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HISTOIRE GÉNÉRALE
DE LA CHINE
et de ses relations avec les pays étrangers depuis les temps
les plus anciens jusqu’à la chute de la dynastie manchoue

par
Henri CORDIER (1849-1925)

chapitres I — IX
Depuis les temps les plus anciens jusqu’à la mort de Wou ti (87 av. J.-C.)

Un document produit en version numérique par Pierre Palpant,


collaborateur bénévole
Courriel : [email protected]

Dans le cadre de la collection : "Les classiques des sciences sociales"


dirigée et fondée par Jean-Marie Tremblay,
professeur de sociologie au Cégep de Chicoutimi
Site web : http ://www.uqac.uquebec.ca/zone30/Classiquesdessciencessociales/index.html

Une collection développée en collaboration avec la Bibliothèque


Paul-Émile-Boulet de l’Université du Québec à Chicoutimi
Site web : http ://bibliotheque.uqac.uquebec.ca/index.htm
Henri Cordier Histoire générale de la Chine 2

Un document produit en version numérique par Pierre Palpant, collaborateur bénévole,


Courriel : [email protected]

à partir de :

Histoire générale de la Chine


et de ses relations avec les pays étrangers
par Henri CORDIER (1849-1925)

Librairie Paul Geuthner, Paris, 1920, fac-similé disponible sur le site de la


collection gallica.bnf.fr

Polices de caractères utilisée : Times, 10 et 12 points.

Mise en page sur papier format LETTRE (US letter), 8.5’’ x 11’’.

Édition complétée le 30 novembre 2004 à Chicoutimi, Québec.


Henri Cordier Histoire générale de la Chine 3

TABLE DES MATIÈRES


Notes

Chapitre Premier : Origine des Chinois : Théories étrangères.


Goguet, Kircher — Fréret — Huet — Mairan, de Guignes — Leroux Deshauterayes —
Warburton — Needham, de Pauw — Voltaire — Bouteilles de porcelaine — Diodore,
Hérodote — Terrien de Lacouperie — Biot, Ball — Gobineau — Buffon — Bailly

Chapitre II : Sources de l’histoire d e la Chine — Origine des Chinois : Théories chinoises.


Sources : Système bibliographique — San fen, Wou tien — Chou King, Che Ki —
Tchou Chou Ki nien — Tch’ouen Ts’ieou — T’oung Kien Kang mou.
Origine.

Chapitre III : Les Cinq Empereurs.


Fou Hi — Pa Koua — Sacrifices Foung et Chan — Niu Koua — Chen Noung —
Houang Ti — Postérité de Houang Ti — Chao Hao — Tchouen Hiu — Ti Ko ou
K’ou — Ti Tche — Tableau

Chapitre IV : Yao et Chouen.


Yao — Plante du Calendrier — Le Déluge — Pe Kouen — Chouen — Yu —
Travaux de Yu — Trois Kiang — Tablette de Yu — Chouen — Règne de Chouen —
Mort de Chouen — Kiang et Ho — Le Kiang — Houang Ho.

Chapitre V : Hia et Chang.


Dynastie Hia : Yu — K’i — Tai K’ang — Tchoung K’ang — Siang, Chao Kang —
K’oung Kia Kié — Tableau dynastique
Dynastie Chang : Chang — T’ang — T’ai Kia — Wou Yi — Sin — Ecailles de
tortue — Tableau dynastique.

Chapitre VI : Troisième dynastie. Les Cheou.


Wou Wang — Tcheng, Légende — Tchao, Mou — Si Wang Mou — Koung —
Siouen — Yeou — P’ing — Royaumes des Tchou’en Ts’ieou — Houan — Houan,
Tchouang, Hi, Houei — Siang ... — Etendue de l’Empire — Gouvernement —
Tableau dynastique
Henri Cordier Histoire générale de la Chine 4

Chapitre VII : Confucius et Lao Tseu.


Confucius : Vie — Livres classiques — Philosophie — Le culte — Hiao king —
Culte des Ancêtres — Mencius.
Lao Tseu : Vie — Légende — Entrevue avec Confucius — Lao Tseu et l’Occident
— Traduction — Disciples — Tchang Tao-Ling — Culte.

Chapitre VIII : Quatrième Dynastie : Les Ts’in.


Origine — Ts’in Che Houang Ti — Hioung Nou — Grande Muraille — Annam —
Mort de Che Houang Ti — Tableau dynastique.

Chapitre IX : Cinquième Dynastie : Les Han


Kao Tsou — Hiao Houei — L’impératrice Lu — Hiao King — Wou Ti — Wou
Suen — Tch’ang Kien — Ho K’iu p’ing — Deuxième voyage de Tch’ang Kien —
Administration coréenne — Tableau dynastique

—————————

Notes — Principautés du Tch’ouen ts’ieou — Cartes


Tableaux dynastiques :
Postérité de Houang Ti
Trois Souverains et Cinq Empereurs — Hia — Chang — Tcheou — Ts’in — Premiers Han
Henri Cordier Histoire générale de la Chine 5

CHAPITRE PREMIER

Origine des Chinois : Théories étrangères.

• • 5 Les origines de la nation chinoise ne peuvent être placées dans une


antiquité aussi reculée que celles d’autres pays comme la Babylonie, l’Elam,
l’Egypte ; mais son histoire offre une continuité et une durée que l’on
chercherait vainement dans une autre : nous n’avons pas en effet pour éclairer
les débuts de cette histoire, des monuments de pierre d’une authenticité aussi
indiscutable, par exemple, que le Code d’Hammourabi, la Stèle des Vautours
et les hypogées d’Egypte. L’archéologie préhistorique qui commence à
éclairer d’ un jour nouveau l’histoire pré -dynastique de l’Egypte n’a pas
encore arraché ses secrets aux vieux sol chinois, et jusqu’à ce jour, tout ce
qu’on a écrit sur les relations dans un passé lointain de l’Extrême -Orient avec
l’Occident n’est qu’hypothèses et t héories trop souvent absurdes.
En réalité le problème non encore résolu de l’antiquité la plus éloignée de
l’apparition de l’homme sur une terre infiniment plus ancienne que nous ne
l’avions cru jusqu’ici, se pose avant le problème de l’origine de la civi lisation.
Nous n’avons pas encore de base certaine pour établir l’antiquité de l’homme.
Contentons-nous aujourd’hui de la petite lueur qu’ont projetée les travaux
récents de la géologie et de la préhistoire sur les débuts de l’humanité ; sur ce
que nous considérons comme le fatras de nos ancêtres, en attendant que nos
descendants à leur tour traitent nos conceptions de billevesées. La vérité est
toujours en marche, mais elle chemine si lentement que l’homme de nos
générations aura probablement disparu avant de l’avoir connue entière. La
préhistoire ne doit pas être traitée comme l’histoire, car, faute de base
véritablement scientifique, il est • 6 impossible d’en dresser la chronologie. La
préhistoire de certains pays correspond à la période historique d’au tres pays :
elle ne suit pas une marche parallèle dans toutes les contrées dans lesquelles
elle varie grandement suivant les temps.
Les géologues nous apprennent qu’aux époques an ciennes, avant
l’apparition de l’homme, une mer inté rieure, appelée la Thétys, séparait l’arc
sibérien d’Irkoutsk des hautes cimes de l’Himalaya, les terres septentrionales
des terres méridionales de l’Asie, le continent de l’Angara au nord, du
continent de Gondwana au sud. Cette grande mer intérieure faisait
communiquer l’Atlant ique par la Méditerranée, avec le sud-est de l’Asie. Peu
à peu cette immense masse d’eau fut brisée au milieu de l’époque ter tiaire ; les
deux terres boréale et australe se soudèrent, constituant le continent asiatique
qui s’affaissant, au nord donna nai ssance à la plaine sibérienne, au sud à
l’Océan indien, conservant une vaste mer intérieure, elle -même peu à peu
Henri Cordier Histoire générale de la Chine 6

transformée en une série de mers et de lacs qui durèrent jusqu’au jour où le


manque de communications avec l’Océan, de la vaste nappe liquide d es temps
anciens fit un désert aride. A ce dessèchement progressif ont correspondu,
probablement des migrations successives de peuples, des périodes de barbarie
succédant à des périodes de civilisation qui peut n’avoir été que locale.
Longtemps avant les dates assignées aux civilisations de la Babylonie et
de l’Egypte, l’homme vivait dans des oasis transcaspiens, par exemple à
Anau, près d’Askabad : il habitait déjà dans des villes, cultivait le blé et l’orge
et commençait à élever et à domestiquer les animaux qui pouvaient lui être
utiles, cette civilisation disparut devant le dessèchement de la région, amenant
des migrations qui sont peut-être l’origine des civilisations de la Babylonie et
de l’Egypte considérées par l’historien et l’archéologue comme les plus
anciennes du monde, alors que le géologue seul nous révèle l’existence
d’Anau (1). On doit penser qu’il y eut des migrations de peuples à des époques
géologiques • 7 où l’homme actuel n’existait pas encore. Nous ne devons pas
croire que les peuples les plus anciens que nous connaissions soient en réalité
les plus anciens des peuples. Le témoignage de la nature est moins sujet à
erreur que le témoignage de l’homme. A quelle époque l’homme, dont nous
ignorons encore l’antiquité, a -t-il paru sur cette terre d’Extrême -Orient, qui
constitue aujourd’hui l’Empire chi nois ? Problème jusqu’à présent insoluble,
et qui le restera peut-être toujours. L’intelligence de l’homme mise au service
de la science est comme celle-ci limitée ; il arrive un moment où elle se trouve
en présence de phénomènes qui lui sont incompréhensibles, alors commence
pour lui le surnaturel ; variable suivant les progrès de la science et le
développement de l’intelligence, suivant le milieu également. Le surnaturel
d’une époque et d’une région n’est qu’un phénomène naturel à un autre
moment et dans un pays différent.
Il sera facile de constater par la lecture de ces pages que la Chine, ayant
peu emprunté et peu rendu, n’est pas néan moins un bloc resté complètement
immuable et intangible à travers les siècles, sans avoir dans une certaine
mesure subi et influencé non seulement la civilisation des pays environnants
mais aussi celle de ceux qui par leur éloignement paraissaient avoir échappé à
tout contact avec le vaste Empire de l’Asie orientale ; mais ces échanges
réciproques se sont produits au cours des siècles dont nous connaissons
l’histoire, plus en détail, au fur et à mesure qu’elle se rap proche de nous, mais
dont nous n’ignorons pas, au moins dont nous soupçonnons certaines
particularités d’époques fort éloignées de notre temps. Il ne me paraît pas que
ces influences puissent remonter à une antiquité fort reculée ; dans tous les
cas, elles peuvent être placées pendant cette période de l’histoire du monde
qui appartient à la période géologique de l’époque actuelle ; c’est -à-dire celle
où l’homme commence à se rendre maître de la planète sur laquelle il a apparu
des milliers d’années auparavant. Des civilisations asiatiques qui nous sont
aujourd’hui inconnues ou sont simplement entrevues par nous ont existé avant
Henri Cordier Histoire générale de la Chine 7

la période • 8 à laquelle appartiennent les faits dont nous nous proposons de


retracer l’histoire.
La Chine dont nous écrivons l’histoire aujourd’hui est ignorée dans son
antiquité reculée aussi bien de ses habitants que de nous ; son passé
préhistorique inconnu de nos devanciers, soupçonné depuis peu d’années,
devient maintenant une réalité comme celui de l’Égypte. Puis nous con statons
l’existence de monuments, tels les menhirs, dont les Chinois eux -mêmes ne
signalent pas l’existence ou méconnaissent la significat ion. La Chine nous
apporte une fois de plus la preuve qu’il ne faut rien nier, sous le mauvais
prétexte qu’on n’a rien trouvé ; le présent doit vivre dans le doute quand il ne
touche pas à la réalité ; et faire crédit à l’avenir.
L’éloignement, les difficu ltés d’une longue route de terre ou les périls
d’une navigation sur des mers soumises à l’action des moussons, souvent
dévastées par les typhons, la faiblesse relative des voisins, l’énormité même
de son territoire, avaient forcé la Chine à vivre sur elle-même, sans tirer du
dehors les choses nécessaires à la vie ; elle trouvait également en elle-même
les ressources intellectuelles utiles au développement et à la conservation de
son génie particulier, et somme toute, en dehors du bouddhisme, elle a peu
emprunté, et encore sans continuité et à des époques très différentes, à des
éléments étrangers au pays. Les nations qui avaient besoin de sa soie, de sa
rhubarbe, de son musc, venaient les chercher ; celles qui, au contraire, lui
vendaient leur opium, les étoffes de laine et de coton les apportaient : Le
Chinois n’avait pas besoin de quitter son pays pour y voir affluer les
marchandises étrangères ou pour faire transporter ses produits au loin. Ce qui
ne veut pas dire toutefois que, au cours de leur longue existence, les Chinois
n’aient jamais éprouvé le besoin ou le désir de visiter les contrées lointaines,
et l’on verra dans ces pages que, soit le zèle religieux pour les pèlerins
bouddhistes, soit l’appât du lucre pour certains négociants, soit des intérê ts
politiques pour différentes missions comme celles de Tchang K’ien et de
Tcheng Ho, soit même une ambition guerrière dans • 9 l’expédition de Pan
Tch’ao dans l’Asie centrale, ont réussi, mais d’une façon irrégulière, à attirer
les Chinois hors de chez eux. Si les Chinois n’ont donc pas vécu
complètement séparés du reste du monde, toutefois, sans ignorer l’exis tence
des pays étrangers, même lointains, ils n’en ont jamais eu une notion complète
jusqu’à l’époque contempo raine, lorsque la facilité des communications, la
durée moindre des voyages ayant placé la Chine à une quinzaine de jours de
l’Europe, l’envoi d’étudiants qui on t puisé des idées nouvelles hors de chez
eux, l’ont obligée à sortir de son « magnifique » isolement et d’entrer, plutôt
de mauvais gré, dans le grand concert international du monde, et l’ont
entraînée à étudier sans enthousiasme des problèmes politiques et
économiques qu’elle avait négligé de se poser jusqu’alors.
On verra que, si pendant des siècles, pour la Chine, la morale de
Confucius a été le fil conducteur de sa pensée, et la base même du système
politique qui a mis à la tête du pays constitué en une vaste famille un
Henri Cordier Histoire générale de la Chine 8

empereur « Fils du Ciel », cette nation ne s’est pas figée dans une
administration immuable, qu’elle a été comme les autres agitée par de nom -
breuses révolutions, qu’elle a été gouvernée, par différentes dynasties,
quelques-unes même étrangères ; qu’elle a connu tous les modes de
gouvernement depuis l’autocratie impé riale jusqu’au socialisme d’État de
Wang Ngan-che, revenant toutefois à sa civilisation primordiale jusqu’au jour
récent où, battu en brèche par les étrangers devenus ses voisins ou qui l’ont
trop pénétré, le vieil édifice vermoulu semble s’écrouler devant la pression de
l’Occident : reflux d’une marée qui, il y a quelques siècles, avait porté
jusqu’au cœur de l’Europe les descendants des tribus du nord de l’Empire
chinois. Mais que nous réserve l’avenir ? Une telle histoire est plus propre que
n’importe quelle autre à nous faire suivre les vicissitudes des empires et des
royaumes, leur développement ; leur grandeur, leur décadence. Témoin unique
dans l’histoire du monde, la C hine est le seul empire qui ait soutenu
jusqu’aujourd’hui l’assaut des ans, du désordre intérieur, de la concurrence et
de la rivalité • 10 extérieures. Le philosophe, autant, plus même que l’historien,
trouve dans l’enchaînement des faits qui constituent sa vie matière à de
sérieuses leçons.
L’Europe, qui tire la soie de la Chine depuis une haute antiquité, n’a
longtemps considéré cet empire que comme une terre ayant sa vie propre ; ne
se rattachant par aucun lien au reste du monde ; elle a été l’objet de
spéculations fantaisistes de la part de quelques savants ; et pour la masse des
gens elle ne fut qu’une simple curiosité. Claude Duret, au commencement du
XVIIe siècle, dans l’énumération des langues que contient son Thresor de
l’histoire des langues (2), cite les langues indienne orientale, chinoise,
japonaise, sans parler des sons, voix, bruits, langages ou langues des animaux
et oyseaux. Bossuet, dans son Discours sur l’Histoire Universelle , fera une
place aux Scythes, mais il passera la Chine sous silence, ne soupçonnant pas
le rôle que cette masse d’humains a joué dans l’histoire générale du monde
dont elle forme le tiers de la population, ignorant ou oubliant que c’est la seule
nation dont l’histoire se continue sans interruption depuis les âges les plus
reculés jusqu’à nos jours ; qu’aux temps lointains de l’Egypte et de l’Assyrie,
il existait déjà une Chine et que cette Chine existe encore aujourd’hui. Au
XIIIe et au XIVe siècles, à l’époque de l’hégé monie mongole, le voile
mystérieux qui cache cette distante contrée est soulevé par Marco Polo et
quelques zélés missionnaires, mais il retombe pour ne se relever partiellement
qu’au XVIe siècle, et ce ne sera qu’au milieu du XVIIe siècle que les
missionnaires de la Compagnie de Jésus, comme Martini dans son Atlas
sinensis, nous donneront enfin des notions exactes sur l’Empire du Milieu. Et
comme on sera sans doute étonné qu’un chapitre aussi important de l’histoire
du Monde ait pu se dérouler pendant des milliers d’années sans que l’Occident
y ait eu sa grande part, on inventera des relations imaginaires, ou on tâchera
de se la rattacher à l’aide de théories a bracadabrantes qui, poursuivies jusqu’à
nos jours, donnent un des plus curieux exemples des folies que peut engendrer
Henri Cordier Histoire générale de la Chine 9

l’ignorance ou une • 11 science insuffisante. Nous allons examiner quelques-


unes de ces théories par lesquelles les savants d’Europe, désireux de trouver à
l’humanité une origine commune, ont cherché à relier la vieille Chine à
différents pays de l’Asie antérieure, voire de l’Europe.

Goguet.
Goguet ira trop loin dans son incrédulité :
« On peut assurer hardiment, dit-il, que jusqu’à l’an 206 av. J. -C.
leur histoire ne mérite aucune croyance. C’est un tissu perpé tuel de
fables et de contradictions ; c’est un chaos monstrueux dont on ne
saurait rien extraire de suivi et de raisonnable (3) ».

Kircher.
Le savant jésuite allemand Athanase Kircher (4), paraît être le premier à
avoir soulevé la question de l’origine égyptienne d es Chinois dans son grand
ouvrage Œdipus Ægyptiacus (5) en 1654 ; il a depuis reproduit sa théorie dans
un autre de ses livres, la China illustrata (6), parue en 1667, dont une édition
française (7), fut donnée en 1670 ; dans celle-ci la Sixième Partie est consacrée
à l’écriture des Chinois et comprend cinq chapitres dont le quatrième traite de
la différence qui est entre les caractères chinois, les hyeroglifes des Égyptiens.
« Les premiers Chinois, écrit Kircher, étant descendus des
Egiptiens ont suivi leurs façons de faire pour leurs escritures, non
pas quand à la composition des lettres, mais quand aux figures
tirées de diverses choses naturelles ; lesquelles leur servoient pour
manifester leur concept. C’est pourquoy ils avoient autant de
signes pour l’expliquer qu’ils avoient de choses à enoncer » (8).
Plus loin, il nous dit :
« Les enfans de Cham, ayant conduit • 12 des colonies dans les
extrémités de la Chine, ils y avoient introduit aussi les lettres & les
caractères non pas à la vérité avec toutes les significations et les
mistères dont estoient ornés les hyeroglifes des Egiptiens, mais
tout autant qu’il était nécessaire pour expliquer sa pensée, &
donner à connoistre ses conceptions & ses sentimens ; quoyque
grossièrement (9) ».
« Les premiers Chinois ont fait leurs caracteres de toutes les choses
du monde, & ils se sont servis de tout, comme on le voit par leurs
chroniques et par la forme et la figure de leurs lettres : car ils les
formoient de mesme que les Egiptiens, representant tantost des
animaux, maintenant des volatiles, apres des reptiles, des poissons,
et enfin apres tout cela ils se servoient des herbes, des ramaux
Henri Cordier Histoire générale de la Chine 10

d’arbres, des cordes, des points, des cercles, et de plusieurs autres


choses qui formoient neantmoins ces mesmes caractères d’une
autre façon que ceux des Chinois d’apresant, les quels pour estre
devenus plus doctes et plus habilles par l’experience des choses,
ont changé le tout, & ont mis cette confusion d’animaux & de
plantes dans une certaine ressemblence par les points qu’ils y ont
mis, lesquels rendent cette ancienne méthode plus facile et plus
courte qu’elle n’estoit (10). »

Ce que Kircher connaissait de la Chine, il le tenait du P. Michel


Boym (11), Polonais, envoyé d’Extrême -Orient en mission en Europe par ses
supérieurs ; il fut également en rapport avec le P. Jean Grueber (12), autre
jésuite qui visita le Tibet, et dont il a publié la relation de voyage dans sa
China illustrata ; sa science sinologique n’était que rudi mentaire ; il y ajouta
ses autres connaissances, vastes assurément, et la faculté de bâtir des théories
qui suffisaient à l’esprit critique et de controverse de l’époque.

Fréret.
Kircher trouva un adversaire redoutable, devançant certainement son
siècle dans certaines de ses vues, en Nicolas • 13 Fréret (13), qui mourut
secrétaire perpétuel de l’Académie des Inscriptions et Belles -Lettres ; il
combattit vigoureusement Kircher dans un mémoire lu à l’Académie, le 6
décembre 1718 (14).
Fréret observe que
« les Chinois n’ont point eu en vue les images pour les choses que
la peinture peut mettre sous les yeux, ni les symboles pour
représenter par allégorie ou par allusion les choses qui ne le
peuvent être par elles mêmes. Le P. Kircher [China illustrata] est
d’u n autre avis ; mais il paroît en cette occasion avoir un peu trop
donné à son imagination, Je ne prétends cependant pas que l’on ait
évité ces ressemblances entre les choses et les caractères,
lorsqu’elles se sont présentées : mais il est sûr qu’on ne les a pas
cherchées, et qu’elles sont presque tou jours détruites par l’analyse
du caractère où l’on avoit crû les appercevoir.
» Les premiers inventeurs de l’écriture chinoise se sont attachés à
des signes entièrement arbitraires, ou qui n’ont qu’un rap port
d’institution avec les choses signifiées ; en cela ils ont suivi le
génie de la nation chinoise ; qui même avant Fo-hi, c’est -à-dire
dans la plus profonde antiquité, se servait de cordelettes nouées en
guise d’écriture. Le nom bre des nœuds de chaque corde formoit un
caractère, & l’assemblage de cordes tenoit lieu d’une espèce de
Henri Cordier Histoire générale de la Chine 11

livre qui servoit à rappeller, ou à fixer dans l’esprit des hommes le


souvenir des choses, qui sans cela s’en seroient effacées. »

Huet.
Le savant évêque d’Avranches, Huet, n ous donne l’Inde et la Chine
comme des colonies égyptiennes :
« Si le commerce des Egyptiens a été aussi ancien & aussi grand
dans l’Orient, que nous avons sujet de le croire, il faut conclure
que celui des Indiens qui étaient leurs principaux correspondants,
ne l’étoit pas moins. Or cette cor respondance des Indiens & des
Egyptiens est si clairement établie par les anciennes histoires,
qu’on ne peut pas • 14 s’empêcher de croire en les lisant, que si
toute la nation des Indiens & des Chinois n’est pas de scendue des
Egyptiens, elle l’est du moins en la plus grande partie. Car quelle
autre chose peut signifier cette expédition si célèbre d’Osiris dans
les Indes, où il régna pendant cinquante-deux ans, cultiva & polit
cette nation, y bâtit des villes, & y répandit tant de colonies
d’Egyptiens, que l’Egypte se crut suffisamment autorisée dans la
suite à former une prétention sur les Indes comme sur son
propre (15) ? »
Huet expose toute sa théorie dans le chapitre suivant (16) :
« Entre tous ces esseins d’Egyptiens qui inonderent les Indes, les
Chinois méritent bien d’être considerez en leur particulier. On
trouve chez eux des marques bien sensibles de leur origine, une
grande conformité de coutumes avec celles des Egyptiens, leurs
doubles lettres, hiéroglifiques, et profanes, quelque affinité même
de leurs langues, la doctrine de la métempsycose, le culte de la
vache, & ce qui me paroit fort remarquable, cette aversion
constante que font paroître les Chinois à recevoir les negocians
étrangers dans leurs pays, & qui les a possedez dans tous les tems,
pareille à celle que Strabon attribue aux anciens Egyptiens. Je ne
puis donc assez m’étonner, que contre des preuves si claires, un
Ecrivain de ces derniers tems, plein d’esprit d’ailleurs & de
suffisance, mais sujet à beaucoup de préventions, ait pû soutenir au
contraire que les Egyptiens et les Phéniciens ont reçu leurs
sciences des Indiens. Il serait aisé de détruire son système, si la
matière que je traite ne m’entraînoit ailleurs. Quoique les Chinois
soient sortis d’Egypte, en tout ou en partie, avec le reste des
Indiens, ils ont pourtant fait depuis long-tems un état séparé, celui-
ci s’est autrefois acquis une si grande puissance, qu’il s’est rendu
maître de toutes les Indes. On sçait que le Japon, la Corée, la
Cochinchine & le Tonkin ont été des provinces de la Chine. Et si
Henri Cordier Histoire générale de la Chine 12

l’on veut croire les Chinois même, & que leur présomption ne
rende pas leur témoignage un peu • 15 suspect, ils ont autrefois
étendu leur Empire jusqu’au cap de Bonne Espérance : La plupart
des Indiens néanmoins leur défèrent l’honneur de cette supériorité
et se souviennent de leur ancien commerce. On connoît par les
annales d’Ormus, qu’on a vu dans le golfe Persique jusqu’à quatre
cens vaisseaux chinois, se décharger & se charger d’une infinité de
marchandises précieuses. L’usage de la boussole est très ancien
parmi eux : non pas que je croye que Marc Paul l’ait apporté de la
Chine dans l’Europe, co mme bien des gens en sont persuadés ; car
il paroît par les vers de Guyot de Provins poète François, qui vivait
vers l’an 1200, rapporté par Fauchet, que les pilotes François se
servoient de la boussole, plus de quarante ans avant Marc Paul.
L’histoire ren d témoignage à la probité et à l’équité des anciens
Seres majeurs des Chinois ; qui trafiquoient sans voir & sans se
faire voir aux marchands. »

Mairan, de Guignes.
A la suite de Huet, Mairan, de l’Académie des Sciences (17), voulut
également trouver en Egypte l’origine des Chinois.
« C’est, dit -il, par la conformité de mœurs et de coutumes qui en
est la grande, &, à mon avis, l’unique preuve, qu’il convient de
décider la question (18) ».
Il ne voyait d’ailleurs aucune impossibilité à l’arrivée de Sésostris en
Chine avec cent mille Egyptiens. Son correspondant à Peking, le savant
jésuite, Parrenin (19), opposa aux théories de Mairan d’excellents arguments,
qui ne paraissent pas toutefois avoir produit l’effet nécessaire (20), car nous
voyons en 1759, de Guignes, de l’Académie des Inscriptions, renouveler la
question dans un Mémoire destiné à prouver que les Chinois sont une colonie
égyptienne ; De Guignes qui avait d’abord partagé les idées de Parrenin, fut
frappé de la grâce par un mémoire de l’abbé Barthélémy sur les lettres
phéniciennes.
• 16 « J’avois devant moi, dit -il, les Lettres Phéniciennes dont il
venoit de nous donner un Alphabet exact. Pour me délasser je
m’avisai de jeter les yeux sur un Dictionnaire Chinois, qui contient
la forme des caractères. antiques : je fus frappé tout-à-coup
d’appercevoir, une figure qui ressem bloit à une Lettre
Phénicienne ; je m’attachai uniquement à ce rapport, je le suivis, et
je fus étonné de la foule de preuves qui se présenterent à moi. Telle
est l’origine de ce Mémoire, que deux circonstances réunies par le
hasard ont fait naître.
Henri Cordier Histoire générale de la Chine 13

» Je fus alors convaincu que les caractères, les loix & la forme du
Gouvernement, le Souverain, les Ministres mêmes qui
gouvernoient sous lui, & l’Empire entier étoit Égyp tien ; et que
toute l’ancienne Histoire de la Chine n’était autre chose que
l’Histoire d’Égypte qu’on a mise à la tête de celle de la Chine,
comme si des François établis en Amérique y fondoient
actuellement un Royaume dont le premier Souverain seroit regardé
comme le successeur du Monarque qui règne en France : par-là
toute l’histoire de France anté rieure, deviendrait l’histoire ancienne
de cette colonie. Je trouvai encore les caractères qui ont donné
naissance à ceux des Hébreux, des Arabes, des Syriens, des
Ethiopiens et des Phéniciens, c’est -à-dire, les premiers caractères
du monde, et une grande partie de la langue Phénicienne (21) ».

Leroux Deshauterayes.
En fait, comme le fait remarquer Leroux Deshauterayes, le but de De
Guignes était de prouver :
« 1° Que les caractères chinois ne sont que des espèces de mono-
grammes formés de trois lettres phéniciennes, et que la lecture qui
en résulte produit des sons phéniciens ou égyptiens.
2° Que les deux premières dynasties chinoises sont composées de
princes qui ont régné, non à la Chine, mais en Égypte... M. D.
établit la conformité entre ces princes, non par un parallèle de leur
histoire, ou par une ressemblance entre des faits qu’il
rapprocheroit, mais par la lecture seule des noms chinois de ces
princes qu’il croit • 17 composés de lettres phéniciennes.
3° Enfin M. D. prétend encore prouver qu’une colonie égyptienne
alla s’établir dans la Chine, & il fixe l’époque de son entrée dans
cet Empire à l’an 1122 : Cette époque est celle où Vouvang jetta
les fondemens de la dynastie impériale des Tcheou, la troisième
des Dynasties chinoises (22) ».
Les doutes de Deshauterayes ne touchèrent pas De Guignes qui répondit à son
adversaire (23). Il n’est d’ailleurs pas utile d’entrer dans le détail d’une
discussion qui n’offre plus qu’un intérêt de curio sité.

Warburton.
Sur cette querelle sinico-égyptienne viennent se greffer la théorie de
l’anglais Warburton (24) sur les hiéroglyphes égyptiens et ses remarques sur la
chronologie et sur la première écriture des Chinois, qui ne restèrent pas sans
réponse (25) :
Henri Cordier Histoire générale de la Chine 14

Il est temps, écrit Warburton (26), de parler d’une alté ration, que ce
changement de sujet, et cette manière de l’exprimer, introduisirent
dans les traits des figures hiéroglyphiques. L’animal, ou la chose,
qui servait à représenter, avaient été jusques là dessinés au naturel.
Mais, lorsque l’étude de la Philosophie, qui avait occasionné
l’écriture symbolique, ont porté les Scavans d’Egypte à écrire
beaucoup, et sur divers sujets, ce dessein exact multipliant trop les
volumes, leur parut ennuyeux. Ils se servirent donc par degrés d’un
autre caractère, que nous pouvons appeler l’ Ecriture courante des
hiéroglyphes. Il ressemblait aux caractères chinois, et, après avoir
d’abord été formé du seul conto ur de chaque figure, il devint à la
longue une sorte de marques. Je ne dois pas omettre ici de parler
d’un effet naturel que ce caractère de l’écriture courante • 18
produisit avec le temps. Je veux dire, que son usage diminua
beaucoup de l’attention que l ’on donnoit au symbole, et la fixa à la
chose signifiée. Par ce moyen l’étude de l’écri ture symbolique se
trouva fort abrégée ; n’y ayant alors presqu’autre chose à faire qu’à
se rappeller le pouvoir de la marque symbolique, au lieu
qu’auparavant il falla it être instruit des propriétés de la chose, ou
de l’animal, qui était employé comme symbole. En un mot, cela
réduisit cette sorte d’écriture à l’état où est présentement celle des
Chinois. »

Needham.
Au milieu de la controverse suscitée par la théorie de De Guignes, un
membre de la Société royale de Londres, Needham, prit sur un buste d’Isis, du
Musée de Turin, l’empreinte de caractères soi -disant égyptiens qu’il pré tendait
ressembler aux caractères chinois ; il les présenta à un Chinois du Vatican, sed
nihil prorsus aspectu primo intellexit, dit-il. Le Chinois n’y entendait rien,
parce qu’il ne connaissoit que les caractères modernes (27). Cependant
l’employé chinois de la Bibliothèque vaticane, flairant pro bablement quelque
aubaine, ne se tient pas pour battu ; il s’arme d’un dictionnaire de K’ang hi et
il découvre immédiatement une ressemblance entre une douzaine des carac-
tères de l’Isis et des caractères chinois !
De nos jours, Li Foung pao, ministre de Chine à Berlin, n’ a pas hésité dans
les mêmes circonstances à lire du chinois.
On eut pu faire la même découverte avec n’importe quelle autre langue
hiéroglyphique ; là-dessus grande joie de Needham qui convoque tout ce qui
pouvait constituer le ban et l’arrière ban scienti fique à Rome et il fait signer à
ces savants et à ces grands seigneurs, le 25 mars 1762, le procès-verbal de sa
prétendue découverte (28). Pour confirmer ses vues, Needham en appela aux
jésuites de Peking, • 19 et la réponse (29), qui lui fut faite par le P. Cibot ne fut
rien moins que favorable à ses idées (30).
Henri Cordier Histoire générale de la Chine 15

C. de Pauw.
La théorie égyptienne trouva un adversaire dans Cornelius de Pauw :
« Quant à la communication qu’on suppose avoir existé entre la
Chine & l’Egypte, on se convaincra par la lecture de cet ouvrage
que jamais supposition ne fut moins fondée. Il est étonnant
d’ailleurs qu’on ne se soit point aperçu, qu’en l’an 1122 avant
notre ère les Egyptiens se servoient déjà d’un caractère
alphabétique, composé de vingt-cinq lettres suivant Plutarque, &
seulement de vingt-deux suivant les découvertes modernes. Or
c’est une absurdité bien grande de vouloir que les Egyptiens
n’ayent point porté à la Chine leur alphabet qui était fort simple, et
de soutenir qu’ils y ont porté leurs hiéroglyphes employés
uniquement par les prêtres, & qui ne ressemblent point aux
caractères de la Chine, comme l’ont soutenu des écrivains dont
l’esprit était fécond en rêveries. On ne découvre d’ ailleurs aucun
rapport ni entre la religion de ces deux pays, ni entre les
langues (31). »

Voltaire.
Voltaire a consacré l’article IV de son Fragment sur l’Histoire Générale
(1773) à étudier Si les Egyptiens ont peuplé la Chine, et si les Chinois ont
mangé des hommes. Avec son grand bon sens, il écrivait :
« Il nous a paru, par exemple, que les Chinois ne descendent pas
plus d’une colonie d’Egypte que d’une colonie de Basse Bretagne.
Ceux qui ont prétendu que les Egyptiens avaient peuplé la Chine
ont exercé leur esprit et celui des autres. Nous avons applaudi à
leur érudition et à leurs efforts ; mais ni la figure des Chinois, ni
leurs mœurs, ni leur langage, ni leur écriture, ni leurs usages, n’ont
rien de l’antique Égypte. Ils ne connurent jamais la circoncision :
aucune des divinités égyptiennes ne parvint jusqu’à eux ; ils
ignorèrent toujours les mystères d’Isis (32). »
• 20 De nos jours, dans un plaisant paradoxe, un savant guerrier a voulu
identifier les Egyptiens préhistoriques avec les Annamites (33).

Bouteilles de porcelaine
La découverte de bouteilles de porcelaine dans des tombes égyptiennes de
Thèbes allait donner, pour peu de temps d’ailleurs, un regain de popularité à la
théorie des antiques relations de la Chine avec la terre des Pharaons.
Henri Cordier Histoire générale de la Chine 16

Wilkinson écrivait :
« Parmi les nombreuses bouteilles trouvées dans les tombes de
Thèbes, nulles n’ont excité plus de curiosité et de surprise que
celles de fabrication chinoise, portant des inscriptions dans cette
langue. La découverte accidentelle d’une seule bouteille de ce
genre passerait naturellement inaperçue, et si nous ressentions
quelque surprise qu’elle eût été déposée dans un sépulcre égyptien,
on pouvait raisonnablement conjecturer qu’un visiteur d’époque
plus récente pourrait l’avoir laissé tom ber, en recherchant
d’anciens trésors d’une plus grande valeur. Mais cette explication
cesse d’être admissible quand nous apprenons que des bouteilles
ont été découvertes dans diverses tombes thébaines (34)..... »

Samuel Birch, dans son édition de Wilkinson, avant de citer les traductions
de Medhurst et de Davis, remarque :
« Il est maintenant connu que ces bouteilles sont d’une période
relativement récente. M. Prisse a découvert, en questionnant les
Arabes du Caire faisant le commerce des antiquités, qu’ils
avouèrent que les bouteilles n’étaient jamais trouvées dans les
tombeaux ou les ruines, et que le plus grand nombre des bouteilles
provenaient de Qous, Xeft et Cosseir, entrepôts du commerce avec
l’Inde sur la Mer Rouge (35). »

W. H. Medhurst a examiné les fac-similes de douze • 21 inscriptions sur


des bouteilles de porcelaine trouvées en Egypte et envoyées par Stanislas
Julien. Il a traduit ces inscriptions avec son lettré et la conclusion de cet
examen est que les bouteilles fabriquées d’une matière qui ne pou vait être
antérieure à la dynastie des Han portaient des citations de vers qui ne
pouvaient pas, si l’histoire de la poésie chinoise est vraie, avoir été écrits
avant la dynastie des T’ang, ce qui rendait impossible leur dé couverte dans
des tombes contemporaines des plus anciens événements de la chronologie
chinoise ; et que, au contraire ; ces bouteilles avaient été fabriquées sous la
dynastie des Ming (36).
Harry Parkes de son côté était convaincu que ces bouteilles ne possédaient
pas l’antiquité qui leur était attri buée (37).

Feuillet de Conches a résumé ainsi la question :


« On a fait beaucoup de bruit, dans l’année 1834, en Italie et en
Angleterre, de la découverte de petits flacons de porcelaine
Henri Cordier Histoire générale de la Chine 17

chinoise, trouvés dans des hypogées égyptiennes, d’une époque


pharaonique antérieure de 1800 ans à notre ère, et qui, disait-on,
n’avaient jamais été ouvertes. L’égypto logue pisan Rossellini,
MM. Wilkinson et Davis crièrent au miracle. Que de discussions
eussent été soulevées si la découverte n’eût pas rencontré, dès
l’abord, un puissant contradicteur ! La Bible allait être mise en jeu,
et la science historique se serait perdue en vaines conjectures sur je
ne sais quelle fabuleuse communauté d’origine, ou de rapports
commerciaux entre des peuples de races distinctes, et qui, de fait,
ne se sont point connus à ces époques reculées : Or, on s’était joué
malicieusement de la crédulité des trois savants personnages,
comme le Grec Simonidès s’est heurté dans ces derniers temps
contre la sagacité de M. Hase en France, et d’Alexandre de
Humboldt en Prusse. Le célèbre sinologue de notre Institut, M.
Stanislas Julien, a restitué (38) la véritable date de ces fioles
merveilleuses, • 22 en prouvant qu’elles portaient des inscriptions
tirées de poètes du VIIe siècle après Jésus-Christ, ce qui ne voulait
pas même dire qu’elles ne fussent point de fabrication très récente ;
car les Chinois sont les plus habiles faussaires, les plus adroits
fabricateurs d’antiquités (39). »

Pauthier s’était montré sage dans la question des bou teilles de porcelaine ;
il le fut moins dans le travail qu’il pu blia en 1842 chez Didot et dont le titre
suffit à faire connaître l’objet : Sinico Aegyptiaca. — Essai sur la formation
similaire des écritures figuratives chinoise et égyptienne. Il n’en donna que la
première partie dans laquelle il indiquait les principes, communs suivant lui
« aux deux écritures figuratives chinoise et égyptienne, en font des
écritures d’une nature spéciale et similaire, qui ne peuvent être
soumises qu’à des lois spéciales. Ce sont ces lois, dit -il, que nous
avons esquissées précédemment. La suite de cet Essai sera
consacrée à leur démonstration »
On a vainement attendu cette démonstration.

Morton.
Dans son ouvrage Crania Egyptiaea (40), S. G. Morton déclare qu’il ne
« trouve rien comme traits mongols dans aucune tête embaumée de
sa collection, à moins qu’une res semblance générale puisse être
tracée dans un exemple unique de Thèbes. Cette observation vient
à l’appui de l’opinion du Professeur Blumenbach, qui, en
comparant les Egyptiens avec les diverses races humaines, affirme
qu’ils « diffèrent d’au cune autant que de la race mongole, à
laquelle appartiennent les Chinois (41) ».
Henri Cordier Histoire générale de la Chine 18

Morton ajoute :
« Que les Chinois aient eu des relations commerciales avec les
Egyptiens dans les temps primitifs • 23 n’est pas discutable ; car des
vases de porcelaine chinoise, avec des inscriptions dans cette
langue, ont été trouvés dans les catacombes de Thèbes (42).
Cependant dans chaque exemple où nous découvrons des Mongols
sur les monuments, ils sont représentés comme des étrangers et des
ennemis. La gravure sur bois ci-jointe, avec le nez petit et un peu
déprimé, la tête rasée, la natte de la tête, la barbe rare, la
moustache, et le teint blême, semble clairement indiquer un
homme de cette race. Elle est copiée d’un dessin dans Rosellini,
dans lequel Ramesès III est représenté combattant contre les Sheto
ou Scythes, parmi lesquels les Mongols apparaissent contre des
alliés ou des mercenaires (43). »
Morton conclut de ses recherches :
1° La Vallée du Nil, en Egypte et en Nubie, était à l’origine
peuplée par une race caucasienne ;
2° Ces peuples primitifs, appelés depuis Egyptiens, étaient les
Mizraimites de l’Ecriture, la postérité de Ham, et affiliés
directement avec la famille libyenne des nations ;
3° Dans leurs caractères physiques, les Egyptiens étaient
intermédiaires entre les races indo-européenne et sémitique... les
nègres étaient nombreux en Egypte, mais leur position sociale dans
les temps anciens était la même que maintenant, celle de serviteurs
et d’esclaves. ; les fellahs d’aujourd’hui sont les descendants en
ligne directe et les moins mélangés des anciens Egyptiens (44).

Ramsès II, Diodore, Hérodote, ...


La dernière fantaisie sinico-égyptienne est celle de la conquête de la Chine
par le grand Ramsès II, sur l’autorité d’Hérodote et de Diodore de Sicile.
Diodore de Sicile nous raconte en effet que le grand Sesoosis, le Sésostris
d’Hérodote, le Ramsès II des Égyp tiens, dans son désir de domination
universelle,
« se rendant en Asie, à la tête de son armée, soumit tout ce pays ; il
pénétra non seulement dans les pays qui furent plus tard conquis
par Alexandre le Macédonien, mais encore il aborda des contrées
et des nations que celui-ci n’atteignit pas. Car, il passa le Gange, et
s’avança dans l’Inde jusqu’à l’Océan, • 24 et du côté de la Scythie
jusqu’au Tanaïs, fleuve qui sépare l’Europe de l’Asie. On raconte
même, qu’un certain nombre d’Egyptiens, laissés aux environs du
Henri Cordier Histoire générale de la Chine 19

Palus Méotide, donnèrent naissance au peuple des


Colchidiens (45). »
Hérodote avait été plus sobre : Sesostris
« fut, selon ces Prêtres, le premier qui, étant parti du golfe
Arabique avec des vaisseaux longs, subjugua les peuples qui
habitaient les bords de la Mer Erythrée : il fit voile encore plus
loin, jusqu’à une mer q ui n’était plus navigable à cause des bas
fonds. De là, selon les mêmes Prêtres, étant revenu en Egypte, il
leva une nombreuse armée, et avançant par la terre ferme, il
subjugua tous les peuples qui se trouvèrent sur sa route. En
parcourant ainsi le continent, il passa d’Asie en Europe, et
subjugua les Scythes et les Thraces : mais je crois que l’armée
Egyptienne n’alla pas plus avant ; car on voit, chez ces nations, les
colonnes qu’il y fit ériger, et l’on n’en trouve point au delà. Il
retourna ensuite sur ses pas : quand il fut arrivé sur les bords du
Phase, je ne puis assurer s’il y laissa une partie de son armée pour
cultiver le pays, ou bien si quelques-uns de ses soldats, ennuyés de
la longueur de ces voyages, ne s’établirent point sur les bords de ce
fleuve. Quoi qu’il en soit, il paraît que les Colchidiens sont Egyp -
tiens d’origine (46). »
Diodore reproduit Hérodote en y ajoutant le passage du Gange et l’avance
dans l’Inde jusqu’à l’Océan, et c’est sur son témoignage qu’un é crivain, que
nous ne nommerons pas, nous déclare que Sesostris conquit la Chine aux
environs de 1500 ou 1600 ans avant J.-C., quatre ans avant l’exode, des
Hébreux ! En réalité la légende de Sesostris conquérant dans la forme que lui
donna Hérodote est postérieure à la conquête perse.
« Aussi bien, nous dit un maître (47), Hérodote n’a -t-il fait ici
encore que transcrire sans s’en douter un roman populaire, où les
données d’apparence historique ne servaient qu’à introduire un
certain nombre d’épisodes de pure imagination ».
• 25 Aujourd’hui, la plupart des savants cherchent en Afrique et non en
Asie l’origine de la civilisation égyptienne. Dans son Histoire ancienne des
Peuples de l’Orient classique , I, pp. 45-46, M. Maspero remarque :
« A examiner les choses d’un peu près, il faut bien reconnaître que
l’hypothèse d’une origine asiatique, si séduisante qu’elle paraisse,
est assez malaisée à défendre. Le gros de la population égyptienne
présente les caractères des races blanches qu’on trouve installées
de toute antiquité dans les parties du continent libyen qui bordent
la Méditerranée : il est originaire de l’Afrique même et se
transporta en Egypte par l’ouest ou par le sud -ouest. Peut-être
rencontra-t-il dans la vallée quelque peuplade noire qu’il détruisit
Henri Cordier Histoire générale de la Chine 20

ou qu’il refoula ; peut-être y fut-il accru après coup d’éléments


asiatiques introduits par l’isthme et par les marais du delta. »
M. Edouard Naville écrit :
« En résumé, la population primitive de l’Egypte est africaine, elle
se compose de deux éléments de même race ; l’un, les Anou, les
primitifs néolithiques qui ont été les premiers à occuper le pays
dans toute son étendue, l’autre africain également, venant de
quelque part sur le Haut Nil, peuplade pratiquant l’agriculture et
connaissant la métallurgie. Ces nouveaux venus ont été d’abord
des conquérants, ils ont « frappé les Anou », mais ils se sont mêlés
graduellement à la population primitive, et de ce mélange est née la
civilisation égyptienne, qui est autochtone et qui ne présente pas
d’éléments étrangers (48). »
La linguistique, avec M. Reinisch, confirme également l’origine afri caine
des Egyptiens.

Il me paraît toutefois impossible, que si l’on admet l’ori gine africaine de


l’Egypte, on nie absolument une influence asiatique. Dans la séa nce de
l’Académie des Inscriptions et Belles -Lettres du 22 mai 1914, M. George
Bénédite, conservateur au Musée du Louvre, a communiqué un couteau en
silex égyptien muni d’un manche d’ivoire décoré. Sur l’un des côtés, il y a un
personnage héroïque maîtrisant deux lions, dont le caractère asiatique est
confirmé par les • 26 figures de la face opposée, où réapparaissent certains élé-
ments qui évoquent le souvenir de la Stèle des Vautours. Il faut placer ce
monument un peu avant l’époque thinite.

Peu de temps après que Kircher eut exposé sa théorie égyptienne de


l’origine des Chinois, un certain John Webb, de Butleigh, Comté de Somerset,
fit mieux encore ; il publia un essai historique pour démontrer qu’il était
probable que le chinois était la langue primitive parlée par les hommes avant
la confusion causée par la construction de la tour de Babel (49). Un anglais
homonyme, Daniel Webb, inspiré par l’étude de la Grammaire chinoise de
Fourmont parue en 1742, eut l’idée géniale que la langue grecque était.
dérivée du chinois (50).

En 1870, le Rév. Joseph Edkins publiait un volume entier (51) pour


montrer que les langues de l’Europe et de l’Asie peuvent être rattachées à une
origine unique dans la région de l’Arménie et de la Mésopotamie. Ce
sinologue distingué a montré plus tard la fertilité de son imagination en
voulant rattacher les habitants du Dakota aux races asiatiques par une filiation
nord-américaine, mongole, touranienne (52).
Henri Cordier Histoire générale de la Chine 21

G. Schlegel a critiqué à la fois le Rév. J. Chalmers, auteur de The Origin of


the Chinese, Hongkong, 1866, et le Rév. J. Edkins. Du premier il nous dit :
« Cet essai est aussi infructueux que les autres ; car M. Chalmers,
ne possédant point, comme il l’avoue lui -même, la méthode
scientifique de la philologie comparée, a rassemblé seulement un
tas de mots de toutes les langues du monde, qu’il a essayé de
comparer à des mots chinois, selon leur prononciation actuelle. Ce
petit livre est ce que les Anglais nommeraient : a total failure. »
Du second il écrit :
« Quoique plus savant que l’ébauche informe du Rév. Chalmers,
dont, cependant, M. Edkins semble approuver les rêves
étymologiques, il abonde pourtant en erreurs, et cela par la simple
raison que M. Edkins semble ignorer les travaux étymologiques
• 27 faits depuis 60 ans (53). »
Schlegel, si sévère pour les autres, quoiqu’il ait suivi « la méthode
rigoureuse de l’école philo logique allemande (54) » ne paraît pas avoir été plus
heureux dans ses recherches sur les racines sanscrites et indo-euro-
péennes (55).

Terrien de Lacouperie.
Si quelques savants avaient constaté une similitude entre des caractères
cunéiformes et des signes chinois comme d’autres entre le s hiéroglyphes
égyptiens et ces mêmes signes, Terrien de Lacouperie est celui qui a
renouvelé et cherché à donner une base solide à la doctrine dont il a été
l’apôtre de l’origine babylonienne de la civilisation chinoise. Esprit ingénieux
et paradoxal, doué de plus d’ima gination que de science, possédant des
connaissances plus étendues que profondes, ignorant l’assyrien et ne sachant
du chinois que ce qu’il avait puisé lui -même dans des livres en Europe,
Terrien, ne tenant aucun compte de la chronologie, s’appuyant souvent sur des
textes d’origine relative ment récente, leur décernant un brevet d’une
authenticité parfois douteuse, apportant fréquemment à l’appui de ses thèses
des faits appartenant plutôt au domaine du folklore qu’à celui de l’histoire,
adaptant les événements à une théorie préconçue, Terrien a ainsi réussi à
édifier un système dont la façade peut paraître imposante mais qui s’écroule
dès qu’on y touche. Rendons -lui justice : il a eu cependant le grand mérite de
remuer beaucoup d’idées, les unes fausses, ce sont les plus nombreuses, les
autres justes ; attirant ainsi l’attention sur des problèmes dont l’étude avait été
trop négligée par les savants.
Henri Cordier Histoire générale de la Chine 22

Terrien de Lacouperie indique quelques-unes des plus remarquables


traditions que selon lui les tribus Bak auraient apprises avant leur migration,
par exemple le souvenir légendaire de :
Un grand cataclysme qui semble se rapporter au déluge ; de Sargon
et des détails de sa vie, sous le nom modifié de • 28 Chen Noung ;
de Dungi enseignant l’écrit ure aux tribus Bak ; de Nakhounte,
comme Nai Houang Ti, avec des circonstances qui se rapportent à
Koudour Nakhounte et sa conquête de la Babylonie en 2283 avant
J.-C. ; de l’appa rition successive d’êtres moitié poisson, moitié
homme au début de la civilisation et en rapport avec l’introduction
de l’écriture ; de l’arbre symbolique de vie et ses caractéris tiques
de calendrier, etc. (56).
Somme toute, ceci revient à dire que la Chine a reçu sa civilisation de
tribus Bak, c’est -à-dire les Pe Sing des Livres Classiques chinois. Ces Bak
Sings auraient eu très probablement les yeux bleus, la face colorée et des che-
veux qui n’auraient pas été noirs, ce qui les distinguait du peuple chinois à
cheveux noirs (li min, des Livres Classiques) (57). Plus tard on verra au IIIe
siècle avant J.-C., Ts’in Che Houang Ti donner à son peuple le nom de Têtes
Noires ; il faut donc admettre que les Pe Sing n’étaient pas les « Cent noms de
famille » ainsi que le croyaient les sinologues, c’est -à-dire, comme le dit
Legge, la désignation des grandes familles de l’État sous les Tcheou (58) ;
mais bien des tribus portant le nom spécial de Bak, Pe cessant dans le système
de Terrien d’être le chiffre 100 , mais une simple phonétique qui se prononçait
jadis Bak, ce qui n’est d’ailleurs pas prouvé. Ainsi donc toute la théorie de la
civilisation de la Chine par des tribus soi-disant Bak repose sur un postulatum
qui est en contradiction formelle avec tous les textes chinois ainsi que l’a
démontré Harlez (59).

Edouard Biot.
« D’après les données authentiques consignées dans les livres
sacrés, et dans les quatre livres classiques qui forment la base de
l’ancienne histoire chinoise, éc rit Biot, les premiers habitants de la
Chine étaient des peuples sauvages et chasseurs, au milieu
desquels s’avança, entre le XXXe et le XXVIIe siècle avant notre
ère, une colonie d’étrangers, venant du nord-ouest. Cette colonie
est généralement • 29 désignée dans les textes sous le nom de
peuple aux cheveux noirs, sans doute par opposition à la couleur
différente ou mêlée, des cheveux de la race indigène, dont
quelques débris occupent encore les montagnes centrales de la
Chine. Elle est appelée aussi les cent familles ; et ses premières
opérations présentent beaucoup d’analogie avec celles des
planteurs, qui vont défricher les forêts de l’Amérique sep -
tentrionale (60).
Henri Cordier Histoire générale de la Chine 23

La théorie de Biot est donc la contrepartie de celle de Terrien, puisque


celui-ci voit au contraire le peuple chinois dans la race à cheveux noirs et
l’immigrant dans le Bak aux yeux bleus. Mais rien dans les ouvrages chinois
anciens ne permet de supposer qu’il y ait eu une immigration étrangère
quelconque à l’époque dont parlent Biot et Terrien et qui ne peut être prise
que pour une simple hypothèse, possible, mais que rien ne prouve jusqu’à pré -
sent.

C. J. Ball.
En faisant dériver certains caractères chinois des caractères babyloniens,
Terrien de Lacouperie a suscité la vocation de quelques disciples dont le plus
connu est le Rév. C. J. Ball, qui, alors chapelain de Lincoln’s Inn, pour suivait
dans les Proceedings of the Society of Biblical Archæology des études
comparées d’accadien et de chinois, à l’époque même où Terrien développait
ses théories sur l’origine chaldéenne de la civilisation du Céleste Empire.
Celui-ci a disparu, mais le Rév. C.J. Ball, aujourd’hui professeur
d’assyriologie à l’Université d’Oxford, a pré senté tout récemment le résultat
d’un grand nombre d’an nées de travail dans son volume intitulé Chinese and
Sumerian (1913). Il nous explique d’abord dans son intro duction la nature de
l’écriture sumérienne illustrée par l’analyse de cer tains caractères ; puis il
donne une liste préliminaire de mots semblables ; ensuite la classification chi-
noise des caractères écrits et les prototypes sumériens ; un essai de
vocabulaire comparé de sumérien et de chinois ; enfin une liste de signes dans
laquelle les formes anciennes (kou wén) des caractères chinois sont comparées
avec leurs prototypes sumériens. Dans cette dernière liste il est hors de • 30
doute qu’il y a une grande similitude, parfois une simili tude absolue entre les
anciens caractères chinois et l’écriture sumérienne, mais il ne s’ensuit pas
nécessairement que les uns dérivent de l’autre ; ce sont résultats d’efforts
parallèles. Le Rév. C. J. Ball nous dit dans son introduction : « Nous n’avons
aucune raison de supposer que le système primitif sumérien d’écriture a été
l’invention d’un seul esprit ou d’une seule génération » ; il n’y a pas plus de
raison de supposer que le système chinois à été l’invention du même esprit qui
a créé le système sumérien ; ils sont l’un et l’autre le fruit de recherches qui
ont pu être conduites indépendamment les unes des autres. Lorsque la Chine a
reçu sa première forme d’écriture, la Babylonie avait depuis longtemps
abandonné son écriture primitive pictographique ou hiéroglyphique ; d’autre
part, il me paraît matériellement impossible que des relations aient pu exister
entre les deux pays dans l’antiquité du monde telle que la science mo derne
nous autorise de la concevoir maintenant. Rien ne permet d’accorder à
l’Empire chinois une antiquité sem blable à celle que révèlent les monuments
de la Babylonie et de la Chaldée. Quand des fouilles systématiques auront été
entreprises en Chine, l’archéologie préhistorique nous révèlera peut-être des
relations dont l’existence ne nous est pas encore prouvée, relations qui ne
Henri Cordier Histoire générale de la Chine 24

paraissent pas pouvoir coïncider avec la période assignée à l’écriture su -


mérienne.

Gobineau.
M. de Gobineau cherche aux Indes l’origine de la civilisation chinoise
dont il n’accepte pas la haute antiquité
« Rien n’infirme, tout appuie, au contraire, le témoignage des lois
de Manou, et il en résulte que la Chine, à une époque postérieure
aux premiers temps héroïques de l’Inde, a été civil isée par une
nation immigrante de la race hindoue, kschattrya, ariane, blanche,
et, par conséquent, que Pan-kou, ce premier homme que, tout
d’abord, on est surpris de voir défini en législateur par la légende
chinoise, était, ou l’un des chefs, ou le chef, ou la personnification
d’un peuple blanc venant opérer en Chine, dans le Ho Nan, les
mêmes merveilles qu’un rameau également hindou avait, • 31
antérieurement, préparées dans la vallée supérieure du Nil »
Et M. de Gobineau d’ajouter :
« Ainsi, en Chine, comme en Egypte, à l’autre extrémité du monde
asiatique, comme dans toutes les régions que nous avons déjà
parcourues jusqu’ici, voilà un rame au blanc chargé par la
Providence d’inventer une civilisation (61) ».
Le phénoménal Pan-kou, dont nous parlons plus loin, transformé en
introducteur de la civilisation en Chine ne manque pas de saveur.
Ceux qui ont fait venir les Chinois de l’ouest, leur ont fait parcourir une
longue route par l’Asie centrale avant d’atteindre le point final de leur
migration, c’est -à-dire les bords du Fleuve Jaune. Mais de nos jours des
savants (le P. Wieger, par exemple), se sont posé la question de savoir si les
Chinois, au lieu de descendre du nord au sud, ne seraient pas au contraire
remontés du midi vers le septentrion, de contrées de la presqu’île
indochinoise, vers le Kiang et la Wei. Toute discussion est possible, lorsqu’il
s’agit des th éories relatives à l’origine des Chinois, puis qu’elles ne reposent
sur rien de solide, mais à l’époque où le Céleste Empire entre dans le domaine
historique, il y avait sans aucun doute des siècles que la race chinoise était
implantée au nord du Kiang, et je ne vois pas les éléments qui pourraient
servir de base à la nouvelle théorie, qui n’est pas plus probante d’ailleurs, que
celle qui fait venir les Chinois de l’ouest, par les Tien Chan et l’Altaï. Tout ici
est supposition.
Les savants et les philosophes du XVIIIe siècle ont compris facilement
que la Chine n’avait été qu’un chaînon d’une civilisation remontant à une
antiquité plus reculée. Ils ont malheureusement voulu être trop exacts ; il
Henri Cordier Histoire générale de la Chine 25

s’agit chez eux de faire remonter la civilisation à un peuple unique, car ils
n’admettent pas que l’on puisse discuter l’unité d’origine de la race humaine ;
l’habitat de ce peuple élu est même précisé ; en Asie naturellement, mais dans
l’Asie septentrionale.

Buffon.
• 32 Buffon, dans son célèbre ouvrage Des Époques de la Nature, paru en
1778, s’écrie (62) :
« Ce n’est point en Afrique, ni dans les terres de l’Asie les plus
avancées vers le midi, que les grandes sociétés ont pu d’abord se
former ; ces contrées étaient encore brûlantes et désertes : ce n’est
point en Amérique, qui n’est évidemment, à l’exception de ses
chaînes de montagnes, qu’une terre nouvelle ; ce n’est pas même
en Europe, qui n’a reçu que fort tard les lumières de l’Orient, que
se sont établis les premiers hommes civilisés, puisqu’avant la
fondation de Rome les contrées les plus heureuses de cette partie
du monde, telles que l’Italie, la France, et l’Allemagne, n’étaient
encore peuplées que d’hommes plus qu’à demi -sauvages. Lisez
Tacite sur les mœurs des Germains ; c’est le tableau de celles des
Hurons, ou plutôt des habitudes de l’espèce humaine entière
sortant de l’état de nature. C’est donc dans les contrées
septentrionales de l’Asie que s’est élevée la tige des connaissances
de l’homme, et c’est sur ce tronc de l’arbre de la science que s’est
élevé le tronc de sa puissance : plus il a su, plus il a pu ; mais aussi
moins il a fait, moins il a su. Tout cela suppose les hommes actifs
dans un climat heureux, sous un ciel pur pour l’observer, sur une
terre féconde pour la cultiver, dans une contrée privilégiée, à l’abri
des inondations, éloignée des volcans, plus élevée et par
conséquent plus anciennement tempérée que les autres. Or toutes
ces conditions, toutes ces circonstances, se sont trouvées réunies
dans le centre du continent de l’Asie, de puis le 40e degré de
latitude jusqu’au 55 e : Les fleuves qui portent les eaux dans la mer
du Nord, dans l’Océan orien tal, dans les mers du Midi et dans la
Caspienne, partent également de cette région élevée qui fait
aujourd’hui parti e de la Sibérie méridionale et de la Tartarie. C’est
dans cette terre plus élevée, plus solide que les autres, puisqu’elle
leur sert de centre, et qu’elle est éloignée de près de cinq cents
lieues de tous les Océans ; c’est, dans cette contrée privilé giée que
s’est formé le premier peuple digne de porter ce • 33 nom, digne de
tous nos respects, comme créateur des sciences, des arts ; et de
toutes les institutions utiles.
Henri Cordier Histoire générale de la Chine 26

Bailly.
Déjà Sylvain Bailly avait en 1775 émis la théorie d’un peuple primitif :
« Quand on considère avec attention l’état de l’Astrono mie dans la
Chaldée, dans l’Inde et à la Chine, on y trouve plutôt les débris que
les élémens d’une science ; ce sont des méthodes assez exactes
pour le calcul des éclipses qui ne sont que des pratiques aveugles,
sans nulle idée des principes de ces méthodes, ni des causes des
phénomènes ; certains élémens assez bien connus, tandis que
d’autres aussi essentiels, aussi simples, sont, ou inconnus ; ou
grossièrement déterminés ; une foule d’observations qui restent,
pendant des siècles, sans usage & sans résultats. Comment conce-
voir que des peuples, inventeurs de l’Astronomie, n’aient pas su la
perfectionner dans la durée d’une longue existence. S’il est des
peuples aussi incapables de marcher que d’entrer dans la carrière
des sciences, celui qui y est entré une fois par le mouvement qu’il
s’est imprimé à lui -même, perdra-t-il ce mouvement, & peut-il
s’arrêter à jamais ? L’invention & les progrès des sciences sont de
la même nature. Ces progrès ne sont que l’invention renouvelée,
une suite de vues semblables, & peut-être d’efforts à peu près
égaux. Pourquoi donc les Indiens, mais surtout les Chinois et les
Chaldéens ont-ils fait faire si peu de pas à l’Astronomie, pendant
un si grand nombre de siècles ? C’ est que ces peuples ont été sans
génie, c’est qu’ils ont eu la même indolence pour les découvertes
que pour les conquêtes, c’est qu’ils n’ont point inventé la science.
Elle est l’ouvrage d’un peuple antérieur ; qui avait fait sans doute
en ce genre des progrès ; dont nous ignorons la plus grande partie.
Ce peuple a été détruit par une grande révolution. Quelques-unes
de ses découvertes, de ses méthodes, des périodes qu’il avait
inventées, se sont conservées. dans la mémoire des individus
dispersés. Mais elles se sont conservées par des notions vagues &
confuses, par une connoissance des usages, plutôt que des
principes. On a porté ces restes d’une science démembrée à la
Chine, aux Indes, dans la Chaldée ; • 34 on les a livrés à l’ignorance
qui n’en a pas su profiter (63).
Il répétait encore (page 62) :
« L’astronomie ancienne & orientale n’offroit que les débris des
découvertes d’un peuple antérieur aux peuples connus les plus
anciens ».
Bailly renouvelle cette déclaration dans sa première lettre à Voltaire :
« J’ai dit qu’en considérant avec atten tion l’état de l’astronomie à
la Chine, dans l’Inde, dans la Chaldée, nous y trouvons plutôt les
débris que les élémens d’une science (p. 18). »
Henri Cordier Histoire générale de la Chine 27

Insistant pour que Voltaire croie à « son ancien peuple perdu », Bailly étudie
successivement :
« les Conformités des peuples anciens dans les sciences ; que ces
conformités ne sont point le produit de la communication ; que ces
conformités ne tiennent point essentiellement à la nature, elles
naissent d’une identité d’origine entre tous les anciens peuples, &
sont les restes des institutions d’un peuple plus ancien »
Et il arrive à ces conclusions :
« Cet ancien peuple a eu des sciences perfectionnées, une phi-
losophie sublime et sage ; cet ancien peuple paraît avoir habité
dans l’Asie, vers le parallèle de 49°. I1 semble que la lu mière des
sciences et la population se soient étendues sur la terre, du nord au
midi (64). »
Bailly entrera dans un domaine de pure fantaisie en divisant l’Asie en
deux parties par une ligne tantôt naturelle, tantôt artificielle :
« Je vois donc le mur & les palissades de la Corée, la Grande
Muraille de la Chine, le rempart de Gog, les portes Caspiennes du
Caucase, ouvrages de l’art, se joindre aux montagnes escarpées,
aux fortifications de la nature pour former une vaste
circonvallation ; qui sépare le midi d’avec le nord de l’Asie. » (65)
Le philosophe de Ferney admet d’ailleurs la possibilité de l’existence de
peuples anciens civilisés antérieurs à ceux que nous connaissons :
« Il est possible, dit-il, que longtemps • 35 avant les Empires de la
Chine et des Indes, il y ait eu des nations instruites, polies et
puissantes, que des déluges de barbares auront ensuite replongées
dans le premier état d’ignorance et de grossièreté qu’on appelle
l’état de pure nature (66). »
Ainsi donc Buffon et Bailly plaçaient le berceau de la civilisation dans le
nord de l’Asie, alors plus chaude qu’elle ne l’est aujourd’hui ; cette
civilisation serait descendue du nord au sud et n’aurait pas marché de l’ouest
vers l’est, comme le marquent ceux qui font sortir l’humanité entière de
l’arche de Noé et de l’Asie a ntérieure.
Avec la vision du génie, Buffon avait deviné les transformations de notre
monde, mais il plaçait l’histoire entière de l’humanité dans la période actuelle
de l’histoire con nue de l’homme de nos jours. Il n’osait pas croire, ou plutôt,
car il aurait osé croire, il n’imaginait pas que l’hu manité avait pu passer par
d’autres phases que celles de la période actuelle. A son époque, la théorie d’un
peuple primitif adoptée également par Bailly était soutenable. Voltaire qui
rejoint Buffon par l’inter médiaire de Bailly l’admet, mais où le futur maire de
Paris gâche son système, c’est lorsqu’il cherche à l’étayer avec les mythes de
l’an cienne Grèce. Ces théories ingénieuses étaient l’œuvre d’hommes savants,
Henri Cordier Histoire générale de la Chine 28

mais dont le génie ne pouvait devancer leur siècle et pénétrer des mystères
obscurs encore aujourd’hui.
Il faut bien avouer que tous ces savants trop ingénieux (je ne parle ni de
Buffon, ni de Bailly) n’ont suivi aucune méthode rationnelle ; ils ont choisi
leurs points de comparaison au hasard des dialectes et des siècles. Pour point
de départ, ils auraient dû prendre le chinois ancien. Toutes leurs dissertations
philologiques ne sont que de la haute fantaisie et ne sauraient jeter aucun jour
sur l’origine de la langue chinoise et par suite sur cell e du peuple chinois. Il.
faut d’abord connaître la langue chinoise ancienne, par suite sa phonétique, et
dans ce but il est nécessaire d’étudier • 36 d’abord non seulement tous ses
dialectes dont la majorité nous est encore inconnue, mais aussi les langues qui
lui sont apparentées ; cette étude est à peine commencée.
« Du jour, dit B. Karlgren (67), où la linguistique aura réussi à
reconstruire avec sûreté le système phonétique de l’ancien chinois,
l’histoire et l’archéologie constateront avec reconnaissance que
d’innombrables problèmes concernant l’Asie orientale et l’Asie
centrale auront cessé d’être des problèmes. »
Dans cette immense famille de langues de l’Asie orientale, que sous le
nom de Famille Tibeto-Chinoise, Sir George A.Grierson, dans son Linguistic
Survey of India, divise en branches tibeto-birmane et sino-siamoise, cette
dernière elle-même dédoublée en groupe chinois et groupe taï, qui oserait dire
que la plus ancienne est la langue chinoise ; ces langues ou ces dialectes se
sont développés parallèlement, parfois s’en chevêtrant, descendant sans doute
d’une lointaine source commune que nous ignorons et qui a d û exister. La
langue comme l’histoire de la Chine ont bénéficié de la durée et de la stabilité
de l’Empire. Dans une autre région de l’Asie, la continuité de l’histoire du
peuple d’Israël resté monothéiste lui a donné une importance qui
appartiendrait peut-être plus légitimement à des Empires plus puissants mais
de durée plus éphémère, et cependant la connaissance des hiéroglyphes et des
cunéiformes permet aujourd’hui de rendre à l’Egypte et à l’Assyrie la place
prépondérante jadis occupée par les juifs.
Dans l’histoire de la Chine, pas trace d’une immigration venue de
l’étranger ; nous avons rejeté la théorie de Terrien de Lacouperie de l’arrivée
des Bak-Sings ; le développement de sa civilisation s’est fait sous l’idée
qu’elle était le centre de l’univer s, l’Empire du Milieu ( Tchoung kouo), bornée
par les Quatre Mers (Seu Haï), environnée de nations barbares ou moins
civilisées qu’elle, sur lesquelles elle exer çait une suzeraineté tout au moins
nominale, notion d’hé gémonie qui ne paraît pas avoir complètement disparu
de l’humanité, si nous en jugeons par les théories civilisatrices d’un peuple
moderne qui a cherché à asservir l’Europe, • 37 voire le monde, non seulement
à sa brutale domination mais aussi à sa soi-disant « kultur ».
Il ne s’ensuit pas de ce que les auteurs des théories que nous venons
d’exposer n’ont pas réussi à nous en donner des preuves suffisantes pour nous
Henri Cordier Histoire générale de la Chine 29

convaincre de leur exactitude que nous devions rejeter comme impossibles


toutes les hypothèses. Le problème de l’origine des Chinois est tou jours posé.
Lorsque nous trouvions les Chinois campés sur les rives du Fleuve Jaune,
d’où venaient -ils ? qu’étaient les tribu s non chinoises qu’ils trouvèrent dans la
région dans laquelle ils s’établirent et aux dépens desquelles ils coloni sèrent ?
Mais de ce que nous ne pouvons résoudre le problème actuellement, il n’en
existe pas moins. Nous n’avons pas le droit de supprimer un fait ou un
personnage de l’his toire sous prétexte que leur existence n’est pas prouvée par
des documents ; on ne peut écarter la tradition qui peut reposer sur des
monuments ou des pièces dont nous ignorons l’existence ou qui peuvent avoir
disparu. Si l’histoire telle que nous la connaissons, et l’archéologie ne
suffisent pas à donner la clef de l’origine des Chinois, cela prouve simple ment
notre ignorance du passé. Peut-être faut-il chercher le lien qui rattache la
Chine au reste de l’humanité dans u ne antiquité si reculée que les générations
actuelles ne sauraient y remonter. Nous entrons dans le domaine de la
préhistoire, et, quant à la Chine cette préhistoire est, pour nous un terrain
encore inexploré.

*
**
Henri Cordier Histoire générale de la Chine 30

CHAPITRE II.

Sources de l’histoi re de la Chine


Origine des Chinois : Théories chinoises.

Sources de l’histoire de la Chine.

• 38 Nous avons eu l’habitude d’envisager l’histoire du monde


exclusivement au point de vue occidental, négligeant complètement le point
de vue oriental ; chaque peuple a la tendance, naturelle d’ailleurs, à consi dérer
son histoire comme le pivot de celle du monde alors qu’elle n’en est qu’un
petit fragment, quelle que soit l’im portance de cette histoire particulière. Et
cependant tel fait qui s’est produit en Europe n’est que le contre -coup d’un
événement qui s’est déroulé dans la lointaine Asie ainsi que je l’ai jadis écrit,
pour l’invasion des Huns, le mouvement des peuples se transmet de proche en
proche, de horde en horde, de tribu en tribu, de peuple en peuple, comme des
ondes sonores, jusqu’en Europe ; qui, lorsqu’elle est frappée par le Fléau de
Dieu, ignore d’où part le coup initial (68). Il est tel règne de l’Empire chinois
qui a plus d’importance pour l’histoire générale du Monde que tel autre
considéré comme capital à l’autre extrémité du globe. La réciproque est
d’aill eurs vraie ; le Chinois, tout en ayant une connaissance de l’extérieur, n’a
jamais essayé de se rendre compte de la répercussion que pouvaient avoir chez
lui les perturbations du monde occidental, dont il n’a commencé à apprécier
l’importance que lorsque l es navires de guerre anglais sont venus au XIXe
siècle bombarder ses ports.
Nous avons trouvé facile ou d’ignorer la Chine, comme Bossuet dans son
Histoire universelle, ou de nous en représenter une image qui n’a subi aucune
altération au cours • 39 des siècles : C’est une erreur ! Depuis vingt ans les
études chinoises ont subi de profondes transformations. Tout en s’étonnant
qu’un esprit aussi ouvert que l’était celui de Renan ait pu croire qu’on pouvait
écrire l’histoire de l’humanité en laissant de côté un bon tiers de la population
du globe, on a pu lire encore dans la préface de l’ Histoire du Peuple d’Israël :
« Pour un esprit philosophique, c’est -à-dire pour un esprit
préoccupé des origines, il n’y a vrai ment dans le passé de
l’humanité que trois his toires de premier intérêt : l’histoire
grecque, l’histoire d’Israël, l’histoire romaine. Ces trois histoires
réunies constituent ce qu’on peut appeler l’histoire de la
civilisation, la civilisation étant le résultat de la collaboration
alternative de la Grèce, de la Judée et de Rome. »
Henri Cordier Histoire générale de la Chine 31

Renan ne pourrait écrire cette phrase aujourd’hui. Les découvertes des


inscriptions de l’Orkhon et de l’Iénisséi, les fouilles dans l’Asie Cen trale,
l’ouverture des grottes de Touen Houang, l’étude de la sculpture sur pierr e,
des textes chinois plus nombreux rendus accessibles aux savants, ont donné à
la Chine sa place dans l’histoire du monde, qui comprend désormais
l’universalité du globe et non plus quelques territoires de l’Europe et de l’Asie
antérieure, dont les habitants avaient confisqué à leur profit tout le passé de
l’humanité. L’histoire du monde forme une unité ; si on la considère
seulement d’un côté de la planète, si on n’étudie pas sur toute la sur face du
globe les événements qui s’y déroulent, cette his toire perd ses proportions
réelles ; on ne perçoit pas la vue de son ensemble, on ne mesure pas
exactement les résultats ou le contre-coup de l’action des différents peuples
les uns sur les autres. Etudier isolément les faits c’est perdre leur
enchaînement qui constitue la continuité de l’histoire de l’humanité. L’histoire
se compose non seulement d’une série de faits qui, réunis, coordonnés,
constituent l’histoire générale, mais aussi de vastes ensembles qui servent à
jalonner les grandes lignes de l’histoire d e l’humanité.
Ce serait une erreur profonde de croire qu’au cours des siècles, le Chinois
est resté immuable : Si, à l’origine, les cou tumes ont été communes, à la
longue, suivant le climat, la • 40 température, etc., elles se sont modifiées et
l’homme se différencie en conséquence suivant le pays, quitte à emprunter
ensuite à nouveau les usages, de ses voisins. Dans son histoire, la plus longue
et la plus coutumière des histoires, la Chine n’a pas échappé à la loi ordinaire
et ici je puis répéter ce que j’ai écrit ailleurs il y a bien des années :
« Il est, chez les gens qui n’approfondissent pas les ques tions et
jugent témérairement des choses d’après les manuels de faiseurs de
livres, ou les récits de voyageurs superficiels, de commun parler de
dire que de toutes les nations, la chinoise est la plus stable dans ses
institutions, la moins changeante dans ses mœurs et ses coutumes.
Rien de plus faux assurément. Aucun pays n’a été en proie à plus
de révolutions et n’a subi plus de bouleversements dans s on
gouvernement ; il a fait en politique l’expérience de tous les sys -
tèmes : depuis le socialisme jusqu’à la tyrannie ; il a connu toutes
les doctrines philosophiques ; ses mœurs et ses coutumes ont été
profondément altérées : il a accepté, par exemple, il y a trois
siècles seulement, du conquérant mandchou, l’usage qu’avaient ses
habitants, avant la récente révolution, de porter à la partie
postérieure de la tête leurs cheveux, réunis en une longue tresse qui
descend le long du dos, formant ainsi un appendice caudal qui,
pour nous Occidentaux, est éminemment chinois quoiqu’il soit en
réalité d’importation étrangère. Si j’avais cependant un exemple à
citer de la facilité avec laquelle le Chinois, non seulement adopte,
mais encore s’assimile un élément étra nger, je citerais sans
hésitation la rapidité avec laquelle le Bouddhisme, religion
Henri Cordier Histoire générale de la Chine 32

indienne, s’est répandu dans le Céleste Empire et s’y est


fermement implanté (69). »
Dans cette mêlée où les peuples se fondent les uns, dans les autres, se
superposent ou s’exterminent, quel a été le rôle de la Chine : le Chinois n’est
pas l’être impassible à l’exté rieur, ignorant tout du monde dont il est le centre
en dehors des dix-huit provinces qui forment l’Empire et des pays qui en
dépendent, souvent dépeints par les étrangers ; il a fait des emprunts peu
nombreux, avons-nous • 41 écrit, à des civilisations étrangères ; certaines de
ses mœurs ont été modifiées par ses conquérants, comme nous venons de le
dire ; et d’autre part son action po litique et militaire s’est étendue de la Corée
à l’Annam, du Japon à l’Asie centrale. De ses explorations vers l’ouest, il a
rapporté, avec la religion bouddhique, la connaissance d’un art affiné par la
tradition de la Grèce qui a eu, comme nous le verrons, la plus décisive et la
plus heureuse influence sur le goût de l’Asie orientale.
Les documents relatifs à l’histoire de la Chine, fort nom breux et fort
intéressants, offrent au savant un champ presque illimité de recherches qui n’a
encore été que partiellement exploré. J’ai indiqué dans la Bibliotheca Sinica, à
laquelle je renvoie le lecteur, les travaux qui ont été publiés jusqu’à ce jour
par les Occidentaux sur les différents points de l’Histoire de ce vaste Empire.
On verra qu’une histoire critique, scientifique de ce pays, telle que nous
l’entendons aujourd’hui en Europe, n’existe pas, que si les sinologues ont
déployé beaucoup de savoir et de sagacité dans la traduction et l’interprétation
des King (Livres canoniques), ils sont restés dans les études historiques bien
au-dessous de ce qu’on était en droit d’espérer d’eux. Toutefois, il serait
injuste de ne pas marquer le renouveau qui depuis une quinzaine d’années
s’est produit dans les études archéolo giques relatives à la Chine. Le présent
ouvrage, qui comblera peut être une lacune, a largement profité des travaux de
savants tels que MM. Chavannes et Pelliot.
La Chine possède d’innombrables inscriptions recueillies d’ailleurs avec
soin par les historiens et les archéologues, mais les plus anciennes comme
celles de Yu le Grand ne sont rien moins qu’authentiques. En outre, des maté -
riaux souvent employés, le papier et le bois sont éminemment périssables, et
des inscriptions gravées dans la pierre, ou le marbre, fort peu remontent à une
époque reculée grâce aux désastres causés par les révolutions ou aux
mutilations opérées par les vandales jusqu’à nos jours. Ce n’est d’ail leurs que
sous la dynastie des Soung que commencèrent à se former les collections
d’estampages qui circulaient en • 42 Chine dès les T’ang et sur lesquels
travaillèrent les lettrés jusqu’à nos jours ; c’est aussi à cette même époque des
Soung que remontent les plus anciennes publications archéologiques (70).
« Les Chinois, qui sont si amateurs de l’antiquité, ont eu le
malheur de perdre presque tous leurs anciens monumens en cuivre,
bronze, fer, marbre, pierre, nous dit Gaubil (71). Les guerres, les
pillages, les saccagemens des villes et des tombeaux, ont détruit
Henri Cordier Histoire générale de la Chine 33

une infinité d’anciens monumens. L’intérêt a fait fondre d’anciens


monumens en cuivre et autres métaux pour avoir de l’argent. Le
même intérêt a fait vendre bien d’anciens monumens en pierre et
en marbre, dont on a effacé les caractères pour leur en substituer
d’autres. Les anciens instrumens de mathématiques, même ceux
des dynasties depuis les Han jusqu’à la dynastie Youen, se sont
perdus ou ont été fondus, et il n’en reste que peu de la dynastie
passée, faits sur le modèle de ceux de la dynastie des Youen ».
Seules des fouilles méthodiques pourront peut-être donner satisfaction à
l’archéologie préhistorique.

Système bibliographique.
Dans le système bibliographique adopté par les Chinois généralement, et
en particulier dans la grande collection des ouvrages les plus estimés dans le
pays, dont l’exécution fut ordonnée en 1773 par l’empereur K’ien Loung, la
première classe est consacrée aux Livres canoniques (King), la seconde aux
Ouvrages historiques (Che). Cette classe se subdivise elle-même en :
1° Histoire des différentes dynasties, Tcheng che ;
2° Annales, Pien nien ;
3° Histoires générales ; Ki se peun mo ;
4° Histoires particulières, Pie che (Histoires séparées) ;
5° Histoires diverses Tsa che ;
6° Documents officiels, Tchaou ling tseou yi ;
7° Biographies, Tchouan Ki ;
8° Extraits historiques ; Che Tch’ao ;
9° Histoires d’États particuliers, Tsai Ki ;
10° Chronologie, Che Ling ;
11° Géographie, etc., Ti Li ;
12° Administration et gouvernement, Tche Kouan,
13° Constitution, lois, édits, etc., Tcheng chou ;
14° Bibliographie, Mou lou ;
15° Critique d’histoires ; Che Ping.

Nous parlerons d’abord de l’histoire des différentes dynasties de la Chine.


Les ouvrages qui traitent de l’his toire particulière des familles souveraines ne
sont pas de simples récits d’événements passés sous chaque règne, mais bien
de véritables Encyclopédies. Alexandre Wylie qui, dans toutes les questions
de littérature et de bibliographie chinoises, était le maître incontesté, remarque
dans ses Notes on Chinese Literature que ces histoires sont généralement
faites sur le même modèle et comprennent trois sections :
1° Ti ki, Chronique des différents empereurs de la dynastie ;
Henri Cordier Histoire générale de la Chine 34

2° Tche, Mémoires sur les mathématiques, les rites, la musique ; la


jurisprudence, l’économi e politique, les sacrifices, l’astronomie, l’influence
des éléments, la géographie et la littérature ; et
3° Li tchouan, biographies des personnes célèbres et notes sur les peuples
étrangers.

On compte 24 Histoires dynastiques : Eul Che se che.

1° Che Ki, Mémoires historiques, par Se ma Ts’ien, depuis l’antiquité jusqu’à


122 av. J. C., comprend 130 livres.

2° Tsien Han Chou, Histoire des Han antérieurs, par Pan Kou, 206 av. J.-C.,
24 ap. J.-C., 120 livres.

3° Heou Han Chou, Histoire des Han postérieurs, par Fan Ye, 26-220 ap.
J.-C., 120 livres.

4° San Kouo Tche, Histoire des Trois Royaumes ; par Tch’en Cheou, 220 -280,
65 livres.

5° Tsin Chou, Histoire des Tsin, par Fang K’iao, etc., 265 -419, 130 livres.

6° Soung Chou, Histoire des Soung, par Tch’en Yo, 4 20-478, 100 livres.

7° Nan Ts’i Chou , Histoire des Ts’i méridionaux, par Siao Tseu -hien,
479-501, 59 livres.

8° Leang Chou, Histoire des Leang, par Yao Se-lien, 502-556, 56 livres.

9° Tch’en Chou , Histoire des Tch’en, par Yao Se -lien, 556-580, 36 livres.

10° Wei Chou, Histoire des Wei, par Wei Chenu, 386-556, 114 livres.

11° Pe Ts’i Chou , Histoire des Ts’i septentrionaux, par Li Pe -yo, 550-577 ; 15
livres.

12° Heou Tcheou Chou, Histoire des Tcheou postérieurs, par Ling-hou
Te-feun, et autres, 557-581, 50 livres.

13° Souei Chou, Histoire des Souei, par Wei Tcheng, et autres, 581-617, 85
livres.

14° Nan Che, Historiens du Sud, par Li Yen-cheou, 420-589, 80 livres.

15° Pe Che, Historiens du Nord, par Li Yen-cheou, 386- , 100 livres.


Henri Cordier Histoire générale de la Chine 35

16° Kieou T’ang Cho u, les anciens livres des T’ang, par Lieou Hiu, et autres,
618-906, 214 livres.

17° Sin T’ang Chou , les nouveaux livres des T’ang, par Ngeou -yang Sieou et
Soung K’i, 618 -906, 255 livres.

18° Kieou Wou Tai Chou, Ancien livre des Cinq Dynasties, par Sie
Kiu-tcheng, 907-959, 150 livres.

19° Sin Wou Tai Chou, Livre des Cinq Dynasties, par Ngeou-yang Sieou,
907-959, 74 livres.

20° Soung Che, Histoire des Soung, par T’o t’o, 960 -1279, 496 livres.

21° Leao Che, Histoire des Leao, par T’o t’o, 916 -1125, 116 livres.

22° Kin Che, Histoire des Kin, par T’o t’o, 1115 -1234, 134 livres.

23° Youen Che, Histoire des Mongoux, par Soung Lien, et autres, 1206-1367,
210 livres.

24° Ming Che, Histoire des Ming, par Tchang T’ing -yu, 1368-1643, 332
livres.

La plus considérable de ces histoires est celle de la dynastie des Soung,


qui comprend 496 livres ; la plus ancienne 455 est le Che Ki [Mémoires
historiques] du célèbre Se-ma Ts’ien dont nous avons déjà parlé : Chavannes
en avait entrepris la traduction complète, mais cet immense travail a été arrêté
par la mort de ce regretté savant.
Pour suppléer en partie à l’absence d’une histoire des Mandchous, qui
régnaient depuis 1644, on pouvait consulter le Toung houa lou, résumé des
événements qui se sont déroulés depuis l’origine d e la dynastie jusqu’en 1735,
par Tsiang Liang K’i, le Kouo tch’ao sien tcheng che lio , Précis historique des
Hommes illustres, déjà décédés, de la dynastie actuellement régnante en
Chine, par Li Youen tou (1866), ou encore le Cheng Wou Ki, Les Saintes
Guerres de la dynastie mandchoue, par Wei Youen (1842) qui a eu plusieurs
éditions depuis.
Il ne faut manier cette masse de matériaux qu’avec pru dence ; l’histoire
n’est nulle part une science ayant le caractère d’une science exacte ; pas plus
en Chine qu’a illeurs, et Voltaire (72), sans doute pour les besoins de ses
théories, accordait aux annales chinoises une certitude qui n’est nul lement
universellement admise comme il le croyait :
Henri Cordier Histoire générale de la Chine 36

« Oserons-nous parler des Chinois sans nous en rapporter à leurs propres


annales ? elles sont confirmées par le témoignage unanime de nos voyageurs
de différentes sectes, jacobins, jésuites, luthériens, calvinistes, anglicans ; tous
intéressés à se contredire. Si quelques annales portent un caractère de
certitude, ce sont celles des Chinois, qui ont joint l’his toire du ciel à celle de la
terre. »

San fen, Wou tien.


« Suivant la tradition constante des Chinois, l’histoire depuis Fou Hi,
fondateur de leur Empire, jusqu’à l’empe reur Chouen inclusivement, était
comprise dans les livres San fen et Wou tien. Le San fen n’était autre chose
que l’histoire des trois premiers empereurs, Fou Hi, Chen Noung et Houang
Ti ; elle comprenait leurs instructions et leur manière de gouverner. Le Wou
tien renfermait l’his toire des cinq princes qui leur ont succédé immédiatement
Chao hao, Tchouen Hiu, Ti Ko, Yao et Chouen (73).
• 46 Le San fen est totalement perdu ainsi que la plus grande partie du Wou
tien ; ce qui en reste, règnes de Yao et Chouen, a pris place en tête du Chou
King. Pour les dynasties suivantes, nous possédons le Chou King, le Tch’ouen
Ts’ieou , le Tchou Chou Ki nien et le Che Ki.

Chou King et Che Ki.


Les deux ouvrages dans lesquels nous pouvons puiser et encore avec
beaucoup de prudence pour les parties les plus anciennes nos renseignements
sur l’origine et sur les premières dynasties des Chinois, sont le Chou King et
le Che Ki : le premier commence aux empereurs Yao et Chouen, le second
débute avec Houang Ti. On n’y trouve rien de ces légendes dont les Taoïstes
ont entouré l’origine des Chinois. Ces fables, invention de dates relati vement
récentes, remontent à une époque à laquelle la Chine, sinon entrée en relations
avec les peuples étrangers, avait du moins entendu parler de ceux-ci ; rien
d’étonnant par suite que l’on retrouve dans l’histoire mythique de la Chine des
analogies avec des légendes ou même avec des faits historiques de l’Inde ou
de l’Asie antérieure, ressem blances qui comme nous l’avons vu ont permis à
Terrien de Lacouperie et à d’autres savants à l’imagi nation fertile de faire
dériver la civilisation de la Chine de celle de peuples qu’elle n’a connus qu’à
une époque beaucoup moins ancienne. Tous les ouvrages qui traitent de
l’antiquité chinoise, c’est -à-dire des fables, ont été rédigés à une date
postérieure à l’ère chrétienne, et leurs emprunts aux légendes étrangères
ajoutés au merveilleux de la légende créée par les disciples de Lao Tseu ont
constitué le fond et la forme de ces récits d’événements, placés comme une
sorte de prologue à l’œuvre de Confucius et à celle de Se -ma Ts’ien, au Chou
King et au Che Ki.
Henri Cordier Histoire générale de la Chine 37

Chou King.
Le Chou King, ou simplement le Chou, le Livre d’His toire, parfois appelé
Chang Chou, depuis les Han, est le second des Grands Livres Classiques
(King) ; il est possible, sans que la chose soit certaine, qu’il ait été écrit
d’après des documents plus anciens par Confucius auq uel on attribue parfois
sa préface. Il se serait composé de cent chapitres ou p’ien , s’étendant depuis
les empereurs Yao et Chouen • 47 jusqu’à 721 av. J. -C., règne de Ping Wang,
de la dynastie des Tcheou. La nature même de l’ouvrage le désignait tout
particulièrement aux exécuteurs des ordres de destruction, (213 av. J.-C.) de
Ts’in Che Houang Ti, au IIIe siècle avant notre ère. Lors que sous l’empereur
Hiao Wen (179-157 av. J.-C.), des Han, on chercha à reconstituer le texte des
anciens livres, grâce à un vieillard de Ts’i nan, capitale du Chan Toung,
nommé Fou Cheng, on put rétablir vingt-huit ou vingt-neuf chapitres qu’il
savait par cœur ou que, suivant Se -ma Ts’ien, il avait conservés sur des
tablettes cachées dans un mur, tablettes remises par lui à un envoyé de
l’empereur Wen (178 -156 av. J.-C.) ; cette portion du livre est connue sous le
nom de Kin wen ou texte moderne. Le livre V, T’ai Kia , des Annales des
Chang, aurait été fourni par une jeune fille du Ho nan. Un peu plus tard, à
l’aide d’un texte en caractères archaïques ( K’o teou ), retrouvé dans un mur
lors de la démolition par ordre de Koung Wang, prince de Lou, de la maison
de Confucius, K’oung Ngan kouo constata que les 29 cha pitres de Fou Cheng
en formaient en réalité 34 ; il trouva de plus 25 sections nouvelles, ayant ainsi
59 sections dont 58 étaient des chapitres des 100 chapitres de Confucius et
dont la 59e était le siao siu du Chou King, c’est -à-dire l’ensemble des résumés
préliminaires de chacune des 100 sections. K’oung ayant constitué ces
cinquante huit chapitres les présenta en 96 av. J.-C. à l’empereur.
L’authenticité de la préface et du commentaire de K’oung Ng an kouo a été
depuis considéré comme un faux par les commentateurs modernes (74). Sous
les Tsin orientaux, à l’époque de l’empereur Youen (317 -323), Mei Tsi établit
d’après Nean kouo un nouveau texte qui forme le Kou wei, ou texte ancien, en
caractères imitant la forme du tétard K’où teou tseu . Enfin sous les Soung,
Tchou Hi et son disciple Ts’ai Tch’en, en 1210, ajoutèrent de nouvelles
remarques et un commentaire. C’est non pas un ouvrage d’une parfaite unité,
conçu et écrit d’un e manière • 48 continue par un historien, mais un recueil
factice de diverses pièces présentant des anomalies. Tchou Hi puis, plus tard
Wou Tch’eng vers 1300, et d’autres, critiquèrent l’œuvre de Mei Tsi. Aucune
chronologie n’existe dans le Chou King, le début est considéré par les lettrés
comme moins certain que la suite du livre. Le Chou King comprend 25 700
caractères (75).

Che Ki.
Ce fut le grand astrologue Se-ma T’an, mort en 110 avant J. -C., à Lo
Yang, qui eut l’idée du Che Ki et commença à réunir les matériaux
Henri Cordier Histoire générale de la Chine 38

nécessaires, qu’il légua sur son lit de mort à son fils Se -ma Ts’ien qui lui
succéda dans sa charge ; celui-ci avait par des voyages acquis une grande
expérience. La date de sa naissance à Loung Men, sur la rive droite du
Houang Ho, est inconnue ; quelques-uns la placent en 163 av. J.-C. Pour avoir
défendu le général malheureux Li Ling, il fut condamné à la castration (98 av.
J.-C.). Il mourut probablement au commencement du règne de l’empereur
Tchao (86-74 av. J.-C.) Après son malheur, il avait continué d’amasser les
matériaux, à les mettre en œuvre et donna la rédaction définitive du Che Ki. Il
a évidemment possédé un grand nombre d’histoires locales dont il a fait usage
pour écrire l’histoire des principautés. « Le mérite, dit Chavannes, qu’on ne
saurait dénier à Se ma T’an et à Se -ma Ts’ien, c’est d’avoir les premiers
conçu le plan d’une histoire générale. Jusqu’à eux, on n’avait eu que des
chroniques locales (76) ». Se rua Ts’ien a su justifier l e surnom de Père de
l’Histoire comme Hérodote et son œuvre a servi de modèle à celle de ses
successeurs.
Les « Mémoires Historiques » (Che Ki) s’étendent depuis Houang Ti,
Tchouen Hiu, K’ou, Yao et Chouen jusqu’à 122 avant notre ère. Ils
comprennent 130 chapitres divisés en cinq sections :
I. Annales principales (Ti Ki), 12 chapitres, depuis les Cinq Empereurs
jusqu’à l’empereur Hiao Wou ;
II. Tableaux chronologiques (Nien piaou), 10 chapitres ;
III. Les Huit Traités (Pa chou), 8 chapitres (rites, musique, harmonie,
calendrier, astrologie, sacrifices foung • 49 et chan, le fleuve et les canaux,
poids et mesures) ;
IV. Les Maisons héréditaires (Che Kiao), 30 chapitres ;
V. Monographies (Li tchouen), 70 chapitres.
On voit quelle partie importante de l’histoire de la Chine embrasse
l’ouvrage de Se -ma Ts’ien. Elle couvre une période de près de trois mille
années qui remonte au delà des temps historiques, au delà même de la
première des dynasties, la dynastie Hia, pour continuer sous les Chang, les
Tcheou, les Ts’in, et se ter miner sous les Han. Sous la dynastie des T’ang, Se -
ma Tcheng écrivit les Annales des Trois Souverains (P’ao Hi, Niu Koua, Chen
Noung Ou Yen Ti) que l’on place en tête des Che Ki.

Tchou Chou Ki nien.


Le Tchou Chou Ki nien, Annales écrites sur bambou, est une chronique
trouvée l’an 284 (77) ap. J.-C. dans un tombeau des princes de Wei, aux
environs de Wei Houei fou, Ho Nan ; elle est importante car elle est restée
inconnue de Se-ma Ts’ien qu’elle contrôle ; toutefois elle a été utilisée par les
quatre principaux commentateurs du Che Ki ; elle est écrite sur des
planchettes de bambou desséchées et renferme un abrégé de l’histoire chinoise
depuis Houang Ti jusqu’à l’an 299 av. J. -C. Quoique cet ouvrage ait été
Henri Cordier Histoire générale de la Chine 39

l’objet à différentes reprises de commentaires peu favo rables de la part de


savants chinois, il offre néanmoins une grande importance (78).
« Les Annales écrites sur bambou, nous dit Chavannes, nous
semblent être un livre d’une authenticité incontestable. Sans doute
elles ont subi des remaniements de forme qui ont altéré leur
physionomie, surtout dans la section qui traite des événements
postérieurs à l’année 771 av. J. -C. ; sans doute aussi elles ont pu
être éditées de manières notablement différentes suivant qu’on a
considéré certaines des fiches trouvées dans la tombe de Ki comme
faisant ou non partie de cet ouvrage ; mais, ces réserves faites, elles
doivent dans l’état où elles sont aujourd’hui, reproduire encore
assez • 50 exactement les Annales qui furent enfouies dans la tombe
de Ki en l’année 299 av. J. -C. ; elles sont donc pour l’histoire un
document d’une réelle importance. »

Tch’ouen Ts’ieou.
Le Tch’ouen Ts’ieou , « Le Printemps et l’Automne » est le seul des
ouvrages canoniques écrit par Confucius lui-même vers 480 avant notre ère ;
il comprend les Annales du royaume de Lou (douze princes), sa patrie, depuis
721 jusqu’à 481 av. J. -C.
« Cet ouvrage, dit Gaubil, Chronologie, p. 49, est une critique du
mauvais gouvernement et de la corruption des mœurs. Sa vue était
de montrer que cela venait d’avoir abandonné l’ancienne doctrine
et le gouvernement établi par les anciens sages. C’est pour cela
qu’il rapporte grand nombre de princes tués par leurs sujets, et les
malheurs de tant de guerres qui désolaient l’Empire, et
introduisaient toute sorte de désordres que ce philosophe indique
sans fard avec beaucoup de précision ».
On doit ajouter à ce livre assez maigre les trois Commentaires suivants
classés parmi les ouvrages canoniques de second ordre : le Tso Tchouen,
amplification par Tso Kieou ming, disciple du Sage, qui jette des lumières sur
le texte ; le Commentaire écrit, au début de la dynastie des Han, par Koung
Yang Kao ; celui composé au milieu du premier siècle de notre ère par Kou
Liang Tche, peut-être disciples de Tseu Hia ; ces deux derniers commentaires,
sont une exposition de principes ; les trois sont désignés sous l’appel lation :
collection de Nei Tchouen, Histoire intérieure, pour les distinguer du Kouo
Yu ; également de Tso Kieou ming, qu’on nomme Wai Tchouen, Histoire
extérieure.
Meng Tseu écrit (Livre III, ch. II, pp. 452-3) :
« Le Tch’ouen Ts’ieou rapporte les actions des empereurs, (loue les
bonnes, blâme les mauvaises, et enseigne les devoirs d’un souve -
rain). Confucius disait à ce sujet : « Ceux qui me connaissent,
Henri Cordier Histoire générale de la Chine 40

n’est -ce pas uniquement par le Tch’ouen Ts’ieou qu’ils m’ont


connu ? Ceux qui me blâment, n’est -ce pas uniquement à cause du
Tch’ouen Ts’ieou ? »
Le Kouo Yu, qui, est de l’époque du Tso Tchouen, l’un des commentaires
du Tch’ouen Ts’ieou , renferme des mémoires pour servir à l’histoire entre
Mou Wang et • 51 l’an 453 av. J. -C. On l’attribue comme le Tso Tchouan à
Tso Kieou ming.
« Le Kouo Yu parle aussi des temps de l’empereur Chao Hao et de
son successeur Tchouen Hiu. Ce livre parle de Houang Ti et de
Yen Ti, deux empereurs qu’il dit frères de père et de mère ; mais il
ne dit pas si Yen Ti est le même que Chen Noung. Il parle aussi de
l’empereur Lie Chan, mais il paraît que c’est le même que Yen Ti.
Il parle aussi en peu de mots de Koung Koung comme ayant
gouverné ou usurpé l’Empire, et c’est dans un temps avant Houang
Ti. Il ne dit rien des temps avant Fou Hi. Il fait mention des trois
dynasties, Tcheou, Chang et Hia, des empereurs Chouen, Yao, Ti
Ko, Tchouen Hiu, Chao Hao, Houang Ti. La liste des princes et
mandarins anciens commence avec un fils de Koung Koung avant
les temps de Houang Ti et de Yen Ti (79) ».
Ajoutons à ces ouvrages le Tchan Kouo ts’e (Conseils des royaumes
combattants), le Tcheou Chou (Livre des Tcheou) et le rituel Ta Tai li, on aura
ainsi une idée de la littérature historique relative à la Chine ancienne.

T’oung Kien Kang Mou.


Le T’oung Kien Kang Mou est un ouvrage considérable traduit en Français
par le P. de Mailla et publié de 1777 à 1780 en onze volumes in 4° par l’abbé
Grosier, aidé de Leroux Deshauterayes. Cet ouvrage tiré et abrégé sous la
direction du célèbre philosophe Tchou Hi du Tseu Tche T’oung Kien de Se-
Ma Kouang, puis continué et corrigé à diverses reprises par des savants,
comprend l’histoire des dynasties impériales jusqu’à celle des Youen. A l’aide
du Ming-che Ki-se-peun-mo, du T’oung Kien Ming Ki tsiouen tsai , et du
Ming-Ki pien nien, le P. de Mailla donna l’his toire des Ming et, avec le
second de ces ouvrages qui s’arrête à 1659, commença l’histoire de la
dynastie des Ts’ing qu’il continua, à l’aide du Ts’ing tching Ping ting sou han
fang lio, dans lequel, on trouve la relation des guerres, de l’empereur Wang Hi
contre les Eleuthes et l’abrégé des événements de la vie de ce prince jusqu’à
sa quarantième année. L’ouvrage du P. de Mailla n’est pas sans défaut et,
comme le dit le P. Gaubil dans une lettre à • 52 M. de L’isle (80) :
« La traduction française du T’oung Kien Kang mou , du P. de
Mailla, mériterait d’être remaniée par un homme bien au fait sur la
Chine et d’un grand tra vail, et zélé pour la Chine. Or, cela me
paroît bien difficile ; il y a dans cette version du P. de Mailla bien
Henri Cordier Histoire générale de la Chine 41

des articles à retoucher, et plusieurs qui demandent de la critique.


Cet ouvrage a été fait un peu trop vite, et il aurait dû être mieux
examiné en Chine ; on se pressa un peu trop de l’en voyer à Lyon.
Il contient d’excellents matériaux pour l’histoire ; mais, pour s’en
servir, il faut être au fait sur les affaires de la Chine, et en état de
voir ce qu’il y a à retran cher ou à y ajouter. »

Origine des Chinois : Théories chinoises.

« Il est de l’origine des peuples comme des généalo gies des particuliers :
on ne peut souffrir des commencemens bas et obscurs. Ceux-ci vont à la
Chimère ; ceux-là donnent dans les Fables (81) ». Les Chinois n’ont pas
échappé à la règle commune.
Il ne faut aborder le récit, entouré de légendes, des débuts de la nation
chinoise qu’avec beaucoup de scepticisme et le considérer comme relevant du
folklore et non de l’his toire.
D’après les légendes taoïstes, du premier homme P’an Kou ou Hou T ouen
(Chaos) jusqu’à 479 av. J. -C., on compte une période de 276 000 années, que
certains ont porté à 2 276 000, 27 598 600, 3 276 000 et même 96 961 740
années (82). Au Tao, qui sur la fin des Tcheou, et au commencement des Han,
était le principe créateur du Ciel et de la Terre, sous les Han orientaux, on
substitua P’an Kou. Selon le livre Yi-Ki, c’est celui -ci qui est le Père de l’Uni -
vers. « Il sortit du chaos comme il put : après sa mort, sa tête se changea en
montagne, ses yeux devinrent le soleil et la lune, ses veines des fleuves et des
rivières, ses cheveux des arbres, les poils de son corps des plantes, etc. Le
grand embarras des écrivains est de dire de quelle veine où de quelle artère en
particulier sortit le Fleuve Jaune, le Kiang.
• 53 Selon le Li Ki, ou Histoire des Calendriers, P’an Kou fut longtemps
enfermé dans le chaos, qui avait la forme d’un œuf : le chaos se développa en
18 000 ans : le Ciel s’élevait chaque jour de dix pieds ; la Terre s’épaississait
d’autant, et P’an Kou gr andissait avec la même proportion, pour être « l’Esprit
du Ciel et le Saint de la Terre (83) ». P’an Kou est représenté armé d’une
hache et d’un ciseau, sculptant le monde au -dessus de lui. La légende de P’an
Kou n’est pas chinoi se ; elle fut introduite par des ambassadeurs venus du
Siam ou de la Malaisie au VIe siècle après J.-C. (84).
Au premier homme ont succédé les San Houang (Trois Souverains) : les
Souverains du Ciel, Tien Houang comptèrent treize (85) représentants, qui
régnèrent chacun 18 000 années par la vertu de l’élément bois : Gaubil,
Chronologie, p. 1, en fait treize frères qui eurent le titre d’Esprit du Ciel. Les
Souverains de la Terre, Ti Houang, eurent onze représentants, onze frères, dit
Henri Cordier Histoire générale de la Chine 42

Gaubil, qui furent les Esprits de la Terre, qui régnèrent chacun 18 000 années
par la vertu de l’élément feu. Les Souverains Hommes, Jen Houang,
comprennent neuf frères qui régnèrent pendant 150 générations, soit 45 600
années. « L’Empire fut divisé en neuf parties, et chacun gouvernait dans une
des neuf parties. L’abondance régnait partout ; et il n’y avait nul
désordre (86) ». L’abrégé de l’histoire utilisé par le P. Gaubil dit que depuis le
commencement des Tien Houang jusqu’à la première année de Houng Wou,
le fondateur de la dynastie des Ming (1368 ap. J.-C.), on compte 86 496
ans (87).
Se-ma Tcheng dans ses Annales des Trois Souverains, d’après un
appendice du Tch’ouen Ts’ieou , divise la période • 54 depuis la séparation du
Ciel et de la Terre, commence ment du monde, jusqu’à la capture de l’animal
fantastique Lin, à l’époque de Confucius, qui comprend 3 276 000 années —
on a vu que le T’oung Kien Kang, gnou en compte 2 276 000 seulement en
dix périodes ou Ki, refermant les années de 70 600 générations.
Le premier Ki est celui des Neuf Têtes (Kiou t’eou ), ou des Neuf
Souverains (Kiou ouang) ; par conséquent des Jen Houang déjà mentionnés.
La seconde période est celle des Cinq Dragons (Wou Loung) ; après les Cinq
Dragons, Se-ma Tcheng cite Souei Jen, Ta T’ing, Po Houang, Tchoung Yang,
Kiouen Siu, Li Lou, Li Lien, Ho Siu, Ts’ouen Lou, Houen Touen, Hao Ying,
Yeou Tch’ao, Tchou Siang, Ko T’ien, Yin K’ang, Wou Houai, que dans un
autre système nous verrons placés entre Fou Hi et Chen Noung. L’abrégé
d’histoire utilisé par le P. Gaubil ne cite après les Jen Houang que Yeou
Tch’ao et Souei Jen dont on ne dit pas la durée des règnes. Yeou Tch’ao
« apprit aux Chinois la manière de construire des cabanes pour se mettre à
couvert des bêtes féroces. Avant le temps de ce prince, on habitait dans des
cavernes. Du temps de Yeou Tch’ao, on buvait le Sang des animaux ; la chair
crue, les herbes, feuilles et fruits sauvages, étaient la nourriture ordinaire.
Après Yeou Tch’ao les peuples furent gouver nés par Souei Jen. Il apprit aux
hommes l’usage du feu, et la manière de cuire les viandes pour se nourrir. Il
apprit aussi à faire le commerce ; il établit des écoles pour enseigner les
principes de la religion. Il aimait à contempler les astres et à examiner les
propriétés du bois, des métaux, de la terre, du feu, de l’eau. Il enseigna l’usage
des nœuds de cordelettes, pour marquer et se ressouvenir des choses
nécessaires (88). Le troisième Ki est la période Che t’i , avec 59 générations ; le
quatrième, la période Ho-Ngo, avec trois générations ; le cinquième, la
période Lien T’oung, avec six générations ; le sixième, la période Siu Ming,
quatre générations ; le septième, la période Sieou Fei, avec vingt-deux
souverains ; le huitième, la période Houei T’i, avec • 55 treize souverains ; le
neuvième, la période Chan T’oung. Le dixième et dernier Ki la période Lieou
Ki qui correspondrait à Houang Ti (89).
Dans le T’oung Kien Kang mou , les San Houang sont indiqués dans
l’ordre suivant : Fou Hi, Chen Noung, et Houang Ti. Se-ma Tcheng les range
ainsi : Pa’o Hi ou Fou Hi, Niu Koua et Chen Noung : Je reviendrai plus loin
Henri Cordier Histoire générale de la Chine 43

sur Fou Hi et Chen Noung ; je dirai d’abord quelques mots sur Niu Koua qui
avait un corps de serpent et une tête d’homme ; il appartenait au clan Foung et
ne changea, ni n’inventa rien. Il est signalé pour la première fois par Li Tseu,
le philosophe taoïste au IVe siècle av. J.-C., qui raconte qu’il répara le Ciel
avec des pierres et qu’il coupa les pieds de la Tortue pour établ ir les quatre
extrémités du monde : Au second siècle av. J.-C., Houai nan Tseu en parle
également (90). D’autres fables taoïstes font une femme de Niu Koua : « Niu
Koua, sœur, fille et femme de Fou Hi, avait aussi un corps de ser pent, avec
une tête humaine. Le Li Ki dit qu’elle changeait 70 fois de figure par jour :
Kou Koung, mauvais esprit, outré d’avoir été vaincu dans une guerre qu’il
avait suscitée, donna un coup de tête contre une des colonnes du Ciel et la
brisa. La voûte céleste vint toucher la terre de ce coté ; mais, dit le Wai Ki,
Niu Koua, ayant pétri et purifié une pierre de cinq couleurs, elle ressouda la
voûte céleste et la releva avec les pattes d’une tortue qu’elle coupa : puis elle
tua le dragon noir et boucha avec des cendres d’écorce de citrouille, les trous
par où les eaux du ciel inondaient la terre. Sa voix était si agréable, que ses
chants faisaient danser tous les astres (91).
« Il peut se faire, dit le P. Gaubil, dans sa Chronologie, p. 7, que
Nu oua désigne la tradition ancienne sur Eve. Nu, femme ; oua
serait Eva ou Ghe-oua ; mais je ne veux pas m’arrêter à ces sortes
de conjectures.
Il a raison de ne pas s’y arrêter.

Après les San Houang, le T’oung Kien Kang mou • 56 indique les Cinq
Empereurs, Wou Ti ; en réalité il en marque six : Chao hao, Tchouen Hiu, Ti
Ko, Ti Tche, Yao et Chouen. Se-ma Ts’ien qui écarte Chao Hao, commence
ses Mémoires Historiques avec Houang Ti, le premier des Cinq Empereurs,
suivi de Tchouen Hiu, K’ou, T che, Yao et Chouen qui régnaient en vertu des
éléments terre, bois, métal, feu et eau. Enfin dans d’autres systèmes chrono -
logiques, les Cinq Empereurs sont Fou Hi, Chen Noung, Houang Ti, Chao
Hao et Tchouen Hiu.
« Malgré le caractère légendaire de ces personnages les Lettrés
chinois n’ont jamais regardé comme fabu leux les règnes de Fou Hi,
de Houang Ti et de ses successeurs jusqu’à Yao. Aucun d’eux , je
dis aucun, c’est -à-dire pas un seul, n’a jamais douté que Fou Hi ne
soit le Fondateur et Houang Ti le Législateur, de la Monarchie chi-
noise (92).
Ceci est du P. Amiot, en revanche son confrère, le P. Cibot nous dit :
« A en juger par ce qu’on sait d’authen tique sur Yao, Chouen et
Yu, l’origine de la Nation chi noise ne peut remonter que d’une ou
deux générations au delà d’Yao (93) ».
Nous sommes loin de l’opinion de Voltaire (94) :
Henri Cordier Histoire générale de la Chine 44

« Les Chinois ne remontent point jusqu’aux temps sauvages où les


hommes eurent besoin qu’on le s trompât pour les conduire.
D’autres peuples commencèrent leur histoire par l’origine du
monde. Les Chinois n’ont point eu cette folie ; leur histoire n’est
que celle des temps historiques !
L’historien n’a rien à glaner dans ces récits merveilleux qui en tourent le
berceau de la vieille Chine ; il n’en est pas de même du folkloriste auquel
appartient la tâche de retrouver les mythes d’origine étrangère auxquels ils se
rattachent.

*
**
Henri Cordier Histoire générale de la Chine 45

CHAPITRE III

Les Cinq Empereurs.

Fou Hi.
• 57 Fou Hi, né à Tch’eng K i (Kan Sou), près des sources de la Wei,
appartenait au clan Foung ; l’abrégé d’his toire de Gaubil le fait naître dans le
Chan Si, nous dit que sa Cour était dans le Ho Nan et que sa mère s’appe lait
Houa Su ; il avait le corps d’un serpent et la tête d’u n homme ; il succéda à
Souei Jen qui apprit aux hommes à connaître le Ciel (T’ien ). Il fut nommé Fou
Hi parce que le premier il tressa des filets pour la chasse et la pêche, et P’ao
Hi parce qu’il se livra à l’élevage des animaux domes tiques pour la cuisine. Il
régna par la vertu du bois. Certains auteurs « admettent que les éléments se
succèdent en se produisant l’un l’autre : le bois produit le feu, qui produit la
terre, qui produit le métal, qui produit l’eau, et celle ci à son tour produit le
bois (95) ». Ces éléments correspondent aux couleurs : vert, rouge, jaune, bleu,
noir. Ce fut lui qui régla le mariage de l’homme et de la femme et il divisa le
pays en cent familles. On retrouve ce nom de « cent familles » dans le petit
ouvrage bien connu intitulé : Pe Kia Sing : il ne faut pas prendre ce titre dans
un sens littéral ; il est une désignation collective et comprend en réalité 454
sing ou noms de familles. Il a pour auteur l’un des commentateurs du San
Tséu King, le livre des Trois Caractères, Wang Tsin-ching.
« Dans les temps avant Fou Hi, on habitait dans des cavernes et des
déserts ; ensuite, pour se mettre à couvert des pluies et des vents,
des gens d’une grande sagesse firent bâtir des maisons et des
palais. Dans ces mêmes temps si anciens, on mettait les corps
morts dans des fagots épais d’herbes, pour les ensevelir dans des
lieux déserts et écartés, • 58 sans faire des tombeaux, sans planter
des arbres et sans déterminer le temps du deuil. Confucius dit
qu’ensuite les gens sages firent bâtir des bières et cercueils (96) ».
Fou Hi remplaça par des tablettes sur lesquelles on écrivait, les cordes
nouées en usage jusqu’à lui ; inventées suivant les uns par Souei Jen, suivant
les autres par Chen Noung ; elles sont encore en usage au Tibet et chez
certaines tribus non chinoises de l’Empire tels les Miao Tseu du Kouei
Tcheou ; on sait que les anciens Péruviens se servaient également de ficelles
nouées appelées quipus pour établir leurs comptes ; chaque nœud représentait
un nombre et chaque ficelle un objet différent (97). Une des figures des
sépultures de la famille Wou, au Chan Toung, est accompagnée de
l’inscription suivante :
« Fou Hi Ts’ang -tsing [Efficace de la végétation] fit le premier le
métier de souverain ; il traça les trigrammes et noua des cordes de
Henri Cordier Histoire générale de la Chine 46

façon à bien gouverner le pays compris à l’intérieur des


mers (98) ».

Pa Koua.
Fou Hi défricha les terres et étendit ses possessions par la découverte du
Ho Nan et du Chan Toung jusqu’à la mer Orientale. Il inventa le cycle de
soixante ans et fabriqua un luth à trente cinq cordes. Il a surtout attaché son
nom aux huit trigrammes (Pa Koua) « grâce auxquels il pénétra l’efficace des
esprits divins et grâce auxquels il sépara par classes les natures des
êtres. (99) » L’idée des Koua fut donnée à Fou Hi par le dessin Hô t’ou qui lui
apparut sur le dos d’un cheval dragon sorti du Fleuve Jaune. Le système des
Koua est l’objet du premier des Livres Classiques, le Yi King ou Livre des
Changements dont les théories ont subi avec le temps de profondes
transformations. Peut-être est-il utile de retracer ici ce système.
Au XVIIIe siècle, les Jésuites de Pe King ont clairement formulé les idées
des novateurs :
« En voulant éclaircir ce que les Anciens, sur la tradition de leurs
Ancêtres, avoient dit allégoriquement, ces • 59 Philosophes
orgueilleux [les philosophes modernes] ont tout embrouillé, tout
défiguré, tout changé. Les Anciens avoient dit qu’il y avait un Tay
Ki ou grand Principe, un Chang Ti ou Seigneur Suprême, un T’ien
ou Ciel supérieur, qui, par la vertu de son Ki ou de son souffle tout
puissant, avoit formé les San Tsai ou les trois agents généraux ou
puissances productrices subordonnées, qui sont le Ciel, la Terre et
l’Homme ; et par ces San Tsai, ils entendoient tout ce qui est
purement intellectuel, comme tout ce qui tombe sous les sens ;
toute puissance qui peut être ou qui est actuellement réduite en
acte. Ils rangeoient sous le premier Tsai, qui est le Ciel, tout ce qui
est l’objet de la Métaphy sique et de la Physique céleste, et ils
s’étendoient en par ticulier sur ce qui concerne l’Astronomie...
» L’eau, le feu, les métaux, les vents, le tonnerre, la pluie, la
géographie, et toutes les productions naturelles, tant en général
qu’en particulier, faisaient l’objet du second Tsai, qui est la Terre.
« Pour ce qui est du troisième Tsai, qui est l’Homme, ils le
regardoient comme le seul être visible qui fût doué d’intelligence,
qui fût en état de pouvoir produire des actes dignes d’éloge ou de
blâme, de récompense ou de châtiment, suivant qu’il cultivoit la
vertu, ou qu’il s’abandonnoit au vice. Ils étoient persuadés outre
cela, & ils ne cessoient de le dire, que l’ homme étoit récompensé
ou puni non seulement pendant cette vie, mais même après sa
mort : & ce fut pour l’engager à mériter l’un & à éviter l’autr e,
qu’ils s’appliquèrent surtout à développer les principes de la
Henri Cordier Histoire générale de la Chine 47

Morale ; à expliquer les différentes obligations qu’elle impose en


général pour la conduite extérieure de l’homme & pour le
règlement de son cœur, & en particulier pour l’accomplissement de
ses devoirs, comme fils, comme sujet, comme père de famille,
comme membre de la société, etc.
» Voulant s’expliquer brièvement, au moyen de quelques
symboles, ces Anciens avoient dit : Le Tay Ki ou le grand Principe
a engendré les Leang-y ou les deux effigies ; ces deux effigies ont
engendré les Sée-siang ou les quatre images, & ces quatre images
ont engendré les Pa Koua ou les huit • 60 trigrammes, qui exposent
les principes d’où toutes choses tirent leur origine, et au moyen
desquels il n’est rien qu’on ne puisse expliquer (100) ».
Le Livre des Changements, Yi King, qui renferme le système qui vient
d’être développé, échappa à la destruction des livres sous Ts’in Che Houang
Ti, sous prétexte qu’il contenait des règles de divination. Il commence au T’ai
Ki, le Grand Absolu, le Grand Extrême, qui est un autre nom du principe
d’activité ( Li). On attribue la figure du T’ai Ki du Yi King à Tcheou Tun-yi,
mort en 1073, sous les Soung. « Dans l’explication qu’il en donne, il prétend
faire voir que la raison émane du Ciel, et éclaircit le commencement et la fin
de toutes choses. Il publia encore sur cette matière un livre composé de
quarante chapitres, qu’il intitula Yi toung, c’est -à-dire le Yi King pénétré ;
c’est une explication plus étendue de sa figure T’ai Ki , par rapport au Yi King ;
il ne dit rien qui ne soit utile ; rien qui ne soit grand ; quoique écrit d’un style
simple et naturel, cependant il est très subtil et très profond ; il prétend qu’il y
développe l’origine et le fondement de la doctrine de Confucius et de Meng
Tseu (101) ». Certains philosophes de la dynastie des Soung ajoutèrent au T’ai
Ki le Wou Ki c’est -à-dire l’Absolu Rien, l’Infini. Dans leur système, l’Absolu
Rien (Wou Ki), évidemment d’origine taoïste, produit le Grand Absolu ( T’ai
Ki) qui, animé par son souffle, crée le Grand Principe mâle (Yang) : ce der-
nier, dans son repos, donne naissance au Principe femelle (Yin). Lorsque ces
deux principes mis en mouvement finissent par se reposer, ce qui se trouve en
haut est le Ciel correspondant au Yang, ce qui reste en bas est la Terre
correspondant au Yin. Puis dans la suite de leur mouvement, on voit se former
le soleil et la lune, les étoiles et les planètes, l’eau et le feu, les plantes, les
minéraux, les hommes, les animaux, etc. Les lois qui régissent les mou-
vements sont au nombre de quatre : 1° Ki, le souffle de la nature, qui
représente l’énergie ; 2° Li, les lois de la nature • 61 antérieures au Ki ; 3° So,
qui donne les proportions numériques ; enfin, pour rendre tangibles ces lois,
les rendre matérielles, 4° Ying, la forme de la nature.
« Le Ciel est noble et la Terre ne l’est pas ; sur ce modèle le prince
fut distingué du sujet. Parmi les choses étalées à la surface de la
terre, les unes sont basses, les autres élevées, sur ce modèle furent
établis les divers rangs de la société. Le mouvement et le repos des
deux principes Yin et Yang sont soumis à des règles fixes ; sur ce
Henri Cordier Histoire générale de la Chine 48

modèle les grandes choses furent distinguées des petites... Les


émanations de la Terre montent et celles du Ciel descendent. Les
deux principes Yin Yang entrent en contact, et le Ciel et la Terre
exercent leur action réciproque. La naissance des différents êtres
est provoquée par le murmure et le fracas soudain du tonnerre, et
accélérée par le vent et la pluie. Ils croissent sous l’in fluence des
quatre saisons, et reçoivent la chaleur du soleil et de la lune. Ainsi
s’opèrent toutes les transformations (102) ».
On a représenté ce système philosophique par des diagrammes.
Quelquefois on s’est contenté des trois pouvoirs de la nature, San Tsai : Ciel,
Terre, Homme, indiqués par un Ä. L es deux principes primitifs sont marqués,
l’un par une ligne droite ——— qui correspond au Yang, par conséquent au
principe mâle, à la lumière et au ciel ; l’autre par une ligne brisée — — qui
correspond au Yin, par conséquent au principe femelle, aux ténèbres et à la
terre. On en a déduit les quatre figures suivantes :
——— ——— — — — —
——— — — ——— — —
1 2 3 4
1) T’ai Yang , qui correspond au soleil, à la chaleur, à l’intelligence, aux
yeux, etc.
2) T’ai Yin , qui correspond à la lune, au froid, aux passions, aux oreilles,
etc.
3) Chao Yang, qui correspond aux étoiles, à l’aurore, à la forme, au n ez,
etc.
4) Chao Yin, qui correspond aux planètes, à la nuit, à la forme humaine, à
la bouche, etc.
• 62 Ces quatre figures secondaires forment les huit trigrammes ou Koua de
Fou Hi. Ces trigrammes représentent :
——— — — ——— — —
——— ——— — — — —
——— ——— ——— ———
1 2 3 4
——— — — ——— — —
— —— ——— — — — —
— — — — — — — —
5 6 7 8
1° Le Ciel : Les lignes étant pleines, ce trigramme marque le principe
mâle pur ; 2° La Vapeur, les exhalaisons aqueuses, les lacs ; 3° Le Feu, la
chaleur, la lumière ; 4° Le Tonnerre ; 5° Le Vent ; 6° L’Eau ; 7° Les
Montagnes ; 8° La Terre : les lignes étant brisées, ce trigramme marque le
principe femelle pur.
Henri Cordier Histoire générale de la Chine 49

Généralement, on arrange ces figures sous une forme à laquelle on donne


le nom de Sien T’ien .
• 63 Chen Noung, le second des Cinq Souverains, passé pour avoir
multiplié par 8 les Koua de Fou Hi pour en faire 64 :

——— — —
——— ———
——— ———
——— ———
——— ———
——— ———

Ces 64 figures multipliées par 6 en donnent 384, chiffre maximum,


généralement cherché, quoique l’on prétende qu’on ait poussé les
combinaisons jusqu’au nombre fan tastique de 16 777 216 ! ! !
Le principe mâle ——— et le principe femelle — — réunis forment le
T’ai Ki qui est ordinairement représenté de la manière suivante
Sur le demi-diamètre d’un cercle donné, on décrit un demi -cercle et sur le
demi-diamètre restant un autre demi-cercle en sens inverse. Les deux figures
délimitées par la courbe ainsi obtenue peuvent être semblables (fig. 1) ou bien
teintées, l’une en couleur claire, l’autre en couleur foncée.
Ce sont les T’ai K’i primitifs, mais plus tard, pour marquer la pénétration
des deux principes on a placé un petit disque clair dans la partie foncée, et un
petit disque foncé dans la partie claire de la figure (fig. 2).
Le Yi King qui explique les Koua de Fou Hi n’est qu’un manuel de
divination ; les lignes des hexagrammes n’ont aucune signification
mystérieuse ; elles ne sont qu’un pro cédé de numérotation.
« Le Yi King est constitué par • 64 soixante quatre mots servant à
former chacun six phrases, et les hexagrammes n’ont d’autre rôle
que de servir à déterminer le numéro d’ordre du mot, puis de la
phrase, dont le devin devra tirer son horoscope (103). »

Sacrifices Foung et Chan.


Fou Hi accomplit les sacrifices Foung sur le T’ai Chan (T’ai Ngan tcheou,
Chan Toung) ; cependant il est juste de dire qu’aucun texte authentiqu e
n’établit l’existence des sacrifices Foung et Chan avant la dynastie des Ts’in.
« Ces deux sacrifices se faisaient avec une solennité toute particulière. Ils
n’avaient lieu simultanément qu’une fois pen dant toute la durée d’une
dynastie. Ils étaient la démarche décisive par laquelle le maître des hommes
priait les Dieux de reconnaître son droit à exercer le mandat souverain (104). »
La racine profonde de l’ancienne religion chinoise est le dé sir du bonheur sous
la forme la plus parfaite, à savoir l’im mortalité (105). Le P. Wieger (106) donne
l’explication suivante de ces cérémonies :
Henri Cordier Histoire générale de la Chine 50

« De même que l’empereur conférait des apanages territoriaux aux


seigneurs, et les en investissait par un rit (foung) d’investiture ; de
même il conférait des apanages transcendants aux génies célestes
(chen) ou terrestres (k’i ), que le gouvernement reconnaissait, et
dont il approuvait le culte. Le rit de cette investiture transcendante
s’appelait foung pour les génies célestes, et chan pour les génies
terrestres ; deux termes, parce que deux catégories. »
Fou Hi mourut dans sa capitale Tch’en Tcheou, Ho Nan, après un règne de
onze années suivant Se-ma Tcheng (107), de cent quinze années suivant le
T’oung Kien Kang mou (108) et Gaubil (109). Il reçut le titre posthume de T’ai
hao, le Grand Eclat.

Niu Koua.
Dans l’abrégé du P. Gaubil, Niu Koua gouverna • 65 l’Empire après son
frère Fou Hi, à partir de 3335 av. J.-C. :
« Koung-Koung, mauvais prince, causa du désordre. Il fut cause
d’un déluge qui faillit perdre l’Empire. Niu Koua remédia aux
maux du déluge et fit mourir Koung-Koung. Cette princesse régna
130 ans. Elle avait fort aidé son frère dans le gouvernement (110) ».
Suivant la légende, Niu Koua ou Niu wa, fille de Tchou Ying, était la sœur
de Fou Hi, et naquit trois mois après lui ;
« elle avait une longue tête surmontée de deux cornes charnues,
son corps ressemblait à un escargot ; de la vint l’idée de lui donner
ce nom de Niu wa ; fille escargot. On l’appela encore Pao Wa et
Niu Hi. Cette famille habitait alors Tch’eng Ki, et Niu Wa allait
sur la montagne couper du bois de chauffage ».
Ayant suivi son frère Fou Hi devenu empereur elle lui fit remarquer
« que les jeunes gens des deux sexes vivaient ensemble au grand
détriment des bonnes mœurs, et sans règles précises ; elle lui
conseilla de défendre le mariage entre personnes d’une même
famille ; de fixer les lois du mariage, d’abord les fiançailles par
entremetteurs, les présents, puis la cérémonie du mariage, enfin
d’interdire toute relation coupable avant le mariage. Fou Hi donna
des ordres pour faire exécuter ces sages règlements, et fit appeler
Niu Wa : l’esprit entremet teuse. Dans la suite elle fut honorée sous
les noms de Kao Mei et de Niu Mei ».
Elle aurait régné à la mort de son frère sous le nom de Niu Houang, et
vécu jusqu’à l’âge de 143 ans ; ce fut elle qui boucha la fissure de la voûte
céleste qui existait au-dessus du Pou Tcheou Chan, et d’où s’échappaient le
vent et les pluies (111).
Henri Cordier Histoire générale de la Chine 51

« Entre Fou Hi et Chen Noung, l’auteur du Wai Ki place les noms de


quinze monarques qu’on dit avoir régné 17 798 ans ; mais qui n’étaient que
des officiers de Fou Hi. En voici la liste : 1. Niu Koua. 2. Koung-Koung. 3. Ta
Ting. 4. Pe Houang. 5. Tchoung Houang. 6. Lie Lo. 7. Li Lien. 8. He Siu. 9.
Tsun Liu. 10. Houen Touen. 11. Hao Ning. 12. Tchu Siang. • 66 13. Ko Tien.
14. Yin K’ang. 15. Wou Houai. D’autres varient l’ordre de cette liste, et au
lieu de Tchoung Houang et de Koung-Koung, ils écrivent Tchoung Yang,
Yeou Tsao (112) ».

Chen Noung.
Chen Noung, le « Laboureur » ou « l’Agriculteur divin », le premier
Patron de l’agriculture, avait le corps et la tête d’un bœuf ; né dans la vallée
du Han, près du confluent de ce fleuve avec le Kiang, il appartenait au clan
Kiang ; il fut appelé Yen Ti, « l’empereur fumée » parce qu’il régnait en vertu
de l’élément feu. En cette qualité il devait brûler les insectes nuisibles. Le Che
King (Siao Ia, Liv. VI, VIII, Ta T’ien ) dit :
« Il faut exterminer ces insectes qui rongent, soit les feuilles, soit
les racines, soit les nœuds des plantes, afin qu’ils ne nuisent pas à
nos jeunes moissons. Le Père de l’Agriculture [Chen Noung] est un
esprit très puissant ; qu’il prenne ces insectes et les livre aux
flammes. »
Ce fut lui qui inventa la charrue et découvrit les vertus des plantes
médicinales dont il composa un herbier. Avant lui, les Chinois qui ignoraient
le labourage se nourrissaient de chair, de fruits et d’herbes. Tous les ans à la
onzième lune, accompagné de son peuple, il offrait un sacrifice aux Esprits du
Sol et des Semences ; son fils Tchou qui l’aida dans ses travaux mérita d’être
appelé le Patron des Moissons. Chen Noung enseigna aux hommes de tenir le
marché au milieu du jour ; des huit trigrammes il fit 64 hexagrammes ; il est
vrai que cette multiplication des Koua est attribuée ainsi que le remarque M.
Chavannes, au roi Wen, de la dynastie des Tcheou (113). Chen Noung inventa
aussi le luth à cinq cordes. Sa capitale était à Tch’en (Tch’en Tcheou, Ho
Nan), sur les bords de la rivière T’sai ; il la transféra à K’iu Feou (Chan
Toung). Battu par Hien Youen (Houang Ti) qui le remplaça, Chen Noung
mourut après un règne de 120 ans (114) et fut enterré à Tch’ang Cha (Hou
Nan).
Se-ma Tcheng dit : « Chen Noung prit une fille de la famille Pen Chouei,
qui s’appelait T’ing Pa et en fit sa • 67 femme : Il en eut un fils, qui fut
l’empereur Ngai ; Ngai engendra l’empereur K’o ; K’o engendra l’empereur
Yu-Wang. En tout il se passa huit générations et 530 années, et alors Hien
Youen [Houang Ti] arriva au pouvoir (115). Jadis Terrien de Lacouperie (116)
et W. St Chad Boscawen (117) ont rapproché le mythe de Sargon de celui de
Henri Cordier Histoire générale de la Chine 52

Chen Noung, comme le premier avait de Nakhounte fait Nai Houang Ti ; je ne


crois pas utile de revenir sur ces théories fantaisistes.
La légende annamite s’est rattachée à l’histoire chinoise par Chen Noung
(Thân Nông) dont l’arrière petit -fils Dê Minh eut d’une fille de la race des
Génies un fils Lôc Tuc qui fut le premier roi d’Annam (Xich q ui) sous le nom
de Kinh-Du’o’ng -Vu’o’ng (2879 av. J. -C.).
Quelques historiens donnent à Chen Noung sept successeurs, qui de père
en fils ont occupé le trône avant Houang Ti, durant 379 ans ; savoir : 1. Ti
Lin-Kouei, 80 ans. — 2. Ti Tching, 60 ans. — 3. Ti Ming, 49 ans. — 4. Ti
Suen, 45 ans. — 5. Ti Lai, 48 ans. — 6. Ti Li, 42 ans. — 7. Ti Yu Wang, 55
ans (118) ».

Houang Ti.
Houang Ti, l’ Empereur Jaune, ainsi nommé à cause de l’élément Terre
par lequel il régnait, est aussi appelé Houng Ti et Yeou Hioung-Che ; fils de
Chao Tien, son nom de famille était Koung Souen, son nom personnel Hien
Youen. Enfant prodige, dès son enfance il sut parler. Grâce à l’emploi
d’animaux féroces qu’il avait su dresser, il vainquit les troupes de Ch en
Noung auquel il succéda.
Le premier acte de son règne fut la répression de la rébellion de Tch’e
Yeou ; celui-ci battu près de Tchouo-Lou (au sud de Pao Ngan, Siouen Houa
fou, Tche Li), fut décapité par ordre de l’Empereur. Plus tard, il repoussa les
Hiun Yu ou Joung des Montagnes, qui, sous les Hia, furent connus sous le
nom de Choun Wei, sous les Tcheou, • 68 sous celui de Hien Yun et que nous
retrouverons plus tard sous les Han avec le nom de Hioung Nou. Se-ma Ts’ien
qui commence son Che Ki par Houang Ti ne nous signale pas les arts inventés
par ce prince, ni les nombreuses réformes qui lui sont attribuées ; en revanche
le T’oung Kien Kang mou les énumère : L’empereur établit un bureau
d’historiens qu’il répartit en historiens de la gauche et en histor iens de la
droite ; il ordonna à Tsang Kié de travailler à la composition des caractères ;
on en forma ainsi 540 appelés plus tard, Niao tsi wen ; caractères des vestiges
d’oiseaux, ou encore K’o teou wen ou caractères de K’o teou (tétard). Houang
Ti inventa la fabrication des briques avec lesquelles il fit élever un temple à
Chang Ti, l’Être Suprême, dont les sacrifices avaient lieu jusqu’alors en plein
air ; ces briques servirent également à construire les premières maisons. Il jeta
aussi les premiers ponts sur les rivières ; il inventa les charrettes qu’il fit
traîner par des bœufs, des barques pour voyager par eau, l’arc, les flèches, le
sabre, les piques et autres armes ; un instrument de musique composé de
douze petits tuyaux de bambou qui lui servirent aussi pour fixer une base aux
poids et mesures ; en outre il fit fondre douze cloches dont les sons
s’accordaient avec les douze petits tuyaux. La découverte d’une riche mine de
cuivre dans la montagne Chiou Chan dans le territoire où se trouve
Henri Cordier Histoire générale de la Chine 53

aujourd’hui Siang Tch’eng hien, dans le Ho Nan permit d’établir une fonderie.
D’autre part Houang Ti avait fait construire un observatoire où le calendrier
alors fort défectueux fut rectifié. Ce fut son ministre Ta Nao qui par son ordre
établit le cycle sexagénaire ; Houang Ti ayant commencé de régner en 2697,
la 61e année de son règne fut prise pour le premier signe cyclique ; c’est
également sous cet empereur, vers 2637, que commença la coutume d’ajouter
à l’année un mois interca laire appelé Jen yué suivant le nombre de jours
restant après le solstice d’hiver à la fin du mois de l’année précédente ; en
sorte qu’une année civile ordinaire comprend 354 ou 355 jours et avec le mois
intercalaire pas moins de 383 et pas plus de 385 jours ; l’année légale est de
360 jours. Le • 69 commencement de l’année variait suivant les Empereurs
sous Houang Ti, elle commença au 3e mois ; sous les Chang avec le 2e ; sous
les Tcheou avec le 1er ; sous T’sin Che Houang Ti avec le 12 e.
Le Tchou chou Ki nien nous apprend que Houang Ti régla le premier la
forme du bonnet et des vêtements impériaux qui, courts jusqu’alors, devinrent
longs. Dans la 50e année de son règne parut l’oiseau foung (Le foung houang
et Phénix chinois).
« L’Empire, sous le règne de Houang Ti, nous dit le T’oung Kie n
Kang mou (I, p. 21-22), s’étendoit au nord jusqu’à la montagne
Tsiang chan, qui est dans le territoire qu’on appelle aujourd’hui
Ngan Sou hien, dépendant de Pao Ting fou de la province de Pe
Tche li ; au sud, jusqu’au grand fleuve Kiang ; à l’est jusqu’à la
mer, et à l’ouest jusqu’à la montagne Koung Toung Chan, qui est
dans le territoire où est aujourd’hui la ville de Sou Tcheou, dans la
partie la plus occidentale de la province de Chen Si. Jusqu’alors le
peuple s’était dispersé çà et là, sans ordre, se plaçant où il jugeait à
propos, sans se fixer dans aucun canton. Houang Ti voulut former
des villages, des villes & des provinces : Il ordonna que tous ses
peuples seroient rangés sous différentes classes, dont seroient
composées les provinces ; ces classes, au nombre de six, étoient :
le Lin qui devait être, composé de huit familles ; le Pong de 20, le
Li de 72, le Y de 360, le Tou de 3 600 et le Sse de 36 000 ; l’Empire
étant ensuite divisé en tcheou ou en provinces, chaque province
devait être composée de 360 000 familles. Houang Ti établit
partout des officiers pour veiller sur la conduite du peuple, et ces
officiers étoient subordonnés les uns aux autres ; savoir, ceux des
Lin à ceux des Pong ; ceux-ci à ceux des Li, & ainsi des autres, jus-
qu’à ceux des tcheou, ou gouverneurs des provinces, qui ne
devoient rendre compte de leur administration qu’à la Cour ».
Houang Ti mit aussi de l’ordre dans son armée en employant le premier
des étendards ; il était bienveillant pour son peuple, mais impitoyable pour les
rebelles, ainsi qu’il le montra à l’égard de Tch’e Yeou. Sa femme • 70 Lei
Tsou, originaire de Si Ling (Si Ling che) fut sa digne compagne : c’est à elle
qu’on attribue l’élevage des vers à soie et le tissage de la soie ; elle fut la mère
Henri Cordier Histoire générale de la Chine 54

de Tch’ang Yi qui fut le père de l’empereur Tchouen Hiu. Terrien de


Lacouperie a consacré un mémoire au mythe de Lei tsou et un autre sur Na
Khounte de Susiane et Houang Ti de Chine (119) qu’il appelle Nai Houang
Ti (120). C’est Houang Ti, qui dans sa théorie, vers 2282 av. J. -C., arriva de
l’ouest dans la cinquantième année de son règne, à la tête des Bak Sings
civilisés, et s’établit sur les bords du Lo, où il offrit un sacrifice. On verra plus
loin le rôle considérable que les Taoïstes attribuent à l’Empereur Jaune.
Suivant le T’o ung Kién Kang mou, Houang Ti mourut en 2599, âgé de 110
ans, après un règne de cent ans ; il fut enterré à la montagne Kiao chan au
nord du territoire qui est aujourd’hui Tchoung pou hien (Chen Si), où l’on voit
encore son tombeau. Il eut vingt-cinq fils parmi lesquels Chao Hao qui fut son
successeur. (Voir tableau généalogique.)

Chao Hao.
Chao Hao (Eclat secondaire), fils de Houang Ti, fut un monarque bon,
doux, indolent ; il ne sut pas même réprimer une hérésie contraire au culte de
Chang Ti ; son nom est attaché à la manière dont les différents degrés du
mandarinat seraient distingués par les broderies pectorales : les fonctionnaires
civils par des oiseaux, les fonctionnaires militaires par des quadrupèdes ;
aujourd’hui encore les neuf degrés du mandarinat se reconnaissent pour les
civils par la grue pour le degré le plus élevé, puis le faisan doré, le paon, l’oie
sauvage, le faisan argenté, le héron, le canard mandarin, la caille et le geai à
longue queue ; pour les militaires, la licorne, le lion, le léopard, le tigre, l’ours
noir, le chat-tigre, l’ours tacheté, le phoque, le rhinocéros. Pendant son règne
de quatre-vingt quatre ans, Chao Hao fit observer la paix et loin de lui en faire
un mérite, on lui a reproché d’avoir régné sans gloire. Il mourut en 2515 à
K’iu Feou, où résidait sa cour transférée de Tchouo Lou.
• 72 Le Tchou Chou Ki nien mentionne simplement son nom entre Houang
ti et Tchouen Hiu mais ne donne aucune particularité de son règne.

Tchouen Hiu.
Tchouen Hiu, élu à la place de Chao Hao, était le petit-fils de Houang Ti ;
ce souverain, de sa première femme Lei tsou, eut trois fils : Hiouen Hiao ou
Ts’ing Yang, Tch’ang Yi et Loung Miao. Tch’ang yi épousa Tch’ang pou qui
fut mère de Kao Yang (Tchouen Hiu). Tchouen Hiu régnait en vertu de
l’élément bois, le deuxième des cinq éléments ; il transféra sa capitale à Kao
yang (dans la préf. de K’ai foung, dans le Ho Nan) ; il créa un corps des
savants les plus éminents qui furent chargés d’établir les règles de
l’astronomie ; l’empereur lui -même décida qu’à l’avenir, l’année
commencerait à la lune la plus proche du premier jour du printemps. Ses
possessions s’étendaient au nord jusqu’à Yeou Ling, au S. E. du Pe King
actuel ; au sud elles étaient limitrophes du Kiao tche (Tong King), à l’est, elles
Henri Cordier Histoire générale de la Chine 55

allaient jusqu’à la mer et à l’ouest jusqu’aux Leou cha (sables mo uvants),


c’est -à-dire le désert au delà du Kan Sou. Cet Empire fut divisé en neuf
provinces dont les fonctionnaires relevaient d’un gouverneur général unique
qui leur servait d’intermédiaire avec l’empereur.
« Anciennement, dit l’histoire, il n’y avait ni fausse doctrine, ni
culte superstitieux. Sous le faible gouvernement de Chao Hao, les
neuf Li corrompirent les mœurs des peu ples par leur mauvaise
doctrine et leurs superstitions. On ne faisait nulle distinction des
affaires des Esprits et de celles des hommes ; des magiciens
couraient de maison en maison, épouvantaient les hommes, et les
cérémonies pour honorer les Esprits étaient mêlées de
superstitions. Toutes sortes de désastres et de malheurs affligèrent
l’Empire. Chao Hao ne put pas remédier à tant d e maux. Tchouen
Hiu étant monté sur le trône, ordonna à un de ses fils et à un des
fils de Chao Hao [Tchoung Li] de faire distinction des esprits et
des hommes, et de ce qui regarde les affaires des uns et des autres.
L’un fut chargé du soin du ciel, l’aut re le fut de celui de la terre.
On réussit, on coupa la communication du ciel avec la terre, les
cérémonies de • 73 religion se firent dans l’ordre, le peuple fut
instruit de ses devoirs, la tranquillité régna partout, et on fut délivré
des malheurs publics (121) ».
Tchouen Hiu, âgé de 98 ans, mourut après un règne glorieux de 78 ans et
fut enterré à P’oyang, près de Toung Tchang fou, du Chan Toung ; il
laissait (122) un fils K’ioung Chan ou K’ioung Che dont descendit l’empereur
Chouen, mais il eut pour successeur Kao Sin, fils de Kiao Ki, fils de Hiouen
Hiao, lui-même fils de Houang Ti comme nous l’avons vu ci -dessus.

Ti Ko ou K’ou.
Ti Ko régnait en vertu de l’élément métal : son nom personnel était
Tsoun ; il créa les premières écoles publiques ; âgé de cent cinq ans ; il mourut
après un règne de 70 ans (123) et fut enterré à Touen K’ieou, au sud -ouest de la
préf. de Ts’ing foung, préf. de Ta Ming, dans le Tche Li. Il fut marié quatre
fois : à Kiang Youen ; de la famille des princes de T’ai, à K’ing Tou, de la
famille Tch’en Foung, à Kien Ti, de la famille des princes de Soung, qui
restèrent stériles ; il épousa alors Tch’ang Yi, de la famille de Tsiu Tseu qui
lui donna Tche, son successeur.
Dans le chapitre CXVI du Heou Han Chou (124), il est raconté que
l’empereur Kao Sin (K’ou), défait par les Barbares Joung promit
une récompense considérable et la main de sa fille à celui qui lui
apporterait la tête du général Wou qui commandait ses ennemis.
Cette tête fut rapportée par un chien ayant des poils de cinq
couleurs nommé P’an Hou qui emporta sa fiancée dans les mon -
Henri Cordier Histoire générale de la Chine 56

tagnes du sud ; ils devinrent les ancêtres des Barbares du sud. Le


Wei lio cité par Chavannes (125) donne l’étymologie populaire du
nom de P’an hou : « L’empereur Ka o sin avait une vieille femme
mariée qui demeurait dans la maison du roi et qui avait un mal
d’oreille. En lui extirpant • 74 ce mal, on trouva un objet grand
comme un cocon ; cette femme le plaça dans une calebasse qu’elle
recouvrit d’une écuelle ; au bout d’un instant, l’objet se transforma
en un chien de toutes les couleurs ; c’est pourquoi on l’appela P’an
Hou ».
Après la naissance de Tche, la princesse K’ing Tou engendra Fang Hiun,
le célèbre Yao, qu’elle porta qua torze mois après l’apparition d’un d ragon
volant ; puis la princesse Kien Ti eut Sié ou Ki, ministre de l’Instruction
publique sous Yao, ancêtre de la dynastie des Chang ; enfin Kiang Youen,
ayant mis le pied sur les traces de Chang Ti, dix mois après la mort de son
mari, donna le jour à Heou Tsi, ministre de l’Agriculture sous l’empereur
Chouen, ancêtre de la dynastie des Tcheou. Les panégyristes des Tcheou,
particulièrement Tcheou Koung, ont éprouvé le besoin de justifier cette
tardive naissance posthume et de défendre la mémoire de Kiang Youen qui
avait d’ailleurs abandonné son fils à la campagne. Dans l’ode Pi Koung du
Che King on lit :
« Kiang Youen est très vénérable ; sa vertu a toujours été
irréprochable. Le roi du Ciel abaissa sur elle un regard favorable.
Dès que les mois de sa grossesse furent écoulés, aussitôt, sans
lésion ni douleur ; elle mit au monde Heou Tsi (126) ».

Ti Tche.
Tche, le fils aîné de Ti Ko, succéda à son père, mais il se montra violent,
méchant et paresseux, se livra aux plaisirs, et au bout de neuf ans de règne fut
remplacé par son frère Yao (Fang Hiun) âgé de seize ans. Le Tchou Chou Ki
nien l’appelle Chao Hao et le place entre Houang Ti et Tchouen Hiu.
Il faut se représenter ces scènes de la légende chinoise sur un théâtre
relativement restreint :
« C’est sur les bords de la rivière Wei, puis, dans la province du
Tche Li, jusqu’à Siouen Houa Fou au nord, et, dans la partie
septentrionale du Ho Nan jusqu’à K’ai Foung Fou que sont
localisées les plus anciennes légendes de Houang Ti, de Yao et de
Chouen (127) ».
• Toutes ces légendes de l’antiquité chinoise ne sont pas plus ridicules
75
que celles qui entourent le berceau de nos peuples : Geoffroy de Monmouth
ne nous raconte-t-il pas qu’en 1108 av. J. -C., Brutus, descendant d’Enée, fils
de Vénus, vint en Angleterre avec ses compagnons, après la chute de Troie, et
Henri Cordier Histoire générale de la Chine 57

créa la ville de Troynovant, aujourd’hui Londres. Plus remarquable encore est


l’origine de la ville de Bourges, telle que nous la raconte au XVIe siècle, un
grave magistrat, Jean Chaumeau : Un auteur chaldéen vivant avant Aristote
tire le mot de Gallus de Noe disant que ceux qui estoient de la postérité de
Gomer furent appelés Gaulois du surnom de son ayeul. Gomer, fut l’aîné de
Japhet et fut appelé Gallus du nom paternel qui signifie fluctuant, Ce
« Gomer Gal. ou Gaulois érigea une colonie au païs de Berry en la
ville de Bourges, nommant les habitans Ogyges, en l’honneur, de
Noé son ayeul : ce qui fut après transmué en grace du fondateur,
descendu de la lignée d’Ogygès, par les habitants, se nommans
Bitogyges qui vaut autant en langue Arménique ; comme enfans
descendus d’Ogyges ! 1 ».

Postérité de Houang Ti • • • Dynastie Hia


San Houang.
Années Durée
Noms de règne Noms propres
av. J.-C. de règne
2953 Fou Hi Pao Hi 115
2838 Chen Noung, fils de Gan Teng Yen Ti 140
2697 Houang Ti, fils de Fou Pao Yeou Hioung 100
.
Wou Ti (Cinq Empereurs).
2598 Chao Hao Kin Tien 84
2514 Tchouen Hiu, fils de Tchang Yi Kio Yang 78
2436 Ti K’o (K’ou), fils de Kiao Ki Kao sin 70
2366 Ti Tche, fils de Ti K’o (K’ou) Kie 9
2357 Yao, frère de Ti Tche, cap. Ping Yang T’ao T’ang
(Chan si), + 2258 . 98
Interrègne du deuil. 3
2255 Chouen, fils de Kou seou, cap. Pou Fa Yeou Yu 50
(Pou Tcheou fou, Chan si) + 2208

*
**

1Histoire de Berry. par Jean Chaumeau, seigneur de Lassay, advocat au siège présidial de
Bourges. Lyon, 1566, in-fol., p. 1, 281.
Henri Cordier Histoire générale de la Chine 58
Henri Cordier Histoire générale de la Chine 59

CHAPITRE IV

Yao et Chouen.

Yao, 2357-2258. Capitale : P’ing Yang (Chan si).


• 76 Tout « ce qu’on raconte sur les temps qui ont précédé Yao,
n’est qu’un amas de fables et de traditions obscures qui ne méritent
aucune croyance (128) ».
Yao, Fang Hiun, du clan Ki,
« portait, nous dit Se-ma Ts’ien, un bonne t jaune et un vêtement
d’une seule cou leur. Son char était rouge ; il montait sur un cheval
blanc (129) ».
Il rendit tout son lustre à l’astronomie. Il
« ordonna aux mathématiciens Hi, Ho [descendant des princes Li
Tchoung auxquels l’empereur Tchouen Hiu avait donné le soin des
affaires des Esprits et des hommes] de supputer et de représenter
les mouvemens des planètes et des étoiles, et d’an noncer aux
peuples ce qui regarde les quatre saisons. Il nomme les
constellations, dont l’observation doit déter miner les solstices et les
équinoxes. Il parle d’une période de 366 jours. Il ordonne de
déterminer les intercalations et les quatre saisons (130) »

Plante du Calendrier.
Le T’oung kien kang mou (131) nous apprend que
« vers le même temps (2353), on vit dans les cours du palais une
plante fort singulière : elle ne s’élevoit pas fort haut, & n’avoit rien
d’agréable à l’œil ; elle n’étoit composée que d’un petit jet qui ne
portoit jamais que quinze feuilles, ces feuilles croissoient toutes
successivement dans l’espace de quinze jours, & se flétrissoient de
même les unes après les autres dans l’espace de quinze autres
jours : la première feuille ne sortoit jamais que le premier jour de la
lune, la deuxième, le 2 ; la troisième, le 3 ; et ainsi de suite
jusqu’au quinzième de la lune : après quoi, le seizième • 77 jour, la
première feuille qui avoit paru se flétrissoit, et tomboit à terre ; la
deuxième faisoit de même le 17e ; la troisième, le 18 et ainsi de
suite jusqu’à la dernière qui se séchoit pa reillement, mais ne
Henri Cordier Histoire générale de la Chine 60

tomboit pas à terre. On donna à cette plante le nom de Houang li


tsao ou Plante du Calendrier ».
Il est intéressant de noter que la cinquième année du règne de Yao, un
prince des Nan Yi, c’est -à-dire des Barbares du sud de la Chine, Yue
Chang-chi, vint rendre hommage à l’ Empereur et lui apporta en présent une
tortue, Chen kouei, âgée de plus de mille ans, portant sur son dos des
caractères Ko’ teou wen donnant l’histoire du monde depuis ses origines.

Le Déluge.
La soixante et unième année (2297) de Yao, une terrible catastrophe
frappa l’Empire : une grande inondation causée par le débordement des eaux
du Houang Ho qui se réunirent à celles du Houai et du Kiang et dévastèrent le
pays. « Au temps de Yao, dit Mencius (132), les conditions du sol étaient
encore peu favorables. Les eaux s’étaient répandues libre ment partout, et
avaient inondé l’Empire. Les arbres et les autres plantes couvraient la terre
comme d’une épaisse forêt. Les animaux sauvages s’étaient multipliés
prodigieusement. La culture des grains était impossible. Les animaux sau-
vages ne permettaient pas à l’homme de s’étendre ; ils avaient battu des
sentiers qui se croisaient par tout l’Empire. Yao seul prit à cœur de remédier à
ces maux. Il éleva Chouen à la dignité de ministre, et lui ordonna d’étendre
partout ses soins. Chouen chargea Yi de diriger l’emploi du feu. Yi mit le feu
dans les montagnes et les marais, et les purifia par l’incendie. Les animaux
sauvages s’enfuirent et se cachèrent. Yu creusa neuf canaux divergents. »
Nous lisons encore dans Meng Tseu (133) :
« Au temps de Yao, les eaux arrêtées dans leur cours, avaient
débordé et inondé l’Empire. Le pays était plein de serpents et de
dragons ; les hommes n’avaient pas d’endroit pour se fixer. Da ns
les terrains bas, ils se faisaient des huttes sur des pieux ; dans les
terrains élevés, ils se creusaient des • 78 cavernes. Chouen dit dans
le Chou King :
Le débordem ent des rivières m ’avertit de prendre garde.
• Ce débordement des rivières, est l’inondation qui eut lieu sous le
règne de Yao. »
Le cataclysme, tel. qu’il se serait produit sous Yao, aurait été une grande
inondation causée par un débordement extraordinaire des eaux du Fleuve
Jaune, phénomène qui s’est d’ailleurs produit maintes fois au cours de
l’histoire, probablement sur une échelle moindre, et dont la Chine de nos jours
n’est pas à l’abri, puisque des fonctionnaires spéciaux, dont nous parlons plus
loin, sont chargés d’entre tenir les digues afin d’empêcher autant que possible
le retour de catastrophes qui ont coûté la vie à des milliers d’êtres humains.
Henri Cordier Histoire générale de la Chine 61

Ce déluge de Yao fut donc un phénomène local ; des savants, tel Fortia
Durban (134), ont essayé de le rattacher à des événements similaires pour
arriver à prouver l’univer salité du déluge de la Genèse : L’idée de Dél uge se
retrouve chez toutes les nations du globe, aussi bien chez les Samoyèdes au
nord de la Sibérie que chez les Lolos du sud-ouest de la Chine. Cette légende
se rattache certainement à des phénomènes naturels dont la tradition s’est
transmise de génération en génération. Le Déluge de Noé (2348 avant J.-C.),
si nous l’admettons, ne fut universel que pour l’éten due des territoires dont
Moïse avait la notion géographique, et non pour le globe entier tel que nous le
connaissons aujourd’hui. Prendre la fin du Déluge de la Genèse comme le
point de départ du repeuplement de la terre n’est rien moins que scientifique.
C’est le cas du savant Dr James Legge, qui fait sortir le peuple chinois de
l’arche de Noé :
« Environ 2000 ans avant notre ère chrétienne, la tribu chinoise fit
son apparition dans le pays où elle a depuis augmenté si
grandement. Elle occupait alors une petite étendue de territoire, à
l’est et au nord du Ho — la partie la plus méridionale de la
province actuelle de Chan Si. • 79 Comme sa marche continua
d’être dirigée à l’est et au sud (quoique après avoir traversé le Ho,
elle s’avança également vers l’ouest) ; nous pouvons conclure
qu’elle était venue en Chine du nord -ouest. Croyant que nous
avons dans le dixième chapitre du Livre de la Genèse quelques
allusions, qui ne peuvent être mises en question, de la manière dont
la terre entière fut couverte par les familles des fils de Noé, je
suppose que la famille, ou la collection de familles, — la tribu —
qui est devenue depuis la plus nombreuse des nations, commença à
se mouvoir vers l’est, partant des régions entre la Mer Noire et la
Mer Caspienne, peu de temps après la confusion des langues.
Passant entre les montagnes de l’Altaï, au nord, et la chaîne
Taurique avec ses continuations au sud, mais se maintenant autant
que possible vers le sud ensoleillé et plus attrayant, la tribu se
trouva à l’époque que j’ai mentionnée, entre 40° et 45°, latitude
nord, avançant parallèlement au Fleuve Jaune, dans la partie la plus
septentrionale de son cours. Elle se décida, à suivre le fleuve,
tourna alors vers le sud et marcha le long de sa rive orientale,
créant des établissements là où le pays promettait le plus
d’avantages, jusqu’à ce qu’elle fût arrêtée par la rivière cessant de
couler vers le sud, et tournant de nouveau vers l’est. Ainsi le
présent Chan Si fut le berceau de l’Empire chinois (135) ».
Tout ceci est extrêmement ingénieux, est peut-être vrai, mais ne repose
absolument sur aucune preuve : la théorie subtile de Legge n’est que le
produit de l’imagination d’un croyant et doit donc être reléguée près des
vieilles lunes de De Guignes et de Terrien de Lacouperie (136).
Henri Cordier Histoire générale de la Chine 62

Pe Kouen.
Pour arrêter le fléau et en réparer les effets, Yao fit choix de Pe Kouen qui
pendant neuf ans travailla sans succès à creuser de nouveaux cours d’eaux et à
construire des digues.
Kouen est compté parmi les Seu Hioung ou quatre Criminels de
l’Antiquité ; les autres étaient le chef des San • 80 Miao et les ministres Houan
Teou et Koung Koung ; au lieu de les mettre à mort, Chouen se contenta de
les exiler le premier à Yu Chan, district de Houai Ngan. fou, dans le Kiang
Nan ; le second à San Wei, près de Cha Tcheou, à la marge du désert de
Gobi ; le troisième à Tsoung Chan ou Yo Tcheou fou, dans le Hou Kouang ;
enfin le dernier à Yeou Tcheou dans le Leao Toung. Plus tard, lorsque le
fondateur de la grande dynastie Soung, Tchao Kouang Yin, était pressé de
condamner un criminel à mort, il rappelait cet acte de clémence :
« Yao et Chouen, disait-il à ses Grands, ne firent point mourir les
quatre fameux rebelles qui voulaient se soustraire à leurs ordres, ils
se contentèrent de les bannir ; que ne les imitons-nous ? (137) »

Chouen.
Cependant l’Empereur dans la soixante -dixième année de son règne se
sentant fatigué et ne pouvant compter sur son fils Tan Tchou, d’humeur
querelleuse, fit choix pour lui succéder de Chouen, pauvre, mais de grande
réputation, âgé d’une trent aine d’années, fils de Kou Seou, descendant,
disait-on, de Houang Ti par Tchouen Hiu (2285). L’unique désir de Chouen,
dit Mencius,
« était de faire plaisir à ses parents, et de les amener à partager ses
bons sentiments, à aimer la vertu. Car il considérait que celui qui
n’est pas agréable à ses parents, ne mérite pas le nom d’homme, et
que celui dont les sentiments ne sont pas conformes aux leurs ne
mérite pas le nom de fils. Chouen remplit parfaitement ses devoirs
de fils ; et (son père) Kou Seou satisfait, aima la vertu. Kou Seou
satisfait, aima la vertu, et tout l’Empire fut transformé. Kou Seou
satisfait, aima la vertu, et dans tout l’Empire, les pères et les fils
connurent leurs devoirs mutuels. Cela s’appelle une grande piété.
Filiale (138). »

Yu.
Chouen choisit Yu, propre fils de Pe Kouen, pour remplacer celui-ci dans
l’œuvre d’endiguement du Fleuve Jaune. Yu, comme Chouen, descendait de
Houang Ti par Tchouen Hiu ; il commença immédiatement (2286) son
gigantesque travail par la province de Ki Tcheou où Yao tenait sa cour.
Henri Cordier Histoire générale de la Chine 63

Travaux de Yu.
Les travaux de Yu sont décrits dans le premier chapitre • 81 intitulé Yu
Koung (Tribut de Yu) des Annales de la dynastie des Hia dans le Chou King.
Il y est dit que
« Yu divisa le territoire (en neuf provinces, tcheou). Suivant les
montagnes, il coupa des arbres (pour frayer les chemins). Il prit
une connaissance exacte des hautes montagnes et des grands cours
d’eau (afin de déterminer les limites respectives des neuf
provinces (139). »
Il commença ses travaux par la province de Ki Tcheou, limitée au sud, à
l’ouest et à l’est par l e Houang Ho, de frontière indéterminée au nord, qui est
précisément celle qui renfermait la capitale de l’Empire qui, sous Yao, fut
P’ing yang (dans le fou actuel du même nom), sous Chouen, P’ou fan (dans
P’ou Tcheou), enfin sous Yu lui -même, Ngan Yi (dépendant de Hiai Tcheou),
toutes les trois dans la partie sud-ouest du Chan Si actuel. Il passe ensuite dans
le Yen, région entre la Tsi et le Fleuve Jaune (parties du Chan Toung, du Tche
Li et de Ho Nan), puis dans le Ts’ing, entre le T’ai Chan et la mer (p artie du
Chan Toung), dans le Siu, délimité par la mer, le T’ai Chan et la Houai
(parties du Kiang Nan et du Chan Toung), dans le Yang, entre la Houai et la
mer (le Kiang Nan, le Tche Kiang, le Fou Kien, ainsi que des parties du Hou
Kouang et du Kouang Tong). Ici est mentionné le lac P’eng Li ou P’ong Li,
qui n’est autre que le P’o Yang et nous apprenons que « les trois Kiang
déversèrent leurs eaux dans la mer (140). »

Trois Kiang.
Un problème géographique intéressant est posé dans cette dernière phrase.
Quels étaient les trois Kiang ? D’après Edouard Biot :
« Le Kiang du nord désigne l’embouchure actuelle du Kiang. Il est
plus difficile de retrouver les deux autres bras, le Kiang du milieu,
et enfin le Kiang du midi, qui doit former le troisième Kiang. Hou
Wei a rapporté les opinions émises à ce sujet, et les a représentées
sur une carte spéciale des trois Kiang. D’après cette carte, le Kiang
du milieu (Tchoung Kiang) se séparait du grand lit à Wou Hou, au
nord de T’aï P’ing Fo u, se dirigeait vers le grand lac T’aï Hou du
Tche Kiang, et sortait de ce lac pour entrer dans la mer ; au sud de
Soung Kiang Fou. Cette conjecture me • 82 paraît très
vraisemblable. Actuellement, il existe une communication
analogue, d’une part du grand Kiang au T’ai Hou, et d’autre part
de ce lac à la mer, au sud de Song Kiang Fou. Le Chou King
présume que le Kiang du midi partait de Chi Tch’eng, un pe u au
Henri Cordier Histoire générale de la Chine 64

sud-est de Tch’i Tcheou Fou, se dirigeait à l’est vers le T’ai Hou et


de la vers la mer. »
Biot (141) nous rappelle aussi que
« d’autres commentateurs ont rap proché la citation de ces trois
Kiang du passage où il est parlé du Kiang nord et du Kiang du
milieu dans la description des rivières. Suivant. eux, le Min Kiang
ou Kiang principal, venant du Se Tch’ouan est le Kiang du milieu.
Le Kiang du mont Po Tchoung, ou le Han, est le Kiang du nord. Le
Kiang du Yu Tchang ou Kan Kiang, qui vient du midi et aboutit au
lac P’o yang serait le Kiang du midi : Cette explication semble
assez plausible ; car le Kan Kiang est un fleuve considérable, et il
paraîtrait singulier qu’il ne fût pas mentionné dans le chapitre Yu
Koung (142) ».
Je dois dire que cette explication me semble beaucoup moins plausible
qu’à Biot. Le Rév. J. Edkins remarque que la branche sud du Kiang était la
plus considérable et il la considère comme le véritable Tche Kiang venant du
sud-est du T’ai Hou et de Tch’i Tcheou, qu’il ne faut pas confondre avec la
rivière de Hang Tcheou, connue aujourd’hui sous le nom de Tsien T’ang
Kiang ; elle se serait jetée dans la mer au N. E. de Hang Tcheou ; la branche
centrale du Kiang serait la rivière de Wou Soung qui commençait près de la
ville moderne de Wou Hou et traversait le T’ai Hou qui se nommait jadis le
Wou Hou, les « Cinq Lacs ». La branche nord ou Pe Kiang est le Kiang
actuel (143). La note de Legge sur les trois Kiang n’éclaircit pas beaucoup la
question (144). Chavannes écrit d’après Richthofen (China, I, pp. 331 -334) :
« M. de Richthofen a étudié la question avec la compétence d’un
géologue et voici la conclusion à laquelle il aboutit : le Kiang • 83
du nord était le Yang Tseu Kiang actuel, de Wou Hou à la mer ; le
Kiang central était une branche du Yang Tseu Kiang qui se
détachait à Wou Hou, traversait le lac T’ai Hou et se jetait dans la
mer près de Hang Tcheou fou ; le troisième Kiang était le Tche
Kiang, appelé Tsien Tang Kiang par Richthofen et Wells Williams,
mais je n’ai pas pu découvrir ce nom sur les cartes chinoises, qui
aboutit aussi à la baie de Hang Tcheou fou » (145)
Sauf en ce qui concerne le nom de Tsien Tang Kiang, ces conclusions
ressemblent singulièrement à celles d’Edkins que je suis tenté d’accepter. Yu
passa du Yang dans le King, c’est -à-dire depuis le Mont King (préf. de Siang
Yang, Hou Pe) jusqu’au Mont Heng (préf. de Heng Tcheou, Hou Nan) ; cette
province englobait un peu du Se Tch’ouan et du Kouang Si ; du King, Yu
pénétra dans le Yu, c’est -à-dire entre le Mont King et le Fleuve Jaune, partie
du Ho Nan, du Tche Li, du Chan Toung, du Kiang Nan et du Hou Kouang ; du
Yu, il entra dans le Leang, situé au sud du Mont Houa, dans le Chen Si, et
s’étendant jusqu’à la Rivière Noire (He Chouei, Kin Cha Kiang), c’est -à-dire
dans des parties du Chen Si, du Hou Kouang et du Se Tch’ouan ; Yu termine
Henri Cordier Histoire générale de la Chine 65

par la province de Young, partie du Chen Si et du Kan Sou, entre la Rivière


Noire et la portion occidentale du Fleuve Jaune.
Le Yu Koung se termine ainsi :
« (Le pays qui reçut les soins de Yu et fut divisé par lui en neuf
provinces), est baigné à l’est par la mer et limité à l’ouest par le
sable mouvant. Au nord et au sud, il s’étend jusqu’aux régions les
plus reculées. La renommée des travaux de Yu et l’in fluence de ses
exemples parvinrent jusqu’aux quatre mers. Yu présenta une
tablette noire (à l’empereur Chouen), et lui annonça que son œuvre
était terminée (146) ».
Yua dit :
« Les montagnes célèbres que j’ai traversées sont au nombre de
5370, sur une étendue de lis. On les nomme les « Cinq
Contenances ». Quant aux petites • 86 montagnes, elles sont en
nombre tellement considérable qu’ il n’est pas possible de les
énumérer.
« Le Ciel et la Terre, de l’Est à l’Ouest, mesure 28.000 lis, et du
Sud au Nord, 26.000 lis. Les montagnes d’où sortent des rivières
ont une étendue de 8.000 lis. Celles qui reçoivent des rivières ont
une étendue de 8.000 lis. Celles qui renferment du cuivre sont au
nombre de 467, celles qui renferment du fer, au nombre de
3690 (147) ».
Yu aurait accompli ce travail merveilleux (2278) en huit ou neuf ans,
suivant Mencius ; il ne semble pas possible qu’un seul homme ait pu
accomplir une tâche aussi prodigieuse que celle qui lui est attribuée en un laps
de temps aussi court. Le nom de Yu, en admettant que ce prince ait existé,
représente le labeur de plusieurs générations, d’une collectivit é ; on nous
signale d’ailleurs qu’il eut des collabo rateurs dans ses travaux, par exemple Yi
pour ouvrir les forêts par le feu. Biot nous dit
« qu’on ne peut croire que Yu ait réellement exécuté ou fait
exécuter, pendant sa vie, les prodigieux travaux que les
commentateurs du Chou King lui attribuent. Son rôle d’ingénieur
exécutant doit être limité à une étendue de pays assez
restreinte (148) ».
Legge considère le Yu Koung
« comme un roman, dont Yu est le sujet, composé longtemps après
lui, composé probablement après que la dynastie qu’il avait fondée
avait disparu (149) ».

Tablette de Yu.
Henri Cordier Histoire générale de la Chine 66

A la suite de ses travaux, suivant la légende, Yu les aurait commémorés


dans une tablette placée sur l’un des pics de la chaîne de Nan Yo, dans le
district de Heng Chan, Hou Nan. Des copies ont été faites de l’inscription de
cette tablette, en particulier dans un temple des Yu Lin, non loin de Chao Hing
dans le Tche Kiang. La plupart des auteurs considèrent comme apocryphe
l’inscription attribuée à Yu :
« Elle ne mérite aucun crédit, écrit Legge, et je suis soutenu dans
cette opinion par la grande majorité des archéologues
chinois (150). »
Je doute aussi de l’authenticité de • 85 l’inscription, car je ne crois guère à
l’existence de Yu le Grand, mais le monument actuel peut n’être que la repro -
duction d’un ou de plusieurs autres plus anciens ; nous ne manquons pas
d’exemples semblables en Chine, par exem ple celui du Rocher Rouge, au Yun
Nar, dont l’inscription a été refaite à différentes époques.

Chouen.
Mais revenons à Yao et à Chouen ; ce dernier nommé d’abord ministre de
l’Instruction publique, puis premier ministre, avait épousé les deux filles de
l’E mpereur, Ngo Houang et Niu Ying. En 2285, Chouen était chargé du
gouvernement, et le premier jour de la première lune, il se rendit dans la Salle
des Ancêtres (Wen Tsou) pour y accomplir les rites et il offrit un grand
sacrifice à Chang Ti, l’Etre Suprême . L’année suivante, il divisa les Grands en
cinq classes ; il parcourut l’Empire qu’il divisa en douze provinces : Ki, Yen,
T’sing, Siu, King, Yang, Yu, Leang, Young, Yeou, Ping (ces deux -ci formées
avec des parties de la province de Ki) et Ying (créée aux dépens de la
province de T’sing), et il leur donna pour gardiens les génies tuté laires de
douze montagnes.
Les cinq supplices consistaient à marquer le visage avec un fer rouge, à
couper le nez ou les pieds, dans la castration ou dans la peine de mort ; ils
furent adoucis par Chouen et remplacés par l’exil, la cangue, la bastonnade et
la confiscation des biens et l’on put se racheter par de l’argent des peines
corporelles ; toutefois les récidivistes étaient passibles de la peine de mort.
« Chouen relégua le ministre des Travaux publics dans l’île ou la
province de You, confina Houan Teou sur le mont Tch’oung,
relégua et tint en prison le prince de San Miao (Wou Tch’ang, Yo
Tcheou, Kieou Kiang et partie de Ngan Houei), dans le pays de
San Wei (Ngan Si, Kan Sou) relégua Kouen et le tint dans les fers
sur le mont Yu. Il infligea ces quatre châtiments, et tout l’Empire
eut confiance en sa justice. (Chou King, I, II, 12.) (151). »
Henri Cordier Histoire générale de la Chine 67

Cependant Yao mourut (2258) âgé de cent quinze ans dans la quatre-vingt
dix-neuvième année de son règne, • 86 vingt-huit ans après qu’il avait été
associé à l’Empire. Ce long règne fut suivi d’un deuil de trois années.
« (152) Yao, dit le Chou King, était constamment attentif à bien
remplir son devoir, très perspicace, d’une vertu accomplie, d’une
rare prudence ; cela naturellement et sans effort. Grave et
respectueux, il savait céder et condescendre ».
« Il est constant, nous dit Gaubil dans sa Chronologie, p. 277,
qu’au temps de Yao la Chine était assez peuplée, et qu’il y avait
même des habitans dans des îles de la Mer Orientale. On savait
composer en vers, et il y avait des collèges au temps de Chouen ;
on savait rapporter aux étoiles les solstices et les équinoxes ; on
connaissait une année de 365 jours un quart ; on savait s’ en servir
pour disposer l’an née de douze mois lunaires, année qu’on savait,
par intercalation, égaler aux années solaires ; on savait observer les
astres ; il y avait des ouvrages en cuivre, en fer, en vernis, des
étoffes de soie ; on savait faire des barques, même pour aller à des
îles de la Mer Orientale. Tout cela est constant par la première
partie du livre Chou King, écrite au temps même de Yao et de
Chouen, et il faut nécessairement admettre des peuples à la Chine
avant le temps de Yao ».

Chouen, règne 2255-2208. Cap. : P’ou fan, auj. P’ou Tcheou fou.
Chouen, après le deuil de trois ans porté après la mort de Yao, se retira au
sud du Nan Ho ; branche méridionale du Houang Ho, et remit le pouvoir à
Tan Tchou, fils de son bienfaiteur, mais ce prince n’avait pas les qualités de
son père ; les Grands refusèrent de le reconnaître et proclamèrent Chouen
empereur à P’ou Tcheou (Ho Tchoung, Chan si).
Chouen était originaire de la province de Ki, dans le Chan Si (c’est -à-dire
de Tchou Foung, dans le district de P’ou Tcheou) ; il avait pour nom
personnel Tch’oung Houa ; il était fils de Kou Seou, aveugle (d’esprit) dit le
Chou King, fils de Kiao-Nieou, fils de Keou Wang, fils de King K’ang, fils de
K’ioung Chan, fils de l’empereur Tchouen min. Mencius dit :
« Chouen naquit à Tchou Foung alla demeurer à Fou Hia et mourut
à Ming T’iao. Il vécut et mourut à • 87 l’extrémité orientale de
l’Empire (153) »,
âgé de cent-dix ans. Il avait trente ans quand il fut appelé à la Cour où il
gouverna vingt-huit ans jusqu’à la mort de Yao ; après une période d’essai de
trois ans, son propre gouvernement dura cinquante ans.
Tandis que Yao régna en vertu de l’élément feu, Chouen fut placé sous les
auspices de l’élément eau.
Henri Cordier Histoire générale de la Chine 68

« Anciennement Chouen inventa le luth à cinq cordes, et s’en


servit pour exécuter le chant Nan Foung (le Vent du Midi). K’oue i
(qui était grand directeur de la musique sous le règne de Chouen)
fit le premier exécuter ce chant avec évolutions et
accompagnement d’instruments, et les princes feudataires furent
autorisés à le faire exécuter de même. (154) »
Comme nous l’avons vu, la Chine était divisée en douze provinces ; un
gouverneur fut placé à la tête de chacune. Yu, alors Ministre des Travaux.
Publics, fut nommé Gouverneur de l’Empire. Chouen fatigué, ne pouvant
compter sur son fils Chang Kiun, aussi incapable que l’avait été Tan Tchou,
choisit Yu pour son successeur (2224). Yu refusa d’abord le pouvoir, puis
céda l’année suivante aux instan ces de l’Empereur et défit Yeou Niao qui
s’était déclaré contre lui.

Mort de Chouen.
Les circonstances de la mort de Chouen (2208) ont permis à la légende de
se livrer à toutes ses fantaisies. De même que certains historiens ont cherché le
lieu de naissance de Chouen à T’si Nan, au Chan Toung, au lieu de Ki -
Tcheou, on a discuté sur le lieu de sa mort. Se-ma Ts’i en (155) dit que la
trente-neuvième année de son règne, Chouen visitant le Sud, mourut dans le
territoire sauvage de Ts’ang Wou, Hou Nan, et fut enterré sur la montagne
Kieou Yi (Neuf Doutes) au sud du Kiang où encore aujourd’hu i un
Commissaire • 88 impérial va brûler de l’encens à une certaine date. Ce pays,
dans une antiquité reculée, était connu sous le nom de San miao Kouo,
« Royaume des Trois tribus aborigènes » ; suivant la tradition, il aurait été
annexé par Tchouen Hiu, l’ un des « Cinq Souverains » (2513-2436 avant
J.-C.) ; ce qui n’a pas empêché les empereurs Yao et Chouen et Yu le Grand
de faire plusieurs campagnes d’extermination contre les sauvages habitants
refoulés vers le Sud et dans les montagnes. Nous lisons dans le Chou King, I,
ch. II, 20 (156) :
« L’empereur dit : Kao Yao, les tribus étrangères (Man Yi) qui
nous entourent troublent notre grande et belle contrée. (A la faveur
de ces troubles), les brigandages et les homicides se multiplient, les
malfaiteurs surgissent au dedans et au dehors (du domaine impérial
ou des neuf provinces). Vous êtes ministre de la justice. Infligez
aux criminels les cinq grands châtiments ; faites les subir en trois
endroits différents. Mettez en vigueur les cinq sortes d’exil ;
assignez aux cinq sortes d’exilés trois régions différentes. Une
grande perspicacité vous sera nécessaire pour obtenir qu’on ait
confiance en votre justice. ».
Les légendes locales du Hou Nan racontent que Chouen allant rétablir
l’ordre parmi ces tribus tomba gravement malade ; ses deux femmes se mirent
Henri Cordier Histoire générale de la Chine 69

immédiatement en route pour le soigner, mais, à peine arrivées sur les bords
du lac Toung T’ing, elles apprirent la mort de l’Empereur ; elles versèrent des
larmes en si grande abondance que des bambous, connus sous le nom de
bambous de « l’Impératrice », poussèrent en cet endroit ; on ne les trouve
nulle part ailleurs. Les impératrices se noyèrent dans le lac et elles furent
ensevelies dans l’île de Tchoun Chan, près de Yo Tcheou où l’on montre leur
tombeau ; il est vrai que celui-ci fut construit au XIXe siècle de notre ère par
le personnage bien connu Peng Yu-Lin (157). Le Li ki dit simplement :
« Chouen travailla pour le peuple avec dévouement et mourut dans
les plaines (loin de sa capitale).(158) »
• 89 Le Maître a dit :
« Dans les âges suivants, bien qu’il y eût de grands souverains,
aucun d’eux n’égala le prince de Yu (Chouen). Il régna sur le
monde entier ; durant sa vie, jamais il n’eut de partialité ; à sa
mort, il n’éleva pas son fils à la digni té souveraine. Il traita ses
sujets comme ses enfants, avec la bonté d’un père et la tendresse
d’une mère. Il eut pour eux une affection compatissante, et leur
donna avec zèle d’utiles enseignements. Il les aimait et les traitait
avec honneur (159) ».
Se-ma Ts’ien remarque :
« Depuis Houang Ti jusqu’à Chouen et Yu, tous (les empereurs)
eurent le même nom de famille ; mais ils se distinguèrent par les
noms de leurs principautés, afin de mettre en lumière leur illustre
vertu. Ainsi Houang Ti fut Yeou Hioung ; l’empereur Tchouen Hiu
fut KaoYang ; l’empereur K’ou fut Kao Sin ; l’empereur Yao fut
T’ao T’ang ; l’empereur Chouen fut Yeou Yu ; l’em pereur Yao fut
T’ao T’ang : l’empereur Chouen fut Yeou Yu ; l’empereur Yu fut
Hia Heou, mais il eut un autre nom de famille qui fut Se ; Sié fut
Chang et eut pour nom de famille Tse ; K’i fut Tcheou et eut pour
nom de famille Ki (160) ».
Confucius s’écrie :
« Que Yao fut un grand prince ! Seul le Ciel est grand ; seul Yao
lui fut semblable. Que sa bienfaisance s’étendit loin ! Le peuple ne
trouva pas de terme pour l’exprimer. Chouen fut vraiment
souverain. Qu’il fut grand en dignité ! Ti posséda l’Empire, et resta
toujours indifférent à sa propre grandeur »
et Meng Tseu ajoute :
« Yao et Chouen, qui avaient l’Empire à gouverner, n’avaient -ils
pas assez d’occupation ? Ils ne s’occupaient pas de labourage
(161). »
Henri Cordier Histoire générale de la Chine 70

Kiang et Ho.
On voit que le berceau de la Chine est placé sur ces fleuves du Nord, la
Wei et le Ho, et que l’Empire s’étend pro gressivement sur les rives du Kiang ;
le Houang Ho et le Kiang ont joué un rôle tellement important dans l’histoire
de cette grande puissance qu’on ne trouvera pas inutile que nous en donnions
une description détaillée qui permettra • 90 souvent de comprendre mieux la
chaîne des événements et de connaître le théâtre où elle se déroule. D’ailleurs
l’histoire d’un peuple ne doit pas être écrite sans tenir compte du milieu dans
lequel elle se développe.
Les deux grands fleuves de la Chine proprement dite sont le Yang Tseu
Kiang, improprement nommé Fleuve Bleu par les Européens, et le Houang
Ho, Fleuve Jaune, désignés plus simplement comme le Kiang et le Ho,
c’est -à-dire le fleuve ou la rivière. Le Kiang, dans le système dualiste de la
création correspond au Yang, principe mâle, tandis que le Ho correspond au
principe femelle, Yin.

Le Kiang.
Le Kiang prend sa source au Tibet dans les montagnes Tang La et, d’après
les cartes indigènes, par trois cours d’eau qui descendent, du versant sud du
Bayan Kara. Le fleuve se dirige d’abord vers l’Est, puis descend vers le Sud
jusqu’à la boucle de Li Kiang, passant par Ba Tang qui se trouve sur la routé
du Se Tch’ouàn à Lha Sa au Tibet. M. Bonin a reconnu la grande boucle que
fait le Kiang avant son confluent avec le Ya Loung. Dans cette haute région,
outre les noms de Kin Cha Kiang (fleuve au sable d’or) et de Pe Chouei, le
Kiang est nommé aussi Oulan Mouren et Mouroui Ousou, la rivière
tortueuse ; Marco Polo l’appelle Brius qui représente le tibétain Dré tch’ou.
Le Kiang traverse les provinces de Yun Nan, de Se Tch’ouan, de Hou Pé
qu’il sépare du Hou Nan, pendant une certaine distance, de Kiang Si, de Ngan
Houei et de Kiang Sou. A gauche, le Ya Loung se déverse dans le Kiang à
Loko Mi tien ; il prend sa source non loin du Houang Ho ; entre le 28° et le
30° de latitude Nord, après avoir arrosé Baurong et Meterong, il fait un coude
brusque vers le Nord pour descendre, après un nouveau crochet dans une
direction Nord-Sud. Cette partie du fleuve a été explorée par le Dr Legendre,
le capitaine Noiret et le lieutenant Dessirier ; cette région est très accidentée.
Le Ya Loung depuis Ho Si à son embouchure a été relevé par le lieutenant de
vaisseau Audemard ; des rapides, dont le Mao Mao t’an et le Houng Pi t’an
offrent de sérieuses difficultés ; dans la • 91 dernière partie de son cours, à 30
kilomètres environ du confluent, les eaux du Ya Loung s’étalent en une nappe
tranquille.
« Au point de vue hydrographique, le Ya Loung présente le
caractère d’un grand fleuve et non celui d’un torrent qu’on serait
porté à lui attribuer, a priori, en raison de l’altitude élevée de son
Henri Cordier Histoire générale de la Chine 71

talweg (1560 m. et 1220 m.). sa largeur atteint 200 et 250 m ; elle


descend rarement au-dessous de 100 m. en dehors des rapides... la
faible vitesse du courant moyen ne dépasse pas 7 kilomètres à
l’heure pour une pente en somme très considérable de 1 m. 68 par
kilomètre, alors que le Yang Tseu, avec une pente bien inférieure,
(1m,03), accuse une vitesse moyenne de 11 kilomètre le pont de
Tseu Li Kiang et Soui-Fou. »
Le Ya Loung peut se ranger dans la catégorie des cours d’eau praticables à
la batellerie (Audemard). A gauche, il reçoit le Ngan Ning qui forme la limite
occidentale de la région du Se tch’ouan ap pelée Ta Leang chan (grandes
montagnes froides), passe près de Ning Youen, capitale du Kien Tch’ang, et
de Te Tch’ang. Dans sa partie inférieure le Ya Loung est aussi appelé Ta
Tch’oung ; à son confluent, le Yang Tseu est appelé Pe Chouei Kiang.
La ville de Li Kiang, principal centre des Mosos, est placée dans une
grande boucle que fait le Kiang en remontant vers le Nord ; du sommet de
cette boucle il descend vers le Sud jusqu’à To Mi ; la vallée est dominée par
de hautes montagnes. A partir du grand rapide de Ta Tsin K’eou, le biet est
navigable ; à partir de To Mi, le fleuve qui se rapproche du lac de Ta Li qui
est au Sud Ouest forme un coude jusqu’à Kin Kiang Kai, à 60 km environ de
Ta Tsin K’eou ; la vallée est large ici, mais elle se termine par un couloir
étroit d’environ 150 km de long qui conduit à Ma Chang, sur la rive gauc he, à
40 km. du confluent du Ya Loung ; c’est le centre de la batellerie entre Kin
Kiang Kai et Loung Kai. Du Ya Loung, le Kiang descend vers le Sud jusqu’à
Loung Kai ou Kiang Pien, puis se dirige avec beaucoup de sinuosités vers
l’Est en remontant légèrem ent vers le Nord jusqu’à Chou Ki où il prend une
direction franchement Nord. A 75 km. de Loung Kai, confluent de Ma Kai
Ho, à • 92 Ho Men Tch’ang, un grand rapide à trois gradins, le Kin Ya t’an
barre la route, mais il n’est pas infranchissable ; à partir de ce point jusqu’à
Yen Tsin, centre important d’une ex ploitation de sel, pendant 100 km., on ne
compte pas moins de cinquante rapides dont treize extrêmement violents. A
Yen Tsin apparaissent les premières barques qui circulent jusqu’à Kiao Kia
t’ing, sur une longueur de 130 km. C’est à Kiao Kia t’ing ou Mi Leang pa,
située à 2 km. du fleuve, que viennent s’approvisionner les L olos. De Kiao
Kia t’ing à P’ing Chan le fleuve, faisant des sinuosités, remonte vers le Nord,
il n’est pas navigable ;
« les jonques légères, nous dit le lieutenant de vaisseau Hourst, ne
dépassent pas P’ing Chan ; elles peuvent à la rigueur aller jusqu’à
Tso-T’an, mais la descente est très hasardeuse ; les embarcations
un peu fortes étant ingouvernables à cause des tourbillons et des
contre-courants qui les lancent en tous sens. »
Dans cette partie de son cours, le Kiang longe le massif des Ta Leang
Chan habité par les Lolos. Le 8 juillet 1898, M. de Vaulserre partit de Soui
Fou avec trois Annamites, un petit interprète de seize ans, huit montures ou
Henri Cordier Histoire générale de la Chine 72

animaux de bât et trois palefreniers chinois. Il remonta le fleuve Bleu jusqu’à


la hauteur de Ta Li fou dans le Yun Nân sans s’écarter de son cours.
« P’ing -Chan, dit l’abbé Chevalier, est une petite sous -préfecture,
bâtie au pied d’un groupe de montagnes, sur un plateau bas dont
elle ne couvre qu’une partie. Son enceinte, sans être vaste, l’est
encore trop pour le nombre de ses habitants. Presque pas de
faubourgs, même aux portes de la ville ; pas un seul bateau au
port »
Le fleuve suit alors une direction Sud-Ouest Nord-Est jusqu’à Wan Hien ;
à Kouei Tcheou il fait une courbe pour redescendre à ; il est calme dans cette
partie de son cours, semé d’îles de sable et de galets ; sa direction est
Est-Ouest d’I -Tch’ang à Wan Hien ; ici le cours est torrentueux, coupé de
rapides, encaissé de hautes collines. Voici les principaux rapides : le Premier
en amont est le Sin T’an de Young Yang hien, le plus dangereux de tous, situé
à 15 km. en amont de cette ville et à 3 km. en aval du bourg de Pan T’ouo ; le
I T’an, à • 93 6 km. en amont de Kouei Tcheou, dans le Hou Pe ; le Sin T’an de
Kouei Tcheou, à 10 km. au dessous de Kouei Tcheou, entre les gorges Mi-
Tsang en amont et les gorges Nieou Kan ma fei, en aval ; ces trois rapides
sont les plus dangereux ; le Koung Lin T’ an qu’on rencontre à la sortie des
gorges Nieou Kan ma fei, en descendant ; le Ta Toung T’an.
« Entre les gorges Nieou Kan ma fei et les gorges d’I Tch’ang,
écrit l’abbé Chevalier, ou plus exactement entre le village Hé Pien
tseu, situé sur la rive gauche, à 3 kilomètres des gorges de Nieou
Kan ma fei, et celles d’I Tch’ang, s’étend une région unique sur
tout le haut Yang Tseu tant au point de vue géologique qu’au point
de vue géographique. C’est le seul endroit où j’ai rencontré des
roches de granit. On l’ a appelée parfois la région des rapides en
raison des nombreux endroits dangereux pour les jonques qui en
jalonnent le parcours. Le lit du fleuve y est très élargi et varie de
700 à 1200 m. environ à l’époque des grandes eaux. Aux eaux
basses au contraire, il est resserré dans un chenal qui assez souvent
n’a plus qu’à peine 200 m. de large. Ce chenal est assez profond et
généralement libre de tout obstacle pouvant entraver la navigation
à vapeur. La principale. exception à cette règle générale est celle
du Ta Toung T’an. A cet en droit le lit est divisé en deux par trois
amas de roches dont le plus considérable est en aval des deux
autres. Ils ne sont pas tout à fait au milieu mais rangés en ligne le
long de la rive droite. La passe principale, la seule praticable à
l’étiage pour les grandes jonques, se trouve donc entre eux et la
rive gauche. »
Le lieutenant de vaisseau Hourst, qui, avec la canonnière Olry, a franchi
ces rapides ; remarque qu’en remontant au delà d’I Tch’ang, le Yang Tseu
subit au point de vue hydrographique un changement correspondant à celui du
Henri Cordier Histoire générale de la Chine 73

système orographique de son immense bassin ; de même que le sol devient un


réseau inextricable de collines, n’ayant que de vagues directions générales, le
cours du fleuve se poursuit en sinuosités nombreuses suivant le caprice du
terrain qu’il rencontre.
La navigation à vapeur n’est possible que pendant quelques mois de
l’année et ne peut dépasser P’ing Chan.
• 94 La distance entre ce point et I Tch’ang est d’environ 750 milles.
Dans cette partie de son cours, le Yang Tseu reçoit les fleuves suivants : à
30 milles en aval de P’ing Chai, à Soui Fou, 2.750 km. de la mer, sur la rive
gauche, le Min Kiang ou Fou Ho, rivière de Tch’eng Tou, capitale du Se
Tch’ouan ; considéré par les Chinois comme le fleuve principal. Le Fou Ho se
compose de deux artères principales réunies à Kia T’ing : 1° le Fou Ho
proprement dit, qui prend sa source aux points de réunion du Se Tch’ ouan, du
Tibet et du Kou Kou nor près des Min Chan ; au Nord, au delà de Soung
P’an ; on le désigne aussi, sous les noms de Si Ho (rivière de l’Ouest) et de
Lari Ho (rivière bleue) ; 2° le T’oung Ho ou Ta Tou Ho qui prend sa source
entre le Ya Tchou, affluent du Kin Cha Kiang, et le Ma Tchou (Houang Ho
supérieur) ; le T’oung Ho est formé lui -même de deux branches : le Ta Tou ou
T’oung Ho qui passe à Ta Ts’ien lou, et est impraticable pour les bateaux et la
rivière de Ya Tcheou, Yaq Ho ; les jonques remontent de Soui Fou à Kia
T’ing.
Le Tch’oung Kiang, beaucoup moins long que le Min, prend sa source
dans la plaine au Nord de Tch’eng Tou et se jette dans le Kiang près de Lou
Tcheou ; il baigne Kien Tcheou, pointe où il devient navigable, Tche Tcheou,
Fou Chouen ; dans sa partie inférieure, une contrée fertile, il porte le nom de
To Kiang.
Toujours sur la rive gauche, le Kiang reçoit à Tch’oung K’ing, le Kia Ling
Kiang qui prend sa source dans le Kan Sou ; traverse le Chen Si et arrive au
Se Tch’ouan où à Kouang Youen hien il se jette dans le Pe Chouei, grossi du
He Chouei. Il baigne Pao Ning où il devient navigable pour les jonques ; près
de Ho Tcheou, à gauche, il reçoit le Souei Ho, navigable jusqu’à Souei Ting
fou, et à droite le Feou Kiang qui descend de Loung Ngan fou et passe à Mien
Tcheou et à T’oung Tchouan ; il est navigable depuis Tchang Ming hien,
au-dessus de Mien Tcheou.
Sur la rive droite, le Kiang reçoit en descendant : à Loung Kai ou Kiang
Pien le Ma Kai ho ou Tso Ling ho, • 95 exploré par le Dr. Legendre qui écrit
que ce fleuve « large quelquefois de 50 m. n’est pas navigable, dont le lit est
presque partout encombré de blocs gréseux rouges ou verts ou de quartzites
laminées qui limitant, à un degré extrême, la profondeur du fleuve, n’en font
qu’un mauvais torrent, inutilisable même pour les petites barques. » Le Nieou
Lan ho et le Houng Kiang qui se jette à Ngan Pien, en amont de Soui Fou,
route commerciale du Se Tch’ouan au Yun Nan, exploré par la Mission
Henri Cordier Histoire générale de la Chine 74

Lyonnaise, groupe Rocher, janvier 1896. Le Siu Young ho se jette dans le


Kiang à Na K’i entre le Min et le Tch’oung Kiang. Le Ho Kiang ou Tch’é
Chouei, arrose Ta p’ing tou, se jette dans le Kiang à Ho Kiang bien, entre le
Tch’oung Kiang et le Kia Ling. Le Wou Kiang, route du Kouei Tcheou, se
jette dans le Kiang, à Fou Tcheou ;
« les jonques du Wou Kiang ont une forme spéciale qu’on ne
rencontre pas ailleurs. Leurs bordages sont tordus de telle sorte
qu’à l’avant le côté tribord est plus haut que le côté babord ; à
l’arrière, c’est l’inverse et la différence est encore plus accentuée :
De plus, tandis que l’avant est bas, l’arrière est très élevé, et, sur
l’angle aigu que forme la pointe, gauche arrière, est fixé le long
assemblage de poutrelles servant de gouvernail. Cette étonnante
construction est ainsi faite afin de mieux présenter les bordages
aux courbes brusques de la rivière. Tout cela est vieux, sale, noir,
couvert de mauvaises paillottes. C’est la misère flottante. Ces
jonques n’assurent du reste pas un trafic important. Les
marchandises courent de trop. grands risques. Celles d’un prix
élevé, comme l’opium, sont en voyées à la montée par la voie de
terre, plus coûteuse, mais plus sûre ». (Mission Lyonnaise.)
A partir d’I Tch’ang, à 1550 km. de la mer, le Kiang baigne Cha Che sur
la rive gauche, jusqu’au déversoir du lac Toung T’ing ; cette masse d’eau,
singulièrement réduite en hiver, s’étend en été sur une surface d’environ 120
km. de long sur 100 de large ; il reçoit les eaux du Siang Kiang qui prend sa
source au Nord du Kouang Si, grossi à droite près de Heng Tcheou, du Lai Ho
et, à gauche près du lac du Tseu Kiang, de celles du Youen Kiang venant du
Kouei • 96 Tcheou et celles du Li Chouei ; Yo Tcheou ouvert au commerce
étranger par décret impérial du 31 mars 1898, se trouve sur le canal qui met en
communication le lac avec le Yang Tseu ; sur la rive gauche du Youen Kiang
est situé le grand marché de Tch’ang Te fou ; la capitale du Hou Nan se trouve
sur la rive droite du Siang Kiang. Au cours d’eau de cette région se rattache
l’origine d e la fête des bateaux-dragons. Au IVe siècle avant notre ère, K’iu
Youen, nommé P’ing, de la famille régnante de Ts’ou, auteur du poème Li
sao, accusé faussement par un des princes, se noya dans la rivière Mi Lo. En
souvenir de ce triste événement, fut organisée la fête des bateaux dragons,
T’ien tchoung tsié, qui se célèbre par des régates le cinquième jour de la cin -
quième lune dans le Sud de la Chine.
Du Toung T’ing, le Kiang remonte vers le Nord -Est jusqu’au confluent du
Han, affluent de gauche. Ce fleuve descend du Chen Si ; torrentueux, obstrué
par des rapides dans sa région supérieure, il devient navigable depuis Lao-Ho
K’eou ; il reçoit à gauche le Tan Kiang venant également du Chen Si en
amont de Lao Ho K’eou, et en face de Siang Yang le Pe Ho, gr ossi du T’ang
Ho qui vient du Ho Nan. Au confluent du Han et du Kiang se trouve une des
agglomérations les plus considérables de Chine : sur la rive gauche du Han,
Henri Cordier Histoire générale de la Chine 75

Han K’eou, sur la rive droite, Han Yang ; en face sur la rive droite du Kiang,
la capitale de la province de Hou Pe, Wou Tch’ang.
A partir de Han K’eou, le fleuve descend au Sud -Ouest jusqu’à Kieou
Kiang, ville près de laquelle se déverse à droite, à Hou K’eou le lac P’o Yang,
poche de 120 km. sur 28. Ce lac est profond dans sa partie Nord et dangereux
à cause des fréquentes tempêtes qui s’y élèvent ; il reçoit au Sud le Kan
Kiang, qui sous le nom de Koung Chouei prend sa source au Sud-Est du
Kiang Si ; il recueille à gauche le Tchang Chouei ; en amont de Ki Ngan fou,
il forme les rapides de Che Pa T’an ; près du lac il baigne les murs de Nan
Tch’ang, capitale du Kiang Si. Du P’o Yang, le fleuve remonte vers le
Nord-Est jusqu’au Canal impérial ; il arrose à gauche Ngan King, capitale du
Ngan Houei, à • 97 droite Wou Hou et Nazi King ; le joli rocher du Little
Orphan monte du fleuve entre Kieou Kiang et Ngan King ; à Tchen Kiang, le
Kiang coupe le Grand Canal, puis redescend légèrement vers le Sud-Ouest
jusqu’à la mer par l’estuaire où se trouve l’île d e Tsoung Ming. Avant son
embouchure, il reçoit à droite la rivière de Wou Soung ; jadis cette rivière
remontait à Sou Tcheou et portait le nom de rivière de Sou tcheou ; ce dernier
nom n’est plus donné au cours d’eau que de Chang Hai à Sou Tcheou ; le
Houang P’ou comme on désigne généralement la rivière qui passe à Chang
Hai, coulait à peu près depuis Soung Kiang jusqu’au Kao Tchang miao, où se
trouve l’arsenal actuel, puis se jetait directe ment dans la mer ; un canal ancien,
élargi en 1403, sous l’empere ur, Young Lo, de la dynastie des Ming, le Fan
Kia Pang ou Van-Kia Pang, réunit le Houang P’ou, depuis Kao Tchang miao,
à la rivière de Wou Soung ; c’est ce canal, dé sormais désigné sous le nom de
Houang P’ou, qui baigne la ville indigène actuelle de Chang Hai et les
concessions française et anglaise.
Jadis le Kiang déversait ses eaux dans la mer par trois branches ainsi que
nous l’avons dit plus haut.
Ce grand fleuve est appelé par les Chinois le Ta Kiang, grande rivière, ou
simplement le Kiang, pour le distinguer du Ho (Houang Ho, Fleuve Jaune).
Yang Tseu Kiang paraît être le nom donné au fleuve dans son cours inférieur ;
ce nom ne veut pas dire Fils de l’Océan ; Yang est le nom d’une ancienne
province faite de la majeure partie du Kiang Nan, du Tche Kiang, du Kiang Si
et du Fou Kien. Une tradition plus ou moins apocryphe raconte qu’un certain
lettré, tseu, nommé Yang avait découvert au milieu du fleuve une source d’eau
particulièrement bonne pour faire le thé et que, d’après lui, cette partie de la
rivière qui s’étend de Kin Chan à Tchen Kiang avait reçu le nom de Yang
Tseu Kiang. Le fleuve porte d’ailleurs un grand nom bre de noms : Ta Kiang
K’eou (embouchure du grand fleuve) en face de l’île de Tsoung Ming ; Yang
Tseu Kiang ou Ta Kiang, aux environs de Tchen Kiang ; Houei Kiang, le long
de la province de Ngan Houei ; la portion du Houei Kiang, • 98 qui est en face
de T’ai P’ing fou reçoit le nom de Wou Kiang, fleuve noir ; Tsang (Tch’an)
Kiang, le long de la province du Kiang Si ; Tch’ou Kiang , Tch’ou, nom de la
Henri Cordier Histoire générale de la Chine 76

province de Hou Kouang ; Pe Chouei-Kiang et Kin Cha Kiang (le fleuve au


sable d’or) d ans sa partie supérieure.
Le fleuve a une longueur totale d’environ 5 000 km. Voici en milles
nautiques, les distances des principaux points par la route d’hiver de Chang 11
ai : Wou soung, 13 ; Tchen Kiang, 156 ; de Tchen Kiang : Nan King, 45 ;
Wou Hou, 100 ; Ta T’oung, 164 ; Ngan King, 209 ; Little Orphan, 260 ;
Kieou Kiang, 297 ; de Kieou Kiang à Han K’eou, 151 milles. La marée se fait
sentir jusqu’en amont de Wou Hou.

Houang Ho.
Le Houang Ho ou Fleuve Jaune prend sa source au Tibet non loin du Yang
Tseu ; s’il ne rend pas les mêmes services que ce dernier au commerce et à la
navigation par suite de son cours tortueux et accidenté, à lui se rattachent les
souvenirs de l’histoire de l’ancienne Chine dont la civilisation est née sur ses
rives. Il était naturel qu’on cherchât la source de ce fleuve historique dans un
endroit doublement consacré par la légende et la religion : le grand lac Mana-
soravar au Nord des Himalaya d’où coulent les grands fleuves de l’Inde : le
Gange, l’Indus, l’Oxus et le Chitâ : c’est cette dernière rivière qui passant par
un canal souterrain réapparaît, suivant les bouddhistes chinois, dans les
montagnes Ashmakûta comme source du Houang Ho. En réalité ce fleuve
prend sa source au Tibet près du lac Ouring.
« C’est au -dessus de deux lacs voisins, les lacs Khtchara mtso et
Khnora mtso, reliés entre eux par un chenal, et tous les deux à
4.200 mètres d’altitude, que le Houang Ho prend sa source,
peut-être avec le Djaghing Gol, rivière de 160 km. de longueur qui
vient du Sud et se jette dans le chenal qui joint les deux lacs. Le
plateau où il coule est aride et ne possède qu’une maigre végétation
herbacée (Richard) ».
D’ailleurs l’origine du Houang Ho (ou plutôt du Ma Tchou comme il est
nommé dans cette région) est fort douteuse ainsi qu’on pourra s’en assurer par
la lecture du compte rendu de la mission Dutreuil De Rhins, qui a • 99 reconnu
sur le versant Nord des Bayan Kara
« les sources de deux rivières importantes qui se jettent dans le Ma
Tchou, le Ka-la Sou-nang qui coule à l’Est et le Ka -la Pa-nang
Tchou qui coule au Nord dans un lac assez considérable : le Ka-la
Nam-ts’o. Ce lac reçoit également une autre rivière venant du
Sud-Sud-Ouest ; le Kiang Tchou, qui ressort par l’extrémité
septentrionale et continue sa route à l’Est, jusqu’au Ma Tchou avec
la plus grande lenteur. (III, p. 202.)
Le Houang Ho se dirige vers l’Est, a près forme une courbe vers l’Ouest,
puis s’avance vers le Nord, vers le Kou Kou Nor, ensuite vers le Nord -Ouest
avec de nombreuses sinuosités. Du Tibet, il descend à 2 500 m en arrivant au
Henri Cordier Histoire générale de la Chine 77

Kan Sou dont il baigne la capitale, Lan Tcheou, sur sa rive droite à 1800 m.
d’altitude. Le haut fleuve a été exploré par Dutreuil de Rhins, Potanin,
Rockhill, Filchner et d’Ollone : ce dernier a trouvé que le Fleuve Jaune
s’avan çait 95 km. plus loin qu’on ne le supposait. Dans le Kan Sou, à droite,
le Houang Ho reçoit le Tao Ho, et, à gauche, le Si Ning ho, rivière de Si Ning,
grossie par son affluent de gauche, le Ta T’oung ho. Le Houang Ho se dirige
vers le Nord, franchit la Grande Muraille, arrose à gauche, Ning Hia, capitale
de l’AlaChan, va se heurter aux montagn es de la Mongolie, se dirige en ligne
à peu près droite vers l’Est d’où il redescend brusquement en ligne droite vers
le Sud. Dans cet angle Nord-Est, il reçoit au village de Ho K’eou le He
Chouei navigable sur 16 km. avant son confluent, qui conduit à Kouei Houa
Tch’eng ou Kou Kou Khoto, la « ville bleue » ; au-dessus de Ho K’eou se
trouve la ville chinoise de To Tch’eng, avec les ruines de l’ancienne citadelle
mongole de Tokto, le Tenduc de Marco Polo ; Bonin a visité la vallée du He
Chouei en 1899. Le Fleuve Jaune forme ainsi une grande boucle enclavant le
plateau des Ordos, habité par les sept hordes mongoles qui se disent issues des
armées de Tchinguiz Khan. C’est dans leur pays, à Yeke et Jen Koro que se
trouve le tombeau de ce conquérant, visité par les missionnaires belges De
Vos et Verlinden en 1875 et par Bonin en juillet 1896. En descendant • 100 en
ligne droite vers le Sud de Ho K’eou à son confluent avec le Wei Ho, le
Houang Ho recoupe la Grande Muraille, sert de frontière aux provinces de
Chan Si et de Chen Si et reçoit à gauche le Fen Ho qui arrose T’ai Youen,
capitale du Chan Si, et Ping Yang, dont les plaines sont les plus fertiles de la
région ; le Fen Ho n’est navigable qu’à partir de Kiang Tcheou. A droite, il
reçoit à T’oung Kouan le Wei Ho, son principal affluent qui vient de la région
de Koung Tch’ang fou dans le Kan Sou, creuse de profonds sillons dans le
loess, et devient navigable à partir de Hing P’ing Hien, il est grossi à gauche
par le King Ho. A partir de T’oung Kouan, le Houang Ho fait un coude
brusque vers l’Est, en prolongement du Wei Ho, jusqu’au Nord de K’ai Foung
fou ; pendant une partie de ce cours, il sépare le Chan Si du Ho Nan ; puis il
suit une direction Sud-Nord-Ouest, traverse la plaine du Chan Toung et se
jette dans le golfe de Tche Li ; il est coupé par le Yun Ho ; le passage est là
fort difficile. L’entrée du fleuve est obstruée par une barre à 5 km. de son
embouchure et la navigation n’est possible que pour des jonques à faible tirant
d’eau. La longueur totale du fleuve est d’environ 4.700 km. C’est dans la
partie inférieure de son cours que se produisent les inondations qui le rendent
si redoutable. Avant 1853 il déversait ses eaux au Sud du Chan Toung, au
Nord de la province de Kiang Sou En 1868, Ney Elias et H. G. Hollingworth
firent, aux frais de la Société asiatique de Chang Haï une exploration du
nouveau cours du Fleuve Jaune. Les ingénieurs hollandais J. G. W. Fijnje
Van Salverda, P. G. Van Schermbeek et A. Visoer inspectèrent les régions
inondées par le fleuve en 1889, en vue de l’amélioration de son cours, mais les
mesures préconisées dans leur rapport (1891) n’ont malheureusement pas été
prises.
Henri Cordier Histoire générale de la Chine 78

Les inondations du Fleuve Jaune ont rendu nécessaire la création de


fonctionnaires spéciaux appelés Ho-tao-tsoung-tou ou Ho-Tou, « surintendant
général du Fleuve Jaune Houang Ho et du Canal impérial Yun Ho » avec le
titre de Ping Pou che lang.
« Il est chargé, nous dit le P. Houang, (Mélanges sur l’Administration ), de
l’entretien des rives • 101 et des digues du Fleuve Jaune Houang Ho ; afin de
prévenir les inondations ; du curage du Canal impérial Yun Ho, et de
l’entretien des écluses, de manière à maintenir cette voie navigable pour le
transport à Pe King. Le fleuve et le canal sont divisés en trois sections : la
première, dite Nan Ho « fleuve méridional » se trouve dans la province de
Kiang Sou ; la seconde, dite Toung Ho, « fleuve oriental » traverse les
provinces de Chan Toung et de Ho Nan ; la troisième, dite Pe Ho « fleuve
septentrional » se trouve dans la province de Tche Li. Il y a trois Ho Tou ; le
premier, chargé du Nan Ho, est, maintenant le vice-roi même de Nan King.
C’était autrefois un délégué spécial qui résidait à Ts’ing Kiang pou, près de
Houai Ngan fou, au Kiang Sou le second chargé du Toung’Ho, réside à Tsi
Ning Tcheou, au Chan Toung ; le troisième chargé du Pe Ho, est le vice-roi
même de la province de Tche Li : Leurs assistants sont des différents rangs de
Tao, T’oung Tche, T’oung Pan, Tcheou T’oung , etc... (162) ».

*
**
Henri Cordier Histoire générale de la Chine 79

CHAPITRE V

Hia et Chang.

Première dynastie : les Hia (2205-1766)

Yu.
• • 102 Yu ; ou Ta Yu (Yu le Grand), suivant l’exemple de Kouen, voulut,
après le deuil de trois ans, se retirer en faveur de Chang Kiun, fils de son pré-
décesseur, mais les chefs l’obligèrent à prendre le pouvoir (2205) ; il avait
quatre-vingt-treize ans. Son nom personnel est Wen Ming qu’il avait bien
mérité, dit le Chou King, parce que ses institutions civiles se sont étendues sur
tout l’Empire. Il avait pour père Kouen, fils de l’empereur Tchouen Hiu ; nous
avons vu que Kouen, n’ayant pas réussi dans l a tâche qu’il avait entreprise sur
les ordres de l’em pereur Yao de prévoir les inondations du Fleuve Jaune, avait
été remplacé par Chouen qui fit lui-même appel à Yu. Celui-ci était prince de
Hia (Yu Tcheou, préf. de K’ai Foung, Ho Nan) depuis 2277, et il est le
fondateur de la première dynastie chinoise qui porte le nom de son fief.
« Yu était un homme actif, serviable, capable et diligent ; sa vertu
n’évitait pas la peine ; sa bonté le rendait digne d’affection ; sa
parole était digne de foi. Sa voix était l’étalon des sons ; son corps
était l’étalon des mesures de longueur ; les mesures de poids
dérivaient de lui. Très infatigable et très majestueux, il s’occupait
de l’ensemble et des détails (163). »
Dans l’ancienne Chine on se servait pour les échanges, de divers produits
de la nature ou de l’industrie, tels que les gemmes ; les sacs de grains, les
écailles de tortue et d’huîtres perlières. Yu passe pour avoir extrait du métal de
Li Chan, près de P’ou fan et pour avoir fon du des objets en métal, sans
inscriptions, pour les échanger ; cette invention • 103 est d’ailleurs attribuée à
Tch’eng T’ang, fondateur de la dynastie des Chang. Sous le règne de Tch’eng,
second roi de Tcheou, son ministre Kiang Tai Koung régularisa la monnaie
courante en métal et en soie : pour le métal, suivant leur poids, l’or en petits
cubes, le bronze en lingots ou en plaques ; pour la soie, des pièces de
dimensions déterminées. Vers 670, on commence de se servir de monnaies de
bronze en forme de couteaux (Tao) avec une marque ou un emblème,
complété un peu plus tard par un anneau à son extrémité dans l’État de Ts’i ;
plus tard encore on ajouta des légendes. On vit ensuite apparaître la monnaie
en forme de selle, de bêche (Pi tch’an ), d’anneau ; l’emploi de la monnaie
ronde est régularisé après 221 av. J.-C. par les Ts’in et à p artir de cette
Henri Cordier Histoire générale de la Chine 80

époque, les écailles, les perles, etc. conservent leur valeur marchande, mais ne
sont plus utilisées comme monnaie (164).
« Yu témoigna de sa bienfaisance en publiant un ordre par lequel
si, par pauvreté, une famille était obligée de vendre un fils, sur sa
demande, il fournirait la somme nécessaire à son rachat (165). »
Il transféra sa capitale à Ngan Yi qui dépend aujourd’hui de P’ing Yang
fou. La Chine divisée sous Chouen en douze provinces, sous Yu comme sous
Yao, en forme neuf seulement.
« Un mandarin appelé Hi Tchoung apprit à atteler les bœufs, ânes,
chevaux aux charrettes et chars. Yu fit fondre neuf grands vases ou
urnes ou tables de cuivre (Kieou ting) ; il y fit graver une espèce de
carte géographique de la Chine, avec le catalogue des redevances
de chaque département. Quelques-uns ajoutent qu’on y voyait les
figures de ce qu’il y avait de rare et de curieux dans l’Empire. Le
mandarin Y-Ti inventa ou perfectionna l’art de fai re du vin de
riz (166) »
Nous ne reviendrons pas sur les travaux de Yu. La seconde année de son
règne, il choisit Kao Yao pour son successeur, mais celui-ci étant mort
l’empereur le remplaça par Pe Yi. Ce fut sous le règne de Yu que fut soumis
en soixante-dix jours • 104 le peuple Miao établi entre le lac Toung T’ing et le
lac P’o Yang, au nord du Hou Nan et du Kiang Si.
« L’empereur dit : « Eh bien ! Yu, le prince de Miao est le seul qui
refuse d’obéir. Allez le châtier par les armes (167) »
Yu mourut à Houei Ki, territoire de Chao Hing, Tche Kiang (2197 av.
J.-C.), la septième année de son règne et la centième de son âge ; son fils K’i
fut choisi pour le remplacer au lieu de Yi qui mourut d’ailleurs peu de temps
après l’avènement du nouve l empereur. Avec Ti K’i la monarchie devint
héréditaire.
K’i, 2197 -2189.
K’i, fils de Yu, fut le deuxième empereur Hia ; il eut d’abord à lutter
contre le prince de Hou qui, suivant le discours qu’il prononça devant ses
troupes avant de livrer bataille :
« ruine et outrage les cinq éléments ; il rejette avec dédain les trois
mois adoptés (à différentes époques) pour le commencement de
l’année. En conséquence le Ciel abroge son mandat (lui retire le
pouvoir de gouverner la principauté). A présent, dit l’E mpereur, je
ne fais qu’exécuter avec respect la sentence prononcée par le Ciel
contre lui. (168) »
Hou fut écrasé à Kan (préf. de Si Ngan, Chen Si) et la paix fut rétablie.
Après un règne de neuf ans, K’i mourut âgé de 91 ans.
Henri Cordier Histoire générale de la Chine 81

T’ai K’ang.
Son fils T’ai K’ang lui succéda, mais
« inerte sur le trône comme le représentant d’un mort, il avait
étouffé ses bonnes qualités dans le repos et les plaisirs (169) »
et perdit l’affection de son peuple. A son reto ur de la chasse dans le Midi,
il trouva la route barrée par le prince de K’ioung, et ses cinq frères lui
reprochèrent amèrement sa conduite. T’ai K’ang fut conduit par K’ioung à
Yang Hia dans le Ho Nan où il fut emprisonné (2169).

Tchoung K’ang.
Tchoung K’ang, son frère, le remplaça sur le trône mais ne prit le titre
d’empereur qu’à la mort de T’ai K’ang ; il chargea le prince de Yin de châtier
les gouverneurs de provinces Hi et Houo, qui négligeaient les devoirs de leur
charge et se livraient à la boisson ; ceux-ci, défaits, furent mis à mort. Un
passage du Chou King • 105 (Part. II, ch. IV, 4, p. 9 de la trad. de Couvreur)
signale les méfaits de Hi et de Houo :
« Hi et Houo sont déréglés dans leur conduite, se plongent dans le
vin et se dégradent. Ils ont abandonné leur emploi et quitté leur
poste. Par un désordre jusque-là sans exemple, ils ont bouleversé
les lois de l’astronomie et négligé entièrement les devoirs de leur
charge. Le premier jour du troisième mois de l’automne, les deux
grands astres (le soleil et la lune se rencontrant) dans la
constellation du Scorpion, n’ont pas été d’accord (le soleil a été
éclipsé). Les musiciens ont battu le tambour ; les officiers
inférieurs et les employés tirés du sein du peuple ont couru avec
empressement (au secours du soleil) : Hi et Houo, inertes dans leur
office comme le représentant d’un mort à une cérémonie, ont paru
ne rien entendre, ne rien savoir. Ils se sont trompés grossièrement
sur les phénomènes célestes, et ont mérité la peine de mort
décrétée par les anciens souverains. Dans les lois du gouvernement
il est dit : « Celui qui devancera le temps, sera mis à mort sans
rémission ; celui qui n’arrivera pas à temps, sera mis à mort sans
rémission ».
Cette fameuse éclipse de soleil a fait couler beaucoup d’encre. Gaubil la
plaçait le 11 octobre 2154 av. J.-C. ; le Tchou Chou Ki nien le 28 octobre
1948 ; John Chalmers, le 12 octobre 2127 ; John Williams, Observations of
Comets, donne la date de 2158 ; G : Schlegel et Künhert entre le 12 mai 1904
et le 7 mai 2165 ; d’autres enfin au 12 octobre 2155 ; il est vrai que Largeteau
prétendait que l’éclipse fut invisible.
Henri Cordier Histoire générale de la Chine 82

Siang, Chao K’ang.


Tchoung K’ang mourut la treizième année de son règne (2147) et eut pour
successeur son fils Siang (2146-2119), homme doux et faible d’esprit, qui
disgracia Yin et appela au pouvoir son ennemi Yi qu’il nomma Gouverneur
général de l’Empire et se retira à Chang K’ieou. Siang perdit la vie dans une
bataille contre les rebelles Han Tchou et Kiao. Chao K’ang (2079 -2058), fils
posthume de Siang, caché dans sa jeunesse par sa mère Min, au Chan Toung,
réussit grâce à des amitiés à former une puissante armée, qui écrasa et tua Han
Tchou qui détenait le pouvoir (2080).

K’oung Kia Kié.


La décadence des Hia commence avec le débauché • 106 K’oung Kia
(1879-1849), fils de Pou Kiang. Le dernier empereur de la dynastie, le cruel
Kié (Liu Kouei) fut défait à Ming T’iao par son vassal T’ang et exilé à la
montagne Ting chan, près de Nan Tch’ao (Ngan Houei) où il mourut trois ans
plus tard ; son fils, Chan Wei quitta Nan T’chao et alla vivre en sauvage dans
les déserts.
« Quelques auteurs chinois disent que le fils de Kié, avec ce qui
restait de sa famille, alla en Tartarie et y jeta les fondemens de la
monarchie des Tartares du Nord (170) ».
T’ang monta alors sur le trône (1766), fondant ainsi la troisième dynastie
impériale qui reçut le nom de Chang parce que le nouveau souverain
descendait de Sié, ministre de l’Instruction, publique sous Yao et Chouen,
prince de Chang, dans le Chen Si. T’ang
« conféra un fief aux descendants des Hia qui, sous la dynastie
Tcheou reçurent le fief de K’i » (préf. de K’ai Foung, Ho
Nan) (171). »

Première Dynastie : Les Hia (2205-1766 avant J.-C., 17 règnes).


Cinq Empereurs • • • Dynastie Chang

Dates Noms Durées


1 2205 Yu, fils de Kouen ; † 2198 Wen Ming 8
2 2197 Ti K’i, fils de Yu, † 2189 9
3 2188 T’ai K’ang ; fils de K’i, † 2160 29
4 2159 Tchoung K’ang ; frère cadet de T’ai K’ang ; † 2147 13
5 2146 Ti Siang, fils de Tchoung K’ang, tué par Han Tchou 28
2119 Han Tchou, Usurpateur, tué en 2080 40
6 2079 Chao K’ang, fils de Siang, † 2058 22
Henri Cordier Histoire générale de la Chine 83

7 2057 Ti Tch’ou, fils de Chao K’ang, † 2041 17


8 2040 Ti Houei, fils de Tchou † 2015 26
9 2014 Ti Wang Qu Mang, fils de Houei, † 1997 18
10 1996 Ti Sié, fils de Wang, † 1981 16
11 1980 Ti Pou Kiang, fils de Sié ; † 1922 59
12 1921 Ti Kioung, frère de Pou Kiang, † 1901 21
13 1900 Ti K’in, fils de Kioung, † 1880 21
14 1879 K’oung Kia, fils de Pou Kia ng, † 1849 31
15 1848 Ti Kao, fils de K’oung Kia, † 1838 11
16 1837 Ti Fa, fils de Kao, † 1819 19
17 1818 Lin Kouei (Kié), fils de Fa ; † 1764 53

• 107 Ces chiffres sont donnés d’après Mailla et Mathias Tchang. D’après
le Tchou Chou Ki nien, l’avènemen t de Yu est 1989 au lieu de 2205 et celui
de Kié est de 1589 au lieu de 1818.

• Deuxième dynastie : Chang ou Yin (1766-1122).

Chang.
« Par ordre du Ciel, nous dit le Che King (172) une hirondelle
descendit, et la famille des Chang lui dut son origine. Les Chang
habitèrent la terre de Yin et devinrent puissants. »
Kien Ti, fille de la famille princière de Soung, épousa l’em pereur K’ou ;
« elle et deux autres personnes allèrent se baigner ; elles virent un
oiseau de couleur sombre (hirondelle) qui laissa tomber un œuf ;
Kien Ti le recueillit et l’avala ; c’est à la suite de cela qu’elle
devint enceinte, puis enfanta Sié (173). »
Kien Ti reçut de l’em pereur Chouen l’apanage de Chang, dans le Chen Si,
et son fils Sié, prince de Chang, fut ministre de l’Instruction publique sous
Yao et Chouen ; de lui descend T’ien Yi (174) qui reçut le nom posthume de
T’ang.
Les princes de Chang employèrent le nom d’un jour comme nom
personnel, Kia, Yi, etc ; les désignations des souverains régnants par les noms
de Ta Kia, Siao Kia, Ta Yi, Sao Yi, Ta ting, Tchoung ting sont probablement
dues aux additions des générations plus récentes pour les distinguer entre eux :
Les trente souverains Chang comprennent 6 Kia, 5 Yi, 6 Ting, 4 Keng, 4 Sin, 2
Jen, 1 Ping, 1 Mou et 1 Tche (175).
Henri Cordier Histoire générale de la Chine 84

T’ang 1766 -1754.


T’ang avait 87 ans quand il remplaça le dernier Hia sur le trône ;
« Les Chang ont toujours été dignes de recevoir le mandat du roi
du Ciel (le pouvoir impérial) ; quand parut T’ang, il se trouva
convenir pour ce dessein. Tang ne naquit ni trop tard (ni trop tôt).
Doué d’une éminente sagesse et très diligent, il fit des pro grès
chaque jour ; • 108 longtemps ses brillantes vertus touchèrent (le
cœur du roi du Ciel). Il honora le roi du Ciel, et le roi du Ciel le
créa empereur ; afin qu’il servit de modèle dans les neuf circon -
scriptions ou provinces (176) ».
Il fixa d’abord sa capitale à Po du Sud, près de Kouei Te fou, dans le Ho
Nan ; plus tard il la transféra à Po occidental, Yen che hien, Ho Nan. Yi Yin
qui l’avait aidé à triompher des Hia prit une part prépondérante dans
l’administration. A part ir de la deuxième année du règne de T’ang, il y eut une
sécheresse de sept ans qui causa dans l’Empire une terrible famine.
« L’em pereur coupa sa chevelure et ses ongles, puis se rendit dans
un bois de mûriers et s’offrit en victime expiatoire, en s’accu sant
de ses fautes ; aussitôt la pluie tomba, et la moisson fut abondante :
Ce fut en cette circonstance que Tchou fut ignominieusement
dégradé, comme incapable de remplir l’office divin de Patron des
moissons. K’i, fils de l’empereur Ti K’ou fut mis à sa place. C’est
le premier ancêtre de la dynastie des Tcheou (177). »
L’empereur T’ang avait eu trois fils : T’ai Tin qui mourut avant son père,
Wai Ping qui aurait régné deux ans et Tchoung Jen, quatre. Toutefois le
T’oung Kien Kang mou (178), contrairement à Se-ma Ts’ien et au Tchou Chou
Ki nien qui comptent Wai Ping et Tchoung jen comme empereurs, prétend que
le fils de T’ai Ting, T’ai Kia, étant plus âgé que ses oncles,
« fut choisi par Yi Yin et par les Grands, pour succéder à T’ang,
d’autant plus que Wai Ping et Tchoung jen, d’une complexion dé -
licate, paraissaient ne devoir pas vivre longtemps, et qu’ils
moururent effectivement dans l’année ».

T’ai Kia, 1753 -1721.


T’ai Kia, qui se montra ininte lligent et cruel, fut emprisonné dans son
palais, et Yi Yin exerça la régence. Pour la première fois dans l’histoire de
Chine, un nom de temple (miao hao), celui de T’ai Tsoung est donné à un
empereur (T’ai Kia) ; plus tard T’ai Meou reçut celui de Tchoun g Tsoung. Les
souverains Chang déplacèrent souvent leur capitale ; ainsi Tchoung Ting la
fixa à Ngao, dans la préf. • 109 de K’ai Foung (Ho Nan), tandis que Ho Tan
Kia la transfère à Siang, dans la même province ; le fils de celui-ci, Tsou Yi,
Henri Cordier Histoire générale de la Chine 85

quitte Sian pour Keng, dans la sous-préf. de Ho Tsin, au nord du Houang Ho,
préf. de P’ou Tcheou, Chan Si. Enfin P’an Keng, malgré le désir de son
peuple, abandonne Keng et s’installe dans le Po occidental, au sud du Ho,
dans l’ancienne résidence de T’ang, qu’il ap pela Yin, nom que porta
désormais la dynastie des Chang (1401).

Wou Yi.
D’une liste fastidieuse de souverains, je retiendrai le nom de l’empereur
Wou Yi (1198-1195) qui mourut frappé de la foudre à la chasse entre le Ho (il
avait abandonné Po pour se retirer au nord du Ho) et la Wei. Se-ma T’sien
nous dit que Wou Yi
« agissait d’une manière déraisonnable ; il fit une image de forme
humaine et l’appela l’Esprit du Ciel ; il joua avec elle (aux
tablettes) et ordonna à un homme de ranger (les tablettes) pour
elle ; l’Esprit du Ciel ayant perdu, il l’injuria et l’insulta. Il fi t un
sac en peau et le remplit de sang ; il le suspendit en l’air et tira sur
lui des flèches, disant qu’il tirait sur le Ciel » (179).
Une mort violente fut le châtiment du sacrilège. A ce sujet ; M. Chavannes
rappelle un article de M. James Darmesteter intitulé La Flèche de Nemrod qui
retrace la marche de ce mythe depuis son passage en Perse, dans les légendes
des Musulmans et des Juifs (180).

Sin.
Le dernier prince de cette dynastie fut Sin (1154-1123), surnommé
Tcheou, fils de l’empereur Yi qui, dit le T’oung Kien Kang mou , I, p. 283
« était un prince modeste, bon, mais de peu d’esprit, ne sachant ni
gouverner par lui-même, ni commander à ses ministres ».
« L’empereur Tcheou, dit Se -ma Ts’ien (181), (le Chou King, le
T’oung Kien Kang mou et le Tchou Chou Ki nien disent : Cheou)
se distinguait par des qualités supérieures pour le mal ; il entendait
et voyait avec beaucoup d’acuité ; sa force était surhumaine ; avec
la main il terrassait des animaux furieux. Son savoir lui permettait
de contredire les remontrances ; son habileté • 110 à parler lui
permettait de colorer ses mauvaises actions. Il intimidait ses
officiers par ses capacités, il s’éleva haut dans l’Empire par sa
renommée ; de la sorte il fit que tous étaient sous sa dépendance. Il
aimait le vin, la débauche et les réjouissances ; il s’adonnait aux
femmes. »
Un autre historien (182) nous dit qu’il
Henri Cordier Histoire générale de la Chine 86

« était d’un naturel très dangereux, grand parleur, extrêmement


vif ; et d’une force de corps si extraordinaire qu’il tuait les bêtes
féroces, sans d’autres armes que ses mains. Il possédait l’art
d’éluder les conseils qu’on lui donnait, et de cacher adroitement
ses fautes ; il était d’ailleurs, d’un caractère cruel, et enclin au
libertinage »
Les cruautés de Sin, étaient, sans nombre ; il inventa un supplice digne du
tyran Phalaris : il
« fit élever une colonne de cuivre, creuse en dedans, qu’il faisait
remplir de charbon ; l’extérieur était enduit de poix et de résine, et
quand cette colonne était ardente, on dépouillait les malheureux
qu’il avait condamnés à mort, et par le moyen de petites chaînettes
de fer, qu’il leur faisait attacher aux mains, il les contraignait
d’embrasser cette colonne, d’où on ne les dé tachait que lorsque
leur chair était toute dissoute (183) »
« Il avait coupé en tranches la chair du prince de Kouei (ou de
K’iou), l’avait fait sécher et l’avait servie aux princes dans un
festin.(184) »
Il avait épousé Kiang, la fille de Kiang Houan tch’ou, l’un des trois ducs
du palais ; sa femme ne se prêtant pas à ses débauches, il la fit mettre à mort
ainsi que son père ; irrité des remontrances de Ngo Heou, autre duc du Palais,
Sin le fit également massacrer et le troisième duc, le chef de l’Ouest (Si Pe)
Tch’ang fut jeté pen dant sept ans dans une prison à Yeou Li, où il se livra à
l’étude des koua dont il porta le nombre à 64 ; ces trois ducs, San Koung,
étaient les plus hauts fonctionnaires de l’Empire et venaient immédiatement
après le souverain. Cheou Sin avait épousé Tan Ki ou T’a Ki, fille du chef
barbare de la tribu Yeou sou, qu’il avait faite prisonnière ; et l’on attribue • 111
à l’influence néfaste que cette femme, pour laquelle il avait fait construire la
tour Lou t’ai, théâtre de ses débauches, avait su prendre sur l’esprit de
l’empereur, les malheurs et la chute des Chang. D’après le P. Martini, elle
aurait inventé la mode des petits pieds, ce qui me paraît douteux, comme
l’attribution par le P. Le Comte de la fête des Lanternes à Mei Hei, la
maîtresse de Kié, dernier empereur des Hia. T’a Ki s’était éprise de Pe -yi-
k’ao, fils aîné de Wen Wang, qui ne répondit pas à ses avances et dont elle
causa la mort cruelle.
Les Grands indignés se retournèrent vers le chef de l’Ouest dont le fils Fa,
connu depuis sous le nom de Wou Wang, se mit à leur tête.
« Les soldats de Yin ou Chang réunis (dans leurs campements),
étaient (nombreux et serrés) comme les arbres d’une forêt. Ils
furent rangés en bataille dans le désert de Mou ye. Mais les nôtres
seuls étaient pleins d’ardeur. (Ils dirent à Wou Wang) : « Le
Henri Cordier Histoire générale de la Chine 87

souverain Roi est avec vous, n’hésitez pas (à engager le combat)


(185). » (1122 av. J.-C.)
« Ce fut dans la plaine de Mou ye que Wou Wang accomplit sa
grande œuvre. En se retirant après l’avoir accomplie, il brûla un
amas de bois en l’honneur du roi du Ciel, adressa des prières (ou
annonça son triomphe) devant l’autel de la Terre, et présenta des
offrandes aux mânes de ses pères dans le palais de Mou ye :
Ensuite tous les princes de l’Empire, sous sa direction, portèrent
les offrandes dans les vases de bois ou de bambou, marchant en
toute hâte (et s’ empressant d’honorer les ancêtres de la famille des
Tcheou). Remontant (aux générations précédentes), il donna le titre
de wang, souverain de tout l’Empire à (son bisaïeul) Tan Fou qu’il
appela T’ai Wang, à (son aïeul) Li qu’il appela Wang Ki et à (son
père) Tch’ang, qu’il appela Wen Wang. Il ne voulut pas, en parlant
de ses honorables ancêtres, leur donner l’humble titre (de prince
feudataire) (186) ».
Mou ye se trouvait au sud de la sous-préf. de K’i, préf. de Wei Houei, Ho
Nan.
• 112 « Wou Wang, après avoir défait l’armée du prince de Yin (ou
Chang), alla à la capitale de ce prince. Avant même de descendre
de voiture ; il conféra la principauté de In aux descendants de
Houang Ti, celle de Tchou aux descendants de Yao, celle de
Tch’en aux descendants de Chouen. Lors qu’il fut descendu de
voiture, il conféra la principauté de K’i aux descendants des Hia, et
envoya les descendants des Yin dans la principauté de Soung. Il fit
élever un monticule sur la sépulture du prince impérial Pi Kan,
brisa les fers du prince de Ki, fit chercher et rétablir dans ses hon-
neurs Chang Young (ou bien, rétablir dans leurs charges les
anciens maîtres des cérémonies des Chang). Il accorda à tout le
peuple une administration plus douce. (que celle du tyran Tcheou),
et doubla les appointements des officiers inférieurs. (187) »
Tcheou Sin se précipita dans les flammes d’un bûcher ; son fils Wou Keng
fut bien traité par le vainqueur qui lui donna en fief ce qui restait du peuple
des Yin, c’est -à-dire la principauté de Young, dans le sud de Wei Houei fou,
Ho Nan. Quant à l’infâme Tan Ki, Wou le fit mettre à mort. Suivant la
tradition, mise en doute par Tchou Hi, rapportée par le P. Wieger :
« Fa ayant fait son entrée dans la ville, se rendit à la Tour des
Cerfs, tira trois flèches contre le cadavre de Tcheou Sin, descendit
de son char, le frappa de sa dague, lui coupa la tête avec sa hache
d’armes, et la sus pendit au grand étendard blanc. Ensuite, ayant
constaté que les deux favorites, Tan Ki et une autre que le texte ne
nomme pas, s’étaient étranglées, Fa leur décocha aussi trois
Henri Cordier Histoire générale de la Chine 88

flèches, les frappa de sa dague, coupa leurs têtes avec la hache du


bourreau et les suspendit au petit étendard blanc (188). »

Ecailles de tortue.
Un heureux hasard permet de jeter non pas un jour, mais une petite lueur
sur cette période de l’histoire chinoise à l’aide de documents insignifiants
dans les mains des ignorants, mais qui, étudiés par des savants, nous ont livré
les noms de quelques-uns des souverains de la dynastie des • 113 Yin, sans
toutefois fournir aucune date pour éclairer la chronologie. En 1899, à une
petite distance de Ngan Yang, dans la préf. de Tchang Té dans le Ho Nan, on
déterra du löss des milliers de fragments d’écailles de tortue et d’os d’animaux
couverts de caractères. Ces fragments transportés à Pe King furent achetés en
partie par un riche collectionneur, Wang Yi-Joung, dont le fils, après la mort
de son père, durant la rébellion des Boxeurs, les revendit à un nommé Lieou
T’ie -yun qui en publia un millier en 1903 dans un ouvrage. D’autres
fragments au nombre d’environ trois mille furent transférés à Wei Hien, dans
le Chan Toung, où un missionnaire protestant de cette ville, le Rév. F. H.
Chalfant, en acheta environ 400 qui furent, en février 1904, cédés à la Société
Asiatique de Chang Haï. D’autres fragments furent acquis par le Carnegie
Museum de Pittsburg, le Royal Scottish Museum d’Edimbourg, le Consul
anglais Lionel C. Hopkins, le Museum fur Völkerkunde de Berlin : néanmoins
la majeure partie resta entre les mains des Chinois. L’emploi de ces écailles de
tortue n’était pas douteux : elles servaient à la divination.
« On appelle pou la divination faite au moyen d’une ca rapace de tortue, et
chéu la divination faite au moyen de brins d’achillée. C’étai t en consultant la
tortue et l’achillée (et en s’appuyant sur leurs réponses) que les sages
souverains de l’antiquité obtenaient que le peuple eût confiance au choix des
saisons et des jours, honorât les esprits, observât les lois et les instructions.
C’ét ait aussi par ces deux méthodes qu’ils dissipaient les perplexités et les
doutes du peuple et triomphaient de son hésitation. Aussi a-t-on coutume de
dire :
« Si dans le doute vous avez consulté l’achillée (ou la tortue),
tenez-vous-en à sa réponse. Si elle vous a fixé un jour pour une
affaire, prenez ce jour. (189) »
Ce qui fait le grand intérêt de cette découverte, c’est que, au dire de M.
Chavannes, l’on retrouve sur certaines de ces écailles des noms tels que Ta
Kia, Tsou Sin, Tsou Ting, P’an Keng, Tsou Keng, etc., qui sont ceux d’em -
pereurs de la dynastie des Yin.
« Qui avait le droit • 114 de s’adresser à ces empereurs défunts ? Ce
ne pouvaient être que leurs descendants. Ces documents doivent
donc émaner d’un des derniers empereurs des Yin. En conclusion,
écrit M. Chavannes, ces documents malgré leur aspect fragmen-
Henri Cordier Histoire générale de la Chine 89

taire, présentent un grand intérêt. Tout d’abord, ils pa raissent bien


être les plus anciens monuments écrits de la Chine et ils permettent
de remonter à un stade de l’écriture que nous ne pouvions atteindre
jusqu’ici ; pour suivre les évolutions des formes graphiques des
caractères, ils apportent des indications toutes nouvelles. D’autre
part, ils sont gravés au couteau et on peut se demander si c’était la
une pratique réservée aux écailles de tortue et aux os, ou si on
écrivait de la même manière quand on écrivait sur bois ; la
question sera peut-être insoluble, car il y a peu de chances pour
qu’on retrouve jamais des fiches en bois datant du deu xième
millénaire avant notre ère. A un autre point de vue, ces débris
d’écaille et d’os ont une haute importance : jusqu’ici la d ynastie
des Yin était demi-légendaire... Les textes exhumés à Ngan Yang
marquent mieux la personnalité historique des Yin ... L’histoire
réelle de la Chine se trouve ainsi reculée de plusieurs
siècles (190). »

(115)Deuxième Dynastie :
Les Chang ou Yin (1766-1122), 30 règnes
Dynastie Hia • • • Dynastie Tcheou

Dates Noms
1 1766 Tch’eng T’ang ou T’ien Yi, † 1754. Li
2 Wei Ping Ching
3 Tchoung Jen Young
4 1753 T’ai Kia, † 1721. Tche
5 1720 Yu (ou Wo) Ting, † 1692. Siun
6 1691 T’ai Kong, † 1667. Pan
7 1666 Siao Kia, † 1650. Kao
8 1649 Young Ki, † 1638. Yeou
9 1637 T’ai Meou, † 1563. Mi
10 1562 Tchoung Ting, † 1550. Tchouang
11 1549 Wai jen, † 1535. Fa
12 1534 Ho T’an Kia, † 1526. Tchin
13 1525 Tsou Yi, † 1507. T’eng
14 1506 Tsou yin, † 1491. Tan
15 1490 Yu Kia ou Wo Kia, frère de Tsou Sin, † 1466. Yu
16 1465 Tsou Ting, fils de Tsou Sin, † 1434. Sin
17 1433 Nan Keng, † 1409. Keng
18 1408 Yang Kia, † 1402. Ho
19 1401 P’an Keng, † 1374. Yin
Henri Cordier Histoire générale de la Chine 90

20 1373 Siao Sin, † 1353. Soung


21 1352 Siao Yi, † 1325. Lien
22 1324 Wou Ting, † 1266. Tchao
23 1265 Tsou Keng, † 1259. Yao
24 1258 Tsou Kia, † 1226. Tsai
25 1225 Lin Sin, † 1220. Sien
26 1219 Keng Ting, † 1199. Ying
27 1198 Wou Yi, † 1195. K’iu
28 1194 T’ai Ting, † 1192. T’o
29 1191 Ti Yi, † 1155. Sien
30 11542 Tcheou ou Cheou Sin, † 1122. Cheou

*
**

2 Dans la chronologie du Tchou Chou Ki’nien cette date est 1102.


Henri Cordier Histoire générale de la Chine 91

CHAPITRE VI

Troisième Dynastie. Les Tcheou.

• 116 Nous avons vu que les Tcheou remontent à Heou Tsi, fils de
l’empereur K’ou et de sa première femme Kiang Youen, princesse de la
famille T’ai ; il avait été nommé Intendant de l’Agriculture par Yao ; et
Chouen lui donna en fief le pays de T’ai, sous -préf. de Kien, dans le Chen Si ;
de lui descend Tan Fou, fils du duc Chou Tsou Lei, qui fut attaqué par les
barbares Hioun yu, Joung et Ti :
« Les fruits de la courge, dit le Che King (191), naissent et se
développent les uns à la suite des autres sur la même tige (ainsi
notre nation a grandi peu à peu). Notre peuple est originaire de la
terre (de Pin) (192), où coulent la Ts’iu et la Ts’i. Au temps de
l’ancien prince Tan Fou, il habitait des huttes et des cavernes
disposées en forme de fours ; il n’avait pas encore de maisons ni de
bâtiments. »
Tan Fou, nommé plus tard T’ai Wang, fixa sa résidence (1325 av. J. -C.) à
Tcheou Youen, dans la sous-préf. de K’i Chan, préf. de Foung Siang (Chen
Si), et donna par suite à sa principauté le nom de Tcheou d’après la plaine qui
s’étendait au sud du mont K’i. Son petit -fils Tch’ang fut le Chef de l’Ouest (Si
Pe), canonisé par son fils, Tcheou Koung, sous le nom de Wen Wang. Ainsi
que nous l’avons dit, il fut l’un des trois Ducs du Palais ; par ordre du tyran
Tcheou Sin il fut emprisonné pendant sept années à Yeou Li Tch’eng, dans la
préf. de Tchang Te, Ho Nan. Il divisa la terre de Tcheou ou de K’i Tcheou en
deux parties, en donnant la partie orientale • 117 à son fils cadet Tan, avec le
titre de Tcheou Koung, duc de Tcheou, et la partie occidentale à Che, son
ministre, avec le titre de Chao Koung, duc de Chao. Si Pe quitta le sud du
mont K’i et transféra sa capitale à Foung, dans la préf. de Si Ngan ; il mourut
une année après (1135 av. J.-C.) avant d’avoir vu la chute des Chang.
Wou Wang.
Son fils Fa, né en 1169, connu dans l’histoire sous le nom de Wou Wang,
est le premier empereur de la dynastie des Tcheou. Il suivit l’exemple de son
père et récompensa les services de ses ministres : Lu Chang, surnommé T’Ar
Koung Wang, fut nommé Grand Précepteur ; Tcheou Koung fut Assistant, et
les ducs de Chao et de Pi furent désignés pour être les Précepteurs royaux de
gauche et de droite. Après qu’il eut défait Tcheou Sin à Mou ye (1122),
n’écoutant que la générosité de son cœur, Wou fit une large distribution de
principautés, et ce morcellement de l’Empire fut une des causes principales de
l’affaiblissement graduel des Tcheou et de leur décadence finale. En suivant
Henri Cordier Histoire générale de la Chine 92

cet exemple et en créant de grands fiefs comme le Duché de Bourgogne, les


rois de France se créèrent des rivaux dangereux et conduisirent leur royaume à
deux doigts de sa perte : Ma Touan-Lin rapporte (Peuples orientaux, pp. 1-2)
que
« le Tchao Sien est le pays dont Wou Wang conféra la
souveraineté à Ki Tseu, premier ministre de la dynastie (déchue) de
Yin. Ce Ki Tseu enseigna aux indigènes les rites, la morale, l’art de
cultiver la terre et celui d’élever les vers à soie. Il leur donna, de
plus, des lois renfermées dans huit articles » (1119).
« Le roi Wou, nous dit Se-ma Ts’ien (193), eut une pensée
rétrospective pour les anciens rois sages ; il éleva donc le
descendant de Chen Noung en lui donnant un fief à Tsiao (Ho
Nan) ; (il conféra) au descendant de Houang Ti le fief de Tchou
(préf. de Tsi Nan, Chan Toung), au descendant de l’empereur Yao
le fief de Ki (Ta Hing, préf. de Chouen T’ien ; Pe king) : au
descendant de l’empereur Chouen le fief de Tch’en (Ho Nan), au
descendant de Yu le Grand le fief de K’i (préf. de K’ai Foung, Ho
Nan).
• 118 Puis il donna des fiefs aux ministres qui avaient fait des
actions d’éclat et à ceux qui avaient donné des avis ; or le
Précepteur, le vénérable Chang, fut le premier à recevoir un fief ;
(le roi Wou) donna Ying K’ieou en fief au vénérable Chang et (ce
pays) s’appela Ts’i (préf. de Ts’ing Tcheou, Chan Toung) ; il
donna K’iu Feou en fief à son frère cadet, le duc de Tcheou, Tan,
et (ce pays) s’appela Lou (Chan Toung) ; il donna en fief au duc de
Chao, Che, (le pays de) Yen ; il donna en fief à son frère cadet, le
puîné Sien, (le pays de) Kouan (préf de K’ai Foung, Ho Nan) et à
son frère cadet, le puîné Tou, (le pays de) Ts’ai (préf. de Jou Ning,
Ho Nan). Les autres reçurent des fiefs chacun à son tour ».
Wou, qui régnait par la vertu du bois transféra sa résidence à Hao, dans le
Hien Yang hien actuel, au S.-O. de Si Ngan ; il traça aussi près du confluent
des rivières Yi et Lo, dans le Ho Nan, le plan de la future ville de Lo qui
devait être la capitale des Tcheou depuis P’ing Wang (770 -720 av. J.-C.)
jusqu’au milieu du VIe siècle.
Tch’eng. Légende de Tcheou Koung.
Wou mourut en 1116, âgé de 93 ans ; son fils Soung lui succéda sous le
nom de Tch’eng Wang, mais à cause de son extrême jeunesse, treize ans, son
oncle Tcheou Koung, le duc de Tcheou, qui avait été le fidèle conseiller de
Wou Wang, exerça la régence. Tcheou Koung est l’un des per sonnages les
plus célèbres de l’antiquité chinoise à cause de sa sagesse et de sa vertu qui
l’ont fait comparer aux illus tres empereurs Yao et Chouen. On lui l’attribue,
sans preuve, l’invention de la boussole ( Tche Nan tche) qui servit à retourner
Henri Cordier Histoire générale de la Chine 93

dans leur pays à des envoyés à la cour de Tch’eng Wang du royaume de Yue
Tchang Chi, royaume situé au sud du pays de Kiao Tchi ou du Tong King qui
jusqu’alors n’avait jamais envoyé d’ambassadeur en Chine. Le Tchou Chou Ki
nien mentionne sans détails la visite du chef des Yue Tchang la dixième année
du règne de Tch’eng Wang. Parmi les présents que Tch’eng Wang envoyait à
leur prince
« étaient cinq chariots, d’une nouvelle invention. Ces chariots
mettaient à couvert et indiquaient en même temps la route qu’ils
tenaient, par le moyen d’une petite boîte, faite en forme de pavillon
ou de dame, suspendue • 119 à l’impériale, dans laquelle était une
main qui marquait toujours le sud, de quelque côté que les chariots
tournassent. C’est pour cette raison qu’on les appella Tche Nan
tché ou Chariot du Sud. Cette machine fut d’une grande utilité aux
envoyés de Yue Tchang Che ; car, arrivés au royaume de Fou Nan
lin, sur le bord de la mer, ils montèrent des barques, et par le
moyen de cette boussole, ils ne mirent qu’un an pour retourner
dans leur royaume (1110) (194). »
Il est bon de noter que ni le Chou King, ni Se-ma Ts’ien ne parlent de cette
ambassade qui est mentionnée pour la première fois dans l’introduction au
Chou King, de Fou Cheng, mais sans allusion aux chariots du Sud. Le Dr
Legge considère ambassade et invention de la boussole comme des
légendes (195).
« La septième année, Tcheou Koung remit l’adminis tration entre
les mains de Tch’eng Wang. Celui -ci, considérant que son oncle
avait bien mérité de tout l’Empire le constitua prince de Lou, avec
la ville de K’iu Feou pour capitale, et lui donna un territoire qui
avait 700 stades en tous sens et pouvait entretenir mille chariots de
guerre. Il voulut que d’âge en âge les princes de Lou fissent des
offrandes aux mânes de Tcheou Koung avec les cérémonies, les
chants et les instruments de musique réservés au Fils du Ciel.
(196) »
A peine eut-il pris le pouvoir que Tcheou Koung. eut à réprimer une
rébellion fomentée par ses frères cadets Sien, prince de Kouan, et Tou, prince
de Ts’ai, conjointement avec Wou Keng, héritier des Yin, dont ils
administraient le territoire ; ce dernier et Kouan furent punis de mort ; Ts’ai
fut exilé dans la terre de Kouo Lin ; mais son fils Hou, Ts’ai Tchoung., étant
très adonné à la pratique de la vertu, Tcheou Koung le créa ministre d’État »,
et plus tard, après la mort de son père, « lui conféra au nom de l’empereur la
principauté de Ts’ai. (197) » Quant aux partisans de • 120 Wou Keng qui
occupaient la principauté de Young, au sud de Wei Houei fou, dans le Ho
Han, ils en furent expulsés et transportés dans la ville nouvellement construite
de Lo et ses environs ; à leur place, on installa K’i, vicomte de Wei, premier
Henri Cordier Histoire générale de la Chine 94

ancêtre de Confucius, qui établit sa capitale à Soung (dans la préf. de Kouei


Te, Ho Nan).
« Au troisième mois (de la septième année de Tch’eng Wang), la
lune commençait à décroître (le lendemain de la pleine lune) ;
Tcheou Koung traça les fondements et entreprit la construction
d’une nouvelle grande ville à Lo, au milieu des principautés
orientales (198). »
Tcheou Koung fut d’ailleurs aidé dans sa tâche par le prince de Chao. La
ville de Lo se composait de deux parties ; l’une
« où était la résidence impériale Wang Tch’eng, à pr ésent la ville
de Ho Nan fou, se trouvait entre la Kien et la Tch’en, à l’est de la
Kien et à l’ouest de la Tch’en ; la partie basse hia tou ou Lo Yang,
occupée par le peuple était à l’est de la Tch’en. Elles étaient
séparées l’une de l’autre par une dista nce de 18 li (199) » (1109).
La résidence de Tch’eng Wang était à Hao, 25 li à l’est de Foung qui avait
été la capitale de Wen Wang et qui possédait le temple des ancêtres de la
famille impériale. On donna à Hao le nom de Tsoung Tcheou, la grande capi-
tale, ou de Si Tou, la capitale occidentale, pour la distinguer de la seconde
capitale, Lo, Wang Tch’eng , ville impériale, ou Toung Tou, capitale orientale.
Au bout de sept ans, Tcheou Koung abandonna le pouvoir et mourut en
1105 ; il fut enterré avec des honneurs impériaux.
Tch’eng Wang eut à lutter contre les barbares de la rivière Houai et ceux
de l’est ; il détruisit le pays de Yen (dans la sous-préf. de K’iu Feou, Chan
Toung) dont le prince fut déporté à Pouo Kou (Po P’ing, da ns la même
province). C’est la troisième année de Tch’eng -Wang, (1113) que serait venue
une mission du royaume de Néré, Nélé, ou Nili, que Terrien identifie avec
Norai (Mogaung) à • 121 l’ouest de l’Irrawadi entre le Manipuri et
Momein (200), Pauthier avec l’Égypte (201), Julien avec Nâla, près de Magadha
et Schlegel, le pays des Tchouktchi ; au nord-est du Kamtchatka (202). Ils
avaient abandonné leur pays en marchant au milieu d’une nuée ambulante et
quelques-uns d’entre eux s’embarquèrent dans des jonques. Le royaume de
Nili fit présenter ses hommages à l’empereur Hiao Houei en 193 av. J. -C.
« Les gens de ce pays étaient hauts de quatre pieds. Ils portaient
deux cornes ressemblant aux cocons du ver à soie, et des dents
sortaient de leurs lèvres : Depuis leurs tétins jusqu’au bas ils
avaient un poil subtil dont ils étaient entièrement couverts (203). »
Tch’en Wang eut pour successeur son fils Tchao, avec le nom de K’ang,
sous la direction des ducs de Chao et de Pi, petite principauté située, près de
Si Ngan ; le prince de Pi fut nommé par K’ang Wang le chef des princes de l a
partie orientale de l’Empire ( Toung pe) dont la résidence était la ville de Lo ; -
le prince de Chao fut prince de l’Ouest ( Si Pe). Les tombes des premiers
Henri Cordier Histoire générale de la Chine 95

Tcheou se trouvent au nord de Hien Yang, non loin de la rive gauche de la


Wei, dont Terrien place la résidence entre Karacharh et Kou Tcha (204).

Tchao, Mou.
K’ang lui -même fut remplacé par son fils Hia, sous le nom de Tchao ; ce
prince faible disparut noyé dans le Han ou le Kiang, soit par accident, soit
intentionnellement. Man, son fils, monta sur le trône sous le nom de Mou ; il
rétablit l’ordre et le pouvoir affaibli dans l’Empire ; renouvela les règles des
grands ancêtres de la dynastie, Wen et Wou, réforma la code pénal du marquis
de Lou, Pai Kin, mort en 1063, substituant, dans les cas douteux une amende à
la peine prononcée, et châtia les K’iouen Joung, Barbares de l’ouest de la
Chine, dans la province actuelle de Kan Sou. Suivant Mailla, Mou trouva le
pays désert et ne rapporta que quatre loups et quatre cerfs blancs. Grand
voyageur, l’empereur s’absentait fréquemment de la Cour, conduit • 122 vers
l’ouest, vers les sources du Houang Ho, par son célèbre cocher Tsao Fou.
C’est sans doute à son humeur vaga bonde que ce prince s’est vu rattacher la
légende du fameux roi de Perse Djemchid qui aurait épousé une fille de
Mahang, roi de Ma Tchin (la Grande Chine) qui ne serait autre que notre Mou
Wang. Djemchid aurait eu deux filles de ce mariage ; il est poursuivi par
l’Arabe Zohak à travers l’Inde et la Chine ; nous verrons d’ailleurs plus loin
la légende chinoise se mêler à la légende persane à diverses reprises.

Si Wang Mou.
A Mou Wang, se rattache également une légende fameuse en Chine, celle
de Si Wang Mou ; Se-ma Ts’ien n’en parle pas mais on lit dans le Tchou Chou
Ki nien :
« La 17e année, le roi marcha à l’ouest vers les monts Kouen
Loun : Il vit Si Wang Mou (littéralement Reine-Mère d’Occident).
Cette année, Si Wang Mou vint à la cour et rendit hommage dans
le pays de Tchao (205) ».
On avait pu lire déjà dans le même ouvrage sous le règne de Chouen :
« La 9e année (1034), Si Wang Mou vint rendre hommage ».
On s’est demandé quel était le personnage désigné par ce nom de Si Wang
Mou. Les anciens Jésuites, ainsi, que de nos jours M. A. Forke, en ont fait la
Reine de Saba. M. H. A. Giles voyait un paon dans l’oisea u qui accompagne
Si Wang Mou, dont il n’hésite pas à faire Hera ou Junon (206), Reine mystique
demeurant dans un Paradis dans l’Occident mystérieux (207).
Ma Touan-Lin, suivant une ancienne tradition conservée chez les A-Si,
rapporte que c’est chez les T’iao Tche que se trouve la Mère du Roi
d’Occident (208).
Henri Cordier Histoire générale de la Chine 96

Le Rév. E.-J. Eitel nous dit que les trois caractères de Si Wang Mou ne
sont probablement qu’une translité ration d’u n nom appartenant à une langue
polysyllabique non chinoise, que rien n’indique que ce chef fut une femme.
L’ouvrage Mou Tien tseu tchouan, publié pour la première fois sous les Tsin
(265-313 ap. J.-C.) traduit par Eitel, • 123 donne le récit de la visite de Mou à
Si Wang Mou qui reçut du prince Tcheou 400 pièces de ruban et récita des
vers en l’honneur de son hôte (209). Terrien nous dit également que Si Wang
Mou signifie le Wang Mou de l’Ouest, et que ce Wang Mou n’est sans aucun
douté qu’un essai de donner une signification au nom étranger ou au titre du
souverain dont il est question (210). M. Chavannes va plus loin et présente une
théorie toute nouvelle (211).
« A une époque plus tardive, le nom de Si-Wang-Mou ne fut plus
compris comme une simple transcription phonétique d’un mot
étranger ; on interpréta chacun des caractères qui le composent et
on en fit « la mère-reine d’Occident » ; c’est alors que toutes les
légendes, relatives à la reine-mère d’Occident s’agré gèrent à la
tradition du voyage du roi Mou dans l’ouest. On peut aller plus
loin, si le personnage appelé Si Wang Mou n’est pas essentiel dans
le récit du voyage, le roi Mou lui-même ne l’est pas davantage.
Dans les Annales principales des Tcheou, Se-ma Ts’ien ne
mentionne pas ce voyage lorsqu’il raconte le voyage du roi Mou ;
il en parle au contraire dans les Annales principales des Ts’in ; cela
signifie, puisque Se-ma Ts’ien n’est jamais qu’un compi lateur, que
le récit du voyage était une tradition inconnue dans les chroniques
du pays des Tcheou et qu’elle a eu son origine dans le pays de
Ts’in. Quel est en effet le noyau de la légende ? C’est Tsao fou
[cocher du roi Mou] et son attelage de chevaux merveilleux dont
on conservé les noms étranges. Mais comme Tsao fou passe pour
avoir vécu an temps du roi Mou, les érudits ont rapproché le
voyage dans l’ouest, du nom de ce roi. C’est ainsi que la légende
qui prit naissance dans le Chen Si, à une époque où les habitants de
Ts’in étaient encore barbares, a été d’abord rat tachée à l’histoire du
royaume du Milieu en vertu d’une prétendue concordance
chronologique entre Tsao-fou et le roi Mou, puis s’est grossie de
toutes les fables qui se sont formées autour du contre-sens commis
sur le nom de Si Wang-Mou. »
• 124 La théorie de Chavannes n’est guère acceptable non plus et je me
rallierais plutôt à l’opinion de M. Henri Maspero qui remarque que pour
l’auteur du Mou tien tseu tchouan comme pour ceux du Chan Haï King, Si
Wang Mou n’est pas un personnage historique, c’est une divinité féminine :
Suivant un passage du Chan Hai King qu’il cite
« nous avons la clef du personnage : Si Wang Mou pour les
Chinois du IVe siècle et du IIIe siècle avant J.-C. était la déesse
présidant aux épidémies. Dans la Chine du nord-ouest les
Henri Cordier Histoire générale de la Chine 97

épidémies sévissent en automne ; or l’automne est yin et


correspond à l’Occident, donc la divinité des épidémies d’automne
est nécessairement féminine (yin) et doit résider en Occident.
D’autre part la div inité qui préside aux épidémies n’est pas
seulement celle qui les envoie, mais aussi celle qui les arrête, elle a
donc un aspect bienfaisant. De là à la transformer en divinité
surtout bienfaisante, il n’y avait qu’un pas ; de même dans l’Inde,
vers la même époque, l’ogresse Hariti devient une divinité
protectrice des enfants. En Chine l’introduction de la légende
indienne de Meru dut hâter encore la transformation : la montagne
et l’arbre d’immortalité qui y poussent tombent dans le domaine.
de la Dame Reine d’Occident, et celle -ci devient la dispensatrice
des prêches d’immortalité ; c’est ainsi qu’elle apparaît nettement
sous les Han, dans les légendes du cycle de Tong-fang Cho et de
l’empereur Wou. L’évolution est alors entièrement achevée, et des
temps où elle était la déesse des épidémies, il ne reste rien, même
pas le souvenir.
Au sujet de Tsao Fou qui fut l’ancêtre de la maison de Tchao, Se -ma
Ts’ien, II. pp. 5 -9, nous apprend qu’à
« cause qu’il excellait à conduire les chevaux, il fut en faveur
auprès du roi Mou, de la dynastie Tcheou ; il avait le quadrige de
Ki, Tao-li, Houa lieou et Lou eul. (Le roi Mou) alla dans l’ouest
inspecter les fiefs ; il s’y plut et oublia de revenir. Le roi Yen, de
Siu, fit des troubles. Tsao Fou était cocher du roi Mou ; il revint
dans (le pays de) Tcheou à toute vitesse, parcourant 1000 li par
jour, afin de parer aux troubles. Le roi Mou donna la ville de Tchao
en fief • 125 à Tsao Fou ; c’est à partir de ce moment que la descen -
dance de Tsao Fou devint la famille Tchao. »
Dans tous les cas, la légende de l’entrevue de Mou Wang et de Si Wang
Mou est restée vivace et elle a inspiré maintes fois les sculpteurs de l’époque
des Han, par exemple dans leurs scènes représentées sur les parois des cham-
brettes funéraires de la famille Wou, au Chan Toung.

Koung.
Quand I Hou remplaça son père Mou, âgé de 104 ans, sur le trône, sous le
nom de Koung, il avait déjà 72 ans. Il tomba amoureux des trois filles de
Kang Koung, descendant de Fou Hi, mais leur père les ayant soustraites à la
passion du prince, celui-ci fit détruire la ville de Mi où elles s’étaient
réfugiées. Le roi se repentit d’ailleurs de ce crime qu’il tâcha de réparer
pendant le reste de son court règne de douze ans. Il eut pour successeurs son
fils Kien sous le nom de Yi, son frère Pi Fang sous le nom de Hiao, puis Yi,
fils aîné de Yi, sous le nom de Sié dont le fils Hou fut roi à son tour sous le
Henri Cordier Histoire générale de la Chine 98

nom de Li. Li signala le début de son règne par l’assassinat de Pou Tchen, fils
de Tsi, et par la faveur qu’il témoigna au duc de Ying ; la cruauté de ce prince,
son arrogance, sa tyrannie amenèrent un soulèvement et Li fut obligé de fuir à
Tche (préf. de P’ing Yang, Chan Si ), où il mourut en 828. Pendant l’exil de
Li, les ducs de Chao et de Tcheou exercèrent la régence, dont la première
année, suivant Gaubil, p. 39, est 841 av. J.-C. C’est à 842 que le prof. E. H.
Parker considère que l’histoire de Chine commence (212).

Siouen.
Hou, duc de Chao, désigné sous le nom posthume de Mou, soumit les
barbares au sud de la Houai ; le fils de Li, Tsing, qui avait été sauvé par le duc
de Chao monta sur le trône sous le nom de Siouen. Dans la trente-neuvième
année de son règne (789 av. J.-C.), Siuen fut complètement battu et faillit être
fait prisonnier à Ts’ien Meou (Chan Si) par les Joung des tribus Kiang ; il se
retira à T’ai Youen où il fit faire le dénombrement de son peuple, leva une
nouvelle armée et défit les Joung. On • 126 fait remonter à l’époque de ce
prince les dix tambours ou cylindres de pierre (Che kou) rangés sur deux rangs
de chaque côté et à l’intérieur de la porte principale du Temple de Confucius à
Pe-king, où ils furent transportés au commencement du XIVe siècle ; ils
avaient été découverts, à moitié enfouis dans le sol, dans un terrain abandonné
de Foung siang fou, dans le Chen Si, au début de la dynastie des T’ang ; ils
portent des vers en caractères tchouan (caractères de sceau) traitant de la
chasse et de la pêche ; la majorité des savants chinois les considèrent comme
authentiques et fournissant un exemple des caractères en usage au
commencement des Tcheou (213).

Yeou.
Le fils de Siouen, Koung Nié monta sur le trône sous le nom de Yeou
(781-771) : sans respect pour la mémoire de son père, n’ob servant pas les rites
funéraires, cruel et vicieux, Yeou s’abandonna à toutes ses passions. L’année
suivante (780) les trois rivières du Chen Si, la Wei, le King, affluent de
gauche de la Wei, et le Lo, affluent du Houang Ho, furent soulevées par un
tremblement de terre, puis se desséchèrent, ce qui fut considéré comme un
mauvais présage pour la dynastie des Tcheou. En 779, Yeou s’éprit de Pao Se,
enfant trouvée à laquelle on attribua une origine surnaturelle ; elle avait pour
mère une femme du palais de rang inférieur, qui, quoique non mariée, l’aurait
portée dans son sein quarante ans suivant la légende ; l’enfant fut jetée par
ordre de l’impératrice dans la rivière Tsing Chouei, mai s fut miraculeusement
sauvée ; Yeou en eut un fils Po Fou qu’il substitua à l’héritier présomptif Yi
Kieou dont il répudia (773) la mère, fille du marquis de Chen, outrage sans
précédent dans l’histoire chinoise ; Chen (Nan Yang fou, Ho Nan) allié aux
princes de Tcheng et de Tsin et aux K’iouen Joung tua Yeou à Lin Toung hien
(district de Si Ngan) ; Pao Se s’étrangla.
Henri Cordier Histoire générale de la Chine 99

P’ing.
Yeou fut remplacé par Yi Kieou sous le nom de P’ing (770 -720). On lit
dans le Tch’ouen Ts’ieou :
« Les princes de Tcheng Wou Koung et son fils Tchouang Koung
furent successivement grands ministres d’État de l’empereur P’ing
Wang. L’empereur voulut • 127 diviser l’autorité administrative
entre le prince de Tcheng et le prince de Kouo occidental. Le
prince de Tcheng en fut indisposé contre l’empereur. L’empereur
renonça à son dessein, et dit : « Non, qu’il n’en soit pas ainsi ». En
conséquence, l’empe reur et le prince de Tcheng se donnèrent des
otages (214) »
Ce prince eut tout d’abord à repousser les barbares qui l’avaient aidé à
monter sur le trône et qui refusaient de se retirer, mais, malgré sa victoire,
craignant leur retour, il se décida à transférer sa capitale à Lo Yang,
emmenant avec lui Kiue Tou, fils de Houan Koung, prince de Tcheng, qui
avait été tué par les Joung en 773 : il céda lors l’ancien fief de sa famille, Hao,
au prince Siang, de Ts’in, qu’il créa tchou heou. Gaubil nous dit, p.42, que
Siang
« par la cession que l’empereur lui fit devint puissant. Il se
comporta ensuite comme prince indépendant, et s’arrogea le droit
impérial de sacrifier solennellement au Chang Ti. Siang Koung fit
graver sur un grand vase l’acte de cession que lui fit l’empereur.
P’ing -Wang a, dans ce monument, le titre de roi céleste. Ce
monument fut trouvé dans le Chen Si, du temps de T’ai Toung,
empereur de la dynastie Soung ».
La décadence des Tcheou commence alors que grandit la puissance des
Ts’i, des Tch’ou, des Ts’in et des Tsin.

Royaumes des Tchou’en Ts’ieou .


[Lou — T’si — Tsin — Ts’in — Tch’ou — Wei — Ts’ai — Tcheng — Ts’ao — Tch’en —
T’eng — K’i — Soung — Wou — Tchou — Kiu — Sié — Hiu — Siao Tchu — Yen — Han]
En 721, le duc Yin remplace son père Houei sur le trône de Lou ; c’est
avec cette année que Confucius fait commencer le Tch’ouen Ts’ieou
(Printemps et Automne), qui renferme les Annales de la Principauté de Lou
(721-481), sa patrie. L’Empire était alors divi sé en vingt et une principautés
ou royaumes (215).
1° Lou (1122-249), territoire de Yuen Tcheou fou, près de K’iu Feou hien,
Chan Toung, fondé par Tcheou Koung, frère de Wou Wang. (1121) ; finit
Henri Cordier Histoire générale de la Chine 100

avec K’ing Koung (273) qui régna 24 ans ; cette principauté fut détruite en
249 par Kao li Wang, de Tch’ou, après avoir duré 873 ans et compté 35
princes ; le prince était heou, marquis, et son nom de famille était Ki.
2° • 128 T’si (1076 -220), formait la moitié du C’han Toung ; le premier
prince fut Chang Fou, appelé T’ai Koung (1122) qui la reçut de Wou Wang et
le dernier K’ang Koung (4044), qui régna 26 ans : le prince était heou et son
nom de famille était Kiang. Cette principauté, après une durée de 744 ans, et
avoir compté 29 princes, fut détruite en 379 par les Tien Ts’i ; ceux-ci
commencèrent en 386 avec Tien Ho et finirent avec le septième de leur prince,
Wang Kien qui régna 44 ans ; cette principauté, après une durée de 166 ans,
fut détruite par Ts’in Che Houang -ti en 221.
3° Tsin (1106-376), région de T’ai Youen fou (Chan -Si) et une partie du
Ho Nan et du Tche Li ; capitale Kiang, dans le Kiang Tcheou ; elle fut
gouvernée par Yao ; elle était l’ancienne province impériale de Ki Tcheou ;
d’abord appelée T’ang ; cette principauté fut donnée par Tch’eng Wang à son
frère Chou Yu (1115) dont le fils Sié (1102) donna à ses possessions le nom
de Tsin, rivière qui les bordait au sud ; 40 princes ; le dernier prince Tsing
Koung (378), après trois années de règne fut détrôné par les trois grands
fonctionnaires Wei, Han et Tchao qui s’étaient partagé le pays dès 403 ; le
prince était heou et son nom de famille était Ki.
4° Ts’in (908 -245), dans le Chen Si qui comprenait le Kan Sou, eut pour
première capitale Ts’in Tcheou dans le Ts’ing Chouei hien ; cette principauté
fut donnée par l’empereur Hiao Wang (908 -894) à Fei Tseu, descendant de Pe
Yi, ministre de Chouen et de Yu ; mais le prince véritable est le duc Siang
(771, P’ing Wang) ; la principauté finit avec Tchao Siang Wang ; les Ts’in
renversèrent les Tcheou et se proclamèrent empereurs en 255 ; il y a eu
jusqu’à Eul Che Houang Ti, 42 princes de Ts’in.
5° Tch’ou ou Tsou (1122-223), dans le Hou Kouang ; fondée par Hioung
Yi (1122), elle finit avec Wang Fou Tch’ou (227) qui régna 5 ans ; 41
princes ; le prince était tseu et prenait le titre de Wang et son nom de famille
était Mi. Après une durée de 893 ans, cette principauté fut détruite en 223 par
Ts’in Che Houang Ti.
6° • 129 Wei, dans le nord du Ho Nan, partie méridionale du Wei Houei
fou, capitale Tchao Ko, au nord-est de Ki Hien ; donnée par Wou Wang à son
frère K’ang Chou (1115) † 1079 ; 42 princes ; le nom de famille était Ki et le
prince était heou. Elle fut détruite après une durée de 907 ans par Eul Che
Houang-Ti en 209, le dernier prince Kiun Kio étant déposé.
7° Ts’ai (1206 -446), dans le sud-est du Ho Nan, capitale Jou Ning fou ;
créée en 111, pour Ts’ai Chou ; son dernier prince fut Heou Ts’i (450) qui
régna 4 ans ; 25 princes ; le prince était heou et son nom de famille était Ki.
La principauté dura 675 ans, et fut détruite en 447 par Houei Wang, roi de
Henri Cordier Histoire générale de la Chine 101

Tch’ou ; la principauté détruite une première fois par Tch’ou en 531, avait été
rétablie en 529.
8° Tcheng (805-374), dans le Ho Nan, capitale Tcheng Tcheou ; cette
principauté fut donnée en 806 par l’empe reur Siouen à son frère You, dont le
nom posthume est Houan Koung ; le fils de Houan Koung reçut de P’ing
Wang un fief à l’est de Lo Yang qui fut appelé Sin Tcheng (Nouvelle Tcheng)
qui est dans le fou actuel de K’ai Foung ; 23 princes ; le prince était Pe et son
nom de famille était Ki. Le dernier prince K’ang Koung (395) régna 21
années, et sa dynastie qui avait duré 432 ans fut détruite en 375 par le prince
de Han, Ngai Heou.
9° Ts’ao (1051 -486), dans le sud-ouest du Chan Toung (Ts’ao hien) ; fut
donné en 1122 par Wou Wang à Tchen To son frère (1122), le prince était Pe
et son nom de famille était Ki ; 26 princes ; finit avec Pe Yang qui fut fait
prisonnier en 487, par le duc King de Soung.
10° Tch’en (853 -478), dans le Ho Nan (Tch’en Tcheou), au sud de Soung
et de K’i, fut donné en 1122 par Wou Wang au fils de Ngo Fou, directeur des
poteries impériales, descendant de Chouen, Man, qui reçut le nom posthume
de Hou Koung ; mais son histoire ne commence qu’en 853 avec Yeou Koung,
le nom de famille était Kouei ; 24 princes. Cette principauté finit avec Min
Koung qui régna 24 ans ; après avoir duré 645 ans, elle fut détruite (479) par
Houei Wang, roi de Tch’ou ; le roi de Tch’ou avait détruit une • 130 première
fois en 582 cette principauté qui fut rétablie en 529.
11° T’eng, dans le Chan Toung, capitale Yen Tcheou, créée pour la
postérité de Chou Sieou, frère de l’empereur Wou, représentée par Siouen
Koung (665) ; le prince, était heou et son nom de famille était Ki. Ce royaume
fut conquis en 415 par Yué.
« T’eng était au sud de T’eng Hien, dans le Yen Tcheou fou, Chan
Toung. Le Prince de T’eng était issu de Wen Wang, et appartenait,
comme le prince de Lou, à la famille impériale des Tcheou. Sié
était au S.-E. de T’eng Hien. Le Prince de Sié descendait, disait -on,
de Houang Ti. Son nom de famille était Jen. Ses ancêtres avaient
été créés princes de Sié sous la dynastie des Hia (216). »
12° K’i, petit État, au sud-ouest de Soung, dans le Ho Nan, territoire de
K’ai Foung ; créé en 1122 pour Toung leou Koung ; détruit en 445 par les
Tch’ou sous le règne de Lan Koung (453) qui régna 9 ans. Le prince était Pe
et son nom de famille était Seu.
13° Soung (1077-285), dans l’est du Ho Nan, pays de Kouei Te fou ; la
capitale de Soung, dans le Kouei Te fou, était séparée par le Fleuve Jaune, de
la capitale des Wei, dans le Wei Houei fou ; créée en 1122 pour Wei Tseu †
1078 ; 32 princes ; le dernier prince fut Soung Wang où Yen (328) Qui régna
43 ans. Le prince était koung et son nom de famille était Tseu. Après une
Henri Cordier Histoire générale de la Chine 102

durée de 829 ans, la principauté fut détruite (286) par les Ts’i, les Tch’ou et
les Wei.
14° Wou (1290-472), comprenait presque tout le Kiang Nan, avec Wou Si,
et Sou Tcheou, comme capitales ; il comprenait même Hang Tcheou, avec la
partie nord du Tche Kiang ainsi que la partie nord du Kiang Si, mais la partie
ouest du Ngan Houei appartenait au royaume de Tch’ou. Il repré sentait
vraisemblablement le Yang Tcheou, l’une des neuf provinces de Yu le Grand ;
il était habité, à l’époque an cienne, par les barbares Man. On fait remonter son
histoire à T’ai Pe, fils de T’ai Wang, descendant de Heou Tsi ( c. 2356 av.
J.-C.). Son premier prince fut Tcheou Tchang (1122) ; • 131 mais son histoire
ne commence réellement qu’avec Cheou Moung (585), le dernier prince fut
Fou Tch’ai (495) qui régna 23 ans ; le prince était heou et son nom de famille
était Ki ; le royaume fut détruit par Keou Tsié, roi de Yué en 473 ; il avait
compté 25 princes.
15° Tchou, petite principauté créée par Wou Wang, dans le Chan Toung
(Tsao Hien), au nord de Sié, pour des descendants de l’Empereur Tchouen
Hiu ; réuni à Lou par Tch’ou.
16° Kiu, dans le Chan-Toung ; dont les princes se disaient descendants de
l’empereur Chao Hao ; Wou Wang créa le premier prince Tseu Yu ki ; détruit
par Tch’ou en 431.
17° Sié, la plus petite des principautés, dans le Chan Toung, près de Teng
Hien sur le Grand Canal ; fut détruite par Ts’i à une date indéterminée, le
prince était heou et son nom de famille était Jen ; 6 princes.
18° Hiu, petite partie du Ho Nan ; le premier prince est Te nan (740) ; finit
avec Youen Koung et Koung Kie (513) ; le chef était nan et son nom de
famille était Kiang.
19° Siao Tchu, petit État, qui n’eut qu’une brève exis tence.
20° Yen (863-221), dans le nord du Tche Li ; commence avec Chao
Koung che (1122) ; finit en 254 avec Wang Hi qui dura 33 ans ; 43 princes ; le
prince était Pe et son nom de famille était Ki ; la dynastie après une durée de
720 ans fut détruite par les Ts’in en 222, époque à laquelle le dernier prince
Hi, qui avait été réduit en 226 au titre de roi de Leao Toung, perdit même ce
dernier honneur. A l’époque de sa grandeur, Yen avait soumis le Tchao Sien
(Corée) dont il nommait les fonctionnaires. Ce pays fut placé par Ts’in Che -
Houang-ti sous la dépendance du kiun de Leao Toung (217).
21° Han (423-225), capitale : Hang Tch’eng hien, dans le Chen Si, plus
tard Sin Tch’eng ; il comprenait les territoires de Lou Ngan fou, Leao Tcheou,
etc. (Chan Si), voisins de Wei et de Tchao, et au sud du Fleuve Jaune, une
partie du Ho Nan confinant au Tch’ou ; à l’ouest il était limitrophe de Ts’in.
Wou Tseu (424) fils de Kang Tseu est considéré • 132 comme le premier prince
de Han ; cette dynastie qui a avec les Tcheou une origine commune finit en
Henri Cordier Histoire générale de la Chine 103

238 avec Wang Ngan ; elle régna 195 ans et fut détruite en 230 par Tch’ou,
après avoir compté 11 princes.
Le P. de Mailla fait remarquer que
« huit de ces royaumes étaient gouvernés par des princes de la
famille des Tcheou, à savoir, Lou, Wei, Tsin, Tcheng, Ts’ao, Tsai,
Yen et Wou. Ils auraient pu aisément conserver l’Empire dans leur
famille, s’ils se fussent réunis ensemble ; mais leurs intérêts
particuliers les divisèrent, et peu à peu ils s’entre -détruisirent
eux-mêmes (218). »
A cette liste il faut ajouter quelques autres principautés sous les Tcheou,
non encore mentionnées ; il y en eut jusqu’à cinquante -cinq. Il faut remarquer
que Se-ma Ts’ien énumère seulement les treize États féodaux suivants : Lou,
Wou, Soung, Tch’en, Tcheng, Tch’ou, Ts’ai, Ts’ao, Ts’i, Tsin, Ts’in, Wei et
Yen. Outre la principauté de Wei dans sa partie orientale, le Wei Houei fou
comprenait dans sa partie septentrionale la principauté de Pei et dans sa partie
méridionale celle de Young, qui avait été donnée par Wou Wang à Wou
Keng, fils de Tcheou Sin. Une autre petite principauté de Wei était située dans
le Chan Si (Hiai Tcheou), le nom de famille était Ki. Kouei était dans le Ho
Nan (Tcheng Tcheou) ; Pin, dans le Chen Si (San Chouei hien) ; Tchao, dans
le Chan Si et dans la partie sud du Tche Li ; ses princes descendaient de Tsao
Fou, conducteur du char de Wou Wang ; cette principauté a duré de Lie heou
(408) à T’ai W ang (227) qui régna six ans ; elle dura 187 ans et fut détruite
par les Ts’in en 228 après avoir compté 10 princes.
Yue, territoire de Chao Hing, dans le Tche Kiang, finit avec Wang
Wou-Kiang (356) qui régna 23 ans, et périt en luttant contre Tch’ou et don t
les fils se partagèrent le territoire. Le fondateur de ce royaume, Wou Yu,
descendait de Chao K’ang, des Hia (2079 -2057).
Lo Yang et ses environs formaient le domaine impérial Wang des Tcheou,
dont les capitales furent successivement • 133 Hao, avec Wou Wang, Foung
avec Tch’eng Wang, enfin Lo Yang.
Les historiens
« attribuent à la timidité et au peu de talent de P’ing Wang, la
décadence de la dynastie de Tcheou. La transmigration de Yeou
Wang dans le Ho Nan, fut, selon ces historiens, suivie de tous les
malheurs. Les princes tributaires devinrent indépendants ;
l’ancienne religion périt ; les sciences, l’étude, le zèle pour le bien
public, furent anéantis ; les gens habiles se dissipèrent. Le prince
Wen Koung, successeur de Siang Koung, rendit, pour la forme,
l’ancienne Cour. Le palais où on faisait les cérémo nies aux princes
ancêtres, et leurs tombeaux, furent presque ruinés, et on ne se mit
pas en peine de les réparer. Ce sont autant de crimes que les
Chinois reprochent à P’ing Wang. A la 18e année du règne de
Henri Cordier Histoire générale de la Chine 104

P’ing Wang, le prince de Ts’in établit un tribunal pour écrire


l’histoire de sa famille, qui continua depuis Siang Koung à sacrifier
au Chang Ti. Les grandes familles, accoutumées au séjour de la
Cour dans le Chen Si, ne voulurent pas, pour la plupart, aller faire
leur séjour à la Cour orientale ; elles devinrent réellement sujettes
du prince de Ts’in. L’empereur n’eut depuis que le nom
d’empereur, et la famille impériale per dit presque entièrement son
autorité et sa puissance (219). »
C’est du règne de P’ing Wang, ou mieux du commence ment du Tch’ouen
Ts’ieou (721 av. J.-C.) que l’histoire chinoise est considérée comme
authentique. Les écailles de tortue, les bronzes rituels des Tcheou et des
Chang remontent sans doute à une antiquité plus reculée, mais ils ne nous
fournissent aucune date, partant aucune aide pour la chronologie ; nous
rappellerons que c’est au VIIIe siècle avant notre ère que se placent la chute
du premier Empire, d’Assyrie avec Sarda napale, la fondation de Rome, l’ère
de Nabonassar (747).

Houan, Tchouang, Hi, Houei.


Lin, petit-fils de P’ing Wang, mort en 720, et fils de Sié Fou mort jeune,
monta sur le trône sous le nom de Houan. En 707, il fit contre le duc de
Tcheng une expédition malheureuse au cours de laquelle il fut blessé, à Siu
Ko, d’une • 134 flèche à l’épaule, par le général Tchou Tan et fut mis en
déroute (220). Il mourut en 697 « avec le chagrin de n’avoir pu se faire obéir
par les princes tributaires (221) », et fut remplacé sur le trône par son fils
T’ouo, empereur Tchouang, qui fit mettre à mort le duc de Tcheou qui voulait
le renverser pour mettre à sa place son frère cadet K’o. Après la mort de
Tchouang (682), son fils Hou Ts’i, l’empereur Hi, mort en 677, et son
petit-fils Houei, nommé Lang, lui succédèrent. En 675, Houei s’étant emparé
du jardin d’un de ses principaux officiers, cinq parmi ceux -ci se soulevèrent et
firent proclamer roi T’ouei, frère cadet de Hi et fils d’une concubine de
Tchouang ; deux ans plus tard, l’usurp ateur fut tué par les princes de Tcheng
et de Kouo et Houei fut rétabli sur le trône : en 667, Houei conféra
l’hégémonie au duc Houan de Ts’i, mort en 643 ; la monarchie des Tcheou
s’affaiblissant, le pouvoir fut exercé après Houan jusqu’en 591 par les qua tre
autres seigneurs, le duc Wen de Tsin, mort en 628 ; le duc Mou de Ts’in, mort
en 621 ; le duc Siang de Soung et le roi Tchouang de Tch’ou, mort en 591.
Houei mourut en 652.

Siang....
Son fils Tcheng fut roi sous le nom de Siang ; son demi-frère Chou Tai
s’allia aux Joung et aux Ti (649) pour l’attaquer, mais le rebelle fut obligé de
fuir, et le duc Houan rétablit la paix entre les Joung et les Tchou ; neuf ans
Henri Cordier Histoire générale de la Chine 105

plus tard, Chou Tai revint à la Cour, rappelé par son frère. Siang se brouilla
avec le prince de Tcheng, l’un de ses prin cipaux appuis et appela les Ti contre
lui (636). les Ti se tournèrent ensuite contre Siang et pénétrèrent dans sa
capitale, mais le duc Wen de Tsin vint au secours de l’em pereur (635) qu’il
rétablit sur le trône et tua Chou Tai. Nous ne ferons qu’énumérer les
successeurs de Siang, mort en 620.
K’ing, (nom Jen Tch’en), fils de Siang, mort en 613 (le Kouo yu dit que
ce prince fit fondre des cloches et de grands deniers de cuivre) (222) ; K’ouang
(nom Pan), fils de K’ing, • 135 mort en 607 ; Ting (nom Yu), frère cadet de
Kouang, mort en 586 ; Kien (nom Yi), fils de Ting, mort en 572 ; Ling (nom
Sie sin), fils de Kien, mort en 545. Sous son règne, en 546, Hiang Siu, du
royaume de Soung, tenta de provoquer une entente et un désarmement
général, pour éviter au peuple la calamité des guerres en réunissant un congrès
de la paix auquel assistaient des délégués de Tsin, de Tch’ou, de Ts’i, etc., en
tout 14 royaumes, à Kouei Te fou, capitale de l’État de Soung, au Ho Nan.
Comme tout congrès pacifique, cette réunion est le commencement, d’une ère
de guerres sanglantes. King (nom Kouei), fils de Ling, mort en 525 ; Tao
(nom Mong), ne figure pas parmi les rois de Tcheou, tué (519) ; King (nom
Kai), frère cadet de la reine Mou, première femme de King, mort en 476 ;
c’est sous son règne que mourut Confucius (479) ; Youen (nom Jen), fils de
King, mort en 469 ; à la 3e année de son règne, Keou tsien, prince de Yue,
s’empara des États de Fou tcha, prince de Wou, et fut nommé chef des prince s
(hégémon) par l’em pereur. Le prince de Wou descendait de Tai Pe, oncle
paternel de Wen Wang.
« Plusieurs princes de la famille qui avait possédé l’État de Wou,
se retirèrent au Japon, et y habitèrent. Selon bien des Chinois, les
Dairis du Japon se disaient des descendants de Tay pe, prince ou
roi de Wou ; (223) »
Ting (nom Kié), fils de Youen, mort en 441 ; Ngai (nom K’iu Tsi), fils de
Ting, tué au bout de trois mois de règne par son frère cadet Chou ; Se (nom
Chou), fils de Ting, tué au bout de cinq mois de règne par son frère cadet Wei
dans une bataille ; K’ao (nom Wei), fils de Ting, mort en 426, K’ao craignant
que son frère Kié (duc Houan) ne lui fît subir le sort de Ngai et de Se lui
abandonna la partie occidentale appelée Ho Nan de sa capitale, ne conservant
que la partie orientale ou ville basse appelée Tch’eng Tcheou (441) ; le duc
Houan donna alors à sa maison le nom de Tcheou occidentaux ; son petit-fils
le duc Houei chargea son fils cadet, également nommé Houei, d’o ccuper la
partie orientale de la capitale (376), ce dernier • 136 devenant le duc des
Tcheou orientaux ; Wei Lié (nom Wou), fils de K’ao, mort en 402 ; c’est de
cette époque qu’on vit les Chinois, sujets du prince de Ts’in, porter l’épée
attachée à la ceinture, coutume empruntée aux Tartares par les Ts’in (224).
L’Empire est en pleine décadence : Ngan (nom Kiao), fils de Wei Lié, mort en
376 ; Lié (nom Hi), fils de Ngan, mort en 369 ; Hien nom Pien.), frère cadet
de Lié, mort en 321 ; Se-ma Ts’ien nous dit (225) que
Henri Cordier Histoire générale de la Chine 106

« la quarante-quatrième année (325), le roi Houei, de Ts’in, se


proclama roi. A la suite de cela, tous les seigneurs devinrent rois ».
Chen Tsing (nom Ting), fils de Hien, mort en 315 ; Nan (226) (nom Yen),
fils de Chen Tsing ; il changea de résidence et passa des Tcheou orientaux
chez les Tcheou occidentaux ; il mourut en 256, l’année même ou les Ts’in
s’emparaient du pays des Tcheou occidentaux dont la conquête précéda de
sept ans celle des Tcheou orientaux.
« Sept années plus tard, le roi Tchouang Siang, de Ts’in, anéantit.
les Tcheou orientaux et les Tcheou occidentaux ; les Tcheou
orientaux et les Tcheou occidentaux furent tous deux annexés à
Ts’in et dès lors les sacrifices des Tcheou cessèrent (227). »
Nan n’avait pas laissé d’enfants ; les peuples de Tcheou allèrent se
réfugier par horreur des Ts’in près de Houei Koung, fils de Houan Koung,
frère de Kao Wang qui, sans être empereur, prit le titre de Tcheou Kiun ;
Tcheou Kiun profita de la mort de Tchao Siang Wang pour provoquer un
soulèvement, mais il fut pris par Siang Koue, général de Tchouang Siang
Wang qui
« réduisit ce dernier rejeton de tant d’empereurs au rang du peuple,
et le fit transporter au village de Yang Jin Tsiu (à l’ouest de Yu
Tcheou, de Nan Yang fou, Ho Nan), où il passa le reste de ses
jours dans l’obscurité et dans la misère. Ainsi finit la fameuse
dynastie des Tcheou, qui posséda l’Empire 874 ans (228). »
Gaubil (229) fixe, avec sûreté, dit-il, la fin de la dynastie Tcheou • 137 à
l’an 249 av. J. -C. Suivant lui, la dynastie des Tcheou commença l’an 1122,
première année de Wou Wang, elle aurait duré 863 ans (230).
La Chine sous les Tcheou était une fédération d’États unis par le lien bien
fragile de la suzeraineté de l’un d’entre eux, celui de Tcheou. Il est
remarquable cependant que ce lien ait suffi pendant plusieurs siècles à
maintenir une certaine cohésion de l’Empire. Il est difficile, sinon impossible,
dans les conditions dans lesquelles se trouvait la Chine, de maintenir
indéfiniment le statu quo ; soit meilleure administration, soit situation
géographique plus avantageuse, soit un souverain plus ambitieux, soit enfin un
peuple plus entreprenant, il y a concurrence, puis lutte entre les États
confédérés qui sont autant d’États rivaux ; si le suzerain laisse deviner des
symptômes de faiblesse, ses vassaux sont tentés d’en profiter et le pouvoir
peut passer entre les mains d’un autre État. Les États de la Chine, en proie à la
guerre intestine, avaient vu leur nombre réduit considérablement, et parmi
ceux qui avaient gagné la suprématie, l’un d’eux, peut -être non chinois,
reconstitue à son profit une unité qui n’était plus une fédération mais un
véritable Empire autocratique.

Etendue de l’Empire .
Henri Cordier Histoire générale de la Chine 107

Dans le chapitre Wang cheu du Li Ki (231), composé sous Wen Ti,


troisième empereur Han (179-156 av. J.-C.) renfermant les anciens réglements
impériaux tirés de divers ouvrages et en particulier du Meng Tseu, il est dit :
« Tout le pays compris entre les Quatre Mers (la Chine) était divisé
en neuf provinces. Chaque province équivalait à un carré ayant
mille stades de chaque côté, et comprenait trente principautés de
cent stades (c’est -à-dire trente principautés dont chacune équivalait
à un carré ayant cent stades de chaque côté), soixante principautés
de 70 stades, 120 principautés de 50 stades, en tout 210 prin-
cipautés. Les montagnes célèbres et les grands lacs étaient en
dehors des principautés. De plus, il y avait des principautés
dépendantes de plus grandes, et des terrains inoccupés. Toutes les
provinces (hormis celle qui formait le • 138 domaine propre de
l’empereur), contenaient chacune 210 principautés.
« Dans le domaine propre du Fils du Ciel, il y avait neuf
principautés ayant cent stades en tous sens, 21 de 70 stades et 63
de 50. Les montagnes célèbres et les grands lacs n’étaie nt pas
concédés aux princes feudataires le reste des terres était en partie
inoccupé, en partie destiné à l’entretien des officiers.
« Les neuf provinces comprenaient en tout 1773 principautés, sans
compter les domaines accordés aux officiers de première classe de
l’Empereur, ni les petites principautés qui dépendaient de plus
grandes (232). »
Ce même chapitre du Li Ki nous fournit des renseignements sur l’étendue
de l’Empire :
« Depuis le mont Heng (du nord) jusqu’à la partie méridionale du
Fleuve Jaune, il y avait presque mille stades ; et depuis la partie
méridionale du Fleuve Jaune jusqu’au Kiang, encore presque mille
stades. Depuis le Kiang jusqu’au mont Heng (du midi), il y avait
plus de mille stades. Depuis la partie orientale du Fleuve Jaune
jusqu’à la mer Orien tale, il y avait plus de mille stades ; depuis la
partie orientale du Fleuve Jaune jusqu’à la partie occidentale
presque mille stades ; et de la partie occidentale du Fleuve Jaune
au Sable mouvant (ou désert de Gobi), encore plus de mille stades.
Les limites de l’Empire ne dépassaient pas à l’ouest le Sable
mouvant, [Lieou cha], au midi le mont Heng, à l’est la mer
Orientale, au nord le mont Heng (233). »
Dans ce même chapitre Wang cheu, le Li Ki complète ces
renseignements :
« En dehors des mille stades (li) qui formaient la province et le
domaine propre de l’Empereur, ( k’i ), tout le reste de l’Empire était
régi par (deux) gouverneurs généraux. Cinq principautés formaient
Henri Cordier Histoire générale de la Chine 108

une confédération nommée chou, gouvernée par un chef nommé


tchang. Dix • 139 principautés formaient une confédération nommée
liên, gouvernée par un chef nommé chouai. Trente principautés
formaient une confédération tsou, gouvernée par un chef nommé
tcheng. Deux cent dix principautés formaient une province régie
par un gouverneur particulier nommé pe. Dans les huit provinces
(autres que celle où résidait l’em pereur), il y avait en tout huit
gouverneurs particuliers, 56 tcheng, 168 chouai, 336 tchang. Les
huit gouverneurs de province et tous leurs subalternes étaient
soumis aux deux anciens du Fils du Ciel, qui se partageaient entre
eux l’administration de tout l’Empire, gouvernaient l’un la partie
droite (la partie occidentale), l’autre la partie gauche (la partie
orientale), et s’appelaient les deux pè (les deux gouverneurs
généraux).
« Le territoire de mille stades (qui formait le domaine propre de
l’empereur) s’appelait tien, terre de labour, (parce qu’une partie
des produits de la terre était exigée par l’Empereu r à titre de
contribution). En dehors de ces mille stades, (le territoire des huit
provinces) était appelé ts’ài ou ts’ái , terre des choses précieuses.
(terre du service ou terre des domaines concédés aux ministres
d’État, soit, parce que l’empereur en rec evait des choses précieuses
à titre de tribut, soit parce qu’il en exigeait, différents services, soit
parce que les ministres d’État y avaient leurs domai nes). (Le pays
qui s’étendait au delà des huit provinces et était occupé par les
tribus étrangères) s’appelait liôu, terre d’exil (parce que les
criminels y étaient relégués) (234). »

Gouvernement.
A la tête du gouvernement étaient placés les trois ducs (San Koung) ;
au-dessous d’eux, sans leur être subordon nés, venaient les San Kou, puis les
six ministres d’État ( liu king) indépendants des San Koung et des San Kou ;
ces king étaient vêtus de noir lorsqu’ils exerçaient leurs fonctions dans le
palais impérial ; ils portaient, comme les grands préfets (t’ai fou ), des
« tuniques garnies de peaux d’agneaux, avec des manches dont les parements
étaient de peau de léopard (235). »
Les San Koung, les San Kou et les • 140 King formaient le Conseil privé de
l’Empereur, qui depuis a été appelé Nei Ko.
Tch’eng Wang constitua l’administration de la manière suivante :
« Je constitue le grand précepteur (t’ai che ), le grand maître (t’ai
jou) et le grand gardien ou tuteur (t’ai pao). Ce sont les San Koung
(les trois plus hauts dignitaires). Ils exposent les principes,
établissent l’ordre dans l’Empire, et mettent en parfaite harmonie
Henri Cordier Histoire générale de la Chine 109

les deux éléments constitutifs de toutes choses. Il n’est pas


nécessaire que ces offices soient toujours remplis tous trois ;
l’essentiel est de ne les confier qu’à des hommes capables de les
bien remplir.
» (Je constitue) le second précepteur (Chao che), le second maître
(Chao Fou) et le second gardien (Chao pao). On les nomme les
San Kou. Koung en second (ou assesseurs des koung), ils étendent
partout la réforme, s’appliquent avec respect à faire briller l’action
du ciel et de la terre, et m’aident à gouverner tout l’Empire.
« Le grand administrateur (tchoung tsai), tenant en main le
gouvernail de l’État, commandera à tous les offi ciers, et
maintiendra l’équilibre partout entre les quatre mers.
« Le directeur de la multitude (Se t’ou ) sera chargé de l’instruction
publique. Il enseignera partout les cinq grandes lois des relations
sociales et habituera tout le peuple à l’obéissance.
« Le préfet du temple des ancêtres (tsoung pe) dirigera les
cérémonies de l’Empire. Il donnera ses soins aux esprits (du ciel et
de la terre) et aux mânes des morts. (Au moyen de la musique), il
établira l’harmonie entre les différentes classes d’hommes.
« Le ministre de la guerre (Se ma) dirigera les expéditions
militaires de l’Empire, conduira les six légions et maintiendra la
tranquillité dans tous les États.
« Le ministre de la justice (Se K’eou ) veillera à l’ observation des
lois prohibitives de l’Empire, recherchera les fraudes et les crimes
secrets, et punira les violences et les désordres.
« • 141 Le ministre des travaux publics (Se koung) s’occupera des
terres de l’Empire, fixera les habitations des quatre classes du
peuple, et réglera les saisons des divers travaux, afin d’accroître les
produits de la terre.
« Chacun des six ministres aura ses attributions déterminées et
dirigera ses subalternes. Donnant ainsi l’exemple aux neufs
gouverneurs de provinces, ils travailleront avec eux à la prospérité
et à la formation morale du peuple.
« Les princes des cinq circonscriptions iront saluer l’empereur une
fois tous les six ans. Tous les douze ans, l’empereur parcourra les
principautés aux quatre saisons de l’ann ée, et examinera les
règlements, les mesures, auprès des quatre montagnes célèbres. Il
recevra les hommages des princes de chaque contrée auprès de la
montagne célèbre du pays. Il prononcera publiquement les
destitutions et les promotions. (236) »
Henri Cordier Histoire générale de la Chine 110

Les quatre montagnes célèbres auxquelles il est fait allusion dans ce


discours sont : à l’est, le T’ai chan (T’ai Ngan fou, Chan Toung) ; au sud le
Heng chan ou Houen chan, ou T’ien tchou chan (Heng Tcheou fou, Ho Nan) ;
à l’ouest, le Houa chan (au sud de Si Ngan fou, Chen Si), et au nord, le Heng
chan (au sud de Houen Yuen tcheou, Chan si). A ces quatre montagnes, les
Tcheou en ajoutèrent une cinquième : au milieu le Soung chan, au sud du Ho
Nan. Les cinq circonscriptions, Wou fou, avaient été établies par les Hia et
étaient les suivantes : Heou, tien, nan, ts’ai et wei . Le P. Couvreur remarque
que le ministre de la guerre était appelé se ma, parce que les chars de guerre
étaient la principale force de l’armée ; ils avaient quatre chevaux, attelés de
front et munis de cuirasses, portaient trois hommes également munis de
cuirasses, et avaient une escorte de 97 fantassins. On ne parle pas de cavalerie.
D’après les auteurs chinois, l’usage de monter les chevaux ne s’est introduit
qu’au III e siècle avant notre ère. L’empe reur avait six légions divisées en 5
cohortes de 500 hommes chacune, il avait en tout 75 000 hommes. Quant aux
quatre • 142 classes du peuple elles comprenaient celles des lettrés, des
laboureurs, des artisans et des marchands (237).
Le Li Ki (238) nous apprend que les souverains avaient établi cinq classes
de grands feudataires et de domaines féodaux, désignés par les noms de
koung, heou, pe, tseu, nan.
« Chacun d’eux recevait de l’empereur une tablette de jade comme
marque de dignité. Cette tablette était de forme oblongue pour les
trois premiers ordres et de forme annulaire pour les deux derniers
(239). »
En dehors de l’empereur, de sa famille, des princes feu dataires, seuls
propriétaires du sol, il y avait les neuf professions ou classes de travail qui
étaient les suivantes d’après l e Tcheou Li :
Première classe : les cultivateurs des trois genres [appliqués aux
plaines, aux montagnes, aux lacs ou marais]. Ils produisent les neuf
espèces de grains [millet Chou, millet Tsi, riz Tao, le riz
fermentable, chanvre, le grand Teou (dolichos), le petit Teou
(pois), le grand Me (orge), le petit Me (blé).
Deuxième classe : les jardiniers. Ils élèvent les plantes (potagères)
et les arbres (à fruit).
Troisième classe : les bûcherons (Yu heng). Ils préparent les
matières utiles des montagnes et des lacs.
Quatrième classe ; les pâtres des marais cultivés. Ils nourrissent, ils
élèvent les oiseaux et les quadrupèdes.
Cinquième classe : les artisans des cent espèces (de toute nature).
Ils transforment par leur travail les huit sortes de matières brutes.
Henri Cordier Histoire générale de la Chine 111

Sixième classe : les marchands à boutiques et les commerçants


ambulants. Ils amassent et font circuler les valeurs précieuses.
Septième classe : les femmes légitimes (femmes du premier rang.)
Elles transforment par leur travail la soie et le chanvre.
• 143 Huiti ème classe : les serviteurs et les servantes (femmes de
second rang). Ils réunissent toutes les substances comestibles.
Neuvième classe : les individus intermédiaires : Ils n’ont pas de
profession fixe ; ils changent tour à tour d’ouvrage (240).
« D’après les règles des offrandes, le prince de Yu (Chouen)
honorait Houang Ti comme le plus ancien de ses ancêtres connus,
et lorsqu’il sacrifiait dans la plaine, il associait au roi du Ciel Ti
K’ou (arrière -petit-fils de Houang Ti). Il honorait Tchouen Hiu
(père de Ti K’ou) comme celui de ses ancêtres qui avait le mieux
mérité, et Yao (fils de Ti K’ou) comme celui de ses prédécesseurs
qui s’était le plus signalé par ses vertus. Les Hia honoraient aussi
Houang Ti comme le plus ancien de leurs ancêtres connus, et
associaient au roi du Ciel Kouen (père de Yu). Ils honoraient
Tchouen Hiu comme celui de leurs ancêtres qui s’était le plus
signalé par ses services ; et Yu (fondateur de leur dynastie) comme
le plus célèbre par ses vertus. Les Yin honoraient Ti K’ou comme
le plus ancien de leurs ancêtres, et associaient au roi du Ciel Ming
(qui descendait de Sie et, comme Yu, avait fait écouler les eaux).
Ils honoraient Sie (frère de Yao) comme celui de leurs ancêtres qui
avait le mieux mérité, et T’ang (fondateur de leur dynastie) comme
le plus grand par ses verts. Les Tcheou honoraient Ti K’ou comme
le plus ancien de leurs ancêtres, et associaient au roi du Ciel Heou
Tsie (qui fut ministre de l’Agri culture sous les règnes de Yao et de
Chouen, et, dont ils se disaient les descendants). Ils honoraient
Wen Wang comme celui de leurs ancêtres qui avait le mieux
mérité, et Wou Wang (fils de Wen Wang et fondateur de leur
dynastie) comme le plus remarquable par ses vertus (241) ».
Sous les trois premières dynasties
« la fin qu’on se pro posait était la même, mais on y arrivait par
différentes voies. Sous les Hia, la vertu était parvenue à son plus
haut point de perfection : l’humanité & l’amour de l’ordre étoi ent
gravés dans tous les cœurs, les Tribunaux n’étoient occupés • 144
que du soin de distribuer des récompenses. Sous les Yin, on fut
obligé d’employer la rigueur ; on fit fleurir les loix en châtiant
ceux qui les transgressoient ; les exécutions des criminels ne se
firent que dans les marchés publics ; la justice fut exacte et
inflexible. Les récompenses & les châtiments eurent également lieu
sous les Tcheou : on distribuait les dons dans l’enceinte des
Henri Cordier Histoire générale de la Chine 112

Tribunaux, en présence des Grands & des principaux Mandarins :


on infligeoit les peines à la vue de la multitude, au milieu des
places publiques : la vertu, le mérite, les belles actions avoient
leurs récompenses ; les vices, de quelque nature qu’ils fussent,
avoient leurs châtiments. Les Hia gouvernèrent en pères tendres ;
les Yin, en juges sévères ; les Tcheou, en souverains équitables. Le
but des uns & des autres était de faire pratiquer le devoir ; ils
prirent différents moyens pour y parvenir (242). »
Henri Cordier Histoire générale de la Chine 113

Troisième Dynastie : Les Tcheou (1122-255 av. J.-C.), 34 règnes, 874 ans.
Dynastie Chang • • • Dynastie Ts’in
d’après le Tchou Chou ki nien •
1 1122 Wou, † 1116 1061 Fa
2 1115 Tch’eng, † 1079 1044 Soung
3 1078 K’ang 1007 Tch’ao
4 1052 Tchao 981 Hia
5 1001 Mou 962 Mouan
6 946 Koung 907 Yi
7 934 Yi 895 Kien
8 909 Hiao 870 Pi Fang
9 894 Yi 861 Sie
10 878 Li 853 Hou
841 Régence de Koung Ho.
11 827 Siouen Tsing
12 781 Yeou, † 771 Koung Houang
13 770 P’ing Yi kieou
721 Commencement du Tch’ouen ts’ieou.
14 719 Houan Lin
15 696 Tchouang T’o
16 681 Hi Hou Ts’ i
17 676 Houei Lang
18 651 Siang Tching
19 618 K’ing Jen Tch’en
20 612 K’ouang Pan
21 606 Ting Yu
22 585 Kien Yi
23 571 Ling Yi Sin
24 543 King Kouei
520 [Tao] Meng
25 519 King Kiun
26 475 Youen Jen
27 468 Tcheng Ting Kiai
440 [Ngai] Kiu tsie
440 [Se] Chou Sié
28 440 K’ao Wei
29 425 Wei Lié Ngou Kao
30 401 Ngan Kiao
31 375 Lié Hi Ngan
32 368 Hien Pien
33 320 Chen Ts’in Ting
34 314-256 Nan, † 256 Yen
255 Tcheou Kiun, règne nominalement -> 249
Henri Cordier Histoire générale de la Chine 114

Se-ma Ts’ien ne donne pas les dates avant 841 ; ses dates sont conformes
à celles du T’oung Kien Kang mou ; le Tchou Chou Ki nien marque 1044 pour
l’avènement de Tch’eng.

*
**
Henri Cordier Histoire générale de la Chine 115

CHAPITRE VII

Confucius et Lao Tseu.

Vie de Confucius.
• 146 Confucius n’est que le nom latinisé par les mission naires de K’oung
Fou Tseu (Maître K’oung) ou K’oung Tseu, né la 22 e année du duc Siang,
(551) à Tseou, dans le royaume de Lou (province actuelle du Chan Toung).
Une légende le fait descendre à la quatorzième génération de Wei Tchoung,
deuxième fils de Ti Yi (1191-1154), l’avant -dernier empereur de la dynastie
des Yin ; d’après une autre il appartenait à une famille remontant au troisième
des Cinq Empereurs, le célèbre Houang Ti qui, du pays de Soung, vint
s’établir au royaume de Lou avec K’oung Fang -chou ; le père du sage, K’oung
Chou leang Ho, sous-préfet de Tseou, préf. de Yen Tcheou, n’ayant que des
filles d’un premier mariage avec Che, et un fils infirme nommé Moung P’i,
d’une concubine, épousa à l’âge de 79 ans en secondes noces une jeune fille
de la famille Yen, dont il eut un fils, qui reçut le nom de K’ieou à cause d’une
protubérance qu’il avait sur la tête, et le surnom de Tchoung -ni en
remerciements d’un pèlerinage qu’avait fait sa mère au Ni K’ieou Chan pour
obtenir un fils. C’est notre philosophe. Plus tard on étudiera les signes caracté -
ristiques observés, dans la structure du corps de Confucius, présages de sa
haute destinée, par exemple son large visage, signe de richesse, les deux
cornes de son front, présage d’une carrière glorieuse, etc. (701) K’oung
K’ieou perdit son père à l’âge de trois ans, et sa mère Tcheng Tsai quitta le
district de Tchang Ping pour aller s’établir dans celui de K’iu Feou, capitale
du royaume de Lou. Élevé d’abord par sa mère, le jeune K’ieou fut, à l’âge de
sept ans, envoyé dans une école tenue par un lettré distingué nommé P’ing
Tchoung.
• 147 Il ne tarda pas à se faire remarquer non seulement par son amour du
travail, mais encore par sa gravité précoce, et son maître le choisit pour faire
répéter leurs leçons à ses condisciples moins bien doués que lui. A dix-sept
ans, il accepta un poste de fonctionnaire inspecteur de la vente et de la
distribution des grains ; à dix-neuf ans, K’oung épousa K’i Kouan -che ou
Chang Kouan, qui appartenait à la famille K’i du royaume de Soung ; il en eut
l’année suivante un fils qu’il appela Pe yu qui mourut à 50 ans, avant lui. Agé
de vingt ans, K’oung fut chargé du contrôle des greniers publics. A vingt et un
ans sa réputation étant devenue grande, il fut nommé inspecteur général des
campagnes et des troupeaux, avec mission de réprimer les abus. Pendant
quatre ans, il remplit ses fonctions avec un zèle qui lui permettait d’aspirer à
de hautes dignités, lorsque la mort de sa mère, à peine âgée de quarante ans,
en 528, lui fit prendre une retraite de trois ans, renouvelant ainsi une coutume
qui est encore aujourd’hui en usage en Chine. Confucius continua à se
Henri Cordier Histoire générale de la Chine 116

perfectionner dans l’étude de la philosophie ; il fit (518) une visite à la ville de


Lo, près de la ville actuelle de Ho Nan, où l’on place le récit apocryphe de son
entrevue avec le célèbre Lao Tseu. En 517, l’État de Lou étant en pleine
anarchie, Confucius se retira à la Cour de Ts’i ; puis il revint dans son pays,
où, pendant quelques années encore, il n’occupa aucune fonction publique.
Tchao Koung, prince de Lou, étant mort en exil, eut pour successeur (509) son
frère Ting Koung qui, en 501, nomma Confucius gouverneur de la ville de
Tchoung Tou, poste dans lequel il se distingua tellement que, l’année
suivante, il était nommé ministre des Travaux Publics, puis ministre de la
Justice. Meng Tseu (244) dit :
« Les mémoires disent que quand Confucius était trois mois sans
être employé par aucun prince, il lui semblait qu’il lui manquait
quelque chose ; que, quand il quittait une principauté, il emportait
avec lui des présents (pour les princes auxquels il se proposait
d’offrir ses services).
La prospérité de l’État de Lou sous la sage administration • 148 de
Confucius excita la jalousie du roi de Ts’i ; celui-ci pour détacher Ting de son
ministre, envoya à la Cour de Lou quatre-vingts des plus belles courtisanes de
Ts’i et cent vingt superbes chevaux en présents. L’effet de ce cadeau dan -
gereux, ne tarda pas à se faire sentir. Confucius, alors âgé de cinquante-quatre
ans (497), se décida à quitter le royaume de Lou, où il ne rentra qu’en 484 : Il
se mit donc à voyager dans les différents Etats qui composaient la Chine ; sa
réputation allait grandissant et le nombre de ses disciples augmentait sans
cesse. Pendant treize ans, mal accueilli partout, il erra à travers les royaumes
de Wei, de T’sao, de Soung, de Tcheng, de Tch’en, etc., Cependant le roi
Ting, de Lou, étant mort, en 495, son fils et successeur, Ngai, le rappela de
Wei, mais le rôle politique du Sage était désormais fini : En 486, il perdit son
épouse K’i Kouan che, qui lui avait donné son fils Pe Yu et une fille Tche
Tchang qui épousa le lettré Koung-ye Tchang.
Après sept jours de maladie, Confucius mourut vers l’heure de midi, le
jour ki tch’eou , le 18e de la quatrième lune de la 16e année de Ngai Koung, roi
de Lou, la quarante et unième du règne de King Wang, vingt-cinquième empe-
reur de la dynastie des Tcheou, la 479e avant J.-C. Il avait 73 ans. Ses
disciples Tseu Koung et Koung Hi-Tche s’oc cupèrent de ses funérailles, son
petit-fils Tseu Seu étant trop jeune pour le faire. Autour du catafalque,
construit suivant le rite des Tcheou, des
« petits étendards triangulaires, placés par intervalles, étaient
suivant le rite de la dynastie Chang, et le grand étendard carré était
suivant le rite de la dynastie Hia. En réunissant ainsi les rites des
trois dynasties qui, depuis la fondation de l’Empire, l’a vaient
successivement gouverné jusqu’alors , on voulait donner à entendre
que si la mémoire de ces anciens rites, et de tous les autres qui
avaient eu lieu dans les temps les plus reculés, s’était conservée
Henri Cordier Histoire générale de la Chine 117

parmi les hommes, c’était à K’oung Tseu, en particulier, que


l’honneur en était dû, et à qui l’on était redevable de cet insigne
bienfait (245) ».
• 149 Meng Tseu écrit :
« Après la mort de Confucius, ses disciples demeurèrent trois
années entières à le pleurer. Ensuite ils préparèrent leurs bagages.
Au moment de se séparer, ils entrèrent pour saluer Tseu Koung.
Tournés les uns vers les autres, ils pleurèrent et sanglotèrent au
point d’en perdre la voix ; et enfin ils retournèrent dans leur pays.
Tseu Koung construisit une cabane auprès de la tombe de son
maître, et demeura seul encore trois ans, avant de s’en retourner
dans son pays.
Le lettré Kou Siang tcheou, dans sa vie illustrée de Confucius, Cheng tsi
t’ou , composée dans la première moitié du XIXe siècle, clamait :
« Confucius, Confucius, que vous êtes grand ! Le passé n’a produit
qu’un seul Confuciu s, les siècles à venir n’en con naîtront plus
d’autre. Confucius, Confucius, que vous êtes grand, ô
Confucius (246) ».

Livres Classiques.
• La doctrine de Confucius est renfermée dans les Livres Classiques ou
King écrits par lui ou ses disciples.
Confucius a dit :
« En entrant dans une contrée, il est facile de voir quel
enseignement le prince donne à ses sujets : S’ils sont doux,
accommodants, sincères, bons, l’en seignement est basé sur le Che
King. Si leurs connaissances sont grandes et s’étendent loin dans le
passé, l’enseignement est basé sur le Chou King. S’ils ont l’esprit
large et généreux, s’ils sont indulgents et bienfaisants,
l’enseignement est basé sur le Yo ki. S’il s sont honnêtes, paisibles,
s’ils ont l’esprit perspicace et subtil, l’enseignement est basé sur le
Yi King. S’ils sont respectueux, modérés, bien réglés, atten tifs,
l’enseignement est basé sur le Li Ki. S’ils portent des jugements
exacts sur les choses, l’enseignement est basé sur le Tch’ouen
Ts’ieou . Le Che King mal compris conduit à la niaiserie, le Chou
King à la duplicité, le Yo ki au faste et à la prodigalité, le Yi King à
la violation des principes de la droite raison, le Li Ki à la
multiplicité des cérémonies, le Tch’ouen Ts’ieou à la révolte
(247). »
Henri Cordier Histoire générale de la Chine 118

Voici l’énumération de ces King qui sont divisés en deux ordres. • 150

I. — Cinq Livres canoniques (Wou King) du premier ordre ou Grands King :


1° Le Yi King, Explication des Koua de l’empereur Fou Hi, 24.107
caractères. (Voir page • 60 ).
2° Le Chou King, Livre d’Histoire, comprenant 58 chapitres et 25.700.
caractères. (Voir page • 47 ).
3° Le Che King, Livre de Poésie, 39.224 caractères, est une collection des
odes au nombre de 311 répandues à l’époque des Tcheou dans les petits États
de la Chine ; recueillies et arrangées parmi 3.000 par Confucius. Cet ouvrage
a eu dans la Chine ancienne un rôle rituel considérable.
Cet ouvrage comprend quatre parties : 1. Kouo Foung (15 livres) ; 2. Siao
ya (8 livres) ; 3. Ta ya. (3 livres) ; 4. Soung (5 livres).
4° Le Li Ki, Livre des Rites, 99.010 caractères, 46 chapitres, y compris le
Ta Hio et le Tchoung Young.
Le Li Ki est un des trois Rituels de l’Antiquité, posté rieur au Tcheou Li et
au Yi Li quoiqu’il renferme peut -être des pièces plus anciennes. C’est un
immense recueil de pièces de toutes sortes, sans classement, placées sans
méthode les unes à la suite des autres ; sans souci de savoir si un sujet n’a pas
été traité dans le cours de l’ouvrage ou plutôt de la collection. Le Li Ki, qui
avait disparu avec les autres classiques sous Che Houang Ti, fut retrouvé avec
d’autres livres ( Chang Chou, Louen Yu, Hiao King) dans la maison de
Confucius par Koung Wang de Lou sous le règne de Han Wou Ti. L’empereur
Hiouen Tsoung plaça le Li Ki parmi les King (classiques) pendant la période
kai youen (713-742). Avec le Ta Hio et le Tchoung Young qui en font partie,
le Li Ki, tel qu’il nous est donné maintenant, comprend 46 chapitres.
5° Le Tch’ouen Ts’ieou , Annales du Printemps et de l’Automne, Histoire
du pays de Lou. (Voir page 50).
Le Yo King, ou Livre de la Musique, a été perdu.

II.— Livres canoniques du second ordre ou Petits King :


1° Les Se Chou, ou Quatre Livres, comprennent :
— le Ta Hio ou Grande Science, composé de onze chapitres, • 151 dont
le premier renferme les paroles de Confucius ; les dix autres sont de Tseng
Tseu, son disciple ;
Henri Cordier Histoire générale de la Chine 119

— le Tchoung Young ; ou le Juste Milieu, qui est de Tseu Seu, son


petit-fils ;
Ces deux livres formaient deux chapitres du Li Ki ;
— le Louen Yu, 11.705 caractères, avec la paraphrase 76.736
caractères, conversations entre Confucius et ses disciples, en vingt chapitres,
n’a pas été rédigé par le Sage pas plus naturelle ment que
— le Meng Tseu, 34.685 caractères, avec le commentaire 209.749,
livre du philosophe Mencius.
2° Deux Rituels : Yi Li et Tcheou Li, 45.806 caractères.
Le Tcheou Li ou Tcheou Kouan, Rituel des Tcheou, aurait été composé par
le célèbre Tcheou Koung pour codifier pour ainsi dire les règlements élaborés
par son frère Wou Wang pour distinguer les différents fonctionnaires de
l’Etat et indiquer leurs devoirs respectifs. Ce livre fut naturelle ment l’objet de
l’attention particulière des proscripteurs sous Che Houang Ti, les Ts’i n ayant
conservé l’usage du rituel des Chang. Après l’annulation du décret de Che
Houang Ti par l’empereur Houei des Han (191 av. J. -C.), des copies du
Tcheou Li surgirent de leurs cachettes, l’une en particulier fut retrouvée par
un musicien attaché à la maison de Wen, prince de Wei, sous Han Wou Ti.
Connu sous les Han, comme le Tcheou Kouan, il a reçu définitivement sous
les T’ang le nom de Tcheou Li. L’ouvrage se com pose de six sections qui
correspondent d’une manière géné rale aux six ministères modernes.
3° Le Hiao King ou Livre de la Piété filiale, 1.903 caractères, sur lequel
nous reviendrons tout à l’heure.
4° Les trois anciens Commentaires du Tch’ouen Ts’ieou .
5° Enfin le Dictionnaire Eul Ya.

L’auteur célèbre du Chou tsi tchouan houei wen, liv. I, p. 25, etc.,
s’exprime en ces termes :
« Confucius doit sa renommée à T’sin Che Houang Ti. Les
Grandes Annales et autres Grandes Collections n’étaient jamais
sorties de la bibliothèque impériale des Tcheou, dont Ts’in Che
Houang Ti s’était emparé.
De là Se-ma Ts’ien conclut :
« quoique Ts’in Che Houang eût réussi à faire réduire en cendres le
• 152 Chou King, le Che King et autres canoniques, on en recouvra
des exemplaires plus ou moins complets, parce qu’ils s’étaient
répandus au dehors et que plusieurs purent en cacher. Mais tous les
livres d’Histoire étaient enfermés dans la seule bibliothèq ue des
Tcheou, voilà pourquoi ils ont été anéantis. Perte irréparable.
Henri Cordier Histoire générale de la Chine 120

Le P. Doré (248), qui cite ce passage, remarque :


« Confucius n’a presque rien tiré de son fonds, ses écrits ne sont
que des compilations, des sélections ou recueils de « Morceaux
choisis ». Ce qui fit tout son succès ce fut la destruction des
anciennes Annales et de la littérature antique ; on ne put retrouver
que les lambeaux incomplets de ses manuels, du coup, il passa à la
célébrité, et fut à défaut de mieux considéré comme le seul
dépositaire des traditions des anciens âges ».
Il faut se rappeler que Confucius qui, jusqu’à nos jours, a marqué de sa
forte empreinte personnelle la culture chinoise, fut un administrateur, un
fonctionnaire, un homme d’É tat, en un mot un homme d’action ; aussi bien
qu’un moraliste ; il est entièrement dépourvu d’originalité ; il a été un
collectionneur de faits et non un créateur ; imbu des traditions du passé qu’il a
étudiées, il en est le représentant idéal, mais esprit essentiellement pratique, il
n’a rien inventé ; diligent étudiant des choses du passé, observateur minutieux
des mœurs des différents milieux, il a recueilli les traditions des générations
antérieures ; ce n’est pas un génie créateur ; il vit de souvenirs, et la perfection
dans le présent ne s’obtient qu’en suivant les leçons de ce passé ; il a noté les
enseignements des événements qui se sont déroulés devant ses yeux ; il les a
reproduits, analysés, parfois codifiés dans les King. La doctrine de Confucius
est moins une philosophie qu’une morale : une morale reposant sur des vertus
naturelles, n’ayant rien d’héroïque, avec un côté pratique ; une morale
codifiant pour ainsi dire les sentiments, prenant, par exemple la piété filiale,
étendant son caractère au-delà de la famille, jusqu’à l’empereur, le
gouvernement, le peuple, et prévoyant dans les préceptes tous les cas, toutes
les circonstances dans • 153 lesquelles les théories doivent être mises en
pratique. C’est justement ce côté essentiellement humain, essentiellement terre
à terre, qui a donné de la durée à la doctrine de Confucius ; elle est claire,
limpide, compréhensible pour tous, n’a rien d es obscurités, ni en même temps
du génie de celle de Lao Tseu.
Voltaire (249) a écrit avec raison :
« Leur Confutzée, que nous appelons Confucius, n’imagina ni
nouvelles opinions ni nouveaux rites ; il ne fut ni l’inspiré ni l e
prophète : c’était un sage magistrat qui enseignait les anciennes
lois. Nous disons quelquefois, et bien mal à propos, la religion de
Confucius ; il n’en avait point d’autre que celle de tous les em -
pereurs et de tous les tribunaux, point d’autre que ce lle des
premiers sages ».
Si la Chine est arrivée de bonne heure à un degré de civilisation inconnu
au reste de l’humanité, c’est à la morale de Confucius qu’elle le doit ; mais
comme cette morale ne cherchait pas à atteindre un but élevé, qu’elle n’est en
somme qu’une mise en pratique de théories sans grande hauteur d’esprit, elle
n’a pas donné au peuple chinois le moyen de continuer dans la route du
Henri Cordier Histoire générale de la Chine 121

progrès, alors que d’autres nations, poursuivant un idéal plus élevé,


parvenaient à un plus haut degré de civilisation ; l’Empire du Milieu restait
depuis des siècles dans un état de stagnation complète. Confucius, malgré des
éclipses de courte durée de sa renommée, constitue par sa tradition l’unité et la
continuité de l’histoire de la Chine ; mais il a fait perdre leurs traits essentiels
aux différents groupes ethniques qui l’ont formée et rendu difficile, sinon
impossible, la reconstitution de l’histoire de son antiquité.
On peut dire que Confucius a détruit l’originalité du peuple chinois, dont il
a complètement transformé la morale en la codifiant ; de populaire, elle est
devenue noble, au lieu d’être l’apanage de toutes les classes, elle est, à la suite
du culte des ancêtres, représentée ou mieux dirigée. par les classes
intellectuelles (lettrés) dont les vertus n’étaient que personnelles ; de
coutumière, la morale est • 154 devenue rituelle, c’est -à-dire qu’elle a cessé
d’être naturelle.
Confucius a créé un système de morale, surtout un système de
gouvernement. Peuple essentiellement agriculteur, le Chinois a suivi sans
grande résistance la route que lui marquaient les chefs, indigènes ou étrangers,
qu’elle a acceptés ou subis tour à tour et qui ont dirigé ses destinées en
s’appuyant sur le code de morale recueilli et rédigé par Confucius et ses
disciples.
Raynal, ou plus probablement Diderot, embellit les faits lorsqu’il dit que
« les mœurs et les lois tendent à établir cette opinion
fondamentale, que la Chine est une famille dont l’empereur est le
patriarche. Ce n’est pas comme conquérant, ce n’est pas comme
législateur, qu’il a de l’autorité, c’est comme père ; c’es t en père
qu’il est censé gouverner, récompenser et punir. Ce sentiment
délicieux lui donne plus de pouvoir que tous les soldats du monde
et les artifices des ministres n’en peuvent donner aux despotes des
autres nations. On ne saurait imaginer quel respect, quel amour les
Chinois ont pour leur empereur, ou, comme ils le disent pour le
père commun, pour le père universel (250) »
C’est de la phraséologie.
Voltaire a vu juste lorsqu’il a écrit :
« Le respect des enfants pour leurs pères est le fondement du
gouvernement chinois : L’autorité paternelle n’y est jamais
affaiblie. Un fils ne peut plaider contre son père qu’avec le
consentement de tous les parents, des amis, et des magistrats : Les
mandarins lettrés y sont regardés comme les pères des villes et des
provinces, et le roi, comme le père de l’Empire. Cette idée,
enracinée dans les cœurs, forme une famille de cet État immense.
La foi fondamentale étant donc que l’Empire est une famille, on y
a regardé, plus qu’ailleurs, le bien public comme le premier devoir.
Henri Cordier Histoire générale de la Chine 122

De là vient l’attention continuelle de l’empereur et des tribunaux à


réparer les grands chemins, à joindre les rivières, à creuser des
canaux ; à favoriser la culture des terres et les manufactures (251) ».

Philosophie de Confucius.
• 155 La forme orthodoxe du Confucianisme lui a été donnée par le célèbre
philosophe Tchou Hi, de la dynastie des Soung (1130-1200), né dans le Fou
Kien, d’un père originaire du Ngan Houei ; en 1180, ayant été nommé
gouverneur du Nan K’ang ; dans la province actuelle du Kiang Si, il se retirait
dans la grotte du Cerf blanc, près du lac P’o Yang, pour se livrer à ses
méditations. Nous avons déjà exposé (page • 60 ) son système philosophique
dont l’Absolu Rien ( Wou Ki) est le point de départ : Probablement par suite de
son ignorance, naturelle à son époque, Confucius ne s’est jamais occupé de
l’origine de l’homme, ni de sa destinée future ; il n’était pas religieux ; son
royaume était de ce monde, et il ne semble même pas avoir conservé la foi de
ses ancêtres. Il n’avait pas d’idées générales ; ignorant le monde extérieur, il
n’a aucune notion de relations avec des peuples étrangers ; et dans son pays
même, il n’embrassera pas l’en semble, mais une principauté, une tribu, voire
une famille : somme toute, un homme de grand bon sens, mais aucun génie.
Son opportunisme est grand ; lorsque son disciple Tseu Koung l’interrogera,
sur l’amitié, Confucius répondra :
« Avertissez vos amis avec franchise, et conseillez-les avec
douceur. S’ils n’approuvent pas vos avis, arr êtez ; craignez de vous
attirer un affront, en perdant leur amitié par votre importunité
(252) ».
Son idéal, s’il en a un, est peu élevé ; il dira :
« Celui qui ne craint pas de promettre de grandes choses, a de la
peine à les exécuter (253) ».
Mais il ne faut pas oublier qu’il a énoncé cette belle maxime :
« le Sage s’applique sérieusement à la pratique de la vertu, mesure
les autres avec la même mesure que lui-même, et ne s’écarte guère
de la voie de la perfection. Il évite de faire aux autres ce qu’il
n’aime pas que les autres lui fassent à lui -même (254). »

Le Culte.
Jusqu’à la fin de sa vie, Confucius fut méconnu par les princes ses
contemporains, et aucun d’eux ne s’empressa de suivre ses préceptes ; mais sa
mort, sans être un deuil national, fut le signal de la réaction. Le duc Ngai, de
Henri Cordier Histoire générale de la Chine 123

Lou, • 156 lui fit rendre les plus grands honneurs et construire un temple
(Miao) :
« Afin, dit le prince, que tous les amateurs de la Sagesse, présens et
à venir, puissent s’y rendre en tems réglés, pour faire les
cérémonies respectueuses à celui qui leur a frayé la route qu’ils
suivent, et sur le modèle duquel ils doivent se former (255). »
Ngai accomplit donc le premier acte d’un culte, interrompu seulement
sous la dynastie des Ts’in, qui fit l’unité de la Chine aux dépens des Etats
féodaux composant l’Empire sous l’hégémonie des Tcheou, dont la tradition
séculaire fut ainsi brisée.
Ce ne fut d’ailleu rs que sous les T’ang, en 739, que le culte de Confucius
fut définitivement détaché de celui de Tcheou ; il avait reçu en 690 son
premier titre nobiliaire : « duc élevant la voie », en 739, il fut désigné par le
terme de Sien Cheng, « ancien Saint » et porta le titre nobiliaire de « roi
propagateur de la civilisation », Wen Siouen Wang ; sous les Soung,
Confucius devient en 1008, le « roi profondément saint, qui civilise et
propage », et en 1012 : « roi absolument saint ; propagateur de la civilisation
(256) ».
En l’an 1 de notre ère, l’empereur P’ing, de la dynastie des Han, fit élever
un temple où des sacrifices devaient être offerts à Confucius, qui reçut le titre
posthume de Duc, ainsi qu’à Tcheou Koung. Le culte de Confucius , d’abord
restreint à la province de Lou, s’étendit à toute la Chine : en 57, des sacrifices.
furent commandés dans tous les principaux collèges de l’Empire. Un peu plus
tard, le prince Koung, fils de Tching Ti, construisit au lieu de naissance de
Confucius un temple qu’il nomma Ling Kouang tien et qui, consacré d’abord
au seul sage, fut ensuite, en 72, par Ming Ti, utilisé pour les sacrifices aux 72
disciples du Philosophe dont une image remplaça en 178 la tablette ; en 221,
l’empereur Wei, Wen Ti, fit r econstruire le Ling Kouang tien qui tombait en
ruines. Les empereurs des dynasties suivantes, même les Mongols Youen,
suivirent l’exemple de leurs prédécesseurs et rendirent les plus grands
honneurs à la • 157 mémoire de Confucius. En 1307, un édit de l’empereur
Tch’eng Tsoung le fit « roi très accompli et absolument saint propagateur de
la civilisation ».
L’empereur Hien Tsoung, des Ming, se montra un zélé Confucianiste. A la
e
7 lune de 1476
« on détermina de donner l’habit et le bonnet d’empereur à
Confucius, honoré jusque-là sous le titre de Wen Siouen Wang, ou
de prince de l’éloquence , puisque dans les cérémonies qu’on lui
faisait, on suivait le rite impérial. A la 2e lune (1481), l’empereur
ordonna que tous les cavaliers descendraient de cheval en passant
devant la salle de Confucius, comme ils étaient obligés de le faire
devant son palais et celui du prince héritier (257) ».
Henri Cordier Histoire générale de la Chine 124

Les souverains mandchous ont même dépassé le zèle de leurs devanciers ;


et il était d’usage qu’à l’avènement de chaque empereur celui -ci rédigeât une
inscription reproduite sur des tablettes et suspendue dans les temples de
Confucius. Associé d’abord à Tcheou Koung, des temples spé ciaux sont, à
partir de 609, consacrés à Confucius seul.
Suivant le décret promulgué en 629 par T’ang T’ai Tsoung, un Wen Miao
ou temple de Confucius doit être construit dans chaque préfecture,
sous-préfecture, district, ville de marché, dans tout l’Empire ; le temple doit
faire face au sud et il se compose de trois cours qui se suivent en général du
sud au nord, le temple proprement dit est appelé la salle de la Grande
Perfection, Ta-tch’eng tien , une des cours renfermant la salle des Ancêtres,
Ts’oung Cheng tseu.
Ce qui caractérise les temples de Confucius, ce sont les tablettes qui
prirent la place des statues en l’honneur du Sage lui -même, de ses associés, ou
de ses disciples. La tablette de Confucius est placée à l’extrémité nord du
temple, regardant le sud, et porte l’in scription : Tche Cheng Sien-che K’oung
Tseu, le Sage parfait, l’ancien Maître ; le Philosophe K’oung, titre qui fut
donné à celui-ci en 1530 pour remplacer tous les autres et qui, changé en 1645
par le premier empereur de la dynastie mandchoue Chouen Tche, fut
définitivement rétabli en 1657.
• 158 En 1331, quatre associés (Se Pé) de Confucius reçurent par décret
impérial les noms honorifiques sous lesquels ils sont connus encore
aujourd’hui :Yen Tseu (Yen Houei) né au royaume de Lou, qui mourut en 488
à trente-deux ans, eût le titre de Fou Cheng ; Tseng Tseu (Tseng Ts’an) reçut
le titre de Tsoung Cheng ; Tseu Seu (K’ oung Ki), fils de Pe Yu et petit -fils de
Confucius, avec le titre de Chou Cheng, enfin Meng Tseu, avec le titre de Yu
Cheng. Yen Tseu et Tseu Seu sont les associés de gauche ; Tseng Ts’an et
Meng Tseu les associés de droite :
Mais bien d’autres disciples ont une place réservée dans les temples de
Confucius. Le Dr Legge écrit :
« Se-ma Ts’ien fait dire à Confucius : « Les disciples qui ont reçu
mes leçons et peuvent les comprendre eux-mêmes, sont soi-
xante-dix-sept. » Ce sont des savants d’une habileté extraordinaire.
Le dicton ordinaire est que les disciples du Sage étaient 3000,
tandis que parmi eux il y en avait soixante-douze d’illustres ».
Parfois, certains philosophes, tel le réformateur Wang ngan-che, après
avoir été admis dans les temples, en ont été expulsés. Le consul anglais. T.
Watters, sinologue distingué, a consacré un volume entier à la description des
tablettes qui se trouvent dans un temple de Confucius.
Les cérémonies en l’honneur de Confucius ont lieu deux fois par an. La
religion d’État ou Jou-Kiao comprend trois degrés de sacrifices :
Henri Cordier Histoire générale de la Chine 125

a) Les grands sacrifices qui s’adressent au Ciel ( T’ien ), à la Terre (Ti), aux
grands temples des Ancêtres (T’ai -Miao) où sont placées les tablettes des
empereurs défunts de la dynastie régnante, aux Chié tsi, dieux de la terre et
des grains.
b) Les sacrifices moyens ont neuf objets : le soleil, la lune, les mânes des
empereurs et rois des dynasties précédentes ; Confucius, les anciens patrons
de l’Agriculture et de la Soie ; les dieux du Ciel et de la Terre, et l’Année du
Cycle.
c) Les sacrifices inférieurs, Kioun-se, s’adressent soit à des bienfaiteurs
défunts, à des hommes d’État célèbres, • 159 soit au vent, à la pluie, au
tonnerre, aux montagnes, aux fleuves, etc.
C’est au solstice d’hiver qu’a lieu la grande fête de la religion d’État, c’est
le jour où l’empereur, Fils du Ciel, se rend officiellement au T’ien tan , Temple
du Ciel, à Peking.
Ricci a écrit :
« Cette religion n’ad met pas d’idoles, mais honore seulement le
Ciel et la Terre, ou le Roi du Ciel... A cet Etre suprême du Ciel
qu’ils reconnaissent, les lettrés n’érigent aucun temple ; ils ne lui
ont consacré aucun lieu pour l’y adorer. Conséquemment ils n’ont
ni prêtres, ni ministres de la religion, ni rites solennels à garder par
tous, ni préceptes ou commandements imposés, ni chef spirituel,
chargé de déclarer ou promulguer leur doctrine et de châtier ceux
qui la transgressent. De même ils ne récitent jamais de prières ni en
commun ni en particulier. Bien plus, ils prétendent que l’empereur
seul doit offrir ces hommages et sacrifier au Roi du Ciel. Le vrai
temple des lettrés est celui de Confucius. »
Le titre de Yen Cheng Koung a été donné à l’Héritier de Confucius,
K’oun g Tsoung youen, descendant du Sage à la 46e génération ; par
l’Empereur Jen Tsoung, de la dynastie des Soung, la deuxième année de règne
Tche-houo (1055 ap. J.-C.)
« Ce titre, par un privilège héréditaire, est attribué au premier-né
en ligne directe de la descendance de Confucius. Son office
consiste à garder le tombeau de son illustre ancêtre, qui se trouve à
K’iu Feou hien, dans la province de Chan Toung et à lui offrir des
sacrifices. En fait d’assistants et d’aides pour les cérémonies à
célébrer, il y en a : a) deux du 3e ordre ; b) quatre du 4e ordre ; c)
six du 5e ordre ; d) huit du 7e ordre ; e) dix du 9e ordre. Tous ces
officiers sont choisis parmi les descendants de Confucius (258).
Le chef actuel de la famille de Confucius, 76e génération, né en février
1871, a été fait prince le 31 décembre 1915 ; sa descendance est assurée par
son fils, né en octobre 1906.
Henri Cordier Histoire générale de la Chine 126

Le titre de Wou King Pouo-che « Docteur en Livres canoniques » est


donné par privilège héréditaire au second fils • 160 du Yen Cheng Koung.
« Son office consiste à offrir des sacrifices à Tseu Seu, petit-fils de
Confucius, à qui le Gouvernement a conféré cet honneur pour avoir
transmis à la postérité les doctrines de son aïeul. (259) »
Tseu Seu, qui était pauvre, fut ministre de Wei ; ayant divorcé d’avec sa
femme, son fils Tseu Chang refusa de porter le deuil de sa mère, fut défendu
par son père, et de là vient la coutume dans la famille K’oung de ne pas porter
le deuil d’une mè re divorcée. La tablette de Tseu Seu fut admise pour la
première fois aux sacrifices dans les temples de Confucius par l’empereur
Houei Tsoung, de la dynastie des Soung (1108) ; en 1236, Tseu Sen fut placé
parmi les « Sages » ; en 1330, il reçut le titre de Chou Cheng Koung changé
en 1530 en celui de Chou Cheng Tseu Seu tseu ; Houei Tsoung l’anoblit sous
le nom de Yi Chouei-heou, et Tou Tsoung, également empereur de la dynastie
Soung le promut sous le nom de Yi Kouo Koung, d’après Yi, district du Chan
Toung méridional.
Ce même titre de Wou King Pouo-che
« est aussi donné, par privilège héréditaire, aux premiers nés en
ligne directe de la descendance de vingt-deux hommes illustres,
qui passent pour avoir laissé des instructions tendant à améliorer
les mœu rs du peuple. Leur office consiste à offrir des sacrifices à
leur illustre ancêtre (260) ».
Voici leurs noms :
a) Tcheou-Koung, fils de Si Pé, chef de l’Ouest, c’est -à-dire Tch’ang, duc
de Tcheou, connu sous le nom de Wen Wang ; Tcheou Koung était le frère
cadet de Wou Wang, le premier empereur des Tcheou, dont il fut Ministre ; il
passe pour être l’inventeur de la boussole ; sa descendance est représentée par
deux Wou King Pouo-che : Toung yé et Ki.
b) Onze Sages, disciples de Confucius : Yen Youen, Tseng Tseu-Yu, Min
Tseu K’ien, Tchoung Ki -Lou, Yeou Tseu-Yeou, Touan-mou Tseu-Koung,
Pou Tseu-Hia, • 161 Yen Tseu-Yeou, Jen Pe-Nieou, Jen Tchoung Koung,
Tchouan-Souen Tseu-Tchang.
c) Meng Tseu, né le 11 mars 372, mort le 10 décembre 290 av. J.-C., le
plus célèbre des disciples de Confucius ; en 1083 l’empereur Tchen Tsoung le
nomma Tsou Kouo Koung (duc de l’État de Tsou), et en 1088 Tche Tsoung le
fit admettre comme Associé dans le Temple de Confucius ; l’inscription de la
tablette de Meng Tseu fut changée en 1330 en Yu Cheng Koung ; et enfin, en
1530, l’empereur Che Tsoung, de la dynastie des Ming, fixa le titre d’une
manière définitive en Yu Cheng Meng Tseu.
d) Fou Cheng, originaire de Ts’i -nan fou dans le Chan Toung ; célèbre
déjà sous la dynastie des Ts’in pour sa connaissance des Livres classiques ; il
Henri Cordier Histoire générale de la Chine 127

passe pour avoir dicté de mémoire sous Wen Ti, empereur de la dynastie des
Han, la version moderne du Chou King connue sous le nom de Kin wen ; il fut
admis en 647 dans les temples.
e) Han Yu ou Han Wen Koung, né en 768, à Teng Tcheou, Ho-nan, mort
en 824 ap. J.-C., célèbre homme d’État et poète de la dynastie des T’ang ; fut
le principal chef de l’école confucianiste jusqu’à la dynastie des Soung, et
adversaire des bouddhistes et des taoïstes ; il fut admis en 1084 dans le
Temple de Confucius.
f) Six lettrés de la dynastie des Soung, auteurs de nouveaux commentaires
sur Confucius du milieu du XIe siècle à la fin du XIIe : Tcheou Touen-yi, né
en 1017, mort en 1073 ; Chao Young, né en 1011, mort en 1077 ; Tch’eng
hao, né en 1032, mort en 1085 ; Tch’eng Yi, né en 1033, mort en 1107 ;
Tchang Tsai, né en 1020, mort en 1077 ; Tchou-Hi, né le 18 octobre 1130,
mort le 23 avril 1200.
g) Kouan Yu, né en 160 à Kiai Tcheou, dans le Chan Si, mort en 219 ;
célèbre général déifié sous le titre de Kouan Ti, Dieu de la Guerre.

La durée séculaire du confucianisme montre que si, dans certaines


conditions, il avait donné sa forme au système social, et partant au système
administratif du Céleste Empire, ce système administratif devait crouler
lorsque • 162 les préceptes du Sage cesseraient de répondre aux besoins d’une
vie nouvelle : On ne peut dire que le confucianisme donne satisfaction aux
aspirations les plus élevées de l’âme humaine ; il est la directrice du lettré
aujourd’hui pure ment athée ; il développe la mémoire aux dépens de la raison,
mais s’il est une nourriture suffisante pour le fonc tionnaire, il ne saurait
convenir à la masse du peuple qui cherche dans les superstitions du taoïsme,
dans les invocations au Buddha, dans le culte des ancêtres, un aliment
intellectuel et moral moins sec que celui que lui fournit la doctrine terre à terre
de Confucius. Il est facile de constater que, sous les influences extérieures qui
se font de jour en jour sentir davantage dans l’Extrême -Orient, le peuple
chinois est troublé dans sa quiétude : le confucianisme, devenant insuffisant
pour satisfaire aux besoins d’une situation nouvelle, prendra place forcément
un jour parmi les théories qui n’ont plus d’int érêt que pour le philosophe de
cabinet.
Toutefois, il est juste de dire que c’est Confucius qui a donné à la Chine sa
véritable tradition et lui a par conséquent fourni son élément de durée et son
unité dans la suite des temps.
Un des résultats, le plus grand peut-être, le plus pratique sans aucun doute
de l’enseignement confucianiste, est la forme donnée à la Piété filiale d’où
dérive le Culte des Ancêtres.
Confucius a donc créé ainsi un système de morale, surtout un système de
gouvernement, système ayant pour base des règles bien déterminées qui
Henri Cordier Histoire générale de la Chine 128

révèlent peut-être leur caractère le plus simple et le plus intelligible, dans le


Hiao King, ou Livre de la Piété filiale.

Hiao King.
• Le caractère Hiao que l’on traduit par « Piété filiale », est formé de deux
caractères, l’un signifiant « vieillard », l’autre signifiant « un fils », en sorte
que suivant l’antique dictionnaire Chouo Wen, publié en 100 ap. J.-C., il
représente à l’œil un fils portant un homme âgé, c’est -à-dire un enfant portant
son parent. La piété filiale a été l’objet des entretiens de Confucius avec son
disciple Tseng Tseu ; tel • 163 était l’attachement de celui -ci pour ses parents,
qu’un jour sa mère ayant besoin d e lui et ne pouvant le faire prévenir de son
désir, elle se mordit le doigt, et par un phénomène de télépathie anticipée, le
jeune homme averti par une douleur subite, rentra chez lui ; il a mérité le
surnom de Tsoung Cheng et, avec Yen Houei, Tseu-Seu et Meng K’o, il est
l’un des quatre « Assesseurs » de Confucius dans les temples. Il est probable
que ces conversations sur la piété filiale n’ont été transcrites ni par Confucius,
ni par son interlocuteur lui-même, mais que répétées par Ts’eng Tseu à ses
disciples, ces derniers les ont recueillies et classées, formant ainsi le livre
canonique de second ordre appelé Hiao King, classique de la Piété filiale, qui
ne comprend que 1.903 caractères.
Le Hiao King, comme les autres Livres classiques, a eu à souffrir de la
proscription de l’empereur Ts’in Che Houang ti, au IIIe siècle avant notre ère ;
reconstitué depuis, cet ouvrage a été l’objet de nombreux commentaires et de
plusieurs éditions dont les plus typiques sont, sans doute, celles de l’empereur
Hiouen Tsoung en 722 et de Se-ma Kouang au XIe siècle. Il a été traduit dans
plusieurs langues étrangères, ainsi qu’on le pourra voir dans la Biblio theca
sinica.
Le Hiao King de l’empereur Hiouen Tsoung, qui est celui qui a été traduit
en anglais par le Rev. Dr James Legge, comprend dix-huit chapitres. C’est,
comme je l’ai écrit jadis (261), une étude complète de la piété filiale ; mais
cette étude n’est nullement envisagée à un point de vue élevé ; elle est terre à
terre, utilitaire, sans grandeur ; si le Hiao King n’a pas été écrit, par
Confucius, ni même par Ts’eng Tseu, il n’en porte pas moins l’inspiration du
célèbre moraliste chinois ; si le style même de ce livre permet d’hésiter sur le
nom de son auteur, son caractère pratique le fait classer avec juste raison
parmi les écrits de l’École de ce Sage, dont le système a eu le plus de durée
parce qu’il était une morale simple plutôt qu’une philosophie quin tessenciée.
La piété filiale n’est plus un sentiment naturel, • 164 spontané, grand, noble,
aussi divin qu’humain, c’est un devoir parfaitement limité, parfaitement
défini, envers ses parents, envers son souverain. C’est la source même de
toutes vertus, et la première des vertus est la conservation de soi-même :
Henri Cordier Histoire générale de la Chine 129

« Tout notre corps, jusqu’au plus mince épiderme et aux cheveux,


nous vient de nos parents ; se faire une conscience de le respecter
et de le conserver, est le commencement de la piété filiale. Pour
atteindre la perfection de cette vertu, il faut prendre l’e ssor et
exceller dans la pratique de ses devoirs ; illustrer son nom et
s’immortaliser, afin que la gloire en rejaillisse éternellement sur
son père et sur sa mère. La piété filiale se divise en trois sphères
immenses : la première est celle des soins et des respects qu’il faut
rendre à ses parents ; la seconde embrasse tout ce qui regarde le
service du prince et de la patrie ; la dernière et la plus élevée, est
celle de l’acquisition des vertus, et de ce qui fait notre perfection. »
(Chap. I.)
Cette piété filiale n’est nullement la même pour tous ; elle varie suivant la
classe ; elle n’est pas chez l’empereur ce qu’elle est chez les princes, les
grands, les lettrés ou le peuple. Si le Fils du Ciel témoigne de son amour et de
son respect extrême pour ses parents, il servira d’exemple à ses peuples pour
honorer les leurs ; si les princes sont sans orgueil, quelque élevé que soit leur
rang, ils ne tomberont pas ; ils doivent être économes, se garantir du luxe, tout
en vivant avec dignité ; un premier ministre ne doit point s’écarter des lois des
anciens empereurs, ni dans ses habits, ni dans ses discours, ni dans ses
actions ; les fonctionnaires subalternes peuvent conserver leur dignité tout en
étant fidèles et obéissants et en ne manquant point dans leur service à ce qu’ils
doivent à leurs supérieurs : la piété filiale s’étend depuis l’empereur jusqu’au
moindre des citoyens.
La piété filiale n’est plus ce sentiment simple d’amour de l’enfant pour ses
parents, c’est un sent iment complexe qui comprend tous les sentiments, une
vertu multiple qui renferme toutes les vertus, universelle, « embrassant tout
• 165 depuis l’empereur jusqu’au dernier de ses sujets, ne com mençant ni ne
finissant à personne ». Et Tseng Tseu, émerveillé de s’écrier : « Que la
grandeur de la piété filiale est immense ! » et le Sage de répondre : « Ce
qu’est la régularité des mouveme nts des astres pour le firmament, la fertilité
des campagnes pour la terre, la piété filiale l’est constamment pour les
peuples. » (Ch. VII.)
Au point de vue gouvernemental, la piété filiale, qu’on soit empereur, roi,
prince ; etc., consiste à bien traiter ses inférieurs. (Ch. VIII).
Lorsque Tseng Tseu demande à son maître s’il y a quelque vertu au -dessus
de la piété filiale, Confucius lui répond que de même que l’homme est la plus
noble production du Ciel et de la Terre, dans les actions de l’homme, rien
n’est au -dessus de la piété filiale. (Ch. IX.)
La piété filiale comprend cinq choses : témoigner à ses parents le plus
profond respect ; leur procurer les aliments qui leur soient le plus agréables ;
manifester la plus vive anxiété quand ses parents sont malades ; dans le deuil
Henri Cordier Histoire générale de la Chine 130

être frappé de désolation ; enfin dans les honneurs funèbres, marquer la plus
profonde vénération. (Ch. X)
A l’époque des Tcheou, c’est -à-dire à celle de Confucius, il y avait cinq
sortes de supplices : 1° une marque noire qu’on imprimait sur le front ; 2°
l’amputation du bas du nez ; 3° celle du pied ou du nerf du jarret ; 4° la
castration ; 5° la mort ; ces cinq sortes de supplices s’appliquaient à trois mille
espèces de crimes, mais, nous dit le Hiao King, aucun de ces crimes n’égale
l’absence de piété filiale. (Ch. XI.)
Tseng Tseu pose la question de savoir si un fils qui obéit en tout à son père
remplit les devoirs de la piété filiale et le Sage de rétorquer : comment une
obéissance absolue à toutes les volontés du père peut-elle être considérée
comme un devoir de la piété filiale, puisque le prince, le père, etc., doivent
être avertis lorsqu’ils commettent des fautes ? (Ch. XV.) Il y a donc droit de
remontrance.
Comme on le voit, rien de plus précis que les devoirs de la piété filiale ; et
ce n’est pas seulement dans le Hiao King que vous les trouverez énumérés. Le
rituel Li Ki à côté d’une pensée délicate : « Un fils rempli de piété filiale
entend • 166 ses père et mère sans qu’ils lui parlent et il les voit sans être en
leur présence », nous donne les renseignements les plus circonstanciés sur le
deuil, par exemple : « La rigueur du deuil ne doit pas aller jusqu’à trop
s’amaigrir ou jusqu’à affaiblir ni la vue, ni l’ouïe. Si on a une blessure à la
tête, on peut la laver ; si on est échauffé, on peut prendre le bain ; si on est
malade, on peut manger de la viande et boire du vin ; mais on reprend les
observances du deuil dès qu’on est remis, les négliger, ce serait outrager la
nature et abjurer la piété filiale. » Ceci est plein de bon sens.
Le dernier chapitre (XVIII) même du Hiao King donne les conseils les
plus méticuleux sur la manière d’ensevelir les parents ; la conclusion
cependant de ce livre de préceptes, de ce guide de la vie quotidienne, est
élevée et se rapproche de nos idées sur la piété filiale :
« Honorer et aimer ses parents pendant leur vie, les pleurer et les
regretter après leur mort, est le grand accomplissement des lois
fondamentales de la société humaine. Qui a rempli envers eux
toute justice, pendant leur vie et après leur mort, a fourni en entier
la grande carrière de la piété filiale. »
La Piété filiale, telle que nous la dépeint le Hiao King, n’est plus le
sentiment naturel qui se retrouve chez tous les peuples, le peuple chinois
compris ; c’est une doctrine officielle. La Piété filiale comme nous
l’entendons est affaire individuelle ; elle n’a d’influe nce ni sur notre politique
générale, ni sur nos croyances religieuses. A la Chine, au contraire, elle a
transformé la nation en une vaste famille dont le chef est l’empereur ; elle est
devenue la base d’un gouver nement qui n’a rien de chimérique, qui es t réel et
durable puisqu’il existe depuis des siècles. Dire qu’il existera long temps
Henri Cordier Histoire générale de la Chine 131

encore, nous ne le pensons pas ; cependant nous croyons, malgré certains


signes, qu’on ne peut, dès à présent, prévoir le terme d’un système qui a eu
l’avantage de s’app uyer sur un sentiment simple et naturel à l’origine, au lieu
d’avoir pour point de départ des théories creuses et artificielles, :mais qui ne
saurait tenir devant les idées nouvelles que les relations toujours croissantes
avec les • 167 étrangers apporteront nécessairement. Ce dogme de la piété
filiale, pivot de la machine sociale qui, dans l’ordre politique, a donné à la
Chine son mode de gouvernement, devait forcément dans l’ordre religieux
créer un culte spécial. Ce respect profond envers les parents, ces devoirs
incessants, ces conseils sévères, ont nécessairement créé entre les parents et
les enfants, toujours en théorie, une barrière immense. Les soins rendus aux
morts se sont facilement transformés en un culte qui, perfectionné avec le
temps, multipliant ses cérémonies, est devenu le culte des ancêtres. Et, de
même que dans le gouvernement, le système a continué son fonctionnement
quoique son origine soit aujourd’hui un peu oubliée, dans la religion, le
dogme a fait place au cérémonial, et la pratique de la piété filiale s’est à peu
près restreinte au culte rendu aux ancêtres.
« Anciennement le prince de Yu (Chouen) honorait la vertu, et
parmi les hommes égaux en vertu donnait le premier rang aux plus
âgés. Les Hia honoraient les dignités, et parmi les hommes égaux
en dignité donnaient le premier rang aux plus âgés. Les Yin
honoraient la richesse, et parmi les hommes également riches
donnaient le premier rang aux plus âgés. Les Tcheou honoraient la
parenté, et parmi les parents au même degré donnaient le premier
rang aux plus âgés. Chouen et les remarquables souverains des
dynasties des Hia, des Yin et de Tcheou ont tous tenu compte de
l’âge. L’âge est honoré partout depuis long temps. L’honneur rendu
à l’âge tient le premier ra ng après la piété filiale (262) ».
Meng Tseu dit :
« Trois choses sont contraires à la piété filiale. La plus
répréhensible est de n’avoir pas d’enfants. Tchao K’i dit : « Trois
choses sont contraires à la piété filiale. La première est
d’encourager les parents à mal faire, par des flatteries et une
coupable complaisance. La seconde est de ne pas vouloir exercer
une charge lucrative, pour soulager l’indigence de ses vieux
parents. La troisième est de n’avoir ni femme ni enfants et de faire
cesser ainsi les offrandes aux ancêtres. De ces trois fautes, la plus
grave • 168 est de rester sans postérité. Chouen contracta mariage
sans avoir averti ses parents, parce que (s’il les avait avertis, il
n’aurait pas obtenu leur consentement), il n’aurait pas eu d’enfants.
Les sages pensent que c’est comme s’il les avait avertis (263) ».
Henri Cordier Histoire générale de la Chine 132

Culte des Ancêtres.


Suivant l’ancienne philosophie chinoise, l’homme a deux âmes, nous dit
De Groot :
1° Le chen ou âme immatérielle émane de la partie céleste éthérée du
Cosmos, et se compose de la substance yang ; quand elle opère d’une manière
active dans le corps humain vivant, elle est appelée k’i ou « souffle », et
hwun ; quand elle en est séparée après la mort, elle vit comme un brillant
esprit, désigné Ming.
2° Le kouei, l’âme matérielle, émane de la partie t errestre de l’Univers, et
est formée de la substance yin ; quand l’homme vit, elle agit sous le nom de
p’o , et à sa mort, elle retourne à la Terre ; c’est donc le kouei qui est enseveli
avec le corps, et le chen réside à l’entour de la tombe.
En réalité chacun des viscères a une âme à forme humaine, et quelques
médecins attribuent à l’homme un nombre infini d’âmes ou de parties d’âmes,
ou, comme ils le disent, « cent chen » qui, suivant l’âge, changent de place
dans le corps ; d’ailleurs le foie, les poumon s et les reins correspondent au
printemps, à l’automne et à l’hiver comme à l’Est, l’Ouest et le Nord ; les
âmes peuvent se séparer du corps, et même, par la magie noire, en être
extraites, sans occasionner la mort nécessairement. Les esprits peuvent entrer
en relation avec les vivants ; il y en a qui se vengent du mal qu’on leur a fait ;
naturellement ils apparaissent aux hommes dans leurs rêves.
Quand un homme est sur le point de mourir, on convoque ses parents pour
assister à ses derniers moments ; dès qu’on s’aperçoit que la fin est proche, on
transporte le moribond de son lit sur des planches placées sur des tréteaux et il
est couvert de la natte sur laquelle il était étendu ; on le lave et le rase et ses
vêtements funéraires sont arrangés autour de lui, les souliers aux pieds, le • 169
chapeau à la tête, le pantalon et la robe à côté. Un silence religieux règne dans
la salle, mais dès que le malade a rendu le dernier soupir, ses parents se
répandent en bruyantes lamentations ; les yeux du mort sont fermés, et une
fenêtre est ouverte pour permettre aux mauvais esprits, cause de la maladie, de
fuir de la maison. Les parents les plus proches revêtent des vêtements
grossiers et lavent le corps ; ce sont généralement les femmes qui se livrent à
cette cérémonie. Une lumière et de petites poupées en papier qui représentent
des serviteurs, sont placées près du corps ; et les enfants vont recueillir chez
les voisins des cendres qui seront placées dans le cercueil ; le mobilier de
l’appartement est enlevé ; du riz cuit, des légumes sont distribués sur une table
à côté du défunt en même temps qu’une offrande de même nature est offerte à
la divinité locale du sol ; enfin les parents et les amis viennent faire les visites
de condoléances.
Puis le corps est revêtu de pantalons de toile ou de coton doublé d’une
étoffe de soie blanche, de bas semblables et d’une blouse à larges manches qui
descend jusqu’aux genoux ; par dessus on ajoute des jaquettes, des robes, etc.,
Henri Cordier Histoire générale de la Chine 133

comme en portait le défunt ; après l’habillement, une offrande de mets appelée


si cheng, « adieu à la vie », a lieu pour montrer que la famille n’espère plus
que le défunt revienne à la vie ; sur la table on place perpendiculairement une
planchette de bois en forme de tronc de pyramide d’une dizaine de centimètres
de hauteur, qui représente le corps et dans laquelle l’âme doit pénétrer grâce
aux prières du bonze convoqué à cet effet. Un sacrifice d’une douzaine de
plats, puis un envoi d’argent au défunt sous forme de monnaie de papier que
l’on brûle, ont lieu plus tard.
Puis vient la réception du cercueil, tsie-pan, porté par six ou huit coolies
sur leurs épaules, accompagnés de musiciens ; dans le cercueil on jette des
clous pour que les enfants et petits-enfants puissent avoir des héritiers mâles,
puis une poignée de graines de chanvre et de pois, symbole d’une nombreuse
postérité, puis du blé, du millet, etc., • 170 signe d’abondance ; on ajoute des
débris de papier, puis le tout est couvert d’une planche percée de sept trous,
correspondant aux étoiles de la Grande Ourse. Sur cette planche, on place un
matelas de coupures de papier, puis une natte faite avec de la moelle de
roseau, puis une natte ordinaire et un oreiller de bambou. Une poignée de
sapèques, emblème de la possession de la fortune jusqu’après la mort, est
placée dans les manches du défunt ; on a soin, d’ailleurs, d’enlever les
sapèques avant les funérailles. Puis le corps est placé dans le cercueil avec les
objets dont le défunt a fait usage dans ce monde et qui pourraient lui servir
dans l’autre : tels que sa pipe, son pinceau, son encrier, la copie du brevet de
son grade s’il est mandarin, etc. Enfin, on cale le corps avec des morceaux de
chaux, de l’argent en papier, ou de simples morceaux de papier, puis on étend
un drap blanc, puis un drap rouge plus petit, puis une grande et une petite
paire de pantalons, bourrés de lingots de papier d’or et d’argent, puis les petits
esclaves de papier dont nous avons déjà parlé, un miroir, ou à son défaut une
rondelle de fer-blanc, puis une bande de toile grossière sur laquelle est
dessinée à l’encre no ire une figure mâle ou femelle suivant le cas ; puis on
place le couvercle sur le cercueil, les parents se retirant à une certaine
distance, ou dans une autre pièce, pour éviter que leurs ombres soient
emprisonnées avec le corps du défunt dans sa dernière demeure.
Puis on devra choisir un jour favorable pour l’enterre ment ; on envoie les
cartes de deuil, puis aura lieu l’emma gasinage du cercueil en attendant son
enterrement définitif, toutefois, il ne me paraît pas utile d’entrer ici dans le
détail de toutes ces cérémonies. Je rappellerai qu’il y a cinq degrés ou cinq
sortes d’habillement de deuil suivant la parenté ; que le blanc est la couleur du
deuil en général, et le bleu la couleur du deuil impérial.
La durée du deuil varie suivant le degré de parenté, en voici les règles
d’après le Ta Ts’ing liu li , code pénal de l’Empire :
Le deuil, pour les plus proches parents au premier degré • 171 sera porté
pendant trois ans : l’habillement sera fait du chanvre le plus grossier et sans
que les bords soient cousus.
Henri Cordier Histoire générale de la Chine 134

Le deuil, pour les autres parents au premier degré, sera de trois ou de cinq
mois : l’habillement sera fait d’un chan vre de moyenne grosseur, et bordé.
Pour les parents au second degré, le deuil sera porté pendant neuf mois :
l’habillement sera fait de toile gros sière.
Pour les parents au troisième degré, le deuil sera de cinq mois :
l’habillement sera fait d’une toile de moyenne f inesse.
Pour les parents au quatrième degré, le deuil durera trois mois et
l’habillement sera fait d’une toile de moyenne grosseur.
Le deuil est porté pendant trois ans pleins :
— Par un fils, pour son père ou sa mère ;
— Par une fille, pour son père et sa mère, lorsqu’elle vit sous le même toit,
quoiqu’elle soit fiancée, ou même mariée, ou si, étant divorcée, elle est
renvoyée chez ses parents ;
— Par la femme du fils, pour le père et la mère de son mari ;
— Par un fils et sa femme, pour celle qui a succédé à la première femme
de son père ; pour la femme de son père, ayant remplacé sa mère, et pour la
femme de son père, qui l’a nourri ;
— Par le fils d’une femme inférieure et par sa femme, pour sa mère
naturelle, et pour la première femme de son père ;
— Par un fils adoptif et sa femme, pour les père et mère qui l’ont adopté ;
— Par un petit-fils et sa femme, pour ses grands-parents paternels ;
— Par une femme, principale ou inférieure, pour son mari.
Dans l’humble demeure du paysan, comme dans la maison somptueuse du
banquier, dans le misérable logis du coolie comme dans l’imposant yamen du
mandarin, l’an cêtre est présent au foyer domestique, dans un cadre qui varie
suivant la fortune, mais entouré partout de la même vénération. Les ancêtres
sont représentés soit par une simple tablette, chen tchou ou chen p’ai ,
d’environ quinze • 172 centimètres de haut sur quatre de large, soit, chez les
gens aisés, par une salle, tsou miao, où sont réunies et rangées par ordre
chronologique les tablettes de tous les parents défunts ; ces salles sont plus ou
moins richement ornées, suivant l’état de fortune du propriétaire ; les tablettes
se trouvent toujours chez le fils aîné, souvent aussi chez la plupart des
membres de la famille. Parfois, derrière la tablette, une cavité permet de
recueillir des morceaux de papier portant les noms d’ancêtres éloignés ; tous
les jours on brûle de l’encens et du papier devant les tablettes, en
accompagnant la cérémonie de génuflexions.
On célèbre d’une manière générale le culte des ancêtres dans la première
moitié d’avril, cent six jours après le solstice d’hiver, période appelée tsing
ming ; toute la population, se rend en famille aux cimetières, portant les objets
Henri Cordier Histoire générale de la Chine 135

nécessaires aux libations et aux sacrifices, le papier et l’enc ens pour être
brûlés ; les tombes sont réparées et nettoyées ; il existe, comme on le voit, une
grande ressemblance entre cette cérémonie et les visites que l’on fait dans nos
pays dans les cimetières le jour de la Toussaint ou le jour des Morts. Les
prières terminées, trois morceaux de gazon sont placés à l’avant et à l’arrière
de la tombe pour maintenir des flots de papier rouge et blanc qui flottent au
vent, indiquant que les rites ont été accomplis.
Comme on le voit, ce culte est simple ; il réunit également toutes les
classes de la société, toutes les sectes religieuses de l’Empire, qu’elles soient
confucianistes, bouddhistes ou taoïstes ; on peut donc dire avec raison que
tout en n’étant pas comprise dans les San Kiao, les trois religions d’État, elle
est la principale religion de la Chine. C’est le plus sérieux ennemi que
rencontre le prosélytisme chrétien ; car le culte des ancêtres étant la base
même de la société, le christianisme représente, en dehors du principe
religieux, un aspect révolutionnaire et subversif. On a essayé de tourner la
difficulté en disant que le culte des ancêtres ne consistait qu’en hommages
rendus à la mémoire des parents défunts. Mauvaise foi ou erreur ! Le culte des
ancêtres est une religion, une véritable religion, • 173 avec des cérémonies
parfaitement précises et c’est ainsi que l’a compris le Saint -Siège.

Mencius.
Nous consacrerons quelques lignes à Mencius, le principal disciple et
compatriote de Confucius. Mencius est la forme latinisée donnée par les
missionnaires du XVIIe siècle à Meng Tseu. Il appartenait à la famille Meng
Sun, l’une des plus considérables du royaume de Lou, mais qui avait perdu
son influence dans la première moitié du Ve siècle. Son nom était K’o ; né en
372 av. J.-C., il vécut jusqu’en 29 0, mourant à l’âge de 82 ans. Il avait perdu
de bonne heure son père Ki Koung-Yi, établi dans le pays de Tseou, dans le
district de Yen Tcheou, province de Chan Toung ; il fut élevé par sa mère
Tchang Che, qui lui inculqua les principes de la vertu. On n’a que fort peu de
renseignements sur la vie de Mencius, encore faut-il les tirer de ses écrits ; il a
occupé des postes de conseiller près de différents princes ; on le trouve
d’abord conseiller de Ts’i vers 322 ; de Ts’i, il passa à T’ang ; à Leang,
retourna à Ts’i ; à Lou en 309, il paraît avoir occupé des fonctions publiques
pendant vingt-quatre ans environ.
On lit dans Mailla, VIII, p. 302, à l’année 1084 :
« Tchang Tche, chef du Kouo Tseu Kien ou Collège impérial, avait
autrefois demandé à l’empereur d e donner un titre d’hon neur à
Meng K’o, autrement Meng Tseu, de le mettre dans la salle de
Confucius, et de donner à ce dernier celui de Ti ou d’empereur.
Chen Tsoung (empereur Soung) avait renvoyé cette proposition
Henri Cordier Histoire générale de la Chine 136

devant le tribunal des Rites et à son Conseil qui l’avaient rejetée


comme déraisonnable. Cette année, à la cinquième lune, Tseng
Hiao-Kouan, gouverneur de Yun Tcheou, remit cette affaire sur le
tapis, et on conclut qu’elle était juste, parce que Meng Tseu avait
fait paraître beaucoup de zèle contre les pernicieuses doctrines de
Yang et de Me, et que le T’ien l’avait substitué à Confucius pour
conserver la saine doctrine. On donna à Meng Tseu le titre de
Tseou Kouo Koung, et il fut placé dans la salle de Confucius avec
Yen Tseu ; en même temps on éleva Siun Kouang, Yang Hioung et
Han Yu à la dignité de Pe, dignité inférieure à celle de Koung ou
de • 174 comte (lire duc) ; le premier du titre de Lan Ling Pe ; le
second de celui de Tching Tou Pe, et le troisième de Tchang Li Pe ;
on les plaça dans les galeries qui sont sur les deux ailes de la
salle. »
Nous avons vu que l’ouvrage qui porte le nom de Me ncius est le quatrième
des Se Chou ou Quatre Livres, les premiers des Livres classiques de second
ordre. Le P. Amiot (264) nous dit que Mencius
« n’ayant d’autre doctrine que celle des Anciens, ne diffère de
Confucius que dans la manière de l’annoncer et de l’expliquer. Son
ouvrage, que nous devons aux soins de Koung Sun Tch’eou et de
Wan Tchang qui l’ont publié, est divisé en sept parties, dont le
précis peut se réduire à ce peu de mots : L’homme est essentielle -
ment bon de sa nature ; il est par conséquent capable de toutes les
vertus : naturellement bon, il ne doit pas se dépraver ; pouvant être
vertueux il ne doit rien négliger pour le devenir. La connaissance et
la pratique de ses devoirs, comme homme, et comme homme
vivant en société, le conduisent droit à son but : il connaîtra tous
ses devoirs, s’il se connaît lui -même, et s’il connaît les autres ; il en
remplira toute l’étendue s’il sait être humain et juste ».
Mencius n’est pas un disciple servile de Confucius ; il a soin de tenir
compte de la différence que les temps ont opérée dans les conditions sociales.
Il tient un langage singulièrement hardi vis-à-vis des Grands. Il aime la polé-
mique et on le verra défendre les devoirs contre Yang Tchou, les droits de
l’indivi du contre Mo Tseu.

Lao Tseu

Le principal ouvrage qui porte depuis une époque inconnue le nom de Lao
Tseu, est le Tao Te King, le Livre de la Voie et de la Vertu, ou mieux, suivant
le P. Wieger, Traité du Principe et de son action, base du Taoïsme, Tao Kiao,
une des trois religions de la Chine, dans lequel sont révélés les mystères du
Tao, qui nous est parvenu, divisé en deux parties, dont la première est le Tao,
Henri Cordier Histoire générale de la Chine 137

la seconde le Te, • 175 caractère du Tao, vertu idéale, à laquelle l’homme ne


peut atteindre ; renfermé en 80 chapitres, suivant une division qui est attribuée
à Ho-chang Koung ; mais il est certain, surtout si l’on en croit les légendes
rapportées par Tchouang Tseu, que le Tao a été connu avant l’auteur du Tao
Te King ; le troisième des cinq empereurs, Houang Ti, fort révéré par les
adeptes de Lao Tseu, qui régnait suivant la légende plus de 2000 ans av. J.-C.,
était le dieu de la doctrine dont Lao Tseu était le prophète (265).
On attribue à cet empereur l’ouvrage dialo gué connu sous le nom de Nei
King, livre canonique intérieur, composé de deux parties, le Sou wen ou
questions relatives aux origines, dont le Yin fou King serait un développement,
et le Ling tchou King, livre du principe des choses intellectuelles.
Mais arrivons à Lao Tseu.

Vie de Lao Tseu.


Lao Tseu est né la troisième année de Ting Wang, prince de Tcheou,
c’est -à-dire en 604, à K’io jin, dans le royaume de Ts’ou, province actuelle du
Ho Nan ; cette date, conforme à la tradition historique, n’est pas d onnée par
Se-ma Ts’ien dans la biographie qu’il a consacrée au philo sophe dans son
Che-ki ; si cette date est acceptée, elle rend difficile d’admettre l’authenticité
de l’entrevue de Lao Tseu et de Confucius qui aurait eu lieu en 500 avant
J.-C. ; si ce dernier avait alors cinquante et un ans, comme l’affirme Tchouang
Tseu, Lao Tseu aurait eu cent quatre ans. Le nom de famille de Lao Tseu était
Li, son petit nom Eul, son titre honorifique Pe yang, et son nom posthume
Tan. Il fut garde des archives de Lo, capitale des souverains de la dynastie
Tcheou. Prévoyant la décadence de ces princes, il quitta son emploi, et
entreprit un voyage ; à la passe de Han Kou, province de Ho Nan, le gardien
Yin Hi le pria d’écrire ses pensées pour son instruction avant de se retirer du
monde ; en conséquence, Lao Tseu composa son ouvrage en deux parties sur
le Tao et le Te, et l’ayant confié à Yin Hi, il disparut. On ignore quand mourut
le philosophe.
Lao Tseu eut un fils nommé Tsoung qui fut général du royaume de Wei et
obtint un fief à Touan Kan. Son fils • 176 appelé Tchou eut lui-même pour fils
Koung ; le petit-fils de Koung qui s’appelait Hia, remplissait une charge sous
l’empereur Hiao Wen, des Han. Kiai, fils de Hia, devint ministre de K’iang,
roi de Kiao-si, et, à cause de cette circonstance, s’établit avec sa famille dans
le royaume de Ts’i (266).

Légende de Lao Tseu.


Henri Cordier Histoire générale de la Chine 138

Il est évident que ces faits manquent du merveilleux qui doit s’attacher à la
personne du chef d’une religion. Il y fut pourvu. Un certain Ko Houng plaça la
légende de Lao Tseu en tête du Chen sien tch’ouen (267), « Histoire des Dieux
et des Immortels », vers l’an 350 de J. -C., et nous y trouverons le côté
fabuleux absent de la biographie ordinaire :
« Sa mère devint enceinte par suite de l’émotion qu’elle éprouva en
voyant une grande étoile filante. C’était du Ciel qu’il avait reçu le
souffle vital ; mais, comme il fit son apparition dans une maison
dont le chef s’appelait Li (poirier), on lui donna Li pour nom de
famille. Quelques auteurs disent que Lao Tseu est né avant le ciel
et la terre ; suivant d’au tres, il possédait une âme pure émanée du
ciel. Il appartient à la classe des esprits et des dieux. Certains
écrivains racontent que sa mère ne le mit au monde qu’après
l’avoir porté dans son sein pendant soixante et douze ans. Il sortit
par le côté gauche de sa mère. En naissant il avait la tête blanche
(les cheveux blancs) : c’est pourquoi on l’appela Lao Tseu
(l’enfant vieillard). Quelques auteurs disent que sa mère l’avait
conçu sans le secours d’un époux, et que Lao Tseu était le nom de
famille de sa mère. D’autres disent que la mère de Lao Tseu le mit
au monde au bas d’un poi rier, il montra le poirier et dit : Li
(poirier) sera mon nom de famille, etc. (268) ».
Que ne raconte-t-on pas encore ?
Ko Houng nous narre les voyages de Lao Tseu :
« Quelques auteurs disent que, du temps de l’empereur Tch’eng -
wang (1115 à 1079 av. J.-C.), il fut gardien des archives. Alors il
voyagea aux extrémités de l’Occident, dans les • 177 royaumes de
Ta T’sin , de Tchou Kien, etc. Il reçut le titre de Kou Sien sing,
« l’ancien docteur ». Il convertit ces royaumes. Sous le règne de
K’ang Wang, il s’éloigna de ces contrées et revint dans le pays de
Tcheou. Il reprit la charge de gardien des archives. Du temps de
Tchao Wang, il quitta ses fonctions, retourna à Po, son pays natal,
et y vécut dans la retraite. Lao Tseu voulut de nouveau convertir
les peuples du Si Yu (des contrées situées à l’occident de la Chine).
Le cinquième mois de la treizième année de l’empereur Tchao
Wang (1052 à 1002 av. J.-C.), il monta sur un char traîné par un
buffle noir, ayant pour cocher Siu-Kia, et voulut sortir, à l’ouest,
par le passage de Han Kou. Yin-Hi, gardien de ce passage, sachant
que c’était un homme e xtraordinaire, le suivit et l’interrogea sur le
Tao (269) ».
Henri Cordier Histoire générale de la Chine 139

Entrevue de Confucius et de Lao Tseu.


Se-ma Ts’ien raconte que K’oung Tseu se rendit au pays des Tcheou,
c’est à dire Lo Yang (Ho Nan fou) :
« Ce fut sans doute alors qu’il vit Lao Tseu, écrit le célèbre
historien. Quand il prit congé pour s’en aller, Lao Tseu le
reconduisit en lui disant :
« J’ai entendu dire que l’homme riche et puissant reconduit les
gens en leur donnant des richesses, que l’homme bon recondui t les
gens en leur donnant des paroles. Je ne saurais être riche et
puissant, mais je prends furtivement le titre d’homme bon ; je vous
reconduirai donc en vous donnant des paroles, et voici ce que je
vous dirai : Celui qui est intelligent et qui est profond observateur
est près de mourir, car il critique les hommes avec justesse ; celui
dont l’esprit est très savant, ouvert et vaste, met en péril sa
personne, car il dévoile les défauts des hommes. Celui qui est fils
ne peut plus se posséder ; celui qui est sujet ne peut plus se
posséder (270) ».
Si l’entrevue avait eu lieu réellement, ces paroles auraient été fort
désagréables à Confucius, car en d’autres termes, elles veulent dire, écrit
Chavannes :
« Une grande intelligence et une profonde instruction sont choses
pernicieuses pour qui les possède ; celui qui s’acquitte des devoirs
de la piété filiale et celui qui agit en sujet loyal ne se possèdent
• 178 plus eux-mêmes, car ils sont à la merci, l’un de ses parents,
l’autre de son prince. C’est la condamnation de l’intelligence, de la
piété filiale et du loyalisme qui sont les principes essentiels de la
doctrine de Confucius (271) ».
Le récit de cette entrevue entre les deux philosophes était fort populaire en
Chine ; la scène est même représentée dans un des bas-reliefs du IIe siècle de
notre ère, conservés au Chan Toung et publiés par M. Chavannes (272).
Lorsque Confucius eut quitté Lao Tseu, il dit à ses disciples :
« Je sais que les oiseaux volent dans l’air, que les poissons nagent,
que les quadrupèdes courent. Ceux qui courent peuvent être pris
avec des filets ; ceux qui nagent, avec une ligne ; ceux qui volent,
avec une flèche. Quant au dragon qui s’élève au ciel, porté par les
vents et les nuages, je ne sais comment on peut le saisir. J’ai vu
aujourd’hui Lao Tseu : il est comme le dragon (273) ! »
Si l’on est d’a ccord sur l’époque à laquelle vivait Confu cius (551 à 479 av.
J.-C.), il n’en est pas de même pour Lao Tseu. Tandis que Ko Houng, l’auteur
de la légende insérée dans le Chen sien tch’ouen , « Histoire des Dieux et des
Immortels », le fait vivre au XIe siècle avant notre ère, Se-ma Ts’ien le fait
vivre à la fin du VIe siècle ; le disciple de Lao Tseu, Tchouang Tseu, dit, ainsi
Henri Cordier Histoire générale de la Chine 140

que nous l’avons vu, que Confucius aurait eu cinquante et un ans lors de la
fameuse entrevue : les disciples du Sage de Lou en ont toujours nié
l’authenticité, sans doute à cause du rôle un peu ridicule que les Taoïstes font
jouer à Confucius, et celui-ci, qui a été volontiers le but des attaques des
sectateurs de Lao Tseu, est probablement la victime de l’imagination de ses
adversaires. Il est juste de dire que Confucius, pas plus que son principal
disciple, Mencius, n’a jamais mentionné Lao Tseu dans ses ouvrages.
Ko Houng fait ressortir que Lao Tseu n’est pas l’inven teur du Tao, que
celui-ci, qui dérive du Ciel et de la Terre, a existé de tous temps et qu’il a été
connu par nombre de • 179 Sages ; en faisant passer Lao Tseu pour un être
divin et extraordinaire, on diminue son mérite ; s’il est simplement un homme
qui par l’étude a découvert le secret de l’immorta lité, s’il a pu par ses propres
méditations acquérir la connaissance du Tao, d’autres hommes pourront
l’imiter qui seraient obligés de renoncer à le suivre s’il était un génie
d’essence surnaturelle (274).

Lao Tseu et l’Occident.


Toutes les conséquences des rapports que Lao Tseu aurait eus avec les
Sages d’Occident reposent sur le récit de Ko Houng ; il ne faut pas perdre de
vue que celui-ci n’écrivait qu’au IVe siècle de notre ère ; que les régions qu’il
mentionne, Ta Ts’in , et autres, n’existaient pas au VIe siècle avant notre ère
ou étaient alors inconnues des Chinois. Si d’ailleurs la grande pérégrination de
Lao Tseu a eu lieu, et je suis rien moins que certain, elle s’est probablement
bornée à un voyage aux frontières accessibles de l’Empire, c’est -à-dire
jusqu’à l’extrémité du Kan Sou actuel. Malgré son obscurité et plutôt à cause
de son obscurité, on peut échafauder sur le Tao les théories les plus
contradictoires.
Abel Rémusat, partant d’une théorie préconçue, exagérant même les idées
des anciens missionnaires, a voulu retrouver dans Lao Tseu, le mot même de
Jehovah ! Quant au Tao :
« les Tao-sse s’en servent, dit -il, pour désigner la raison
primordiale, l’intelligence qui a formé le monde, et qui le régit
comme l’esprit régit le corps. C’est en ce sens qu’ils se disent
sectateurs de la raison. Ce mot me semble ne pas pouvoir être bien
traduit si cen’est par lemot ëï • ãï ò, dans letriplesens desouverain
être, de raison et de parole. C’est évidemment le ëï • ãï òdePlaton,
qui a disposé l’uni vers, la raison universelle de Zénon, de Cléanthe
et des autres stoïciens ; c’est cet être qu’Amélius disait être dé signé
sous le nom de raison de Dieu par un philosophe qu’Eu sèbe croit
être le même que saint Jean, etc. (275).
Henri Cordier Histoire générale de la Chine 141

De là vient qu’on appelle les Tao-sse « les rationalistes », et leur doctrine


« le rationalisme ». C’est un fatras qui aurait pu être écrit au XVIIe siècle par
Athanase Kircher ou par Huet, • 180 évêque d’Avranches, mais qu’on s’étonne
de trouver sous la plume d’un homme au génie particulièrement lucide.
Stanislas Julien, qui ne fut pas toujours juste à l’égard de son ancien
maître, n’a pas de peine à combattre ses théo ries :
« On conviendra sans peine que le plus sûr moyen de comprendre
le sens de Tao dans la doctrine de Lao Tseu, c’est d’interroger le
maître lui-même, et de consulter les philosophes de son école les
plus rapprochés de l’époque où il a vécu ; tels que Tchoang Tseu,
Ho kouan Tseu, Ho chang-koung, etc., qui sont tous antérieurs à
l’ère chré tienne. Or, suivant eux, le Tao est dépourvu d’action, de
pensée, de jugement, d’intelligence . Il paraît donc impossible de le
prendre pour la raison primordiale, pour l’intelligence sublime qui
a créé et qui régit le monde.
« Telle est cependant l’idée que plusieurs savants, dont je respecte
et partage les croyances, voudraient absolument trouver dans le
Tao de Lao Tseu. Mais, en matière d’érudition, on doit s’étudier à
chercher dans les écrivains de l’antiquité ce qu’ils renferment
réellement, et non ce qu’on désirerait d’y trouver.
« Le sens de Voie, que je donne au mot Tao, résulte clairement des
passages suivants de Lao Tseu : « Si j’étais doué de quelque
prudence, je marcherais dans le grand Tao (dans la grande Voie).
— Le grand Tao est très uni (la grande Voie est très unie), mais le
peuple aime les sentiers (chap. LIII). — Le Tao peut être regardé
comme la mère de l’univers. Je ne connais pas son nom ; pour le
qualifier, je l’appe lle le Tao ou la Voie » (chap. XXV).
Et Julien conclut que, dans Lao Tseu et les plus anciens philosophes de
son école,
« l’emploi et la définition du mot Tao excluent toute idée de cause
intelligente, et qu’il faut le traduire par Voie, en donnant à ce mot
une signification large et élevée qui réponde au langage de ces
philosophes, lorsqu’ils parlent de la puissance et de la grandeur du
Tao (276) ».
Balfour accepte aussi le mot « route » pour le sens primitif de Tao qu’il
rend par Nature ; il ajoute : quand on • 181 traduit le mot par « route », on
sous-entend « de la nature ». Mgr. de Harlez combat cette hypothèse :
« Le Tao n’est assurément pas la nature dans le sens que nous
attachons à ce mot. La nature est un terme abstrait désignant l’en -
semble des êtres matériels et de leurs lois nécessaires. Le Tao est,
au contraire, un agent spécial, produisant la nature, bien loin de lui
Henri Cordier Histoire générale de la Chine 142

être identique ; il existait avant le ciel et la terre. les êtres


particuliers sont sortis de lui ; c’est à lui qu’ils doivent avoir
recours pour maintenir dans leur intégrité, et leur vie et leur vertu,
etc. (277) »
Harlez combat également la théorie de Julien :
« La nature essentielle du Tao exclut l’image d’une voie. Un
chemin ne peut pas certainement être l’origine du Ciel et de la
Terre, le protecteur de tous les êtres, qui a des désirs, ou en est
dépourvu, etc. Une image aussi bizarre n’a pu hanter l’esprit d’un
philosophe sérieux. Le mot tao, dans le Chou King, signifiait déjà
« principe de justice, rectitude » ; Tao-sin est un cœur droit ;
Wu-tao est notre « Sans foi ni loi », sans principes de morale et de
justice. C’est là l’unique sens figuré du tao à l’époque de Lao
Tseu. Il est donc vrai semblable que le Tao était pour lui le
principe substantiel formant la règle, la loi rationnelle de tous les
êtres et les contenant tous virtuellement (278) ».
Et pour compléter sa pensée, Harlez ajoute :
« Rien, ne nous montrera la vraie nature du Tao, mieux que ce
passage de Wen Tseu : « Quand il produit les êtres on ne voit pas
ce qui les entretient, quand il les détruit on ne voit pas ce qui les
fait périr. » Voilà ce qui constitue l’être spirituel. Les saints
l’imitent ; il fait alors surgir la bonne fortune ; mais les saints ne
voient pas celui par qui naît ce bonheur. On veut le voir et
l’entendre et l’on ne réussit pas. Pour le sonder, une année et plus
encore ne suffiraient pas. Oh ! profondeur indiscernable. » (V. liv.
II, 2 (279))
L’illustre Legge (280) accepte le Tao Te King comme une • 182 œuvre de
l’époque à laquelle il est attribué et Lao Tseu comme son auteur ; il considère
le Tao comme le point extrême où nous conduisent les choses ; c’est donc un
phénomène, non pas un être positif, mais une manière d’être. Le T’ien de
Confucius et le Ciel des Chrétiens ne sont pas le T’ien des Taoïstes et on ne
peut le traduire par Dieu comme, on l’a fait. — Il n’y a aucune idée de
création propre dans le Taoïsme. — L’homme est composé d’un corps et d’un
esprit. — Le but principal du Taoïsme est de conduire à une longue vie. — Au
début, le Tao a gouverné les hommes, et alors le monde était dans un état
paradisiaque. — La décadence du Tao commence devant le développement de
la science. — En tête des qualités de l’homme, Lao Tseu place l’humilité à
laquelle il associe la douceur et l’écono mie. Il dira (liv. II, chap. XLIII) : le
Sage « venge ses injures par des bienfaits ». On pourra rapprocher cette
maxime de celle de Confucius : le Sage
« s’applique sérieusement à la pratique de la vertu, mesure l es
autres avec la même mesure que lui-même, et ne s’écarte guère de
Henri Cordier Histoire générale de la Chine 143

la voie de la perfection. Il évite de faire aux autres ce qu’il n’aime


pas que les autres lui fassent à lui-même (281) ».
Se-ma T’an, qui a fait la critique d es écoles philosophiques, considère
l’école du Tao comme la synthèse parfaite de toutes les portions de vérité que
contiennent les autres systèmes. Son taoïsme, souvent obscur, mais élevé, ne
ressemble en rien à celui d’aujourd’hui, mélange de supersti tions grossières.
M. Chavannes a essayé d’en dégager ainsi la théorie :
« Un principe unique règne au-dessus du monde et se réalise dans
le monde, lui étant à la fois transcendant et immanent ; il est en
même temps ce qui n’a ni forme, ni son, ni couleur, ce qui existe
avant toute chose, ce qui est innommable, et d’autre part, il est ce
qui apparaît dans les êtres éphémères pour les disposer suivant un
type et imprimer sur eux comme un reflet de la raison suprême.
Nous apercevons ici et là dans la nature les éclairs lumineux par
lesquels il se trahit au sage et nous concevons une vague idée de sa
réalité majestueuse. Mais, parvenu à ces hauteurs, • 183 l’esprit
adore et se tait, sentant bien que les mots des langues humaines
sont incapables d’exprimer cette entité qui renferme l’univers et
plus que l’univers en elle. Pour la symboliser du moins en quelque
mesure, nous lui appliquerons un terme qui désignera, sinon son
essence insondable, du moins la manière dont elle se manifeste ;
nous l’appelle rons la Voie, le Tao. La Voie : ce mot implique
d’abord l’idée d’une puissance en marche, d’une action ; le
principe dernier n’est pas un terme immuable d ont la morte
perfection satisferait tout au plus les besoins de la raison pure ; il
est la vie de l’incessant devenir à la fois relatif puisqu’il change et
absolu puisqu’il est éternel. La Voie, ce mot simple implique
encore l’idée d’une direction sûre, d ’un processus dont toutes les
étapes se succèdent suivant un ordre ; le devenir universel n’est pas
une vaine agitation ; il est la réalisation d’une loi d’harmonie. Sur
cette métaphysique on peut fonder une morale. L’homme, dit
Se-ma T’an, se compose d’u ne âme et d’un corps ; l’âme est ce qui
le fait vivre ; le corps est le substratum de l’âme ; la mort est la
séparation de l’un et de l’autre ; or ce qui est ainsi séparé ne peut
plus se réunir ; ce qui est mort ne peut plus renaître. Mais pourquoi
la mort survient-elle ? C’est parce que l’âme en luttant s’épuise,
tout de même que le corps, s’il peine beaucoup, se détruit. La
conformité au Tao nous permettra d’éviter cette usure de notre être.
En effet, tout effort ne se produit que parce qu’il rencontre une
résistance ; une action parfaitement harmonieuse ne serait arrêtée,
par rien et aurait par là-même une durée infinie. La loi suprême de
la morale prescrit donc à l’homme d’uni fier son énergie,
c’est -à-dire d’identifier toutes les forces de son être av ec le Tao ;
par ce moyen, il ne sera plus en conflit avec rien dans le monde,
Henri Cordier Histoire générale de la Chine 144

puisqu’il se conformera à l’har monie universelle. Il n’est pas non


plus de philosophie plus tolérante. En s’identifiant avec le Tao, le
penseur reconnaît que dans le monde on peut soutenir aussi bien
que tout est vrai et que tout est faux, que rien n’est vrai et que rien
n’est faux (282). Les propositions les plus opposées ne sont • 184
contradictoires qu’en apparence ; on peut les concilier en se
plaçant au point de vue de l’éternel devenir ».
M. Chavannes écrit de Se-ma T’an
« qu’il avait bien com pris le sens de ce merveilleux second
chapitre de Tchouang Tseu où se trouve exposée en un langage
platonicien la conciliation des contradictoires (Mém. hist., I,
Introduction, p. XXI).
Dans son zèle à rattacher les traditions de l’Extrême -Orient avec celles de
l’Occident, Rémusat voudra aussi prouver la ressemblance des systèmes
philosophiques des Grecs et des Chinois, ressemblance qui, si elle existe,
n’im plique pas forcément des rapports directs ou même indirects. C’est de
Pythagore, de Samos, et du divin Platon que Rémusat rapproche Lao Tseu :
« Son style, dit Rémusat, a la majesté de celui de Platon, et, il faut
le dire aussi, quelque chose de son obscurité : il expose des
conceptions toutes semblables presque dans les mêmes termes, et
l’analogie n’e st pas moins frappante dans les expressions que dans
les idées (283) ».
Il nous dira encore
« que les opinions du philosophe chinois, sur l’origine et la
constitution de l’univers, n’offrent ni fables ridicules ni choquantes
absurdités, qu’elles portent l’empreinte d’un esprit noble et élevé,
et que, dans les sublimes rêveries qui les distinguent, elles
présentent une conformité frappante et incontestable avec la
doctrine que professèrent un peu plus tard les écoles de Pythagore
et de Platon (284) ».
Et encore :
« Ainsi que Pythagore, il regarde les âmes humaines comme des
émanations de la substance éthérée, qui vont s’y réunir à la mort ;
et, de même que Platon, il refuse aux méchants la faculté de rentrer
dans le sein de l’âme universelle (285) ».
Naturellement Rémusat ne pense pas que Lao Tseu ait pu entendre parler
de Pythagore, né en 569, et de Platon, né en 429, encore moins, mais il ne se
rend pas compte de l’im possibilité qu’il y avait pour le Chinois d’avoir
entendu parler de ces derniers.
• 185 M. Emile Guimet a voulu trouver aux Indes la source des inspirations
de Lao Tseu :
Henri Cordier Histoire générale de la Chine 145

« Il était bibliothécaire chez le prince de Tcheou, il avait beaucoup


lu, et, partant, beaucoup retenu. Il avait dû trouver des traductions
de livres brahmaniques et djaïniques dont les conceptions, germes
du bouddhisme, étaient venues dans son esprit, s’ajouter aux
croyances natives ; de là, cette préoccupation d’idées
métaphysiques inconnues, jusqu’alors aux philosophes chinois.
Il ajoute :
« En somme son système était simple ; il admettait l’idée
brahmanique de l’âme universelle d’où jaillissent, pour les
naissances, toutes les âmes et où retournent, après la mort, toutes
les âmes :
« Il admettait encore l’idée bouddhique de la rétribution, en ce
monde, des récompenses et des punitions, et cela sans aucune
intervention divine, par la force de la cause et de l’effet, dont les
résultats, avec la sûreté d’une loi mathéma tique, physique ou
chimique, font que l’acte bon produit le bien, l’acte mauvais, le
mal.
« Mais notre sage pensa que ses contemporains auraient quelque
peine à concevoir ces thèses philosophiques et il les expliqua au
moyen de développements délayés dans des redites, qu’il fit
mystérieuses pour les rendre importantes ; et le livre qui en résulte
est bien pénible à lire (286) ».
Parlant du Tao comme principe substantiel formant la règle de tous les
êtres, Harlez avait déjà écrit :
« La même conception régnait dans l’Inde où nous la voyons
désignée par le mot dharma, « loi, principe régulateur supportant
toutes choses », de dhar, « supporter, tenir droit et ferme », comme
l’indique l’origine de ce mot, dharma, que les bouddhistes
identifièrent à la divinité (287).
M. Guimet espère que le lecteur aura reconnu que dans son livre Lao Tseu
« s’est certainement inspiré des philo sophes de l’Inde (288) ». Assurément les
rapprochements de • 186 M. Guimet sont fort ingénieux ; mais il n’est pas
indispensable d’en conclure de sim ilitudes entre les théories de Lao Tseu
et celles des Hindous, que les premières sont dérivées des secondes. Ce ne
serait pas la première fois que des systèmes philosophiques et des maximes
morales auraient été trouvés séparément par des personnes étrangères les unes
aux autres. Il fallait rechercher si Lao Tseu avait pu avoir connaissance des
choses de l’Inde, et à cela je réponds non. La Chine au temps des Tcheou,
même à celui de Lao Tseu, c’est -à-dire à l’époque la plus récente qui lui est
attribuée, au VIIe et au VIe siècle, divisée en États féodaux retenus par le lien
fragile d’un de leurs plus puissants (Tcheou), avait une population clairsemée,
plus particulièrement concentrée sur les bords du Houang-Ho dans les pays
Henri Cordier Histoire générale de la Chine 146

qui forment aujourd’hui les provin ces de Ho Nan et de Chan Si, s’étendant au
Yang Tseu au delà duquel elle s’arrêtait, n’atteignant pas les pro vinces
méridionales du Kouang Toung, du Kouang Si, du Yun Nan ; par la route de
l’ouest, les premières connaissan ces des pays lointains, de l’Ind e en
particulier, qu’ont pos sédées les Chinois ne datent guère que du IIe siècle
avant notre ère et du voyage de Tch’ang Kien. Il est à peu près certain que la
connaissance première du bouddhisme par les Chinois leur est venue par les
Yue Tche. Quant au brahmanisme, ils n’avaient aucun moyen d’en obtenir
connaissance soit par le sud, soit par l’ouest de la Chine, et si les traces qu’on
veut en trouver dans le Tao Te King en dérivaient véritablement, il faudrait
supposer que ce livre est bien postérieur à l’époque de Lao Tseu et n’a pas été
rédigé par lui. Et en cela nous rencontrons l’approbation de M. Giles, qui
diffère d’opinion avec Legge, Wylie, Faber. Giles écrit :
« Lao Tseu a-t-il écrit l’ouvrage connu maintenant comme le Tao
Te King ?
« Je réponds, quant à moi, par une négation absolue. Il n’y a aucun
doute que l’ouvrage en question est un faux. A la vérité il contient,
beaucoup de ce que Lao Tseu a dit, mais plus qu’il n’a dit. Ce qu’il
a dit, de ce qui s’y trouve, a été pour la plus grande part ie mal
traduit. Le sens de ce • 187 qu’il n’a pas dit, si sens il y a, peut être
avec confiance relégué dans la catégorie des choses inconnues
(289) ».
Giles n’a d’ailleurs pas convaincu Legge qui lui a répon du
vigoureusement, et puis si le Tao Te King est un faux, les théories de M.
Guimet n’auraient plus de raison d’être. Laissons, je crois, le Tao Te King à
Lao Tseu, et par conséquent à une époque à laquelle la Chine ne pouvait avoir
de relations avec l’Inde.
Au point de vue de l’art, ne regrettons pas la légende du voyage de Lao
Tseu, qui a inspiré les artistes. On voit de beaux bronzes représentant Lao
Tseu sur un buffle, et présentant son ouvrage au respectueux Yin-hi.
L’obscurité du Tao Te King, loin d’avoir été dissipée par les traducteurs
étrangers, me paraît avoir été plutôt augmentée par leurs commentaires
contradictoires. Les anciens missionnaires de Pe King tels que Prémare,
Bouvet, Foucquet, n’étudièrent cet ouvrage que dans le but d’y trouver des
passages empruntés aux Saintes Écritures. Le P. Amiot, l’un des plus connus
parmi eux, crut même reconnaître les trois personnes de la Trinité dans la
première phrase du XIVe chapitre, qu’il traduisait ainsi :
« Celui qui est comme visible et ne peut être vu se nomme Khi
(lisez I) ; celui qu’on ne peut entendre et qui ne parle pas aux
oreilles se nomme Hi ; celui qui est comme sensible et qu’on ne
peut toucher se nomme Wei (290) ».
Henri Cordier Histoire générale de la Chine 147

Depuis lors, le chevalier de Paravey a expliqué le texte de Lao Tseu sur la


Trinité mais il est juste d’ajouter qu’il était quasi aliéné (291).

Traductions du Tao Te king.


On peut dire que la connaissance et même la popularité du Tao Te King
sont dues à Abel Rémusat, qui a étudié ce fameux ouvrage dans un mémoire
retentissant, lu à l’Académie des Inscriptions et Belles -Lettres, dans sa séance
du 28 juillet 1820. Pauthier s’est essayé à la traduction du livre (janvier 1838)
et Stanislas Julien, qui semble avoir eu à cœur de refaire les ou vrages de son
maître Abel Rémusat, en donna en 1842 une version complète, qui pendant
• 188 longtemps servit de guide aux autres traducteurs, en particulier aux
Anglais T. Watters (1870) et J. Chalmers (1868). Toutefois on ne peut dire
que l’œuvre de Julien ait porté beaucoup de lumière dans les théories du vieux
philosophe chinois ; et je doute fort que le savant sinologue ait compris lui-
même quelques phrases bizarres de sa propre traduction. Depuis lors Mgr de
Harlez a donné pour les Annales du Musée Guimet une nouvelle traduction
française du Tao Te King avec celle d’autres textes taoïst es.
Des traductions allemandes furent publiées par Reinhold Von Plaenckner
(1870) et par Victor von Strauss (1870). Nous avons vu que le Dr Giles a
repris le texte du Tao Te King pour en critiquer l’authenticité et que Balfour et
Legge ont également traduit cet ouvrage célèbre qui a été l’objet de nouvelles
versions allemandes de F. W. Noak (1888), F. Hartmann, A. Ular (1902). Les
Anglais et les Américains inlassables, E-H. Parker, P.-J. Maclagan, Paul
Cabus, L-W. Heysinger, Lionel Giles, etc., j’en passe e t non des meilleurs,
ont, j’oserai dire, perdu leur temps dans les dernières années à de nouvelles
traductions qui n’offriront d’intérêt que lorsqu’on les aura accompa gnées d’un
texte bien établi et d’un appareil critique sé rieux. On en trouvera la liste dans
la Bibliotheca Sinica.

Disciples de Lao Tseu.


La doctrine passive, égoïste et individualiste de Lao Tseu a été répandue
moins peut-être par les propres ouvrages du philosophe que perpétuée et
développée par ceux de ses disciples, en particulier de Kang Sang-Tseu
(570-543 av. J.-C.) de Tchouang Tseu, (Tchouang Tcheou), 330 av. J.-C.,
l’auteur du classique nommé Nan Houa, d’après le lieu de sa résidence,
adversaire de Mencius, vivant au IVe siècle, un des héros du conte connu,
sous le nom de la Matrone du Pays de Soung, dont la Matrone d’Ephèse est le
pendant européen. Tchouang Tseu avait été précédé par le sceptique et
original Li tseu, qui vivait dans la principauté de Tcheng et en fut chassé par
Henri Cordier Histoire générale de la Chine 148

la famine en 398 ; en 742, l’empereur Hiouen Tsoung, d e la dynastie des


Fang, donna à son traité le titre de Tch’oung hu tchen king , traité du Maître
transcendant du vide ; Wen Tseu (500 av. J.-C.) ; • 189 après Li Tseu, l’école
taoïste ancienne compte Han Fei Tseu, qui se suicida en 233 av. J.-C., et
Houai nan tseu ou Lieou-ngan, alchimiste, mort en 122 av. J.-C., pour ne citer
que les plus célèbres. Les écrits de ces zélateurs de la doctrine taoïste
réclameraient une étude spéciale et nous n’avons malheureusement pas le
temps de la développer aujourd’hui. Il est probable qu’ils ont préparé la
transformation de la doctrine de Lao Tseu et que tout au moins Li Tseu et
Tchouang Tseu ont utilisé des phénomènes d’hypnose et d’extase pour
l’enseignement et le développement de leurs idées philosophiques.

Tchang Tao-ling.
Mais comment, demandera-t-on, cette doctrine pure, abstraite, s’est -elle
transformée en un mélange de recherches alchimiques, de pratiques de
sorcellerie, de superstitions bouddhistes qui composent aujourd’hui le Tao
kiao, la religion ou l’enseignement du Tao : la biographie de Tchang Tao-ling
répondra à cette question.
Tchang Tao-ling descendait à la huitième génération de Tchang Leang, le
célèbre conseiller de Lieou Pang, fondateur de la dynastie des Han. Il naquit la
dixième année de l’empereur Kouang Wou (34 ap. J. -C.) dans une pauvre
chaumière d’un petit village de la province de Tche Kiang, situé au pied du
T’ien mou chan, dans la préf . de Hang Tcheou. Un phénomène marqua la
naissance du futur grand homme : la nuit de sa naissance,
« un bolide enflammé traversa comme une flèche de feu le ciel
sombre et sans lune, laissant derrière lui une traînée carminée
étincelante, et, chose étrange, tomba inerte et sans force à la porte
même de la maison des Tchang, dans le temps précis que le petit
Tao-ling venait à la lumière. A la vue de ce météore igné, les
parents, les voisins et les commères de l’endroit ne man quèrent pas
de prédire à l’enfan t la plus brillante destinée sur cette terre et un
devin, invité dès le lendemain à en tirer l’horoscope, annonçait
gravement que l’héritier des Tchang se distinguerait entre tous par
« le pinceau, la parole et la pensée », et, qu’après une longue vie
passée à éclairer les hommes et à les rendre meilleurs, il irait droit
au ciel prendre la place qui lui était réservée dans le cénacle • 190
des immortels. C’était en effet sur Tao -ling, ajoute la légende, que
le T’ai -chang Lao-kiun avait jeté les yeux pour en faire le chef de
son Empire spirituel chez les hommes et pour accomplir en même
temps la promesse qu’il avait faite naguère à Tcha ng Leang,
lorsqu’il lui avait apparu en songe (292) ».
Henri Cordier Histoire générale de la Chine 149

De bonne heure Tchang se livra à l’étude des ouvrages de Lao Tseu à


laquelle il ajouta des recherches sur l’alchimie, science qui avait pour but « de
prolonger la vie au delà des bornes de la nature ». Déjà la doctrine pure de
Lao Tseu s’était transformée et avait été remplacée par des pratiques de magie
et de sorcellerie, et les taoïstes abandonnant les hautes spéculations
philosophiques de leur Maître se livraient à la recherche du tan ou du kin tan à
l’aide duquel ils pourraient fabriquer de l’or et obtenir l’immortalité : dans le
but de poursuivre ses recherches, Tchang se retira au Pei-in chan, au nord de
Ho Nan-fou, et tout en continuant ses méditations sur le Tao avec les disciples
qu’il avait réunis autour de lui, il cherchait, d’après les diagrammes du Yi
King, à découvrir les principes de la vie éternelle.
Le Tao Te King dit, chap. LXV : « Le peuple est difficile à gouverner
parce qu’il a trop de prudence (293) », ou autrement dit, parce qu’il sait « trop
de choses ».
Tchang Tao-ling commente ainsi ce passage :
« Non certes il ne faut pas que le bas peuple soit trop instruit ; si
cela était, il quitterait les champs et les boutiques et voudrait
marcher de pair avec ceux qui se livrent aux études littéraires et qui
vivent de leur pinceau, en un mot les lettrés. Nul ne travaillerait ;
les dissensions jalouses prévaudraient et l’État serait en péril.
Cependant il est de toute nécessité que chacun, quelle que soit la
place qu’il occupe dans la so ciété, reçoive une certaine instruction
qui lui permette au moins de bien saisir ses devoirs à l’égard du
souverain, des père et mère ; des frères et des hommes en général.
L’hom me, dit-on, diffère des animaux par l’intelligence ; mais il
faut • 191 que cette intelligence soit cultivée par l’instruction :
autrement l’homme n’en serait -il pas moins un animal ? Au reste,
je ne vais pas jusqu’à demander que chacun ait autant de savoir et
de connaissance qu’un vrai lettré : cela n’est pas à craindre , car les
études sont aussi vastes que la mer, et le bas peuple ne pourrait
jamais avoir assez de temps pour atteindre le même niveau que les
lettrés, qui consacrent aux études tous leurs instants et leur vie
même (294) ».
Refusant les invitations des empereurs de se rendre à leur cour, Tchang
avait préféré sa retraite dans laquelle il était d’ailleurs entouré de milliers de
disciples ; mais, vivant dans le domaine irréel de la philosophie et de la
poésie, il avait négligé sa fortune terrestre, et il fut obligé de changer de pays
et de transférer son domicile dans le pays de Chou, aujourd’hui province de Se
Tch’ouan ; c’est alors qu’il découvre l’élixir de longue vie ; son historien, M.
Huart, nous conte ainsi ce prodige :
« Peu de temps après son installation sur le sommet du Mont du
Chant de la Grue (Hô ming Chan), il arriva un soir qu’un dragon
vert et un tigre blanc furent aperçus volant au-dessus de son
Henri Cordier Histoire générale de la Chine 150

laboratoire et, dans le temps même de l’apparition, Tao -ling


réussissait enfin la fameuse drogue d’immortalité. Sans doute par
la volonté du T’ai -chang Lao-kiun, le secret de longue vie cessait
d’être inconnu. A peine en possession de cette bienheureuse
drogue ; Tao-ling se hâta de l’expérimenter sur lui -même ; il
l’avala, et lui qui avait alors soixante ans bien sonnés, il se
transforma subitement en un jeune homme fort et bien fait (295) ».
Le Faust chinois ne tardait pas à obtenir le don d’ubi quité, le pouvoir de
dédoubler son individu, le don de seconde vue et enfin, joie suprême, son
maître Lao Tseu lui apparut, il lui enjoignit de détruire les six grands démons
qui tyrannisaient la province et lui remit
« le Tcheng-i ming oueï mi chou, Livre secret de la puissance
éclatante et unique, et le Tan tsao mi tsué, Remèdes secrets du
Fourneau et du Vermillon ; deux épées : l’une mâle, l’autre
femelle, un sceau • 192 nommé Tou-koung, des vêtements, un jupon
carré, des souliers de cinabre (296) ».
Fidèle à l’ordre de son Maître, Tchang, à l’aide de 36.000 génies qu’il
appela à son secours, triomphe des six grands démons, mais l’époque fixée par
Lao Tseu lui-même, mille jours après leur entrevue, pour que son disciple
prenne place au Palais des Génies, Lan Yuan, approchait. Tchang fit alors
venir son fils Heng, lui remit ses livres et ses épées pour chasser les hérésies et
les démons et il ajouta :
« Que de génération en génération, les fils continuent mon pontifi-
cat ; que nul, s’il n’est le fils ou le petit -fils de mes descendants, à
quelque degré que ce soit, ne soit appelé à l’héré dité (297) ! ».
Ainsi fut créée la hiérarchie des prêtres taoïstes.
« Le septième jour du premier mois de la deuxième année Young-cheou
(éternelle longévité) de l’empereur Heng, des Han (157 de notre ère), à midi
juste, Tao-ling réunit sur la montagne des Nuages (Yun Chan), sa femme,
madame Young, et ses disciples Tchao Cheng et Ouang Tchang, et de là
s’éleva en plein jour au ciel avec eux. Il avait alors cent vingt -trois ans.
Longtemps ses disciples qui avaient tenu à faire leurs adieux aux voyageurs,
restèrent à regarder en l’a ir, mais Tao-ling et les siens avaient disparu parmi
les nuages (298) ».
On ne me pardonnerait pas de ne pas donner le portrait de cet illustre
philosophe tel qu’il est représenté par un auteur chinois :
« Son corps avait neuf pieds deux pouces de long ; ses sourcils étaient
hirsutes ; son front, large ; son crâne, rouge comme le vermillon ; ses
prunelles, vertes. Il avait un gros nez et des joues anguleuses, ses yeux étaient
triangulaires ; des cornes étaient cachées sous son crâne ; ses mains pendantes
dépassaient le genou. Il s’asseyait avec la majesté du dragon et marchait avec
Henri Cordier Histoire générale de la Chine 151

la dignité du tigre. Tous ceux qui le regardaient le trouvaient plein de noblesse


(299) ».
• 193 Le fils de Tchang Tao-ling, Tchang Heng, continua la tradition de son
père dans le domaine spirituel et poursuivit ses recherches d’alchimie, et son
petit-fils, Tchang Lou joua, au commencement de la dynastie des Han, un rôle
important dans la révolte des Bonnets jaunes. Au Ve siècle de notre ère, alors
que les Wei régnaient dans le nord de la Chine, un certain K’eou Kien -Tche
chercha à se substituer aux Tchang et reçut même en 423 de l’empereur le titre
de Tien che, « Précepteur du Ciel », qui avait jadis appartenu à Tao-ling. En
748, l’empereur Hiouen Tsoung, des T’ang, conféra ce titre aux descendants
de ce dernier auxquels, en 1016, l’empereur Tchen Tsoung, des Soung, fit don
d’une vaste propriété près du Loung -hou Chan. L’hérédité dans les fonctions
de pontife du culte est assurée dans la descendance de Tchang, par la
transmigration de l’âme du succes seur de Tao-ling au moment de sa mort dans
le corps d’un des jeunes membres de la famille, dont le choix est indiqué par
un phénomène surnaturel.
Sous les T’ang, le taoïsme compr enait un grand nombre d’adeptes. Dès le
milieu du huitième siècle, le T’ang lieou tien évaluait à 1687 le compte des
temples taoïstes de tout l’Empire ; 1137 d’entre eux étaient occupés par des
religieux, 550 par des religieuses. Le culte taoïste se manifestait par des
hommages solennels appelés tsiao, apparemment adressés principalement à
des divinités stellaires, qui étaient précédés par un jeûne appelé tchai, dans le
but de « sauver l’âme d’un empereur défunt, de la dégager des ténèbres et
d’en faire br iller la pure essence (300) ».

Culte taoïste.
Aujourd’hui, la tête du culte taoïste, c’est -à-dire le Directeur général de la
secte du taoïsme, est le Tcheng-i-se-kiao-tchen-jen, « Héritier du fondateur de
la secte des taoïstes » ; ce titre fut conféré par la dynastie Ming à Tchang
Tcheng-chang, descendant de Tchang Tao-ling à la 39e génération. Il
« appartient, par privilège héréditaire, au premier-né par descendance en ligne
directe de Tchang Tao-ling qui fonda la secte taoïste vers la fin du Ier siècle
après J.-C., sous l’empereur Houo -ti de la dynastie • 194 Toung Han. Il réside
sur la montagne Loung-hou chan, dans la Province de Kiang Si. Son office
consiste à employer ses arts magiques pour chasser les démons, déjouer les
influences diaboliques, et réprimer les âmes malfaisantes des morts. Il nomme
les nouveaux Tch’eng houang, « Génies tutélaires des villes », et moyennant
une taxe, il confère aux Taoïstes des titres qui leur permettent de célébrer les
cérémonies avec plus de solennité (301) ».
Dans la capitale, ce culte est représenté, par deux Supérieurs, Tao lou-se,
correspondant au Seng lou-se, Supérieur des Bouddhistes ; deux Tcheng-i,
Henri Cordier Histoire générale de la Chine 152

« Taoïstes de droite simplicité », deux Yen-fa, « Taoïstes cérémoniaires »,


deux Tché-ling, « Taoïstes de grande excellence », thaumaturges, et deux Tche
yi, « Taoïstes de grande probité », prêtres d’ordre inférieur.
Dans les provinces, le culte est dirigé par des : Tao-ki-se Tou-ki, Supérieur
des Taoïstes d’un Fou, et Tao-ki-se Fou tou-ki, Vice-supérieur des Taoïstes
d’un Fou ; Tao-tcheng, Supérieur des Taoïstes d’un Tcheou ou d’un T’ing ;
Tao houei, Supérieur des Taoïstes d’un Hien : Les supérieurs sont nommés
par les gouverneurs généraux (tsoung-tou) on par es gouverneurs. (fou-t’ai )
sur la présentation du préfet ou du sous-préfet du tcheou, du t’ing ou du hien
(302).
Je viens d’esquisser aussi sommairement que possible l’histoire de Lao
Tseu, et celle de son disciple, qui de la doctrine du Tao, a fait une religion si
éloignée de la pensée du vieux philosophe.
La religion du Tao contient un immense panthéon, embrassant une
quantité de génies, des superstitions les plus grossières, empruntées les unes
aux traditions locales, les autres au bouddhisme ; des pratiques d’alchimie, un
nombre considérable de contes et de légendes ; elle comprend un Enfer dont
les supplices nous rappellent singulièrement ceux que décrit le paysan Thurcill
dont le moine anglais, Mathieu Paris, nous raconte au XIIIe siècle la visite aux
enfers. Ces scènes sont représentées par des figures quelquefois de • 195
grandeur naturelle : j’ai vu un de ces enfers d’exécution remar quable dans un
temple taoïste aux environs de Wou Tch’ang, capitale du Hou Pe.
Si l’on est frappé d’étonnement que de l’enseignement moral de
Confucius, il ait été possible de tirer le Jou Kiao, combien l’est -on davantage
en pensant que la doctrine élevée de Lao Tseu a pu servir d’origine ou plutôt
de prétexte à la formation du Tao Kiao !
Entre les écoles de Confucius et de Lao Tseu, il faut placer les philosophes
hétérodoxes et parmi eux Me Ti (450 av. J.-C.), l’apôtre de l’amour universel,
et Yang Tchou, l’apôtre de l’égoïsme, à la même époque.

*
**
Henri Cordier Histoire générale de la Chine 153

CHAPITRE VIII

Quatrième Dynastie : Les Ts’in.

Origine.
• 196 Se-ma Ts’ien qui consacre ses Cinquièmes Annales principales aux
Ts’in, les fait descendre de l’empereur Tchouen Hiu par sa petite -fille Niu
Seou qui, ayant avalé un œuf qu’avait laissé tomber un oiseau de couleur
sombre, engendra Ta Ye dont le fils Ta Fei assista Yu le Grand dans ses
immenses travaux ; Ta Fei eut deux fils, Ta Lien, fondateur de la famille Niao
Sou, et Jo Mou, fondateur de la famille Fei, Fei Tch’ang, vainqueur de Kié à
Ming T’iao, fut son arrière petit -fils. Mong-Hi Tchoung Yen, arrière petit-fils
de Ta Lien, qui avait un corps d’oi seau et une voix humaine, devint le cocher
de l’empereur T’ai Meou ; son arrière petit-fils Tchoung Kiue était chargé de
la défense des frontières de l’ouest et résidait chez les Joung de l’ouest ; son
fils Fei Lien eut deux fils Ngo Lai qui périt en même temps que Tcheou Sin
lorsque ce dernier fut défait par Wou Wang, il est l’ancêtre des Ts’in, et Ki
Cheng, le bisaïeul de Tsao Fou, le célèbre cocher de l’empereur Mou, ancêtre
des Tchao. De Ngo Lai, par Niu Fang, P’ang Kao, T’ai Ki, Ta Lo, nous
arrivons à Fei Tseu, résident à K’iouen K’ieou, qui fut chargé par l’empereur
Hiao, de Tcheou, de la surveillance de ses chevaux dans le pays entre les
rivières K’ien, affluent de la Wei, et Wei ; en récompense de ses services, il
reçut le fief de Ts’in dans le Kan Sou actuel et porta le surnom de Ts’in Ying.
Les Ts’in sont donc intimement associés à l’idée de cheval. A partir de Ts’in
Heou (857-848), fils de Fei Tseu, Se-ma Ts’ien indique la durée du règne des
princes de Ts’in : Koung Po, fils de Ts’in Heou (847 -845), Ts’in Tchoung, fils
de Koung po, tué par les Joung, en 822 ; son fils aîné Tchouang (821-778),
défit les • 197 Joung de l’Ouest et en récompense, il reçut de l’empereur
Siouen, non seulement la succession de Ts’in Tchoung qui avait laissé cinq
fils, mais aussi la terre de K’iouen K’ieou et il fut nommé le grand offic ier de
la Marche de l’Ouest. Che Fou, l’aîné des fils de Tchouang, céda son rang à
son frère Siang pour combattre les Joung, mais il fut fait prisonnier par
ceux-ci. Siang, mort en 766, avait secouru les Tcheou contre les Joung ; et
P’ing Wang, avec le ti tre de Seigneur (770), lui donna tout le territoire à
l’ouest de la montagne K’i ; ses successeurs furent Wen († 716), Tsing
(† 718), Ning qui transféra sa capitale à P’ing Yang (714). Son descendant le
duc Mou († 621) défit les Joung et subjugua le royaume de Tsin ; il eut
quarante fils. Se-ma Ts’ien remarque qu’au « début, Ts’in était un petit
royaume et se trouvait dans un lointain reculé. La Chine le traitait sur le même
pied que les barbares Joung et Ti. Mais, après le duc Hien (462-384 av. J.-C.),
il eut, toujours la prédominance parmi les seigneurs (303) ». Le duc Hiao en
350 construisit Hien-Yang, dans la préf. actuelle de Si Ngan, et y transféra la
Henri Cordier Histoire générale de la Chine 154

capitale des Ts’in ; en 343, il reçut de l’Empe reur le titre d’hégémon e t cinq
ans plus tard (338) il mourut et fut remplacé par son fils Houei Wen. Les
Ts’in, dont le pays était peuplé par une population principalement tur que,
d’après Chavannes, ce qui ne me paraît pas prouvé, étant donné la situation
géographique, étaient considérés jusqu’au duc Hiao par les autres États
comme des Barbares Il faut d’ailleurs s’entendre sur le mot barbare usité par
les Chinois ; il est probable qu’il ne s’agissait pas de tribus essentiellement
distinctes des Chinois eux-mêmes, mais qui plutôt étaient peut-être moins
avancées ou étaient un peu différentes dans leur civilisation.
Leur rôle prend une importance singulière depuis le duc Hiao, mais à
partir de Tchouang Siang (249), fils de Hiao Wen, leur suprématie s’impose,
et l’on peut prévoir q ue ce chef recueillera la succession des Tcheou
dégénérés, lorsqu’il est enlevé par une mort prématurée (247) laissant • 198 un
fils âgé de treize ans, Tcheng, qui devait être le grand empereur Ts’in Che
Houang Ti.

Ts’in Che Houang Ti.


Après la longue lignée de princes de Tcheou, la plupart insignifiants ou ne
se signalant que par leurs débauches ou leurs cruautés, dont la souveraineté
depuis longtemps affaiblie disparaît enfin devant l’étoile grandisssante des
Ts’in, la figure de Che Houang Ti apparaît dans un relief puissant à côté des
silhouettes falotes de ses prédécesseurs. Il a une volonté, des idées
personnelles ; il est profondément original, tellement original que les Chinois
ne le reconnaissent qu’avec répugnance pour un des souverains qui ont
gouverné leur pays. Il y avait dans l’Empire, en dehors des Chinois établis
d’abord sur les bords du Fleuve Jaune, des rac es dont quelques-unes ont
disparu, se mêlant les unes aux autres, fondues parfois dans la masse du
peuple prédominant, mais il en existe encore peut-être aujourd’hui dans
quelques-unes de ces hordes qui, par leur aspect physique, leurs coutumes,
leur langue, conservent leurs caractères distinctifs. Le sol de l’Empire était
habité par de nombreuses tribus et les Chinois n’en formaient que la plus
importante. La nation n’existait pas : elle fut créée par Che Houang Ti ;
quelque éphémère qu’ait été la durée de sa dynastie, elle n’en a pas moins
donné à la Chine son unité ; d’un assemblage de peuplades, il a fait un
peuple ; il est le véritable fondateur de l’Empire chinois : ses prédécesseurs
n’ont été que des chefs de clans plus ou moins considérables : lui seul a été
véritablement empereur. Il y a du Louis XI et du Richelieu en lui ; il brisa la
féodalité et la puissance des seigneurs en supprimant les anciennes
principautés qui ont causé la faiblesse des Tcheou et dans un nivellement
général de l’administr ation du pays, il transforme ces États quasi
indépendants, au milieu desquels l’empereur n’est que le primus inter pares,
ces États à côté de l’État et non partie intégrante de l’État, en une série de
territoires (kiun), donnant au IIIe siècle avant notre ère un exemple qui sera
Henri Cordier Histoire générale de la Chine 155

suivi par nous lorsqu’à la Révolution, nos provinces sont découpées en


départements. Il a le sentiment de la grandeur du pays ; après en avoir • 199 fait
l’unité, il le protège contre l’invasion des Barbares en lui opposant la
monumentale défense connue sous le nom de Grande Muraille ; il étend son
territoire au sud du Kiang et la renommée de son Empire fait donner à la
Chine par les nations étrangères le nom même de sa dynastie. Mais l’orgueil
rendra son œuvre caduque : les Tcheou s’étaient contentés du titre de Wang, il
prendra celui de Houang Ti, empereur ; il sera le premier d’une série de
monarques qui par une simple numérotation seront le deuxième, le troisième
Houang Ti sans nom spécial ; comme cette dynastie doit marquer une ère
nouvelle dans l’histoire de la Chine, ou plutôt le début de cette histoire, il fera
détruire tous les livres qui racontent les gestes de ceux qui ont présidé avant
lui aux destinées du pays. Son œuvre en grande partie sera aussi éphémère
dans sa durée que rapide dans sa conception ; elle croulera avec son fils, le
deuxième Houang Ti et la Chine reprenant sa tradition continuera son histoire
brusquement interrompue avec la chute des Tcheou. Mais il faut cependant
reconnaître que si certaines portions de son œuvre ont disparu avec lui — la
destruction des livres, par exemple, tout en causant la disparition définitive de
certains ouvrages, n’a pas empêché la recon struction d’un grand nombre
d’entre eux sous ses succes seur — son empreinte a été durable dans sa partie
principale : le groupement, indestructible des éléments épars d’une nation.

Tcheng était né en 259, à Han Tan, capitale du pays de Tchao, dans le


Tche Li actuel, où son père Tchouang Siang, ayant été envoyé en otage, vit la
concubine de Lu Pou-wei, en tomba amoureux et l’épousa ; de ce mariage
naquit Tcheng que les lettrés chinois appellent Lu Tcheng le considérant
comme un bâtard, fils de Lu Pou-wei et non de Tchouang Siang ; il en résulte
qu’à leurs yeux la dynastie des Ts’in est illégitime. Quand Tcheng monta sur
le trône, « le territoire de Ts’in comprenait déjà (les pays de) Pa [Tch’oung
K’ing, dans le Se Tch’ouan] et Chou [capitale Tch’eng Tou, dans l e Se
Tch’ouan], Han -Tchoung [Mien, préf. • 200 de Han Tchôung, Chen Si, jusqu’à
Tchou Chan, préf. de Yun Yang, Hou Pe], Yue [fondé par Keou Tsien, dans le
Tche Kiang et le Fou Kien], Yuan [sous-préf. de Nan Yang, Ho Nan] ; il
possédait Ying [capitale du royaume de Tch’ou, au nord de la sous -préf. de
Kiang Ling, Hou Pe, prise en 278] où on avait établi la commanderie de N’an,
au nord, il gardait la commanderie de Chang et ce qui se trouvait à l’est,
possédant (ainsi) les commanderies de Ho Toung, T’ai Youen et Chang Tang ;
à l’est, il s’étendait jusqu’à Young Yang [pris à Han en 250 par Tchouang
Siang, au sud-ouest de la sous-préf. de Young Tseu, préf. de K’ai Foung] ; il
avait détruit les deux Tcheou et il avait établi la commanderie de San
Tch’ouan (304) » [les trois rivières Yi, Lo et Houang Ho ; préf. de Ho Nan]. A
l’ouest du pays des Ts’in, la contrée était occupée. par les Barbares.
L’Empire était alors partagé entre les sept princes de Ts’in, de Tch’ou, de
Yen, de Tchao, de Wei, de Han et de Ts’i ; le but des Ts’i n fut dès lors
Henri Cordier Histoire générale de la Chine 156

d’absorber les autres principautés ; ils y réussirent et leur œuvre fut terminée
par l’annexion de Ts’i en 221 av. J. -C.
Les débuts du règne de Tcheng furent peu brillants : à la suite des
dévastations commises par les sauterelles, il. fut décidé que tous les gens du
peuple qui apporteraient mille che de grains seraient gratifiés d’un degré dans
la hiérarchie (243) ; quoique ce fut le titre et non la fonction que l’on
accordait, il n’y en avait pas moins vénalité du grade, et il semble que c’ est le
premier exemple qu’on en rencontre dans l’histoire de la Chine. Des troubles
domestiques éclatèrent : l’amant de la reine -mère, Lao Ngai, non seulement
avait été anobli sous le titre de Marquis de Tch’ang Sin, mais on lui donna en
outre du territoire de Chan Yang (dans la préf. de Houai K’ing, Ho Nan), les
circonscriptions de Ho Si et de T’ai Youen qui formèrent un nouveau royaume
de Ngai. Malgré ces bienfaits, en 236, Lao Ngai contrefaisait le sceau
personnel du roi et de la reine douairière pour lever des troupes et fomenter
une • 201 rébellion, mais défait par les princes de Tch’ang P’ing et de Tch’ang
Wen, le misérable fut pris et mis à mort, tandis que la reine-mère était exilée ;
elle fut rappelée à Hien Yang un peu plus tard par Tcheng à la suite des
remontrances de Mao Tsiao, de Ts’i. Lu Pou -wei qui paraît avoir trempé dans
la conspiration de Lao Ngai fut obligé de donner sa démission de Conseiller
d’État et il mourut deux ans plus tard (235) ; peut-être se suicida-t-il.
L’œuvre d’unification de la Chine ne se fit pas sans que les princes
menacés par l’ambition de Tcheng cherchassent à écarter le danger en
supprimant le chef redoutable et Se-ma Ts’ien nous a conservé le récit de la
tentative d’as sassinat dont, à l’instigation de Tan, prince héritier de Yen, le roi
de Ts’in fut l’objet de la part d’un certain King K’o de Wei (227) ; le souvenir
de cet attentat a été gardé dans le peuple et la scène est reproduite dans les
sculptures de Wou Leang ts’eu.
Ayant terminé la conquête de la Chine et réuni tous les États sous son
sceptre, Tcheng résolut de consolider l’unité de l’Empire en brisant les
anciennes divisions territoriales et il divisa son vaste territoire en trente-six
kiun, provinces ou circonscriptions : 1° San Tch’ouan ; 2° Ho toung ; 3° Nan
Yang ; 4° Nan ; 5° Kieou Kiang ; 6° Tchang ; 7° Kouei Ki ; 8° Ying
Tch’ouan ; 9° T’ang ; 10° Se Chouei ; 11° Sié ; 12° Toung ; 13° Lang Ya ;
14° Ts’i ; 15° Chang Kou ; 16° Yu Yang ; 17° Yeou Pei P’ing ; 18° Leao Si ;
19° Leao Toung ; 20° Tai ; 21° Kiu Lou ; 22° Han Tan ; 23° Chang Tang ; 24°
T’ai Youen ; 25° Yun Tchoung ; 26° Kieou Youen ; 27° Yen Men ; 28°
Chang ; 29° Loung Si ; 30° Pei Ti ; 31° Han tchoung ; 32° Pa ; 33° Chou ; 34°
K’ien Tchoung ; 35° Tch’ang Cha ; 36° Nei Che, la capitale.
Des anciens titres féodaux de koung, heou, po, tseu, nan, Che Houang Ti
« ne laissa subsister que le nom de heou, marquis, qui ne fut plus à
proprement parler un degré de noblesse, mais fut synonyme de noble en
général (305) ».
Henri Cordier Histoire générale de la Chine 157

Il organisa l’administration de l’Empire en envoyant dans les provinces


des administrateurs, des gouverneurs • 202 militaires et des surintendants ; il
uniformisa non seulement les lois et les règlements, ainsi que les poids et
mesures, mais aussi les dimensions des essieux des chars et les caractères de
l’écriture. Il avait recueilli toutes les armes dans l’Empi re, il les fit fondre et
transformer en cloches et en douze hommes de métal qui furent placés dans le
palais impérial de Hien Yang ; sa capitale dans laquelle, bordant la rivière
Wei, il fit élever des modèles des palais des princes qu’il avait vaincus. Il y
transporta 120.000 familles de gens puissants et riches de tout l’Empire. Ce
fut la centralisation à outrance :
« Le territoire s’étendit à l’est jusqu’à la mer et atteignit le Tch’ao Sien
[Corée] ; à l’ouest il s’étendit jusqu’au Lin T’ao [Min Tcheou, Chen Si] et au
K’iang Tchoung [au S. -O. du Lin T’ao, habité par des tribus tibétaines] ; au
sud il s’étendit jusqu’au pays où les portes sont tournées vers le nord
[Tong-King ?] ; au nord. il s’appuya sur le Ho qui lui constituait une barrière,
longea le Yin Chan et arriva jusqu’au Leao Toung (306) ».
Ayant terminé ses conquêtes, Tcheng fit graver une inscription sur le T’ai
Chan pour commémorer l’achève ment de son œuvre, L’unité de l’Empire, la
26e année de son règne (221 av. J.-C.), et son orgueil ne connaissant plus de
bornes, il prit le titre de Che Houang Ti, le premier Souverain Empereur sous
lequel il est connu dans l’histoire, et ses successeurs devaient être désignés,
non par leur nom personnel ; mais par le numéro d’o rdre de leur règne, c’est -
à-dire qu’ils seraient le second, troisième, etc. Souverain Empereur, mais la
lignée s’arrêta brusquement avec le second, Eul Che Houang Ti. « Il marquait
par là, écrit Chavannes, qu’il réunissait en lui toutes les qualités des t rois
Souverains et des cinq Empereurs de l’antiquité (307) ». « La plupart des gens
qui s’élèvent, nous dit Saint -Évremond, prennent de nouveaux titres, pour
autoriser un nouveau Pouvoir (308) ».
• 203 Les Tcheou avaient régné par la vertu du feu ; les Ts’in régnèrent en
vertu de l’eau, ce n’est d’ailleurs qu’à partir de cette époque que la théorie des
cinq éléments, qui n’a pas pris naissance en Chine, acquiert une grande
importance ; toutefois dans le pays, considéré comme barbare, de Ts’in on ne
rendait hommage qu’aux quatre empereurs d’en haut : l’empereur vert,
l’empereur jaune, l’empereur rouge et l’empereur blanc, ce qui n’implique que
quatre éléments ; les Chinois en introduisirent un cinquième.
Pour mieux assurer encore la gloire de son règne qui devait être le
commencement de l’histoire du pays, il était nécessaire d’effacer toute trace
du passé, et dans cette œuvre de destruction il fut poussé par son conseiller Li
Se qui, en présence de soixante-dix lettrés, prononça, la harangue suivante
(213 av. J.-C.)
« Votre sujet propose que les histoires officielles, à l’exception des
Mémoires de Ts’in, soient toutes brûlées ; sauf les personnes qui ont la charge
de lettrés au vaste savoir, ceux qui dans l’Empire se permettent de cacher le
Henri Cordier Histoire générale de la Chine 158

Che King, le Chou King, ou les discours des Cent écoles, devront tous aller
auprès des autorités locales civiles et militaires pour qu’elles les brûlent. Ceux
qui oseront discuter entre eux sur le Che King et le Chou King seront mis à
mort et leurs cadavres exposés sur la place publique ; ceux qui se serviront de
l’antiquité pour dénigrer les temps modernes seront mis à mort avec leur
parenté. Trente jours après que l’édit aura été rendu, ceux qui n’auront pas
brûlé leurs livres seront marqués et envoyés aux travaux forcés. Les livres qui
ne seront pas proscrits seront ceux de médecine et de pharmacie, de divination
par la tortue et l’achillée, d’agriculture et d’arboriculture. Quant à ceux qui
désireront étudier les lois et les ordonnances, qu’ils prennent pour maîtres les
fonctionnaires. » Le décret fut « Approuvé » (309).
Le décret fut exécuté dans toute sa rigueur ; tout ce qui représentait un
passé abhorré devait être anéanti, c’est dire que l’œuvre de Confucius, non
seulement le Livre • 204 d’Histoire et le Livre de Poésie, mais aussi et surtout
les Rituels devaient être détruits ; seuls étaient épargnés les ouvrages de
science, de divination, etc. Nous verrons que malgré la proscription de toute
l’antique histoire, la destruction n’en fut pas aussi complète que l’aurait
désirée l’Empereur, et que sous la dynastie des Han on put reconstituer le
texte plus ou moins mutilé d’un certain nombre d’entre eux. D’ailleurs
l’efficacité du décret ne put être que très courte, car Che Houang Ti mourut
quatre ans plus tard et le décret fut rapporté par les Han dès 191. Le décret de
Ts’in Che Houang Ti ne fut d’ailleurs pas accepté sans pro testation et quatre
cent soixante lettrés de Hien Yang payèrent de leur vie leur résistance à la
volonté impériale.

Hioung Nou.
L’origine des Hioung Nou nous est inconnue ; on a prétendu qu’ils
descendaient de Chan Wei, fils de Kié, le dernier souverain Hia, Chan Wei
« se sauva dans les déserts du nord, où il vécut parmi les bêtes sauvages, sans
oser communiquer avec les hommes (310). » On a aussi supposé que les Huns,
qui ne sont autres que les Hioung Nou, seraient, suivant Cassiodore,
descendus des hommes des bois appelés Fauni ficarii, suivant Jordanes des
Spiritus immundi qui ne seraient autres que Kouei fang (région des démons)
des Chinois, terme qui peut s’appliquer à d’autres barbares aussi bien qu’aux
Hioung Nou. Ils sont probablement le peuple turk connu dans l’ancienne
histoire chinoise sous le nom de Hiun Yu, repoussés au nord par Houang Ti et
qui, plus tard, avec d’autres Barbares, les Joung et les Ti, attaquèrent le duc
Tan Fou (T’ai Wang) des Tcheou. Suivant Se -ma Tcheng on les appelait aussi
les Joung des Montagnes à l’époque de Yao et de Chouen, mais le P. Gaubil
nous dit expressément que « les Joung, qui étaient voisins du Chen Si, vers le
Nord et l’Occident, étaient des Tartares d’une autre espèce (311) » : Plus tard,
ils furent appelés Hien Yun ; de Guignes, suivant Se-ma Ts’ien, leur donne
Chouen Wei (ou Chan Wei), prince de la famille des Hia, comme ancêtre, et il
Henri Cordier Histoire générale de la Chine 159

ajoute : • 205 « C’est aux environs de l’an 1200 av. J. -C. que nous devons
placer le commencement de l’Empire des Huns (312). » Ils étaient nomades et
leur domination s’étendait depuis Siouen Houa fou dans le Tche Li jusqu’au
lac Barkoul : Excellents cavaliers, habiles à manier l’arc, ils faisaient des
incursions continuelles en Chine, maintenus par les princes de Tchao. « Ils
n’avaient point de maisons, et ne cultivaient pas la terre ; ils habitaient sous
des tentes ; ils avaient des statues d’or, qui représentaient le roi ou Maître du
Ciel, qu’ils ado raient. Ils rendaient des honneurs à leurs ancêtres, et, dans des
temps fixés, ils tenaient des assemblées pour régler leurs affaires. Ils n’avaient
point de caractères (313) ». Mais l’état social des Hioung Nou se transforma
dans le cours des siècles. « C’est dans la seconde moitié du IIIe siècle, avant
notre ère, nous dit Chavannes (314), que les Hioung Nou se constituèrent pour
la première fois en nation unie et forte. Leur organisation politique nous est
exposée par Se-ma Ts’ien assez en détail ( Mémoires historiques, chap. CX, p.
4.) ; à leur tête était un chef appelé le chen-yu [ou tcheng-li kou-t’ou chen yu ,
ce que les Chinois traduisent par le « majestueux Fils du Ciel »] ; au-dessous
de lui se trouvaient deux grands dignitaires, les rois t’ou -k’i , c’est -à-dire
sages, de gauche et de droite. Le roi t’ou -k’i de gauche résidait à l’Orient et
était l’héritier désigné du chen-yu ; le roi t’ou -k’i de droite commandait dans
l’Occi dent. A des rangs inférieurs étaient d’autres fonctionnaires : les rois
kou-li de gauche et de droite ; les généralissimes de gauche et de droite ; les
grands gouverneurs de gauche et de droite ; les grands tang-hou de gauche et
de droite ; les seigneurs kou-tou de gauche et de droite ; puis venaient des
chefs de mille hommes, de cent hommes et de dix hommes ». Teou Man leur
premier chef connu fut assassiné par son fils Mao Toun, 209 av. J.-C. « Il
paraît, dit de Guignes, (315) que ce n’est qu’à cette époque que nous • 206
devons fixer le commencement de la puissance des Huns ». Tchouang Siang,
père de Ts’in Che Houang Ti, pour arrêter les incursions des Hioung Nou, dès
244, fit fermer les passes de Loung Si (Ti Tao hien, de Liang-Tao fou, Chen
Si), de Pe Ti (King Yang, Chen si), et de Chang Kiun ; cette mesure fut
trouvée insuffisante par les princes de Tchao et de Yen, limitrophes des
Barbares ; ils firent construire des murailles : Les Tchao « depuis Tai (Joui Te
tcheou, de Yen Ngan fou, Chen Si), au pied des montagnes Yin Chan (qui
confinaient à la Tartarie), jusqu’à Kao Kiué, forteresse à 420 li au N. -O de Ta
t’oung fou, pour mettre à couvert Yun Tchoung (district de Ta T’oung fou),
Yen Men (Yu Men, T’ai Youen fou, Chan Si) et T’ai Kiun, (dépendant de
T’ai Youen) ; et le prince de Yen en fit construire une depuis Tsao Yang.
jusqu’à Siang Ping (Leao Yang tcheou, du Leao Toung), pour garantir Chang
Kou (Pao Ngan tcheou, de Siouen Houa fou, Tche Li), Yu Yang (Ping Kou
bien, Tche Li), You Pe Ping (Young P’ing fou, Tche Li) et Leao Toung kiun,
qui est une partie du Leao Toung (316) ». Ces princes, en construisant une
muraille, ne faisaient que suivre l’exemple du prince de Wei, qui au milieu du
IVe siècle, à l’époque du duc Hiao (de Ts’in), él eva une barrière pour se
défendre contre ses voisins, les Ts’in eux -mêmes, alors considérés comme un
peuple barbare ; la muraille de Wei commençait « à la ville de Tcheng, au N.
Henri Cordier Histoire générale de la Chine 160

de la préf. secondaire de Houa, préf. de T’oung Tcheou, Chen Si, traversait l a


rivière Wei, longeait la rive orientale de la rivière Lo du Chen Si et arrivait au
N. de la commanderie de Chang qui occupait le sommet N.-E. à l’intérieur de
la grande boucle formée par le Houang Ho dans le Chen Si (317) ».

Grande Muraille.
Ts’in Che Houang Ti compléta l’œuvre de son père et des princes de
Tchao et de Yen. En 215, le général Moung T’ien (318) fut envoyé à la
frontière du Nord. « Il ajouta de • 207 nouvelles fortifications aux remparts
élevés entre les pays où sont aujourd’hui Si Ning et Ping Leang fou dans le
Chen Si, pour arrêter les courses des Tartares de ce côté-là. Il alla au nord du
pays de Ping Leang fou. Il se saisit du pays aujourd’hui appelé Ortous, et fit
faire, le long du fleuve Houang Ho, des forteresses. Ensuite allant le long de la
Grande Muraille jusqu’au Leao Toung il fit bâtir des forteresses dans les lieux
les plus exposés. Pour le bout oriental de la Grande Muraille, Ts’in Che
Houang, dans une de ses visites, y fit bâtir le boulevard qu’on y voit encore et
qu’on appelle Chan Hai kouan. Moung Tien répara aussi la grande palissade
qui séparait le Leao Toung de la Tartarie, et dont on voit encore des vestiges.
Moung T’ien se fit craindre et respecter des Tartares Hioun g Nou (319).
D’ailleurs, Ts’in Che Houang Ti avait su trouver des ouvriers pour la
construction de la muraille ; en 213, les juges prévaricateurs furent envoyés
pour prendre leur part de la besogne. Ainsi fut constituée cette gigantesque
défense que les Chinois nomment Wan-li tch’ang tch’eng la muraille longue
de 10 000 lis, qui subsiste encore aujourd’hui de Chan Haï Kouan à l’est
jusqu’à Kia Yu Kouan, près de Sou Tcheou, du Kan Sou, à l’ouest ; elle varie
de hauteur, de 5 mètres à 10 mètres ; dans certains endroits la muraille est
surmontée de tours ; des parties sont en ruines, surtout celles qui dans l’ouest,
sont construites en terre de loess ; au contraire dans l’est, construite en
briques, elle forme un rempart d’environ 7 mètres à sa base et de 4 mètres à
son sommet ; quelques passes, dont la plus importante est peut-être celle de
Kalgan (Tchang kia k’eou) permettent de la franchir.
Les Hioung Nou n’étaient qu’un des peuples barbares qui entouraient la
Chine. Pendant qu’ ils dominaient au nord, on trouvait au nord-ouest et à
l’ouest, les Joung, au sud les Man, d’autres encore, Miao, Ti, etc. dont nous
parlent les • 208 Livres classiques. C’étaient les tribus au milieu desquelles les
Chinois, grâce à leur supériorité intellectuelle et morale, augmentèrent
progressivement leur domaine. D’où ve naient-ils ? Nous l’ignorons : il est
trop facile d’accepter la théorie sim pliste de Legge qui les fait venir des
mêmes contrées occidentales que les Chinois, mais à une époque antérieure. Il
est probable que certaines tribus non chinoises qui peuplent encore l’Empire
du Milieu en descendent. Quelques peuples nomades, vivant à l’origine sous
des tentes, se civilisèrent avant les autres, tels les Joung qui ont joué un rôle
assez considérable dans l’histoire ancienne de la Chine, par exemple dans les
Henri Cordier Histoire générale de la Chine 161

luttes qui suivirent le mariage de Yeou Wang et de Pao SE. « Ces Tartares,
nous dit le P. Gaubil, 400 ans environ avant J.-C., se divisèrent en hordes,
élurent des chefs, bâtirent des villes, et selon les Chinois, d’autres Tartares
occidentaux, à l’exem ple des Joung, bâtirent alors des villes (320) ».
« Les Chinois, les Joung, les Yi et tous les autres peuples avaient chacun
leur caractère particulier qu’il était impos sible de changer. Les habitants de
l’est, appelés Yi, ne liaient pas leurs cheveux, (ils les coupaient) ; ils avaient le
corps orné de peintures, certains parmi eux ne cuisaient pas leurs aliments.
Les habitants du midi appelés Man, se tatouaient le front ; (ils prenaient
ensemble leur repos) les pieds (tournés en sens contraire et) se croisant ;
certaines tribus ne mangeaient pas d’aliments cu its. Les habitants de l’ouest,
appelés Joung, portaient les cheveux courts, et ne les liaient pas ; ils étaient
vêtus de peaux ; certaines tribus ne mangeaient pas de grains. Les habitants du
nord, appelés Ti, portaient des vêtements tissus de duvet et de laine ; ils
habitaient dans des cavernes ; certains ne mangeaient pas de grains. Les
Chinois, les Yi, les Man, les Joung, les Ti et tous les autres avaient des
habitations commodes, des mets assaisonnés, des vêtements convenables, tous
les instruments et les ustensiles dont ils avaient besoin. Tous ces peuples
différaient de langage, et n’avaient pas les mêmes goûts ni les mêmes désirs.
Ils se • 209 communiquaient entre eux leurs pensées et leurs sentiments par
l’intermédiaire d’officiers qui étaient appelés dans l’est messagers, dans le sud
imitateurs, dans l’ouest indicateurs ; dans le nord interprètes (321) ».
D’ail leurs sous les Tcheou, une administration spéciale s’occupait des
peuples barbares.
« (Les princes constitués par l’empereur gouverneurs dans les contrées
barbares), à l’est chez les Yi, au nord chez les Ti, à l’ouest chez les Joung, au
midi chez les Man, quelle que soit l’étendue de leur juridiction, s’appellent
tzèu (feudataires du quatrième ordre). Dans leurs principautés particulières, ils
s’appellent eux -mêmes Indignes serviteurs de l’Empereur (322) ».
Dans le Tcheou Li, les Agents de Direction des Régions (Tche-fang-che)
« sont chargés des cartes de l’Empire ; et, au moyen de ces cartes, ils
s’occupent des terres de l’Empire. Ils distinguent : les arrondissements et
cantons de ses royaumes et principautés ; les populations désignées par les
noms des quatre Yi ; des huit Mân, des sept Min, des neuf Me, des cinq Joung,
des six Ti (323). »
Si Ts’in Che Houang Ti sut augmenter la population de sa capitale en y
attirant les riches, il ne manqua pas aussi de délivrer ses États de la population
peu désirable des pauvres, des vagabonds, des boutiquiers, des juges préva-
ricateurs en les envoyant conquérir ou coloniser Jen Ngao (Nhàm Nghiêu) et
Tchao T’o (Triêu Dà) c’est -à-dire le Nan Yue (Nam Viêt) ; les Chinois
s’emparèrent du pays de Luc Lu’o’ng qu’ils divisèrent en trois
circonscriptions où ils établirent des garnisons : Ces trois circonscriptions
comprenaient : 1° Quê Lâm, en chinois Kouei Lin, l’ancien royaume de
Henri Cordier Histoire générale de la Chine 162

Ba-Thuc c’est -à-dire Cao Bang et le Kouang Si ; 2° Nam Haï, c’est -à-dire le
Kouang Toung, une partie du Fou Kien et une partie des provinces tonkinoises
actuelles de Quang Yen et de Luc Ngan ; 3° Tu’o’ng (Siang) Quan,
c’est -à-dire le delta du Tong King, pays des Kiao Tche, • 210 avec le Thanh
Hoa en plus. « Le Siang était à la frontière sud de l’Empire des Ts’in, comme
Je Han (Nhât-nam) était la limite sud de l’Empire des Han (324) ».

Annam.
Il est intéressant de rapprocher les renseignements que donne Se-ma
Ts’ien de ceux que nous fournit l’histoire d’Annam : Tuc Phan, roi de Thuc
(Cao Bang) prit le nom de An-Du’o’ng Vu’o’ng ou Yen -Du’o’ng Vu’o’ng, en
montant sur le trône, et fonda, la 56e année de Nan Wang, empereur de la
dynastie chinoise des Tcheou, en renversant la première dynastie de l’Annam
Hung Bâng Thi et le roi Hung vu’o’ng (Hioung Wang) XVIII qui se jeta dans
un puits, la deuxième dynastie d’Annam, celle de Thuc, conquérant le Van
Lang (Wen Lang), dont le roi lui avait refusé sa fille Mi Nu’o’ng en mariage
en 257, c’est -à-dire peu d’années avant la chute définitive des Tcheou ; Le
Van Lang qui avait pour capitale Bac Hac, s’étendait glu N. au S. du pays de
Chou (Se Tch’ouan) et du lac Toung T’ing (Hou Nan) au. royaume de Ba
Thuc, (Cao Bang) et au Tchampa. Le Van Lang comprenait quinze districts
ou Bô : 1° Van Lang, ou Bac Hac, au confluent de la rivière Rouge et de la
rivière Claire ; 2° Kiao Tche (Ha Noi, Hu’ng Yen et Nam Dinh) ; 3° Chaû
Diên, sur le mont Ba Vi, sur la rivière Noire ; :4° Phu’oc Lôc (parti e basse de
la province de So’n Tay) ; 5° Vo Ninh (territoire de Bac Ninh) ; 6° Viêt
Thu’o’ng (Quang Binh et Quang Tri) ; 7° Ninh Hai (parties maritimes du
Quang Yen et une partie du Kouang Toung ; 8° Du’o’ng Tuyen (Hai
Du’ong) ; 9° Luc Haï (partie du Kouang Si avec Lang So’n et Luc Ngan) ; 10°
Vo Dinh (Thaï Nguyen et partie du Kouang Si) ; 11° Hoai Hoan ( vallées du
Nghê An et du Ha Tinh) ; 12° Cu’a Cho’n (ter ritoire du Thanh Hoa) ; 13°
Binh Van (Ninh Binh, depuis le fleuve Dâi jusqu’à la montagne Tara Die p) ;
14° Tân Hu’ng (Hu’ng Hoa et Tuyen Quang) ; 15° Cu’u Du’c (le haut Song
Ma jusqu’à la rivière Noire). Il y a trois listes de ces noms dont la plupart
datent de la dynastie des T’ang. Comme on le voit ces quinze bô sont
renfermés dans • 211 une petite partie de la Chine dans le Tong King et dans
l’Annam septentrional ; les autres limites jusqu’au pays de Chou et au lac
Toung T’ing sont du domaine de la légende (325). Van Lang et Thuc formèrent
un seul État sous le nom de Au Lac (composé de deux noms de tribus Au Viêt
et Lac Viêt), dont la capitale construite par An-du’o’ng la troisième année de
son règne (255), fut appelée d’abord Phong Khe (ruisseau du fief), puis Co
Loa Thanh (vieille cité du coquillage à cause de la forme elliptique de ses
remparts) ; ses vestiges se trouvent dans le huyen de Dong An, province de
Bac Ninh, à quelques kilomètres de la jonction du canal des Rapides et du
fleuve Rouge. Une légende raconte qu’elle fut bâtie grâce à l’aide appo rtée à
Yen Du’o’ng par une tortue d’or, envoyée par le génie de la rivière Claire.
Henri Cordier Histoire générale de la Chine 163

Tran Thi Hoang (Ts’in Che Houang) qui a triomphé des six autres princes
de Chine, envoie dans le Nan Yue, dans le but de préparer l’annexion de ce
pays, deux agents, Kiet Tuan ou Nham Ngao et Trieu Da ; celui-ci signe
devant Co Loa (209) un traité par lequel il obtenait la partie du royaume située
au nord de Binh Giang, qui parait être le song Ca Lo, près Bac Ninh, et
demande pour son fils Trong Thuy, la main de Mi chau, fille unique du roi
Thuc, qui est accordée à la condition que le gendre du souverain résidera à la
Cour d’Annam ; le roi Thuc trahi par ses enfants, tua sa fille et lui-même se
jeta dans la mer à l’endroit où se trouve aujourd’hui le port de Bich, près du
cap Do So’n, dans le Nghê An. Trong Thuy se suicide de désespoir en
apprenant la mort de sa femme : Trieu Da, profitant des circonstances et de la
chute des Ts’in en Chine, s’empare de la capitale Co Loa (207 av. J. -C.) et du
pays d’Au Lac, en y ajoutant le te rritoire de Dong Au (aujourd’hui Phu’o’c
Kien), ainsi que celui de Tây Viet (Canton), établit sa capitale à Phien ngu,
Phiên ngung ou P’an Yu (Canton) et sous le nom de Trieu vo de (Tchao Wou
Ti, 206-109 av. J.-C.) commence la • 212 troisième dynastie d’An nam, celle
des Trieu qui devait durer jusqu’à l’annexion du pays par les Han, 111 av.
J.-C. Il est intéressant de noter qu’un sujet du roi Yen -du’o’ng, nommé Li
Ong-trong, ramené par Trieu Da d’Au Lac en Chine, y fut élevé et devint un
des chefs qui repoussèrent. les Hioung Nou.

Mort de Che Houang Ti.


Ts’in Che Houang Ti mourut le 22 juillet 210 (326) à Cha K’ieou, au
nord-est de la sous-préf. de P’ing Hiang, préf. de Chouen Té, Tche Li, et son
corps fut transporté à Hien Yang par Li Se, qui avait caché sa mort pour éviter
des troubles. Il avait régné vingt-cinq ans comme Tcheng Wang et douze
comme Ts’in Che Houang Ti. Son fils lui fit de splendides funérailles :
« Le neuvième mois, on enterra Che Houang dans la montagne Li
[Lin T’oung hien, district de Si -ngan fou]. Dès le début de son
règne, Che Houang avait fait creuser et arranger la montagne Li.
Puis, quand il eut réuni dans ses mains tout l’Empire, les
travailleurs qui y furent envoyés furent au nombre de plus de sept
cent mille ; on creusa le sol jusqu’à l’eau ; on y coula du bronze et
on y amena le sarcophage ; des palais, (des bâtiments pour) toutes
les administrations, des ustensiles merveilleux, des joyaux et des
objets rares y furent transportés et enfouis et remplirent (la
sépulture). Des artisans reçurent l’ordre de fabriquer des arbalètes
et des flèches automatiques ; si quelqu’un avait voulu faire un trou
et s’introduire (dans la tombe), elles lui auraient soudain tiré
dessus. On fit avec du mercure les cent cours d’eau, le Kiang, le
Ho, et la vaste mer ; des machines le faisaient couler et se le trans-
mettaient les unes aux autres. En haut étaient tous les signes du
ciel ; en bas toute la disposition géographique. On fabriqua avec de
Henri Cordier Histoire générale de la Chine 164

la graisse de jen-yu [phoque] des torches qu’on avait calculé ne


pouvoir s’éteindre de longtemps. Eul Che dit : « Il ne faut pas que
celles des femmes de l’empereur décédé qui n’ont pas eu de fils
soient mises en liberté ». Il ordonna que toutes le suivissent dans la
mort ; • 213 ceux qui furent mis à mort furent très nombreux. Quand
le cercueil eut été descendu, quelqu’un dit que les ouvriers et les
artisans qui avaient fabriqué les machines et caché les trésors
savaient tout ce qui en était et que la grande valeur de ce qui avait
été enfoui serait donc divulguée ; quand les funérailles furent
terminées et qu’on eut dissi mulé et bouché la voie centrale qui
menait à la sépulture, on fit tomber la porte à l’entrée extérieure de
cette voie et on enferma tous ceux qui avaient été employés comme
ouvriers ou artisans à cacher (les trésors) ; ils ne purent pas
ressortir. On planta des herbes et des plantes pour que (la tombe)
eût l’aspect d’une montagne (327) ».
Le Dr Segalen, Journ. Asiat., mai-juin 1916, p. 405, qui a visité la tombe
de Ts’in Che Houang Ti, remarque que
« les sépultures successives des Ts’in, comme leurs capitales,
attestent une volonté continue de progression de l’ouest à l’est, une
descente conquérante vers le Fleuve Jaune ».
Vanité des prévisions humaines ! Malgré toutes ces précautions, la tombe
du tyran Ts’in fut violée par Hiang Yu, peu de temps après la chute de son
éphémère dynastie, mais on ignore quels dégâts furent alors commis.
La mégalomanie de Che Houang Ti, dont les résultats furent aussi
éphémères que rapides, servit néanmoins grandement à l’expansion de la
Chine dont le premier Empereur recula les bornes en écartant de ses frontières
les peuples hostiles et répandit le nom dans les pays lointains. Le voyage de
Tchang K’ ièn dans les régions occidentales au siècle suivant, sous Han Wou
Ti, est une conséquence des conquêtes de Che Houang Ti ; de même les
relations de la Chine avec l’Annam résultent des campagnes dans le sud de
l’Empire des Ts’in.
Il est probable que le nom de Sin, Tchin, Sinae, Chine, donné à l’Empire
par les Occidentaux vient du nom même de la dynastie Ts’in ; sous la dynastie
des Han, les Hioung Nou appelaient les Chinois : « Hommes de Ts’in » ; Ts’in
était le nom donné à la Chine par les peuples du Si Yu, de • 214 l’Occident ; le
moine alexandrin Cosmas Indicopleustes, au VIe siècle, l’appelait Tsinitza ou
Tzinista, que nous retrouvons dans le Tchinasthâna des anciens Hindous, le
Tchinistan des Persans, le Tsinisthan de l’inscription de Si Ngan ; plus tard, au
VIIe siècle ap. J.-C. on la désigne sous le none de Taugas, ÔáõãÜò, comme
l’écrivain byzantin Theophylactus Simocatta, de Taugast, le Tabgatch des
inscriptions turkes, et sous les Leao (916-1125) sous le nom de K’i tai, (328),
d’où le nom de Cathay employé par les voyageurs européens du moyen âge,
Henri Cordier Histoire générale de la Chine 165

tels Marco Polo et Odoric de Pordenone, qui appelaient Manzi la Chine du


Sud.
Le nom de Cathay qui vient de la dynastie tartare de K’i Tan, ou Leao, fut
perdu bientôt par l’Europe qui lui rendit le nom de Chine ; ce nom de Cathay
sera pendant quelque temps, et par erreur, appliqué, au XVIIe siècle, au Tibet,
lorsque le père de Andrade, aura, en 1624, écrit sa relation. Cathay ne restera
que sous les formes K’itaï, Kitái en russe, Kitáia en grec et dans les langues
musulmanes. Le nom de Manzi ou Mangi, de Man Tseu, désignait les barbares
d’une manière générale. Les Chinois du Nord, du Cathay, à l’époque des Kin
et des Youen, traitaient les gens du Sud de barbares, représailles des enva-
hisseurs du Nord pour l’appellation qui leur était donnée par les Chinois du
Midi, de Pe T’ai , fous du Nord.
Les Chinois eux-mêmes désignent leur pays sous le nom de Tchoung
Kouo, l’Empire du Milieu, appliqué à l’origine à la province de Ho Nan, fief
de la dynastie des Tcheou ; eux-mêmes s’appellent Tchoung Kouo Jen,
Hommes de l’Empire du Milieu. Sous la dynastie mandchoue, dans les
instruments diplomatiques, on se servait de l’expression Ta Ts’ing Kouo , le
Grand Empire Ts’ing, comme sous la dynastie chi noise précédente, on se
servait de l’expression Ta Ming Kouo, Grand Empire Ming. D’autres
appellations font allusion à la situation géographique de l’Empire, telles T’ien
Hia (Sous le Ciel) et Se Hai (Quatre Mers) : • 215 si l’on jette les yeux sur une
mappemonde chinoise, on verra en effet que pour ses habitants, la Chine
occupe le centre du Monde qui se compose d’un Continent ou plutôt d’une
grande île centrale. Elle est baignée par une mer intérieure remplie d’îles et
qui a pour limites un cercle de terre qui est censé représenter les deux
Amériques. Une seconde mer forme la ceinture du monde ; dans cette grande
mer extérieure, trois îles : à droite, Lieou p’ochan et l’arbre Fou Sang au
Soleil Levant ; à gauche, la montagne Man au Soleil Couchant ; au bas Ho
Chan, au centre, sur terre, entre deux fleuves, dans un cercle entouré de
murailles Tchoung Youen, nom ancien de la province de Ho Nan, donné à tout
l’Empire du Milieu, Tchoung Kouo. Les deux plus anciens spécimens de la
cartographie chinoise paraissent être deux cartes gavées sur pierre conservées
dans le musée épigraphique de Si Ngan fou appelé Pei Lin, la « Forêt des
stèles » ; elles remontent à l’année 1137 de notre ère ; M. Chavannes les a
décrites dans le Bulletin de l’Ecole Française d’Extrême -Orient (1903).
D’autres désignations sont poétiques : Tchoung Houa Kouo, l’Empire
fleuri du Milieu, ou simplement Houa Kouo, l’Empire fleuri, ou Houa Yen,
Langage fleuri ; quelques-unes se rapportent aux anciennes dynasties : Houa
Hia, d’après la première dynastie ; Han Jen ou Han Tseu, hommes ou fils de
Han, d’après la dynastie des Han ; T’ang Jen ou T’ang Chan, hommes ou
montagnes de T’ang d’après la dynastie T’ang. C’est ce nom de T’ang Chan
que les Chinois des Indes néerlandaises donnent à leur pays, ce qui semblerait
démontrer que les Chinois ont émigré dans les îles de la Sonde beaucoup plus
tôt qu’on ne le pense généralement,
Henri Cordier Histoire générale de la Chine 166

Le prince Hou Haï, âgé de douze ans suivant Se-ma Ts’ien, de vingt et un
ans suivant d’a utres, ce qui est probable, remplaça son père sur le trône et fut
le Second Empereur, Eul Che Houang Ti.
« Il était une tête d’homme avec le cri d’une brute. Sans prestige, il
ne sut pas combattre le mal ; sans vertu réelle, il se perdit non sans
cause. Quand on s’opposa à lui, il ne put se maintenir ; sa • 216
perversité et sa cruauté restreignirent la durée du temps qu’il avait
à régner. Quoiqu’il demeurât dans un royaume favo risé par sa
situation, néanmoins il ne put assurer son salut (329) ».
Il ne régna que trois ans car s’é tant signalé par ses cruautés, faisant
massacrer les ministres et les membres des familles princières, pressurant, le
peuple, un soulèvement éclata et l’eunuque Tchao Kao, le chef des révoltés,
fit assassiner (207) Eul Che Houang Ti par Yen Yue et proclamer roi de Ts’in,
le prince Tseu Ying, neveu de l’Em pereur. Mais Ying fait écarteler Tchao Kao
avec tous ses parents. Les seigneurs conduits par Hiang Tsi ou Hiang Yu,
originaire de Hia Siang, dans le Kan Sou actuel, d’une famille de généraux de
Tch’ou, gé ant de huit pieds de haut et d’une force prodigieuse, se révoltent :
Ying et tous les Ts’in sont massacrés, Hiang Yu marche sur la capitale Hien
Yang qui est saccagée et brûlée ; les tombeaux des Ts’in sont profanés et les
corps qu’ils renfermaient brûlés et les cendres jetées au vent. Les vainqueurs
se partagent les dépouilles de Ts’in dont le territoire fut divisé entre trois rois
de Young, de Sai et de Ti, tandis que Hiang Yu, roi du Tch’ou occidental,
était le « roi suprême », le Pa Wang, mais il avait négligé Lieou Pang, le chef
des Han qui marcha contre lui : Hiang Yu, battu à Kai Hia, dans la préfecture
de Foung Yang, Ngan Houei, fut poursuivi jusqu’à Toung Tch’eng où il se
coupa la gorge. Les habitants de Tch’ou se rendirent à Lieou Pang qui prit le
titre d’empereur, sur les bords de la Se, dans le Ho -Nan, le 28 février 202,
fondant la dynastie des Han. Toutefois on compte l’année 206 comme la
première de Lieou Pang.
Pendant la période d’anarchie qui accompagne la chute de Eul Che
Houang Ti et la consolidation du pouvoir des Han avec Lieou Pang, nous
voyons surgir vingt royaumes dont trois grands et dix-sept petits énumérés
dans Mailla (Tableau, T. III, p. 1) :
I. Tch’ou. L’an 209 Tch’en Cheng envoyé par l’eunuque Tchao Kao pour
apaiser une sédition dans le Kiang Nan, • 217 donna le signal de la révolte ; et
prit, sous le titre de Yin Wang, la qualité de Roi de Tch’ou, royaume situé
dans le Hou Kouang : il régna six mois, et eut pour successeurs Wang
King-Kieou, cinq mois. Houai Wang-sin, qui prit le titre de Yi Ti, l’an 206, et
fut assassiné au commencement de l’an 205 par les ordres de Hiang Yu.

II. Si Tch’ou, ou Royaume de Tch’ou occidental. Fondé l’an 206 par


Hiang Yu, général de Yi Ti. Il se tue l’an 202 avant l’ère chrétienne.
Henri Cordier Histoire générale de la Chine 167

III. Heng Chan ou Tchang Cha. Fondé l’ an 206 par Wou Joui, ne subsista
que 49 ans sous cinq Princes : savoir Wou Joui, 5 ans ; Wang Tching, 8 ;
Wang Houei, 7 ; Wang Che, 9 ; Wang Tcho, 21.

IV. Lin Kiang. Fondé l’an 206 par Koung ngao, dont la Cour était à Kiang
Ling dans le Hou Kouang, ne régna que quatre ans ; son fils Wang Huon un
an.

V. Kieou Kiang ou Houai Nan, fondé l’an 206 par Ying Pou, dont la Cour
était à Lou, territoire de Foung Yang Fou. L’an 204, il se soumit aux Han.

VI et VII. Tchao et Tai. Fondé l’an 209 par Wou Tch’en, général d e Tchin
Ching ; règne cinq mois. Hié, rejeton des anciens Princes de Tchao, lui
succède et prend le titre de roi de Tai. Sa Cour était à Sin Tou, dans le Pe
Tche-li.

VIII Tchang Chan. Démembrement du royaume de Tchao, que Hiang Yu


donna au général Tchang eul l’an 206.

IX. Ts’i et Kiao Toung. Donné à Tien Tan l’an 206. Sa Cour était à Lin
Tseu dans le Chan Toung. Tien Chi d’abord roi de Ts’i, fut fait roi de Kiao
Toung.

X. Han. Lieou Pang, fondateur de la dynastie impériale de ce nom.

XI. Ts’i Pe. Démembre ment du Royaume de Ts’i que Hiang Yu donne à
Tien ngan. Sa Cour était à P’o Yang.

XII. Yen, donné à Tsang Tou. Sa Cour était à Ki (Yu Yang Hien dépendant
de Pe King).

XIII. Leao Toung. Han Kouang, chassé du royaume de Yen par Tsang
Tou, prit le titre de roi du Leao Toung. Sa cour était à Wou Tchoung (Yo Tien
hién ; dépendance de Pe King).

• 218 XIV. Yin. Se-ma Niang qui établit sa Cour à Tchao Kou (Wei Kiun
fou, du Ho Nan).

XV. Wei et Si Wei. Kieou eut sa Cour à K’ai Foung fou : Pao son frère qui
lui succéda, perdit une partie de ses États, prit le titre de Roi de Wei
occidental, et mit sa Cour à P’ing Yang qui est plus à l’ouest.

XVI. Ho Nan. Chin Yang, officier de Hian Yù. Il avait sa Cour à Lo Yang,
capitale du Ho Nan.

XVII : Young. Tchang Han, général des Ts’in, mit sa Cour à Feï Kiou
(Hing Ping Hien de Si Ngan fou).
Henri Cordier Histoire générale de la Chine 168

XVIII. Saï. Se-ma Hin, lieutenant de Tchang Han, mit sa Cour à Lio Yang,
dans le Ho Nan.

XIX. Tché. Toung Yi, lieutenant de Tchang Han, mit sa Cour à Kao Nou
(Li Tcheou de Yen Ngan fou).

XX. Han. Petit État situé vers K’ai Foung fou du Chan Si que Hiang
Leang procura l’an 208 à Han Tching, descendant des anciens rois de Han.
Détruit en 230.

Quatrième dynastie : Ts’in, 43 ans.


Dynastie Tcheou • • • Dynastie Premiers Han
Nom propre av. J.-C.
TchaoSiang Wang Tsie 255 Régnait depuis (306) 52
ans sur l’État de Ts’in.
Hiao Wen Wang Wang 250 règna 3 jours.
Tchouang Siang Wang Tchou 249
Tcheng Wang 246
devient :
Che Houang Ti Tcheng Wang 221
Eul Che Houang Ti, tué Hou Hai 209

*
**
Henri Cordier Histoire générale de la Chine 169

CHAPITRE IX

Cinquième Dynastie : Les Han

Kao Tsou.
• 219 Lieou Pang, fondateur de la dynastie des Han, était originaire de
Tchoung Yang, dans la préf. de Siu Tcheou, Kiang Sou ; il est désigné sous le
titre dynastique de Kao-Tsou ou de Kao-Ti ;
« c’était, nous dit Se -ma T’sien, (330) un homme au nez proéminent
et au front de dragon ; il avait une belle barbe au menton et sur les
joues ; sur la cuisse gauche il avait soixante douze points noirs
[symbolisant les soixante-douze jours de l’année qui sont attribués
à chacun des cinq éléments]. Il était bon et amical ; il aimait faire
des largesses ; il avait l’esprit ouvert. Il avait sans cesse de grands
projets et ne se livrait pas aux travaux et aux occupations des gens
de sa famille. Il aimait le vin et les femmes. »
Il choisit le brun comme couleur impériale, établit d’abord sa cour à Lu
Yang et décida que le premier mois de la première année de son règne
commencerait au troisième mois de la dynastie précédente.
D’autre part nous lisons dans le T’oung kien kang mou (331)
« qu’il n’avait acquis aucune connaissance par l’étude ; mais il y
suppléait par une vivacité d’esprit et une pénétration peu
commune. Prompt, susceptible et boudant, la précipitation lui fit
souvent faire des fautes, mais il sut les réparer par beaucoup de
défiance de ses propres lumières, et en déférant aux conseils de
ceux qu’il croyait plus instruits que lui. Naturellement bon, affable
à tout le monde, il traitait ses soldats avec douceur. Ces manières
lui gagnèrent le cœur des peu ples, qu’il chercha toujours à rendre
heureux. »
D’abord chef d’un ting, groupe de dix villages, Lieou épousa Tche, fille de
Lu, qui devait devenir l’impératrice • 220 Lu et mère de l’empereur Hiao
Houei, puis devint gouverneur de P’éi, dans le pays de Tch’ou ; lors du
partage des dépouilles des Ts’in, Hiang Yu le nomma roi de Han (ré gions de
Pa, Chou et Han Tchoung, avec Nan Tcheng comme capitale,) tandis qu’il
réservait les territoires à l’intérieur des passes aux trois généraux de Ts’in,
Tchang Han, Se-ma Hin et Toung Yi qui furent faits rois de Young, de Sai et
de Ti ; nous avons vu que le roi de Han, mécontent de sa part, poussé par Han
Sin, roi de Tch’ou, ma rcha contre Hiang Yu et le défit. Tous les chefs
reconnurent Lieou Pang quand il fut proclamé empereur le 28 février 202,
sauf Houan, ancien roi de Lin Xiang, partisan de Hiang Yu, qui se révolta, fut
Henri Cordier Histoire générale de la Chine 170

défait, pris et exécuté à Lo Yang, capitale du nouvel empereur ; une amnistie


générale fut alors proclamée.
D’autres révoltes marquèrent le règne de Kao Tsou ; celle de Han Sin,
ancien roi de Ts’i, roi de Tch’ou (201), qui fut fait prisonnier et pardonné,
mais dépossédé de son royaume ; Kao Tsou, généreusement, lui octroya le
titre de Marquis de Houai Yin, mais rebelle incorrigible, Han Sin fut plus tard
mis à mort par ordre de l’impératrice. Sin, nommé quelque temps auparavant
roi de Han, par Kao Tsou, fut transféré dans le pays de T’ai Youen, où il fut
attaqué par les Hioung Nou, à Ma Yi (Chan Si) (200). Sin s’allia avec ses
ennemis et essaya de soulever le pays, mais la rébellion fut étouffée par Kao
Tsou ; celui-ci transféra l’administration à Tch’ang Ngan, au sud de la rivière
Wei. En 196, Kao Tsou envoya au Nan Haï, en ambassade ; le lettré Lou Kia
(Luc gia) porteur d’un sceau d’investiture se composant d’un petit cube de
jade suspendu à une chaîne d’or, chargé d’obtenir de Trieu Vo -dé sa
reconnaissance de vassalité envers la Chine ; le roi de Nan Haï affecta d’abord
de ne voir dans Lou Kia qu’un messager lui apportant les félicitations de
l’empereur Han, refusa de se lever devant lui, mais cédant aux paroles
persuasives de l’envoyé chinois, il finit par lui faire bon accueil.
Le père de Kao Tsou, le T’ai Ch ang houang mourut en 197 ; deux ans plus
tard, l’empereur lui -même termina ses • 221 jours le 1er juin 195 dans le palais
Tch’ang Lo, ancien pa lais restauré de Hing Lo des Ts’in, près de Tch’ang
Ngan. Les sépultures des Han qu’a visitées le Dr Segalen (Cf. J. As., 1916, n°
3, p. 414) sont en grand nombre situées
« sur la rive gauche de la Wei, où elles forment un long alignement
orienté S.O.-N.E. Les sépultures Tcheou sont intercalées dans cette
avenue tumulaire. »
La sépulture de Kao Tsou est appelée Tch’ang Ling, et le tumulus est de
forme hexaédrique. Kao Tsou laissait huit fils : d’une concubine, Fei, roi Tao
Houei de Ts’i ; de l’impératrice Lu, Hiao Houei, de la fou -jen Ts’i, Jou -yi, roi
Yin de Tchao ; de la reine douairière Pouo Heng, roi de Tai, plus tard l’empe -
reur Hiao Wen ; K’ouei, roi de Leang, déplacé par l’impé ratrice Lu, devint le
roi Koung de Tchao ; Yeou, roi de Houai Yang, également déplacé par Lu,
devint le roi Yeou de Tchao ; Tchang, roi Li de Houai Nan ; enfin Kien, roi de
Yen.
Ce fut le second fils ; Hiao Houei, qui monta sur le trône, à l’âge de
quatorze ans.
« Lieou Pang était un sceptique : dans les temps anciens l’Etre Suprême
était Chang Ti, auquel on sacrifiait sur deux, trois et jusqu’à quatre tumuli
sous les Ts’in ; à chacun de ces tumuli correspondait une couleur spéciale et
un souverain qui tous les quatre se confondaient dans le seul Chang Ti ; au
sud correspondait le Souverain Rouge, au centre le Souverain jaune, à l’est le
Souverain Vert, à l’ouest le Souverain Blanc ; par dérision Lieou Pang, créa
Henri Cordier Histoire générale de la Chine 171

pour le nord un Souverain Noir. A partir de 165 av. J.-C., Wen Ti offrit pour
la première fois le sacrifice Kiao aux Cinq Souverains à Young et leur érigea
un temple spécial au nord de la Wei. Cette innovation qui transformait
l’ancien mono théisme en polythéisme fut supprimée par Tch’eng Ti en 32 av.
J.-C., mais rétablie par Ngai Ti en 5 av. J.-C. (332).

Hiao Houei.
Kao Tsou avait cherché à écarter du pouvoir Hiao Houei, qu’il trouvait
trop faible, pour lui substituer son troisième fils Jou Yi, roi de Tchao, fils de la
favorite Ts’i. L’impéra trice Lu, femme énergique, réussit à déjouer les
intrigues • 222 préparées à la mort de Kao Tsou et assura le sceptre à son fils.
En l’absence de Hiao Houei (194) elle fit empoisonner Jou Yi, arracher les
yeux, couper les pieds et les mains et brûler les oreilles de sa rivale Ts’i.
L’empereur, saisi de l’horreur de ces crimes, abandonna les rênes du
gouvernement dont se saisit sa mère, et mourut le 26 septembre 188.
C’est pendant le court règne de Hiao Houei (191) que fut rapporté le
décret de Ts’in Che Houang Ti pour la destruc tion des livres. Déjà le lettré
Lou Kia, au retour de sa mission heureuse dans le Nan Haï, avait, grand
admirateur du Chou King et du Che King, essayé d’agir sur Kao Tsou, mais ce
prince, si, par politique, il rendait hommage à Confucius, avait une profonde
aversion pour les lettrés ; il répondit avec colère à Lou Kia :
« J’ai conquis l’Empire de dessus mon cheval, je suis devenu votre
maître sans votre Chou King, ni votre Che King, qu’ai -je besoin de
vos livres ? »
Lou Kia écrivit alors les Sin Yu ou Discours nouveaux et les donna à lire à
Kao Tsou.
« L’empereur les lut avec beau coup de satisfaction, et conçut pour
les livres plus d’estime qu’il n’en avait auparavant (333) »,
mais il n’abolit pas la défense du souverain Ts’in et laissa à son fils
l’honneur de réparer une partie du mal causé par l’édit de 213.
D’ailleurs Siao Ho, qui fut ministre de Kao Tsou, fit bâtir à Tch’ang Ngan
un édifice dans lequel il réunit les débris des anciens livres, édifice qu’il
nomma Che k’iu Mo, la Tour au Canal de pierre, à cau se d’une conduite de
pierre qui était au pied du bâtiment (334).

L’impératrice Lu Kao Heou.


L’héritier présomptif du trône était un fils supposé de l’empereur Hiao
Houei et de sa nièce, fille de la princesse Youen de Lou (fille de Kao Tsou et
de Lu), qui avait épousé Tchang Ngao, marquis de Siouen P’ing ; il fut
proclamé empereur, mais Lu continua d’exercer le pouvoir ; le prince s’étant
Henri Cordier Histoire générale de la Chine 172

aperçu de l’illégitimité de sa naissance, et ayant pris une attitude menaçante,


Lu le fit emprisonner et plus tard mettre à mort. Le 15 juin 184, Yi, roi de
Tch’ang Chan, dont le nom personnel fut changé en celui de Houng, fut • 223
nommé empereur, toujours sous la tutelle de Lu ; la mort de la vieille
impératrice (21 juillet 180), couverte de crimes, fut le signal d’une réaction
contre la famille Lu dont tous les membres, hommes et femmes, furent
décapités. Les ministres choisirent à Tch’ang Ngan comme empereur Heng,
nommé en 196 roi de Tai, fils de l’empereur Kao Tsou et de l’impératrice
douairière Pouo ; le roi de Tai, arrivé à Tch’ang Ngan le 14 nov. 180, prit le
titre de Hiao Wen ; le jeune empereur désigné par Lu, ainsi que les rois de
Leang, de Houai Yang et de Tch’ang Chan furent massacrés.
Le nouvel empereur proclama une amnistie générale.
« Son unique préoccupation, dit Se-ma Ts’ien (335), était de
réformer le peuple par sa vertu ; c’est pou rquoi tout le pays à
l’intérieur des mers fut prospère et fut florissant par les rites et la
justice. »
C’est lui qui abrogea la loi permettant de mutiler les criminels, jadis
établie par l’empereur Chouen ; elle fut changée en amendes, en bastonnade
ou en travaux publics. Le règne de ce prince, distingué par ses vertus privées
et sa pitié filiale, fut marqué par de nombreuses incursions des Hioung Nou.
Déjà en 192, Me Te, fils de Teou Man, leur chef, avait écrit une lettre
impertinente à l’impératrice Lu, pour laquelle il fit d’ailleurs des excuses.
Le Chen Yu Mao Toun avait son repaire dans le mont Yin chan ou Ta
Ts’ing chan, longeant au nord la grande boucle du Fleuve Jaune, à l’ouest de
Kouei Houa tch’eng. Dans les Annales des Han, on lit :
« Il y fabriquait des arcs et des flèches, et en sortait de temps en
temps pour exercer ses brigandages. »
Quand Wou Ti s’empara du mont Yin les Hioung Nou « ne pouvaient le
franchir sans verser des larmes (336) » Plus tard Mao Toun descendit du Yin
chan à Ta T’oung dans le Chan Si.
En 177, les Hioung Nou traversèrent le Fleuve Jaune et ravagèrent le pays,
mais ils furent repoussés par Kouan Ying, marquis de Ying Yin ; en 166, Lao
Chang, fils de Me Te à la tête de 140.000 hommes fit une incursion en
territoire chinois jusqu’à Tchao Na et Siao Kouan, au sud -est de • 224 P’ing
Leang ; dans le Chen Si, tua le gouverneur Pe Ti et se retira avec un immense
butin avant que l’empereur ait pu le châtier (337). Au commencement de 162,
il y eut alliance entre les deux peuples, mais le Chen yu Lao Chang mourut en
161, fut remplacé par son fils Kiun Tch’en, et les incursions recommencèrent
en 158, mais furent repoussées. L’empereur mourut le 6 juillet 157.

Hiao King.
Henri Cordier Histoire générale de la Chine 173

Hiao King, fils de l’empereur Hiao Wen et de la reine douairière Teou,


monta sur le trône par suite de la mort de ses trois frères aînés, fils de la
première reine. Son ministre Tch’ao Ts’o voulant amoindrir la situation des
seigneurs, proposa de diminuer leurs privilèges ; sept des rois formèrent une
ligue et s’avancèrent du côté de l ’ouest ; c’étaient Pi, roi de Wou, Wou, roi de
Tch’ou, Souei, roi de Tchao, Ang, roi de Kiao Si, Pi Kouang, roi de Tsi Nan,
Hien, roi de Tseu Tch’ouan, Houng K’iu, roi de Kiao Toung ; ils furent
exterminés par les généraux Teou Ying et Tcheou Ya-Fou (154 av. J.-C.)
Cette rébellion étouffée, une incursion des Hioung Nou fut repoussée dans le
territoire de Yen. En 153, Hiao King désigna son fils Lieou Young comme
héritier présomptif ; plus tard, Lieou Young fut dégradé, nommé roi de Lin
Kiang et mourut avant son père. L’empereur mourut le 9 mars 141, âgé de
quarante-huit ans, et fut enterré à Yang ling. Il fut remplacé sur le trône par
son fils Lieou Tch’e, roi de Kiao Toung, âgé de seize ans, dont le règne sous
le nom de Wou Ti est l’un des plus importants de l’histoire de la Chine.

Wou Ti.
Le long règne de Wou Ti est aussi remarquable pour l’histoire intérieure
de la Chine que pour l’histoire de son expansion à l’étranger. On peut dire
qu’à cette époque se forme la nation chinoise ; sans reprendre la tradition de
Ts’in Che Houang Ti, Wou Ti sent toutefois le danger des grands seigneurs
féodaux ; il les éloigne de la Cour et pour contrôler leurs actes place auprès de
chacun d’eux un con seiller spécial ; il appelle à leur place des gens
intelligents, mais de plus humble condition ; en outre, sur l’avis de Tchou
Fou-Yen, il réduit l’importance des fiefs, opérant leur • 225 morcellement en
faisant attribuer en apanage dans la succession paternelle une part de la
propriété terrienne aux cadets de famille (127 av. J.-C.). En 119, il décrète une
réforme monétaire. Passionné chasseur, il était également poète et il
encouragea les lettres.
L’usage régulier des nien hao (périodes de règne) date de Wou Ti, en 114,
avec effet rétroactif jusqu’en 140, début du règne ; le règne de Wou Ti ne
compte pas moins de onze nien hao. Toutefois ses deux prédécesseurs : Wen,
dès 163, et King en 149 et en 143, sur le conseil de Sin Youen-p’ing eurent
également des noms de règne ; le premier changement de nom de période (Kai
Youen) avait eu lieu en 334 à l’époque du Tch’ouen Ts’ieou sous le règne de
Wei Houei Wang (370-318). Comme nombre de nien hao, Wou Ti fut dépassé
par T’ang Kao Tsoung (650 -684 ap. J.-C.) qui en 34 ans en eut 14, et par
l’usurpateur Wou Che -T’ien (684 -665) qui en 21 ans en eût 18. Le P. Mathias
Tchang (Synch. chinois, p. v) fait remarquer que
« le principal motif qui poussa Han Wou Ti, à faire ces fréquents
changements fut une trop grande crédulité aux paroles de ministres
flatteurs. Ceux-ci lui parlaient sans cesse de présages
extraordinaires ».
Henri Cordier Histoire générale de la Chine 174

D’autre part, c’est de son règne, grâce aux grands voya ges de Tchang
K’ien, que datent véritablement les relations de la Chine avec les pays
étrangers.
Les Yue Tche, peuple iranien, dont la langue apparentée à celle des
Scythes, des Sogdiens, des Ossêtes, des Yagnobis, appartenait au groupe des
langues indo-européennes, occupaient la partie de la Chine au nord-ouest, le
territoire de Leang Tcheou, Sou Tcheou, Kan Tcheou, Yen Tcheou, Cha
Tcheou (338), etc., c’est -à-dire la province actuelle de Kan Sou. Vaincus une
première fois par les Hioung Nou à la fin du IIIe siècle avant notre ère par
Teou Man, une seconde fois par le Chen yu Mo Tou en 176 ou 177, ils furent
enfin chassés de leur Empire en 165 par le Chen yu Lao chang, qui tua leur roi
et de son crâne fit une coupe, et passèrent à Kou Tcha, puis au delà des T’ien
chan dans les • 226 vallées arrosées par l’Ili et ses deux affluents méridionaux :
la Tekes et la Kounges, occupées par un peuple nomade appelé les Wou
Souen, venus de Koua Tcheou.

Wou Suen.
« Le pays des Wou Souen est situé à environ 2000 lis de distance à
l’est de Ta Wan [Ferghana]. Ils ont les mêmes mœurs que les
Hioung Nou, et comptent plusieurs dizaines de mille archers. »
Yen Che-kou [commentateur de l’époque des Han] dit :
« Par apparence extérieure, les Wou Souen diffèrent extrêmement
de tous les barbares du Si-yu. Ceux d’aujourd’hui qui ont les yeux
bleus, la barbe rousse, et, qui ressemblent à des singes, tirent leur
origine de ces animaux (339). »
On nous dit aussi que les Wou Souen
« ne cultivent point les terres ; ils ne sèment ni ne plantent. Ils
suivent leurs troupeaux dans les lieux qui offrent de l’eau et des
pâturages. Leurs mœurs sont les mêmes que celles des Hioung Nou
(340). »
Les Yue Tche se divisèrent en deux branches : les Petits Yue Tche qui se
mélangèrent aux tribus K’iang ou Tibétaines, et les Grands Yue Tche qui
s’emparèrent de Kachgar aux dépens des Sakas (163 av. J. -C. :) qui se
réfugièrent au Seistan, mais défaits à nouveau par les Wou Souen, soutenus
par les Hioung Nou, ils furent obligés, poussant devant eux les Sakas, de fuir
vers l’ouest, dépassèrent l’Issik koul et arrivèrent dans le Ferghana (Ta Wan
ou Ta Yuan).
Peut-être est-il utile, pour mieux comprendre la politique assez complexe
de ces régions, de rappeler sommairement leur histoire. Lorsqu’en 326,
Alexandre le Grand s’avança vers l’Inde, le roi de Takkasila (Taxila), au
nord-ouest de Rawalpindi, Ambhi, appelé par les Grecs Omphis ou Taxiles,
Henri Cordier Histoire générale de la Chine 175

ennemi de Porus, fit sa soumission aux Macédoniens afin de pouvoir attaquer


avec eux leur commun adversaire. Lors de la deuxième répartition de l’Empire
macédonien à Tri paradeisos, en 321, Seleucos Nicator eut Babylone, la Syrie
et la Perse, tandis qu’Ambhi conservait la région • 227 de l’Hydaspes et que
Porus avait celle du Bas Indus. Eudemos et ses Grecs se retirèrent de la vallée
de l’Indus en 317 et Tchandragupta, se rendant maître du Panjab, fonda la
dynastie Maurya. Vainement Seleucos tenta-t-il en 305-303 de reconquérir
l’Inde ; repoussé par Tchandragupta (Sandracottos), il lui céda le Gandhâra
par traité en même temps que la main de sa fille, reçut en échange 500 élé-
phants, entretint désormais de bonnes relations avec lui, et lui envoya même,
en 300, Megasthenes en ambassade. Bindusara succéda à son père
Tchandragupta (297) et fut lui-même remplacé en 272 par le célèbre Asoka. A
la mort de celui-ci (231), l’Empire Maurya de Magadha tomba en pièces et en
189, le grec Demetrios, gendre d’Antiochos le Grand, venu de Bactriane,
conquit Caboul et le Panjab, ainsi que le Sind, mais en 170-175, Eucratides
arrachait à Demetrios d’abord la Bactriane, puis le Panjab, faisant souche de
princes comme son adversaire : Les Sakas qui étaient allés s’établir dans la
province parthe du Séistan après avoir été chassés de Kachgar, par les Yue
Tche, avec Maues à leur tête, expulsèrent les Grecs de l’Inde.

Tch’eng Kien.
L’empereur chinois apprit la catastrophe qui avait frappé les Yue Tche par
des déserteurs qui lui racontèrent
« qu’ayant eu une guerre cruelle avec les Hioung Nou, les peuples
de Yue Tche avaient été battus et leur roi tué ; que les ennemis
ayant fait de son crâne un vase à boire, la plupart des habitants,
révoltés de la grossièreté de leurs mœurs, avaient fui dans un pays
fort éloigné, afin de n’avoir aucune com munication avec ces
Barbares. L’empereur, touché du sort de ces peuples, qui avaient
été contraints d’abandonner leur pays natal, demanda à ses grands
s’il y avait quelqu’un d’entre eux qui se sentît assez de courage
pour aller chercher ces fugitifs et les engager à revenir. Tchang
K’ien, [origi naire de Han Tchoung, dans le sud du Chen Si ;
homme vigoureux], s’offrit à entreprendre ce voyage long et diffi -
cile (341). »
Le T’oung kien kang mou place cet événement à 126 av. J.-C. Se-ma
Ts’ien fait par tir Tchang K’ien dès 138 av. J. -C. Il est certain que son voyage
n’était pas • 228 entrepris dans un but d’exploration ou philanthropique, mais
que Wou Ti cherchait simplement, à utiliser l’alliance des Yue Tche contre les
Hioung Nou, leur ennemi commun, et d’opérer une diversion : Tchang K’ien
se mit en route par le nord-ouest (Loung Si ; Kan Sou actuel) avec une
centaine d’hommes, dont Kan Fou, un Tartare ( Hou), ancien esclave de la
famille T’ang -yi, excellent archer, mais à peine avait-il franchi la frontière
Henri Cordier Histoire générale de la Chine 176

qu’il fut arrêté par les gens du chen yu Kiun Tch’en et retenu prisonnier.
Tchang K’ien parut accepter sa captivité de bonne grâce, il se ma ria, eut un
fils ; la surveillance se relâcha et au bout d’une dizaine d’années, il réussit à
s’évader avec qu elques compagnons. Il n’avait pas renoncé à sa mission,
continua sa route vers l’ouest et il arriva dans le Ferghana (Ta Wan, Ta Yuan),
où il apprit que les Ta Yue Tche avaient poursuivi le cours de leurs conquêtes.
Ils avaient en effet franchi le Jaxartes et s’étaient emparés du Ta Hia (To -
kharestan), partie de la Sogdiane, dépendant du royaume gréco-bactrien déjà
attaqué par Mithridate le Grand, sixième roi des Parthes (232-139 av. J.-C.) et
ils avaient traversé l’Oxus pour occuper leur capitale Lan Che ou Ying Kien
Che qui devint la leur. Ma Touan-lin nous dit que la capitale des Yue Tche
était la ville de Lan Che,
« à l’ouest du pays des Grands Wan, à 2 ou 3.000 li, au nord de la
rivière Wei (Oxus). Au midi sont les Ta Hia (Dahae) ; à l’ouest, ils
confinent aux A-si. En allant pendant quarante-neuf jours du côté
du nord, on trouve le K’ang Kiu (Sog diane) (342) ».
Les Yue Tche
« partagèrent le Ta Hia en cinq hi heou (jagbous) qui étaient ceux
de Hieoumi [cap. Ho mo, Wakhan,] de Chouang mi [cap. Chouang
mi, Tchitral], de Kouei Chouang [cap. Hou Tsao, Gandhara], de Hi
Touen [cap. Po mao ; Parwân) et de Tou mi [voisin de Caboul].
Plus de cent ans après, le hi heou (jabgou) de Kouei Chouang (Kou
Chan) attaqua et vainquit les quatre autres hi heou ; il se nomma
lui-même roi ; le nom de son royaume fut Kouei Chouang
(KouChan). Il envahit le Ngan Si (Parthie) et s’empara du • 229
territoire de Kao fou (Caboul) ; en outre il triompha du P’ou ta et
de Kipin (Cachemire) et posséda entièrement ces royaumes.
K’ieou -tsieou-k’io mourut âgé de plus de quatre -vingt ans. [C’est
le roi Kadphisès Ier, vainqueur vers 50 de notre ère du dernier des
rois indo-grecs, Hermaios.] Son fils Yen-kao-tchen
(Oêmokadphises) devint roi à sa place, à son tour il conquit le
T’ien Tchou (Inde) et y éta blit un chef pour l’administrer. A partir
de ce moment, les Yue Tche devinrent extrêmement puissants.
Tous les divers royaumes les désignent en appelant leur roi le roi
Kouei Chouang (Kou Chan), mais les Han les nomme Ta Yue
Tche en conservant leur ancienne appellation (343). »
Au cinquième siècle de notre ère, les Kou Chan poussés par les Jouan
jouan abandonnèrent leur capitale Lanche et s’établirent à l’ouest à Po -lo
(Balkh ?) et de là en 450, ils franchirent l’Hindoukouch et reconquirent les
cinq anciens jabgous.
Tchang K’ien passant par le K’ang Kiu (Sogdiane, nord du Syr Daria)
rejoignit les Ta Yue Tche, mais ceux-ci avaient oublié leurs anciens ennemis,
se trouvaient bien dans leurs nouvelles possessions et déclinèrent les pro-
Henri Cordier Histoire générale de la Chine 177

positions d’alliance de l’ambassadeur chinois qui repartit après être resté une
année, chez eux (128 av. J.-C.) en longeant les Nan Chan. Malheureusement.
pour lui, Tchang K’ien voulant rentrer par le pays des K’iang, fut fait de
nouveau prisonnier à son passage chez. les Hioung Nou, mais profitant des
troubles qui éclatèrent lors de la mort du Chen yu Kiun Tch’en, il réussit à
s’échapper et rentra en Chine après treize ans d’absence avec sa femme et
deux seuls de ses cent compagnons, dont Kan Fou.
Cependant le voyage de Tchang K’ien, récompensé par l’empereur par
lettre de T’ai tchoung ta fou (chambellan impérial), n’avait pas été inutile ; on
peut dire qu’il est le véritable point de départ des relations de la Chine, non
seulement avec l’Occident, mais aussi avec le Sud de l’Empire. On ne saurait
en exagérer l’importance. En effet, Tchang K’ien, esprit observateur et sagace,
avait remarqué • 230 dans le Ta Wan et le Ta Hia des bambous et des étoffes de
provenance chinoise et il avait appris, à son grand étonnement, qu’ils
arrivaient des provinces occidentales de l’Empire, c’est -à-dire le Se Tch’ouan
et le Yun Nan, par la voie méridionale du Chen Tou, c’est -à-dire l’Inde, au
lieu de passer par l’ouest, c’est -à-dire par le pays des Hioung Nou.
« Les peuples des royaumes de Wou Souen, Kang K’iu, Yen Tsai,
Ta Yue Tche, raconta Tchang K’ien, n’ont point de demeures
fixes ; ils suivent leurs troupeaux dans les pâturages, et se
nourrissent comme les Hioung Nou. Le royaume de Ta Hia est au
sud-ouest de Ta Wan ; les peuples de ces deux royaumes ont à peu
près les mêmes coutumes et la même manière de vivre. Lorsque
j’étais à Ta Hia, j’y vis quantité d e bambous, et de cannes,
semblables à celles de la montagne Kioung chan, et des toiles
comme celles de nos manufactures du pays de Chou [Se
Tch’ouan]. Je demandai d’où l’on tirait toutes ces choses ; on me
répondit qu’on les faisait venir du royaume de Che n Tou [Inde].
» Le royaume de Chen Tou est à quelques mille li au sud-est de
Ta Hia, et les coutumes n’en sont guère diffé rentes : Ta Hia, autant
que j’en puis juger, est à peu près à 12 000 li de Han, au sud -ouest.
Comme il est à quelques mille li au nord-ouest de Chen Tou,
apparemment que Chen Tou n’est pas fort éloigné du pays de
Chou, d’où il se rait facile de se procurer les cannes et les toiles que
j’ai vues à Ta Hia.
» On peut se rendre à Ta Hia par trois chemins ; l’un par les
K’iang, qui est t rès dangereux ; le second, plus au nord, par le pays
des Hioung Nou, mais ils arrêteraient infailliblement ceux qu’on y
enverrait. Le troisième, qui est le plus droit et le meilleur, traverse
le pays de Chou ; ce chemin est sûr, et l’on n’y est point exp osé
aux insultes des brigands (344) ».
Les renseignements du voyageur autorisaient donc l’empereur de se tracer
un double but : tout d’abord se frayer un passage chez les Hioung Nou,
Henri Cordier Histoire générale de la Chine 178

d’autre part trouver • 231 la route qui lui permettra par le sud de communiquer
avec les régions occidentales.
Rémusat citant le Ts’ien Han chou (Fo houe ki, p. 39) nous dit que Tchang
K’ien
« servit ensuite dans les guerres contre les Hioung Nou ; et les
connaissances locales qu’il avait acquises p endant son séjour chez
ces peuples, furent fort utiles aux généraux chinois. Il fut en 123
av. J.-C., élevé à un poste important [Marquis de Po Wang]. Mais
deux ans après, ayant échoué dans une expédition contre les
Hioung Nou, il encourut la peine capitale, et fût, par grâce spéciale,
condamné seulement à la dégradation et réduit au rang du peuple.
Il ne laissa pas, quelque temps après, de donner d’utiles
renseignements sur les rapports qu’avaient entre eux les princes
des Hioung Nou, des Wou Souen et des Yue Ti, sur la soumission
des Saï par ces derniers, et sur d’autres événements relatifs à ces
nations occidentales, qui avaient de l’intérêt pour les Chinois à
cause de la domination qu’ils prétendaient exercer alors sur l’Asie
intérieure ».
Nous verrons que Tchang K’ien effectua un second voyage dans l’ouest.
La lutte avec les Hioung Nou débarrassés des Yue Tche interposés entre
eux et la Chine avait recommencé. En 135, un ambassadeur du roi des Hioung
Nou avait demandé pour son maître la main d’une princ esse chinoise qui, sur
le conseil de Han Ngan-kouo, fut accordée par l’empereur, mais lorsqu’il
s’agit de tenir cette promesse, sur l’avis de Wang Kouo, Wou Ti se décida à
faire la guerre aux Hioung Nou et tendit à Ma Yi (préf. de Ta T’oung fou,
Chan Si) une embuscade au chen yu qui réussit néanmoins à y échapper :
Wouang Kouo, conseiller et général malhabile, qui avait mené la campagne,
fut jeté en prison (345). En 129, les Hioung Nou battirent les généraux chinois
Koung-souen Ngao et Li Kouang ; à la suite de nouvelles incursions en 127,
l’empereur fit construire Sou Fang (Ning Hia) au sud du Houang Ho.

Ho K’iu -p’ing.
Enfin en 121, le fameux Ho K’iu -p’ing, général des chevaux rapides,
parent de l’impératrice Wei, s’avança jus qu’au K’i Lien Chan, au delà • 232 de
Kan Tcheou au sud contre les Hioung Nou auxquels il livra une bataille qui
dura sept jours ; il défit leur vassal, le roi de Hieou Tch’ou qui occupait le
territoire actuel de Leang Tcheou, et s’empara d’une statue d’hom me en or,
auquel on offrait des sacrifices.
« Cette statue fut prise et apportée à l’empereur en 121. Yan
Che-kou remarque à ce sujet qu’on l’avait faite en or pour
représenter le prince des génies célestes, et que c’est l’origine des
Henri Cordier Histoire générale de la Chine 179

statues de Foé actuellement en usage. L’empereur, la considérant


comme sacrée, la fit placer dans le Palais des sources douces. Elle
avait plus d’une toise (3m.05) de hauteur. On ne lui offrait pas de
sacrifices, seulement on brûlait des parfums en son honneur. C’est
ainsi, ajoute-t-on, qu’a commencé à s’in troduire la doctrine de Foé
(346) ».
Nous verrons que le bouddhisme a pénétré en Chine beaucoup plus tard.
L’assassinat du roi de Hieou Tch’ou et la soumission des rois de Kan Tcheou
et de Leang Tcheou livra à la Chine un grand territoire formant partie du Kan
Sou occidental. Un gouverneur (t’ai cheou ) fut établi dans la ville devenue
Sou Tcheou, capitale d’une. circonscription appelée Tsieou Ts’iouen (115) qui
lorsqu’elle fut colonisée fût de no uveau divisée en Wou Wei (Leang Tcheou),
Tchang Ye (Kan Tcheou) et Touen Tiouang (347). Ces quatre circonscriptions
à l’ouest du Fleuve Jaune formaient entre les Hioung Nou et les Tibé tains un
barrage continué par Hami et le lac Barkoul, dont la possession fut chèrement
disputée aux Chinois par les Barbares.
Dans une autre direction les Hioung Nou subissaient des désastres. Le
chen yu I-Tche-Sié, fils de Lao Chang qui avait remplacé son frère Kiun
Tch’en en 126 fut battu par le général Wei Ts’ing du côté de Kouei Houa
Tch’eng, au nord -est de la grande boucle du Fleuve Jaune, tandis que Ho
K’iu -p’ing écrasait d’autres chefs Hioung Nou au delà de Siouen Houa fou
(348) (119).
Ho K’iu -p’ing ne devait pas survivre longtemps à ses • 233 triomphes ; ce
grand général qui portait le titre de marquis de Kouan Kiun (préf. de Nan
Yang, Ho Nan) mourut en l’an 117, âgé de 24 ans ; sa sépulture existe encore
dans la vallée de la Wei ; elle se compose d’un tumulus au sud du quel s’élève
une stèle de l’époque de K’ien Loung ; devant, un cheval, non sellé, non bridé,
écrase un Hioung Nou qui se débat sous lui. Ce monument de 117 av. J.-C.,
est le plus ancien que nous possédions de la statuaire chinoise. (349).
Tout le règne de Wou Ti est marqué par la lutte contre les Hioung Nou ;
en 99, il envoie contre eux son meilleur général Li Kouang-Li les attaquer
près des T’ien Chan ; l’arrière -garde était commandée par Li Ling, qui obtint,
malgré la répugnance de l’empereur, l ’autorisation de faire une attaque
séparée avec 5000 hommes ; il fut défait, au sud-est de Hami, obligé de battre
en retraite vers la frontière de Chine et enfin de se rendre ; en 97 et 90,
nouvelles campagnes de Li Kouang-li qui, vainqueur d’abord, fut d éfait et pris
par les Hioung Nou qui se l’attachèrent par de bons traitements.

Deuxième voyage de Tchang K’ien.


Comme nous l’avons vu, les Yue Tche avaient fui devant les Wou Souen.
Tchang K’ien avait donné à l’empereur le conseil de s’allier à ceux -ci pour
s’aider dans la lutte contre les Hioung Nou. Dans ce but Tchang K’ien, avec le
Henri Cordier Histoire générale de la Chine 180

titre de Tchoung Lang-tsiang, en 115, fut envoyé de nouveau vers l’ouest avec
300 hommes, 600 chevaux, 10 000 têtes de bétail, pour leur subsistance, des
étoffes de soie pour des valeurs incalculables, et nombre d’agents accrédités et
de substituts d’ambassade, pour les envoyer sur la route de divers côtés
(350) ». Il fut bien accueilli par le Kouen Mou [chef] des Wou Souen qui
s’étaient affranchis du joug des Hioung Nou, mais, déchirés par des querelles
intestines, ils ne purent lui venir en aide ; toutefois il profita de leur bon
vouloir pour envoyer des agents dans le Ferghana, (Ta Wan), le Zerafchan et
les pays voisins. Ils notèrent que les pays de l’ouest ( Si Yu) étaient divisés en
trente-six royaumes et que deux routes y conduisaient : l’une par le sud, • 234
par le royaume de Chen, l’autre par le nord de Tour fan. Les envoyés
constatèrent que les gens de Ta. Wan possédaient d’excellents chevaux, mais
refusaient de les montrer. Chevaux, nous dit Se-ma Ts’ien
« qui suent le sang ; ils proviennent d’un étalo n céleste (351). »
L’empereur envoya alors un nouvel ambassadeur avec 1000 onces d’or et
un cheval d’or au Ta Wan dont les habitants refusèrent une fois encore de
satisfaire aux demandes impériales. L’ambassadeur, irrité, brisa le cheval d’or
et proféra des menaces : on l’assassina à Yeou Tch’eng. Wou Ti, qui avait
déjà envoyé le général Tchao Po-nou briser la résistance des rois de Leou Lan
et de Kou Tcha. qui le gênaient dans sa marche vers l’ouest (208), envoya le
général Li Kouang-li (104) pour châtier les gens de Ta Wan, mais il essuya
une grande défaite devant Yeou Tch’eng ; la colère de l’empereur à cette
fâcheuse nouvelle fut d’autant plus grande que les Hioung Nou faisaient vers
la même époque (103) le général Tchao Pô-nou prisonnier. Sans laisser Li
Kouàng-li rentrer en Chine, Wou Ti lui envoya des renforts et le général
chinois après un long siège s’empara de la capitale de Ta Wan, Eul che
(Teratepe) dont la population se souleva et massacra le roi Mou Koua ; il reçut
les chevaux qu’il de mandait, installa un nouveau roi Mei Ts’ai, et partit,
laissant un de ses officiers s’emparer de Yeou Tch’eng, et rentra en Chine
(101). L’assassinat de Mei Ts’ai un an après, remplaçé par Tch’en Foung, ne
paraît pas avoir modifié les rapports de Ta Wan et de la Chine, car pendant le
règne de Wou Ti plus de dix ambassades chinoises se rendirent dans le
Ferghana et le Zerafchan (352).
Les contrées d’Occident (Si Yu) subissaient donc le joug de la Chine et le
gouvernement impérial y établit pour les surveiller un Commissaire militaire
des Ambassadeurs. Elles formaient alors 36 royaumes ; sous les empereurs
ngai et P’ing leur nombre monta jusqu’à 55 ; mais par suite de leurs querelles
ils s’entre détruisirent, et d ans la période kien wou (25-55 ap. J.-C.) il n’y en
avait plus que 20.
• 235 Ce fut à la suite de l’expédition heureuse de Li Kouang -li que des
routes furent ouvertes vers le Si Yu et que la Grande Muraille fut prolongée
vers l’ouest (102 -101 av. J.-C.) à partir de Touen Houang ; cette barrière fut
étendue à travers le désert jusqu’au Lob Nor par une série de fortins, mais
Henri Cordier Histoire générale de la Chine 181

tandis que le rempart de Ts’in Che Houang Ti paraît avoir été surtout défensif,
celui de Wou Ti avait au contraire un caractère offensif.
Des colonies militaires avaient été établies au S.-O. de Karachahr, à Louen
T’ai et à Kiu Li, et le Commissaire eut le devoir non seulement de les protéger
mais aussi d’assurer les vivres des ambassadeurs qui se rendaient soit du Si
Yu en Chine, soit de la Chine au Si Yu.
Un autre résultat du voyage de Tch’ang K’ien fut l’ex tension de la
puissance chinoise vers le sud et la recherche d’une route par l’Inde, vers Ta
Hia. On trouvait dans la Chine méridionale, à l’est les royaumes maritimes de
Toung Hai (Tche Kiang), et de Min Yue (Fou Kien) ; au sud Tchao T’o avait
fondé, comme nous l’avons vu, la troisième dynastie annamite, celle des Trieu
(Tchao) qui régna sur le Nan Yue dont la capitale était Canton ; à l’ouest
s’éten dait le vaste royaume de Tien, au Yun Nan, fondé au IVe siècle par un
général de Tch’ou, Tchouang Kiao. P rofitant des luttes contre le Toung Hai et
le Min Yue, Wou Ti envoya au Nan Yue l’ambassadeur T’ang Moung qui dé -
couvrit que les marchandises de Chou (Se Tch’ouan) arrivaient à Canton par
le Kouei Tcheou (royaume de Ye Lang), le Tsang ko, partie supérieure du Si
Kiang, et le Si Kiang lui-même ; des pourparlers furent même engagés avec le
prince de Ye Lang pour obtenir le droit de passage sur son territoire. En
revanche les missions envoyées au Yun Nan échouèrent ; ou elles furent
massacrées par les sauvages, ou elles furent mal accueillies par le roi de Tien
Tch’ang Kiang. Mais le Nan Yue (Nam viet) attirait l’attention des Chinois.
En 113, Minh Vu’o’ng (Ying Ts’i), roi de Nan Yue étant mort, ne laissait
qu’un fils en bas âge, Hu’ng ; ce fut sa veuve, Cu Thi, chinoise d’origine, qui
exerça la régence ; avant son mariage elle avait eu dans son pays des relations
• 236 avec Ngan-Kouo Chao-ki (Thieu Qui) que Wou Ti s’em pressa d’envoyer
au Nan Yue dès qu’il apprit la mort de Minh vu’o’ng, afin que le nouveau roi
Hu’ng, sous le nom de Ai vu’o’ng fût invité à venir à sa Cour lui faire une
visite de vassal, mais surtout pour étudier la situation du pays. Les anciennes
relations reprirent entre Ngan kouo Chao-ki et la Reine, à la grande
indignation du peuple qui se souleva à la voix du maréchal Lu Gia (Lu Kia),
massacra le roi, la reine et les agents chinois, puis marcha contre les troupes
envoyées contre lui par Wou Ti, les battit et plaça sur le trône (111 av. J.-C.)
Kien Duc, fils de Minh vu’o’ng. et d’une mère annamite qui prit le titre d e
Thuat Du’o’ng vu’o’ng Ou Vê Du’o’ng vu’o’ng. L’empereur fu rieux, envoya
des armée contre le Nan Yue, l’une par le Si Kiang ; elles arrivèrent devant
Canton et s’en emparèrent ainsi que de Lu gia (Lu Kia) et du roi Kien duc
(Kien té). Le Nan Yue fut réduit en province chinoise (111 av. J.-C.) et ne
recouvra son indépendance qu’en 39 ap. J. -C. Les Han divisèrent le pays en
neuf quân : 1° Nam Hài (Canton) ; 2° Thu’o’ng ngô (Ych chau ; 3° Uât lâm
(Que lâm) ; 4° Hiêp phô (Liêm chau) ; 5° Giao chi, 6° Cu’u cho ’n ; 7° Nhu’t
nam ; 8° Châu nhai ; 9° Thiên nhi, ces deux derniers sur le fleuve Rouge.
L’empereur Wou décida que le gouvernement de ces neuf quân ou kiun
Henri Cordier Histoire générale de la Chine 182

« résiderait dans le kiun de Kiao Tche. C’est ainsi que le nom de


Kiao Tche prévalut. Ce nom de Kiao Tche, les Han orientaux le
changèrent en Kiao Tcheou, dénomination qui fut conservée par
les Tsin, les Soung et les premiers Ts’i (353) ».
Wou Ti put également obtenir la soumission de tribus, en particulier celle
du prince de Ye Lang dans le sud-ouest, mais la résistance des tribus sauvages
aux environs de Ta Li empêcha les Chinois de se frayer une route vers l’Inde
ainsi qu’ils l’avaient espéré. Maître du sud, Wou Ti se trouva libre de se
retourner contre les Hioung Nou.
Le Ts’ien Han chou cite un certain nombre de royaumes maritimes qui
offraient le tribut dès l’époque de Wou. M. • 237 Pelliot écrit :
« Il me paraît non moins certain que, dès les premières années du
Ier siècle avant JésusChrist, des produits de l’Asie antérieure
empruntaient la voie maritime pour arriver de proche en proche
jusqu’en Chine, et que tout au début de notre ère, sur l’ordre de la
Cour, une mission chinoise parcourut tout l’Océan indien (354). »
Les Occidentaux ont singulièrement rétréci le champ de l’histoire du
monde lorsqu’ils ont groupé autour du peuple d’Israël, de la Gr èce, de Rome,
le peu qu’ils connaissaient de l’expansion de la race humaine, ignorant tout de
ces voyageurs qui ont sillonné la mer de Chine et l’Océan Indien, de ces
chevauchées à travers les immensités de l’Asie cen trale jusqu’au golfe
Persique. La plus grande partie de l’univers, en même temps qu’une
civilisation différente mais certainement aussi développée que celle des
anciens Grecs et des anciens Romains, restaient inconnues à ceux qui écri-
vaient l’histoire de leur petit monde en croyant rédiger l ’histoire du monde
entier. Qu’est l’étendue des pays où se déroulent les scènes de la Bible par
rapport à celle où l’hu manité continue et développe sa vie propre, dans de
vastes régions dont l’Écriture Sainte ne laisse pas soupçonner l’existence.
Certes l’histoire du peuple juif, celle de l’an tiquité classique, offrent, pour
nous un intérêt plus considérable, mais c’est l’intérêt que prennent leurs
descendants à la vie de leurs ancêtres, et il n’en résulte pas qu’elle soit la plus
importante dans l’his toire du développement de l’homme sur la terre.
Dans le but sans doute d’encercler ses redoutables en nemis, Wou Ti qui
avait à se plaindre de Yeou Kiu, roi de Corée (Tch’ao Sien), qui n’avait pas
voulu reconnaître sa suzeraineté et accueillait dans ses États tous les
mécontents de Han, assiégea la capitale P’ing Yang qui se rendit au bout d’un
an, et le pays fut réduit en province chinoise (108).
Les Han ayant jugé que le Tchao Sien (Corée)
« était une région trop éloignée et trop difficile à garder ;
rétablirent les anciennes frontières (355) de Leao Toung avec le
fleuve • 238 Pai chouei pour limites. »
Henri Cordier Histoire générale de la Chine 183

Sous le règne de Hiao Wei Ti (197-187 av. J.-C.), un certain Woui Man
fut chargé par le gouverneur de Leao Toung de la protection de la frontière du
Tchao Sien septentrional ; il se tailla de la sorte le royaume de Tjyo syen dont
la capitale était Hpyeng yang (P’ing Yang ou Wang Kien) qui passa à son
petit-fils Yeou Kiu (Ou ke) Après la conquête chinoise (108 av. J.-C.) la
Corée septentrionale avec la partie de la Mandchourie qui en était la plus
rapprochée fut divisée en quatre gouvernements ou kiun, sâ koum : Ak rang et
Hyen hto (Hpyeng Yang et Ham heung) [Lo lang et Hiouen tou], au nord, Rim
toun (Kan reung) [Ling toun], au sud-est, Tjin pen (LeaoToung) [Tchin fan],
au nord-ouest. Ce n’est que vers le premier siècle avant J.-C. qu’apparaissent
les trois royaumes (Sam kouk) coréens : Sin ra [Sin la], ancien territoire des
Sinhan, au sud-est, en lutte avec le Japon, le Ko kou rye [Kao li], ancien
territoire de Tsyo syen, au nord et nord-est, qui est le royaume si souvent en
conflit avec la Chine, le Paik tjyei [Pe Ts’i], ancien territoire des Ma Han, à
l’ouest de la péninsule coréenne.

Administration coréenne.
Nous avons vu que les Ts’in pour détruire la puissance des États féodaux
et centraliser le pouvoir avaient divisé l’Empire en kiun comprenant des
préfectures, hien, dont le principal fonctionnaire était le kiun tcheou devenu le
t’ai tcheou à partir de 148 av. J.-C. ; chaque hien avait en outre un gouverneur
militaire ou kiun wei ; au dessus du hien, il y avait le hiang comprenant 10
t’ing ; le t’ing était formé de 10 li ou hameaux. Les Han rétablirent la division
en provinces ou tcheou, au nombre de treize.
Les Han, en particulier Wou Ti, tout en modifiant les divisions
territoriales, continuèrent la tradition des Ts’in , en fortifiant le pouvoir central
et en luttant contre la tendance particulariste toujours vivace des provinces ;
non seulement seuls des membres de leur famille furent nommés rois, mais
encore près de ces rois on plaça des conseillers chargés de faire des rapports
sur leur conduite, remplissant des fonctions analogues à celles des résidents
anglais près des princes hindous ; sur le conseil de Tchou Fou-Yen (• 239 127
av. J.-C.) les fiefs furent morcelés ; les grands seigneurs furent éloignés de la
Cour où l’on ne rencontra plus que des gens de basse extraction.
A la tête de l’organisation administrative des Han dérivée de celle des
Ts’in étaient placés les Gra nds Conseillers, Siang Kouo, l’un de gauche,
l’autre de droite, sauf pendant le règne de Kao Tsou (206 -194) et une partie
de celui de Wen Ti ; c’est encore aujourd’hui un des titres donnés aux
Tchoung T’ang ou Grands Secrétaires. En 118, l’empereur instit ua le Se tche
qui aidait le Grand Conseiller de gauche ; puis venaient : 2° le t’ai wei chef
des affaires militaires, supprimé en 139 par Wou Ti ; 3° le yu che ta fou ou
tchoung tch’eng , chargé des rapports et des pièces officielles ; 4° le t’ai fou ,
institué en 187 ; 5° les t’ai che et les t’ai pao , créés en l’an 1 après J. -C. ; 6°
Henri Cordier Histoire générale de la Chine 184

les généraux tsiang kiun ; 7° le foung tch’ang changé en 144 en t’ai tch’ang ,
chargé des rites, etc. (356).
Les Han avaient continué comme les Ts’i n à faire commencer l’année
avec le 12e mois ; mais en 104, Wou Ti rétablit l’usage de Houang Ti et la fit
débuter au 3e mois, usage qui, sauf trois exceptions, fut suivi par les autres
dynasties.
Wou Ti créa en 120 le Bureau de la Musique ; il creusa des canaux,
construisit des ports ; malheureusement les guerres trop nombreuses
épuisèrent le trésor malgré le développement des ressources économiques du
pays ; pour parer à la détresse de ses finances, en 119, il créa des monnaies
d’étain et d’argent mél angés d’une valeur nominale bien supérieure à leur
valeur intrinsèque. Il y en avait de trois espèces, de forme et de dimensions
différentes : 1° ronde, avec un trou rond central et portant la figure d’un
dragon (loung), appelée Tchouan, pesant 8 leang (onces), et valant 3000
sapèques ; 2° plus petite, carrée, portant la figure d’un cheval, pesant 6 leang
et valant 500 sapèques ; 3° encore plus petite, oblongue, portant une tortue,
pesant 4 leang et valant 300 sapèques ; les faux monnayeurs firent rapidement
tomber la valeur de ces monnaies, qui cessèrent d’être acceptées un an après
leur mise en circulation, et • 240 Wou Ti abandonna leur émission. L’empereur,
la même année, mettait en circulation de petites pièces d’un pied carré de la
peau des cerfs blancs élevés dans les parcs impériaux, pour lesquelles les rois,
les princes féodaux et les nobles devaient payer 400.000 sapèques chacune ;
ces morceaux de peau leur étant indispensables pour être reçus à la Cour (357).
Wou Ti mourut en 87 av. J.-C., ayant régné 54 ans.
Le règne de Wou Ti avait été assombri par un drame domestique. En 91,
les Tao Che qui avaient pris une grande influence sur l’esprit de l’empereur,
compromirent par leurs intrigues le prince héritier Lieou Wei, chez lequel ils
cachèrent des figures de bois qui lui servaient, disaient-ils, à des opérations
magiques ; ils annonçaient aussi faussement d’ail leurs que le prince s’était
révolté. Wou Ti, irrité envoya des troupes contre son fils qui se mit en état de
défense ; l’impératrice mère de Lieou Wei ayant été dégradée, se pendit de
désespoir ; Lieou Wei sur le point d’ être arrêté se suicide et l’empereur
apprend trop tard l’innocence de son fils. Celui -ci fut remplacé par un autre
fils, Fo Ling, né dans la 46e année de son règne d’une concubine qu’il fit
mettre à mort pour l’empêcher d’exercer la régence qu’il laissa à Ho Kouang.
Henri Cordier Histoire générale de la Chine 185

Cinquième dynastie : Han ou Si Han (Han Occidentaux)


Dynastie Ts’in • • • Dynastie Han, suite ...

Dates Noms
1 202 Lieou Pang
2 194 Kao Ti, ou Kao Tsou, † 195 à 53 ans Lieou Ying
6 187 Kao Heou (Lu Che), † 180
4 179 Wen Ti, † 157 à 46 ans Lieou Houan
5 156 King Ti, † 141 à 48 ans Lieou Ki
6 140 Wou ti, † 87 à 71 ans Lieou Tche

*
**
Henri Cordier Histoire générale de la Chine 186

NOTES

(1) Cf. Pumpelly, Exploration in Turkestan, 1908, I, pass.


(2) Cologne, 1613, in-8— Yverdon, 1619.
(3) De l’origine des Lois, Paris, 1758, III, p. 295.
(4) Athanase Kircher, né à Ghysen, près Fulde, le 2 mai 1602 ; mort à Rome le 27 novembre
1680.
(5) Athanasii Kircheri, S. J. Œdipi Ægyptiaci, Tomus III. Theatrum hieroglyphicum. Romae,
1654 ; in-fol.
Cap. II, p. 10-21 : quo modo hieroglyphica a cœteris diversarum Gentium literis distinguantur
& potissimum in quo Characteres Sinensium ab Hieroglyphicis differant.
Voir p. 348 seq. : Obelisius Florentinus, eiusque interpretatio, et p. 350 et 355, la
reproduction de ce document.
(6) China... illustrata...Amsterdam, 1667, in-fol.
(7) La Chine d’ Athanase Kirchere...illustrée. Amsterdam, 1670, in-fol.
(8) Chine illustrée, p. 305.
(9) l. c. p. 311.
(10) Kircher, l. c. p. 303.
(11) Michel Boym, né à Lwow, Pologne, en 1612 ; mort au Kouang-si, le 22 août 1659.
(12) Jean Grueber, né à Lintz, 28 août. 1623 ; mort à Florence en 1665.
(13) Né à Paris le 15 février 1688 ; mort à Paris, le 8 mars 1749 ; il avait été nommé secrétaire
perpétuel le 8 janvier 1746.
(14) Réflexions sur le principes généraux de l’art d’écrire, et en particulier sur les fondemens
de l’écriture chinoise . (Mém. de l’Ac. R. des Insc ., VI, 1729, p. 609-635) — Voir p. 623.
(15) Histoire du Commerce et de la Navigation des Anciens, 1716, in-12, chap. IX :
Commerce des anciens Indiens, p. 37-8.
(16) Chap. X. Commerce par mer des anciens Chinois, p. 40-42.
(17) Jean-Jacques d’Ortous, sieur de Mairan , né à Béziers en 1678, mort le 9 janvier 1771.
(18) Lettres de M. de Mairan, au R. P. Parrenin... A Paris, chez Desaint et Saillant, 1759, pet.
In-8° ; voir p. 86.
(19) Dominique Parrenin, né au Russet, diocèse de Besançon, le 1er sept. 1665 ; mort à
Peking, le 27 sept. 1741.
(20) Lettre du 18 sept. 1735, Let. Édifiantes, 24e recueil
(21) Mémoire dans lequel on prouve que les Chinois sont une colonie égyptienne... Par M. de
Guignes... A Paris, chez Desaint et Saillant, 1759, pet. in-8° ; voir p. 36-38.
(22) Doutes sur la Dissertation de M. de Guignes... Par M. Leroux Deshauterayes... A Paris,
chez Laurent Prault [et] Duchesne, 1759, pet. in-8° ; voir p. 5-7.
Henri Cordier Histoire générale de la Chine 187

(23) Réponse de M. de Guignes... A Paris, chez Michel Lambert, 1759, pet. in-8°.
(24) Essai sur les hiéroglyphes des Egyptiens... trad. de l’Anglais de M. Warburton... A Paris,
Guerin, 1744, 2 vol. in-12.
(25) Dissertation sur l’écriture hiéroglyphique ... A Amsterdam, et se trouve à Paris, chez J.
Barbou, 1762, in-12.
(26) l. c., p. 138-140.
(27) Ext. du Journal des Scavans, déc. 1761, vol. I, p. 4.
(28) De inscriptione quadam Ægyptiaca Taurini inventa et characteribus Ægyptiis olim et
Sinis communibus exarata idolo cuidam antiquo in regia universitate servato ad utrasque
Academias Londinensem et Parisiensem rerum antiquarum investigationi et studio
praepositas data epistola. Romae, 1761, pet. in-8°.
(29) Lettre de Pékin, sur le génie de la langue chinoise, et la nature de leur écriture
symbolique, comparée avec celle des anciens Egyptiens... A Bruxelles, 1774, in-4°.
(30) Henri Cordier, Fragments d’une hist. des études chinoises , p. 62-63.
(31) Recherches philosophiques sur les Egyptiens et les Chinois... Nouv. édit., Genève, 1774,
I, p. XVII-XVIII.
(32) Œuvres complètes, Mélanges, VIII, Paris, Garnier, 1879, p. 234-235.
(33) Les Egyptiens préhistoriques identifiés avec les Annamites d’après les inscriptions
hiéroglyphiques, par le général H. Frey, de l’armée coloni ale, Paris, Hachette, 1905, in-8°, p.
106.
(34) The manners and customs of the ancient Egyptians, By Sir J. Gardner Wilkinson ... A
new edition, revised and corrected by Samuel Birch, London, 1878, 3 vol. in-8°, II, p. 152-
153 ; avec représentation de ces bouteilles.
(35) l. c., II, p. 154.
(36) Trans. China Branch Royal Asiatic Society, Hongkong, 1853, part. III, p. 40.
(37) id., p. 95
(38) Les peintres européens en Chine et les peintres chinois par M. F. Feuillet de Conches,
Paris, 1856, in-8°, p. 26-27.
(39) L’exemplaire de l’Ecole des Langues orientales porte la note manuscrite suivante de la
main de Pauthier :
« J’avais restitué avant M. Julien, et dès 1846, dans une note publiée par M. Prisse dans la
Revue archéologique (mars 1846) la véritable date de ces vases. M. Feuillet ne l’ignorait pas,
mais il voulait donner un coup d’encensoir à M. Julie n. »
(40) Crania Ægyptiaca ; or, Observations on Egyptian Ethnography, derived from anatomy,
history and the monuments, by S.G. Morton, M.D... From the Trans. of the american
philosophical society, Philadelphia, 1846, in 4°. — Voir American ethnographical society, III,
p. 215.
(41) l. c., p. 63.
(42) Wilkinson, Ancient Egyptians, III, p. 108.
(43) l. c., p. 63.
(44) l. c., p. 65-66.
Henri Cordier Histoire générale de la Chine 188

(45) Trad. F. Hoefer, O, p. 64.


(46) Trad. Larcher, II, 1802, liv. II, p. 79-80.
(47) Maspero, dans le Journal des savants, 1901, p. 602, 603.
(48) La population primitive de l’Egypte , p. 19-20 (Rec. de Travaux Philol. et Arch. Égypt. et
assyriennes, XXXIII, 1911).
(49) London, 1669, in-8°.
(50) London, 1787, in-8°.
(51) China’s place in philology , London, 1871, in-8°.
(52) China Review, XXII, p. 720-728.
(53) Sinico-Aryaca, p. XI.
(54) l. c., p. XIII
(55) Sinico-Aryaca ou Recherches sur les racines primitives dans les langues chinoise et
aryennes. Batavia, 1872, in-4°.
(56) Western origin of civilisation, p. 24.
(57) Bab. And orient. Record, V, p. 245.
(58) Shoo King, Yao, 2, p. 17.
(59) T’oung Pao , VI, 1895, p. 369.
(60) Biot, Introd. au Tcheou li, p. VI-VII.
(61) A. de Gobineau, Essai sur l’inégali té des races humaines. Paris, 1853, II, p. 260-261.
(62) Œuvres complètes de Buffon, 1827, V, p. 298-299.
(63) Bailly, Histoire de l’astronomie ancienne , à Paris, 1775, in-4°, p. 18-19.
(64) Lettre sur l’origine des sciences, et sur celle des peuples de l’Asie, adressées à M. de
Voltaire par M. Bailly. A Londres et à Paris, 1777, in-8°.
(65) Lettres sur l’Atlantide de Platon et sur l’ancienne histoire de l’Asie. Pour servir de suite
aux Lettre sur l’origine des sciences, adressées à M ; de Voltaire par M. Bailly. A Londres et
à Paris, 1779, in-8°. Voir p. 203.
(66) Citée par Bailly, l. c., p. 14-15.
(67) Phonologie chinoise, p. 5.
(68) Aperçu sur l’histoire de l’Asie, p. 5.
(69) Revue de l’Hist. des Religions , I, mai-juin, 1880, p. 352.
(70) Petrucci, J. As., janv.-fév., 1916.
(71) Chronologie, p. 186.
(72) Essai sur les Mœurs, introd.
[cf. l’édition css : « Si quelques annales portent un caractère de certitude, ce sont celles
des Chinois, qui ont joint, comme on l'adéjà dit ailleurs, l'histoire du ciel à celle de la terre.
Seuls de tous les peuples, ils ont constamment marqué leurs époques par des éclipses, par les
conjonctions des planètes ; et nos astronomes, qui ont examiné leurs calculs, ont été étonnés
Henri Cordier Histoire générale de la Chine 189

de les trouver presque tous véritables. Les autres nations inventèrent des fables allégoriques ;
et les Chinois écrivirent leur histoire, la plume et l'astrolabe à la main, avec une simplicité
dont on ne trouve point d'exemple dans le reste de l'Asie.»]
(73) Mailla, I, préf., p. VII.
(74) Cf. Mémoires relatifs à l’Asie centrale , II, 1916, Chou-King et Chang-Chou, par Paul
Pelliot [css :clic à gauche sur : orientalistes, puis choisir : pelliot], p. 127.
(75) Voir les traductions dans la Bibliotheca sinica.
(76) Se-ma Ts’ien, I, Introduction, p. CCXXV.
(77) Legge dit : 279, Chavannes : 281.
(78) Il a été traduit en français par E. Biot, Journal Asiat., décembre et mai 1842, et en anglais
par le Dr J. Legge, Chinese Classics, pl. I. — Cf. Chavannes, Se-ma Ts’ien , V, pp. 446 seq.
(79) Gaubil, Chronologie, p. 101-102.
(80) Lettres édifiantes, Panthéon littéraire, IV, p. 64.
(81) Saint-Evremond, Œuvres, Lond., 1911, I, p. 181.
(82) Mailla, I, tableau, p. I.
(83) Essai sur l’Antiquité des Chinois (Mém. conc. les Chinois, I, p. 101-102).
(84) Wieger, Textes historiques, I, p. 19.
(85) Se-ma Tcheng en compte douze, Chavannes, Se-ma Ts’ien , I, p.18, fait remarquer que les
13 Souverains du Ciel auraient régné 234 000 années, et les 11 Souverains de la Terre, 198
000, ce qui ferait un total de 432 000, exactement celui des dix dynasties babyloniennes
antérieures au déluge, suivant Bérose.
(86) Gaubil, Chronologie, p. 3.
(87) id., p. 5.
(88) id., p. 4.
(89) Se-ma Tcheng dans Chavannes, Se-ma Ts’ien , I, p.18, 19, 21.
(90) W.F. Mayers, Notes and Queries on China and Japan, July 1868, p. 99-101
(91) Essai sur l’Antiquité des Chinois , l. c., p. 102
(92) Amiot, Antiquité des Chinois (Mém. conc. les Chinois, II, p. 125).
(93) Cibot, Essai sur l’Antiquité des Chinois (Mém. conc. les Chinois, I, p. 149).
(94) Essai sur les Mœurs, introd.
(95) Chavannes, [css :clic à gauche sur : orientalistes, puis choisir : chavannes] Sculpture sur
pierre en Chine, p. 3.
(96) Gaubil, Chronologie, p. 80.
(97) T.A Joyce, South american atcheology, p. 102.
(98) Chavannes, Sculpture sur pierre en Chine, p. 3.
(99) Chavannes, Se-ma Tcheng, p. 6.
(100) Mém. conc. Les Chinois, II, p. 27-28.
Henri Cordier Histoire générale de la Chine 190

(101) Mailla, VIII, p. 278.


(102) Li ki, II, p. • 64-66

(103) Chavannes, J. des Savans, 1903, p. 279.


(104) Chavannes, Le Traité sur les sacrifices Foung et Chan de Se-ma Ts’ien , p. XVII.
(105) Chavannes, l. c., p. XXIX.
(106) Textes historiques, I, p. 531.
(107) Chavannes, I, p. 9.
(108) Mailla, I, p. 10.
(109) Chronologie, p. 5.
(110) Gaubil, p. 6.
(111) H. Doré, Superstitions, XII, p. 1070 seq.
(112) Mailla, tableau, p. I.
(113) Se-ma Tcheng, p. 14n.
(114) Le T’oung Kien Kang Mou, I, p. 18, et Gaubil, p. 7, disent 140 ans.
(115) Se-ma Tcheng, p. 15.
(116) Babylonian and oriental record, mars 1889.
(117) id., avril 1888, p. 208-209.
(118) Mailla, tableau, I, p. I.
(119) Babylonian and oriental record
(120) Cf. Chavannes, Se-ma Ts’ien , I, p. 93n.
(121) Gaubil, p. 11, d’après le Kouo Yu.
(122) « La 30e année, le souverain engendra Pe Kouen » [père de l’empereur Yu ]. (Tchou
Chou Ki nien, p. 547.)
(123) Le Tchou Chou Ki nien le fait mourir dans la 63e année. Ce prince était né avec deux
rangées de dents.
(124) Revue de l’Extrême Orient , I, 1882, p. 200, trad. de Wylie.
(125) T’oung Pao , sér. II, VI, p. 521n.
(126) Che king, C., IV. IV. IV, p. • 452-453.

(127) Chavannes, Se-ma Ts’ien , I, Introduction, p. XXVI.


(128) Cibot, Antiquité des Chinois (Mém. conc. les Chinois, I, p. 113).
(129) Se-ma Ts’ien , I, p. 42.
(130) Gaubil, p. 12.
(131) Mailla, I, p. 50.
(132) Meng tzeu, C., Liv. III, ch. I, p. • 423
Henri Cordier Histoire générale de la Chine 191

(133) Meng tzeu, C., Liv. III, ch. II, p. • 450

(134) Essai sur quelques-uns des plus ancients monuments de la Géographie, terminé par les
preuves de l’ide ntité des déluges d’Yao, de Noé, d’Ogigès et de l’Atlantide ; et l’explication
physique de ce déluge. Paris, 1809, in-12.
(135) J. Legge, Chinese Classics, III, Pt. I, Shoo King, p. 189-190.
(136) Terrien de Lacouperie : The deluge, tradition and its remains in ancient China. (Bab &
Orient record., dec. 1889 et seq.)
(137) Mailla, VIII, p. 68. — Voir infra, page 85.
(138) Meng tzeu, C., Liv. IV, ch. I, p. • 484

(139) Chou king, C., p. • 61-62

(140) id., C., p. • 70 ; Legge p. 108.

(141) Yu kong, J. As. Août-sept. 1842, p. 210.


(142) Yu kong, l. c., p. 211.
(143) On the ancient mouth of the Yangtse Kiang. By the reverend J. Edkins, J. North China,
Br. R. As. Soc., vol. II, n° I, sept. 1860, p. 77 seq.
(144) Legge, I, p. 109, note.
(145) Se-ma Ts’ien , I, p. 119n.
(146) Chou king, Yu kong, C., p.• 88-89

(147) Chan Hai King, trad. Rosny, p. 300-301.


(148) l. c., p. 172.
(149) Legge, Shoo king, I, p. 65.
(150) id., I, p. 65.
(151) Voir supra, p. 80.
(152) Chou king, C., p. • 1

(153) Meng tzeu, C., Liv. IV, ch. II, p. • 485 Le P. Couvreur serre davantage le texte dans sa
version latine : « Orientalibus barbaris vicinus incola fuit (in Chansi provincia). » — Legge,
p. 192, traduit : « Died in M’ing teou ; a man near the wild tribes of the east », litt. « a man of
the eastern E, or the Barbarians ».
(154) Li ki, C., XVII, II, p. • 67

(155) Se-ma Ts’ien , I, p. 81.


(156) Chou king, C., p. • 26

(157) Three sites in Hunan connected with the classical legendary history of China, by Rev.
G. G. Warren (Journal North China, Br. R ; As. Soc., XLII, 1912)
(158) Li ki, C., XX, II, p. • 269

(159) Li ki, C., XXIX, p. • 500-501


Henri Cordier Histoire générale de la Chine 192

(160) Se-ma Ts’ien , I, p. 93-94.


(161) Meng tzeu, C., Liv. III, ch. I, p. • 426

(162) H. Cordier, dans La Grande Géographie, d’O. Reclus, III.


(163) Se-ma Ts’ien , I, p. 99.
(164) Voir Terrien de Lacouperie, Catalog of Chinese Coins.
(165) MacGowan, Hist. of China, p. 20-21.
(166) Gaubil, p. 21.
(167) Chou king, C., I. III, p. • 41

(168) Chou king, C., II. II, p. • 89

(169) Chou king, C., II. III, p. • 91

(170) Gaubil, p. 25.


(171) Se-ma Ts’ien , I, p. 170.
(172) Che king, C., IV. V. III, p. • 462

(173) Se-ma Ts’ien , I, p. 173-174.


(174) « T’ang s’appelait Li ; son nom de famille était Tzeu. » Couvreur, Chou King, p. 101
NOTES DU Chou king, C., II. III, p. • 101

(175) Lo Tchen-yu cité par L. C. Hopkins, Journal Royal As. Soc., janv. 1917, p. 72.
(176) Che king, C., IV. V. III, p. • 465

(177) H. Doré, Recherches sur les Superstitions en Chine, XI, p. 865.


(178) I, p. 175.
(179) I, p. 198.
(180) Journal Asiatique, 1885, I, p. 220-228.
(181) I, p. 199.
(182) T’oung Kien Kang mou, I, p. 234.
(183) Mailla, I, p. 239.
(184) Li ki, C., XII., p. • 728

(185) Che king, C., III. I. II, p. • 325-326

(186) Li ki, C., XIV., p. • 776-777

(187) Li ki, C., XVII., p. • 98-99

(188) Textes historiques, I, p. 93.


(189) Li ki, C., I., p. • 61-62

(190) On a écrit un certain nombre de mémoires sur ces écailles de tortue ; je me borne à citer
les plus intéressants : Ed. Chavannes, La Divination par l’écaille de tortue (Journal Asiatique,
Henri Cordier Histoire générale de la Chine 193

janv.-fév. 1911). — Samuel Couling, The Oracle Bones from Ho nan, ( Journ. North China
Br. R. As. Soc., 1914, p. 65-75). — L. C. Hopkins, The Archives of an Oracle, (Journ. Royal
As. Soc., janv. 1915, p. 49-61). — Du même, The Sovereigns of the Shang Dynasty, B.C.
1766-1154 (Journ. Royal Asiatic Soc., janv. 1917, p. 69-89).
(191) Che king, C., III. I. III, p. • 326

(192) Le duc Lieou, descendant de Heou Tsi, s’était établi en 1796 av. J.-C. à Pin, à l’ouest
de la ville actuelle de San Chouei (Pin Tcheou, Chen Si).
(193) Se-ma Ts’ien , I, p. 170.
(194) Mailla, I, p. 316-318.
(195) Shoo King, pt. II, p. 535-537n.
(196) Li ki, C., XII., p. • 729

(197) Chou king, C., IV. XVII, p. • 307-308. — Chang ts’ai hien, Ho Nan.

(198) Chou king, C., IV. IX, p. • 232

(199) Note de Couvreur, Chou king, C., IV. XIII, p. • 270

(200) Chinese Civilization, p. 39.


(201) Chine, p. 85.
(202) Problèmes géographiques, XIII, p. 13.
(203) id., p. 8.
(204) Chinese Civilization, p. 272.
(205) Journal As., mai 1842, p. 391-392.
(206) Adversaria Sinica, n° I, 19.
(207) J. J. M. de Groot, Religious system, vol. IV, p. 304.
(208) Rémusat [css :clic à gauche sur : orientalistes, puis choisir : rémusat]Nouv. Mél. As., I,
p. 216.
(209) China Review, XVII, p. 223-247.
(210) Chinese Civilization, p. 264.
(211) Se-ma Ts’ien , II, p. 8n.
(212) The true dated chinese history only begins in 842 B.C., at which date a great revolution
took place, not only in politics, but also in letters (China, 1917, p. 16).
(213) Cf. Bushell, Journal North China Br. R. As. Soc., VIII, 1874.
(214) Tch’ouen Ts’ieou , C., I., p.• 17-18

(215) Mailla, p. 59-60.


(216) Tch’ouen Ts’ieou , C., I., p.• 54

(217) Ma Touan-lin, Peuples orientaux, p. 3-4.


(218) Mailla, II, p. 60.
Henri Cordier Histoire générale de la Chine 194

(219) Gaubil, p. 43.


(220) Tch’ouen Ts’ieou , C., I., p.• 82-84

(221) Gaubil, p. 44.


(222) id., p. 105.
(223) id., p. 50.
(224) id., p. 52.
(225) id., p. 304.
(226) Il est appelé Yin Wang, par le Tchou Chou Ki nien.
(227) Se-ma Ts’ien, I, p. 318.
(228) Mailla, II, p. 361.
(229) Chronologie, p. 205.
(230) id., p. 231.
(231) Li ki, C., III., I., p. • 268-269

(232) Le Li ki, C., III., V., p. • 325 donne encore d’autres détails sur le domaine impérial qui
équivalait à un carré ayant mille stades de chaque côté.
(233) Li ki, C., III, V, p. • 321-322

(234) Li ki, C., III, II, p. • 271

(235) Che king, C., I, X, VII, p. • 127

(236) Chou king, C., IV, XX, p. • 333-336

(237) Chou king, C., IV, XX, p. • 335

(238) Li ki, C., III., I., p. • 263

(239) Che king, Notions


(240) Tcheou li, Trad. Biot, I, p. 26-27.
(241) Li ki, C., XX., p. • 257-258

(242) Les Cinq articles du Se-ma fa sur l’art militaire . (Mém. Conc. Les Chinois, VII, p. 249).
(243) Henri Doré, Superstitions en Chine, XIII, p. 2.
(244) Livre III, ch.II, pp. 437-8.
(245) Mém. conc. les Chinois, XII, p. 594.
(246) Henri Doré, Superstitions en Chine, XIII, p. 1
(247) Li ki, C., XXIII., p. • 353-354

(248) Henri Doré, Superstitions en Chine, XIII, p. 85


(249) Essai sur les Mœurs, Introduction.
Henri Cordier Histoire générale de la Chine 195

[Cf. l’édition css de l’ Essai : « Leur Confutzée ... premiers sages. Il ne recommande que la
vertu ; il ne prêche aucun mystère. Il dit dans son premier livre, que pour apprendre à
gouverner, il faut passer tous ses jours à se corriger. Dans le second, il prouve que Dieu a
gravé lui-même la vertu dans le cœur de l'homme; il dit que l'homme n'est int po né méchant,
et qu'il le devient par sa faute. Le troisième est un recueil de maxi mes pures, où vous ne
trouvez rien de bas, et rien d'une allégorie ridicule. Il eut cinq mille disciples; il pouvait se
mettre à la tête d'un parti puissant, et il aimamieux instruire les hommes que de les
gouverner... »]
(250) Hist. Philos. des Deux Indes, I, 1780, p. 107-8
(251) Essai sur les Mœurs, chap. I. [cf. édition css]
(252) Louen yu, XII, 22, p.208, trad. Couvreur.
(253) id., XIV, 21, p. 229.
(254) Tchoung Young, ch. XIII, p. 36.
(255) Mém. conc. les Chinois, XII, p. 397.
(256) Chavannes, Chancellerie mongole, II, p. 17.
(257) Mailla, X, p. 249 et 20.
(258) Hoang, Administration, p. 51.
(259) id., p. 51.
(260) id., p. 52.
(261) Revue de l’Histoire des Religion s, III, 1881, p. 222.
(262) Li Ki, II, p. 307-308.
(263) Trad. Couvreur, liv. IV, ch. I, p. 482-3
(264) Mém. conc. Les chinois, III, p. 47.
(265) Chavannes, Se-Ma Tsien, I, Introduction, p. CLXXXII.
(266) Stanislas Julien, l. c., p. XXI.
(267) Cette légende a été traduite par Stanislas Julien, l. c., p. XXI. XXIII-XXXII.
(268) Stanislas Julien [css :clic à gauche sur : orientalistes, puis choisir : stanislas julien], l.
c., p. XXIII.
(269) id., p. XXV-XXVI.
(270) Chavannes, Se-Ma Tsien, V, p. 299-301.
(271) id., p. 301.
(272) Chavannes, La sépulture sur pierre en Chine, p. 69-71, pl. XXXV.
(273) S. Julien, Le livre de la Voie et de la Vertu, p. XX
(274) Cf. Ko-hong, dans S. Julien, p. XXIV-XXV.
(275)Rémusat, Mémoires sur Lao-tseu, p. 19, 24.
(276) S. Julien, p. XII-XIV.
(277) Annales du Musée Guimet. XX.— Textes taoïstes traduits par C. de Harlez, 1891, p. II.
(278) l. c., p. 9.
(279) l. c., p. 12.
Henri Cordier Histoire générale de la Chine 196

(280) James Legge, The texts of Taoism, p. 12 sqq.


(281) Tchoung Young, ch. XIII, cf. n. 254.
(282) Edouard Chavannes, Mémoires historiques de Se-ma Ts’i en, I, Introduction, p. XIX-
XXI.
(283) Mélanges asiatiques, I, p. 93-94.
(284) id., p. 95.
(285) id., p. 95.
(286) Tirage à part des Actes du IIe congrès int. D’Hist. des religions , Bâle, 1904, p. 1-2.
(287) l. c., p. 10.
(288) l. c., p. 16.
(289) China review, XIV, p. 235.
(290) S. Julien, p. V.
(291) Annales de phil. Chrétienn, 4e série, VIII
(292) C. Imbault-Huart, La légende du premier pape des Taoïstes, 1885, p. 27, d’après le
Chen Sien tsa ki.
(293) S. Julien, p. 243. [css : L. Wieger, Les pères du système taoiste]
(294) Le Chen Sien tsa ki cité par Huart, l. c., p. 32-33.
(295) Huart, l. c., p. 37.
(296) id., p. 40.
(297) id., p. 47.
(298) id., p. 48.
(299) id., p. 48.
(300) Chavannes, Le jet des dragons, p.216.
(301) P. Hoang, Mélanges sur l’Administration , p. 54.
(302) P. Hoang, l. c., p. 55. — W.-F. Mayers, Chinese Government, p. 79.
(303) S.M.T. I, III, p. 25.
(304) S.M.T., II, p. 100-101.
(305) Chavannes, Inscriptions des Ts’in , p. 30n.
(306) S.M.T., II, p. 135-137.
(307) S.M.T., II, p. 127n.
(308) Œuvres, Lond, 1711, I, p. 253.
(309) S.M.T., II, p. 172-174. [et Introduction, CXI]
(310) Mailla, I, p. 168.
(311) Chronologie, p. 58.
(312) Histoire des Huns, I, p. 216.
(313) Gaubil, p. 58.
(314) S.M.T., I, Introduction, p. LXV.
Henri Cordier Histoire générale de la Chine 197

(315) De Guignes, I, p. 215.


(316) Mailla, II, p. 372-373.
(317) Note de Chavannes, Se-ma Ts’ien , II, p. 61.
(318) Moung T’ien « était savant. On se servait pour écrire de tablettes de bambou, sur
lesquelles on gravait comme on pouvait, avec un petit outeau des caractères ; ou bien, on les
enduisait de vernis et on y traçait des caractères : Moung T’ien y substitua du papier, des
pinceaux et de l’encre. » (Gaubil, Chronologie, p. 67n).
(319) Gaubil, Chronologie, p. 63.
(320) id., p. 58.
(321) Li ki, ch. III, Wang tcheu, p. • 295-297

(322) id., ch. I, p. • 90-91.

(323) Tcheou Li, II, p. 263-264.


(324) H. Maspero, Etudes d’hist. d’Annam, B.E.F.E.O ., XVI, I, p. 55.
(325) Voir H. Maspero, Etudes d’hist. d’Ann am, IV, B.E.F.E.O., XVIII, p. 1-28.
(326) Gaubil, Chronologie, p. 66, dit le 10 septembre 210.
(327) S.M.T., II, p. 193-195.
(328) Voir Cathay and the way thither, I, p. 1 sqq.
(329) S.M.T., II, p. 243.
(330) S.M.T., II, p. 325.
(331) S.M.T., II, p. 522.
(332) Henri Doré, Superstitions en Chine, XII, p. 1109-1114.
(333) Mailla, II, p. 514.
(334) Couvreur, Li ki, I, p. XII.
(335) S.M.T., II, p. 487.
(336) S. Julien, dans Humboldt, Asie Centrale, II, 1843, p. 347.
(337) Mailla, II, p. 560.
(338) Mailla, III, p. 36.
(339) S. Julien, d’après Se -ma Ts’ien, dans Humboldt, Asie Centrale, II, p. 63.
(340) S. Julien, Mélanges de Géog. p. 51, d’après les Annales des T’ang , Hist. du Si Yu.
(341) Mailla, III, p. 36-37.
(342) Rémusat, Nouveaux Mélanges asiatiques, I, p. 221.
(343) Heou Han Chou, trad. Chavannes, T’oung Pao , mai 1907, p. 189-192.
(344) Mailla, III, p. 42-43.
(345) Mailla, III, p. 18, 25.
(346) Rémusat, Fo Kou-Ki, p. 41.
(347) Chavannes, Documents chinois découverts par A. Stein, p. V.
(348) Chavannes, Se-ma Ts’ien , I, Introduction, p. LXVIII.
Henri Cordier Histoire générale de la Chine 198

(349) Mission Segalen. Journal asiatique, mai-juin 1915, p. 470-473.


(350) Se-ma Ts’ien , trad. par Brosset, N.J.A, II, 1828, p. 430
(351) Brosset, N.J.A, II, 1828, p. 422.
(352) Chavannes, Se-ma Ts’ien , Introduction, p. LXXVIII.
(353) Ma Touan-Lin, trad. d’ Hervey St Denys, Peuples méridionaux, p. 308.
(354) T’oung pao , juillet 1912, p. 461.
(355) Ma Touan-Lin, Peuples orientaux, p. 5.
(356) Chavannes, Se-ma Ts’ien , p. 513 seq.
(357) Terrien de Lacouperie, Chinese coins, p. 358-359.

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Henri Cordier Histoire générale de la Chine 199

Chapitres : I — II — III Cinq Empereurs — IV Yao - Yu - Chouen — V Hia - Chang


VI Tcheou — VII Confucius - Lao Tseu — VIII Ts’in — IX Han

Notes — Cartes — Principautés TT — Tableaux dynastiques


Table — •
Nom du document : cordier_histoire.doc
Dossier : C:\CSS\Envoi021204\cordier_henri
Modèle : C:\WINDOWS\Application
Data\Microsoft\Modèles\Normal.dot
Titre : Histoire générale de la Chine
Sujet : série Chine
Auteur : Henri Cordier
Mots clés : Chine antique, Chine classique, civilisation chinoise,
ancient China, dynasties chinoises, Hia, Chang, Tcheou, Han, histoire de
la Chine, chinese history,
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