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Les

emarquables

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Photo : ©AFP

La loi sur l’IVG


1974 | LE DISCOURS
DE SIMONE VEIL
8 MARS | 2 SEPTEMBRE 2024

ARCHIVES NATIONALES
60, rue des Francs-Bourgeois - 75003 Paris
Fermé le mardi et le 1er mai
Le texte de ce livret est la reprise actualisée
d’une note rédigée en 2014 par Bibia Pavard
pour la Fondation Jean Jaurès : La loi Veil : retour sur un compromis.
Avec l’aimable autorisation de la Fondation Jean Jaurès
Les
emarquables

L
e cycle « Les Remarquables », inauguré à
l’automne 2023, se poursuit en 2024 avec un
document emblématique de notre histoire
contemporaine, le célèbre discours de Simone Veil
défendant à la tribune de l’Assemblée nationale,
en 1974, le projet de loi sur l’interruption
volontaire de grossesse. C’est vous qui, au
moment même où le Président de la République a
souhaité constitutionnaliser la liberté des femmes
de recourir à l’IVG, avez choisi, je dirais même
plébiscité, ce document à l’issue d’un vote
organisé à l’été 2023.
L’exposition, au format volontairement resserré,
vous invite à découvrir le manuscrit original du
discours et sa version dactylographiée, annotée
de la main de Simone Veil. À travers ces deux
ensembles de feuillets et les documents qui les
accompagnent, c’est un moment décisif du
combat pour la conquête des droits des femmes
que vous pouvez découvrir ou redécouvrir.
Je remercie vivement les commissaires de ce
« Remarquable », Charlène Fanchon, Bibia Pavard
et Christophe Barret, et vous souhaite une bonne
visite.

Bruno Ricard
Directeur des Archives nationales

1

LA SITUATION ACTUELLE
EST MAUVAISE. JE DIRAI MÊME “
QU’ELLE EST DÉPLORABLE ET
DRAMATIQUE

S i l’avortement est déjà interdit


par l’article 317 du code pénal, sa
répression est renforcée par la loi
du 31 juillet 1920 qui condamne tout à la
fois « la provocation à l’avortement », la
révélation de procédés contraceptifs et
« la propagande anticonceptionnelle ». En
1923, le crime d’avortement est requalifié
en délit pour éviter la clémence des jurys
d’assises et laisser le travail de jugement
aux magistrats. Dans le contexte de forte
angoisse démographique faisant suite à la
Première Guerre mondiale, l’avortement
est considéré comme un péril national.
Sous Vichy, l’avortement devient un crime
d’État, passible de la peine de mort et
deux personnes sont exécutées pour
ce motif. À la Libération, la lutte contre
l’avortement clandestin se poursuit,
avec un pic de répression en 1946. Les
femmes ayant avorté, comme toutes Couverture du livre du Groupe information
les personnes qui les y aident, risquent santé intitulé : Oui nous avortons, 1973.
la prison et de fortes amendes. Dans les Ville de Paris / Bibliothèque Marguerite Durand
années 1970, environ 400 condamnations
par an sont prononcées mais l’ampleur du cides, puis plus tard pilules et stérilets)
phénomène est bien plus large, puisque afin, précisément, de prévenir les avor-
certains estiment que plus de 500 000 tements clandestins et les dangers qu’ils
avortements sont réalisés clandestine- représentent pour la santé des femmes.
ment chaque année.
C’est le cas en particulier du Mouvement
Le caractère répressif de la loi de 1920 français pour le Planning familial, né
est dénoncé dès les années 1950 par les en 1956 sous le nom de « Maternité
partisans d’un accès libre aux contracep- heureuse » à l’initiative de la gynéco-
tifs modernes (diaphragmes, spermi- logue Marie-Andrée Lagroua Weill-Hallé.

2
Après dix ans de mobilisation, la loi du cas de malformation fœtale, de gros-
28 décembre 1967, initiée par le député sesses issues de violences, ou de situa-
gaulliste Lucien Neuwirth, autorise la tion sociale difficile. L’association rédige
vente de contraceptifs mais reste restric- une proposition de loi endossée par un
tive sur plusieurs points. Les mineures député gaulliste, le docteur Peyret, ce
doivent avoir une autorisation paren- qui engage un débat social sur le sujet.
tale pour obtenir la pilule ou le stérilet, Parallèlement le Mouvement de libéra-
les pharmaciens tiennent des carnets à tion des femmes (MLF), qui émerge sur
souches pour les contraceptifs oraux, la scène publique à partir de 1970, porte
les moyens de contraception ne sont la revendication de l’avortement libre et
pas remboursés par la Sécurité sociale… gratuit au nom de la libre disposition de
Et cela n’est pas sans contradictions leur corps par les femmes. Les militantes
puisqu’au contraire de la métropole, du MLF font connaître leur position dans
la « propagande anticonceptionnelle » le manifeste des 343 femmes ayant
est encouragée dans les départements déclaré avoir avorté, publié par Le Nouvel
d’Outre-mer. Observateur le 5 avril 1971. Paraphé par
des femmes célèbres comme par des
Dans le contexte de l’après 1968, des militantes anonymes qui ont bravé les
voix s’élèvent pour une libéralisation interdits légaux et moraux, il fait figure
de l’avortement. L’Association nationale d’événement. L’année suivante les
pour l’étude de l’avortement (ANEA) « procès de Bobigny » deviennent les
ouvre un débat sur l’élargissement de procès politiques de l’avortement.
l’avortement thérapeutique à d’autres
motifs que le seul danger de mort de Michèle Chevalier, Marie-Claire Chevalier
et Gisèle Halimi se rendant au Tribunal
la femme enceinte, alors prévu par la pour Enfants de Bobigny, le 11 octobre 1972.
loi, en incluant la santé de la mère, les © Alain Dejean / AKG Images

3
Un collectif de défense mené par l’avocate
féministe Gisèle Halimi, qui a signé le mani-
feste des 343 et créé l’association Choisir,
défend une jeune femme de 16 ans jugée
pour avortement à la suite d’un viol, ainsi
que sa mère et les trois autres femmes de
condition modeste l’ayant aidée. Le procès
met en lumière les inégalités sociales face
à l’avortement clandestin, « la Suisse pour
les riches et la prison pour les pauvres » dit
un slogan. En février 1973, 331 médecins
s’accusent dans un manifeste publié par
Le Nouvel Observateur : déclarant prati-
quer illégalement des avortements, ils
réclament le changement de la loi. Une
nouvelle association créée en 1973, le
Mouvement pour la liberté de l’avorte-
ment et de la contraception (MLAC) qui
réunit hommes et femmes, des médecins
d’extrême gauche, des syndicalistes et des
féministes, aide les femmes à avorter en
France ou à l’étranger en organisant des
Canules et seringue d’aspiration intra-utérine
pour pratiquer la « méthode Karman »,
sans date. Collection privée

voyages en Angleterre et en Hollande, où


l’avortement thérapeutique est autorisé.
De plus, à partir de juin 1973, la direction
du Mouvement français pour le Planning
familial, qui était restée sur une position
de libéralisation de l’avortement dans
certains cas médicaux ou sociaux précis,
décide de s’engager dans la lutte pour
l’avortement libre et gratuit.

De nombreux groupes locaux, créés


partout en France, pratiquent en toute
illégalité l’avortement par aspiration, aussi
appelé « méthode Karman », qui consiste
à aspirer le contenu de l’utérus avec une
canule souple et une seringue en plas-
tique. Simple, sûre, peu coûteuse et non
traumatique, cette méthode réalisée dans
les premières semaines de la grossesse
apparaît comme une révolution médicale
Affiche du Mouvement français et politique de l’avortement.
pour le Planning familial en faveur de la
dépénalisation de l'avortement, 1974.
Centre de documentation du Planning familial, Paris

4
Manifestation à Grenoble le 12 mai 1973 en
soutien à la doctoresse Annie Ferrey-Martin,
inculpée pour avoir pratiqué un avortement
sur une jeune fille de 17 ans.
© Le Dauphiné Libéré

Ces collectifs défient le pouvoir politique


en bafouant ouvertement la loi de 1920,
dans l’espoir de provoquer le change-
ment. Ils mettent les autorités devant
le fait accompli : la loi est caduque et
elle n’est plus respectée. En mai 1973,
la doctoresse Annie Ferrey-Martin est
inculpée à Grenoble pour avoir pratiqué,
au sein du groupe local de l’association
Choisir, un avortement sur une mineure.
Un élan de solidarité se crée autour d’elle
et de nombreuses manifestations ont lieu
pour affirmer la dimension collective et
politique de son acte, comme le grand
défilé du 12 mai 1973 à Grenoble qui réunit
une dizaine de milliers de personnes.

Ces revendications s’opposent à un


contre-mouvement qui émerge dès 1970
et refuse toute réforme de la loi au nom de
la défense d’un droit sacré à la vie pour le
Tract diffusé par l’association Laissez-les
fœtus. À la hiérarchie de l’Église catholique vivre, créée en 1971 par Geneviève Poullot et le
s’ajoute la nouvelle association Laissez-les professeur Paul Chauchard, qui s’oppose à la
pratique et à la libéralisation de l’IVG, [1973].
vivre, des médecins et des juristes qui se
Archives nationales de France, fonds Michel
déclarent « pour le respect de la vie ». Poniatowski, 340(III)AP/164

5
Au gré des échéances électorales, la tal, qui n’est finalement soutenu que par
libéralisation de l’avortement devient un la droite libérale et qui est renvoyé en
problème politique qui est mis à l’agenda commission. Alors que ce projet devait
gouvernemental et parlementaire. Entre être rediscuté au printemps 1974, Georges
1970 et 1973, cinq propositions de loi, Pompidou décède en avril et l’élection
émanant de la gauche comme de la présidentielle de mai 1974 voit l’arrivée
droite, sont déposées à l’Assemblée. au pouvoir de Valéry Giscard d'Estaing.
Ces propositions ne présentent aucun Ce dernier, en dépit de ses convictions
consensus sur la réforme à mener, sur personnelles, s’empare d’emblée de la
les cas justifiant l’avortement, sur les question comme symbole de sa volonté
modalités de la prise de décision, ni sur de réforme. Cependant, la tâche n’est
les délais limites d’avancement de la pas évidente puisque le Parlement qui a
grossesse. Dans ce contexte, en 1973, rejeté la réforme, lui, demeure identique.
Pierre Messmer, Premier ministre de Tout le travail de Simone Veil, nommée
Georges Pompidou, décide de modifier ministre de la Santé, est alors de trouver
la loi pour élargir l’avortement thérapeu- la manière de faire consensus. Dans son
tique. Mais la mise à l’agenda parlemen- discours qui introduit les débats à l’As-
taire entraîne des clivages partisans : le semblée nationale le 26 novembre 1974,
parti communiste et le parti socialiste elle justifie un nécessaire changement :
s’opposent au projet gouvernemental « Pourquoi donc ne pas continuer à fermer
jugé trop timoré. Une majeure partie des les yeux ? Parce que la situation actuelle
députés de droite s’oppose également, est mauvaise. Je dirai même qu'elle est
sur le principe, au projet gouvernemen- déplorable et dramatique ». 

6
“ “
C'EST CETTE INJUSTICE QU'IL
CONVIENT DE FAIRE CESSER

Cela la place dans une position favorable


pour aborder le dossier de la réforme de
l’avortement : en tant que femme, elle
semble mieux à même de comprendre
les enjeux que représente l’avortement
qui est, depuis les mobilisations fémi-
nistes, considéré comme une lutte pour
la libération des femmes. Enfin, Simone
Veil a survécu aux camps d’extermina-
tion nazis : la presse le rappelle de façon
euphémisée, cela permet surtout de
souligner sa force de caractère.

Avant la discussion au Parlement, la


ministre de la Santé occupe le devant
de la scène médiatique. Sa photographie
se répand dans la presse écrite, sa voix
se diffuse sur les ondes et surtout elle
devient une habituée de la télévision
désormais présente dans une écrasante
majorité des foyers. Cette phase associe
la présentation de la ministre elle-même
Couverture de L’Express, à celle du projet de loi. Même si elle s’en
25 novembre-1er décembre 1974.
défend à plusieurs reprises, le projet
Reproduite avec l’aimable autorisation du © Groupe
L’Express devient « sa loi ». Simone Veil impose
sa marque sur le contenu du texte et sur
Le consensus se forge d’abord autour de la la manière de convaincre le plus grand
personnalité de Simone Veil qui incarne la nombre.
rupture et peut donc prétendre surmonter
les clivages qui avaient bloqué la réforme. Il n’y a pas une mais deux lois Veil. Avant
Au moment de sa nomination à la tête du d’engager la modification de la légis-
ministère de la Santé du gouvernement de lation sur l’interruption de grossesse,
Jacques Chirac, elle est haut-fonctionnaire, Simone Veil défend un projet pour libé-
novice en politique et quasi inconnue du raliser la loi Neuwirth de 1967 et « bana-
grand public. Elle peut donc se prévaloir liser » la contraception en mettant en
d’une certaine neutralité de technicienne place son remboursement par la Sécurité
qui dépasse les conflits politiciens. Elle est, sociale, en la rendant accessible à titre
en outre, la première femme ministre de gratuit pour les mineures « désirant
plein exercice de la Ve République. garder le secret », dans les centres de 

7
 Protection maternelle et infantile, La gauche la soutient dans cette réforme
comme dans les centres d’éducation très libérale. La loi n°74-1026, « portant
et de planification familiale. Le débat diverses dispositions relatives à la régu-
sur la contraception est un baptême lation des naissances », est finalement
du feu pour la ministre. Avant celui sur promulguée le 4 décembre 1974. Elle
l’avortement, il lui permet d’évaluer les instaure le principe de la contraception
forces en présence, de tester la position libre et gratuite réclamée par les mobi-
des députés et sénateurs de la majorité lisations féministes depuis le début des
de droite, mais aussi d’envoyer un signal années 1970. Cette première loi Veil est
fort à ceux de l’opposition de gauche souvent oubliée par les livres d’histoire,
qui sont acquis à cette réforme. Elle effacée par l’ombre de la loi sur l’interrup-
parvient à rallier une majorité en avan- tion volontaire de grossesse. Elle marque
çant des arguments techniques plus pourtant un tournant majeur dans l’accès à
qu’éthiques et en soulignant la néces- la contraception moderne en France et fait
sité d’adapter la loi aux évolutions scien- de la régulation des naissances une mission
tifiques et aux évolutions des mœurs. de service public que doit assurer l’État.

Affiche du MLAC
réalisée par la
dessinatrice
Claire Brétécher,
sans date.
© Claire Bretécher
(Ville de Paris
/ Bibliothèque
Marguerite Durand)

8
Le débat sur l’interruption volontaire de évaluerait sa condition, comme dans les
grossesse s’annonce plus difficile. Simone cas d’une demande d’avortement théra-
Veil sait qu’elle bénéficie d’une marge de peutique.
manœuvre « étroite mais cadrée », selon De plus, son conjoint éventuel ne pèse
sa propre expression dans ses mémoires, pas sur la décision. En revanche, le cœur
pour obtenir un soutien à la fois de la libéral du texte est contrebalancé par
gauche et d’une partie de la droite. Le une série de restrictions. Il s’agit ainsi
texte est préparé en étroite relation d’encadrer strictement la procédure
avec l’Élysée, entre juillet et septembre d’accès à l’avortement et de tout faire
1974. L’opinion est testée par un sondage pour ne pas l’encourager. La loi prévoit
commandé à l’IFOP et les positions poli- toute une série de mesures dissuasives :
tiques sont évaluées par l’audition des demande par écrit, information sur les
parlementaires de la majorité ainsi que risques médicaux, information sur les
de quelques personnalités en faveur de procédures d’adoption d’un enfant à
la libéralisation comme Gisèle Halimi, qui naître, temps obligatoire de réflexion,
a rédigé une proposition déposée par le etc. Si le premier texte prévoyait un
groupe socialiste à l’Assemblée. Ensuite, le remboursement de l’IVG, la seconde
cabinet de Simone Veil rédige un texte de version revient sur cette mesure afin de
conciliation. La loi a pour objectif, comme signifier que le gouvernement entend
l’affirme Simone Veil dans son discours favoriser la contraception plutôt que
du 26 novembre 1974, de « faire cesser l’avortement. Les professionnels de
l’injustice » et les drames des 300 000 santé opposés à la pratique de l’IVG
femmes qui avortent chaque année sont protégés par une réaffirmation
clandestinement. Le texte repose sur le de la clause de conscience. Enfin, le
principe d’une libéralisation fondamentale projet propose de mettre la loi à l’essai
de la législation sur l’avortement : toute pour cinq ans afin de tester ses effets
femme dans les dix premières semaines de démographiques. La loi est reçue avec
sa grossesse et qui se trouve en « situation hostilité de la part des groupes mobilisés
de détresse » peut faire la demande d’un contre toute réforme (Laissez-les vivre ;
avortement auprès d’un médecin. Il ne l’Église catholique ; l’Ordre des méde-
s’agit donc pas, comme le demandent les cins) et avec circonspection de la part
féministes, d’une liberté sans condition des groupes mobilisés pour l’avortement
mais la femme reste la seule juge de son libre et gratuit qui voient dans la loi une
état : elle n’est pas contrainte de passer avancée limitée. 
devant une commission d’experts qui

9
LE DISCOURS
DU 26 NOVEMBRE 1974

Le 26 novembre 1974, Simone Veil de femmes chaque année « dont nous


monte à la tribune de l’Assemblée natio- ignorons la plupart du temps la détresse
nale pour prononcer un discours resté et les drames ». Elle insiste aussi sur le fait
célèbre. Son texte, très travaillé, porte que l’avortement doit rester une situation
la marque de l’intense travail qu’elle a d’exception, et de manière significative,
fourni pour parvenir à un accord. Chaque préfère le verbe « tolérer » qu’ « autori-
mot est pesé pour ménager les forces ser » dans le manuscrit de son discours.
en présence. Ses arguments mettent La loi, selon elle, doit servir à un meilleur
en avant un certain pragmatisme : la contrôle de la situation par l’État.
loi n’est plus respectée et l’avorte-
ment clandestin est dangereux pour les Au Parlement, les débats sont passionnés.
femmes, la réforme est donc nécessaire Les opposants à la réforme, situés à la
pour résoudre une situation de crise droite de l’échiquier politique, prônent
et un problème de santé publique. Elle le respect des valeurs familiales et de la
souligne aussi l’injustice, « la solitude et morale chrétienne, ainsi que la nécessité
l’angoisse d’un acte perpétré dans les de préserver l’équilibre démographique
pires conditions » qui touche des milliers national.

Simone de Beauvoir et Gisèle Halimi assistent


aux débats sur le projet de loi relatif à l’IVG à
l’Assemblée nationale, 1974.
© Philippe Ledru / AKG

10
Simone Veil avec Valéry Giscard d’Estaing au
lendemain de l’adoption du projet de loi relatif
à l’IVG par l’Assemblée nationale,
le 29 novembre 1974.
Archives nationales de France, AG/5(3)/3491

Ils multiplient les amendements pour plus radicalisée de la droite conservatrice


limiter la portée du texte. Mais la réforme qui n’hésitent pas à comparer avortement
est soutenue par des parlementaires de légal et politique nazie d’extermination
la majorité au nom du pragmatisme (la des Juifs.
loi n’est plus appliquée) et de l’atten- Mais, durant les débats, nombre d’hommes
tion portée à la détresse des femmes. À et de femmes politiques soutiennent
gauche, communistes, socialistes et radi- Simone Veil et louent son courage et sa
caux de gauche soutiennent le projet force. La presse aussi souligne sa pugna-
gouvernemental au nom de la liberté cité. Ce concert d’éloges peut laisser
des femmes et des couples, en proposant penser qu’elle a agi seule. Son rôle est
cependant un certain nombre d’amen- évidemment majeur mais c’est oublier
dements, notamment le remboursement que le gouvernement et le Président de
par la Sécurité sociale - particulièrement la République l’ont soutenue.
défendu par les députés et sénateurs Cela occulte également l’action réforma-
communistes - ou la modification de la trice débutée dès 1973. Mais, surtout, le
procédure à suivre qui apparaît comme rôle du mouvement féministe, qui s’est
« vexatoire » pour les socialistes. Même mobilisé depuis 1970 pour revendiquer
si aucun de leurs amendements n’est la libéralisation de l’avortement et qui a
retenu, ils votent la loi qui n’est adop- contribué à donner une légitimité parti-
tée que grâce à l’apport de leurs voix. La culière aux femmes sur cette question,
postérité a retenu la violence de certains est passé sous silence. Le combat d’une
parlementaires représentant la partie la femme masque la lutte des femmes.  

11
MANUSCRIT DU DISCOURS
DE SIMONE VEIL
- FEUILLETS 7 ET 8 -

La transcription donnée au-dessous de chaque feuillet est fidèle à l’original ; ainsi


la ponctuation n’est pas rétablie.

Feuillet 7 Feuillet 8
Archives nationales de France, 688AP/441

On aurait pu songer avec elles c’est toujours un


Il n’est pas contestable et nous drame, cela restera un drame
le proclamons très fort que C’est pourquoi notre projet
l’avortement doit être l’exception s’il accepte et s’il une situation de fait
qu’il doit être un ultime s’efforce d’être dissuasif et
recours. Comment l’autoriser le tolérer s’il autorise autorise certains actes c’est
sans qu’il devienne une règle nous pensons en cela répondre
sans que l’État ait l’air aux vœux des femmes. 61
de l’encourager ne faut pas
Je voudrais tout d’abord pour mieux contrôler. et
faire une observation réflexion et je surtout s’efforcer de dissuader
m’excuse de le faire devant En dissuadant instituant des mesures les
cette Assemblée presque exclusivement dissuadant écarter nous pensons
composée d’hommes. répondre au désir conscient
Aucune femme ne ou inconscient de toutes les
recourt de gaité de cœur femmes qui se trouveraient
à l’avortement il suffit dans cette situation d’angoisse
d’écouter les femmes en parler si bien dépeinte décrite et évoquée par
certains […]

12
VERSION DACTYLOGRAPHIÉE
DU DISCOURS DE SIMONE VEIL
- PAGE 5 -

Archives nationales de France, 688AP/441

13
LES DEVENIRS
DE LA « LOI VEIL »

Au final, le texte promulgué le 17 janvier


1975 est une loi de compromis. Elle est
loin d’affirmer un « droit à l’avorte-
ment ». Son article premier, provenant
d’un amendement, rappelle que « la loi
garantit le respect de tout être humain
dès le commencement de la vie. Il ne
saurait être porté atteinte à ce principe
qu’en cas de nécessité ». De manière plus
globale, le recours à l’IVG est présenté
comme une possibilité concédée. Les
mouvements qui s’étaient mobilisés pour
l’avortement libre et gratuit critiquent
une loi qui produit des inégalités de
classe, par l’absence de prise en charge

Affiche du MLAC militant pour l’avortement et


la contraception libres et gratuits, sans date.
© Claire Mantey (Ville de Paris / Bibliothèque
Marguerite Durand)

par la Sécurité sociale, ainsi que des


procédures compliquées qui réduisent
concrètement la possibilité d’y avoir
recours. Ainsi, les mineures doivent
avoir une autorisation et les étrangères
ne peuvent pas avorter en France.

Certains groupes continuent de se mobi-


liser pour l’application du texte, comme
l’exprime avec humour une chanson
féministe de 1975 sur un air connu :
« Elle court, elle court la loi Veil / La loi
Veil pour nous les femmes / Elle est du
bidon, la loi Veil / Elle n’est même pas
appliquée / Elle est passée par ici / Elle
Affiche du Mouvement français pour le repassera p’têt’pas / Mais nous on est là
Planning familial dénonçant les restrictions
de la loi du 17 janvier 1975
/ Pour imposer nos droits ».
Centre de documentation du Planning familial, Paris

14
D’autres collectifs de femmes, souhai- le 6 octobre 1979 à Paris qui rassemble
tant poursuivre la lutte pour le contrôle environ 50 000 personnes. La loi repasse
de leur propre corps, continuent de bien à l’automne 1979, mais sans aucune
pratiquer des avortements en dehors modification. Un double constat peut
de tout cadre médical. Le 10 mars 1977, alors être dressé : la loi devient pérenne
six femmes du MLAC d’Aix-en-Provence et l’identification entre la défense du
sont jugées par le tribunal correctionnel droit à l’IVG et le féminisme est renfor-
de la ville pour tentative, ou complicité cée. Les clivages partisans sur la ques-
de tentative, d’avortement et pratique tion sont aussi consolidés : la gauche
illégale de la médecine, donnant lieu à un soutient désormais clairement la liberté
important soutien militant. La très intense des femmes à disposer de leur corps
mobilisation féministe culmine lors tandis qu’une grande partie de la droite
d’une grande manifestation non-mixte considère l’IVG comme un pis-aller. 

Campagne du
Mouvement français
pour le Planning
familial, 2016. Le
cintre symbolise le
vécu traumatique
de l’avortement
avant sa légalisation
en évoquant
la variété des
méthodes utilisées
pour pratiquer
les avortements
clandestins.
Centre de
documentation du
Planning familial, Paris

15
 Finalement ce sont les vies ultérieures à interrompre leur grossesse lorsqu’elles
du texte qui en font un socle légal solide. le veulent. Désormais une IVG peut être
La loi actuelle est un palimpseste poli- pratiquée par un médecin ou une sage-
tique qui résulte de ses multiples appro- femme (depuis 2016), jusqu’à la fin de la
fondissements. En 1982, Yvette Roudy, 14e semaine de grossesse (depuis 2022),
ministre des droits de la femme de quelle que soit la méthode utilisée
François Mitterrand, défend le rembour- (depuis 2023).
sement de l’IVG par la Sécurité sociale. Aujourd’hui, la résurgence des mobili-
En 1993, la loi de Véronique Neiertz sations anti-avortement en France, en
instaure un délit d’entrave à l’IVG pour Europe ou dans le monde montre la
empêcher les actions des commandos fragilité de ce droit.
anti-IVG qui tentent de perturber l’ap-
plication de la loi en intervenant sur les Aux États-Unis, en 2022, la Cour suprême
lieux où se pratiquent les avortements. est revenue sur l’arrêt historique Roe vs
Ce délit est étendu au domaine numé- Wade de 1973, qui garantissait un droit
rique en 2017. En 2001, la loi Aubry fédéral à l’interruption volontaire de
rallonge le délai à douze semaines et grossesse, montrant la possibilité d’un
supprime la nécessaire autorisation pour recul sur ce qui semblait être un acquis.
les mineures. En 2002, un décret autorise En France, le 8 mars 2023, le Président
les pharmaciens à délivrer la pilule du Emmanuel Macron s’est engagé à inscrire
lendemain gratuitement aux mineures. le recours à l’IVG dans la Constitution.
En 2014, un amendement dans la loi sur Un projet de loi constitutionnelle a ainsi
l’égalité femmes-hommes présentée par été présenté par le gouvernement, lors
la ministre des droits des femmes, Najat du Conseil des ministres du 12 décembre
Vallaud-Belkacem, supprime la notion 2023. Si ce texte était adopté, la France
de « détresse » de la loi sur l’IVG et deviendrait le premier pays en Europe à
autorise donc les femmes, sans qu’elles inscrire la liberté de recourir à l’IVG dans
aient à justifier d’une raison particulière, sa Constitution. 

Remerciements

Les Archives nationales souhaitent exprimer leur vive gratitude à


Jean et Pierre-François Veil, ainsi qu’à Jean-Yves et Serge Halimi, pour
avoir autorisé la présentation d’archives exceptionnelles.
Elles remercient également, pour leur soutien désintéressé : Kévin
Bideaux, Martin Bretécher, Michel Calvès, Anne Flageul Crehan
(Le Figaro), Pierre et Irène Jouannet, Sylvie Laenen (Ville de Paris -
Bibliothèque Marguerite Durand), Anne Larion (Groupe L’Express),
Michel Lieuré, Brigitte Mantel, Thierry Mérel (Fondation Jean Jaurès),
Louise Noguès (éditions Amsterdam).

16
Exposition

COMMISSARIAT  PRISES DE VUES 


SCIENTIFIQUE  ET MONTAGE
VIDÉO
Bibia Pavard
maîtresse de conférences DÉPARTEMENT DE L’IMAGE
en histoire contemporaine ET DU SON
à l’Université Paris- Nicolas Dion
Panthéon‑Assas Elouan Le Dily
Charlène Fanchon
chargée d’études REPRODUCTION
documentaires au ATELIER DE
département des Archives PHOTOGRAPHIE,
privées DÉPARTEMENT DE L’IMAGE
ET DU SON
COMMISSARIAT  Christelle Bordesoules
TECHNIQUE Marc Paturange
SERVICE DES
EXPOSITIONS, COMMUNICATION
DÉPARTEMENT DE
L'ACTION CULTURELLE ET Gérald Gauguier
ÉDUCATIVE
Christophe Barret PROGRAMMATION
Régis Lapasin ARTISTIQUE
DÉPARTEMENT DE
PRÊTEUR L’ACTION CULTURELLE ET
ÉDUCATIVE
CENTRE DE
DOCUMENTATION DU Anne Rousseau
PLANNING FAMILIAL,
PARIS ACCOMPAGNEMENT
PÉDAGOGIQUE
SCÉNOGRAPHIE,
DÉPARTEMENT DE
COORDINATION  L’ACTION CULTURELLE ET
ET SUIVI  ÉDUCATIVE
DU CHANTIER Annick Pegeon
ATELIER DE MONTAGE et son équipe
ET D'ENCADREMENT,
DÉPARTEMENT DE IMPRESSION
L'ACTION CULTURELLE ET
ÉDUCATIVE ET POSE DES
Raymond Ducelier GRAPHISMES
Jérôme Politi Vision Décor

CONCEPTION  TRADUCTIONS
GRAPHIQUE  DES LIVRETS
DIRECTION DES PUBLICS
Abaque
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TRADUCTION LSF
Langue Turquoise

17
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