Retour - de - Acteur. Alain Tourain
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(1984)
LE RETOUR
DE L’ACTEUR
ESSAI DE SOCIOLOGIE
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Alain TOURAINE
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Du même auteur
Chez Fayard
Alain TOURAINE
Sociologue, directeur d'études à l'École des Hautes Études en Sciences Sociales
LE RETOUR DE L’ACTEUR.
ESSAI DE SOCIOLOGIE.
[347]
Quatrième de couverture
Présentation
PREMIÈRE PARTIE.
UNE NOUVELLE REPRÉSENTATION
DE LA VIE SOCIALE
La sociologie classique
Sa décomposition
L'anti-sociologie
Une nouvelle représentation de la vie sociale
Crise et mutation
L'évolution des sciences sociales
La raison d'être de ce livre
Déconstruction
Reconstruction
L'évolutionnisme
Une société post-moderne ?
Unité ou diversité de la vie sociale ?
La séparation de la société et de l'État
Le développement
Le retour du sujet
Le rôle central du conflit social
Conclusion
Alain Touraine, Le retour de l’acteur. Essai de sociologie. (1984) 7
DEUXIÈME PARTIE.
UNE SOCIOLOGIE DE L'ACTION
1. Évaluer une situation ou une conduite sociale au nom d'un principe non défini
socialement
2. Réduire une relation sociale à une interaction
3. Séparer système et acteurs
4. S'interroger sur l'importance plus ou moins grande de telle ou telle catégo-
rie de faits sociaux (économiques, politiques, idéologiques)
5. Parler des valeurs
6. Considérer la société comme le discours de la classe dirigeante
7. Prendre les classes sociales pour des personnages
8. Confondre structure et changement dans une philosophie de l'évolution
Remarques finales
Le grand retournement
Les conduites de crise
Les conduites de défense
Le populisme
L'identité offensive
Principes
Procédures
Problèmes
Champ
Alain Touraine, Le retour de l’acteur. Essai de sociologie. (1984) 8
TROISIÈME PARTIE.
INTERROGER LE PRÉSENT
Un niveau d'historicité
L'expérience vécue de la société programmée
Une Société technicienne ?
De nouveaux rapports de classes
Sociétés sans État ou États sans société
Conclusion
Décomposition
Formation
Entre culture et politique
Le risque de décadence
Conclusion
L'idée de progrès
Du progrès au conflit industriel
Les intellectuels de gauche
La fin des révolutions
Mouvements sociaux et démocratie
Conclusion
Post-scriptum
Remerciements
Alain Touraine, Le retour de l’acteur. Essai de sociologie. (1984) 9
LE RETOUR DE L’ACTEUR.
ESSAI DE SOCIOLOGIE
QUATRIÈME DE COUVERTURE
[7]
LE RETOUR DE L’ACTEUR.
ESSAI DE SOCIOLOGIE
PRÉSENTATION
tante même, d'une société qui ne se définit plus par sa nature, encore
moins par son ordre, mais uniquement par son mouvement, et d'acteurs
se dégageant eux aussi de la gangue du particulier et du passé pour
s'élever vers l'universel et vers l'avenir. Dans ce mode général, extra-
ordinairement fécond, d'analyse de la vie sociale, la connaissance du
système et la compréhension des acteurs se correspondent parfaite-
ment. Les rôles, les sentiments des acteurs y sont définis en termes
proprement sociaux et même politiques ou, pour mieux dire, républi-
cains. L'acteur social y est avant tout un citoyen, son développement
personnel est inséparable du progrès social. La liberté de l'individu et
sa participation à la vie collective apparaissent indissociables.
Mais, depuis un demi-siècle au moins, ce mode de représentation de
la vie sociale est entré en crise ; si nettement même que nous le nom-
mons aujourd'hui « sociologie classique », manière indirecte de recon-
naître la distance qui nous en sépare. D'un côté, derrière les mots trop
vagues de société ou de système social, nous avons appris à reconnaî-
tre des formes de domination, soit de classe, soit d’État. La modernité
s'est parfois transformée, d'abord sur le continent européen, en bar-
barie.
[9]
Avec les Juifs d'Europe occidentale, qui s'étaient identifiés, plus
que toute autre catégorie peut-être, à une conception du progrès qui
permettait leur assimilation tout en préservant leur culture propre,
brûla à Auschwitz l'idée de progrès. Au même moment mouraient au
Goulag les espoirs placés dans la révolution prolétarienne.
Le déchirement avait été si brutal, et si lié aux effets de la Grande
Guerre européenne, de la Révolution soviétique, de la crise économique
et des fascismes, qu'après la Deuxième Guerre mondiale et pendant la
longue période d'expansion économique qui la suivit, on assista à une
résurgence vigoureuse de la sociologie classique - mais sur l'autre rive
de l'Atlantique. Tout en reposant sur la même conception évolutionnis-
te que la sociologie d'avant 1914, l'analyse de Talcott Parsons mit plus
l'accent sur les conditions et les formes d'intégration du système so-
cial que sur sa modernisation. Ce qui renforça encore la correspondan-
ce des analyses du système et des acteurs. La sociologie fut solide-
Alain Touraine, Le retour de l’acteur. Essai de sociologie. (1984) 12
par les oligopoles, les ententes, les pressions politiques, les interven-
tions publiques et les demandes non marchandes, que cette référence
pseudo-économique devient vite plus embarrassante qu'utile - bien
qu'elle joue un rôle critique important contre les illusions « collectivis-
tes » de la période précédente. La seconde prend la forme non moins
confuse d'un systémisme qui est souvent une forme extrême de fonc-
tionnalisme, selon laquelle le système social s'adapterait par homéos-
tase aux fluctuations de son environnement, mais qui se retourne par-
fois contre elle-même en reconnaissant, notamment dans la théorie
générale des systèmes, que le propre des systèmes humains est d'être
ouverts, de produire et de transformer leurs propres fins, ce qui nous
rapproche du type de sociologie de l'action auquel appartient le pré-
sent livre.
Plus difficile est peut-être de résister à la tentation d'une pensée
« post-historique ». En cette période où les plus anciens pays indus-
trialisés, se sentant en perte de vitesse et privés de leur ancienne hé-
gémonie, doutent d'eux-mêmes, on comprend l'attirance que peut
exercer une sociologie de la crise permanente, voire la fascination
exercée par l'idée de décadence. La recherche du plaisir, mais aussi
de la différence, de l'éphémère, de la rencontre plus que de la rela-
tion, l'idée d'une [12] société purement « permissive », donnent à la
pensée comme aux conduites sociales de notre temps un chatoiement,
une excitation un peu forcée qui rappellent les carnavals qui, juste-
ment, réapparaissent au milieu de nos hivers, après une absence sécu-
laire.
Ne nous hâtons pas trop d'écarter ces tendances de la pensée so-
ciale actuelle. Car c'est bien sur cette scène publique, encombrée de
pesants appareils et de mécanismes de répression, trouée d'appels à
l'identité, traversée par les jeux de l'amour et du hasard, qu'il nous
faut entreprendre la tâche - que d'aucuns pourront juger impossible -
de reconstruire une représentation de la vie sociale. Tâche plus diffi-
cile encore dans un pays comme la France où ce désarroi de l'analyse
reste encore recouvert par le linceul des idéologies mortes.
La nécessité de ce travail apparaît plus clairement dès qu'on tourne
le dos à la « société » - avec sa politique et ses idéologies - pour re-
garder du côté de la culture, qu'il s'agisse de la science ou des mœurs.
Alain Touraine, Le retour de l’acteur. Essai de sociologie. (1984) 14
[19]
LE RETOUR DE L’ACTEUR.
ESSAI DE SOCIOLOGIE
Première partie
Une nouvelle représentation
de la vie sociale
[21]
LE RETOUR DE L’ACTEUR.
ESSAI DE SOCIOLOGIE
Première partie
Une nouvelle représentation de la vie sociale
Chapitre 1
De la société à l’action sociale
La sociologie classique
Sa décomposition
L'antisociologie
2 The Fall of Public Man, New York, A. Knopf, 1974. Trad. fr. Les Tyrannies de
l'intimité, Seuil, 1978.
3 The Culture of Narcissism, New York, Norton, 1978. Trad. fr. Le Complexe de
Narcisse, Laffont, 1980.
Alain Touraine, Le retour de l’acteur. Essai de sociologie. (1984) 26
notre action et notre profit sont bons, parce qu'ils développent l'in-
dustrie et élèvent le niveau de vie de tous. Le conflit des industriels et
des ouvriers est ainsi au centre de la société industrielle : les deux
camps croient à l'industrie et partagent les mêmes orientations cultu-
relles, mais luttent pour donner à la culture industrielle des formes
sociales opposées.
Il n'y a plus de raison d'opposer Marx à Weber. L'un apporte à la
sociologie d'aujourd'hui l'idée que la vie sociale est fondée sur un rap-
port central de domination ; l'autre, l'idée que l'acteur est orienté par
des valeurs. Combinons ces deux idées, et nous obtenons la définition
du mouvement social : des acteurs, opposés l'un à l'autre par des rap-
ports de domination et de conflit, ont les mêmes orientations culturel-
les et luttent précisément pour la gestion sociale de cette culture et
des activités [34] qu'elle produit. Bien entendu, cette combinaison ne
peut s'opérer qu'en abandonnant ce qui, chez Marx comme chez We-
ber, relève d'une représentation évolutionniste de la vie sociale. Mais
une telle séparation entre ce qui appartient à une époque révolue et ce
qui peut être utilisé dans un autre contexte historique n'est pas moins
légitime pour les penseurs que pour les artistes.
Aussi importante que cette reconstruction des rapports entre
culture et société est la transformation des rapports entre structure
sociale et développement historique. La sociologie classique, répétons-
le, se définissait par l'identification de ces deux axes d'analyse : la
modernisation était pour elle à la fois une constante force de change-
ment et un principe d'organisation sociale. Il était, de fait, difficile de
les séparer quand il n'existait qu'un type de société industrielle, celui
de la Grande-Bretagne de la reine Victoria. C'est plus facile aujour-
d'hui, à condition de renoncer à l'illusion - amplement démentie par les
faits - d'une convergence de toutes les sociétés industrielles. Ce qui
ne signifie pas cependant que tout relève des spécificités nationales
et qu'il n'y ait rien de commun, par exemple, entre l'Union soviétique
et les États-Unis. La société industrielle, comme association d'une
culture et d'un conflit social central, est partout la même ; mais les
modes d'industrialisation diffèrent entre eux car, si l'agent principal
de l'industrialisation et plus généralement du changement historique
est toujours l'État, celui-ci peut être associé à une bourgeoisie ou au
Alain Touraine, Le retour de l’acteur. Essai de sociologie. (1984) 29
Crise et mutation
La raison d'être
de ce livre
qu'on discute des droits des femmes (par exemple des avantages et
inconvénients de la contraception), qu'on évoque les problèmes de l'eu-
thanasie ou les perspectives ouvertes par les manipulations généti-
ques : chacun s'émeut, se sent concerné personnellement et collecti-
vement. Le temps des émotions, au sens psychologique comme au sens
historique [50] ancien de ce mot, est revenu. C'est que de tels problè-
mes sociaux et culturels, qui appellent des choix collectifs, sont pré-
sents dans nos consciences, sans avoir encore trouvé d'expression po-
litique : tout comme, à la fin du siècle passé, le mouvement ouvrier
semblait rester en marge face à une vie politique encombrée de dé-
bats d'un autre âge, aujourd'hui cette vie politique n'en finit pas de
débattre de la question ouvrière, quand les vraies questions, les inno-
vations, se développent ailleurs.
Il est un phénomène plus nouveau. Pendant des siècles, la France a
géré ses problèmes sociaux à l'abri d'une situation internationale pro-
tégée, où elle dominait même certaines parties du monde. Cette hégé-
monie partielle lui permettait d'être attentive à ses propres problè-
mes sociaux et culturels internes, sans interférence avec la question
des menaces extérieures, contrairement aux régions dominées, tant
aujourd'hui qu'hier. Mais cette hégémonie a désormais disparu ; pour
la première fois depuis longtemps, l'Europe n'est plus le moteur des
transformations du monde. Il en résulte des attitudes soit d'abandon,
soit au contraire de mobilisation, qui interfèrent avec la conscience de
nos problèmes sociaux internes ; et peut-être cela nous empêchera-t-il
de donner naissance à des mouvements sociaux, et même culturels,
aussi purs et autonomes que par le passé. De ce point de vue, parler du
retour de l'acteur ou de sa disparition, c'est répondre de manières
opposées à cette situation nouvelle. Car l'acteur social certes revient,
mais reste encore privé d'expression politique et [51] idéologique. Les
antisociologues, successeurs des sociologues critiques, sont fascinés
par l'explosion de l'individualisme et ne se représentent la réalité so-
ciale que comme un ensemble de contraintes et de menaces extérieu-
res. Rien, selon eux, ne doit s'interposer entre l'individu et l'État, en-
tre les Droits de l'Homme et le totalitarisme : comme s'il n'existait
plus aucun enjeu proprement social, comme si le seul combat était dé-
sormais celui de la vie contre la mort.
Alain Touraine, Le retour de l’acteur. Essai de sociologie. (1984) 40
largement en retard par rapport aux pratiques, aux idées et aux sen-
sibilités réellement contemporaines.
Ce livre, qui est plus une étape qu'un point d'arrivée, plus une inci-
tation qu'une démonstration, entend pourtant servir une idée aussi
simple [53] qu'exigeante : au-delà de la diversité des domaines d'étu-
de ou des écoles, et lui donnant même son sens, il existe une unité de
l'analyse sociologique. Et cette unité, il serait vain désormais de la
chercher dans l'évolutionnisme de la sociologie classique : elle ne pour-
ra être trouvée que dans une sociologie du sujet. On aurait tort de
croire que je plaide ici pour l'étude des mouvements sociaux au même
titre que d'autres insistent sur le poids des instances de contrôle so-
cial ou sur la complexité des mécanismes de changement ; ou, pis enco-
re, que je cherche à distinguer entre sociologie « de gauche » ou « de
droite », donc entre idéologies. Les sociologues français, conscients de
la décomposition de leur discipline, tendent à l'attribuer à des querel-
les d'individus, de chapelles, d'idéologies : rien de plus faux, et de plus
dangereux, que de telles pseudo-explications. La distance et l'incom-
patibilité sont bien moindres entre les pensées vraiment au travail, en
apparence si concurrentes, qu'entre elles toutes rassemblées, face à
la masse des travaux sans orientation aucune, si ce n'est une référen-
ce de plus en plus artificielle à des idées défuntes.
Je ne prétends en aucune façon offrir ici des principes d'analyse
immédiatement acceptables pour tous ; mais le présent ouvrage est
dénué de tout contenu polémique (même s'il donne une interprétation,
forcément contestable, de l'évolution de la pensée sociale) et surtout,
quand il met en avant la référence centrale à l'historicité, aux mouve-
ments sociaux, à la conscience du sujet et aux [54] modes de dévelop-
pement, c'est en vue de mieux pouvoir situer les unes par rapport aux
autres les différentes aires de l'analyse sociologique. En parlant des
mouvements sociaux et de leurs conflits ouverts, on comprend mieux
comment se constituent la fermeture des institutions et l'ordre qu'el-
les maintiennent, comment les rapports de production se retournent
en rapports de reproduction. Le même point de départ éclaire aussi les
formes de décomposition des rapports sociaux et de l'action sociale -
un peu comme, naguère, une sociologie de la société pouvait éclairer
l'étude de ce qu'elle nommait marginalité, déviance, anomie. Enfin, une
Alain Touraine, Le retour de l’acteur. Essai de sociologie. (1984) 42
ve, pour que se constitue un savoir cohérent sur la vie sociale, est que
chacun, du [56] mieux possible, définisse ses objectifs, formule ses
hypothèses, explicite son argumentation. En ce qui me concerne, telle
est bien la raison d'être de ce livre.
Alain Touraine, Le retour de l’acteur. Essai de sociologie. (1984) 44
[57]
LE RETOUR DE L’ACTEUR.
ESSAI DE SOCIOLOGIE
Première partie
Une nouvelle représentation de la vie sociale
Chapitre 2
Mutation de la sociologie
Déconstruction
Juger que l'acteur est mû par son seul avantage ou plaisir, dénon-
cer la toute-puissance d'un ordre [64] aveugle et absolu, contempler
avec un certain cynisme la comédie humaine : ce sont là trois façons
d'écarter l'idée de société, comme système central de régulation des
institutions et des conduites. Ce déclin de l'idée de société tient à des
causes profondes. S'il est bien vrai que la sociologie classique a surgi
de la conjonction entre les notions d'institution et d'évolution, il faut
bien évidemment rapporter sa crise à celle de ces deux notions fon-
damentales.
La crise de l'évolutionnisme est la plus manifeste. La pensée sociale
du XIXe siècle européen s'est identifiée, au moins dans sa ligne prin-
cipale, à une modernité définie par la rationalisation et la sécularisa-
tion, c'est-à-dire par la dissolution progressive de tous les principes
s'opposant au changement, à la différenciation sociale et à l'autonomie
des institutions. Cette image de la modernité s'est principalement in-
carnée dans l'idée de marché, appliquée non plus au seul ordre écono-
mique, mais à presque tous les autres domaines de la vie sociale. La vie
économique, où résident les plus importants principes de changement à
l'époque industrielle, apparaît comme guidée par la rationalité et donc
dégagée de toute influence extérieure : tel est le centre même de la
pensée libérale. Or, à mesure que l'industrialisation atteint de nou-
veaux pays, cette autonomie des institutions économiques et du mar-
ché s'avère de moins en moins assurée : les formes du changement
économique et social apparaissent fortement liées à des processus po-
litiques, à des spécificités culturelles. En définitive, l'idée d'une évo-
lution [65] linéaire constituée d'étapes successives qui devraient tou-
jours être parcourues dans le même ordre fait place à des conceptions
qui admettent diverses voies possibles de transformation économique.
Certaines écoles de pensée vont jusqu'à renoncer à l'idée même de
développement, qui leur semble encore trop marquée par un principe
d'unité dont elles soulignent les dangers, et préfèrent affirmer une
totale diversité des modes de transformation économique et sociale.
D'autre part, l'idée d'un système institutionnel se déployant au-
tour d'un centre entre, elle aussi, en crise. Il est difficile, par exem-
ple, de ramener le droit du travail à un cas particulier des principes
juridiques généraux antérieurs à lui. Toutes sortes de processus poli-
Alain Touraine, Le retour de l’acteur. Essai de sociologie. (1984) 50
Reconstruction
contraire que nous entrons dans un type de situation sociale défini par
la capacité croissante des collectivités d'agir sur elles-mêmes, surtout
là où le pouvoir ne consiste plus seulement à imposer des formes de
travail mais encore, et peut-être avant tout, un genre de vie, des
conduites, des besoins ; [67] société hyper-industrielle, pourrait-on
dire, en ce sens que les grandes organisations, au-delà du domaine de
la production, étendent leur emprise sur à peu près tous les aspects de
la vie sociale, de l'information à la santé, de la recherche à l'urbanisa-
tion.
Si cette hypothèse est juste, il faut s'attendre à voir surgir pres-
que partout de nouveaux acteurs et de nouveaux conflits sociaux. La
tâche de la sociologie sera dès lors de comprendre ces acteurs et ces
conflits, ce qui lui imposera de totalement renoncer à chercher des
« lois de la vie sociale » quelles qu'elles soient, lois de la raison ou lois
du profit. L'organisation sociale doit maintenant se comprendre tout
autrement : comme le résultat de rapports conflictuels entre les for-
ces sociales qui luttent pour s'assurer le contrôle des modèles selon
lesquels la collectivité organise, de manière normative, ses relations
avec son environnement. J'appelle historicité, précisément, l'ensemble
de ces modèles culturels qui commandent les pratiques sociales, mais
seulement en passant à travers des rapports sociaux qui sont toujours
des rapports de pouvoir. Pareille conception interdit de centrer encore
l'analyse autour de l'idée de société : tout comme les théories de l'or-
ganisation, elle ne reconnaît à l'ensemble social, ou à tel ou tel de ses
sous-ensembles, qu'un faible niveau de stabilité et même de cohéren-
ce. Elle ne considère pas pour autant, quant à elle, la réalité sociale
comme un pur système de flux désordonnés. Elle maintient, bien au
contraire, l'idée d'un lieu central à partir duquel tout [68] s'agence ;
mais ce lieu n'est ni une volonté, ni un pouvoir, il est un enjeu - l'histo-
ricité comme enjeu des rapports et des luttes entre ce qu'il convient
toujours d'appeler des classes sociales. Les relations qui s'établissent
dans un système institutionnel ou, à un niveau plus restreint, dans les
systèmes organisationnels, apparaissent donc commandées par l'état
du champ d'historicité donné, par les rapports de domination et de
contestation existant entre les classes opposées.
Alain Touraine, Le retour de l’acteur. Essai de sociologie. (1984) 52
[75]
LE RETOUR DE L’ACTEUR.
ESSAI DE SOCIOLOGIE
Première partie
Une nouvelle représentation de la vie sociale
Chapitre 3
Crise de la modernité
L'évolutionnisme
Unité ou diversité
de la vie sociale ?
La séparation de la société
et de l’État
Le développement
[91]
LE RETOUR DE L’ACTEUR.
ESSAI DE SOCIOLOGIE
Première partie
Une nouvelle représentation de la vie sociale
Chapitre 4
La vie sociale a-t-elle
un centre ?
6 J. G. March et H. A. Simon, Organizations, New York, Wily, 1958. Trad. fr., Les
Organisations, Dunod, 1965. M. Crozier et E. Friedberg, L'acteur et le système,
Seuil, 1977.
7 Clark Kerr et al., Industrialism and Industrial Man, Cambridge, Harvard Univer-
sity Press, 1960. John T. Dunlop, Industrial Relations Systems, New York, Holt,
1958. A. Flanders & H. A. Clegg, ed. The System of Industrial Relations in Great
Britain, Oxford, Blackwell, 1960.
Alain Touraine, Le retour de l’acteur. Essai de sociologie. (1984) 69
Le retour du sujet
collectifs, ont toujours à lutter. Selon cette conception, tous les prin-
cipes métasociaux d'unité de la vie sociale sont remplacés par les ré-
alisations du travail humain mais aussi, plus largement, par la liberté.
Le rôle central que la sociologie classique donnait à la rationalisation et
à la modernisation revient ici à la liberté et même, plus profondément
encore, au concept de sujet en tant qu'il représente la capacité des
hommes à se libérer à la fois des principes transcendants et des rè-
gles communautaires. La notion de sujet, qui garde encore une conno-
tation matérialiste à l'époque de la Renaissance, s'identifie à partir de
la Réforme avec l'idée de conscience, qui ne cesse de prendre de l'im-
portance tout au long du XIXe siècle. L'humanité n'apparaît plus alors
comme maîtresse de la Raison et de la Nature mais comme créatrice
du Moi. Cette idée a donné naissance à l'un des genres littéraires les
plus typiques de l'Occident : le Bildungsroman, de Goethe à Flaubert,
de Thomas Mann à Gide, de Hemingway à Styron. L'accent mis sur le
sujet et sur la conscience donne un principe d'unité moderne, entière-
ment sécularisé, à la vie sociale, qui peut dès lors être définie indé-
pendamment de l'intervention de l'État.
[97]
Ainsi, la décomposition de l'idée de société donne naissance d'une
part à l'idée de changement permanent, c'est-à-dire à une conception
entièrement politique de la vie sociale, mais aussi, d'autre part, à
l'idée de sujet, dont la capacité créatrice remplace les anciens princi-
pes d'unité de la vie sociale. L'essentiel est ici que le sujet ne peut
plus être défini en termes historiques. La société était dans l'histoi-
re ; maintenant, l'histoire est dans les sociétés, lesquelles sont capa-
bles de choisir leur organisation, leurs valeurs et leur processus de
changement, sans devoir légitimer ces choix par leur conformité avec
des lois naturelles ou historiques.
Les critiques adressées à l'humanisme, en particulier par Michel
Foucault, ont le mérite d'avoir contribué à éliminer tous les appels
post-religieux à des essences, à des lois naturelles, à des valeurs per-
manentes. Mais elles ne portent pas contre l'idée de sujet : car celui-
ci est tout l'opposé d'une essence, et n'a aucun contenu substantiel
permanent.
Alain Touraine, Le retour de l’acteur. Essai de sociologie. (1984) 72
qui représente l'enjeu de leur conflit. Par exemple, dans une société
industrielle, le conflit n'oppose pas les capitalistes et les prolétaires
(c'est-à-dire les travailleurs privés de toute forme de propriété), mais
les industriels et les travailleurs. Les deux groupes ont en commun les
mêmes orientations culturelles : l'un et l'autre croient au progrès, à la
gratification différée, à un contrôle répressif de la vie sexuelle ; mais,
en même temps, ils combattent l'un contre l'autre pour le contrôle
social de cette culture industrielle, pour donner des formes sociales
différentes aux mêmes orientations culturelles. Le mécanisme social
central [101] est le conflit à travers lequel un champ d'historicité, un
ensemble de modèles culturels, est transformé en un système de rela-
tions sociales - qui sont toujours des relations inégales, des relations
de pouvoir.
Il faut rejeter à la fois l'idée parsonienne d'une société organisée
autour d'un ensemble de valeurs spécifiées en normes sociales et in-
carnées dans des organisations, des statuts et des rôles, et l'idée op-
posée d'une vie sociale divisée en deux mondes complètement séparés
correspondant à deux classes sociales, de sorte que tout ce qui sem-
blerait être commun à l'ensemble d'une société ne serait qu'une illu-
sion, servant les intérêts de la classe dominante.
Une fois le sujet ainsi défini par sa créativité et abandonnée la vi-
sion évolutionniste de la société, on peut accorder l'idée d'un conflit
social central, et l'idée de l'action comme orientée vers des valeurs.
Les orientations culturelles ne sont plus des principes, mais des inves-
tissements cognitifs, économiques et éthiques, qui sont transformés
en pratiques sociales à travers un conflit de classes. L'industrie, la
science et la sécularisation ont créé la société industrielle, mais seu-
lement à travers le conflit de classes qui a opposé les industriels -
qu'ils soient des propriétaires privés ou publics, des nationaux ou des
étrangers - à des travailleurs, en particulier à ces travailleurs quali-
fiés qui partout ont créé et animé les syndicats et les mouvements so-
cialistes. L'opposition entre une définition des classes comme situa-
tions, et des classes comme acteurs à la fois orientés vers des valeurs
et engagés dans un [102] conflit social, est si importante qu'il apparaît
préférable, dans la perspective où je me place, de parler de mouve-
ments sociaux plutôt que de classes sociales, bien qu'il soit impossible
Alain Touraine, Le retour de l’acteur. Essai de sociologie. (1984) 75
Conclusion
[105]
LE RETOUR DE L’ACTEUR.
ESSAI DE SOCIOLOGIE
Deuxième partie
Une sociologie de l’action
[107]
LE RETOUR DE L’ACTEUR.
ESSAI DE SOCIOLOGIE
Deuxième partie
Une sociologie de l’action
Chapitre 5
Huit manières de se débarrasser
de la sociologie de l'action
Toutes les démarches qui refusent une analyse des relations entre
acteurs sociaux sont étrangères à la sociologie ou même opposées à
elle. C'est aussi bien le cas des démarches qui réduisent le sens de
l'action à la conscience de l'acteur que de celles qui l'expliquent par la
« situation » de celui-ci. La sociologie a tout à perdre à laisser croire
qu'elle est multiple, dépourvue de principes admis par tous ceux qui se
réclament d'elle. Il est au contraire indispensable qu'elle s'affirme
nettement comme analyse « relationnelle », éloignée aussi bien du sub-
jectivisme que de l'objectivisme.
À l'intérieur de ces limites, la sociologie de l'action est au centre
de l'analyse sociologique. C'est à partir d'elle que peuvent être explo-
rés d'autres territoires et éclairé le revers de la société, c'est-à-dire
Alain Touraine, Le retour de l’acteur. Essai de sociologie. (1984) 79
6. Considérer la société
comme le discours de la classe dirigeante
Remarques finales
[138]
La première était que le sens d'une situation sociale est à chercher
en dehors d'elle, dans un monde métasocial que les uns appellent les
valeurs et les autres la nature. Weber, s'interrogeant sur les raisons
du succès économique et politique du monde occidental, et donc sur les
causes du capitalisme, de la rationalisation et de la sécularisation, fait
intervenir le rapport à des valeurs - dans ce cas religieuses - et voit
dans toute action collective une tension entre l'éthique de la convic-
tion et l'éthique de la responsabilité. Marx, au-delà même de sa pério-
de de jeunesse, n'analyse pas seulement le système capitaliste ; il se
réfère à des besoins fondamentaux, à la valeur d'usage, à une image
de la société libérée de l'exploitation capitaliste - ce qui introduit une
contradiction entre nature et société qui n'est que l'interprétation
prolétarienne d'un dualisme général dont l'analyse de Weber est l'in-
terprétation bourgeoise. Durkheim enfin, tout en introduisant plus que
tout autre l'idée de la société comme système, fait de la société une
essence, une force qui s'impose aux acteurs, bien plus qu'un enjeu des
rapports entre les acteurs.
La seconde idée qui s'opposait à la naissance de l'analyse sociologi-
que proprement dite était l'évolutionnisme et la philosophie de l'his-
toire qu'il implique. Une société est définie par sa place dans une évo-
lution, le sens de celle-ci - toujours associé à une forme ou à une autre
de progrès –étant considéré comme principe central d'interprétation.
Tout le XIXe siècle rêve de modernité, de progrès, d'avenir.
[139]
Lentement, et difficilement, s'opère le passage de la pensée socia-
le à l'analyse sociologique. Celle-ci ne peut se concevoir sans l'apport
de Marx, de Weber et de Durkheim ; elle ne peut pas davantage se
former sans une rupture profonde avec les deux principes énoncés à
l'instant, et qui définissent l'appartenance historique de ces penseurs
à la culture de l'industrialisation.
Cette transformation ne s'opère qu'à travers de grandes crises, et
nous vivons encore la transition difficile au cours de laquelle la pensée
sociale peut entrer en décomposition, plus nettement que ne se forme
l'analyse sociologique.
Alain Touraine, Le retour de l’acteur. Essai de sociologie. (1984) 101
[141]
LE RETOUR DE L’ACTEUR.
ESSAI DE SOCIOLOGIE
Deuxième partie
Une sociologie de l’action
Chapitre 6
Les mouvements sociaux :
objet particulier ou problème
central de l'analyse sociologique ?
Les luttes
voit pas bien ce qui unifie ces multiples conflits qui n'en appellent pas
à des valeurs centrales, ne combattent pas un pouvoir dominant, mais
visent seulement à transformer certains rapports de force ou certains
mécanismes particuliers de décision : les agents de changement ne
peuvent guère se définir là globalement, au nom de quelque « sens de
l’Histoire ». Plus encore peut-être que dans le monde du travail, c'est
dans la vie urbaine que se constate ce passage de mouvements sociaux
centraux à des luttes particulières. Les nombreuses études sur les
luttes urbaines contemporaines montrent qu'il s'agit le plus souvent
d'actions limitées, dirigées contre des propriétaires ou des autorités
administratives, pour obtenir de meilleures conditions de logement. Un
nombre croissant de luttes urbaines tendent même à se rapprocher de
ce qu'on a nommé ici conduites collectives, en défendant un environ-
nement menacé ; par exemple les luttes - victorieuses - menées à Ma-
drid pour la sauvegarde du centre historique de la ville.
Ces luttes sont d'autant plus importantes qu'elles recherchent plus
directement un accès au pouvoir de décision, c'est-à-dire s'associent
davantage à un parti politique. C'est pourquoi, dans plusieurs grands
pays industriels, la social-démocratie (tant sa [147] branche révolu-
tionnaire que sa branche réformiste) a étroitement associé les luttes
sociales à l'action politique et les y a en fait subordonnées, l'objectif
fondamental étant la prise du pouvoir.
teurs placés non dans des contradictions, mais dans des conflits. Il
devient alors préférable, pour marquer cet important changement, de
parler de mouvements sociaux plutôt que de classes sociales. Le mou-
vement social est l'action, à la fois culturellement orientée et sociale-
ment conflictuelle, d'une classe sociale définie par sa position de do-
mination ou de dépendance dans le mode d'appropriation de l'historici-
té, des modèles culturels d'investissement, de connaissance et de mo-
ralité, vers lesquels il est lui-même orienté.
Les mouvements sociaux ne sont jamais isolés des autres types de
conflits. Le mouvement ouvrier, qui met en cause le pouvoir social des
maîtres de l'industrie, n'est pas séparable des revendications et des
pressions en vue d'accroître l'influence des syndicats dans les déci-
sions économiques, sociales et politiques. Mais ce qui indique son exis-
tence, c'est la présence d'éléments non négociables dans les négocia-
tions, et par conséquent l'impossibilité pour un syndicat, porteur du
mouvement ouvrier, de mener une action purement instrumentale, en
termes de coûts et d'avantages. Ce qu'on a appelé le syndicalisme de
marché n'appartient pas au mouvement ouvrier - d'où, par contrecoup,
le développement de conduites de rupture : grèves illégales, [153] ab-
sentéisme, freinage accentué, actes de violence ou de sabotage, qui
traduisent la présence refoulée du mouvement ouvrier dans un syndi-
calisme de marché, ou bien dont les revendications sont très forte-
ment institutionnalisées.
Cette observation peut être élargie. Le propre de la démocratie
représentative est que les acteurs politiques dépendent des acteurs
sociaux qu'ils représentent, tout en conservant une autonomie plus ou
moins large : de sorte qu'ils agissent à la fois en fonction de leur posi-
tion dans des systèmes de décision, et comme mandataires de groupes
d'intérêt ou de mouvements. L'opinion perçoit ce phénomène avec iro-
nie quand elle met en évidence le double discours des députés, selon
qu'ils parlent dans leur circonscription ou dans des séances de com-
mission au Parlement. Ainsi un débat politique peut être ce que je
nomme une lutte, et en même temps traduire un mouvement social.
De la même façon, le fonctionnement d'une organisation ne peut
s'analyser uniquement en termes de rapports d'autorité. Les décisions
prises par les cadres s'expliquent aussi par les politiques des diri-
Alain Touraine, Le retour de l’acteur. Essai de sociologie. (1984) 111
est divisé entre deux tendances qui représentent en fait des forces
sociales opposées : une tendance libérale, luttant pour l'égalité et qui
attire des catégories sociales élevées (il est plus intéressant de ré-
clamer l'accès à l'exercice de la médecine, ou au Parlement, qu'à des
tâches non qualifiées) ; et une tendance radicale qui lutte pour la spé-
cificité plus que pour l'égalité, se méfiant même des pièges de celle-ci,
et combat une domination à la fois sociale et sexuelle soit en ratta-
chant l'action des femmes à celle du prolétariat, soit en dénonçant la
domination proprement sexuelle, soit enfin en opposant une conception
relationnelle de la vie sociale, plus proche de l'expérience biopsycholo-
gique des femmes, à une conception technocratique d'origine masculi-
ne.
Les mouvements culturels sont surtout importants au début d'une
nouvelle période historique, quand les acteurs politiques ne sont pas
encore les représentants de demandes et de mouvements sociaux nou-
veaux et que, par ailleurs, la transformation du champ culturel appelle
des débats fondamentaux [156] sur la science, l'investissement éco-
nomique ou les mœurs.
À côté des mouvements sociaux au sens étroit du terme, et des
mouvements culturels ou plus exactement socio-culturels, il faut enco-
re reconnaître l'existence de mouvements socio-historiques. Ces der-
niers ne se situent pas à l'intérieur d'un champ d'historicité, comme
les mouvements sociaux, mais dans le passage d'un type sociétal à un
autre (passage dont l'industrialisation est historiquement la forme la
plus importante). L'élément nouveau est ici que le conflit s'organise
autour de la gestion du développement et que, par conséquent, l'acteur
dominant n'est pas une classe dirigeante, définie par son rôle dans un
mode de production, mais une élite dirigeante, c'est-à-dire un groupe
qui conduit le développement et le changement historique, et se défi-
nit avant tout par la direction de l’État. Un mouvement socio-
historique peut être soit associé à l'État industrialisateur, soit opposé
a lui. Les camps en présence ont en commun de vouloir le développe-
ment, la modernisation, mais l'un veut renforcer la capacité d'investis-
sement et de mobilisation de l'État, quel qu'il soit, tandis que son ad-
versaire en appelle à la Nation et à la participation populaire.
Alain Touraine, Le retour de l’acteur. Essai de sociologie. (1984) 113
12 William Foote Whyte, Street Corner Society, University of Chicago Press, 1965.
Alain Touraine, Le retour de l’acteur. Essai de sociologie. (1984) 117
qui les sépare. L'espace du changement social est en fait à double pen-
te : d'un côté il renvoie aux rapports sociaux et aux effets de l'insti-
tutionnalisation des conflits, donc des réformes ; de l'autre, il conduit
vers le développement, c'est-à-dire vers le passage d'un champ cultu-
rel et [163] sociétal à un autre. C'est cette décomposition nécessaire
d'un ensemble artificiellement constitué qui permet la pénétration de
la sociologie des mouvements sociaux dans cette aire de la vie sociale.
Une notion importante, car utilisable dans tous ces différents cas,
est celle de renforcement. Les conduites observables peuvent certes
s'expliquer comme réponses à l'intégration ou à l'exclusion, à la crise
ou au changement, mais de telles explications laissent toujours échap-
per un résidu important qui ne peut être analysé que comme un ensem-
ble d'effets indirects, soit de la formation, soit au contraire de l'ab-
sence de mouvements sociaux. Là où le conflit ne se forme pas, rè-
gnent l'unité factice de l'ordre, mais aussi la violence et le retrait.
Cette notion de renforcement à l'avantage de respecter l'autonomie
des modes d'analyse qui correspondent plus directement à une aire ou
à une autre de la vie sociale, tout en maintenant l'existence de princi-
pes généraux d'analyse. Ajoutons qu'en parlant de renforcement, nous
ne voulons nullement dire que l'explication en termes de mouvements
sociaux rende mieux compte que d'autres de toute la réalité histori-
que. L'affaiblissement de beaucoup de conflits récents, en particulier
du courant écologiste, prouve au contraire la faiblesse de leur charge
en mouvement social et la présence déterminante, en leur sein, de
conduites d'autres types. Reconnaissons même que, selon les perspec-
tives et les objectifs de chacun, il est possible d'organiser l'ensemble
de l'analyse sociologique autour de telle [164] ou telle démarche géné-
rale. Ainsi, plus on se place dans une perspective sociologique appliquée
(par exemple pour préparer une politique sociale), plus est féconde
l'analyse en termes de système social, d'intégration et de crise ; in-
versement, lorsqu'on cherche à analyser des ensembles sociaux vastes
et complexes et à déterminer la nature des forces sociales qui peuvent
les transformer, les notions d'historicité et de mouvement social de-
vraient occuper la place centrale.
Nombreux sont ceux qui estiment notre société incapable de pro-
duire de nouveaux mouvements sociaux : soit parce que ceux-ci se-
Alain Touraine, Le retour de l’acteur. Essai de sociologie. (1984) 118
[165]
LE RETOUR DE L’ACTEUR.
ESSAI DE SOCIOLOGIE
Deuxième partie
Une sociologie de l’action
Chapitre 7
Les deux faces de l'identité
Le grand retournement
faits, des pensées et des œuvres dont on considère qu'ils ont une por-
tée universelle ou exemplaire ? Nous vivons encore sur l'héritage de la
philosophie des Lumières. La gauche en particulier, dans les pays occi-
dentaux, s'est constamment opposée aux forces de tradition et à la
domination des notables locaux, et si elle a fait si constamment appel à
l'État, c'était dans son esprit pour se servir de sa force, identifiée à
celle de la volonté collective, contre les maîtres et les détenteurs de
la tradition.
Nous pouvons multiplier les exemples. Ceux-ci sont suffisants pour
rappeler que jusqu'à une date très récente nous avons analysé notre
propre expérience historique à l'aide de l'idée de progrès et en iden-
tifiant celui-ci avec le passage de la tradition à l'innovation, de la
croyance à la raison et de l'identité à la démocratie, c'est-à-dire à un
mécanisme de changement. Certains sont mêmes prêts à aller beaucoup
plus loin et à considérer que nos sociétés doivent être analysées ex-
clusivement du point de vue de leur changement, en abandonnant [168]
tout effort pour définir ce qu'on appelle couramment leurs structures
sociales, et par conséquent tout essai de typologie et encore plus de
représentation de l'évolution historique.
Cette conception générale a pris deux formes particulières.
D'abord une forme libérale dont l'idée qui vient d'être évoquée est
l'aboutissement extrême. L'évolution historique serait alors le passage
de sociétés fermées à des sociétés ouvertes, de sociétés de contrôle
à des sociétés de liberté. L'autre version se représente au contraire
l'évolution comme le passage du pouvoir absolu à la démocratie, c'est-
à-dire à la réduction du pouvoir aux résultats des rapports sociaux,
par les progrès de la démocratie représentative, dans l'ordre propre-
ment politique ou dans l'ordre économique. Ces deux conceptions
conduisent à des conséquences tout à fait opposées, mais l'une et l'au-
tre sont amenées à écarter la notion d'identité de leur idéologie.
Il est surprenant de voir avec quelle rapidité cette représentation
se décompose ou est rejetée. Le fait le plus important ici est le rôle
rapidement croissant des sociétés dépendantes, en lutte contre cette
dépendance ou contre la colonisation. Alors qu'au siècle passé seules
les sociétés « centrales » semblaient avoir une histoire, l'histoire
contemporaine est dominée pour une part de plus en plus grande par
Alain Touraine, Le retour de l’acteur. Essai de sociologie. (1984) 122
il nous semble de plus en plus que la richesse d'un ensemble est faite
de sa diversité et de sa souplesse.
Nous voici donc placés devant un choix difficile. Peu nombreux,
dans nos sociétés au moins, sont ceux qui renoncent complètement à ce
qu'on peut nommer l'image progressiste de l'histoire et pour qui les
pays du monde ne sont séparés que par des différences qualitatives.
Encore moins nombreux sont ceux qui souhaitent un retour général en
arrière et qui ont une image entièrement régressive du progrès. Mais
en même temps, l'appel à la spécificité, à la différence, au nationalis-
me et à toutes les formes d'identité, gagne du terrain. Nous sommes
ainsi placés dans une confusion presque complète. N'en prenons qu'un
exemple, choisi dans le domaine politique. Une gauche et une extrême
gauche d'inspiration révolutionnaire, c'est-à-dire universaliste, ont
soutenu des mouvements de libération nationale et des États qui en
appelaient à une [171] identité et, comme les communistes égyptiens
sous Nasser ou la gauche iranienne après la chute du Chah, se retrou-
vent dans les prisons du prince naguère acclamé. La confusion devient
plus extrême encore quand ces thèmes nationalistes, qui semblaient
passés à gauche, retrouvent tout d'un coup leur lieu d'origine, c'est-à-
dire sont repris en charge par une nouvelle droite qui, en France, se
réclame d'un nationalisme français appuyé sur une tradition culturelle
spécifique et mobilisé pour la défense de ce qu'il considère comme sa
supériorité.
C'est ici que la réflexion des sciences sociales peut intervenir,
puisque les pratiques sociales semblent porter des sens contradictoi-
res.
Le populisme
L'identité offensive
[181]
LE RETOUR DE L’ACTEUR.
ESSAI DE SOCIOLOGIE
Deuxième partie
Une sociologie de l’action
Chapitre 8
Changement et développement
était, avant tout parce [182] que Parsons indiqua très clairement que
son analyse de la société reposait sur une conception évolutionniste,
sur l'idée, héritée du siècle passé, que le mouvement de l'histoire
conduit vers plus de rationalité instrumentale. Au lieu de revenir sur
les causes du déclin de l'évolutionnisme, il est plus important d'insis-
ter sur les dangers de ce qui semble avoir pris la place de l'évolution-
nisme et qu'on peut nommer l'historicisme. La différence entre les
deux est que l'évolutionnisme, d'inspiration anglo-saxonne, pense dé-
gager des tendances générales de l'évolution sociale, à mesure que les
sociétés deviennent plus techniques et plus complexes, tandis que
l'historicisme au contraire, d'inspiration allemande, insiste sur la par-
ticularité du parcours de chaque acteur collectif, guidé par une volonté
et orienté par une culture et par une histoire. Aujourd'hui où l'histoi-
re est occupée surtout par la multiplicité conflictuelle des modèles de
développement, l'historicisme triomphe, tandis que l'évolutionnisme
régresse. Nos sociétés qui croyaient parler au nom de valeurs univer-
selles se sont vu rappeler, souvent brutalement, qu'elles avaient été
des sociétés colonisatrices, qu'elles étaient encore les centres de
l'impérialisme et qu'elles faisaient peser leur puissance économique et
militaire sur une grande partie du monde. La crise culturelle des an-
nées soixante a également mis fin à l'illusion d'une évolution linéaire
conduisant vers plus d'instrumentalité, de séparation des rôles et de
froideur dans la vie sociale. Le danger de l'historicisme est d'enfer-
mer chaque société dans sa particularité, c'est-à-dire de [183] faire
disparaître les sociétés derrière les États, les systèmes sociaux der-
rière les politiques, et plus simplement les pratiques derrière les dis-
cours. C'est pourquoi la tâche la plus importante et la plus pratique de
la sociologie aujourd'hui est de définir les relations entre l'analyse
des systèmes sociaux et l'analyse des transformations historiques,
entre l'analyse synchronique et l'analyse diachronique. Ce qui suppose
d'abord qu'on reconnaisse leur séparation. La manière la plus simple de
l'affirmer est de reconnaître qu'il n'existe jamais de changement his-
torique, de passage d'un type de société à un autre, d'un champ d'his-
toricité à un autre, qui soit purement endogène. Tout changement so-
cial est à un degré ou à un autre exogène. Ce qui rend désuète l'idée
de la Deuxième Internationale selon laquelle un type de société ne
pouvait se développer que quand le type précédent avait épuisé toutes
Alain Touraine, Le retour de l’acteur. Essai de sociologie. (1984) 132
influence sur l'État, nul ne l'a jamais oublié ; mais le phénomène histo-
rique le plus important et le plus constant est la distance qui sépare
l’État de la classe dirigeante. Le développement économique de l'Italie,
de l'Allemagne et du Japon fut rendu possible par des initiatives éta-
tiques beaucoup plus que par l'action des bourgeoisies nationales et,
dès qu'on s'éloigne un peu plus des centres de l'industrialisation capi-
taliste, le rôle de l'État dans les transformations [187] historiques est
si évidemment dominant qu'il semble absurde d'en faire le serviteur
d'une classe dirigeante qui en général n'existe même pas ou que cet
État s'empresse de liquider. En Algérie comme au Brésil, au Mexique
comme à Singapour, au Viêt-Nam comme au Congo, en Irak comme en
Pologne, c'est bien l'État qui dirige l'industrialisation et la transfor-
mation de la société. Il est vain de chercher à réduire ce pouvoir
d'État à une réalité de classe, en parlant par exemple de bourgeoisie
d'État. Les deux mots n'appartiennent pas au même vocabulaire et
leur accouplement ne fait que masquer un problème qu'il est indispen-
sable de traiter directement. Assurément l'État n'est pas étranger
aux intérêts et aux rapports de force qui dominent la société civile ;
mais cette constatation banale ne justifie aucunement qu'on confonde
deux ordres de problèmes, ceux du fonctionnement et ceux de la
transformation des sociétés. Or cette distinction ne devient claire que
si on n'oppose pas seulement l'État à la société civile. Ce qu'il faut
distinguer c'est, plus largement, le mode de production et le mode de
développement d'une société. Ce qui conduit à remettre en cause les
idées les plus communément admises. J'ai déjà dit que les classes et
les rapports de classes se situaient dans un mode de production ou
plus précisément dans un type d'historicité et en particulier d'inves-
tissement. Il existe des rapports de classes propres à la société in-
dustrielle, et j'ai souligné à ce propos que ces rapports de classes
étaient les mêmes dans une société capitaliste et dans une société so-
cialiste. Ce [188] qui conduit à dire que ce qu'on nomme capitalisme et
socialisme ne sont ni des modes de production ni des rapports de clas-
ses mais des modes d'industrialisation. Le capitalisme est la création
d'une économie marchande, industrielle ou post-industrielle par une
bourgeoisie nationale ; on peut parler de capitalisme dépendant lorsque
la transformation économique est dirigée par une bourgeoisie étrangè-
re ou plus exactement par un système capitaliste dont le centre est à
Alain Touraine, Le retour de l’acteur. Essai de sociologie. (1984) 135
par la figure de l'État. Question mieux connue des historiens que des
sociologues, qui est apparue pour la première fois de manière éclatante
dans la pensée austro-marxiste et n'a cessé de prendre de l'importan-
ce à mesure que des révolutions ou des transformations dites socialis-
tes pénétraient plus largement dans des régions dominées par des
États nationaux autocratiques ou des États étrangers colonisateurs.
L'analyse synchronique et l'analyse diachronique ne se croisent pas
simplement ; leur relation est inscrite dans l'analyse du système social
et plus précisément dans celle des rapports de classes. Car ceux-ci, on
le sait, ont deux faces ; rapports de production entre une classe diri-
geante et une classe travailleuse et revendicatrice ; rapports de re-
production entre une classe dominante et une classe dominée. D'un
côté les classes antagonistes luttent pour le contrôle de l'historicité
et plus leur conflit [192] est vif, plus aussi il développe les forces de
production et de changement par rapport aux facteurs de crise et aux
forces de reproduction. Au contraire, lorsqu'une classe dominante dé-
fend surtout ses privilèges et qu'une classe populaire défend son gen-
re de vie traditionnel, elles n'ont besoin ni l'une ni l'autre de se réfé-
rer à l'historicité et cherchent alors l'État comme champ de leur
conflit ou comme allié contre leur adversaire. C'est la distance entre
les rapports de production et les rapports de reproduction qui déter-
mine la distance entre la classe dirigeante et l’État. Partout où, pour
les raisons les plus diverses, la classe dirigeante est en réalité une
classe dominante, celle-ci doit s'appuyer sur l'État pour faire respec-
ter l'ordre qui la favorise et réprimer les tentatives pour le transfor-
mer. Les classes populaires, de leur côté, doivent alors s'attaquer à
l'État, protecteur principal d'une classe dominante qui, sans l'appui de
ses armes et de ses lois, serait incapable de se défendre. Là où l'État
n'est que l'agent corrompu, artificiellement maintenu, d'un État colo-
nisateur, la lutte sociale peut même se concentrer sur le terrain de la
lutte armée contre l'État. Tel fut le cas de la guérilla cubaine contre
Batista, tel est encore le cas de la guérilla menée au Salvador et, si les
guérillas échouèrent au Venezuela, au Pérou ou même en Bolivie, c'est
parce que l'État, dans ces pays, était loin d'être semblable à celui qui
renversa Fidel Castro ou à celui de Somoza. En France, c'est parce que
l'industrialisation a été menée plus souvent par l'État que par la bour-
geoisie et parce que celle-ci a été fort occupée à [193] défendre ses
Alain Touraine, Le retour de l’acteur. Essai de sociologie. (1984) 138
[196]
Cet exemple, tiré de l'histoire des idées, montre l'échec de toutes
les tentatives pour unifier l'analyse des systèmes et celle des trans-
formations historiques. L'analyse sociologique doit reconnaître la sé-
paration de ces deux axes d'analyse, avant de s'associer au travail des
historiens pour comprendre leurs formes pratiques de combinaison.
Alain Touraine, Le retour de l’acteur. Essai de sociologie. (1984) 141
[197]
LE RETOUR DE L’ACTEUR.
ESSAI DE SOCIOLOGIE
Deuxième partie
Une sociologie de l’action
Chapitre 9
La méthode de la sociologie
de l’action : l’intervention
sociologique
simples que les périodes de calme. On peut même penser que le mo-
ment révolutionnaire est celui où les forces sociales sont le moins visi-
bles, le plus recouvertes par les problèmes de 1’État, où les mécanis-
mes sociaux sont le plus complètement remplacés par la dictature des
armes ou de la parole. À tel point que les révolutions, qui restent des
sujets majeurs de réflexion pour les historiens, sont probablement les
moments les moins favorables à une réflexion sur l'action historique :
comme si en ces instants, où peut-être en effet les hommes font leur
histoire, ils étaient particulièrement peu en mesure de comprendre
l'histoire qu'ils font et même portés à faire le contraire de ce qu'ils
croient faire. Ainsi les sociologues intéressés par l'étude de l'action
historique se trouvent-ils pratiquement dépourvus de méthode. Ils ne
peuvent [200] plus s'en tenir à une analyse historique qui ferait appa-
raître d'elle-même son sens, comme le pensaient les historiens et so-
ciologues du XIXe siècle, de Michelet à Weber. Le premier, suivi par
bien des historiens d'Europe centrale, voyait dans l'histoire moderne
la naissance de la nation ; le second y voyait les étapes du désenchan-
tement du monde, de la sécularisation et de la rationalisation. Ces vi-
sions évolutionnistes, unilinéaires, apparaissent aujourd'hui insuffisan-
tes. Elles ne nous expliquent ni les retours en arrière dans la barbarie,
ni la multiplicité des voies de développement. Il semblerait donc qu'on
ne dispose plus d'aucune méthode pour étudier la manière dont une
société produit ses modèles culturels, ses rapports sociaux et ses pra-
tiques. L'intervention sociologique est la méthode qui s'efforce de
combler ce vide. Elle veut être au service de l'étude de la production
de la société, comme l'enquête extensive est au service de l'étude des
formes et des niveaux de participation sociale.
Alain Touraine, Le retour de l’acteur. Essai de sociologie. (1984) 144
Principes
[202]
Procédures
complexes, l'intérêt pour les petits groupes a été associée dans les
sciences sociales à la réduction des rapports sociaux aux rapports in-
terpersonnels. Supposition dénuée de tout fondement. Pour en rester
au domaine propre de la psychologie sociale, comment peut-on oublier
que Lewin a réfléchi d'abord sur le nazisme, que Moreno a voulu re-
trouver l'esprit de la Révolution soviétique, que Serge Moscovici 14
vient de montrer combien l'étude des minorités actives, telle que peut
la mener le psychologue social, pouvait avoir une large signification po-
litique ? W. Doise 15 , dans sa thèse récente, a insisté sur la nécessité
de renforcer cette orientation sociologique de l'étude des groupes.
L'important est ici non pas la taille du groupe étudié mais le fait que
soient constitués des groupes d'intervention placés dans une situation
artificielle telle que leurs membres se perçoivent, dans cette situation
plus [204] que dans leur vie habituelle, comme des producteurs de leur
histoire, des histoires, des transformateurs de leur situation. Le point
de départ de l'intervention sociologique consiste à constituer de tels
groupes, formés d'acteurs ou plus strictement de militants qui n'ont
jamais à se placer hors de leur action, mais qui, en tant que militants,
s'engagent aussi dans un travail d'analyse. Il ne devrait pas y avoir de
contradiction entre le rôle de militants et le rôle d'analystes des par-
ticipants, puisque l'analyse est orientée vers la découverte du sens le
plus profond de l'action. Mais en pratique la formation de ces groupes
se heurte à de grandes difficultés. Tout acteur cherche à rester maî-
tre de son sens ; son idéologie résiste à l'analyse. Nous avons fait
l'expérience de la résistance particulièrement forte non pas des mili-
tants eux-mêmes, mais des intellectuels « organiques », qui prétendent
parler en leur nom et être les producteurs de leur idéologie. De l'autre
côté la formation de tels groupes suppose de la part des chercheurs
une attitude qui ne peut pas être de neutralité. Pour que s'établisse la
relation nécessaire entre les acteurs et les analystes, il faut aussi que
ceux-ci soient perçus comme se mettant au service non pas de l'acteur
et de son idéologie mais de leur sens possible. Quel que soit l'acteur
thèses à des [208] situations nouvelles et voir si elles aident des grou-
pes à mieux analyser leur action et les réactions qu'elle suscite.
Problèmes
logique n'est pas de prévoir des événements mais d'analyser les méca-
nismes par lesquels se forme l'action collective et, au niveau le plus
élevé, les mouvements sociaux.
Le problème le plus difficile à résoudre concerne le rôle des cher-
cheurs. Ce rôle est nécessairement double puisque les chercheurs doi-
vent susciter et accompagner l'auto-analyse des acteurs et, d'un autre
côté, entraîner le groupe dans sa conversion en prenant l'initiative de
lui présenter une certaine image de lui-même. Les chercheurs doivent
donc garder par rapport au groupe la distance de la connaissance à
l'action, mais en même temps rester proches des acteurs, de leurs
idéologies et de leurs objectifs concrets. Ceci oblige à diviser les rôles
de recherche entre deux personnes. J'appelle interprète le chercheur
qui reste près de l'auto-analyse du groupe, celui qui « pousse » le
groupe en avant et [210] qui s'efforce d'éviter toute rupture entre
son expérience de lutte réelle et son activité dans le cadre de l'inter-
vention. J'appelle analyste celui qui se place plus constamment du point
de vue de l'analyse et qui s'efforce de construire des hypothèses à
partir des conduites du groupe pendant la première phase de l'inter-
vention. Cette différenciation des deux fonctions est d'autant plus
marquée que l'action est plus éloignée du mouvement social qu'elle
peut porter en elle. Si cet éloignement était total, il ne pourrait plus y
avoir de communication entre les deux chercheurs et la crise qui se
produirait à l'intérieur de l'équipe de recherche serait une bonne indi-
cation de l'absence de mouvement social dans la lutte. Inversement, si
une action est fortement chargée de mouvement social, les deux cher-
cheurs peuvent travailler côte à côte et l'interprète peut prendre une
part directe et importante à la conversion. En tout état de cause le
danger principal qui menace les chercheurs n'est probablement pas de
garder trop de distance par rapport au groupe mais au contraire de
trop s'identifier à lui. Ceci peut s'expliquer par des causes idéologi-
ques mais aussi par d'autres plus concrètes. Le chercheur dépend du
groupe pour la réussite de sa recherche ; il a donc besoin d'être ac-
cepté par lui et pense pouvoir y parvenir en réduisant la distance qui
les sépare, en montrant sa loyauté par rapport au groupe et à sa lutte,
voire en s'identifiant au groupe, cherchant même quelquefois à en de-
venir le leader. Cette forte identification du chercheur au groupe peut
créer l'illusion que le groupe est [211] capable de mener loin son auto-
Alain Touraine, Le retour de l’acteur. Essai de sociologie. (1984) 151
Champ
4. Tout ce qui vient d'être dit repose sur une certaine confiance
dans la possibilité d'apparition de mouvements sociaux. Il convient
pourtant de donner autant d'importance à ce qu'on peut nommer les
anti-mouvements sociaux, c'est-à-dire à tout ce qui en appelle de ma-
nière défensive à une communauté et à son consensus contre un ennemi
extérieur. Ce qui, dans certaines circonstances, peut s'ouvrir en mou-
vement social peut, dans d'autres circonstances, se refermer en anti-
mouvement. Le mouvement ouvrier s'est parfois refermé en groupe-
ment autoritaire rejetant les minorités. Aujourd'hui, à l'échelle du
monde, prennent une importance croissante les mouvements de défen-
se communautaire, qui s'opposent à une industrialisation autoritaire,
brutale, et qui apparaît commandée de l'extérieur.
Faut-il conclure de ces brèves indications que de proche en proche
la méthode d'intervention sociologique [216] entend s'imposer à l'en-
semble du champ de la sociologie ? Oui et non. Il est impossible en ef-
fet de décider a priori qu'un type de, conduite sociale n'a aucun rap-
port avec le champ d'historicité et les mouvements sociaux qui l'ani-
ment. Mais ce serait commettre une erreur inverse que de croire qu'on
peut réduire toutes les conduites sociales aux conduites du niveau le
plus élevé. C'est la raison pour laquelle il faut au contraire opposer
deux ordres de conduites : celles de l'action et celles de l'ordre. Il n'y
a pas de société moderne sans ordre, sans État, sans guerre. Cet im-
mense domaine est dressé en face du monde social, qui est celui des
rapports sociaux et de leurs enjeux culturels. Nous nous demandons
avec angoisse si l'espace ouvert de la société civile, que nous avons peu
à peu étendu en Occident au cours des siècles passés, ne va pas à nou-
veau être envahi par la jungle étatique. Une des tâches principales de
la sociologie est de défendre pied à pied cette clairière et les cultures
que les collectivités humaines y ont développées. La méthode d'inter-
vention sociologique travaille à cette défense ; elle a, certes, une visée
de connaissance, mais cherche aussi à élever le niveau de l'action, de
telle sorte que l'action réelle se rapproche toujours davantage du
maximum d'action possible. Elle cherche à aider les hommes à faire
Alain Touraine, Le retour de l’acteur. Essai de sociologie. (1984) 155
leur histoire, en un moment où, sur les ruines des illusions détruites ou
trahies, cette confiance en la capacité des sociétés de se produire
elles-mêmes recule. Il n'est pas contradictoire d'affirmer que l'inter-
vention sociologique a une valeur heuristique [217] et de reconnaître
qu'elle est aussi le signe d'un désir de faire renaître une conscience
de l'action possible, et contribue ainsi à défendre et à renforcer les
chances de la démocratie.
Alain Touraine, Le retour de l’acteur. Essai de sociologie. (1984) 156
[219]
LE RETOUR DE L’ACTEUR.
ESSAI DE SOCIOLOGIE
Troisième partie
Interroger le présent
[221]
LE RETOUR DE L’ACTEUR.
ESSAI DE SOCIOLOGIE
Troisième partie
Interroger le présent
Chapitre 10
Naissance de la société
programmée
Un niveau d'historicité
L'expérience vécue
de la société programmée
16 Carl Polanyi, The Great Transformation. New York. Farrar. 1944. Tr. fr. Galli-
mard, 1983.
17 Karl Deutsch, Nationalism and Social Communication Cambridge, MA.T. Press
1962.
18 Gino Germani, Politica y sociedad en una época de transicion. Tr. fr. : Politique,
Société et Modernisation, Duculot, 1972.
Alain Touraine, Le retour de l’acteur. Essai de sociologie. (1984) 161
est vrai que radios et télévisions ont multiplié les conversations, les
appels téléphoniques, les jeux ; mais on voit bien que de telles métho-
des restent insuffisantes pour combler l'immense distance entre
l'émission centralisée des informations et la demande de communica-
tion interpersonnelle. Ceci est une des plus importantes conséquences
de la décomposition de la société comme organisme, et c'est cette cri-
se qui explique la sensibilité croissante de nos contemporains aux pro-
blèmes de la communication.
19 Marshall Salhlins, Âge de pierre, âge d'abondance. L'économie des sociétés pri-
mitives. Tr. fr. Gallimard, 1980.
20 Pierre Clastres, La société contre l’État, Éd. De Minuit, 1974.
Alain Touraine, Le retour de l’acteur. Essai de sociologie. (1984) 172
Conclusion
Il n'y a donc pas de rupture aussi complète que certains l'ont pensé
entre la société industrielle et celle qui lui succédera. Nous ne verrons
pas renaître de nouvelles sociétés « primitives » ; nous ne verrons pas
davantage, sauf là où des États autoritaires imposent leur loi, les pro-
blèmes sociaux se fondre dans les problèmes proprement politiques. La
société où nous entrons est, comme les précédentes, définie par le
travail qu'elle exerce sur elle-même et qui, à travers des rapports de
classes, construit les catégories de la pratique. Aux sociétés d'échan-
ge, ont fait suite les sociétés de fabrication ; apparaissent maintenant
les sociétés de communication. Ce qu'il y a en elles de radicalement
nouveau est que, leur capacité d'action sur elles-mêmes s'étendant à
tous les niveaux de l'activité économique, elles ne se conçoivent plus
elles-mêmes comme subordonnées à un ordre transcendant les phéno-
mènes sociaux. La société programmée ne peut plus reconnaître d'or-
dre qui lui soit supérieur. Elle ne peut [247] pas davantage reconnaître
l'existence d'une nature dont elle serait séparée. C'est pourquoi d'un
côté elle reconnaît qu'elle fait partie de la nature mais qu'elle en est
en même temps responsable, c'est-à-dire qu'elle doit gérer l'ensemble
des conséquences prévisibles des modifications qu'elle apporte à un
ordre naturel et, de l'autre côté ne reconnaît plus d'autres dieux
qu'elle-même, puisqu'elle a la capacité de se transformer presque
Alain Touraine, Le retour de l’acteur. Essai de sociologie. (1984) 175
[249]
LE RETOUR DE L’ACTEUR.
ESSAI DE SOCIOLOGIE
Troisième partie
Interroger le présent
Chapitre 11
Les nouveaux conflits sociaux
21 Cf. The Affluent Worker, Cambridge University Press, 3 vol., 1968-69. Trad. fr.
abrégée, L'ouvrier de l'abondance, Seuil, 1972.
Alain Touraine, Le retour de l’acteur. Essai de sociologie. (1984) 183
ments historiques. Ce qui explique que nous ayons rencontré plutôt des
forces de résistance et de défense qu'une capacité de contre-
offensive, une situation conflictuelle plutôt que des conflits. Habituel-
lement, les groupes sur la défensive étaient entraînés dans la contre-
offensive soit par une nouvelle classe dirigeante, soit par une élite po-
litique et idéologique. Indépendantes, les forces de conflits ne ris-
quent-elles pas de rester purement défensives, tandis que l'appareil
régnera comme le soleil au milieu de la société ? N'est-il pas frappant
de voir que dans la partie du monde où l'opposition n'est pas étouffée,
elle est émiettée, sans qu'apparaisse [265] un mouvement social géné-
ral analogue à ce qu'a pu être le mouvement ouvrier au cœur de la pé-
riode précédente ? Au contraire, dans le reste du monde la domination
des grands empires fait que l'État devient le principal agent d'opposi-
tion, dès lors que la collectivité nationale est indépendante.
Ce type de mobilisation collective, qui doit permettre à un pays de
franchir une étape nouvelle, malgré les obstacles qui s'opposent à son
progrès et en particulier malgré la dépendance qu'il subit, n'est pas de
même nature que les mouvements sociaux qui se forment à l'intérieur
d'un type post-industriel de société. De même on ne peut pas confon-
dre le mouvement ouvrier, opposition structurelle au capitalisme, et
l'action étatique, révolutionnaire ou conservatrice, d'industrialisation
volontaire dans un pays dépendant ou sous-développé.
Dans ces conditions, un ensemble idéologiquement cohérent de
mouvements sociaux ne peut pas acquérir un principe d'unité qui en
ferait un gestionnaire possible. Ce qui unifie les mouvements sociaux
d'opposition ne peut être que leur attitude d'opposition.
Leur action critique, cherchant constamment à briser la croûte des
idéologies, des catégories de la pratique et des rôles, pour retrouver,
non la spontanéité ou la nature humaine, mais la réalité des rapports
sociaux, est le seul principe possible d'unité des forces d'opposition et
de résistance dans le type de société où nous entrons. Ces sociétés
sont condamnées à être autoritaires, à être des appareils, [266] si
elles ne sont pas transformées par cette activité critique, condition
élémentaire de la démocratie. Face au souverain la démocratie fut po-
litique ; face au capitalisme elle dut devenir « sociale », c'est-à-dire
pénétrer dans le domaine du travail, devenir démocratie industrielle.
Alain Touraine, Le retour de l’acteur. Essai de sociologie. (1984) 188
[271]
LE RETOUR DE L’ACTEUR.
ESSAI DE SOCIOLOGIE
Troisième partie
Interroger le présent
Chapitre 12
Le reflux
des mouvements sociaux
Mais, depuis quelque temps, il semblerait que ces faits et ces idées
appartiennent au passé. La crise économique, la gravité des affronte-
ments internationaux, mais aussi la force de mouvements collectifs
très éloignés de ceux qu'avait connus l'Occident au cours des années
soixante, en Iran d'un côté et [272] en Pologne de l'autre, amènent à
se détourner de courants d'opinion qui, de leur côté, perdent de leur
force, hésitent entre l'isolement et une influence trop facilement
exercée. La réflexion sur la société devient de plus en plus une analyse
de l'État, de sa politique économique et de son rôle dans la concurren-
ce internationale. Bientôt peut-être, le thème de la guerre ou de la
paix mondiale sera-t-il le seul qui semblera mériter l'attention. Déjà
certains pensent que les récents mouvements sociaux, qui apparais-
saient porteurs d'avenir il y a quelques années, n'étaient en réalité que
les derniers feux d'une ère bien terminée, celle de l'expansion à tout-
va, liée à l'hégémonie occidentale sur la plus grande partie du globe.
Comptant moi-même parmi ceux qui accordèrent la plus grande im-
portance à ces nouveaux mouvements sociaux et qui voulurent tirer
d'une réflexion sur leur action une nouvelle conception de la sociologie,
je me dois de jeter un regard critique sur les faits et les idées aux-
quels j'ai accordé tant d'importance ; n'avons-nous pas donné une por-
tée exagérée à des phénomènes en définitive peu importants et éphé-
mères ? Et même n'y avait-il pas à la base de cette attention trop
complaisante vis-à-vis de phénomènes mineurs une réaction craintive à
l'égard des grands bouleversements qui transforment le monde et qui
n'ont pas grand rapport avec les états d'âme d'intellectuels apparte-
nant aux classes moyennes des pays les plus riches du monde ?
Quelle que soit la réponse à donner aux questions et aux critiques
ainsi formulées, il est impossible [273] aujourd'hui de se contenter de
décrire de manière volontariste ces nouveaux mouvements sociaux ; il
faut s'interroger sur les difficultés qu'ils ont rencontrées, sur les
raisons de leur déclin et peut-être de leur disparition.
Les sociologues qui ont posé l'existence de ces nouveaux mouve-
ments sociaux ont, en tout cas, trop rapidement identifié les actions
particulières qu'ils observaient avec un modèle général. Ils ont ainsi
sous-estimé l'importance de la conjoncture dans laquelle elles se si-
tuaient. Or, celle-ci était très particulière, pour deux raisons au moins.
Alain Touraine, Le retour de l’acteur. Essai de sociologie. (1984) 193
D'un côté, ces luttes se plaçaient dans une période économique excep-
tionnelle, à la fin d'une longue phase d'expansion économique et de
croyance en la capacité des sociétés industrielles, en particulier de
type occidental, de continuer indéfiniment à s'enrichir et à se com-
plexifier. De l'autre côté, ces luttes n'étaient pas séparables d'idéo-
logies d'une tout autre nature, mettant en cause la domination exer-
cée par un pouvoir central politico-économique non seulement sur les
sociétés occidentales elles-mêmes, mais aussi et surtout sur l'ensem-
ble du monde. Les révoltes étudiantes aux États-Unis, au Japon, en
Allemagne, en Italie et en France, pendant les années soixante, ne
peuvent pas être comprises sans référence au grand mouvement de
lutte contre la guerre du Viêt-nam qui se répandit alors dans ces pays.
Cette orientation anticapitaliste, anti-impérialiste et anticolonialiste a
été souvent extrêmement éloignée des thèmes qui était ceux des nou-
veaux mouvements sociaux, surtout aux États-Unis : quoi [274] de
commun entre le Free Speech Movement de Berkeley en 1964 et
l'idéologie du S.D.S. à Columbia, puis celle des Weathermen ? Opposi-
tion également visible dans la France de 1968, où l'ouverture d'une
brèche culturelle, la formation de nouveaux mouvements sociaux et
l'idéologie gauchiste se mélangèrent, se renforcèrent mutuellement,
sans pour autant que disparaisse tout ce qui les opposait entre elles.
Mais les auteurs de ces études ont le droit de répondre que les
faiblesses de leurs analyses étaient inévitables. Marx n'a pas pu tenir
compte des conditions particulières de l'industrialisation capitaliste en
Angleterre lorsqu'il élabora sa théorie générale du capitalisme à partir
du seul exemple anglais, pour l'excellente raison qu'au moment où se
formait sa pensée, l'exemple britannique était de loin le plus important
et presque le seul qu'il pût observer. De la même manière, au cours des
années soixante, l'essentiel était d'apercevoir les acteurs et les
champs nouveaux des luttes sociales. Mais, que l'on accepte ou non
cette justification, il n'en reste pas moins qu'en 1985 on ne peut plus
se satisfaire de cette identification trop simple d'une structure socia-
le et d'une conjoncture historique particulières et qu'il faut donc ap-
prendre à séparer, dans ce qu'on nomme les nouveaux mouvements so-
ciaux, ce qui est général de ce qui est particulier et transitoire. Cela
est d'autant plus nécessaire que les grands thèmes contestataires
n'ont pas conduit à la formation d'actions politiques nouvelles et de
Alain Touraine, Le retour de l’acteur. Essai de sociologie. (1984) 194
Décomposition
les mouvements sociaux qui lui correspondent. Alors même que les re-
vendications syndicales sont largement institutionnalisées, des intel-
lectuels ou des militants isolés s'efforcent d'utiliser la violence pour
créer une rupture de l'ordre social capable de relancer une action de
masse. Le terrorisme est par lui-même - comme la guérilla dans d'au-
tres situations - tout le contraire de l'action de classe et de masse : il
marque au contraire une extrême dissociation entre l'appel théorique
à un mouvement déjà disparu et des revendications très institutionna-
lisées. Mais cette composante idéologique ne conduit à l'action que
quand elle est associée à des conduites de crise, c'est-à-dire à la mise
en cause de l'ordre social en lui-même et par conséquent de l'État qui
en est le représentant et le garant. La poussée terroriste a trouvé des
appuis particulièrement larges en Italie où d'autres mouvements, en
particulier dans le domaine urbain, ont [277] montré la sensibilité de
l'opinion à la crise de l'ordre public. En Allemagne aussi, quoique de
manière très différente, le terrorisme a été inséparable d'une cons-
cience de crise politique manifestée par l'absence de possibilités
d'expression politique à l'extrême gauche. Une contre-épreuve est
fournie par la France où se manifestèrent, entre 1970 et 1973, de
fortes tendances au terrorisme qui ne furent contrecarrées que par
l'union de la gauche, et par la perspective d'une solution politique élec-
torale, que les militants d'extrême gauche souhaitaient déborder mais
dont ils reconnaissaient la nécessaire priorité. Dans d'autres cas, et
en particulier en Grande-Bretagne, la tendance au terrorisme est ab-
sente car le système politique reste ouvert, et le reflux social se ma-
nifeste surtout par l'importance accentuée des thèmes idéologiques et
politiques traditionnels du mouvement ouvrier dans la gauche du La-
bour et par l'influence assez importante conquise par les communistes
ou par les socialistes radicaux dans les syndicats.
À l'opposé de la situation qui donne naissance au terrorisme se
trouve celle qui conduit à une institutionnalisation précoce des reven-
dications sociales. Dans beaucoup de pays, et en particulier dans ceux
qui ont été le plus profondément marqués par une expérience social-
démocrate et qui ne connaissent pas de crise proprement politique de
l'État national, les mouvements contestataires se transforment faci-
lement en groupes de pression, obtiennent des mesures légales qui les
satisfont dans une large mesure, tout en laissant subsister des élé-
Alain Touraine, Le retour de l’acteur. Essai de sociologie. (1984) 196
Formation
pui que leur ont donné des forces politiques progressistes : partis ré-
publicains, démocrates ou radicaux, selon les pays. Mais il faut aussi
que les revendications présentées soient à la fois négociables et non
négociables, de telle sorte que l'action revendicative ne soit pas ab-
sorbée par le système politique, mais renforcée par ses succès mêmes,
en même temps que sa contestation reste, dans son principe, négocia-
ble, non intégrable par le système politique en place.
Enfin, le passage de la pression politique au [286] mouvement social
proprement dit requiert, lui aussi, l'intervention d'un facteur d'inté-
gration et d'un facteur de conflit. Le principal élément de conflit est
une définition claire de l'adversaire social : la conscience et l'action
de classe des maîtres de l'industrie ont été le facteur le plus puissant
de constitution du mouvement ouvrier. De l'autre côté, il ne se forme
pas de mouvement social si l'acteur en conflit ne s'identifie pas à des
valeurs culturelles. Le mouvement ouvrier ne s'est formé qu'à partir
du moment où il dépassa le refus des machines et défendit l'idée qu'il
fallait mettre le machinisme et le progrès au service des travailleurs
et de l'ensemble du peuple.
Quelle est la situation actuelle et comment le mécontentement de
l'opinion peut-il se transformer en un mouvement social ? Nos sociétés
sont peu répressives, mais les grands appareils de production ont peu
de flexibilité, ce qui peut amener les forces de mécontentement à pas-
ser à un niveau supérieur d'action. À celui-ci, celui des systèmes de
décision, l'ouverture semble aujourd'hui considérable, en particulier
dans les pays d'institutionnalisation précoce des nouveaux conflits so-
ciaux. En même temps, la part du non-négociable reste considérable,
comme on le voit aussi bien dans les luttes antinucléaires que dans les
mouvements de femmes. Les mouvements en formation trouvent donc
aisément à s'exprimer à un niveau proprement politique, tout en gar-
dant leur autonomie comme forces sociales. En revanche, la transfor-
mation d'une force de pression politique en mouvement social est
[287] difficile. Cela tient d'abord à la faiblesse de la conscience de
classe des dirigeants technocrates, du fait que les mécanismes de pas-
sage à la société post-industrielle sont aujourd'hui plus importants et
plus visibles que les mécanismes de fonctionnement de cette société,
et surtout que le rôle de l'État est de plus en plus grand, ce qui pro-
Alain Touraine, Le retour de l’acteur. Essai de sociologie. (1984) 202
pour les droits civiques conçu dans l'esprit des Lumières et vise à don-
ner à la femme des droits égaux à ceux de l'homme en supprimant dis-
criminations et interdits, le mouvement des femmes se méfie de cette
égalité dans laquelle il voit le risque d'une dépendance à l'égard du
monde des hommes. Le mouvement des femmes, rompant avec les
contradictions d'un égalitarisme qui aboutit à ignorer la différence et
la spécificité de la condition féminine, se replie sur une communauté
féminine plus ou moins ouvertement homosexuelle, mais aussi vise à
transformer cet enfermement volontaire en un moyen de construire un
rapport, entre des sujets, dans lequel aucun des partenaires ne dé-
tienne le sens des conduites de l'autre.
Plus les nouvelles luttes sociales entrent dans le domaine de la
culture et de la personnalité, et plus elles augmentent les chances
d'intégration des diverses luttes en un mouvement social général. Mais
cette intégration a besoin, pour réussir, d'être confrontée à l'action
de forces extérieures de résistance [291] ou de répression. Dans une
société entièrement « ouverte », l'intégration des diverses luttes ne
pourrait pas être poussée jusqu'à son terme. Cette résistance vient
surtout de l'État, qui oppose à l'autonomie des rapports sociaux les
exigences pressantes de la concurrence internationale. Dans une pé-
riode de crise, ce conflit entre l'État et la société ne peut que se ren-
forcer.
Le risque de décadence
Conclusion
tion. Une sociologie pour qui les hommes font leur histoire en sachant
qu'ils la font, tout en étant en même temps enfermés dans des idéolo-
gies. Il est urgent que se développent de nouvelles démarches de re-
cherche qui regardent enfin en face l'action sociale elle-même, qui
étudient les acteurs non pas seulement dans leurs actes, mais aussi
dans l'analyse qu'ils donnent eux-mêmes de ces actes, et qui s'effor-
cent de faire émerger, au-delà des conduites-réponses qu'impose
l'existence d'un ordre social, les conduites de mise en question, celles
par lesquelles se [298] produit conflictuellement la société. La forma-
tion de nouveaux mouvements sociaux et la transformation de l'analyse
sociologique ne sont pas séparables l'une de l'autre.
Alain Touraine, Le retour de l’acteur. Essai de sociologie. (1984) 210
[299]
LE RETOUR DE L’ACTEUR.
ESSAI DE SOCIOLOGIE
Troisième partie
Interroger le présent
Chapitre 13
Mouvements sociaux,
révolution et démocratie
L'idée de progrès
populaire d'État. À ces deux cas s'oppose celui des pays dont les prin-
cipaux partis ont été organisés sur des lignes de classe et où le systè-
me politique est resté ouvert. La distance entre institutions démocra-
tiques et mouvements sociaux y a été plus limitée, comme ce fut le cas
de l'Angleterre, de l'Allemagne pendant de longues périodes, ou enco-
re du Chili et de l'Argentine.
À la séparation entre mouvements sociaux et institutions démocra-
tiques, qui fut introduite par le mouvement ouvrier lui-même au XIXe
siècle, le XXe siècle a ajouté une distance croissante entre mouve-
ments sociaux et révolution et une nette séparation entre démocratie
et révolution au niveau mondial. Les mouvements révolutionnaires sont
de moins en moins anticapitalistes et de plus en plus anti-impérialistes
et anticolonialistes. Cette transformation a entraîné le déplacement
des mouvements révolutionnaires des pays industriels vers les pays non
industriels, des pays centraux vers les pays périphériques. Très sensi-
ble après la Révolution soviétique, elle a entraîné des effets plus im-
portants encore après la Deuxième Guerre mondiale, par [308] suite
du rôle croissant des entreprises multinationales, des effets dramati-
ques des guerres coloniales en Asie et en Afrique et de l'intervention
directe des grandes puissances dans la vie politique de nombreux pays
du Tiers-Monde.
À l'opposé, les régimes démocratiques ont réussi à institutionnali-
ser les conflits industriels, tandis que c'est dans les régimes autori-
taires que les revendications devaient prendre une forme révolution-
naire. Ainsi l'idée de démocratie et celle de révolution correspondent-
elles de plus en plus à des régions du monde différentes.
On assiste donc, au cours du XIXe et d'une grande partie du XXe
siècle, à une séparation progressive des trois notions qui avaient
d'abord été confondues. Elles ne sont plus unies dans une vision évolu-
tionniste de la vie sociale. Mouvements sociaux, démocratie et révolu-
tion représentent des réalités et des régions non seulement différen-
tes, mais souvent opposées les unes aux autres.
Alain Touraine, Le retour de l’acteur. Essai de sociologie. (1984) 217
tres, et plus les intellectuels ont proclamé leur unité. Pendant plus
[310] d'un siècle, ils ont affirmé avec une force croissante que les lut-
tes de classes, les mouvements de libération nationale et les mouve-
ments de modernisation culturelle n'étaient que divers aspects du
même conflit général entre l'avenir et le passé, entre la vie et la mort.
À partir de la fin du XIXe siècle, et jusqu'au milieu des années 1970,
avec plus ou moins de force selon les pays et selon les périodes, s'est
développée une idéologie (ou plus exactement un mythe) visant à réuni-
fier des forces de plus en plus séparées et qui entraient même en
conflit entre elles.
Parfois de manière réformiste : les Fabiens - S. et B. Webb en
particulier – ont introduit l'idée de démocratie industrielle qui a été
ensuite utilisée, dans un contexte de plus en plus limité, pour rendre
compte du développement des négociations collectives. Dans d'autres
pays, et à d'autres moments, de manière plus radicale. C'est ici que les
intellectuels français ont joué un rôle central, en même temps que cer-
tains intellectuels du Tiers-Monde. D'Anatole France à André Gide,
d'André Malraux à Jean-Paul Sartre, une longue tradition d'intellec-
tuels français a considéré que les régimes révolutionnaires, socialistes
ou communistes, puis les régimes nationalistes du Tiers-Monde, étaient
des agents d'ouverture et de transformation d'une démocratie jus-
qu'alors trop limitée, trop bourgeoise. On peut proposer bien des in-
terprétations de ce phénomène par lequel tant d'intellectuels, guidés
par la recherche de l'unité de toutes les forces et formes de trans-
formation politique et sociale, en sont venus à [311] appuyer des régi-
mes bien éloignés de tous les principes démocratiques.
Cependant, l'essentiel n'est pas l'aveuglement d'un certain nom-
bre ; il est au contraire l'existence d'un courant autonome d'intellec-
tuels de gauche, clairement différents des intellectuels révolutionnai-
res, défenseurs des libertés publiques dans leur propre pays et le plus
souvent attaqués à leur tour comme intellectuels bourgeois par les ré-
gimes autoritaires post-révolutionnaires. Ces intellectuels de gauche
ont réagi contre la séparation croissante des mouvements sociaux, de
la démocratie et de la révolution. Dans une première étape, ils ont sou-
tenu une nouvelle alliance entre la démocratie et les mouvements so-
ciaux, comme ce fut le cas pour les intellectuels libéraux rooseveltiens
Alain Touraine, Le retour de l’acteur. Essai de sociologie. (1984) 219
communication est plus important que la propriété des usines par des
monopoles) que les mouvements de protestation s'opposent avant tout
à cette concentration. Contre une longue tradition, ils rejettent l'idée
de révolution parce que celle-ci ouvre la voie au renforcement du pou-
voir d'État. Ils ne sont pas contre-révolutionnaires mais anti-
révolutionnaires, au sens où l'était la résistance espagnole à l'armée
napoléonienne brandissant le drapeau de la Révolution française, ou au
sens où l'étaient les ouvriers tchèques qui s'opposèrent à une armée
qui couvrait ses tanks du drapeau du mouvement ouvrier révolutionnai-
re.
Sur le plan intellectuel, la réaction contre la transformation de
mouvements sociaux en États [318] autoritaires a provoqué un retour
en force de l'idéologie libérale. La France, où l'influence des intellec-
tuels de gauche avait été la plus forte, est le pays où la transforma-
tion de la vie intellectuelle fut la plus brutale. Raymond Aron vécut
assez longtemps pour être certain qu'en fin de compte sa défense des
institutions démocratiques et ses attaques contre « l'opium des intel-
lectuels » avaient été acceptées tant à gauche qu'à droite, et l'idéolo-
gie révolutionnaire qu'il avait combattue rejetée par la grande majori-
té, y, compris par les disciples de Sartre.
Une transformation sensible est l'importance et l'autonomie nou-
vellement reconnues par la pensée sociale aux catégories politiques et
avant tout à celle de démocratie. Longtemps, on avait critiqué les ins-
titutions démocratiques au nom de la démocratie « réelle » et de la
justice sociale ; on redonne enfin maintenant la plus grande importance
aux mécanismes légaux et institutionnels de représentation et plus
simplement à la libre expression des intérêts, des idées et des protes-
tations. Un nombre accru d'intellectuels occidentaux analysent les
dangers de transformation de mouvements populaires en régimes auto-
ritaires, alors qu'auparavant on se souciait surtout de parler au nom
des acteurs sociaux rejetés hors du système politique.
Il semble donc bien que l'idée de démocratie ait aujourd'hui triom-
phé dans le monde occidental, tandis que les termes de démocratie, de
mouvement social et de révolution semblent avoir tous les trois dispa-
ru du monde communiste et être en crise dans [319] le Tiers-Monde.
Après de longues années de dictature, les Brésiliens, Argentins, Uru-
Alain Touraine, Le retour de l’acteur. Essai de sociologie. (1984) 224
Supposons admise l'idée que l'ère des révolutions, ouverte par les
Révolutions américaine et française, puis prolongée et amplifiée par la
Révolution soviétique, parvient à sa fin et, ce qui est plus facile enco-
re, reconnue la crise de la pensée scientiste et évolutionniste sur la-
quelle l'action et l'interprétation des mouvements révolutionnaires ont
été construites. Mais, de là, doit-on nécessairement conclure que le
déclin du modèle révolutionnaire conduit seulement au triomphe d'un
modèle politique [320] opposé, à savoir le modèle démocratique ? Ou
bien faut-il revenir à notre observation principale sur le mouvement
ouvrier et reprendre l'hypothèse que nous entrons dans une période et
dans un type de société où les mouvements sociaux sont de plus en plus
autonomes par rapport à leurs expressions politiques, de sorte que le
déclin du modèle révolutionnaire devrait donner un rôle aussi central
aux mouvements sociaux qu'aux systèmes institutionnels ? Il faut
pourtant reconnaître qu'aujourd'hui, dans le monde occidental, l'atti-
tude anti-révolutionnaire est si forte que toute référence aux mouve-
ments sociaux apparaît comme une manière indirecte et confuse de
sauver certains aspects du modèle révolutionnaire en déclin. L'idée
même que l'action politique « représente » des groupes sociaux sem-
Conclusion
[329]
LE RETOUR DE L’ACTEUR.
ESSAI DE SOCIOLOGIE
POST-SCRIPTUM
À ceux qui tendent à voir dans tous les aspects de la vie sociale la
présence implacable d'une domination, cette conception rappelle que
les acteurs dominés peuvent aussi participer à une culture et par
conséquent lutter contre la domination sociale à laquelle cette culture
est soumise. À ceux qui ne voient dans les rapports sociaux que l'appli-
cation diversifiée de valeurs et de normes générales, elle montre
qu'entre les orientations culturelles et les [332] formes d'organisa-
tion s'interposent des rapports de domination décelables dans toutes
les pratiques collectives. À ceux qui continuent à expliquer un fait so-
cial par sa place dans une évolution historique, elle oppose l'idée que
les sociétés sont de moins en moins « dans » l'histoire, qu'elles produi-
sent elles-mêmes leur existence historique par leur capacité économi-
que, politique et culturelle d'agir sur elles-mêmes et de produire leur
avenir et même leur mémoire.
Cette rupture avec la sociologie classique n'est possible que si nous
cessons aujourd'hui d'identifier l'acteur à ses œuvres, le sujet à
l'histoire, si nous abandonnons les visions épiques sur lesquelles se
sont fondées les idéologies politiques qui nous étouffent, pour adopter
une position plus romantique, pour retrouver l'acteur dans son empri-
sonnement ou dans sa solitude plutôt que dans le triomphe de ses œu-
vres. De là l'importance donnée, non seulement comme objet spécifi-
que d'étude, mais aussi comme source d'une origine plus générale de
réflexion, aux mouvements de protestation où l'innovation et la révolte
se mêlent pour dégager les acteurs sociaux des institutions comme des
idéologies et faire apparaître les unes et les autres comme le produit
indirect des orientations culturelles et des conflits sociaux où sont
engagés ces acteurs.
nérale retrouve ici tout naturellement les problèmes qui nous touchent
au plus près, car existe-t-il changement plus fondamental que celui qui
sépare sous nos yeux l'idée de mouvement social de celle de révolution,
désormais compromise par la dégénérescence des régimes post-
révolutionnaires, pour l'allier à celle de démocratie, de liberté politi-
que, si longtemps méprisée comme « bourgeoise », mais sans laquelle
les acteurs sociaux ne [338] peuvent ni se combattre, ni négocier ? Ce
n'est pas là soumettre l'analyse sociologique à des buts politiques,
c'est au contraire éclairer le champ politique à la lumière de l'analyse
sociologique que de placer au centre de notre réflexion actuelle deux
problèmes : comment maintenir et développer l'autonomie de la socié-
té civile et de ses acteurs par rapport à un État qui gère de plus en
plus directement la vie économique, sociale et culturelle ? et comment
construire l'alliance des mouvements sociaux et de la démocratie poli-
tique ?
On ne répond pas à ces problèmes seulement en définissant les exi-
gences et les orientations des nouveaux mouvements sociaux. Aussi
important, et plus urgent aujourd'hui, est de libérer le sujet des illu-
sions techniciennes, des bureaucraties, des jeux politiciens et des
pouvoirs absolus qui l'étouffent ou cherchent à le détruire.
Pendant longtemps, l'appel au sujet, à la capacité des hommes de
faire leur histoire, prit la forme de projets historiques : détruire les
privilèges, changer les institutions, prendre le pouvoir. Ces appels de-
vaient mettre en mouvement des masses exclues de l'histoire. Aujour-
d'hui, le monde ne souffre plus d'être trop vide et trop silencieux ; il
est rempli de bruit et de fureur. Le temps n'est plus de lancer des
appels à l'action collective ; est venu le moment du rappel au sujet.
L'historicité n'est pas seulement investissement dans des modèles
culturels ; elle est tout autant distanciation par rapport aux pratiques
et aux normes de consommation sociale. Plus tard reviendront les es-
poirs et la construction de nouvelles [339] initiatives ; aujourd'hui les
grandes batailles sont défensives et libératrices : il faut se dégager
des grands principes devenus stratégies mesquines, des pouvoirs deve-
nus agressifs ou simplement envahissants.
Le passage d'un type sociétal à un autre peut s'opérer à la pointe
de l'épée ou au contraire par des transformations internes opérées à
Alain Touraine, Le retour de l’acteur. Essai de sociologie. (1984) 237
[343]
LE RETOUR DE L’ACTEUR.
ESSAI DE SOCIOLOGIE
REMERCIEMENTS
La plupart des textes rassemblés dans ce livre ont été déjà publiés,
mais presque toujours sous une forme très différente et souvent dans
une autre langue que le français. Je remercie les responsables de pu-
blications qui m'ont autorisé à les utiliser.
FIN