Les Freins Et Obstacles À L'entrepreneuriat Féminin
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Introduction
La période récente montre un vif regain d’intérêt pour l’entrepreneuriat,
témoignant « d’une interrogation sur la place de l’individu dans les activités
économiques et d’un contexte idéologique où l’individu, comme entrepreneur
de sa propre vie, est devenu une figure emblématique d’un nouvel état des sociétés
contemporaines »1. En période de chômage soutenu, l’indépendance constitue
un refuge, encouragée par les nombreux dispositifs publics ou privés, et peut
apparaître comme une solution collective, dans une période d’effritement de
la société salariale.
1. Zalio P.-P., Grosseti M., 2008-2012, Programme ANR « Entreprises et formes d’organisation économique. Enjeux, mutations et permanences ».
2. « Inégalités hommes-femmes. Il est temps d’agir », Editions OCDE, 29 janvier 2013.
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C’est à cette question que la Maison de l’Emploi (MDE) du Grand Nancy,
porteuse du dispositif national BALISE (consacré à l’émergence des projets
de création d’entreprise), a souhaité répondre en commandant une étude
qualitative des parcours entrepreneuriaux féminins, basée sur la réalisation
d’entretiens semi-directifs compréhensifs avec 31 femmes, candidates à
l’entrepreneuriat ou déjà entrepreneuses, suivies en interne ou par l’un des
membres du réseau lorrain CREAlliance3.
Précisions méthodologiques
3. Réseau qui regroupe les acteurs locaux soutenant la création d’entreprise (chambres consulaires, Alexis, ADIE, le Centre européen d’entreprise et d’innovation
Promotech, l’Incubateur Lorrain, l’association perspectives et compétences - APC etc.).
4. Plus de la moitié des contacts pris n’a pas donné lieu à un entretien : 30 contacts sont restés sans suite, 8 femmes ont explicitement refusé l’entretien, et 5 rendez-
vous n’ont pas été honorés. On peut faire l’hypothèse que les femmes contactées n’ont pas souhaité participer à l’étude parce qu’elles :
- n’avaient pas le temps, la création d’une entreprise étant très chronophage, et venant souvent s’ajouter à des contraintes domestiques et familiales elles-mêmes
consommatrices de temps ;
- avaient un projet de création jugé encore trop vague ;
- étaient entrées en contact avec les organismes accompagnateurs plus pour obtenir des informations générales (dans le cadre d’une réflexion globale sur leur
avenir) qu’en réponse à une volonté ferme et définitive de créer une entreprise.
Ces refus d’entretien peuvent être interprétés comme un élément d’analyse en soi. Les deux dernières hypothèses, s’ils étaient vérifiées, pourraient en effet
expliquer en partie l’importance de la différence − constatée via le dispositif BALISE − entre le nombre de femmes inscrites dans un processus entrepreneurial et le
nombre de femmes qui, au final, créent effectivement leur entreprise.
8 RECHERCHE SOCIALE N° 208 • octobre - décembre, automne 2013 • Les femmes et le défi de la conciliation entre vie professionnelle et vie familiale
Le guide d’entretien destiné aux femmes : les points abordés avec
les enquêtées
À l’issue des entretiens, une phase de réflexion sur les préconisations et leviers
d’action locale a été engagée, qui a consisté en la réalisation de deux groupes
de travail : l’un avec une dizaine de femmes porteuses de projet rencontrées
en entretien individuel ; l’autre avec les acteurs du Grand Nancy investis
dans l’accompagnement des créateurs / créatrices d’entreprise. L’objectif
de ces groupes étant d’engager une réflexion collective sur les possibilités
d’amélioration de l’accompagnement actuellement proposé aux femmes
souhaitant créer leur entreprise.
RECHERCHE SOCIALE N° 208 • octobre - décembre, automne 2013 • Les femmes et le défi de la conciliation entre vie professionnelle et vie familiale 9
I Le profil des candidates a l’entrepreunariat
Les femmes enquêtées ont entre 25 et 58 ans. Si leur âge moyen (40 ans) se
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Les listes utilisées afin de contacter les femmes rencontrées nous ayant été
communiquées par la MDE et ses partenaires, il n’est pas surprenant de
constater une telle surreprésentation des femmes sans emploi au sein de notre
échantillon. Cette surreprésentation s’explique également par un « effet de
disponibilité » chez ces femmes qui, n’exerçant pas d’activité professionnelle,
sont en mesure de se libérer plus facilement que les autres pour répondre à
une enquête de ce type.
Les projets envisagés ou réalisés par les femmes que nous avons rencontrées
sont très diversifiés. Dans le tableau suivant, nous avons reclassé les projets
entrepreneuriaux selon 4 grandes catégories :
5. Gisèle Lefèvre, « Les Lorraines dans le monde du travail : la création d’entreprise, une opportunité », in INSEE, n°279, mars 2012.
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Restauration et Organisation de mariages et de baptêmes
événementiel Restaurant sénégalais
Traiteur (vente de poulet boucané)
Vente de produits / Vente de produits de bien-être
ouverture d’une boutique Pose de fenêtres
ou e-commerce Reprise d’un dépôt vente de vêtements
Création et vente de vêtements
Vente de produits de puériculture
Commerce de thé
Boutique de décoration
Vente d’objet de fabrication française
Ouverture d’un commerce en ligne de
matériel de scrapbooking
12 RECHERCHE SOCIALE N° 208 • octobre - décembre, automne 2013 • Les femmes et le défi de la conciliation entre vie professionnelle et vie familiale
II Parcours entreprenariaux des femmes, freins et leviers a la creation
d’entreprise au feminin
RECHERCHE SOCIALE N° 208 • octobre - décembre, automne 2013 • Les femmes et le défi de la conciliation entre vie professionnelle et vie familiale 13
D’autres ont changé de secteur d’activité à plusieurs reprises. Là encore, il
s’agit moins de choix de carrière réfléchis que de tentatives visant à s’insérer
durablement dans l’emploi, quel qu’il soit. Les parcours professionnels
des femmes rencontrées sont ainsi marqués par les tâtonnements et les
réorientations professionnelles. Il n’y a donc pas systématiquement de
cohérence entre les formations initiales des femmes interrogées et les
emplois qu’elles ont ensuite exercés.
Titulaire d’un BTS, Madame C., 48 ans, a travaillé dix ans dans le
secteur de la publicité, d’abord en agence puis, après un licenciement
économique, à son compte. Son activité cesse à la suite d’un accident. Elle
devient cuisinière pendant un an, et connaît un second licenciement
économique. Après un bilan de compétences, Madame C. reprend
des études et passe un DUT. Pendant deux ans, elle travaille dans une
agence de communication en tant que responsable commerciale,
avant de connaître un troisième licenciement économique. Elle
devient ensuite chargée de communication dans un organisme
public, avant d’être une nouvelle fois licenciée économique, en 2005.
Après un second bilan de compétences, Madame C. s’oriente vers
une formation professionnelle, puis est embauchée dans un cabinet
d’accompagnement socio-professionnel. Elle subit alors un cinquième
licenciement économique, en février 2011, et décide de monter sa
propre activité de conseil en ressources humaines.
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Titulaire d’un Bac pro, Madame J., 39 ans, a enchainé les missions
d’intérim pendant 10 ans, puis s’est arrêtée de travailler durant
2 ans, à la naissance de son fils. Une fois devenue mère, Madame J. ne
souhaite pas reprendre l’intérim en raison des contraintes liées aux
congés et aux RTT. Elle recherche donc un emploi en CDI, sans succès.
Elle reprend alors l’intérim, puis trouve un CDD à temps partiel
pendant 6 mois. En 2006, elle décroche un CDI. Mais son entreprise
fait l’objet de restructurations quatre ans plus tard. En 2010, Madame
J. se trouve ainsi licenciée économique. Elle décide alors de monter sa
propre entreprise.
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En effet, elles doivent être analysées à l’aune des arbitrages réalisés par ces
femmes entre vie professionnelle et vie familiale, et aux choix qu’elles ont
effectués, à des moments-clés de leur parcours.
« J’ai toujours voulu concilier vie familiale et vie professionnelle. Je n’ai jamais
eu trop d’ambition. J’ai postulé dans des boîtes, mais pas énormément. »
(39 ans, mariée, 2 enfants, projet en cours)
« J’ai toujours eu envie de faire la part des choses entre le travail, et la vie de
couple, la famille. La maison, c’est la maison, et je ne ferai jamais rentrer mon
travail dans le foyer. Je veux avoir une vie professionnelle et une vie de famille.
J’ai toujours projeté de créer ma petite famille. Je n’arrive pas à concevoir
d’être une femme et de ne pas avoir d’enfant. » (45 ans, en couple, sans
enfant, projet en veille6)
6. Pour rappel, un projet en veille est un projet pour lequel un élément extérieur (maladie, grossesse, événement dans la carrière du conjoint, etc.) a conduit à une
mise entre parenthèse a priori temporaire du projet.
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2 • Désir d’indépendance, de réalisation personnelle ou de maîtrise de
son emploi du temps : les motivations à la création d’entreprise
« Le choix d'entreprendre est lié pour moi à une accumulation de choses : un
mariage qui ne me comblait pas, l'impression de ne pas être totalement épa-
nouie, le sentiment de ne pas exploiter ma créativité dans mon métier, l'envie
de réaliser un rêve d'enfance. » (38 ans, divorcée, 3 enfants, projet réalisé)
La décision de créer son entreprise marque souvent pour les femmes l’issue
d’une phase de remise en question, de bilan, parfois de « ras-le-bol », ainsi que
la volonté plus ou moins clairement exprimée de changer de vie. Les propos
recueillis montrent comment la création d’entreprise se trouve souvent
idéalisée, parée de toutes les vertus et perçue comme la solution permettant
de tout concilier, de trouver une voie de sortie à une situation de blocage vis-
à-vis de l’emploi, tout en favorisant l’épanouissement personnel et familial.
16 RECHERCHE SOCIALE N° 208 • octobre - décembre, automne 2013 • Les femmes et le défi de la conciliation entre vie professionnelle et vie familiale
« Je ne regrette pas ce que j’ai fait, toutes les expériences sont bonnes, mais
c’est si blessant d’être virée comme ça… Du jour au lendemain, on ne tient
plus compte de nos compétences ni de nos savoir-faire… Psychologiquement,
c’est quand même un cap qui laisse des séquelles. Le fait que j’ai décidé de me
mettre à mon compte vient aussi de là. Je ne me sens pas de travailler pour
quelqu’un actuellement. Je pense que c’est quand même dû à ça. » (46 ans,
mariée, 2 enfants, projet en cours)
« Dans le monde salarié, on est des pions, on nous épuise, puis on prend
quelqu’un d’autre. J’aime bien diriger mes projets et les mener à bien, être
responsable de ce que je fais. Je n’aime pas qu’on tire les lauriers de ce que
j’ai fait. J’avais donc envie de mettre mes compétences à mon service. Par
rapport à mes différentes expériences, aux remarques positives mais aussi aux
déconvenues que j’ai eues, je connais maintenant la qualité de mon travail,
je sais que je suis rigoureuse et compétente. » (31 ans, mariée, sans enfant,
projet en cours)
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« A un moment, je me suis dis "stop", je ne veux plus travailler comme ça. J’étais
prête à faire carrément autre chose, je ne voulais plus faire d’intervention
sociale, plus d’association, c’était terminé, ras-le-bol. J’ai décliné 3 propositions
de travail du même acabit, avec la même précarité : je voulais évoluer. »
(41 ans, célibataire sans enfant, projet en cours).
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Dans les cas les plus extrêmes − certes rares dans notre échantillon − la décision
d’entreprendre résulte presque d’une obligation. Faute d’avoir pu conserver
un emploi salarié stable, on crée donc sa propre entreprise pour conserver
une activité professionnelle.
« Ma patronne m’avait prévenue qu’elle allait partir et que la société allait
fermer, mais qu’on ne me laisserait pas tomber. Elle m’a dit "on va vous
aider à vous installer à votre compte, chez vous". Moi, je n’avais jamais voulu
m’installer à mon compte car je voyais avant tout la paperasse, l’accueil de la
clientèle… Et je déteste ça ! Le côté commercial, c’était ma hantise ! Pour moi,
l’entreprise, c’était la difficulté, tout ce qu’on entend à la télé : les charges, les
petites entreprises qui ont du mal à trouver des clients… Mais bon [résignée], je
me suis dit "allez, faut que je me lance". » (53 ans, célibataire, sans enfant,
projet réalisé)
« Je suis restée 5 ans derrière les bancs de l’école et le taux d’embauche de ma
promo est à peine de 10%. Mon cursus n’est pas assez vendeur sur le marché,
et je n’ai pas assez d’expérience professionnelle. La seule chose que j’ai à
offrir, c’est la capacité à synthétiser, apprendre rapidement, m’acclimater aux
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« Je veux créer mon entreprise. La raison première qui me pousse est que je suis
une maman, et ma vie toute entière tourne autour de ça. Il faut que j’intègre
mes enfants dans tout ce que je peux faire, sinon ça n’a pas de sens. Je prends
un exemple banal : on m’appelle à cette heure-ci parce que mon enfant est
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malade. Si j’ai mon entreprise, je peux le chercher et l’amener chez le médecin.
Si je travaille chez quelqu’un, il ne va pas accepter ça plusieurs fois. Quand on
est maman, ça n’est pas à l’employeur de s’adapter à notre rythme, mais c’est
au contraire à nous de nous adapter. C’est vraiment la raison principale qui
me pousse à être mon propre chef. » (34 ans, 2 enfants, projet en veille)
« J’ai rencontré régulièrement une personne de Pôle emploi avec qui je discutais
beaucoup et avec qui j’ai beaucoup réfléchi sur ce que je voulais faire après :
rentrer en agence ou pas. Je n’aime pas faire mes preuves, mon problème est
d’être confrontée au jugement des autres. Et puis entrer en agence, ça aurait
voulu dire avoir moins de liberté par rapport à mon emploi du temps. Mon
emploi du temps idéal est de travailler pendant que mes enfants sont à l’école.
Comme ça, je peux les emmener le matin à l’ouverture et venir les chercher
à la sortie. Je veux pouvoir faire les devoirs avec ma fille qui n’est pas encore
autonome. Je n’ai pas envie de mettre mes enfants à la garderie. Donc la
solution a été de créer ma propre entreprise. » (39 ans, mariée, 2 enfants,
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« J'étais mariée, c’était un mariage qui ne comblait pas ma vie, et je crois, avec
le recul, que créer a été une façon de me réaliser. Je suis quelqu’un de fonceur,
et j’avais l’impression de ne pas être réalisée et épanouie totalement. J’avais
aussi l’impression que, quelque part, j’avais des compétences qui n’étaient pas
exploitées dans mon emploi de l’époque : la créativité, notamment. » (38 ans,
divorcée, 3 enfants, projet réalisé)
RECHERCHE SOCIALE N° 208 • octobre - décembre, automne 2013 • Les femmes et le défi de la conciliation entre vie professionnelle et vie familiale 19
« J’arrive à un âge où j’ai envie de travailler où je veux. Je ne veux pas me forcer
sur un poste de travail où je ne m’éclaterais pas. J’ai plus d’exigences qu’à 20
ans, c’est sûr, j’ai pris de la maturité et je sais ce que je veux faire. A 20 ans, ce
n’était pas bien défini, sinon j’aurais choisi cette voie-là dès le début. » (46 ans,
mariée, 2 enfants, projet en cours)
« Il y a un peu une démarche psy, à 50 ans, de me dire que je veux faire quelque
chose qui me plait. Un côté spirituel aussi par rapport à ce qui est arrivé, à ma
maladie. Je me dis que ça n’est pas un hasard. Donc j’ai créé avec l’idée d’une
coupure, d’un redémarrage. » (51 ans, divorcée, 3 enfants, projet réalisé)
d - Le souhait d’être libre de ses choix et de « ne plus avoir personne au-dessus
de soi »
« Ma motivation pour créer mon entreprise, c’était de pouvoir gérer moi-même.
Finalement, les clients faisaient toujours appel à moi quand j’étais salariée.
Et c’était moi qui faisais la comptabilité, les plans, la relation clients… Mon
patron ne s’occupait que de la partie terrain, pour gérer les salariés. Donc
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Pour les plus jeunes femmes de notre échantillon, cette volonté d’entreprendre
est souvent présentée comme le résultat d’une personnalité particulière,
d’un caractère ne supportant pas le cadre contraignant de la hiérarchie et
les modes de relations sociales qui priment dans l’entreprise. Le désir de
liberté est clairement revendiqué. La création d’activité est motivée, non par
un projet très précis et bien délimité, mais par l’aspiration plus globale de
définir soi-même son cadre de travail, ses objectifs, et d’être seule comptable
de ses réussites ou de ses échecs.
« J’ai toujours eu un peu de mal avec le cadre, les règles, les normes. Mais
je ne savais pas que je ne voulais pas avoir de patron avant mes premières
expériences professionnelles. J’ai été serveuse, employée pour un stand de
gâteaux. Je n’avais rien à boire ni à manger de toute la journée. Je ne suis pas
une esclave, je me suis cassée. J’ai aussi été saisonnière. J’ai tenu 2 jours et j’ai
démissionné. Je ne supportais pas qu’on me parle comme ils me parlaient ! Et
j’ai aussi envie d’être libre. Moi je bosse mieux la nuit. J’ai envie de pouvoir
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bosser entre 2h et 6h du matin si j’en ai envie… » (29 ans, célibataire, sans
enfant, projet réalisé)
Bien souvent, chez les femmes rencontrées, plusieurs facteurs parmi ceux
évoqués précédemment se conjuguent pour aboutir à la décision de créer
son entreprise. Même si chaque parcours entrepreneurial est unique et relève
d’une conjonction d’éléments à la fois extérieurs et propres aux femmes, il est
néanmoins possible d’identifier des « parcours types » de cheminement vers la
création. Ces parcours types renvoient à la fois à des trajectoires biographiques
diverses et à des façons différentes de concevoir l’entreprenariat.
a - La création-vocation
« J’ai toujours pris des risques dans ma vie. J’ai un parcours personnel assez
atypique. » (38 ans, divorcée, 3 enfants, projet réalisé)
« On est entrepreneur dans l’âme, ou on ne l’est pas. Mon mari lui est frileux,
c’est dans son tempérament, il a peur que les choses ne marchent pas. Moi
j’ai un caractère tout feu tout flamme, je fonce la tête baissée, je suis toujours
partante et pleine d’idées, même si ça fait un flop. » (41 ans, en situation
de recomposition familiale, 2 enfants + une belle-fille, projet réalisé)
RECHERCHE SOCIALE N° 208 • octobre - décembre, automne 2013 • Les femmes et le défi de la conciliation entre vie professionnelle et vie familiale 21
« Entreprendre, pour moi, c’est dire qu’on a réussi à faire quelque chose dans
sa vie. C’est un combat et j’aime bien les combats, j’adore les défis. Déjà, tout
laisser dans mon pays d’origine pour venir vivre ici, c’était un défi… » (33 ans,
célibataire, 2 enfants, projet en veille)
« Je suis chef d’entreprise maintenant, au bout de 4 ans !! Même si c’est une très
petite entreprise, certes. Quand on dit "entreprise", on pense tout de suite aux
grandes entreprises et on n’a pas conscience du nombre de petites entreprises
qui existent et qui apportent leur pierre à l’édifice. » (38 ans, divorcée, 3
enfants, projet réalisé)
b - La création-émancipation
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Il peut également survenir lorsque l’on se trouve confronté à des changements
ou à une recomposition de son environnement professionnel (changement de
hiérarchie, évolution du contenu de sa fiche de poste...) qui viennent modifier
la donne antérieure, rendant l’emploi exercé moins attractif.
« J’ai pris quelqu’un pour m’aider à la maison, une aide ménagère. J’ai quand
même moins de temps libre ! Je suis obligée de tout planifier, je note tout, par
exemple, les rendez-vous avec les gens, ou même chez l’esthéticienne… J’ai pas
mal d’amis, et maintenant je leur dis que s’ils veulent qu’on se voie, il faut
prendre rendez-vous ! Il n’y a plus d’improvisation. C’est vrai que je ne suis
plus contrainte par des horaires de bureau, je n’ai plus de comptes à rendre.
Mais je speede sur tout. Il ne faut pas se leurrer, on ne peut pas être aux 35h,
c’est la crise économique et il faut bosser plus. » (39 ans, séparée, 1 enfant
en résidence alternée, projet réalisé)
RECHERCHE SOCIALE N° 208 • octobre - décembre, automne 2013 • Les femmes et le défi de la conciliation entre vie professionnelle et vie familiale 23
c - La création-conciliation
Cette démarche concerne des femmes qui ont toujours privilégié la vie
familiale (leur temps de travail a souvent diminué au fur et à mesure de leurs
grossesses et de l’arrivée des enfants), et qui estiment que le cadre de l’emploi
salarié ne permet pas d’obtenir un équilibre satisfaisant entre vie familiale
et vie professionnelle.
Si ces femmes ne veulent pas sacrifier leur vie de famille, elles estiment
cependant que l’activité professionnelle est importante au plan de l’estime
de soi et de la reconnaissance sociale, et ne s’imaginent donc pas au foyer
à temps plein. Avec l’avancée en âge – et donc en autonomie – de leurs
enfants, elles commencent à sentir le besoin de retrouver une activité plus
importante à l’extérieur du foyer, pour s’occuper mais surtout pour se sentir
utiles aux autres. Ce besoin « d’utilité sociale » se conjugue généralement à la
volonté d’apporter un complément aux ressources familiales. Il s’agit en effet
pour ces femmes de protéger le foyer d’un éventuel accident dans la carrière
professionnelle de leur conjoint.
Ces femmes ont une ambition modérée par rapport à leur projet, et ne se
reconnaissent absolument pas dans la notion de « chefs d’entreprise » :
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« Je ne me vois pas en chef d’entreprise. Je me vois plus comme quelqu’un qui
veut faire un petit quelque chose. » (34 ans, 2 enfants, projet en veille)
d - La création-nouveau départ
RECHERCHE SOCIALE N° 208 • octobre - décembre, automne 2013 • Les femmes et le défi de la conciliation entre vie professionnelle et vie familiale 25
Madame L., 46 ans, a une formation dans le secrétariat. Après avoir
travaillé quelques années pour différentes sociétés, elle a trouvé un
emploi dans l’antenne nancéenne d’une mutuelle, au sein de laquelle
elle est restée salariée pendant 21 ans. Ce travail présentait l’intérêt
d’offrir des horaires « à la carte » parfaitement adaptés à la vie de
famille, et comportait une dimension relationnelle que Madame L.
appréciait. En 2012, la mutuelle fait l’objet d’une restructuration et
la direction décide d’affecter l’ensemble des postes situés à Nancy sur
une plateforme téléphonique de traitement des réclamations. Peu
intéressée par ce type de poste, Madame L. refuse et entreprend alors
une reconversion dans la coiffure, sa passion initiale. Elle reprend ses
études dans le cadre de son congé de reclassement, pour créer son
activité de coiffure à domicile.
« Je veux faire coiffeuse à domicile mais je ne veux pas faire du rendement,
je veux être à l’écoute des personnes. Je ne veux pas forcément avoir un gros
salaire, mais prendre plaisir à faire mon métier. » (46 ans, mariée, 2 enfants
adultes, projet en cours)
e - La création-nécessité
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26 RECHERCHE SOCIALE N° 208 • octobre - décembre, automne 2013 • Les femmes et le défi de la conciliation entre vie professionnelle et vie familiale
Pour ces femmes, l’entreprenariat représente une solution pour accéder à des
ressources financières minimales.
Il est rare qu’un facteur permette, à lui seul, d’expliquer l’abandon ou la poursuite,
par les femmes, du processus entrepreneurial. Chacun des facteurs listés ci-dessus
représente en fait un levier ou un frein potentiel, qui, combiné à d’autres éléments,
va déboucher sur la concrétisation, ou au contraire, sur l’abandon du projet.
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« Je pense que sans ça, on ne peut pas aller jusqu’au bout. Ce qui m’a
freinée ? Rien, franchement, à partir du moment où vous êtes bien
accompagnée, il n’y a pas de problèmes, il y a toujours des solutions. »
(53 ans, 3 enfants adultes, projet en cours)
7. Selon la théorie des buts d’accomplissement, le contexte social exerce une influence sur la motivation d’accomplissement des individus. Cf. Nicholls, J.G., 1989,
The competitive ethos and democratic education. Cambridge, Harvard University Press.
RECHERCHE SOCIALE N° 208 • octobre - décembre, automne 2013 • Les femmes et le défi de la conciliation entre vie professionnelle et vie familiale 27
• la croyance des proches dans la capacité de la femme
concernée à réussir, à mener à bien la création.
«C’est long et fastidieux, et donc le soutien est nécessaire. Sans mon conjoint,
je ne l’aurais pas fait. Quand il y a des personnes autour de vous qui vous
disent que vous allez y arriver, ça aide. » (34 ans, mariée, 2 enfants, projet
en cours)
« Ce qui m’a aidée, c’est le soutien des proches, le fait qu’ils croient en moi (…)
Mon mari me soutient et est très positif. C’est une évidence pour lui que je fasse
de l’infographie ! (…) Mes enfants sont très contents !! Ma fille dit aux gens
que je suis déjà graphiste ! » (39 ans, mariée, 2 enfants, projet en cours)
La validation du projet par la famille est si centrale pour les femmes que
son absence peut remettre en cause toute perspective de création, comme le
suggère de manière emblématique cette enquêtée :
« Dans mon entourage, on me disait plutôt d’être prudente. Et moi, à partir du moment
où j’ai eu une ou deux réactions un peu… sceptiques… J’ai tout stoppé, j’ai plus eu envie,
ça m’a fatiguée. » (39 ans, en concubinage, 1 enfant, projet en cours)
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8. Le Bras H., Gernigon C., Etude longitudinale des influences du contexte d’entraînement et des autrui significatifs sur les attitudes motivationnelles, l’estime de
soi et la persistance des jeunes judokas d’élite, Rapport de recherche INSEP, décembre 2006.
9. Mastéfy-Klein M.-F., Des parcours de femmes créatrices d’entreprises, IRFED Europe / Acte Genesis, juin 2003.
28 RECHERCHE SOCIALE N° 208 • octobre - décembre, automne 2013 • Les femmes et le défi de la conciliation entre vie professionnelle et vie familiale
« Mon conjoint est à fond dedans, il me soutient. Il m’a beaucoup aidée dans
les périodes de doute. Il m’a dit "T’as raison, vas-y, fais-le". Il me remontait
toujours le moral (…) Je ne pensais pas être faite pour ça. Sans le soutien de
mon concubin, je ne l’aurais jamais fait. Je n’avais pas assez confiance pour
passer le cap. » (36 ans, en concubinage, 2 enfants, projet réalisé)
« Pas mal de gens ont essayé de m’en dissuader : mon entourage, mon
employeur… mais mon mari m’a soutenue. Sinon, tout le monde trouvait ça
bizarre, voyait ça comme une lubie. Evidemment, personne ne m’a dit "tu n’y
arriveras jamais", mais bon, de toute façon qu’est-ce que je risquais ? Cela
ne m’a pas touchée ou influencée. » (46 ans, mariée, 2 enfants, projet en
cours)
« Mon mari a un salaire stable aussi, donc ça rentre en ligne de compte. Peut
être que seule, j’aurais vu les choses autrement. » (46 ans, mariée, 2 enfants,
projet en cours)
RECHERCHE SOCIALE N° 208 • octobre - décembre, automne 2013 • Les femmes et le défi de la conciliation entre vie professionnelle et vie familiale 29
« Par rapport à l’organisation de la maison, chacun s’implique. Le matin,
j’accompagne la petite à l’école. L’après-midi, elle va à l’étude ou la garderie,
et son père la récupère à 17h30. Pour les courses, on s’arrange en alternance. »
(41 ans, en situation de recomposition familiale, 2 enfants, une belle-
fille, projet réalisé)
« J’ai la chance de bien m’entendre avec le père de mon fils. Il a des horaires
souples, donc on s’organise facilement... Et puis on a beaucoup utilisé la
garderie en primaire ! » (39 ans, séparée, 1 enfant en résidence alternée,
projet réalisé)
On peut ainsi affirmer que les femmes ont d’autant plus de chances de
persévérer dans leur projet que la répartition préexistante des rôles au sein
de leur couple (le plus souvent inégale) évolue vers une plus grande égalité
au fur et à mesure de l’avancée dans le processus entrepreneurial. L’une des
femmes de notre échantillon explique ainsi à quel point la réévaluation
à la hausse de l’implication de son conjoint dans la sphère domestique l’a
soulagée logistiquement :
« Il me faudrait quelqu’un qui soit derrière moi et qui me dise : "Je m’occupe
des enfants, tu peux y aller !". Des fois, je suis fatiguée, et il faut s’occuper des
enfants… je suis épuisée. Je les emmène, je les récupère à l’école, je n’ai pas de
temps pour moi. J’ai besoin de quelqu’un sur qui me reposer… je vais peut-
être aller sur Meetic ! Si j’avais mon frère ou ma famille ici, ils auraient pu
m’aider. » (33 ans, célibataire, 2 enfants, projet en veille)
« Mon mari s’intéresse et il veut participer ! Même ma belle-fille s’y est mise :
elle m’a proposé de venir le week-end pour faire le rangement, tout ce qui est
30 RECHERCHE SOCIALE N° 208 • octobre - décembre, automne 2013 • Les femmes et le défi de la conciliation entre vie professionnelle et vie familiale
secrétariat, en collaboration avec ma fille qui sera ma comptable. » (53 ans,
en situation de recomposition familiale, 3 enfants adultes, projet en
cours)
Le réseau peut aussi être une ressource directe. En effet, les femmes peuvent
trouver, au sein de leur entourage familial et amical ou via ce dernier,
des contacts pour la réalisation des différentes démarches (techniques,
administratives, financières) nécessaires au lancement de leur entreprise :
« Ma belle-sœur est comptable, donc je lui ai demandé conseil. Elle m’a dit d’aller
voir un cabinet comptable qu’elle connaît bien. » (36 ans, en concubinage,
2 enfants, projet réalisé)
« J’ai montré les plans prévisionnels à mon beau-père, qui est banquier. »
(34 ans, projet de mariée, 2 enfants, projet en cours)
10. Bernard C., Le Moign C., Nicolaï J.-P., L’entrepreneuriat féminin, document de travail, Centre d’Analyse Stratégique, avril 2013.
RECHERCHE SOCIALE N° 208 • octobre - décembre, automne 2013 • Les femmes et le défi de la conciliation entre vie professionnelle et vie familiale 31
« Avant de me lancer, je voulais avoir l’avis de professionnels pour voir si je ne
me trompais pas. J’ai donc envoyé ce que je faisais à la mère d’une copine d’école
de mon fils. Ce n’est pas une amie de longue date, c’est la mère de l’amoureuse
de mon fils en fait… et en discutant, je me suis rendue compte qu’elle était
graphiste. Elle m’a dit que j’avais l’œil, et ça m’a vraiment confortée dans mon
projet. » (39 ans, mariée, 2 enfants, projet en cours)
Parfois, le réseau social auquel les femmes ont accès représente même un vivier
d’associés. Au sein de notre échantillon, 7 femmes se sont orientées, grâce à
leur réseau, à un moment donné de leur démarche, vers la constitution d’une
« équipe entrepreneuriale »11, dans une volonté de compléter leurs propres
ressources (financières, techniques, etc.) ou travailler avec des connaissances
ou amis à l’exploitation d’une opportunité de marché. C’est notamment le
cas de cette enquêtée, qui a décidé de s’associer à un camarade de promotion :
« Je m’associe à un copain de mon Ecole, que je vois 5/6 fois par an et qui a
maintenant 8 ans d’expérience professionnelle salariée. On avait à plusieurs
reprises discuté de nos emplois respectifs et de nos envies. L’idée de monter
quelque chose ensemble a fait son chemin, et on s’est dit "banco". Pour ce qui est
du choix précis du secteur… pour tout vous dire, on s’est fixé sur un champ qui
va en grandissant, qui est porteur, et qui reste dans le domaine de la technologie,
que je connais. » (31 ans, mariée, sans enfant, projet en cours)
« J’ai commencé à faire des choses pour la famille et le travail de mon mari.
Depuis que mon mari est en poste, il m’a demandé de plus en plus de choses :
affiches, tracts, brochures, etc. Ça fait effet boule de neige. Par ma mère, je fais
aussi un logo pour un organisme en région parisienne. » (39 ans, mariée,
2 enfants, projet en cours)
« J’ai eu une couverture médias intéressante sur des chaînes TV publiques, qui
sont venues filmer. J’avais en fait des contacts sans le savoir. J’ai une copine
dont les enfants sont à l’école avec les miens, je ne savais pas qu’elle travaillait
dans les médias. Et elle m’a dit un jour que les chaînes étaient toujours à la
recherche de sujets peu ordinaires. Et moi j’ai un parcours atypique. » (38 ans,
divorcée, 3 enfants, projet réalisé)
11. 3 de ces femmes sont toujours dans l’idée d’une création à deux : 2 imaginent créer avec leur conjoint, 1 avec un camarade de promotion. 2 ont concrétisé leur
projet en binôme : l’une avec son mari, l’autre avec son cousin.
32 RECHERCHE SOCIALE N° 208 • octobre - décembre, automne 2013 • Les femmes et le défi de la conciliation entre vie professionnelle et vie familiale
montage de dossiers administratifs, la comptabilité, l’expression orale et
la présentation de soi. Ainsi, les femmes ayant développé ces compétences
au cours de leur formation et/ou de leur vie professionnelle antérieure se
trouvent en quelque sorte « favorisées » par rapport aux autres :
« On ne sait pas vers qui se tourner au départ. Au Pôle emploi, ils sont bien
gentils, mais bon… Ça n’est pas normal que je sois allée de mon propre chef à la
Maison de l’Emploi. C’est parce que j’ai posé des questions, que j’ai été à la pêche
aux informations, que mon mari avait des contacts… que j’ai pu y arriver. »
(39 ans, détentrice d’une Maîtrise, mariée, 2 enfants, projet en cours)
c - La personnalité
RECHERCHE SOCIALE N° 208 • octobre - décembre, automne 2013 • Les femmes et le défi de la conciliation entre vie professionnelle et vie familiale 33
« J’ai été au début sur Internet, au hasard des sites. Les gens racontent trop
leurs petites mésaventures et leur vie privée, ça ne me plaît pas ça ! Il y a des
gens qui n’osent pas passer le cap et qui démontent tout. Au bout de 2/3 fois,
j’ai lâché l’affaire. J’aime bien faire à ma tête, foncer dans le tas… » (36 ans,
en concubinage, 2 enfants, projet réalisé)
« La prise de risque, ça fait partie de mon parcours. Si mon projet ne devait
pas marcher, ça ne serait pas un drame, j’ai d’autres cordes à mon arc, j’ai
moins peur que d’autres, ça fait partie de l’aventure. » (48 ans, en situation
de recomposition familiale, 1 enfant vivant chez son ex-conjoint,
projet réalisé)
« On tâtonne beaucoup au départ : j’ai beaucoup tâtonné sur les prix, j’ai
fait des dépenses par forcément judicieuses… C’est très difficile de se projeter
quand on crée une activité qui n’existe pas encore. Mais je n’ai pas abandonné.
On apprend de ces erreurs, il fallait en passer par là. » (38 ans, divorcée,
3 enfants, projet réalisé)
« Je me suis longuement torturée sur le fait d’accepter le CDI, et j’ai choisi la
sécurité. Est-ce que j’ai des regrets ? C’est vrai que j’ai un peu fait le tour de
mon métier, qui ne me permet pas de m’éclater vraiment entièrement ! Mais
ça me permet d’être stable dans la vie, d’avoir un salaire qui tombe tous les
mois » (25 ans, en concubinage sans enfant, projet en veille)
Les éléments recueillis sur le terrain rejoignent à cet égard les résultats
d’autres études ou rapports, qui présentent l’aversion au risque comme une
barrière à l’entreprenariat12.
12. Hayat P., Pour un new deal entrepreneurial. Pour des entreprises de croissance, Rapport de mission à l’intention de Mme Fleur Pellerin, octobre 2012 ;
Eurobaromètre "Entrepreneuriat en Europe et au-delà", Commission européenne, janvier 2013.
34 RECHERCHE SOCIALE N° 208 • octobre - décembre, automne 2013 • Les femmes et le défi de la conciliation entre vie professionnelle et vie familiale
« J’ai quand même des doutes, oui, sur moi-même. J’ai arrêté l’école à 16 ans,
donc pour moi, chef d’entreprise, c’est quelqu’un qui a fait un niveau d’étude
élevé. Mon âge aussi : est-ce que je ne suis pas trop vieille ? Et je me lance toute
seule, je ne sais pas si je vais pouvoir gérer ça, je ne sais pas ce qui m’attend. »
(53 ans, en situation de recomposition familiale, 3 enfants adultes,
projet en cours)
« J’ai eu peur de penser que je devais travailler à mon propre compte et que si
dans 5 ans ça ne marchait plus, j’allais me retrouver à la rue. Je me suis dit
que ça n’était pas un projet pour un bout de chou comme moi !! » (44 ans, en
concubinage, sans enfant, projet abandonné)
Madame K., ancienne fonctionnaire, a créé son entreprise. Son EURL fonctionne maintenant depuis 4
ans. Elle est l’exemple d’une créatrice qui a réussi et qui bénéficie de plusieurs des leviers ci-dessus
présentés.
En premier lieu, Madame K. a été et continue à être aidée par ses proches sur plusieurs plans :
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Ensuite, Madame K. est une femme diplômée (bac + 4), qui plus est habituée, du fait de son ancienne
activité professionnelle, à la prise de parole en public et aux démarches administratives. Cela a
facilité sa compréhension des codes et règles du jeu du processus entrepreneurial, et lui a ouvert
l’accès à des financements : « j’ai gagné plusieurs prix lors de concours (…), je viens du monde de
l’enseignement, donc présenter un projet devant un jury ou préparer un dossier pour un concours, ça
ne me pose pas de problème ».
Madame K. se décrit enfin comme enfin une femme fonceuse : « je ne tergiverse pas, je ne suis pas
de nature à me décourager. Je suis de nature optimiste et très positive. Rien ne pouvait me faire
douter de mon projet ».
RECHERCHE SOCIALE N° 208 • octobre - décembre, automne 2013 • Les femmes et le défi de la conciliation entre vie professionnelle et vie familiale 35
2 • Les freins à la concrétisation du projet
Le premier frein concerne les projets familiaux des femmes. La volonté d’avoir
un enfant est tout d’abord un élément qui peut venir reporter le projet de
création d’entreprise, comme le montrent les propos de cette candidate à
l’entrepreneuriat, envisageant une grossesse à court terme :
« Avant cette année, le travail prenait 100% de mon temps et de ma vie. Depuis
que j’ai une vie conjugale et que je souhaite un enfant, ça prend 60%-70%.
J’ai rencontré mon compagnon en janvier 2013, c’est tout récent. Mon projet
personnel à court terme est de faire un bébé avec lui… avant de créer mon
entreprise et de ne plus pouvoir. » (25 ans, en concubinage sans enfant,
projet en veille)
Sur ce point, une étude conduite en 2005 sur les « freins et moteurs de
l’entreprenariat féminin », portant pour partie sur la Lorraine, indiquait déjà
la difficulté de conciliation entre vie familiale et mise en œuvre d’un projet
entrepreneurial pour les femmes. Elle concluait à une très nette dissociation
entre la naissance des enfants et la création d’entreprise dans les parcours
biographiques féminins : « Les femmes les plus jeunes tendent à se lancer dans la
création de leur entreprise avant de devenir mère ou d’avoir une charge familiale trop
lourde, ce qui n’est pas le cas des femmes les plus âgées qui entament leur projet de création
après avoir élevé leurs enfants »14. Dissociation que l’on retrouve de manière très
prégnante dans les récits des femmes que nous avons rencontrées :
« Un projet d’enfant n’est pas en discussion pour l’instant. Mais je ne ferme
pas la porte dans 2 ou 3 ans, quand je serai lancée et que ça fonctionnera. Je
13. Les normes actuelles qui entourent la petite enfance posent le maternage comme fondamental. Le développement des problématiques autour du bien-être de
l’enfant constitue une injonction principalement à l’égard des mères, leur demandant une disponibilité permanente.
14. Les freins et moteurs de l’entrepreneuriat féminin, enquête réalisée par le cabinet Cybernautes dans le cadre d’un projet interrégional III-A associant la
Wallonie, la Lorraine et le Luxembourg, octobre 2005.
36 RECHERCHE SOCIALE N° 208 • octobre - décembre, automne 2013 • Les femmes et le défi de la conciliation entre vie professionnelle et vie familiale
suis contente d’avoir l’opportunité de lancer l’entreprise maintenant, avant de
me lancer dans le projet d’enfant. » (31 ans, mariée, sans enfant, projet
en cours)
« J’ai attendu que mon dernier enfant soit à l’école pour vraiment penser
à mon projet. Quand les enfants sont dans les bras toute la journée… c’est
impossible ! » (36 ans, en concubinage, 2 enfants, projet réalisé)
Les entretiens que nous avons conduits mettent bien en évidence la tension
permanente à laquelle doivent faire face les femmes qui essayent de mener
de front projets familiaux et création d’entreprise. Tension d’autant plus
forte que peut s’ajouter à la pression sociale des requêtes explicites des
enfants pour que leur mère passe davantage de temps auprès d’eux. Des
aménagements d’emploi du temps s’avèrent alors nécessaires pour préserver
ce « temps avec » les enfants. Mais ils s’opèrent parfois aux dépens du temps
consacré à l’entreprise, et peuvent ainsi remettre en cause la pérennité du
projet entrepreneurial :
« J’ai expliqué mon projet aux enfants. Ils ont dit que ça n’allait pas être
évident. Ça n’a pas été facile au début. Encore aujourd’hui, ils en ont marre
parfois. J’ai pris mon mercredi depuis le début. Et je fais en sorte de mettre
mes rendez-vous uniquement sur deux soirs dans la semaine. » (36 ans, en
concubinage, 2 enfants, projet réalisé)
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« J’ai été mère au foyer pendant 10 ans par obligation par rapport à mon ex-
époux qui avait de longues absences de la maison du fait de son métier. On a
beaucoup déménagé. » (41 ans, en situation de recomposition familiale,
2 enfants, une belle-fille, projet réalisé)
RECHERCHE SOCIALE N° 208 • octobre - décembre, automne 2013 • Les femmes et le défi de la conciliation entre vie professionnelle et vie familiale 37
que je recrée une nouvelle clientèle là où on s’installera. » (39 ans, mariée,
2 enfants, projet en cours)
« J’ai proposé à une copine de faire le projet à deux. Elle m’aurait suivie si
elle n’avait pas dû suivre son conjoint, qui déménage souvent. » (41 ans, en
situation de recomposition familiale, 2 enfants, une belle-fille, projet
réalisé)
« Au début, je voulais monter un magazine sur Nancy ou un site web, avec une
amie au chômage. On s’est vu régulièrement pendant 6 mois pour travailler
dessus. On a laissé tomber car son mari a monté une société, et il avait besoin
de quelqu’un pour tenir le secrétariat. » (39 ans, mariée, 2 enfants, projet
en cours)
15. Il convient néanmoins de préciser qu’une partie des femmes de notre échantillon a développé des projets ne nécessitant pas de recours au prêt ou à un matériel
spécifique, et qu’une autre partie n’a pas été jusqu’aux étapes de recherche de financements et/ou de fournisseurs.
38 RECHERCHE SOCIALE N° 208 • octobre - décembre, automne 2013 • Les femmes et le défi de la conciliation entre vie professionnelle et vie familiale
ne leur plaît pas, c’est un métier d’hommes pour eux. C’est comme si je voulais
créer un garage de voitures quoi, pareil ! Ce sont des gens désobligeants avec
des idées préconçues. » (36 ans, en concubinage, 2 enfants, projet réalisé)
« J’ai senti des réticences par rapport à mon âge… Chez les fournisseurs
potentiels, par exemple. Ils préfèrent faire confiance à quelqu’un qui sait ce
qu’il fait qu’à un jeune qui débute. » (25 ans, en concubinage sans enfant,
projet en veille)
d - La nature du projet
« J’ai été orientée vers Balise [Maison de l’Emploi]. Ils m’ont fait écrire un
texte qui a été décortiqué et apprécié par une personne. Elle m’a dit que
j’avais très bien travaillé et étudié les choses. Mais elle a soulevé la question
de l’inadéquation entre mon projet et mes études. Au niveau des prêteurs ou
des donneurs de fonds, elle m’a dit que ça n’allait pas passer. Je n’avais pas
de formation, il aurait fallu que je fasse une année de licence en psychologie
puis deux ans de formation spécifique. » (34 ans, mariée, 2 enfants, projet
en cours).
De son côté, une autre femme de notre échantillon n’a pu faire aboutir aucun
des 5 projets de création d’entreprise qu’elle avait successivement imaginés :
prestation de secrétariat / télésecrétariat, entreprise multi-services, boutique
de puériculture, épicerie de nuit, e-boutique. Elle relate que ces projets ont
été jugés peu réalistes par les interlocuteurs de l’insertion professionnelle et
de la création d’entreprise rencontrés :
« Tout ce que vous faites n’est pas bien ! C’est limite si on ne me rit pas au
nez ! C’est décourageant… Chaque fois que j’ai une idée et que j’en parle à une
association ou structure d’accompagnement, on essaye de me décourager. On
me dit que je n’ai pas de capital, pas de formation, etc. » (44 ans, divorcée,
2 enfants, projet en cours)
RECHERCHE SOCIALE N° 208 • octobre - décembre, automne 2013 • Les femmes et le défi de la conciliation entre vie professionnelle et vie familiale 39
Du point de vue des femmes ayant effectivement créé leur entreprise, la
"solidité" du projet est primordiale pour son aboutissement. Les enquêtées
concernées évoquent avec insistance l’importance d’avoir un projet à la
fois réfléchi et réaliste. Elles critiquent d’ailleurs de manière assez vive les
candidates qui ne s’inscrivent pas dans cette perspective :
« Mon projet était viable, sans points de litige, ciblé et cohérent. D’ailleurs,
ça fait 3 ans que je suis là. Je connais une auto-entrepreneuse qui a arrêté
au bout de 6 mois. Son projet était mal préparé, mal agencé... » (36 ans, en
concubinage, 2 enfants, projet réalisé)
« J’ai rencontré beaucoup de gens pour qui c’était évident : ça ne tenait pas la
route. Le projet n’était pas réaliste ou pas utile, les personnes manquaient de
motivation ou de punch, elles n’étaient pas crédibles. » (38 ans, divorcée,
3 enfants, projet réalisé)
Madame V., 45 ans, en couple, possède un CAP, ainsi qu’une formation maintenance / hygiène (via
l’ex-ANPE). Elle est actuellement sans emploi (bénéficiaire RSA), après avoir exercé des postes
successifs de lingère, couturière, et agent d’entretien. Depuis 3-4 ans, elle refléchit à la possibilité
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Madame V. a entamé récemment un suivi avec la Maison de l’Emploi ; elle a en effet rencontré une
conseillère au début de l’été 2013, pour échanger sur son projet. Mais elle a décidé de mettre ce suivi
entre parenthèses, devant subir une opération chirurgicale.
Madame V. s’interroge sur l’aboutissement de son projet, sur lequel elle aimerait retravailler une fois
l’opération passée. Elle indique avoir besoin d’aide pour la mise en place de ce dernier, à la fois sur
le plan financier et technique. Elle ne dispose en effet d’aucun apport personnel, ne sait pas vers
qui se tourner pour obtenir des subventions ou prêts, et n’a pas suivi de formation pour être DJ
professionnelle. En outre, Madame V., qui s’est « toujours projetée avec une petite famille », aimerait
aussi avoir un enfant après l’opération. Or elle sait que son âge ne lui permettra pas d’attendre trop
longtemps. Mais une éventuelle grossesse ou adoption repousserait encore son projet professionnel.
16. Dans le cadre de notre enquête, les contacts de femmes ont en effet été recueillis via la mobilisation des membres du réseau, à qui il a été demandé la
constitution de listings de femmes suivies en interne, que les projets de ces femmes soient en cours, réalisés, mis en veille, ou bien abandonnés.
40 RECHERCHE SOCIALE N° 208 • octobre - décembre, automne 2013 • Les femmes et le défi de la conciliation entre vie professionnelle et vie familiale
Globalement, celles-ci portent un regard positif sur le travail réalisé par ces
structures, et ce quelles que soient la fréquence et la durée des contacts noués.
« Je n’ai rencontré aucune difficulté avec Alexis, j’ai l’impression que tout s’est
fait comme une lettre à la poste ! L’accompagnement global est très positif, les
gens sont très compétents, toujours là, on n’a jamais l’impression de déranger.
Le cheminement est bien, il mène à la réflexion, à ce qu’on veut vraiment (…).
Sans Alexis, je ne sais pas si je serais allée si loin, et si je connaîtrais tout
ce que je connais maintenant. » (53 ans, en situation de recomposition
familiale, 3 enfants adultes, projet en cours)
« J’ai été à la Maison de l’Emploi, la nana était géniale ! Je n’ai eu qu’un seul
rendez-vous avec elle, mais c’était hyper rassurant : s’il y avait quoi que ce soit,
je pouvais lui envoyer un mail. » (29 ans, célibataire, sans enfant, projet
réalisé)
« J’ai eu des rendez-vous avec CREAlliance tous les quinze jours : à chaque
rendez-vous je prenais de l'assurance, je me sentais plus forte. » (36 ans,
divorcée, 2 enfants, projet réalisé)
« Avec l’aide au montage de projet de la MDE, j’étais dans du concret sur mon
projet, avec quelqu’un de terrain (...). Cela donne une dynamique et ça sécurise
quand on se sent vraiment seule, qu’on doute. Cela m’a stimulée d’avoir un
regard extérieur. » (41 ans, célibataire sans enfant, projet en cours)
17. Le réseau CréAlliance, mais aussi, bien sûr, Pôle Emploi et la Maison de l’Emploi.
RECHERCHE SOCIALE N° 208 • octobre - décembre, automne 2013 • Les femmes et le défi de la conciliation entre vie professionnelle et vie familiale 41
« La Confédération générale des petites et moyennes entreprises (CGPME)
organise des concours d’entrepreneuriat féminin. J’ai été sélectionnée puis
lauréate. Ce trophée m’a fait faire de belles rencontres, car l’une des clés pour
mon projet actuel, ça reste la solidarité entre entrepreneurs, l’association de
compétences et le réseau. Il faut "réseauter".» (39 ans, séparée, 1 enfant en
résidence alternée, projet réalisé)
La diversité des profils et des projets des personnes présentes lors de ces
réunions est présentée par les enquêtées comme une richesse. De leur point
de vue, elle permet de s’extraire d’une réflexion centrée sur son propre
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Les rendez-vous de suivi individualisé proposés par les organismes sont, pour
leur part, utiles pour mettre les candidates en relation avec des personnes
ou structures susceptibles de les aider dans leur réflexion ou dans la
concrétisation de leur projet. Les organismes jouent à cet égard un vrai rôle
d’orientation et de médiation :
« J’ai eu une personne qui m’a prise en charge et m’a fait une liste des cours
qui m’intéressaient par rapport à mon activité. » (53 ans, en situation de
recomposition familiale, 3 enfants adultes, projet en cours)
18. CCI.
42 RECHERCHE SOCIALE N° 208 • octobre - décembre, automne 2013 • Les femmes et le défi de la conciliation entre vie professionnelle et vie familiale
outils pour étudier le potentiel de mon projet. Puis j'ai fait appel à un cabinet
d'expert comptable pour valider mon budget prévisionnel et pouvoir avoir un
dossier solide devant la banque. » (29 ans, en couple, 1 enfant, projet en
veille)
« Je suis entrée en contact avec CREAlliance, ce qui m’a permis de participer à
un concours de créateurs d’entreprise organisé par Promotech. J’ai gagné un
prix – 800 € – dans la catégorie "émergence" en 2009, puis un autre prix – de
3000 € – en 2010 ou 2011. » (38 ans, divorcée, 3 enfants, projet réalisé)
RECHERCHE SOCIALE N° 208 • octobre - décembre, automne 2013 • Les femmes et le défi de la conciliation entre vie professionnelle et vie familiale 43
autorisée à faire des massages, car en France, seul les kinés et sages-femmes
sont habilités à le faire. J’ai donc rencontré un avocat pour m’éclaircir sur ce
point, et il m’a dit que je risquais d’être attaquée en justice. Il fallait donc
penser les choses autrement. » (34 ans, 2 enfants, projet en veille)
« Je suis repartie de la Maison de l’Emploi avec des devoirs à faire. Et ça a mûri.
Je me suis dit qu’il fallait que je me forme à la création de projets graphiques.
Je me suis inscrite par correspondance à l’Ecole de Design et d’Arts Appliqués.
C’était complémentaire avec ma formation d’avant. » (39 ans, mariée,
2 enfants, projet en cours)
19. Milewski F., « La précarité des femmes sur le marché du travail », in Lettre de l’OFCE, n°263, 30 juin 2005.
44 RECHERCHE SOCIALE N° 208 • octobre - décembre, automne 2013 • Les femmes et le défi de la conciliation entre vie professionnelle et vie familiale
« Pendant 4 ans j’ai eu des petits boulots, des CDD de secrétaire médicale,
d’agent d’entretien, j’ai été aussi ambulancière, opératrice de saisie. Je
n’arrivais pas à trouver un emploi en CDI alors j’ai voulu créer ma propre
entreprise pour améliorer ma situation professionnelle et par là même, ma
situation financière. » (44 ans, divorcée, 2 enfants, projet en cours)
20. Cf. Brunet F., Kertudo P., « L’insertion professionnelle des femmes bénéficiaires du congé parental », in Dossier d’études, CNAF, n°134, novembre 2010.
RECHERCHE SOCIALE N° 208 • octobre - décembre, automne 2013 • Les femmes et le défi de la conciliation entre vie professionnelle et vie familiale 45
« Ce n’est pas un bon calcul de monter une entreprise pour avoir du temps pour
ses enfants. Il y a des femmes chefs d’entreprise que je connais qui travaillent
50 heures par semaine. » (34 ans, mariée, 2 enfants, projet en cours)
21. Si les situations de monoparentalité ne sont pas propres aux femmes, ces dernières sont en revanche les premières concernées. Ainsi, en 2009, à l’échelle du
Grand Nancy, les femmes seules avec enfant(s) représentent 15,3% des familles de l’agglomération, tandis que les hommes seuls avec enfant(s) n’en représentent
que 2,5%.
22. Regards sur la parité, éditions 2012, INSEE.
46 RECHERCHE SOCIALE N° 208 • octobre - décembre, automne 2013 • Les femmes et le défi de la conciliation entre vie professionnelle et vie familiale
aux femmes qui « sont considérées comme les plus aptes à s’occuper des enfants »
et dont on attend « qu’elles ajustent leur comportement sur le marché du travail en
conséquence »23. C’est bien ce que suggèrent les propos des enquêtées :
« Une femme doit non seulement prouver qu’elle peut créer son entreprise,
mais aussi prouver qu’elle peut le faire tout en restant une bonne mère et une
bonne épouse (…). Mon mari ne fait rien, c’est le plus gros paresseux qu’on ait
pu inventer par rapport au ménage, il ne faut pas compter sur lui. » (34 ans,
2 enfants, projet en veille)
« En formation, j’ai eu des réflexions des formateurs du type : "une femme qui
a 2/3 enfants, de toute façon c’est fini. Elle ne va pas se lancer dans la création".
Je suis passée devant une Commission pour obtenir un prêt bancaire l’année
dernière, pour pallier des problèmes de trésorerie. Et on m’a dit : "mais vous croyez
qu’avez 3 enfants, c’est possible ?" » (38 ans, divorcée, 3 enfants, projet réalisé)
« Est-ce que je vais être une bonne mère et pouvoir élever mes enfants
correctement ? L’éducation ne va-t-elle pas en prendre un coup du fait que je
suis beaucoup au travail et fatiguée ? Est-ce que ce sera satisfaisant qu’une
assistante maternelle élève mon enfant ? C’est ce côté-là qui est difficile pour
une femme dans la création d’entreprise. » (25 ans, en concubinage sans
enfant, projet en veille)
23. Fagnani J. et Letablier M.-T., « S’occuper des enfants au quotidien : mais que font donc les pères ? », in Droit social, n°3, 2003.
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3 • Des femmes davantage à la recherche d’un soutien conjugal
« Si j'associe mon conjoint au projet, c'est sur les décisions… Je l'appelle "ma
raison", j'ai besoin de lui. Il a la tête plus froide que moi et les idées plus
réfléchies. Je dois lui donner la minorité de blocage pour qu'il puisse prendre
les bonnes décisions. » (34 ans, mariée, 2 enfants, projet en cours)
« Je ne suis pas quelqu’un d’ambitieux dans la vie, donc tant que j’arrive à
m’y retrouver, tout va bien ! De toutes façons, je ne me vois pas porter une
entreprise comme ça sur mes épaules, toute seule, c’est trop lourd à gérer…
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« Pour tout ce qui est banques et administrations, le fait d’être une femme joue
beaucoup. Pourtant, j’avais un plan de financement carré et nickel chrome.
Mais on m’a demandée : "Comment vous allez faire pour gérer ? C’est un
métier d’extérieur !". Pour eux, on n’est pas capable de tenir sous la pluie, de
porter… J’ai dit : "vous savez, maintenant les femmes conduisent des grues et
des camions…" » (36 ans, en concubinage, 2 enfants, projet réalisé)
« On m’a beaucoup découragée aussi. Une connaissance m’a dit : "imaginez,
vous êtes noire, vous êtes une femme et vous voulez ouvrir un restaurant ! C’est
déjà beaucoup !". Il me disait que ce n’était pas pour me blesser, mais que
c’était la réalité des choses. Je ne l’ai pas écouté et j’ai coupé les ponts avec lui. »
(33 ans, célibataire, 2 enfants, projet en veille)
« C’est un atout d’être une femme chef d’entreprise je pense. C’est assez
masculin encore comme milieu, et les femmes n’ont pas le même relationnel
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avec les gens. Ça ne m’a pas desservi, au contraire. » (38 ans, divorcée,
3 enfants, projet réalisé)
« C’est un atout d’être une femme, une marque de fabrique, quelque chose qui
nous permet de nous différencier. » (31 ans, mariée, sans enfant, projet
en cours)
Comme cela a été évoqué plus haut, l’accompagnement délivré par les
structures locales d’aide à la création d’entreprise se présente comme un
activateur de leviers ou un élément limitant les freins à la création.
•L
a lisibilité du rôle des organismes accompagnateurs et du
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« Ce que je n’aime pas, c’est que quand vous voulez créer quelque chose,
vous allez dans une structure, et on vous dit "prenez rendez-vous avec une
autre personne", qui vous dit la même chose. Ça casse la tête, ça fait perdre
du temps… Tous les jours, attendre l’autre rendez-vous, l’autre personne, ça
démotive complètement les gens. » (26 ans, célibataire, 2 enfants, projet
abandonné)
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Les enquêtées soulignent ainsi la difficulté à se repérer dans le paysage
extrêmement complexe et foisonnant des acteurs de la création
d’entreprise. Mais elles évoquent aussi ce qu’elles perçoivent comme des
dysfonctionnements au sein du chaînage existant. Dysfonctionnements
que certaines attribuent à un manque de visibilité, pour les structures elles-
mêmes, de l’ensemble des dispositifs existants et aides mobilisables.
« Je me suis inscrite à Pôle Emploi, et ils ne m’ont même pas informée qu’il
y avait des réunions sur la création d’entreprise ! C’est une amie à moi qui
m’a dit qu’il y avait une réunion d’information sur les auto-entrepreneurs ! »
(41 ans, célibataire, sans enfant, projet en cours)
« Je crois que les structures elles-mêmes ne savent pas trop et sont parfois un
peu perdues. Il faudrait former les accompagnateurs sur la connaissance des
dispositifs et des aides. Si eux-mêmes ne s’y retrouvent pas… » (extrait du
groupe de femmes porteuses de projets du 24 septembre 2013)
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au gré de leurs besoins et de l’avancée de leur projet, amenées à évoluer vers
d’autres types de structures que celle dont elles dépendaient initialement.
L’organisme référent assurerait précisément une fonction de relais vers les
partenaires adéquats, et deviendrait alors le maillon manquant au système
actuellement en place :
En effet, d’après les enquêtées, les liens entre les différents organismes sont
aujourd’hui relativement « lâches », les acteurs accompagnateurs évoluant
de manière plus ou moins indépendante, sans concertation. Or le récit de
certaines femmes met clairement en lumière les risques de rupture voire de
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« On m’a d'abord orientée vers la CCI et ses "ateliers femmes". C'est un travail
autour du projet professionnel pour savoir si on est capable de travailler en
autonomie : on nous aide à faire une étude de marché… Là, j'ai eu cette idée
de restaurant. Je suis allée jusqu'à faire un plan prévisionnel avec la CCI. Mais
après avoir visité des locaux qui n'allaient pas, j'ai arrêté. Après quelques
mois, je suis allée voir un autre accompagnateur, Alexis. Je suis arrivée avec
mon dossier, et ils m'ont tout fait refaire ! » (36, séparée, 1 enfant, projet
réalisé)
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2 • Le relais des informations
« On passe à côté de certaines choses puisqu’on ne nous transmet pas les
informations. Et même avec du volontarisme, c’est difficile de connaître les
réseaux existants… » (extrait du groupe de femmes porteuses de projets
du 24 septembre 2013)
Les porteuses de projet précisent bien leur désir de rester autonomes dans
le processus de création d’entreprise, et insistent sur le fait qu’elles ne
souhaitent pas « être prises par la main ». En revanche, elles mettent en
avant l’importance d’avoir un interlocuteur facilitateur, capable de recueillir
et mettre à leur disposition l’ensemble des informations nécessaires pour
pouvoir ensuite réaliser seules leurs démarches :
• d’un côté des femmes qui peuvent s’appuyer sur leurs ressources
propres et leurs moyens personnels pour accéder à l’information ;
« J’ai atterri chez Alexis sans y avoir été orientée ! Je me suis débrouillée par moi-
même, j’ai payé mes frais d’inscription, et comme ça je n’ai pas perdu de temps ! »
(extrait du groupe de femmes porteuses de projets du 24 septembre 2013)
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• d’un autre côté des femmes dépourvues de ce « capital » social et/
ou culturel, pour lesquelles l’accès à l’information constitue déjà
un premier obstacle à la concrétisation d’un projet.
« Ils [les professionnels d’Alexis] ne savent pas tout non plus. Ils aident
différents projets, avec différents types d’entreprises. Du coup, il y a des choses
que j’ai découvertes toute seule, trop tard. Comme pour la vente d’alcool, j’ai
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« Je me suis faite accompagnée par Alexis, mais je me rends compte qu’il y a
des lacunes. C’est très bien que cette structure existe pour donner les bonnes
indications par rapport à la compréhension d’un budget prévisionnel, par
exemple. Toutefois, ce n’est pas assez, c’était trop généraliste. J’aurais voulu
qu’on me dise "il y a tel logiciel pour suivre vos rentrées, votre chiffre d’affaire,
votre seuil de rentabilité se calcule comme ça". Là, c’est un peu à la louche ! »
(39 ans, séparée, 1 enfant en résidence alternée, projet réalisé)
« J’ai l’impression que la MDE est plus là pour informer et orienter les personnes
qui ne savent pas trop ce qu’elles veulent faire. Nous, on a une idée précise,
donc on a décidé d’être suivi par l’APEC. » (31 ans, mariée, sans enfant,
projet en cours)
Les propos des enquêtées mettent bien en évidence les limites perçues dans
l’accompagnement : ce dernier porte sur la méthodologie globale de projet,
mais ne constitue pas une aide dans la connaissance d’un nouveau secteur
professionnel, ni dans la découverte et l’apprentissage d’un nouveau métier,
etc. Or une partie importante des porteuses de projet envisagent une création
dans un champ qui ne correspond ni à leur domaine de formation initiale, ni
à leurs expériences professionnelles antérieures :
RECHERCHE SOCIALE N° 208 • octobre - décembre, automne 2013 • Les femmes et le défi de la conciliation entre vie professionnelle et vie familiale 53
« L’accompagnement, c'est vraiment sur la création d'entreprise, l’administratif.
Mais par contre, il n'y a pas de conseils précis sur la vente, le fonctionnement
d'un commerce, etc. Le montage du projet au final, je le maîtrisé déjà. Le plus
difficile c’est maintenant, la gestion de stock, la communication, la vente… »
(39 ans, en couple, 2 enfants, projet réalisé)
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pas des questions qui sont traitées dans le cadre de l’accompagnement, qui se
centre sur le projet. » (extrait du groupe de femmes porteuses de projets
du 24 septembre 2013)
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Conclusion
L’analyse biographique des parcours féminins pré-entrepreneuriaux montre
que, pour les femmes rencontrées lors de l’enquête, le projet de création
d’entreprise s’inscrit fréquemment au carrefour de multiples motivations.
S’il renvoie souvent à un profond désir de réalisation professionnelle et
personnelle, il traduit aussi le souhait de s’affranchir d’un cadre d’emploi
salarié jugé peu gratifiant et difficilement compatible avec une vie de famille
épanouissante. Il renvoie aussi, pour de nombreuses femmes rencontrées, à
une réelle difficulté à s’inscrire dans l’emploi de façon stable et suffisamment
rémunératrice. La création d’entreprise est alors investie d’une dimension
symbolique positive très forte car elle marque une rupture biographique
importante, une nouvelle étape personnelle voire la maîtrise retrouvée de
son destin professionnel.
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Au-delà de ces aspects, la levée de certains freins à l’entrepreneuriat féminin
ne semble pas résider uniquement dans l’action des pouvoirs publics, mais
aussi, et avant tout, dans une modification profonde des représentations
sociales liées à la place des femmes dans la société et dans un rééquilibrage
des rôles et des fonctions domestiques au sein du foyer. Des efforts sont
également sans doute à produire pour lever certains stéréotypes de genre et
faire évoluer le regard que les femmes portent sur elles-mêmes et sur leurs
capacités et leur légitimité à devenir « chef d’entreprise ».
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