Pierre-Louis Docquier - Inégalités Membres Inférieurs

Télécharger au format pdf ou txt
Télécharger au format pdf ou txt
Vous êtes sur la page 1sur 7

Prise en charge d’une inégalité de Pierre-Louis Docquier

longueur des membres inférieurs

IMAGE CLEF
INFORMATIONS CLEFS
−− Jusque 5 mm, on considère qu’une inégalité de longueur des membres
inférieurs (ILMI) est physiologique.
−− Moins d’un quart de la population a une égalité exacte de longueur des
membres inférieurs.
−− Près d’un tiers de la population présente une ILMI idiopathique entre 5
et 15 mm.
−− Une cause assez fréquente d’ILMI chez l’enfant est l’hémihypertrophie
congénitale asyndromique.
−− En cas d’hémihypertrophie congénitale des membres, il faut faire un dé-
pistage de néphroblastome chez l’enfant jusque 8 ans (aussi en cas de
syndrome de Beckwith-Wiedemann). Figure 1
Garçon de 5 ans et 3 mois présentant
−− C’est à partir de 2 cm d’ILMI qu’il est indiqué de réaliser un traitement une hypoplasie tibiale et fibulaire
chirurgical. avec un pied à 4 rayons. Son membre
inférieur droit est plus court que
le gauche. La différence provient
essentiellement du tibia et du pied
et peu du fémur. Sur ce cliché, on
peut mesurer la longueur de chaque
fémur, la longueur de chaque tibia et
la différence de longueur à hauteur
Ce manuel est réalisé par le Service d’orthopédie des Cliniques universitaires
des 2 têtes fémorales. À hauteur des
Saint-Luc (Bruxelles-Woluwe) à destination des étudiants du master complé-
têtes fémorales, l’ILMI est de 4,6 cm. Le
mementaire en chirurgie orthopédique de l’Université catholique de Louvain.
squelette fémoro-tibial à droite mesure
C 2013-UCL-Faculté de médecine et de médecine dentaire - 50, Avenue E Mou- 48,3 cm à gauche et 52 cm à droite, soit
nier - B-1200 Bruxelles une différence de 3,7 cm. Il y a donc une
différence de hauteur de 9 mm entre les
Cet article est diffusé sous licence Creative Commons : Attribution - Pas d’utilisa- 2 pieds.
tion commerciale - Partage dans les mêmes conditions (CC BY-NC-SA)

1 PÉDIATRIE
ORTHOPÉDIE PRATIQUE

DÉFINITION macroglossie, un omphalocèle et l’hémihypertrophie. Le syndrome de Protée se


caractérise par un gigantisme des mains et/ou des pieds et une asymétrie des
On parle d’inégalité de longueur des membres inférieurs (ILMI) lorsque les deux membres. Le syndrome de Silver-Russel est caractérisé par une petite taille et
membres inférieurs n’ont pas exactement la même longueur. une hémiatrophie.

Jusque 5 mm d’ILMI, on considère que cette inégalité est physiologique. En cas d’hémihypertrophie congénitale ou de syndrome de Beckwith-Wiede-
mann, il faut réaliser une échographie abdominale et un dosage de l’alpha-foe-
Une ILMI est jugée suffisamment significative pour indiquer une intervention
to-protéine tous les 6 mois jusque l’âge de 8 ans car les enfants risquent de déve-
chirurgicale à partir de 2 cm (valeur arbitraire, sans évidence scientifique).
lopper un néphroblastome (tumeur de Wilms).
L’ILMI actuelle est celle qu’on mesure à un moment donné chez le patient. L’ILMI
prédite à maturité squelettique est l’ILMI que le patient aura quand il aura fini de
grandir (obtenue par calcul). Une épiphysiodèse est un blocage d’un cartilage de
croissance (arrêt de croissance) obtenu par chirurgie, après un traumatisme ou
après une infection osseuse.

PATHOGÉNIE – HISTOIRE NATURELLE


De multiples causes d’ILMI existent. Certaines causes sont responsables d’un
raccourcissement et d’autres d’un d’excès de longueur du membre. On classe
d’habitude les causes en congénitales, développementales et acquises. L’ILMI
congénitale est présente à la naissance et reste souvent stable en pourcentage
(mais elle s’accroit en valeur absolue). L’ILMI développementale peut ou pas être
présente à la naissance mais va s’accentuer au cours de la croissance (en pour-
centage). L’ILMI acquise n’est pas présente à la naissance et survient suite à un
événement déclenchant (tel qu’une fracture par exemple).

Une cause fréquente d’ILMI est l’hémihypertrophie congénitale asyndromique,


dans laquelle l’enfant a une hypertrophie d’un hémicorps. Parfois c’est tout l’hé-
micorps qui est hypertrophié (moitié du visage, moitié du tronc, un membre su-
périeur et un membre inférieur) mais le plus souvent, c’est limité au membre
inférieur. Avant de pouvoir parler d’hémihypertrophie congénitale asyndro-
mique, il faut bien sûr exclure un syndrome… Si des taches café au lait sont pré-
sentes, il faut penser à une neurofibromatose ; si des malformations vasculaires
sont visibles, il faut penser à un syndrome de Klippel-Trénaunay. Le syndrome
de Beckwith-Wiedemann est caractérisé par une hypoglycémie néonatale, une

2
Pierre-Louis Docquier PRISE EN CHARGE D’UNE INÉGALITÉ DE LONGUEUR
DES MEMBRES INFÉRIEURS

CAUSES DE RACCOURCISSEMENT CAUSES D’EXCÈS DE LONGUEUR ÉPIDÉMIOLOGIE


Congénitales
Une ILMI asymptomatique est fréquemment rencontrée chez les enfants et les
−− Hémiatrophie congénitale asyn- −− Hémihypertrophie congénitale adultes en bonne santé. Sur 1000 jeunes recrues de l’armée américaine, Rush et
dromique asyndromique
Steiner ont trouvé que les membres inférieurs avaient la même longueur chez
−− Hémiatrophie congénitale syndro- −− Hémihypertrophie congénitale
seulement 23 % d’entre eux (Rush et Steiner, 1946). Hellsing a trouvé une dif-
mique (Syndrome de Silver-Russel) syndromique (Syndrome de
férence entre 5 mm et 15 mm chez 32 % de 600 nouvelles recrues de l’armée
−− Fémur court (déficience fémorale Protée, de Klippel-Trénaunay, de
Beckwith-Wiedemann et neuro- suédoise et plus de 15 mm chez 4 % (Hellsing 1988).
focale proximale)
fibromatose)
−− Tibia court (hémimélie fibulaire,
hémimélie tibiale) PRÉSENTATION CLINIQUE
−− Causes neurologiques (spina bifida
et dysraphisme spinal) Cliniquement, la meilleure façon d’évaluer l’ILMI est d’utiliser des planchettes (5,
10, 15, 20mm) et un scoliomètre (FIG. 2). Le patient est debout et on lui demande
Développementales de se pencher en avant et le scoliomètre est posé sur le bassin. On ajoute des
−− Pied bot varus équin −− Mélorhéostose (forme rare d’hype- planchettes successives jusqu’à trouver la bonne compensation qui équilibre le
−− Tumeurs (enchondromatose, osté- rostose des os longs) bassin. Ce test est meilleur (plus précis) que la mesure en position couchée avec
ochondromatose) −− Neurofibromatose avec gigantisme un mètre ruban (Badii et al. 2014).
−− Pseudarthrose congénitale du tibia −− Malformations vasculaires stimu-
−− Malformation vasculaires freinant lant la croissance de l’os
la croissance de l’os

Acquises
−− Arrêt de croissance (épiphysio- −− Stimulation de croissance après
dèse) suite à un traumatisme, suite fracture (surtout la diaphyse du
à une infection, suite à une irradia- fémur)
tion ou suite à une autre cause… −− Stimulation de croissance suite à
−− Cal vicieux post-fracturaire avec une inflammation chronique (os-
raccourcissement téomyélite, arthrite inflammatoire,
etc.) Figure 2
Le patient est penché en avant. Une
compensation est placée sous le pied du côté
le plus court. Le scoliomètre est posé sur
le bassin. La compensation est augmentée
jusqu’à avoir un équilibre du bassin au
scoliomètre.

3 PÉDIATRIE
ORTHOPÉDIE PRATIQUE

EXAMENS COMPLÉMENTAIRES

MESURE PRÉCISE DE L’ILMI


L’examen de choix est la scaniométrie. Chez l’enfant, la scaniométrie sera réalisée
par téléradiographie (FIG. 1), cela signifie que les deux membres inférieurs en
entier sont radiographiés en position debout. Il faut que la plaque soit proche du
patient et le tube éloigné pour diminuer l’agrandissement radiologique au maxi-
mum. On peut mesurer l’ILMI globale à hauteur des têtes fémorales ou l’ILMI du
squelette fémoro-tibial (fémur + tibia sans tenir compte du pied).

Chez l’adolescent, la scaniométrie sera réalisée par scanogramme (FIG. 3). Trois
clichés sont obtenus (un au niveau de la hanche, un au genou et un à la cheville)
avec une règle graduée. On prend la mesure sur la règle graduée à hauteur de
la tête fémorale, du condyle fémoral médial, du plateau tibial médial et du pilon
tibial, et en soustrayant les valeurs, on obtient les longueurs des fémurs et des ti-
bias. Le scanogramme ne tient pas en compte la différence de hauteur des pieds.

ÂGE OSSEUX
Figure 3 - Scanogramme chez une jeune fille de 12 ans et 4 mois avec L’âge osseux est l’âge du squelette. Il peut être différent de l’âge chronologique
hémihypertrophie congénitale asyndromique. La règle graduée est placée le long (un enfant peut par exemple avoir un retard d’âge osseux d’un an ou un âge os-
du membre et trois petits clichés sont pris (à la hanche, au genou et à la cheville).
seux en avance d’un an). L’âge osseux sera déterminé par la méthode de Greulich
Prenons l’exemple du côté droit. On note la valeur de la règle graduée à la tête du
et Pyle (un atlas dans lequel on peut comparer la radio de la main et du poi-
fémur (93,5), au condyle fémoral médial (51,4) au plateau tibial médial (50,8) et
gnet de notre patient avec ceux de l’atlas) ou la méthode de Sauvegrain (radio du
au pilon tibial (18,6). La longueur du fémur droit est de 93,5-51,4 = 42,1 cm et la
longueur du tibia droit est de 50,8-18,6 = 32,2 cm. La longueur du fémur gauche est coude et graphe).
de 92-48,8=43,2 cm et la longueur du tibia gauche est de 48,1-14,4= 33,7 cm. La
différence de longueur au niveau du squelette fémoro-tibial est donc de 26 mm et
se répartit entre le fémur (11 mm) et le tibia (15 mm). PRINCIPES DE TRAITEMENT
Il faut se baser sur l’ILMI prédite à maturité osseuse et non pas sur l’ILMI actuelle.
En effet, il faut corriger l’ILMI estimée à maturité osseuse, sinon l’enfant va en-
core grandir et une ILMI réapparaîtra progressivement après la chirurgie.

4
Pierre-Louis Docquier PRISE EN CHARGE D’UNE INÉGALITÉ DE LONGUEUR
DES MEMBRES INFÉRIEURS

CALCUL DE L’ILMI À MATURITÉ SQUELETTIQUE −− Au-delà de 2 cm, il est traditionnellement indiqué d’opérer les enfants (lorsque
l’ILMI estimée à maturité osseuse dépasse 2 centimètres). Cette valeur est ar-
−− Il faut mesurer la taille debout de l’enfant pour savoir à quel percentile il est
bitraire (non basée sur une évidence scientifique). Le but est de réduire cette
(exemple : percentile P75).
inégalité à moins d’1 centimètre.
−− Il faut savoir combien d’années l’enfant va encore grandir. Il est préférable de
−− Jusque 4 à 5 cm, on réalisera de préférence une épiphysiodèse chirurgicale
se baser sur l’âge osseux plutôt que sur l’âge chronologique.
qui est une méthode simple et légère, permettant au patient de remarcher
−− Une fois connus l’âge osseux de l’enfant et son percentile, il faut se porter sur immédiatement.
des courbes donnant la croissance restante pour le fémur et le tibia des gar-
−− Au-delà de 4 à 5 cm, on choisira de préférence un allongement osseux. Tout
çons et des filles en fonction du percentile (courbes de Anderson et Green).
cela est à discuter évidemment avec le patient qui peut aussi opter pour
L’autre façon de procéder est d’utiliser les multiplicateurs de Paley soit dans
une technique plutôt que l’autre.
une table, soit en utilisant un logiciel sur smart-phone (« Multiplier »). Ces
multiplicateurs sont la valeur par laquelle il faut multiplier l’ILMI actuelle pour −− Si la croissance du patient est déjà terminée, il est trop tard pour réaliser
obtenir l’ILMI à maturité osseuse. Ces multiplicateurs dépendent de l’âge os- une épiphysiodèse. On peut alors réaliser un raccourcissement osseux du
seux et du percentile. côté long ou un allongement osseux du côté court. L’opération de raccour-
cissement est moins lourde que l’opération d’allongement.
CALCUL DE L’ÂGE D’OPÉRATION Bien évidemment, le patient est également impliqué dans le choix de la tech-
nique et il peut opter pour une technique plutôt qu’une autre en fonction de ses
Un allongement osseux peut se réaliser à n’importe quel âge. Si l’allongement est
desiderata.
réalisé à maturité squelettique, seule l’ILMI actuelle doit être corrigée. Si l’allon-
gement est réalisé avant la maturité squelettique, il faut corriger l’ILMI prédite à
maturité, donc il faut souvent allonger de façon excessive (dans ce cas, le membre TECHNIQUES DE TRAITEMENT
plus court devient temporairement plus long que l’autre).

Un raccourcissement osseux extemporané peut se réaliser à n’importe quel âge. TECHNIQUE D’ÉPIPHYSIODÈSE CHIRURGICALE
Une épiphysiodèse est généralement réalisée à l’âge osseux où il reste à grandir On attend en général l’âge osseux où il reste l’inégalité à corriger pour réaliser
exactement l’ILMI prédite à maturité osseuse. l’épiphysiodèse (FIG. 4). Par exemple, pour bloquer 35 mm au fémur distal chez
un garçon, on réalise l’éphiphysiodèse à 13 ans d’âge osseux. La technique de
choix est l’épiphysiodèse par vissage percutané. Les 2 vis en croix empêchent la
QUEL TRAITEMENT physe de continuer à grandir. L’intervention est réalisée en hospi day et le patient
peut marcher immédiatement après l’opération.
−− En dessous d’1 cm, on ne traite d’habitude pas une ILMI.
−− Entre 1 et 2 cm, on compense avec une talonnette dans la chaussure. Souvent
on compense 5 mm de moins que l’ILMI pour ne pas faire basculer le bassin TECHNIQUE D’ALLONGEMENT
dans l’autre sens. On peut facilement mettre une talonnette de 1 cm dans la L’allongement osseux est une chirurgie très lourde. Plus l’allongement est impor-
chaussure. Au-delà, il vaut mieux modifier la semelle de la chaussure. tant, plus il y a de complications. Le taux de complication est proche de 100 %.

5 PÉDIATRIE
ORTHOPÉDIE PRATIQUE

L’allongement peut être réalisé par fixateur externe ou par clou d’allongement
centromédullaire.

−− L’allongement par fixateur externe peut se faire par monofixateur latéral qui
permet uniquement un allongement dans l’axe, ou par fixateur hexapode qui
permet en plus de l’allongement de réaliser une correction axiale (FIG. 5) (ro-
tation, varus, valgus, recurvatum, flessum) (exemple : Taylor Spatial Frame,
TLHex).
−− Il existe des clous d’allongement qui s’allongent par le mouvement du patient
(exemple : ISKD) ou par magnétisme.

Figure 5 - Garçon de 16 ans et demi avec séquelle


d’épiphysiodèse postraumatique du fémur distal droit. Il a
Figure 4 une ILMI de 30 mm et un genu valgum unilatéral droit de 12°.
Épiphysiodèse du tibia L’allongement par fixateur externe hexapode (TSF) permet
proximal par vissage aussi la correction axiale.
percutané chez une jeune
fille de 11 ans et 3 mois
avec hypoplasie tibiale
gauche. Un an plus tard
(image de droite), l’ILMI est
passée de 24 mm à 9 mm.

6
Pierre-Louis Docquier PRISE EN CHARGE D’UNE INÉGALITÉ DE LONGUEUR
DES MEMBRES INFÉRIEURS

COMPLICATIONS 5. Rush WA, Steiner HA. A study of lower extremity length inequality. Am J
Roentgenol Radium Ther. 1946 ;56(5) :616-23.

IMPACT DE L’ILMI
L’impact possible de l’ILMI est : le développement de scoliose, la douleur lom-
baire basse, la sciatique, un stress excessif sur la hanche ou le genou, une fracture
de stress, une fasciite plantaire ou une douleur antérieure du genou.

COMPLICATIONS DES ALLONGEMENTS


Le taux de complicatio est proche de 100 %. Au moins une complication survient
dans tous les cas. Une infection peut survenir sur les fiches et les broches du
fixateur. Une paralysie nerveuse peut survenir en cas d’allongement trop rapide.
Le régénérat (zone d’os néoformé par l’allongement) peut se fracturer ou se dé-
former après le retrait du fixateur s’il est encore un peu fragile. Une raideur arti-
culaire peut survenir suite à l’allongement par rétractions musculo-tendineuses.

RÉFÉRENCES
1. Campens C, Mousny M, Docquier PL. Comparison of three surgical epiphy-
siodesis techniques for the treatment of lower limb length discrepancy. Acta
Orthop Belg. 2010 ;76(2) :226-32.

2. Moseley CF. Is it safe to use chronological age in leg length discrepancy ? J


Pediatr Orthop. 2005 ;25(3) :408-9.

3. Badii M, Wade AN, Collins DR, Nicolaou S, Kobza BJ, Kopec JA. Comparison of
lifts versus tape measure in determining leg length discrepancy. J Rheumatol.
2014 ;41(8) :1689-94.

4. Hellsing AL. Leg length inequality. A prospective study of young men during
their military service. Ups J Med Sci. 1988 ;93(3) :245-53.

7 PÉDIATRIE

Vous aimerez peut-être aussi