TD 1 V.N.R
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I. Autour de la variation
a) Le facteur « géographique »
Le parler des locuteurs diffèrent selon l’espace géographique qu’ils
occupent. On parlera alors de variation géographique (appelée également
variation diatopique). C’est ce que confirme Sini (2015 : 78) dans ces propos « des
locuteurs d’espaces géographiques différentes partagent la même communauté de
langue présentent des réalisations phonétiques, syntaxiques et/ou lexico
sémantiques différentes ». Si on prend l’exemple de la francophonie, on peut constater
que les locuteurs de France, du Canada, de Suisse, de Belgique ou d’Algérie… n'ont
pas n’emploient pas de la langue française de la même manière : lexique, accent et
mêmes les formes grammaticales diffèrent d’une zone géographique à une autre.
Il est aussi à signaler qu’au sein même de ces pays, plusieurs variétés
peuvent être repérées. Par exemple, au Canada, on peut distinguer le français
acadien du français québécois. Au sein même de la province du Québec, plusieurs
sous-variétés du français peuvent être distinguées: variété montréalaise, variété
gaspésienne, variété parlée dans la ville de Québec, etc.
De ce fait, comme on l’a avancé ci-dessus, trois variations sont à dégager :
variation lexicale, phonétique et morphosyntaxique.
Variation lexicale
3) le même mot peut ne pas avoir la même fréquence statistique : par exemple :
En français hexagonal, un jeune locuteur désignera ses amis par le biais du mot «
copain » qui existe également en français québécois, mais dont l'usage est nettement
moins fréquent que le mot « chum ».
Le mot serpillère est aussi préféré aux autres termes renvoyant à la même réalité
(chiffon, cinse, lave- pont, loque, panosse, etc.)2
4) le même concept peut sous-tendre deux vocables différents : par exemple :
En français de France, on utilise le mot « pastèque » alors qu'au Québec, on
emploie « melon d'eau». En France, une « liqueur » correspond à un alcool alors
qu'au Québec, une « liqueur » correspond à un soda. Dans de tels cas, la variation
lexicale peut donc poser des problèmes d'intercompréhension entre les locuteurs.
Variation phonétique/phonologique
1
Cité dans BIGOT, Davy et PAPEN, Robert, « Formation en linguistique variationniste», Publication
Subventionnée par l’Université Ouverte des Humanités (UOH), Ministère de l’enseignement supérieur et
de la recherche, France, 2014.
2
En mai 2015, 10000 personnes ont participé au sondage et ont répondu qu’ils utilisent beaucoup plus le
mot serpillère. Pour plus d’infos, consulter les résultats sur le site internet www.francaisdenosregions.com, qui
est un site consacré à la variation du français à travers les diverses régions du monde, et qui récence un grand
nombre de variations lexicales.
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Exemple3 :
Prenons l'exemple du mot « samedi ». Il sera prononcé différemment par les trois
locuteurs :
3
Les exemples sont tirés du site : http://uoh.concordia.ca/sociolinguistique/m/module1/co/module1_8.html
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4
A consulter le site : www.francaisdenosregions.com
5
L’exemple est tiré du Cours de Dr Bessai B. « Variations, Normes, Représentations », Université de Bejaia
2018/2019.
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6
Tous les exemples de cette section sont relevés du site
http://uoh.concordia.ca/sociolinguistique/m/module1/co/module1_10.html
1) j'ai fait tout [tu] mon travail vs j'ai fait tout [tʊt] mon travail.
3) mes travaux, je les ai tous [tʊs] faits vs mes travaux, je les ai tous [tʊt] faits.
- avec « est-ce que » comme dans « Est-ce qu'il vient au cinéma avec nous ce soir ? » ;
Comme on peut le constater, dans ces exemples, c'est bien l'agencement des
éléments grammaticaux et donc la syntaxe des phrases qui varie. Dans certaines
variantes, on a inversé l'ordre des mots, dans d'autres, on a ajouté un élément ou un
groupe d'éléments avant ou après le verbe.
« Français de nos région »3 sur ce pronom a montré que son usage dans des phrases
comme: « je vais y faire » ; « je vais y prendre » ; « je vais y manger ?» couvre une aire
géographique plutôt large, qui ne se limite finalement pas au domaine franco-provençal 7
:
Figu
re 2 : Répartition et vitalité du pronom « y neutre » selon l’enquête le français de nos région.
7
L’exemple est tiré du Cours de Dr Bessai B. « Variations, Normes, Représentations », Université de Bejaia
2018/2019.
Le pronom « y » a tendance à remplacer pas un complément d’objet indirect : ex.
dans la phrase j’y vais), mais dans les différents exemples cités ci-dessus, il remplace un
complément d’objet direct, des compléments de type « quelque chose » ou « ça » (je
vais faire quelque chose, je vais prendre ça, je vais manger quelque chose/ça), et non
des compléments de type « à quelque chose » ou « à ça » (je vais faire à quelque chose,
je vais prendre à ça, je vais manger à quelque chose/ça, où l’astérisque signale que
l’énoncé est agrammatical). Dans ces régions, les gens n’utilisent pas le pronom le,
comme en français standard (je vais le faire, je vais le prendre, je vais le manger) ?8
b) Le facteur « sexe »
8
A consulter le site : www.francaisdenosregions.com
« L'affaiblissement des affriquées en Argentine [...], la fusion des voyelles hautes devant /I/ au
Texas [...], l'avancement du noyau de /aw/ au Canada [...], les changements en chaîne des sept
voyelles brèves dans les grandes villes du Nord des États-Unis [...], la postériorisation des voyelles
longues en Californie et dans l'ouest des États-Unis, le recul du /e/ bref à Norwich [...], ainsi que les
nombreux changements vocaliques à New-York et à Philadelphie ».
W. Labov a expliqué dans ces propos la raison qui pousse les femmes à se
conformer aux normes sociolinguistiques prescrites plus que les hommes : « Il est [...]
possible d'interpréter le conformisme linguistique des femmes comme étant le reflet de
leur plus grande responsabilité dans l'ascension sociale de leurs enfants - ou du moins
dans la préparation des ressources symboliques nécessaires à cette ascension. »
(Labov, 1998 : 32 cité par Boyer).
« Les hommes semblent avoir moins d'efforts à faire afin de signaler leur statut et leur
position sociale. Ces derniers transparaissent directement à travers leur profession et leurs revenus.
Les femmes, ayant moins de pouvoir économique, signalent leur position sociale et leur statut au
travers de marques symboliques de pouvoir, en autres, les pratiques linguistiques des classes
dominantes » (Bigot et Papen, 2014 :26-27).
Bourdieu constate également que les hommes sont moins attirés par les façons de parler
légitimes alors que les femmes, surtout les jeunes scolarisées, s’efforcent à participer au
marché dominant des pratiques langagières :
« Par la division de travail entre les sexes, qui les spécialise dans le domaine de la consommation, et
par la logique du mariage, qui est pour elles la voie principale, sinon exclusive, de l’ascension sociale, et où
elles circulent de bas en haut », et elles sont ainsi prédisposées à se conformer aux exigences du marché des
biens symboliques, en particulier dans le domaine des pratiques linguistiques (Bourdieu cité par Hafez, 2006 :
39).
9
Pour consulter les résultats de l’un des travaux de ce chercheur, je vous renvoie au Cours de Bessai B.
« Variations, Normes, Représentations », Université de Bejaia 2018/2019. PP 16-17.
Dans le contexte algérien, ce phénomène peut apparaitre dans l’articulation de certains
phonèmes. Par exemple les femmes utilisent beaucoup plus le /r / « parisien » ou « grasseyé »
alors que les hommes lui préfèrent le /r/« roulé ». Cela n’est nullement dû à une raison de
nature physiologique, tel que le confirme Cherif Sini (2015 : 80) :
« La question relève du social et, plus précisément, du rapport qu’on a avec la langue concernée :
grasseyer rapproche d’une certaine manière de prononcer le français perçu prestigieux alors que rouler
marque, pour certains, une espèce de distance vis-à-vis du français métropolitain ou d’une appropriation de
la langue en lui donnant un cachet local ».
c) Le facteur « âge »
Le facteur « âge » est l’un des facteurs les plus déterminants de la variation.
Pierrette Thibault (1997 :20) explique que cette entité est très nécessaire pour la
compréhension des phénomènes linguistiques qui se produisent au sein d’une
communauté linguistique «l’âge des locuteurs est l’une des clés maîtresses pour la
compréhension de la dynamique des communautés linguistiques ». Quand nous
examinons les pratiques langagières dans la société, nous constatons l’existence de
beaucoup de formes linguistiques spécifiques. Chaque tranche d’âge a sa façon de
parler, c’est ce confirme Boyer (2001 : 27). « On pourrait dire qu'au sein d'une
communauté linguistique, à un moment donné de son histoire, coexistent plusieurs
synchronies, dont les diverses générations sont porteuses ».
Parmi les nombreuses recherches sociolinguistiques qui ont étudié l’impact des
entités sociales (âge, sexe, classe sociale, etc.) sur les pratiques langagières, nous citons
celle d’Eva Havu menée en 2006 sur les pronoms d’adresse de la langue française. Dans
son article intitulé « Quand les Français tutoient-ils ? »10, Eva Havu a exposé les
résultats de son enquête :
Il s’est avéré que lors d’une première rencontre avec un interlocuteur du même âge
(ou plus jeune), les participants se tutoient majoritairement. La tranche d’âge né entre
1960-1979 se tutoie parfois dans une situation similaire, par contre le tutoiement est
(presque) inexistant dans les générations antérieures. Quand l’interlocuteur est plus âgé,
le vouvoiement est largement majoritaire (1960- 1990) ou de règle (1900-1950).
Cette étude révèle clairement que l’âge de l’interlocuteur exerce une influence sur le
choix du pronom d’adresse. Le taux de tutoiement augmente généralement plus les
générations interrogées sont jeunes.
Pour plus de détails sur cette enquête et ses résultats, nous vous renvoyons au Cours de Bessai B. « Variations,
10
11
Présenté dans BIGOT, Davy et PAPEN, Robert, « Formation en linguistique variationniste», Publication
Subventionnée par l’Université Ouverte des Humanités (UOH), 2014. Tiré du Cours de Bessai B. « Variations,
Normes, Représentations », Université de Bejaia 2018/2019. P24.
« En haut de la pyramide sociale, on trouve les classes sociales les plus élevées (composées des
membres de la classe politique, de membres de la famille royale anglaise, etc.) utilisant la
prononciation dite RP (Received Pronunciation), prononciation reconnue comme étant la plus
soignée, la plus distinguée en Grande-Bretagne. Plus on descend dans les strates inférieures de la
pyramide, plus cette prononciation tend à disparaître pour laisser place aux accents plus régionaux.
Aux plus bas échelons de cette représentation, nous trouvons les classes sociales les moins élevées
(lower classes) et des variétés de l'anglais extrêmement localisées (on y retrouve le Cockney de
Londres, mais aussi le Scouce de Liverpool ou encore le Geordie de Newcastl) » (Bigot et Papen,
2014 : 24).
- De ce qu’il peut imaginer de lui : ici interviennent tous les signes extérieurs
d’identité ou d’appartenance à un groupe ou une classe sociale, dont font partie
les signes linguistiques ;
- Du lieu : deux collègues peuvent se parler de façon tout à fait différente selon
qu’ils se trouvent dans une réunion de travail où ils ont un certain rôle
institutionnel à jouer, ou bien au restaurant où ils déjeunent ensemble ;
- De la nature du discours accompagné ou non, à des degrés divers, d’une
autosurveillance ou d’une autocensure : conversation à bâtons rompus,
discussion d’affaires, rencontres plus ou moins ritualisées ; et de sa finalité :
ordre, demande, conseil, mais aussi démonstration, séduction …la liste pour
ainsi dire infinie.
« Dans le premier cas, les facteurs sociaux ne jouent en aucun cas sur les phénomènes
linguistiques. Ce sont des contraintes linguistiques, et non la diversité sociale, qui conditionnent
la variation. Au contraire, les changements en cours au sein d'une communauté tendent à
démontrer une variation linguistique dépendante des différences sociales (sexe, âge, classe
sociale, etc.) entre les locuteurs » (Bigot et Papen, 2014 : 18).
Les travaux de William Labov ont montré qu’il existe un rapport étroit entre les
facteurs linguistiques et les facteurs sociaux. C’est ce que nous verrons avec ces
différentes enquêtes.
Lors de son séjour dans L’île Martha’s Vingnard (qui se situe dans l’Etat du
Massachusetts aux USA) William Labov a constaté que la langue pratiquée par les
habitants de cette île se caractérise par quelques particularités phonétiques. C’est ce qui l’a
d’ailleurs amené à effectuer une enquête sur la prononciation de quelques diphtongues dans
cette île. Il s’est particulièrement intéressé aux deux diphtongues /ay/ dans des mots
comme right, white, pride, wine ou wife et /aw/ dans des mots comme house, out, doubt,
etc. (Calvet, 1993).
Cette enquête a révélé que les habitants de cette île centralisent le premier élément le /a/
de ces diphtongues /ay/et /aw/ qui prend une prononciation proche de /e/. W. Labov, s’est
interrogé sur l’origine de ce trait phonétique (centralisation des diphtongues) qui est propre
aux habitants de cette île : « Pourquoi Martha’s Vineyard a-t-elle tourné le dos à l’histoire
de la langue anglaise. Je crois qu’il est possible d’apporter à cela une réponse spécifique en
étudiant dans le détail la configuration de ce changement phonétique à la lumière des forces
sociales qui agissent le plus profondément sur la vie de l’île. » (Labov, 1976 :73).
Pour expliquer cette variation, W. Labov a commencé par étudier son lien avec les
paramètres sociaux. Il s’est ainsi focalisé sur la structure sociale de l’île (Labov, 1976 :73), en
prenant en considération les paramètres suivant : la répartition géographique (basse île/haute
île), les groupes sociaux (pêcheurs, fermiers, autres), ethnie d’origine (anglaise, portugais,
indien), etc.
Les habitant de l’île de Martha’s Vignerds souffrent du taux de chômage des plus
élevés aux USA. Face à cette situation, certains habitants veulent quitter l’île pour aller
vivre dans des régions qui offrent plus d’opportunités de travail, d’autres en revanche,
défendent avec acharnement leur île. De ce fait, W. Labov a pu classer les attitudes des
habitants envers leur île en trois niveaux : 1- positif : ceux qui veulent rester, 2- neutre :
ceux qui n’expriment aucun avis, et 3- négatif : ceux qui veulent partir.
Après une analyse de ces trois attitudes, W. Labov atteste que les locuteurs qui ont une
attitude positive centralisent le /a/ des diphtongues /ay/ et /aw/. Autrement dit, cette
variable phonétique dépend des paramètres extralinguistiques (répartition sociale) : « ceux
qui veulent rester dans l’île adoptent une prononciation « îlienne » et ceux qui veulent
partir adoptent une prononciation « continentale » (Calvet, 1993 : 67).
La centralisation des diphtongues changent également selon les groupes d'habitants (en
fonction de l'appartenance ethnique, de l'âge, de la résidence, de la profession). Elle est plus
forte chez les pêcheurs que dans les autres catégories sociales, chez les jeunes que chez les
gens âgés, chez les jeunes attachés à Vineyard que chez ceux qui comptent aller s'établir sur le
continent, chez les habitants de la « haute île » que chez ceux de la « basse île » plus
influencés par le continent, etc. ( Forquin, 1978 : 80).
L’enquête de W. Labov menée dans l’île de Martha’s Vigneghard a montré qu’il existe
effectivement une corrélation nette entre la distribution des traits linguistiques et la
distribution des traits sociologiques et donc une relation entre le changement linguistique et
la situation sociale de l’île.
En 1963, William Labov a effectué une étude sur la variation du phonème /r/
rétroflexe (un R produit avec le bout de la langue pointé vers le haut dans la région alvéolaire)
dans les grands magasins de New York dans le but de fournir des preuves sur la stratification
de l'anglais dans cette mégapole. Cette première enquête est à la base de l'ensemble des études
variationnistes.
Labov a mené son enquête dans trois grands magasins représentant les trois types de
classes sociales généralement admises dans les études sociologiques, à savoir les classes
supérieures, les classes moyennes et les classes inférieures. Ces trois magasins sont
respectivement Saks Fifth Avenue, Macy's et Klein. Labov (1966 : 64) part de l'hypothèse
principale suivante : « We begin with the general hypothesis suggested at the end of the last
chapter: if any two sub-groups of New York City speakers are ranked in a scale of social
stratification then they will be ranked in the same order by their differential use of ( r ) »13.
12
Les informations concernant cette enquête sont tirées du site
http://uoh.concordia.ca/sociolinguistique/m/module1/co/module1_17.html
13
«Nous commençons par l'hypothèse générale suggérée à la fin du dernier chapitre: si deux sous-groupes de
locuteurs de New York sont classés dans une échelle de stratification sociale, ils seront classés dans le même
ordre par leur utilisation différentielle de ( r). »
En d'autres mots, plus on grimpe dans la hiérarchie sociale new-yorkaise, plus la production
du /r/ rétroflexe se maintient. Inversement, plus on descend dans l'échelle, plus la production
du /r/ rétroflexe tend à s'effacer.
Pour confirmer son hypothèse, Labov envoie des observateurs chargés d'interviewer
les employés des trois magasins ciblés. L'observateur pose la question suivante : « Excuse me,
where are the women's shoes ? » (excusez-moi, où sont les chaussures pour femmes ?) La
réponse attendue est « fourth floor » (quatrième étage) qui permet d'obtenir un /r/ préfinal
(dans « fourth »), puis un /r/ en position finale dans « floor ». Au quatrième étage, la question
devient « excuse me, what floor is this ? » (excusez-moi, c'est quel étage ici ?), afin d'obtenir
un /r/ intervocalique.
Labov prend également en compte le contexte de chaque situation. Deux styles sont
donc examinés : le style « informel » (produit dans des circonstances non officielles) et le
style « emphatique » (obtenu par correction forcée par l'intervieweur). Enfin, les contraintes
sociales que Labov retient sont respectivement : le magasin, l'emploi du répondant, l'étage du
magasin, le sexe, l'âge, la race, puis l'accent étranger, si présent dans la prononciation du
sujet. Les variables linguistiques sont les quatre prononciations du /r/ (deux prononciations
par style) dans « fourth floor ».
Figure 3 : Pourcentages de /r/ dans les magasins (d'après Labov, 1966, p. 74)
La figure 1 présente les quatre variations du /r/ selon les trois magasins (Saks, Macy's
et Klein). Les différences entre ces trois magasins sont flagrantes. Saks, qui représente les
classes sociales élevées, affiche un taux de production de /r/ nettement supérieur aux deux
autres. Les résultats obtenus pour Macy's, représentant les classes moyennes, se situent tel que
prédit dans l'hypothèse générale, c'est-à-dire entre Saks et Klein, ce dernier représentant les
classes inférieures.
L'hypothèse de Labov est vérifiée : l'emploi du /r/ à New York est effectivement
stratifié en fonction des classes sociales. Plus on grimpe dans l'échelle sociale, pour le /r/
rétroflexe est présent et plus on descend, plus il tend à s'amenuiser. Cette première
corrélation, a un impact considérable dans les études variationnistes. Par ailleurs, l'emploi
du /r/ dépend de deux autres facteurs : 1) la position du /r/ (ce dernier étant davantage
prononcé en position finale dans « floor ») et 2) le niveau de langue (le /r/ étant plus présent
dans le discours formel).
c) L'enquête de Harlem
De 1965 à 1967, William Labov menait une enquête qui a pour but d’étudier le parler
des jeunes Noirs de Harlem. Il s’est intéressé à l’échec scolaire des élèves noirs et à leurs
difficultés dans l’apprentissage de la lecture. Cette population : « se compose des membres à
part entière de la culture vernaculaire des rues, rejetés par le système scolaire ».W. Labov,
1978 :114)
Donc le but premier de cette recherche était de faire ressortir les différences
linguistiques entre la langue employée quotidiennement par des jeunes adolescents des «
ghettos urbains » (comme Harlem) et l’anglais standard, langue qui est transmise à l’école.
Pour W. Labov, le « vernaculaire noir américain », possède ses propres règles et présente
beaucoup de formes « non standard ». Il est inutile de vouloir décrire ces différences en
termes d’écarts par rapport à la norme (Calvet, 1993 : 72).
Les résultats de l’enquête ont conclu que ces difficultés d’apprentissage de l’anglais
chez les jeunes Noir de Harlem résultent des conflits entre deux codes à savoir « le
vernaculaire » qu’ils emploient au quotidien et l’anglais standard. Ces conflits proviennent du
fait qu’on ne considère pas ces deux systèmes comme deux langues différentes mais « un
sous-système distinct au sein de la grammaire générale de l’anglais » ou encore comme « un
système distinct étroitement relié à l’anglais standard, mais néanmoins séparé des dialectes
blancs qui l’entourent par un certain nombre de différence stable et systématique » (Calvet,
1993 : 73).
L’échec de l’apprentissage de la lecture chez les jeunes noirs de Harlem est causé
par ce qu’on appelle conflit culturel, « conflits qui prennent corps dans les
fonctionnements langagiers » (Blanchet et Bulot, 2013 : 46). Les enfants qui apprennent
sans difficultés sont les enfants qui ne sont pas enracinés dans cette culture de rue.
Références bibliographiques