Julie Simard
Julie Simard
Julie Simard
Mmoire prsent
la Facult des tudes suprieures de l'Universit Laval
dans le cadre du programme de matrise en tudes littraires
pour l'obtention du grade de Matre es arts (M.A.)
2010
RESUME
Le XIXe sicle franais se caractrise par plusieurs rvolutions et volutions qui changent
tantt brutalement, tantt graduellement plusieurs sphres de la socit. Notamment, dans
le grand mouvement de libralisation qui parcourt l'ensemble du sicle, l'essor des
journaux et leur popularit grandissante ont, sans conteste, des rpercussions importantes
sur la socit et sur l'imaginaire social.
Au sein de cet imaginaire, la violence est depuis longtemps prsente, et tout
particulirement dans la littrature franaise. Avec la Rvolution de 1789, qui marque
durablement le sicle suivant, et l'importance grandissante des journaux qui exploitent les
histoires violentes - dont le fait divers est la quintessence mdiatique - celles-ci
fascinent de plus en plus le lectorat, tandis que la littrature se laisse influencer par
l'imaginaire social et l'emprise des journaux.
Cet attrait pour la violence se remarque en particulier dans les contes et nouvelles de
Maupassant, qui feront l'objet d'une analyse soutenue dans ce mmoire. Ce dernier vise
dmontrer de quelles faons l'auteur normand reprsente la violence et quels liens elle
entretient avec les journaux et l'imaginaire social de son temps. Dcoup en trois
chapitres, le travail tudie d'abord la reprsentation de la guerre, puis celle des femmes et
de la violence, et s'attarde enfin aux contraintes mdiatiques qui psent sur le texte
maupassantien.
INTRODUCTION
1 : LA GUERRE DE 1870 DANS L'UVRE DE MAUPASSANT
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1 . 1 : DU CT DE LA SOCIT
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1.2 : DU CT DE LA LITTRATURE
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3 : VIOLENCE MDIATISE
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CONCLUSION
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BIBLIOGRAPHIE
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Introduction
L'entre dans le XIXe sicle franais ne se fait pas sans bruit. Elle est marque par la
Rvolution de 1789, qui a pour origine des facteurs autant multiples que complexes :
l'insatisfaction de la population, la monte des Lumires, le recul du religieux, etc. Le
systme symbolique de l'Ancien Rgime s'effondre. Les notions d'galit, de Fraternit et
de Libert y prennent tout leur sens, revendications majeures des rvolutionnaires qui
permettent l'adoption du texte de la Dclaration des droits de l'homme et du citoyen. Tout
cela ne se fait pas d'un seul trait. Graduellement, on passe d'une royaut absolue une
monarchie constitutionnelle pour laisser place la lere Rpublique en 1791. C'est le
fodalisme que les rvolutionnaires ont d'abord voulu abattre. Ce systme tait caractris
par la domination du monde rural. Tout le systme socio-conomique reposait sur le monde
paysan et tait influenc par les crises agricoles. C'est aussi un monde hirarchis qui est
contest. La socit franaise du XIXe sicle est une socit de classes1 , qui s'oppose et
s'affirme par rapport la socit d'" ordres " qui caractrise l'Ancien Rgime. On
revendique aussi la disparition de l'absolutisme, qui pose le roi comme tout-puissant.
Mme si la Rvolution franaise de 1789 n'effectue pas, dans tous les domaines, une
coupure drastique avec l'Ancien Rgime laquelle est elle souvent associe, il va sans dire
que c'est tout un monde qui est remis en question, et plusieurs changements surviendront
en consquence. Pour certains, la rupture majeure consiste dans ce changement politicosocial o la souverainet appartient l'ensemble des citoyens.3 Pour d'autres, la
Rvolution franaise, qui perturbe toute la fin du XVIIIe sicle, est principalement
caractrise par une rupture philosophique et idologique avec la monarchie de droit
divin, avec l'ordonnancement des ordres, et avec la place de Dieu et de l'glise dans le
Idem.
Alain Vaillant, Jean-Pierre Bertrand et Philippe Rgnier, Histoire de la littrature franaise du XlX sicle,
Paris, ditions Nathan, 1998, p. 3.
Christine Marchandier Colard, Crimes de sang et scne capitales: essai sur l'esthtique romantique de la
violence, Paris, Presses universitaires de France, 1998.
L'histoire de la libration de la presse comporte beaucoup d'alas et est beaucoup plus complexe. ce
propos, voir Gilles Feyel, La presse en France des origines 1944, Paris, ditions Ellipses.
Faisant ainsi contre-pied avec le Directoire, qui voulait se dtacher de l'Ancien Rgime,
l'Empire cre ainsi un public form dans une conception troitement rhtoricienne de la
littrature et dans le classicisme le plus acadmicien.8 Mais le mouvement romantique, et
par la suite le ralisme, consquences indirectes de la Rvolution et des changements dans
la pense franaise, vont prner avec succs une libert d'expression et un dtachement des
rgles strictes imposes par le classicisme. Le ralisme, n au lendemain de la Rvolution
de 1848, conserve l'idologie du vrai du romantisme, tout en se dtachant du
sentimentalisme et de l'idalisme qui lui sont reprochs. Dans ce contexte boulevers et
instable, la socit franaise au XIXe sicle est marque par un esprit souvent pessimiste,
qui s'amplifie avec l'approche du XXe sicle. la toute fin du sicle, Maupassant fait cho
cet imaginaire et fait partie de ces auteurs dont les caractristiques principales de
l'criture tournent autour de la reprsentation de la violence et d'une vision pessimiste de la
socit. Ce mmoire entend s'attarder sur cet imaginaire sombre.
Si la violence a son histoire, elle est aussi une caractristique humaine qui est prsente
d'une culture l'autre, d'une poque l'autre. Sade crivait, dans La philosophie dans le
boudoir, que [l]a cruaut, bien loin d'tre un vice, est le premier sentiment qu'imprime en
nous la nature ; l'enfant brise son hochet, mord le tton de sa nourrice, trangle son oiseau,
bien avant que d'avoir l'ge de raison.9 Ren Girard, dans La violence et le sacr 10 , tente
justement de dmontrer que la violence est l'origine aussi bien des mythes que de la
religion et de tout ce qui fonde une socit. Il y aurait ainsi une violence fondatrice la
base de la civilisation, et le XIXe sicle franais semble particulirement intressant ce
propos. Les auteurs de cette poque paraissent dvelopper un intrt singulier pour toutes
formes de violence, jouant par ailleurs, tout fait consciemment, avec la demande des
lecteurs, car la violence fascine. La violence exprime par la littrature, que ce soit chez
Ptrus Borel, Barbey d'Aurevilly, Thophile Gauthier, Gustave Flaubert ou Guy de
Maupassant, parmi bien d'autres, est toujours crue et brutale, mme si elle n'est pas
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13
14
15
Michel Mohrt, 1870 : Les intellectuels devant la dfaite, Lectoure, Editions Le Capucin, 2004, p. 146.
lbid, p. 16.
lbid., p. 17.
lbid., p. 256.
Maupassant, Boule de Suif (I), p. 83-121 / Mademoiselle Fifi , (1), p. 385-397 / L'inutile beaut ,
(II), p. 1205-1224.
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11
Le thme de la guerre est sans conteste l'un des plus vidents et des plus rvlateurs pour
cette tude. La violence y est omniprsente et elle est aborde par Maupassant selon des
perspectives varies. On remarque aussi une liaison flagrante entre violence et discours
social, car la guerre est videmment objet de reprsentations multiples, fictionnelles ou
non. Ce chapitre propose donc d'tudier cette thmatique travers les fictions autant que
les chroniques de Maupassant pour mettre en lumire non seulement le lien entre fiction,
journalisme et socit, mais galement pour prsenter les diffrentes facettes de la violence
dans les rcits de Maupassant.
1.1 : Du ct de la socit
Selon Georges Duby17, qui a propos une synthse de l'histoire de la France, la socit
dans laquelle volue Maupassant est une nouvelle civilisation marque par des
changements incessants et rapides. Depuis la fin de l'Ancien Rgime, la culture,
l'conomie et les mentalits, se sont profondment transformes. La France entre dans une
nouvelle re avec la naissance de la classe ouvrire, la mise en place des structures de la
dmocratie bourgeoise, et le pouvoir de l'conomie de masse et de l'argent. Selon Duby, la
priode de 1852 1914 n'est pas une rvolution mais bien une volution industrielle : ce
n'est pas un changement brusque, mais plutt une lente progression qui s'opre. Dans
l'anne prcdant la guerre franco-prussienne, plusieurs grves marquent les grandes villes
industrielles, affaiblissant une France dj branle par l'Empire dclinant. L'Empire
effectue sa dernire imprudence en dclarant la guerre l'Allemagne avec qui elle a dj eu
plusieurs litiges.
17
12
C'est avec un effectif d'arme largement infrieur que la France engage la guerre contre la
Prusse le 19 juillet 1870. L'Empire est dfait en septembre et un gouvernement rpublicain
provisoire est instaur. Malgr une ferveur patriotique qui envahit les Franais, tout
particulirement les Parisiens18, la France subit une dfaite humiliante et trs coteuse : les
Franais perdent l'Alsace et une partie de la Lorraine et plus de 5 milliards de francs-or
doivent tre dbourss comme indemnit au vainqueur. L'ennemi ne met fin l'occupation
qu'une fois la totalit du paiement fait, soit deux ans aprs la signature du trait de paix19.
La mise en place d'un nouveau gouvernement pendant l'occupation ne se fait d'ailleurs pas
sans bruit. Le rgime rpublicain provisoire est loin d'tre accept par la majorit de la
population. Certains y voient le reflet de la seconde Rpublique si fcheusement ternie
par son incapacit sortir de la crise qui l'avait fait natre20 et plus particulirement celle
de la premire : Restaurer la rpublique, ne serait-ce pas s'exposer un nouveau 93,
une nouvelle dictature robespierriste, une nouvelle Terreur. Pour beaucoup, l'assimilation
des rpublicains aux " buveurs de sang " s'imposait d'elle-mme.21
Un courant de pense pessimiste s'instaure peu peu dans les mentalits de la nouvelle
gnration, dont Maupassant fait partie. Ce pessimisme est caus par plusieurs facteurs.
Certains critiques affirment que la guerre de 1870 en fait partie; d'autres, telle Christine
Marchandier-Colard22 qui tudie la passion pour le crime dans les crits de l'poque,
associent mme le dbut de ce pessimisme la Rvolution de 1789. Quoiqu'il en soit, la
guerre de 1870 dmoralise effectivement le peuple franais et amne un nouveau sentiment
de peur face l'tranger, sentiment qui n'est pas sans effet sur le mouvement dcadent et
sur la pense pessimiste. Nombreux seront les intellectuels et les crivains s'intresser
18
19
20
lbid., p. A l l .
21
lbid., p. 473.
22
13
certains philosophes allemands tels que Hartmann et, bien sr, Schopenhauer, ce dernier
tant le pre spirituel des pessimistes franais, dont Maupassant23.
1.2 : Du ct de la littrature
Claude Digeon, La crise allemande de la pense franaise, Paris, Presses Universitaires de France, 1959,
25 ! "
[mouvement politique instaur par Georges Boulanger dans les annes 1889-1890 et bas sur l'ide de la
revanche contre l'Allemagne]
Digeon, op. cit., p. 3.
14
lbid., p. 49.
Idem.
29
Alain Vaillant, Jean-Pierre Bertrand et Philippe Rgnier, Histoire de la littrature franaise, op. cit.,
P- 385.
Mohrt, Les intellectuels devant la dfaite, op. cit., p. 146.
15
31
lbid., p. 16.
Digeon, La crise allemande de la pense franaise, op. cit., p. 266.
16
S'il y a bien une opinion exprime, elle ne consiste pas en une conscience nationale ou
politique, mais plutt en une vision noire et pessimiste de la socit et de l'tre humain en
gnral, toute nation confondue, qui conduit Maupassant construire un imaginaire du
conflit vari et riche : la haine de l'envahisseur, le dsir d'une revanche, et une sympathie
indulgente pour les vertus pacifiques du peuple allemand; la volont de montrer la triste
absurdit des luttes humaines et l'indniable admiration pour l'hrosme que le combat
suscite parmi les dshrits de la socit pacifique, pauvres paysans et filles publiques.33
En plus des vnements marquants de son temps, principalement la guerre de 1870 qui
nous intresse ici, Maupassant subit plusieurs influences qui marqueront sa littrature.
Flaubert est indniablement la plus grande inspiration et la plus importante autorit pour
lui. Tous les critiques qui ont tudi Maupassant s'entendent sur le fait que Flaubert a
grandement influenc son lve. Thierry Poyet a bien montr que Flaubert a t l'origine
de plusieurs thmes et visions de Maupassant. Au dpart, et c'est bien connu, le lien fort
qui existe entre les deux crivains est dj amorc par celui qui lie la famille maternelle de
Maupassant celle de Flaubert, ce dernier ayant t un trs bon ami de l'oncle de
Maupassant. Selon Poyet, l'ide d'hritage fait peur Flaubert. Malgr cela, sa faon il
va lui cder, lui aussi, ce qui lui appartient de plus prcieux : son approche et sa matrise de
la littrature.34 C'est d'ailleurs sous l'insistance de Flaubert que Maupassant fait ses
premiers pas dans le monde du journal. Flaubert s'est normment investit dans la carrire
de Maupassant, lui rendant d'innombrables services qu'il n'aurait sans doute pas fait pour
un ami, tout ceci dans l'espoir que en [lui] facilitant la vie [...], [ces services] lui rendent
33
34
lbid., p. 271.
Thierry Poyet, L 'hritage Flaubert Maupassant, Paris, ditions Kim, 2000, p. 23.
17
la littrature possible.35 Flaubert a su, non par de simples leons mais par des
dmonstrations, transmettre ses connaissances et son savoir faire son jeune disciple.
Poyet numre plusieurs lments : la thorie de l'impersonnalit, celle de la pyramide
( forme parfaite de l'uvre bien structure36 ), celle de l'uvre sur rien, et plus encore.
De son matre, Maupassant a beaucoup appris et a su tirer profit de ces prcieuses
techniques ayant dj faites leur preuve. Celle de l'impersonnalit est particulirement
intressante du point de vue de cette recherche. Poyet affirme propos de Flaubert :
Probablement trop imprgn de l'cole romantique dont il a dvor les uvres dans sa
jeunesse, peut-tre pour avoir trop souffert du bovarysme qu'il inscrit la postrit avec
Emma, Flaubert refuse une littrature du pathos, la moindre expression de sensiblerie et
toute motion devient vite suspecte. Non, il ne doit rien savoir de l'crivain, le lecteur, ni de
ce qu'il pense, ni ce qu'il ressent.3
Maupassant connat bien la valeur des thories de son matre et les transposera dans son
oeuvre. L'auteur de Boule de Suif, par exemple, ne porte aucun jugement direct sur les
personnages qu'il expose aux yeux du lecteur. L'opinion n'est jamais directement
transmise. Sous l'influence sans doute du mandat naturaliste, l'auteur se retire jusqu' un
certain point, place ses personnages dans une situation donne et laisse voluer les
choses. Par contre, Maupassant a sa propre conception de cette thorie impersonnelle :
Elle n'interdit pas la rcurrence de certains thmes comme celui de la paternit et de la
filiation; elle ne rend pas plus caduque l'utilisation de l'exprience personnelle [...].
Cela dit Maupassant - ou plus exactement son narrateur - se retire de ses histoires, certes,
mais s'arrange tout de mme pour que l'histoire prenne une certaine tournure qui affiche
subtilement un point de vue en particulier. L'auteur laisse juger le lecteur de ce qu'il voit,
mais installe une loupe sur l'lment considrer, une manire d'aborder les choses qui
influence sa perception et le jugement.
propos du pessimisme qui caractrise toute l'criture de Maupassant, qui sera tudi plus
en dtails dans la partie suivante, Flaubert joue un rle fondamental, lui qui a vcu les
35
36
37
38
lbid., p. 25.
lbid., p. 29.
lbid, p. 123.
lbid, p. 126.
18
rpercussions de la guerre de 187039. L'ironie de Flaubert, bien connue, se fonde sur une
misanthropie que rien ne peut arrter :
La btise, il la humait, elle lui donnait une sorte de plaisir triste et de joie morbide. Btise
de la politique, de la vie de province, de la vie factice de Paris. Btise des petites femmes,
des primaires sectaires, des militaires, des fonctionnaires, des acadmiciens, de tout le
monde. Il en tait arriv penser, concevoir la btise en soi. La Btise ou la Blague,
norme machine, espce de chancre qui dvorait la Socit, c'est elle qui tait responsable
de nos dsastres.40
La vie de province est juge tout aussi durement. Toutes les nouvelles se droulant la
campagne donnent une image assez peu flatteuse de la vie de province : des nouvelles telles
que Duchoux , L'aveugle , Le baptme , et plusieurs autres, dmontrent la paresse
intellectuelle qui rgne en province (cet aspect sera analys dans le chapitre suivant). Quant
la vie factice parisienne, Maupassant ne l'aborde que trs rarement en tant que sujet
central. Il l'exprime quelques fois par le biais d'un narrateur avouant tre las du
bourdonnement de la vie parisienne (l'introduction du conte Les bcasses en est un bon
exemple), mais il l'exprime clairement dans Une aventure parisienne . Dans ce conte,
une jeune femme de province veut vivre une aventure diffrente de son quotidien et se rend
Paris. Elle y rencontre un crivain qu'elle aime bien et le convainc de l'emmener toute
39
40
41
19
une journe pour une aventure. Cependant, au lendemain de son escapade, la femme est
plus que due :
Il se mit sur son sant : "Voyons, dit-il, mon tour, j'ai quelque chose vous demander."
Elle ne rpondit pas, il reprit : "Vous m'avez bigrement tonn depuis hier. Soyez franche,
avouez-moi pourquoi vous avez fait tout a, car je n'y comprends rien."
Elle se rapprocha doucement, rougissante comme une vierge. "J'ai voulu connatre... le... le
vice... eh bien ... eh bien, ce n'est pas drle."
Et elle se sauva, descendit l'escalier, se jeta dans la rue.
L'arme des balayeurs balayait. Ils balayaient les trottoirs, les pavs, poussant toutes les
ordures au ruisseau. Du mme mouvement rgulier, d'un mouvement de faucheurs dans les
prairies, ils repoussaient les boues en demi-cercle devant eux ; et, de rue en rue, elle les
retrouvait comme des pantins monts, marchant automatiquement avec un ressort pareil.
Et il lui semblait qu'en elle aussi on venait de balayer quelque chose, de pousser au
ruisseau, l'gout, ses rves surexcits.
Elle rentra, essouffle, glace, gardant seulement dans sa tte la sensation de ce mouvement
des balais nettoyant Paris au matin.
Et, ds qu'elle fut dans sa chambre, elle sanglota.42
Quant aux femmes, certes Maupassant semble les trouver toutes aussi btes que semble le
penser Flaubert. Pourtant, l'image que donne Maupassant de la femme est beaucoup plus
complexe que cela et trs personnalise. Ce sujet sera abord au prochain chapitre.
Quoiqu'il en soit, les conceptions littraires de Flaubert imprgnent fortement celles de
Maupassant. Le jeune auteur normand y met sa vision personnelle des choses, mais il y a
toujours cette prsence du matre dans les ides, les thmes et les thories exposes.
42
Avant d'tudier plus en profondeur ses crits journalistiques, une brve introduction sur le
pessimisme de Maupassant s'impose. Comme expliqu prcdemment, il existe un lien fort
entre la dfaite de 1870 et cette vague de pessimisme. Mariane Bury a retrac les origines
de ce courant de pense chez Maupassant. Contrairement l'opinion populaire de plusieurs
critiques qui ont mis l'accent sur une explication physiologique et biographique, le
pessimisme de Maupassant ne serait pas li l'aggravation de la syphilis qui l'atteint ds
ses jeunes annes d'adulte. Celle-ci n'a certes pas contribu un changement de point de
vue, mais le pessimisme de Maupassant se fait ressentir bien avant que les premiers
symptmes n'affectent fatalement l'auteur. Le fait est que ds l'criture de ses premiers
contes, les lments de sa vision du monde sont en place et ne varieront gure.4
Mariane Bury donne trois raisons sur l'origine de ce pessimisme, autant d'ordre
biographique (avec la sparation de ses parents et la mort de Flaubert, entre autres choses),
sociohistorique (la guerre de 1870) que culturel (l'abandon de ses tudes par manque de
moyens financiers). La mort de Flaubert y est pour beaucoup. Maupassant est dvast par
la perte de son matre et ami. Il crit Zola, en mai 1880 :
Je ne saurais vous dire combien je pense Flaubert, il me hante et me poursuit. Sa pense
me revient sans cesse, j'entends sa voix, je retrouve ses gestes, je le vois tout moment
debout devant moi avec sa grande robe brune, et ses bras levs en parlant. C'est comme une
solitude qui s'est faite autour de moi, le commencement des horribles sparations qui se
continueront maintenant d'anne en anne, emportant tous les gens qu'on aime, en qui sont
nos souvenirs, avec qui nous pouvions le mieux causer des choses intimes. Ces coups-l
nous meurtrissent l'esprit et nous laissent une douleur permanente dans toutes nos
penses.44
Il ajoute, dans une lettre envoye quelques jours plus tard Caroline Commanville : Je
sens en ce moment d'une faon aigu l'inutilit de vivre, la strilit de tout effort, la hideuse
monotonie des vnements et des choses et cet isolement moral dans lequel nous vivons
43
44
21
tous, mais dont je souffrais moins quand je pouvais causer avec lui [...].
exemples illustrent le sentiment dans lequel le dpart de Flaubert laisse le jeune crivain.
Cependant, la perte du cher matre n'est pas la seule cause cette vision noire qu'exprime
Maupassant. Mariane Bury y voit incontestablement un lien avec la guerre francoprussienne aborde en dbut de chapitre : Notons aussi que notre auteur a vingt ans en
1870 : son exprience de la guerre l'a suffisamment marqu pour qu'il lui tmoigne une
rpulsion dont on trouve la trace dans des chroniques et des rcits [.. .]. 4 6
La vision pessimiste de Maupassant ne lui est pas unique; elle est partage par plusieurs
auteurs, et sur l'ensemble du sicle : Musset, Flaubert et Baudelaire par exemple, sont
touchs par le mal du sicle . Mais bien que Maupassant ait sa faon aige de rendre
compte de ce qu'il voit et de ce qu'il pense, le pessimisme, le sentiment du vide de
l'existence, est une vision propre son temps. Son matre Flaubert a, d'ailleurs, eu une
influence primordiale sur lui ce propos. Plusieurs ouvrages existent dj sur cette
influence qu'a eu Flaubert sur son jeune protg et nous en avons dj rappel les grandes
lignes. propos de Madame Bovary et du pessimisme de son auteur, Alain Vaillant
affirme que on ne peut qu'tre frapp de constater que Flaubert, ayant rejet hors du texte
tout ce qui lui tait tranger, ait pu cependant formuler avec une telle force son dgot
violent du monde o il tait lui-mme plong et faire prouver, de faon presque palpable
et charnelle, les motions et les sensations dont vibrent en effet ses romans, du moins sur le
mode nostalgique.47 Le pessimisme est donc un lment fort du texte de fiction comme le
conoit Flaubert dans la mesure o il concilie paradoxalement la potique de
l'impersonnalit et une vision profondment personnelle du monde. Il se tenait d'ailleurs
l'cart de toute vie sociale l'poque de la guerre franco-prussienne. Selon les mots de
Michel Mohrt, [i]l mprisait tous ceux qui n'taient ni crivains ni artistes.48 La
littrature tait donc son prcieux refuge afin de fuir la foule stupide49 . Cette dsillusion
46
47
Idem.
Bury, Maupassant pessimiste?, op. cit., p. 76.
Vaillant, Berttrand et Rgnier, Histoire de la littrature franaise, op. cit., p. 370.
Mohrt, Les intellectuels devant la dfaite, op. cit., p. 32.
Idem.
22
exprime par Flaubert sera de toute vidence un des lments contributoires celle de
Maupassant.
Grard Delaisement a rsum les grandes lignes de l'imaginaire pessimiste qui se
dveloppe dj avec le courant romantique : excs d'individualisme, " mal du sicle ",
disparition des vrais refuges, socit fige dans un monde vieillissant, incapacit d'agir,
l'homme - et Maupassant est de ceux-l - se sent gar, incompris, frustr au plus profond
de lui-mme, plus pris d'absolu et de tentations mtaphysiques qu' aucun moment de son
histoire.50 Selon lui, d'aussi loin que l'on puisse remonter dans le XIXe sicle, nous
pouvons voir des traces de ce mal de l'existence partout. Il rgne une dsillusion et un
sentiment d'chec. Tous les thmes abords, que ce soit dans les chroniques ou les
nouvelles de Maupassant, tmoignent de cette croyance en la dchance de la socit.
L'tude de Marc Angenot, qui porte sur le discours social de l'anne 1889, corrobore les
propos de Delaisement et dresse le portrait gnral d'une fin-de-sicle particulirement
sombre :
La Rvolution n'ayant rien fond ou n'ayant fond que l'instabilit partout procure une
origine mythique aux visions de la dterritorialisation. Aprs un sicle de convulsions, de
hontes et de malheurs, aprs cent ans de calamits et de mensonges , nous en sommes
l : haines et discordes publiques, alcoolisme, dficit, destruction de la famille par le
divorce, croissance de la criminalit, presse dprave, naturalisme en littrature, corruption
des filles par l'cole laque, dgnrescence de la race par le surmenage : M. d'Hricault
dans sa France rvolutionnaire trace aprs d'autres le tableau cumulatif de l'uvre de
destruction entreprise en 1789 et qui semble devoir se poursuivre jusqu' la ruine totale
[...]. 51
L'criture maupassantiennne reste, par contre, toujours fidle une ralit tangible. Un des
nombreux reproches que faisait Maupassant au romantisme tait justement l'excs de
lyrisme et la sentimentalit ronflante52 . Il rejette toute forme d'excs et le romantisme,
pour lui, entre dans cette catgorie. Mariane Bury explique que dans sa condamnation de
l'criture romantique et dans sa conception d'une orientation nouvelle de la littrature
Grard Delaisement, La modernit de Maupassant, Paris, ditions Rive Droite, 1995, p. 96.
Marc Angenot, 1889 : tat du discours social, ditions Prambule, coll. L'univers des discours, Qubec,
1989, p. 376.
Mariane Bury, La potique de Maupassant, Paris, Sedes, 1994, p. 28.
23
particulirement celles de l'excs, tout en acceptant par-ci par-l quelques points distincts
de chacune qui correspond sa propre conception de l'art. La thorie de l'impersonnalit
explique plus tt reflte bien cette envie de l'crivain de se distinguer tout en gardant ses
distances. On expose le vrai , sans excs d'aucune sorte. Le regard de Maupassant
devient ainsi la cl de son criture : c'est de son point de vue qu'il expose et dpeint la
ralit dont il est tmoin. Et cette ralit est sans conteste dcevante.
Aprs ce survol trs rapide de la socit contemporaine de Maupassant et de ses angoisses,
ce qui se dmarque, et qui se reflte dans ses crits, est que tout semble directement li
une impression de dchance de la socit. Maupassant n'a pas seulement un regard
pessimiste, il a un regard on ne peut plus clair et transparent sur la socit. On le verra,
chez lui l'ambition raliste va se mettre au service d'une reprsentation relativement
dpassionne du rel et le climat anxiogne de la fin-de-sicle devient un motif essentiel de
la fiction. C'est une des raisons pour laquelle la guerre franco-prussienne est aussi prsente
chez Maupassant. Ce n'est certes pas la seule cause du pessimisme de Maupassant, mais
elle contribue accentuer ce sentiment de mal rongeur , pour employer les mots de
Delaisement. La socit du XIXe sicle est en pril, et la terrible dfaite de 1871 est sans
aucun doute lie ce climat social.
C'est ncessairement travers ses crits journalistiques que les opinions de Maupassant se
font le plus ressentir. Toute sa vision pessimiste, ainsi que son horreur de la guerre, y sont
53
lbid, p. 29.
24
exprimes trs ouvertement. C'est une dsillusion par rapport sa patrie, mais plus
globalement par rapport l'humanit. Dans sa chronique La guerre , Maupassant fait
tat de l'bahissement qui s'empare de lui lorsqu'il pense aux conflits, qui ramnent la
civilisation moderne une sorte de barbarie primitive :
La France, nation occidentale et barbare, pousse la guerre, la cherche, la dsire.
Quand j'entends prononcer ce mot : la guerre, il me vient un effarement comme si on me
parlait de sorcellerie, d'inquisition, d'une chose lointaine, finie, abominable, monstrueuse,
contre nature.
Quand on parle d'anthropophages, nous sourions avec orgueil en proclamant notre
supriorit sur ces sauvages. Quels sont les sauvages, les vrais sauvages ? Ceux qui se
battent pour manger les vaincus ou ceux qui se battent pour tuer, rien que pour tuer ? Une
ville chinoise nous fait envie : nous allons pour la prendre massacrer cinquante mille
Chinois et faire gorger dix mille Franais. Cette ville ne nous servira rien. 11 n'y a l
qu'une question d'honneur national. Donc l'honneur national (singulier honneur !) qui nous
pousse prendre une cit qui ne nous appartient pas, l'honneur national qui se trouve
satisfait par le vol, par le vol d'une ville, le sera davantage encore par la mort de cinquante
mille Chinois et de dix mille Franais.
Et ceux qui vont prir l-bas sont des jeunes hommes qui pourraient travailler, produire,
54
tre utiles.
Nous pouvons y voir clairement la pense de Maupassant : toute forme de guerre est une
absurdit, une monstruosit. Et tout cela, ajoute-t-il, pour l'honneur national . Le
sarcasme est perceptible dans ses propos. Cela en dit long sur ce que pense Maupassant de
l'esprit revanchard de son poque. Rien ne justifie la guerre, quelle que soit sa nature: tout
cela est vain et inutile. Lorsqu'il est question de guerre, la nation franaise n'est pas, selon
les propos de Maupassant, moins barbare que les sauvages dans les contres lointaines. On
cache le vol et le meurtre sous cette notion d'honneur, croyant peut-tre qu'en changeant
les termes, on changera la nature de l'action. Maupassant ne se laisse pas bercer d'illusions
patriotiques.
Dans une autre chronique, intitule Zut! , sa pense va dans le mme sens. Il y exprime
l'inutilit et l'absurdit de la guerre. Selon l'extrait prcdent, les hommes peuvent tre
utiles la nation en travaillant et en produisant. Les envoyer se faire tuer la guerre n'a
54
25
Maupassant exprime ici une opinion qui sera trs importante pour notre comprhension des
nouvelles : pas de guerre, moins qu'on ne nous attaque. Il faut donc comprendre que,
pour Maupassant, la guerre est une monstruosit, certes. Cependant, s'il faut se dfendre,
c'est une tout autre question. Celui qui engage la guerre, qui dclenche la violence, est
condamner. Celui qui emploie la violence pour dfendre son bien, sa patrie, semble tre
pardonnable aux yeux de Maupassant. Si la distinction n'est pas aussi franche dans les
nouvelles, comme on le verra avec les analyses, il reste que Maupassant dsapprouve la
guerre, peu importe d'o elle provient. Pourtant, Maupassant a bel et bien fait partie de
l'arme franaise et s'y tait enrl rempli d'espoir. Il faut croire que l'exprience relle de
la guerre a vite fait dchanter l'auteur. William C. Owens, dans une tude sur la guerre de
1870 dans l'uvre de Maupassant, explique :
[o]n doit se rappeler qu' cette poque l'auteur tait plein d'enthousiasme pour la guerre,
tant assur de la victoire pour la France. Aprs les checs de l'arme franaise, lejeune
homme perdit vite ses illusions sur la guerre et il commena la regarder de faon plus
objective. De ces expriences guerrires peut avoir suivi, en partie, cette faon si pessimiste
avec laquelle il envisagea bientt la vie. Sans doute les misres et les souffrances causes
par l'invasion prussienne de la France, ont-elles laiss Maupassant une haine indlbile
pour la guerre.
Ainsi, l'opinion du chroniqueur se reflte de faon limpide dans ses chroniques. Cette
violence exprime par la guerre dcoule directement de la haine de l'auteur envers toute
guerre, quelle qu'elle soit, comme il l'exprime si bien dans ses chroniques. Alors, que cette
violence trouve une justification plus acceptable ou non, il reste que l'auteur exprime son
horreur pour ce barbarisme, peu importe qu'il soit ralis par des Prussiens ou des Franais.
Maupassant, Zut! , Chroniques tome 1, p. 176.
William C. Owens, La guerre de 1870 dans l'uvre de Maupassant, p. 9-10.
26
Idem.
27
ressort de ces rcits l'impression d'un gigantesque massacre des innocents, quelle que soit
leur nationalit.58
Tel est le cas de la nouvelle L'horrible . Cette histoire, en fait, en contient deux, o le
narrateur explique ce qu'est vritablement une situation horrible. Les deux anecdotes se
situent dans un contexte de guerre, la premire faisant rfrence directement la guerre de
1870. Elle met en scne un dtachement de l'arme franaise puis, marchant dans le froid
depuis des jours. Un homme qui rde prs d'eux est fait prisonnier et amen devant
l'officier. Il est aussitt prsum espion, faisant monter la tension parmi les soldats. Le
narrateur tente de savoir qui il est, mais n'obtient que de vagues rponses dans un jargon
incomprhensible. Avant mme que l'officier puisse dcider de son sort, le pauvre homme
est littralement pulvris par les soldats :
Je n'avais point fini de parler qu'une pousse terrible me renversa, et je vis, en une seconde,
l'homme saisi par les troupiers furieux, terrass, frapp, tran au bord de la route et jet
contre un arbre. II tomba presque mort dj, dans la neige.
Et aussitt on le fusilla. Les soldats tiraient sur lui, rechargeaient leurs armes, tiraient de
59
nouveau avec un acharnement de brutes.
Cette situation pourrait tre analyse partir des travaux de Ren Girard dans La violence
et le sacr. La thse de Girard explique que le fondement de toute socit repose
essentiellement sur un acte sacrificiel, celui-ci visant rconcilier et runir la communaut
autour de lois communes. C'est une sorte d'exutoire la violence, car il faut, un jour ou
l'autre, que la tension au sein d'un groupe se relche. Girard explique que [l]a violence
longtemps comprime finit toujours par se rpandre aux alentours; malheur, ds lors,
celui qui passe sa porte.60 Dans L'horrible , c'est exactement ce qui se passe. Les
soldats, depuis plusieurs jours pousss bout, portant avec eux le stress de l'ennemi qui
n'est pas loin, mais qu'ils ne rencontrent jamais, doivent relcher la tension, et l'homme
considr comme un espion sera le bouc missaire tout dsign. Mais comme bien souvent
58
59
28
dans ses nouvelles, Maupassant conclut son rcit sur une chute qui montre toute l'ironie de
la situation : les soldats s'aperoivent que le suppos espion est en fait une femme,
probablement la recherche de son fils dont elle n'avait plus de nouvelles. Maupassant
expose ainsi les monstruosits de la guerre. Selon Louis Forestier, cette histoire, [...] sous
couvert d'un retour aux contes de la guerre de 1870, est le dveloppement d'un rquisitoire
contre la guerre tout court [...].61
La deuxime anecdote de L'horrible est tout aussi violente et barbare. voquant des
faits rels, Maupassant y raconte comment des soldats, perdus dans le dsert, en viennent
s'entre-dvorer pour survivre :
L'homme vers qui marchait le soldat affam ne s'enfuit pas, mais il s'aplatit par terre, il mit
enjou celui qui s'en venait. Quand il le crut distance, il tira. L'autre ne fut point touch et
il continua d'avancer puis, paulant son tour, il tua net son camarade.
Alors de tout l'horizon, les autres accoururent pour chercher leur part. Et celui qui avait tu,
dpeant le mort, le distribua.
Et ils s'espacrent de nouveau, ces allis irrconciliables, pour jusqu'au prochain meurtre
qui les rapprocherait.
Pendant deux jours ils vcurent de cette chair humaine partage. Puis la famine tant
revenue, celui qui avait tu le premier tua de nouveau. Et de nouveau, comme un boucher, il
coupa le cadavre et l'offrit ses compagnons, en ne conservant que sa portion.62
L'horrible symbolise, par ces deux petites histoires, toute l'horreur qu'a Maupassant de
la guerre. Bien plus, elle expose aux yeux du lecteur l'opinion dfaitiste que se fait l'auteur
de l'humain en gnral. Il s'agit certes de fiction, mais l'auteur y dcrit des personnages au
caractre vraisemblable et non trop exagr. Son opinion sur la cruaut et la violence de
l'tre humain est claire : si vous placez un personnage dans une situation extrme, il est fort
probable qu'il agisse lui-mme d'une manire extrme . La guerre, plus souvent
qu'autrement, pousse l'homme ces actes dsesprs.
Louis Forestier, Maupassant, contes et nouvelles, tome I, Paris, ditions Gallimard, La Pliade, 1979,
p. 1349-1350.
62
Cependant, Maupassant n'est pas aussi impartial dans ses nouvelles qu'il le clame dans ses
chroniques. L'horrible semble tre un cas d'exception o l'crivain ne s'en tient qu'
des faits pour dmontrer l'absurdit de la guerre. Dans les autres contes et nouvelles sur le
sujet, son opinion n'est pas aussi gnralise : il penche souvent pour un parti ou pour
l'autre. Mme s'il n'y a pas de jugement ou d'opinion clairement noncs, il reste que les
contes de la guerre se divisent selon deux points de vue distincts. Il apparat donc utile de
sparer les contes et nouvelles de ce thme selon deux catgories : tout d'abord, les
Prussiens envahisseurs; puis, les Franais envahis. Ces deux thmes, on le voit, forment un
double motif qui fait alterner les types de reprsentations de la violence.
30
avant-postes, vous avez assurment un mot d'ordre pour rentrer. Donnez-moi ce mot
d'ordre et je vous fais grce.
Les deux amis refusent, se regardent tendrement, et sont fusills. Le commandant, toujours
de faon dtache, fait jeter les corps l'eau : Deux soldats prirent Morissot par la tte et
par les jambes ; deux autres saisirent M. Sauvage de la mme faon. Les corps, un instant
balancs avec force, furent debout, dans le fleuve, les pierres entranant les pieds
d'abord.64 Le commandant dcide ensuite, en voyant les belles prises restes dans le filet,
de manger les poissons des deux Franais. Le seul contexte de la guerre, dans la nouvelle,
semble justifier cette absence d'humanisme, mais y est aussi sous-entendue une critique de
la cruaut des Prussiens. Le commandant dcide d'en faire des ennemis, sachant trs
probablement que les deux amis ne reprsentent aucune relle menace. Le Prussien ne
justifiera en rien son acte, sinon par ces circonstances particulires de la guerre. Les
quelques contes qui abordent le sujet des Prussiens sous cet angle mettent toujours en scne
une violence physique sans justification, sans motivation particulire autre que la
manifestation d'une sorte de cruaut naturelle. Ils sous-tendent par contre une affirmation
idologique : le Prussien-ennemi-cruel-de-la-France.
Le choix du vocabulaire dcrivant la nature inscrit d'emble le conte sous le sceau d'une
menace qui plane sur les deux personnages franais. Ds le dbut de l'histoire, lorsque
Morissot se remmore ses anciennes parties de pche avec M. Sauvage, Maupassant dcrit
le paysage comme suit : vers la fin du jour, quand le ciel ensanglant par le soleil
couchant jetait dans l'eau des figures de nuages carttes, empourprait le fleuve entier,
enflammait l'horizon, faisait rouges comme du feux les deux amis, et dorait les arbres
roussit dj [...].
31
prussienne qui plane sur Paris : ils les sentaient l depuis des mois, autour de Paris,
ruinant la France, pillant, massacrant, affamant, invisibles et tout-puissants.66 Les
Prussiens semblent dtenir une force particulirement destructrice, au mme titre que le
paysage dcrit plus tt, tant associs une certaines puissance divine. C'est surtout par les
descriptions de paysages et de nature que Maupassant, subtilement, fait ressentir la cruaut
des Prussiens, car il ne laisse aucun moment les lecteurs pntrer la pense des
envahisseurs et ne donne ainsi aucun motif aux Prussiens pour justifier leur cruaut.
Maupassant russit faire transparatre la cruaut des Prussiens justement par le style
employ, associ au pessimisme. Louis Forestier affirme qu' [i]ci, tout rside dans une
rigueur et une scheresse du rcit et de la construction; le dpouillement et l'conomie des
moyens soulignent la cruaut.67 Maupassant ne laisse voir aucune motion, d'un ct
comme de l'autre. Cette sobrit d'criture ne montre que les actions des Prussiens : ils
agissent et c'est tout. On ne peut deviner de motifs rels, de raisons apparentes ou
d'excuses valables pour tuer deux hommes qui nous semblaient si sympathiques. Mariane
Bury, dans son tude sur le pessimisme de Maupassant, prcise ceci :
Le pessimisme littraire tel que le conoit Maupassant vite donc le lyrisme, le sublime,
toute forme d'amplification. [...]
Il n'est que de songer au texte bien connu, Deux amis [...]. Le sujet aurait pu faire l'objet
d'un traitement optimiste qui aurait rendu l'aventure sublime et fait des personnages des
hros. Or il n'en est rien : avant d'tre hroque ou quoi que ce soit d'autre, leur mort est
inutile, bte, cruellement farcesque. Le texte refuse tout sublime, ou plus exactement le
sublime est rejet hors du texte.
Ainsi le refus des valeurs esthtiques lies une conception optimiste du monde conduit
Maupassant rechercher l'efficacit dans l'expression du rel et donc faire court.
L'exprience existentielle de la dsillusion ne saurait en effet souffrir des dveloppements
,. 68
sans fin.
C'est donc l'utilisation d'un style dpourvu de splendeur et d'hrosme, d'un style simple
associ une vision pessimiste, qui fait toute la diffrence entre les deux catgories de
rcits de guerre. On ne fait pas des Franais des hros dans ce cas-ci, on ne justifie pas non
^ lbid., p. 734.
Forestier, Contes et nouvelles, op. cit., p. 1513.
Bury, Maupassant, pessimiste ? , op. cit., p. 81.
32
plus les dcisions des Prussiens. La mort des deux amis est donc inutile, vaine, et
ncessairement lie une cruaut, une violence sans fondement, puisqu'on ne peut trouver
de raisons justificatives. William C. Owens a d'ailleurs remarqu que le traitement envers
les Franais est tout aussi cruel et froid que celui qu'on rserve aux poissons la fin de la
nouvelle : [c]'est un autre exemple d'hommes traitant leurs semblables comme des btes,
la valeur de l'tre humain tant considre comme nulle en tant que l'homme est concern.
[sic.] La bestialit comme comportement humain se retrouve dans bien des contes et
nouvelles et est utilise selon toutes les facettes possibles. Maupassant exploite ce thme en
le rapprochant de la pense pessimiste, montrant ainsi que l'homme ne vaut pas mieux
qu'une bte. C'est, encore une fois, la dchance de l'humanit qui plane en fond
d'histoire. Lamia Gritli, tudiant la cruaut dans les contes normands de Maupassant,
affirme ceci :
Ds lors, Maupassant n'hsite surtout pas souligner la descente de l'homme dans la
bestialit : ses personnages dvoilent constamment une nature humaine ravage par
l'instinct destructeur. En fait, le nouvelliste ne se limite pas peindre uniquement la cruaut
de l'homme envers son semblable, ou encore envers la Nature (Dieu); il essaie galement
de trancher sur la cruaut, pour ne pas dire la bestialit, de l'tre envers la bte. Il conjugue
ainsi, selon les personnages et les situations, l'oxymore la bte humaine , cher aux
crivains de la dcadence et cr pour dsigner autant la bestialit de l'homme que
l'humanit de la bte.
70
Les contes voquant cet aspect humain, ou plutt inhumain , sont trs nombreux. Il
suffit de mentionner L'aveugle71 , o un infirme, considr comme un poids puisqu'il ne
peut travailler, est lchement abandonn sur une route en hiver; ou encore Coco72 qui
cope du mme genre de traitement que le garon aveugle, la diffrence que Coco est un
cheval. Dans les deux cas, que ce soit l'homme ou l'animal, on ne prend aucune
considration motionnelle envers ces tres vivants : humain ou animal sont jugs
inutiles et faibles, donc ne mritant pas de vivre. C'est exactement le mme traitement qui
69
33
est rserv aux deux amis : ils ne veulent pas rvler le mot de passe, alors on les juge
inutiles et on les limine sans se poser d'autres questions.
La nouvelle Mademoiselle Fifi est certes tout aussi vocatrice de cette cruaut qui
semble caractriser les Prussiens de la fiction. Le sadisme du gnral prussien, surnomm
Mademoiselle Fifi, est vident. Une jeune prostitue, subissant la violence du commandant
prussien, est traite comme une bte. On ne la considre aucun moment comme un tre
humain. On agit envers elle comme on agirait envers un animal sans importance
particulire :
tantt travers l'toffe, il la pinait avec fureur, la faisant crier, saisi d'une frocit
rageuse, travaill par son besoin de ravage. Souvent aussi, la tenant plein bras,
l'treignant comme pour la mler lui, il appuyait longuement ses lvres sur la bouche
frache de la juive, la baisait perdre haleine; mais soudain il la mordit si profondment
qu'une trane de sang descendit sur le menton de la jeune femme et coula dans son
corsage.
Les gestes du Prussien sont tout aussi injustifis que l'taient ceux du gnral dans la
nouvelle Deux amis . Cependant, dans Mademoiselle Fifi , un personnage fminin se
dtache du lot pour montrer une bravoure hors du commun. Cet aspect sera analys plus en
profondeur un peu plus loin dans cette tude. Pour l'instant, il faut en retenir
essentiellement la cruaut provenant du commandant prussien. Ds l'introduction de la
nouvelle, l'auteur laisse voir l'incrustation force, l'envahissement progressif et ineffaable
des Prussiens : ses perons, depuis trois mois qu'il occupait le chteau d'Uville, avaient
trac deux trous profonds, fouills un peu plus tous les jours.74 Toute la violence des
Prussiens est illustre par les marques indlbiles, les traces ancres mme les objets
appartenant aux Franais, comme si les envahisseurs, en violentant les objets,
s'attaquaient directement aux curs des Franais : Une tasse de caf fumait sur un
guridon de marqueterie macul par les liqueurs, brl par les cigares, entaill par le canif
de l'officier conqurant qui, parfois, s'arrtant d'aiguiser un crayon, traait sur le meuble
74
gracieux un chiffre ou des dessins, [...].75 Les objets ont une signification particulire
dans la plupart des contes de Maupassant. Alain Vaillant explique que c'est trs souvent
par eux que le fantastique se fait sentir76, alors que Nolle Benhamou tudie la fonction
dtourne de l'objet de culte77. Dans ce cas-ci, les objets sont voqus pour expliquer le
mal vampirisant des Prussiens face aux Franais. Les deux exemples prcdents l'illustrent.
Le jeu de la mine , divertissement privilgi des soldats ennemis dans ce conte, appuie
aussi cette hypothse et met en scne la violence et la cruaut gratuite de l'ennemi : La
mine, c'tait son invention, sa manire de dtruire, son amusement prfr.78 Le jeu est
fort simple : il consiste en la destruction des objets d'art disposs travers la maison
envahie. Les soldats ne sont heureux que lorsque la destruction est bien russie et
commente les nouveaux dgts, comme de rels experts. Les objets semblent agir comme
mtaphore des Franais qui subissent la destruction et la violence des Prussiens.
Si les Franais sont victimes d'une cruaut physique tout fait injustifie, ou du moins
inutile, les soldats prussiens sont, quant eux, associs une cruaut et une indiffrence
en fonction du mal qu'ils commettent. La motivation personnelle ou psychologique tant
esquive, cette violence devient beaucoup plus difficile accepter pour le lecteur. Dans le
cas prsent, nous pourrions qualifier de gratuite la violence physique, puisqu'elle ne semble
pas trouver de justification dans le texte, mis part dans le parti-pris pralable que les
Prussiens sont d'embls condamnables. C'est une image dure de la guerre que livre
Maupassant. Il n'en ressort absolument rien de positif, et lorsque l'histoire place la violence
physique du ct des Prussiens envahisseurs, il y a toujours cette cruaut, cette violence
gratuite qui ne trouve justification que dans la guerre elle-mme et dans l'imaginaire social
qui circule propos des Allemands l'poque de Maupassant.
Idem.
Vaillant, Berttrand et Rgnier, Histoire de la littrature franaise, op. cit., p. 474.
Nolle Benhamou, L'objet du culte dtourn : la perversion du signe dans les contes et nouvelles de
Maupassant , dans : Andrea Del Lungo et Boris Lyon-Caen, [dir.], Le roman du signe : fiction et
hermneutique au XIX sicle, Saint-Denis, ditions PU V, 2007, p. 197-211.
78
35
Cependant, la guerre contre les Prussiens est aussi reprsente du point de vue oppos,
c'est--dire du point de vue des Franais dont le pays est occup par l'ennemi. La violence,
alors, n'est pas simplement physique et sans raison ; elle est toujours accompagne d'une
violence psychologique qui servira de justification l'acte.
En d'autres mots, il y a une violence premire, souvent motive. Elle sert de prtexte, pour
le Franais qui en est victime, une violence physique en forme de raction contre les
Prussiens. Le motif de la vengeance est ici convoqu par Maupassant. Les Franais
n'agissent pas, ils ragissent. Cette diffrence, mme si l'acte en tant que tel est tout aussi
cruel que la violence des Prussiens envers les Franais, semble placer les personnages
franais dans une catgorie diffrente puisque, dans le cas o les actes sont justifis,
l'horreur
devient
moins
grande.
D'ailleurs,
Maupassant
exprime
souvent
cet
36
l'attitude du Franais face l'envahisseur. Un soir, alors que les deux hommes rendent
visite des amis de Saint-Antoine, la tension entre les deux hommes monte brusquement et
la violence clate. Antoine, qui aimait bien rire aux dpens de l'Allemand qui ne
comprenait aucun mot de franais, l'oblige manger et boire, affirmant tous qu'il
engraisse son cochon . Sur le chemin du retour, l'hostilit entre les deux hommes,
alimente par une forte consommation d'alcool, les pousse exprimer cette violence
physique contenue depuis le dbut du conte. Tout commence par une simple bousculade :
la fin, le Prussien se fcha; et juste au moment o Antoine lui lanait une nouvelle
bourrade, il rpondit par un coup de poing terrible qui fit chanceler le colosse.81 Cela se
termine rapidement en coups sanglants : Mais le vieux [Antoine], attrapant pleine main
la lame dont la pointe allait lui crever le ventre, l'carta, et il frappa d'un coup sec sur la
tempe, avec la poigne du fouet, son ennemi qui s'abattit ses pieds.82 l'aube, SaintAntoine tue le Prussien aprs avoir dcouvert que ce dernier avait seulement perdu
connaissance, frappant comme un forcen, trouant de la tte aux pieds le corps palpitant
dont le sang fuyait par gros bouillons. Dans ce conte, la violence physique est fortement
prsente, de manire hautement suggestive, et semble mme dnue de sens de la mme
manire que lorsqu'elle provient des Prussiens. En effet, ds le dbut, mme s'il reprsente
l'ennemi, le jeune Prussien assign chez Antoine est dcrit comme un tre un peu naf,
mais qui semble des plus sympathiques. Mme Antoine, exprimant sa hargne contre les
Prussiens toute occasion, semble l'apprcier sa manire. L'auteur dnonce, de cette
faon, l'idologie de l'ennemi prussien qui se cache derrire cela. On trouve aussi une
volont de la part de l'auteur de montrer la cruaut de la guerre, son fatalisme. L'acte de
violence, dclench dans ce cas-ci par l'abus d'alcool, semble invitable puisque la tension
monte entre les deux personnages tout au long du conte. Antoine ne peut tout simplement
pas surmonter le fait que le jeune soldat prussien, malgr sa gentillesse et sa bonhomie,
reste tout de mme l'incarnation de l'ennemi qui envahit le territoire franais. Il ne peut
80
81
83
37
rgner de bonne entente entre les deux personnages car le jeune prussien, malgr son
caractre et sa personnalit, est fondamentalement et principalement allemand. Mme si ces
nouvelles qui voquent l'envahisseur prussien ne sont pas du mme niveau que Le
Horla , par exemple, il reste que la conclusion est la mme : deux entits opposes ne
peuvent cohabiter dans le mme espace. L'un ou l'autre doit finir par disparatre ou
abdiquer. C'est ce qui survient lorsque le narrateur du Horla brle sa maison avec
l'tre envahisseur l'intrieur. C'est la mme situation dans ce cas-ci avec Antoine qui
doit liminer l'envahisseur allemand.
L'Allemand reprsente coup sr la violence physique, il en est l'incarnation. Le Franais
ragit cette violence, mais il ragit avant qu'elle n'agisse sur lui. Il faut dire aussi que les
personnages ne sont plus matres de leur destin en temps de guerre. Les Allemands leur
sont tout simplement imposs . Ils n'ont aucun choix quant la cohabitation avec leurs
ennemis. Ils sont sans cesse surveills, contrls, et en quelque sorte vols aussi, puisqu'ils
doivent nourrir et entretenir l'envahisseur avec leur propre btail et leur argent. Dans tous
les contes o la violence de la guerre est exprime du ct des Franais, la violence
survient lorsque les personnages dcident de reprendre le contrle de leur vie et de chasser
les envahisseurs. Ceci est en quelque sorte un sursaut de la fiert franaise qui ne se laisse
pas taire. Voil o les contes diffrent des chroniques : si Maupassant crie haut et fort que
l'honneur national ne justifie pas la guerre dans ses chroniques, il en va autrement dans les
nouvelles puisque les personnages, pleins d'orgueil patriotique, semblent plus honorables
que les Prussiens envahisseurs. Les Franais sont placs dans une situation dfensive. Ils
n'engagent pas la guerre les premiers, ils y ragissent.
La mre Sauvage prsente toutes ces caractristiques, mais la reprsentation de la
violence physique parat justifie par une violence psychologique pralable. Le conte
s'inscrit lui aussi dans un contexte d'occupation allemande. Quatre soldats sont installs
chez la mre Sauvage, dont le fils est parti la guerre. Il s'instaure une sorte de bonne
entente entre les soldats et la mre Sauvage. Mme si elle est consciente que ces soldats
38
reprsentent l'ennemi, elle semble s'accoutumer leur prsence. Un jour, la mre Sauvage
reoit une lettre lui annonant la mort de son fils :
" V l Victor qu'est tu, maintenant. " Puis peu peu les larmes montrent ses yeux, et la
douleur envahit son cur. Les ides lui venaient une une, affreuses, torturantes. Elle ne
l'embrasserait plus, son enfant, son grand, plus jamais! Les gendarmes avaient tu le pre,
les Prussiens avaient tu le fils...
Il s'opre alors un changement dans la psychologie du personnage, mais qui se fait trs
subtilement puisque le lecteur n'a ds lors plus accs aux penses du personnage. La
focalisation, d'abord omnisciente, devient externe, bloquant ainsi l'accs aux penses des
personnages. La violence psychologique a fait son effet et l'acte de violence que le
personnage s'apprte commettre sera dsormais justifi. La Mre Sauvage prpare sa
vengeance de faon trs pose, logique et rflchie :
Quand elle jugea suffisants ses prparatifs, elle jeta dans le foyer une des bottes, et,
lorsqu'elle fut enflamme, elle l'parpilla sur les autres, puis elle ressortit et regarda.
Une clart violente illumina en quelques secondes tout l'intrieur de la chaumire, puis ce
fut un brasier effroyable, un gigantesque four ardent, dont la lueur jaillissait par l'troite
fentre et jetait sur la neige un clatant rayon.
Puis un grand cri parti du sommet de la maison, puis ce fut une clameur de hurlements
humains, d'appels dchirants d'angoisse et d'pouvante. Puis, la trappe s'tant croule
l'intrieur, un tourbillon de feu s'lana dans le grenier, pera le toit de paille, monta dans
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le ciel comme une immense flamme de torche; et toute la chaumire flamba.
La violence physique dans ce conte est donc renforce par la violence psychologique
pralable, qui a dclench le motif de la vengeance ; une tonnante conversion se produit
alors, et le personnage, jusque l calme et rsign la prsence des envahisseurs, se mue en
ennemi vengeur.
Le Pre Milon reprend le mme schma que La Mre Sauvage . Milon accueille les
soldats prussiens avec autant de gentillesse que la Mre Sauvage. Il adopte un
comportement tout fait civilis, qui ne laisse en rien transparatre qu'il est en fait l'auteur
84
85
39
des meurtres des soldats prussiens qui disparaissent depuis peu. Maupassant va jusqu'
prter de la compassion au commandant prussien qui doit juger les crimes du pre Milon :
Les Prussiens se parlrent bas longtemps. Un capitaine, qui avait aussi perdu son fils, le
mois dernier, dfendait ce gueux magnanime.
Alors le colonel se leva et, s'approchant du pre Milon, baissant la voix: " coutez, le
ft/*
vieux, il y a peut-tre un moyen de vous sauver la vie, c'est de..."
De toute vidence, l'image que donne Maupassant des Prussiens, lorsque les nouvelles sont
axes sur la raction des Franais en temps d'occupation ennemie, n'est pas du tout du
mme registre que celle livre dans les contes tudis dans la partie prcdente. Dans ce
cas-ci, le colonel essaie mme de lui faire chapper l'excution.
Une majorit des contes abordant le sujet de la guerre laisse croire que l'auteur cherchait
dpeindre le barbarisme des Prussiens et ainsi prsenter les Franais en victimes
innocentes. C'est ce qu'on remarque dans l'analyse des contes abordant les Prussiens
envahisseurs. Pourtant, cette dernire partie propos des Franais envahis dmontre une
autre facette. Tout comme les Prussiens qui n'avaient aucune raison d'agir de faon si
cruelle envers les Franais, ces derniers agissent de faon tout aussi draisonne face aux
Prussiens qui sont dcrits comme de jeunes garons innocents et somme toute sympathique.
Les Prussiens sont dots d'un ct amical et charmant, et mme empathique dans le cas du
pre Milon, qui est toutefois absent dans les cas de Deux amis et La Folle87 par
exemple. Cependant, malgr cette vision presque charmante des soldats prussiens, il reste
tout mme l'aspect essentiel qui nous est donn : la justification. Mme si ce n'est pas
explicitement crit, il est important de voir comment l'auteur complte l'histoire pour que
le lecteur voit les raisons qui poussent les personnages franais l'acte de violence. Dans la
partie prcdente, lorsque la focalisation se fait du point de vue des Prussiens envahisseurs,
rien n'est donn comme explication. Mme si Maupassant juge la guerre et la caractrise
comme monstrueuse et absurde, l'opinion semble un peu plus favorable envers les Franais
qui se dfendent ou qui se vengent. Bref, s'il y a un acte dclencheur qui peut justifier la
Maupassant, Le Pre Milon , (I), p. 828.
87
violence des Franais, le portrait qu'ils prsentent est un peu moins barbare que celui des
Prussiens. Un lien vident se dessine avec la deuxime chronique mise en exemple plus tt,
Zut! : la guerre, sous tous ses angles, est dcrite et expose de faon ngative, mais elle
est plus acceptable si les Franais doivent se dfendre. Maupassant veut abolir la guerre. Il
le revendique dans cette chronique et dans ses nouvelles exposant la guerre. Par contre, si
les Franais sont attaqus, ils sauront se dfendre.
Prussiens personnifient toujours la menace dans cette nouvelle, mais ils ont aussi un ct
humain. Aprs l'introduction du conte, le narrateur explique qu'une fois la premire terreur
de l'ennemi passe, un certain calme s'tablit et [d]ans beaucoup de familles, l'officier
prussien mangeait table. Il tait parfois bien lev, et, par politesse, plaignait la France,
disait sa rpugnance en prenant part cette guerre. On lui tait reconnaissant de ce
oo
Les
Prussiens sont polis, respectueux la limite, et mme sympathiques, tout comme dans les
contes analyss prcdemment. Ce qui est surtout rvlateur, dans cette simple
introduction, c'est le ct profiteur des commerants franais. Ils sont plutt heureux de la
bonne entente qui s'installe entre eux et les Prussiens car ils pourraient, tt ou tard, avoir
besoin d'eux. Par contre, derrire cette bonne entente de faade, les Prussiens ne sont
jamais totalement accepts. Le narrateur l'explique : les mariniers et les pcheurs
ramenaient souvent du fond de l'eau quelque cadavre d'Allemand gonfl dans son uniforme,
tu d'un coup de couteau ou de savate, la tte crase par une pierre, ou jet l'eau d'une
pousse du haut d'un pont.
envahissante qu'il faut supprimer : Il y avait cependant quelque chose dans l'air, quelque
chose de subtil et d'inconnu, une atmosphre trangre intolrable, comme une odeur
rpandue, l'odeur de l'invasion. Elle emplissait les demeures et les places publiques,
changeait le got des aliments, donnait l'impression d'tre en voyage, trs loin, chez des
tribus barbares et dangereuses.90 Maupassant met en place la mme atmosphre trange,
la limite angoissante, de l'envahissement prussien qui est illustre dans les contes analyss
dans ce chapitre. Peu importe que les Allemands ne soient pas des tres totalement
dpourvus d'mes et d'humanit, il reste qu'ils sont une entit qui envahit les Franais et
dont il faut se dbarrasser.
Pour autant, le danger que reprsente les Prussiens n'est pas l'lment principal expos
dans Boule de suif. La critique sociale, et notamment une critique froce de la
88
89
42
bourgeoisie, sont trs prsentes. Les possdants et les biens nantis ne sont gure dpeints de
faon positive. La raction des Franais face Boule de suif, qui vient littralement les
sauver en se donnant l'officier prussien, malgr sa hantise de l'ennemi, montre qu'un
bourgeois de France ne vaut pas mieux qu'un soldat allemand et a moins de morale qu'une
prostitue. Maupassant met en scne ici des gens plutt bien nantis ou bien perus par la
socit : religieuses, riches commerants, nobles. Mais aucun d'eux n'aura cette force de
caractre que l'on retrouve chez Boule de Suif, cette femme sans relle position sociale qui
vit par le commerce de la chair. C'est le seul personnage qui tient un certain idal et qui
rsiste l'envahisseur. L'analyse de Grard Delaisement propos de la guerre et Boule
de Suif explique cette dnonciation de la part de l'auteur :
La guerre de 1870 a laiss des traces indlbiles. La France, chauffe blanc par les
revanchards, gronde et montre du doigt la ligne bleue des Voges [rgion franaise] :
contre-courant de l'esprit du moment, Maupassant, qui hait la guerre et qui se souvient du
sige de Paris, verse sa contribution l'espoir d'une paix durable. Il ose faire porter le
message par une prostitue patriote qui ridiculise les bourgeois veules et froussards.
C'tait oprer - non sans humour- une sorte de transfert des valeurs.
91
Maupassant annonce dj, par la description des personnages, un certain jugement par
rapport cette classe bourgeoise. Mme par leurs conversations, le lecteur voit dj
s'annoncer la personnalit des bourgeois : On s'entretint de la guerre, naturellement. On
raconta des faits horribles des Prussiens, des traits de bravoure des Franais; et tous ces
gens qui fuyaient rendirent hommage au courage des autres.92 Ils expriment les valeurs
patriotiques strotypes de l'poque, mais leurs actions en rvlent beaucoup plus sur leur
vritable personnalit que leurs discours patriotiques. Ils fuient pour prserver leur argent,
ils ne restent pas pour dfendre leur bien ou leur patrie. D'ailleurs, aprs plusieurs refus de
Boule de Suif de cder au commandant prussien, ils manigancent pour la laisser derrire et
continuer leur fuite sans elle : Loiseau eut une inspiration: il tait d'avis de proposer
l'officier de garder Boule de suif toute seule, et de laisser partir les autres.93 Ils essaient de
ngocier leur libration avec Boule de Suif. Leur tentative ayant choue, il ne reste qu'
91
92
93
43
comploter pour convaincre la galante qu'il n'y a rien de mal se donner pour la patrie
(qu'eux mmes, rptons-le, ne dfendent pas). Mme les religieuses s'en mlent, finissant
par convaincre Boule de Suif. Le lendemain, les voyageurs rservent un traitement
particulier Boule de Suif, malgr le fait qu'elle aitfinalementcd au Prussien pour eux :
Elle semblait un peu trouble, honteuse, et elle s'avana timidement vers ses
compagnons, qui, tous, d'un mme mouvement, se dtournrent comme s'ils ne l'avaient
pas aperue. Le comte prit avec dignit le bras de sa femme et l'loigna de ce contact
impur.
La grosse fille s'arrta, stupfaite; alors, ramassant tout son courage, elle aborda la femme
du manufacturier d'un "bonjour, Madame" humblement murmur. L'autre fit de la tte
seule un petit salut impertinent qu'elle accompagna d'un regard de vertu outrage. Tout le
monde semblait affair, et l'on se tenait loin d'elle comme si elle et apport une infection
dans ses jupes. Puis on se prcipita vers la voiture o elle arriva seule, la dernire, et
reprit en silence la place qu'elle avait occupe pendant la premire partie de la route.
On semblait ne pas la voir, ne pas la connatre; mais Mme Loiseau, la considrant de loin
avec indignation, dit mi-voix son mari: "Heureusement que je ne suis pas ct
d'elle."94
Une fois qu'ils ont obtenu ce qu'ils voulaient, les passagers se retournent vite contre cette
prostitue qui ose les ctoyer, eux, gens de bonnes vertus. Ils l'ont amadoue, manipule
pour ensuite mieux la rejeter. Ils ne montrent pas de sympathie, pas plus que les soldats
prussiens. C'est donc le personnage de la prostitue qui semble le plus digne d'estime.
C'est la seule, comme nous l'avons mentionn plus tt, qui a une certaine valeur
patriotique. Elle manifeste une rsistance fidle ses principes : en aucun cas il ne faut
cder l'ennemi. Les bourgeois, leur femme surtout, semblent plus enclins se
prostituer et plier face l'ennemi. Comme le fait remarquer Lynda A. Davey95, les
femmes sont montres comme viles et plus disposes cder l'ennemi : Mme CarrLamadon, qui avait connu beaucoup d'officiers et qui les jugeait en connaisseur, trouvait
celui-l pas mal du tout; elle regrettait mme qu'il ne ft pas Franais, parce qu'il ferait un
fort joli hussard, dont toutes les femmes assurment raffoleraient.96 Les hommes, quant
94
lbid., p. 117-118.
95
96
44
eux, ont comme premire raction de ngocier avec le commandant en promettant de lui
donner ce qu'il veut. Davey illustre comment la sexualit dans Boule de Suif est
fortement lie l'ide de consommation de nourriture. La seule description de la jeune
galante est rvlatrice : Petite, ronde de partout, grasse lard, avec des doigts bouffis,
trangls aux phalanges, pareils des chapelets de courtes saucisses, avec une peau luisante
et tendue, une gorge norme qui saillait sous sa robe, elle restait cependant apptissante et
courue, tant sa fracheur faisait plaisir voir. Sa figure tait une pomme rouge, un bouton
de pivoine prt fleurir [...].97 Boule de Suif, au dbut de la nouvelle, partage ses
provisions avec ceux qui l'avaient juge quelques instants auparavant. Par contre, plus on
avance dans l'histoire, moins Boule de Suif mange, jusqu'au point o elle se retrouve sans
nourriture, alors que les autres Franais mangent de plus en plus et refusent de partager
avec elle. Davey complte son explication :
S'agissant de la femme dvoratrice, le mythe n'a pas trait la prostitue mais plutt aux
femmes bourgeoises respectables . Le texte souligne plusieurs reprises la prfrence
de Mme Carr-Lamadon pour les soldats, ainsi que le plaisir vident qu'prouvent ces
femmes entendre ou faire des plaisanteries double sens. Maupassant se sert d'une
allusion la cuisine pour donner son opinion au sujet de ces femmes : Mais la lgre
tranche de pudeur dont est barde toute femme du monde ne recouvrant que la surface,
elles s'panouissent dans cette aventure polissonne [...]
98
Ce sont donc les femmes de la haute socit, et non celle qui vend ses charmes, qui sont
juges dans ce conte. L'inversion des rles, en particulier la lumire des explications de
Davey, est notable. La prostitue est en quelque sorte valorise puisque c'est la seule qui
affiche une certaine morale et un penchant patriotique plutt surprenant venant de ce
type de personnage.
Par contre, dans ce classement de contes sur la guerre voquant les prostitues, Boule de
Suif est la seule qui se soumet son sort. Certes, elle finit par cder aux revendications de
l'ennemi (autant l'officier prussien que les bourgeois qui, dans ce cas-ci, se lient contre
elle), mais elle y est contrainte, puisque l'histoire n'arrivera sa conclusion que si elle plie
sous la pression. Elle finit par se rsigner, malgr ses valeurs patriotiques. Elle n'affiche
97
98
lbid., p. 91.
Davey, La croqueuse d'hommes , op. cit., p. 65.
45
pas la mme force et la mme nergie de rvolte que l'on retrouve, par exemple, chez les
personnages fminins de Mademoiselle Fifi ou du Lit 29 .
Dans Mademoiselle Fifi , Rachel est dans une situation quelque peu inverse de Boule
de Suif. C'est volontairement qu'elle se donne aux Prussiens, car ils sont rputs pour bien
payer. tant trs bien consciente de sa position sociale, elle ne voit rien de mal ce
qu'une prostitue franaise ait des soldats prussiens pour clients. Nous avons dj vu la
violence associe aux prussiens dans cette nouvelle, violence gratuite rarement motive. Ce
n'est pas parce qu'elle se prostitue que Rachel n'a aucune valeur patriotique, bien au
contraire. Lorsque les soldats ennemis se vantent d'avoir conquis la France et bientt les
femmes de France, Rachel se choque : Elle se leva si vite, que le cristal, culbut, vida,
comme pour un baptme, le vin jaune dans ses cheveux noirs, et il tomba, se brisant terre.
Les lvres tremblantes, elle bravait du regard l'officier qui riait toujours, et elle balbutia,
d'une voix trangle de colre : " a, a, a n'est pas vrai, par exemple, vous n'aurez pas
les femmes de France. " 9 Dans les actions, il semble que les deux personnages de Boule
de Suif et de Rachel soient l'oppos : la premire refuse ses charmes l'ennemi, mais
finit par cder, alors que la deuxime, consciente de sa position sociale, accepte de vendre
ses charmes l'ennemi. Cependant, elle rsiste et ne cde point. La fin de la nouvelle de
Mademoiselle Fifi est l'oppos de celle de Boule de Suif aussi. Alors que cette
dernire est totalement renie et rejete par les gens qu'elle dfend, Rachel voit sa
condition considrablement amliore grce sa ferveur patriotique. On pourrait presque
dire que c'est une fin de conte de fes , ce qui est assez rare chez Maupassant. Aprs
s'tre rvolte contre le discours des Prussiens et avoir tu Mademoiselle Fifi, Rachel se
rfugie l'glise du village et devient un symbole patriotique. La nouvelle se termine sur
cette ouverture : Elle en fut tire [le logis public] quelque temps aprs par un patriote sans
prjugs qui l'aima pour sa belle action, puis l'ayant ensuite chrie pour elle-mme,
l'pousa, en fit une Dame qui valut autant que beaucoup d'autres.100 La diffrence
majeure entre les deux histoires rside tout de mme dans la raction des personnages :
99
100
46
toutes deux ont des valeurs patriotiques trs fermes. Par contre, si l'une se soumet pour
satisfaire les gens de bonnes vertus, l'autre se rvolte et se bat pour dfendre ces mmes
personnes. Le fondement patriotique de l'histoire est le mme, mais les moyens et les
ractions pour les exprimer sont diamtralement opposs.
C'est une situation quelque peu semblable qui est dcrite dans Le lit 29 , la diffrence
majeure o, dans ce cas-ci, le personnage fminin se donne volontairement aux Prussiens
pour leur transmettre la maladie vnrienne dont un soldat prussien l'avait contamine en la
violant. Ce qui est particulirement intressant dans cette nouvelle, et qui la rapproche de
Boule de Suif , c'est le sentiment patriotique de la femme qui se prostitue contre la
couardise de l'homme de bonne rputation. Effectivement, l'amant officiel de la malade
est un brave soldat, reconnu et mdaill pour ses prouesses, apprci de tous. Pourtant,
lorsqu'il est confront la ralit de la maladie, ayant peur pour lui-mme et ne considrant
en aucun cas le sacrifice de sa matresse pour sa patrie, il recule et fuit. La prostitue le
dsavoue alors durement :
- Qu'est-ce qui est honteux, de m'tre fait mourir pour les exterminer, dis ? Tu ne parlais
pas comme a quand tu venais chez moi, rue Jeanne-d'Arc ? Ah ! c'est honteux ! Tu n'en
aurais pas fait autant, toi, avec ta croix d'honneur ! Je l'ai plus mrite que toi, vois-tu,
plus que toi, et j'en ai tu plus que toi, des Prussiens!...
Il demeurait stupfait devant elle, frmissant d'indignation.
- Ah! tais-toi... tu sais... tais-toi ... parce que... ces choses-l... je ne permets pas... qu'on y
touche...
Mais elle ne l'coutait gure :
- Avec a que vous leur avez fait bien du mal aux Prussiens ! a serait-il arriv si vous les
aviez empchs de venir Rouen ? Dis ? C'est vous qui deviez les arrter, entends-tu ".
Et je leur ai fait plus de mal que toi, moi, oui, plus de mal, puisque je vais mourir, tandis
que tu te ballades, toi, et que tu fais le beau pour enjler les femmes...
Dans ce cas-ci, tout comme dans celui de Boule de Suif et de Mademoiselle Fifi ,
c'est donc la prostitue qui fait preuve des sentiments les plus valeureux. Mme les
bourgeois, normalement associs aux bonnes vertus et aux valeurs des hautes classes
Maupassant, Le lit 29 , (II), p. 184.
47
sociales, ou encore les soldats, reprsentant les valeurs patriotiques, n'ont pas ce
patriotisme qui devrait pourtant leur tre associ. C'est une exception de la part de
Maupassant; lui qui n'affiche que trs rarement des sentiments patriotiques, il place ces
discours dans la bouche mme des prostitues.
Toute la violence associe la guerre franco-prussienne, qu'elle soit perue du ct des
Prussiens qui envahissent les Franais ou de celui des Franais se dfendant, prend une tout
autre dimension avec les personnages des prostitues. Elles se font violence elles-mmes,
portant leur valeur patriotique un extrme pour pouvoir se venger et dfendre leur patrie.
Cette bravoure n'est perceptible nulle part ailleurs.
Il est justement ironique que les seuls personnages dmontrant un rel attachement aux
valeurs patriotiques soient ceux qui n'ont aucune considration dans la socit relle. Il y a
certainement une raison qui explique ce choix de Maupassant et celle qui vient
automatiquement en tte est que l'crivain voulait tout simplement effectuer une critique
sociale cinglante. Il faut dire que Maupassant a trs souvent critiqu ses contemporains, peu
importe la classe sociale dans laquelle ils s'inscrivent. Mme si ce n'est jamais explicite,
Maupassant met en scne des personnages dont il va grossir les traits, les placer dans une
situation donne pour exposer leur vritable personnalit et ractions. Dans le cas des
prostitues ayant plus de valeur que les gens de bonne condition, on peut y voir une
intention de comparer les actions des seconds avec celles des premires pour exposer une
certaine vrit : peu importe la condition, l'homme est faonn de la mme matire. Grard
Delaisement prcise ceci : Maupassant, fidle une mthode o entrent, en bonne part,
beaucoup de pudeur et de rvolte, montre la marionnette humaine dans sa vulgarit, dans
ses insuffisances et ses facilits qu'il dnonce avec une lucidit sans faille.102 Les rcits
de Maupassant sont en quelque sorte le reflet d'une certaine humanit ; l'auteur observe et
retranscrit ces vrits dans ses nouvelles et dans ses chroniques. Ce faisant, Maupassant ne
cherche pas ncessairement valoriser particulirement les prostitues, mais plutt
dnoncer la fausset de la bourgeoisie en confrontant les personnages de bonnes conditions
102
48
de simples filles de rues. D'autant plus que les femmes, dans ces nouvelles de guerre, ne
trouvent une utilit que grce leurs charmes et leurs corps.
Dans ses contes et nouvelles sur la guerre franco-prussienne, Maupassant va au-del du
clich revendiqu par l'esprit revanchard en dnonant la cruaut des Franais. Cet aspect
est sans doute la raction de Maupassant la germanophobie circulant depuis 1870.
Maupassant dforme et grossit les traits et les prjugs de sa socit et semble vouloir
montrer le ridicule des Franais. Maupassant dvoile ainsi plusieurs facettes d'une mme
ralit, mais parvient pourtant la mme conclusion : la guerre n'offre rien de bon, peu
importe de quel ct on se situe. Elle n'apporte, d'ailleurs, qu'une violence physique
injustifie. Qu'on dpeigne des commandants prussiens cruels et sanguinaires, des
campagnards franais dfendant justement leur bien ou des prostitues revendiquant
l'honneur franais, il reste que la violence associe ces histoires, mme si elle n'est pas de
mme nature ni toujours aussi valable, reste inutile et incomprhensible aux yeux de
l'crivain. C'est aussi une bonne faon d'exposer sa vision de la socit de l'poque.
49
Certains passages du chapitre prcdent ont permis de montrer que les femmes ont un statut
particulier dans les contes et nouvelles de Maupassant. la lecture, il est possible de
constater que la position qui leur est attribue dans les fictions n'est pas toujours semblable.
C'est principalement sur cet aspect que va s'attarder ce chapitre. Le statut de la femme
dpeint par Maupassant travers ses fictions est quelquefois ambigu, voire contradictoire
lorsque l'on compare les opinions de l'auteur exposes dans les chroniques avec celles des
fictions. Ce chapitre tudiera donc particulirement la vision qu'a Maupassant propos des
femmes travers fictions et chroniques, tout en portant un regard sur les similarits entre la
vision de l'auteur et les strotypes qui circulent dans socit de l'poque, et de quelles
faons la violence leur est associe.
Il faut dire qu' cette poque, la situation sociale de la femme en France n'est pas toujours
trs bien dfinie. Elle diffre beaucoup selon les lois, les murs et les milieux sociaux et
gographiques. Jacques Dupquier et Denis Kessler ont runi plusieurs articles pour tudier
les enjeux et les changements principaux dans la socit du XIXe sicle103. Pour tudier la
question de la femme cette poque, les auteurs se basent sur l'image de la femme que l'on
retrouve travers l'opinion des romanciers, particulirement sur L'Ouvrire, de Jules
Simon. Selon ce dernier, le devoir de la femme est de plaire et de remplir ses obligations en
tant que mre aux yeux de la socit. Cela correspond galement aux propos que
Maupassant tient dans une de ses chroniques. L'image qu'il donne du rle de la femme se
Jacques Dupquier et Denis Kessler, [dir.], La socit franaise au XIX sicle : tradition, transition,
transformations, Paris, Editions Fayard, 1992.
50
104
Il ajoute : Chez les femmes, il n'est point de classes. Elles ne sont quelque chose dans la
socit que par ceux qui les pousent ou qui les patronnent.105 Ces opinions ont souvent
t juges comme des propos misogynes par les critiques. Pourtant, le discours social au
XIXe sicle tait bel et bien celui qu'exprime si crment Maupassant. Ce dernier, dans ses
chroniques, formule une pense qui correspond, somme toute, celle de sa socit. Dans
un ouvrage sur La femme au XIXe sicle, R. Bellet explique que tout au long du sicle, la
situation de la femme est une question politiquement tout fait secondaire106. Rpondre
aux revendications fminines ne fait certes pas partie des priorits sociales, politiques et
conomiques. En outre, toute la conception du statut de la femme cette poque ne
paraift lie] autre chose qu' un consensus implicite autour d'ides reues de l'Ancien
Rgime qu'on peut schmatiquement caractriser en deux points: autorit [...];
reconnaissance de la fonction conomique de la famille.107 En bref, son incapacit
juridique autant que les sanctions qui psent sur son inconduite108 ne sont autre chose
qu'une transmission de l'idologie du sicle prcdent. La femme tait une chose
104
107
<:
lbid., p. 5.
Idem.
51
109
H.-J
f>
lbid., p. 9.
" lbid, p. 10-11.
52
une gueuse, une misrable, une souille, tandis qu'on salue jusqu' terre son mari, qui
l'assassine, parce qu'on le juge rhabilit.
Plutt que de reprendre son honneur par la violence physique, Maupassant suggre au
cocu d'utiliser son sang-froid et son esprit pour placer un bon mot, une bonne rplique qui
affirmerait ainsi une vraie et indiscutable supriorit sur ses semblables, et se vengerait
d'une faon plus certaine et plus terrible qu'avec le poignard ou le pistolet.112 C'est une
des ruses, d'ailleurs, qu'emploie Bel-Ami pour se dtacher de Madame Forestier. Sans aller
jusqu'au meurtre, ayant la preuve de l'adultre devant tmoins, il peut demander le divorce
sans aucune pnalisation113.
La perception de la femme dans le discours et l'imaginaire social est des plus loquents
dans la rubrique Femme , du dictionnaire universel de Pierre Larousse. Ses propos
correspondent ce qu'ont expliqu Dupquier et Kessler : le statut de la femme n'est pas
plus pris en considration que celui d'un enfant. Larousse poursuit l'analogie : " Sa
constitution corporelle est proche de celle de l'enfant "; comme lui, elle a donc une
sensibilit trs vive, " se laissant facilement impressionner par les divers sentiments de
douleur, de crainte, etc. "; comme lui, elle glisse vite de la sensibilit l'imagination,
laquelle est la folle du logis : la Femme est donc " plus sujette l'inconstance ".114 Bellet
ajoute plus loin qu'aprs la rvolution de 1789, on proclame l'galit entre l'homme et la
femme. Par contre, cette galit cesse souvent dans le mariage. Et, ajoute-t-il, les murs
l'emportent sur les lois : comme la femme reoit la condition de son mari, il en rsulte
qu'elle a le mme rang que lui.115 Nous retrouvons l les propos mmes de Maupassant
exposs plus tt : la femme n'accde vritablement l'existence que sous la tutelle de son
mari, qui lui confre ses ultimes raisons d'tre, tant sociales que familiales.
Maupassant, Le prjug du dshonneur , chronique publie dans Le Gaulois en mai 1881, [en ligne],
http://www.etudes-francaises.net/nefbase/maupas_chrons.htm, [consult le 28 juillet 2010], (11 emploie les
mmes propos dans L'amour trois , publie 3 ans plus tard).
Idem.
Maupassant, Bel-Ami, Paris, Gallimard, 2000.
Cit par R. Bellet, [dir.], La femme au XIX sicle, op. cit., p. 22.
1X5
lbid., p. 24.
53
Nous avons vu dans le chapitre prcdent que la socit dans laquelle volue Maupassant
est en plein changement. Le domaine mdical ne fait pas exception. l'poque de
Maupassant, plusieurs formes de mdecine, que l'on qualifierait aujourd'hui de
parallles, connaissent une popularit croissante116, tels le magntisme, l'hypnose et
l'occultisme. Plusieurs romanciers s'en inspirent, Maupassant l'un des premiers. Avec les
avances et les dcouvertes mdicales, il y a galement les dcouvertes sur la femme :
C'est que la femme tait pour la mdecine comme un univers conqurir. Et d'abord
connatre, dcouvrir. Univers tonnant, dconcertant, plein de piges et de surprises. Mais
univers incontournable. [...] C'est ainsi que la thorie mdicale n'a pas cess d'tre
concerne par la question des femmes.117 Dans la premire moiti du XIXe sicle, selon
Jean-Pierre Peter, grce la progression de la mdecine, en particulier la physionomie et
l'anatomie pathologique, on dcouvre les ressemblances fondamentales entre hommes et
femmes. Dans le discours discriminatoire de l'poque, la physiologie s'efforcera donc de
trouver la faiblesse fminine plutt que d'appuyer sa similitude avec la gent masculine. Par
exemple, dans l'idologie de Broca, on prouve l'infriorit intellectuelle de la femme en
mesurant les crnes et en constatant que celui de la femme est moins grand que celui de
l'homme118. Mme si cette thorie finit par perdre de sa crdibilit, elle prouve qu'on
cherche, par tous les moyens, confiner la femme sa seule fminit. D'ailleurs, un lien
perceptible apparat entre mdecine et conception de la beaut fminine au dbut du XIXe
sicle. La beaut idale des femmes selon ces mdecins est faonne par la nature en
raison mme de ce qui favorise la fonction primordiale qu'elles ont assumer, savoir
porter des enfants dans leur sein et allaiter ces petits.1 C'est la femme ronde, aux larges
Nicole Edelman, Culture, croyances et mdecine (XIXe-XXe sicle) , Revue d'histoire du XIXe sicle,
25 | 2002, [en ligne], http://rhl9.revues.org/index453.html, [consult le 5 fvrier 2010].
Laure Adler, [dir.], Misrable et glorieuse : la femme du XIX sicle, Bruxelles, Editions Complexes,
1984, p. 80.
m
lbid., p. 85.
119
lbid., p. 89.
54
hanches et la poitrine opulente qui reprsente la beaut de l'poque. Vers la fin du sicle,
et surtout au dbut du XXe sicle, cette conception a tendance changer, mais on peut
relier mdecine et beaut pendant une bonne partie du XIXe sicle.
Il est impossible d'voquer ce lien entre femmes et mdecine sans mentionner le docteur
Jean-Martin Charcot. Ce dernier est considr comme le grand spcialiste des dames au
XIXe sicle, entre autres par ses notions d'hystrie et d'hypnose. Dans son ouvrage critique
sur la rception des thories de Charcot dans l'imaginaire fin-de-sicle, Bertrand Marquer
explique, ds son introduction, que littrature et sciences sont alors indissociables. Autant
la littrature aide promouvoir la mdecine, autant les thories mdicales aident donner
une certaine crdibilit aux romanciers. En effet, selon les propos d'Octave Mirbeau
rapports par Marquer, en cette fin de sicle, [...], la Science clipse les autres domaines :
promu monument de l'histoire du XIXe sicle, Charcot fait figure d'incarnation historique
d'un tat de l'Esprit du monde , caractris non plus par ses russites, mais par ses
angoisses.
qui y sont internes. L'hystrie tait, depuis longtemps, une maladie associe la femme.
Nicole Edelman le confirme : Pendant presque toute la premire moiti du XIXe sicle et
ce depuis des millnaires, l'hystrie est considre par la majorit des mdecins franais
comme une affection de l'utrus.121 D'ailleurs, ce n'est qu'en 1882 que Charcot tudiera
l'hystrie du ct de la gent masculine. La femme tant associe cette hystrie par ces
organes gnitaux, elle est donc considre comme domine par sa sexualit. Ce n'est certes
pas une image valorisante, mais elle permettait d'affirmer une certaine irresponsabilit chez
120
Bertrand Marquer, Les romans de la Salptrire. Rception d'une scnographie clinique : Jean-Martin
Charcot dans l'imaginaire fin-de-sicle, Genve, Editions Droz, 2008, p. 19.
Nicole Edelman, Reprsentation de la maladie et construction de la diffrence des sexes. Des maladies
de femmes aux maladies nerveuses, l'hystrie comme exemple , dans Romantisme, 2000, nl 10, p. 76.
55
la femme et ainsi consolider la pense qu'elle devait tre surveille par son mari. Cette
maladie devient d'ailleurs monnaie courante l'poque de Maupassant : on y fait rfrence
un peu partout et cela devient, en quelque sorte, un lieu commun. La plupart des auteurs
contemporains de Maupassant y font rfrence et l'associe pratiquement toujours la
femme. Maupassant lui-mme mentionne quelques reprises cette maladie et sa popularit
exagre :
Hystrique, madame, voil le grand mot du jour. tes-vous amoureuse ? vous tes une
hystrique. tes-vous indiffrente aux passions qui remuent vos semblables ? vous tes
une hystrique, mais une hystrique chaste. Trompez-vous votre mari ? vous tes une
hystrique, mais une hystrique sensuelle. Vous volez des coupons de soie dans un
magasin ? hystrique. Vous mentez tout propos ? hystrique ! (Le mensonge est mme
le signe caractristique de l'hystrie.) Vous tes gourmande ? hystrique ! Vous tes
nerveuse ? hystrique ! Vous tes ceci, vous tes cela, vous tes enfin ce que sont toutes
les femmes depuis le commencement du monde ? Hystrique ! hystrique ! vous dis-je.
Nous sommes tous des hystriques, depuis que le docteur Charcot, ce grand prtre de
l'hystrie, cet leveur d'hystriques en chambre, entretient grands frais dans son
tablissement modle de la Salptrire un peuple de femmes nerveuses auxquelles il
inocule la folie, et dont il fait, en peu de temps, des dmoniaques.
Il faut tre vraiment bien ordinaire, bien commun, bien raisonnable, pour qu'on ne vous
classe point aujourd'hui parmi les hystriques. Les acadmiciens ne le sont pas ; les
122
snateurs non plus.
122
Maupassant, Une femme (16 aot 1882), [en ligne], http://www.etudesfrancaises.net/nefbase/maupas_chrons.htm, [consult le 10 avril 2010].
123
56
lbid., p. 232.
lbid., p. 234.
\")r\
Voir ce propos l'article de Maxime Prvost : Maupassant, juste aprs Charcot , dans Texte, Toronto,
n43-44, 2008, p. 147-165. Prvost y explique comment Maupassant se dtache des thories de Charcot et
dtourne la notorit de ce dernier.
127
Angenot, 1889, op. cit., p. 475.
57
moyens, de la restreindre un moule. Ce moule est reprsent par son corps, comme Mary
Donladson-Evans l'explique :
Du ct de la religion, donc, la femme sans me, fille d'Eve, pige sduisant et
dangereux de la nature; du ct de la mdecine, enfant victime de son corps malade,
rebelle la raison et qu'il suffit soit d'enfermer dans la domesticit mure d'une
maternit sans fin soit de tenir l'cart du monde dans une maison de repos. Voil les
deux perspectives sur la femme qui sont parodies dans la fiction de Maupassant. Dans
les deux cas, la femme est pour ainsi dire rduite sa prsence corporelle.
Maupassant, dont la position reste fort ambigu par rapport la femme, s'insurge parfois
contre ce discours ambiant, notamment avec le personnage de la Comtesse de Mascaret.
Cette dernire reprsente le type de personnage fminin qui se rvolte de sa condition, au
fort caractre, un peu l'effigie des prostitues patriotiques. La Comtesse de Mascaret,
aprs une septime grossesse, se rvolte contre son mari qui la confine une vie de
maternit et de dformation : je ne veux plus tre la victime de l'odieux supplice de
maternit que vous m'imposez depuis onze ans! Je veux vivre enfin en femme du monde,
comme j'en ai le droit, comme toutes les femmes en on le droit.129 La Comtesse de
Mascaret est en des seuls personnages fminins de Maupassant qui se rvolte directement
contre le sort rserv son sexe, impos par le sexe oppos, et qui affiche un caractre
aussi moderne. Cependant, il ne faut pas se leurrer. Si Maupassant prononce ce discours par
l'intermdiaire de son personnage, c'est trs probablement en grande partie parce qu'il a
lui-mme la grossesse en horreur. Ce sujet sera abord en dtails ultrieurement dans ce
chapitre. L'auteur de L'inutile beaut semble indign par cette vie de maternit impose
la femme, certes, mais il ne la confine pas moins dans un moule bien restreint : tre belle
et tre faite pour l'amour. Si la comtesse dsire se sortir de cette vie qu'on lui inflige, c'est
pour mieux occuper son rle premier : celui de plaire. Son statut, tout comme ceux de
Rachel, Boule de Suif ou Irma, ne reste, encore une fois, dfini que par son corps.
Maupassant n'a pas exactement le mme discours propos de la femme que les dirigeants
128
58
masculins de l'poque. Il ne se prive pas moins de replacer la femme l o elle doit tre et
la clotrer dans un rle o seul son corps entre en ligne de compte.
Berthe est un autre exemple o l'auteur enferme la femme dans son rle corporel.
Berthe est une enfant atteinte d'une dficience mentale : son intelligence demeurait
inerte130 , alors que son corps se dveloppe de faon normale. Le docteur responsable de
cette enfant lui inculque quelques connaissances, mais le cerveau ne se dveloppe que trs
peu. Lorsqu'elle atteint ses seize ans, devenue superbe; [...] un type de la race, une sorte
de Vnus admirable et stupide131 , le pre de l'enfant propose au mdecin de la marier,
croyant que si elle avait des enfants... ce serait pour elle une grande secousse, un grand
bonheur et... qui sait si son esprit ne s'veillerait pas dans la maternit?...132 Le mdecin
se fait alors cette rflexion :
Je demeurai fort perplexe. C'tait juste. Il se pourrait que cette chose si nouvelle, que cet
admirable instinct des mres qui palpite au coeur des btes comme au cur des femmes,
qui fait se jeter la poule en face de la gueule du chien pour dfendre ses petits, ament
une rvolution, un bouleversement dans cette tte inerte, et mt en marche le mcanisme
immobile de sa pense.
C'est donc en utilisant ses fonctions corporelles que la femme peut s'manciper. Le
mdecin va jusqu' associer le bon fonctionnement du corps avec celui de la pense. La
femme ne peut donc tre si son corps ne rempli pas les fonctions pour lesquelles il a t
cr.
On constate la mme situation dans la nouvelle L'enfant , qui sera analyse
ultrieurement dans la partie sur la procration de la femme. Dans cette nouvelle, la jeune
femme est atteinte trs tt par les sens et le besoin des caresses furieuses134 . Elle est
faite pour l'amour et son corps se languit de ne pas en avoir :
131
i32
134
59
Celle que j'appellerai Mme Hlne avait des sens. Elle les avait eus ds sa petite enfance.
Chez elle ils s'taient veills alors que la parole commence. Vous me direz que c'tait
une malade. Pourquoi ? N'tes-vous pas plutt des affaiblis ? On me consulta lorsqu'elle
avait douze ans. Je constatai qu'elle tait femme dj et harcele sans repos par des dsirs
d'amour. Rien qu' la voir on le sentait. Elle avait des lvres grasses, retournes, ouvertes
comme des fleurs, un cou fort, une peau chaude, un nez large, un peu ouvert et palpitant,
de grands yeux clairs dont le regard allumait les hommes.
La seule faon de parvenir calmer les sens de cette jeune femme est de la marier pour
qu'elle puisse pleinement satisfaire ses besoins. Encore une fois, c'est par son corps que la
femme se place dans la socit. Mme si Maupassant n'approuve pas l'appel la
repopulation franaise, il n'en place pas moins ses personnages fminins dans un moule
prdtermin, confins un statut trs restreint qui passe par leur corps.
Le fait que Maupassant dbute sa carrire grce aux journaux a invitablement une
influence directe sur son criture. Ceci sera tudi plus en profondeur dans le prochain
chapitre, mais il est important d'en toucher un mot, puisque les opinions et les thmatiques
mmes que manifeste Maupassant sont en partie influences par ce moyen de diffusion. En
d'autres termes : Maupassant doit obligatoirement satisfaire les attentes d'un public qui le
lit et d'un journal qui le publie. Ainsi, mme si son opinion lui est propre, on y retrouve
indniablement une vision commune la socit du XIXe sicle et les strotypes qui y
circulent l'poque. Nous retrouvons donc dans ses chroniques et ses nouvelles cette
image dvalorisante de la femme. Dans Chronique136 , voque plus tt, le ton est lanc.
Selon l'opinion qu'il y exprime, la femme n'est faite que pour l'amour et la conception et,
peu importe son niveau social, elle reste essentiellement la mme. Le jugement de
Maupassant concorde avec la doctrine qui circule l'poque, explique par DonaldsonEvans : on restreint la femme son seul corps.
Idem.
Maupassant, Chronique , op. cit.
60
Mme si les femmes ne sont jamais, mises part de trs rares exceptions137, les
personnages principaux et les narratrices dans les contes et nouvelles de Maupassant, il
reste qu'elles sont trs prsentes et reprsentes de plusieurs faons. Lorraine GaudrefroyDemombynes a fait la recension des diffrents types de femmes que l'on retrouve dans
l'uvre de Maupassant138. Tout d'abord, un fait notoire et trs intressant, selon son tude,
est la reprsentation de la jeune fille. Il n'y a, encore une fois, aucune opinion clairement
illustre de l'auteur lorsqu'il est question de la femme. Maupassant ne semble pas juger,
mais plutt exposer les faits tels qu'il les peroit, ce qui correspond sa conception du
ralisme. C'est le cas lorsqu'il s'agit de jeunes filles sduites en dehors du mariage.
L'auteur ne condamne jamais l'homme qui a sduit ni la jeune fille qui a succomb, car, en
fait, ces jeunes filles sduites ne font pas figure de victimes. Leur aventure les fait sortir
de leur chrysalide et les initie la vie [...].
pas connu l'homme. Elles deviennent des tres part entire aprs s'tre panouies grce
lui. Les cas tout juste exposs de Berthe et de Madame Hlne l'illustrent. C'est encore
plus vrai dans le cas de Jeanne, dans Une Vie, qui, tout comme Emma Bovary, sort du
couvent sans aucune exprience du monde extrieur. C'est son pre qui avait dcid de la
mettre au couvent pour pouvoir la garder dans l'ignorance et forger lui-mme le caractre
de sa fille :
Il l'avait tenue l svrement enferme, clotre, ignore et ignorante des choses
humaines. Il voulait qu'on la lui rendt chaste dix-sept ans pour la tremper lui-mme
dans une sorte de bain de posie raisonnable ; et, par les champs, au milieu de la terre
fconde, ouvrir son me, dgourdir son ignorance l'aspect de l'amour naf, des
tendresses simples des animaux, des lois sereines de la vie.
Consulter ce propos : LINTVELT, Jaap, Aspects de la narration. Thmatique, idologie, identit. Guy
de Maupassant, Julien Green, Anne Hbert, Jacques Poulin, Qubec, ditions Nota bene, 2000.
138
61
Selon Alain Quesnel141 et Pierre Danger142, la grande diffrence d'Emma Bovary qui sort
du couvent avec une prconception du monde, en grande majorit obtenu la lecture de
romans l'eau de rose, Jeanne n'a aucun a priori sur le monde. Ce sont donc les lments
extrieurs qui vont former son caractre, mais qui vont aussi tre la cause de ses malheurs,
souvent reprsents par les hommes dans sa vie : son mari qui l'a trompe avec la bonne et
son fils qui l'abandonne et la ruine, entre autres.
Il faut dire qu' l'poque, plusieurs considraient l'ducation des jeunes filles comme
inacheve et sans lien avec la ralit, particulirement en ce qui a trait au mariage. Lorraine
Gaudefroy-Demombynes l'explique : ce n'est pas seulement l'ignorance du caractre du
futur mari qui risque de gcher la destine de la jeune fille; c'est aussi, parfois, l'ignorance
de ce que peut tre le mariage jusque dans ses ralits les plus prosaques, et Maupassant
semble bien condamner implicitement cette fausse pudeur de l'ducation franaise qui
laisse la jeune fille entirement ignorante de la vie sexuelle.
144
La femme n'est rien sans l'homme. Elles n'ont aucune personnalit marque tant que
l'homme ne les rvle pas au monde.
14!
142
Alain Quesnel, Premires leons sur les romans de Maupassant, Paris, PUF, 1999, p. 14.
Pierre Danger, Pulsion et dsir dans les romans et nouvelles de Guy de Maupassant, Paris, Librairie
Nizet, 1993, p. 12-16.
143
144
Maupassant, Celles qui osent ! (1883), [en ligne], http://www.etudesfrancaises.net/nefbase/maupas_chrons.htm, [consult le 16 avril 2010].
62
La femme marie, quant elle, n'est pratiquement jamais reprsente comme fidle son
mari, ou, si elle l'est (par exemple Jeanne dans Une vie145), elle a une vie misreuse et un
mari ingrat. Selon Lorraine Gaudefroy-Demombynes, tous les mariages, dans les contes et
nouvelles de Maupassant, sont dysfonctionnels pour la bonne raison qu' ils sont conclus
de faon inconsidre, dans une trop grande ignorance du mari, une trop grande
innocence.146 C'est un reproche que Maupassant faisait directement l'institution du
mariage. Les mariages tant souvent conclus comme on ngocie un contrat, il va de soi
qu'ils sont vous l'chec. Les femmes se crent leur propre image du mariage partir des
romans l'eau de rose et sont totalement dues une fois qu'elles sont confrontes la
ralit. De toute faon, pour Maupassant, l'homme n'est pas fait pour la vie monogame. Le
mariage est donc contre-nature.
Lorsque les femmes deviennent mres, elles deviennent des personnages totalement
diffrents. La grossesse n'est jamais mise en valeur dans les crits de Maupassant. Il faut
dire que l'auteur n'est pas particulirement attir par la grossesse. Mary Donaldson-Evans
va jusqu' dire qu'il tenait la grossesse en horreur et qu' [il] a fait maintes reprises
l'loge de la strilit [...].
repeupler le pays, surtout aprs les pertes causes par la guerre de 1870. Toutefois, avec
l'mancipation de la femme et la monte du fminisme, la gent fminine est beaucoup
moins porte la procration, comme l'a fait remarquer Marc Angenot dans son tude sur
le discours social en 1889148. Cette situation contribue un effet de tension dans la socit,
car les femmes ne rpondent pas aux attentes qui leur sont fixes. C'est sans doute pour
cette raison que l'on tente autant de confiner la femme dans son rle de mre. Les femmes
refusent de plus en plus de remplir leur rle de procratrices et dveloppent leur
indpendance et autonomie. Ce n'est sans doute pas pour plaire aux dirigeants et la gent
masculine en gnral. L'quilibre de la socit semble menac par les femmes qui tentent
de sortir du moule impos. Cette tension au sein de la socit se fait ressentir un peu
147
63
149
Par contre, mme si la procration est rattache cette bestialit humaine, nous verrons
dans l'analyse des textes que la maternit n'a pas toujours une aussi bonne reprsentation.
Si la femme n'est bonne qu' plaire ou procrer, pour Maupassant, elle choue dans la
plupart des situations combler ces deux simples rles. Qu'elle soit jeune fille, femme
marie ou mre de famille, la femme est reprsente par Maupassant comme un tre
perfide. Dans le cas de la mre, la plupart des personnages ne sont mme pas dignes de
l'instinct maternel qui, normalement, est plutt associ la bte face sa progniture qu'
la femme avec son enfant. Maupassant est assez loquent ce sujet dans Note d'un
dmolisseur . L'auteur s'indigne contre un commentaire du chroniqueur Albert Wolff, qui
critique Pot-Bouille, de Zola. Le critique affirme que la vision de Zola propos de la
femme est errone, puisque l'instinct maternel se peroit bien mieux chez la femme que
chez la bte. Ici, Maupassant entend se faire le dfenseur des btes en citant quelques
exemples dont il fut le tmoin :
J'ai vu, moi, les deux faits suivants :
Une chienne qui avait mis bas dans une partie de chasse six lieues de sa maison, a t
laisse par son matre chez le garde, avec deux petits, pour ne la point fatiguer par cette
longue route.
Le lendemain on la trouva dans sa niche avec ses deux chiens. Elle avait donc fait deux
voyages, aller et retour, pour les apporter chez elle, l'un aprs l'autre : soit vingt-quatre
149
64
Les btes sont dots d'un courage et d'une fidlit que l'auteur honore particulirement.
Cependant, son opinion propos de l'instinct maternel chez la femme se situe plutt
l'oppos :
Revenons l'humanit.
Ouvrons les journaux.
Tous les jours des infanticides, tous les jours des petits tres trouvs au coin des bornes,
au fond des fleuves, le long des fosss, dans les gouts et dans ces rservoirs souterrains
que desschent ces pompiers de la nuit que je n'ose pas nommer par peur d'tre trait de
naturaliste. Et les magistrats affirment avec raison qu'on ne dcouvre pas deux de ces
crimes sur dix commis. Or, une loi terrible les punit. Supprimez cette loi et laissez la
femme livre au seul amour maternel et vous aurez bientt un tel massacre de nouveauns que l'humanit disparatra.
D'ailleurs, la ncessit d'une lgislation aussi rigoureuse prouve surabondamment la
frquence du forfait.
En vrit, je crois qu'il est inutile d'insister pour prouver que l'instinct maternel est
sensiblement plus vif chez la bte que chez la femme, et que .'infanticide apparat
infiniment plus frquent chez celle-ci que chez celle-l.
Et si, dans quelques exceptions, particulirement dans ses romans, la mre est reprsente
comme totalement dvoue et soumise son enfant, son destin est des plus sombres et
toujours vou au malheur. Plusieurs exemples le confirment : Jeanne, dans Une vie152, qui
se fait arnaquer par son fils jusqu' ce qu'elle soit ruine ; Mademoiselle Source, dans
L'orphelin153 , qui est trahie par l'enfant qu'elle a adopt et qui est sans doute assassine
par l'enfant ; L'attente154 , o un fils surprend sa mre avec un autre homme et s'enfuit
sans donner de nouvelles, ne lui laissant autre chose que la solitude et la culpabilit.
Certains texte prsentent des situations o les mres sont spares de leurs fils trs
rapidement, ceux-ci tant placs en pension trs jeunes et faisant peu peu leur vie et
dlaissant leurs mres, par exemple dans les rcits Rencontre
drame
157
. Aux champs
et Humble
couple de bourgeois, une trange proposition : on lui offre d'acheter son jeune garon. Bien
sr, par amour et par principe, elle refuse. La voisine, cependant, accepte l'offre. La vie de
la premire femme sera alors un enchanement de malheurs. Plusieurs annes plus tard, le
fils vendu retourne voir ses parents biologiques. Le fils qui tait rest parmi les siens,
pauvres paysans, est atteint d'une soudaine jalousie de la situation prometteuse de l'autre
garon. Il ne pardonne pas sa mre de lui avoir refus une telle vie et quitte sa famille
sans plus jamais donner de nouvelles. Dans le cas de Madame Hermet158 , la perte de
l'enfant entrane la femme jusqu' la folie. Ce qui est particulier, dans ce dernier cas, c'est
que Madame Hermet n'tait en rien une mre dvoue, mais elle aimait fondamentalement
son enfant. Toutes ces situations o l'on peut voir des femmes heureuses d'tre mres
finissent toutes par un malheur ou un drame tragique. Il n'y a que de trs rares histoires qui
se terminent bien chez Maupassant, notamment lorsque les femmes sont concernes.
Certaines nouvelles, comme Le papa de Simon159 , se terminent par une fin heureuse : la
mre de Simon, qui avait cd son fianc avant leur mariage bien des annes avant, avait
t abandonne avec l'enfant. Sa vie en fut fort difficile. Mais l'histoire se termine de faon
heureuse puisqu'elle est demande en mariage par un bcheron trs respect. Cette histoire
est une des seules o la mre est promise un futur plus heureux. Dans la grande majorit
des cas, l'histoire se termine sur une note oppose.
154
159
Maupassant reprsente donc diffrents types de femmes. Cependant, celles-ci finissent par
se ressembler et voquent sans conteste l'image de la femme circulant cette poque en
tant associes la duplicit, l'indigence intellectuelle, l'incompatibilit avec le sexe
masculin et l'insuffisance de l'instinct maternel. Mme si Maupassant semble exprimer un
sentiment favorable envers la femme dans quelques contes, une facette ngative y est
toujours rattache. Reprenons Boule de Suif, ou encore Rachel dans Mademoiselle Fifi ,
ou mme Irma, dans Le lit 29 : elles sont les seules faire preuve d'un patriotisme et
d'un courage sans gal. Pourtant, en reconsidrant les actions qu'elles posent, elles ne font
que remplir leur rle, soit utiliser leur corps pour arriver leur fin. Nous avons dj
remarqu une certaine critique sociale derrire cela. Maupassant l'exprime en opposant les
gens du bas de l'chelle sociale ceux qui sont au haut et en inversant les valeurs
normalement attribus chacun d'eux. Les sentiments exprims sont beaucoup trop grossis
pour ne pas frler la limite du ridicule. Demombynes y voit mme une certaine
complaisance exagre. Elle donne l'exemple de la ferveur mystique soudaine des femmes
de la Maison Tellier : cela nous semble une charge, tellement la chose est bouffonne,
exagre sous l'angle de la simple logique160 . Dans les cas o l'on prsente une image
positive de la femme, les apparences sont souvent trompeuses.
67
, il n'est pas
tonnant de voir un mpris gnral se dvelopper de la part des bourgeois envers les classes
infrieures;
les
paysans
et
la
province
tant
particulirement
critiqus.
Le
165
166
167
168
170
lbid., p. 764.
lbid. p. 763-764.
lbid., p. 764.
Angenot, 1889, op. cit., p. 209.
Idem.
lbid., p. 207.
69
semble y avoir une peur de la contamination des classes, mais qui n'est toujours nfaste
que pour le bourgeois ou le Parisien. Bref, pour les gens du monde qui perdent un peu
de leur statut au contact des gens de basses conditions sociales. Cette contamination est
perue comme une situation qui menace de renverser les ordres naturels et d'achever la
ruine de la civilisation.171 Cette anxit est perceptible dans les contes normands de
Maupassant. L'tude de Lamia Gritli dmontre ce lien en explorant L'esthtique de la
cruaut dans les contes normands de Guy de Maupassant
souvent associe aux paysans dans l'idologie du XIXe sicle. Quoiqu'il en soit, la vision
de Maupassant au sujet des gens de la campagne, particulirement celle qui implique des
anciens citadins qui sont transforms et endormis par la vie rustique, est trs ngative.
L'opinion de l'auteur se peroit par la description du physique dform. La description des
tribunaux rustiques que livre Maupassant annonce un certain regard strotyp sur les
campagnards. La nouvelle Autre temps en est une bonne illustration :
Au fond de la grande pice, des paysans en blouse bleue, assis sur des bancs, la casquette
ou le chapeau entre les jambes. Ils sont graves, abrutis et russ, et ils prparent
mentalement des arguments pour leur affaire. A tout moment ils crachent ct de leur
pied chauss, d'un soulier grand comme une barque de pche; et une mare de salive
marque la place de chacun.
D'un seul regard qui enveloppe la salle de justice, Maupassant livre les prjugs et
strotypes qui circulent l'poque propos des gens vivant en dehors de Paris. La
description physique des personnages va souvent de pair avec l'intelligence de ces
personnages : si le physique est peu brillant, il semble que l'intellect le soit tout aussi peu.
Ceci se remarque dans deux autres cas particuliers : Un fils et L'abandonn . Ces
deux nouvelles peuvent tre analyses sous un autre angle, les deux mettant en situation des
enfants abandonns par leurs parents biologiques. Leur description physique n'en reste pas
moins trs ngative, et leur intellectuel l'est tout autant. Dans Un fils , l'enfant retrouv
est clairement retard et son physique en est le reflet : Il tait dguenill, hideusement
sale, avec de longs cheveux jaunes tellement mls qu'ils lui tombaient comme des cordes
Idem.
Gritli, L 'esthtique de la cruaut, op. cit.
173
70
sur les joues. 174 . Dans L'abandonn , c'est par la raction des deux Parisiens venant
voir leur fils pour la premire fois que le lecteur comprend que la vision du fils n'est pas
des plus agrables : Les larmes de la vieille femme s'taient taries brusquement, et elle
demeurait effare, sans paroles, sans pense : " Son fils, c'tait l son fils ! " 175 Cette
analyse, expose trs brivement puisqu'elle n'est pas le sujet principal de cette recherche,
est ncessaire pour constater la diffrence d'opinion de l'auteur face aux femmes qui
subissent le mme sort.
71
Mordiane vit alors une femme jeune, qui semblait dj vieille, comme on est vieux
vingt-cinq ans en province, faute de soins, de lavages rpts, de tous les petits soucis, de
toutes les petites proprets, de toutes les petites attentions de la toilette fminine qui
immobilisent la fracheur et conservent, jusqu' prs de cinquante ans, le charme et la
beaut.
Maupassant semble plus svre dans la description des femmes que celle des hommes, ce
propos son point de vue diffre fondamentalement. En effet, si certaines hommes se
ngligent et ont un aspect physique rebutant, la description est en quelque sorte rachete
par l'humour qui rend le personnage sympathique, presqu'attachant. Par contre certaines
femmes sont hideuses, grosses, informes, vieillies avant l'ge : elles sont repoussantes et
nulle complicit du narrateur ne le tempre. Ainsi, une forme de violence physique exerc
l'encontre du corps des provinciaux dforme ce dernier et va mme jusqu' les dnaturer.
La nouvelle Les dimanches d'un bourgeois de Paris utilise le mme motif. Lorsque le
personnage principal se rend dans une petite ville pour visiter un ami, la femme de ce
dernier le rencontre la porte : Il ouvrit et se trouva face face avec un tre innommable
qui devait cependant tre une femme. La poitrine semblait enveloppe de torchons sales,
des jupons en loques pendaient autour des hanches et, dans ses cheveux embroussaills, des
plumes de pigeons voltigeaient.
fminin est similaire celles des personnages masculins exemplifies dans la partie
prcdente : le narrateur montre le laisser-aller des campagnards, l'aspect rustique, voire
sale et dlabr, des vtements. Pourtant, dans le cas de la femme, il laisse une fois de plus
douter du genre du personnage : ce doit tre une femme, mais il n'en est pas certain. Son
aspect physique a tant t dform par la vie la campagne qu'on ne sait plus si l'on
s'adresse un homme ou une femme. Le jugement est ainsi plus svre pour la femme
que pour l'homme qui vit en dehors de Paris. Si le physique de l'homme est transform,
voire dform et mconnaissable, les consquences sont beaucoup moins grandes que si la
mme situation frappe une femme. Puisqu'elle se dfinit dans la socit par son physique,
si celui-ci subit une dformation ce point drastique qu'on ne lui reconnat plus sa
fminit, elle devient donc un tre innommable et sans aucun statut particulier.
Idem.
178
La vie en province agit comme agent destructeur, violence physique qui ravage les
personnages, les dnature et les transforme. Mais la province n'est pas la principale cause
de la dformation du corps. La gestation de la femme occupe galement une place
importante cet gard dans l'uvre de Maupassant. Dj, la description des femmes
contamines et dformes par la vie en province tait plus svre que celle des hommes.
Dans l'imaginaire social la perte de fminit, de la nature mme de femme, est une
consquence grave de la dcadence de la socit. Comme l'explique Angenot, [l]e
dtraquement des femmes est une synecdoque du dtraquement du macrocosme. Le dni de
leur identit allegorise toutes les autres dterritorialisations qui s'accumulent.179 Les
images qui sont communment rattaches la femme font de cette dernire, ajoute
Angenot, une perverse nigme, niaise et roue, hypocrite et consentante, insatiable et
capricieuse.
lbid, p. 479-480.
73
mre aux monstres en vient ainsi s'imposer une violence seconde, une automutilation
supplmentaire, pour tenter de contrer la dformation de la grossesse :
Elle se sentit bientt enceinte et fut torture de honte et de peur. Voulant tout prix
cacher son malheur, elle se serrait le ventre violemment avec un systme qu'elle avait
invent, corset de force, fait de planchettes et de cordes. Plus son flanc s'enflait sous
l'effort de l'enfant grandissant, plus elle serrait l'instrument de torture, souffrant le
martyre, mais courageuse la douleur, toujours souriante et souple, sans laisser rien voir
ou souponner. [...] Elle estropia dans ses entrailles le petit tre treint par l'affreuse
machine; elle le comprima, le dforma, en fit un monstre.
La femme est la victime et la cause tout la fois d'une violence qui atteint directement son
tre physique, ravageant et dformant ce qui la constitue en tant que femme. Maupassant
allegorise ici la fin violente de la fminit, la destruction du corps devient le signe de la
denaturation du personnage. Dans cette nouvelle, le personnage fminin en vient
s'imposer lui-mme une violence physique, rendant sa situation beaucoup plus
douloureuse et difficile vivre.
Une situation semblable est dcrite dans la nouvelle L'enfant , publie la mme anne.
La dformation du corps par la grossesse agit de faon beaucoup plus svre sur le
personnage principal, incarnation mme de la fminit :
Chaque soir elle se dvtait devant son armoire glace et regardait son flanc dform;
puis elle se jetait par terre, une serviette dans la bouche pour touffer ses cris. Vingt fois
par nuit elle se relevait, allumait sa bougie et retournait devant le large miroir qui lui
renvoyait l'image bossele de son corps nu.
182
Encore une fois la dformation du corps est sans doute l'lment primordial de cet extrait :
tout comme le conte prcdent, la femme se dnature - car la nature est hideuse -, se
dforme et perd toutes caractristiques fminines. Chez Maupassant, on le voit, l'esthtique
de la violence s'exprime au travers d'un fondamental lan vers la denaturation ; on
18)
182
retrouve ainsi chez lui fortement affirme la relation profonde qu'entretiennent la laideur et
la nature, bien analyse par Alain Roger
La raction du personnage est alors d'une violence extrme, la femme agresse la part la
plus naturelle qui est en elle, son ventre dform :
Sans doute encore, elle le frappa, le meurtrit, le heurta aux angles des meubles comme
elle faisait chaque soir. Puis elle descendit, nu-pieds, la cuisine, ouvrit l'armoire et prit
le grand couteau qui sert couper les viandes. Elle remonta, alluma quatre bougies et
s'assit, sur une chaise d'osier tress, devant sa glace. Alors, exaspre de haine contre cet
embryon inconnu et redoutable, le voulant arracher, et tuer enfin, le voulant tenir en ses
mains, trangler et jeter au loin, elle pressa la place o remuait cette larve et d'un seul
coup de la lame aigu elle se fendit le ventre.
La dformation du corps engendre une violence tout aussi physique que cruelle. La
violence vient du personnage mme et non pas d'un lment extrieur. L'automutilation est
un acte violent, impulsif, que l'on pratique envers soi-mme. Laurie Tremblay, dans un
essai sur l'automutilation, explique que dans bien des cas, cet acte de violence est commis
pour vacuer une tension ou pour chapper une certaine pression. Elle affirme que la
pression ou l'impulsion ressentie par la personne qui s'automutile, est pratiquement
1 RS
Alain Roger, Nus et paysages. Essai sur la fonction de l'art, Paris, Aubier, 1978.
Idem.
Laurie tremblay, L 'automutilation, Essai de matrise, Universit Laval, 1999, p. 23.
lbid., p. 9-10.
75
finalement, elle ne peut accepter d'tre confine au moule procrateur que la socit
tente d'imposer aux femmes. L'automutilation, et l'infanticide par la mme occasion,
semblent ainsi les seuls moyens d'chapper cette situation. La femme enceinte s'impose
une forme de violence pour protester contre son sort.
Mais la reprsentation des femmes violentes chez Maupassant excde ces cas extrmes
d'automutilation. Plus subtilement, une forme de violence psychologique est aussi associe
la femme, et ce motif est plus en phase avec les ides reues sur le sexe faible .
Face l'homme, la femme est un tre mesquin, rus et calculateur. Chez Maupassant, la
femme sductrice s'oppose la femme-mre. Si la seconde assistait la destruction de son
corps, la premire est destructrice de l'autre, et essentiellement de l'homme. Nous avons
dj voqu l'anxit qui circule au XIXe sicle avec l'mancipation de la femme qui perd
sa fonction fminine. Au-del de ce refus de la procration, le caractre fminin, prenant
une volont gnralement associe la gent masculine, alimente l'ide de la dchance de
la socit. Les femmes ne se laissent plus aller aux sentiments et la soumission; elles
veulent prendre le contrle et manipuler l'homme pour leur intrt. Par contre, en associant
cette dangereuse mancipation de la femme un dsastre psychologique ravageur pour le
personnage masculin, Maupassant transpose dans ses fictions cette socit qui se dtriore,
voire mme qui se dnature. La femme devient ainsi une menace pour l'avenir de la socit
en refusant la procration et la soumission. Le clibat est la nouvelle mode, autant pour les
hommes que pour les femmes. Toutes relations srieuses avec les femmes et tout ce qui
implique l'amour et les sentiments sont peu peu perus comme des lments ngatifs et
angoissants. C'est ainsi que la femme est dpeinte dans les nouvelles de Maupassant. Elle
dtruit la vie de l'homme, le ruinant peu peu, le menant une vie de dsespoir et de
perte : perte d'illusion, de bonheur, de jeunesse, mais plus souvent de libert et d'argent.
76
Elle est aussi dote d'un certain pouvoir, puisque la femme russit contrler les hommes.
Lamia Gritli affirme que chez les crivains de cette poque, le sexe fort est en ralit le
sexe faible. La femme tient nettement du fauve; elle est souvent dcrite comme une "bte
ardente" qui attire l'homme dans le pige de la sensualit.187 C'est donc un rabaissement
de la femme l'tat animal, le prdateur, qui s'opre dans ce type de contes de
Maupassant. La femme n'est pas plus humanise que l'tait le Prussien dans les contes sur
la guerre. Elle n'agit que pour son propre bien et n'exprime aucune compassion envers
l'homme qu'elle manipule, comme le montre bien par exemple la nouvelle Rouerie .
Pour ne pas perdre son amant qui constituait une bonne source de revenus, une femme fait
croire l'existence d'un enfant dont il serait le pre. L'amant propose videmment de
l'argent pour aider sa matresse, mais mne une enqute et dcouvre qu'il n'y a jamais eu
d'enfant. Lorsque la ruse de la matresse est dcouverte, celle-ci ragit comme suit :
- Voyons, dites-moi donc maintenant pourquoi vous avez invent toute cette ruse longue
et complique du voyage et de l'enfant.
Elle regarda mon frre, bahie, comme s'il et pos une question stupide, et rpondit :
- Tiens, cette malice ! Croyez-vous qu'une pauvre petite bourgeoise de rien du tout
comme moi aurait retenu pendant trois ans le comte de L..., un ministre, un grand
seigneur, un homme la mode, riche et sduisant, si elle ne lui en avait pas donn un peu
garder ? Maintenant c'est fini. Tant pis. a ne pouvait durer toujours. Je n'en ai pas
moins russi pendant trois ans. Vous lui direz bien des choses de ma part.
188
Elle n'exprime ni honte ni regret. Elle a russi son plan comme elle le voulait, et ce,
pendant trois ans. Mme si son stratagme est dcouvert, elle repart victorieuse : Et,
saluant avec un sourire un peu moqueur, elle sortit sans plus d'motion, en actrice dont le
rle est fini.189 Elle planifie, elle ruse, elle joue et elle gagne. C'est une guerre entre
l'homme et la femme, tout comme c'tait une guerre entre le Prussien et le Franais. Dans
les deux cas, l'ennemi est toujours perfide et sans piti.
187
188
Mme s'ils sont aviss que la femme et l'amour peuvent s'avrer un tau des plus
dangereux, les personnages masculins sont inextricablement attirs par le sexe oppos, tout
comme l'explique Jean Salem : Partout, chez Maupassant, s'exprime la pression d'une
force invisible qui pousse les corps les uns vers les autres et inquite les esprits comme par
le sentiment vague de quelque pige qui leur serait tendu.190 Ils sont pousss par une
force laquelle ils ne peuvent chapper et sur laquelle ils n'ont ni contrle ni
comprhension. Autant ils ne peuvent chapper la femme, autant ils ne peuvent non plus
chapper aux dommages physiques et, surtout, psychologiques qui s'ensuivent. La femme
est considre comme un pige. Michelle Perrot, dans son tude sur les femmes dans
l'histoire, explique que de tout temps, les hommes ont eu peur des femmes. La Femme,
c'est l'Autre, l'trangre, l'ombre, la nuit, le pige, l'ennemie.191 Mme s'il sent le
danger, ou s'il en est le moindrement conscient, l'homme ne peut rsister cet tre
malicieux et sducteur. La nouvelle Au printemps illustre cette ide de la femme qui
prend l'homme au pige. Le personnage principal sent une attirance irrsistible envers sa
voisine qui l'envahit :
Ma voisine releva les yeux, et, cette fois, comme je la regardais toujours, elle sourit
dcidment. Elle tait charmante ainsi, et dans son regard fuyant mille choses
m'apparurent, mille choses ignores jusqu'ici. J'y vis des profondeurs inconnues, tout le
charme des tendresses, toute la posie que nous rvons, tout le bonheur que nous
cherchons sans fin. Et j'avais un dsir fou d'ouvrir les bras, de l'emporter quelque part
pour lui murmurer l'oreille la suave musique des paroles d'amour.
192
Juste au moment o le jeune homme s'apprte aborder sa voisine, il se fait arrter dans
son lan par un autre homme, tmoin du mange. L'inconnu lui tient ce discours :
Monsieur, prenez garde l'amour! il est embusqu partout ; il vous guette tous les
coins ; toutes ses ruses sont tendues, toutes ses armes aiguises, toutes ses perfidies
prpares! Prenez garde l'amour!... Prenez garde l'amour! Il est plus dangereux que le
190
'
Jean Salem, Philosophie de Maupassant, Editions Ellipses, coll. Littrature et philosophie, Paris, 2000,
p.8.
191
192
Michelle Perrot, Les femmes ou les silences de l'histoire, Paris, Flammarion, 1998, p. 214.
Maupassant, Au pnntemps , (I), p. 285.
78
Il lui fait part ensuite de son histoire pour le convaincre, lui-mme s'tant fait piger par
une sductrice qui l'amena l'pouser. Maintenant, elle l' injurie du matin au soir, ne
comprend rien, ne sait rien, jacasse sans fin, chante tue-tte la chanson de Musette (oh! la
chanson de Musette, quelle scie!)194 .
Les personnages masculins tombent souvent dans les filets que tend la femme et, s'ils
russissent s'en sortir, ce n'est jamais sans consquences. L'homme, de par ses instincts
de chasseur, ne peut viter de poursuivre la femme et d'afficher ses conqutes. Cependant,
la femme se rvle rapidement celle qui prend l'homme au pige par la sduction sournoise
dont elle est dote. Cette ide du pige est dveloppe, entre autres, par Antonia Fonyi.
Celle-ci affirme que Maupassant utilise le mme canevas pour crire ses nouvelles : le
personnage se trouve dans un espace clos l'origine. Quelque chose ou quelqu'un l'attire
vers un espace ouvert, mais, invitablement, il revient cet espace clos. Que cet espace
final soit le mme ou un autre, il est souvent plus resserr qu'auparavant et presque
toujours nfaste.
L'amour est donc tout aussi ravageur que la guerre si l'on en croit les
195
lbid., p. 286.
lbid., p. 289.
Antonia Fonyi, Maupassant 1993, Paris, Editions Kim, 1993, p. 30.
79
quelques vagues dtails, pour lui demander le gte : Qui tait-il? Je l'ignorais encore. Il
tait arriv un matin, dix ans plus tt ; il avait achet de la terre, plant des vignes, sem
des grains ; il avait travaill, cet homme, avec passion, avec fureur.1
L'inconnu
Il explique alors
l'histoire de sa passion, qui a fini par le ruiner compltement, autant sur le plan montaire
que sur le plan psychologique. Il explique sa relation en ces termes :
Et si je vous disais, pourtant, quelle vie atroce j'ai mene ct d'elle! Quand je la
regardais, j'avais autant envie de la tuer que de l'embrasser. Quand je la regardais... je
sentais un besoin furieux d'ouvrir les bras, de l'treindre et de l'trangler. Il y avait en
elle, derrire ses yeux, quelque chose de perfide et d'insaisissable qui me faisait
l'excrer; et c'est peut-tre cause de cela que je l'aimais tant. En elle, le Fminin,
l'odieux et affolant Fminin tait plus puissant qu'en aucune autre femme. Elle en tait
charge, surcharge comme d'un fluide grisant et vnneux. Elle tait Femme, plus qu'on
.,, 199
ne 1 a jamais ete.
Les dernires phrases sont assez loquentes : le Fminin, l'odieux et affolant Fminin .
La femme est compare un poison, qui grise mais qui peut tre aussi nocif. L'image que
nous donne le personnage de sa matresse, qu'il associe la femme en gnral la fin de ce
discours, dmontre une manipulatrice, qui joue froidement au jeu de la sduction et qui
jamais ne se laisse entraner dans le monde des motions, des sentiments. Cette femme veut
vivre de l'argent des autres et manipule pour obtenir ce qu'elle veut. Une fois le venin dans
ses veines, le personnage est perdu : il ne pourra jamais s'en gurir et tombe dans un pige
qui se referme sur lui.
196
197
198
1QR
199
lbid., p. 523.
80
200
Les contes analyss plus tt ont permis de constater le pouvoir que dtient la femme sur
l'homme, quel point elle les serre dans son tau et parfois mme les rduit nant et les
contrle totalement. Chez Maupassant, la plupart des hommes abandonns par une femme
se retrouvent devant une solitude pnible et en viennent au suicide. Dans la situation
7QQ
Alain Graudelle, Le Horla et autres contes fantastiques, Editions Hachette, coll. Classiques, Paris, 1994,
p. 219.
81
initiale, avant que l'homme ne soit confront au pige tendu par la femme, tout semble tre
stable, mme si la situation n'est pas toujours heureuse. L'homme tombe dans le pige et se
retrouve tout coup dans cet espace ouvert que dcrit Fonyi. Cependant, cet espace ne peut
l'inclure indfiniment. La clture de la nouvelle, chez Maupassant, se termine, la majeure
partie du temps, avec la fermeture de l'espace ouvert, donc un retour l'espace clos. Mais
il ne semble plus y avoir de place pour le personnage qui y tait au dpart. Il semble dissip
par la nouvelle. Il a jou son rle et est vou la disparition, englouti , pour reprendre
les termes d'Antonia Fonyi, par la fermeture de l'espace. Lorsque cette structure closouvert-clos implique une femme et le pige qu'elle tend, la fermeture de l'espace ouvert
semble trs souvent associ l'abandon ou au rejet, les deux reprsentant la solitude du
personnage.
L'pingle montre bien jusqu'o la solitude et l'abandon peuvent mener un homme : la
mort. Le personnage principal de la nouvelle se trouve dans l'espace ouvert, mais tente de
retourner l'espace clos d'origine : c'est--dire retrouver sa matresse. Cependant, il n'y a
plus de place pour lui dans l'espace d'origine et il le sait pertinemment. C'est la raison pour
laquelle il se dirige vers sa fin : il est conscient que retourner l'origine, aprs avoir
dcouvert l'espace ouvert, c'est aller vers sa perte et sa disparition. Au narrateur qui lui
demande s'il reverra jamais sa matresse, il rpond :
- Parbleu ! J'ai maintenant ici, tant en terre qu'en argent, sept huit cent mille francs.
Quand le million sera complet, je vendrai tout et je partirai. J'en ai pour un an avec elle une bonne anne entire. - Et puis adieu, ma vie sera close.
Je demandai :
- Mais ensuite ?
- Ensuite, je ne sais pas. Ce sera fini ! Je lui demanderai peut-tre de me prendre comme
valet de chambre.
Le retour l'espace d'origine est possible, certes, mais pour une priode de temps limite.
Ensuite, le pige faisant son uvre, ce sera la fin pour le personnage. Il lui sera impossible
d'aller plus loin. Tout comme le resserrement de l'espace clos qu'analyse Fonyi, le
personnage n'aura plus d'espace pour voluer et disparatra.
La nouvelle La femme de Paul est un autre exemple de cette folie vers laquelle la
femme conduit l'homme. Paul et Madeleine forment un couple assez disparate : l'un est fils
d'une famille riche et l'autre est une femme pauvre ayant des frquentations plutt
douteuses. Pourtant, Paul tente autant qu'il peut de donner une crdibilit son couple.
Lorsque Madeleine l'abandonne, pour une autre femme de surcrot, Paul est totalement
dvast. Au contraire du personnage de L'pingle , qui tente par tous les moyens de
retrouver sa fortune, retrouver sa matresse et mourir pauvre, Paul met fin rapidement sa
honte et sa souffrance :
Oh ! si c'et t un homme, l'autre ! mais cela ! cela ! Il se sentait enchan par leur
infamie mme. Et il restait l, ananti, boulevers comme s'il et dcouvert tout coup
un cadavre cher et mutil, un crime contre nature, monstrueux, une immonde profanation.
Alors, dans un clair de pense involontaire, il songea au petit poisson dont il avait vu
arracher les entrailles...
[...]
Paul vit tout cela comme dans un songe, comme travers un souvenir; il ne songeait
rien, ne comprenait rien, et toutes les choses, son existence mme, lui apparaissaient
vaguement, lointaines, oublies, finies. Le fleuve tait l. Comprit-il ce qu'il faisait ?
Voulut-il mourir ? U tait fou. Il se retourna cependant vers l'le, vers Elle; et, dans l'air
calme de la nuit o dansaient toujours les refrains affaiblis et obstins du bastringue, il
lana d'une voix dsespre, suraigu, surhumaine, un effroyable cri : "Madeleine !"
Son appel dchirant traversa le large silence du ciel, courut par tout l'horizon.
202
Puis, d'un bond formidable, d'un bond de bte, il sauta dans la rivire.
Confront la solitude, l'abandon, cr par la femme, l'homme n'a d'autre choix que de
disparatre. Le pige se referme et ne laisse pas assez d'espace pour retrouver son souffle. Il
constate, malgr lui, qu'il n'y a plus assez de place pour lui. Il doit donc disparatre, d'une
faon ou d'une autre.
202
La mme situation est expose dans Promenade . La nouvelle rvle bien cette solitude
qui ronge et pousse au dsespoir. Le personnage de cette nouvelle vit enlis dans ses
habitudes quotidiennes et monotones. Aucun vnement inattendu ne vient bouleverser son
horaire toujours dtermin l'avance. C'est d'ailleurs en voulant vivre l'aventure qu'il
change ses habitudes, ce qui produira des consquences nfastes. Lors d'une promenade
dans un parc, il est confront sa solitude que lui rappellent plusieurs femmes l'abordant
pour vendre leurs charmes :
L'amour ! il ne le connaissait gure. Il n'avait eu dans sa vie que deux trois femmes, par
hasard, par surprise, ses moyens ne lui permettant aucun extra. Et il songeait cette vie
qu'il avait mene, si diffrente de la vie de tous, cette vie si sombre, si morne, si plate,
si vide. Il y a des tres qui n'ont vraiment pas de chance. Et tout d'un coup, comme si un
voile pais se ft dchir, il aperut la misre, l'infinie, la monotone misre de son
r
, 203
existence [...].
Le personnage est retrouv pendu dans un parc, l'endroit mme o le constat de sa solitude
l'a frapp. Tant qu'il ne remarquait pas sa solitude, il tait heureux. Cependant, les
prostitues le confrontent son isolement. Le fait d'ailleurs d'tre abord par autant de
prostitues accentue son tat de solitude. S'il est un peu surpris d'tre approch par ces
femmes, il n'en comprend que plus vite son tat de solitude. Elles ne sont pas intresses
par lui, ni par les autres hommes qu'elles approchent, elles sont intresses par l'argent
qu'elles peuvent gagner. Le fonctionnaire ne comprend pas pourquoi elles font ce mtier :
Il lui dit:
- Pourquoi faites-vous ce mtier-l?
Elle se planta devant lui, et la voix change, rauque, mchante:
- Nom de Dieu, ce n'est toujours pas pour mon plaisir.
Il insista d'une voix douce:
- Alors, qu'est-ce qui vous pousse?
Elle grogna:
203
84
navrant.
En plus de constater sa propre solitude, confirmant par ces rencontres fortuites dans le parc
qu'il ne connatrait jamais le vritable amour, il constate la solitude qui rgne partout et qui
semble insurmontable et invitable. Mme entour par autant de femmes, il reste seul. Il se
retrouve ainsi dans un tat de conscience irrversible. Il ne peut revenir en arrire et
retrouver son innocence paisible d'avant. Le pige se referme sur lui et l'engloutit
totalement.
Il y a toujours un pige dans les nouvelles de Maupassant, et ce pige est souvent
reprsent par la femme. Il y a, d'ailleurs, trs peu de piges qui se referment sans qu'un
personnage n'en subisse les rpercussions par manque de place dans la clture du
pige.
205
La vision qu'a Maupassant des femmes est des plus dstabilisantes. Certes, la misogynie de
l'poque transparat avec vidence. L'image de la femme cruelle et perfide est bel et bien
prsente. Il n'y a pas de doute que Maupassant y voit une menace. Toutefois, les
mcanismes narratifs ont souvent tendance compliquer ce schma, rarement uniforme,
comme le fait remarquer Jaap Lintvelt : Si les narrateurs masculins prsentent en gnral
une image ngative de la femme, leur vision est parfois nuance par les commentaires du
204
205
lbid, p. 130.
lbid., p. 33.
85
207
Chantai Jennings, La dualit de Maupassant: son attitude envers la femme , dans Revue des sciences
humaines, 1970, fase. 140, p. 566-567.
208
209
210
[Voir les contes suivants : Le saut du berger , Clair de Lune ; voir Une vie]
Jennings, La dualit de Maupassant , op. cit., p. 567.
86
intelligence. Les femmes sont capables de tout face aux hommes : elles les manipulent et
les rendent fous.
87
3 : Violence mdiatise
Une bref rsum de l'histoire du journalisme s'impose ici2", pour mieux comprendre sur
quel fond contextuel Maupassant dveloppe son imaginaire de la violence. Au XIXe sicle,
l'anne 1836 marque un tournant dcisif. Selon Marie-ve Threnty et Alain Vaillant, La
Presse, fonde par Girardin cette anne-l, annonce le coup d'envoi la modernit de la
presse. Le journal va tre conu comme une mdiation entre les journalistes et le peuple212.
Avec la recette de Girardin (abaissement du cot de l'abonnement, place accrue de la
publicit), tout le systme mdiatique et les faons de faire vont changer. L'crivain, qui
tait habitu prendre son temps pour rdiger ses textes et crer, voit ses habitudes
compltement modifies. Le journalisme, s'imposant, devient la porte d'accs la
-> j j
Entre autres : Gille Feyel, La presse en France des origines 1944, Paris, Ellipses, 2007. / Marie-Eve
Threnty et Alain Vaillant, [dir.], Presse et plumes journalisme et littrature au XIXe sicle, Paris, Nouveau
monde, 2004.
212
. .
Marie-Eve Threnty, Alain Vaillant, 1836 : l'an I de l're mdiatique. Analyse littraire et historique de
La Presse de Girardin, Paris, Nouveau Monde, 2001.
88
littrature. La rvolution mdiatique accable l'crivain, qui doit sans cesse fournir des
textes aux journaux la demande d'un public de plus en plus exigeant. Mais le
bouleversement mdiatique engendre des transformations dans les potiques. Au sicle
prcdent, l'horizon de l'homme cultiv est oral : c'est par le biais des salons, des cafs,
des rencontres que les informations se transmettaient. Dans la civilisation mdiatique,
l'crivain ne pense plus son texte en fonction d'un public, mais plutt d'un lectorat.
L'imprim devient la matrice du texte, remplaant graduellement la conversation de
l'Ancien Rgime. Avec cette nouvelle faon de diffusion apparaissent de nouvelles
contraintes d'criture. La plus pertinente sans doute cette tude est que l'crivain doit,
dans ses textes, ncessairement faire rfrence l'actualit. S'ancrer dans le rel devient
ncessaire puisque le lectorat demande se reconnatre et situer son quotidien dans les
journaux.
L'autre grande rupture se situe dans les annes 1860, alors que Polydore Millaud, fondateur
du Petit Journal en 1863, invente vritablement la presse populaire, visant un lectorat
beaucoup plus vaste. Millaud a compris que les attentes de ce nouveau public,
nouvellement arriv la lecture grce aux progrs de l'instruction, doivent tre combles
d'une manire particulire. Plusieurs stratgies sont alors mises en place : il l'attire par le
bon march (5 centimes au lieu de 15 centimes pour les journaux ordinaires), le format plus
commode (43 par 30 cm), l'accessibilit (pas d'abonnements), le contenu (le fait divers, le
feuilleton et la chronique dominent), l'apolitisme cumnique.213 On se dtache ainsi peu
peu d'une presse plus politique pour conqurir un public plus large, en mettant de l'avant
le divertissement.
Il faut dire que, selon Christophe Charle, ce qui contribue l'essor de la presse populaire,
c'est le billonnement de la presse opr pendant le Second Empire. Pour viter la censure
et les coupures, la presse populaire de cette priode met en scne les murs et les
ridicules de la socit (faute de mettre en cause ceux du pouvoir) exalte la vie moderne et
ses perfectionnements ou ses embarras (les transformations urbaines, le progrs, la
213
Christophe Charle, Le sicle de la presse (1830-1939), Paris, ditions du Seuil, 2004, p. 103.
89
214
lbid, p. 106.
Gloria Awad, Du sensationnel : place de l'vnementiel dans le journalisme de masse, Paris,
L'Harmattan, 1995, p. 46.
? ifi
J. Stoetzel, Fonctions de la presse : ct de l'information , dans, F. Balle, J. G. Padioleau, Sociologie
de l'information. Textes fondamentaux, Paris, Larousse, 1973, cit dans : Gloria Awad, op. cit., p. 23.
217
Annik Houel, Patricia Mercader et Helga Sobota, Crime passionnel, crime ordinaire, Paris, PUF, 2003,
p. 8.
90
L'imaginaire permet de dominer les vnements traumatisants par leur mise en spectacle
ou en rcit, et inversement, ce support rel est indispensable pour porter les effets
scandaleux ou effrayants des textes, tre le vecteur d'une motion qui n'est pas
218
uniquement esthtique.
Selon Marchandier-Colard, le simple crime, lui seul, n'est pas suffisant pour engendrer
une sublimation de la violence. Il faut encore qu'il y ait un tmoin, quelqu'un qui regarde
et devient spectateur de la scne. C'est de cette faon qu'un second regard transforme l'acte
en spectacle. En transposant les rcits de crimes dans les chroniques ou la fiction, l'crivain
cre une certaine distance. De cette faon, le meurtre n'est plus un acte rel, mais une
exprience esthtique, mise en scne comme un spectacle, une reprsentation soumise au
jeu des regards.219
Il se cre ainsi une influence rciproque entre l'imaginaire littraire et les angoisses
sociales autour du crime, Dominique Kalifa l'a bien montr : Depuis le grand tumulte
romantique, communment accus d'avoir perverti toute la littrature, le crime s'affiche en
effet au cur de la production littraire, en particulier dans un registre populaire , dont
la spcificit s'impose peu peu.
l'ensemble du champ littraire une position minemment stratgique. ' Plus que pour le
criminel, d'ailleurs, la socit en gnral dveloppe une certaine fascination pour l'homme
en marge de la socit. Le crime qui domine dans la presse et la littrature de l'poque est
sans conteste celui qui porte une atteinte physique au corps. Kalifa ajoute, propos de la
presse populaire quotidienne :
Dominant largement l'ensemble (un gros tiers des rcits), s'imposent naturellement les
meurtres et les assassinats. Crimes par excellence, l'homicide, que reporters et faitdiversiers dclinent sous toutes formes, du traditionnel drame familial l'assassinat
crapuleux, constitue bien l'aliment privilgi de la chronique et le principal sujet
d'intrt, ou suppos tel, du public.
2 1 8
1U-A
222
lbid., p. 3.
219
220
221
222
91
Puisque Maupassant est tout la fois chroniqueur et nouvelliste, qu'il publie ses chroniques
et nouvelles dans les mmes journaux, il vient tout de suite l'ide que les deux genres, qui
se ctoient de si prs, ont ncessairement plusieurs points en commun et mme qu'ils
s'influencent grandement. Malgr ce que peut en dire Maupassant dans Messieurs de la
chronique223 , chroniqueurs et romanciers ne sont pas toujours aussi distincts que le
souhaitent les crivains de l'poque. Nous avons dj vu une certaine concordance entre les
nouvelles et les chroniques, qui expriment toutes deux l'opinion de l'auteur, quoique plus
prcise et directe dans les chroniques alors que les nouvelles en donnent souvent une forme
d'exemple fictionnalise. Floriane Place-Verghnes l'explique ainsi :
La chronique pressent un concept gnral et abstrait (l'avilissement de la femme par la
claustration domestique); la nouvelle l'illustre par un exemple original et propre un
individu (la grossesse). [...]
Il s'agit alors pour l'uvre de fiction d'exemplifier implicitement des propos qui sont
clairement formuls dans la chronique. La justification explicite ne peut, dans la
nouvelle, faire l'occasion d'un long discours, son utilisation est donc toujours
circonscrite. Le lecteur, qui s'attend trouver dans la chronique des propos le poussant
la rflexion, cherche en revanche dans l'uvre de fiction l'illustration de ces propos
[..l224
Une contamination entre les deux genres explique d'emble ce rapprochement malgr
qu'on tente, l'poque, de dissocier les crivains des journalistes. Les cloisons qui sparent
journalisme et littrature ne sont pas totalement tanches. Une influence constante
s'effectue entre les deux, amenant souvent confusion entre ralit et fiction. Si Maupassant
exprime plus clairement ses opinions dans ses chroniques, laissant entrevoir sa pense
propos des sujets qui touchent l'actualit, il cherche plutt, dans ses nouvelles, illustrer
ses opinions, par exemple propos de la guerre. Depuis le dbut du XIXe sicle, les gens de
223
92
lettres rdigent les journaux, la profession de journaliste n'existant pas encore. Ce n'est
qu' la fin du sicle qu'on tente de donner ses lettres de noblesse au journalisme, ou plutt
d'en faire un mtier distinct et rel
une certaine confusion entre les deux. Floriane Place-Verghnes explique que [d]ans les
salles de rdaction des grands quotidiens parisiens, chroniqueurs, journalistes, romanciers
et nouvellistes non seulement se ctoient mais souvent se confondent. Les catgories
professionnelles se permabilisent, la littrature et la presse ne font plus qu'une... 226
Ainsi chroniqueur, journaliste et crivains se confondent, et cette contamination
transparat directement dans les textes de Maupassant. C'est le cas, entre autres, pour BelAmi. En effet, Maupassant s'est inspir de son exprience personnelle pour crire ce roman
consacr au monde du journalisme. Il prend note des lments d'une ralit donne pour la
transcrire dans ses fictions. Comme l'avait fait Balzac avant lui, avec Les Illusions perdues,
Maupassant transpose dans Bel-Ami son exprience du journalisme, accentuant ainsi les
effets d'changes entre presse et fiction.
Bien souvent, les chroniques sont les amorces de la fiction, mme si le lien entre
chroniques et nouvelles est plus complexe qu'une simple influence d'ides ou de sujets. En
effet, bien souvent chroniques et nouvelles se confondent, jusqu'au point o il est parfois
malaise d'tablir une distinction nette entre les deux genres. Une lecture intgrale de
l'uvre de Maupassant permet de constater que certaines chroniques et certaines nouvelles
sont prsentes autant dans les recueils de chroniques que dans les recueils de nouvelles.
C'est le cas entre autres de Notes d'un voyageur , de Chronique227 ou encore de
Conflits pour rire . Floriane Place-Verghnes fait remarquer ce propos que
Christophe Charle explique qu'avant les annes 1880-1890, la profession de journaliste n'existe pas en
tant que tel. Elle est un passe-temps en quelque sorte, il faut souvent un premier emploi (avocat, professeur,
etc.); le journalisme tait d'abord un tremplin vers une autre carrire . (p. 143). Gilles Feyel, quant lui,
affirme que la profession de reporter prend la place du chroniqueur et du journaliste. On dplore alors la
place croissante prise par l'information et l'expos des faits, au dtriment des articles de commentaires ou des
expose d'ides ou de doctrine. (p. 124).
Place-Verghnes, Jeux pragmatiques, op. cit., p.16.
227
93
[...] certains textes de l'dition de la Pliade semblent plus s'apparenter des chroniques
qu' des nouvelles ( Histoire corse , L'homme-fille ) et le recyclage chronique /
nouvelle / roman est un principe-cl de la potique maupassantienne. C'est que, tout
comme la vraisemblance, la dfinition du genre varie historiquement. En outre, la
gnricit est assujettie une lecture idiosyncrasique : ce qui apparat clairement comme
une nouvelle pour les uns peut trs bien sembler tre une chronique pour les autres; ds
lors, les attentes de tous les lecteurs ne s'accordent plus.
228
Mme pour les spcialistes de Maupassant, chroniques et nouvelles ont un statut ambigu.
Certes, le fait qu' l'poque l'ensemble des nouvelles et des chroniques tait publi dans
les journaux, accentue cette ambigut. Ce qui laisse croire que fiction et ralit
s'entrecoupent et parfois mme s'entremlent autant dans les rcits de fiction que dans
l'criture journalistique, et que ce procd tait consciemment exploit par Maupassant.
94
La jeune fille poursuivra sa lecture, ne trouvant que des histoires du mme genre. La grandmre en est rvolte. Cette longue mise en situation permet Maupassant de confronter
l'ancienne gnration celle des jeunes gens. Par toutes ces histoires terribles inscrites
dans le journal, toute cette violence, la grand-mre affirme que la nouvelle gnration n'est
qu'une race de vilains
plus reconnaissable.231 . C'est donc par les journaux que la grand-mre voit se dessiner le
portrait de la socit qui l'entoure. Le contact qu'elle garde avec le monde extrieur, avec
ses concitoyens, demeure grce aux journaux, mais c'est un contact que l'on devine
dform par la lorgnette mdiatique, o rgnent la violence et les actes criminels. On
remarque le mme phnomne dans Confessions d'une femme . C'est en lisant les
journaux, propos d'un vnement rel sans doute, que le personnage fminin en vient se
rappeler un drame qu'elle avait oubli : L'horrible vengeance de cet affreux pharmacien
du Pecq m'a rappel le drame pouvantable auquel j'assistai bien malgr moi.232
Autrement dit, Maupassant pratique une forme de mise en scne rcurrente des mdiations
mdiatiques, telles qu'elles affectent les personnages et agissent sur leur existence ainsi que
sur leur perception du rel.
La nouvelle En mer se fonde sur le mme principe d'une mdiation journalistique
pralable. La nouvelle dbute avec ses mots :
On lisait dernirement dans les journaux les lignes suivantes :
BOULOGNE-SUR-MER, 22 Janvier. - On nous crit : "Un affreux malheur vient de jeter
229
230
231
95
Cet article ramne la mmoire du narrateur l'histoire des frres Javel. L'histoire,
d'ailleurs, est parseme de dtails lugubres sur le bras mutil du frre cadet.
Dans Un lche , c'est en lisant le journal et en rflchissant aux consquences que ce
mdia pourrait avoir sur sa vie si on publiait un article racontant sa lchet que le
personnage cde compltement la panique : Il regardait au bout du canon ce petit trou
noir et profond qui crache la mort, il songeait au dshonneur, aux chuchotements dans les
cercles, aux rires dans les salons, au mpris des femmes, aux allusions des journaux, aux
insultes que lui jetteraient les lches.234 Le personnage ne peut supporter l'ide que sa
dfaite sera invitablement mentionne dans tous les journaux, mettant ainsi au fait tout son
entourage. Il en perdrait ncessairement sa rputation. C'est cette ide, cette image de la
nouvelle qui se rpand comme un poison cause des journaux qui amne la pense du
suicide. Le journal, dans ce cas-ci, cause une violence psychologique irrversible qui
poussera le personnage au suicide.
Le Horla , dans sa premire version, reprend cette ide. C'est grce aux journaux que le
personnage peut confirmer la prsence de l'tre invisible qui l'envahit peu peu. Voici
la conclusion de la nouvelle :
Et voici, messieurs, pour finir, un fragment de journal qui m'est tomb sous la main et qui
vient de Rio de Janeiro. Je lis : "Une sorte d'pidmie de folie semble svir depuis
quelques temps dans la province de San-Paulo. Les habitants de plusieurs villages se sont
sauvs abandonnant leurs terres et leurs maisons et se prtendant poursuivis et mangs
par des vampires invisibles qui se nourrissent de leur souffle pendant leur sommeil et qui
ne boiraient, en outre, que de l'eau, et quelquefois du lait !" J'ajoute : "Quelques jours
avant la premire atteinte du mal dont j'ai failli mourir, je me rappelle parfaitement avoir
vu passer un grand trois-mts brsilien avec son pavillon dploy...
C'est en lisant la nouvelle de l'pidmie dans le journal que le personnage associe son mal
234
235
96
celui qui se rpand depuis le Brsil. Il est difficile de dire quel moment exactement le
malade du Horla a lu cette nouvelle : avant toute cette histoire ou aprs? Il reste que
c'est le journal qui lie les deux vnements : le mal qui atteint les Brsiliens et celui qui
atteint le Franais. Louis Forestier affirme qu' l'poque de Maupassant, une pidmie de
cholra svissait effectivement. Cette maladie terrorisait les gens, en 1884, particulirement
dans la rgion du midi. Forestier explique qu'on voit dj son apparition dans quelques
nouvelles : [pjrsent dans La Chambre I I , Le Bcher, Mes vingt-cinq jours, Voyage de
sant, c'est dans La Peur [...] que de CHOLRA il devient HORLA.236 Maupassant
transpose ainsi la ralit dans la fiction, notamment par l'image suggestive du superbe
trois-mts brsilien, tout blanc237 qui apporte la maladie et l'alination. Maupassant fait
ainsi rfrence indirectement l'actualit. Cette pidmie, selon Forestier, a provoqu une
certaine panique dans la socit de l'poque, et comme bien souvent le flau instaure des
phnomnes collectifs
l'imaginaire de la maladie contagieuse dans Le Hussard sur le toit, tout comme Camus
dans La Peste).
Dans La main d'corch , la mdiatisation de la violence est encore plus vidente. Dans
cette nouvelle, le meilleur ami du narrateur est retrouv trs grivement bless et
compltement fou aprs une agression dont l'auteur reste inconnu. Le narrateur se rend sur
place pour constater les faits et dcouvrir ce qui est arriv son ami. Pourtant, malgr le
fait qu'il soit lui-mme sur place et parle au mdecin, c'est par les journaux qu'il transmet
les dtails de l'agression : Je coupe maintenant, dans un journal du lendemain, le rcit du
crime avec tous les dtails que la police a pu se procurer. Voici ce qu'on y lisait : "Un
attentat horrible a t commis hier sur la personne d'un jeune homme, M. Pierre B...,
tudiant en droit, qui appartient une des meilleures familles de Normandie.239 Le
narrateur, toujours rcitant l'histoire de son ami en retransmettant ce qu'il lit dans les
journaux, ajoute : On lisait le lendemain dans le mme journal : "M. Pierre B..., la
237
238
239
97
victime de l'effroyable attentat que nous racontions hier, a repris connaissance aprs deux
heures de soins assidus donns par M. le docteur Bourdeau.240 Le narrateur tait sur
place, il connaissait donc dj les dtails. Cependant, peut-tre pour donner une certaine
crdibilit ses propos ou pour capter l'attention du lecteur, il choisit de rapporter les faits
relats par les journaux.
C'est sans doute dans Le crime au pre Boniface que la mdiatisation est pousse son
comble, non sans une forte dose d'ironie. Boniface est facteur et il se permet quelquefois de
lire le courrier :
C'tait un nouveau percepteur. M. Chapatis, arriv la semaine dernire et mari depuis
peu. Il recevait un journal de Paris, et, parfois le facteur Boniface, quand il avait le
temps, jetait un coup d'oeil sur l'imprim, avant de le remettre au destinataire. Donc, il
ouvrit sa sacoche, prit la feuille, la fit glisser hors de sa bande, la dplia, et se mit lire
tout en marchant. La premire page ne l'intressait gure; la politique le laissait froid; il
passait toujours la finance, mais les faits divers le passionnaient.
Aprs avoir lu ces nouvelles, le facteur en est quelque peu boulevers : Le facteur
Boniface demeura tellement mu la pense de cet assassinat dont toutes les horribles
circonstances lui apparaissaient coup sur coup, qu'il se sentit une faiblesse dans les jambes
[...].
C'est donc la tte pleine de ces images terribles et sanglantes exposes dans le
journal que le facteur continue sa tourne. Lorsqu'il arrive chez Chapatis, avec presqu'une
heure d'avance sur son horaire habituel, il trouve trange d'y trouver la porte ferme cl.
Il fait le tour de la maison pour voir ce qui se passe :
Mais tout coup, il demeura immobile, perclus d'angoisse, en passant devant une fentre.
On gmissait dans la maison. Il s'approcha, et enjambant une bordure de thym, colla son
oreille contre l'auvent pour mieux couter; assurment on gmissait. 11 entendait fort bien
de longs soupirs douloureux, une sorte de rle, un bruit de lutte. Puis, les gmissements
devinrent plus forts, plus rpts, s'accenturent encore, se changrent en cris.
243
Affol, le pauvre facteur court chercher les gendarmes, croyant qu'on est sur le point de
commettre un terrible crime. Arrivs sur place, les policiers se prcipitent vers la maison,
241
243
Idem.
Maupassant, Le crime au pre Boniface , (II), p. 169.
Idem.
lbid., p. 170.
98
laissant Boniface l'cart et l'abri. Quelques minutes plus tard, ils sont de retour pour
annoncer, un sourire aux lvres, que les nouveaux maris s'adonnaient simplement leur
devoir conjugal. Cette situation assez comique montre quel point les journaux ont une
influence importante sur l'esprit des gens. La presse sensation et les faits divers
alimentent l'imagination. Louis Forestier croit que cette nouvelle est inspire d'un fait
vcu244, survenu en Normandie et rapport Maupassant par un ami. La relation entre la
violence et sa diffusion dans les journaux est assez vidente dans ce cas-ci. Les faits divers
crent tout un monde imaginaire chez le lecteur. Boniface quitte les lieux, plus
qu'embarrass : Et, confus, dsorient, honteux, il reprit son chemin travers les champs,
tandis que le gendarme et le brigadier, riant toujours et lui criant, de loin, de grasses
plaisanteries de caserne, regardaient s'loigner son kpi noir, sur la mer tranquille des
rcoltes.245
Outre cette forme de mdiatisation omniprsente au sein mme des nouvelles, l'influence
des journaux chez Maupassant se dtecte au rle narratif qui leur est souvent attribu. Le
journal permet certaines nouvelles de s'inscrire dans un cadre raliste. Les rcits
encadrs
contexte d'une conversation, qui va prsider l'histoire proprement dite. Nombreux sont
les contes de Maupassant qui se prsentent sous cette forme. Le procd narratologique
employ par l'auteur fait souvent rfrence un contexte ancr dans la ralit : le narrateur,
244
245
246
Selon les propos de Grard Genette, il s'agit des cas o le rcit enchssant, ou rcit premier, n'est l que
pour servir de cadre au rcit enchss; le rcit-cadre s'efface devant le rcit encadr, qui occupe
(quantitativement) la place dominante. Ces rcits se diffrencient selon la fonction dvolue au rcit-cadre. ,
[consult en ligne] :
http://www.unige.ch/lettres/framo/enseignements/methodes/vnarrative/vnintegr.html#vn080000), [consult le
15 juin 2010].
99
souvent inconnu du lecteur, situe l'histoire qui va suivre dans un contexte rel en affirmant
que les journaux ont publi des histoires ce propos. L'histoire d'un chien emploie
cette stratgie. La narration dbute ainsi :
Toute la Presse a rpondu dernirement l'appel de la Socit protectrice des animaux,
qui veut fonder un Asile pour les btes. Ce serait l une espce d'hospice, et un refuge o
les pauvres chiens sans matre trouveraient la nourriture et l'abri, au lieu du nud coulant
que leur rserve l'administration.
Les journaux, ce propos, ont rappel la fidlit des btes, leur intelligence, leur
dvouement. Ils ont cit des traits de sagacit tonnante. Je veux mon tour raconter
l'histoire d'un chien perdu, mais d'un chien du commun, laid, d'allure vulgaire. Cette
histoire, toute simple, est vraie de tout point.
247
Le ton est lanc et l'auteur, ou plutt le narrateur, inscrit d'emble son histoire dans
l'actualit. C'est exactement le mme procd qu'utilise Maupassant dans plusieurs de ses
chroniques. Floriane Place-Verghnes explique ce propos que
[l]e cadre de ces rcits dont nous avons vu qu'ils prsentent de grandes similitudes avec
la chronique fait surgir la voix de l'auteur rel qui admet ouvertement s'tre appuy sur
un fait-divers, lui aussi bien rel, pour crire sa nouvelle. Ce que Roland Barthes appelle
la situation du rcit, soit " l'ensemble des protocoles selon lequel le rcit est consomm "
(ni plus ni moins, l'ensemble des conventions narratives) est camoufl de sorte que
fiction et rel se confondent.
Plusieurs nouvelles, d'ailleurs, disent s'appuyer sur un fait divers et Maupassant introduit
beaucoup d'histoires sous la forme pistolaire, affirmant qu'une lettre a t trouve sur un
pendu ou encore dclarant publier une lettre d'une admiratrice : Dans notre mtier, on
reoit souvent des lettres; il n'est point de chroniqueur qui n'ait communiqu au public
quelque ptre de ces correspondants inconnus. Je vais imiter cet exemple.249 Grard
Delaisement le confirme : On aurait tort - en ne considrant que la chronologie des
chroniques - de croire que le journaliste ne suit pas l'actualit politique la plus brlante. Il
247
249
100
lui arrive de laisser au romancier le soin de revenir sur des vnements qui l'ont
250
proccupe.
On voit bien la concordance entre les deux descriptions. D'autant plus que dans La
main , le narrateur fait la rencontre d'un Anglais qui possde plusieurs objets tranges
acquis lors de voyages, tout comme Maupassant l'a dcrit dans sa chronique. Quoi qu'il en
soit, L'Anglais d'Etretat donne bien les points principaux qui seront repris et labors
dans La main . Grard Delaisement explique que [t]out se passe en effet comme si les
chroniques jouaient le rle de canevas, de prparation au gros uvre futur. Ce ne sont pas
des redites, des placages , mais une prparation l'aide de maquettes soigneusement
250
Grard Delaisement, Les chroniques politiques de Guy de Maupassant, Paris, Editions Rive droite, 2006,
p. 36.
251 lbid, p.22.
252
253
101
tudies et refondues.254 Une correspondance s'tablit entre les chroniques, qui souvent
servent d'bauches, et les nouvelles, qui deviennent la dmonstration des ides dveloppes
par le journaliste.
La littrature subit ainsi une influence importante de l'criture journalistique qui s'impose
de plus en plus au XIXe sicle. Les faits divers, les sujets de chroniques, les rapports de
tribunaux influencent et inspirent les crivains, autant qu'ils modifient quelque peu le
rapport la fiction. Mme si Maupassant affirmait et prnait l'importance de la sparation
des romanciers et des chroniqueurs, nous avons tout de mme constat au cours de cette
petite recherche que lui-mme ne se plie pas la rgle et que mme son criture
fictionnelle s'imprgne fortement de l'essence du journalisme.
Certes, ralit et fiction s'influencent sans cesse dans les chroniques autant que dans les
nouvelles. D'ailleurs, plusieurs sujets populaires dans les journaux sensation deviennent
des sujets longuement traits dans les chroniques de Maupassant. Ce dernier ne s'loignait
jamais beaucoup des sujets brlants de l'actualit. Grard Delaisement affirme que
[l]e chroniqueur suit passionnment la vie de la cit, en journaliste qui se tient au courant
des grands vnements et des petits faits - si divers - de la ville; il est l'afft d'une
actualit qui le place tour tour en position d'chotier, de chroniqueur mondains, de
critique, de reporter et de journaliste. Pour s'en tenir aux vnements quotidiens et leur
retentissement sur la vie parisienne on le voit traiter mille sujets.
Maupassant chroniqueur et Maupassant nouvelliste ne sont pas trs loin l'un de l'autre. Il
va de soi que l'actualit, la socit et la pratique du journalisme influencent fortement les
contes et nouvelles. Marc Angenot explique que le pessimisme social se remarque par la
254
255
102
place prminente qu'occupe l'imaginaire du suicide256. C'est une nouvelle mode qui se
dveloppe dans cette socit agonisante, un point tel, crit Angenot ironiquement, que
cela tend devenir l'une des oprations les plus banales de cette fin de sicle.257
Comme l'crit encore Angenot, le fait divers se ramne essentiellement la dlinquance
et au crime, au malheur et au drame individuel ou collectif (la Catastrophe ). Genre issu
de la culture populaire urbaine, le rcit de crime, dissimul aux pages intrieures du
journal, prend de la place mme dans le trs aristocratique Gaulois [...].
Le suicide est un sujet qui est assez prsent dans les nouvelles de Maupassant. Quelques
exemples ont dj t mentionns dans le chapitre prcdent, associant le suicide la
solitude et la violence causes par les femmes. Cependant, l'chec amoureux n'est pas le
seul lment provoquant le suicide. Presque toutes les situations amenant une forte motion
peuvent devenir un prtexte au suicide. La nouvelle Suicides est exemplaire cet gard.
Ds l'introduction, d'ailleurs, Maupassant s'inscrit dans l'actualit :
Il ne passe gure de jour sans qu'on lise dans quelque journal le fait divers suivant :
"Dans la nuit de mercredi jeudi, les habitants de la maison portant le n 40 de la rue
de... ont t rveills par deux dtonations successives. Le bruit partait d'un logement
habit par M. X... La porte fut ouverte, et on trouva ce locataire baign dans son sang,
tenant encore la main le revolver avec lequel il s'tait donn la mort. "
"M. X... tait g de cinquante-sept ans, jouissait d'une aisance honorable et avait tout ce
qu'il faut pour tre heureux. On ignore absolument la cause de sa funeste
dtermination."
Aprs cette introduction, le narrateur relate un fait , une histoire, partir d'une lettre
d'un suicid. Il cite cette lettre pour comprendre ce qui pousse les gens au suicide.
Pour sa part, la nouvelle L'endormeuse est une sorte de rflexion sur les tendances
suicidaires. Encore une fois, l'auteur s'inscrit dans l'actualit en faisant rfrence aux
journaux : On me remit les journaux que le facteur venait d'apporter et je m'en allai sur la
256
257
258
259
103
rive, pas tranquilles, pour les lire. Dans le premier que j'ouvris, j'aperus ces mots :
"Statistique des suicides" et j'appris que, cette anne, plus de huit mille cinq cents tres
humains se sont tus.260 Le narrateur, surpris par l'ampleur du phnomne, imagine alors
tous ses morts et toutes les faons possibles de mettre fin ses jours :
Je vis des gens qui saignaient, la mchoire brise, le crne crev, la poitrine troue par
une balle, agonisant lentement, seuls dans une petite chambre d'htel, et sans penser
leur blessure, pensant toujours leur malheur.
J'en vis d'autres, la gorge ouverte ou le ventre fendu, tenant encore dans leur main le
couteau de cuisine ou le rasoir.
J'en vis d'autres, assis tantt devant un verre o trempaient des allumettes, tantt devant
une petite bouteille qui portait une tiquette rouge.
Ils regardaient cela avec des yeux fixes, sans bouger ; puis ils buvaient, puis ils
attendaient ; puis une grimace passait sur leurs joues, crispait leurs lvres ; une pouvante
garait leurs yeux, car ils ne savaient pas qu'on souffrait tant avant la fin.
Et ceci n'est que le dbut d'une plus longue liste encore, le narrateur numrant toutes les
morts possibles par suicide, sans doute celles qu'on voit frquemment dans les journaux de
l'poque. Le narrateur, d'ailleurs, fait un talage intressant des dtails concernant les
suicids et leurs faons d'agir. Il expose, au regard de tous, ce malheur et cette violence qui
atteignent l'tre individuel et solitaire, ramenant cette exprience personnelle et isole
tout un public, un lugubre spectacle donn tous. Le personnage se met alors rvasser. Il
imagine une industrie du suicide qui permettrait aux gens de se suicider de faon civilise :
[il] s'est form[] une socit de pure bienfaisance, protectrice des dsesprs, qui a mis
leur disposition une mort calme et insensible, sinon imprvue.262 Le suicide devient
tellement populaire, frquent et banal qu'on se voit dans l'obligation de centraliser les
suicidaires pour viter qu'il y en ait trop, partout.
Nolle Benhamou, dans un article sur l'influence du fait divers chez Maupassant, explique
que, comme la plupart des crivains il s'intresse beaucoup tout ce qui touche aux
262
104
scandales et aux affaires criminelles. Il est toujours l'afft des nouvelles, il lit les
journaux pour tre constamment aux faits de l'actualit et s'en nourrit pour ses propres
chroniques, et ses nouvelles de toute vidence. Elle ajoute que [l]es faits divers
intressent la fois l'homme, le journaliste et l'crivain et constituent un vivier permanent
de thmes et d'ides, points de dpart de l'imagination.263 Exploit son maximum, le
thme d'une chronique peut aisment devenir celui d'une nouvelle qui sera plus
longuement dvelopp. voquant La Petite Roque , Benhamou explique que la nouvelle,
publie sur plusieurs jours, a une structure si proche d'un fait divers pisodes que les
lecteurs vont lire les deux de la mme faon, avec les mmes attentes et la mme curiosit.
La nouvelle est si proche du fait divers, structure expectative et suspens semblables - que
le lecteur attend la suite de ces contes comme il attend le dnouement d'une affaire
criminelle.264 La diffrence vient dans la conclusion de l'histoire. Si elle est souvent
complte dans la nouvelle, la ralit laisse souvent le lecteur insatisfait puisqu'il y a
rarement une explication au suicide ou au crime.
En plus du suicide, Benhamou voque le crime au vitriol, qui devient tout autant, sinon
plus, la mode. Les suicides sont trs frquents et souvent voqus dans les journaux,
certes, mais les drames passionnels vont alimenter la curiosit morbide des lecteurs. Ainsi,
le vitriol devient une arme de prdilection pour toutes femmes jalouses. Selon Benhamou,
il n'y a [p]as un jour sans qu'un vitriolage ne trouve sa place dans les colonnes des faits
divers ou dans la chronique de l'audience.265 Autant sous la forme de la chronique que de
la nouvelle, Maupassant consacre beaucoup d'histoires au sujet des crimes de l'amour et
de la jalousie266 . Deux nouvelles, entre autres, se proccupent principalement de ce sujet :
La confession , avec le personnage de Marguerite de Threlles qui tue le futur mari de
sa soeur par jalousie; et Un drame vrai , o un homme assassine son frre pour pouser
Nolle Benhamou, De l'influence du fait divers: les chroniques et contes de Maupassant , dans,
Romantisme, 1997, n97, p. 47.
Idem.
265
lbid., p. 50.
266
Ibid.,p. SI.
105
la fiance de ce dernier. Dans La confession , Marguerite avoue sa sur, sur son lit de
mort, qu'elle est la responsable de la mort de son fianc :
Je me suis dit: U n'pousera pas Suzanne, jamais! Il n'pousera personne. Je serais trop
malheureuse... Et tout d'un coup je me suis mise le har affreusement.
Alors, sais-tu ce que j'ai fait?... coute. J'avais vu le jardinier prparer des boulettes pour
tuer des chiens errants. Il crasait une bouteille avec une pierre et mettait le verre pil
dans une boulette de viande.
J'ai pris chez maman une petite bouteille de pharmacien, je l'ai broye avec un marteau, et
j'ai cach le verre dans ma poche. C'tait une poudre brillante... Le lendemain, comme tu
venais de faire les petits gteaux, je les ai fendus avec un couteau et j'ai mis le verre
dedans... Il en a mang trois... moi aussi, j'en ai mang un... J'ai jet les six autres dans
l'tang... les deux cygnes sont morts trois jours aprs... Tu te le rappelles? Oh! ne dis
rien... coute, coute... Moi seule, je ne suis pas morte Mais j'ai toujours t malade...
Par jalousie, autant envers sa sur qui pousait l'homme qu'elle aimait qu'envers lejeune
homme qui lui enlevait sa sur, Marguerite tue celui qui menace la stabilit de son monde.
Elle croyait ainsi un retour l'ordre, sa vie d'avant, et garder sa sur auprs d'elle toute
sa vie. Cependant, elle est ronge de remords toute sa vie, et malade de surcrot, ayant ellemme ingr les biscuits empoisonns.
Le deuxime exemple, Un drame vrai , est encore plus intressant. Dans ce cas-ci, le
meurtrier avoue, bien malgr lui, sa culpabilit. Une jeune femme est courtise par deux
frres, mais elle choisit l'an. Une semaine avant le mariage, le fianc est assassin. Le
meurtrier n'est pas trouv et le seul indice existant est un bout de papier, ayant servi
bourrer le canon du fusil, avec quelques vers imprims sur la feuille. Le jeune frre se
marie et, vingt ans plus tard, chante une chanson au mariage d'une de ses filles. Le pre du
mari, un magistrat ayant enqut sur le meurtre du frre cadet, reconnat les mots, mais ne
peut dcouvrir d'o il les connat. Un peu par obsession, il cherche tant bien que mal d'o
viennent ces vers et il finit par trouver :
Deux ans encore se passent. Et voil qu'un jour, en feuilletant de vieux papiers, il
retrouve, copies par lui, ces rimes qu'il a tant cherches.
106
C'taient les vers rests lisibles sur la bourre du fusil dont on s'tait autrefois servi pour le
meurtre.
Alors il recommence tout seul l'enqute. Il interroge avec astuce, fouille dans les meubles
de son ami, tant et si bien qu'il retrouve le livre dont la feuille avait t arrache.
C'est en ce coeur de pre que se passe maintenant le drame. Son fils est le gendre de celui
qu'il souponne si violemment ; mais, si celui qu'il souponne est coupable, il a tu son
frre pour lui voler sa fiance ! Est-il un crime plus monstrueux ?
Le magistrat l'emporte sur le pre. Le procs recommence. L'assassin vritable est, en
effet, le frre. On le condamne.
C'est, une fois de plus, une histoire de passion criminelle que nous raconte Maupassant. Il
laisse d'ailleurs durer le suspense quant la dcouverte du meurtrier, comme le ferait un
fait-diversier pour tenir son public intress jusqu' la fin.
On voit donc que les sujets de fait divers ont une influence importante sur les nouvelles de
Maupassant. Les faits divers ont une incidence particulire sur la structure mme du rcit,
comme l'a expliqu Nolle Benhamou avec La petite Roque et comme nous le verrons
dans les prochaines parties.
La structure et le style du fait divers influencent directement les rcits fictionnels, mais plus
encore, c'est la forme brve du texte qui portera le plus consquence. Mme si la
longueur du texte peut varier considrablement d'une nouvelle une autre, de 30 100
pages par exemple, la nouvelle et le conte sont tout de mme considrs, selon les
conventions littraires, comme des formes brves. Par contre, pour tre publis dans les
journaux, contes et nouvelles doivent s'adapter l'espace qui leur est attribu et qui, trs
souvent, se rsume en deux colonnes ou deux colonnes et demie. La forme brve de la
nouvelle emploiera ncessairement quelques stratgies pour transmettre son message
Maupassant, Un drame vrai , (I), p. 497.
107
malgr le manque d'espace. Florence Goyet, dans une tude sur la nouvelle au XIXe sicle,
nonce quelques moyens importants pour arriver cette brivet. Tout d'abord, il y a
l'emploi d'un matriau prform, prfabriqu, c'est--dire l'usage d'lments strotyps
que le lecteur reconnat aisment. L'emploi de strotypes devient rapidement monnaie
courante au XIXe sicle, et Maupassant en fait une grande utilisation. Ruth Amossy, qui a
fait une excellente tude sur le sujet, explique que le strotype est une image, un concept
dtermin, que nous portons en nous. Tout tre humain vivant dans une socit affronte la
ralit l'esprit meubl de reprsentations collectives269 et c'est ainsi qu'il fait signifier
le monde
lorsqu'il est question de catgories prcises de gens, les strotypes qui circulent dans une
socit : la blonde plantureuse, le juif, les ouvriers, etc. Lorsque l'crivain ou le journaliste
dcrit un personnage ou un type social, il utilise une image dj connue du lecteur. Amossy
explique ce propos :
Le texte se trouve refaonne selon les impratifs d'un modle prfabriqu, extrieur au
rcit et enregistr de faon plus ou moins distincte par la mmoire culturelle du rcepteur.
Le dchiffrement privilgie tous les constituants de la description qui correspondent aux
cases du schma prexistant. Ce faisant, il dcoupe, lague et efface. Toutes les nuances
qui ne sont pas immdiatement pertinentes sont gommes. Toutes les variantes sont
rduites et rinsres bon gr mal gr dans le moule initial. Ainsi, le nez en oblisque : il
y a selon le dictionnaire des nez aquilins, busqus, crochus, en bec d'aigle - il n'existe
pas de nez en oblisque, sinon que les connotations de longueur et d'orientalit propres
l'oblisque permettent d'y retrouver fallacieusement un nez juif. Le dchiffrement
271
rcupre au maximum les diffrences, rduisant tout au dj-vu et au dj-connu.
Ruth Amossy, Les ides reues : smiologie du strotype, Paris, Editions Nathan, coll. Le texte
l'uvre, 1991, p. 9.
Idem.
271
lbid.,p. 22.
212
lbid., p. 25.
108
chappe pas. Les personnages-types se retrouvent peu prs partout dans son criture
brve : la femme marie qui devient une mre pondeuse et grotesque, les paysans simples
et lourdauds, bref, tous les types qui peuvent tre rapidement reconnus par le lecteur.
L'utilisation de personnages clbres peut aussi jouer ce rle.
Le paroxysme est un autre moyen utilis par les crivains afin d'acclrer le rythme de leur
histoire. Cette technique littraire ne se limite pas aux seuls hros, souvent dcrits comme
des types exceptionnels ; le procd paroxystique envahit toute la nouvelle, s'empare de
tous les lments narratifs qui y sont contenus. C'est comme si la nouvelle poussait la
limite tout ce dont elle s'empare.273 Florence Goyet indique que c'est dans l'utilisation de
la structure de la nouvelle que l'essentiel va se jouer. Cette structure est, dans les nouvelles
classiques, presque toujours gnre par une antithse. Voici ce qu'explique Goyet :
L'important de cette antithse est la tension qu'elle gnre, tension aussi prodigieuse que
les paroxysmes mis en contact travers elle. On peut presque exactement rendre compte
de cette structure dans les termes d'un phnomne physique : tout se passe comme si la
nouvelle, par le biais de cette caractrisation paroxystique, chargeait ses lments
narratifs comme autant de ples magntiques. L'essentiel est alors la tension qui se cre
entre les ples pralablement chargs d'intensit, et non chacun des ples en lui-mme.
Lorsque cette tension se dcharge, on obtiendra la fameuse pointe , par laquelle on a
parfois tch de dfinir le genre, et qui n'est autre que le moment o sont mis en contact
les extrmes opposs.
Elle donne en exemple les clbres personnages Jekyll et Hyde. Ils sont construits sur un
modle symtrique, ce qui permet d'viter la construction dtaille des personnages. Il
suffit qu'un personnage soit le contraire d'un autre pour qu'on le voit assez clairement.
Cette antithse permet en mme temps de se dispenser de toute justification psychologique.
Cela expliquerait, en partie, cette absence de raisons la violence des Prussiens, tudies
au premier chapitre. Les mchants Prussiens contre les gentils et courageux Franais : cette
opposition paroxystique dispense de toute explication psychologique. Ainsi, il peut, de
faon instinctive, s'imaginer le reste du profil des personnages en l'opposant celui auquel
il s'est dj identifi. La structure en oxymore donne une certaine impression de
compltude, tout en permettant de contourner les descriptions dtailles habituelles.
273
274
lbid, p. 24.
lbid, p. 28.
109
Le journalisme cre ainsi une mode des annes 1870-1880 , pour emprunter les mots de
Grard Gengembre, ne d'une recherche du resserrement et des besoins de la presse
quotidienne qui demandait aux crivains des textes courts pouvant tenir en quelques
colonnes. On ne saurait sous-estimer l'influence de cette contrainte sur la forme des textes
et sur l'criture de nombreux auteurs, dresss la dure cole du journalisme.
La structure de la nouvelle, comme l'a expliqu Benhamou, tant trs proche de celle du
fait divers, il tait moins choquant de voir apparatre ces rfrences dans le rcit court que
dans les romans. Nous avons vu, dans les parties prcdentes, comment le journalisme a
une certaine influence sur les contes et les nouvelles de Maupassant, comment les thmes
se rpondent des chroniques aux nouvelles et comment ralit et fiction finissent par se
Florence Goyet, La nouvelle : 1870-1925, Presses universitaires de France, Paris, 1993, p. 74.
Donaldson-Evans, La femme (r)enferme , op. cit., p. 74.
Grard Gengembre, Le horla de Guy de Maupassant, Paris, Pocket classique, 2003, p. 22.
110
confondre autant dans l'criture journalistique que dans l'criture fictionnelle. Les
structures et les thmatiques sont si semblables entre chroniques et nouvelles qu'il devient
difficile de discerner ce qui appartient l'un ou l'autre genre et de trancher clairement entre
les deux. Floriance Place-Verghnes affirme que
[lj'avnement de la presse populaire est indissociable de celui de la littrature populaire.
A l'image de l'uf et de la poule, il est malais de dterminer laquelle des deux a
engendr et nourri l'autre. Le rcit court fait son entre dans la presse par la porte du
roman-feuilleton ds la fin des annes 1830 : le journal fait lire le roman (la naissance du
roman-feuilleton est intrinsquement lie la cration de feuilles comme Le Sicle et La
Presse) et le roman fait lire le journal (ces journaux doivent au roman-feuilleton une
partie importante de leur lectorat).
278
Il est vident que le journalisme provoque certaines contraintes d'criture qui aura des
rpercussions particulires sur les formes et les genres littraires, notamment parce que la
plupart des textes littraires, que ce soit la posie, les nouvelles, mme les romans, sont
alors publis dans les journaux. Dans cette recherche sur la reprsentation de la violence
dans l'criture de Maupassant, il tait invitable d'aborder la violence faite au texte . On
manie, transforme, contraint et force le texte prendre une nouvelle forme, s'adapter aux
exigences des journaux, peu importe ce qu'il en cotera l'histoire. La violence thmatique
et la violence faite au texte sont d'abord lies parce que la forme brve convient bien au
choc de la violence, l'effet percutant que visent les nouvelles, ce que tente de dmontrer
l'tude de Florence Goyet et dont nous avons rsum les grandes lignes prcdemment.
Nous avons vu que la structure des nouvelles est fortement influence par les faits divers,
La Petite Roque en tant un bon exemple. Plus encore, les faits divers vont influencer le
style d'criture, puisque les journalistes de l'poque vont souvent intgrer une forme de
fatalit percutante leurs chroniques. Nolle Benhamou affirme que Maupassant, grce
cette influence sur la structure du texte, peut donner libre cours ses ides sur le
pessimisme et la fatalit.279 Le fait divers exploitant dj ces voies qui correspondent tout
fait celles que recherche Maupassant, sa structure et sa forme ne pouvaient mieux lui
convenir. Cette construction provoque le pathos chez le lecteur et l'amne rflchir sur
278
279
111
281
Idem.
Marie-Eve Threnty, Pour une histoire littraire de la presse au XIX e sicle , dans, Revue d'Histoire
Littraire de la France, 2003/3, Vol. 103, [en ligne]:
http://www.cairn.info/article.php?ID_REVUE=RHLF&ID_NUMPUBLIE=RHLF_033&ID_ARTICLE=RHLF
_033_o625, p. 3, [consult le 20 mars 2010].
2 8 2
283
tt'J
lbid., p. 4.
Ren Godenne, La nouvelle , dans, Etudes franaises, vol. 12, nl-2-, 1976, p. 106.
112
dit le moment capital du rcit. Organisant toujours le rcit en fonction d'un lment
284
dterminant, l'crivain possde le sens du paroxysme dramatique.
Boule de Suif est un bon exemple de cette accumulation d'actions qui mne au point
culminant de l'histoire : tout, du dbut de la nouvelle jusqu' la dernire scne o Boule de
Suif est rejete par les autres, est inextricablement li. L'histoire n'aurait plus le mme sens
ni la mme porte si l'on coupait une scne; il manquerait ncessairement des informations
essentielles la comprhension de la nouvelle. Sur la violence, contes et nouvelles sont
d'autant plus percutants qu'ils usent abondamment de cette structure paroxystique, qui ne
retient que les faits et actions principales. Un conte tel que Sur l'eau , qui exploite
certains lments de fantastique, correspond tout fait cette structure. La relativement
longue introduction du conte pourrait sembler superflue aux premiers abords. Pourtant,
toute la description du mystre de l'eau, de l'inquitude qu'elle provoque, contribue crer
une ambiance trange, inquitante, qui est ncessaire pour la monte paroxystique :
Vous autres, habitants des rues, vous ne savez pas ce qu'est la rivire. Mais coutez un
pcheur prononcer ce mot. Pour lui, c'est la chose mystrieuse, profonde, inconnue, le
pays des mirages et des fantasmagories, o l'on voit, la nuit, des choses qui ne sont pas,
o l'on entend des bruits que l'on ne connat point, o l'on tremble sans savoir pourquoi,
comme en traversant un cimetire : et c'est en effet le plus sinistre des cimetires, celui o
l'on n'a point de tombeau.
285
284
285
/J
Idem.
113
Cette violence faite au texte , ces contraintes d'criture ont plusieurs consquences
importantes. Celle, principalement, de resserrer les effets dj comprims dans la nouvelle
et de donner une dimension autre. La violence du texte dense a un effet sur la violence
thmatique . Christine Marchandier-Colard explique ce sujet que [l]a reprsentation
de meurtres, d'assassinats, de crimes, la description de corps mutils, blesss, saignants
rpond une esthtique du choc, de l'effet produire.286 On refuse une lecture paisible au
lecteur, qui investit sa propre imagination pour rpondre aux scnes qui lui sont
offertes.287 Encore plus, mme si, selon la critique, on remarque une conception
romantique du crime au XIXe sicle, Maupassant illustre les faits bruts . Les images que
cre Maupassant dans ses histoires sont souvent dnues de tout propos ou d'explications,
ce qui a t mis en vidence plusieurs reprises. Ce dpouillement autour d'un crime ou
d'une illustration sanglante a pour consquence de ne laisser place qu' la violence de
l'acte. Certes, elle est toujours amene comme spectacle (encore plus chez Maupassant qui
semble dpeindre le rel), mais elle est un spectacle direct, cinglant, dnud de cette
beaut du crime. Tous moyens pour crer un texte plus bref et aller directement au but
donne l'effet d'une violence plus directe peut-tre, plus nette et brutale du moins. Elle
trouve ainsi sa rpercussion directement dans la forme du texte, mutil pour les besoins
de la publication. Il y a tout un travail de narration et de langage qui se cache derrire cette
brivet puisqu'il faut rendre l'intensit du rcit en quelques pages seulement. Un lien trs
fort existe donc, entre la forme narrative de la nouvelle et la violence qui y est reprsente.
La nouvelle s'adapte son nouvel environnement et profite des rgles du formatage
journalistique pour transformer de faon plus efficace et frappante le message qu'elle veut
diffuser.
287
114
Conclusion
La violence se retrouve peu prs partout dans l'uvre de Maupassant. Que ce soit au
niveau des thmes, des actions des personnages, du formatage du texte, tout concorde
exprimer une tension et une violence qui semblent directement lies autant la pratique du
journalisme qu' l'imaginaire social qui circule la fin du XIXe sicle. Plusieurs thmes
auraient pu servir cette tude pour mieux illustrer les propos et afficher toute la diversit
prsente dans les contes et nouvelles de Guy de Maupassant. L'tude de Lamia Gritli sur la
cruaut dans les contes de Maupassant, qui illustre d'autres facettes de la violence prsente
chez cet auteur, converge dans le mme sens que cette tude. Il fallait cependant faire un
choix. Il est important de mentionner que cette tude n'est pas aussi exhaustive sur le
propos de la violence dans l'esthtique maupassantienne qu'elle aurait pu l'tre dans un
cadre plus large.
La guerre franco-prussienne des annes 1870-1871 a sembl particulirement intressante
pour le dveloppement de cette recherche tant donn sa porte et son influence sur
l'imaginaire social. Comme l'a dmontr Marc Angenot, dans son tude sur le discours
social de l'anne 1889, la guerre a marqu de faon considrable les mentalits franaises
de l'poque et a contribu dvelopper un climat anxiogne, favorisant d'une certaine
faon l'entre du pessimisme dans les faons de penser autant que dans la littrature. Trois
points de vue nous ont sembl pertinents quant la reprsentation des Prussiens. Dans la
mise en scne de l'occupation, Maupassant use d'un style dnu de descriptions
psychologiques et ne montre que les actions des envahisseurs, provoquant l'impression
d'une violence plus crue, plus brutale. Cette perspective reprsente trs souvent les
Prussiens comme des tres inhumains, violents et barbares. Le conte Deux amis ,
apport en exemple, est une des meilleures illustrations de ces propos, avec le commandant
Prussien qui tue, sans aucune piti ni aucune considration, les deux tres humains qui se
trouvent devant lui. Les deux amis n'ont ainsi pas plus de valeur aux yeux de l'ennemi que
les poissons pris dans le filet. Lorsque, au contraire, la violence est gnre par les
115
Trois
nouvelles,
en
autres,
nous
ont
particulirement
intresss :
des
personnages
fminins
au
fort
caractre
et au courage
exemplaire,
116
La preuve : une simple prostitue a plus de valeurs morales que les nobles et les religieuses.
Ces trois aspects, relatifs la guerre franco-prussienne, rvlent que, peu importe d'o
provient la violence, qu'importe aussi la condition sociale et mme les valeurs morales des
personnages, l'auteur exprime et illustre les horreurs relies toute forme de guerre. La
violence y est souvent explicite et gratuite, sans fondement vritable. Ceci permet
d'illustrer tout le pessimisme de Maupassant quant la socit et sa violence. Il dpeint
toute la bassesse humaine : la violence pousse souvent les personnages poser des gestes
qui se caractrisent par la bestialit et l'abjection.
Nous avons choisi, pour le deuxime chapitre de ce mmoire, un sujet qui semblait tout
aussi prsent dans les esprits de l'poque que l'tait la guerre franco-prussienne : les
femmes. Le XIXe sicle subit plusieurs changements et rvolutions et le statut de la femme
en fait partie. Plusieurs tentent de freiner l'volution de la femme et son mancipation.
D'autres tentent de l'aider. Ce qui est sr, c'est que les femmes ont un statut ambigu
l'poque et ceci se reflte particulirement dans la littrature et le monde journalistique.
Maupassant prsente plusieurs types de femmes dans ses histoires. Parmi ceux-ci, plusieurs
personnages fminins, sinon tous, sont associs quelque chose de ngatif. Si les unes sont
trop naves, les autres sont ruses; si les unes sont de bonnes mres (elles ont toujours des
vies misrables, rappelons-le), les autres sont de vritables monstres infanticides; si les
unes sont de bonnes pouses (ce qui survient trs rarement), elles ont des corps
compltement dforms qui ont perdu leur fminit, alors que les autres seront de
vritables harpies; et ainsi de suite. Il n'y a pas de femmes parfaites, ni raisonnables
pourrions-nous dire, chez Maupassant. Par contre, une chose est sre : lorsqu'une situation
confronte l'homme et la femme, une violence est toujours dclenche, et ceci rarement en
faveur de l'homme qui devient la proie de la femme. Tous les exemples fournis dans ce
chapitre en tmoignent : l'homme est souvent sans dfense devant la ruse perfide de la
femme. Elle le contrle, le manipule, et le pousse mme, dans certains cas, au suicide.
Nous ne croyons pas, la lumire de cette recherche, que Maupassant ait t plus misogyne
que la socit en gnral son poque. Il tentait de reprsenter, de faon aussi plausible
que possible, les diffrentes facettes de l'humanit. Et puisque le pessimisme prime chez
117
cet auteur, il ne pouvait en tre autrement. Ce qui s'est rvl de particulier dans cette
recherche, mais qui a tout de mme t soulign par plusieurs autres critiques, c'est le Uen
qui existe entre l'criture fictionnelle et le monde de la chronique chez Maupassant. Certes,
Maupassant est le reflet de ses propres opinions autant que celles de la socit du XIXe
sicle. Cependant, les chroniques sont souvent plus crues, directes, alors que les nouvelles
en sont une dmonstration, mais plus subtile. Le jugement de l'auteur est indirectement
retranscris dans les contes et nouvelles. Il ne le dit jamais clairement dans son criture
fictionnelle, mais, tout comme un peintre, il choisit une scne prcise qu'il dpeint et pointe
au lecteur : lui maintenant d'en voir les subtilits.
Finalement, le lien entre socit, journalisme et nouvelle se peroit de faon percutante
dans les sujets, mais aussi dans le traitement mme de la structure des textes. Maupassant,
d'abord, utilise trs souvent des sujets d'actualit pour dvelopper des nouvelles : les
histoires de suicides, d'infanticides, de viols, de meurtres par empoisonnement, sont trs
frquemment dcrites dans les journaux la fin du XIXe sicle et sont souvent reprises
comme sujet de nouvelles pour Maupassant. La confession , Un drame vrai ,
L'horrible , sont quelques exemples qui confirment que Maupassant s'inspirait bien de
l'actualit pour crire ses nouvelles. Plus encore, le mdia journalistique sert, et ce de
nombreuses occasions, ancrer une nouvelle dans un contexte rel et lui donner une
certaine crdibilit. Cela a t explor, entre autres, avec des nouvelles comme Histoire
d'un chien qui rapporte, en introduction, des faits lus dans un journal;
L'endormeuse qui rsume les statistiques exposes dans un journal propos du nombre
de suicides croissant et les mthodes pour mettre fin ses jours; les nouvelles comme La
main d'corch , qui rapporte les faits violents de l'histoire via un article de journal. Le
rapport existant entre presse et littrature est des plus tonnants et intressants. C'est sans
doute avec la nouvelle Le crime au pre Boniface que l'on peroit mieux ce lien,
puisque c'est par les journaux, les faits divers sanglants plus prcisment, que le facteur
Boniface dveloppe tout son imaginaire et transpose celui-ci dans sa ralit : il croit un
crime alors qu'il n'y en a pas, tout cela parce que les journaux transmettent une image
violente de la socit. Dans la structure mme des nouvelles, le lien avec les faits divers est
118
immanquable. Puisque les auteurs de l'poque publient dans les journaux, les textes
fictionnels doivent s'adapter au cadre rigide des colonnes. Plusieurs moyens sont alors
utiliss pour acclrer l'histoire, tels que le strotype et le paroxysme. Ceci a pour
consquence d'accentuer tous les effets d'une nouvelle, illustrant des propos plus crus, plus
directs, qui dirigent toutes les actions vers un point culminant. La forme brve, alors,
devient le format idal pour exprimer la thmatique de la violence. Il faut ajouter aussi que,
dans une structure qui se rapproche de celle d'un fait divers, la nouvelle se conforme au
principe de suspense et d'intrigue pour veiller le pathos du lecteur et conserver son
attention jusqu' la toute fin.
Ces trois chapitres ont explor, de faon non exhaustive, les reprsentations de la violence
chez Maupassant et le lien qu'elles entretiennent avec l'imaginaire social et le monde
journalistique. Bien sr, beaucoup de travail serait encore ncessaire pour toffer cette
tude, autant parce que le monde de Maupassant comporte beaucoup d'crits (autant
chroniques que nouvelles) qui mritent de plus amples analyses, mais aussi parce que la
thmatique de la violence est un sujet vaste qui mriterait, sans doute, une approche plus
fine et pointue. Nous avons soulign les grands traits et ouvert quelques portes, mais les
pistes explorer sont encore nombreuses.
l'origine, l'ambition de cette recherche s'tendait de faon plus large que les seuls trois
chapitres explors ici. La diffrence entre la violence physique et la violence psychologique
tait un des sujets envisags. Une multitude de contes de Maupassant illustre la thmatique
de la violence, comme nous l'avons vu au cours de cette recherche. Cependant, la
reprsentation de cette violence n'est pas toujours de mme nature. La violence physique
est beaucoup plus rare et plus souvent associe l'envahissement de Prussiens, ce qui,
somme toute, parat logique. Par contre, la violence psychologique se retrouve partout et de
faons trs diffrentes, mais trs souvent associe au domaine de la peur, de l'inconnu;
bref, du fantastique de Maupassant. Les personnages deviennent trs souvent fous cause
de leur imagination dbordante. Le fantastique de Maupassant est bien particulier, car il
119
reste toujours trs prs d'une explication plausible. Cependant, tout comme dans le
Horla , Sur l'eau , L'auberge ou encore Un fou , la psychologie des
personnages subit une violence qui les pousse imaginer des situations tranges,
inquitantes. Ce qu'ils ont principalement en commun, c'est toujours cette impression
d'tre envahi par une prsence trangre et menaante.
Aussi, comme le fait remarquer Marie-Claire Bancquart, la folie qui atteint les personnages
masculins a souvent pour origine les femmes. Lorsque l'rotisme entre en ligne de compte,
les personnages ne peuvent jamais revenir leur tat psychologique normal , c'est-dire d'origine. Ils subissent une dperdition d'eux-mmes et ceci est irrversible. C'est le
cas entre autres dans La chevelure . Dans ce conte, le personnage est tellement obsd
par la chevelure de femme trouve dans un meuble qu'il en devient compltement fou et est
intern : il n'y a pas de retour possible pour lui. C'est la mme situation dans Un cas de
divorce . Bancquart explique que [p]ar l'rotisme, nous entrons dans la vritable cruaut
et le vritable fantastique de Maupassant. Exprience du drglement et de la
dsintgration de l'tre, reflet d'une angoisse, l'rotisme exprime en effet une liaison de
violence qui rgne dans le monde entier, et un malaise du Moi.288 Cet aspect pourrait
ouvrir toute une nouvelle perspective quant au sujet de la reprsentation de la femme dans
l'criture de Maupassant et la violence qui lui est associe. Il permettrait aussi de
dvelopper le lien qui existe entre l'criture fantastique de Maupassant et la violence qui y
est reprsente.
Il reste donc plusieurs voies possibles explorer pour tudier Maupassant. Malgr toutes
les recherches et les tudes qui ont t faites son sujet, il reste encore beaucoup
dcouvrir sur Maupassant.
288
Marie-Claire Bancquart, Maupassant conteur fantastique, Paris, Editions Lettres Modernes, 1976, p. 62.
120
Bibliographie
1. Corpus primaire
1.1 Contes
MAUPASSANT, Contes et nouvelles tome I, Paris, ditions Gallimard, coll. La Pliade,
1974, 1679 p.
Contes et nouvelles tome II, Paris, ditions Gallimard, coll. La Pliade, 1979, 1787
P1.2 Chroniques
MAUPASSANT, Chroniques tome I, Paris, Union Gnrale d'ditions, 1980, 438 p.
Chroniques tome II, Paris, Union Gnrale d'ditions, 1980, 445 p.
Chroniques tome III, Paris, Union Gnrale d'ditions, 1980, 444 p.
1.3 Romans
MAUPASSANT, Bel-ami, Paris, Gallimard, 2000, 438 p.
Une vie, Paris, Bookking International, 1993, 256 p.
121
2. Corpus secondaire
2.1 Ouvrages et articles sur Maupassant
BANCQUART, Marie-Claire, Maupassant conteur fantastique, Paris, ditions Lettres
Modernes, 1976, 111p.
BENHAMOU, Nolle, De l'influence du fait divers: les chroniques et contes de
Maupassant , dans, Romantisme, 1997, n97, p. 47-58.
L'objet du culte dtourn : la perversion du signe dans les contes et nouvelles de
Maupassant , dans : Andrea Del Lungo et Boris Lyon-Caen, [dir.], Le roman du signe :
fiction et hermneutique au XIXe sicle, Saint-Denis, ditions PUV, 2007.
BURY, Mariane, Maupassant pessimiste? , dans, Romantisme, 1988, n61, p. 75-83.
La potique de Maupassant, Paris, Sedes, 1994, 304 p.
DANGER, Pierre, Pulsion et dsir dans les romans et nouvelles de Guy de Maupassant,
Librairie Nizet, Paris, 1993, 216 p.
DAVEY, Lynda A., La croqueuse d'hommes : images de la prostitue chez Flaubert,
Zola et Maupassant , dans, Romantisme, 1987, n58, p. 59-66.
DELAISEMENT, Grard, Maupassant : journaliste et chroniqueur, Paris, Michel, 1956,
302 p.
La modernit de Maupassant, Paris, ditions Rive Droite, 1995, 308 p.
122
Les chroniques politiques de Guy de Maupassant, Paris, ditions Rive droite, 2006,
283 p.
DETHLOFF, Uwe, Patriarcalisme et fminisme dans l'uvre romanesque de
Maupassant, dans FORESTIER, Louis, [dir.], Maupassant et l'criture, Actes du
colloque de Fcamp 21-22-23 mai 1993, Paris, Nathan, 1993, p. 120.
DONALDSON-EVANS, Mary, La femme (r)enferme chez Maupassant , dans,
Maupassant et l'criture, Actes du colloque de Fcamp 21-22-23 mai 1993, Paris, Nathan,
1993, p. 63-74.
FORESTIER, Louis, Maupassant. Contes et nouvelles tome I, Paris, ditions Gallimard, La
Pliade, 1979, p. 1349-1350.
FONYI, Antonia, Maupassant 1993, Paris, ditions Kim, 1993, 209 p.
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