Les Pères Taoistes
Les Pères Taoistes
Les Pères Taoistes
LAO-TZEU, LIE-TZEU
TCHOANG-TZEU
(Laozi, Liezi, Zhuangzi)
par
Léon WIEGER S.J. (1856-1933)
à partir de :
Mise en page sur papier format LETTRE (US letter), 8.5’’ x 11’’.
PRÉFACE
suite plus d’intérêt, plus de passion. Surtout pas de système, de règle, d’art, de
morale. Il n’y a, ni bien ni mal, ni sanction. Suivre les instincts de sa nature.
Laisser aller le monde au jour le jour. Evoluer avec le grand tout.
AVERTISSEMENT
Depuis que le Père Wieger a composé cet ouvrage, les études sur le Taoïsme l’auraient
obligé à corriger ou modifier certaines de ses conclusions et traductions. Par respect pour sa
pensée, l’on s’est borné à reproduire le texte de sa première édition, sans même en retrancher
certaines boutades qui étaient caractéristiques de sa manière.
Léon WIEGER — Les pères du système taoïste 8
TAO—TEI—KING
L’œuvre de Lao-tzeu
Léon WIEGER — Les pères du système taoïste 9
LIVRE I
▲Chapitre 1. Texte.
A. ╓18 Le principe qui peut être énoncé, n’est pas celui qui fut toujours. L’être
qui peut être nommé, n’est pas celui qui fut de tout temps. Avant les temps, fut
un être ineffable, innommable.
B. Alors qu’il était encore innommable, il conçut le ciel et la terre. Après
qu’il fut ainsi devenu nommable, il donna naissance à tous les êtres.
C. Ces deux actes n’en sont qu’un, sous deux dénominations différentes.
L’acte générateur unique, c’est le mystère de l’origine. Mystère des mystères.
Porte par laquelle ont débouché sur la scène de l’univers, toutes les
merveilles qui le remplissent.
D. La connaissance que l’homme a du principe universel, dépend de l’état de
son esprit. L’esprit habituellement libre de passions, connaît sa mystérieuse
essence. L’esprit habituellement passionné, ne connaîtra que ses effets.
passions, alors il n’est apte à connaître que les effets du principe, les êtres
sensibles distincts. Quand l’esprit humain, absolument arrêté, est
complètement vide et calme, il est un miroir pur et net, capable de mirer
l’essence ineffable et innommable du Principe lui-même. — Comparez
Chapitre 32.
Chapitre 2. Texte.
A. Tout le monde a la notion du beau, et par elle (par opposition) celle du pas
beau (du laid). Tous les hommes ont la notion du bon, et par elle (par
contraste) celle du pas bon (du mauvais). Ainsi, être et néant, difficile et
facile, long et court, haut et bas, son et ton, avant et après, sont des notions
corrélatives, dont l’une étant connue révèle l’autre.
B. Cela étant, le Sage sert sans agir, enseigne sans parler.
C. Il laisse tous les êtres, devenir sans les contrecarrer, vivre sans les
accaparer, agir sans les exploiter.
D. Il ne s’attribue pas les effets produits, et par suite ces effets demeurent.
Chapitre 3. Texte.
Chapitre 4. Texte.
▲Chapitre 5. Texte.
A. Le ciel et la terre ne sont pas bons, pour les êtres qu’ils produisent, mais
les traitent comme chiens de paille.
B. A l’instar du ciel et de la terre, le Sage n’est pas bon pour le peuple qu’il
gouverne, mais le traite comme chien de paille.
C. ▲ L’entre-deux du ciel et de la terre, siège du Principe, lieu d’où agit sa
vertu, est comme un soufflet, comme le sac d’un soufflet dont le ciel et ╓22 la
terre seraient les deux planches, qui se vide sans s’épuiser, qui se meut
externant sans cesse.
Léon WIEGER — Les pères du système taoïste 13
Chapitre 6. Texte.
Chapitre 7. Texte.
Chapitre 8. Texte.
contraire. Ils aiment naturellement leur profit. Il leur faudrait imiter l’eau.
Quiconque s’abaissant servira les autres, sera aimé de tous et n’aura pas de
contradicteurs.
Chapitre 9. Texte.
A. ▲ Tenir un vase plein, sans que rien découle, est impossible ; mieux eût
valu ne pas le remplir. Conserver une lame affilée à l’extrême, sans que son
tranchant ne s’émousse, est impossible ; mieux eût valu ne pas l’aiguiser à ce
point. Garder une salle pleine d’or et de pierres précieuses, sans que rien en
soit détourné, est impossible ; mieux eût valu ne pas amasser ce trésor.
Aucun extrême ne peut être maintenu longtemps. A tout apogée succède
nécessairement une décadence. Ainsi de l’homme...
B. Quiconque, étant devenu riche et puissant, s’enorgueillit, prépare lui-même
sa ruine.
C. Se retirer, à l’apogée de son mérite et de sa renommée, voilà la voie du
ciel.
A. Une roue est faite de trente rais sensibles, mais c’est grâce au vide central
non-sensible du moyeu, qu’elle tourne.
B. Les vaisselles sont faites en argile sensible, mais c’est leur creux
non-sensible qui sert.
C. Les trous non-sensibles que sont la porte et les fenêtres, sont l’essentiel
d’une maison.
Comme on le voit par ces exemples
D. C’est du non-sensible que vient l’efficace, le résultat.
A. La vue des couleurs aveugle les yeux de l’homme. L’audition des sons lui
fait perdre l’ouïe. La gustation des saveurs use son goût. La course et la
chasse, en déchaînant en lui de sauvages passions, affolent son cœur. L’amour
des objets rares et d’obtention difficile, le pousse à des efforts qui lui nuisent.
╓28 B. Aussi le Sage a-t-il cure de son ventre, et non de ses sens.
Léon WIEGER — Les pères du système taoïste 19
C. Il renonce à ceci, pour embrasser cela. (Il renonce à ce qui l’use, pour
embrasser ce qui le conserve.)
situation ; désirant, non se ╓29 maintenir, mais voir leur démission acceptée.
Les hommes de cette espèce peuvent être empereurs princes ou ministres, sans
détriment pour eux, et sans détriment pour l’empire, qu’ils gouvernent avec le
plus haut et le plus entier désintéressement. — Le texte de ce chapitre est
fautif dans beaucoup d’éditions modernes.
A. Celui qui est arrivé au maximum du vide (de l’indifférence), celui-là sera
fixé solidement dans le repos.
B. Les êtres innombrables sortent (du non-être), et je les y vois retourner. Ils
pullulent, puis retournent tous à leur racine.
Léon WIEGER — Les pères du système taoïste 22
A. Dans les premiers temps (quand, dans les choses humaines, tout était
encore conforme à l’action du Principe), les sujets savaient à peine qu’ils
avaient un prince (tant l’action de celui-ci était discrète).
B. Plus tard le peuple aima et flatta le prince (à cause de ses bienfaits). Plus
tard il le craignit (à cause de ses lois), et le méprisa (à cause de ses injustices).
Il devint déloyal, pour avoir été traité déloyalement, et perdit confiance, ne
recevant que de bonnes paroles non suivies d’effet.
Léon WIEGER — Les pères du système taoïste 23
C. Combien délicate fut la touche des anciens souverains. Alors que tout
prospérait grâce à leur administration, leur peuple s’imaginait avoir fait en
tout sa propre volonté.
A. Renoncez à toute science, et vous serez libre de tout souci. Qu’est-ce que
la différence entre les particules wei et a (sur laquelle les rhéteurs ont tant à
dire) ? Qu’est-ce que la différence entre le bien et le mal (sur laquelle les
critiques n’arrivent pas à s’accorder) ? (Ce sont là des futilités, qui empêchent
d’avoir l’esprit libre. Or la liberté d’esprit est nécessaire, pour entrer en
relations avec le Principe.)
B. Sans doute, parmi les choses que les hommes vulgaires craignent, il en est
qu’il faut craindre aussi ; mais pas comme eux, avec trouble d’esprit, jusqu’à
en perdre son équilibre mental.
C. ≡ Il ne faut pas non plus se laisser déséquilibrer par le plaisir, comme il
leur arrive, quand ils ont fait un bon repas, quand ils ont regardé le paysage du
haut d’une tour au printemps avec accompagnement de vin, etc.)
D. Moi (le Sage), je suis comme incolore et indéfini ; neutre comme
l’enfançon qui n’a pas encore éprouvé sa première émotion ; comme sans
dessein et sans but.
Léon WIEGER — Les pères du système taoïste 25
A. Tous les êtres qui jouent un rôle dans la grande manifestation sur le
théâtre cosmique, sont issus du principe, par sa vertu (son dévidage).
B. ╓34 Voici que être est le Principe : il est indistinct et indéterminé Oh
combien indistinct et indéterminé ! — Dans cette indistinction et
indétermination, il y a des types. Oh qu’il est indistinct et indéterminé ! —
Dans cette indistinction et indétermination, il y a des êtres en puissance. Oh
qu’il est mystérieux et obscur ! — Dans ce mystère, dans cette obscurité, il y a
une essence, qui est réalité. — Voilà quelle sorte d’être est le Principe.
C. Depuis l’antiquité jusqu’à présent, son nom (son être) restant le même, de
lui sont sortis tous les êtres.
D. Comment sais-je que telle fut l’origine de tous les êtres ?.. Par cela (par
l’observation objective de l’univers, qui révèle que les contingents doivent
être issus de l’absolu).
B. Je ne lui connais pas de nom propre. Je le désigne par le mot Principe. S’il
fallait le nommer, on pourrait l’appeler le Grand, grand aller, grand
éloignement, grand retour, (le principe de l’immense évolution cyclique du
cosmos, du devenir et du finir de tous les êtres).
C. Le nom Grand convient (proportionnellement) à quatre êtres
(superposés) ; à l’empereur, à la terre, au ciel (triade chinoise classique), au
Principe. L’empereur doit sa grandeur à la terre (son théâtre), la terre doit sa
grandeur au ciel (qui la féconde), le ciel doit sa grandeur au Principe (dont il
est l’agent principal). (Grandeur d’emprunt, comme on voit. Tandis que) le
Principe doit sa grandeur essentielle, à son aséité.
(De tous les excès, le plus préjudiciable, le plus damnable, c’est celui des
armes, la guerre).
A. Que ceux qui assistent un prince de leurs conseils, se gardent de vouloir
faire sentir à un pays la force des armes. (Car pareille action appelle la re-
vanche, se paie toujours fort cher.) Là où des troupes séjournent, les terres
abandonnées par les laboureurs, ne produisent plus que des épines. Là où de
grandes armées ont passé, des années de malheur (famine et brigandage)
suivent.
B. Aussi le bon général se contente-t-il de faire ce qu’il faut (le moins
possible ; répression plutôt morale que matérielle), et s’arrête aussitôt, se
gardant bien d’exploiter sa force jusqu’au bout. Il fait tout juste ce qu’il faut
(pour rétablir la paix), non pour sa gloire et son avantage, mais par nécessité et
à contre-cœur, sans intention d’augmenter sa puissance.
C. Car à l’apogée de toute puissance, succède toujours la décadence. Se faire
puissant, est donc contraire au Principe, (source de la durée). Qui manque au
Principe sur ce point, ne tarde pas à périr.
A. Les armes les mieux faites, sont des instruments néfastes, que tous les
êtres ont en horreur. Aussi ceux qui se conforment au Principe, ne s’en servent
pas.
B. ▲ En temps de paix, le prince met à sa gauche (la place d’honneur) le
ministre civil qu’il honore ; mais même en temps de guerre, il met le
commandant militaire à sa droite (pas la place d’honneur, même alors qu’il est
dans l’exercice de ses fonctions).
╓40 Les armes sont des instruments néfastes, dont un prince sage ne se sert
qu’à contre-cœur et par nécessité, préférant toujours la paix modeste à une
victoire glorieuse.
Léon WIEGER — Les pères du système taoïste 32
Il ne convient pas qu’on estime qu’une victoire soit un bien. Celui qui le
ferait, montrerait qu’il a un cœur d’assassin. Il ne conviendrait pas qu’un
pareil homme règne sur l’empire.
C. De par les rits, on met à gauche les êtres fastes, et à droite les êtres
néfastes. (Or quand l’empereur reçoit ensemble les deux généraux,) le général
suppléant (qui n’agit qu’à défaut du titulaire et qui est par conséquent moins
néfaste) est placé à gauche, tandis que le général commandant est mis à droite,
c’est-à-dire à la première place selon les rits funèbres, (la place du conducteur
du deuil, du chef des pleureurs). Car à celui qui a tué beaucoup d’hommes,
incombe de les pleurer, avec larmes et lamentations. La seule place qui
convienne vraiment à un général vainqueur, c’est celle de pleureur en chef,
(conduisant le deuil de ceux dont il a causé la mort).
A. Parce qu’il ressemble au grand prototype (le Principe, par son dévouement
désintéressé), tous vont au Sage. Il les accueille tous, leur fait du bien, leur
donne repos, paix et bonheur.
B. La musique et la bonne chère retiennent pour une nuit seulement un hôte
qui passe (les plaisirs sensuels sont passagers et il n’en reste rien). Tandis que
l’exposé du grand principe du dévouement désintéressé, simple et sans apprêt,
qui ne charme ni les yeux ni les oreilles, plaît, se grave, et est d’une fécondité
inépuisable en applications pratiques.
Rien de plus dans les commentaires.
*
**
Léon WIEGER — Les pères du système taoïste 36
LIVRE II
A. Voici les êtres qui participent à la simplicité primitive. Le ciel, qui doit à
cette simplicité sa luminosité. La terre, qui lui doit sa stabilité. L’action
génératrice universelle, qui lui doit son activité. L’espace médian, qui lui doit
sa fécondité. La vie commune à tous les êtres. Le pouvoir de l’empereur et des
princes. (Vie et pouvoir étant des émanations du Principe).
B. Ce qui les fait tels, c’est la simplicité (primitive à laquelle ils participent.
Si le ciel venait à la perdre, il tomberait. Si la terre venait à la perdre, elle
vacillerait. Si l’action génératrice la perdait, elle cesserait. Si l’espace médian
la perdait, il s’épuiserait. Si la vie la perdait, tous les êtres disparaîtraient. Si
l’empereur et les princes la perdaient, c’en serait fait de leur dignité.
C. Toute élévation, toute noblesse, est assise sur l’abaissement et la simplicité
(caractères propres du Principe). Aussi est-ce avec raison, que l’empereur et
les princes, les plus exaltés des hommes, se désignent par les termes, seul,
unique, incapable, et cela sans s’avilir.
D. (Appliquant le même principe de la simplicité dans leur gouvernement),
qu’ils réduisent les multitudes de leurs sujets à l’unité, les considérant comme
une masse indivise avec une impartialité sereine, n’estimant pas les uns
précieux comme jade et les autres vils comme cailloux.
A. Le Principe ayant émis sa vertu une, celle-ci se mit à évoluer selon deux
modalités alternantes. Cette ╓46 évolution produisit (ou condensa) l’air médian
(la matière ténue). ■ De la matière ténue, sous l’influence des deux modalités
yinn et yang, furent produits tous les êtres sensibles. Sortant du yinn (de la
puissance), ils passent au yang (à l’acte), par influence des deux modalités sur
la matière.
B. Ce que les hommes n’aiment pas, c’est d’être seuls, uniques, incapables,
(l’obscurité et l’abaissement), et cependant les empereurs et les princes se
Léon WIEGER — Les pères du système taoïste 39
désignent par ces termes, (humilité qui ne les avilit pas). Les êtres se
diminuent en voulant s’augmenter, et s’augmentent en se diminuant.
C. En parlant ainsi, je redis l’enseignement traditionnel. Les forts arrogants
ne meurent pas de leur belle mort. Je fais de cet axiome le fond de mon en-
seignement.
A. Partout et toujours, c’est le mou qui use le dur (l’eau use la pierre). Le
non-être pénètre même là où il n’y a pas de fissure (les corps les plus homo-
gènes, comme le métal et la pierre). Je conclus de là, à l’efficacité suprême du
non-agir.
B. Le silence et l’inaction ! Peu d’hommes arrivent à comprendre leur
efficacité.
A. Quand le Principe règne, (la paix étant parfaite), les chevaux de guerre
travaillent aux champs. Quand le Principe est oublié, (la guerre étant à l’ordre
du jour), on élève des chevaux de bataille jusque dans les faubourgs des villes.
B. Céder à ses convoitises, (et la manie de guerroyer en est une), c’est le pire
des crimes. Ne pas savoir se borner, c’est la pire des choses néfastes. La pire
des fautes, c’est vouloir toujours acquérir davantage. Ceux qui savent dire
« c’est assez », sont toujours contents.
A. Sans sortir par la porte, on peut connaître tout le monde ; sans regarder par
la fenêtre, on peut se rendre compte des voies du ciel (principes qui régissent
toutes choses). — Plus on va loin, moins on apprend.
Léon WIEGER — Les pères du système taoïste 41
B. Le Sage arrive au but, sans avoir fait un pas pour l’atteindre. Il connaît,
avant d’avoir vu, par les principes supérieurs. Il achève, sans avoir agi, par
son influence transcendante.
A. ╓48 Par l’étude, on multiplie chaque jour (dans sa mémoire les notions
particulières inutiles et nuisibles) ; par la concentration sur le Principe, on les
diminue chaque jour. Poussée jusqu’au bout, cette diminution aboutit au
non-agir, (suite de l’absence de notions particulières).
B. Or il n’est rien, dont le non-agir (le laisser aller), ne vienne à bout. C’est en
n’agissant pas, qu’on gagne l’empire. Agir pour le gagner, fait qu’on ne
l’obtient pas.
A. Le Principe donne la vie aux êtres ; puis sa Vertu les nourrit, jusqu’à
complètement de leur nature, jusqu’à perfection de leurs facultés. Aussi tous
les êtres vénèrent-ils le Principe et sa Vertu.
B. L’éminence du Principe et de sa Vertu, personne ne la leur a conférée ; ils
l’ont de tout temps, naturellement.
C. Le Principe donne la vie ; sa Vertu fait croître, protège, parfait, mûrit,
entretient, couvre (tous les êtres). Quand ils sont nés, il ne les accapare pas ; il
les laisse agir librement, sans les exploiter ; il les laisse croître, sans les
tyranniser. Voilà la Vertu transcendante.
Léon WIEGER — Les pères du système taoïste 43
A. Ce qui fut avant le monde, devint la mère du monde. Qui a atteint la mère
(la matière, le corps), connaît par elle son fils (l’esprit vital qui y est enfermé).
Qui connaît le fils (son esprit vital) et conserve la mère (son corps), arrivera à
la fin de ses jours sans accident.
B. S’il tient sa bouche fermée et ses narines closes (pour empêcher
l’évaporation du principe vital), il arrivera à la fin de ses jours sans avoir
éprouvé de décadence. Tandis que, s’il parle beaucoup et se fait de nombreux
soucis, il usera et abrégera sa vie.
C. Borner ses considérations aux petites choses, et ╓50 ses soucis aux affaires
de faible importance, rend l’esprit clair et le corps fort. Concentrer dans son
intelligence ses rayons intellectuels, et ne pas laisser l’application mentale
léser son corps, c’est là voiler (son esprit) pour faire durer (sa vie).
A. Celui qui bâtit sur le désintéressement, son œuvre ne sera pas détruite.
Celui qui conserve avec désintéressement, ne perdra pas ce qu’il a. Ses fils et
ses petits-fils lui feront des offrandes sans interruption (c’est-à-dire lui
succéderont et jouiront du fruit de ses œuvres).
B. Il faut tout d’abord que soi-même l’on se soit conformé parfaitement au
Principe ; ensuite cette conformité s’étendra spontanément, de soi, à sa fa-
mille, à son district, à la principauté, à l’empire ; (foyer central ; rayon de plus
en plus vaste).
C. ╓51 Par sa propre nature, on connaît celle des autres individus, et de toutes
les collections d’individus, familles, districts, principautés, empire.
D. Comment connaître la nature de tout un empire ?.. Par cela (par sa propre
nature, comme il a été dit ci-dessus).
A. Celui qui contient en lui la Vertu parfaite (sans luxure et sans colère), est
comme le tout petit enfant, que le scorpion ne pique pas, que le tigre ne
dévore pas, que le vautour n’enlève pas, que tout respecte.
Léon WIEGER — Les pères du système taoïste 45
B. Les os de l’enfant sont faibles, ses tendons sont débiles, mais il saisit
fortement les objets (comme son âme et son corps se tiennent avec force). Il
n’a encore aucune idée de l’acte de la génération, et conserve par suite sa
vertu séminale complète. Il vagit doucement tout le long du jour, sans que sa
gorge s’enroue, tant sa paix est parfaite.
C. La paix fait durer ; qui comprend cela, est éclairé. Tandis que tout
orgasme, surtout la luxure et la colère, usent, De là vient que, à la virilité (dont
l’homme abuse) succède la décrépitude.. La vie intense est contraire au
Principe, et par suite mortelle prématurément.
A. Celui qui parle (beaucoup, montre par là qu’il) ne connaît pas (le
Principe).
B. Celui qui connaît (le Principe), ne parle pas. Il tient sa bouche close, il
retient sa respiration, il émousse son activité, il se délivre de toute compli-
cation, il tempère sa lumière, il se confond avec le vulgaire. Voilà la
mystérieuse union (au Principe).
C. Un pareil homme, personne ne peut se l’attacher (par des faveurs), ni le
rebuter (par de mauvais traitements). Il est insensible au gain et à la perte, ╓52
à l’exaltation comme à l’humiliation. Etant tel, il est ce qu’il y a de plus noble
au monde.
Résumé des commentaires.
Supérieur à tout ce qui paraît, il converse avec l’auteur des êtres, le Principe.
Tchang-houngyang.
A. Pour gouverner un grand État, il faut s’y prendre comme celui qui fait
cuire de tout petits poissons, (très délicatement, autrement ils se dissocient).
B. Quand un État est gouverné d’après le Principe, les morts n’y apparaissent
pas pour faire du mal au peuple, parce que le Sage qui gouverne ne fait pas de
mal au peuple,
C. Le mérite de cette double tranquillité (de la part des morts et des vivants),
revient donc au Sage.
A. Si un grand État s’abaisse, comme ces creux dans lesquels les eaux
confluent, tout le monde viendra à lui. Il sera comme la femelle universelle
(Chapitre 8 et 28).
B. Dans sa passivité et son infériorité apparentes, la femelle est supérieure au
mâle (car c’est elle qui enfante). — A condition de savoir s’abaisser, le grand
État gagnera les petits États, qui s’abaissant aussi, rechercheront son
protectorat. L’un s’étant abaissé, les autres s’étant abaissé seront reçus. Au
fond, le grand État désire protéger les autres, les petits États ne demandent
qu’à reconnaître son protectorat.
C. Pour que ce vœu commun se réalise, il ne faut qu’une chose, mais il la faut
nécessairement. A savoir, que les grands daignent s’abaisser vers les petits.
(S’ils sont orgueilleux et durs, pas d’espoir.)
A. Le Principe est le palladium de tous les êtres. C’est lui qui est le trésor du
bon (ce par quoi il est bon), et le salut du mauvais (ce qui l’empêche de périr).
B. C’est à lui qu’il faut savoir gré des paroles affectueuses et de la noble
conduite des bons. C’est par égard pour lui, que les méchants ne doivent pas
être rejetés.
C. C’est pour cela (pour la conservation et le développement de la part du
Principe qui est dans les êtres), que sont institués l’empereur et les grands
ministres. Non pour qu’ils se complaisent dans leur sceptre et leur quadrige.
Mais pour qu’ils méditent sur le Principe, (s’avancent dans sa connaissance et
le développent chez les autres).
D. Pourquoi les anciens faisaient-ils tant de cas du Principe ? N’est-ce pas
parce qu’il est la source de tous les biens et le remède à tous les maux ? Ce
qu’il y a de plus noble au monde !
A. Agir sans agir ; s’occuper sans s’occuper ; goûter sans goûter ; voir du
même œil, le grand, le petit, le beaucoup, le peu ; faire le même cas des repro-
ches et des remerciements ; voilà comme fait le Sage.
B. Il n’attaque les complications difficiles, que dans leurs détails faciles, et
ne s’applique aux grands problèmes, que dans leurs faibles commencements.
C. Jamais le Sage n’entreprend rien de grand, c’est pourquoi il fait de grandes
choses. Qui promet beaucoup, ne peut pas tenir sa parole ; qui s’embarrasse de
trop de choses même faciles, ne réussit à rien.
D. ╓55 Le Sage évite de loin la difficulté, aussi n’a-t-il jamais de difficultés.
A. Ce qui est paisible, est facile à contenir ; ce qui n’a pas encore paru, est
aisé à prévenir ; ce qui est faible, est facile à briser ; ce qui est menu, est aisé à
disperser. Il faut prendre ses mesures avant que la chose ne soit, et protéger
l’ordre avant que le désordre n’ait éclaté.
B. Un arbre que les deux bras ont peine à embrasser, est né d’une radicule
fine comme un cheveu ; une tour à neuf étages, s’élève d’un tas de terre ; un
voyage de mille stades, a débuté par un pas.
C. Ceux qui en font trop, gâtent leur affaire. Ceux qui serrent trop fort, finis-
sent par lâcher. Le Sage qui n’agit pas, ne gâte aucune affaire. Comme il ne
tient à rien, rien ne lui échappe.
D. Quand le vulgaire fait une affaire, il la manque d’ordinaire, au moment où
elle allait réussir, (l’enivrement de son commencement de succès, lui faisant
perdre la mesure et commettre des maladresses). Il faut, pour réussir, que la
circonspection du commencement, dure jusqu’à l’achèvement.
Léon WIEGER — Les pères du système taoïste 50
E. Le Sage ne se passionne pour rien. Il ne prise aucun objet, parce qu’il est
rare. Il ne s’attache à aucun système, mais s’instruit par les fautes des autres.
Pour coopérer à l’évolution universelle, il n’agit pas, mais laisse aller.
A. Pourquoi les fleuves et les océans sont-ils les rois de toutes les vallées ?
(déversoirs généraux, recevant en tribut tous les cours d’eau). Parce qu’ils
sont bénévolement les inférieurs de toutes les vallées (comme niveau). Voilà
pourquoi toutes les eaux confluent vers eux.
B. Suivant cet exemple, que le Sage qui désire devenir supérieur au
vulgaire, se mette en paroles au-dessous de lui (parle très humblement de
lui-même), s’il veut devenir le premier, qu’il se mette à la dernière place, (et
continue à faire ainsi, après qu’il aura été exalté). Alors il pourra être élevé au
pinacle, sans que le peuple se sente opprimé par lui ; il pourra être le premier,
sans que le peuple se plaigne de lui. Tout l’empire le servira avec joie, sans se
lasser. Car lui ne s’opposant à personne, personne ne s’opposera à lui.
Comparez chapitre 8. Les commentaires n’ajoutent rien.
Léon WIEGER — Les pères du système taoïste 51
A. Tout l’empire dit que le Sage est noble, malgré son air vulgaire ; air qu’il
se donne, précisément parce qu’il est noble (pour voiler sa noblesse et ne pas
s’attirer d’envieux). Tout le monde sait, au contraire, combien ceux qui posent
pour nobles, sont hommes de mince valeur.
B. Le Sage prise trois choses et y tient : la charité, la simplicité, l’humilité.
Étant charitable, il sera brave (dans les justes limites, sans cruauté). Étant ╓57
simple, il sera libéral (dans les justes limites, sans gaspillage). Étant humble, il
gouvernera les hommes sans tyrannie.
C. Les hommes d’aujourd’hui mettent en oubli la charité, la simplicité,
l’humilité. Ils prisent la guerre, le faste, l’ambition. C’est là vouloir périr.
C’est vouloir ne pas réussir.
D. Car c’est l’agresseur charitable, qui gagne la bataille (non l’agresseur
barbare ; c’est le défenseur charitable, qui est inexpugnable (non le batailleur
impitoyable). Ceux auxquels le ciel veut du bien, il les fait charitables.
A. Que celui qui commande, ne pense pas que c’est la tactique, la valeur,
l’effort, qui donnent la victoire.
B. C’est en se mettant au service des hommes, qu’on dompte les hommes.
C’est là le vrai procédé, qu’on formule parfois comme suit : art de ne pas
lutter (de s’accommoder, de gagner en se faisant tout à tous) ; pouvoir de
manier les hommes ; action conforme à celle du ciel. Toutes ces formules
désignent la même chose, qui lit la grandeur des Anciens.
Léon WIEGER — Les pères du système taoïste 52
A. Tout savoir et croire qu’on ne sait rien, voilà le vrai savoir (la science
supérieure). Ne rien savoir et croire qu’on sait tout, voilà le mal commun des
humains.
B. Tenir ce mal pour un mal, en préserve. Le Sage est exempt de fatuité,
parce qu’il redoute la fatuité. Cette crainte l’en préserve.
Pour tirer quelque chose des hommes, mieux vaut les traiter avec bénignité.
— Contre l’école des légistes fa-kia, qui ne connaît que les supplices. C’est un
fait d’expérience, disent les commentateurs, que le peuple craint moins la
mort que les travaux forcés par exemple ; et que, une fois emballé, il perd
toute crainte.
A. Quand l’homme vient de naître, il est souple et faible (mais plein de vie) ;
quand il est devenu fort et puissant, alors il meurt.
B. ╓61 Il en est de même des végétaux, délicats (herbacés) à leur naissance,
ligneux à leur mort.
Léon WIEGER — Les pères du système taoïste 56
C. Celui qui est fort et puissant, est marqué pour la mort ; celui qui est
flexible et faible, est marqué pour la vie.
D. L’armée nombreuse sera défaite. Le grand arbre sera abattu.
E. Tout ce qui est fort et grand, est en moins bonne situation. L’avantage est
toujours au souple et au faible.
A. Le ciel en agit (à l’égard des hommes), comme l’archer qui, bandant son
arc, déprime les convexités et fait bomber les concavités (que son arc présen-
tait à l’état de repos), diminuant le plus et augmentant le moins, (abaissant ce
qui est élevé, et élevant ce qui est abaissé). Il ôte à ceux qui abondent, et
ajoute à ceux qui manquent.
B. Tandis que les hommes (mauvais princes qui grugent le peuple), font tout
le contraire, ôtant à ceux qui manquent (le peuple), pour ajouter à ceux qui
abondent (leurs favoris)... Alors que tout superflu devrait revenir à l’empire
(au peuple)... Mais cela, seul celui qui possède le Principe, en est capable.
C. Le Sage se conforme au Principe. Il influe, sans s’attribuer le résultat. Il
accomplit, sans s’approprier son œuvre. Il ne prétend pas au titre de Sage,
(mais se tient volontairement dans l’obscurité).
A. ►En ce monde, rien de plus souple et de plus faible que l’eau ; cependant
aucun être, quelque fort et puissant qu’il soit ; ne résiste à son action (cor-
Léon WIEGER — Les pères du système taoïste 57
rosion, usure, choc des vagues) ; et aucun être ne peut se passer d’elle (pour
boire, croître, etc.).
B. Est-il assez clair que la faiblesse vaut mieux que la force, que la souplesse
prime la raideur ? Tout le monde en convient ; personne ne fait ainsi.
C. Les Sages ont dit : Celui-là est capable d’être le chef du territoire et le
souverain de l’empire, que ne rebutent, ni l’ordure morale, ni le malheur
politique. (Celui qui est assez souple pour s’accommoder ╓62 à tout cela ; et
non l’homme raide et systématique.)
D. C’est là une parole bien vraie, quoiqu’elle offense les oreilles d’un grand
nombre.
A. ▲ Si j’étais roi d’un petit État, d’un petit peuple, je me garderais bien
d’utiliser (de mettre en charge) les quelques dizaines d’hommes capables que
cet État contiendrait.
B. J’empêcherais mes sujets de voyager, en leur faisant craindre la mort par
accident possible, tellement qu’ils n’oseraient pas monter dans un bateau ou
sur un char.
C. Je défendrais tout usage des armes.
D. En fait de lettres et de science, je les obligerais à revenir aux cordelettes à
nœuds (quippus).
E. C’est alors qu’ils trouveraient leur nourriture savoureuse, leurs habits
beaux, leurs maisons paisibles, leurs us et coutumes agréables.
F. (J’empêcherais la curiosité et les communications, au point que,) mes
sujets entendissent-ils de chez eux les cris des coqs et des chiens de l’État
voisin, ils mourraient de vieillesse avant d’avoir passé la frontière et eu des
relations avec ceux de l’État voisin.
Le rat dans son fromage, idéal taoïste.
A. ╓63 (J’ai fini. Vous trouverez peut-être mon discours assez fruste, peu
subtil, guère savant.) C’est que la franchise native ne s’attife pas, la droiture
naturelle n’ergote pas, le sens commun se passe de l’érudition artificielle.
B. Le Sage ne thésaurise pas, mais donne. Plus il agit pour les hommes, plus
il peut ; plus il leur donne, plus il a. Le ciel fait du bien à tous, ne fait de mal à
personne. Le Sage l’imite, agissant pour le bien de tous, et ne s’opposant à
personne.
Les commentaires n’ajoutent rien.
*
**
Léon WIEGER — Les pères du système taoïste 59
TCHOUNG — HU — TCHENN — K I N G
L’œuvre de Lie-tzeu
Léon WIEGER — Les pères du système taoïste 60
CHAPITRE 1
Genèse et transformations
Lie1.B. Dans les écrits de Hoang-ti, il est dit (2) : La puissance expansive
transcendante qui réside dans l’espace médian (la vertu du Principe) ne meurt
pas. Elle est la mère mystérieuse (de tous les êtres). Sa porte est la racine du
ciel et de la terre (le Principe). Pullulant, elle ne dépense pas. Agissant, elle ne
fatigue pas... Cela revient à dire, que le producteur n’est pas produit, que le
transformeur n’est pas transformé. Le producteur-transformeur produit et
transforme, devient sensible, revêt des figures, parvient à l’intelligence,
acquiert des énergies, agit et sommeille, restant toujours lui (unicité du
cosmos, sans distinction réelle). Dire que des êtres distincts sont produits et
Léon WIEGER — Les pères du système taoïste 61
Lie1.I. Un certain Linn-lei, plus que centenaire, encore vêtu d’une peau au
temps de la moisson du blé (maximum de la chaleur, parce qu’il n’avait aucun
autre vêtement), glanait des épis en chantonnant. Confucius qui se rendait à
Wei, l’ayant rencontré dans la campagne, dit à ses disciples :
— Essayez d’entrer en conversation avec ce vieillard ; il pourra
nous apprendre quelque chose.
Léon WIEGER — Les pères du système taoïste 65
K. Yen-tzeu dit :
Lie1.
Lie1.N. ►Dans le pays de Ki, un homme était tourmenté par la crainte que
le ciel ne lui tombât sur la tête et que la terre ne s’effondrât sous ses pieds. La
crainte de ce grand cataclysme l’obsédait au point qu’il en perdit le sommeil
et l’appétit.
Un ami s’émut de son état, et entreprit de le remonter.
— Le ciel, lui dit-il, n’est pas solide. Il n’y a, là-haut, que des
vapeurs qui vont et viennent, s’étendant et se contractant, formant
la respiration cosmique. Cela ne peut pas tomber.
— Soit, dit le trembleur ; mais le soleil, la lune, les étoiles ?
— Ces corps célestes, dit l’ami, ne sont aussi faits que de gaz lumi-
neux. S’ils venaient à tomber, ils n’ont pas assez de masse pour
faire même une blessure.
— Et si la terre s’effondrait ? demanda le trembleur.
— La terre est un trop gros morceau, dit l’ami, pour que les pas des
hommes l’usent ; et trop bien suspendu dans l’espace, pour que
leurs secousses l’ébranlent.
Rassuré, le trembleur se mit à rire ; et l’ami, content d’avoir réussi à le ras-
surer, rit aussi.
Cependant Tch’ang-lou-tzeu ayant entendu raconter cette histoire, critiqua
et le toqué et son ami, en ces termes :
— Que le ciel et les corps célestes soient faits de vapeurs légères,
que la terre qui porte tout soit faite de matière solide, soit, c’est
vrai. Mais ces vapeurs et cette matière sont des composés. Qui peut
garantir que ces composés ne se décomposeront jamais ? Etant
donné cette incertitude, spéculer sur l’éventualité possible de la
ruine du ciel et de la terre, est raisonnable. Mais vivre dans
l’attente continuelle de cette ruine, est déraisonnable. Laissons le
soin de gémir sur le grand effondrement, à ceux qui en seront les
contemporains.
Lie1.P. Dans le pays de Ts’i, un certain Kouo était très riche. Dans le pays
de Song, un certain Hiang était très pauvre. Le pauvre alla demander au riche,
comment il avait fait pour s’enrichir.
— En volant, lui dit celui-ci. Quand je commençai à voler, au bout
d’un an j’eus le nécessaire, au bout de deux ans j’eus l’abondance,
au bout de trois ans j’eus l’opulence, puis je devins un gros
notable.
Se méprenant sur le terme voler, le Hiang n’en demanda pas davantage.
Au comble de la joie, il prit congé, et se mit aussitôt à l’œuvre, escaladant ou
perçant les murs, faisant main basse sur tout ce qui lui convenait. Bientôt
arrêté, il dut rendre gorge, et perdit encore le peu qu’il possédait auparavant,
trop heureux d’en être quitte à ce compte. Persuadé que le Kouo l’avait
trompé, il alla lui faire d’amers reproches.
— Comment t’y es-tu pris ? demanda le Kouo, tout étonné.
— Quand le Hiang lui eut raconté ses procédés,.. ah ! mais, fit le
Kouo, ce n’est pas par cette sorte de vol-là, que je me suis enrichi.
Moi, suivant les temps et les circonstances, j’ai volé leurs richesses
Léon WIEGER — Les pères du système taoïste 69
CHAPITRE 2
Simplicité naturelle
lie2.B. Le mont Lie-kou-ie se trouve dans l’île Ho-tcheou. Il est habité par
des hommes transcendants, qui ne font pas usage d’aliments, mais aspirent
l’air et boivent la rosée. Leur esprit est limpide comme l’eau d’une source,
leur teint est frais comme celui d’une jeune fille. Les uns doués de facultés
extraordinaires, les autres seulement très sages, sans amour, sans crainte, ils
vivent paisibles, simplement, modestement, ayant ce qu’il leur faut ╓85 sans
avoir besoin de se le procurer. Chez eux, le yinn et le yang sont sans cesse en
harmonie, le soleil et la lune éclairent sans interruption, les quatre saisons sont
régulières, le vent et la pluie viennent à souhait, la reproduction des animaux
et la maturation des récoltes arrivent à point. Pas de miasmes meurtriers, pas
de bêtes malfaisantes, pas de fantômes causant la maladie ou la mort, pas
d’apparitions ou de bruits extraordinaires, (phénomènes qui dénotent toujours
un défaut dans l’équilibre cosmique).
vieillard caduc, au visage halé, mal vêtu et mal coiffé, tous le regardèrent de
haut, puis le méprisèrent, enfin se jouèrent de lui de toute manière. Quoi qu’ils
dissent, Chang-K’iou-k’ai resta impassible, se prêtant à leur jeu en souriant.
Sur ces entrefaites, Tzeu-hoa ayant conduit toute la bande sur une haute
terrasse, dit :
— Cent onces d’or sont promises à qui sautera en bas !
Les rieurs de tout à l’heure eurent peur. Chang-K’iou-k’ai sauta aussitôt,
descendit doucement comme un oiseau qui plane, et se posa à terre sans se
casser aucun os.
— C’est là un effet du hasard, dit la bande.
Ensuite Tzeu-hoa les conduisit tous au bord du Fleuve, à un coude qui
produisait un profond tourbillon.
— A cet endroit, dit-il, tout au fond, est une perle rare ; qui l’aura
retirée, pourra la garder !
Chang-K’iou-k’ai plongea aussitôt, et rapporta la perle rare du fond du
gouffre. Alors la bande commença à se douter qu’elle avait affaire à un être
extraordinaire.
Tzeu-hoa le fit habiller, et l’on s’attabla. Soudain un incendie éclata dans
un magasin de la famille Fan.
— Je donne, dit Tzeu-hoa, à celui qui entrera dans ce brasier, tout
ce qu’il en aura retiré !
Sans changer de visage, Chang-K’iou-k’ai entra aussitôt dans le feu, et en
ressortit, sans être ni brûlé ni même roussi.
Convaincue enfin que cet homme possédait des dons transcendants, la
bande, lui fit des excuses.
— Nous ne savions pas, dirent-ils ; voilà pourquoi nous vous avons
manqué. Vous n’y avez pas fait attention, pas plus qu’un sourd ou
qu’un aveugle, confirmant par ce stoïcisme votre transcendance.
Veuillez nous faire part de votre formule !
— Je n’ai pas de formule, dit Chang-K’iou-k’ai. Je vais comme
mon instinct naturel me pousse, sans savoir ni pourquoi ni
comment. Je suis venu ici pour voir, parce que deux de mes hôtes
ont parlé de vous, la distance n’étant pas grande. J’ai cru
parfaitement tout ce que vous m’avez dit, et ai voulu le faire, sans
arrière-pensée relative à ma personne. J’ai donc agi sous
l’impulsion de mon instinct naturel complet et indivis. A qui agit
ainsi, aucun être ne s’oppose, (cette action étant dans le sens du
mouvement cosmique). Si vous ne veniez de me le dire, je ne me
serais jamais douté que vous vous êtes moqués de moi. Maintenant
que je le sais, je suis quelque peu ému. Dans cet état, je n’oserais
Léon WIEGER — Les pères du système taoïste 75
►Un jeune homme qui habitait au bord de la mer, aimait beaucoup les
mouettes. Tous les matins, il allait au bord de la mer pour les saluer, et les
mouettes descendaient par centaines, pour jouer avec lui. Un jour le père du
jeune homme lui dit :
— Puisque les mouettes sont si familières avec toi, prends-en
quelques-unes et me les apporte, pour que moi aussi je puisse jouer
avec elles.
Le lendemain le jeune homme se rendit à la plage comme de coutume,
mais avec l’intention secrète d’obéir à son père. Son extérieur trahit son
intérieur. Les mouettes se défièrent. Elles se jouèrent dans les airs au-dessus
de sa tête, mais aucune ne descendit.
Léon WIEGER — Les pères du système taoïste 78
M. Comme maître Lie-tzeu allait à Ts’i, il revint soudain sur ses pas.
lie2.
Pai-hounn-ou-jenn qu’il rencontra, lui demanda :
— Pourquoi rebroussez-vous chemin de la sorte ?
— Parce que j’ai peur, dit Lie-tzeu.
Léon WIEGER — Les pères du système taoïste 81
— Je n’ai pas compris ce que vous avez dit de moi, en levant les
yeux au ciel et soupirant. Ne voulant pas retarder votre marche, je
ne vous ai pas demandé d’explication alors. Mais maintenant que
vous êtes libre, veuillez m’expliquer le sens de vos paroles.
— Vous avez, dit Lao-tzeu, un air altier qui rebute ; tandis que le
Sage est comme confus quelque irréprochable qu’il soit, et se juge
insuffisant quelle que soit sa perfection.
— Je profiterai de votre leçon, dit Yang-tchou, très morfondu.
Cette nuit-là même Yang-tchou s’humilia tellement, que le personnel de
l’auberge qui l’avait servi avec respect le soir à son arrivée, n’eut plus aucune
sorte d’égards pour lui le matin à son départ. (Le respect des valets étant, en
Chine, en proportion de la morgue du voyageur.)
Autre exemple de l’analogie étroite entre les animaux et les hommes : Ki-
sing-tzeu dressait un coq de combat, pour l’empereur Suan des Tcheou. Au
bout de dix jours, comme on lui en demandait des nouvelles, il dit :
— Il n’est pas encore en état de se battre ; il est encore vaniteux et
entêté.
Dix jours plus tard, interrogé de nouveau, il répondit :
— Pas encore ; il répond encore au chant des autres coqs.
Dix jours plus tard, il dit :
— Pas encore ; il est encore nerveux et passionné.
Dix jours plus tard, il dit :
— Maintenant il est prêt ; il ne fait plus attention au chant de ses
semblables ; il ne s’émeut, à leur vue, pas plus que s’il était de
bois. Toutes ses énergies sont ramassées. Aucun autre coq ne
tiendra devant lui.
*
**
Léon WIEGER — Les pères du système taoïste 86
CHAPITRE 3(10)
États psychiques
qu’on donne ; dans l’état de jeûne, on rêve qu’on prend. Les esprits légers
rêvent qu’ils s’élèvent dans l’air, les esprits graves rêvent qu’ils s’enfoncent
dans l’eau. Se coucher ceint d’une ceinture, fait qu’on rêve de serpents ; la vue
d’oiseaux qui emportent des crins, fait qu’on rêve de voler. Avant un deuil, on
rêve de feu ; avant une maladie, on rêve de manger. Après avoir beaucoup bu,
on fait des rêves tristes ; après avoir trop dansé, on pleure en rêve.
Lie-tzeu dit :
— Le rêve, c’est une rencontre faite par l’esprit ; la réalité
(perception objective), c’est un contact avec le corps. Les pensées
diurnes, les rêves nocturnes, sont également des impressions. Aussi
ceux dont l’esprit est solide, pensent et rêvent peu, et attachent peu
d’importance à leurs pensées et à leurs rêves. Ils savent que, et la
pensée et le rêve, n’ont pas la réalité qui paraît, mais sont des
reflets de la fantasmagorie cosmique. ╓111 Les Sages anciens ne
pensaient que peu quand ils veillaient, ne rêvaient pas quand ils
dormaient, et ne parlaient ni de leurs pensées ni de leurs rêves,
parce qu’ils croyaient aussi peu aux unes qu’aux autres.
« ► ⌂ A l’angle sud-ouest de la terre carrée, est un pays dont
j’ignore les frontières. Il s’appelle Kou-mang. Les alternances du
yinn et du yang ne s’y faisant pas sentir, il n’a pas de saisons ; le
soleil et la lune ne l’éclairant pas, il n’a ni jours ni nuits. Ses
habitants ne mangent pas, ne s’habillent pas. Ils dorment presque
continuellement, ne s’éveillant qu’une fois tous les cinquante jours.
ils tiennent pour réalité, ce qu’ils ont éprouvé durant leur sommeil ;
et pour illusion, ce qu’ils ont éprouvé dans l’état de veille. — Au
centre de la terre et des quatre mers, est le royaume central (la
Chine), assis sur le Fleuve Jaune, s’étendant du pays de Ue
jusqu’au mont T’ai-chan, avec une largeur est-ouest de plus de dix
mille stades. Les alternances du yinn et du yang y produisent des
saisons froides et chaudes, la lumière et l’obscurité alternant y
produisent des jours et des nuits. Parmi ses habitants, Il y a des
sages et des sots. Ses produits naturels et industriels sont nombreux
et variés. Il a ses princes et ses fonctionnaires, ses rites et ses lois.
On y parle et on y agit beaucoup. Les hommes y veillent et
dorment tour à tour, tenant pour réel ce qu’ils ont éprouvé dans
l’état de veille, et pour vain ce qu’ils ont éprouvé dans l’état de
sommeil.
« ►A l’angle nord-est de la terre carrée, est le pays de Fou-lao,
dont le sol sans cesse brûlé par les rayons du soleil, ne produit pas
de céréales. Le peuple se nourrit de racines et de fruits qu’ils
mangent crus. Brutaux, ils prisent plus la force que la justice. Ils
sont presque continuellement en mouvement, rarement au repos.
Léon WIEGER — Les pères du système taoïste 90
l’ayant retrouvée par suite d’un autre rêve, partagez-la entre vous
deux.
Le jugement du chef de village ayant été porté à la connaissance du prince
de Tcheng, celui-ci le renvoya à l’examen de son ministre. Le ministre dit :
— Pour décider de ce qui est rêve et de ce qui n’est pas rêve, et du
droit en matière de rêve, Hoang-ti et K’oung-K’iou sont seuls
qualifiés. Comme il n’y a actuellement ni Hoang-ti ni
K’oung-K’iou pour trancher ce litige, je pense qu’il faut s’en tenir
à la sentence arbitrale du chef de village.
*
**
Léon WIEGER — Les pères du système taoïste 94
CHAPITRE 4
Extinction et union
A. ╓117
Lie4. Tchoung-ni méditait dans la retraite. Tzeu-koung étant entré
pour le servir, le trouva triste. N’osant pas lui demander ce qui l’affligeait, il
sortit et avertit Yen-Hoei (le disciple favori). Celui-ci prit sa cithare et se mit à
chanter. Confucius l’entendit, l’appela et lui demanda :
— Pourquoi es-tu si joyeux ?
— Et pourquoi êtes-vous triste ? demanda Yen-Hoei.
— Dis-moi d’abord pourquoi tu es joyeux, fit Confucius.
Yen-Hoei dit :
— Vous m’avez enseigné jadis, que faire plaisir au ciel et se
soumettre au destin, chassait toute tristesse. Je fais cela. De là ma
joie.
Confucius, l’air sombre, se recueillit un instant, puis dit :
— J’ai prononcé ces paroles, c’est vrai ; mais tu ne les as pas bien
comprises. D’ailleurs moi-même j’ai dû en modifier l’interpré-
tation depuis... Toi, tu les as prises dans le sens restreint du travail
de l’amendement personnel, de la patience dans la pauvreté et les
vicissitudes, du repos de l’esprit en toute occurrence. Ayant réussi
en cela, tu éprouves de la joie... Moi, je les ai entendues dans un
sens plus large. J’ai voulu, coopérant avec le ciel et le destin,
amender par mes livres la principauté de Lou, l’empire tout entier,
le temps présent et les âges à venir. Or les princes ne m’ont pas
secondé. Mes doctrines n’ont pas été acceptées. Ayant échoué dans
le présent et pour une seule principauté, quel espoir puis-je avoir
de réussir dans l’avenir et pour l’empire tout entier ? D’abord je
m’affligeai de cet insuccès de mes livres, le jugeant contraire aux
vues du ciel et aux arrêts du destin. Mais depuis j’ai vu plus clair.
J’ai compris que j’avais mal entendu les anciens textes, en les
prenant au sens littéral. Intention du ciel, arrêt du destin, ce sont là
des manières de dire, des figures oratoires. Cela étant, il n’y a rien
qui vaille la peine d’être aimé, d’être désiré, d’être déploré, d’être
fait. Peu m’importe désormais le succès ou l’insuccès de mes
livres.
Yen-Hoei salua Confucius et dit :
Léon WIEGER — Les pères du système taoïste 95
Lie4.F. Jadis quand Lie-tzeu était disciple, il mit trois ans à désapprendre
de juger et de qualifier en paroles ; alors son maître Lao-chang l’honora pour
la première fois d’un regard. Au bout de cinq ans, il ne jugea ni ne qualifia
plus même mentalement ; alors Lao-chang lui sourit pour la première fois. Au
bout de sept ans, quand il eut oublié la distinction du oui et du non, de
l’avantage et de l’inconvénient, son maître le fit pour la première fois asseoir
sur sa natte. Au bout de neuf ans, quand il eut perdu toute notion du droit et du
tort, du bien et du mal, et pour soi et pour autrui ; quand il fut devenu
absolument indifférent à tout, alors la communication parfaite s’établit pour
lui entre le monde extérieur et son propre intérieur. Il cessa de se servir de ses
sens, (mais connut tout par science supérieure universelle et abstraite). Son
esprit se solidifia, à mesure que son corps se dissolvait ; ses os et ses chairs se
liquéfièrent (s’éthérisèrent) ; il perdit toute sensation du siège sur lequel il
était assis, du sol sur lequel ses pieds appuyaient ; il perdit toute intelligence
des idées formulées, des paroles ╓123 prononcées ; il atteignit à cet état, où la
raison immobile n’est plus émue par rien.
Lie4.I. N’ayant pas eu de cause, vivre toujours, c’est une voie, (celle du
Principe seul) (20). Etant né d’un vivant, ne pas cesser d’être après une longue
╓125 durée, c’est une permanence (celle des génies). Après la vie, cesser
d’être, serait le grand malheur. — Ayant eu une cause, être mort toujours,
serait l’autre voie. Etant mort d’un mort, cesser d’être de bonne heure, serait
Léon WIEGER — Les pères du système taoïste 100
Lie4.M. Après cinquante ans de règne, Yao voulut savoir si son gouverne-
ment avait eu d’heureux effets, et si le peuple en était content. Il interrogea
donc ses conseillers ordinaires, ceux de la capitale et ceux du dehors ; mais
aucun ne put lui donner de réponse positive. Alors Yao se déguisa, et alla
flâner dans les carrefours. Là il entendit un garçon fredonner ce refrain :
« Dans la multitude du peuple, plus de méchants, tout est au mieux.
Sans qu’on le leur dise, sans qu’ils s’en rendent compte, tous se
conforment aux lois de l’empereur.
Plein de joie, Yao demanda au garçon, qui lui avait appris ce refrain ?
— Le maître, dit-il.
Yao demanda au maître, qui avait composé ce refrain ?
— Il vient des anciens, dit le maître.
(Heureux de ce que son règne avait conservé le statu quo antique, de ce
que son gouvernement avait été si peu actif que les gouvernés ne s’en étaient
même pas aperçu), Yao s’empressa d’abdiquer et de céder son trône à Chounn,
(de peur de ternir sa gloire avant sa mort).
*
**
Léon WIEGER — Les pères du système taoïste 105
CHAPITRE 5
Le contenu cosmique
son esprit fut comme éteint et son corps comme mort, les voyait de
son regard transcendant aussi nettement que le mont Song-chan,
les entendait par son ouïe intime aussi clairement qu’un coup de
tonnerre.
« Dans les pays de Ou et de Tch’ou (sud), croit un grand arbre,
le You-pi, qui produit en hiver des fruits rouges d’une saveur
acide ; transplanté au nord du Hoai, il se change en une broussaille
épineuse et stérile (citrus spinosa). La grive ne passe pas la rivière
Tsi, le blaireau ne peut plus vivre au sud de la Wenn. La nature des
lieux paraissant être la même, la vie des uns s’y accommode, tandis
que celle des autres ne s’y accommode pas, sans qu’on puisse
découvrir pourquoi. Si nous ne pouvons pas nous rendre compte de
ces choses concrètes, que voulez-vous que je vous dise des choses
abstraites, comme le grand et le petit, le long et le court, les
ressemblances et les différences ? (Retour à la question posée B.)
Lie5.D. ►Le massif des monts T’ai-hing et Wang-ou avait sept cent stades
carrés d’étendue, et quatre-vingt mille pieds de haut (23). Un nonagénaire de
Pei-chan lui en voulait, de ce qu’il interceptait les communications entre le
Sud et le Nord. Ayant convoqué les gens de sa maison, il leur dit :
— Mettons-nous-y ! Aplanissons cette hauteur ! Mettons le Nord
en communication avec la vallée de la Han ! ..
— A l’œuvre, fit le chœur...
Mais la vieille femme du nonagénaire objecta : où mettrez-vous les terres
et les pierres de ces montagnes ?..
— Nous les jetterons à la mer, fit le chœur...
L’ouvrage commença donc. Sous la direction du vieillard, son fils et ses
petits-fils capables de porter quelque chose, attaquèrent les rochers, creusèrent
la terre, portèrent les débris panier par panier jusqu’à la mer. Leur
enthousiasme se communiqua à tout leur voisinage. Il n’y eut pas jusqu’au fils
de la veuve d’un fonctionnaire, un bambin en train de faire ses secondes dents,
qui ne courût avec les travailleurs, quand il ne faisait ni trop chaud ni trop
froid.
« Cependant un homme de Ho-K’iu qui se croyait sage, essaya d’arrêter le
nonagénaire en lui disant :
— Ce que tu fais là, n’est pas raisonnable. Avec ce qui te reste de
forces, tu ne viendras pas à bout de ces montagnes...
Le nonagénaire dit :
Léon WIEGER — Les pères du système taoïste 109
Lie5.E. ■ Jadis le père des deux géants susdits, ayant voulu lutter de
vitesse avec le soleil, courut jusqu’à U-kou. Altéré, il but le Fleuve, puis avala
la Wei. Cela ne suffisant pas, il courut vers le grand lac, mais ne put
l’atteindre, étant mort de soif en chemin. Son cadavre et son bâton devinrent
le Teng-linn, étendu de plusieurs milliers de stades.
dans ces mêmes eaux. Ils vivent ainsi tous exactement cent ans, et
meurent sans avoir jamais été malades. Jadis, dans sa randonnée
vers le Nord, l’empereur Mou des Tcheou visita ce pays, et y resta
trois ans. Quand il en fut revenu, le souvenir qu’il en conservait, lui
fit trouver insipides son empire, son palais, ses festins, ses femmes,
et le reste. Au bout de peu de mois, il quitta tout pour y retourner.
Koan-tchoung étant ministre du duc Hoan de Ts’i, l’avait presque
décidé à conquérir ce pays. Mais Hien p’eng ayant blâmé le duc de
ce qu’il abandonnait Ts’i, si vaste, si peuplé, si civilisé, si beau, si
riche, pour exposer ses soldats à la mort et ses feudataires à la
tentation de déserter, et tout cela pour une lubie d’un vieillard, le
duc Hoan renonça à l’entreprise, et redit à Koan-tchoung les
paroles de Hien p’eng. Koan-tchoung dit : Hien p’eng n’est pas à la
hauteur de mes conceptions. Il est si entiché de Ts’i, qu’il ne voit
rien au-delà.
Les hommes du midi coupent leurs cheveux ras et vont nus ; ceux du nord
s’enveloppent la tête et le corps de fourrures ; les Chinois se coiffent et
s’habillent. Dans chaque pays, selon ses circonstances particulières et selon
ses conditions naturelles, les habitants ont imaginé le meilleur, en fait de
culture, de commerce, de pêche, de vêtements, de moyens de communication,
etc.
╓139 Sans doute, il y a, chez certains peuples, des pratiques déraisonnables
ou barbares ; mais celles-là sont artificielles ; il faut chercher à les réformer,
mais non s’en choquer.
Ainsi, à l’est de Ue, les Tchee-mou dévorent tous les premiers nés, pour le
bien, disent-ils, des enfants qui viendront ensuite. Quand leur aïeul est mort,
ils chassent l’aïeule, parce que, disent-ils, étant la femme d’un mort, elle leur
attirerait des malheurs.
Au sud de Tch’ou, les Yen-jenn raclent les chairs de leurs parents morts et
les jettent, puis enterrent pieusement leurs os. Quiconque, parmi eux, ne ferait
pas ainsi, ne serait pas réputé fils pieux.
A l’ouest de Ts’inn, chez les I-K’iu, dans le pays de Wenn-k’ang, les
parents morts sont brûlés, afin qu’ils montent au ciel avec la fumée.
Quiconque ne ferait pas ainsi, serait tenu pour impie.
Lie5.G. ►Soyons réservés dans nos jugements, car même le Sage ignore
bien des choses, et des choses qui se voient tous les jours... Confucius
voyageant dans l’est, vit deux garçons qui se disputaient, et leur demanda la
raison de leur dispute. Le premier dit :
— Moi je prétends que, à son lever, le soleil est plus près, et que, à
midi, il est plus loin.
Léon WIEGER — Les pères du système taoïste 111
Le second dit :
— Moi je prétends que, à son lever, le soleil est plus loin, et que, à
midi, il est plus près.
Le premier reprit :
— A son lever, le soleil paraît grand ; en plein midi, il paraît petit ;
donc il est plus près le matin, et plus loin à midi ; car l’éloignement
rapetisse les objets.
Le second dit :
— A son lever, le soleil est frais ; en plein midi, il est ardent ; donc
il est plus loin le matin et plus près à midi ; car l’éloignement d’un
foyer diminue sa chaleur.
Confucius ne trouva rien à dire pour décider cette question, à laquelle il
n’avait jamais pensé. Les deux garçons se moquèrent de lui et dirent :
— Alors pourquoi dit-on de vous, que vous êtes un savant ?
Lie5.H. ■ ►Le continu (la continuité) est la plus grande loi du monde. Il
est distinct de la cohésion, du contact. Soit un cheveu. On y suspend des
poids. Il y a rupture. C’est le cheveu qui est rompu, pas le continu. Le continu
ne peut pas être rompu. Certains ne croient pas cela. Je vais leur prouver, par
des exemples, que le continu est indépendant du contact.
Tchan-ho pêchait avec une ligne faite d’un seul filament de soie
naturel (24), une aiguille courbée lui servant d’hameçon, une baguette de
gaule, la moitié d’un grain de blé d’amorce. Avec cet appareil rudimentaire, il
retirait des poissons énormes d’un gouffre profond, sans que sa ligne se
rompit, sans que son aiguille se redressât, sans que sa baguette pliât. Le roi de
Tch’ou l’ayant appris, lui demanda des explications. Tchan-ho lui dit : Jadis le
célèbre archer P’ou-ts’ie-tzeu, avec un arc très faible et une flèche munie d’un
simple fil, atteignait les grues grises dans les nuages, grâce à son application
mentale qui établissait le continu de sa main à l’objet. Je me suis appliqué
durant cinq ans à arriver au même résultat dans la pêche à la ligne. Quand je
jette mon hameçon, mon esprit entièrement vide de toute autre pensée, va
droit au poisson, par ma main et mon appareil, établissant continuité, et le
poisson ╓141 est pris sans défiance ni résistance. Et si vous, ô roi, appliquiez le
même procédé au gouvernement de votre royaume, le résultat serait le
même... Merci ! dit le roi de Tch’ou... Donc la volonté fait le continu, entre
l’esprit et son objet.
K.
Lie5. Autre exemple de la mystérieuse correspondance établie par la
musique. ►Lorsque Sue-t’an apprenait le chant sous Ts’inn-ts’ing, il se
découragea et déclara à son maître qu’il s’en allait. Ts’inn-ts’ing ne lui dit pas
de rester ; mais, à la collation d’usage au moment du départ, il lui chanta une
complainte si attendrissante, que Sue-t’an tout changé s’excusa de son
inconstance, et demanda qu’il lui fût permis de rester.
Alors Ts’inn-ts’ing raconta à son ami l’histoire suivante :
Jadis Han-no allant à Ts’i et ayant épuisé son viatique, chanta à Young-
menn pour gagner son repas. Après son départ, les poutres et les chevrons de
l’auberge où il avait chanté, continuèrent à redire son chant durant trois jours
entiers, si bien que les gens accouraient, croyant qu’il n’était pas parti, ne
voulant pas croire l’aubergiste qui les congédiait... Quand ce Han-no chantait
une complainte, à un stade à la ronde jeunes et vieux s’affligeaient, au point
que, durant trois jours, ils ne prenaient plus de nourriture. Puis, Han-no leur
ayant chanté un gai refrain, à un stade à la ronde jeunes et vieux, oubliant leur
chagrin, dansaient de joie, et comblaient le chanteur de leurs dons. Encore de
nos jours, les gens de Young-menn expriment leur joie ou leur douleur d’une
manière particulièrement gracieuse. C’est de Han-no qu’ils ont appris cela.
fois que Pai-ya cherchait à exprimer par ses accords l’idée d’une haute monta-
gne :
— Bien, bien, fit Tchoung-tzeu-K’i ; elle s’élève, comme le mont
T’ai-chan...
Une autre fois, comme Pai-ya cherchait à rendre le flux d’une eau :
— Bien, bien, dit Tchoung-tzeu-K’i ; elle coule comme le Kiang ou
le Fleuve...
Quelque idée que Pai-ya formât dans son intérieur, Tchoung-tzeu-K’i la
percevait par le jeu de sa cithare. Un jour que les deux amis passaient au nord
du mont T’ai-chan, surpris par une averse, ils se réfugièrent sous un rocher.
Pour charmer les ennuis de l’attente, Pai-ya toucha sa cithare, et essaya de
rendre, d’abord l’effet d’une pluie, puis, l’écroulement d’un rocher.
Tchoung-tzeu-K’i devina aussitôt ces deux intentions successives... Alors
Pai-ya déposant sa cithare, soupira et dit :
— Votre ouïe est merveilleuse. Tout ce que je pense dans mon
cœur, se traduit en image dans votre esprit. Où irai-je, quand je
voudrai garder un secret ?
Furieux, l’empereur allait faire mettre Yen-cheu à mort, croyant qu’il avait
frauduleusement introduit des hommes véritables. ■ Alors celui-ci ouvrit ses
automates, et montra à l’empereur qu’ils étaient faits de cuir et de bois peint et
verni. Cependant tous les viscères étaient formés, et Yen-cheu démontra à
l’empereur, que, (conformément à la physiologie chinoise), quand on enlevait
à un automate son cœur, sa bouche devenait muette ; quand on lui enlevait le
foie, ses yeux ne voyaient plus ; quand on lui enlevait les reins, ses pieds ne
pouvaient plus se mouvoir (25).
— C’est merveilleux, dit l’empereur calmé ; tu es presque aussi
habile que le Principe auteur de toutes choses ;
Et il ordonna de charger les automates sur un fourgon, pour les rapporter à
sa capitale.
Depuis lors on n’a plus rien vu de semblable. Les disciples de Pan-chou
l’inventeur de la fameuse tour d’approche employée dans les sièges, et de
Mei-ti le philosophe inventeur du faucon automatique, pressèrent vainement
ces deux maîtres de refaire ce que Yen-cheu avait fait. Ils n’osèrent même pas
essayer (la force de volonté capable de produire la continuité efficace leur
manquant).
Voyant que son épée merveilleuse ne tuait pas, Lai-tan s’enfuit navré.
Cependant Hei-loan s’étant réveillé, gronda sa femme de ce qu’elle ne l’avait
pas mieux couvert durant son sommeil.
— J’ai pris froid, dit-il ; j’ai le cou et les reins comme engourdis.
Sur ces entrefaites, son fils étant entré, dit :
— Lai-tan aura aussi passé par ici. Il m’a donné dehors trois coups,
qui ont produit sur moi précisément le même effet (27).
*
**
Léon WIEGER — Les pères du système taoïste 119
CHAPITRE 6
Fatalité.
si. En cela il n’agit pas, mais servit la fatalité. Teng-si devait mourir ainsi.
Teng-si devait tourner Tzeu-tch’an en dérision, et provoquer ainsi sa mise à
mort. Naître et mourir à son heure, ces deux choses sont des bonheurs. Ne pas
naître, ne pas mourir à son heure, ces deux choses sont des malheurs. Ces
sorts divers échoient aux uns et aux autres, non pas de leur fait, mais du fait de
la fatalité. Ils sont imprévisibles. Voilà pourquoi, en en parlant, on emploie les
expressions, mystère sans règle, voie du ciel qui seule se connaît, obscurité
inscrutable, loi du ciel se mouvant d’elle-même, et autres analogues. Cela veut
dire, que le ciel et la terre, que la science des Sages, que les mânes et les
lutins, ne peuvent rien contre la fatalité. Selon son caprice, celle-ci anéantit ou
édifie, écrase ou caresse, tarde ou prévient.
Lie6.G. Quatre hommes vécurent ensemble durant toute leur vie, sans
s’occuper des sentiments les uns des autres. Quatre autres passèrent de même
leur vie, sans se communiquer aucun dessein. Quatre autres, sans se rien
manifester. Quatre autres, sans jamais discuter. Quatre autres, sans même se
regarder... Tous ceux-là marchèrent comme il convient à des hommes régis
╓161 par la fatalité (31). — Ce qui paraissait devoir être favorable, se trouve
ensuite avoir été funeste. Ce qui paraissait devoir être funeste, se trouve
ensuite avoir été favorable. Que d’hommes passent leur vie en efforts
insensés, pour discerner des apparences confuses, pour pénétrer des obscurités
mystérieuses. Ne vaudrait-il pas mieux, ne pas craindre le malheur, ne pas
désirer le bonheur, se mouvoir ou rester tranquille selon la nécessité, avec la
conviction profonde que la raison n’y entend rien et que la volonté n’y peut
rien. Quiconque a bien compris cela, doit l’appliquer à autrui comme à
soi-même. S’il gouverne les hommes d’après d’autres principes, c’est un
aveugle et un sourd volontaire, qui se jettera avec eux dans un fossé.
Récapitulons : La vie et la mort, la fortune et l’infortune, dépendent de la
fatalité, de l’horoscope. Quiconque se plaint de devoir mourir jeune, d’être
pauvre ou affligé, montre qu’il ignore la loi. Quiconque regarde la mort en
face sans crainte, et supporte la misère sans plainte, montre qu’il connaît la
loi. Les conjectures des prétendus sages, sur le plus et le moins, sur le vide et
le plein, sur la chance et la malechance, ne donnent jamais aucune certitude ;
après tous leurs calculs, le résultat sera positif ou négatif, sans qu’on sache
pourquoi. Qu’on calcule ou qu’on ne calcule pas, il en adviendra de même. Le
salut et la ruine ne dépendent en rien de la connaissance préalable. On est
sauvé parce qu’on devait l’être, on périt parce qu’on devait périr.
Lie6.H. Le duc King de Ts’i étant allé se promener au nord du mont Niou-
chan, revenait vers sa capitale. Quand il la vit de loin, touché jusqu’aux lar-
mes, il s’écria :
— Oh ! ma belle ville, si bien peuplée ! Pourquoi faut-il que,
insensiblement, approche le moment où je devrai la quitter ?.. Ah !
si les hommes pouvaient ne pas mourir !
Cheu-k’oung et Leang K’iou-kiu, de l’escorte du duc, pleurèrent aussi,
pour lui complaire, et dirent :
Léon WIEGER — Les pères du système taoïste 126
╓163 N’y a-t-il pas dans vos regrets de ce que les hommes meurent,
quelque ingratitude envers ceux qui vous ont rendu le service de mourir ? et
les deux écuyers qui ont pleuré avec vous pour vous complaire, ne sont-ils pas
de sots flatteurs ? Ce sont ces pensées-là, qui m’ont fait rire.
Honteux de son accès de sentimentalité déraisonnable, le duc but un plein
rhyton pour pénitence, puis infligea aux deux écuyers de vider deux rhytons
chacun.
Lie6.I. A Wei, un certain Tong-menn Ou, ayant perdu son fils, ne le pleura
pas. Quelqu’un qui demeurait avec lui, lui dit :
— Vous aimiez pourtant votre fils ; comment se fait-il que,
maintenant qu’il est mort, vous ne le pleuriez pas ?
Tong-menn Ou dit :
— Jadis, durant bien des années, avant sa naissance, je vécus sans
ce fils, sans me chagriner. Maintenant qu’il est mort, je me reporte
à ce temps-là, me figure que je ne l’ai jamais eu, et ne me chagrine
pas davantage. D’ailleurs, à quoi bon ? !. Les agriculteurs se
soucient de leurs récoltes, les marchands de leur commerce, les
artisans de leur métier, les officiers de leur emploi. Or tout cela
dépend de circonstances indépendantes de leur volonté. A
l’agriculteur il faut de la pluie, au marchand de la chance, à
l’artisan de l’ouvrage, à l’officier une occasion de se distinguer. Or
Léon WIEGER — Les pères du système taoïste 127
*
**
Léon WIEGER — Les pères du système taoïste 128
CHAPITRE 7
Yang-tchou (032)
B. ► Yang-tchou dit :
Lie7.
— Sur mille hommes, pas un ne vit jusqu’à cent ans. Mais mettons
que, sur mille, il y ait un centenaire. Une grande partie de sa vie
aura été passée dans l’impuissance de la première enfance et la
décrépitude de l’extrême vieillesse. Une grande partie aura été
consumée, par le sommeil de la nuit, par les distractions du jour.
Une grande partie aura été stérilisée par la tristesse ou la crainte.
Reste une fraction relativement bien faible, pour l’action et pour la
jouissance. — Mais qu’est-ce qui le décidera à agir ? de quoi
jouira-t-il ?.. Sera-ce la beauté des formes et des sons ? Ces
choses-là, ou lassent, ou ne durent pas... Sera-ce la loi, avec ses
récompenses et ses châtiments, ses distinctions et ses flétrissures ?
Ces motifs-là sont trop faibles. Un blâme est-il si redoutable ? Un
titre posthume est-il si enviable ? Y a-t-il lieu, pour si peu, de
renoncer au plaisir des yeux et des oreilles, d’appliquer le frein
moral à son extérieur et à son intérieur ? Passer sa vie ainsi, dans la
privation et la contrainte, est-ce moins dur que de la passer en
prison et dans les entraves ? Non sans doute. Aussi les anciens qui
savaient que la vie et la mort sont deux phases alternatives et
passagères, laissaient-ils leurs instincts se manifester librement,
sans contraindre leurs appétits naturels, sans priver leur corps de
ses plaisirs. Peu leur importait l’éloge ou le blâme durant la vie ou
après la mort. Ils donnaient à leur nature ses satisfactions, et
laissaient les autres prendre les leurs.
C. Yang-tchou dit :
Lie7.
— ► Les êtres diffèrent dans la vie, mais non dans la mort. Durant
la vie, les uns sont sages et les autres sots, les uns sont nobles et les
autres vils ; à la mort, tous sont également une masse de charogne
fondante. Ces différences dans la vie, cette égalité dans la mort,
sont l’œuvre de la fatalité. Il ne faut pas considérer comme des
entités réelles, la sagesse et la sottise, la noblesse et la vulgarité,
qui ne sont que des modalités réparties au hasard sur la masse des
hommes. Quelle qu’ait été la durée et la forme de la vie, elle est
terminée par la mort. Le bon et le sage, le méchant et le sot,
meurent tous également. A la mort des empereurs Yao et Chounn,
des tyrans Kie et Tcheou, il ne resta que des cadavres putrides,
impossibles à distinguer. Donc, vivre la vie présente, sans se
préoccuper de ce qui suivra la mort.
Léon WIEGER — Les pères du système taoïste 130
qu’on les immerge, qu’on les enterre, qu’on les expose, qu’on les
lie dans de la paille et les jette à la rivière, qu’on les habille
richement et les dépose dans un sarcophage ou dans une bière, tout
cela revient au même.
Regardant ses amis qui avaient assisté à cet entretien, Koan-i-ou dit :
— Celui-là et moi entendons ce qui en est de la vie et de la mort.
Lie7.F. ╓169 Tzeu-tch’an étant ministre de la principauté Tcheng, fit durant
trois années des innovations, qui furent bénies du bon peuple, mais qui firent
nombre de mécontents dans l’aristocratie. Or Tzeu-tch’an avait deux frères, un
aîné Tchao, un cadet Mou. Tchao était un ivrogne, Mou était un débauché. On
sentait le vin et la lie, à cent pas de la porte de Tchao, à qui l’ivrognerie
habituelle avait fait perdre tout sens de pudeur et de prudence. Le harem de
Mou formait tout un quartier, que son propriétaire peuplait par tous les
moyens, et dont il ne sortait guère. Très morfondu de l’inconduite de ses deux
frères, thème à railleries pour ses ennemis, Tzeu-tch’an consulta secrètement
Teng-si.
— Je crains, lui dit-il, qu’on ne dise de moi, que, ne venant pas à
bout de réduire mes frères, je n’ai pas ce qu’il faut pour gouverner
l’État. Conseillez-moi, je vous prie.
— Vous auriez dû intervenir plus tôt, dit Teng-si. Faites-leur
comprendre le prix de la vie, l’importance du décorum et de la
morale.
Tzeu-tch’an fit donc à ses deux frères un discours sur les trois points
suivants : que, ce par quoi l’homme diffère des animaux, ce sont, la raison, les
rits et la morale ; que l’assouvissement des passions bestiales, use la vie et
ruine la réputation ; que, s’ils se réhabilitaient, ils pourraient recevoir des
charges.
Bien loin d’être attendris par ces arguments, Tchao et Mou répondirent :
— Il y a beau temps que nous savons tout cela ; il y a beau temps
aussi, que notre parti est pris de n’en tenir aucun compte. La mort
terminant tout fatalement, l’important, à notre avis, c’est de jouir
de la vie. Nous ne sommes nullement disposés, à faire de la vie
comme une mort anticipée, par les contraintes rituelles, morales, et
autres. Assouvir ses instincts, (puiser tous les plaisirs, voilà qui est
vraiment vivre. Nous regrettons seulement que la capacité de nos
ventres soit inférieure à notre appétit, et que les forces de nos corps
ne soient pas à la hauteur de nos convoitises. Que nous importe,
que les hommes parlent mal de nous, et que nos vies s’usent. Ne
croyez pas que nous soyons hommes à nous laisser intimider ou
gagner. Nous avons de tout autres goûts que vous. Vous régle-
mentez l’extérieur, faisant souffrir les hommes, dont les penchants
Léon WIEGER — Les pères du système taoïste 132
— Un homme qui veille sur sa vie et qui soigne son corps, peut-il
arriver à ne jamais mourir ?
— Il arrivera certainement à vivre plus longtemps, dit Yang-tchou.
Mais, vivre plus longtemps, est-ce un résultat qui vaille qu’on se
donne tant de mal, que l’on fasse tant d’efforts ? Le monde a
toujours été, et sera toujours, plein de passions, de dangers, de
Léon WIEGER — Les pères du système taoïste 133
K’inn-kou-li dit :
— Maître je ne suis pas assez fort en dialectique, pour pouvoir
répondre à votre argument ; mais je sens que, si je leur déférais nos
propositions, Lao-tan et Koan-yinn-tzeu approuveraient la vôtre (et
celle de Yang-tchou), le grand U et Mei-ti approuveraient la
mienne.
Mong-sounn-yang parla d’autre chose.
J. Yang-tchou dit :
Lie7.
Lie7.K. ╓177 Yang-tchou ayant été reçu par le roi de Leang, lui dit que,
avec sa recette, gouverner l’empire serait aussi facile que de retourner la main.
Le roi de Leang lui dit :
— Maître, vous avez une épouse et une concubine, deux
personnes, que vous n’arrivez pas à faire tenir tranquilles ; vous
possédez trois arpents de jardin, que vous ne savez pas cultiver ; et
vous osez me dire que, avec votre recette, gouverner l’empire
serait aussi facile que de retourner la main. Est-ce que vous voulez
vous moquer de moi ?
Yang-tchou dit :
— ► Avez-vous jamais vu un pastoureau conduire un troupeau de
cent moutons, marchant derrière tranquillement avec son fouet, et
laissant aller les moutons où il leur plaît ? (Voilà mon système,
abandonner chacun à son instinct.) Tandis que (avec leur système
de la coercition artificielle) Yao tirant et Chounn poussant,
n’arriveraient pas à deux à faire marcher un seul mouton. Et pour
ce qui est de mes affaires domestiques (femmes et jardin) auxquel-
les vous venez de faire allusion, je dirai seulement ceci. Les
poissons grands à avaler un bateau, ne se trouvent pas dans les
rigoles ; les cygnes au vol puissant, ne fréquentent pas les mares.
La cloche fondamentale et le tuyau majeur, ne servent pas à faire
de la musiquette. Ceux qui sont aptes à gouverner les grandes
choses, n’aiment pas à s’occuper de vétilles. Je pense que vous
m’aurez compris.
Léon WIEGER — Les pères du système taoïste 136
L. Yang-tchou dit :
Lie7.
M. Yang-tchou dit :
Lie7.
N. Yang-tchou dit :
Lie7.
Léon WIEGER — Les pères du système taoïste 137
*
**
Léon WIEGER — Les pères du système taoïste 139
CHAPITRE 8.
Anecdotes
Lie8.C. C’est en vain qu’on parlerait du Principe, aux arrogants et aux vio-
lents ; ils n’ont pas ce qu’il faut pour comprendre ; leurs vices les empêchent
de pouvoir être enseignés et aidés. Pour être enseignable, il faut croire qu’on
ne sait pas tout. C’est là la condition sine qua non. L’âge n’est pas un obstacle,
l’intelligence n’est pas toujours un moyen, la soumission d’esprit est
l’essentiel.
Un artiste de Song mit trois années à découper, dans du jade, pour son
prince, une feuille de mûrier, au naturel. Lie-tzeu l’ayant su, dit :
— Si la nature y mettait le même temps, il y aurait bien peu de
feuilles aux arbres. De même, pour la propagande doctrinale, le
Sage s’en remet au pouvoir inhérent à la vérité, non à l’art factice.
Lie8.E. Un certain Cheu de Lou avait deux fils, l’un savant, l’autre valeu-
reux. Le savant alla s’offrir au marquis de Ts’i, qui l’agréa et le nomma pré-
cepteur de ses enfants. Le valeureux alla s’offrir au roi de Tch’ou, lui plut, et
fut par lui nommé général, enrichi et anobli.
Or un voisin du Cheu, nommé Mong, avait aussi deux fils, l’un savant,
l’autre valeureux. Comme il était très pauvre, la fortune des Cheu le tenta
d’envie, et il s’informa comment ils s’y étaient pris. Les Cheu le lui dirent
bien simplement.
Aussitôt le Mong savant alla s’offrir au roi de Ts’inn. Celui-ci dit :
— En ce temps de ╓185 guerres, je n’ai besoin que de soldats ; ce
lettré qui enseigne la bonté et l’équité, fera tort à mon royaume... et
il ordonna de lui faire subir le supplice de la castration, puis le
renvoya.
Le Mong valeureux s’offrit au marquis de Wei. Celui-ci dit :
— Mon État petit et faible, a de grands et redoutables voisins,
auxquels il me faut me garder de déplaire. Il me faut me tenir en
paix. Toute apparence de velléité guerrière, pourrait me coûter mon
marquisat. Je ne puis pas employer cet habile homme, sans risquer
des aventures. D’un autre côté, si je le renvoie sans en avoir fait un
invalide, il ira s’offrir à un autre prince et me ruinera
Léon WIEGER — Les pères du système taoïste 142
F. Le duc Wenn de Tsinn ayant décidé une attaque contre Wei, son
Lie8.
fils le prince Tch’ou se mit à rire.
— De quoi riez-vous ? demanda le duc. Je ris, dit le prince, de la
mésaventure arrivée à un de mes voisins. Cet homme allait à la
ville, pour y accuser sa femme d’infidélité. En chemin, il rencontra
une personne qui lui plut, et lui fit des propositions. Un instant
après, il reconnut en elle son épouse, et constata qu’il y avait des
témoins apostés. On lui avait rendu la monnaie de sa pièce. Cette
histoire n’est-elle pas risible ?
Le duc comprit que son fils l’avertissait qu’on l’attaquerait pendant que lui
attaquerait Wei. Il renonça à son expédition, et ramena soudain son armée. Il
n’était pas encore revenu à sa capitale, qu’il apprit qu’un ennemi avait de fait
déjà envahi sa frontière septentrionale.
Les voleurs pullulaient dans la principauté de Tsinn. Or un certain
Hi-Young, doué d’un don de seconde vue particulier, reconnaissait les voleurs
à leur figure. Le marquis le chargea de découvrir les voleurs pour son compte,
et de fait Hi-Young en fit capturer des centaines. Très satisfait, le marquis dit à
Tchao-wenn-tzeu :
— Un seul homme a presque nettoyé ma principauté des voleurs
qui l’infestaient...
— Croyez bien, répondit Tchao-wenn-tzeu, qu’avant d’avoir
achevé son nettoyage, cet homme mourra de male mort...
Léon WIEGER — Les pères du système taoïste 143
Et, s’appuyant sur ses deux mains, notre homme se mit à faire, pour
vomir, des efforts si violents, qu’il expira sur place. — Il agit sottement. Si
K’iou de Hou-fou était un brigand, ses aliments n’avaient rien du brigand. En
appliquant aux aliments ce qui revenait au brigand, ce Yuan-tsing-mou montra
qu’il manquait de logique.
Le chien de la maison qui l’avait vu sortir en blanc, aboya contre lui quand il
rentra en noir. Irrité, Yang-pou allait le battre.
— Ne le bats pas, lui dit Yang-tchou. Tu as passé du blanc au noir.
Comment pouvait-il te reconnaître ?
(Morale profonde : Le changement de l’être moral, par exemple du bien au
mal, rompt ses rapports habituels avec les autres êtres ; il n’est plus le même.)
lui ayant demandé pourquoi. C’est, dit-il, pour montrer, en les lâchant le jour
de l’an, combien je suis bon. L’hôte dit :
— Le peuple les prend, pour que vous puissiez les lâcher. Or, en
les prenant, il en tue beaucoup. Si vous vouliez leur vie, vous feriez
mieux d’interdire qu’on les prenne. Vous montreriez ainsi bien
mieux, combien vous êtes bon.
— Vous avez raison, dit Kien-tzeu.
Lie8.Y. T’ien-cheu de Ts’i ayant fait des offrandes à ses ancêtres, donna
un grand banquet à un millier de convives, lesquels apportèrent selon l’usage,
chacun son présent. Un des invités offrit des poissons et des oies sauvages. A
leur vue, T’ien-cheu soupira pieusement et dit :
— Voyez comme le ciel traite bien les hommes ; il ne fait pas seulement
croître les diverses céréales ; il fait encore naître les poissons et les oiseaux,
pour que les hommes en usent...
Tous les convives firent servilement chorus. Seul le fils de Pao-cheu, un
╓199 garçon de douze ans, s’avança et dit à T’ien-cheu :
— Ce que vous venez de dire là, n’est pas exact. Même le ciel et la
terre, sont des êtres comme tous les êtres. I1 n’y a pas d’êtres
supérieurs, il n’y en a pas d’inférieurs. C’est un fait que les plus
ingénieux et les plus forts mangent les plus sots et les plus faibles,
mais il ne faut pas dire pour cela que ceux-ci aient été faits ou
soient nés pour l’usage de ceux-là. L’homme mange les êtres qu’il
peut manger, mais le ciel n’a pas fait naître ces êtres pour que
l’homme les mangeât. Autrement il faudrait dire aussi que le ciel a
fait naître les hommes, pour que les moustiques et les cousins les
sucent, pour que les tigres et les loups les dévorent.
Un homme de Song trouva sur la route la moitié d’un contrat découpé, que
son propriétaire avait perdu. Il le serra précieusement, compta soigneusement
les dents de la découpure, et confia à son voisin que la fortune allait venir pour
Léon WIEGER — Les pères du système taoïste 153
lui. Il se trompa en pensant que le sort, qui lui avait donné une moitié d’un
contrat, devrait lui donner aussi l’autre moitié.
Un homme avait dans son jardin un arbre mort. Son voisin lui dit :
— Un arbre mort, c’est un objet néfaste.
L’homme abattit l’arbre. Alors le voisin lui demanda de lui en céder le
bois. L’homme soupçonna alors que le voisin lui avait fait abattre son arbre
dans cette intention, et se tint pour offensé. Il se trompa. La demande qui
suivit ne prouve pas qu’il y eut intention précédente.
Un homme de Ts’i fut pris soudain d’un tel désir d’avoir de l’or, qu’il se
leva de grand matin, s’habilla, se rendit au marché, alla droit à l’étalage d’un
changeur, saisit un morceau d’or et s’en alla. Les gardes le saisirent et lui
demandèrent :
— Comment as-tu pu voler, dans un endroit si plein de monde ?
— Je n’ai vu que l’or, dit-il ; je n’ai pas vu le monde.
(Transport.)
*
**
Léon WIEGER — Les pères du système taoïste 154
NAN—HOA—TCHENN
KING
L’œuvre de Tchoang-tzeu
Léon WIEGER — Les pères du système taoïste 155
CHAPITRE 1
Vers l’idéal
Tch1.C. ► ╓211 Il est des hommes presque aussi bornés que les deux
petites bêtes susdites. Ne comprenant que la routine de la vie vulgaire, ceux-là
ne sont bons qu’à être mandarins d’un district, ou seigneur d’un fief, tout au
plus.
Maître Joung de Song fut supérieur à cette espèce, et plus semblable au
grand oiseau. Il vécut, également indifférent à la louange et au blâme. S’en
tenant à son propre jugement, il ne se laissa pas influencer par l’opinion des
autres. Il ne distingua jamais entre la gloire et la défaveur. Il fut libre des liens
des préjugés humains.
Maître Lie de Tcheng fut supérieur à Maître Joung, et encore plus
semblable au grand oiseau. Son âme s’envolait, sur l’aile de la contemplation,
parfois pour quinze jours, laissant son corps inerte et insensible. Il fut presque
libre des liens terrestres. Pas tout à fait, pourtant ; car il lui fallait attendre le
rapt extatique ; un reste de dépendance.
Supposons maintenant un homme entièrement absorbé par l’immense
giration cosmique, et se mouvant en elle dans l’infini. Celui-là ne dépendra
plus de rien. Il sera parfaitement libre, dans ce sens que, sa personne et son
action seront unies à la personne et à l’action du grand Tout. Aussi dit-on très
justement : le sur-homme n’a plus de soi propre ; l’homme transcendant n’a
plus d’action propre ; le Sage n’a plus même un nom propre. Car il est un
avec le Tout.
Tch1.D. ▲ Jadis l’empereur Yao voulut céder l’empire à son ministre Hu-
You. Il lui dit :
— Quand le soleil ou la lune rayonnent, on éteint le flambeau.
Quand la pluie tombe, on met de côté l’arrosoir. C’est grâce à vous
que l’empire prospère. Pourquoi resterais-je sur le trône ? Veuillez
y monter !
— Merci, dit Hu-You ; veuillez y rester ! C’est, vous régnant, que
l’empire a prospéré. Que m’importe, à moi, mon renom
personnel ? Une branche, dans la forêt, suffit à l’oiseau pour se
loger. Un petit peu d’eau, bu à la rivière, désaltère le rat. Je n’ai
pas plus de besoins que ces petits êtres. Restons à nos places
respectives, vous et moi.
Ces deux hommes atteignirent à peu près le niveau de Maître Joung de
Song. L’idéal taoïste est plus élevé que cela.
Un jour Kien-ou dit à Lien-chou :
— J’ai ouï dire à Tsie-u des choses exagérées, extravagantes...
— Qu’a-t-il dit ? demanda Lien-chou.
Léon WIEGER — Les pères du système taoïste 157
Il en est des hommes comme des choses ; tout dépend de l’usage qu’on en
fait.
Une famille de magnaniers de Song possédait la recette d’une pommade,
grâce à laquelle les mains de ceux qui dévidaient les cocons dans l’eau
chaude, ne se gerçaient jamais. Ils vendirent leur recette à un étranger, pour
cent taëls, et jugèrent que c’était là en avoir tiré un beau profit. Or l’étranger,
devenu amiral du roi de Ou, commanda une expédition navale contre ceux de
Ue. C’était en hiver. Ayant, grâce à sa pommade, préservé les mains de ses
matelots de toute engelure, il remporta une grande victoire, qui lui procura un
vaste fief. Ainsi deux emplois d’une même pommade, produisirent une petite
somme et une immense fortune.
Qui sait employer le sur-homme, en tire beaucoup. Qui ne sait pas, n’en
tire rien.
Tch1.F.
— Vos théories, dit maître Hoei à maître Tchoang, ont de
l’ampleur, mais n’ont aucune valeur pratique ; aussi personne n’en
veut. Tel un grand ailante, dont le bois fibreux ne peut se débiter en
planches, dont les branches noueuses ne sont propres à rien.
— Tant mieux pour moi, dit maître Tchoang. Car tout ce qui a un
usage pratique, périt pour ce motif. La martre a beau user de mille
stratagèmes ; elle finit par périr, sa fourrure étant recherchée. Le
yak, pourtant si puissant, finit par être tué, sa queue servant à faire
des étendards. Tandis que l’ailante auquel vous me faites
l’honneur de me comparer, poussé dans un terrain stérile, grandira
tant qu’il voudra, ombragera le voyageur et le dormeur, sans
crainte aucune de ╓215 la hache et de la doloire, précisément parce
que, comme vous dites, il n’est propre à aucun usage. N’être bon à
rien, n’est-ce pas un état dont il faudrait plutôt se réjouir ?
*
**
Léon WIEGER — Les pères du système taoïste 159
CHAPITRE 2
Harmonie universelle
Tch2.A. ▲ Maître K’i (108) était assis sur un escabeau, les yeux levés au
ciel, respirant faiblement. Son âme devait être absente (109) .
Etonné, le disciple You (110) qui le servait, se dit :
— Qu’est ceci ? Se peut-il que, sans être mort, un être vivant
devienne ainsi, insensible comme un arbre desséché, inerte comme
la cendre éteinte ? Ce n’est plus mon maître.
— Si, dit Ki, revenant de son extase, c’est encore lui. J’avais
seulement, pour un temps, perdu mon moi (111) . Mais que peux-tu
comprendre à cela, toi qui ne connais que les accords humains, pas
même les terrestres, encore moins les célestes ?
— Veuillez essayer de me faire comprendre par quelque
comparaison, dit You
— Soit, dit maître K’i. Le grand souffle indéterminé de la nature,
s’appelle vent. Par lui, même le vent n’a pas de son. Mais, quand il
les émeut, tous les êtres deviennent pour lui comme un jeu
d’anches. Les monts, les bois, les rochers, les arbres, toutes les
aspérités, toutes les anfractuosités, résonnent comme autant de
bouches, doucement quand le vent est doux, fortement quand le
vent est fort. Ce sont des mugissements, des grondements, des
sifflements, des commandements, des plaintes, des éclats, des cris,
des pleurs. L’appel répond à l’appel. C’est un ensemble, une
harmonie. Puis, quand le vent cesse, tous ces accents se taisent.
N’as-tu pas observé cela, en un jour de tempête ?
— Je comprends, dit You. Les accords humains, sont ceux des
instruments à musique faits par les hommes. Les accords terrestres,
sont ceux des voix de la nature. Mais les accords célestes, maître,
qu’est-ce ?
Tch2.B.
— C’est, dit maître K’i, l’harmonie de tous les êtres, dans leur
commune nature, dans leur commun devenir. Là, pas de contraste,
parce que pas de distinction. Embrasser, voilà la grande science, la
grande parole. Distinguer, c’est science et, parler d’ordre inférieur.
Léon WIEGER — Les pères du système taoïste 160
Tch2.D. Parmi les anciens, les uns pensaient que, à l’origine, il n’y eut
rien de préexistant. C’est là une position extrême. — D’autres pensèrent qu’il
y eut quelque chose de préexistant. C’est là la position extrême opposée.
D’autres enfin pensèrent qu’il y eut quelque chose d’indistinct, de
non-différencié. C’est là la position moyenne, la vraie. Cet être primordial
non-différencié, c’est la norme. Quand on imagina les distinctions, on ruina sa
notion. ►Après les distinctions, vinrent les arts et les goûts, impressions et
préférences subjectives qui ne peuvent ni se définir ni s’enseigner. Ainsi les
╓221 trois artistes, Tchao-wenn, Cheu-k’oang, Hoei-tzeu, aimaient leur
musique, puisque c’était leur musique, qu’ils trouvaient différente de celle des
autres, et supérieure, bien entendu. Eh bien, ils ne purent jamais définir en
quoi consistaient cette différence et cette supériorité ; ils ne purent jamais
enseigner à leurs propres fils à jouer comme eux. Car le subjectif ne se définit
ni ne s’enseigne. Le Sage dédaigne ces vanités, se tient dans la demi-obscurité
de la vision synthétique, se contente du bon sens pratique.
verbe général. Tout ce qui fut ajouté depuis, est subjectif, imaginaire. Telles,
la différence entre la droite et la gauche, les distinctions, les oppositions, les
devoirs. Autant d’êtres de raison, qu’on désigne par des mots, auxquels rien
ne répond dans la réalité. Aussi le Sage étudie-t-il tout, dans le monde
matériel et dans le monde des idées, mais sans se prononcer sur rien, pour ne
pas ajouter une vue subjective de plus, à celles qui ont déjà été formulées. Il se
tait recueilli, tandis que le vulgaire pérore, non pour la vérité, mais pour la
montre, dit l’adage. — Que peut-on dire de l’être universel, sinon qu’il est ?
Est-ce affirmer quelque chose, que de dire, l’être est ? Est-ce affirmer quelque
chose, que de dire, l’humanité est humaine, la modestie est modeste, la
bravoure est brave ? Ne sont-ce pas là des phrases vides qui ne signifient
rien ?.. Si l’on pouvait distinguer dans le principe, et lui appliquer ╓223 des
attributs, il ne serait pas le principe universel. Savoir s’arrêter là où
l’intelligence et la parole font défaut, voilà la sagesse. A quoi bon chercher
des termes impossibles pour exprimer un être ineffable ? Celui qui comprend
qu’il a tout en un, a conquis le trésor céleste, inépuisable, mais aussi
inscrutable. Il a l’illumination compréhensive, qui éclaire l’ensemble sans
faire paraître de détails. ■ C’est cette lumière, supérieure à celle de dix soleils,
que jadis Chounn vantait au vieux Yao (117) .
Tch2.F. Tout, dans le monde, est personnel, est subjectif, dit Wang-i à
Nie-k’ue. Un homme couché dans la boue, y gagnera un lumbago, tandis
qu’une anguille ne se portera nulle part mieux que là. Un homme juché sur un
arbre, s’y sentira mal à l’aise, tandis qu’un singe trouvera la position parfaite.
Les uns mangent ceci, les autres cela. Les uns recherchent telle chose, les
autres telle autre. Tous les hommes couraient après les deux fameuses beautés
Mao-ts’iang et Li-ki ; tandis que à leur vue, les poissons plongeaient
épouvantés, les oiseaux se réfugiaient au haut des airs, les antilopes fuyaient
au galop. Vous ne savez pas quel effet me fait telle chose, et moi je ne sais pas
quelle impression elle produit sur vous. Cette question des sentiments et des
goûts, étant toute subjective, est principiellement insoluble. Il n’y a qu’à la
laisser. Jamais les hommes ne s’entendront sur ce chapitre. — Les hommes
vulgaires, soit, dit Nie-k’ue ; mais le sur-homme ? — ► Le sur-homme, dit
Wang-i, est au-dessus de ces vétilles. Dans sa haute transcendance, il est
au-dessus de toute impression et émotion.. Dans un lac bouillant, il ne sent pas
la chaleur ; dans un fleuve gelé, il ne sent pas le froid (118). Que la foudre
fende les montagnes, que l’ouragan bouleverse l’océan, il ne s’inquiète pas.
■ Il monte les nuées, enfourche le soleil et la lune, court à travers l’univers.
Quel intérêt peut porter, à des distinctions moindres, celui à qui la vie et la
mort sont tout un (119) ?
╓225 pas son avantage et ne recule pas devant le danger ; qu’il ne tient à rien ;
qu’il ne cherche pas à se faire agréer ; qu’il se tient loin de la poussière et de
la boue . . . Je le définirai mieux, en moins de mots, dit maître K’iou. Le Sage
abstrait du temps, et voit tout en un. Il se tait, gardant pour lui ses impressions
personnelles, s’abstenant de disserter sur les questions obscures et insolubles.
Ce recueillement, cette concentration, lui donnent, au milieu de l’affairage
passionné des hommes vulgaires, un air apathique, presque bête. En réalité,
intérieurement, il est appliqué à l’occupation la plus haute, la synthèse de tous
les âges, la réduction de tous les êtres à l’unité.
Tch2.I. ▲ Tous les êtres appartenant au Tout, leurs actions ne sont pas
libres, mais nécessitées par ses lois... Un jour la pénombre demanda à
l’ombre : pourquoi vous mouvez-vous dans tel sens ?.. Je ne me meus pas, dit
l’ombre. Je suis projetée par un corps quelconque, lequel me produit et
m’oriente, d’après les lois de l’opacité et du mouvement... Ainsi en est-il de
tous les actes.
Léon WIEGER — Les pères du système taoïste 165
CHAPITRE 3
CHAPITRE 4
Tch4.E. Suit une autre variation sur le même thème, presque identique,
fragment semblable ajouté au précédent, qui se termine ainsi : Cet arbre étant
impropre aux usages communs, a pu se développer jusqu’à ces dimensions. La
même incapacité donne à certains hommes le loisir d’atteindre à la
transcendance parfaite.
Tch4.F. ╓241 ■ Dans le pays de Song, à King-cheu, les arbres poussent en
masse. Les tout petits sont coupés, pour en faire des cages aux singes. Les
moyens sont coupés, pour faire des maisons aux hommes. Les gros sont
coupés, pour faire des cercueils aux morts. Tous périssent, par la hache, avant
le temps, parce qu’ils peuvent servir. S’ils étaient sans usage, ils vieilliraient à
l’aise. ■ Le traité sur les victimes, déclare que les bœufs à tête blanche, les
porcs au groin retroussé, les hommes atteints de fistules, ne peuvent pas tire
sacrifiés au Génie du Fleuve ; car, disent les aruspices, ces êtres-là sont
néfastes. Les hommes transcendants pensent que c’est faste pour eux, puisque
cela leur sauve la vie.
CHAPITRE 5
Action parfaite
Tch5.B. Chennt’ou-kia avait aussi subi l’amputation des pieds, pour une
faute vraie ou supposée. Dans la principauté de Tcheng il suivait, avec
Tzeu-tch’an, les leçons de Pai-hounn-ou-jenn. Tzeu-tch’an méprisant ╓245 ce
mutilé, exigea qu’il lui cédât le pas...
— Il n’y a pas de rangs, dans l’école de notre maître, dit
Chennt’ou-kia. Si vous tenez à l’étiquette, allez ailleurs. A un
miroir parfaitement net, la poussière n’adhère pas ; si elle adhère,
c’est que le miroir est humide ou gras. Votre exigence en matière
rituelle, prouve que vous n’êtes pas encore sans défauts.
— Vous, un mutilé, dit Tzeu-tch’an, vous me faites l’effet de
vouloir poser en Yao. Si vous vous examiniez, vous trouveriez
peut-être des raisons de vous taire.
— Vous faites allusion, dit Chennt’ou-kia, à la peine que j’ai subie,
et pensez que je l’ai méritée pour quelque faute grave. La plupart
de ceux qui sont dans mon cas, disent très haut que cela n’aurait
pas dû leur arriver. Plus sage qu’eux, je ne dis rien, et me résigne
en paix à mon destin. Quiconque passait dans le champ visuel du
fameux archer, devait être percé d’une flèche ; s’il ne l’était pas,
c’est que le destin ne le voulait pas. Le destin voulut que moi je
perdisse mes pieds, et que d’autres gardassent les leurs. Les
hommes qui ont leurs pieds, se moquent de moi qui ai perdu les
miens. Jadis cela m’affectait. Maintenant je suis corrigé de cette
faiblesse. Voilà dix-neuf années que j’étudie sous notre maître,
lequel très attentif sur mon intérieur, n’a jamais fait aucune
allusion à mon extérieur. Vous, son disciple, faites tout le
contraire. N’auriez-vous pas tort ?
Tzeu-tch’an (126) sentit la réprimande, changea de visage et dit :
Léon WIEGER — Les pères du système taoïste 177
*
**
Léon WIEGER — Les pères du système taoïste 180
CHAPITRE 6
Tch6.B. Qu’est-ce que ces Hommes Vrais ?.. Les Hommes Vrais de
l’antiquité, se laissaient conseiller même par des minorités. Ils ne
recherchaient aucune gloire, ni militaire, ni politique. Leurs insuccès ne les
chagrinaient pas, leurs succès ne les enflaient pas. Aucune hauteur ne leur
donnait le vertige. L’eau ne les mouillait pas, le feu ne les brûlait pas ; parce
qu’ils s’étaient élevés jusqu’aux régions sublimes du Principe (127).
Les Hommes Vrais anciens, n’étaient troublés par aucun rêve durant leur
sommeil, par aucune tristesse (tarant leur veille. Le raffinement dans les
aliments leur était inconnu. Leur respiration calme et profonde, pénétrait leur
organisme jusqu’aux talons ; tandis que le vulgaire respire du gosier
seulement, comme le prouvent les spasmes de la glotte de ceux qui se
disputent ; plus un homme est passionné, plus sa respiration est
superficielle (128) .
Les Hommes vrais anciens ignoraient l’amour de la vie et l’horreur de la
mort. Leur entrée en scène, dans la vie, ne leur causait aucune joie ; leur
rentrée dans les coulisses, à la mort, ne leur causait aucune horreur. Calmes ils
venaient, calmes ils partaient, doucement, sans secousse, comme en planant.
Se souvenant seulement, de leur dernier commencement (naissance), ils ne se
préoccupaient pas de leur prochaine fin (mort). Ils aimaient cette vie tant
qu’elle durait, et l’oubliaient au départ pour une autre vie, à la mort. Ainsi
leurs sentiments humains ne contrecarraient pas le Principe en eux ; l’humain
en eux ne gérait pas le céleste. Tels étaient les Hommes Vrais.
Par suite, leur cœur était ferme, leur attitude était recueillie, leur mine était
simple, leur conduite était tempérée, leurs sentiments étaient réglés. Ils
Léon WIEGER — Les pères du système taoïste 181
faisaient, en toute occasion, ce qu’il fallait faire, sans confier à personne leurs
motifs intérieurs. Ils faisaient la guerre sans haïr, et du bien sans aimer.
Celui-là n’est pas un Sage, qui aime à se communiquer, qui se fait des amis,
qui calcule les temps et les circonstances, qui n’est pas indifférent au succès et
à l’insuccès, qui ╓253 expose sa personne pour la gloire ou pour la faveur.
Hou-pou-hie Oukoang, Pai-i, Chou-ts’i, Ki-tzeu, Su-u, Ki-t’ouo,
Chenn-t’ou-ti, servirent tout le monde et firent du bien à tout le monde, sans
qu’aucune émotion de leur cœur viciât leurs actes de bienfaisance.
Les Hommes Vrais anciens, étaient toujours équitables, jamais aimables ;
toujours modestes, jamais flatteurs. Ils tenaient à leur sens, mais sans dureté.
Leur mépris pour tout était manifeste, mais non affecté. Leur extérieur était
paisiblement joyeux. Tous leurs actes paraissaient naturels et spontanés. Ils
inspiraient l’affection par leurs manières, et le respect par leurs vertus. Sous
un air de condescendance apparente, ils se tenaient fièrement à distance du
vulgaire. Ils affectionnaient la retraite, et ne préparaient jamais leurs discours.
Pour eux, les supplices étaient l’essentiel dans le gouvernement, mais ils les
appliquaient sans colère. Ils tenaient les rits pour un accessoire, dont ils
s’acquittaient autant qu’il fallait pour ne pas choquer le vulgaire. Ils tenaient
pour science de laisser agir le temps, et pour vertu de suivre le flot. Ceux qui
jugèrent qu’ils se mouvaient activement, se sont trompés. En réalité ils se
laissaient aller au fil du temps et des événements. Pour eux, aimer et haïr,
c’était tout un ; ou plutôt, ils n’aimaient ni ne haïssaient. Ils considéraient tout
comme essentiellement un, à la manière du ciel, et distinguaient
artificiellement des cas particuliers, à la manière des hommes. Ainsi, en eux,
pas de conflit entre le céleste et l’humain. Et voilà justement ce qui fait
l’Homme Vrai.
aider aux funérailles. Quand Tzeu-koung arriva, les deux amis survivants
chantaient devant le cadavre, avec accompagnement de cithare, le refrain
suivant :
— O Sang-hou ! O Sang-hou !.. Te voilà uni à la transcendance,
tandis que nous sommes encore des hommes, hélas !..
Tzeu-koung les ayant abordés, leur demanda :
— Est-il conforme aux rits, de chanter ainsi, en présence d’un
cadavre ?..
Les deux hommes s’entre-regardèrent, éclatèrent de rire, et se dirent :
— Qu’est-ce que celui-ci peut comprendre à nos rits à nous ?
Tzeu-koung retourna vers Confucius, lui dit ce qu’il avait vu, puis
demanda :
— Qu’est-ce que ces gens-là, sans manières, sans tenue, qui
chantent devant un cadavre, sans trace de douleur ? Je n’y
comprends rien.
— Ces gens-là, dit Confucius, se meuvent en dehors du monde,
tandis que moi je me meus dans le monde. Il ne peut y avoir rien
de commun entre eux et moi. J’ai eu tort de t’envoyer là. D’après
eux, l’homme doit vivre en communion avec l’auteur des êtres (le
Principe cosmique), en se reportant au temps où le ciel et la terre
n’étaient pas encore séparés. Pour eux, la forme qu’ils portent
durant cette existence, est un accessoire, un appendice, dont la
mort les délivrera, en attendant qu’ils renaissent dans une autre.
Par suite, pour eux, pas de mort et de vie, de passé et de futur, dans
le sens usuel de ces mots. Selon eux, la matière de leur corps a
servi, et servira successivement, à quantité d’êtres différents. Peu
importent leurs viscères et leurs organes, à des gens qui croient à
une succession continue de commencements et de fins. Ils se
promènent en esprit hors de ce monde poussiéreux, et s’abstiennent
de toute immixtion dans ses affaires. Pourquoi se donneraient-ils le
mal d’accomplir les rits vulgaires, ou seulement l’air de les
accomplir ?
— Mais vous, Maître, demanda Tzeu-koung gagné au taoïsme,
pourquoi faites-vous de ces rits la base de votre morale ?
— Parce que le Ciel m’a condamné à cette besogne massacrante
(sic), dit Confucius. Je dis ainsi, mais au fond, comme toi, je n’y
crois plus. Les poissons naissent dans l’eau, les hommes dans le
Principe. Les poissons vivent de l’eau, les hommes du non-agir.
Chacun pour soi dans les eaux, chacun pour soi dans le Principe.
■ Le vrai sur-homme est celui qui ╓261 a rompu avec tout le reste,
pour adhérer uniquement au ciel. Celui-là seul devrait être appelé
Léon WIEGER — Les pères du système taoïste 186
Sage par les hommes. Trop souvent, qui est appelé Sage par les
hommes, n’est qu’un être vulgaire quant au Ciel.
Tch6.I. I-eull-tzeu ayant visité Hu-You (138), celui-ci lui demanda ce que
Yao lui avait appris.
— Il m’a dit, dit I-eull-tzeu, de cultiver la bonté et l’équité, de bien
distinguer le bien et le mal.
— Alors, demanda Hu-You, pourquoi venez-vous à moi
maintenant ? Après que Yao vous a imbu de ses principes terre à
terre, vous n’êtes plus capable d’être élevé à des idées plus hautes.
Léon WIEGER — Les pères du système taoïste 187
Confucius dit :
— C’est là l’union, dans laquelle le désir cesse ; c’est là la
transformation, dans laquelle l’individualité se perd. Tu as atteint
la vraie sagesse. Sois mon maître désormais !
Tch6.K. Tzeu-u et Tzeu-sang étaient amis. Une fois la pluie tomba à verse
durant dix jours de suite. Craignant que Tzeu-sang, qui était très pauvre,
empêché de sortir, ne se trouvât sans provisions, Tzeu-u fit un paquet de
vivres, et alla le lui porter. Comme il approchait de sa porte, il entendit sa
voix, moitié chantante, moitié pleurante, qui disait, en s’accompagnant sur la
cithare :
— O père, ô mère ! O ciel, ô humanité !..
La voix était défaillante, et le chant saccadé. Tzeu-u étant entré, trouva
Tzeu-sang mourant de faim.
— Que chantiez-vous là ? lui demanda-t-il.
— Je songeais, dit Tzeu-sang, aux causes possibles de mon
extrême détresse. Elle ne vient pas certes, de la volonté de mes
père et mère. Ni, non plus, de celle du ciel et de la terre, qui
couvrent et sustentent tous les êtres. Aucune cause logique de ma
misère. Donc c’était mon destin (140) !
Léon WIEGER — Les pères du système taoïste 189
CHAPITRE 7
Tch7.B. ◙╓265 Kien-ou alla voir le fou Tsie-u (141), qui lui demanda :
— Qu’avez-vous appris de Jeu-tchoung-cheu ?
— J’ai appris de lui, dit Kien-ou, que quand les princes font des
règlements, et obligent les gens à les observer, tout va bien.
— Tout paraît aller bien, dit Tsie-u. Fausse apparence ! l’extérieur
seul étant réglé, non l’intérieur. Vouloir gouverner avec ce
procédé, autant vaudrait vouloir traverser la mer à gué, contenir le
Fleuve Jaune dans un lit, faire emporter une montagne par un
moustique, choses absolument impossibles. Le Sage ne réglemente
pas l’extérieur. Il donne l’exemple de la rectitude, que les hommes
suivront, s’il leur plaît. Il est trop prudent pour en faire davantage.
Tel l’oiseau qui vole haut pour éviter la flèche, le rat qui creuse un
trou si profond qu’il ne puisse être ni enfumé ni déterré. Légiférer
est inutile et dangereux.
*
**
Léon WIEGER — Les pères du système taoïste 193
CHAPITRE 8
Pieds palmés
Tch8.A. Une membrane reliant les orteils, un doigt surnuméraire, ont été
produits par le corps, il est vrai, mais en excès sur ce qui devait être
normalement. Il en est de même, d’une excroissance, d’une tumeur ; quoique
issues du corps, ces superfétations sont contre nature. Il faut en dire autant des
théories diverses sur la bonté et l’équité (vertus) enfantées par l’esprit, et des
goûts qui émanent des cinq viscères (du tempérament) d’un chacun. Ces
choses ne sont pas naturelles, mais artificielles, morbides. Elles ne sont pas
conformes à la norme. Oui, de même que la membrane qui relie les orteils
d’un homme, et le doigt surnuméraire à sa main, gênent ses mouvements
physiques naturels ; ainsi les goûts émis par ses viscères, et les vertus
imaginées par son esprit, gênent son fonctionnement moral naturel.
La perversion du sens de la vue, amena les excès de coloris et
d’ornementation, dont le peintre Li-tchou fut le promoteur. La perversion du
sens de l’ouïe, produisit les abus dans l’usage des instruments et dans les
accords, dont le musicien Cheu-k’oang fut l’instigateur. Les théories sur la
bonté et l’équité, produisirent ces chasseurs de renommée, Tseng-chenn Cheu-
ts’iou (143) et autres, qui firent célébrer par les flûtes et les tambours de tout
l’empire, leurs irréalisables utopies. ■ L’abus de l’argumentation, produisit les
Yang-tchou et les Mei-ti, ces hommes qui fabriquèrent des raisons et
dévidèrent des déductions, comme on moule des tuiles et tresse des cordes ;
pour lesquels discuter sur les substances et les accidents, sur les similitudes et
les différences, fut un jeu d’esprit ; sophistes et rhéteurs, qui s’épuisèrent en
efforts et en paroles inutiles. Tout cela n’est que superfétation vaine, contraire
à la vérité, laquelle consiste dans la rétention du naturel, à l’exclusion de
l’artificiel. Il ne faut pas violenter la nature, même sous prétexte de la rectifier.
Que le composé reste composé, et le simple simple. Que le long reste long, et
le court court. Gardez-vous de vouloir allonger les pattes du canard, ou
raccourcir celles de la grue. Essayer de le faire, leur causerait de la souffrance,
ce qui est la note caractéristique de tout ce qui est contre nature, tandis que le
plaisir est la marque du naturel.
Tch8.C. Oui, depuis Chounn jusqu’à nos jours, les hommes suivent des
appas divers, non leur propre nature. Le vulgaire se tue pour l’argent, les
lettrés se tuent pour la réputation, les nobles se tuent pour la gloire de leur
maison, les Sages se tuent pour l’empire. Les hommes célèbres, de condition
diverse, ont tous ceci de commun, qu’ils ont agi contre nature et se sont ruinés
ainsi. Qu’importe la diversité du mode, si le résultat fatal est le même ? —
Deux pâtres qui ont perdu leurs moutons, l’un pour avoir étudié, l’autre pour
avoir joué, ont subi en définitive la même perte.
Pai-i périt pour l’amour de la gloire, et Tchee pour cause de brigandage ;
motif différent, résultat identique.
Cependant l’histoire officielle dit de Pai-i, que ce fut un noble caractère,
parce qu’il se sacrifia à la bonté et à l’équité ; au contraire, elle dit de Tchee,
que ce fut un homme vulgaire, parce qu’il périt par amour du gain. Somme
toute, le terme auquel ils aboutirent, ayant été le même, il n’y a pas lieu
d’user, à leur égard, de la distinction noble et vulgaire. Tous deux ont fait le
même outrage à leur nature, tous deux ont péri de même. Alors pourquoi louer
Pai-i et blâmer ╓273 Tchee ?
Léon WIEGER — Les pères du système taoïste 195
CHAPITRE 9
Chevaux dressés
CHAPITRE 10
historiques, rappelés par les sentences : « quand les lèvres sont coupées, les
dents ont froid », et « le mauvais vin de Lou causa le siège de Han-tan (144) ».
Oui, l’apparition des Sages cause l’apparition des brigands, et la
disparition des Sages cause la disparition des brigands. Sages et brigands, ces
deux termes sont corrélatifs, l’un appelle l’autre, comme torrent et inondation,
remblai et fossé.
Je le répète, si la race des Sages venait à ╓279 s’éteindre, les brigands
disparaîtraient ; ce serait, en ce monde, la paix parfaite, sans querelles. C’est
parce que la race des Sages ne s’éteint pas, qu’il y a toujours des brigands.
Plus on emploiera de Sages à gouverner l’État, plus les brigands se
multiplieront. Car ce sont les inventions des Sages qui les produisent. Par
l’invention des mesures de capacité, des balances et des poids, des contrats
découpés et des sceaux, ils ont appris à beaucoup la fraude. Par l’invention de
la bonté et de l’équité, ils ont enseigné à beaucoup la malice et la fourberie.
Qu’un pauvre diable vole une boucle de ceinture, il sera décapité. Qu’un
grand brigand vole une principauté, il deviendra seigneur, et les prôneurs de
bonté et d’équité des Sages, politiciens à gages) afflueront chez lui, et
mettront à son service toute leur sagesse. La conclusion logique de ceci, c’est
qu’il ne faudrait pas perdre son temps à commettre d’abord de petits vols,
mais commencer d’emblée par voler une principauté. Alors on n’aura plus à
se donner la peine d’y revenir ; on n’aura plus à craindre la hache de
l’exécuteur. Alors on aura pour soi tous les Sages avec toutes leurs inventions.
Oui, faire des brigands, et empêcher qu’on ne les défasse, voilà l’œuvre des
Sages (des politiciens de profession).
doigts des menuisiers, et les hommes retrouveront les procédés naturels, ceux
dont il est dit (146) :
adresse sous un air de maladresse.
Flétrissez Tseng-chenn et Cheu-ts’iou (légistes), bâillonnez Yang-tchou et
Mei-ti (sophistes), mettez au ban la formule bonté-équité (des Confucéistes),
et les propensions naturelles pourront de nouveau exercer leur mystérieuse et
unifiante vertu. Oui, revenons à la vue, à l’ouïe, au bon sens, aux instincts
naturels, et c’en sera fait des éblouissements assourdissements errements et
grimaces factices. Philosophes, musiciens, peintres, artistes divers, n’ont fait
que tromper et pervertir les hommes, par des apparences spécieuses. Ils n’ont
été d’aucune utilité vraie pour l’humanité.
Tch10.D. C’est la science artificielle, contre nature, qui a causé tous les
maux de ce monde, et le malheur de tous ceux qui l’habitent. L’invention des
arcs, des arbalètes, des flèches captives, des pièges à ressort, a fait le malheur
des oiseaux de l’air. L’invention des hameçons, des appâts, des filets, des
nasses, a fait le malheur des poissons dans les eaux. L’invention des rets, des
lacs, des trappes, a fait le malheur des quadrupèdes dans leurs halliers.
L’invention de la sophistique, traîtresse et venimeuse, avec ses théories sur la
substance et les accidents, avec ses arguties sur l’identité et la différence, a
troublé la simplicité du vulgaire. Oui, l’amour de la science, des inventions et
Léon WIEGER — Les pères du système taoïste 201
CHAPITRE 11
Tch11.A. ╓283 Il faut laisser le monde aller son train, et ne pas prétendre
le gouverner. Autrement les natures viciées n’agiront plus naturellement (mais
artificiellement, légalement, rituellement, etc.). Quand toutes les natures, étant
saines, se tiennent et agissent dans leur sphère propre, alors le monde est
gouverné, naturellement et de lui-même ; pas n’est besoin d’intervenir.
Jadis, par son gouvernement, le bon Yao réjouit ses sujets. Or la joie, qui
est une passion, rompt l’apathie naturelle. Le gouvernement de Yao fut donc
défectueux, puisqu’il passionna ses sujets.
Le méchant Kie affligea ses sujets. Or l’affliction, qui est une passion,
rompt la placidité naturelle. Le gouvernement de Kie fut donc défectueux,
puisqu’il passionna ses sujets.
Toute émotion, étant contre nature, est instable et ne peut durer. Le plaisir,
la complaisance, sont des émotions du principe yang. Le déplaisir, le
ressentiment, sont des émotions du principe yinn. Dans le macrocosme, la
perturbation du yinn et du yang, fait que les quatre saisons ne viennent pas à
leur heure, que la succession du froid et du chaud n’arrive pas à point nommé.
Dans le microcosme humain, le déséquilibrement du yinn et du yang par les
passions, cause pareillement de grands désordres. Les corps souffrent, les
esprits pâtissent. Les hommes ne tiennent plus en place, perdent le contrôle de
leurs pensées et de leurs désirs, entreprennent et n’achèvent pas, (leurs
passions mobiles se portant sans cesse vers d’autres objets). Alors, dans
l’empire, naissent les ambitieuses prétentions, les luttes pour la domination.
Alors les uns deviennent des Tchee brigands), les autres des Tseng-chenn et
des Cheu-ts’iou (politiciens). Alors on légifère, dans le but de récompenser les
bons et de punir les méchants. Tâche surhumaine, tentative impossible, vu le
nombre des uns et des autres. Hélas ! c’est pourtant à cela, que les
gouvernants des trois dynasties ont perdu leur temps et leur peine, au lieu de
suivre tranquillement le cours de leur nature et de leur destinée.
Toute théorie, toute convention, est fausse et fausse. Les théories optiques
ont faussé la notion naturelle des couleurs. Les théories acoustiques ont altéré
la vraie notion des sons. Les théories sur la bonté, ont perverti la spontanéité
des relations. Les théories sur l’équité, ont oblitéré le sens inné de la justice.
Les théories sur les rits ont produit la subtilité, celles sur la musique ont
développé la lascivité. Les théories sur la sagesse ont multiplié les politiciens,
celles sur la science ont multiplié les ergoteurs. Passe encore que, s’en tenant
Léon WIEGER — Les pères du système taoïste 203
bien des êtres qui l’habitent. Veuillez me dire comment je dois m’y
prendre.
— Je ne sais pas ! je ne sais pas ! dit Houng-mong, en hochant la
tête, tapant sur ses flancs, et sautant à cloche-pied.
Yunn-tsiang n’en put pas tirer davantage.
Trois ans plus tard, comme il errait encore dans l’Est, au delà de la plaine
de You-song, inopinément Yunn-tsiang rencontra de nouveau Houng-mong.
Au comble de la joie, il courut à lui, et l’aborda en lui disant :
— Être céleste, vous souvenez-vous encore de moi ?
Puis, s’étant prosterné deux fois, inclinant la tête, il ajouta :
— Je désire vous poser une question.
— Que puis-je vous apprendre ? fit Houng-mong ; moi qui marche
sans savoir pourquoi, qui erre sans savoir où je vais ; moi qui ne
fais que flâner, sans m’occuper de rien, pour ne pas nuire par
quelque ingérence intempestive.
— Moi aussi, dit Yunn-tsiang, je voudrais comme vous errer libre
et sans soucis ; mais le peuple me poursuit partout où je vais ; c’est
une vraie servitude ; à peine vient-il de me lâcher ; je profite de ce
répit, pour vous interroger.
— Pauvre homme ! fit Houng-mong ; que vous dirai-je, à vous qui
vous mêlez de gouverner les hommes ? Qui trouble l’empire, qui
violente la nature, qui empêche l’action du ciel et de la terre ? qui
inquiète les animaux, trouble le sommeil des oiseaux, nuit
jusqu’aux plantes et aux insectes ? qui, si ce ╓291 n’est les
politiciens, avec leurs systèmes pour gouverner les hommes ? !
— C’est ainsi que vous me jugez ? dit Yunn-tsiang.
— Oui, dit Houng-mong ; vous êtes un empoisonneur ; laissez-moi
aller mon chemin.
— Etre céleste, fit Yunn-tsiang, j’ai eu beaucoup de peine à vous
trouver ; de grâce, veuillez m’instruire.
— ■ De fait, dit Houng-mong, vous avez grand besoin d’appren-
dre. Ecoutez donc !.. Commencez par n’intervenir en rien, et tout
suivra naturellement son cours. Dépouillez votre personnalité (litt.
laissez tomber votre corps comme un habit), renoncez à l’usage de
vos sens, oubliez les relations et les contingences, noyez-vous dans
le grand ensemble, défaites-vous de votre volonté et de votre
intelligence, annihilez-vous par l’abstraction jusqu’à n’avoir plus
d’âme. A quoi bon spéculer, l’inconscience étant la loi
universelle ? La foule des êtres retourne inconsciente à son origine.
Léon WIEGER — Les pères du système taoïste 208
Tch11.F. Petits mais respectables sont les êtres qui remplissent le monde.
Humble mais nécessaire est le peuple. Incertaines mais importantes sont les
affaires. Dures mais indispensables sont les lois. Antipathique mais
obligatoire est la justice. Sympathique est l’affection non égoïste. Menus sont
les rits, mais il faut les faire. Ces aphorismes résument la sagesse vulgaire.
Et moi j’ajoute : Au centre de toutes choses et supérieure à toutes, est
l’action productrice du Principe suprême. Unique et se transformant en action
productrice, est le Principe suprême. Transcendant et agissant sans cesse, est
le Ciel (l’instrument physique de l’action productrice du Principe). Aussi les
vrais Sages ont-ils pour règle de laisser faire le Ciel sans l’aider, de laisser
agir l’action productrice sans interférer. de laisser le premier Principe libre
sans prétendre deviser pour lui. Voilà l’important, à leurs yeux. Pour tout le
reste, la pratique commune, ils sont affectueux sans affectation, justes sans
prétention, rituels sans scrupulosité, actifs sans façons, légaux sans passion,
dévoués au peuple et respectueux des droits de tous. Ils ne considèrent aucun
être comme un moyen particulièrement apte, et s’en servent pourtant faute de
mieux. L’ignorance de ceux qui ne comprennent rien à l’action du Ciel, vient
de ce qu’ils n’entendent pas bien celle du Principe suprême, dont le Ciel est
l’instrument. Ceux qui n’ont pas la notion de ce Principe lui-même, ne sont
propres à rien ; il faut les plaindre.
Il y a deux voies, la voie céleste et la voie humaine. Se concentrer
noblement dans le non-agir, voilà la voie du Ciel. S’éparpiller et peiner sur les
détails, voilà la voie humaine. La voie céleste est supérieure, la voie humaine
est inférieure. Les deux voies sont très différentes. Nous allons les scruter
attentivement, dans les chapitres suivants.
*
**
Léon WIEGER — Les pères du système taoïste 210
CHAPITRE 12
Ciel et terre
de son exaltation. Que sa gloire soit d’avoir compris, que tous les êtres sont un
seul complexe universel, que la mort et la vie sont deux modalités d’un même
être.
nom (155) . Le premier être qui fut, fut l’Un, non sensible, le Principe. On
appelle tei norme, la vertu émanée de l’Un, qui donna naissance à tous les
êtres. Se multipliant sans fin dans ses produits, cette vertu participée s’appelle
en chacun d’eux ming son partage, son lot, son destin. C’est par concentration
et expansion alternantes, que la norme donne ainsi naissance aux êtres. Dans
l’être qui naît, certaines lignes déterminées spécifient sa forme corporelle.
Dans cette forme corporelle, est renfermé le principe vital. Chaque être a sa
manière de faire, qui constitue sa nature propre. C’est ainsi que les êtres
descendent du Principe. Ils y remontent, par la culture taoïste mentale et
morale, qui ramène la nature individuelle à la conformité avec la vertu agis-
sante universelle, et l’être particulier à l’union avec le Principe primordial, le
grand Vide, le grand Tout. Ce retour, cette union, se font, non par action, mais
par cessation. Tel un oiseau, qui, fermant son bec, cesse son chant, se tait.
Fusion silencieuse avec le ciel et la terre, dans une apathie qui paraît stupide à
ceux qui n’y entendent rien, mais qui est en réalité vertu mystique,
communion à l’évolution cosmique.
— Qui êtes-vous ?
— Un disciple de Confucius, dit Tzeu-koung.
— Ah ! dit le jardinier, un de ces pédants qui se croient supérieurs
au vulgaire, et qui cherchent à se rendre intéressants en chantant
des complaintes sur le mauvais état de l’empire. ╓303 Allons !
oubliez votre esprit, oubliez votre corps, et vous aurez fait le
premier pas dans la voie de la sagesse. Que si vous êtes incapable
de vous amender vous-même, de quel droit prétendez-vous
amender l’empire ? Maintenant allez-vous-en ! vous m’avez fait
perdre assez de temps !
Tzeu-koung s’en alla, pâle d’émotion. Il ne se remit, qu’après avoir fait
trente stades. Alors les disciples qui l’accompagnaient lui demandèrent :
— Qu’est-ce que cet homme, qui vous a ainsi troublé ?
— Ah ! dit Tzeu-koung, jusqu’ici je croyais qu’il n’y avait dans
l’empire qu’un seul homme digne de ce nom, mon maître
Confucius. C’est que je ne connaissais pas celui-là. Je lui ai
expliqué la théorie confucéiste, de la tendance au but, par le moyen
le plus commode, avec le moindre effort. Je prenais cela pour la
formule de la sagesse. Or il m’a réfuté et m’a donné à entendre,
que la sagesse consiste dans l’intégration des esprits vitaux, la
conservation de la nature, l’union au Principe. Ces vrais Sages ne
différent pas du commun extérieurement ; intérieurement leur trait
distinctif est l’absence de but, laisser s’écouler la vie sans vouloir
savoir vers où elle coule. Tout effort, toute tendance, tout art, est
pour eux l’effet d’un oubli de ce que l’homme doit être. Selon eux,
l’homme vrai ne se meut, que sous l’impulsion de son instinct
naturel. Il méprise également l’éloge et le blâme, qui ne lui
profitent ni ne lui nuisent. Voilà la sagesse stable, tandis que moi je
suis ballotté par les vents et les flots.
Quand il fut revenu dans la principauté de Lou, Tzeu-koung converti au
Taoïsme raconta son aventure à Confucius. Celui-ci dit :
— Cet homme prétend pratiquer ce qui fut la sagesse de l’âge
primordial. Il s’en tient au principe, à la formule, affectant
d’ignorer les applications et les modifications. Certes, si dans le
monde actuel il y avait encore moyen de vivre sans penser et sans
agir, uniquement attentif au bien-être de sa personne, il y aurait
lieu de l’admirer. Mais nous sommes nés, toi et moi, dans un siècle
d’intrigues et de luttes, où la sagesse de l’âge primordial ne vaut
plus qu’on l’étudie, car elle n’a plus d’applications.
Léon WIEGER — Les pères du système taoïste 217
Tch12.N. Un fils, un ministre, qui n’approuve pas ce que son père ou son
prince fait de mal, est proclamé bon fils bon ministre, par la voix publique,
d’autorité, sans arguments ; et la masse adopte ce verdict docilement, chacun
se figurant l’avoir prononcé lui-même (157). Dites à ces gens-là, que leur
jugement n’est pas d’eux, qu’on le leur a suggéré ; et ils bondiront, se tenant
pour offensés. Ainsi en est-il, dans la plupart des cas, pour la plupart des
hommes. Presque tous reçoivent leurs idées toutes faites, et suivent toute leur
vie l’opinion. Ils parlent dans le style du temps, ils s’habillent selon la mode
du temps, non par aucun principe, mais pour faire comme les autres.
Imitateurs serviles, qui disent oui ou non selon qu’on les a suggestionnés, et
croient après cela s’être déterminés eux-mêmes. N’est-ce pas là de la folie ?
Folie ╓307 incurable, car les hommes ne se doutent pas qu’ils sont atteints de
cette manie de l’imitation. Folie générale, car l’empire tout entier est atteint de
cette manie. Aussi est-ce bien en vain que j’essaierais de remettre les hommes
sur le chemin de l’action personnelle spontanée, émanant du moi, de l’instinct
propre. Hélas !
La musique noble laisse les villageois indifférents, tandis qu’une chanson
triviale les fait pâmer d’aise. De même, les pensées élevées n’entrent pas dans
les esprits farcis d’idées vulgaires. Le bruit de deux tambours en terre cuite,
couvre le son d’une cloche de bronze. Comment me ferais-je écouter des fous
qui peuplent l’empire ? Si j’espérais pouvoir y arriver, moi aussi je serais fou.
Aussi les laisserai-je faire, sans rien entreprendre pour les éclairer. Aucun
d’eux, d’ailleurs, ne m’en voudra ; car ils tiennent à leur commune folie.
Léon WIEGER — Les pères du système taoïste 219
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Léon WIEGER — Les pères du système taoïste 220
CHAPITRE 13
Influx du ciel
Il ne faudrait pas penser, toutefois, qu’il n’y a, dans les choses humaines,
ni degrés, ni subordination, ni succession. Il y a un ordre naturel, fondé sur la
relation réciproque du ciel et de la terre, et sur l’évolution cosmique. Le
souverain est supérieur au ministre, le père à ses fils, les aînés aux cadets, les
vieillards aux jeunes gens, l’homme à la femme, le mari à l’épouse ; parce que
le ciel est supérieur à la terre. Dans le cycle des saisons, les deux saisons
productives précédent les deux saisons improductives ; chaque être passe par
les deux phases successives de vigueur et de déclin ; cela, du fait de
l’évolution cosmique ; et par suite, les parents ont le pas dans la famille, à la
cour c’est le rang qui prime, dans les villages les vieillards sont honorés, dans
les affaires on s’en remet au plus sage. Manquer en ces choses, ce serait
manquer au Principe, dont ces règles sont des conclusions.
Tch13.C. ╓313 C’est dans le binôme ciel et terre, que les anciens
considéraient le Principe. C’est du mode d’agir de ce binôme qu’ils tirèrent les
notions naturelles de la bonté (aveugle) et de l’équité (inconsciente),
(opposées aux notions artificielles de la bonté et de l’équité scientifiques des
Confucéistes) ; puis les notions de fonctions et d’offices ; puis celles de
capacité, de responsabilité, de sanction, etc. Les notions abstraites
augmentant, les intellectuels se distinguèrent des imbéciles ; il y eut des
hommes supérieurs et des hommes inférieurs. Tous furent traités selon leur
degré. Les Sages servirent le souverain, nourrirent les sots, les amendèrent par
leur exemple, sans les contraindre, à l’instar de l’action du ciel et de la terre.
Ce fut là l’ère de la paix absolue, du gouvernement parlait. On ne dissertait,
on n’ergotait pas alors, sur les entités et les dénominations, comme font les
sophistes de nos jours. On ne prétendait pas récompenser ou punir
adéquatement tout bien ou tout mal, comme le voudraient nos légistes. Ils
s’adressaient, pour toute solution, à la racine, à l’origine, au Principe qui les
contient toutes ; et c’est cette vue de haut, qui faisait la supériorité de leur
gouvernement. Tandis que, par le fait qu’ils se perdent dans les détails, nos
sophistes et nos légistes ne sont propres à rien.
Tch13.I. ►Un jour, tandis que le duc Hoan de Ts’i lisait, assis dans la
salle haute, le charron Pien travaillait à faire une roue dans la cour. Soudain,
déposant son marteau et son ciseau, il monta les degrés, aborda le duc et lui
demanda :
— Qu’est-ce que vous lisez là ?
— Les paroles des Sages, répondit le duc.
— De Sages vivants ? demanda Pien.
— De Sages morts, dit le duc.
— Ah ! fit Pien, le détritus des anciens.
Irrité, le duc lui dit :
— Charron, de quoi te mêles-tu ? Dépêche-toi de te disculper, ou
je te fais mettre à mort.
— Je vais me disculper en homme de mon métier, repartit le
charron. Quand je fabrique une roue, si j’y vais doucement, le
résultat sera faible ; si j’y vais fortement, le résultat sera massif ; si
j’y vais, je ne sais pas comment, le résultat sera conforme à mon
idéal, une bonne et belle roue ; je ne puis pas définir cette
méthode ; c’est un truc qui ne peut s’exprimer ; tellement que je
Léon WIEGER — Les pères du système taoïste 226
*
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Léon WIEGER — Les pères du système taoïste 227
CHAPITRE 14
Évolution naturelle
Tch14.A. ╓319 Le ciel étoilé tourne ; la terre est fixe. Le soleil et la lune se
succèdent alternativement. Qui gouverne tout cela ? qui maintient cette
harmonie ? Où est le moteur immobile qui meut tout ? Le mouvement
cosmique est-il libre, est-il forcé ?.. Les nuées se résolvent en pluie, et la pluie
évaporée se reforme en nuages. Qui répand ainsi, sans bouger, l’abondance et
le bien-être ?.. Du Nord, le vent souffle vers l’Ouest, vers l’Est, dans tous les
sens. Qui meut ce souffle puissant ? Qui, immobile, lui imprime ces
variétés ?.. Je vais vous le dire, dit Ouhien-t’iao. C’est le ciel, par la
révolution des cinq éléments, dans les six régions de l’espace. C’est cette
révolution, qui maintient l’ordre dans la nature ; et dans les choses humaines,
il y aura bon ordre si le gouvernement s’y conforme, et désordre s’il ne s’y
conforme pas. Quand les anciens souverains appliquaient les neuf lois (158),
leur gouvernement était prospère et efficace. Ils illuminaient l’empire, qui leur
était parfaitement soumis. Ce furent là ceux qu’on appelle les augustes
souverains.
l’objet en divers lieux ; cauchemars que lui ont procurés ses vieux
chiens de paille.
Pour aller sur l’eau, ou prend une barque ; pour aller par terre, on
prend un char ; impossible de voyager par eau en char, par terre en
barque. Or les temps passés sont aux temps présents, comme l’eau
et la terre ; l’empire des Tcheou et le duché de Lou se ressemblent,
comme une barque et un char. Vouloir appliquer maintenant les
principes surannés des anciens, vouloir employer dans le duché de
Lou les procédés de l’empire des Tcheou, c’est vouloir voyager en
barque sur la terre. ferme, c’est tenter l’impossible. Confucius
travaille en vain et s’attirera des malheurs, comme tous ceux qui
ont tenté d’appliquer un système donné, dans des circonstances
différentes.
De nos jours, pour élever l’eau, on a abandonné le seau des
anciens, pour la cuiller à bascule, et personne n’éprouve le besoin
de revenir au seau. Ainsi les procédés de gouvernement des
anciens empereurs, qui furent aptes en leur temps et sont périmés
maintenant, ne doivent pas être imposés de force au temps actuel.
A chaque saison on mange certains fruits, dont le goût plaît à ce
moment-là, tandis qu’il ne plairait pas en un autre temps. Ainsi en
est-il des règlements et des usages ; ils doivent varier selon les
temps.
Mettez à un singe la robe du duc de Tcheou. Qu’arrivera-t-il ? Il la
déchirera de colère, avec ses dents et ses griffes, et ne restera
tranquille, que quand il en aura arraché le dernier lambeau. Or
l’antiquité et le temps actuel, différent autant, que le duc de Tcheou
et un singe. N’affublez pas les modernes de la défroque des
anciens.
Jadis quand la belle Si-cheu avait ses nerfs, elle n’en était que plus
séduisante. Une femme très mal faite l’ayant vue dans cet état, fit
un jour comme elle lui avait vu faire. Le résultat fut, que les riches
habitants du village se barricadèrent dans leurs maisons, et que les
pauvres s’enfuirent épouvantés avec leurs femmes et leurs enfants.
C’est que le laideron n’avait reproduit que les fureurs, non la
beauté de la belle. Ainsi en est-il de la parodie que Confucius nous
donne de l’antiquité. Elle fait enfuir les gens. Cet homme
n’aboutira pas.
Tch14.F. Une autre fois, Confucius ayant visité Lao-tan, lui exposa ses
idées sur la bonté et l’équité.
— Ecoutez, lui dit celui-ci, les vanneurs n’y voient pas, à force de
poussière ; quand les moustiques sont légion, impossible de
reposer. Vos discours sur la bonté et l’équité, me produisent un
effet analogue ; j’en suis aveuglé, affolé. Allons ! laissez les gens
tranquilles ! Croyez ce que vous voudrez, en théorie ; mais
pratiquement, pliez au vent, acceptez les changements survenus
dans le monde, ne battez pas la caisse pour rappeler le fils évadé
(ce qui reste de l’antiquité ; comparez chapitre Tch13E). Les oies
sauvages sont naturellement blanches, les corbeaux sont
naturellement noirs ; aucune dissertation ne changera rien à ce fait.
Léon WIEGER — Les pères du système taoïste 232
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Léon WIEGER — Les pères du système taoïste 235
CHAPITRE 15
Sagesse et encroûtement
Tch15.A. Avoir des idées incrustées dans son cerveau, et une haute
opinion de ses mœurs singulières ; rompre avec le monde et faire bande à
part ; parler haut et critiquer les autres ; en un mot, se conduire en pédants ;
voilà comme font ceux qui vivent en anachorètes sur les monts et dans les
vallées, contempteurs des voies communes, lesquels finissent par mourir de
faim, ou noyés dans quelque torrent.
Discourir sur la bonté et l’équité, la loyauté et la fidélité ; pratiquer le
respect d’autrui, la simplicité, la modestie ; en un mot, se contraindre en tout ;
voilà comme font ceux qui prétendent pacifier le monde et morigéner les
hommes, maîtres d’école ambulants ou sédentaires. ╓331 Exalter leurs mérites,
travailler à se faire un nom, ergoter sur les rits et l’étiquette, vouloir tout
réglementer, voilà comme font ceux qui fréquentent les cours, politiciens en
quête d’un maître à servir, d’une principauté à organiser, d’alliances à
moyenner.
Se retirer au bord des eaux ou dans des lieux solitaires, pêcher à la ligne
ou ne rien faire, voilà le fait des amants de la nature et de l’oisiveté.
Respirer en mesure, évacuer l’air contenu dans les poumons et le
remplacer par de l’air frais, aider sa respiration par des gestes semblables à
ceux de l’ours qui grimpe ou de l’oiseau qui vole, voilà comme font ceux qui
désirent vivre longtemps, les imitateurs de P’eng-tsou. Tous ceux-là sont des
toqués. Parlons maintenant des hommes sérieux.
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Léon WIEGER — Les pères du système taoïste 237
CHAPITRE 16
Nature et convention
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Léon WIEGER — Les pères du système taoïste 239
CHAPITRE 17
La crue d’automne
n’a pas. Enfin, par rapport au goût de l’observateur, les êtres ont
tous quelque côté par où ils plaisent à certains, et quelque côté par
lequel ils déplaisent à d’autres ; Yao et Kie eurent tous les deux des
admirateurs et des détracteurs.
L’abdication ne ruina ni Yao ni Chounn, tandis qu’elle ruina le
baron K’oai. La révolte profita aux empereurs T’ang et Ou, tandis
qu’elle perdit le duc Pai. Selon les temps et les circonstances, le
résultat des mêmes actions n’est pas le même ; ce qui est expédient
pour l’un ou dans telles circonstances, ne l’est pas pour l’autre ou
dans d’antres circonstances. Il en est de même, pour la qualifi-
cation des actes ; ce qui est noble dans l’un ou dans telles
circonstances, sera vil dans l’autre ou dans d’autres
circonstances. Tout cela est relatif et variable.
Un bélier est ce qu’il y a de mieux, pour faire brèche à un rempart ;
tandis que, pour boucher un trou, ce serait un instrument abso-
lument inepte ; les moyens différent. Les coursiers de l’empereur
Mou, qui faisaient mille stades par jour, n’auraient pas valu un
chat, s’il se fût agi de prendre un rat ; les qualités différent. Le
hibou compte ses plumes et prend ses puces la nuit, tandis qu’en
plein jour il ne voit pas une montagne ;l es natures différent. A
fortiori, rien de fixe dans les choses morales, l’estime, l’opinion,
etc. Tout a un double aspect.
Par suite, vouloir le bien sans le mal, la raison sans le tort, l’ordre
sans le désordre, c’est montrer qu’on ne comprend rien aux lois de
l’univers ; c’est rêver un ciel sans terre, Un yinn sans yang ; le
double aspect coexiste pour tout. Vouloir distinguer, comme des
entités réelles, ces deux corrélatifs inséparables, c’est montrer une
faible raison ; le ciel et la terre sont un, le yinn et le yang sont un ;
et de même les aspects opposés de tous les contraires. Des anciens
souverains, les uns obtinrent le trône par succession, les autres par
usurpation. Tous sont appelés bons souverains, parce qu’ils agirent
conformément au goût des gens de leur temps, et plurent à leur
époque. Se tromper d’époque, agir contrairement au goût de ses
contemporains, voilà ce qui fait qualifier d’usurpateur. Médite ces
choses, ô Génie du fleuve, et tu comprendras qu’il n’y a ni gran-
deur ni petitesse, ni noblesse ni bassesse, ni bien ni mal absolu ;
mais que toutes ces choses sont relatives, dépendantes des temps et
des circonstances, de l’appréciation des hommes, de l’opportunité.
à tous. Sous Kie et Tcheou, aucun des Sages d’alors ne perça, non
pas à cause de leur capacité moindre, niais parce que le destin était
alors défavorable pour tous... Ne pas craindre les monstres marins,
est la bravoure des pêcheurs. Ne pas craindre les bêtes féroces, est
la bravoure des chasseurs. Ne pas craindre les sabres dégainés,
regarder du même œil la mort et la vie, est la bravoure des
guerriers... Savoir qu’aucun bonheur n’arrive qu’en son temps, que
tout malheur est écrit dans le destin, et par suite ne pas craindre
même devant le danger imminent, mais s’en remettre alors
stoïquement à la fatalité, voilà la bravoure du Sage. You, attends un
moment, et tu verras s’accomplir, ce qui est écrit dans le destin de
moi.
Quelques instants après que le Sage eut ainsi parlé, le chef des hommes
d’armes s’approcha et dit :
— Nous vous avions pris pour un certain Yang-hou, que nous
devions arrêter ; veuillez excuser notre erreur... Et ils s’en
allèrent (164) .
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Léon WIEGER — Les pères du système taoïste 249
CHAPITRE 18
Joie parfaite
CHAPITRE 19
Sens de la vie
Tch19.K. Tong ie-tsi se présenta au duc Tchoang, pour lui exhiber son
attelage, et son talent de conducteur. Ses chevaux avançaient et reculaient,
sans la moindre déviation de la ligne droite. Ils décrivaient, par la droite ou
par la gauche, des circonférences aussi parfaites, que si elles avaient été
tracées au compas. Le duc admira cette précision, puis, voulant s’assurer de sa
constance, il demanda à Tsi de faire cent tours de suite, sur une piste donnée.
Tsi eut la sottise d’accepter. Yen-ho qui vit, en passant, ce manège forcé, dit au
duc :
— Les chevaux de Tsi vont être éreintés.
Léon WIEGER — Les pères du système taoïste 261
Le duc ne répondit pas. Peu après, de fait, les chevaux de Tsi éreintés
durent être ramenés. Alors le duc demanda à Yen-ho :
— Comment avez-vous pu prévoir ce qui arriverait ?..
— Parce que, dit Yen-ho, j’ai vu Tsi pousser des chevaux déjà
fatigués (176).
Tch19.M. ╓367 Sounn-hiou étant allé trouver maître Pien-k’ing, lui tint ce
discours étrange :
— On m’a fait injustement la réputation, d’un propre à rien, d’un
mauvais citoyen. Or si mes terres ne rapportent pas, c’est que les
années ont été mauvaises ; si je n’ai rien fait pour mon prince, c’est
que l’occasion m’a manqué. Et voilà qu’on ne veut plus de moi, ni
au village, ni en ville. O ciel ! qu’ai-je fait pour qu’un pareil destin
me soit échu ? !
— Le sur-homme, dit maître Pien, s’oublie, au point de ne pas
savoir s’il a ou non des viscères et des sens. Il se tient en dehors de
la poussière et de la boue de ce monde, loin des affaires des
hommes. Il agit sans viser au succès, et gouverne sans vouloir
dominer. Est-ce ainsi que vous vous êtes conduit ? N’avez-vous
pas plutôt fait montre de vos connaissances, au point d’offusquer
les ignorants ? N’avez-vous pas fait étalage de votre supériorité, et
cherché à briller, jusqu’à éclipser le soleil et la lune, vous aliénant
ainsi tout le monde ? Et après cela, vous vous en prenez au ciel !
Le ciel ne vous a-t-il pas donné tout ce qui vous convient, un corps
bien conformé, une durée de vie normale, et le reste ? N’est-ce pas
au ciel que vous devez, de n’être ni sourd, ni aveugle, ni boiteux,
comme tant d’autres ? De quel droit vous en prenez-vous au ciel ?
Allez votre chemin !
Léon WIEGER — Les pères du système taoïste 262
Quand Sounn-hiou fut sorti, maître Pien s’assit, se recueillit, leva les yeux
au ciel et soupira.
— Qu’avez-vous, maître ? demandèrent ses disciples.
Maître Pien dit :
— J’ai parlé à Sounn-hiou des qualités du sur-homme. C’est trop
fort pour lui. Il en perdra peut-être la tête.
— Soyez tranquille, maître, dirent les disciples. Sounn-hiou a, ou
raison, ou tort. S’il a raison, il s’en apercevra, et ce que vous lui
avez dit ne lui fera aucune impression fâcheuse. S’il a tort, ce que
vous lui avez dit le tourmentant, il reviendra pour en apprendre
davantage, ce qui lui sera profitable.
— J’ai eu tort quand même, dit maître Pien. Il ne faut pas dire à un
homme ce qu’on comprend soi-même, si lui n’est pas capable de le
comprendre... Jadis le prince de Lou fit des offrandes et donna un
concert à un oiseau de mer qui s’était abattu aux portes de sa
ville (177). L’oiseau mourut de faim, de soif et de terreur. Le prince
aurait dû le traiter, non pas à sa manière, mais à la manière des
oiseaux ; alors le résultat aurait été différent, favorable et pas fatal.
J’ai agi comme le prince de Lou, en parlant du sur-homme à cet
imbécile de Sounn-hiou.. Conduire une souris avec char et
chevaux, donner à une caille un concert de cloches et de tambours,
c’est épouvanter ces petites créatures. Je dois avoir affolé Sounn-
hiou.
*
**
Léon WIEGER — Les pères du système taoïste 263
CHAPITRE 20
Obscurité voulue
Tch20.D. ▲ ►Après que Confucius, bloqué durant sept jours, avec ses
disciples, sur la frontière des principautés de Tch’enn et de Ts’ai, eut failli
périr de ╓373 famine, le grand-duc Jenn lui présenta ses condoléances en ces
termes :
— Maître, cette fois vous avez vu la mort de près.
— Oui, dit Confucius.
— Vous a-t-elle fait peur ?
— Oui, dit Confucius.
— Alors, dit le grand-duc Jenn, je vais vous donner la recette qui
préserve des dangers de mort... Au bord de la mer orientale, se
trouve l’oiseau I-tai, qui vit par bandes. Chaque individu se défiant
de soi-même, ils volent toujours appuyés l’un contre l’autre, Dans
un ordre parfait, aucun ne quittant le gros, ni pour avancer, ni pour
reculer. Quand ils mangent, c’est également en troupe, aucun ne
s’écartant pour happer une meilleure bouchée, chacun picorant à
son rang. Cette belle ordonnance les protège contre les animaux et
contre les hommes, contre tous les accidents. Ainsi en va-t-il de
l’homme, qui vit comme et avec les autres, qui ne fait pas bande à
part, comme vous Confucius faites. Pour éviter le malheur, il faut
encore se garder d’affecter des qualités ou des talents
extraordinaires, comme vous faites. L’arbre le plus droit, sera le
premier abattu. Le puits dont l’eau est la plus douce, sera le
premier asséché. Votre science effarouche les ignorants, vos
lumières offusquent les sots. N’accaparez pas le soleil et la lune.
Ce sont vos prétentions, qui vous attirent vos malheurs. Jadis j’ai
ouï ceci d’un homme de haut mérite : Se vanter, c’est se fermer la
voie de la fortune ; si on a déjà mérites et renom, c’est s’attirer la
spoliation. S’effacer, se cacher dans la masse, voilà la sécurité...
Suivre le flot sans se distinguer, aller son chemin sans se faire
remarquer, modestement, simplement, jusqu’à se faire passer pour
vulgaire ; effacer le souvenir de ses mérites et faire oublier sa
réputation ;voilà le secret pour vivre en paix avec les hommes. Le
sur-homrne recherche l’obscurité. Pourquoi cherchez-vous, vous,
la notoriété ?
— Merci, dit Confucius.
Et, interrompant ses relations ordinaires, après avoir congédié ses
disciples, il se cacha dans les roseaux d’un marais, s’habilla de peaux, se
nourrit de glands et de châtaignes. A la longue il retourna si parfaitement à
l’état de nature, que sa présence ne fit plus peur aux quadrupèdes et aux
oiseaux. Les hommes finirent même par le trouver supportable.
Léon WIEGER — Les pères du système taoïste 267
Tch20.F. Habillé d’une robe en grosse toile rapiécée, ses souliers attachés
aux pieds avec des ficelles, Tchoang-tzeu rencontra le roitelet de Wei.
— Dans quelle détresse je vous vois, maître, dit le roi.
Léon WIEGER — Les pères du système taoïste 268
son arbalète. Sur le tronc ombragé d’un arbre, une cigale prenait le frais,
absorbée dans sa musique. Une mante carnassière l’attaqua. Le grand oiseau
fondit sur les deux, ce qui donna à Tchoang-tcheou l’occasion de l’abattre.
Tandis qu’il le ramassait, voilà se dit-il comme l’égoïsme et l’antagonisme
portent les êtres, qui ont pourtant tous une même nature, à se détruire les uns
les autres !.. Comme il sortait du bois, peu s’en fallut que le garde ne le saisit,
pour braconnage.
Rentré chez lui, Tchoang-tcheou s’enferma durant trois mois. Son disciple
Linn-tsu lui ayant demandé la raison de ce long confinement, il dit :
— J’ai employé ce temps à me convaincre, que, pour vivre
longtemps, il ne faut pas guerroyer avec les autres, mais faire et
penser comme tout le monde. A toujours batailler, on finit par
avoir son tour. J’ai appris cela du grand oiseau, et du garde-chasse
de Tiao-ling (179).
*
**
Léon WIEGER — Les pères du système taoïste 271
CHAPITRE 21
Action transcendante
Tch21.E. ►Tchoang-tzeu ayant visité le duc Nai de Lou, celui-ci lui dit :
— Il y a, dans le duché de Lou, beaucoup de lettrés ; mais aucun,
Maître, n’est comparable à vous.
— Il n’y a que peu de lettrés dans le duché de Lou, repartit
Tchoang-tzeu.
— Comment pouvez-vous parler ainsi, fit le duc, alors qu’on ne
voit partout qu’hommes portant le costume des lettrés ?
— Le costume, oui, fit Tchoang-tzeu. Ils annoncent, par leur
bonnet rond, qu’ils savent les choses du ciel ; par leurs souliers
carrés, qu’ils savent les choses de la terre ; par leurs pendeloques
sonores, qu’ils savent mettre l’harmonie partout. Certains savent
tout cela, sans porter leur costume. Eux portent le costume, sans
savoir la chose. Si vous ne me croyez pas, faites cette expérience :
interdisez par un édit, sous peine de mort, le port de l’habit de
lettré, à quiconque n’a pas la capacité compétente.
Le duc Nai fit ainsi. Cinq ╓385 jours plus tard, tous les lettrés de Lou, un
seul excepté, avaient changé de costume. Le duc interrogea lui-même sur le
gouvernement de l’État, cet être unique. Il répondit à tout pertinemment, sans
qu’il fût possible de le démonter.
— Vous disiez, dit Tchoang-tzeu au duc, qu’il y avait, dans le
duché de Lou, beaucoup de lettrés. Un, ce n’est pas beaucoup.
Tch21.F. Pai-li-hi n’ayant aucun goût pour les dignités et les richesses, se
fit éleveur de bétail, et produisit des bœufs superbes, son instinct naturel lui
révélant comment les traiter selon leur nature. Ce que voyant, le duc Mou de
Ts’inn le fit son ministre, afin qu’il développât son peuple.
Chounn n’aimait pas la vie et ne craignait pas la mort. C’est ce qui le
rendit digne et capable de gouverner les hommes.
Léon WIEGER — Les pères du système taoïste 276
Tch21.G. Le prince Yuan de Song ayant désiré faire tracer une carte, les
scribes convoqués se présentèrent, reçurent ses instructions, firent des saluts ;
puis, les uns découragés s’en allèrent ; les autres léchèrent leurs pinceaux,
broyèrent leur encre, avec mille embarras. Un scribe venu après l’heure avec
des airs nonchalants, reçut aussi ses instructions, salua, et se retira
immédiatement dans son réduit. Le duc envoya voir ce qu’il faisait. On
constata qu’il s’était mis à son aise, nu jusqu’à la ceinture, les jambes croisées,
et commençait par se reposer. Quand le duc le sut :
— Celui-là, dit-il, réussira ; c’est un homme qui sait s’y
prendre (181).
Tch21.H. Le roi Wenn, l’ancêtre des Tcheou, étant à Tsang, vit un homme
qui pêchait à la ligne, nonchalamment, machinalement, la nature seule
agissant en lui, sans mélange de passion. Le roi Wenn résolut aussitôt d’en
faire son ministre. Mais, ayant pensé ensuite au mécontentement probable de
ses parents et de ses officiers, il voulut chasser cette idée de sa tête.
Impossible ! La crainte que son peuple fût sans ciel (sans un ministre qui le
gouvernât naturellement comme le ciel), fit qu’il ne put pas oublier son
dessein. Il s’avisa alors du moyen suivant. Au matin, ayant convoqué ses
officiers, il leur dit :
— Cette nuit j’ai vu en songe un homme à l’air bon, au teint
basané, barbu, monté sur un cheval pommelé aux sabots teints en
rouge, qui m’a crié : remets ton pouvoir à l’homme de Tsang, et
ton peuple s’en trouvera bien.
Très émus, les officiers s’écrièrent :
— C’est feu le roi votre père qui vous a apparu.
— Alors, dit le roi Wenn, vous plaît-il que nous consultions
l’écaille de tortue sur cet événement ?
— Non, non ! dirent les officiers, à l’unanimité. Un ordre verbal du
feu roi ne doit pas être discuté.
Le roi Wenn fit donc appeler son pêcheur à la ligne, et lui remit la charge
du gouvernement. Celui-ci ne changea rien, ne fit aucun règlement, ne donna
aucun ordre. Au bout de trois ans, quand le roi Wenn inspecta son royaume, il
constata que les brigands avaient disparu, que les officiers étaient intègres,
que les régales étaient respectées. Les gens du peuple vivaient unis, les
fonctionnaires faisaient leur devoir, les feudataires n’empiétaient pas. Alors le
roi Wenn traitant l’homme de Tsang comme son maître, l’assit face au sud, se
tint debout devant lui face au nord, et lui demanda :
Léon WIEGER — Les pères du système taoïste 277
*
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Léon WIEGER — Les pères du système taoïste 279
CHAPITRE 22
Connaissance du Principe
Tch22.A. Connaissance étant allée vers le Nord jusqu’à l’eau noire, gravit
la montagne de l’obscurité, où elle rencontra Inaction. Connaissance dit à
Inaction :
— J’ai quelque chose à vous demander. Par quelle sorte de pensées
et de réflexions, arrive-t-on à connaître le Principe ? Quelle
position prendre, et que faire, pour le comprendre ? D’où partir, et
quelle voie suivre, pour l’atteindre ?
A ces trois questions, Inaction ne fit aucune réponse. Non qu’elle ne
voulût pas répondre, mais parce que, de vrai, elle ne sut pas que répondre.
N’ayant pas obtenu de réponse, Connaissance alla jusqu’à l’eau blanche,
monta sur la montagne de l’investigation, où elle vit Abstraction, et lui refit
ses trois questions.
— Ah ! fit Abstraction, je vais vous dire cela...
Comme elle allait parler, il se trouva qu’elle ne savait plus de quoi il
s’agissait.
Désappointée, Connaissance s’en fut au palais impérial, et posa ses trois
questions à Hoang-ti. Celui-ci lui dit :
— Pour arriver à connaître le Principe, il faut avant tout, ne pas
penser, ne pas réfléchir. Pour arriver à le comprendre, il faut ne
prendre aucune position, ne rien faire. Pour arriver à l’atteindre, il
faut ne partir d’aucun point précis, et ne suivre aucune voie
déterminée.
— Alors, demanda Connaissance, d’elles et de nous, qui a le mieux
agi ?
— C’est Inaction, dit Hoang-ti, parce qu’elle n’a rien dit du tout.
Puis Abstraction, qui a seulement failli parler. Nous deux avons eu
tort de parler. L’adage dit : qui sait, ne parle pas (parce qu’il sait
qu’il ne pourra pas exprimer ce qu’il sait) ; qui parle, montre qu’il
ne sait pas. Le Sage ne parle pas, même pour enseigner. Le
Principe ne peut pas être atteint, son action ne peut pas être saisie.
Tout ce qui peut s’enseigner et s’apprendre, comme la bonté,
l’équité, les rits, tout cela est postérieur et inférieur au Principe,
tout cela ne fut inventé que quand les vraies notions sur le Principe
Léon WIEGER — Les pères du système taoïste 280
différence est si petite, entre ce qu’on appelle une vie longue et une
vie courte ! Somme toute, c’est un moment, dans le cours infini
des temps. Beaucoup n’ont même pas le loisir de montrer s’ils ont
l’esprit d’un Yao (empereur vertueux) ou d’un Kie (tyran vicieux).
« L’évolution de chaque individu du règne végétal, suit une loi
déterminée. De même la loi qui préside à l’évolution humaine, est
comme un engrenage. Le Sage suit le mouvement, sans regimber,
sans s’accrocher. Prévoir et calculer, c’est artifice ; se laisser faire,
c’est suivre le Principe. C’est en laissant faire, que les empereurs et
les rois de la haute antiquité, se sont élevés et rendus célèbres.
# « Le passage de l’homme, entre le ciel et la terre, de la vie à la
mort, est comme le saut du coursier blanc, qui franchit un ravin
d’un bord à l’autre ; l’affaire d’un instant. Comme par l’effet d’un
bouillonnement, les êtres entrent dans la vie ; comme par l’effet
d’un écoulement, ils rentrent dans la mort. Une transformation les
a faits vivants, une transformation les fait morts. La mort, tous les
vivants la trouvent déplaisante, les hommes la pleurent. Et
cependant, qu’est-elle autre chose, que le débandage de l’arc, et sa
remise au fourreau ; que le vidage du sac corporel, et la remise en
liberté des deux âmes qu’il emprisonnait ? Après les embarras et
les vicissitudes de la vie, les deux âmes partent, le corps les suit
dans le repos. C’est là le grand retour (âmes et corps retournant
dans le tout).
« Que l’incorporel a produit le corporel, que le corps retourne à
l’incorporéité, cette notion de la giration perpétuelle est connue de
bien des hommes, mais l’élite seule en tire les conséquences
pratiques. Le vulgaire disserte volontiers sur ce sujet, tandis que le
sur-homme garde un profond silence. S’il essayait d’en parler, il
aurait forfait à sa science, par laquelle il sait qu’en parler est
impossible, et qu’on ne peut que le méditer. Avoir compris qu’on
ne gagne rien à interroger sur le Principe, mais qu’il faut le
contempler en silence, voilà ce qu’on appelle avoir obtenu le grand
résultat (avoir atteint le but) (185).
CHAPITRE 23
cœur, même pour l’amour de leurs semblables. Aussi sont-ils détestés comme
n’étant plus des hommes.
De tous les instruments de mort, le désir est le plus meurtrier ; le fameux
sabre Mouo-ye n’a pas tué tant d’hommes. Les pires assassins, sont, dit-on, le
yinn et le yang, auxquels nul n’échappe, de tous les hommes qui peuplent
l’entre-deux du ciel et de la terre. Et pourtant, de vrai, si le yinn et le yang
tuent les hommes, c’est que les appétits des hommes les livrent à ces
assassins.
Tch23.F. En cas de heurt, plus le heurté vous tient de près, moins on lui
fait d’excuses. On demande pardon au paysan étranger à qui l’on a marché sur
le pied ; mais le père ne demande pas pardon à son fils, dans la même occur-
rence. L’apogée des rits, c’est de n’en pas faire. L’apogée des convenances,
c’est de se moquer de tout. L’apogée de l’intelligence, c’est de ne penser à
rien. L’apogée de la bonté, c’est de ne rien aimer. L’apogée de la sincérité,
c’est de ne pas donner d’arrhes. Il faut réprimer les écarts des appétits. Il faut
corriger les aberrations de l’esprit. Il faut écarter tout ce qui gêne le libre
influx du Principe. Vouloir être noble, riche, distingué, respecté, renommé,
avantagé, voilà les six appétits. L’air, le maintien, la beauté, les arguments, la
respiration, la pensée, voilà ce qui cause les aberrations de l’esprit.
L’antipathie, la sympathie, la complaisance, la colère, la douleur, la joie, voilà
ce qui gêne le libre influx du Principe. Répulsion et attraction, prendre et
donner, savoir et pouvoir, autant d’obstacles. L’intérieur duquel ces vingt-
quatre causes de désordre ont été éliminées, devient réglé, calme, lumineux,
vide, non-agissant et pouvant tout.
Le Principe est la source de toutes les facultés actives, la vie est leur
manifestation, la nature particulière est une modalité de cette vie, ses
mouvements sont les actes, les actes manqués sont les fautes.
Les savants devisent et spéculent ; et, quand ils n’arrivent pas à voir plus
clair, ils font comme les petits enfants et regardent un objet.
N’agir que quand on ne peut pas faire autrement, c’est l’action ordonnée.
Agir sans y être obligé, c’est ingérence hasardeuse. Savoir et agir, doivent
marcher de concert.
Léon WIEGER — Les pères du système taoïste 296
*
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Léon WIEGER — Les pères du système taoïste 297
CHAPITRE 24
Simplicité
Tch24.G . Le roi de Ou, naviguant sur le Fleuve Bleu, descendit dans l’île
des singes. Ces animaux le voyant venir, s’enfuirent et se cachèrent dans les
taillis. Un seul resta, s’ébattant comme pour le narguer. Le roi lui décocha une
flèche. Le singe la happa au vol. Piqué, le roi ordonna à toute sa suite de
donner la chasse à ce singe impertinent, lequel succomba sous le nombre.
Devant son cadavre, le roi fit la leçon suivante à son favori Yen-pou-i :
— Ce singe a péri, pour m’avoir provoqué par l’ostentation de son
savoir-faire. Prends garde à toi ! Ne l’imite pas ! Ne m’agace pas
par tes bravades !
Effrayé, Yen-pou-i demanda à Tong-ou de le former à la simplicité. Au
bout de trois ans, tout le monde disait du bien de lui à qui mieux mieux.
— Où allez-vous ainsi ?
— Je déserte, dit celui-ci, le service de l’empereur Yao.
— Pourquoi cela ? demanda Nie-k’ue.
— Parce que cet homme se rend ridicule, avec sa bonté affectée. Il
croit faire merveille, en attirant les hommes. Quoi de plus banal
que cela ? Montrez de l’affection aux hommes, et ils vous
aimeront ; faites-leur du bien, et ils accourront ; flattez-les, et ils
vous exalteront ; puis, au moindre déplaisir, ils vous planteront là.
Certes la bonté attire ; mais les attirés viennent pour l’avantage qui
leur en revient, non pour l’amour de celui qui les traite bien. La
bonté est une machine à prendre les hommes, analogue aux pièges
à oiseaux. On ne peut pas, avec un même procédé, faire du bien à
tous les hommes, dont les natures sont si diverses. Yao croit, avec
sa bonté, faire du bien à l’empire, alors qu’il le ruine. C’est qu’il
voit, lui, de l’intérieur, et s’illusionne. Les Sages qui considèrent
de l’extérieur, ont vu juste dans son cas.
Notons, parmi les natures diverses des hommes, les trois classes suivantes,
les veules, les collants, les liants... Les veules apprennent les sentences d’un
maître, se les assimilent, les répètent, croyant dire quelque chose, alors que,
simples perroquets, ils ne font que réciter... Les collants s’attachent à qui les
fait vivre, comme ces poux qui vivent sur les porcs. Un jour vient où le
boucher, ayant tué le porc, le flambe. Il en arrive parfois autant aux parasites
d’un patron... Le type des liants, fut Chounn. ╓427 Il attirait par je ne sais quel
attrait, comme le suint attire les fourmis par son odeur rance. Le peuple aimait
l’odeur de Chounn. Chaque fois qu’il changea de résidence, le peuple le
suivit. Il en résulta que Chounn ne connut jamais la paix.
Eh bien, l’homme transcendant n’est ni veule, ni collant, ni liant. Il déteste
la popularité par-dessus tout. Il n’est pas familier. Il ne se livre pas. Tout à ses
principes supérieurs abstraits, il est bien avec tous, il n’est l’ami de personne.
Pour lui, les fourmis ne sont pas assez simples. Il est simple, comme les
moutons, comme les poissons. Il tient pour vrai, ce qu’il voit, ce qu’il entend,
ce qu’il pense. Quand il agit spontanément, son action est droite comme une
ligne tirée au cordeau. Quand il est mené par les événements, il s’adapte à leur
cours.
Lutter contre le cours des choses, c’est vouloir sa ruine. Ainsi le ministre
Wenntchoung, en sauvant le royaume de Ue qui devait périr, causa sa propre
perte.
Il ne faut pas vouloir donner au hibou meilleur œil, et à la grue des jambes
plus courtes. Son lot naturel est ce qui convient le mieux à chacun.
Qui sait tirer parti de ses ressources naturelles, s’en tire toujours. Ainsi,
quoique le vent et le soleil font évaporer l’eau des fleuves, ceux-ci coulent
toujours, parce que les sources, leurs réserves naturelles, alimentent leur
cours.
Rien de plus constant, de plus fidèle, que les lois naturelles, comme celle
qui veut que l’eau découle des pentes, comme celle qui fait que les corps
opaques projettent une ombre.
Que l’homme se garde d’user ce que la nature lui a donné, par un usage
immodéré excessif. La vue use les yeux, l’ouïe use les oreilles, la pensée use
l’esprit, toute activité use l’agent. Et dire que certains sont fiers des abus
qu’ils ont commis en cette matière. N’est-ce pas là une illusion funeste ? !
CHAPITRE 25
Vérité
Tch25.C. Quand, après une longue absence, un homme est revenu dans sa
patrie, il éprouve un sentiment de satisfaction, que, ni la vue des tombes qui se
sont multipliées, ni les ruines que la végétation envahit, ni la disparition des
neuf dixièmes de ses connaissances, ne peuvent altérer. C’est qu’il revoit en
esprit ce qui fut jadis, abstrayant de ce qui est. C’est qu’il s’élève haut
au-dessus des circonstances actuelles.
Ainsi fait le Sage, impassible parmi les vicissitudes du monde,
contemplant en elles la nature inaltérable.
Ainsi fit le souverain légendaire Jan-siang. Il se tenait indifférent, au
centre du cercle tournant des choses de ce monde, laissant aller l’évolution
éternelle et indivise, lui seul restant non-transformé (à cause de son
indifférence) dans la transformation universelle. Cette position est unique.
Il ne faut pas vouloir imiter le ciel (à la manière de Confucius), par des
actes positifs. Il faut imiter le ciel, en laissant aller toutes choses. Voilà la
manière dont le Sage sert l’humanité. Il abstrait de tout, et suit son époque,
sans défaut et sans excès. Voilà l’union avec le Principe, la passive, la seule
possible. Chercher l’union active, c’est tenter l’impossible (195). Le ministre
de l’empereur T’ang, considéra sa charge plutôt comme honoraire. Il laissa
aller toutes choses, et se garda soigneusement d’appliquer les lois. Cela fit le
succès de son gouvernement. Maintenant, au contraire, Confucius voudrait
qu’on examinât à fond chaque chose, et qu’on fit de nombreux règlements. Il
oublie la parole si vraie de Joung-Tch’eng (un ancien taoïste) : additionner les
jours en années, supposer une substance sous les accidents, ce sont là des
erreurs provenant d’une conception fictive de la nature du temps, des êtres. La
réalité, c’est un présent éternel, une unité essentielle. La glose ajoute, il n’y a
même pas de moi et de toi.
appelle les maximes des hameaux. Elles font loi. Tout va bien dans
l’empire, à condition qu’on leur laisse leur libre cours. Tel le
Principe, indifférent, impartial, laisse toutes les choses suivre leur
cours, sans les influencer. Il ne prétend à aucun titre (seigneur,
gouverneur). Il n’agit pas. Ne faisant rien, il n’est rien qu’il ne
fasse (non en intervenant activement, mais comme norme évolutive
contenue dans tout). En apparence, à notre manière humaine de
voir, les temps se succèdent, l’univers se transforme, l’adversité et
la prospérité alternent. En réalité, ces variations, effets d’une
norme unique, ne modifient pas le tout immuable. Tous les
contrastes trouvent place dans ce tout, sans se heurter ; comme,
dans un marais, toute sorte d’herbes voisinent ; comme, sur une
montagne, arbres et rochers sont mélangés.
« Mais revenons aux maximes des hameaux. Elles sont
l’expression de l’expérience, laquelle résulte de l’observation des
phénomènes naturels.
— Alors, dit Chao-tcheu, pourquoi ne pas dire que ces maximes
sont l’expression du Principe ?
— Parce que, dit T’ai-koung-tiao, comme elles ne s’étendent qu’au
champ des affaires humaines, ces maximes n’ont qu’une étendue
restreinte, tandis que le Principe est infini. Elles ne s’étendent
même pas aux affaires des autres êtres terrestres, dont la somme est
à l’humanité comme dix mille est à un. Au-dessus des êtres
terrestres, sont le ciel et la terre, l’immensité visible. Au-dessus du
ciel et de la terre, sont le yinn et le yang, l’immensité invisible.
Au-dessus de tout, est le Principe, commun à tout, contenant et
pénétrant tout, dont l’infinité est l’attribut propre, le seul par lequel
on puisse le désigner, car il n’a pas de nom propre.
— # Alors, dit Chao-tcheu, expliquez-moi comment tout ce qui est,
sortit de cet infini ?
T’ai-koung-tiao dit :
— Emanés du Principe, le yinn et le yang s’influencèrent, se
détruisirent, se reproduisirent réciproquement. De là le monde
physique, avec la succession des saisons, qui se produisent et se
détruisent les unes les autres. De là le monde moral, avec ses
attractions et ses répulsions, ses amours et ses haines. De là la
distinction des sexes, et leur union pour la procréation. De là
certains états corrélatifs et successifs, comme l’adversité et la
prospérité, la sécurité et le danger. De là les notions abstraites,
d’influence mutuelle, de causalité réciproque, d’une certaine
évolution circulaire dans laquelle les commencements succèdent
aux terminaisons. Voilà à peu près ce qui, tiré de l’observation,
Léon WIEGER — Les pères du système taoïste 315
*
**
Léon WIEGER — Les pères du système taoïste 317
CHAPITRE 26
Fatalité
Tch26.C. Quand la fatalité pèse sur lui, il ne faut pas que le Sage
s’abandonne. Qu’il tienne bon, et la fortune pourra tourner en sa faveur.
Jenn-koung-tzeu s’étant muni d’un bon hameçon, d’une forte ligne, et de
cinquante moules pour servir d’appât, s’accroupit sur la côte de Hoei-ki et se
mit à pêcher dans la mer orientale. Il pêcha ainsi chaque jour, durant une
année entière, sans prendre quoi que ce fût. Enfin, soudain, un poisson énorme
avala son hameçon. Dûment ferré, il chercha en vain à s’enfoncer dans les
profondeurs, fut ramené à la surface, battit l’eau de ses nageoires à la faire
écumer, fit un bruit de diable qui s’entendit fort loin ; finalement il fut ╓443
dépecé, et tout le pays en mangea ; enfin cette histoire fut racontée, chantée,
admirée dans les âges suivants. Supposons maintenant que, fatigué de sa
longue attente au bord de la mer, Jenn-koung-tzeu s’en soit allé pêcher au
goujon dans les mares, jamais il n’aurait pris cette belle pièce, ni acquis sa
célébrité. Ainsi ceux qui, désertant l’idéal, s’abaissent à flatter de petits
maîtres.
Tch26.F. ◙ Il en est qui savent présager la fatalité qui menace les autres,
et ne s’aperçoivent pas de celle qui les menace eux-mêmes. Une nuit le prince
Yuan de Song vit en songe une figure humaine éplorée se présenter à la porte
de sa chambre à coucher et lui dire :
— Je viens du gouffre de Tsai-lou. Le génie du Ts’ing-kiang m’a
député vers celui du Fleuve Jaune. En chemin, j’ai été pris par le
pêcheur U-ts’ie.
A son réveil, le prince Yuan ordonna que les devins examinassent son
songe. Ils répondirent :
— L’être qui vous est apparu, est une tortue transcendante.
Le prince demanda :
Léon WIEGER — Les pères du système taoïste 320
Tch26.I. A condition qu’il n’y ait pas d’obstacle, l’œil voit, l’oreille
entend, le nez sent, la bouche goûte, le cœur perçoit, l’esprit produit les actes
convenables. Pans toute voie, l’essentiel est qu’il n’y ait pas d’obstruction.
Toute obstruction produit étranglement, arrêt des fonctions, lésion de la vie.
Pour leurs actes vitaux, les êtres dépendent du souffle. Si ce souffle n’est pas
abondant dans un homme, la faute n’en est pas au ciel, qui jour et nuit l’en
pénètre ; elle est en lui, qui obstrue ses voies, par des obstacles physiques ou
moraux.
Pour la conception, le creux de la matrice doit être bien perméable à
l’influx du ciel, ce qui suppose la perméabilité de ses deux avenues des deux
trompes). Pour l’entretien de la vie, le creux du cœur doit être bien perméable
Léon WIEGER — Les pères du système taoïste 322
à l’influx du ciel, ce qui suppose la perméabilité de ses six valves. Quand une
maison est encombrée, la belle-mère et la belle-fille, manquant d’espace, se
disputent. Quand les orifices du cœur sont obstrués, son fonctionnement
devient irrégulier.
La vue de la beauté séduit l’esprit. La valeur dégénère en ambition,
l’ambition en brutalité, la prudence en obstination, la science en disputes, la
plénitude en pléthore. Le bien public a produit l’administration et le
fonctionnarisme.
Au printemps, sous l’action combinée de la pluie et du soleil, les herbes et
les arbres poussent luxuriants. La faux et la serpe en retranchent une moitié ;
l’autre reste. Ni les retranchés, ni les restés, ne savent le pourquoi de leur sort.
Fatalité !
Tch26.L. Quand le poisson est pris, on oublie la nasse. Quand le lièvre est
capturé, le piège n’a plus d’intérêt. Quand l’idée est transmise, peu importent
les mots qui ont servi à la convoyer. Combien (moi Tchoang-tzeu) je voudrais
n’avoir affaire qu’à des hommes, pour lesquels les idées seraient tout, les mots
n’étant rien (197).
*
**
Léon WIEGER — Les pères du système taoïste 323
CHAPITRE 27
Verbe et mots
Tch27.C. Tseng-tzeu fut deux fois fonctionnaire, dans des états d’esprit
qu’il explique ainsi :
— Durant ma première charge, j’eus un traitement de trente et
quelques boisseaux de grain seulement ; mais, mes parents encore
vivants pouvant en profiter, je remplis cette charge avec plaisir.
Durant ma seconde charge, j’eus un traitement de cent quatre-vingt
douze mille boisseaux ; mais, mes parents défunts ne pouvant plus
en profiter, je remplis cette charge avec déplaisir.
Les disciples demandèrent à Confucius :
— N’y a-t-il pas, dans cette conduite de Tseng-chenn, quelque
attache de cœur vicieuse ?
Léon WIEGER — Les pères du système taoïste 325
*
**
Léon WIEGER — Les pères du système taoïste 327
CHAPITRE 28 (201)
Indépendance
Tch28.A. Yao ayant voulu céder son trône à Hu-You, celui-ci refusa.
Alors Yao l’offrit à Tzeu-tcheou-tcheu-fou, lequel refusa aussi, non qu’il se
crût incapable, mais parce qu’il souffrait d’une atrabile, que les soucis du
gouvernement auraient aggravée. Il préféra le soin de sa vie, au soin de
l’empire. Combien plus aurait-il préféré le soin de sa vie à des soins
moindres ?
A son tour, Chounn offrit son trône à Tzeu-tcheou-tcheu-pai. Celui-ci
refusa sous prétexte d’une mélancolie, que les soucis aggraveraient. Bien sûr
qu’il n’aurait pas nui à sa vie, pour chose moindre. Voilà comme les disciples
du ╓455 Principe différent du commun, (entretenant leur vie, que le vulgaire
use par ambition). Alors Chouan offrit l’empire à Chan-kuan, qui le refusa, en
ces termes :
— Habitant de l’univers et soumis à ses révolutions, en hiver je
m’habille de peaux et en été de gaze ; au printemps je cultive sans
trop me fatiguer, et en automne je récolte ce qui m’est nécessaire ;
j’agis le jour, et me repose la nuit. Je vis ainsi, sans attache, entre
ciel et terre, satisfait et content. Pourquoi m’embarrasserais-je de
l’empire ? C’est me connaître bien mal, que de me l’avoir offert..
Cela dit, pour couper court à de nouvelles instances, il partit et se retira
dans les profondeurs des montagnes. Personne ne sut où il se fixa.
Alors Chouan offrit l’empire à l’ancien compagnon de sa vie privée, le
métayer Cheu-hou, qui le refusa, en ces termes :
— Si vous qui êtes fort et habile, n’en venez pas à bout, combien
moins moi, qui ne vous vaux pas...
Cela dit, pour éviter d’être contraint, il s’embarqua sur mer avec sa femme
et ses enfants, et ne reparut jamais.
T’ai-wang Tan-fou, l’ancêtre des Tcheou, étant établi à Pinn, était sans
cesse attaqué par les Ti nomades. Quelque tribut qu’il leur payât, pelleteries et
soieries, chiens et chevaux, perles et jade, ils n’étaient jamais satisfaits, car ils
convoitaient ses terres. Tan-fou se dit :
— Mes sujets sont mes frères, mes enfants ; je ne veux pas être la
cause de leur perte.
Ayant donc convoqué ses gens, il leur dit :
Léon WIEGER — Les pères du système taoïste 328
l’officier se présenta chez lui, Lie-tzeu le salua très civilement, mais refusa le
don. Après son départ, la femme de Lie-tzeu, se frappant la poitrine de
douleur, lui dit :
— La femme et les enfants d’un Sage, devraient vivre à l’aise et
heureux. Jusqu’ici nous avons souffert de la faim, parce que le
prince nous a oubliés. Or voici que, se souvenant de nous, il nous a
envoyé de quoi manger. Et vous l’avez refusé ! N’avez-vous pas
agi contre le destin ?
— Non, dit Lie-tzeu en riant, je n’ai pas agi contre le destin, car ce
n’est pas le prince qui nous a envoyé ce grain. Quelqu’un a parlé
favorablement de moi au ministre, lequel a envoyé ce grain ; si ce
quelqu’un avait parlé de moi défavorablement, Il aurait envoyé ses
sbires, tout aussi bêtement. Hasard et non destin, voilà pourquoi
j’ai refusé. ╓459 Je ne veux rien devoir à Tzeu-yang.
Peu de temps après, Tzeu-yang fut tué par la populace, dans une
émeute (204).
se seraient cassées. S’il avait essayé de mettre le pied entier dans ses
chaussures, le talon se serait séparé du reste. S’il avait tiré les manches de sa
robe, elles lui seraient restées dans les mains. Et néanmoins, vêtu de haillons
et chaussé de savates, il chantait les hymnes de la dynastie Chang, d’une voix
qui retentissait dans l’espace comme le son d’un instrument de bronze ou de
silex. L’empereur ne put pas le décider à le servir comme ministre, les grands
feudataires ne purent pas le décider à s’attacher à eux comme ami. Il fut le
type des esprits indépendants et libres. Qui tient à sa liberté, doit renoncer aux
aises du corps. Qui tient à sa vie, doit renoncer aux dignités. Qui tient à
l’union avec le Principe, doit renoncer à toute attache.
Tch28.I. Chounn (206) ayant offert son empire à son ancien ami Ou-tchai :
— Fi donc ! dit celui-ci. Vous avez quitté les champs pour la cour,
et maintenant vous voulez que moi aussi je me dégrade. Je ne vous
connais plus !..
Cela dit, Ou-tchai alla se jeter dans le gouffre de Ts’ing-ling.
Avant d’attaquer (le tyran) Kie, (le futur empereur) rang consulta
Pien-soei, qui lui répondit :
— Cela n’est pas mon affaire...
— Alors qui consulterai-je ? demanda Chang...
— Je ne sais pas, dit Pien-soei...
Chang s’adressa à Ou-koang, qui répondit aussi, ce n’est pas mon affaire,
je ne sais pas... Alors T’ang dit :
— Si je demandais conseil à I-yinn ?..
— Parfait ! dit Ou-koang. Grossier et plat, cet homme a ce qu’il
faut pour servir vos desseins ; il n’a d’ailleurs que cela.
Conseillé par I-yinn, Chang attaqua Kie, le vainquit, puis offrit le trône à
Pien-soei. Celui-ci dit :
— Mon refus de vous donner aucun conseil, aurait dû vous faire
comprendre que je ne veux pas avoir de part avec un voleur ; et
voilà que vous m’offrez votre butin ! Faut-il que ce siècle soit
pervers, pour qu’un homme sans conscience vienne par deux fois
essayer de me souiller par son contact ! On ne me fera pas une
troisième fois pareille injure...
Cela dit, Pien-soei se noya dans la rivière Tcheou.
Alors T’ang offrit le trône à Ou-koang, avec ce boniment :
Léon WIEGER — Les pères du système taoïste 335
Cette détermination prise, les deux Sages allèrent vers le Nord jusqu’au
mont Cheou-yang, où ils moururent de faim. L’exemple de ces deux hommes
est admirable. Richesses et honneurs leur étant inopinément offerts, ils ne se
laissèrent pas séduire, ils ne dévièrent pas de leurs nobles sentiments, qui
peuvent se résumer en cette maxime, ne pas s’asservir au monde.
*
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Léon WIEGER — Les pères du système taoïste 337
CHAPITRE 29
Politiciens
*
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Léon WIEGER — Les pères du système taoïste 346
CHAPITRE 30
Spadassins
Tch30.B. Alors le roi fit faire l’exercice à ses spadassins, durant sept
jours de suite. Plus de soixante furent tués ou blessés. Le roi choisit les cinq
ou six plus habiles, les rangea au bas de la grande salle, l’épée à la main, prêts
à combattre, puis ayant mandé Tchoang-tzeu , il lui dit :
— Je vais vous mettre en présence de ces maîtres...
— J’ai dû attendre assez longtemps, dit Tchoang-tzeu.
— Quelles sont les dimensions de votre épée ? demanda le roi.
— Toute épée me va, dit Tchoang-tzeu. Cependant, il en est trois
que je préfère. A votre choix.
— Expliquez-vous, dit le roi.
— Ce sont, dit Tchoang-tzeu, l’épée de l’empereur, l’épée du
vassal, l’épée du vulgaire.
— Qu’est-ce que l’épée de l’empereur ? demanda le roi...
Léon WIEGER — Les pères du système taoïste 348
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Léon WIEGER — Les pères du système taoïste 349
CHAPITRE 31
Le vieux pêcheur
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Léon WIEGER — Les pères du système taoïste 354
CHAPITRE 32
Sagesse
Tch32.A. ╓491 Lie-uk’eou (Lie-tzeu) qui allait à Ts’i, revint alors qu’il
était à mi-chemin. Il rencontra Pai-hounn-ou-jenn qui lui demanda :
— Pourquoi revenez-vous ainsi sur vos pas ?
— Parce que j’ai eu peur, dit Lie-uk’eou.
— Peur de quoi ? fit Pai-hounn-ou-jenn.
— Je suis entré, dit Lie-uk’eou, dans dix débits de soupe, et cinq
fois on m’a servi le premier.
— Et vous avez eu peur, fit Pai-hounn-ou-jenn?.. de quoi ?
— J’ai pensé, dit Lie-uk’eou, que malgré mon strict incognito, mes
qualités transparaissaient sans doute à travers mon corps. Car
comment expliquer autrement cette déférence, de la part de gens si
vulgaires ? Si j’étais allé jusqu’à Ts’i, peut-être que le prince, ayant
connu lui aussi ma capacité, m’aurait chargé du soin de sa
principauté qui le fatigue. C’est cette éventualité qui m’a effrayé et
fait revenir sur mes pas.
— C’est bien pensé, dit Pai-hounn-ou-jenn; mais je crains bien
qu’on ne vous relance à domicile.
Et de fait, peu de temps après, Pai-hounn-ou-jenn étant allé visiter
Lie-uk’eou, vit devant sa porte une quantité de souliers. Il s’arrêta, appuya son
menton sur le bout de sa canne, songea longuement, puis se retira. Cependant
le portier avait averti Lie-uk’eou. Saisissant ses sandales, sans prendre le
temps de les chausser, celui-ci courut après son ami. L’ayant rattrapé à la
porte extérieure, il lui dit :
— C’est ainsi que vous partez, sans m’avoir donné aucun avis ?
— A quoi bon désormais ? fit Pai-hounn-ou-jenn. Ne vous avais-je
pas averti qu’on vous relancerait à domicile ? Je sais bien que vous
n’avez rien fait pour attirer tout ce monde, mais vous n’avez rien
fait non plus pour le tenir à distance. Maintenant que vous êtes
livré à la dissipation, à quoi vous serviraient mes avis ? Sans doute
vos visiteurs profiteront de vos qualités, mais vous pâtirez de leur
conversation. Pareilles gens ne vous apprendront rien. Les propos
du vulgaire sont un poison, non un aliment, pour un homme
comme vous. A quoi bon les intimités avec des gens qui sentent et
Léon WIEGER — Les pères du système taoïste 355
pas ╓495 agir comme le ciel, cela ne profite donc pas. Si vous
introduisiez un marchand dans la hiérarchie de vos officiers,
l’opinion publique s’en offenserait. Elle s’offenserait bien
davantage, si vous faisiez ministre ce trafiquant en politique. Cet
homme ne réussira à rien, et ne finira pas bien. Il est des crimes
extérieurs, que le bourreau punit. Il est des crimes intérieurs
(l’ambition de Confucius), que le yinn et le yang châtient (usure du
corps, mort prématurée). Seul le Sage échappe à la sanction pénale.
*
**
Léon WIEGER — Les pères du système taoïste 360
CHAPITRE 33
Écoles diverses
Tch33.A. ╓499 ►Bien des recettes pour gouverner le monde ont été
inventées par différents auteurs, chacun donnant la sienne pour la plus
parfaite. Or il s’est trouvé, que toutes étaient insuffisantes. Un seul procédé est
efficace, laisser agir le Principe, sans le contrecarrer. Il est partout, il pénètre
tout. Si les influx transcendants descendent du ciel et montent de la terre, si
des Sages sont produits, c’est grâce à lui, immanent dans le tout universel.
Plus son union avec le Principe est étroite, plus l’homme est parfait. Les
degrés supérieurs de cette union, font les hommes célestes, les hommes
transcendants, les sur-hommes. Puis viennent les Sages, qui savent
spéculativement, que le ciel, manifestation sensible du Principe, est l’origine
de tout ; que son action est la racine de tout ; que tout sort du Principe, par
voie d’évolution, et y retourne. Enfin les princes appliquent pratiquement ces
idées, par leur bonté bienfaisante, leur équité rationnelle, les rits qui règlent la
conduite, la musique qui produit l’entente, un parfum de bienveillance qui
pénètre tout. Ainsi firent les princes de l’antiquité, conseillés par leurs sages.
Ils distinguèrent les cas, et leur appliquèrent des lois. Ils qualifièrent et
dénommèrent. Ils approfondirent toutes choses, par la considération et
l’examen. Enfin, tout étant mis au clair, ils prirent des mesures réglées comme
un deux trois quatre. Depuis lors l’engrenage des officiers fonctionna. les
affaires suivirent leur cours, le soin du peuple devint la grande affaire,
l’élevage du bétail fut encouragé ; les vieillards et les enfants, les orphelins et
les veuves, devinrent l’objet d’une grande sollicitude ; tout ce qu’il fallait faire
raisonnablement pour le bien commun fut fait. En prenant cette peine, les
anciens collaboraient avec les Influx transcendants célestes et terrestres, avec
l’action du ciel et de la terre. Ils nourrissaient les vivants, maintenaient la paix,
étendaient leurs bienfaits à tous. Des principes parfaitement pénétrés, ils
tiraient des applications variées, agissant dans toutes les directions, sur les
êtres les plus divers. Les vieilles lois transmises d’âge en âge, conservées
encore en grand nombre dans les histoires, témoignent de la science théorique
et pratique des anciens.
► Puis vinrent les Odes, les Annales, les Rits, les traités sur la musique,
des lettrés de Tseou et de Lou, des maîtres officiels des principautés. Dans leur
idée, les Odes sont un code de morale, les Annales un répertoire de faits, les
Rits une règle de conduite, la musique un moyen pour produire la concorde,
les mutations un procédé pour connaître les mouvements du yinn et du yang,
les chroniques un moyen de distinguer les réputations vraies des fausses.
Léon WIEGER — Les pères du système taoïste 361
Répandus des provinces centrales dans tout l’empire, ces écrits devinrent le
thème sur lequel les lettrés s’exercèrent.
Puis vint un temps où l’empire étant tombé dans un grand désordre et étant
dépourvu de grands sages, d’autres principes furent inventés, les discussions
commencèrent, et chacun prétendit avoir raison. Ce fut comme la dispute des
oreilles et des yeux avec le nez et la bouche, qui ne purent jamais s’accorder,
chaque sens ayant raison, mais quant à son objet propre seulement. Ainsi les
diverses écoles ont chacune sa spécialité, bonne en temps et lieu ; mais aucune
n’embrassant tout, n’a le droit d’exclure les autres. ■ Comment un seul lettré,
tapi ╓501 dans un coin, s’arrogerait-il de juger de l’univers et de ses lois, de
tout ce que firent et dirent les anciens ? Qui est qualifié pour s’ériger ainsi en
juge des choses et des intelligences ?.. La science du Principe étant tombée en
oubli, les hommes n’agissant plus que d’après leurs passions, les chefs des
diverses écoles s’arrogèrent ce droit de juger et de condamner tout et tous. Ils
perdirent de vue l’unité primordiale, qui avait été la grande règle des anciens.
Par leurs explications différentes, ils divisèrent en plusieurs, la doctrine jadis
une de l’empire.
dévouer sans repos ni relâche, mettre leur perfection dans la souffrance pour
l’amour du grand U, sans qu’aucune velléité ne leur vint de les imiter.
D’ailleurs, s’ils ne s’entendirent pas avec les autres dès l’abord, bientôt les
sectateurs de Mei-ti ne s’entendirent plus non plus entre eux. K’inn de
Siang-li, K’ou-hoai, Ki-tch’eu, Teng-ling-tzeu et autres, prétendirent chacun
être le dépositaire des véritables idées de Mei-ti, et s’attaquèrent les uns les
autres. A l’instar des sophistes, ils dissertèrent sur la substance et les
accidents, sur les ressemblances et les dissemblances, sur le compatible et
l’incompatible. Leurs plus habiles disciples fondèrent autant de petites sectes,
qu’ils espèrent devoir durer. Jusqu’à présent, leurs discussions continuent.
Somme toute, il y eut du bon, dans les intentions de Mei-ti et de
K’inn-hoali, mais ils se ╓503 trompèrent dans la pratique. L’obligation qu’ils
imposèrent à tous de se dévouer et de se sacrifier à l’extrême, aurait produit, si
elle avait trouvé écho, quelque chose de supérieur au vil égoïsme, mais
d’inférieur au système naturel (ne rien faire et laisser faire). Cependant,
honneur à Mei-ti ! Ce fut le meilleur homme de l’empire. Quoique ses efforts
soient restés stériles, son nom n’est pas à oublier. Ce fut un lettré de talent.
tout le monde. Leur doctrine fut incomplète, défectueuse. Ils eurent pourtant
quelque idée du Principe, et approchèrent du taoïsme.
pas. Une flèche qui touche la cible, n’avance plus ╓509 et n’est pas arrêtée. Un
chien n’est pas un chien. Un cheval brun, plus un bœuf noir, font trois. Un
chien blanc est noir. Un poulain orphelin n’a pas eu de mère. ●Une longueur
de un pied, qu’on diminue chaque jour de moitié, ne sera jamais réduite à
zéro.
□ C’est sur ces sujets et d’autres semblables, que ces sophistes discutèrent
leur vie durant, sans être jamais à court de paroles. ■ Hoan-t’oan et Koung-
sounn loung excellèrent à donner le change, à semer des doutes, à mettre les
gens à quia, mais sans jamais convaincre personne de quoi que ce soit,
enlaçant seulement leurs patients dans le filet de leurs fallacies, triomphant de
voir qu’ils n’arrivaient pas à se débrouiller. Hoei-cheu usa tout son temps et
toute son intelligence à inventer des paradoxes plus subtils que ceux de ses
émules. C’était là sa gloire. Il se savait très fort, et se disait volontiers sans
pareil au monde. Hélas ! s’il avait le dessus, Hoei-cheu n’avait pas raison pour
cela... Un jour un méridional malin du nom de Hoang-leao, lui demanda de lui
expliquer pourquoi le ciel ne s’effondrait pas, pourquoi la terre ne s’enfonçait
pas, pourquoi il ventait, pleuvait, tonnait, et le reste ? Gravement et
bravement, Hoei-cheu entreprit de satisfaire ce farceur. Sans un moment de
réflexion préalable, il se mit à parler, parler, parler encore, sans prendre
haleine, sans arriver à aucun bout. Contredire était son bonheur, réduire au
silence était son triomphe. Tous les sophistes et rhéteurs avaient peur de lui...
Pauvre homme ! sa force ne fut que faiblesse, sa voie fut un sentier étroit.
Comme efficace, son activité prodigieuse ne fut, à l’univers, pas plus que le
bourdonnement d’un moustique, un bruit inutile. S’il avait employé son
énergie à s’avancer vers le Principe, combien cela eût mieux valu ! Mais
Hoei-cheu ne fut pas homme à trouver la paix dans des considérations
sérieuses. Il s’éparpilla en vains efforts, et ne fut qu’un rhéteur verbeux. Il fit
tout le contraire de ce qu’il eût fallu faire. Il cria pour faire taire l’écho, et
courut pour attraper son ombre. Pauvre homme !
*
**
Léon WIEGER — Les pères du système taoïste 367
N O T E S
[css : on trouvera sur ce site de très nombreuses traductions en diverses langues occidentales
de l’œuvre de Lao-tzeu (en Français, celles de Conradin von Lauer et d’Albert de
Pouvourville, — voir aussi, ailleurs, celle de Stanislas Julien, de Claude Larre et d’ Olivier
Nyssen — voir le texte chinois); et sur dao-house, de très nombreux liens sur des sites
anglophones traitant du taoïsme]
Notes Lie-tzeu
(1) Un condisciple. Humilité rituelle. On ne doit pas se donner pour le disciple d’un homme
illustre, crainte de lui faire honte.
(2) Textuellement le chapitre 6 de Lao-tzeu. Voyez page ╓23 .
(3) Proprement, grand dévidage. Le cours régulier des choses, telles qu’elles sont, dans le
monde tel qu’il est.
(4) Sept est, je pense, une allusion à la genèse des sept corps célestes, les sept recteurs de la
philosophie chinoise. Neuf, le dernier des chiffres simples, après lequel multiples à l’infini.
(5) De ce passage qui résume peut-être des légendes exotiques, la Glose dit fort bien :
Désordre apparent, mais, en réalité, toutes les formes de transformisme sont Parcourues ;
parthénogenèse, génération alternante, transformation dans une même classe (végétaux),
transformation dans deux ou plusieurs classes (végétaux, animaux, etc.), transformation
d’êtres inanimés en vivants, transformation avec ou sans mort intermédiaire. Si les taoïstes
avalent su ce que nous savons des aphidiens, des ténias, de tant de parasites, quelle joie !
(6) TH, Textes Historiques, pages 23, 24, 25, 47.
(7) TH pages 59, 85, 138, 149. — 27.
(8) Comparez Tchoang-tzeu chapitre 2 C, mise en œuvre quelque peu différente du même
thème.
(9) Hoei-yang n’était pas disciple de Confucius. Mais le triomphe des sophistes consistait à
mettre leur adversaire à quia sur sa propre thèse. Le roi de Sang ayant commencé par déclarer
qu’il délestait le Confucéisme, Hoei-yang lui prouve, sans y croire, que c’est la meilleure des
doctrines.
(10) Réalité, mémoire, imagination, rêve, extase, folie, etc.
(11) TH page 121.
(12) Probablement un roi, dont la légende a fait une femme. Vers le Pamir, peut-être.
(13) S’il est authentique, ce texte est le plus ancien qui parle de ce départ.
(14) Comparer le Rituel des Tcheou, livre 24.
(15) Pour les taoïstes, le sentiment est une erreur, l’émotion est une faute.
(16) Connaissance taoïste parfaite ; consonance de deux instruments accordés sur le même
ton, le cosmos et l’individu, perçue par le sens intime, le sens global.
(17) Sourire d’approbation. Lui aussi étant devenu taoïste, il n’avait rien à dire, dit la glose.
(18) Fiction, dit la glose. Confucius fait la leçon au ministre, en louant des Sages imaginaires,
de faire tout le contraire de ce qu’il faisait. Il ne faut pas vouloir tirer de ce texte un
renseignement géographique ou historique, qui n’y est pas contenu.
Léon WIEGER — Les pères du système taoïste 368
(19) Loung-chou est un indifférent taoïste presque parfait. Il ne lui reste plus qu’à se défaire
de l’illusion de prendre sa sagesse pour une maladie et de vouloir en guérir.
(20) Certains membres de ce paragraphe insérés uniquement pour cause de parallélisme, sont
ineptes. Le sens général est qu’il y a deux états, celui de vie et celui de mort ; que l’inaction
fait durer la vie, que l’action est un suicide. Nous savons cela.
(21) Comparez Tchoang-tzeu chapitre 33 G.
(22) Le texte le plus ancien, sur les îles des génies, probablement.
(23) C'est-à-dire, à la chinoise, qu'on faisait ce chemin, pour arriver au sommet.
(24) Tel que le ver à soie le produit ; il faut réunir plusieurs de ces filaments, pour faire un fil.
(25) Les automates étaient mus par la volonté de Yen-cheu, par continuité mentale. C'est donc
lui qui fit les œillades. Sa démonstration des viscères fut une duperie, pour sauver sa vie.
(26) Glose : Toute hésitation, une absence, le vertige, provient de ce que l'esprit n'est pas
maître du membre ou de l'instrument qui exécute. Il y a défaut dans le continu. Le fluide
intentionnel ne passe pas.
(27) La propriété merveilleuse de cette épée, consistait en ce qu'elle traversait, sans diviser ni
la cohésion ni la continuité.
(28) TH pages 85, 90, 91, 99.
(29) TH page 138.
(30) TH page 175 seq.
(31) Exorde inepte ; exercice de phrases parallèles.
(32) C’est à Lie-tzeu et à Tchoang-tzeu, que nous devons ce que nous savons de ce philosophe
épicurien égoïste, contre lequel Mencius s’agita beaucoup ; à supposer qu’il y ait du vrai, dans
ce qu’ils racontent de lui. Voir mes Textes philosophiques chap. X.
(33) De là la réputation d’égoïsme de Yang-tchou. Son égoïsme n’est qu’un point particulier
de son épicurisme général.
(34) TH pages 40, 47, 114, 180, 59, 85.
(35) Comparez chapitre 2 I.
(36) Comparez Lao-tseu chapitre 9.
(37) Comparez ci-dessus E. Même talent, pas le même tempe.
(38) TH page 148.
Notes Tchoang-tzeu
(105) ► Phrases allégoriques, qui furent prises au sens propre, plus tard.
(106) Coup de patte aux parangons confucéistes, qui sont pour les taoïstes, des êtres
inférieurs.
(107) Hoei-chou, ministre de Leang, sophiste, contradicteur perpétuel de Tchoang-tzeu, et
l’un de ses plastrons préférés.
(108) K’i, le maître de la banlieue du Sud, où il logeait.
(109) Glose : son corps paraissait avoir perdu sa compagne l’âme. Comparez, chap. 24 H.
(110) Maître Yen-You ou Yen-Tch’eng, ou Yen-neou.
(111) Glose : L’état de celui qui est absorbé dans l’être universel, dans l’unité. Il perd la
notion des êtres distincts.
(112) Touché ou raté la cible. Conformité ou non-conformité avec la souche.
(113) Négation du Souverain d’en haut des Annales et des Odes. Comparez Lao-tseu,chap.4E.
(114) L’âme humaine rentre dans cette catégorie.
(115) Coup de patte à un parangon confucéiste.
(116) Mécontents de devoir attendre, jusqu’au soir, la forte moitié de leur pitance. Comparez
Lie-tzeu chap. 2 Q
(117) Anecdote imaginaire. Coup de patte à deux parangons confucéistes.
(118) ► Métaphores qui furent prises au sens propre plus tard.
(119) Deux phases alternatives de l’existence.
(120) Quels anciens ? chinois ou indiens ? — Quel Seigneur ? le Souverain chinois des
Annales et des odes, ou le Prajapati védique maître de la vie et de la mort ? Le fagot fait
penser aux skandha.
(121) Concept taoïste de la survivance, de l’immortalité de l’âme. Glose : état de vie, état de
mort ; fagot lié, fagot délié. la mort et la vie, succession d’aller et de venir. L’être reste le
même ; celui qui est un avec l’être universel, où qu’il aille, il garde son moi. Le feu est au
fagot ce que l’âme est au corps ; elle passe à un corps nouveau, comme le feu passe à un autre
fagot, là le feu se propage sans s’éteindre, la vie se continue sans cesser.
(122) Dans ce morceau, Yen-Hoei professe le confucéisme. Confucius lui enseigne le taoïsme.
(123) Chenn-tchou leang, alias Chenn-tzeu kao.
(124) C’était un sage taoïste, qui passait pour fou. Comparez : Entretiens de Confucius, livre
IX, chapitre XVIII, 5.
(125) Comparez chap. 2 C.
(126) Le Tseu-tch’an mis ici en mauvaise posture, est un parangon confucéiste. Prince de
Tcheng, du sixième siècle, célèbre à divers titres ; surtout comme administrateur. Confucius
pleura amèrement sa mort.
(127) Parce qu’ils étaient uns, dans ce principe, avec les forces naturelles, lesquelles ne
mouillent, ne brûlent, ne blessent, ne détruisent, que leurs contraires. Quiconque est un avec le
Principe universel, est un avec le feu et l’eau, n’est ni brûlé ni mouillé, etc.
(128) Illusions, passions, goûts, tout cela est contraire à la vérité. L’air pur est, pour les
taoïstes, l’aliment par excellence des forces vitales.
Léon WIEGER — Les pères du système taoïste 370
(129) Glose : Etre actuellement un homme, c’est un épisode dans la chaîne de dix mille
transformations successives.
(130) L’absolu n’admettant pas d’épithètes relatives. Glose.
(131) Réminiscences ou fiction ? Rien à tirer des gloses. Je renvoie la question aux savants.
(132) Phases, périodes, de l’évolution une.
(133) Sont-ce là des surnoms d’hommes ? C’est possible, mais pas probable. Ces mots
signifient, et peuvent s’interprêter ainsi : Je n’ai pas tiré cette doctrine de mon imagination. Je
l’ai découverte, à force de méditer sur le mystère de l’origine.
(134) Comparez notes 120, 121.
(135) Lequel exige plutôt le calme, comme l’entrée dans le sommeil.
(136) Les deux alternances de la révolution cosmique, agents supérieurs du Principe, donnant
la vie ou la mort tandis que les parents, agents inférieurs, déterminent la vie seulement.
(137) Avec le Ciel, la Nature, le Principe, ajoute la Glose.
(138) Comparez chapitre 1 D.
(139) Dès qu’il s’est délivré de ce qui constitue essentiellement le Confucéisme, bonté, équité,
rits, musique, Yen-Hoei atteint à la contemplation taoïste, et Confucius est obligé de
l’approuver !
(140) Voilà le dernier cri ; l’acquiescement aveugle au tour de la roue universelle, qui
l’emporte toujours et qui le broie parfois ; le fatalisme taoïste.
(141) Comparez chapitre 4 H.
(142) Cette pièce importante n’est pas à sa place ici. Elle a été déplacée, probablement.
Comparez Lie-tzeu chapitre 2 L.
(143) Cheu-u alias Cheu-ts’iou. Entretiens de Confucius, livre VIII, chapitre XV.
(144) TH pages 189, 226.
(145) Lao-tzeu chapitre 36.
(146) Lao-tzeu chapitre 45. Chaque espèce d’être, dit la Glose, a son type naturel. Ainsi
chaque espèce d’araignée a sa forme de toile, chaque espèce de bousier a sa forme de boule,
spéciale mais invariable. Ainsi l’homme doit s’en tenir à peu de types simples et naturels, sans
les multiplier ni les enjoliver. Tout art est perversion.
(147) Lao-tzeu chapitre 80.
(148) Lao-tseu chapitre 13.
(149) TH pages 196 à 201.
(150) Les Immortels taoïstes sont presque toujours représentés dans des poses et avec des
gestes excentriques, marque de leur mépris pour la voie commune.
(151) Glose : La noblesse suprême consiste dans le mépris absolu des hommes et des choses
terrestres.
(152) L’autorité du maître est, en Chine, égale ou supérieure à celle des parents.
(153) Le Souverain des Annales et des Odes. Comparez Lao-tseu chapitre 4 E.
(154) Bête noire des Taoïstes qui lui imputent l’invention de la politique systématique.
Léon WIEGER — Les pères du système taoïste 371
(176) Tout effort est contre nature. Rien de ce qui est coutre nature, ne peut durer, parce que
c’est contre nature, et que la nature seuls dure.
(177) Comparez chapitre 18 E.
(178) Je n’ai pas, en réalité, de personnalité stable. J’ai été jadis, je ne sais pas qui ni quoi. Je
vais devenir, je ne suis pas qui ni quoi. Succession de sorties et de rentrées du et dans le grand
tout.
(179) La cigale, la mante, l’oiseau, l’arbalétrier, le garde, représentent les écoles
philosophiques et politiques du temps, toujours guerroyant et bataillant. La cigale, c’est
Confucius, hypnotisé par son ramage monotone. La mante contemplative et mordante, c’est
Lao-tseu. Les trois mois de retraite de Tchoang-tzeu, ne le convertirent pas. Il resta frondeur
et combatif.
(180) Comparez chapitre 3 A.
(181) On ne réussit, qu’à condition de laisser agir sa nature. La contrainte empêche le succès.
(182) Opportunisme confucéiste primant la morale. On voit que Confucius n’est pas bien
converti. Le bout de son oreille passe ici.
(183) Toute perturbation physique, est symptôme d’imperfection de la nature. Comparez Lie-
tzeu, chap. 2 E.
(184) La cécité, la surdité, sont, pour les taoïstes, des usures prématurées, par usage immodéré
de la force vitale.
(185) Ainsi Confucius est débouté de ses interrogations, et renvoyé à la contemplation, dont
sa vie affairée de politicien le rend incapable.
(186) Comparez ci-dessus A. Morceau analogue.
(187) Comparez chapitre 3 B.
(188) Le texte de ce chapitre très obscur, paraît avoir beaucoup souffert ; mutilations et
transpositions.
(189) Comparez Lao-tzeu, chapitre 3. De préjugés, d’attaches, de passions, d’illusions,
d’erreurs ?
(190) Comparez Meng-tzeu, V. I. 7 — V. I. 9.
(191) Les dadas confucéens, mortellement ennuyeux.
(192) Coup de patte aux politiciens à gages du temps.
(193) Comparez Lie-tzeu chap. 6 C.
(194) Comparez chapitre 2 A.
(195) Ici le texte est mutilé, probablement.
(196) Ni guerre, ni paix, mais laisser aller.
(197) Ce paragraphe est l’exorde disloqué du chapitre suivant.
(198) Certains critiques voient, dans ce paragraphe, la préface ou la postface de l’œuvre de
Tchoang-tzeu, égarée ici.
(199) Comparez Tchoang-tzeu chapitre 2 I.
(200) Comparez. Lie-tzeu chap. 2 N.
Léon WIEGER — Les pères du système taoïste 373
*
**
Léon WIEGER — Les pères du système taoïste 374
Léon WIEGER — Les pères du système taoïste 375
Le Principe
La Vertu du Principe.
son expansion :
Lie1b.
Tch12a, 12b, 12c, 13a, 13g, 25j.
son dévidage : Lao14b, 14c, 21a, 21c, 21d, 32b, 34a.
mystère de l’origine : Lao1c. — Tch2d, 12h, 22e, 22k, 25j.
le devenir : Tch14c.
la matière : Lie1c.
les êtres : Lie1b, 1c.
Unité réelle : Tch23e.
Distinction apparente : Lie1l, 3a, 3b, 3c.
Fumée et suie : Tch23e.
l’homme : Lie1o, 1g.
évolution ; la chaîne des transformations ; révolutions :
Lie1f, 1m, 1c,1g.
Léon WIEGER — Les pères du système taoïste 376
Tch6c, 6e, 6f, 6h,18b, 18d, 21k, 22e, 22k, 23e, 25j.
le métier cosmique :
Lie1e.
Tch18f.
périodes cosmiques : Lie1n.
le binôme ciel-terre :
Lao5, 79d.
Tch6f, 6k, 13c, 21d.
l’entre-deux, le soufflet : Lao5c.
le yinn et le yang, deux modes, alternance, la roue :
Lao42a
Lie1a, 1d, 1p, 2b, 2c.
Tch6f, 11a, 14c, 17a, 19g, 21d, 22b, 23d, 25j, 26a, 32e, 33a.
transformisme :
Lie1e, 5c.
Tch18f.
métempsycose : Lie1i, 1m.
Le grand Tout.
La Nature.
Artificiel, conventionnel.
sa genèse :
Lao18,19,38.
Tch9c, 11b, 16a, 16b, 21b, 21e, 33a.
ses suites funestes : Tch8a, 8b, 8c, 8d, 9a, 9b, 9c, 10d, l1a, 12o, 13b, 13e, 17a,
25g.
bonté et équité confucéennes :
Lao18, 19, 38.
Tch8b, 8d, 9c, 10b.
Taoïsme naturel, Confucéisme artificiel : Tch31b, 31c, 31d, 32f, 32g.
et pure convention :
les goûts : Tch8a.
les vertus : Tch8a.
tout art : Tch9a.
toute science :
Lao20a, 20e.
Tch25h.
le gouvernement : Tch9h.
Léon WIEGER — Les pères du système taoïste 378
la politique :
Lao27.
Tch9c, 10a, 29b.
toute règle des mœurs : Tch17a, 24e.
tout effort : Lao23.
Le Sage.
sa voie :
Lao15. -
Tch15a, 15b, 16b, 19e, 22e, 23b, 23c, 26h.
son union au Principe : Tch12i, 12k, 16b, 17a.
son abstraction, concentration, indifférence parfaites :
Lao52, 56... 20d, 34b, 50.
Lie4e, 4g, 4h, 4n, 81.
Tch1a, 1c, 2g, 3b, 11d, 19a, 19c, 19d, 19h, 20b, 23c, 23g.
abstinence du cœur : Tch4a, 4h, 6h, 6g, 7c.
il sourit à tout : 6c.
son désintéressement dédaigneux, effacement systématique, obscurité voulue :
Lao7a, 7b, 9c,13, 8c, 24, 28, 40, 61, 66, 68... 41b, 41c, 42b, 54, 71, 72, 76,
77, 78.
Lie2n, 2o, 2p, 4k, 8i, 8o, 8p.
Tch20b, 20d, 27f, 32c.
l’eau son modèle : Lao8a, 8b, 78.
Sa simplicité :
Lao39, 40.
Tch 24a.
sa vue centrale, sa science globale :
Lie4h.
Tch2c, 2h, 5e, 11c, 25b, 25c, 32c.
son froid altruisme, sa charité globale :
Lao5b, 49, 67, 81.
Lie2q.
Tch14b, 31c.
chiens de paille : Lao5. Tch14d.
son indulgente largeur : Lie8f.
son indépendance :
Lao56.
Tch14e, 17b, 17e, 28a à 28j, 29c.
son affable impassibilité :
Lao33.
Tch5a, 5d, 6b, 21i, 21j, 26c.
son non-agir, laisser-aller :
Lao10d. 43, 48, 73.
Léon WIEGER — Les pères du système taoïste 379
Etats psychiques
——————
——————
Lie5b.
Tch1a, 3c, 6c, 6d, 6g.
——————
sophistes et sophismes :
Lie2r, 4l.
Tch47g, 25d, 33g.
systèmes : Tch33.
de Mei-tzeu :13b.
de Song-hing et Yinn-wenn, 33c.
de P’eng-mong, T’ien-ping, Chenn-tao, 33d.
de Koan-yinn-tzeu et Lao-tan, 33e.
de Tchoang-tzeu 33t.
de Hoei-tzeu, sophistes, 33g.
Léon WIEGER — Les pères du système taoïste 382
Anecdotes simples.
Anecdotes doubles.
A-ho-kan : Tch22g.
Chan-pao : Tch19e.
Chang-k’iou-k’ai : Lie2f.
Chang-k’iou-tzeu : Lie4k.
Chenn-noung, l’empereur, mort en 3078 avant J.-C. ? :
Lie2q, 8a.
Tch10c, 16a, 18e, 22g, 28j.
Chenn-tao : Tch33d.
Chenn-t’ou-kia : Tch5b.
Chenn-t’ou-ti : Tch6b, 26j, 29a.
Chenn-t’ouo : Lie5p.
Chenn-tzeu : Tch29b.
Cheu-hou : Tch28a.
Cheu-k’oang, musicien :
Lie5j.
Tch2d, 8a, 8d.
Cheu-nan i-leao : Tch24i.
Cheu-p’eng : Tch24f.
Cheu-siang, musicien : Lie5j.
Cheu-tch’eng-k’i : Tch13f.
Cheu-ts’iou, légiste : Tch8a, 8d, 10h, 11a, 11b, 12o, 25i.
Cheu-wenn, musicien. Lie5j.
Chou-chan : Tch5c.
Chounn, l’empereur, mort en 2208avant J.-C. :
Lie1o, 7a, 7c, 7j, 8a.
Tch2e, 5a, 7a, 8b, 8c, 10a, 11b, 12g, 12j, 12m, 13a, 13d, 14b, 14g,
16a, 17a, 17c, 18e, 20e, 22d, 221, 23a, 24k, 25d, 28a, 281, 29a, 29b.
Confucius le politicien, 551-479avant J.-C. :
Lie1h, 1i, 1j, 2f, 2r, 3e, 3f, 4a, 4b, 4d, 5g, 7j, 8h.
Tch2c, 4a, 5c, 5d, 6g, 9b, 11b, 12i, 12k, 13e, 14d, 14e, 14f, 14g,
14h, 17a, 20d, 20e, 20g, 21b, 21c, 21d, 22e, 22k, 25e, 26e, 26f, 27b,
27c, 28f, 28h, 29a, 29b, 31a, 31e, 31f, 32e, 32f.
Foi-wei, archer : Lie5n.
Fou-hi l’empereur légendaire du cinquième millénaire avant J.-C.
Lie2q.
Tch4a, 6d, 10c, 16a, 21j.
Fou-ue, ministre : Tch6d.
Han-no, chanteur : Lie5k.
Hei-loan, assassin. Lie5p.
Léon WIEGER — Les pères du système taoïste 385
Lie6a,
Tch4a, 10a, 20f, 26a, 29a, 29b.
Pien, le charron : Tch13i.
Pien-k’ing : Tch19m.
Pien-soei : Tch28i.
Pien-ts’iao, chirurgien : Lie5i.
P’ou-i-tzeu : Tch7a.
Pou-tcheou-chan, mont : Lie5a.
P’ou-ts’ie-tzeu, archer : Lie5h.
Pouo-leang-i : Tch6e.
San-miao : Tch11b.
Sang-hou : Tch6g, 20e.
Si-cheu : Tch14d.
Si-wang-mou, roi ou fée :
Lie3a.
Tch6d.
Siang-tch’eng, plaine : Tchl4c.
Sinn-tou-tzeu : Lie8t.
Soei-jenn, inventeur du briquet : Tch16a, 18e.
Soei-ou : Lie4i.
Song-hing : Tch33c.
Sounn-chou-nao :
Lie8n.
Tch21j, 24i.
Sounn-hiou : Tch19m.
Su-ou-koei : Tch24a, 24b.
Su-u : Tch6b.
Suan-wang, l’empereur, 817 à 782 avant J.-C.
Lie2g, 2q, 4k.
Tch19h.
Sue-t’an, chanteur : Lie5k.
Ta-t’ao : Tch25i.
T’ai-cheu, souverain légendaire : Tch7a.
T’ai-koung-tiao : Tch25j.
T’ai-teou, cocher : Lie5o.
Tai-tsinn-jenn, sophiste : Tch25d.
Tan, voyez Tcheou-koung.
Tan-fou : Tch28a.
T’ang, l’empereur, renversa les Hia ; fonda les Chang-Yinn, 1788 à 1754
avant J.-C. :
Lie5a, 5b, 8a.
Tch221, 23g, 25c, 28i, 29a, 29b.
Tchan-ho (Liou-hia-hoei) :
Lie5h, 8m.
Tch29a.
Léon WIEGER — Les pères du système taoïste 390
Tchan-ki : Lie7c.
Tchan-tzeu : Tch28g.
Tch’ang-houng : Tch10a, 26a.
Tchang-i : Tch19e.
Tch’ang-ki : Tch5a.
Tch’ang-lou-tzeu : Lie1n.
Tchao-kien-tzeu : Lie8x.
Tchao-siang-tzeu : Lie2k, 8i.
Tchao-wenn. Tch2d.
Tchee, le brigand : Tch8c, 8d, 10a, 11a, 11b, 12o, 29a.
Tch’ee, le collecteur : Tch20c.
Tcheng : Lie1o.
Tch’eng-wang, l’empereur, 1115 à 1079 avant J.-C... fils de Ou-wang, neveu
de Tcheou-koung :
Lie7j.
Tch14g.
Tcheou, dernier empereur des Chang-Yinn, tyran détrôné en 1122 avant J.-C.
Lie21, 6a, 7c, 7j, 8a.
Tch14j, 17c, 26a.
Tcheou-hioung : Lie1m.
Tcheou-koung, frère de Ou-Wang :
Lie7j.
Tch28j, 29b.
Tcheu-li : Tch18c.
Tcheu-li-i : Tch32c.
Tch’eu-tchang-man-ki : Tch12ni.
Tch’eu-you : Tch29a.
Tchoan-hu : Tch6d.
Tchoang-tzeu : Tch1f, 5f, 14b, 17d à 17g, 18b, 18d, 20a, 20f, 20h, 21e, 22f,
24e, 25f, 26b, 26g, 26h, 261, 27a, 27h, 30a, 30b, 32d, 32h, 32f..,
mort de sa femme : Tch18b...
sa mort : Tch32j...
son panégyrique : Tch33f.
Tchou-hien : Tch19e.
Tchou-li-chou : Lie8r.
Tchou-p’ing-man : Tch32c.
Tchoung-ni, Confucius,
Tchoung-tzeu-k’i, musicien : Lie51.
Tch’ounn-mang : Tch12l.
Teng-ling-tzeu : Tch33b.
Teng-si, philosophe : Lie4j, 6d, 7f.
Tien-cheu : Lie7a, 8y.
T’ien-heng : Lie6a.
Tien-k’ai-tcheu : Tch19e.
Tien-kenn : Tch7c.
Léon WIEGER — Les pères du système taoïste 391
T’ien-ping : Tch33d.
T’ien-tch’eng-tzeu : Tch10a, Tch29b.
Tien-tzeu-fang : Tch21a.
Toan-kan-cheng : Lie7g.
Toan-mou-chou : Lie7g.
Tong-ie-tsi, cocher : Tch19k.
Tong-kouo-tzeu K’i : Tch27d.
T’ouo le laid : Tch5d.
Tsai-yang, voyez P’eng.
Tseng, le pêcheur : Tch21h.
Ts’ao-chang : Tch32d.
Tsao-fou, cocher : Lie5u.
Tseng-chenn, Tseng-tzeu : Tch8a, 8d, 10b, 11a, 11b, 12o, 26a, 27c, 28f.
Tseou-yen : Lie5j.
Ts’i-yang : Lie5i.
Tsiang-lu-mien : Tch12j.
Tsie-tzeu : Tch25j.
Tsie-u, le fou : Tch1d, 4h, 7b.
Ts’inn-chou : Tch3c.
Ts’inn-ts’ing : Lie5k.
Ts’oei-kiu : Tch11b.
Tzeu-hia : Lie2k, 4d.
Tzeu-hoa : Lie2f.
Tzeu-hoa-tzeu : Tch28h.
Tzeu-kao : Tch4b.
Tzeu-k’i : Tch24h j, 28e.
Tzeu-koung :
Lie1i, 3f, 4a, 4d, 7d.
Tch6g, 12k, 14g, 18e, 28f, 28g, 29a, 31a.
Tzeu-lai : Tch6f.
Tzeu-lao : Tch25f.
Tzeu-li : Tch6f.
Tzeu-lou :
Lie4d.
Tch13e, 17c, 21b, 25e, 28h, 31a, 31f.
Tzeu-sang : Tch6k.
Tzeu-seu : Tch6f.
Tzeu-su : Tch10a.
Tzeu-tch’an :
Lie7f.
Tch5b.
Tzeu-tchang :
Lie4d,
Tch29b.
Tzeu-u : Tch6f.
Léon WIEGER — Les pères du système taoïste 392
Tzeu-yang :
Lie8d,
Tch28d.
U le Grand, premier empereur Hia, 2205 à 2198 avant J..-C. :
Lie2q, 5f,7i j.
Tch2b, 4a, 12g, 14g, 20e, 29a, 33b.
U-k’iang : Tch6d.
U-ts’ie, pêcheur : Tch26f.
U-tzeu : Lie2p.
Wang-i : Tch2f, 7a, 12e.
Wang-kouo : Tch25a.
Wang-t’ai : Tch5a.
Wei-cheng : Tch29a, 29b.
Wei-tzeu, prince : Lie6a.
Wenn-tcheu, médecin : Lie4h.
Wenn-wang, père de Ou-wang et de Tcheou-koung : Tch14g, 21h, 29a.
Yang-pou, frère de Yang-tchou. Lie6f, 8u.
Yang-tchou, philosophe :
Lie2n, 2o, 4i, 6e, 6f, 7a à 7d, 7g à 7o, 8s à 8v.
Tch7d, 8a, 10b, 12o, 17c, 20i, 27f.
Yang-tzeu-kiu, voyez Yang-tchou.
Yao, l’empereur, 2357 à 2286 avant J.-C. :
Lie4m, 7a, 7c.
Tch1d, 2e, 4a, 6c, 10a, 11a, 11b, 12e, 12f, 12g, 12j, 13a, 13d, 14b,
14g, 16a, 17a, 17c, 18e, 22e, 23a, 25d, 28a, 29a, 29b.
Yen-cheu inventeur des marionnettes : Lie5m.
Yen-ho : Tch4c, 19c, 28c, 32e.
Yen-hoei, le disciple chéri de Confucius :
Lie2h, 3f, 4a, 4d, 6a.
Tch4a, 6j, 14d, 18e, 19d, 20g, 21c, 21d, 221, 28f, 28h, 29a, 31f.
Yen-p’ing-tchoung : Lie7e.
Yen-pou-i : Tch24g.
Yen-tch’eng-tzeu : Tch24h, 27d.
Yen-tzeu, philosophe : Lie1k, 6h.
Yinn-cheng : Lie2c.
Yinn-hi. Koan-yinn-tzeu : Tch19b, 33e.
Yinn-wenn : Lie2d, 3b, 4n, 6e, 7i, 8a, 8b, 33c.
Yuan-fong : Tch121.
Yuan-hien : Tch28f.
Yuan-tsing-mou : Lie8q.
Yunn-tsiang : Tch11d.
*
**
Léon WIEGER — Les pères du système taoïste 393
LAO-TZEU : 1-2-3-4-5-6-7-8-9-10-11-12-13-14-15-16-17-18-19-20-21-22-23-24-25-26-27-
28-29-30-31-32-33-34-35-36-37-38-39-40-41-42-43-44-45-46-47-48-49-50-51-52-53-54-55-
56-57-58-59-60-61-62-63-64-65-66-67-68-69-70-71-72-73-74-75-76-77-78-79-80-81
LIE -TZEU : 1—2—3—4—5—6—7—8
TCHOANG-TZEU : 1 — 2 — 3 — 4 — 5 — 6 — 7 — 8 — 9 — 10 — 11 — 12 — 13 — 14
— 15 — 16 — 17 — 18 — 19 — 20 — 21 — 22 — 23 — 24 — 25 — 26 — 27 — 28 — 29
— 30 — 31 — 32 — 33. Notes — Matières — Anecdotes — Noms ▲ Table ▲