Droit Coutumier Congolais

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1

INTRODUCTION
Compte tenu de la complexité et de l’abondance de la matière à dispenser pour
un débutant, il serait préférable d’adopter un intitulé plus modeste, tel «
introduction à l’étude du Droit coutumier congolais » au lieu de « l’étude du
Droit coutumier congolais ».
Nous nous proposons de faire un condensé de cette vaste matière en embrassant
succinctement toutes les branches qu’elle comporte. Nous n’avons pas la
prétention de couvrir, d’épuiser en 60 heures tout un système de Droit dont
l’étude peut s’étendre sur cinq ans.
Après cette précision, voyons à présent en quoi consiste le Droit coutumier
congolais.
1. NOTIONS DU DROIT COUTUMIER
La définition du Droit coutumier nous oblige de remonter préalablement à la
définition du mot « coutume » d’où il tire l’épithète.
Il existe à ce sujet d’innombrables définitions. D’abord, le Petit Robert nous
apprend que « la coutume est une matière à laquelle la plupart se conforment
dans un groupe social, le Droit coutumier étant un ensemble de règles juridiques
que constituent les coutumes ».
Pour le Petit Larousse, « la coutume, consuetudo, est une habitude, un usage
passé dans les mœurs ; par extension, la coutume est une règle de Droit tirant sa
valeur de la seule tradition ».
Olivier-Martin définit « la coutume » (juridique) comme un usage juridique de
formation spontanée, accepté par tout le groupe social intéressé. Elle naît d’une
série d’actes, acta assidua, publics et paisibles, c'est-àdire dont toute violence est
exclue à l’origine et qui ne se sont heurtés à aucune contradiction sérieuse. Elle
se distingue ainsi de la voie de fait, basée sur la force à laquelle il faut parfois se
résigner mais qui ne crée jamais le Droit. Les actes qui fondent la coutume
doivent avoir été répétés pendant un certain temps. La coutume exprime ainsi le
sentiment du Droit dont s’inspire à un moment donné, le groupe considéré »1.
D’après René David2, « la coutume n’est pas une notion simple, ni unitaire. Elle
peut et doit être envisagée à deux stades. Elle est, en premier lieu, la règle de vie
à laquelle, spontanément, se soumettent les individus. Elle est en second lieu, la
règle selon laquelle seront résolues les contestations, s’il vient à s’en produire ».

1
Olivier-Matin, Histoire du Droit français n°79, p.112, Paris 1948.
2
David R ;, Les Grands Systèmes de Droit contemporain, 2ème éd. Pp. 556-557., Paris, 1966.
2

Selon John Gilissen, « la coutume est un ensemble d’usage d’ordre juridique qui
ont acquis force obligatoire dans un groupe social donné, par répétition d’actes
publics et paisibles pendant un laps de temps relativement long »3.
D’après Mulumba Katchy il voit dans la coutume une pratique constate,
permanente d’une certaine conduite dans un cas donné et dans une sphère
déterminée, laquelle pratique doit être répétée et étalée dans le temps4.
Enfin, MUSANGAMWENYA WALYANGA, dans sa vision, la coutume est
un ensemble de comportements d’ordre juridique dignes, volontairement
acceptés par la majorité des membres d’un groupe social donné et ayant acquis
force obligatoire et ce, par répétition d’actes paisibles et publics pendant un
temps suffisamment long.
Notons avec André Tunc que le Droit présente en Afrique une importance
considérable du fait que les coutumes africaines, qui sont juridiques en même
temps que sociales et religieuses, sont très riches, complètes et englobent tous les
aspects de la vie des hommes et des communautés humaines5.
René Deckers abonde à peu près dans ce sens de l’abondance et de la complexité
en estimant que chaque coutume, devant assurer tous les besoins d’un Etat,
contient nécessairement toutes les branches du Droit, au moins de façon
rudimentaire : des règles politiques, administratives, civiles, pénales etc.6.
Signalons ici que l’auteur ne semble pas se départir d’un préjugé qu’affichaient
beaucoup d’Européens en défaveur du Droit coutumier africain, en le qualifiant
de confus. Cette attitude découle de la conception franco-belge qui attache
beaucoup d’importance à la théorie, aux principes préétablis et divise le Droit en
structures préconçues, alors que le Droit coutumier africain se veut pragmatique,
réaliste dont la démarcation nette entre ses différentes branches se manifeste au
moment de son application, de la résolution des conflits.
Profitons de l’opportunité offerte pour souligner la nuance entre la coutume et
la tradition.
La coutume, répétons-le, est un usage, un mode de vie, la manière de vivre
propre à un groupe social donné, avec ses contraintes librement acceptées par les
membres de ce groupe. Elle est multiforme : coutume sociologique, coutume
ethnologique, coutume juridique, etc.

3
J. Gilissen, cité par Mulumba Katchy, I.G.E.D, p.37, cours, Kinshasa, 2000-2001.
4
Mulumba Katchy, Le Droit au nom et Droit zaïrois et en Droit comparé, p.206, Kinshasa, 1979.
5
Tunc A., Les aspects juridiques du développement économique, pp. 1 et s, Dalloz, 1966.
6
Deckers R., Droit congolais et Droit romain, points de contact, CEPSI n°71 pp.1 à 56, Elisabeth,
1965.
3

En revanche, la tradition est le véhicule, la transmission des coutumes à travers


les siècles de génération en génération par la parole et par l’exemple (pratique).
Elle est aussi une manière de penser, de faire ou d’agir, laquelle est l’héritage du
passé, l’ensemble des notions relatives au passé.
Il en résulte qu’il n’y a pas de nette différence entre la coutume et la tradition.
En fait, on emploie indifféremment l’une pour l’autre. A la limite, on peut retenir
que la coutume est incluse dans la tradition qui la transporte à travers les temps.
En somme, nous pouvons déduire que le Droit coutumier, ou
Droit traditionnel, résulte de la vie sociale, de l’histoire ; il naît des usages et des
précédents dont le souvenir est conservé grâce à la transmission orale ; il règle
les rapports d’ordre public, ceux concernant les Droits et devoirs vis-à-vis des
groupes et de leurs chefs ; il régit également les rapports d’ordre privé entre
divers membres de groupe7.
Mais quelles en sont les sources ?
2. BUT DU DROIT COUTUMIER
Le but du Droit au regard des indigènes consiste à maintenir l’équilibre
sociologique de la communauté. En d’autres termes, le but du Droit coutumier
africains en général et congolais en particulier, est la préservation de la solidarité
qui unit tous les membres de la société africaine, donc, si l’on peut ainsi parler le
colmatage de toutes les branches qui peuvent la menacer. Ce n’est là rien moins
au fond que l’idéal défini par le philosophe édoniste Jérémie Bentham, lorsqu’il
écrivait que le fondement du Droit était d’assurer « le plus grand bonheur
possible du plus grand nombre de gens ». Kant exprimait une idée voisine en
définissant la loi comme : « le moyen de concilier le libre arbitre de chaque
individu avec celui des autres dans le respect de la liberté de tous ». Herring
déclare pour sa part que la fonction du Droit est de déterminer les intérêts de
chacun de telle sorte qu’il n’en résulte pour personne ni désagrément, ni heurt
avec autrui. Roscoe Pound enfin, assigne au Droit une fonction d’« organisation
sociale », c’est-à-dire de solution des conflits qui peuvent s’élever entre membres
du corps social afin de réaliser la justice universelle89.
Nous pouvons donc dire que la fin suprême du Droit dans toute société, qu’elle
soit moderne ou traditionnelle, consiste à assurer l’ordre et la paix des relations
humaines et par la suite la stabilité du corps social. Le Droit Ecrit dit Droit
moderne et le Droit non Ecrit dit Droit traditionnel ont seulement une seule

7
Mulumba K., op.cit, p.207.
8
T. OLVAWALE Elias, La Nature du Droit coutumier Africain, Présence africaine, Paris, 1961, pp.
9
-283
4

différence d’approche du problème, en ce sens que le premier tente de prévenir


les conflits entre les membres du groupe social alors que le second fait plutôt
porter son effort sur leur solution juridictionnelle.
3. IMPORTANCE DU COURS
L’importance du cours du Droit coutumier congolais se trouve évoquée par la
Loi N°15/015 du 25 août 2015 fixant le statut des chefs coutumiers en R.D.C.
plus précisément dans l’exposé des motifs de la Loi susindiquée.
La crise des valeurs traditionnelles comptant parmi les principaux maux qui, non
seulement, minent l’unité et la cohésion nationales, mais aussi hypothèquent le
développement intégral, harmonieux et durable de la R.D.C.
Face à cette situation, la constitution du 18 février 2006 telle que modifiée à ces
jours reconnait, en son article 207, l’autorité coutumière comme socle des valeurs
traditionnelles.
La loi fixant statut des chefs coutumiers est donc la mise en
œuvre de cette exigence constitutionnelle. Elle vient s’ajouter l’arsenal juridique
sur l’organisation territoriale, administrative et politique en R.D.C. qui confère
au Chef coutumier, en face des responsabilités coutumières, des charges
administratives.
Elle prend en effet en compte des valeurs traditionnelles im-
muables et saines dans une société fondée sur le Droit écrit, la démocratie, la
bonne gouvernance et le respect des droits de l’homme.
Elle vise notamment à :
- Affirmer le rôle protecteur du Chef coutumier en ce qui concerne
l’identité culturelle ainsi que les valeurs traditionnelles morales ;
- Réaffirmer le caractère apolitique du Chef coutumier ;
- Réaffirmer l’implication du Chef coutumier dans la sauvegarde de
l’unité et de la cohésion nationales.
- Réserver aux seules structures reconnues par la coutume le droit et
pouvoir de désigner le Chef coutumier ;
- Confirmer le droit des pouvoirs publics de reconnaître ou de prendre
acte de la désignation du Chef coutumier ;
- Reconnaître à l’autorité coutumière le droit d’être consulté par les
pouvoirs publics ;
- Ouvrir la possibilité de mise en place de commissions consultatives
locales, provinciales et nationales pour le règlement des conflits
coutumiers ;
5

- Définir les voies de recours pour le Chef coutumier lésé par les
décisions et actes des autorités administratives hiérarchiques.
Par ailleurs, cette Loi détermine les obligations du Chef coutumier et dans cette
perspective, un régime disciplinaire lui est appliqué10.
4. LES OBJECTIFS DU COURS
4.1. Objectifs généraux
- De rappeler les notions apprises en premier graduat, notam-
ment, sur le Droit, la sociologie et l’anthropologie culturelle, l’histoire, les
différentes branches et sources du Droit ;
- D’étudier les coutumes congolaises, sous leur aspect juridique, et ce
par rapport au Droit écrit, dit Droit moderne ;
- L’analyse l’importance de cours pour le juriste et tout praticien du
Droit ;
- D’introduire l’étudiant dans le processus de formation du Droit dans
la civilisation africaine en général et congolaise en particulier ;
- De faire la comparaison entre le Droit écrit et le Droit non écrit.
4.2. Objectif spécifiques
Au terme de ce cours, l’étudiant doit être capable de :
- Comprendre le contenu lui livré dans le présent cours et surtout
maîtrisé le langage juridico-coutumier, afin d’intérioriser les
matières et notions apprises ;
- Etablir le rapport existant entre le Droit écrit et le Droit non écrit ;
- Dépasser les différentes conceptions et définitions du Droit liées au
courant occidental ;
- Recadrer, par les matières traitées, les origines du Droit ;
- Analyser le rapport, nécessaire, entre le Droit moderne dit Droit
écrit et le Droit traditionnel dit Droit non écrit à tout point de vue.
5. SOURCES DU DROIT COUTUMIER
Contrairement à une opinion européenne qui soutient que le Droit coutumier
congolais n’a qu’une seule source, à savoir la coutume, nous nous accordons à
affirmer avec Jean Sohier 11 que le Droit coutumier congolais dispose d’une
gamme variée de sources dont la loi, le règlement, la jurisprudence et la coutume.
A. Loi
Il faut noter que le terme « loi » est employé sensu lato, du fait que cette notion
de loi n’implique pas nécessairement en soi de caractère de Droit écrit ; à côté

10
Exposé des motifs de la Loi portant statut des Chefs coutumiers, pp.1-2
11
Sohier A., Le Droit coutumier du Congo belge, BJI, 1946, n°9, pp.21 et S.
6

des lois écrites, il existe des lois non écrites. L’on cite, à cet effet, l’exemple des
promulgations verbales de certains capitulaires carolingiennes et de différents
édits des seigneurs africains avant la colonisation. Ceux-ci, assistés des conseils
des sages, prenaient des édits touchant à tous les secteurs de la vie,
essentiellement au domaine politique et administratif. Ces édits étaient
représentés et conservés sous forme de symboles, figurines, tatouages, flèches,
reliefs, arcs, entailles dans le mur, poterie, etc.
Leur gestion et leur décryptage étaient confiés aux gardiens initiés de la cour.
Signalons que ce fait est propre à toutes les sociétés ignorant l’écriture.
Pour prouver l’existence des lois au Congo précolonial, il convient de reproduire
ici le récit des Edits du Roi Msiri (Mushidi) des Bayeke recueillis par le
missionnaire Clarke cité par Bukhart Waldecker dans l’histoire de tribus du
Katanga ancien12.
« L’intéressé atteste que ces Edits témoignent tant de pondéra-
tion voire le sens de justice, de loin supérieurs aux superstitions, primitives du
substrat des Basanga. C’est ainsi que Mushidi (M’siri), par exemple, interdit
l’ordalie de l’eau bouillante. « Si quelqu’un fait bouillir de l’eau dans cette
intention, c’est très blâmable, car si l’on faisait bouillir même la peau d’un
hippopotame, cette peau deviendrait molle et tomberait en morceaux. Je défens
donc cette pratique ». Les délits à proprement parler, meurtre, vol, adultère, etc.,
sont punis par Mushidi, sauf si les parents indemnisent la victime ou la famille
de celle-ci. D’autre part, les infractions contre des tabous ridicules ne sont plus
frappées du payement d’une indemnité. Si par exemple « quelqu’un se sauve
dans une maison pour s’abriter de la pluie, vous dites… qu’il vous a apporté des
larmes. Cela ne signifie rien, il ne devra plus payer ». Notons également qu’il
interdit la traite des esclaves. Il est défendu d’acheter et de vendre les personnes
aux Baswahili et aux Bambundu.
Il est défendu de vendre des esclaves aux voyageurs. Si M’siri apprend que
quelqu’un a vendu un esclave, ce sera très grave. Exception pour le fait de donner
une personne pour se racheter d’un crime ; cela n’est pas considéré comme du
commerce… « . Quand lors de la cérémonie d’investiture de Mukandabantu,
Munanga (docteur Moloney) interdit de vendre des hommes comme esclaves,
Mukandabantu put donc déclarer non sans fierté se référer aux Edits de M’Siri
pour réprimer toute infraction à cette défense avec sévérité ».
Pour apprécier à leur juste valeur les Edits de Mushidi, il faut se rendre compte
qu’avant lui, chez les Basanga, le Droit été presque uniquement un Droit pénal

12
Waldecker B., Résumé de l’histoire de tribus du Katanga ancien, R.J.C., 1966, p.175.
7

privé, soit une vendetta entre les familles des intéressés, où tout visait à la
protection d’intérêt privés et non au maintien et à la protection de l’ordre public.
Bien que, dans les Edits de Mushidi, la punition par le chef n’ait lieu qu’en cas
de défaut du versement de l’indemnité à la victime, ou à sa famille, le progrès
réalisé par les Edits est indiscutable ».
B. Règlement
Les règlements sont de simples mesures de polices, administratives, qui
organisaient les activités de la vie courante de la communauté, ayant trait
notamment aux travaux communautaires, de champs, de la chasse, de la pêche,
de la musique, aux jeux, aux sports, aux tributs, aux redevances, etc.
C. Jurisprudence.
L’administration de la justice est généralement bien tenue en milieux
coutumiers. L’organisation judiciaire revêt une importance particulière en Droit
traditionnel congolais, car la tradition, la culture congolaise répugnant à
l’injustice.
D’où le procès commence presque toujours par une tentative de conciliation,
laquelle exige beaucoup de temps et de patience de la part des parties au procès,
ce qui amène les juristes européens à qualifier les procès africains de (palabres
interminables)13.
La jurisprudence est essentiellement constituée des décisions rendues par le
conseil des sages, lequel conseil est présidé par le chef du clan 14. Nous allons y
revenir plus loin.
D. Coutume
Dans la société ancienne congolaise, la coutume constitue une source de Droit
par excellence ; est censée exprimer la volonté implicite de la majorité des
membres de la communauté ; elle est la plus ancienne des sources de Droit, même
dans le pays de vieille tradition écrite ; elle continue à jouer ce rôle jusqu’à
l’heure actuelle, bien que son champ d’application soit conditionné par sa
conformité à l’ordre public et aux bonnes mœurs. Aussi le nouveau code civil
malgache (article 263) relève-t-il : « les lois et coutumes qui sont d’un usage
ancien et constamment suivi sont des lois et coutumes vivantes qu’il convient de
suivre et qui ont la même valeur juridique que celles inclues dans ce livre, même
si elles ne sont pas écrites ». Après avoir épinglé les sources du Droit coutumier,
il convient d’aborder à présent l’analyse de ses caractères.

13
Dekkers R, op.cit , pp.23 et s.
14
Mulumba K., op.cit, p.209
8

6. CARACTERES DU DROIT COUTUMIER


Le Droit coutumier congolais renferme une somme de caractères.
A. Droit non écrit
A l’instar de toute société ancienne, le Congo pré colonial igno-
rait l’écriture. Il en résulte que son Droit n’est pas écrit. Il sied de souligner ici
que l’expression « Droit non écrit » n’est pas synonyme de « Droit oral ». En
effet, l’on retiendra qu’au moment où elle s’élabore et se fixe, la coutume
apparaît par essence non écrite et qu’elle n’est pas orale, du fait que dans sa phase
de formation, elle ne s’énonce pas. On constate que c’est à partir du moment où
la communauté se rend compte de l’existence de la règle juridique qu’il arrive
qu’elle s’exprime oralement15.
Le Droit coutumier congolais se crée et se transmet par tradi-
tion orale ; il doit en grande partie sa survie à l’action conjuguée du chef et des
sages du clan qui en assurent l’application dans d’innombrables contestations et
litiges dont ils sont saisis16.
Mais, cette tradition orale présente un inconvénient qui consiste en ce que ce
Droit non écrit est souvent dénaturé par nombreux facteurs au cours de diverses
générations. Circulant de bouche à l’oreille, le Droit est déformé par la force du
temps et se répand dépouillé de son contenu réel, se trouvant ainsi en permanence
dans un état fluide, perméable aux influences extérieures. Cependant, on oppose
à ce caractère fluide, un certain conformisme entretenu par son caractère sacré.
Au demeurant, nous pouvons conclure que la transmission du
Droit coutumier congolais est orale et assurée par la mémoire des vieillards. D’où
le dicton : « Un vieillard congolais qui meurt c’est toute une bibliothèque qui
brûle ».
B. Droit social
Comme toute autre discipline juridique, le Droit coutumier à un caractère social
très prononcé. Sa préoccupation constante réside dans la protection permanente
des intérêts du groupe, de la société. L’intérêt individuel, personnel s’efface
devant l’intérêt communautaire. Néanmoins, l’individu n’est pas complètement
écrasé, ignoré du groupe ; il continue à y jouer un rôle non négligeable, mais sous
le parapluie de son groupe ; il est même protégé contres les abus éventuels du
pouvoir du groupe17 (voir infra).

15
Mulumba K., Cours d’I.G.E.D. op.cit, p.38
16
Mulumba K., Le Droit au nom, op.cit, p.207
17
- Sohier, op.cit, p.263
- Vaussina J., Introduction à l’ethnographie du Congo, p. 122, éd. Universitaire du Congo,
Bruxelles, 1966.
9

C. Droit patriarco-matriarcal.
La tradition nous apprend que la structure sociale du Congo est fondée sur un
système hybride, mixte ; il y a, d’une part, le patriarcat, et, d’autre part, le
matriarcat.
Le patriarcat est un type de société composée des descendants, par les hommes,
de l’ancêtre père commun, caractérisée par la prépondérance du père, son chef,
sur les autres membres du groupe (les Lulua, les Luba, les Zande, les Mongo, les
Yaka, les Havu, les Nyanga, les Shi, les Nande, les Hema, les Vira, les tembo,
les Lendu, les lega, les Okebo, etc) ; en revanche, le matriarcat est un groupe
englobant les descendants, par les femmes, de leur ancêtre(mère par exemple,
(les Kongo, les Yansi, les Mbala, les Sakata, les Kuba, les Lunda, les Tshokwé,
les Lamba, les Lule, les Ngombe, les Ambung, les Suku, les Pende, les La la, les
bemba, les Hemba, les Sanga, etc.).
L’organisation de ces deux systèmes sociaux est essentiellement basée sur le lien
de sang. Notons ici le rapprochement que René Dekkers fait entre le Droit
congolais et le Droit romain ; l’auteur compare les deux Droits en affirmant qu’ils
contiennent dans leurs origines respectives d’innombrables traits communs,
essentiellement dans le domaine du Droit des personnes et de la famille ; il
précise notamment : « … c’est sur le plan familial que se trouve l’analogie
fondamentale entre Droit Congolais et Droit romain connait les mêmes cercles
concentriques : le foyer (domus), la parenté (agnati), le clan (gens) … Les deux
Droits pratiquent le parentage unilatéral. Toutefois, les coutumes se divisent en
patrilinéales et matrilinéales, selon que le parentage n’existe que du côté de la
mère. Le doit romain est uniquement patrilinéal. Il semble avoir consacré une
trace du régime opposé : le terme même d’avunculus, oncle maternel. On sait
qu’en régime matrinéal, l’autorité est généralement exercée par un homme ; mais
au lieu que ce soit le père, c’est le frère de la mère. Or, cette forme du patriarcat
s’appelle précisément l’avunculat, diminutif, l’ancien, le chef »18.
Dans la société congolaise précoloniale, le chef du clan joue un rôle inestimable
; son autorité, à la fois politique, militaire, sociale, judiciaire et religieuse ne se
partage pas ; elle est sacralisée, en ce que le chef est censé obtenir cette autorité
directement de la seule volonté des ancêtres divinisés ; le pater familias incarne
toute la vie sociale et politique. Aussi Possoz écrit à ce sujet19 « … le père vivant,
père commun des membres du clan par le jus soli, cède une part de sa
personnalité juridique et cela même constitue un Droit. N’est juridique que ce

18
Dekkers, op.cit, pp.13-14.
19
Possoz, Principes de Droit nègre, Aequatoria, p.106, Conquilhatville 1940
10

qu’il paternise, ou organise, et il le fait dans le cadre du corps du Droit


traditionnel ; il tient en dernier ressort du premier-né de Dieu, en sorte que tout
père représente Dieu luimême, créateur des vivants. Tel est le fond du Droit nègre
; il est l’expression, comme Droit Positif, non pas de la commune volonté des
puînés ou des enfants, mais celle de Dieu même ; les puînés par leur nombre,
constituent la richesse et la force du père et leur commune volonté servent
d’agent d’exécution à la sienne ».
Par son rôle politique, le chef du clan assume des responsabili-
tés considérables, du fait qu’il est le garant de l’ordre social, de la paix et de la
tranquillité publique ; il assure la sécurité interne et externe de son territoire ; il
déclare la guerre ; il est le détecteur de toutes les prérogatives du Droit
interclanique.
Le paterfamilias assure aussi l’administration de la justice, en ce sens qu’il
connaît diverses contestations, préside le conseil des sages et rend des sentences.
Le pouvoir magicorelgieux fait du patriarche un être sacré. Celui-ci veille à la
santé de ses administrés et possède le secret de guérir certaines maladies.
En tant qu’intermédiaire entre les vivants et les morts, il implore le secours des
morts pour obtenir la guérison de telle ou telle victime.
Le chef est également chargé de tous les biens de la commu-
nauté ; il assure le culte et la bienveillance du sol par sacrifices et prières, lequel
est considéré comme bien sacré du groupe20.
Enfin, l’on peut conclure que le paterfamilias congolais incarne à la fois le clan
et le Droit de ce clan ; il crée le Droit et le sanctionne et ce, dans l’intérêt commun
des membres de son groupe.
D. Droit magico-religieux
De prime abord, retenons que la société congolaise est profon-
dément religieuse. D’ailleurs, il suffit de jeter un regard à l’heure actuelle sur le
nombre des églises dites de réveil à travers le territoire national pour s’en rendre
compte.
Dans notre société, la religion apparaît comme un système so-
cial propre à assurer la prospérité, la stabilité, l’espérance et la survie ; elle
‘exprime par une croyance spontanée en un Etre Suprême, créateur du ciel et de
la terre, laquelle croyance permet à l’homme congolais de comprendre et de
supporter les difficultés quotidiennes qu’il rencontre dans la vie ; elle crée en lui
un sentiment de dépendance et de soumission à la volonté divine ; elle constitue

20
Mulumba K., op.cit, p.209
11

une sorte de refuge et parfois de résignation devant les multiples défis qui
écrasent l’individu.
Il convient de souligner que sur ce point, le congolais diffère de
l’Européen en ce que l’Européen doit aller à l’église pour prier Dieu ; en dehors
de l’église, il fait abstraction de la vie religieuse. En revanche, le Congolais
(Africain) voit, pense et prie Dieu partout, il ne peut rien faire qui ne soit voulu
par Dieu. Son sens religieux très élevé se concrétise par le culte des ancêtres
divinisés du fait que ces derniers sont considérés comme médiateurs auprès de
Dieu ; tous les actes de l’individu sont imprégnés du sacré.
Les ancêtres disposent d’un Droit au culte entouré d’innombrables rites ;
ces rites consistent dans les prières accompagnées d’offrandes et de sacrifices ;
ils sont le meilleur moyen de ménager la bienveillance des dieux et une arme
contre leur colère éventuelle.
Aussi, le Congolais est obligé d’observer diverses lois morales ; curieusement,
on constate que ces lois renferment les dix commandements de la bible : respect
de obéissance aux dieux, aux chefs, amour du prochain, défense de tuer, de voler,
de convoiter, de commettre l’adultère ; l’homme doit s’abstenir d’actes
déplaisants aux mânes des ancêtres ;
Dans cette société sacrée, le Droit revêt un caractère magique : tout converge à
assurer la défense de la vie. A cet effet, Possoz 21 affirme : « vivre est la loi
fondamentale et le mal moral ne se distingue du mal physique ; celui qui cause
le mal physique volontairement ou inconsciemment est le malfaiteur type ». Le
Droit est fortement imbu de mysticisme. D’où, la difficulté de le distinguer de la
morale ; il est inspiré, animé et justifié par la philosophie de la force vitale, de
l’accroissement, de l’interdépendance, de l’influence et de la hiérarchie vitale 21.
La coutume, enchaîne René David, est liée, dans l’esprit des africains, à un ordre
mythique de l’univers ; obéir à la coutume est un témoignage de respect à l’égard
des ancêtres, de qui les ossements sont mêlés au sol et de qui les esprits veillent
sur les vivants ; transgresser la coutume risque d’entraîner des réactions
défavorables, des génies de la terre, dans un monde où tout est lié, le naturel et
le surnaturel, le comportement des hommes et les phénomènes de la nature22.
L’obéissance à la coutume est en général spontanée, elle est commandée par la
crainte des forces suprahumaines, à telle enseigne que les sanctions aux
violations des interdits, du tabou sont de nature religieuse ; elles sont très sévères.

21 21
Possoz, La morale, Aequatoria, 11, p.54, Conquilhatville, 1939.
Temples, La philosophie bantoue, 1948, p.81.
22
Idem
12

C’est ainsi qu’en matière pénale, l’infraction est avant tout considérée comme
une atteinte à la force vitale de l’homme ; par voie réciproque, tout atteinte peut
devenir infractionnelle ; en pareille hypothèse, on recourt fréquemment aux
méthodes divinatoires et aux épreuves superstitieuses pour connaître l’auteur et
compenser ainsi la perte de la force vitale.
En matière de Droit Privé, chaque personne est tenue de res-
pecter ses engagements vis-à-vis des tiers ; elle doit exécuter ses obligations de
bonne foi, car toute faute risque d’irriter les dieux et de provoquer leur
vengeance. Au lieu de s’adresser directement au juge, la partie lésée préfère
invoquer de mauvais esprits en défaveur de l’auteur.
En somme, le Droit coutumier congolais est indissociable de la morale ; si
l’homme existe c’est parce que Dieu l’a voulu ainsi. C’est pourquoi toute activité,
toute entreprise humaine doit s’inscrire dans la conformité à la fois aux lois
divines et aux lois sociales.
L’existence des prescriptions enserra l’individu dans un réseau d’obligation et
explique la perpétuelle confusion que fait la société traditionnelle entre le Droit,
les convenances sociales, la morale et l’équité (H. Raharijaona, Droit de la
famille malgache, Droit de la famille en Afrique Noire et à Madagascar, op.cit,
p.197).
E. Droit conciliateur
Nous serons très bref sur cette rubrique, du fait qu’elle sera détaillée au volet du
pouvoir judiciaire et de son organisation plus loin.
La conciliation se manifeste davantage dans le domaine de l’administration de
la justice.
Il existe, dans la société traditionnelle, beaucoup de litiges et de contestations,
nés souvent des rapports d’ordre privé entre les membres du même groupe social
presque fermé, étant donné que ces rapport sont inexistants entre les personnes
de clans différents. Nul ne souhaite voir ces différends opposés éternellement les
membres du même clan, au risque de troubler l’ordre social. Aussi doivent-ils
être diligemment portés devant des arbitres pour trouver une solution. On note
ici la même préoccupation qu’en matière de prescription en Droit écrit. A titre
d’exemple, le Dialogue Inter-congolais de Sun-city en Afrique du Sud donnant
la solution de : un plus quatre.
F. Droit évolutif
Nous allons analyser ce trait à travers le temps, à travers trois étapes successives
de l’histoire du Droit congolais.
13

Le Droit coutumier congolais n’est pas figé. Il est dynamique, progressiste, il


s’épure des éléments négatifs considérés comme des tares ; il évolue et s’adapte
aux mutations perpétuelles de la société moderne, creuset des synergies de la
mondialisation. Cette évolution s’avère certes lente, prudente, mais sûre ; elle
doit être l’œuvre du progrès des multiformes mœurs congolaises dont la finalité
est de réaliser la fusion, l’intégration totale des différents systèmes juridiques.
Sur ce point, le professeur André Tunc s’accorde avec nous lorsqu’il dit que la
société africaine vit et est obligée de vivre à une époque dont le niveau technique
exige qu’elle sacrifie quelques-unes de ses traditions, même si elles sont belles,
afin de pouvoir participer à cet effort d’organisation et d’harmonisation
universelle sans lequel il n’y aura jamais de paix sur cette terre ; la prudence est
recommandée dans cette marche vers le modernisme du développement
économique et social. Tunc se réjouit du fait de constater que, malgré l’explosion
législative, chaque institution nouvelle tire sa source de la sagesse des anciens,
ou, en tout cas, n’est adoptée qu’en toute connaissance de cause, après inventaire
complet de ce qui a été, ou de ce qui est encore la tradition23.
D’après Keba M’baye24, la sagesse recommande de l’unité et de la cohésion
nationale, de créer un Droit nouveau formé des coutumes locales fécondées par
le Droit moderne, et admettant, sur les matières les plus délicates, aux exigences
les plus irréductibles, une faculté d’option entre deux règles. Le principe d’un
Droit unique posé, le premier travail devra consister à la photocopie les
coutumes, telles qu’elles sont applicables à l’heure actuelle, par le moyen d’une
enquête auprès des personnes compétentes. Une fois l’enquête terminée, il fut
analyser le résultat, le critiquer en le soumettant à l’appréciation de plusieurs
autorités, que leur origine, leur formations ou leurs fonctions, ont préparées à
cette tâche ; puis, il faut opter, à propos de chaque matière, de chaque règle, en
tenant compte à la fois de ce qui est souhaitable et de ce qui est possible.
L’on décèle cette dynamique du Droit traditionnel congolais en vue de
métamorphose à travers les trois périodes, à savoir la période précoloniale, la
période coloniale et la période postcoloniale.
1. Période précoloniale
Avant l’avènement du pouvoir colonial belge au Congo, le terrain juridique était
exclusivement occupé par le Droit traditionnel.
La raison essentielle qui justifie ce monopole est l’ignorance de l’écriture,
l’analphabétisme. Il en résulte que le Droit congolais était non écrit ; les

23
Tunc A ., op.cit, p.14
24
Kéba M’Baye, op.cit, p.37
14

coutumes juridiques n’étaient pas rédigées, de sorte que leur survie était assurée
par la tradition orale.
L’application du Droit dans l’espace était dominée par le principe de la
personnalité de Droit, en ce sens que chaque justiciable vivait sous le régime de
sa propre coutume juridique ; ce qui entraînait souvent des conflits des lois et des
juridictions lorsqu’un différend opposait les sujets des Droits différents. C’était
fréquent en matière de Droit des personnes et de la famille, d’autant plus que la
situation devenait complexe lorsqu’il fallait tenir compte des systèmes patriarcal
et matriarcal.
Ce manque d’écriture et de systématisation de règles de Droit a poussé les
juristes à dire que le Droit coutumier était confus, en ce qu’il ignorait la
distinction, par exemple, entre le Droit pénal et le Droit civil, entre le Droit
administratif et le Droit judiciaire, etc.
Nous considérons qu’il s’agit d’un faux débat ; si cette distinction n’est pas
perceptibles sur le plan théorique, elle est néanmoins indéniable en pratique ; elle
saute aux yeux lors du déroulement des procès et du prononcé des décisions,
chaque solution tient compte de la spécificité du cas traité.
Tel est l’état du Droit traditionnel congolais avant la colonisation belge.
2. Période coloniale
A l’arrivée de la colonisation, la situation juridique change dans notre pays. Elle
ressemble à celle qui prévalait en occident lors des conquêtes romaines et de
l’expansion du Droit romain dans les pays conquis.
Lorsque la puissance coloniale entre au pays, elle introduit son mode de vie
juridique. Il s’installe ainsi sur le territoire national un dualisme juridique, à
savoir le Droit coutumier congolais et le Droit écrit franco-belge.
Ne pouvant s’adapter au mode de vie juridique congolais, ni obliger les
congolais à adopter automatiquement le mode de vie occidental et à s’aligner sur
ce dernier, le pouvoir colonial a adopté une attitude de compromis, tout en
soulignant la primauté du Droit occidental sur le Droit traditionnel. Il a élagué de
celui des coutumes dites barbares, car il les considérait comme contraires à
l’ordre public et aux bonnes mœurs. Donc, le champ d‘application du Droit fut
conditionné par sa conformité à l’ordre public et aux bonnes mœurs.
Ce dualisme juridique et ségrégationniste consacre deux groupes des justiciables
: les Belges et les assimilés sont régis par le Droit écrit, tandis que les autochtones
vivent sous le Droit coutumier. Il suffit de lire l’article 4 de la loi du 8 octobre
1908 sur le gouvernement du Congo belge pour s’en rendre compte : « Les
Belges, les Congolais immatriculés dans la colonie et les étrangers jouissent de
15

tous les Droits civils reconnus par la législation du Congo Belge. Leur statut
précolonial est régi par leurs coutumes indigènes non immatriculés du Congo
belge jouissent des Droits civils qui leur sont reconnus par la législation de la
colonie et par leurs coutumes autant que celles-ci ne pas soient contraires ni à la
législation ni l’ordre public. Les indigènes non immatriculés des contrées
voisines leur sont assimilés ».
Notons que le rapport du conseil colonial sur le décret du 17 mai 1952 portant
immatriculation des congolais précise « qu’en réalité, tous les Congolais
jouissent de la plénitude des Droits civils, mais pour ceux que vise l‘article 6, il
s’agit de tous les Droits civils reconnus par la législation écrite. Pour les
indignées non immatriculés, il s’agit, aux termes de la charte, des Droits civils
qui leur sont reconnus par la législation et par les coutumes. Il y a différence de
nature et non de degré. Les uns n’ont pas moins de Droits, ni des Droits inférieurs
aux autres, mais les dispositions civiles qui leurs sont applicables sont adaptées
à leur formation et à leur manière de vivre ». (B.O, p.1183).
Et la cour d’appel de Léopoldville de poursuivre : « les contestations entre
indigènes justiciables de Droit écrit et justiciables de coutumier, sont régies par
le Droit coutumier même si la contestation a un caractère commercial » 25 .
D’après la cour d’appel D’Elisabethville, « Le Droit coutumier de l’indigène du
Congo belge est son Droit propre. Par une disposition légale, exception est faite
pour les indigènes immatriculés auxquels s’applique, en vertu d’une présomption
de civilisation, le Droit écrit congolais » 2627 . Pour l’ordre public, le tribunal
première instance d’Elisabethville précise que « l’ordre public qui s’oppose à
l’application des coutumes indigènes est l’ordre public international, et non
l’ordre public interne du Droit écrit congolais »27.
Aussi l’article 1 de l’ordonnance de l’administrateur général au Congo du 14
mai 1886 dispose : « Quand la matière n’est pas prévue par un décret, un arrêté
ou une ordonnance déjà promulguées, les contestations qui sont de la compétence
des tribunaux du Congo seront jugées d’après les coutumes locales, les principes
généraux du Droit et l’équité ».
Toujours au sujet de la limitation du champ d’application de la coutume au
contact du Droit occidental, Sohier conseille une certaine prudence dans la
démarche. « Il ne faut pas nécessairement, écrit-il, pour échapper à des usages
rétrogrades et incompatibles avec nos idées civilisées, s’empresser de légiférer,

25
Léo, 3 mars 1942, R.J.C.B, p.138
26
Elis, 24 avril 1934, R.J.C.B, p.85
27 ère
Inst. Elis, 8 octobre 1913, Jur. Congo 1921, p.321.
16

une solution en rapport avec la mentalité indigène pouvant être espérée de la libre
évolution de la coutume, s’en dégageant déjà souvent ; qu’enfin cette évolution
peut même être attendue des organes législatifs indigènes généralement
subsistants et que nous pouvons conseiller, mais avec beaucoup de prudence et
toujours en nous inspirant nous-mêmes de l’esprit des coutumes »28.
Néanmoins, on peut retenir que, malgré les contradictions ap-
parentes, il n’y a pas de cloisons étanches entre les deux systèmes, à force de se
côtoyer, ils ont engendré un métissage, un Droit nouveau, dit Droit évolué.

3. Période postcoloniale
Au lendemain de l’accession du Congo à l’indépendance il a été décidé de revoir,
de repenser son système juridique, legs du pouvoir colonial. Cette remise en
question touche à toutes les branches du Droit, Droit civil, Droit judiciaire, etc.
le but poursuivi est de créer un type de Droit nouveau, un Droit reflétant la vie
moderne, un Droit sans parti pris, un Droit qui tient compte des réalités sociales.
Bref un Droit métissé, synthèse de ces deux systèmes.
Notre cours est subdivisé en deux titres, le Droit Privé et le
Droit Public.

28
Sohier, Le mariage en Droit coutumier congolais, BJL, 1946, n°7, p.198
17

TITRE 1 : LE DROIT COUTUMIER PRIVE

Rappelons que le Droit coutumier privé est l’ensemble des usages, des pratiques
qui organisent et sanctionnent les relations entre les personnes privées. Il régit
les rapports entre les particuliers, lesquels rapports concernent les intérêts
personnels ; il règle la vie privée des citoyens, leurs liens de famille et leurs
rapports d’affaires.
Nous nous proposons d’étudier sous cette rubrique les per-
sonnes et la famille, les biens, les obligations, les successions, les règles relatives
aux activités commerciales.

CHAPITRE 1 : LE DROIT CIVIL


SECTION 1 : LES PERSONNES ET LA FAMILLE
Nous estimons que le Droit des personnes et de la famille est un tout
indissociable. D’où son analyse sous une seule et même rubrique.
Dans ce sens, l’exposé des motifs du code de la famille souligne que ce code a
pour but d’unifier et d’adapter les règles touchant au Droits de la personne et de
la famille à la mentalité congolaise. Le législateur a voulu innover et adopter la
terminologie « code de la famille » au lieu de « code des personnes » en se
fondant sur une double raison.
La première raison, dit-il, est d’ordre socio-philosophique. En effet, dans la
conception congolaise authentique (traditionnelle) de la vie, les êtres humains
sont solidaires et vivent en communauté ou en famille.
Il enchaîne que l’individu ne peut réaliser pleinement sa per-
sonnalité qu’au sein du groupe social dans lequel il vit et ce, contrairement à la
conception socio-philosophique occidentale qui accorde priorité à l’individu.
La deuxième raison réside dans le fait que de tous les domaines des
personnes physiques, sujets de droits civils, le domaine de la famille est celui
dans lequel le législateur congolais a le plus apporté d’innovations dictées par
le recours à l’authenticité.
18

Nous traiterons successivement de la personnalité juridique, de l’identification


des personnes physiques et du mariage.
§1. La personnalité juridique et l’appartenance à une parentèle
1. La structure de la famille
La famille se présente sous diverses formes, à savoir : le foyer, la parentèle et le
clan.
A. Le foyer
Le foyer est une famille restreinte, nucléaire, atomique, composée du père, de la
mère et de leurs enfants mineurs. C’est une famille au sens occidental.
Ses membres ne jouent pas un rôle important en dehors du grand groupe. Leur
rôle est noyé dans la parentèle. Le rôle de chaque membre est déterminé en
fonction du système parental, patriarcat ou matriarcat. D’une manière générale,
on peut dire qu’à ce niveau, le rôle prépondérant revient au chef du ménage, au
mari, au père.
Le mari est le chef du foyer ; il doit protection à sa femme et à ses enfants ; il
gère les biens du foyer et assure son entretien. En somme, on peut dire que, dans
la hiérarchie familiale, le foyer joue un rôle secondaire par rapport à la parentèle
et au clan29.
B. La parentèle
Ici, le mot « parentèle » est synonyme du mot « famille » au sens large. Dans la
conception traditionnelle, la famille peut être définie de plusieurs manières.
Selon Delafasse, « la famille globale comprend tous les descendants vivants de
la famille réduite primitive ou tout au moins tous ceux de ses descendants qui ne
sont pas trop éloignés par le temps et par l’espace, de leur ancêtre pour avoir
oublié les liens de parenté qu’ils doivent à une souche commune. Dans la
pratique, une famille globale se compose en général de quatre générations : le
chef de famille ou patriarche et ses frères et cousins, leurs enfants et petits enfants
de ceux-ci… son chef, avec des tempéraments sans grande importance, le plus
ancien de tous les membres de la famille »30. Dans la famille, on trouve, sous
l‘autorité du chef des personnes unies par le sang ou par alliance (les descendants,
les ascendants, les collatéraux, les conjoints et alliés) et toutes personnes vivant
au foyer.
Alfred Ramangasoavina définit la famille comme l’ensemble des descendants
d’un même ancêtre historiquement connu, dont au peut établir une généalogie et

29
- Dekkers, R., op.cit, n°19, .13
- Verbeken A., Etude sur le mariage coutumier chez les bantu, B.J.I, 1945, p.169.
30
Delafasse, le haut Sénégal, Niger, t III, p.94.
19

grouper autour d’un tombeau commun. Il s’ensuit que l’individu appartient à la


fois au lignage de son père et au lignage de sa mère31.
Pour Thomas L.V, « la famille au sens large, se définit comme l’ensemble des
personnes issues d’un commun ancêtre vivant, rassemblées en un même lieu,
généralement la concession, soumises au même chef, le plus âgé de la génération
aînée (père ou oncle utérin), responsable de la vie économique (il est gestionnaire
des biens collectifs), de l’équilibre politique (il détient l’autorité et règle les
conflits) et en milieu animiste, du culte voué aux puissances telluriques ou aux
mânes ancestraux dont il est le père » 32.
A ce propos, René Dekkers « enchaîne qu’au commencement de la parentèle
était le père, origine du groupement. Celui-ci exigeait une grande cohésion car,
dans la forêt ou dans les plaines, il était en butte à mile dangers, nature sévère,
voisins hostiles. Il n’y avait pas pace pour l’homme isolé. Non moins redoutables
étaient les forces invisibles. Dieu qu’il fallait implorer, les esprits qu’il fallait
conjurer. Le père a donc dû exercer une autorité toute puissante aux points de
vue les plus divers : prêtre, sacrificateur, il dirige les travaux, commande les
jeunes gens en milice guerrière quand la sécurité commune exige qu’on prenne
les armes, rend justice. Semence de tout, guide indispensable, il prend un
caractère sacré ; tout lui appartient, les êtres et les choses. Théoriquement, toutes
les femmes sont ses femmes, tous les enfants sont des enfants. Il peut disposer
de la vie et des biens de tous ; il est tout puissant : c’est le « Paternat »33. L’auteur
poursuit : « Société incomplète, généralement isolée, devant assurer elle-même
son existence, la parentèle est un véritable petit Etat. Elle a son patrimoine, sa
justice, sa milice ; elle constitue une mutualité : ses membres se doivent
assistance en tant que frères. Elle est une coopérative : certains travaux,
défrichements, constructions routes, chasses se font obligatoirement en commun
»34.
Néanmoins, il faut souligner que la parentèle n’est pas un régime exclusivement
communautaire, car chaque membre, en dehors des obligations collectives,
demeure maître de sa petite propriété personnelle et de sa liberté.
D’après Verbeken 35 , « la famille est un groupe domestique, plus étendu,
spécialisé, hiérarchisé, mais c’est aussi un groupe social de parents liés entre eux
par la communauté de nom, de culte, de sang ». Les membres de la famille, les

31
Ramangasoavina, op.cit, p.202.
32
Thomas L.V, La parenté au Sénégal, Droit de la famille en Afrique, p.39.
33
Dekkers R., op.cit, p.15
34
Idem, p.17
35
Verbeken, op.cit, p.169.
20

parents par le sang ou par alliance, ont, les uns vis-à-vis des autres, des Droits et
des obligations (respect, entraide, prestations économiques, alimentaires).
Au-dessus de la famille trône le clan36.
C. Le clan
Le clan est une forme encore plus large de famille. Il est l’ensemble de tous les
descendants, par filiation maternelle ou paternelle, d’un ancêtre commun, et qui
porte le nom de la collectivité ; il comprend tous les membres des deux sexes,
vivants et morts, qui ont reçu le sang de l’ancêtre.
Les membres du clan tiennent leur parenté de l’ancêtre éponyme dont la
descendance est symbolisée par la communauté de Totem, véhiculé par le sang.
Dès lors, la parenté est fondée sur les relations de consanguinité bien déterminées
; elle se transmet par filiation utérine ou masculine, l’enfant appartenant au clan
de la mère dans le matriarcat ou au clan du père dans le patriarcat.
Au sein du clan, les parents (membres) tiennent des droits et des obligations
encore plus complexes et plus importants. A ce sujet, Smith et Dale, cités par
Verbeken37, écrivaient : « le clan est une société naturelle de secours mutuel, dont
les membres sont tenus de donner, à tous les compagnons, toute l’aide qu’ils
peuvent dans la vie ; les membres d’un même clan sont aussi, s’il est permis
d’employer l’expression de la Bible, les membres les uns des auteurs ; un
membre appartient à son clan, il n’appartient pas à son clan, il n’appartient pas à
lui-même ».
Que faut-il déduire de l’analyse de la structure familiale en ce qui concerne
l’institution de la personnalité juridique des membres de la famille ? Quelle est
la place de l’individu au sein de sa famille ?
D’après la majorité des auteurs38, l’individu n’existe pas dans la famille
traditionnelle. Pour eux, la famille, groupée sous l’autorité d’un chef (le
patriarche) est le seul sujet de Droits et d’obligations ; l’individu y disparaît
complètement, absorbé par l’archétype du totem ou de l’ancêtre légendaire ; il
appartient à la fois au lignage de son père et au lignage de sa mère.
Dès lors que le groupe familial le plus vivant, le plus réel, est constitué par le
lignage et que l’individu n’est qu’un maillon de cette longue chaîne, l’épouse
peut partir sans briser la chaîne, sans porter atteinte à l’homogénéité du groupe.

36
En fait, la structure familiale hiérarchisée se présente crescendo ainsi : foyer, parentèle, clan, tribu et
ethnie.
37
Verbeken, op.cit, p.169. 38
- Dekkers, op.cit, p.15
- Verbeken, op.cit, p.169.
- Ramangasoavina, Le Droit de la famille à Madagascar, pp.203-205.
21

Le révérend Willoughby, cité par Verbeken estime :


« Quand on étudie les institutions des bantous, il est néces-
saire, pour commencer, de se défaire de notre idée de l’individu… Les droits et
les devoirs d’un homme naissent avec lui, conditionnés qu’ils sont par son rang
dans la famille et par le rang de sa famille dans la tribu… Tout cela veut dire que
dans la société bantoue, l’individu n’existe pas. L’unité est la famille »38.
Mais cette affirmation ne signifie pas que l’individu, la personne physique, est
dépourvu de la personnalité juridique ; il est sujet de droits et d’obligations. Il y
a même lieu d’affirmer que cette personnalité commence

38
Verbeken, op.cit, p.167
22

parfois avant la conception ou la naissance de la personne. Notre Droit


traditionnel rejoint ici l’idée de fiction du Droit romain qui assimile l’enfant tout
simplement conçu à l’enfant né.
L’on peut soutenir qu’il va au-delà de l’imagination romaine, ne ce sens qu’il
prévoit cette personnalité pour les enfants non encore conçus. Nous tirons cette
conviction du domaine des fiançailles. En effet, il n’est pas rare de constater que
dans certaines coutumes, les fiançailles se forment parfois avant la conception
ou la naissance de l’enfant (fille) dans la famille39. La femme peut être mariée
dès sa naissance, sans qu’il soit nécessaire qu’elle donne son consentement ; cela
prouve à suffisance qu’en Droit coutumier, le mariage est l’affaire des deux
familles et non des futurs époux.
En principe, l’individu a, à la fois, la capacité juridique de jouissance et la
capacité juridique d’exercice. Mais en pratique, sa capacité d’exercice est
limitée, du fait que l’exercice de ses Droits importants (acquisition ou aliénation
de la propriété foncière, immobilière, du gros bétail, des grandes récoltes, le Droit
de chasse collective, entretien des rapports interclaniques, etc.) est dévolu au
paterfamilias, l’intéressé ne s’occupant que de ses affaires mineures,
domestiques (entretien de son foyer, de sa femme, de ses enfants mineurs).
Son statut juridique dépend également de sa position dans la hiérarchie sociale
car la société traditionnelle est fort stratifiée ; il y a des classes sociales : les
nobles, les hommes libres, les esclaves, les étrangers, les femmes, les otages, les
clients, etc.40. Ces classes sociales ne sont pas égalitaires. Aussi, le rôle, les Droits
et l’exercice de ces Droits pour chaque individu varient, en importance, d’une
clase à une autre.
Au bas de l’échelle, il y a l’esclave sur le plan juridique. Sur le plan juridique,
l’esclave n’est pas considéré comme une personne, mais comme une chose, un
objet. Il faut noter que dans la société ancienne, l’esclavage était purement
domestique, en ce que l’esclave fait partie de la maison du maître ; il peut habiter
avec celui-ci comme serviteur ou rester aux champs comme cultivateur. Il ne
peut pas être titulaire de droits sur les personnes, même sur ses propres enfants
qui demeurent la propriété exclusive de la communauté ou du Maître ; il n’a
même pas à percevoir la dot de sa fille. En tant qu’objet, l’esclave pouvait être
vendu, sacrifié en offrande aux mânes des ancêtres ou enterré vivant avec son

39
- Sohier J., op.cit, CEPSI, 1963, n°62, p.71.
- Dethier, Notes sur institutions et coutumes Mongo, p.179
40
Sohier, , BJI, n°9, pp.304-306
op.cit
23

maître. Enfin, les droits du Maître sont ceux du propriétaire : il peut librement
user de sa chose, et même supprimer s’il le désire. L’esclavage était considéré
comme une situation dégradante. Traiter quelqu’un d’esclavage était une injure
grave. Le mari qui dans le feu de la colère, aurait ainsi qualifié son épouse,
l’aurait immédiatement vu partir, rejoindre sa parentèle pour affirmer son
indépendance.
L’esclavage congolais, domestique, ne doit pas être confondu avec l’esclavage
à grande échelle pratiqué par les négriers métis portugais et arabes, en vue de la
traite, du trafic avec ses expéditions, de rapt, ses rapines et ses atrocités41.
Soulignons enfin qu’on devenait esclave par la naissance, la conquête, et le rapt
ou l’achat. Mais source principale de l’esclavage était le rapt au cours d’une
guerre.
Au sommet de la pyramide des classes sociales au trône la no-
blesse au sein de laquelle évolue l’homme libre. Et à ce sujet Possoz42 écrit : «
l’homme libre, homme du commun ou de classe noble, s’il n’est pas chef de
famille, se trouve toujours dans un état d’incapacité, de dépendance visà-vis de
son groupe familial. Cette dépendance dure toute la vie, le Droit indigène ne
connaît ni majorité ni l’émancipation : c’est à l’égard de l’ancien. A l’égard de
tous ceux qui ont juridiquement Droit au titre de père ; il ne s’agit pas à
proprement parler des aînés, mais des membres de la génération précédente. A
cela, il faut ajouter les Droits spéciaux de certains parents tels cousins, oncles,
beaux-parents, lesquels ont Droit à l’obéissance, au respect, à l’aide et à
l’assistance. Les devoirs à l’égard de chacun sont multiples et très nuancés dans
la famille indigène. Les degrés de parentés sont très nettement différenciés et il
existe des noms spéciaux pour les distinguer. Les privilèges de l’aristocratie sont
généralement de nature politique et fiscale. Les principales dignités qui lui sont
réservées.
Si les droits du père sont théoriquement illimités, ils sont cependant restreints par
la notion même de paternité qui ne permet de les exercer que dans l’intérêt
égoïste du père. Ces Droits sont devoirs : la puissance paternelle est une
puissance tutélaire, protectrice. Ce que l’homme perd en indépendance, il le
regagne en protection et le Droit de coopérative de la communauté familiale ».
La noblesse a préséance et Droit à des marques de respect. Il existe à cet effet
certains insignes pour marquer son rang qu’on ne peut pas usurper sous peine de

41
Dekkers R., op.cit, p.28.
42
Possoz, , BJI, n°10, p.306.
op.cit
24

sanctions : peaux, bâton de commandement, coiffures, clochettes, chasse-


mouches, dents de léopard, anneaux, colliers en perles, etc.
Il convient d’épingler également la position sociale de la femme dans la société
indigène. D’une manière générale, il y a lieu d’attester que la femme apparaît en
Droit coutumier comme presque l’égale de l’homme. Son consentement est
toujours nécessaire pour tous les actes essentiels qui la concernent. Elle a Droit
de propriété et Droit de disposition de ses biens au même titre que l’homme. En
tant que mère, elle a Droit au respect, à l’aide et à l’obéissance de ses enfants. En
ce qui concerne la capacité d’exercice de ses Droits, il y a lieu de soutenir que sa
situation ne diffère en rien de celle de l’homme, en ce sens qu’elle reste mineure
toute sa vie en dépendant de ses pères juridiques43.
Sur le plan politique, nous pouvons dire que l’incapacité de la femme n’est pas
absolue, du fait qu’elle peut exercer certaines fonctions normalement réservées
aux hommes. De fois, il lui arrive d’accéder à toutes les dignités en cas d’absence
de titulaire mâle. Il n’est pas rare de voir les

43
Sohier, , p.306.
op.cit
25

femmes diriger les groupements, surtout dans le système matriarcal. Lorsqu’elle


est mère du souverain, elle joue le rôle de conseillère.
Nous pouvons aussi mentionner le cas des otages. Ceux-ci font partie de la classe
intermédiaire. Il s’agit d’une personne remise à un groupe comme gage d’une
dette. Cette personne doit son travail ; elle n’a pas la liberté de mouvement. Il
peut arriver que le créancier vende cet otage auquel cas celui-ci change de statut
et devient esclave. Autrement, il demeure homme libre. Mais, il occupe une
position inférieure dans le groupe auquel il est rattaché ; il a moins de Droits que
les enfants du sang ; il doit à son patron (créancier) des tributs et des corvées.
Enfin, il y a le statut de l‘étranger. En principe, un étranger qui séjourne dans un
groupement n’y exerce aucun droit, car tous les droits sont basés sur les liens de
paternité et de fraternité. Mais en fait, la situation est atténuée par les usages
d’hospitalité, de paiement de tributs et des Droits de passage au Chef du
groupement. En contrepartie, le Chef lui assure la protection et la situation égale
à celle des autochtones à telle enseigne qu’il finit par s’établir les liens solides de
paternité artificielle qui, au fil du temps, s’estompe et se métamorphose, se mue
en parenté naturelle. Et il n’est pas surprenant de voir aujourd’hui, ces étrangers
devenir Chefs de ces anciens groupements après avoir évincé leurs anciens hôtes
et protecteurs.
En somme, on retiendra que dans la société traditionnelle con-
golaise, l’individu, l’homme libre, dispose de ses capacités de jouissance et
d’exercice, tout en notant que la dernière est limitée ; elle est essentiellement
dévolue à la collectivité. L’intérêt individuel s’efface devant l’intérêt collectif.
2. L’identification des personnes physiques
Nous traiterons ici du nom et de la résidence.
A. Le nom
1°. Notions
Rappelons que de tout temps, l’humanité n’a cessé d’accorder une vertu
particulière au nom, lequel est considéré comme l’ombre, l’image et de la
personne fait partie intégrante de son être ; le nom apparaît comme une modalité
de la parole et se trouve englobé dans la même symbolique ; il n’est pas
seulement qualité, mais substance ; il n’est pas simple attribut, mais connote
l’être tout entier44.
La tradition attache une importance spéciale au nom. Le nom intègre l’individu
dans l’union de la famille terrestre, visible et ancestrale, invisible ; il fait de lui
un membre d’une communauté, et l’identifie en lui reconnaissant une identité

44
Mulumba K., op.cit, p.214.
26

propre au sein de la société. Il y a là le rôle des rites de naissance ; en outre, il


existe des initiations de passage de l’âge de puberté à l’âge adulte où le nouveau
nom symbolise le nouveau statut social, la renaissance de l’individu.
Selon Anastase, « le nom tient une place énorme dans la culture bantoue ; par la
philosophie qu’il contient, par le sens qu’il révèle, nous pouvons arriver à
comprendre l’âme d’un peuple, son climat social et jusqu’à son intime
responsabilité »45.
De son côté, Temples considère le nom comme le premier des critères généraux
définissant l’individu46. Le nom, dit-il, exprime la nature individuelle de l’être ;
il n’est pas une simple étiquette, c’est la réalité même de l’individu. Au sujet du
nombre des noms que peut porter le muntu, l’auteur distingue trois sortes de
noms, à savoir le nom intérieur, de vie ou d’être, le nom donné à l’occasion d’un
accroissement de force et le nom extérieur ou pseudonyme. Le premier nom ne
se perd jamais ; vital et immuable, il indique l’individualité ontologique de l’être
; pour les bantus, poursuit-il, l’homme n’apparaît jamais comme un individu
isolé, comme une substance indépendante ; tout homme, tout individu est un
chaînon de forces vitales, un chaînon vivant, actif et passif, rattaché par le haut
l’enchaînement de sa lignée ascendante et soutenant la lignée de sa descendance.
Chaque accroissement de vie (circoncision, puberté, intronisation, investiture)
entraîne dans la plupart des clans, un changement du nom. C’est ainsi que le chef
doit d’habitude abandonner son nom personnel pour porter désormais celui de
chef.
2°. Origines du nom
D’abord, il faut noter que la société traditionnelle ignorait le port du nom
patronymique de type occidental ; elle ne connaît que le port du nom individuel.
Les origines des noms sont très diverses ; elles sont d’inspiration profane
ou religieuse : croyances, superstitutions, naissances difficiles, guerres, famine,
mort, patriotisme, amitié, reconnaissance, initiations, métempsycose, croissance
vitale, sexe, etc.
Il arrive que le sentiment patriotique se révèle par choix d’un nom jadis porté
par un personnage historique, célèbre de sa famille élargie. Il en est ainsi
lorsqu’on donne à son enfant le nom de son grand-père ou d’un ancêtre ; pareil
choix marque l’attachement familial.
Le choix d’un nom est parfois motivé par les circonstances qui ont précédé ou
accompagné la naissance. C’est le cas des noms faisant allusion aux conditions

45
Anastase, Le nom et ses implications dans la culture bantoue, servir 1961, pp.129-135.
46
Temples, La philosophie bantoue, pp.65-76.
27

physiques, des noms donnés à un enfant dont les frères ou sœurs sont morts en
bas-âge, des noms rappelant les rapports entre le père et la mère ou des noms
faisant allusion à un décès récemment survenu dans la famille.
Il y a aussi des noms traduisant tout simplement la joie des parents ou
paterfamilias. D’après la culture congolaise, la maternité consolide et assure le
mariage ; elle donne à la femme l’estime de sa belle-famille et lui assure une
grande considération sociale ; aussi une mère n’hésite-elle pas à choisir un nom
susceptible d’exprimer ses prières, sa joie, sa reconnaissance aux dieux, aux
ancêtres qui lui ont apporté cet enfant. De même, le patriarche du clan se réjouit
chaque fois que celui-ci augmente d’unité, car cela lui permet de faire face aux
travaux de champs et aux multiples dangers guettant son territoire, tels les
guerres, la famine, etc. ; il imposera ainsi à un nouveau-né un nom qui traduirait
mieux ses sentiments et désir de voir son groupe s’agrandir, uni et puissant.
D’autres noms sont totémiques. D’une manière générale, chaque clan possède
son totem, un animal considéré comme l’ancêtre dont on descend ou dans lequel
on se réincarne après la mort et honoré à ce titre ; cet animal devient un tabou ;
on ne lui pourra aucun mal, ni le manger, sous peine de connaître un mauvais
sort ou de contracter une maladie incurable ; il arrive qu’on donne le nom de ce
totem au nouveau-né.
Il existe également des noms imposés, en ce que les parents n’ont pas de choix.
L’enfant doit obligatoirement porter ce nom ; c’est notamment le cas des
jumeaux, des noms désignant le rang de naissance, de ceux faisant allusion aux
événements qui ont précédé ou accompagné l’accouchement (Kongo, luba, lulua,
sakata, yansi, luntu, kete, kuba shi, lega, leele, etc.).
Il en est de même de la métempsycose. Au sens classique, la métempsycose
signifie la transmigration des âmes d’un corps dans un autre ; pour les croyances
bantoues, les morts peuvent renaître, en ce sens que les ancêtres prédécédés du
clan peuvent être conçus dans le sein des vivants et venir de nouveau participer
à la vie sociale. On attribue cette conception à l’influence de la force vitale d’un
défunt sur la progéniture 47 . Il y a conviction que l’ancêtre défunt reprend
réellement la vie dans le sein d’une femme par l’influence divine : songes, pleurs,
cicatrices portées par l’intéressé de son vivant. Le port de son nom est
obligatoire.
L’on peut également ajouter l’homonymie. Celle-ci est normalement une
marque de reconnaissance ou de sympathie envers les personnes qu’on aime ; il
est de coutume que les parents donnent à leur enfant le nom de leur meilleur ami

47
Tempels, op.cit, p.68.
28

ou d’un bienfaiteur ; il en résulte des Droits et obligations comparables à ceux


naissant de parrainage ou du parrainage48.
Il y a, enfin, le nom dynastique. Seule la famille royale possède un nom
héréditaire, transmissible uniquement aux descendants appelés à devenir chef, à
monter au trône ; le jour de son intronisation, le nouveau chef se débarrasse de
son nom (le met entre parenthèse) ancien pour recevoir le nom dynastique.
Somme toute, les noms congolais sont d’une diversité très riche. Mais quelles
en sont les caractéristiques essentielles ?
3°. Caractères du nom
L’on note que la société traditionnelle dégage les caractéristiques des noms des
personnes physiques de leur multiplicité, de la liberté illimitée de leur choix et
de leur signification. On peut retenir respectivement le caractère magique,
variable, inaliénable et intransmissible.
a. Nom magico-religieux
Toute la vie du muntu est imprégnée du Droit sacré profondément croyant, le
muntu prête à la nature matérielle et, par surcroît, au monde invisible une volonté
constante de sanctionner la méconduite des hommes. Aussi s’efforce-t-il, tant
qu’il peut, de se conformer aux lois divines et aux divers interdits sociaux ; il se
préoccupe de se prémunir contre le mauvais sort ; il apaise ainsi les esprits par la
pratique de nombreux rites. La conviction du pouvoir magique du nom se
manifeste, se concrétise surtout dans le cérémonial dont est entourée l’attribution
du nom, laquelle attribution est couronnée par un sacrifice ou une offrande aux
mânes des ancêtres ; d’où appel aux prêtres ou aux devins pour déceler le pouvoir
et l’efficacité des noms.
Le caractère mystique des noms contribue, dans une certaine mesure, à leur
instabilité en ce qu’un individu peut facilement se débarrasser de son nom dès
lors qu’il constate que celui-ci lui est défavorable, c'està-dire qu’il a un effet
maléfique.
b. Nom instable
Nul doute que la liberté de changer de nom est total dans notre système
anthroponymique, du fait que toute personne a la faculté de modifier son nom
autant de fois qu’elle désire ; puisque l’individu s’identifie avec son nom, il est
normal qu’il change de nom lorsqu’il s’opère en lui un changement et ce, à
n’importe quelle étape de sa vie ; l’être renouvelé et renforcé doit porter un

48
Mulumba Katchy, op.cit, p.221
29

nouveau nom49. Les raisons de ce changement sont donc d’ordre sociologique


ou magique.
Il y a cependant une exception à noter ; c’est notamment le cas des noms
ancestraux, des noms dynastiques et des noms symboliques. Ces noms
demeurent immutables, car la violation de la règle risque de provoquer la
vengeance divine.
c. Nom inaliénable
Dans notre société traditionnelle, chacun est convaincu que l’individu et son
nom forment un tout indissociable ; ce nom reste son signe permanent, son
image, la copie la plus fidèle de sa personnalité ; cette conviction se concrétise
mieux dans le choix et l’attribution des noms symboliques. Il ressort de cette
conception que chacun n’aliène pas son nom, n’en dispose à quel titre que cet
soit, exception faite de l’homonymie. Même dans cette hypothèse, on ne peut pas
parler de l’aliénabilité du nom, mais plutôt du « dédoublement du nom », titulaire
ayant décidé d’en partager l’usage avec une autre personne, homonyme 50 .
Chacun est persuadé que son nom reste le sien, qu’il ne peut ni le céder à un
autre, ni en perdre définitivement l’usage.
d. Nom intransmissible
Le nom du père ne se transmet pas impérieusement, automatiquement à sa
descendance ; chacun porte un nom individuel.
Néanmoins, il se peut qu’un enfant porte le même nom que son père ; ce choix
peut être voulu par le père ou un simple effet du hasard ; rien d’anormal, du fait
qu’aucune règle ne l’interdit.
On pourrait objecter que les noms claniques sont transmissibles. La réponse nous
paraît simple. Les noms claniques sont certes héréditaires, en ce qu’ils sont
souvent repris à des ancêtres ; cependant, la transmission n’est ni continue, ni
automatique ; elle se produit plutôt périodiquement ; ces noms sont cycliques ;
ils alternent selon les générations. D’ailleurs, Vanisna est de notre avis lorsqu’il
atteste qu’un enfant ne prend jamais le nom d’une personne de la génération des
ses parents, mais de la génération de ses grands parent51.
Toutefois, il y a lieu de noter une dérogation à cette règle pour ce qui concerne
le nom dynastique, lequel se transmet uniquement aux descendants qui montent
au trône, les autres se contentant d’un nom individuel.

49
Tempels, op.cit, p.70
50
Mulumba K., op.cit, p.241
51
Vansina, Noms personnels et structure sociale chez les Tyo, p.797.
30

4°. Attribution du nom


Etant donné que les noms sont nombreux et variés, on peut se permettre le luxe
de choisir autant de noms qu’on veut. Aussi voit-on dans nos villages un seul
individu porter plusieurs noms, lesquels peuvent être groupés en trois catégories
: noms claniques ou ancestraux, noms rituels ou circonstanciels, noms
individuels.
La catégorie des noms claniques renferme les noms spécifiques d’un groupe
déterminé ; il s’agit des noms jadis portés par les ancêtres du clan qui se
choisissent normalement à la naissance d’un enfant dans la famille (lula, luba-
kasaï). Leur choix s’opère parfois avant la naissance de l’enfant.
La catégorie des noms rituels est la plus fournie et la plus diversifiée ; elle
englobe tous les noms résultant des circonstances ayant précédé, accompagné ou
suivi la naissance ; ces noms initiatiques marquent surtout l’accession à la
hiérarchie sociale (luba-kasaï, luba-katanga, lulua, lunda, tshokwe, kongo,
kundomongo, tetela-kusu, ngbandi, nombe, lega, nanade, hemba, etc.).
Les noms individuels se rapprochent des noms circonstanciels, en ce qu’ils
signifient souvent le bonheur ou le malheur connus par la famille dont l’enfant
est issu ; ils font en général allusion aux traits physiques ou moraux de leurs
titulaires ; ils s’attribuent à n’importe quel moment de la vie et tendent parfois à
supplanter les noms claniques reçus à la naissance.
Mais comment s’attribuent-ils ?
Dès qu’un enfant naît dans un foyer, ses père et mère se réu-
nissent pour délibérer dans le genre de nom à donner à leur descendant ; le nom
une fois trouvé, il est proposé aux autres membres de la famille pour approbation
; s’il est adopté, il est attribué au nouveau-né. Ce sera son nom usuel, officiel de
naissance qu’il devra porter dans sa vie courante. Parfois, c’est le chef du clan
qui choisit et attribue d’office le nom à l’enfant. Tout cela suppose que l’enfant
est né dans les circonstances normales.
Lorsque les circonstances qui ont entouré la naissance sont ex-
traordinaires et mystérieuses, le rôle des père et mère s’efface devant celui du
patriarche du clan. Nous songeons ici aux jumeaux, à la métempsycose, aux
grossesses sans menstrues, aux enfants venus par les pieds. On fait appel au
paterfamilias pour nommer le nouveau-né, car il est censé connaître le secret des
noms. Cette cérémonie est entourée d’innombrables rites.
De fois, l’enfant reçoit son nom, en dehors du choix des père et mère ou du
paterfamilias, d’un parent éloigné ou d’une personne étrangère à la famille
étendue. En effet, il n’est pas rare de voir un quidam exiger que l’enfant porte
son nom, du seul fait que celui-ci est, par exemple, beau. Souvent, ce nom passe
31

sans difficultés, car les parents considèrent ce geste d’un étranger comme une
marque des sympathies à leur égard.
Pour un enfant né hors mariage non reconnu, le Droit de choi-
sir et d’attribuer le nom à l’enfant revient exclusivement à la mère et à son clan.
En un mot, on peut dire que les parents et le clan jouissant d’une grande liberté
en matière de choix et d’attribution du nom.
B. La résidence
La résidence constitue un autre élément important en matière de repère,
d’identification de l’individu.
Rappelons que la résidence est le lieu où une personne à sa demeure habituelle ;
elle est le lieu où une personne est censée se trouver à tout moment ; elle peut
être à la fois sa résidence et son domicile. Il faut souligner que la résidence peut
être multiple, en ce sens qu’une personne peut avoir plusieurs résidences.
La fixation de la résidence est en principe dictée par la solidarité clanique, à tel
point que l’individu est obligé d’établir sa résidence au sein du clan, à l’intérieur
du village.
La résidence du couple est un élément capital pour saisir la structure de parenté.
Elle peut prendre diverses formes :
• Patrilocale, lorsque les époux habitent au même lieu que la famille
paternelle de l’époux ;
• Matrilocale, lorsque le couple réside au même lieu que la famille
maternelle de l’épouse ;
• Avunculocale, si le couple se fixe au même lieu que l’oncle maternel du
mari ;
• Virilocale, quand les époux habitent au lieu de la résidence du mari, dans
l’hypothèse où celui-ci vivait séparé de sa famille ;
• Uxorilocale, lorsque les conjoints habitent au lieu de la résidence de
l’épouse avant le mariage, si elle vivait séparée de sa famille ;
• Bilocale, concerne la résidence au choix dans la famille de l’époux ou dans
celle de l’épouse.
Il convient de signaler que la patrilocalité demeure la résidence coutumière la
plus fréquente52.
§2. Le mariage
Sous cette rubrique, nous allons parler respectivement des no-
tions, des fiançailles, des sortes, des conditions de formation et des effets du
mariage.

52
L. V. Thomas, op.cit, p.43
32

I. Les notions
Grootaert définit le mariage des indigènes comme « une fonction organique du
clan ou de la horde ; partant, le mariage est conclu entre hordes ; c’est un pacte
ou alliance d’amitié, les époux se bornant à consentir »53. Par le mariage, poursuit
l’auteur, les deux hordes se lient, l’une a lié en mariage un homme, l’autre a lié
en mariage une femme. Le but principal recherché par les hordes est
l’agrandissement ordonné, ou l’accroissement à force de l’ensemble du groupe
formé par les deux hordes qui s’engagent. Cette union revêt une double
importance : une importance pour la communauté familiale et une importance
individuelle pour les époux. Les époux demeurent dans l’ensemble, comme dans
tant d’autres activités de la société indigène, les organes actifs, les exécutants du
contrat qui contribuent organiquement à l’achèvement des buts des communautés
à base familiale dont ils font partie intégrante, organique et coactive.
Pour Dethier54, le mariage est un contrat interclanique conclu, parfois devant les
témoins entre les parties par le truchement des représentants qualifiés de leurs
clans respectifs et qui a comme preuve un titre constitué par les membres de la
famille du futur époux et remis solennellement au père juridique de la femme.
Cependant, souligne l’auteur, la conclusion de l’union définitive reste
subordonnée au consentement de la femme, lequel sera toujours exprimé lors de
sa maturité ; autrement ; il y aura rupture automatique de l’alliance projetée des
clans et la restitution intégrale des valeurs déjà versées.
D’après verbeken56, le mariage n’est pas une affaire indivi-
duelle, mais une affaire de la communauté, une sorte de contrat entre deux
groupes : famille de l’homme et celle de la femme ; l’un perd un de ses membres,
l’autre en gagne un ; pour se prémunir contre cette diminution injustifiée, le
premier groupe exige une compensation que le second verse sous forme de dot,
bœufs, houes, argent, etc. Bref, le mariage n’est pas seulement un contrat de
l’alliance entre deux groupes de famille ; il est aussi la consécration de l’union
sexuelle des époux.
Keba M’baye55 déclare que le mariage crée la famille ; qu’il est source de la
parenté et que la famille et la parenté engendrent des Droits et des obligations à
caractères à la fois privés et publics ; il poursuit qu’en Afrique, le mariage n’est
pas un contrat entre deux individus mais un pacte souscrit par deux familles,

53
Grootaert, problème et programmes congoalis, BJI, 1947, n°2, p.58.
54
Dethier F.M., Notes sur les institutions et coutumes judiciaires, Nkundu-Mongo, DJI, 1945, p.159.
56
Verbeken A., op.cit, p.173
55
Keba M., op.cit, p…
33

pacte par lequel l’épouse peut entre dans la famille de son mari ou, simplement
rester une alliée.
Enfin, Sohier 56 estime que « le mariage du Droit coutumier congolais est la
combinaison d’un contrat entre deux personnes de sexes différents, créant entre
elles une société de vie, des droits, et des devoirs réciproques, et d’un contrat
entre parentèles rendant cette union opposable aux groupes, lui assurant leur
appui et légitimant les enfants.
En un mot, on peut affirmer qu’en Droit coutumier, les époux ne sont pas deux
individus isolés ; chacun continue à faire partie de son groupe, avec toute la
solidarité, toute la protection assurées généralement aux membres de famille.
Il faut noter que cette conception traditionnelle du mariage est en train d’évoluer,
suite à l’évolution de la société moderne et aux innombrables mutations qui s’y
opèrent.
Telle est la définition du terme « mariage ». Mais quelles en sont les catégories
?
II. Les sortes de mariage
Dans la société traditionnelle congolaise, on enregistre plusieurs formes de
mariages. Mais, nous allons nous en tenir à l’essentiel, c'est-à-dire à la
monogamie et à la polygamie ( la polyandrie et à la polygenie).
A. Le mariage monogamique
D’abord, il sied de signaler que durant l’ère coloniale, le pouvoir s’est adonné à
organiser et à protéger le mariage coutumier monogamique par l’évangélisation
et par la répression de l’adultère et de la bigamie ; il a également pris des mesures
ayant rait à la protection de la fille indigène impubère. Aussi le décret du 5 juillet
1948 intervient-il pour organiser le mariage monogamique des indigènes.
L’article 1 dudit décret dispose : « … Par mariage monogamique, il faut entendre
tout mariage d’époux monogames, même si le statut matrimonial sous lequel
l’union a été conclue est polygamique. Par mariage coutumier, il faut entendre
aussi bien le mariage contracté exclusivement suivant les règles et coutumes
indigènes et des règles d’un culte religieux ; les époux doivent être pubères et
âgés d’au moins 16 ans ; il faut en outre absence de lien de parenté et d’un
mariage précédent non dissous ; il faut enfin le constamment des parents ».
C’est dans ce contexte qu’il faut situer la plaidoirie de Bruno Geldhof57, père
supérieur de la Mission Catholique de Manono en 1945, en faveur de la lutte
contre la polygamie : « … il faut que les missionnaires jouissent d’une grande

56
Sohier, op.cit, p.376
57
Bruno Geldhof, cité par beaucoup, Pour la violation de la famille dans la société indigène, BJI,
1945, n°1, p.2
34

liberté pour propager la religion et d’une aide appréciable pour l’établissement


des écoles et la lutte progressive contre la polygamie. Il insiste que cette lutte soit
lente, insinuante, sans heurts ni àcoups, persuasive et à échéance lointaine ».
Nul doute que le Droit traditionnel organise et sanctionne le mariage
monogamique. La monogamie constitue la forme la plus ancienne du mariage ;
la preuve de l’existence de la monogamie dans notre société traditionnelle se
concrétise dans la pratique des pactes d’indissolubilité du mariage.
Il en est ainsi des coutumes où le mariage fait entrer définitivement la femme
dans la famille de son mari, à tel point que ce mariage demeure indissoluble,
même après la mort du mari ; la veuve reste au foyer conjugal grâce au système
de lévirat, si bien qu’elle peut être prise par le propre fils du défunt (certes d’un
autre lit), dans l’hypothèse où celui-ci n’a pas de frère.
Il est d’autres coutumes qui connaissent des mariages où le divorce n’est jamais
permis, en raison de la qualité des époux ; elles permettent aux époux d’attacher
à leur union un caractère d’indissolubilité, réalisé à travers la cérémonie de
l’échange de sang entre conjoints ; pour cette cérémonie, ceux-ci se promettent
fidélité et amour jusqu’à la mort ; ils peuvent même se promettre de continuer
leur vie commune dans l’autre monde (Basuku).
B. Le mariage polygamique
Il y a lieu de rappeler que la polygamie est une vielle pratique profondément
ancrée dans la mentalité des congolais. Elle consiste, pour un homme à être marié
en même temps à plusieurs femmes.
Le pouvoir colonial a tenté d’abolir cette institution qu’il croyait rétrograde par
une série de mesures légales et administratives.
Nous citerons d’abord le décret d’un 4 avril 1950 portant annulation des
mariages polygamiques, interdiction de séjour des polygames dans certaines
agglomérations ou régions.
Cette préoccupation du pouvoir colonial trouve son illustration dans l’exposé
des motifs dont la production des éléments essentiels ciaprès58.
« Le gouvernement s’est toujours montré fidèle à la politique de l’abandon
progressif de la polygamie. Il s’est gardé de lutter de façon ouverte contre une
coutume profondément ancrée dans les mœurs indigènes ; pareille intervention
aurait été prématurée et aurait entraîné des maux plus graves que la polygamie
elle-même. C’est ainsi qu’il a accordé une protection spéciale aux misions
chrétiennes, qu’il a pris des mesures administratives contre les polygames
employés à son service, qu’il a frappé d’impôt supplémentaire les contribuables

58
Rapport Waleffe, Bulletin officiel, 1950, p.484.
35

polygames ; par contre, il s’est vu contraint d’impôt supplémentaire les


contribuables polygames ; par contre, il s’est vu contraint d’accorder aux unions
polygamiques une certaine reconnaissance légale, notamment en autorisant le
recours aux juridictions indigènes pour le règlement des contestations à leur sujet
et en faisant procéder à l’instruction des épouses des polygames dans les livrets
d’identité des intéressés… cette mesure s’impose, car à l’ancienne polygamie,
qui trouvait sa justification dans la structure politique et sociale des
communautés coutumières tend à se substituer petit à petit à une polygamie
nouvelle favorisée par l’enrichissement de certaines catégories des congolais. En
effet, il a été constaté que si le nombre absolu des femmes de polygames a
diminué, par contre, celui des hommes polygames a tendance à augmenter dans
les classes de la société indigènes dont les revenus sont les plus importants. Cette
polygamie des nouveaux riches se rencontre surtout parmi les congolais que la
politique économique de gouvernement a le plus aidés à améliorer leur niveau de
vie, à savoir les clercs, les artisans qualifiés, les commerçants, etc. or, ceux-ci ne
peuvent pas se prévaloir des anciennes règles coutumières qu’ils ont
généralement reniées ; et il importe d’enrayer l’extension de cette pratique avant
qu’elle en se transforme en usage coutumier. Cependant, le décret ne
s’appliquera pas aux unions polygamiques contractées avant sa mise en vigueur
; il s’agit ici d’une mesure d’équité indispensable si on ne veut pas plonger la
société indigène dans un désordre profond et condamner à un sort malheureux de
nombreuses épouses, déjà âgées, de polygames. Bref, le décret introduit deux
principes de législations sur le mariage : la nullité de plein Droit de toute nouvelle
convention matrimoniale et l’interdiction faite aux anciens polygames de venir
s’installer dans nos agglomérations. Le projet du décret est donc sage et modéré,
qu’il ne supprime pas brutalement la polygamie, mais qu’il prend de mesures qui
le feront disparaître progressivement ».
Comme on le voit, le législateur colonial a adopté une attitude prudente en
refusant de bousculer les usages dans un domaine très sensible. D’ailleurs, il y a
lieu de relever que malgré cette précaution ces mesures se sont heurtées à la
résistance de la coutume. Jusqu’aujourd’hui, la polygamie n’a pas été en fait
supprimée, mais plutôt tolérée, occultée. Il suffit de lire 591 du code de la famille
pour s’en rendre compte.
Revenons aux origines pour dire que la polygamie est abondamment pratiquée
dans la société traditionnelle congolaise.
36

Il est de fois où l’on distingue deux sortes de polygamie, la petite et la grande


polygamies59.
On parle de la petite polygamie lorsqu’un homme a tout au plus une dizaine
d’épouses et tout au moins deux épouses. Ces femmes sont mariées
conformément à la réglementation coutumière. La première épouse (la plus
ancienne dans le mariage) est la grande gradée à l’échelle familiale.
La polygamie présente également beaucoup d’avantages pour la femme. Les
charges ménagères étaient réparties entre épouses, les travaux deviennent moins
durs pour chacune d’elles. En tant que signe de richesse et de prospérité du mari,
le mariage polygamique élève le rang social de chaque épouse et la rend heureuse
; elle garantit la femme contre l’infidélité, surtout pendant les longues périodes
d’allaitement ; elle donne à la femme une certaine liberté de vie, laquelle peut
parfois dégénérer en licence lorsque la femme possède sa propre résidence.
A côté de la petite apparaît la grande polygamie. Elle est le propre des grands
chefs coutumiers ; elle compte des dizaines, voire des centaines des femmes,
lesquelles vivent en commun dans des gynécées (harems, palissades). Au fond,
on ne peut pas parler exclusivement des épouses, du fait qu’on en rencontre de
toutes sortes vraies épouses, concubines, otages, esclaves, tributs, gages,
cadeaux, etc.
L’on peut dire qu’il ya ici abus de pouvoirs de la part de ces chefs qui raréfient
le marché et privent ainsi les jeunes gens de leur droit de se marier.
Mais, quelles sont les causes de la polygamie en général ?
Les causes de la polygamie, petite ou grande sont multiples. Fernand Van de
Ginste 60 nous en fournit quelques-unes dans son étude du mariage chez les
Basuku. Ces causes se retrouvent dans toutes les coutumes : prestige, procréation,
menstruation, raisons économiques, allaitement, surplus de femmes, lévirat, etc.
Posséder plusieurs femmes est un signe de richesse, de prestige, de considération
et d’ascension sociale dans notre société traditionnelle. La polygamie permet au
mari d’élargir le cercle de relations, d’alliance ; elle lui donne plus d’aisance et
d’autorité.
En Droit coutumier congolais, le but primordial du mariage est la procréation
abondante. Il faut assurer la survie de la famille à travers la descendance
abondante. Aussi la stérilité et l’infécondité de la femme entraînent-elles
inévitablement la rupture du lien conjugal. Une femme sans enfant n’a pas de
place dans la famille de son mari ; elle est condamnée à partir.

59
Sohier, op.cit, p.388
60
Van de Ginste, Le mariage chez les Basuku, BJI, 1947, n°2, p.35.
37

Une progéniture nombreuse contribue à faire face à la réalisation des grands


travaux collectifs et aux attaques des clans voisins. Elle constitue une garantie
d’aliments, de soins et d’assistance pour les parents dès qu’ils seront vieux,
laquelle garantie est confortée par la philosophie de la solidarité africaine. D’où
l’adage : « Attrape une sauterelle pour ton jeune Rejeton (enfant), de sorte qu’il
en attrape un jour pour toi, lorsqu’il deviendra grand ».
Une autre cause de polygamie réside dans la menstruation de la femme.
Les menstrues de la femme constituent une impureté, une mise en quarantaine,
un isolement de la femme et contribue à la prolifération des mariages
polygamiques.
En effet, pendant la période des menstrues (3 à 5 jours), il est interdit au mari
d’avoir des rapports sexuels avec sa femme, laquelle est soumise à des
obligations spéciales. Elle ne doit pas passer la nuit au lit conjugal pour éviter de
le souiller ; elle ne peut pas préparer la nourriture pour son mari, car elle est
impure ; à la sortie de la période, elle devra donner un oeuf ou une poule, voire
même un poisson frais, à son mari avant de rejoindre le toit conjugal et ce, sous
peine de sanctions coutumières. Cette privation des plaisirs pousse naturellement
à se procurer une seconde épouse.
Les raisons d’ordre économique justifient également l’existence de la
polygamie.
La femme produit des richesses matérielles par ses travaux agricoles (manioc,
maïs, bananes, haricots, cotons, arachides, pistaches, etc.). Avoir plusieurs
épouses accroît ces richesses et aide le mari à bien recevoir, accueillir, loger,
nourrir et entretenir ses visiteurs et conforte sa dignité sociale ; n’avoir qu’une
épouse est perçue comme un pis-aller ; le mari monogame fait souvent l’objet de
risée. D’où ce proverbe lulua : « Reste affamé, insatiable, celui qui n’a qu’une
seule femme ». Dans ce sens, l’adage suku dit : « une femme est comme une
calebasse d’eau, si elle se rompt vous n’aurez plus d’eau ; celui qui n’a qu’une
case ne possède qu’une calebasse d’eau »61.
S’ajoute l’adage lega : « … Avoir une seule femme, c’est être ou demeurer
célibataire ».
Il y a aussi l’allaitement.
D’ordinaire, la coutume interdit au mari et à sa femme d’avoir des rapports
sexuels pendant la grossesse, lorsque celle-ci attient six mois et durant la période
d’allaitement. Cette abstinence pousse souvent le mari à assouvir ses besoins

61
Van de Ginste, op.cit, p.37
38

ailleurs. Et pour éviter le vagabondage sexuel, celuici se voit autorisé à avoir une
autre femme.
Le surnombre des femmes occasionne également la Polygamie.
Le déséquilibre démographique, la disproportion du nombre des femmes par
rapport à celui des hommes, dont les causes sont multiples (longues vie des
femmes, guerres), favorisent le penchant des hommes à avoir plusieurs femmes.
Il faut, enfin, mentionner le lévirat.
Celui-ci est un système par lequel un homme peut hériter la femme de son frère
ainé, de son père ou de son oncle prédécédé. Il arrive qu’un homme meure et
laisse une ou des veuves. Du fait que le mariage coutumier est essentiellement
un contrat entre les familles, ces veuves sont obligées d’y demeurer et d’y trouver
un remplaçant. Par ce cas fortuit, un homme peut devenir polygame sans aucun
effort.
Somme toute, la tradition congolaise reste encore attachée à la polygamie,
malgré l’émancipation politique, économique et culturelle de la femme.
Toutefois, cette polygamie n’est pas légale, elle est tolérée.
C. La polyandrie
La polyandrie est le système qui permet à une femme d’avoir plusieurs maris ;
cette pratique n’était pas répandue ; elle existait dans quelques régions du pays,
notamment chez les Leele où une femme s’unissait à tous les hommes d’une
classe d’âge ou à tous les célibataires du village 62 , lesquels l’abandonnaient
lorsqu’ils atteignaient trente ans pour se marier. Parfois, ceux-ci s’associaient
pour payer ensemble la dot de leur épouse.
La polyandrie fut prohibée par le pouvoir colonial d’abord, car il la considérait
comme contraire à l’ordre public et aux bonnes meurs ; l’autorité coloniale
estimait qu’elle était sous toutes ses formes génératrice de conséquences
désastreuses pour l’avenir de la race et pour l’évolution morale des populations
indigènes63.

III. Les fiançailles


D’après René Deckers, le mot « fiançailles » vient du verbe latin « spondere »,
qui signifie « promettre sous serment ».
Elles sont l’engagement réciproque de réaliser le mariage de deux personnes,
engagement pris conjointement par les futurs époux et par leurs familles. Donc,
les fiançailles sont un engagement solennel, pris par les chefs de familles ; elles

62
Vansina J., op.cit, p.135
63
Voir O.L. n°37/AIMO du 31 janvier 1947.
39

constituent un engagement au mariage et peuvent être rompues à tout moment


par chaque partie ; elles donnent au fiancé un droit exclusif sur la financée. Elles
constituent la première phase vers la formation du mariage.
En Droit coutumier, il est difficile de distinguer entre mariage et fiançailles ;
mais, il existe un critère pour opérer cette distinction c’est la précarité.
Les fiançailles ont un caractère précaire, alors que le mariage revêt un caractère
définitif au moment de la célébration de l’union qui ne peut être rompue que par
un mode traditionnel de dissolution du mariage.
L’âge et le moment où les fiançailles peuvent se nouer varient d’une coutume à
une autre.
Souvent, les fiançailles se contractent dès la nubilité ; elles se réalisent parfois
en base âge et même parfois avant la naissance, ce que les Romains appelaient «
les fiançailles au berceau ».
Mais comment les fiançailles se concluent-elles en fait ?
Concrètement, elles se nouent par la remise et l’acceptation d’un cadeau
symbolique par le futur fiancé à la future fiancée. Ce cadeau est tellement
insignifiant que sa restitution ne pose pas de problème en cas de rupture
éventuelle des fiançailles ; il correspond à ce qu’on appelle aujourd’hui la «
prédot » ; il peut être versé en nature ou en espèces (poule, anneau, pot de bière,
chapeau, argent, etc.) ; il est remis à la fiancée ou à ses parents. Le contact se fait
soit directement, soit par personne interposée. L’acceptation du cadeau vaut le
consentement de la fiancée et des parents.
La conclusion des fiançailles emporte obligation des fidélité pour la financée,
d’aide et d’assistance mutuelle et de stage éventuel.
Il est interdit à la fiancée et à ses parents de recevoir l’offre d’un autre
prétendant.
Il en ressort également le devoir réciproque d’aide et d’assistance tant à l’égard
des fiancés qu’à celui de leurs parents respectifs. Les fiancés se doivent un
entretien mutuel, aider leurs beaux-parents dans les travaux de champs ou de
ménage et partager avec eux les joies et les épreuves. Il arrive parfois que le
fiancé ou la fiancée exécute un stage de quelques jours au village de son futur
conjoint. Ce sera une occasion de le connaître et de l’apprécier. En général, les
rapports sexuels leur sont interdits durant cette période probatoire.
Il serait intéressant d’étayer cette analyse par la reproduction de quelques
exemples concrets tirés de la conclusion de l’étude menée à ce sujet par Jean
40

Sohier dans certaines coutumes au Kasaï et au Katanga64 (Lamba-Lala, Sanga,


Lunda, Hemba, Luba-Katanga, Songe, Luba-Kasaï, Kusu).
Les fiançailles, chez les Lamba et Lala, sont nouées par l’envoi d’un messager
du futur et l’acceptation d’un cadeau par les père et mère de la future, avec
l’accord de celle-ci. La fiancée accomplit un stage dans le village de la fiancée.
Les relations sexuelles entre fiancés sont de règle.
Chez les Sanga, les fiançailles sont nouées par l’envoi d’un messager du futur et
l’acceptation d’un cadeau par les père et mère, avec accorde de celle-ci. La
fiancée accomplit un stage dans le village du fiancé. Les relations sexuelles entre
financés sont de règle.
Pour les Lunda, la liberté de choix est grande. Les fiançailles sont symbolisées
par la remise d’un cadeau au père de la future. La jeune fille accomplit un séjour
au village de son fiancé. La coutume désapprouve les relations sexuelles entre
fiancés.
Les Hemba nouent leurs fiançailles par la remise d’un cadeau
du futur, via la future, au père de celle-ci. Les fiancés sont autorisés à cohabiter.
Les luba du Katanga concluent leurs fiançailles par la remise d’un cadeau du
futur, via l’intermédiaire matrimonial et la future, au père de celle-ci. La fiancée
accomplit un bref séjour au village du fiancé. La coutume désapprouve les
relations sexuelles entre les fiancés.
Les Songe pratiquent les fiançailles d’impubères. Avec le con-
cours des parentèles, les fiançailles sont nouées par la remise d’un cadeau, via la
future, au père de celle-ci. Elle accomplit un court séjour dans le village du
fiancé. Les fiancés cohabitent.
Les Luba du Kasaï favorisent les fiançailles d’impubères. Le père de la jeune
fille, après l’avoir consultée agrée le prétendant accompagné de l’intermédiaire
matrimonial et leur offre un repas. La fiancée accomplit un court séjour au village
du fiancé et marque à nouveau son consentement. Des poules sont échangées
aux différents stades des fiançailles ; la coutume désapprouve les relations
sexuelles entre fiancés.
Les fiançailles des Kusu se réalisent même avant la naissance de la future. Elles
se nouent par remise publique d’un cadeau du futur aux père et mère de la future,
avec l’accord de celle-ci ; ce cadeau ne sera pas restitué en cas de rupture ; les
relations sexuelles entre fiancés sont courantes.

64
Sohier J., op.cit, CEPSI, 1963, n°62, pp.71-83
41

Il sied de noter que la phase des fiançailles est une phase initiatique, préparatoire
à la vie conjugale effective ; elles favorisent la bonne conduite des filles,
lesquelles sont tenues d’arriver vierges au toit conjugal.
IV. La formation du mariage
Il nous appartient ici d’analyser les différentes conditions de validité du mariage
en Droit coutumier ; il s’agit des conditions de fond et de forme.
a. Les conditions de fond
Parmi les conditions de fond, on peut épingler l’endogamie, l’exogamie, la
différence de sexe, l’âge, le consentement, la dot et la viduité.
1. L’endogamie
L’endogamie est une règle qui oblige un individu à choisir son conjoint à
l’intérieur de son groupe. On distingue entre autre endogamie clanique,
endogamie tribale, endogamie ethnique et endogamie castuelle. La caste est un
groupe formé d’individus à l’intérieur d’une famille sensu lato liés par les mêmes
fonctions traditionnelles (caste des forgerons, des griots, etc.). Le mariage n’est
possible qu’à l’intérieur du groupe ; il se dresse souvent des barrières
infranchissables, à telle enseigne qu’on aboutit inévitablement aux mariages
préférentiels ou entre cousins croisés ; on y a joute également les mariages
recommandés (Pende, Suku, Kongo). C’est notamment l’hypothèse d’un mariage
avec la fille du frère du père ou avec la fille de la sœur du père. L’on recourt à ce
genre de mariages pour éviter qu’un étranger ne vienne vider le lignage et
emporte les femmes, que la famille ne se disperse pas, qu’on ne verse ou ne
rembourse pas la dot lorsqu’un est pauvre.
Il faut noter que ce régime provoque la dégénérescence du groupe, crée des
sociétés fermées et aboutit souvent aux mariages forcés.
2. L’exogamie
Il s’agit d’un système qui contraint un individu à choisir son conjoint en dehors
du groupe auquel il appartient. L’exogamie rencontre les préoccupations
naturelles de la morale et de la décence. Aussi le mariage est-il prohibé entre
parents ou alliés jusqu’à un certain degré. On enregistre beaucoup d’interdictions
matrimoniales. Il en est ainsi d’empêchement au mariage dans la lignée
paternelle entre la mère et le fils, entre les oncles et les nièces maternelles, entre
les tantes et les neveux maternels, entre les frères et sœurs, etc.
Par ces probations, on évite l’inceste, la consanguinité et par voie de
conséquence l’appauvrissement de la race, du groupe par la circulation du même
sang dans les veines ; car la circulation du sang, siège de l’âme canal de la
transmission des forces vitales, est à la base des rapports fondamentaux entre
42

géniteur et l’engendré 65 . D’où il faut confronter la teneur du sang par


l’inoculation des apports extérieurs croisés.
3. La différence de sexe
Il s’agit ici d’une condition fondamentale de la conclusion du mariage. Il n’y
aura jamais de mariage si cette condition n’est pas remplie. Les futurs époux
doivent absolument être de sexe hétérogène, un homme et une femme, car la
philosophie bantoue répugne au mariage des homosexuels considéré comme le
résultat de la déformation psychologique et de la dépravation des mœurs,
d’autant plus que l’un des buts primordiaux du mariage c’est la procréation. Or,
celle-ci est inconcevable pour les partenaires du même sexe.
4. L’âge
En Droit traditionnel, l’âge matrimonial n’est pas déterminé ; il varie d’une
coutume à une autre, il les situe, en général, entre 14 et 18 ans pour la jeune fille
et entre 15 et 21 ans pour le jeune homme.
En fait, on ne fait pas de distinction entre l’âge des fiançailles et l’âge de mariage
; il y a confusion de deux âges. On se marie à tout âge, même avant la naissance.
L’unique différence réside dans le moment de la consommation. Certaines
conditions doivent être remplies pour supporter cette consommation. Ces
conditions tiennent au développement physiologique et biologique des futurs
époux. Nous y reviendrons plus loin.
La majorité des coutumes fixent l’âge matrimonial à la nubilité, du fait qu’à cet
âge, la personne est censée être apte à la reproduction, le but principal du mariage
étant la procréation.
Pour la fille, l’indice de cette maturité est l’apparition des menstrues et le
développement des seins. Pour les garçons, c’est plutôt l’apparition et le
développement des poils des aisselles et des organes génitaux et la masturbation
; il faut également y ajouter son aptitude à construire une case, à faire les travaux
de champs et à entretenir sa femme et leurs futurs enfants.
Dans ce sens, Deckers66 déclare : « l’âge à partir duquel on peut se fiancer varie
d’après les coutumes. Généralement, les fiançailles peuvent être conclues avant
la nubilité, même en bas âge et même avant la naissance. Un homme apprenant
qu’une femme peut aller, pour lui-même ou pour son fils, demander au futur père
la main de l’enfant à naître si celui-ci est une fille. Si cette condition se réalise,
les formalités des fiançailles sont accomplies dès la naissance. Si au contraire,
c’est un fils qui vient au monde, il existera un lien de Droit entre lui et son mari

65
Thomas, op.cit, p.48.
66
Dekkers R., op.cit, p.28.
43

manqué. Ils se doivent assistance, et, dans certaines coutumes, il y aura


empêchement de mariage entre leurs enfants comme si ceux-ci étaient frères et
sœurs ».
Jean Sohier a étudié ce problème dans les coutumes de certaines tribus
Katangaises et nous fournit les informations suivantes67.
Pour les Lamba-Lala, les rapports entre l‘âge de la nubilité et le mariage
(Kisungu)68 sont incertaines ; la fille se marie vers 12 et 15 ans, le garçon entre
17-20 ans ; la liberté des mœurs est grande et les mariages parfois fort précoces.
Les Sanga ignorent les rapports entre le Kisungu et l’âge de la nubilité. La fille
doit être pubère, environ 14 ans, mais pas nécessairement réglée, le garçon en
âge de travailler, au moins 16 ans ; les mariages sont souvent précoces.
La fille lunda n’est nubile qu’après avoir subi les rites du kisungu (initiation),
rites de la puberté ; elle se marie vers 12-14 ans ; le garçon vers 17-18 ans ; la
rigidité des mœurs tend à s’atténuer.
L’initiation de la fille hemba est domestique, parfois pratiquée par le mari lui-
même ; elle se marie souvent avant l’âge de la puberté ; l’homme se marie entre
sa puberté et 22 ans.
Les Luba-Katanga ne pratiquent pas le kisungu. La fille se ma-
rie avant ou après l’âge de la puberté, le garçon se marie entre 16 et 25 ans.
Les Songe connaissent l’initiation domestique. L’âge du mariage varie entre 14
et 16 ans pour les fille, et entre 16 et 19 ans pour le garçon.
Pour les Luba du Kasaï, l’âge matrimonial varie entre 13 et 20 ans pour la
femme, entre 15 et 25 ans pour l’homme. En outre, la puberté de la femme doit
s’attester par le développement des seins et l’apparition de plusieurs menstrues ;
l’homme doit être à même de supporter les charges du ménage.
Enfin, les Kusu affirment que la fille doit être pubère pour se marier.
En somme, il y a lieu de dire que l’âge de mariage est en général très bas pour
la femme. Pour l’homme, il se situe au-dessus de 17 ans.
5. Le consentement
Ici, nous traiterons respectivement du consentement des futurs époux et du
consentement des parents.
a. Le consentement des futurs époux
Le consentement des époux est une des conditions essentielles pour la validité
du mariage en Droit coutumier. Il est donc indispensable. Il joue un rôle
important tant dans le chef de l’homme que dans celui de la femme.

67
Sohier K., op.cit, p.12-15.
68
Kisungu signifie initiation, fille pubère, initiée.
44

Evidemment, le consentement du futur époux est déterminant, d’autant plus que


naturellement, c’est celui qui amorce les démarches et fait des avances à sa future
épouse ; ce consentement se passe de commentaire.
Il en est de même du consentement de la femme, bien que celle-
ci fasse l’objet de toutes sortes de pressions de la part de sa famille, surtout en
cas de lévirat ou de sororat.
Le consentement de la femme doit être exprès. Mais, la cou-
tume admet aussi le consentement tacite ; il en est ainsi lorsque la femme est
timide à cause de son bas âge ou de sa virginité.
De toutes les façons, le consentement des futurs conjoints ne suffit pas pour
valider un mariage ; il doit être doublé de celui des parents.
b. Le consentement des parents
Nous avons souligné plus haut que le mariage coutumier est
une affaire des familles de l’homme et de la femme, une alliance entre deux
familles. La preuve en est qu’il peut exister même avant la naissance de la femme
ou lorsque la femme est encore jeune, mineure (femme au berceau, par exemple)
; il y a aussi l’hypothèse des mariages forcés, recommandés ou préférentiels
(Suku, Kongo, Pende). En pareil cas, le consentement de la femme est banalisé,
car on ne voit comment une femme peut valablement consentir dans ces
circonstances.
Le mariage n’est valable qu’avec l’approbation de la famille ; le père doit
consentir au mariage de son enfant (garçon ou fille) ; la mère est souvent
consultée en privé.
En somme, le consentement des deux familles est nécessaire pour la validité du
mariage et pour l’épanouissement et la prospérité du couple. Autrement, les
malédictions risquent de pleuvoir sur le nouveau
foyer69.
6. La dot
La dot est une condition primordiale.
Selon Keba M’baye72, la dot, compensation matrimoniale, est la valeur qu’il
convient de remettre à la famille de la future épouse pour que le mariage soit
valable. Elle exerce plusieurs fonctions d’ordre divers, économique, social,
religieux ou sentimental. Elle est la compensation de la perte de force de travail
que subit la famille de la jeune fille du fait du mariage.

69
Nous connaissons l’histoire d’un ami Ntomba de Maïondombe qui s’était marié à une femme
contre le gré de son oncle. Conséquence, il a miraculeusement perdu un testicule. Ila dû implorer ce
dernier pour épargner l’autre. 72 Keba M’Baye, op.cit, p.17.
45

L’auteur soutient que la dot est un élément de stabilité du mariage, en ce sens


qu’en raison de son importance, son remboursement peut être difficile, sinon
auquel est enlevée une génitrice, et aussi un moyen d’évaluer le sacrifice que la
famille du futur époux est capable de consentir pour la belle-fille.
Sohier70 estime que la dot est un instrument essentiel de preuve du consentement
des familles ; elle est remise au père ou à d’autres parents de la femme, mais
jamais à la femme elle-même. La dot conforte la pérennité du mariage ; elle
assure l’affection de la femme, car elle est un indice d’attachement à sa femme.
Dans son étude sur le mariage chez les Bahavu, Braun71, ad-
ministrateur de territoire à Beni, parle du montant de la dot. Il avance que la base
de la dot est le bétail pour les populations riveraines du lac. Il enchaine qu’en ce
qui concerne sa consistance, la dot est d’une vache et d’un taureau pour une
femme ordinaire ; pour une fille d’un notable, la dot s’élève à deux vaches ; les
chefs versent une dot de trente à quarante vaches ; il faut retenir que les échanges
de cadeaux, de chèvres, de cuisses de cochon ou d’antilope pendant le mariage
se font à fonds perdus, en ce qu’ils ne seront jamais restitués en cas de dissolution
du mariage.
Au mois de novembre 1966, il fut organisé, du 14 au 18, à Lubumbashi un
colloque sur la dot congolaise, situation actuelle et son avenir, colloque auquel
nous avons personnellement participé et tenu le secrétariat. Il sied d’épingler
brièvement les exposé de Gaston Kalambay et de Johan Pauwels à ce colloque.
Dans son exposé, Kalambay72 traite de la dot dans le mariage luba du Sud-Kasaï.
Il affirme que la dot muluba est assez originale dans sa composition. Il y a, d’une
part, la dot en nature (chèvres de l’offrande) permanente, et d’autre part, la dot
en espèces, en évolution constante en rapport avec le cours de la monnaie. La dot
se verse par l’intermédiaire spécial
(tshibanji) entre les mains du père juridique de la fille ou de son représentant ;
elle est une preuve du mariage. L’orateur termine son intervention par le
souhait de son maintien et de la fixation par l’Etat du taux maximum.
Son point de vue rencontre celui de Jean Sohier73 qui déclare que « chez les
Luba-Kasaï, la dot, valeur familiale importante, est d’un taux élevé ; elle peut
être apurée après la célébration du mariage ; dans sa totalité, elle est un élément

70
Sohier, op.cit., BJI, 1946, n°12, p.380.
71
Braun, Le mariage chez les Bahavu, BJI, n°12, p.395.
72
Kalambay G., La dot dans le mariage luba du sud-Kasaï, son importance et son évolution à Mbuji
Mayi, R.J.C, 1966, p.379.
73
Sohier J., op.cit, CEPSI, 1963, n°63, p.43
46

de preuve de l’union et joue le rôle de gage-garantie, voire de compensation pour


la perte de la femme ».
Pauwels74 a analysé les mécanismes fonctions de la dot chez les Tyo (Teke). Il
nous entretient notamment des éléments constitutifs de la dot, de son montant,
du rôle respectif des deux familles dans son versement et de son remboursement.
Il dit que le versement de la dot est une expression du système de parenté, en ce
que le processus du mariage met en exergue l’autorité du père sur ses enfants et
la bilatéralité des liens familiaux ; dans l’exercice de son autorité, il incombe au
père de respecter et de traduire dans les faits l’équilibre du système familial
bilatéral. Pauwels estime que la restitution de la dot est une garantie de liberté
pour la femme du fait qu’elle peut exiger le remboursement de la dot et obtenir
la rupture de tout lien avec la famille de son mari prédécédé.
A la clôture du colloque, les participants ont fait un constat et émis quelques
vœux sur la situation actuelle de la dot :
1°. La dot en argent s’est déplus en plus installée à raison des facilités qu’elle
procure surtout en cas de contestation. La fonction principale de la dot qui
est la preuve, par le fait de l’introduction de l‘argent, s’estompe et les autres
fonctions telles que compensation, garantie et même achat qui est un abus
augmentent.
2°. L’écrit s’est aussi installé pour constater l’existence du mariage à côté de la
dot, preuve du mariage ;
3°. Le futur époux constitue et règle lui-même le versement de la dot plutôt que
ses parents et ce, grâce aux mutations sociales. En un mot, la dot devient
individuelle et les bénéficiaires sont les parents biologiques de la future
épouse.
Il convient de respecter notre symétrie et clore cette rubrique par quelques
exemples pratiques tirés des traditions kuba, lulua, yansi, lamba-lala, songe,
kusu, leele, suku.
Chez les Kuba, le futur époux verse une dot très élevée ; il se met en outre au
service de ses beaux-parents pendant une période assez longue pour effectuer les
travaux de champs. Pareille pratique entraîne inévitablement la fixation d’une
résidence uxorilocale temporaire.
Les Lulua désignent la dot comme l’ensemble des valeurs symboliques, en
nature et en espèce, données publiquement par le jeune homme ou par sa famille
au clan de la future épouse et ce, en présence d’un ou de plusieurs témoins. La
présence du témoin revêt une importance spéciale, du fait qu’elle scelle l’alliance

74
Pauwels J., La dot chez les Tyo (Teke) : mécanisme et fonctions, R.J.C, 1966, p.378
47

et sert en même de preuve du versement de la dot (tshimona babidi kasthiena


mivilu = ce qui est vu ou connu de deux personnes ne peut être nié ou remis en
doute). Cette dot se compose des biens, en nature (chèvres, poules, fusil, chien,
sel, casseroles, boissons, habits, etc.) et des biens en espèces (argent). Ce
versement s’échelonne sur toute la période du mariage, conformément à un
dicton Lulua selon lequel, la belle-famille est une basse cour où l’on ne cesse de
jeter des ordures, des immondices (ku buku nkudiala). Les Lulua connaissent
aussi le mariage à la Jacob.
Les Yansi pratiquent un mariage préférentiel entre le neveu maternel et la petite-
fille de l’oncle (Ketiul), ou entre cousins croisés. Ce mariage n’entraîne pas le
payement de la dot. En revanche, la dot existe dans le mariage exogamique ; elle
est versée, par moitié à la famille paternelle et par moitié à la famille maternelle.
Les Lamba-Lala connaissent la dot en valeur symbolique et de portée
instrumentaire ; celle-ci consiste surtout dans les prestations à la Jacob, sous
forme de stage dans la belle-famille. Ces prestations peuvent être remplacées par
une dot en espèces.
Il en est de même des Sanga. Mais ici la dot n’est parfaite qu’après la célébration
du mariage, car la famille du mari veut d’abord des potentialités de la femme.
Il existe dans la coutume lunda une dot composée d’un objet symbolique appelé
« Tshiako » , titre du mariage restituable en cas de divorce, et des biens de valeur
minime. La dot fixée avant le mariage peut être versée en partie après sa
célébration.
La dot hemba est relativement élevée ; elle peut être parfaite au taux convenu
après la célébration du mariage ; elle joue un rôle de gagegarantie ; sa restitution
éventuelle dépend de la duré de la cohabitation, du nombre d’enfants nés du
ménage et en cas de divorce, des torts du mari.
Les Luba-Katanga versent une dot relativement élevée composée d’un objet «
muketo » ; le taux convenu peut être parfait après la célébration du mariage ; la
dot joue un rôle de gage-garantie et affirme l’intégrité morale de la femme.
Les Songe pratiquent un taux modéré, lequel peut être réalisé après la célébration
du mariage ; la dot joue un rôle garantie et de compensaiton.
Les Kusu échelonnent le payement de la dot durant la vie conjugale, laquelle dot
revêt un caractère de gage compensatoire.
L’on retiendra que les Suku pratiquent le mariage endoga-
mique, entre croisé c'est-à-dire entre les fils d’un homme et les filles de sa sœur
ou entre oncles et nièces. La dot est constituée d’une chèvre dite « N’kombu
muika = chèvre à poils » et de l’argent.
48

En somme, plusieurs fonctions sont dévolues à la dot dans le mariage coutumier


congolais. Celle-ci est une preuve de consentement de deux familles, elle joue
un rôle compensatoire pour la perte subie d’unité familiale dans le chef de la
femme ; elle est une garnatie de restitution éventuelle de la dot ; elle légitime la
filiation des enfants et marque leur appartenance à la famille du mari de leur
mère.
7. La viduité
Il faut enfin mentionner l’institution de viduité qui est un interdit, un
empêchement au mariage. La coutume exige l’observation d’un certain délai
après la dissolution du mariage par décès ou par divorce avant que la femme ne
puisse convoler en secondes noces.
Tel est le condensé des conditions de fond du mariage. Mais qu’en est-il des
conditions de forme.
b. Les conditions de forme
En Droit coutumier, les conditions de formation du mariage s’articulent autour
de la célébration du mariage. Celle-ci varie d’une coutume à une autre.
D’une manière générale, il y a lieu d’affirmer que la célébration du mariage,
dans les milieux traditionnels passe, grosso modo, par trois étapes successives, à
savoir : le stage de la femme dans la famille du mari, les rites prénuptiaux et la
venue de la femme au domicile conjugal.
1. Le stage de la future épouse dans la famille du futur époux
Après la conclusion des fiançailles et le versement de la prédot, la femme est
obligée de passer par une série de phases initiatiques.
Ici, la future épouse doit effectuer un stage de deux ou trois mois dans la famille
de son mari. Durant son séjour, elle s’adonne à toutes les tâches normalement
dévolues à toutes femmes mariées. C’est une sorte d’examen de passage d’une
classe à une autre, dont l’issue conditionne la conclusion définitive du mariage.
L’intéressée est généralement accompagnée de sa sœur ou
d’une cousine, laquelle observe et suit quotidiennement les faits et gestes de sa
sueur et fait rapport à ses parents à leur retour. Elle subit beaucoup d’épreuves ;
elle doit prouver qu’elle est d’une bonne d’éducation, polie, honnête, laborieuse,
respectueuse, sociale, une bonne ménagère, etc. sa belle-famille va observer ses
mouvements et scruter ses qualités et ses défauts pendant cette période d’essai.
Concrètement, la stagiaire fait des travaux de champs, la cui-
sine, puise de l’eau, fait la nasse, etc. elle est souvent piégée pour tester son degré
d’honnêteté, de fidélité, d’assiduité au travail et découvrir si elle n’est pas
voleuse ou sorcière.
49

Pendant ce séjour, les futurs époux ne cohabitent pas ; il leur est interdit, en
principe, d’avoir des rapports sexuels, aussi longtemps que la femme n’a pas
encore subi le rite purificatoire, d’exorcisme. Exceptionnellement, l’homme
prend le risque de tricher et de violer l’interdit et de convaincre la femme à
accomplir l’acte dont le but essentiel est de découvrir si la future épouse est
encore vierge. Cette virginité conditionne l’octroi à sa mère d’une chèvre75, en
guise de félicitation et de remerciement à la mère pour avoir bien protégé et
éduqué sa fille.
A la fin du stage, l’homme raccompagne sa femme et sa bellesœur chez elles,
avec leurs divers cadeaux.
2. La pratique des rites prénuptiaux
Cette deuxième étape est consacrée à l’organisation des différents rites
initiatiques, les quels sont destinés à assurer le succès, la réussite, la prospérité
de la vie conjugale des futurs mariés.
Il s’agit notamment de l’initiation à la vie sexuelle, à la vie d’épouse, à la vie de
ménagère, etc.
L’implication de ces rites suppose que le séjour, le stage effectué par la femme
dans la belle-famille a été concluant.
Dans l’affirmative, l’homme amorce la phase du versement de la dot proprement
dite ; il apporte divers biens, en nature et en espèces, et la fameuse chèvre de
virginité. Ainsi se déclenche une série de rites d’initiation prénuptiale.
Il y a d’abord l’initiation à la vie sexuelle, laquelle diffère d’une coutume à une
autre ; mais, il n’y a que des nuances, l’essentiel demeurant pareil.
La première préoccupation est de faire en sorte que la jeune fille soit en mesure
de supporter l’acte sexuel, la consommation du mariage ; pour ce faire, il faut
explorer son corps, scruter ses parties génitales en vue de les développer.
Le premier instrument de mesure, le critère de référence, c’est la puberté,
l’apparition des premières menstrues, des premières règles. A quatorze ans, la
fille est censée être biologiquement formée et avoir eu ses premières menstrues ;
elle est donc apte au mariage. Avant l’âge de puberté, l’intéressée s’adonne aux
exercices de développement de ses parties intimes. Elle se livrera à l’usage de
certaines plantes pour lubrifier son sexe, des carottes, de manioc ou de pattes
douces, de ces doigts pour élargir l’ouverture de son sexe, etc. à telle enseigne

75
- Les Lula appellent cette chèvre « Mbuji wa nyima », la traduction signifie « chèvre du dos » ;
double signification, d’abord, la mère a dû porter cette fille dans son ventre, ce qui est un poids, une
charge ; aussi elle l’a portée sur le dos ; ensuite, la fille devra faire contribuer son dos pour la réussite
du futur acte sexuel.
- Les Lula nomment ce séjour « Kumona ou Kudiata kapia », c'est-à-dire « visiter ou piétiner le feu »,
en ce sens que la femme est allée dans la belle-famille pour avoir les premiers rapports sexuels.
50

que les sages-femmes s’en mêlent pour s’assurer de cette maturité et


éventuellement délivrer un certificat de virginité. Cette preuve de virginité
permettra à la mère de la fille de recevoir fièrement la chèvre y afférente.
Au sujet du rite du Kisungu chez les Laba et Lamba76,
l’administrateur du territoire de Sakania rapporte : « La jeune fille pubère se
nomme Kisungu, par conséquent une jeune fille ayant ses premières règles est
nommée Kisungu. Une jeune fille non initiée, qui n’est pas passée la cérémonie
de Kisungu s’appelle Imbuli ; elle se nomme Wamoye lorsqu’elle aura été initiée.
Rien n’empêche une fille avant de se marier ou financer avant l’initiation
Kisungu ; mais lorsqu’elle tombe enceinte, elle porte le nom de Katangwa et doit
vivre à l’écart, en dehors du village ; elle ne peut recevoir sa nourriture que des
vieilles femmes, personnes ne pourront l’assister au moment de l’accouchement
; le nouveau-né est jeté en brousse de peur que sa présence ne provoque le décès
des vieillards au village.
Une jeune fille qui a ses premières menstrues quitte la hutte et se cache aux
abords du village ; ses amies se livrent aux diverses danses et passent la journée
ensemble avec elle ; au crépuscule, elles la couvrent d’un voile et l’escortent vers
la maison. La Kisungu doit éviter de voir et d’être vue par un homme ; elle restera
quinze jours dans sa hutte et ne pourra pas faire du feu et la cuisine ; elle est
autorisée à sortir quelques instants, chaque jour pour rencontrer des femmes et
recevoir des conseils ayant trait aux Droits et devoirs de femme mariée ; ‘autres
femmes l’instruisent sur les règles de politesse, de préséance, de conduite,
l’hospitalité et sur la pratique d’hygiène intime. A la fin du flux, la Kisungu
nettoie la hutte et regagne la maison familiale.
Enfin, il faut noter que chaque village possède une hutte destinée aux Kisungu,
ornée et peinturlurée de figurines grossières, obscènes et provocantes, etc. ».
Chez les Lulua, la jeune fille, future épouse, est soumise aux multiples rites
d’initiation en vue de la purifier et la rendre apte au mariage. L’on vérifie d’abord
les circonstances ayant entouré sa naissance, car l’initiation s’adapte à ces
circonstances spéciales (jumeaux, enfant conçu sans menstrues, enfant venu par
les pieds, enfant venu avec le cordon ombilical au cou, enfant né dans une famille
où il y a beaucoup d’enfants morts en bas âge, etc.). Lorsqu’il s’agit d’une fille
née dans ces circonstances, la famille (sa mère en premier lieu) soigne
minutieusement sa préparation au mariage (Lulua).
La famille vérifie au départ sa virginité avant d’autoriser sa mère à abattre sa
chèvre de virginité et à la consommer. Elle procède ensuite au sacrifice de

76
Lambo L., Etude sur les Balala, BJI, 1946, pp.231-256, 273-300, 313-346.
51

plusieurs poules pour implorer les ancêtres de veiller sur la vie de la future mariée
et de la combler d’innombrables dons, le dévouement, la fécondité, la fidélité,
l’assiduité, la parcimonie, la maîtrise de soi, la prospérité, etc. Aussi, la jeune
fille passera par la pratique d’exorcisme, en vue de l’extirper de sa famille et de
casser virtuellement la dynamique des familiarités avec ses frères et sœurs ;
autrement, ces derniers s’apercevront de cette absence et tomberont malades. Ce
rite sera couronné par l’aspersion de l’enduit ou kaolin sur le corps de la femme,
signe de purification et de bénédiction familiale.
D’autres rites s’intéressent aux différents aspects de la préparation à la vie
conjugale.
Nous aimerions préciser que la pratique des rites d’initiation prénuptiale ne
rentre pas dans l’hypothèse du mariage-capture, par rapt, par enlèvement du fait
qu’il n’y a pas de phase préparatoire ; les conjoints consomment immédiatement
le mariage. Il faut rappeler que le mariage par rapt est un mariage forcé dans le
chef de la femme, laquelle a été capturée lors des raids menés par les guerriers
dans les contrées voisines. Ces raids étaient fréquents dans la société congolaise
précoloniale ; ils étaient favorisés par la pénurie, dans le groupe des femmes qu’il
fallait chercher en dehors de son groupe ; parfois, c’était les appétits sexuels
gloutons des chefs qui, attirés par des jolies femmes, envoyaient leurs milices,
les kidnapper chez les voisins. Lesdits raids étaient à la base de plusieurs guerres
et immigrations.
Après un mot sur l’accomplissement des rites prénuptiaux, il
convient à présent de passer à l’étape finale, celle de la célébration proprement
dite du mariage.
3. La célébration définitive du mariage
Après le versement conséquent de la dot et l’accomplissement du culte
prénuptial, on estime que les conditions sont remplies pour fixer la date de la
célébration fondamentale du mariage.
Les cérémonies y afférentes commencent le jour convenu. Elles varient d’une
coutume à une autre.
En général, les deux familles du couple conviennent du jour et de l’heure de la
venue de la mariée au domicile du mari ; celle de la femme se prépare à conduire
cette dernière chez son mari, tandis que celle du mari s’apprête à l’y accueillir.
La famille de la future épouse s’organise et s’attelle à la logistique ; elle réunit
tous les effets requis pour ce genre d’événements : une chèvre, des poules, du
gibier, sacs de manioc, de maïs, du riz, ustensiles de cuisine, petit matériel
agricole, nasse, effets personnels, etc. Le paterfamilias désigne à peu près une
dizaine de femmes qui feront partie du cortège (Lulua, Luba-Kasaï).
52

Le soir venu, le cortège s’ébranle lentement en direction du village et du


domicile du mari. Il escorte la nouvelle mariée élégamment habillée. Dès que ce
cortège arrive à destination, il est chaleureusement accueilli par le gendre entouré
de ses parents, frères et amis. Ici, commencent les formalités y relatives, variables
et variées selon les coutumes.
Le cortège lamba-lala, porteur du trousseau de l’épouse, s’avance vers la maison
conjugale, avec la femme parée et portée sur le dos par ses sœurs. La procession
rencontre des obstacles que le mari dégage moyennant paiement d’un cadeau à
ses beaux-parents ; la porte de la maison reste barrée par une belle-sœur ; la
mariée libère le passage par le versement d’une somme symbolique ; mais elle
trouvera son lit occupé par sa grand’mère qui ne l’évacuera qu’après la remise
d’un autre cadeau. Les mariés passent la nuit ensemble sans consommer le
mariage. A l’aube, la belle-mère apporte à son gendre un plat de bouillie de
manioc ou de maïs, auquel celui-ci ne touche pas. Puis, le couple sort de la
maison pour continuer la fête. La consommation du mariage n’aura lieu qu’au
lendemain des cérémonies.
Le cérémonial de la célébration du mariage songe est fort simplifié la future
mariée, accompagnée par un cortège porteur de son trousseau se dirige vers le
village de son mari qui la prend par la main, lui fait faire le tour du village, le
conduit à son domicile et l’y introduit. La femme prépare un repas qu’elle sert
aux invités, avec libations du vin de palme aux mânes des ancêtres en vue de
solliciter protection et prospérité. Cette introduction au domicile conjugal
consacre le couronnement de l’union.
Les Luba-Katanga commencent par l’inspection de la mariée, preuve de son
intégrité physique. Ensuite, la procession, chargé du trousseau, s’ébranle ; un
parent de la femme prend place dans le cortège, muni de muketo, symbole de
responsabilité et de fidélité de la femme qu’elle transmet à son mari. La femme
est portée sur le dos par l’une de ses proches vers le domicile du mari, lequel doit
dégager divers obstacles dressés sur le chemin ; le mari dégage enfin le dernier
obstacle pour libérer la porte et le lit : le couple franchit ainsi le seuil de la maison
et y pénètre sous les applaudissements de l’assistance. Les festivités se clôturent
par un banquet des noces offert aux invités.
Deux mois après la célébration, la jeune épouse effectue un bref séjour chez ses
parents d’où elle revient avec une chèvre et deux poules ; elle prépare un repas
pour le paterfamilias ; la consommation de ces mets implique toute la famille
dans l’octroi du secours et de la protection à la femme.
La célébration du mariage Sanga consiste dans le transport de la mariée au
domicile de son mari, au cours duquel divers obstacles doivent être dégagés.
53

L’épouse pénètre dans la maison dès que la porte et le lit sont libérés. Le banquet
des noces met fin au cérémonial.
Telle est la procédure générale de la conclusion définitive du mariage en Droit
traditionnel congolais.
Mais quelles en sont les conséquences ?
V. Les effets du mariage
Le mariage coutumier produit d’innombrables effets tant à
l’égard des époux, de leurs enfants mineurs qu’à celui de leurs familles
respectives.
Nous verrons respectivement le ménage, les Droits et devoirs conjugaux et les
régimes matrimoniaux.
A. Le ménage
Nul doute que le mariage crée le ménage. Celui-ci est essentiellement constitué
des époux, de leurs enfants et d’autres parents à leur charge.
Le mariage consacre l’union matrimoniale définitive et indisso-
luble, en ce que les époux s’engagent pour toute la vie, le divorce étant une
exception. Il y a des coutumes qui connaissent des mariages où le de divorce
n’est jamais permis, en raison de la qualité des époux ; ces coutumes permettent
également aux conjoints ‘attacher à leur union un caractère d’indissolubilité,
concrétisé par la cérémonie d’échange des sangs, doublé d’un pacte de
monogamie.
La femme est désormais au risque du mari, responsable vis-àvis de la famille de
l’épouse de tout ce qui arrivera de défavorable ; ce dernier devra indemnité en
cas de préjudice ; cette responsabilité découle du principe de la responsabilité de
l’hôte et disparaît dès que la femme n’habite plus au domicile conjugal77.
Néanmoins, la femme joue un rôle essentiel en tant qu’épouse et mère. L’on
constate l’égalité juridique de la femme avec l’homme dans le mariage, la
vénération dont le congolais entoure sa mère ; la femme occupe souvent une
situation confortable dans le régime politique.
Le mari est le chef du ménage, mais son autorité n’est pas une tyrannie ; il ne
peut pas exagérer les services. La femme lui doit respect et obéissance. En bonne
ménagère, elle exécute les travaux y afférents.
Dans le ménage coutumier, l’autorité est synonyme de paternité, laquelle est
sacrée d’une manière illimitée. On le constate à travers l’analyse de quelques
coutumes, selon qu’il s’agit de la patrilinéalité ou de la matrilinéalité.

77
Dekkers R., op.cit, p.51
54

Il est des coutumes où le père exerce l’autorité dans le foyer, tout en permettant
à la mère et son ayant Droit d’y participer. Bien qu’il y ait une certaine préférence
à la mère et à sa lignée, le père et sa lignée concourent aux Droits et devoirs de
garde et de tutelle (Kuba, Kongo, Sanga, Leele).
Pour certaines coutumes, le père exerce l’autorité, certes fragile, dans le foyer ;
la garde des enfants est déférée à la lignée maternelle, sans exclure la possibilité
pour le père de l’assumer. Il arrive parfois que la matrilinéalité aboutisse à la
désaffection envers les enfants de la part des parents maternels éloignés (Laba,
Lamba).
Aussi, le père en vie exerce l’autorité sur l’enfant, sans négliger le rôle de la
mère et de son ayant Droit. La dévolution de la tutelle relève de la matrilinéalité
ou de la patrilinéalité (Hemba).
De même, les père et mère lunda exercent l’autorité sur leurs
enfants sous la surveillance de leurs lignées respectives. La tutelle est dévolue
indifféremment à l’une ou l’autre lignée ; seul prime, l’intérêt de l’enfant.
La coutume des Luba du Katanga accorde au père le Droit
d’exerce l’autorité sur ses enfants au nom de la famille, sans toutefois exclure
l’influence de sa mère et de sa lignée ; la tutelle est régie conformément aux
règles de la patrilinéalité.
Au Kasaï, le père et sa lignée exercent l’autorité paternelle sur l’enfant ; le rôle
de la mère et de sa famille est très réduit (Luba, Lulua).
La solidarité familiale et l’autorité paternelle restent très fortes chez les Songe,
avec, cependant, une préférence pour le côté paternel. Il y a concours des lignées
en matière de tutelle.
En somme, on peut dire qu’il se dessine une légère évolution vers l’exercice
conjoint de cette autorité dans un régime de bilinéalité.
B. Les droits et devoirs conjugaux
Il y a une corrélation entre les droits et devoirs conjugaux, en ce sens que ce qui
est un droit pour le mari est un devoir pour la femme et vice versa.
Cette rubrique a trait à l’étude des droits et devoirs tradition-
nels, à savoir la cohabitation, la fidélité, le secours l’assistance, l’affection et
l’entretien.
1. La cohabitation ou devoir de domicile commun
Le mariage crée entre mari et femme des droits et obligations, parmi lesquels
figure la cohabitation. Les époux doivent cohabiter pour pouvoir consommer leur
mariage, car la procréation en constitue un but primordial. Les époux se doivent,
sous peine de divorce, des rapports sexuels normaux ; l’impuissance et la stérilité
occasionnent inévitablement la rupture du lien conjugal. La femme peut se
55

refuser à d’autres pratiques et le mari peut être considéré comme ayant commis
une injure grave s’il les a réclamées.
Mais, comment fixer le lieu de cohabitation, le domicile ou la résidence ? A qui
en revient le choix ?
La réponse à ces questions dépend du système familial, patrilinéaire ou
matrilinéaire, et de la femme, du mariage monogamique ou polygamique.
Dans le système patrilinéaire, le choix du domicile appartient presque toujours
au mari. La résidence est patrilocale et virilocale (Luba, Lulua, Songe, Mongo,
Bira, Lega). La femme doit suivre le mari, lequel est tenu à la recevoir au
domicile conjugal.
Dans le système matrilinéaire, le mari s’installe en général dans le village de sa
femme, à l’exception du chef qui continue à vivre dans son village où la femme
doit le suivre. Les époux doivent cohabiter ; la résidence est matrilocale et
uxorilocale ; cependant, le mari peut être autorité par les beaux-parents à fixer le
domicile conjugal en dehors du village de son épouse et ce, après la réalisation
des obligations culturales (Sanga, Lamba, Lala).
La forme du mariage influe aussi sur l’établissement du domi-
cile conjugal. Aucune difficulté dans un mariage monogamique ; le mari fixe le
domicile et y reçoit sa femme. Mais, dans un mariage polygamique, la situation
devient complexe ; le devoir de cohabitation pèse principalement sur la femme.
Le mari polygame pratique le mariage uxorilocal où il observe le tour de nuit à
l’égard de ses épouses, se déplace d’une résidence à une autre, de telle sorte qu’il
se produit une instabilité résidentielle accompagnée de déménagements
fréquents des ménages d’un village à un autre. Il existe parfois des situations
hydrides : des systèmes patrilinéaires couplés de virilocalité, ou des systèmes
patrilinéaires couplés d’uxorilocalité (Kongo, Kuba, Yansi, Sakata, Lunda,
Hemba). souvent, les circonstances accidentelles poussent le mari à établir la
résidence au village de la femme, par exemple mort d’enfants, infécondité,
maladies, disputes, etc.
Au bout du compte, les époux sont obligés de cohabiter et
d’avoir des rapports sexuels constants et ce, quel que soit le système familial dans
lequel ils évoluent.
2. La fidélité ou devoir de rapport sexuels en vue de la procréations
Le devoir de fidélité est sacré en Droit traditionnel ; il revêt un caractère à la fois
juridique et moral ; il est réciproque entre mari et femme. Mais, l’obligation de
fidélité est atténuée pour le mari dans le régime polygamique où l’homme est
autorisé à avoir des rapports sexuels avec ses multiples femmes. Il en est de
même en matière du culte de purification relatif au veuvage et de l’hospitalité où
56

il était loisible au chef de permettre aux clients de jouir de l’une ou l’autre de ses
épouses (Libinja, Mwe)78. Ce devoir a sans doute parmi ses buts la satisfaction
de l’amour et des besoins des époux, mais cependant surtout la perpétuation du
groupe.
Aussi la violation de ce devoir est-elle sévèrement sanctionnée sur le plan pénal
et civil. Au pénal, la coutume inflige à la femme commet l’adultère et à son
complice des sanctions très sévères, voire cruelles (écartement des jambes,
exposition au soleil, ficelage des parties génitales, amputation, etc.). Au civil le
complice est en outre condamné au paiement des indemnités. L’adultère du mari
est réprimé lorsqu’il est entouré de circonstances aggravantes telles que l’inceste
et la souillure du lit conjugal.
3. Le secours
Il sied de rappeler que le devoir de secours revêt un caractère essentiellement
matériel, économique ou financier.
La coutume oblige les époux à contribuer aux charges du mé-
nage et ce, dans la limite de leurs possibilités. Elle détermine, en fait, la part de
chaque conjoint.
Ainsi, la femme s’attelle normalement à sarcler les champs, semer, récolter le
grain, préparer les repas, puiser de l’eau, couper le bois, faire la lessive, désherber
les sentiers, faire la nasse, soigner les enfants, etc.
En revanche, le mari doit construire la maison, vêtir sa femme et ses enfants, les
nourrir et les entretenir, cultiver les champs, ériger les greniers, surveiller le
bétail, cultiver les champs de la belle-mère, etc.
En un mot, les époux contractent chacun l’obligation de subvenir aux besoins du
conjoint et des enfants.
4. L’assistance
L’assistance revêt une dimension morale ; elle concerne le réconfort moral.
Les époux contractent l’obligation de s’assister dans les épreuves. Le mari a
l’obligation de soigner sa conjointe malade. Aussi la maladie contractée par la
femme pendant le mariage n’est-elle pas une cause de divorce, surtout lorsqu’une
visite prénuptiale prouve qu’elle est physiquement saine, intacte. La coutume
impose la même obligation à la femme, laquelle doit assister et apporter le
réconfort moral à son mari en cas d’épreuves.
Enfin, il convient de noter que le secours et l’assistance ne se limitent pas aux
seuls époux ; ils s’étendent également aux familles alliées, famille du mari et
celle de la femme ; le devoir d’affection et d’égards des époux s’étend aux alliés.

78
Vansina J., op.cit, p.72.
57

En effet, on ne cessera jamais de répéter qu’en Droit coutumier, le mariage crée


les liens entre les deux familles des époux, qu’il est un contrat qui scelle l’union
des deux parentèles ; en conséquence, il engendre des Droits et des obligations
dans le chef des deux familles, lesquelles sont appelées à garder contact
permanent et à s’entraider.
5. Affection
Il peut hardiment être exprimé, car tout ce qui prouve un défaut d’affection de
la part d’un époux vis-à-vis de son conjoint sera considéré par celui-ci comme
un manquement, et l’accumulation de petits griefs de ce genre finira par
constituer ce que nous appelions « l’injure grave », cause de la dissolution du
mariage.
6. L’entretien
Chacun des époux doit contribuer selon ses ressources aux be-
soins du ménage. Chacun a le droit exclusif au produit de son activité, mais à
charge d’en consacrer une partie à l’entretien du conjoint et des enfants.
Dans certaines coutumes, la répartition de ces interventions est très stricte. Le
mari doit notamment pourvoir sa femme de vêtements, obligation qui n’était pas
toujours très onéreuse autrefois, mais l’est devenue.
C. Les régimes matrimoniaux
Le régime matrimonial est l’ensemble des règles ayant trait aux rapports
pécuniaires des époux entre eux et vis-à-vis des tiers. Le Droit écrit prévoit trois
régimes matrimoniaux, à savoir la séparation des biens, la communauté réduite
aux acquêts et la communauté universelle.
Sans risque d’être contredit, il y a lieu d’affirmer que la majorité des coutumes
congolaises, pour ne pas dire toutes, organisent cette matière et optent pour la
séparation des biens. Il est de fois où le régime de la séparation des biens est
couplé de la communauté réduite aux acquêts (Lala, Lamba), en ce sens que
certains biens acquis pendant le mariage rentrent dans la masse commune, tandis
que d’autres demeurent biens propres de chaque époux. C’est ainsi que les
revenus des activités professionnelles rentreront dans la communauté ; en
revanche, les biens provenant des Droits et dons faits à la femme par ses parents
restent ses biens propres.
L’option pour le régime de la séparation des biens en Droit traditionnel se
manifeste surtout lors de la dissolution du mariage, du partage des biens. A cette
occasion, on constate que les parents héritiers de la femme exigent et récupèrent,
58

au préalable, de l’ex-mari, les biens propres de leur fille, sous peine de sanctions
coutumières, telles que le refus d’initier le rite de purification à son égard79.
Constituent, en général, biens propres de la femme, le trous-
seau, des instruments de travail agricole, les poules, les objets de toilette et de
parure, les cadeaux, les ustensiles de cuisine, les pots en terre, les nasses, etc.
pour l’homme, on peut mentionner la maison, le gros bétail, les champs, le
matériel aratoire, la succession, la dot, son fusil, ses vêtements. Le reste devient
le patrimoine commun (tous les biens du ménage).
Les deux époux doivent contribuer aux charges du ménage, lesquels charges
pèsent davantage sur le mari. En conséquence, celui-ci assure généralement la
gestion et l’administration des biens de sa femme.
En cas de dissolution du mariage, par décès ou par divorce, la coutume prévoit
les règles de procédure relatives au partage des biens.
§3. La dissolution du mariage
Le Droit coutumier consacre, en général, trois modes de disso-
lution du mariage : le décès, le divorce et la répudiation ; on peut également y
ajouter l’absence et la disparation. Mais, nous nous en tenons ici aux trois modes
essentiels, décès, divorce, réputation.
I. Les modes dissolution
A. Les décès
Le décès de l’un des époux est une cause naturelle de dissolu-
tion du mariage ; on y peut rien, il y a fatalité. Cette cause n’appelle pas de
commentaire spécial. Néanmoins, elle produit des effets matrimoniaux qu’il
convient d’analyser.
Lorsqu’il y a décès d’un époux, le conjoint survivant tombe automatiquement
dans le veuvage, lequel est défini comme la situation d’une personne veuve et
non remariée. Pendant le veuvage, le conjoint survivant doit accomplir des rites
de purification, sous peine de malédiction, d’envoûtements.
1. Le décès du mari
A la mort du mari, la coutume prescrit un culte de libération à l’égard de la
femme. Ce culte passe par plusieurs étapes dont la purification, le paiement d’une
indemnité et le lévirat.

79
Bompaka N. L’évolution actuelle des régimes matrimoniaux en coutume sakata, Annales de la
faculté de Droit, vol.2, pp.96 et 99, Kinshasa 1973.
59

a. La purification
Lorsqu’une personne décède, un effluve se dégage de son corps. En cas du décès
d’un époux, en criant que son effluve ne se colle au conjoint survivant et ne se
transmette également au tiers en rapports intimes avec ce dernier.
Ainsi, une femme qui a perdu son mari est astreinte à une série de rites pour se
libérer, notamment la succession charnelle avec un parent de son mari prédécédé,
l’acte que Jean Sohier qualifie le pseudo-lévirat80.
Toutes les coutumes consacrent ce rite, lequel consiste ici à soumettre la veuve à
la consommation de l’acte sexuel avec un parent du défunt ; parfois, l’acte sexuel
est remplacé par un simple simulacre ou toute autre cérémonie (glissement d’une
simple pièce de monnaie dans le cercueil, exorcisme par prière) susceptible de
lever le sort néfaste.
b. L’indemnité de mort
La veuve doit diverses indemnités, dites indemnités de mort, aux parents de son
ex-mari ; ces indemnités sont versées en nature ou en espèces (chèvres, poules,
fusil, argent) ; elles revêtent plusieurs significations. Elles traduisent en général
le coût dû à la perte d’un être cher, au vide laissé dans sa famille ; elles sont aussi
la marque de sympathie, d’amour, de fidélité, d’attachement, d’affection de la
veuve à l’égard de son ex-mari et de sa famille. D’ailleurs, le paiement préalable
de ces indemnités conditionne la cérémonie de purification.
c. Le lévirat
Toutes les coutumes congolaises connaissent et consacrent cette institution.
Le lévirat consiste à obliger un homme à épouser la veuve de son frère
prédécédé.
Nous ne cesserons de répéter qu’en Droit coutumier, bien que l’union conjugale
soit éteinte par le décès d’un conjoint, l’alliance subsiste entre le survivant et sa
belle-famille, aussi longtemps que la dot n’est pas remboursée et que les
indemnités obligatoires ne sont pas payées. Il se peut même qu’une nouvelle
union se greffe sur l’ancienne alliance, confortée par les liens précieux de
solidarité entre les deux familles ; au fond, on peut soutenir que le mariage fait
entrer définitivement la femme dans la famille de son mari, de telle sorte que
même la mort de ce dernier ne peut pas dissoudre le mariage. De ce fait, la veuve
fait partie de l’héritage et reste dans le voyer conjugal par le système de lévirat,
elle sera héritée par un frère du défunt ; en cas de refus, elle devra rembourser
intégralement la dot pour se libérer.

80
Sohier J., op.cit, CEPSI, 1964, n°64, p.59
60

Cette pratique est instituée dans l’intérêt de la veuve, dans l’intérêt des parents
de celle-ci et dans l’intérêt des enfants.
L’intérêt de la femme réside dans la prise en charge automatique et dans son
maintien, dans son environnement social où elle s’épanouirait auprès de ses
enfants.
Les parents de la veuve y trouvent aussi leur compte, en ce qu’ils ne pourront
pas se charger d’elle, ni restituer la dot, ni rompre l’alliance lucrative.
Enfin, les enfants restent à charge de la famille de leur père et de leur oncle
paternel héritier.
A ce sujet, Jean Sohier nous fournit d’intéressantes informations dans son étude
prérappelée dont nous reproduisons les extraits principaux.
La veuve peut épouser le frère du conjoint défunt ; mais les nouveaux époux
doivent consentir au mariage et échanger les valeurs dotales. Cette nouvelle
union prend la place de la première et produit des effets matrimoniaux entre eux
(Laba, Lamba).
Le survivant des époux peut épouser le « swana », héritier du mort ; mais ils
doivent y consentir et une nouvelle dot scellera l’union (Sanga) ; autrement, la
veuve garde les orphelins.
Le survivant des époux peut épouser l’héritier du défunt dési-
gné par la famille de celui-ci. Mais, les époux doivent consentir à leur union et
célébrer le nouveau mariage et ce, dans l’intérêt des orphelins (Hemba, Lunda).
Avec le plein consentement des époux, le survivant peut se marier avec un
héritier du défunt : dans ce cas, la première dot demeure consignée et un
complément versé (Luba-Katanga).
La coutume lulua, luba-kasaï prévoit le remariage, le remplacement pour la
veuve ; les nouveaux époux doivent manifester leur consentement ; un
supplément de dot est versé. Un fils peut épouser sa marâtre veuve. Il en est de
même de la coutume de songe.
2. Le décès de la femme
Les considérations que nous avons évoquées à la mort du mari s’appliquent
également au décès de la femme, c'est-à-dire passer par les phases de purification,
d’indemnité et de sororat.
a. La purification
D’une manière générale, le veuvage du mari commence immé-
diatement après l’inhumation de sa femme et dure trois mois. pendant cette
période, le veuf est soumis aux rites de purification; il ne se lave plus et laisse
pousser les cheveux et la barbe ; il prend des repas légers et sobres ; il s’abstient
des boissons alcoolisées et de la cigarette ; il ne peut pas remarier, etc.
61

A la fin du veuvage, les parents de la défunte conduisent le veuf en brousse où


ils lui coupent les cheveux et la barbe et ce, autour du feu dressé à la croisée des
chemins ; puis, ils le lavent au milieu d’un ruisseau. Une fois ramené au village,
il se banalise, disparaît discrètement et s’abrite quelque part : là, il passe la nuit
avec une sœur ou une cousine de la défunte ; le couple occasionnel réalise, en
général, l’acte sexuel ; parfois, il se limite à un cérémonial symbolique, à un
simple simulacre. Ce simulacre se limite à une simple étreinte, un contact, un
lavage dans une pièce d’eau (Lula, Mala, Lala, Ksanganaie, Luba).
De ce fait, le veuf est libéré et peut reprendre sa vie normale et même convoler
en secondes noces.
b. Les indemnités de mort.
En principe, le veuf verse une indemnité de mort à sa bellefamille. Celle-ci revêt
plusieurs significations.
L’indemnité est, en somme, une conséquence du devoir de garde dévolu au mari.
Elle présente des avantages inestimables ; elle est un frein efficace à la licence
des meurs ; elle élimine les conflits sur la responsabilité dans la mort d’un tiers,
d’autant plus que la mentalité bantoue ne croit pas à une mort naturelle ; elle
valorise l’être humain et constitue une compensation pour la famille de la
défunte, en ce que le travail de la femme mariée a été perdu pour les siens durant
le mariage.
René Dekkers81 abonde dans ce sens : « l’époux survivant doit aux parents du
défunt des indemnités de mort. Cela est surtout vrai au mari à cause du principe
que la femme est à son risque. Les indemnités sont cependant jusqu’à un certain
point réciproques. Elles constituent des marques de sympathie, des
dédommagements pour deuil, une façon
d’alléger la douleur. Elles sont strictement détaillées par la coutume et portent
souvent des normes pittoresques qui attestent une curieuse façon d’analyser le
préjudice. Causé à tous par un décès ».
A cet effet, Jean Sohier et Joseph Kasongo nous apportent deux exemples
intéressants.
Jean Sohier82 nous donne le libellé de l’édit 27 de M’siri : « Si votre femme
meurt et si elle était votre esclave, il n’y a rien à payer ; même si elle était votre
parenté, vous n’avez rien à payer. Si elle est la fille d’une femme libre, c’est
différent. Pourtant, nous autres Bayeke nous n‘avons pas l’habitude de payer
dans ces cas ; nous disons : « si votre femme meurt, c’est Dieu qui l’a tuée » ;

81
Deckers R., op.cit, p.52
82
Sohier J., op.cit, p.88
62

nous donnons nos richesses pour en avoir une autre. Nous disons au mari qui a
perdu sa femme : « ce n’est pas vous qui avez tué notre fille ; c’est Dieu qui l’a
tuée ». Pourtant les gens d’ici, quand leur fille meurt, font des revendications ; si
la fille d’une femme libre meurt, ses parents considèrent le mari comme esclave
jusqu’au moment où il a payé sa rançon ; après paiement, il est libre ». L’auteur
termine en ajoutant que législateur yeke est parvenu à éliminer beaucoup de
coutumes rétrogrades ; mais il s’est heurté à la résistance du Droit local ; il tolère
; mais il désapprouve tout en limitant les abus, telles les spéculations sur le
montant des indemnités.
De même, Joseph Kasongo83 nous en édifie dans son étude sur le Lufwa chez les
Baluba Bene Mutombo Mukulu de Kaniama au Katanga, étude dont nous
reproductions un extrait.
Il sied de préciser que le terme « Lufwa » désigne l’ensemble des droits et
obligations mortuaires nés à l’occasion de la mort de l’épouse.
Voici le divorce de l’agonie : « Lorsque la mort de l’épouse est proche, la
parentèle maritale doit sur le champ faire venir un témoin mortuaire, proche
parent de la femme ou à défaut, un ami de la famille de la femme. Ce témoin
devra procéder à la cérémonie de divorce, en application du principe ci-après : «
Célibataire, tu es venu au monde. Célibataire, tu dois quitter le monde ». Il
convoque les beaux-parents du mari et leur remet ce dernier en prononçant ces
paroles : le vôtre, le voici, nous vous le remettons. Le divorce est consommé. En
contre partie, la belle-famille remet au témoin mortuaire un objet quelconque,
reconnaissant ainsi que leur enfant (le mari) leur a été rendu sain et sauf. Cet
objet est l’unique preuve qui atteste que le divorce est intervenu avant la mort de
l’épouse… Le divorce consommé, le mari doit le retirer. L’explication est
d’ordre vitaliste. Il est très néfaste qu’à son heure extrême, la femme aperçoive
l’être de ses pensées ; jalouse, elle emporterait l’image de son mari dans le monde
des esprits ; elle ne quittera jamais celui qu’elle aime encore, lui rendra de petites
visites et l’étranglera. Si le veuf se remarier, il connaît des scènes étranges de
jalousie entre la défunte et celle qui l’a remplacée. La parentèle maritale organise
les cérémonies de retour de la défunte dans sa famille avec tous ses biens, comme
lors des cérémonies nuptiales ; … les indemnités sont payées à chaque croisée
des chemins … Ensuite, l’on organise le procès de la défunte (Mishingi). A cette
occasion, le veuf paie diverses indemnités représentant notamment les
souffrances de l’annonce du décès, l’attente angoissée des beaux-parents du

83
Kasongo J., Le lufwa, Droits et obligations mortuaires nés à l’occasion de la mort de l’épouse chez
les Baluba de Mutombo Mukulu, R.J.C., 1996, p.388.
63

retour de la dépouille dans sa famille, les pleurs et les pleurs et les chèvres pour
maints égards et services rendus par la défunte… »
c. Le sororat
Soulignons que le sororat est une institution qui permet au conjoint survivant de
prendre en secondes noces une sœur ou une cousine de son épouse prédécédée.
Van Hamme84 cité par Jean Sohier lie le sororat et le remboursement de la dot
après le décès de la femme. La dot ne sera pas restituée lorsque le sororat est
réalité, surtout si l’union a eu des enfants.
A la fin du deuil, les beaux-parents essaient de réunir la dot à rembourser au
veuf, d’autant plus que ce dernier a besoin de cette dot pour se procurer une
nouvelle épouse, laquelle prendra soin des enfants laissés par la défunte. Au lieu
d’aller chercher une nouvelle épouse ailleurs, le veuf peut s’adresser à la belle-
famille pour lui fournir cette épouse qui remplacera la défunte. En cas d’une
réponse affirmative, il recevra une sœur ou une cousine de son ex-épouse ; une
solution sera ainsi trouvée sur le plan juridique. Le sororat, cette institution de
remplacement présente d’heureuses incidences sociales. Il permet aux deux
familles, déjà longtemps liées par l’affection et la solidarité, de maintenir ces
solides liens ; il empêche la restitution de la dot et l’abandon des orphelins à leur
triste sort d’être privés de l’affection maternelle. Certes, cela suppose le
consentement mutuel des nouveaux époux et de leurs familles respectives.
Mais qu’en est-il du divorce ?
B. Le divorce
Le divorce est aussi un mode très fréquent de dissolution du
Mariage. Il comporte ses causes et sa procédure.
1. Les notions
Il y a lieu de rappeler que le divorce est la rupture du lien conjugal. Les
coutumes consacrent en général deux modes de divorce : divorce pour une
cause déterminée et divorce par consentement mutuel, autrement appelé
divorce pour incompatibilité d’humeur. Celui-ci est souvent assimilé à la
répudiation dont nous nous occupons plus loin85. Ici, il est essentiellement
question du divorce pour une cause déterminée.
2. Les causes du divorce
Le Droit traditionnel prévoit une grielle des causes du divorce.
Cette liste est variée et illimitée. L’on peut notamment mentionner la stérilité de
la femme, l’adultère de la femme, l’inconduite du mari, l’absence prolongée du
84
Sohier J., op.cit, p.66
85
- Sohier, op.cit, BJI, 1994, p.399 -
Keba M’Baye, op.cit., p.27.
64

mari ou de la femme, le manque d’égards vis-à-vis des beauxparents, l’abandon


du domicile conjugal, les injures graves, la sorcellerie, les mauvais traitements
infligés à la femme, l’incompatibilité d’humeur, l’impuissance, la folie, la
maladie grave, le défaut d’entretien de la femme, le vol, l’oisiveté, la fainéantise,
le bavardage, le vagabondage, la désobéissance à l’égard du mari et de la belle-
famille, l’égoïsme, l’avarice, etc.
L’on peut soutenir qu’en principe, tout manquement grave d’un époux à ses
obligations conjugales constitue une cause de divorce, et peut l’occasionner.
Mais, il y en a qui l’entraînent absolument. C’est surtout le cas de la stérilité, de
l’impuissance, de l’adultère et de l’absence des rapports sexuels. Il en ressort que
ces dernières causes s’articulent autour de la procréation. Cela conforte la
conviction selon laquelle le but primordial du mariage dans la mentalité bantoue
est la procréation.
La stérilité de la femme constitue la première cause de divorce dans la majorité
des coutumes. Elle est un fléau pour le ménage avide d’enfants. Le couple essaie
d’abord par tous les moyens d’y remédier pour éviter le divorce ; il recourt
d’abord à la médecine indigène. En cas d’insuccès, le divorce peut intervenir.
Il en est ainsi de l’impuissance. Dans ce cas, le couple peut recourir au service
d’un substitut, d’un pseudo-amant, pour remplacer le mari. De commun accord,
les époux décident de chercher ce substitut parmi les amis intimes du mari. Une
fois l’oiseau rare trouvé, on le mettra subtilement et discrètement en contact avec
la femme. Celui-ci entretiendra des rapports sexuels avec elle jusqu’à ce qu’elle
tombe enceinte. De cette manière, le divorce sera évité.
L’adultère est sévèrement réprimé ; il provoque à la fois le divorce et diverses
autres sanctions.
Outre le divorce, les complices d’adultère s’exposent aux sanctions pénales et
civiles ; il y a écartèlement des jambes pour la femme adultère, ficelage de la
verge pour son complice, promenade des intéressés déshabillés à travers le
village, sans oublier la peine capitale et de multiples amendes.
L’absence prolongée des rapports peut également entraîner le divorce, car
l’objectif principal qu’est la procréation ne pourra jamais être réalisé.
3. La procédure
En général, le divorce ne s’obtenait pas par une instance devant un tribunal pour
faire prononcer la dissolution du mariage.
En Droit traditionnel, il n’existe pas de procédure régulière en matière de
divorce. Le conjoint qui veut divorcer met l’autre devant une situation du fait
accompli. Ce n’est qu’après coup que les parties peuvent recourir à la procédure
privée.
65

L’initiative du divorce peut provenir soit du mari, soit de la femme, soit encore
des parents de la femme ou du mari.
Le divorce peut se réaliser à la demande du mari, lequel en avance les motifs,
tels adultères, stérilité, disputes, sorcellerie etc. le mari donne l’ordre à son
épouse de quitter le toit conjugal et de rentre chez ses parents avec tous ses effets
personnels. Si l’épouse refuse, le couple saisit le conseil des sages du village pour
arbitrer. Le conseil des sages se réunit en présence des époux et des parents de la
femme ; il tente en premier lieu, de réconcilier les parties ; en cas d’échec, il en
prend acte et confirme ainsi le divorce.
Si l’épouse accepte son renvoi, elle rentre chez elle avec tous ses effets
personnes.
L’initiative peut aussi venir de la femme qui notifie à son mari son intention de
divorcer de rentrer chez ses parents. L’on suit la même procédure.
Il peut aussi arriver que les beaux-parents demandent le di-
vorce de leur fille avec son mari. C’est notamment le cas, lorsque le mari
n’entretient pas sa femme ou l’abandonne pendant une longue période. La
procédure mue demeure pareille.
C. La répudiation
La répudiation est un mode de divorce par décision unilatérale du mari. Elle peut
être expresse ou tacite ; elle est expresse lorsque le mari chasse expressément la
femme et la renvoie chez ses parents sans avoir à se justifier ; elle est tacite quand
le mari abandonne son épouse pendant une longue période ou refuse de lui
fournir des soins médicaux. Elle traduit ainsi l’intégralité profonde entre
l’homme et la femme. Elle se fonde souvent sur les motifs sérieux ; adultère,
maladie contagieuse ou incurable, désobéissance au mari, etc. parfois, elle est
due à l’incompatibilité d’humeur ou aux simples caprices du mari lassé de la
longue cohabitation. L’on recourt au même arbitrage qu’en matière de divorce
pour une cause déterminée.
II. Les effets de la dissolution du mariage
La dissolution du mariage coutumier produit un triple effet ayant trait à la
libération des époux de l’union conjugale, au remboursement de la dot et à la
garde des enfants en bas âge et ce, quel qu’en soit le mode.
A. Le remboursement de la dot
A la dissolution du mariage, les parents de la femme doivent obligatoirement
restituer la dot. Mais il faut noter que ce remboursement n’est jamais total ; il est
partiel. En effet on tient toujours compte de la durée de la cohabitation, des
services rendus au mari et à la belle-famille, du nombre des enfants que la femme
aura donnés, de l’ampleur des torts causés par le mari à la femme, etc.
66

En principe, la dot est remboursable en cas de divorce légitime ou de mort du


mari non suivi d’un mariage par héritage (lévirat). Son importance est appréciée
selon les hypothèses susdites. Souvent, elle ne l’est pas lorsqu’il y a beaucoup
d’enfants issus de cette union.
La situation varie d’une coutume à une autre lorsque la femme décède. Il y a des
coutumes qui exigent la restitution de la dot en cas de la mort de l’épouse au
domicile de ses parents ; en revanche, d’autres s’y opposent lorsque le décès ou
la maladie de la femme survient au domicile conjugal.
B. La garde des enfants
Après la dissolution du mariage, la garde des enfants ne pose pratiquement pas
de problème en Droit coutumier.
Cette garde est dévolue suivant les règles d’attribution à une lignée, paternelle
ou maternelle. Celle des enfants en bas âge est confiée à leur mère ; elle peut être
aussi d’évolue à la grand-mère paternelle ou maternelle, ou parfois à une tante.
Dans tous les cas le père a un droit de visite ; il donne une pension pour l’entretien
des enfants.
Aussi, quel que soit l’époux en tort, les enfants continuent à faire partie
juridiquement de la parentèle à laquelle les rattache leur coutume.
III. Le mariage indissoluble
De mariages où le divorce n’est jamais autorisé en raison de la qualité des époux
(tel que chez les lega : KANYAMWA et NYAMAKAGA), ou encore permettent
aux conjoints d’attacher à leur union le caractère d’indissolubilité. Il s’agit de cas
où le mariage est en même temps monogamique, soit par la volonté de la loi, soit
par un engagement réciproque où les époux peuvent, même dès les fiançailles,
prendre l’engagement réciproque de monogamie. Cet accord se réalisait par
l’accomplissement de cérémonies d’ordre superstitieux, par l’échange des sangs.
En général le pacte de monogamie comportait une promesse d’indissolubilité du
mariage, et parfois une interdiction de remariage en cas de décès du conjoint.
§4. La filiation
A l’instar du Droit écrit, le Droit traditionnel consacre aussi trois modes de
filiation, à savoir la filiation légitime, la filiation illégitime et la filiation adoptive.
Mais, ces modes sont diffus et indistincts.
D’abord, il faut rappeler que dans la société traditionnelle, la filiation crée des
rapports solides. Etant donné que le lien matrimonial est toujours fragile. Ainsi
l’enfant représente-t-il une force nouvelle dans la famille, quelque soit son
origine ; sa venue est toujours accueillie avec joie. Cette attitude facilité
l’établissement des liens qui l’unissent à ses père et mère indépendamment du
caractère légitime ou illégitime de ses liens. La procréation étant le but essentiel
67

du mariage, l’enfant trouve naturellement une place de choix, il doit continuer le


culte des ancêtres. D’où le désir de tout homme d’avoir des garçons plutôt que
des filles pour pratiquer les rites et usages de la famille ; l’enfant trouve toujours
un foyer, à tel point qu’il n’y a presque pas d’enfant abandonné.
L’établissement du lien de filiation légitime ou illégitime suit toujours les règles
de régimes patrilinéaire et matrilinéaire, en ce sens que ce lien juridique rattache
l’enfant à son père ou à sa mère selon le système. Le lien de filiation de l’enfant
est établi à l’égard du père et de sa famille dans le régime patrilinéaire et à l’égard
de la mère et de sa famille lorsqu’il s’agit de la matrilinéalité.
La distinction entre l’enfant légitime et l’enfant illégitime n’est pas notable. La
discrimination entre les deux est pratiquement inexistante.
La filiation légitime a une protée très large. Elle vaut autant en cas de
monogamie qu’en celui de polygamie. La présomption de paternité joue
également ; la maternité se prouve par l’accouchement. L’enfant légitime est issu
de l’union régulière, monogamique ou polygamique. Cela n’appelle pas de
commentaire particulier, car il n’est pas difficile d’en administrer la preuve.
L’enfant sera rattaché à son père et sa famille, ou à sa mère et à la famille de
celle-ci.
La filiation illégitime ou naturelle ne pose pas de problème majeur, il suffit que
l’enfant soit reconnu par ses auteurs pour qu’il entre définitivement dans la
famille de son père ou de sa mère et y jouisse de tous les droits et avantages y
afférents. Il en est de même des enfants naturels adultérins, lesquels sont
considérés comme enfant de l’époux légitime tant que celui-ci ne les a pas
désavoués, car ils constituent une richesse de la postérité de la famille.
En général, les enfant naturels sont facilement acceptés au sein de la famille (du
père ou de la mère) où ils bénéficient des mêmes droits et avantages que les
enfants légitimes, à l’exception du droit de l’accession au trône, réservé en
principe aux enfants légitimes du premier lit. Cependant, certaines coutumes
voient dans la naissance d’un enfant naturel une honte par la famille, surtout
lorsqu’il est né d’une fille-mère ; parfois, pareil enfant était éliminé.
Compte tenu de la conception extensive de la communauté fa-
miliale, on constate que l’institution d’adoption était rare dans la société
traditionnelle ; celle-ci a connu le système de l’enfant recueilli ou confié, sans
qu’il soit établi un quelconque lien de filiation, même fictif, entre lui et son
adoptant86. Une fois adopté, l’enfant est intégré dans la famille où il bénéficie
des droits propres aux enfants légitimes.

86
Keba M’baye, op.cit, p.32
68

La tutelle est une institution qui ne joue pas un rôle notable dans la société
traditionnelle congolaise. La notion d’orphelin n’est pas perceptible grâce à
l’existence de la parenté. Tout enfant possède deux familles, celle du père et celle
de la mère, où il a toujours le droit de résidence. Il a naturellement un père
juridique, de telle sorte que le problème de la tutelle ne se pose pas. Il est
automatiquement pris en charge par l’une ou l’autre des deux familles.
Autrement, le chef du clan désigne d’office un tuteur à l’enfant orphelin,
abandonné.
En Droit coutumier, on parle plutôt de l’autorité paternelle, de la puissance
paternelle, que de l’autorité parentale, du fait que seul le père y joue un rôle
prépondérant.
Il est à noter que le père garde ses fils sous férule, toute la vie. Il arrive parfois
que l’exercice de l’autorité paternelle conduit à la condamnation à la peine de
mort ou à l’esclavage de l’enfant indigne, auquel cas l’avis du clan doit, au
préalable, être requis. Toutefois, le père indigne peut être déchu de son autorité
paternelle ; le fils peut aussi s’affranchir de cette autorité.
Il en est de même des filles ; mais celles-ci s’affranchissent de la puissance
paternelle lorsqu’elles se marient et passent sous l’autorité maritale.
En somme, le Droit coutumier ignore l’institution de majorité. En réalité,
l’homme ou la femme qui n’est pas chef de famille, n’acquiert jamais une entière
indépendance en vertu du seul facteur de l’âge87.
Après l’étude des personnes et de la famille, il faut nous atteler à présent à celle
des biens.
SECTION 2 : LES BIENS ET LES DROITS REELS
Il est question ici d’analyser, sous l’angle spécifiquement coutumier, la
conception des biens et des droits réels.
§1. Les notions
Il sied de rappeler qu’en Droit, le bien se désigne comme toute richesse, naturelle
ou acquise, corporelle ou incorporelle, susceptible d’être l’objet de droit au profit
d’une personne. Il doit remplir un double critère à la fois juridique et économique
: avoir une utilité économique et être susceptible d’appropriation ; il constitue un
élément important du patrimoine de toute personne.
Au point de vue juridique, on distingue entre les biens corporels et les biens
incorporels, les biens consomptibles et les biens non consomptibles, les biens

87
- Keba M’Baye, op.cit, p.31
- Sohier J., op.cit, CEPSI, 1963, n°62, p.61
69

fongibles et les biens non fongibles, les biens meubles et les biens immeubles,
les biens particuliers et les biens nationaux.
Les biens corporels ou matériels sont palpables ; ils revêtent une forme
matérielle (vêtement, machines, animaux).
Les biens incorporels ou immatériels n’ont de forme, de corps certain (Droit
d’auteur, brevet d’invention, marque de commerce).
Les biens consomptibles se détruisent dès leur premier usage
(nourriture, boisson, fufu). Les biens non consomptibles résistent à l’emploi (la
chaise, la voiture, la maison).
Les biens fongibles sont interchangeables (lait, haricots, beurre). Les
biens non fongibles ne peuvent pas être remplacés les uns par les autres
(immeubles, habits sur mesure).
Les biens meubles sont mobiles, amovibles (bic, livre, avion, chaise). Les biens
immeubles sont inamovibles, immobiles (fonds de terre, bâtiment, plantes fixées
au sol) ; il existe des immeubles par nature (sol, sous-sol), des immeubles par
incorporation (bâtiment, poteau, tuyau d’eau) et immeubles par destination
(semence, animaux, pressoirs).
Les biens particuliers sont dans le commerce et peuvent faire l’objet de
transaction entre particuliers. Les biens nationaux appartiennent à la
communauté, à l’Etat (routes, musées, ponts).
Le Droit réel est un droit subjectif créant des rapports juridiques directs entre
une personne et une chose, un bien. Il y a des droits réels principaux (droit de
propriété, servitudes, usage) et droits réels accessoires (gage, privilège,
hypothèque).
§2. La propriété
I. La définition
La propriété est un droit de jouir et de disposer des choses (biens) de manière
absolue et exclusive, pourvu qu’on n’en fasse pas un usage prohibé par les lois
ou par les règlements ; c’est un droit absolu, exclusif et perpétuel. Son titulaire
dispose de trois attributs : droit d’usage, droit de jouissance et droit de
disposition. Ces prérogatives peuvent être dissociées de la propriété et attribuées
à un tiers. On parle aussi du démembrement de la propriété ou des droits réels de
jouissance (usufruit, usage, habitation, emphytéose, superficie, servitudes).
Le Droit écrit congolais a introduit les notions de concession ordinaire en
matière foncière et immobilière. Il s’agit d’un simple droit d’usage et de
jouissance au profit d’un tiers, car la propriété foncière reste la propriété
exclusive de l’Etat.
70

Il y a deux sortes de modes d’acquisition de la propriété, modes originaires et


modes dérivés ; les modes originaires sont l’occupation, l’invention, l’accession,
la prescription acquisitive et la possession de bonne foi ; parmi les modes dérivés,
on retient la convention, la succession et le testament.
II. La propriété individuelle et la propriété collective
La majorité des coutumes accordent une portée très restrictive à la propriété
individuelle, personnelle. Celle-ci porte essentiellement sur les meubles,
immeubles (terre) demeurant la chasse gardée de la parentèle. L’individu dispose
de la petite propriété de subsistance pour subvenir aux besoins primaires et
nécessaires du foyer. Rentre notamment dans cette catégorie tout ce qui est le
produit de l’activité personnelle dont les aliments gagnés par le produit de
l’activité personnelle dont les aliments gagnés par la culture ou par la cueillette,
les poissons et les animaux tués à la chasse individuelle, les vêtements, les
ustensiles, le matériel aratoire, les outils de chasse ou de pêche, le petit bétail, les
petits effets personnels, etc88.
Il faut noter à l’heure actuelle, le déclin, certes lent, mais irréversible de la
propriété collective au profit de la propriété individuelle, des tabous et des
servitudes des coutumes claniques et ancestrales.
En revanche, le patrimoine collectif occupe une place considé-
rable dans la société traditionnelle précoloniale, surtout en matière foncière.
Ainsi la terre n’est pas susceptible de propriété individuelle ; elle est une
propriété collective du clan ; les individus ne détiennent que les droits sociaux à
l’égard de la communauté, en vertu desquels il leur est loisible d’occuper les
terres de cette parentèle et d’y exercer des prérogatives ; seul le chef du clan
contrôle l’exercice de ces droits.
La consistance de la propriété collective varie d’une coutume à une autre ; elle
renferme, d’une manière générale, les biens tels, les terrains de culture, les
troupeaux (chèvres, moutons, bœufs), les instruments de travail, les pirogues, les
filets de chasse et de pêche, la forge, les gros outils agricoles, les maisons
communes, les concessions foncières et forestières, les tombes, etc.).
III. La propriété mobilière et la propriété foncière
Le Droit coutumier a une perception nette et distincte de la propriété mobilière
et foncière.

88
Hulstaert, La propriété chez les Mongo, Aequatoria, 1946, n°1, 2021.
71

A. La propriété mobilière
L’assiette de la propriété mobilière referme tous les objets mobiliers tels que
définis plus haut. Elle comprenait parfois des esclaves dans la société
précoloniale.
Jadis, la propriété mobilière avait un caractère collectif. Tout le monde devenait
propriétaire des biens produits par les membres du groupe, de la famille, du clan.
Le père, l’aîné ou le frère se servaient à leur guise des biens apportés par un
parent.
Aujourd’hui, la propriété mobilière tend de plus en plus à devenir individuelle.
Cette tendance est favorisée par l’émancipation de l’individu, sa sortie de
l’engrenage clanique et la libre de circulation des personnes et des biens à travers
les grands espaces.
B. La propriété foncière
La propriété foncière englobe essentiellement le sol et le sous/sol. Mais, par
extension, on peut y inclure aussi les immeubles, la chasse, la pêche et le gros
bétail.
1. Le sol et le sous/sol
D’abord, il faut prévenir et noter que dès son installation, le pouvoir colonial
s’est attaqué aux problèmes des terres ; il s’est investi dans l’organisation
foncière, cadastrale, en recouvrant la plénitude des droits fonciers et en limitant
les droits des autochtones sur les terres.
L’administration coloniale divise les terres en deux zones terres vacantes
rentrant dans les terres domaniales (domaine public et domaine privé de l’Etat)
et terres indigènes dont la gestion était extrêmement conditionnée. Cette
exigence se note à l’article 1 du décret royal du 3 juin 1906 portant régime des
terres indigènes, lequel article dispose : « sont terres occupées par les indigènes,
les terres que les indigènes habitent, cultivent ou exploitent d’une manière
quelconque conformément aux coutumes et usages locaux ».
A partir de la loi Bakajika de 1966 complétée et renforcée par la loi du 20 juillet
1973, le sol et le sous/sol sont devenus la propriété exclusive de l’Etat où il est
prévu les concessions perpétuelles et ordinaires au profit des particuliers. Il y a
souvent des conflits de compétence entre l’Etat et l’autorité traditionnelle.
Sous cette rubrique, nous nous occupons de l’exploitation et de la gestion des
terres dans la société naturelle, ancestrale, antérieure à la colonisation et
également sous de récentes mutations.
Dans la société traditionnelle l’acquisition des terres s’opérait souvent par
l’occupation du territoire, de l’espace vital, par les groupes en migration. Ces
peuples envahisseurs prenaient les terres fertiles et nécessaires, si ces terres
72

étaient encore vacantes ; sinon, ils signaient des pactes avec les autochtones en
vue de la cession d’une partie de leur territoire. Parfois, les envahisseurs
prenaient le pouvoir et parvenaient à évincer les autochtones qu’ils subjuguaient.
Dès que le territoire est acquis, il devient la propriété collective et exclusive du
clan. Les terres appartiennent à la parentèle, au clan, aux ancêtres ; elles sont
inaliénables et sacrées. Leur gestion est confiée au chef du clan, paterfamilias,
lequel n’a pas le pouvoir d’aliéner ces terres ; il peut néanmoins concéder le droit
d’usage et de jouissance aux étrangers moyennant le tribut ou la redevance.
Donc, le chef est l’administrateur de la propriété collective ; à ce titre, il a le droit
d’exiger des tributs de la part des usagers étrangers. Il a une mission religieuse
d’assurer au sol la protection ancestrale, la fécondité, l’abondance et la force
vitale. Les autres membres du groupe ne possèdent que le droit de jouissance des
produits et des fruits naturels et civils.
Toutefois, l’importance de la fonction du chef varie d’une coutume à une autre.
Jean Sohier nous en donne un échantillon intéressant89.
Le chef du clan kusu est à la fois chef politique et chef de terre. Celle-ci est une
propriété collective et inaliénable. Les membres du clan ont le Droit d’usage sur
le fonds et jouissent des Droits individuels sur les produits de leurs champs.
Au Kasaï, la terre est collective et inaliénable. L’étranger ne peut s’y installer
qu’avec l’autorisation du chef du village, moyennant paiement d’un tribut. Le
chef distribue des terres arables aux autres membres du clan ; ces derniers puisent
des Droits exclusifs sur les produits de leurs activités champêtres ; ils peuvent
même vendre la récolte sur pied (Luba, Lulua).
La coutume songe consacre la propriété foncière collective et inaliénable. Le
chef de terre exerce le pouvoir à la fois politique et foncier ; il perçoit des tributs.
Les cultivateurs disposent des Droits individuels sur les revenus de leur travail.
La coutume luba du Katanga prévoit le fonds collectif et inalié-
nable ; le pouvoir politique diffère du pouvoir foncier ; il n’y a pas de cumul de
fonctions. Le cultivateur dispose des arbres et des constructions érigées sur le
fonds.
Pour les Hemba, la propriété appartient au clan sous la direc-
tion du chef de terre ; elle est indivisible et inaliénable. L’usager jouit des fruits
de ces activités agricoles.
La coutume lamba-belle autorise le chef de parentèle à cumuler les fonctions
politique et foncière ; le domaine foncier est inaliénable ; le chef le gère et perçoit

89
Sohier J., op.cit, CEPSI, n°65, pp.37-54.
73

des tributs. Les membres du clan y possèdent le Droit d’usage et jouissent des
fruits de leur travail.
Les Lunda considèrent la terre comme propriété ancestrale.
Celle-ci est un patrimoine collectif et inaliénable. Le chef la gère dans l’intérêt
de la collectivité ; il n’en est pas propriété. Les membres peuvent l’exploiter et
jouir des produits de leur travail.
Les Sanga consacrent l’inaliénabilité de la propriété foncière. Celle-ci appartient
au clan. Elle peut être démembrée entre lignées. Les exploitants jouissent de leurs
Droits respectifs.
2. D’après la loi foncière, les communautés locales ont-elles des
droits fonciers ?
Certes, la loi foncière a domanialisé toutes les terres de la République.
Mais elle a aussi reconnu des droits fonciers aux communautés traditionnelles.
A. Il est exacte que toutes les terres sont domanialisées
Aux termes de l’article 53 de la loi foncière, « le sol est la propriété exclusive,
inaliénable et imprescriptible de l’Etat ». Cette disposition pose ainsi le principe
de la domanialisation de toutes les terres de la République Démocratique du
Congo. L’article 387 de la même loi est encore plus explicite, les terres occupées
par les communautés locales sont aussi domanialisées.
Nous pouvons en déduire sans ambages que l’Etat étant seul propriétaire, que
les communautés locales ne peuvent revendiquer aucun droit de propriété
quelconque sur les terres en leur puissance.
B. Mais la loi reconnait aux communautés locales un droit foncier de
jouissance
Cependant l’article 389 de la loi foncière indique de manière non équivoque que
sur ses terres ces communautés ont un droit de jouissance. Notons que les articles
36,116 et 112 du Code forestier reconnaissent également et aussi clairement aux
mêmes communautés locales le droit d’usage et d’exploitation des forêts qu’elles
possèdent toujours en vertu de la coutume.
Ces textes garantissent aux communautés traditionnelles la continuation de
l’occupation de leurs terres avec les avantages qu’elles en retiraient peu importe
la forme de ces avantages qui consistent en cueillette, passage, exploitation du
sous-sol etc.
Mais quelles sont ces terres sur lesquelles, s’exerce le droit de jouissance de ces
communautés ?
De l’article 388 de la loi en étude nous pouvons affirmer que les communautés
traditionnelles ont un droit de jouissance sur trois types de terres. Il s’agit des :
- Terres habitées par ces communautés ;
74

- Terres cultivées par elles ; et


- Terres exploitées de manière quelconque individuellement ou
collectivement.
Conformément aux coutumes
Notons que cet article est une reproduction quasi intégrale de l’article 1 du décret
du 03 juin 1906. Si pour les deux premières catégories de terres, il n’y a pas de
difficultés particulières quant à leur localisation matérielle ou physique ; il n’en
est pas de même des terres exploitées de manière quelconque par ces
communautés. Que doit-on en fait entendre par « terres exploitées de manière
quelconque individuellement ou collectivement » ?
Malheureusement comme le législateur de 1906, celui de la loi foncière ne définit
pas non plus ce qu’il faudra entendre par cette expression. Faudra-til y donner
une interprétation extensive ou restrictive ?
En tout état de cause, il s’ensuit que pour la loi foncière et même pour le code
forestier, le critère pour considérer une terre ou une forêt comme « terres
exploitées de manière quelconque individuellement ou collectivement » par la
communauté locale ; c’est le recours à la coutume. C’est donc la coutume qu’il
faudra interroger pour rattacher une terre à une communauté quelconque.
Si tel est le cas, c’est la loi elle-même qui nous embarque dans des problèmes
étant donné que la conception coutumière du domaine foncier, de sa gestion et
des droits qui en résultent, n’est pas la même que celle qui se dégage de loi.
C. la conception traditionnelle de l’étendue du domaine foncier de la
communauté
Dans la conception traditionnelle, chaque clan a un domaine foncier qui
comprend « l’ensemble des terres du clan dont chacun des membres peut
disposer, dans les limites d’une saine utilisation, tout en respectant le droit du
reste de la collectivité, ainsi que les droits plus stricts d’autres membres qui, par
incorporation spéciale de leur travail au sol, ont affirmé leurs droits individuels
sur une partie du domaine foncier ».
Ce domaine du clan ne comprend pas uniquement des terrains couverts de
constructions ou de cultures mais s’étend à toutes les terres avoisinantes prises
en possession par le clan et sur lesquelles il exerce son animus domini.
Le domaine clanique peut ainsi être exploité en permanence ou
75

non ; il peut être non occupé. Il peut être étendu, ou fort réduit. Il peut posséder
des limites naturelles ou artificielles précises90, ou avoir des limites vagues ou
mal connues.
D’aucuns ont ailleurs affirmé que la question des limites n’offrait pas beaucoup
d’intérêts pour les communautés traditionnelles qui souvent se sont appropriés
des terres sans songer à les limiter exactement, se contentant généralement de
situer la limite à l’horizon91.
Certes, parfois les limites du domaine sont imprécises. Cette imprécision
résultait souvent de la manière dont le clan a obtenu la maîtrise de son domaine.
Or, les domaines étaient acquis soit par le fait d’une occupation pacifique d’une
terre vacante, soit par une spoliation lente ou brutale des terres d’autrui.
Malengreau fait une bonne description d’une occupation pacifique. Il écrit
notamment « … un beau jour, pousse par on se sait quelle raison, un indigène
part avec sa famille, c’est-à-dire, avec ses proches, ses clients, ses partisans à la
recherche d’une terre nouvelle ».
Celle-ci aussitôt découverte, il fait choix d’un emplacement, s’y installe et
construit son village. Il y a fait souche : sa famille se développe. Entre temps,
bien souvent, d’autres individus, attirés par sa présence, sont venus se joindre à
lui ; tous les reconnaissent comme chef de la collectivité ainsi formée. Très
naturellement cet individu a pris soin de se réserver un ensemble de terres bien
irriguées s’il est agriculteur, terre giboyeuse s’il est chasseur. Les autres parents
et étrangers s’installent dans le voisinage, puis sur les terrains libres de la
périphérie. Et ainsi le domaine dont les limites reculeront sans cesse finira par
couvrir une étendue considérable, jusqu’à ce qu’il se heurte à un groupement
voisin qui opposera une barrière à son développement »92.
Outre cette occupation pacifique, certains clans ont acquis leurs domaines par les
conquêtes des terres occupées préalablement, soit en délogeant les groupes
autochtones soit en laissant les vaincus sur le sol de leurs ancêtres, respectant
leurs droits sur le sol qu’ils possèdent, leurs coutumes et leurs mœurs, et
n’exigeant d’eux que le paiement d’un tribut. D’autres clans ont acquis leurs
domaines à la suite du partage de terres fait entre groupes apparentés ou groupes

90
Un fossé creusé, un simple sillon tracé dans la brousse, une borne faite des pierres accumulées,
arbres, plantes, accident du terrain, configuration du sol, cours d’eau, lignes des collines, lisière
forestière, rangée d’arbres, termitière, marre clairière etc.
91
Wickers, contribution à la connaissance du droit privé des Bakongo, op.cit., p.190
92
MALENGREAU G., Les droits fonciers chez les indigènes du Congo belge, Essai d’interprétation
juridique, Bruxelles, 1947, p.80, voir aussi dans le même sens VAN DER KERKEN, le problème des
terres vacantes au Congo belge, op.cit., p.14
76

étrangers, partage fait par la voie de la segmentation des groupes, par les pactes
et alliances, par les échanges et les donations93.
Y a-t-il dès lors des terres sur lesquelles il n’existerait aucun droit en faveur d’une
communauté locale ?
En considérations de ses divers éléments, nous pouvons affir-
mer que si pour les communautés traditionnelles, il y a des terres que l’on peut
considérer comme « sans utilisation actuelle », en réalité pour elles, il n’existe
pas des terres qui ne soient pas dans un domaine foncier quelconque d’une
communauté traditionnelle ; autrement dit, sur toutes les terres de la République,
il y a des droits de jouissance fonciers en faveur des communautés locales.
Car toutes les terres de la R.D. Congo sont des terres qu’elles occupent ou sur
lesquelles elles exercent une exploitation quelconque comme dit dans l’article
388. Ces terres sont celles justement sur lesquelles, conformément à la coutume,
les membres des communautés peuvent déplacer à volonté leurs habitations,
leurs cultures, le droit d’exploiter le domaine selon toutes ses utilités et toutes
ses possibilités, c’est-à-dire y chasser, y pêcher, cueillir des feuilles, des fibres,
des tubercules, des champignons ; bref tout ce que le domaine peut procurer pour
le besoin du groupe. Nous notons et r appelons ici que pour ces communautés, il
n’a jamais existé des perspectives d’abandon ou de déshérence et leur domaine94
; la terre appartenant aux membres défunts, présent et à venir.
Déjà à l’époque coloniale plusieurs auteurs avaient compris cette réalité. « Les
indigènes sont disait Wauters de véritables possesseurs du sol. Il n’y a pas des
forêts sans maitres en Afrique 95 ». Dans la partie du Kwango que nous
évangélisons depuis treize ans écrivait Vermeech – les terres et les bois sont
propriétés séculaires des indigènes. Je ne connais pas des terres vacantes » 96.
Pour Westerman, les africains connaissent les limites des territoires de leur
groupe, et qu’ils considèrent ces terres comme propriété à transmettre à leurs
descendants100. Parlant des Mongo, Hulstaert est catégorique : « Il n’existe-dit-
il-des terres vacantes dans le sens juridique de cette expression chez les
Mongo97».
En définitive, en considérant d’une part, comme le précise l’article 388 de la loi
foncière que les terres des communautés locales sont celles qu’elles habitent,

93
BIEBUYCK DANIEL, op.cit. p.14
94
Boelaert E. Faut-il créer des reserves pour les indignes, IN Zaïre, 1955, p.133
95
Wauters, Mouvements géographique, 1892, p.68
96
VCermmeech, la question congolaise, Bruxelles 1906, p.115 100
Westerman, in the African to day and tomorrow, 1934, p.26
97
Hulstaert G., La propriété chez les Mongo, in Aequatoria, 1946, p.22
77

qu’elles cultivent et celles qu’elles exploitent de manière quelconque


individuellement ou collectivement conformément aux coutumes, nous pouvons,
d’autre part, affirmer en considération de la coutume que sur toutes les terres de
la R.D. Congo, il existe des droits de jouissance des diverses communautés
traditionnelles.
Malgré la multitude d’ethnies, en R.D Congo, il reste acquis qu’il existe un mode
de pensée juridique commune à la matière foncière. La terre appartient aux
ancêtres. Elle est extrapatrimoniale, c’est-à-dire n’est pas susceptible de
propriété. C’est un bien communautaire que l’on ne peut céder individuellement
sauf pour une utilisation temporaire. Dans la coutume, le domaine foncier est
pour le clan une partie de sa personnalité. Car il identifie son existence.
Si notre interprétation de l’article 388 est la bonne, il faudra alors considérer que
la loi foncière a engendré un autre problème lorsqu’elle impose pour l’attribution
de la terre, de suivre une procédure d’enquête préalable.
En effet, il découle des articles 166 et 193 de la loi foncière, une règle selon
quelle « aucun contrat de concession de terre rurale ne peut être conclu sans une
enquête préalable de disponibilité de la portion du fonds sollicité ». Cette enquête
doit être exécutée dans les formes et suivant une procédure bien définie. Elle a
pour but de constater la nature et l’étendue des droits que des tiers (dont les
communautés locales) pourraient avoir sur les terres demandées en concession.
L’enquêteur a, conformément à l’article 194 point 4 de la loi foncière,
l’obligation d’entendre toutes les personnes qui formulent verbalement les
réclamations ou les observations. Le fonds ne peut être en définitive, concédé
que s’il n’existe aucun droit de jouissance en faveur d’un tiers.
En tenant en compte les droits de communautés traditionnelles tels qu’ils
résultent de leur coutume, existe-t-il réellement des terres sur lesquelles elles
n’ont pas des droits et qui par conséquent seraient susceptibles de concession ?
D. Conception différente quant à la gestion du domaine foncier
Dans la conception traditionnelle le chef de clan possède le
droit dans sa plénitude, c’est-à-dire, il exerce à la fois les droits de souveraineté
et les droits fonciers détenus par le groupe98.
Le chef du clan est donc, dans ces conditions, le chef du domaine foncier. Tel
est le cas chez les Basuku du Kwango, comme d’ailleurs dans la plupart des
ethnies du Kwango, Kwilu, où Meni Kongo, chef politique, a dans ses
attributions la gestion foncière99.

98
KREMER, op.cit., p. 269
99
KIKA MAVUNDA, Elevage bovin
78

Mais le plus souvent, la gestion du domaine foncier est confiée à une autre
personne dénommée chef de terre qui, dans l’exercice de ses fonctions en matière
foncière, peut ne pas relever du chef souverain alors qu’il dépend de lui du point
de vue politique.*
Chez les Bolia, par exemple, à côté du Nkumu yobele (autorité politique) existe
le chef de terre dénommé Nkumu loboko, qui est toujours désigné dans la
descendance du fondateur du clan100.
Ce chef de terre ne détient pas, comme on peut le croire, un pouvoir suprême sur
la terre. Dans ses droits, il est en réalité un délégué des ancêtres et des génies du
territoire tout en étant le gardien de l’ordre et le garant de la cohésion sociale du
groupe.
« Aucune transaction concernant la terre ne peut être conclue sans son accord,
parce que dit MAFIKIRI TSHONGO il est chargé d’informer les habitants
indivisibles du sol et de leur présenter tout nouveau venu »105.
Il n’est cependant pas le propriétaire de la terre, du moins dans le sens romain
qui implique le jus utendi, le jus fruendi et le jus abutendi.
Il règle la répartition de la terre entre les différents lignages ou familles du clan
suivant leurs différents besoins. Il prend au nom du groupe toutes les mesures
jugées nécessaires pour la jouissance paisible des membres du groupement.
Bref, ses pouvoirs sont ceux d’un administrateur chargé plus spécialement de
veiller, au nom de tous, sur le domaine foncier collectif qu’il doit gérer dans le
seul intérêt de la communauté composée par des membres défunts, vivants et à
naître101.
Lorsque les articles 388 et 389 renvoient à la coutume pour reconnaître les terres
exploitées de manière quelconque individuellement ou collectivement en
reconnaissant aux exploitants un droit de jouissance, ne reconnaissent-ils pas
alors implicitement le travail accompli ou à coutume à accomplir par le chef de
terre traditionnel ? Car traditionnellement et en vertu de la coutume laquelle nous
renvoie la loi, il a le droit de distribuer la terre entre les membres du clan ; et
même aux étrangers du clan.

100
PHILIPPE RENE, Notes sur le régime foncier au Lac Léopold II, in Aequatoria, n°2, 1954, p.54
105
MAFIKIRI TSHONGO, La problématique foncière au Kivu montagneux, in Cahiers du cidep,
n°21, septembre 1994, Louvain, p.32. Voir aussi à ce sujet SOHIER, Le problème des terres
indigènes, in JTOM, 1954, p.116. ; VA DER KERKE, Le problème des terres vacantes au Congo,
Discours prononcé à la séance solennelle de la section droit colonial du 12 décembre 1925, Bruxelles,
1925.
101
BIEBYCK, D., African agrarian systems international, African institute, Oxfrd University Press,
Londres, 1963, pp.1-20
79

En effet, la notion même d’étranger est parfois difficile à cerner en milieu


traditionnel. Globalement est traité comme étranger, celui qui n’a pas la même
coutume, ne parle pas la même langue et qui n’est pas du groupe allié102. En tout
état de cause, l’autorité foncière traditionnelle contrôle soigneusement la
présence de tout étranger sur le domaine foncier de sa collectivité et applique, de
manière stricte, la réglementation en matière d’occupation du fonds par les
étrangers .dans cette perspective, il est exclu qu’une personne autre qu’un
membre de la communauté puisse avoir des droits individuels sur le fonds du
clan. Il est également exclu qu’un membre de la communauté, quel que soit son
rang, prenne sur lui la responsabilité d’installer un étranger sur le domaine du
groupe, sans s’en remettre au chef de terre. C’est ce dernier qui autorise
expressément l’étranger à résider sur le domaine de la collectivité en lui indiquant
l’emplacement où il exercera des droits fonciers individuels. Ce n’est là qu’une
mesure d’hospitalité qui n’a pas pour effet d’incorporer l’étranger au sein du
groupe d’accueil103 mais plutôt de lui reconnaitre un droit d’usage personnel sur
la portion de la terre attribuée. I faut admettre que ce droit est parfois d’une
précarité inacceptable suivant le degré d’intégration de l’étranger dans la
communauté.
Bref, traditionnellement le chef de terre distribue la terre pour son utilisation non
seulement aux membres de la communauté mais aussi aux étrangers qui
souhaitent habiter ou cultiver la terre de cette dernière.
3. La chasse, la pêche et l’exploitation forestière
Rappelons que la terre coutumière est la propriété commune du clan, des vivants
et des morts ; elle revêt un caractère magique, sacré. Aussi tout ce qui s’y pratique
doit-il être minutieusement soigné et contrôlé.
Nul doute que la propriété du sol emporte la propriété des animaux sauvages
qu’il renferme, regorge104, laquelle propriété, jalousement surveillée, assure le
ravitaillement en viande des populations. De par son caractère sacré et armé, la
chasse intéresse l’ordre politique et confère au chef de la communauté des
pouvoirs immenses de protection et de contrôle. Elle est en principe libre et
essentiellement réservée aux membres du clan, en ce sens que ceux-ci peuvent
chasser sur ces terres communes sans restriction. Cependant, les étrangers
doivent obtenir au préalable l’autorisation du chef moyennant redevances et
102
Stanislas Melone, La parenté et la terre dans la stratégie du développement, Université fédérale du
Camerou, edition Klinkieck, 1972, p.41 Voir aussi, Vanderlinde, Les titres juridiques des européens à
l’occupation du sol Africains avant 1872, Conférence géographique, In Recueil d’éudes de l’AROM,
1976, pp.197-198.
103
Stanislas Melone, op.cit., p.41.
104
- Deckers R., op.cit, p.41.
80

tributs ; autrement, ces usagers étrangers risquent de rentrer les mains vides ou
faire l’objet d’accidents d’ordre divers, voire mortels.
Néanmoins, les chasseurs des contrées voisines sont dispensés
de cette autorisation du fait de la réciprocité. En effet, le gibier et naturellement
vagabond, se déplace d’un territoire à un autre ; débusqué, blessé sur un territoire,
le gibier peut occasionner sa poursuite sur un territoire voisin. D’où il s’impose
une organisation interclanique pour réglementer les Droits de chasse, à savoir les
Droits du poursuivant, du découvreur, des participants à une recherche collective,
des porteurs.
Il faut noter que dans les milieux traditionnels, la chasse s’affiche en profession
noble, rude, peu lucrative et apporte considérable, surtout lorsqu’il s’agit de la
chasse à gros gibier (éléphant, lion, léopard, buffle, crocodile, hippopotame). Il
en découle que l’exercice de la profession de chasseur exige des rites d’initiation
appropriés. Le néophyte fait son stage sous la direction d’un patron réputé qui
l’initie au métier, en vue de se concilier les esprits des ancêtres et de faire bonne
chasse.
La chasse est multiforme ; elle peut être individuelle ou collec-
tive. L’individu a le loisir d’aller seul à la chasse et rechercher le gibier sur les
terres du clan. Dès qu’il attrape un gibier, il le ramène au village, le soumet au
chef pour le partage. La chasse peut aussi être collective. Les chasseurs du groupe
s’organisent pour mener une chasse collective et périodique. Les règles précises
président à cette organisation.
Les coutumes prévoient également des règles strictes pour le partage du gibier.
Le tribut est en partie familial ; il revêt une signification religieuse, en ce qu’il
sort des sacrifices, d’offrandes aux mânes des ancêtres, lesquels fécondent la
terre ; il comporte plusieurs versements ; chaque morceau a sa destination : par
exemple, une cuisse et une poitrine au chef du village, un morceau au chef de
terre, une épaule au maître de chasse, etc. ; sa perfection dépend souvent de la
taille de la bête abattue, de telle sorte qu’il soit inexistant en cas des bêtes de
petite taille.
Il y aussi le tribut à caractère politique. C’est ainsi que la peau, les griffes et les
dents du lion ou du léopard, une défense et la trompe de l’éléphant sont, en
général, attribuées au chef coutumier (Mala, Luba, Lulua, Lunda). En contre
partie, le chasseur reçoit parfois un fusil, des munitions et la bénédiction du chef
symbolisée par la remise d’un fétiche.
Signalons que le pouvoir colonial a vraiment tenté de remplacer les redevances
et tributs par les simples taxes. La coutume résiste toujours en cette matière.
81

Les conditions exprimées à propos de la chasse sont également valables pour la


pêche.
La pêche relève du patrimoine foncier commun et ancestral. Les droits y
afférents héréditaires et inaliénables du fait de leur coloration sacrée ; les rivières
et les eaux des fleuves appartiennent à la parentèle ; les emplacements de pêche
se transmettent héréditairement. Certes, la pêche est libre pour les membres du
clan, mais la construction d’un barrage ou d’un étang artificiel, la pose d’engins,
de nasses ou de filets confèrent des droits exclusifs ; le chef de terre peut
organiser les pêches collectives et perçoit un tribut.
Enfin, l’exploitation forestière et la cueillette sont soumises aux mêmes règles.
La cueillette, l’abattage du bois pour le chauffage et la construction, le ramassage
du bois mort et du chaume sont, en principe, libres pour les membres de la
collectivité et confèrent les droits exclusifs. Ceux-ci prennent souvent naissance
par l’aménagement d’un arbre fruitier, d’une termitière, d’une plaque de
champignons, d’un essaim d’abeilles sauvages. Le chef de terre conserve un droit
de police sur toutes ces activités et a droit au tribut. L’exploitation de ce domaine
par les étrangers est subordonnée à l’autorisation préalable du chef coutumier.
Après les biens et les Droits réels, il convient d’embrasser l’étude des
obligations.
SECTION 3 : LES OBLIGATIONS
Les engagements d’ordre juridique revêtent aussi une importance notable dans
les milieux traditionnels. Il arrive parfois que les membres de la communauté
commettent des faits dommageables qui font naître des obligations délictuelles à
leur encontre. Aussi allons-nous traiter brièvement, sous cette rubrique, les
aspects particuliers des responsabilités contractuelles et délictuelles dans la
société traditionnelle.

§1. Les notions


Rappelons que le mot « obligation » tire son origine du mot latin
« ob-ligare » qui signifie « lier en vue de ».
Pour Raymond Barraine, l’obligation est un lien de Droit par lequel une
personne est tenue à une prestation envers une autre105. D’après Henri de Page,
l’obligation est le lien de Droit par lequel une ou plusieurs personnes peuvent
contraindre une ou plusieurs autres à donner, à faire ou à ne pas faire quelque
chose106.

105
Barraine R., op.cit, p.181.
106
De Page H., Traité de Droit civil belge, t.1, p.267, Bruxelles 1948
82

Bref, l’obligation est un lien juridique par lequel une personne appelée débiteur
est astreinte envers une autre dite créancier à donner, à faire ou à ne pas faire
quelque chose.
L’obligation de donner implique une prestation de transfert de propriété ;
l’obligation de faire suppose une prestation d’un service ; celle de ne pas faire la
prestation d’une abstention de passer un acte déterminé. Il y a cinq sources
d’obligations : loi, le contrat, le quasicontrat, le délit et le quasi-délit.
Seuls le contrat et le délit retiennent notre meilleure attention, du fait de leur rôle
déterminant dans la vie sociale coutumière.
§2. La responsabilité contractuelle
I. Les généralités
Le Droit coutumier a la même conception du contrat que le
Droit écrit, en ce que celui-ci est un accord de volontés en vue de produire des
effets juridiques ; mais, il n’attache pas beaucoup d’importance à la forme ; celle-
ci importe peu ; elle est libre, consensuelle et verbale, du fait de l’absence de
l’écriture dans la société pré coloniale. La validité du contrat n’est pas
nécessairement conditionnée par la réalisation des formalités classiques du Droit
écrit (capacité, consentement, objet, cause).
La capacité juridique d’exercice n’est pas une affaire exclusivement
individuelle, mais plutôt du groupe dans lequel l’individu se trouve noyé. La
majorité juridique devient ainsi l’apanage de ce groupe.
Il en est de même du consentement. Bien qu’au départ,
l’initiative contractuelle soit une volonté personnelle précédée d’une réflexion,
elle finit par devenir collective, celle de la famille, laquelle doit inévitablement
l’avaliser en vue de la validité du contrat.
Enfin de compte, la conclusion d’un contrat, même individuelle au départ, finit,
pour sa garantie, par exiger la participation du groupe. L’ombre de celui-ci
envahit et plane dans tout engagement individuel de ses membres.
II. L’exécution des obligations contractuelles
L’on peut affirmer que le Droit coutumier s’intéresse surtout aux effets, à
l’exécution des obligations contractuelles, à la responsabilité contractuelle.
Le principe est classique et commun à tous les systèmes juridiques, écrits et
coutumiers : les obligations contractuelles doivent être exécutées de bonne foi,
sous peine de sanctions d’ordre divers. Les parties y insèrent parfois la clause du
pacte de sang pour en garantir la bonne exécution.
En Droit coutumier, toute faute, toute violation du lien contractuel risque
d’abord d’irriter les dieux et provoquer leur vengeance. C’est ainsi qu’au lieu de
83

s’adresser au juge, la partie lésée peut directement invoquer de mauvais esprits


en défaveur de la partie fautive.
Donc, la partie qui viole le lien contractuel en assume la responsabilité.
La coutume se préoccupe moins de la faute, de son ampleur, que du dommage
et de sa réparation. Elle fonde sa démarche presqu’exclusivement sur la théorie
de risques, de la responsabilité sans faute et du respect des engagements.
Notons qu’en matière de responsabilité contractuelle, le dommage est en
principe prévu ou prévisible. L’existence du dommage constitue l’unique
condition nécessaire et suffisante pour engager la responsabilité de son auteur.
Le schéma classique de la réunion de trois conditions, l’existence du dommage,
de la faute contractuelle, du lien de causalité, n’est pas exigé par le Droit
coutumier. Il suffit de connaître l’auteur du préjudice pour que sa responsabilité
soit engagée. Comme souligné plus haut, en vertu du principe de la solidarité
clanique, cette responsabilité devient collective et engage tout le clan à réparer
le dommage.
Le Droit coutumier n’opère pas la distinction classique de dommage matériel,
corporel et moral. La réparation doit être totale, intégrale.
Les modes de réparation diffèrent d’une coutume à une autre. La réparation du
dommage peut s’effectuer en nature ou en équivalence. Il s’agit donc de
l’exécution en nature ou par équivalent (dommages-intérêts compensatoires ou
moratoires). Elle peut être volontaire ou forcée.
§3. La responsabilité délictuelle
Sauf quelques nuances, les observations faites au sujet de la responsabilité
contractuelle s’appliquent également ici.
I. Généralités
En Droit écrit congolais, le principe de la responsabilité délictuelle est consacré
par les articles 258, 259, 260, 261, 262, lequel dispose « Tout fait quelconque
de l’homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il
est arrivé à le réparer ». Le Droit écrit fonde la responsabilité de l’auteur du
dommage sur la faute commise par ce dernier. A côté de la responsabilité basée
sur la faute apparaît celles bâties sur la théorie du risque et la théorie de la
garantie.
Saleilles 107 repose la responsabilité civile sur la théorie du risque, de risque
profit, dans la mesure où la charge doit aller de pair avec le profit économique
d’une activité (ubi emolumentum ibi onus) ; c’est une vision de Droit
économique liée aux activités des entreprises.

107
Saleilles R., Les accidents du travail et la responsabilité civile, 1987 et note D. 1987.1.
84

Stark108 soutient la théorie de la garantie : s’il y a dommage corporel ou matériel,


il existe au profit de la victime une garantie objective, sans qu’il soit nécessaire
que le responsable ait commis une faute ; sinon, il s’agit d’un dommage de nature
purement économique ou morale.
La position du Droit coutumier se rapproche de ces deux der-
nières théories. En effet, la coutume ne se soucie que du sort de la victime ; la
responsabilité coutumière est une responsabilité objective, car on part d’un fait
objectif, du dommage subi par la victime à son auteur pour déclarer ce dernier
responsable, sans tenir compte des circonstances dans lesquelles le préjudice est
survenu ; tout fait de l’homme, même involontaire, engage sa pleine
responsabilité109, laquelle est considérée comme l’obligation qu’a un individu ou
son groupe à réparer le dommage causé à autrui, par lui-même , par les personnes
avec lesquelles il a un lien de parenté ou encore par les animaux et les choses
dont il a la garde ou la propriété110. En somme, l’attention de la coutume est
focalisée sur le sort de la victime, sur la réparation du préjudice, à telle enseigne
que la nature de la responsabilité ne se manifeste que lors de la mise en œuvre
des mécanismes de la réparation.
II. La réparation du dommage
L’évaluation du dommage s’effectue sur bas des valeurs courantes dans la
communauté : poules, moutons, chèvres, objets d’art, produits agricoles, objets
artisanaux, esclaves, etc.
La réparation est parfois accompagnée des gestes rituels et divinatoires en vue
de prendre les dieux à témoin et de s’assurer que toutes les opérations sont
imprégnées de la bienveillance divine.
La nature du dommage importe peu, qu’il soit matériel, corporel ou moral. Seule
son ampleur entre en ligne de compte pour son évaluation.
Le Droit coutumier consacre la technique de réparation collective, fondée sur la
solidarité communautaire ; tout le clan est mis à contribution, mobilisé en vue de
réparation du dommage causé à autrui par l’un de ses membres.
Voyons à présent le système successoral coutumier.

108
Stark B. Essai d’une théorie générale de la responsabilité civile considérée en sa double fonction
de garantie et de peine privée ; thèse Paris, 1947.
109
Lokossu L., La collectivisation de la responsabilité civile en Droit coutumier tetela, Mémoire
2004, p.16
110
Kalongo M., Responsabilité civile et socialisation des risques en Droit écrit zaïrois, p.21 PUZ,
1974.
85

SECTION 4 : LES SUCCESSIONS EN DROIT COUTUMIER


Cette division abordera l’analyse succincte des sortes de successions et de leur
partage.
§1. Les notions
Au point de vue étymologique, le terme « succéder » vient du mot latin « sub-
cedere », qui signifie « prendre la place rendue libre par la disparition d’une
personne ». Il s’agit surtout de la substitution des personnes plutôt que de la
transmission des biens du défunt. Car, d’après la coutume, le mort ne saisit pas
le vif : la famille désigne généralement une personne pour assurer la continuation
de la personnalité du de cujus111. C’est une désignation d’office des personnes
qui se trouvaient sous le pouvoir immédiat, donc une sorte de substitution
fidéicommissaire, de mission de gérance des biens du de cujus qui appartiennent
en fait à la collectivité familiale.
La dévolution successorale doit tenir compte des systèmes patrilinéaires, en ce
sens que toute succession échue aux descendantes ou aux collatéraux se divise
par souches : ligne paternelle et ligne maternelle. Jadis, la masse successorale
comprenait les biens corporels et incorporels, les biens mobiliers et immobiliers,
la femme, les enfants, les esclaves et les fétiches, bref les Droits et les obligations.
§2. Les sortes de successions
Il est ici question des successions ab intestat et des successions testamentaires.
I. Les successions ab intestat
L’on parle de succession ab intestat lorsque le défunt n’a pas disposé de ses biens
par voie de testament établi de son vivant. La succession est de ce fait organisée
par la coutume. Elle s’ouvre au domicile du de cujus le jour de son décès ; elle
est dévolue à ses héritiers.
La succession ab intestat est constituée des Droits et obligations du de cujus. Il
s’ensuit que celui qui recueille l’actif supporte également le passif. Mais, que
comprend cet actif ? Que contient ce passif ?
Il faut d’abord retenir que dans la société précoloniale, l’homme laisse peu de
biens à partager à son décès. Ses principaux Droits sociaux s’éteignent avec lui ;
certains biens corporels sont enterrés avec lui dans la tombe ; il est ainsi des
esclaves dont une partie est inhumée avec le cadavre sont immolée sur sa tombe
; le petit bétail et la volaille sont généralement consommés au repas de
funérailles112 ; le résidu fera ainsi partie de la réserve successorale.

111
- Keba M., op.cit, p.33
- Dekkers R., op.cit., p.43
112
Dekkers R., op.cit, p.43
86

Souvent, l’actif d’une succession comporte plusieurs catégories de biens dont


les Droits sur les personnes, les esclaves, sur les animaux, les armes, les outils,
les fétiches, les terres, les pâturages, la chasse, la pêche, les insignes dignitaires,
etc.
Quand au passif, il comporte les charges, les dettes, toutes les obligations
du de cujus. Seules seront prises en compte, les dettes dont les créanciers de la
succession se feront connaître et enregistrer au moment du deuil. Parmi ces
charges, figurent aussi les devoirs d’entretien et d’assistance aux orphelins.
La coutume fixe l’ordre de succéder, lequel ordre diffère d’une coutume à une
autre. Normalement, il appartient à la famille, sujet de Droit, de désigner le
successeur parmi les descendants par les hommes ou parmi les descendants par
les femmes selon le système familial, patrilinéaire ou matrilinéaire. En principe,
ce successeur est toujours de sexe masculin. La succession est dévolue
verticalement ou horizontalement. Dans la succession en ligne verticale,
l’héritier est, en principe, l’aîné des fils si le de cujus est monogame. En cas, de
polygamie, ce droit revient au fils aîné de la première épouse ou tout simplement
au plus âgé des fils, quelque soit le rang de sa mère.
La succession horizontale est au puîné du défunt, et à défaut de frères, à l’aîné
de fils ou des neveux fils de frères et régime patrilinéaire, des neveux fils de
sœurs en régime matrilinéaire. Il n’est pas étonnant qu’un fils n’hérite pas de son
père, parce que les enfants ne dépendent pas du père, mais de la famille, du clan.
Toutes ces mesures visent à assurer la pérennité de la parentèle.
Il serait utile d’étayer ces idées de quelques exemples concrets tirés
essentiellement des études susdites de Jean Sohier.
Au Kasaï, la succession est horizontale. Mais, les enfants ont Droit à certains
biens successoraux ; la lignée matrilinéaire bénéficie parfois de l’héritage (Lulua,
Luba).
Au Bandundu, les Mbala connaissent la succession horizontale.
Les biens passent aux frères et sœurs, aux oncles et tantes.
Chez les Kusu, jadis horizontale, la succession est devenue ver-
ticale au bénéfice des fils du défunt ; les filles n’héritent que d’une manière
accessoire.
La succession songe est en général verticale en faveur des descendants du
défunt, avec Droit d’aînesse et obligation pour l’aîné d’établir ses puînés. Les
mâles priment.
Les Luba du Katanga connaissent la succession horizontale avec priorité de
l’aîné de la plus ancienne génération jusqu’ à la succession verticale avec priorité
pour les descendants.
87

La succession lala est horizontale et matrilinéaire avec priorité de l’aîné de la


génération précédente. L’épouse, le père et les enfants du défunt bénéficient
accessoirement de la succession.
II. Les successions testamentaires
Il paraît que le Droit initial ignorait le testament qui n’apparaît qu’assez tard
dans la vie des peuples113. Au départ, certaines coutumes étaient réfractaires à
l’idée de la transmission des biens par testament. Elles concevaient mal que
l’homme puisse disposer de ses biens par acte de dernière volonté, donner ce
qu’il n’a plus en mains ; il est anormal qu’un père de famille puisse se dépouiller
de ses biens au profit des étrangers et au préjudice de ses proches.
Néanmoins, la majorité des coutumes admettent que l’homme a le Droit de
manifester publiquement son désir de voir tel ou tel bien être remis à tel parent
après sa mort : par exemple un fusil de chasse à l’un de ses fils, un chien à son
neveu, ou un objet d’art à sa petite-fille. Toutefois, ce bien passe toujours entre
les mains de l’héritier qui peut ignorer la volonté du de cujus, malgré le risque
des représailles d’outre-tombe. Parfois, le père peut de son vivant déshériter,
exclure un enfant de la hiérarchie familiale et déterminer l’ordre de succéder et
ce, pour l’intérêt de la communauté. Le testament est toujours oral dans cette
société sans écriture.
En principe, la coutume ne prévoit qu’un héritier pour tout individu en vue de le
remplacer dans la hiérarchie familiale : un fils, neveu, un frère, etc.
Que disent pratiquent diverses coutumes à ce sujet ?
Les Lulua pratiquement le testament oral, émis en public, dont le but est de
répartir la succession selon la volonté du défunt à l’intérieur du clan.
La coutume sanga consacre le testament oral qui peut boule-
verser l’ordre des successibles ; mais, le testateur ne peut pas instituer un héritier
en dehors de la parentèle.
Les Lunda connaissent le testament oral émis en présence des aînés de la
parentèle. Celui-ci peut renverser l’ordre des successible. Les Lubas respectent
la validité du testament oral émis devant la famille réunie en assemblée. Son but
primordial est de modifier l’ordre des successibles. La coutume songe prévoit
le testament oral et public, lequel vise surtout à renverser l’ordre des héritiers,
en faveur d’un descendant ou d’un puîné.
Après l’analyse des catégories de successions, il convient de clore par le partage
des successions.

113
Dekkers R., op.cit, p.54
88

§3. Le partage des successions


Le partage d’une succession varie d’une coutume à une autre. D’habitude, les
biens du défunt sont rassemblées, enregistrés, identifiés et scellés mortuaires. Ils
sont placés sous la garde et le contrôle de l’héritier attitré au profit de tous les
autres bénéficiaires. Le jour de la levée du deuil (quarante jours ou trois mois
après l’inhumation), l’héritier réunit les intéressés et procède au partage de la
succession selon les règles coutumières.
Enfin, mieux vaut signaler que suite aux nombreuses et perpétuelles mutations
de la société congolaise moderne, la succession est en train de s’humaniser, de
s’individualiser et de devenir verticale, transmissible du de cujus à sa
descendance et au conjoint survivant. Ces mutations sont notables dans les
milieux urbains.
89

CHAPITRE 2 : LE DROIT COMMERCIAL


L’ancienne société traditionnelle congolaise est une société parcellaire,
composée de groupes claniques cloisonnés, repliés sur eux-mêmes. L’économie
n’y est pas développée. Il n’y a pas de productions industrielles, faute d’usine de
ressources humaines appropriées. Il y a manque d’infrastructures viables : les
routes et autres voies de communications sont inexistantes, sauf quelques sentiers
qui ne mènent pas loin et qu’on n’ose pas souvent emprunter, au risque de tomber
entre les mains des aventuriers et de faire l’objet de razzia. Il y règne également
une insécurité permanente favorisée par les mouvements migratoires chroniques
et les guerres interclaniques incessantes.
L’on a affaire à une économie domestique, de survie, de subsistance, fondée
essentiellement sur la chasse, la pêche, l’agriculture, la cueillette et l’artisanat.
Les membres de ces groupes s’adonnent à la culture du manioc, de la banane, du
maïs, des champignons, de l’arachide, du haricot, du millet, des légumes ; ils
pratiquent aussi le petit élevage des animaux domestiques, tels les moutons, les
chèvres, les poules, les chiens, les canards. Il existe diverses corporations
d’artisans très fermées, dont l’accès, difficile, est conditionné par l’initiation ; cet
artisanat est absolument constitué de forgerons, de sculpteurs, de dessinateurs,
de coiffeurs, de tisserands, de guérisseurs, de féticheurs, de pêcheurs, de
chasseurs et de la poterie ; les forgerons produisent les armes (fusils, lances,
flèches, couteaux), les croisettes de cuivre et les objets d’ornements ; les
sculpteurs fournissent des masque et des statuettes, etc.
Il en résulte que les activités commerciales y sont très peu développées, d’autant
plus qu’il y a absence de monnaie métallique ou fiduciaire fiable ; la monnaie
local est constituée de croisettes de cuivre ou de simples barres de fer ; on
s’imagine la lourdeur que pareille monnaie entraîne dans les transactions. Les
échanges commerciaux sont très réduits, car ils sont gênés par la série des
facteurs susmentionnés.
Cependant, on note des usages commerciaux portant sur les
échanges sporadiques, interclaniques, dominés par le troc. Dans ce sens, les
coutumes prévoient l’organisation périodique des foires où les ressortissants des
différentes communautés viennent écouler leurs produits. Ces échanges
concernent surtout les produits d’agriculture, de chasse, de pêche, d’élevage ; il
s’agit notamment du manioc, du maïs, de l’igname, du haricot, des nattes, des
légumes, des chenilles, des champignons, des calebasses, du miel, du poisson, du
gibier, des chèvres, des poules, des moutons, des chiens, des objets d’art et
parfois de esclaves assimilés jadis aux biens, etc.
90

La situation a considérablement évolué depuis la période coloniale. Le


commerce est régi par les règles de Droit moderne ; il connaît de gros échanges
et se pratique sur les grands espaces.
Il sied de passer maintenant à l’étude du deuxième titre.
91

TITRE 2 : LE DROIT COUTUMIER PUBLIC


Le Droit public est une branche du Droit qui organise, régit et sanctionne les
rapports entre les particuliers et l’Etat et ce, pour l’intérêt général de la
collectivité.
L’on s’accorde à affirmer avec Goffin et Cie114 que dans les sociétés de l’Afrique
belge, le Droit coutumier africain où on peut distinguer un « Droit public » et un
« Droit privé » est le fruit des traditions souvent séculaires, résultante de
l’histoire, amalgame des coutumes diverses ; il règle minutieusement les Droits
et les devoirs de chacun : les Droits des individus et des diverses collectivités sur
le sol et les eaux, les Droits et cueillette, de chasse et de pêche, les Droits et
devoirs de gouvernants vis-àvis des administrés et vice versa, les Droits et les
devoirs de groupements d’étrangers avec lesquels le groupement entretient des
relations, etc., tout en soulignant que ce Droit coutumier, né de la vie sociale et
de l’histoire, est attribué à la volonté des ancêtres divinisés. Mais on peut dire
que dans la société traditionnelle précoloniale, ces règles coutumières de Droit
public ne sont pas aussi développées que dans la société moderne, du fait qu’elles
s’appliquent dans des espaces restreints, fermés, cloisonnés.
Aussi s’impose-t-il de baser, noter analyse sur les matières essentielles, tels
l’organisation politique et administrative, l’organisation judiciaire, le Droit pénal
et le Droit fiscal.
CHAPITRE 3 : L’ORGANISATION POLITIQUE ET ADMINIS-
TRATIVE
Compte tenu des mutations perpétuelles de la société traditionnelle et du
caractère dynamique de son Droit, l’étude de cette division se fera en deux étapes
: société ancienne précoloniale et société en contact de l’occident.
SECTION I : L’ORGANISATION POLITIQUE ET ADMINISTRATIVE
DANS LA SOCIETE PRECOLONIALE
§1. Les notions générales
D’après Paul de Bruyne115, le phénomène apparaît à toutes les époques dans la
société très différentes, revêt des formes historiques changeantes et s’inscrit dans
des cadres institutionnels variés ; il se manifeste par des activités et des
expressions multiples. Nul doute que la politique puise ses racines dans la réalité
sociale à laquelle il est immanent ; fondé sur la coexistence, il transforme
continuellement celle-ci en vue de promouvoir l’intégration sociale. La politique
se propose d’organiser la coexistence et de postuler la capacité d’imposer des

114
Goffin I., et Cie, Encyclopédie du Congo belge, t.1 p.168.
115
De Bruyne P., La décision politqiue, p.1, éd. Peeters, Louvain, 1995.
92

ordres et des règles aux membres de la collectivité ; ses interventions structurent


la coexistence et lui confèrent un ordre indispensable à la cohésion et à la stabilité
de l’ensemble. Il lui est loisible d’assigner des fins à ses interventions et de
définir les valeurs de l’exercice du pouvoir et des règles, en vue d’imprimer un
sens à la vie collective et de tendre à prolonger le simple vivre-ensemble en un «
mieux-vivre ».
L’auteur poursuit que la politique présuppose, au départ, la coexistence des êtres
humains capables de former une communauté ou un groupe social où les
membres se reconnaissent et entretiennent des relations mutuelles en vue d’une
ou de plusieurs fins communes ; la coexistence primaire repose sur un espace
territorial délimité, un langage commun et des biens de parenté constituant un
donné naturel, mais donnant une infrastructure élémentaire et précaire à la
communauté, laquelle devient une société politique, à partir du moment où elle
n’est sujette à aucun autre arbitrage qu’elle-même pour régler les conflits internes
et assurer la défense du territoire. Cette communauté apte s’autoorganise par la
formation des institutions aptes à gérer leurs propres affaires ; elle est le lieu
politique et transmet son unité organique à la société globale pour lui permettre
l’acquisition d’une organisation unitaire.
En un mot, on peut affirmer que le pouvoir est toujours présent dans toute
communauté, même dans les sociétés prépolitiques ou nonétatiques où l’ordre
social repose sur la force (« l’homme est un loup pour l’homme »), sur
l’harmonie spontanée (« les bons sauvages ») ou sur des rites obligés (« les
ancêtres et les forces magiques »)116. Le pouvoir politique revêt au caractère à la
fois instrumental et expressif ; il exerce des fonctions ou des activités au service
de buts et édicte les règles du code de l’entité politique et de l’existence
gouvernementale117. Il est la capacité de prendre et de maintenir des décisions
contraignantes pour la collectivité et pour ses membres.
Il convient de mentionner que la politique se déploie dans le cadre des
institutions et des structures de l’Etat, lesquelles déterminent les règles du jeu
auquel participent les acteurs.
Quant à l’exécutif, il est, sur le plan institutionnel, l’ensemble des organes et des
activités qui relèvent de l’Etat et assurent la conduite de son action politique118 ;
il renferme le gouvernement, l’administration et les organisations susceptibles de
participer à la prise des décisions et à leur mise en application. Il est évident que

116
Vullierme J.L., Le concept de système politique, pp. 333-334, PUF, Paris 1989.
117
Rotenstreich, cité par Bruyne, op.cit, p.4
118
De Bruyne P. op.cit, p.167
93

le gouvernement n’est pas une entité monolithique ni un tout indifférencié : ses


organes demeurent multiples et leurs activités spécialisées.
Dominique Colas119 voit dans le terme « Etat » une forme insti-
tutionnalisée de domination où un territoire et sa population sont contrôlés par
une instance, dont le moyen est la détention du monopole de la violence
physique remplissant des fonctions multiples. Le mot est entré tardivement
dans le vocabulaire politique français, mais son absence au Moyen Age ne
signifie pas l’absence d’un concept de l’Etat. il s’est glissé dans le vocabulaire
vers la fin du douzième siècle. L’Etat signifie alors une instance placé au-
dessus de la famille (ménage), qui a en charge ce qui est (ce qui vise les
prétentions de l’Eglise catholique romaine) et qui doit prendre des décisions
justes (Droit gouvernement)120.
Cependant, le concept « l’Etat de Droit » s’est imposé à partir de 1970. Il revêt
une double signification : il est d’abord un Etat où le Parlement vote des lois que
l’administration doit respecter ; il est ensuite l’Etat des droits de l’homme et du
citoyen ; il doit chercher à garantir les droits fondamentaux des individus contre
l’arbitraire126.
On le voit, toute conception et toute organisation politiques demeurent similaires
et constantes dans toutes les sociétés, même anciennes, d’où elles prennent de
racines. Ces idées n’épargnent pas la société congolaise précoloniale.
§2. Les structures socio-politiques
Nous traiterons respectivement du territoire, des entités administratives et des
institutions politiques.
I. Du territoire
Nul doute que la terre, ou mieux le territoire, constitue la base, le soubassement,
le socle de toute organisation politique et de l’exercice du pouvoir dans n’importe
quelle société au monde. L’histoire des peuples nous apprend que tout
conquérant politique ou militaire, tout occupant d’une terre commence toujours
par son territoire et par l’organisation des terres, du cadastre en vue de la gestion
politique et administrative efficiente de ce territoire. L’exemple de Guillaume le
Conquérant en 1066 est à ce sujet édifiant. Il convient de préciser que celui-ci est
le Roi d’Angleterre qu’il avait conquise en 1066 en défaisant le Roi Harold, II a
Hasting; il décida de réunifier l’Angleterre divisée et affaiblie par les guerres
civiles en instaurant un pouvoir fort centralisé par l’organisation foncière
(rédaction du Domesday Book , inventaire des terres, fiefs et Droits du Roi) et

119
Colas D., Dictionnaire de la pensée politique, pp. 82-94, éd ; Larousse, Paris, 1997.
120
Colas D., op.cit, p.90.
126
Idem, p.91
94

judiciaire (administration de la justice royale qui donnera, plus tard, naissance au


système de la common Law).
Notre pays n’a pas échappé à cette tradition. L’occupation des terres s’y est
opérée par vagues migratoires successives, provoquées par les guerres intestines,
la famine et la recherche des terres fertiles et arables.
Après la conquête des terres convoitées, les occupants se sont approprié le sol et
les eaux et ont parfois assujetti les anciens habitants dans l’hypothèse où le
territoire est déjà occupé. Ils se sont constitués en grands groupes familiaux,
fondés, soit sur les liens d’ordre contractuel (les alliés, les adoptés, les clients,
les vassaux), soit encore sur les liens imposés par la force (les assujettis, les serfs,
les esclaves) 121 . Parmis ces grands groupes, on peut citer les seigneuries, les
royaumes et les empires, lesquels se sont encore morcelés, au fil des temps, en
sous-tribus, clans et sousclans.
Seul le clan retient ici notre meilleure attention ; il constitue le socle, le véritable
dépositaire du pouvoir et des valeurs traditionnelles. Il dispose des attributs
propres à un Etat : une population bien déterminée, une terre et des autorités bien
définies. Le paterfamilias et le conseil des sages trônent à sa tête. Il remplit les
conditions d’une structure sociopolitique solidaire, susceptible d’être bien
administrée. Généralement, il subsiste dans cette entité clanique le souvenir des
vestiges d’une bonne organisation sociale et politique, des noms ancestraux, d’un
ancêtre commun, des tabous, des rites, des cultes rendus aux morts, etc.
II. Des entités administratives
Il convient de rappeler que le foyer, la parentèle, le clan, la tribu et l’ethnie
constituent les principales entités administratives de la société traditionnelle.
Nous avons déjà eu l’occasion d’aborder cette question plus haut ; nous y
intervenons brièvement ici.
1. Le Foyer
Le foyer est le groupe familial de base. Il correspond au ménage au sens
occidental ; il est composé du père, de la mère et de leurs enfants mineurs. Le
père en est le chef ; il s’occupe de l’entretien de sa femme et de ses enfants. Le
foyer ne possède que la petite propriété destinée à satisfaire des besoins
domestiques.
2. La parentèle
La parentèle est une famille au sens large ; elle est constituée des parents, des
alliés et des adoptés. Elle est gérée par un paterfamilias. Celui-ci gère les biens
au nom de la parentèle ; il n’est pas propriétaire.

121
Goffin L. et Cie, op.cit, p. 161.
95

Tous les membres lui doivent obéissance et respect.


3. Le Clan
Le clan est la pièce maîtresse de la structure familiale, le maillon important de
la chaîne. C’est un véritable petit Etat où évoluent les différentes institutions
social, administrative et politique. C’est sur la base de la structure clanique que
nous allons étudier l’organisation et l’exercice du pouvoir dans la société
traditionnelle.
4. La Tribu
Le petit Larousse 122 définit la tribu comme un groupement de familles
homogènes aux plans linguistique, politique, social et culturel. Elle est composée
de plusieurs clans prétendant descendre d’un ancêtre commun.
Les membres ne sont pas aussi solidaires qu’au niveau du clan. Les rapports
sociaux connaissent un certain relâchement. Le chef de tribu exerce souvent une
fonction honorifique ; il n’a pas de contact direct avec les membres de sa tribu.
Son rôle a davantage diminué avec l’avènement de la colonisation.

5. L’Ethnie
L’ethnie est un groupement de familles au sens large, qui possède une structure
familiale, économique et sociale homogène et dont l’unité repose sur une langue,
une culture et une conscience de groupes commune 123 . En d’autres termes,
l’ethnie renferme des individus se partageant approximativement les mêmes
traditions historiques, la même culture et la même langue ; ceux-ci affichent des
traits caractéristiques communs qui permettent de les distinguer des autres
groupes (ethnie luba composée des Luba Kasaï et de Lulua).
Les rapports ethniques sont encore plus relâchés que les rapports tribaux. Il n’y
pas d’organisation socio-politique formelle.
III. Des Institutions politiques
L’on note deux institutions politiques dans la société traditionnelle, plus
précisément au niveau du clan, à savoir le chef de clan et le conseil des sages.
A. Le chef de clan
Nous allons parler respectivement du Statut des Chefs coutumiers, des formes
de gouvernement, de modes d’accession au pouvoir, des compétences du régime
disciplinaire et des voies de recours, des conflits de pouvoir coutumier et de la
fin de règne du chef.

122
Le petit Larousse illustré, p. 1029, éd. 1986.
123
Le petit Larousse, op.cit, p.387.
96

1. Du Statut des Chefs coutumiers


Selon l’article 1er de la Loi fixant statut des Chefs coutumiers, dispose : « est
Chef coutumier, toute personne désignée conformément à la coutume locale,
reconnue par les pouvoirs et chargée de diriger une entité coutumière ». Elle
s’applique au :
1°. Chef de Chefferie ;
2°. Chef de groupement ;
3°. Chef de village, désigné.
Conformément aux conditions ci-haut indiquées.
Au sens de la même Loi et précisément en son article 2, il faut entendre par :
1°. L’autorité coutumière : le pouvoir reconnu au Chef coutumier et fonctionnant
conformément à la coutume locale ou la personne revêtue de ce pouvoir.
2°. La coutume locale : ensemble des usages, des pratiques et des valeurs qui, par
l’effet de la répétition et revêtus d’une publicité, s’imposent, à un moment
donné, dans une communauté, comme règles obligatoires ;
3°. L’empêchement définit : est toute situation qui, de manière définitive, rend
impossible la poursuite de l’exercice des fonctions de Chef coutumier ;
4°. L’intronisation : est l’ensemble de cérémonies et rites coutumiers exécutés
conformément à la coutume locale après désignation du nouveau Chef en vue
de son installation ;
5°. Pouvoir coutumier : est un ensemble des mécanismes d’administration d’une
communauté fondés sur les usages et coutumes ;
6°. Terre des communautés locales : ce sont les terres occupées par les
communautés locales qui y habitent, cultivent ou exploitent d’une manière
quelconque, individuellement ou collectivement, conformément aux
coutumes ou aux usages locaux.
L’autorité coutumière s’exerce au sein des entités territoriales suivantes : - La
chefferie, - le groupement et le village, organisé sur base de la coutume locale
indique l’article 3 de la Loi sur le statut des Chefs coutumiers.
Les présents de l’article 4 de la même Loi, précisent que le Chef coutumier réside,
selon le cas, au Chef-lieu de la chefferie, du groupement ou dans son village.
Quant aux conditions d’exercice des fonctions de Chef coutu-
mier l’article 5 dispose que : « Nul ne peut exercer les fonctions de Chef
coutumier s’il ne remplit les six conditions ci-après :
1°. Etre de nationalité congolaise ;
2°. Etre âgé d’au moins 18 ans ;
3°. Etre ayant droit à la succession ;
4°. Etre de bonne moralité ;
97

5°. N’avoir pas fait l’objet d’une condamnation irrévocable à la peine


privative de liberté pour infraction intentionnelle ;
6°. Avoir un niveau minimum de formation scolaire.
Et l’article 6 toujours de la même Loi détermine les attributions de Chef
coutumier en les subordonnant à :
- L’existence d’une entité territoriale reconnue ;
- La présence d’une population ;
- L’intronisation conformément à la coutume locale ;
- L’investiture et la reconnaissance par les autorités publiques
compétentes.
2. Des formes de gouvernement
Les structures et les modes de fonctionnement des gouvernements claniques
varient d’une coutume à une autre.
Paul de Bruyne 124 parle de trois formes de gouvernement collectif,
gouvernement hiérarchique et le gouvernement divisé.
Le gouvernement collectif ou de cabinet partage entre ses
membres la responsabilité des affaires générales et la coordination de la politique
; il forme une équipe où le premier ministre et un primus inter pares et les
membres sont en principe égaux ; cependant, toutes les décisions, sur toutes les
matières, ne sont pas toujours prises en commun ; seules les décisions de haute
politique (objectif, contenu de l’action gouvernementale) exigent la collégialité,
contrairement aux décisions de gestion ou d’exécution.
Le gouvernement hiérarchique centralise le pouvoir politique dans les mains
d’un chef (monarque, leader historique ou charismatique, président désigné par
le parti dominant) et laisse la gestion politique aux ministres qui restent soumis
à l’autorité suprême et aux impulsions du centre.
Dans le gouvernement divisé, l’exécutif est séparé en deux ou plusieurs entités
politiques indépendantes ou semi-autonomes. Il est en est ainsi de certains pays
en développement où coexistent un chef d’Etat fort, civil ou militaire, et une
forme de junte représentative. L’exécutif est partagé entre la double autorité du
président et du premier ministre. Le système gouvernemental varie selon le
régime de démocratie parlementaire ou présidentielle.
Dans la démocratie parlementaire, le chef de l’Etat « souverain héréditaire ou
président de la république élu) n’est pas du gouvernement (premier ministre,
chancelier) il détient des pouvoirs faibles et joue un rôle modérateur utile. Le

124
De Bruyne P. op.cit, p.167.
98

pouvoir exécutif dépend d’une majorité parlementaire en vue de survivre et le


premier ministre et le cabinet sont responsables devant le parlement.
En revanche, dans une démocratie présidentielle, le président n’est pas une
simple figure symbolique de chef de l’Etat ; il est également chef du
gouvernement ; il a des pouvoirs constitutionnels considérables ; il choisit
librement ses ministres ; il n’est pas responsable devant le parlement.
Quant à l’aristocratie, elle a joué un rôle considérable dans les transformations
sociales ; elle constitue un régime politique où le pouvoir appartient aux nobles,
aux privilégiés, individus considérés comme privilégiés.
Tocqueville cité par Dominique Colas125 considère que
l’existence d’une aristocratie est liée à la structure de la société entière. Il oppose
deux types de sociétés : l’une hiérarchique et aristocratique, et l’autre égalitaire
et démocratique ; la vraie rupture de la démocratie par apport à la monarchie est
l’égalité de statut entre les hommes et non pas l’égalité des conditions de vie. La
société aristocratique privilégie les différences et la liberté, pendant que la société
démocratique est mue par la passion pour l’égalité à l’origine de
l’individualisme, dont la progression est présentée comme une menace pour la
démocratie elle-même susceptible de conduire, l’oppose absolue de la liberté, au
despotisme démocratique.
En Montesquieu126 d’enchaîner : « Dans la démocratie, le
peuple est, à certains égards, le souverain lui-même et il l’est par ses suffrages,
car la volonté du souverain est le souverain lui-même. Dans l’aristocratie, la
souveraine puissance est entre les mains de quelques-uns et le reste du peuple est
à leur égard dans la même position que les sujet d’un monarque ».
Ces différentes théories nous projettent dans la perception de la structuration et
de l’exercice du pouvoir clanique dans la société traditionnelle.
Nous avons noté précédemment que la société coutumière était stratifiée. Au
départ, il s’est constitué deux grandes classes l’aristocratie (haute noblesse, petite
noblesse) et la plèbe (hommes libres, serfs, esclaves, etc.). L’aristocratie, classe
des nobles, comprenait les descendants des conquérants et la plèbe, classe de la
masse, renfermait les descendants des vaincus lors des flux migratoires.
Toutefois, les cloisons entre ces classes ne sont pas étanches, à point tel qu’au fil
des temps, l’intégration fut totale. Néanmoins, les vestiges subsistent encore, en
ce sens que l’exercice du pouvoir politique demeure l’apanage des descendants
de la noblesse, lesquels forment la famille régnante.

125
Colas D. op.cit, p.13
126
Idem, p.14
99

En somme, on peut retenir que dans la société traditionnelle,


les régimes politiques varient d’une coutume à une autre. Elle (société) est
essentiellement régie par le système monarchique, lequel se présente sous les
trois formes, à savoir : la monarchie constitutionnelle où l’autorité du chef est
limitée par une constitution, la monarchie parlementaire dans laquelle le
gouvernement est responsable devant l’assemblée législative et la monarchie
absolue où le pouvoir du monarque n’est contrôlé par aucun autre.
3. Des modes d’accession au trône
La coutume, patriarcale ou matriarcale, prévoit deux modes de succession, à
savoir le mode héréditaire et le mode rotatif.
Le mode héréditaire consacre la succession verticale, en ce sens que le pouvoir
se transmet du père au fils ou à défaut au frère, dans le système patriarcal et du
père au neveu ou à défaut, au frère, dans le système matriarcal.
Le mode rotatif prévoit la succession horizontale, laquelle consiste à désigner le
chef par rotation, entre deux ou plusieurs clans sur base d’une convention
conclue entre les communautés intéressées.
Signalons que les Luba-Kasaï connaissent, en outre, le mode désignation par le
système de « luaba », suivant lequel le chef au pouvoir désigne son successeur
parmi les candidats : celui qui offre le plus des biens de grande valeur. Ce
système n’est gère apprécié, car il est immoral et engendre d’innombrables
conflits entre les familles.
A l’intérieur de chaque système, le trône revient normalement au fils aîné du
défunt. Parfois, l’accession au pouvoir est échue à l’aîné de la génération la plus
ancienne. Toutefois, le conseil de famille régnante doit se réunir pour statuer sur
le cas, en vue d’approuver ou de rejeter le choix de la coutume. Dans l’hypothèse
d’un vote négatif, le conseil procède à la désignation d’un autre prétendant le
plus apte pour succéder à l’ancien chef.
Une fois le choix opéré, le conseil des sages s’attelle à
l’organisation des cérémonies d’intronisation et d’investiture du nouveau Chef.
Les préparatifs y afférents varient d’une coutume à une autre ; ils sont souvent
très coûteux et peuvent s’étendre sur plusieurs mois, voire sur une année. Durant
cette période, le Chef est soumis à une série de rites d’initiation d’ordre divers, à
l’abri de tout regard non initié.
Au jour indiqué, le Chef est publiquement et solennellement sacré, investi. Il
s’installe au trône et reçoit tous les attributs du pouvoir, symbolisés par divers
insignes : canne, colliers, peaux, dents de léopard, chapeaux, etc. il devient alors
apte à exercer son pouvoir.
100

4. Des pouvoirs du chef coutumier


La mission du Chef coutumier est déterminée par les dispositions de l’article 10
de la Loi fixant statut des Chefs coutumiers qui dispose : « sans préjude des
prérogatives définies par la Loi organique N°08/016 du 07 octobre 2008 portant
composition, organisation et fonctionnement des entités territoriales
décentralisées et leurs rapports avec l’Etat et les provinces et de la Loi organique
N°10/011 du 18 mai 2010 portant fixation des subdivisions territoriales à
l’intérieur des provinces, le chef coutumier assure la pérennité des coutumes et
la bonne marche de sa juridiction.
A ce titre, il exerce les attributions spécifiques suivantes :
1°. Veiller à la cohésion, à la solidarité et à la justice sociale dans sa
juridiction ;
2°. Sauvegarder et faire respecter les valeurs traditionnelles morales, le
patrimoine culturel, les vestiges ancestraux dans les sites et lieux
coutumiers sacrés ;
3°. Veiller, conformément à la Loi, à la protection des espaces fonciers qui
relèvent des terres des communautés locales
4°. Promouvoir les relations de bon voisinage avec les entités voisines.
La fonction du chef coutumier est polyvalente, multiforme et multicolore.
Le Chef de clan détient et exerce de pouvoirs multiples. Il est à
la fois le chef religieux, le chef politique, le chef des terres, le chef militaire, le
chef de la chasse et de la pêche, le chef de la chanté publique etc.
Dès la prise de fonction, le Chef est censé incarner toute l’ascendance (ancêtres)
et toute la descendance du clan ; il est le trait d’union entre les vivants et les
morts ; il est le gage vivant de l’assistance de ces derniers auprès des vivants,
dont il implore la bienveillance pour la survie et la prospérité de la communauté.
Sur le plan politique, il n’y a pas de séparation des pouvoirs ; le chef exerce à la
fois la fonction exécutive, législative et judiciaire. Il est néanmoins assisté du
conseil des sages qui joue le rôle de conseiller et parfois de ministre. Il assume
la gestion politique et administrative de son territoire ; il assure la sécurité des
personnes et de leurs biens. Il représente le clan auprès des tiers et signe des
accords interclaniques.
Le Chef de clan gère le patrimoine foncier et immobilier au nom de groupe. Sur
les terres, il concède les Droits d’usage aux membres du clan et aux étrangers ;
ceux-ci doivent payer des redevances. Il gère également le patrimoine mobilier
important en vue de subvenir aux besoins communautaires (mariage, soins de
tout genre).
101

Il en est ainsi de la gestion des eaux et des forêts. Le chef accorde les Droits de
chasse, de pêche et d’exploitation forestière aux tiers contre le payement d’un
tribut.
Le Chef coutumier s’occupe aussi des travaux d’intérêt com-
munautaire tels l’entretien des parcelles, des routes, des lieux d’aisance, etc.
Enfin, le chef veille à la santé physique et mentale de la population par la
sensibilisation des membres du clan sur l’hygiène, le sport et la culture. Il a le
devoir d’assurer la protection de ses administrés et de leurs biens contre les
attaques des contrées voisines. Aussi a-t-il l’obligation d’élever et d’entretenir
une milice ad hoc.
Il convient, à présent, d’étayer ces considérations par quelques
exemples concrets127.
Les Kongo connaissent le système matrilinéaire. Le chef, Mfu-
mu, est sacré, investi, couronné. Il possède, par le sacré, le pouvoir de Droit
supranaturel, d’ordre magico-religieux.
La terre est la résidence et la propriété des esprits, des ancêtres. Le pouvoir
émane des esprits qui le délèguent au chef par l’intermédiaire des prêtres et des
rites appropriés. Ce chef est l’occupant légitime de la terre ; il délègue à son tour
aux autres chefs, fils, petits-fils, étrangers. Le chef coutumier exerce ses
fonctions, justice, gestion des biens et protection avec l’aide des dignitaires,
épouse, neveux utérins, fils serfs. Il demeure en contact avec les puissances
tutélaires du groupe et manie les forces occultes de pouvoir qu’il a appris à
contrôler lors de l’initiation relative au sacré.
Dans la région du Bas-Kasaï (les Teke, les Sakata, les Leele, les Yansi, les
Mbum, les Nunu, les Ding, les Boma, etc.), tous les peuples étaient organisés en
chefferie, gouvernés par des chefs de terre héréditaires se succédant par Droit
d’aînesse dans le lignage propriétaire du domaine foncier. La succession au
pouvoir va du père au fils, ou de l’oncle au neveu.
Le chef exerce une fonction polyvalente.
Dans la région du Kasaï-Katanga, on trouve les Luba, les Ka-
niok, les Kalundwe, les Songe, les Lulua, les Luntu, les Bindi, les Mputu, les
Kete, etc. Le chef est l’aîné du lignage. Il est investi et possède tous les pouvoirs
politiques et judiciaires. Il est assisté du conseil des dignitaires.
Les peuples de l’Uele (les Zande, les Mangbetu, les Mamvvu, les Mangutu)
connaissent une forme de monarchie sacrée. Chaque territoire est gouverné par
le chef, successeur de son père. Il possède des attributs divins : observance de

127
Vanisa J., Op.cit, pp.32,47,124,137,168.
102

tabous ; ce qui est touché par le chef devient spécial, il existe un feu sacré ; le
chef mange en secret ; on l’acclame quand il tousse ou éternue. A la cour du chef,
il y a des hommes guerriers, policiers, et travailleurs d’ordre divers.
Les peuples de l’Ubangi comprennent les Ngbandi, les Ngbaka et leurs
apparentés. Le chef de ligné communique avec les mânes au nom de son groupe,
juge des affaire du clan avec l’aide de tous les sages, représente le clan auprès
des tiers et porte divers insignes (peaux de léopard).
5. Du régime disciplinaire et voies de recours
Le régime disciplinaire applicable au Chef coutumier est fixé, selon le cas, par
la Loi ou par la coutume locale indique l’article 30.
Conformément à l’article 31, tout manquement du Chef coutu-
mier aux devoirs de son état, à l’honneur et à la dignité de ses fonctions constitue
une faute disciplinaire passible, selon le cas, des sanctions prévues par la Loi ou
la coutume locale. Et le Chef coutumier reconnu coupable de faute administrative
dans l’’exercice de ses fonctions dit l’article 32, encourt, selon la gravité des
faits, l’une des sanctions disciplinaires suivantes : - blâme ; - la retenue du 1/3
du traitement pour une durée ne dépassant pas un mois ; - la privation de
traitement pour une durée ne dépassant pas trois mois et – l a déchéance.
Dans ce cas, la procédure disciplinaire applicable est mutatis mutandis, celle
applicable aux agents de carrière des services publics de l’Etat. Elle est
prononcée, selon le cas, par le ministre de la République ayant les affaires
coutumières dans ses attributions pour le Chef de groupement, par le gouverneur
de province pour le chef de chefferie et par l’administrateur du territoire ou le
bourgmestre pour le chef de village. Selon l’article 33, l’exercice illicite des
fonctions ou prérogatives de chef coutumier est réprimé conformément au droit
commun.
Les recours contre les sanctions encourues par le Chef coutumier en matières
coutumières sont organisées conformément à la coutume locale. Et ceux contre
les sanctions administratives sont exercés conformément à la procédure
applicable aux agents de carrière des services publics de l’Etat prescrit l’article
34.
6. Des conflits de pouvoir coutumier
Les conflits de pouvoir coutumier surviennent dit l’article 35 de la Loi fixant le
statut des chefs coutumier, en cas notamment de :
1°. Désignation du chef coutumier, même à titre intérimaire ;
2°. Usurpation du pouvoir ;
3°. Contestation des limites coutumières ;
4°. Contestation de création de nouvelles entités coutumières ;
103

5°. Soumission d’une entité coutumière à celle dont la coutume n’est pas
sienne.
En cas de conflit né à l’occasion de l’exercice du pouvoir coutumier, le
gouverneur de province ou son délégué pour la chefferie, le chef de chefferie u
de secteur ou leurs délégués pour le groupement et le village s’impliquent de
manière à contribuer à son règlement par voies de conciliation, une commission
de médiation ou d’arbitrage.
Il peut être créé au niveau du secteur ou de la chefferie, de la province ou du
ministère de la république ayant les affaires coutumières dans ses attributions une
commission consultative de règlement des conflits coutumiers, prévoit l’article
35 de la Loi susévoquée.
7. La fin du règne
Le règne du chef de clan peut prendre fin par la démission, la déchéance
conformément à la coutume locale, le décès et abdication.
Pour les raisons de convenance personnelle, le chef peut décider de renoncer au
trône par démission. Il en est ainsi lorsqu’il est dans l’incapacité physique ou
mentale de gouverner (maladie), c'est-à-dire par empêchement définitif.
Le chef coutumier peut aussi être déchu de sa fonction en cas de faute grave par
le conseil des sages.
Le décès du chef constitue la cause naturelle et normale la fin de son règne. Les
funérailles rituelles et somptueuses sont organisées à ce sujet. En effet, il faut
d’abord noter que la mort du chef, par accident, est assez rare. Il meurt souvent
de maladie dont l’évaluation est minutieusement suivie par le comité des initiés.
Dès que le malade entre à l’agonie, il est immédiatement et discrètement amené
au bosquet par le comité susdit. Là, on attend le dernier soupir. Lorsque celui-ci
intervient, le comité procède à l’instant même à la cérémonie d’inhumation,
laquelle s’effectue le même jour. Jadis, le chef était enterré avec quelques
esclaves vivants. Cette pratique n’existe plus aujourd’hui, car elle est contraire à
l’ordre public et constituerait une infraction. Le comité met l’embargo sur toute
information concernant la mort du chef jusqu’à l’apparition de la lune. L’on
continue à distiller de fausses informations à travers la population affirmant que
le chef était toujours souffrant. Personne ne pleure ; ce n’est qu’à l’apparition de
la lune que la nouvelle est annoncée au public. Le comité préparatif sort du
bosquet avec le nouveau chef porté sur les épaules aux cris « le Roi mort, vive le
Roi ». A ce moment, les festivités y afférentes commencent ; elles peuvent durer
un mois. On entre ainsi dans le nouveau règne (Lulua). Dans ce cas, l’intérim et
le remplacement du chef sont organisés conformément aux coutumes locales et
aux dispositions pertinentes de la Loi portant statut des chefs coutumiers.
104

L’article 8 de la même Loi dispose que :: « l’autorité coutumière est exercée par
le Chef coutumier. Celui-ci est assisté, le cas échéant, par les structure de
consultation ou de concertation selon la coutume locale ». Les chefs coutumiers
peuvent créer des organisations civiles les regroupant dans le respect de la
législation en vigueur. Et l’article 9 renchérit que les chefs coutumiers peuvent
être consultés, à tout moment, par les autorités publiques sur toute question
relative à l’exercice du pouvoir coutumier.
La présente Loi organise également l’intérim du chef coutumier qui intervient
dans l’une des circonstances ci-après :
1°. L’absence prolongée de son entité ;
2°. La suspension de ses fonctions conformément au régime disciplinaire
;
3°. L’exercice d’une fonction publique.
L’intérim est assuré, s’il échet conformément à la coutume lo-
cale dit l’article 12 de la Lois susévoquée. Il prend fin à la cessation de la
circonstance qui l’a justifié.
Il convient de souligner que, dans l’ensemble la situation d’intérim du chef
coutumier est organisée par les articles 12,13,14,15, 16 et 17 de la Loi portant
statut des chefs coutumiers.
B. Le conseil des Sages
Le Conseil des Anciens est la deuxième institution politique du clan. Il est une
assemblée des Anciens. Il est composé du chef de clan, de ses proches
collaborateurs, des sous/ chefs, des dignitaires et des notables du territoire. Le
conseil se réunit régulièrement, ou exceptionnellement lorsqu’il ya urgence,
sous la direction du chef coutumier. Il délibère et statue sur les questions relevant
de tous les domaines, politique, économique, judiciaire, social, culturel, etc. ses
décisions sont exécutoires et opposables erga omnes ; elles lient le chef, lequel
est chargé de leur exécution.
Le Conseil des Anciens a le pouvoir d’interpeller le chef sur la conduite des
affaires de la communauté. Il peut même provoquer sa déposition. Cela prouve à
suffisance que le chef traditionnel n’est pas un monarque absolu ; on dirait à
l’heure actuelle qu’on a affaire à une forme de démocratie présidentielle.
Mais, que dire de l’organisation politique et administrative de la société
traditionnelle actuelle ?
SECTION 2 : L’EVOLUTION DE L’ORGANISATION POLITIQUE ET
ADMINISTRATIVE DE LA SOCIETE TRADITIONNELLE
Depuis la colonisation belge (1885)
jusqu’aujourd’hui, l’organisation politique de la société traditionnelle a connu
105

beaucoup de mutations et évolué. Ces mutations ont essentiellement touché au


champ d’application des coutumes indigènes et à la forme des entités
administratives. L’application des coutumes est conditionnée par leur
conformité à l’ordre public et aux bonnes mœurs, les coutumes dites barbares
étant élaguées de l’ordonnancement juridique. Le pouvoir colonial s’est
employé, dès son installation, à organiser politiquement l’administration du
territoire par l’innombrable réforme susceptible de lui permettre d’orienter la
société congolaise vers la culture de type occidental. Il commença par diviser
notre pays en différentes entités ou circonscriptions administratives et s’efforça
de faire coïncider les limites de ces divisions et subdivisions administratives
avec les limites des groupements ethniques, tribaux ou claniques, l’on aperçoit
là l’importance attachée au rôle joué par liens de parenté et de la solidarité
sociale africaine. Le but primordial était la transformation progressive des
structures traditionnelles vers celles d’un Etat moderne.
Le souci manifeste des différents gouvernements successifs du pays (de 1885)
jusqu’à l’heure actuelle) réside dans la nécessité de définir un mode de gestion
approprié à une philosophie de répartition des compétences entre le pouvoir
central et les autorités locales pour un meilleur développement et une meilleure
distribution des richesses nationales entre les différentes couches de la
population congolaise. La dynamique de ses mutations peut s’afficher sur quatre
grandes périodes :
- 1885-1960 : Etat indépendant du Congo (EIC) et colonie du
Royaume de Belgique ;
- 1960-1965 : Première République (RDC) ;
- 1965-1997 : Deuxième République (R.Z) ;
- 1997 à ce jour : Troisième République (RDC).
• Période Coloniale
De 1885 à 1957, l’Etat Indépendant du Congo devenu dans la suite colonie du
Royaume de Belgique a connu de nombreuses mutations dans sa gestion
territoriale. La colonie a été maintes fois subdivisée en plusieurs entités
administratives, lesquelles relevaient d’une administration fortement centralisée.
La Métropole exerçait le pouvoir législatif et le Ministre de la colonie le pouvoir
exécutif ; le gouverneur général assurait l’exécution et le suivi sur le terrain.
L’Administration formait un seul corps monolithique. La hiérarchie du
commandement se faisait de haut en bas. On avait affaire au mode de gestion dite
déconcentrée (centralisation tempérée). Mais, la fin de l’ère coloniale fut très
mouvementée sur le plan politique, social et sécuritaire. A partir de 1957, le
pouvoir colonial initia des réformes introduisant une timide décentralisation.
106

C’est ainsi que le décret du 10 mai 1957 confia aux congolais la gestion des
circonstances indigènes (chefferies, secteurs et centres extra-coutumiers). Le
décret du 26 mars 1957 sur les villes, communes, circonscriptions et le
fonctionnement des institutions politico-administratives de base en confia la
gestion aux congolais. Le décret royal du 13 octobre 1959 réorganisa les villes
et communes et leur accorda une large autonomie de gestion : décentralisation
administrative effective ; le chef-lieu des provinces furent érigés en villes.
• Première République
Le 30 juin 1960, le pays accède à son indépendance. Il s’est doté d’une loi
fondamentale et a modifié les structures politico-administratives en créant vingt
et une provinces. Chaque province peut se doter d’une constitution propre et
organiser ses structures politiques et administratives. En 1964, la nouvelle
constitution, dite « constitution de Luluabourg » institue un fédéralisme classique
et impose un schéma uniforme d’organisation administrative territoriale ci-après
: provinces-arrondissements ou villescommunes-chefferies ; le coup d’Etat
militaire du 24 novembre 1965 en arrêta l’application.
• Deuxième République
A partir de 1965, le nouveau pouvoir instaure une forte centralisation et procède
à une restructuration des entités territoriales et administratives en province,
district, ville, territoire, commune, cité, quartier, secteur, groupement, village. Il
s’agit d’une administration territoriale uniforme dont les structures sont
fortement hiérarchisées et centralisées.
• Troisième République
Le 29 mai 1997, le nouveau pouvoir décide d’imprimer une
nouvelle dynamique à la gestion du territoire. En 1998, il organise une
conférence sur la territoriale sur le thème « la restauration de l’autorité de l’Etat
sur l’ensemble du territoire national par la revalorisation de la territoriale ».
Le décret-loi n°81 du 2 juillet 1998 portant organisation territoriale et
administrative de la République Démocratique du Congo consacre une nouvelle
structure politico-administrative ayant la forme d’une pyramide à plusieurs
étages.
Il y a, d’un côté, des entités administratives décentralisées province, ville,
commune pour la ville de Kinshasa et le territoire. Elles jouissent d’une
personnalité juridique et d’une autonomie de gestion.
D’autre part, on note des entités administratives déconcen-
trées : district, cité, commune, secteur, chefferie, groupement, village. Elles sont
dépourvues de la personnalité juridique et de l’autonomie de gestion.
107

Il en ressort que la nouvelle organisation politique et administrative du Congo


retient trois entités administratives traditionnelles, à savoir la chefferie, le
groupement et le village. Au fond on peut dire que seuls les groupements et les
villages sont les véritables entités coutumières de base compte tenu de leur mode
de fonctionnement.
1. La chefferie
La matière est prévue aux articles 139 à 147 du décret-loi précité.
La chefferie est définie comme un ensemble généralement homogène des
communautés traditionnelles organisées sur base de la coutume et ayant à sa tête
un chef coutumier désigné par la coutume, reconnu et investi par le pouvoir
public. Elle est administrée conformément aux coutumes, sous réserve des
dispositions de la loi et pour autant que ces coutumes ne soient contraires ni aux
règles de Droit, ni à l’ordre public et aux bonnes mœurs(art. 141).
Du reste, la chefferie fonctionne essentiellement sur base des règles du Droit
écrit. Son chef est à la fois officier de police judiciaire à compétence générale et
officier de l’état civil.
2. Le groupement
Le groupement est une communauté traditionnelle organisée sur base de la
coutume et érigée en circonscription administrative sous l’autorité d’un chef
coutumier désigné par la coutume, reconnu et investi par le pouvoir public. Il est
dépourvu de la personnalité juridique et subdivisé en villages (art. 154).
Le groupement est administré conformément aux coutumes pour autant que
celles-ci ne soient contraires aux dispositions légales ou réglementaires. Il est
dirigé par un chef du groupement placé sous l’autorité administrative du chef de
secteur et du chef de chefferie (art. 155, 156).
Le chef de groupement est responsable de la bonne marche de l’administration
de sa juridiction. Il est tenu d’y suivre et de s’occuper de toutes les questions
liées à la vie de son groupement et exécute, sous les ordres et directives du chef
de secteur ou du chef de chefferie, les lois, règlements et décisions de l’autorité
supérieure (art. 158, 159).
3. Le village
Le village est une communauté traditionnelle organisée sur base de la coutume
ou des usages locaux et dont l’unité et la cohésion interne sont fondées
principalement sur les liens de solidarité clanique et parentale. Cette
communauté de base est érigée en circonscription administrative sous l’autorité
d’un chef reconnu et investi par le pouvoir public. Il est dépourvu de la
personnalité juridique (art. 161).
108

Le statut administratif du chef du village est fixé par le ministre des affaires
intérieures.
En somme, il y a lieu de conclure qu’en Droit coutumier congolais moderne,
l’élection demeure le mode normal de désignation d’un chef de clan. Celui-ci est
élu par l’assemblée composée des membres de la famille régnante et des
notables, reconnu et investi par l’autorité politicoadministrative. Il continue à
jouer un rôle important sur son territoire outre ses prorogatives régaliennes
naturelles que nous avons développées plus haut ; il assume diverses autres
attributions lui assignées par le pouvoir public, notamment intégration du
développement en vue de moderniser le groupement et village, arrêt de l’exode
rural et sortie de la population du cercle infernal de la pauvreté, entretien des
routes en vue de créer la prospérité, maintien de l’ordre public, etc128.
L’autorité traditionnelle est le premier collaborateur du pouvoir central. Sa
fonction revêt un caractère hybride, en ce sens qu’elle est à la fois autorité
politico-administrative dans le cadre des institutions publiques et magico-
religieuse du fait qu’elle est le trait d’union, le cordon ombilical entre les vivants
et les morts. Chef coutumier est le gardien privilégié de la paix et de la tranquillité
de sa communauté, le protecteur de son groupement contre toutes forces
nuisibles. Il joue le rôle du dépositaire de la coutume ancestrale immortalisée par
la terre, le fonds immobilier qui en constitue le support et cimente la cohésion
sociale. Il est l’incarnation de la force d’impulsion de la population dans les
actions de développement de communautés locales et d’incitation à la production
agricole, avicole et bovine. A ce titre, l’autorité traditionnelle s’affiche en
partenaire incontournable du gouvernement dans l’encadrement moral de ses
administrés et dans la recherche permanente de leur bien-être social.
Mais, qu’en est-il de l’administration de la justice ?

CHAPITRE 4 : L’ORGANISATION JUDICIAIRE


Il nous est loisible d’insister que les coutumes congolaises ne sont pas figées. Le
Droit coutumier congolais s’adapte aisément aux perpétuelles mutations de la
société traditionnelle. Aussi allons-nous envisager l’examen de l’évolution, de
cette dynamique sous deux périodes, antérieure et postérieure à la colonisation.
SECTION 1 : L’ADMINISTRATION DE LA JUSTICE ANTERIEURE A

128
Voir arrêté n°3072/011/5 du 5.1.1995 portant reconnaissance de Mr. Mulumba Katchy, cheef
coutumier des Bakwa-Mala.
109

LA COLONISATION
Nous traiterons respectivement des notions, de la composition, de la compétence
et des procédures. §1. Les notions
Selon René David129, la coutume constitue également une règle qui constitue à
résoudre les contestations nées au sein de la société.
René Deckers130 affirme que le voisinage du Droit coutumier congolais et du
Droit écrit occidental soulève beaucoup de problèmes intéressants.
- Le Droit européen est un système, une logique, une géométrie ; il relève
de l’esprit de géométrie immortalisée par Pascal ;
- En Droit écrit, tout conflit est une illustration d’une solution préexistante,
animée d’une vie propre, abstraite ; le bon juriste est celui qui jongle avec
ses règles préétablies, qui baigne dans la vie abstraite ; il ne doit rien
inventer, il ne doit qu’appliquer ;
- Le Droit devient ainsi l’apanage de quelques spécialistes, une acrobatie
réservée aux artistes très aDroits et la masse ignorante doit s’incliner
devant la vérité révélée ;
- L’Européen assigne au Droit la fonction de protéger les intérêts des
individus ; il voit le Droit sous l’angle des bénéficiaires. Et Rudolf von
Jhering 131 d’enchaîner : « un Droit n’est autre chose qu’un intérêt
juridiquement protégé. Quiconque ne lutte pas pour son Droit mérite de le
perdre, comme un inutile ».
L’auteur précise que tous les peuples ne partagent pas cette conception. Il y en
a qui sont allergiques, car ils pensent que le bon juge est celui qui cherche par
lui-même, qui imagine, qui improvise une solution pour chaque cas. Au lieu de
pratiquer l’esprit de géométrie, il incarne la finesse. C’est notamment le cas de
conceptions chinoises et japonaises (L’Etat est bien administré, lorsque l’escalier
de l’école est usé et que l’herbe pousse sur l’escalier des tribunaux).
Donc, il y a, d’un côté, les peuples qui aiment le Droit et, de l’autre, ceux qui ne
l’aiment pas. Néanmoins, tous les peuples sont épris de justice qu’ils réalisent
différemment, les uns par la géométrie, les autres par la finesse.
Quant à l’Afrique traditionnelle antérieure à la colonisation, dit-il, elle affiche
deux traits qui ont l’air de s’exclure : la géométrie et la conciliation. Celle-là
apparaît dans le formalisme et la complexité des institutions. L’Afrique noire
accorde une importance particulière à la conciliation. Enfin, le rôle de la justice
est de dire ce qui est juste. Or, ce qui est juste au Congo, c’est avant tout ce qui

129
David R. op.cit, Pp.556-557
130
Dekkers R ;, Géométrie et conciliation, R.J.C. 1996, p.179.
131
Jhering R. cité par R. Deckers, op.cit. p.185.
110

est propre à assurer la cohésion du groupe et à restaurer la concorde et la bonne


entente dans les rapports communautaires.
§2. La composition des tribunaux
Dans toute société, il naît souvent des contestations et des litiges qu’il sied de
faire trancher, dans l’intérêt du bon ordre, par les arbitres, les juges. Dans
l’ancienne société congolaise antérieure à la colonisation, ce rôle est dévolu au
conseil des anciens, des sages, éclairés par les avis des notables (experts). Ce
conseil cumule les pouvoirs d’ordre législatif, exécutif et par la coutume. Sa
composition, déterminée par la coutume, varie d’une coutume à une autre. Elle
comprend des juges et des assesseurs. Cette composition et le pouvoir des
tribunaux sont strictement réglés. Le chef de clan est le chef de la juridiction ; il
en préside les audiences ; il peut néanmoins déléguer la direction des débats à un
autre juge.
La composition du tribunal est toujours collégiale. Les juges sont souvent
héréditaires, ayant reçu une formation dans les stages appropriés. Ils doivent
présenter des hautes qualités de morale, de justice et de dévouement ; ils doivent
être habiles et aptes à instruire les affaires, à présider les audiences, à diriger les
débats et à bien appliquer le Droit.
Dans certains clans, le chef est le véritable grand juge. Il est le seul à décider et
imposer sa volonté sur base du rapport de ses subordonnés.
En revanche dans d’autres clans, le chef ne détient qu’un Droit de contrôle et de
veto ; il ne préside pas les séances. La justice est rendue en son nom par le conseil
des sages.
Lorsqu’il s’agit d’une affaire opposant les parties des coutumes différentes, on
crée, une juridiction spéciale dont la composition est mixte. Le tribunal
comprend alors les juges des clans auxquels les parties appartiennent. Ce tribunal
interclanique siège à la frontière des territoires intéressés.
§3. La Compétence
D’une manière générale, il y a lieu de dire que les juridictions claniques
possèdent la plénitude de compétence.
Celle-ci couvre tout le ressort juridictionnel du clan en tant qu’entité
administrative. Centralisée. Il s’agit de la compétence locale. Le tribunal siège
toujours à la cour du chef et toutes les parties suivent cette cour.
L’on peut également affirmer que la compétence matérielle des juridictions
coutumières est polyvalente. Ces tribunaux connaissent des contestations et des
litiges de toute nature et de toute espèce. Ils versent dans le panier des affaires
d’ordre pénal, civil, administratif, commercial, social, financier, etc. il ne se
préoccupe pas non plus de la valeur, de l’importance du litige en matière pénale
111

; leur compétence va des délits mineurs (contraventions) aux délits majeurs


(crimes). Ils attachent plus d’importance à la réparation du préjudice causé à la
victime qu’à la punition du coupable.
La compétence personnelle est pratiquement inexistante. Ex-
ceptionnellement, on peut noter le cas ponctuels et sporadiques relatifs aux
privilèges des juridictions pour les grands dignitaires du clan. Ces derniers
comparaissent toujours devant le même tribunal clanique, mais autrement
composé à et huis clos pour les affaires délicates qui portent atteinte notamment
aux bonnes mœurs et à leur honneur. D’ailleurs, l’organisation judiciaire
traditionnelle ignore le principe de double degré de juridiction prévue en Droit
civil écrit. §4. Les Procédures
A ce niveau, nous pouvons parler de la diversité de procédure, du fait qu’en
Droit traditionnel, il existe de procédures variables et variées pour saisir un
tribunal ; ces procédures diffèrent d’une coutume à une autre. Ici, nous épinglons
l’essentiel, c'est-à-dire certains traits communs à la majorité des coutumes
congolaises, entre autres l’introduction du différend, la conciliation, la
délibération, le jugement et l’exécution du jugement. Ces traits traduisent les
différentes phases du déroulement d’un procès dans la société traditionnelle.
I. L’Introduction d’une affaire
Il faut rappeler qu’en milieux traditionnels, le conflit, le différend, est toujours
l’affaire des groupes, des familles, bien qu’au départ ce conflit oppose les
individus et que la responsabilité finit par devenir collective. N’étant pas
hiérarchisé, le pouvoir judiciaire peut être confié aux arbitres librement choisis
par les parties ou au conseil des Notables.
Compte tenu de l’importance que notre société attache à la conciliation,
beaucoup de litiges passent d’abord par les procédures conciliatoires avant
d’atteindre le tribunal, le conseil des sages132. La phase conciliatoire s’impose et
devient un préalable à la poursuite du procès. Ce souci se manifeste dans les
discussions entre les parties intéressées (foyers, parentèles). Il vise à réaliser une
amiable solution du litige plutôt qu’à appliquer des règles conçues dans l’abstrait,
à telle enseigne que la justice apparaît comme une institution de paix, plus qu’elle
ne vise à l’application d’un Droit strict133. A ce propos, A.N. Allott considère les
règles de Droit coutumier africain, non pas comme les injonctions pour les juges,
mais uniquement comme un ordre de grandeur et une base de discussion134.

132
Gilissen J. et Vanderlinden J., L’organisation judicaire en Afrique noire, p.15, Ed. De l’Institut de
Sociologie, ULB, 1969.
133
Deckers R., op. cit, p.181
134
A.N. Allott cité par Deckers, Essays in African law, p.68, Londres 1960.
112

L’on notera que l’exercice de la justice n’est pas nécessairement une décision
coercitive et contraignante. L’arbitrage et la procédure privée sont préférables
dans la recherche de la solution au différend à la procédure publique, officielle.
La coutume cherche plus l’adhésion que la contrainte sociale organisée.
Ces discussions, que les occidentaux qualifient de (palabres), sont longues et
parfois ennuyeuses ; elles peuvent s’étendre sur plusieurs mois. Mais, ce qui
importe c’est la recherche de l’unanimité, de l‘adhésion de toutes les parties en
vue de trouver une solution solide de compromis où tout le monde trouvera son
compte.
Dans l’hypothèse où la phase conciliatoire n’aboutit pas, n’est pas concluante,
le litige est alors porté devant le conseil des sages pour jugement.
II. Les Audiences publiques
En cas d’échec de la conciliation, on passe au stade suivant, celui de déroulement
normal du procès.
Les audiences publiques sont organisées. Elles sont parfois nombreuses et se
déroulent devant le conseil des Anciens sous la présidence du chef de clan. Les
débats sont publics et contradictoires. Les parties comparaissent en parentèles
respectives. Les témoins sont entendus et les autres modes de preuve déposés par
les intéressés.
Modes de preuves
Concrètement, la parole est accordée, à tour de rôle, à chaque partie. Celle-ci se
lève, prend la parole et présente ses moyens de défense ; la plaidoirie est longue
et ne s’attache pas forcement à l’objet du débat. Le plaideur ne fait qu’effleurer
le débat par allusions, des proverbes, des paraboles, des exemples, des gestes,
des symboles appropriés. Il parle à mots couverts, se fait comprendre à demi-
mot, tout en s’abstenant des paroles blessantes, désobéissantes. Ce langage imagé
contribue à éclairer la religion des juges et à fixer, à former leur conviction. En
fin de compte, le tribunal clôt les débats et prend la cause en délibéré.
III. Les Modes de preuves en Droit coutumier
1°) La preuve instrumentale
Le Droit coutumier, pour palier à l’ignorance de l‘écriture recourt à ce mode de
preuve pour prouver l’existence d’un droit réclamé. C’est le gage. C’est un usage
qui consisté pour tout individu qui, à l’occasion d’un prêt ou de toute autre
obligation, exige du redevable, la mise en gage d’un objet quelconque à titre de
garantie de paiement. Parmi ces objets, nous pouvons citer : la houe, la machette,
la hache, le fusil etc.
Pour appuyer cette preuve, les proverbes selon les coutumes posent un principe
coutumier.
113

Le gage est appelé chez les Kamyok « Tshiey » pour signifier un objet laissé en
reconnaissance d’une créance. Chez les Luba, on parle de « Kweyeka » c’est-à-
dire laisser un objet en reconnaissance de dette. Tandis que chez les Lele, le gage,
objet de preuve est constitué en pièce de raphia, et s’appelle « Mbala mwe mu
ikambu ». c’est la reconnaissance de ses obligations par le débiteur et en même
temps un engagement de sa part à les exécuter. Chez les Budja, il consiste en un
anneau et s’appelle « Ekomba ». 2°) La Preuve testimoniale
La preuve en Droit coutumier dit BOMPAKA N’KEY mankanyi :
« est aussi libre qu’en Droit écrit. Essentiellement orale et fondée sur le
témoignage, elle est régie par des accords matérialisés en des formes solennelle,
rituelles voire magiques, frappant la mémoire des témoins attirés assistants à la
cérémonie »135.
Cet argument fait la différence du Droit coutumier au Droit écrit lequel, souscrit
essentiellement à la preuve littérale, la qualifiant de preuve pré-constituée. Les
sociétés traditionnelles sont restées accrochés à ce mode de preuve.
L’importance d’un témoin dans la justice traditionnelle n’est pas à rechercher,
le témoin joue un rôle important d’éclaireur pour le tribunal. Compte tenu de
l’importance de sa déposition, il est toujours soumis au serment. Le sens de ce
serment veut dire ; je ne parle que de ce que j’ai vu, en conséquence, ce qu’il a
entendu ne pouvait être pris en considération pour éviter des spéculations au
soupçon à l’égard des innocents.
Outre ce serment, le témoin est toujours considéré comme celui qui voit pour
aller dire aux autres au bien celui qui a assisté au déroulement des faits est obligé
d’ne informer les ayant droit.
La justice traditionnelle ne connaît pas la notion du faux témoin telle
qu’enseigné par le Droit écrit. Les personnes invitées pour témoins ne prennent
pas le risque de tenter cette aventure car elles ont peur de mentir le Roi ou le
Chef garant de la sécurité des biens et des personnes et l’interlocuteur valable
entre les morts et les vivants.
3°) L’Aveu
Par définition, « l’aveu est l’ensemble des déclarations par lesquelles une
personne reconnait en totalité ou en partie le bien fondé des accusations portées
contre elle »136.
Le Droit coutumier n’ignore pas ce mode de preuve, car il est le plus souvent
exprimé par les proverbes.

135
Bompaka N., M., Cié par KAUALA KABAKASHALA, La Preuve en Droit congolais, éd ;
Batena Ntambura, Kinshasa, 1998, p.20.
136
KATUARA KABA KASHALA, op.cit, p.49
114

Chez les biens Kanyok par exemple « Wahondund, Wahori ndundudj », ce qui
signifie qu’on ne peut pas parler tantôt en acceptant les faits tantôt en les niant.
Les Kanyok comparent un pareil homme à un ballon qui s’amorti plusieurs fois
et à des endroits différents.
Chez les Baluba de Kabongo, dit Collard, « la remise devant témoin d’un
gage de responsabilité : houe, hache, poule, flèche, etc. est considéré comme un
aveu et l’engagement pris en remettant le symbole coutumier est irrévocable
»137.
Cette lecture faite de l’aveu par Collard chez les Baluba ne cadre pas avec sa
définition, car l’aveu est une « déclaration par laquelle une personne tient pour
vrai un fait qui peut produire contre elle des conséquences juridiques ». L’aveu
est judiciaire lorsque la déclaration est forte en justice ; il lie le juge. En cas
d’adultère, par exemple, l’aveu de la femme établit l’infraction et l’homme sera
puni même s’il nie les faits à moins qu’il apporte une preuve contraire.
Chez les Wagenias, l’aveu est aussi accepté comme mode de preuve et est régi
par le principe de l’individualité.
Partant du jugement tenant compte de tout cela, il y a lieu de comprendre la
différence entre le jugement rendu par un tribunal traditionnel et celui rendu par
un tribunal coutumier, c’est-à-dire celui institué par le colonisateur. Pour le
tribunal traditionnel, dès que les déclarations de deux parties sont concordantes
sur le principe, comme la remise de chèvre et le droit de propriété, la
condamnation devrait être prononcée, en dépit de quelques divergences sur les
détails. C’est là la beauté de la justice traditionnelle.
4°) Les Présomptions
Pour Katuala, « Les présomptions sont les conséquences que la loi ou le
magistrat tirent d’un fait connu à un fait inconnu »144.
Cette définition n’est pas plus explicite que celle donnée par Guillien, R. et
Vincent, J.
La présomption est un « mode de raisonnement juridique en vertu duquel de
l’établissement d’un fait on induit un autre fait qui n’est pas prouvé »138.
Dans la justice traditionnelle, les présomptions de culpabilité ou d’innocence
sont coulées dans les proverbes juridiques.
5°) Le serment
D’après Lacoste, B., « Le serment remplissait également un rôle probatoire en
milieu coutumier. En l’absence d’autres preuves, le serment servait à vérifier la

137
Kalenda, D., La justice dans le système juridiciaire traditionnel, Kanyok, Mémoire D.E.A Fac
de droit, UNILU, 2013-2014, inédit 144 Katuala Kaba Kashala, op.cit, p.44
138
Guillien, R., et Vincent, J. Lexique des termes juridiques, Dalloz, Paris, 2000, p.73
115

sincérité des allégations des parties. Et jadis, on prêtait serment sur ses proches
en demandant qu’ils meurent si l’on mentait ou bien ne appelant la malédiction
des morts »139.
En Droit coutumier, ce serment n’est réservé souvent qu’à la Cour royale dans
la mesure où il se fait sur deux objets sacrés du Roi, à savoir : la peau de Léopard
et la canne du Roi.
Certifier leurs déclarations, chacune des parties doit traverser un de ces objets
sacrés en faisant le serment suivant : « Je suis saint, et personne ne peut me citer
sinon Dieu. Regarder au ciel c’est avoir peur de la foudre, regarder par terre c’est
avoir peur des morts. Si je connais seulement cette affaire, que je meurs sans
délai.
Après avoir prêté serment, si rien ne lui arrive, la personne clame son innocence.
Ce serment est aussi accepté chez les Bakongo, comme atteste Mertens.
Chez les Baluba de Kabongo, ce mode de preuve n’était pas admis partout. Il
était surtout pratiqué auprès des juridictions inférieures, tribunal de parentèle et
tribunal de village. Entre membres de la société bumbu duye, le serment sur les
répliques sacrées, le « Ngulu y a Mbuydye » était considéré comme une preuve
suffisante de l’innocence de celui qui me prêtait. En effet, le parjure se
condamnait à mourir dans un délai très court car dans la croyance indigène, la
profanation de répliques était réputée de nature à porter malheur à la personne
sacrilège.
Il arrivait aussi que celui qui fait le serment, ramasse un peu de terre et la
porte en bouche s’engageant à mourir au cas où il mentait.
Cette forme de serment est aussi d’usage chez les Kanyok mais il est renforcé
quand il s’agit d’une mort mystique d’un homme dont on recherche le sorcier. A
ce moment, le serment se passe en famille ou dans le lignage en prenant la terre
de la tombe du défunt qui est aspergée dans l’eau que tous les membres de la
famille doivent prendre s’engageant de mourir s’il connait sa mort.
Il ressort que la justice traditionnelle ne prévoit pas les sanctions à l’encontre du
coupable de parjure. Seul, le monde indivisible exerçait des sévères malheurs sur
le coupable comme pour les ordalies.
L’important de ce serment tient au fait qu’il ne porte que sur les faits et non sur
des points de Droit. Raison pour laquelle en Droit traditionnel, l’individu fait un
parjure d’innocence et ne fait cas de ses droits.

139
Lacoste, B., Cité par Kalenda, D., Op.cit, inédit.
116

6°) Les Ordalies


Par définition, l’ordalie est une « épreuve judiciaire en usage au moyen âge sous
le nom de jugement de Dieu »140 cette définiton ne permet pas de cerner le sens
véritable des ordalies pratiquées par les ancêtres.
Pour Mbaya-Ngang, K. « les ordalites sont les épreuves qui, en milieu coutumier
relèvent presque toutes du jugement des dieux ou des puissances invisibles »141.
En d’autres termes, elles sont un mode de preuve le plus couramment employé,
jadis, pour prouver devant l’assistance, l’innocence ou la culpabilité du prévenu.
Pour nous, ordalie est un mode de preuve traditionnelle qui consiste à soumettre
les parties litigantes à une épreuve magique en vue de dévoiler le coupable et
donc le jugement appartient aux puissances invisibles (ancêtres). Ce mode de
preuve permet de comprendre la place énorme qu’occupe la magie dans notre
système judiciaire traditionnel.
Ces ordalies se présentent sous diverses formes dont voici les plus fréquentes et
répandues :

a) L’épreuve de l’eau bouillante


Cette épreuve est connue dans la majorité des sociétés tradi-
tionnelles. Elle consiste pour l’accusé ou les accusés de « tremper sa main dans
le pot d’eau en ébullition. S’il ne contracte pas de brûlure ni des atteintes légères,
il est reconnu innocent ; dans le cas contraire, il est déclaré coupable.
Chez les Balomotwa, l’épreuve s’appelle « Mwavi », qui consiste pour le suspect
à plonger sa main dans un récipient rempli d’eau bouillante et en sortir un objet
déposé au fond. S’il ressort sa main sans brûlures apparentes, son innocence est
prouvée.
Chez les bien Kanyok, cette épreuve est faite par un Ngang a buk (féticheur)
expérimenté dont la renommée a déjà gagnée la contrée.
L’épreuve de l’eau bouillante est différente de celle de fer chaud.
b) L’épreuve du fer chaud
Elle est similaire à la précédente, à la seule différence qu’il s’agit d’un fer
chauffé dont la procédure est décrite par Mertens : « A la demande de la personne
lésée, le forgeron attise le feu et allume sa forge. Puis il y a plongé une barre de
fer. Entretemps, il enduise la peau du suspect de certains produits magiques.
Avant de passer à l’épreuve même, il procède à un interrogatoire psychologique.
Si le suspect persiste dans ses dénégations, le forgeron passe alors lentement sur

140
Encyclopédie cité par Kalenda, D., Op.cit, inédit.
141
Idem
117

sa main le morceau de métal chauffé. Au contact du métal rouge avec la peau,


s’il n’y pas de brûlure, l’innocence du suspect est normalement établie.
Les Kanyok, à l’instar d’autres sociétés traditionnelles connaissent cette épreuve
mais c’est toujours la même personne qui procède à l’épreuve et non un simple
forgeron.
Chez les baluba de Kabongo, écrit Collard, l’épreuve est la même mais ils
utilisent la houe portée au rouge vif au fond du récipent plaine d’eau bouillante
dans laquelle baignent les feuilles de l’arbre « Mwavi ». La même épreuve est
pratiquée, cette fois, à l’aide d’une grosse perle appelée « Mitunda » ou d’un petit
anneau chauffé et déposé sur la paupière du suspect, et la procédure reste la
même.
La deuxième expérience de Collard s’approche de l’épreuve par le coquillage.
Elle consiste à glisser le coquillage entre l’œil et la paupière du suspect. Si après
l’incantation magique, le coquillage disparait dans l’œil et fait vociférer la
personne suspectée, on est alors sur que cette personne est coupable. Mais si le
coquillage tombe à terre, le suspect est déclaré innocent.
La même épreuve est pratiquée dans la coutume Lalia mais l’épreuve est faite
au moyen de corrosif obtenu en pressant l’écorce râpée de l’arbre « Bokungu ».
la procédure reste inchangée.
c) L’épreuve du poison
Cette épreuve est la plus dangereuse, la plus meurtrière de toutes les épreuves
précitées effets, elle n’est réservée qu’à la Cour royale et sous l’œil du Roi lui-
même.
La procédure de cette épreuve est la suivante : Lorsque dans une famille, on
enregistre de décès successifs ou un décès mystérieux d’un membre, celle-ci, par
le biais de son chef, recherche l’auteur de ce malheureux. Ainsi, unanimement,
ils s’amenaient dans la cour informer le Roi. Celui-ci appelle la personne
habilitée à le faire. Celui-ci appelle la personne habilitée à le faire. Cet homme
prend les écorces de l’arbre « Tshipap » qu’il pille dans un mortier puis il donne
à toutes les suspectées. Le (s) coupable(s) trépassent sur place, ce poison
s’appelle en Kanyok « Tshipap » nom de l’arbre à poison.
Plusieurs tribus le connaissent, notamment les Lele, les Lega, les Balomatwa, il
s’appelle « Mwaviya bibalo, tandis que chez les Baluba de Kabongo, il s’appelle
« MWAVI ».
Toutes ces épreuves sont différentes de la divination.
7°) La Divination
La divination est un mode de preuve qui consiste, pour la victime, à consulter
un devin en vue de découvrir le coupable ou l’auteur d’un forfait et ce, au moyen
118

de ses esprits communément désignés sous le nom des ancêtres (Bakish,


Bitwanda ou Ngombo etc.). Elle est spécialement pratiquée par des experts ou
des confréries des spécialistes comme les féticheurs, nécromanciens etc.
De ces modes de preuve à caractère magico-religieux, seule la divination est
encore plus d’application courante dans les juridictions inférieures : la famille et
le lignage. Il faut reconnaître que dans certaines causes relatives à la propriété
foncières, ces modes de preuve sont insuffisantes pour déboucher un jugement
équitable ; d’où le recours à l’enquête ou descente sur terrain du tribunal.
IV. L’enquête
Le Droit coutumier connait le procédé d’enquête qui consiste à confronter les
faits tels que décrits par les parties devant le tribunal et la réalité du terrain. C’est
ainsi qu’ils l’ont dénommée en Kanyok « Tshitaal Bibidy » qui vient du provebe
: « Tshitaal baidy i tshishimik » qui signifie : ce que deux personnes ont vu ne
fait l’objet de doute.
L’enquête n’est possible que dans les causes foncières, de meurtre perpétré par
un chasseur à l’occasion de chasse, de feu de brousse ayant entraînée incendie
des cases d’habitation ou encore en cas de vol, non flagrant. L’enquête est
sollicitée par toutes les parties y compris le tribunal.
Il faut noter que les limites des champs des concessions ancestrales ont battus
record en matière d’enquête. Mais cette enquête n’est réalisée qu’après avoir
payé une chèvre au tribunal. A cette occasion, le Roi ou le Chef de groupement
ne se déplace pas souvent sinon les autres membres de la composition conduit
par le vice-président.
La deuxième raison qui motive la demande de l’enquête, c’est le doute et les
contradictions des déclarations des parties. La seule façon d’accéder à la vérité,
c’est l’enquête afin d’éclairer la religion du tribunal.
V. La délibération et le prononcé du jugement
Après les débats, le conseil (tribunal) se retire en secret pour délibérer et prendre
sa décision. Celle-ci est prise par le collège des juges sur base de la discussion et
du compromis. Elle doit recueillir l’assentiment de tous en vue de consacrer
l’entente entre les parties, laquelle entente s’exprime par l’organisation d’une
beuverie ou d’un banquier auquel le juge et les parties prendront part. Le
prononcé d’une sentence est considéré comme un ultime recours. Avant d’y
parvenir, les juges doivent prendre toutes leurs précaution lors de la délibération
: observer la coutume applicable, s’inspirer de l’équité, éviter de se heurter à
l’opinion publique, de provoquer la vengeance divine de mécontenter les parents
du condamné, etc.
119

La sentence est toujours rendue au nom du chef. Mais, ce dernier ne doit en


aucune façon imposer son point de vue. Il évite d’énerver l’opinion publique, de
mécontenter les masses, de provoquer les sanctions divines et magiques et de
bousculer la tradition142.
Après la délibération à hui clos, le tribunal rentre en audience au siège, à la cour
du chef pour rendre son jugement et détermine en même temps la façon de
l’exécuter. Souvent, ce jugement est rendu à la satisfaction de toutes les parties.
Toutefois, il existe une voie de recours pour la partie qui n’est pas satisfaite : cas
rare. Ce recours consiste normalement à demander la révision de la sentence
auprès de la même juridiction, car celle-ci statue en premier et dernier ressort ; il
n’existe aucune autre juridiction au-dessus d’elle.
Les parties doivent enfin payer les frais de justices considérables sous forme de
cadeaux aux juges. Souvent, c’est la partie gagnante qui les supporte.
Le perdant est tenu de s’exécuter volontairement et avec promptitude.
Autrement, il ‘expose au mépris du public et à la vengeance divine. Il peut même
faire l’objet d’exécution forcée sur sa personne ou sur ses biens ; il court le risque
d’être réduit en esclavage.
Quelle est la place de l’administration de la justice indigène à l’avènement de la
colonisation ?
SECTION 2 : L’ORGANISATION JUDICIAIRE TRADITIONNELLE
PENDANT LA PERIODE COLONIALE ET
POSTCOLONIALE

Il est indéniable que dans toute société, il s’impose aux gouvernements le souci
d’établir une bonne administration de la justice, à partir du moment où le cadre
constitutionnel est installé. Ce souci s’est manifesté à l’arrivée de la colonisation
belge. Mais, celle-ci s’est trouvée devant deux types de Droit : Droit écrit, de
type occidental et Droit non écrit, incarné par les coutumes indigènes 143. Ce fait
a engendré le dualisme des structures d’organisation judiciaire et des organes
juridictionnels. Il y a, d’ »un côté la justice de style européen, mieux équipée et
mieux outillée, applicable aux européens et leurs assimilés. L’on trouve, d’autre

142
Goffin et Cie, op.cit. p.173.
143
John Gilissen, estime que les deux appellations « Droit écrit » et « Droit coutumier » sont
impropres, puisque le premier est loi d’être uniquement écrit et le second loin d’être uniquement
coutumier ; nous nous accordons sur cette affirmation.
120

part, la justice indigène, pauvre et démunie, applicable aux autochtones et leurs


assimilés144.
Tel que nous l’avons souligné plus haut, la beauté de nos coutumes réside dans
leur capacité d’évoluer, de s’adapter aux mutations de la société moderne. Cette
souplesse a permis au pouvoir colonial belge d’instituer au départ des tribunaux
spéciaux appelés « tribunaux indigènes » pour juger les procès intéressant les
autochtones, l’objet final étant de réaliser l’intégration totale des juridictions
indigènes au sein des juridictions de Droit commun et la création de la structure
judiciaire unique, monolithique, groupant les deux sortes de tribunaux et,
assurant le même statut à tous leurs membres.
C’est ainsi que par le décret du 15 avril 1926 sur les juridictions indigènes145, le
pouvoir colonial consacre l’existence de ces juridictions coutumières. A côté des
anciennes juridictions coutumières, le pouvoir ajoute, dans les régions
coutumières, des juridictions artificielles, les tribunaux de secteur, et les
tribunaux de centre, les tribunaux de commune, les tribunaux de territoire, les
tribunaux de ville.
Le principe fondamental de cette loi est de maintenir et de fortifier les
juridictions indigènes là où elles existent, d’en établir là où les agglomérations
d’indigènes se sont artificiellement créées, de façon à rapprocher la justice des
justiciables et, en même temps, à assurer aux indigènes l’application des règles
répondant à leurs conceptions et au stade de leur développement matériel et
moral.
Emile Lamy enchaîne146 que le décret du 15 avril 1926 a mon-
tré la voie. Loin de tuer la coutume, il fait une date faste dans l’histoire du Droit
indigène parce qu’il a permis à la coutume de renaître, alors qu’elle était menacée
aux premières années de la colonisation. Il a réveillé la confiance des congolais
dans leurs propres coutumes et suscité un intérêt scientifique et juridique dans le
chef des Européens. En fait, quelle est l’économie de cette loi ?
Dans cette loi, le législateur colonial parle respectivement de l’institution, de la
composition, de la surveillance, de la compétence, des règles de fond et de
procédure devant les juridictions indigènes.

144
Cette discrimination a poussé le commissaire de district Grevisse à écrire un livre sur « La grande
Pitié des Tribunaux Indigènes », Mémoire Inst. Roy. Col. Belge, Bruxelles 1949, Goffin et Cie,
op.Cit., p.173.
145
Jacques Vanderilinden préfère l’expression « les juridictions pour indigènes de statut coutumier »
à l’expression « les juridictions indigènes », car il y a des indigènes de statut du Droit écrit, les
évolués ; in Aspect de la justice indigène en pays zande, p.143, Bruxelles 1956, 1956, 1958.
146
Lamy E., Introduction à l’étude du Droit coutumier, cours polycopié, p.133, Université Officielle
du Congo, Lubumbashi 1965.
121

Le décret du 15 avril 1926 complété par celui du 16 septembre 1959 institue les
différentes juridictions indigènes pré rappelées (art. 1). Seul le tribunal de
chefferie existe conformément à la coutume. Mais, il doit être reconnu par
l’autorité territoriale (commissaire de district ou premier bourgmestre). Les
autres juridictions sont créées par le commissaire de district ou par le premier
bourgmestre.
Le décret déterminait également leurs ressorts respectifs et leur composition (art.
2 à 9). Toutefois, la composition des tribunaux de chefferie est déterminée par la
coutume (art. 3).
Le ministère public surveille la composition et l’ancien de tous les tribunaux
indigènes de son ressort. Il leur donne des directives nécessaires pour la bonne
administration de la justice. Il a le Droit d’obtenir, au siège même du tribunal,
communication des registres et autres documents du tribunal (art. 10).
La compétence des tribunaux indigènes est déterminée par les articles 11 à 17
du décret. Les tribunaux indigènes connaissent des contestations entre indigènes
du Congo ou des contrées voisines aux deux conditions suivantes :
• Que les contestations ne doivent pas être tranchées par l’application des
règles du Droit écrit ;
• Que le défendeur se trouve dans le ressort du tribunal (art. 11). Les
tribunaux indigènes appliquent les coutumes, pour autant qu’elles ne
soient pas contraires à l’ordre public universel. Dans les cas des coutumes
contraires à l’ordre public ou l’absence de coutumes, les tribunaux
indigènes jugent en équité (art. 18).
Les règles de procédure sont, pour les diverses juridictions, les règles coutumière
du ressort. Dans les hypothèses des coutumes contraires à l’ordre public universel
ou aux principes d’humanité ou d’équité ou d’absence de coutume, la procédure
s’inspirera des règles de l’équité (art.
25).
Telle est l’organisation judiciaire pendant la période coloniale. Qu’en est-il de
la période postcoloniale ?
Nul doute que devenu indépendant, notre pays ne pouvait pas se permettre le
luxe de maintenir les structures judiciaires dualistes, discriminatoires, car pareille
organisation consacrerait ostensiblement et scandaleusement la ségrégation
raciale, chose inadmissible pour un Etat souverain.
C’est ainsi qu’à partir du 30 juin 1960, date de l’accession du Congo à la
souveraineté nationale et internationale, le dualisme judiciaire commença à céder
progressivement devant le monolithisme judiciaire. Les réformes judiciaires de
1968, complétées par celles de 1978 (instauration des tribunaux de paix), ont
122

définitivement mis fin à ce paradoxe. La coutume a la même valeur juridique


que toute autre source formelle du Droit. A ce propos, l’article 149 de la
constitution de la transition disposait : « les cours et tribunaux civils et militaires
appliquent la loi et les actes réglementaires ainsi que la coutume pour autant que
celle-ci soit conforme à l’ordre public et aux bonnes mœurs ».
Aujourd’hui, tous les habitants du Congo, nationaux comme étrangers, noirs
comme blancs sont justiciables devant les mêmes et seules juridictions.
L’intégration juridictionnelle est donc totale.
123

CHAPITRE 5 : LE DROIT PENAL


Il faut s’épargner de s’attendre ici à une définition classique du Droit pénal,
considéré en Droit écrit comme une branche du Droit mixte qui consiste à
prévenir par la menace et aux besoins à réprimer par l’application des différents
moyens les actions ou omissions de nature à troubler l’ordre social, où règne le
principe de la légalité des infractions et des peines. Les règles du Droit pénal ne
sont pas développées. L’on dirait qu’on a affaire à des mesures (règles)
disciplinaires visant la protection des intérêts privés au sein du groupe plutôt que
des règles répressives s’intéressant au maintien et à la protection de l’ordre
public. Il n’y a pas de règles précises à ce sujet.
La définition et la qualification des infractions ne sont pas clairement établies.
Les infractions usuelles relèvent de la discipline du groupe, du clan. Leur
qualification diffère d’une coutume à une autre. D’ailleurs, il est de coutumes qui
opèrent une distinction entre les violations des interdis divins et les violations
des lois sociales.
Elles sont sanctionnées au sein du clan par le paterfamilias dans l’intérêt du
groupe, car ces infractions sont en général mineures. La sanction de la violation
de la loi divine relève de la volonté divine.
Aussi, les règles du Droit pénal se démarquent difficilement des règles du Droit
civil ; il n’y a pas de frontière nette entre les deux.
Le Droit coutumier s’occupe moins de la faute (pénale ou civile) que des
conséquences, du dommage causé. Il minimise la nature et l’ampleur du fait
culpeux, de l’infraction, de la faute. Toutefois, même involontaire ou très légère
(culpa levissima) engage la responsabilité de l’auteur. On ne cherche pas à
déterminer la nature des faits, ni les circonstances qui ont entouré leur
commission147. Ce qui importe c’est l’ampleur et l’étendue du dommage causé.
On vise plus la réparation du préjudice que la punition du coupable. La partie
lésée, la victime, s’adresse à son groupe pour réclamer plus la vengeance ou la
réparation du dommage subi que la justice.
Dans la société traditionnelle, l’échelle des peines était abon-
dante et variable. Il s’agit souvent des peines afflictives, cruelles dans leur
exécution. Le recours, aux ordalies ou épreuves est fréquent 148 . L’on peut
notamment citer l’amende, la mort, les mutations, l’esclavage, la détention, les
travaux forcés, la flagellation, le déshabillement, l’exposition en public,
bannissement, le poison, etc.

147
- Dekkers, op.cit, pp.26-28.
- Sohier, op.cit, BJI 1946, p.210.
148
Dekkers, op.cit, pp.26-20.
124

Le condamné à mort, mains liées derrière le dos, est conduit hors le village est
généralement appliquée en l’ablation des mains, de la langue, des lèvres, des
oreilles, des doigts, etc.
Le coupable est aussi exposé en public, au soleil cuisant, sur une fourmilière, ou
complètement déshabillé, nu. La femme adultère voit ses jambes écartelées et
son complice subi le ficelage du sexe.
Le sorcier est soumis à l’épreuve de la ciguë (poison). S’il s’en tire, il est
présumé innocent ; autrement, on est convaincu de sa culpabilité.
Le bannissement des pratiques à l’égard des récidivistes.
A l’arrivée de la colonisation, la situation change complètement. Le pouvoir
colonial élague les coutumes de leurs aspects cruels, barbares et rétrogrades,
susceptibles de contrarier l’ordre public et les bonnes mœurs. Il consacre le
principe de la légalité des infractions et des peines. Il catalogue les peines à
l’article 5 du code pénal, livre premier : la mort, la servitude pénale, l’amende,
la confiscation spéciale, le bannissement. La justice traditionnelle de base est
totalement dépourvue de la compétence en matière pénale, laquelle compétence
est désormais dévolue aux juridictions étatiques. Tel est l’état de la question
jusqu’à ce jour.

CHAPITRE 6 : L’ORGANISATION FINANCIERE ET FISCALE


Dans la société traditionnelle précoloniale, les structures financières et fiscales
ne sont pas développées, pour ne pas dire, inexistantes. Il en résulte qu’il manque
pratiquement de règles susceptibles de couvrir ce domaine. L’on pense ici aux
finances publiques et au fisc, lesquelles visent à l’organisation des recettes et des
dépenses de la collectivité et à la contribution des administrés aux dépenses de
la communauté.
Plusieurs raisons justifient ce vide.
D’abord, il y a absence d’Etat au sens technique du terme avec ses attributs
régaliens, de monnaies métallique ou fiduciaire, d’infrastructures appropriées. Il
y a, ensuite, absence d’économie de production susceptible de générer la richesse
et le développement. La richesse, du reste maigre, s’évalue en colliers, ou
bracelets de cuivre, en couteux, en lances, en flèches, en nattes, en tête de petit
bétail et non en monnaie, laquelle richesse provient essentiellement de la
cueillette, de la chasse, de la pêche, de l’artisanat et de l’agriculture sans oublier
le petit élevage. On a affaire à une économie domestique, de subsistance, en vue
de satisfaire ses propres besoins149.

149
- Goffin et Cie, Encyclopédie, p.194
125

Néanmoins, l’on y note l’existence des redevances et tributs relatifs à


l’exploitation du sol, de la forêt, de la chasse, de la pêche et à l’occupation des
terres par les étrangers.
Nous avons, en effet, vu que le chef de clan a le pouvoir
d’accorder aux ressortissants d’autres groupes le Droit d’usage sur ses
concessions. Ces usagers lui payait les redevances. Aussi, ses administrés lui
versent divers tributs en contrepartie de la protection. Les redevances et tributs
consistent en peaux, dents et griffes de léopard, du lion, en ivoire, en esclaves,
en gibier, en poisson, en récoltes, en plumes d’aigle, en calebasses de vin, en
corvées (prestation) dues par les clients, etc. il symbolise la marque d’affection
et de reconnaissance de l’autorité ; il constitue une contribution aux frais
communs.
Aujourd’hui, la matière est entièrement régie par les règles de
Droit écrit.
Somme toute, il faudrait retenir que ce travail est une première ébauche d’une
longue et analytique étude à mener sur nos coutumes juridiques, héritage
ancestral, en piochant davantage, en vue d’en extraire les éléments positifs et
révolutionnaires à verser dans un monument moulé du Droit Positif congolais.
126

BIBLIOGRAPHIE
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5. Bompaka N. L’évolution actuelle des régimes matrimoniaux en coutume
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6. Bompaka N., M., Cié par KAUALA KABAKASHALA, La Preuve en
Droit congolais, éd ; Batena Ntambura, Kinshasa, 1998
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8. Bruno Geldhof, cité par beaucoup, Pour la violation de la famille dans la
société indigène, BJI, 1945, n°1.
9. Colas D., Dictionnaire de la pensée politique, pp. 82-94, éd ; Larousse,
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10. David R ;, Les Grands Systèmes de Droit contemporain, 2ème éd. Pp. 556-
557., Paris, 1966.
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12. De Page H., Traité de Droit civil belge, t.1, p.267, Bruxelles 1948
13. Deckers R., Droit congolais et Droit romain, points de contact, CEPSI
n°71 pp.1 à 56, Elisabeth, 1965.
14. Dekkers R., Géométrie et conciliation, R.J.C. 1996
15. Delafasse, le haut Sénégal, Niger, t III.
16. Dethier F.M., Notes sur les institutions et coutumes judiciaires, Nkundu-
Mongo, DJI, 1945
17. Dethier, Notes sur institutions et coutumes Mongo.
18. Gilissen J. et Vanderlinden J., L’organisation judicaire en Afrique noire,
p.15, Ed. De l’Institut de Sociologie, ULB, 1969.
19. Gilissen, cité par Mulumba Katchy, I.G.E.D, p.37, cours, Kinshasa,
2000-2001.
20. Goffin I., et Cie, Encyclopédie du Congo belge, t.1.
21. Grootaert, problème et programmes congoalis, BJI, 1947, n°2
22. Guillien, R., et Vincent, J. Lexique des termes juridiques, Dalloz, Paris,
2000
23. Hulstaert G., La propriété chez les Mongo, in Aequatoria, 1946
127

24. Jacques Vanderilinden préfère l’expression « les juridictions pour


indigènes de statut coutumier » à l’expression « les juridictions indigènes
», car il y a des indigènes de statut du Droit écrit, les évolués ; in Aspect
de la justice indigène en pays zande, Bruxelles 1956, 1956, 1958.
25. John Gilissen, estime que les deux appellations « Droit écrit » et « Droit
coutumier » sont impropres, puisque le premier est loi d’être uniquement
écrit et le second loin d’être uniquement coutumier ; nous nous accordons
sur cette affirmation.
26. Kalambay G., La dot dans le mariage luba du sud-Kasaï, son importance
et son évolution à Mbuji Mayi, R.J.C, 1966.
27. Kalenda, D., La justice dans le système judiciaire traditionnel, Kanyok,
Mémoire D.E.A Fac de droit, UNILU, 2013-2014
28. Kalongo M., Responsabilité civile et socialisation des risques en Droit
écrit zaïrois, p.21 PUZ, 1974.
29. Kasongo J., Le lufwa, Droits et obligations mortuaires nés à l’occasion
de la mort de l’épouse chez les Baluba de Mutombo Mukulu, R.J.C.,
1996.
30. Lamy E., Introduction à l’étude du Droit coutumier, cours polycopié,
p.133, Université Officielle du Congo, Lubumbashi 1965.
31. Lokossu L., La collectivisation de la responsabilité civile en Droit
coutumier tetela, Mémoire 2004.
32. MAFIKIRI TSHONGO, La problématique foncière au Kivu
montagneux, in Cahiers du cidep, n°21, septembre 1994, Louvain, p.32.
Voir aussi à ce sujet SOHIER, Le problème des terres indigènes, in
JTOM, 1954,
33. MALENGREAU G., Les droits fonciers chez les indigènes du Congo
belge, Essai d’interprétation juridique, Bruxelles, 1947, p.80, voir aussi
dans le même sens VAN DER KERKEN, le problème des terres vacantes
au Congo belge.
34. Mulumba Katchy, Le Droit au nom et Droit zaïrois et en Droit comparé,
p.206, Kinshasa, 1979.
35. Olivier-Matin, Histoire du Droit français n°79, p.112, Paris 1948.
36. Pauwels J., La dot chez les Tyo (Teke) : mécanisme et fonctions,
R.J.C, 1966.
37. PHILIPPE RENE, Notes sur le régime foncier au Lac Léopold II, in
Aequatoria, n°2, 1954.
38. Possoz, Principes de Droit nègre, Aequatoria, p.106, Conquilhatville
1940
128

39. Ramangasoavina, Le Droit de la famille à Madagascar, pp.203-205.


40. Saleilles R., Les accidents du travail et la responsabilité civile, 1987 et
note D. 1987.1.
41. Sohier A., Le Droit coutumier du Congo belge, BJI, 1946, n°9.
42. Sohier, Le mariage en Droit coutumier congolais, BJL, 1946, n°7.
43. Stanislas Melone, La parenté et la terre dans la stratégie du
développement, Université fédérale du Camerou, edition Klinkieck, 1972
44. Stark B. Essai d’une théorie générale de la responsabilité civile
considérée en sa double fonction de garantie et de peine privée ; thèse
Paris, 1947.
45. Thomas L.V, La parenté au Sénégal, Droit de la famille en Afrique.
46. VA DER KERKE, Le problème des terres vacantes au Congo, Discours
prononcé à la séance solennelle de la section droit colonial du 12
décembre 1925, Bruxelles, 1925.
47. Vanderlinde, Les titres juridiques des européens à l’occupation du sol
Africains avant 1872, Conférence géographique, In Recueil d’éudes de
l’AROM, 1976.
48. Vaussina J., Introduction à l’ethnographie du Congo, éd. Universitaire
du Congo, Bruxelles, 1966.
49. Verbeken A., Etude sur le mariage coutumier chez les bantu, B.J.I, 1945
50. Vullierme J.L., Le concept de système politique, pp. 333-334, PUF, Paris,
1989.
51. Waldecker B., Résumé de l’histoire de tribus du Katanga ancien, R.J.C.,
1966

Table des matières


INTRODUCTION .......................................................................................... 1

1. NOTIONS DU DROIT COUTUMIER........................................................... 1

2. BUT DU DROIT COUTUMIER .................................................................. 3


129

3. IMPORTANCE DU COURS ...................................................................... 4

4. LES OBJECTIFS DU COURS .................................................................... 5

4.1. Objectifs généraux .............................................................................. 5

4.2. Objectif spécifiques ............................................................................. 5

5. SOURCES DU DROIT COUTUMIER .......................................................... 5

A. Loi ................................................................................................... 5

B. Règlement .......................................................................................... 7

D. Coutume ............................................................................................ 7

6. CARACTERES DU DROIT COUTUMIER .................................................... 8

A. Droit non écrit ..................................................................................... 8

E. Droit conciliateur ................................................................................ 12

F. Droit évolutif ..................................................................................... 12

TITRE 1 : LE DROIT COUTUMIER PRIVE....................................................... 17

CHAPITRE 1 : LE DROIT CIVIL .................................................................... 17

SECTION 1 : LES PERSONNES ET LA FAMILLE .......................................... 17

§1. La personnalité juridique et l’appartenance à une parentèle .......................... 18

§2. Le mariage ...................................................................................... 31

§4. La filiation....................................................................................... 66

SECTION 2 : LES BIENS ET LES DROITS REELS .......................................... 68

§2. La propriété ..................................................................................... 69

SECTION 3 : LES OBLIGATIONS ............................................................... 81

§1. Les notions ...................................................................................... 81

§2. La responsabilité contractuelle .............................................................. 82

SECTION 4 : LES SUCCESSIONS EN DROIT COUTUMIER ............................. 85

I. Les successions ab intestat ..................................................................... 85

§3. Le partage des successions ................................................................... 88

CHAPITRE 2 : LE DROIT COMMERCIAL ....................................................... 89


130

TITRE 2 : LE DROIT COUTUMIER PUBLIC .................................................... 91

SECTION I : L’ORGANISATION POLITIQUE ET ADMINISTRATIVE DANS LA


SOCIETE PRECOLONIALE ....................................................................... 91

§1. Les notions générales ......................................................................... 91

§2. Les structures socio-politiques .............................................................. 93

SECTION 2 : L’EVOLUTION DE L’ORGANISATION POLITIQUE ET


ADMINISTRATIVE DE LA SOCIETE TRADITIONNELLE .............................. 104

CHAPITRE 4 : L’ORGANISATION JUDICIAIRE ............................................. 108

LA COLONISATION .............................................................................. 109

§2. La composition des tribunaux ............................................................. 110

§3. La Compétence ............................................................................... 110

SECTION 2 : L’ORGANISATION JUDICIAIRE TRADITIONNELLE PENDANT LA


PERIODE COLONIALE ET POSTCOLONIALE .......................................... 119

CHAPITRE 5 : LE DROIT PENAL ................................................................ 123

CHAPITRE 6 : L’ORGANISATION FINANCIERE ET FISCALE ...................... 124

BIBLIOGRAPHIE .................................................................................. 126

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