Le Ciblage de Linflation Au Maroc Regard

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Le ciblage de l’inflation au Maroc ?

Regards sur la nouvelle loi n° 40.17 portant statut de Bank Al-Maghrib

Article publié in Modern Discussion du 15 juin 2019.


URL: http://www.ahewar.org/eng/show.art.asp?aid=2667.

Lhoussein BAOUZIL1

Introduction

La Banque centrale marocaine (Bank Al-Maghrib) se prépare depuis presque une


décennie pour faire évoluer son cadre de gestion de la politique monétaire du
régime basé sur l’ancrage nominal au régime basé sur le ciblage de l’inflation. Il
s’agit d’un cadre de conduite de la politique monétaire que Bank Al-Maghrib
(BAM) envisage de mettre en œuvre en raison des résultats encourageants en
matière de lutte contre l’inflation réalisés par les pays ayant adopté ce régime à
partir des années 1990. L’adoption de ce nouveau cadre de politique monétaire
nécessite par ailleurs des conditions que l’économie devrait réunir pour que sa
mise en œuvre soit réussie.

Nous proposons dans ce papier de restreindre notre analyse aux seules conditions,
d’ordre purement monétaire, concernant directement la Banque centrale. Il s’agit
des conditions ou de ce que les spécialistes du ciblage de l’inflation appellent les
pré-requis qui ont trait à l’indépendance, à la transparence et à la crédibilité de la
Banque centrale. Ces trois critères fondamentaux sur lesquels repose le régime du
ciblage d’inflation imposent aux autorités monétaires la mise en œuvre des
réformes juridiques profondes avant l’adoption effective de ce régime. En visant

1
Lhoussein BAOUZIL est doctorant chercheur à la Faculté des Sciences Juridiques, Economiques et
Sociales de l’Université Cadi Ayyad de Marrakech (Maroc).

1
cet objectif, le Maroc s’est engagé, durant les dernières années, dans un processus
de réformes intéressant les domaines de la gestion du taux de change, de la
fiscalité, du code de l’investissement ; et plus récemment une réforme du statut
de la Banque centrale a été aussi initiée.

1- Réforme du statut de Bank Al-Maghrib

La chambre des représentants a adopté, à la majorité, le mardi 11 juin 2019 la loi


n° 40.17 portant statut de Bank Al-Maghrib et ce après une deuxième lecture de
ce texte qui a, pendant longtemps, trainé dans les rouages des deux chambres
composant le parlement marocain. Il s’agit d’une nouvelle loi qui remplacera
après sa publication dans le bulletin officiel, l’ancienne loi de 2006 qui souffre de
plusieurs lacunes et insuffisances notamment par rapport à la précision de la
mission de la Bank Al-Maghrib ainsi que par rapport à son indépendance vis-à-
vis du gouvernement.

Dans ce qui suit, nous proposons d’examiner ce texte par rapport aux exigences
du régime de ciblage de l’inflation ; régime que Bank Al-Maghrib envisage
d’adopter très prochainement. Il s’agit en fait de vérifier le degré d’indépendance
que le législateur a confié à la Banque pour exercer sa mission de stabilité des prix
sans être influencée par le gouvernement ou par toute autre institution. En vue de
bien éclairer le degré d’indépendance de l’institution d’émission marocaine, il est
judicieux d’analyser la composition du conseil de la Banque : son organe de
décision. Dans ce cadre, on propose de reprendre les dispositions de l’article 26
de cette loi qui stipulent que le conseil de la Banque est composé de :

- Le wali (gouverneur) de la Banque ;


- Le représentant du gouvernement (il ne participe pas au vote) ;
- 06 membres nommés par le chef du gouvernement dont trois sur
proposition du Wali de la Banque.
- Les décisions sont prisent à la majorité.

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Nous constatons d’ores et déjà que cet article n’a pas été soumis à des
modifications profondes, il a été intégralement repris malgré le fait qu’il a été
tellement critiqué dans la loi de 2006! Il s’agit d’un article qui garantit la mainmise
du gouvernement sur la Banque centrale marocaine. En effet, le pouvoir de
nomination des 03 membres que propose le Wali de la Banque a été confié au chef
du gouvernement ce qui place ce dernier dans une position qui lui permettrait
d’influer sur les choix à lui soumettre pour validation. Le législateur aurait dû
prévoir la nomination de ces 03 membres au niveau du conseil des ministres que
préside le chef de l’Etat et ce afin de réduire la pression que pourrait exercer le
gouvernement sur le Wali de la Banque centrale.

En réalité, il suffit de revenir à la note de cadrage accompagnant la présentation


du projet de la nouvelle loi devant le parlement, pour comprendre l’hésitation du
législateur en matière de prescription de dispositions juridiques à même de
garantir une véritable indépendance de l’institution d’émission. La note précise
que le projet de loi vise "le renforcement de l’indépendance de BAM" ; relatant
que la recherche d’une indépendance totale de cette institution n’est pas encore
considérée comme la finalité de toute réforme du statut de BAM. D’ailleurs, le
fait de prévoir dans l’article 13 que la Banque centrale ne doit pas recevoir ou
solliciter des instructions auprès du gouvernement n’a pas été consolidé par des
mesures de sanctions en cas de violation de dispositions de cet article. Il en ressort
alors que la nouvelle loi portant statut de la Banque centrale marocaine ne garantit
pas l’indépendance légale tellement exigée pour la mise en œuvre du régime de
ciblage de l’inflation. En réalité, cette indépendance dont parle le nouveau texte
est tributaire à l’équilibre des forces entre le gouvernement et Bank Al Maghrib.
Un gouvernement fortement soutenu politiquement pourrait contraindre la
Banque centrale à mener une politique monétaire que la Banque ne souhaite pas
conduire notamment à la proche des échéances de renouvellement des membres

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de son conseil dont la nomination revient, comme nous l’avons déjà signalé, au
chef du gouvernement.

Par ailleurs, la nouvelle loi a bien explicité l’objectif principal de BAM, en


précisant que l’institution d’émission doit veiller à la stabilité des prix. Sur ce
point, l’exigence du régime de ciblage de l’inflation a bien été prise en
considération. D’ailleurs, ce régime exige que la banque centrale ne doive pas
suivre plusieurs objectifs ; son seul mandat devrait être la stabilité des prix. Ainsi,
le législateur marocain a fait évoluer le cadre juridique lié à la fixation des
objectifs que BAM doit suivre en délaissant la poursuite de l’objectif de stabilité
de la production pour se focaliser exclusivement sur l’objectif de la stabilité des
prix. Il s’agit d’une véritable avancée comparativement à la législation de 2006
qui oblige le Wali (gouverneur) de BAM à se concerter avec le représentant du
gouvernement lors de la fixation de l’objectif de stabilité de prix à poursuivre.
Toutefois, d’autres dispositions de la nouvelle loi pourraient être
instrumentalisées par le pouvoir politique pour influer sur les décisions de la
Banque centrale marocaine. Il s’agit à titre illustratif de la disposition explicite
qui précise que la banque centrale doit arrêter et conduire sa politique monétaire
dans le cadre global de la politique économique et financière du gouvernement.
Certes, il est inconcevable que la Banque centrale travaille en isolement des
préoccupations du gouvernement, néanmoins la collaboration de ces deux acteurs
doit être encadrée par des mécanismes juridiques bien explicites pour empêcher
le gouvernement de prendre des mesures qui nuiraient à l’objectif de stabilité des
prix poursuivit par l’institution d’émission notamment lors des années
d’organisation des échéances électorales.

2- La démarche boiteuse

Malgré l’élargissement des missions de la BAM que permet cette nouvelle loi, la
démarche adoptée pour réformer ses statuts demeure très prudente montrant
l’absence d’une véritable volonté des partis politiques actuellement aux
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commandes du gouvernement pour produire une loi plus résolue susceptible
d’apporter un saut en matière du renforcement de l’indépendance de cette
institution. On pourrait suggérer que l’hétérogénéité de la coalition
gouvernementale serait à l’origine de cette prudence empêchant par-là même la
formulation de propositions juridiques audacieuses relatives au degré
d’indépendance à accorder à la Banque centrale.

Par ailleurs, l’examen de ce texte de loi fait ressortir que le volet de la


communication n’a pas été grandement renforcé. Les outils habituels de
communication sont maintenus, alors que le passage au régime de ciblage de
l’inflation exige la multiplication des procédés d’information du public étant
donné que l’ancrage des anticipations des agents économique comme étant le
socle pour atteindre la cible visée ne peut être réalisé qu’en recourant à une
communication permanente et crédible.

En outre, le nouveau texte a bien pris en considération les nouveaux acteurs de


financement introduits dans le marché marocain, en l’occurrence les banques
offrant des produits relevant de ce qui est arbitrairement appelée "la finance
islamique" ; néanmoins aucun représentant des instances religieuses n’a été
proposé pour siéger au conseil de la Banque centrale afin d’apporter des solutions
"religieuses" aux dérapages qui seront soulevés par le développement des activités
de ces banques.

Enfin, la lecture de ce nouveau texte de loi portant statut de Bank Al-Maghrib a


permis de constater des avancées en matière de l’explicitement de l’objectif de
stabilité de prix qui incombe désormais aux seuls responsables de la banque sans
aucune concertation avec le gouvernement. Toutefois, le texte n’a pas été poussé
très en avant notamment par rapport au volet de l’indépendance de la Banque
centrale qui constitue l’élément fondamental pour la conduite d’une politique
monétaire dans un régime de ciblage de l’inflation. En effet, une banque non
totalement indépendante risque d’être influencée par le gouvernement ce qui
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réduira sa capacité à mettre en œuvre une politique monétaire crédible pour mieux
ancrer les anticipations des agents économiques.

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