isomorphisme entre structures
linguistiques et structure cognitive ». Aux Etats-Unis, cette théorie a largement été réfutée
« certains iront jusqu'à la qualifier de raciste » (Bigot et Papen, 2014 : 22).
La grande étude de Labov sur le /r/ en (1966) vient corroborer ce principe qui et confirme
qu’il y a bien une relation entre les variantes linguistiques produites et les classes sociales.
Pareillement pour l’étude de Trudgill (1974), qui propose quant à lui, un schéma plus
général représentant la répartition de l'ensemble des dialectes de l'anglais britannique. Le

schéma est le suivant11 :

11
Présenté dans BIGOT, Davy et PAPEN, Robert, « Formation en linguistique variationniste», Publication
Subventionnée par l’Université Ouverte des Humanités (UOH), 2014. Tiré du Cours de Bessai B. « Variations,
Normes, Représentations », Université de Bejaia 2018/2019. P24.
« En haut de la pyramide sociale, on trouve les classes sociales les plus élevées (composées des
membres de la classe politique, de membres de la famille royale anglaise, etc.) utilisant la
prononciation dite RP (Received Pronunciation), prononciation reconnue comme étant la plus
soignée, la plus distinguée en Grande-Bretagne. Plus on descend dans les strates inférieures de la
pyramide, plus cette prononciation tend à disparaître pour laisser place aux accents plus régionaux.
Aux plus bas échelons de cette représentation, nous trouvons les classes sociales les moins élevées
(lower classes) et des variétés de l'anglais extrêmement localisées (on y retrouve le Cockney de
Londres, mais aussi le Scouce de Liverpool ou encore le Geordie de Newcastl) » (Bigot et Papen,
2014 : 24).

e) Le facteur « situation de communication »

Pour appréhender la variation linguistique, il est important de prendre en considération


la situation de communication. Les pratiques langagières sont régies par plusieurs
paramètres du contexte.
H. Boyer (1996 : 16) a énuméré quatre situations du discours où le locuteur d’une
langue doit modeler son discours sur le plan lexical, phonétique et syntaxique :

- Du statut, de la position et de l’attitude de l’interlocuteur, du rapport qu’il


entretient avec lui (pair ou supérieur hiérarchique, de la connaissance qu’il a de
lui (et du degré de connivence qui les lie), de ses réactions (regard, mimiques,
etc.)… ;

- De ce qu’il peut imaginer de lui : ici interviennent tous les signes extérieurs
d’identité ou d’appartenance à un groupe ou une classe sociale, dont font partie
les signes linguistiques ;
- Du lieu : deux collègues peuvent se parler de façon tout à fait différente selon
qu’ils se trouvent dans une réunion de travail où ils ont un certain rôle
institutionnel à jouer, ou bien au restaurant où ils déjeunent ensemble ;
- De la nature du discours accompagné ou non, à des degrés divers, d’une
autosurveillance ou d’une autocensure : conversation à bâtons rompus,
discussion d’affaires, rencontres plus ou moins ritualisées ; et de sa finalité :
ordre, demande, conseil, mais aussi démonstration, séduction …la liste pour
ainsi dire infinie.

Il existe également trois registres de langue : la familier, le courant et le soutenu.


Chaque registre se caractérise par un vocabulaire spécifique.

I.3. La linguistique variationniste : méthodes et objectifs

William Labov est considéré comme le père fondateur de la linguistique


variationniste. Ses travaux cherchaient à attester l’aspect pluriel la langue d’une
communauté linguistique à travers l’étude de la structure des variations qui s’y
retrouvent (Thibault, 1997 : 284).
Dans l’étude de la variation linguistique, W. Labov prends en considération
deux paramètres : le premier est d’ordre social et le second est d’ordre stylistique : «
L’ensemble des performances d’une communauté linguistique constitue une structure à
deux dimensions : sociale et stylistique : (…) les réalisations linguistiques des variables
sont corrélées avec la position sociale de ceux qui parlent et avec les conditions des
discours qu’ils tiennent ». (Marcellesi et Gardin, 1974 :144).
Ces deux paramètres linguistique et social n’influent pas de la même manière sur
deux variations bien distinctes : les variations stables et les changements en cours
dans une communauté: (Thibault, 1997 :285).

« Dans le premier cas, les facteurs sociaux ne jouent en aucun cas sur les phénomènes
linguistiques. Ce sont des contraintes linguistiques, et non la diversité sociale, qui conditionnent
la variation. Au contraire, les changements en cours au sein d'une communauté tendent à
démontrer une variation linguistique dépendante des différences sociales (sexe, âge, classe
sociale, etc.) entre les locuteurs » (Bigot et Papen, 2014 : 18).

L’étude de la variation nécessite donc la prise en compte des éléments suivants :


le contexte linguistique et discursif dans lequel les variantes se manifestent et les
caractéristiques sociales des individus qui les utilisent (Thibault, 1997 :286).

Les linguistes variationnistes ont développé une méthode quantitative visant à


analyser l’impact des variables extralinguistiques ou sociales (le sexe, l'âge ou encore
la classe sociale des individus) sur les variables linguistiques. Ces variables
linguistiques « sont sélectionnées et réparties au sein d'une communauté de locuteurs,
et tiennent compte des diverses situations discursives » (Bigot et Papen, 2014 : 18).
L'objectif de cette méthode variationniste est de permettre :

« De souligner des comportements différentiels entre des catégories sociales spécifiques


(homme/femme, riche/pauvre, jeunes/vieux, etc.). Une stratification en classes sociales indiquera,
par exemple, une hiérarchie de valorisation de certaines formes langagières. Une stratification en
classes d'âges soulignera un éventuel changement en cours dans une communauté linguistique »
(Bigot et Papen, 2014 : 18).

Les travaux de William Labov ont montré qu’il existe un rapport étroit entre les
facteurs linguistiques et les facteurs sociaux. C’est ce que nous verrons avec ces
différentes enquêtes.

I.4. Les enquêtes de William Labov

a) L’enquête de l’île Martha’s Vingnard

Lors de son séjour dans L’île Martha’s Vingnard (qui se situe dans l’Etat du
Massachusetts aux USA) William Labov a constaté que la langue pratiquée par les
habitants de cette île se caractérise par quelques particularités phonétiques. C’est ce qui l’a
d’ailleurs amené à effectuer une enquête sur la prononciation de quelques diphtongues dans
cette île. Il s’est particulièrement intéressé aux deux diphtongues /ay/ dans des mots
comme right, white, pride, wine ou wife et /aw/ dans des mots comme house, out, doubt,
etc. (Calvet, 1993).
Cette enquête a révélé que les habitants de cette île centralisent le premier élément le /a/
de ces diphtongues /ay/et /aw/ qui prend une prononciation proche de /e/. W. Labov, s’est
interrogé sur l’origine de ce trait phonétique (centralisation des diphtongues) qui est propre
aux habitants de cette île : « Pourquoi Martha’s Vineyard a-t-elle tourné le dos à l’histoire
de la langue anglaise. Je crois qu’il est possible d’apporter à cela une réponse spécifique en
étudiant dans le détail la configuration de ce changement phonétique à la lumière des forces
sociales qui agissent le plus profondément sur la vie de l’île. » (Labov, 1976 :73).

Pour expliquer cette variation, W. Labov a commencé par étudier son lien avec les
paramètres sociaux. Il s’est ainsi focalisé sur la structure sociale de l’île (Labov, 1976 :73), en
prenant en considération les paramètres suivant : la répartition géographique (basse île/haute
île), les groupes sociaux (pêcheurs, fermiers, autres), ethnie d’origine (anglaise, portugais,
indien), etc.

Les habitant de l’île de Martha’s Vignerds souffrent du taux de chômage des plus
élevés aux USA. Face à cette situation, certains habitants veulent quitter l’île pour aller
vivre dans des régions qui offrent plus d’opportunités de travail, d’autres en revanche,
défendent avec acharnement leur île. De ce fait, W. Labov a pu classer les attitudes des
habitants envers leur île en trois niveaux : 1- positif : ceux qui veulent rester, 2- neutre :
ceux qui n’expriment aucun avis, et 3- négatif : ceux qui veulent partir.
Après une analyse de ces trois attitudes, W. Labov atteste que les locuteurs qui ont une
attitude positive centralisent le /a/ des diphtongues /ay/ et /aw/. Autrement dit, cette
variable phonétique dépend des paramètres extralinguistiques (répartition sociale) : « ceux
qui veulent rester dans l’île adoptent une prononciation « îlienne » et ceux qui veulent
partir adoptent une prononciation « continentale » (Calvet, 1993 : 67).
La centralisation des diphtongues changent également selon les groupes d'habitants (en
fonction de l'appartenance ethnique, de l'âge, de la résidence, de la profession). Elle est plus
forte chez les pêcheurs que dans les autres catégories sociales, chez les jeunes que chez les
gens âgés, chez les jeunes attachés à Vineyard que chez ceux qui comptent aller s'établir sur le
continent, chez les habitants de la « haute île » que chez ceux de la « basse île » plus
influencés par le continent, etc. ( Forquin, 1978 : 80).

L’enquête de W. Labov menée dans l’île de Martha’s Vigneghard a montré qu’il existe
effectivement une corrélation nette entre la distribution des traits linguistiques et la
distribution des traits sociologiques et donc une relation entre le changement linguistique et
la situation sociale de l’île.

b) L'enquête dans les grands magasins de New York12

En 1963, William Labov a effectué une étude sur la variation du phonème /r/
rétroflexe (un R produit avec le bout de la langue pointé vers le haut dans la région alvéolaire)
dans les grands magasins de New York dans le but de fournir des preuves sur la stratification
de l'anglais dans cette mégapole. Cette première enquête est à la base de l'ensemble des études
variationnistes.

Labov a mené son enquête dans trois grands magasins représentant les trois types de
classes sociales généralement admises dans les études sociologiques, à savoir les classes
supérieures, les classes moyennes et les classes inférieures. Ces trois magasins sont
respectivement Saks Fifth Avenue, Macy's et Klein. Labov (1966 : 64) part de l'hypothèse
principale suivante : « We begin with the general hypothesis suggested at the end of the last
chapter: if any two sub-groups of New York City speakers are ranked in a scale of social
stratification then they will be ranked in the same order by their differential use of ( r ) »13.  

12
Les informations concernant cette enquête sont tirées du site
http://uoh.concordia.ca/sociolinguistique/m/module1/co/module1_17.html

13
«Nous commençons par l'hypothèse générale suggérée à la fin du dernier chapitre: si deux sous-groupes de
locuteurs de New York sont classés dans une échelle de stratification sociale, ils seront classés dans le même
ordre par leur utilisation différentielle de ( r). »
En d'autres mots, plus on grimpe dans la hiérarchie sociale new-yorkaise, plus la production
du /r/ rétroflexe se maintient. Inversement, plus on descend dans l'échelle, plus la production
du /r/ rétroflexe tend à s'effacer.

Pour confirmer son hypothèse, Labov envoie des observateurs chargés d'interviewer
les employés des trois magasins ciblés. L'observateur pose la question suivante : « Excuse me,
where are the women's shoes ? » (excusez-moi, où sont les chaussures pour femmes ?) La
réponse attendue est « fourth floor » (quatrième étage) qui permet d'obtenir un /r/ préfinal
(dans « fourth »), puis un /r/ en position finale dans « floor ». Au quatrième étage, la question
devient « excuse me, what floor is this ? » (excusez-moi, c'est quel étage ici ?), afin d'obtenir
un /r/ intervocalique.

Labov prend également en compte le contexte de chaque situation. Deux styles sont
donc examinés : le style « informel » (produit dans des circonstances non officielles) et le
style « emphatique » (obtenu par correction forcée par l'intervieweur). Enfin, les contraintes
sociales que Labov retient sont respectivement : le magasin, l'emploi du répondant, l'étage du
magasin, le sexe, l'âge, la race, puis l'accent étranger, si présent dans la prononciation du
sujet. Les variables linguistiques sont les quatre prononciations du /r/ (deux prononciations
par style) dans « fourth floor ».

Figure 3 : Pourcentages de /r/ dans les magasins (d'après Labov, 1966, p. 74)
La figure 1 présente les quatre variations du /r/ selon les trois magasins (Saks, Macy's
et Klein). Les différences entre ces trois magasins sont flagrantes. Saks, qui représente les
classes sociales élevées, affiche un taux de production de /r/ nettement supérieur aux deux
autres. Les résultats obtenus pour Macy's, représentant les classes moyennes, se situent tel que
prédit dans l'hypothèse générale, c'est-à-dire entre Saks et Klein, ce dernier représentant les
classes inférieures.

L'hypothèse de Labov est vérifiée : l'emploi du /r/ à New York est effectivement
stratifié en fonction des classes sociales. Plus on grimpe dans l'échelle sociale, pour le /r/
rétroflexe est présent et plus on descend, plus il tend à s'amenuiser. Cette première
corrélation, a un impact considérable dans les études variationnistes. Par ailleurs, l'emploi
du /r/ dépend de deux autres facteurs : 1) la position du /r/ (ce dernier étant davantage
prononcé en position finale dans « floor ») et 2) le niveau de langue (le /r/ étant plus présent
dans le discours formel).

c) L'enquête de Harlem

De 1965 à 1967, William Labov menait une enquête qui a pour but d’étudier le parler
des jeunes Noirs de Harlem. Il s’est intéressé à l’échec scolaire des élèves noirs et à leurs
difficultés dans l’apprentissage de la lecture. Cette population : « se compose des membres à
part entière de la culture vernaculaire des rues, rejetés par le système scolaire ».W. Labov,
1978 :114)

Donc le but premier de cette recherche était de faire ressortir les différences
linguistiques entre la langue employée quotidiennement par des jeunes adolescents des «
ghettos urbains » (comme Harlem) et l’anglais standard, langue qui est transmise à l’école.
Pour W. Labov, le « vernaculaire noir américain », possède ses propres règles et présente
beaucoup de formes « non standard ». Il est inutile de vouloir décrire ces différences en
termes d’écarts par rapport à la norme (Calvet, 1993 : 72).

Les résultats de l’enquête ont conclu que ces difficultés d’apprentissage de l’anglais
chez les jeunes Noir de Harlem résultent des conflits entre deux codes à savoir « le
vernaculaire » qu’ils emploient au quotidien et l’anglais standard. Ces conflits proviennent du
fait qu’on ne considère pas ces deux systèmes comme deux langues différentes mais « un
sous-système distinct au sein de la grammaire générale de l’anglais » ou encore comme « un
système distinct étroitement relié à l’anglais standard, mais néanmoins séparé des dialectes
blancs qui l’entourent par un certain nombre de différence stable et systématique » (Calvet,
1993 : 73).

L’échec de l’apprentissage de la lecture chez les jeunes noirs de Harlem est causé
par ce qu’on appelle conflit culturel, « conflits qui prennent corps dans les
fonctionnements langagiers » (Blanchet et Bulot, 2013 : 46). Les enfants qui apprennent
sans difficultés sont les enfants qui ne sont pas enracinés dans cette culture de rue.

Références bibliographiques

- BESSAI, Bachir, Cours « Variations, Normes, Représentations », Université A. Mira


Bejaia, 2018/2019.
- BERNSTEIN, Basil, Langage et classes sociales, Paris, Éd. de Minuit, 1975.
- BIGOT, Davy et PAPEN, Robert, « Formation en linguistique variationniste»,
Publication Subventionnée par l’Université Ouverte des Humanités (UOH),
Ministère de l’enseignement supérieur et de la recherche, France, 2014.
- BOURDIEU Pierre. Ce que parler veut dire, l’économie des échanges linguistiques,
Paris, Fayard, 1982.
- BOYER, Henri, « Matériaux pour une approche des représentations
sociolinguistiques. Eléments des définitions et parcours documentaires en diglossie
», Langue française, n° 85,1990, p.102-124
- BOYER, Henri, Eléments de sociolinguistique, Paris, Dunod, 1996.

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(pour l'étude des dynamiques de la langue française dans le monde), Paris, Éditions
des archives contemporaines, 2013.
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A consulter aussi les sites :
- Le cours de la variation linguistique consulté le 10.02.2021 sur le site :
http://uoh.concordia.ca/sociolinguistique/m/module1/co/module1_1.html
- www.francaisdenosregions.com

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