Droit Coutumier Congolais
Droit Coutumier Congolais
Droit Coutumier Congolais
INTRODUCTION
Compte tenu de la complexité et de l’abondance de la matière à dispenser pour
un débutant, il serait préférable d’adopter un intitulé plus modeste, tel «
introduction à l’étude du Droit coutumier congolais » au lieu de « l’étude du
Droit coutumier congolais ».
Nous nous proposons de faire un condensé de cette vaste matière en embrassant
succinctement toutes les branches qu’elle comporte. Nous n’avons pas la
prétention de couvrir, d’épuiser en 60 heures tout un système de Droit dont
l’étude peut s’étendre sur cinq ans.
Après cette précision, voyons à présent en quoi consiste le Droit coutumier
congolais.
1. NOTIONS DU DROIT COUTUMIER
La définition du Droit coutumier nous oblige de remonter préalablement à la
définition du mot « coutume » d’où il tire l’épithète.
Il existe à ce sujet d’innombrables définitions. D’abord, le Petit Robert nous
apprend que « la coutume est une matière à laquelle la plupart se conforment
dans un groupe social, le Droit coutumier étant un ensemble de règles juridiques
que constituent les coutumes ».
Pour le Petit Larousse, « la coutume, consuetudo, est une habitude, un usage
passé dans les mœurs ; par extension, la coutume est une règle de Droit tirant sa
valeur de la seule tradition ».
Olivier-Martin définit « la coutume » (juridique) comme un usage juridique de
formation spontanée, accepté par tout le groupe social intéressé. Elle naît d’une
série d’actes, acta assidua, publics et paisibles, c'est-àdire dont toute violence est
exclue à l’origine et qui ne se sont heurtés à aucune contradiction sérieuse. Elle
se distingue ainsi de la voie de fait, basée sur la force à laquelle il faut parfois se
résigner mais qui ne crée jamais le Droit. Les actes qui fondent la coutume
doivent avoir été répétés pendant un certain temps. La coutume exprime ainsi le
sentiment du Droit dont s’inspire à un moment donné, le groupe considéré »1.
D’après René David2, « la coutume n’est pas une notion simple, ni unitaire. Elle
peut et doit être envisagée à deux stades. Elle est, en premier lieu, la règle de vie
à laquelle, spontanément, se soumettent les individus. Elle est en second lieu, la
règle selon laquelle seront résolues les contestations, s’il vient à s’en produire ».
1
Olivier-Matin, Histoire du Droit français n°79, p.112, Paris 1948.
2
David R ;, Les Grands Systèmes de Droit contemporain, 2ème éd. Pp. 556-557., Paris, 1966.
2
Selon John Gilissen, « la coutume est un ensemble d’usage d’ordre juridique qui
ont acquis force obligatoire dans un groupe social donné, par répétition d’actes
publics et paisibles pendant un laps de temps relativement long »3.
D’après Mulumba Katchy il voit dans la coutume une pratique constate,
permanente d’une certaine conduite dans un cas donné et dans une sphère
déterminée, laquelle pratique doit être répétée et étalée dans le temps4.
Enfin, MUSANGAMWENYA WALYANGA, dans sa vision, la coutume est
un ensemble de comportements d’ordre juridique dignes, volontairement
acceptés par la majorité des membres d’un groupe social donné et ayant acquis
force obligatoire et ce, par répétition d’actes paisibles et publics pendant un
temps suffisamment long.
Notons avec André Tunc que le Droit présente en Afrique une importance
considérable du fait que les coutumes africaines, qui sont juridiques en même
temps que sociales et religieuses, sont très riches, complètes et englobent tous les
aspects de la vie des hommes et des communautés humaines5.
René Deckers abonde à peu près dans ce sens de l’abondance et de la complexité
en estimant que chaque coutume, devant assurer tous les besoins d’un Etat,
contient nécessairement toutes les branches du Droit, au moins de façon
rudimentaire : des règles politiques, administratives, civiles, pénales etc.6.
Signalons ici que l’auteur ne semble pas se départir d’un préjugé qu’affichaient
beaucoup d’Européens en défaveur du Droit coutumier africain, en le qualifiant
de confus. Cette attitude découle de la conception franco-belge qui attache
beaucoup d’importance à la théorie, aux principes préétablis et divise le Droit en
structures préconçues, alors que le Droit coutumier africain se veut pragmatique,
réaliste dont la démarcation nette entre ses différentes branches se manifeste au
moment de son application, de la résolution des conflits.
Profitons de l’opportunité offerte pour souligner la nuance entre la coutume et
la tradition.
La coutume, répétons-le, est un usage, un mode de vie, la manière de vivre
propre à un groupe social donné, avec ses contraintes librement acceptées par les
membres de ce groupe. Elle est multiforme : coutume sociologique, coutume
ethnologique, coutume juridique, etc.
3
J. Gilissen, cité par Mulumba Katchy, I.G.E.D, p.37, cours, Kinshasa, 2000-2001.
4
Mulumba Katchy, Le Droit au nom et Droit zaïrois et en Droit comparé, p.206, Kinshasa, 1979.
5
Tunc A., Les aspects juridiques du développement économique, pp. 1 et s, Dalloz, 1966.
6
Deckers R., Droit congolais et Droit romain, points de contact, CEPSI n°71 pp.1 à 56, Elisabeth,
1965.
3
7
Mulumba K., op.cit, p.207.
8
T. OLVAWALE Elias, La Nature du Droit coutumier Africain, Présence africaine, Paris, 1961, pp.
9
-283
4
- Définir les voies de recours pour le Chef coutumier lésé par les
décisions et actes des autorités administratives hiérarchiques.
Par ailleurs, cette Loi détermine les obligations du Chef coutumier et dans cette
perspective, un régime disciplinaire lui est appliqué10.
4. LES OBJECTIFS DU COURS
4.1. Objectifs généraux
- De rappeler les notions apprises en premier graduat, notam-
ment, sur le Droit, la sociologie et l’anthropologie culturelle, l’histoire, les
différentes branches et sources du Droit ;
- D’étudier les coutumes congolaises, sous leur aspect juridique, et ce
par rapport au Droit écrit, dit Droit moderne ;
- L’analyse l’importance de cours pour le juriste et tout praticien du
Droit ;
- D’introduire l’étudiant dans le processus de formation du Droit dans
la civilisation africaine en général et congolaise en particulier ;
- De faire la comparaison entre le Droit écrit et le Droit non écrit.
4.2. Objectif spécifiques
Au terme de ce cours, l’étudiant doit être capable de :
- Comprendre le contenu lui livré dans le présent cours et surtout
maîtrisé le langage juridico-coutumier, afin d’intérioriser les
matières et notions apprises ;
- Etablir le rapport existant entre le Droit écrit et le Droit non écrit ;
- Dépasser les différentes conceptions et définitions du Droit liées au
courant occidental ;
- Recadrer, par les matières traitées, les origines du Droit ;
- Analyser le rapport, nécessaire, entre le Droit moderne dit Droit
écrit et le Droit traditionnel dit Droit non écrit à tout point de vue.
5. SOURCES DU DROIT COUTUMIER
Contrairement à une opinion européenne qui soutient que le Droit coutumier
congolais n’a qu’une seule source, à savoir la coutume, nous nous accordons à
affirmer avec Jean Sohier 11 que le Droit coutumier congolais dispose d’une
gamme variée de sources dont la loi, le règlement, la jurisprudence et la coutume.
A. Loi
Il faut noter que le terme « loi » est employé sensu lato, du fait que cette notion
de loi n’implique pas nécessairement en soi de caractère de Droit écrit ; à côté
10
Exposé des motifs de la Loi portant statut des Chefs coutumiers, pp.1-2
11
Sohier A., Le Droit coutumier du Congo belge, BJI, 1946, n°9, pp.21 et S.
6
des lois écrites, il existe des lois non écrites. L’on cite, à cet effet, l’exemple des
promulgations verbales de certains capitulaires carolingiennes et de différents
édits des seigneurs africains avant la colonisation. Ceux-ci, assistés des conseils
des sages, prenaient des édits touchant à tous les secteurs de la vie,
essentiellement au domaine politique et administratif. Ces édits étaient
représentés et conservés sous forme de symboles, figurines, tatouages, flèches,
reliefs, arcs, entailles dans le mur, poterie, etc.
Leur gestion et leur décryptage étaient confiés aux gardiens initiés de la cour.
Signalons que ce fait est propre à toutes les sociétés ignorant l’écriture.
Pour prouver l’existence des lois au Congo précolonial, il convient de reproduire
ici le récit des Edits du Roi Msiri (Mushidi) des Bayeke recueillis par le
missionnaire Clarke cité par Bukhart Waldecker dans l’histoire de tribus du
Katanga ancien12.
« L’intéressé atteste que ces Edits témoignent tant de pondéra-
tion voire le sens de justice, de loin supérieurs aux superstitions, primitives du
substrat des Basanga. C’est ainsi que Mushidi (M’siri), par exemple, interdit
l’ordalie de l’eau bouillante. « Si quelqu’un fait bouillir de l’eau dans cette
intention, c’est très blâmable, car si l’on faisait bouillir même la peau d’un
hippopotame, cette peau deviendrait molle et tomberait en morceaux. Je défens
donc cette pratique ». Les délits à proprement parler, meurtre, vol, adultère, etc.,
sont punis par Mushidi, sauf si les parents indemnisent la victime ou la famille
de celle-ci. D’autre part, les infractions contre des tabous ridicules ne sont plus
frappées du payement d’une indemnité. Si par exemple « quelqu’un se sauve
dans une maison pour s’abriter de la pluie, vous dites… qu’il vous a apporté des
larmes. Cela ne signifie rien, il ne devra plus payer ». Notons également qu’il
interdit la traite des esclaves. Il est défendu d’acheter et de vendre les personnes
aux Baswahili et aux Bambundu.
Il est défendu de vendre des esclaves aux voyageurs. Si M’siri apprend que
quelqu’un a vendu un esclave, ce sera très grave. Exception pour le fait de donner
une personne pour se racheter d’un crime ; cela n’est pas considéré comme du
commerce… « . Quand lors de la cérémonie d’investiture de Mukandabantu,
Munanga (docteur Moloney) interdit de vendre des hommes comme esclaves,
Mukandabantu put donc déclarer non sans fierté se référer aux Edits de M’Siri
pour réprimer toute infraction à cette défense avec sévérité ».
Pour apprécier à leur juste valeur les Edits de Mushidi, il faut se rendre compte
qu’avant lui, chez les Basanga, le Droit été presque uniquement un Droit pénal
12
Waldecker B., Résumé de l’histoire de tribus du Katanga ancien, R.J.C., 1966, p.175.
7
privé, soit une vendetta entre les familles des intéressés, où tout visait à la
protection d’intérêt privés et non au maintien et à la protection de l’ordre public.
Bien que, dans les Edits de Mushidi, la punition par le chef n’ait lieu qu’en cas
de défaut du versement de l’indemnité à la victime, ou à sa famille, le progrès
réalisé par les Edits est indiscutable ».
B. Règlement
Les règlements sont de simples mesures de polices, administratives, qui
organisaient les activités de la vie courante de la communauté, ayant trait
notamment aux travaux communautaires, de champs, de la chasse, de la pêche,
de la musique, aux jeux, aux sports, aux tributs, aux redevances, etc.
C. Jurisprudence.
L’administration de la justice est généralement bien tenue en milieux
coutumiers. L’organisation judiciaire revêt une importance particulière en Droit
traditionnel congolais, car la tradition, la culture congolaise répugnant à
l’injustice.
D’où le procès commence presque toujours par une tentative de conciliation,
laquelle exige beaucoup de temps et de patience de la part des parties au procès,
ce qui amène les juristes européens à qualifier les procès africains de (palabres
interminables)13.
La jurisprudence est essentiellement constituée des décisions rendues par le
conseil des sages, lequel conseil est présidé par le chef du clan 14. Nous allons y
revenir plus loin.
D. Coutume
Dans la société ancienne congolaise, la coutume constitue une source de Droit
par excellence ; est censée exprimer la volonté implicite de la majorité des
membres de la communauté ; elle est la plus ancienne des sources de Droit, même
dans le pays de vieille tradition écrite ; elle continue à jouer ce rôle jusqu’à
l’heure actuelle, bien que son champ d’application soit conditionné par sa
conformité à l’ordre public et aux bonnes mœurs. Aussi le nouveau code civil
malgache (article 263) relève-t-il : « les lois et coutumes qui sont d’un usage
ancien et constamment suivi sont des lois et coutumes vivantes qu’il convient de
suivre et qui ont la même valeur juridique que celles inclues dans ce livre, même
si elles ne sont pas écrites ». Après avoir épinglé les sources du Droit coutumier,
il convient d’aborder à présent l’analyse de ses caractères.
13
Dekkers R, op.cit , pp.23 et s.
14
Mulumba K., op.cit, p.209
8
15
Mulumba K., Cours d’I.G.E.D. op.cit, p.38
16
Mulumba K., Le Droit au nom, op.cit, p.207
17
- Sohier, op.cit, p.263
- Vaussina J., Introduction à l’ethnographie du Congo, p. 122, éd. Universitaire du Congo,
Bruxelles, 1966.
9
C. Droit patriarco-matriarcal.
La tradition nous apprend que la structure sociale du Congo est fondée sur un
système hybride, mixte ; il y a, d’une part, le patriarcat, et, d’autre part, le
matriarcat.
Le patriarcat est un type de société composée des descendants, par les hommes,
de l’ancêtre père commun, caractérisée par la prépondérance du père, son chef,
sur les autres membres du groupe (les Lulua, les Luba, les Zande, les Mongo, les
Yaka, les Havu, les Nyanga, les Shi, les Nande, les Hema, les Vira, les tembo,
les Lendu, les lega, les Okebo, etc) ; en revanche, le matriarcat est un groupe
englobant les descendants, par les femmes, de leur ancêtre(mère par exemple,
(les Kongo, les Yansi, les Mbala, les Sakata, les Kuba, les Lunda, les Tshokwé,
les Lamba, les Lule, les Ngombe, les Ambung, les Suku, les Pende, les La la, les
bemba, les Hemba, les Sanga, etc.).
L’organisation de ces deux systèmes sociaux est essentiellement basée sur le lien
de sang. Notons ici le rapprochement que René Dekkers fait entre le Droit
congolais et le Droit romain ; l’auteur compare les deux Droits en affirmant qu’ils
contiennent dans leurs origines respectives d’innombrables traits communs,
essentiellement dans le domaine du Droit des personnes et de la famille ; il
précise notamment : « … c’est sur le plan familial que se trouve l’analogie
fondamentale entre Droit Congolais et Droit romain connait les mêmes cercles
concentriques : le foyer (domus), la parenté (agnati), le clan (gens) … Les deux
Droits pratiquent le parentage unilatéral. Toutefois, les coutumes se divisent en
patrilinéales et matrilinéales, selon que le parentage n’existe que du côté de la
mère. Le doit romain est uniquement patrilinéal. Il semble avoir consacré une
trace du régime opposé : le terme même d’avunculus, oncle maternel. On sait
qu’en régime matrinéal, l’autorité est généralement exercée par un homme ; mais
au lieu que ce soit le père, c’est le frère de la mère. Or, cette forme du patriarcat
s’appelle précisément l’avunculat, diminutif, l’ancien, le chef »18.
Dans la société congolaise précoloniale, le chef du clan joue un rôle inestimable
; son autorité, à la fois politique, militaire, sociale, judiciaire et religieuse ne se
partage pas ; elle est sacralisée, en ce que le chef est censé obtenir cette autorité
directement de la seule volonté des ancêtres divinisés ; le pater familias incarne
toute la vie sociale et politique. Aussi Possoz écrit à ce sujet19 « … le père vivant,
père commun des membres du clan par le jus soli, cède une part de sa
personnalité juridique et cela même constitue un Droit. N’est juridique que ce
18
Dekkers, op.cit, pp.13-14.
19
Possoz, Principes de Droit nègre, Aequatoria, p.106, Conquilhatville 1940
10
20
Mulumba K., op.cit, p.209
11
une sorte de refuge et parfois de résignation devant les multiples défis qui
écrasent l’individu.
Il convient de souligner que sur ce point, le congolais diffère de
l’Européen en ce que l’Européen doit aller à l’église pour prier Dieu ; en dehors
de l’église, il fait abstraction de la vie religieuse. En revanche, le Congolais
(Africain) voit, pense et prie Dieu partout, il ne peut rien faire qui ne soit voulu
par Dieu. Son sens religieux très élevé se concrétise par le culte des ancêtres
divinisés du fait que ces derniers sont considérés comme médiateurs auprès de
Dieu ; tous les actes de l’individu sont imprégnés du sacré.
Les ancêtres disposent d’un Droit au culte entouré d’innombrables rites ;
ces rites consistent dans les prières accompagnées d’offrandes et de sacrifices ;
ils sont le meilleur moyen de ménager la bienveillance des dieux et une arme
contre leur colère éventuelle.
Aussi, le Congolais est obligé d’observer diverses lois morales ; curieusement,
on constate que ces lois renferment les dix commandements de la bible : respect
de obéissance aux dieux, aux chefs, amour du prochain, défense de tuer, de voler,
de convoiter, de commettre l’adultère ; l’homme doit s’abstenir d’actes
déplaisants aux mânes des ancêtres ;
Dans cette société sacrée, le Droit revêt un caractère magique : tout converge à
assurer la défense de la vie. A cet effet, Possoz 21 affirme : « vivre est la loi
fondamentale et le mal moral ne se distingue du mal physique ; celui qui cause
le mal physique volontairement ou inconsciemment est le malfaiteur type ». Le
Droit est fortement imbu de mysticisme. D’où, la difficulté de le distinguer de la
morale ; il est inspiré, animé et justifié par la philosophie de la force vitale, de
l’accroissement, de l’interdépendance, de l’influence et de la hiérarchie vitale 21.
La coutume, enchaîne René David, est liée, dans l’esprit des africains, à un ordre
mythique de l’univers ; obéir à la coutume est un témoignage de respect à l’égard
des ancêtres, de qui les ossements sont mêlés au sol et de qui les esprits veillent
sur les vivants ; transgresser la coutume risque d’entraîner des réactions
défavorables, des génies de la terre, dans un monde où tout est lié, le naturel et
le surnaturel, le comportement des hommes et les phénomènes de la nature22.
L’obéissance à la coutume est en général spontanée, elle est commandée par la
crainte des forces suprahumaines, à telle enseigne que les sanctions aux
violations des interdits, du tabou sont de nature religieuse ; elles sont très sévères.
21 21
Possoz, La morale, Aequatoria, 11, p.54, Conquilhatville, 1939.
Temples, La philosophie bantoue, 1948, p.81.
22
Idem
12
C’est ainsi qu’en matière pénale, l’infraction est avant tout considérée comme
une atteinte à la force vitale de l’homme ; par voie réciproque, tout atteinte peut
devenir infractionnelle ; en pareille hypothèse, on recourt fréquemment aux
méthodes divinatoires et aux épreuves superstitieuses pour connaître l’auteur et
compenser ainsi la perte de la force vitale.
En matière de Droit Privé, chaque personne est tenue de res-
pecter ses engagements vis-à-vis des tiers ; elle doit exécuter ses obligations de
bonne foi, car toute faute risque d’irriter les dieux et de provoquer leur
vengeance. Au lieu de s’adresser directement au juge, la partie lésée préfère
invoquer de mauvais esprits en défaveur de l’auteur.
En somme, le Droit coutumier congolais est indissociable de la morale ; si
l’homme existe c’est parce que Dieu l’a voulu ainsi. C’est pourquoi toute activité,
toute entreprise humaine doit s’inscrire dans la conformité à la fois aux lois
divines et aux lois sociales.
L’existence des prescriptions enserra l’individu dans un réseau d’obligation et
explique la perpétuelle confusion que fait la société traditionnelle entre le Droit,
les convenances sociales, la morale et l’équité (H. Raharijaona, Droit de la
famille malgache, Droit de la famille en Afrique Noire et à Madagascar, op.cit,
p.197).
E. Droit conciliateur
Nous serons très bref sur cette rubrique, du fait qu’elle sera détaillée au volet du
pouvoir judiciaire et de son organisation plus loin.
La conciliation se manifeste davantage dans le domaine de l’administration de
la justice.
Il existe, dans la société traditionnelle, beaucoup de litiges et de contestations,
nés souvent des rapports d’ordre privé entre les membres du même groupe social
presque fermé, étant donné que ces rapport sont inexistants entre les personnes
de clans différents. Nul ne souhaite voir ces différends opposés éternellement les
membres du même clan, au risque de troubler l’ordre social. Aussi doivent-ils
être diligemment portés devant des arbitres pour trouver une solution. On note
ici la même préoccupation qu’en matière de prescription en Droit écrit. A titre
d’exemple, le Dialogue Inter-congolais de Sun-city en Afrique du Sud donnant
la solution de : un plus quatre.
F. Droit évolutif
Nous allons analyser ce trait à travers le temps, à travers trois étapes successives
de l’histoire du Droit congolais.
13
23
Tunc A ., op.cit, p.14
24
Kéba M’Baye, op.cit, p.37
14
coutumes juridiques n’étaient pas rédigées, de sorte que leur survie était assurée
par la tradition orale.
L’application du Droit dans l’espace était dominée par le principe de la
personnalité de Droit, en ce sens que chaque justiciable vivait sous le régime de
sa propre coutume juridique ; ce qui entraînait souvent des conflits des lois et des
juridictions lorsqu’un différend opposait les sujets des Droits différents. C’était
fréquent en matière de Droit des personnes et de la famille, d’autant plus que la
situation devenait complexe lorsqu’il fallait tenir compte des systèmes patriarcal
et matriarcal.
Ce manque d’écriture et de systématisation de règles de Droit a poussé les
juristes à dire que le Droit coutumier était confus, en ce qu’il ignorait la
distinction, par exemple, entre le Droit pénal et le Droit civil, entre le Droit
administratif et le Droit judiciaire, etc.
Nous considérons qu’il s’agit d’un faux débat ; si cette distinction n’est pas
perceptibles sur le plan théorique, elle est néanmoins indéniable en pratique ; elle
saute aux yeux lors du déroulement des procès et du prononcé des décisions,
chaque solution tient compte de la spécificité du cas traité.
Tel est l’état du Droit traditionnel congolais avant la colonisation belge.
2. Période coloniale
A l’arrivée de la colonisation, la situation juridique change dans notre pays. Elle
ressemble à celle qui prévalait en occident lors des conquêtes romaines et de
l’expansion du Droit romain dans les pays conquis.
Lorsque la puissance coloniale entre au pays, elle introduit son mode de vie
juridique. Il s’installe ainsi sur le territoire national un dualisme juridique, à
savoir le Droit coutumier congolais et le Droit écrit franco-belge.
Ne pouvant s’adapter au mode de vie juridique congolais, ni obliger les
congolais à adopter automatiquement le mode de vie occidental et à s’aligner sur
ce dernier, le pouvoir colonial a adopté une attitude de compromis, tout en
soulignant la primauté du Droit occidental sur le Droit traditionnel. Il a élagué de
celui des coutumes dites barbares, car il les considérait comme contraires à
l’ordre public et aux bonnes mœurs. Donc, le champ d‘application du Droit fut
conditionné par sa conformité à l’ordre public et aux bonnes mœurs.
Ce dualisme juridique et ségrégationniste consacre deux groupes des justiciables
: les Belges et les assimilés sont régis par le Droit écrit, tandis que les autochtones
vivent sous le Droit coutumier. Il suffit de lire l’article 4 de la loi du 8 octobre
1908 sur le gouvernement du Congo belge pour s’en rendre compte : « Les
Belges, les Congolais immatriculés dans la colonie et les étrangers jouissent de
15
tous les Droits civils reconnus par la législation du Congo Belge. Leur statut
précolonial est régi par leurs coutumes indigènes non immatriculés du Congo
belge jouissent des Droits civils qui leur sont reconnus par la législation de la
colonie et par leurs coutumes autant que celles-ci ne pas soient contraires ni à la
législation ni l’ordre public. Les indigènes non immatriculés des contrées
voisines leur sont assimilés ».
Notons que le rapport du conseil colonial sur le décret du 17 mai 1952 portant
immatriculation des congolais précise « qu’en réalité, tous les Congolais
jouissent de la plénitude des Droits civils, mais pour ceux que vise l‘article 6, il
s’agit de tous les Droits civils reconnus par la législation écrite. Pour les
indignées non immatriculés, il s’agit, aux termes de la charte, des Droits civils
qui leur sont reconnus par la législation et par les coutumes. Il y a différence de
nature et non de degré. Les uns n’ont pas moins de Droits, ni des Droits inférieurs
aux autres, mais les dispositions civiles qui leurs sont applicables sont adaptées
à leur formation et à leur manière de vivre ». (B.O, p.1183).
Et la cour d’appel de Léopoldville de poursuivre : « les contestations entre
indigènes justiciables de Droit écrit et justiciables de coutumier, sont régies par
le Droit coutumier même si la contestation a un caractère commercial » 25 .
D’après la cour d’appel D’Elisabethville, « Le Droit coutumier de l’indigène du
Congo belge est son Droit propre. Par une disposition légale, exception est faite
pour les indigènes immatriculés auxquels s’applique, en vertu d’une présomption
de civilisation, le Droit écrit congolais » 2627 . Pour l’ordre public, le tribunal
première instance d’Elisabethville précise que « l’ordre public qui s’oppose à
l’application des coutumes indigènes est l’ordre public international, et non
l’ordre public interne du Droit écrit congolais »27.
Aussi l’article 1 de l’ordonnance de l’administrateur général au Congo du 14
mai 1886 dispose : « Quand la matière n’est pas prévue par un décret, un arrêté
ou une ordonnance déjà promulguées, les contestations qui sont de la compétence
des tribunaux du Congo seront jugées d’après les coutumes locales, les principes
généraux du Droit et l’équité ».
Toujours au sujet de la limitation du champ d’application de la coutume au
contact du Droit occidental, Sohier conseille une certaine prudence dans la
démarche. « Il ne faut pas nécessairement, écrit-il, pour échapper à des usages
rétrogrades et incompatibles avec nos idées civilisées, s’empresser de légiférer,
25
Léo, 3 mars 1942, R.J.C.B, p.138
26
Elis, 24 avril 1934, R.J.C.B, p.85
27 ère
Inst. Elis, 8 octobre 1913, Jur. Congo 1921, p.321.
16
une solution en rapport avec la mentalité indigène pouvant être espérée de la libre
évolution de la coutume, s’en dégageant déjà souvent ; qu’enfin cette évolution
peut même être attendue des organes législatifs indigènes généralement
subsistants et que nous pouvons conseiller, mais avec beaucoup de prudence et
toujours en nous inspirant nous-mêmes de l’esprit des coutumes »28.
Néanmoins, on peut retenir que, malgré les contradictions ap-
parentes, il n’y a pas de cloisons étanches entre les deux systèmes, à force de se
côtoyer, ils ont engendré un métissage, un Droit nouveau, dit Droit évolué.
3. Période postcoloniale
Au lendemain de l’accession du Congo à l’indépendance il a été décidé de revoir,
de repenser son système juridique, legs du pouvoir colonial. Cette remise en
question touche à toutes les branches du Droit, Droit civil, Droit judiciaire, etc.
le but poursuivi est de créer un type de Droit nouveau, un Droit reflétant la vie
moderne, un Droit sans parti pris, un Droit qui tient compte des réalités sociales.
Bref un Droit métissé, synthèse de ces deux systèmes.
Notre cours est subdivisé en deux titres, le Droit Privé et le
Droit Public.
28
Sohier, Le mariage en Droit coutumier congolais, BJL, 1946, n°7, p.198
17
Rappelons que le Droit coutumier privé est l’ensemble des usages, des pratiques
qui organisent et sanctionnent les relations entre les personnes privées. Il régit
les rapports entre les particuliers, lesquels rapports concernent les intérêts
personnels ; il règle la vie privée des citoyens, leurs liens de famille et leurs
rapports d’affaires.
Nous nous proposons d’étudier sous cette rubrique les per-
sonnes et la famille, les biens, les obligations, les successions, les règles relatives
aux activités commerciales.
29
- Dekkers, R., op.cit, n°19, .13
- Verbeken A., Etude sur le mariage coutumier chez les bantu, B.J.I, 1945, p.169.
30
Delafasse, le haut Sénégal, Niger, t III, p.94.
19
31
Ramangasoavina, op.cit, p.202.
32
Thomas L.V, La parenté au Sénégal, Droit de la famille en Afrique, p.39.
33
Dekkers R., op.cit, p.15
34
Idem, p.17
35
Verbeken, op.cit, p.169.
20
parents par le sang ou par alliance, ont, les uns vis-à-vis des autres, des Droits et
des obligations (respect, entraide, prestations économiques, alimentaires).
Au-dessus de la famille trône le clan36.
C. Le clan
Le clan est une forme encore plus large de famille. Il est l’ensemble de tous les
descendants, par filiation maternelle ou paternelle, d’un ancêtre commun, et qui
porte le nom de la collectivité ; il comprend tous les membres des deux sexes,
vivants et morts, qui ont reçu le sang de l’ancêtre.
Les membres du clan tiennent leur parenté de l’ancêtre éponyme dont la
descendance est symbolisée par la communauté de Totem, véhiculé par le sang.
Dès lors, la parenté est fondée sur les relations de consanguinité bien déterminées
; elle se transmet par filiation utérine ou masculine, l’enfant appartenant au clan
de la mère dans le matriarcat ou au clan du père dans le patriarcat.
Au sein du clan, les parents (membres) tiennent des droits et des obligations
encore plus complexes et plus importants. A ce sujet, Smith et Dale, cités par
Verbeken37, écrivaient : « le clan est une société naturelle de secours mutuel, dont
les membres sont tenus de donner, à tous les compagnons, toute l’aide qu’ils
peuvent dans la vie ; les membres d’un même clan sont aussi, s’il est permis
d’employer l’expression de la Bible, les membres les uns des auteurs ; un
membre appartient à son clan, il n’appartient pas à son clan, il n’appartient pas à
lui-même ».
Que faut-il déduire de l’analyse de la structure familiale en ce qui concerne
l’institution de la personnalité juridique des membres de la famille ? Quelle est
la place de l’individu au sein de sa famille ?
D’après la majorité des auteurs38, l’individu n’existe pas dans la famille
traditionnelle. Pour eux, la famille, groupée sous l’autorité d’un chef (le
patriarche) est le seul sujet de Droits et d’obligations ; l’individu y disparaît
complètement, absorbé par l’archétype du totem ou de l’ancêtre légendaire ; il
appartient à la fois au lignage de son père et au lignage de sa mère.
Dès lors que le groupe familial le plus vivant, le plus réel, est constitué par le
lignage et que l’individu n’est qu’un maillon de cette longue chaîne, l’épouse
peut partir sans briser la chaîne, sans porter atteinte à l’homogénéité du groupe.
36
En fait, la structure familiale hiérarchisée se présente crescendo ainsi : foyer, parentèle, clan, tribu et
ethnie.
37
Verbeken, op.cit, p.169. 38
- Dekkers, op.cit, p.15
- Verbeken, op.cit, p.169.
- Ramangasoavina, Le Droit de la famille à Madagascar, pp.203-205.
21
38
Verbeken, op.cit, p.167
22
39
- Sohier J., op.cit, CEPSI, 1963, n°62, p.71.
- Dethier, Notes sur institutions et coutumes Mongo, p.179
40
Sohier, , BJI, n°9, pp.304-306
op.cit
23
maître. Enfin, les droits du Maître sont ceux du propriétaire : il peut librement
user de sa chose, et même supprimer s’il le désire. L’esclavage était considéré
comme une situation dégradante. Traiter quelqu’un d’esclavage était une injure
grave. Le mari qui dans le feu de la colère, aurait ainsi qualifié son épouse,
l’aurait immédiatement vu partir, rejoindre sa parentèle pour affirmer son
indépendance.
L’esclavage congolais, domestique, ne doit pas être confondu avec l’esclavage
à grande échelle pratiqué par les négriers métis portugais et arabes, en vue de la
traite, du trafic avec ses expéditions, de rapt, ses rapines et ses atrocités41.
Soulignons enfin qu’on devenait esclave par la naissance, la conquête, et le rapt
ou l’achat. Mais source principale de l’esclavage était le rapt au cours d’une
guerre.
Au sommet de la pyramide des classes sociales au trône la no-
blesse au sein de laquelle évolue l’homme libre. Et à ce sujet Possoz42 écrit : «
l’homme libre, homme du commun ou de classe noble, s’il n’est pas chef de
famille, se trouve toujours dans un état d’incapacité, de dépendance visà-vis de
son groupe familial. Cette dépendance dure toute la vie, le Droit indigène ne
connaît ni majorité ni l’émancipation : c’est à l’égard de l’ancien. A l’égard de
tous ceux qui ont juridiquement Droit au titre de père ; il ne s’agit pas à
proprement parler des aînés, mais des membres de la génération précédente. A
cela, il faut ajouter les Droits spéciaux de certains parents tels cousins, oncles,
beaux-parents, lesquels ont Droit à l’obéissance, au respect, à l’aide et à
l’assistance. Les devoirs à l’égard de chacun sont multiples et très nuancés dans
la famille indigène. Les degrés de parentés sont très nettement différenciés et il
existe des noms spéciaux pour les distinguer. Les privilèges de l’aristocratie sont
généralement de nature politique et fiscale. Les principales dignités qui lui sont
réservées.
Si les droits du père sont théoriquement illimités, ils sont cependant restreints par
la notion même de paternité qui ne permet de les exercer que dans l’intérêt
égoïste du père. Ces Droits sont devoirs : la puissance paternelle est une
puissance tutélaire, protectrice. Ce que l’homme perd en indépendance, il le
regagne en protection et le Droit de coopérative de la communauté familiale ».
La noblesse a préséance et Droit à des marques de respect. Il existe à cet effet
certains insignes pour marquer son rang qu’on ne peut pas usurper sous peine de
41
Dekkers R., op.cit, p.28.
42
Possoz, , BJI, n°10, p.306.
op.cit
24
43
Sohier, , p.306.
op.cit
25
44
Mulumba K., op.cit, p.214.
26
45
Anastase, Le nom et ses implications dans la culture bantoue, servir 1961, pp.129-135.
46
Temples, La philosophie bantoue, pp.65-76.
27
physiques, des noms donnés à un enfant dont les frères ou sœurs sont morts en
bas-âge, des noms rappelant les rapports entre le père et la mère ou des noms
faisant allusion à un décès récemment survenu dans la famille.
Il y a aussi des noms traduisant tout simplement la joie des parents ou
paterfamilias. D’après la culture congolaise, la maternité consolide et assure le
mariage ; elle donne à la femme l’estime de sa belle-famille et lui assure une
grande considération sociale ; aussi une mère n’hésite-elle pas à choisir un nom
susceptible d’exprimer ses prières, sa joie, sa reconnaissance aux dieux, aux
ancêtres qui lui ont apporté cet enfant. De même, le patriarche du clan se réjouit
chaque fois que celui-ci augmente d’unité, car cela lui permet de faire face aux
travaux de champs et aux multiples dangers guettant son territoire, tels les
guerres, la famine, etc. ; il imposera ainsi à un nouveau-né un nom qui traduirait
mieux ses sentiments et désir de voir son groupe s’agrandir, uni et puissant.
D’autres noms sont totémiques. D’une manière générale, chaque clan possède
son totem, un animal considéré comme l’ancêtre dont on descend ou dans lequel
on se réincarne après la mort et honoré à ce titre ; cet animal devient un tabou ;
on ne lui pourra aucun mal, ni le manger, sous peine de connaître un mauvais
sort ou de contracter une maladie incurable ; il arrive qu’on donne le nom de ce
totem au nouveau-né.
Il existe également des noms imposés, en ce que les parents n’ont pas de choix.
L’enfant doit obligatoirement porter ce nom ; c’est notamment le cas des
jumeaux, des noms désignant le rang de naissance, de ceux faisant allusion aux
événements qui ont précédé ou accompagné l’accouchement (Kongo, luba, lulua,
sakata, yansi, luntu, kete, kuba shi, lega, leele, etc.).
Il en est de même de la métempsycose. Au sens classique, la métempsycose
signifie la transmigration des âmes d’un corps dans un autre ; pour les croyances
bantoues, les morts peuvent renaître, en ce sens que les ancêtres prédécédés du
clan peuvent être conçus dans le sein des vivants et venir de nouveau participer
à la vie sociale. On attribue cette conception à l’influence de la force vitale d’un
défunt sur la progéniture 47 . Il y a conviction que l’ancêtre défunt reprend
réellement la vie dans le sein d’une femme par l’influence divine : songes, pleurs,
cicatrices portées par l’intéressé de son vivant. Le port de son nom est
obligatoire.
L’on peut également ajouter l’homonymie. Celle-ci est normalement une
marque de reconnaissance ou de sympathie envers les personnes qu’on aime ; il
est de coutume que les parents donnent à leur enfant le nom de leur meilleur ami
47
Tempels, op.cit, p.68.
28
48
Mulumba Katchy, op.cit, p.221
29
49
Tempels, op.cit, p.70
50
Mulumba K., op.cit, p.241
51
Vansina, Noms personnels et structure sociale chez les Tyo, p.797.
30
sans difficultés, car les parents considèrent ce geste d’un étranger comme une
marque des sympathies à leur égard.
Pour un enfant né hors mariage non reconnu, le Droit de choi-
sir et d’attribuer le nom à l’enfant revient exclusivement à la mère et à son clan.
En un mot, on peut dire que les parents et le clan jouissant d’une grande liberté
en matière de choix et d’attribution du nom.
B. La résidence
La résidence constitue un autre élément important en matière de repère,
d’identification de l’individu.
Rappelons que la résidence est le lieu où une personne à sa demeure habituelle ;
elle est le lieu où une personne est censée se trouver à tout moment ; elle peut
être à la fois sa résidence et son domicile. Il faut souligner que la résidence peut
être multiple, en ce sens qu’une personne peut avoir plusieurs résidences.
La fixation de la résidence est en principe dictée par la solidarité clanique, à tel
point que l’individu est obligé d’établir sa résidence au sein du clan, à l’intérieur
du village.
La résidence du couple est un élément capital pour saisir la structure de parenté.
Elle peut prendre diverses formes :
• Patrilocale, lorsque les époux habitent au même lieu que la famille
paternelle de l’époux ;
• Matrilocale, lorsque le couple réside au même lieu que la famille
maternelle de l’épouse ;
• Avunculocale, si le couple se fixe au même lieu que l’oncle maternel du
mari ;
• Virilocale, quand les époux habitent au lieu de la résidence du mari, dans
l’hypothèse où celui-ci vivait séparé de sa famille ;
• Uxorilocale, lorsque les conjoints habitent au lieu de la résidence de
l’épouse avant le mariage, si elle vivait séparée de sa famille ;
• Bilocale, concerne la résidence au choix dans la famille de l’époux ou dans
celle de l’épouse.
Il convient de signaler que la patrilocalité demeure la résidence coutumière la
plus fréquente52.
§2. Le mariage
Sous cette rubrique, nous allons parler respectivement des no-
tions, des fiançailles, des sortes, des conditions de formation et des effets du
mariage.
52
L. V. Thomas, op.cit, p.43
32
I. Les notions
Grootaert définit le mariage des indigènes comme « une fonction organique du
clan ou de la horde ; partant, le mariage est conclu entre hordes ; c’est un pacte
ou alliance d’amitié, les époux se bornant à consentir »53. Par le mariage, poursuit
l’auteur, les deux hordes se lient, l’une a lié en mariage un homme, l’autre a lié
en mariage une femme. Le but principal recherché par les hordes est
l’agrandissement ordonné, ou l’accroissement à force de l’ensemble du groupe
formé par les deux hordes qui s’engagent. Cette union revêt une double
importance : une importance pour la communauté familiale et une importance
individuelle pour les époux. Les époux demeurent dans l’ensemble, comme dans
tant d’autres activités de la société indigène, les organes actifs, les exécutants du
contrat qui contribuent organiquement à l’achèvement des buts des communautés
à base familiale dont ils font partie intégrante, organique et coactive.
Pour Dethier54, le mariage est un contrat interclanique conclu, parfois devant les
témoins entre les parties par le truchement des représentants qualifiés de leurs
clans respectifs et qui a comme preuve un titre constitué par les membres de la
famille du futur époux et remis solennellement au père juridique de la femme.
Cependant, souligne l’auteur, la conclusion de l’union définitive reste
subordonnée au consentement de la femme, lequel sera toujours exprimé lors de
sa maturité ; autrement ; il y aura rupture automatique de l’alliance projetée des
clans et la restitution intégrale des valeurs déjà versées.
D’après verbeken56, le mariage n’est pas une affaire indivi-
duelle, mais une affaire de la communauté, une sorte de contrat entre deux
groupes : famille de l’homme et celle de la femme ; l’un perd un de ses membres,
l’autre en gagne un ; pour se prémunir contre cette diminution injustifiée, le
premier groupe exige une compensation que le second verse sous forme de dot,
bœufs, houes, argent, etc. Bref, le mariage n’est pas seulement un contrat de
l’alliance entre deux groupes de famille ; il est aussi la consécration de l’union
sexuelle des époux.
Keba M’baye55 déclare que le mariage crée la famille ; qu’il est source de la
parenté et que la famille et la parenté engendrent des Droits et des obligations à
caractères à la fois privés et publics ; il poursuit qu’en Afrique, le mariage n’est
pas un contrat entre deux individus mais un pacte souscrit par deux familles,
53
Grootaert, problème et programmes congoalis, BJI, 1947, n°2, p.58.
54
Dethier F.M., Notes sur les institutions et coutumes judiciaires, Nkundu-Mongo, DJI, 1945, p.159.
56
Verbeken A., op.cit, p.173
55
Keba M., op.cit, p…
33
pacte par lequel l’épouse peut entre dans la famille de son mari ou, simplement
rester une alliée.
Enfin, Sohier 56 estime que « le mariage du Droit coutumier congolais est la
combinaison d’un contrat entre deux personnes de sexes différents, créant entre
elles une société de vie, des droits, et des devoirs réciproques, et d’un contrat
entre parentèles rendant cette union opposable aux groupes, lui assurant leur
appui et légitimant les enfants.
En un mot, on peut affirmer qu’en Droit coutumier, les époux ne sont pas deux
individus isolés ; chacun continue à faire partie de son groupe, avec toute la
solidarité, toute la protection assurées généralement aux membres de famille.
Il faut noter que cette conception traditionnelle du mariage est en train d’évoluer,
suite à l’évolution de la société moderne et aux innombrables mutations qui s’y
opèrent.
Telle est la définition du terme « mariage ». Mais quelles en sont les catégories
?
II. Les sortes de mariage
Dans la société traditionnelle congolaise, on enregistre plusieurs formes de
mariages. Mais, nous allons nous en tenir à l’essentiel, c'est-à-dire à la
monogamie et à la polygamie ( la polyandrie et à la polygenie).
A. Le mariage monogamique
D’abord, il sied de signaler que durant l’ère coloniale, le pouvoir s’est adonné à
organiser et à protéger le mariage coutumier monogamique par l’évangélisation
et par la répression de l’adultère et de la bigamie ; il a également pris des mesures
ayant rait à la protection de la fille indigène impubère. Aussi le décret du 5 juillet
1948 intervient-il pour organiser le mariage monogamique des indigènes.
L’article 1 dudit décret dispose : « … Par mariage monogamique, il faut entendre
tout mariage d’époux monogames, même si le statut matrimonial sous lequel
l’union a été conclue est polygamique. Par mariage coutumier, il faut entendre
aussi bien le mariage contracté exclusivement suivant les règles et coutumes
indigènes et des règles d’un culte religieux ; les époux doivent être pubères et
âgés d’au moins 16 ans ; il faut en outre absence de lien de parenté et d’un
mariage précédent non dissous ; il faut enfin le constamment des parents ».
C’est dans ce contexte qu’il faut situer la plaidoirie de Bruno Geldhof57, père
supérieur de la Mission Catholique de Manono en 1945, en faveur de la lutte
contre la polygamie : « … il faut que les missionnaires jouissent d’une grande
56
Sohier, op.cit, p.376
57
Bruno Geldhof, cité par beaucoup, Pour la violation de la famille dans la société indigène, BJI,
1945, n°1, p.2
34
58
Rapport Waleffe, Bulletin officiel, 1950, p.484.
35
59
Sohier, op.cit, p.388
60
Van de Ginste, Le mariage chez les Basuku, BJI, 1947, n°2, p.35.
37
61
Van de Ginste, op.cit, p.37
38
ailleurs. Et pour éviter le vagabondage sexuel, celuici se voit autorisé à avoir une
autre femme.
Le surnombre des femmes occasionne également la Polygamie.
Le déséquilibre démographique, la disproportion du nombre des femmes par
rapport à celui des hommes, dont les causes sont multiples (longues vie des
femmes, guerres), favorisent le penchant des hommes à avoir plusieurs femmes.
Il faut, enfin, mentionner le lévirat.
Celui-ci est un système par lequel un homme peut hériter la femme de son frère
ainé, de son père ou de son oncle prédécédé. Il arrive qu’un homme meure et
laisse une ou des veuves. Du fait que le mariage coutumier est essentiellement
un contrat entre les familles, ces veuves sont obligées d’y demeurer et d’y trouver
un remplaçant. Par ce cas fortuit, un homme peut devenir polygame sans aucun
effort.
Somme toute, la tradition congolaise reste encore attachée à la polygamie,
malgré l’émancipation politique, économique et culturelle de la femme.
Toutefois, cette polygamie n’est pas légale, elle est tolérée.
C. La polyandrie
La polyandrie est le système qui permet à une femme d’avoir plusieurs maris ;
cette pratique n’était pas répandue ; elle existait dans quelques régions du pays,
notamment chez les Leele où une femme s’unissait à tous les hommes d’une
classe d’âge ou à tous les célibataires du village 62 , lesquels l’abandonnaient
lorsqu’ils atteignaient trente ans pour se marier. Parfois, ceux-ci s’associaient
pour payer ensemble la dot de leur épouse.
La polyandrie fut prohibée par le pouvoir colonial d’abord, car il la considérait
comme contraire à l’ordre public et aux bonnes meurs ; l’autorité coloniale
estimait qu’elle était sous toutes ses formes génératrice de conséquences
désastreuses pour l’avenir de la race et pour l’évolution morale des populations
indigènes63.
62
Vansina J., op.cit, p.135
63
Voir O.L. n°37/AIMO du 31 janvier 1947.
39
64
Sohier J., op.cit, CEPSI, 1963, n°62, pp.71-83
41
Il sied de noter que la phase des fiançailles est une phase initiatique, préparatoire
à la vie conjugale effective ; elles favorisent la bonne conduite des filles,
lesquelles sont tenues d’arriver vierges au toit conjugal.
IV. La formation du mariage
Il nous appartient ici d’analyser les différentes conditions de validité du mariage
en Droit coutumier ; il s’agit des conditions de fond et de forme.
a. Les conditions de fond
Parmi les conditions de fond, on peut épingler l’endogamie, l’exogamie, la
différence de sexe, l’âge, le consentement, la dot et la viduité.
1. L’endogamie
L’endogamie est une règle qui oblige un individu à choisir son conjoint à
l’intérieur de son groupe. On distingue entre autre endogamie clanique,
endogamie tribale, endogamie ethnique et endogamie castuelle. La caste est un
groupe formé d’individus à l’intérieur d’une famille sensu lato liés par les mêmes
fonctions traditionnelles (caste des forgerons, des griots, etc.). Le mariage n’est
possible qu’à l’intérieur du groupe ; il se dresse souvent des barrières
infranchissables, à telle enseigne qu’on aboutit inévitablement aux mariages
préférentiels ou entre cousins croisés ; on y a joute également les mariages
recommandés (Pende, Suku, Kongo). C’est notamment l’hypothèse d’un mariage
avec la fille du frère du père ou avec la fille de la sœur du père. L’on recourt à ce
genre de mariages pour éviter qu’un étranger ne vienne vider le lignage et
emporte les femmes, que la famille ne se disperse pas, qu’on ne verse ou ne
rembourse pas la dot lorsqu’un est pauvre.
Il faut noter que ce régime provoque la dégénérescence du groupe, crée des
sociétés fermées et aboutit souvent aux mariages forcés.
2. L’exogamie
Il s’agit d’un système qui contraint un individu à choisir son conjoint en dehors
du groupe auquel il appartient. L’exogamie rencontre les préoccupations
naturelles de la morale et de la décence. Aussi le mariage est-il prohibé entre
parents ou alliés jusqu’à un certain degré. On enregistre beaucoup d’interdictions
matrimoniales. Il en est ainsi d’empêchement au mariage dans la lignée
paternelle entre la mère et le fils, entre les oncles et les nièces maternelles, entre
les tantes et les neveux maternels, entre les frères et sœurs, etc.
Par ces probations, on évite l’inceste, la consanguinité et par voie de
conséquence l’appauvrissement de la race, du groupe par la circulation du même
sang dans les veines ; car la circulation du sang, siège de l’âme canal de la
transmission des forces vitales, est à la base des rapports fondamentaux entre
42
65
Thomas, op.cit, p.48.
66
Dekkers R., op.cit, p.28.
43
67
Sohier K., op.cit, p.12-15.
68
Kisungu signifie initiation, fille pubère, initiée.
44
69
Nous connaissons l’histoire d’un ami Ntomba de Maïondombe qui s’était marié à une femme
contre le gré de son oncle. Conséquence, il a miraculeusement perdu un testicule. Ila dû implorer ce
dernier pour épargner l’autre. 72 Keba M’Baye, op.cit, p.17.
45
70
Sohier, op.cit., BJI, 1946, n°12, p.380.
71
Braun, Le mariage chez les Bahavu, BJI, n°12, p.395.
72
Kalambay G., La dot dans le mariage luba du sud-Kasaï, son importance et son évolution à Mbuji
Mayi, R.J.C, 1966, p.379.
73
Sohier J., op.cit, CEPSI, 1963, n°63, p.43
46
74
Pauwels J., La dot chez les Tyo (Teke) : mécanisme et fonctions, R.J.C, 1966, p.378
47
Pendant ce séjour, les futurs époux ne cohabitent pas ; il leur est interdit, en
principe, d’avoir des rapports sexuels, aussi longtemps que la femme n’a pas
encore subi le rite purificatoire, d’exorcisme. Exceptionnellement, l’homme
prend le risque de tricher et de violer l’interdit et de convaincre la femme à
accomplir l’acte dont le but essentiel est de découvrir si la future épouse est
encore vierge. Cette virginité conditionne l’octroi à sa mère d’une chèvre75, en
guise de félicitation et de remerciement à la mère pour avoir bien protégé et
éduqué sa fille.
A la fin du stage, l’homme raccompagne sa femme et sa bellesœur chez elles,
avec leurs divers cadeaux.
2. La pratique des rites prénuptiaux
Cette deuxième étape est consacrée à l’organisation des différents rites
initiatiques, les quels sont destinés à assurer le succès, la réussite, la prospérité
de la vie conjugale des futurs mariés.
Il s’agit notamment de l’initiation à la vie sexuelle, à la vie d’épouse, à la vie de
ménagère, etc.
L’implication de ces rites suppose que le séjour, le stage effectué par la femme
dans la belle-famille a été concluant.
Dans l’affirmative, l’homme amorce la phase du versement de la dot proprement
dite ; il apporte divers biens, en nature et en espèces, et la fameuse chèvre de
virginité. Ainsi se déclenche une série de rites d’initiation prénuptiale.
Il y a d’abord l’initiation à la vie sexuelle, laquelle diffère d’une coutume à une
autre ; mais, il n’y a que des nuances, l’essentiel demeurant pareil.
La première préoccupation est de faire en sorte que la jeune fille soit en mesure
de supporter l’acte sexuel, la consommation du mariage ; pour ce faire, il faut
explorer son corps, scruter ses parties génitales en vue de les développer.
Le premier instrument de mesure, le critère de référence, c’est la puberté,
l’apparition des premières menstrues, des premières règles. A quatorze ans, la
fille est censée être biologiquement formée et avoir eu ses premières menstrues ;
elle est donc apte au mariage. Avant l’âge de puberté, l’intéressée s’adonne aux
exercices de développement de ses parties intimes. Elle se livrera à l’usage de
certaines plantes pour lubrifier son sexe, des carottes, de manioc ou de pattes
douces, de ces doigts pour élargir l’ouverture de son sexe, etc. à telle enseigne
75
- Les Lula appellent cette chèvre « Mbuji wa nyima », la traduction signifie « chèvre du dos » ;
double signification, d’abord, la mère a dû porter cette fille dans son ventre, ce qui est un poids, une
charge ; aussi elle l’a portée sur le dos ; ensuite, la fille devra faire contribuer son dos pour la réussite
du futur acte sexuel.
- Les Lula nomment ce séjour « Kumona ou Kudiata kapia », c'est-à-dire « visiter ou piétiner le feu »,
en ce sens que la femme est allée dans la belle-famille pour avoir les premiers rapports sexuels.
50
76
Lambo L., Etude sur les Balala, BJI, 1946, pp.231-256, 273-300, 313-346.
51
plusieurs poules pour implorer les ancêtres de veiller sur la vie de la future mariée
et de la combler d’innombrables dons, le dévouement, la fécondité, la fidélité,
l’assiduité, la parcimonie, la maîtrise de soi, la prospérité, etc. Aussi, la jeune
fille passera par la pratique d’exorcisme, en vue de l’extirper de sa famille et de
casser virtuellement la dynamique des familiarités avec ses frères et sœurs ;
autrement, ces derniers s’apercevront de cette absence et tomberont malades. Ce
rite sera couronné par l’aspersion de l’enduit ou kaolin sur le corps de la femme,
signe de purification et de bénédiction familiale.
D’autres rites s’intéressent aux différents aspects de la préparation à la vie
conjugale.
Nous aimerions préciser que la pratique des rites d’initiation prénuptiale ne
rentre pas dans l’hypothèse du mariage-capture, par rapt, par enlèvement du fait
qu’il n’y a pas de phase préparatoire ; les conjoints consomment immédiatement
le mariage. Il faut rappeler que le mariage par rapt est un mariage forcé dans le
chef de la femme, laquelle a été capturée lors des raids menés par les guerriers
dans les contrées voisines. Ces raids étaient fréquents dans la société congolaise
précoloniale ; ils étaient favorisés par la pénurie, dans le groupe des femmes qu’il
fallait chercher en dehors de son groupe ; parfois, c’était les appétits sexuels
gloutons des chefs qui, attirés par des jolies femmes, envoyaient leurs milices,
les kidnapper chez les voisins. Lesdits raids étaient à la base de plusieurs guerres
et immigrations.
Après un mot sur l’accomplissement des rites prénuptiaux, il
convient à présent de passer à l’étape finale, celle de la célébration proprement
dite du mariage.
3. La célébration définitive du mariage
Après le versement conséquent de la dot et l’accomplissement du culte
prénuptial, on estime que les conditions sont remplies pour fixer la date de la
célébration fondamentale du mariage.
Les cérémonies y afférentes commencent le jour convenu. Elles varient d’une
coutume à une autre.
En général, les deux familles du couple conviennent du jour et de l’heure de la
venue de la mariée au domicile du mari ; celle de la femme se prépare à conduire
cette dernière chez son mari, tandis que celle du mari s’apprête à l’y accueillir.
La famille de la future épouse s’organise et s’attelle à la logistique ; elle réunit
tous les effets requis pour ce genre d’événements : une chèvre, des poules, du
gibier, sacs de manioc, de maïs, du riz, ustensiles de cuisine, petit matériel
agricole, nasse, effets personnels, etc. Le paterfamilias désigne à peu près une
dizaine de femmes qui feront partie du cortège (Lulua, Luba-Kasaï).
52
L’épouse pénètre dans la maison dès que la porte et le lit sont libérés. Le banquet
des noces met fin au cérémonial.
Telle est la procédure générale de la conclusion définitive du mariage en Droit
traditionnel congolais.
Mais quelles en sont les conséquences ?
V. Les effets du mariage
Le mariage coutumier produit d’innombrables effets tant à
l’égard des époux, de leurs enfants mineurs qu’à celui de leurs familles
respectives.
Nous verrons respectivement le ménage, les Droits et devoirs conjugaux et les
régimes matrimoniaux.
A. Le ménage
Nul doute que le mariage crée le ménage. Celui-ci est essentiellement constitué
des époux, de leurs enfants et d’autres parents à leur charge.
Le mariage consacre l’union matrimoniale définitive et indisso-
luble, en ce que les époux s’engagent pour toute la vie, le divorce étant une
exception. Il y a des coutumes qui connaissent des mariages où le de divorce
n’est jamais permis, en raison de la qualité des époux ; ces coutumes permettent
également aux conjoints ‘attacher à leur union un caractère d’indissolubilité,
concrétisé par la cérémonie d’échange des sangs, doublé d’un pacte de
monogamie.
La femme est désormais au risque du mari, responsable vis-àvis de la famille de
l’épouse de tout ce qui arrivera de défavorable ; ce dernier devra indemnité en
cas de préjudice ; cette responsabilité découle du principe de la responsabilité de
l’hôte et disparaît dès que la femme n’habite plus au domicile conjugal77.
Néanmoins, la femme joue un rôle essentiel en tant qu’épouse et mère. L’on
constate l’égalité juridique de la femme avec l’homme dans le mariage, la
vénération dont le congolais entoure sa mère ; la femme occupe souvent une
situation confortable dans le régime politique.
Le mari est le chef du ménage, mais son autorité n’est pas une tyrannie ; il ne
peut pas exagérer les services. La femme lui doit respect et obéissance. En bonne
ménagère, elle exécute les travaux y afférents.
Dans le ménage coutumier, l’autorité est synonyme de paternité, laquelle est
sacrée d’une manière illimitée. On le constate à travers l’analyse de quelques
coutumes, selon qu’il s’agit de la patrilinéalité ou de la matrilinéalité.
77
Dekkers R., op.cit, p.51
54
Il est des coutumes où le père exerce l’autorité dans le foyer, tout en permettant
à la mère et son ayant Droit d’y participer. Bien qu’il y ait une certaine préférence
à la mère et à sa lignée, le père et sa lignée concourent aux Droits et devoirs de
garde et de tutelle (Kuba, Kongo, Sanga, Leele).
Pour certaines coutumes, le père exerce l’autorité, certes fragile, dans le foyer ;
la garde des enfants est déférée à la lignée maternelle, sans exclure la possibilité
pour le père de l’assumer. Il arrive parfois que la matrilinéalité aboutisse à la
désaffection envers les enfants de la part des parents maternels éloignés (Laba,
Lamba).
Aussi, le père en vie exerce l’autorité sur l’enfant, sans négliger le rôle de la
mère et de son ayant Droit. La dévolution de la tutelle relève de la matrilinéalité
ou de la patrilinéalité (Hemba).
De même, les père et mère lunda exercent l’autorité sur leurs
enfants sous la surveillance de leurs lignées respectives. La tutelle est dévolue
indifféremment à l’une ou l’autre lignée ; seul prime, l’intérêt de l’enfant.
La coutume des Luba du Katanga accorde au père le Droit
d’exerce l’autorité sur ses enfants au nom de la famille, sans toutefois exclure
l’influence de sa mère et de sa lignée ; la tutelle est régie conformément aux
règles de la patrilinéalité.
Au Kasaï, le père et sa lignée exercent l’autorité paternelle sur l’enfant ; le rôle
de la mère et de sa famille est très réduit (Luba, Lulua).
La solidarité familiale et l’autorité paternelle restent très fortes chez les Songe,
avec, cependant, une préférence pour le côté paternel. Il y a concours des lignées
en matière de tutelle.
En somme, on peut dire qu’il se dessine une légère évolution vers l’exercice
conjoint de cette autorité dans un régime de bilinéalité.
B. Les droits et devoirs conjugaux
Il y a une corrélation entre les droits et devoirs conjugaux, en ce sens que ce qui
est un droit pour le mari est un devoir pour la femme et vice versa.
Cette rubrique a trait à l’étude des droits et devoirs tradition-
nels, à savoir la cohabitation, la fidélité, le secours l’assistance, l’affection et
l’entretien.
1. La cohabitation ou devoir de domicile commun
Le mariage crée entre mari et femme des droits et obligations, parmi lesquels
figure la cohabitation. Les époux doivent cohabiter pour pouvoir consommer leur
mariage, car la procréation en constitue un but primordial. Les époux se doivent,
sous peine de divorce, des rapports sexuels normaux ; l’impuissance et la stérilité
occasionnent inévitablement la rupture du lien conjugal. La femme peut se
55
refuser à d’autres pratiques et le mari peut être considéré comme ayant commis
une injure grave s’il les a réclamées.
Mais, comment fixer le lieu de cohabitation, le domicile ou la résidence ? A qui
en revient le choix ?
La réponse à ces questions dépend du système familial, patrilinéaire ou
matrilinéaire, et de la femme, du mariage monogamique ou polygamique.
Dans le système patrilinéaire, le choix du domicile appartient presque toujours
au mari. La résidence est patrilocale et virilocale (Luba, Lulua, Songe, Mongo,
Bira, Lega). La femme doit suivre le mari, lequel est tenu à la recevoir au
domicile conjugal.
Dans le système matrilinéaire, le mari s’installe en général dans le village de sa
femme, à l’exception du chef qui continue à vivre dans son village où la femme
doit le suivre. Les époux doivent cohabiter ; la résidence est matrilocale et
uxorilocale ; cependant, le mari peut être autorité par les beaux-parents à fixer le
domicile conjugal en dehors du village de son épouse et ce, après la réalisation
des obligations culturales (Sanga, Lamba, Lala).
La forme du mariage influe aussi sur l’établissement du domi-
cile conjugal. Aucune difficulté dans un mariage monogamique ; le mari fixe le
domicile et y reçoit sa femme. Mais, dans un mariage polygamique, la situation
devient complexe ; le devoir de cohabitation pèse principalement sur la femme.
Le mari polygame pratique le mariage uxorilocal où il observe le tour de nuit à
l’égard de ses épouses, se déplace d’une résidence à une autre, de telle sorte qu’il
se produit une instabilité résidentielle accompagnée de déménagements
fréquents des ménages d’un village à un autre. Il existe parfois des situations
hydrides : des systèmes patrilinéaires couplés de virilocalité, ou des systèmes
patrilinéaires couplés d’uxorilocalité (Kongo, Kuba, Yansi, Sakata, Lunda,
Hemba). souvent, les circonstances accidentelles poussent le mari à établir la
résidence au village de la femme, par exemple mort d’enfants, infécondité,
maladies, disputes, etc.
Au bout du compte, les époux sont obligés de cohabiter et
d’avoir des rapports sexuels constants et ce, quel que soit le système familial dans
lequel ils évoluent.
2. La fidélité ou devoir de rapport sexuels en vue de la procréations
Le devoir de fidélité est sacré en Droit traditionnel ; il revêt un caractère à la fois
juridique et moral ; il est réciproque entre mari et femme. Mais, l’obligation de
fidélité est atténuée pour le mari dans le régime polygamique où l’homme est
autorisé à avoir des rapports sexuels avec ses multiples femmes. Il en est de
même en matière du culte de purification relatif au veuvage et de l’hospitalité où
56
il était loisible au chef de permettre aux clients de jouir de l’une ou l’autre de ses
épouses (Libinja, Mwe)78. Ce devoir a sans doute parmi ses buts la satisfaction
de l’amour et des besoins des époux, mais cependant surtout la perpétuation du
groupe.
Aussi la violation de ce devoir est-elle sévèrement sanctionnée sur le plan pénal
et civil. Au pénal, la coutume inflige à la femme commet l’adultère et à son
complice des sanctions très sévères, voire cruelles (écartement des jambes,
exposition au soleil, ficelage des parties génitales, amputation, etc.). Au civil le
complice est en outre condamné au paiement des indemnités. L’adultère du mari
est réprimé lorsqu’il est entouré de circonstances aggravantes telles que l’inceste
et la souillure du lit conjugal.
3. Le secours
Il sied de rappeler que le devoir de secours revêt un caractère essentiellement
matériel, économique ou financier.
La coutume oblige les époux à contribuer aux charges du mé-
nage et ce, dans la limite de leurs possibilités. Elle détermine, en fait, la part de
chaque conjoint.
Ainsi, la femme s’attelle normalement à sarcler les champs, semer, récolter le
grain, préparer les repas, puiser de l’eau, couper le bois, faire la lessive, désherber
les sentiers, faire la nasse, soigner les enfants, etc.
En revanche, le mari doit construire la maison, vêtir sa femme et ses enfants, les
nourrir et les entretenir, cultiver les champs, ériger les greniers, surveiller le
bétail, cultiver les champs de la belle-mère, etc.
En un mot, les époux contractent chacun l’obligation de subvenir aux besoins du
conjoint et des enfants.
4. L’assistance
L’assistance revêt une dimension morale ; elle concerne le réconfort moral.
Les époux contractent l’obligation de s’assister dans les épreuves. Le mari a
l’obligation de soigner sa conjointe malade. Aussi la maladie contractée par la
femme pendant le mariage n’est-elle pas une cause de divorce, surtout lorsqu’une
visite prénuptiale prouve qu’elle est physiquement saine, intacte. La coutume
impose la même obligation à la femme, laquelle doit assister et apporter le
réconfort moral à son mari en cas d’épreuves.
Enfin, il convient de noter que le secours et l’assistance ne se limitent pas aux
seuls époux ; ils s’étendent également aux familles alliées, famille du mari et
celle de la femme ; le devoir d’affection et d’égards des époux s’étend aux alliés.
78
Vansina J., op.cit, p.72.
57
au préalable, de l’ex-mari, les biens propres de leur fille, sous peine de sanctions
coutumières, telles que le refus d’initier le rite de purification à son égard79.
Constituent, en général, biens propres de la femme, le trous-
seau, des instruments de travail agricole, les poules, les objets de toilette et de
parure, les cadeaux, les ustensiles de cuisine, les pots en terre, les nasses, etc.
pour l’homme, on peut mentionner la maison, le gros bétail, les champs, le
matériel aratoire, la succession, la dot, son fusil, ses vêtements. Le reste devient
le patrimoine commun (tous les biens du ménage).
Les deux époux doivent contribuer aux charges du ménage, lesquels charges
pèsent davantage sur le mari. En conséquence, celui-ci assure généralement la
gestion et l’administration des biens de sa femme.
En cas de dissolution du mariage, par décès ou par divorce, la coutume prévoit
les règles de procédure relatives au partage des biens.
§3. La dissolution du mariage
Le Droit coutumier consacre, en général, trois modes de disso-
lution du mariage : le décès, le divorce et la répudiation ; on peut également y
ajouter l’absence et la disparation. Mais, nous nous en tenons ici aux trois modes
essentiels, décès, divorce, réputation.
I. Les modes dissolution
A. Les décès
Le décès de l’un des époux est une cause naturelle de dissolu-
tion du mariage ; on y peut rien, il y a fatalité. Cette cause n’appelle pas de
commentaire spécial. Néanmoins, elle produit des effets matrimoniaux qu’il
convient d’analyser.
Lorsqu’il y a décès d’un époux, le conjoint survivant tombe automatiquement
dans le veuvage, lequel est défini comme la situation d’une personne veuve et
non remariée. Pendant le veuvage, le conjoint survivant doit accomplir des rites
de purification, sous peine de malédiction, d’envoûtements.
1. Le décès du mari
A la mort du mari, la coutume prescrit un culte de libération à l’égard de la
femme. Ce culte passe par plusieurs étapes dont la purification, le paiement d’une
indemnité et le lévirat.
79
Bompaka N. L’évolution actuelle des régimes matrimoniaux en coutume sakata, Annales de la
faculté de Droit, vol.2, pp.96 et 99, Kinshasa 1973.
59
a. La purification
Lorsqu’une personne décède, un effluve se dégage de son corps. En cas du décès
d’un époux, en criant que son effluve ne se colle au conjoint survivant et ne se
transmette également au tiers en rapports intimes avec ce dernier.
Ainsi, une femme qui a perdu son mari est astreinte à une série de rites pour se
libérer, notamment la succession charnelle avec un parent de son mari prédécédé,
l’acte que Jean Sohier qualifie le pseudo-lévirat80.
Toutes les coutumes consacrent ce rite, lequel consiste ici à soumettre la veuve à
la consommation de l’acte sexuel avec un parent du défunt ; parfois, l’acte sexuel
est remplacé par un simple simulacre ou toute autre cérémonie (glissement d’une
simple pièce de monnaie dans le cercueil, exorcisme par prière) susceptible de
lever le sort néfaste.
b. L’indemnité de mort
La veuve doit diverses indemnités, dites indemnités de mort, aux parents de son
ex-mari ; ces indemnités sont versées en nature ou en espèces (chèvres, poules,
fusil, argent) ; elles revêtent plusieurs significations. Elles traduisent en général
le coût dû à la perte d’un être cher, au vide laissé dans sa famille ; elles sont aussi
la marque de sympathie, d’amour, de fidélité, d’attachement, d’affection de la
veuve à l’égard de son ex-mari et de sa famille. D’ailleurs, le paiement préalable
de ces indemnités conditionne la cérémonie de purification.
c. Le lévirat
Toutes les coutumes congolaises connaissent et consacrent cette institution.
Le lévirat consiste à obliger un homme à épouser la veuve de son frère
prédécédé.
Nous ne cesserons de répéter qu’en Droit coutumier, bien que l’union conjugale
soit éteinte par le décès d’un conjoint, l’alliance subsiste entre le survivant et sa
belle-famille, aussi longtemps que la dot n’est pas remboursée et que les
indemnités obligatoires ne sont pas payées. Il se peut même qu’une nouvelle
union se greffe sur l’ancienne alliance, confortée par les liens précieux de
solidarité entre les deux familles ; au fond, on peut soutenir que le mariage fait
entrer définitivement la femme dans la famille de son mari, de telle sorte que
même la mort de ce dernier ne peut pas dissoudre le mariage. De ce fait, la veuve
fait partie de l’héritage et reste dans le voyer conjugal par le système de lévirat,
elle sera héritée par un frère du défunt ; en cas de refus, elle devra rembourser
intégralement la dot pour se libérer.
80
Sohier J., op.cit, CEPSI, 1964, n°64, p.59
60
Cette pratique est instituée dans l’intérêt de la veuve, dans l’intérêt des parents
de celle-ci et dans l’intérêt des enfants.
L’intérêt de la femme réside dans la prise en charge automatique et dans son
maintien, dans son environnement social où elle s’épanouirait auprès de ses
enfants.
Les parents de la veuve y trouvent aussi leur compte, en ce qu’ils ne pourront
pas se charger d’elle, ni restituer la dot, ni rompre l’alliance lucrative.
Enfin, les enfants restent à charge de la famille de leur père et de leur oncle
paternel héritier.
A ce sujet, Jean Sohier nous fournit d’intéressantes informations dans son étude
prérappelée dont nous reproduisons les extraits principaux.
La veuve peut épouser le frère du conjoint défunt ; mais les nouveaux époux
doivent consentir au mariage et échanger les valeurs dotales. Cette nouvelle
union prend la place de la première et produit des effets matrimoniaux entre eux
(Laba, Lamba).
Le survivant des époux peut épouser le « swana », héritier du mort ; mais ils
doivent y consentir et une nouvelle dot scellera l’union (Sanga) ; autrement, la
veuve garde les orphelins.
Le survivant des époux peut épouser l’héritier du défunt dési-
gné par la famille de celui-ci. Mais, les époux doivent consentir à leur union et
célébrer le nouveau mariage et ce, dans l’intérêt des orphelins (Hemba, Lunda).
Avec le plein consentement des époux, le survivant peut se marier avec un
héritier du défunt : dans ce cas, la première dot demeure consignée et un
complément versé (Luba-Katanga).
La coutume lulua, luba-kasaï prévoit le remariage, le remplacement pour la
veuve ; les nouveaux époux doivent manifester leur consentement ; un
supplément de dot est versé. Un fils peut épouser sa marâtre veuve. Il en est de
même de la coutume de songe.
2. Le décès de la femme
Les considérations que nous avons évoquées à la mort du mari s’appliquent
également au décès de la femme, c'est-à-dire passer par les phases de purification,
d’indemnité et de sororat.
a. La purification
D’une manière générale, le veuvage du mari commence immé-
diatement après l’inhumation de sa femme et dure trois mois. pendant cette
période, le veuf est soumis aux rites de purification; il ne se lave plus et laisse
pousser les cheveux et la barbe ; il prend des repas légers et sobres ; il s’abstient
des boissons alcoolisées et de la cigarette ; il ne peut pas remarier, etc.
61
81
Deckers R., op.cit, p.52
82
Sohier J., op.cit, p.88
62
nous donnons nos richesses pour en avoir une autre. Nous disons au mari qui a
perdu sa femme : « ce n’est pas vous qui avez tué notre fille ; c’est Dieu qui l’a
tuée ». Pourtant les gens d’ici, quand leur fille meurt, font des revendications ; si
la fille d’une femme libre meurt, ses parents considèrent le mari comme esclave
jusqu’au moment où il a payé sa rançon ; après paiement, il est libre ». L’auteur
termine en ajoutant que législateur yeke est parvenu à éliminer beaucoup de
coutumes rétrogrades ; mais il s’est heurté à la résistance du Droit local ; il tolère
; mais il désapprouve tout en limitant les abus, telles les spéculations sur le
montant des indemnités.
De même, Joseph Kasongo83 nous en édifie dans son étude sur le Lufwa chez les
Baluba Bene Mutombo Mukulu de Kaniama au Katanga, étude dont nous
reproductions un extrait.
Il sied de préciser que le terme « Lufwa » désigne l’ensemble des droits et
obligations mortuaires nés à l’occasion de la mort de l’épouse.
Voici le divorce de l’agonie : « Lorsque la mort de l’épouse est proche, la
parentèle maritale doit sur le champ faire venir un témoin mortuaire, proche
parent de la femme ou à défaut, un ami de la famille de la femme. Ce témoin
devra procéder à la cérémonie de divorce, en application du principe ci-après : «
Célibataire, tu es venu au monde. Célibataire, tu dois quitter le monde ». Il
convoque les beaux-parents du mari et leur remet ce dernier en prononçant ces
paroles : le vôtre, le voici, nous vous le remettons. Le divorce est consommé. En
contre partie, la belle-famille remet au témoin mortuaire un objet quelconque,
reconnaissant ainsi que leur enfant (le mari) leur a été rendu sain et sauf. Cet
objet est l’unique preuve qui atteste que le divorce est intervenu avant la mort de
l’épouse… Le divorce consommé, le mari doit le retirer. L’explication est
d’ordre vitaliste. Il est très néfaste qu’à son heure extrême, la femme aperçoive
l’être de ses pensées ; jalouse, elle emporterait l’image de son mari dans le monde
des esprits ; elle ne quittera jamais celui qu’elle aime encore, lui rendra de petites
visites et l’étranglera. Si le veuf se remarier, il connaît des scènes étranges de
jalousie entre la défunte et celle qui l’a remplacée. La parentèle maritale organise
les cérémonies de retour de la défunte dans sa famille avec tous ses biens, comme
lors des cérémonies nuptiales ; … les indemnités sont payées à chaque croisée
des chemins … Ensuite, l’on organise le procès de la défunte (Mishingi). A cette
occasion, le veuf paie diverses indemnités représentant notamment les
souffrances de l’annonce du décès, l’attente angoissée des beaux-parents du
83
Kasongo J., Le lufwa, Droits et obligations mortuaires nés à l’occasion de la mort de l’épouse chez
les Baluba de Mutombo Mukulu, R.J.C., 1996, p.388.
63
retour de la dépouille dans sa famille, les pleurs et les pleurs et les chèvres pour
maints égards et services rendus par la défunte… »
c. Le sororat
Soulignons que le sororat est une institution qui permet au conjoint survivant de
prendre en secondes noces une sœur ou une cousine de son épouse prédécédée.
Van Hamme84 cité par Jean Sohier lie le sororat et le remboursement de la dot
après le décès de la femme. La dot ne sera pas restituée lorsque le sororat est
réalité, surtout si l’union a eu des enfants.
A la fin du deuil, les beaux-parents essaient de réunir la dot à rembourser au
veuf, d’autant plus que ce dernier a besoin de cette dot pour se procurer une
nouvelle épouse, laquelle prendra soin des enfants laissés par la défunte. Au lieu
d’aller chercher une nouvelle épouse ailleurs, le veuf peut s’adresser à la belle-
famille pour lui fournir cette épouse qui remplacera la défunte. En cas d’une
réponse affirmative, il recevra une sœur ou une cousine de son ex-épouse ; une
solution sera ainsi trouvée sur le plan juridique. Le sororat, cette institution de
remplacement présente d’heureuses incidences sociales. Il permet aux deux
familles, déjà longtemps liées par l’affection et la solidarité, de maintenir ces
solides liens ; il empêche la restitution de la dot et l’abandon des orphelins à leur
triste sort d’être privés de l’affection maternelle. Certes, cela suppose le
consentement mutuel des nouveaux époux et de leurs familles respectives.
Mais qu’en est-il du divorce ?
B. Le divorce
Le divorce est aussi un mode très fréquent de dissolution du
Mariage. Il comporte ses causes et sa procédure.
1. Les notions
Il y a lieu de rappeler que le divorce est la rupture du lien conjugal. Les
coutumes consacrent en général deux modes de divorce : divorce pour une
cause déterminée et divorce par consentement mutuel, autrement appelé
divorce pour incompatibilité d’humeur. Celui-ci est souvent assimilé à la
répudiation dont nous nous occupons plus loin85. Ici, il est essentiellement
question du divorce pour une cause déterminée.
2. Les causes du divorce
Le Droit traditionnel prévoit une grielle des causes du divorce.
Cette liste est variée et illimitée. L’on peut notamment mentionner la stérilité de
la femme, l’adultère de la femme, l’inconduite du mari, l’absence prolongée du
84
Sohier J., op.cit, p.66
85
- Sohier, op.cit, BJI, 1994, p.399 -
Keba M’Baye, op.cit., p.27.
64
L’initiative du divorce peut provenir soit du mari, soit de la femme, soit encore
des parents de la femme ou du mari.
Le divorce peut se réaliser à la demande du mari, lequel en avance les motifs,
tels adultères, stérilité, disputes, sorcellerie etc. le mari donne l’ordre à son
épouse de quitter le toit conjugal et de rentre chez ses parents avec tous ses effets
personnels. Si l’épouse refuse, le couple saisit le conseil des sages du village pour
arbitrer. Le conseil des sages se réunit en présence des époux et des parents de la
femme ; il tente en premier lieu, de réconcilier les parties ; en cas d’échec, il en
prend acte et confirme ainsi le divorce.
Si l’épouse accepte son renvoi, elle rentre chez elle avec tous ses effets
personnes.
L’initiative peut aussi venir de la femme qui notifie à son mari son intention de
divorcer de rentrer chez ses parents. L’on suit la même procédure.
Il peut aussi arriver que les beaux-parents demandent le di-
vorce de leur fille avec son mari. C’est notamment le cas, lorsque le mari
n’entretient pas sa femme ou l’abandonne pendant une longue période. La
procédure mue demeure pareille.
C. La répudiation
La répudiation est un mode de divorce par décision unilatérale du mari. Elle peut
être expresse ou tacite ; elle est expresse lorsque le mari chasse expressément la
femme et la renvoie chez ses parents sans avoir à se justifier ; elle est tacite quand
le mari abandonne son épouse pendant une longue période ou refuse de lui
fournir des soins médicaux. Elle traduit ainsi l’intégralité profonde entre
l’homme et la femme. Elle se fonde souvent sur les motifs sérieux ; adultère,
maladie contagieuse ou incurable, désobéissance au mari, etc. parfois, elle est
due à l’incompatibilité d’humeur ou aux simples caprices du mari lassé de la
longue cohabitation. L’on recourt au même arbitrage qu’en matière de divorce
pour une cause déterminée.
II. Les effets de la dissolution du mariage
La dissolution du mariage coutumier produit un triple effet ayant trait à la
libération des époux de l’union conjugale, au remboursement de la dot et à la
garde des enfants en bas âge et ce, quel qu’en soit le mode.
A. Le remboursement de la dot
A la dissolution du mariage, les parents de la femme doivent obligatoirement
restituer la dot. Mais il faut noter que ce remboursement n’est jamais total ; il est
partiel. En effet on tient toujours compte de la durée de la cohabitation, des
services rendus au mari et à la belle-famille, du nombre des enfants que la femme
aura donnés, de l’ampleur des torts causés par le mari à la femme, etc.
66
86
Keba M’baye, op.cit, p.32
68
La tutelle est une institution qui ne joue pas un rôle notable dans la société
traditionnelle congolaise. La notion d’orphelin n’est pas perceptible grâce à
l’existence de la parenté. Tout enfant possède deux familles, celle du père et celle
de la mère, où il a toujours le droit de résidence. Il a naturellement un père
juridique, de telle sorte que le problème de la tutelle ne se pose pas. Il est
automatiquement pris en charge par l’une ou l’autre des deux familles.
Autrement, le chef du clan désigne d’office un tuteur à l’enfant orphelin,
abandonné.
En Droit coutumier, on parle plutôt de l’autorité paternelle, de la puissance
paternelle, que de l’autorité parentale, du fait que seul le père y joue un rôle
prépondérant.
Il est à noter que le père garde ses fils sous férule, toute la vie. Il arrive parfois
que l’exercice de l’autorité paternelle conduit à la condamnation à la peine de
mort ou à l’esclavage de l’enfant indigne, auquel cas l’avis du clan doit, au
préalable, être requis. Toutefois, le père indigne peut être déchu de son autorité
paternelle ; le fils peut aussi s’affranchir de cette autorité.
Il en est de même des filles ; mais celles-ci s’affranchissent de la puissance
paternelle lorsqu’elles se marient et passent sous l’autorité maritale.
En somme, le Droit coutumier ignore l’institution de majorité. En réalité,
l’homme ou la femme qui n’est pas chef de famille, n’acquiert jamais une entière
indépendance en vertu du seul facteur de l’âge87.
Après l’étude des personnes et de la famille, il faut nous atteler à présent à celle
des biens.
SECTION 2 : LES BIENS ET LES DROITS REELS
Il est question ici d’analyser, sous l’angle spécifiquement coutumier, la
conception des biens et des droits réels.
§1. Les notions
Il sied de rappeler qu’en Droit, le bien se désigne comme toute richesse, naturelle
ou acquise, corporelle ou incorporelle, susceptible d’être l’objet de droit au profit
d’une personne. Il doit remplir un double critère à la fois juridique et économique
: avoir une utilité économique et être susceptible d’appropriation ; il constitue un
élément important du patrimoine de toute personne.
Au point de vue juridique, on distingue entre les biens corporels et les biens
incorporels, les biens consomptibles et les biens non consomptibles, les biens
87
- Keba M’Baye, op.cit, p.31
- Sohier J., op.cit, CEPSI, 1963, n°62, p.61
69
fongibles et les biens non fongibles, les biens meubles et les biens immeubles,
les biens particuliers et les biens nationaux.
Les biens corporels ou matériels sont palpables ; ils revêtent une forme
matérielle (vêtement, machines, animaux).
Les biens incorporels ou immatériels n’ont de forme, de corps certain (Droit
d’auteur, brevet d’invention, marque de commerce).
Les biens consomptibles se détruisent dès leur premier usage
(nourriture, boisson, fufu). Les biens non consomptibles résistent à l’emploi (la
chaise, la voiture, la maison).
Les biens fongibles sont interchangeables (lait, haricots, beurre). Les
biens non fongibles ne peuvent pas être remplacés les uns par les autres
(immeubles, habits sur mesure).
Les biens meubles sont mobiles, amovibles (bic, livre, avion, chaise). Les biens
immeubles sont inamovibles, immobiles (fonds de terre, bâtiment, plantes fixées
au sol) ; il existe des immeubles par nature (sol, sous-sol), des immeubles par
incorporation (bâtiment, poteau, tuyau d’eau) et immeubles par destination
(semence, animaux, pressoirs).
Les biens particuliers sont dans le commerce et peuvent faire l’objet de
transaction entre particuliers. Les biens nationaux appartiennent à la
communauté, à l’Etat (routes, musées, ponts).
Le Droit réel est un droit subjectif créant des rapports juridiques directs entre
une personne et une chose, un bien. Il y a des droits réels principaux (droit de
propriété, servitudes, usage) et droits réels accessoires (gage, privilège,
hypothèque).
§2. La propriété
I. La définition
La propriété est un droit de jouir et de disposer des choses (biens) de manière
absolue et exclusive, pourvu qu’on n’en fasse pas un usage prohibé par les lois
ou par les règlements ; c’est un droit absolu, exclusif et perpétuel. Son titulaire
dispose de trois attributs : droit d’usage, droit de jouissance et droit de
disposition. Ces prérogatives peuvent être dissociées de la propriété et attribuées
à un tiers. On parle aussi du démembrement de la propriété ou des droits réels de
jouissance (usufruit, usage, habitation, emphytéose, superficie, servitudes).
Le Droit écrit congolais a introduit les notions de concession ordinaire en
matière foncière et immobilière. Il s’agit d’un simple droit d’usage et de
jouissance au profit d’un tiers, car la propriété foncière reste la propriété
exclusive de l’Etat.
70
88
Hulstaert, La propriété chez les Mongo, Aequatoria, 1946, n°1, 2021.
71
A. La propriété mobilière
L’assiette de la propriété mobilière referme tous les objets mobiliers tels que
définis plus haut. Elle comprenait parfois des esclaves dans la société
précoloniale.
Jadis, la propriété mobilière avait un caractère collectif. Tout le monde devenait
propriétaire des biens produits par les membres du groupe, de la famille, du clan.
Le père, l’aîné ou le frère se servaient à leur guise des biens apportés par un
parent.
Aujourd’hui, la propriété mobilière tend de plus en plus à devenir individuelle.
Cette tendance est favorisée par l’émancipation de l’individu, sa sortie de
l’engrenage clanique et la libre de circulation des personnes et des biens à travers
les grands espaces.
B. La propriété foncière
La propriété foncière englobe essentiellement le sol et le sous/sol. Mais, par
extension, on peut y inclure aussi les immeubles, la chasse, la pêche et le gros
bétail.
1. Le sol et le sous/sol
D’abord, il faut prévenir et noter que dès son installation, le pouvoir colonial
s’est attaqué aux problèmes des terres ; il s’est investi dans l’organisation
foncière, cadastrale, en recouvrant la plénitude des droits fonciers et en limitant
les droits des autochtones sur les terres.
L’administration coloniale divise les terres en deux zones terres vacantes
rentrant dans les terres domaniales (domaine public et domaine privé de l’Etat)
et terres indigènes dont la gestion était extrêmement conditionnée. Cette
exigence se note à l’article 1 du décret royal du 3 juin 1906 portant régime des
terres indigènes, lequel article dispose : « sont terres occupées par les indigènes,
les terres que les indigènes habitent, cultivent ou exploitent d’une manière
quelconque conformément aux coutumes et usages locaux ».
A partir de la loi Bakajika de 1966 complétée et renforcée par la loi du 20 juillet
1973, le sol et le sous/sol sont devenus la propriété exclusive de l’Etat où il est
prévu les concessions perpétuelles et ordinaires au profit des particuliers. Il y a
souvent des conflits de compétence entre l’Etat et l’autorité traditionnelle.
Sous cette rubrique, nous nous occupons de l’exploitation et de la gestion des
terres dans la société naturelle, ancestrale, antérieure à la colonisation et
également sous de récentes mutations.
Dans la société traditionnelle l’acquisition des terres s’opérait souvent par
l’occupation du territoire, de l’espace vital, par les groupes en migration. Ces
peuples envahisseurs prenaient les terres fertiles et nécessaires, si ces terres
72
étaient encore vacantes ; sinon, ils signaient des pactes avec les autochtones en
vue de la cession d’une partie de leur territoire. Parfois, les envahisseurs
prenaient le pouvoir et parvenaient à évincer les autochtones qu’ils subjuguaient.
Dès que le territoire est acquis, il devient la propriété collective et exclusive du
clan. Les terres appartiennent à la parentèle, au clan, aux ancêtres ; elles sont
inaliénables et sacrées. Leur gestion est confiée au chef du clan, paterfamilias,
lequel n’a pas le pouvoir d’aliéner ces terres ; il peut néanmoins concéder le droit
d’usage et de jouissance aux étrangers moyennant le tribut ou la redevance.
Donc, le chef est l’administrateur de la propriété collective ; à ce titre, il a le droit
d’exiger des tributs de la part des usagers étrangers. Il a une mission religieuse
d’assurer au sol la protection ancestrale, la fécondité, l’abondance et la force
vitale. Les autres membres du groupe ne possèdent que le droit de jouissance des
produits et des fruits naturels et civils.
Toutefois, l’importance de la fonction du chef varie d’une coutume à une autre.
Jean Sohier nous en donne un échantillon intéressant89.
Le chef du clan kusu est à la fois chef politique et chef de terre. Celle-ci est une
propriété collective et inaliénable. Les membres du clan ont le Droit d’usage sur
le fonds et jouissent des Droits individuels sur les produits de leurs champs.
Au Kasaï, la terre est collective et inaliénable. L’étranger ne peut s’y installer
qu’avec l’autorisation du chef du village, moyennant paiement d’un tribut. Le
chef distribue des terres arables aux autres membres du clan ; ces derniers puisent
des Droits exclusifs sur les produits de leurs activités champêtres ; ils peuvent
même vendre la récolte sur pied (Luba, Lulua).
La coutume songe consacre la propriété foncière collective et inaliénable. Le
chef de terre exerce le pouvoir à la fois politique et foncier ; il perçoit des tributs.
Les cultivateurs disposent des Droits individuels sur les revenus de leur travail.
La coutume luba du Katanga prévoit le fonds collectif et inalié-
nable ; le pouvoir politique diffère du pouvoir foncier ; il n’y a pas de cumul de
fonctions. Le cultivateur dispose des arbres et des constructions érigées sur le
fonds.
Pour les Hemba, la propriété appartient au clan sous la direc-
tion du chef de terre ; elle est indivisible et inaliénable. L’usager jouit des fruits
de ces activités agricoles.
La coutume lamba-belle autorise le chef de parentèle à cumuler les fonctions
politique et foncière ; le domaine foncier est inaliénable ; le chef le gère et perçoit
89
Sohier J., op.cit, CEPSI, n°65, pp.37-54.
73
des tributs. Les membres du clan y possèdent le Droit d’usage et jouissent des
fruits de leur travail.
Les Lunda considèrent la terre comme propriété ancestrale.
Celle-ci est un patrimoine collectif et inaliénable. Le chef la gère dans l’intérêt
de la collectivité ; il n’en est pas propriété. Les membres peuvent l’exploiter et
jouir des produits de leur travail.
Les Sanga consacrent l’inaliénabilité de la propriété foncière. Celle-ci appartient
au clan. Elle peut être démembrée entre lignées. Les exploitants jouissent de leurs
Droits respectifs.
2. D’après la loi foncière, les communautés locales ont-elles des
droits fonciers ?
Certes, la loi foncière a domanialisé toutes les terres de la République.
Mais elle a aussi reconnu des droits fonciers aux communautés traditionnelles.
A. Il est exacte que toutes les terres sont domanialisées
Aux termes de l’article 53 de la loi foncière, « le sol est la propriété exclusive,
inaliénable et imprescriptible de l’Etat ». Cette disposition pose ainsi le principe
de la domanialisation de toutes les terres de la République Démocratique du
Congo. L’article 387 de la même loi est encore plus explicite, les terres occupées
par les communautés locales sont aussi domanialisées.
Nous pouvons en déduire sans ambages que l’Etat étant seul propriétaire, que
les communautés locales ne peuvent revendiquer aucun droit de propriété
quelconque sur les terres en leur puissance.
B. Mais la loi reconnait aux communautés locales un droit foncier de
jouissance
Cependant l’article 389 de la loi foncière indique de manière non équivoque que
sur ses terres ces communautés ont un droit de jouissance. Notons que les articles
36,116 et 112 du Code forestier reconnaissent également et aussi clairement aux
mêmes communautés locales le droit d’usage et d’exploitation des forêts qu’elles
possèdent toujours en vertu de la coutume.
Ces textes garantissent aux communautés traditionnelles la continuation de
l’occupation de leurs terres avec les avantages qu’elles en retiraient peu importe
la forme de ces avantages qui consistent en cueillette, passage, exploitation du
sous-sol etc.
Mais quelles sont ces terres sur lesquelles, s’exerce le droit de jouissance de ces
communautés ?
De l’article 388 de la loi en étude nous pouvons affirmer que les communautés
traditionnelles ont un droit de jouissance sur trois types de terres. Il s’agit des :
- Terres habitées par ces communautés ;
74
non ; il peut être non occupé. Il peut être étendu, ou fort réduit. Il peut posséder
des limites naturelles ou artificielles précises90, ou avoir des limites vagues ou
mal connues.
D’aucuns ont ailleurs affirmé que la question des limites n’offrait pas beaucoup
d’intérêts pour les communautés traditionnelles qui souvent se sont appropriés
des terres sans songer à les limiter exactement, se contentant généralement de
situer la limite à l’horizon91.
Certes, parfois les limites du domaine sont imprécises. Cette imprécision
résultait souvent de la manière dont le clan a obtenu la maîtrise de son domaine.
Or, les domaines étaient acquis soit par le fait d’une occupation pacifique d’une
terre vacante, soit par une spoliation lente ou brutale des terres d’autrui.
Malengreau fait une bonne description d’une occupation pacifique. Il écrit
notamment « … un beau jour, pousse par on se sait quelle raison, un indigène
part avec sa famille, c’est-à-dire, avec ses proches, ses clients, ses partisans à la
recherche d’une terre nouvelle ».
Celle-ci aussitôt découverte, il fait choix d’un emplacement, s’y installe et
construit son village. Il y a fait souche : sa famille se développe. Entre temps,
bien souvent, d’autres individus, attirés par sa présence, sont venus se joindre à
lui ; tous les reconnaissent comme chef de la collectivité ainsi formée. Très
naturellement cet individu a pris soin de se réserver un ensemble de terres bien
irriguées s’il est agriculteur, terre giboyeuse s’il est chasseur. Les autres parents
et étrangers s’installent dans le voisinage, puis sur les terrains libres de la
périphérie. Et ainsi le domaine dont les limites reculeront sans cesse finira par
couvrir une étendue considérable, jusqu’à ce qu’il se heurte à un groupement
voisin qui opposera une barrière à son développement »92.
Outre cette occupation pacifique, certains clans ont acquis leurs domaines par les
conquêtes des terres occupées préalablement, soit en délogeant les groupes
autochtones soit en laissant les vaincus sur le sol de leurs ancêtres, respectant
leurs droits sur le sol qu’ils possèdent, leurs coutumes et leurs mœurs, et
n’exigeant d’eux que le paiement d’un tribut. D’autres clans ont acquis leurs
domaines à la suite du partage de terres fait entre groupes apparentés ou groupes
90
Un fossé creusé, un simple sillon tracé dans la brousse, une borne faite des pierres accumulées,
arbres, plantes, accident du terrain, configuration du sol, cours d’eau, lignes des collines, lisière
forestière, rangée d’arbres, termitière, marre clairière etc.
91
Wickers, contribution à la connaissance du droit privé des Bakongo, op.cit., p.190
92
MALENGREAU G., Les droits fonciers chez les indigènes du Congo belge, Essai d’interprétation
juridique, Bruxelles, 1947, p.80, voir aussi dans le même sens VAN DER KERKEN, le problème des
terres vacantes au Congo belge, op.cit., p.14
76
étrangers, partage fait par la voie de la segmentation des groupes, par les pactes
et alliances, par les échanges et les donations93.
Y a-t-il dès lors des terres sur lesquelles il n’existerait aucun droit en faveur d’une
communauté locale ?
En considérations de ses divers éléments, nous pouvons affir-
mer que si pour les communautés traditionnelles, il y a des terres que l’on peut
considérer comme « sans utilisation actuelle », en réalité pour elles, il n’existe
pas des terres qui ne soient pas dans un domaine foncier quelconque d’une
communauté traditionnelle ; autrement dit, sur toutes les terres de la République,
il y a des droits de jouissance fonciers en faveur des communautés locales.
Car toutes les terres de la R.D. Congo sont des terres qu’elles occupent ou sur
lesquelles elles exercent une exploitation quelconque comme dit dans l’article
388. Ces terres sont celles justement sur lesquelles, conformément à la coutume,
les membres des communautés peuvent déplacer à volonté leurs habitations,
leurs cultures, le droit d’exploiter le domaine selon toutes ses utilités et toutes
ses possibilités, c’est-à-dire y chasser, y pêcher, cueillir des feuilles, des fibres,
des tubercules, des champignons ; bref tout ce que le domaine peut procurer pour
le besoin du groupe. Nous notons et r appelons ici que pour ces communautés, il
n’a jamais existé des perspectives d’abandon ou de déshérence et leur domaine94
; la terre appartenant aux membres défunts, présent et à venir.
Déjà à l’époque coloniale plusieurs auteurs avaient compris cette réalité. « Les
indigènes sont disait Wauters de véritables possesseurs du sol. Il n’y a pas des
forêts sans maitres en Afrique 95 ». Dans la partie du Kwango que nous
évangélisons depuis treize ans écrivait Vermeech – les terres et les bois sont
propriétés séculaires des indigènes. Je ne connais pas des terres vacantes » 96.
Pour Westerman, les africains connaissent les limites des territoires de leur
groupe, et qu’ils considèrent ces terres comme propriété à transmettre à leurs
descendants100. Parlant des Mongo, Hulstaert est catégorique : « Il n’existe-dit-
il-des terres vacantes dans le sens juridique de cette expression chez les
Mongo97».
En définitive, en considérant d’une part, comme le précise l’article 388 de la loi
foncière que les terres des communautés locales sont celles qu’elles habitent,
93
BIEBUYCK DANIEL, op.cit. p.14
94
Boelaert E. Faut-il créer des reserves pour les indignes, IN Zaïre, 1955, p.133
95
Wauters, Mouvements géographique, 1892, p.68
96
VCermmeech, la question congolaise, Bruxelles 1906, p.115 100
Westerman, in the African to day and tomorrow, 1934, p.26
97
Hulstaert G., La propriété chez les Mongo, in Aequatoria, 1946, p.22
77
98
KREMER, op.cit., p. 269
99
KIKA MAVUNDA, Elevage bovin
78
Mais le plus souvent, la gestion du domaine foncier est confiée à une autre
personne dénommée chef de terre qui, dans l’exercice de ses fonctions en matière
foncière, peut ne pas relever du chef souverain alors qu’il dépend de lui du point
de vue politique.*
Chez les Bolia, par exemple, à côté du Nkumu yobele (autorité politique) existe
le chef de terre dénommé Nkumu loboko, qui est toujours désigné dans la
descendance du fondateur du clan100.
Ce chef de terre ne détient pas, comme on peut le croire, un pouvoir suprême sur
la terre. Dans ses droits, il est en réalité un délégué des ancêtres et des génies du
territoire tout en étant le gardien de l’ordre et le garant de la cohésion sociale du
groupe.
« Aucune transaction concernant la terre ne peut être conclue sans son accord,
parce que dit MAFIKIRI TSHONGO il est chargé d’informer les habitants
indivisibles du sol et de leur présenter tout nouveau venu »105.
Il n’est cependant pas le propriétaire de la terre, du moins dans le sens romain
qui implique le jus utendi, le jus fruendi et le jus abutendi.
Il règle la répartition de la terre entre les différents lignages ou familles du clan
suivant leurs différents besoins. Il prend au nom du groupe toutes les mesures
jugées nécessaires pour la jouissance paisible des membres du groupement.
Bref, ses pouvoirs sont ceux d’un administrateur chargé plus spécialement de
veiller, au nom de tous, sur le domaine foncier collectif qu’il doit gérer dans le
seul intérêt de la communauté composée par des membres défunts, vivants et à
naître101.
Lorsque les articles 388 et 389 renvoient à la coutume pour reconnaître les terres
exploitées de manière quelconque individuellement ou collectivement en
reconnaissant aux exploitants un droit de jouissance, ne reconnaissent-ils pas
alors implicitement le travail accompli ou à coutume à accomplir par le chef de
terre traditionnel ? Car traditionnellement et en vertu de la coutume laquelle nous
renvoie la loi, il a le droit de distribuer la terre entre les membres du clan ; et
même aux étrangers du clan.
100
PHILIPPE RENE, Notes sur le régime foncier au Lac Léopold II, in Aequatoria, n°2, 1954, p.54
105
MAFIKIRI TSHONGO, La problématique foncière au Kivu montagneux, in Cahiers du cidep,
n°21, septembre 1994, Louvain, p.32. Voir aussi à ce sujet SOHIER, Le problème des terres
indigènes, in JTOM, 1954, p.116. ; VA DER KERKE, Le problème des terres vacantes au Congo,
Discours prononcé à la séance solennelle de la section droit colonial du 12 décembre 1925, Bruxelles,
1925.
101
BIEBYCK, D., African agrarian systems international, African institute, Oxfrd University Press,
Londres, 1963, pp.1-20
79
tributs ; autrement, ces usagers étrangers risquent de rentrer les mains vides ou
faire l’objet d’accidents d’ordre divers, voire mortels.
Néanmoins, les chasseurs des contrées voisines sont dispensés
de cette autorisation du fait de la réciprocité. En effet, le gibier et naturellement
vagabond, se déplace d’un territoire à un autre ; débusqué, blessé sur un territoire,
le gibier peut occasionner sa poursuite sur un territoire voisin. D’où il s’impose
une organisation interclanique pour réglementer les Droits de chasse, à savoir les
Droits du poursuivant, du découvreur, des participants à une recherche collective,
des porteurs.
Il faut noter que dans les milieux traditionnels, la chasse s’affiche en profession
noble, rude, peu lucrative et apporte considérable, surtout lorsqu’il s’agit de la
chasse à gros gibier (éléphant, lion, léopard, buffle, crocodile, hippopotame). Il
en découle que l’exercice de la profession de chasseur exige des rites d’initiation
appropriés. Le néophyte fait son stage sous la direction d’un patron réputé qui
l’initie au métier, en vue de se concilier les esprits des ancêtres et de faire bonne
chasse.
La chasse est multiforme ; elle peut être individuelle ou collec-
tive. L’individu a le loisir d’aller seul à la chasse et rechercher le gibier sur les
terres du clan. Dès qu’il attrape un gibier, il le ramène au village, le soumet au
chef pour le partage. La chasse peut aussi être collective. Les chasseurs du groupe
s’organisent pour mener une chasse collective et périodique. Les règles précises
président à cette organisation.
Les coutumes prévoient également des règles strictes pour le partage du gibier.
Le tribut est en partie familial ; il revêt une signification religieuse, en ce qu’il
sort des sacrifices, d’offrandes aux mânes des ancêtres, lesquels fécondent la
terre ; il comporte plusieurs versements ; chaque morceau a sa destination : par
exemple, une cuisse et une poitrine au chef du village, un morceau au chef de
terre, une épaule au maître de chasse, etc. ; sa perfection dépend souvent de la
taille de la bête abattue, de telle sorte qu’il soit inexistant en cas des bêtes de
petite taille.
Il y aussi le tribut à caractère politique. C’est ainsi que la peau, les griffes et les
dents du lion ou du léopard, une défense et la trompe de l’éléphant sont, en
général, attribuées au chef coutumier (Mala, Luba, Lulua, Lunda). En contre
partie, le chasseur reçoit parfois un fusil, des munitions et la bénédiction du chef
symbolisée par la remise d’un fétiche.
Signalons que le pouvoir colonial a vraiment tenté de remplacer les redevances
et tributs par les simples taxes. La coutume résiste toujours en cette matière.
81
105
Barraine R., op.cit, p.181.
106
De Page H., Traité de Droit civil belge, t.1, p.267, Bruxelles 1948
82
Bref, l’obligation est un lien juridique par lequel une personne appelée débiteur
est astreinte envers une autre dite créancier à donner, à faire ou à ne pas faire
quelque chose.
L’obligation de donner implique une prestation de transfert de propriété ;
l’obligation de faire suppose une prestation d’un service ; celle de ne pas faire la
prestation d’une abstention de passer un acte déterminé. Il y a cinq sources
d’obligations : loi, le contrat, le quasicontrat, le délit et le quasi-délit.
Seuls le contrat et le délit retiennent notre meilleure attention, du fait de leur rôle
déterminant dans la vie sociale coutumière.
§2. La responsabilité contractuelle
I. Les généralités
Le Droit coutumier a la même conception du contrat que le
Droit écrit, en ce que celui-ci est un accord de volontés en vue de produire des
effets juridiques ; mais, il n’attache pas beaucoup d’importance à la forme ; celle-
ci importe peu ; elle est libre, consensuelle et verbale, du fait de l’absence de
l’écriture dans la société pré coloniale. La validité du contrat n’est pas
nécessairement conditionnée par la réalisation des formalités classiques du Droit
écrit (capacité, consentement, objet, cause).
La capacité juridique d’exercice n’est pas une affaire exclusivement
individuelle, mais plutôt du groupe dans lequel l’individu se trouve noyé. La
majorité juridique devient ainsi l’apanage de ce groupe.
Il en est de même du consentement. Bien qu’au départ,
l’initiative contractuelle soit une volonté personnelle précédée d’une réflexion,
elle finit par devenir collective, celle de la famille, laquelle doit inévitablement
l’avaliser en vue de la validité du contrat.
Enfin de compte, la conclusion d’un contrat, même individuelle au départ, finit,
pour sa garantie, par exiger la participation du groupe. L’ombre de celui-ci
envahit et plane dans tout engagement individuel de ses membres.
II. L’exécution des obligations contractuelles
L’on peut affirmer que le Droit coutumier s’intéresse surtout aux effets, à
l’exécution des obligations contractuelles, à la responsabilité contractuelle.
Le principe est classique et commun à tous les systèmes juridiques, écrits et
coutumiers : les obligations contractuelles doivent être exécutées de bonne foi,
sous peine de sanctions d’ordre divers. Les parties y insèrent parfois la clause du
pacte de sang pour en garantir la bonne exécution.
En Droit coutumier, toute faute, toute violation du lien contractuel risque
d’abord d’irriter les dieux et provoquer leur vengeance. C’est ainsi qu’au lieu de
83
107
Saleilles R., Les accidents du travail et la responsabilité civile, 1987 et note D. 1987.1.
84
108
Stark B. Essai d’une théorie générale de la responsabilité civile considérée en sa double fonction
de garantie et de peine privée ; thèse Paris, 1947.
109
Lokossu L., La collectivisation de la responsabilité civile en Droit coutumier tetela, Mémoire
2004, p.16
110
Kalongo M., Responsabilité civile et socialisation des risques en Droit écrit zaïrois, p.21 PUZ,
1974.
85
111
- Keba M., op.cit, p.33
- Dekkers R., op.cit., p.43
112
Dekkers R., op.cit, p.43
86
113
Dekkers R., op.cit, p.54
88
114
Goffin I., et Cie, Encyclopédie du Congo belge, t.1 p.168.
115
De Bruyne P., La décision politqiue, p.1, éd. Peeters, Louvain, 1995.
92
116
Vullierme J.L., Le concept de système politique, pp. 333-334, PUF, Paris 1989.
117
Rotenstreich, cité par Bruyne, op.cit, p.4
118
De Bruyne P. op.cit, p.167
93
119
Colas D., Dictionnaire de la pensée politique, pp. 82-94, éd ; Larousse, Paris, 1997.
120
Colas D., op.cit, p.90.
126
Idem, p.91
94
121
Goffin L. et Cie, op.cit, p. 161.
95
5. L’Ethnie
L’ethnie est un groupement de familles au sens large, qui possède une structure
familiale, économique et sociale homogène et dont l’unité repose sur une langue,
une culture et une conscience de groupes commune 123 . En d’autres termes,
l’ethnie renferme des individus se partageant approximativement les mêmes
traditions historiques, la même culture et la même langue ; ceux-ci affichent des
traits caractéristiques communs qui permettent de les distinguer des autres
groupes (ethnie luba composée des Luba Kasaï et de Lulua).
Les rapports ethniques sont encore plus relâchés que les rapports tribaux. Il n’y
pas d’organisation socio-politique formelle.
III. Des Institutions politiques
L’on note deux institutions politiques dans la société traditionnelle, plus
précisément au niveau du clan, à savoir le chef de clan et le conseil des sages.
A. Le chef de clan
Nous allons parler respectivement du Statut des Chefs coutumiers, des formes
de gouvernement, de modes d’accession au pouvoir, des compétences du régime
disciplinaire et des voies de recours, des conflits de pouvoir coutumier et de la
fin de règne du chef.
122
Le petit Larousse illustré, p. 1029, éd. 1986.
123
Le petit Larousse, op.cit, p.387.
96
124
De Bruyne P. op.cit, p.167.
98
125
Colas D. op.cit, p.13
126
Idem, p.14
99
Il en est ainsi de la gestion des eaux et des forêts. Le chef accorde les Droits de
chasse, de pêche et d’exploitation forestière aux tiers contre le payement d’un
tribut.
Le Chef coutumier s’occupe aussi des travaux d’intérêt com-
munautaire tels l’entretien des parcelles, des routes, des lieux d’aisance, etc.
Enfin, le chef veille à la santé physique et mentale de la population par la
sensibilisation des membres du clan sur l’hygiène, le sport et la culture. Il a le
devoir d’assurer la protection de ses administrés et de leurs biens contre les
attaques des contrées voisines. Aussi a-t-il l’obligation d’élever et d’entretenir
une milice ad hoc.
Il convient, à présent, d’étayer ces considérations par quelques
exemples concrets127.
Les Kongo connaissent le système matrilinéaire. Le chef, Mfu-
mu, est sacré, investi, couronné. Il possède, par le sacré, le pouvoir de Droit
supranaturel, d’ordre magico-religieux.
La terre est la résidence et la propriété des esprits, des ancêtres. Le pouvoir
émane des esprits qui le délèguent au chef par l’intermédiaire des prêtres et des
rites appropriés. Ce chef est l’occupant légitime de la terre ; il délègue à son tour
aux autres chefs, fils, petits-fils, étrangers. Le chef coutumier exerce ses
fonctions, justice, gestion des biens et protection avec l’aide des dignitaires,
épouse, neveux utérins, fils serfs. Il demeure en contact avec les puissances
tutélaires du groupe et manie les forces occultes de pouvoir qu’il a appris à
contrôler lors de l’initiation relative au sacré.
Dans la région du Bas-Kasaï (les Teke, les Sakata, les Leele, les Yansi, les
Mbum, les Nunu, les Ding, les Boma, etc.), tous les peuples étaient organisés en
chefferie, gouvernés par des chefs de terre héréditaires se succédant par Droit
d’aînesse dans le lignage propriétaire du domaine foncier. La succession au
pouvoir va du père au fils, ou de l’oncle au neveu.
Le chef exerce une fonction polyvalente.
Dans la région du Kasaï-Katanga, on trouve les Luba, les Ka-
niok, les Kalundwe, les Songe, les Lulua, les Luntu, les Bindi, les Mputu, les
Kete, etc. Le chef est l’aîné du lignage. Il est investi et possède tous les pouvoirs
politiques et judiciaires. Il est assisté du conseil des dignitaires.
Les peuples de l’Uele (les Zande, les Mangbetu, les Mamvvu, les Mangutu)
connaissent une forme de monarchie sacrée. Chaque territoire est gouverné par
le chef, successeur de son père. Il possède des attributs divins : observance de
127
Vanisa J., Op.cit, pp.32,47,124,137,168.
102
tabous ; ce qui est touché par le chef devient spécial, il existe un feu sacré ; le
chef mange en secret ; on l’acclame quand il tousse ou éternue. A la cour du chef,
il y a des hommes guerriers, policiers, et travailleurs d’ordre divers.
Les peuples de l’Ubangi comprennent les Ngbandi, les Ngbaka et leurs
apparentés. Le chef de ligné communique avec les mânes au nom de son groupe,
juge des affaire du clan avec l’aide de tous les sages, représente le clan auprès
des tiers et porte divers insignes (peaux de léopard).
5. Du régime disciplinaire et voies de recours
Le régime disciplinaire applicable au Chef coutumier est fixé, selon le cas, par
la Loi ou par la coutume locale indique l’article 30.
Conformément à l’article 31, tout manquement du Chef coutu-
mier aux devoirs de son état, à l’honneur et à la dignité de ses fonctions constitue
une faute disciplinaire passible, selon le cas, des sanctions prévues par la Loi ou
la coutume locale. Et le Chef coutumier reconnu coupable de faute administrative
dans l’’exercice de ses fonctions dit l’article 32, encourt, selon la gravité des
faits, l’une des sanctions disciplinaires suivantes : - blâme ; - la retenue du 1/3
du traitement pour une durée ne dépassant pas un mois ; - la privation de
traitement pour une durée ne dépassant pas trois mois et – l a déchéance.
Dans ce cas, la procédure disciplinaire applicable est mutatis mutandis, celle
applicable aux agents de carrière des services publics de l’Etat. Elle est
prononcée, selon le cas, par le ministre de la République ayant les affaires
coutumières dans ses attributions pour le Chef de groupement, par le gouverneur
de province pour le chef de chefferie et par l’administrateur du territoire ou le
bourgmestre pour le chef de village. Selon l’article 33, l’exercice illicite des
fonctions ou prérogatives de chef coutumier est réprimé conformément au droit
commun.
Les recours contre les sanctions encourues par le Chef coutumier en matières
coutumières sont organisées conformément à la coutume locale. Et ceux contre
les sanctions administratives sont exercés conformément à la procédure
applicable aux agents de carrière des services publics de l’Etat prescrit l’article
34.
6. Des conflits de pouvoir coutumier
Les conflits de pouvoir coutumier surviennent dit l’article 35 de la Loi fixant le
statut des chefs coutumier, en cas notamment de :
1°. Désignation du chef coutumier, même à titre intérimaire ;
2°. Usurpation du pouvoir ;
3°. Contestation des limites coutumières ;
4°. Contestation de création de nouvelles entités coutumières ;
103
5°. Soumission d’une entité coutumière à celle dont la coutume n’est pas
sienne.
En cas de conflit né à l’occasion de l’exercice du pouvoir coutumier, le
gouverneur de province ou son délégué pour la chefferie, le chef de chefferie u
de secteur ou leurs délégués pour le groupement et le village s’impliquent de
manière à contribuer à son règlement par voies de conciliation, une commission
de médiation ou d’arbitrage.
Il peut être créé au niveau du secteur ou de la chefferie, de la province ou du
ministère de la république ayant les affaires coutumières dans ses attributions une
commission consultative de règlement des conflits coutumiers, prévoit l’article
35 de la Loi susévoquée.
7. La fin du règne
Le règne du chef de clan peut prendre fin par la démission, la déchéance
conformément à la coutume locale, le décès et abdication.
Pour les raisons de convenance personnelle, le chef peut décider de renoncer au
trône par démission. Il en est ainsi lorsqu’il est dans l’incapacité physique ou
mentale de gouverner (maladie), c'est-à-dire par empêchement définitif.
Le chef coutumier peut aussi être déchu de sa fonction en cas de faute grave par
le conseil des sages.
Le décès du chef constitue la cause naturelle et normale la fin de son règne. Les
funérailles rituelles et somptueuses sont organisées à ce sujet. En effet, il faut
d’abord noter que la mort du chef, par accident, est assez rare. Il meurt souvent
de maladie dont l’évaluation est minutieusement suivie par le comité des initiés.
Dès que le malade entre à l’agonie, il est immédiatement et discrètement amené
au bosquet par le comité susdit. Là, on attend le dernier soupir. Lorsque celui-ci
intervient, le comité procède à l’instant même à la cérémonie d’inhumation,
laquelle s’effectue le même jour. Jadis, le chef était enterré avec quelques
esclaves vivants. Cette pratique n’existe plus aujourd’hui, car elle est contraire à
l’ordre public et constituerait une infraction. Le comité met l’embargo sur toute
information concernant la mort du chef jusqu’à l’apparition de la lune. L’on
continue à distiller de fausses informations à travers la population affirmant que
le chef était toujours souffrant. Personne ne pleure ; ce n’est qu’à l’apparition de
la lune que la nouvelle est annoncée au public. Le comité préparatif sort du
bosquet avec le nouveau chef porté sur les épaules aux cris « le Roi mort, vive le
Roi ». A ce moment, les festivités y afférentes commencent ; elles peuvent durer
un mois. On entre ainsi dans le nouveau règne (Lulua). Dans ce cas, l’intérim et
le remplacement du chef sont organisés conformément aux coutumes locales et
aux dispositions pertinentes de la Loi portant statut des chefs coutumiers.
104
L’article 8 de la même Loi dispose que :: « l’autorité coutumière est exercée par
le Chef coutumier. Celui-ci est assisté, le cas échéant, par les structure de
consultation ou de concertation selon la coutume locale ». Les chefs coutumiers
peuvent créer des organisations civiles les regroupant dans le respect de la
législation en vigueur. Et l’article 9 renchérit que les chefs coutumiers peuvent
être consultés, à tout moment, par les autorités publiques sur toute question
relative à l’exercice du pouvoir coutumier.
La présente Loi organise également l’intérim du chef coutumier qui intervient
dans l’une des circonstances ci-après :
1°. L’absence prolongée de son entité ;
2°. La suspension de ses fonctions conformément au régime disciplinaire
;
3°. L’exercice d’une fonction publique.
L’intérim est assuré, s’il échet conformément à la coutume lo-
cale dit l’article 12 de la Lois susévoquée. Il prend fin à la cessation de la
circonstance qui l’a justifié.
Il convient de souligner que, dans l’ensemble la situation d’intérim du chef
coutumier est organisée par les articles 12,13,14,15, 16 et 17 de la Loi portant
statut des chefs coutumiers.
B. Le conseil des Sages
Le Conseil des Anciens est la deuxième institution politique du clan. Il est une
assemblée des Anciens. Il est composé du chef de clan, de ses proches
collaborateurs, des sous/ chefs, des dignitaires et des notables du territoire. Le
conseil se réunit régulièrement, ou exceptionnellement lorsqu’il ya urgence,
sous la direction du chef coutumier. Il délibère et statue sur les questions relevant
de tous les domaines, politique, économique, judiciaire, social, culturel, etc. ses
décisions sont exécutoires et opposables erga omnes ; elles lient le chef, lequel
est chargé de leur exécution.
Le Conseil des Anciens a le pouvoir d’interpeller le chef sur la conduite des
affaires de la communauté. Il peut même provoquer sa déposition. Cela prouve à
suffisance que le chef traditionnel n’est pas un monarque absolu ; on dirait à
l’heure actuelle qu’on a affaire à une forme de démocratie présidentielle.
Mais, que dire de l’organisation politique et administrative de la société
traditionnelle actuelle ?
SECTION 2 : L’EVOLUTION DE L’ORGANISATION POLITIQUE ET
ADMINISTRATIVE DE LA SOCIETE TRADITIONNELLE
Depuis la colonisation belge (1885)
jusqu’aujourd’hui, l’organisation politique de la société traditionnelle a connu
105
C’est ainsi que le décret du 10 mai 1957 confia aux congolais la gestion des
circonstances indigènes (chefferies, secteurs et centres extra-coutumiers). Le
décret du 26 mars 1957 sur les villes, communes, circonscriptions et le
fonctionnement des institutions politico-administratives de base en confia la
gestion aux congolais. Le décret royal du 13 octobre 1959 réorganisa les villes
et communes et leur accorda une large autonomie de gestion : décentralisation
administrative effective ; le chef-lieu des provinces furent érigés en villes.
• Première République
Le 30 juin 1960, le pays accède à son indépendance. Il s’est doté d’une loi
fondamentale et a modifié les structures politico-administratives en créant vingt
et une provinces. Chaque province peut se doter d’une constitution propre et
organiser ses structures politiques et administratives. En 1964, la nouvelle
constitution, dite « constitution de Luluabourg » institue un fédéralisme classique
et impose un schéma uniforme d’organisation administrative territoriale ci-après
: provinces-arrondissements ou villescommunes-chefferies ; le coup d’Etat
militaire du 24 novembre 1965 en arrêta l’application.
• Deuxième République
A partir de 1965, le nouveau pouvoir instaure une forte centralisation et procède
à une restructuration des entités territoriales et administratives en province,
district, ville, territoire, commune, cité, quartier, secteur, groupement, village. Il
s’agit d’une administration territoriale uniforme dont les structures sont
fortement hiérarchisées et centralisées.
• Troisième République
Le 29 mai 1997, le nouveau pouvoir décide d’imprimer une
nouvelle dynamique à la gestion du territoire. En 1998, il organise une
conférence sur la territoriale sur le thème « la restauration de l’autorité de l’Etat
sur l’ensemble du territoire national par la revalorisation de la territoriale ».
Le décret-loi n°81 du 2 juillet 1998 portant organisation territoriale et
administrative de la République Démocratique du Congo consacre une nouvelle
structure politico-administrative ayant la forme d’une pyramide à plusieurs
étages.
Il y a, d’un côté, des entités administratives décentralisées province, ville,
commune pour la ville de Kinshasa et le territoire. Elles jouissent d’une
personnalité juridique et d’une autonomie de gestion.
D’autre part, on note des entités administratives déconcen-
trées : district, cité, commune, secteur, chefferie, groupement, village. Elles sont
dépourvues de la personnalité juridique et de l’autonomie de gestion.
107
Le statut administratif du chef du village est fixé par le ministre des affaires
intérieures.
En somme, il y a lieu de conclure qu’en Droit coutumier congolais moderne,
l’élection demeure le mode normal de désignation d’un chef de clan. Celui-ci est
élu par l’assemblée composée des membres de la famille régnante et des
notables, reconnu et investi par l’autorité politicoadministrative. Il continue à
jouer un rôle important sur son territoire outre ses prorogatives régaliennes
naturelles que nous avons développées plus haut ; il assume diverses autres
attributions lui assignées par le pouvoir public, notamment intégration du
développement en vue de moderniser le groupement et village, arrêt de l’exode
rural et sortie de la population du cercle infernal de la pauvreté, entretien des
routes en vue de créer la prospérité, maintien de l’ordre public, etc128.
L’autorité traditionnelle est le premier collaborateur du pouvoir central. Sa
fonction revêt un caractère hybride, en ce sens qu’elle est à la fois autorité
politico-administrative dans le cadre des institutions publiques et magico-
religieuse du fait qu’elle est le trait d’union, le cordon ombilical entre les vivants
et les morts. Chef coutumier est le gardien privilégié de la paix et de la tranquillité
de sa communauté, le protecteur de son groupement contre toutes forces
nuisibles. Il joue le rôle du dépositaire de la coutume ancestrale immortalisée par
la terre, le fonds immobilier qui en constitue le support et cimente la cohésion
sociale. Il est l’incarnation de la force d’impulsion de la population dans les
actions de développement de communautés locales et d’incitation à la production
agricole, avicole et bovine. A ce titre, l’autorité traditionnelle s’affiche en
partenaire incontournable du gouvernement dans l’encadrement moral de ses
administrés et dans la recherche permanente de leur bien-être social.
Mais, qu’en est-il de l’administration de la justice ?
128
Voir arrêté n°3072/011/5 du 5.1.1995 portant reconnaissance de Mr. Mulumba Katchy, cheef
coutumier des Bakwa-Mala.
109
LA COLONISATION
Nous traiterons respectivement des notions, de la composition, de la compétence
et des procédures. §1. Les notions
Selon René David129, la coutume constitue également une règle qui constitue à
résoudre les contestations nées au sein de la société.
René Deckers130 affirme que le voisinage du Droit coutumier congolais et du
Droit écrit occidental soulève beaucoup de problèmes intéressants.
- Le Droit européen est un système, une logique, une géométrie ; il relève
de l’esprit de géométrie immortalisée par Pascal ;
- En Droit écrit, tout conflit est une illustration d’une solution préexistante,
animée d’une vie propre, abstraite ; le bon juriste est celui qui jongle avec
ses règles préétablies, qui baigne dans la vie abstraite ; il ne doit rien
inventer, il ne doit qu’appliquer ;
- Le Droit devient ainsi l’apanage de quelques spécialistes, une acrobatie
réservée aux artistes très aDroits et la masse ignorante doit s’incliner
devant la vérité révélée ;
- L’Européen assigne au Droit la fonction de protéger les intérêts des
individus ; il voit le Droit sous l’angle des bénéficiaires. Et Rudolf von
Jhering 131 d’enchaîner : « un Droit n’est autre chose qu’un intérêt
juridiquement protégé. Quiconque ne lutte pas pour son Droit mérite de le
perdre, comme un inutile ».
L’auteur précise que tous les peuples ne partagent pas cette conception. Il y en
a qui sont allergiques, car ils pensent que le bon juge est celui qui cherche par
lui-même, qui imagine, qui improvise une solution pour chaque cas. Au lieu de
pratiquer l’esprit de géométrie, il incarne la finesse. C’est notamment le cas de
conceptions chinoises et japonaises (L’Etat est bien administré, lorsque l’escalier
de l’école est usé et que l’herbe pousse sur l’escalier des tribunaux).
Donc, il y a, d’un côté, les peuples qui aiment le Droit et, de l’autre, ceux qui ne
l’aiment pas. Néanmoins, tous les peuples sont épris de justice qu’ils réalisent
différemment, les uns par la géométrie, les autres par la finesse.
Quant à l’Afrique traditionnelle antérieure à la colonisation, dit-il, elle affiche
deux traits qui ont l’air de s’exclure : la géométrie et la conciliation. Celle-là
apparaît dans le formalisme et la complexité des institutions. L’Afrique noire
accorde une importance particulière à la conciliation. Enfin, le rôle de la justice
est de dire ce qui est juste. Or, ce qui est juste au Congo, c’est avant tout ce qui
129
David R. op.cit, Pp.556-557
130
Dekkers R ;, Géométrie et conciliation, R.J.C. 1996, p.179.
131
Jhering R. cité par R. Deckers, op.cit. p.185.
110
132
Gilissen J. et Vanderlinden J., L’organisation judicaire en Afrique noire, p.15, Ed. De l’Institut de
Sociologie, ULB, 1969.
133
Deckers R., op. cit, p.181
134
A.N. Allott cité par Deckers, Essays in African law, p.68, Londres 1960.
112
L’on notera que l’exercice de la justice n’est pas nécessairement une décision
coercitive et contraignante. L’arbitrage et la procédure privée sont préférables
dans la recherche de la solution au différend à la procédure publique, officielle.
La coutume cherche plus l’adhésion que la contrainte sociale organisée.
Ces discussions, que les occidentaux qualifient de (palabres), sont longues et
parfois ennuyeuses ; elles peuvent s’étendre sur plusieurs mois. Mais, ce qui
importe c’est la recherche de l’unanimité, de l‘adhésion de toutes les parties en
vue de trouver une solution solide de compromis où tout le monde trouvera son
compte.
Dans l’hypothèse où la phase conciliatoire n’aboutit pas, n’est pas concluante,
le litige est alors porté devant le conseil des sages pour jugement.
II. Les Audiences publiques
En cas d’échec de la conciliation, on passe au stade suivant, celui de déroulement
normal du procès.
Les audiences publiques sont organisées. Elles sont parfois nombreuses et se
déroulent devant le conseil des Anciens sous la présidence du chef de clan. Les
débats sont publics et contradictoires. Les parties comparaissent en parentèles
respectives. Les témoins sont entendus et les autres modes de preuve déposés par
les intéressés.
Modes de preuves
Concrètement, la parole est accordée, à tour de rôle, à chaque partie. Celle-ci se
lève, prend la parole et présente ses moyens de défense ; la plaidoirie est longue
et ne s’attache pas forcement à l’objet du débat. Le plaideur ne fait qu’effleurer
le débat par allusions, des proverbes, des paraboles, des exemples, des gestes,
des symboles appropriés. Il parle à mots couverts, se fait comprendre à demi-
mot, tout en s’abstenant des paroles blessantes, désobéissantes. Ce langage imagé
contribue à éclairer la religion des juges et à fixer, à former leur conviction. En
fin de compte, le tribunal clôt les débats et prend la cause en délibéré.
III. Les Modes de preuves en Droit coutumier
1°) La preuve instrumentale
Le Droit coutumier, pour palier à l’ignorance de l‘écriture recourt à ce mode de
preuve pour prouver l’existence d’un droit réclamé. C’est le gage. C’est un usage
qui consisté pour tout individu qui, à l’occasion d’un prêt ou de toute autre
obligation, exige du redevable, la mise en gage d’un objet quelconque à titre de
garantie de paiement. Parmi ces objets, nous pouvons citer : la houe, la machette,
la hache, le fusil etc.
Pour appuyer cette preuve, les proverbes selon les coutumes posent un principe
coutumier.
113
Le gage est appelé chez les Kamyok « Tshiey » pour signifier un objet laissé en
reconnaissance d’une créance. Chez les Luba, on parle de « Kweyeka » c’est-à-
dire laisser un objet en reconnaissance de dette. Tandis que chez les Lele, le gage,
objet de preuve est constitué en pièce de raphia, et s’appelle « Mbala mwe mu
ikambu ». c’est la reconnaissance de ses obligations par le débiteur et en même
temps un engagement de sa part à les exécuter. Chez les Budja, il consiste en un
anneau et s’appelle « Ekomba ». 2°) La Preuve testimoniale
La preuve en Droit coutumier dit BOMPAKA N’KEY mankanyi :
« est aussi libre qu’en Droit écrit. Essentiellement orale et fondée sur le
témoignage, elle est régie par des accords matérialisés en des formes solennelle,
rituelles voire magiques, frappant la mémoire des témoins attirés assistants à la
cérémonie »135.
Cet argument fait la différence du Droit coutumier au Droit écrit lequel, souscrit
essentiellement à la preuve littérale, la qualifiant de preuve pré-constituée. Les
sociétés traditionnelles sont restées accrochés à ce mode de preuve.
L’importance d’un témoin dans la justice traditionnelle n’est pas à rechercher,
le témoin joue un rôle important d’éclaireur pour le tribunal. Compte tenu de
l’importance de sa déposition, il est toujours soumis au serment. Le sens de ce
serment veut dire ; je ne parle que de ce que j’ai vu, en conséquence, ce qu’il a
entendu ne pouvait être pris en considération pour éviter des spéculations au
soupçon à l’égard des innocents.
Outre ce serment, le témoin est toujours considéré comme celui qui voit pour
aller dire aux autres au bien celui qui a assisté au déroulement des faits est obligé
d’ne informer les ayant droit.
La justice traditionnelle ne connaît pas la notion du faux témoin telle
qu’enseigné par le Droit écrit. Les personnes invitées pour témoins ne prennent
pas le risque de tenter cette aventure car elles ont peur de mentir le Roi ou le
Chef garant de la sécurité des biens et des personnes et l’interlocuteur valable
entre les morts et les vivants.
3°) L’Aveu
Par définition, « l’aveu est l’ensemble des déclarations par lesquelles une
personne reconnait en totalité ou en partie le bien fondé des accusations portées
contre elle »136.
Le Droit coutumier n’ignore pas ce mode de preuve, car il est le plus souvent
exprimé par les proverbes.
135
Bompaka N., M., Cié par KAUALA KABAKASHALA, La Preuve en Droit congolais, éd ;
Batena Ntambura, Kinshasa, 1998, p.20.
136
KATUARA KABA KASHALA, op.cit, p.49
114
Chez les biens Kanyok par exemple « Wahondund, Wahori ndundudj », ce qui
signifie qu’on ne peut pas parler tantôt en acceptant les faits tantôt en les niant.
Les Kanyok comparent un pareil homme à un ballon qui s’amorti plusieurs fois
et à des endroits différents.
Chez les Baluba de Kabongo, dit Collard, « la remise devant témoin d’un
gage de responsabilité : houe, hache, poule, flèche, etc. est considéré comme un
aveu et l’engagement pris en remettant le symbole coutumier est irrévocable
»137.
Cette lecture faite de l’aveu par Collard chez les Baluba ne cadre pas avec sa
définition, car l’aveu est une « déclaration par laquelle une personne tient pour
vrai un fait qui peut produire contre elle des conséquences juridiques ». L’aveu
est judiciaire lorsque la déclaration est forte en justice ; il lie le juge. En cas
d’adultère, par exemple, l’aveu de la femme établit l’infraction et l’homme sera
puni même s’il nie les faits à moins qu’il apporte une preuve contraire.
Chez les Wagenias, l’aveu est aussi accepté comme mode de preuve et est régi
par le principe de l’individualité.
Partant du jugement tenant compte de tout cela, il y a lieu de comprendre la
différence entre le jugement rendu par un tribunal traditionnel et celui rendu par
un tribunal coutumier, c’est-à-dire celui institué par le colonisateur. Pour le
tribunal traditionnel, dès que les déclarations de deux parties sont concordantes
sur le principe, comme la remise de chèvre et le droit de propriété, la
condamnation devrait être prononcée, en dépit de quelques divergences sur les
détails. C’est là la beauté de la justice traditionnelle.
4°) Les Présomptions
Pour Katuala, « Les présomptions sont les conséquences que la loi ou le
magistrat tirent d’un fait connu à un fait inconnu »144.
Cette définition n’est pas plus explicite que celle donnée par Guillien, R. et
Vincent, J.
La présomption est un « mode de raisonnement juridique en vertu duquel de
l’établissement d’un fait on induit un autre fait qui n’est pas prouvé »138.
Dans la justice traditionnelle, les présomptions de culpabilité ou d’innocence
sont coulées dans les proverbes juridiques.
5°) Le serment
D’après Lacoste, B., « Le serment remplissait également un rôle probatoire en
milieu coutumier. En l’absence d’autres preuves, le serment servait à vérifier la
137
Kalenda, D., La justice dans le système juridiciaire traditionnel, Kanyok, Mémoire D.E.A Fac
de droit, UNILU, 2013-2014, inédit 144 Katuala Kaba Kashala, op.cit, p.44
138
Guillien, R., et Vincent, J. Lexique des termes juridiques, Dalloz, Paris, 2000, p.73
115
sincérité des allégations des parties. Et jadis, on prêtait serment sur ses proches
en demandant qu’ils meurent si l’on mentait ou bien ne appelant la malédiction
des morts »139.
En Droit coutumier, ce serment n’est réservé souvent qu’à la Cour royale dans
la mesure où il se fait sur deux objets sacrés du Roi, à savoir : la peau de Léopard
et la canne du Roi.
Certifier leurs déclarations, chacune des parties doit traverser un de ces objets
sacrés en faisant le serment suivant : « Je suis saint, et personne ne peut me citer
sinon Dieu. Regarder au ciel c’est avoir peur de la foudre, regarder par terre c’est
avoir peur des morts. Si je connais seulement cette affaire, que je meurs sans
délai.
Après avoir prêté serment, si rien ne lui arrive, la personne clame son innocence.
Ce serment est aussi accepté chez les Bakongo, comme atteste Mertens.
Chez les Baluba de Kabongo, ce mode de preuve n’était pas admis partout. Il
était surtout pratiqué auprès des juridictions inférieures, tribunal de parentèle et
tribunal de village. Entre membres de la société bumbu duye, le serment sur les
répliques sacrées, le « Ngulu y a Mbuydye » était considéré comme une preuve
suffisante de l’innocence de celui qui me prêtait. En effet, le parjure se
condamnait à mourir dans un délai très court car dans la croyance indigène, la
profanation de répliques était réputée de nature à porter malheur à la personne
sacrilège.
Il arrivait aussi que celui qui fait le serment, ramasse un peu de terre et la
porte en bouche s’engageant à mourir au cas où il mentait.
Cette forme de serment est aussi d’usage chez les Kanyok mais il est renforcé
quand il s’agit d’une mort mystique d’un homme dont on recherche le sorcier. A
ce moment, le serment se passe en famille ou dans le lignage en prenant la terre
de la tombe du défunt qui est aspergée dans l’eau que tous les membres de la
famille doivent prendre s’engageant de mourir s’il connait sa mort.
Il ressort que la justice traditionnelle ne prévoit pas les sanctions à l’encontre du
coupable de parjure. Seul, le monde indivisible exerçait des sévères malheurs sur
le coupable comme pour les ordalies.
L’important de ce serment tient au fait qu’il ne porte que sur les faits et non sur
des points de Droit. Raison pour laquelle en Droit traditionnel, l’individu fait un
parjure d’innocence et ne fait cas de ses droits.
139
Lacoste, B., Cité par Kalenda, D., Op.cit, inédit.
116
140
Encyclopédie cité par Kalenda, D., Op.cit, inédit.
141
Idem
117
Il est indéniable que dans toute société, il s’impose aux gouvernements le souci
d’établir une bonne administration de la justice, à partir du moment où le cadre
constitutionnel est installé. Ce souci s’est manifesté à l’arrivée de la colonisation
belge. Mais, celle-ci s’est trouvée devant deux types de Droit : Droit écrit, de
type occidental et Droit non écrit, incarné par les coutumes indigènes 143. Ce fait
a engendré le dualisme des structures d’organisation judiciaire et des organes
juridictionnels. Il y a, d’ »un côté la justice de style européen, mieux équipée et
mieux outillée, applicable aux européens et leurs assimilés. L’on trouve, d’autre
142
Goffin et Cie, op.cit. p.173.
143
John Gilissen, estime que les deux appellations « Droit écrit » et « Droit coutumier » sont
impropres, puisque le premier est loi d’être uniquement écrit et le second loin d’être uniquement
coutumier ; nous nous accordons sur cette affirmation.
120
144
Cette discrimination a poussé le commissaire de district Grevisse à écrire un livre sur « La grande
Pitié des Tribunaux Indigènes », Mémoire Inst. Roy. Col. Belge, Bruxelles 1949, Goffin et Cie,
op.Cit., p.173.
145
Jacques Vanderilinden préfère l’expression « les juridictions pour indigènes de statut coutumier »
à l’expression « les juridictions indigènes », car il y a des indigènes de statut du Droit écrit, les
évolués ; in Aspect de la justice indigène en pays zande, p.143, Bruxelles 1956, 1956, 1958.
146
Lamy E., Introduction à l’étude du Droit coutumier, cours polycopié, p.133, Université Officielle
du Congo, Lubumbashi 1965.
121
Le décret du 15 avril 1926 complété par celui du 16 septembre 1959 institue les
différentes juridictions indigènes pré rappelées (art. 1). Seul le tribunal de
chefferie existe conformément à la coutume. Mais, il doit être reconnu par
l’autorité territoriale (commissaire de district ou premier bourgmestre). Les
autres juridictions sont créées par le commissaire de district ou par le premier
bourgmestre.
Le décret déterminait également leurs ressorts respectifs et leur composition (art.
2 à 9). Toutefois, la composition des tribunaux de chefferie est déterminée par la
coutume (art. 3).
Le ministère public surveille la composition et l’ancien de tous les tribunaux
indigènes de son ressort. Il leur donne des directives nécessaires pour la bonne
administration de la justice. Il a le Droit d’obtenir, au siège même du tribunal,
communication des registres et autres documents du tribunal (art. 10).
La compétence des tribunaux indigènes est déterminée par les articles 11 à 17
du décret. Les tribunaux indigènes connaissent des contestations entre indigènes
du Congo ou des contrées voisines aux deux conditions suivantes :
• Que les contestations ne doivent pas être tranchées par l’application des
règles du Droit écrit ;
• Que le défendeur se trouve dans le ressort du tribunal (art. 11). Les
tribunaux indigènes appliquent les coutumes, pour autant qu’elles ne
soient pas contraires à l’ordre public universel. Dans les cas des coutumes
contraires à l’ordre public ou l’absence de coutumes, les tribunaux
indigènes jugent en équité (art. 18).
Les règles de procédure sont, pour les diverses juridictions, les règles coutumière
du ressort. Dans les hypothèses des coutumes contraires à l’ordre public universel
ou aux principes d’humanité ou d’équité ou d’absence de coutume, la procédure
s’inspirera des règles de l’équité (art.
25).
Telle est l’organisation judiciaire pendant la période coloniale. Qu’en est-il de
la période postcoloniale ?
Nul doute que devenu indépendant, notre pays ne pouvait pas se permettre le
luxe de maintenir les structures judiciaires dualistes, discriminatoires, car pareille
organisation consacrerait ostensiblement et scandaleusement la ségrégation
raciale, chose inadmissible pour un Etat souverain.
C’est ainsi qu’à partir du 30 juin 1960, date de l’accession du Congo à la
souveraineté nationale et internationale, le dualisme judiciaire commença à céder
progressivement devant le monolithisme judiciaire. Les réformes judiciaires de
1968, complétées par celles de 1978 (instauration des tribunaux de paix), ont
122
147
- Dekkers, op.cit, pp.26-28.
- Sohier, op.cit, BJI 1946, p.210.
148
Dekkers, op.cit, pp.26-20.
124
Le condamné à mort, mains liées derrière le dos, est conduit hors le village est
généralement appliquée en l’ablation des mains, de la langue, des lèvres, des
oreilles, des doigts, etc.
Le coupable est aussi exposé en public, au soleil cuisant, sur une fourmilière, ou
complètement déshabillé, nu. La femme adultère voit ses jambes écartelées et
son complice subi le ficelage du sexe.
Le sorcier est soumis à l’épreuve de la ciguë (poison). S’il s’en tire, il est
présumé innocent ; autrement, on est convaincu de sa culpabilité.
Le bannissement des pratiques à l’égard des récidivistes.
A l’arrivée de la colonisation, la situation change complètement. Le pouvoir
colonial élague les coutumes de leurs aspects cruels, barbares et rétrogrades,
susceptibles de contrarier l’ordre public et les bonnes mœurs. Il consacre le
principe de la légalité des infractions et des peines. Il catalogue les peines à
l’article 5 du code pénal, livre premier : la mort, la servitude pénale, l’amende,
la confiscation spéciale, le bannissement. La justice traditionnelle de base est
totalement dépourvue de la compétence en matière pénale, laquelle compétence
est désormais dévolue aux juridictions étatiques. Tel est l’état de la question
jusqu’à ce jour.
149
- Goffin et Cie, Encyclopédie, p.194
125
BIBLIOGRAPHIE
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127
A. Loi ................................................................................................... 5
B. Règlement .......................................................................................... 7
D. Coutume ............................................................................................ 7
§4. La filiation....................................................................................... 66