EC1364 Entreprises-Territoires (3176)

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DE LA SEMAINE

FAIT
RECHERCHE

L’ENTREPRISE-
TERRITOIRE :
UN LIEU DE LIENS
LE

Nouvelles lois sur le travail et réformes en cours dans de


nombreux domaines des ressources humaines ne doivent pas
occulter l’indispensable réflexion et la nécessaire recherche
sur les fondamentaux de la vie de l’entreprise.

T
erritoires et mobi-
lité. L’abordage de
ces deux probléma-
tiques s’est révélé
d’autant plus enri-
L E  C O N T E X T E chissant qu’il a fait intervenir
des chercheurs venus d’hori-
zons très différents : univer-
sités et écoles de commerce
françaises et américaines,
Les 7es Rencontres
école polytechnique de Buca- Ci-dessus, de gauche à droite : Yves Enrègle et Jean-Marie Peretti.
« Entreprise et sacré »
rest ainsi qu’un représentant
Propedia organisées
d’une entreprise totalement crer tous les acteurs dans un que ce processus, tenu géné-
le 7 décembre à l’IGS
digitale. territoire », a estimé Yves En- ralement pour un échange
avaient choisi pour
Cette diversité d’approches règle, délégué général exécutif essentiellement intellectuel,
thème : « Territoires
a permis de poser les enjeux du groupe IGS. peut s’enrichir d’une dimen-
et mobilités ». Au fil
sous trois prismes distincts. Le deuxième prisme a examiné sion spatiale, utile à toutes
des interventions,
Avec le premier, « Territoires les liens entre « nouveaux ter- les parties prenantes. Cette
il est apparu que le
matériels et immatériels », ont ritoires » et « territoires vir- deuxième phase du colloque
territoire, sous ses
été abordés les questions telles tuels ». Les échanges ont cette a aussi permis de tracer les
multiples facettes,
que la « territorialisation sym- fois tourné autour de l’impact contours du nomadisme nu-
reste un facteur
bolique » des entreprises, le des réseaux numériques sur mérique des générations « Y »,
déterminant dans
territoire comme facteur d’at- le réel. Les participants ont « Z » et des « Alphas ».
la création du lien
tractivité et de fidélisation des ainsi pu découvrir l’incidence
entre le citoyen et
talents, ou encore les enjeux de l’usage en politique d’outils Le territoire,
son espace, mais aussi
culturels à travers l’exemple tels que Twitter ou Snapchat. une évidence
entre le collaborateur
du Louvre-Abu Dhabi. « L’envie Remettent-ils en question le à redécouvrir
et son entreprise. u
de territoire se situe dans cette lien avec l’ancrage territorial Un troisième prisme, « Territoires
articulation entre dimension ou marquent-ils la naissance en débat, en tension, en devenir »,
physique et expérience, cette d’un nouvel espace, venant a abordé les tensions que la mo-
dernière étant aussi le moteur renforcer le premier ? Plus bilité peut engendrer dans les
d’un désir de se rapprocher original, l’exploration du rôle territoires, mais aussi, là encore
d’autres afin d’aboutir à un du territoire dans la négocia- de façon plus inattendue, la « mo-
partage qui va à son tour an- tion a eu le mérite de rappeler bilité des modes d’anticipation

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—— LE FAIT ——
DE LA SEMAINE

des cadres et des dirigeants », la


« résistance aux innovations hy-
brides nomades », les liens entre
de cette appartenance. Les
entreprises n’accordent pas
assez d’attention à ces rites
« Le rite initiatique est
mobilité et créativité dans les ter- d’initiation. » Jean-Marie Pe- capital pour l’appropriation.
ritoires ou encore le « territoire de retti a, pour sa part, rappelé
dialogue social en organisation ». le lien étroit, lui aussi encore Il marque l’entrée dans un
La conférence plénière de clô- trop souvent sous-estimé, qui
ture a synthétisé nombre de se noue entre les locaux d’une groupe et la reconnaissance
thèmes traités durant la jour-
née en évoquant le « leadership
organisation et son efficacité :
« Ils sont un facteur clef de de part et d’autre de
dans une société liquide  :
confiance et pouvoirs parta-
l’appartenance. Réaménager
un espace, c’est créer une cette appartenance.
gés ». Parmi les nombreuses
pistes explorées, les deux
autre vision du territoire. » u
GILMAR SEQUEIRA MARTINS
Les entreprises n’accordent
intervenants, Yves Enrègle et
Jean-Marie Peretti, professeur
pas assez d’attention
de management à l’Essec, ont
souligné l’importance de deux
à ces rites d’initiation. »
points clefs : les rites d’incor- YVES ENRÈGLE, DÉLÉGUÉ GÉNÉRAL 
poration et la configuration du EXÉCUTIF DU GROUPE IGS.
lieu de travail. Les premiers
marquent un moment capital
dans le parcours de tout nou-
veau collaborateur. Les entre-
prises devraient davantage
l’investir, estime Yves Enrègle :
« Le rite initiatique est capital
pour l’appropriation. Il arque
l’entrée dans un groupe et la re-
connaissance de part et d’autre

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—— LE FAIT ——
DE LA SEMAINE

NÉGOCIATION

TERROIR, TERRAIN ET TERRITOIRE POUR SE DIRIGER


L ors de ces 7es Rencontres Pro-
pedia, Alain Lempereur – uni-
versité de Brandeis et Programme
manence. Le négociateur est en
ce sens si prévisible et routinier,
suiveur et obéissant. Tous ses
chez moi, lui imposer ma posi-
tion, et vice versa pour l’autre. Ce
corps à corps commence par un
tersection, de la rencontre. Chacun
de nous découvre en soi ce désir de
l’autre même le plus éloigné, cette
de négociation d’Harvard  – a mouvements s’anticipent dans un malentendu profond, une incom- part d’humanité qui lui échappait,
donné aux débats un socle consti- bocal, alors que l’univers existe. patibilité apparente des terroirs, son cosmopolitisme, ne serait-ce
tué de notions essentielles. Mon terroir dicte mon « chez » une opposition, un campement sur que pour un temps. La négociation
moi, ma perspective biaisée, ce des positions, comme en guerre de est en ce sens toujours un départ
Terroir d’ancrage que j’exigerai de l’autre. Il moule tranchées. De peur de succomber de soi vers l’autre et une arrivée de
D’où je viens, à l’entame d’une né- mes comportements, normes et au chant des sirènes, chacun serait l’autre en soi, une conscience de
gociation, c’est mon terroir, mon valeurs, ma culture et religion, ma tenté de rebrousser chemin, de re- l’autre pour chacun, une relation
terreau ; c’est la terre qui m’enra- nation et organisation, ma fonction venir à la maison, de ne plus jamais première à établir. Elle manifeste
cine, ici et maintenant, celle qui et profession. Il est cette cave de accoster, mais on peut demeurer un futur possible de coexistence
fabrique mon monde et en indique Platon qui m’instrumentalise, m’au- là sur le bateau, comme Ulysse qui pacifique, une offre d’espace com-
les contours. Mon terroir marque tomatise et me robotise. Il est cet se fit lier au mât. On peut garder mun, où l’ancien et le nouveau
un endroit déjà là, hérité d’une écran qui m’empêche de voir au- le cap, chercher encore un isthme, s’entrecroisent, sans plus trop
tradition immémoriale et pourtant delà. Il est signe de ce moi percolé un détroit. s’entrechoquer.
mienne, qui tient de la nature des par une rationalité limitée qui coule Une fois que ces terroirs de moi et
choses, telle que je la perçois, que en moi. Il est ce fatras constitué, Territoire d’exploration de l’autre sont mobilisés comme
j’arbore même parfois comme une par quoi ce n’est pas tant moi qui Au-delà des remous et des pièges terrains de jeu réciproques, où
oriflamme. Il me localise, me posi- négocie que ça qui me négocie, de navigation, le négociateur re- la coopération l’emporte sur la
tionne et me donne mon identité d’où je suis négocié. cherche un point de passage. Il est compétition, ils ouvrent des terri-
différenciée comme négociateur. Il ouvreur de clairière, où l’on peut toires d’exploration et de création
est la clé d’interprétation qui ouvre Terrain d’opération se reposer et retrouver la lumière. insoupçonnées, avec de nouveaux
mon loquet et fait sens pour moi. Il Où je vais ensuite, en négociation, Si je poursuis mon voyage dans expédients et combinaisons, une
est ma base, mon fondement, cette dépend de l’autre, des autres. À cet espace d’aventure inconnu, liberté et des choix avec des so-
pierre sur laquelle je bâtis tout mon distance de ce « moi » si peu soi, à l’écart, de l’autre côté, je me lutions novatrices. Se diriger
édifice de négociation. Il articule se trouve le terroir d’autrui, que délocalise forcément. Partant de en négociation, c’est prendre
mon système de pensée, ma gram- j’ai plus de mal à appréhender, que mélodies différentes, d’abord, la conscience du commencement
maire, mes mots, mon espace de je visite, mais qui n’est jamais tout négociation ressemble à cette indéniable de chacun et de la mul-
confort et d’espoir. Il ancre ma né- à fait mien. Si j’y ai accès, je m’y cacophonie où pendant quelques titude d’aboutissements possibles,
gociation, mes interactions avec les rends à tâtons et m’y fourvoie sou- secondes, chaque joueur de l’or- via les mouvements à opérer avec
autres, ma manière de demander et vent. Quand je crois avoir trouvé le chestre accorde son instrument ; patience et persistance, « parce que
la matière de mes demandes, mes bon chemin qui m’entrevoit l’autre, elle est le prélude disharmonieux à c’était lui, parce que c’était moi »
questions et mes réponses. Toute je m’y perds à nouveau. Parce que la quête d’harmonie que la partition (Montaigne).
négociation commence dans cet le terroir de l’autre est toujours un déploie ensuite à deux ou plusieurs La négociation commence dans
ancrage à soi, constituant, d’où je peu étrange et étranger, énigma- musiciens. Ce qui peut s’avérer im- la séparation de terroirs façonnés
pars négocier. tique et problématique, il est plus probable pour moi au départ peut par des forces conditionnantes et
Toutefois, ce terroir m’encercle terrain d’opération. Je tente de m’y devenir possible en cours de route, déterminantes qui se repoussent,
aussi, voire m’enlise ou m’infan- orienter par empathie stratégique cet espoir de revirement par le pro- et le sentiment de l’aporie (a-po-
tilise ; il m’empêtre, il m’enferre, comme un explorateur s’avance cessus étant vrai pour l’autre aussi. ros), du non-passage. Son déploie-
comme le nouveau-né peine à en terra incognita. Dans ce ter- Quand les ressorts de la rhétorique ment responsable permet toute-
quitter son utérus originel. Au sens roir de destination, je recherche sont soudainement utilisés à des fois, dans une rationalité élargie,
métonymique de la partie prise er- un espace de rencontre, sans trop fins de conciliation et non plus de humaine et universelle, des dépas-
ronément pour le tout, cette glaise savoir si et comment le trouver. contradiction, quand des orateurs sements inouïs de soi et d’autrui,
où je pousse, je la méprends pour Une négociation est toujours un responsables à l’écoute cherchent une relation, la découverte d’un
la terre tout entière – la planète. périple, avec sa part de péril, avec à se persuader mutuellement dans ailleurs pour chacun, une réinven-
Cet attachement instinctif, voire l’autre comme question pour moi. une compréhension réciproque tion, l’émergence de territoires
maladif de tout négociateur à sa Dans cet espace séparé se dresse des motivations de leurs auditoires d’accord pour nous, qui nous rap-
position de départ dénote un né- le corps de l’autre avec qui la né- respectifs, quand ils se font donc prochent. Elle est ébauche conti-
gocentrisme qui commence par gociation s’engage. Mon réflexe ingénieux dans le rapprochement, nuelle d’une aventure humaine à
soi et ramène tout à soi en per- est de vouloir ramener l’autre il peut se dérouler le miracle de l’in- l’unisson. u

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Talaj
—— LE FAIT ——
DE LA SEMAINE

LES TEXTES DE PASCAL LARDELLIER, HERVÉ AZOULAY, MIREILLE BLAESS ET MOULOUD


MADOUN SONT EXTRAITS DE LA REVUE ACADÉMIQUE QUESTIONS(S) DE MANAGEMENT,
N° 19, SUR LE THÈME « QUESTION(S) DE TERRITOIRES » ET « QUESTION(S) DE MOBILITÉ »,
EMS ÉDITEUR.

PASCAL LARDELLIER

MOBILITÉ ET TERRITOIRES « GLOCAUX »


L e 21e siècle commençant est assurément celui des mobilités. Aux
sédentarités imposées historiquement par les ancrages géogra-
phiques « naturels », la pesanteur des filiations, l’attachement obligé
politico-financières qui ont vu la planète devenir un seul et même
village global (au sens de Marshall McLuhan). Ceci pose aux salariés
mais surtout aux équipes de direction d’innombrables questions de
à des communautés électives, l’appartenance à des entreprises (cf. fond. Cela impose surtout aux managers d’adapter leurs pratiques
Michelin) et à des institutions, a succédé un vaste mouvement voyant managériales à des salariés aux profils internationaux. Manager des
la planète trop exiguë pour des générations s’égaillant désormais équipes et des entreprises en situation de mobilité géographique,
tous azimuts. La mobilité, érigée en valeur cardinale de la société c’est nécessairement recourir à des stratégies de communication
nomade, s’appuie désormais sur un arsenal de technologies (nouvelles interculturelle. Si beaucoup de grosses entreprises (comme Per-
et forcément progressistes), d’infrastructures (cf. le développement nod-Ricard) ont fait le choix payant d’encourager la mobilité interne
exponentiel de l’industrie du transport, autoroutier, ferroviaire, aé- de leurs salariés, d’autres sont contraintes de fermer certains sites
rien), de discours politiques, médiatiques hyper-valorisant la mobilité. de production et de redéployer les activités dans d’autres régions et
La mobilité d’aujourd’hui est avant tout professionnelle, les cadres surtout dans d’autres pays. Le management en situation de mobilité
et les « Y » ne restant plus comme autrefois de nombreuses années croise donc deux objectifs : l’élargissement de l’éventail des com-
dans une même entreprise. Ceux-ci cultivent au contraire l’art du pétences des salariés et l’intelligence sous-tendant l’adaptation à de
turnover, des « césures, » et du changement de société, de pays ou de nouveaux territoires « glocaux* ».
continent en fonction des opportunités. Dans le cadre des entreprises u PASCAL LARDELLIER, PROFESSEUR À L’UNIVERSITÉ DE BOURGOGNE
multinationales, l’ancien attachement aux espaces de production his- FRANCHE-COMTÉ, CHERCHEUR AUX LABORATOIRES CIMEOS (DIJON)
toriques est nul et non avenu. Les lieux de production se sont déplacés, ET PROPEDIA (GROUPE IGS, PARIS)
exportés, disséminés au gré des évolutions sociétales et des crises * Né de la contraction des mots « globaux » et « locaux ».

HERVÉ AZOULAY

L’ENTREPRISE AU CŒUR DE LA TRANSFORMATION


A ujourd’hui, les applications du numé-
rique repoussent tous les jours les
limites du possible dans le territoire en
à la culture et à la coordination entre les
entreprises, les collectivités territoriales,
les associations et toutes les parties pre-
ment. L’entreprise doit être le moteur de
cette transformation car c’est la force la
plus puissante du monde moderne dont
multipliant les innovations et les réalisa- nantes. Le management de ce vaste réseau les impacts sont les plus importants sur
tions. L’ère numérique est incontournable, sera le point clé de la réussite. Comment notre société. Elle poursuit une finalité
son universalité touche toutes les compo- donc bâtir une société meilleure dans le qui la tire toujours vers le haut, grâce aux
santes de la société et tous les secteurs territoire pour embrasser la complexité et efforts fournis chaque jour pour son droit
d’activité. Mais hélas, l’organisation des réussir la transformation autour d’utopies à la vie. Du fait de sa compétence dans le
territoires date de l’époque napoléonienne fécondes dans une dynamique collabo- management, de son savoir-faire, de sa
qui comporte encore aujourd’hui de nom- rative ? Comment se concentrer sur l’as- création de richesses, de ses outils de me-
breuses structures bureaucratiques, en- pect humain des métiers pour apprendre sure de la performance, de sa maîtrise de
cadrées par une organisation pyramidale à créer, à penser différemment et à don- la coordination, l’entreprise est la mieux
d’un autre âge, où la lourdeur hiérarchique ner du sens à la vie ? L’innovation exige placée pour résoudre et coordonner les
et la langue de bois ont développé l’irres- une vision transversale, large et volonta- problèmes sociaux, économiques et en-
ponsabilité et le conformisme. Il existe riste pour faire évoluer les mentalités qui vironnementaux dans les territoires. u
donc un vrai problème lié au management, jouent un rôle essentiel dans le change- HERVÉ AZOULAY, MULTI-ENTREPRENEUR

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—— LE FAIT ——
DE LA SEMAINE
MOULOUD MADOUN

DE L’EGOSYSTÈME À L’ÉCOSYSTÈME :
VERS LA COCRÉATION DU FUTUR
I l y a une relation d’interdépendance entre l’entreprise et le territoire.
En effet, sans le territoire l’entreprise ne pourrait ni se développer, ni
exister. Sans l’entreprise, le territoire court le risque de se désertifier. Au-
12 villages des tribus votent contre le projet de Vedanta. La mobilisation des
tribus et des organisations nationales et internationales qui les soutiennent
va permettre des protestations jusqu’à la décision de la Cour suprême d’août
delà de ce constat, quelle est la réalité ? L’entreprise crée les « richesses », 2016, qui, contre toute attente donna raison aux tribus et entraîna la fer-
mais a un coût économique et humain qui devient prohibitif : les dégâts et meture de la mine. Pourquoi étant arrivé là ? Lors d’un dialogue de sourds,
les conséquences sont de moins en moins supportables. Les parties ont du la négociation a eu lieu, mais l’échec total. L’entreprise était persuadée de
mal à se penser comme un élément intrinsèque du tout. La raison principale défendre non seulement ses intérêts mais surtout les intérêts des tribus. Elle
vient de la conception déséquilibrée de la relation entre l’entreprise et le ne comprenait pas les raisons pour lesquelles les tribus préfèrent vivre en
territoire. Cette relation est devenue une relation de domination : l’entreprise « sauvages ». Est-ce raisonnable ? Vedanta se distingua par une attitude de
ayant les pleins pouvoirs, impose ses conditions à un territoire considéré jugement, voire de dédain. Elle était incapable de comprendre la perspective
comme passif et dépendant. Pour sortir de cette impasse, il est impératif de des tribus ; elle ne pouvait leur créer un espace dans sa grille d’analyse, et
passer de l’egosystème et s’engager dans l’écosystème. Le renouvellement encore moins dans son « cœur ». Vedanta a fonctionné comme un système
de cette relation exige d’aller au-delà de la bienveillance, pour s’engager dominant ; arrogante et trop confiante, elle ne pouvait accéder à son igno-
dans une « écoute générative ». Pour cela, le système actuel doit accéder rance des autres perspectives.
à son ignorance et se voir à partir des perspectives des autres partenaires Les perspectives et expectations des tribus étaient autres : « Ces collines
dont le territoire est un élément central. et cette région montagneuse constituent le cœur de notre identité, notre
Un exemple indien peut éclairer le propos. Il s’agit du comportement d’une culture, notre religion, histoire et société. » Les tribus Dongrias et Kondh
multinationale, Vedanta et ses relations avec un territoire, celui des tribus qui y vivent, plus de 8 000 personnes, sont devenues expertes en agriculture,
dans les montagnes de Nyamgiri, dans l’État de l’Orissa. L’espoir viendrait-il pêche et chasse n’utilisant aucun produit chimique. La promesse de la
de l’Inde ? Vedanta, une multinationale (MNC) britannique, d’origine in- transformation radicale qui les basculerait dans la « vie moderne » ne les
dienne, obtient en 2003 les droits d’exploitation de mines de bauxite dans a jamais impressionnées. Le territoire leur procure tous les éléments du
l’état d’Orissa. Un complexe industriel de production d’aluminium est opé- bonheur. « Nous sommes heureux tels que nous sommes. » L’approche
rationnel à partir de 2008. Une raffinerie est installée au pied des collines gandhienne des panchâyat est-elle la solution ? Cette forme d’organisation
« Nyamgiri Hills ». Une mine de bauxite, devant approvisionner la raffinerie ancrée dans le territoire peut paraître utopique ; elle est néanmoins révélatrice
est programmée. Tout allait bien jusqu’au réveil des tribus, enfermées dans de la nécessité d’évoluer progressivement vers un système intégrateur,
les forêts ; elles refusent de quitter leurs forêts pour rejoindre les HLM et la inclusif qui permettrait la cocréation du futur et du développement. Cette
modernité que veut leur imposer Vedanta. C’est le début d’un conflit qui allait conception renouvelée des relations entre les parties prenantes réconcilierait
durer près de dix ans engageant plusieurs acteurs indiens et étrangers. Les le territoire et l’entreprise dans une perspective de coconstruction de l’avenir
arguments de Vedanta sont classiques d’un acteur, « créateur de richesse » et le bien-être pour tous. u MOULOUD MADOUN, PROFESSEUR FIREBIRD
et d’emplois, et donc soutenu par toutes les parties, ou presque. Toutefois, INSTITUTE OF RESEARCH IN MANAGEMENT COIMBATORE, TAMIL NADU, INDE

MIREILLE BLAESS

TERRITOIRE : QUEL ANGLE DE VUE POUR UN DRH ?


S pontanément, la notion de territoire
semble ne pas entrer dans le champ d’un
DRH dans son fonctionnement quotidien.
une industrie autour de Manufrance dans les
années 60-70 n’a rien de comparable à celle,
pourtant proche, du bassin de Grenoble
Nazaire. Idem dans le Nord ou le Sud de
notre pays. À l’inverse, lorsqu’une entreprise
désinvestit dans une région, la fonction RH va
Des contextes peuvent pourtant l’amener à avec une technologie de pointe mais aussi gérer les baisses d’emploi en tenant compte
la prendre en compte. Dans le cadre d’une des stations de ski à l’emploi saisonnier. Le de ces mêmes éléments historiques auxquels
expansion d’entreprise, l’implantation dans un constat dans cette expérience d’ouverture de va venir s’ajouter la prise en compte des
bassin d’emploi génère des contacts locaux sites dans ces deux villes mettait en évidence dimensions politiques locales et régionales
relatifs à la construction ou la reprise d’un site. des histoires différentes de relations au pour sécuriser l’opération face à des tentations
Ceci est généralement assorti d’engagements travail. Le même constat pourrait être établi de médiatisation notamment. Territoire :
politiques sur des recrutements locaux. Pour dans l’ouest de la France. Suite au transfert essentiellement et durablement un lien relatif
le DRH, l’histoire du territoire, les entreprises d’administrations vers la région nantaise il y à l’expansion ou la décroissance pour un DRH
ayant marqué ce territoire sont à considérer. a quelques décennies, la population nantaise d’une entreprise privée ! u MIREILLE BLAESS,
Un souvenir  : la relation au travail de est dans une relation au travail fort différente DIRECTEUR RESSOURCES HUMAINES
candidats du bassin stéphanois marqué par de celle d’un secteur proche comme Saint- ET RSE OCPW

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