Independance
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Un Faux Débat
SADOK ROUAI
[email protected]
0ctobre 2023
Sommaire
• Dans ce papier, nous allons essayer de procéder à une évaluation de la BCT sur
une base fonctionnelle en référence à des faits et décisions initiés par le
Gouvernement que des Gouverneurs ont mis en place, sachant pertinemment
qu’elles ne sont pas de l’attribution de la BCT et surtout qu’elles ne constituent
que des expédients qui ne servent pas à terme les intérêts économiques du
pays.
• La situation des finances publiques s’était détériorée à tel point que le déficit
budgétaire avait grimpé de 2.8% du PIB en 1980 à 5.6% en 1982 pour
culminer à 8.1% en 1983.
• Par contre, avoir une banque centrale indépendante a des avantages – la BCT
un conseiller de confiance : Convertibilité ou dévaluation du dinar ?
Le choc crée par la crise sanitaire du COVID était exceptionnel. Il a engendré des besoins
de financement énormes et urgents, que la plupart des gouvernements n’avaient pas,
poussant les banques centrales à accepter de dépasser leur mission de contrôle de
l’inflation pour intervenir directement dans le financement de l’économie réelle.
Cet épisode a relancé le débat sur l’indépendance des banques centrales. Il est raisonnable
de conclure que l’indépendance de celles qui disposent d’une crédibilité historique
reconnue, comme la Reserve Fédérale ou la Banque Centrale Européenne, ne serait pas
remise en question. En revanche, il y’a des risques que l’épisode COVID soit utilisé par les
responsables politiques dans certains pays émergents comme une opportunité pour remettre
en cause l’indépendance de leur banque centrale. Ces risques sont élevés surtout dans les
pays déjà en difficultés financières et soumis à des besoins budgétaires pressants. C’est le
cas de la Tunisie.
Dans un article récent (Indépendance de la BCT : A faux problème, mauvaise solution ?),
mon ancien collègue Ahmed Tarchi avait noté que « l’indépendance de la BCT recouvre
deux dimensions : l’une législative ou organique, et l’autre opérationnelle ou
fonctionnelle. On parle aussi d’indépendance légale et d’indépendance réelle ».
L’expérience montre qu’il est souvent beaucoup plus facile de débattre de l’indépendance
d’une banque centrale sur la base de ses textes organiques et notamment les modalités
légales de ses relations financières avec l’État et de nomination et de révocation du
Gouverneur et des membres du Conseil d’Administration.
Cette approche légale n’est malheureusement pas suffisante. La gestion d’une banque
centrale est compliquée car non seulement elle évolue dans un environnent domestique et
international caractérisé par une conjoncture mouvante, mais surtout elle opère dans un
milieu où les pressions politiques peuvent souvent se traduire par des choix économiques
contraires à l'objectif premier de la banque centrale tel que stipulé dans son mandat.
Évaluer l’indépendance d’une banque centrale sur une base fonctionnelle est une tâche trop
difficile car elle n’est pas basée sur les données traditionnellement publiées par la banque
centrale mais requiert des expériences personnelles ou l’accès à des dossiers internes,
souvent confidentiels.
Le débat actuel sur l’indépendance de la BCT est construit sur cette base légale.
L’argument principal de ceux qui veulent remettre en cause cette indépendance repose
selon eux sur les contraintes imposées par l’article 25 de la loi n°2016-35 du 25 avril
2016 :
« Article 50
Leur argument est que le soutien exceptionnel de la BCT à l’État, tel que prévu dans
l’article 50, est limité tant dans son montant que dans sa durée et que son impact sur
l’inflation serait par conséquence gérable. Ce financement aurait l’avantage de soutenir les
politiques économiques et financières de l’État.
Le débat actuel est un faux débat et tout amendement des Statuts de la BCT ne fera que
retarder encore une réponse urgente et responsable à la crise que traverse la Tunisie.
Pourquoi ? La raison est que toute la problématique et les solutions identifiées sont axées
uniquement sur la mobilisation de ressources additionnelles pour financer des dépenses de
l’État toujours en augmentation découlant d’un choix politique où toute action tendant à
réduire le train de vie de l’État et le poids de sa présence dans l’économie a été exclue.
Le choix politique actuel qui est de ne pas réduire ni les dépenses de compensation, ni le
soutien financier aux entreprise publiques déficitaires, ni la masse salariale a un corollaire
évident, à savoir une chasse désespérée au financement. Dans un environnement où le
soutient budgétaire extérieur est conditionné à un accord avec le FMI, la seule solution est
le recours au financement intérieur. L’État a donc commencé par presque épuiser son
recours auprès des banques en dinars puis en devises. Par la suite, c’était au tour des
fournisseurs de l’État, locaux et étrangers, et des Offices nationaux sous forme de retards
de paiements puis d’impayés. Tout ça a des limites.
Pas pour ceux qui soutiennent un amendement des Statuts de la BCT. Ces derniers estiment
que c’est le rôle de la BCT de soutenir l’État et que son indépendance est limitée. Le
Président Kaïs Saïed a, par exemple, indiqué lors de sa visite au siège de la BCT en
Septembre 9, 2023 que :
« L’ancien statut de la banque centrale de 1958, était bien meilleur que le statut
actuel, sur plusieurs points. »
Ceux qui soutiennent un amendement des Statuts de la BCT pour restaurer son
financement direct à l’État, même dans le cadre de limites légales ignorent que lorsqu’une
brèche est ouverte elle risque de donner lieu à des abus et à des détournements de la loi,
simplement pour offrir des solutions faciles et temporaires au gouvernement.
C’est pour cela que dans le cas de la Tunisie, l’évaluation de l’indépendance de la BCT sur
une base légale est insuffisante. Nous allons essayer de procéder à une évaluation
fonctionnelle sur la base de faits et décisions initiés par le Gouvernement que des
Gouverneurs de la BCT ont mis en place, sachant pertinemment qu’elles ne sont pas de
l’attribution de la BCT et surtout qu’elles ne constituent que des expédients qui ne servent
pas à terme les intérêts économiques du pays.
Pour ne pas détériorer d’avantage le niveau du déficit budgétaire le Ministre des Finances
et du Plan, Mansour Moalla, avait demandé au Gouverneur de la BCT, Moncef Belkhodja,
que la BCT effectuait un certain nombre d’opérations au nom et place du Trésor et d’opérer
des transactions comptables touchant le bilan de la banque pour offrir des financements
déguisés au Trésor en dehors du budget voté par l’Assemblée Nationale. Ces opérations
avaient totalisé 322 millions de dinars, soit l’équivalent de 5.8% du PIB de l’année 1983.
N’ayant pas eu accès aux archives de la BCT, je pense que l’Article 34, alinéa 1 a été
utilisé :
Le précédent crée par Moalla a été suivi même après son départ du Gouvernement. Toutes
ces opérations et transaction avaient été validées par le Conseil d’Administration de la
banque et notées dans ses Rapports Annuels et ceci malgré les contraintes de l’article 50 de
La BCT était contre la création des banques de développement mixtes préconisée par
Moalla. Elle considérait que la Tunisie était sur-bancarisée et que la modernisation du
system bancaire et l’amélioration de la compétition exigeait plutôt l’élimination du
cloisonnement entre banques de dépôts et banques d’investissement. Malgré ces réserves,
les banques de développement avaient été créées mais Moalla, ne disposant pas de
ressources budgétaires, avait poussé la BCT à participer à leur capital.
Entre 1982 et 1987, un montant de 174.5 millions de dinars a été utilisé par la BCT pour
participer, au nom de l’État, au capital, non seulement des nouvelles banques de
développement (STUSID, BTKD, BTQI, BTEI, BTLD), mais aussi à celui de la BDET, de
la COFITOUR, de la COTUNACE, de la Campanie Sfax Gafsa, et de l’Union Tunisienne
de Banques à Paris. Le Ministre des Finances avait même demandé à la BCT de participer
au capital d’une banque étrangère privée, la Best Bank.
Pire encore, des cadres supérieurs de la BCT avaient été nommés membres du Conseil
d’Administration de ces banques et entreprises publiques contre toute éthique
professionnelle et standards internationaux. Du coup, ces cadres avaient été intimement
impliqués dans la gestion de banques qu’eux-mêmes étaient censés contrôler et
d’entreprises publiques que des banques ont estimé non bancables pour bénéficier de
crédits additionnels.
Avance déguisée à l’État à travers une réévaluation comptable des avoirs en devises
En 1983, Moalla avait demandé à la BCT une avance au Trésor de 100 millions de dinars.
Pour satisfaire cette demande, tout en respectant la lettre de l’article 50 des Statuts de la
BCT, Belkhodja avait procédé à une réévaluation comptable des avoirs en devises en Aout
1983 en modifiant les taux de référence comptables utilises pour la reconversion en dinars
des réserves de changes libelles en monnaies étrangères.
Suite à cette opération, le niveau des avoirs en devises avait plus que doublé, passant entre
Juillet et Aout de 121 millions de dinars à 267 millions de dinars. Le produit de la
réévaluation, d’un montant de 147 millions de dinars a été versé au Trésor à concurrence
de 57 millions de dinars et le reliquat, 90 millions de dinars, avait été utilisé pour
compenser des entreprises publiques pour leurs pertes de change.
En 1986, Mzali avait demandé une deuxième avance de 100 millions de dinars. Belkhodja,
avait essayé d’expliquer qu’une réévaluation n’était pas une opération fréquente. Mzali
l’avait remplacé.
La gouvernance de la BCT avait été caractérisée par une grande stabilité depuis sa création
en 1958 jusqu’aux années 1980 avec seulement 3 Gouverneurs pendant 22 ans, dont
Nouira qui était resté en fonction plus de 12 ans. Aucun n’avait été relevé de ses fonctions.
Ça n’a pas été le cas depuis 1980 avec la nomination de 10 Gouverneurs. Sur ces 10, et si
exclut le Gouverneur actuel Marouane Abbasi et Ismail Khélil, nommé Ministre des
Affaires Étrangères, 7 avaient été relevés de leur fonction avant la fin de leur premier
terme pour des considérations purement politiques. Cette instabilité avait caractérisé aussi
bien la décennie 1980 (sur les 4 Gouverneurs nommés, 3 avaient été remerciés avant terme,
dont Abdelaziz Mathari qui n’était resté que 2 mois) et la période post révolution (sur les 4
Gouverneurs nommés, si exclut le Gouverneur actuel, 3 avaient été remerciés avant terme).
Par contre, la décennie 1990 avait été une période de stabilité avec Mohamed El Béji
Hamda à la tête de la BCT durant plus de 10 ans.
La période de reformes
Cette stabilité, combinée avec l’effort de réformes structurelles engagées dans le cadre de
programmes avec le FMI avait permis à la BCT de reconstituer sa crédibilité et de
renfoncer graduellement son indépendance vis-à-vis du gouvernement.
D’abord par la Loi 88-119 du 3 Novembre 1988 qui avait permis à la BCT d’assainir son
bilan à travers l’Article 73 nouveau :
Cet effort de réformes avait été poursuivi par Taoufik Baccar dans le cadre de la Loi 2006-
26 qui avait clarifié d’avantage la mission de la BCT « La banque centrale a pour mission
générale de préserver la stabilité des prix. ». En plus, et pour la première fois, une
disposition avait été inclue pour indiquer que « La banque centrale ne peut accorder au
Trésor des découverts ou des crédits ni acquérir directement des titres émis par l’État. »
Cette muraille légale a été salutaire pour la Tunisie après la révolution car elle avait permis
de couper court à toute tentation des gouvernements successifs de recourir à des avances de
la BCT. En plus et pour se conformer aux nouvelles dispositions de l'article 47 bis. Chedly
Ayari avait signé le 22 octobre 2012 avec Slim Besbes, Ministre des Finances, une
convention portant sur le remboursement intégral par le Trésor de l’avance permanente de
25 millions de dinars octroyée par la BCT en 1970.
Sur un autre plan, il est regrettable d’évaluer l’indépendance de la BCT uniquement sur la
base de niveau de son financement à l’État. La BCT est aussi des femmes et des hommes
qui prodiguent, à travers le Gouverneur, des conseils au Président, parfois contraires aux
politiques de son propre gouvernement.
Une mission du FMI qui avait visité la Tunisie en Octobre avait conclu que la
convertibilité du dinar devait être accompagnée par une dévaluation du dinar de l’ordre de
10 à 15%, reprenant ainsi une demande du secteur privé, soutenue par certains ministres
pour donner un coup de pouce aux exportateurs, qui perdaient à l’époque leur compétitivité
vis-à-vis des nouveaux pays de l’Europe de l’Est.
Une anxiété avait précédé cette visite, mais la BCT s’était préparée pour l’occasion. La
veille de la rencontre entre le Président Ben Ali et Michel Camdessus, le Gouverneur avait
expliqué la situation au Directeur General lui indiquant qu’une dévaluation était une
solution de facilité qui serait interprétée comme un échec des deux programmes entre la
Tunisie et le FMI et qui serait suivie certainement par un autre programme et peut être une
autre dévaluation dans 3 ou 5 ans. Par contre, continuer les réformes structurelles et
pousser le secteur privé à se restructurer et à améliorer sa compétitivité est une tâche
difficile mais nécessaire que le Fonds devait soutenir.
Un pays avance non pas en retournant en arrière et invoquer des lois et des politiques dont
l’expérience a montré leurs limites. Le gouvernement doit éviter les solutions faciles mais
couteuses et s’engager sur un programme de réformes qui tôt ou tard sera inévitable.
A ceux qui demandent l’élimination de l’article 25, alinéa 4 de la loi 2016-16 qui régit
actuellement la BCT, il est important de clarifier que l’interdiction d’octroyer des avances
au Trésor date de 2006 et non 2016 et que depuis, la Tunisie avait vu passer 5 Présidents,
10 Chefs de Gouvernement, et 13 Ministres des Finances qui ont tous respecté
l’indépendance de la BCT en tant qu’institution d’État.
Revenir aux dispositions de la loi de 1958 est un pas en arrière qui ne garantit rien comme
l’histoire le montre. La tentation serait grande pour le gouvernement de répéter les
dépassements faits durant les années 1980, simplement pour avoir des solutions faciles qui
ne feraient que retarder encore les réformes nécessaires. Nos politiciens doivent respecter
nos institutions.
Quant à la BCT, elle doit aussi continuer à se moderniser car son indépendance commande
aussi plus de redevabilité et de responsabilité. Elle a fait des avancées dans les domaines de
la transparence et de la dissémination d’informations mais beaucoup reste à faire.
• La BCT doit, par exemple, organiser des conférences de presse après chaque
réunion du Conseil et ouvrir ses archives aux chercheurs.
• La BCT doit également respecter les délais légaux quant à la publication de son
Rapport Annuel au plus tard le 30 Juin.
• Pour renforcer sa crédibilité, la BCT doit faire appel à des experts pour évaluer
d’une manière périodique ses politiques. L’évaluation externe est une pratique
récente introduite par beaucoup de banques centrales (Angleterre, Australie,
Irlande, Chili, Espagne...).
• Enfin, l’indépendance de la BCT reste relative car elle demeure en deçà des
meilleures pratiques internationales qui stipulent, notamment, que les représentants
du gouvernement ne doivent pas siéger au Conseil d’Administration et que des
critères doivent être établis pour la nomination et le renvoi du Gouverneur et des
membres du Conseil.