Inno 059 0261

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JEAN-ALAIN HÉRAUD, FIONA KERR, THIERRY BURGER-HELMCHEN

(2019), MANAGEMENT CRÉATIF DES SYSTÈMES COMPLEXES, SMART


INNOVATION, LONDRES, ISTE, 174 P.

De Boeck Supérieur | « Innovations »

2019/2 N° 59 | pages 261 à 265


ISSN 1267-4982
ISBN 9782807392793
Article disponible en ligne à l'adresse :
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https://www.cairn.info/revue-innovations-2019-2-page-261.htm
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À PROPOS…

Jean-Alain Héraud, Fiona Kerr, Thierry Burger-


Helmchen (2019), Management créatif des systèmes com-
plexes, Smart Innovation, Londres, ISTE, 174 p.
L’ouvrage comprend cinq chapitres pouvant être lus de manière indépen-
dante.
Le premier chapitre (rédigé par J.-A. Héraud et Th. Burger-Helmchen)
introduit le système complexe à travers la littérature en économie et en ges-
tion en abordant notamment les questions de la décision en incertitude,
du management de projet innovant, de la créativité collective et de l’entre-
prenariat. La question de l’information y occupe une place primordiale et
le lecteur va en effet découvrir au cours de l’ouvrage, au-delà du chapitre
introductif, toutes ses déclinaisons en lien avec la complexité : information
invisible, imparfaite, oubli, incertitude radicale, signaux faibles, information
surprenante, décentralisée, disponible dans l’environnement, apprentissage,
système d’information, connaissance, etc. Les auteurs ont souhaité appréhen-
der avec des prismes théoriques différents l’objet « système complexe » et le
résultat, sans doute recherché, est qu’il ne se dégage ni fil conducteur évident
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ni progression linéaire, mais plutôt un recueil d’éclairages cernant sous ses
multiples facettes la notion de complexité. Le décor est ainsi planté !
Le deuxième chapitre (J.-A. Héraud et F. Kerr) se penche sur la dynamique
– les auteurs parlent d’évolution – des systèmes complexes en se référant aux
sciences de la nature – thermodynamique (Clausius, 1850), biologie (Darwin,
1859), météorologie (Lorenz, 1963) – puis aux sciences humaines et sociales.
Ils en tirent de grandes recommandations managériales pour les organi-
sations humaines en général et la firme en particulier, qu’ils interprètent
comme étant des systèmes auto-organisés évoluant en captant l’information
de leur environnement et en l’organisant pour adapter leur comportement, les
plus innovantes d’entre elles étant capables de le modifier dans une logique
d’exaptation en valorisant leurs compétences distinctives, voire en pariant
sur des capacités en devenir.
La question du management de ces systèmes complexes adaptatifs (SCA)
telle qu’elle est posée par les auteurs est pertinente tant pour la conception
des politiques publiques que pour l’élaboration des stratégies d’entreprises et
il aurait été sans doute plus aisé pour le lecteur, que ces différents niveaux de
décision, dont les objectifs et les moyens d’action ne sont pas identiques (dif-
férentes formes d’incitation, de responsabilité, nudges…), soient davantage

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À propos

distingués avec des illustrations concrètes associées à chaque type de situa-


tion. Par exemple, le management du système de la recherche et de l’inno-
vation n’adresse pas la même problématique si on le considère au niveau de
l’Europe ou d’un État membre – pour lequel il convient de considérer l’histo-
ricité des politiques (Touraine, 1983) – ou bien à celui de la firme voire d’un
écosystème de partenariats de recherche publics et privés. Et si l’on s’intéresse
à la granularité même du projet de Recherche Innovation Développement, le
SCA englobe à la fois les systèmes humains et ceux de la nature puisque la
découverte, et a fortiori l’innovation, puise ses racines dans les deux à la fois.
Rapprocher ces éléments autour d’une étude de cas d’innovation technolo-
gique par exemple aurait permis d’articuler et d’illustrer un grand nombre de
concepts décrits dans ce chapitre, allant de l’exploration de l’inconnu pour
augmenter les connaissances du milieu physique ou biologique considéré
jusqu’à l’interprétation des signaux faibles annonciateurs de ruptures dans
les usages, en passant par le management des compétences des chercheurs
et l’adaptation du modèle économique, voire des « routines » de l’entreprise
portant l’innovation.
Le troisième chapitre (F. Kerr et J.-A. Héraud) s’intéresse justement aux
signaux faibles, à ces faits porteurs d’avenir (FPA), qui selon Pierre Massé
(1965), peuvent être infimes dans leur dimension actuelle mais susceptibles
d’avoir un impact majeur à moyen et à long terme. Les analyses principales
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du chapitre concernent la détection, l’interprétation et la bonne gestion de
ces signaux dans l’organisation, qui reposent, selon les auteurs sur la capacité
imaginative, visionnaire et adaptative d’un individu qu’ils nomment leader
« adaptatif ». La maturation et la transmission des FPA sont fortement liées
à la gestion des ressources humaines qui est évoquée d’une part, à travers les
travaux de James March (1991) sur l’exploration vs. l’exploitation, impliquant
de valoriser des compétences qui ne sont pas en adéquation avec les rou-
tines existantes et d’autre part, avec la mise en évidence de knowledge angels
(« passeurs ») capables d’importer, en les traduisant, des idées nouvelles de
l’extérieur de l’organisation (Muller et al., 2015).
Ces riches réflexions s’inscrivent utilement dans le contexte actuel carac-
térisé par des bouleversements majeurs dans l’ensemble des secteurs de nos
économies en phase de transitions sans précédent. Il aurait été intéressant
d’analyser également la capacité de l’organisation à explorer l’inconnu et
valoriser les signaux faibles selon le prisme de la théorie de la conception
innovante (Hatchuel, Weil, 2003) et tout particulièrement en étudiant sa
puissance générative. Les travaux de P. Le Masson, A. Hatchuel et B. Weil
(2016) font référence à des structures particulières des connaissances (qui
respectent la « splitting condition ») retrouvées dans les enseignements de

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À propos

Johannes Itten et de Paul Klee au Bauhaus et qui offrent la possibilité aux


acteurs de sortir de la boîte et d’être créatifs. Cela passe notamment par la
formation et ne concerne pas seulement les acteurs de l’organisation (concep-
teurs, architectes…) mais aussi les utilisateurs des innovations, ce qui renvoie
à la porosité de la frontière des systèmes complexes mentionnée dans l’ou-
vrage. Faut-il attribuer alors la faculté d’adaptation d’une organisation à un
leader visionnaire ou bien à la capacité du système à structurer correctement
en amont les connaissances, notamment en favorisant la rencontre d’infor-
mations indépendantes (ce qui rejoint d’ailleurs le rôle des passeurs évoqués
dans l’ouvrage et/ou celui des politiques publiques de formation, de recherche
et d’innovation) ?
Le quatrième chapitre (J.-A. Héraud) donne une lecture de l’entrepreneur-
innovateur sous l’angle des sciences économiques et de gestion, qu’il est par-
ticulièrement enrichissant – et innovant ! – de rapprocher pour analyser les
enjeux du SCA formé par l’entrepreneur et son milieu. L’acte d’entreprendre
est vu en effet comme étant à la fois une activité inséparable du dévelop-
pement socio-économique et une activité profondément individuelle. Cela
aurait pu amener l’auteur à analyser ce qu’A. Acquier et al. (2017) appelle le
nouveau capitaliste individuel arrivé avec les plateformes (Uber, BlaBlaCar,
Amazon, micro-réseau d’échange d’électricité, Wikipédia…) et qui est en
train de remettre en cause le modèle classique de la firme née à la fin du
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XIXe siècle, pour revenir au domestic system que l’on connaissait au Moyen
Âge. La figure de l’entrepreneur pourrait dans ce cas être associée à l’individu
qui apporte sur le marché son propre outil de production (véhicule, apparte-
ment, panneau photovoltaïque...) ou ses connaissances, et qui devient mana-
ger de lui-même au sein d’une plateforme. Dans ce contexte, la typologie
présentée, fondée sur la théorie de l’identité sociale et aboutissant aux trois
caractéristiques de l’entrepreneur (darwinien, communautarien, mission-
naire) semble tout à fait appropriée quand on sait que certaines plateformes,
pour l’électricité solaire par exemple, naissent de la volonté d’appartenir à
une communauté solidaire d’échange d’électrons verts (éco-quartiers auto-
nomes), voire de contribuer à la mission de lutte contre le changement cli-
matique. Or cette économie communautaire se heurte parfois à des logiques
de viabilité des modèles et les gestionnaires de plateformes ont tendance à
revenir dans le courant darwinien…
Le cinquième et dernier chapitre (Th. Burger-Helmchen) fait tout d’abord
un rappel sur le cadre offert par la science de la complexité en donnant écho à
un certain nombre d’éléments décrits dans les précédents chapitres, puis offre
deux cadres d’analyse pertinents. Le premier, orienté marketing, consiste à
cartographier les systèmes complexes en considérant d’une part le contexte

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À propos

local (micro-diversité et dépendance du sentier caractérisant l’entreprise) et


d’autre part les règles d’interaction (constantes ou non) et de comportements
(créatifs ou non) au sein du système, qui amènent d’ailleurs à distinguer le
SCA comme particulièrement approprié pour représenter les situations du
marketeur. Le lecteur apprécie particulièrement que l’approche marketing des
systèmes complexes soit illustrée par une étude de cas. Le secteur automo-
bile, avec l’exemple de Honda (Wollin, Perry, 2004), est choisi en raison des
cycles de transformation qu’il connaît depuis la production de masse (1920)
et il aurait été vraiment intéressant de regarder comment la révolution du
véhicule autonome, va impliquer de nouvelles interactions avec les acteurs
du numérique ou de l’intelligence artificielle et ajouter des fonctionnalités
inattendues aux produits/services mis sur le marché. Si l’on veut que la ques-
tion des choix de programmation algorithmique en cas d’accident ne soit pas
réduite à une solution binaire (préserver les passagers ou bien les piétons), que
pourrait apporter la science des SCA et de la créativité ?
L’auteur aurait pu, dans un autre registre, prendre exemple sur les plate-
formes (marchés bifaces) très sensibles à la note donnée par les utilisateurs et
qui de fait, présentent une forte dépendance à la réputation qui s’est faite dans
le passé (un autre type de dépendance de sentier).
La seconde typologie concerne le management stratégique des ressources
humaines (MSRH) que l’auteur rapproche d’emblée de la vision RBV – res-
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source bases view (Wernerfelt, 1984 ; Grant, 1991) et propose, dans la lignée
de Colbert (2004), un cadre d’analyse basé sur les systèmes complexes. On
retrouve alors des notions introduites précédemment concernant la dualité
entre contrôle et créativité – exploitation vs. exploration – et l’importance
de l’interaction entre les acteurs au sein des systèmes complexes. Peut-être
pourrait-on ici aussi souligner la valeur de la détection des signaux faibles
pour saisir les dynamiques de coopération entre acteurs ?
En conclusion, cet ouvrage donne une vision complète et très approfon-
die de la littérature académique traitant de la complexité et après sa lecture,
on porte réellement un nouveau regard sur les organisations, quelles qu’elles
soient et sur la manière dont elles devraient être managées et il y a du che-
min à faire ! Il manque sans doute des illustrations permettant justement de
donner des indications concrètes d’actions managériales à entreprendre pour
faire bouger les lignes sur le terrain.
Enfin, il y a un domaine qui aurait été tout à fait approprié au sujet de
l’ouvrage et qui a été très peu abordé : celui de la prévention des risques. Les
risques climatiques d’une part avec les stratégies d’adaptation qui doivent en
découler et bien sûr les risques de grandes catastrophes industrielles à l’instar
des risques nucléaires pour lesquels il existe une abondante littérature sur la

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À propos

prévention qui repose sur les sciences de la complexité. On pense notamment


aux travaux de l’IRSN1 sur la recherche de configurations émergentes comme
alternative à l’utilisation de relations causales déterministes (Rousseau et al.,
2018) ou ceux du CEA concernant les couples dialogiques (Vautier, 2019).
Cela concerne aussi les travaux référencés par l’INERIS2 (2017), basés sur
l’ingénierie des Facteurs Organisationnels et Humains (FOH).
Les champs d’application pour le management créatif des systèmes com-
plexes ne cesseront d’augmenter et une réflexion de fond sur le sujet par des
chercheurs en sciences économiques et de gestion s’imposait !

RÉFÉRENCES
ACQUIER, A., DAUDIGEOS, T., PINKSE, J. (2017), Promises and Paradoxes of the
Sharing Economy: An Organizing Framework, Technological Forecasting and Social
Change, 125, 1-10.
CLAUSIUS, R. (1850), Über die bewegende Kraft der Wärme und die Gesetze, welche sich
daraus für die Wärme Lehre selbst ablassen lassen, Annalen der Physik, 79(4), 368‑397,
500-524.
COLBERT, B. (2004), The Complex Resource-Based View: Implications for Theory and
Practice in Strategic Human Resource Management, Academy of Management Review,
29, 341‑358.
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DARWIN, C. (1859), On The Origin of Species by Means of Natural Selection, or the
Preservation of Favoured Races in the Struggle for Life, London, John Murray.
GRANT, R. M. (1991), The Resource-Based Theory of Competitive Advantage:
Implications for Strategy Formulation, California Management Review, 33(3), 114‑135.
HATCHUEL, A., WEIL, B. (2003), La théorie C-K, un fondement formel aux théories de
l’innovation, Paris, EMS, Management & Société.
INERIS : www.ineris.fr/fr/ineris/actualites/rapport-annuel-2017
LE MASSON, P., HATCHUEL, A., WEIL, B., (2016), Design Theory at Bauhaus: Teaching
“Splitting” Knowledge, Research in Engineering Design, Bonn, Springer Verlag, 91-115.
LORENZ, E. (1963), Deterministic Nonperiodic Flow, Journal of the Atmospheric Sciences,
20(2), 130‑148.
MARCH, J. G. (1991), Exploration and Exploitation in Organizational Learning,
Organization Science, 2(1), 71‑87.
MASSE, P. (1965), Le plan ou l’anti-hasard, Paris, Gallimard.
MULLER, E., ZENKER, A., HÉRAUD, J.-A. (2015), Knowledge Angels: Creative
Individuals Fostering Innovation in KIBS: Observations from Canada, China, France,
Germany and Spain, Management International, 19, 201‑218.

1. Institut de Radioprotection et de Sûreté Nucléaire


2. Institut National de l'Environnement Industriel et des Risques

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À propos

ROUSSEAU, J.-M., MONTMEAT, A., HEBRAUD, C., AYADI, B.-M. (2018), Analyse
d’événements dans l’industrie nucléaire: la recherche de configurations émergentes
comme alternative à l’utilisation de relations causales déterministes, Le Libellio AEGIS,
13(1), 20‑26, in J.-F. Vautier, La notion de configuration dans des approches systémiques
pour appréhender la complexité, IMdR, (www.techniques-ingenieur.fr), juin.
TOURAINE, A. 1983), La crise de la représentation politique, Sociologie et Sociétés, 15(1),
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VAUTIER, J.-F. (2019), Intégration des facteurs organisationnels et humains (FOH) dans
la gestion des risques industriels : apport des couples dialogiques, Actes du 54e Congrès
de la SELF, Université de l’Ergonomie : Comment contribuer à un autre monde ?, Tours,
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WERNERFELT, B. (1984), A Resource-based View of the Firm, Strategic Management
Journal, 5(2), 171‑180.
WOLLIN, D., PERRY, C. (2004), Marketing Management in a Complex Adaptive System:
An Initial Framework, European Journal of Marketing, 385(6), 556‑572.
Nathalie POPIOLEK
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