Une Seule Chose Te Manque 019

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Une seule chose te manque…

Du même auteur

1. Prêtre dans la rue, Le Bel Elan, Louvain-


la-Neuve, 1990.
2. Prêtre dans la rue, deuxième édition
augmentée, Baobab, Kinshasa, 1992.
3. Prêtre dans la rue, troisième édition
augmentée à l’occasion de l’Année du
sacerdoce (2009-2010), Baobab,
Kinshasa, 2010.
4. Sans jambages, poèmes, Editions du
Trottoir, Kinshasa, 1993.
5. Maintenant ou jamais, chroniques,
Sélect, Kinshasa, 1993.
6. Liberté d’expression, L’Epiphanie,
Kinshasa, 1993.
7. Jésus au micro. Eglises d’Afrique
appelées à la communication, Baobab,
Kinshasa, 1994.
8. Philosophie africaine, philosophie de la
communication. L’universel au cœur du
particulier, Baobab, Kinshasa, 2011.
9. Philosophie africaine, philosophie de la
communication. L’universel au cœur du
particulier, L’Harmattan, Paris, 2012.
Jean-Baptiste MALENGE Kalunzu

Une seule chose


te manque

Méditation à l’occasion de mes


vingt-cinq ans de sacerdoce
(1987-2012)

Kinshasa, 2013
Photo de couverture :
L’auteur est sous la croix plantée au
bord de l’océan indien à Bagamoyo
(Tanzanie), première mission
catholique d’Afrique de l’Est fondée en
1868.

© Editions Baobab, 2013

3145, Avenue Kasa-Vubu


Kinshasa-Kintambo
B.P. 8251 Kinshasa 1
R.D. Congo
[email protected]
Dépôt légal : AV 3.01304-57108
« Ne brisez pas l'élan de votre générosité ».
(Romains 12,11)

« Nous sommes, en effet, dans sa main, nous


et nos discours ; et toute notre intelligence et
toute notre habileté ».

(Sagesse 7,16).
Avant-propos

Le 2 août 2012, j’ai fêté mes vingt-cinq


ans de sacerdoce. C’est un jubilé d’argent.
Quel argent ?
Le 2 août 1987, l’évêque d’Idiofa, Mgr
Eugène Biletsi, nous a imposé les mains. Nous
étions trois : Paul Manesa, Eric Mukarantin et
moi-même.
Le dimanche 4 janvier 1987, dans
l’église paroissiale Notre-Dame de la Sagesse
de l’Université de Kinshasa, nous étions une
bonne dizaine à écouter attentivement
l’évêque auxiliaire de Kisangani. Mgr
Monsengwo Pasinya nous ordonnait diacres.
Suivant le rituel, il a rappelé la mise en garde
contre le culte de l’argent. Depuis, j’entends
toujours particulièrement résonner les paroles
de saint Paul à Timothée : « La racine de tous
les maux, c’est l’amour de l’argent. Pour s’y
être livrés, certains se sont égarés loin de la
10 Une seule chose te manque

foi et se sont transpercé l’âme de tourments


sans nombre. » (1 Timothée 6,10).
Pour mes vingt-cinq ans de sacerdoce,
un ami m’a adressé ses vives félicitations,
accompagnées de fervents souhaits : que je
persévère pour qu’un jour, l’argent se
transforme en or. Que je célèbre donc mon
jubilé d’or. Quel or ?
Quel argent et quel or ? L’apôtre Pierre
a répondu à la question d’une certaine
manière. Alors qu’il arrivait, un après-midi,
avec son collègue Jean, près de la porte du
temple appelée « la Belle Porte », il s’est
trouvé devant un infirme de naissance que
l’on avait apporté là pour qu’il mendie auprès
de passants. L’infirme attendait de l’argent.
Pierre lui dit : « Je n’ai ni argent ni or, mais
ce que j’ai, je te le donne : au nom de Jésus-
Christ de Nazareth, lève-toi et marche ! »
(Actes 3,6)
L’infirme de naissance méritait donc
bien plus que l’argent qu’il désirait et qu’il
recevait. Il put marcher, sauter et louer Dieu,
au grand étonnement de ceux qui le voyaient
et ne lui connaissaient pas cette capacité.
Juifs pratiquants, Pierre et Jean se
rappelaient sans doute les avertissements du
psaume 115 contre les païens : « Leurs idoles,
or et argent, une œuvre de main d’homme. »
(Psaume 115,4)
Avant-propos 11

Loin de la terre des Juifs, Le Seigneur


m’a fait naître sur un territoire dont le sous-sol
est chargé d’or, d’argent et de beaucoup
d’autres minerais ordinaires et
extraordinaires. Depuis Léopold II, le roi des
Belges, au dix-neuvième siècle, ces richesses
minières ont attiré tant de convoitises que le
peuple congolais ne peut dormir en paix.
Jusqu’en 2013, l’exploitation illégale des
ressources naturelles de la RDC est la cause
fondamentale des guerres incessantes qui
déchirent le pays.
A mon ordination sacerdotale, j’ai
choisi pour devise la phrase du livre de
l’Exode, où Dieu dit à Moïse : « J’ai vu la
misère de mon peuple. » (Exode 3,7). Vingt-
cinq ans après, je comprends de mieux en
mieux cette misère. Elle est matérielle et
spirituelle à la fois. Elle est surtout spirituelle.
Elle est aussi dans l’idolâtrie de l’argent.
Devant les fleuves de sollicitations
venant de la misère du peuple et devant les
pressions de toutes sortes de ceux qui,
gratuitement ou pas, incitent les pauvres à la
mendicité, toute personne consacrée par le
vœu de pauvreté devrait dire et faire comme
l’apôtre Pierre. Tout prêtre aussi, sans doute.
Tout chrétien, tout disciple du Christ aussi.
C’est à tous indistinctement que le Seigneur
adresse le « conseil » pour se détacher des
12 Une seule chose te manque

biens matériels et pour rechercher d’abord le


Royaume de Dieu et sa justice.
1. Une seule chose te
manque

La situation vécue par Pierre et Jean ne


nous est pas inconnue. Sous tous les climats et
dans toutes les cultures, la plupart des
humains passent leur vie à courir à la
recherche de l’argent. Ils se trompent souvent
sur l’argent, sur eux-mêmes et sur les autres.
En République Démocratique du Congo,
particulièrement, ils se trompent énormément
sur la capacité du prêtre perçu comme riche et
pourvoyeur d’argent.
Venant à la rencontre du prêtre et de
tous, Jésus de Nazareth guérit le désir du plus
profond de leur cœur. Tel fut le cas avec le
jeune homme « riche » de la Bible. Il n’était
ni prêtre ni lévite, ni apôtre. « Comme Jésus
se mettait en route, un homme vint en courant,
se jeta à genoux devant lui et lui demanda :
14 Une seule chose te manque

‘Bon maître, que dois-je faire pour obtenir la


vie éternelle ?’ » (Marc 10,17)
L’homme avait observé les
commandements de Dieu depuis sa jeunesse.
Mais il restait insatisfait. Il désirait avoir en
héritage la vie éternelle, et il cherchait
comment faire. Jésus se mit à l’aimer et lui
proposa le secret : « Une seule chose te
manque : va, vends tout ce que tu as, donne-le
aux pauvres et tu auras un trésor au ciel ; puis
viens et suis-moi. » (Marc 10,21)
Le jeune homme devint triste. Il avait
de grands biens, renseigne la Bible. Et Jésus
déclare : « Il est plus facile à un chameau de
passer par le trou d’une aiguille qu’à un riche
d’entrer dans le royaume de Dieu. » (Marc
10,25)
Les apôtres comprirent bien la leçon.
« Mais alors, qui peut être sauvé ? » Ils
semblaient ainsi douter eux-mêmes de la
possibilité de s’ouvrir, de continuer à suivre
Jésus. Mais que possédaient-ils ?
Apparemment, pas de grandes richesses. On
connaît leurs origines. On a vu les
circonstances de leur appel par Jésus. Ce n’est
pas parmi les plus riches que Jésus les a
choisis, eux et d’autres qui suivront, à en
croire Paul ! Mais, dans leur cœur, semblent-
ils avouer ici, ils rêvent de richesses… Qui dit
qu’ils n’avaient pas suivi Jésus avec le secret
Une seule chose te manque 15

espoir de gagner de l’argent ? Bien sûr que


Jésus, qui a chassé les commerçants du
Temple, renversé les tables des changeurs de
monnaie (Matthieu 20,12-13), ne donnera pas
de signes prometteurs à ce sujet.
Or, Jésus avait dit au jeune homme :
« …puis viens et suis-moi. » N’avait-il pas
posé cette condition aux premiers disciples ?
Ou devait-il les y soumettre plus tard ? Ou
allait-il les soumettre à l’épreuve, selon leur
plus ou moins grand attachement à l’argent ?
A la fin de sa vie, Jésus dit n’avoir
perdu personne sinon le fils de la perdition,
celui dont les textes montrent que c’est
l’amour de l’argent qui l’a perdu. Judas avait-
il une plus grande soif d’argent et des
richesses que ses compagnons ?
On peut se demander à juste titre
combien auraient pu suivre Jésus depuis le
début. Il avait une logique si renversante.
Voire renversée. Il recrute des
commissionnaires, et contre toute attente et
toute stratégie managériale, il leur déconseille
et même leur interdit toute « levée de fonds »,
comme on dirait aujourd’hui chez les
Organisations Non-Gouvernementales
(ONG).
Jésus envoie ses disciples en mission, et
il leur prescrit : « Ne vous procurez ni or, ni
argent, ni menue monnaie pour vos ceintures,
16 Une seule chose te manque

ni besace pour la route, ni deux tuniques, ni


chaussures, ni bâton : car l’ouvrier mérite sa
nourriture. » (Matthieu 10,9-10) Les apôtres
nous ressemblent. C’est pourquoi leur histoire
nous intéresse. L’envie, l’avarice, la cupidité,
la gloutonnerie sont aussi des « ennemis
cachés du sacerdoce1 ».

1
Basile COLE, The hidden enemies of the
priesthood. The contributions of St Thomas
Aquinas, St Pauls, Mumbai, 2009.
2. Guérir de l’argent

Lorsque je félicite une amie qui vient


d’être promue comme responsable de la
formation dans son entreprise, je lui fais
remarquer qu’elle « monte ». Elle me répond :
« Mais il n’y a pas d’argent qui va avec. »
Cette amie touche un bon salaire de
plusieurs centaines de milliers de francs
congolais. Mais il faut la compter parmi les
personnes qui demandent sans cesse à
emprunter de l’argent. Elle ne croit pas en
avoir assez pour vivre.
Dans la ville de Butembo, une jeune
mariée, enceinte depuis quelques mois, se
désole du comportement de son époux. Il est
devenu grincheux. La nuit, c’est à peine qu’il
trouve le sommeil. Son épouse ne parvient pas
à le rassurer. Elle s’interdit d’ailleurs toute
plainte légitime, mais rien n’y fait. Jusqu’où
jour où elle met le doigt sur le vrai problème :
18 Une seule chose te manque

l’argent. Comment le nouveau marié et tout


futur papa s’acquittera-t-il de son énorme
responsabilité ? Et il y a la famille. Des
neveux et des nièces dont il s’occupait déjà. Il
est commerçant, mais ses affaires ne marchent
pas ces jours-ci. Madame a compris : c’est le
manque d’argent qui coupe le sommeil à son
mari. Comment le guérir ?
Alors que les besoins sont bien réels et
pressants, il faut bien guérir de l’argent.
S’affranchir de la soif de l’argent, condition
de l’indépendance et de la responsabilité.
C’est le paradoxe. Pour les individus comme
pour les Etats. Pour trouver la paix.
3. « On ne pense qu’à
ça »

En 1960, les propagandistes de


l’indépendance politique des pays africains
ont promis la vie facile. Et l’argent sans peine.
Aujourd’hui, le rêve se réalise dans la
mendicité et le vol, sous divers noms. Les
peuples se méfient désormais du discours des
politiques et de leurs promesses électorales.
Après la célébration du cinquantenaire
de l’indépendance du pays, en 2010, ne
devrait-on pas penser et espérer que le
Congolais deviendrait de plus en plus sûr de
lui-même, qu’il revendiquerait une vraie
autonomie pour son pays et pour son peuple,
qu’il deviendrait lui-même plus autonome,
plus responsable ?
Voici retranscrits à ce sujet des propos
tenus par la célèbre journaliste belge Colette
Braeckman sur Radio Okapi le 29 juin 2010,
20 Une seule chose te manque

veille de la célébration du jubilé d’or de


l’Indépendance :
« Le Congo doit aussi, je pense,
un peu, guérir de lui-même, guérir de
ses mauvaises habitudes. Par exemple :
la corruption. Le rapport à l’argent est
incroyable au Congo. On a
l’impression qu’on ne pense qu’à ça. Et
on peut le comprendre. Parce que
l’argent manque, et les gens doivent
toujours se débrouiller pour en trouver,
mais aussi un rapport de corruption, de
dévoiement, ce qu’on appelait du temps
de Mobutu les anti-valeurs. Et donc les
Congolais doivent absolument se
guérir de ces mauvaises habitudes du
passé. De haut en bas de l’échelle
sociale. Ça, c’est une chose, une
deuxième chose, c’est se guérir de
l’espèce de culte du chef, de l’autorité.
Les simples citoyens doivent s’assumer
d’une façon démocratique. Et un
troisième point, on n’en parle pas
beaucoup : les Congolais doivent aussi
guérir d’un certain complexe
d’infériorité, d’incapacité. On a
toujours l’impression que les
Congolais doivent demander
l’assentiment des pays étrangers, des
puissances extérieures, et que si le reste
du monde n’aura pas dit que c’est bien,
On ne pense qu’à ça 21

ils n’osent pas s’engager. Ils doivent se


définir eux-mêmes par rapport à leurs
besoins, par rapport à leur
personnalité. »
Si le rapport à l’argent ainsi décrit par
Colette Braeckman n’est pas compris, le
magazine panafricain Jeune Afrique
l’explicite le 6 juillet 2010. Sous la double
plume de Marianne Meunier et de François
Soudan. Ils relèvent « cinq mots pour
comprendre le Congolais d’aujourd’hui ». Ils
suggèrent une signification particulière des
termes : argent, femme, Eglises du réveil,
sape, sorcellerie.
A propos de l’argent :
« Argent n. m. On dit à
Kinshasa que l’argent s’attrape. Il
suffit de se placer au bon endroit et
d’avoir de la chance. C’est un mode de
vie pour ceux qui savent que, dans ce
pays, on ne gagne jamais assez à la
sueur de son front. La foule des petits «
attrape » là où elle peut : racket des
douaniers, policiers et militaires,
monnayage des dossiers pour les
fonctionnaires, des examens pour les
enseignants, des articles pour les
journalistes, des bagages pour les
employés de compagnies aériennes, des
services pour les ‘protocoles’
22 Une seule chose te manque

(intermédiaires) censés vous éviter le…


racket, etc. Les grands, eux, mangent à
la table du banquet d’où tombent les
miettes. Sous Mobutu, qui n’était pas le
dernier à montrer l’exemple, le
siphonage de la Banque centrale et des
grandes sociétés d’État comme la
Gécamines était la règle. Sous Kabila
père, les contrats léonins avec les
sociétés étrangères dans les secteurs
minier ou forestier ont suscité des
commissions parfois colossales,
vampirisant le capital même de l’État.
Joseph Kabila, lui, a décrété il y a un
an la ‘tolérance zéro’ en ce domaine,
vœu vertueux mais encore pieux.
Revers de la médaille, la
débrouillardise – le fameux ‘article 15’
non écrit de toutes les Constitutions
congolaises : ‘débrouille-toi toi-même’
– demeure plus que jamais la condition
des lutteurs de la survie quotidienne. »
Le regard de journalistes étrangers rend
bien l’image habituelle que les Congolais
perçoivent d’eux-mêmes. Ils ont d’autres mots
pour le dire. « L’argent a circulé », par
exemple, pour dire la corruption en milieux
politiques.
4. « L’argent a
circulé »

Les individus ne penseraient qu’à


l’argent. Mais le rapport à l’argent est un vice
chevillé à l’histoire sociopolitique du pays.
Aujourd’hui, les huis clos des deux chambres
du Parlement, l’Assemblée Nationale et le
Sénat, paraissent toujours suspects. De fait, on
y parle souvent d’augmentation des
émoluments des honorables députés et
sénateurs. L’opinion a souvent reproché à ses
représentants de gagner beaucoup trop
d’argent au regard de la misère du petit peuple
électeur.
Un récent sondage mené à Kinshasa a
rangé les députés parmi les classes sociales les
plus corrompues. Les députés de l’Opposition
travailleraient, paradoxalement, à conforter le
préjugé. Depuis bien des années, les
opposants accusent souvent la Majorité de
24 Une seule chose te manque

voter les lois d’après les « enveloppes »


circulant dans les bancs. Ce sont donc les
députés eux-mêmes qui se soupçonnent
mutuellement et s’entraccusent : « L’argent a
circulé ; il y a eu la motivation. » Même si,
dans la mentalité et le langage commun, dès
lors qu’un point de vue contraire au sien est
avancé, le réflexe devient d’attribuer toute
contradiction à l’influence, au pouvoir de
l’argent.
Or, tout n’est pas que soupçon. Le
député honoraire Alexis Takizala, élu de
Lubumbashi en 2006, affirme avoir bien vu
circuler des « enveloppes ». Et en avoir reçu
sa part : « Le stimulant attendu est venu
effectivement soutenir le vote. J’ai eu droit à
mon enveloppe ; le double, cette fois. Mais au
lieu de m’en réjouir, j’ai perçu pour la
première fois une voix qui venait de je ne sais
où. Elle m’interrogeait1. »
Ce fut déjà le cas dans les toutes
premières années de l’indépendance du pays.
Des gouvernements provinciaux ont échoué à
cause de l’argent, d’après le journal Présence
congolaise du 3 novembre 1962. Le titre de
député était devenu l’objet de la dérision
publique et on l’utilisait pour « désigner un

1
Alexis TAKIZALA M. Voyage au pays des
oubliés, Baobab, Kinshasa, 2011, p. 85.
L’argent a circulé 25

voyou et un vaurien1 ». Bien des raisons


justifiaient cette impopularité et le désamour.
On note, par exemple, la dispersion des sièges
au Parlement, qui ne pouvait qu’afficher les
tendances et autres revendications ethniques.
Sur le tribalisme, on n’a pas beaucoup changé
aujourd’hui.
Mais la raison fondamentale fut et reste
le rapport à l’argent. « Le Parlement se fit un
tort immense en faisant passer comme
première mesure législative, le traitement des
députés des 100.000 F prévus par la Loi
fondamentale à 500.000 F, et cela malgré
l’opposition de Lumumba2. ». Au grand
déplaisir et au grand ressentiment de la
population, la mesure emporta une majorité
écrasante à l’Assemblée nationale.
Les Assemblées provinciales ont suivi :
« Le 12 juillet, l’Assemblée de Léopoldville
triplait son traitement par 72 voix contre 5 et
3 abstentions, le faisant donc passer à
300.000 F. On vit que le Katanga allait
bientôt imiter cet aspect de la politique de
Léo : le plus long article de la Constitution

1
Cité par Crawford Young, Introduction à la
politique congolaise, Centre de recherche et
d’information socio-politiques, Editions
Universitaires du Congo, Bruxelles, 1968, p.
203.
2
Ibidem, p. 199.
26 Une seule chose te manque

katangaise, promulguée le 8 août 1960,


traitait des salaires des députés et des
avantages divers de la profession1. » En 1962,
« par deux fois les députés avaient rejeté un
plan d’austérité sous prétexte que le Congo
était un pays riche2. ».
Le prestige du Parlement déclina ainsi,
se perdit dans la soif d’argent. Il y eut un
sursaut en 1963. Le journal Le courrier
d’Afrique écrit : « Dorénavant, députés et
sénateurs ne toucheront plus que les 100.000
F prévus par la Loi fondamentale. Cette
indemnité sera évidemment soumise à l’impôt
comme les revenus de tout autre citoyen
congolais… En outre, comme la vocation
parlementaire n’est pas un métier lucratif,
mais un apostolat, un service désintéressé, les
parlementaires ont décidé de réserver 33% de
leurs émoluments à un fonds de secours et de
solidarité destiné aux chômeurs et aux
vieillards3… »
En 2013, les pratiques n’ont pas
changé. Le 29 mars, une motion de censure
venue du député Mayo de l’opposition contre
le Premier ministre Augustin Matata a été
recalée de justesse à l’Assemblée nationale,

1
Ibid.
2
Cité par Crawford Young, Introduction à la
politique congolaise, p. 203.
3
Ibidem.
L’argent a circulé 27

faute des 125 signatures requises. Des députés


de la Majorité se sont rétractés, ils ont retiré
leurs signatures. Voici comment le journal Le
Potentiel explique les faits :

« L’argent aurait circulé


S’il est acquis qu’on reproche à
la primature ‘le manque d’humanité’
avec les autres membres de la Majorité
présidentielle, les indélicatesses du
genre ne peuvent lui être adressées. De
part et d’autre, des signes évidents sont
bien là. Les députés ruminent de colère
contre le gouvernement suite à des
paiements fractionnés de leurs
émoluments.
D’autres députés habitués à
vivre des faveurs indues du Trésor
public ont également saisi
l’opportunité pour rappeler au Premier
ministre ‘la solidarité’ qu’impose
l’appartenance à la famille politique
qui a la gestion de la res publica. Des
us et coutumes à la peau dure et qui
remontent à la IIème République.
L’argent aurait circulé à flots, ne
cesse-t-on d’entendre dans les couloirs
de la Chambre basse du Parlement
pour justifier l’accalmie précaire qui
s’y constate. Quant à la source de
provenance, personne n’ose délier sa
langue. »
28 Une seule chose te manque

Le 14 mai 2013, un journaliste du


magazine parisien Jeune Afrique, le Congolais
Tshitenge Lubabu, y va de son humeur :

« Que voulaient donc les honorables


députés ? Notamment une
augmentation des salaires des
fonctionnaires. De combien pour le
moins bien loti ? De quelque 20 dollars,
faisant plafonner son salaire à 70
dollars. Et comme l'on n'est jamais
mieux servi que par soi-même, ils ont
demandé la hausse de leurs
émoluments : à 14 000 dollars, contre
8 000 dollars mensuels tout compris
aujourd'hui, alignés sur ceux des
sénateurs. Raison invoquée pour
obtenir cette rallonge ? Leur qualité
d'élus du peuple, qui devrait leur
donner droit à un meilleur traitement
par rapport aux sénateurs, dont le
mandat n'est pas issu du suffrage
universel. En cherchant à gagner plus,
les députés, qui avaient déjà interpellé
le Premier ministre en 2012, oublient
que leur pays est dernier sur la liste des
nations du monde en termes d'indice de
développement humain. Quand
proposeront-ils une réduction de ce
L’argent a circulé 29

qu'ils gagnent au profit de la


communauté ?1 ».

Le journaliste Jérôme Sekana,


spécialiste en questions économiques, s’est
illustré en 2010 par une campagne médiatique
menée en faveur du « civisme fiscal ». Ses
cibles privilégiées furent les ministres et les
parlementaires. Ils touchaient de gros salaires,
mais sans payer « l’impôt professionnel sur le
revenu2 ».

1
Tshitenge Lubabu, « Micmac à Kinshasa »,
http://www.jeuneafrique.com/Article/JA2729p1
86.xml0/.
2

http://radiookapi.net/economie/2010/11/23/petit
ion-pour-l%E2%80%99impot-sur-le-revenu-
des-parlementaires-450-000-signatures-
collectees-deja/
5. Une philosophie de
l’argent

La politique est entendue comme


source facile et sûr d’argent. Le journal Le
Potentiel s’arrête en chemin en ne remontant
que jusqu’à la Deuxième République de
l’histoire du pays. La cupidité était déjà
courante dans la Première République. Il faut
même remonter à l’époque coloniale, avant
l’indépendance. La soif d’argent y était déjà
épinglée comme vice.
Quinze ans avant 1960, le missionnaire
belge Placide Tempels se méfiait des
intellectuels à cause de leur soif de l’argent. A
son avis, ils avaient trahi la pensée bantoue
profonde. Ils étaient devenus « des évolués
aux âmes vides et insatisfaites, des évolués,
négations de civilisés. » En fin de compte, ils
sont devenus des « vagabonds moraux et
32 Une seule chose te manque

intellectuels, qui ne peuvent être, malgré eux,


que des éléments de désordre1 ».
Et l’âme de ces « évolués
européanisés » n’inspirait pas confiance aux
vieux notables. La raison ? « Ils
m’expliquaient que ces jeunes hommes de
chez les blancs ne connaissaient plus que
l’argent, que c’était la seule chose qui avait
encore de la valeur dans leur vie ; ils ont
abandonné la philosophie bantoue, la sagesse
vitale bantoue, pour une philosophie de
l’argent ; l’argent est leur seul idéal ; l’argent
est leur but, la norme suprême et ultime de
leurs actes2. ».
Les évolués avaient vendu leur âme à
l’argent. Tempels, vivant au Katanga, dans le
sud-est du pays, partage ce constat avec
d’autres missionnaires qui l’ont vécu ailleurs.
Tel Gustaaf Hulstaert qui l’a observé dans le
nord-ouest, dans la province de l’Equateur.
Avec la guerre, la soif de l’argent compte à ses
yeux parmi les effets désastreux de
déculturation subis lors de la défaite de la
culture et de la religion. La rencontre avec
l’Occident aura été préjudiciable à ce point.
Dans une lettre du 4 octobre 1945, le père
Gustaaf Hulstaert écrivait à Tempels du

1
Placide TEMPELS, La philosophie bantoue,
Lovania, Elisabethville, 1945, p. 145.
2
Ibidem
Une philosophie de l’argent 33

« pays du caoutchouc et des routes à


construire ». Il constate l’indifférence envers
les paroles prêchées par les missionnaires.
« Les gens ont vu que nos belles paroles
sur les valeurs supérieures ne sont que des
paroles en l’air ; qu’en fin de compte il y a des
valeurs et des divinités tout autres, beaucoup
plus importantes et puissantes que celles que
nous prêchons, à savoir l’argent et l’Etat1. »
L’histoire révélera que les serviteurs de
l’Etat seront les mieux servis. Ils se taillent la
meilleure part de la res publica, la chose
publique, le bien commun.
Les politiques africains sont comme ces
faux bergers d’Israël que fustige le prophète
Ezéchiel : « Malheur aux bergers d’Israël qui
se paissent eux-mêmes ! N’est-ce pas le
troupeau que les bergers doivent paître ?
Vous mangez la graisse, vous vous revêtez de
la toison, sacrifiant les bêtes grasses ; mais le
troupeau, vous ne le paissez pas. » (Ezéchiel,
34,2-3)

1
Cité par Honoré Vinck, « Dimensions et
inspiration de l’œuvre de Gustaaf Hulstaert »,
dans Revue africaine des sciences de la mission,
n° 12, juin 2000, p. 219. Cité par Fabien Eboussi
Boulaga, L’affaire de la philosophie africaine.
Au-delà des querelles, Editions Terroirs -
Karthala, Paris, 2011, p. 61.
34 Une seule chose te manque

Les nombreuses élections


présidentielles et législatives tenues en
Afrique ces dernières années n’ont sans doute
pas donné aux peuples les chefs dont ils ont
besoin ni la culture démocratique nécessaire.
Les élections sont même souvent l’occasion
de violences. En proposant une Lettre
pastorale comme « contribution de l'Eglise à
la promotion de la bonne gouvernance et des
transitions démocratiques en Afrique », les
évêques d’Afrique, sous la signature du
président du Symposium des Conférences
Episcopales d’Afrique et Madagascar
(SCEAM), l’archevêque de Dar-es-Salaam, le
cardinal Polycarp Pengo, recommande une
« conversion à la Bonne gouvernance »
comme « souci du bien commun ». Les
évêques d’Afrique et Madagascar dénoncent
le « fléau de la corruption » et rappellent le
principe de la « destination universelle des
biens » enseigné par la doctrine sociale de
l’Eglise.
Au-delà de tous les appels aux
dirigeants politiques, il s’agit de miser
d’abord et en définitive, sur le témoignage de
chrétiens : « Il ne suffit pas de parler de
principes, d'affirmer des intentions, et de
souligner l'injustice; ces paroles n'auront de
poids réel ou de sens que si elles sont
accompagnées par une plus grande prise de
conscience de la responsabilité personnelle et
Une philosophie de l’argent 35

par une action efficace de tous. Il est trop


facile de rejeter sur les autres la
responsabilité de l'injustice, si l'on ne se rend
pas compte de ce que chacun de nous est
impliqué. C'est pourquoi la conversion
personnelle est d'abord nécessaire1. »
L’Etat en Afrique. La politique du
ventre. Le politologue français Jean-François
Bayart a intitulé ainsi un livre publié en 1989.
Il écrit : « Les Camerounais parlent à ce
propos de ‘politique du ventre’. Ils savent que
la ‘chèvre broute là où elle est attachée’ et que
les détenteurs du pouvoir entendent
‘manger2’. » Il l’avait bien observé dans les
années quatre-vingt. Plus tard, les Africains
eux-mêmes s’en rendirent compte. Les
Conférences nationales, dans les années
quatre-vingt-dix, ont eu l’ambition de changer
la politique en Afrique. Le Bénin, pays qui
inaugura les conférences nationales en 1989,
en donna aussi l’exemple. La leçon est à
retenir, à commencer par un nouveau rapport
à l’argent.

1
Gouvernance, bien commun et transitions
démocratiques en Afrique, Lettre pastorale du
SCEAM, Accra, Février 2013, 55.
2
Jean-François BAYART, L’Etat en Afrique. La
politique du ventre, Fayard, Paris, 1989, p. 10.
6. Leçon béninoise :
déshonorer l’argent

La mode des conférences nationales


s’est imposée au début des années quatre-
vingt-dix. Elle portait le rêve de la purification
des mœurs socio-politiques. Provisoirement,
on renversa de façon non-violente les
dictatures en place incrustées depuis des
décennies.
Mais on se rend bien compte
aujourd’hui que la purification aurait dû
concerner aussi les individus. Et l’on devrait
cesser d’attribuer à l’Etat et à son inefficacité
les fautes des individus. Dans la conversion
vis-à-vis du culte de l’argent, les pauvres de
nos villages et des pauvres quartiers de nos
villes, par exemple, sont concernés autant que
la minorité des riches qui ont accaparé le
pouvoir et l’avoir, les richesses du pays.
38 Une seule chose te manque

Lors de la Conférence nationale


béninoise, justement, la critique a aussi porté
sur la soif d’argent. Le porte-parole Albert
Tévoédjré parla de « déshonorer l’argent ».
Les termes sont clairs :
« Déshonorer l’argent. Vous avez dit et
je le rappelle : ‘L’argent ne peut plus être
notre maître’. Tournant en effet le dos à notre
histoire et à notre géographie, à nos arts, à
notre habileté, nous avons refusé notre
croissance à partir de notre être et de nos
ressources. Préférant l’immédiat de quelques-
uns au ‘moyen terme’ de tous, nous avons
choisi d’élargir épisodiquement le petit cercle
de privilégiés et continuons d’étouffer les
énergies du plus grand nombre. L’argent
devenu notre maître nous dicte toutes nos
extravagances, toutes nos faiblesses, tous nos
abus. A cause de l’argent qu’il nous faut à tout
prix, nous nous mettons en danger de n’avoir
plus de culture authentique, plus de liberté,
plus de respect pour rien, plus de famille.
Verrès et Catilina surgissent de partout
et il n’est même plus de Cicéron pour
dénoncer les scandales qui s’accumulent.
Néron plus arrogant que jamais s’est installé,
ce qui veut dire l’heure des martyrs… Nous
nous sommes donc retrouvés assassins de nos
propres valeurs. Abel disparu, nous ne
pouvions plus dormir. L’œil est allumé dans
Leçon béninoise 39

notre nuit de honte et nous a conduits à la


Conférence des Forces Vives de la Nation1. ».
Verrès, Catilina, Cicéron. Ce ne sont
pas des Béninois ni des Africains. Leur
présence ici indique que le problème des
vertus concerne toute l’humanité. Ce sont des
questions philosophiques. Des questions de
sagesse avant même d’évoquer Dieu et Jésus
de Nazareth qui déclara que l’argent est un
bon serviteur mais un mauvais maître.

1
Lire dans F. Eboussi Boulaga, Les conférences
nationales en Afrique noire. Une affaire à suivre,
Karthala, Paris, 1993, p. 182-183.
7. Question de sagesse

La philosophie a aussi pour vocation de


guérir l’homme, de lui redonner la liberté s’il
a été enchaîné, réduit à l’esclavage par une
situation donnée. On peut guérir des soucis
d’argent ou de l’amour immodéré de l’argent.
Les philosophes, d’Afrique ou d’ailleurs, nous
soignent d’abord par l’exemple. En nous
racontant la vie d’autres humains, qui ont vécu
comme nous et qui ont trouvé leur chemin
dans les difficultés semblables aux nôtres. On
vous conseille de méditer. De réfléchir…
Cela peut faire sourire. Mais voici
Socrate, philosophe grec du cinquième siècle
avant Jésus-Christ. Il a été accusé d’avoir
corrompu la jeunesse, de travestir la vérité, de
mépriser les dieux... Dans l’Apologie de
Socrate écrite par son disciple Platon, il se
défend, se vante presque de n’avoir jamais
42 Une seule chose te manque

rien convoité. Alors qu’il est accusé, il dit


avoir sa pauvreté pour meilleur défenseur.
« Il y a quelque chose de plus
qu'humain à avoir négligé pendant tant
d'années mes propres affaires, pour
m'attacher aux vôtres, en vous prenant
chacun en particulier, comme un père ou un
frère aîné pourrait faire, et en vous exhortant
sans cesse à vous appliquer à la vertu. Et si
j'avais tiré quelque salaire de mes
exhortations, ma conduite pourrait
s'expliquer; mais vous voyez que mes
accusateurs mêmes, qui m'ont calomnié avec
tant d'impudence, n'ont pourtant pas eu le
front de me reprocher et d'essayer de prouver
par témoins que j'aie jamais exigé ni demandé
le moindre salaire; et je puis offrir de la vérité
de ce que j'avance un assez bon témoin, à ce
qu'il me semble: ma pauvreté1. »
La philosophie ne va sans doute pas
vous déterminer à agir en chrétien. Vous
auriez préféré entendre citer la Bible. Les
évêques du Mali en ont tiré une sagesse :
« Evêques, nous voulons rappeler à
tous ceci : Il est indigne, pour le croyant, de
prendre comme idéal, la course effrénée après

1
PLATON, Apologie de Socrate. Criton. Phédon,
Flammarion, Paris, 1965, p. 43.
Question de sagesse 43

l’argent ou encore la préoccupation exclusive


de son image extérieure1 ».

1
http://www.eglisemali.org/index.php/90-
ressources/ressources-bamako/249-le-culte-de-
l-argent-et-du-paraitre.html.
8. L’argent de Dieu

Puisqu’il m’a connu comme


séminariste, un animateur de la radio
nationale, à Kinshasa, me remettait de l’argent
à chaque rencontre. Il gardait en bonne place
de « l’argent de Dieu ». C’était une
recommandation de son « groupe de prière ».
Je pensais bien qu’il était différent de bien de
ces Africains qui ont accusé le christianisme
missionnaire de les avoir trompés en leur
présentant l’argent comme un danger. De
nouvelles sectes, dites « Eglises de réveil »,
sont venues réhabiliter l’argent. Et de quelle
manière ! Elles ne peuvent que récolter
beaucoup de succès. Elles prêchent la
prospérité, qui doit, au minimum, s’afficher
dans de beaux vêtements portés lors des
assemblées de prière, semble-t-il.
Dans les Eglises d’Afrique réconciliées
avec leurs racines traditionnelles, on lit la
46 Une seule chose te manque

création comme un acte de Dieu qui a établi


l’homme pour vivre sur terre. Et dans la prière
et toute pratique religieuse, on cherche
effectivement à faire durer la vie sur terre et
donc à conjurer tout malheur, toute maladie,
toute infortune. C’est bien ainsi
l’enseignement de la religion traditionnelle.
Les Eglises chrétiennes dites du réveil
tablent sur une telle croyance, mais elles se
réclament du Dieu de Jésus-Christ. Et la Bible
est citée à renfort pour montrer que tout enfant
de Dieu baignera ici sur terre dans l’opulence
et le bonheur sans trouble. On insiste pour
montrer les signes de la bénédiction réelle ou
feinte et supposée. Ils se montrent par la
bonne santé, le succès dans les affaires, les
bons salaires, etc.
Voici l’exemple de l’Eglise « La
Louange » connue comme l’Eglise du pasteur
Ngalasi. La presse nous informe qu’une
scission vient de se produire dans cette secte.
Et dans le journal L’Observateur du mardi 12
mars 2013, on pouvait lire cette histoire :
« Avec la séparation intervenue entre
les pasteurs Ngalasi et Cosma Wilungula et
leur lutte à mort pour des biens matériels, l’on
devrait se poser des questions sur le coup
monté et réussi contre Kutino. Cet homme de
Dieu peut au moins se consoler d’une chose :
L’argent de Dieu 47

son église est en train de prospérer en dépit


de sa situation de prisonnier.
En effet, en plus de l’immeuble de
quatre niveaux abritant le siège de la Mission
Mondiale Message de vie ou Armée de
Victoire, sur la rue Nyangara, dans la
commune de Ngiri-Ngiri, on apprend que
cette église est en train de construire, sur
fonds propres, un imposant bâtiment de
quatre étages à Binza-Pigeon. Par ailleurs,
l’Archibishop Kutino vient d’acquérir un
appartement d’une valeur de 1.500.000 (un
million cinq cent mille) Euros à Paris, sans
compter une jeep Cadillac blindée
comparable à celle du président américain
Barack Obama.
Dieu continue de faire grâce à son
serviteur malgré son statut d’homme privé de
liberté. Toutefois, l’Armée de Victoire
continue de réclamer son immeuble du
numéro 17 de l’avenue Kanda-Kanda, dont le
dossier se trouve toujours pendant au niveau
du Parquet général de la République, où les
auteurs de la tricherie devraient être
poursuivis pour faux et usage de faux1. »
Tout compte fait, dans l’économie
(domestique, politique) moderne, tous les

1
Journal L’Observateur du mardi 12 mars 2013.
Lire sur :
48 Une seule chose te manque

biens exhibés s’évaluent en argent. Il faut en


parler : l’argent pourrait être synonyme de
l’Esprit-Saint. L’argent est le sacrement de
Dieu, signe de la présence de l’Esprit-Saint.
L’or appartient à Dieu, et les fils de Dieu ne
peuvent manquer d’argent, ce minimum vital.
Il faut donc l’étaler. Et sans s’en apercevoir,
par leur prédication et leurs pratiques comme
la dîme et autres offrandes et bénédictions, les
Eglises de réveil éloignent ainsi les pauvres.
Sauf si les pauvres y affluent et y restent dans
l’espoir de recevoir bientôt l’argent tant
désiré…
Mais le rêve n’est pas toujours la vision
où Dieu se montre dans sa magnificence et sa
munificence, sa richesse. Le Dieu de Jésus-
Christ se montre aussi comme le Dieu des
pauvres et comme le Dieu pauvre.
Chez les Juifs, dans l’Ancien
Testament, il y a bien des riches choisis par
Dieu ou bénis de Dieu. Mais tout le monde
n’est pas le roi Salomon. Et c’est bien une
sagesse biblique que celle du livre des
Proverbes :
« J’implore de toi deux choses, ne les
refuse pas avant que je meure : éloigne de moi
mensonge et fausseté, ne me donne ni
pauvreté, ni richesse, laisse-moi goûter ma
part de pain, de crainte qu’étant comblé je ne
me détourne et ne dise : ‘Qui est Yahvé ?’ ou
L’argent de Dieu 49

encore, qu’étant indigent je ne dérobe et ne


profane le nom de mon Dieu. » (Proverbes 30,
7-9)
Le sage Job, exemple de patience, a
connu le bonheur et le malheur, la richesse et
la misère. Présenté comme ami de Dieu en
toutes les circonstances, il en apprend mieux
que toute l’histoire biblique. Les bénis de
Dieu sont aussi ceux que la « malchance »
accablent. « Nu, je suis sorti du sein maternel,
nu, j’y retournerai. » (Job 1, 21) C’est la
grande leçon mise à la portée de quiconque
médite sur la vie humaine à la lumière et sous
le regard de Dieu.
9. De l’argent de
poche pour Jésus ?

La Tradition de l’Eglise enseigne que


Job est une des figures du Christ représentées
dans l’Ancien Testament. Job est l’exemple
de celui qui souffre et qui espère. Jésus a
choisi ainsi d’être pauvre afin d’être une
bonne nouvelle pour les pauvres. « De riche,
il s’est fait pauvre pour vous, afin de vous
enrichir de sa pauvreté » (2 Corinthiens 8, 9).
Le samedi 18 mai 2013, le pape
François l’a rappelé aux nouveaux
mouvements, communautés, associations et
groupements laïcs présents à Rome pour
réfléchir sur leur mission :
« La pauvreté pour nous chrétiens, n'est
pas une catégorie sociologique,
philosophique ou culturelle, non, c'est une
catégorie théologale. Je dirais peut-être la
52 Une seule chose te manque

première catégorie, parce que ce Dieu, le Fils


de Dieu, s'est abaissé, il s'est fait pauvre pour
marcher avec nous sur la route. C'est cela
notre pauvreté: la pauvreté de la chair du
Christ, la pauvreté qui nous a amené le Fils
de Dieu avec son incarnation1. »
Pierre avait dit à l’aveugle : « Je n’ai ni
or ni argent. » (Actes des apôtres 3,6) Jésus
de Nazareth avait-il plus d’or et d’argent que
ses apôtres Pierre et Jean ?
Jean renseigne dans son évangile (Jean
12, 1-8) que c’est Judas qui était chargé de la
bourse. Et Judas aurait donc eu la charge de
partager aux pauvres. Lors du dîner offert en
l’honneur de Jésus par les sœurs de Lazare à
Béthanie, Judas s’était indigné devant le
parfum de grand prix dont Marie avait rempli
la maison. Judas Iscariote s’indigne… à juste
titre. Car cette débauche de parfum de luxe ne
doit pas avoir été du niveau de vie de l’équipe
de Jésus. Judas le savait, lui qui comptait
l’argent du groupe. On aurait dû donner aux
pauvres. N’est-ce pas qu’il indique que Jésus
avait l’habitude de partager aux pauvres ?
Ceux qui avaient faim, il est allé jusqu’à
multiplier les pains pour eux…

1
http://visnews-fr.blogspot.com/2013/05/leglise-
ne-peut-pas-rester-fermee-sur.html
De l’argent de poche pour Jésus 53

Dans la Bible, je ne vois pas la réponse


à la question de savoir si Jésus recevait, au
moins, de l’argent de poche. Lorsqu’il daigna
accepter de payer l’impôt du Temple, « pour
ne pas causer la chute », il envoya Pierre : « Va
à la mer, jette l’hameçon, saisis le premier
poisson qui mordra, et ouvre-lui la bouche :
tu y trouveras un statère. Prends-le et donne-
le leur, pour moi et pour toi. » (Matthieu
17,27)
La bourse gardée par Judas doit avoir
été alimentée notamment par des femmes
comme Marthe et Marie et tant d’autres
faisant partie du groupe qui accompagnait
Jésus de ville en ville et de village en
village : « Les douze étaient auprès de lui
avec quelques femmes qui avaient été guéries
d’esprits malins et de maladies: Marie, dite de
Magdala, de laquelle étaient sortis sept
démons, Jeanne, femme de Chuza, intendant
d’Hérode, Susanne, et plusieurs autres, qui
l’assistaient de leurs biens » (Luc 8, 2-3).
Le supérieur de la petite communauté
ne recevait-il rien en propre comme argent de
poche ? Dans les Eglises de réveil, on présente
Jésus comme le riche qui enrichit ceux qui
optent pour lui. Ainsi en serait-il du symbole
de ce parfum répandu à quelques jours de la
Passion. Dans le Royaume qui est le sien après
sa vie terrestre, il y a certainement des trésors.
54 Une seule chose te manque

Mais il avait signalé que ces trésors des cieux


sont différents des trésors terrestres :
« Ne vous amassez point de trésors sur
la terre, où la mite et le ver consument, où les
voleurs perforent et cambriolent. Mais
amassez-vous des trésors dans le ciel : là,
point de mite ni de ver qui consume, point de
voleurs qui perforent et cambriolent. Car où
est ton trésor, là aussi sera ton cœur. »
(Matthieu 6,19-21).
Dans le même Sermon sur la montagne,
Jésus a aussi dit que nul ne peut servir à la fois
Dieu et l’argent (Matthieu 6,24). Et il
recommande aux disciples de s’abandonner à
la Providence (Matthieu 6,25-34). Par ailleurs,
Jésus a même refusé d’arbitrer un conflit pour
le partage d’héritage entre deux frères…
Y a-t-il vraiment de quoi indiquer que
dans sa vie terrestre, le fils de Dieu a partagé
le niveau de vie des plus riches de sa société ?
Les textes ne nous indiquent-ils pas plutôt
qu’il s’est anéanti au point de manquer où
poser la tête, au point de vivre honnêtement,
certes, du travail manuel de son équipe de
pêcheurs et mais aussi de libéralités de
femmes riches, dont on ne dit pas qu’elles se
seraient dépossédées de tout en faveur du
groupe ?
Dans les Actes des apôtres, on voit bien
comment les disciples de Jésus de la première
De l’argent de poche pour Jésus 55

communauté chrétienne se comportent vis-à-


vis de l’argent et des richesses. On insiste sur
la mise en commun. Et l’honnêteté. « Tous
ceux qui étaient devenus croyants étaient unis
et mettaient tout en commun. Ils vendaient
leurs propriétés et leurs biens, pour en
partager le prix entre tous, selon les besoins
de chacun » (Actes des apôtres 2,44-45).
Mais peut-être qu’on ne dit pas assez
sur la loi du travail. Paul de Tarse est plus utile
alors pour nous l’enseigner.
10. Saint Paul et le
travail de ses mains

En vue d’obtenir l’égalité entre les


chrétiens, Paul organisa parmi les Corinthiens
une collecte au nom de la charité en faveur des
« saints ». Il recommande même le zèle dans
la générosité : « Qui sème chichement
moissonnera chichement ; qui sème largement
moissonnera largement. » (2 Corinthiens 9,6).
Paul n’organise pas cette levée de fonds
pour lui-même. Au contraire, il met son
honneur dans le travail. L’ouvrier mérite son
salaire, a dit Jésus, et Paul doit s’en souvenir.
Mais il préfère travailler de ses mains pour
gagner son pain, pour n’être à charge de
personne. Par l’exemple, il met en garde
contre l’oisiveté et le désordre :
« Nous ne sommes pas restés oisifs
parmi vous, nous ne nous sommes fait donner
58 Une seule chose te manque

par personne le pain que nous mangions, mais


de nuit comme de jour nous étions au travail,
dans le labeur et la fatigue, pour n’être à la
charge d’aucun de vous ; non pas que nous
n’en ayons le pouvoir, mais nous entendions
vous proposer en nous un modèle à imiter. »
(2 Thessaloniciens 3,7-9)
Quel aurait pu être le destin de Paul s’il
n’avait pas changé de trajectoire depuis sa
conversion sur la route de Damas ? Depuis, il
avait choisi de suivre les projets de Jésus, et il
regardait comme balayures tout le prestige qui
l’avait fait courir auparavant. Il se prévaut, au
contraire, des humiliations et des souffrances
endurées pour la cause de l’évangélisation.
« Toutes ces choses qui étaient pour
moi des gains, je les ai considérées comme
une perte à cause du Christ. Mais oui, je
considère que tout est perte en regard de ce
bien suprême qu’est la connaissance de Jésus-
Christ, mon Seigneur. A cause de lui, j’ai tout
perdu et je considère tout cela comme ordures
afin de gagner Christ, et d’être trouvé en lui,
non plus avec une justice à moi, qui vient de
la loi, mais avec celle qui vient par la foi au
Christ, la justice qui vient de Dieu et s’appuie
sur la foi » (Philippiens 3,7-9).
A propos de l’argent, il en reconnaît la
nécessité pour vivre, mais il enseigne à la fois
le détachement et surtout le sens du travail.
Saint Paul et le travail 59

Ainsi, lorsqu’il fait ses adieux aux Anciens de


l’Eglise d’Ephèse, il leur recommanda :
« Et maintenant je vous
recommande à Dieu et à la parole de sa
grâce, à celui qui peut édifier et donner
l'héritage avec tous les sanctifiés. Je
n'ai désiré ni l'argent, ni l'or, ni les
vêtements de personne. Vous savez
vous-mêmes que ces mains ont pourvu
à mes besoins et à ceux des personnes
qui étaient avec moi. Je vous ai montré
de toutes manières que c'est en
travaillant ainsi qu'il faut soutenir les
faibles, et se rappeler les paroles du
Seigneur, qui a dit lui-même: Il y a plus
de bonheur à donner qu'à recevoir.
(Actes des apôtres 20, 32-38)
L’argent porte ainsi son vrai sens de
symbole de l’effort humain et signe de la
générosité.
Pour ma part, je prie souvent saint Paul
pour qu’il m’obtienne du Seigneur l’ardeur au
travail et le sens de la générosité.
Je prie aussi saint Paul pour mon pays
et pour l’Eglise de la RDC. Que les peuples et
les individus apprennent l’amour du travail et
la générosité, la solidarité et le partage. Car je
vis dans un pays où les gouvernants successifs
se vantent lorsqu’ils viennent à réaliser une
œuvre « sur fonds propres ». Ils entendent
60 Une seule chose te manque

ainsi ne pas devoir l’argent dépensé à des


partenaires étrangers. De jeunes Africains
grandissent dans l’idée qu’ils ne pourront
jamais se passer de l’aide étrangère, quoi
qu’ils fassent.
Dans l’Eglise catholique d’Afrique,
dans nos congrégations et nos diocèses, et
dans la vie des individus, les partenaires
s’appellent bienfaiteurs. On peut se féliciter
lorsqu’on a déployé assez d’imagination pour
avoir des bienfaiteurs.
Je prie saint Paul pour qu’il obtienne du
Seigneur l’intelligence pour l’Eglise de la
RDC : « Ainsi à vos beaux projets
correspondra aussi la réalisation selon vos
moyens » (2 Corinthiens 8,11). Et que nous
puissions à chaque fois nous dire comme saint
Paul lui-même : « Nous prenons bien garde
d’éviter toute critique dans la gestion de ces
fortes sommes dont nous avons la charge.
Nous nous préoccupons du bien non
seulement aux yeux de Dieu, mais aussi à ceux
des hommes. » (2 Corinthiens 8,20-21)
Pour vivre le partage et la solidarité, et
« pour garantir non seulement un minimum
d’autonomie financière, mais aussi la
Saint Paul et le travail 61

pérennité des œuvres de l’Eglise1 », nos


évêques ont décidé, en 1995, la « prise en
charge de l’Eglise par ses propres fidèles ».
Ils ont imposé que chaque catholique verse à
l’Eglise un dollar américain par an. Un seul
dollar, c’est-à-dire l’équivalent d’une
bouteille de bière. Et par an. Il suffit d’un
simple calcul pour se rendre compte que dans
ce pays le plus catholique d’Afrique, les
diocèses, paroisses et communautés
pourraient se suffire quant aux besoins
élémentaires.
Mais voilà que des années sont passées,
sans mise en œuvre conséquente de cette
collecte. Il manque le zèle et l’intelligence, le
sens d’organisation de Paul et de son disciple
Tite.
Ce n’est sans doute pas la générosité
qui manque. A chaque catastrophe naturelle
ou à chaque situation de guerre, des appels
sont souvent montés de partout pour
demander l’aide. Les structures caritatives se
mobilisent alors. Mais pourquoi l’efficacité
n’est-elle pas toujours garantie au quotidien ?
Dans les situations ordinaires, il semble
manquer à l’Eglise comme à toute la société
non seulement une « culture de la fiscalité » et

1
Jacques-Marie NZIR Nyanga, Pistes et impasses
de l’évangélisation en profondeur, Baobab,
Kinshasa 2012, p. 19.
62 Une seule chose te manque

de mise en commun mais aussi le savoir-faire


en la matière, le sens de l’organisation.
11. Le pape et la crise
financière mondiale

Fidèle à l’enseignement social de


l’Eglise, le pape Benoît XVI a maintes fois
dénoncé l’idolâtrie de l’argent. Lorsque la
crise financière a éclaté, le pape n’a eu qu’à
rappeler qu’elle était avant tout une « crise
éthique ». Il l’a, par exemple, expliqué ainsi
aux séminaristes de Rome. Et aux
séminaristes venus du monde aux Journées
Mondiales de la Jeunesse à Madrid, dans la
Cathédrale de Santa María la Real de la
Almudena, le samedi 20 août 2011 :
« Relevez ce défi sans complexe
ni médiocrité, mais bien comme une
belle forme de réalisation de la vie
humaine dans la gratuité et le service,
en étant témoins de Dieu fait homme,
messagers de la très haute dignité de la
personne humaine et, par conséquent,
64 Une seule chose te manque

ses défenseurs inconditionnels.


Appuyés sur son amour, ne vous laissez
pas intimider par un environnement qui
prétend exclure Dieu et dans lequel le
pouvoir, l’avoir ou le plaire à peu de
frais sont les critères principaux qui
dirigent l’existence. Il peut se faire que
vous soyez méprisés, comme il arrive
d’ordinaire à ceux qui recherchent des
buts plus élevés ou démasquent les
idoles devant lesquelles nombreux sont
aujourd’hui ceux qui se prosternent1 ».
Le 13 mars 2013, le pape François a
succédé à Benoît XVI comme vicaire du
Christ, successeur de Pierre. A propos de
l’argent, le nouveau pape est resté fidèle à
l’enseignement des apôtres et du Seigneur. Le
16 mai 2013, il déclarait à quatre nouveaux
ambassadeurs :
« La crise mondiale qui touche
les finances et l’économie semble
mettre en lumière leurs difformités, et
surtout la grave déficience de leur
orientation anthropologique qui réduit
l’homme à une seule de ses nécessités:
la consommation. Et pire encore, l’être
humain est considéré comme étant lui-

1
http://www.vatican.va/holy_father/benedict_xvi/
homilies/2011/documents/hf_ben-
xvi_hom_20110820_seminaristi-madrid_fr.html
Le pape et la crise financière 65

même un bien de consommation qu’on


peut utiliser, puis jeter. De fait, nous
nous sommes jetés dans une culture du
déchet. Cette dérive se situe au niveau
individuel et sociétal. Dans un tel
contexte, la solidarité qui est le trésor
du pauvre, est souvent considérée
comme contre-productive, contraire à
la rationalité financière et économique.
Alors que le revenu d’une minorité
s’accroît de manière exponentielle,
celui de la majorité s’affaiblit. Ce
déséquilibre provient d’idéologies
promotrices de l’autonomie absolue
des marchés et de la spéculation
financière, niant ainsi le droit de
contrôle aux États chargés pourtant de
pourvoir au bien commun. S’installe
une nouvelle tyrannie invisible, parfois
virtuelle, qui impose unilatéralement,
et sans recours possible, ses lois et ses
règles. En outre, l’endettement et le
crédit éloignent les pays de leur
économie réelle, et les citoyens de leur
pouvoir d’achat réel. A cela s’ajoute, si
besoin en est, une corruption
tentaculaire et une évasion fiscale
égoïste qui ont pris des dimensions
mondiales. La volonté de puissance et
de possession est désormais sans limite.
Derrière cette attitude se cache le refus
de l’éthique, le refus de Dieu. Tout
66 Une seule chose te manque

comme la solidarité, l’éthique dérange.


Elle est considérée comme contre-
productive et trop humaine, car elle
relativise l’argent et le pouvoir ;
comme une menace, car elle refuse la
manipulation et l’assujettissement de la
personne. Car l’éthique conduit vers
Dieu qui, lui, se situe en-dehors des
catégories du marché. Dieu est
considéré par ces financiers,
économistes et politiques, comme
incontrôlable, voire dangereux. Or
Dieu n'est pas contrôlable! Puisqu’il
appelle l’homme à sa réalisation
plénière et à son indépendance de toute
forme d'esclavage. L’éthique,
naturellement non idéologique, permet
de créer un équilibre et un ordre social
plus humains. En ce sens, j’encourage
les décideurs financiers et les
gouvernants de vos pays, à considérer
les paroles de saint Jean Chrysostome:
Ne pas faire participer les pauvres à ses
propres biens, c’est les voler et leur
enlever la vie. Ce ne sont pas nos biens
que nous détenons, mais les leurs. »
« Il serait donc souhaitable de
réaliser une réforme financière qui soit
éthique et qui entraînerait à son tour
une réforme économique salutaire pour
tous. Celle-ci demanderait toutefois un
Le pape et la crise financière 67

changement courageux d’attitude des


dirigeants politiques. Je les exhorte à
faire face à ce défi, avec détermination
et clairvoyance, en tenant certes
compte de la particularité des
contextes. L’argent doit servir et non
pas gouverner. Le Pape aime tout le
monde, les riches comme les pauvres.
Mais le Pape a le devoir au nom du
Christ, de rappeler au riche qu’il doit
aider le pauvre, le respecter, le
promouvoir. Le Pape appelle à la
solidarité désintéressée, et à un retour
de l’éthique pour l’humain dans la
réalité financière et économique. Pour
sa part, l'Eglise œuvre toujours pour le
développement intégral de toute
personne. En ce sens, elle rappelle que
le bien commun ne devrait pas être un
simple ajout, un simple schéma
conceptuel de qualité inférieure inséré
dans les programmes politiques. Elle
encourage les gouvernants à être
vraiment au service du bien commun de
leurs populations. Elle exhorte les
dirigeants des entités financières à
prendre en compte l’éthique et la
solidarité. Et pourquoi ne se
tourneraient-ils pas vers Dieu pour
s’inspirer de ses desseins? Il se créera
alors une nouvelle mentalité politique
et économique qui contribuera à
68 Une seule chose te manque

transformer l’absolue dichotomie entre


les sphères économique et sociale en
une saine cohabitation. »
François et donc comme Benoît XVI.
Plus particulièrement, les médias avaient
aussitôt remarqué sa simplicité. Ils ont
rapporté que le cardinal Jorge Bergoglio,
ancien archevêque de Buenos Aires, devenu
pape, demanda à ses compatriotes qui
voudraient aller à Rome à son intronisation de
ne pas faire une si lourde dépense mais de
destiner l’argent pour l’aide des pauvres.
Les médias rappelèrent aussi comment,
après le conclave, il est allé lui-même payer
les frais de l’hôtel Paul VI où il avait logé. Il
aurait expliqué : « C’est parce que je veux
qu’il soit bien clair que le pape ne profite pas
du tout des biens de l’Église1.»
Quand on lit davantage sur le cardinal
Jorge Maria Bergoglio, on ne s’étonne pas. On
sait, par exemple, qu’il n’a pas de domestique
ni de chauffeur parce qu’il n’a pas de voiture
personnelle. Il emprunte volontiers les
transports en commun et il mange avec les

1
http://www.zenit.org/fr/articles/nous-sommes-
sortis-des-reperes-
europeens?utm_source=feedburner&utm_mediu
m=feed&utm_campaign=Feed%3A+zenit%2Ffr
ench+%28ZENIT+French%29.
Le pape et la crise financière 69

pauvres des bidonvilles de Buenos Aires dans


leurs maisons…
On pourrait penser que ce sont là de
petits détails de la vie privée et du
tempérament ou du caractère d’un individu et
qui n’engagent donc pas la fonction qu’il va
occuper désormais, celle de pape, qui
demanderait un certain luxe, une certaine
« grandeur ».
Parlant aux journalistes réunis dans la
Salle Paul VI le samedi 16 mars, trois jours
après son élection, le tout nouveau pape
confie :
« Nombreux sont ceux qui, ignorant
pourquoi je me suis appelé François, ont
pensé à François-Xavier, à François de Sales
et à François d'Assise. Voici les faits: dans la
Sixtine j'avais à côté de moi le Cardinal
Claudio Hummes, l'ancien Archevêque de Sao
Paulo et ancien Préfet de la Congrégation
pour le clergé, un grand ami, vraiment un
grand ami! Lorsque les choses sont devenues
dangereuses pour moi, il m'a rassuré et
encouragé. Et lorsqu'on est arrivé aux deux
tiers des votes, et que les cardinaux ont
applaudi le Pape élu, cet ami m'a dit en
m'embrassant: N'oublie jamais les pauvres!
Ceci s'est imprimé dans mon esprit et j'ai
immédiatement pensé au Poverello. J'ai pensé
aux guerres, alors que le scrutin reprenait
70 Une seule chose te manque

jusqu'à un vote unanime, j'ai pensé à


François, l'homme de la paix, l'homme qui
aimait et protégeait la nature. Alors que
l'humanité a un rapport tellement médiocre
avec la création! Il est l'homme diffusant
l'esprit de la paix, l'homme pauvre. Combien
je désire une Eglise pauvre pour les pauvres!
Un cardinal m'a dit: ‘Tu devrais
t'appeler Adrien parce que Adrien VI fut un
réformateur. Et nous avons besoin de
réformer’ l'Eglise. ‘Un autre de choisir celui
de Clément. Mais pourquoi? Parce qu'en
devenant Clément XV tu vengerais l'affront de
Clément XIV qui avait supprimé la
Compagnie de Jésus’. Et "j'ai choisi François,
le nom de mon cœur'1 ».
On pensait bien d’emblée qu’en se
donnant le nom de François, le cardinal
Bergoglio invitait l’Eglise entière au mode de
vie de simplicité, d’humilité et de pauvreté.
On peut le penser en se rappelant que les
cardinaux qui l’ont élu ont fait avec lui un état
des lieux de l’Eglise où l’appel à la pauvreté
et à un meilleur rapport à l’argent ne pouvait
manquer. Lors des « congrégations
générales », les cardinaux ont évoqué les
« vatileaks », les révélations entourant les
dernières années de la vie de l’Eglise. On a

1
http://visnews-fr.blogspot.com/2013/03/une-
eglise-pauvre-pour-les-pauvres.html
Le pape et la crise financière 71

ainsi parlé notamment d’une crise autour de la


gestion de la Banque du Vatican, l’Institut des
Œuvres de Religion (IOR). Il semble que
l’Eglise soit invitée, aujourd’hui comme
toujours, à mieux définir sa gestion de
l’argent, et à éviter toute compromission dans
le blanchiment d’argent sale.
12. Le poids de la
famille

Les personnes consacrées de la RDC se


sentiront particulièrement interpellées par le
style de vie du nouveau pape. Beaucoup se
disent tourmentées dans leur rapport à
l’argent.
Dans une enquête menée à Kinshasa,
Paul Nanfanck relève que les consacrés sont
préoccupés par l’argent, le tribalisme, la
pauvreté, la mondialisation, le pouvoir,
l’interculturalité, la vocation, l’outil de
communication, l’obéissance, le sexe, le
manque de personnalité, la sorcellerie,
l’environnement, la joie. Les thèmes suivent
un ordre décroissant, mais l’auteur, les
regroupant, retient la série « argent-pauvreté-
pouvoir ». La course au pouvoir dans les
congrégations religieuses s’apparenterait à
celle de la société politique convoitant
74 Une seule chose te manque

l’argent, tandis que le vœu de pauvreté


n’éloigne pas des souffrances de la famille,
qui « constitue bien souvent un poids1 » à ce
sujet. C’est que dans certaines communautés,
« il faut être riche pour être valorisé2 », et face
à la crise financière, certains supérieurs
« perdent le sens du service, dilapident
l’argent et les biens de la communauté en
faveur de leur famille biologique ou famille
élargie3 ».
L’auteur explique pourquoi la pression
de la famille sur le consacré dans son idéal de
pauvreté. La pauvreté économique
généralisée laisse passer le monde des
consacrés comme « la classe moyenne, la
classe intermédiaire qui peut servir de pont
entre les nantis et les pauvres4 » et dont les
membres sont bien « un investissement pour
le bien de la famille5 ». Paul Nanfanck

1
Paul NANFACK, « Incidence(s) de la vision
africaine du monde sur la Vie consacrée », dans
L’identité des consacrés à l’épreuve de nos
cultures. Actes du 2e Colloque national sur la Vie
consacrée en R.D. Congo, Kinshasa, du 25
janvier au 2 février 2009, Médiaspaul, Kinshasa,
2010, p. 31
2
Ibidem.
3
Ibid.
4
Ibid, p. 37.
5
Ibid, p. 38.
Le poids de la famille 75

dénonce aussi une « culture de prédation qui


circule dans nos veines1 ».
Mon confrère Mick Ngundu a publié en
1996 la brochure au titre bien explicite :
Pauvreté religieuse et aide aux parents. Dans
le contexte congolais et africain, il posait déjà
la question du « témoignage évangélique »
que peut représenter la vie consacrée avec le
vœu de pauvreté « à cause de la disparité des
conditions de vie des religieux et des pauvres
économiques au sein d’une même société2 ».
Et il rappelait les devoirs de chacun au nom du
quatrième commandement du Décalogue :
« Honore ton père et ta mère ! »
Comment le religieux africain honore-
t-il concrètement ses parents pauvres en
vivant lui-même le vœu de pauvreté ? La
réponse n’est pas évidente. Le jésuite Charles
Ngenzhi, du haut de sa longue expérience, a
écrit que beaucoup de jeunes Africains en
deviennent même littéralement fous. Le
détournement du bien commun n’est alors
qu’un épiphénomène dans la longue série des
difficultés à affronter.
Jésus a dit : « Des pauvres, vous en avez
toujours avec vous, mais moi vous ne m’avez

1
Ibid., p. 36.
2
Mick NGUNDU, Pauvreté religieuse et aide aux
parents, Baobab, Kinshasa, 1996, p. 6.
76 Une seule chose te manque

pas pour toujours » (Jean 12,8). Ces pauvres


de toujours ne seraient-ils pas surtout ceux de
la famille la plus proche ?
La question soulevée se pose de même
partout. Les solutions proposées ici ou là
varient suivant les pays et les congrégations.
La crise financière n’aura rien ajouté de bien
nouveau à une question aussi vieille que le
début de la vie consacrée ou de
l’évangélisation en Afrique. Il y a longtemps
maintenant déjà que les diocèses de la RDC en
faillite peinent à se tirer d’affaire. Avant la
crise économique mondiale, les congrégations
religieuses auront tout tenté pour
« l’autofinancement » et le
« développement ». Elles peuvent aujourd’hui
mesurer combien elles manquent de
personnes compétentes pour la gestion
économique et financière. Beaucoup se
rendent compte que ne pas être un voleur ne
suffit pas. Les finances ne se porteront pas
bien avec la seule vertu morale. C’est à tort
que parfois on accuse les gouvernants de nos
pays. Ils sont souvent incompétents et pas
toujours voleurs.
La misère du peuple est d’abord
l’ignorance. Pendant que le jeune Congolais
ou la jeune Congolaise s’initie au grand
séminaire ou dans un noviciat et apprend le
sens chrétien de la pauvreté et s’y exerce
même, il n’est pas impossible que ses parents
Le poids de la famille 77

lisent plutôt le contraire dans le grand livre de


la vie. A quel moment a-t-on expliqué aux
parents à se méfier des apparences de la
richesse de l’Eglise ou des congrégations et
diocèses ? A quoi leurs enfants s’engagent-ils
réellement dans la pratique du célibat, de la
pauvreté et de l’obéissance ?
S’ils avaient reçu une information
suffisante sur la vie et le ministère des prêtres,
sur les implications des vœux religieux,
certains parents se seraient préservés des
malentendus et difficultés. Si cela dépendait
d’eux, beaucoup auraient dissuadé leur enfant
à « s’offrir » dans une vie sans réelle certitude
du lendemain et surtout sans garantie de
retombées matérielles pour la famille. La foi
ne manque certes pas dans certaines familles,
et seules celles-là, ou les membres influents
parmi les parents auraient « offert »
réellement leur enfant à Dieu et à l’Eglise,
n’attendant pas en retour de gages au nom du
quatrième commandement.
La misère du peuple, c’est aussi de
prendre le chemin inverse des béatitudes et de
l’ensemble du Sermon sur la montagne. D’où
le succès des Eglises de réveil, qui promettent
dès ici-bas un royaume de lait et de miel,
escamotent le chemin de la croix et oublient
de chercher d’abord le Royaume de justice et
de paix. Mais le Royaume doit advenir ici sur
terre. Il est ici et il n’y est pas encore.
78 Une seule chose te manque

Les vœux de religion sont des voies de


bonheur, de joie, de paix. Mais comme dans
nos contes et légendes, il faut se méfier des
chemins trop faciles, trop bien aménagés.
Le conseil évangélique pour le
détachement des biens matériels et la
confiance en Dieu mérite un bon chapitre dans
la catéchèse et la prédication d’aujourd’hui.
Le conseil est adressé à tout chrétien et non
seulement aux prêtres, religieuses et religieux.
Mais nul n’entendra ce conseil s’il n’a
pas la foi, s’il ne se risque pas de prendre au
sérieux l’histoire, la vie et l’enseignement
d’un certain Jésus.

Voilà pourquoi je vous dis : Ne vous


inquiétez pas pour votre vie de ce que vous
mangerez, ni pour votre corps de quoi
vous le vêtirez. La vie n’est-elle pas plus
que la nourriture, et le corps plus que le
vêtement ? Regardez les oiseaux du ciel :
ils ne sèment ni ne moissonnent, ils
n’amassent point dans des greniers ; et
votre Père céleste les nourrit. Ne valez-
vous pas beaucoup plus qu’eux ? Et qui
d’entre vous peut, par son inquiétude,
prolonger tant soit peu son existence ? Et
du vêtement, pourquoi vous inquiéter ?
Le poids de la famille 79

Observez les lis des champs comme ils


croissent : ils ne peinent ni ne filent, et, je
vous le dis, Salomon lui-même, dans toute
sa gloire n’a jamais été vêtu comme l’un
d’eux. Si Dieu habille ainsi l’herbe des
champs, qui est là aujourd’hui et qui
demain sera jetée au feu, ne fera-t-il pas
bien plus pour vous, gens de peu de foi !
Ne vous inquiétez donc pas en disant :
« Qu’allons-nous manger ? qu’allons-
nous boire ? de quoi allons-nous nous
vêtir ? » -Tout cela, les païens le
recherchent sans répit-, il sait bien, votre
Père céleste, que vous avez besoin de
toutes ces choses. Cherchez d’abord le
royaume et la justice de Dieu, et tout cela
vous sera donné par surcroît. Ne vous
inquiétez donc pas pour le lendemain : le
lendemain s’inquiétera de lui-même. A
chaque jour suffit sa peine » (Matthieu
6,25-34).
13. Notre pain de ce
jour

Le Catéchisme de l’Eglise catholique


donne quatorze références au mot Providence
alors que, sur la même page de l’index
thématique, on peut constater que Prudence
n’en a que juste la moitié. Croire en la
Providence divine, c’est bien aussi refuser une
certaine prudence trop humaine, qui oublie de
compter sur Dieu.
La vie sacerdotale et consacrée ne tient-
elle pas essentiellement à la Divine
Providence plus qu’à notre savoir-faire, à
notre compétence, au mérite et à
l’engagement dans le travail et toute prise de
la responsabilité ? Sinon, le Seigneur ne se
jouera-t-il pas de nous comme de Pierre à qui
il demande de jeter les filets après une nuit de
vain travail (Luc 5,1-11) ?
82 Une seule chose te manque

En août 1978, à Idiofa, un voleur s’est


emparé de toute ma mallette préparée pour
mon entrée, trois jours plus tard, au noviciat
d’Ifwanzondo. J’ai commencé mon noviciat
avec les seuls habits que je portais sur moi. Un
ami m’a remis une chemise et un autre, un
pantalon, avant que le maître du noviciat ne
demande à l’économe de me procurer un
troisième pantalon et une troisième chemise.
Outre la soutane portée lors de la prise d’habit,
j’en ai reçu une autre « oubliée » par un vieux
missionnaire belge. Nous portions
principalement la soutane presque toute la
journée ! Et toute l’année s’est déroulée sans
besoin de vêtement supplémentaire.
Voilà comment la Providence s’est
imposée. « Qu’as-tu que tu n’aies reçu ? » (1
Corinthiens 4,7), demande saint Paul aux
Corinthiens tentés par l’orgueil.
Trente-cinq ans après l’entrée au
noviciat, je constate avoir tout reçu de la
Famille de Dieu, l’Eglise, dont le segment le
plus immédiat pour moi est l’institut des
Missionnaires oblats de Marie Immaculée.
J’ai tout reçu de la Providence divine, qui se
sert de tous ceux qui me reconnaissent comme
disciple du Christ, comme prêtre et religieux.
J’ai tout reçu, du point de vue matériel,
spirituel et intellectuel. Et s’il m’est arrivé de
partager avec mes frères et sœurs, proches et
Notre pain de ce jour 83

lointains, dans la grande Famille de Dieu et


dans l’humanité, c’est justement ce que le
Seigneur me donne par eux. Et quand j’en ai
trop détenu, je crois que le Seigneur lui-même
s’est arrangé pour me délester. Car les voleurs
et les menteurs, sans compter les mendiants
inoffensifs, peuvent aussi être au service du
Seigneur pour nous amener à vivre la pauvreté
évangélique.
Trente-cinq ans plus tard, comment ne
pas me sentir toujours redevable à la
Providence ? Aurais-je besoin de remonter
jusqu’au don de la vie elle-même et de ne pas
oublier les provisions du Seigneur pour
l’enfant orphelin de mère dès l’âge de six ans ?
Au noviciat, j’ai beaucoup lu de vies de
saints marqués par la Providence, surtout ceux
qui ont reconnu avoir de grands besoins pour
soulager la misère des pauvres. La leçon est
invariablement la même. Elle se résume dans
la prière du Notre Père : « Donne-nous
aujourd’hui notre pain de ce jour. »
Et pour me rassurer davantage, je
méditerai toujours volontiers l’échange entre
Pierre et Jésus :
« Pierre se mit à lui dire : ‘Eh bien !
nous, nous avons tout laissé pour te suivre.’
Jésus lui dit : ‘En vérité, je vous le déclare,
personne n’aura laissé maison, frères, sœurs,
mère, père, enfants ou champs à cause de moi
84 Une seule chose te manque

et à cause de l’Evangile, sans recevoir au


centuple maintenant, en ce temps-ci, maisons,
frères, sœurs, mères, enfants et champs, avec
des persécutions, et dans le monde à venir la
vie éternelle. » (Marc 10,28-30)
14. Prière pour
persévérer
dans sa
vocation

Dieu tout-puissant et éternel, vous


avez daigné m’appeler, sans aucun mérite
de ma part, mais par l’effet de votre seule
miséricorde, à faire partie de la
Congrégation de l’Immaculée Vierge
Marie.
Je vous en supplie humblement, par
les mérites et le sang précieux de notre
Sauveur, par l’intercession de la
bienheureuse Marie conçue sans péché et
de mes autres saints patrons, accordez-
moi la grâce d’être fidèle à cette sainte
vocation.
Qu’aucun effort de l’ennemi ne
l’affaiblisse, que la chair ne la corrompe,
que l’amour de mes parents et les conseils
des miens ne m’en détournent ; que la
crainte des difficultés ne me retienne de la
suivre, que la vanité du monde ne m’en
écarte, que la perversion de la société ne
86 Une seule chose te manque

la trouble, que mes propres passions ne


l’entravent, que l’épreuve ne la brise, que
la tentation du diable ne l’égare.
Et puisque vous m’avez donné la
grâce de vouloir, donnez-moi celle de
pouvoir, et de réaliser cet idéal de la façon
qu’il vous plaira.
Donnez-moi en particulier, ô Dieu
très bon, les dispositions requises dans ce
but, une confiance filiale à l’égard de mes
pères spirituels, afin que, jusqu’à une fin
bienheureuse, pour mon salut, pour celui
des âmes des autres et surtout pour votre
gloire, je puisse travailler sans
défaillance. Amen.
(Saint Eugène de Mazenod, vers
1840)
15. Bénédiction du
pape Benoît XVI
88 Une seule chose te manque
Notre pain de ce jour 89

16.Lettre de félicitations
du Supérieur général
des Missionnaires
oblats, le père Louis
Lougen
90 Une seule chose te manque
Conclusion

Ce que beaucoup n’ont jamais osé me


demander alors qu’ils le pensent bien, je le
sais sans avoir besoin de lire dans leurs
pensées : pourquoi n’ai-je pas construit une
maison pour moi ? Pourquoi n’ai-je pas fait de
« développement » pour mon village ou ma
famille ?
Kasongo m’a posé la question de but en
blanc, profitant de la première occasion à lui
offerte de me rencontrer. Kasongo est un ami
d’enfance. La vie nous a fait prendre chacun
son chemin, mais dans le cœur de l’un et de
l’autre, nous sommes restés ces petits copains
d’une dizaine d’années qui avions partagé
beaucoup de notre enfance.
Lorsque le soir tombait, dans notre
village, et que le tam-tam appelait à la danse,
suivant notre rituel à nous, avec Emmanuel,
92 Une seule chose te manque

un troisième copain, nous commencions par


échanger nos chemises. Nous étions donc
méconnaissables.
Kasongo a certainement continué avec
ce travestissement. Il a pris le nom de
Kasongo bien plus tard, et loin du village.
Pourquoi ? Je l’ignore, je constate seulement
qu’il a changé de nom. Mais pour moi, il est
resté le même. Pour lui aussi, je suis resté sans
doute le même, malgré la soutane et le reste.
Et c’est pourquoi il me posa la question que
beaucoup n’auraient peut-être pas osée.
J’ai répondu tout de go en expliquant à
Kasongo qu’il se trompait sur mon compte.
Que j’ai bien fait de longues études, mais que
je n’étais pas aussi riche qu’on pouvait penser.
Je l’ai sans doute déçu. Mais comment aurais-
je pu faire autrement ?
Depuis les dernières danses à la tombée
de la nuit et la fin de l’école primaire, nos
chemins se sont séparés. Ce que j’ai appris, il
l’ignore. Pour sa part, il est allé chercher
fortune dans la ville de Tshikapa puis en
Angola, mais visiblement, il n’est pas le plus
riche de notre génération.
A Kasongo comme à mes parents et
proches, je ne peux que représenter la
déception que beaucoup endurent. En réalité,
c’est moi qui me demande pourquoi ils
continuent à attendre que je construise une
Conclusion 93

maison, que j’achète un véhicule, que


j’apporte le développement matériel au
village… Kasongo a même fait le compte de
prêtres originaires de notre village : sept.
Or, un médecin originaire du village y
passe aussi souvent. En sa présence, des
villageois affluent. Chacun y va de son récit
de maladie. Les visites deviennent des séances
de consultation gratuite. Le médecin est là
pour soigner et guérir. Et le prêtre ? Suis-je là
comme celui qui a pour profession de compter
de l’argent ? Ai-je jamais prétendu avoir fait
d’études commerciales, financières,
économiques ?
En France, la mère du jeune Eugène de
Mazenod avait éprouvé la même déception,
elle qui rêvait de la dot… de son fils
aristocrate. Jésus de Nazareth précède
beaucoup d’autres dans cette histoire de
l’humanité.
A mon ami Kasongo, je voudrais dire
toute mon amitié. Et avouer que tout compte
fait, je poursuis le geste de notre enfance : ne
pas tenir tant à ma chemise.
Après vingt-cinq ans de sacerdoce, on
entend mieux résonner les paroles de Jésus,
bon maître : une seule chose te manque ; va,
suis-moi…
94 Une seule chose te manque

J’aurais tant voulu que Kasongo me


taquine un jour sur des choses de Dieu. Qu’il
se rappelle avec moi, par exemple, le curé de
notre village, de qui nous avons reçu la
première communion. C’est depuis ce temps-
là que j’ai désiré, pour ma part, devenir prêtre.
La veille de la première communion, je
n’avais pas trouvé de sommeil. J’attendais
tellement le matin…
Bien sûr que pour beaucoup, Louis
Sebreghts était l’homme blanc qui avait
apporté le « développement ». Il avait
organisé les villageois en « coopérative ».
Certains se sont construit des maisons avec
tôles et ciment. La coopérative s’est constitué
un troupeau de vaches. Mais la plupart des
gens, en tout cas, remercient Dieu pour ce
prêtre. Il était « un homme au cœur bon ».
Table des matières

AVANT-PROPOS ................................................ 9
1. UNE SEULE CHOSE TE MANQUE .............. 13
2. GUERIR DE L’ARGENT .............................. 17
3. « ON NE PENSE QU’A ÇA » ...................... 19
4. « L’ARGENT A CIRCULE » ......................... 23
5. UNE PHILOSOPHIE DE L’ARGENT ............. 31
6. LEÇON BENINOISE : DESHONORER
L’ARGENT ................................................ 37
7. QUESTION DE SAGESSE ........................... 41
8. L’ARGENT DE DIEU .................................. 45
9. DE L’ARGENT DE POCHE POUR JESUS ? ... 51
10. SAINT PAUL ET LE TRAVAIL DE SES
MAINS ..................................................... 57
11. LE PAPE ET LA CRISE FINANCIERE
MONDIALE .............................................. 63
12. LE POIDS DE LA FAMILLE ......................... 73
13. NOTRE PAIN DE CE JOUR ......................... 81
96 Une seule chose te manque

14. PRIERE POUR PERSEVERER DANS SA


VOCATION............................................... 85
15. BENEDICTION DU PAPE BENOIT XVI ........ 87
16. LETTRE DE FELICITATIONS DU
SUPERIEUR GENERAL DES MISSIONNAIRES
OBLATS, LE PERE LOUIS LOUGEN ............. 89
CONCLUSION ................................................... 91

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