Resume Un Certain Juif Jesus de Meier

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John P.

Meier

Un certain
juif
Jésus
Les données de l’histoire
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Notes de Jean-Louis Angué sur les 3.804 pages des cinq tomes de l’œuvre de John P. Meier
«Un certain Juif Jésus. Les données de l’histoire» (Cerf 2005-2018). Imprimé en juillet 2020.
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I. Les sources, les origines, les dates


Cerf 2005, 494 p.

Introduction
Ce livre sur la question du Jésus historique se veut une recherche raisonnée en vue
d’atteindre, autant qu’il est possible, la vérité sur «ce que nous savons» de Jésus ( «ce que
nous croyons»), donc sans le recours à la foi, bien qu’écrit par un catholique.
Jésus a été un «marginal» :
* il a été insignifiant pour l’histoire nationale et mondiale ;
* son exécution en a fait un exclu du monde juif et du monde romain ;
* il s’est marginalisé lui-même, quittant son métier et son village, pour se faire prédicateur
itinérant ;
* certains de ses enseignements ou pratiques (divorce, jeûne, célibat) sont personnels,
proclamés avec autorité ;
* sa vie et son enseignement étaient perçus comme insultants pour beaucoup ;
* ce laïc pauvre, galiléen, révolutionnaire, ne pouvait être que contesté et exclu par les prêtres,
riches et de Jérusalem.
Ce livre se compose de deux registres (texte de base = 262 pages et notes techniques = 200
pages) et comprendra quatre parties :
* définitions, méthodes et sources (livre I) ;
* naissance, croissance, milieu culturel (livre I) ;
* ministère public décrit selon les principales actions : proclamation du Royaume de Dieu
(RD), partage des repas avec les pécheurs, miracles, rapport à la Loi, paraboles… (livres II,
III, IV et V) ;
* crucifixion et ensevelissement (mais pas la résurrection qui est de l’ordre de la foi), avec un
épilogue sous forme de réflexion historico-théologique (livre VI ?).
(En fait les éditions du Cerf ont publié le cinquième et dernier tome sur les paraboles en 2018,
et il reste encore deux tomes à paraître, sur les titres de Jésus et sur sa mort. Mai 2020…).

I. Les racines du problème


I. Le Jésus réel et le Jésus historique
Le Jésus réel n’est pas le Jésus historique et inversement.
- Malgré toutes les archives, impossible de reconstituer toute la réalité d’une personne ayant
vécu au XXe siècle.
- Avec Jésus, l’immense majorité de ses actes et paroles d’avant le ministère public (et même
après) sont perdus. Donc le Jésus réel est introuvable.
- Ceci est vrai de tous les personnages de l’Antiquité, ce qui ne signifie pas qu’ils n’aient pas
existé, mais que notre connaissance restera limitée.
- On peut cependant établir un portrait «raisonnablement complet», mais pas pour tous les
personnages de l’Antiquité, en tout cas pour Jésus : on ne peut connaître que le Jésus
«historique».
- Le Jésus historique (ou «de l’histoire») est celui que l’on peut retrouver à partir des outils
scientifiques de la recherche historique moderne, qui a commencé au XVIIIe siècle avec les
Lumières.
- La distinction entre «historisch» (simple fait) et «geschichtlich» (événement durablement
marquant) n’est pas pertinent car les deux termes s’interpénètrent.
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II. Les sources : les livres canoniques du Nouveau Testament (NT)


- La principale source de nos connaissances sur le Jésus historique est aussi le principal
problème, car les quatre évangiles ne sont pas des biographies, mais des témoignages de foi.
De plus deux évangiles présentent un Jésus adulte (Mc et Jn) et les deux chapitres de Mt et
Lc sur son enfance sont d’une historicité discutée.
- Donc il est impossible d’écrire une biographie à partir de quelques événements situés dans
trois-quatre années d’une existence et sans ordre défini, mais regroupés sous forme de
collections (controverses, miracles, paraboles).
- On n’est même pas sûr de la formulation exacte des paroles de Jésus (v.g. les quatre versions
des paroles sur le pain et le vin à la Cène, en Mc 14, 22-25 ; Mt 26, 26-29 ; Lc 22, 19-20 ; 1
Co 11, 23-26) ; et il n’a pas dit ces paroles, pourtant essentielles, plusieurs fois (cf. les
versions du Notre Père ou des Béatitudes).
- Marc a composé d’abord aux environs de 70. Matthieu et Luc l’ont fait indépendamment
entre 80 et 90, à partir de Mc et d’une collection Q. Donc Mc et Q permettent d’établir des
comparaisons et vérifications. Jean, quant à lui, vient d’une source indépendante. On a donc
trois sources : Mc, Q, Jn + deux sources secondaires : Mt et Lc.
- Saint Paul, surtout intéressé par le mystère pascal, parle peu de la vie de Jésus. Il ne cite que
deux paroles de Jésus (1 Co 7, 10 et 9, 14). Le reste du NT nous renseigne encore moins.
III. Les sources : Flavius Josèphe
- En dehors des évangiles, très peu de références à Jésus, parce qu’il était un juif marginal, à
la tête d’un mouvement marginal, dans une province marginale de l’empire romain.
- Le plus important témoin est un juif aristocrate, Flavius Josèphe ((37-100 après J.C.) ou
Joseph ben Mattias, auteur de «La Guerre des Juifs» (après 70) et «Les Antiquités juives» (93-94).
- Il faut éliminer une interpolation chrétienne dans un manuscrit slavon de La Guerre des
Juifs. Mais un passage des Antiquités juives (20, 9, 1) parle de la comparution d’un «frère de
Jésus - appelé le Messie, qui avait pour nom Jacques». Ce Jacques est appelé par les
premiers chrétiens «frère du Seigneur». Ce texte est certainement authentique.
- Un deuxième texte, plus long et plus controversé, vient des Antiquités juives (18, 3.3) : le
Testimonium flavianum : «Vers le même temps, survient Jésus, le sage, si toutefois il faut le
dire homme. Il était en effet faiseur de prodiges, le maître de ceux qui reçoivent avec plaisir
des vérités. Il gagna beaucoup de Juifs et aussi beaucoup du monde hellénistique. C’était le
messie (le Christ). Et Pilate, l’ayant condamné à la croix, selon l’indication des premiers
d’entre nous, ceux qui l’avaient d’abord chéri ne cessèrent pas de le faire. Il leur apparut en
effet le troisième jour, vivant à nouveau, les divins prophètes ayant prédit ces choses et dix
mille merveilles à son sujet. Et jusqu’à présent la race des chrétiens, dénommée d’après
celui-ci, n’a pas disparu» (texte grec en note 21 ; mots soulignés = interpolations chrétiennes).
- Ce texte est le plus important, en dehors des évangiles, pour fonder l’existence de Jésus au
premier siècle de notre ère.
IV. Les sources : autres écrits païens et juifs
- Tacite (56-118 ?) parle des chrétiens soupçonnés par Néron d’être responsables du grand
incendie de Rome dans ses Annales 15.44 : «Ce nom leur vient du Christ que, sous le
principat de Tibère, le procurateur Ponce Pilate avait livré au supplice…»
- Dans ce texte sur l’exécution des chrétiens par Néron, Tacite dit trois choses sur Jésus :
* il fixe la mort du Christ sous Tibère (14-37) pendant le gouvernorat de Pilate (26-36) ;
* la mort est ordonnée par le gouverneur romain, donc sans doute par crucifixion ;
* cette exécution a éliminé temporairement le dangereux mouvement des chrétiens.
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- Josèphe et Tacite sont les seuls témoins indépendants du début de l’ère chrétienne sur
l’existence, le ministère, la mort et l’influence ultérieure de Jésus. Les autres, Suétone (69 ?-
122 ?), Pline le Jeune (61 ?-112 ?) et Lucien de Samosate (115-200) ne rapportent que des
informations sur les premiers chrétiens.
- Les autres sources juives (Qumrân, Mishna, Talmud…) ne contiennent aucune information
sur Jésus de Nazareth; d'ailleurs elles datent du deuxième siècle.
V. Les sources : agrapha et évangiles apocryphes
- Les paroles et actes non écrits (agrapha) ont été mis par écrit par la suite, mais on ne les
retrouve dans aucun des évangiles canoniques. Ce sont des légendes… même les dix-huit
textes possibles que Jeremias essaie de sauver.
- De même les évangiles «apocryphes» sont un vrai fourre-tout, dont on ne peut pas tirer
grand-chose. D’ailleurs beaucoup ne sont pas des évangiles, c’est-à-dire des œuvres dont le
contenu, la forme et la fonction visent Jésus et son œuvre de salut.
- Il en va de même des matériaux de Nag Hammadi, postérieurs aux évangiles, en particulier
l’Évangile de Thomas, gnostique.
VI. Les critères : comment déterminer ce qui vient de Jésus ?
Les évangiles ont été imprégnés de la foi pascale de l’Église primitive et ont été écrits entre
40 et 70 ans après les événements qu’ils rapportent. Comment distinguer :
* ce qui vient de Jésus (stade I : 28-30 après J.C.) ;
* ce qui vient de la tradition orale de l’Église primitive (stade II : 30-70) ;
* ce qui vient du travail rédactionnel des évangélistes (stade III : 70-100) ?
Quels sont les règles d’évaluation ou les critères pour parvenir à des jugements d’historicité
évoluant du simplement possible au réellement probable ? Meier en énumère cinq principaux
et cinq secondaires (ou douteux).
Cinq critères principaux
1. Le critère d’embarras
- Il s’agit de paroles ou actes qui auraient dû mettre dans l’embarras l’Église primitive : ainsi
le baptême de Jésus par J.B. ou la non connaissance par Jésus du jour et de l’heure de la fin
(à tel point que des manuscrits ont omis la mention «ni le Fils ne la connaît»).
- Voir aussi la trahison de Judas, le reniement de Pierre, la crucifixion par les Romains…
- Cependant ce critère est assez rare (il ne suffirait donc pas) et il peut varier au cours des âges
(v.g. le cri de déréliction sur la croix, qui est plus de douleur que de désespoir…).
2. Le critère de discontinuité
- Il s’applique aux paroles et actes qui ne peuvent dériver ni du judaïsme du temps de Jésus, ni
de l’Église primitive.
- V.g. l’interdiction du serment (Mt 5, 34-37), le refus du jeûne (Mc 2, 18-22), l’interdiction
du divorce (Mc 10, 2-12).
- Ce critère sur le caractère unique ou peu habituel est à manier avec précaution, car il est
pratiquement impossible de remonter aux ipsissima verba…
3. Le critère d’attestation multiple
- Il s’agit des paroles et actes attestés dans plus d’une source indépendants (Mc, Q, Jn, Paul)
ou dans plus d’un genre littéraire (parabole, controverse, récit de miracle, prophétie,
aphorisme) ou les deux combinés. V.g. les paroles sur le pain et le vin à la Cène,
l’interdiction du divorce.
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- Mais c’est la convergence des critères qui est le meilleur indicateur d’historicité.
4. Le critère de cohérence
- Il s’agit de la cohérence d’actes ou paroles avec la «base de données» établie à partir des
trois précédents critères.
- Ce critère a une valeur positive, mais son usage négatif est problématique : comment en effet
décider si le centre du message de Jésus est eschatologique ou non ?
5. Le critère du rejet et de l’exécution
- Ce critère très différent vise à vérifier quels sont les actes et paroles qui ont conduit à la fin
violente de Jésus.
- «Un Jésus qui ne s’aliènerait pas les gens par ses paroles et ses actes, et en particulier les
puissants, n’est pas le Jésus historique».
Cinq critères secondaires (ou douteux)
6. Le critère des traces d’araméen
- Comment savoir si un substrat araméen vient de Jésus en 29 ou d’un juif chrétien en 33 ? De
plus la traduction en grec a-t-elle cherché l’élégance ou la littéralité ?
- D’autant que la pratique de la Koinè et la connaissance de la Septante compliquent encore
les choses…
7. Le critère d’environnement palestinien
- Quand des paroles de Jésus laissent transparaître des coutumes, croyances, pratiques de la
Palestine du premier siècle.
- Mais c’est la forme négative qui a le plus de chance de conduire à l’authenticité : ce qui
n’existe qu’en dehors de la Palestine ou seulement après la mort de Jésus doit être considéré
comme non de Jésus (v.g. les paraboles sur le retard de la parousie, les logia sur la mission
aux Gentils, qui sont des créations postpascales).
8. Le critère de narration vivante
- Surtout pour l’évangile de Marc. Mais le pittoresque n’est pas gage d’historicité.
9. Le critère des tendances du développement de la tradition synoptique
- On cherche à définir ce qui est à l’origine de ce développement : détails plus concrets, ajouts
de noms propres, passage du discours indirect au direct, etc.
- Mais ces lois s’appliquent à la rédaction des évangiles, non à l’origine même.
10. Le critère de présomption d’historicité
- Qui a raison : celui qui conteste l’historicité ou celui qui prend pour historique ce qui est dit ?
- En fait, dans les cas complexes, ce critère n’existe pas.
Conclusion : seule l’utilisation simultanée et prudente de plusieurs critères principaux peut
aboutir à des résultats convaincants.
VII. Conclusion : pourquoi se donner tant de mal ?
La recherche du Jésus historique n’a aucun intérêt pour les croyants, pour qui seul compte de
Seigneur ressuscité vivant dans son Église. Cependant cette recherche peut être utile pour une
foi en quête d’intelligence, en montrant que :
* la foi chrétienne n’est pas un simple message sans contenu, mais l’adhésion à une personne
qui a vécu ; la foi chrétienne n’est ni docète ni monophysite ;
* le Christ a un côté dérangeant et peu recommandable ; cependant le Christ est silencieux sur
des sujets sociaux et politiques brûlants de son temps (a fortiori aujourd’hui !).
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Le Jésus historique est un rempart contre toute idéologie de la foi chrétienne.

II. Les racines de la personne


VIII. Les origines de Jésus de Nazareth
Même si les sources sont minces, on peut, à partir des récits de l’enfance et de nos
connaissances sur la Galilée au temps de Jésus, esquisser un tableau des origines de Jésus et
de son milieu.
1. La signification de «Jésus»
- Yešu ou Yešua est une forme abrégée du grand héros biblique Josué (Yehošua), successeur
de Moïse, qui fit entrer le peuple d’Israël dans la Terre promise. À cause de la vénération
des chrétiens pour Yešu, les juifs abandonnèrent ce nom dès le IIe siècle et revinrent à
Yešuha, Josué.
- Donc à l’époque, c’était un nom commun ; il fallait y ajouter «de Nazareth» ou «le Messie»
pour le distinguer. Il signifiait «Yahvé aide» ou «Yahvé sauve» (cf. Mt 1, 21 «car c’est lui
qui sauvera son peuple»).
- Par ailleurs, les noms de ses père, mère, frères renvoient à l’histoire patriarcale et à l’idée de
restauration des douze tribus, comme le choix des douze apôtres.
2. Naissance et lignage
a) Les sources
- On ne peut pratiquement rien dire de sûr sur l’enfance des personnages historiques du
monde méditerranéen de l’Antiquité.
- Marie, seule survivante au moment du début de la tradition, ne peut être la source unique,
même pas de Luc qui commet des erreurs à propos de sa purification (Lc 2, 22), où il s’agit
d’une présentation théologique de Luc.
- Les sources sont donc différentes de celles concernant le ministère public. De plus, il y a des
contradictions entre Mt et Lc sur les lieux (Bethléem ou Nazareth).
- Que reste-t-il d’historique ? La naissance durant le règne d’Hérode le Grand (37-4 avant
J.C.), vers la fin de son règne. Le père présumé, Joseph. La mère, Marie.
b. Naissance à Bethléem
- Ce lieu pose problème, car Mt 2 et Lc 2 sont les deux seuls textes à soutenir Bethléem ;
aucun écho ailleurs où Jésus est toujours «le Nazaréen».
- Malgré Jean 7, 42 (seule autre source pour Bethléem, mais dans une controverse ironique),
l’opinion la plus répandue pour les Évangiles et les Actes est que Jésus venait de Nazareth
en Galilée. La naissance à Bethléem en Judée ne serait pas un fait historique selon Mt et Lc,
mais un «théologoumène», c’est-à-dire une affirmation théologique selon laquelle Jésus est
le vrai fils de David annoncé par les prophètes, affirmation qu’ils présentent sous la forme
d’un récit historique.
c) Descendance de David
- En fait on ne connaît pas la généalogie de Marie, malgré Lc 1, 5-36. Pour les gens de l’AT
c’est le père légal qui est le vrai père (et non le géniteur) ; c’est donc l’ascendance de Joseph
qui compte.
- Or la lignée davidique est attestée par plusieurs courants : Rm 1, 3-4 ; 2 Tm 2, 8 ; Ac 2, 24-
36 ; Ac 13, 22-37 ; etc.
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- C’est cette croyance qui est à l’origine de la compréhension de la résurrection comme


l’intronisation royale du Fils de David.
d) La conception virginale
- Est-ce aussi un théologoumène, c’est-à-dire une idée théologique présentée sous forme d’un
événement historique ?
- Elle n’est affirmée qu’en Mt 1, 18-25 et Lc 1, 26-38 (naissance à Bethléem et conception
virginale ne se recoupent pas et apparaissent dans deux chapitres différents) ; la conception
virginale est notée de façon plus explicite chez Mt dont le récit est plus centré sur Joseph.
- L’origine ne remonte pas à Isaïe 7, 14, car le mot alma (traduit par parthénos) indique
seulement une femme d’âge nubile et non pas une vierge.
- Cette conception virginale relève d’arguments théologiques et ne peut nullement découler de
la recherche historico-critique.
e) La question d’une naissance illégitime
- Jésus a-t-il été conçu (et né) hors mariage ? Cette position, défendue déjà par Celse au IIe
siècle (178), semble être une réaction parodique de milieux juifs par rapport à Mt.
- Ni Mc 6, 3 ni Jn 8, 41 ne peuvent être interprétés dans le sens d’une naissance illégitime ; ce
serait une rétrospection de débats théologiques ultérieurs (fin du IIe siècle) dans un contexte
plus ancien.
f) Conclusion
Alors qu’on ne peut presque rien dire de sûr sur la naissance et les premières années des
personnages historiques du monde méditerranéen de l’Antiquité, on peut avancer pour Jésus
certains faits avec une relative certitude :
* vers la fin du règne d’Hérode le Grand (7-4 avant J.C.) est né un juif Yešhua ;
* peut-être à Bethléem en Judée, mais plus vraisemblablement à Nazareth en Galilée ;
* en tout cas dans une petite ville du royaume d’Hérode ;
* sa mère se nommait Myriam, son père (présumé) Yošef ;
* sa naissance à Bethléem est peut-être un théologoumène pour symboliser son statut de
Messie royal davidique ;
* il devait être considéré durant sa vie comme un descendant de David ;
* il a grandi à Nazareth et on l’appelle le «Nazaréen» ;
* la tradition de la conception virginale est affirmée deux fois (la contre-tradition d’une
conception illégitime n’est pas attestée clairement avant le milieu du IIe siècle) ;
* y a-t-il quelque chose à savoir sur les «années cachées» : enfance, adolescence et vie adulte
à Nazareth ???
IX. Entre l’enfance et le ministère public 1
I. Langage, formation et statut socio-économique
1. Les années où Jésus a grandi
- On peut énoncer des généralités sur son développement, en fonction de l’analogie. Mais cela
reste vague ; v.g. rien sur sa maturation sexuelle et ses conséquences…
- On peut seulement dire ce qui l’a marqué de l’extérieur : langue, éducation reçue,
profession, statut socio-économique (partie 1) ; ou de l’intérieur : parents, famille (partie 2).
2. Quelle langue parlait Jésus ?
- Il a dû parler la langue des Juifs ordinaires en Palestine car il voulait se faire comprendre.
Mais nous ne savons pas absolument car il n’y a pas d’enregistrement et les inscriptions sont
muettes : grec, araméen, hébreu ???
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- Savoir lire et écrire était une compétence rare, réservée aux scribes ou à une élite
intellectuelle. Or, au début du premier siècle de notre ère, quatre langues étaient en usage en
Palestine : latin, grec, hébreu et araméen.
- Jésus ne parlait sans doute pas le latin, langue du pouvoir des seuls Romains. Peut-être
parlait-il un peu de grec pour les échanges (avec le centurion ou Pilate), mais même Flavius
Josèphe avait du mal avec cette langue…
- D’après Lc 4, 16-20 (à interpréter correctement), Jésus devait avoir une certaine
connaissance de l’hébreu biblique, mais rien n’indique que c’était sa langue courante, à la
différence de l’araméen dont nous avons des attestations sûres : Mc 5, 41 ; Mc 14, 36 :
abba ; Mc 7, 34 : effatah ; Mc 15, 41 : Eloï… Donc surtout l’araméen et un peu l’hébreu et
le grec.
3. Jésus était-il illettré ?
- Même s’il fut un maître, on peut se demander s’il savait lire et écrire, car on peut savoir
quelle fut son instruction dans l’obscur village de Nazareth. Cf. les trois textes clefs qui
prouvent qu’il savait lire et écrire : Jn 8, 6 ; Jn 7, 15 ; Lc 4, 16-30.
- Jn 8, 6 est un texte tardif et ne donne pas de contenu à ce qu’écrit Jésus. Jn 7, 15 vise surtout
le manque de formation de Jésus dans une école réputée. Quant à Lc 4, 16-30 il n’est pas sûr
que cela se soit vraiment passé (comment Jésus aurait-il pu lire dans un rouleau un texte
composite et pris à la Septante ?)…
- En fait nous n’avons qu’un témoignage indirect (Jn 7, 15 : «Comment connaît-il les lettres,
lui qui n’a pas étudié ?») que Jésus savait lire…
- La réflexion sur les modes d’éducation de l’époque ne permet pas d’aller très loin :
concerne-t-elle la période ? S’applique-t-elle à un village comme Nazareth ? Etc.
- En fait, c’est plutôt la manière d’enseigner de Jésus qui permet de penser qu’il était
vraisemblablement capable de lire les Écritures hébraïques, de controverser, de parler
araméen. Jésus a donc dû apprendre, sans doute à la synagogue de Nazareth, mais il n’a pas
eu un grand niveau (compensé par son génie ?). Jésus est un rural, mais un rural pas
ordinaire.
4. Jésus était-il un pauvre charpentier ?
- S’il vient du monde rural, Jésus n’est jamais présenté comme un agriculteur, même si sa
famille a pu cultiver des parcelles de terre, selon les traditions locales (cf. le caractère
agricole plutôt qu’artisanal des paraboles).
- Rural, Jésus vivait dans un village de 1.600 à 2.000 habitants. Il est nommé comme
«charpentier» par Mc 6, 3 (transformé en «fils du charpentier» par Mt 13, 55). Ce sont les
deux seules attestations ; mais on devrait plutôt dire «artisan du bois» (tekton).
- Il n’était donc pas totalement pauvre. Et il n’a sans doute pas fréquenté les villes hellénisées
de Galilée : Sephoris et Tibériade Reste à voir son environnement familial.
X. Entre l’enfance et le ministère public 2
II. Liens familiaux, situation de famille et statut de laïc
Il ne s’agit plus d’étudier les influences externes qui ont façonné la personnalité de Jésus,
mais les influences internes, c’est-à-dire familiales
1. La famille immédiate de Jésus
- Dans la Palestine antique, l’individu est toujours lié à une famille élargie. D’où la brisure
introduite par ses propos : Mc 3, 21.31.35 («Qui sont ma mère et mes frères ?») ; Mc 6, 1-6
(«N’est-ce pas le charpentier, le fils de Marie et le frère de Jacques…») ; Jn 7, 3-9…
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a) Les parents de Jésus


- Il est incontestable que Marie est sa mère et Joseph son père présumé.
- Le silence postérieur sur Joseph est sans doute dû au fait qu’il était mort quand Jésus
commence sa vie publique.
- Si Marie avait quatorze ans à la naissance de Jésus et si elle a eu six autres enfants (quatre
frères nommés Jacques, José, Jude et Simon et deux sœurs selon Mc 6, 3), elle pouvait avoir
entre 48 et 50 ans à la crucifixion.
b) Les frères et sœurs
- Si Marie et Joseph ne posent pas de problème, il n’en va pas de même pour les «frères et
sœurs et cela depuis l’Antiquité (Hégésippe au IIe siècle). Marie est-elle restée vierge ? Ou
bien s’agit-il des enfants de Joseph ? Ou bien sont-ils cousins ?
- Si la position catholique est qu’ils sont cousins, la position orthodoxe est qu’ils sont demi-
frères ou sœurs, la position protestante qu’ils sont frères et sœurs. Que peut-on affirmer en
se basant sur les données du NT ?
c) Mt 1, 25 ; 13, 55 ; 12, 46-50
- La préoccupation de Mt est de manifester la descendance davidique de Jésus, donc le lien à
Joseph, ce qui fait obstacle à la tradition de la conception virginale (cf. Mt 1, 25 : «Il ne la
connut pas jusqu’à ce qu’elle eut enfanté un fils…»). Cependant cela ne signifie pas qu’il ait
eu des relations sexuelles après (réflexions sur le «jusqu’à» ou le «tant que»).
- Si on relie Mt 1, 25 à Mt 13, 55 («N’est-ce pas le fils du charpentier ? Sa mère ne s’appelle-
t-elle pas Marie et ses frères …»), on voit que Mt envisage bien que Marie a eu des enfants
après la naissance de Jésus ; surtout si on compare Mt 13, 55 avec l’original de Mc 6, 3 qui
ne parle que de Marie et des frères et sœurs, alors qu’en Mt apparaît aussi la filiation avec
Joseph… Dans Mt 13, 55 les frères et sœurs sont reliés à Marie, non à Joseph…
- Donc pour Mt, Joseph et Marie ont eu ensemble d’autres enfants, ce qui est corroboré par
d’autres textes.
d) Textes concernant les frères de Jésus
- S’il s’agit de «frères de sang», la tradition «épiphanienne» (de Épiphane de Salamine, 315-
406 à Chypre), selon laquelle il s’agirait de fils d’un mariage précédent de Joseph, est
arbitraire, car dans les textes il s’agit pour Joseph et Marie d’un premier mariage.
- De plus, nulle part ailleurs dans le NT adelphos a le sens de demi-frère.
- En fait la solution épiphanienne est une solution après coup élaborée au IVe siècle pour
conforter l’idée naissante de la virginité perpétuelle de Marie.
1
. Position de Jérôme
- Pour Jérôme qui veut défendre la virginité perpétuelle de Marie, Joseph et Marie sont restés
vierges et les frères et sœurs sont des cousins.
- Même si l’hébreu et l’araméen n’ont pas de mot pour désigner «cousin», on ne peut en
déduire que le grec a traduit par adelphos : un seul cas en 1 Ch 23, 22 où il s’agit
manifestement de cousins.
2
. Différence entre la Septante et le NT grec
- Si les traducteurs de l’AT ont traduit mécaniquement, ce n’est pas le cas des rédacteurs du
NT, d’autant plus qu’en grec il y avait le mot anepsios pour désigner un cousin. Or Paul
emploie adelphos (Ga 1, 19 et 1 Co 9, 5).
- De plus Flavius Josèphe, qui n’est pas chrétien mais connaît le grec, emploie l’expression
«frère de Jésus» pour désigner Jacques.
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3
. Différents sens de «frère» dans le NT
- Dans le NT, adelphos a deux sens : littéral (Mc 1, 19.30 ; Mc 6, 3) ou métaphorique (demi-
frère : Mc 6, 17).
- Sur les 343 emplois dans le NT, aucun ne désigne un frère par alliance (cf. Épiphane) ou un
cousin (cf. Jérôme), mais souvent un frère spirituel.
4
. Les «vrais frères» chez les Pères pré-nicéens
- Hégésippe (vers 180), conservé par Eusèbe († 340), parle de Jacques comme «le frère du
Seigneur», alors qu’il connaît les mots de cousin ou oncle.
- Tertullien (160-220), rigoriste, connaît aussi les «frères de Jésus» (cf. Mc 3, 31-35).
- De même Irénée (130-200), pour qui Marie n’est sans doute pas restée vierge.
e) Conclusion
- Au plan strictement historique, l’opinion la plus probable est que les «frères et sœurs» de
Jésus sont de vrai frères et sœurs : critère d’attestation multiple, sens naturel des mots,
aucun emploi dans le NT du mot «frère» pour désigner un cousin.
- Cette interprétation a été maintenue par quelques écrivains ecclésiastiques jusqu’au IV e
siècle.
2. Jésus était-il marié ?
- Comme les chrétiens croient en la divinité du Christ et que pour eux le célibat est un état de
vie supérieur au mariage, ils estiment que Jésus est demeuré célibataire. Mais qu’en est-il
des sources historiques ?
- Certains pensent la religion juive ( chrétienne) considérant le mariage comme la norme,
Jésus a dû être marié. Mais il existe de bonnes raisons de soutenir qu’il est resté célibataire.
* Alors que le NT parle des autres membres de la famille de Jésus, il est silencieux sur une
éventuelle épouse et des enfants. Ce silence ne se comprend que parce qu’il n’y en avait
pas.
* Quant à la conception générale du judaïsme sur le mariage et le célibat, il faut reconnaître
d’une part que le judaïsme est pluriel et d’autre part que certains groupes pratiquaient le
célibat (esséniens, thérapeutes), ce que confirment Flavius Josèphe et Philon.
* Dans l’AT nous avons l’exemple de Jérémie (Jr 16, 1-4) forcé au célibat ? Et sans doute
Élie et Élisée ; de même Moïse selon les rabbins. Et J.B., comme des prophètes avant lui.
* Dans d’autres cultures, le célibat est aussi honoré : Épictète, Apollonios de Tyane, etc.,
sans compter Paul : 1 Co 7, 1-7 ; 9, 5).
* En ce qui concerne ses motivations, Jésus ne fut pas célibataire par misogynie, vision
apocalyptique idéal de pureté, etc., mais comme une parabole ou une énigme provoquant à
la réflexion (cf. Mt 9, 12 : «eunuque pour le RD»). Il est donc resté célibataire pour des
raisons religieuses : se donner tout entier à la mission de rassembler le Peuple de Dieu.
3. Le statut laïc de Jésus
- Bien que de lignage davidique, Jésus n’était pas de lignage lévitique ou sacerdotal. Il était
simple laïc.
- Il était souvent en conflit avec les «pharisiens, scribes et chefs de synagogue» (laïcs), mais
discutait avec eux ; ce qui n’est pas le cas avec les sadducéens, souvent prêtres ou
aristocrates (cf. Mn 12, 18-27).
- D’ailleurs Jésus n’est jamais appelé «prêtre», sauf dans Hébreux ; et encore n’a-t-il accédé à
ce titre que par sa mort. Cf. la parabole du Bon Samaritain très anti-sacerdotale (Lc 20, 29-
37).
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4. Résumé sur les origines et «années cachées» de Jésus


- Jésus est à Nazareth, vers 7-4 avant J.C. Mère : Marie ; père présumé : Joseph. Il a quatre
frères (Jacques, José, Jude, Simon) et au moins deux sœurs. Une famille juive fervente.
- Premier-né et sans doute objet d’une attention particulière de la part de Joseph dans
l’initiation au métier et à la vie religieuse, avant sa mort (avant sa vie publique).
- En tension avec sa famille (Mc 3, 21 ; Jn 7, 5). Resté célibataire (aucune mention de femme
ni d’enfants)
- Il parlait l’araméen, mais a appris l’hébreu ; des notions de grec comme artisan. Sans doute
savait-il lire.
- Il était pauvre, mais pas plus que la plupart des Galiléens Il a grandi dans un oasis de paix
(cf. les «années cachées» où il ne se passe rien). C’était un laïc ordinaire, donc insignifiant
aux yeux des familles sacerdotales de Jérusalem.
XI. Chronologie de la vie de Jésus
Même la chronologie d’empereurs romains n’est pas sûre. Donc il n’est pas étonnant qu’on
procède par tâtonnements pour un petit juif marginal.
1. Première approche (5données-clés pour poser des jalons)
A. Première fourchette : 26-36 après J.C.
- Les quatre Évangiles, les Actes des Apôtres, Flavius Josèphe et Tacite sont d’accord pour
situer la mort de Jésus sous le gouvernorat de Ponce Pilate, qui exerça ses fonctions entre 26
et 36. De plus, sans doute à la fin de son mandat, à cause d’événements qui ont précédé le
deuxième voyage missionnaire de Paul à Corinthe, vers 50.
- L’ensemble du ministère de Jésus se situe donc entre 26 et le début des années 30.
B. Fourchette plus resserrée : Jésus meurt entre 28 et 33
- «L’an 15 du gouvernorat de Tibère César, Ponce Pilate étant gouverneur de la Judée, Hérode
tétrarque de Galilée, Philippe son frère tétrarque du pays d’Iturée et Traconitide, et Lysias
tétrarque d’Abilène, sous le sacerdoce d’Anne et Caïphe, la parole de Dieu fut adressée à
Jean fils de Zacharie dans le désert» (Lc 3, 1-2).
- Tibère (empereur de 14 à 37), Pilate (26-36), Hérode Antipas (-4-39), Philippe (-4-34),
Lysias ( ?), Caïphe (18-36). L’an 15 de Tibère, selon les différents calculs, peut
correspondre à 26-29.
- Quelques passages de Mc, mais surtout Jn 1-3 suggèrent que le ministère de Jésus a duré
deux ou trois ans, entre 28 et 33.
C. Jésus né peu avant la mort d’Hérode le Grand (­4)
- Mt et Lc, quoiqu’indépendants, s’accordent sur la naissance de Jésus sous le règne d’Hérode
le Grand (37-4 avant J.C.).
- Selon Mt 2, Jésus est dit paidion (petit enfant) lors de la visite des mages, de la fuite en
Égypte et du retour après la mort d’Hérode (Mt 2, 20). Mais comment comprendre Mt ?
D. Confirmation à partir de Lc 3, 23
- Au début de son ministère public, Jésus «avait environ 30 ans p» (Lc 3, 23).
- La corrélation Mt 2 et Lc 3 rend probable que Jésus est né quelques années seulement avant -4.
E. Confirmation à partir de Jn 8, 57 et 2, 20
- «Tu n’as même pas 50 ans et tu as vu Abraham ?» (Jn 8, 57) s’inscrit dans un contexte
polémique sur la préexistence de Jésus.
13

- «Détruisez ce sanctuaire et en trois jours je le relèverai» (Jn 2, 20). Comment comprendre


«Il a fallu 46 ans…» ? La date de la construction du temple est incertaine (20-19 ou 23-22
avant J.C. selon le même Flavius Josèphe). On peut seulement conclure que le ministère
public s’est situé entre 27 et 30.
F. Premières conclusions
- Jésus a été crucifié sous Ponce Pilate (26-36). Son ministère a commencé entre 26 et 29 et a
duré un an au minimum et trois ans au maximum.
- Jésus est né sous Hérode le Grand (mort en -4), vers la fin de son règne Quand il débute son
ministère, il est au début ou au milieu de la trentaine, et il meurt au milieu ou à la fin de la
trentaine.
- Repères remarquables pour un personnage marginal !
2. Tentatives de précision
Pour resserrer le créneau, nous disposons de deux repères : l’an 15 de Tibère en Lc 3, 1 et les
indications fournies par les quatre récits de la Passion.
A. L’an 15 de Tibère
- Cet an 15 peut aller de 26 à 29. Le commencement du règne de Tibère se situe normalement
en 14, après la mort d’Auguste.
- Compte tenu des différents computs et calendriers, la date la plus probable du début du
ministère de Jésus est l’an 28.
B. Dates de la Cène et de la crucifixion
- La difficulté tient aux désaccords entre Jean et les Synoptiques. Pour Mc, Mt et Lc, la Cène
a eu lieu le jeudi et la crucifixion le vendredi (avant le sabbat). Pour Jn il en fut de même,
sauf quant au rapport au calendrier de la Pâque juive (15 nisan).
- Pour les Synoptiques, la Cène fut un repas pascal pris le soir du 14 nisan, quand commençait
le 15 nisan, jour de la Pâque. Donc arrestation, procès et crucifixion eurent lieu le jour de la
Pâque juive, c’est-à-dire le 15 nisan.
- Pour Jn, il n’est pas dit que la cène fut un repas pascal ; Jésus est mort le vendredi 14 et la
fête de Pâque fut célébrée le jour du sabbat Donc pour les Synoptiques, Cène, repas pascal
et mort le jour de la Pâque (15 nisan). Pour Jn, Cène, repas non pascal, mort le vendredi 14
(jour de préparation) et la Pâque pendant le sabbat.
- La théorie d’A. Jaubert (utilisation d’un calendrier solaire, avec Cène mardi et mort
vendredi) ne tient pas, car elle ignore Jean.
- S’il faut choisir, Meier choisit la chronologie johannique et tient la Cène pour un repas
solennel d’adieu, mais non le repas pascal.
C. Année de la mort et durée du ministère
- Selon les astres, les seules années où le 14 nisan est tombé un vendredi sont l’année 30 (7
avril) ou 33 (3 avril).
- Meier penche pour l’année 30, ce qui laisse trois ans de ministère depuis 28 ; en 33 cela
nous amènerait à quatre-cinq ans, et donc sans doute trop…
- Quant à la durée du ministère de Jésus (un an selon Mc à cause d’une seule Pâque), la
chronologie de Jean suggère deux ans et un ou deux mois.
3. Résumé final
- Jésus est né le plus probablement à Nazareth en – 7 ou 6, quelques années avant la mort
d’Hérode le Grand en – 4.
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- Il a eu une éducation ordinaire dans une famille pieuse de ruraux galiléens.


- Attiré par Jean Baptiste, il commença son ministère fin 27-début 28, alors qu’il avait 33 ou
34 ans.
- Il se partageait entre la Galilée et Jérusalem (pour les fêtes).
- En 30, sentant l’hostilité grandissante, il célébra un repas d’adieu avec le petit cercle de ses
disciples, un jeudi soir 6 avril.
- Arrêté à Gethsémani dans la nuit du 6-7 avril, il eut un procès et fut condamné le 7 avril au
matin.
- Il fut crucifié hors de Jérusalem et mourut le soir du vendredi 7 avril 30, à 36 ans environ.
- Le début et la fin de sa vie sont les plus attestés : entre les deux, on est réduit à des
conjectures. D’où il est impossible d’écrire une vie de Jésus : elle débuterait à Cana (Jn),
Capharnaüm (Mc) ou Nazareth (Lc)…
- Quant à la suite, elle s’agence selon les sujets : proclamation du RD, paraboles, attitude face
à la Loi, guérisons, etc. Mais le fil rouge d’une confrontation violente aboutissant à la mort
reste important.
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II. La parole et les gestes


Cerf 2007, 1334 p.

Introduction
Ce deuxième tome comporte trois grandes parties :
* le mentor ou les relations avec Jean Baptiste (JB) ;
* le message, c’est-à-dire l’annonce du Royaume de Dieu (RD) ;
* la question des miracles.

I. Jean Baptiste, le mentor


XII. Jean sans Jésus : le baptiste et son rite baptismal
1. Existence historique de JB
- Flavius Josèphe († 95) affirme son existence et présente les grandes lignes de son ministère
et de sa mort.
- Dans les quatre évangiles, il y a une grande diversité de présentation de JB due au fait que
ses disciples ont continué après sa mort et ont posé problème.
- Il est apparu vers 28, menant une vie ascétique, pratiquant un rite baptismal de
purification. Il a été exécuté vers 30 ou 33. Très respecté.
2. Le «récit de l’enfance» en Lc 1
- En fait on ne sait pratiquement rien de l’enfance de JB. À la différence de celui de Jésus,
le récit de l’enfance de JB en Lc est unique et ne peut être confronté ; sans doute les deux
récits se sont interpénétrés ; et enfin Lc entre en résonance avec les Actes et présente des
thèmes qui seront développés par la suite. Donc qualité historique douteuse.
- Sauf peut-être le fait qu’il ait été le fils unique d’un prêtre officiant dans le Temple. Mais il a
tourné le dos à cette voie et est parti vivre dans le désert.
- À partir de Lc 1, 80 peut-on dire qu’il a reçu une formation à Qumran ???
3. Paroles et actes de JB adulte
Il faut distinguer ce que Q et Mc rapportent des paroles et actes de JB et ce que Q et Mc
rapportent des paroles de Jésus sur JB (dans le chapitre suivant).
a) Paroles et actes de JB dans la source Q
- Il y a deux grands ensembles de matériaux sur JB : Mt 3, 7-12 // Lc 3, 7-9.15-18 ; et Mt 11,
2-19 // Lc 7, 18-35 (paroles de Jésus sur JB).
- Mt 3, 7-10 et // présente JB comme un prophète sinistre annonçant l’imminence d’un
jugement par le feu, si on ne se repent pas ; il ne suffit pas d’être fils d’Abraham. Donc
message eschatologique plutôt qu’apocalyptique.
- Mt 3, 11-12 fait mention du baptême de JB et de sa relation au salut à venir ; cela se retrouve
dans Mc, Q et Jn, même dans un ordre différent. «Celui qui est fort» désigne évidemment le
Christ : son baptême sauvera ceux qui se repentent ; pour les autres ce sera le feu.
b) Directives morales de JB en Lc 3, 10-14
- Entre 3, 7-9 et 3, 15-18, Luc insère un passage notoirement différent par son sujet et son
vocabulaire : des publicains et des militaires l’interrogent sur des fautes, et JB répond :
partage, refus de l’escroquerie ou de la violence.
- Est-ce un catéchisme moral ou une parénèse baptismale ? Est-ce historiquement de JB ???
c) Entrée en scène de JB en Mc 1, 1-8
18

- Alors que Mt 3, 7-12 et Lc 3, 10-14 sont dépourvus de caractère chrétien, Mc 1, 1-8 est une
composition chrétienne dès le départ. C’est pourquoi Meier ne l’étudie qu’après, d’autant
plus que ce passage pose beaucoup de problèmes : grammaire, syntaxe, critique textuelle,
signification…
- Cette péricope comporte trois parties : introduction (1-3, à ignorer car interprétation
chrétienne) ; récit du ministère de JB (4-6) ; prophétie de JB sur le plus fort (déjà étudiée en
Mt 3, 11-12).
- La deuxième partie est intéressante car elle apporte une lumière sur trois problèmes
historiques : le lieu de l’activité de JB, son vêtement et sa nourriture, la nature de son
baptême.
1. Lieu de l’activité de JB

* Dans le désert de Judée, des deux côtés des rives du Jourdain ; donc en Galilée et en
Pérée, au nord de la Mer Morte.
* Pour les Juifs, le désert évoquait naturellement l’exode, l’alliance au Sinaï et les quarante
ans d’errance, tandis que le Jourdain rappelait l’entrée en Terre promise par Josué.
* Le symbolisme lié à ces lieux a contribué à l’élaboration des récits évangéliques du
baptême de JB, et non l’inverse.
2. Vêtements et nourriture

* Les détails vestimentaires (poil de chameau) et culinaires (sauterelles et miel) sont-ils


historiques ou typologiques ?
* JB porte un vêtement (pas un manteau) en poil de chameau comme en 2 R 1, 8, mais alors
il s’agit du manteau d’Élie. De même le sens du «pagne» est discuté (ceinture de cuir).
Plutôt lié aux nomades…
* Quant au régime alimentaire, plutôt que de le rattacher au nazirat, il semble plus vrai de le
relier aux habitudes des gens du désert, comme à Qumran d’ailleurs).
* On peut penser que, par son mode de vie concret, JB appelle à une remise en question ; sa
vie est en quelque sorte un acte prophétique.
3. Le baptême de JB

* S’il y a des rapprochements avec les rites d’eau des Esséniens (refus de l’égarement
d’Israël, recherche d’une purification intérieure, espérance d’un salut lors du jugement), il
y a aussi un immense fossé : pas de noviciat, pas de groupe organisé, pas de rituels,
baptême reçu par JB et non bain personnel. D’où le nom de JB : «celui qui plonge».
* Surtout baptême unique, selon nos déductions, et donc aussi différent de celui des
prosélytes.
* En fin le sens du baptême de JB est «conversion-repentir en vue de la rémission des
péchés» (Mc 1, 4). Ce n’est pas une parole de JB, mais de Marc ; cependant elle est peut-
être de JB lui-même puisqu’elle fait difficulté (partout ailleurs dans le NT le pardon des
péchés est lié à l’eucharistie ou au baptême).
* Pour Meier, JB considérait son baptême comme exprimant le repentir du candidat et son
engagement dans une vie nouvelle ; mais aussi comme anticipant la purification des
péchés accomplie par l’Esprit Saint au dernier jour…
XIII. Jésus avec et sans JB
Quatre questions se posent au sujet de l’entrée en scène de Jésus et de son baptême par JB : ce
baptême a-t-il eu lieu ? Que nous apprend-il sur les conceptions religieuses de Jésus ? Quelles
furent les relations entre Jésus et JB après le baptême ? Qu’est devenue cette relation ensuite ?
1. Historicité du baptême de Jésus par JB
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- La question se pose parce que le récit ne nous est donné que par une seule source : Mc repris
par Mt et Lc. De plus, Flavius Josèphe ne parle jamais d’une rencontre entre les deux. Enfin
le récit est grevé d’une interprétation théologique (la théophanie).
- Outre le critère d’embarras, il existe beaucoup d’autres critères pour cette historicité.
- De légères modifications stylistiques indiquent peut-être une autre source que Mc pour Mt et
Lc. Ainsi Q, plus peut-être Jean, qui omet le récit pour éviter une subordination du Fils de
Dieu à JB. Donc attestation multiple.
2. Signification du baptême de Jésus
- On ne peut pas s’appuyer sur la théophanie puisqu’elle est un midrash, c’est-à-dire un
bouquet de textes de l’AT pour offrir une interprétation de l’identité de Jésus.
* La descente de l’Esprit Saint comme une colombe montre que Jésus accomplit les
promesses de JB et lui est donc supérieur.
* Jésus est le Fils de Dieu selon la voix (Ps 2, 7).
* Il est le «bien-aimé», peut-être en référence à Isaac (Gn 22, 2).
* «Tu as toute ma faveur» : cf. Is 42, 1, il est le Messie Serviteur.
* Voir aussi la vision d’Ézéchiel au bord du fleuve Kébar (Ez 1, 1).
* Les cieux déchirés rappellent Is 63, 9.
- C’est donc la théophanie qui révèle l’identité de Jésus et non pas le baptême. Ce récit a
beaucoup embarrassé les premiers chrétiens qui ont eu recours à ce midrash chrétien pour
montrer la supériorité de Jésus.
- Quant au sens de ce baptême pour Jésus, on peut dire qu’il a précédé un changement de vie
et que Jésus connaissait et approuvait le message eschatologique de JB : fin d’une histoire
d’Israël, risque d’un anéantissement, appel à un changement radical. JB est reconnu comme
prophète eschatologique.
- Jésus se considérait comme membre d’un peuple d’Israël pécheur et menacé ; donc appelé à
recevoir un rite nécessaire au salut ; mais comme il s’agit d’un rite destiné à confesser les
péchés et en être pardonné, comment le comprendre pour Jésus ? Le péché étant une rupture
d’alliance avec Dieu, Jésus ne peut être pécheur. On peut peut-être parler de solidarité ou
de complicité, comme dans le cas de la confession d’Esdras (Esd 9, 6-15 ; Ne 9, 36-37).
3. Jésus disciple de JB ?
- Jésus a-t-il été disciple de JB ? Et en quel sens ? JB, prophète eschatologique, était aussi un
guide, un maître spirituel. La question se pose de savoir si Jésus est resté quelque temps
après son baptême comme disciple de JB.
- Cf. les trois passages de Jean qui font problème : Jn 1, 29-45 ; 3, 22-30 ; 3, 31-36. Jésus a
sans doute séjourné quelque temps avec JB ; il a choisi quelques-uns de ses disciples parmi
ceux de JB et il a gardé le rite du baptême au début de son ministère public.
4. Jésus parle de JB
JB n’a jamais été absent de la pensés et de l’action de Jésus, comme nous le montrent quatre
séries de paroles de Jésus sur JB.
A. Second ensemble sur JB dans source Q (Mt 11, 2-19 ; Lc 7, 18-23 ; 16, 16)
- Après le premier ensemble sur JB (sa prédication en Mt 3, 7-12 et //), le plus important
corpus de paroles de Jésus sur JB se trouve dans un deuxième ensemble de la tradition Q, à
savoir Mt 11, 2-19 et en deux endroits de Lc 7, 18-23 et 16, 16 ( Mt 11, 12-13) : preuve
que cet ensemble est composé de logia qui ont circulé séparément. Sans doute Jésus s’est-il
exprimé plusieurs fois sur JB.
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- Mt 11, 2-19 comprend trois unités : réponse de Jésus aux disciples de JB (Mt 11, 2-6 = Lc 7,
18-23) ; éloge de JB devant la foule (Mt 11, 7-11 = Lc 7, 24-28à ; parabole des gamins (Mt
11, 16-19 = Lc 7, 33-35). Faut-il subdiviser encore ? Et ces paroles sont-elles de Jésus ?
1. Première unité (Mt 11, 2-6 // Lc 7, 18-23)

* Elle fournit un cadre narratif après l’arrestation de JB et entre dans la catégorie des
questions-réponses. Le cadre est plus développé en Lc.
* «Es-tu celui qui vient ?» («qui doit venir» ?) est une question ouverte à laquelle Jésus ne
répond pas par une affirmation de sa messianité, mais par l’énoncé de ce que les gens
disent.
* La réponse de Jésus porte sur des points où son ministère se différencie de celui de JB : il
ne s’agit plus d’un châtiment eschatologique, mais de la Bonne Nouvelle d’un Dieu
aimant. Concentration sur Dieu et non sur sa personne.
* La béatitude finale et le silence de JB suggèrent que ce n’est pas la première communauté
chrétienne qui a inventé ce passage, étant donné qu’il laisse entendre une possibilité
d’antagonisme entre JB et Jésus.
2. Deuxième unité (Mt 11, 7-11 // Lc 7, 24-28)

* Ce passage offre une structure remarquable de cinq logia composés chacun de trois parties
(trois questions et trois explications) ou sous-ensembles : 7-9 ; 10 ; 11.
* Mt 11, 7-9 : une première question rhétorique sur ce que les foules ont vu de JB (un
roseau) ; deuxième question (vêtements somptueux) ; avant la troisième question
(prophète) qui fait sans doute allusion à Hérode Antipas. Cet ensemble se termine par un
refus de répondre ou plutôt une ouverture sur «plus qu’un prophète».
* Mt 11, 10 : non plus des questions, mais une citation d’Ex 23, 20 et Malachie 3, 1 sur un
messager précurseur. Sans doute de Jésus lui-même combinant deux textes de l’Écriture.
* Mt 11, 11 : déclaration sur la grandeur et la petitesse de JB, qui laisse entendre la
supériorité de toute personne entrée dans le RD que Jésus annonce.
3. Troisième unité (Mt 11, 16-19 // Lc 7, 31-35)

* Cette parabole des enfants qui jouent sur les places comporte trois sous-unités : question
introductive (Mt 11, 16a) ; parabole (Mt 11, 16b-17) ; application à JB et Jésus (Mt 11, 18-
19).
* Mt 11, 16a : l’emploi du mot «génération» est péjoratif et désigne les gens qui refusent de
croire en Jésus. Meier estime la parabole et son explication comme un ensemble originel :
pour lui les enfants assis sont JB et Jésus qui interpellent «cette génération» ; malgré leurs
différences, ils sont rejetés à cause de leur message.
* La dernière phrase (v. 19) est difficile : promesse d’une justification par la Sagesse.
Surtout Lc 7, 35 a peut-être été ajouté après coup.
* Conclusion : ces trois sous-unités nous mettent en présence d’au moins sept thèmes
essentiels à la recherche sur Jésus : RD ; miracles ; partage des repas avec les
pécheurs ; eschatologie ; emploi de paraboles ; prophétisme ; christologie implicite.
Ces thèmes sont seulement évoqués. Ce qui domine est un antithétisme entre un JB austère
et un Jésus joyeux, ce qui dresse un portrait de Jésus, Fils de l’Homme, venu apporter la
joie du Royaume.
JB est hissé au plus haut, mais ce monde est en train de passer à mesure que la mission de
Jésus s’étend.
4. Mt 11, 12-15
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* Les matériaux du second ensemble matthéen sur JB (Mt 11, 2-19) ont été traités sans Mt
11, 12-15 qui n’en font pas partie.
* En Mt 11, 14-15 il y a une allusion à JB considéré comme Élie venu incognito.
* Mais c’est surtout Mt 11, 12-13 qui pose question, car il n’a pas le même contexte qu’en
Lc ni le même contenu. En fait, c’est un logion sur le RD qui établit un champ de force
auquel on doit se confronter.
B. L’origine du baptême de JB (Mc 11, 27-33)
- Cette péricope de Mc, dont dépendent Mt et Lc, se rapporte à la contestation de l’autorité de
Jésus par les prêtres, les scribes et les anciens, dans le cadre de la semaine de la Passion.
- Jésus répond par une contre-question sur l’origine, divine ou humaine, du baptême de JB,
que Jésus a sans doute continué. Donc la question se pose aussi sur le baptême qu’il a
administré (c’est une des rares mentions de ce baptême par Jésus dans les Synoptiques ; cf.
Jn 3, 23-26 et 4, 1)
C. Traditions isolées en Mt 21, 31b-32 ; Lc 7, 29-30
- Les deux textes font état du contraste entre le groupe des collecteurs d’impôts qui ont
accepté le message de JB et celui des responsables juifs qui ne l’ont pas accepté. Mais il
s’agit de traditions isolées, compte tenu des différences entre les deux ensembles.
- Il y a une différence en JB, qui accueillait des pécheurs et des prostituées, et Jésus qui allait
à leur recherche.
- L’insistance implacable de JB sur le repentir devant l’imminence du châtiment fait place à la
joie du salut et au bonheur d’accueillir une RD présent et encore à venir.
D. Traditions isolées dans le quatrième évangile
- Durant une brève période (cf. Jésus disciple de JB ?) Jésus fut un proche disciple de JB ; il a
sans doute recruté là quelques-uns de ses disciples ; il a poursuivi la pratique du baptême.
- En Jn 5, 19-47 : allusion à JB comme témoin de Jésus, donc inférieur.
- En Jn 10, 40-42 : Jésus est le vrai Messie, puisqu’il fait des signes ( JB). Cf. Flavius
Josèphe.
5. La mort de JB (Mc 6, 17-29://)
- Dans ce récit, il n’est pas du tout fait mention de Jésus et on parle plus d’Hérode et de sa
famille que de JB. D’ailleurs Mc commet une erreur sur le précédent mariage d’Hérodiade,
plus d’autres encore.
- La description de Flavius Josèphe dans ses Antiquités juives est plus sûre historiquement.
JB, prophète-ascète, est mort violemment sur ordre d’Antipas, en Galilée. Ce qui prépare
Jésus à une mort violente aussi.
6. Conclusion
- Les paroles de Jésus sur JB sont situées dans des matériaux divers : RD pour pauvres ;
miracles ; style de vie non ascétique ; repas avec les pécheurs ; eschatologie «réalisée» ;
relation à la Loi et aux prophètes ; disciples dans le RD ; enseignement en paraboles ou
béatitudes ; parallèle avec JB ; rejet du peuple ; affrontement avec les autorités ; opposition
des chefs du peuple qui peut conduire au martyre…
- Ainsi le regard sur JB nous conduit au cœur des préoccupations de Jésus lui-même.
Surtout la question du RD qui revient trois fois (Mt 11, 11 // ; Mt 11, 12 // ; Mt 21, 31 //).
22

II. Le message de Jésus


XIV. Le RD : Dieu vient avec puissance pour exercer sa souveraineté. 1
A. L’arrière-plan
1. Considération préliminaires
- Entre le baptême de Jésus et sa Passion, il n’y a pas d’avant ni d’après, la tentation au désert,
après le baptême, étant à part. Donc on ne peut étudier Jésus sur un plan chronologique,
mais seulement par thèmes.
- Le premier thème est celui du RD annoncé (13 logia en Mc ; 13 en Q + 25 QM et 6 QL ; 2
en Jn). Ce n’est pas le cas de Paul et de Jn. Mais le nombre des logia dans les Synoptiques
monte que ce RD était un thème important du message de Jésus.
- «Royaume de Dieu», «royaume des cieux» : sauf Mt qui emploie «royaume des cieux», le
NT utilise RD. Mais les deux termes sont égaux.
- «Royaume» ou «règne» ? Basileia tou Theou, le Royaume désigne non un territoire, mais la
souveraineté de Dieu sur son peuple. Donc on peut parler aussi de «royauté», «souveraineté
royale», «règne»…
- Le mot RD a un sens symbolique, avec une signification riche et multiple. Royaume et
eschatologie sont très liés et imprègnent quasiment toutes les strates de l’évangile.
2. Souveraineté royale de Dieu dans l’AT
- L’AT n’a qu’un seul emploi de RD, alors que son emploi par Jésus s’appuie sur un arrière-
plan où l’AT a une place importante.
- Sagesse 10, 10 (livre deutérocanonique) et jamais dans la Bible hébraïque, même si le mot
«royaume» attribué à Dieu reste fréquent et enrichi de multiples sens.
3. Dans les Pseudépigraphes (ou apocryphes) et Qumran
- Le thème de la souveraineté royale était bien présent à la période intertestamentaire et
souvent lié à l’espérance eschatologique ; mais c’était un symbole parmi d’autres dont Jésus
s’est servi pour en faire un thème primordial de son message.
- Quant aux écrits de Qumran, le symbole est peu présent et lié à une forme de violence.
- De tout sens, le symbole de la royauté de Dieu avait pour le public de Jésus une saveur
eschatologique, et Jésus a donc dû en tenir compte.
XV. Le RD : Dieu vient avec puissance pour exercer sa souveraineté. 2
B. Jésus proclame un royaume à venir
Un aspect essentiel du message de Jésus est l’annonce d’un RD à venir et pourtant imminent
Meier veut le démonter à partir de cinq ensembles significatifs : Notre Père ; dernière Cène ;
place des «nations» au banquet ; béatitudes ; différents logia fixant une limite de temps. Ces
cinq ensembles appartiennent à des sources multiples (Mc, G, M, L et Jn). Donc attestation
multiple.
1. «Que vienne ton règne» (Mt 6, 10 // Lc 11, 2)
- On considère que la version longue de Mt a préservé des formulations plus originelles et que
la version courte de Lc a conservé la dimension et structure de base de la prière.
- Après une adresse, deux demandes en «tu» et trois demandes en «nous». «Que ta volonté…»
et «Délivre-nous…» sont des ajouts de Mt, de même que «Notre Père qui es dans les cieux».
C’est l’unique exemple de prière proposée par Jésus.
23

- On ne peut pas séparer les deux demandes en «tu» qui riment en grec et en araméen, ont la
même structure (verbe, nom, complément), vont ensemble.
- «Que soit sanctifié ton Nom» : idée totalement absente du NT (sauf en Jn 12, 28 «glorifie
ton Nom»), mais très présente dans l’AT, surtout quand il s’agit de sanctifier le nom de
Dieu au lieu de le profaner, ou quand Dieu lui-même sanctifie son nom. Le nom, c’est la
personne même (cf. Ez36, 16-38). Cette sanctification est l’œuvre de Dieu lui-même (passif
théologique), avec une perspective eschatologique : il s’agit de supplier Dieu de se révéler
comme Père une fois pour toutes à la fin des temps.
- «Que vienne ton règne» : il s’agit de la venue à la fin des temps, et en même temps elle est
souhaitée comme la venue du «père chéri» (abba).
- Les trois demandes en «nous» : le pain vise sans doute le banquet eschatologique ; le
pardon, le jugement dernier ; le «ne nous fais pas entrer dans l’épreuve» également, sans
s’intéresser à l’idée de causalité première.
- Ainsi, dans la seule prière enseignée par Jésus, les premières demandes ne concernent pas un
besoin présent, mais l’attente eschatologique que Dieu se révèle dans toute sa puissance.
2. Boire le vin dans le RD (Mc 14, 25 ; Lc 22, 18)
- L’existence du dernier repas de Jésus avec ses disciples est attestée de façon multiple (Mc
14 // ; Jn 13-17 ; 1 Co 11, 23-25). Ce dernier repas est en cohérence avec tous les repas où
Jésus apportait le salut aux pécheurs, avant le grand dernier repas eschatologique.
- La prophétie, introduite par un Amen solennel, est un ultime cri d’espoir où Jésus exprime sa
confiance en un RD à venir.
- Il n‘y a là aucune christologie, c’est Dieu qui accomplit tout ; Jésus est l’un des sauvés. Face
à l’échec de sa mort, Jésus se console avec la promesse de siéger auprès de Dieu au banquet
final. Même à la fin de sa vie, Jésus attendait impatiemment la venue future du RD.
3. Prendre place à table avec Abraham dans le Royaume (Mt 8, 11-12 ; Lc 123, 28-29)
- Le contexte et l’origine (source Q ?) sont difficiles à cerner. L’ordre de Mt est sans doute
plus primitif.
- C’est un oracle qui promet le salut eschatologique dans le RD et menace d’exclusion
définitive. Qui sont les «beaucoup» ? Sans doute aussi les «gens des nations», qui auront
part au salut «à la fin des temps». Et les «vous», ceux qui rejettent le message de Jésus.
4. La confirmation des Béatitudes (Mt 5, 3-12 ; Lc 6, 20-23)
- La comparaison des deux textes fait apparaître neuf béatitudes en Mt (huit brèves et une
longue) et quatre chez Lc (avec quatre malédictions). Selon la théorie des sources,
appartiennent à Q les quatre béatitudes des pauvres, des affligés, des affamés et des
persécutés (longue) ; alors que les cinq sur les doux, les miséricordieux, les purs de cœur,
les artisans de paix et les persécutés (courte) sont une source particulière de Mt.
- La formulation de Mt à la troisième personne du pluriel semple plus primitive, sauf celle de
la dernière à part.
- La première sur les pauvres a reçu une addition «en esprit» de Mt qui a tendance à
spiritualiser le RD. Le RD de Lc est plus primitif que le «royaume des cieux» de Mt.
- La deuxième sur les affligés est plus primitive chez Mt.
- La troisième sur les affamés a reçu des compléments par Mt et devait se dire : «heureux les
affamés».
- La quatrième et dernière sur la persécution est complexe.
24

- Ainsi les trois premières béatitudes sont concises et parlent de groupes dans des situations de
détresse non choisie, avec un renversement final. Mais la quatrième parle de gens persécutés
à cause de leur engagement pour Jésus et ils reçoivent à la fin une récompense (cette
béatitude de devait pas faire partie de la liste primitive et reflète sans doute la situation de
l’Église primitive).
- Dans l’AT, la béatitude était souvent utilisée pour exprimer une promesse eschatologique et
donner un enseignement parénétique (exhortation à la vertu).
- Il y a de grandes probabilités que ces quatre béatitudes aient été formulées par Jésus, car on
ne trouve que rarement le mot chez Paul, Jacques ou Pierre, sauf dans l’Apocalypse.
- Jésus n’a pas dénoncé les désordres sociaux ni appelé à une révolution politique, car il
annonçait la fin de ce monde. Son message est eschatologique : la venue définitive d’un
Dieu comme roi.
- Quant aux béatitudes propres de Mt (doux, miséricordieux, cœurs purs, artisans de paix et
persécutés pour la justice) :
* les doux renvoient au même mot araméen que «pauvres» ;
* les persécutés pour la justice font doublon avec la neuvième longue ;
* les miséricordieux, les cœurs purs et les artisans de paix proviennent sans doute d’une
tradition pré-matthéenne ;
* on aurait donc deux listes de béatitudes : celle de Q et celle de Mt.
- Ces béatitudes confirment que Jésus attendait bien un salut futur définitif de la part de
Dieu.
5. Jésus a-t-il fixé un délai à la réalisation du Royaume ?
- Les quatre logia précédents ont mis en évidence cinq points :
* Jésus attendait la venue définitive d’un Dieu roi ;
* cette espérance, centrale dans son message, est au cœur de la prière qu’il a enseignée ;
* la venue du RD entraînait le renversement des injustices ;
* parmi ces renversements figure l’accès des «nations» au banquet eschatologique ;
* malgré sa mort éventuelle, Jésus devait participer à ce banquet.
- La venue du RD était-elle imminente ? Trois textes semblent aller dans ce sens :
* Mt 10, 23 : «vous n’achèverez pas le tour des villes d’Israël avant que ne vienne le Fils de
l’Homme» ;
* Mc 13, 10 : «Cette génération ne passera pas avant que tout cela n’arrive» ;
* Mc 9, 1 : «Certains ne mourront pas avant de voir le RD venir avec puissance».
- Meier montre que ces trois textes ne remontent pas au Jésus historique, mais à l’Église
primitive confrontée à une hostilité grandissante.
- Si Jésus a proclamé la venue imminente et définitive du RD, il n’a jamais fixé de calendrier.
L’eschatologie future imminente est l’œuvre de Jésus, les tentatives pour en fixer la date
sont l’œuvre de l’Église primitive.
- Cependant le futur dont parle Jésus affecte déjà le temps présent et le façonne (cf.
chapitre 10).

XVI. Le RD : Dieu vient avec puissance pour exercer sa souveraineté. 3


C. Le Royaume déjà présent
Si l’annonce de la venue future, définitive et imminente du RD est au cœur du message de
Jésus, cette œuvre est-elle seulement future ou est-elle déjà arrivée, même de façon partielle et
symbolique ? Cette question divise les exégètes. À voir à partir de cinq ensembles :
* les logia déjà étudiés sur JB (Mt 11, 2-19 //) ;
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* trois logia sur le RD présent (Mt 12, 28 // Lc 12, 20 ; Lc 17, 20-21 ; Mc 1, 15) ;
* deux autres logia (Mt 13, 16-17 // et Lc 20, 23-24 ; Mc 2, 18-20 //).
1. Le second ensemble sur JB (Mt 11, 2-19 // ; déjà étudié)
- Contrairement à la venue future du RD dans la gloire, prévue pour bientôt par Jésus, le
royaume présent est ambigu.
- Il est à la fois source de joie et de grandeur, mais aussi un signe de contradiction.
2. Autres logia (Mt 12, 28 // ; Lc 17, 20-21 ; Mc 1, 15…)
- «Si c’est par le doigt de Dieu que j’expulse les démons, c’est donc que le RD est arrivé pour
vous» (Mt 12, 28 // Lc 11, 20 ; Mc 3, 24-27 //) ; ce verset est considéré comme un des plus
authentiques logia de l’Évangile.
- «Le RD ne vient pas avec une observation de près ; et l’on ne dira pas : voici, il est ici ou
bien là ; car voici le RD est au milieu de vous» (Lc 17, 20-21). Même s’il est difficile de
traduire entos umon (au milieu ou à l’intérieur de vous), Jésus affirme la présence du RD,
mais rejette toute spéculation sur le lieu et le moment de cette venue.
- «Le RD s’est approché» (Mc 1, 15) : ce verset ne permet pas de déterminer s’il s’agit d’une
eschatologie réalisée ou future.
- Autres logia où l’expression «RD» n’apparaît pas : Mc 13, 17 // sur la béatitude des
bénéficiaires du ministère de Jésus ; Mc 2, 18-20 // sur le jeûne inutile puisque époux présent.
- Conclusion : on peut parler, même si l’expression n’est pas dans le NT, d’un RD «déjà là et
pas encore», aussi bien dans le message de Jésus que dans ses actes, en particulier les
exorcismes. Il apparaît comme prophète eschatologique, baptiseur, exorciste, thaumaturge,
guérisseur, maître rabbinique enseignant la Loi. Cela se vérifie surtout dans ses actions
miraculeuses…

III. Les miracles


XVII-XVIII. Miracles et mentalités anciennes et modernes
1. Qu’est-ce qu’un miracle ?
- C’est un événement, inhabituel, ne pouvant s’expliquer par la raison ou les capacités
humaines, résultat d’un acte particulier de Dieu, ce dernier point étant le résultat d’une
opinion philosophique ou théologique.
- Dans le monde antique gréco-romain, les miracles faisaient partie du paysage religieux.
- Les miracles se distinguent de la magie par plusieurs traits :
* un contexte de foi ou d’amour ;
* une demande à Dieu ou à son envoyé ;
* il est accompagné d’une phrase ou d’un geste bref ;
* le tout est réalisé dans la liberté ;
* en lien avec l’obéissance de Jésus à sa mission ;
* le miracle est signe du RD ;
* il ne châtie ni ne blesse personne.
- De plus, jamais le NT ne parle de Jésus comme magicien, alors qu’il est accusé de collusion
avec Béelzéboul, de non-respect du sabbat, d’imposture, de blasphème…
2. Excursus sur les parallèles aux miracles évangéliques
- Apollonius de Tyane (deuxième moitié du 1er siècle, Cappadoce), connu par Philostrate, est
censé avoir accompli beaucoup de miracles. Mais la source est peu fiable.
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- Honi et Hanina, juifs charismatiques du 1er siècle avant et du 1er après, sont également
censés avoir accompli des miracles. Mais même remarque sur les sources.
- De même pour les récits de miracles dans les écrits de Qumran et de Flavius Josèphe.
- À signaler le miracle accompli par Vespasien en 69-70.
XIX. Historicité des miracles de Jésus
- Jésus a-t-il accompli des actions appelées «miracles» ou est-ce le fruit de l’imagination
créatrice de l’Église primitive ?
- Les évangiles rapportent 32 récits de miracles, soit 7 exorcismes, 18 guérisons (dont 3
«résurrections») et 7 miracles de la nature, sans compter les parallèles ni parler de sa
connaissance de l’avenir…
- Toutes les sources attestent l’authenticité de ces miracles. Il y a aussi des critères de
cohérence et de discontinuité, d’embarras (Béelzéboul). Cependant il n’est dit nulle part que
ses miracles auraient conduit à son procès et seulement trois bénéficiaires sont nommés :
Jaïre, Bartimée et Lazare.
XX. Les 7 exorcismes de Jésus
Il est admis que Jésus a fait des miracles, dunameis, sémeia, terata (prodiges), paradoxa,
thaumasia… Soit des exorcismes, des guérisons, dont des résurrections, et des miracles de la
nature. Pour les exorcismes, sept sont repérables, la plupart venant de la source marcienne.
Aucun chez Jean.
1. Le démoniaque de la synagogue de Capharnaüm (Mc 1, 23-28 // Lc 4, 33-37)
- La journée à Capharnaüm est une sorte de résumé de l’évangile de Mc 1-6 : Jésus entre dans
une synagogue, un jour de sabbat ; il enseigne et frappe l’auditoire ; il délivre un possédé ;
sa renommée s’étend ; il continue à guérir et exorciser.
- Beaucoup d’autres passages des évangiles mentionnent Capharnaüm comme base du
ministère de Jésus en Galilée. Cette attestation multiple suggère l’authenticité de
l’exorcisme de Mc 1.
2. Le démoniaque géranésien (Mc 5, 12-20)
- Rare cas (avec la syro-phénicienne de Mc 7, 24-30) d’un miracle accompli en territoire
païen, et le seul en Décapole.
- L’épisode des démons entrant dans des cochons qui se précipitent dans la mer de Galilée
(Mc 5, 11-13) est sans doute un ajout secondaire, car Gérasa se trouve à cinquante
kilomètres du lac.
- Les expressions «légion» et «Fils de Dieu» sont manifestement des additions rédactionnelles
de Mc, le secret messianique étant absolu chez Marc Il reste donc peu de choses du récit
primitif, qui cependant a de bonnes chances d’être historique.
3. L’enfant possédé (Mc 9, 14-29 // Mt 17, 14-21 ; Lc 9, 37-43)
- Ressemble beaucoup à Mc 5, 1-20 et a subi une lente évolution à partir du cadre des autres
exorcismes : arrivée de Jésus ; démoniaque face à Jésus ; description de ses conditions ;
esquive du démon ; réprimande de Jésus ; sortie houleuse ; soulagement du démoniaque ;
réactions des spectateurs.
- Cependant quelques différences par rapport à ces huit traits : en début et fin, incapacité des
disciples à exorciser ; l’interlocuteur n’est pas le démon mais le père ; attitude pastorale de
Jésus conduisant à la foi du père.
- Sans doute s’agit-il d’un cas d’épilepsie (Mt parle de «lunatique», la lune étant censée à
l’origine de ces crises). Il doit y avoir un substrat historique.
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4. Le démoniaque muet (Mt 12, 22-23 // Lc 11, 14)


- Sans doute seul récit d’exorcisme de la source Q (qui n’a qu’un seul autre exemple de
miracle : la guérison du serviteur du centurion en Mt 8, 5-13 // Lc 7, 1-10).
- Le démoniaque est-il seulement muet (Lc) ou aussi aveugle (Mt) ? De toute façon, cet
épisode sert d’introduction à la controverse sur Béelzéboul.
5. Un démoniaque muet (Mt 9, 32-33)
- Sans doute une reprise du modèle utilisé en Mt 12, 22-23). Inséré en sandwich dans les trois
récits de miracles (8, 1-7 ; 8, 23-9, 8 ; 9, 18-34) et les trois logia sur la condition de
disciples. Donc non historique.
6. Référence à Marie-Madeleine (Lc 8, 2)
- En décrivant le ministère de Jésus, Lc fait mention de son entourage, en particulier d’une
Marie de Magdala «de qui étaient sortis sept démons».
- Il est difficile de suspecter ce passage, car il souligne la vulnérabilité du premier témoin de
la résurrection. Le critère d’embarras s’applique, ainsi que le critère de cohérence, pour son
ardente suite du Seigneur.
7. La syro-phénicienne (Mc 7, 24-30 // Mt 15, 21-28)
- Plus important que l’exorcisme de sa fille, le récit vaut pour le dialogue entre la femme et
Jésus (d’ailleurs Jésus ne rencontre pas la fille  Mc 9). On retrouve quatre caractéristiques
des guérisons à distance : demande pour un autre ; dialogue souvent tendu ; sommet du
dialogue : confiance en Jésus ; réalisation de la guérison. Cf. guérison du fils de l’officier
royal ou du serviteur du centurion.
- Pour Meier, le récit est tellement traversé de thèmes importants pour les premières
communautés (en particulier, le langage blessant vis-à-vis des païens) qu’il est douteux qu’il
remonte à Jésus.
Conclusion
- Le garçon possédé, l’exorcisme de Marie-Madeleine, le démoniaque géranésien (plus
incertain) remontent à Jésus.
- L’exorcisme dans la synagogue de Capharnaüm est peut-être une création chrétienne.
- Le récit du démoniaque muet en Q et Mc 9 et celui de la syro-phénicienne sont sans doute
des créations de l’Église primitive.
- Quant à savoir s’il s’agit d’épilepsie ou de possession ???
XXI. Les 15 guérisons de Jésus
Les récits de guérison forment un ensemble disparate, dans lequel on peut cependant repérer
quatre catégories :
* quatre ou cinq guérisons de personnes handicapées d’une partie du corps ;
* trois récits de guérison de cécité, plus un général ;
* deux cas de guérison de lèpre, plus une allusion globale ;
* cinq ou six cas fourre-tout.
Soit quinze récits de guérisons, plus les listes globales en Mt 11, 2-6 et Lc 7, 18-23 et sans
compter les parallèles. Quelle est leur historicité ?
1. Quatre cas de guérisons de paralysés ou estropiés (+ un général et un déclassé)
- Mc 2, 1-12 // : paralytique présenté à Jésus en faisant un trou dans le toit. Sans doute ne pas
distinguer le récit de la guérison de la controverse sur le pouvoir de pardonner les péchés.
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- Jn 5, 1-9 : guérison de l’infirme de la piscine de Béthesda. Il y a trop de différences avec le


précédent pour en faire une copie (maison  piscine ; quatre brancardiers  tout seul ;
demande à Jésus  initiative de Jésus ; polémique sur le pardon  polémique sur le
sabbat…). Avec la guérison de l’aveugle-né, ce sont les deux seuls récits de guérison chez
Jean. Donc sans doute historique.
- Mc 3, 1-6 // : l’homme à la main desséchée, lié à une controverse sur le sabbat. Si on extrait
cette controverse (en fait, Jésus ne fait rien ; il se contente de parler et n’outrepasse pas les
règles du sabbat), on un récit un peu fade qui est peut-être historique, mais ce n’est pas clair.
- Lc 13, 10-17 : guérison de la femme courbée un jour de sabbat seulement dans Lc. Difficile
de dire si c’est historique ou non…
(- Mt 8, 5-13 // : guérison du serviteur du centurion. Ne pas le ranger dans la catégorie des
paralysés, car ni Lc 7, 1-10 ni Jn 4, 6-54 ne parlent de paralysie. Donc à traiter avec la
catégorie fourre-tout ou des guérisons à distance.)
- Mc 11, 5 // : logion de la tradition Q énumérant la guérison de boiteux parmi les œuvres de
puissance. Ainsi la guérison de boiteux, en réponse à JB, révèle que ce type de miracles est
solidement enraciné dans les traditions les plus anciennes du ministère de Jésus.
2. Trois cas de guérisons d’aveugles (+ un général)
- Bartimée (Mc 10, 46-52 //) : en finale de la section centrale de l’évangile, juste avant la
Passion, ce récit préfigure la fin de l’aveuglement des apôtres sur l’identité de Jésus, «Fils
de David». Comme Lazare chez Jean, Bartimée est le seul exemple de nomination du
bénéficiaire d’un miracle chez les Synoptiques. Cinq éléments témoignent en faveur de son
historicité : nom du bénéficiaire ; localisation de l’événement dans le temps et l’espace ;
présence de deux expressions araméennes (Bar Tim’ai et rabbouni) ; conception archaïque
de Jésus thaumaturge «à la Salomon» ou fils de David.
- L’aveugle de Bethsaïde (Mc 8, 22, 26) : omis par Mt et Lc, sans doute parce que Jésus s’y
reprend à deux fois. L’absence de nombreux éléments (inexistence de la foi, de réaction de
l’entourage, de glorification) n’empêche pas l’historicité » de ce miracle.
- L’aveugle de naissance (Jn 9, 1-41) : long récit qui prend presque tout le chapitre, comme
le paralysé de la piscine (Jn 5, 1-47) et Lazare (Jn 11, 1-44)), avec de grandes qualités
littéraires et théologiques. Trois temps (problème, guérison par une parole et un geste,
réactions) concentrés dans les neuf premiers versets, la suite étant une controverse. À
proprement parler, les versets 2-5 ne font pas partie du récit de miracle réduit à 9, 1.6-7. La
boue faite avec de la salive signifie l’aveuglement qui est lavé.
- «Les aveugles voient» (Mt 11, 5 ; Lc 7, 22) : en plus des trois cas supra, ce logion général
sur la guérison d’aveugles (et d’autres) manifeste que Jésus a bien guéri des aveugles, selon
Mc, Q et Jn.
3. Deux cas de guérison de lèpre (+ une affirmation générale)
Seulement deux récits plus l’affirmation générale de Mt 11, 5 // avec la difficulté de définir ce
qui est mis sous le mot «lèpre» : peut-être seulement une maladie de peau et non pas la
maladie de Hansen.
- Mc 1, 40-45 // : le récit suit le modèle : demande à Jésus ; Jésus guérit ; ordre donné pour
une reconnaissance. Si le verset 45 est sans doute ajouté part Marc, rien n’interdit de
considérer ce miracle comme historique.
- Lc 17, 11-19 : dix lépreux guéris et le Samaritain seul reconnaissant. Propre à Luc. Deux
parties : le miracle (11-14) et les réactions entraînant un questionnement de Jésus (16-19).
La première partie met en valeur la puissance de’ Jésus qui guérit à distance ; la deuxième
montre que, plus importante que la guérison, c’est la foi qui sauve. Cette deuxième partie
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comporte des énigmes et l’emploi de mots étranges et manifeste la théologie de Lc. Est-ce
une reprise de Mc 1, 40-45 (ci-dessus) ou une authentique tradition de Luc ???
- Conclusion : l’attestation multiple manifeste que Jésus a guéri des lépreux. Mais il est
difficile d’aller plus loin.
4. Cinq guérisons diverse rapportées en un seul exemplaire (+ serviteur du centurion)
Cette catégorie «fourre-tout» comporte seulement deux caractéristiques : une seule occurrence
du type de guérison et une seule source. Ce qui renforce la non évidence de leur historicité.
- Belle-mère de Pierre (Mc 1, 29-31 //) : c’est le récit de miracle le plus court des évangiles
(encore réduit chez Mt et Lc), dans le cadre d’une journée à Capharnaüm. Malgré son
caractère bref et concret, il n’est pas évident que Jésus ait guéri la belle-mère, alors qu’il est
certain que Pierre était marié (cf. ici et en Co 9, 5).
- Femme avec hémorragie (Mc 5, 24-34 //) : inséré dans le récit de la résurrection de la fille
de Jaïre, comme assez souvent cher Mc, c’est le seul cas de problème gynécologique dans
l’Évangile, avec le problème de la pureté légale. L’aspect magique du récit (une force sortie
de Jésus ; cf. le sourd-muet et l’aveugle de Bethsaïde en Mc 7, 31 et 8, 22) laisse planer des
doutes sur son authenticité.
- L’homme hydropique (Lc 14, 1-66) : panachage d’un récit de miracle et d’une controverse
sur le sabbat (cf. l’homme à la main paralysée en Mc 3, 1 ou la femme courbée en Lc 13,
10). Il n’y a aucune opposition à Jésus et donc rien n’atteste l’historicité ou non.
- Le sourd-muet (Mc 7, 31-37) : beaucoup de parallèles avec la guérison de l’aveugle de
Bethsaïde en Mc 8, 22s, mais sans indication précise de temps et de lieu. Cependant le
nombre important de mots non marciens, de gestes rituels ou symboliques, l’ordre donné en
araméen, plaident en faveur de l’historicité. Jésus a fait entendre des sourds.
- L’oreille du serviteur du grand-prêtre (Lc 22, 49-51) : la mutilation est attestée dans les
quatre évangiles, mais la guérison seulement par Luc et est donc une création de Lc.
L’identité du coupeur est incertaine, sauf pour Jean.
- Cas particulier du serviteur du centurion (Mt 8, 5-13 //) : c’est le seul récit que la
tradition Q développe assez longuement, avec un dialogue sur la foi pour le serviteur du
centurion (Mt) ou le fils de l’officier royal (Lc et Jn).
* Guérison à distance, pour la fille de la syro phénicienne, où deux questions se posent : Q
et Jn sont-ils deux versions différentes ? Jn est-il dépendant de Mt ou Lc ou des deux ?
* Il y a des différences et des accords sur la localisation (Capharnaüm ou Cana), sur le
demandeur (centurion ou officier royal, païen ou juif), sur le destinataire (fils ou serviteur)
qui attestent que Jean est indépendant de Q, mais que ce récit de miracle est sans doute
historique (critères d’attestation multiple, de discontinuité et d’embarras).
5. Conclusion
Jésus a accompli des guérisons de personnes paralysées, aveugles, souffrant d’affections
cutanées, sourdes ou muettes… Les cas suivants ont de bonnes chances de remonter au Jésus
historique :
* l’homme paralysé descendu du toit (Mc 1, 1-12 //) ;
* le paralytique de la piscine de Béthesda (Jn 5, 1-9) ;
* l’aveugle Bartimée près de Jéricho (Mc 10, 46-50 //) ;
* l’aveugle de Bethsaïde (Mc 8, 22-26) ;
* l’aveugle de la piscine de Siloë (Jn 9, 1-7) ;
* un sourd-muet (Mc 7, 34-37) ;
* le serviteur ou fils du centurion (Mt 8, 5-13 et Jn 4, 46-54).
Donc Jésus a surtout fait des guérisons de paralysés ou d’aveugles…
30

XXII. Les 3 résurrections des morts


Ce type de miracle heurte beaucoup nos mentalités sceptiques. Et des exégètes attribuent ces
trois récits à des mises en image par l’Église primitive de sa croyance en Jésus ressuscité.
Cette position méconnaît trois points :
* le fait que le monde ancien considérait une résurrection comme plausible et possible ;
* bien que rares, les trois récits sont attestés par des sources multiples (M, Lc, Jn) ;
* au plan méthodologique, il importe seulement de vérifier si tel acte remonte à Jésus lui-même.
Ces résurrections sont en fait des réanimations (retour à une vie mortelle)  de la résurrection
de Jésus, même si le même mot est utilisé (égeiro, anistémi). Le contenu et la forme littéraire
sont également différents : la résurrection de Jésus n’est pas racontée.
1. La résurrection de la fille de Jaïre (Mc 5, 21-43 ; Mt 9, 18-26 ; Lc 8, 40-56)
a) Travail de rédaction de Marc
- Mc représente la tradition la plus ancienne, abrégée par Mt et réécrite par Lc. Le récit inséré
de la guérison de la femme hémorragique a existé séparément ; c’est Mc qui a rassemblé,
peut-être à cause des ressemblances de mots (femme ou fille ; malade ; 12 ans ; se jeter aux
pieds ; demande suppliante, sauzô ; foi et «crainte»…)
- Quand on détache le récit de Jaïre, on repère des touches rédactionnelles :
* verset 21, charnière avec le récit de la tempête apaisée ;
* «la foule nombreuse qui suivait et pressait» (v. 24) permet le lien avec la femme hémo. ;
* v. 35 «comme il parlait encore» : avec la fille de Jaïre ???
* v. 37 : le «trio favori des disciples» ;
* reste donc versets 22-23, 35-37a et 38-43. Cependant la finale semble bizarre : comment
empêcher la famille de proclamer le miracle ? Et que signifie l’ordre de la faire manger ?
* Il y a donc une tradition antérieure que Mc a reçue et qu’il a revue avec son thème
obsessionnel du secret, qui ici ne fonctionne pas.
b) Forme et contenu du récit traditionnel
- Il a dû y avoir une structure tripartite :
* une rencontre initiale longue (v. 22- 23 + 35-36 + 38-40) : le demandeur tombe aux pieds
de Jésus : le récit de guérison se transforme en récit de résurrection avec invitation à
croire ; déclaration de Jésus et entrée dans la chambre avec seulement quelques-uns ;
* le miracle proprement dit (v. 41-42ab) : formule araméenne et la fille se lève et marche ;
* enfin l’effet produit sur les gens, stupéfaits (v. 42c) et peut-être aussi v. 43c : non
seulement elle marche, mais elle mange.
- Les trois récits de résurrection ont en commun le fait de demander une guérison et non pas
une résurrection, qui aurait paru insensée.
c) Une forme encore plus ancienne ?
- Certains vont encore plus loin et font entrer Jésus dans la chambre pour guérir l’enfant (pas
morte) et arguent du fait que Jaïre signifie «Dieu éveillera» (ce qui n’est pas sûr).
- On aurait ainsi un exemple de passage de récit de guérison à un récite de résurrection…
Mais c’est compliqué !
d) Le récit remonte-t-il au ministère de Jésus ?
- Jaïre est le seul à être nommé directement comme demandeur (Mt d’ailleurs l’ignore comme
chef de synagogue), ainsi que Bartimée comme bénéficiaire.
- L’ordre en araméen talitha koum (araméen populaire, car le féminin aurait exigé koumi),
ainsi que six autres sémitismes.
31

- L’absence de tout titre christologique, le fait de tourner Jésus en dérision (critère


d’embarras), l’expulsion de la foule, etc., montrent que ce récit est le reflet d’un événement
du ministère public de Jésus, ce qui reste assez vague…
2. La résurrection du fils de la veuve de Naïm (Lc 7, 11-17)
a) Situation du miracle dans l’évangile de Luc
- Récit propre à Luc. Après le discours dans la plaine (Lc 6, 20-49 ; cf. sur la montagne en
Mt), Lc présente des actions miséricordieuses et salvifiques de Jésus durant son ministère
galiléen, qui vont lui permettre de répondre à la question de son identité formulée par JB.
- Jésus est le super-prophète qui annonce et réalise la Bonne Nouvelle.
b) Le récit de Naïm
- Lc a-t-il utilisé la tradition de miracles d’Élie et Élisée ou bien a-t-il créé lui-même ce récit ?
Cf. 1 R 17, 7-24 et 2 R 4, 8-37.
- Il est vrai qu’on voit beaucoup de ressemblances (veuve, portes de la ville, fils unique,
mêmes mots dans le même ordre, acclamation de la femme…), mais il y a aussi beaucoup
de différences : la veuve est connue d’Élie ou Élisée, elle demande, le fils gît, la prière et les
gestes des deux, Jésus est accompagné et non pas seul, il ne touche pas, il ordonne,
l’événement se répand… Mêmes différences avec le récit de Jaïre.
- Comme Luc supprime généralement les doublets (multiplication des pains, femme et onction
des pieds) et qu’il est le seul évangile à avoir deux récits de résurrection (Jaïre et Naïm), il
semble bien qu’il a rédigé ce récit à partir d’une source particulière de chrétiens
palestiniens.
c) Le récit remonte-t-il à Jésus ?
- Beaucoup d’exégètes considèrent ce récit comme une réécriture des récits de résurrection
d’Élie ou Élisée.
- Mais pour Meier, à cause surtout de la localisation à Naïm (seule mention dans toute la
Bible de cette petite ville, dont on sait maintenant qu’elle était fortifiée et avait donc des
portes), ce récit remonte à Jésus.
3. La résurrection de Lazare (Jn 11, 1-45)
a) Situation du miracle dans l’évangile de Jean
- C’est le septième et dernier et le plus grand des «signes» accomplis par le Jésus johannique,
«donneur de vie».
- Point culminant de tout ce qui précède, cette résurrection est tournée vers l’après. Elle
apparaît ainsi comme la cause de l’arrestation et de l’exécution de Jésus ( des Synoptiques
pour qui c’est la purification du Temple), mais aussi comme le point de départ de trois
événements liés : résurrection de Jésus, résurrection spirituelle de chaque croyant et
résurrection corporelle au dernier jour.
b) Tradition dans le récit de la résurrection de Lazare
- Vu les incohérences et répétitions du récit, on admet que Jean a réélaboré un récit plus
ancien. Mais lequel ? À partir des particularités du récit, Meier cherche des critères de
distinction et essaie de reconstituer l’état approximatif de la tradition initiale.
- On peut relever sept éléments différents dans Jn 11, 1-45 :
* introduction du récit ou double problème de la maladie de Lazare et du retard de Jésus (1-6) ;
* deux dialogues de Jésus avec ses disciples (7-16) ;
* arrivée à Béthanie et deux rencontres avec les sœurs (17-32) ;
* très ému Jésus arrive au tombeau (33-39a) ;
* deuxième rencontre de Jésus avec Marthe (39b-40) ;
32

* résurrection de Lazare (41-44) ;


* réactions diverses (45-46).
- Cela rejoint la structure habituelle des récits de miracles : 1 présentation du problème et
demande d’aide ; 2 miracle par parole ou geste ; 3 réactions et conclusion.
- Les deuxième et troisième parties de la structure habituelle sont condensées dans les versets
43-44 et 45-46. C’est donc la première partie qui a été considérablement augmentée ; et
c’est sans doute là que Jean (ou le rédacteur final) a ajouté des matériaux : sur les 46 versets,
42 sont liés à la première partie traditionnelle.
- On peut ajouter des mots clefs : «allons» (7, 16), «gloire» et «croix» (cf. Jn 2, 11 à Cana).
Mais surtout quatre critères de travail rédactionnel :
* les références et apartés ne devaient pas apparaître dans un récit isolé ;
* les mini-discours de Jésus viennent sans doute de Jean et renvoient à des thèmes
théologiques majeurs ;
* les ruptures, répétitions, tensions montrent un travail rédactionnel ;
* la présence d’un vocabulaire typique de Jean.
- Premier critère : référence à des événements situés avant ou après et n’appartenant pas au
texte primitif. Quatre cas clairs :
* v. 2 qui identifie Marie comme celle qui avait oint (cf. Jn 12, 18, donc après Lazare) ;
* v. 7-8 qui suppose que Jésus est déjà allé en Judée, alors que ce n’est dit qu’après dans
l’évangile ; de même pour l’expression hostile de «les juifs» en 11, 8 ( 11, 45) ;
* v. 16 qui fait inclusion avec les v. 7-8 qui sont un ajout de l’évangile ;
* v. 36-37 qui renvoient à l’attitude des juifs dans le récit de l’aveugle-né.
Tel est le talent littéraire de Jean : ancrer son récit dans le déroulement du complot contre
Jésus, à la fin de son ministère public.
- Deuxième critère : mini-discours énonçant des thèmes théologiques majeurs, soit une
variante du premier critère. Cinq cas :
* v. 9-10 qui renvoie à la loi de l’heure, mais n’est pas évident dans le récit de Lazare (cf.9,
49) ;
* v. 21-27 : le dialogue avec Marthe est un chef-d’œuvre théologique où se conjuguent la foi
en la préexistence du Verbe et l’Incarnation, et la foi en une eschatologie réalisée dès ici-
bas par la foi. Ce qui renvoie exactement à la conclusion de Jn 20, 31 : «Ces choses ont été
mises par écrit pour que vous croyiez que Jésus est le Christ, le Fils de Dieu, et pour qu’en
croyant vous ayiez la vie en son nom» ;
* v. 39b-40 que l’on peut enlever et avoir une suite logique avec le v. 41a ;
* v. 4b et 5 : commentaire pour éviter un malentendu ;
* v. 4-16 dans l’ensemble est un apport de l’évangéliste ; l’apparition des apôtres joue
comme un faire-valoir théologique de Jésus.
- Troisième critère : contradiction, tensions, répétitions, ruptures, confusion indiquant une
main qui retravaille. Trois cas :
* v. 5 qui rompt la fluidité du récit ;
* v. 18 sur la situation de Béthanie, qui s’adresse au lecteur ;
* v. 33-37 : répétition de l’émotion de Jésus.
- Quatrième critère : vocabulaire typique du quatrième évangile ; ce qui apparaît selon les
autres critères comme ajouts de Jean est confirmé par sa saveur johannique.
c) Conclusion
- Si Marthe a été utilisée comme porte-parole de perspectives théologiques, ses deux
rencontres avec Jésus sont sans doute des créations de l’évangéliste (21-27 et 39-40). Ce qui
éclaire d’autres points :
33

* alors que Marie est citée en premier, c’est Marthe qui accapare la plus grande part du récit,
jusqu’à ce qu’on retrouve Marie à la fin (v. 43) ;
* v. 5 qui donne les priorités de l’évangéliste, comme dans 21-27 et 39-40, mais ce sont des
ajouts ;
* si on enlève 21-27, la rencontre brève avec Marie (29-32) prend sens ;
* on peut aussi enlever son nom aux v. 1 et 19 («les sœurs»), ainsi que les versets 20-30b et
28.
- On en arrive à la reconstitution primitive : 1.3.6, (peut-être 11-14.15d), 17(18), 19(20b), 29
(30a), 31-34.38-39a.4143-45.
- Comme Bartimée dans Marc, Lazare est le seul bénéficiaire d’un miracle qui soit nommé
dans Jean. Marie, comme Jaïre, et la seule à demander. Donc Lazare, Marie et Béthanie font
partie de la tradition originale. Malgré les possibles liens avec Lc 16, 19-31 (mort de
Lazare) et Lc 10, 39-42 (repos dans la maison de Marthe et Marie) ou les récits d’onction
(Lc 7, 36.50).
- Sans doute le récit de la résurrection de Lazare reflète-t-il un épisode de la vie de Jésus
historique ; et le silence des Synoptiques (qui ont deux autres récits de résurrection)
n’invalide pas cette conclusion.
4. «Les morts ressuscitent» (Mt 11, 5 // Lc 7, 22)
Ce logion clé de la tradition Q est important pour chaque catégorie de miracles, car il
constitue une autre attestation des récits de miracles, et surtout il n’est pas un récit, mais une
parole de Jésus. La résurrection des morts est donc attestée par quatre sources (Mc, Lc, Jn et
Q) et dans deux formes différentes : récit et logion. Ce n’est donc pas l’Église primitive qui a
créé l’image d’un Jésus ressuscitant les morts ; cette image remonte au ministère public de
Jésus, malgré toutes les tentatives pour neutraliser cet ancien logion.
- Ce logion est authentique (cf. la démonstration faite au chapitre XII 2 a) : utilisation d’un
terme non employé par le judaïsme («celui qui doit venir») ; difficulté pour JB d’accepter
Jésus ; réponse sans utilisation des titres christologiques de l’Église primitive ; appel adressé
à JB dans la béatitude finale…
- La mention sur la résurrection des morts n’est pas secondaire, car c’est la seule dans le
document Q. Et par ailleurs Isaïe 35-42 n’est pas le seul renvoi sous-jacent de la réponse de
Jésus. De plus, pourquoi n’a-t-on pas ajouté les exorcismes, beaucoup plus fréquents que les
résurrections ?
- Il ne s’agit pas enfin d’une résurrection spirituelle, pas plus que le retour à la vue des
aveugles.
XIII. Les 7 miracles de la nature
- Cette catégorie, qui comporte sept miracles, est-elle pertinente ? Ces miracles de la nature
forment une catégorie «fourre-tout», difficilement identifiable pour quatre raisons :
* définition multiple du concept de «nature» ;
* la définition de la nature comme «matière inanimée» ne tient pas ;
* les parties habituelles des récits de miracles (exposé du problème, miracle et conclusion)
ne se retrouvent pas dans cette catégorie ;
* très grande variété dans le contenu et le vocabulaire (seuls Cana et la multiplication des
pains rentrent dans la catégorie du miracle-don).
- On pourrait peut-être subdiviser cette catégorie en quatre espèces :
* miracle-don (Cana et multiplication des pains) ;
* miracle-épiphanie (marche sur la mer ; {
* miracle-sauvetage (tempête apaisée) ; } un seul cas !
34

* miracle de malédiction (figuier). {


- Cependant, surtout pour la multiplication des pains, le critère d’attestation multiple est
absent. Donc il est difficile de parler d’historicité.
1. Récit de l’impôt du Temple (Mt 17, 24-27)
- Ce n’est pas à proprement parler un récit de miracle, mais plutôt une controverse.
- Le récit est construit en deux parties parallèles :
* v. 24-25a : arrivée à Capharnaüm ; demande des collecteurs d’impôt ; réponse de Pierre ;
* v. 25b-26c : arrivée de Pierre à la maison ; Jésus pose une question à Pierre ; réponse de
Pierre.
Et conclusion sur la liberté (v. 26d) ; le v. 27 apparaît hors cadre, avec une construction
rythmique à quatre participes et quatre impératifs, mais dans un vocabulaire et une théologie
propres à Mt.
- Cette péricope apparaît comme le dernier récit de la quatrième des cinq grandes sections
structurant le ministère public. La quatrième section (Mt 13,54-18, 35) manifeste le fossé de
plus en plus profond entre Jésus et les autorités juives, avec plusieurs thèmes
ecclésiologiques (rôle de Pierre, règles de conduite dans l’Église).
- Le principe ecclésiologique est que Dieu n’impose pas ses enfants et que ceux-ci sont libres
par rapport à l’impôt du Temple D’où Jésus contredit Pierre, le chef. Mais pour éviter un
scandale, il fait trouver un statère dans la bouche d’un poisson pour l’impôt de Pierre et de
lui-même (seulement eux, d’où la jalousie des autres, aussitôt après, avec leur question sur
le plus grand).
- Donc : vocabulaire matthéen, théologie propre, christologie de Fils, place de Pierre, liens
aux usages juifs, éviter le scandale, travail de rédaction de Mt pour faire le pont avec le
chapitre 18 ; tout cela montre que Mt 17, 24-27 est l’œuvre de l’évangéliste et que ce
miracle ne remonte sans doute pas à l’époque de Jésus, mais est l’œuvre de l’Église de Mt,
sans doute l’Église d’Antioche composée de nombreux membres juifs.
2. Malédiction du figuier stérile (Mc 11, 12-14.20-21 ; Mt 21, 18-20)
- Ce récit n’est attesté que dans Mc et Mt ne fait que le résumer. Il est situé juste avant
l’épisode de la purification du Temple, quelques jours avant la Passion.
- Mc hérite d’un récit pré-marcien qui emboîtait déjà malédiction du figuier et purification du
Temple. Au départ on a sans doute eu trois récits successifs : entrée triomphale à Jérusalem,
purification du Temple et remise en cause de l’autorité de Jésus par les responsables
religieux. Là-dessus s’est branché le récit du figuier stérile pour montrer que l’objectif de
Jésus n’est pas la réforme du Temple, mais sa destruction.
- Ainsi la malédiction du figuier est une interprétation de la purification du Temple ; elle ne
remonte pas au Jésus historique, mais constitue un théologoumène à partir des miracles de
châtiments rapportés dans l’AT (dix plaies d’Égypte ; destruction de l’armée égyptienne ;
desséchement de la main du roi Jéroboam ; etc.
3. La pêche miraculeuse (Lc 5, 1-11 // Jn 21, 1-14+15-19)
- Bien que ce récit soit attesté par Lc et Jn et qu’il semble faire partie de la catégorie des
«miracles-dons», son historicité n’est pas évidente, puisque situé au début du ministère
public par Lc et après la résurrection par Jn. De plus, qui a conservé la situation originale,
Lc ou Jn ?
- Les différences entre les deux récits sont évidentes : début du ministère public ; appel des
premiers disciples ; autre barque pour ramasser ; crainte de Pierre en Lc. Après la
résurrection ; une seule barque, Pierre se jette à l’eau ; proposition d’un repas par Jésus,
triple demande de Jésus à Pierre…
35

- Donc deux versions différentes du même récit, avec onze éléments d’une grille :
* un groupe de pêcheurs dirigé par Pierre a peiné toute la nuit pour rien et Jésus paraît ;
* Jésus ordonne de jeter encore les filets avec succès ;
* les compagnons font confiance et obéissent ; résultat : une grosse prise ;
* effet de la quantité de poissons sur les filets qui ne se déchirent pas ;
* réaction spectaculaire de Pierre seul ;
* dans le récit il est question de Jésus, mais Pierre s’adresse à lui comme «Seigneur» ;
* les autres pêcheurs participent, mais ne disent rien (sauf en Jn 21, 7) ;
* à la fin Jésus somme Pierre de le suivre ;
* les poissons symbolisent le travail missionnaire, fécond ou non selon qu’il est réalisé avec
Jésus ou non ;
* mêmes vocables grecs utilisés : embarquer, débarquer, suivre, filet, poisson, grande
quantité, barque, nuit, fils de Zébédée ;
* pour parler de sa réaction, Lc parle de «Simon-Pierre» (seule fois), alors que c’est la
manière habituelle de Jn.
Donc deux versions différentes du même récit et non deux récits superficiellement
semblables.
- En général la tradition a eu tendance à glisser des matériaux d’origine postpascale dans le
ministère public, mais l’inverse ne se produit jamais (aucun transfert d’actes ou paroles
historiques de Jésus dans le postpascal).
- On peut ajouter le caractère anormal de la réaction de Pierre devant l’appel de Jésus : jamais
d’autres cas, alors qu’après le reniement cette confession se conçoit bien. Et aussi les
vestiges d’une première apparition à Pierre (cf. 1 Co 15, 5).
- Le récit de la pêche miraculeuse ne remonte donc pas à une action du Jésus historique.
4. La marche sur la mer (Mc 6, 45-52 // Mt 14, 22-23 ; Jn 6, 16-21)
- On a deux traditions différentes de Mc et de Jn insérées toutes les deux dans une trame en
trois temps (miracle de nourriture, traversée de la mer de Galilée, et un miracle ou la
profession de foi de Pierre). On peut aussi noter que cette structure se répète deux fois dans
la «section des pains» de Mc (6, 30-7, 37 et 8, 1-26). Mt reprend Mc (+ Pierre).
- La version de Mc est racontée du point de vue de Jésus : il ne s’agit pas d’un sauvetage
(comme dans la tempête apaisée de Mc 4, 35-41), mais d’une épiphanie de Jésus révélant sa
majesté divine en marchant sur les eaux et en dépassant ses disciples. Soixante-quatre mots
précèdent et suivent le verset 48. De plus, les disciples n’ont pas peur des flots (le mot
«tempête» est absent), mais du fantôme de Jésus.
- La version de Jn est sans doute plus primitive, pas seulement parce plus brève, mais parce
que dénuée de symbolisme théologique Mais elle est centrée également sur l’épiphanie de
Jésus se révélant comme Parole éternelle et Sagesse divine, avec l’emploi du εγ εµ (cf.
Ex 3, 14-15 = Je suis). Jn a conservé le récit primitif, bien qu’il casse l’ordonnancement de
son chapitre 6 sur le pain de vie.
- Alors que le récite de Mc part du point de vue de Jésus, celui de Jn est du point de vue des
disciples Le récit a son points culminant dans le «c’est moi, n’ayez pas peur». Mais il
diverge ensuite : Mc mentionne le calme, la stupéfaction des disciples et leur
incompréhension, alors que pour Jn l’épisode se termine aussitôt avec l’arrivée de la barque
sur la terre ferme, de façon quasi miraculeuse.
- Si on reprend la structure habituelle de tout miracle (situation, parole ou geste de Jésus,
réactions des témoins), on peut peut-être reconstituer le récit primitif :
* après la multiplication des pains, les disciples et Jésus sont séparés : eux tout seuls dans la
barque et lui dans la montagne ;
36

* parole et action de Jésus (qui s’approche et se révèle) mettent fin à la séparation ;


* la réaction est différente : pour Mc stupeur, pour Jn arrivée immédiate.
- Ainsi c’est le seul miracle-épiphanie de Jésus accompli par lui au cours de son ministère
public (la transfiguration étant plus une vision qu’un miracle).
- Ce miracle-épiphanie est lié à de nombreuses références à l’AT, manifestant le pouvoir de
Dieu sur la mer (Job 9, 8b ; Job 38, 1-16 ; Ha 3, 15 ; Ps 77, 17-21 ; Is 51, 9-10 ; Pr 8, 29 ; Si
24…). Cf. les différentes interprétations de l’expression «il voulait les dépasser».
- Cependant ce miracle ne remonte sans doute pas au ministère public de Jésus. En effet, il n’a
pas pour but de sauver (les disciples ne sont pas en péril), mais de manifester Jésus comme
lié à Yahvé (cf. la théologie descendante de l’Église primitive). De plus, le substrat vétéro-
testamentaire laisse entendre une reconstruction par l’Église primitive (peut-être tirée de son
usage eucharistique : Jésus se rend présent et dit : «n’ayez pas peur»). L’insertion de la
profession de foi de Pierre par Mt est donc aussi une création de l’Église.
5. La tempête apaisée (Mc 4, 35-41 // Mt 8, 23-27 ; Lc 8, 22-25)
- Ce récit marque la fin du discours en paraboles et inaugure une collection de miracles
(tempête apaisée, démonique géranésien, résurrection de la fille de Jaïre et guérison de la
femme hémorroïsse) marquant le pouvoir de Jésus sur les forces démoniaques et témoignant
d’une tradition pré-marcienne qui les avait déjà réunis.
- On retrouve la structure habituelle du récit de miracle avec la situation (une tempête pendant
que Jésus dort et la panique des disciples, v. 35-38) ; le miracle proprement dit (avec deux
verbes utilisés dans les exorcismes : «menacer» et «museler», v. 39) ; enfin réaction-
acclamation des disciples (précédée par un reproche de Jésus, v. 40).
- Quelle est la catégorie de ce miracle, épiphanie ou sauvetage ? Incontestablement il ne s’agit
pas d’une épiphanie, mais d’un sauvetage, avec les trois parties liées par le mot «grand» :
bourrasque (37), calme (39) et crainte (41). L’incompréhension des disciples est habituelle
chez Mc.
- Les références à l’AT (Jonas et la marche sur les eaux, Ps 107), la théologie marcienne,
l’absence d’attestation multiple… et le fait que le miracle s’adresse aux seuls disciples, tout
cela renvoie très probablement à un produit de l’Église primitive.
6. Changement de l’eau en vin à Cana (Jn 2, 1-11)
- Comme dans tout récit de miracle, on retrouve trois parties (situation, miracle, réaction) et
en particulier dans les miracles-dons (cf. le don de la nourriture) : Jésus apparaît confronté à
un besoin alimentaire, souligné par un dialogue où il commande une chose qui n’a rien à
voir ; le miracle et son processus ne sont pas racontés ; enfin réaction devant la quantité et la
qualité de ce que Jésus donne.
- Cependant on repère le caractère différent et allusif du récit :
* pas de demande, mais une observation («ils n’ont plus de vin») ;
* le miracle proprement dit n’est raconté que de manière détournée : ordre de remplir les
jarres d’eau et ensuite de puiser ; Jésus ne dit ni ne fait rien sur les jarres (c’est le maître
du repas qui découvre l’eau changée en vin) ;
* l’acclamation est adressée ironiquement au marié, et le maître du repas ne se rend même
pas compte qu’il y a eu miracle ;
* quant à la foi des disciples, il n’est rien dit de la façon dont ils ont perçu ce miracle ;
* enfin c’est le seul récit où Marie est concernée.
- Au moins cinq éléments amènent à considérer ce récit comme une création de Jean :
37

* La mention temporelle «le troisième jour» qui renvoie à l’appel des premiers disciples et
au commencement des signes annoncés à Nathanaël (ce qui ne renvoie pas pourtant au
troisième jour de la résurrection).
* Jn est le seul à parle de «la mère de Jésus» (et non pas Marie) ; on retrouve le même usage
de «mère» et «femme» lors de la Passion (Jn 25-27) ; cette mention et le rôle théologique
et symbolique de Marie relèvent donc de la composition de Jean et non de la tradition
historique.
* La tension qui naît du fait que Jésus semble refuser à Marie ce qu’il demande ensuite aux
serviteurs s’explique par un schéma littéraire et théologique propre à Jean : en vertu de sa
christologie descendante, Jésus connaît d’avance toutes choses et garde toujours
l’initiative ; ainsi il accomplit le miracle alors que personne ne lui a demandé, sinon une
demande indirecte (cf. l’officier royal ou Marthe et Marie) où l’on trouve une structure en
quatre temps : demande implicite ; refus tout d’abord pour garder la maîtrise ; le
demandeur persiste et affirme sa foi ; Jésus accède de façon spectaculaire.
* Ainsi les cinq premiers versets et la structure d’ensemble sont une création de
l’évangéliste.
* Chez Jn les récits de miracles dépassent en quantité et en qualité ceux des Synoptiques
(v.g. guérison non pas d’un aveugle tout court, mais d’un aveugle de naissance) ; ainsi les
350 à 540 litres de vin offerts à des gens ayant déjà bien bu ; utilisation de la symbolique
joyeuse du vin et de celle de la noce et de l’époux (le mari symbolisant Jésus et recevant le
compliment). Ainsi c’est toute la vie de Jésus qui est symboliquement décrite dès le début
de l’évangile ou le «commencement des signes».
* Le sommaire conclusif (v. 11) est bien à la manière de Jn, renvoyant au «commencement»
du Jn 1, 1. Ce qui amène la foi des disciples qui vont découvrir la gloire du Christ. Cf.
aussi la répétition de «tel fut» en Jn 4, 54, en forme d’inclusion structurant la première
partie du ministère public.
- D’autres considérations secondaires vont dans le même sens d’une création : l’architriclinos
inconnu en Palestine ; le bon vin servi en premier n’était pas une règle ; l’ordre donné aux
serviteurs par un invité, etc.
- Ces difficultés historiques liées au nombre impressionnant de traits littéraires ou
théologiques johanniques, outre le fait que Cana n’a aucun parallèle, montrent que ce
miracle est une pure création de l’évangéliste.
7. Le don de nourriture à la foule (Mc 6, 32-44 // Mt 8, 1-10 ; Mc 8, 1-10 // Mt 15, 32-39)
- Ce récit est le seul miracle-don de multiplication ( don de transformation à Cana). De plus,
la «multiplication» n’est pas décrite, mais seulement son résultat ; elle est racontée de
manière voilée (comme à Cana). C’est le seul miracle raconté par les quatre évangiles et
même deux fois par Mc et Mt (aux 5.000 avec cinq pains et deux poissons : Mc 6, 32-44 et
Mt 14, 13-21 ; aux 4.000 avec sept pains et quelques poissons : Mc 8, 1-10 et Mt 15, 32-39)
- Le problème porte sur les deux versions de Mc, dont dépendent Mt et Lc, et leur rapport à
Jn, ainsi que sur les rapports entre les deux versions de Mc.
- Sur la question de la dépendance du récit de Jn, Meier pense que Jn a utilisé une tradition
semblable à Mc 6 ou 8, mais que cette tradition est indépendante. Il montre les éléments
communs dans les trois parties du récit : cinq dans la situation, cinq dans le dialogue et
quatre dans le miracle :
Situation :
* départ en barque
* une grande foule
* enseignement et guérisons
* grimpe sur la montagne avec ses disciples
38

* mention de l’herbe.
Dialogue :
* disciples ou Jésus prennent l’initiative devant la foule affamée
* Jésus invite les apôtres, qui demandent comment faire, à s’en charger
* faudra-t-il acheter autant de pains ?
* demande de Jésus sur ce qu’ils ont
* mention des 5.000 ou 4.000.
Miracle :
* ordre donné de s’étendre
* paroles et gestes pour multiplier (cf. la Cène)
* tous mangent et sont rassasiés
* douze ou sept corbeilles pour ramasser ce qui reste.
- Sur la relation entre les deux récits de Mc (6, 32-44 et 8, 1-10), on peut noter que leur
contenu et leur structure sont identiques ; qu’il est bizarre qu’en Mc 8 les disciples semblent
croire que Jésus ne pourrait pas multiplier, alors qu’il vient de le faire en Mc 6 ; que la
version indépendante de Jn contient des éléments de 6 et 8. Il en ressort que Mc 6 et 8 sont
deux versions différentes du même miracle en circulation dans la tradition pré-marcienne.
- Sur la forme primitive du récit, d’après les accords entre Jn 6 et Mc 6 ou 8, on retrouve les
éléments suivants répartis selon la structure habituelle des miracles (situation, miracle,
conclusion) :
Situation :
* rivage de la mer de Galilée, lieu inhabité
* acteurs : Jésus, disciples proches, grande foule
* dialogue sur l’impossibilité de nourrir une telle foule
* ordre de Jésus de faire s’étendre la foule sur l’herbe.
Miracle :
* Jésus prend les pains, rend grâce les rompt et les donne aux disciples
* pour qu’ils les distribuent ; de même avec les poissons
* tous mangent et sont rassasiés.
Conclusion :
* on ramasse les douze paniers remplis du pain restant
* Jésus renvoie la foule (Mc) ou la foule acclame Jésus (Jn).
- Sur la question de l’historicité, même si le rapport au récit de la nourriture fournie par
Élisée à 100 personnes (2 R 4, 42-44) et à celui de la dernière Cène a influencé cette
multiplication, on peut penser, d’après les critères d’attestation multiple et de cohérence,
qu’il y a bien eu dans le ministère de Jésus un repas particulièrement mémorable avec du
pain et des poissons, partagé avec une grande foule sur les bords de la mer de Galilée.
8. Résumé sur les 32 miracles
- Sur ces miracles, on ne peut pas suivre l’opinion des conservateurs pour qui ces événements
ont eu lieu comme ils sont racontés, ni celle des rationalistes pour qui le miracle peut
s’expliquer d’une façon naturelle, ni les partisans de l’explication symbolique pour qui les
miracles sont des créations de l’Église primitive. Il y a sans doute eu des actions de Jésus
miraculeuses.
- Les plus souvent attestés sont les récits d’exorcismes ou de guérisons. En ce qui concerne les
exorcismes : sur les sept récits repérés, trois remontent sans doute au ministère de Jésus :
l’enfant épileptique (Mc 9, 14-29), Marie-Madeleine (Lc 8, 2), le démonique géranésien
(Mc 5, 1-20). La source Q confirme que Jésus a fait des exorcismes (Lc 11, 20).
- Quant aux récits de guérisons, on peut les répartir en quatre catégories :
39

* Quatre de paralysés, estropiés ou infirmes, dont deux remontent sans doute au Jésus
historique : le paralysé descendu du toit (Mc 2, 1-12) et le paralysé de la piscine (Jn 5, 1-
9). La source Q confirme le pouvoir de Jésus de faire marcher les boiteux (Mt 11, 5).
* Trois d’aveugles, qui tous remontent au ministère de Jésus : Bartimée (Mc 10, 46-52),
l’aveugle de Bethsaïde (Mc 8, 22-26) et l’aveugle de naissance (Jn 9). La source Q (Mt 11,
5) confirme qu’il s’agit de la tradition la plus ferme sur l’activité thaumaturgique de Jésus.
* Deux de lépreux (Mc 1, 410-45 ; Lc 17, 11-19 ; plus Mt 11, 5, affirmation générale). Pour
ses contemporains Jésus était censé avoir guéri des lépreux, mais il n’y a pas de fondement
historique particulier.
* Six «fourre-tout» qui n’apparaissent qu’une seule fois et dont un seul peut remonter au
Jésus historique : le serviteur du centurion (Mt 8, 5-13 //).
- Sur les trois récits de résurrection, les attestations multiples militent en faveur de
l’historicité de ces trois miracles : la fille de Jaïre (Mc 5, 21-43), le fils de la veuve de Naïm
(Lc 7, 11-17) et Lazare (Jn 11, 1-46).
- Sur les sept miracles dits «de la nature», seul celui du don de la nourriture à la foule
semble remonter au Jésus historique, les autres étant des créations de l’Église primitive.
***
L’action thaumaturgique de Jésus a joué un rôle essentiel dans sa capacité à attirer l’attention :
elle appuyait son message eschatologique et donnait de la visibilité à ce message, en le
mettant concrètement en œuvre.
Ainsi sur les 32 récits de miracles de Jésus rapportés par les évangiles, seuls 13 remontent au
Jésus historique :
Trois exorcismes :
* L’enfant possédé (Mc 9, 14-29 // Mt 17, 14-21 ; Lc 9, 37-43)
* Le démonique géranésien (Mc 5, 1-20)
* Marie-Madeleine (Lc 8, 2)
Six guérisons :
* Un paralysé descendu toit (Mc 2, 1-12)
* L’infirme de la piscine de Béthzatha (Jn 5, 1-9)
* L’aveugle Bartimée (Mc 10, 46-52 // Mt 20, 29-34 ; Lc 22, 25-27)
* L’aveugle de Bethsaïde (Mc 8, 22-25)
* L’aveugle de naissance (Jn 9, 1…36)
* Le serviteur du centurion (Mt 8, 5-13 // Lc 7, 1-10 ; Jn 4, 46-54)
Trois réanimations :
* La fille de Jaïre (Mc 5, 21-43 // Mt 9, 18-26 ; Lc 8, 40-56)
* Le fils de la veuve de Naïm (Lc 7, 11-17)
* Lazare (Jn11, 1-45)
Un miracle de la nature :
* La multiplication des pains (Mc 6, 32-44 ; 8, 1-10 //Mt 14, 13-21 ; Lc 9, 10-17 ; Jn 6, 1-15)

Conclusion
En neuf pages très denses, Meier résume ses deux premiers livres. Depuis sa naissance en 7
ou 6 avant la mort d’Hérode († en – 4), sans doute à Nazareth, de Myriam et Joseph, Jésus a
eu quatre frères et des sœurs, bref une famille pieuse d’artisans du bois, modeste mais pas
pauvre. Il devait savoir lire et écrire l’hébreu et l’araméen, avec des rudiments de grec. Il est
resté célibataire, ce qui en fait un marginal ; et cette marginalité s’est renforcée par le fait que,
vers 28, il est devenu prédicateur itinérant.
40

Son ministère débute en lien avec celui d’un autre marginal, Jean le Baptiste, sur les rives du
Jourdain où il baptisait ceux qu’il appelait à la conversion, dont Jésus qu’il a peut-être
contribué à former. Mais Jésus a quitté le groupe de JB pour mener son propre ministère dans
l’ensemble de la Palestine, avec un message moins tourné vers l’annonce d’un châtiment et
plus ouvert sur l’annonce d’une Bonne Nouvelle d’un Dieu venant sauver son peuple et
inaugurer le RD, à la fois futur et présent. Pour manifester la présence de ce RD, Jésus
accomplit exorcismes et guérisons, racontés dans un ordre qui n’est pas chronologique, ce qui
pose la question de leur historicité. Il fut donc thaumaturge et prophète, ce qui renvoyait à
Moïse et Élie-Élisée.
Mais Jésus ne s’est pas contenté d’être le prophète eschatologique et le thaumaturge à la
manière d’Élie, il a proposé des manières concrètes d’observer la Loi. Il a donc été un maître
charismatique revendiquant la vraie connaissance de la volonté de Dieu, à la manière d’un
scribe (cf. le troisième tome sur les relations de Jésus et sur son rapport à la Loi).
41

III. Attachements, affrontements, ruptures


Cerf 2006, 740 p.

Introduction : Jésus dans ses relations avec les autres Juifs


Après avoir étudié le cadre des premières années de Jésus (tome 1) et ses paroles et actes clés
(tome 2 sur le RD et les miracles), voici Jésus en lien avec ses contemporains, avec ceux qui
le suivaient (première partie) et avec ceux qui lui étaient hostiles (deuxième partie).
- Ceux qui le suivaient peuvent se répartir en trois cercles : les foules, les disciples, les
Douze, choisis par Jésus.
- Parmi les concurrents ou les opposants :
* les pharisiens, importants à cause de leur rôle auprès du peuple ;
* les sadducéens, surtout à cause des controverses sur la résurrection ;
* les autres groupes : esséniens, samaritains, scribes, hérodiens, zélotes.
- Même parmi ces groupes Jésus reste un marginal. Meier essaie de dire ce qu’il en est sur
un plan historique, et non pas théologique, à partir des cinq critères d’embarras, de
discontinuité, d’attestation multiple, de cohérence, du rejet et de l’exécution de Jésus. Sans
compter les critères secondaires : traces d’araméen, caractère concret du récit…

I. Jésus le juif et les autres juifs qui le suivent


XXIV. Les foules qui le suivent
- Akoloutheô (suivre) peut signifier un simple mouvement physique vers Jésus (Mc 14, 13)
ou une situation de pseudo-disciple (Mc 14, 54) ou une adhésion intérieure (Mc 1, 18) ou
rarement une adhésion intérieure sans démarche physique (Jn 8, 12).
- D’où la traduction «gens qui suivent» (surtout Jésus). Ce verbe fréquent dans les évangiles
(79 emplois, dont 25 Mt, 18 Mc, 17 Lc et 19 Jn) est rare dans le reste du NT (11 cas, mais
aucun pour suivre Jésus pendant son ministère). Avec des nuances, des plus lointaines (les
foules) aux plus proches (les douze), en passant par les disciples.
- Le plus large et le plus stable de ces groupes est «les foules» (ochloi, plus polloi, pantes,
plethos). Jésus a attiré de grandes foules (cf. le repas aux 5.000 ou 4.000 ; ou l’hémorroïsse
qui cherche à «toucher Jésus malgré la foule» en Mc 5, 31-33). On trouve ici les critères
d’attestation multiple et de cohérence, d’où son exécution parce qu’il attirait les foules.
- Cependant il n’est pas très sûr qu’il y ait eu un premier temps heureux suivi d’un tournant
dans la suite de ces foules (cf. Jn 6, 66, ce passage reflétant plutôt une situation postérieure
de la communauté chrétienne). Jésus a attiré même à la fin de sa vie.
XXV. Les disciples
- Cette catégorie pose de nombreux problèmes, car ses limites ne sont pas claires ; par
exemple ni Marie-Madeleine, ni Marthe et Marie, ni aucune femme n’est appelée «disciple»
dans les évangiles.
- D’où au moins quatre questions : existence historique d’un groupe de disciples autour de
Jésus ; caractéristiques de ces disciples ; cas des femmes suivant Jésus ; cas des
sympathisants hommes ou femmes.
1. Le Jésus historique a-t-il eu des disciples ?
- Le mot mathétés revient souvent dans les évangiles (Mt 72 fois, Mc 44, Lc 37, Jn 78), mais
jamais dans le reste du NT (sauf 28 fois dans les Actes, mais sans référence au ministère de
Jésus) ni chez les Pères apostoliques, sauf Ignace d’Antioche, mais pour des martyrs.
42

- D’ailleurs le mot n’est pas utilisé dans l’AT, ni dans la littérature juive avant les évangiles.
Le mot araméen talmid désigne le type de relation entre un maître (rabbi) et ses élèves.
- Le fait que Jésus ait eu des disciples est prouvé par les critères de discontinuité (absence du
mot ailleurs), d’attestation multiple (dans chacune des quatre sources) et de cohérence
(imitation d’une pratique de J.B.). Certains de ces disciples ont été des personnages
importants de l’Église primitive.
2. Qui peut être qualifié de disciple de Jésus ?
- Dans l’Antiquité, il y avait beaucoup d’«écoles» avec maître et élèves, mais la référence
principale se trouve dans l’appel d’Élisée par Élie (1 R 19, 19-21).
- Cependant il faut chercher quels sont les traits qui caractérisent ces élèves particuliers que
dont les disciples de Jésus ?
a) L’initiative de Jésus dans l’appel
- C’est Jésus qui prend l’initiative d’appeler des gens à le suivre (cf. l’appel des premiers
disciples en Mc 1, 16-20 ; l’appel de Lévi en Mc 2, 14 ; et l’appel d’un homme riche en Mc
10, 17-22).
- Cette tradition se retrouve dans la source Q (Mt 8, 21-22 // Lc 9, 59-60 avec un caractère
impérieux ; Jn 1, 35-42…). C’est seulement après l’appel qu’ils sont dénommés «disciples»
pour former un groupe autour de Jésus ( des «adeptes» qui ne suivaient pas physiquement).
b) Suivre Jésus physiquement et donc quitter sa maison
- Suivre Jésus implique de quitter maison, parents et moyens d’existence, sans limite de temps
( relations avec un rabbi). Suivre Jésus, c’est expérimenter et proclamer le RD.
c) Risquer le danger et l’hostilité
- Ce n’est pas seulement à la fin que Jésus a averti ses disciples des dangers de le suivre.
- «Sauver sa vie ou la perdre» (ce logion revient six fois dans les quatre évangiles). Il s’agit
donc d’une attestation multiple, comme dans Mc 8, 27ss, aussitôt après la confession de foi
de Pierre (cf. Q en Lc 17, 33 et Mt 10, 39 ; et aussi Jn 12, 25). La condition de disciple
signifie un abandon de la vie ancienne et de ses sécurités, pour accueillir la nouvelle forme
de vie liée au RD.
- «Se renier soi-même et prendre sa croix» (Mc 8, 34 + Q en Mt 10, 38 // Lc 14, 27). Jésus
a averti ses disciples du caractère dramatique de sa suite.
- Faire face à l’hostilité de sa propre famille (Mc 10, 28-30 // Q en Mt 10, 37 // Lc 14, 26 ;
cf. aussi la phrase sur la «vraie famille» ou sur Jacques…). Ce qui fait des disciples des gens
obéissant à un appel impérieux, renonçant à la sécurité, exposés au danger, et cependant un
groupe ouvert aux autres, même pécheurs (cf. les repas).
3. Les femmes à la suite de Jésus
- Puisque Jésus ne parle de disciples que de sexe masculin (comme les évangiles), les femmes
qui suivaient Jésus pendant son ministère public peuvent-elles être considérées comme des
disciples ?
- Indépendamment du statut des femmes dans les Églises du premier siècle et à plus forte
raison dans l’Église actuelle, peut-on dire que parmi les mathétai (le grec pluriel est inclusif
et peut désigner hommes et femmes) il y avait des femmes ? Le féminin mathétria n’est
jamais employé pour le groupe des femmes qui suivaient Jésus…
- Cependant en étudiant les textes spécifiques on est amené à penser que la façon dont les
femmes sont décrites revient à en faire des disciples :
* Présence de femmes qui «suivaient» Jésus lors de la crucifixion (Mc 15, 40-41 ; Mt 27,
55-56 ; Lc 23, 55 ; cf. Jn 19, 25).
43

* Donc certaines femmes qui suivaient Jésus pendant son ministère sont présentes lors de la
crucifixion et au tombeau, dont l’une est connue de toutes les listes : Marie-Madeleine.
* Lc 8, 1-3 cite, pendant le ministère public, des femmes qui suivaient et assistaient Jésus et
les Douze (ce qui est contraire aux mœurs de l’époque).
* Donc plusieurs sources attestent de la présence de femmes suivant Jésus, l’assistant de
leurs biens et le suivant jusqu’à sa mort, alors que les disciples hommes ont fui. Y a-t-il
meilleure qualification de constance dans le service et la loyauté ?
- Et pourtant jamais le mot disciple n’est appliqué à ces femmes… De même Jésus n’a jamais
appelé des femmes à le suivre. Marie-Madeleine a pu comprendre sa guérison comme
l’équivalent d’un appel (comme Bartimée en Mc 10, 46-52). Le fait que des femmes aient
suivi Jésus aussi longtemps n’est pas explicable sans une initiative de Jésus ou au moins un
consentement, mais les évangélistes, en l’absence de source directe, n’ont pas donné le nom
de disciple à ces femmes. Ou plus simplement il n’y avait pas de mot pour désigner des
disciples femmes (sauf Lc qui l’utilise pour Tabitha en Actes 9, 36 (mathétria), mais pas
dans l’évangile).
- Cet entourage de femmes sans maris, dont certaines avaient été possédées, n’a pas relevé la
mauvaise appréciation que certains portaient sur Jésus. Cependant celui-ci a considéré ces
femmes comme des disciples.
4. Les adeptes qui ne quittent pas leur maison
- En plus des disciples qui laissèrent maison, famille et activités, les évangélistes parlent
d’adeptes masculins qui soutenaient Jésus sans le suivre physiquement : Zachée (Lc 19, 1-
10) ; Lazare (Jn 12, 1-12) ; l’anonyme de la Cène (Mc 14, 13-15) ; peut-être Simon le
lépreux (Mc 14, 3).
- De plus Lc et Jn mentionnent des adeptes femmes qui n’étaient pas disciples : Marthe et
Marie (Lc 10, 38-42 au début du voyage de Galilée à Jérusalem ; et Jn 11, 1-12, 8 à
Béthanie). Elles sont des modèles à imiter.
- Cf. les personnes qui avaient été guéries par Jésus et devaient le soutenir ( du paralysé de
Jn 5, 15 ou des neuf lépreux de Lc 17, 11-19). Sans pouvoir préciser davantage, ce sont des
groupes de soutien, intermédiaires entre les foules et les disciples, à côté du sous-groupe des Douze.
XXVI. Existence et nature des Douze
1. Disciples, apôtres, les Douze
- Parmi les disciples, un groupe particulier de douze hommes constituait un cercle intérieur
proche. Ce sont «les» Douze (v.g. Mc 6, 7 ou Jn 6, 67) en mode absolu, et jamais «les douze
disciples» ou «les douze apôtres», sauf peut-être Mt 10, 1 ; 11, 1 ; 20, 17.
- En Mc et Mt le mot «apôtre » n’est utilisé pour les douze que lorsqu’ils sont en mission.
C’est l’Église primitive qui les a nommés ainsi (cf. 1 Co 15, 3-7 : «Il est apparu à Céphas …
puis les Douze …puis tous les apôtres»). L’assimilation entre les Douze et les apôtres est
due à Lc 6, 13 : «Jésus convoqua ses disciples et parmi eux il en choisit douze qu’il appela
aussi apôtres…».
- Il vaut donc mieux suivre Mc et Jn qui parlent seulement des Douze, ce qui est sans doute la
dénomination la plus ancienne. Reste à voir si ce groupe a existé et quelles ont été ses
caractéristiques et fonctions.
2. Existence des Douze pendant le ministère de Jésus
Trois critères (attestation multiple, embarras, mouvement général de la tradition) attestent de
cette existence rejetée par certains exégètes pour qui il d’agit d’une rétroprojection de l’Église
primitive.
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a) Critère d’attestation multiple


- Mc mentionne les Douze 11 fois : 3, 16-16 ; 4, 10 ; 6, 7 ; 9, 35 ; 10, 32 ; 11, 11 ; 14,
10.17.20.43.
- Les quatre listes des Douze (Mc 3, 16-19 ; Mt 10, 2-4 ; Lc 6, 14-16 ; Ac 1, 13), malgré de
légères variantes, font état d’une tradition orale primitive : trois ensembles de quatre noms
chacune ; la première commençant toujours par Pierre ; la deuxième par Philippe ; et la
troisième par Jacques, avec seulement Thaddée comme variante.
- En finale de Jn 6, il y a aussi mention des Douze.
- La tradition Q mentionne indirectement les Douze par la phrase de Jésus : «Vous siègerez
sur douze trônes pour juger les douze nations» (Mt 19, 28 et Lc 22, 30).
- Enfin la liste de Paul en 1 Co 15, 5 est la plus ancienne, vers 55-56.
- Donc Mc, Jn, Paul, Lc et Q attestent de l’existence d’un groupe de douze autour de Jésus
pendant son ministère public, et cela dans des formes narratives différentes (narrations,
logia, catalogue, formule de foi…).
b) Critère d’embarras
- La crucifixion de Jésus, c’est-à-dire son échec, était embarrassante pour les auteurs du NT ;
il fallait donc l’expliciter par des références à l’AT qui l’avait annoncée.
- De même la livraison (trahison) de Jésus par l’un des Douze a été interprétée comme «selon
les Écritures» (Mc 14, 21).Or Judas était l’un des Douze et il a livré Jésus aux autorités,
malgré son appartenance au groupe des Douze.
c) Mouvement général de la tradition
- Après les évangiles, le rôle des Douze disparaît presque et ils ne sont plus mentionnés que
rarement La raison en est qu’ils ont joué un rôle pendant le ministère de Jésus, mais ce rôle
a rapidement décliné après sa mort.
- Mais peut-être aussi le groupe a-t-il été éclipsé par l’ascendant de chefs individuels : Pierre
ou Jacques. Après avoir étudié leur existence, il reste à savoir pourquoi Jésus a institué les
Douze et qu’est-ce qu’il attendait d’eux…
3. Nature et fonction des Douze
Trois traits des caractérisent.
a) Les douze, modèles du disciple
- Ils témoignent des trois conditions pour être disciples : appel impérieux de Jésus ; suivi
physique avec abandon de ses liens familiaux ; exposition à des souffrances. Sauf Jude et
peut-être Thaddée-Juda.
- Ils ont formé une association stable avec Jésus et ont rempli de facto la fonction de disciples,
d’où leur influence dans les premiers temps de l’Église.
b) Les douze, symboles prophétiques du rassemblement des 12 tribus d’Israël
- L’intention fondamentale de Jésus, en créant les Douze, correspondait à son message
fondamental : l’avènement du RD dans un Israël restauré, depuis les 12 tribus des fils de
Jacob (Gn 29-49).
- Tous les livres de la Bible témoignent de cette grande espérance du rassemblement d’Israël.
De même les écrits de Qumran.
- L’institution des Douze est donc de la part de Jésus un acte prophétique comme ceux d’Isaïe
(Is 20, 1-6), Jérémie (Jr 13, 12-14), Ézéchiel (Ez 14, 1-8), qui déclenchaient les événements
futurs et les mettaient inexorablement en route.
45

- Sur la base de l’eschatologie du rassemblement des tribus, bien connue en Israël, Jésus, qui
s’affirmait être un prophète eschatologique comme Élie, a institué les Douze comme
prophétie de ce qui devait advenir d‘Israël (Mt 19, 28 // Lc 22, 30).
c) Les Douze, missionnaires prophétiques pour Israël
- Ce futur rassemblement, réalisé symboliquement par l’institution des Douze, est de plus
réalisé par une autre action symbolique : l’envoi des Douze en mission vers Israël (Mc 6, 6-
13 et Q en Lc 9, 1-6 ; 101-12 ; Mt 10, 1-42).
- Cet envoi comporte cinq éléments de base :
* une introduction ;
* des instructions sur la conduite à tenir (dépouillement…) ;
* des recommandations sur la manière d’entrer dans les maisons (paix…) ;
* des recommandations sur l’accueil par toute une ville (poussière…) ;
* l’aboutissement en une paix eschatologique ou un jugement eschatologique.
- Ses disciples les plus proches ont tout naturellement reproduit la mission de ce maître,
prophète et prédicateur itinérant en Israël.
- Cet envoi concernait-il spécifiquement les Douze ou bien d’autres disciples (70 ou 72) ?
Meier le pense, alors qu’après Pâques il n’est nullement question d’une mission des Douze
en tant que tels. Et la mission de «pêcheur d’hommes» n’est confiée qu’à Pierre et André.
- Il est plus probable que Jésus a envoyé les Douze en Israël pour une mission limitée pendant
son ministère plutôt que la rétroprojection d’une mission pendant le ministère public par
l’Église primitive.
XXVII. Les membres des Douze pris individuellement
A. Limites de la recherche
- À la différence des Douze en tant que groupe, nous ne savons pratiquement rien de chacun
des membres, à l’exception de quelques-uns.
- Dans l’Antiquité, évangiles et apocryphes ont tenté de combler ces trous, en particulier sur
Thomas (alias Didyme, Jude ou Thaddée, frère jumeau de Jésus). Mais ce sont des légendes,
sauf pour Pierre et les fils de Zébédée, Jacques et Jean.
B. Enquête sur chacun des Douze
1. Barthélémy
- Son nom n’apparaît que dans les quatre listes des Douze (Mt 10, 1-4 ; Mc 3, 14-19 ; Lc 6,
13-16 ; Ac 1, 13).
- Peut-être son nom est-il un patronyme : Bar Talmaï (en araméen) ou fils de Talmi.
- L’identification à partir du IXe siècle avec Nathanaël (mentionné seulement en Jn 1, 45-51 et
21, 2) est sans fondement.
2. Judas de Jacques (Thaddée)
- Il ne se trouve que dans les listes lucaniennes (Lc 6, 16 et Ac 1, 13) ; «de Jacques» signifie
sans doute «fils de Jacques». Peut-être est-il le «Judas, pas l’Iscariote» de Jn 14, 22, qui
pose une question lors de la Cène.
- Comme il occupe la même place que Thaddée dans les listes de Mt et de Mc, l’imagination
chrétienne a réuni Judas et Thaddée. Mais c’est sans fondement (Judas-Thaddée est invoqué
comme le «saint de l’impossible»).
- De même il ne faut pas le confondre avec le Judas frère de Jésus (Jn 7, 5). L’hostilité des
frères de Jésus (Mc 3, 21-35) ne les désigne pas comme apôtres, même si c’est ce frère de
Jésus qui a écrit la lettre de Jude. Ne pas le confondre non plus avec Thomas.
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3. Jacques d’Alphée
- Jacques fils d’Alphée commence toujours le troisième ensemble de quatre noms des listes
des Douze. On n’en sait pas plus.
- Ne pas le confondre avec Jacques le Mineur (Mc 15, 40), ni avec Lévi qui, en Mc 2, 14, est
dit «fils d’Alphée» ; peut-être étaient-ils frères, l’un (Lévi) demeurant disciple et l’autre
(Jacques) apôtre.
- Ne pas aller au-delà en identifiant Lévi et Matthieu.
4. Matthieu
- Mc 2, 14 // Lc 5, 27 distinguent bien Lévi, collecteur de taxes, et Matthieu dont on ne sait
rien d’autre (Mc 3, 18 // Lc 6, 15).
- C’est l’évangile de Mt qui crée l’identification, en changeant le nom de Lévi en Matthieu
lors de l’appel du collecteur de taxes (Mt 9, 9) ; puis en parlant de «Mt, collecteur de taxes
ou publicain» dans sa liste (Mt 10, 3).
- Ce changement de nom est une intervention rédactionnelle d’un évangéliste chrétien à la fin
du premier siècle et cet évangéliste n’est sans doute pas Matthieu.
5. Philippe
- S’il n’apparaît que dans les listes des synoptiques, il est l’un des disciples les plus éminents
chez saint Jean où il apparaît habituellement en compagnie d’André.
- Sans doute avec André lorsque J.B. désigne Jésus (Jn 1, 35-44), il est donc d’abord un
disciple de J.B., originaire de Bethsaïde (Jn 1, 44).
- Avec André il intervient lors de la multiplication des pains racontée par Jean (Jn 6, 6-9).
- Avec André il porte un nom grec, ce qui explique le contact des pèlerins grecs pour
rencontrer Jésus lors d’une Pâque (Jn 12, 20-22).
- À la dernière Cène il demande à voir le Père (Jn 14, 8).
- Philippe apparaît donc à des points-clés du ministère public : au début (Jn 1), au milieu (Jn
6) et à la fin (Jn 12). Son existence historique est donc assurée, puisque la rivalité entre les
chrétiens johanniques et les adeptes baptistes était forte à la fin du premier siècle et aurait dû
mener à n’en pas parler.
- Il ne faut pas le confondre (comme Papias !) avec le Philippe diacre des Actes (Ac 6, 5 ; 8,
4-40 ; 21, 8-96).
6. André
- Il est étrange que le NT ne mette pas habituellement André en compagnie de son frère
Pierre, sauf Mc, même si peu souvent : Mc 1, 16-18 // Mt 4, 18-20 (appel à devenir pêcheurs
d’hommes, mais absent chez Lc 5, 1-11) ; Mc 1, 29 (guérison de la belle-mère de Pierre) ;
Mc 13, 3 (début du discours eschatologique).
- Donc André apparaît très peu dans les Synoptiques. Il est absent dans les Actes, sauf dans la
liste des Onze (Ac 1, 13). À la différence des deux fils de Zébédée (Jean et Jacques)
mentionnés ensemble, Pierre apparaît habituellement sans lien avec André.
- Donc sauf dans Jean, André reste seulement un numéro sur une liste. Son lien avec l’Orient
remonte seulement au IXe siècle.
7. Thomas
- Comme André et Philippe, il n’apparaît chez les Synoptiques que dans la liste des Douze,
alors que Jean le met en avant, même si c’est seulement à la fin du ministère public et dans
un seul verset : «Allons, nous aussi, pour mourir avec lui» (Jn 11, 16) et à la dernière Cène
dans le style plaintif qui le caractérise : «Nous ne savons pas où tu vas…» (Jn 14, 5), avec la
belle réponse en «je suis».
47

- Il réapparaît lors des récits des apparitions, avec son doute et sa demande d’une preuve
tactile ; ce qui donne lieu à la plus haute confession de foi christologique de l’évangile :
«Mon Seigneur et mon Dieu» (Jn 20, 28).
- La brève mention de Jn 21, 2 est décevante, comme les autres si on les considère comme des
vecteurs théologiques de l’évangéliste, autrement dit comme ayant été façonnées par lui.
- Le seul élément historique pourrait être son nom de «Didyme» (jumeau) employé comme
nom propre à l’époque, Thomas étant un deuxième nom ou surnom. Les gnostiques l’ont
identifié à Jude et déclaré frère jumeau de Jésus, indépendamment de toute preuve
historique.
- En résumé, si nous ne tenons pas compte de la théologie johannique et des légendes
gnostiques ultérieures, nous ne savons rien du Thomas historique et rien du tout de son
jumeau.
8. Simon (le Cananéen ou Zélote)
- Il n’apparaît que dans les listes des Douze, affublé d’un surnom «Cananéen» (Mc 3, 18 // Mt
10, 4) ou «Zélote» (Lc 6, 15 // Ac 1, 13), les deux étant une seule et même personne
(«Zélote» étant la traduction en grec d’un mot araméen signifiant «zélé» ou «jaloux» et
translittéré en «cananéen»).
- Cette précision permettait de le distinguer de l’autre Simon, affublé d’un second nom
araméen «Képhas».
- Ici le mot «zélote » désigne un juif pieux, zélé pour la stricte observance de la Loi mosaïque,
sans nécessairement avoir recours à la violence (les zélotes révolutionnaires n’apparaissent
qu’en 67-68 de notre ère à Jérusalem).
- Cela dit quelque chose de Jésus, compagnon à la fois des collecteurs d’impôts et des zélotes,
donc ouvert à tous ; ce qui est le contraire d’un Jésus violent : il prépare l’avènement final
de Dieu comme roi de manière pacifique.
9. Judas Iscariote
Nous ne savons de lui que deux faits essentiels : il a été choisi par Jésus comme l’un des
Douze et il l’a livré aux autorités de Jérusalem.
- Depuis l’Antiquité, l’imagination a ajouté à son portrait : ainsi Mt 26, 15 rajoute la cupidité
à la décision énigmatique de livrer Jésus (Mc 14, 10-11).
- C’est Jn 12, 1-8 qui le décrit comme un voleur cupide (cf. ensuite Jn 13, 28-30).
- Pour Luc, la motivation de Judas est démoniaque (Lc 22, 3-5), ce qui est repris par Jn 13,
2.27.
- C’est son surnom qui nous renseigne le plus et le distingue des autres Jude ou Judas. Mais la
signification d’Iscariote nous échappe. Au moins cinq possibles : sicaire (assassin) ;
menteur ; «livreur» ; «roux» ; originaire de Kérioth (en Judée), ce qui en ferait le seul apôtre
de Judée ???
- Cependant Jn 6, 71 ; 13, 2 ; 13, 26 appelle Judas «fils de Simon Iscariote», ce qui incite
plutôt à faire d’Iscariote la référence à sa ville d’origine.
***
Reste le groupe des trois les plus intimes selon Mc : Pierre, Jacques et Jean, témoins
privilégiés de la résurrection de la fille de Jaïre, de la Transfiguration, de la prière à
Gethsémani. Ce groupe de trois n’apparaît que dans Mc…
10. Jacques
- Comme Jean il est le fils de Zébédée, selon Mc et Jn. Mais il n’est jamais mentionné dans le
NT sans référence à son frère.
48

- Il est mis à mort vers 44 par Hérode Agrippa (Ac 12, 1-2) et est donc le premier des Douze
martyrs ; à part Pierre, aucun autre apôtre n’est décrit comme martyr par le NT.
- La tradition ultérieure l’a surnommé «le Grand» ou «le Majeur» pour le distinguer de
Jacques «le Mineur» ou «le Petit» (frère de Jésus, mentionné en Mc 6, 3 et 15, 40). C’est au
VI-VIIe siècle que la légende le fait missionnaire de l’Espagne (Santiago).
11. Jean
- La confusion autour des Jacques est encore plus grande avec le «Jean fils de Zébédée»,
puisque la tradition chrétienne a amalgamé au moins cinq personnages : le fils de
Zébédée ; le «disciple que Jésus aimait» du quatrième évangile ; l’auteur du quatrième
évangile ; l’auteur des trois épîtres de Jean ; le prophète visionnaire de l’Apocalypse…
- Mc présente les fils de Zébédée (Mc 1, 18-20) comme membres d’une entreprise de pêche
familiale de la mer de Galilée (cf. les ouvriers qu’ils laissent), alors que Luc 5, 10 en fait des
associés de Simon-Pierre, peut-être suite à un amalgame avec un récit de résurrection
concernant une pêche miraculeuse (cf. Jn 21, 1-14). En tout cas, ce ne sont pas des pauvres,
pas plus que Pierre avec sa maison à Capharnaüm ou Lévi le collecteur d’impôts.
- Les listes des Douze placent toujours Jacques avant Jean ( Ac) désigné comme «frère de
Jacques» (Mc 1, 19 // Mt 4, 21 ; Mc 3, 17 // ; Mt 10, 2 ; Mt 17, 1). Peut-être parce qu’il était
l’aîné, mais aussi parce qu’il fut le premier martyr (cependant Ac 12, 2 qui mentionne ce
martyre place Jean avant Jacques !).
- De toute façon les deux frères figurent dans le premier ensemble de quatre, signe de leur
importance. Mc 3, 17 ajoute un nom donné par Jésus «Boanergès», c’est-à-dire «fils du
tonnerre», dont l’étymologie reste indécise, mais dont le sens vient sans doute de leur
tempérament impétueux et bouillant (Mc 9, 38-39 // ; Lc 9, 52-56 ; Mc 10, 35-40) : les deux
premiers textes semblent plutôt dater de l’Église primitive, mais Meier estime Mc 10
historique, selon le critère qu’il est dangereux d’être disciple.
- Quoi qu’il en soit, Jean n’a pas subi le martyre comme Jacques (Ac 12, 1-2), Paul (Ac 20,
25-38 ; 21, 11 ; 1 Tim 4, 6-18) ou Pierre (Jn 21, 18-19). Il est resté à Jérusalem (Ac 1, 13) ;
il était aux côtés de Pierre à Jérusalem et en Samarie (Ac 3, 1-11 ; 4, 13.19 ; 8, 14-17) ; avec
Pierre et Jacques (le frère de Jésus, le Mineur ou Petit) il était considéré comme un chef, une
colonne (Ga 2, 9) vers 49.
- Après, nous ignorons tout de la vie de Jean et de son exil à Patmos (cf. le voyant de
l’Apocalypse).
12. Pierre
- Les passages où il apparaît sont très nombreux et souvent difficiles à interpréter. Mais
toujours Pierre apparaît comme le plus important et le plus engagé des Douze. Meier se
limite au temps du ministère public ; il exclut les récits non historiques de la marche sur la
mer (Mc 14, 28-32), de la pêche miraculeuse, du figuier stérile, du paiement de l’impôt, de
la guérison de sa belle-mère.
- On peut résumer ainsi ce qu’on sait du Pierre historique : un juif palestinien, au nom grec
de Simon (Syméon en hébreu), pêcheur marié, résidant à Capharnaüm au nord-ouest de la
mer de Galilée. Appelé par Jésus en 28-29 (Mc 1, 16-20 ; Lc 5, 1-11 ; Jn 1, 35-42, qui ne
sont pas identiques), bientôt appelé Pierre (il n’est donc pas le premier appelé et n’est pas le
premier de toutes les listes pour cette raison, malgré la tentative de certains exégètes). Il est
le porte-parole, selon les quatre évangiles et Actes, et le chef des disciples ou des Douze
(Mc 1, 36 ; 8, 29 ; 9, 5 ; 10, 28 ; 14, 29.37 ; Mt 15, 15 ; 16, 18 ; 17, 24 ; 18, 21 ; Lc12, 41 ;
Jn6, 68). C’est pourquoi il est cité en premier. Il est également tête de liste dans un groupe
rapproché de trois-quatre disciples.
49

- Il a reçu un second nom : Kepa (araméen), Kephas (grec), Petros (latin) de la part de Jésus
(Mc 3, 16 ; Jn 1, 42 ; Mt 16, 18) et ce surnom est devenu son nom propre. Paul ne parle
jamais de Simon et toujours de Céphas. Le mot a un lien avec roc ou rocher.
- Il est présent à la Cène, à l’arrestation à Gethsémani ; il suit Jésus jusque chez le grand
prêtre où il manque de courage et s’enfuit. Nous ne savons rien de plus du Pierre du
ministère public.
- Jésus lui apparaît ressuscité et il devient le chef de l’Église de Jérusalem (Ac 1-2 ; Ga 1, 18 ;
2, 7-9). Après avoir été emprisonné, il missionne en dehors de la Palestine : Antioche (Ga 2,
11-14) ; Corinthe (1 Co 1, 12 ; 3, 22). Il meurt martyr (Jn 21, 18-19), sans doute à Rome (1
Clément 5, 4 ; Ignace aux Romains 4, 3) où la tradition ultérieure a fixé sa sépulture sur la
colline du Vatican.
- Cinq points d’historicité font débat :
* À quel moment Jésus lui a-t-il donné le nom de «Céphas» ? Le fait que Jésus, pour
s’adresser à lui, dise le plus souvent «Simon» laisse entendre que le mot «Céphas» était
plutôt destiné à qualifier la relation de Pierre avec les autres disciples, mais qu’il n’était
pas appelé ainsi par Jésus lui-même.
* La profession de foi de Pierre et la déclaration de Jésus sur les clefs de l’Église
confiées à Pierre (Mt 16, 13-20). Ce passage est très controversé par les autres Églises
chrétiennes, mais l’attestation multiple (Mt 16 ; Mc 8, 27-29 ; Jn 6, 67-69) laisse entendre
l’historicité de cette profession de foi de Pierre, même si son contexte et son contenu
varient… Quant à la promesse de Jésus, elle est sans doute une affirmation de la première
Église et non pas de Jésus.
* La remontrance de Pierre et sa réprimande par Jésus après l’annonce de la passion-
résurrection (Mc 8, 30-33). Si la triple annonce de la passion-résurrection (Mc 8, 31 ; 9,
31 ; 10, 33-34) qui structure l’évangile de Mc a toutes les chances d’être historique, la
sévère réprimande de Pierre fait jouer le critère d’embarras et a donc, elle aussi, toutes les
chances d’être historique : ce qui confirme que les relations de Jésus et de Pierre étaient
tendues…
* Une tradition sur Pierre propre à Luc (Lc 22, 31-32) consiste en un avertissement de
Jésus pour que sa foi ne défaille pas, lors de la Cène. Cette phrase prépare (amortit) le
triple reniement et la suite de l’activité de Pierre jusqu’à la mort de Jésus et après ; c’est
donc une rédaction de Luc.
* Le triple reniement de Pierre est sans doute historique car il répond au double critère
d’embarras et d’attestation multiple (Mc 14, 66-72 ; Mt 26, 69-75 ; Lc 22, 56-62 ; Jn 18,
19-27). Ce reniement est trop embarrassant pour l’activité missionnaire de l’Église
primitive pour avoir été inventé. Ainsi le ministère public s’est achevé de manière
désastreuse pour Pierre. Toute sa vie, Pierre aura soufflé le chaud et le froid ; cependant,
malgré ses faiblesses, il reste le personnage le plus fascinant (après Jésus, bien sûr !).

Conclusion sur Jésus et les gens qui le suivent


Les trois cercles repérés (foules, disciples Douze) ont un caractère fluctuant, certains pouvant
passer de l’un à l’autre pour des considérations pratiques : par exemple sur le plan matériel, si
les Douze avaient une bourse commune, Jésus n’a pas nourri les nombreux disciples tous les
jours ! D’où les remarques sur chacun des cercles.
- Sur les foules : Jésus a attiré de grandes foules, ce qui a persuadé Caïphe et Pilate de frapper
ce possible perturbateur. Si la majorité de ces foules était constituée de pauvres (comme la
plupart des Palestiniens de l’époque), il ne faut pas les confondre avec les «pécheurs» ou les
«gens des nations» (qui avaient rejeté la Loi juive).
50

- Sur le cercle médian des disciples : le mot relève de trois critères (initiative de l’appel par
Jésus ; accompagnement physique dans les déplacements ; durée indéterminée), donc des
conditions très exigeantes.
Ces disciples dépassaient les règles en mangeant avec les collecteurs d’impôts ou les
pécheurs.
Les femmes ne sont jamais appelées disciples, peut-être parce qu’il n’y avait pas de mot
féminin en hébreu ; cependant, elles ont suivi Jésus jusqu’au bout, à la différence des
disciples hommes.
En plus, il y a eu des disciples qui n’ont pas suivi Jésus, mais ont fait partie des groupes de
soutien, en offrant l’hospitalité ou en participant financièrement.
- Sur les Douze : c’est surtout avec eux que Jésus s’est révélé comme le réalisateur du RD et
du rassemblement eschatologique d’Israël par le rassemblement des 12 tribus d’Israël. C’est
une volonté décisive de Jésus de créer ce groupe de 12 apôtres (et non pas une
rétroprojection de l’Église primitive : «Vous aussi vous siègerez sur 12 trônes pour juger les
12 tribus d’Israël» Mt 19, 28 //). Cette fonction avait un tel caractère d’absolu que, même
après la trahison de Judas, l’Église primitive continuait de parler des Douze (1 Co 15, 5).
Les Douze incarnaient ce que signifiait «être disciple» ; ils constituaient un symbole
communautaire en commençant à réaliser le rassemblement des tribus. Ils sont donc plus
importants comme groupe que personnellement.
Particularités de ce groupe : baptême, rejet du jeûne, Notre Père, exigences de suite,
mission…, Mais cela n’a pas créé l’Église ; c’est la crucifixion et la volonté des apôtres
d’affirmer que Jésus est vivant qui est à l’origine de l’Église.

II. Jésus le juif et ses concurrents juifs


XXVIII. Les pharisiens
Le ministère itinérant de Jésus à travers la Palestine, son appel à le suivre adressé à de
nombreux juifs disparates, sa création des Douze pour symboliser les 12 tribus d’Israël, ses
montées à Jérusalem pour les grandes fêtes où se réunissaient de grandes foules, montrent que
Jésus n’entendait pas créer un petit groupe, mais rassembler tout le peuple de Dieu,
l’ensemble d’Israël, dans l’attente de l’avènement du RD.
Outre J.B., il y avait beaucoup d’autres gourous à attirer des juifs vers un idéal religieux (cf.
les écrits intertestamentaires). Mais il y avait surtout des mouvements connus, en particulier
les pharisiens, sadducéens, esséniens, qui étaient en compétition avec Jésus.
1. Brève histoire d’Israël
- Dès la Genèse on voit les rivalités entre les 12 fils de Jacob. Conflits et guerres existent
depuis la formation des monarchies aux XIe et Xe siècles, puis à partir de 952 entre les deux
royaumes rivaux : Israël au nord et Juda au sud, jusqu’à la destruction d’Israël par l’Assyrie
en 721, puis de Juda par Babylone en 587.
- Cela recommence en 539 pour le contrôle du Temple jusqu’à sa profanation en 167 par le
syrien Antiochus IV Épiphane.
- Après la mort de Judas Maccabée en 160, ses frères et neveux établissent une forme de
monarchie, les hasmonéens, source de nouveaux conflits du fait de leur hellénisation. En se
revendiquant les grands-prêtres légitimes, ils ont donné lieu à l’apparition des pharisiens et
des esséniens.
- Ainsi les esséniens apparaissent vers le milieu du IIe siècle à Qumran, de même que les
pharisiens, sous la forme de gens fidèles et loyaux («hassidéens»). Ils se revendiquent à part
et se considèrent comme les seuls fidèles.
51

- Pharisiens et sadducéens s’opposèrent aux hasmonéens ; puis l’iduméen Antipater et son fils
Hérode prirent le pouvoir en Judée en – 40 et s’opposèrent aux pharisiens et sadducéens qui
devinrent seulement des «associations privées».
- Après la mort d’Hérode le Grand (en – 4), la mise en place de préfets ou procurateurs
romains laissa les grands-prêtres juifs régler les problèmes de vie courante, en s’appuyant en
particulier sur les sadducéens. Parmi ces grands-prêtres, on peut citer Caïphe qui s’arrangea
avec Ponce-Pilate le romain de 26 à 36 de notre ère… Les pharisiens délaissés s’efforcèrent
alors de prendre l’influence sur le peuple (comme Jésus), d’autant plus qu’ils détenaient de
nombreux postes dans les services. Cela dura jusqu’en 70, date de la destruction du Temple
à laquelle ils survécurent en donnant lieu à la tradition rabbinique.
2. Problème de sources et de méthodes
- Nous avons trois sources sur les pharisiens et les sadducéens : le NT (Paul, les quatre
évangiles, les Actes des Apôtres, de 50 à 100), Flavius Josèphe (de 70 à 100) et la littérature
rabbinique (Mishna, vers 200-220).
- Le premier document à employer le mot «pharisien» est la lettre aux Philippiens écrite par
Paul de Tarse vers 56-60 (Ph 3, 5 : «Quant à la Loi, un pharisien…») ; puis Marc, vers 70,
avec 12 emplois, dans des contextes polémiques et des adresses à des non-juifs. La
polémique est encore plus vive dans Mt et Jn. Quant aux sadducéens, ni Paul ni Jean ne les
mentionnent.
- Chez Flavius Josèphe on trouve 14 mentions des pharisiens, souvent ambiguës. En fait, il a
été anti-pharisien, mais s’est déclaré pharisien à la fin de sa vie.
- Quant à la littérature rabbinique (Mishna, vers 200-220 ; Tosephta au IIIe siècle ; Talmud
palestinien au Ve siècle ; Talmud babylonien au VIe siècle ; plus midrashim de différents
siècles), on est loin de la Palestine d’avant 70, même si beaucoup de décisions ou paroles
renvoient à des sages ayant vécu à l’époque de Jésus…
- Dons il convient d’utiliser les mêmes critères que pour l’historicité des évangiles :
attestation multiple des sources et des formes par des auteurs de différents âges, de
différents contenus et de projets différents. Avec aussi le critère d’embarras par rapport à un
auteur donné.
3. Les pharisiens (6 points)
- Ils constituent un groupe juif ayant des intérêts à la fois politiques et religieux (cf. Ph 3, 5 ;
Josèphe ; sources rabbiniques).
- Ils interprétaient la loi de Moïse de façon «exacte» et «précise» (cf. Ac 22, 3 ; 26, 5 ;
Josèphe ; plus Ga 1, 14 ; Ph 3, 6). Et ils s’efforçaient de vivre en cohérence, même s’ils
n’étaient pas durs dans leurs jugements (cf. Gamaliel en Ac 5, 33-40).
- Les controverses sur des questions de Loi reflètent les divisions à propos de l’interprétation
exacte de la loi de Moïse qui unifiait et divisait la religion juive, entre pharisiens,
sadducéens et esséniens (cf. Mc 7, 1-13), car ils ajoutaient des lois venant des «anciens» (cf.
les deux formes de la Torah, écrite venant de Moïse et orale venant des sages rabbiniques).
- Quant au contenu de ces règles, selon les évangiles ou la couche primitive de la Mishna, il
concerne : la pureté de la nourriture et des ustensiles ; la pureté des cadavres et des tombes ;
la pureté du dispositif cultuel ; la dîme et la redevance pour les prêtres ; l’observance du
sabbat et des jours sanctifiés ; le mariage et le divorce…
- Ces traditions portaient plus sur des comportements concrets que sur la doctrine
(orthopraxie), sauf sur l’eschatologie et la résurrection.
- En ce qui concerne le rapport entre la providence divine et l’initiative humaine, les
pharisiens insistent sur la maîtrise totale de Dieu, tout en croyant à la responsabilité humaine.
52

S’ils furent éloignés du pouvoir, au profit des sadducéens, les pharisiens ne se résignèrent
jamais à n’être qu’un groupe de laïcs pieux et fidèles.
4. Les relations de Jésus avec les pharisiens
- L’exemple des controverses de Mc 2, 1-3, 6 montre une construction artificielle amenant
peu à peu à considérer les pharisiens comme les acteurs principaux du complot contre Jésus.
- L’autre récit de controverses en Mc 11, 27-12, 37 exclut pratiquement les pharisiens (sauf en
Mc 12, 13-17). Donc on peut considérer qu’il y a eu, dans la vie de Jésus, un épisode réel de
conflit avec les pharisiens. De même pour Mt, Lc et Jn.
- Sans doute ne furent-ils pas influents au moment de la passion, à la différence de Judas,
Caïphe, les prêtres, les scribes, les aristocrates et Pilate.
- Jésus a eu des échanges avec les pharisiens pendant son ministère public : échanges
conflictuels, car ils cherchaient une influence sur le peuple ; échanges portant sur des
comportements plus que sur la doctrine (divorce, jeûne, dîme, règles de pureté, sabbat…) ;
échanges contenant des malédictions ; mais aussi parfois un bon accueil (Lc 7, 36-50 ; Jn 3,
1-2).
- Il faut mettre à part la question du rapport de Jésus à la Loi mosaïque, rapport qui touchait
beaucoup d’autres catégories de juifs.
XXIX. Les sadducéens
Contrairement aux pharisiens, il n’y a pas de texte favorable aux sadducéens. Il est donc
difficile d’en faire une description historique fiable. Après une brève présentation, Meier
s’attache à leur controverse avec Jésus sur la résurrection des morts (Mc 12, 18-27 //).
1. Quelques lignes nettes dans un portrait flou (6 points)
- Leur existence est soutenue par attestation multiple du NT, Josèphe et la littérature
rabbinique, même si dans le NT les mentions sont rares : seulement dans les Synoptiques et
les Actes (surtout la controverse de Mc // et Ac 4, 1 ; 5, 17 ; 23, 6-8).
- Ils ont peut-être été au pouvoir sous les gouvernants hasmonéens, de Jonathan (160-143) à
Alexandre Jannée (103-76). Ils récupèreront du pouvoir sous Hérode le Grand (– 37) qui
favorise des grands-prêtres contre les hasmonéens. Quand les Romains décident
d’administrer la Judée (vers l’an 6 de notre ère), les grands-prêtres sont chargés de gérer les
affaires courantes, appuyés par un groupe d’élite formé en grande partie par des
sadducéens ; ceux-ci disparaissent complètement à la destruction du Temple de Jérusalem
en 70.
- Selon Flavius Josèphe, les sadducéens étaient peu nombreux, peu suivis par le peuple et liés
aux gens riches. Donc riches et puissants. Surtout pris dans les familles de grands-prêtres
(cf. l’origine du mot à partir de Sadoq, grand-prêtre au temps de David). Il y a eu conflit
avec les Hasmonéens qui s’étaient emparés du pouvoir sacerdotal à partir d’Antiochus
Épiphane (– 175-154). Cependant tous les sadducéens n’étaient pas membres du sacerdoce
et vice-versa.
Pendant la souveraineté directe de Rome (6-66), au moins la moitié des grands-prêtres ont été
des sadducéens, en particulier à partir d’Hanne et ses fils ou son gendre au temps de Jésus.
- Sur le plan des règles et pratiques légales (halaka) :
* ils privilégiaient la Torah et son application concernant les règles liturgiques et le
calendrier ;
* en outre ils prônaient des comportements absents de la Loi mosaïque : impureté due aux
ossements humains ( animaux) ; écoulement de liquide depuis un récipient pur vers un
autre non purifié ; pureté d’un courant d’eau s’écoulant d’un cimetière ; propriétaire
53

responsable d’un mal commis par son esclave ; lois concernant le mariage et le divorce ;
restrictions sur les déplacements pendant le sabbat ; etc.
* châtiments dus aux faux témoins ;
* à la différence des pharisiens qui admettaient que leurs traditions n’étaient pas dans la Loi
mosaïque, ils s’efforçaient de convaincre que leurs traditions se trouvaient dans la Torah
ou en dérivaient.
- Au plan doctrinal, ils se montrent conservateurs et s’opposent aux innovations dépassant
l’enseignement du Pentateuque ( pharisiens). Ils rejettent surtout :
* la résurrection des morts (cf. Ac 23, 8) qu’on ne trouve pas dans le Pentateuque ; pour eux
les morts tombaient dans une existence réduite et obscure (le shéol) ;
* de même, ils rejetaient toute récompense après la mort et donc toute espérance
eschatologique, encore que… peut-être espéraient-ils un avenir idéal pour Jérusalem et le
Temple qu’ils dirigeaient ;
* ils rejetaient aussi l’angélologie et la démonologie (Ac 23, 8) ;
* enfin ils rejetaient l’idée d’une providence divine, parce que tout dépend du pouvoir
humain (selon Josèphe), alors que le Pentateuque parle beaucoup de la providence divine.
En fait les sadducéens ne présentent pas un front uni : il y eut parmi eux des collaborateurs
des Romains et des révolutionnaires.
2. Controverse avec Jésus sur la résurrection des morts (Mc 12, 18-27 //)
C’est la seule mention des sadducéens dans les évangiles (Mc 12, 18-27 // Mt 22, 23-33 ; Lc
20, 27-38 ; plus deux allusions en Mt 3, 7 et 16, 1-12). Ils sont absents des lettres de Paul qui
écrit à une époque où ils étaient au pouvoir à Jérusalem. De mêle ils sont absents chez Jean,
ce qui confirme que les sadducéens étaient un groupe de petite dimension, composé
d’aristocrates sacerdotaux et laïques centrés sur Jérusalem.
Les auteurs du NT qui ont écrit après 70 n’ont pas jugé utile de parler d’un petit parti disparu
( pharisiens à l’origine du mouvement rabbinique naissant après 70), à part Mc 12, ce qui
montre bien que le deuxième évangile a été écrit peu de temps après la catastrophe de 70.
- Ce passage appartient à la catégorie des «récits de controverse» où les opposants lancent un
défi à Jésus qui répond de façon courte et incisive qui désarme.
- L’objection des sadducéens s’appuie sur la loi du lévirat (Dt 25, 5), qui régit le mariage
d’une veuve avec son beau-frère, et cherche à tourner en dérision la croyance en la
résurrection pour cette femme qui aurait épousé sept frères morts.
- La réponse de Jésus : les sadducéens ignorent les Écritures et la puissance de Dieu (v. 24) ;
de plus les ressuscités ne vivent plus selon le mode terrestre (v. 25) ; enfin Ex 3, 6 montre
que Dieu est le Dieu des vivants ; donc «vous êtres dans l’erreur».
- Il y a chez Marc deux cycles de controverses : en Galilée au début du ministère public (Mc
2, 1-3, 6) et à Jérusalem avant la passion (Mc 11, 27-12, 37). Ces controverses manifestent
le développement de l’hostilité à Jésus.
- Cette péricope a une structure en deux parties, dont chacune a deux sous-sections, et aborde
cinq thèmes : mort-résurrection, révélation normative de la Torah, référence à Moïse,
citations de l’Écriture et discussions sur le mariage et le divorce :
* Première partie (v. 18-23) : les sadducéens sont les seuls intervenants ; ils citent d’abord
la loi du lévirat (Dt 25, 5), qui va servir de norme pour la deuxième sous-section, avec le
cas fictif de la veuve et des sept frères, pour aboutir à la question-piège : s’il y a
résurrection, lequel frère aura la veuve pour femme dans sa vie de ressuscité ?
* Deuxième partie (v. 24-27) : Jésus devient le seul interlocuteur et répond en deux temps ;
d’abord ils ignorent les Écritures qui attestent la résurrection (v. 24 renvoyant au v. 18) ;
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puis ils ignorent la puissance de Dieu qui fait entrer les ressuscités dans un monde
nouveau (v. 25 renvoyant aux v. 20-23). Sous forme de chiasme, Jésus traite d’abord du
mode de la résurrection, puis du fait de la résurrection qui est plus essentiel.
C’est dons une péricope très bien construite, avec pour débuter chaque réponse de Jésus une
question rhétorique de réprimande.
- Exégèse verset par verset :
* 18 : les sadducéens sont présentés niant la résurrection, parce sans doute peu connus du
public chrétien ; Jésus est appelé «maître» (rabbi) sans que cela implique qu’ils
reconnaissent son autorité ;
* 19 : pour fonder leur question, les sadducéens s’appuient sur Moïse et le Pentateuque,
avec la loi du lévirat obligeant le frère du mort à donner un enfant à sa veuve (fusion de Dt
25, 5 et Gn 38, 8). Si Moïse avait cru en la résurrection, il n’aurait pas édicté cette loi qui
crée un imbroglio impossible (lévir = frère du mari).
* 20-23 : cette deuxième sous-section propose une application délirante de la loi du lévirat,
en allant jusqu’à sept frères (chiffre de plénitude !) ; manière de ridiculiser l’adversaire,
pour aboutir à la question inexorable : «duquel d’entre eux sera-t-elle la femme ?». Ceci
est compliqué encore par le fait que la femme aura eu plusieurs maris (polyandrie), ce qui
est tout à fait inadmissible pour des sémites : si la polyandrie est impossible, la
résurrection est impossible.
* v. 24-27 : la réponse de Jésus renvoie le boulet en posant une question à son tour : ce qui
est absurde, c’est votre ignorance des Écritures et de la puissance de Dieu.
* 25 : cette première sous-section concerne le mode de résurrection ; ceux qui ressuscitent
sont «comme des anges» (selon la compréhension juive, les anges avaient des corps
subtils) ; par la puissance de Dieu, ils auront des corps subtils et seront immortels.
* 26 : Jésus passe au fait de la résurrection, basée sur la révélation fondamentale de Dieu à
Moïse lors de l’épisode du buisson ardent et non pas sur une règle de conduite : «Je suis le
Dieu d’Abraham…»
° c’est l’être même de Dieu d’être le Dieu d’Abraham, Isaac et Jacob ;
° mais Dieu est le Dieu des seuls vivants, pas des morts ;
° donc Dieu, puisqu’il est défini par sa relation aux trois patriarches, maintient en vie ces
trois patriarches.
* Structure littéraire et contenu théologique plaident en faveur de l’originalité de cette péricope.
- Quant à l’historicité de cette controverse : a-t-elle été composée par Marc, conserve-t-elle
une trace d’un épisode du ministère de Jésus ou bien est-elle entièrement une création de
l’Église primitive ???
* Elle ne semble pas avoir été composée par Marc, car elle ne possède pas la même
ingénieuse structure que dans le cycle galiléen des controverses de Mc 2, 1-3, 6. Et ce
thème de la résurrection des morts ne semble pas intéressant pour l’évangéliste (ici
seulement il utilise le mot anastasis, alors qu’il utilise habituellement égeiro).
* C’est sans doute une controverse prémarcienne, mais relatant un débat réel entre Jésus et
les sadducéens sur la question de la résurrection générale, vu les deux critères de
discontinuité et de cohérence (Meier consacre 34 pages de raisonnement et 17 pages de
notes sur cette péricope de 16 lignes !).
Jésus croyait à une résurrection générale et le RD serait non pas l’amélioration du monde
présent, mais un monde nouveau transcendant. Et il l’affirme de sa propre autorité, ce qui a dû
particulièrement agacer les sadducéens.
XXX. Les esséniens et autres groupes
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Jésus a entretenu des relations plus ou moins étendues avec d’autre groupe : esséniens (en
particulier Qumran), samaritains, scribes, hérodiens, zélotes, soit un ensemble hétéroclite.
1. Esséniens et communauté de Qumran
- Ni les évangiles ni le reste du NT ne parlent des esséniens ou de la communauté de Qumran,
et les documents esséniens ne mentionnent pas Jésus. Donc aucune relation entre le Jésus
historique et les esséniens ou Qumran. Cependant il existe des ressemblances et des
différences au plan des idées ou des pratiques religieuse entre l’Église primitive ( Jésus
historique) et les esséniens, en sachant que les documents de Qumran datent du premier ou
deuxième siècle avant notre ère, donc bien avant Jésus (28-30), et en rappelant que Qumran
est un sous-groupe du mouvement plus large constitué par les esséniens.
- Ressemblances et différences concernant l’eschatologie, l’attitude envers le Temple et les
règles de conduite :
* Eschatologie : on constate une même tension entre eschatologie réalisée et future, avec
cependant pour Jésus l’accueil des «gens des nations», exclus par Qumran. Voir Mt 11, 2-
6 : «Es-tu celui qui doit venir ?».
* Attitude envers le Temple : Temple et Loi, piliers du judaïsme, sont devenus des facteurs
de division entre communautés. Très hostiles au Temple, les gens de Qumran l’étaient
parce qu’ils ne le dirigeaient pas (en particulier le calendrier des fêtes), alors que Jésus
fréquentait le Temple, bien qu’il appelle à sa purification (Mc 11, 15-17 ; Jn 2, 13-17).
* Règles de conduite : en matière sexuelle, mêmes normes strictes, mêmes différences sur
le divorce et le célibat (prophétique du RD pour Jésus, expression sacerdotale de pureté
rituelle pour Qumran) ; pour les serments, Jésus est plus radical dans leur interdiction ;
sur les vœux, Jésus les interdit formellement, alors que les gens de Qumran en font ; sur
les biens et richesses, Jésus n’a pas appelé tous ceux qui le suivaient à se dépouiller de
leurs richesses.
- Différences majeures : alors que Jésus a combiné plusieurs rôles religieux différents
(prophète eschatologique, thaumaturge, gourou, maître de sagesse, messie, ce qui l’a
conduit à sa mort), le Maître de Justice n’est pas mort violemment. Ces différences
concernent surtout cinq points :
* Attitude en matière de halaka : Jésus rejette explicitement un souci exagéré des règles
de pureté, dont les évangiles parlent peu d’ailleurs ( Qumran). Voir en particulier son
laxisme sur l’observation du sabbat.
* Intérêt porté aux calendriers : Qumran utilisait un calendrier solaire ( Temple, lunaire),
alors que Jésus ne parle jamais de calendrier.
* Haine et amour des ennemis : au dualisme de Qumran Jésus oppose l’amour de tous (Mt
5, 44 //).
* Direction hiérarchique : alors que Qumran est une société très hiérarchique, le
mouvement induit par le laïc Jésus ne comporte pas de chef sacerdotal.
* Miracles : Jésus fait des miracles ( Qumran) et il a survécu à sa mort ( Qumran).
2. Les samaritains
- Alors que les esséniens étaient clairement juifs, les samaritains (mentionnés dans les
évangiles, à la différence des esséniens) avaient un statut ambigu et, pour les définir, on a
recours à trois approches :
* Géographie : ce sont des habitants de la Samarie, entre la Judée au sud et la Galilée au
nord, avec pour capitale Samarie, rebaptisée Sébaste par Hérode le Grand au premier
siècle avant Jésus Christ en l’honneur d’Auguste (sébastès = auguste en grec).
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* Descendance physique et configuration ethnique : ils sont descendants des tribus


israélites d’Ephraïm et Manassé, avec des mélanges d’autres groupes ethniques, donc des
samariens plutôt que des samaritains.
* Religion : ces sémites adorent Yahvé sur le mont Garizim comme unique lieu de culte et
ne reconnaissent que le Pentateuque, donc ni les Prophètes ni les Écrits. C’est en ce sens
religieux que les évangiles en parlent.
- Au plan historique, les samaritains représentent sans doute une expression conservatrice de
la religion israélite.
- Que repère-t-on sur eux dans les évangiles ?
* Mc et Q, les deux plus anciennes sources, les ignorent.
* Mt ne les cite qu’en 10, 5-6 : «N’entrez pas dans une ville des samaritains ; allez plutôt
vers les brebis perdues … d’Israël». Ce début du discours missionnaire est une création de
l’évangéliste et Jésus n’a pas entrepris de mission en Samarie.
* Luc mentionne trois fois les samaritains : 17, 11-19 (guérison des dix lépreux, dont l’un
est samaritain : est-ce une tradition primitive ou un récit du Jésus historique ???) ; allusion
en Lc 9, 54 (sans doute une recréation) ; et surtout Lc 10, 30-37 (le bon samaritain, contre
les ségrégations religieuses).
* Jean a un récit important en 4, 4-42 (la samaritaine) et un logion en 8, 48 (insulte adressée
à Jésus). Le récit de la samaritaine reprend les thèmes théologiques de Jean, insérés dans
une rencontre pédagogique et constitue la plus importante information du NT sur les
samaritains. Quant au logion il manifeste le mépris des juifs pratiquants pour les
samaritains.
- En conclusion, il reste le regard bienveillant de Jésus sur les samaritains, à l’encontre des
juifs de son temps. Et Jésus a eu des rencontres positives avec certains d’entre eux, sans
pour autant mener une mission particulière auprès de leur ensemble.
3. Les scribes
- À proprement parler, les scribes ne forment pas un groupe religieux particulier au temps de
Jésus C’étaient des gens qui savaient écrire (rare à l’époque !), comme des «secrétaires»
d’aujourd’hui ( savants de la Torah).
- Dans l’histoire du peuple juif, il y a deux scribes célèbres : Esdras (au retour de l’Exil en
538) et Ben Sira (auteur du Siracide au deuxième siècle).
- Jean ne parlant jamais des scribes (le passage de Jn 7, 53-8, 11 sur la femme adultère n’étant
pas de lui), il faut s’en tenir aux Synoptiques :
* Pour Marc, les scribes sont liés à Jérusalem et s’affrontent à Jésus : Mc 11, 18.27 ; 12,
28.32 (seule allusion positive) ; 12, 35.38 ; 14, 1.42.53 ; 15, 1.31. Ils sont censés être des
maîtres instruits de la Loi, mais sont mal jugés dès le début de l’évangile (Mc, 1, 22…).
* Mt reprend Mc pour l’essentiel : Mt 2, 4-5 ; 9, 11 ; 9, 34 ; 12, 24 ; 21, 45 ; 22, 34 ; 23
passim. Ils sont souvent liés aux pharisiens.
* Luc reprend également Mc, mais de façon floue. Chez lui, les scribes sont liés à des
pharisiens, parfois à des «légistes» : Lc 11, 53 ; 5, 17.21 ; cf. Ac 23, 9.
- Jésus a rencontré des scribes, peu formés en Galilée et plus cultivés à Jérusalem. Ils ne
formaient pas un groupe particulier auprès des grands-prêtres ; c’étaient des subalternes, des
«employés aux écritures», et non pas un groupe religieux distinct. Donc ne pas en appeler
aux péricopes évangéliques pour avoir des informations sur des épisodes précis de Jésus en
relation avec des scribes juifs.
4. Les Hérodiens
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- Le mot n’apparaît qu’en Mc 3, 6 (guérison de l’homme à la main desséchée) ; Mc 12, 13


(sur la monnaie d’impôt ; cf. Mt 22, 16). Luc n’en parle jamais. Pourtant au moins quatorze
opinions ont été avancées pour les décrire : secte religieuse prenant Hérode comme Messie,
parti politique, fonctionnaires…
- Dans les deux controverses, ils apparaissent comme œuvrant avec les pharisiens. Mais
l’historicité de ces deux récits est contestable. Il reste qu’on ne peut nier l’existence d’un
groupe de partisans d’Hérode Antipas, fils d’Hérode le Grand (– 4-39 après J.C.). Mais on
ne peut rien en dire de plus pour le Jésus historique.
5. Les zélotes (cf. Simon le Zélote parmi les Douze)
- Au sens de groupe armé révolutionnaire, le mot n’apparaît qu’en 66-70 ; donc il était
inexistant au temps de Jésus.
- Au sens plus ancien de manifestant un zèle intense pour la Loi, il pouvait y avoir de tels juifs
au temps de Jésus, comme Simon qui est cependant appelé à des attitudes en contradiction :
rencontrer des collecteurs d’impôts ou des pécheurs…
Conclusion
- Jésus n’avait aucun lien avec les esséniens ni avec les samaritains, qu’il respectait.
- Il n’a pas eu de conflit avec les scribes. Hérodiens et zélotes ne comptent pas.
- Jésus est envoyé à tous et n’exclut aucun israélite a priori.
XXXI. Conclusion : esquisse d’un portrait de Jésus
Peut-on brosser un portrait de ce juif énigmatique à partir de ses origines, durant son ministère
public et en s’attachant aux relations qu’il entretenait avec ses compatriotes ? C’est la voie
que suit Meier, avant d’affronter d’autres énigmes objet des tomes suivants : les paraboles,
son rapport à la Loi, la façon dont il se désignait et sa mort (malheureusement, les volumes
sur les deux dernières énigmes ne sont pas parus en français…).
A. Racines du juif Jésus dans la Galilée du premier siècle
1. Naissance et famille
- Vers 7-6 avant J.C. naît Yeshua (diminutif de Josué) à Nazareth, village à flanc de colline en
Galilée. Les renvois à Bethléem sont des adaptations chrétiennes ultérieures pour montrer
son origine davidique.
- Sa mère s’appelle Myriam (Marie) et son père putatif Yosef (Joseph). Les quatre évangiles,
Paul et les premiers Pères parlent de frères que Marc nomme Jacques («le Mineur», futur
chef de l’Église de Jérusalem), José ou Joseph, Juda et Simon ; les sœurs sont sans nom ;
Donc une famille d’au moins sept enfants.
- Marie vit assez longtemps pour voir le ministère de son fils Jésus. Joseph est sans doute
mort avant ce ministère public, puisqu’il n’apparaît plus.
- Les noms de la famille remontent aux origines de l’histoire d’Israël. Sans doute une famille
pieuse, vivant dans l’esprit d’un seul Israël (les Hasmonéens reconquirent le nord aux
deuxième et premier siècles avant J.C.).
2. Le Judaïsme en Galilée
- Ce judaïsme rural de base comprenait : circoncision des enfants mâles, nourriture casher,
règles de pureté, repas du sabbat et, si possible, pèlerinage au Temple de Jérusalem pour les
grandes fêtes.
- L’histoire des origines, avec le don d’une terre par Yahvé, était très importante, ainsi que les
infidélités du peuple et la miséricorde toujours à l’œuvre de Dieu.
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- Ce judaïsme rural entrait en conflit avec les groupes de pharisiens et sadducéens liés à
Jérusalem, à plus forte raison s’ils prétendaient avoir autorité.
- À la différence de la Galilée, la Judée était une province impériale romaine, gouvernée par
un préfet résidant à Césarée maritime.
3. Grandir comme juif de Galilée
- La Galilée, depuis la mort d’Hérode le Grand en – 4, était une partie de la tétrarchie de son
fils, Antipas, et donc relativement autonome. Elle avait sa propre armée (donc pas de
troupes romaines) et sa monnaie. Antipas se donnait l’apparence d’un juif pratiquant,
malgré son mariage scandaleux avec la femme de son demi-frère.
- Il y avait une paix et une stabilité ; et les juifs, en Galilée, ne cherchaient pas à s’insurger
contre Antipas.
4. Statut socio-économique de Jésus
- Apprenti de Joseph, Jésus a probablement appris le métier d’artisan du bois (tekton, en fait
de tous les matériaux). Donc il n’était pas un paysan et ne comptait pas parmi les plus
pauvres ; il ne se désigne jamais comme pauvre, mais parle aux pauvres : «heureux, vous,
les pauvres…».
- Cependant il abandonne sa situation traditionnelle honorable pour devenir un prophète
charismatique itinérant.
5. Étrangeté radicale de Jésus
- Il n’était pas un érudit de la Torah et de son interprétation, tout en revendiquant d’en donner
le sens profond. Il ne parlait que l’araméen, avec un fort accent sans doute ; il pouvait lire
l’hébreu et savait un peu de grec.
- Surtout il était célibataire, sans doute par volonté de consécration totale à la cause du RD ;
tout en étant considéré comme un «glouton» (Mt 11, 19 //), entouré d’hommes et de femmes
ayant laissé leurs familles.
- Enfin il a accepté le baptême de Jean, qui était inhabituel et renvoyait à un message
eschatologique de conversion et de repentance. Cependant son message comportait une
dimension joyeuse et libératoire.
B. Ministère de Jésus, prophète à la manière d’Élie
- Vers l’an 28, après son baptême, Jésus sort du cercle de JB et commence son propre
ministère prophétique, pendant une période relativement calme de la Palestine, Tibère étant
empereur de 14 à 37 ; Hérode Antipas, tétrarque de Galilée de – 4 à 39 ; Joseph Caïphe
maintenu grand-prêtre de 18 à 36 ; Ponce Pilate préfet de la province impériale de Judée de
26 à 36.
- Le RD annoncé par Jésus n’était pas bien perçu par les autorités politiques et religieuses.
Comme Élie, il pense à la réunion des douze tribus d’Israël et se choisit douze disciples.
- La transformation eschatologique d’Israël n’avait pas pour Jésus de caractère politique ;
mais ses actions et paroles suscitaient tensions et affrontements avec le pouvoir, jusqu’à
vouloir «décapiter» son mouvement, comme Antipas l’avait fait pour JB. Ce mouvement a
survécu, parce que Jésus l’avait structuré.
C. Structuration des disciples de Jésus
1. Marques d’identité
- JB avait donné à son mouvement certaines marques : baptême comme rite d’initiation,
constitution d’un groupe de disciples, pratiques religieuses spécifiques de prière et de jeûne.
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- Mais Jésus a proposé des pratiques différentes de JB et d’autres mouvements juifs :


interdiction de tout jeûne volontaire, participation à des repas de fête avec des «dévoyés»,
concision de la prière…
2. Trois cercles concentriques d’adeptes
- Parmi les gens qui suivaient Jésus, on peut distinguer trois groupes, ce qui est une
caractéristique de son mouvement.
* Tout d’abord, à l’extérieur, les foules : cercle mouvant et transitoire dont l’attachement a
sans doute compté pour beaucoup dans la décision de Caïphe et Pilate d’arrêter Jésus.
* Un cercle médian de disciples : choisis par Jésus et appelés à le suivre dans son
itinérance ; donc devant tout quitter ; peu sont nommés (Lévi, Nathanaël) ; ils sont le
symbole de la volonté de Jésus d’atteindre des gens pieux et marginaux.
* Enfin le cercle intérieur des Douze : ils constituent une prophétie de l’Israël unifié Avec
un seul remplacement en deux ans d’existence (Judas de Jacques  Thaddée). Importance
de Pierre, le leader, personnage ambigu, plein de fougue et insoumis, avec des forces et
des faiblesses. Ce cercle est important, non pas à cause des prouesses de ses membres,
mais par sa signification de noyau de l’Israël restauré.
3. Autres cercles d’adhérents
- Des femmes juives ont suivi Jésus, surtout Marie de Magdala, et ont aidé matériellement le
groupe. Elles ne sont jamais appelées «disciples» : absence du mot au féminin ???
- Certains n’ont pas suivi physiquement Jésus : Marthe et Marie, Zachée, Lazare, le
propriétaire de la salle pour la Cène… Ils offraient l’hospitalité.
- On a donc tout un réseau qui a permis au mouvement de Jésus de s’organiser par la suite et
de perdurer.
D. Concurrents juifs
Au temps de Jésus, la plupart des juifs n’appartenaient à aucun des quatre groupes d’opinion :
pharisiens, sadducéens, esséniens, opposants divers.
1. Les zélotes
- Parmi les opposants, il y a ceux que Flavius Josèphe appelle «la quatrième philosophie» ; il
s’agit de zélotes qui n’apparaissent qu’en 68 comme mouvement révolutionnaire contre les
Romains.
- Mais pendant le ministère public de Jésus, on n’a pas de témoignage de révolte armée contre
le pouvoir des romains.
2. Esséniens et Qumran
- Les esséniens sont absents des quatre évangiles. Leur austérité et leur attachement à des
pratiques de purification, leur dualisme les opposent à Jésus. Mais on peut relever quatre
ressemblances :
* une espérance eschatologique d’un état définitif de salut ;
* une critique du Temple et de son culte, alors que Jésus l’acceptait tout en prophétisant sa
destruction ;
* un radicalisme éthique conduisant à des règles strictes de comportement (célibat,
sexualité, serments…) ;
* le refus de la richesse et de la propriété.
- Ces ressemblances ne doivent pas faire oublier les grandes différences ; par exemple, ils se
revendiquaient «pauvres», mais Jésus ne s’est jamais nommé comme tel : il porte leur souci,
mais ne l’est pas.
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3. Sadducéens
- Avec les sadducéens, groupe lié au sacerdoce juif, sauf au sujet de la participation au culte
du Temple de Jérusalem, Jésus se situait en opposition complète, tant au point de vue
théologique que social.
- Ils n’apparaissent que dans l’évangile de Mc 12, 18-27 //, controverse sur la résurrection des
morts et la vie éternelle.
4. Pharisiens
- Évincés du pouvoir sous les monarques hasmonéens (en l’an 6), ils s’efforçaient
d’influencer le peuple par l’éducation ; d’où leurs fréquentes controverses avec le
mouvement de Jésus.
- Devant la complexité extrême de leurs positions, six points apparaissent plus sûrs :
* c’est un groupe à intérêt politique et religieux, en activité dans la Palestine entre 150 avant
J.C. et 70 de notre ère ;
* leur interprétation de la Loi recherche l’exactitude et la précision ;
* ils admettent des traditions supplémentaires ;
* ils ont des préoccupations légales : règles de pureté sur les aliments et les récipients ; ce
qui peut souiller les mains ; pureté en rapport aux cadavres et aux tombes ; pureté des
objets cultuels ; contribution à verser au Temple et à son personnel ; respect du sabbat et
des jours saints ; mariage et divorce…
* quelques doctrines particulières sur la résurrection des morts, l’attente d’un messie, le rôle
spécifique de la Loi ;
* ils admettent l’interaction entre la providence divine et l’effort humain.
- Cependant ils ne constituaient pas le judaïsme majoritaire. Sur le réalité historique de leur
influence au temps de Jésus, on peut retenir quatre points :
* deux écoles (Hillel et Shammaï) se disputaient sur l’autorisation du divorce, qu’ils
admettaient alors que Jésus s’y oppose en raison de sa perspective eschatologique où le
Créateur restaurerait le mariage monogame ;
* les conflits avec les pharisiens ont sans doute amené les malédictions contre eux
prononcées par Jésus ;
* la parabole du pharisien et du collecteur de taxes (Lc 18, 10-14), comme souvent dans les
paraboles qui inculquent un renversement de valeurs, est un bon exemple de ce
renversement, parce que les pharisiens étaient tenus en haute estime par le peuple ;
* vu les critères de discontinuité et d’embarras, les rares péricopes où Jésus est bien reçu par
certains pharisiens doivent être historiques.
- Il ne faut pas amalgamer la question des relations avec les pharisiens et celle de la relation à
la Loi mosaïque, sujet très difficile traité dans le quatrième tome.
5. Dernières énigmes
- Quatre grandes énigmes restent à considérer : l’enseignement de Jésus sur la Loi, les
discours mystérieux des paraboles, les auto-désignations (titres) de Jésus et sa mort.
- Sur la judaïté de Jésus, il ne suffit pas de dire qu’il observait la Loi, car les positions qu’il a
prises font problème.
- Les paraboles ne sont pas le chemin le plus facile pour parvenir au Jésus historique, vu le
cryptage des discours et leur caractère parfois non historique.
- La façon dont Jésus s’est désigné (Fils de l’homme, Fils…) visait surtout à poser question
plus qu’à apporter une réponse.
- Enfin la mort de Jésus reste une énigme tant dans son déroulement que dans ses motifs.
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IV. La Loi et l’Amour


Cerf 2009, 744 p.

Introduction : le Jésus historique est le Jésus de la halakha


- Parmi les quatre énigmes annoncées à la fin du tome 3, celle du rapport de Jésus à la Loi est
la plus ardue et fait l’objet de ce volume 4. Ce rapport a été compris de multiples façons,
toujours fausses parce que voulant simplifier une matière très complexe.
- Pour aborder ce thème, il faut faire trois distinctions essentielles :
* entre la christologie et la recherche sur le Jésus historique, l’une relevant de la discipline
théologique, l’autre de la science historique ;
* entre notre connaissance de Jésus, juif palestinien du premier siècle, et celle de Jésus
Christ, Seigneur crucifié et ressuscité ;
* entre la théologie morale et l’enseignement de Jésus sur la Loi juive, souvent présenté
comme préparant le judéo-christianisme, alors qu’il faut le situer par rapport aux questions
des juifs de son époque.
- D’où la méthode suivie, après avoir défini la Loi :
* cas où Jésus révoque la Loi (divorce, serment) ;
* cas où Jésus consacre la Loi (sabbat) ;
*autour des règles de pureté ;
* sur les valeurs suprêmes de la Loi (l’amour) ;
* Jésus et le comportement moral.
- Cette recherche utilise les cinq critères d’historicité : embarras, discontinuité, attestation
multiple, cohérence, rejet et exécution de Jésus ; sans compter les critères secondaires :
araméisme, échos de l’environnement palestinien, caractère concret…
XXI. Qu’est-ce que la Loi ?
1. Jésus et la Loi
- Jésus a confirmé, élargi, intériorisé, radicalisé, abrogé des éléments de la Loi.
- Mais en même temps la compréhension de la Loi peut nous aider à saisir comment Jésus se
comprenait et comprenait sa mission.
2. Significations de la Loi dans l’AT et le judaïsme intertestamentaire
- La Loi, même quand elle semble décrire la Loi donnée par Moïse, peut intégrer des éléments
plus tardifs.
- Par exemple : erub = espace de déplacement autorisé pendant le sabbat ; obligation de la
synagogue ; certificat de divorce ; etc.
3. Sens de la Loi dans le NT et le judaïsme rabbinique
- La Torah, traduite en grec par nomos, désigne la parole de Dieu révélée à son peuple Israël.
- Comme pour la Septante de l’AT, nomos recouvre de nombreux sens : religion, loi civile,
philosophie, cosmologie…
- le mot halakha (conduite morale) n’est pas utilisé avant l’an 70 de notre ère.
4. Position de Jésus par rapport à la Loi
- Il est difficile de démêler ce que pensait vraiment Jésus de sa réinterprétation par chacun des
évangélistes, malgré Mt 5, 17 : «Ne pensez pas que je sois venu abolir la Loi ou les
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Prophètes, je ne suis pas venu abolir mais accomplir», d’autant plus que cette phrase est une
création de Mt ou de son Église (cf. l’utilisation du verbe plérô = accomplir, thème cher à Mt).
- La tâche consiste donc à défaire ce que les évangélistes ont fait, puis à essayer de remonter à
la formulation plus primitive.
- De plus il ne faut pas opposer l’appel aux sentiments intérieurs et les comportements rituels
(v.g. «c’est la miséricorde qui me plaît et non les sacrifices» Os 6, 6, qui signifie en fait «je
préfère l’amour aux sacrifices», parce que l’hébreu n’a pas de comparatif).
- Pour un juif, ce qui était moral c’était de faire la volonté de Dieu et de marcher dans ses
voies, aussi bien morales que rituelles. Il n’est pas sûr que cet enseignement sur la Loi
puisse se centrer autour du commandement d’amour.
XXXII. L’enseignement de Jésus sur le divorce
1. Clarifications nécessaires
- Parmi les questions juridiques le plus souvent attestées figure en premier lieu le divorce,
présent en Q, Mc et Paul. Mais cette question mêle problèmes historiques, exégétiques et
théologiques.
- Le divorce est un phénomène répandu dans tout le monde méditerranéen et concernait, non
pas l’État, mais le clan ou la famille, c’est-à-dire en fait les mâles dominants. Il faut le
considérer dans son étrangeté de passé et non en tirer des enseignements pour aujourd’hui.
2. Le divorce dans le Pentateuque
- La seule loi significative se trouve dans Dt 24, 1-4 : le retour d’une femme deux fois
divorcée à son premier mari est interdit parce qu’elle est devenue impure par son deuxième
mariage.
- Deux autres petites règles en Dt 22, 13-19 et 22, 28-29+ sur des cas très rares.
3. Chez les Prophètes et la littérature de Sagesse
- Deux références seulement chez les grands prophètes : Is 50, 1 et Jr 3, 1-2.8, sur le certificat
de divorce appliqué métaphoriquement aux relations entre Yahvé et le peuple d’Israël.
- Même utilisation de la métaphore chez Malachie 2, 1-16, impossible à traduire par «je
déteste le divorce».
- Les écrits de Sagesse sont rares sur le sujet et parlent d’un certificat de divorce comme
obligatoire.
4. Période intertestamentaire (Philon, Josèphe, Qumran)
- Pour Philon le divorce peut avoir lieu pour n’importe quelle raison et il reprend Dt 24 sur
l’interdiction de revenir au premier mari.
- Josèphe est d’accord avec Philon.
- Les textes de Qumran sont obscurs : ils condamnent la polygamie mais semblent admettre le
divorce.
- La Mishna
- La Mishna, rédigée vers 200-220, traite seulement de la rédaction du certificat de divorce.
- Mais avant 70 il n’y avait aucune mention d’un débat sur les causes possibles de divorce.
6. Le Nouveau Testament
- Il y a cinq mentions d’une interdiction du divorce par Jésus : Mt 5, 32 // Lc 16, 18 ; Mc 10,
2-12 // Mt 19, 3-9 ; 1 Co 7, 10-11. Elles sont toutes différentes, sauf la formule «ce que Dieu
a uni, que l’homme ne le sépare pas».
63

- Cette interdiction remonte-t-elle au Jésus historique ? On traite la question dans l’ordre


chronologique : 1 Co 7, puis source Q (Mt 5 et Lc 16) et enfin Mc 10.
A. 1 Co 7, 10-11
- «À ceux qui sont mariés, j’ordonne, non pas moi mais le Seigneur, que la femme ne se
sépare pas de son mari ; si elle en est séparée, qu’elle ne se remarie pas ou qu’elle se
réconcilie avec son mari ; et que le mari ne répudie pas sa femme».
- C’est l’un des rares cas où Paul cite une parole de Jésus attestée dans les évangiles. Écrite
vers 54-55, cette lettre est le plus ancien document du NT, d’autant plus que Paul distingue
ce commandement de son propre enseignement et nous amène à le faire remonter aux
années 50 ou 40, et peut-être même à une tradition de Jésus lui-même.
- Le contexte est la volonté pastorale de Paul de répondre aux questions posées par les
Corinthiens sur l’unité de l’Église, le bon ordre du culte et des problèmes de moralité
personnelle dans une communauté où les convertis s’imaginaient être sauvés et délivrés du
péché. Pris entre le «déjà» de la justification par la foi chrétienne et le «pas encore» du salut
final, les Corinthiens doivent-ils rester dans leurs anciens états de vie ? La réponse générale
de Paul est «restez comme vous êtes».
- Sur le divorce, Paul passe des «je dis» ou «je souhaite» à «le Seigneur ordonne», pour
montrer que l’interdiction remonte au Seigneur lui-même, sinon dans les mots, du moins
dans la structure :
v. 10 : qu’une femme ne se sépare pas de son mari
v. 11 : (mais si elle s’en sépare
qu’elle demeure non mariée
ou bien qu’elle se réconcilie avec son mari)
v. 12 : qu’un mari ne répudie pas sa femme.
Donc l’interdiction s’applique aux deux et vient de Jésus.
- En appliquant à des chrétiens d’origine païenne ce que le juif Jésus disait à des juifs, Paul
considère que l’interdiction de Jésus doit s’appliquer rigoureusement aux couples chrétiens.
B. La tradition Q (Mt 5, 32 // Lc 16, 18)
- L’interdiction du divorce par Jésus apparaît dans deux contextes des Synoptiques : dans un
récit de controverses (Mc 10, 2-12) au début du ministère en Judée, récit repris par Mt 19, 3-
12 ; et comme un bref logion dans un ensemble large de paroles (Mt 5, discours sur la
montagne, troisième des six antithèses ; et Lc 16 dans un groupe de paroles sur des sujets
législatifs et moraux).
- Le cadre différent de Mt et Lc est une création rédactionnelle des évangélistes ; sans doute
l’interdiction faisait-elle partie d’une unité indépendante qu’il s’agit de retrouver.
- Mt 5, 32 et Lc 16, 18, malgré de légères différences, sont d’accord sur l’interdiction du
divorce et sur le fait qu’il s’agit de l’homme qui répudie ou épouse une femme répudiée (
Mc 10 où la femme peut répudier aussi) et qui de ce fait commet un adultère.
- L’exception («hormis le cas de prostitution» : parektos logou porneias = inconduite
sexuelle) particulière à Mt est à enlever et traiter à part. Reste un logion primitif :
«Quiconque répudie sa femme et en épouse une autre commet un adultère ; quiconque
épouse une femme répudiée commet un adultère».
C. Marc 10, 11-12
- Ici il s’agit d’une double interdiction de répudier son conjoint, adressée au mari et à
l’épouse. Donc tout divorce suivi d’un remariage est jugé adultère.
64

- Sans doute est-ce que Mc (comme Paul en 1 Co 7, 10-11) écrivait dans un cadre juridique
romain qui permettait à l’homme comme à la femme de divorcer ( cadre juif où la femme
n’avait pas ce pouvoir).
- La mention «envers elle» du verset 11 laisse entendre que le mari ne commet l’adultère que
s’il a des relations avec une femme mariée, ce qui lèse son mari, mais ce n’est pas le cas
avec une prostituée.
- En enlevant cette clause due à Marc, on retrouve l’interdiction de Q : «Quiconque répudie sa
femme et en épouse une autre commet un adultère».
D. Divorce et critères d’historicité
L’interdiction du divorce semble être une parole authentique de Jésus, comme le montrent les
différents critères d’historicité :
a) Attestation multiple
- Cette interdiction est citée dans trois courants indépendants du christianisme ancien : 1 Co 7,
10-11 (vers 54-55) ; source Q avec Mt 5, 32 // Lc 16, 18 (entre 50 et 70) ; Mc 10, 11-12
(vers 70).
- De plus elle revêt plusieurs formes : parénèse chez Paul, logion isolé en Q, récit de
controverse en Mc. Rares sont les paroles jouissant d’une telle base…
b) Discontinuité et embarras
- Alors que le divorce n’est pas remis en question dans l’AT, non plus par le judaïsme de
Philon et Josèphe, parce que c’est une solution naturelle et nécessaire, Jésus ose interdire ce
qu’autorise la Loi ; cela vaut aussi sans doute pour les groupes sectaires (esséniens et
Qumran).
- Quant au critère d’embarras, il concerne l’Église primitive qui a du mal avec cette
interdiction de Jésus (cf. Paul en 1 Co qui dit parler au nom du Christ, ou Mc qui ajoute une
exception). Ce n’est pas l’Église primitive qui a pu inventer cette interdiction si étrangère à
la mentalité ancienne.
c. Cohérence
- Cette interdiction est en cohérence avec la conception plutôt radicale de la Loi par Jésus,
surtout en matière sexuelle.
- Même si cela va à l’encontre de son insistance sur la miséricorde et le pardon.
E. Le récit de controverse de Mc 10, 2-12
- Ce récit est traité à part, car souvent les controverses sont des élaborations de la
communauté primitive.
- La question posée par les pharisiens est étrange, car elle ne repose sur aucune interprétation
de la Loi ; elle veut sans doute préparer la réponse de Jésus au verset 11.
- En fait Jésus fait une double réponse : sur le divorce au v. 9 et sur le divorce et le remariage
au v. 11.
- Mc 10, 2-12 est une création littéraire et théologique de Marc à partir de traditions diverses.
F. Conclusion
- Les critères d’attestation multiple, de discontinuité, d’embarras et de cohérence plaident en
faveur de l’historicité de l’interdiction du divorce par Jésus. Mais on peut ajouter d’autres
conclusions.
- Il est difficile de savoir quelle est la parole originale de Jésus, même si Lc 16, 18 semble en
approcher : «Tout homme qui répudie sa femme (et en épouse une autre) est adultère, et
celui qui épouse une femme répudiée par son mari est adultère».
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- Les controverses sont des compositions chrétiennes. Mais qu’en est-il du cœur de Mt 10, 9 :
«Ce que Dieu a uni que l’homme ne le sépare pas» ? Cette interdiction remonte sans doute
au Jésus historique.
- Comme comprendre la volonté de Jésus d’être fidèle à la Loi mosaïque et son refus du
divorce et du remariage pourtant permis ??? Est-ce le signe que Jésus est le prophète
eschatologique ?
XXXIII. L’interdiction des serments
Y a-t-il d’autres exemples que Jésus ait abrogé une institution ou une pratique autorisée et
réglementée par la Loi ? Beaucoup pensent qu’il n’y en a pas, sauf peut-être l’interdiction des
serments…
1. Les serments selon les Écritures juives et la Mishna
a) Clarifications
- Il est souvent difficile de distinguer serment et vœu. Pour nous, un serment est une
affirmation ou une promesse qui prend Dieu à témoin que notre parole est vraie.
- Alors qu’un vœu s’adresse directement à Dieu pour lui promettre quelque chose.
b) Le serment dans le judaïsme
- La Torah exigeait que l’on prête serment dans certains cas.
- Les seules exceptions sont tardives (Mishna) et permettent d’éviter de prêter serment
parfois, par scrupule. Donc les serments sont interdits dans le judaïsme.
2. Interdiction des serments dans le NT
Certaines réserves venues du judaïsme tardif (Ben Sira, Philon) sont poussées à l’extrême par
Jésus qui interdit complètement les serments. Cf. les deux seuls textes explicites : Mt 5, 34-37
et Jc 5, 12.
a) Comparaison des deux textes (Mt 5, 33-37 ; Jc 5, 12)
- Ce sont les deux formes de la même tradition : même contenu de base, même structure
littéraire, même vocabulaire. Mais aussi des différences : attribution à Jésus chez Mt, mais
non chez Jc ; pas d’antithèse chez Jc ; formes grammaticales différentes ; plus d’exemples
en Mt (4) qu’en Jc (3) et sans raison dans Jc ; caractère absolu de l’interdiction ; variantes
d’impératif ; finale différente.
- En fait ce sont deux formes littéraires différentes (évangile et parénèse) d’une même
tradition ; mais aucune dépendance entre elles.
b) La plus ancienne version accessible
- Les éléments les plus certains de la tradition primitive sont une formule en deux parties : un
commandement négatif (ne pas jurer) suivi d’un commandement positif (une parole vraie).
- «Ne jurez ni par le ciel, ni par la terre (8 pages !), mais que votre parole soit oui ou non».
c) L’interdiction remonte-t-elle au Jésus historique ?
- Mt et Jc rédigés entre 70 et 100 sont indépendants l’un de l’autre, avec des développements
d’une tradition primitive qui doit remonter à la première génération chrétienne (entre 30 et 70).
- Seul Mt attribue l’interdiction à Jésus. Deux critères appuient une origine remontant à
Jésus : la discontinuité et l’attestation multiple. En effet AT et NT admettent les serments
(Paul jure souvent !) ; donc la parole de Jésus a été transmise dans le courant évangélique et
dans le courant épistolaire (attestation multiple).
- Ainsi l’interdiction du divorce comme des serments est un autre exemple de la révocation
par le Jésus historique d’institutions ou de commandements de la Loi de Moïse.
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XXXIV. Jésus et le sabbat («repos»)


L’enseignement de Jésus sur le sabbat jouit du critère d’attestation multiple (Mc, M, L, plus
Jn), de celui de discontinuité et peut-être du critère d’explication de la mort de Jésus.
A. Le sabbat dans les Écritures juives et la Mishna
1. Le sabbat dans les Écritures juives
- La tradition de l’interdiction de travail le septième jour remonte à Exode 20 et Deutéronome
5, 12- 15. Autres mentions dans Ex 34, 21 ou 23, 12 ; Ex 31, 12-17 ; Ex 35, 3 ; Lv 19, 3 et
23, 3.
- En fait, pour ce qui est de violer le sabbat en travaillant, la seule chose dont jésus soit accusé
directement, c’est d’opérer des guérisons, ce que les Écritures juives n’ont jamais inclus.
2. Sabbat dans les apocryphes
- Judith 8, 6 et 10, 2 + 2 M 5, 24-25 ; 1 M 10, 34 : rares mentions sur l’abstention du jeûne ce
jour-là.
- Donc rien à voir avec les controverses sur le sabbat dans les évangiles.
3. Pseudépigraphes de l’AT et textes de Qumran
- Surtout le Livre des Jubilés et le Document de Damas, avec des listes des actions interdites
le sabbat : elles seront au nombre de 39 dans la Mishna.
4. Littérature de la diaspora : Aristobule, Philon, Josèphe
- Aucun document ne mentionne les guérisons comme violations du sabbat ; cela est
important pour la compréhension des controverses dans les évangiles.
5. La Mishna (rédigée vers 200-220)
- «Il y a quarante moins un travaux interdits pendant le sabbat…» : surtout semer et
moissonner (cf. Ex 34, 21) ; faut-il relier cette interdiction aux épis arrachés (Mc 2, 23-28) ?
- Mais rien concernant les guérisons.
B. Actions et déclarations de Jésus sur le sabbat
Le matériau sur Jésus et le sabbat contient cinq catégories de textes différents selon leur
forme, leur contenu, leur source et les problèmes soulevés : récits de miracles pendant le
sabbat, mais sans controverse ; récits de miracles pendant le sabbat avec controverse ; paroles
de Jésus sur le sabbat dans la deuxième catégorie ; un seul récit de controverse sans miracle
(arrachage des grains) ; paroles diverses…
1. Miracles ne provoquant pas de controverse
- Ces récits se trouvent tous dans les seuls Synoptiques issus de la tradition marcienne reprise
avec des changements par Mt et Lc.
- Mc 1, 23-28 // Lc 4, 33-37 : premier miracle de Jésus, un exorcisme dans la synagogue de
Capharnaüm, sorte de condensé de ce que Jésus faisait ou enseignait… Il provoque
seulement de l’étonnement.
- Mc 1, 29-31 // Mt 8, 14-15 ; Lc 4, 38-39 : guérison de la belle-mère de Pierre, mais sans
dispute car réalisée en privé ; de plus, il n’est pas sûr que ce miracle soit réalisé un jour de
sabbat.
- Mc 6, 2-5 : miracles dont on ne sait pas s’ils ont eu lieu un jour de sabbat.
2. Miracles provoquant une controverse
Ces miracles jouissent d'une attestation multiple : l'homme à la main desséchée (Mc 3, 1-6 //),
la femme courbée depuis dix-huit ans (Lc 13, 10-17), l'homme hydropique ( Lc 14, 1-6), le
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paralysé de la piscine de Béthesda (Jn 5, 1-9), l'aveugle-né (Jn 9, 1-7). Mais il faut y regarder
de plus près, en distinguant les récits synoptiques et johanniques.
- Récits synoptiques (cf. «Un certain Juif» II)
* Mc 3, 1-6 : l'homme à la main desséchée. En fait Jésus ne fait rien et se contente de
donner deux ordres : «lève-toi … étends les mains» ; donc il n'y a pas violation du sabbat ;
d'autant plus qu'une guérison pendant le sabbat n'entrait pas dans les trente-neuf
interdictions…
* Lc 13, 10-17 : femme courbée depuis dix-huit ans. Rien n'interdit une guérison par la
parole et l'imposition des mains.
* Lc 14, 1-6 : homme hydropique. Jésus ne fait rien ; donc on ne peut rien retenir de ces
trois récits concernant des controverses sur le sabbat remontant au ministère du Jésus
historique : ils posent seulement la question de savoir ce qu'il est permis ou non de faire le
jour du sabbat.
- Récits johanniques
* Ce sont sans doute des récits remontant au Jésus historique : Jn 5, 1-9 (paralysé de
Béthesda) et Jn 9, 1-7 (aveugle-né). Mais ces deux récits ne font pas mention du sabbat,
sauf à la fin pour servir une intention théologique de Jean (cf. leur structure, comme
beaucoup d'autres : action-signe, provoquant dialogue ou dispute, aboutissant à un
discours théologique.
* Alors que les récits synoptiques introduisent très vite le thème du sabbat pour colorer tout
le récit, mais ne remontent pas au Jésus historique, les récits johanniques remontent sans
doute au ministère historique de Jésus, mais ajoutent le thème du sabbat pour des raisons
littéraires ou théologiques.
* Donc dans les quatre évangiles, pas un seul récit de controverse provoquée par une
guérison le jour du sabbat ne remonte au Jésus historique.
3. Paroles de Jésus sur la halakha sabbatique dans les récits de miracles synoptiques
- C'est sur des questions rhétoriques que Jésus discutait avec les juifs de la façon d'observer le
repos sabbatique : «Est-il permis ou non de faire le bien le jour du sabbat ?»
- À la différence des pharisiens ou des esséniens qui prônaient une interdiction de toute
activité, Jésus opte pour une interprétation de bon sens de la Loi.
4. L'arrachage de grains le jour du sabbat (Mc 2, 23-28)
- Texte étrange et exceptionnel, sans rapport avec un miracle ou une parole de Jésus.
- Contexte : quatrième des cinq récits de controverse situés par Marc au début du ministère de
Jésus (cf. les polémiques en fin de ministère en Mc 11, 27-12, 44). On y remarque un
schéma concentrique 1→5, 2→4, 3 : construction pour faire progresser l'idée d'un Messie
revêtu d'autorité.
- Structure : dans les récits de controverse, on a souvent trois parties : mise en place d'un
cadre avec acteurs, circonstances et actions ; question ou objection ; réponse de Jésus. Mais
ce schéma disparaît dans la deuxième et troisième réponse (sabbat fait pour l'homme ; le Fils
de l'Homme maître du sabbat).
- Forme originale : sans doute seulement la mise en place (v 23), la question (v. 24) et la
réponse de Jésus (v. 25-26).
- Historicité : ce passage n'est pas du Jésus historique ; d'une part on voit mal des pharisiens
patrouiller dans les champs pour surprendre les disciples; d'autre part l'appel à relire
l'histoire de David est faux (1 S 21 n'a pas lieu pendant le sabbat…) ; alors que l'histoire de
David suppose une situation d'urgence, ce n'est pas le cas pour les disciples. Erreur aussi sur
le grand-prêtre. Donc il s'agit d'une composition polémique de juifs palestiniens d'avant 70.
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5. Les sentences sur le sabbat de Mc 2, 27-28


- Ces deux versets ont été ajoutés au récite de controverse.
- V. 27 : «Le sabbat a été fait pour l'homme». L'habitude de Jésus pour des formules
antithétiques plaide pour son authenticité.
- V. 28 : «Le Fils de l'Homme est maître même du sabbat». Cette formulation sur le Fils de
l'Homme est unique dans les synoptiques : elle constitue une prétention absolue pour
trancher la discussion, mais c'est une création de Marc. On a donc : un récit de controverse
(v. 23-26) né dans la Palestine d'avant 70 ; un axiome pour appuyer venant du Jésus
historique (v. 27) ; une expression chrétienne pour conclure.
Conclusion
Les débats des Synoptiques provoqués par des guérisons de Jésus pendant le sabbat manquent
de crédibilité historique, car le judaïsme ne l'interdisait pas. Pas un seul récit ne tient. Quant
aux sentences, elles montrent que Jésus, loin de rejeter le sabbat, voulait seulement le rendre
vivable pour ses contemporains, contre le rigorisme sectaire : «le sabbat a été fait pour
l'homme»…
Nous sommes ainsi en présence d'un Jésus vraiment juif, qui discute les interprétations de la
Loi et cherche à en favoriser une approche humaine et modérée. Donc il accepte l'absence de
travail pendant le sabbat, mais rejette le divorce et les serments.

XXXV. Jésus et les lois de pureté


C'est la question la plus compliquée car elle pose plusieurs sortes de problèmes : origine,
signification et effectivité sont contestées. Mc 7, 1-23 est le texte le plus important quoique
hétéroclite. Et il y a une multiplicité de matériaux.
1. Lois de pureté dans le Pentateuque et après
Les lois de pureté concernent des actions, personnes ou choses considérées comme tahor (non
souillé, pur) ou tamé (souillé, impur). L'impureté est rituelle, morale, généalogique, plus les
interdictions alimentaires.
- Impureté rituelle : ce n'est pas un péché, mais une situation de vie (naissance, relations
sexuelles, menstruations, contact d'un mort) qui empêche la relation au Dieu saint. Parfois
on y est contraint (par exemple pour un parent défunt ou des relations conjugales) et c'est
bon, mais ensuite on doit se soumettre à une purification.
- Impureté morale : elle résulte d'actes abominables (meurtre, inceste, homosexualité,
bestialité, idolâtrie). Ce sont des actions peccamineuses (≠ impureté rituelle), mais non
contagieuses. Pour enlever la souillure, deux solutions : être banni du peuple ou purger le
Temple par un rituel approprié.
- Impureté généalogique : après le Pentateuque, vers les V-IVe siècles, apparaît l'impureté
née d'un mariage mixte.
- Lois alimentaires : elles concernent les animaux interdits, considérés comme abominables
(≠ cependant de l'impureté morale).
Ces lois étaient transmises par la tradition vécue. Mais il faut constater que les évangiles
ne parlent pratiquement pas d'impureté rituelle ni de lois alimentaires, sauf Mc 7, 1-23.
2. Jésus et la pureté (Mc 7, 1-23)
C'est la seule péricope assez longue des évangiles à traiter des questions d'impureté. Mais ce
texte est hétéroclite. D'où s'impose la recherche sur sa structure.
a) Structure de Mc 7, 1-23
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- Accord sur deux parties : controverse sur les mains non lavées (7, 1-13) et enseignement
de Jésus sur ce qui souille (7, 14-23). Meier pense que l'aphorisme de 7, 14-15 constitue un
pivot reliant les deux parties.
- Indicateurs de la structure littéraire : l'apparition des pharisiens et des scribes,
abandonnés en Mc 3, 22, indique une nouvelle étape de la mission en Galilée, avec une
double réplique de Jésus à partir des prophètes (v. 6-8), puis de la Loi mosaïque (v. 9-10).
La controverse se termine brusquement, sans réaction des adversaires qui disparaissent pour
laisser place à la foule à qui Jésus délivre un aphorisme déconcertant : «rien de ce qui entre
dans l'homme ne peut le rendre impur…».
- Liens des termes et des thèmes : l'impureté est le thème omniprésent, de même que celui de
l'homme (anthropos). Cela nous renvoie à une construction chrétienne en plusieurs strates,
et non à un enregistrement de Jésus.
- Structure détaillée :
* Première moitié (v. 1-13) : critique de Jésus vis-à-vis de la tradition des anciens :
Unité 1 : question sur la nourriture prise avec des mains impures (1-5).
Unité 2 : deux répliques de Jésus (6-13) :
à partir des prophètes, surtout Isaïe (6-8),
à partir de la Loi (Ex 20-21 : v. 9-13).
* Charnière : aphorisme sur la pureté (v. 14-15).
* Deuxième moitié : explication aux disciples de l'aphorisme sur la pureté (v.17-23) :
Unité 1 : question des disciples et réprimande de Jésus (17-18a).
Unité 2 : explication de la première moitié de l'aphorisme (18b-19).
Unité 3 : explication de la deuxième moitié de l'aphorisme (20-23).
b) Quel auteur ?
- On voit rapidement la main de plusieurs auteurs chrétiens; cela se vérifie en trois points :
* Des parenthèses explicatives : sur les mains non lavées (v. 2) ; sur divers rituels (v. 3-4) ;
sur le mot qorban (v.11) ; sur la déclaration de pureté de tous les aliments (v. 19).
* Des déclarations à caractère universel ou général (panta, polla) dans les versets où
apparaissent des adversaires.
* Des schémas rédactionnels : déclaration de Jésus - retrait dans un espace privé - question
par un disciple - réprimande par Jésus - puis explication. Des verbes qui expriment une
prise de parole : «il disait…». Une tendance à dire les choses par deux.
- D'où la question : y a-t-il des matériaux remontant au Jésus historique ? Des versets 1 à 6,
Jésus n'intervient pas, alors qu'il est le principal auteur des versets 7 à 23.
c) À la recherche du Jésus historique dans Mc 7, 6-23
- Versets 6-8 : la citation d'Isaïe est reprise non du texte hébreu, mais de la Septante qui
dénonce ceux qui enseignent des doctrines purement humaines (alors que l'hébreu dénonce
le culte routinier du Temple). Or Jésus ne pouvait citer la LXX de mémoire. La citation
d'Isaïe 29, 13 est donc une recomposition chrétienne.
- Versets 9-13 : seconde réplique de Jésus citant Exode 20, 12 et 21, 17, qui constitue un
exemple concret de l'accusation formulée en 6-8. Elle' est donc disqualifiée pour remonter à
Jésus ; cependant la citation d'Exode peut remonter au Jésus historique.
- Versets 14-23 : aphorisme sur l'impureté et son explication. Tout dépend de l'authenticité du
verset 15. L'absence de réactions par rapport à la remise en cause des lois traditionnelles sur
les interdits alimentaires laisse douter de l'authenticité de la phrase (même Paul en Ac 10-15
et Ga 2, 11-14 soutient ces interdits). Donc Mc 7, 15 est une formulation chrétienne vers l'an
70 pour fonder l'enseignement et la pratique de l'Église primitive.
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d) Les repas pris avec les mains non lavées (Mc 7, 1-5)
À l'exception possible de la tradition sur le qorban (v. 10-12), tout l'ensemble de Mc 7, 1-23
est le produit de la rédaction marcienne. Or les versets 1-5 sont une introduction à
l'enseignement de Jésus : on peut donc les considérer comme venant du Jésus historique.
3. Autres allusions à la pureté rituelle dans les évangiles
À part Mc 7, 1-23, il n'y a dans les évangiles que des allusions concernant la position de Jésus
sur la pureté rituelle, à l'exception des récits de l'enfance ou après la mort de Jésus…
- L'impureté due à un cadavre : le contact d'un cadavre donnait lieu à un processus de
purification allant jusqu'à sept jours. Quant à Jésus, il a touché la fille de Jaïre ((Mc 5, 41),
la civière du fils de la veuve de Naïm (Lc 7, 14) et il s'est rendu à la tombe de Lazare (Jn 11,
28), mais il n'y a aucune mention d'une impureté.
Mt 23, 27-28 // Lc 11, 44 sur les pharisiens comparés à des sépulcres («Malheur à vous !») :
ce logion reflète seulement la croyance juive selon laquelle tombe et cadavre transmettaient
une impureté rituelle (cf. Mt 23, 25-26 et Lc 11, 39-41 sur la coupe à purifier). Là encore
l'important est la pureté intérieure, morale. Mais aucune indication sur la pensée de Jésus.
- La femme ayant un flux de sang (Mc 5, 25-34) : il ne s'agit pas des règles (qui rendaient
aussi la femme impure), mais d'une maladie qui ne faisait sans doute pas partie des lois
rituelles du Pentateuque. Là encore la question de l'impureté contractée par le toucher du
vêtement est hors de la perspective de l'évangile.
- Lois régissant les règles des femmes (Lc 15, 19-24) : aucune mention de l'impureté
menstruelle dans l'enseignement de Jésus, alors qu'il voyageait avec des femmes. Ce silence
est à interpréter comme un manque d'intérêt (≠ des discussions à l'époque) ou comme une
indifférence calculée.
- Guérison de maladies de peau (lèpre) : dans Mc 1, 40-42 // Jésus touche le lépreux, mais
dans la guérison des dix lépreux (Lc 17, 11-19) il guérit à distance. Mais cela ne dit rien de
la pensée de Jésus.
4. Conclusion : Jésus et la pureté rituelle
Si la recherche semble décevante, elle révèle pourtant des perspectives importantes.
- Toute l'exégèse s'était basée sur Mc 7, 1-23 pour établir l'attitude de Jésus à l'égard des lois
de pureté. Or, sauf Mc 7, 10-12, rien ne remonte au Jésus historique, mais à la tradition
judéo-chrétienne.
- En contraste avec les discussions dans l'Église primitive, le silence de Jésus sur les questions
de pureté rituelle fait sens.
- Il n'y a jamais eu de rejet brutal ni d'ignorance désinvolte de Jésus par rapport à la Loi
mosaïque (cf. son interdiction du divorce et des serments) ; par contre, en prophète
charismatique, il a choisi de ne pas parler de pureté rituelle.

XXXVI. Les commandements d'amour de Jésus


Il n'est pas possible d'organiser la pensée de Jésus sur les questions de morale à partir de Mt 5,
17 («Ne pensez pas que je sois venu abolir le Loi…») ou des seuls commandements d'amour.
Or ce commandement de l'amour jouit d'une attestation multiple, avec trois sources majeures :
Mc 12, 28-34 // sur le premier et le deuxième commandements ; Q (Mt 5, 44 // Lc 6, 27) sur
l'amour des ennemis; et Jn 13, 34 sur le commandement nouveau. Il ne convient pas d'ajouter
la règle d'or («ce que vous voulez que les hommes fassent pour vous…» de Mt 7, 12 // Lc 6,
31) qui n'utilise pas le vocabulaire de l'amour et doit donc être étudié séparément.
De plus Jésus utilise peu le mot «amour». À première vue, on ne peut faire de l'amour le
centre du message de Jésus.
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1. Le double commandement d'amour de Mc 12, 28-34


La péricope se trouve dans une série d'attaques verbales des autorités de Jérusalem et de
contre-attaques de Jésus dans le Temple, au cours des derniers jours du ministère public. Ce
cycle de controverses (Mc 11, 27-12, 40) fait pendant au cycle de controverses au début du
ministère (Mc 2, 1-3, 6). Il comporte sept péricopes.
- La première péricope (Mc 11, 27-33) constitue une entrée solennelle, en posant la question
par les prêtres, les scribes et les anciens de l'autorité de Jésus.
- La deuxième (12, 1-12) rapporte la parabole des mauvais vignerons et accuse les agresseurs
de la première péricope.
- La troisième (12, 13-17) raconte la question hypocrite des pharisiens et hérodiens
(bizarrement liés) sur le paiement de l'impôt à César.
- La quatrième (12, 18-27) pose la question de la résurrection des morts dénoncée par les
sadducéens (seule mention dans Marc).
- La cinquième (12, 28-34) sur le double commandement constitue un véritable échange entre
Jésus et un scribe.
- La sixième (12, 35-37) consiste en une attaque contre les scribes à partir de l'interprétation
du Psaume 110, 1 sur le fils de David.
- La septième (12, 38-40) est une attaque en règle contre les scribes hypocrites et rapaces.
On voit bien que la cinquième péricope sur le commandement d'amour n'est pas à sa place
dans cette série d'attaques (non plus de groupes hostiles, mais d'un scribe isolé bienveillant) et
a dû avoir une vie indépendante, qui circulait dans la tradition orale primitive.
A. Structure et contenu de Mc 12, 28-34
1. Structure
- C'est une structure en emboîtement : ABC → B'C'A'.
A : introduction, situation de la scène (28abc).
B : première parole à Jésus du scribe (25de).
C : première réplique de Jésus au scribe (29-31).
B' : deuxième parole du scribe à Jésus comme approbation (32-33).
C' : deuxième réplique de Jésus : approbation et conclusion (34abc).
A' : conclusion des dialogues à Jérusalem.
- En utilisant le mot kalos (bien), le scribe porte une appréciation positive sur Jésus et vice-
versa.
2. Exégèse
- Alors qu'ailleurs Marc parle toujours «des scribes», ici il se concentre sur «l'un» des scribes,
dont Mc ne dit pas qu'il est pharisien (≠ Mt).
- La question du scribe est difficile à traduire : «De quelle sorte est le premier commandement

- Le mot «premier» désigne le rang ou l'importance, mais n'implique pas qu'il soit un résumé
de toute la Loi.
- En réponse Jésus cite le Shema : la foi dans l'unique et vrai Dieu d'Israël (Dt 6, 4) et en
conséquence le nécessaire amour de Dieu total et non partagé (Dt 6, 5).
- Ici le mot «aimer» n'est pas lié aux sentiments, mais à la volonté et à l'action (cf. tout l'AT
sur les traités d'alliance).
- Alors que le dialogue aurait pu s'arrêter au verset 30, Jésus poursuit en ajoutant le deuxième
commandement et en mêlant Dt 6, 4-5 et Lv 19, 11-18. En couplant deux commandements,
72

nettement séparés dans deux livres différents, Jésus manifeste une grande connaissance de la
Torah hébraïque.
- Jésus ne rabaisse pas l'amour de Dieu au niveau de l'amour du prochain ; les deux amours
demeurent distincts, mais Jésus les hiérarchise et les place au-dessus de tous les autres
commandements.
- Le scribe reconnaît en Jésus un «maître» (didaskalé) et se conduit en élève capable de
répéter son maître à sa façon. Trois différences dans la reprise de la Torah par le scribe : il
abandonne le «écoute» pour se concentrer sur le monothéisme (v. 32) ; il supprime «le
Seigneur notre Dieu» et réduit à trois les facultés humaines (cœur, intelligence, force : v. 33)
en insistant sur l'unité des deux commandements ; enfin il montre que le culte est inférieur
(v. 34).
- Jésus estime qu'il a bien compris son enseignement et qu'il «n'est pas loin du RD». Litote
sans parallèle, mais ambiguë, parce que le scribe ne va peut-être pas jusqu'à faire une
profession de foi christologique.
- Cette péricope n'a pas été créée par Marc. À la différence des autres controverses, ici aucun
sous-entendu d'hypocrisie ou de malveillance, mais un double mouvement de navette avec
approbation réciproque. Le ton général, le contenu et l'intention ne cadrent pas avec les
péricopes environnantes : on a donc ici une rare mention d'un scribe positif remontant au
début de l'ère chrétienne (30-70). Alors est-elle de Jésus ou de l'Église primitive ?
B. En faveur de l'historicité de Mc 12, 28-34
L'enseignement de Jésus sur le double commandement d'amour est bien historique, s'appuie
sur le critère de discontinuité et contient quatre caractéristiques remarquables :
* Jésus cite Dt 6, 4-5 et Lv 19, 18b mot à mot et il est le seul à le faire ;
* Jésus non seulement les cite, mais les adosse l'un à l'autre ;
* Jésus leur donne un ordre, en mettant Dt en premier et Lv en second ;
* Jésus conclut par l'affirmation de la supériorité de ces deux commandements sur tous les
autres.
Et cet enseignement ne se retrouve nulle part ailleurs. La première jonction de Dt et Lv se
trouve dans la Didaché, mais elle n'est pas citée mot à mot. Il y a donc une claire discontinuité
entre le double commandement d'amour de Jésus et la littérature juive ou néotestamentaire au
tournant de notre ère.
a) Discontinuité avec l'AT
- Aucun des deux textes (Dt 6 et Lv 19) et leur combinaison ne se retrouvent dans tout l'AT.
- Ce qui s'en rapproche le plus est Dt 10, 12-17 qui ordonne «de craindre Yahvé, le suivre,
l'aimer et le servir de tout son cœur, de toute son âme».
- Il y a bien sûr beaucoup de textes sur l'amour, mais aucun en lien avec Dt et Lv.
L'enseignement de Jésus ne sort de nulle part, mais n'a jamais été aussi clairement exprimé.
b) Discontinuité avec les manuscrits de la Mer morte
- À Qumran, les exhortations à l'amour ou au souci de l'autre ne concernent que les frères, les
vrais israélites.
- Et on ne trouve nulle part le double commandement de Dt et Lv.
c) Discontinuité et absence dans les pseudépigraphes de l'AT
- Il y a seulement des allusions, mais pas de citation explicite : Livre des Jubilés, Testaments
des douze Patriarches.
d) Discontinuité et absence chez Philon et Josèphe
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- On ne trouve dans leurs écrits aucune des quatre caractéristiques : citation explicite ;
adossement des deux textes ; ordre numérique ; supériorité sur tous les autres
commandements.
e) Discontinuité et absence chez les premiers rabbins
- Même dans la Mishna (vers 200 de notre ère), il n'y a aucune citation réunissant les deux
textes.
f) Discontinuité et absence dans le reste du NT
- Il n'y a aucun parallèle dans aucun autre texte du NT, à part les parallèles de Mc 12.
- Dt 6, 4-5 n'est jamais cité explicitement dans le NT et Lv 19, 18b est cité deux fois par Mt :
Mt 5, 44b // Lc 6, 27b (en supprimant «comme toi-même») et Mt 19, 19 (en incluant
«comme toi-même»).
- Paul cite Lv 19, 18b deux fois : Ga 5, 14 et Rm 13, 8-10, mais le prochain désigne un autre
chrétien.
- Jc 2, 8 fait aussi allusion à Lv 19, mais sans lien à Dt 6.
- Même si cette liaison par Jésus dans Mc 12 est située dans un contexte polémique
(provenant souvent de l'Église primitive), même si la tradition juive ne faisait pas de
hiérarchie entre les 613 commandements et donc rend difficile la question du scribe, Mc 12
semble bien être historique.
g) Attestation multiple
- Certains pensent que les différences entre Mc 12 et ses parallèles en Mt 22 et Lc 20 incluent
une autre source que Mc. Mais Meier pense qu'il s'agit seulement d'un remaniement de Mc à
partir des objectifs de Mt et Lc.
- Par exemple, Lc parle d'un «légiste» (nomikos) et non pas d'un ««scribe» (grammatôs) ; ou
bien l'absence de «dans la Loi» chez Mc (≠ Mt et Lc) ; mais ce ne sont pas des détails
probants.
- En plus, ce message d'amour est cohérent avec les appels de Jésus à la miséricorde, au
pardon, à l'attention envers les petits et les pécheurs, mais aussi avec sa conception d'un
prophète eschatologique appelé à rassembler l'Israël dispersé. Sans pour autant aller jusqu'à
un Jésus émotionnel ou sentimental, comme l'aiment les américains…
2. Le commandement d'amour des ennemis (Q : Mt 5, 44 // Lc 6, 27)
Il s'agit ici du seul commandement d'«aimer ses ennemis» présent dans le discours de la
montagne, qui comporte plusieurs caractéristiques :
* Il est très bref : quatre mots et même seulement trois en hébreu ou en araméen (≠ des 44
mots grecs de Mc 12, 29-31).
* Jésus ne cite pas de texte de l'Écriture, mais parle de sa propre autorité : «Eh bien, moi je
vous dis…».
* Ce commandement ne se trouve pas ailleurs qu'en Q ; donc pas d'attestation multiple.
* Autre ressemblance avec le double commandement d'aimer : la discontinuité.
* Beaucoup d'autres logia de Lc 6, 27-36 ont des parallèles anciens, mais pas celui d'aimer ses
ennemis (≠ de la non violence ou du refus de la vengeance, souvent assimilés).
* Il s'agit de faire du bien aux ennemis, non pas d'avoir des sentiments affectueux à leur
égard.
* À l'origine, les logia étaient isolés ; Lc les a regroupés, mais on ne peut relier à l'amour des
ennemis le fait de tendre l'autre joue, de donner son manteau, etc., c'est-à-dire tous les actes
mentionnés avant ou après.
74

* Donc ce commandement d'amour des ennemis n'a aucune occurrence ni dans l'AT, ni dans
la littérature intertestamentaire, ni dans le NT, ni dans la philosophie contemporaine.
* La non vengeance, prônée par certaines sagesses antiques, n'a rien à voir avec l'amour des
ennemis.
a) Absence du commandement d'amour dans l'AT
- Ni dans les écrits de Sagesse, ni dans les lois du Pentateuque, ni dans les Psaumes, on ne
trouve aucun commandement d'amour des ennemis.
- Ne pas confondre ce commandement avec le désir ou le refus de vengeance, laissé à Dieu
seul.
b) Absence à Qumran
c) Absence dans les pseudépigraphes de l'AT
d) Absence chez Philon et Josèphe
e) Philosophes gréco-romains (Sénèque, Épictète)
f) Absence dans le reste du NT
- En dehors de la tradition Q (Mt 5, 45b et Lc 6, 27b), aucune trace de l'amour des ennemis
dans tout le NT.
- Même Rm 12, 9-21 : «Ne te laisse pas vaincre par le mal, sois vainqueur du mal par le bien»
est seulement un refus de la vengeance, comme dans les autres littératures…
- L'injonction «aimez vos ennemis» correspond parfaitement à cet étrange prophète nommé
Jésus et remonte assurément à lui seul.
3. La règle d'or (Mt 7, 12 ; Lc 6, 31)
- C'est une maxime avec six caractéristiques : concise, concernant les rapports humains,
supposant la réciprocité, prenant les désirs individuels pour les ajuster au comportement
avec les autres, ne contenant pas le mot «aimer», ne faisant pas référence directe à Dieu.
- Jésus n'est pas à l'origine de cette règle, qui est issue de la sagesse populaire répandue du
refus de la vengeance, surtout dans la morale stoïcienne.
- De plus, cette règle n'est pas en harmonie avec les exigences de Jésus en matière de loi et
d'éthique ; dans Mt 5, 38-48, la règle d'or est absente parce que fondée sur la réciprocité
récusée par Jésus comme étant la manière des païens.
4. Le commandement d'amour dans la tradition johannique
Le commandement «aimez-vous les uns les autres comme je vous ai amés» ne se trouve que
chez Jean et dans deux déclarations faites au cours du dernier repas (Jn 13, 34 et 15, 12-17).
Ce commandement est à lire dans le contexte de la théologie de Jean : christologie haute,
eschatologie réalisée et dualisme marqué.
a) Christologie haute
- L'évangile de Jean est le seul livre du NT qui fonde sa compréhension du Christ sur une
théologie de la préexistence et de l'incarnation (cf. le prologue en Jn 1, 1-18).
- Cette concentration sur la venue du Verbe préexistant pour sauver le monde permet à Jésus
de dire «Je suis» et rassemble l'essentiel. D'où pas de théologie de l'Église, pas de disciples
envoyés en mission, pas de section sur des préceptes moraux comme dans les Synoptiques.
b) Eschatologie fortement réalisée
- En s'incarnant, le Fils de l'Homme met en œuvre le jugement eschatologique.
- Selon que les hommes acceptent ou rejettent la révélation du Christ, ils sont sauvés ou
condamnés dès maintenant.
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c) Dualisme marqué
- Ce dualisme apparaît sous le mode cosmologique (ténèbres-lumière ; terre-ciel ; créature-
créateur) et sous mode de décision (croire ou non).
- Judas s'enfonce dans les ténèbres et après son départ Jésus révèle son nouveau
commandement eschatologique. Pour le comprendre, il convient de le comparer aux
commandements d'amour des Synoptiques quant au lieu, à l'auditoire et au contenu.
d) Comparaison avec les Synoptiques
- Alors que, dans les Synoptiques, les commandements d'amour sont prononcés en public
avec des auditoires différents, dans Jean Jésus n'adresse jamais de commandement d'amour
à son auditoire public, ni d'enseignement moral. Il n'y a que sept occurrences du agapaô (Jn
3, 16.19.35 ; 8, 42 ; 10, 17 ; 11, 5 ; et 12, 43), toutes à l'indicatif et dans des commentaires
de l'évangéliste, hors du ministère public.
- Mais après le ministère public, lors du dernier repas avec ses disciples, on a une explosion
des paroles d'amour (25 fois dans Jn 13-17) pour désigner les relations de Jésus à son Père, à
ses disciples ou des disciples entre eux. Donc le commandement est limité aux disciples.
- Cet amour est fondé au plan ontologique (basé sur le lien entre le Père et le Fils) et exprimé
au plan éthique (mise en pratique vis-à-vis des frères à l'image de Jésus ; cf. le «comme je
vous ai aimés».
e) Historicité
- Jn 13, 34 et 15, 12 sont une réélaboration par la tradition johannique d'une tradition générale
sur un commandement d'amour.
- Le commandement d'amour des ennemis n'a pas de parallèle chez Jean. Le commandement
d'amour ne va pas plus loin chez Jean que dans Lv 19, 18b, à savoir les membres de la
communauté : donc est-ce qu'il vient de Jésus ???
f) Le commandement d'amour dans les épîtres johanniques
Les textes se limitent à la Première lettre de Jean, car il n'y a aucun commandement d'amour
en 3 Jn et 2 Jn 5 ne fait que reprendre 1 Jn.
- L'auteur de 1 Jn réinterprète l'évangile de Jn face à un schisme apparu dans la communauté
johannique, surtout à propos de l'incarnation et de la minimisation du comportement moral :
un disciple du Christ incarné doit accompli des actes d'amour incarné.
- En seulement cinq chapitres, 1 Jn emploie le verbe agapaô 28 fois, donc plus que tout autre
livre du NT (sauf l'évangile de Jn : 37). On peut ajouter les 18 occurrences du substantif
agapè et les 6 occurrences de l'adjectif agapétos.
- Surtout 1Jn 2, 9-11 ; 3, 14-18.23 ; 4, 7.11-12 ; 4, 20-21 ; 5, 12. Mais il y a trois différences
importantes :
* le double commandement d'amour de Dieu et des hommes est attribuable à Jésus seul,
alors que 1 Jn 4, 20-21 l'attribue au Père ;
* de même, 1 Jn 4, 20-21 ne cite pas Dt 6 et Lv 19 mot à mot comme Mc 12, 29-31 ;
* enfin dans 1 Jn 4, 20-21 le commandement d'amour concerne les autres, mais pas Dieu
dont l'amour est considéré comme un donné, non comme un commandement.
- Le lien entre aimer Dieu et aimer son frère pourrait être une réinterprétation par la
communauté johannique d'une tradition antérieure à Jésus sur le double commandement d'amour.
- Finalement, à la différence du double commandement d'amour en Mc et Q (remontant à
Jésus), le commandement d'amour de Jean (évangile et épîtres) est une superbe réflexion sur
le cœur du message chrétien, à partir de l'AT et de sa tradition, mais ne remonte pas au Jésus
historique.
76

5. Conclusion sur les commandements d'amour


- On doit donc accepter une forme de commandement d'amour remontant à Jésus et une autre
comme création de l'Église primitive. En effet, aucun autre texte juif avant ou après Jésus
n'a les quatre caractéristiques de Mc 12, 29-31 :
* citation de Dt 6, 4-5 et Lv 19, 18 mot à mot ;
* textes soudés l'un à l'autre ;
* et cependant distingués par ordre d'importance (Dt avant Lv) ;
* les deux formant un tout, supérieur à tous les autres commandements.
- Le commandement abrupt d'aimer ses ennemis (source Q) ne se retrouve nulle part ailleurs
(argument de discontinuité) : il est sans doute de Jésus lui-même.
- Quant au commandement johannique, il vient de la tradition et de la théologie de la
communauté de Jean.
- Il en ressort l'image d'un Jésus historique profondément imprégné des Écritures juives, mais
aussi des influences culturelles du monde gréco-romain plus ouvert. Jésus cite les Écritures
devant un érudit, mais rejoint des philosophes païens sur l'amour des ennemis.
- Jésus a réfléchi sur la totalité de la Torah et en a tiré l'amour de Dieu et du prochain comme
premier et deuxième commandements de la Torah, supérieurs à tous les autres.
- Mais on ne peut pas aller au-delà et affirmer que Jésus a fait de l'amour la clé herméneutique
pour interpréter la Loi ou le principe suprême d'où déduire tous les autres commandements.
Cela, c'est Mt qui le déclare en affirmant que toute la Loi est suspendue à ce double
commandement.
- Mt est le premier judéo-chrétien rendant la halakha (commentaire juridique de la Loi, ≠
haggada, commentaire moral) de Jésus utilisable par un système chrétien embryonnaire de
morale.
- En utilisant le «gezera sawa» (technique herméneutique utilisée par les rabbins et consistant
à rapprocher deux textes différents pour les éclairer mutuellement à partir des mots utilisés),
Jésus a réalisé un enseignement innovant, ce qui montre que Jésus réfléchissait sur les
questions particulières de la Loi agitant le monde juif, mais aussi sur toute la Torah. Sans
cependant opposer la Loi et l'amour.

Conclusion
Quatre énigmes nous ont guidé tout au long de notre recherche sur ce juif marginal : Jésus et
la Torah, les paraboles de Jésus, ce que Jésus dit de lui-même et la mort de Jésus. En ce qui
concerne Jésus et la la Loi, comme pour tous les autres sujets, on peut évaluer des aspects
positifs et négatifs.
A. Trois perspectives positives
- Jésus est vraiment un juif engagé dans les débats sur la loi de son pays et de son époque.
Sans Jésus halakhique, il n'y a pas de Jésus historique.
- En étudiant le vrai Jésus, nous sommes amenés à nous poser la question du sens et de la
pertinence de ses positions sur le sabbat, le divorce, les serments, l'amour des ennemis…
surtout quand elles vont dans un sens contraire au nôtre.
- En effet, l'enseignement de Jésus ne va pas dans le sens de nos opinions et c'est ainsi qu'il
faut le prendre : par exemple, la règle d'or n'a jamais été enseignée par Jésus…
B) Cinq perspectives négatives
- Contrairement à ce que l'on sait sur la proclamation fondamentale du RD, sur l'activité de
guérison, sur l'enseignement de la condition de disciple, les matériaux juridiques sont rares
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et épars. Sans doute parce que le mouvement chrétien primitif sélectionna les enseignements
jugés utiles pour répandre le message chrétien et laissa tomber les discussions sur la loi (qui
durent être beaucoup plus nombreuses que ce qui nous est resté).
- Il n'y a pas chez Jésus un système moral organisé, même pas autour du commandement
d'amour, car c'est Mt (et non pas Mc) qui relie les deux commandements et affirme qu'ils
expriment toute la Loi. Matthieu a essayé de systématiser, mais pas Jésus.
- Il n'y a pas de logique entre les différents éléments halakhiques analysés (commandement
d'aimer ses ennemis ; interdiction des serments ; interdiction du divorce ; paroles sur le
sabbat) et le double commandement d'amour. De plus, Jésus ne justifie pas ses positions
morales à partir des textes de l'Écriture : Dt 6 et Lv 19 sont le contenu du commandement,
non sa justification.
- En fait ce qui explique les affirmations morales de Jésus, c'est son autorité de prophète
charismatique, envoyé de Dieu.
- Peut-être peut-on parler d'une «morale eschatologique» ou d'une «éthique du RD», c'est-à-
dire d'une vie en conformité avec la venue du règne de Dieu à la fin des temps ; même si le
RD est absent des positions morales de Jésus…
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V. Enquête sur l’authenticité des paraboles


Cerf 2018, 492 p.

Introduction
Il ne s’agit pas d’un commentaire des paraboles, mais d’une recherche sur leur authenticité ou
leur provenance du Jésus historique.
Après le volume I sur les principes de l’enquête (avec notes sur l’environnement social,
culturel, économique et familial de Jésus), le volume II a affronté 3 questions (le rapport à
Jean Baptiste (= J.B.), le message eschatologique de Jésus, la promulgation du Royaume de
Dieu = RD). Le volume III a décrit les groupes ayant suivi Jésus ou s’y étant opposés, et le
volume IV a abordé la première des quatre énigmes concernant Jésus : son attitude par rapport
à la Loi et à l’Amour. Ce volume V s’attache à la deuxième énigme, la compréhension des
paraboles. Il restera à voir les deux dernières énigmes : la façon de Jésus de se désigner (ses
titres) et sa mort sur la croix (la résurrection n’est pas du domaine historique).
1. Problème particulier des paraboles
- À la différence des textes sur le divorce ou les serments, qui sont clairs, les paraboles
demandent un cadre interprétatif, sinon on peut leur faire dire n’importe quoi.
- Remontent-elles à Jésus ? Peu, semble-t-il ! Pour le démontrer, Meier va examiner les sept
thèses «inactuelles» sur les paraboles (chap. 37), leur présence dans l’Évangile copte selon
Thomas (chap. 38), leur regroupement, non pas selon leurs thèmes, mais leurs sources
(chap. 39), enfin les quatre paraboles semblant les plus authentiques : grain de sénevé,
vignerons homicides, festin nuptial, et talents ou mines (chap. 40).
2. Méthodologie
- Ce livre ne vise pas à commenter chaque parabole, mais à en établir l’historicité (
recherche christologique ou théologique), même si les paraboles sont importantes pour la foi
et la pratique chrétiennes.
- D’où le recours aux cinq critères d’historicité : embarras (v.g. baptême de Jésus par J.B. ou
crucifixion) ; discontinuité avec le judaïsme (v.g. rejet du jeûne, expression «Fils de
l’homme») ; attestation multiple (v.g ; parabole du grain de sénevé, Fils de l’Homme, mort
sur la croix) ; cohérence (paroles de Jésus sur sa mort violente) ; rejet et exécution de Jésus
(entrée triomphale à Jérusalem, prédiction de la destruction du temple).
- En plus de ces cinq critères primaires existent des critères secondaires ou douteux : traces
d’araméen, échos environnementaux, nature vivante du récit… Quant au critère de
plausibilité (Theissen), il regroupe souvent les cinq critères primaires.
- Ainsi la plupart des paraboles ne remontent pas à Jésus !
XXXVII. Sept thèses «inactuelles» sur les paraboles
Étant donné la multitude d’interprétations des paraboles, il importe de les classer par ordre
décroissant de valeurs… Ce n’était pas le cas des paroles de Jésus sur la Loi (halaka). Il faut
en effet les comprendre à partir de ce que l’on sait du Jésus historique. D’où les points
d’accord ou désaccord de Meier avec les différentes thèses.
1. Nombre des paraboles narratives dans les Synoptiques
- Les spécialistes ne sont pas d’accord sur ce qu’est une parabole : v.g. Dodd en compte 32,
Jeremias 41…
- La difficulté tient à la traduction de l’hébreu mašal ou grec πάράϐόλη, c’est-à-dire dit,
dicton, adage ou proverbe…
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2. La sagesse de l’Ancien Testament (= AT) n’est pas le modèle des paraboles


Les paraboles ne sont ni des proverbes ni des aphorismes, mais des comparaisons étirées en
courtes histoires, avec un début, un milieu et une fin ( métaphore ou similitude).
3. Prophètes derniers et paraboles narratives
Chez eux on trouve des histoires à valeur allégorique, reconnues comme des mašals.
4. Jésus énonce des paraboles dans la tradition prophétique
Le Jésus qui énonce des paraboles narratives se situe dans la tradition prophétique et non pas
sapientielle.
5. Pas de généralités abusives
- Dresser une liste de caractéristiques fondamentales aboutit à éliminer certaines paraboles.
- Parmi ces caractéristiques : recours à des événements de la vie quotidienne en milieu rural
palestinien ou au cycle naturel (v.g. rois, nobles, riches marchands) ; toujours des récits
fictionnels (semence répandue partout…) ; subversion des croyances religieuses
traditionnelles…
6. Paraboles dans l’Évangile copte de Thomas (= ECT, Nag Hamamdi, 1945)
La théorie d’indépendance et d’antériorité des paraboles contenues dans l’Évangile de
Thomas est sujette à caution, car les logia de Thomas dépendent des Synoptiques.
7. Rares paraboles authentiques
Peu de paraboles synoptiques peuvent être attribuées au Jésus historique avec une probabilité
satisfaisante, car pas de critères d’attestation multiple, d’embarras, de discontinuité…
8. Excursus sur l’allégorie
- L’allégorie est un mode de pensée, parole, écriture, création artistique, utilisant des
symboles ou métaphores pour communiquer un message par le biais de l’analogie.
- Les paraboles du semeur (Mc 4, 14-20), de l’ivraie (Mt 13, 24-30) et des vignerons
homicides (Mc 12, 1-11) conjuguent à la fois allégorie et parabole. Il est donc difficile de
toujours opposer ces deux lectures.

XXXVIII. Les paraboles de l’Évangile copte de Thomas (ECT)


Étant donné l’importance du critère d’attestation multiple, il convient de savoir si l’Évangile
copte de Thomas fournit une attestation indépendante. Or ECT ne représente pas une tradition
indépendante et dépend en fait des Synoptiques. C’est un écrit de deuxième siècle de notre
ère, transmis sous deux formes, en grec et dans une traduction copte. Il comporte 114 dits.

XIX. Paraboles candidates à l’authenticité


Jésus a parlé en paraboles ; c’est un fait établi. Mais quelles paraboles remontent au Jésus
historique ? Et comment les classer : par thèmes-clés, sujets ? Meier propose de les classer
selon leurs auteurs : Marc, Q, M (Matthieu seul) et L (Luc seul).

A. Cinq paraboles narratives de Marc (d’après les sources)


- Le semeur (Mc, 4, 3-8 // Mt 13, 3-8 ; Lc 8, 5-8 ; ECT 9)
- Le grain qui pousse tout seul (Mc4, 26-29 // fragment ECT 21) attestation multiple
- Le grain de sénevé (Mc 4, 30-32 // Mt 13, 31-32 ; Lc 13, 18-19 ; ECT 20)
- Les vignerons homicides (Mc 12, 1-11 // Mt 21, 33-44 ; Lc 20, 9-18 ; ECT 65) embarras
- Le maître de maison ??? (Mc 13, 33-37 // Lc 12, 35-38)
80

B. Sept paraboles de source Q (Mt et Lc, pas Mc ; ordre de Luc)


- Le bâtisseur avisé, insensé (Mt 7, 24-27 // Lc 6, 47-49)
- Le majordome (Mt 24, 45-51 // Lc 12, 42-46)
- Le grain de sénevé (Mt 13, 31-32 // Lc 13, 18-19 ; Mc 4, 30-32 ; ECT 20) attest. multiple
- Les invités au festin nuptial (Mt 22, 1-10 // Lc 14, 16-24 ; ECT 64) attest. multiple ???
- La brebis perdue (Mt 18, 12-14 // Lc 15, 4-7 ; ECT 107)
- Les talents ou mines (Mt 25, 14-30 // Lc 19, 12-27) attestation multiple ???
C. Neuf paraboles narratives de M
- L’ivraie (Mt 13, 24-30 // ECT 57)
- Le trésor (Mt 13, 44 // ECT 109)
- La perle (MT 13, 45-46 // ECT 76)
- Le filet (Mt 13, 47-48 // ECT 8 ???)
- Le débiteur impitoyable (Mt 18, 23-35)
- Les ouvriers envoyés à la vigne (Mt 20, 1-16)
- Les deux enfants (Mt 21, 28-32)
- L’invité sans tenue de noces (Mt 22, 11-14)
- Les dix vierges (Mt 25, 1-13)
D. Treize paraboles de L
- Les deux débiteurs ??? (Lc 7, 41-43)
- Le bon Samaritain (Lc 10, 29-37)
- L’ami importun (Lc 11, 5-8)
- Le riche insensé (Lc 12, 16-21 // ECT 63)
- Le figuier stérile (Lc 13, 6-9)
- Le bâtisseur et le roi (Lc 14, 28-32)
- La drachme perdue (Lc 15, 8-10)
- Le fils prodigue (Lc 15, 11, 32)
- L’intendant infidèle (Lc 16, 1-8)
- Le mauvais riche et le pauvre Lazare (Lc 16, 19-31)
- Servir avec humilité (Lc 17, 1-10)
- Le juge inique et la veuve importune (Lc 18, 1-8)
- Le pharisien et le publicain (Lc 18, 9-14)
La parabole du bon Samaritain (Lc 10, 29-37)
Étant donné l’admiration pour cette parabole, il est difficile d’admettre qu’elle n’est ni de
Jésus, ni de la première communauté chrétienne, mais de Luc lui-même.
a. Remarques d’ensemble
- Les paraboles de Luc (L) ont une ambiance particulière,  de celles de Mc et Mt :
présentation réaliste des personnes, applications morales concrètes, relations de classes,
récits exemplaires (cf. Samaritain, riche insensé, mauvais riche et Lazare, plus peut-être
l’intendant infidèle).
- Elles proposent un comportement moral à imiter ou rejeter, et réservent un renversement
spectaculaire par rapport à ce qu’on attend.
- Sur le plan stylistique, elles ne commencent pas par l’expression «le royaume de Dieu est
semblable…», mais par le pronom s = «lequel d’entre vous» ou «quelqu’un».
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- Luc enchâsse ses paraboles dans une structure narrative plus large : v.g. le commandement
d’amour.
- Enfin beaucoup des paraboles de Luc reposent sur des renversements : histoires-exemples.
b. Le bon Samaritain en détail (Lc 10, 25-37)
- L’ensemble de Lc 10, 25-37 (introduction narrative et parabole) comporte deux parties ayant
la même structure d’un récit de controverse.
- Phase 1 : introduction narrative :
v. 25 : première question du légiste à Jésus «Que dois-je faire ?»
v. 26 : première réponse de Jésus en contre-question «Qu’y a-t-il dans la Loi ?»
v. 27 : légiste répond par le double commandement d’amour
v. 28 : réponse approbatrice de Jésus «Fais cela».
- Phase 2 : parabole du bon Samaritain
v. 29 : deuxième question du légiste à Jésus «Qui est mon prochain ?»
v. 30-36 : réponse de Jésus en parabole, avec la contre-question «Qui est le prochain ?»
v. 37a : légiste obligé de répondre «Celui qui a fait miséricorde»
v. 37b : réponse approbatrice de Jésus «Fais de même».
- Une telle répétition de mots («faire») est trop parfaite pour être le fruit du hasard. En plus de
l’insertion dans l’introduction narrative, cette élégance stylistique est due à la main de Luc.
- Pour cette introduction narrative, il s’agit d’une réécriture de Mc 12, 28-34 sur le premier
commandement. Les deux phases ont besoin l’une de l’autre pour exister. De plus Luc
emploie un vocabulaire particulier (il est le seul à parler de Samaritains) et étend le salut en
faveur des non-juifs (alors que Jésus n’a pratiquement jamais parlé à des Samaritains).
- Finalement, à part l’intendant infidèle (Lc 16, 1-8), aucune des paraboles de Luc ne remonte
au Jésus historique ; en tout cas, il est impossible de le prouver. Cela ne veut pas dire que
ces paraboles ne sont pas une partie importante des Évangiles.
- Même si elles sont magnifiques, aucune des paraboles spécifiques de M et L ne remonte au
Jésus historique. Restent seulement quatre paraboles qui prétendent à remonter au Jésus
historique : le grain de sénevé, les vignerons homicides, et les deux cas problématiques du
grand souper et des talents ou mines.

XL. Les quatre paraboles de Jésus


Même si cela nous déplaît, il est bon de savoir ce que Jésus a réellement dit ou fait Cela nous
évite de bâtir des théories.

1. Le grain de sénevé (Mc 4, 30-32 // Mt 13, 31-32 ; Lc 13, 18-19 ; ECT 20)
- Cette parole de Jésus s’est retrouvée dans deux traditions indépendantes chez Mc et Q,
comme un dit sur Jean Baptiste (Mc 1, 7-8 // Mt 3, 11-12 ; Lc 3, 15-18) ou le dit sur
l’homme fort à ligoter (Mc 3, 27 // Mt 12, 29 ; Lc 11, 21-22).
- La structure est la même : une introduction suivie de trois étapes.
- Dans l’introduction Jésus annonce une comparaison entre le RD et un événement
particulier : 1. un grain de sénevé est jeté (c’est le plus petit des grains selon Mt et Lc) ; 2. le
grain pousse jusqu’à devenir la plus grande des plantes (Mc et Mt) et même un arbre (Mt,
Lc) ; 3. résultat : les oiseaux viennent s’y abriter.
- Ce n’est pas un rébus, mais une présentation claire d’un certain nombre de points :
82

* Sur le RD, les trois phases (plantation, croissance, résultat) indiquent que ce n’est pas une
réalité abstraite, mais une réalité concrète, dynamique, qui se développe indépendamment
d’une intervention humaine.
* Mc et Mt mettent l’accent sur le contraste entre le petit grain et l’arbre (de même contraste
entre la graine et l’arbre) Donc ne pas réduire le message de la parabole au thème de la
croissance (du plus petit eu plus grand), mais intégrer le thème du contraste (de la graine à
l’arbre).
* Le troisième thème est celui du rassemblement avec les oiseaux qui viennent s’abriter
dans l’arbre. Les références à des textes de l’AT ne s’imposent pas pour Meier… Seul
compte le fait que Dieu, à la fin des temps, abritera beaucoup de monde.
- On ne peut lier cette parabole à un moment historique de la vie de Jésus. Mais outre
l’attestation multiple des sources, la cohérence du message avec la dimension
eschatologique de l’enseignement de Jésus fait de cette parabole un témoin authentique (
entre cette petite parabole et la magnifique histoire du bon Samaritain, œuvre de Luc).

2. Les vignerons homicides (Mc 12, 1-11 // Mt 21, 33-44 ; Lc 20, 9-18 ; ECT 65)
- En Marc, la structure de la parabole comprend cinq étapes :
* Introduction : un homme plante une vigne et la loue à des vignerons (v. 1).
* Envoi d’esclaves pour récupérer le fruit du travail : ils sont battus, mis à mort (2-5).
* Envoi du fils dans l’espoir qu’il soit respecté (6).
* Meurtre du fils dans l’espoir d’hériter de la vigne (7-8).
* Double conclusion avec question et réponse ou explication :
. Que fera le propriétaire ? Il tuera les fermiers et louera à d’autres.
. Citation du Psaume 117 et interprétation.
- Malgré les quatre versions (Mc + Mt, Lc, ECT), il n’y a pas d’attestation multiple, car les
trois dernières dépendent de Marc. Même si l’histoire correspond aux méthodes des
viticulteurs de l’époque, cela ne conduit pas à l’attribution à Jésus.
- En fait, c’est le critère d’embarras qui, pour Meier, plaide pour une filiation de la parabole
remontant à Jésus. Pour cela, il argumente en trois temps
a. Le commentaire (en hébreu nimšal) distinct du récit
- Structurellement, les paraboles rapportent une histoire avec un début, un milieu et une fin
Parfois Jésus ajoute au récit un commentaire ou une application du message (le nimšal des
rabbins). Ce commentaire ne fait pas partie de la parabole au sens strict.
- Par exemple, dans la parabole du bon Samaritain (Lc 10, 30-35), c’est après l’histoire que
Jésus pose la question sur le prochain, qui en est le commentaire.
- Quand la parabole n’a pas de nimšal, une courte phrase au début peut en jouer le rôle (cf. la
parabole du bâtisseur avisé, introduite par «Quiconque écoute…» ou bien le majordome de
Mt 24, 45).
- Quelques paraboles chez Mt et Lc n’ont pas d’élément interprétatif, ni au début ni à la fin.
C’est le cas du grain de sénevé, du levain, du festin nuptial et des talents (indépendamment
de l’expression «le RD est comme…»).
- Les paraboles M (propres à Matthieu) ont ou non un nimšal : l’ivraie (Mt 13, 24-30)
fonctionne comme le semeur de Mc 4, 3-8 avec une longue explication finale. Le trésor et la
perle (Mt 13, 44 et 45-46) n’ont pas de nimšal, alors que le filet (Mt 13, 47-48) a une
conclusion aussi longue que le récit (49-50). Le débiteur impitoyable (Mt 18, 23-35) et les
ouvriers envoyés à la vigne (Mt 20, 1-16) ont une brève mise en pratique ( les deux enfants
83

de Mt 21, 28-32, plus étoffée). L’invité sans tenue de noces (Mt 22, 11-14) a un
commentaire lapidaire et générique, de même que les dix vierges (Mt 25, 1-13).
- De même les paraboles L (propres à Luc) : les deux débiteurs (Lc 7, 41-43), le bon
Samaritain (Lc 10, 29-37), l’ami importun (Lc 11, 5-8), le riche insensé (Lc 12, 16-21) ont
une leçon ou explication qui les suit ( figuier stérile). Le bâtisseur et le roi (Lc 14, 28-32),
la drachme perdu (Lc 15, 8-10) ont aussi une explication. Mais le fils prodigue (Lc 15, 11-
32) n’a pas de nimšal, de même que le riche et le pauvre Lazare (Lc 16, 19-31). Servir avec
humilité (Lc 17, 1-10), le juge inique (Lc 18, 1-8)…
- Donc le commentaire (nimšal) ne fait pas partie obligatoirement de la parabole ; parfois ce
commentaire tire une leçon générale ou particulière, ou une question. Aucune parabole de
Marc (à part les vignerons homicides) n’a son nimšal accroché au texte, alors que ces
commentaires deviennent nombreux dans les paraboles de Q, M et L. D’où la question : le
commentaire fait-il partie de ce que Jésus a dit ???
b. Relation entre la double conclusion et la parabole
- La nature du nimšal étant d’apparaître à la fin du récit de la parabole et de ne pas en faire
avancer l’intrigue, on peut reprendre les cinq étapes de la parabole.
1. La mise en place (Mc 12, 1) emploie l’aoriste qui indique une situation passée : «Un

homme planta…». À la fin de cette présentation apparaissent les autres acteurs principaux
de l’histoire qui se déroulera sous forme d’un va et vient entre le propriétaire et les
locataires.
2. L’envoi d’esclaves par le propriétaire (2-5) est aussi narré au passé : «Il envoya… ils

battirent…».
3. L’envoi du fils (6) commence par un imparfait (c’est-à-dire l’indication d’une durée dans le

passé), puis revient à l’aoriste : «Il lui restait… Il envoya…».


4. Le meurtre du fils (7-8) prolonge la chaîne des aoristes : «Ils se dirent… et le jetèrent…».
5. La double conclusion (9-11), avec les deux questions théoriques de Jésus, rompt l’univers

de la narration de faits passés :


* Dans la première question, Jésus utilise le futur pour la question et la réponse : «Que
fera… Il viendra…».
* Dans la deuxième question, il n’est plus question du propriétaire ou des fermiers, mais du
public avec une question posée à l’aoriste : «N’avez-vous pas lu ?...», qui n’aura pas de
réponse, mais un commentaire à partir du Psaume 117 à l’aoriste de la question (sauf la
dernière ligne : «Elle est admirable…»). Malgré le retour à l’aoriste, la rupture avec la
parabole est claire, car il n’y a plus de propriétaire ni de fermiers…
c. Six questions sur la forme et le contenu
Cette structure en cinq étapes (unique dans le corpus des paraboles synoptiques), avec ses
variations de temps grammaticaux, ses acteurs, sa double conclusion, nous conduit à poser six
questions qui permettent de se prononcer sur l’authenticité de la parabole…
1. Où la parabole prend-elle fin ? Au verset 9, quand Jésus pose la question au public (au

futur). Mais que devient le fils ? On est étonné par cette fin abrupte qui peut avoir suscité
des tentatives pour améliorer le déroulement.
2. Mais la première conclusion et sa question au v. 9 amènent à conclure que la fin de la

parabole se trouve au v. 8, avec la mort injuste du fils, suivie de la réintroduction du maître


et des fermiers pour la sentence de justice.
3. Et pourtant cette première conclusion nous laisse avec des morts ; d’où la nécessité d’une

deuxième conclusion au v. 11 qui conduit à la résolution finale de la tension par le biais de


la citation du Psaume 117.
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4. Mais comment cette deuxième conclusion résout-elle cette histoire tragique ? En fait la
citation du Psaume 117 permet d’accéder au sens de la parabole et de résoudre la tension :
les fermiers (les bâtisseurs) ont rejeté le fils (la pierre), mais le propriétaire (le Seigneur)
retourne ce rejet et fait du fils la figure-clé triomphante par sa résurrection d’entre les
morts.
La première conclusion ne concernait que les acteurs de la parabole. La deuxième concerne
toute l’humanité : le Seigneur a retourné (aoriste passé) le rejet et la mort de son fils par
son élévation à la vie et sa position centrale dans le nouvel ordre des choses.
5. Faut-il comprendre cette double conclusion comme dans les autres paraboles ? Non, car elle

ne porte pas sur les acteurs de la parabole (et c’est une exception).
6. Que tirer comme conséquence de cette analyse ? Jésus, vers la fin de sa vie, devant

l’hostilité des autorités du Temple déroule une parabole sur l’histoire d’Israël, avec l’envoi
des prophètes (méprisés ou martyrisés), puis l’envoi du Fils. Jésus manifeste que son destin
sera celui des prophètes.
Ainsi cette parabole est-elle sans doute de Jésus lui-même, en appliquant le critère d’embarras
ou de discontinuité : Mc 12, 1-8 (dans sa version primitive) ne s’explique que dans la bouche
de Jésus affronté aux autorités de Jérusalem (outre les allusions à la pierre dans le reste du
Nouveau Testament). Pour les premiers chrétiens, une parabole se terminant par la mort
tragique du fils, sans la punition des ennemis, était impensable. Donc la parabole des
vignerons homicides, comme celle du grain de sénevé, remonte bien à Jésus.

3. Les invités au festin nuptial (Mt 22, 1-10 // Lc 14, 16-24 ; ECT 64)
A Sources et récriture des versions de Mt et Lc
- Deux différences entre les trois versions : incertitude sur les sources de Mt et Lc ;
différences de langue, de détails, de contexte.
- Donc analyser d’abord Mt et Lc avant de les comparer à ECT et voir si cette dernière
version est indépendante. Car si Mt et Lc venaient de Q, le critère d’attestation multiple ne
jouerait plus. D’où les quatre étapes de l’analyse de Meier : minimum partagé ; options
rédactionnelles et idéologiques de Mt ; idem pour Lc ; synthèse.
1. Ressemblances et différences minimales (en cinq points)
1. Introduction : un festin (repas de noce pour Mt) donné par un roi (Mt) ou un homme (Lc)

avec beaucoup d’invités.


2. Envoi d’esclaves (ou un seul pour Lc) auprès des invités ; seulement chez Lc l’esclave

profère l’invitation : «Venez…».


3. Brève formule de refus : «Ils ne voulaient pas…» (Mt), «ils se mirent à s’excuser…» (Lc).

4. Formulation détaillée du refus, avec divergence totale : chez Mt, envoi d’autres esclaves

avec formulation et double réponse (sourde oreille ou maltraitance) ; les invités ne parlent
pas mais agissent. Chez Lc pas de nouvel envoi mais des excuses formulées à l’esclave qui
retourne faire son rapport (impossible chez Mt où les esclaves sont mis à mort).
5. Réponse irritée de l’hôte : chez Mt, envoi de troupes pour massacrer les invités et

élargissement invraisemblable de l’invitation. Chez Lc, pas de riposte militaire, mais


remplacement des invités en deux temps (par invitation et de force), et déclaration de
l’hôte frustré (alors que Mt termine par une note ambiguë sur une salle remplie d’invités
bons et mauvais, prétexte à une autre parabole sur les remplaçants). Noter le passage du
«tu» au «vous» en Lc 14, 24.
- Les différences dans ce schéma narratif conduisent à trois façons de concevoir les sources de
cette parabole :
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* deux paraboles différentes racontent des histoires différents avec certains éléments
identiques ;
* deux versions rédactionnelles de Mt et Lc venant d’une même source Q ;
* même parabole de base transmise par deux sources différentes, M et L.
- La première option (deux paraboles  avec des traits communs) est impossible, car il y a
trop de recoupements se décomposant en cinq étapes :
* un homme donne un grand banquet ;
* il envoie son (ou ses) esclave(s) convoquer des invités ;
* contrairement aux règles, chaque invité décline ;
* les raisons du refus sont données : intérêts personnels avant tout ;
* fâché, l’homme envoie chercher d’autres invités et lave ainsi son honneur.
On a donc bien une même parabole autour du thème du renversement eschatologique, sous
forme d’un avertissement aux élites satisfaites et d’une promesse aux moins que rien ignorés
(cf. beaucoup de paroles de Jésus).
- Donc une même parabole amplifiée de différentes façons. Mais s’agit-il de deux formes
d’une même source Q ou de deux versions différentes arrivant chez Mt et Lc ? Pour Meier,
on identifie une tradition Q quand son contenu, absent chez Mc, se retrouve chez Mt et Lc
avec une quantité certaine de vocabulaire, dans le même ordre et les mêmes constructions
syntaxiques (v.g. appel de J.B. à la repentance en Mt 3, 7-10//Lc 3, 7-9 ; lampe du corps en
Mt 6, 22-23// Lc 11, 34-35 ; servir deux maîtres en Mt 6, 24//Lc 16, 13 ; enfants assis sur les
places en Mt 11, 16-19//Lc 7, 31-35).Or ici les mots partagés et dans le même ordre sont
relativement rares. Donc pas la même origine Q, vu la liste des dix mots identiques.
- Conclusion : la parabole découle de deux sources distinctes, M et L. Ce qui amène à
identifier le matériel rédactionnel propre à Mt et Lc.
2. Analyse des traits rédactionnels de Mt dans Mt 22, 1-10
- Dès la plantation du décor, nous retrouvons les traits habituels chez Mt : «le RD est
comme…», «un roi…», «un festin de noces». Cf. le banquet eschatologique donné par le
Dieu le Père en l’honneur de Jésus ressuscité.
- L’envoi des serviteurs (cf. les premiers missionnaires) renvoie à l’envoi préfigurant le
jugement eschatologique des vignerons homicides ; de même la mise à mort des serviteurs ;
l’incendie renvoie à la destruction du Temple (avec l’incohérence de cette vengeance, parce
que les plats sont prêts dans la salle…) ; le retournement, et le châtiment de l’homme sans
tenue.
- On arrive ainsi à décortiquer les altérations mises par Mt au récit original et qui servent son
propos :
* L’hôte devenu un roi qui donne un festin de noces (cf. le festin des dix vierges en Mt 25,
1-13).
* Les deux délégations renvoient à celles des vignerons homicides.
* La mise à mort des esclaves renvoie à la mise à mort des prophètes chrétiens (cf. Mt
23,34).
* L’envoi des troupes et l’incendie ne collent pas avec le noyau central de l’histoire de base.
* Le thème des méchants et des bons est une préoccupation théologique de Mt et lui sert à
introduire en appendice la parabole de l’invité sans tenue.
- Quand on retire ces éléments rédactionnels, ou retrouve le schéma ou squelette en cinq
phases donné par Mt et Lc :
* un homme donne un festin ;
* il envoie ses esclaves auprès des invités ;
* ceux-ci font affront en refusant ;
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* l’hôte irrité convoque le tout-venant ;


* il sauvegarde son honneur avec sa salle pleine…
3. Analyse des caractéristiques rédactionnelles dans Lc 14, 16-24
- Il y a moins d’ajouts que chez Mt.
- Cependant on repère les thèmes typiques de Lc : riches et pauvres ; élites et laissés pour
compte ; dangers des biens ; soucis de ce bas-monde… Faut-il voir dans les deux missions
d’esclaves les deux missions des Actes, d’abord auprès des Juifs (Ac 1-9), puis des Gentils
(Ac 20-23) ? Quoi qu’il en soit, même si c’est moins clair que chez Mt, on voit que Lc a mis
de sa main dans le récit :
* L’enchaînement d’une question et de l’expression «un certain homme» au début du récit
(cf. Lc 10, 25-37 ; 11, 1-8 ; 12, 13-21 ; 13, 1-9 ; 14, 25-38 ; 15, 1-3. 8-10. 11-32 ; 18, 1-8.
9-14).
* Comme dans les vignerons homicides, Lc ne mentionne qu’un seul serviteur envoyé
auprès des invités.
* Les trois prétextes invoqués relèvent de l’activité rédactionnelle de Lc et sont liés à ses
thèmes favoris (prisonnier des biens terrestres, liens conjugaux faisant obstacle…) ; de
plus, comme dans le bon Samaritain, importance du nombre trois (prêtre, lévite,
samaritain).
* Ces trois prétextes donnent lieu à une résolution en trois temps, comme dans le bon
Samaritain. Tous les trois utilisent le verbe paraiteomai (= s’excuser) avec une large
palette de sens.
* Le recours à un esclave unique, ad intra, puis ad extra.
* Le souci des pauvres et des estropiés, caractéristique de Lc.
- Que reste-t-il alors de prélucanien ? Un homme (manifestement important) donne un grand
dîner. Après les invitations, il envoie un esclave (des ?) confirmer. Cet esclave essuie un
refus et des excuses. Vexé l’homme envoie son (ses ?) esclave inviter les gens des places et
des rues. Au bout du compte, la salle est remplie de gens de toutes sortes…
4. Corrélation entre les trois enquêtes
- Si nous mettons en parallèle les contours de la parabole partagés par Mt et Lc, la forme de
Mt sans les traits qui lui sont propres et celle de Lc sans traits rédactionnels, nous retrouvons
grosso modo la même parabole. Et peut-être la forme primitive…
- Voici à quoi devait ressembler cette parabole primitive :
* mise en place avec les invitations ;
* premier temps : envoi d’esclaves convoquer les invités ;
* deuxième temps : refus personnalisé des invités ;
* troisième temps : retour des esclaves rapportant les refus ;
* quatrième temps (et résolution du problème) : en colère, le maître renvoie ses esclaves
inviter le tout-venant, avec le résultat que l’hôte gagne le respecte et la gratitude des
nouveaux invités, tandis que les premiers invités subissent la honte d’être remplacés par
des gens de peu !
- Ce résumé a subi toutes sortes de transformations, mais les différences entre Mt et Lc
soulignent qu’ils n’ont pas reçu une même tradition Q, mais des traditions séparées, écrites
ou orales. Ce qui nous amène à appliquer le critère d’attestation multiple et donc à faire
remonter probablement cette parabole au Jésus historique.
- Il en résulte une question sur le sens de cette parabole pour Jésus. C’est à l’intérieur de ce
que nous savons du Jésus historique que nous pouvons répondre : comme dans la parabole
des vignerons homicides, l’invitation est adressée non plus à quelques-uns, mais à
beaucoup. Le banquet symbolise le rachat final dans le RD et il est pour tout le peuple ; il
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est urgent de répondre car c’est la dernière invitation. Et comme il est dit dans Mt 8, 11 :
«Nombreux seront ceux qui viendront de l’orient et de l’occident…» pour s’adjoindre à ce
banquet, tandis que certains Israélites en seront exclus. Ou bien ce ne sont pas les juifs de
stricte observance, mais des juifs en marge qui participeront…
- Sans y voir une prophétie du destin d’Israël, il faut comprendre la parabole comme un appel
pressant à une décision existentielle : le temps est compté ; il faut se décider, sinon la place
sera prise par d’autres. Tel est le message de Jésus, le prophète eschatologique.
B. Quelle relation avec la version d’ECT ?
- Il y a très peu de ressemblances avec la version de Mt, mais beaucoup avec celle de Lc
(Meier en relève douze !). Dons Thomas connaissait une version proche de celle de Lc.
- Mais on ne peut admettre ECT comme une attestation indépendante et donc renforcer le
critère d’attestation multiple, amplement fourni par les différences entre Mt et Lc.

4. Les talents ou les mines (Mt 25, 14-30//Lc 19, 11-27)


A. Sources et réécriture dans les versions de Mt et Lc
- Les deux paraboles semblent dérouler le même fil narratif, avec des détails différents ; mais
ici c’est Luc qui insère une sous-intrigue (quête d’un trône royal). De plus, pas de parallèle
avec ECT.
- La parabole a reçu beaucoup de noms : talents (un talent valait trente ans de salaire d’un
journalier !), mines (= trois mois de salaire seulement !). De plus s’agit-il de serviteurs ou
d’esclaves (le grec ούλοs ayant les deux sens) ?
- Quant au problème des sources : s’agit-il d’une seule parabole ou de deux différentes
racontant la même histoire ? S’il s’agit d’une seule, vient-elle de Q ou de M et L ? Si oui,
quel est son message et son objectif ?
- D’où la méthode Meier en cinq étapes (comme pour le grand souper) :
1. Y a-t-il un récit commun sous-jacent aux deux versions ?
2. Quels éléments communs aux deux versions peuvent justifier attribution à la source Q ?
3. Examen de la version de Mt et de ses traits rédactionnels.
4. Idem pour la version de Lc.
5. Y a-t-il une forme originale remontant à Jésus ?
1. Minimum commun et différences entre Mt et Lc
1. Introduction : un homme (εύγενήs = noble chez Lc) avant de partir (pour un pays lointain

chez Lc) convoque ses esclaves (trois pour Mt, dix pour Lc).
2. L’intrigue se noue : l’homme confie une mission avec une somme d’argent (cinq, trois et

un talents pour les trois esclaves de Mt ; une mine pour les dix de Lc), avec pour but
(implicite chez Mt, explicite chez Lc) de faire fructifier ce capital. Mt rapporte ce que font
les trois esclaves, Lc l’ignore, mais le dénouement le sous-entend.
3. Retour du maître et règlement des comptes : l’homme, devenu le maître, convoque ses

esclaves pour régler les comptes ou faire le point.


4. Deux premiers rapports fructueux : Lc d’accord avec Mt pour ne garder que trois

esclaves. Les deux premiers ont doublé leur mise, ce qui donne des proportions énormes ;
d’où les félicitations du maître et la récompense.
5. Rapport du troisième esclave : ce rapport prend plus de place et fait culminer l’histoire en

sept étapes :
* l’esclave explique sa défaillance par la peur et le caractère sévère de son maître ;
* il utilise une métaphore agricole : moissonner où l’on n’a pas semé ;
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* d’où la cache de l’argent en terre chez Mt, dans une étoffe chez Lc ;
* réaction irritée du maître, avec reprise ironique de son portrait et reproche de n’avoir pas
fait fructifier ;
* punition de cet esclave en remettant son argent au premier ;
* raison paradoxale invoquée : on donnera à celui qui a déjà ;
* châtiment de l’esclave ???
- On peut tirer un double bilan de cette analyse :
* il s’agit sans doute d’une même parabole se ramifiant en deux réalisations parvenues
jusqu’à nous ;
* mais il faut exclure l’histoire additionnelle de Lc sur le noble parti chercher un trône et qui
revient massacrer ses sujets (versets 12, 14, 15a, 27), peut-être liés à l’histoire
d’Archélaüs, légataire d’Hérode le Grand. Ce récit ne peut remonter à Jésus.
2. Attribution à la source Q ?
- Pour le savoir, il faut relever les mots ou expressions semblables dans les versions de Mt et
Lc : anthropos (Mt 25 ; Lc 19, 12) ; doulos (14 ; 13) ; edoken (15 ; 13) ; legon kurie (20 ;
16) ; auto (21 ; 17) ; doule agathe (21 ; 17) ; pistos (21 ; 17) ; kai… kurie (22 ; 18) ; kai ho
(24 ; 20) ; kurie (24 ; 20 ; se hoti (24, 21) ; ei anthropos (24 ; 21) ; ouk espeiras kai (24 ;
21) ; auto (26 ; 22) ; ponere doule (26 ; 22) ; edeis hoti (26 ; 22) ; ouk espeira (26 ; 22) ;
mou +argurion ou arguria (27 ; 23) ; kai elthon ego ou kago elthon (27 ; 23) ; an sun toko
ou sun toko an ( 27 ; 23) ; arate ap’autou ( 28 ; 24) ; kai dote to ekhonti ta(s) deka (28 ;
24) ; + l’essentiel du proverbe de Mt 25, 29//Lc 19, 26, soit 19 mots. Mais Mt 25, 30 et Lc
19, 27 n’ont pas de de correspondance et donc ne peuvent pas venir de la source Q.
- Mots et expressions semblables, mais pas dans le même ordre ni avec la même forme
grammaticale : ekalesen/kalesas (14 ; 13) ; ton doulon/tous doulous (19 ; 15) ;
proelthon/elthen (22 ; 18 et 22 ; 20) ; kai … ho (22 ; 18) ; therizon/therizeis (24 ; 21) ;
ou/ouk (26 ; 21).
- Le seul verset où il y a le plus d’expressions identiques est secondaire (Mt 25, 29//Lc 19, 26)
et extrait de la sagesse populaire. Donc les deux versions sont propres à Mt et Lc et ne
viennent pas de la source Q.
3. Additions rédactionnelles de Mt
- La première modification est son emplacement dans l’Évangile, à la fin di discours
eschatologique (Mt 24-25), amplifié par Mt (97 versets contre 37 chez Mc 13).
- Mais ces changements sont inégalement répartis : la première partie du discours
eschatologique de Mt est essentiellement une réécriture de Mc 13, alors que la deuxième
partie mélange source Q et matériel propre, avec beaucoup de structures ternaires :
exhortation à vigilance (Mt 24, 37-44), trois paraboles (24, 45-51 ; 25, 1-13 ; 25, 14-30).
- Notre parabole conclut donc le grand discours eschatologique et le ministère public.
Parabole ultime où on entend la voix de Mt, avec son faible pour les structures ternaires.
- La parabole des talents peut se diviser en trois sections principales :
* un homme remet ses biens à trois esclaves (Mt 25, 14-15) ;
* les trois esclaves accomplissent leur mission (16-18) ;
* le maître revient et fait les comptes en distribuant récompenses et punition (19-30).
- Dans chacune des trois sections, chacun des trois esclaves se distingue par le nombre de
talents qu’il reçoit (section I), le nombre de talents qu’il gagne ou non ( section II), et la
sanction, positive ou négative, que chacun reçoit en fonction de son succès ou échec
(section III). Ces sections sont de plus en plus longues à mesure que croît l’attention portée
à chaque esclave.
89

- On aboutit ainsi à la structure suivante :


1. section I (v. 14-15) : l’homme convoque ses esclaves et leur confie ses biens :
1
. au premier, cinq talents,
2
. au deuxième, deux talents,
3
. au troisième, un talent
à chacun selon ses capacités ; puis l’homme s’en va.
2. section II (v. 16-18) : activité des trois esclaves avec pour résultat :
1
. le premier en gagne cinq autres,
2
. le deuxième en gagne deux autres,
3
. le troisième cache son talent dans le sol.
3. section III (v. 19-30) : longtemps après le maître revient et fait les comptes :
1a
(v. 20) : le premier esclave approche :
a. ayant reçu cinq talents,
b. il en apporte cinq de plus,
c. en répétant en style direct les événements narrés au v. 16 de la section II.
1b
(v. 21) : le maître répondit :
a. en louant l’esclave («C’est bien, bon et fidèle…»),
b. en justifiant la récompense («Tu as été fidèle…»),
c. en invitant à la joie («Entre dans la joie…»).
2a
(v. 22) : le deuxième esclave approche :
a. ayant reçu deux talents,
b. il en apporte deux de plus,
c. en répétant en style direct les événements narrés au v. 17 de la section II.
2b
(v. 23) : son maître répondit :
a. en louant l’esclave («C’est bien, bon et fidèle…»),
b. en justifiant la récompense («Tu as été fidèle…»),
c. en invitant à la joie («Entre dans la joie…»).
3a
(v.24-25) : le troisième esclave approche et (rompant le modèle) rapporte le talent reçu, en
reprenant différemment les propos du maître :
a. (v. 24b) justification («Car tu es un homme dur…»),
b. (v. 25a) rapport de l’action passée («J’ai eu peur … j’ai caché…»),
c. (v. 25b) restitution de l’argent sans gain («Prends ce qui est à toi…»).
3b
(v. 26-30) : réponse du maître en deux groupes de trois :
a. (v. 26a) stigmatisation de l’esclave («méchant, paresseux…»),
b. (v. 26b) répétition ironique du portrait dressé l’esclave au v. 24,
c. (v. 27) explication : l’esclave aurait pu chercher un intérêt,
d. (v. 28) premier châtiment : ôter son talent et le remettre au premier esclave,
e. (v. 29) justification du châtiment par un proverbe («On donnera à celui qui a…»),
f. (v. 30) deuxième châtiment : jeté dans les ténèbres où sont pleurs et grincements…
- Cet aperçu éclaire plusieurs points :
* l’importance consacrée à la section III (19-30) montre qu’il s’agit du cœur de l’histoire ;
* dans cette section III l’activité et la récompense des deux premiers esclaves sont le calque
de la section II ;
* l’échange entre le maître et le troisième esclave contient beaucoup de formules toutes
faites, marquées par la peur ou l’émotion ;
* sur la double punition : la première est plus douce puisqu’on retire seulement le talent
remis ; mais la deuxième est plus rigoureuse, avec une justification qui ne colle ni à la
punition ni à l’ensemble de toute la parabole.
90

- La section III est donc le point focal de la parabole : l’échange entre le maître et le
troisième esclave renferme le message sur le jugement impitoyable qui attend non
seulement les incroyants, mais aussi tous ceux qui se proclament de loyaux serviteurs,
particulièrement les chefs de l’Église (cf. Mt 7, 15-27 ; 10, 32-39 ; 13, 36-50 ; 18, 6-9, 23-
25 ; 24, 45-51 ; 25, 1-13, 31-46).
- Donc Matthieu a infléchi le message dans des directions propres à ses convictions,
comme le montrent les expressions utilisées dans les différentes sections de la parabole :
* Section I (v. 14-15) : hosper (tout comme) utilisé dix fois par Mt (en Mc aucune, deux
fois en Lc et Jn), montrant qu’il veut établir une connexion entre cette parabole et la mise
en garde générale du discours eschatologique.
paradidomi (remettre en mains propres) qui structure les trois parties (v. 14, 20, 22), alors
que Lc a seulement didomi.
Liste soigneusement dressée des esclaves et des biens reçus : ho men, ho de, trait
stylistique de Mt, absent chez Lc.
«À chacun selon ses capacités» souligne l’insistance de Mt sur la responsabilité
personnelle (cf. Mt 16, 27 ; Mc 13, 34).
* Section II (v. 16-18) : absente chez Lc, cette action décrivant la mise en œuvre est sans
doute superfétatoire et montre la volonté ternaire de Mt.
De même l’emploi de participes sans nécessité pour parenomai (s’en aller), entheos
(immédiatement), labon (prenant), ergazomai (travailler), kerdaino (gagner), krupto
(cacher). Mt a donc créé cette section II à partir des éléments de la section III.
* Section III (v. 19-30) : elle commence par «longtemps après» qui évoque le thème du
délai de la parousie (Mt 24, 45 - 25, 30).
La reddition des comptes en trois temps, chez Mt et Lc, montre que là se trouve
l’important.
Quelques mots sont propres à Mt : proerkomai (s’approcher : 52 chez Mt  2 Mc, 10 Lc) ;
sunairo (régler un compte) seulement en Mt 18, 23-24 de tout le NT ; prosphero
(apporter) en 25, 30 (15 fois chez Mt  3 Mc et 4 Lc) ; pistos (fidèle), alors que Lc n’a que
agathos (bon)…
- Conclusion : cette parabole a été soigneusement réécrite et structurée par Mt, rendant
impossible de reconstituer la tradition M dont Matthieu s’est servi. Tout juste peut-on
suggérer le schéma primitif :
1. Convocation des esclaves et départ du maître, avec mission implicite de faire fructifier les
biens reçus. Absence de la section II.
2. Retour du maître et reddition des comptes. Le maître réagit à chaque rapport (ce qui
explique la longueur de cette section) :
1a. le premier esclave a accru son capital, valant maintenant dix unités (comme chez Lc) ;
1b. le maître complimente et récompense ;
2a. le deuxième esclave déclare deux unités de plus, donc quatre ( 5 chez Lc) ;
2b. le maître accorde récompense comme pour le premier esclave ;
3a. le troisième esclave restitue son avoir sans l’avoir fait fructifier, par peur ;
3b. le maître répond :
1. en appelant ce troisième esclave «méchant», puisqu’il savait la nature exigeante de

son maître ;
2. en le punissant par prise de son talent pour le donner au premier esclave ;
3. en justifiant cette punition par un proverbe : «Car quiconque a déjà…» ;
4. Mt et Lc concluent par un châtiment plus sévère, mais ces deux châtiments sont de

leur fait propre…


91

4. Additions rédactionnelles de Luc


- Y a-t-il des indices d’additions ou modifications de Lc par rapport à la tradition L qu’il a
reçue ? Le contexte rédactionnel est la fin du voyage vers Jérusalem, avant la Passion,
récit très amplifié par rapport à celui de Mc (qui ne comprend que le chapitre 10) puisqu’il
couvre presque la moitié de l’évangile (Lc 9, 51 – 19, 28). Ce voyage n’a pas tant pour but
un lieu qu’un événement de salut : la mort-résurrection du Christ.
- C’est dans ce cadre que s’explique l’introduction de la parabole des mines, au milieu d’un
enseignement sur le salut, événement à expérimenter dès aujourd’hui (cf. «le salut est venu
pour cette maison (Zachée)», Lc 19, 9), épisode qui précède notre parabole, elle-même
suivie de l’entrée triomphale à Jérusalem (Lc 19, 29s.). Un verset situe bien ce contexte :
«La foule pensait que le RD allait paraître immédiatement» (Lc 19, 11).
- Lc insère sa parabole dans une intrigue secondaire : le prétendant au trône, tout en gardant
le cadre de base :
* le maître part au loin ;
* il confie de l’argent à ses esclaves et leur demande de le faire fructifier ;
* il revient et fait les comptes avec ses esclaves ;
* il félicite et récompense les deux premiers ;
* il écoute les excuses du troisième qui a mis de côté sa mine ;
* il blâme cet esclave ;
* et le punit en lui retirant son avoir pour le donner au premier.
- L’histoire pourrait se tenir ainsi, mais Luc insère une explication sur l’absence du maître, en
lien avec l’histoire des relations entre Rome et la Palestine : le voyage à Rome d’Archélaüs,
fils d’Hérode le Grand, pour se faire confirmer son titre de roi (ce qu’il n’obtint pas, en
recevant seulement celui d’ethnarque, d’où son irritation et sa violence avec ses opposants).
- Cette insertion est introduite et conclue par deux versets : au début (v 14) ses concitoyens
qui le haïssaient envoient une délégation…, puis au v. 27 «Quant à mes ennemis… égorgez-
les…», versets qui n’ont pas de lien avec le reste. Mais Luc a pris soin de justifier cette
insertion dès le début : «Un homme de haute naissance se rendit… pour recevoir la dignité
royale…» (Lc 19, 12 ; cf. v. 15 où le maître revient comme roi).
- Donc l’intrigue secondaire du prétendant au trône est une création de Luc :
* en lien avec son intérêt pour la famille d’Hérode ;
* également avec l’environnement rédactionnel de la composition de Lc ;
* ces versets sont une allégorie de la montée sotériologique de Jésus vers le ciel, où il sera
investi de son pouvoir royal de Messie et Seigneur (cf. Ac 2, 34-36).
- Que reste-t-il de la parabole de la tradition primitive ? Peu de chose :
* «un homme» (anthropos) devenu aristocrate (eugenès), au v. 12 ;
* la convocation des esclaves au v 1 ;
* (le v. 15 qui parle de «ces esclaves» (donc pas seulement trois) n’est pas d’origine) ;
* le premier, le deuxième et «l’autre» aux v. 16, 18, 20 ;
* de talents (30 ans de salaire d’un journalier) ou des mines (trois mois de salaire) ???
5. Forme primitive de la parabole
- En laissant de côté les modifications de Mt («talents», «après un long temps», «dehors»,
«dans les ténèbres») et celles de Lc (intrigue secondaire du prétendant au trône, sujets
rebelles massacrés, dix esclaves…), on arrive à ce schéma succinct (les expressions
communes sont données en grec) :
* Introduction : un homme (anthropos) sur le point de partir en voyage (apodemeo).
* Mission : il convoque (kaleo) ses esclaves (douloi) et leur donne (paradidomi) des mines :
cinq, deux, une.
92

* Retour et reddition des comptes : l’homme devenu «maître» (kurios) revient


(epanerkhomai) et convoque ses esclaves (douloi) pour leur faire rendre compte de leur
gestion, en traitant les trois successivement :
1a. le premier se présente et dit (legon) : «Seigneur (kurios), j’ai fait un bénéfice de cinq»
1b. il est félicité : «c’est bien (euge), bon serviteur (doule agathe) ; puisque…»
2a. le deuxième vient et dit : «Seigneur (kyrie), j’ai réalisé…»
2b. «Toi aussi garde les quatre…»
3a. le troisième : «Seigneur (kyrie)… je craignais (phobeomai)… tu moissonnes (therizo)

ce que tu n’as pas semé (speiro)


3b. le maître dit : «Tu savais (edeis) … pourquoi n’as-tu pas mis mon argent (argurion)…

pour le retrouver avec un intérêt (sun toko)»


* Jugement final :
1. le troisième esclave est frustré et humilié : «Prenez-lui (arate ap’autou) et donnez-la à

celui qui en a dix (kai dote to ekhonti deka)»


2. peut-être un châtiment plus sévère, avec une sorte de conclusion morale («à quiconque

possède, il est donné davantage»).


- Est-ce que ce schéma émane du Jésus historique ? Et quelle en est la signification ?
B. Sens de la parabole dans le ministère de Jésus
- La parabole des talents-mines est un exemple inhabituel : absente de la tradition de Mc ou
Q, elle a été conservée dans des courants spécifiques M et L. Elle peut donc relever du
critère d’attestation multiple et elle est donc «probablement authentique».
- Le critère de cohérence s’y ajoute, puisque le message central de Jésus sur la présence du
RD, comme manifestation de la puissance pleine et entière de Dieu sur tout l’univers, y
apparaît clairement. Jésus proclame la venue inexorable du RD et appelle les hommes à
changer de vie pour accomplir la volonté de Dieu :
* Dieu le créateur a exercé sa puissance souveraine en choisissant Israël pour le conduire au salut ;
* ce don gracieux de l’élection et du salut appelle en retour l’obéissance à l’alliance ;
* cette obéissance conduit le peuple à la plénitude des bénédictions eschatologiques
promises par Dieu.
- Ce qui rejoint notre parabole :
* le maître exerce son pouvoir discrétionnaire en confiant à ses esclaves argent et
responsabilité ;
* cette disposition engendre une responsabilité ;
* les bons esclaves mettent tout en œuvre pour mériter la confiance, sans attendre de
récompense ;
* le maître, généreux, ne lésine pas sur la récompense ;
* mais l’esclave qui n’a pas rempli sa mission se voit dépouillé de son don et humilié.
- La structure du don gratuit engendrant une obligation, engendrant à son tour une récompense
mirifique, est au cœur du message global de Jésus et au cœur de la parabole des talents-
mines (et donc le critère de cohérence vient en renfort de celui d’attestation multiple).
- Ce message s’adresse non seulement aux disciples, mais à l’Israël de la fin des temps, c’est-
à-dire à l’ensemble du monde.

Conclusion : quels enseignements retenir des paraboles ?


Au départ nous avions proposé sept thèses sur la signification des paraboles. Après ce long
parcours, nous pouvons en retenir quinze.
93

1. Sur le nombre des paraboles


- Les difficultés à comprendre le sens des paraboles est à l’origine de la multitude de
propositions ou de thèses sur leur sens.
- Cela est dû à la signification multiforme de l’hébreu mašal : proverbe, parabole, énigme,
épigramme, etc.
2. Rapport à la métaphore ou similitude
- Selon Meier, la parabole se distingue de la métaphore ou de la similitude en ce sens qu’elle
comporte un récit ou une histoire avec un début, un milieu et une fin. C’est une parabole
«narrative».
3. Rapport à la tradition prophétique de l’AT
- La parabole narrative n’appartient qu’à Jésus dans le NT.
- La parabole se situe dans la tradition prophétique d’Israël plutôt que dans la tradition
sapientale des livres de la Sagesse de l’AT, qui ne comportent pas de paraboles narratives.
4. Rapport à l’apocalyptique
- Les paraboles de Jésus s’apparentent davantage au message eschatologique des prophètes
Élie ou Ézéchiel qu’au message apocalyptique de ses contemporains, comme le livre
d’Hénoch.
5. Rapport à la sagesse
- Les paraboles font aussi preuve de la sagesse accumulée au long des siècles de l’histoire
d’Israël.
6. Rapport à l’Évangile copte de Thomas
- Malgré les thèses récentes, les paraboles de Jésus ce dépendent pas d’ECT, qui est postérieur
aux évangiles.
7. Attribution à Jésus
- Finalement très peu de paraboles sont attribuables au Jésus historique et proviennent
plutôt des premières communautés chrétiennes.
- Cela ne veut pas dire que ces communautés aient émis un enseignement contraire à celui de
Jésus.
8. Contre l’argument «esthétique»
- Beaucoup cherchent à démontrer que les accents ou la qualité littéraire de la plupart des
paraboles ne peuvent venir que de Jésus. Mais il faut réfuter cette thèse pour deux raisons :
* l’exemple de la parabole du Bon Samaritain, admirable, montre que Luc en est l’auteur ;
* non seulement Jésus a parlé en paraboles, mais il a appris à ses disciples à le faire, et donc
à enchâsser les dits de Jésus dans leurs propres réflexions.
- Jésus n’a pas seulement transmis le contenu d’un message, mais une pédagogie, une
façon de le transmettre.
9. Majorité des paraboles dans une seule source
- L’inventaire de Meier montre que très peu de paraboles relèvent de plusieurs sources.
10. Nombre limité des paraboles en Mc et Q
- Mc n’a qu’un nombre limité de paraboles : 4 ; de même Q : 5. Ce sont surtout les traditions
M et L qui en comportent un nombre bien plus grand.
11. Les onze paraboles le M
- La source M contient plus de paraboles que Mc et Q réunis.
94

- De plus certaines paraboles ont reçu des développements importants (débiteur impitoyable,
ouvriers envoyés à la vigne) ou affichent le vocabulaire ou la théologie propres de Mt (v.g.
parabole de l’ivraie).
12. Les seize paraboles de L
- L comporte encore plus de paraboles, si on compte les deux débiteurs et si on sépare le
bâtisseur et le roi guerrier, soit 16.
- Les paraboles propres à Luc sont aussi peu nombreuses que les quatre-cinq de Mc. De plus,
c’est dans la tradition L qu’on a les paraboles les plus longues (fils prodigue, riche et
Lazare, mines)…
- Donc, plus on avance dans le temps, plus les paraboles s’allongent, depuis la première
génération (Mc et Q, vers 70) jusqu’à Mt (80-90) ou Lc (à peu près contemporain).
- Cela doit nous amener à une saine méfiance par rapport à l’idée que pratiquement toutes les
paraboles remonteraient à Jésus.
13. Les quatre «provenant du Jésus historique»
- Meier retient quatre paraboles attribuables à Jésus, du fait de l’attestation multiple ou de
l’embarras/discontinuité (vignerons homicides), auquel s’ajoute le critère de cohérence.
14. Peut-être d’autres ?
- Meier n’écarte pas l’idée que certaines autres paraboles pourraient remonter au Jésus
historique et il en serait heureux…
- Mais il ne voit pas sur quels critères ces ajouts pourraient reposer.
15. Le sens des paraboles pour Jésus
- Pour Jeremias et Dodd, la plupart des paraboles remontent au Jésus historique et constituent
«une fondation historique particulièrement ferme», qui conduit à la compréhension pleine
du discours pastoral de Jésus.
- Or les paraboles prennent sens dans le contexte de la prédication et de l’activité du
prophète eschatologique et thaumaturgique qu’est Jésus, ce Juif du premier siècle :
* Le Jésus découvert tout au long des cinq volumes d’«Un certain Juif Jésus» se présentait
comme la réplique du prophète eschatologique, Élie, envoyé à Israël pour mettre en
route le nouveau rassemblement du peuple, avec la venue définitive du RD grâce à
l’exécution radicale de la Torah.
* La parabole du grain de sénevé renvoie aux faibles débuts du RD, même si sa puissance
est irrésistible. Le contraste entre le début et la fin est un défi pour la foi.
* Mais tous ne répondent pas positivement aux invitations eschatologiques de Jésus, surtout
les riches, les puissants, les pieux par profession, à la différence des laissés pour compte,
des pauvres. C’est le sens du grand souper, avec le grand retournement pour ceux qui
méprisent l’invitation de Jésus.
* La parabole des talents montre que l’offre du RD est gracieuse, mais contient un défi et
une exigence : l’accomplissement de la volonté de Dieu. Ceux qui reçoivent passivement
la Bonne Nouvelle n’ont rien de bon à attendre.
* L’hostilité envers Jésus atteint son comble dans la parabole des vignerons homicides.
Issue du dernier prophète cette dernière parabole sert d’avertissement ultime aux initiés du
Temple qui encourent le même châtiment que les anciens responsables du temps des
prophètes. Le destin du fils, mis à mort, a partie liée avec celui de Jérusalem et de ses
gouvernants.
95

- Finalement, les paraboles ont beau occuper une place importante dans les Évangiles, elles
n’offrent guère de révélations sur le vrai Jésus historique, à la différence des passages
consacrés aux liens avec J.B., à l’appel et à l’enseignement des disciples et surtout des
Douze, à l’interprétation de la Torah sur le jugement dernier.
- «À la lumière du rôle surdimensionné attribué aux paraboles pour la plupart des chercheurs
modernes, les résultats du présent volume nous ont conduit à faire l’expérience d’un
renversement eschatologique auquel la pensée académique ne s’attendait pas Le Jésus
historique pourrait bien s’en réjouir» (page 268 et dernière du texte).
96

Table des matières


I. Sources, origines, dates 3
Introduction 3
I. Racines du problème 3
1. Concepts de base : Jésus réel et historique 3
2. Sources : livres canoniques du NT 4
3. Sources : Flavius Josèphe 4
4. Sources : récits païens et juifs 4
5. Sources : agrapha et évangiles apocryphes 5
6. Critères : comment déterminer ce qui vient de Jésus ? 5
7. Conclusion 6
II. Racines de la personne 7
8. Au commencement 7
9. Entre l’enfance et le ministère public 1 (langage, formation, statut) 8
10. Entre l’enfance et le ministère public 2 (liens familiaux, statut de laïc) 9
11. En l’an quinze (chronologie de la vie de Jésus) 12
Carte de la Palestine au temps de Jésus 15
Carte de Jérusalem au temps de Jésus 16

II. La parole et les gestes 17


Introduction 17
I. Jean Baptiste, le mentor 17
12. Le Baptiste et son rite baptismal
13. Jésus avec et sans Jean 18
II. Le message 21
14. Le Royaume de Dieu 1 (arrière-plan) 21
15. Le Royaume de Dieu 2 (annonce d’un RD à venir) 22
16.. Le Royaume de Dieu 3 (un RD déjà présent) 24
III. Les miracles 25
17. Miracles et mentalités modernes 25
18. Miracles et mentalités anciennes 25
19. Historicité des 32 miracles de Jésus (question d’ensemble) 25
20. Les 7 exorcismes 26
21. Les 15 guérisons 27
22. Les 3 réanimations 29
23. Les 7 miracles de la nature 33
Conclusion 39

III. Attachements, affrontements, ruptures 41


Introduction 41
I. Les personnes qui suivent Jésus 41
24. Relations avec les gens qui suivent (les foules) 41
25. Relations avec les gens qui suivent (les disciples) 41
26. Relations avec les gens qui suivent (les Douze) 43
97

27. Les Douze individuellement 45


II. Les concurrents 50
28. Les pharisiens 50
29. Les sadducéens 52
30. Les esséniens et autres groupes 55
Conclusion : esquisse d’un portrait de Jésus 57

IV. La Loi et l’amour 61


Introduction : Jésus et la Halakha 61
31. Qu’est-ce que la Loi ? 61
32. Enseignement sur le divorce 62
33. Interdiction des serments 65
34. Le sabbat 66
35. Les lois de pureté 68
36. Les commandements d’amour 70
Conclusion 76

V. L’authenticité des paraboles 78


Introduction 78
37. Sept thèses inactuelles (et excursus sur l’allégorie) 78
38. Les paraboles et l’Évangile copte de Thomas 80
39. Quelles paraboles authentiques parmi les 34 ? 80
40. Les quatre paraboles retenues 81
* le grain de sénevé 81
* les vignerons homicides 82
* le grand souper 84
* les talents ou les mines 87
Conclusion 92

Table des matières 96

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