Le Développement Local Entre

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TRAVERSES

Groupe Initiatives
(Synthèse réalisée par Diane Intartaglia et Annette Corrèze)

Le développement local entre


décentralisation et privatisation
Réflexions à partir de cinq expériences (Afrique de l’Ouest, Bolivie)

janvier 2002

Les processus de décentralisation et de privatisation suscitent des re-


compositions institutionnelles et politiques et interrogent les démarches
de développement local. Dans quelle mesure les projets contribuent-ils à
construire de nouvelles articulations entre acteurs publics et acteurs privés,
individuels et collectifs, susceptibles de favoriser la mise en place de ser-
vices durables, de qualité et accessibles ? Les projets encouragent-ils la
clarification des règles du jeu ou favorisent-ils une multiplication des
normes et la création de situation de rente pour quelques acteurs pri-
vilégiés ? À partir de cinq études de cas d’interventions situées en Afrique
de l’Ouest et en Amérique latine, ce texte tente une réflexion sur les condi-
tions de promotion de stratégies cohérentes de développement local.

LES ÉDITIONS DU GROUPE INITIATIVES n° 11


Ce numéro est le fruit d’un travail collectif du Groupe Initiatives qui s’est
organisé de la façon suivante :
■ élaboration d’une grille d’analyse, à partir d’une ébauche proposée par
Annette Corrèze (Iram) et Jacques Derclaye (GRDR) ;
■ rédaction des cinq études de cas ;
■ travail comparatif sur ces études de cas animé par Annette Corrèze (Iram)
et Diane Intartaglia (Camel). Discussion lors des journées d’études de
Coordination SUD ;
■ rédaction de la synthèse présentée dans ce numéro.

Les cinq études de cas rédigés à cette occasion sont les suivantes :
■ PAIMBOUR S., 2000, La gestion décentralisée au Sénégal entre le
département de Bignona et le département de l’Aude, Ciepac, 6 p.
■ CARLIER R., 2000, La gestion des réseaux d’adduction d’eau en
Mauritanie, Gret, 7 p.
■ DEMANTE M.-J., 2000, Le Fonds d’investissement local de Sikasso, Iram,
16 p.
■ DESNOYERS F. et LAFAY V., 2000, Décentralisation, participation
populaire et développement local en Bolivie : le cas du projet d’appui
à la démocratisation de Tomina, Cicda, 15 p.
■ BOUY M., 2000, Le projet Haute Guinée Ouest : analyse de l’action
du projet dans la cadre de la privatisation des services de l’État en santé
animale et de la décentralisation de la gestion des marchés du bétail,
VSF/Camel, 14 p.
Le développement local entre décentralisation et privatisation : réflexions à partir de cinq expériences

Le développement local entre


décentralisation et privatisation
Réflexions à partir de cinq expériences (Afrique de l’Ouest, Bolivie)

Deux orientations majeures transforment le paysage institutionnel dans lequel


agissent les projets de développement : les processus de privatisation dans le do-
maine économique et de décentralisation dans le domaine politique. Ce constat a
suscité un travail de capitalisation au sein du Groupe Initiatives. En effet, les structu-
res membres du Groupe Initiatives appuient, souvent depuis de nombreuses années,
des processus de développement local à partir d’entrées multiples (techniques, outils
de financement et de concertation, etc.). Les processus de décentralisation et de
privatisation sont perçus comme favorables a priori aux initiatives locales, à une
maîtrise par les populations de la gestion de leur territoire, à l’expression d’intérêts
différenciés des acteurs. C’est cette conviction que le Groupe Initiatives a voulu
questionner et cette réflexion en est le fruit.
Elle vise, à partir d’études de cas, à interroger les pratiques de développement lo-
cal des projets dans ces contextes en évolution. Comment, dans un tel contexte, le
rôle des projets dans l’appui aux dynamiques locales se transforme-t-il ? Dans quelle
mesure cette évolution contribue-t-elle à la mise en place de services publics de
qualité et accessibles au plus grand nombre ? Nous présentons d’abord quelques
éléments de problématique et, de manière synthétique, les interventions de dévelop-
pement qui servent de support à cette réflexion. Puis la nature et l’impact des rela-
tions promues, par les projets, entre les différents acteurs seront analysés. Enfin,
nous dégagerons quelques enseignements sur les conditions dans lesquelles les
projets peuvent favoriser la mise en place de stratégies cohérentes de développe-
ment local.

1
Traverses n° 11

LE DEVELOPPEMENT LOCAL FACE AUX NOUVEAUX ROLES DE L’ETAT

Le développement local : « nouveaux acteurs » et recomposition des rapports


sociaux

• Le développement local : comment l’appréhender ?


Le terme « développement local » est tellement utilisé et polysémique qu’il nous
semble nécessaire de définir le sens que nous lui donnons. Le développement local
est entendu ici comme un processus par lequel les « gens » se donnent un en-
semble d’institutions1 pour mettre en valeur, collectivement et individuelle-
ment, des ressources sur un territoire donné. Concrètement, comment les rap-
ports de force se manifestent et sur quels objets ; quelles alliances les individus
mettent en place pour rattacher le jeu local aux luttes d’influence, à l’échelle régio-
nale et nationale, comment se concilient intérêts particuliers et bien commun.
Il s’avère essentiel de souligner l’importance de la dimension économique fon-
damentale à tout processus de développement local, qu’il s’agisse de production de
richesses, de création d’emplois... On ne peut appréhender le jeu social des acteurs
et les formes institutionnelles qu’ils se donnent sans intégrer cette dimension. En
d’autres termes, le développement local ne se réduit pas au secteur social de la
santé, de l’éducation, etc.
Enfin, la notion de territoire est très fortement liée à celle de développement lo-
cal. Ces processus peuvent être ainsi entendus comme la récupération, par les po-
pulations locales, d’une maîtrise de la gestion de leur territoire. Or, la notion de terri-
toire et celle de « local » ne renvoient pas seulement à des espaces géographiques,
mais aussi à des espaces de relations sociales. Autrement dit, d’une part, les territoi-
res définissent les appartenances sociospatiales et sont des systèmes symboliques
identitaires (Di Méo, 1996). D’autre part, ils sont le support de représentations qui
constituent les rapports d’un individu avec l’extérieur (Raffestin, 1996). La réactiva-
tion aujourd’hui des notions de territoire et de local sert de ressort de mobilisation
des groupes sociaux, de promotion de nouvelles solidarités face au déclin des repré-
sentations de classes sociales. Cela nous conduit à ne pas nous arrêter à une ré-
flexion fonctionnelle sur la correspondance d’espaces physiques (par exemple entre
le territoire politico-administratif d’une commune et celui d’une organisation locale) ou
sur la subsidiarité conçue souvent dans une optique rigide où chaque étage a sa
compétence. Cela nous amène aussi à nous interroger sur les logiques et les straté-
gies sous-jacentes à ces représentations territoriales et qui n’ont rien à voir avec la

1
Le terme « institutions » est entendu au sens large, comme l’ensemble des règles formelles et infor-
melles organisant l’accès aux ressources et l’ensemble des normes, des dispositifs, des procédures et
des organisations qui assurent le respect et la légitimité de ces règles.

2
Le développement local entre décentralisation et privatisation : réflexions à partir de cinq expériences

géographie ancienne : contradictions entre urbain et rural, enracinement et mobilité,


ambitions personnelles et action collective…

• Nouvelles évolutions dans le champ du développement local


Les processus de développement local se caractérisent depuis quelques années
par l’irruption de nouveaux acteurs : collectivités territoriales liées à la décentralisa-
tion, organisations sociales et professionnelles liées aux projets, etc. Ces acteurs ne
sont pas forcément nouveaux dans leur nature2 mais plutôt dans leur positionne-
ment : nouvelles prérogatives et extension des domaines de compétence des com-
munes, transfert aux acteurs privés de services et de fonctions auparavant assu-
mées par l’État, rôle d’intermédiation financière confié aux organisations locales, etc.
Il en ressort une complexification du jeu social et une recomposition des institutions.
Face à cette évolution, on peut s’interroger sur les rôles joués par les projets
dans la clarification des institutions qui « produisent » du développement lo-
cal. Les projets contribuent-ils à mettre à plat et à favoriser la clarification des règles
ou conduisent-ils plutôt à une multiplication des normes, des situations de rente et de
captation de pouvoir par certains acteurs ? Dans cette optique, à quelles conditions
les cadres ou les espaces de concertation appuyés par les projets permettent-ils
cette clarification ? Si ces cadres sont forcément déterminés par les rapports de pou-
voir et de légitimité locaux, quels moyens (en termes de mécanismes de finance-
ment, de régulation) se donnent les projets pour mobiliser ces espaces et y faire ve-
nir des acteurs peu favorisés dans les rapports de force ? Et ces moyens (notam-
ment la durée de financement des projets) sont-ils compatibles avec les rythmes
nécessaires à ces évolutions ?
Ces questions ne peuvent être abordées que si l’on prend en compte l’évolution
du rôle de l’État sous l’effet des processus de décentralisation et de privatisation.

La décentralisation comme enjeu d’émergence de nouveaux rapports entre les


populations et l’État

• Quelle lecture des processus de décentralisation ?


Notre réflexion n’est pas le lieu d’un débat conceptuel sur la décentralisation.
Toutefois, il nous paraît important de souligner quelques éléments de repères – non
exhaustifs ici – sur ces processus.
Premièrement, les processus de décentralisation à l’œuvre dans les pays afri-
cains et latino-américains qui nous concernent ici, s’avèrent souvent être un mé-
lange complexe entre une volonté politique initiale de l’État et les politiques incitati-
ves des bailleurs. Les cas malien et sénégalais sont assez représentatifs de cette
situation. Pourtant, il s’agit de distinguer cette volonté nationale de la position de

2
La décentralisation a commencé au Sénégal, par exemple, en 1972.

3
Traverses n° 11

quelques acteurs politiques clés et des résistances de l’appareil d’État face à ce qui
est vu comme une perte de pouvoir et de rente.
En second lieu, décentralisation et démocratisation (au sens de répartition des
pouvoirs) ne sont pas souvent synonymes dans les processus à l’œuvre. La décen-
tralisation a tendance au Sénégal à délocaliser la lutte pour l’accès aux ressources et
à réactiver des réseaux clientélistes locaux. Au Mali, les expériences du Fonds
d’investissement local3 soulignent, dans un contexte de prédécentralisation, les ten-
tatives de récupération d’initiatives locales par des réseaux de notables. La décen-
tralisation dans la plupart des pays concernés par l’étude ouvre des portes, mais
apparaît aussi comme un leurre dans la mesure où elle ne répartit que peu de res-
sources financières ou qu’elle ne met à la disposition des acteurs locaux que des
services techniques dévitalisés.
En troisième lieu, la taille des communes peut constituer un critère
d’interprétation de la nature des processus. Les modalités du découpage communal
– défini « d’en haut » en Guinée ou confié aux populations locales au Mali – nous
renseignent sur l’objectif que donne l’État à la décentralisation. Si le territoire com-
munal est appelé à devenir le territoire du développement local, la notion de viabilité
économique entre en jeu dans le découpage, notamment en termes de nature et
d’effectivité des services rendus localement.
Enfin, la décentralisation peut aussi être lue comme l’imposition de nouvelles
normes « modernes » face à des formes d’organisations sociospatiales plus ancien-
nes. Cette imposition fait naître en Bolivie une confrontation et une superposition
d’institutions (les communes, les organisations territoriales indigènes de base), mais
elle permet aussi une possibilité de reconnaissance de ces organisations et la possi-
bilité d’amorcer la construction d’un espace public local.

• Quels enjeux pour le développement local ?


Ces processus de décentralisation créent de nouveaux enjeux pour le dévelop-
pement local. Nous en retenons trois qui nous semblent majeurs.
Le premier enjeu renvoie aux espaces créés par la décentralisation pour la
participation des populations à la définition du type et des niveaux de services
publics qui seront mis en place localement. Sur cet aspect, le rôle des textes régle-
mentant la décentralisation joue un rôle considérable en autorisant, imposant ou fer-
mant la participation. La loi de participation populaire en Bolivie reconnaît juridique-
ment les Organisations territoriales de base (OTB) et leur donne des attributions
spécifiques pour favoriser leur participation effective à la gestion municipale. Au Sé-
négal, les modalités des scrutins électoraux communaux, imposant aux candidats
leur affiliation à un parti politique, ne favorise pas forcément cette participation. Il faut

3
Fil : dispositif d’appui financier à la gestion des terroirs et au développement local à Sikasso.

4
Le développement local entre décentralisation et privatisation : réflexions à partir de cinq expériences

souligner également la relative contradiction entre le rôle attribué aux collectivités


locales, qui est de favoriser l’élaboration de plans de développement locaux en Boli-
vie et au Sénégal, alors que l’espace national ne peut plus faire l’objet de plans de
développement visant à soutenir des mécanismes d’accumulation de capital et de
richesses en raison de la mondialisation et de l’ouverture aux capitaux transnatio-
naux des marchés.
Le second enjeu qui paraît de taille, notamment quand la décentralisation est ef-
fective, concerne le rôle de l’État central en matière d’orientation, de péréquation
des ressources et d’arbitrage. La traduction des politiques publiques nationales à
l’échelle locale est balbutiante et la nécessité de définir des politiques intermédiaires4
se fait jour. Le processus de décentralisation en Guinée voit se dessiner des inéga-
lités entre communes, liées à l’absence de mécanismes de péréquation des ressour-
ces fiscales et des ressources de l’aide extérieure. Le rôle d’arbitrage de l’État en
matière de définition des priorités d’investissement dans des infrastructures et servi-
ces publics reste théorique, comme l’illustrent les études de cas en Mauritanie et en
Guinée.
Le troisième enjeu majeur est de savoir quelles ressources et quelle fiscalité
permettront de financer les services publics décentralisés. Comment financer
des services si la fiscalité locale ne peut, comme en Bolivie, garantir ce finance-
ment ? La tendance actuelle fait apparaître une orientation très marquée de l’aide
extérieure vers les communes. Or le développement local ne peut se financer exclu-
sivement sur la base d’aides extérieures : outre la faiblesse de la maîtrise de
l’affectation des fonds par les acteurs locaux, le cas bolivien souligne l’irrégularité de
ces apports externes ne permettant pas la définition d’un plan de développement à
moyen terme.
Si notre réflexion n’a pas pour objet d’approfondir directement ces enjeux, ceux-ci
constituent une toile de fond essentielle aux interventions de développement. Les
projets sont inévitablement confrontés aux modalités d’articulation entre les dynami-
ques qu’ils appuient et celles de la décentralisation. L’enjeu de cette articulation est
fondamentalement la création de lieux publics (visibles) et l’expression d’intérêts
différenciés permettant de concourir à l’émergence d’un intérêt général.
Plus précisément, notre question sera ici de cerner, à travers les études de cas,
quelles formes de contractualisation et de négociation les projets appuient entre les
acteurs privés, individuels et collectifs et les collectivités décentralisées. Notre ana-
lyse se penchera notamment sur la contribution de ces formes de concertation et de

4
Les politiques intermédiaires sont au point de rencontre du micro et du macro. Elles permettent la
réintroduction d’acteurs collectifs dans la définition des politiques publiques. Elles favorisent la constitu-
tion avec les pouvoirs publics centraux et locaux, et parfois avec les bailleurs, d’instances de négocia-
tion, d’arbitrage et de régulation contractuelle, permettant aux nouveaux acteurs collectifs de contribuer
aux décisions politiques et à la gestion locale (Groupe de travail IRD/Gret, Pour des politiques publiques
de lutte contre la pauvreté et les inégalités, janvier 2000).

5
Traverses n° 11

contractualisation à la mise en place de services publics de qualité et accessibles au


plus grand nombre.

L’émergence d’acteurs privés et leur contribution à la production de services à


l’échelle locale
Les processus de privatisation comportent plusieurs dimensions liées entre elles :
le resserrement des services de l’État sur leurs fonctions régaliennes stricto sensu
s’accompagnant de fortes réductions d’effectifs ; le transfert à des structures privées
de fonctions auparavant assurées par l’État et, enfin, l’appui à l’émergence d’acteurs
privés et au développement de démarches entrepreneuriales assurant des presta-
tions ou des services n’existant pas auparavant. C’est cette dernière dimension qui
fera plus particulièrement l’objet de notre réflexion.
Les processus de privatisation et les projets ont contribué à favoriser le dévelop-
pement de services aux populations assurés par des acteurs privés, prestataires
individuels ou organisations locales. C’est le cas notamment dans le domaine pro-
ductif, mais aussi dans l’environnement économique et social de la production : in-
frastructures productives tels les marchés à bétail, la formation professionnelle, la
gestion des réseaux d’adduction d’eau potable, etc. Or, certains de ces services re-
lèvent pour partie de missions de service public que l’État central, ses instances dé-
concentrées et les communes sont théoriquement censés assurer.
Là encore, notre question consistera à analyser, dans les études de cas, les rela-
tions entre ces acteurs privés, les communes et l’État. Permettent-elles des servi-
ces efficaces et une meilleure valorisation du potentiel économique local ?
Quelles sont les règles du jeu et comment sont-elles définies ? Y a-t-il des régula-
tions mises en place ou la création de situations de rente domine-t-elle ?

CONTEXTES INSTITUTIONNELS ET STRATEGIES D’INTERVENTION DE


DEVELOPPEMENT LOCAL : CINQ CAS

Le volet « Gestion des réseaux de distribution d'eau » du programme


d'Amélioration des services de l'hydraulique urbaine en Mauritanie (Gret)5

• Un contexte de gestion centralisée des réseaux d’adduction d’eau


La république islamique de Mauritanie est, parmi les pays de la zone sahélienne,
celle qui a sans doute le plus rapidement avancé dans la définition d'une politique
nationale de l'eau, caractérisée par une législation riche et précise. Dès l'instauration
des communes, en 1986, un décret désigne, parmi leurs compétences en matière de

5
Source : La gestion des réseaux d’adduction d’eau en Mauritanie et entretiens complémentaires.

6
Le développement local entre décentralisation et privatisation : réflexions à partir de cinq expériences

services publics, l'alimentation en eau. Des projets et programmes successifs avaient


permis d'équiper la majeure partie des communes du pays, des simples villages aux
grandes villes6.
En 1993, une disposition réglementaire a prévu l'intervention d'opérateurs privés
comme alternative à la gestion communale. Les équipements peuvent être gérés par
un « concessionnaire » qui selon les cas, peut être, un groupement précoopératif ou
coopératif, un comité de gestion villageois, une régie communale, une personne
physique ou morale. Cette palette de concessionnaires possibles reflète la multipli-
cité des modalités spontanées de gestion selon les régions, le caractère urbain ou
rural des réseaux concernés, les habitudes culturelles d'organisation.
Néanmoins, le cahier des charges inclut un article à valeur conservatoire qui indi-
que que tant que l'Administration considérera le concessionnaire comme non apte à
assurer la maintenance et le renouvellement des équipements, la direction de l'Hy-
draulique continuera d'assurer cette fonction via son service de maintenance (par
ailleurs sans moyens). Le contrat de concession que signe le concessionnaire pré-
cise qu'il doit verser en totalité à l'État les sommes prévues pour la maintenance et le
renouvellement, les fonctions d'entretien étant seules dévolues au signataire. Cette
clause permet à l'État de centraliser la gestion des réseaux.

• Une démarche fondée sur la professionnalisation des concessionnaires


L'État, à travers sa direction de l'Hydraulique, a une double stratégie : une straté-
gie du discours exhortant les concessionnaires et les communes à prendre de plus
en plus en charge les tâches autrefois dévolues à l'État ; et une stratégie des actes
caractérisée par une politique de statu quo. Il ne veut pas perdre ses prérogatives (la
suppression de ses fonctions de maintenance aurait un coût social fort par le licen-
ciement d'une partie du personnel de la direction de l'Hydraulique). En outre, il n'a
confiance ni dans les communes en tant que garant du service public, ni dans les
concessionnaires en tant que gestionnaires des équipements. Mais les services dé-
localisés de maintenance sont inefficaces.
Les communes ont vu l'échec des régies communales, les ressources créées
ayant été affectées à d'autres dépenses, et les compétences nécessaires n'étant pas
disponibles. Le transfert aux concessionnaires privés les arrange et les communes
revendiquent, aujourd'hui seulement, un droit de contrôle (taxes prélevées sur les
concessionnaires). Elles font profil bas, coincées entre les représentants de l'État
(préfets politiquement puissants) et les concessionnaires plus compétents techni-
quement.
Les concessionnaires ont progressivement acquis leur légitimité par la recherche
d'un professionnalisme croissant. Ils ont de plus en plus une stratégie d'autonomisa-

6
Deux projets financés par la Caisse française de développement, au tout début des années 90, ont
équipé, entre autres, des chefs-lieux de Mougathaa (département).

7
Traverses n° 11

tion (de privatisation ?) : paiement irrégulier des taxes, pas de recours aux bases
locales de maintenance publique. Quant aux usagers, ils sont passifs et les
consommateurs issus du secteur public ne paient pas leurs factures d'eau.
L'appui à une dizaine de réseaux proposé par le Gret s'est concentré sur la for-
mation des gestionnaires de réseau : formations techniques (diagnostic des pannes
sur les groupes électrogènes, apprentissage de réalisation de branchements privés
et de repérages des fuites, mais aussi formation des opérateurs du réseau. Des for-
mations en comptabilité et gestion ont aussi été mises en place pour renforcer la
capacité des opérateurs à produire des synthèses et à les analyser comme sources
de diagnostic économique et technique du réseau.
Un autre mode d'appui consistait à réunir les concessionnaires autour de certains
problèmes liés à leur fonction. Les échanges sur la maintenance, la tarification, la
constitution d'un GIE, l'approfondissement des connaissances des concessionnaires
ont contribué à renforcer leur compétence et la vision globale de leur rôle.
Le programme a également assuré une fonction d'ingénierie sociale dans le
cadre de l'extension et de la création de nouveaux réseaux, en impliquant en amont
les communes et les futurs usagers. Ces derniers ont pu participer, non seulement
financièrement à la construction des réseaux, mais aussi au choix de l'emplacement
des bornes et à la négociation tarifaire. La sollicitation de contribution des usagers se
situait dans une logique de mise en place d'un code des investissements7. Le Gret a
fait des propositions à l'échelle centrale de l'Hydraulique sur la base de critères tech-
niques et d’un plan de remboursement des crédits.

• Des concessionnaires reconnus et l’émergence d’espaces de dialogue


Les responsables du programme estiment avoir rempli une fonction déterminante
(bien qu'initialement non identifiée) de « passeur » et de médiation entre l'État et les
concessionnaires. Les autres résultats n'ont pas été spécifiquement isolés par les
rédacteurs de l'étude de cas. On peut les identifier dans le domaine de l'élévation
des compétences des acteurs locaux, du renforcement de la participation des ac-
teurs (concessionnaires mais aussi usagers) et de leur capacité de négociation.

Mise en place et appui au Fonds d'investissement local au Mali (Iram)


Le Fil est un outil de financement créé en 1993, couvrant deux cercles de la ré-
gion naturelle de Mali-Sud, soit quatorze arrondissements représentant 600 villages
et une population d'environ 500 000 habitants.

7
Le financement des infrastructures ne vient pas de la fiscalité mais de financements externes.

8
Le développement local entre décentralisation et privatisation : réflexions à partir de cinq expériences

• Contexte
8

Depuis de nombreuses années, les préoccupations des populations rurales des


zones sahélo-soudaniennes devant la dégradation progressive de l'état de leurs res-
sources naturelles sont fortes. Différents projets d'appui à la gestion des terroirs ont
contribué à cette prise de conscience en réalisant de nombreux investissements. La
rentabilité souvent faible, ou du moins différée des aménagements de gestion des
ressources naturelles, représente une spécificité qui les écarte des systèmes de fi-
nancement classique relevant du crédit. Les projets ont donc souvent eu à gérer en
leur sein des fonds de subvention.
Le contexte de Mali-Sud présente un environnement favorable à la mise en place
d'un fonds de subvention : revenus ruraux relativement importants et diversifiés
(moins fragilisés à l'époque par la crise actuelle des zones cotonnières) ;
structuration paysanne forte et multiforme née en partie de l'action très ancienne de
la CMDT (Compagnie malienne de développement des textiles) et de l'apparition
plus récente de formes de regroupements thématiques ; organisations paysannes
ayant une longue expérience et maîtrisant la gestion ; présence d'institutions de
crédit et d'épargne.
La décentralisation a mené à la création de quarante-deux communes dans le
cercle de Sikasso et neuf communes dans celui de Kadiolo. Les premières élections
municipales ont eu lieu en mai 1999. La décentralisation apporte un cadre politique
structurant global dans lequel le Fil, dont la création est antérieure, s’est intégré. Les
ajustements nécessaires ont été facilités par le fait que le Fil a anticipé, dans ses
modalités de fonctionnement, la création des communes.

• Une démarche fondée sur la création d’un outil financier adapté, la


responsabilisation des acteurs ruraux et l’émergence d’une vision communale
Cette démarche repose sur les objectifs suivants : définir et mettre en œuvre un
outil de financement adapté à des investissements à rentabilité différée, complé-
mentaire des institutions de crédit existantes ; amener les ruraux à renforcer leurs
capacités à décider, financer et gérer des investissements dans leur milieu. La phase
relais (1998-2000) y a ajouté l’accompagnement des nouvelles communes,
l’élargissement du financement aux infrastructures sociales et l’émergence d’une
véritable collaboration entre institution communale et société civile en matière de
planification et de financement du développement.

8
Source : Le fonds d’investissement local de Sikasso, étude de cas de l’Iram.

9
Traverses n° 11

Dispositif de financement
du Fonds d'investissement local Cellule légère de
gestion
Phase relais
Gère le fonds, élabore les
modules de formation, suit et
évalue

Forum
Niveau cercle
Un élu par commune et
un représentant par CCD

Participe Participe
Conseil
Associations communal
APE, Asaco, AV, CAI, Zaer… Participe Valide et suit la mise en
Analysent l'action envisagée, œuvre du plan de
montent le dossier de demande de développement communal,
financement, gèrent la subvention Concertation monte les dossiers de
octroyée, lancent les appels demande de financement,
d’offres, suivent les chantiers gère la subvention octroyée,
lance les appels d’offres, suit
les chantiers
Participe Anime

Commission
communale de
développement Contractualisation
Contractualisation
Diagnostic, plan de
développement communal,
mobilisation des partenaires, suivi

Prestataires privés Prestataires privés


(bureaux d'études, entreprises), (bureaux d'études, entreprises)
études de faisabilité, études études de faisabilité, études
techniques, exécution des réalisations, techniques, exécution des réalisations,
formations formations

10
Le développement local entre décentralisation et privatisation : réflexions à partir de cinq expériences

La démarche elle-même repose sur la responsabilisation des « communautés villa-


geoises », le principe du cofinancement et la mise en place de structures paysannes
d'attribution des financements, les CAI9. Les fonctions d'appui technique à l'identifi-
cation et à la mise en œuvre des investissements et les fonctions d'appui financier
ont été clairement séparées, bien que fortement articulées et complémentaires. Le
montage institutionnel est complexe mais garantit la participation du plus grand nom-
bre d'acteurs. Lors de la phase relais, les décisions de financement sont prises au
niveau intercommunal dans des « forums » de financement composés d'élus et de
représentants de la société civile.
Etaient éligibles au financement la fourniture d'eau pour la consommation hu-
maine et pastorale, les aménagements de bas-fonds, le désenclavement, la lutte
anti-érosive, le reboisement, d'autres aménagements agropastoraux (couloirs de
transhumance). En phase relais ont été incluses les infrastructures sociales : écoles,
centres de santé, forages.
Le rôle de l'Iram et des cadres locaux a été un accompagnement et un suivi régu-
lier du processus pour aider les acteurs à clarifier les règles du jeu, les modalités
concrètes à mettre en œuvre, l'analyse des rapports sociaux. Les CAI ont acquis un
certain nombre de compétences et de prérogatives et sont généralement reconnus
pour le travail qu'ils ont fait. Mais la constitution des communes les oblige à se repo-
sitionner. Ils ont aujourd’hui en tant qu’instances du mal à trouver un rôle dans le
nouveau contexte des collectivités territoriales.
Des commissions communales de développement ont été créées par l’équipe du
Fil pour réaliser une « vision communale » plutôt que villageoise. À l'occasion d'une
phase de diagnostic, les différents membres prenaient mieux connaissance des
atouts et contraintes des différents villages constituant la même entité communale.
C'était l'occasion de réfléchir à ce qui était possible pour satisfaire les besoins de
chacun d'eux, tout en tenant compte de l'équilibre global. Mais la courte durée du
financement de la phase relais (18 mois) a entraîné des dérives : les premières
commissions, étendues en nombre et en représentation des diverses associations,
se sont ensuite restreintes pour « aller plus vite ». C'est un exemple des rythmes
différents du financement et de la création institutionnelle. Si ces commissions ont au
moins favorisé un travail conjoint entre élus et société civile et n'ont pas eu d'effets
de « notabilisation », elles n'ont pas suscité la participation souhaitée. Si les démar-
ches antérieures ont permis que les plans de développement reprennent les préoc-
cupations générales des populations, les délais n’ont autorisé ni une information suf-

9
Comité d’attribution intervillageois : constitués sur la base de la représentation de chaque village mem-
bre, ils assurent la prise de décision de financement des dossiers présentés par les villages porteurs
d’un projet d’investissement. Ils suivent la bonne exécution des contrats et le respect des engagements
des villageois.

11
Traverses n° 11

fisante ni l’organisation de débats approfondis pour définir les priorités et permettre


aux différents groupes sociaux de participer à leur définition.

• La réalisation d’investissements et la formation de compétences locales


Une cinquantaine d'investissements ont été réalisés de 1994 à mi-2000 pour un
montant total de subvention d'environ 490 millions FCFA. Les apports financiers et
en nature des bénéficiaires représentent un peu plus de 200 millions FCFA.
Mais au-delà de ces apports financiers, ce sont les apports en matière de forma-
tion qui ont été le plus appréciés. Le dispositif confiait au Fil un rôle de concepteur
des programmes de formation, mais les formations étaient réalisées par des bureaux
privés agréés par le Fil, sur la base de tests et d'évaluation, de leurs prestations. Les
modules de formation concernaient le dispositif de financement Fil mais aussi la ges-
tion des investissements, la gestion des caisses, le diagnostic local, la planification
locale, les lois de décentralisation. Ont été formées plusieurs milliers de personnes,
issues d'associations et, plus récemment, des conseils communaux. Les bureaux
d'études ont émergé comme nouveaux acteurs économiques. En phase relais qua-
rante-deux communes du cercle de Sikasso ont demandé à être formées alors que
seulement vingt-cinq avaient accès aux financements d'investissement. Trois mille
personnes ont été formées à la planification communale, mais les commissions
communales de développement, du fait des délais imposés par le financement exté-
rieur, ont beaucoup ressemblé à un instrument du projet.
Ce dispositif est confronté aujourd'hui à la crise cotonnière dans la zone et aux
difficultés de mise en place de la décentralisation, en particulier du financement des
communes. Mais en ce qui concerne la compétence des « ressources humaines »
en matière de gestion, de création et de dynamiques institutionnelles, les résultats
sont incontestables, au-delà des investissements réalisés.

Le volet Élevage et gestion des ressources naturelles du projet Haute-Guinée


Ouest (VSF)
L'étude de cas porte sur l'analyse de la privatisation des services de santé ani-
male et la construction de marchés à bétail, sur la période allant de 1997 à 1999.

• Le contexte du projet
10

La région est caractérisée par des systèmes de production mixtes : cultures vivriè-
res et de rente et élevage jouant d'abord un rôle d'épargne, justifiant l'intérêt des
paysans pour des actions techniques en santé animale qui ont été « l'entrée » du
projet.

10
Source : Analyse de l’action du projet dans le cadre de la privatisation des services de l’État en santé
animale et de la décentralisation de la gestion des marchés à bétail, étude de cas Camel-VSF.

12
Le développement local entre décentralisation et privatisation : réflexions à partir de cinq expériences

Des changements de politiques avec leurs conséquences institutionnelles ont


marqué la période : en 1988 est mis en place un processus de privatisation des ser-
vices de l'élevage, en 1993 sont instaurées les Communautés rurales de dévelop-
pement (CRD) ; en 1998 est créée la Coordination nationale des éleveurs de Guinée.

• Une démarche fondée sur l’organisation et la professionnalisation des éleveurs


Le projet a mis en œuvre des actions très diversifiées (formations techniques, ex-
périmentation-vulgarisation, appui à des organisations paysannes, gestion des feux
de brousse et gestion des terroirs) à partir d'une entrée minimale en santé animale.
Des dispositifs ad hoc ont été mis en place : création de groupements villageois
d'éleveurs et formation d'auxiliaires d'élevage, installation d'un vétérinaire privé dans
la zone, comités villageois de gestion des feux, etc. Cette approche a évolué pro-
gressivement vers une démarche plus globale de gestion de terroir, au travers de
concertations et de formations techniques.
Elle a été réalisée par une structure « projet » constituée d'une équipe expatriée
et de cadres guinéens issus d'une organisation universitaire, l'Entraide universitaire
pour le développement. Les fonctionnaires des services déconcentrés de l'État ont
été impliqués dans certaines actions sans jamais être directement les agents de
mise en œuvre du projet.
A partir de 1997 les groupements d'éleveurs, constitués en coordinations sous-
préfectorales, ont demandé au projet de financer des infrastructures de commerciali-
sation du bétail dans différentes sous-préfectures. Le projet a répondu favorablement
à condition qu'un contrat de cogestion soit signé entre les coordinations sous-
préfectorales et les instances décentralisées (CRD). Cette demande des éleveurs a
conduit le projet à s'inscrire dans les processus de privatisation et de décentralisa-
tion. Ceci avec le souci de favoriser, en ce qui concerne la privatisation, une clarifi-
cation du rôle de l'État et un transfert à des opérateurs privés des fonctions qu'ils
sont susceptibles de gérer de façon plus efficace, ainsi qu’une articulation à l'échelle
locale entre les différents acteurs impliqués dans le secteur de l'élevage. En ce qui
concerne la décentralisation, le projet a tenté de favoriser l'émergence d'une
concertation et d'un fonctionnement négocié à l'échelle locale, satisfaisant les be-
soins différenciés des acteurs.

• Un renforcement des compétences et des capacités d’organisation des éleveurs, et


une reconnaissance ambiguë des communes
En lien avec son entrée technique, le projet a développé une forte activité en ter-
mes de formation puisque environ 3 000 personnes (4 % de la population adulte de
la zone) ont reçu des formations de base (santé animale, alphabétisation, alimenta-
tion des animaux, reboisement, etc.) et 10 % d'entre elles des formations plus pous-
sées (auxiliaires d'élevage, gestion des groupements, gestion des feux, alphabétisa-
tion, greffe, etc…). Plus tardivement, le projet a développé un effort d'information au
travers de rencontres, échanges et participation à des réunions. Cela s'est traduit par

13
Traverses n° 11

la participation, organisée par le projet, de représentants de groupements à la ré-


union nationale qui s'est tenue en mars 97 sur la question des auxiliaires d'élevage.
Durant le premier trimestre 97, le projet a organisé également une série de réunions
à l'échelle sous-préfectorale puis préfectorale, visant à faire le bilan du projet et des
propositions pour la nouvelle phase. Ces réunions, qui ont rassemblé plus de 900
personnes, associaient pour la première fois des membres des groupements, des
représentants de la CRD et les services techniques déconcentrés. Comparativement,
le financement de réalisations par le projet s'est limité au matériel fourni aux grou-
pements lors de leur création, et à la mise en place de crédits pour l'embouche bo-
vine.
Le suivi-évaluation a mis l'accent sur les activités et les résultats techniques, puis,
à partir de 1997 et de la priorité accordée à l'organisation des éleveurs, sur la nature
et le rôle des groupements par rapport au contexte social et institutionnel local. Mais
il n'a pas débouché sur une analyse des enjeux de la décentralisation qui aurait peut-
être amené le projet à prendre en compte le rôle des CRD dans la gestion
d’infrastructures publiques au niveau local.
Le projet a participé à un renforcement du processus de privatisation en cours par
la création des groupements et la formation des auxiliaires ; l'installation d'un vétéri-
naire privé (au risque de créer une situation de monopole) ; le contournement des
services techniques déconcentrés réticents à transférer aux éleveurs un savoir-faire
technique, ce transfert pouvant se traduire par la diminution de leur pouvoir symboli-
que et des ressources financières tirées de la vente de soins. Le projet était dans
une logique de renforcement du secteur privé collectif par impossibilité d'une articu-
lation public/privé. Toutefois cette analyse n'a pas été portée par le projet dans les
débats qui ont eu lieu, ce qui aurait contribué à une évolution de la fonction des ser-
vices techniques et de la nature de la participation de l'État dans la formation des
éleveurs.
En ce qui concerne la cogestion de marchés à bétail, il y a eu une prise en
compte tardive des CRD par le projet. Le financement de trois marchés à bétail a été
le seul mode d'intervention, et aucune action de formation ou d'information n'a réel-
lement été menée auprès des groupements ou des CRD autour du rôle respectif de
chacune des institutions et des modes d'articulation possibles entre elles. Il y avait
une reconnaissance ambiguë des instances centralisées.

Le cadre de concertation départemental de Mbour au Sénégal (Ciepac)11


Dans le cadre d'un programme de coopération décentralisée, l’intervention a
consisté en la mise en œuvre des stratégies et des programmes de développement

11
Source : Contribution du Ciepac.

14
Le développement local entre décentralisation et privatisation : réflexions à partir de cinq expériences

local, en privilégiant une élaboration et une gestion contractuelle partagée entre tous
les acteurs au sein de structures de concertation à différents niveaux.

• Le contexte du projet
La décentralisation est une réalité déjà ancienne au Sénégal, surtout en ce qui
concerne les communes urbaines. Les communautés rurales ont été mises en place
progressivement dans les régions. Ce processus s'est étalé dans le temps. Le pro-
gramme est réalisé dans le département de Mbour, dans le cadre d'une coopération
avec le département français de l'Aube, en cofinancement avec le ministère français
des Affaires étrangères et avec l’apport d’autres cofinancements sur des program-
mes spécifiques.

• Une démarche fondée sur la création d’un nouvel espace de concertation


Des structures rassemblent, au niveau local (quartiers, communautés rurales,
communes) des représentants de la société civile organisée (organisations paysan-
nes, associations socioculturelles…), des élus des conseils ruraux et communaux,
des représentants des autorités coutumières. Au niveau départemental (qui n'est pas
institué en collectivité territoriale au Sénégal), un cadre regroupe des représentants
des cadres locaux de concertation, des responsables de filières ou de secteurs d'ac-
tivité organisés, des représentants des collectivités locales.
Le programme ne fait l'objet d'aucune assistance technique permanente, ni séné-
galaise ni expatriée. En revanche les porteurs des dynamiques de développement
local sont assistés régulièrement par un accompagnateur pédagogique (Asadel,
ONG sénégalaise), par une cellule constituée des techniciens du département qui
ont passé un accord avec le cadre de concertation départemental. Au niveau local,
des animateurs ont été formés et sont mobilisés en fonction des besoins. Le Ciepac
joue un rôle d'accompagnateur méthodologique au moyen de missions courtes cou-
plées à celles de la collectivité locale du Nord, partenaire du programme. Le suivi
des activités se fait lors des différentes missions d'appui. Le programme a par ail-
leurs été évalué à plusieurs reprises à la demande du ministère de la Coopération,
ou par l'Union européenne, dont il a été l’un des projets pilotes en matière de coopé-
ration décentralisée sur la période 1995-98.
La programmation du développement local porte à la fois sur les infrastructures et
autres réalisations diverses, et sur le développement d'activités économiques. Le
principe de la concertation est repris dans les programmes d'amélioration du fonc-
tionnement des filières de production et de secteurs d'activités que porte le cadre
départemental. Trois filières étaient concernées au départ (maraîchage, artisanat et
céréales). Quatre autres l’ont été en 2001 : transformation des produits de la mer,
embouche ovine, produits de cueillette, petit commerce.

15
Traverses n° 11

• La légitimation progressive d’une nouvelle échelle


Au-delà des réalisations concrètes, qui relèvent des différents acteurs avec l'appui
des techniciens du département, de l'Asadel et de techniciens privés, les principaux
résultats s'enregistrent sur le plan des relations entre acteurs, modifiées par les dis-
positifs de concertation mis en place aux différents niveaux. L'organisation de filières
interprofessionnelles se réalise sur la base d'un constat partagé entre les acteurs de
la filière, qui définissent alors le niveau de prise en charge des services indispensa-
bles à un meilleur fonctionnement de la filière, ainsi que leur contribution éventuelle
au fonctionnement des services publics nécessaires au privé.
Le cadre local de concertation est organisé de manière à permettre aux villages
de se faire entendre et d'exercer un contrôle. Au niveau départemental ce type de
régulation n'a pas autant joué, si ce n'est sous la forme d'une redistribution d'une
partie des ressources des communes et communautés rurales en coopération dé-
centralisée vers les autres collectivités, d'actions de formation thématiques12 et d'in-
formation13. La très grande majorité des collectivités locales a progressivement vu
l'intérêt d'une telle démarche concertée pour peser davantage sur les niveaux supé-
rieurs, pour réduire les concurrences entre territoires. Seules les communes les plus
importantes semblent hésiter, leurs élus estiment probablement que le cadre dépar-
temental a une coloration plus rurale qu'urbaine.
Au niveau régional, on peut noter l'intérêt du Conseil régional et de l'Agence ré-
gionale de développement pour le cadre départemental de concertation, une exten-
sion de la démarche étant envisagée pour deux autres départements. L'ARD a ins-
tallé elle-même un cadre régional de concertation.
Les représentants de l'État considèrent le cadre départemental de concertation
comme un interlocuteur crédible pour le développement du département, d'autant
plus qu'il bénéficie de l'appui d'une cellule composée de techniciens organisés au
niveau du département. Enfin, au niveau national a été manifesté l'intérêt de l'Asso-
ciation des présidents de conseils ruraux pour la démarche, ainsi que celui de divers
bailleurs de fonds qui souhaitent cependant une institutionnalisation du cadre.

Le Projet d’appui à la démocratisation de Tomina en Bolivie (Cicda)


L’intervention a lieu dans la municipalité de Tomina, située entre 1900 et 2800 m
d’altitude, sur le versant oriental des Andes, et est financée à plus de 75 % par
l'Union européenne. Vingt-quatre communautés représentant quelque 10 000 habi-

12
Planification du développement local, rôle des organisations paysannes par rapport aux élus et à
l'État, techniques d'animation dans le cadre de démarches participatives.
13
Lancement d'un journal d'information, et initiation d'une collection intitulée Que Savoir qui vise à for-
mer les acteurs du développement local pour une meilleure compréhension de leur environnement
économique et politique.

16
Le développement local entre décentralisation et privatisation : réflexions à partir de cinq expériences

tants, à plus de 90 % ruraux, sont concernées par les opérations de développement


mises en œuvre.

• La décentralisation bolivienne
Diverses lois ont été promues à partir de 1994 : loi de participation populaire, loi
de décentralisation administrative (1995) et loi des municipalités (1999). Elles ont
entraîné des transformations structurelles qui, dans une certaine mesure, ont permis
de décentraliser le pouvoir politique ; de répartir plus équitablement les ressources
fiscales au bénéfice des régions marginales et des aires rurales ; de donner une plus
grande capacité de décision aux préfectures et aux mairies ; de créer des conditions
favorables à une croissante participation sociale dans la gestion publique ; de redéfi-
nir les rôles des institutions et de mieux contrôler les diverses populations présentes
sur le territoire national.
L'originalité de la décentralisation bolivienne réside dans le fait qu'elle reconnaît la
multiplicité des institutions pouvant gérer, répartir et contrôler des ressources (finan-
cières, matérielles et humaines). Dans ce cadre, la municipalité, produit de cette dé-
centralisation, constitue officiellement l'unité territoriale de base de planification,
d’exécution de politiques et de gestion publique, prise en charge et contrôlée par des
représentants élus de la population locale. Elle constitue à ce titre, théoriquement,
l´espace privilégié de participation sociale et de concertation locale. La première
question qui se pose alors est de savoir quelles sont les modalités de participation et
de concertation, quand on sait que l’État se désengage à travers elle de certaines de
ses attributions traditionnelles fondatrices (éducation, voirie, infrastructures hydrauli-
ques, santé publique), supposant ainsi une responsabilisation croissante de la po-
pulation et de ses représentants dans ces fonctions.
Cette redéfinition théorique de la société civile et de ses attributions présente des
limites : les différents décrets de la décentralisation et de la participation populaire ne
proposent pas d'instruments pour renforcer les capacités locales de gestion (déficit
de ressources humaines, techniques et institutionnelles, persistance du clientélisme
et de la corruption). De plus, même si l'usage des ressources municipales est dé-
sormais soumis à un contrôle assuré par un comité de vigilance élu, aucun décret ne
fait état des mécanismes de financement et d'évaluation de son fonctionnement. Les
investissements municipaux répondent d'ailleurs surtout à la conjoncture et aux ur-
gences. Enfin, l'organisation politique et administrative proposée par l'État ne corres-
pond pas forcément aux conceptions locales. Celles-ci se fondent sur une intégration
sociale à la collectivité fondamentalement culturelle et non pas politique ; sur un res-
pect des autorités – assumées de manière rotative – qui ne prennent de décisions
qu'après avoir consulté l'ensemble de la population ; sur des logiques de gestion des
ressources naturelles bien plus complexes qu'une simple relation d'intérêt et de bé-
néfices individuels ; enfin sur la détention collective de la terre. N'oublions pas que la
loi de participation populaire n'est pas issue d'un consensus social mais de la crainte
justifiée d'un émiettement du pays en plusieurs nations « ethniques ». De fait, on

17
Traverses n° 11

constate une faible participation des communautés paysannes et de leurs organisa-


tions, dont la personnalité juridique est désormais reconnue sous la dénomination
d'OTB mais qui ne se reconnaissent pas dans cette nouvelle structure politico-
administrative.

• Une démarche fondée sur les lacunes d'un projet politique


La nature foncièrement politique du projet de décentralisation et les nombreuses
lacunes dans son application et son énoncé actuels ont réorienté les activités du
Pradem. Sa problématique et ses outils méthodologiques se sont progressivement
orientés vers l'appui à la démocratisation locale, et particulièrement vers la recherche
d’une plus ample participation des populations à la gestion du développement local
qui constitue, dans les textes officiels, l'objectif ultime du projet politique de l'État.
Les principes qui orientent l'intervention de l'équipe du Pradem-Cicda sont les
suivants :
1. les acteurs sont capables de formuler des choix, d'innover et d'expérimenter. Le
rôle d’une ONG consiste alors à élargir le champ de vision des acteurs locaux
pour faciliter les expérimentations sociales et politiques ;
2. le projet doit agir dans le cadre de la décentralisation bolivienne, afin d'éviter
l'émergence de nouvelles règles ou d'organisations médiatrices qui seraient en
marge du projet politique proposé ;
3. cependant la décentralisation politique et administrative ne pourra être effective
que si elle concerne toutes les composantes de la société ;
4. les réflexions et actions de l'ONG doivent se construire en intégrant représenta-
tions, savoirs et stratégies des populations.
Dans cette optique les principales activités mises en œuvre ces dernières années
sont les suivantes :

 échanges nationaux et internationaux centrés sur des expériences pertinentes de


gestion municipale, avec comme objectif l’apprentissage et l'appropriation d'un
savoir politique (l’exercice de la démocratie locale) mais aussi technique et
social ;
 participation à la définition des objectifs et aux premières réunions de la
« Coordination du développement de Tomina », afin de mettre en confiance les
acteurs locaux et, promouvoir un usage des ressources financières municipales
(publiques et privées) rationalisé en fonction des priorités de la société civile ;
 information et analyse du contexte national, des lois en vigueur et des droits
afférents ;
 appui juridique autour de la propriété foncière : fournir l'information sur les régi-
mes fonciers et la réforme agraire en cours, appuyer la reconnaissance légale
d'espaces communaux ;

18
Le développement local entre décentralisation et privatisation : réflexions à partir de cinq expériences

 gestion concertée des ressources naturelles : au-delà des réalisations concrètes,


l'objectif est de promouvoir et stabiliser de nouveaux savoirs et modes de gestion
des ressources à long terme (élaboration des avant-projets d’irrigation, recherche
de financement ; reconnaissance légale des règles de gestion des espaces boi-
sés produites localement sous l'impulsion du Pradem, diffusion de ces règles et
mise en place de mécanismes de contrôle).
• L’élévation du niveau d’information et de compétences des acteurs locaux
L’ensemble des activités mises en œuvre par le Pradem permet d’augmenter le
niveau d’information et de compétences des acteurs locaux. Si ces effets sont diffi-
cilement mesurables, ils nous semblent constituer les acquis principaux des démar-
ches de développement local, s’exerçant au-delà de la durée des interventions.

PROMOUVOIR DE NOUVEAUX RAPPORTS ENTRE L’ETAT, LES INSTANCES


LES
DECENTRALISEES ET LES ACTEURS PRIVES : LES PRATIQUES DES
PROJETS14

L’examen, dans les études de cas, des schémas de relations que les projets ap-
puient entre les différents acteurs, doit nous permettre de caractériser le rôle que
jouent les projets dans la clarification des institutions (règles et dispositifs) qui
« produisent » du développement local.

L’inscription des projets dans le paysage institutionnel et les rapports de force


locaux
Les projets interviennent dans des contextes institutionnels où de nouveaux
agents apparaissent et où les rôles assumés par les différents acteurs évoluent. Ils
appuient des dynamiques existantes, tissent des alliances à l’échelle locale et natio-
nale, renforcent des légitimités. Cette analyse tente de cerner la prise en compte des
contextes en évolution par les projets dans des espaces où les légitimités se recom-
posent, peuvent être en concurrence voire en conflit. La façon dont les projets se
positionnent et les normes qu’ils font évoluer constituent l’objet de cette première
partie.

• Appui aux acteurs privés et prise en compte progressive du rôle des communes
D’une manière générale, les projets appuient l’émergence et le renforcement
de la position des acteurs privés, opérateurs économiques, prestataires de servi-
ces, organisations paysannes. Le PHGO en Guinée a financé l’installation d’un vété-
rinaire privé, la création de groupements d’éleveurs et l’émergence d’auxiliaires
d’élevage. Il s’est inscrit ainsi clairement dans le processus de privatisation des ser-

14
Nous considérons bien entendu ici les acteurs privés individuels et collectifs.

19
Traverses n° 11

vices de l’élevage, fondé aussi sur l’émergence d’opérateurs privés et


d’organisations professionnelles du secteur. Le programme Ashyr en Mauritanie a
contribué à l’émergence de nouvelles fonctions. Il a appuyé la professionnalisation
des concessionnaires privés des réseaux d’adduction d’eau, dans le cadre d’une
politique nationale de transfert de cette délégation de gestion des communes aux
prestataires privés. Les projets d’appui aux initiatives locales comme le Fil ont favori-
sé le renforcement des prestataires privés (bureaux d’études et entreprises) et des
organisations paysannes, dans la définition et la mise en œuvre des services et in-
vestissements locaux. Le cadre de concertation départemental au Sénégal a déve-
loppé l’organisation de filières interprofessionnelles.
La prise en compte du rôle des communes par les projets sectoriels a été tar-
dive ou relative. Le PHGO n’a été amené à considérer l’existence et le rôle des
communes qu’au moment du financement de marchés à bétail, en 1998, alors que
les CRD15 ont été mises en place en 1992. Même s’il est vrai que les communes
n’ont pas de compétences en matière de santé animale ou d’organisation des éle-
veurs, le projet pouvait-il ignorer cet acteur public local ? En Mauritanie, les régies
communales de gestion de l’eau se sont rapidement révélées être un échec. Au bout
de cinq ans, l’État central transfère une délégation de gestion des réseaux à des
concessionnaires privés que le projet Ashyr a formés. Le projet toutefois a été ame-
né à prendre en compte les communes qui revendiquent un droit de contrôle des
concessionnaires. Les projets d’appui aux initiatives locales ont très tôt articulé leur
intervention avec les structures décentralisées. La mise en place des communes au
Mali constitue une réorientation du Fil : le rôle central d’orientation du dispositif finan-
cier est transféré de la commission paysanne aux commissions communales de dé-
veloppement, composées d’associations locales et du conseil communal. L’axe
d’intervention du Pradem en Bolivie a été d’appuyer le processus de décentralisation
et les expériences municipales, considérant qu’il fallait éviter la mise en place
d’organisations médiatrices de la décentralisation en marge du projet politique pro-
posé. De même, le cadre de concertation départemental au Sénégal vise à instituer
un espace plus approprié pour le développement local que l’échelle communale ou
régionale, tout en reposant sur les élus communaux et les représentants des filières
organisées.

• Une contribution à l’évolution du rapport de forces entre populations rurales et État


Ces projets n’ont pas pour seul objectif l’appui à la décentralisation. Les trois cas
soulignent qu’ils se sont engagés très clairement vers une évolution du rapport
de forces entre populations rurales, d’une part, et État central et instances décentra-
lisées d’autre part. Les actions de ces projets (appui, formation, animation…) sont
orientées vers le renforcement du poids politique des organisations locales et plus
largement des populations rurales. Le Pradem a multiplié les échanges et les systè-

15
Communautés rurales de développement.

20
Le développement local entre décentralisation et privatisation : réflexions à partir de cinq expériences

mes d’information des paysans sur la potentielle démocratisation que représente le


processus de décentralisation, mais aussi sur des enjeux politiques forts tels le fon-
cier, la gestion des forêts ou l’irrigation. La création de structures villageoises
d’orientation et d’attribution des financements par le Fil répondait à un objectif de
responsabilisation et d’augmentation des capacités de décision des acteurs ruraux.
Le PHGO a eu le même engagement en donnant la priorité à l’organisation des éle-
veurs et à leur formation. Si les projets prennent bien en compte l’enjeu principal de
la décentralisation sur l’évolution des rapports entre État et populations locales, deux
risques apparaissent en filigrane dans les cas présentés.
D’une part, la référence explicite ou implicite à la société civile par ces pro-
jets est source de confusion. Le Pradem évoque « la promotion d’un usage ratio-
nalisé des ressources municipales en fonction des priorités établies par la société
civile » ; l’expérience du cadre de concertation départemental au Sénégal rappelle
« le besoin de régulation des opérateurs économiques par la société civile » ; la se-
conde phase du Fil est orientée sur « l’émergence d’une véritable collaboration entre
institution communale et société civile »… La société civile est présentée comme une
instance légitime des rapports politiques. Outre le flou conceptuel qui entoure cette
référence (Bayart, 2001), elle masque une hétérogénéité d’acteurs aux intérêts
contradictoires : organisations paysannes, organisations non gouvernementales mais
aussi transnationales, congrégations religieuses, etc. Ses représentants peuvent être
aussi les porte-parole d’intérêts particuliers inavouables ou de particularismes com-
munautaires. Cette référence risque alors de constituer un obstacle à la construction
d’un espace public qui ne se réduirait pas à la promotion de la démocratie de marché
ou à l’exacerbation des identités communautaires.
Le second risque issu de cet engagement des projets dans l’évolution du rapport
de forces entre État et populations locales a une portée plus opérationnelle. Reven-
diquant le renforcement des capacités de décision et de négociation d’un type
d’acteurs, les projets peuvent dès lors être handicapés dans le rôle de média-
teur qu’ils auront à assumer s’ils apparaissent comme partisans.
Les études de cas soulignent aussi que les projets appuient l’émergence ou
renforcent de nouvelles légitimités associatives ou « développementistes » sans
qu’il n’y ait forcément d’opposition avec les légitimités coutumières. Par exemple,
l’expérience du PHGO souligne le rôle d’interface joué par les groupements
d’éleveurs entre le village et ses autorités coutumières et « l’extérieur » (l’État, les
projets, etc.). Cette articulation ne va pas sans tensions, comme dans le cas du Fil
où une crise de confiance entre les CAI et la commission paysanne a abouti à une
dissolution de cette dernière.
On notera toutefois une difficulté générale à tous les projets à cerner les en-
jeux de pouvoir internes des « communautés locales » et des villages, ce qui
peut miner l’efficacité de leurs actions. L’exemple de dissolution de la commission
paysanne est parlant à cet égard : sa perte de légitimité est issue, entre autres, du
rôle supplémentaire qu’a voulu lui faire jouer le projet en confiant des prestations de

21
Traverses n° 11

formation rémunérées à certains de ses membres. Il en est de même pour la prise en


compte des tiers-absents. Bien que le Fil soit sensible au rôle des femmes dans
l’économie agricole, le peu d’accompagnement sur la mise en valeur des investisse-
ments consacrés aux aménagements rizicoles a favorisé une relative exclusion des
femmes, peu informées des procédures et n'ayant pas les moyens humains et finan-
ciers pour être porteuses de ce type de projets. Enfin, les études de cas soulignent le
passage pour certains acteurs locaux, avec la décentralisation, d’une légitimité asso-
ciative, acquise souvent grâce au projet, à une légitimité démocratique. Ce passage
se traduit par une différence notable, pour la personne concernée, dans la mise en
œuvre de sa fonction de représentation, d’intermédiation et de courtage. Le cas du
maire de Tomina, en Bolivie, illustre les risques de ce type d’évolution : la double
légitimité syndicale et élective du maire a favorisé l’effritement des revendications
des organisations paysannes, le mécontentement d’une partie de la population, et
son remplacement par l’élection d’un candidat urbain. Ce passage pourrait renforcer
les compétences des nouvelles communes et leur capacité à prendre en compte les
enjeux des populations. Pour l’instant, il apparaît surtout que les élus renoncent à
leur appartenance associative dès qu’elle constitue une entrave à leur stratégie vi-
sant à contrôler les biens qui arrivent localement (Blundo, 2000).

• Production de normes et de règles sous l’influence du projet


Les études de cas soulignent un travail important des projets à l’élaboration et à la
clarification de normes et de règles, qu’il s’agisse d’aménagement du territoire, de
choix d’investissement, de gestion et de répartition des fonctions. Ce travail a porté
sur des niveaux et des objets très différents.
Les projets d’appui aux initiatives locales ont œuvré à l’élaboration de normes
communes de développement (voire de visions communes du développement si
ce n’est de l’intérêt général) : le Pradem a contribué à la définition du plan communal
d’action à 5 ans, par la réalisation d’un diagnostic participatif déterminant les priorités
et orientations du développement communal. Les cadres de concertation au Sénégal
ont défini des plans de développement spécifiant les services publics nécessaires au
fonctionnement des filières de production. Au Mali, la commission paysanne puis,
surtout, les commissions communales de développement ont travaillé à la définition
d’une « vision communale » par le diagnostic des atouts et contraintes spécifiques à
chaque territoire et l’identification des services requis à leur développement.
Dans un autre registre, les projets contribuent aussi à la clarification des règles
d’accès et d’usage des ressources naturelles. L’appui du Pradem à ce travail sur
les ressources forestières et pastorales a favorisé une plus grande maîtrise par les
acteurs ruraux sur leurs ressources. À l’inverse, l’absence de travail de clarification
préalable dans ce domaine s’est révélé un véritable handicap pour le Fil – bien qu’il
ne se soit pas agi d’un projet de gestion des ressources – puisque l’utilisation des
ouvrages financés (mares, barrages) s’est avérée conflictuelle. En matière de régu-
lation des services marchands, le PHGO a appuyé la définition de règles sur la vente

22
Le développement local entre décentralisation et privatisation : réflexions à partir de cinq expériences

de services en santé animale, en favorisant l’articulation entre le rôle des vétérinaires


privés et celui des auxiliaires d’élevage.
L’intervention des projets sur l’élaboration progressive de codes
d’investissements sur les services et infrastructures publiques passe parfois
par une phase de modification des pratiques. Le programme Ashyr a d’abord contri-
bué à modifier le circuit officiel de maintenance et de renouvellement des réseaux.
Ce circuit officiel était fondé sur un cahier des charges consistant pour les conces-
sionnaires à verser à l’État la totalité des sommes prévues pour la maintenance et le
renouvellement. En renforçant les compétences des concessionnaires, le pro-
gramme leur a donné une légitimité professionnelle leur permettant de s’autonomiser
de l’intervention publique. L’expérimentation de nouveaux dispositifs pour la gestion
financière des réseaux, par la création de comptes postaux individualisés, a favorisé
l’affectation des taxes à la maintenance et au renouvellement des réseaux. Le pro-
gramme a ainsi contribué à une reconstruction informelle du processus légal, qui a
volé en éclats. Le PHGO a contribué par les mécanismes de financement des mar-
chés à bétail à introduire, par la pratique, un précédent sur la procédure de finance-
ment d’infrastructure publique locale.
Par contre, apparaît un relatif déficit d’élaboration de règles sur l’entretien des
services : même dans le cas du PHGO, où un comité de gestion des marchés à bé-
tail a été prévu et financé par 5 % des taxes prélevées sur ces marchés, les règles
d’utilisation des fonds du comité n’ont pas été définies. De fait, les taxes soit servent
à rémunérer le travail des membres des comités, soit sont insuffisantes pour garantir
l’entretien effectif des marchés.

• Un rôle de médiation légitimé par l’expertise technique


Cette contribution des projets à la clarification des règles se traduit souvent par
l’adoption d’un rôle de médiation qui est légitimé par leur expertise technique.
Le programme Ashyr illustre très bien ce rôle de « passeur » assumé par le projet
entre les concessionnaires, l’État et les communes. Cette médiation s’est appuyée
sur la reconnaissance de fait des compétences professionnelles des concessionnai-
res, par la fonctionnalité avérée des réseaux d’adduction gérés et sur la capacité
d’innovation des dispositifs techniques et de gestion assumée par le projet.
Pourtant, ces pratiques de médiation se trouvent limitées face à des enjeux
politiques et économiques lourds. Ashyr n’a pu contribuer à résoudre le problème
des impayés des grands consommateurs d’eau des villes, personnages de l’État
dont le poids politique et l’influence à l’échelle locale sont importants. De même, offi-
cialiser la délégation de la maintenance et du renouvellement des réseaux aux
concessionnaires revenait à reconnaître implicitement la disparition de certaines ba-
ses publiques de maintenance. Déléguer le contrôle, voire la désignation des
concessionnaires par les communes, c’était éventuellement accroître les prérogati-
ves d’un maire issu de l’opposition. Dans un autre domaine, le Pradem a pu contri-
buer à la diffusion d’informations sur les enjeux fonciers localement, mais son rôle de

23
Traverses n° 11

médiation se trouve confronté à l’absence d’arbitrage de ces conflits. Cette absence


d’arbitrage par l’État des conflits fonciers et des pratiques néopatrimoniales de ses
agents peut conduire les projets, dans des domaines où les enjeux sont moins im-
portants, à usurper cette fonction. L’exemple du PHGO (qui s’est opposé au finan-
cement de marchés à bétail si la CRD n’accepte pas de faire une ristourne aux coor-
dinations sous-préfectorales d’éleveurs sur les taxes prélevées) pose la question de
la légitimité du projet à s’octroyer ce droit.
En fonction de ses alliances avec les acteurs locaux, le projet peut se trouver
dans une position ambiguë au moment d’assurer une fonction de médiation entre
des acteurs aux intérêts contradictoires. Ce problème est évoqué pour le programme
Ashyr parfois assimilé par les concessionnaires au ministère de l’Hydraulique. Il s’est
posé très nettement dans l’accompagnement du PHGO aux négociations entre coor-
dinations d’éleveurs et CRD.
Les efforts du programme Ashyr pour animer une négociation entre concession-
naires, État et communes sur la gestion des réseaux soulèvent surtout la question de
la durée des projets, trop courte, pour assurer une fonction aussi ambitieuse. Les
rythmes nécessaires à l’évolution des relations institutionnelles entre les acteurs sont
lents car ils reposent sur l’évolution des pratiques. Enfin, cette expérience pose la
question de l’intégration du coût de cette médiation dans le prix des services publics.

Nature, efficacité et pérennité des espaces de concertation mis en place par les
projets
Si les projets influencent l’évolution des normes et des règles, quels sont les dis-
positifs qu’ils mettent en œuvre et qu’ils accompagnent à cet effet, et quelle est leur
efficacité ? C’est sur cet aspect que nous interrogeons ici les études de cas.

• Des espaces de concertation de nature très variable


Les espaces de concertation créés ou appuyés par les projets se distinguent,
dans les cas étudiés, par leur nature.

Les espaces de concertation ad hoc et non institutionnalisés

Des espaces de rencontre et de concertation, parfois très ponctuels, émergent à


l’initiative des projets. Deux types sont évoqués dans les études de cas.
D’une part, les projets organisent des séminaires ou des rencontres pour met-
tre à plat des questions et des débats afin de faire évoluer les enjeux institutionnels
ou des rapports de force entre les différents acteurs. Ashyr a organisé un atelier pour
renouer le lien entre communes, concessionnaires et direction de l’Hydraulique et
améliorer la gestion des réseaux. Même si cet atelier a eu peu d’impact direct sur le
fonctionnement des réseaux, il a permis de mettre à jour les problématiques propres
aux concessionnaires et aux élus. Les concessionnaires ont affiché leur revendica-
tion d’autonomie et d’une meilleure maîtrise technique de leur fonction. Les élus

24
Le développement local entre décentralisation et privatisation : réflexions à partir de cinq expériences

communaux ont affiché leur souhait d’une plus grande collaboration et d’une plus
grande transparence dans la gestion des réseaux. Le PHGO a organisé la participa-
tion des groupements d’éleveurs de Haute Guinée à une rencontre nationale sur le
statut des auxiliaires d’élevage. La mise à plat des enjeux entre les éleveurs formés
et l’Ordre des vétérinaires a conduit les groupements d’éleveurs à se doter de coor-
dinations sous-préfectorales. L’objectif des éleveurs était de construire progressive-
ment une représentation politique permettant la défense de leurs intérêts.
D’autre part, les projets sont à l’origine de négociations ponctuelles portant sur
des questions précises : sur les compétences et le cahier des charges des
concessionnaires en Mauritanie, sur le financement de marchés à bétail en Guinée. Il
faut souligner toutefois que le risque de ces espaces ponctuels réside dans la faible
représentation ou l’absence d’usagers des services et infrastructures concernés par
la négociation.

Création de cadres formels évoluant vers de véritables dispositifs de concertation

Le Fil, le programme au Sénégal, dans une moindre mesure le Pradem sont à


l’origine de véritables cadres formels de concertation pour la définition de choix pu-
blics d’investissements. Il s’agit généralement de cadres interinstitutionnels asso-
ciant acteurs privés organisés (représentants de filières, d’associations villageoi-
ses, d’organisations paysannes) et acteurs publics (les communes, parfois aussi
les services techniques déconcentrés). Le cas bolivien est un peu particulier puisque
l’espace de concertation, la Coordination du développement de Tomina, a été cons-
titué au sein d’une centrale syndicale de manière à renforcer les capacités de négo-
ciation de ses membres avec la municipalité, sur la réalisation d’aménagements.
Ces cadres formels de concertation se sont développés au départ sur les espaces
correspondant a priori aux problématiques de développement local. Les CAI se sont
constitués sur des espaces intervillageois pertinents pour la réalisation
d’aménagements sur la gestion des ressources naturelles. De même, l’échelle dé-
partementale a été privilégiée au Sénégal car l’espace communal paraissait trop
restreint pour envisager des infrastructures et des aménagements du territoire, et
l’espace régional semblait trop éloigné des acteurs ruraux.
Les processus de décentralisation ont quelque peu modifié cette première donne.
La phase relais du Fil réoriente l’échelle du cadre de concertation en l’adaptant au
territoire communal. Or, ces nouveaux cadres créés dans les contextes de mise
en place de la décentralisation risquent d’être en décalage avec les objets de
développement local. Le décalage peut s’avérer réel entre ces nouveaux espaces
et les représentations territoriales des populations si le territoire communal n’a pas
fait l’objet d’une définition « par le bas ». Le défi d’identification des acteurs ruraux à
ces nouveaux cadres de concertation est alors double. D’une part, cette identification
dépend de la légitimité politique que pourront acquérir les communes face à la dé-
fiance historique des populations rurales vis-à-vis de l’État. D’autre part, elle dépen-
dra de la capacité de ces cadres à répondre aux réelles priorités d’aménagements et

25
Traverses n° 11

de services collectifs. Il faut noter toutefois le cas intéressant du cadre de concerta-


tion départemental au Sénégal sur une potentielle rencontre, à l’échelle du départe-
ment, de problématiques de développement local et de politiques publiques secto-
rielles et d’aménagement du territoire. Cet exemple est significatif du poids d’une
intervention extérieure pour la légitimation d’une nouvelle échelle ou d’un nouveau
territoire de concertation.
La réalité de ces nouveaux cadres formels risque de dépendre fortement de
l’implication des usagers ou de la représentation de la « base » dans ces espaces.
Les études montrent qu’elle est très variable. Dans le dispositif de financement du
Fil, les membres des CAI se révèlent être souvent des dirigeants d’associations villa-
geoises. Le danger est alors d’opérer un raccourci entre village et AV16 et d’octroyer,
peut-être trop rapidement, une légitimité de représentation de l’ensemble des acteurs
villageois par l’AV. La même question émerge en Bolivie pour les centrales syndica-
les, dont la verticalité structurelle peut rendre sujette à caution leur légitimité de re-
présentation des intérêts des différents acteurs ruraux.
Cette implication des usagers renvoie aussi à l’identification, par les projets, des
médiateurs de catégories de populations a priori non officiellement représentées,
comme les femmes, et de la prise en compte de leurs intérêts. Dans les contextes de
décentralisation, les textes renseignent sur le niveau de participation qui y est autori-
sé et favorisé. Même dans le cas bolivien où les textes favorisent cette participation,
celle-ci suppose l’appropriation d’un processus qui a été en quelque sorte « imposé »
aux populations locales. Le risque de cette superposition d’espaces entre les structu-
res issues de la décentralisation et celles, plus anciennes, des organisations territo-
riales indigènes, est que seuls quelques acteurs positionnés à cheval entre les deux
réseaux s’octroient trop rapidement une légitimité de représentation des populations
locales.

La contractualisation sans cadre de concertation

Enfin, les projets peuvent favoriser l’établissement de relations contractuelles en-


tre des acteurs. Si cette contractualisation est favorisée par l’existence de cadre for-
mels, comme dans le cas du Fil ou dans celui du Sénégal pour l’octroi de finance-
ments, elle ne s’avère pas forcément liée à un dispositif institutionnel lourd. Le
PHGO, par exemple, a favorisé la contractualisation entre groupements d’éleveurs et
auxiliaires d’élevage d’une part et le vétérinaire privé d’autre part, sur la répartition
des prestations de services en santé animale et sur l’approvisionnement en intrants.
De même, une contractualisation entre CRD et coordinations d’éleveurs a été établie
pour le financement et la gestion de marchés à bétail sans l’existence d’un cadre
formel à cette fin.

16
Associations villageoises : structures d’organisation collective permettant une gestion commune des
recettes provenant du coton (ristournes hors rémunération des producteurs).

26
Le développement local entre décentralisation et privatisation : réflexions à partir de cinq expériences

• L’impact de ces nouveaux espaces : l’établissement a minima de pratiques de


négociation entre les acteurs
L’existence en tant que telle des espaces de concertation créés ne suffit pas en
soi à se traduire par une clarification des rôles des différents acteurs. L’efficacité de
ces espaces créés et leurs perspectives de pérennisation constituent sans doute des
éléments clés pour leur évaluation.
Les espaces de concertation ponctuels qui émergent à l’initiative du programme
Ashyr ou du PHGO sont fragiles et ne se traduisent pas par des structures formelles.
Toutefois, ils ont l’immense mérite d’établir a minima un dialogue et d’amorcer des
négociations entre des acteurs aux intérêts contradictoires ne s’étant pas forcément
rencontrés auparavant. Même si ce ne sont pas les séminaires qui en sont le seul
moteur mais aussi l’acquisition de compétences professionnelles, la seconde géné-
ration de concessionnaires en Mauritanie revendique désormais à la direction de
l’Hydraulique une évolution de ses prérogatives et des modes de gestion des ré-
seaux. Cette évolution reste pourtant fragile. Les nouvelles pratiques de mainte-
nance ne sont pas officialisées. La transparence de la gestion des comptes postaux
des réseaux d’adduction d’eau dépendra de la prise en compte des intérêts des
concessionnaires par l’État. Et surtout, cette évolution sera difficile à appréhender en
l’absence d’indicateurs permettant d’évaluer la modification de ces pratiques et
l’institutionnalisation progressive d’une clarification des rôles des concessionnaires,
des communes et de la direction de l’Hydraulique. De manière identique, en Guinée,
la position des auxiliaires d’élevage reste fragile en l’absence d’une formalisation de
la concertation ayant permis une clarification durable des rôles des vétérinaires pri-
vés, des services techniques et des auxiliaires. Mais en même temps, le développe-
ment des organisations d’éleveurs modifie à terme le rapport de forces, comme en
témoigne la dynamique de négociation engagée entre coordinations et CRD sur de
nouveaux marchés à bétail. Les cadres formels de concertation issus de
l’intervention des projets ont tout autant de difficultés à se pérenniser et à engager
une évolution sensible des rôles des acteurs. Après la disparition de la commission
paysanne au Mali, le dispositif de concertation de la phase relais du Fil est très fragi-
lisé par la durée trop courte de cette seconde phase.
Mais les mesures d’accompagnement comme les nombreuses formations réali-
sées par le Fil ou le Pradem facilitent un apprentissage du dialogue. Ces cadres for-
mels ont établi des expériences de nouvelles pratiques de négociation. La question
est peut-être plus de savoir si la mise en place de cadres formels a un impact plus
significatif sur la modification des arrangements institutionnels que l’organisation
d’ateliers ou de négociations ad hoc sur des enjeux précis. Une autre question sou-
levée peut être le risque d’une « récupération » de ce cadre par un des acteurs en
présence, risque présent dans la demande d’institutionnalisation du cadre départe-
mental par les bailleurs au Sénégal.

27
Traverses n° 11

• La contractualisation des prestations de services : une fonctionnalité réelle pour


une efficacité variable
Les études de cas sont unanimes pour relever la fonctionnalité et la pérennité des
contractualisations effectuées entre des acteurs publics ou collectifs privés et des
prestataires de services privés : fonctionnalité des accords entre les groupements
d’éleveurs et les vétérinaires privés de la zone sur le PHGO, contractualisation effec-
tive entre prestataires privés et associations locales ou conseil communal au Mali et
en Bolivie. On peut sans doute remarquer que la facilité avec laquelle ces contrac-
tualisations ont lieu et se perpétuent n’est pas étrangère à la logique de marché qui
les anime. La contractualisation d’une réelle délégation de gestion de l’État maurita-
nien aux concessionnaires privés relève d’une logique éminemment plus politique,
comme en témoigne la lenteur de l’évolution des pratiques.
En revanche, l’efficacité de ces contractualisations est parfois mise en doute : le
Pradem craint que les ONG ne répondent guère aux priorités énoncées dans le plan
de développement municipal, et surtout que les prestataires de services ne se subs-
tituent aux acteurs locaux dans leur rôle de décideurs. Le Fil constate que la qualité
variable des services privés rend quelquefois nécessaire un recours aux services
techniques de l’État, ce qui n’est pas sans conséquence pour la clarification des rô-
les du secteur public et privé : les services techniques peuvent-ils vendre des presta-
tions de services et en même temps assurer des missions de service public répon-
dant à l’intérêt général ?

Procédures et mécanismes de financement : vers une réduction des circuits


courts17 ?

• L’hétérogénéité des schémas d’investissement dans les services et équipements


publics locaux
Il apparaît dans les études de cas une relative hétérogénéité des mécanismes de
financement des équipements, infrastructures et services publics. Les études de cas
nous font part de trois cas de figure concernant le rôle du projet.
Première configuration, le projet n’a pas un rôle de financement des investisse-
ments mais un rôle de facilitateur par l’animation, la formation, le conseil. Le Pra-
dem et le programme Ashyr sont dans ce cas. En Mauritanie, les réseaux
d’adduction d’eau potable sont financés par l’État sur la base de financements bilaté-
raux ou multilatéraux. Le financement de l’entretien, par contre, est intégré dans le
coût de l’eau facturé aux usagers. En Bolivie, le gouvernement municipal finance les
aménagements publics. Ses ressources proviennent des impôts locaux, de l’aide

17
J.-D. Naudet (1999) définit les circuits courts comme la sélection par un intervenant des institutions,
groupes, individus et « idées » de la société bénéficiaire considérées comme les mieux à même de
constituer le support de son action.

28
Le développement local entre décentralisation et privatisation : réflexions à partir de cinq expériences

extérieure mais aussi, cas rare, d’une contribution du trésor public à hauteur de 20 %
si la municipalité a été en mesure de définir un plan de développement communal à
cinq ans.
Seconde configuration, les investissements publics sont financés par les or-
ganisations professionnelles du secteur et par l’aide extérieure, via ces organi-
sations, sans contribution des acteurs publics. C’est le cas du financement des mar-
chés à bétail en Guinée. L’entretien de l’infrastructure est censé être assuré par 5 %
des taxes prélevées.
Troisième configuration, les aménagements sont financés par l’aide extérieure et
les organisations d’usagers ou de producteurs à travers un cadre de concertation
créé à cet effet. C’est le cas du dispositif financier du Fil, mais aussi du cadre de
concertation départemental au Sénégal.
Ces schémas de financement laissent apparaître une tendance progressive –
sauf le cas du PHGO – à la réduction des circuits courts. Mais simultanément
s’amorce une évolution vers un transit privilégié ou exclusif de l’aide extérieure via
les collectivités décentralisées. La phase relais du Fil et le Pradem témoignent de
cette évolution, encore balbutiante dans ces cas mais qui risque de se généraliser
dans des pays comme le Mali sous la pression des bailleurs de fonds. Que le finan-
cement des infrastructures et services publics locaux transite par les communes
paraît justifié pour garantir le caractère public de ces investissements. En revanche,
que le financement de la production ou de l’organisation économique de la produc-
tion (tels la formation, les aménagements privés collectifs, l’appui aux organisations
professionnelles) transite par le budget communal est beaucoup plus problématique
pour une clarification et une tension dynamique entre secteur privé et secteur public.

• La difficile mobilisation des ressources locales pour financer le développement


local
Le constat général à l’ensemble des cas étudiés réside dans l’importance ou la
forte dominance de l’aide extérieure dans le financement du développement
local. Ce constat renvoie aux difficultés de mobilisation de ressources locales, no-
tamment en Bolivie quand la génération de revenus et d’emplois est faible locale-
ment. Dans les contextes malien et mauritanien, on peut s’interroger sur
l’instauration d’une fiscalité locale dans des économies de survie, face aux impayés
de l’administration, face aux faibles compétences des communes pour définir la tari-
fication et la taxation des équipements publics locaux. En Mauritanie, les conces-
sionnaires réclament l’augmentation du tarif de l’eau, mais la direction de
l’Hydraulique la refuse jusqu’à présent. Or, comment financer l’entretien et le fonc-
tionnement des équipements publics quand la fiscalité locale ne le permet pas ? Les
mécanismes de péréquation et de redistribution des ressources sont rares dans les
États cités, même s’ils ne sont pas complètement utopiques : le système des
« canons » au Pérou permet, par exemple, de répondre à cette contradiction. Ce
système consiste à reverser, sous forme d’investissements publics locaux, des

29
Traverses n° 11

quote-parts de rentrées fiscales de l’État central sur certaines activités extractives


(ressources pétrolières ou minières) utilisant fortement les ressources locales (hu-
maines, naturelles), mais n’entraînant pas de développement économique local en
raison de l’absence d’infrastructures ou de services locaux.18
En l’absence de tels mécanismes de péréquation, la question revient alors à dé-
terminer les conditions dans lesquelles le financement du développement local sur
des ressources provenant essentiellement de l’aide extérieure peut ne pas figer la
dépendance des acteurs locaux. Le refus du PHGO de financer des marchés à bé-
tail si la CRD n’obtempère pas sur une répartition des taxes entre les coordinations
d’éleveurs et son budget constitue par exemple un frein. Au Mali, l’absence de clarifi-
cation de l’utilisation future des fonds de subventions du Fil se traduit aujourd’hui par
une utilisation de ces fonds peu transparente, soumise à l’arbitraire des équipes at-
tributrices, ce qui est porteur de conflits et compromet leur renouvellement.

• Quel statut et quelle gestion des équipements publics financés ?


L’origine et les procédures de financement des investissements sont d’autant plus
importantes qu’elles influent sur le statut et sur l’entretien des équipements ou
des services financés. Le financement des marchés à bétail en Guinée par les orga-
nisations d’éleveurs et le projet pose la question du statut public ou privé de cette
infrastructure et de sa propriété. Le financement de l’entretien des infrastructures
publiques par des associations locales crée un risque d’appropriation privée de fait
de ces investissements, si le statut et les modalités de fonctionnement du service
n’ont pas été définis contractuellement. Des associations villageoises au Mali se
voient, par exemple, dans l’obligation de financer l’entretien des écoles.
Ce financement de la gestion des équipements et services publics locaux renvoie
aux modalités de répartition des taxes. L’expérience des marchés à bétail en Guinée
révèle le déficit de légitimité qu’ont les CRD à revendiquer la majeure partie (70 %)
des taxes d’utilisation d’infrastructures publiques qu’elles n’ont pas financées. Le
contrat de cogestion entre les CRD et les coordinations d’éleveurs prévoient que les
30 % de taxes restants soient répartis de la façon suivante : 25 % pour les coordina-
tions et 5 % à un comité d’entretien du marché. Or les 5 % alloués sont insuffisants à
assurer la maintenance et le renouvellement des infrastructures, car ils servent sur-
tout à rémunérer le travail de présence des membres du comité les jours de marché.
De plus, le contrat de cogestion ne spécifie pas clairement qui, des CRD ou des
coordinations, est responsable en cas de mauvais entretien du marché. Une déléga-
tion de gestion aurait peut-être eu le mérite d’être plus claire. Le cas mauritanien
souligne la faible compétence des communes pour définir une tarification des servi-
ces publics comme l’usage de l’eau potable des réseaux. Ce que mettent en cause
rapidement les usagers, les associations villageoises ou les organisations d’éleveurs

18
Coudassot S., 2000, Contribution au débat du GI, Cicda, Lima.

30
Le développement local entre décentralisation et privatisation : réflexions à partir de cinq expériences

dans ces expériences, c’est l’absence de transparence et la faible légitimité de l’État


ou des communes à gérer les équipements publics dans une optique d’utilité sociale
et d’intérêt général. Si les associations ne répondent pas forcément non plus à ces
critères, la « proximité » de la gestion issue de la nature de ces structures permet
sans doute à leurs membres une plus grande information et peut-être un relatif
contrôle sur les modalités de cette gestion.
Le PHGO soulève une question spécifique qui est celle du financement de
l’environnement de la production agricole. Le mécanisme de répartition des taxes
des marchés à bétail se traduit par un financement des organisations professionnel-
les d’éleveurs par le budget communal. Cette situation découle bien sûr du rapport
de forces qui a été induit par le financement externe de ces marchés. Même si l’on
admet ce principe, cet arrangement institutionnel est, dans le cas présent, au strict
avantage des organisations d’éleveurs et non de l’ensemble des organisations de
producteurs de la zone. En fait, il semble qu’il soit important de distinguer le finan-
cement de l’environnement économique de la production, c’est-à-dire les services
publics nécessaires aux filières, d’une part, et le financement de la production agri-
cole elle-même, qui n’apparaît pas faire partie des compétences communales d’autre
part.

POUR DES STRATEGIES INSTITUTIONNELLES CLARIFIEES EN MATIERE


DE DEVELOPPEMENT LOCAL

Adapter les démarches de développement local aux contextes sociopolitiques


locaux
Même si l’affirmation est triviale, cette étude comparative nous amène une fois de
plus à constater que l’efficacité de l’appui aux institutions qui produisent du dévelop-
pement local dépend très fortement des contextes sociopolitiques nationaux. En
Guinée, l’existence d’une volonté politique nationale de la direction de l’Élevage n’est
pas étrangère au renforcement rapide des organisations d’éleveurs et de leurs capa-
cités de négociation. Et les faiblesses du processus de décentralisation ont joué pour
beaucoup dans l’effectivité très variable des arrangements locaux, en fonction du
rapport de force entre coordinations et CRD. Au Mali, le dynamisme économique de
la zone cotonnière et celui du tissu associatif contribuent fortement à la réalité des
concertations entre associations villageoises et communes. L’importance du rôle de
l’État central en Mauritanie et la faiblesse du poids politique des communes détermi-
nent la prééminence du face-à-face entre concessionnaires privés et direction de
l’Hydraulique dans la gestion des réseaux d’adduction d’eau. La méfiance des orga-
nisations paysannes en Bolivie, liée à l’histoire très centralisée de l’État bolivien, se
traduit par une incertitude sur leur participation au projet de décentralisation.

31
Traverses n° 11

Un second enseignement est qu’il est nécessaire pour les projets de prendre en
compte la nature éminemment politique des communes, à savoir des acteurs
avec des logiques partisanes et politiciennes fortes. Une nette différence est à établir
entre la légitimité démocratique des communes, liée à leur élection, et la légitimité
sociale (si elle est réelle) ou technique des associations villageoises ou des organi-
sations professionnelles de producteurs. Cette différence doit concrètement
s’exprimer dans la nature des appuis portés à ces institutions : autrement dit, un
projet ne peut pas travailler avec une commune comme s’il s’agissait d’une autre
organisation locale. Il doit prendre en compte sa nature et ses logiques spécifiques :
mission de service public sur son territoire, responsabilités et prérogatives légales
mais aussi politique locale raisonnée en fonction des échéances et des allégeances
électorales. Ce qui ne signifie pas que le projet doit se soumettre aux logiques politi-
ciennes ou clientélistes – si elles sont avérées – des communes.
La réflexion menée montre que cette prise en compte du contexte ne se raisonne
pas de la même manière en fonction de l’objet des projets. Cette différence
s’exprime entre les projets sectoriels à entrée technique et les projets d’appui aux
initiatives locales dans la conduite du projet19. Les projets à entrée technique
s’appuient sur des demandes précises des paysans, des éleveurs, des concession-
naires et la préoccupation institutionnelle n’est pas forcément introduite d’emblée. Le
piège est que cette entrée technique peut enfermer le projet, qui a à gérer une ten-
sion entre la demande qu’exprime le groupe d’acteurs prédéterminé par l’entrée
technique et ce qu’il souhaite contribuer à mettre en place.
Enfin, les projets doivent s’interroger sur leur propre position dans les contextes
où ils interviennent. En dehors des choix d’alliances qu’ils font, ils occupent aux yeux
des autres acteurs une position liée à leur commanditaire et à leurs bailleurs. On
constate d’ailleurs que cette question sur ce que sont et ce que portent les projets
est peu abordée dans les études de cas.

Façonner à la marge l’existant n’empêche pas au besoin l’innovation


institutionnelle
La prise en compte des contextes sociopolitiques locaux, l’inscription des inter-
ventions dans le projet politique de la décentralisation, leur engagement dans
l’évolution du rapport de forces entre organisations rurales et État doit aussi se tra-
duire, pour les projets, par la mise en place et l’appui à des relations institutionna-
lisées entre les acteurs privés, individuels et collectifs, et les acteurs publics, com-
munes et services déconcentrés. Les expériences soulignent l’importance des mé-
canismes de négociation et de contractualisation car ceux-ci contribuent à reposi-
tionner chacun des acteurs et à clarifier leurs rôles respectifs. La contractualisation

19
Freudiger P., Jacob J.-P. et Naudet J.-D., Stratégies et instruments du développement à l’échelle
locale, Traverses, n°4, février 1999, 24 p.

32
Le développement local entre décentralisation et privatisation : réflexions à partir de cinq expériences

de prestations de services oblige à définir qui sont les porteurs de projets, qui a la
maîtrise d’ouvrage, quel est le rôle des services techniques déconcentrés, quelles
sont les obligations des prestataires de services privés. C’est certainement par cette
construction institutionnelle lente, sur des enjeux précis et des réalisations concrètes,
que pourront émerger une vision commune du développement et un espace public
local.
Cette construction institutionnelle d’une articulation passe aussi par un appui des
projets à la clarification des règles du jeu, sur l'utilisation des fonds d'investisse-
ments, l'utilisation d'infrastructures relatives à la gestion des ressources naturelles, le
financement de l'entretien des infrastructures. L’efficacité des appuis est à ce prix,
sinon apparaît le risque que quelques acteurs privilégiés contrôlent l’usage des fonds
initialement constitués, l’accès aux équipements et leur usage, et les services finan-
cés. Ce travail sur les règles doit s’accompagner aussi d’une définition des modalités
d’application et de sanction des règles. C’est sans doute plus facile à dire qu’à faire,
dans des contextes où l’État ne remplit qu’imparfaitement son rôle d’arbitre.
L’attention portée par le programme Ashyr sur les impayés de l’administration cons-
titue là une première étape dans ce processus.
Un des éléments importants pour construire cette articulation, définir ces règles et
leur respect est la place des usagers à penser et à définir dans les dispositifs de
concertation. Leur présence est cruciale pour apprécier la qualité et l’accessibilité
des services et équipements mis en place, notamment si les communes ne peuvent
remplir ce rôle immédiatement, parce que leur légitimité est en construction.
L’expérience du Fil montre que cette implication des usagers ne peut se réduire à
l’implication des associations villageoises. Bien que le projet ait été sensible par
exemple aux rôles spécifiques des femmes, les choix d’investissements dans les
aménagements n’ont pas été raisonnés en fonction de leurs intérêts. Il s’agit donc
sur chaque type de service ou d’infrastructure d’identifier les usagers et les méca-
nismes d’exclusion, pour dégager un espace où ces intérêts puissent être entendus.
Cela amène à réitérer l’importance de l’évaluation de l'efficacité et de la perti-
nence des dispositifs de concertation mis en œuvre. Mesurer l’évolution des prati-
ques de négociation des différents acteurs, évaluer la correspondance entre les ser-
vices et équipements financés et les intérêts des usagers passent forcément, comme
le soulignent l’étude du programme Ashyr ou celle du PHGO, par la mise en place
d'indicateurs de suivi, par une analyse des enjeux institutionnels locaux mais
aussi des rapports de force nationaux. Et ces outils de pilotage valent tout autant
pour les projets sectoriels, qui risquent de s’enfermer dans leur entrée technique,
que pour les projets d’appui aux initiatives locales qui ne peuvent faire l’économie
d’une analyse permanente des modifications institutionnelles qu’ils accompagnent.

La médiation à quelles conditions ?


Le rôle de médiation joué par les projets dans les négociations entre les différents
acteurs a été fortement évoqué tout au long de cette analyse. L’ambiguïté de ce

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Traverses n° 11

rôle est réelle quand la démarche du projet s’appuie sur un choix politique clair en
faveur de l’un des acteurs, par exemple les paysans face aux élus locaux. Il importe
que les projets s’interrogent sur la nature de leur articulation avec les forces sociales
qu’ils appuient. Entre des acteurs de nature si différente que peuvent l’être les
agents d'un projet et des paysans boliviens ou sahéliens, peut-il s’agir d’une option
militante ou n’est-on pas plutôt en présence d’une alliance nécessaire pour qu’il y ait
véritablement un développement local, certes, mais qui se situe inévitablement dans
le jeu des rapports sociaux à différents niveaux ?
Ce rôle de médiation est légitimé dans les cas étudiés par l’expertise technique
dont est porteur le projet. Si cette légitimité technique est réelle sur des dispositifs
de gestion du service de l’eau en Mauritanie, s’avère-t-elle suffisante face à des en-
jeux politiques forts comme le foncier en Bolivie ?
Outre la légitimité, c’est aussi la durée des projets qui est ici en cause pour as-
surer l’efficacité et la pérennisation de cette fonction de médiation ou de « passeur ».
C’est également la durée qui est nécessaire pour pérenniser des pratiques et des
dispositifs de concertation, dans des contextes politiques de résistances d’acteurs de
l’État central, pour décentraliser et réorienter ses fonctions ; dans des contextes de
légitimité balbutiante des communes pour assumer leurs missions de services pu-
blics ; dans des contextes enfin de méfiance des organisations locales vis-à-vis des
acteurs publics. Et c’est enfin la durée qui permettra d’intégrer ce coût
d’intermédiation dans le fonctionnement des services rendus aux populations, ainsi
que de viabiliser économiquement ce rôle de médiation.
Il y a sur ce problème du temps une double interpellation nécessaire des bailleurs
de fonds : sur la durée suffisante des financements et sur la nature des résultats
attendus avec des indicateurs d’évaluation pertinents. On ne mesure pas de la
même façon ni avec les mêmes moyens la réalisation d’investissements, la cons-
truction institutionnelle et la dynamique des rapports sociaux.
Dans de tels contextes, les projets ont d’autant plus besoin d’identifier des per-
sonnes qui jouent ce rôle de médiateurs et d’intermédiaires dans les arènes lo-
cales, et de recourir à elles. Mais il faut être prudent sur le rôle de médiation de ces
personnages clés20. Leur médiation est généralement indexée socialement et ils ne
peuvent se voir investis d’une représentation de l’intérêt commun. Ils ne peuvent
surtout être investis d’une fonction d’arbitrage.
Et c’est bien là qu’est le hic principal. Car seul l’État peut, en théorie, jouer ce
rôle d’arbitrage face à des enjeux politiques qui dépassent les intervenants exté-
rieurs et qui influencent forcément la position des médiateurs ou des passeurs lo-
caux. Là encore, les recommandations ne peuvent qu’être modestes. Les projets ne

20
Voir notamment Bierschenk T., Chauveau J.-P., Olivier de Sardan J.-P. (dir), 2000, Courtiers en dé-
veloppement, Karthala-Apad, Paris, 328 p.

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Le développement local entre décentralisation et privatisation : réflexions à partir de cinq expériences

peuvent que contribuer à souligner au cas par cas – sur les impayés de
l’administration, sur l’usage de l’eau, sur les choix d’investissements dans un marché
à bétail, etc. – cette nécessité, pour l’État et ses instances déconcentrées, à faire
respecter les règles définies par les acteurs des dispositifs de concertation locaux et
à effectuer des choix relevant de l’intérêt de tous.

Prendre en compte les enjeux politiques des mécanismes de financement du


développement
Enfin, s’il est bien un domaine où les projets ne peuvent renoncer à une analyse
des enjeux institutionnels et politiques, c’est celui des mécanismes de financement
du développement qu’ils contribuent à mettre en œuvre.
D’une part, les projets ne peuvent continuer à financer des infrastructures et des
services publics locaux à travers des structures privées locales, organisations pro-
fessionnelles ou associations villageoises, comme si les communes n’existaient pas.
L’exemple du financement des marchés à bétail en Guinée montre qu’une telle réali-
sation est trop porteuse de risques pour le statut public du marché, sa maintenance,
l’accessibilité même de ces marchés aux éleveurs non membres de groupements.
D’autre part, face à une tendance à l’orientation exclusive de l’aide extérieure aux
communes, les projets doivent souligner les risques d’un contrôle politique des ac-
teurs privés locaux par les élus, que comporte ce mécanisme.
Ainsi, il s’agit concrètement de clarifier, dans le financement de leurs appuis, ce
qui relève d’un service ou d’une infrastructure publique locale de ce qui relève du
financement de la production ou du renforcement d’un acteur privé. Dans le premier
cas, le mécanisme doit s’appuyer sur le budget communal : cela n’exclut pas la parti-
cipation financière d’acteurs privés, mais celle-ci requiert une contractualisation re-
posant de préférence sur le principe d’une délégation de gestion où sont précisés le
statut du service, la propriété de l’infrastructure et les responsabilités des cocontrac-
tants. Dans le second cas, le mécanisme de financement de la production ou l’appui
à un acteur privé doivent se démarquer des structures publiques, autant des instan-
ces décentralisées que des services techniques ou de l’État central.
Cette clarification devrait s’accompagner d’une orientation de l’aide extérieure à la
définition et à la mise en œuvre de politiques publiques intermédiaires. La cons-
titution d’un tel tissu institutionnel intermédiaire pourrait bien être la priorité des politi-
ques de coopération, pour l’instant très orientées vers le soutien du pouvoir commu-
nal ou la réforme de l’État central. L’expérience du cadre de concertation départe-
mental au Sénégal est peut-être une première étape dans la construction de ces
politiques intermédiaires. Cette construction devra toutefois être vigilante vis-à-vis
des risques de recentralisation issus de ces mécanismes de concertation à des
échelles supérieures.
Ce texte propose un état des lieux provisoire à partir d’un nombre d’exemples li-
mité. De nombreuses démarches de développement local sont en cours dans des

35
Traverses n° 11

contextes régionaux ou nationaux très différents et obéissent à des logiques multi-


ples : certaines partent de la conviction que seules les dynamiques sociales parta-
gées sont porteuses de développement, d’autres sont à la recherche de modèles
magiques… Il nous paraît nécessaire de continuer à en faire l’inventaire et l’analyse,
afin d’en déchiffrer aussi bien les axes moteurs que les limites et les dérives
possibles.

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Le développement local entre décentralisation et privatisation : réflexions à partir de cinq expériences

Bibliographie sélective

Études de cas réalisées pour ce travail de capitalisation


Ciepac, 2000, La coopération décentralisée au Sénégal entre le département de
Bignana et le département de l’Aube, 6 p.
Gret, 2000, La gestion des réseaux d’adduction d’eau en Mauritanie, 7 p.
Iram, 2000, Le Fonds d’investissement local de Sikasso, 16 p.
Pradem-Cicda, 2000, Décentralisation, participation populaire et développement lo-
cal en Bolivie : Le cas du projet d’appui à la démocratisation de Tomina, 15 p.
VSF/Camel, 2000, Le Projet Haute Guinée Ouest : analyse de l’action du projet dans
le cadre de la privatisation des services de l’État en santé animale et de la décentra-
lisation de la gestion des marchés à bétail, 14 p.

Autres références
Bayart J.-F., 2001, « Le pidgin de la société civile », Alternatives économiques,
n° 190, 13. p.
Blundo G., 2000, « Élus locaux et courtiers en développement au Sénégal : trajectoi-
res politiques, modes de légitimation et stratégies d’alliance », in Bierschenk T. et al
dir, Courtiers en développement, Karthala-Apad, Paris, pp. 71-100.
Carlier R., 2000, Concessionnaire de réseaux d’adduction d’eau potable, naissance
d’un métier, Traverses n° 9, Gret, 26 p.
Coordination Sud, 2000, Décentralisation et développement local au Sud : quels ap-
puis les ONG françaises peuvent-elles apporter à cette dynamique ?, compte-rendu
de l’atelier 1, 5 p.
Coudassot S., 2000, Contribution à la réflexion du Groupe initiatives, Lima, 4 p.
Di Meo G., 1996, Le retour des territoires, colloque « La fin des territoires ou diversi-
fication des territorialités », 12 p.
Naudet J.-D., 1999, Trouver des problèmes aux solutions, OCDE.
Raffestin C., 1996, Territoires, territorialités et argent, colloque « La fin des territoires
ou diversification des territorialités », 12 p.
Tassin E., 1997, « Qu’est-ce qu’un sujet politique : remarques sur les notions
d’identité et d’action », Esprit, mars-avril, pp. 132-150.
Winter G., (coord.), 2001, Inégalités et politiques publiques en Afrique : pluralité des
normes et jeux d’acteurs, Karthala-IRD, Paris, 452 p.

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Traverses n° 1 Création, appui, renforcement d’opérateurs intermédiaires.
Synthèse du séminaire interne du Gret sur les opérateurs intermédiaires.
Par Philippe Lavigne Delville, Gret (décembre 1997).
Traverses n° 2 Dispositifs d’appui aux petites entreprises en Afrique. Évolution historique et
défis actuels. Par Michel Botzung, Gret (avril 1998).
Traverses n° 3 Institutionnalisation des réseaux d’épargne-crédit : une construction
sociale à concerter. Études de cas en Guinée et au Bénin.
Par François Doligez, Iram (janvier 1999).
Traverses n° 4 Stratégies et instruments du développement à l’échelle locale.
Examen comparatif à partir du cas burkinabè. Par Patrick Freudiger,
Jean-Pierre Jacob et Jean-David Naudet (février 1999).
Traverses n° 5 Comment allier efficacité technico-économique et efficacité sociale ?
Enseignements d’un projet en santé animale au Cambodge.
Par Diane Intartaglia, VSF (juillet 1999).
Traverses n° 6 Renégocier les règles collectives en irrigation. Autour de l’intervention
de Cicda à Urcuqui (Équateur). Par Frédéric Appolin et Xavier Peyrache, Cicda
et par Philippe Lavigne Delville, Gret (juillet 1999).
Traverses n° 7 La coopération décentralisée, légitimer un espace public local au Sud et à l’Est.
Par Bernard Husson, Ciedel (juillet 2000).
Traverses n° 8 Des instances paritaires pour gérer des ressources communes ? Deux expériences
de gestion paritaire des ressources pastorales (Tchad oriental, Guinée maritime).
Par Véronique Barraud, Sékou Bérété, Diane Intartaglia, VSF (octobre 2000).
Traverses n° 9 Concessionnaire de réseaux d’adduction d’eau potable, naissance d’un métier.
Gestion de réseaux d’adduction d’eau potable en République islamique de
Mauritanie. Par Rodolphe Carlier, Gret (avril 2001).
Traverses n° 10 Les associations villageoises de migrants dans le développement communal :
un nécessaire repositionnement ? Élus, associations locales, associations de
migrants en région de Kayes (Mali). Par Éric Force, GRDR (octobre 2001).
Traverses n° 11 Le développement local entre décentralisation et privatisation : réflexions à
partir de cinq expériences (Afrique de l’Ouest, Bolivie). Par le Groupe Initiatives
[synthèse réalisée par Diane Intartaglia et Annette Corrèze] (janvier 2002).

Comment mettre en oeuvre des services durables aux populations ? Comment
construire et pérenniser des dispositifs d'appui qui sachent répondre à la de-
mande ? Comment appuyer sans étouffer des organisations locales et des opé-
rateurs techniques ? Quelles méthodes et quels savoir-faire pour que l'idéal d'un
développement qui met les populations au coeur de l'intervention ne soit pas
qu'un discours incantatoire ?
Longtemps négligées du fait de la polarisation sur les réalisations concrètes,
les dimensions institutionnelles du développement apparaissent aujourd'hui
comme un enjeu majeur. Loin de l'image idyllique d'un développement consen-
suel, les opérations de développement suscitent des jeux d'acteurs complexes
qu'il faut être capable de comprendre et de prendre en compte. Au-delà des
discours et des principes, il faut savoir discuter de la « cuisine » de l'inter-
vention. Au service des intervenants de développement, la série Traverses veut
contribuer au débat stratégique et méthodologique sur ces questions, avec
une approche transversale aux différents champs d'intervention. Elle accueille
des documents de travail, issus de littérature grise ou de capitalisation d'expé-
rience, qui offrent un intérêt particulier en termes d’analyse et/ou de méthode
à partir d’expériences de terrain.

La série Traverses est éditée par le Groupe Initiatives, qui rassemble sept organisations
françaises de coopération internationale, partageant une ambition commune pour un dévelop-
pement au service des acteurs locaux, dans une logique de recherche-action et de renforcement
institutionnel. Les textes sont choisis et validés par un comité éditorial, composé de représentants
des organismes membres du Groupe Initiatives : Diane Intartaglia (Camel), Frédéric Apollin
(Cicda), Christophe Mestre (Ciedel-Rafod), Éric Force (GRDR), Sophie Lewandowski (VSF), et
animé par Philippe Lavigne Delville (Gret) et François Doligez (Iram).

Les numéros de Traverses sont diffusés via le site Web du GRET (http://www.gret.org,
liens/groupe Initiatives/Traverses, ou www.gret.org, ressources en ligne/Traverses).

45 bis avenue de la Belle Gabrielle


F-94736 Nogent-sur-Marne Cedex
Tél. 01 43 94 72 01
Fax 01 43 94 72 17
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