Livret-Veil-FR-web
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emarquables
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Photo : ©AFP
ARCHIVES NATIONALES
60, rue des Francs-Bourgeois - 75003 Paris
Fermé le mardi et le 1er mai
Le texte de ce livret est la reprise actualisée
d’une note rédigée en 2014 par Bibia Pavard
pour la Fondation Jean Jaurès : La loi Veil : retour sur un compromis.
Avec l’aimable autorisation de la Fondation Jean Jaurès
Les
emarquables
L
e cycle « Les Remarquables », inauguré à
l’automne 2023, se poursuit en 2024 avec un
document emblématique de notre histoire
contemporaine, le célèbre discours de Simone Veil
défendant à la tribune de l’Assemblée nationale,
en 1974, le projet de loi sur l’interruption
volontaire de grossesse. C’est vous qui, au
moment même où le Président de la République a
souhaité constitutionnaliser la liberté des femmes
de recourir à l’IVG, avez choisi, je dirais même
plébiscité, ce document à l’issue d’un vote
organisé à l’été 2023.
L’exposition, au format volontairement resserré,
vous invite à découvrir le manuscrit original du
discours et sa version dactylographiée, annotée
de la main de Simone Veil. À travers ces deux
ensembles de feuillets et les documents qui les
accompagnent, c’est un moment décisif du
combat pour la conquête des droits des femmes
que vous pouvez découvrir ou redécouvrir.
Je remercie vivement les commissaires de ce
« Remarquable », Charlène Fanchon, Bibia Pavard
et Christophe Barret, et vous souhaite une bonne
visite.
Bruno Ricard
Directeur des Archives nationales
1
“
LA SITUATION ACTUELLE
EST MAUVAISE. JE DIRAI MÊME “
QU’ELLE EST DÉPLORABLE ET
DRAMATIQUE
2
Après dix ans de mobilisation, la loi du cas de malformation fœtale, de gros-
28 décembre 1967, initiée par le député sesses issues de violences, ou de situa-
gaulliste Lucien Neuwirth, autorise la tion sociale difficile. L’association rédige
vente de contraceptifs mais reste restric- une proposition de loi endossée par un
tive sur plusieurs points. Les mineures député gaulliste, le docteur Peyret, ce
doivent avoir une autorisation paren- qui engage un débat social sur le sujet.
tale pour obtenir la pilule ou le stérilet, Parallèlement le Mouvement de libéra-
les pharmaciens tiennent des carnets à tion des femmes (MLF), qui émerge sur
souches pour les contraceptifs oraux, la scène publique à partir de 1970, porte
les moyens de contraception ne sont la revendication de l’avortement libre et
pas remboursés par la Sécurité sociale… gratuit au nom de la libre disposition de
Et cela n’est pas sans contradictions leur corps par les femmes. Les militantes
puisqu’au contraire de la métropole, du MLF font connaître leur position dans
la « propagande anticonceptionnelle » le manifeste des 343 femmes ayant
est encouragée dans les départements déclaré avoir avorté, publié par Le Nouvel
d’Outre-mer. Observateur le 5 avril 1971. Paraphé par
des femmes célèbres comme par des
Dans le contexte de l’après 1968, des militantes anonymes qui ont bravé les
voix s’élèvent pour une libéralisation interdits légaux et moraux, il fait figure
de l’avortement. L’Association nationale d’événement. L’année suivante les
pour l’étude de l’avortement (ANEA) « procès de Bobigny » deviennent les
ouvre un débat sur l’élargissement de procès politiques de l’avortement.
l’avortement thérapeutique à d’autres
motifs que le seul danger de mort de Michèle Chevalier, Marie-Claire Chevalier
et Gisèle Halimi se rendant au Tribunal
la femme enceinte, alors prévu par la pour Enfants de Bobigny, le 11 octobre 1972.
loi, en incluant la santé de la mère, les © Alain Dejean / AKG Images
3
Un collectif de défense mené par l’avocate
féministe Gisèle Halimi, qui a signé le mani-
feste des 343 et créé l’association Choisir,
défend une jeune femme de 16 ans jugée
pour avortement à la suite d’un viol, ainsi
que sa mère et les trois autres femmes de
condition modeste l’ayant aidée. Le procès
met en lumière les inégalités sociales face
à l’avortement clandestin, « la Suisse pour
les riches et la prison pour les pauvres » dit
un slogan. En février 1973, 331 médecins
s’accusent dans un manifeste publié par
Le Nouvel Observateur : déclarant prati-
quer illégalement des avortements, ils
réclament le changement de la loi. Une
nouvelle association créée en 1973, le
Mouvement pour la liberté de l’avorte-
ment et de la contraception (MLAC) qui
réunit hommes et femmes, des médecins
d’extrême gauche, des syndicalistes et des
féministes, aide les femmes à avorter en
France ou à l’étranger en organisant des
Canules et seringue d’aspiration intra-utérine
pour pratiquer la « méthode Karman »,
sans date. Collection privée
4
Manifestation à Grenoble le 12 mai 1973 en
soutien à la doctoresse Annie Ferrey-Martin,
inculpée pour avoir pratiqué un avortement
sur une jeune fille de 17 ans.
© Le Dauphiné Libéré
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Au gré des échéances électorales, la tal, qui n’est finalement soutenu que par
libéralisation de l’avortement devient un la droite libérale et qui est renvoyé en
problème politique qui est mis à l’agenda commission. Alors que ce projet devait
gouvernemental et parlementaire. Entre être rediscuté au printemps 1974, Georges
1970 et 1973, cinq propositions de loi, Pompidou décède en avril et l’élection
émanant de la gauche comme de la présidentielle de mai 1974 voit l’arrivée
droite, sont déposées à l’Assemblée. au pouvoir de Valéry Giscard d'Estaing.
Ces propositions ne présentent aucun Ce dernier, en dépit de ses convictions
consensus sur la réforme à mener, sur personnelles, s’empare d’emblée de la
les cas justifiant l’avortement, sur les question comme symbole de sa volonté
modalités de la prise de décision, ni sur de réforme. Cependant, la tâche n’est
les délais limites d’avancement de la pas évidente puisque le Parlement qui a
grossesse. Dans ce contexte, en 1973, rejeté la réforme, lui, demeure identique.
Pierre Messmer, Premier ministre de Tout le travail de Simone Veil, nommée
Georges Pompidou, décide de modifier ministre de la Santé, est alors de trouver
la loi pour élargir l’avortement thérapeu- la manière de faire consensus. Dans son
tique. Mais la mise à l’agenda parlemen- discours qui introduit les débats à l’As-
taire entraîne des clivages partisans : le semblée nationale le 26 novembre 1974,
parti communiste et le parti socialiste elle justifie un nécessaire changement :
s’opposent au projet gouvernemental « Pourquoi donc ne pas continuer à fermer
jugé trop timoré. Une majeure partie des les yeux ? Parce que la situation actuelle
députés de droite s’oppose également, est mauvaise. Je dirai même qu'elle est
sur le principe, au projet gouvernemen- déplorable et dramatique ».
6
“ “
C'EST CETTE INJUSTICE QU'IL
CONVIENT DE FAIRE CESSER
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Protection maternelle et infantile, La gauche la soutient dans cette réforme
comme dans les centres d’éducation très libérale. La loi n°74-1026, « portant
et de planification familiale. Le débat diverses dispositions relatives à la régu-
sur la contraception est un baptême lation des naissances », est finalement
du feu pour la ministre. Avant celui sur promulguée le 4 décembre 1974. Elle
l’avortement, il lui permet d’évaluer les instaure le principe de la contraception
forces en présence, de tester la position libre et gratuite réclamée par les mobi-
des députés et sénateurs de la majorité lisations féministes depuis le début des
de droite, mais aussi d’envoyer un signal années 1970. Cette première loi Veil est
fort à ceux de l’opposition de gauche souvent oubliée par les livres d’histoire,
qui sont acquis à cette réforme. Elle effacée par l’ombre de la loi sur l’interrup-
parvient à rallier une majorité en avan- tion volontaire de grossesse. Elle marque
çant des arguments techniques plus pourtant un tournant majeur dans l’accès à
qu’éthiques et en soulignant la néces- la contraception moderne en France et fait
sité d’adapter la loi aux évolutions scien- de la régulation des naissances une mission
tifiques et aux évolutions des mœurs. de service public que doit assurer l’État.
Affiche du MLAC
réalisée par la
dessinatrice
Claire Brétécher,
sans date.
© Claire Bretécher
(Ville de Paris
/ Bibliothèque
Marguerite Durand)
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Le débat sur l’interruption volontaire de évaluerait sa condition, comme dans les
grossesse s’annonce plus difficile. Simone cas d’une demande d’avortement théra-
Veil sait qu’elle bénéficie d’une marge de peutique.
manœuvre « étroite mais cadrée », selon De plus, son conjoint éventuel ne pèse
sa propre expression dans ses mémoires, pas sur la décision. En revanche, le cœur
pour obtenir un soutien à la fois de la libéral du texte est contrebalancé par
gauche et d’une partie de la droite. Le une série de restrictions. Il s’agit ainsi
texte est préparé en étroite relation d’encadrer strictement la procédure
avec l’Élysée, entre juillet et septembre d’accès à l’avortement et de tout faire
1974. L’opinion est testée par un sondage pour ne pas l’encourager. La loi prévoit
commandé à l’IFOP et les positions poli- toute une série de mesures dissuasives :
tiques sont évaluées par l’audition des demande par écrit, information sur les
parlementaires de la majorité ainsi que risques médicaux, information sur les
de quelques personnalités en faveur de procédures d’adoption d’un enfant à
la libéralisation comme Gisèle Halimi, qui naître, temps obligatoire de réflexion,
a rédigé une proposition déposée par le etc. Si le premier texte prévoyait un
groupe socialiste à l’Assemblée. Ensuite, le remboursement de l’IVG, la seconde
cabinet de Simone Veil rédige un texte de version revient sur cette mesure afin de
conciliation. La loi a pour objectif, comme signifier que le gouvernement entend
l’affirme Simone Veil dans son discours favoriser la contraception plutôt que
du 26 novembre 1974, de « faire cesser l’avortement. Les professionnels de
l’injustice » et les drames des 300 000 santé opposés à la pratique de l’IVG
femmes qui avortent chaque année sont protégés par une réaffirmation
clandestinement. Le texte repose sur le de la clause de conscience. Enfin, le
principe d’une libéralisation fondamentale projet propose de mettre la loi à l’essai
de la législation sur l’avortement : toute pour cinq ans afin de tester ses effets
femme dans les dix premières semaines de démographiques. La loi est reçue avec
sa grossesse et qui se trouve en « situation hostilité de la part des groupes mobilisés
de détresse » peut faire la demande d’un contre toute réforme (Laissez-les vivre ;
avortement auprès d’un médecin. Il ne l’Église catholique ; l’Ordre des méde-
s’agit donc pas, comme le demandent les cins) et avec circonspection de la part
féministes, d’une liberté sans condition des groupes mobilisés pour l’avortement
mais la femme reste la seule juge de son libre et gratuit qui voient dans la loi une
état : elle n’est pas contrainte de passer avancée limitée.
devant une commission d’experts qui
9
LE DISCOURS
DU 26 NOVEMBRE 1974
10
Simone Veil avec Valéry Giscard d’Estaing au
lendemain de l’adoption du projet de loi relatif
à l’IVG par l’Assemblée nationale,
le 29 novembre 1974.
Archives nationales de France, AG/5(3)/3491
11
MANUSCRIT DU DISCOURS
DE SIMONE VEIL
- FEUILLETS 7 ET 8 -
Feuillet 7 Feuillet 8
Archives nationales de France, 688AP/441
12
VERSION DACTYLOGRAPHIÉE
DU DISCOURS DE SIMONE VEIL
- PAGE 5 -
13
LES DEVENIRS
DE LA « LOI VEIL »
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D’autres collectifs de femmes, souhai- le 6 octobre 1979 à Paris qui rassemble
tant poursuivre la lutte pour le contrôle environ 50 000 personnes. La loi repasse
de leur propre corps, continuent de bien à l’automne 1979, mais sans aucune
pratiquer des avortements en dehors modification. Un double constat peut
de tout cadre médical. Le 10 mars 1977, alors être dressé : la loi devient pérenne
six femmes du MLAC d’Aix-en-Provence et l’identification entre la défense du
sont jugées par le tribunal correctionnel droit à l’IVG et le féminisme est renfor-
de la ville pour tentative, ou complicité cée. Les clivages partisans sur la ques-
de tentative, d’avortement et pratique tion sont aussi consolidés : la gauche
illégale de la médecine, donnant lieu à un soutient désormais clairement la liberté
important soutien militant. La très intense des femmes à disposer de leur corps
mobilisation féministe culmine lors tandis qu’une grande partie de la droite
d’une grande manifestation non-mixte considère l’IVG comme un pis-aller.
Campagne du
Mouvement français
pour le Planning
familial, 2016. Le
cintre symbolise le
vécu traumatique
de l’avortement
avant sa légalisation
en évoquant
la variété des
méthodes utilisées
pour pratiquer
les avortements
clandestins.
Centre de
documentation du
Planning familial, Paris
15
Finalement ce sont les vies ultérieures à interrompre leur grossesse lorsqu’elles
du texte qui en font un socle légal solide. le veulent. Désormais une IVG peut être
La loi actuelle est un palimpseste poli- pratiquée par un médecin ou une sage-
tique qui résulte de ses multiples appro- femme (depuis 2016), jusqu’à la fin de la
fondissements. En 1982, Yvette Roudy, 14e semaine de grossesse (depuis 2022),
ministre des droits de la femme de quelle que soit la méthode utilisée
François Mitterrand, défend le rembour- (depuis 2023).
sement de l’IVG par la Sécurité sociale. Aujourd’hui, la résurgence des mobili-
En 1993, la loi de Véronique Neiertz sations anti-avortement en France, en
instaure un délit d’entrave à l’IVG pour Europe ou dans le monde montre la
empêcher les actions des commandos fragilité de ce droit.
anti-IVG qui tentent de perturber l’ap-
plication de la loi en intervenant sur les Aux États-Unis, en 2022, la Cour suprême
lieux où se pratiquent les avortements. est revenue sur l’arrêt historique Roe vs
Ce délit est étendu au domaine numé- Wade de 1973, qui garantissait un droit
rique en 2017. En 2001, la loi Aubry fédéral à l’interruption volontaire de
rallonge le délai à douze semaines et grossesse, montrant la possibilité d’un
supprime la nécessaire autorisation pour recul sur ce qui semblait être un acquis.
les mineures. En 2002, un décret autorise En France, le 8 mars 2023, le Président
les pharmaciens à délivrer la pilule du Emmanuel Macron s’est engagé à inscrire
lendemain gratuitement aux mineures. le recours à l’IVG dans la Constitution.
En 2014, un amendement dans la loi sur Un projet de loi constitutionnelle a ainsi
l’égalité femmes-hommes présentée par été présenté par le gouvernement, lors
la ministre des droits des femmes, Najat du Conseil des ministres du 12 décembre
Vallaud-Belkacem, supprime la notion 2023. Si ce texte était adopté, la France
de « détresse » de la loi sur l’IVG et deviendrait le premier pays en Europe à
autorise donc les femmes, sans qu’elles inscrire la liberté de recourir à l’IVG dans
aient à justifier d’une raison particulière, sa Constitution.
Remerciements
16
Exposition
CONCEPTION TRADUCTIONS
GRAPHIQUE DES LIVRETS
DIRECTION DES PUBLICS
Abaque
Raphaëlle Vial
TRADUCTION LSF
Langue Turquoise
17
Autour de
l’exposition
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