CM Psychothérapie Et Dimensions Traumatiques
CM Psychothérapie Et Dimensions Traumatiques
CM Psychothérapie Et Dimensions Traumatiques
Examen : lire Aide-mémoire – L’alliance thérapeutique – en 66 notions (Brennstuhl, M-J. & Marteau-
Chasserieau, F., 2021) => question sur l’alliance thérapeutique.
Nicole Butler
Introduction générale
A n’en pas douter, le monde de la psychothérapie vit une révolution. Débordé de toute
part depuis la parution du fameux rapport INSERM (2004) sur l’évaluation des
psychothérapies, jusqu’à la parution des différents décrets sensés réguler l’usage du titre,
ainsi que la formation des psychothérapeutes. On sait bien que l’université ne forme pas ou
très peu à la psychothérapie.
Allons nous sortir non pas de la pensée unique, mais de la « pensée triptyque » qui
globalement considère qu’il n’existe que trois postures pour faire de la psychothérapie : la
psychanalyse, la thérapie cognitivo-comportementale ou l’affiliation humaniste.
Ainsi, il ne faut pas s’étonner de voir nos concitoyens en demande de soin psychique et
de mieux-être se détourner des modèles académiques de la psychothérapie. En outre, les
guerres intestines, les dénonciations de toutes sortes, les invectives, les décrédibilisations
constantes, les manœuvres politiques et les jeux d’influence ne donnent pas des approches
classiques une image valorisante.
Les soubassements théoriques et les principes organisateurs de ces mêmes formes
de psychothérapies restent souvent impénétrables par le plus grand nombre. Mais il ne faut
pas pour autant tomber dans le piège d’un « scientisme » exacerbé. Il ne convient pas
seulement de développer une recherche fondamentale et de considérer que la validation de
telle ou telle approche psychothérapeutique doit passer pas le seul prisme des Etudes
Contrôlées Randomisées (ECR). De telles méthodologies ont leur intérêt, mais elles restent
néanmoins réductrices et limitées quant à leur porté heuristique.
Nos objets ont une complexité toute particulière. En effet, toutes choses étant égales par
ailleurs, on montre que telle méthode permet la réduction des scores de dépression ou de
troubles anxieux ou encore l’amélioration d’un score de qualité de vie. Mas dans la vraie vie,
dans les vrais cabinets de consultation, lorsqu’on prend en charge de vrais patients (non
sélectionnés en fonction des critères d’inclusion), rien n’est jamais égal par ailleurs. Les ECR
ne savent ni prendre en compte, ni évaluer la complexité, d’où leur démarche réductionniste.
Il faut cesser de publier des évidences qui montrent que telle approche est meilleure que
telle autre ou qu’un groupe témoin, sans comprendre ce qui est en jeux et sans donner de
véritables explications. A quoi sont dues ces différences ? Quels sont les principes actifs
mobilisés ? Quels sont les leviers communs à toutes les psychothérapies, voire aux
approches moins académiques qui existent dans l’environnement social, mais qui ne sont
pas qualifiées de psychothérapie et qui ont des effets positifs sur les patients (magnétisme,
spiritualité, micro-kinésithérapie, voire certaines pratiques ésotériques...) ?
Quoi de comment finalement entre le regard du psychanalyste, du neurobiologiste ou celui
du cognitiviste ? Sans doute pas grand-chose, sauf le patient qu’ils ont devant les yeux dans
le cadre de leur prise en charge et chez qui chacun, est en mesure de décoder (sans
difficultés) les caractéristiques cognitives, affectives et comportementales en cohérence avec
les modèles dont ils sont les porteurs. D’une même réalité clinique, chacun perçoit autre
chose. Ces construits théoriques correspondent à une certaines vision du monde que les
chercheurs tentent d’appréhender et de valider avec plus ou moins de succès. Voilà donc
une évidence qui n’échappera à personne.
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Les psychothérapies
I. Circonscrire la psychothérapie
La psychothérapie se définit classiquement comme « l’art de soigner par l’esprit ».
Cependant, on peut se demander ce qu’est l’esprit. Si c’est le psychisme, la
psychothérapie ne se limite uniquement à ça, elle soigne aussi le corps. On ne soigne pas
que par l’esprit dans le sens que le thérapeute ne va pas influencer par ses propos, ses
valeurs... le patient.
Soigner par l’esprit peut aussi être soigner par la spiritualité. Dans une société intéressée
par la matérialité des choses, qui manque de spiritualité. On peut se demander si le fait que
la société va mal est lié au manque de spiritualité. On est dans un monde où l’on est par ce
qu’on a : le matériel, la plastique... De plus en plus, on est en quête de spiritualité : méditation,
retour vers la nature, simplicité... pour mettre du sens là où la société n’en met plus.
Soigner par l’esprit c’est être capable de repenser notre rapport aux choses. Le thérapeute
sert a remettre les choses en ordre, à remettre une dynamique existentielle dans une vie qui
s’est asséchée en termes d’ouverture au monde ou de mise en perspective.
En tant que thérapeute, on ne soigne pas uniquement par l’esprit, on soigne également
avec notre pensée, notre manière de raisonner. L’esprit n’est pas le raisonnement, il relève
de quelque chose qui est proche de la transcendance. Le raisonnement est un processus
qui permet de laisser entrevoir à l’Autre une autre vision du monde, donner une forme
d’espoir.
La psychothérapie c’est en effet un art, du sens du savoir-faire, et pas un don, mais ce
n’est pas que ça.
II. Origines
Les psychothérapies ont une histoire et une géographie, s’inscrivent dans cette histoire et
ce contexte particulier, et se doivent donc de connaitre leurs antécédents. Des techniques
sans mémoire s’appauvrissent. Les psychothérapies s’initient et se développent dans un
espace ouvert, en continuité avec l’espace social, culturel, idéologique qui leur donne une
texture particulière ; c’est ce qui rend la prise en charge des migrants très compliquée. Nous
héritons de nos prédécesseurs dans notre façon d’exercer même si les méthodes évoluent,
nous sommes dans un dialogue avec ce que disaient nos ainés. La psychologie du monde
occidental ne peut être transposée dans d’autres cultures sans aménagements.
Elles obligent ceux qui les pratiquent à un questionnement éthique : s’adressant à des
individus, le psychothérapeute se trouve à l’articulation de l’intime et du collectif, de
l’intrapsychique et de l’intersubjectif, du sujet et de la société, dont les intérêts et les projets
ne concordent pas toujours.
On recense entre 300 et 400 formes de psychothérapies (Hemink, 1980 ; Kinn, 1982) dans
le monde. En France, une centaine de méthodes de psychothérapies sont proposées par
plus de 15 000 psychothérapeutes.
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Le terme même de « psychothérapie » aurait un peu plus d’un siècle, même si la pratique
psychothérapeutique existe depuis que l’Homme est sur Terre. On le devrait à Bernheim, le
leader de l’Ecole hypnologique de Nancy, qui publia en 1891 un ouvrage intitulé Hypnotisme,
suggestion, psychothérapie.
La psychothérapie est donc un traitement qui s’opère par le moyen de procédés
psychologiques. Elle exerce son action dans le cadre de la relation établie entre le patient et
une personne, appelée psychothérapeute, qui a une fonction psychothérapeutique. La
psychothérapie se donne pour objet les conflits qui s’expriment dans la vie intérieure du
patient ou dans ses rapports avec l’environnement. Elle implique dans son action un
processus de changement, dont le terme final n’est que partiellement prévisible.
La psychologie se donne comme objet premier de soigner la détresse du patient, cette
détresse qui nous met en conflit avec nous-même et avec d’autre. La psychothérapie est
avant tout un dispositif dont la finalité est la transformation et le changement du sujet : de sa
vision du monde, de sa vision de lui-même.
III. Définitions
1. D’après les auteurs
Psychothérapie (Didier Anzieu) : « méthode de traitement des souffrances psychiques
par des moyens essentiellement psychologiques. Selon la démarche utilisée, la
psychothérapie cherche à faire disparaitre une inhibition ou un symptôme gênant pour le
patient, soit à remanier l’ensemble de son équilibre psychique » (in Dictionnaire de
psychologie, Paris, PUF).
Cette définition demande cependant à être complétée ; car certaines thérapies visent bien
à soulager les souffrances psychiques mais aussi celles d’origine psychosomatique. Quant
aux moyens psychologiques, ils peuvent s’allier à des interventions plus corporelles comme
dans la pratique bioénergétique. C’est pourquoi on parle aujourd’hui des « thérapies
psychocorporelles ». Mais ces démarches se distinguent de certaines pratiques proprement
corporelles (ex : yoga, shiatsu...) ou de certaines médecines parallèles (ex : ostéopathie,
réflexologie...) par leurs visées psychothérapiques. Cependant, les frontières entre ces
différentes pratiques ne sont pas toujours aussi claires, et quelques techniques corporelles
peuvent être utilisées dans un but de thérapie psychologique (comme dans le massage
sensitif ou les techniques de relaxation).
« La psychothérapie constitue toujours une rencontre entre deux ou plusieurs personnes,
dans laquelle l’une se définit ou est définie comme ayant besoin d’aide et demande à être
soignée ou à changer, alors que l’autre possède et est reconnue pour avoir des qualités
personnelles déterminées et un corps de connaissance théorique et technique, qu’elle utilise
pour aider l’autre à produire un changement » (Giusti, 1995).
« La psychothérapie est un processus interactionnel conscient et planifié visant à
influencer les troubles du comportement et les états de souffrance qui, dans un consensus
(entre patients, thérapeute et groupe de conférence), sont considérés comme nécessitant un
traitement, par des moyens psychologiques (par la communication) le plus souvent verbaux,
mais aussi non verbaux, dans le sens d’un but défini, si possible élaboré en commun
(minimalisation des symptômes et / ou changement structurel de la personnalité), au moyen
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de techniques pouvant être enseignées sur la base d’une théorie du comportement normal
et pathologique. En général, cela nécessite une relation émotionnelle solide » (Strotzka,
1978).
Huber (1993) va même plus loin dans la rigueur scientifique en réclamant qu’une
psychothérapie remplisse les conditions suivantes :
• Etre basée sur une théorie scientifique de la personnalité et de ses troubles ;
• Se fonder sur une théorie scientifique de la modification des troubles et sur un
appareil technique éprouvé ;
• Présenter des évaluations empiriques de ses effets, positifs et négatifs ;
• Porter sur des troubles du comportement ou des états de souffrance considérés
comme requérant une intervention ;
• Etre pratiquée par des personnes formées et compétentes.
Pour Tobie Nathan (1998) : « psychothérapie, thérapeutique par l’esprit – autrement dit
qui ne fait pas appel à l’arsenal chimique. La psychothérapie consiste donc en une
intervention non armée destinée à agir sur un organe à la localisation incertaine, que l’on
désigne habituellement par le mot psyché ».
« La psychothérapie est une série structurée de contacts entre un thérapeute, formé dans
une méthode culturellement reconnue, et un patient qui souffre. Le thérapeute cherche à
produire certains changements dans l’état émotionnel, dans les attitudes et dans les
comportements du patient. Aussi bien le thérapeute que le patient croie que ces
changements seront positifs. » (Franck, 1982).
Il n’y a pas une théorie générale des psychothérapies. On connait une multiplicité de
modèles théoriques et de méthodes.
Tobie Nathan (1998) : « Toute procédure d’influence destinée à modifier radicalement,
profondément et durablement une personne, une famille ou simplement une situation, et cela
à partir d’une intention ‘‘thérapeutique’’ ».
Les psychothérapies sont des situations professionnelles dans lesquelles un ensemble
d’actes sont accomplis par un praticien à l’encontre d’une personne, actes qui concourent à
améliorer l’état corporel et / ou mental de cette personne nommée « suppliant », « malade »,
« client », « consultant » ou « patient ». Cet ensemble d’actes est, en général, conforme à
une certaine conception que le praticien se fait des raisons pour lesquelles son client lui
demande de l’aide de même que cet ensemble se doit d’être cohérent avec un certain modèle
psychopathologique qui envisage globalement d’expliquer le trouble, l’angoisse, la détresse,
le malheur et leurs effets d’affliction corporelle et mentale (Blanchet, 2017).
2. Précisions
D’autres caractéristiques semblent nécessaires pour qu’on puisse parler vraiment de
psychothérapie. Il faut d’abord qu’elle comporte un modèle psychologique de l’Homme fondé
sur des connaissances attestées et validées dans ce domaine. Il convient ensuite qu’elle
propose une psychopathologie, c’est-à-dire qu’elle distingue le pathologique du normal,
qu’elle définisse les troubles auxquels elle s’adresse et en propose une conceptualisation
cohérente et reconnue. Elle doit présenter une certaine codification de techniques
d’intervention qu’elle préconise et qui sont capables d’engendrer un processus de
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changement chez le patient. Ces techniques doivent être en cohérence avec les modèles
psychologiques et psychopathologiques précédents.
Un cas complexe est celui des thérapies de groupe. Au départ, elles pouvaient se
présenter comme de simples variantes techniques de telle ou telle démarche
(psychanalytique, humaniste, comportementale...). Mais aujourd’hui, elles ont élaboré une
théorisation originale et des techniques qui leur confèrent une identité propre et les
situeraient du côté des psychothérapies, même si elles gardent en même temps une
empreinte différentielle liée à leurs théories originelles de référence (Marc & Bonnal, 2014).
V. Histoire de la psychothérapie
Les psychothérapies modernes s’inscrivent dans une histoire qui débute en Europe à la
fin du XIXème siècle (Marc, 2008).
1. L’hypnose
Un des premiers à proposer le terme de psychothérapie est Hyppolyte Bernheim,
professeur de médecine à Nancy qui utilise l’hypnose à des fins thérapeutiques. C’est auprès
de lui que Freud fait un stage en 1889 et se frome à la pratique de l’hypnose qui sera sa
première démarche et lui fait découvrir la notion d’inconscient et de refoulement.
On sait que par la suite, Freud abandonne cette pratique pour élaborer sa propre approche
thérapeutique à laquelle il donne le nom de psychanalyse. Cependant, l’hypnose n’a pas
disparu. Elle est présentée à l’époque en France par la personnalité imminente de Pierre
Janet, neurologue et psychologue qui donne à l’hypnose une base scientifique appuyée sur
une théorie élaborée du fonctionnement mental et de ses pathologies.
Aux Etats-Unis, le psychiatre Milton Erikson renouvelle la technique hypnotique en
préconisant une transe légère et en s’éloignant de la suggestion traditionnelle pour lui
préférer des stratégies thérapeutiques plus subtiles.
2. La psychanalyse
Après des débuts difficiles, la psychanalyse connait un rayonnement croissant et
s’impose, pendant la première moitié du XXème siècle, comme la psychothérapie dominante
en Europe et en Amérique (notamment aux USA). Cependant, elle va se fragmenter très vite
en différents courants qui, tout en conservant la notion fondamentale d’inconscient, vont
s’éloigner de certaines hypothèses freudiennes. C’est le cas des premiers disciples que
furent les psychiatres Alfred Adler et Carl Gustav Jung.
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Une autre scission importante est celle de Wilhelm Reich, proche disciple de Freud qui se
sépare de lui dans les années 30 ; car Reich et de plus en plus l’accent sur l’unité
psychosomatique, sur l’importance du corps et de la sexualité génitale. C’est le père des
thérapies psychocorporelles dont l’analyse bioénergétique fondée par son disciple américain
Alexander Lowen est la plus importante.
3. L’analyse existentielle
Elle nait d’une autre dissidence, celle du psychiatre suisse Ludwig Binswanger. Disciple
de Jung et Freud, il s’éloigner peu à peu de la psychanalyse sous l’influence de la philosophie
phénoménologique et existentielle (Vinot & Marc, 2014). Il fonde alors sa propre méthode,
l’analyse existentielle. Cette méthode entend redonner à la conscience et à l’expérience
vécue une place centrale.
Contre la vision déterministe de la psychanalyse, elle défend les notions de liberté, de
volonté et de responsabilité de l’Homme, sa capacité de choix et de décision. Dès lors, les
idées de projet et de sens de la vie deviennent essentielles et font que la démarche
thérapeutique est orientée autant vers l’avenir que vers le passé.
L’analyse existentielle rencontrera un très grand succès aux Etats-Unis dans les années
60 et sera à l’origine de la psychologie humaniste dont les porte-parole éminents sont Rollo
May, Abraham Maslow et Carl Rogers. C’est ce dernier qui donne une formulation précise à
la démarche thérapeutique existentielle, conçue comme une rencontre interpersonnelle
fondée sur l’empathie, l’authenticité et la congruence. Aujourd’hui, un représentation de ce
courant aux Etats-Unis est le psychiatre Irvin Yalom.
4. Thérapies humanistes
Une nouvelle vague de dissidence à lieu aux Etats-Unis dans les années 50. Le
psychanalyste Friedrich Perls, sous l’influence de Wilhelm Reich, de la Gestalt-théorie, du
psychodrame de Jacob Moreno et de la psychologie humaniste, fonde une nouvelle
démarche : la Gestalt-théorie. Celle-ci est centrée sur l’ici et maintenant, sur le comment
plus que sur le pourquoi et accorde une attention particulière aux modalités de contact du
sujet avec son environnement.
Eric Berne s’éloigne lui aussi de la psychanalyse pour élaborer l’Analyse transactionnelle
centrée sur le fonctionnement du Moi et la communication. Elle propose une grille d’analyse
des transactions interpersonnelles construites à partir des notions d’états du Moi, de jeux et
de scénarios. Ces « nouvelles thérapies », qui elles-aussi s’inscrivent dans le courant de la
psychologie humaniste, atteindront l’Europe au début des années 70.
5. Autres courants
Toutes les thérapies ne sont pas constituées par filiation, dérivation ou rupture à partir de
la psychanalyse. Il en est d’autres qui s’inscrivent dans des paradigmes complètement
différents.
C’est le cas des TCC qui se sont appuyées sur la psychologie comportementales (ou
behaviorisme) fondée au début du XXème siècle par le psychologue américain John Watson.
Les TCC se réfèrent donc à la psychologie expérimentale et notamment aux théories des
réflexes conditionnées et de l’apprentissage.
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C’est aussi le cas des thérapies systémiques qui reposent principalement sur la théorie
des systèmes et de la communication de Gregory Bateson, inspirateur de l’école de Palo
Alto. Celle-ci, fondée aux Etats-Unis dans les années 60, a promu notamment les thérapies
familiales (Picard & Marc, 2015). Elle s’appuie sur la proportion que l’unité de base n’est pas
l’individu mais le système d’interactions et de communications dans lequel celui-ci est inscrit
(comme la famille). La pathologie individuelle ne fait que refléter celle du système.
Ajoutons qu’aujourd’hui, tout un courant de la psychothérapie tend à s’inspirer des travaux
des neurosciences (Vinot & Marc, 2014).
Tous ces différents courants se sont souvent opposés les uns aux autres ; mais ils se sont
aussi interinfluencés, croisés et combinés. Ce qui rend singulièrement complexe la
physionomie actuelle du champ des psychothérapies.
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Ce que l’on peut regretter, c’est que, trop souvent, elles se sont opposées les unes aux
autres. Chacune affirmant sa prétention à être la seule légitime et déniant aux autres toute
valeur. On le voit dans la petite guerre entre psychanalystes et praticiens des TCC qui tourne
fréquemment au dénigrement et à la caricature alors qu’elle relève en grande partie de la
méconnaissance réciproque.
Heureusement, nombreux sont aussi les psychothérapeutes qui sont ouverts au dialogue
et sont prêts à confronter leurs conceptions et leurs pratiques à celles des praticiens
appartenant à d’autres écoles. C’est à travers un tel dialogue, qu’au-delà de la diversité, peut
s’affirmer peu à peu une certaine unité du champ de la psychothérapie.
La psychothérapie a de nombreux liens avec la psychologie, mais cette dernière n’a pas
nécessairement une vocation de soin. Elle cherche à construire des connaissances validées
sur le psychisme et les comportements humains sans avoir le plus souvent une visée
thérapeutique. On constate, par exemple, que les TCC, tout en s’appuyant sur la psychologie
expérimentale, ont dû construire leurs propres modèles et techniques pour répondre à leur
vocation thérapeutique.
Ce qui caractérise avant tout la psychothérapie, c’est qu’elle est d’abord une pratique de
soin. Et que, tout en s’étayant sur les apports de la psychiatrie et de la psychologie, c’est à
travers cette pratique qu’elle a élaboré ses concepts, ses méthodes et ses techniques.
La clinique thérapeutique a été ainsi un immense laboratoire favorisant une production
considérable de connaissances qui ont enrichi depuis plus d’un siècle la psychiatrie et la
psychologie. On peut considérer que tous ce que les psychanalystes ont apporté à la
psychologie de l’enfant.
Mais l’unité de la psychothérapie ne se réduit pas au fait d’appartenir à une même
discipline. Elle résulte aussi d’une tendance « intégrative » qui s’affirme comme un courant
de plus en plus puissant dans le champ de la discipline, ainsi, aux Etats-Unis, la majorité des
psychothérapeutes se réclament de ce courant (Norcross & Goldfield, 1998). L’orientation
intégrative ne vise pas une illusoire synthèse qui fonderait les différentes écoles en une
seule. Elle est d’abord une position épistémologique qui incite à sortir de la « pensée
unique » et dogmatique et prône l’ouverture, le dialogue et la confrontation scientifique.
Elle cherche aussi à dégager les éléments transversaux aux différentes démarches tant
au niveau conceptuel qu’au niveau des pratiques. Elle propose encore l’articulation
raisonnée, dans certaines situations thérapeutiques, d’éléments (théoriques ou pratiques)
empruntés à des psychothérapies différentes ; ainsi la psychothérapie familiale a permis de
combiner approche systémique et approche psychanalytique (Lemaire, 1989). Il est
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relativement fréquent aujourd’hui de proposer, pour une même personne, une pratique de
thérapie individuelle et une thérapie de groupe.
Ces stratégies thérapeutiques « intégratives » permettent une meilleure réponse à la
complexité de chaque patient et une plus grande efficacité (Marc, 2002).
La diversité des psychothérapies est le fruit d’une histoire. Elle reflète, pour une part, la
complexité de l’humain, de ses fonctionnement et de ses troubles. Car aucune démarche ne
peut à elle seule, rendre compte de cette complexité (Pagès, 1993). Elle traduit aussi la
multiplicité des courants théoriques qui parcourent le champ de la psychologie. Elle présente
l’avantage d’apporter des réponses ajustées aux différentes formes de pathologie et de
demande.
Mais cette diversité, si elle veut être un atout plus qu’un obstacle, doit impliquer le dialogue
entre praticiens et entre écoles. Il ne s’agit pas de réduite la diversité mais de mieux prendre
en compte la complexité et de rendre les différentes approches complémentaires plus que
concurrentes. Le dialogue ne vise pas une synthèse hors de portée mais tend à désengager
les points de convergence et de divergence entre approches. « Ce n’est pas un
aboutissement qui est attendu, mais la résistance à la clôture que créent l’hyperspécialisation
et la pseudo-scientificité. Est visée une capacité accrue à assumer le doute sans sombrer
dans la confusion, dans la simplification réductrice ou le renoncement » (Delourme, 2001).
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Une question moderne ? Une nouveauté pour la psychologie et plus particulièrement pour
la psychothérapie ?
C’est entre 1915 et 1930 que naissent les premiers travaux sur le sujet, avec notamment
la publication des rapports d’activité des instituts psychanalytiques de Londres et de Berlin.
En 1952, Eysenck jette un pavé dans la mare en déclarant, à partir d’une étude dont la
méthodologie sera ultérieurement sévèrement critiquée, que « rien ne démontre que la
psychothérapie a plus d’effet que le temps qui passe ». Que sur une période de 2 ans pour
une population de « névrotiques », la psychothérapie fait légèrement moins bien qu’un suivi
généraliste (64% vs. 72%).
En 1980, avec le Treatment of Depression Collaborative Research Program financé par
le NIMH (National Institute of Mental Health), son responsable Elkin (1985) écrit : « La
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question qui intéresse les chercheurs n’est plus de savoir si la psychothérapie ‘‘marche’’,
cela a été dit et redit ; ils sont plutôt intéressés de découvrir quelles sont les formes de
psychothérapies qui produisent des changements particuliers, dans les mains de thérapeutes
particuliers et dans des conditions particulières, pour des groupes spécifiques de patients.
La recherche à petite échelle, initiée et conduite indépendamment n’a pas répondu à ces
questions (...) le but ultime de la recherche en psychothérapie doit être de comprendre le
processus de la psychothérapie, et spécifiquement les mécanismes de changement qui
affectent le résultat favorable d’un traitement ».
En 1985, la décision du NIMH d’appliquer la même méthodologie à l’évaluation des
psychothérapies que celles utilisée dans la recherche pour les médicaments (Duncan, 2002).
Cette méthodologie est celle de l’essai contrôlé randomisé (ECR). Cette décision était
soutenue par l’APA, qui s’inscrit dans la logique de l’evidence-based medicine (EBM)
– l’objectif de l’APA de l’époque était de faire front à la toute-puissance des approches
pharmacologiques. Deux sortes d’études sont « labélisées » : les études de groupes (ECR)
et les protocoles de cas isolés (n=9) ayant un protocole expérimentale avec comparaison à
une autre intervention. Un certain nombre d’interventions psychologiques sont identifiées
comme « traitements » (soutenus) empiriquement, Evidence Supported Therapy. Le
traitement symptomatique est dominant dans le DSM et les TCC.
Pour Sackett, « l’EBM est l’utilisation consciencieuse, explicite et judicieuse des meilleures
preuves actuelles existant dans la prise de décision concernant le soin du patient individuel.
Sa pratique intègre l’expertise clinique individuelle à la meilleure preuve clinique externe
disponible à partir de la recherche systématique » (Sackett, 1996).
Entre 1995 et 2005, des critiques méthodologiques des essais contrôlés et du DSM pour
l’évaluation des psychothérapies. En 1996, le NIMH lance un appel à ce qu’il y ait davantage
de recherches portant spécifiquement sur l’effectiveness, l’efficacité réelle. En 2002, les EST
sont utilisés par les mutuelles, ce qui conduit dans les faits à promouvoir de façon quasi
exclusive les TCC au dépens des autres approches, mouvement qui se prolonge au
Royaume-Uni (Holmes, 2002). L’APA modifie radicalement en 2005 les bases de sa politique
de pratique fondée sur la preuve (EBP). Son rapport restaure l’importance de l’expertise
clinique, des caractéristiques individuelles du patient et du contexte, fin de la quasi-
exclusivité des ECR.
En 2006, le directeur du NIMH souligne l’importance des « essais pratiques » réalisés
dans des conditions naturelles en psychiatrie à partir de larges cohortes de patients (Insel,
2006).
Holmes (2002) mérite d’être souligné : « Nous sommes en train d’entrer dans une ère
‘‘post-thérapie cognitivo-comportementale’’ » qui est l’aboutissement d’un article dont le titre
est Est-ce que les TCC sont tout ce dont vous avez besoin ?.
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! ?
Les études centrées sur « l’efficacité réelle » ont
un haut degré de validité externe car leurs Mais elles posent des problèmes de validité
échantillons sont constitués de thérapies telles interne faible parce qu’il y a de nombreuses
qu’elles sont pratiquées en situation. La confusions possibles dans l’explication de la
généralisation à d’autres populations ne nécessite manière dont les résultats de l’étude sont obtenus.
donc que peu d’inférences.
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4. Dilemme
Il y a un dilemme entre :
• Obtenir un niveau de preuve élevé avec des méthodes de laboratoire qui ne
s’appliquent qu’à des troubles ou des conflits psychiques isolés, avec des
traitements manualisés qui leur sont destinés et donc passer à côté des patients et
des traitements qui ne se configurent pas à ce protocole.
OU
• Etudier les résultats dans des conditions de terrain, avec des patients et des
thérapies « réelles », mais en acceptant un niveau de preuve d’efficacité
relativement modeste dans la mesure où de nombreux facteurs susceptibles
d’intervenir dans les résultats, individuels et contextuels, ne sont pas vraiment
maîtrisés.
Ces deux approches de la recherche en psychothérapie ne nous apportent donc aucun
élément scientifique, au sens poppérien de la réfutabilité d’un modèle prédictif. Il s’agit
simplement d’une procédure empirique inductive : on définit une procédure de traitement, on
la teste, et si elle montre des résultats, on l’applique, mais aucune réfutation, et donc
amélioration en retour du modèle / traitement n’est permise puisqu’on ne formule pas
d’hypothèses explicatives sur les modalités de fonctionnement du traitement. Pour une
approche véritablement scientifique, il faut adjoindre à la recherche sur les résultats une
recherche sur les processus de changement.
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Mixtes (qualitatives et
Questions Qualitatives Quantitatives, hypothèses
quantitatives)
Forme données Typiquement narratives Narratives et chiffrées Typiquement chiffrées
Confirmation et exploration
Le plus souvent, confirmation
Le plus souvent, exploration Pas de connaissance absolue,
But recherche La connaissance absolue
Pas de connaissance absolue mais possibilité de s’en
existe – la « vérité »
approcher
Théorie, Inductive et déductive
Logique inductive Hypothético-déductive
logique de la Le contexte explique les
recherche, Les actions – non définies a La causalité est linéaire, de
causes et effets : causalité
causalité priori – déterminent les effets manière constante
contextuelle
Expérimentation ou quasi
Type d’études Ethnographie et études de cas Mixtes
enquête
Probabiliste, de commodité et
Echantillonnage De commodité Probabiliste
mixte
Analyse des
Thématique et contextuelle Thématique et statistique Statistique
données
Validité Réflexivité / transférabilité Transférabilité Interne / externe
Source : The fundamentals of mixed methods research, dans Teddies, C. et Tashakkori, A. (2009) Foundations of mixed methods research, Sage publications.
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