Le Développement Local Entre
Le Développement Local Entre
Le Développement Local Entre
Groupe Initiatives
(Synthèse réalisée par Diane Intartaglia et Annette Corrèze)
janvier 2002
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Les cinq études de cas rédigés à cette occasion sont les suivantes :
■ PAIMBOUR S., 2000, La gestion décentralisée au Sénégal entre le
département de Bignona et le département de l’Aude, Ciepac, 6 p.
■ CARLIER R., 2000, La gestion des réseaux d’adduction d’eau en
Mauritanie, Gret, 7 p.
■ DEMANTE M.-J., 2000, Le Fonds d’investissement local de Sikasso, Iram,
16 p.
■ DESNOYERS F. et LAFAY V., 2000, Décentralisation, participation
populaire et développement local en Bolivie : le cas du projet d’appui
à la démocratisation de Tomina, Cicda, 15 p.
■ BOUY M., 2000, Le projet Haute Guinée Ouest : analyse de l’action
du projet dans la cadre de la privatisation des services de l’État en santé
animale et de la décentralisation de la gestion des marchés du bétail,
VSF/Camel, 14 p.
Le développement local entre décentralisation et privatisation : réflexions à partir de cinq expériences
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Traverses n° 11
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Le terme « institutions » est entendu au sens large, comme l’ensemble des règles formelles et infor-
melles organisant l’accès aux ressources et l’ensemble des normes, des dispositifs, des procédures et
des organisations qui assurent le respect et la légitimité de ces règles.
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Le développement local entre décentralisation et privatisation : réflexions à partir de cinq expériences
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La décentralisation a commencé au Sénégal, par exemple, en 1972.
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quelques acteurs politiques clés et des résistances de l’appareil d’État face à ce qui
est vu comme une perte de pouvoir et de rente.
En second lieu, décentralisation et démocratisation (au sens de répartition des
pouvoirs) ne sont pas souvent synonymes dans les processus à l’œuvre. La décen-
tralisation a tendance au Sénégal à délocaliser la lutte pour l’accès aux ressources et
à réactiver des réseaux clientélistes locaux. Au Mali, les expériences du Fonds
d’investissement local3 soulignent, dans un contexte de prédécentralisation, les ten-
tatives de récupération d’initiatives locales par des réseaux de notables. La décen-
tralisation dans la plupart des pays concernés par l’étude ouvre des portes, mais
apparaît aussi comme un leurre dans la mesure où elle ne répartit que peu de res-
sources financières ou qu’elle ne met à la disposition des acteurs locaux que des
services techniques dévitalisés.
En troisième lieu, la taille des communes peut constituer un critère
d’interprétation de la nature des processus. Les modalités du découpage communal
– défini « d’en haut » en Guinée ou confié aux populations locales au Mali – nous
renseignent sur l’objectif que donne l’État à la décentralisation. Si le territoire com-
munal est appelé à devenir le territoire du développement local, la notion de viabilité
économique entre en jeu dans le découpage, notamment en termes de nature et
d’effectivité des services rendus localement.
Enfin, la décentralisation peut aussi être lue comme l’imposition de nouvelles
normes « modernes » face à des formes d’organisations sociospatiales plus ancien-
nes. Cette imposition fait naître en Bolivie une confrontation et une superposition
d’institutions (les communes, les organisations territoriales indigènes de base), mais
elle permet aussi une possibilité de reconnaissance de ces organisations et la possi-
bilité d’amorcer la construction d’un espace public local.
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Fil : dispositif d’appui financier à la gestion des terroirs et au développement local à Sikasso.
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Le développement local entre décentralisation et privatisation : réflexions à partir de cinq expériences
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Les politiques intermédiaires sont au point de rencontre du micro et du macro. Elles permettent la
réintroduction d’acteurs collectifs dans la définition des politiques publiques. Elles favorisent la constitu-
tion avec les pouvoirs publics centraux et locaux, et parfois avec les bailleurs, d’instances de négocia-
tion, d’arbitrage et de régulation contractuelle, permettant aux nouveaux acteurs collectifs de contribuer
aux décisions politiques et à la gestion locale (Groupe de travail IRD/Gret, Pour des politiques publiques
de lutte contre la pauvreté et les inégalités, janvier 2000).
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Traverses n° 11
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Source : La gestion des réseaux d’adduction d’eau en Mauritanie et entretiens complémentaires.
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Deux projets financés par la Caisse française de développement, au tout début des années 90, ont
équipé, entre autres, des chefs-lieux de Mougathaa (département).
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tion (de privatisation ?) : paiement irrégulier des taxes, pas de recours aux bases
locales de maintenance publique. Quant aux usagers, ils sont passifs et les
consommateurs issus du secteur public ne paient pas leurs factures d'eau.
L'appui à une dizaine de réseaux proposé par le Gret s'est concentré sur la for-
mation des gestionnaires de réseau : formations techniques (diagnostic des pannes
sur les groupes électrogènes, apprentissage de réalisation de branchements privés
et de repérages des fuites, mais aussi formation des opérateurs du réseau. Des for-
mations en comptabilité et gestion ont aussi été mises en place pour renforcer la
capacité des opérateurs à produire des synthèses et à les analyser comme sources
de diagnostic économique et technique du réseau.
Un autre mode d'appui consistait à réunir les concessionnaires autour de certains
problèmes liés à leur fonction. Les échanges sur la maintenance, la tarification, la
constitution d'un GIE, l'approfondissement des connaissances des concessionnaires
ont contribué à renforcer leur compétence et la vision globale de leur rôle.
Le programme a également assuré une fonction d'ingénierie sociale dans le
cadre de l'extension et de la création de nouveaux réseaux, en impliquant en amont
les communes et les futurs usagers. Ces derniers ont pu participer, non seulement
financièrement à la construction des réseaux, mais aussi au choix de l'emplacement
des bornes et à la négociation tarifaire. La sollicitation de contribution des usagers se
situait dans une logique de mise en place d'un code des investissements7. Le Gret a
fait des propositions à l'échelle centrale de l'Hydraulique sur la base de critères tech-
niques et d’un plan de remboursement des crédits.
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Le financement des infrastructures ne vient pas de la fiscalité mais de financements externes.
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• Contexte
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8
Source : Le fonds d’investissement local de Sikasso, étude de cas de l’Iram.
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Dispositif de financement
du Fonds d'investissement local Cellule légère de
gestion
Phase relais
Gère le fonds, élabore les
modules de formation, suit et
évalue
Forum
Niveau cercle
Un élu par commune et
un représentant par CCD
Participe Participe
Conseil
Associations communal
APE, Asaco, AV, CAI, Zaer… Participe Valide et suit la mise en
Analysent l'action envisagée, œuvre du plan de
montent le dossier de demande de développement communal,
financement, gèrent la subvention Concertation monte les dossiers de
octroyée, lancent les appels demande de financement,
d’offres, suivent les chantiers gère la subvention octroyée,
lance les appels d’offres, suit
les chantiers
Participe Anime
Commission
communale de
développement Contractualisation
Contractualisation
Diagnostic, plan de
développement communal,
mobilisation des partenaires, suivi
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Le développement local entre décentralisation et privatisation : réflexions à partir de cinq expériences
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Comité d’attribution intervillageois : constitués sur la base de la représentation de chaque village mem-
bre, ils assurent la prise de décision de financement des dossiers présentés par les villages porteurs
d’un projet d’investissement. Ils suivent la bonne exécution des contrats et le respect des engagements
des villageois.
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• Le contexte du projet
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La région est caractérisée par des systèmes de production mixtes : cultures vivriè-
res et de rente et élevage jouant d'abord un rôle d'épargne, justifiant l'intérêt des
paysans pour des actions techniques en santé animale qui ont été « l'entrée » du
projet.
10
Source : Analyse de l’action du projet dans le cadre de la privatisation des services de l’État en santé
animale et de la décentralisation de la gestion des marchés à bétail, étude de cas Camel-VSF.
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Source : Contribution du Ciepac.
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local, en privilégiant une élaboration et une gestion contractuelle partagée entre tous
les acteurs au sein de structures de concertation à différents niveaux.
• Le contexte du projet
La décentralisation est une réalité déjà ancienne au Sénégal, surtout en ce qui
concerne les communes urbaines. Les communautés rurales ont été mises en place
progressivement dans les régions. Ce processus s'est étalé dans le temps. Le pro-
gramme est réalisé dans le département de Mbour, dans le cadre d'une coopération
avec le département français de l'Aube, en cofinancement avec le ministère français
des Affaires étrangères et avec l’apport d’autres cofinancements sur des program-
mes spécifiques.
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Planification du développement local, rôle des organisations paysannes par rapport aux élus et à
l'État, techniques d'animation dans le cadre de démarches participatives.
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Lancement d'un journal d'information, et initiation d'une collection intitulée Que Savoir qui vise à for-
mer les acteurs du développement local pour une meilleure compréhension de leur environnement
économique et politique.
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Le développement local entre décentralisation et privatisation : réflexions à partir de cinq expériences
• La décentralisation bolivienne
Diverses lois ont été promues à partir de 1994 : loi de participation populaire, loi
de décentralisation administrative (1995) et loi des municipalités (1999). Elles ont
entraîné des transformations structurelles qui, dans une certaine mesure, ont permis
de décentraliser le pouvoir politique ; de répartir plus équitablement les ressources
fiscales au bénéfice des régions marginales et des aires rurales ; de donner une plus
grande capacité de décision aux préfectures et aux mairies ; de créer des conditions
favorables à une croissante participation sociale dans la gestion publique ; de redéfi-
nir les rôles des institutions et de mieux contrôler les diverses populations présentes
sur le territoire national.
L'originalité de la décentralisation bolivienne réside dans le fait qu'elle reconnaît la
multiplicité des institutions pouvant gérer, répartir et contrôler des ressources (finan-
cières, matérielles et humaines). Dans ce cadre, la municipalité, produit de cette dé-
centralisation, constitue officiellement l'unité territoriale de base de planification,
d’exécution de politiques et de gestion publique, prise en charge et contrôlée par des
représentants élus de la population locale. Elle constitue à ce titre, théoriquement,
l´espace privilégié de participation sociale et de concertation locale. La première
question qui se pose alors est de savoir quelles sont les modalités de participation et
de concertation, quand on sait que l’État se désengage à travers elle de certaines de
ses attributions traditionnelles fondatrices (éducation, voirie, infrastructures hydrauli-
ques, santé publique), supposant ainsi une responsabilisation croissante de la po-
pulation et de ses représentants dans ces fonctions.
Cette redéfinition théorique de la société civile et de ses attributions présente des
limites : les différents décrets de la décentralisation et de la participation populaire ne
proposent pas d'instruments pour renforcer les capacités locales de gestion (déficit
de ressources humaines, techniques et institutionnelles, persistance du clientélisme
et de la corruption). De plus, même si l'usage des ressources municipales est dé-
sormais soumis à un contrôle assuré par un comité de vigilance élu, aucun décret ne
fait état des mécanismes de financement et d'évaluation de son fonctionnement. Les
investissements municipaux répondent d'ailleurs surtout à la conjoncture et aux ur-
gences. Enfin, l'organisation politique et administrative proposée par l'État ne corres-
pond pas forcément aux conceptions locales. Celles-ci se fondent sur une intégration
sociale à la collectivité fondamentalement culturelle et non pas politique ; sur un res-
pect des autorités – assumées de manière rotative – qui ne prennent de décisions
qu'après avoir consulté l'ensemble de la population ; sur des logiques de gestion des
ressources naturelles bien plus complexes qu'une simple relation d'intérêt et de bé-
néfices individuels ; enfin sur la détention collective de la terre. N'oublions pas que la
loi de participation populaire n'est pas issue d'un consensus social mais de la crainte
justifiée d'un émiettement du pays en plusieurs nations « ethniques ». De fait, on
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Le développement local entre décentralisation et privatisation : réflexions à partir de cinq expériences
L’examen, dans les études de cas, des schémas de relations que les projets ap-
puient entre les différents acteurs, doit nous permettre de caractériser le rôle que
jouent les projets dans la clarification des institutions (règles et dispositifs) qui
« produisent » du développement local.
• Appui aux acteurs privés et prise en compte progressive du rôle des communes
D’une manière générale, les projets appuient l’émergence et le renforcement
de la position des acteurs privés, opérateurs économiques, prestataires de servi-
ces, organisations paysannes. Le PHGO en Guinée a financé l’installation d’un vété-
rinaire privé, la création de groupements d’éleveurs et l’émergence d’auxiliaires
d’élevage. Il s’est inscrit ainsi clairement dans le processus de privatisation des ser-
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Nous considérons bien entendu ici les acteurs privés individuels et collectifs.
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Communautés rurales de développement.
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Nature, efficacité et pérennité des espaces de concertation mis en place par les
projets
Si les projets influencent l’évolution des normes et des règles, quels sont les dis-
positifs qu’ils mettent en œuvre et qu’ils accompagnent à cet effet, et quelle est leur
efficacité ? C’est sur cet aspect que nous interrogeons ici les études de cas.
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Le développement local entre décentralisation et privatisation : réflexions à partir de cinq expériences
communaux ont affiché leur souhait d’une plus grande collaboration et d’une plus
grande transparence dans la gestion des réseaux. Le PHGO a organisé la participa-
tion des groupements d’éleveurs de Haute Guinée à une rencontre nationale sur le
statut des auxiliaires d’élevage. La mise à plat des enjeux entre les éleveurs formés
et l’Ordre des vétérinaires a conduit les groupements d’éleveurs à se doter de coor-
dinations sous-préfectorales. L’objectif des éleveurs était de construire progressive-
ment une représentation politique permettant la défense de leurs intérêts.
D’autre part, les projets sont à l’origine de négociations ponctuelles portant sur
des questions précises : sur les compétences et le cahier des charges des
concessionnaires en Mauritanie, sur le financement de marchés à bétail en Guinée. Il
faut souligner toutefois que le risque de ces espaces ponctuels réside dans la faible
représentation ou l’absence d’usagers des services et infrastructures concernés par
la négociation.
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Associations villageoises : structures d’organisation collective permettant une gestion commune des
recettes provenant du coton (ristournes hors rémunération des producteurs).
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J.-D. Naudet (1999) définit les circuits courts comme la sélection par un intervenant des institutions,
groupes, individus et « idées » de la société bénéficiaire considérées comme les mieux à même de
constituer le support de son action.
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Le développement local entre décentralisation et privatisation : réflexions à partir de cinq expériences
extérieure mais aussi, cas rare, d’une contribution du trésor public à hauteur de 20 %
si la municipalité a été en mesure de définir un plan de développement communal à
cinq ans.
Seconde configuration, les investissements publics sont financés par les or-
ganisations professionnelles du secteur et par l’aide extérieure, via ces organi-
sations, sans contribution des acteurs publics. C’est le cas du financement des mar-
chés à bétail en Guinée. L’entretien de l’infrastructure est censé être assuré par 5 %
des taxes prélevées.
Troisième configuration, les aménagements sont financés par l’aide extérieure et
les organisations d’usagers ou de producteurs à travers un cadre de concertation
créé à cet effet. C’est le cas du dispositif financier du Fil, mais aussi du cadre de
concertation départemental au Sénégal.
Ces schémas de financement laissent apparaître une tendance progressive –
sauf le cas du PHGO – à la réduction des circuits courts. Mais simultanément
s’amorce une évolution vers un transit privilégié ou exclusif de l’aide extérieure via
les collectivités décentralisées. La phase relais du Fil et le Pradem témoignent de
cette évolution, encore balbutiante dans ces cas mais qui risque de se généraliser
dans des pays comme le Mali sous la pression des bailleurs de fonds. Que le finan-
cement des infrastructures et services publics locaux transite par les communes
paraît justifié pour garantir le caractère public de ces investissements. En revanche,
que le financement de la production ou de l’organisation économique de la produc-
tion (tels la formation, les aménagements privés collectifs, l’appui aux organisations
professionnelles) transite par le budget communal est beaucoup plus problématique
pour une clarification et une tension dynamique entre secteur privé et secteur public.
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Coudassot S., 2000, Contribution au débat du GI, Cicda, Lima.
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Un second enseignement est qu’il est nécessaire pour les projets de prendre en
compte la nature éminemment politique des communes, à savoir des acteurs
avec des logiques partisanes et politiciennes fortes. Une nette différence est à établir
entre la légitimité démocratique des communes, liée à leur élection, et la légitimité
sociale (si elle est réelle) ou technique des associations villageoises ou des organi-
sations professionnelles de producteurs. Cette différence doit concrètement
s’exprimer dans la nature des appuis portés à ces institutions : autrement dit, un
projet ne peut pas travailler avec une commune comme s’il s’agissait d’une autre
organisation locale. Il doit prendre en compte sa nature et ses logiques spécifiques :
mission de service public sur son territoire, responsabilités et prérogatives légales
mais aussi politique locale raisonnée en fonction des échéances et des allégeances
électorales. Ce qui ne signifie pas que le projet doit se soumettre aux logiques politi-
ciennes ou clientélistes – si elles sont avérées – des communes.
La réflexion menée montre que cette prise en compte du contexte ne se raisonne
pas de la même manière en fonction de l’objet des projets. Cette différence
s’exprime entre les projets sectoriels à entrée technique et les projets d’appui aux
initiatives locales dans la conduite du projet19. Les projets à entrée technique
s’appuient sur des demandes précises des paysans, des éleveurs, des concession-
naires et la préoccupation institutionnelle n’est pas forcément introduite d’emblée. Le
piège est que cette entrée technique peut enfermer le projet, qui a à gérer une ten-
sion entre la demande qu’exprime le groupe d’acteurs prédéterminé par l’entrée
technique et ce qu’il souhaite contribuer à mettre en place.
Enfin, les projets doivent s’interroger sur leur propre position dans les contextes
où ils interviennent. En dehors des choix d’alliances qu’ils font, ils occupent aux yeux
des autres acteurs une position liée à leur commanditaire et à leurs bailleurs. On
constate d’ailleurs que cette question sur ce que sont et ce que portent les projets
est peu abordée dans les études de cas.
19
Freudiger P., Jacob J.-P. et Naudet J.-D., Stratégies et instruments du développement à l’échelle
locale, Traverses, n°4, février 1999, 24 p.
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Le développement local entre décentralisation et privatisation : réflexions à partir de cinq expériences
de prestations de services oblige à définir qui sont les porteurs de projets, qui a la
maîtrise d’ouvrage, quel est le rôle des services techniques déconcentrés, quelles
sont les obligations des prestataires de services privés. C’est certainement par cette
construction institutionnelle lente, sur des enjeux précis et des réalisations concrètes,
que pourront émerger une vision commune du développement et un espace public
local.
Cette construction institutionnelle d’une articulation passe aussi par un appui des
projets à la clarification des règles du jeu, sur l'utilisation des fonds d'investisse-
ments, l'utilisation d'infrastructures relatives à la gestion des ressources naturelles, le
financement de l'entretien des infrastructures. L’efficacité des appuis est à ce prix,
sinon apparaît le risque que quelques acteurs privilégiés contrôlent l’usage des fonds
initialement constitués, l’accès aux équipements et leur usage, et les services finan-
cés. Ce travail sur les règles doit s’accompagner aussi d’une définition des modalités
d’application et de sanction des règles. C’est sans doute plus facile à dire qu’à faire,
dans des contextes où l’État ne remplit qu’imparfaitement son rôle d’arbitre.
L’attention portée par le programme Ashyr sur les impayés de l’administration cons-
titue là une première étape dans ce processus.
Un des éléments importants pour construire cette articulation, définir ces règles et
leur respect est la place des usagers à penser et à définir dans les dispositifs de
concertation. Leur présence est cruciale pour apprécier la qualité et l’accessibilité
des services et équipements mis en place, notamment si les communes ne peuvent
remplir ce rôle immédiatement, parce que leur légitimité est en construction.
L’expérience du Fil montre que cette implication des usagers ne peut se réduire à
l’implication des associations villageoises. Bien que le projet ait été sensible par
exemple aux rôles spécifiques des femmes, les choix d’investissements dans les
aménagements n’ont pas été raisonnés en fonction de leurs intérêts. Il s’agit donc
sur chaque type de service ou d’infrastructure d’identifier les usagers et les méca-
nismes d’exclusion, pour dégager un espace où ces intérêts puissent être entendus.
Cela amène à réitérer l’importance de l’évaluation de l'efficacité et de la perti-
nence des dispositifs de concertation mis en œuvre. Mesurer l’évolution des prati-
ques de négociation des différents acteurs, évaluer la correspondance entre les ser-
vices et équipements financés et les intérêts des usagers passent forcément, comme
le soulignent l’étude du programme Ashyr ou celle du PHGO, par la mise en place
d'indicateurs de suivi, par une analyse des enjeux institutionnels locaux mais
aussi des rapports de force nationaux. Et ces outils de pilotage valent tout autant
pour les projets sectoriels, qui risquent de s’enfermer dans leur entrée technique,
que pour les projets d’appui aux initiatives locales qui ne peuvent faire l’économie
d’une analyse permanente des modifications institutionnelles qu’ils accompagnent.
33
Traverses n° 11
rôle est réelle quand la démarche du projet s’appuie sur un choix politique clair en
faveur de l’un des acteurs, par exemple les paysans face aux élus locaux. Il importe
que les projets s’interrogent sur la nature de leur articulation avec les forces sociales
qu’ils appuient. Entre des acteurs de nature si différente que peuvent l’être les
agents d'un projet et des paysans boliviens ou sahéliens, peut-il s’agir d’une option
militante ou n’est-on pas plutôt en présence d’une alliance nécessaire pour qu’il y ait
véritablement un développement local, certes, mais qui se situe inévitablement dans
le jeu des rapports sociaux à différents niveaux ?
Ce rôle de médiation est légitimé dans les cas étudiés par l’expertise technique
dont est porteur le projet. Si cette légitimité technique est réelle sur des dispositifs
de gestion du service de l’eau en Mauritanie, s’avère-t-elle suffisante face à des en-
jeux politiques forts comme le foncier en Bolivie ?
Outre la légitimité, c’est aussi la durée des projets qui est ici en cause pour as-
surer l’efficacité et la pérennisation de cette fonction de médiation ou de « passeur ».
C’est également la durée qui est nécessaire pour pérenniser des pratiques et des
dispositifs de concertation, dans des contextes politiques de résistances d’acteurs de
l’État central, pour décentraliser et réorienter ses fonctions ; dans des contextes de
légitimité balbutiante des communes pour assumer leurs missions de services pu-
blics ; dans des contextes enfin de méfiance des organisations locales vis-à-vis des
acteurs publics. Et c’est enfin la durée qui permettra d’intégrer ce coût
d’intermédiation dans le fonctionnement des services rendus aux populations, ainsi
que de viabiliser économiquement ce rôle de médiation.
Il y a sur ce problème du temps une double interpellation nécessaire des bailleurs
de fonds : sur la durée suffisante des financements et sur la nature des résultats
attendus avec des indicateurs d’évaluation pertinents. On ne mesure pas de la
même façon ni avec les mêmes moyens la réalisation d’investissements, la cons-
truction institutionnelle et la dynamique des rapports sociaux.
Dans de tels contextes, les projets ont d’autant plus besoin d’identifier des per-
sonnes qui jouent ce rôle de médiateurs et d’intermédiaires dans les arènes lo-
cales, et de recourir à elles. Mais il faut être prudent sur le rôle de médiation de ces
personnages clés20. Leur médiation est généralement indexée socialement et ils ne
peuvent se voir investis d’une représentation de l’intérêt commun. Ils ne peuvent
surtout être investis d’une fonction d’arbitrage.
Et c’est bien là qu’est le hic principal. Car seul l’État peut, en théorie, jouer ce
rôle d’arbitrage face à des enjeux politiques qui dépassent les intervenants exté-
rieurs et qui influencent forcément la position des médiateurs ou des passeurs lo-
caux. Là encore, les recommandations ne peuvent qu’être modestes. Les projets ne
20
Voir notamment Bierschenk T., Chauveau J.-P., Olivier de Sardan J.-P. (dir), 2000, Courtiers en dé-
veloppement, Karthala-Apad, Paris, 328 p.
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Le développement local entre décentralisation et privatisation : réflexions à partir de cinq expériences
peuvent que contribuer à souligner au cas par cas – sur les impayés de
l’administration, sur l’usage de l’eau, sur les choix d’investissements dans un marché
à bétail, etc. – cette nécessité, pour l’État et ses instances déconcentrées, à faire
respecter les règles définies par les acteurs des dispositifs de concertation locaux et
à effectuer des choix relevant de l’intérêt de tous.
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Traverses n° 11
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Le développement local entre décentralisation et privatisation : réflexions à partir de cinq expériences
Bibliographie sélective
Autres références
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Par Véronique Barraud, Sékou Bérété, Diane Intartaglia, VSF (octobre 2000).
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Gestion de réseaux d’adduction d’eau potable en République islamique de
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Traverses n° 11 Le développement local entre décentralisation et privatisation : réflexions à
partir de cinq expériences (Afrique de l’Ouest, Bolivie). Par le Groupe Initiatives
[synthèse réalisée par Diane Intartaglia et Annette Corrèze] (janvier 2002).
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Comment mettre en oeuvre des services durables aux populations ? Comment
construire et pérenniser des dispositifs d'appui qui sachent répondre à la de-
mande ? Comment appuyer sans étouffer des organisations locales et des opé-
rateurs techniques ? Quelles méthodes et quels savoir-faire pour que l'idéal d'un
développement qui met les populations au coeur de l'intervention ne soit pas
qu'un discours incantatoire ?
Longtemps négligées du fait de la polarisation sur les réalisations concrètes,
les dimensions institutionnelles du développement apparaissent aujourd'hui
comme un enjeu majeur. Loin de l'image idyllique d'un développement consen-
suel, les opérations de développement suscitent des jeux d'acteurs complexes
qu'il faut être capable de comprendre et de prendre en compte. Au-delà des
discours et des principes, il faut savoir discuter de la « cuisine » de l'inter-
vention. Au service des intervenants de développement, la série Traverses veut
contribuer au débat stratégique et méthodologique sur ces questions, avec
une approche transversale aux différents champs d'intervention. Elle accueille
des documents de travail, issus de littérature grise ou de capitalisation d'expé-
rience, qui offrent un intérêt particulier en termes d’analyse et/ou de méthode
à partir d’expériences de terrain.
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La série Traverses est éditée par le Groupe Initiatives, qui rassemble sept organisations
françaises de coopération internationale, partageant une ambition commune pour un dévelop-
pement au service des acteurs locaux, dans une logique de recherche-action et de renforcement
institutionnel. Les textes sont choisis et validés par un comité éditorial, composé de représentants
des organismes membres du Groupe Initiatives : Diane Intartaglia (Camel), Frédéric Apollin
(Cicda), Christophe Mestre (Ciedel-Rafod), Éric Force (GRDR), Sophie Lewandowski (VSF), et
animé par Philippe Lavigne Delville (Gret) et François Doligez (Iram).
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Les numéros de Traverses sont diffusés via le site Web du GRET (http://www.gret.org,
liens/groupe Initiatives/Traverses, ou www.gret.org, ressources en ligne/Traverses).