- Shoah
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Après l'agression de l'URSS le 22 1941, cependant, la violence meurtrière se déchaîne à une échelle sans précédent : ce sont près de 1 500 000 Juifs qui périssent en quelques mois, fusillés par les Einsatzgruppen, et cette fois-ci, essentiellement des femmes, des enfants, des vieillards ou des hommes adultes non mobilisés.
En 1940, le Plan Madagascar des Allemands prévoyait encore une émigration massive et forcée des Juifs d'Europe occupée vers Madagascar qui serait devenue une « réserve juive »[23]. La continuation du conflit avec le Royaume-Uni empêche cette solution à la « question juive » d'aboutir. Début 1941, Hitler songe également à déporter les Juifs en Sibérie : cette solution aurait suffi à entraîner une hécatombe et était donc déjà en elle-même quasi-génocidaire[24]. Mais dès le ralentissement de l'avancée allemande en Russie à l'automne 1941 et avant même l'échec de la Wehrmacht devant Moscou, cette solution n'est plus à l'ordre du jour.
L'extermination de la totalité des Juifs d'Europe est décidée dans le courant de l'automne 1941. Le 31 1941, le haut chef SS Reinhard Heydrich se fait signer par no 2 du régime, un ordre officiel secret qui lui confie la recherche et la mise en œuvre d'une « solution finale au problème juif ». Sans doute vers la fin de l'été, Adolf Eichmann est convoqué dans le bureau de Reinhard Heydrich, qui lui dit : « Je sors de chez le Reichsführer Adolf Hitler a maintenant ordonné l'extermination physique des Juifs[25]. »
Pour Raul Hilberg, la Shoah est un crime de bureaucrates, qui passent d'une étape à l'autre, minutieusement, logiquement, mais sans plan préétabli. Cette analyse a été approuvée par les autres spécialistes de la Shoah, mais le moment exact où l'intention exterminatrice apparaît fait l'objet de débats, analysés ci-après dans la section « Historiographie » de l'article.
L'extermination des Juifs d'Europe orientale (1939-1941)
Les ghettos
Après l'invasion allemande de la Pologne, les Juifs de ce pays sont contraints de vivre dans des quartiers clos, les NSDAP, et non, comme en Allemagne, des fonctionnaires sans affiliation partisane. Ensuite, les Juifs polonais représentent ce qu’il y a de plus méprisable dans la mythologie nazie, et sont les plus persécutés dès avant la guerre. Enfin, les Juifs étaient beaucoup plus nombreux numériquement et proportionnellement, en Pologne (3,3 millions, dont deux millions dans la zone allemande, sur 33 millions d’habitants dans tout le pays) qu’en Allemagne[26]. Les Juifs de l’Ancien Reich (frontières de 1937) sont également déportés vers les ghettos de Pologne, à partir de 1940.
Les premiers ghettos sont édifiés dans la partie de la Pologne « incorporée » au Reich, pendant l’hiver 1939-1940, puis dans le gouvernement général, partie de la Pologne administrée par ghetto de Łódź, le plus grand, celui de [27].
À l’intérieur même du ghetto, les mouvements des Juifs sont limités : ils doivent rester chez eux de dix-neuf heures à sept heures. La surveillance extérieure est assurée par la police régulière et la surveillance intérieure par la Police de sûreté (Kripo), elle-même renforcée par la police régulière, à la demande de cette dernière[28].
Dès le 26 octobre 1939, le principe du travail forcé pour les Juifs de Pologne est adopté[29]. Les Juifs sont décimés par la malnutrition, les typhus, de tuberculose, de Łódź, qui compte 200 000 habitants à l’origine, compte plus de 45 000 morts jusqu’en 1944[30]. Au cours de l'année 1943, sur l'ordre d'SS. En Ostland, les tueries continuent jusqu'à la disparition quasi-totale de Juifs. À partir de 1941, les survivants des ghettos sont déportés vers les centres de mise à mort. Les premiers sont les Juifs du Wartheland, envoyés à mars 1942, ceux de Lublin sont envoyés à [31].
Les unités mobiles de tuerie : la première vague de massacres
Article détaillé : 13 mars 1941, pendant les préparatifs de l'invasion de l'URSS, le feld-maréchal Keitel rédige une série d’« ordre pour les zones spéciales » :« Dans la zone des opérations armées, au Reichsführer SS [32]. »
En termes clairs, il est décidé que des unités mobiles du RSHA, les Einsatzgruppen, seraient chargées d'exterminer les Juifs — ainsi que les Tziganes, les cadres communistes, voire les handicapés et les homosexuels. Ce passage aurait été dicté par Adolf Hitler en personne[33].
Pendant les premières semaines, les membres des Einsatzgruppen, inexpérimentés en matière d'extermination, ne tuent que les hommes juifs. À partir d'août, les autorités centrales clarifient leurs intentions, et les Juifs sont assassinés par familles entières. Les Einsatzgruppen se déplacent par petits groupes, les Einsatzkommandos, pour massacrer leurs victimes. Ils se placent le plus près possible des lignes de front, quitte à revenir vers l'arrière après avoir massacré leurs premières victimes. C'est le cas, par exemple, de l’Einsatzgruppe A, qui s’approche de Leningrad avec les autres troupes, puis se replie vers les pays baltes et la Liepāja, Riga, Vilnius (en quatorze attaques)[34]. Dans les premiers mois de l'invasion de l'URSS, les unités mobiles annoncent près de 100 000 tués par mois.
Les SS sont assistés par une partie de la Wehrmacht. Dans bien des cas, les soldats raflent eux-mêmes les Juifs pour que les Einsatzkommados les fusillent, participent eux-mêmes aux massacres, fusillent, sous prétexte de représailles, des Juifs. Ainsi, à Minsk, plusieurs milliers de « Juifs, criminels, fonctionnaires soviétiques et asiatiques » sont rassemblés dans un camp d’internement, puis assassinés par des membres de l’Einsatzgruppe B et de la Police secrète de campagne[35]. Leur action est complétée par des unités formées par les chefs de la SS et de la Police, ou plus rarement par la seule Memel (plusieurs milliers de victimes), Minsk (2 278 victimes), 15 000 victimes) et Riga[36]. Des troupes roumaines participent également aux fusillades, ainsi que le sonderkommando letton de Viktors Arājs: responsable à lui seul de la mort d'entre 50 000 et 100 000 personnes (juives et/ou communistes), Arājs ne sera condamné qu'en 1979.
Les procédures de massacres sont standardisées pour être rapides et efficaces. Les Einsatzgruppen choisissent généralement un lieu en dehors de la ville. Ils approfondissent un fossé anti-char ou creusent une nouvelle fosse. À partir d'un point de rassemblement, ils amènent les victimes jusqu'au fossé par petits groupes en commençant par les hommes. Les prisonniers remettent alors tout ce qu'ils ont comme objet de valeur au chef des tueurs. Par beau temps, ils doivent donner leurs vêtement et même parfois leur linge de corps.
Certains Einsatzgruppen alignent les condamnés face aux fossés puis les mitraillent laissant leurs corps inertes tomber dans la tombe collective[37]. D'autres tirent une balle dans la nuque de chaque condamné.Paul Blobel et Ohlendorf, commandants d’Einsatzgruppen refusent ces méthodes jugées trop stressantes pour les SS et préfèrent les tirs à distance. Ils utilisent ce qui a été appelé le « système des sardines », Ölsardinenmanier : Une première rangée de victimes doit s'allonger au fond du fossé. Elle est fusillée du haut du fossé par des tirs croisés. Les suivants se couchent à leur tour sur les cadavres de la première rangée et la fusillade recommence. À la cinquième ou sixième couche, la tombe est recouverte de terre[38]. Les Einsatzgruppen veulent que leurs actions soient la plus discrète possible et s'efforcent d'agir à l'écart des populations civiles et de la Wehrmacht[39].
Les Einsatzgruppen s’efforcent de susciter des pogroms locaux, à la fois pour diminuer leur charge de travail et pour impliquer une part maximale de la population locale dans l’anéantissement des Juifs. Les bureaucrates du RSHA et les commandants de l’armée ne souhaitent pas que de telles méthodes soient employées, les uns parce que ces formes de tueries leur paraissent primitives et donc d’une efficacité médiocre par rapport à l’extermination soigneuse des Einsatzgruppen ; les autres parce que ces pogroms font mauvais effet. Les pogroms ont donc lieu, principalement, dans des territoires où le commandement militaire était encore mal assuré de son autorité : en Lituanie.
En quelques jours, des Lituaniens massacrent 3 800 Juifs à Einsatzgruppen trouvent une aide plus importante et plus durable en formant des bataillons auxiliaires dans la population locale, dès le début de l’été 1941. Ils ont été créés, pour la plupart, dans les pays baltes et en Ukraine. L’Einsatzkommando 4a (de l’Einsatzgruppe C) décide ainsi de ne plus fusiller que les adultes, les Ukrainiens se chargeant d’assassiner les enfants. Quelquefois, la férocité des collaborateurs locaux effraie jusqu’aux cadres des Einsatzgruppen eux-mêmes. C’est le cas, en particulier, des membres de l’Einsatzkommando 6 (de l’Einsatzgruppe C), « littéralement épouvantés par la soif de sang » que manifeste un groupe d’« Allemands ethniques » ukrainiens[40].
Le recrutement en Ukraine, Lituanie et Lettonie est d’autant plus facile qu’un fort [41].
Lorsque les tueurs estiment que l’extermination prendra du temps, ils créent des ghettos pour y parquer les survivants, en attendant leur élimination. Mais dans plusieurs cas, cette création n’est pas nécessaire, notamment à 33 000 Juifs sont assassinés en quelques jours, près de Babi Yar[42].
Article détaillé : Massacre de Babi Yar.De passage à Minsk, le 15 1941, Himmler assiste à une opération mobile de tuerie. Ébranlé par le massacre mais pénétré de l'importance supérieure de ses actes, il demande à ses subordonnés de chercher un moyen moins traumatisant pour les SS de remplir leur mission[43].
C'est ainsi que les premiers décembre 1941, deux à trois camions à gaz sont envoyés dans chaque Einsatzgruppe. Le procédé est toujours le même. Les camions sont garés à l'écart. Des groupes de 70 juifs en linge de corps s'entassent à l'intérieur. Les gaz d'échappement sont déversés à l'intérieur faisant suffoquer les victimes. Les camions roulent ensuite jusqu'au fossé où les corps inanimés sont jetés[44]. Mais la pluie met à mal l'étanchéité des camions. Les hommes souffrent de maux de tête en déchargeant les camions, car tous les gaz d'échappement ne se sont pas dispersés. La vision des visages défigurés des asphyxiés stresse les SS[45].
Selon le tribunal de Nuremberg, environ deux millions de Juifs ont été assassinés par les unités mobiles de tuerie — une estimation reprise à son compte par Lucy S. Dawidowicz[46]. Raul Hilberg compte de son côté 1,4 million de victimes, et Léon Poliakov 1,5 million, mais cette fois pour la seule URSS[47].
La deuxième vague (1942)
La première vague de massacres s'arrête pour l'essentiel à la fin de l'année 1941, sauf en [48].
Les 5 régiments de la police régulières servent sur le front, 4 sont stationnés à l'arrière, renforcés par 6 bataillons supplémentaires qui obéissent tous aux dirigeants SS et de la police[49]. Les villes importantes et les zones rurales des régions occupées fournissent elles aussi des éléments. Ces éléments recrutés sur place sont essentiellement composés de Baltes, Biélorusses et Ukrainiens. Ils forment la Schutzmannschaft (Schuma en abrégé). Son effectif passe de 33 270 hommes au milieu de l'année 1942 à 47 974 à la fin de l'année[50]. Les SS reçoivent aussi l'appui de la gendarmerie militaire et de la police secrète militaire[51].
Dans l’Ostland, il reste au début de l'année 1942, environ 100 000 Juifs. Environ 68 000 vivent dans les grands ghettos, le reste a trouvé refuge dans les forêts, certains comme janvier 1942, les SS et la police du Nord commencent à ratisser la région méthodiquement, zone par zone, tuant les Juifs des petits ghettos et exécutant ceux des forêts. Seulement quelques milliers parviennent à en réchapper[52]. En même temps, se prépare la destruction des grands ghettos de l’Ostland.
La méthode est souvent la même. La veille de la tuerie, un détachement juif creuse des grandes tombes. Dans la nuit ou à l'aube, les forces allemandes pénètrent dans le ghetto et rassemblent les Juifs. Ceux qui tentent de se cacher sont exécutés parfois à la grenade. Ceux qui se sont groupés sont amenés par camions jusqu'aux fosses communes où ils sont exécutés par balle. Fin 1942, il n'y pas plus de Juifs en Ukraine.
Malgré toutes les précautions d'Himmler pour garder les tueries secrètes, des photos prises par des soldats alliés, hongrois ou slovaques circulent. Himmler craint aussi que les Soviétiques ne découvrent un jour les charniers, si l'armée allemande recule. Il ordonne à Paul Blobel d'effacer les traces des exécutions des Einsatzgruppen. Le commando « 1005 » reçoit la mission de rouvrir les tombes et de brûler deux millions de cadavres. Mais ce travail est imparfaitement accompli pour de nombreuses raisons[53].
Article détaillé : Sonderaktion 1005.Les massacres par balles à l'Est après 1942
Article détaillé : Aktion Erntefest.Encore en novembre 1943, pour démanteler l'empire économique que son subordonné Odilo Globocnik s'est taillé autour de Lublin grâce à la main-d'œuvre juive servile, Himmler ordonne le massacre de cette dernière : en deux jours, plus de 40 000 Juifs[réf. nécessaire] sont assassinés au cours de ce qui est connu comme l'opération « Fête des Moissons ».
Autres fusillades de Juifs en Europe occupée
Article connexe : Exécution des sept Juifs au cimetière de Rillieux-la-Pape.La Pologne et les Balkans occupés ont vu de nombreux massacres de Juifs par fusillade, mais aussi par pendaison, noyade ou sévices exercés jusqu'à la mort. Les cas de la Roumanie, de la Serbie et de la Croatie sont décrits ci-après à la sixième partie de cet article.
En Europe de l'Ouest, la terreur nazie revêt des formes moins amples et de tels déchaînements publics de sauvagerie sont difficilement pensables. Les massacres collectifs de Juifs en plein air sont de ce fait restés rares ou inexistants. Cependant, les nombreux otages fusillés par les nazis sont souvent pris parmi les Juifs.
Serge Klarsfeld a ainsi établi que sur plus d'un millier d'otages assassinés au [54]. Encore en 29 juin 1944, à Rillieux-la-Pape, le chef milicien Paul Touvier fait abattre arbitrairement sept Juifs pour venger[55] la mort de l'orateur collaborationniste Philippe Henriot, exécuté par la Résistance, le 28 juin 1944[56]. Des Juifs italiens figurent parmi les victimes du massacre des Fosses ardéatines à Rome en mars 1944.
Les camps de concentration et d'extermination (1942-1945)
Du massacre à l'Est au génocide en Europe (automne 1941)
L'élimination physique s'étend au cours de l'automne 1941 aux Juifs allemands puis à ceux de toute l'Europe occupée. C'est le passage décisif d'un judéocide jusque là localisé en URSS à un 80 convois partent ainsi du Reich avant fin 1941. Dans des conditions épouvantables, 72 trains acheminent leur chargement humain dans des ghettos où les fusillades ont libéré de la place (presque tous périront gazés ou fusillés à leur tour lors des liquidations de ghettos en 1942-1943). 8 autres voient leurs passagers liquidés dès l'arrivée[57].
Ainsi le 15 octobre, près de 5 000 Juifs déportés de Berlin, Munich, Francfort, Vienne ou Breslau sont déportés en Lituanie et fusillés par les Einsatzgruppen dès leur descente du train : le rapport Jäger fait état de leur exécution au fort IX de Kaunas les 25 et 29 novembre. Le 18 octobre, d'autres convois quittent Prague, Luxembourg ou Berlin. Tout le Grand-Reich est donc concerné[58].
On bascule un peu plus du meurtre des Juifs d’URSS à ceux de l’espace européen entier lorsque le 2 octobre, Heydrich laisse dynamiter six synagogues de Paris par les collaborationnistes PPF, avec des explosifs fournis par ses services, afin de bien montrer que la France ne sera plus jamais « la citadelle européenne des Juifs » et que ceux-ci doivent craindre pour leur vie partout en Europe occupée.
Le 23 octobre, Himmler interdit officiellement l’émigration des Juifs. Ne reste donc plus ouverte que l’option de l'extermination.
Le 7 décembre, le premier Chełmno en Pologne annexée : de fusillades « artisanales », la tuerie passe à l'échelle industrielle. Les victimes, emmenées de tout le Warthegau dirigé par le fanatique gauleiter Arthur Greiser, sont enfermées dans des camions à gaz où elles meurent lentement asphyxiées par les fumées d'échappement, dirigées sur l'intérieur du véhicule. En sept mois, plus de 100 000 personnes trouvent ainsi la mort.
Au même moment, la construction de Sobibor sont lancées.
La conférence de Wannsee (20 janvier 1942)
Convoquée par Reinhard Heydrich, le principal adjoint de Deutsche Reichsbahn la société ferrovaire d'état a joué un rôle essentiel.