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HISTOIRE GÉNÉRALE
DE LA CHINE
et de ses relations avec les pays étrangers depuis les temps
les plus anciens jusqu’à la chute de la dynastie manchoue
par
Henri CORDIER (1849-1925)
chapitres I — IX
Depuis les temps les plus anciens jusqu’à la mort de Wou ti (87 av. J.-C.)
à partir de :
Mise en page sur papier format LETTRE (US letter), 8.5’’ x 11’’.
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CHAPITRE PREMIER
empereur « Fils du Ciel », cette nation ne s’est pas figée dans une
administration immuable, qu’elle a été comme les autres agitée par de nom -
breuses révolutions, qu’elle a été gouvernée, par différentes dynasties,
quelques-unes même étrangères ; qu’elle a connu tous les modes de
gouvernement depuis l’autocratie impé riale jusqu’au socialisme d’État de
Wang Ngan-che, revenant toutefois à sa civilisation primordiale jusqu’au jour
récent où, battu en brèche par les étrangers devenus ses voisins ou qui l’ont
trop pénétré, le vieil édifice vermoulu semble s’écrouler devant la pression de
l’Occident : reflux d’une marée qui, il y a quelques siècles, avait porté
jusqu’au cœur de l’Europe les descendants des tribus du nord de l’Empire
chinois. Mais que nous réserve l’avenir ? Une telle histoire est plus propre que
n’importe quelle autre à nous faire suivre les vicissitudes des empires et des
royaumes, leur développement ; leur grandeur, leur décadence. Témoin unique
dans l’histoire du monde, la C hine est le seul empire qui ait soutenu
jusqu’aujourd’hui l’assaut des ans, du désordre intérieur, de la concurrence et
de la rivalité • 10 extérieures. Le philosophe, autant, plus même que l’historien,
trouve dans l’enchaînement des faits qui constituent sa vie matière à de
sérieuses leçons.
L’Europe, qui tire la soie de la Chine depuis une haute antiquité, n’a
longtemps considéré cet empire que comme une terre ayant sa vie propre ; ne
se rattachant par aucun lien au reste du monde ; elle a été l’objet de
spéculations fantaisistes de la part de quelques savants ; et pour la masse des
gens elle ne fut qu’une simple curiosité. Claude Duret, au commencement du
XVIIe siècle, dans l’énumération des langues que contient son Thresor de
l’histoire des langues (2), cite les langues indienne orientale, chinoise,
japonaise, sans parler des sons, voix, bruits, langages ou langues des animaux
et oyseaux. Bossuet, dans son Discours sur l’Histoire Universelle , fera une
place aux Scythes, mais il passera la Chine sous silence, ne soupçonnant pas
le rôle que cette masse d’humains a joué dans l’histoire générale du monde
dont elle forme le tiers de la population, ignorant ou oubliant que c’est la seule
nation dont l’histoire se continue sans interruption depuis les âges les plus
reculés jusqu’à nos jours ; qu’aux temps lointains de l’Egypte et de l’Assyrie,
il existait déjà une Chine et que cette Chine existe encore aujourd’hui. Au
XIIIe et au XIVe siècles, à l’époque de l’hégé monie mongole, le voile
mystérieux qui cache cette distante contrée est soulevé par Marco Polo et
quelques zélés missionnaires, mais il retombe pour ne se relever partiellement
qu’au XVIe siècle, et ce ne sera qu’au milieu du XVIIe siècle que les
missionnaires de la Compagnie de Jésus, comme Martini dans son Atlas
sinensis, nous donneront enfin des notions exactes sur l’Empire du Milieu. Et
comme on sera sans doute étonné qu’un chapitre aussi important de l’histoire
du Monde ait pu se dérouler pendant des milliers d’années sans que l’Occident
y ait eu sa grande part, on inventera des relations imaginaires, ou on tâchera
de se la rattacher à l’aide de théories a bracadabrantes qui, poursuivies jusqu’à
nos jours, donnent un des plus curieux exemples des folies que peut engendrer
Henri Cordier Histoire générale de la Chine 9
Goguet.
Goguet ira trop loin dans son incrédulité :
« On peut assurer hardiment, dit-il, que jusqu’à l’an 206 av. J. -C.
leur histoire ne mérite aucune croyance. C’est un tissu perpé tuel de
fables et de contradictions ; c’est un chaos monstrueux dont on ne
saurait rien extraire de suivi et de raisonnable (3) ».
Kircher.
Le savant jésuite allemand Athanase Kircher (4), paraît être le premier à
avoir soulevé la question de l’origine égyptienne d es Chinois dans son grand
ouvrage Œdipus Ægyptiacus (5) en 1654 ; il a depuis reproduit sa théorie dans
un autre de ses livres, la China illustrata (6), parue en 1667, dont une édition
française (7), fut donnée en 1670 ; dans celle-ci la Sixième Partie est consacrée
à l’écriture des Chinois et comprend cinq chapitres dont le quatrième traite de
la différence qui est entre les caractères chinois, les hyeroglifes des Égyptiens.
« Les premiers Chinois, écrit Kircher, étant descendus des
Egiptiens ont suivi leurs façons de faire pour leurs escritures, non
pas quand à la composition des lettres, mais quand aux figures
tirées de diverses choses naturelles ; lesquelles leur servoient pour
manifester leur concept. C’est pourquoy ils avoient autant de
signes pour l’expliquer qu’ils avoient de choses à enoncer » (8).
Plus loin, il nous dit :
« Les enfans de Cham, ayant conduit • 12 des colonies dans les
extrémités de la Chine, ils y avoient introduit aussi les lettres & les
caractères non pas à la vérité avec toutes les significations et les
mistères dont estoient ornés les hyeroglifes des Egiptiens, mais
tout autant qu’il était nécessaire pour expliquer sa pensée, &
donner à connoistre ses conceptions & ses sentimens ; quoyque
grossièrement (9) ».
« Les premiers Chinois ont fait leurs caracteres de toutes les choses
du monde, & ils se sont servis de tout, comme on le voit par leurs
chroniques et par la forme et la figure de leurs lettres : car ils les
formoient de mesme que les Egiptiens, representant tantost des
animaux, maintenant des volatiles, apres des reptiles, des poissons,
et enfin apres tout cela ils se servoient des herbes, des ramaux
Henri Cordier Histoire générale de la Chine 10
Fréret.
Kircher trouva un adversaire redoutable, devançant certainement son
siècle dans certaines de ses vues, en Nicolas • 13 Fréret (13), qui mourut
secrétaire perpétuel de l’Académie des Inscriptions et Belles -Lettres ; il
combattit vigoureusement Kircher dans un mémoire lu à l’Académie, le 6
décembre 1718 (14).
Fréret observe que
« les Chinois n’ont point eu en vue les images pour les choses que
la peinture peut mettre sous les yeux, ni les symboles pour
représenter par allégorie ou par allusion les choses qui ne le
peuvent être par elles mêmes. Le P. Kircher [China illustrata] est
d’u n autre avis ; mais il paroît en cette occasion avoir un peu trop
donné à son imagination, Je ne prétends cependant pas que l’on ait
évité ces ressemblances entre les choses et les caractères,
lorsqu’elles se sont présentées : mais il est sûr qu’on ne les a pas
cherchées, et qu’elles sont presque tou jours détruites par l’analyse
du caractère où l’on avoit crû les appercevoir.
» Les premiers inventeurs de l’écriture chinoise se sont attachés à
des signes entièrement arbitraires, ou qui n’ont qu’un rap port
d’institution avec les choses signifiées ; en cela ils ont suivi le
génie de la nation chinoise ; qui même avant Fo-hi, c’est -à-dire
dans la plus profonde antiquité, se servait de cordelettes nouées en
guise d’écriture. Le nom bre des nœuds de chaque corde formoit un
caractère, & l’assemblage de cordes tenoit lieu d’une espèce de
Henri Cordier Histoire générale de la Chine 11
Huet.
Le savant évêque d’Avranches, Huet, n ous donne l’Inde et la Chine
comme des colonies égyptiennes :
« Si le commerce des Egyptiens a été aussi ancien & aussi grand
dans l’Orient, que nous avons sujet de le croire, il faut conclure
que celui des Indiens qui étaient leurs principaux correspondants,
ne l’étoit pas moins. Or cette cor respondance des Indiens & des
Egyptiens est si clairement établie par les anciennes histoires,
qu’on ne peut pas • 14 s’empêcher de croire en les lisant, que si
toute la nation des Indiens & des Chinois n’est pas de scendue des
Egyptiens, elle l’est du moins en la plus grande partie. Car quelle
autre chose peut signifier cette expédition si célèbre d’Osiris dans
les Indes, où il régna pendant cinquante-deux ans, cultiva & polit
cette nation, y bâtit des villes, & y répandit tant de colonies
d’Egyptiens, que l’Egypte se crut suffisamment autorisée dans la
suite à former une prétention sur les Indes comme sur son
propre (15) ? »
Huet expose toute sa théorie dans le chapitre suivant (16) :
« Entre tous ces esseins d’Egyptiens qui inonderent les Indes, les
Chinois méritent bien d’être considerez en leur particulier. On
trouve chez eux des marques bien sensibles de leur origine, une
grande conformité de coutumes avec celles des Egyptiens, leurs
doubles lettres, hiéroglifiques, et profanes, quelque affinité même
de leurs langues, la doctrine de la métempsycose, le culte de la
vache, & ce qui me paroit fort remarquable, cette aversion
constante que font paroître les Chinois à recevoir les negocians
étrangers dans leurs pays, & qui les a possedez dans tous les tems,
pareille à celle que Strabon attribue aux anciens Egyptiens. Je ne
puis donc assez m’étonner, que contre des preuves si claires, un
Ecrivain de ces derniers tems, plein d’esprit d’ailleurs & de
suffisance, mais sujet à beaucoup de préventions, ait pû soutenir au
contraire que les Egyptiens et les Phéniciens ont reçu leurs
sciences des Indiens. Il serait aisé de détruire son système, si la
matière que je traite ne m’entraînoit ailleurs. Quoique les Chinois
soient sortis d’Egypte, en tout ou en partie, avec le reste des
Indiens, ils ont pourtant fait depuis long-tems un état séparé, celui-
ci s’est autrefois acquis une si grande puissance, qu’il s’est rendu
maître de toutes les Indes. On sçait que le Japon, la Corée, la
Cochinchine & le Tonkin ont été des provinces de la Chine. Et si
Henri Cordier Histoire générale de la Chine 12
l’on veut croire les Chinois même, & que leur présomption ne
rende pas leur témoignage un peu • 15 suspect, ils ont autrefois
étendu leur Empire jusqu’au cap de Bonne Espérance : La plupart
des Indiens néanmoins leur défèrent l’honneur de cette supériorité
et se souviennent de leur ancien commerce. On connoît par les
annales d’Ormus, qu’on a vu dans le golfe Persique jusqu’à quatre
cens vaisseaux chinois, se décharger & se charger d’une infinité de
marchandises précieuses. L’usage de la boussole est très ancien
parmi eux : non pas que je croye que Marc Paul l’ait apporté de la
Chine dans l’Europe, co mme bien des gens en sont persuadés ; car
il paroît par les vers de Guyot de Provins poète François, qui vivait
vers l’an 1200, rapporté par Fauchet, que les pilotes François se
servoient de la boussole, plus de quarante ans avant Marc Paul.
L’histoire ren d témoignage à la probité et à l’équité des anciens
Seres majeurs des Chinois ; qui trafiquoient sans voir & sans se
faire voir aux marchands. »
Mairan, de Guignes.
A la suite de Huet, Mairan, de l’Académie des Sciences (17), voulut
également trouver en Egypte l’origine des Chinois.
« C’est, dit -il, par la conformité de mœurs et de coutumes qui en
est la grande, &, à mon avis, l’unique preuve, qu’il convient de
décider la question (18) ».
Il ne voyait d’ailleurs aucune impossibilité à l’arrivée de Sésostris en
Chine avec cent mille Egyptiens. Son correspondant à Peking, le savant
jésuite, Parrenin (19), opposa aux théories de Mairan d’excellents arguments,
qui ne paraissent pas toutefois avoir produit l’effet nécessaire (20), car nous
voyons en 1759, de Guignes, de l’Académie des Inscriptions, renouveler la
question dans un Mémoire destiné à prouver que les Chinois sont une colonie
égyptienne ; De Guignes qui avait d’abord partagé les idées de Parrenin, fut
frappé de la grâce par un mémoire de l’abbé Barthélémy sur les lettres
phéniciennes.
• 16 « J’avois devant moi, dit -il, les Lettres Phéniciennes dont il
venoit de nous donner un Alphabet exact. Pour me délasser je
m’avisai de jeter les yeux sur un Dictionnaire Chinois, qui contient
la forme des caractères. antiques : je fus frappé tout-à-coup
d’appercevoir, une figure qui ressem bloit à une Lettre
Phénicienne ; je m’attachai uniquement à ce rapport, je le suivis, et
je fus étonné de la foule de preuves qui se présenterent à moi. Telle
est l’origine de ce Mémoire, que deux circonstances réunies par le
hasard ont fait naître.
Henri Cordier Histoire générale de la Chine 13
» Je fus alors convaincu que les caractères, les loix & la forme du
Gouvernement, le Souverain, les Ministres mêmes qui
gouvernoient sous lui, & l’Empire entier étoit Égyp tien ; et que
toute l’ancienne Histoire de la Chine n’était autre chose que
l’Histoire d’Égypte qu’on a mise à la tête de celle de la Chine,
comme si des François établis en Amérique y fondoient
actuellement un Royaume dont le premier Souverain seroit regardé
comme le successeur du Monarque qui règne en France : par-là
toute l’histoire de France anté rieure, deviendrait l’histoire ancienne
de cette colonie. Je trouvai encore les caractères qui ont donné
naissance à ceux des Hébreux, des Arabes, des Syriens, des
Ethiopiens et des Phéniciens, c’est -à-dire, les premiers caractères
du monde, et une grande partie de la langue Phénicienne (21) ».
Leroux Deshauterayes.
En fait, comme le fait remarquer Leroux Deshauterayes, le but de De
Guignes était de prouver :
« 1° Que les caractères chinois ne sont que des espèces de mono-
grammes formés de trois lettres phéniciennes, et que la lecture qui
en résulte produit des sons phéniciens ou égyptiens.
2° Que les deux premières dynasties chinoises sont composées de
princes qui ont régné, non à la Chine, mais en Égypte... M. D.
établit la conformité entre ces princes, non par un parallèle de leur
histoire, ou par une ressemblance entre des faits qu’il
rapprocheroit, mais par la lecture seule des noms chinois de ces
princes qu’il croit • 17 composés de lettres phéniciennes.
3° Enfin M. D. prétend encore prouver qu’une colonie égyptienne
alla s’établir dans la Chine, & il fixe l’époque de son entrée dans
cet Empire à l’an 1122 : Cette époque est celle où Vouvang jetta
les fondemens de la dynastie impériale des Tcheou, la troisième
des Dynasties chinoises (22) ».
Les doutes de Deshauterayes ne touchèrent pas De Guignes qui répondit à son
adversaire (23). Il n’est d’ailleurs pas utile d’entrer dans le détail d’une
discussion qui n’offre plus qu’un intérêt de curio sité.
Warburton.
Sur cette querelle sinico-égyptienne viennent se greffer la théorie de
l’anglais Warburton (24) sur les hiéroglyphes égyptiens et ses remarques sur la
chronologie et sur la première écriture des Chinois, qui ne restèrent pas sans
réponse (25) :
Henri Cordier Histoire générale de la Chine 14
Il est temps, écrit Warburton (26), de parler d’une alté ration, que ce
changement de sujet, et cette manière de l’exprimer, introduisirent
dans les traits des figures hiéroglyphiques. L’animal, ou la chose,
qui servait à représenter, avaient été jusques là dessinés au naturel.
Mais, lorsque l’étude de la Philosophie, qui avait occasionné
l’écriture symbolique, ont porté les Scavans d’Egypte à écrire
beaucoup, et sur divers sujets, ce dessein exact multipliant trop les
volumes, leur parut ennuyeux. Ils se servirent donc par degrés d’un
autre caractère, que nous pouvons appeler l’ Ecriture courante des
hiéroglyphes. Il ressemblait aux caractères chinois, et, après avoir
d’abord été formé du seul conto ur de chaque figure, il devint à la
longue une sorte de marques. Je ne dois pas omettre ici de parler
d’un effet naturel que ce caractère de l’écriture courante • 18
produisit avec le temps. Je veux dire, que son usage diminua
beaucoup de l’attention que l ’on donnoit au symbole, et la fixa à la
chose signifiée. Par ce moyen l’étude de l’écri ture symbolique se
trouva fort abrégée ; n’y ayant alors presqu’autre chose à faire qu’à
se rappeller le pouvoir de la marque symbolique, au lieu
qu’auparavant il falla it être instruit des propriétés de la chose, ou
de l’animal, qui était employé comme symbole. En un mot, cela
réduisit cette sorte d’écriture à l’état où est présentement celle des
Chinois. »
Needham.
Au milieu de la controverse suscitée par la théorie de De Guignes, un
membre de la Société royale de Londres, Needham, prit sur un buste d’Isis, du
Musée de Turin, l’empreinte de caractères soi -disant égyptiens qu’il pré tendait
ressembler aux caractères chinois ; il les présenta à un Chinois du Vatican, sed
nihil prorsus aspectu primo intellexit, dit-il. Le Chinois n’y entendait rien,
parce qu’il ne connaissoit que les caractères modernes (27). Cependant
l’employé chinois de la Bibliothèque vaticane, flairant pro bablement quelque
aubaine, ne se tient pas pour battu ; il s’arme d’un dictionnaire de K’ang hi et
il découvre immédiatement une ressemblance entre une douzaine des carac-
tères de l’Isis et des caractères chinois !
De nos jours, Li Foung pao, ministre de Chine à Berlin, n’ a pas hésité dans
les mêmes circonstances à lire du chinois.
On eut pu faire la même découverte avec n’importe quelle autre langue
hiéroglyphique ; là-dessus grande joie de Needham qui convoque tout ce qui
pouvait constituer le ban et l’arrière ban scienti fique à Rome et il fait signer à
ces savants et à ces grands seigneurs, le 25 mars 1762, le procès-verbal de sa
prétendue découverte (28). Pour confirmer ses vues, Needham en appela aux
jésuites de Peking, • 19 et la réponse (29), qui lui fut faite par le P. Cibot ne fut
rien moins que favorable à ses idées (30).
Henri Cordier Histoire générale de la Chine 15
C. de Pauw.
La théorie égyptienne trouva un adversaire dans Cornelius de Pauw :
« Quant à la communication qu’on suppose avoir existé entre la
Chine & l’Egypte, on se convaincra par la lecture de cet ouvrage
que jamais supposition ne fut moins fondée. Il est étonnant
d’ailleurs qu’on ne se soit point aperçu, qu’en l’an 1122 avant
notre ère les Egyptiens se servoient déjà d’un caractère
alphabétique, composé de vingt-cinq lettres suivant Plutarque, &
seulement de vingt-deux suivant les découvertes modernes. Or
c’est une absurdité bien grande de vouloir que les Egyptiens
n’ayent point porté à la Chine leur alphabet qui était fort simple, et
de soutenir qu’ils y ont porté leurs hiéroglyphes employés
uniquement par les prêtres, & qui ne ressemblent point aux
caractères de la Chine, comme l’ont soutenu des écrivains dont
l’esprit était fécond en rêveries. On ne découvre d’ ailleurs aucun
rapport ni entre la religion de ces deux pays, ni entre les
langues (31). »
Voltaire.
Voltaire a consacré l’article IV de son Fragment sur l’Histoire Générale
(1773) à étudier Si les Egyptiens ont peuplé la Chine, et si les Chinois ont
mangé des hommes. Avec son grand bon sens, il écrivait :
« Il nous a paru, par exemple, que les Chinois ne descendent pas
plus d’une colonie d’Egypte que d’une colonie de Basse Bretagne.
Ceux qui ont prétendu que les Egyptiens avaient peuplé la Chine
ont exercé leur esprit et celui des autres. Nous avons applaudi à
leur érudition et à leurs efforts ; mais ni la figure des Chinois, ni
leurs mœurs, ni leur langage, ni leur écriture, ni leurs usages, n’ont
rien de l’antique Égypte. Ils ne connurent jamais la circoncision :
aucune des divinités égyptiennes ne parvint jusqu’à eux ; ils
ignorèrent toujours les mystères d’Isis (32). »
• 20 De nos jours, dans un plaisant paradoxe, un savant guerrier a voulu
identifier les Egyptiens préhistoriques avec les Annamites (33).
Bouteilles de porcelaine
La découverte de bouteilles de porcelaine dans des tombes égyptiennes de
Thèbes allait donner, pour peu de temps d’ailleurs, un regain de popularité à la
théorie des antiques relations de la Chine avec la terre des Pharaons.
Henri Cordier Histoire générale de la Chine 16
Wilkinson écrivait :
« Parmi les nombreuses bouteilles trouvées dans les tombes de
Thèbes, nulles n’ont excité plus de curiosité et de surprise que
celles de fabrication chinoise, portant des inscriptions dans cette
langue. La découverte accidentelle d’une seule bouteille de ce
genre passerait naturellement inaperçue, et si nous ressentions
quelque surprise qu’elle eût été déposée dans un sépulcre égyptien,
on pouvait raisonnablement conjecturer qu’un visiteur d’époque
plus récente pourrait l’avoir laissé tom ber, en recherchant
d’anciens trésors d’une plus grande valeur. Mais cette explication
cesse d’être admissible quand nous apprenons que des bouteilles
ont été découvertes dans diverses tombes thébaines (34)..... »
Samuel Birch, dans son édition de Wilkinson, avant de citer les traductions
de Medhurst et de Davis, remarque :
« Il est maintenant connu que ces bouteilles sont d’une période
relativement récente. M. Prisse a découvert, en questionnant les
Arabes du Caire faisant le commerce des antiquités, qu’ils
avouèrent que les bouteilles n’étaient jamais trouvées dans les
tombeaux ou les ruines, et que le plus grand nombre des bouteilles
provenaient de Qous, Xeft et Cosseir, entrepôts du commerce avec
l’Inde sur la Mer Rouge (35). »
Pauthier s’était montré sage dans la question des bou teilles de porcelaine ;
il le fut moins dans le travail qu’il pu blia en 1842 chez Didot et dont le titre
suffit à faire connaître l’objet : Sinico Aegyptiaca. — Essai sur la formation
similaire des écritures figuratives chinoise et égyptienne. Il n’en donna que la
première partie dans laquelle il indiquait les principes, communs suivant lui
« aux deux écritures figuratives chinoise et égyptienne, en font des
écritures d’une nature spéciale et similaire, qui ne peuvent être
soumises qu’à des lois spéciales. Ce sont ces lois, dit -il, que nous
avons esquissées précédemment. La suite de cet Essai sera
consacrée à leur démonstration »
On a vainement attendu cette démonstration.
Morton.
Dans son ouvrage Crania Egyptiaea (40), S. G. Morton déclare qu’il ne
« trouve rien comme traits mongols dans aucune tête embaumée de
sa collection, à moins qu’une res semblance générale puisse être
tracée dans un exemple unique de Thèbes. Cette observation vient
à l’appui de l’opinion du Professeur Blumenbach, qui, en
comparant les Egyptiens avec les diverses races humaines, affirme
qu’ils « diffèrent d’au cune autant que de la race mongole, à
laquelle appartiennent les Chinois (41) ».
Henri Cordier Histoire générale de la Chine 18
Morton ajoute :
« Que les Chinois aient eu des relations commerciales avec les
Egyptiens dans les temps primitifs • 23 n’est pas discutable ; car des
vases de porcelaine chinoise, avec des inscriptions dans cette
langue, ont été trouvés dans les catacombes de Thèbes (42).
Cependant dans chaque exemple où nous découvrons des Mongols
sur les monuments, ils sont représentés comme des étrangers et des
ennemis. La gravure sur bois ci-jointe, avec le nez petit et un peu
déprimé, la tête rasée, la natte de la tête, la barbe rare, la
moustache, et le teint blême, semble clairement indiquer un
homme de cette race. Elle est copiée d’un dessin dans Rosellini,
dans lequel Ramesès III est représenté combattant contre les Sheto
ou Scythes, parmi lesquels les Mongols apparaissent contre des
alliés ou des mercenaires (43). »
Morton conclut de ses recherches :
1° La Vallée du Nil, en Egypte et en Nubie, était à l’origine
peuplée par une race caucasienne ;
2° Ces peuples primitifs, appelés depuis Egyptiens, étaient les
Mizraimites de l’Ecriture, la postérité de Ham, et affiliés
directement avec la famille libyenne des nations ;
3° Dans leurs caractères physiques, les Egyptiens étaient
intermédiaires entre les races indo-européenne et sémitique... les
nègres étaient nombreux en Egypte, mais leur position sociale dans
les temps anciens était la même que maintenant, celle de serviteurs
et d’esclaves. ; les fellahs d’aujourd’hui sont les descendants en
ligne directe et les moins mélangés des anciens Egyptiens (44).
Terrien de Lacouperie.
Si quelques savants avaient constaté une similitude entre des caractères
cunéiformes et des signes chinois comme d’autres entre le s hiéroglyphes
égyptiens et ces mêmes signes, Terrien de Lacouperie est celui qui a
renouvelé et cherché à donner une base solide à la doctrine dont il a été
l’apôtre de l’origine babylonienne de la civilisation chinoise. Esprit ingénieux
et paradoxal, doué de plus d’ima gination que de science, possédant des
connaissances plus étendues que profondes, ignorant l’assyrien et ne sachant
du chinois que ce qu’il avait puisé lui -même dans des livres en Europe,
Terrien, ne tenant aucun compte de la chronologie, s’appuyant souvent sur des
textes d’origine relative ment récente, leur décernant un brevet d’une
authenticité parfois douteuse, apportant fréquemment à l’appui de ses thèses
des faits appartenant plutôt au domaine du folklore qu’à celui de l’histoire,
adaptant les événements à une théorie préconçue, Terrien a ainsi réussi à
édifier un système dont la façade peut paraître imposante mais qui s’écroule
dès qu’on y touche. Rendons -lui justice : il a eu cependant le grand mérite de
remuer beaucoup d’idées, les unes fausses, ce sont les plus nombreuses, les
autres justes ; attirant ainsi l’attention sur des problèmes dont l’étude avait été
trop négligée par les savants.
Henri Cordier Histoire générale de la Chine 22
Edouard Biot.
« D’après les données authentiques consignées dans les livres
sacrés, et dans les quatre livres classiques qui forment la base de
l’ancienne histoire chinoise, éc rit Biot, les premiers habitants de la
Chine étaient des peuples sauvages et chasseurs, au milieu
desquels s’avança, entre le XXXe et le XXVIIe siècle avant notre
ère, une colonie d’étrangers, venant du nord-ouest. Cette colonie
est généralement • 29 désignée dans les textes sous le nom de
peuple aux cheveux noirs, sans doute par opposition à la couleur
différente ou mêlée, des cheveux de la race indigène, dont
quelques débris occupent encore les montagnes centrales de la
Chine. Elle est appelée aussi les cent familles ; et ses premières
opérations présentent beaucoup d’analogie avec celles des
planteurs, qui vont défricher les forêts de l’Amérique sep -
tentrionale (60).
Henri Cordier Histoire générale de la Chine 23
C. J. Ball.
En faisant dériver certains caractères chinois des caractères babyloniens,
Terrien de Lacouperie a suscité la vocation de quelques disciples dont le plus
connu est le Rév. C. J. Ball, qui, alors chapelain de Lincoln’s Inn, pour suivait
dans les Proceedings of the Society of Biblical Archæology des études
comparées d’accadien et de chinois, à l’époque même où Terrien développait
ses théories sur l’origine chaldéenne de la civilisation du Céleste Empire.
Celui-ci a disparu, mais le Rév. C.J. Ball, aujourd’hui professeur
d’assyriologie à l’Université d’Oxford, a pré senté tout récemment le résultat
d’un grand nombre d’an nées de travail dans son volume intitulé Chinese and
Sumerian (1913). Il nous explique d’abord dans son intro duction la nature de
l’écriture sumérienne illustrée par l’analyse de cer tains caractères ; puis il
donne une liste préliminaire de mots semblables ; ensuite la classification chi-
noise des caractères écrits et les prototypes sumériens ; un essai de
vocabulaire comparé de sumérien et de chinois ; enfin une liste de signes dans
laquelle les formes anciennes (kou wén) des caractères chinois sont comparées
avec leurs prototypes sumériens. Dans cette dernière liste il est hors de • 30
doute qu’il y a une grande similitude, parfois une simili tude absolue entre les
anciens caractères chinois et l’écriture sumérienne, mais il ne s’ensuit pas
nécessairement que les uns dérivent de l’autre ; ce sont résultats d’efforts
parallèles. Le Rév. C. J. Ball nous dit dans son introduction : « Nous n’avons
aucune raison de supposer que le système primitif sumérien d’écriture a été
l’invention d’un seul esprit ou d’une seule génération » ; il n’y a pas plus de
raison de supposer que le système chinois à été l’invention du même esprit qui
a créé le système sumérien ; ils sont l’un et l’autre le fruit de recherches qui
ont pu être conduites indépendamment les unes des autres. Lorsque la Chine a
reçu sa première forme d’écriture, la Babylonie avait depuis longtemps
abandonné son écriture primitive pictographique ou hiéroglyphique ; d’autre
part, il me paraît matériellement impossible que des relations aient pu exister
entre les deux pays dans l’antiquité du monde telle que la science mo derne
nous autorise de la concevoir maintenant. Rien ne permet d’accorder à
l’Empire chinois une antiquité sem blable à celle que révèlent les monuments
de la Babylonie et de la Chaldée. Quand des fouilles systématiques auront été
entreprises en Chine, l’archéologie préhistorique nous révèlera peut-être des
relations dont l’existence ne nous est pas encore prouvée, relations qui ne
Henri Cordier Histoire générale de la Chine 24
Gobineau.
M. de Gobineau cherche aux Indes l’origine de la civilisation chinoise
dont il n’accepte pas la haute antiquité
« Rien n’infirme, tout appuie, au contraire, le témoignage des lois
de Manou, et il en résulte que la Chine, à une époque postérieure
aux premiers temps héroïques de l’Inde, a été civil isée par une
nation immigrante de la race hindoue, kschattrya, ariane, blanche,
et, par conséquent, que Pan-kou, ce premier homme que, tout
d’abord, on est surpris de voir défini en législateur par la légende
chinoise, était, ou l’un des chefs, ou le chef, ou la personnification
d’un peuple blanc venant opérer en Chine, dans le Ho Nan, les
mêmes merveilles qu’un rameau également hindou avait, • 31
antérieurement, préparées dans la vallée supérieure du Nil »
Et M. de Gobineau d’ajouter :
« Ainsi, en Chine, comme en Egypte, à l’autre extrémité du monde
asiatique, comme dans toutes les régions que nous avons déjà
parcourues jusqu’ici, voilà un rame au blanc chargé par la
Providence d’inventer une civilisation (61) ».
Le phénoménal Pan-kou, dont nous parlons plus loin, transformé en
introducteur de la civilisation en Chine ne manque pas de saveur.
Ceux qui ont fait venir les Chinois de l’ouest, leur ont fait parcourir une
longue route par l’Asie centrale avant d’atteindre le point final de leur
migration, c’est -à-dire les bords du Fleuve Jaune. Mais de nos jours des
savants (le P. Wieger, par exemple), se sont posé la question de savoir si les
Chinois, au lieu de descendre du nord au sud, ne seraient pas au contraire
remontés du midi vers le septentrion, de contrées de la presqu’île
indochinoise, vers le Kiang et la Wei. Toute discussion est possible, lorsqu’il
s’agit des th éories relatives à l’origine des Chinois, puis qu’elles ne reposent
sur rien de solide, mais à l’époque où le Céleste Empire entre dans le domaine
historique, il y avait sans aucun doute des siècles que la race chinoise était
implantée au nord du Kiang, et je ne vois pas les éléments qui pourraient
servir de base à la nouvelle théorie, qui n’est pas plus probante d’ailleurs, que
celle qui fait venir les Chinois de l’ouest, par les Tien Chan et l’Altaï. Tout ici
est supposition.
Les savants et les philosophes du XVIIIe siècle ont compris facilement
que la Chine n’avait été qu’un chaînon d’une civilisation remontant à une
antiquité plus reculée. Ils ont malheureusement voulu être trop exacts ; il
Henri Cordier Histoire générale de la Chine 25
s’agit chez eux de faire remonter la civilisation à un peuple unique, car ils
n’admettent pas que l’on puisse discuter l’unité d’origine de la race humaine ;
l’habitat de ce peuple élu est même précisé ; en Asie naturellement, mais dans
l’Asie septentrionale.
Buffon.
• 32 Buffon, dans son célèbre ouvrage Des Époques de la Nature, paru en
1778, s’écrie (62) :
« Ce n’est point en Afrique, ni dans les terres de l’Asie les plus
avancées vers le midi, que les grandes sociétés ont pu d’abord se
former ; ces contrées étaient encore brûlantes et désertes : ce n’est
point en Amérique, qui n’est évidemment, à l’exception de ses
chaînes de montagnes, qu’une terre nouvelle ; ce n’est pas même
en Europe, qui n’a reçu que fort tard les lumières de l’Orient, que
se sont établis les premiers hommes civilisés, puisqu’avant la
fondation de Rome les contrées les plus heureuses de cette partie
du monde, telles que l’Italie, la France, et l’Allemagne, n’étaient
encore peuplées que d’hommes plus qu’à demi -sauvages. Lisez
Tacite sur les mœurs des Germains ; c’est le tableau de celles des
Hurons, ou plutôt des habitudes de l’espèce humaine entière
sortant de l’état de nature. C’est donc dans les contrées
septentrionales de l’Asie que s’est élevée la tige des connaissances
de l’homme, et c’est sur ce tronc de l’arbre de la science que s’est
élevé le tronc de sa puissance : plus il a su, plus il a pu ; mais aussi
moins il a fait, moins il a su. Tout cela suppose les hommes actifs
dans un climat heureux, sous un ciel pur pour l’observer, sur une
terre féconde pour la cultiver, dans une contrée privilégiée, à l’abri
des inondations, éloignée des volcans, plus élevée et par
conséquent plus anciennement tempérée que les autres. Or toutes
ces conditions, toutes ces circonstances, se sont trouvées réunies
dans le centre du continent de l’Asie, de puis le 40e degré de
latitude jusqu’au 55 e : Les fleuves qui portent les eaux dans la mer
du Nord, dans l’Océan orien tal, dans les mers du Midi et dans la
Caspienne, partent également de cette région élevée qui fait
aujourd’hui parti e de la Sibérie méridionale et de la Tartarie. C’est
dans cette terre plus élevée, plus solide que les autres, puisqu’elle
leur sert de centre, et qu’elle est éloignée de près de cinq cents
lieues de tous les Océans ; c’est, dans cette contrée privilé giée que
s’est formé le premier peuple digne de porter ce • 33 nom, digne de
tous nos respects, comme créateur des sciences, des arts ; et de
toutes les institutions utiles.
Henri Cordier Histoire générale de la Chine 26
Bailly.
Déjà Sylvain Bailly avait en 1775 émis la théorie d’un peuple primitif :
« Quand on considère avec attention l’état de l’Astrono mie dans la
Chaldée, dans l’Inde et à la Chine, on y trouve plutôt les débris que
les élémens d’une science ; ce sont des méthodes assez exactes
pour le calcul des éclipses qui ne sont que des pratiques aveugles,
sans nulle idée des principes de ces méthodes, ni des causes des
phénomènes ; certains élémens assez bien connus, tandis que
d’autres aussi essentiels, aussi simples, sont, ou inconnus ; ou
grossièrement déterminés ; une foule d’observations qui restent,
pendant des siècles, sans usage & sans résultats. Comment conce-
voir que des peuples, inventeurs de l’Astronomie, n’aient pas su la
perfectionner dans la durée d’une longue existence. S’il est des
peuples aussi incapables de marcher que d’entrer dans la carrière
des sciences, celui qui y est entré une fois par le mouvement qu’il
s’est imprimé à lui -même, perdra-t-il ce mouvement, & peut-il
s’arrêter à jamais ? L’invention & les progrès des sciences sont de
la même nature. Ces progrès ne sont que l’invention renouvelée,
une suite de vues semblables, & peut-être d’efforts à peu près
égaux. Pourquoi donc les Indiens, mais surtout les Chinois et les
Chaldéens ont-ils fait faire si peu de pas à l’Astronomie, pendant
un si grand nombre de siècles ? C’ est que ces peuples ont été sans
génie, c’est qu’ils ont eu la même indolence pour les découvertes
que pour les conquêtes, c’est qu’ils n’ont point inventé la science.
Elle est l’ouvrage d’un peuple antérieur ; qui avait fait sans doute
en ce genre des progrès ; dont nous ignorons la plus grande partie.
Ce peuple a été détruit par une grande révolution. Quelques-unes
de ses découvertes, de ses méthodes, des périodes qu’il avait
inventées, se sont conservées. dans la mémoire des individus
dispersés. Mais elles se sont conservées par des notions vagues &
confuses, par une connoissance des usages, plutôt que des
principes. On a porté ces restes d’une science démembrée à la
Chine, aux Indes, dans la Chaldée ; • 34 on les a livrés à l’ignorance
qui n’en a pas su profiter (63).
Il répétait encore (page 62) :
« L’astronomie ancienne & orientale n’offroit que les débris des
découvertes d’un peuple antérieur aux peuples connus les plus
anciens ».
Bailly renouvelle cette déclaration dans sa première lettre à Voltaire :
« J’ai dit qu’en considérant avec atten tion l’état de l’astronomie à
la Chine, dans l’Inde, dans la Chaldée, nous y trouvons plutôt les
débris que les élémens d’une science (p. 18). »
Henri Cordier Histoire générale de la Chine 27
Insistant pour que Voltaire croie à « son ancien peuple perdu », Bailly étudie
successivement :
« les Conformités des peuples anciens dans les sciences ; que ces
conformités ne sont point le produit de la communication ; que ces
conformités ne tiennent point essentiellement à la nature, elles
naissent d’une identité d’origine entre tous les anciens peuples, &
sont les restes des institutions d’un peuple plus ancien »
Et il arrive à ces conclusions :
« Cet ancien peuple a eu des sciences perfectionnées, une phi-
losophie sublime et sage ; cet ancien peuple paraît avoir habité
dans l’Asie, vers le parallèle de 49°. I1 semble que la lu mière des
sciences et la population se soient étendues sur la terre, du nord au
midi (64). »
Bailly entrera dans un domaine de pure fantaisie en divisant l’Asie en
deux parties par une ligne tantôt naturelle, tantôt artificielle :
« Je vois donc le mur & les palissades de la Corée, la Grande
Muraille de la Chine, le rempart de Gog, les portes Caspiennes du
Caucase, ouvrages de l’art, se joindre aux montagnes escarpées,
aux fortifications de la nature pour former une vaste
circonvallation ; qui sépare le midi d’avec le nord de l’Asie. » (65)
Le philosophe de Ferney admet d’ailleurs la possibilité de l’existence de
peuples anciens civilisés antérieurs à ceux que nous connaissons :
« Il est possible, dit-il, que longtemps • 35 avant les Empires de la
Chine et des Indes, il y ait eu des nations instruites, polies et
puissantes, que des déluges de barbares auront ensuite replongées
dans le premier état d’ignorance et de grossièreté qu’on appelle
l’état de pure nature (66). »
Ainsi donc Buffon et Bailly plaçaient le berceau de la civilisation dans le
nord de l’Asie, alors plus chaude qu’elle ne l’est aujourd’hui ; cette
civilisation serait descendue du nord au sud et n’aurait pas marché de l’ouest
vers l’est, comme le marquent ceux qui font sortir l’humanité entière de
l’arche de Noé et de l’Asie a ntérieure.
Avec la vision du génie, Buffon avait deviné les transformations de notre
monde, mais il plaçait l’histoire entière de l’humanité dans la période actuelle
de l’histoire con nue de l’homme de nos jours. Il n’osait pas croire, ou plutôt,
car il aurait osé croire, il n’imaginait pas que l’hu manité avait pu passer par
d’autres phases que celles de la période actuelle. A son époque, la théorie d’un
peuple primitif adoptée également par Bailly était soutenable. Voltaire qui
rejoint Buffon par l’inter médiaire de Bailly l’admet, mais où le futur maire de
Paris gâche son système, c’est lorsqu’il cherche à l’étayer avec les mythes de
l’an cienne Grèce. Ces théories ingénieuses étaient l’œuvre d’hommes savants,
Henri Cordier Histoire générale de la Chine 28
mais dont le génie ne pouvait devancer leur siècle et pénétrer des mystères
obscurs encore aujourd’hui.
Il faut bien avouer que tous ces savants trop ingénieux (je ne parle ni de
Buffon, ni de Bailly) n’ont suivi aucune méthode rationnelle ; ils ont choisi
leurs points de comparaison au hasard des dialectes et des siècles. Pour point
de départ, ils auraient dû prendre le chinois ancien. Toutes leurs dissertations
philologiques ne sont que de la haute fantaisie et ne sauraient jeter aucun jour
sur l’origine de la langue chinoise et par suite sur cell e du peuple chinois. Il.
faut d’abord connaître la langue chinoise ancienne, par suite sa phonétique, et
dans ce but il est nécessaire d’étudier • 36 d’abord non seulement tous ses
dialectes dont la majorité nous est encore inconnue, mais aussi les langues qui
lui sont apparentées ; cette étude est à peine commencée.
« Du jour, dit B. Karlgren (67), où la linguistique aura réussi à
reconstruire avec sûreté le système phonétique de l’ancien chinois,
l’histoire et l’archéologie constateront avec reconnaissance que
d’innombrables problèmes concernant l’Asie orientale et l’Asie
centrale auront cessé d’être des problèmes. »
Dans cette immense famille de langues de l’Asie orientale, que sous le
nom de Famille Tibeto-Chinoise, Sir George A.Grierson, dans son Linguistic
Survey of India, divise en branches tibeto-birmane et sino-siamoise, cette
dernière elle-même dédoublée en groupe chinois et groupe taï, qui oserait dire
que la plus ancienne est la langue chinoise ; ces langues ou ces dialectes se
sont développés parallèlement, parfois s’en chevêtrant, descendant sans doute
d’une lointaine source commune que nous ignorons et qui a d û exister. La
langue comme l’histoire de la Chine ont bénéficié de la durée et de la stabilité
de l’Empire. Dans une autre région de l’Asie, la continuité de l’histoire du
peuple d’Israël resté monothéiste lui a donné une importance qui
appartiendrait peut-être plus légitimement à des Empires plus puissants mais
de durée plus éphémère, et cependant la connaissance des hiéroglyphes et des
cunéiformes permet aujourd’hui de rendre à l’Egypte et à l’Assyrie la place
prépondérante jadis occupée par les juifs.
Dans l’histoire de la Chine, pas trace d’une immigration venue de
l’étranger ; nous avons rejeté la théorie de Terrien de Lacouperie de l’arrivée
des Bak-Sings ; le développement de sa civilisation s’est fait sous l’idée
qu’elle était le centre de l’univer s, l’Empire du Milieu ( Tchoung kouo), bornée
par les Quatre Mers (Seu Haï), environnée de nations barbares ou moins
civilisées qu’elle, sur lesquelles elle exer çait une suzeraineté tout au moins
nominale, notion d’hé gémonie qui ne paraît pas avoir complètement disparu
de l’humanité, si nous en jugeons par les théories civilisatrices d’un peuple
moderne qui a cherché à asservir l’Europe, • 37 voire le monde, non seulement
à sa brutale domination mais aussi à sa soi-disant « kultur ».
Il ne s’ensuit pas de ce que les auteurs des théories que nous venons
d’exposer n’ont pas réussi à nous en donner des preuves suffisantes pour nous
Henri Cordier Histoire générale de la Chine 29
*
**
Henri Cordier Histoire générale de la Chine 30
CHAPITRE II.
Système bibliographique.
Dans le système bibliographique adopté par les Chinois généralement, et
en particulier dans la grande collection des ouvrages les plus estimés dans le
pays, dont l’exécution fut ordonnée en 1773 par l’empereur K’ien Loung, la
première classe est consacrée aux Livres canoniques (King), la seconde aux
Ouvrages historiques (Che). Cette classe se subdivise elle-même en :
1° Histoire des différentes dynasties, Tcheng che ;
2° Annales, Pien nien ;
3° Histoires générales ; Ki se peun mo ;
4° Histoires particulières, Pie che (Histoires séparées) ;
5° Histoires diverses Tsa che ;
6° Documents officiels, Tchaou ling tseou yi ;
7° Biographies, Tchouan Ki ;
8° Extraits historiques ; Che Tch’ao ;
9° Histoires d’États particuliers, Tsai Ki ;
10° Chronologie, Che Ling ;
11° Géographie, etc., Ti Li ;
12° Administration et gouvernement, Tche Kouan,
13° Constitution, lois, édits, etc., Tcheng chou ;
14° Bibliographie, Mou lou ;
15° Critique d’histoires ; Che Ping.
2° Tsien Han Chou, Histoire des Han antérieurs, par Pan Kou, 206 av. J.-C.,
24 ap. J.-C., 120 livres.
3° Heou Han Chou, Histoire des Han postérieurs, par Fan Ye, 26-220 ap.
J.-C., 120 livres.
4° San Kouo Tche, Histoire des Trois Royaumes ; par Tch’en Cheou, 220 -280,
65 livres.
5° Tsin Chou, Histoire des Tsin, par Fang K’iao, etc., 265 -419, 130 livres.
6° Soung Chou, Histoire des Soung, par Tch’en Yo, 4 20-478, 100 livres.
7° Nan Ts’i Chou , Histoire des Ts’i méridionaux, par Siao Tseu -hien,
479-501, 59 livres.
8° Leang Chou, Histoire des Leang, par Yao Se-lien, 502-556, 56 livres.
9° Tch’en Chou , Histoire des Tch’en, par Yao Se -lien, 556-580, 36 livres.
10° Wei Chou, Histoire des Wei, par Wei Chenu, 386-556, 114 livres.
11° Pe Ts’i Chou , Histoire des Ts’i septentrionaux, par Li Pe -yo, 550-577 ; 15
livres.
12° Heou Tcheou Chou, Histoire des Tcheou postérieurs, par Ling-hou
Te-feun, et autres, 557-581, 50 livres.
13° Souei Chou, Histoire des Souei, par Wei Tcheng, et autres, 581-617, 85
livres.
16° Kieou T’ang Cho u, les anciens livres des T’ang, par Lieou Hiu, et autres,
618-906, 214 livres.
17° Sin T’ang Chou , les nouveaux livres des T’ang, par Ngeou -yang Sieou et
Soung K’i, 618 -906, 255 livres.
18° Kieou Wou Tai Chou, Ancien livre des Cinq Dynasties, par Sie
Kiu-tcheng, 907-959, 150 livres.
19° Sin Wou Tai Chou, Livre des Cinq Dynasties, par Ngeou-yang Sieou,
907-959, 74 livres.
20° Soung Che, Histoire des Soung, par T’o t’o, 960 -1279, 496 livres.
21° Leao Che, Histoire des Leao, par T’o t’o, 916 -1125, 116 livres.
22° Kin Che, Histoire des Kin, par T’o t’o, 1115 -1234, 134 livres.
23° Youen Che, Histoire des Mongoux, par Soung Lien, et autres, 1206-1367,
210 livres.
24° Ming Che, Histoire des Ming, par Tchang T’ing -yu, 1368-1643, 332
livres.
Chou King.
Le Chou King, ou simplement le Chou, le Livre d’His toire, parfois appelé
Chang Chou, depuis les Han, est le second des Grands Livres Classiques
(King) ; il est possible, sans que la chose soit certaine, qu’il ait été écrit
d’après des documents plus anciens par Confucius auq uel on attribue parfois
sa préface. Il se serait composé de cent chapitres ou p’ien , s’étendant depuis
les empereurs Yao et Chouen • 47 jusqu’à 721 av. J. -C., règne de Ping Wang,
de la dynastie des Tcheou. La nature même de l’ouvrage le désignait tout
particulièrement aux exécuteurs des ordres de destruction, (213 av. J.-C.) de
Ts’in Che Houang Ti, au IIIe siècle avant notre ère. Lors que sous l’empereur
Hiao Wen (179-157 av. J.-C.), des Han, on chercha à reconstituer le texte des
anciens livres, grâce à un vieillard de Ts’i nan, capitale du Chan Toung,
nommé Fou Cheng, on put rétablir vingt-huit ou vingt-neuf chapitres qu’il
savait par cœur ou que, suivant Se -ma Ts’ien, il avait conservés sur des
tablettes cachées dans un mur, tablettes remises par lui à un envoyé de
l’empereur Wen (178 -156 av. J.-C.) ; cette portion du livre est connue sous le
nom de Kin wen ou texte moderne. Le livre V, T’ai Kia , des Annales des
Chang, aurait été fourni par une jeune fille du Ho nan. Un peu plus tard, à
l’aide d’un texte en caractères archaïques ( K’o teou ), retrouvé dans un mur
lors de la démolition par ordre de Koung Wang, prince de Lou, de la maison
de Confucius, K’oung Ngan kouo constata que les 29 cha pitres de Fou Cheng
en formaient en réalité 34 ; il trouva de plus 25 sections nouvelles, ayant ainsi
59 sections dont 58 étaient des chapitres des 100 chapitres de Confucius et
dont la 59e était le siao siu du Chou King, c’est -à-dire l’ensemble des résumés
préliminaires de chacune des 100 sections. K’oung ayant constitué ces
cinquante huit chapitres les présenta en 96 av. J.-C. à l’empereur.
L’authenticité de la préface et du commentaire de K’oung Ng an kouo a été
depuis considéré comme un faux par les commentateurs modernes (74). Sous
les Tsin orientaux, à l’époque de l’empereur Youen (317 -323), Mei Tsi établit
d’après Nean kouo un nouveau texte qui forme le Kou wei, ou texte ancien, en
caractères imitant la forme du tétard K’où teou tseu . Enfin sous les Soung,
Tchou Hi et son disciple Ts’ai Tch’en, en 1210, ajoutèrent de nouvelles
remarques et un commentaire. C’est non pas un ouvrage d’une parfaite unité,
conçu et écrit d’un e manière • 48 continue par un historien, mais un recueil
factice de diverses pièces présentant des anomalies. Tchou Hi puis, plus tard
Wou Tch’eng vers 1300, et d’autres, critiquèrent l’œuvre de Mei Tsi. Aucune
chronologie n’existe dans le Chou King, le début est considéré par les lettrés
comme moins certain que la suite du livre. Le Chou King comprend 25 700
caractères (75).
Che Ki.
Ce fut le grand astrologue Se-ma T’an, mort en 110 avant J. -C., à Lo
Yang, qui eut l’idée du Che Ki et commença à réunir les matériaux
Henri Cordier Histoire générale de la Chine 38
nécessaires, qu’il légua sur son lit de mort à son fils Se -ma Ts’ien qui lui
succéda dans sa charge ; celui-ci avait par des voyages acquis une grande
expérience. La date de sa naissance à Loung Men, sur la rive droite du
Houang Ho, est inconnue ; quelques-uns la placent en 163 av. J.-C. Pour avoir
défendu le général malheureux Li Ling, il fut condamné à la castration (98 av.
J.-C.). Il mourut probablement au commencement du règne de l’empereur
Tchao (86-74 av. J.-C.) Après son malheur, il avait continué d’amasser les
matériaux, à les mettre en œuvre et donna la rédaction définitive du Che Ki. Il
a évidemment possédé un grand nombre d’histoires locales dont il a fait usage
pour écrire l’histoire des principautés. « Le mérite, dit Chavannes, qu’on ne
saurait dénier à Se ma T’an et à Se -ma Ts’ien, c’est d’avoir les premiers
conçu le plan d’une histoire générale. Jusqu’à eux, on n’avait eu que des
chroniques locales (76) ». Se rua Ts’ien a su justifier l e surnom de Père de
l’Histoire comme Hérodote et son œuvre a servi de modèle à celle de ses
successeurs.
Les « Mémoires Historiques » (Che Ki) s’étendent depuis Houang Ti,
Tchouen Hiu, K’ou, Yao et Chouen jusqu’à 122 avant notre ère. Ils
comprennent 130 chapitres divisés en cinq sections :
I. Annales principales (Ti Ki), 12 chapitres, depuis les Cinq Empereurs
jusqu’à l’empereur Hiao Wou ;
II. Tableaux chronologiques (Nien piaou), 10 chapitres ;
III. Les Huit Traités (Pa chou), 8 chapitres (rites, musique, harmonie,
calendrier, astrologie, sacrifices foung • 49 et chan, le fleuve et les canaux,
poids et mesures) ;
IV. Les Maisons héréditaires (Che Kiao), 30 chapitres ;
V. Monographies (Li tchouen), 70 chapitres.
On voit quelle partie importante de l’histoire de la Chine embrasse
l’ouvrage de Se -ma Ts’ien. Elle couvre une période de près de trois mille
années qui remonte au delà des temps historiques, au delà même de la
première des dynasties, la dynastie Hia, pour continuer sous les Chang, les
Tcheou, les Ts’in, et se ter miner sous les Han. Sous la dynastie des T’ang, Se -
ma Tcheng écrivit les Annales des Trois Souverains (P’ao Hi, Niu Koua, Chen
Noung Ou Yen Ti) que l’on place en tête des Che Ki.
Tch’ouen Ts’ieou.
Le Tch’ouen Ts’ieou , « Le Printemps et l’Automne » est le seul des
ouvrages canoniques écrit par Confucius lui-même vers 480 avant notre ère ;
il comprend les Annales du royaume de Lou (douze princes), sa patrie, depuis
721 jusqu’à 481 av. J. -C.
« Cet ouvrage, dit Gaubil, Chronologie, p. 49, est une critique du
mauvais gouvernement et de la corruption des mœurs. Sa vue était
de montrer que cela venait d’avoir abandonné l’ancienne doctrine
et le gouvernement établi par les anciens sages. C’est pour cela
qu’il rapporte grand nombre de princes tués par leurs sujets, et les
malheurs de tant de guerres qui désolaient l’Empire, et
introduisaient toute sorte de désordres que ce philosophe indique
sans fard avec beaucoup de précision ».
On doit ajouter à ce livre assez maigre les trois Commentaires suivants
classés parmi les ouvrages canoniques de second ordre : le Tso Tchouen,
amplification par Tso Kieou ming, disciple du Sage, qui jette des lumières sur
le texte ; le Commentaire écrit, au début de la dynastie des Han, par Koung
Yang Kao ; celui composé au milieu du premier siècle de notre ère par Kou
Liang Tche, peut-être disciples de Tseu Hia ; ces deux derniers commentaires,
sont une exposition de principes ; les trois sont désignés sous l’appel lation :
collection de Nei Tchouen, Histoire intérieure, pour les distinguer du Kouo
Yu ; également de Tso Kieou ming, qu’on nomme Wai Tchouen, Histoire
extérieure.
Meng Tseu écrit (Livre III, ch. II, pp. 452-3) :
« Le Tch’ouen Ts’ieou rapporte les actions des empereurs, (loue les
bonnes, blâme les mauvaises, et enseigne les devoirs d’un souve -
rain). Confucius disait à ce sujet : « Ceux qui me connaissent,
Henri Cordier Histoire générale de la Chine 40
« Il est de l’origine des peuples comme des généalo gies des particuliers :
on ne peut souffrir des commencemens bas et obscurs. Ceux-ci vont à la
Chimère ; ceux-là donnent dans les Fables (81) ». Les Chinois n’ont pas
échappé à la règle commune.
Il ne faut aborder le récit, entouré de légendes, des débuts de la nation
chinoise qu’avec beaucoup de scepticisme et le considérer comme relevant du
folklore et non de l’his toire.
D’après les légendes taoïstes, du premier homme P’an Kou ou Hou T ouen
(Chaos) jusqu’à 479 av. J. -C., on compte une période de 276 000 années, que
certains ont porté à 2 276 000, 27 598 600, 3 276 000 et même 96 961 740
années (82). Au Tao, qui sur la fin des Tcheou, et au commencement des Han,
était le principe créateur du Ciel et de la Terre, sous les Han orientaux, on
substitua P’an Kou. Selon le livre Yi-Ki, c’est celui -ci qui est le Père de l’Uni -
vers. « Il sortit du chaos comme il put : après sa mort, sa tête se changea en
montagne, ses yeux devinrent le soleil et la lune, ses veines des fleuves et des
rivières, ses cheveux des arbres, les poils de son corps des plantes, etc. Le
grand embarras des écrivains est de dire de quelle veine où de quelle artère en
particulier sortit le Fleuve Jaune, le Kiang.
• 53 Selon le Li Ki, ou Histoire des Calendriers, P’an Kou fut longtemps
enfermé dans le chaos, qui avait la forme d’un œuf : le chaos se développa en
18 000 ans : le Ciel s’élevait chaque jour de dix pieds ; la Terre s’épaississait
d’autant, et P’an Kou gr andissait avec la même proportion, pour être « l’Esprit
du Ciel et le Saint de la Terre (83) ». P’an Kou est représenté armé d’une
hache et d’un ciseau, sculptant le monde au -dessus de lui. La légende de P’an
Kou n’est pas chinoi se ; elle fut introduite par des ambassadeurs venus du
Siam ou de la Malaisie au VIe siècle après J.-C. (84).
Au premier homme ont succédé les San Houang (Trois Souverains) : les
Souverains du Ciel, Tien Houang comptèrent treize (85) représentants, qui
régnèrent chacun 18 000 années par la vertu de l’élément bois : Gaubil,
Chronologie, p. 1, en fait treize frères qui eurent le titre d’Esprit du Ciel. Les
Souverains de la Terre, Ti Houang, eurent onze représentants, onze frères, dit
Henri Cordier Histoire générale de la Chine 42
Gaubil, qui furent les Esprits de la Terre, qui régnèrent chacun 18 000 années
par la vertu de l’élément feu. Les Souverains Hommes, Jen Houang,
comprennent neuf frères qui régnèrent pendant 150 générations, soit 45 600
années. « L’Empire fut divisé en neuf parties, et chacun gouvernait dans une
des neuf parties. L’abondance régnait partout ; et il n’y avait nul
désordre (86) ». L’abrégé de l’histoire utilisé par le P. Gaubil dit que depuis le
commencement des Tien Houang jusqu’à la première année de Houng Wou,
le fondateur de la dynastie des Ming (1368 ap. J.-C.), on compte 86 496
ans (87).
Se-ma Tcheng dans ses Annales des Trois Souverains, d’après un
appendice du Tch’ouen Ts’ieou , divise la période • 54 depuis la séparation du
Ciel et de la Terre, commence ment du monde, jusqu’à la capture de l’animal
fantastique Lin, à l’époque de Confucius, qui comprend 3 276 000 années —
on a vu que le T’oung Kien Kang, gnou en compte 2 276 000 seulement en
dix périodes ou Ki, refermant les années de 70 600 générations.
Le premier Ki est celui des Neuf Têtes (Kiou t’eou ), ou des Neuf
Souverains (Kiou ouang) ; par conséquent des Jen Houang déjà mentionnés.
La seconde période est celle des Cinq Dragons (Wou Loung) ; après les Cinq
Dragons, Se-ma Tcheng cite Souei Jen, Ta T’ing, Po Houang, Tchoung Yang,
Kiouen Siu, Li Lou, Li Lien, Ho Siu, Ts’ouen Lou, Houen Touen, Hao Ying,
Yeou Tch’ao, Tchou Siang, Ko T’ien, Yin K’ang, Wou Houai, que dans un
autre système nous verrons placés entre Fou Hi et Chen Noung. L’abrégé
d’histoire utilisé par le P. Gaubil ne cite après les Jen Houang que Yeou
Tch’ao et Souei Jen dont on ne dit pas la durée des règnes. Yeou Tch’ao
« apprit aux Chinois la manière de construire des cabanes pour se mettre à
couvert des bêtes féroces. Avant le temps de ce prince, on habitait dans des
cavernes. Du temps de Yeou Tch’ao, on buvait le Sang des animaux ; la chair
crue, les herbes, feuilles et fruits sauvages, étaient la nourriture ordinaire.
Après Yeou Tch’ao les peuples furent gouver nés par Souei Jen. Il apprit aux
hommes l’usage du feu, et la manière de cuire les viandes pour se nourrir. Il
apprit aussi à faire le commerce ; il établit des écoles pour enseigner les
principes de la religion. Il aimait à contempler les astres et à examiner les
propriétés du bois, des métaux, de la terre, du feu, de l’eau. Il enseigna l’usage
des nœuds de cordelettes, pour marquer et se ressouvenir des choses
nécessaires (88). Le troisième Ki est la période Che t’i , avec 59 générations ; le
quatrième, la période Ho-Ngo, avec trois générations ; le cinquième, la
période Lien T’oung, avec six générations ; le sixième, la période Siu Ming,
quatre générations ; le septième, la période Sieou Fei, avec vingt-deux
souverains ; le huitième, la période Houei T’i, avec • 55 treize souverains ; le
neuvième, la période Chan T’oung. Le dixième et dernier Ki la période Lieou
Ki qui correspondrait à Houang Ti (89).
Dans le T’oung Kien Kang mou , les San Houang sont indiqués dans
l’ordre suivant : Fou Hi, Chen Noung, et Houang Ti. Se-ma Tcheng les range
ainsi : Pa’o Hi ou Fou Hi, Niu Koua et Chen Noung : Je reviendrai plus loin
Henri Cordier Histoire générale de la Chine 43
sur Fou Hi et Chen Noung ; je dirai d’abord quelques mots sur Niu Koua qui
avait un corps de serpent et une tête d’homme ; il appartenait au clan Foung et
ne changea, ni n’inventa rien. Il est signalé pour la première fois par Li Tseu,
le philosophe taoïste au IVe siècle av. J.-C., qui raconte qu’il répara le Ciel
avec des pierres et qu’il coupa les pieds de la Tortue pour établ ir les quatre
extrémités du monde : Au second siècle av. J.-C., Houai nan Tseu en parle
également (90). D’autres fables taoïstes font une femme de Niu Koua : « Niu
Koua, sœur, fille et femme de Fou Hi, avait aussi un corps de ser pent, avec
une tête humaine. Le Li Ki dit qu’elle changeait 70 fois de figure par jour :
Kou Koung, mauvais esprit, outré d’avoir été vaincu dans une guerre qu’il
avait suscitée, donna un coup de tête contre une des colonnes du Ciel et la
brisa. La voûte céleste vint toucher la terre de ce coté ; mais, dit le Wai Ki,
Niu Koua, ayant pétri et purifié une pierre de cinq couleurs, elle ressouda la
voûte céleste et la releva avec les pattes d’une tortue qu’elle coupa : puis elle
tua le dragon noir et boucha avec des cendres d’écorce de citrouille, les trous
par où les eaux du ciel inondaient la terre. Sa voix était si agréable, que ses
chants faisaient danser tous les astres (91).
« Il peut se faire, dit le P. Gaubil, dans sa Chronologie, p. 7, que
Nu oua désigne la tradition ancienne sur Eve. Nu, femme ; oua
serait Eva ou Ghe-oua ; mais je ne veux pas m’arrêter à ces sortes
de conjectures.
Il a raison de ne pas s’y arrêter.
Après les San Houang, le T’oung Kien Kang mou • 56 indique les Cinq
Empereurs, Wou Ti ; en réalité il en marque six : Chao hao, Tchouen Hiu, Ti
Ko, Ti Tche, Yao et Chouen. Se-ma Ts’ien qui écarte Chao Hao, commence
ses Mémoires Historiques avec Houang Ti, le premier des Cinq Empereurs,
suivi de Tchouen Hiu, K’ou, T che, Yao et Chouen qui régnaient en vertu des
éléments terre, bois, métal, feu et eau. Enfin dans d’autres systèmes chrono -
logiques, les Cinq Empereurs sont Fou Hi, Chen Noung, Houang Ti, Chao
Hao et Tchouen Hiu.
« Malgré le caractère légendaire de ces personnages les Lettrés
chinois n’ont jamais regardé comme fabu leux les règnes de Fou Hi,
de Houang Ti et de ses successeurs jusqu’à Yao. Aucun d’eux , je
dis aucun, c’est -à-dire pas un seul, n’a jamais douté que Fou Hi ne
soit le Fondateur et Houang Ti le Législateur, de la Monarchie chi-
noise (92).
Ceci est du P. Amiot, en revanche son confrère, le P. Cibot nous dit :
« A en juger par ce qu’on sait d’authen tique sur Yao, Chouen et
Yu, l’origine de la Nation chi noise ne peut remonter que d’une ou
deux générations au delà d’Yao (93) ».
Nous sommes loin de l’opinion de Voltaire (94) :
Henri Cordier Histoire générale de la Chine 44
*
**
Henri Cordier Histoire générale de la Chine 45
CHAPITRE III
Fou Hi.
• 57 Fou Hi, né à Tch’eng K i (Kan Sou), près des sources de la Wei,
appartenait au clan Foung ; l’abrégé d’his toire de Gaubil le fait naître dans le
Chan Si, nous dit que sa Cour était dans le Ho Nan et que sa mère s’appe lait
Houa Su ; il avait le corps d’un serpent et la tête d’u n homme ; il succéda à
Souei Jen qui apprit aux hommes à connaître le Ciel (T’ien ). Il fut nommé Fou
Hi parce que le premier il tressa des filets pour la chasse et la pêche, et P’ao
Hi parce qu’il se livra à l’élevage des animaux domes tiques pour la cuisine. Il
régna par la vertu du bois. Certains auteurs « admettent que les éléments se
succèdent en se produisant l’un l’autre : le bois produit le feu, qui produit la
terre, qui produit le métal, qui produit l’eau, et celle ci à son tour produit le
bois (95) ». Ces éléments correspondent aux couleurs : vert, rouge, jaune, bleu,
noir. Ce fut lui qui régla le mariage de l’homme et de la femme et il divisa le
pays en cent familles. On retrouve ce nom de « cent familles » dans le petit
ouvrage bien connu intitulé : Pe Kia Sing : il ne faut pas prendre ce titre dans
un sens littéral ; il est une désignation collective et comprend en réalité 454
sing ou noms de familles. Il a pour auteur l’un des commentateurs du San
Tséu King, le livre des Trois Caractères, Wang Tsin-ching.
« Dans les temps avant Fou Hi, on habitait dans des cavernes et des
déserts ; ensuite, pour se mettre à couvert des pluies et des vents,
des gens d’une grande sagesse firent bâtir des maisons et des
palais. Dans ces mêmes temps si anciens, on mettait les corps
morts dans des fagots épais d’herbes, pour les ensevelir dans des
lieux déserts et écartés, • 58 sans faire des tombeaux, sans planter
des arbres et sans déterminer le temps du deuil. Confucius dit
qu’ensuite les gens sages firent bâtir des bières et cercueils (96) ».
Fou Hi remplaça par des tablettes sur lesquelles on écrivait, les cordes
nouées en usage jusqu’à lui ; inventées suivant les uns par Souei Jen, suivant
les autres par Chen Noung ; elles sont encore en usage au Tibet et chez
certaines tribus non chinoises de l’Empire tels les Miao Tseu du Kouei
Tcheou ; on sait que les anciens Péruviens se servaient également de ficelles
nouées appelées quipus pour établir leurs comptes ; chaque nœud représentait
un nombre et chaque ficelle un objet différent (97). Une des figures des
sépultures de la famille Wou, au Chan Toung, est accompagnée de
l’inscription suivante :
« Fou Hi Ts’ang -tsing [Efficace de la végétation] fit le premier le
métier de souverain ; il traça les trigrammes et noua des cordes de
Henri Cordier Histoire générale de la Chine 46
Pa Koua.
Fou Hi défricha les terres et étendit ses possessions par la découverte du
Ho Nan et du Chan Toung jusqu’à la mer Orientale. Il inventa le cycle de
soixante ans et fabriqua un luth à trente cinq cordes. Il a surtout attaché son
nom aux huit trigrammes (Pa Koua) « grâce auxquels il pénétra l’efficace des
esprits divins et grâce auxquels il sépara par classes les natures des
êtres. (99) » L’idée des Koua fut donnée à Fou Hi par le dessin Hô t’ou qui lui
apparut sur le dos d’un cheval dragon sorti du Fleuve Jaune. Le système des
Koua est l’objet du premier des Livres Classiques, le Yi King ou Livre des
Changements dont les théories ont subi avec le temps de profondes
transformations. Peut-être est-il utile de retracer ici ce système.
Au XVIIIe siècle, les Jésuites de Pe King ont clairement formulé les idées
des novateurs :
« En voulant éclaircir ce que les Anciens, sur la tradition de leurs
Ancêtres, avoient dit allégoriquement, ces • 59 Philosophes
orgueilleux [les philosophes modernes] ont tout embrouillé, tout
défiguré, tout changé. Les Anciens avoient dit qu’il y avait un Tay
Ki ou grand Principe, un Chang Ti ou Seigneur Suprême, un T’ien
ou Ciel supérieur, qui, par la vertu de son Ki ou de son souffle tout
puissant, avoit formé les San Tsai ou les trois agents généraux ou
puissances productrices subordonnées, qui sont le Ciel, la Terre et
l’Homme ; et par ces San Tsai, ils entendoient tout ce qui est
purement intellectuel, comme tout ce qui tombe sous les sens ;
toute puissance qui peut être ou qui est actuellement réduite en
acte. Ils rangeoient sous le premier Tsai, qui est le Ciel, tout ce qui
est l’objet de la Métaphy sique et de la Physique céleste, et ils
s’étendoient en par ticulier sur ce qui concerne l’Astronomie...
» L’eau, le feu, les métaux, les vents, le tonnerre, la pluie, la
géographie, et toutes les productions naturelles, tant en général
qu’en particulier, faisaient l’objet du second Tsai, qui est la Terre.
« Pour ce qui est du troisième Tsai, qui est l’Homme, ils le
regardoient comme le seul être visible qui fût doué d’intelligence,
qui fût en état de pouvoir produire des actes dignes d’éloge ou de
blâme, de récompense ou de châtiment, suivant qu’il cultivoit la
vertu, ou qu’il s’abandonnoit au vice. Ils étoient persuadés outre
cela, & ils ne cessoient de le dire, que l’ homme étoit récompensé
ou puni non seulement pendant cette vie, mais même après sa
mort : & ce fut pour l’engager à mériter l’un & à éviter l’autr e,
qu’ils s’appliquèrent surtout à développer les principes de la
Henri Cordier Histoire générale de la Chine 47
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Niu Koua.
Dans l’abrégé du P. Gaubil, Niu Koua gouverna • 65 l’Empire après son
frère Fou Hi, à partir de 3335 av. J.-C. :
« Koung-Koung, mauvais prince, causa du désordre. Il fut cause
d’un déluge qui faillit perdre l’Empire. Niu Koua remédia aux
maux du déluge et fit mourir Koung-Koung. Cette princesse régna
130 ans. Elle avait fort aidé son frère dans le gouvernement (110) ».
Suivant la légende, Niu Koua ou Niu wa, fille de Tchou Ying, était la sœur
de Fou Hi, et naquit trois mois après lui ;
« elle avait une longue tête surmontée de deux cornes charnues,
son corps ressemblait à un escargot ; de la vint l’idée de lui donner
ce nom de Niu wa ; fille escargot. On l’appela encore Pao Wa et
Niu Hi. Cette famille habitait alors Tch’eng Ki, et Niu Wa allait
sur la montagne couper du bois de chauffage ».
Ayant suivi son frère Fou Hi devenu empereur elle lui fit remarquer
« que les jeunes gens des deux sexes vivaient ensemble au grand
détriment des bonnes mœurs, et sans règles précises ; elle lui
conseilla de défendre le mariage entre personnes d’une même
famille ; de fixer les lois du mariage, d’abord les fiançailles par
entremetteurs, les présents, puis la cérémonie du mariage, enfin
d’interdire toute relation coupable avant le mariage. Fou Hi donna
des ordres pour faire exécuter ces sages règlements, et fit appeler
Niu Wa : l’esprit entremet teuse. Dans la suite elle fut honorée sous
les noms de Kao Mei et de Niu Mei ».
Elle aurait régné à la mort de son frère sous le nom de Niu Houang, et
vécu jusqu’à l’âge de 143 ans ; ce fut elle qui boucha la fissure de la voûte
céleste qui existait au-dessus du Pou Tcheou Chan, et d’où s’échappaient le
vent et les pluies (111).
Henri Cordier Histoire générale de la Chine 51
Chen Noung.
Chen Noung, le « Laboureur » ou « l’Agriculteur divin », le premier
Patron de l’agriculture, avait le corps et la tête d’un bœuf ; né dans la vallée
du Han, près du confluent de ce fleuve avec le Kiang, il appartenait au clan
Kiang ; il fut appelé Yen Ti, « l’empereur fumée » parce qu’il régnait en vertu
de l’élément feu. En cette qualité il devait brûler les insectes nuisibles. Le Che
King (Siao Ia, Liv. VI, VIII, Ta T’ien ) dit :
« Il faut exterminer ces insectes qui rongent, soit les feuilles, soit
les racines, soit les nœuds des plantes, afin qu’ils ne nuisent pas à
nos jeunes moissons. Le Père de l’Agriculture [Chen Noung] est un
esprit très puissant ; qu’il prenne ces insectes et les livre aux
flammes. »
Ce fut lui qui inventa la charrue et découvrit les vertus des plantes
médicinales dont il composa un herbier. Avant lui, les Chinois qui ignoraient
le labourage se nourrissaient de chair, de fruits et d’herbes. Tous les ans à la
onzième lune, accompagné de son peuple, il offrait un sacrifice aux Esprits du
Sol et des Semences ; son fils Tchou qui l’aida dans ses travaux mérita d’être
appelé le Patron des Moissons. Chen Noung enseigna aux hommes de tenir le
marché au milieu du jour ; des huit trigrammes il fit 64 hexagrammes ; il est
vrai que cette multiplication des Koua est attribuée ainsi que le remarque M.
Chavannes, au roi Wen, de la dynastie des Tcheou (113). Chen Noung inventa
aussi le luth à cinq cordes. Sa capitale était à Tch’en (Tch’en Tcheou, Ho
Nan), sur les bords de la rivière T’sai ; il la transféra à K’iu Feou (Chan
Toung). Battu par Hien Youen (Houang Ti) qui le remplaça, Chen Noung
mourut après un règne de 120 ans (114) et fut enterré à Tch’ang Cha (Hou
Nan).
Se-ma Tcheng dit : « Chen Noung prit une fille de la famille Pen Chouei,
qui s’appelait T’ing Pa et en fit sa • 67 femme : Il en eut un fils, qui fut
l’empereur Ngai ; Ngai engendra l’empereur K’o ; K’o engendra l’empereur
Yu-Wang. En tout il se passa huit générations et 530 années, et alors Hien
Youen [Houang Ti] arriva au pouvoir (115). Jadis Terrien de Lacouperie (116)
et W. St Chad Boscawen (117) ont rapproché le mythe de Sargon de celui de
Henri Cordier Histoire générale de la Chine 52
Houang Ti.
Houang Ti, l’ Empereur Jaune, ainsi nommé à cause de l’élément Terre
par lequel il régnait, est aussi appelé Houng Ti et Yeou Hioung-Che ; fils de
Chao Tien, son nom de famille était Koung Souen, son nom personnel Hien
Youen. Enfant prodige, dès son enfance il sut parler. Grâce à l’emploi
d’animaux féroces qu’il avait su dresser, il vainquit les troupes de Ch en
Noung auquel il succéda.
Le premier acte de son règne fut la répression de la rébellion de Tch’e
Yeou ; celui-ci battu près de Tchouo-Lou (au sud de Pao Ngan, Siouen Houa
fou, Tche Li), fut décapité par ordre de l’Empereur. Plus tard, il repoussa les
Hiun Yu ou Joung des Montagnes, qui, sous les Hia, furent connus sous le
nom de Choun Wei, sous les Tcheou, • 68 sous celui de Hien Yun et que nous
retrouverons plus tard sous les Han avec le nom de Hioung Nou. Se-ma Ts’ien
qui commence son Che Ki par Houang Ti ne nous signale pas les arts inventés
par ce prince, ni les nombreuses réformes qui lui sont attribuées ; en revanche
le T’oung Kien Kang mou les énumère : L’empereur établit un bureau
d’historiens qu’il répartit en historiens de la gauche et en histor iens de la
droite ; il ordonna à Tsang Kié de travailler à la composition des caractères ;
on en forma ainsi 540 appelés plus tard, Niao tsi wen ; caractères des vestiges
d’oiseaux, ou encore K’o teou wen ou caractères de K’o teou (tétard). Houang
Ti inventa la fabrication des briques avec lesquelles il fit élever un temple à
Chang Ti, l’Être Suprême, dont les sacrifices avaient lieu jusqu’alors en plein
air ; ces briques servirent également à construire les premières maisons. Il jeta
aussi les premiers ponts sur les rivières ; il inventa les charrettes qu’il fit
traîner par des bœufs, des barques pour voyager par eau, l’arc, les flèches, le
sabre, les piques et autres armes ; un instrument de musique composé de
douze petits tuyaux de bambou qui lui servirent aussi pour fixer une base aux
poids et mesures ; en outre il fit fondre douze cloches dont les sons
s’accordaient avec les douze petits tuyaux. La découverte d’une riche mine de
cuivre dans la montagne Chiou Chan dans le territoire où se trouve
Henri Cordier Histoire générale de la Chine 53
aujourd’hui Siang Tch’eng hien, dans le Ho Nan permit d’établir une fonderie.
D’autre part Houang Ti avait fait construire un observatoire où le calendrier
alors fort défectueux fut rectifié. Ce fut son ministre Ta Nao qui par son ordre
établit le cycle sexagénaire ; Houang Ti ayant commencé de régner en 2697,
la 61e année de son règne fut prise pour le premier signe cyclique ; c’est
également sous cet empereur, vers 2637, que commença la coutume d’ajouter
à l’année un mois interca laire appelé Jen yué suivant le nombre de jours
restant après le solstice d’hiver à la fin du mois de l’année précédente ; en
sorte qu’une année civile ordinaire comprend 354 ou 355 jours et avec le mois
intercalaire pas moins de 383 et pas plus de 385 jours ; l’année légale est de
360 jours. Le • 69 commencement de l’année variait suivant les Empereurs
sous Houang Ti, elle commença au 3e mois ; sous les Chang avec le 2e ; sous
les Tcheou avec le 1er ; sous T’sin Che Houang Ti avec le 12 e.
Le Tchou chou Ki nien nous apprend que Houang Ti régla le premier la
forme du bonnet et des vêtements impériaux qui, courts jusqu’alors, devinrent
longs. Dans la 50e année de son règne parut l’oiseau foung (Le foung houang
et Phénix chinois).
« L’Empire, sous le règne de Houang Ti, nous dit le T’oung Kie n
Kang mou (I, p. 21-22), s’étendoit au nord jusqu’à la montagne
Tsiang chan, qui est dans le territoire qu’on appelle aujourd’hui
Ngan Sou hien, dépendant de Pao Ting fou de la province de Pe
Tche li ; au sud, jusqu’au grand fleuve Kiang ; à l’est jusqu’à la
mer, et à l’ouest jusqu’à la montagne Koung Toung Chan, qui est
dans le territoire où est aujourd’hui la ville de Sou Tcheou, dans la
partie la plus occidentale de la province de Chen Si. Jusqu’alors le
peuple s’était dispersé çà et là, sans ordre, se plaçant où il jugeait à
propos, sans se fixer dans aucun canton. Houang Ti voulut former
des villages, des villes & des provinces : Il ordonna que tous ses
peuples seroient rangés sous différentes classes, dont seroient
composées les provinces ; ces classes, au nombre de six, étoient :
le Lin qui devait être, composé de huit familles ; le Pong de 20, le
Li de 72, le Y de 360, le Tou de 3 600 et le Sse de 36 000 ; l’Empire
étant ensuite divisé en tcheou ou en provinces, chaque province
devait être composée de 360 000 familles. Houang Ti établit
partout des officiers pour veiller sur la conduite du peuple, et ces
officiers étoient subordonnés les uns aux autres ; savoir, ceux des
Lin à ceux des Pong ; ceux-ci à ceux des Li, & ainsi des autres, jus-
qu’à ceux des tcheou, ou gouverneurs des provinces, qui ne
devoient rendre compte de leur administration qu’à la Cour ».
Houang Ti mit aussi de l’ordre dans son armée en employant le premier
des étendards ; il était bienveillant pour son peuple, mais impitoyable pour les
rebelles, ainsi qu’il le montra à l’égard de Tch’e Yeou. Sa femme • 70 Lei
Tsou, originaire de Si Ling (Si Ling che) fut sa digne compagne : c’est à elle
qu’on attribue l’élevage des vers à soie et le tissage de la soie ; elle fut la mère
Henri Cordier Histoire générale de la Chine 54
Chao Hao.
Chao Hao (Eclat secondaire), fils de Houang Ti, fut un monarque bon,
doux, indolent ; il ne sut pas même réprimer une hérésie contraire au culte de
Chang Ti ; son nom est attaché à la manière dont les différents degrés du
mandarinat seraient distingués par les broderies pectorales : les fonctionnaires
civils par des oiseaux, les fonctionnaires militaires par des quadrupèdes ;
aujourd’hui encore les neuf degrés du mandarinat se reconnaissent pour les
civils par la grue pour le degré le plus élevé, puis le faisan doré, le paon, l’oie
sauvage, le faisan argenté, le héron, le canard mandarin, la caille et le geai à
longue queue ; pour les militaires, la licorne, le lion, le léopard, le tigre, l’ours
noir, le chat-tigre, l’ours tacheté, le phoque, le rhinocéros. Pendant son règne
de quatre-vingt quatre ans, Chao Hao fit observer la paix et loin de lui en faire
un mérite, on lui a reproché d’avoir régné sans gloire. Il mourut en 2515 à
K’iu Feou, où résidait sa cour transférée de Tchouo Lou.
• 72 Le Tchou Chou Ki nien mentionne simplement son nom entre Houang
ti et Tchouen Hiu mais ne donne aucune particularité de son règne.
Tchouen Hiu.
Tchouen Hiu, élu à la place de Chao Hao, était le petit-fils de Houang Ti ;
ce souverain, de sa première femme Lei tsou, eut trois fils : Hiouen Hiao ou
Ts’ing Yang, Tch’ang Yi et Loung Miao. Tch’ang yi épousa Tch’ang pou qui
fut mère de Kao Yang (Tchouen Hiu). Tchouen Hiu régnait en vertu de
l’élément bois, le deuxième des cinq éléments ; il transféra sa capitale à Kao
yang (dans la préf. de K’ai foung, dans le Ho Nan) ; il créa un corps des
savants les plus éminents qui furent chargés d’établir les règles de
l’astronomie ; l’empereur lui -même décida qu’à l’avenir, l’année
commencerait à la lune la plus proche du premier jour du printemps. Ses
possessions s’étendaient au nord jusqu’à Yeou Ling, au S. E. du Pe King
actuel ; au sud elles étaient limitrophes du Kiao tche (Tong King), à l’est, elles
Henri Cordier Histoire générale de la Chine 55
Ti Ko ou K’ou.
Ti Ko régnait en vertu de l’élément métal : son nom personnel était
Tsoun ; il créa les premières écoles publiques ; âgé de cent cinq ans ; il mourut
après un règne de 70 ans (123) et fut enterré à Touen K’ieou, au sud -ouest de la
préf. de Ts’ing foung, préf. de Ta Ming, dans le Tche Li. Il fut marié quatre
fois : à Kiang Youen ; de la famille des princes de T’ai, à K’ing Tou, de la
famille Tch’en Foung, à Kien Ti, de la famille des princes de Soung, qui
restèrent stériles ; il épousa alors Tch’ang Yi, de la famille de Tsiu Tseu qui
lui donna Tche, son successeur.
Dans le chapitre CXVI du Heou Han Chou (124), il est raconté que
l’empereur Kao Sin (K’ou), défait par les Barbares Joung promit
une récompense considérable et la main de sa fille à celui qui lui
apporterait la tête du général Wou qui commandait ses ennemis.
Cette tête fut rapportée par un chien ayant des poils de cinq
couleurs nommé P’an Hou qui emporta sa fiancée dans les mon -
Henri Cordier Histoire générale de la Chine 56
Ti Tche.
Tche, le fils aîné de Ti Ko, succéda à son père, mais il se montra violent,
méchant et paresseux, se livra aux plaisirs, et au bout de neuf ans de règne fut
remplacé par son frère Yao (Fang Hiun) âgé de seize ans. Le Tchou Chou Ki
nien l’appelle Chao Hao et le place entre Houang Ti et Tchouen Hiu.
Il faut se représenter ces scènes de la légende chinoise sur un théâtre
relativement restreint :
« C’est sur les bords de la rivière Wei, puis, dans la province du
Tche Li, jusqu’à Siouen Houa Fou au nord, et, dans la partie
septentrionale du Ho Nan jusqu’à K’ai Foung Fou que sont
localisées les plus anciennes légendes de Houang Ti, de Yao et de
Chouen (127) ».
• Toutes ces légendes de l’antiquité chinoise ne sont pas plus ridicules
75
que celles qui entourent le berceau de nos peuples : Geoffroy de Monmouth
ne nous raconte-t-il pas qu’en 1108 av. J. -C., Brutus, descendant d’Enée, fils
de Vénus, vint en Angleterre avec ses compagnons, après la chute de Troie, et
Henri Cordier Histoire générale de la Chine 57
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**
1Histoire de Berry. par Jean Chaumeau, seigneur de Lassay, advocat au siège présidial de
Bourges. Lyon, 1566, in-fol., p. 1, 281.
Henri Cordier Histoire générale de la Chine 58
Henri Cordier Histoire générale de la Chine 59
CHAPITRE IV
Yao et Chouen.
Plante du Calendrier.
Le T’oung kien kang mou (131) nous apprend que
« vers le même temps (2353), on vit dans les cours du palais une
plante fort singulière : elle ne s’élevoit pas fort haut, & n’avoit rien
d’agréable à l’œil ; elle n’étoit composée que d’un petit jet qui ne
portoit jamais que quinze feuilles, ces feuilles croissoient toutes
successivement dans l’espace de quinze jours, & se flétrissoient de
même les unes après les autres dans l’espace de quinze autres
jours : la première feuille ne sortoit jamais que le premier jour de la
lune, la deuxième, le 2 ; la troisième, le 3 ; et ainsi de suite
jusqu’au quinzième de la lune : après quoi, le seizième • 77 jour, la
première feuille qui avoit paru se flétrissoit, et tomboit à terre ; la
deuxième faisoit de même le 17e ; la troisième, le 18 et ainsi de
suite jusqu’à la dernière qui se séchoit pa reillement, mais ne
Henri Cordier Histoire générale de la Chine 60
Le Déluge.
La soixante et unième année (2297) de Yao, une terrible catastrophe
frappa l’Empire : une grande inondation causée par le débordement des eaux
du Houang Ho qui se réunirent à celles du Houai et du Kiang et dévastèrent le
pays. « Au temps de Yao, dit Mencius (132), les conditions du sol étaient
encore peu favorables. Les eaux s’étaient répandues libre ment partout, et
avaient inondé l’Empire. Les arbres et les autres plantes couvraient la terre
comme d’une épaisse forêt. Les animaux sauvages s’étaient multipliés
prodigieusement. La culture des grains était impossible. Les animaux sau-
vages ne permettaient pas à l’homme de s’étendre ; ils avaient battu des
sentiers qui se croisaient par tout l’Empire. Yao seul prit à cœur de remédier à
ces maux. Il éleva Chouen à la dignité de ministre, et lui ordonna d’étendre
partout ses soins. Chouen chargea Yi de diriger l’emploi du feu. Yi mit le feu
dans les montagnes et les marais, et les purifia par l’incendie. Les animaux
sauvages s’enfuirent et se cachèrent. Yu creusa neuf canaux divergents. »
Nous lisons encore dans Meng Tseu (133) :
« Au temps de Yao, les eaux arrêtées dans leur cours, avaient
débordé et inondé l’Empire. Le pays était plein de serpents et de
dragons ; les hommes n’avaient pas d’endroit pour se fixer. Da ns
les terrains bas, ils se faisaient des huttes sur des pieux ; dans les
terrains élevés, ils se creusaient des • 78 cavernes. Chouen dit dans
le Chou King :
Le débordem ent des rivières m ’avertit de prendre garde.
• Ce débordement des rivières, est l’inondation qui eut lieu sous le
règne de Yao. »
Le cataclysme, tel. qu’il se serait produit sous Yao, aurait été une grande
inondation causée par un débordement extraordinaire des eaux du Fleuve
Jaune, phénomène qui s’est d’ailleurs produit maintes fois au cours de
l’histoire, probablement sur une échelle moindre, et dont la Chine de nos jours
n’est pas à l’abri, puisque des fonctionnaires spéciaux, dont nous parlons plus
loin, sont chargés d’entre tenir les digues afin d’empêcher autant que possible
le retour de catastrophes qui ont coûté la vie à des milliers d’êtres humains.
Henri Cordier Histoire générale de la Chine 61
Ce déluge de Yao fut donc un phénomène local ; des savants, tel Fortia
Durban (134), ont essayé de le rattacher à des événements similaires pour
arriver à prouver l’univer salité du déluge de la Genèse : L’idée de Dél uge se
retrouve chez toutes les nations du globe, aussi bien chez les Samoyèdes au
nord de la Sibérie que chez les Lolos du sud-ouest de la Chine. Cette légende
se rattache certainement à des phénomènes naturels dont la tradition s’est
transmise de génération en génération. Le Déluge de Noé (2348 avant J.-C.),
si nous l’admettons, ne fut universel que pour l’éten due des territoires dont
Moïse avait la notion géographique, et non pour le globe entier tel que nous le
connaissons aujourd’hui. Prendre la fin du Déluge de la Genèse comme le
point de départ du repeuplement de la terre n’est rien moins que scientifique.
C’est le cas du savant Dr James Legge, qui fait sortir le peuple chinois de
l’arche de Noé :
« Environ 2000 ans avant notre ère chrétienne, la tribu chinoise fit
son apparition dans le pays où elle a depuis augmenté si
grandement. Elle occupait alors une petite étendue de territoire, à
l’est et au nord du Ho — la partie la plus méridionale de la
province actuelle de Chan Si. • 79 Comme sa marche continua
d’être dirigée à l’est et au sud (quoique après avoir traversé le Ho,
elle s’avança également vers l’ouest) ; nous pouvons conclure
qu’elle était venue en Chine du nord -ouest. Croyant que nous
avons dans le dixième chapitre du Livre de la Genèse quelques
allusions, qui ne peuvent être mises en question, de la manière dont
la terre entière fut couverte par les familles des fils de Noé, je
suppose que la famille, ou la collection de familles, — la tribu —
qui est devenue depuis la plus nombreuse des nations, commença à
se mouvoir vers l’est, partant des régions entre la Mer Noire et la
Mer Caspienne, peu de temps après la confusion des langues.
Passant entre les montagnes de l’Altaï, au nord, et la chaîne
Taurique avec ses continuations au sud, mais se maintenant autant
que possible vers le sud ensoleillé et plus attrayant, la tribu se
trouva à l’époque que j’ai mentionnée, entre 40° et 45°, latitude
nord, avançant parallèlement au Fleuve Jaune, dans la partie la plus
septentrionale de son cours. Elle se décida, à suivre le fleuve,
tourna alors vers le sud et marcha le long de sa rive orientale,
créant des établissements là où le pays promettait le plus
d’avantages, jusqu’à ce qu’elle fût arrêtée par la rivière cessant de
couler vers le sud, et tournant de nouveau vers l’est. Ainsi le
présent Chan Si fut le berceau de l’Empire chinois (135) ».
Tout ceci est extrêmement ingénieux, est peut-être vrai, mais ne repose
absolument sur aucune preuve : la théorie subtile de Legge n’est que le
produit de l’imagination d’un croyant et doit donc être reléguée près des
vieilles lunes de De Guignes et de Terrien de Lacouperie (136).
Henri Cordier Histoire générale de la Chine 62
Pe Kouen.
Pour arrêter le fléau et en réparer les effets, Yao fit choix de Pe Kouen qui
pendant neuf ans travailla sans succès à creuser de nouveaux cours d’eaux et à
construire des digues.
Kouen est compté parmi les Seu Hioung ou quatre Criminels de
l’Antiquité ; les autres étaient le chef des San • 80 Miao et les ministres Houan
Teou et Koung Koung ; au lieu de les mettre à mort, Chouen se contenta de
les exiler le premier à Yu Chan, district de Houai Ngan. fou, dans le Kiang
Nan ; le second à San Wei, près de Cha Tcheou, à la marge du désert de
Gobi ; le troisième à Tsoung Chan ou Yo Tcheou fou, dans le Hou Kouang ;
enfin le dernier à Yeou Tcheou dans le Leao Toung. Plus tard, lorsque le
fondateur de la grande dynastie Soung, Tchao Kouang Yin, était pressé de
condamner un criminel à mort, il rappelait cet acte de clémence :
« Yao et Chouen, disait-il à ses Grands, ne firent point mourir les
quatre fameux rebelles qui voulaient se soustraire à leurs ordres, ils
se contentèrent de les bannir ; que ne les imitons-nous ? (137) »
Chouen.
Cependant l’Empereur dans la soixante -dixième année de son règne se
sentant fatigué et ne pouvant compter sur son fils Tan Tchou, d’humeur
querelleuse, fit choix pour lui succéder de Chouen, pauvre, mais de grande
réputation, âgé d’une trent aine d’années, fils de Kou Seou, descendant,
disait-on, de Houang Ti par Tchouen Hiu (2285). L’unique désir de Chouen,
dit Mencius,
« était de faire plaisir à ses parents, et de les amener à partager ses
bons sentiments, à aimer la vertu. Car il considérait que celui qui
n’est pas agréable à ses parents, ne mérite pas le nom d’homme, et
que celui dont les sentiments ne sont pas conformes aux leurs ne
mérite pas le nom de fils. Chouen remplit parfaitement ses devoirs
de fils ; et (son père) Kou Seou satisfait, aima la vertu. Kou Seou
satisfait, aima la vertu, et tout l’Empire fut transformé. Kou Seou
satisfait, aima la vertu, et dans tout l’Empire, les pères et les fils
connurent leurs devoirs mutuels. Cela s’appelle une grande piété.
Filiale (138). »
Yu.
Chouen choisit Yu, propre fils de Pe Kouen, pour remplacer celui-ci dans
l’œuvre d’endiguement du Fleuve Jaune. Yu, comme Chouen, descendait de
Houang Ti par Tchouen Hiu ; il commença immédiatement (2286) son
gigantesque travail par la province de Ki Tcheou où Yao tenait sa cour.
Henri Cordier Histoire générale de la Chine 63
Travaux de Yu.
Les travaux de Yu sont décrits dans le premier chapitre • 81 intitulé Yu
Koung (Tribut de Yu) des Annales de la dynastie des Hia dans le Chou King.
Il y est dit que
« Yu divisa le territoire (en neuf provinces, tcheou). Suivant les
montagnes, il coupa des arbres (pour frayer les chemins). Il prit
une connaissance exacte des hautes montagnes et des grands cours
d’eau (afin de déterminer les limites respectives des neuf
provinces (139). »
Il commença ses travaux par la province de Ki Tcheou, limitée au sud, à
l’ouest et à l’est par l e Houang Ho, de frontière indéterminée au nord, qui est
précisément celle qui renfermait la capitale de l’Empire qui, sous Yao, fut
P’ing yang (dans le fou actuel du même nom), sous Chouen, P’ou fan (dans
P’ou Tcheou), enfin sous Yu lui -même, Ngan Yi (dépendant de Hiai Tcheou),
toutes les trois dans la partie sud-ouest du Chan Si actuel. Il passe ensuite dans
le Yen, région entre la Tsi et le Fleuve Jaune (parties du Chan Toung, du Tche
Li et de Ho Nan), puis dans le Ts’ing, entre le T’ai Chan et la mer (p artie du
Chan Toung), dans le Siu, délimité par la mer, le T’ai Chan et la Houai
(parties du Kiang Nan et du Chan Toung), dans le Yang, entre la Houai et la
mer (le Kiang Nan, le Tche Kiang, le Fou Kien, ainsi que des parties du Hou
Kouang et du Kouang Tong). Ici est mentionné le lac P’eng Li ou P’ong Li,
qui n’est autre que le P’o Yang et nous apprenons que « les trois Kiang
déversèrent leurs eaux dans la mer (140). »
Trois Kiang.
Un problème géographique intéressant est posé dans cette dernière phrase.
Quels étaient les trois Kiang ? D’après Edouard Biot :
« Le Kiang du nord désigne l’embouchure actuelle du Kiang. Il est
plus difficile de retrouver les deux autres bras, le Kiang du milieu,
et enfin le Kiang du midi, qui doit former le troisième Kiang. Hou
Wei a rapporté les opinions émises à ce sujet, et les a représentées
sur une carte spéciale des trois Kiang. D’après cette carte, le Kiang
du milieu (Tchoung Kiang) se séparait du grand lit à Wou Hou, au
nord de T’aï P’ing Fo u, se dirigeait vers le grand lac T’aï Hou du
Tche Kiang, et sortait de ce lac pour entrer dans la mer ; au sud de
Soung Kiang Fou. Cette conjecture me • 82 paraît très
vraisemblable. Actuellement, il existe une communication
analogue, d’une part du grand Kiang au T’ai Hou, et d’autre part
de ce lac à la mer, au sud de Song Kiang Fou. Le Chou King
présume que le Kiang du midi partait de Chi Tch’eng, un pe u au
Henri Cordier Histoire générale de la Chine 64
Tablette de Yu.
Henri Cordier Histoire générale de la Chine 66
Chouen.
Mais revenons à Yao et à Chouen ; ce dernier nommé d’abord ministre de
l’Instruction publique, puis premier ministre, avait épousé les deux filles de
l’E mpereur, Ngo Houang et Niu Ying. En 2285, Chouen était chargé du
gouvernement, et le premier jour de la première lune, il se rendit dans la Salle
des Ancêtres (Wen Tsou) pour y accomplir les rites et il offrit un grand
sacrifice à Chang Ti, l’Etre Suprême . L’année suivante, il divisa les Grands en
cinq classes ; il parcourut l’Empire qu’il divisa en douze provinces : Ki, Yen,
T’sing, Siu, King, Yang, Yu, Leang, Young, Yeou, Ping (ces deux -ci formées
avec des parties de la province de Ki) et Ying (créée aux dépens de la
province de T’sing), et il leur donna pour gardiens les génies tuté laires de
douze montagnes.
Les cinq supplices consistaient à marquer le visage avec un fer rouge, à
couper le nez ou les pieds, dans la castration ou dans la peine de mort ; ils
furent adoucis par Chouen et remplacés par l’exil, la cangue, la bastonnade et
la confiscation des biens et l’on put se racheter par de l’argent des peines
corporelles ; toutefois les récidivistes étaient passibles de la peine de mort.
« Chouen relégua le ministre des Travaux publics dans l’île ou la
province de You, confina Houan Teou sur le mont Tch’oung,
relégua et tint en prison le prince de San Miao (Wou Tch’ang, Yo
Tcheou, Kieou Kiang et partie de Ngan Houei), dans le pays de
San Wei (Ngan Si, Kan Sou) relégua Kouen et le tint dans les fers
sur le mont Yu. Il infligea ces quatre châtiments, et tout l’Empire
eut confiance en sa justice. (Chou King, I, II, 12.) (151). »
Henri Cordier Histoire générale de la Chine 67
Cependant Yao mourut (2258) âgé de cent quinze ans dans la quatre-vingt
dix-neuvième année de son règne, • 86 vingt-huit ans après qu’il avait été
associé à l’Empire. Ce long règne fut suivi d’un deuil de trois années.
« (152) Yao, dit le Chou King, était constamment attentif à bien
remplir son devoir, très perspicace, d’une vertu accomplie, d’une
rare prudence ; cela naturellement et sans effort. Grave et
respectueux, il savait céder et condescendre ».
« Il est constant, nous dit Gaubil dans sa Chronologie, p. 277,
qu’au temps de Yao la Chine était assez peuplée, et qu’il y avait
même des habitans dans des îles de la Mer Orientale. On savait
composer en vers, et il y avait des collèges au temps de Chouen ;
on savait rapporter aux étoiles les solstices et les équinoxes ; on
connaissait une année de 365 jours un quart ; on savait s’ en servir
pour disposer l’an née de douze mois lunaires, année qu’on savait,
par intercalation, égaler aux années solaires ; on savait observer les
astres ; il y avait des ouvrages en cuivre, en fer, en vernis, des
étoffes de soie ; on savait faire des barques, même pour aller à des
îles de la Mer Orientale. Tout cela est constant par la première
partie du livre Chou King, écrite au temps même de Yao et de
Chouen, et il faut nécessairement admettre des peuples à la Chine
avant le temps de Yao ».
Chouen, règne 2255-2208. Cap. : P’ou fan, auj. P’ou Tcheou fou.
Chouen, après le deuil de trois ans porté après la mort de Yao, se retira au
sud du Nan Ho ; branche méridionale du Houang Ho, et remit le pouvoir à
Tan Tchou, fils de son bienfaiteur, mais ce prince n’avait pas les qualités de
son père ; les Grands refusèrent de le reconnaître et proclamèrent Chouen
empereur à P’ou Tcheou (Ho Tchoung, Chan si).
Chouen était originaire de la province de Ki, dans le Chan Si (c’est -à-dire
de Tchou Foung, dans le district de P’ou Tcheou) ; il avait pour nom
personnel Tch’oung Houa ; il était fils de Kou Seou, aveugle (d’esprit) dit le
Chou King, fils de Kiao-Nieou, fils de Keou Wang, fils de King K’ang, fils de
K’ioung Chan, fils de l’empereur Tchouen min. Mencius dit :
« Chouen naquit à Tchou Foung alla demeurer à Fou Hia et mourut
à Ming T’iao. Il vécut et mourut à • 87 l’extrémité orientale de
l’Empire (153) »,
âgé de cent-dix ans. Il avait trente ans quand il fut appelé à la Cour où il
gouverna vingt-huit ans jusqu’à la mort de Yao ; après une période d’essai de
trois ans, son propre gouvernement dura cinquante ans.
Tandis que Yao régna en vertu de l’élément feu, Chouen fut placé sous les
auspices de l’élément eau.
Henri Cordier Histoire générale de la Chine 68
Mort de Chouen.
Les circonstances de la mort de Chouen (2208) ont permis à la légende de
se livrer à toutes ses fantaisies. De même que certains historiens ont cherché le
lieu de naissance de Chouen à T’si Nan, au Chan Toung, au lieu de Ki -
Tcheou, on a discuté sur le lieu de sa mort. Se-ma Ts’i en (155) dit que la
trente-neuvième année de son règne, Chouen visitant le Sud, mourut dans le
territoire sauvage de Ts’ang Wou, Hou Nan, et fut enterré sur la montagne
Kieou Yi (Neuf Doutes) au sud du Kiang où encore aujourd’hu i un
Commissaire • 88 impérial va brûler de l’encens à une certaine date. Ce pays,
dans une antiquité reculée, était connu sous le nom de San miao Kouo,
« Royaume des Trois tribus aborigènes » ; suivant la tradition, il aurait été
annexé par Tchouen Hiu, l’ un des « Cinq Souverains » (2513-2436 avant
J.-C.) ; ce qui n’a pas empêché les empereurs Yao et Chouen et Yu le Grand
de faire plusieurs campagnes d’extermination contre les sauvages habitants
refoulés vers le Sud et dans les montagnes. Nous lisons dans le Chou King, I,
ch. II, 20 (156) :
« L’empereur dit : Kao Yao, les tribus étrangères (Man Yi) qui
nous entourent troublent notre grande et belle contrée. (A la faveur
de ces troubles), les brigandages et les homicides se multiplient, les
malfaiteurs surgissent au dedans et au dehors (du domaine impérial
ou des neuf provinces). Vous êtes ministre de la justice. Infligez
aux criminels les cinq grands châtiments ; faites les subir en trois
endroits différents. Mettez en vigueur les cinq sortes d’exil ;
assignez aux cinq sortes d’exilés trois régions différentes. Une
grande perspicacité vous sera nécessaire pour obtenir qu’on ait
confiance en votre justice. ».
Les légendes locales du Hou Nan racontent que Chouen allant rétablir
l’ordre parmi ces tribus tomba gravement malade ; ses deux femmes se mirent
Henri Cordier Histoire générale de la Chine 69
immédiatement en route pour le soigner, mais, à peine arrivées sur les bords
du lac Toung T’ing, elles apprirent la mort de l’Empereur ; elles versèrent des
larmes en si grande abondance que des bambous, connus sous le nom de
bambous de « l’Impératrice », poussèrent en cet endroit ; on ne les trouve
nulle part ailleurs. Les impératrices se noyèrent dans le lac et elles furent
ensevelies dans l’île de Tchoun Chan, près de Yo Tcheou où l’on montre leur
tombeau ; il est vrai que celui-ci fut construit au XIXe siècle de notre ère par
le personnage bien connu Peng Yu-Lin (157). Le Li ki dit simplement :
« Chouen travailla pour le peuple avec dévouement et mourut dans
les plaines (loin de sa capitale).(158) »
• 89 Le Maître a dit :
« Dans les âges suivants, bien qu’il y eût de grands souverains,
aucun d’eux n’égala le prince de Yu (Chouen). Il régna sur le
monde entier ; durant sa vie, jamais il n’eut de partialité ; à sa
mort, il n’éleva pas son fils à la digni té souveraine. Il traita ses
sujets comme ses enfants, avec la bonté d’un père et la tendresse
d’une mère. Il eut pour eux une affection compatissante, et leur
donna avec zèle d’utiles enseignements. Il les aimait et les traitait
avec honneur (159) ».
Se-ma Ts’ien remarque :
« Depuis Houang Ti jusqu’à Chouen et Yu, tous (les empereurs)
eurent le même nom de famille ; mais ils se distinguèrent par les
noms de leurs principautés, afin de mettre en lumière leur illustre
vertu. Ainsi Houang Ti fut Yeou Hioung ; l’empereur Tchouen Hiu
fut KaoYang ; l’empereur K’ou fut Kao Sin ; l’empereur Yao fut
T’ao T’ang ; l’empereur Chouen fut Yeou Yu ; l’em pereur Yao fut
T’ao T’ang : l’empereur Chouen fut Yeou Yu ; l’empereur Yu fut
Hia Heou, mais il eut un autre nom de famille qui fut Se ; Sié fut
Chang et eut pour nom de famille Tse ; K’i fut Tcheou et eut pour
nom de famille Ki (160) ».
Confucius s’écrie :
« Que Yao fut un grand prince ! Seul le Ciel est grand ; seul Yao
lui fut semblable. Que sa bienfaisance s’étendit loin ! Le peuple ne
trouva pas de terme pour l’exprimer. Chouen fut vraiment
souverain. Qu’il fut grand en dignité ! Ti posséda l’Empire, et resta
toujours indifférent à sa propre grandeur »
et Meng Tseu ajoute :
« Yao et Chouen, qui avaient l’Empire à gouverner, n’avaient -ils
pas assez d’occupation ? Ils ne s’occupaient pas de labourage
(161). »
Henri Cordier Histoire générale de la Chine 70
Kiang et Ho.
On voit que le berceau de la Chine est placé sur ces fleuves du Nord, la
Wei et le Ho, et que l’Empire s’étend pro gressivement sur les rives du Kiang ;
le Houang Ho et le Kiang ont joué un rôle tellement important dans l’histoire
de cette grande puissance qu’on ne trouvera pas inutile que nous en donnions
une description détaillée qui permettra • 90 souvent de comprendre mieux la
chaîne des événements et de connaître le théâtre où elle se déroule. D’ailleurs
l’histoire d’un peuple ne doit pas être écrite sans tenir compte du milieu dans
lequel elle se développe.
Les deux grands fleuves de la Chine proprement dite sont le Yang Tseu
Kiang, improprement nommé Fleuve Bleu par les Européens, et le Houang
Ho, Fleuve Jaune, désignés plus simplement comme le Kiang et le Ho,
c’est -à-dire le fleuve ou la rivière. Le Kiang, dans le système dualiste de la
création correspond au Yang, principe mâle, tandis que le Ho correspond au
principe femelle, Yin.
Le Kiang.
Le Kiang prend sa source au Tibet dans les montagnes Tang La et, d’après
les cartes indigènes, par trois cours d’eau qui descendent, du versant sud du
Bayan Kara. Le fleuve se dirige d’abord vers l’Est, puis descend vers le Sud
jusqu’à la boucle de Li Kiang, passant par Ba Tang qui se trouve sur la routé
du Se Tch’ouàn à Lha Sa au Tibet. M. Bonin a reconnu la grande boucle que
fait le Kiang avant son confluent avec le Ya Loung. Dans cette haute région,
outre les noms de Kin Cha Kiang (fleuve au sable d’or) et de Pe Chouei, le
Kiang est nommé aussi Oulan Mouren et Mouroui Ousou, la rivière
tortueuse ; Marco Polo l’appelle Brius qui représente le tibétain Dré tch’ou.
Le Kiang traverse les provinces de Yun Nan, de Se Tch’ouan, de Hou Pé
qu’il sépare du Hou Nan, pendant une certaine distance, de Kiang Si, de Ngan
Houei et de Kiang Sou. A gauche, le Ya Loung se déverse dans le Kiang à
Loko Mi tien ; il prend sa source non loin du Houang Ho ; entre le 28° et le
30° de latitude Nord, après avoir arrosé Baurong et Meterong, il fait un coude
brusque vers le Nord pour descendre, après un nouveau crochet dans une
direction Nord-Sud. Cette partie du fleuve a été explorée par le Dr Legendre,
le capitaine Noiret et le lieutenant Dessirier ; cette région est très accidentée.
Le Ya Loung depuis Ho Si à son embouchure a été relevé par le lieutenant de
vaisseau Audemard ; des rapides, dont le Mao Mao t’an et le Houng Pi t’an
offrent de sérieuses difficultés ; dans la • 91 dernière partie de son cours, à 30
kilomètres environ du confluent, les eaux du Ya Loung s’étalent en une nappe
tranquille.
« Au point de vue hydrographique, le Ya Loung présente le
caractère d’un grand fleuve et non celui d’un torrent qu’on serait
porté à lui attribuer, a priori, en raison de l’altitude élevée de son
Henri Cordier Histoire générale de la Chine 71
Han K’eou, sur la rive droite, Han Yang ; en face sur la rive droite du Kiang,
la capitale de la province de Hou Pe, Wou Tch’ang.
A partir de Han K’eou, le fleuve descend au Sud -Ouest jusqu’à Kieou
Kiang, ville près de laquelle se déverse à droite, à Hou K’eou le lac P’o Yang,
poche de 120 km. sur 28. Ce lac est profond dans sa partie Nord et dangereux
à cause des fréquentes tempêtes qui s’y élèvent ; il reçoit au Sud le Kan
Kiang, qui sous le nom de Koung Chouei prend sa source au Sud-Est du
Kiang Si ; il recueille à gauche le Tchang Chouei ; en amont de Ki Ngan fou,
il forme les rapides de Che Pa T’an ; près du lac il baigne les murs de Nan
Tch’ang, capitale du Kiang Si. Du P’o Yang, le fleuve remonte vers le
Nord-Est jusqu’au Canal impérial ; il arrose à gauche Ngan King, capitale du
Ngan Houei, à • 97 droite Wou Hou et Nazi King ; le joli rocher du Little
Orphan monte du fleuve entre Kieou Kiang et Ngan King ; à Tchen Kiang, le
Kiang coupe le Grand Canal, puis redescend légèrement vers le Sud-Ouest
jusqu’à la mer par l’estuaire où se trouve l’île d e Tsoung Ming. Avant son
embouchure, il reçoit à droite la rivière de Wou Soung ; jadis cette rivière
remontait à Sou Tcheou et portait le nom de rivière de Sou tcheou ; ce dernier
nom n’est plus donné au cours d’eau que de Chang Hai à Sou Tcheou ; le
Houang P’ou comme on désigne généralement la rivière qui passe à Chang
Hai, coulait à peu près depuis Soung Kiang jusqu’au Kao Tchang miao, où se
trouve l’arsenal actuel, puis se jetait directe ment dans la mer ; un canal ancien,
élargi en 1403, sous l’empere ur, Young Lo, de la dynastie des Ming, le Fan
Kia Pang ou Van-Kia Pang, réunit le Houang P’ou, depuis Kao Tchang miao,
à la rivière de Wou Soung ; c’est ce canal, dé sormais désigné sous le nom de
Houang P’ou, qui baigne la ville indigène actuelle de Chang Hai et les
concessions française et anglaise.
Jadis le Kiang déversait ses eaux dans la mer par trois branches ainsi que
nous l’avons dit plus haut.
Ce grand fleuve est appelé par les Chinois le Ta Kiang, grande rivière, ou
simplement le Kiang, pour le distinguer du Ho (Houang Ho, Fleuve Jaune).
Yang Tseu Kiang paraît être le nom donné au fleuve dans son cours inférieur ;
ce nom ne veut pas dire Fils de l’Océan ; Yang est le nom d’une ancienne
province faite de la majeure partie du Kiang Nan, du Tche Kiang, du Kiang Si
et du Fou Kien. Une tradition plus ou moins apocryphe raconte qu’un certain
lettré, tseu, nommé Yang avait découvert au milieu du fleuve une source d’eau
particulièrement bonne pour faire le thé et que, d’après lui, cette partie de la
rivière qui s’étend de Kin Chan à Tchen Kiang avait reçu le nom de Yang
Tseu Kiang. Le fleuve porte d’ailleurs un grand nom bre de noms : Ta Kiang
K’eou (embouchure du grand fleuve) en face de l’île de Tsoung Ming ; Yang
Tseu Kiang ou Ta Kiang, aux environs de Tchen Kiang ; Houei Kiang, le long
de la province de Ngan Houei ; la portion du Houei Kiang, • 98 qui est en face
de T’ai P’ing fou reçoit le nom de Wou Kiang, fleuve noir ; Tsang (Tch’an)
Kiang, le long de la province du Kiang Si ; Tch’ou Kiang , Tch’ou, nom de la
Henri Cordier Histoire générale de la Chine 76
Houang Ho.
Le Houang Ho ou Fleuve Jaune prend sa source au Tibet non loin du Yang
Tseu ; s’il ne rend pas les mêmes services que ce dernier au commerce et à la
navigation par suite de son cours tortueux et accidenté, à lui se rattachent les
souvenirs de l’histoire de l’ancienne Chine dont la civilisation est née sur ses
rives. Il était naturel qu’on cherchât la source de ce fleuve historique dans un
endroit doublement consacré par la légende et la religion : le grand lac Mana-
soravar au Nord des Himalaya d’où coulent les grands fleuves de l’Inde : le
Gange, l’Indus, l’Oxus et le Chitâ : c’est cette dernière rivière qui passant par
un canal souterrain réapparaît, suivant les bouddhistes chinois, dans les
montagnes Ashmakûta comme source du Houang Ho. En réalité ce fleuve
prend sa source au Tibet près du lac Ouring.
« C’est au -dessus de deux lacs voisins, les lacs Khtchara mtso et
Khnora mtso, reliés entre eux par un chenal, et tous les deux à
4.200 mètres d’altitude, que le Houang Ho prend sa source,
peut-être avec le Djaghing Gol, rivière de 160 km. de longueur qui
vient du Sud et se jette dans le chenal qui joint les deux lacs. Le
plateau où il coule est aride et ne possède qu’une maigre végétation
herbacée (Richard) ».
D’ailleurs l’origine du Houang Ho (ou plutôt du Ma Tchou comme il est
nommé dans cette région) est fort douteuse ainsi qu’on pourra s’en assurer par
la lecture du compte rendu de la mission Dutreuil De Rhins, qui a • 99 reconnu
sur le versant Nord des Bayan Kara
« les sources de deux rivières importantes qui se jettent dans le Ma
Tchou, le Ka-la Sou-nang qui coule à l’Est et le Ka -la Pa-nang
Tchou qui coule au Nord dans un lac assez considérable : le Ka-la
Nam-ts’o. Ce lac reçoit également une autre rivière venant du
Sud-Sud-Ouest ; le Kiang Tchou, qui ressort par l’extrémité
septentrionale et continue sa route à l’Est, jusqu’au Ma Tchou avec
la plus grande lenteur. (III, p. 202.)
Le Houang Ho se dirige vers l’Est, a près forme une courbe vers l’Ouest,
puis s’avance vers le Nord, vers le Kou Kou Nor, ensuite vers le Nord -Ouest
avec de nombreuses sinuosités. Du Tibet, il descend à 2 500 m en arrivant au
Henri Cordier Histoire générale de la Chine 77
Kan Sou dont il baigne la capitale, Lan Tcheou, sur sa rive droite à 1800 m.
d’altitude. Le haut fleuve a été exploré par Dutreuil de Rhins, Potanin,
Rockhill, Filchner et d’Ollone : ce dernier a trouvé que le Fleuve Jaune
s’avan çait 95 km. plus loin qu’on ne le supposait. Dans le Kan Sou, à droite,
le Houang Ho reçoit le Tao Ho, et, à gauche, le Si Ning ho, rivière de Si Ning,
grossie par son affluent de gauche, le Ta T’oung ho. Le Houang Ho se dirige
vers le Nord, franchit la Grande Muraille, arrose à gauche, Ning Hia, capitale
de l’AlaChan, va se heurter aux montagn es de la Mongolie, se dirige en ligne
à peu près droite vers l’Est d’où il redescend brusquement en ligne droite vers
le Sud. Dans cet angle Nord-Est, il reçoit au village de Ho K’eou le He
Chouei navigable sur 16 km. avant son confluent, qui conduit à Kouei Houa
Tch’eng ou Kou Kou Khoto, la « ville bleue » ; au-dessus de Ho K’eou se
trouve la ville chinoise de To Tch’eng, avec les ruines de l’ancienne citadelle
mongole de Tokto, le Tenduc de Marco Polo ; Bonin a visité la vallée du He
Chouei en 1899. Le Fleuve Jaune forme ainsi une grande boucle enclavant le
plateau des Ordos, habité par les sept hordes mongoles qui se disent issues des
armées de Tchinguiz Khan. C’est dans leur pays, à Yeke et Jen Koro que se
trouve le tombeau de ce conquérant, visité par les missionnaires belges De
Vos et Verlinden en 1875 et par Bonin en juillet 1896. En descendant • 100 en
ligne droite vers le Sud de Ho K’eou à son confluent avec le Wei Ho, le
Houang Ho recoupe la Grande Muraille, sert de frontière aux provinces de
Chan Si et de Chen Si et reçoit à gauche le Fen Ho qui arrose T’ai Youen,
capitale du Chan Si, et Ping Yang, dont les plaines sont les plus fertiles de la
région ; le Fen Ho n’est navigable qu’à partir de Kiang Tcheou. A droite, il
reçoit à T’oung Kouan le Wei Ho, son principal affluent qui vient de la région
de Koung Tch’ang fou dans le Kan Sou, creuse de profonds sillons dans le
loess, et devient navigable à partir de Hing P’ing Hien, il est grossi à gauche
par le King Ho. A partir de T’oung Kouan, le Houang Ho fait un coude
brusque vers l’Est, en prolongement du Wei Ho, jusqu’au Nord de K’ai Foung
fou ; pendant une partie de ce cours, il sépare le Chan Si du Ho Nan ; puis il
suit une direction Sud-Nord-Ouest, traverse la plaine du Chan Toung et se
jette dans le golfe de Tche Li ; il est coupé par le Yun Ho ; le passage est là
fort difficile. L’entrée du fleuve est obstruée par une barre à 5 km. de son
embouchure et la navigation n’est possible que pour des jonques à faible tirant
d’eau. La longueur totale du fleuve est d’environ 4.700 km. C’est dans la
partie inférieure de son cours que se produisent les inondations qui le rendent
si redoutable. Avant 1853 il déversait ses eaux au Sud du Chan Toung, au
Nord de la province de Kiang Sou En 1868, Ney Elias et H. G. Hollingworth
firent, aux frais de la Société asiatique de Chang Haï une exploration du
nouveau cours du Fleuve Jaune. Les ingénieurs hollandais J. G. W. Fijnje
Van Salverda, P. G. Van Schermbeek et A. Visoer inspectèrent les régions
inondées par le fleuve en 1889, en vue de l’amélioration de son cours, mais les
mesures préconisées dans leur rapport (1891) n’ont malheureusement pas été
prises.
Henri Cordier Histoire générale de la Chine 78
*
**
Henri Cordier Histoire générale de la Chine 79
CHAPITRE V
Hia et Chang.
Yu.
• • 102 Yu ; ou Ta Yu (Yu le Grand), suivant l’exemple de Kouen, voulut,
après le deuil de trois ans, se retirer en faveur de Chang Kiun, fils de son pré-
décesseur, mais les chefs l’obligèrent à prendre le pouvoir (2205) ; il avait
quatre-vingt-treize ans. Son nom personnel est Wen Ming qu’il avait bien
mérité, dit le Chou King, parce que ses institutions civiles se sont étendues sur
tout l’Empire. Il avait pour père Kouen, fils de l’empereur Tchouen Hiu ; nous
avons vu que Kouen, n’ayant pas réussi dans l a tâche qu’il avait entreprise sur
les ordres de l’em pereur Yao de prévoir les inondations du Fleuve Jaune, avait
été remplacé par Chouen qui fit lui-même appel à Yu. Celui-ci était prince de
Hia (Yu Tcheou, préf. de K’ai Foung, Ho Nan) depuis 2277, et il est le
fondateur de la première dynastie chinoise qui porte le nom de son fief.
« Yu était un homme actif, serviable, capable et diligent ; sa vertu
n’évitait pas la peine ; sa bonté le rendait digne d’affection ; sa
parole était digne de foi. Sa voix était l’étalon des sons ; son corps
était l’étalon des mesures de longueur ; les mesures de poids
dérivaient de lui. Très infatigable et très majestueux, il s’occupait
de l’ensemble et des détails (163). »
Dans l’ancienne Chine on se servait pour les échanges, de divers produits
de la nature ou de l’industrie, tels que les gemmes ; les sacs de grains, les
écailles de tortue et d’huîtres perlières. Yu passe pour avoir extrait du métal de
Li Chan, près de P’ou fan et pour avoir fon du des objets en métal, sans
inscriptions, pour les échanger ; cette invention • 103 est d’ailleurs attribuée à
Tch’eng T’ang, fondateur de la dynastie des Chang. Sous le règne de Tch’eng,
second roi de Tcheou, son ministre Kiang Tai Koung régularisa la monnaie
courante en métal et en soie : pour le métal, suivant leur poids, l’or en petits
cubes, le bronze en lingots ou en plaques ; pour la soie, des pièces de
dimensions déterminées. Vers 670, on commence de se servir de monnaies de
bronze en forme de couteaux (Tao) avec une marque ou un emblème,
complété un peu plus tard par un anneau à son extrémité dans l’État de Ts’i ;
plus tard encore on ajouta des légendes. On vit ensuite apparaître la monnaie
en forme de selle, de bêche (Pi tch’an ), d’anneau ; l’emploi de la monnaie
ronde est régularisé après 221 av. J.-C. par les Ts’in et à p artir de cette
Henri Cordier Histoire générale de la Chine 80
époque, les écailles, les perles, etc. conservent leur valeur marchande, mais ne
sont plus utilisées comme monnaie (164).
« Yu témoigna de sa bienfaisance en publiant un ordre par lequel
si, par pauvreté, une famille était obligée de vendre un fils, sur sa
demande, il fournirait la somme nécessaire à son rachat (165). »
Il transféra sa capitale à Ngan Yi qui dépend aujourd’hui de P’ing Yang
fou. La Chine divisée sous Chouen en douze provinces, sous Yu comme sous
Yao, en forme neuf seulement.
« Un mandarin appelé Hi Tchoung apprit à atteler les bœufs, ânes,
chevaux aux charrettes et chars. Yu fit fondre neuf grands vases ou
urnes ou tables de cuivre (Kieou ting) ; il y fit graver une espèce de
carte géographique de la Chine, avec le catalogue des redevances
de chaque département. Quelques-uns ajoutent qu’on y voyait les
figures de ce qu’il y avait de rare et de curieux dans l’Empire. Le
mandarin Y-Ti inventa ou perfectionna l’art de fai re du vin de
riz (166) »
Nous ne reviendrons pas sur les travaux de Yu. La seconde année de son
règne, il choisit Kao Yao pour son successeur, mais celui-ci étant mort
l’empereur le remplaça par Pe Yi. Ce fut sous le règne de Yu que fut soumis
en soixante-dix jours • 104 le peuple Miao établi entre le lac Toung T’ing et le
lac P’o Yang, au nord du Hou Nan et du Kiang Si.
« L’empereur dit : « Eh bien ! Yu, le prince de Miao est le seul qui
refuse d’obéir. Allez le châtier par les armes (167) »
Yu mourut à Houei Ki, territoire de Chao Hing, Tche Kiang (2197 av.
J.-C.), la septième année de son règne et la centième de son âge ; son fils K’i
fut choisi pour le remplacer au lieu de Yi qui mourut d’ailleurs peu de temps
après l’avènement du nouve l empereur. Avec Ti K’i la monarchie devint
héréditaire.
K’i, 2197 -2189.
K’i, fils de Yu, fut le deuxième empereur Hia ; il eut d’abord à lutter
contre le prince de Hou qui, suivant le discours qu’il prononça devant ses
troupes avant de livrer bataille :
« ruine et outrage les cinq éléments ; il rejette avec dédain les trois
mois adoptés (à différentes époques) pour le commencement de
l’année. En conséquence le Ciel abroge son mandat (lui retire le
pouvoir de gouverner la principauté). A présent, dit l’E mpereur, je
ne fais qu’exécuter avec respect la sentence prononcée par le Ciel
contre lui. (168) »
Hou fut écrasé à Kan (préf. de Si Ngan, Chen Si) et la paix fut rétablie.
Après un règne de neuf ans, K’i mourut âgé de 91 ans.
Henri Cordier Histoire générale de la Chine 81
T’ai K’ang.
Son fils T’ai K’ang lui succéda, mais
« inerte sur le trône comme le représentant d’un mort, il avait
étouffé ses bonnes qualités dans le repos et les plaisirs (169) »
et perdit l’affection de son peuple. A son reto ur de la chasse dans le Midi,
il trouva la route barrée par le prince de K’ioung, et ses cinq frères lui
reprochèrent amèrement sa conduite. T’ai K’ang fut conduit par K’ioung à
Yang Hia dans le Ho Nan où il fut emprisonné (2169).
Tchoung K’ang.
Tchoung K’ang, son frère, le remplaça sur le trône mais ne prit le titre
d’empereur qu’à la mort de T’ai K’ang ; il chargea le prince de Yin de châtier
les gouverneurs de provinces Hi et Houo, qui négligeaient les devoirs de leur
charge et se livraient à la boisson ; ceux-ci, défaits, furent mis à mort. Un
passage du Chou King • 105 (Part. II, ch. IV, 4, p. 9 de la trad. de Couvreur)
signale les méfaits de Hi et de Houo :
« Hi et Houo sont déréglés dans leur conduite, se plongent dans le
vin et se dégradent. Ils ont abandonné leur emploi et quitté leur
poste. Par un désordre jusque-là sans exemple, ils ont bouleversé
les lois de l’astronomie et négligé entièrement les devoirs de leur
charge. Le premier jour du troisième mois de l’automne, les deux
grands astres (le soleil et la lune se rencontrant) dans la
constellation du Scorpion, n’ont pas été d’accord (le soleil a été
éclipsé). Les musiciens ont battu le tambour ; les officiers
inférieurs et les employés tirés du sein du peuple ont couru avec
empressement (au secours du soleil) : Hi et Houo, inertes dans leur
office comme le représentant d’un mort à une cérémonie, ont paru
ne rien entendre, ne rien savoir. Ils se sont trompés grossièrement
sur les phénomènes célestes, et ont mérité la peine de mort
décrétée par les anciens souverains. Dans les lois du gouvernement
il est dit : « Celui qui devancera le temps, sera mis à mort sans
rémission ; celui qui n’arrivera pas à temps, sera mis à mort sans
rémission ».
Cette fameuse éclipse de soleil a fait couler beaucoup d’encre. Gaubil la
plaçait le 11 octobre 2154 av. J.-C. ; le Tchou Chou Ki nien le 28 octobre
1948 ; John Chalmers, le 12 octobre 2127 ; John Williams, Observations of
Comets, donne la date de 2158 ; G : Schlegel et Künhert entre le 12 mai 1904
et le 7 mai 2165 ; d’autres enfin au 12 octobre 2155 ; il est vrai que Largeteau
prétendait que l’éclipse fut invisible.
Henri Cordier Histoire générale de la Chine 82
• 107 Ces chiffres sont donnés d’après Mailla et Mathias Tchang. D’après
le Tchou Chou Ki nien, l’avènemen t de Yu est 1989 au lieu de 2205 et celui
de Kié est de 1589 au lieu de 1818.
Chang.
« Par ordre du Ciel, nous dit le Che King (172) une hirondelle
descendit, et la famille des Chang lui dut son origine. Les Chang
habitèrent la terre de Yin et devinrent puissants. »
Kien Ti, fille de la famille princière de Soung, épousa l’em pereur K’ou ;
« elle et deux autres personnes allèrent se baigner ; elles virent un
oiseau de couleur sombre (hirondelle) qui laissa tomber un œuf ;
Kien Ti le recueillit et l’avala ; c’est à la suite de cela qu’elle
devint enceinte, puis enfanta Sié (173). »
Kien Ti reçut de l’em pereur Chouen l’apanage de Chang, dans le Chen Si,
et son fils Sié, prince de Chang, fut ministre de l’Instruction publique sous
Yao et Chouen ; de lui descend T’ien Yi (174) qui reçut le nom posthume de
T’ang.
Les princes de Chang employèrent le nom d’un jour comme nom
personnel, Kia, Yi, etc ; les désignations des souverains régnants par les noms
de Ta Kia, Siao Kia, Ta Yi, Sao Yi, Ta ting, Tchoung ting sont probablement
dues aux additions des générations plus récentes pour les distinguer entre eux :
Les trente souverains Chang comprennent 6 Kia, 5 Yi, 6 Ting, 4 Keng, 4 Sin, 2
Jen, 1 Ping, 1 Mou et 1 Tche (175).
Henri Cordier Histoire générale de la Chine 84
quitte Sian pour Keng, dans la sous-préf. de Ho Tsin, au nord du Houang Ho,
préf. de P’ou Tcheou, Chan Si. Enfin P’an Keng, malgré le désir de son
peuple, abandonne Keng et s’installe dans le Po occidental, au sud du Ho,
dans l’ancienne résidence de T’ang, qu’il ap pela Yin, nom que porta
désormais la dynastie des Chang (1401).
Wou Yi.
D’une liste fastidieuse de souverains, je retiendrai le nom de l’empereur
Wou Yi (1198-1195) qui mourut frappé de la foudre à la chasse entre le Ho (il
avait abandonné Po pour se retirer au nord du Ho) et la Wei. Se-ma T’sien
nous dit que Wou Yi
« agissait d’une manière déraisonnable ; il fit une image de forme
humaine et l’appela l’Esprit du Ciel ; il joua avec elle (aux
tablettes) et ordonna à un homme de ranger (les tablettes) pour
elle ; l’Esprit du Ciel ayant perdu, il l’injuria et l’insulta. Il fi t un
sac en peau et le remplit de sang ; il le suspendit en l’air et tira sur
lui des flèches, disant qu’il tirait sur le Ciel » (179).
Une mort violente fut le châtiment du sacrilège. A ce sujet ; M. Chavannes
rappelle un article de M. James Darmesteter intitulé La Flèche de Nemrod qui
retrace la marche de ce mythe depuis son passage en Perse, dans les légendes
des Musulmans et des Juifs (180).
Sin.
Le dernier prince de cette dynastie fut Sin (1154-1123), surnommé
Tcheou, fils de l’empereur Yi qui, dit le T’oung Kien Kang mou , I, p. 283
« était un prince modeste, bon, mais de peu d’esprit, ne sachant ni
gouverner par lui-même, ni commander à ses ministres ».
« L’empereur Tcheou, dit Se -ma Ts’ien (181), (le Chou King, le
T’oung Kien Kang mou et le Tchou Chou Ki nien disent : Cheou)
se distinguait par des qualités supérieures pour le mal ; il entendait
et voyait avec beaucoup d’acuité ; sa force était surhumaine ; avec
la main il terrassait des animaux furieux. Son savoir lui permettait
de contredire les remontrances ; son habileté • 110 à parler lui
permettait de colorer ses mauvaises actions. Il intimidait ses
officiers par ses capacités, il s’éleva haut dans l’Empire par sa
renommée ; de la sorte il fit que tous étaient sous sa dépendance. Il
aimait le vin, la débauche et les réjouissances ; il s’adonnait aux
femmes. »
Un autre historien (182) nous dit qu’il
Henri Cordier Histoire générale de la Chine 86
Ecailles de tortue.
Un heureux hasard permet de jeter non pas un jour, mais une petite lueur
sur cette période de l’histoire chinoise à l’aide de documents insignifiants
dans les mains des ignorants, mais qui, étudiés par des savants, nous ont livré
les noms de quelques-uns des souverains de la dynastie des • 113 Yin, sans
toutefois fournir aucune date pour éclairer la chronologie. En 1899, à une
petite distance de Ngan Yang, dans la préf. de Tchang Té dans le Ho Nan, on
déterra du löss des milliers de fragments d’écailles de tortue et d’os d’animaux
couverts de caractères. Ces fragments transportés à Pe King furent achetés en
partie par un riche collectionneur, Wang Yi-Joung, dont le fils, après la mort
de son père, durant la rébellion des Boxeurs, les revendit à un nommé Lieou
T’ie -yun qui en publia un millier en 1903 dans un ouvrage. D’autres
fragments au nombre d’environ trois mille furent transférés à Wei Hien, dans
le Chan Toung, où un missionnaire protestant de cette ville, le Rév. F. H.
Chalfant, en acheta environ 400 qui furent, en février 1904, cédés à la Société
Asiatique de Chang Haï. D’autres fragments furent acquis par le Carnegie
Museum de Pittsburg, le Royal Scottish Museum d’Edimbourg, le Consul
anglais Lionel C. Hopkins, le Museum fur Völkerkunde de Berlin : néanmoins
la majeure partie resta entre les mains des Chinois. L’emploi de ces écailles de
tortue n’était pas douteux : elles servaient à la divination.
« On appelle pou la divination faite au moyen d’une ca rapace de tortue, et
chéu la divination faite au moyen de brins d’achillée. C’étai t en consultant la
tortue et l’achillée (et en s’appuyant sur leurs réponses) que les sages
souverains de l’antiquité obtenaient que le peuple eût confiance au choix des
saisons et des jours, honorât les esprits, observât les lois et les instructions.
C’ét ait aussi par ces deux méthodes qu’ils dissipaient les perplexités et les
doutes du peuple et triomphaient de son hésitation. Aussi a-t-on coutume de
dire :
« Si dans le doute vous avez consulté l’achillée (ou la tortue),
tenez-vous-en à sa réponse. Si elle vous a fixé un jour pour une
affaire, prenez ce jour. (189) »
Ce qui fait le grand intérêt de cette découverte, c’est que, au dire de M.
Chavannes, l’on retrouve sur certaines de ces écailles des noms tels que Ta
Kia, Tsou Sin, Tsou Ting, P’an Keng, Tsou Keng, etc., qui sont ceux d’em -
pereurs de la dynastie des Yin.
« Qui avait le droit • 114 de s’adresser à ces empereurs défunts ? Ce
ne pouvaient être que leurs descendants. Ces documents doivent
donc émaner d’un des derniers empereurs des Yin. En conclusion,
écrit M. Chavannes, ces documents malgré leur aspect fragmen-
Henri Cordier Histoire générale de la Chine 89
(115)Deuxième Dynastie :
Les Chang ou Yin (1766-1122), 30 règnes
Dynastie Hia • • • Dynastie Tcheou
Dates Noms
1 1766 Tch’eng T’ang ou T’ien Yi, † 1754. Li
2 Wei Ping Ching
3 Tchoung Jen Young
4 1753 T’ai Kia, † 1721. Tche
5 1720 Yu (ou Wo) Ting, † 1692. Siun
6 1691 T’ai Kong, † 1667. Pan
7 1666 Siao Kia, † 1650. Kao
8 1649 Young Ki, † 1638. Yeou
9 1637 T’ai Meou, † 1563. Mi
10 1562 Tchoung Ting, † 1550. Tchouang
11 1549 Wai jen, † 1535. Fa
12 1534 Ho T’an Kia, † 1526. Tchin
13 1525 Tsou Yi, † 1507. T’eng
14 1506 Tsou yin, † 1491. Tan
15 1490 Yu Kia ou Wo Kia, frère de Tsou Sin, † 1466. Yu
16 1465 Tsou Ting, fils de Tsou Sin, † 1434. Sin
17 1433 Nan Keng, † 1409. Keng
18 1408 Yang Kia, † 1402. Ho
19 1401 P’an Keng, † 1374. Yin
Henri Cordier Histoire générale de la Chine 90
*
**
CHAPITRE VI
• 116 Nous avons vu que les Tcheou remontent à Heou Tsi, fils de
l’empereur K’ou et de sa première femme Kiang Youen, princesse de la
famille T’ai ; il avait été nommé Intendant de l’Agriculture par Yao ; et
Chouen lui donna en fief le pays de T’ai, sous -préf. de Kien, dans le Chen Si ;
de lui descend Tan Fou, fils du duc Chou Tsou Lei, qui fut attaqué par les
barbares Hioun yu, Joung et Ti :
« Les fruits de la courge, dit le Che King (191), naissent et se
développent les uns à la suite des autres sur la même tige (ainsi
notre nation a grandi peu à peu). Notre peuple est originaire de la
terre (de Pin) (192), où coulent la Ts’iu et la Ts’i. Au temps de
l’ancien prince Tan Fou, il habitait des huttes et des cavernes
disposées en forme de fours ; il n’avait pas encore de maisons ni de
bâtiments. »
Tan Fou, nommé plus tard T’ai Wang, fixa sa résidence (1325 av. J. -C.) à
Tcheou Youen, dans la sous-préf. de K’i Chan, préf. de Foung Siang (Chen
Si), et donna par suite à sa principauté le nom de Tcheou d’après la plaine qui
s’étendait au sud du mont K’i. Son petit -fils Tch’ang fut le Chef de l’Ouest (Si
Pe), canonisé par son fils, Tcheou Koung, sous le nom de Wen Wang. Ainsi
que nous l’avons dit, il fut l’un des trois Ducs du Palais ; par ordre du tyran
Tcheou Sin il fut emprisonné pendant sept années à Yeou Li Tch’eng, dans la
préf. de Tchang Te, Ho Nan. Il divisa la terre de Tcheou ou de K’i Tcheou en
deux parties, en donnant la partie orientale • 117 à son fils cadet Tan, avec le
titre de Tcheou Koung, duc de Tcheou, et la partie occidentale à Che, son
ministre, avec le titre de Chao Koung, duc de Chao. Si Pe quitta le sud du
mont K’i et transféra sa capitale à Foung, dans la préf. de Si Ngan ; il mourut
une année après (1135 av. J.-C.) avant d’avoir vu la chute des Chang.
Wou Wang.
Son fils Fa, né en 1169, connu dans l’histoire sous le nom de Wou Wang,
est le premier empereur de la dynastie des Tcheou. Il suivit l’exemple de son
père et récompensa les services de ses ministres : Lu Chang, surnommé T’Ar
Koung Wang, fut nommé Grand Précepteur ; Tcheou Koung fut Assistant, et
les ducs de Chao et de Pi furent désignés pour être les Précepteurs royaux de
gauche et de droite. Après qu’il eut défait Tcheou Sin à Mou ye (1122),
n’écoutant que la générosité de son cœur, Wou fit une large distribution de
principautés, et ce morcellement de l’Empire fut une des causes principales de
l’affaiblissement graduel des Tcheou et de leur décadence finale. En suivant
Henri Cordier Histoire générale de la Chine 92
dans leur pays à des envoyés à la cour de Tch’eng Wang du royaume de Yue
Tchang Chi, royaume situé au sud du pays de Kiao Tchi ou du Tong King qui
jusqu’alors n’avait jamais envoyé d’ambassadeur en Chine. Le Tchou Chou Ki
nien mentionne sans détails la visite du chef des Yue Tchang la dixième année
du règne de Tch’eng Wang. Parmi les présents que Tch’eng Wang envoyait à
leur prince
« étaient cinq chariots, d’une nouvelle invention. Ces chariots
mettaient à couvert et indiquaient en même temps la route qu’ils
tenaient, par le moyen d’une petite boîte, faite en forme de pavillon
ou de dame, suspendue • 119 à l’impériale, dans laquelle était une
main qui marquait toujours le sud, de quelque côté que les chariots
tournassent. C’est pour cette raison qu’on les appella Tche Nan
tché ou Chariot du Sud. Cette machine fut d’une grande utilité aux
envoyés de Yue Tchang Che ; car, arrivés au royaume de Fou Nan
lin, sur le bord de la mer, ils montèrent des barques, et par le
moyen de cette boussole, ils ne mirent qu’un an pour retourner
dans leur royaume (1110) (194). »
Il est bon de noter que ni le Chou King, ni Se-ma Ts’ien ne parlent de cette
ambassade qui est mentionnée pour la première fois dans l’introduction au
Chou King, de Fou Cheng, mais sans allusion aux chariots du Sud. Le Dr
Legge considère ambassade et invention de la boussole comme des
légendes (195).
« La septième année, Tcheou Koung remit l’adminis tration entre
les mains de Tch’eng Wang. Celui -ci, considérant que son oncle
avait bien mérité de tout l’Empire le constitua prince de Lou, avec
la ville de K’iu Feou pour capitale, et lui donna un territoire qui
avait 700 stades en tous sens et pouvait entretenir mille chariots de
guerre. Il voulut que d’âge en âge les princes de Lou fissent des
offrandes aux mânes de Tcheou Koung avec les cérémonies, les
chants et les instruments de musique réservés au Fils du Ciel.
(196) »
A peine eut-il pris le pouvoir que Tcheou Koung. eut à réprimer une
rébellion fomentée par ses frères cadets Sien, prince de Kouan, et Tou, prince
de Ts’ai, conjointement avec Wou Keng, héritier des Yin, dont ils
administraient le territoire ; ce dernier et Kouan furent punis de mort ; Ts’ai
fut exilé dans la terre de Kouo Lin ; mais son fils Hou, Ts’ai Tchoung., étant
très adonné à la pratique de la vertu, Tcheou Koung le créa ministre d’État »,
et plus tard, après la mort de son père, « lui conféra au nom de l’empereur la
principauté de Ts’ai. (197) » Quant aux partisans de • 120 Wou Keng qui
occupaient la principauté de Young, au sud de Wei Houei fou, dans le Ho
Han, ils en furent expulsés et transportés dans la ville nouvellement construite
de Lo et ses environs ; à leur place, on installa K’i, vicomte de Wei, premier
Henri Cordier Histoire générale de la Chine 94
Tchao, Mou.
K’ang lui -même fut remplacé par son fils Hia, sous le nom de Tchao ; ce
prince faible disparut noyé dans le Han ou le Kiang, soit par accident, soit
intentionnellement. Man, son fils, monta sur le trône sous le nom de Mou ; il
rétablit l’ordre et le pouvoir affaibli dans l’Empire ; renouvela les règles des
grands ancêtres de la dynastie, Wen et Wou, réforma la code pénal du marquis
de Lou, Pai Kin, mort en 1063, substituant, dans les cas douteux une amende à
la peine prononcée, et châtia les K’iouen Joung, Barbares de l’ouest de la
Chine, dans la province actuelle de Kan Sou. Suivant Mailla, Mou trouva le
pays désert et ne rapporta que quatre loups et quatre cerfs blancs. Grand
voyageur, l’empereur s’absentait fréquemment de la Cour, conduit • 122 vers
l’ouest, vers les sources du Houang Ho, par son célèbre cocher Tsao Fou.
C’est sans doute à son humeur vaga bonde que ce prince s’est vu rattacher la
légende du fameux roi de Perse Djemchid qui aurait épousé une fille de
Mahang, roi de Ma Tchin (la Grande Chine) qui ne serait autre que notre Mou
Wang. Djemchid aurait eu deux filles de ce mariage ; il est poursuivi par
l’Arabe Zohak à travers l’Inde et la Chine ; nous verrons d’ailleurs plus loin
la légende chinoise se mêler à la légende persane à diverses reprises.
Si Wang Mou.
A Mou Wang, se rattache également une légende fameuse en Chine, celle
de Si Wang Mou ; Se-ma Ts’ien n’en parle pas mais on lit dans le Tchou Chou
Ki nien :
« La 17e année, le roi marcha à l’ouest vers les monts Kouen
Loun : Il vit Si Wang Mou (littéralement Reine-Mère d’Occident).
Cette année, Si Wang Mou vint à la cour et rendit hommage dans
le pays de Tchao (205) ».
On avait pu lire déjà dans le même ouvrage sous le règne de Chouen :
« La 9e année (1034), Si Wang Mou vint rendre hommage ».
On s’est demandé quel était le personnage désigné par ce nom de Si Wang
Mou. Les anciens Jésuites, ainsi, que de nos jours M. A. Forke, en ont fait la
Reine de Saba. M. H. A. Giles voyait un paon dans l’oisea u qui accompagne
Si Wang Mou, dont il n’hésite pas à faire Hera ou Junon (206), Reine mystique
demeurant dans un Paradis dans l’Occident mystérieux (207).
Ma Touan-Lin, suivant une ancienne tradition conservée chez les A-Si,
rapporte que c’est chez les T’iao Tche que se trouve la Mère du Roi
d’Occident (208).
Henri Cordier Histoire générale de la Chine 96
Le Rév. E.-J. Eitel nous dit que les trois caractères de Si Wang Mou ne
sont probablement qu’une translité ration d’u n nom appartenant à une langue
polysyllabique non chinoise, que rien n’indique que ce chef fut une femme.
L’ouvrage Mou Tien tseu tchouan, publié pour la première fois sous les Tsin
(265-313 ap. J.-C.) traduit par Eitel, • 123 donne le récit de la visite de Mou à
Si Wang Mou qui reçut du prince Tcheou 400 pièces de ruban et récita des
vers en l’honneur de son hôte (209). Terrien nous dit également que Si Wang
Mou signifie le Wang Mou de l’Ouest, et que ce Wang Mou n’est sans aucun
douté qu’un essai de donner une signification au nom étranger ou au titre du
souverain dont il est question (210). M. Chavannes va plus loin et présente une
théorie toute nouvelle (211).
« A une époque plus tardive, le nom de Si-Wang-Mou ne fut plus
compris comme une simple transcription phonétique d’un mot
étranger ; on interpréta chacun des caractères qui le composent et
on en fit « la mère-reine d’Occident » ; c’est alors que toutes les
légendes, relatives à la reine-mère d’Occident s’agré gèrent à la
tradition du voyage du roi Mou dans l’ouest. On peut aller plus
loin, si le personnage appelé Si Wang Mou n’est pas essentiel dans
le récit du voyage, le roi Mou lui-même ne l’est pas davantage.
Dans les Annales principales des Tcheou, Se-ma Ts’ien ne
mentionne pas ce voyage lorsqu’il raconte le voyage du roi Mou ;
il en parle au contraire dans les Annales principales des Ts’in ; cela
signifie, puisque Se-ma Ts’ien n’est jamais qu’un compi lateur, que
le récit du voyage était une tradition inconnue dans les chroniques
du pays des Tcheou et qu’elle a eu son origine dans le pays de
Ts’in. Quel est en effet le noyau de la légende ? C’est Tsao fou
[cocher du roi Mou] et son attelage de chevaux merveilleux dont
on conservé les noms étranges. Mais comme Tsao fou passe pour
avoir vécu an temps du roi Mou, les érudits ont rapproché le
voyage dans l’ouest, du nom de ce roi. C’est ainsi que la légende
qui prit naissance dans le Chen Si, à une époque où les habitants de
Ts’in étaient encore barbares, a été d’abord rat tachée à l’histoire du
royaume du Milieu en vertu d’une prétendue concordance
chronologique entre Tsao-fou et le roi Mou, puis s’est grossie de
toutes les fables qui se sont formées autour du contre-sens commis
sur le nom de Si Wang-Mou. »
• 124 La théorie de Chavannes n’est guère acceptable non plus et je me
rallierais plutôt à l’opinion de M. Henri Maspero qui remarque que pour
l’auteur du Mou tien tseu tchouan comme pour ceux du Chan Haï King, Si
Wang Mou n’est pas un personnage historique, c’est une divinité féminine :
Suivant un passage du Chan Hai King qu’il cite
« nous avons la clef du personnage : Si Wang Mou pour les
Chinois du IVe siècle et du IIIe siècle avant J.-C. était la déesse
présidant aux épidémies. Dans la Chine du nord-ouest les
Henri Cordier Histoire générale de la Chine 97
Koung.
Quand I Hou remplaça son père Mou, âgé de 104 ans, sur le trône, sous le
nom de Koung, il avait déjà 72 ans. Il tomba amoureux des trois filles de
Kang Koung, descendant de Fou Hi, mais leur père les ayant soustraites à la
passion du prince, celui-ci fit détruire la ville de Mi où elles s’étaient
réfugiées. Le roi se repentit d’ailleurs de ce crime qu’il tâcha de réparer
pendant le reste de son court règne de douze ans. Il eut pour successeurs son
fils Kien sous le nom de Yi, son frère Pi Fang sous le nom de Hiao, puis Yi,
fils aîné de Yi, sous le nom de Sié dont le fils Hou fut roi à son tour sous le
Henri Cordier Histoire générale de la Chine 98
nom de Li. Li signala le début de son règne par l’assassinat de Pou Tchen, fils
de Tsi, et par la faveur qu’il témoigna au duc de Ying ; la cruauté de ce prince,
son arrogance, sa tyrannie amenèrent un soulèvement et Li fut obligé de fuir à
Tche (préf. de P’ing Yang, Chan Si ), où il mourut en 828. Pendant l’exil de
Li, les ducs de Chao et de Tcheou exercèrent la régence, dont la première
année, suivant Gaubil, p. 39, est 841 av. J.-C. C’est à 842 que le prof. E. H.
Parker considère que l’histoire de Chine commence (212).
Siouen.
Hou, duc de Chao, désigné sous le nom posthume de Mou, soumit les
barbares au sud de la Houai ; le fils de Li, Tsing, qui avait été sauvé par le duc
de Chao monta sur le trône sous le nom de Siouen. Dans la trente-neuvième
année de son règne (789 av. J.-C.), Siuen fut complètement battu et faillit être
fait prisonnier à Ts’ien Meou (Chan Si) par les Joung des tribus Kiang ; il se
retira à T’ai Youen où il fit faire le dénombrement de son peuple, leva une
nouvelle armée et défit les Joung. On • 126 fait remonter à l’époque de ce
prince les dix tambours ou cylindres de pierre (Che kou) rangés sur deux rangs
de chaque côté et à l’intérieur de la porte principale du Temple de Confucius à
Pe-king, où ils furent transportés au commencement du XIVe siècle ; ils
avaient été découverts, à moitié enfouis dans le sol, dans un terrain abandonné
de Foung siang fou, dans le Chen Si, au début de la dynastie des T’ang ; ils
portent des vers en caractères tchouan (caractères de sceau) traitant de la
chasse et de la pêche ; la majorité des savants chinois les considèrent comme
authentiques et fournissant un exemple des caractères en usage au
commencement des Tcheou (213).
Yeou.
Le fils de Siouen, Koung Nié monta sur le trône sous le nom de Yeou
(781-771) : sans respect pour la mémoire de son père, n’ob servant pas les rites
funéraires, cruel et vicieux, Yeou s’abandonna à toutes ses passions. L’année
suivante (780) les trois rivières du Chen Si, la Wei, le King, affluent de
gauche de la Wei, et le Lo, affluent du Houang Ho, furent soulevées par un
tremblement de terre, puis se desséchèrent, ce qui fut considéré comme un
mauvais présage pour la dynastie des Tcheou. En 779, Yeou s’éprit de Pao Se,
enfant trouvée à laquelle on attribua une origine surnaturelle ; elle avait pour
mère une femme du palais de rang inférieur, qui, quoique non mariée, l’aurait
portée dans son sein quarante ans suivant la légende ; l’enfant fut jetée par
ordre de l’impératrice dans la rivière Tsing Chouei, mai s fut miraculeusement
sauvée ; Yeou en eut un fils Po Fou qu’il substitua à l’héritier présomptif Yi
Kieou dont il répudia (773) la mère, fille du marquis de Chen, outrage sans
précédent dans l’histoire chinoise ; Chen (Nan Yang fou, Ho Nan) allié aux
princes de Tcheng et de Tsin et aux K’iouen Joung tua Yeou à Lin Toung hien
(district de Si Ngan) ; Pao Se s’étrangla.
Henri Cordier Histoire générale de la Chine 99
P’ing.
Yeou fut remplacé par Yi Kieou sous le nom de P’ing (770 -720). On lit
dans le Tch’ouen Ts’ieou :
« Les princes de Tcheng Wou Koung et son fils Tchouang Koung
furent successivement grands ministres d’État de l’empereur P’ing
Wang. L’empereur voulut • 127 diviser l’autorité administrative
entre le prince de Tcheng et le prince de Kouo occidental. Le
prince de Tcheng en fut indisposé contre l’empereur. L’empereur
renonça à son dessein, et dit : « Non, qu’il n’en soit pas ainsi ». En
conséquence, l’empe reur et le prince de Tcheng se donnèrent des
otages (214) »
Ce prince eut tout d’abord à repousser les barbares qui l’avaient aidé à
monter sur le trône et qui refusaient de se retirer, mais, malgré sa victoire,
craignant leur retour, il se décida à transférer sa capitale à Lo Yang,
emmenant avec lui Kiue Tou, fils de Houan Koung, prince de Tcheng, qui
avait été tué par les Joung en 773 : il céda lors l’ancien fief de sa famille, Hao,
au prince Siang, de Ts’in, qu’il créa tchou heou. Gaubil nous dit, p.42, que
Siang
« par la cession que l’empereur lui fit devint puissant. Il se
comporta ensuite comme prince indépendant, et s’arrogea le droit
impérial de sacrifier solennellement au Chang Ti. Siang Koung fit
graver sur un grand vase l’acte de cession que lui fit l’empereur.
P’ing -Wang a, dans ce monument, le titre de roi céleste. Ce
monument fut trouvé dans le Chen Si, du temps de T’ai Toung,
empereur de la dynastie Soung ».
La décadence des Tcheou commence alors que grandit la puissance des
Ts’i, des Tch’ou, des Ts’in et des Tsin.
avec K’ing Koung (273) qui régna 24 ans ; cette principauté fut détruite en
249 par Kao li Wang, de Tch’ou, après avoir duré 873 ans et compté 35
princes ; le prince était heou, marquis, et son nom de famille était Ki.
2° • 128 T’si (1076 -220), formait la moitié du C’han Toung ; le premier
prince fut Chang Fou, appelé T’ai Koung (1122) qui la reçut de Wou Wang et
le dernier K’ang Koung (4044), qui régna 26 ans : le prince était heou et son
nom de famille était Kiang. Cette principauté, après une durée de 744 ans, et
avoir compté 29 princes, fut détruite en 379 par les Tien Ts’i ; ceux-ci
commencèrent en 386 avec Tien Ho et finirent avec le septième de leur prince,
Wang Kien qui régna 44 ans ; cette principauté, après une durée de 166 ans,
fut détruite par Ts’in Che Houang -ti en 221.
3° Tsin (1106-376), région de T’ai Youen fou (Chan -Si) et une partie du
Ho Nan et du Tche Li ; capitale Kiang, dans le Kiang Tcheou ; elle fut
gouvernée par Yao ; elle était l’ancienne province impériale de Ki Tcheou ;
d’abord appelée T’ang ; cette principauté fut donnée par Tch’eng Wang à son
frère Chou Yu (1115) dont le fils Sié (1102) donna à ses possessions le nom
de Tsin, rivière qui les bordait au sud ; 40 princes ; le dernier prince Tsing
Koung (378), après trois années de règne fut détrôné par les trois grands
fonctionnaires Wei, Han et Tchao qui s’étaient partagé le pays dès 403 ; le
prince était heou et son nom de famille était Ki.
4° Ts’in (908 -245), dans le Chen Si qui comprenait le Kan Sou, eut pour
première capitale Ts’in Tcheou dans le Ts’ing Chouei hien ; cette principauté
fut donnée par l’empereur Hiao Wang (908 -894) à Fei Tseu, descendant de Pe
Yi, ministre de Chouen et de Yu ; mais le prince véritable est le duc Siang
(771, P’ing Wang) ; la principauté finit avec Tchao Siang Wang ; les Ts’in
renversèrent les Tcheou et se proclamèrent empereurs en 255 ; il y a eu
jusqu’à Eul Che Houang Ti, 42 princes de Ts’in.
5° Tch’ou ou Tsou (1122-223), dans le Hou Kouang ; fondée par Hioung
Yi (1122), elle finit avec Wang Fou Tch’ou (227) qui régna 5 ans ; 41
princes ; le prince était tseu et prenait le titre de Wang et son nom de famille
était Mi. Après une durée de 893 ans, cette principauté fut détruite en 223 par
Ts’in Che Houang Ti.
6° • 129 Wei, dans le nord du Ho Nan, partie méridionale du Wei Houei
fou, capitale Tchao Ko, au nord-est de Ki Hien ; donnée par Wou Wang à son
frère K’ang Chou (1115) † 1079 ; 42 princes ; le nom de famille était Ki et le
prince était heou. Elle fut détruite après une durée de 907 ans par Eul Che
Houang-Ti en 209, le dernier prince Kiun Kio étant déposé.
7° Ts’ai (1206 -446), dans le sud-est du Ho Nan, capitale Jou Ning fou ;
créée en 111, pour Ts’ai Chou ; son dernier prince fut Heou Ts’i (450) qui
régna 4 ans ; 25 princes ; le prince était heou et son nom de famille était Ki.
La principauté dura 675 ans, et fut détruite en 447 par Houei Wang, roi de
Henri Cordier Histoire générale de la Chine 101
Tch’ou ; la principauté détruite une première fois par Tch’ou en 531, avait été
rétablie en 529.
8° Tcheng (805-374), dans le Ho Nan, capitale Tcheng Tcheou ; cette
principauté fut donnée en 806 par l’empe reur Siouen à son frère You, dont le
nom posthume est Houan Koung ; le fils de Houan Koung reçut de P’ing
Wang un fief à l’est de Lo Yang qui fut appelé Sin Tcheng (Nouvelle Tcheng)
qui est dans le fou actuel de K’ai Foung ; 23 princes ; le prince était Pe et son
nom de famille était Ki. Le dernier prince K’ang Koung (395) régna 21
années, et sa dynastie qui avait duré 432 ans fut détruite en 375 par le prince
de Han, Ngai Heou.
9° Ts’ao (1051 -486), dans le sud-ouest du Chan Toung (Ts’ao hien) ; fut
donné en 1122 par Wou Wang à Tchen To son frère (1122), le prince était Pe
et son nom de famille était Ki ; 26 princes ; finit avec Pe Yang qui fut fait
prisonnier en 487, par le duc King de Soung.
10° Tch’en (853 -478), dans le Ho Nan (Tch’en Tcheou), au sud de Soung
et de K’i, fut donné en 1122 par Wou Wang au fils de Ngo Fou, directeur des
poteries impériales, descendant de Chouen, Man, qui reçut le nom posthume
de Hou Koung ; mais son histoire ne commence qu’en 853 avec Yeou Koung,
le nom de famille était Kouei ; 24 princes. Cette principauté finit avec Min
Koung qui régna 24 ans ; après avoir duré 645 ans, elle fut détruite (479) par
Houei Wang, roi de Tch’ou ; le roi de Tch’ou avait détruit une • 130 première
fois en 582 cette principauté qui fut rétablie en 529.
11° T’eng, dans le Chan Toung, capitale Yen Tcheou, créée pour la
postérité de Chou Sieou, frère de l’empereur Wou, représentée par Siouen
Koung (665) ; le prince, était heou et son nom de famille était Ki. Ce royaume
fut conquis en 415 par Yué.
« T’eng était au sud de T’eng Hien, dans le Yen Tcheou fou, Chan
Toung. Le Prince de T’eng était issu de Wen Wang, et appartenait,
comme le prince de Lou, à la famille impériale des Tcheou. Sié
était au S.-E. de T’eng Hien. Le Prince de Sié descendait, disait -on,
de Houang Ti. Son nom de famille était Jen. Ses ancêtres avaient
été créés princes de Sié sous la dynastie des Hia (216). »
12° K’i, petit État, au sud-ouest de Soung, dans le Ho Nan, territoire de
K’ai Foung ; créé en 1122 pour Toung leou Koung ; détruit en 445 par les
Tch’ou sous le règne de Lan Koung (453) qui régna 9 ans. Le prince était Pe
et son nom de famille était Seu.
13° Soung (1077-285), dans l’est du Ho Nan, pays de Kouei Te fou ; la
capitale de Soung, dans le Kouei Te fou, était séparée par le Fleuve Jaune, de
la capitale des Wei, dans le Wei Houei fou ; créée en 1122 pour Wei Tseu †
1078 ; 32 princes ; le dernier prince fut Soung Wang où Yen (328) Qui régna
43 ans. Le prince était koung et son nom de famille était Tseu. Après une
Henri Cordier Histoire générale de la Chine 102
durée de 829 ans, la principauté fut détruite (286) par les Ts’i, les Tch’ou et
les Wei.
14° Wou (1290-472), comprenait presque tout le Kiang Nan, avec Wou Si,
et Sou Tcheou, comme capitales ; il comprenait même Hang Tcheou, avec la
partie nord du Tche Kiang ainsi que la partie nord du Kiang Si, mais la partie
ouest du Ngan Houei appartenait au royaume de Tch’ou. Il repré sentait
vraisemblablement le Yang Tcheou, l’une des neuf provinces de Yu le Grand ;
il était habité, à l’époque an cienne, par les barbares Man. On fait remonter son
histoire à T’ai Pe, fils de T’ai Wang, descendant de Heou Tsi ( c. 2356 av.
J.-C.). Son premier prince fut Tcheou Tchang (1122) ; • 131 mais son histoire
ne commence réellement qu’avec Cheou Moung (585), le dernier prince fut
Fou Tch’ai (495) qui régna 23 ans ; le prince était heou et son nom de famille
était Ki ; le royaume fut détruit par Keou Tsié, roi de Yué en 473 ; il avait
compté 25 princes.
15° Tchou, petite principauté créée par Wou Wang, dans le Chan Toung
(Tsao Hien), au nord de Sié, pour des descendants de l’Empereur Tchouen
Hiu ; réuni à Lou par Tch’ou.
16° Kiu, dans le Chan-Toung ; dont les princes se disaient descendants de
l’empereur Chao Hao ; Wou Wang créa le premier prince Tseu Yu ki ; détruit
par Tch’ou en 431.
17° Sié, la plus petite des principautés, dans le Chan Toung, près de Teng
Hien sur le Grand Canal ; fut détruite par Ts’i à une date indéterminée, le
prince était heou et son nom de famille était Jen ; 6 princes.
18° Hiu, petite partie du Ho Nan ; le premier prince est Te nan (740) ; finit
avec Youen Koung et Koung Kie (513) ; le chef était nan et son nom de
famille était Kiang.
19° Siao Tchu, petit État, qui n’eut qu’une brève exis tence.
20° Yen (863-221), dans le nord du Tche Li ; commence avec Chao
Koung che (1122) ; finit en 254 avec Wang Hi qui dura 33 ans ; 43 princes ; le
prince était Pe et son nom de famille était Ki ; la dynastie après une durée de
720 ans fut détruite par les Ts’in en 222, époque à laquelle le dernier prince
Hi, qui avait été réduit en 226 au titre de roi de Leao Toung, perdit même ce
dernier honneur. A l’époque de sa grandeur, Yen avait soumis le Tchao Sien
(Corée) dont il nommait les fonctionnaires. Ce pays fut placé par Ts’in Che -
Houang-ti sous la dépendance du kiun de Leao Toung (217).
21° Han (423-225), capitale : Hang Tch’eng hien, dans le Chen Si, plus
tard Sin Tch’eng ; il comprenait les territoires de Lou Ngan fou, Leao Tcheou,
etc. (Chan Si), voisins de Wei et de Tchao, et au sud du Fleuve Jaune, une
partie du Ho Nan confinant au Tch’ou ; à l’ouest il était limitrophe de Ts’in.
Wou Tseu (424) fils de Kang Tseu est considéré • 132 comme le premier prince
de Han ; cette dynastie qui a avec les Tcheou une origine commune finit en
Henri Cordier Histoire générale de la Chine 103
238 avec Wang Ngan ; elle régna 195 ans et fut détruite en 230 par Tch’ou,
après avoir compté 11 princes.
Le P. de Mailla fait remarquer que
« huit de ces royaumes étaient gouvernés par des princes de la
famille des Tcheou, à savoir, Lou, Wei, Tsin, Tcheng, Ts’ao, Tsai,
Yen et Wou. Ils auraient pu aisément conserver l’Empire dans leur
famille, s’ils se fussent réunis ensemble ; mais leurs intérêts
particuliers les divisèrent, et peu à peu ils s’entre -détruisirent
eux-mêmes (218). »
A cette liste il faut ajouter quelques autres principautés sous les Tcheou,
non encore mentionnées ; il y en eut jusqu’à cinquante -cinq. Il faut remarquer
que Se-ma Ts’ien énumère seulement les treize États féodaux suivants : Lou,
Wou, Soung, Tch’en, Tcheng, Tch’ou, Ts’ai, Ts’ao, Ts’i, Tsin, Ts’in, Wei et
Yen. Outre la principauté de Wei dans sa partie orientale, le Wei Houei fou
comprenait dans sa partie septentrionale la principauté de Pei et dans sa partie
méridionale celle de Young, qui avait été donnée par Wou Wang à Wou
Keng, fils de Tcheou Sin. Une autre petite principauté de Wei était située dans
le Chan Si (Hiai Tcheou), le nom de famille était Ki. Kouei était dans le Ho
Nan (Tcheng Tcheou) ; Pin, dans le Chen Si (San Chouei hien) ; Tchao, dans
le Chan Si et dans la partie sud du Tche Li ; ses princes descendaient de Tsao
Fou, conducteur du char de Wou Wang ; cette principauté a duré de Lie heou
(408) à T’ai W ang (227) qui régna six ans ; elle dura 187 ans et fut détruite
par les Ts’in en 228 après avoir compté 10 princes.
Yue, territoire de Chao Hing, dans le Tche Kiang, finit avec Wang
Wou-Kiang (356) qui régna 23 ans, et périt en luttant contre Tch’ou et don t
les fils se partagèrent le territoire. Le fondateur de ce royaume, Wou Yu,
descendait de Chao K’ang, des Hia (2079 -2057).
Lo Yang et ses environs formaient le domaine impérial Wang des Tcheou,
dont les capitales furent successivement • 133 Hao, avec Wou Wang, Foung
avec Tch’eng Wang, enfin Lo Yang.
Les historiens
« attribuent à la timidité et au peu de talent de P’ing Wang, la
décadence de la dynastie de Tcheou. La transmigration de Yeou
Wang dans le Ho Nan, fut, selon ces historiens, suivie de tous les
malheurs. Les princes tributaires devinrent indépendants ;
l’ancienne religion périt ; les sciences, l’étude, le zèle pour le bien
public, furent anéantis ; les gens habiles se dissipèrent. Le prince
Wen Koung, successeur de Siang Koung, rendit, pour la forme,
l’ancienne Cour. Le palais où on faisait les cérémo nies aux princes
ancêtres, et leurs tombeaux, furent presque ruinés, et on ne se mit
pas en peine de les réparer. Ce sont autant de crimes que les
Chinois reprochent à P’ing Wang. A la 18e année du règne de
Henri Cordier Histoire générale de la Chine 104
Siang....
Son fils Tcheng fut roi sous le nom de Siang ; son demi-frère Chou Tai
s’allia aux Joung et aux Ti (649) pour l’attaquer, mais le rebelle fut obligé de
fuir, et le duc Houan rétablit la paix entre les Joung et les Tchou ; neuf ans
Henri Cordier Histoire générale de la Chine 105
plus tard, Chou Tai revint à la Cour, rappelé par son frère. Siang se brouilla
avec le prince de Tcheng, l’un de ses prin cipaux appuis et appela les Ti contre
lui (636). les Ti se tournèrent ensuite contre Siang et pénétrèrent dans sa
capitale, mais le duc Wen de Tsin vint au secours de l’em pereur (635) qu’il
rétablit sur le trône et tua Chou Tai. Nous ne ferons qu’énumérer les
successeurs de Siang, mort en 620.
K’ing, (nom Jen Tch’en), fils de Siang, mort en 613 (le Kouo yu dit que
ce prince fit fondre des cloches et de grands deniers de cuivre) (222) ; K’ouang
(nom Pan), fils de K’ing, • 135 mort en 607 ; Ting (nom Yu), frère cadet de
Kouang, mort en 586 ; Kien (nom Yi), fils de Ting, mort en 572 ; Ling (nom
Sie sin), fils de Kien, mort en 545. Sous son règne, en 546, Hiang Siu, du
royaume de Soung, tenta de provoquer une entente et un désarmement
général, pour éviter au peuple la calamité des guerres en réunissant un congrès
de la paix auquel assistaient des délégués de Tsin, de Tch’ou, de Ts’i, etc., en
tout 14 royaumes, à Kouei Te fou, capitale de l’État de Soung, au Ho Nan.
Comme tout congrès pacifique, cette réunion est le commencement, d’une ère
de guerres sanglantes. King (nom Kouei), fils de Ling, mort en 525 ; Tao
(nom Mong), ne figure pas parmi les rois de Tcheou, tué (519) ; King (nom
Kai), frère cadet de la reine Mou, première femme de King, mort en 476 ;
c’est sous son règne que mourut Confucius (479) ; Youen (nom Jen), fils de
King, mort en 469 ; à la 3e année de son règne, Keou tsien, prince de Yue,
s’empara des États de Fou tcha, prince de Wou, et fut nommé chef des prince s
(hégémon) par l’em pereur. Le prince de Wou descendait de Tai Pe, oncle
paternel de Wen Wang.
« Plusieurs princes de la famille qui avait possédé l’État de Wou,
se retirèrent au Japon, et y habitèrent. Selon bien des Chinois, les
Dairis du Japon se disaient des descendants de Tay pe, prince ou
roi de Wou ; (223) »
Ting (nom Kié), fils de Youen, mort en 441 ; Ngai (nom K’iu Tsi), fils de
Ting, tué au bout de trois mois de règne par son frère cadet Chou ; Se (nom
Chou), fils de Ting, tué au bout de cinq mois de règne par son frère cadet Wei
dans une bataille ; K’ao (nom Wei), fils de Ting, mort en 426, K’ao craignant
que son frère Kié (duc Houan) ne lui fît subir le sort de Ngai et de Se lui
abandonna la partie occidentale appelée Ho Nan de sa capitale, ne conservant
que la partie orientale ou ville basse appelée Tch’eng Tcheou (441) ; le duc
Houan donna alors à sa maison le nom de Tcheou occidentaux ; son petit-fils
le duc Houei chargea son fils cadet, également nommé Houei, d’o ccuper la
partie orientale de la capitale (376), ce dernier • 136 devenant le duc des
Tcheou orientaux ; Wei Lié (nom Wou), fils de K’ao, mort en 402 ; c’est de
cette époque qu’on vit les Chinois, sujets du prince de Ts’in, porter l’épée
attachée à la ceinture, coutume empruntée aux Tartares par les Ts’in (224).
L’Empire est en pleine décadence : Ngan (nom Kiao), fils de Wei Lié, mort en
376 ; Lié (nom Hi), fils de Ngan, mort en 369 ; Hien nom Pien.), frère cadet
de Lié, mort en 321 ; Se-ma Ts’ien nous dit (225) que
Henri Cordier Histoire générale de la Chine 106
Etendue de l’Empire .
Henri Cordier Histoire générale de la Chine 107
Gouvernement.
A la tête du gouvernement étaient placés les trois ducs (San Koung) ;
au-dessous d’eux, sans leur être subordon nés, venaient les San Kou, puis les
six ministres d’État ( liu king) indépendants des San Koung et des San Kou ;
ces king étaient vêtus de noir lorsqu’ils exerçaient leurs fonctions dans le
palais impérial ; ils portaient, comme les grands préfets (t’ai fou ), des
« tuniques garnies de peaux d’agneaux, avec des manches dont les parements
étaient de peau de léopard (235). »
Les San Koung, les San Kou et les • 140 King formaient le Conseil privé de
l’Empereur, qui depuis a été appelé Nei Ko.
Tch’eng Wang constitua l’administration de la manière suivante :
« Je constitue le grand précepteur (t’ai che ), le grand maître (t’ai
jou) et le grand gardien ou tuteur (t’ai pao). Ce sont les San Koung
(les trois plus hauts dignitaires). Ils exposent les principes,
établissent l’ordre dans l’Empire, et mettent en parfaite harmonie
Henri Cordier Histoire générale de la Chine 109
Troisième Dynastie : Les Tcheou (1122-255 av. J.-C.), 34 règnes, 874 ans.
Dynastie Chang • • • Dynastie Ts’in
d’après le Tchou Chou ki nien •
1 1122 Wou, † 1116 1061 Fa
2 1115 Tch’eng, † 1079 1044 Soung
3 1078 K’ang 1007 Tch’ao
4 1052 Tchao 981 Hia
5 1001 Mou 962 Mouan
6 946 Koung 907 Yi
7 934 Yi 895 Kien
8 909 Hiao 870 Pi Fang
9 894 Yi 861 Sie
10 878 Li 853 Hou
841 Régence de Koung Ho.
11 827 Siouen Tsing
12 781 Yeou, † 771 Koung Houang
13 770 P’ing Yi kieou
721 Commencement du Tch’ouen ts’ieou.
14 719 Houan Lin
15 696 Tchouang T’o
16 681 Hi Hou Ts’ i
17 676 Houei Lang
18 651 Siang Tching
19 618 K’ing Jen Tch’en
20 612 K’ouang Pan
21 606 Ting Yu
22 585 Kien Yi
23 571 Ling Yi Sin
24 543 King Kouei
520 [Tao] Meng
25 519 King Kiun
26 475 Youen Jen
27 468 Tcheng Ting Kiai
440 [Ngai] Kiu tsie
440 [Se] Chou Sié
28 440 K’ao Wei
29 425 Wei Lié Ngou Kao
30 401 Ngan Kiao
31 375 Lié Hi Ngan
32 368 Hien Pien
33 320 Chen Ts’in Ting
34 314-256 Nan, † 256 Yen
255 Tcheou Kiun, règne nominalement -> 249
Henri Cordier Histoire générale de la Chine 114
Se-ma Ts’ien ne donne pas les dates avant 841 ; ses dates sont conformes
à celles du T’oung Kien Kang mou ; le Tchou Chou Ki nien marque 1044 pour
l’avènement de Tch’eng.
*
**
Henri Cordier Histoire générale de la Chine 115
CHAPITRE VII
Vie de Confucius.
• 146 Confucius n’est que le nom latinisé par les mission naires de K’oung
Fou Tseu (Maître K’oung) ou K’oung Tseu, né la 22 e année du duc Siang,
(551) à Tseou, dans le royaume de Lou (province actuelle du Chan Toung).
Une légende le fait descendre à la quatorzième génération de Wei Tchoung,
deuxième fils de Ti Yi (1191-1154), l’avant -dernier empereur de la dynastie
des Yin ; d’après une autre il appartenait à une famille remontant au troisième
des Cinq Empereurs, le célèbre Houang Ti qui, du pays de Soung, vint
s’établir au royaume de Lou avec K’oung Fang -chou ; le père du sage, K’oung
Chou leang Ho, sous-préfet de Tseou, préf. de Yen Tcheou, n’ayant que des
filles d’un premier mariage avec Che, et un fils infirme nommé Moung P’i,
d’une concubine, épousa à l’âge de 79 ans en secondes noces une jeune fille
de la famille Yen, dont il eut un fils, qui reçut le nom de K’ieou à cause d’une
protubérance qu’il avait sur la tête, et le surnom de Tchoung -ni en
remerciements d’un pèlerinage qu’avait fait sa mère au Ni K’ieou Chan pour
obtenir un fils. C’est notre philosophe. Plus tard on étudiera les signes caracté -
ristiques observés, dans la structure du corps de Confucius, présages de sa
haute destinée, par exemple son large visage, signe de richesse, les deux
cornes de son front, présage d’une carrière glorieuse, etc. (701) K’oung
K’ieou perdit son père à l’âge de trois ans, et sa mère Tcheng Tsai quitta le
district de Tchang Ping pour aller s’établir dans celui de K’iu Feou, capitale
du royaume de Lou. Élevé d’abord par sa mère, le jeune K’ieou fut, à l’âge de
sept ans, envoyé dans une école tenue par un lettré distingué nommé P’ing
Tchoung.
• 147 Il ne tarda pas à se faire remarquer non seulement par son amour du
travail, mais encore par sa gravité précoce, et son maître le choisit pour faire
répéter leurs leçons à ses condisciples moins bien doués que lui. A dix-sept
ans, il accepta un poste de fonctionnaire inspecteur de la vente et de la
distribution des grains ; à dix-neuf ans, K’oung épousa K’i Kouan -che ou
Chang Kouan, qui appartenait à la famille K’i du royaume de Soung ; il en eut
l’année suivante un fils qu’il appela Pe yu qui mourut à 50 ans, avant lui. Agé
de vingt ans, K’oung fut chargé du contrôle des greniers publics. A vingt et un
ans sa réputation étant devenue grande, il fut nommé inspecteur général des
campagnes et des troupeaux, avec mission de réprimer les abus. Pendant
quatre ans, il remplit ses fonctions avec un zèle qui lui permettait d’aspirer à
de hautes dignités, lorsque la mort de sa mère, à peine âgée de quarante ans,
en 528, lui fit prendre une retraite de trois ans, renouvelant ainsi une coutume
qui est encore aujourd’hui en usage en Chine. Confucius continua à se
Henri Cordier Histoire générale de la Chine 116
Livres Classiques.
• La doctrine de Confucius est renfermée dans les Livres Classiques ou
King écrits par lui ou ses disciples.
Confucius a dit :
« En entrant dans une contrée, il est facile de voir quel
enseignement le prince donne à ses sujets : S’ils sont doux,
accommodants, sincères, bons, l’en seignement est basé sur le Che
King. Si leurs connaissances sont grandes et s’étendent loin dans le
passé, l’enseignement est basé sur le Chou King. S’ils ont l’esprit
large et généreux, s’ils sont indulgents et bienfaisants,
l’enseignement est basé sur le Yo ki. S’il s sont honnêtes, paisibles,
s’ils ont l’esprit perspicace et subtil, l’enseignement est basé sur le
Yi King. S’ils sont respectueux, modérés, bien réglés, atten tifs,
l’enseignement est basé sur le Li Ki. S’ils portent des jugements
exacts sur les choses, l’enseignement est basé sur le Tch’ouen
Ts’ieou . Le Che King mal compris conduit à la niaiserie, le Chou
King à la duplicité, le Yo ki au faste et à la prodigalité, le Yi King à
la violation des principes de la droite raison, le Li Ki à la
multiplicité des cérémonies, le Tch’ouen Ts’ieou à la révolte
(247). »
Henri Cordier Histoire générale de la Chine 118
Voici l’énumération de ces King qui sont divisés en deux ordres. • 150
L’auteur célèbre du Chou tsi tchouan houei wen, liv. I, p. 25, etc.,
s’exprime en ces termes :
« Confucius doit sa renommée à T’sin Che Houang Ti. Les
Grandes Annales et autres Grandes Collections n’étaient jamais
sorties de la bibliothèque impériale des Tcheou, dont Ts’in Che
Houang Ti s’était emparé.
De là Se-ma Ts’ien conclut :
« quoique Ts’in Che Houang eût réussi à faire réduire en cendres le
• 152 Chou King, le Che King et autres canoniques, on en recouvra
des exemplaires plus ou moins complets, parce qu’ils s’étaient
répandus au dehors et que plusieurs purent en cacher. Mais tous les
livres d’Histoire étaient enfermés dans la seule bibliothèq ue des
Tcheou, voilà pourquoi ils ont été anéantis. Perte irréparable.
Henri Cordier Histoire générale de la Chine 120
Philosophie de Confucius.
• 155 La forme orthodoxe du Confucianisme lui a été donnée par le célèbre
philosophe Tchou Hi, de la dynastie des Soung (1130-1200), né dans le Fou
Kien, d’un père originaire du Ngan Houei ; en 1180, ayant été nommé
gouverneur du Nan K’ang ; dans la province actuelle du Kiang Si, il se retirait
dans la grotte du Cerf blanc, près du lac P’o Yang, pour se livrer à ses
méditations. Nous avons déjà exposé (page • 60 ) son système philosophique
dont l’Absolu Rien ( Wou Ki) est le point de départ : Probablement par suite de
son ignorance, naturelle à son époque, Confucius ne s’est jamais occupé de
l’origine de l’homme, ni de sa destinée future ; il n’était pas religieux ; son
royaume était de ce monde, et il ne semble même pas avoir conservé la foi de
ses ancêtres. Il n’avait pas d’idées générales ; ignorant le monde extérieur, il
n’a aucune notion de relations avec des peuples étrangers ; et dans son pays
même, il n’embrassera pas l’en semble, mais une principauté, une tribu, voire
une famille : somme toute, un homme de grand bon sens, mais aucun génie.
Son opportunisme est grand ; lorsque son disciple Tseu Koung l’interrogera,
sur l’amitié, Confucius répondra :
« Avertissez vos amis avec franchise, et conseillez-les avec
douceur. S’ils n’approuvent pas vos avis, arr êtez ; craignez de vous
attirer un affront, en perdant leur amitié par votre importunité
(252) ».
Son idéal, s’il en a un, est peu élevé ; il dira :
« Celui qui ne craint pas de promettre de grandes choses, a de la
peine à les exécuter (253) ».
Mais il ne faut pas oublier qu’il a énoncé cette belle maxime :
« le Sage s’applique sérieusement à la pratique de la vertu, mesure
les autres avec la même mesure que lui-même, et ne s’écarte guère
de la voie de la perfection. Il évite de faire aux autres ce qu’il
n’aime pas que les autres lui fassent à lui -même (254). »
Le Culte.
Jusqu’à la fin de sa vie, Confucius fut méconnu par les princes ses
contemporains, et aucun d’eux ne s’empressa de suivre ses préceptes ; mais sa
mort, sans être un deuil national, fut le signal de la réaction. Le duc Ngai, de
Henri Cordier Histoire générale de la Chine 123
Lou, • 156 lui fit rendre les plus grands honneurs et construire un temple
(Miao) :
« Afin, dit le prince, que tous les amateurs de la Sagesse, présens et
à venir, puissent s’y rendre en tems réglés, pour faire les
cérémonies respectueuses à celui qui leur a frayé la route qu’ils
suivent, et sur le modèle duquel ils doivent se former (255). »
Ngai accomplit donc le premier acte d’un culte, interrompu seulement
sous la dynastie des Ts’in, qui fit l’unité de la Chine aux dépens des Etats
féodaux composant l’Empire sous l’hégémonie des Tcheou, dont la tradition
séculaire fut ainsi brisée.
Ce ne fut d’ailleu rs que sous les T’ang, en 739, que le culte de Confucius
fut définitivement détaché de celui de Tcheou ; il avait reçu en 690 son
premier titre nobiliaire : « duc élevant la voie », en 739, il fut désigné par le
terme de Sien Cheng, « ancien Saint » et porta le titre nobiliaire de « roi
propagateur de la civilisation », Wen Siouen Wang ; sous les Soung,
Confucius devient en 1008, le « roi profondément saint, qui civilise et
propage », et en 1012 : « roi absolument saint ; propagateur de la civilisation
(256) ».
En l’an 1 de notre ère, l’empereur P’ing, de la dynastie des Han, fit élever
un temple où des sacrifices devaient être offerts à Confucius, qui reçut le titre
posthume de Duc, ainsi qu’à Tcheou Koung. Le culte de Confucius , d’abord
restreint à la province de Lou, s’étendit à toute la Chine : en 57, des sacrifices.
furent commandés dans tous les principaux collèges de l’Empire. Un peu plus
tard, le prince Koung, fils de Tching Ti, construisit au lieu de naissance de
Confucius un temple qu’il nomma Ling Kouang tien et qui, consacré d’abord
au seul sage, fut ensuite, en 72, par Ming Ti, utilisé pour les sacrifices aux 72
disciples du Philosophe dont une image remplaça en 178 la tablette ; en 221,
l’empereur Wei, Wen Ti, fit r econstruire le Ling Kouang tien qui tombait en
ruines. Les empereurs des dynasties suivantes, même les Mongols Youen,
suivirent l’exemple de leurs prédécesseurs et rendirent les plus grands
honneurs à la • 157 mémoire de Confucius. En 1307, un édit de l’empereur
Tch’eng Tsoung le fit « roi très accompli et absolument saint propagateur de
la civilisation ».
L’empereur Hien Tsoung, des Ming, se montra un zélé Confucianiste. A la
e
7 lune de 1476
« on détermina de donner l’habit et le bonnet d’empereur à
Confucius, honoré jusque-là sous le titre de Wen Siouen Wang, ou
de prince de l’éloquence , puisque dans les cérémonies qu’on lui
faisait, on suivait le rite impérial. A la 2e lune (1481), l’empereur
ordonna que tous les cavaliers descendraient de cheval en passant
devant la salle de Confucius, comme ils étaient obligés de le faire
devant son palais et celui du prince héritier (257) ».
Henri Cordier Histoire générale de la Chine 124
a) Les grands sacrifices qui s’adressent au Ciel ( T’ien ), à la Terre (Ti), aux
grands temples des Ancêtres (T’ai -Miao) où sont placées les tablettes des
empereurs défunts de la dynastie régnante, aux Chié tsi, dieux de la terre et
des grains.
b) Les sacrifices moyens ont neuf objets : le soleil, la lune, les mânes des
empereurs et rois des dynasties précédentes ; Confucius, les anciens patrons
de l’Agriculture et de la Soie ; les dieux du Ciel et de la Terre, et l’Année du
Cycle.
c) Les sacrifices inférieurs, Kioun-se, s’adressent soit à des bienfaiteurs
défunts, à des hommes d’État célèbres, • 159 soit au vent, à la pluie, au
tonnerre, aux montagnes, aux fleuves, etc.
C’est au solstice d’hiver qu’a lieu la grande fête de la religion d’État, c’est
le jour où l’empereur, Fils du Ciel, se rend officiellement au T’ien tan , Temple
du Ciel, à Peking.
Ricci a écrit :
« Cette religion n’ad met pas d’idoles, mais honore seulement le
Ciel et la Terre, ou le Roi du Ciel... A cet Etre suprême du Ciel
qu’ils reconnaissent, les lettrés n’érigent aucun temple ; ils ne lui
ont consacré aucun lieu pour l’y adorer. Conséquemment ils n’ont
ni prêtres, ni ministres de la religion, ni rites solennels à garder par
tous, ni préceptes ou commandements imposés, ni chef spirituel,
chargé de déclarer ou promulguer leur doctrine et de châtier ceux
qui la transgressent. De même ils ne récitent jamais de prières ni en
commun ni en particulier. Bien plus, ils prétendent que l’empereur
seul doit offrir ces hommages et sacrifier au Roi du Ciel. Le vrai
temple des lettrés est celui de Confucius. »
Le titre de Yen Cheng Koung a été donné à l’Héritier de Confucius,
K’oun g Tsoung youen, descendant du Sage à la 46e génération ; par
l’Empereur Jen Tsoung, de la dynastie des Soung, la deuxième année de règne
Tche-houo (1055 ap. J.-C.)
« Ce titre, par un privilège héréditaire, est attribué au premier-né
en ligne directe de la descendance de Confucius. Son office
consiste à garder le tombeau de son illustre ancêtre, qui se trouve à
K’iu Feou hien, dans la province de Chan Toung et à lui offrir des
sacrifices. En fait d’assistants et d’aides pour les cérémonies à
célébrer, il y en a : a) deux du 3e ordre ; b) quatre du 4e ordre ; c)
six du 5e ordre ; d) huit du 7e ordre ; e) dix du 9e ordre. Tous ces
officiers sont choisis parmi les descendants de Confucius (258).
Le chef actuel de la famille de Confucius, 76e génération, né en février
1871, a été fait prince le 31 décembre 1915 ; sa descendance est assurée par
son fils, né en octobre 1906.
Henri Cordier Histoire générale de la Chine 126
passe pour avoir dicté de mémoire sous Wen Ti, empereur de la dynastie des
Han, la version moderne du Chou King connue sous le nom de Kin wen ; il fut
admis en 647 dans les temples.
e) Han Yu ou Han Wen Koung, né en 768, à Teng Tcheou, Ho-nan, mort
en 824 ap. J.-C., célèbre homme d’État et poète de la dynastie des T’ang ; fut
le principal chef de l’école confucianiste jusqu’à la dynastie des Soung, et
adversaire des bouddhistes et des taoïstes ; il fut admis en 1084 dans le
Temple de Confucius.
f) Six lettrés de la dynastie des Soung, auteurs de nouveaux commentaires
sur Confucius du milieu du XIe siècle à la fin du XIIe : Tcheou Touen-yi, né
en 1017, mort en 1073 ; Chao Young, né en 1011, mort en 1077 ; Tch’eng
hao, né en 1032, mort en 1085 ; Tch’eng Yi, né en 1033, mort en 1107 ;
Tchang Tsai, né en 1020, mort en 1077 ; Tchou-Hi, né le 18 octobre 1130,
mort le 23 avril 1200.
g) Kouan Yu, né en 160 à Kiai Tcheou, dans le Chan Si, mort en 219 ;
célèbre général déifié sous le titre de Kouan Ti, Dieu de la Guerre.
Hiao King.
• Le caractère Hiao que l’on traduit par « Piété filiale », est formé de deux
caractères, l’un signifiant « vieillard », l’autre signifiant « un fils », en sorte
que suivant l’antique dictionnaire Chouo Wen, publié en 100 ap. J.-C., il
représente à l’œil un fils portant un homme âgé, c’est -à-dire un enfant portant
son parent. La piété filiale a été l’objet des entretiens de Confucius avec son
disciple Tseng Tseu ; tel • 163 était l’attachement de celui -ci pour ses parents,
qu’un jour sa mère ayant besoin d e lui et ne pouvant le faire prévenir de son
désir, elle se mordit le doigt, et par un phénomène de télépathie anticipée, le
jeune homme averti par une douleur subite, rentra chez lui ; il a mérité le
surnom de Tsoung Cheng et, avec Yen Houei, Tseu-Seu et Meng K’o, il est
l’un des quatre « Assesseurs » de Confucius dans les temples. Il est probable
que ces conversations sur la piété filiale n’ont été transcrites ni par Confucius,
ni par son interlocuteur lui-même, mais que répétées par Ts’eng Tseu à ses
disciples, ces derniers les ont recueillies et classées, formant ainsi le livre
canonique de second ordre appelé Hiao King, classique de la Piété filiale, qui
ne comprend que 1.903 caractères.
Le Hiao King, comme les autres Livres classiques, a eu à souffrir de la
proscription de l’empereur Ts’in Che Houang ti, au IIIe siècle avant notre ère ;
reconstitué depuis, cet ouvrage a été l’objet de nombreux commentaires et de
plusieurs éditions dont les plus typiques sont, sans doute, celles de l’empereur
Hiouen Tsoung en 722 et de Se-ma Kouang au XIe siècle. Il a été traduit dans
plusieurs langues étrangères, ainsi qu’on le pourra voir dans la Biblio theca
sinica.
Le Hiao King de l’empereur Hiouen Tsoung, qui est celui qui a été traduit
en anglais par le Rev. Dr James Legge, comprend dix-huit chapitres. C’est,
comme je l’ai écrit jadis (261), une étude complète de la piété filiale ; mais
cette étude n’est nullement envisagée à un point de vue élevé ; elle est terre à
terre, utilitaire, sans grandeur ; si le Hiao King n’a pas été écrit, par
Confucius, ni même par Ts’eng Tseu, il n’en porte pas moins l’inspiration du
célèbre moraliste chinois ; si le style même de ce livre permet d’hésiter sur le
nom de son auteur, son caractère pratique le fait classer avec juste raison
parmi les écrits de l’École de ce Sage, dont le système a eu le plus de durée
parce qu’il était une morale simple plutôt qu’une philosophie quin tessenciée.
La piété filiale n’est plus un sentiment naturel, • 164 spontané, grand, noble,
aussi divin qu’humain, c’est un devoir parfaitement limité, parfaitement
défini, envers ses parents, envers son souverain. C’est la source même de
toutes vertus, et la première des vertus est la conservation de soi-même :
Henri Cordier Histoire générale de la Chine 129
être frappé de désolation ; enfin dans les honneurs funèbres, marquer la plus
profonde vénération. (Ch. X)
A l’époque des Tcheou, c’est -à-dire à celle de Confucius, il y avait cinq
sortes de supplices : 1° une marque noire qu’on imprimait sur le front ; 2°
l’amputation du bas du nez ; 3° celle du pied ou du nerf du jarret ; 4° la
castration ; 5° la mort ; ces cinq sortes de supplices s’appliquaient à trois mille
espèces de crimes, mais, nous dit le Hiao King, aucun de ces crimes n’égale
l’absence de piété filiale. (Ch. XI.)
Tseng Tseu pose la question de savoir si un fils qui obéit en tout à son père
remplit les devoirs de la piété filiale et le Sage de rétorquer : comment une
obéissance absolue à toutes les volontés du père peut-elle être considérée
comme un devoir de la piété filiale, puisque le prince, le père, etc., doivent
être avertis lorsqu’ils commettent des fautes ? (Ch. XV.) Il y a donc droit de
remontrance.
Comme on le voit, rien de plus précis que les devoirs de la piété filiale ; et
ce n’est pas seulement dans le Hiao King que vous les trouverez énumérés. Le
rituel Li Ki à côté d’une pensée délicate : « Un fils rempli de piété filiale
entend • 166 ses père et mère sans qu’ils lui parlent et il les voit sans être en
leur présence », nous donne les renseignements les plus circonstanciés sur le
deuil, par exemple : « La rigueur du deuil ne doit pas aller jusqu’à trop
s’amaigrir ou jusqu’à affaiblir ni la vue, ni l’ouïe. Si on a une blessure à la
tête, on peut la laver ; si on est échauffé, on peut prendre le bain ; si on est
malade, on peut manger de la viande et boire du vin ; mais on reprend les
observances du deuil dès qu’on est remis, les négliger, ce serait outrager la
nature et abjurer la piété filiale. » Ceci est plein de bon sens.
Le dernier chapitre (XVIII) même du Hiao King donne les conseils les
plus méticuleux sur la manière d’ensevelir les parents ; la conclusion
cependant de ce livre de préceptes, de ce guide de la vie quotidienne, est
élevée et se rapproche de nos idées sur la piété filiale :
« Honorer et aimer ses parents pendant leur vie, les pleurer et les
regretter après leur mort, est le grand accomplissement des lois
fondamentales de la société humaine. Qui a rempli envers eux
toute justice, pendant leur vie et après leur mort, a fourni en entier
la grande carrière de la piété filiale. »
La Piété filiale, telle que nous la dépeint le Hiao King, n’est plus le
sentiment naturel qui se retrouve chez tous les peuples, le peuple chinois
compris ; c’est une doctrine officielle. La Piété filiale comme nous
l’entendons est affaire individuelle ; elle n’a d’influe nce ni sur notre politique
générale, ni sur nos croyances religieuses. A la Chine, au contraire, elle a
transformé la nation en une vaste famille dont le chef est l’empereur ; elle est
devenue la base d’un gouver nement qui n’a rien de chimérique, qui es t réel et
durable puisqu’il existe depuis des siècles. Dire qu’il existera long temps
Henri Cordier Histoire générale de la Chine 131
Le deuil, pour les autres parents au premier degré, sera de trois ou de cinq
mois : l’habillement sera fait d’un chan vre de moyenne grosseur, et bordé.
Pour les parents au second degré, le deuil sera porté pendant neuf mois :
l’habillement sera fait de toile gros sière.
Pour les parents au troisième degré, le deuil sera de cinq mois :
l’habillement sera fait d’une toile de moyenne f inesse.
Pour les parents au quatrième degré, le deuil durera trois mois et
l’habillement sera fait d’une toile de moyenne grosseur.
Le deuil est porté pendant trois ans pleins :
— Par un fils, pour son père ou sa mère ;
— Par une fille, pour son père et sa mère, lorsqu’elle vit sous le même toit,
quoiqu’elle soit fiancée, ou même mariée, ou si, étant divorcée, elle est
renvoyée chez ses parents ;
— Par la femme du fils, pour le père et la mère de son mari ;
— Par un fils et sa femme, pour celle qui a succédé à la première femme
de son père ; pour la femme de son père, ayant remplacé sa mère, et pour la
femme de son père, qui l’a nourri ;
— Par le fils d’une femme inférieure et par sa femme, pour sa mère
naturelle, et pour la première femme de son père ;
— Par un fils adoptif et sa femme, pour les père et mère qui l’ont adopté ;
— Par un petit-fils et sa femme, pour ses grands-parents paternels ;
— Par une femme, principale ou inférieure, pour son mari.
Dans l’humble demeure du paysan, comme dans la maison somptueuse du
banquier, dans le misérable logis du coolie comme dans l’imposant yamen du
mandarin, l’an cêtre est présent au foyer domestique, dans un cadre qui varie
suivant la fortune, mais entouré partout de la même vénération. Les ancêtres
sont représentés soit par une simple tablette, chen tchou ou chen p’ai ,
d’environ quinze • 172 centimètres de haut sur quatre de large, soit, chez les
gens aisés, par une salle, tsou miao, où sont réunies et rangées par ordre
chronologique les tablettes de tous les parents défunts ; ces salles sont plus ou
moins richement ornées, suivant l’état de fortune du propriétaire ; les tablettes
se trouvent toujours chez le fils aîné, souvent aussi chez la plupart des
membres de la famille. Parfois, derrière la tablette, une cavité permet de
recueillir des morceaux de papier portant les noms d’ancêtres éloignés ; tous
les jours on brûle de l’encens et du papier devant les tablettes, en
accompagnant la cérémonie de génuflexions.
On célèbre d’une manière générale le culte des ancêtres dans la première
moitié d’avril, cent six jours après le solstice d’hiver, période appelée tsing
ming ; toute la population, se rend en famille aux cimetières, portant les objets
Henri Cordier Histoire générale de la Chine 135
nécessaires aux libations et aux sacrifices, le papier et l’enc ens pour être
brûlés ; les tombes sont réparées et nettoyées ; il existe, comme on le voit, une
grande ressemblance entre cette cérémonie et les visites que l’on fait dans nos
pays dans les cimetières le jour de la Toussaint ou le jour des Morts. Les
prières terminées, trois morceaux de gazon sont placés à l’avant et à l’arrière
de la tombe pour maintenir des flots de papier rouge et blanc qui flottent au
vent, indiquant que les rites ont été accomplis.
Comme on le voit, ce culte est simple ; il réunit également toutes les
classes de la société, toutes les sectes religieuses de l’Empire, qu’elles soient
confucianistes, bouddhistes ou taoïstes ; on peut donc dire avec raison que
tout en n’étant pas comprise dans les San Kiao, les trois religions d’État, elle
est la principale religion de la Chine. C’est le plus sérieux ennemi que
rencontre le prosélytisme chrétien ; car le culte des ancêtres étant la base
même de la société, le christianisme représente, en dehors du principe
religieux, un aspect révolutionnaire et subversif. On a essayé de tourner la
difficulté en disant que le culte des ancêtres ne consistait qu’en hommages
rendus à la mémoire des parents défunts. Mauvaise foi ou erreur ! Le culte des
ancêtres est une religion, une véritable religion, • 173 avec des cérémonies
parfaitement précises et c’est ainsi que l’a compris le Saint -Siège.
Mencius.
Nous consacrerons quelques lignes à Mencius, le principal disciple et
compatriote de Confucius. Mencius est la forme latinisée donnée par les
missionnaires du XVIIe siècle à Meng Tseu. Il appartenait à la famille Meng
Sun, l’une des plus considérables du royaume de Lou, mais qui avait perdu
son influence dans la première moitié du Ve siècle. Son nom était K’o ; né en
372 av. J.-C., il vécut jusqu’en 29 0, mourant à l’âge de 82 ans. Il avait perdu
de bonne heure son père Ki Koung-Yi, établi dans le pays de Tseou, dans le
district de Yen Tcheou, province de Chan Toung ; il fut élevé par sa mère
Tchang Che, qui lui inculqua les principes de la vertu. On n’a que fort peu de
renseignements sur la vie de Mencius, encore faut-il les tirer de ses écrits ; il a
occupé des postes de conseiller près de différents princes ; on le trouve
d’abord conseiller de Ts’i vers 322 ; de Ts’i, il passa à T’ang ; à Leang,
retourna à Ts’i ; à Lou en 309, il paraît avoir occupé des fonctions publiques
pendant vingt-quatre ans environ.
On lit dans Mailla, VIII, p. 302, à l’année 1084 :
« Tchang Tche, chef du Kouo Tseu Kien ou Collège impérial, avait
autrefois demandé à l’empereur d e donner un titre d’hon neur à
Meng K’o, autrement Meng Tseu, de le mettre dans la salle de
Confucius, et de donner à ce dernier celui de Ti ou d’empereur.
Chen Tsoung (empereur Soung) avait renvoyé cette proposition
Henri Cordier Histoire générale de la Chine 136
Lao Tseu
Le principal ouvrage qui porte depuis une époque inconnue le nom de Lao
Tseu, est le Tao Te King, le Livre de la Voie et de la Vertu, ou mieux, suivant
le P. Wieger, Traité du Principe et de son action, base du Taoïsme, Tao Kiao,
une des trois religions de la Chine, dans lequel sont révélés les mystères du
Tao, qui nous est parvenu, divisé en deux parties, dont la première est le Tao,
Henri Cordier Histoire générale de la Chine 137
Il est évident que ces faits manquent du merveilleux qui doit s’attacher à la
personne du chef d’une religion. Il y fut pourvu. Un certain Ko Houng plaça la
légende de Lao Tseu en tête du Chen sien tch’ouen (267), « Histoire des Dieux
et des Immortels », vers l’an 350 de J. -C., et nous y trouverons le côté
fabuleux absent de la biographie ordinaire :
« Sa mère devint enceinte par suite de l’émotion qu’elle éprouva en
voyant une grande étoile filante. C’était du Ciel qu’il avait reçu le
souffle vital ; mais, comme il fit son apparition dans une maison
dont le chef s’appelait Li (poirier), on lui donna Li pour nom de
famille. Quelques auteurs disent que Lao Tseu est né avant le ciel
et la terre ; suivant d’au tres, il possédait une âme pure émanée du
ciel. Il appartient à la classe des esprits et des dieux. Certains
écrivains racontent que sa mère ne le mit au monde qu’après
l’avoir porté dans son sein pendant soixante et douze ans. Il sortit
par le côté gauche de sa mère. En naissant il avait la tête blanche
(les cheveux blancs) : c’est pourquoi on l’appela Lao Tseu
(l’enfant vieillard). Quelques auteurs disent que sa mère l’avait
conçu sans le secours d’un époux, et que Lao Tseu était le nom de
famille de sa mère. D’autres disent que la mère de Lao Tseu le mit
au monde au bas d’un poi rier, il montra le poirier et dit : Li
(poirier) sera mon nom de famille, etc. (268) ».
Que ne raconte-t-on pas encore ?
Ko Houng nous narre les voyages de Lao Tseu :
« Quelques auteurs disent que, du temps de l’empereur Tch’eng -
wang (1115 à 1079 av. J.-C.), il fut gardien des archives. Alors il
voyagea aux extrémités de l’Occident, dans les • 177 royaumes de
Ta T’sin , de Tchou Kien, etc. Il reçut le titre de Kou Sien sing,
« l’ancien docteur ». Il convertit ces royaumes. Sous le règne de
K’ang Wang, il s’éloigna de ces contrées et revint dans le pays de
Tcheou. Il reprit la charge de gardien des archives. Du temps de
Tchao Wang, il quitta ses fonctions, retourna à Po, son pays natal,
et y vécut dans la retraite. Lao Tseu voulut de nouveau convertir
les peuples du Si Yu (des contrées situées à l’occident de la Chine).
Le cinquième mois de la treizième année de l’empereur Tchao
Wang (1052 à 1002 av. J.-C.), il monta sur un char traîné par un
buffle noir, ayant pour cocher Siu-Kia, et voulut sortir, à l’ouest,
par le passage de Han Kou. Yin-Hi, gardien de ce passage, sachant
que c’était un homme e xtraordinaire, le suivit et l’interrogea sur le
Tao (269) ».
Henri Cordier Histoire générale de la Chine 139
que nous l’avons vu, que Confucius aurait eu cinquante et un ans lors de la
fameuse entrevue : les disciples du Sage de Lou en ont toujours nié
l’authenticité, sans doute à cause du rôle un peu ridicule que les Taoïstes font
jouer à Confucius, et celui-ci, qui a été volontiers le but des attaques des
sectateurs de Lao Tseu, est probablement la victime de l’imagination de ses
adversaires. Il est juste de dire que Confucius, pas plus que son principal
disciple, Mencius, n’a jamais mentionné Lao Tseu dans ses ouvrages.
Ko Houng fait ressortir que Lao Tseu n’est pas l’inven teur du Tao, que
celui-ci, qui dérive du Ciel et de la Terre, a existé de tous temps et qu’il a été
connu par nombre de • 179 Sages ; en faisant passer Lao Tseu pour un être
divin et extraordinaire, on diminue son mérite ; s’il est simplement un homme
qui par l’étude a découvert le secret de l’immorta lité, s’il a pu par ses propres
méditations acquérir la connaissance du Tao, d’autres hommes pourront
l’imiter qui seraient obligés de renoncer à le suivre s’il était un génie
d’essence surnaturelle (274).
qui forment aujourd’hui les provin ces de Ho Nan et de Chan Si, s’étendant au
Yang Tseu au delà duquel elle s’arrêtait, n’atteignant pas les pro vinces
méridionales du Kouang Toung, du Kouang Si, du Yun Nan ; par la route de
l’ouest, les premières connaissan ces des pays lointains, de l’Ind e en
particulier, qu’ont pos sédées les Chinois ne datent guère que du IIe siècle
avant notre ère et du voyage de Tch’ang Kien. Il est à peu près certain que la
connaissance première du bouddhisme par les Chinois leur est venue par les
Yue Tche. Quant au brahmanisme, ils n’avaient aucun moyen d’en obtenir
connaissance soit par le sud, soit par l’ouest de la Chine, et si les traces qu’on
veut en trouver dans le Tao Te King en dérivaient véritablement, il faudrait
supposer que ce livre est bien postérieur à l’époque de Lao Tseu et n’a pas été
rédigé par lui. Et en cela nous rencontrons l’approbation de M. Giles, qui
diffère d’opinion avec Legge, Wylie, Faber. Giles écrit :
« Lao Tseu a-t-il écrit l’ouvrage connu maintenant comme le Tao
Te King ?
« Je réponds, quant à moi, par une négation absolue. Il n’y a aucun
doute que l’ouvrage en question est un faux. A la vérité il contient,
beaucoup de ce que Lao Tseu a dit, mais plus qu’il n’a dit. Ce qu’il
a dit, de ce qui s’y trouve, a été pour la plus grande part ie mal
traduit. Le sens de ce • 187 qu’il n’a pas dit, si sens il y a, peut être
avec confiance relégué dans la catégorie des choses inconnues
(289) ».
Giles n’a d’ailleurs pas convaincu Legge qui lui a répon du
vigoureusement, et puis si le Tao Te King est un faux, les théories de M.
Guimet n’auraient plus de raison d’être. Laissons, je crois, le Tao Te King à
Lao Tseu, et par conséquent à une époque à laquelle la Chine ne pouvait avoir
de relations avec l’Inde.
Au point de vue de l’art, ne regrettons pas la légende du voyage de Lao
Tseu, qui a inspiré les artistes. On voit de beaux bronzes représentant Lao
Tseu sur un buffle, et présentant son ouvrage au respectueux Yin-hi.
L’obscurité du Tao Te King, loin d’avoir été dissipée par les traducteurs
étrangers, me paraît avoir été plutôt augmentée par leurs commentaires
contradictoires. Les anciens missionnaires de Pe King tels que Prémare,
Bouvet, Foucquet, n’étudièrent cet ouvrage que dans le but d’y trouver des
passages empruntés aux Saintes Écritures. Le P. Amiot, l’un des plus connus
parmi eux, crut même reconnaître les trois personnes de la Trinité dans la
première phrase du XIVe chapitre, qu’il traduisait ainsi :
« Celui qui est comme visible et ne peut être vu se nomme Khi
(lisez I) ; celui qu’on ne peut entendre et qui ne parle pas aux
oreilles se nomme Hi ; celui qui est comme sensible et qu’on ne
peut toucher se nomme Wei (290) ».
Henri Cordier Histoire générale de la Chine 147
Tchang Tao-ling.
Mais comment, demandera-t-on, cette doctrine pure, abstraite, s’est -elle
transformée en un mélange de recherches alchimiques, de pratiques de
sorcellerie, de superstitions bouddhistes qui composent aujourd’hui le Tao
kiao, la religion ou l’enseignement du Tao : la biographie de Tchang Tao-ling
répondra à cette question.
Tchang Tao-ling descendait à la huitième génération de Tchang Leang, le
célèbre conseiller de Lieou Pang, fondateur de la dynastie des Han. Il naquit la
dixième année de l’empereur Kouang Wou (34 ap. J. -C.) dans une pauvre
chaumière d’un petit village de la province de Tche Kiang, situé au pied du
T’ien mou chan, dans la préf . de Hang Tcheou. Un phénomène marqua la
naissance du futur grand homme : la nuit de sa naissance,
« un bolide enflammé traversa comme une flèche de feu le ciel
sombre et sans lune, laissant derrière lui une traînée carminée
étincelante, et, chose étrange, tomba inerte et sans force à la porte
même de la maison des Tchang, dans le temps précis que le petit
Tao-ling venait à la lumière. A la vue de ce météore igné, les
parents, les voisins et les commères de l’endroit ne man quèrent pas
de prédire à l’enfan t la plus brillante destinée sur cette terre et un
devin, invité dès le lendemain à en tirer l’horoscope, annonçait
gravement que l’héritier des Tchang se distinguerait entre tous par
« le pinceau, la parole et la pensée », et, qu’après une longue vie
passée à éclairer les hommes et à les rendre meilleurs, il irait droit
au ciel prendre la place qui lui était réservée dans le cénacle • 190
des immortels. C’était en effet sur Tao -ling, ajoute la légende, que
le T’ai -chang Lao-kiun avait jeté les yeux pour en faire le chef de
son Empire spirituel chez les hommes et pour accomplir en même
temps la promesse qu’il avait faite naguère à Tcha ng Leang,
lorsqu’il lui avait apparu en songe (292) ».
Henri Cordier Histoire générale de la Chine 149
Culte taoïste.
Aujourd’hui, la tête du culte taoïste, c’est -à-dire le Directeur général de la
secte du taoïsme, est le Tcheng-i-se-kiao-tchen-jen, « Héritier du fondateur de
la secte des taoïstes » ; ce titre fut conféré par la dynastie Ming à Tchang
Tcheng-chang, descendant de Tchang Tao-ling à la 39e génération. Il
« appartient, par privilège héréditaire, au premier-né par descendance en ligne
directe de Tchang Tao-ling qui fonda la secte taoïste vers la fin du Ier siècle
après J.-C., sous l’empereur Houo -ti de la dynastie • 194 Toung Han. Il réside
sur la montagne Loung-hou chan, dans la Province de Kiang Si. Son office
consiste à employer ses arts magiques pour chasser les démons, déjouer les
influences diaboliques, et réprimer les âmes malfaisantes des morts. Il nomme
les nouveaux Tch’eng houang, « Génies tutélaires des villes », et moyennant
une taxe, il confère aux Taoïstes des titres qui leur permettent de célébrer les
cérémonies avec plus de solennité (301) ».
Dans la capitale, ce culte est représenté, par deux Supérieurs, Tao lou-se,
correspondant au Seng lou-se, Supérieur des Bouddhistes ; deux Tcheng-i,
Henri Cordier Histoire générale de la Chine 152
*
**
Henri Cordier Histoire générale de la Chine 153
CHAPITRE VIII
Origine.
• 196 Se-ma Ts’ien qui consacre ses Cinquièmes Annales principales aux
Ts’in, les fait descendre de l’empereur Tchouen Hiu par sa petite -fille Niu
Seou qui, ayant avalé un œuf qu’avait laissé tomber un oiseau de couleur
sombre, engendra Ta Ye dont le fils Ta Fei assista Yu le Grand dans ses
immenses travaux ; Ta Fei eut deux fils, Ta Lien, fondateur de la famille Niao
Sou, et Jo Mou, fondateur de la famille Fei, Fei Tch’ang, vainqueur de Kié à
Ming T’iao, fut son arrière petit -fils. Mong-Hi Tchoung Yen, arrière petit-fils
de Ta Lien, qui avait un corps d’oi seau et une voix humaine, devint le cocher
de l’empereur T’ai Meou ; son arrière petit-fils Tchoung Kiue était chargé de
la défense des frontières de l’ouest et résidait chez les Joung de l’ouest ; son
fils Fei Lien eut deux fils Ngo Lai qui périt en même temps que Tcheou Sin
lorsque ce dernier fut défait par Wou Wang, il est l’ancêtre des Ts’in, et Ki
Cheng, le bisaïeul de Tsao Fou, le célèbre cocher de l’empereur Mou, ancêtre
des Tchao. De Ngo Lai, par Niu Fang, P’ang Kao, T’ai Ki, Ta Lo, nous
arrivons à Fei Tseu, résident à K’iouen K’ieou, qui fut chargé par l’empereur
Hiao, de Tcheou, de la surveillance de ses chevaux dans le pays entre les
rivières K’ien, affluent de la Wei, et Wei ; en récompense de ses services, il
reçut le fief de Ts’in dans le Kan Sou actuel et porta le surnom de Ts’in Ying.
Les Ts’in sont donc intimement associés à l’idée de cheval. A partir de Ts’in
Heou (857-848), fils de Fei Tseu, Se-ma Ts’ien indique la durée du règne des
princes de Ts’in : Koung Po, fils de Ts’in Heou (847 -845), Ts’in Tchoung, fils
de Koung po, tué par les Joung, en 822 ; son fils aîné Tchouang (821-778),
défit les • 197 Joung de l’Ouest et en récompense, il reçut de l’empereur
Siouen, non seulement la succession de Ts’in Tchoung qui avait laissé cinq
fils, mais aussi la terre de K’iouen K’ieou et il fut nommé le grand offic ier de
la Marche de l’Ouest. Che Fou, l’aîné des fils de Tchouang, céda son rang à
son frère Siang pour combattre les Joung, mais il fut fait prisonnier par
ceux-ci. Siang, mort en 766, avait secouru les Tcheou contre les Joung ; et
P’ing Wang, avec le ti tre de Seigneur (770), lui donna tout le territoire à
l’ouest de la montagne K’i ; ses successeurs furent Wen († 716), Tsing
(† 718), Ning qui transféra sa capitale à P’ing Yang (714). Son descendant le
duc Mou († 621) défit les Joung et subjugua le royaume de Tsin ; il eut
quarante fils. Se-ma Ts’ien remarque qu’au « début, Ts’in était un petit
royaume et se trouvait dans un lointain reculé. La Chine le traitait sur le même
pied que les barbares Joung et Ti. Mais, après le duc Hien (462-384 av. J.-C.),
il eut, toujours la prédominance parmi les seigneurs (303) ». Le duc Hiao en
350 construisit Hien-Yang, dans la préf. actuelle de Si Ngan, et y transféra la
Henri Cordier Histoire générale de la Chine 154
capitale des Ts’in ; en 343, il reçut de l’Empe reur le titre d’hégémon e t cinq
ans plus tard (338) il mourut et fut remplacé par son fils Houei Wen. Les
Ts’in, dont le pays était peuplé par une population principalement tur que,
d’après Chavannes, ce qui ne me paraît pas prouvé, étant donné la situation
géographique, étaient considérés jusqu’au duc Hiao par les autres États
comme des Barbares Il faut d’ailleurs s’entendre sur le mot barbare usité par
les Chinois ; il est probable qu’il ne s’agissait pas de tribus essentiellement
distinctes des Chinois eux-mêmes, mais qui plutôt étaient peut-être moins
avancées ou étaient un peu différentes dans leur civilisation.
Leur rôle prend une importance singulière depuis le duc Hiao, mais à
partir de Tchouang Siang (249), fils de Hiao Wen, leur suprématie s’impose,
et l’on peut prévoir q ue ce chef recueillera la succession des Tcheou
dégénérés, lorsqu’il est enlevé par une mort prématurée (247) laissant • 198 un
fils âgé de treize ans, Tcheng, qui devait être le grand empereur Ts’in Che
Houang Ti.
d’absorber les autres principautés ; ils y réussirent et leur œuvre fut terminée
par l’annexion de Ts’i en 221 av. J. -C.
Les débuts du règne de Tcheng furent peu brillants : à la suite des
dévastations commises par les sauterelles, il. fut décidé que tous les gens du
peuple qui apporteraient mille che de grains seraient gratifiés d’un degré dans
la hiérarchie (243) ; quoique ce fut le titre et non la fonction que l’on
accordait, il n’y en avait pas moins vénalité du grade, et il semble que c’ est le
premier exemple qu’on en rencontre dans l’histoire de la Chine. Des troubles
domestiques éclatèrent : l’amant de la reine -mère, Lao Ngai, non seulement
avait été anobli sous le titre de Marquis de Tch’ang Sin, mais on lui donna en
outre du territoire de Chan Yang (dans la préf. de Houai K’ing, Ho Nan), les
circonscriptions de Ho Si et de T’ai Youen qui formèrent un nouveau royaume
de Ngai. Malgré ces bienfaits, en 236, Lao Ngai contrefaisait le sceau
personnel du roi et de la reine douairière pour lever des troupes et fomenter
une • 201 rébellion, mais défait par les princes de Tch’ang P’ing et de Tch’ang
Wen, le misérable fut pris et mis à mort, tandis que la reine-mère était exilée ;
elle fut rappelée à Hien Yang un peu plus tard par Tcheng à la suite des
remontrances de Mao Tsiao, de Ts’i. Lu Pou -wei qui paraît avoir trempé dans
la conspiration de Lao Ngai fut obligé de donner sa démission de Conseiller
d’État et il mourut deux ans plus tard (235) ; peut-être se suicida-t-il.
L’œuvre d’unification de la Chine ne se fit pas sans que les princes
menacés par l’ambition de Tcheng cherchassent à écarter le danger en
supprimant le chef redoutable et Se-ma Ts’ien nous a conservé le récit de la
tentative d’as sassinat dont, à l’instigation de Tan, prince héritier de Yen, le roi
de Ts’in fut l’objet de la part d’un certain King K’o de Wei (227) ; le souvenir
de cet attentat a été gardé dans le peuple et la scène est reproduite dans les
sculptures de Wou Leang ts’eu.
Ayant terminé la conquête de la Chine et réuni tous les États sous son
sceptre, Tcheng résolut de consolider l’unité de l’Empire en brisant les
anciennes divisions territoriales et il divisa son vaste territoire en trente-six
kiun, provinces ou circonscriptions : 1° San Tch’ouan ; 2° Ho toung ; 3° Nan
Yang ; 4° Nan ; 5° Kieou Kiang ; 6° Tchang ; 7° Kouei Ki ; 8° Ying
Tch’ouan ; 9° T’ang ; 10° Se Chouei ; 11° Sié ; 12° Toung ; 13° Lang Ya ;
14° Ts’i ; 15° Chang Kou ; 16° Yu Yang ; 17° Yeou Pei P’ing ; 18° Leao Si ;
19° Leao Toung ; 20° Tai ; 21° Kiu Lou ; 22° Han Tan ; 23° Chang Tang ; 24°
T’ai Youen ; 25° Yun Tchoung ; 26° Kieou Youen ; 27° Yen Men ; 28°
Chang ; 29° Loung Si ; 30° Pei Ti ; 31° Han tchoung ; 32° Pa ; 33° Chou ; 34°
K’ien Tchoung ; 35° Tch’ang Cha ; 36° Nei Che, la capitale.
Des anciens titres féodaux de koung, heou, po, tseu, nan, Che Houang Ti
« ne laissa subsister que le nom de heou, marquis, qui ne fut plus à
proprement parler un degré de noblesse, mais fut synonyme de noble en
général (305) ».
Henri Cordier Histoire générale de la Chine 157
Che King, le Chou King, ou les discours des Cent écoles, devront tous aller
auprès des autorités locales civiles et militaires pour qu’elles les brûlent. Ceux
qui oseront discuter entre eux sur le Che King et le Chou King seront mis à
mort et leurs cadavres exposés sur la place publique ; ceux qui se serviront de
l’antiquité pour dénigrer les temps modernes seront mis à mort avec leur
parenté. Trente jours après que l’édit aura été rendu, ceux qui n’auront pas
brûlé leurs livres seront marqués et envoyés aux travaux forcés. Les livres qui
ne seront pas proscrits seront ceux de médecine et de pharmacie, de divination
par la tortue et l’achillée, d’agriculture et d’arboriculture. Quant à ceux qui
désireront étudier les lois et les ordonnances, qu’ils prennent pour maîtres les
fonctionnaires. » Le décret fut « Approuvé » (309).
Le décret fut exécuté dans toute sa rigueur ; tout ce qui représentait un
passé abhorré devait être anéanti, c’est dire que l’œuvre de Confucius, non
seulement le Livre • 204 d’Histoire et le Livre de Poésie, mais aussi et surtout
les Rituels devaient être détruits ; seuls étaient épargnés les ouvrages de
science, de divination, etc. Nous verrons que malgré la proscription de toute
l’antique histoire, la destruction n’en fut pas aussi complète que l’aurait
désirée l’Empereur, et que sous la dynastie des Han on put reconstituer le
texte plus ou moins mutilé d’un certain nombre d’entre eux. D’ailleurs
l’efficacité du décret ne put être que très courte, car Che Houang Ti mourut
quatre ans plus tard et le décret fut rapporté par les Han dès 191. Le décret de
Ts’in Che Houang Ti ne fut d’ailleurs pas accepté sans pro testation et quatre
cent soixante lettrés de Hien Yang payèrent de leur vie leur résistance à la
volonté impériale.
Hioung Nou.
L’origine des Hioung Nou nous est inconnue ; on a prétendu qu’ils
descendaient de Chan Wei, fils de Kié, le dernier souverain Hia, Chan Wei
« se sauva dans les déserts du nord, où il vécut parmi les bêtes sauvages, sans
oser communiquer avec les hommes (310). » On a aussi supposé que les Huns,
qui ne sont autres que les Hioung Nou, seraient, suivant Cassiodore,
descendus des hommes des bois appelés Fauni ficarii, suivant Jordanes des
Spiritus immundi qui ne seraient autres que Kouei fang (région des démons)
des Chinois, terme qui peut s’appliquer à d’autres barbares aussi bien qu’aux
Hioung Nou. Ils sont probablement le peuple turk connu dans l’ancienne
histoire chinoise sous le nom de Hiun Yu, repoussés au nord par Houang Ti et
qui, plus tard, avec d’autres Barbares, les Joung et les Ti, attaquèrent le duc
Tan Fou (T’ai Wang) des Tcheou. Suivant Se -ma Tcheng on les appelait aussi
les Joung des Montagnes à l’époque de Yao et de Chouen, mais le P. Gaubil
nous dit expressément que « les Joung, qui étaient voisins du Chen Si, vers le
Nord et l’Occident, étaient des Tartares d’une autre espèce (311) » : Plus tard,
ils furent appelés Hien Yun ; de Guignes, suivant Se-ma Ts’ien, leur donne
Chouen Wei (ou Chan Wei), prince de la famille des Hia, comme ancêtre, et il
Henri Cordier Histoire générale de la Chine 159
ajoute : • 205 « C’est aux environs de l’an 1200 av. J. -C. que nous devons
placer le commencement de l’Empire des Huns (312). » Ils étaient nomades et
leur domination s’étendait depuis Siouen Houa fou dans le Tche Li jusqu’au
lac Barkoul : Excellents cavaliers, habiles à manier l’arc, ils faisaient des
incursions continuelles en Chine, maintenus par les princes de Tchao. « Ils
n’avaient point de maisons, et ne cultivaient pas la terre ; ils habitaient sous
des tentes ; ils avaient des statues d’or, qui représentaient le roi ou Maître du
Ciel, qu’ils ado raient. Ils rendaient des honneurs à leurs ancêtres, et, dans des
temps fixés, ils tenaient des assemblées pour régler leurs affaires. Ils n’avaient
point de caractères (313) ». Mais l’état social des Hioung Nou se transforma
dans le cours des siècles. « C’est dans la seconde moitié du IIIe siècle, avant
notre ère, nous dit Chavannes (314), que les Hioung Nou se constituèrent pour
la première fois en nation unie et forte. Leur organisation politique nous est
exposée par Se-ma Ts’ien assez en détail ( Mémoires historiques, chap. CX, p.
4.) ; à leur tête était un chef appelé le chen-yu [ou tcheng-li kou-t’ou chen yu ,
ce que les Chinois traduisent par le « majestueux Fils du Ciel »] ; au-dessous
de lui se trouvaient deux grands dignitaires, les rois t’ou -k’i , c’est -à-dire
sages, de gauche et de droite. Le roi t’ou -k’i de gauche résidait à l’Orient et
était l’héritier désigné du chen-yu ; le roi t’ou -k’i de droite commandait dans
l’Occi dent. A des rangs inférieurs étaient d’autres fonctionnaires : les rois
kou-li de gauche et de droite ; les généralissimes de gauche et de droite ; les
grands gouverneurs de gauche et de droite ; les grands tang-hou de gauche et
de droite ; les seigneurs kou-tou de gauche et de droite ; puis venaient des
chefs de mille hommes, de cent hommes et de dix hommes ». Teou Man leur
premier chef connu fut assassiné par son fils Mao Toun, 209 av. J.-C. « Il
paraît, dit de Guignes, (315) que ce n’est qu’à cette époque que nous • 206
devons fixer le commencement de la puissance des Huns ». Tchouang Siang,
père de Ts’in Che Houang Ti, pour arrêter les incursions des Hioung Nou, dès
244, fit fermer les passes de Loung Si (Ti Tao hien, de Liang-Tao fou, Chen
Si), de Pe Ti (King Yang, Chen si), et de Chang Kiun ; cette mesure fut
trouvée insuffisante par les princes de Tchao et de Yen, limitrophes des
Barbares ; ils firent construire des murailles : Les Tchao « depuis Tai (Joui Te
tcheou, de Yen Ngan fou, Chen Si), au pied des montagnes Yin Chan (qui
confinaient à la Tartarie), jusqu’à Kao Kiué, forteresse à 420 li au N. -O de Ta
t’oung fou, pour mettre à couvert Yun Tchoung (district de Ta T’oung fou),
Yen Men (Yu Men, T’ai Youen fou, Chan Si) et T’ai Kiun, (dépendant de
T’ai Youen) ; et le prince de Yen en fit construire une depuis Tsao Yang.
jusqu’à Siang Ping (Leao Yang tcheou, du Leao Toung), pour garantir Chang
Kou (Pao Ngan tcheou, de Siouen Houa fou, Tche Li), Yu Yang (Ping Kou
bien, Tche Li), You Pe Ping (Young P’ing fou, Tche Li) et Leao Toung kiun,
qui est une partie du Leao Toung (316) ». Ces princes, en construisant une
muraille, ne faisaient que suivre l’exemple du prince de Wei, qui au milieu du
IVe siècle, à l’époque du duc Hiao (de Ts’in), él eva une barrière pour se
défendre contre ses voisins, les Ts’in eux -mêmes, alors considérés comme un
peuple barbare ; la muraille de Wei commençait « à la ville de Tcheng, au N.
Henri Cordier Histoire générale de la Chine 160
Grande Muraille.
Ts’in Che Houang Ti compléta l’œuvre de son père et des princes de
Tchao et de Yen. En 215, le général Moung T’ien (318) fut envoyé à la
frontière du Nord. « Il ajouta de • 207 nouvelles fortifications aux remparts
élevés entre les pays où sont aujourd’hui Si Ning et Ping Leang fou dans le
Chen Si, pour arrêter les courses des Tartares de ce côté-là. Il alla au nord du
pays de Ping Leang fou. Il se saisit du pays aujourd’hui appelé Ortous, et fit
faire, le long du fleuve Houang Ho, des forteresses. Ensuite allant le long de la
Grande Muraille jusqu’au Leao Toung il fit bâtir des forteresses dans les lieux
les plus exposés. Pour le bout oriental de la Grande Muraille, Ts’in Che
Houang, dans une de ses visites, y fit bâtir le boulevard qu’on y voit encore et
qu’on appelle Chan Hai kouan. Moung Tien répara aussi la grande palissade
qui séparait le Leao Toung de la Tartarie, et dont on voit encore des vestiges.
Moung T’ien se fit craindre et respecter des Tartares Hioun g Nou (319).
D’ailleurs, Ts’in Che Houang Ti avait su trouver des ouvriers pour la
construction de la muraille ; en 213, les juges prévaricateurs furent envoyés
pour prendre leur part de la besogne. Ainsi fut constituée cette gigantesque
défense que les Chinois nomment Wan-li tch’ang tch’eng la muraille longue
de 10 000 lis, qui subsiste encore aujourd’hui de Chan Haï Kouan à l’est
jusqu’à Kia Yu Kouan, près de Sou Tcheou, du Kan Sou, à l’ouest ; elle varie
de hauteur, de 5 mètres à 10 mètres ; dans certains endroits la muraille est
surmontée de tours ; des parties sont en ruines, surtout celles qui dans l’ouest,
sont construites en terre de loess ; au contraire dans l’est, construite en
briques, elle forme un rempart d’environ 7 mètres à sa base et de 4 mètres à
son sommet ; quelques passes, dont la plus importante est peut-être celle de
Kalgan (Tchang kia k’eou) permettent de la franchir.
Les Hioung Nou n’étaient qu’un des peuples barbares qui entouraient la
Chine. Pendant qu’ ils dominaient au nord, on trouvait au nord-ouest et à
l’ouest, les Joung, au sud les Man, d’autres encore, Miao, Ti, etc. dont nous
parlent les • 208 Livres classiques. C’étaient les tribus au milieu desquelles les
Chinois, grâce à leur supériorité intellectuelle et morale, augmentèrent
progressivement leur domaine. D’où ve naient-ils ? Nous l’ignorons : il est
trop facile d’accepter la théorie sim pliste de Legge qui les fait venir des
mêmes contrées occidentales que les Chinois, mais à une époque antérieure. Il
est probable que certaines tribus non chinoises qui peuplent encore l’Empire
du Milieu en descendent. Quelques peuples nomades, vivant à l’origine sous
des tentes, se civilisèrent avant les autres, tels les Joung qui ont joué un rôle
assez considérable dans l’histoire ancienne de la Chine, par exemple dans les
Henri Cordier Histoire générale de la Chine 161
luttes qui suivirent le mariage de Yeou Wang et de Pao SE. « Ces Tartares,
nous dit le P. Gaubil, 400 ans environ avant J.-C., se divisèrent en hordes,
élurent des chefs, bâtirent des villes, et selon les Chinois, d’autres Tartares
occidentaux, à l’exem ple des Joung, bâtirent alors des villes (320) ».
« Les Chinois, les Joung, les Yi et tous les autres peuples avaient chacun
leur caractère particulier qu’il était impos sible de changer. Les habitants de
l’est, appelés Yi, ne liaient pas leurs cheveux, (ils les coupaient) ; ils avaient le
corps orné de peintures, certains parmi eux ne cuisaient pas leurs aliments.
Les habitants du midi appelés Man, se tatouaient le front ; (ils prenaient
ensemble leur repos) les pieds (tournés en sens contraire et) se croisant ;
certaines tribus ne mangeaient pas d’aliments cu its. Les habitants de l’ouest,
appelés Joung, portaient les cheveux courts, et ne les liaient pas ; ils étaient
vêtus de peaux ; certaines tribus ne mangeaient pas de grains. Les habitants du
nord, appelés Ti, portaient des vêtements tissus de duvet et de laine ; ils
habitaient dans des cavernes ; certains ne mangeaient pas de grains. Les
Chinois, les Yi, les Man, les Joung, les Ti et tous les autres avaient des
habitations commodes, des mets assaisonnés, des vêtements convenables, tous
les instruments et les ustensiles dont ils avaient besoin. Tous ces peuples
différaient de langage, et n’avaient pas les mêmes goûts ni les mêmes désirs.
Ils se • 209 communiquaient entre eux leurs pensées et leurs sentiments par
l’intermédiaire d’officiers qui étaient appelés dans l’est messagers, dans le sud
imitateurs, dans l’ouest indicateurs ; dans le nord interprètes (321) ».
D’ail leurs sous les Tcheou, une administration spéciale s’occupait des
peuples barbares.
« (Les princes constitués par l’empereur gouverneurs dans les contrées
barbares), à l’est chez les Yi, au nord chez les Ti, à l’ouest chez les Joung, au
midi chez les Man, quelle que soit l’étendue de leur juridiction, s’appellent
tzèu (feudataires du quatrième ordre). Dans leurs principautés particulières, ils
s’appellent eux -mêmes Indignes serviteurs de l’Empereur (322) ».
Dans le Tcheou Li, les Agents de Direction des Régions (Tche-fang-che)
« sont chargés des cartes de l’Empire ; et, au moyen de ces cartes, ils
s’occupent des terres de l’Empire. Ils distinguent : les arrondissements et
cantons de ses royaumes et principautés ; les populations désignées par les
noms des quatre Yi ; des huit Mân, des sept Min, des neuf Me, des cinq Joung,
des six Ti (323). »
Si Ts’in Che Houang Ti sut augmenter la population de sa capitale en y
attirant les riches, il ne manqua pas aussi de délivrer ses États de la population
peu désirable des pauvres, des vagabonds, des boutiquiers, des juges préva-
ricateurs en les envoyant conquérir ou coloniser Jen Ngao (Nhàm Nghiêu) et
Tchao T’o (Triêu Dà) c’est -à-dire le Nan Yue (Nam Viêt) ; les Chinois
s’emparèrent du pays de Luc Lu’o’ng qu’ils divisèrent en trois
circonscriptions où ils établirent des garnisons : Ces trois circonscriptions
comprenaient : 1° Quê Lâm, en chinois Kouei Lin, l’ancien royaume de
Henri Cordier Histoire générale de la Chine 162
Ba-Thuc c’est -à-dire Cao Bang et le Kouang Si ; 2° Nam Haï, c’est -à-dire le
Kouang Toung, une partie du Fou Kien et une partie des provinces tonkinoises
actuelles de Quang Yen et de Luc Ngan ; 3° Tu’o’ng (Siang) Quan,
c’est -à-dire le delta du Tong King, pays des Kiao Tche, • 210 avec le Thanh
Hoa en plus. « Le Siang était à la frontière sud de l’Empire des Ts’in, comme
Je Han (Nhât-nam) était la limite sud de l’Empire des Han (324) ».
Annam.
Il est intéressant de rapprocher les renseignements que donne Se-ma
Ts’ien de ceux que nous fournit l’histoire d’Annam : Tuc Phan, roi de Thuc
(Cao Bang) prit le nom de An-Du’o’ng Vu’o’ng ou Yen -Du’o’ng Vu’o’ng, en
montant sur le trône, et fonda, la 56e année de Nan Wang, empereur de la
dynastie chinoise des Tcheou, en renversant la première dynastie de l’Annam
Hung Bâng Thi et le roi Hung vu’o’ng (Hioung Wang) XVIII qui se jeta dans
un puits, la deuxième dynastie d’Annam, celle de Thuc, conquérant le Van
Lang (Wen Lang), dont le roi lui avait refusé sa fille Mi Nu’o’ng en mariage
en 257, c’est -à-dire peu d’années avant la chute définitive des Tcheou ; Le
Van Lang qui avait pour capitale Bac Hac, s’étendait glu N. au S. du pays de
Chou (Se Tch’ouan) et du lac Toung T’ing (Hou Nan) au. royaume de Ba
Thuc, (Cao Bang) et au Tchampa. Le Van Lang comprenait quinze districts
ou Bô : 1° Van Lang, ou Bac Hac, au confluent de la rivière Rouge et de la
rivière Claire ; 2° Kiao Tche (Ha Noi, Hu’ng Yen et Nam Dinh) ; 3° Chaû
Diên, sur le mont Ba Vi, sur la rivière Noire ; :4° Phu’oc Lôc (parti e basse de
la province de So’n Tay) ; 5° Vo Ninh (territoire de Bac Ninh) ; 6° Viêt
Thu’o’ng (Quang Binh et Quang Tri) ; 7° Ninh Hai (parties maritimes du
Quang Yen et une partie du Kouang Toung ; 8° Du’o’ng Tuyen (Hai
Du’ong) ; 9° Luc Haï (partie du Kouang Si avec Lang So’n et Luc Ngan) ; 10°
Vo Dinh (Thaï Nguyen et partie du Kouang Si) ; 11° Hoai Hoan ( vallées du
Nghê An et du Ha Tinh) ; 12° Cu’a Cho’n (ter ritoire du Thanh Hoa) ; 13°
Binh Van (Ninh Binh, depuis le fleuve Dâi jusqu’à la montagne Tara Die p) ;
14° Tân Hu’ng (Hu’ng Hoa et Tuyen Quang) ; 15° Cu’u Du’c (le haut Song
Ma jusqu’à la rivière Noire). Il y a trois listes de ces noms dont la plupart
datent de la dynastie des T’ang. Comme on le voit ces quinze bô sont
renfermés dans • 211 une petite partie de la Chine dans le Tong King et dans
l’Annam septentrional ; les autres limites jusqu’au pays de Chou et au lac
Toung T’ing sont du domaine de la légende (325). Van Lang et Thuc formèrent
un seul État sous le nom de Au Lac (composé de deux noms de tribus Au Viêt
et Lac Viêt), dont la capitale construite par An-du’o’ng la troisième année de
son règne (255), fut appelée d’abord Phong Khe (ruisseau du fief), puis Co
Loa Thanh (vieille cité du coquillage à cause de la forme elliptique de ses
remparts) ; ses vestiges se trouvent dans le huyen de Dong An, province de
Bac Ninh, à quelques kilomètres de la jonction du canal des Rapides et du
fleuve Rouge. Une légende raconte qu’elle fut bâtie grâce à l’aide appo rtée à
Yen Du’o’ng par une tortue d’or, envoyée par le génie de la rivière Claire.
Henri Cordier Histoire générale de la Chine 163
Tran Thi Hoang (Ts’in Che Houang) qui a triomphé des six autres princes
de Chine, envoie dans le Nan Yue, dans le but de préparer l’annexion de ce
pays, deux agents, Kiet Tuan ou Nham Ngao et Trieu Da ; celui-ci signe
devant Co Loa (209) un traité par lequel il obtenait la partie du royaume située
au nord de Binh Giang, qui parait être le song Ca Lo, près Bac Ninh, et
demande pour son fils Trong Thuy, la main de Mi chau, fille unique du roi
Thuc, qui est accordée à la condition que le gendre du souverain résidera à la
Cour d’Annam ; le roi Thuc trahi par ses enfants, tua sa fille et lui-même se
jeta dans la mer à l’endroit où se trouve aujourd’hui le port de Bich, près du
cap Do So’n, dans le Nghê An. Trong Thuy se suicide de désespoir en
apprenant la mort de sa femme : Trieu Da, profitant des circonstances et de la
chute des Ts’in en Chine, s’empare de la capitale Co Loa (207 av. J. -C.) et du
pays d’Au Lac, en y ajoutant le te rritoire de Dong Au (aujourd’hui Phu’o’c
Kien), ainsi que celui de Tây Viet (Canton), établit sa capitale à Phien ngu,
Phiên ngung ou P’an Yu (Canton) et sous le nom de Trieu vo de (Tchao Wou
Ti, 206-109 av. J.-C.) commence la • 212 troisième dynastie d’An nam, celle
des Trieu qui devait durer jusqu’à l’annexion du pays par les Han, 111 av.
J.-C. Il est intéressant de noter qu’un sujet du roi Yen -du’o’ng, nommé Li
Ong-trong, ramené par Trieu Da d’Au Lac en Chine, y fut élevé et devint un
des chefs qui repoussèrent. les Hioung Nou.
Le prince Hou Haï, âgé de douze ans suivant Se-ma Ts’ien, de vingt et un
ans suivant d’a utres, ce qui est probable, remplaça son père sur le trône et fut
le Second Empereur, Eul Che Houang Ti.
« Il était une tête d’homme avec le cri d’une brute. Sans prestige, il
ne sut pas combattre le mal ; sans vertu réelle, il se perdit non sans
cause. Quand on s’opposa à lui, il ne put se maintenir ; sa • 216
perversité et sa cruauté restreignirent la durée du temps qu’il avait
à régner. Quoiqu’il demeurât dans un royaume favo risé par sa
situation, néanmoins il ne put assurer son salut (329) ».
Il ne régna que trois ans car s’é tant signalé par ses cruautés, faisant
massacrer les ministres et les membres des familles princières, pressurant, le
peuple, un soulèvement éclata et l’eunuque Tchao Kao, le chef des révoltés,
fit assassiner (207) Eul Che Houang Ti par Yen Yue et proclamer roi de Ts’in,
le prince Tseu Ying, neveu de l’Em pereur. Mais Ying fait écarteler Tchao Kao
avec tous ses parents. Les seigneurs conduits par Hiang Tsi ou Hiang Yu,
originaire de Hia Siang, dans le Kan Sou actuel, d’une famille de généraux de
Tch’ou, gé ant de huit pieds de haut et d’une force prodigieuse, se révoltent :
Ying et tous les Ts’in sont massacrés, Hiang Yu marche sur la capitale Hien
Yang qui est saccagée et brûlée ; les tombeaux des Ts’in sont profanés et les
corps qu’ils renfermaient brûlés et les cendres jetées au vent. Les vainqueurs
se partagent les dépouilles de Ts’in dont le territoire fut divisé entre trois rois
de Young, de Sai et de Ti, tandis que Hiang Yu, roi du Tch’ou occidental,
était le « roi suprême », le Pa Wang, mais il avait négligé Lieou Pang, le chef
des Han qui marcha contre lui : Hiang Yu, battu à Kai Hia, dans la préfecture
de Foung Yang, Ngan Houei, fut poursuivi jusqu’à Toung Tch’eng où il se
coupa la gorge. Les habitants de Tch’ou se rendirent à Lieou Pang qui prit le
titre d’empereur, sur les bords de la Se, dans le Ho -Nan, le 28 février 202,
fondant la dynastie des Han. Toutefois on compte l’année 206 comme la
première de Lieou Pang.
Pendant la période d’anarchie qui accompagne la chute de Eul Che
Houang Ti et la consolidation du pouvoir des Han avec Lieou Pang, nous
voyons surgir vingt royaumes dont trois grands et dix-sept petits énumérés
dans Mailla (Tableau, T. III, p. 1) :
I. Tch’ou. L’an 209 Tch’en Cheng envoyé par l’eunuque Tchao Kao pour
apaiser une sédition dans le Kiang Nan, • 217 donna le signal de la révolte ; et
prit, sous le titre de Yin Wang, la qualité de Roi de Tch’ou, royaume situé
dans le Hou Kouang : il régna six mois, et eut pour successeurs Wang
King-Kieou, cinq mois. Houai Wang-sin, qui prit le titre de Yi Ti, l’an 206, et
fut assassiné au commencement de l’an 205 par les ordres de Hiang Yu.
III. Heng Chan ou Tchang Cha. Fondé l’ an 206 par Wou Joui, ne subsista
que 49 ans sous cinq Princes : savoir Wou Joui, 5 ans ; Wang Tching, 8 ;
Wang Houei, 7 ; Wang Che, 9 ; Wang Tcho, 21.
IV. Lin Kiang. Fondé l’an 206 par Koung ngao, dont la Cour était à Kiang
Ling dans le Hou Kouang, ne régna que quatre ans ; son fils Wang Huon un
an.
V. Kieou Kiang ou Houai Nan, fondé l’an 206 par Ying Pou, dont la Cour
était à Lou, territoire de Foung Yang Fou. L’an 204, il se soumit aux Han.
VI et VII. Tchao et Tai. Fondé l’an 209 par Wou Tch’en, général d e Tchin
Ching ; règne cinq mois. Hié, rejeton des anciens Princes de Tchao, lui
succède et prend le titre de roi de Tai. Sa Cour était à Sin Tou, dans le Pe
Tche-li.
IX. Ts’i et Kiao Toung. Donné à Tien Tan l’an 206. Sa Cour était à Lin
Tseu dans le Chan Toung. Tien Chi d’abord roi de Ts’i, fut fait roi de Kiao
Toung.
XI. Ts’i Pe. Démembre ment du Royaume de Ts’i que Hiang Yu donne à
Tien ngan. Sa Cour était à P’o Yang.
XII. Yen, donné à Tsang Tou. Sa Cour était à Ki (Yu Yang Hien dépendant
de Pe King).
XIII. Leao Toung. Han Kouang, chassé du royaume de Yen par Tsang
Tou, prit le titre de roi du Leao Toung. Sa cour était à Wou Tchoung (Yo Tien
hién ; dépendance de Pe King).
• 218 XIV. Yin. Se-ma Niang qui établit sa Cour à Tchao Kou (Wei Kiun
fou, du Ho Nan).
XV. Wei et Si Wei. Kieou eut sa Cour à K’ai Foung fou : Pao son frère qui
lui succéda, perdit une partie de ses États, prit le titre de Roi de Wei
occidental, et mit sa Cour à P’ing Yang qui est plus à l’ouest.
XVI. Ho Nan. Chin Yang, officier de Hian Yù. Il avait sa Cour à Lo Yang,
capitale du Ho Nan.
XVII : Young. Tchang Han, général des Ts’in, mit sa Cour à Feï Kiou
(Hing Ping Hien de Si Ngan fou).
Henri Cordier Histoire générale de la Chine 168
XVIII. Saï. Se-ma Hin, lieutenant de Tchang Han, mit sa Cour à Lio Yang,
dans le Ho Nan.
XIX. Tché. Toung Yi, lieutenant de Tchang Han, mit sa Cour à Kao Nou
(Li Tcheou de Yen Ngan fou).
XX. Han. Petit État situé vers K’ai Foung fou du Chan Si que Hiang
Leang procura l’an 208 à Han Tching, descendant des anciens rois de Han.
Détruit en 230.
*
**
Henri Cordier Histoire générale de la Chine 169
CHAPITRE IX
Kao Tsou.
• 219 Lieou Pang, fondateur de la dynastie des Han, était originaire de
Tchoung Yang, dans la préf. de Siu Tcheou, Kiang Sou ; il est désigné sous le
titre dynastique de Kao-Tsou ou de Kao-Ti ;
« c’était, nous dit Se -ma T’sien, (330) un homme au nez proéminent
et au front de dragon ; il avait une belle barbe au menton et sur les
joues ; sur la cuisse gauche il avait soixante douze points noirs
[symbolisant les soixante-douze jours de l’année qui sont attribués
à chacun des cinq éléments]. Il était bon et amical ; il aimait faire
des largesses ; il avait l’esprit ouvert. Il avait sans cesse de grands
projets et ne se livrait pas aux travaux et aux occupations des gens
de sa famille. Il aimait le vin et les femmes. »
Il choisit le brun comme couleur impériale, établit d’abord sa cour à Lu
Yang et décida que le premier mois de la première année de son règne
commencerait au troisième mois de la dynastie précédente.
D’autre part nous lisons dans le T’oung kien kang mou (331)
« qu’il n’avait acquis aucune connaissance par l’étude ; mais il y
suppléait par une vivacité d’esprit et une pénétration peu
commune. Prompt, susceptible et boudant, la précipitation lui fit
souvent faire des fautes, mais il sut les réparer par beaucoup de
défiance de ses propres lumières, et en déférant aux conseils de
ceux qu’il croyait plus instruits que lui. Naturellement bon, affable
à tout le monde, il traitait ses soldats avec douceur. Ces manières
lui gagnèrent le cœur des peu ples, qu’il chercha toujours à rendre
heureux. »
D’abord chef d’un ting, groupe de dix villages, Lieou épousa Tche, fille de
Lu, qui devait devenir l’impératrice • 220 Lu et mère de l’empereur Hiao
Houei, puis devint gouverneur de P’éi, dans le pays de Tch’ou ; lors du
partage des dépouilles des Ts’in, Hiang Yu le nomma roi de Han (ré gions de
Pa, Chou et Han Tchoung, avec Nan Tcheng comme capitale,) tandis qu’il
réservait les territoires à l’intérieur des passes aux trois généraux de Ts’in,
Tchang Han, Se-ma Hin et Toung Yi qui furent faits rois de Young, de Sai et
de Ti ; nous avons vu que le roi de Han, mécontent de sa part, poussé par Han
Sin, roi de Tch’ou, ma rcha contre Hiang Yu et le défit. Tous les chefs
reconnurent Lieou Pang quand il fut proclamé empereur le 28 février 202,
sauf Houan, ancien roi de Lin Xiang, partisan de Hiang Yu, qui se révolta, fut
Henri Cordier Histoire générale de la Chine 170
pour le nord un Souverain Noir. A partir de 165 av. J.-C., Wen Ti offrit pour
la première fois le sacrifice Kiao aux Cinq Souverains à Young et leur érigea
un temple spécial au nord de la Wei. Cette innovation qui transformait
l’ancien mono théisme en polythéisme fut supprimée par Tch’eng Ti en 32 av.
J.-C., mais rétablie par Ngai Ti en 5 av. J.-C. (332).
Hiao Houei.
Kao Tsou avait cherché à écarter du pouvoir Hiao Houei, qu’il trouvait
trop faible, pour lui substituer son troisième fils Jou Yi, roi de Tchao, fils de la
favorite Ts’i. L’impéra trice Lu, femme énergique, réussit à déjouer les
intrigues • 222 préparées à la mort de Kao Tsou et assura le sceptre à son fils.
En l’absence de Hiao Houei (194) elle fit empoisonner Jou Yi, arracher les
yeux, couper les pieds et les mains et brûler les oreilles de sa rivale Ts’i.
L’empereur, saisi de l’horreur de ces crimes, abandonna les rênes du
gouvernement dont se saisit sa mère, et mourut le 26 septembre 188.
C’est pendant le court règne de Hiao Houei (191) que fut rapporté le
décret de Ts’in Che Houang Ti pour la destruc tion des livres. Déjà le lettré
Lou Kia, au retour de sa mission heureuse dans le Nan Haï, avait, grand
admirateur du Chou King et du Che King, essayé d’agir sur Kao Tsou, mais ce
prince, si, par politique, il rendait hommage à Confucius, avait une profonde
aversion pour les lettrés ; il répondit avec colère à Lou Kia :
« J’ai conquis l’Empire de dessus mon cheval, je suis devenu votre
maître sans votre Chou King, ni votre Che King, qu’ai -je besoin de
vos livres ? »
Lou Kia écrivit alors les Sin Yu ou Discours nouveaux et les donna à lire à
Kao Tsou.
« L’empereur les lut avec beau coup de satisfaction, et conçut pour
les livres plus d’estime qu’il n’en avait auparavant (333) »,
mais il n’abolit pas la défense du souverain Ts’in et laissa à son fils
l’honneur de réparer une partie du mal causé par l’édit de 213.
D’ailleurs Siao Ho, qui fut ministre de Kao Tsou, fit bâtir à Tch’ang Ngan
un édifice dans lequel il réunit les débris des anciens livres, édifice qu’il
nomma Che k’iu Mo, la Tour au Canal de pierre, à cau se d’une conduite de
pierre qui était au pied du bâtiment (334).
Hiao King.
Henri Cordier Histoire générale de la Chine 173
Wou Ti.
Le long règne de Wou Ti est aussi remarquable pour l’histoire intérieure
de la Chine que pour l’histoire de son expansion à l’étranger. On peut dire
qu’à cette époque se forme la nation chinoise ; sans reprendre la tradition de
Ts’in Che Houang Ti, Wou Ti sent toutefois le danger des grands seigneurs
féodaux ; il les éloigne de la Cour et pour contrôler leurs actes place auprès de
chacun d’eux un con seiller spécial ; il appelle à leur place des gens
intelligents, mais de plus humble condition ; en outre, sur l’avis de Tchou
Fou-Yen, il réduit l’importance des fiefs, opérant leur • 225 morcellement en
faisant attribuer en apanage dans la succession paternelle une part de la
propriété terrienne aux cadets de famille (127 av. J.-C.). En 119, il décrète une
réforme monétaire. Passionné chasseur, il était également poète et il
encouragea les lettres.
L’usage régulier des nien hao (périodes de règne) date de Wou Ti, en 114,
avec effet rétroactif jusqu’en 140, début du règne ; le règne de Wou Ti ne
compte pas moins de onze nien hao. Toutefois ses deux prédécesseurs : Wen,
dès 163, et King en 149 et en 143, sur le conseil de Sin Youen-p’ing eurent
également des noms de règne ; le premier changement de nom de période (Kai
Youen) avait eu lieu en 334 à l’époque du Tch’ouen Ts’ieou sous le règne de
Wei Houei Wang (370-318). Comme nombre de nien hao, Wou Ti fut dépassé
par T’ang Kao Tsoung (650 -684 ap. J.-C.) qui en 34 ans en eut 14, et par
l’usurpateur Wou Che -T’ien (684 -665) qui en 21 ans en eût 18. Le P. Mathias
Tchang (Synch. chinois, p. v) fait remarquer que
« le principal motif qui poussa Han Wou Ti, à faire ces fréquents
changements fut une trop grande crédulité aux paroles de ministres
flatteurs. Ceux-ci lui parlaient sans cesse de présages
extraordinaires ».
Henri Cordier Histoire générale de la Chine 174
D’autre part, c’est de son règne, grâce aux grands voya ges de Tchang
K’ien, que datent véritablement les relations de la Chine avec les pays
étrangers.
Les Yue Tche, peuple iranien, dont la langue apparentée à celle des
Scythes, des Sogdiens, des Ossêtes, des Yagnobis, appartenait au groupe des
langues indo-européennes, occupaient la partie de la Chine au nord-ouest, le
territoire de Leang Tcheou, Sou Tcheou, Kan Tcheou, Yen Tcheou, Cha
Tcheou (338), etc., c’est -à-dire la province actuelle de Kan Sou. Vaincus une
première fois par les Hioung Nou à la fin du IIIe siècle avant notre ère par
Teou Man, une seconde fois par le Chen yu Mo Tou en 176 ou 177, ils furent
enfin chassés de leur Empire en 165 par le Chen yu Lao chang, qui tua leur roi
et de son crâne fit une coupe, et passèrent à Kou Tcha, puis au delà des T’ien
chan dans les • 226 vallées arrosées par l’Ili et ses deux affluents méridionaux :
la Tekes et la Kounges, occupées par un peuple nomade appelé les Wou
Souen, venus de Koua Tcheou.
Wou Suen.
« Le pays des Wou Souen est situé à environ 2000 lis de distance à
l’est de Ta Wan [Ferghana]. Ils ont les mêmes mœurs que les
Hioung Nou, et comptent plusieurs dizaines de mille archers. »
Yen Che-kou [commentateur de l’époque des Han] dit :
« Par apparence extérieure, les Wou Souen diffèrent extrêmement
de tous les barbares du Si-yu. Ceux d’aujourd’hui qui ont les yeux
bleus, la barbe rousse, et, qui ressemblent à des singes, tirent leur
origine de ces animaux (339). »
On nous dit aussi que les Wou Souen
« ne cultivent point les terres ; ils ne sèment ni ne plantent. Ils
suivent leurs troupeaux dans les lieux qui offrent de l’eau et des
pâturages. Leurs mœurs sont les mêmes que celles des Hioung Nou
(340). »
Les Yue Tche se divisèrent en deux branches : les Petits Yue Tche qui se
mélangèrent aux tribus K’iang ou Tibétaines, et les Grands Yue Tche qui
s’emparèrent de Kachgar aux dépens des Sakas (163 av. J. -C. :) qui se
réfugièrent au Seistan, mais défaits à nouveau par les Wou Souen, soutenus
par les Hioung Nou, ils furent obligés, poussant devant eux les Sakas, de fuir
vers l’ouest, dépassèrent l’Issik koul et arrivèrent dans le Ferghana (Ta Wan
ou Ta Yuan).
Peut-être est-il utile, pour mieux comprendre la politique assez complexe
de ces régions, de rappeler sommairement leur histoire. Lorsqu’en 326,
Alexandre le Grand s’avança vers l’Inde, le roi de Takkasila (Taxila), au
nord-ouest de Rawalpindi, Ambhi, appelé par les Grecs Omphis ou Taxiles,
Henri Cordier Histoire générale de la Chine 175
Tch’eng Kien.
L’empereur chinois apprit la catastrophe qui avait frappé les Yue Tche par
des déserteurs qui lui racontèrent
« qu’ayant eu une guerre cruelle avec les Hioung Nou, les peuples
de Yue Tche avaient été battus et leur roi tué ; que les ennemis
ayant fait de son crâne un vase à boire, la plupart des habitants,
révoltés de la grossièreté de leurs mœurs, avaient fui dans un pays
fort éloigné, afin de n’avoir aucune com munication avec ces
Barbares. L’empereur, touché du sort de ces peuples, qui avaient
été contraints d’abandonner leur pays natal, demanda à ses grands
s’il y avait quelqu’un d’entre eux qui se sentît assez de courage
pour aller chercher ces fugitifs et les engager à revenir. Tchang
K’ien, [origi naire de Han Tchoung, dans le sud du Chen Si ;
homme vigoureux], s’offrit à entreprendre ce voyage long et diffi -
cile (341). »
Le T’oung kien kang mou place cet événement à 126 av. J.-C. Se-ma
Ts’ien fait par tir Tchang K’ien dès 138 av. J. -C. Il est certain que son voyage
n’était pas • 228 entrepris dans un but d’exploration ou philanthropique, mais
que Wou Ti cherchait simplement, à utiliser l’alliance des Yue Tche contre les
Hioung Nou, leur ennemi commun, et d’opérer une diversion : Tchang K’ien
se mit en route par le nord-ouest (Loung Si ; Kan Sou actuel) avec une
centaine d’hommes, dont Kan Fou, un Tartare ( Hou), ancien esclave de la
famille T’ang -yi, excellent archer, mais à peine avait-il franchi la frontière
Henri Cordier Histoire générale de la Chine 176
qu’il fut arrêté par les gens du chen yu Kiun Tch’en et retenu prisonnier.
Tchang K’ien parut accepter sa captivité de bonne grâce, il se ma ria, eut un
fils ; la surveillance se relâcha et au bout d’une dizaine d’années, il réussit à
s’évader avec qu elques compagnons. Il n’avait pas renoncé à sa mission,
continua sa route vers l’ouest et il arriva dans le Ferghana (Ta Wan, Ta Yuan),
où il apprit que les Ta Yue Tche avaient poursuivi le cours de leurs conquêtes.
Ils avaient en effet franchi le Jaxartes et s’étaient emparés du Ta Hia (To -
kharestan), partie de la Sogdiane, dépendant du royaume gréco-bactrien déjà
attaqué par Mithridate le Grand, sixième roi des Parthes (232-139 av. J.-C.) et
ils avaient traversé l’Oxus pour occuper leur capitale Lan Che ou Ying Kien
Che qui devint la leur. Ma Touan-lin nous dit que la capitale des Yue Tche
était la ville de Lan Che,
« à l’ouest du pays des Grands Wan, à 2 ou 3.000 li, au nord de la
rivière Wei (Oxus). Au midi sont les Ta Hia (Dahae) ; à l’ouest, ils
confinent aux A-si. En allant pendant quarante-neuf jours du côté
du nord, on trouve le K’ang Kiu (Sog diane) (342) ».
Les Yue Tche
« partagèrent le Ta Hia en cinq hi heou (jagbous) qui étaient ceux
de Hieoumi [cap. Ho mo, Wakhan,] de Chouang mi [cap. Chouang
mi, Tchitral], de Kouei Chouang [cap. Hou Tsao, Gandhara], de Hi
Touen [cap. Po mao ; Parwân) et de Tou mi [voisin de Caboul].
Plus de cent ans après, le hi heou (jabgou) de Kouei Chouang (Kou
Chan) attaqua et vainquit les quatre autres hi heou ; il se nomma
lui-même roi ; le nom de son royaume fut Kouei Chouang
(KouChan). Il envahit le Ngan Si (Parthie) et s’empara du • 229
territoire de Kao fou (Caboul) ; en outre il triompha du P’ou ta et
de Kipin (Cachemire) et posséda entièrement ces royaumes.
K’ieou -tsieou-k’io mourut âgé de plus de quatre -vingt ans. [C’est
le roi Kadphisès Ier, vainqueur vers 50 de notre ère du dernier des
rois indo-grecs, Hermaios.] Son fils Yen-kao-tchen
(Oêmokadphises) devint roi à sa place, à son tour il conquit le
T’ien Tchou (Inde) et y éta blit un chef pour l’administrer. A partir
de ce moment, les Yue Tche devinrent extrêmement puissants.
Tous les divers royaumes les désignent en appelant leur roi le roi
Kouei Chouang (Kou Chan), mais les Han les nomme Ta Yue
Tche en conservant leur ancienne appellation (343). »
Au cinquième siècle de notre ère, les Kou Chan poussés par les Jouan
jouan abandonnèrent leur capitale Lanche et s’établirent à l’ouest à Po -lo
(Balkh ?) et de là en 450, ils franchirent l’Hindoukouch et reconquirent les
cinq anciens jabgous.
Tchang K’ien passant par le K’ang Kiu (Sogdiane, nord du Syr Daria)
rejoignit les Ta Yue Tche, mais ceux-ci avaient oublié leurs anciens ennemis,
se trouvaient bien dans leurs nouvelles possessions et déclinèrent les pro-
Henri Cordier Histoire générale de la Chine 177
positions d’alliance de l’ambassadeur chinois qui repartit après être resté une
année, chez eux (128 av. J.-C.) en longeant les Nan Chan. Malheureusement.
pour lui, Tchang K’ien voulant rentrer par le pays des K’iang, fut fait de
nouveau prisonnier à son passage chez. les Hioung Nou, mais profitant des
troubles qui éclatèrent lors de la mort du Chen yu Kiun Tch’en, il réussit à
s’échapper et rentra en Chine après treize ans d’absence avec sa femme et
deux seuls de ses cent compagnons, dont Kan Fou.
Cependant le voyage de Tchang K’ien, récompensé par l’empereur par
lettre de T’ai tchoung ta fou (chambellan impérial), n’avait pas été inutile ; on
peut dire qu’il est le véritable point de départ des relations de la Chine, non
seulement avec l’Occident, mais aussi avec le Sud de l’Empire. On ne saurait
en exagérer l’importance. En effet, Tchang K’ien, esprit observateur et sagace,
avait remarqué • 230 dans le Ta Wan et le Ta Hia des bambous et des étoffes de
provenance chinoise et il avait appris, à son grand étonnement, qu’ils
arrivaient des provinces occidentales de l’Empire, c’est -à-dire le Se Tch’ouan
et le Yun Nan, par la voie méridionale du Chen Tou, c’est -à-dire l’Inde, au
lieu de passer par l’ouest, c’est -à-dire par le pays des Hioung Nou.
« Les peuples des royaumes de Wou Souen, Kang K’iu, Yen Tsai,
Ta Yue Tche, raconta Tchang K’ien, n’ont point de demeures
fixes ; ils suivent leurs troupeaux dans les pâturages, et se
nourrissent comme les Hioung Nou. Le royaume de Ta Hia est au
sud-ouest de Ta Wan ; les peuples de ces deux royaumes ont à peu
près les mêmes coutumes et la même manière de vivre. Lorsque
j’étais à Ta Hia, j’y vis quantité d e bambous, et de cannes,
semblables à celles de la montagne Kioung chan, et des toiles
comme celles de nos manufactures du pays de Chou [Se
Tch’ouan]. Je demandai d’où l’on tirait toutes ces choses ; on me
répondit qu’on les faisait venir du royaume de Che n Tou [Inde].
» Le royaume de Chen Tou est à quelques mille li au sud-est de
Ta Hia, et les coutumes n’en sont guère diffé rentes : Ta Hia, autant
que j’en puis juger, est à peu près à 12 000 li de Han, au sud -ouest.
Comme il est à quelques mille li au nord-ouest de Chen Tou,
apparemment que Chen Tou n’est pas fort éloigné du pays de
Chou, d’où il se rait facile de se procurer les cannes et les toiles que
j’ai vues à Ta Hia.
» On peut se rendre à Ta Hia par trois chemins ; l’un par les
K’iang, qui est t rès dangereux ; le second, plus au nord, par le pays
des Hioung Nou, mais ils arrêteraient infailliblement ceux qu’on y
enverrait. Le troisième, qui est le plus droit et le meilleur, traverse
le pays de Chou ; ce chemin est sûr, et l’on n’y est point exp osé
aux insultes des brigands (344) ».
Les renseignements du voyageur autorisaient donc l’empereur de se tracer
un double but : tout d’abord se frayer un passage chez les Hioung Nou,
Henri Cordier Histoire générale de la Chine 178
d’autre part trouver • 231 la route qui lui permettra par le sud de communiquer
avec les régions occidentales.
Rémusat citant le Ts’ien Han chou (Fo houe ki, p. 39) nous dit que Tchang
K’ien
« servit ensuite dans les guerres contre les Hioung Nou ; et les
connaissances locales qu’il avait acquises p endant son séjour chez
ces peuples, furent fort utiles aux généraux chinois. Il fut en 123
av. J.-C., élevé à un poste important [Marquis de Po Wang]. Mais
deux ans après, ayant échoué dans une expédition contre les
Hioung Nou, il encourut la peine capitale, et fût, par grâce spéciale,
condamné seulement à la dégradation et réduit au rang du peuple.
Il ne laissa pas, quelque temps après, de donner d’utiles
renseignements sur les rapports qu’avaient entre eux les princes
des Hioung Nou, des Wou Souen et des Yue Ti, sur la soumission
des Saï par ces derniers, et sur d’autres événements relatifs à ces
nations occidentales, qui avaient de l’intérêt pour les Chinois à
cause de la domination qu’ils prétendaient exercer alors sur l’Asie
intérieure ».
Nous verrons que Tchang K’ien effectua un second voyage dans l’ouest.
La lutte avec les Hioung Nou débarrassés des Yue Tche interposés entre
eux et la Chine avait recommencé. En 135, un ambassadeur du roi des Hioung
Nou avait demandé pour son maître la main d’une princ esse chinoise qui, sur
le conseil de Han Ngan-kouo, fut accordée par l’empereur, mais lorsqu’il
s’agit de tenir cette promesse, sur l’avis de Wang Kouo, Wou Ti se décida à
faire la guerre aux Hioung Nou et tendit à Ma Yi (préf. de Ta T’oung fou,
Chan Si) une embuscade au chen yu qui réussit néanmoins à y échapper :
Wouang Kouo, conseiller et général malhabile, qui avait mené la campagne,
fut jeté en prison (345). En 129, les Hioung Nou battirent les généraux chinois
Koung-souen Ngao et Li Kouang ; à la suite de nouvelles incursions en 127,
l’empereur fit construire Sou Fang (Ning Hia) au sud du Houang Ho.
Ho K’iu -p’ing.
Enfin en 121, le fameux Ho K’iu -p’ing, général des chevaux rapides,
parent de l’impératrice Wei, s’avança jus qu’au K’i Lien Chan, au delà • 232 de
Kan Tcheou au sud contre les Hioung Nou auxquels il livra une bataille qui
dura sept jours ; il défit leur vassal, le roi de Hieou Tch’ou qui occupait le
territoire actuel de Leang Tcheou, et s’empara d’une statue d’hom me en or,
auquel on offrait des sacrifices.
« Cette statue fut prise et apportée à l’empereur en 121. Yan
Che-kou remarque à ce sujet qu’on l’avait faite en or pour
représenter le prince des génies célestes, et que c’est l’origine des
Henri Cordier Histoire générale de la Chine 179
titre de Tchoung Lang-tsiang, en 115, fut envoyé de nouveau vers l’ouest avec
300 hommes, 600 chevaux, 10 000 têtes de bétail, pour leur subsistance, des
étoffes de soie pour des valeurs incalculables, et nombre d’agents accrédités et
de substituts d’ambassade, pour les envoyer sur la route de divers côtés
(350) ». Il fut bien accueilli par le Kouen Mou [chef] des Wou Souen qui
s’étaient affranchis du joug des Hioung Nou, mais, déchirés par des querelles
intestines, ils ne purent lui venir en aide ; toutefois il profita de leur bon
vouloir pour envoyer des agents dans le Ferghana, (Ta Wan), le Zerafchan et
les pays voisins. Ils notèrent que les pays de l’ouest ( Si Yu) étaient divisés en
trente-six royaumes et que deux routes y conduisaient : l’une par le sud, • 234
par le royaume de Chen, l’autre par le nord de Tour fan. Les envoyés
constatèrent que les gens de Ta. Wan possédaient d’excellents chevaux, mais
refusaient de les montrer. Chevaux, nous dit Se-ma Ts’ien
« qui suent le sang ; ils proviennent d’un étalo n céleste (351). »
L’empereur envoya alors un nouvel ambassadeur avec 1000 onces d’or et
un cheval d’or au Ta Wan dont les habitants refusèrent une fois encore de
satisfaire aux demandes impériales. L’ambassadeur, irrité, brisa le cheval d’or
et proféra des menaces : on l’assassina à Yeou Tch’eng. Wou Ti, qui avait
déjà envoyé le général Tchao Po-nou briser la résistance des rois de Leou Lan
et de Kou Tcha. qui le gênaient dans sa marche vers l’ouest (208), envoya le
général Li Kouang-li (104) pour châtier les gens de Ta Wan, mais il essuya
une grande défaite devant Yeou Tch’eng ; la colère de l’empereur à cette
fâcheuse nouvelle fut d’autant plus grande que les Hioung Nou faisaient vers
la même époque (103) le général Tchao Pô-nou prisonnier. Sans laisser Li
Kouàng-li rentrer en Chine, Wou Ti lui envoya des renforts et le général
chinois après un long siège s’empara de la capitale de Ta Wan, Eul che
(Teratepe) dont la population se souleva et massacra le roi Mou Koua ; il reçut
les chevaux qu’il de mandait, installa un nouveau roi Mei Ts’ai, et partit,
laissant un de ses officiers s’emparer de Yeou Tch’eng, et rentra en Chine
(101). L’assassinat de Mei Ts’ai un an après, remplaçé par Tch’en Foung, ne
paraît pas avoir modifié les rapports de Ta Wan et de la Chine, car pendant le
règne de Wou Ti plus de dix ambassades chinoises se rendirent dans le
Ferghana et le Zerafchan (352).
Les contrées d’Occident (Si Yu) subissaient donc le joug de la Chine et le
gouvernement impérial y établit pour les surveiller un Commissaire militaire
des Ambassadeurs. Elles formaient alors 36 royaumes ; sous les empereurs
ngai et P’ing leur nombre monta jusqu’à 55 ; mais par suite de leurs querelles
ils s’entre détruisirent, et d ans la période kien wou (25-55 ap. J.-C.) il n’y en
avait plus que 20.
• 235 Ce fut à la suite de l’expédition heureuse de Li Kouang -li que des
routes furent ouvertes vers le Si Yu et que la Grande Muraille fut prolongée
vers l’ouest (102 -101 av. J.-C.) à partir de Touen Houang ; cette barrière fut
étendue à travers le désert jusqu’au Lob Nor par une série de fortins, mais
Henri Cordier Histoire générale de la Chine 181
tandis que le rempart de Ts’in Che Houang Ti paraît avoir été surtout défensif,
celui de Wou Ti avait au contraire un caractère offensif.
Des colonies militaires avaient été établies au S.-O. de Karachahr, à Louen
T’ai et à Kiu Li, et le Commissaire eut le devoir non seulement de les protéger
mais aussi d’assurer les vivres des ambassadeurs qui se rendaient soit du Si
Yu en Chine, soit de la Chine au Si Yu.
Un autre résultat du voyage de Tch’ang K’ien fut l’ex tension de la
puissance chinoise vers le sud et la recherche d’une route par l’Inde, vers Ta
Hia. On trouvait dans la Chine méridionale, à l’est les royaumes maritimes de
Toung Hai (Tche Kiang), et de Min Yue (Fou Kien) ; au sud Tchao T’o avait
fondé, comme nous l’avons vu, la troisième dynastie annamite, celle des Trieu
(Tchao) qui régna sur le Nan Yue dont la capitale était Canton ; à l’ouest
s’éten dait le vaste royaume de Tien, au Yun Nan, fondé au IVe siècle par un
général de Tch’ou, Tchouang Kiao. P rofitant des luttes contre le Toung Hai et
le Min Yue, Wou Ti envoya au Nan Yue l’ambassadeur T’ang Moung qui dé -
couvrit que les marchandises de Chou (Se Tch’ouan) arrivaient à Canton par
le Kouei Tcheou (royaume de Ye Lang), le Tsang ko, partie supérieure du Si
Kiang, et le Si Kiang lui-même ; des pourparlers furent même engagés avec le
prince de Ye Lang pour obtenir le droit de passage sur son territoire. En
revanche les missions envoyées au Yun Nan échouèrent ; ou elles furent
massacrées par les sauvages, ou elles furent mal accueillies par le roi de Tien
Tch’ang Kiang. Mais le Nan Yue (Nam viet) attirait l’attention des Chinois.
En 113, Minh Vu’o’ng (Ying Ts’i), roi de Nan Yue étant mort, ne laissait
qu’un fils en bas âge, Hu’ng ; ce fut sa veuve, Cu Thi, chinoise d’origine, qui
exerça la régence ; avant son mariage elle avait eu dans son pays des relations
• 236 avec Ngan-Kouo Chao-ki (Thieu Qui) que Wou Ti s’em pressa d’envoyer
au Nan Yue dès qu’il apprit la mort de Minh vu’o’ng, afin que le nouveau roi
Hu’ng, sous le nom de Ai vu’o’ng fût invité à venir à sa Cour lui faire une
visite de vassal, mais surtout pour étudier la situation du pays. Les anciennes
relations reprirent entre Ngan kouo Chao-ki et la Reine, à la grande
indignation du peuple qui se souleva à la voix du maréchal Lu Gia (Lu Kia),
massacra le roi, la reine et les agents chinois, puis marcha contre les troupes
envoyées contre lui par Wou Ti, les battit et plaça sur le trône (111 av. J.-C.)
Kien Duc, fils de Minh vu’o’ng. et d’une mère annamite qui prit le titre d e
Thuat Du’o’ng vu’o’ng Ou Vê Du’o’ng vu’o’ng. L’empereur fu rieux, envoya
des armée contre le Nan Yue, l’une par le Si Kiang ; elles arrivèrent devant
Canton et s’en emparèrent ainsi que de Lu gia (Lu Kia) et du roi Kien duc
(Kien té). Le Nan Yue fut réduit en province chinoise (111 av. J.-C.) et ne
recouvra son indépendance qu’en 39 ap. J. -C. Les Han divisèrent le pays en
neuf quân : 1° Nam Hài (Canton) ; 2° Thu’o’ng ngô (Ych chau ; 3° Uât lâm
(Que lâm) ; 4° Hiêp phô (Liêm chau) ; 5° Giao chi, 6° Cu’u cho ’n ; 7° Nhu’t
nam ; 8° Châu nhai ; 9° Thiên nhi, ces deux derniers sur le fleuve Rouge.
L’empereur Wou décida que le gouvernement de ces neuf quân ou kiun
Henri Cordier Histoire générale de la Chine 182
Sous le règne de Hiao Wei Ti (197-187 av. J.-C.), un certain Woui Man
fut chargé par le gouverneur de Leao Toung de la protection de la frontière du
Tchao Sien septentrional ; il se tailla de la sorte le royaume de Tjyo syen dont
la capitale était Hpyeng yang (P’ing Yang ou Wang Kien) qui passa à son
petit-fils Yeou Kiu (Ou ke) Après la conquête chinoise (108 av. J.-C.) la
Corée septentrionale avec la partie de la Mandchourie qui en était la plus
rapprochée fut divisée en quatre gouvernements ou kiun, sâ koum : Ak rang et
Hyen hto (Hpyeng Yang et Ham heung) [Lo lang et Hiouen tou], au nord, Rim
toun (Kan reung) [Ling toun], au sud-est, Tjin pen (LeaoToung) [Tchin fan],
au nord-ouest. Ce n’est que vers le premier siècle avant J.-C. qu’apparaissent
les trois royaumes (Sam kouk) coréens : Sin ra [Sin la], ancien territoire des
Sinhan, au sud-est, en lutte avec le Japon, le Ko kou rye [Kao li], ancien
territoire de Tsyo syen, au nord et nord-est, qui est le royaume si souvent en
conflit avec la Chine, le Paik tjyei [Pe Ts’i], ancien territoire des Ma Han, à
l’ouest de la péninsule coréenne.
Administration coréenne.
Nous avons vu que les Ts’in pour détruire la puissance des États féodaux
et centraliser le pouvoir avaient divisé l’Empire en kiun comprenant des
préfectures, hien, dont le principal fonctionnaire était le kiun tcheou devenu le
t’ai tcheou à partir de 148 av. J.-C. ; chaque hien avait en outre un gouverneur
militaire ou kiun wei ; au dessus du hien, il y avait le hiang comprenant 10
t’ing ; le t’ing était formé de 10 li ou hameaux. Les Han rétablirent la division
en provinces ou tcheou, au nombre de treize.
Les Han, en particulier Wou Ti, tout en modifiant les divisions
territoriales, continuèrent la tradition des Ts’in , en fortifiant le pouvoir central
et en luttant contre la tendance particulariste toujours vivace des provinces ;
non seulement seuls des membres de leur famille furent nommés rois, mais
encore près de ces rois on plaça des conseillers chargés de faire des rapports
sur leur conduite, remplissant des fonctions analogues à celles des résidents
anglais près des princes hindous ; sur le conseil de Tchou Fou-Yen (• 239 127
av. J.-C.) les fiefs furent morcelés ; les grands seigneurs furent éloignés de la
Cour où l’on ne rencontra plus que des gens de basse extraction.
A la tête de l’organisation administrative des Han dérivée de celle des
Ts’in étaient placés les Gra nds Conseillers, Siang Kouo, l’un de gauche,
l’autre de droite, sauf pendant le règne de Kao Tsou (206 -194) et une partie
de celui de Wen Ti ; c’est encore aujourd’hui un des titres donnés aux
Tchoung T’ang ou Grands Secrétaires. En 118, l’empereur instit ua le Se tche
qui aidait le Grand Conseiller de gauche ; puis venaient : 2° le t’ai wei chef
des affaires militaires, supprimé en 139 par Wou Ti ; 3° le yu che ta fou ou
tchoung tch’eng , chargé des rapports et des pièces officielles ; 4° le t’ai fou ,
institué en 187 ; 5° les t’ai che et les t’ai pao , créés en l’an 1 après J. -C. ; 6°
Henri Cordier Histoire générale de la Chine 184
les généraux tsiang kiun ; 7° le foung tch’ang changé en 144 en t’ai tch’ang ,
chargé des rites, etc. (356).
Les Han avaient continué comme les Ts’i n à faire commencer l’année
avec le 12e mois ; mais en 104, Wou Ti rétablit l’usage de Houang Ti et la fit
débuter au 3e mois, usage qui, sauf trois exceptions, fut suivi par les autres
dynasties.
Wou Ti créa en 120 le Bureau de la Musique ; il creusa des canaux,
construisit des ports ; malheureusement les guerres trop nombreuses
épuisèrent le trésor malgré le développement des ressources économiques du
pays ; pour parer à la détresse de ses finances, en 119, il créa des monnaies
d’étain et d’argent mél angés d’une valeur nominale bien supérieure à leur
valeur intrinsèque. Il y en avait de trois espèces, de forme et de dimensions
différentes : 1° ronde, avec un trou rond central et portant la figure d’un
dragon (loung), appelée Tchouan, pesant 8 leang (onces), et valant 3000
sapèques ; 2° plus petite, carrée, portant la figure d’un cheval, pesant 6 leang
et valant 500 sapèques ; 3° encore plus petite, oblongue, portant une tortue,
pesant 4 leang et valant 300 sapèques ; les faux monnayeurs firent rapidement
tomber la valeur de ces monnaies, qui cessèrent d’être acceptées un an après
leur mise en circulation, et • 240 Wou Ti abandonna leur émission. L’empereur,
la même année, mettait en circulation de petites pièces d’un pied carré de la
peau des cerfs blancs élevés dans les parcs impériaux, pour lesquelles les rois,
les princes féodaux et les nobles devaient payer 400.000 sapèques chacune ;
ces morceaux de peau leur étant indispensables pour être reçus à la Cour (357).
Wou Ti mourut en 87 av. J.-C., ayant régné 54 ans.
Le règne de Wou Ti avait été assombri par un drame domestique. En 91,
les Tao Che qui avaient pris une grande influence sur l’esprit de l’empereur,
compromirent par leurs intrigues le prince héritier Lieou Wei, chez lequel ils
cachèrent des figures de bois qui lui servaient, disaient-ils, à des opérations
magiques ; ils annonçaient aussi faussement d’ail leurs que le prince s’était
révolté. Wou Ti, irrité envoya des troupes contre son fils qui se mit en état de
défense ; l’impératrice mère de Lieou Wei ayant été dégradée, se pendit de
désespoir ; Lieou Wei sur le point d’ être arrêté se suicide et l’empereur
apprend trop tard l’innocence de son fils. Celui -ci fut remplacé par un autre
fils, Fo Ling, né dans la 46e année de son règne d’une concubine qu’il fit
mettre à mort pour l’empêcher d’exercer la régence qu’il laissa à Ho Kouang.
Henri Cordier Histoire générale de la Chine 185
Dates Noms
1 202 Lieou Pang
2 194 Kao Ti, ou Kao Tsou, † 195 à 53 ans Lieou Ying
6 187 Kao Heou (Lu Che), † 180
4 179 Wen Ti, † 157 à 46 ans Lieou Houan
5 156 King Ti, † 141 à 48 ans Lieou Ki
6 140 Wou ti, † 87 à 71 ans Lieou Tche
*
**
Henri Cordier Histoire générale de la Chine 186
NOTES
(23) Réponse de M. de Guignes... A Paris, chez Michel Lambert, 1759, pet. in-8°.
(24) Essai sur les hiéroglyphes des Egyptiens... trad. de l’Anglais de M. Warburton... A Paris,
Guerin, 1744, 2 vol. in-12.
(25) Dissertation sur l’écriture hiéroglyphique ... A Amsterdam, et se trouve à Paris, chez J.
Barbou, 1762, in-12.
(26) l. c., p. 138-140.
(27) Ext. du Journal des Scavans, déc. 1761, vol. I, p. 4.
(28) De inscriptione quadam Ægyptiaca Taurini inventa et characteribus Ægyptiis olim et
Sinis communibus exarata idolo cuidam antiquo in regia universitate servato ad utrasque
Academias Londinensem et Parisiensem rerum antiquarum investigationi et studio
praepositas data epistola. Romae, 1761, pet. in-8°.
(29) Lettre de Pékin, sur le génie de la langue chinoise, et la nature de leur écriture
symbolique, comparée avec celle des anciens Egyptiens... A Bruxelles, 1774, in-4°.
(30) Henri Cordier, Fragments d’une hist. des études chinoises , p. 62-63.
(31) Recherches philosophiques sur les Egyptiens et les Chinois... Nouv. édit., Genève, 1774,
I, p. XVII-XVIII.
(32) Œuvres complètes, Mélanges, VIII, Paris, Garnier, 1879, p. 234-235.
(33) Les Egyptiens préhistoriques identifiés avec les Annamites d’après les inscriptions
hiéroglyphiques, par le général H. Frey, de l’armée coloni ale, Paris, Hachette, 1905, in-8°, p.
106.
(34) The manners and customs of the ancient Egyptians, By Sir J. Gardner Wilkinson ... A
new edition, revised and corrected by Samuel Birch, London, 1878, 3 vol. in-8°, II, p. 152-
153 ; avec représentation de ces bouteilles.
(35) l. c., II, p. 154.
(36) Trans. China Branch Royal Asiatic Society, Hongkong, 1853, part. III, p. 40.
(37) id., p. 95
(38) Les peintres européens en Chine et les peintres chinois par M. F. Feuillet de Conches,
Paris, 1856, in-8°, p. 26-27.
(39) L’exemplaire de l’Ecole des Langues orientales porte la note manuscrite suivante de la
main de Pauthier :
« J’avais restitué avant M. Julien, et dès 1846, dans une note publiée par M. Prisse dans la
Revue archéologique (mars 1846) la véritable date de ces vases. M. Feuillet ne l’ignorait pas,
mais il voulait donner un coup d’encensoir à M. Julie n. »
(40) Crania Ægyptiaca ; or, Observations on Egyptian Ethnography, derived from anatomy,
history and the monuments, by S.G. Morton, M.D... From the Trans. of the american
philosophical society, Philadelphia, 1846, in 4°. — Voir American ethnographical society, III,
p. 215.
(41) l. c., p. 63.
(42) Wilkinson, Ancient Egyptians, III, p. 108.
(43) l. c., p. 63.
(44) l. c., p. 65-66.
Henri Cordier Histoire générale de la Chine 188
de les trouver presque tous véritables. Les autres nations inventèrent des fables allégoriques ;
et les Chinois écrivirent leur histoire, la plume et l'astrolabe à la main, avec une simplicité
dont on ne trouve point d'exemple dans le reste de l'Asie.»]
(73) Mailla, I, préf., p. VII.
(74) Cf. Mémoires relatifs à l’Asie centrale , II, 1916, Chou-King et Chang-Chou, par Paul
Pelliot [css :clic à gauche sur : orientalistes, puis choisir : pelliot], p. 127.
(75) Voir les traductions dans la Bibliotheca sinica.
(76) Se-ma Ts’ien, I, Introduction, p. CCXXV.
(77) Legge dit : 279, Chavannes : 281.
(78) Il a été traduit en français par E. Biot, Journal Asiat., décembre et mai 1842, et en anglais
par le Dr J. Legge, Chinese Classics, pl. I. — Cf. Chavannes, Se-ma Ts’ien , V, pp. 446 seq.
(79) Gaubil, Chronologie, p. 101-102.
(80) Lettres édifiantes, Panthéon littéraire, IV, p. 64.
(81) Saint-Evremond, Œuvres, Lond., 1911, I, p. 181.
(82) Mailla, I, tableau, p. I.
(83) Essai sur l’Antiquité des Chinois (Mém. conc. les Chinois, I, p. 101-102).
(84) Wieger, Textes historiques, I, p. 19.
(85) Se-ma Tcheng en compte douze, Chavannes, Se-ma Ts’ien , I, p.18, fait remarquer que les
13 Souverains du Ciel auraient régné 234 000 années, et les 11 Souverains de la Terre, 198
000, ce qui ferait un total de 432 000, exactement celui des dix dynasties babyloniennes
antérieures au déluge, suivant Bérose.
(86) Gaubil, Chronologie, p. 3.
(87) id., p. 5.
(88) id., p. 4.
(89) Se-ma Tcheng dans Chavannes, Se-ma Ts’ien , I, p.18, 19, 21.
(90) W.F. Mayers, Notes and Queries on China and Japan, July 1868, p. 99-101
(91) Essai sur l’Antiquité des Chinois , l. c., p. 102
(92) Amiot, Antiquité des Chinois (Mém. conc. les Chinois, II, p. 125).
(93) Cibot, Essai sur l’Antiquité des Chinois (Mém. conc. les Chinois, I, p. 149).
(94) Essai sur les Mœurs, introd.
(95) Chavannes, [css :clic à gauche sur : orientalistes, puis choisir : chavannes] Sculpture sur
pierre en Chine, p. 3.
(96) Gaubil, Chronologie, p. 80.
(97) T.A Joyce, South american atcheology, p. 102.
(98) Chavannes, Sculpture sur pierre en Chine, p. 3.
(99) Chavannes, Se-ma Tcheng, p. 6.
(100) Mém. conc. Les Chinois, II, p. 27-28.
Henri Cordier Histoire générale de la Chine 190
(134) Essai sur quelques-uns des plus ancients monuments de la Géographie, terminé par les
preuves de l’ide ntité des déluges d’Yao, de Noé, d’Ogigès et de l’Atlantide ; et l’explication
physique de ce déluge. Paris, 1809, in-12.
(135) J. Legge, Chinese Classics, III, Pt. I, Shoo King, p. 189-190.
(136) Terrien de Lacouperie : The deluge, tradition and its remains in ancient China. (Bab &
Orient record., dec. 1889 et seq.)
(137) Mailla, VIII, p. 68. — Voir infra, page 85.
(138) Meng tzeu, C., Liv. IV, ch. I, p. • 484
(153) Meng tzeu, C., Liv. IV, ch. II, p. • 485 Le P. Couvreur serre davantage le texte dans sa
version latine : « Orientalibus barbaris vicinus incola fuit (in Chansi provincia). » — Legge,
p. 192, traduit : « Died in M’ing teou ; a man near the wild tribes of the east », litt. « a man of
the eastern E, or the Barbarians ».
(154) Li ki, C., XVII, II, p. • 67
(157) Three sites in Hunan connected with the classical legendary history of China, by Rev.
G. G. Warren (Journal North China, Br. R ; As. Soc., XLII, 1912)
(158) Li ki, C., XX, II, p. • 269
(175) Lo Tchen-yu cité par L. C. Hopkins, Journal Royal As. Soc., janv. 1917, p. 72.
(176) Che king, C., IV. V. III, p. • 465
(190) On a écrit un certain nombre de mémoires sur ces écailles de tortue ; je me borne à citer
les plus intéressants : Ed. Chavannes, La Divination par l’écaille de tortue (Journal Asiatique,
Henri Cordier Histoire générale de la Chine 193
janv.-fév. 1911). — Samuel Couling, The Oracle Bones from Ho nan, ( Journ. North China
Br. R. As. Soc., 1914, p. 65-75). — L. C. Hopkins, The Archives of an Oracle, (Journ. Royal
As. Soc., janv. 1915, p. 49-61). — Du même, The Sovereigns of the Shang Dynasty, B.C.
1766-1154 (Journ. Royal Asiatic Soc., janv. 1917, p. 69-89).
(191) Che king, C., III. I. III, p. • 326
(192) Le duc Lieou, descendant de Heou Tsi, s’était établi en 1796 av. J.-C. à Pin, à l’ouest
de la ville actuelle de San Chouei (Pin Tcheou, Chen Si).
(193) Se-ma Ts’ien , I, p. 170.
(194) Mailla, I, p. 316-318.
(195) Shoo King, pt. II, p. 535-537n.
(196) Li ki, C., XII., p. • 729
(197) Chou king, C., IV. XVII, p. • 307-308. — Chang ts’ai hien, Ho Nan.
(232) Le Li ki, C., III., V., p. • 325 donne encore d’autres détails sur le domaine impérial qui
équivalait à un carré ayant mille stades de chaque côté.
(233) Li ki, C., III, V, p. • 321-322
(242) Les Cinq articles du Se-ma fa sur l’art militaire . (Mém. Conc. Les Chinois, VII, p. 249).
(243) Henri Doré, Superstitions en Chine, XIII, p. 2.
(244) Livre III, ch.II, pp. 437-8.
(245) Mém. conc. les Chinois, XII, p. 594.
(246) Henri Doré, Superstitions en Chine, XIII, p. 1
(247) Li ki, C., XXIII., p. • 353-354
[Cf. l’édition css de l’ Essai : « Leur Confutzée ... premiers sages. Il ne recommande que la
vertu ; il ne prêche aucun mystère. Il dit dans son premier livre, que pour apprendre à
gouverner, il faut passer tous ses jours à se corriger. Dans le second, il prouve que Dieu a
gravé lui-même la vertu dans le cœur de l'homme; il dit que l'homme n'est int po né méchant,
et qu'il le devient par sa faute. Le troisième est un recueil de maxi mes pures, où vous ne
trouvez rien de bas, et rien d'une allégorie ridicule. Il eut cinq mille disciples; il pouvait se
mettre à la tête d'un parti puissant, et il aimamieux instruire les hommes que de les
gouverner... »]
(250) Hist. Philos. des Deux Indes, I, 1780, p. 107-8
(251) Essai sur les Mœurs, chap. I. [cf. édition css]
(252) Louen yu, XII, 22, p.208, trad. Couvreur.
(253) id., XIV, 21, p. 229.
(254) Tchoung Young, ch. XIII, p. 36.
(255) Mém. conc. les Chinois, XII, p. 397.
(256) Chavannes, Chancellerie mongole, II, p. 17.
(257) Mailla, X, p. 249 et 20.
(258) Hoang, Administration, p. 51.
(259) id., p. 51.
(260) id., p. 52.
(261) Revue de l’Histoire des Religion s, III, 1881, p. 222.
(262) Li Ki, II, p. 307-308.
(263) Trad. Couvreur, liv. IV, ch. I, p. 482-3
(264) Mém. conc. Les chinois, III, p. 47.
(265) Chavannes, Se-Ma Tsien, I, Introduction, p. CLXXXII.
(266) Stanislas Julien, l. c., p. XXI.
(267) Cette légende a été traduite par Stanislas Julien, l. c., p. XXI. XXIII-XXXII.
(268) Stanislas Julien [css :clic à gauche sur : orientalistes, puis choisir : stanislas julien], l.
c., p. XXIII.
(269) id., p. XXV-XXVI.
(270) Chavannes, Se-Ma Tsien, V, p. 299-301.
(271) id., p. 301.
(272) Chavannes, La sépulture sur pierre en Chine, p. 69-71, pl. XXXV.
(273) S. Julien, Le livre de la Voie et de la Vertu, p. XX
(274) Cf. Ko-hong, dans S. Julien, p. XXIV-XXV.
(275)Rémusat, Mémoires sur Lao-tseu, p. 19, 24.
(276) S. Julien, p. XII-XIV.
(277) Annales du Musée Guimet. XX.— Textes taoïstes traduits par C. de Harlez, 1891, p. II.
(278) l. c., p. 9.
(279) l. c., p. 12.
Henri Cordier Histoire générale de la Chine 196
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Henri Cordier Histoire générale de la Chine 199