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Public persons as owners

2014

Comme la propriété privée, la propriété publique a été confondue avec les biens qui n’en sont que les objets. En droit privé, comme en droit public, il est possible, pourtant, de considérer que la propriété n’est pas un bien. Droit subjectif, la propriété est la puissance que le sujet exerce sur les biens. Formellement, elle est le droit de jouir et de disposer des choses conformément au droit objectif. Matériellement, elle variera en fonction du statut de droit objectif qui habilite le sujet de la propriété, le propriétaire. Les personnes publiques, sujets de l’action publique, sont propriétaires sur le fondement d’une compétence que leur assigne immédiatement l’obligation d’agir dans l’intérêt public. La compétence attribue aux personnes publiques un droit de propriété public, affecté au service du seul intérêt public. Envisager les personnes publiques propriétaires au lieu de la propriété des personnes publiques, aura permis de contribuer à la théorie des ordres juridiques partie...

Benoît Schmaltz Les personnes publiques propriétaires -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- SCHMALTZ Benoît. Les personnes publiques propriétaires, sous la direction de Jean-François Sestier. - Lyon : Université Jean Moulin (Lyon 3), 2014. Disponible sur : www.theses.fr/2014LYO30069 -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Document diffusé sous le contrat Creative Commons « Paternité – pas d’utilisation commerciale - pas de modification » : vous êtes libre de le reproduire, de le distribuer et de le communiquer au public à condition d’en mentionner le nom de l’auteur et de ne pas le modifier, le transformer, l’adapter ni l’utiliser à des fins commerciales. Thèse pour le doctorat en droit Discipline : Droit public Benoît SCHMALTZ Les personnes publiques propriétaires Présentée et soutenue publiquement le lundi 24 novembre 2014 à 14h 30 à l’Université Jean Moulin Lyon 3 devant un jury composé de Madame le professeur Sophie NICINSKI, présidente, Université Panthéon-Sorbonne Paris 1 Monsieur le professeur Benoît PLESSIX, rapporteur, Université Panthéon-Assas Paris 2 Monsieur le professeur Jean-François SESTIER, directeur de thèse, Université Jean Moulin Lyon 3 Monsieur le professeur Philippe YOLKA, rapporteur, Université Pierre Mendès-France Grenoble 2 Monsieur le professeur Frédéric ZENATI-CASTAING, assesseur, Université Jean Moulin Lyon 3 REMERCIEMENTS Ma gratitude s’adresse d’abord et avant tout au professeur Jean-François Sestier, mon directeur de thèse, qui a rendu ce travail possible et lui a donné ses plus fondamentales intuitions avant de le laisser mûrir sous sa supervision attentive, constante et bienveillante. Elle s’adresse ensuite aux maîtres qui m’ont nourri, formé et élevé, bien souvent sans même s’en rendre compte, ainsi qu’à l’ensemble des enseignants-chercheurs dont j’ai pu recevoir les enseignements ou les avis. Si ce travail est un fruit, ils sont la sève de l’arbre qui l’aura porté. Elle s’adresse, de même, à tous mes collègues et amis qui, pour leurs conseils, leurs remarques, leur effort de relecture ou leur sympathie, mériteraient de figurer sur une bien belle liste, à laquelle le risque de manquer à l’exhaustivité m’oblige cependant à renoncer. Elle s’adresse, enfin, à tous ceux qui, à un titre ou à un autre, sont intervenus dans la confection de cet ouvrage, lequel doit finalement si peu à son auteur. Aux miens SOMMAIRE Première partie La compétence, fondement de la qualité de propriétaire des personnes publiques Titre 1er La compétence, critère de la catégorie des personnes publiques propriétaires Chapitre 1 L’opposition de la compétence des personnes publiques à la capacité des personnes privées Chapitre 2 L’opposition de la propriété des personnes publiques à la propriété des personnes privées Titre 2nd La compétence, fondement des droits subjectifs des personnes publiques propriétaires Chapitre 1 Le droit de propriété public : attribut exclusif des personnes publiques propriétaires Chapitre 2 Les droits de puissance publique : privilèges patrimoniaux caractéristiques des personnes publiques propriétaires Seconde partie L’exercice de leur compétence par les personnes publiques propriétaires Titre 1er L’exercice des compétences des personnes publiques : la gestion de leurs fonds administratifs Chapitre 1 Le fonds administratif : universalité des actifs affectés à une activité administrative Chapitre 2 Le fonds administratif : une réponse à l’extrême diversité des biens affectés à une activité administrative Titre 2nd Le développement de l’action publique par la gestion des fonds administratifs des personnes publiques Chapitre 1 L’ordre juridique partiel du droit public, contexte normatif exclusif de la gestion des fonds administratifs Chapitre 2 La rencontre des ordres juridiques partiels à l’occasion de la gestion des fonds administratifs LISTE DES PRINCIPALES ABREVIATIONS REVUES & OUVRAGES AJCT : Actualité juridique des collectivités territoriales AJDA : Actualité juridique du droit administratif AJDI : Actualité juridique de droit immobilier APD : Archives de la philosophie du droit BJCL : Bulletin juridique des collectivités locales BJCP : Bulletin juridique des contrats publics CJEG : Cahiers juridiques de l’électricité et du gaz CMP : Contrats et marchés publics CP-ACCP : Contrats publics : l'actualité de la commande et des contrats publics D. : Recueil Dalloz Defrénois : Répertoire du notariat Defrénois Dr. soc. : Droit social DA : Droit administratif Dr. et pat. : Droit et patrimoine Droits : Droits. Revue française de théorie juridique EDCE : Etudes et documents – Conseil d’Etat GAJA : Grands arrêts de la jurisprudence administrative GADDAB : Grandes décisions du droit administratif des biens Gaz. pal. : Gazette du Palais GDCC : Grandes décision du conseil constitutionnel J.-Cl. : Jurisclasseur JCP A : La semaine juridique, édition administrations et collectivités territoriales JCP G : La semaine juridique, édition générale JCP N : La semaine juridique, édition notariale JO : Journal officiel de la République française JOCE, JOUE : Journal officiel de la Communauté européenne, de l’Union européenne LPA : Les Petites Affiches PUAM : Presses Universitaires d’AixMarseille PUF : Presses Universitaires de France Rec. : Recueil Lebon RDC : Revue des contrats RDI : Revue de droit immobilier RDP : Revue du droit public et de la science politique en France et à l’étranger Rev. adm. : Revue administrative RFAP : Revue française d’administration publique RFDA : Revue française de droit administratif RFDC : Revue française de droit constitutionnel RFFP : Revue français de finances publiques RIDE : Revue internationale de droit économique RJEP : Revue juridique de l’économie publique RLCT : Revue Lamy des collectivités territoriales RRJ : Revue de la recherche juridique – Droit prospectif RTD Civ. : Revue trimestrielle de droit civil RTD Com. : Revue trimestrielle de droit commercial S. : Recueil Sirey AUTRES ABREVIATIONS ADP. : Aéroports de Paris AFDA : Association française pour la recherche en droit administratif Aff. : Affaire al. : alinéa AMF : Autorité des marchés financiers Art. : Article BEA : Bail emphytéotique administratif c. : contre CA : Cour d’appel CAA : Cour administrative d’appel Cass. : Cour de cassation Cass. civ. : Chambre civile Cass. com. : Chambre commerciale Cass. crim. : Chambre criminelle Cass. plén. : Assemblée plénière CC : Conseil constitutionnel CE : Conseil d’Etat CE Ass. : Arrêt de l’Assemblée générale CE Sect. : Arrêt de la Section du contentieux CEDH : Cour européenne des droits de l’homme Cf. : confer CGCT : Code général des collectivités territoriales CG3P : Code général de la propriété des personnes publiques chron. : Chronique CJCE : Cour de justice des communautés européennes CJUE : Cour de justice de l’Union européenne comm. : commentaire Comm. EDH : Commission européenne des droits de l’homme Comp. : comparer avec la référence qui suit Concl. : Conclusions Conv. EDH : Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales D. : Décret dact. : dactylographiée déc. : décision (dir.) : Sous la direction de Dpt. : département éd. : édition et. a. : et autre(s) Fasc. : Fascicule (jurisclasseur) GIP : Groupement d’intérêt public Ibid. : Ibidem (même ouvrage) Min. : Ministre ou ministère n° : numéro obs. : observations op. cit. : opere citato (ouvrage précité) Ord. : Ordonnance p., pp. : page, pages préc. : précité Passim : ça et là s. : et suivants spéc. : voir spécialement Sté : société t. : tome TA : Tribunal administratif TC : Tribunal des conflits TFUE : Traité sur le Fonctionnement de l’Union européenne vol. : volume Niemand wird sich selber kennen, Sich von seinem Selbst-Ich trennen ; Doch probier er jeden Tag, Was nach außen endlich, klar, Was er ist und was er war, Was er kann und was er mag. Personne ne se connaîtra soi-même, Personne ne se séparera de son moi propre ; Qu’il essaye pourtant chaque jour De savoir enfin, clairement, de l’extérieur, Ce qu’il est et ce qu’il était, Ce qu’il peut et ce qu’il voudrait. J. W. von Goethe « Widmung », Zahme Xenien, VII. Introduction 1. « Le droit de propriété (…) et les actes de la vie civile qui naissent à sa suite sont des accidents dans la vie de l’État : l’État n’existe pas pour être propriétaire », écrivait Arthur Desjardins en 1862 1 . L’affirmation se discute difficilement si on la rapporte au fait que « la légitimité du pouvoir ne saurait résider que dans l’utilité commune » 2 . C’est donc par les buts qu’elle permet d’atteindre que la propriété de l’État se justifie. L’idée de but ne permet cependant pas, en elle-même, de distinguer la propriété des personnes publiques de la propriété des personnes privées. En effet, tout propriétaire poursuit un but, et l’individu n’existe, pas plus que l’État, pour être propriétaire. La propriété n’est toujours qu’un moyen au service d’une fin, fût-elle d’accumulation pure et simple, fût-elle de jouir de la seule satisfaction d’avoir. Le but est en réalité consubstantiel de l’idée de droit, car le droit a pour objet de régir des comportements en admettant ou en refusant, en facilitant ou en encadrant, la recherche de certaines fins selon le degré de légitimité qu’une législation leur accorde dans une société donnée. Prolongeant la réflexion d’Jhering, selon lequel au « point d’effet sans cause » du déterminisme physique doit correspondre le « point d’action sans but » du déterminisme psychologique3, Louis Josserand en venait à affirmer que « c’est le but qui crée le droit ; c’est la fin poursuivie qui justifie les moyens employés, et le droit tout entier, public ou privé, interne ou international, se ramène à une vaste téléologie sociale »4. Or, le but se situe au cœur de la propriété et y compris de la propriété privée. 2. La théorie de l’abus de droit est là pour rappeler que la propriété n’est qu’un moyen pour atteindre des fins dont certaines seront jugées inadmissibles au point de constituer une faute. Ainsi que le souligne Frédéric Zenati-Castaing, « la théorie de l’abus de droit a mis le vers dans le fruit de la propriété moderne en suggérant que la propriété pourrait faire naître des devoirs »5, ce que la Loi fondamentale allemande consacre formellement, en indiquant que « la propriété oblige » 6 . Si le Code civil a donné lieu à une interprétation maximaliste de l’individualisme et de la souveraineté du propriétaire, il est désormais indispensable de s’attacher au positivisme le plus strict et de Arthur Desjardins, De l’aliénation et de la prescription des biens de l’État, des départements, des communes et des établissements publics dans le droit ancien et moderne, préf. Anselme Batbie, Durand, 1862, p. VI. 2 Jacques Chevallier, L’État, Dalloz, 2e éd., 2011, p. 16. 3 Rud von Jhering, L’évolution du droit (Zweck im Recht), trad. Meulenaere, Marescq, 1901, p. 2. 4 Louis Josserand, Les mobiles dans les actes juridiques du droit privé, Dalloz, 1928, rééd. 2006, p. II. 5 Frédéric Zenati-Castaing, « Le crépuscule de la propriété moderne. Essai de synthèse des modèles propriétaires », in Les modèles propriétaires au XXIe siècle, LGDJ, 2012 p. 235. 6 « La propriété oblige. Son usage doit contribuer en même temps au bien de la collectivité », Art. 14 alinéa 2 de la Loi fondamentale pour la République fédérale d’Allemagne du 23 mai 1949. 1 1 considérer que le propriétaire ne tient son droit que du droit objectif et ne l’exerce que dans les limites que ce droit objectif lui assigne. Il n’y a là aucune socialisation du droit de propriété, simplement un phénomène commun à toute liberté, qui n’est proclamée, solennellement, que pour être immédiatement encadrée. Toute législation est autant un fondement qu’une limite 7. A la condition de conserver cela à l’esprit, il est donc possible de considérer avec Maurice Hauriou que, si « l’élément fonction y est caché », on trouve néanmoins dans la propriété « des ressources pour l’accomplissement de la destinée du sujet » 8. Une personne agissant en qualité de propriétaire accomplit sa destinée. Cela signifie qu’exercer la propriété implique d’avoir un mobile et d’avoir par conséquent déterminé un but au service duquel sera mise la propriété et, avec elle, le bien qui en est l’objet. C’est en cela que l’on peut aussi rejoindre Léon Duguit pour lequel, « dans ce qu’on appelle patrimoine d’une personne, il n’y a pas, en réalité, autre chose que l’affectation socialement protégée d’une certaine quantité de richesses à un but déterminé » 9 . La propriété, loin de s’opposer à l’affectation, l’implique, parce que c’est avec l’affectation que la propriété, inerte en elle-même, se met au service d’une fin. Propriété, usage et finalité sont les termes de l’action du propriétaire quel qu’il soit si bien que « l’affectation est ainsi complice du lien d’appropriation » au point d’être « à la fois de l’essence de la propriété privée et publique et source d’une transformation du droit de propriété, qui se présente désormais sous des formes plurales »10. L’introduction de la fiducie en droit privé11 a en effet révélé qu’on pouvait assigner à un but non seulement un bien déterminé, mais aussi la prérogative du propriétaire elle-même en confiant à celui-ci une mission. Parce que le fiduciaire apparaît alors comme exerçant moins son droit de propriété qu’une compétence fondée par le contrat de fiducie, Frédéric Zenati-Castaing en vient à considérer que « les frontières avec la propriété publique deviennent floues »12. Un changement de perspective peut permettre de contribuer à faire le point. Si le droit est une science des buts et des moyens de les atteindre et si tout propriétaire agissant en cette qualité poursuit un but, la propriété n’est qu’un outil et ne pourra donner lieu à distinction qu’en considération du propriétaire qui le manie, et de ce qu’il construit par son utilisation. Ainsi peut être abordée la distinction de la propriété publique et de la propriété privée en fonction de qui est propriétaire, personne publique ou personne privée, et ce qu’elle accomplit par l’exercice de cette qualité. 7 Qu’il suffise de songer aux grandes lois de la III e République qui prévoient toutes des limites aux libertés qu’elles proclament. 8 Maurice Hauriou, Principes de droit public, Sirey, 2e éd., 1916, p. 38 et p. 254. 9 Léon Duguit, Traité de droit constitutionnel, Boccard, 2e éd., 1913, p. 309. 10 Blandine Mallet-Bricout, « Propriété, affectation, destination. Réflexion sur les liens entre propriété, usage et finalité », Revue juridique Thémis (RJTUM Québec), 2014, n°2, n° 26. 11 Par la loi n° 2007-211 du 19 février 2007 instituant la fiducie, laquelle est désormais régie par les articles 2011 et s. du Code civil. 12 Frédéric Zenati-Castaing, « L’affectation québécoise, un malentendu porteur d’avenir », Revue juridique Thémis (RJTUM Québec), 2014, n°2. 2 3. Cette recherche est née de l’hypothèse selon laquelle les personnes publiques feront apparaître leur cohérence à partir de l’étude de leur qualité de propriétaire, tandis que la propriété publique se comprendra mieux si l’on prend, pour point de départ, les personnes publiques qui sont réputées être les seules à l’exercer. Cette hypothèse suppose de situer la propriété par rapport aux oppositions entre le subjectif et l’objectif d’une part, entre l’organique et le fonctionnel d’autre part. Frédéric Zenati-Castaing et Thierry Revet appellent « propriété subjective » celle qui correspond au droit de propriété, et « propriété objective » celle qui correspond au bien. La propriété est donc, selon le point de vue qu’on adopte, définie comme le droit d’un propriétaire sur les choses ou comme le bien et le régime juridique régissant sa gestion. La propriété est subjectivement un rapport établi par l’exercice d’un droit de propriété et objectivement le bien qui est l’objet du droit et l’enjeu du rapport 13 . La propriété publique peut alors être définie soit “subjectivement” comme le droit de propriété public, soit “objectivement” comme le bien public. L’organique et le fonctionnel se disputent, quant à eux, la qualité de critère par lequel la propriété est publique : le premier se fonde sur la qualité de la personne, le second se fonde sur le but. Dans les deux cas, le critère peut s’appliquer au droit ou au bien : qui exerce le droit ou dans quel but ; à qui appartient le bien ou à quoi il sert. Philippe Yolka rend compte de cette opposition entre deux critères du caractère public de la propriété en rappelant la concurrence révélée par René Capitant « entre deux définitions possibles des choses publiques qui remonte au droit romain : la définition par l’appartenance publique et celle par l’affectation publique »14. S’il s’agit ici du point de vue objectif, on peut transposer la démarche au point de vue subjectif. Cela signifie que soit le propriétaire est organiquement public en raison de sa qualité de personne publique, soit il est fonctionnellement public en raison de l’activité qu’il exerce et but qu’il poursuit avec elle. 4. Il existe donc, en réalité, quatre acceptions juridiques que peut éventuellement recouvrir l’expression « la propriété publique » : du point de vue objectif, les biens organiquement publics parce qu’appartenant à des propriétaires publics et les biens fonctionnellement publics en raison de leur affectation ; du point de vue subjectif, le droit de propriété organiquement public en 13 Frédéric Zenati-Castaing, Thierry Revet, Droit civil. Les biens, PUF, 2008, n° 163 p.259. Philippe Yolka, op. cit., p. 481, distingue pour sa part entre la propriété matérielle (objective, le bien) et la propriété juridique (le droit, la prérogative sur les choses). S’il rejette ensuite la théorie moderne de la propriété au profit de la conception classique du droit incorporé dans la chose, il manifestait ici une adhésion à l’idée que l’élément subjectif prime l’élément objectif puisqu’il est véritablement juridique quand ce dernier est simplement matériel. Or, Frédéric Zenati-Castaing et Thierry Revet précisent que, dans le second sens objectif ou matériel, « la propriété ne peut pas être envisagée comme droit subjectif, puisqu’elle ne se distingue pas de la chose elle-même ». On verra donc qu’adopter le point de vue du sujet pour opposer le propriétaire et son droit en fonction de la personnalité publique ou privée implique de renoncer à la conception classique et de rechercher le droit subjectif public, distinct de son objet. 14 Philippe Yolka, La propriété publique. Éléments pour une théorie, LGDJ, 1997, p. 481. 3 raison de la qualité de son titulaire ou le droit de propriété fonctionnellement public en raison de ce pour quoi son propriétaire l’exerce. La propriété publique est confrontée à ces quatre définitions concurrentes. Elles ne sont pas nécessairement contradictoires et peuvent, par conséquent, ne pas être exclusives. La question de leur combinaison ajoute donc à la complexité du problème. Les buts et les institutions de l’action publique étant sans aucun doute plus importants que les biens et les droits qui en sont les moyens, on trouvera néanmoins un premier facteur d’ordre en donnant la primauté à l’opposition entre l’approche fonctionnelle et l’approche organique sur l’opposition entre dimension objective et dimension subjective de la propriété. C’est par la compréhension de la dialectique de l’organique et du fonctionnel qu’apparaît la solution au problème de la propriété publique. Cette compréhension sera recherchée en adoptant le point de vue des propriétaires. Ce qu’ils sont. Ce qu’ils font. 5. L’approche fonctionnelle consiste à considérer que le droit ou le bien est public en raison de la fonction remplie par l’exercice du droit ou l’utilisation du bien. Du point de vue objectif, sont publics les seuls biens fonctionnellement affectés à l’utilité publique, leur propriétaire étant une personne publique ou une personne privée. Du point de vue subjectif, serait un droit de propriété public le droit exercé dans le but d’accomplir une mission d’utilité publique, ce qui autorise à rendre public le droit de propriété des personnes publiques mais aussi des personnes privées qui par là exercent une mission de service public. Par exemple, le droit de propriété des personnes privées concessionnaires d’un service public lorsqu’il porte sur les biens de reprise ou de retour puisque la possibilité en a été consacrée15. L’intérêt de cette approche résulte de son extrême capacité d’adaptation aux réalités pratiques. Le problème naît de ce qu’elle conduit pratiquement à la disparition, du moins en ce qui concerne la propriété, de l’intérêt de la distinction des personnes publiques et des personnes privées. En effet, dans cette perspective, les catégories de propriétaire public exerçant un droit de propriété public et de bien public utilisé pour l’action publique sont des catégories indifférentes à la personnalité publique ou privée. En réalité, le régime du droit peut-être induit 15 CE Ass., 21 déc. 2012, Commune de Douai, n° 342788, AJDA, 2013, p. 7 ; RFDA, 2013, p. 25 concl. B. Dacosta ; BJCP n° 87, p. 136, concl. B. Dacosta et obs. Ch. M ; CMP, 2013, comm. 41 et 42, note G. Eckert ; JCP A, 2013, n° 2044 et 2045, note J.-S. Boda, Ph. Guellier et J.-B. Vila ; Le Moniteur – Contrats publics, 2013, p. 13, note J.-P. Jouguelet et p. 79, note J.-F. Sestier ; RLCT, février 2013, p. 60, note J. Facon ; DA, 2013, comm. 20, note G. Eveillard ; AJDA, 2013, p. 457, note. X. Domino et A. Bretonneau ; AJCT, 2013, p. 91, note O. Didriche ; F. Llorens, « La théorie des biens de retour après l’arrêt Commune de Douai », RJEP, 2013, étude 9 et CMP 2013, étude 7 ; L. Janicot, J.-F. Lafaix, « Le juge administratif, le contrat et la propriété des biens de retour », RFDA, 2013, p. 513 ; E. Fatôme et Ph. Terneyre, « Le statut des biens des délégations de service public », AJDA, 2013, p. 724 ; Jean-François Sestier, « Les biens de retour, entre liberté contractuelle et encadrement aménagé. A propos de l’arrêt CE, Ville de Douai, 21 décembre 2012 », CPACCP, avril 2013, p.79. 4 de l’affectation du bien, le propriétaire public étant nécessairement le propriétaire de biens publics. L’approche fonctionnelle tend à se confondre avec le point de vue objectif. 6. L’approche organique consiste à considérer que le droit ou le bien est public en raison de la personnalité juridique publique de celui qui l’exerce ou en est le propriétaire. Du point de vue subjectif, elle affirme l’existence d’un droit de propriété public comme étant l’attribut de la personnalité publique, indépendamment du statut particulier de la personne (collectivité ou établissement), des missions qu’elle remplit (de service public ou non), de l’activité particulière qu’elle mène (économique ou non). Du point de vue objectif, constituent des biens publics tous les biens qui appartiennent à une personne publique et ce indépendamment de leur éventuelle affectation16. Le régime des biens n’est, dans ce cas, que la simple déclinaison du régime qui régit le propriétaire et son droit de propriété public. L’approche organique tend donc, à l’inverse, à se confondre avec le point de vue subjectif. C’est à elle que correspond la catégorie des personnes publiques propriétaires. L’intérêt de cette approche est ici de faire correspondre absolument personnalité publique, droit de propriété public, et bien public. La faiblesse naît de ce que cette correspondance entre personnalité publique et droit public, depuis longtemps dépassée en matière d’actes administratifs unilatéraux17 et d’activités de service public18 l’est aussi en matière de propriété. La chose n’est d’ailleurs pas récente puisque le concessionnaire de service public constitue un patrimoine affecté aux missions dévolues et destiné à faire retour à la personne publique. S’il y a ici un cas typique de propriété affectée ou « pour le compte d’autrui », le développement des personnes privées investies d’une mission de service public en dehors de la délégation contractuelle a conduit à dissocier radicalement l’appropriation par une personne publique et l’affectation d’un bien au service public. L’approche organique n’est donc pas nécessairement obsolète, mais elle ne saurait rendre compte de l’intégralité des techniques juridiques par lesquelles la propriété est mise au service des buts de l’administration. 7. L’approche fonctionnelle et l’approche organique peuvent être conçues comme exclusives l’une de l’autre ou, au contraire, comme pouvant se combiner. L’approche exclusivement fonctionnelle consisterait à rejeter toute conséquence immédiate de la personnalité publique sur le régime de la propriété. Elle doit alors composer avec les règles 16 La propriété publique, dans ce sens subjectif ou juridique de rapport général aux choses, « caractérise toutes les situations où une relation de propriété unit une personne publique à un bien qui lui appartient », Philippe Yolka, idem. 17 Voir aux Grands arrêts de la jurisprudence administrative, Dalloz, 19e éd., 2013, les arrêts Monpeurt du 31 juillet 1942, n° 51, pp. 328 et s., et Bouguen du 2 avril 1943, n° 52, pp. 338 et s. ; CE, 13 janvier 1961, Magnier, Rec., p. 33, RDP, 1961, p. 155, concl. Fournier ; Dr. soc., 1961, p. 335, note Teitgen. 18 CE Ass., 13 mai 1938, Caisse primaire « Aide et protection », Rec., p. 417, GAJA, Dalloz, 19e éd., 2013, n° 50 pp. 321 et s.. 5 d’incessibilité à vil prix et d’insaisissabilité des biens publics identifiées par Philippe Yolka comme caractérisant la propriété des personnes publiques 19 . L’approche exclusivement organique consisterait, au contraire, à réduire la propriété publique à ces seules règles dont l’application est déductible de la qualité de personne publique propriétaire. Elle doit alors composer avec les régimes d’affectation de biens privés qui s’ajoutent à la domanialité publique20 et la possibilité d’ouvrages publics appartenant à des personnes privées. L’approche non exclusive fait coexister, parallèlement, une logique organique liant personnalité publique, droit de propriété public et bien public et une logique fonctionnelle liant bien affecté à l’utilité publique et régime d’affectation s’imposant par conséquent au propriétaire. Public ou privé, celui-ci exerce le droit de propriété qui lui correspond. En choisissant le point de vue des personnes publiques propriétaires, on ne préjuge en rien de la résolution de ces différentes questions. On peut en effet faire coexister cette catégorie organique avec les catégories fonctionnelles pouvant s’appliquer à la fois aux biens des personnes publiques et aux biens des personnes privées. En revanche, le point de vue des personnes publiques propriétaires permet de rechercher l’intensité des liens entre propriété publique et personnalité publique. 8. La personnalité publique peut jouer deux rôles qu’il convient de distinguer et qui font apparaître deux dimensions de l’élément organique qui y est généralement associé : le critère tiré de la personnalité publique et le critère tiré du rattachement à une personne publique. Cela correspond à deux sens différents du critère organique. D’une part, généralement lorsqu’il est seulement nécessaire, il exprime cette idée d’un rattachement organique d’une notion à l’appareil administratif. Les personnes publiques assurent ainsi l’unité de l’action publique en assumant21 toujours une mission de service public, même lorsqu’elle est exercée par une personne privée. L’appareil étatique est un organisme dont l’État et les personnes publiques sont les points de rattachement sans lesquels il se confondrait avec la collectivité et l’initiative privée. Dans cette perspective, le vocable de critère organique se justifie pleinement. D’autre part, notamment lorsqu’il est suffisant, il signifie que la personnalité publique est une catégorie juridique autonome, qui autorise à distinguer absolument les sujets de droit selon leur caractère public ou privé. Dans ce cas, il est possible de considérer que le vocable de critère 19 Philippe Yolka, op. cit., passim. Par exemple, le régime applicable aux biens d’Aéroports de Paris, aujourd’hui codifié aux articles L. 6323-5 et -6 du code des transports. 21 Suivant la définition du service public donnée par René Chapus, à savoir une « activité assumée ou assurée par une personne publique en vue d’un intérêt public », Droit administratif général, t. 1, Montchrestien, 15e éd., 2001, 579. 20 6 organique est impropre. En effet, il ne s’agit plus d’un rattachement à un ensemble d’organismes constitutifs d’un système, tandis qu’il y a, par ailleurs, un risque de confondre la personne morale et ses organes. S’agissant d’une déduction immédiate de la qualité de la personne, propriétaire d’un bien ou signataire d’un contrat, il faudrait sans doute préférer, avec Philippe Yolka, l’expression de critère personnel22. Sous la réserve de la distinction entre l’identification d’un rattachement organique et la détermination de l’application d’une règle attachée au statut personnel, on conviendra donc que la question que soulève le constat de décès du critère organique doit recevoir la réponse que donnait déjà Paul Sabourin en 1971 : « si décès du critère organique il y a, l’agonie aura été longue, si toutefois elle a cessé, ce qu’il n’est pas possible d’affirmer de bonne foi »23. Le point de vue des personnes publiques propriétaires permet d’élucider le rôle et la fonction de la personnalité juridique et de la propriété dans la compréhension de l’action publique telle que fondée et régie par le droit public. 9. Nous défendons la thèse que l’approche fonctionnelle de la propriété publique se situe dans le prolongement de son approche organique et qu’elles sont indissociables. L’approche organique repose sur la consubstantialité de la personnalité juridique et de la propriété, enrichie de la distinction du droit public et du droit privé. Du point de vue subjectif, cela signifie qu’aux personnes privées correspond un droit de propriété privé et qu’aux personnes publiques correspond un droit de propriété public. Du point de vue objectif, cela signifie que sont privés les biens des personnes privées et publics les biens des personnes publiques. L’approche fonctionnelle intervient dans un second temps, avec des catégories qui feront toutes une certaine place à l’élément organique. L’affectation, du bien ou du droit selon le point de vue objectif ou subjectif de la propriété, en est l’élément fondamental. Parce que ces régimes concernent les biens organiquement publics comme privés, nous appellerons les biens affectés aux activités administratives les biens administratifs. Il y a un statut de personne publique propriétaire avant qu’il n’existe des régimes fonctionnels applicables aux propriétaires et aux biens. L’application de ces régimes suppose que les personnes publiques assument les missions qui en appellent l’application avant que ces missions ne soient assurées par elles ou par de tierces personnes, publiques ou privées. Philippe Yolka, Droit des contrats administratifs, LGDJ, 2013, n° 64 p. 49. Dans la mesure où l’opposition n’est pas ici entre ces deux positions de la personnalité publique dans une opération de qualification juridique mais entre la perspective organique qui en tient compte et la perspective fonctionnelle qui veut l’ignorer, on conservera néanmoins l’expression organique. 23 Paul Sabourin, « Peut-on dresser le constat de décès du critère organique en droit administratif français ? », RDP, 1971, p. 629. 22 7 10. Cette introduction montrera d’abord comment cette dialectique de l’organique et du fonctionnel a déterminé la formation historique de la propriété publique. Cette dialectique fait apparaître que, si la définition de la propriété publique a hésité entre le critère de l’appartenance et le critère de l’affectation, cela résulte de l’insuffisante conceptualisation de la prérogative du propriétaire public. L’appartenance publique suppose en effet qu’un droit de propriété public s’exerce sur des biens publics en raison de la qualité de leur propriétaire. L’Histoire révèle par ailleurs que la distinction des biens par leur affectation suppose la différenciation des personnes publiques qui assument les buts correspondant à cette affectation. Les personnes publiques propriétaires ont été l’élément organique négligé, et pourtant fondamental, de la construction d’ensemble que doit constituer la propriété publique (§ 1). La dialectique de l’organique et du fonctionnel permet également de lire l’état actuel du droit positif et la manière dont la doctrine en fait la description. Qu’il s’agisse des régimes d’affectation à un service public de biens appartenant aux personnes privées, ou des privilèges organiques liés à la propriété des personnes publiques, seule l’identification des rapports entre les termes de la dialectique permettra de parvenir à une synthèse de régimes n’ayant, ni le même objet, ni la même portée théorique (§ 2). La nécessité de démontrer l’autonomie de la catégorie juridique des personnes publiques propriétaires pour expliquer, à la fois, la dimension organique et la dimension fonctionnelle nous conduira à adopter la perspective d’une comparaison interne entre les personnes publiques et privées propriétaires. Partant du postulat que les droits subjectifs s’exercent conformément à l’habilitation qui les régit en droit objectif, on proposera comme critère de distinction des personnes publiques et des personnes privées la compétence et la capacité sur le fondement desquelles elles sont propriétaires (§ 3). La compétence sera ainsi proposée comme la clef de voûte permettant de fonder l’approche organique et d’y rattacher l’approche fonctionnelle. La compétence justifiera ainsi le plan de l’étude, abordant successivement l’institution des personnes publiques propriétaires par leur compétence et l’exercice de leur compétence par les personnes publiques propriétaires (§ 4). 8 § 1 La dialectique de l’organique et du fonctionnel dans la formation historique de la propriété publique 11. Des critères concurrents de l’appartenance et de l’affectation, il est possible de proposer deux idéaltypes radicalement opposés de propriété publique : d’une part la propriété publique parce que propriété d’une personne publique et d’autre part la propriété publique parce que servant l’utilité publique. Or, l’analyse révèle que chaque idéaltype est frappé d’une incomplétude que seule l’admission de son concurrent peut dépasser (A). Cependant, si leur combinaison semble ainsi nécessaire, les hésitations constatées conduisent à la conviction qu’une théorie de la propriété publique suppose, pour être complète, la conceptualisation d’un droit de propriété public concrétisant juridiquement l’appartenance publique. Si cette méconnaissance est l’une des causes des difficultés relatives à la définition de la propriété publique, c’est donc bien la notion de propriétaire public accompagnée de son attribut, le droit de propriété public, qui a manqué à la science juridique (B). A. Les idéaltypes de la propriété publique : propriété organique et propriété fonctionnelle 12. Admettre une propriété publique parfaitement organique revient à lui donner pour seul fondement le caractère public de son titulaire. Celui-ci est alors le souverain, le « chef », et c’est à ce titre que sa propriété et ses biens sont d’une nature juridique particulière. La légitimité essentiellement autoritaire qui en résulte constitue la limite de cet idéaltype. Bien qu’elle apparaisse plus légitime et acceptable en raison de sa nature fiduciaire, la propriété publique fonctionnelle n’est concevable au titre d’idéaltype qu’en l’absence de personnification de l’État et des autres institutions publiques. En effet, dès lors qu’apparaît un véritable sujet du pouvoir politique, celui-ci manifeste une volonté constante d’hégémonie et tend alors à s’annexer la propriété publique fonctionnelle. Il introduit irrémédiablement l’élément organique au sein même de la conception fonctionnelle en s’appropriant les biens affectés à l’utilité publique et en muant les institutions qui les gèrent en organismes publics placés sous sa tutelle. 13. Dans son essence, la propriété organique traduit l’idée d’une propriété « des plus forts » puisqu’elle est purement et simplement la propriété de ceux qui ont le pouvoir d’en imposer les privilèges distinctifs. Malgré les renforts que la culture peut lui apporter en forgeant les représentations nécessaires à sa pérennité, la propriété publique organique correspond à la 9 « conception purement patrimoniale de la propriété publique des premières civilisations »24 dans lesquelles « le simple fait pour une personne de représenter la souveraineté et la puissance publique suffit »25 à justifier un régime exorbitant 26 . Caroline Chamard-Heim fait apparaître l’illégitimité virtuelle d’une telle conception dans laquelle « tous les moyens, même les plus autoritaires, pouvaient donc être utilisés pour garantir l’exploitation optimale des terres publiques et l’alimentation régulière des caisses publiques » 27 . La logique organique pure correspond à une véritable domination, une violence symbolique que seul le secours de la tradition, de la religion et de la force peuvent légitimer. Autrement dit, la légitimité organique absolue produit une propriété publique autoritaire, correspondant effectivement à l’idée de propriété « des plus forts ». La propriété organique a comme nature fondamentale d’être celle du souverain et, de ce fait, elle ne réalise d’autres fins que celles que lui-même s’est données. La propriété publique organique, en tant qu’idéaltype, c’est donc toujours la propriété de César, mais il peut autant s’agir de Marc-Aurèle que de Caligula. C’est pourquoi la logique fonctionnelle s’impose pratiquement comme une nécessité de justice et de rationalité venant légitimer la propriété des détenteurs du pouvoir politique. Cependant, l’identification de ces derniers est une condition à l’autonomie des biens publics, qui supposent ainsi l’existence de l’élément organique dès lors incontournable. 14. La propriété publique fonctionnelle est politique en raison de ses finalités sociales, et cette justification semble reposer sur une légitimité dont l’acceptabilité par la population apparaît bien supérieure à la simple suprématie des gouvernants. Ici, c’est la « chose publique » qui apparaît, c’est l’utilité commune matériellement servie par la propriété qui justifie que certains biens soient soumis à un régime traduisant cette spécificité politique. Chaque société donnera son contenu propre à cette utilité commune. Il a ainsi pu s’agir de garantir la « paix des Dieux » et la propriété publique fonctionnelle a alors été celle des temples ou, à Rome, des choses divines opposées aux choses humaines. Les utilités principales des choses publiques réalisant l’idéaltype de la propriété publique fonctionnelle correspondent aux besoins de la société en cause : moyens essentiels de subsistance (terres, fontaines, canaux d’irrigation), moyens de communication et de commerce (routes, fleuves, canaux de navigation), lieux de réunions publiques (agora, forum, places), ressources naturelles névralgiques (sel, mines), 24 Caroline Chamard, La distinction des biens publics et des biens privés, Dalloz, 2004, n° 93 p. 72. Ibid., n° 94 p. 74. 26 Elle se rapproche ainsi des fondements wébériens traditionnels et charismatiques de la légitimité, lesquels trouvent ici l’appui de la religion. Max Weber, La Savant et le Politique, Ed. La Découverte, 2003. 27 Ibid., n° 102, p. 78 ; voir également n° 179 p. 130 : « Dans les premières civilisations qui se sont établies en Mésopotamie et en Égypte, les autorités publiques avaient pour objectif principal de s’approprier les biens frugifères de manière à ce que leur patrimoine reflète l’image de leur magnificence ». 25 10 ouvrages et équipements militaires (remparts, arsenaux). En d’autres termes, c’est ici l’utilité publique servie par la chose qui rend la propriété politique. Tel est l’idéaltype de la propriété publique fonctionnelle. La propriété fonctionnelle peut, en ce sens, exister sans qu’il soit fait référence aux pouvoirs publics en tant qu’organes de gouvernement. Un bien peut être fonctionnellement public en raison seulement des utilités dont profite la collectivité dans son ensemble, le public. Cependant, il convient de noter que pour rejeter absolument tout élément organique, la propriété publique fonctionnelle nécessite un régime de propriété collective. La réalité historique qui se rapproche le plus de cet idéaltype est alors à rechercher dans les sociétés où la propriété publique et la propriété collective semblaient s’identifier. On fera référence aux Germains et leur gestion des terres 28, mais aussi aux biens qui à Rome, salines, ager publicus, ærarium, étaient la propriété du peuple romain. Or, cette formule perdra de sa portée véritable au fur et à mesure de la complexification de l’appareil des magistratures, c’est-à-dire de l’État, et la personnification de celui-ci. La chose publique, de chose du peuple, devient la chose de la République29. Dès lors qu’une entité représente le pouvoir politique, celui-ci devient un sujet, et devient ainsi le propriétaire des biens publics au détriment des communistes originels qui sont ainsi dépossédés. La réduction du collectif au singulier que celle-ci opère transforme la propriété collective en propriété individualisée, similaire à la propriété individuelle30. Le glissement de la propriété publique collective vers la propriété publique de la collectivité politique personnifiée est à l’origine de l’introduction de l’élément organique éloignant définitivement une propriété publique qui serait absolument fonctionnelle 31 . Cela d’autant plus que cette propriété publique fonctionnelle se concrétise objectivement par la catégorie des biens affectés à l’utilité publique, catégorie dont l’existence est « tributaire de la distinction des personnes »32. 15. Caroline Chamard-Heim a montré en effet que la propriété publique suppose la différenciation des personnes publiques, idée associée au constat de « l’apparition concomitante de 28 Notamment le partage périodique des terres collectives, dont l’existence nous est parvenu via Tacite, cf. Émile de Laveleye, De la propriété et de ses formes primitives, Félix Alcan, 4e éd., 1891, p. 71. 29 Comp. Philippe Yolka, La propriété publique, op. cit., note 13 p. 32 : « A partir des Antonins, le terme populus désigne clairement une personne juridique ; aussi les res publicae ne peuvent-elles plus être considérées comme la copropriété des cives ». 30 Frédéric Zenati-Castaing, « La propriété collective existe-t-elle ? », in Mélanges Goubeaux, Dalloz-Litec, 2009, p. 589 ; Mikhaïl Xifaras, La propriété, étude de philosophie du droit, PUF, 2004, p.146 : « la personnalisation des corps juridiques est un puissant outil de conjuration des formes communes de propriété ». 31 La conséquence principale étant l’impossibilité de concevoir la propriété publique sur le modèle de la propriété collective. Philippe Yolka, La propriété publique, op. cit., pp. 190-194 fait la critique de cette conception tant du point de vue pratique que théorique, ce dernier tenant précisément à la nécessité de tenir compte de la personnalité juridique de l’État. 32 Préface de Jean Untermaier à la thèse de Caroline Chamard, op. cit., p. XVI. 11 biens publics et des autorités publiques primitives »33. Liées dès la naissance, ces deux distinctions le sont inexorablement. Ainsi, la distinction des biens ne survit pas à celle des personnes. La privatisation des personnes exerçant le pouvoir politique conduit à la privatisation corrélative de leurs biens. En France, la propriété publique étant devenue « propriété privée des rois francs (…), la distinction des biens publics et privés ne se justifiait plus » 34. Parce que « les rois mérovingiens et carolingiens (…) [n’avaient] conservé que l’aspect patrimonial et fiscal de la notion d’État »35, ils ont provoqué une sorte de régression vers les formes primitives de la propriété publique, celle des plus forts. Les nombreux droits de puissance seigneuriaux avaient ainsi une dimension patrimoniale, leur permettant de s’approprier des biens ou des services économiques (corvées). L’utilité publique devient utilité des puissants. On considère en effet que les rois francs avaient effacé la citoyenneté – « publicus devint finalement synonyme de royal » 36 - et partant, selon nous, avaient renoué avec la propriété politique des grands empires orientaux d’Égypte et de Mésopotamie 37. Ainsi que le considère Odile de David-Beauregard-Berthier, « c’est l’absence d’un État organisé puissant qui entraîne celle d’un patrimoine affecté à cet État, et donc la quasi-disparition de toute référence à la distinction entre le domaine public et le domaine privé »38. D’ailleurs, si cette propriété est formellement privée, elle est le fondement de droits féodaux qui sont à la base de la puissance politique. Le seigneur les possède, et celui qui les acquiert devient seigneur. Ainsi, « entre les pôles opposés du “droit de royauté” et des “droits des particuliers”, s’intercale une zone mixte, de plus en plus étriquée, des “droits de seigneurie” ». Cette différenciation résiduelle sera fondamentale. C’est « après avoir décomposé le droit seigneurial en ses éléments publics et privés » que pourra se faire le retour à la division bipartite romaine 39 . Cela supposera néanmoins de rétablir à la fois la qualité publique des institutions qui exercent le pouvoir politique et de leur assigner une fonction légitimant leur existence et leur action. S’il est possible d’opposer l’idéaltype d’une propriété publique parce que propriété du souverain à l’idéaltype d’une propriété publique parce que propriété au service du peuple, la réalité ne peut être qu’une combinaison de ces deux logiques. La propriété publique suppose des propriétaires publics dont la légitimité ne viendra que des finalités qu’ils servent à travers 33 Caroline Chamard, La distinction des biens publics et des biens privés, op. cit., intitulé du Chapitre 1er du premier titre de la première partie, p. 48. 34 Ibid., n° 116 p. 86. 35 Ibid., n° 118 pp. 86-87. 36 Ibid., n° 120 p. 88 ; voir également la même idée avec les nombreuses références, Georges Chevrier, « Remarques sur l’introduction et les vicissitudes de la distinction du « jus privatum » et du « jus publicum » dans les œuvres des anciens juristes français », APD, 1952, t. 1, spéc. pp.16-19. 37 Georges Chevrier, préc., p. 17 : « La satisfaction personnelle du monarque – postposita rei publicæ dominatione – est la première fin des gouvernements, dans lesquels le droit royal a pris la place du droit public ». 38 Odile de David-Beauregard-Berthier, La justification actuelle de la distinction entre le domaine public et le domaine privé, th. AixMarseille, 1994, p. 21. 39 Ibid., p. 9. 12 l’exercice de ce droit et l’affectation de certains biens. A l’inverse, si les biens ainsi affectés sont publics à raison de la fonction qu’ils servent, ils ne sont identifiables comme tels que s’ils relèvent des personnes publiques incarnant l’organisation politique de la collectivité. L’évolution du droit français révèle la difficulté de combiner l’élément organique et l’élément fonctionnel et surtout, les insuffisances de la conceptualisation du premier. B. La combinaison de l’organique et du fonctionnel et la nécessité de concevoir un droit de propriété public attribué aux propriétaires publics 16. La combinaison de l’organique et du fonctionnel s’impose dès lors que la cohérence du système étatique ne peut être assurée que par le rattachement de la propriété publique fonctionnelle aux organes du pouvoir politique. Or, si l’élément organique semble primordial, la focalisation sur la dimension objective de la propriété publique, les biens publics, a conduit à ne pas s’intéresser suffisamment à l’élément subjectif, le droit de propriété public. Cela se vérifie de manière pratiquement absolue du droit romain au droit intermédiaire, lesquels ont pratiquement ignoré la prérogative des propriétaires publics (1). C’est avec l’imagination de la dualité domaniale que celle-ci apparaît dans la science juridique. Néanmoins, fondée sur l’opposition de deux catégories de biens et non de deux catégories de propriétaires, cette approche ne pouvait que parvenir à une conceptualisation imparfaite (2). 1) Du droit romain au droit intermédiaire, l’ignorance presque absolue de l’élément subjectif de la propriété publique 17. Le droit romain peut être considéré comme une première tentative de propriété publique complexe, se fondant sur les deux logiques, organique et fonctionnelle : « L’ensemble des biens publics bénéficiait de différents privilèges et modes de protection en raison de la personnalité juridique de leur propriétaire. Par ailleurs, les biens publics affectés à l’utilité publique jouissaient d’une protection supplémentaire par leur exclusion du commerce juridique » 40 . Le droit romain n’avait cependant pas résolu la complexité née de l’ambivalence fondamentale de la propriété. Il en avait traité les symptômes en distinguant les biens publics affectés (res publicæ in usu publico) et les biens publics appropriés (res in pecunia populi). Mais, alors qu’un rapport logique doit s’établir entre l’appropriation et l’affectation publiques, les Romains n’avaient fait que juxtaposer les deux conceptions. Cela 40 Caroline Chamard, op. cit., n° 109 p. 81. 13 conduisait à réduire l’appropriation au dominium, celui-là même du paterfamilias, conception que renforça évidemment l’incarnation du pouvoir par l’Empereur et l’évolution vers le dominat41. Parce que le dominium est le statut légal du propriétaire, sa condition juridique, en l’absence d’une formulation d’un statut propre à l’État, la distinction des personnes ne peut être qu’imparfaite et, avec elle, la distinction des propriétés, nonobstant la possible distinction objective des biens publics et privés. Ce qui fait défaut est constitué par le lien qui unit la personne publique à ses biens : le rapport de propriété, donc le droit de propriété proprement dit. Autrement dit, le point de vue du propriétaire public et non celui des seuls biens publics. L’Ancien droit n’a pas surpassé les jurisconsultes romains sur ce point42. 18. C’est sans conteste à l’Église que l’on doit la réapparition d’une propriété publique fiduciaire donc fonctionnelle en France car c’est sous son influence que les rois ont peu à peu retrouvé l’idée de l’État et du bien commun, faisant ainsi réapparaître d’un même mouvement l’organe et la fonction politiques, l’officier et l’office publics 43. Les canonistes ayant réinventé la personnalité morale et les légistes en ayant développé l’application au pouvoir politique, la distinction des biens publics et des biens privés a pu réapparaître avec la renaissance de la personnalité publique44, la Couronne étant l’élément emblématique. La propriété publique va alors relever d’une conception principalement organique mais dont la légitimité sera fonctionnelle, en raison de la finalisation de ce pouvoir attribué à l’organe souverain45. C’est la majesté, non pas du peuple comme à Rome mais du Roi qui va en être le fondement organique. Le Roi étant « celui qui incarne l’intérêt national et la puissance publique (redevenant) un monopole d’État, (…) le royaume prend la physionomie d’une institution autonome à côté de la personne du roi sous le nom de “Couronne” »46. C’est cette fonctionnalisation du pouvoir par l’idée d’un roi au service du bien commun qui va permettre la résurrection des choses publiques et, par conséquent, de la légitimité fonctionnelle de la propriété publique, laquelle va combiner ces deux expressions fondamentales. Notamment, « à partir de l’Ancien régime, deux fondements de la 41 Dans le même sens, Odile de David-Beauregard-Berthier, op. cit., p. 20 : « Il reste que, sous l’Empire Romain, la distinction établie par les jurisconsultes va finir par coïncider avec la répartition faite par le prince, la personnalité du peuple s’effaçant peu au profit de celle de ce dernier : l’empereur va en effet s’emparer des biens in pecunio populi, qui constitueront alors un patrimoine à part entière, sous le nom de res fiscales ». 42 A l’exception notable de Charles de Lorry, auteur qui sera abordé plus loin, cf. infra n° 74 p. 65. 43 L’influence du droit canonique est soulignée par Philippe Yolka, op. cit., pp. 39 et s. 44 Ainsi, Jean-Louis Mestre considère que ce sont les jurisconsultes italiens, Accurse le premier puis Bartole et Coepolla qui rétablissent une distinction de ce type au sein des biens des Cités, entre les biens affectés à l’usage du public et ceux qui appartiennent en propre à la cité, Jean-Louis Mestre, « Les fondements historiques du droit administratif français », EDCE, 1982-1983, n° 34 p. 68. Voir aussi sur le lien entre distinction entre domaine et royaume en raison de l’extension de la souveraineté, Georges Leyte, Domaine et domanialité publique dans la France Médiévale (XIIe-XVe siècles), Presses universitaires de Strasbourg, 1996, p. 195 et s. 45 Jacques Krynen cite ainsi l’exemple de Philippe Auguste réglant l’administration du domaine avant son départ en croisade (1190) : « l’office royal consiste à pourvoir par tous les moyens aux besoins des sujets et à placer l’utilité publique avant sa propre utilité », « Aux origines historiques de l’idée de puissance publique », in La puissance publique, Litec, 2012, p. 42. 46 Caroline Chamard, ibid., n° 128 p. 94. 14 distinction des biens publics et des biens privés sont nettement mis en évidence »47, l’un personnel, le caractère public du titulaire (la Couronne, forme abstraite du sujet réel qu’est le Roi), l’autre matériel, l’affectation de certains biens à l’usage de tous 48. On trouve ici une propriété publique résultant de l’addition des deux idéaltypes mais là encore l’insuffisante conceptualisation du rapport logique entre les deux conduit à une juxtaposition. Une certaine innovation apparaît cependant par le fait que la logique organique liée au Roi prédomine sur la logique fonctionnelle liée à l’affectation. C’est ce que révèle l’analyse de Caroline Chamard-Heim pour qui « il semble toutefois que le fondement personnel prévale en ce domaine dans la mesure où l’affectation des biens à l’utilité publique est liée à la présence d’une personne publique » sans laquelle une telle « propriété fiduciaire » disparaît49. Autrement dit, la propriété publique est d’abord la propriété du pouvoir politique, et seulement ensuite la propriété publique fonctionnelle. Or, malgré une certaine tendance à concevoir le rapport du Roi aux biens de la Couronne sur un mode politique et « public »50, la propriété publique est réduite à sa dimension objective, les biens, réduction renforcée par la théorie de l’incorporation du droit dans la chose. Nous y voyons la source du paradoxe fondamental qui frappe la théorie de la propriété publique. Chacun perçoit que son fondement véritable est à rechercher dans son rattachement organique au pouvoir politique. Chacun voit que cela conduit à lier indissociablement la distinction des personnes avec la distinction des propriétés. Pourtant, alors que ces deux distinctions corrélées devraient se traduire par une opposition entre deux droits de propriété, l’un public et l’autre privé, on se focalise sur la distinction des biens publics ou privés. Cela se vérifie également à propos du droit intermédiaire. 19. La Révolution Française a maintenu une forme fondamentalement organique de la propriété publique. Les biens publics sont transférés de la Couronne à la Nation et, selon la doctrine révolutionnaire, cette dernière a sur ses biens le droit le plus absolu qui soit 51 . Cependant, les révolutionnaires n’ont pas saisi cette occasion pour conceptualiser le droit spécifique de propriété découlant de la spécificité de son titulaire. Cela s’explique par le fait que la propriété privée nouvellement proclamée était si absolue en elle-même qu’elle rendait inutile 47 Ibid., n° 156 p. 113. Dans le même sens, Hélène Saugez, L’affectation des biens à l’utilité publique. Contribution à la théorie générale du domaine public, th. Orléans, 2012, p. 13 : « En instaurant un régime particulier relatif à ce domaine de la Couronne, la royauté voulait préserver un certain nombre de biens considérés comme indispensables à la société ». 49 Caroline Chamard, idem. 50 Odile de David-Beauregard-Berthier, op. cit., p. 32 ; Maurice Monteil, Formation et évolution de la notion de domanialité publique, Sirey, 1902, p. 137 ; Christian Lavialle, « De la fonction du territoire et de la domanialité dans la genèse de l’État en France sous l’Ancien Régime », Droits, 1992, pp. 29-30. 51 Maurice Monteil, Formation et évolution de la notion de domanialité publique, thèse, Paris, 1902, p. 208 où l’auteur démontre que si la propriété se distingue de la souveraineté, elle est fondée sur cette dernière et s’y incorpore à nouveau lorsque le souverain est aussi propriétaire. Philippe Yolka, La propriété publique. Éléments pour une théorie, LGDJ, 1997, spéc. p. 95 et s. ; voir aussi le texte même du décret des 22 novembre et 1 er décembre 1790 : « cette propriété est la plus parfaite que l’on puisse concevoir, puisqu’il n’existe aucune autorité supérieure qui puisse la modifier ou la restreindre ». 48 15 de conceptualiser un droit de propriété public qui ne pouvait l’être davantage. Avec la suppression de ses formes féodales, la propriété la plus souveraine était en effet celle de l’article 544 du Code civil. C’est pourquoi « il ne fait aucun doute que les révolutionnaires ont entendu attribuer à la Nation, sinon une propriété de droit privé sur ses biens, à tout le moins un droit qui s’en rapproche le plus possible »52. Il n’y a donc toujours pas de droit de propriété public dans le droit intermédiaire malgré une nouvelle affirmation du fondement organique de la propriété publique. En négligeant de concevoir la Nation comme un propriétaire spécifique ayant un droit de propriété propre, le droit intermédiaire n’a pas résolu l’incomplétude d’une propriété publique ayant un fondement organique mais aucune expression personnelle. Il n’est pas surprenant dès lors que soit immédiatement réapparue la focalisation des juristes sur les biens publics, expression objective de la propriété qui va donc reposer essentiellement sur une logique fonctionnelle. En effet, les deux traits caractéristiques du droit intermédiaire sont, pour HubertGérald Hubrecht, le recours à une méthode énumérative des biens publics d’une part, « l’idée d’un aménagement du régime dérogatoire en fonction de l’importance réelle que présente tel ou tel bien pour la collectivité publique » d’autre part 53 . La propriété publique y est essentiellement objective et fonctionnelle. Elle correspond aux régimes spécifiques de certains biens justifiés par l’utilité publique à laquelle ils sont affectés. Pour le reste, la nation exerce un droit de propriété dans lequel la libre disposition est d’autant plus grande que la nation édicte elle-même les lois et règlements qui en sont la limite éventuelle. De là certains excès où vont être conduits les révolutionnaires en faisant « feu de tout bois » et de tout bien pour rétablir les finances publiques ce qui appellera en réaction le succès des doctrines libérales de limitation de l’État et, partant, de sa propriété, tant dans son champ d’application que dans son exorbitance. Là encore apparaît le paradoxe déjà évoqué. La propriété publique est identifiée par son fondement organique, le domaine de la nation par opposition aux domaines des particuliers. Pourtant, elle n’est concrètement traduite en droit que par l’idée d’un ensemble de biens publics isolés en raison de leur affectation et non comme un droit de propriété public attaché à la qualité publique du propriétaire. C’est en voulant distinguer, parmi les biens de l’État, deux masses distinctes en raison de la prérogative que le pouvoir exerce sur elles, que la question de la propriété au sens subjectif du droit de propriété s’est posée en termes juridiques. Néanmoins, si deux “droits” de propriété sont distingués, la distinction est fondée sur les biens et ces prérogatives coexistent pour un même propriétaire, empêchant d’élaborer un véritable statut de celui-ci qui traduise sa qualité de propriétaire public. 52 Caroline Chamard, op. cit., n° 175 p. 126 ; faisant également référence à Philippe Yolka, op. cit., p. 100. Hubert-Gérald Hubrecht, « L’exorbitance du droit des propriétés publiques », in Fabrice Melleray (dir.), L’exorbitance du droit administratif en question(s), LGDJ, 2004, p. 229. 53 16 2) Les linéaments d’une propriété publique subjective : dualité domaniale et dualité de prérogatives patrimoniales 20. Face aux excès de la Révolution quant à la vente de biens nationaux et sous l’influence dominante du libéralisme économique, la doctrine a imaginé de distinguer les biens qui étaient l’objet d’une véritable propriété, le domaine privé, des biens objets d’un simple droit de garde et de surintendance, le domaine public54. Il ne s’agissait cependant pas de la simple opposition objective de deux masses de biens. En effet, le progrès essentiel est d’avoir imaginé un corollaire subjectif à cette division. En cela, elle manifeste un premier intérêt véritablement juridique pour la nature du droit exercé sur les biens publics et partant, pour le point de vue du propriétaire. En effet, Proudhon considère que la propriété renvoie à l’idée de puissance exercée sur les choses par son titulaire. Il la nomme dominium, domaine 55 mais en prenant soin de distinguer cette puissance des objets sur lesquels elle s’exerce. A cette puissance il reconnaît trois degrés : le domaine de souveraineté, qui « consiste dans la puissance souveraine établie pour gouverner l’État », le domaine public, qui « consiste dans le pouvoir spécialement chargé de régir et administrer les choses qui sont, par les lois, asservies à l’usage de tous, et dont la propriété n’est à personne » et le domaine privé, « ou, en d’autres termes, le domaine de propriété, [qui] consiste dans le pouvoir que tout individu a de jouir et disposer en maître de ses biens en se conformant aux lois »56. Le rapport aux choses est donc bien conçu comme un pouvoir, une puissance sur les choses dont la nature peut varier. Cependant, parce qu’il commente les articles du Code civil qui établissent une forme d’affectation des biens à l’utilité commune, le facteur qui détermine la variation de la nature de cette prérogative réside dans l’affectation elle-même, donc dans le bien et non dans la qualité de son titulaire. Ainsi, nous dit-il, « le domaine public embrasse généralement tous les fonds qui, sans appartenir propriétairement à personne, ont été civilement consacrés au service de la société »57. C’est cette consécration qui rend le bien public et avec lui le droit qui porte sur lui. Le domaine public est donc bien une puissance subjective spécifique sur les choses, mais dont le fondement est objectif, situé dans le bien et non dans le propriétaire, dans l’objet du droit de propriété et non dans son sujet. Autrement dit, Proudhon invente une nouvelle Cf. Robert Pelloux, La notion de domanialité publique depuis la fin de l’ancien droit, thèse, Dalloz, 1932 ; auquel s’accorde l’essentiel de la doctrine pour considérer que la dualité domaniale n’existait pas sous l’Ancien Régime et en aucune façon dans les textes révolutionnaires. Si Philippe Yolka a pu parler de « mystère des origines » en ce qui concerne la dualité domaniale, elle s’est affirmée avec l’œuvre de Jean-Baptiste-Victor Proudhon que l’on situe dans la continuité des intuitions de Jean-Marie Pardessus et son Traité des servitudes publié pour la première fois en 1806. Voir aussi Maurice Lagrange, « L’évolution du droit de la domanialité publique », RDP, 1974, p. 9 et s. 55 Jean-Baptiste-Victor, Proudhon, Traité du domaine public, ou De la distinction des biens considérés principalement par rapport au domaine public, Dijon, Lagier, 1833-1834, vol. 1, n° 47 p. 62 : « Ce nom nous vient des expressions latines dominus et dominium : du mot dominus, qui signifie le maître ; du mot dominium, à dominando, qui signifie la maîtrise ou l’effet de la domination ». 56 Idem, pp. 62-63. 57 Ibid., n° 200 p. 262. 54 17 combinaison de l’organique et du fonctionnel en inversant le rapport qui les liait sous l’Ancien droit et le Droit intermédiaire. Le fonctionnel devient prédominant sur l’organique, c’est l’utilité servie par les biens qui induit un droit de propriété spécifique, un domaine public. Conséquence de la propriété objective, du bien, le domaine au sens de prérogative correspond bien à une propriété publique subjective, un droit, mais il s’agit toujours d’une propriété publique fonctionnelle. La propriété publique organique n’existe pour ainsi dire pas vraiment, car le caractère public ne vient que de l’élément fonctionnel qui, loin de se situer dans le prolongement du pouvoir politique, s’impose à lui pour en limiter a priori la prérogative qui y sera associée58. 21. Derrière l’invention de la dualité domaniale, il y a l’idée que la propriété publique n’a de légitimité que fonctionnelle. L’idée, on l’a vu, n’est pas inexacte, loin s’en faut, tant la légitimité de la propriété des personnes publiques doit être démontrée dans son principe et dans son degré d’exorbitance, mais l’auteur y ajoute en réalité les présupposés libéraux de la doctrine du XIXe siècle. Pour celle-ci, le droit public n’est que subsidiaire, il est un droit d’exception 59 . Partant, d’une part seul le domaine public doit bénéficier d’un régime administratif et du privilège de juridiction, d’autre part l’État ne saurait se considérer propriétaire de ce domaine. A rebours de la conception organique reposant sur une supériorité des autorités publiques, la « théorie de la garde » manifeste à l’envi la défiance envers l’État tout en reconnaissant l’étatisation du politique en le plaçant au sommet de l’édifice. En somme, dans cette théorie, la propriété publique subjective existe, mais elle n’est pas une propriété. Indigne d’être propriétaire des biens du domaine public, l’État ne saurait avoir de propriété que sur ses biens privés et sous la forme alors de la propriété privée, celle du droit commun. Il faut mettre cette conception en perspective avec l’idée dominante pour la doctrine de l’époque selon laquelle le droit public est destiné à encadrer l’exercice de la puissance publique. Le droit public vise l’État-puissance publique qu’il faut limiter et contrôler, mais doit ignorer la dimension civile de l’État-propriétaire privé. C’est la raison pour laquelle la doctrine devait nécessairement assimiler domaine privé et propriété privée. Cette période qui va de la Restauration à la reconnaissance de la propriété publique du domaine public marque ainsi un effacement manifeste de la conception organique de la propriété publique au point d’en dissoudre la dimension subjective dans la « garde » et de 58 Proudhon affirme explicitement son adhésion à la doctrine du droit naturel. Sur la critique du jusnaturalisme de Proudhon, voir aussi Dimitri Yernault, op. cit., p. 193. 59 Dans le même sens, Patrick Lafage, p. 24 : « La conception originelle du domaine public développée par des auteurs comme Proudhon ou Ducrocq était une conception restrictive qui visait à limiter autant que possible l’étendue de ce régime particulier de protection aux seuls biens qui méritent un traitement dérogatoire ». 18 réduire le domaine à son aspect objectif, à un ensemble de biens 60. Cette fois, c’est l’élément fonctionnel, l’affectation, qui est au premier plan. Loin d’opposer deux catégories de propriétaires, la doctrine oppose toujours deux catégories de biens dont le régime altère le droit qu’on peut avoir sur eux. Cela pourrait expliquer pourquoi c’est à cette période que les juridictions ont pu reconnaître la propriété de biens du domaine public par des particuliers61. 22. La théorie de la garde a été essentiellement doctrinale et n’a pas véritablement été reprise par le juge. Qu’il s’agisse de la Cour de cassation ou du Conseil d’État, la propriété sur les biens du domaine public a été reconnue sans difficulté, sans y accorder non plus de véritable importance62. Des raisons prosaïques ont répondu à l’incommodité manifeste de la théorie du « public », ce « peuple introuvable » 63 propriétaire des biens du domaine public. C’est à l’occasion de contentieux aux faits d’espèce parfaitement triviaux que la propriété de l’État et des autres personnes publiques fut reconnue sur les dépendances du domaine public64. De telles décisions seraient sans doute restées aussi inaperçues que celles qui ont été rendues alors que la théorie de la garde était à son faîte si Maurice Hauriou n’en avait pas fait le commentaire 65 . Il y trouva l’argument nécessaire à valider la théorie qu’il avait déjà forgée opposant à la propriété privée du domaine privé la “propriété administrative” du domaine public. La conception organique écartant définitivement l’idée d’une appropriation du domaine public par des personnes privées, seule la propriété des personnes publiques était concernée. Cependant, parce que chacune des prérogatives dépendait de la qualification de son objet, Hauriou s’inscrivait dans la même logique que Proudhon. L’élément fonctionnel était toujours le véritable fondement de la propriété publique, c’est-à-dire les biens affectés à l’utilité publique. Le progrès essentiel était néanmoins dans le fait d’admettre dans les deux cas un même vocable : la propriété. 23. C’est alors que, dans un même mouvement, certains dogmes concernant le domaine public et certains préjugés concernant le domaine privé furent battus en brèche. Le domaine 60 L’ouvrage de Proudhon, passé ces quelques développements sur les prérogatives que l’on peut avoir sur les biens, ne se consacre plus par la suite qu’à la seule énumération des différentes composantes du domaine public. 61 Cass. civ., 22 août 1837, S., 1837.1.852. Catherine Logéat, Les biens privés affectés à l’utilité publique, L’Harmattan, 2011, pp. 32-33. 62 Cass. 16 fév. 1836, Préfet du Loiret, S., 1836.1.411 ; Cass., 5 juillet 1836, Aribert, S., 1836.1.600. La Cour a reçu un temps la théorie de la garde (Cass., 1 er avril 1890, Ville de Tonnerre, D., 1891.1.39) mais s’est ralliée encore plus aisément à la propriété du domaine public, Cass., 11 juillet 1892, Cne de Sain-Léger-des-vignes, S. 1893.1.39, cf. Stéphanie Pavageau, Le droit de propriété dans les jurisprudences suprêmes françaises, européennes et internationales, Paris, LGDJ, 2006, p. 58. 63 Pour se référer au titre de l’ouvrage de Pierre Rosanvallon, Le peuple introuvable, Gallimard, 1998. 64 Dans l’arrêt Piccioli, il s’agit des droits de la colonie d’Algérie sur du charbon extrait d’une épave dans le port d’Alger tandis que c’est l’indemnité exigée par la Ville de Paris qui constitue le fond de l’arrêt Ville de Paris ; CE, 17 janvier 1923, Piccioli, S. 1925.3.17, concl. Corneille, note Hauriou ; CE, 16 juillet 1909, Ville de Paris et Chemins de fer d’Orléans, Rec., p. 707 concl. G. Teissier ; S. 1909, 3, p. 97, note M. Hauriou. 65 Maurice Hauriou, note sous CE 17 janv. 1923, Piccioli, S. 1925, 2, p. 17. 19 public, d’improductif 66 par principe devenait objet d’une véritable exploitation, tandis que le domaine privé, qualifié à l’origine d’essentiellement « fiscal » faisait apparaître à quel point il était au service des missions de l’administration. La fonction publique et la fonction privée de l’un et de l’autre, jusqu’alors perçues comme cloisonnées, s’entremêlent pour faire apparaître une finalité ambivalente de tout bien et donc des deux domaines. Les activités économiques développées sur le domaine public et la dégradation des finances publiques suscitent une logique “propriétariste” patrimoniale, qui prend le pas sur la logique purement domaniale. La police recule au profit de la gestion67. La sécurité de l’occupant prend le pas sur les prérogatives du gestionnaire. Si chaque fois l’inaliénabilité a été rappelée avec force, la reconnaissance de « droits réels » sur le domaine public, l’indemnisation suite à la rupture anticipée des contrats d’occupation, l’élaboration de contrats spéciaux de longue durée offrant à l’occupant « les droits et obligations du propriétaire », tout ceci conduit à reconnaître une véritable propriété du domaine public accompagnée de pouvoirs de gestion très larges et résolument tournés vers l’aspect économique des biens en cause. Cependant, les réflexions sur l’utilité publique des biens du domaine privé soulignaient le caractère contestable de l’assimilation à la propriété privée à leur égard. Autrement dit, la qualité d’un bien n’était plus univoque ni déductible de son appartenance à l’une ou l’autre des catégories domaniales. La publicisation de la propriété du domaine privé et la “patrimonialisation” de celle du domaine public autorisait une synthèse. 24. C’est l’apport de Philippe Yolka que d’avoir mis fin à la dualité des prérogatives des personnes publiques sur leurs biens. Leur propriété est la même, en raison de leur qualité, et par conséquent quel qu’en soit le domaine, public ou privé, du bien sur lequel elle porte. Pour ce faire, il lui a fallu démontrer que le domaine public ne correspond pas à une prérogative spécifique, mais à un simple régime applicable au bien et non au droit, c’est-à-dire à la seule propriété publique objective. La domanialité publique est un régime objectif et fonctionnel qui doit être séparé de la propriété des personnes publiques, laquelle est la même sur les deux domaines. La dualité domaniale est distincte du droit de propriété des personnes publiques. La dialectique est résolue en consacrant la primauté de l’organique sur le fonctionnel et elle y ajoute la primauté de la propriété subjective, le droit et sa nature, sur la propriété objective, le bien et son régime. La science juridique trouve une solution nouvelle à cette double 66 Joachim-Antoine-Joseph Gaudry, Traité du domaine public, Durand, 1862, pp. 81-82 : « là où le gouvernement s’empare d’un genre d’exploitation ou de commerce, il tue les commerces privés, et ainsi, s’il s’emparait d’une portion du domaine public pour l’exploiter à son profit, il appauvrirait la nation dans les ressources mêmes que la Providence lui avait données ». 67 Cf. sur ce point les deux thèses concomitantes et aux conclusions opposées de MM. Klein et Dénoyer : Claude Klein, La police du domaine public, LGDJ, 1966 ; Jean-François Dénoyer, L’exploitation du domaine public, LGDJ, 1969. 20 clef que constituent les couples d’organique-fonctionnel et de subjectif-objectif, quatre éléments qui sont pour la première fois agencés tous ensemble et selon des rapports de succession et non de juxtaposition. L’organique précède le fonctionnel parce qu’il n’existe pas de bien public sans propriétaire public. Le subjectif précède l’objectif parce que c’est le droit de propriété des personnes publiques qui définit la propriété publique et non les régimes liés à l’affectation des biens publics. Ces régimes fonctionnels ne viennent que se superposer dans un second temps à des biens déjà organiquement publics ou privés. Cependant, la propriété des personnes publiques pourrait bien être la même que celle des particuliers sur leurs biens, et ce d’autant plus que tous les biens peuvent être affectés à une utilité publique et soumis à un régime exorbitant en conséquence ou au contraire exploités dans une perspective de profit. 25. C’est pourquoi malgré l’unanimité quant à l’unité de la propriété des personnes publiques sur l’ensemble de leurs biens, « il existe, en l'état actuel de la réflexion doctrinale, non pas une mais plutôt deux théories de la propriété publique, suivant que l'on insiste davantage sur le premier terme de l'expression ou sur le second »68. La première conception, à laquelle est généralement associée le nom d’Yves Gaudemet, considère que « la propriété publique, de même nature que la propriété privée (entendue elle-même comme la propriété des personnes privées), se caractérise cependant par deux principes spécifiques valant tant pour les biens du domaine privé que pour ceux du domaine public, celui de l’incessibilité de la propriété publique en deçà de son jute prix et celui de l’insaisissabilité des biens des personnes publiques »69. La seconde conception, généralement associée au nom de Philippe Yolka, considère que « la propriété est publique, qu’il s’agisse du domaine public ou du domaine privé, parce que le propriétaire est une personne publique, génétiquement porteuse de l’intérêt général »70. Pour Fabrice Melleray et Fabrice Hourquebie, « cette opposition de vues n'est pas purement intellectuelle, ses conséquences pratiques étant tout sauf négligeables dès lors que la première vision justifie une valorisation renforcée des propriétés publiques et la réduction continue des spécificités de leur régime juridique, tandis que la seconde affirme l'irréductibilité de la matière aux logiques économiques et marchandes »71. Pour autant, il semble qu’il faille voir ici une dominante donnée à la dimension patrimoniale ou à la dimension publique sans qu’aucune de ces dimensions ne doive, dans l’esprit de ses auteurs, exclure radicalement l’autre. 68 Fabrice Melleray, Fabrice Hourquebie, Code général de la propriété des personnes publiques, « Introduction générale », Dalloz, 3e éd., 2013, Introduction générale, p. 38. 69 Yves Gaudemet, Traité de droit administratif, t. 2, Droit administratif des biens, 15e éd., 2014, n° 33 p. 24. 70 Philippe Yolka, in Les grandes décisions du droit administratif des biens, Dalloz, 2013, n° 27 p. 13. 71 Fabrice Melleray, Fabrice Hourquebie, op. cit., p. 39. 21 D’ailleurs, il faut bien constater que l’une comme l’autre laissent une place à la logique opposée. En effet, à considérer la première approche comme s’attachant plus à ce que les personnes publiques peuvent faire de la propriété et rejoignant ainsi l’approche fonctionnelle, elle n’en fait pas moins mention de ce que les règles spécifiques sont attachées à la personnalité publique. Dans l’approche exprimée par Philippe Yolka, le premier est sans conteste occupé par l’idée d’un statut de personne publique propriétaire et rejoint ainsi l’approche organique, mais l’intérêt général est au cœur de ce statut et de la personnalité publique. L’élément fonctionnel n’est donc pas parfaitement étranger. Loin de s’opposer frontalement, ces deux logiques doivent trouver une combinaison qui s’impose pour rendre compte du droit positif de la propriété publique. Il faudra pour cela démêler l’écheveau de l’organique et du fonctionnel pour établir, entre ces deux termes essentiels de l’action publique, la véritable relation logique. 22 § 2 La dialectique de l’organique et du fonctionnel au service de la systématisation de la propriété publique 26. L’opposition des deux idéaltypes, organique et fonctionnel, doit être dépassée. Il s’agit désormais de constater que l’organique et le fonctionnel traversent en réalité chacune des deux dimensions, objective et subjective, de la propriété. Dans la perspective objective focalisée sur les biens, deux catégories coexistent : celle des biens des personnes publiques et celle des biens affectés à l’utilité publique et qui peuvent être la propriété des personnes privées. Nous proposons de réserver aux premiers l’appellation de biens publics et de désigner les seconds par l’expression de biens administratifs, mais les deux catégories sont traversées par la dialectique de l’organique et du fonctionnel (A). La thèse de l’assimilation de la propriété des personnes publiques à la propriété des personnes privées doit alors être confrontée à la fois au droit positif qui fait apparaître une exorbitance irréductible des biens publics et à la portée théorique associée d’une telle réduction également applicable à la personnalité publique (B). A. L’organique et le fonctionnel du point de vue de la propriété objective : biens publics et biens administratifs 27. La participation de personnes privées à l’action administrative les conduit à avoir la maîtrise de biens affectés aux missions relevant de la compétence des personnes publiques, ce que Catherine Logéat a appelé les biens privés affectés à l’utilité publique 72. Il en résulte la coexistence de deux catégories de biens liés à l’action publique, les biens des personnes publiques 73 et les biens affectés à l’action publique 74 . Parce que n’importe quel bien d’une personne publique est en principe soumis à la règle de l’insaisissabilité consacrée par l’article L. 2311-1 du CG3P, les biens des personnes publiques connaissent a minima cet élément de régime déductible de la seule appartenance publique, critère personnel donc essentiellement organique75. L’ouvrage public constitue un exemple de bien privé dont le régime autorise à l’intégrer à une catégorie publique de bien reposant cette fois sur un critère essentiellement Catherine Logéat, Les biens privés affectés à l’utilité publique, L’Harmattan, 2011. Caroline Chamard, La distinction des biens publics et des biens privés, contribution à la définition de la notion de biens publics, Paris, Dalloz, 2004, n° 895 : « Les biens publics peuvent alors être définis comme les biens qui appartiennent aux personnes morales de droit public ». 74 Catherine Logéat, op. cit., p. 434 : « un bien pourrait être qualifié de chose publique à partir du moment où il est affecté à l’utilité publique et que la personne publique exerce sur lui une influence qui peut ne pas correspondre à sa propriété ». 75 Cf. supra sur la distinction qu’il est possible d’effectuer entre critère organique et critère personnel et notre préférence pour considérer qu’il y a deux dimensions au critère organique en droit public, l’élément tiré immédiatement du statut de personne publique et l’élément tiré du rattachement à une personne publique. 72 73 23 fonctionnel76. En dehors de la domanialité publique vis-à-vis de laquelle Philippe Yolka se situe, il n’est plus possible d’affirmer désormais qu’il existe « un principe d’appropriation publique des biens affectés à l’usage public » incompatible avec « l’idée selon laquelle il serait possible de grever certains biens privés d’une affectation publique »77. L’existence de régimes fonctionnels applicables aux personnes privées et à leurs biens oblige à admettre une certaine dissociation entre appropriation par une personne publique et application d’un régime d’affectation. L’appropriation publique est certes une condition à la domanialité publique78, mais elle n’est pas une condition à ce qu’un bien soit mis au service de l’action publique, d’où l’édiction de régimes destinés à leur appliquer un régime adapté. Il faut cependant se garder d’induire de l’existence de régimes fonctionnels applicables aux biens des personnes privées une élimination de l’élément organique. En effet, si l’appropriation n’est pas nécessaire, elle n’est pas le seul lien de rattachement de l’affectation publique aux personnes publiques. Celui-ci réapparaît par le fait que l’objet de l’affectation des biens privés relève toujours de la compétence d’une personne publique. On retrouve la même coexistence de l’organique et du fonctionnel dans le rapport des personnes publiques à leurs biens qui implique nécessairement que leur usage se fasse dans le respect de l’intérêt général. La dialectique de l’organique et du fonctionnel traverse donc les deux catégories publiques de biens mais en mettant l’un ou l’autre au premier ou à l’arrière plan. 28. Caroline Chamard concluait sa thèse ainsi : « Les biens publics peuvent alors être définis comme les biens qui appartiennent aux personnes morales de droit public et qui constituent, entre leurs mains, un instrument de réalisation de leurs missions, lesquelles relèvent toujours plus ou moins directement de l’intérêt général ». L’organique et le fonctionnel transparaissent tous les deux. Le fonctionnel apparaît évidemment à travers les fonctions à remplir, soit par l’accomplissement de missions particulières, soit à travers une fonction générale de satisfaction de l’intérêt général. L’organique apparaît sous deux angles qui rejoignent les deux dimensions que nous avons retenues. A l’élément personnel, immédiatement lié à la personnalité publique, reviennent l’appartenance aux personnes publiques et l’idée que leur activité doit toujours être compatible avec l’intérêt général. L’élément plus général qui traduit l’idée d’un rattachement organique aux personnes 76 CE Ass., avis, 29 avr. 2010, M. et Mme Béligaud, n° 323179, AJDA, 2010, p. 1642, chron. S.-J. Liéber et D. Botteghi et p. 1916, étude S. Nicinski, P.-A. Jeanneney et E. Glaser ; RDI, 2010, p. 390, obs. O. Févrot ; RFDA, 2010, p. 557, concl. M. Guyomar et p. 572, note F. Melleray. 77 Philippe Yolka, ibid., p. 471. Pour Caroline Chamard, cette logique ne vaut que pour une partie des biens : « il n’y a en définitive qu’une seule catégorie de biens qui doit devenir et rester de manière exclusive la propriété des personnes publiques : ce sont les biens qui sont le siège des services publics constitutionnels de souveraineté. L’appropriation publique de ces biens est non seulement obligatoire, mais elle est monopolistique. Ces exigences se justifient facilement par le fait que ces biens-là sont un élément constitutif de l’État et, qu’en leur absence, il n’y a, pour ainsi dire, plus d’État », op. cit., n° 445 p. 328. 78 CE, 13 janvier 1933, Chemin de fer de Paris-Orléans, D., 1934, p. 14 concl. Michel, note Belin ; CE, 13 mai 1964, Mlle Eberstarck, Rec., p. 288. 24 publiques apparaît avec l’idée que les missions en cause sont celles des personnes publiques. C’est avec ce dernier que les biens administratifs appartenant aux personnes privés ne relèvent pas d’une logique purement fonctionnelle mais font au contraire une place essentielle à l’élément organique. C’est ce qui ressort de l’étude de Catherine Logéat consacrée aux biens privés affectés à l’utilité publique, notamment les régimes législatifs découlant de la transformation en société anonyme d’établissements publics. Constatant l’impossibilité d’adopter à leur égard l’attitude radicalement dualiste de René Capitant 79 dissociant absolument personnalité publique et affectation, propriété subjective et objective, l’auteur propose une révision du critère organique. En effet, « si l’intérêt général n’a pas d’identité organique, la personne publique a pour mission de veiller à sa préservation : c’est ainsi que l’affectation de biens à l’utilité publique est toujours encadrée par la personne publique »80. C’est pourquoi une solution purement fonctionnelle ne semble pas conforme au droit. L’affectation ne peut pas exister sans la consécration par une personne publique, si bien que « de l’affectation à l’utilité publique s’infère le critère organique » 81 . Les régimes fonctionnels supposent un rattachement organique aux personnes publiques. Le régime des biens organiquement publics ne se justifie quant à lui qu’à la condition que leur usage soit destiné, même indirectement, à la satisfaction de l’intérêt général. Tous les biens des personnes publiques présentent, qu’ils aient reçus ou non une affectation particulière à un usage public, une dimension fonctionnelle qui en fait des moyens de satisfaction de l’intérêt général 82 . L’affectation d’un nombre toujours croissant de biens relevant du domaine privé des personnes publiques s’est accompagnée de la reconnaissance de l’intérêt public indirect attaché aux revenus générés par le domaine privé83. L’organique et le fonctionnel sont donc présents dans les deux catégories en cause. Si le critère de reconnaissance des biens administratifs est la fonction à laquelle ils sont affectés, cette fonction relève de la compétence des personnes publiques. Si le critère de reconnaissance des biens publics est la qualité de leur propriétaire, cette qualité implique nécessairement que l’usage du bien se fera toujours sous réserve d’être compatible avec les exigences de l’intérêt général. Les personnes publiques propriétaires se situent au point de convergence des deux dimensions. En effet, propriétaires de biens publics, elles sont également les principaux propriétaires de biens administratifs dans la mesure où elles assurent par elles-mêmes l’essentiel René Capitant, note sous l’arrêt CE, 17 février 1933, Commune de Barran, D., 1933.3.49. Catherine Logéat, ibid., p. 46. 81 Ibid., p. 434. 82 Jean-Marie Auby, « Contribution à l’étude du domaine privé de l’administration », EDCE, 1958, pp. 35-57. 83 Sur cette question, cf. Marine Chouquet, Le domaine privé des personnes publiques. Contribution à l’étude du droit des biens publics, th. Bordeaux IV, 2013, spéc. pp. 44 et s. où l’auteur démontre l’accroissement de la consistance du domaine privé par contraction de la domanialité publique dont a voulu distraire de nombreuses catégories de biens. 79 80 25 des missions qui relèvent de leur compétence. Assumant les missions auxquelles sont affectés les biens administratifs des personnes privées, elles ont un intérêt à contrôler l’usage qui est fait de ces biens et il n’est pas interdit d’y voir une résurgence indirecte de leur qualité de propriétaire, ce que nous démontrerons à partir de la notion de fonds administratifs, universalité appartenant aux personnes publiques et permettant de formaliser l’activité dont les biens administratifs, publics ou privés, sont le support84. Les biens administratifs sont l’objet du droit de propriété qu’exerce la personne qui en est le propriétaire ou en assure la gestion. La perspective fonctionnelle conduirait à considérer que c’est cette affectation qui justifie seule le régime encadrant l’exercice du droit de propriété. La perspective organique va plus loin et considère que, pour les personnes publiques, un régime d’exercice du droit de propriété est immédiatement applicable indépendamment de l’affectation particulière du bien. Une fois encore, les deux perspectives ne sont pas antinomiques et font apparaître une coexistence de l’organique et du fonctionnel dans les deux possibilités offertes par la propriété envisagée subjectivement comme le droit sur la chose. B. L’organique et le fonctionnel du point de vue de la propriété subjective : exercice public de la propriété et propriété des personnes publiques 29. La distinction des biens administratifs et des biens publics permet de faire apparaître les deux voies par lesquelles l’exercice du pouvoir d’une personne sur un bien peut être affecté par le droit public. En effet, lorsqu’une personne, publique ou privée, exerce une prérogative sur un bien administratif, c’est l’affectation de celui-ci qui justifie son encadrement. Il en va d’ailleurs de même en droit privé lorsqu’un bien a reçu une affectation ou une destination ayant pour effet de restreindre son pouvoir de gestion du bien en cause 85. La dimension subjective de la propriété, la prérogative exercée sur la chose par une personne, subit alors un régime fonctionnel ayant pour critère l’affectation du bien – dont on a vu qu’elle implique l’élément organique sous forme de rattachement. Parce qu’ils ne concernent que les biens administratifs et que ceux-ci sont théoriquement indifférents à la qualité de leur propriétaire, les régimes fonctionnels vont dans le sens d’une assimilation de la propriété des personnes publiques et des personnes privées (1). Il faut cependant se garder d’en déduire que la propriété des personnes publiques est réductible à celle des personnes privées. Les règles de l’incessibilité et de l’insaisissabilité ne peuvent pas être ignorées et il y aurait une portée théorique à ne pas négliger 84 Cf. infra Chapitre 1er du Titre 1er de la Seconde partie. Il y a là une convergence fondamentale de la propriété publique et de la propriété privée qui sera développée au titre second de la première partie. 85 26 à admettre une telle réduction de la propriété publique, laquelle emporterait aisément une même conséquence pour la personnalité publique. Cette dernière est liée au sort du droit de propriété public qui peut être conceptualisé comme son attribut, celui de la catégorie des personnes publiques propriétaires (2). 1) Les régimes fonctionnels en faveur de la thèse de l’assimilation de la propriété publique à la propriété privée 30. Dans une certaine mesure, les régimes fonctionnels alimentent la thèse de l’assimilation de la propriété des personnes publiques à celle des personnes privées. Dès lors que l’on dissocie l’organique et le fonctionnel, les régimes d’affectation se superposent à la propriété de la personne à qui appartient le bien, qu’elle soit publique ou privée, si bien qu’on peut ne plus voir d’intérêt à vouloir faire des personnes publiques des propriétaires trop spécifiques, au régime encombrant. Édictés pour des motifs fonctionnels, ces régimes de simple superposition doivent autant que possible ne pas faire obstacle à une valorisation qui doit être encouragée et facilitée. Cette idée apparaissait déjà lorsque Yves Gaudemet qualifiait la domanialité publique de « voile » qui se superpose ainsi à la propriété des personnes publiques86. Il n’y a d’exorbitance, de « publicisation », qu’en raison de certaines règles visant le propriétaire mais, surtout, des règles beaucoup plus nombreuses et importantes, qui soumettent un bien déterminé à un régime destiné à en garantir l’affectation publique. Nous y voyons une réminiscence de la conception du droit administratif comme le droit des dérogations par rapport à un droit civil qui est le droit commun. Nous y percevons d’ailleurs les présupposés qui en sont la cause : la suspicion à l’égard de l’administration et la volonté de limiter au maximum l’exorbitance du droit public. La légitimité ne pouvant être que fonctionnelle, une propriété publique organique est encombrante et, en somme, dangereuse. Le droit de propriété correspond donc au droit commun, raison pour laquelle Yves Gaudemet ne rejoint pas même les auteurs qui adoptent la position consistant à dire que la propriété comme n’est, en elle-même, ni privée ni publique. Pour lui, elle est la propriété privée. Or, considérant que le droit des propriétés publiques87 comprend les biens « dont les personnes publiques ont, d’une façon ou d’une autre, la propriété ou la maîtrise »88, Yves Gaudemet fait apparaître le 86 Yves Gaudemet préface à la thèse de Philippe Yolka, op. cit., p. XIII : « ainsi détachée en tant que concept de la domanialité publique et des principes exorbitants que celle-ci véhicule, la propriété publique se révèle finalement très proche de celle des personnes privées » 87 En ce sens l’intitulé du Chapitre afférent du Traité de droit administratif précité et rédigé par Caroline Chamard-Heim est éloquent puisqu’il préfère aborder non pas la propriété publique mais « Les propriétés publiques », quand bien même l’auteur considère propriété publique et propriété privée comme dérivées d’une propriété ni privée ni publique. 88 Yves Gaudemet, idem. 27 problème d’une telle assimilation. En effet, si la propriété des personnes publiques est la propriété privée, alors un bien appartenant à une personne publique n’est pas public de ce seul fait, mais doit faire la preuve de son affectation à un usage public déterminé. Il n’a donc pas à subir un régime exorbitant en l’absence d’une telle affectation. Il semble pourtant que ce puisse être le cas, ne serait-ce que si l’on songe au découplage qui s’est progressivement imposé entre expropriation et domanialité publique 89 . Le recours aux modalités d’acquisition forcée ne suppose pas nécessairement l’affectation du bien90. Plus fondamentalement encore, la remise en cause de la définition organique de la propriété publique se heurte à la réalité du droit positif et à la portée théorique qu’on peut y attacher. 31. Si l’affectation d’un bien privé ne doit donc pas avoir la portée théorique qu’on pourrait lui accorder, ne modifiant ni la propriété privée ainsi atteinte, ni la définition de la propriété publique, il en va autrement du fait d’admettre la propriété privée des personnes publiques. La conséquence logique de l’assimilation de la propriété des personnes publiques à celle des personnes privées est de privatiser les biens des personnes publiques qui ne sont pas affectés à l’utilité publique. Il ne serait plus suffisant qu’un bien appartienne à une personne publique pour être public et soumis de ce seul fait à un ensemble de régimes découlant de la qualité du propriétaire. En l’absence d’affectation, un tel bien serait un bien privé, objet d’un droit de propriété privé. Cela nous semblerait remettre en cause l’unité de la personnalité publique et ressusciter l’opposition entre une personnalité de droit public et une personnalité de droit privé des personnes publiques. L’autonomie de l’ordre juridique public doit s’étendre aux sujets qui lui sont propres, sinon la distinction entre personnes publiques et privées perd son sens. Il faut donc admettre qu’un bien appartenant à une personne publique est, de ce seul fait, un bien public et que cela se traduit juridiquement par le fait que ce bien est l’objet d’un droit de propriété public. La propriété publique organique est la condition de l’autonomie des personnes publiques permettant l’idée d’un rattachement organique sur laquelle tout le monde s’accorde. C’est pourquoi nous pensons devoir rejeter l’assimilation de la propriété des personnes publiques à la propriété privée. Néanmoins, si l’autonomie de leur propriété doit être admise, celle-ci doit être renforcée quant à ses fondements et voir sa portée précisément délimitée. 89 Yves Gaudemet, Traité de droit administratif, t. 2, Droit administratif des biens, LGDJ, 15e éd., 2014, n° 740 p. 435. CE, 20 déc. 1938, Cambieri, Rec., p. 962 ; D., 1939.3.15, concl. Josse, lequel indiquait : « inutile pour justifier l’expropriation…d’aller jusqu’à la notion de service public : l’utilité générale suffit ». 90 28 2) La difficile remise en cause de l’autonomie de la propriété des personnes publiques 32. Yves Gaudemet représente le courant préconisant de la façon la plus absolue l’assimilation de la propriété publique à la propriété privée : « la propriété des personnes publiques sur leurs biens, domaine public et privé confondus, est celle-là même des personnes privées sur les leurs » 91 . Il se fonde notamment sur le fait que « la jurisprudence administrative, comme celle du juge judiciaire, ignore radicalement toute espèce de notion de propriété publique qui résulterait de l’appropriation du bien par une personne publique »92. L’auteur motive explicitement cette assimilation par son « bien-fondé politique » en raison de « l’objectif actuel de valorisation des propriétés publiques »93. La propriété est ainsi conçue comme s’épuisant dans la finalité de valorisation. Or, puisque le plus fort rendement économique est supposé être donné par la propriété privée, alors la propriété des personnes publiques doit être une propriété privée, parfaitement privée tant qu’elle ne subit pas l’altération du droit public 94 . Un fondement organique supposant une forme d’automaticité contraire à cette conception dans laquelle le droit public est subsidiaire, conditionnée par son utilité démontrée, cette conception s’oriente clairement vers l’élimination de l’élément organique que constitue la propriété des personnes publiques. Cette approche repose sur le constat difficilement discutable que les procédés du droit privé peuvent parfois parfaitement réaliser les objectifs d’intérêt général et que, en tout cas, l’intérêt général est très souvent servi par de simples réglementations des procédés du droit privé sans qu’il soit besoin de concevoir une notion de droit public dont on affirme l’autonomie. Cependant, pour que l’assimilation apparaisse évidente, il faut réduire au maximum les spécificités que l’on serait tenté de considérer comme le corollaire de l’élément organique, du statut de personne publique. La démarche consiste donc à saper la notion en lui supprimant le régime que Philippe Yolka avait identifié (a). La même démarche pouvant être appliquée à la personnalité publique, le fondement semble aussi fragile que le régime et alors, ni la propriété publique, ni la personnalité publique, ne semblent pouvoir être constituées d’autre chose que d’une collections de règles éparses. Si l’on y ajoute le fait déjà démontré que la distinction des biens publics et privés suppose la distinction des personnes publiques et privées, l’autonomie des personnes publiques propriétaires n’est peut-être pas à négliger (b). 91 Yves Gaudemet, « A propos de la valorisation économique des propriétés publiques », RDP, 2012, p. 1223. La démarche était déjà en germe dès la parution de la thèse de Philippe Yolka puisqu’il écrivait alors dans la préface, op. cit., p. XIII : « ainsi détachée en tant que concept de la domanialité publique et des principes exorbitants que celle-ci véhicule, la propriété publique se révèle finalement très proche de celle des personnes privées ». 92 Yves Gaudemet, Traité de droit administratif, tome 2, Droit administratif des biens, LGDJ, 15e éd., 2014, n° 31 p. 22. 93 Ibid., n° 32 p. 23. 94 Contra, Philippe Yolka : « si la supériorité de la propriété privée paraît avérée au plan de l’efficacité économique, il ne faut pas juger l’utilité de la propriété publique à l’aune exclusive des valeurs marchandes », op. cit., p. 491. 29 a) La remise en cause de la propriété des personnes publiques par la critique des règles constitutives de son régime 33. Philippe Yolka a démontré dans sa thèse que, contrairement à la conception d’Hauriou, les personnes publiques ont une même propriété sur les deux domaines et que cette propriété est publique. Pour lui, « la propriété est publique, qu’il s’agisse du domaine public ou du domaine privé, parce que le propriétaire est une personne publique, génétiquement porteuse de l’intérêt général »95. Cette propriété publique fondée sur la personnalité publique se caractérise par un régime composé de règles qui ont été identifiées « par restrictions successives ». Cette méthode est très précisément développée : « la définition de la notion de propriété publique entraîne celle de son régime, qui doit être clairement distingué de la domanialité publique. Elle suppose que soient combinés un élément de généralité et un élément de spécificité : les principes de la propriété publique doivent s’appliquer à tous les biens publics ; mais ils ne doivent pas être confondus avec les règles attachées à la personnalité publique qui emportent simplement certaines conséquences en matière patrimoniale, tout en influant sur l’ensemble de l’activité des collectivités publiques. Du jeu de ces exigences découlent des conséquences restrictives : la détermination du régime de la propriété publique passe par la recherche de dénominateurs communs, n’importe les personnes publiques ou les biens en cause » 96. La remise en cause d’une catégorie juridique peut venir de la critique de son fondement ou porter indirectement sur son régime qui, n’ayant pas de contenu véritablement assuré, ne confère que peu d’intérêt et de légitimité à la catégorie. Or, si on définit la propriété publique par son régime et que « ce régime n’a qu’un contenu résiduel », elle n’a plus, elle aussi, qu’une consistance résiduelle. Un régime résiduel ne peut fonder qu’une notion relative et contingente. Hervé Moysan a pu ainsi considérer que « ce raisonnement conduit à renoncer à fonder une véritable propriété publique »97. Si la critique peut paraître sévère, force est de constater que le raisonnement autorise à vouloir relativiser le régime pour contester la notion. 34. Yves Gaudemet considère en effet que l’incessibilité à vil prix ne relève que de « l’application à la matière de la prohibition plus générale des libéralités qui est traditionnelle en droit public ». Quant à l’insaisissabilité, elle est un principe qui paraît « condamné dans sa généralité, la seule limite devant être ici dans l’interdiction des voies d’exécution susceptibles d’affecter la continuité d’un service public ou l’exercice d’une liberté publique »98. Autrement dit, il faut fonctionnaliser les caractères considérés comme organiques. Ce n’est que la généralité et la spécificité de ces deux principes qui autorisent de les faire découler du statut de personne publique et valider ainsi l’idée d’une 95 Philippe Yolka, in Les grandes décisions du droit administratif des biens, Dalloz, 2013, n° 27 p. 13. Philippe Yolka, La propriété publique. Éléments pour une théorie, op. cit., p. 575. 97 Hervé Moysan, Le droit de propriété des personnes publiques, LGDJ, 2001, p. 187. 98 Yves Gaudemet, art. préc.. 96 30 propriété publique organique. Mais, dans la conception de cet auteur, ces dérogations n’ont aucun caractère fondamental. Elles n’altèrent pas la nature juridique du droit de propriété parce qu’elles ne correspondent pas à un statut spécifique qui serait celui des personnes publiques. L’élément organique perd tout caractère fondamental. Il n’est que le fruit d’une induction simple : certaines règles s’appliquant dès lors qu’une personne publique est propriétaire, on peut parler de critère organique pour leur application. Certes, ces caractéristiques « sont liées à la qualité du propriétaire, personne morale de droit public relevant à ce titre d’une protection et bénéficiant de prérogatives spécifiques » 99 mais elles n’ont aucune portée théorique, elles ne révèlent aucune spécificité fondamentale des personnes publiques dont ces règles seraient la manifestation. En somme, la généralité et la spécificité ne sont que coïncidence et il n’est pas nécessaire d’y voir plus que cela. Elles ne manifestent pas forcément une qualité autonome de personne publique propriétaire. Cependant, le droit de propriété public des personnes publiques peut être considéré comme une expression fondamentale et nécessaire de la personnalité publique. La remise en cause de la propriété des personnes publiques aurait une portée qui mérite d’être prise en considération. b) La portée de la remise en cause et l’intérêt fondamental du droit de propriété public des personnes publiques propriétaires 35. Ce qui importe pour maintenir la distinction de la propriété publique et de la propriété privée, c’est moins un droit de propriété organiquement public qu’un simple rattachement organique. Celui-ci peut très bien se contenter d’une propriété de droit privé si l’on en juge par l’observation des droits anglais et allemand. Cependant, c’est parce qu’il repose sur l’idée centrale d’un droit commun général que le droit anglais n’a fait apparaître la distinction public/privé qu’à titre secondaire. Le droit allemand, quant à lui, ne confère pas une spécificité véritable aux personnes publiques parce qu’il distingue le volet patrimonial du volet « puissance publique ». La propriété des personnes publiques allemandes est donc la même que celle des particuliers, et la distinction des biens n’apparaît qu’ensuite, selon une logique essentiellement fonctionnelle entre les biens du patrimoine financier (Finanzvermögen) et les biens publics affectés (öffentliche Sachen)100. La notion de propriété des personnes publiques semble donc absolument superfétatoire. Et pourtant, même dans ces systèmes juridiques, la qualité du titulaire (Couronne britannique ou personne publique allemande) induit l’application automatique de certaines règles dérogatoires. Ces États connaissent aussi l’idée d’un rattachement de ces biens publics à 99 Yves Gaudemet, Droit administratif, op. cit., n° 34 p. 24. Ibid., n° 204 p. 149. 100 31 l’État parce que l’utilité publique qu’ils servent est toujours, in fine une utilité consacrée ou reconnue par l’État. Or, ce rattachement est un postulat, ne recevant aucune explication, aucune démonstration véritable. Au risque d’être accusé de céder à l’esprit de système, il semble bien qu’il y ait là une lacune de la pensée juridique que le droit français puisse combler. Le droit public français n’est pas un droit d’exception, mais le droit commun de l’action publique101. La personnalité publique y est unitaire et ne se limite pas aux actes d’autorité. C’est pourquoi le droit public français a rejeté la théorie du fisc. Or, cette personnalité publique, dont l’État est l’élément primordial et suffisant, est un point de rattachement de la propriété publique qui est certes évident, mais dont l’autonomie est elle-même sujette à caution. L’identification d’un véritable droit de propriété public constitue de ce fait une confirmation de la distinction des sujets de droit. Puisque cette personnalité publique permet l’indispensable rattachement organique constaté dans le cadre des régimes fonctionnels, elle suppose cette catégorie autonome de personnes. Or, la même démarche de remise en cause de la notion par son régime est applicable à la personnalité publique elle même. 36. Dès 1979, Jean-Bernard Auby affirmait que « la notion de personne publique n’est pas une notion dont on puisse dire qu’elle appartient en propre au droit administratif »102, concédant en cela comme pour la propriété qu’il existe une technique juridique fondamentale qui précède la summa divisio. Cependant, parce que recourir au vocable de « personne publique » est en soi une démarche valorisée103, l’auteur conservait à la personnalité publique tout à la fois la qualité de notion du droit administratif et, qui plus est, de « notion-pivot »104. Si, donc, il percevait la part importante qui revient à la simple « importation » de la personnalité morale en droit administratif, il ne considérait pas que cette origine privatiste doive conduire à l’assimilation. Quelque vingt ans plus tard, Florian Linditch semble franchir ce pas en considérant que, parce qu’elle est une « technique d’individualisation commune au droit privé et au droit public »105, la personnalité morale est une notion unitaire qui limite dans sa portée la distinction des sujets de droit. Comme pour la propriété, cet auteur ne voit aucune différence de nature 106 à rechercher entre les deux catégories de personnes juridiques : les personnes morales de droit public (et l’usage de ce vocable est aussi témoin d’une démarche valorisée) sont, finalement et simplement, les 101 René Chapus, Droit administratif général, t. 1, op. cit., n° 4 pp. 3 et s. Jean-Bernard Auby, La notion de personne publique en droit administratif, th. Bordeaux, 1979, p. 6. 103 Ibid., p. 3. 104 Ibid., p. 391. 105 Florian Linditch, Recherche sur la personnalité morale en droit administratif, op. cit., p. 314. 106 Voir p. 207 : « dans sa nature, la personnalité attribuée aux services administratifs ne diffère pas fondamentalement de celle qui est reconnue aux institutions formées par les particuliers ». 102 32 personnes morales « relevant du droit public » parce qu’à partir d’une même personnalité morale, elles se voient simplement attribuer par des textes des privilèges spécifiques. Recherchant, parmi les privilèges administratifs ceux qui « paraissent dans l’état du droit actuel, devoir être réservés aux seules collectivités publiques et à leurs établissements publics » car eux « seuls justifient l’existence de la qualité de personne morale de droit public », il conclut qu’ils sont « rares »107. Deux statuts peuvent donc être distingués, mais la portée de la distinction ne doit pas être exagérée 108. Jacques Petit concluait ainsi, dans le même esprit, que « la spécificité et l’unité de la personnalité publique sont assez limitées »109. La consécration d’un droit de propriété public qui leur serait attribué à titre exclusif constituerait donc une garantie de l’autonomie de la catégorie des personnes publiques. Cela suppose, selon nous, de donner un sens juridique précis à la notion de personne publique propriétaire. 37. Les régimes fonctionnels de la propriété publique, leur rattachement organique et la propriété des personnes publiques réalisée par un droit de propriété public, constituent donc les trois éléments distincts mais inséparables du droit positif dont la théorie de la propriété publique doit rendre compte. Or, le rattachement organique implique la distinction des sujets de droit. Il nous semble que cette distinction ne peut pas faire l’économie d’un droit de propriété public. En effet, il nous semble que l’autonomie des personnes publiques se traduit, notamment, par la nature publique de leur droit de propriété. La personnalité publique se définit par sa propriété publique. C’est en dégageant la notion de personne publique propriétaire que l’on pourra à la fois démontrer l’existence de la propriété publique organique et rendre explicable le rattachement organique des régimes fonctionnels sur lequel tout le monde s’accorde. Cette identification du propriétaire public doit se faire en adoptant un point de vue subjectiviste. Or, celui-ci dérive nécessairement d’un fondement en droit objectif. Nous pensons que la compétence est la notion permettant de constituer ce fondement objectif de la qualité de propriétaire public, point de départ de la propriété publique et du droit subjectif public de propriété. 107 Ibid., p. 216 C’est dans le prolongement de telles réflexions que peut être inscrite la proposition de Caroline Chamard d’exclure l’incessibilité à vil prix des conséquences de la personnalité publique pour n’en faire qu’une conséquence de la propriété elle-même (quant au volet « vente à vil prix ») et de la personnalité morale (quant au volet libéralité), op. cit., Partie III, Titre II. Cet élément capital faisant l’objet de développements particuliers dans la présente thèse, cf. Partie II, Titre I. 109 La personnalité publique, actes du colloque organisé les 14 et 15 juin 2007 par l’Association pour la recherche en droit administratif, Litec, 2007, p. 256. 108 33 § 3 La synthèse à partir de la compétence : fondement de la qualité de personne publique propriétaire et de ses prolongements fonctionnels 38. L’identification des personnes publiques propriétaires constitue alors une approche inédite de la distinction du droit public et du droit privé. En distinguant l’autonomie et l’exorbitance du droit public et de ses notions110, la théorie des ordres juridiques partiels que nous voudrions adopter pour mener la présente recherche pourrait permettre d’aller au bout de l’évolution du droit public d’un droit administratif défini par son exorbitance à un droit de l’action publique défini par son objet (A). Or, distinguer deux ordres juridiques partiels suppose d’opposer deux ensembles de personnes juridiques dont la propriété et le droit de propriété peuvent être l’attribut exclusif permettant de les distinguer. Cela nous enjoint à adopter un point de vue combinant le droit objectif et le droit subjectif, le premier étant le fondement du second dont il dérive. C’est ainsi que nous pourrons mener une analyse renouvelée centrée sur les sujets de la propriété publique, les personnes publiques propriétaires (B). La compétence, étant définie comme l’habilitation du droit public sur le fondement de laquelle une personne juridique est publique et titulaire d’un droit de propriété public, fonde à la fois le statut personnel des personnes publiques propriétaires en leur attribuant le droit de propriété public et fonde également le rattachement organique aux personnes des prolongements fonctionnels de l’accomplissement de leurs missions (C). A. La théorie des ordres juridiques partiels et la définition du droit public comme le droit de l’action publique 39. Dressant un état des lieux des débats passés et présents, Gabriel Eckert propose un dépassement de l’opposition entre droit civil et droit administratif « au travers de la reconnaissance d’un véritable droit de l’Administration » 111. Nous pensons que, particulièrement en France, il est possible de considérer que la séparation de l’État et de la Société se traduit juridiquement par une partition de l’ordre juridique étatique en deux ordres juridiques partiels, l’ordre du droit public et l’ordre du droit privé. S’il y a bien unité de l’ordre juridique dans la mesure où tout droit n’a de validité qu’en raison de sa reconnaissance par l’État, il est possible de distinguer entre les normes qui ne font que réaliser une volonté d’arbitrer des rapports entre particuliers et les normes qui réalisent de façon beaucoup plus volontariste une véritable action publique dont 110 Benoît Plessix, L’utilisation du droit civil dans l’élaboration du droit administratif, Ed. Panthéon-Assas, 2002, n° 952 p. 821, mettant en garde contre la « confusion entre l’autonomie d’un droit et la question toute différente de son degré d’originalité ». 111 Gabriel Eckert, « Droit administratif et droit civil », in Traité de droit administratif, op. cit., p. 610. 34 l’administration, sous ses différentes formes et par ses techniques, est l’agent quotidien de réalisation. L’ordre juridique étatique se compose de deux ordres partiels que sont le droit public et le droit privé, chacun étant amené en fonction des sources qui sont les siennes et qui sont éventuellement communes, à utiliser, appliquer ou opposer des normes qui relèvent de l’autre des deux ordres. 40. C’est la raison pour laquelle nous considérons avec Benoît Plessix qu’« il fut sans doute excessif de la part de la doctrine publiciste de voir dans le problème de l’application du droit privé aux services publics une illustration de la privatisation des rapports juridiques soumis au droit public » 112 . Il y a « un dualisme tempéré », certes, mais ce dualisme demeure, malgré tout tempérament. Il ne faut « pas que les perspectives soient faussées, c’est-à-dire que soit perdue de vue l’importance de ce par quoi se traduisent l’originalité et l’autonomie respectives des deux droits existants » ; « le principe autonomiste fondamental de l’arrêt Blanco continue de dominer l’état du droit » 113 . L’ampleur des doutes que suscitent dans la doctrine les phénomènes de rapprochement entre solutions de la sphère privée et solutions de la sphère publique tient sans doute au fait que cette autonomie, et l’on sait encore ce qu’il y a de mythe fondateur dans l’évocation de l’arrêt Blanco114, fut conquise contre un droit civil qui se pensait comme le droit commun opposé au droit administratif conçu comme un droit d’exception. La logique autonomiste a donc voulu construire un droit administratif spécial, droit commun de l’action administrative, touchant à tous les domaines et toujours de façon spécifique. L’erreur était sans doute dans la « confusion entre l’autonomie d’un droit et la question toute différente, de son degré d’originalité » 115 . Certes, « historiquement, le droit public, en général, le droit administratif, en particulier, sont nés d’un effort de différenciation et de singularisation par rapport au droit privé » 116 . Cette attitude de combat avait son sens lorsqu’il s’est agi de construire le droit administratif et d’en affirmer l’autonomie, c’est-à-dire lorsque, « au début du XIXe siècle, la crédibilité du droit administratif a paru ne pouvoir être atteinte qu’au prix d’une indépendance absolue vis-à-vis du droit civil »117. Elle se justifiait d’autant plus que l’attitude des juridictions judiciaires et de la doctrine était tout entière tournée vers le confinement du droit administratif d’exception et 112 Benoît Plessix, op. cit., n° 12 p. 26. René Chapus, « Dualité de juridictions et unité de l’ordre juridique », RFDA, 1990, p. 57 et p. 58. 114 Le « pseudo-arrêt Blanco » selon Charles Eisenmann, Cours de droit administratif, Paris, LGDJ, 1982, tome 1, p. 134. 115Benoît Plessix, op. cit., n° 951 p. 821. 116 Gabriel Eckert, « Droit administratif et droit civil », in (coll.), Traité de droit administratif, Paris, Dalloz, 2011, t. 1, p. 603. 117 Benoît Plessix, op. cit., n° 871 p. 753. 113 35 l’emprise la plus large possible du droit civil, droit commun118. Elle ne se justifie plus dès lors que l’on admet que la distinction des deux droits, public et privé, ne se confond pas avec l’opposition entre droit administratif et droit civil. En distinguant application et utilisation du droit civil, l’on parvient à démontrer que la première ne concerne que des situations très spécifiques et que la seconde « peut être présentée comme l’expression d’un renforcement de l’autonomie du droit administratif »119. Pour l’essentiel, le droit public fait siennes les normes issues de sources formellement qualifiées de privées. C’est là le cœur de la théorie des ordres juridiques partiels à laquelle nous souscrivons. 41. Si l’on convient bien avec Gabriel Eckert qu’il faut considérer la distinction proprement normative comme secondaire, il existe des normes qui vont intervenir dans les deux sphères sans avoir pour effet de remettre en question la distinction des deux droits. C’est la raison pour laquelle il existe des éléments de droit public dans la sphère civile et des éléments de droit privé dans la sphère publique. Ce qui s’explique, comme l’écrivait Jean-Bernard Auby, par « l’effet de normes qui, tout simplement, ignorent la distinction »120. On dira donc que les deux ordres juridiques partiels ont en commun un certain nombre de sources dans le droit objectif global, mais dont l’application va devoir s’adapter autant que nécessaire aux exigences propres à chaque ordre. Le régime juridique de l’administration connaît bien une certaine complexité du fait de l’importance jusqu’alors trop négligée du droit privé, mais le fait est que « tout se passe comme si le contact avec les personnes publiques et les activités publiques conduisait à une transformation du droit privé » et « à faire du droit privé administratif un droit spécial »121. La raison de ce phénomène est que la distinction en deux ordres correspond d’abord à « deux systèmes axiologiques opposés », la sphère publique dominée par l’intérêt général et la sphère privée dominée par les intérêts particuliers122. Avec Didier Truchet, on considèrera que le droit administratif a pour base fondamentale l’exigence démocratique combinée avec deux postulats : « l’intérêt général existe » et « l’administration est mieux armée que les personnes privées pour l’identifier et le satisfaire ». De là, « le droit administratif (…) est programmé, façonné pour répondre à l’intérêt général »123, et c’est pourquoi la réponse à la question de sa nécessité s’impose comme positive : « oui, nous avons 118 Voir notamment, Gérard Quiot, Aux origines du couple gestion publique – gestion privée. Recherche sur la formation de la théorie de la gestion privée des services publics, th. Nice, 1992, spéc. p. 235 : « La distinction de l’État “agissant comme Administrateur” et de l’État “agissant comme propriétaire” n’est pas le produit des efforts et réflexions théoriques de la doctrine et de la jurisprudence des premières décennies du XIXème siècle. C’est, en effet, une création du législateur révolutionnaire. Quant à sa cause intellectuelle, elle réside, aussi paradoxale que cela puisse paraître, dans la consécration d’une conception du rôle de l’État qui exclut des activités imparties à celui-ci l’exercice de la fonction de propriétaire ». 119 Benoît Plessix, op. cit., n° 775 p. 690. 120 Jean-Bernard Auby, « Le mouvement de banalisation du droit des personnes publiques et ses limites », in Mélanges Jean-Marie Auby, Dalloz, 1992, p. 5. 121 Gabriel Eckert, « Droit administratif et droit civil », préc., p. 611. 122 Caroline Chamard, op. cit., n° 2 p. 2. 123 Didier Truchet, « Avons-nous encore besoin du droit administratif ? », Mélanges Jean-François Lachaume, Dalloz, 2007, pp. 1048-1049. 36 besoin du droit administratif ; il est en effet le seul corps de règles qui puisse faire prévaloir démocratiquement l’intérêt général en mettant la puissance publique au service de la sécurité et de la solidarité »124. Pour autant, l’ordre juridique partiel qu’est le droit public « ne peut être une simple collection de dérogations au droit civil »125. En cela, la définition du droit administratif donnée par Jean Rivero comme le droit des dérogations en plus ou en moins édictées en vue de l’utilité publique 126 conserve évidemment sa pertinence127, mais elle ne rend compte que de la partie dérogatoire, originale du droit public, le droit administratif. A celui-ci il faut ajouter tant le droit formellement commun recevant une application identique ou déformée, que le droit spécifique résultant de l’utilisation-réappropriation de normes pourtant à l’origine identiques. C’est ainsi que nous comprendrons la position défendue par Gabriel Eckert selon laquelle la distinction entre le droit civil et le droit administratif est « extérieure au droit de l’administration »128. Elle fonde l’existence même d’un droit de l’administration opposé au droit de la société civile, elle constitue le droit public, dont le droit administratif, en ordre juridique autonome afin de garantir l’autonomie de l’individu et de la sphère privée. La théorie des ordres juridiques partiels correspond à cette conformité de l’ordre juridique au principe libéral de distinction entre l’État et la Société, ente le public et le privé. Elle ne peut que s’étendre, selon nous, au concept primordial de l’ordre juridique envisagé subjectivement, le sujet de droit. 124 Préc., p. 1052 ; dans le même sens, Jean Brethe de la Gressaye, in Mélanges Georges Ripert, LGDJ, 1950, p. 305 : « le principe de la distinction entre Droit administratif et Droit privé doit être recherché, semble-t-il, dans leur objet et dans le leur but (…) ; l’objet du Droit administratif est l’activité de l’Administration (…) ; le but du Droit administratif est d’assurer la suprématie de l’intérêt public ». 125 Gabriel Eckert, « Droit administratif et droit civil », préc., p. 606. 126 Jean Rivero, « Existe-t-il un critère du droit administratif ? », RDP, 1953, p. 279. 127 Fabrice Melleray, « Existe-t-il un critère du droit administratif ? A propos de deux articles de Jean Rivero », in Le Professeur Jean Rivero ou la liberté en action, dir. Ferdinand Mélin-Soucramanien et Fabrice Melleray, Dalloz, 2012, p. 65 : « si les frontières du droit administratif peuvent bouger, si les prérogatives peuvent être remises en cause (généralement au nom de la défense des administrés) tout comme d’ailleurs les sujétions (au nom plutôt de l’efficacité de l’action administrative), il n’en demeure pas moins que le droit administratif, entendu comme l’ensemble des règles spéciales applicables aux administrations publiques est, aujourd’hui comme hier, la somme de prérogatives et de sujétions inconnues du régime juridique ordinairement applicables aux personnes privées ». 128 Gabriel Eckert, préc., p. 642. 37 B. Distinction des propriétés, distinction des personnes et summa divisio 42. Si le subjectif et l’objectif ne sont que deux points de vue pour décrire un seul et même droit, le droit positif, alors la distinction du droit public et du droit privé au plan du droit objectif doit avoir son pendant au plan subjectif. C’est pourquoi la propriété et la personnalité publiques entretiennent des rapports étroits qui, selon nous, vont jusqu’à faire de l’autonomie de l’une la condition de l’autonomie de l’autre (1). La nécessité d’une analyse subjectiviste suppose ensuite de vaincre les préjugés objectivistes et d’exposer brièvement 129 les présupposés d’une telle approche en droit public français (2). 1) Les personnes publiques propriétaires ou la distinction des sujets de droit 43. Le lien unissant personnalité et propriété publiques se manifeste à l’occasion de toutes les réflexions sur la spécificité de chacune des deux notions. Autrement dit, qui recherche la personnalité publique y trouve la propriété publique et vice versa. Si les auteurs se séparent sur l’autonomie de la propriété publique, tous s’accordent sur l’idée que les spécificités cardinales de la notion ont une origine organique et que même l’idée de biens « publics » appropriés par des personnes privées implique la présence d’une personne publique. C’est donc bien la personnalité publique qui est au cœur de la propriété publique. Or, les éléments de spécificité de la personnalité publique ne sont pas sans lien avec la propriété. Lors du colloque sur la personnalité publique organisé par l’Association française pour la recherche en droit administratif en 2007, Roland Drago ouvrait la première partie en disant que « la tenue d’un colloque sur la personnalité publique était indispensable en raison de la publication par l’ordonnance du 21 avril 2006 du Code général de la propriété des personnes publiques »130. Jacques Petit synthétisait ainsi cette intime proximité : « les prérogatives ou sujétions de puissance publique véritablement propres aux personnes publiques sont autant d’éléments du régime de leur patrimoine, ce qui manifeste un certain renversement de perspective par rapport à l’opposition classique droits patrimoniaux/droits de puissance publique : c’est du côté du patrimoine, si l’on peut dire, qu’apparaît le plus nettement aujourd’hui la spécificité des personnes publiques »131. Personnalité publique et propriété publique semblent indissociables. Leur destin est à ce point lié que la relativisation de la spécificité de l’une et l’autre sont concomitantes et que La justification de l’utilisation d’une approche combinant objectivisme et subjectivisme fait l’objet des développements du premier chapitre de la première partie de cette thèse. 130 La personnalité publique, actes du colloque de l’AFDA, op. cit., p. 13. 131 Idem, p. 256. 129 38 chacune fait l’objet de logiques d’assimilation à la notion homologue d’un droit privé conçu comme le droit commun. 44. Or, la distinction des sujets de droit est une condition de la summa divisio entre les droits public et privé. Jean-Bernard Auby a montré tout l’intérêt que présente « le fait de décrire l’administration comme un ensemble spécifique de sujets de droit »132. Évoquant l’idée de supports privés et publics de l’action administrative, seuls ces derniers apparaissent au sein de cet ensemble comme les sujets de droit spécifiques. La personne publique, c’est donc bien ce sujet immédiat de l’Administration, le sujet du droit public. L’auteur se ralliait ainsi à « l’idée selon laquelle la distinction du droit public et du droit privé ne peut être correctement fondée que dès l’instant où elle peut s’appuyer sur une distinction des sujets de droit »133. Distinguer deux catégories de sujets de droit induit cependant d’aller au-delà de la définition réduite à l’épure du sujet de droit, bientôt confondu avec la personnalité juridique134. 45. Si la summa divisio iuris dépend de la distinction des sujets de droit, alors la personnalité publique correspond à la catégorie des sujets du droit public. En cela, elle s’oppose moins à la personne morale de droit privé qu’à la personne privée, physique ou morale. Notre thèse consiste à vérifier l’hypothèse que c’est en raison de l’attribution d’une propriété publique, concrétisée par un droit de propriété public, que les sujets du droit public pourraient se distinguer de ceux du droit privé. Une approche subjectiviste du droit public se justifie par ce fait que les personnes publiques sont autonomes et que cette autonomie se traduit par une spécificité de leurs droits subjectifs. Nous rejoignons en cela Philippe Yolka pour considérer que « les droits subjectifs des personnes publiques, asservis à l'intérêt général et enserrés dans un entrelacs de compétences fixées par les règles du droit objectif, ne sauraient être appréhendés dans les mêmes termes que ceux des personnes privées »135. En considérant la propriété comme le droit subjectif par excellence, il nous semble que la vérification de l’existence d’un droit de propriété public serait de nature à confirmer la proposition de Jean-Bernard Auby d’après laquelle « il existe véritablement un statut personnel public qui se distingue du statut privé, probablement fondé sur le contenu sociologique de la personnalité publique »136. 132 Jean-Bernard Auby, La notion de personne publique en droit administratif, op. cit., p. 372. Ibid., p. 382. Il s’inscrivait explicitement dans le sillage d’auteurs comme Raymond Carré de Malberg pour qui « la distinction du droit public et du droit privé se rattache directement à la dualité des sujets juridiques », Raymond Carré de Malberg, Contribution à la théorie générale de l’État, Sirey, 1920, p. 50 ; et Charles Eisenmann pour qui « la distinction des sujets de droit constitue le seul fondement sur lequel on puisse logiquement asseoir la distinction du droit public et du droit privé », Charles Eisenmann, « Droit public, droit privé (En marge d’un livre sur l’évolution du droit civil français) », RDP, 1952, p. 903. 134 Nous avons privilégié d’englober sous ces deux concepts aptitude à être titulaire de droit et titularité effective de droits identifiés. Il est possible de limiter la personnalité à la première et le sujet de droit à la seconde, voir en ce sens, Xavier Bioy, Le concept de personne humaine en droit public. Recherche sur le sujet des droits fondamentaux, Dalloz, 2003, spéc. n° 583 p. 312 et s. 135 Philippe Yolka, « Pour une théorie des droits subjectifs des personnes publiques », AJDA, 2013, p. 313. 136 Op. cit., p. 72. 133 39 L’analyse subjectiviste permet de vérifier l’existence en droit positif de ce statut et, partant, l’autonomie de la propriété et de la personnalité publiques. En creux, cette analyse permet de déterminer la part qui revient à cette propriété publique fonctionnelle. Il convient donc d’exposer brièvement ce qu’une telle approche signifie en tant que méthode d’analyse du droit positif. 2) Les présupposés d’une analyse subjectiviste du droit public 46. Tout le monde s’accorde sur le fait que les collectivités publiques sont des personnes juridiques, à ce titre titulaires de droits et sujets d’obligations ; qu’elles répondent donc de ces dernières sur leurs biens, quand bien même ce ne serait que sous la forme de compensation pécuniaire137. Pourtant, le droit administratif continue de reposer sur des « concepts objectivés, ceux de compétence, de statuts, d’institutions, de situations juridiques générales et impersonnelles » 138 . Selon, Norbert Foulquier, « le droit administratif français repose donc sur un paradoxe. La doctrine et le juge ont élaboré tous les concepts et les régimes nécessaires à une approche subjectiviste des rapports administratifs… Mais le poids de la tradition d’une conception juridique objectiviste a empêché leur explication, condition d’une véritable cohérence du système administratif »139. Pour Michel Fromont, cette évolution semblerait d’ailleurs non seulement souhaitable mais inexorable : « on assiste à un processus caché de subjectivisation du droit administratif français » au terme duquel « l’État deviendra véritablement une personne juridique exerçant son pouvoir d’action unilatérale à l’égard des personnes privées comme un droit subjectif » 140 . Il faut donc considérer cette évolution comme l’émergence d’une simple technique de description du droit positif. Ainsi que l’écrivait Jean-Bernard Auby, « si, par “subjectivisme”, on entend l’attribut d’une vision du droit qui met l’accent sur les sujets de droit, la notion de personne publique relève bien du subjectivisme, et une analyse de la notion de personne publique en droit administratif est bien une analyse qui examine le droit administratif sous l’angle du subjectivisme »141. Il s’agit donc de s’affranchir du dogme d’un objectivisme largement artificiel 142 afin de pouvoir procéder à cet examen sous l’angle subjectiviste, à partir des sujets de droit. 137 Ce qui correspond à l’idée d’un « droit de gage restreint » sur les seuls deniers publics du fait de l’insaisissabilité générale qui frappe les biens des personnes publiques, immunisées contre les voies d’exécutions judiciaires, Caroline Chamard, La distinction des biens publics et des biens privés, op. cit., n° 711 et s. Cela suppose d’assimiler la contrainte que constitue l’injonction sous astreinte ne constitue à une véritable mesure d’exécution forcée. 138 Franck Moderne, Préface à la thèse de Norbert Foulquier, Les droits publics subjectifs des administrés. Émergence d’un concept en droit administratif du XIXe au XXe siècle, Dalloz, 2003, p. XI. 139 Norbert Foulquier, Les droits publics subjectifs des administrés. Émergence d’un concept en droit administratif français du XIXe au XXe siècles, Dalloz, 2003, n° 106 p. 96. 140 Michel Fromont, « Rapport introductif », in La personnalité publique, op. cit., p. 9. 141 Jean-Bernard Auby, La notion de personne publique en droit administratif, th. , Bordeaux I, 1979, p. 4. 142 Cf. infra, n° n0 90 p. 83 et s. 40 Les concepts subjectivistes composent simplement un langage, une grammaire 143, deux précieux auxiliaires de la pensée, sans préjuger en rien de l’esprit et l’autonomie du droit public. C’est à partir de ces concepts que seront construits nos développements consacrés à la justification de cette analyse subjectiviste du droit public. Ils feront apparaitre qu’une analyse subjectiviste est un simple outil et n’a donc pas la portée qu’on a tendance à lui prêter. Elle signifie simplement que les règles de droit sont inertes si elles ne sont qu’exposées à l’état statique sous forme du droit objectif. Le subjectivisme est l’actualisation de ce droit virtuel. Il lui donne vie en procédant à sa mise en application à partir des sujets pour lesquels il est institué. La notion de compétence telle que nous voulons la définir est destinée à contenir les règles de la propriété publique à l’état virtuel que constitue ce droit objectif public. C. La compétence : du droit public objectif à sa concrétisation subjective à partir des personnes publiques propriétaires 47. A la suite de l’adoption de la théorie des ordres juridiques partiels, nous voulons utiliser la compétence comme le principe d’organisation du droit objectif public, par opposition au droit objectif privé. Notion fondamentale du droit public, elle achoppe, comme souvent, sur des difficultés de définition. Nous voudrions écarter les définitions généralement avancées qui conduisent à rendre la notion de compétence insaisissable. Nous souscrivons ainsi dans un premier temps à l’analyse de Philippe Azouaou au terme de laquelle la compétence relève du concept forgé par Guillaume Tusseau de norme d’habilitation (1). Cependant, la compétence ne nous semble pas devoir s’identifier à ce concept qui recouvre des réalités juridiques de droit privé et de droit public. La compétence, selon nous, doit être réservée au droit public. Elle en assure la structure en tant que droit public objectif. C’est pourquoi nous proposons une définition renouvelée de la compétence qui en fasse l’habilitation spécifique au droit public : la compétence est l’universalité des règles fondant et régissant l’activité juridique d’un office public (2). 1) Des définitions concurrentes à la synthèse par le concept formel de norme d’habilitation 48. Philippe Azouaou, après avoir passé en revue toutes les acceptions utilisées du vocable de compétence, conclut dans sa thèse que « la notion de compétence est floue » 144 . Il démontre comment, en doctrine, la compétence a été « mise en rapport avec de nombreuses autres notions, parmi 143 144 Dans le même sens, Aurélien Camus, Le pouvoir de gestion du domaine public, th. Paris X, 2013, n° 15 p. 15. Philippe Azouaou, L’indisponibilité des compétences en droit public interne, th. Paris X, 2012, n° 490 p. 450. 41 lesquelles les notions de capacité, aptitude, attribution, et, toujours, celle de pouvoir »145. Cet auteur en déduit alors que « l’absence de définition unique et précise de la compétence rend cette notion inexploitable pour la construction d’un principe d’indisponibilité » 146 qui constitue le cœur de son étude. D’après lui, un concept unificateur s’impose et il adopte alors celui de norme d’habilitation auquel Guillaume Tusseau a consacré sa thèse de doctorat. Ce dernier propose quatre éléments composant la structure d’une norme d’habilitation : un acteur, une action, un champ d’application et un champ de réglementation déterminé par le principe lex superior »147. Le concept de norme d’habilitation est ainsi un moyen de faire la synthèse des différentes conceptions qui ont pu être proposées. La norme d’habilitation dégagée comme concept formel par Guillaume Tusseau permet d’appréhender ensemble les définitions concurrentes de la compétence qui ont pu être proposées. Toutes sont justes parce que toutes se rapportent à un élément de la norme d’habilitation. Toutes sont erronées en ce qu’elles ont voulu réduire cette norme à un seul de ses éléments ou à une combinaison partielle. 49. Forme neutre, outil de science juridique, le concept de norme d’habilitation ne doit cependant pas conduire à dissoudre les distinctions, mais au contraire permettre de les faire apparaître avec toute la force que permet un outil de cette importance. C’est pourquoi on s’écartera de la position de l’auteur pour qui le concept de norme d’habilitation doit conduire à « la relativisation de contrastes opposant droit privé et droit public »148. En effet, si l’analyse formelle doit permettre de dire quels contrastes sont de simples divergences ponctuelles et contingentes et lesquels constituent, à l’inverse, des lignes de fracture, elle n’autorise pas à conclure au rejet de la summa divisio qui est une tout autre question. La compétence doit, selon nous, être réservée au droit public et s’opposer à la capacité elle-même propre au droit privé. La compétence est la norme d’habilitation fondamentale du droit public lequel est le droit des compétences par opposition au droit privé. Ce qui nous permettra de le démontrer, c’est précisément le recours à une approche subjectiviste qui complète l’objectivisme. Celui-ci domine la théorie normativiste et on en retrouve la trace chez Guillaume Tusseau. En effet, celui-ci fait de l’acteur un élément parmi les autres de la norme d’habilitation. Mieux, il y associe moins l’idée de sujet de droit que celle de l’individu qui incarne l’organe nécessaire à la mise en œuvre de l’action. La norme d’habilitation est évidemment du ressort du droit objectif, mais elle a un équivalent subjectif qui est l’habilité et il est ignoré alors même que l’office public correspond bien à ces deux éléments, dont la combinaison est la 145 Ibid., n° 497 p. 459. Ibid., n° 540 p. 484. 147 Guillaume Tusseau, Les normes d’habilitation, Dalloz, 2006, n° 593 p. 306. 148 Op. cit., n° 726 p. 384. 146 42 condition de la complétude de l’analyse : un office qui habilite un officier, lequel est un sujet de droit, et en général une personne morale, avant d’être un individu, en général un simple organe de cette personne149. 2) La compétence comme universalité des règles fondant et régissant un office public 50. La compétence doit être réservée au droit public parce qu’elle se combine avec « la notion de fonction publique (l’office) qui relève d’une théorie de l’institution étatique »150. Lier le concept d’office public à la notion de compétence conserve sa cohérence à l’Administration entendue comme ensemble de « pouvoirs publics », lesquels « sont les diverses modalités du pouvoir que l’entreprise de l’État emploie pour réaliser ses fonctions »151. C’est-à-dire que malgré la multiplication des formes, des acteurs et des supports de l’action publique, celle-ci dépend toujours en dernier ressort de « l’État qui dénie à tout groupement humain le droit à une sorte d’auto-gouvernement et qui revendique avoir le monopole d’interpréter le bien public »152. Situé dans le prolongement de celui de la création du droit objectif, ce monopole permet de suivre encore Olivier Beaud lorsqu’il affirme que « dans le domaine du droit public interne, l’État peut représenter l’unité de cet ordre juridique homogène chargé de répartir les compétences »153. Il faut donc considérer la compétence comme la norme d’habilitation à agir, édictée dans le cadre de cette interprétation du bien public et destinée à établir une structure qui participe du système administration. Située dans la perspective volontariste d’une action publique réalisée par l’Administration sous toutes ses formes, la compétence apparaît non seulement comme fondamentale mais aussi comme fondamentalement publique. 51. La compétence structure le droit public malgré la diversité de ses sources et en affirme ainsi l’autonomie par rapport au droit privé. La distinction de l’État et de la Société se traduit grâce à la compétence par une scission au sein du droit objectif produit (ou consenti) par l’État. Le droit public apparaît ainsi comme une partie du droit objectif, cette partie qui est destinée à 149 Ce qui conduisait Robert Hertzog à considérer que seuls les organes ont des compétences, que les personnes publiques n’ont que des missions, « Les personnes publiques n’ont pas de compétences », Gouverner, administrer, juger. Liber amicorum Jean Waline, Dalloz, 2002, pp. 235 et s. Selon nous, il conviendrait plutôt de distinguer le titre de l’activité, la compétence et les droits subjectifs de la personne juridique, et l’exercice de cette activité par ceux qui ont un pouvoir d’édicter les actes juridiques, notamment les organes des personnes morales. 150 Olivier Beaud, La puissance de l’État, PUF, 1994, p. 168. 151 Maurice Hauriou, Précis de droit constitutionnel, 1ère éd., 1923, p. 308. 152 Olivier Beaud, « L’État », in Traité de droit administratif, dir. P. Gonod, F. Melleray, P. Yolka, Dalloz, 2011, p. 251. Dans le même sens, Jacques Caillosse, préface à l’ouvrage de Patrice Duran, Penser l’action publique, LGDJ, 2010, pp. 1011 : « Certes, [l’action publique] se construit à travers des pratiques collectives où interviennent des acteurs publics et privés toujours plus nombreux et diversifiés, mais la puissance publique n’en perd pas pour autant la singularité qu’elle retire de la manœuvre du droit. Elle continue ainsi de fixer les orientations de l’action et de fabriquer les normes à travers lesquelles, en tout état de cause, celle-ci continue de cheminer ». 153 Olivier Beaud, « Souveraineté et compétence », préc., p. 19. 43 organiser la réalisation effective de la volonté politique des gouvernants grâce à l’action administrative. En tant que norme d’habilitation, la compétence va permettre d’assurer sa cohérence organique en instituant chaque office public, en même temps qu’une personne qui en assumera la charge et, en dernier ressort, l’État. Les compétences fondamentales sont donc d’abord celles de l’État, lui permettant de faire le droit, et donc d’introduire un contenu à chacun des ordres partiels. C’est l’activité de l’État qui va ensuite admettre d’autres personnes publiques que lui-même et associer éventuellement des personnes privées à l’action administrative. En tant qu’universalité des règles fondant et régissant un office public, la compétence va instituer les personnes publiques à partir desquels se développe l’action publique. C’est en cela que la compétence va pouvoir être interprétée comme le fondement en droit objectif des personnes publiques propriétaires, la propriété étant l’une des modalités de réalisation de l’action publique. De la combinaison de cette approche objective avec les concepts subjectivistes naîtra, selon nous, une synthèse de la propriété publique faisant apparaitre le rôle fondamental que jouent les personnes publiques propriétaires. § 4 Problématique et plan de la recherche 44 52. Le rattachement organique est un principe systématique du droit public. Cela confirme l’idée de Jean-Bernard Auby d’une « absence de réelle autonomie – par rapport à la notion de personne publique – des définitions (des) catégories “fonctionnelles” » 154 . Destiné à conférer à l’action administrative sa cohérence organique, ce principe permet de placer l’Administration dans le prolongement de l’État en vertu de son monopole de répartition des compétences. Elle permet ensuite de maintenir cette cohérence en faisant de l’État et des personnes publiques les sujets primaires de l’Administration, ceux à partir desquels l’action administrative se déploie. Le rattachement organique se distingue de la propriété des personnes publiques parce qu’il ne s’intéresse à la personnalité publique que comme point de rattachement, l’État ayant choisi de conférer cette qualité à d’autres sujets de droit. En revanche, il ne saurait se passer de la personnalité publique parce qu’elle demeure le seul point de rattachement possible. La personnalité publique, indissociable de la compétence, joue ce rôle d’assurer la cohérence organique de l’Administration dans le prolongement de l’État. Or, l’autonomie de la personnalité publique est incertaine alors même qu’elle est nécessaire pour constituer ces points de rattachement à l’Administration. La propriété des personnes publiques est une manifestation de l’autonomie de cette catégorie des personnes publiques qui joue ce rôle fondamental d’assurer l’unité organique du droit public. Les personnes publiques sont les véritables sujets de la propriété publique et cette dernière est donc bien, en définitive, la propriété des personnes publiques. Le développement de l’ordre juridique partiel du droit développement se fait à partir des personnes publiques, et ne les dépasse que dans leur prolongement. L’action publique utilisera la propriété publique des personnes publiques et la propriété privée des personnes privées, appelant pour chacune d’elle l’application de régimes fonctionnels qui s’y superposeront, en fonction des missions à remplir et des obstacles à lever. 154 Jean-Bernard Auby, th. préc., p. 386. 45 53. Définie comme l’universalité des règles qui fondent et régissent un office public, la compétence fonde en droit objectif l’existence des personnes publiques propriétaires. Celles-ci constituent le point de départ du développement de l’action publique, laquelle y trouvera ainsi son unité organique. Les personnes publiques développeront l’action publique en exerçant cette compétence, y compris par des mécanismes faisant intervenir des personnes privées. Ces activités, ces mécanismes, appelleront l’application de régimes fonctionnels mais sans remettre en cause l’unité organique précédemment acquise. C’est pourquoi personnes publiques et compétences constituent les notions fondamentales de l’ordre juridique partiel du droit public. Parce que la compétence est une norme d’habilitation et qu’elle intervient en tout premier lieu, elle a pour effet l’apparition d’une personne publique au point de vue subjectif de l’ordre juridique public. Elle habilite cette personne à exister et donc à être propriétaire car tout sujet de droit est propriétaire. En fondant la qualité de propriétaire des personnes publiques, la compétence assure leur autonomie par rapport aux personnes privées et ce dans toutes les dimensions qui s’y rapportent (Première partie). Ce statut permet alors le développement de l’action publique. Les activités en cause seront toujours assumées par les personnes publiques car elles relèvent toujours de leur compétence. Dès lors, si ces missions peuvent être assurées par des personnes privées ou par l’utilisation de biens privés, ce phénomène ne remet pas en cause l’unité du droit public qui est une unité organique rattachant tous ses acteurs à la volonté primordiale de l’État. La perspective subjectiviste permet d’affirmer que l’exercice des compétences au moyen de la propriété demeure toujours imputable aux personnes publiques propriétaires qui assument les missions ainsi assurées directement ou par des personnes et des biens privés. Plus généralement, c’est l’unité de l’ordre juridique partiel qui est encore une fois affirmée en décrivant l’exercice des compétences par les personnes publiques propriétaires (Seconde partie). Première partie La compétence, fondement de la qualité de propriétaire des personnes publiques Seconde partie L’exercice de leur compétence par les personnes publiques propriétaires 46 Première partie La compétence, fondement de la qualité de propriétaire des personnes publiques 54. « Il existe assurément, écrit Philippe Yolka, à un niveau de généralité supérieur, un concept unitaire de propriété, qui n’est ni privé, ni public »1. Si on peut admettre l’existence d’un tel concept, il faut cependant se garder de considérer qu’il a une existence autonome des phénomènes normatifs que l’on rapproche de la propriété, et qui existent, et eux seuls, dans le droit positif. Si ce concept existe, il ne peut s’agir que d’un simple outil intellectuel et non d’un objet du droit positif. Conçu à partir de l’observation de la propriété privée et de la propriété publique telles qu’on les formule, il permet d’en rendre compte, de les décrire, de les comprendre, de les comparer. Cela signifie qu’il ne leur préexiste pas. S’il est unitaire, c’est parce qu’il est possible de réduire les formes publiques et privées de la propriété à un concept formel de propriété. Il faut en conclure que ce concept n’autorise pas leur confusion. Au contraire, il révèle leur opposition. 55. Si l’on parvient à forger un concept unitaire de “propriétaire”, celui-ci ne préexistera donc pas plus aux catégories de propriétaires, ni ne correspondra à une “nature” qui les confonde. Au contraire, résultant d’un effort d’abstraction, il permettra de rendre compte, en droit positif, de l’existence de deux catégories irréductibles l’une à l’autre. Il permettra de constater en droit positif l’existence de phénomènes normatifs pouvant dont on peut rendre compte sous la forme d’une opposition entre les personnes publiques et les personnes privées en considération de leur qualité de propriétaire. 56. Ce concept de propriétaire renvoie à l’idée d’un statut personnel sur la base duquel une personne juridique dispose de l’outil que constitue la propriété, la réservation exclusive des choses et leur disposition par actes juridiques. La propriété publique, op. cit., p. 4. L’auteur écarte de ce fait l’idée que la propriété publique résulterait d’une transposition avec adaptation de la propriété privée. Caroline Chamard-Heim, quant à elle, considère que « le droit de propriété liant les personnes publiques et leurs biens est de même nature que celui des personnes privées » et que la différence ne vient ainsi que de son exercice : « s'il n'y a assurément qu'un seul droit de propriété, l'exercice de ce droit peut varier en fonction de la nature juridique du propriétaire », « Les propriétés publiques », in Traité de droit administratif, op. cit., pp. 302-303. Elle admet donc l’existence d’un droit de propriété unique ne connaissant que des nuances de régimes. Yves Gaudemet, on l’a vu, franchit le pas qui suit en affirmant que ce droit est celui-là même qu’exercent les particuliers sur leurs biens. 1 47 Ce statut de propriétaire suppose d’avoir son expression dans le droit objectif avant de se concrétiser sous la forme d’un sujet de droit exerçant un droit subjectif de propriété. C’est pourquoi le concept de propriétaire suppose de pouvoir identifier une habilitation à la propriété. L’identification, en droit positif, de deux catégories d’habilitations à être propriétaire, permettra de pouvoir vérifier l’existence et l’opposition des deux catégories de propriétaires. Les deux habilitations par lesquelles apparaissent en droit positif deux catégories de propriétaires sont celles qui produisent en premier lieu deux catégories de personnes. L’habilitation à la personnalité privée et à la propriété qui en est l’attribut est la capacité. L’habilitation à la personnalité publique et à la propriété qui en est l’attribut est la compétence. Telle est l’hypothèse fondamentale qu’il s’agit de vérifier pour démontrer l’autonomie de la catégorie des personnes publiques propriétaires. 57. Renvoyant à l’opposition primordiale entre l’État et l’individu, la compétence fonde la distinction de la personnalité et de la propriété publiques et privées. Elle constitue ainsi le critère de cette catégorie autonome que constituent les personnes publiques propriétaires (Titre 1er). L’effet de la compétence est ensuite l’attribution aux personnes publiques de droits subjectifs publics. Il s’agit du droit de propriété public qui leur est propre, et des droits de puissance publique qui sont pour elles un auxiliaire patrimonial caractéristique, parfaitement inconnu des propriétaires privés étrangers à l’action publique (Titre 2nd). Titre 1er La compétence, critère de la catégorie des personnes publiques propriétaires Titre 2nd La compétence, fondement des droits subjectifs des personnes publiques propriétaires 48 Titre 1 La compétence, critère de la catégorie des personnes publiques propriétaires er 58. Selon Charles Eisenmann, la distinction des personnes publiques et des personnes privées « est typique de toutes les sociétés politiques dont l’ordre comporte la coexistence d’une sphère d’activités étatiques et d’une sphère d’activités privées ou “individuelles”, c’est-à-dire fait une place quelconque au principe libéral »1. Or, pour Philippe Yolka, « la propriété publique est un prolongement de la personnalité publique dans le monde des biens ; la réduire à la propriété privée revient à occulter cet aspect essentiel »2. Si elles sont irréductibles l’une à l’autre, c’est que la propriété publique relève de la sphère d’activités étatiques et la propriété privée de la sphère d’activités privées. La propriété de l’État, ni celle d’aucune autre personne publique, ne saurait être une liberté. Sauf à nier la catégorie des personnes publiques, ou à en exclure l’État. L’idée même de liberté fondamentale des personnes publiques peut être contestée dans la mesure où ces libertés visent à garantir la Société contre les ingérences excessives de l’État dont ces personnes publiques participent en tant qu’émanations. Les personnes publiques ont une propriété qui n’est pas une liberté fondamentale mais seulement un instrument au service de leur compétence. La compétence est le fondement de la personnalité juridique publique, autonome et opposée à la personnalité juridique privée. L’opposition de la compétence des personnes publiques à la capacité des personnes privées fonde cette opposition entre les deux catégories constitutives de la summa divisio des personnes en droit français (Chapitre 1). La personnalité juridique impliquant la propriété, la compétence a pour effet de constituer un propriétaire immédiatement attaché à la sphère étatique. Cela interdit de voir dans la propriété attribuée aux personnes publiques une liberté ou un droit fondamental comparable à celui des personnes privées, confirmant ainsi l’existence de deux catégories de propriétaires en fonction de la personnalité juridique, publique ou privée (Chapitre 2). Chapitre 1 L’opposition de la compétence des personnes publiques à la capacité des personnes privées Chapitre 2 L’opposition de la propriété des personnes publiques à la propriété des personnes privées 1 Charles Eisenmann, préface à la thèse de Epaminondas Spiliotopoulos, La distinction des institutions publiques et des institutions privées en droit français, LGDJ, 1959, p. VII. 2 Philippe Yolka, La propriété publique. Éléments pour une théorie, op. cit., p. 478. 49 50 Chapitre 1 L’opposition de la compétence des personnes publiques à la capacité des personnes privées 59. Xavier Bioy écrit que « distinctes dans leurs principes, personne humaine et personne juridique n’en sont pas moins liées, l’une “informant” l’autre pour tenir compte de la situation réelle de son titulaire, de l’être humain concret et socialement situé » 1 . La personne publique résulte d’une même « information » pour tenir compte de sa situation sociale et politique, tandis que la personne privée, catégorie résiduelle, est celle qui n’est pas publique. On peut appliquer aux concepts subjectifs l’idée d’une concrétisation graduelle du droit2 dont ils seraient les degrés : la personnalité juridique, les droits subjectifs, les situations juridiques. Cette combinaison du droit objectif et de sa concrétisation subjective permet de décrire tout ordre juridique, et la théorie des ordres juridiques partiels suppose donc d’établir deux ensembles parallèles. L’ordre juridique public doit avoir une habilitation objective publique, la compétence, dont la concrétisation se développe à partir d’une personnalité juridique publique, tandis que la personnalité juridique privée doit concrétiser le droit objectif associé à sa propre habilitation, la capacité. Cela suppose d’admettre à la fois la prise en compte du contenu matériel des règles de droit et d’autre part l’utilisation des concepts subjectifs, deux attitudes rejetées par la théorie normativiste. C’est ce qui nous amène à proposer un positivisme instruit, n’admettant comme objet que le droit positif, mais l’observant grâce à ces deux outils indispensables à la distinction des personnes, des propriétés et des droits subjectifs (Section 1). Il est alors possible de démontrer que la compétence et la personnalité publique sont les notions matérielles de l’ordre juridique partiel du droit public, par opposition aux notions de capacité et de personnalité privée qui sont celles de l’ordre juridique partiel du droit privé (Section 2). Section 1 Le positivisme instruit et la comparaison des ordres juridiques par la combinaison des points de vue objectif et subjectif Section 2 Compétence et capacité, fondements respectifs de la personnalité publique et de la personnalité privée Xavier Bioy, « L’usage du concept de “personne” en droit” », RRJ, 2012, p. 2176. Hans Kelsen l’évoque en ces termes : « l’application d’une norme générale à un cas concret consiste à créer une norme individuelle, à individualiser, ou concrétiser, la norme générale. Et par suite, la norme générale à appliquer peut avoir également pour rôle de déterminer le contenu de la norme individuelle que créera l’acte juridictionnel ou l’acte administratif, la décision de justice ou la décision ou disposition administrative », Théorie pure du droit, Paris, LGDJ, 2e éd., trad. Ch. Eisenmann, Bruyant/LGDJ, 1999 (1962), p. 232. Concernant Merkl à qui revient la paternité de la formation du droit par degrés, cf. Roger Bonnard, « La théorie de la formation du droit par degrés d’Adolf Merkl », RDP, 1928, p. 669. 1 2 51 Section 1 Le positivisme instruit et la comparaison des ordres juridiques par la combinaison des points de vue objectif et subjectif 60. Gaston Bachelard dénonçait le « matérialisme massif, ingénu, périmé, qui sert de cible aux critiques faciles de la philosophie idéaliste », et voulait étudier « le matérialisme instruit par l’énorme pluralité des matières différentes, le matérialisme expérimentateur, réel, progressif, humainement instructeur » 3 . Le positivisme juridique peut également être critiqué dans sa formulation normativiste pour lui préférer un positivisme instruit. Le positivisme suppose essentiellement de ne considérer comme sources de droit que les seules autorités habilitées par l’ordre juridique à produire des normes et à en donner une interprétation authentique. Le normativisme est parvenu à formaliser l’ordre juridique qui résulte d’une telle attitude en un système logique et cohérent procédant par habilitation successive depuis une norme fondamentale. Il est cependant allé plus loin, en réduisant la science juridique à une logique formelle ne s’intéressant qu’à la validité des normes et non à ce qu’elles véhiculent comme données sociologiques ou politiques. Dans sa quête de pureté, il a également écarté l’idée de personnalité juridique et de droit subjectif, jugés métaphysiques. C’est ce positivisme purement logique, incapable de rendre compte de la densité socioculturelle du droit qui est un positivisme « massif, ingénu, périmé, qui sert de cible aux critiques faciles ». C’est en réponse à ce constat qu’est proposé un positivisme instruit par la pluralité des points de vue permettant de connaître et de comprendre le droit. Enrichi de la prise en compte du contenu matériel des règles de droit et de la perspective subjectiviste, il permet de comparer pour les distinguer les personnes publiques et les personnes privées en qualité de propriétaires. Tout d’abord, certains auteurs, fédérés par l’idée de droit politique, veulent rappeler « au normativisme qu’il n’est pas admissible de ramener le droit à quelques mécanismes normatifs stylisés et, au total, dépourvus de toute vie » 4 . C’est ce rappel qui permet d’instruire le positivisme formel de la dimension matérielle que l’analyse du droit ne saurait écarter sans commettre une véritable mutilation5 (§ 1). L’utilisation des concepts subjectivistes doit ensuite être justifiée. L’opposition du subjectivisme et de l’objectivisme sur la base de considérations idéologiques doit être dépassée en combinant ces deux termes comme constituant purement et simplement deux points de vue de description du seul et même droit positif (§ 2). 3 Gaston Bachelard, Le matérialisme rationnel, PUF, 3e éd., 1972 (1953), p. 4. Denis Baranger, « Normativisme et droit politique face aux changements constitutionnels informels (A propos de l’ouvrage de Manon Altwegg-Broussac) », Jus politicum, n° 11, 2013, p. 6. 5 Hermann Heller : « On peut considérer que la construction unifiée de la théorie de l’État du point de vue de la science du droit en tant que discipline dogmatique a échoué. Non pas seulement parce que la théorie pure du droit est vide sans sociologie, aveugle sans téléologie, mais parce que surtout la science du droit n’est pas une science constitutive. Il lui manque l’autonomie qu’on lui prête ; elle harmonise des données sociales, mais elle ne les constitue pas; au contraire, elle les trouve préexistantes », Hermann Heller, Staatslehre, Leyde, A.H. Sijthoff, 1934, p. 24, cité par Olivier Beaud, « Fragments d’une théorie de la citoyenneté chez Carré de Malberg. Ou comment articuler le citoyen, l’État et la démocratie », Jus politicum, n° 8, 2012, p. 3. 4 52 § 1 L’utilisation de concepts formels pour la comparaison des catégories de personnes publiques et privées propriétaires 61. Otto Pfersmann, pour distinguer l’État de droit formel de l’État de droit matériel, oppose concepts formels et concepts matériels : « Nous appellerons “concepts formels” de la théorie du droit ceux qui ont pour référent des propriétés constitutives de tout ordre juridique ; nous appellerons “concepts matériels” ceux qui ont pour référent des normes ou des structures normatives apparaissant de manière contingente dans tel ou tel ordre juridique donné. En ce sens, la “hiérarchie des normes” est un concept formel, alors que la “justice constitutionnelle” ou la “garantie bancaire” sont des concepts matériels ». Selon cet auteur, « la réduction formelle est de nature heuristique » et constitue donc un outil « indispensable pour la construction d’un concept matériel » 6 . Par commodité de langage, et sans préjuger de l’utilité éventuelle d’une distinction entre concept et notion, nous distinguerons les concepts formels et les notions matérielles. Les mêmes concepts formels de propriété et de personne juridique permettront de faire apparaître deux catégories matérielles distinctes, celle de personne publique propriétaire et celle de personne privée propriétaire. Cela suppose, dans un premier temps, d’admettre les concepts formels forgés conformément à la théorie normativiste mais en admettant, contre celle-ci, l’observation du contenu socioculturel des normes juridiques pour permettre l’identification de notions matérielles grâce à ces concepts (A). On pourra alors démontrer la possibilité d’une distinction entre les catégories de propriétaires en combinant trois distinctions qu’il est possible de forger à partir des concepts formels de personnalité juridique, de propriété et de droit subjectif : celle des notions matérielles de personne publique et de personne privée, celle des notions matérielles de propriété publique et de propriété privée et celle de droit subjectif privé et de droit subjectif public (B). A. Les limites du formalisme juridique “pur” et la pertinence d’une comparaison des notions matérielles à partir de concepts formels 62. L’exigence de “pureté” de l’analyse du droit positif ne doit pas interdire de considérer le droit pour ce qu’il est dans tel ordre juridique donné : un reflet de conceptions extra-juridiques, largement admises par le juriste lui-même. La connaissance “pure” du droit atteint ses limites si Otto Pfersmann, « Prolégomènes pour une théorie normativiste de « l’État de droit » », in Olivier Jouanjan (dir.), Figures de l’État de droit, Le Rechtsstaat dans l’histoire intellectuelle et constitutionnelle de l’Allemagne, Presses Universitaires de Strasbourg, 2001, p. 54. L’État de droit formel apparaît dès la constitution d’un ordre juridique rationnel soumis aux principes ontologiques complémentaires de validité dynamique (édiction des normes) et de légalité statique (contenu des normes). 6 53 elle conduit à méconnaître la densité socioculturelle du droit positif. C’est pourquoi il est nécessaire d’appliquer l’analyse formelle à la dimension matérielle, la seule capable de faire apparaître des distinctions autres que techniques. Ils permettent de découvrir les notions matérielles distinctes et non de les dissoudre par un réductionnisme formel. La fonction des concepts formels est donc purement heuristique (1). De cette admission de la dimension matérielle du droit et de la possibilité de son analyse en positiviste naît la possibilité de la distinction de notions matérielles à partir des concepts formels (2). 1) Les limites d’une connaissance “pure” du droit : la fonction purement heuristique de l’analyse formelle appliquée au contenu matériel du droit 63. Le positivisme se définit comme le simple fait de ne considérer comme objet d’étude pertinent que le seul droit positif. Rien n’interdit cependant de prendre en compte les éléments d’ordre non juridique qui sont inscrits dans le droit positif et dont la substance doit être étudiée pour en permettre une véritable compréhension. En effet, il est probable que « toutes les distinctions sans exception sont construites », et qu’elles le sont par une construction supposant « de penser le droit dans sa dimension socioculturelle »7. Appréhender cette dimension n’est pas contraire à l’exigence positiviste entendue strictement comme limitant l’objet de l’analyse juridique aux seules règles de droit en vigueur et leur interprétation. La différenciation de la catégorie matérielle des personnes publiques propriétaires devra donc être confirmée par les règles présentes en droit positif et que le concept formel de personne propriétaire permet de rechercher tant en droit privé qu’en droit public. Denis Baranger considère qu’on « ne doit pas non plus oublier que la politique est par elle-même une activité normative, productrice de valeurs, de projets, de règles, d’institutions »8. Ces derniers éléments sont le contenu matériel du droit que le juriste ne peut ignorer sans méconnaître son objet. Dans le même sens, Etienne Picard opposait la doctrine, dont le « rôle n’est pas essentiellement d’interpréter les sources du droit, mais de le fonder et de le soutenir ou de chercher d’autres fondements », à la science située « dans l’orbe de la seule raison ». Il précise : « Une doctrine ainsi conçue n’exclut donc nullement la nécessité d’une science du droit, comme science de la norme, comme science des comportements en relation avec le droit, comme épistémologie du droit, c’est-à-dire comme étude scientifique des conditions dans lesquelles se forme la connaissance même du droit ». Mais, et nous souscrivons, « la science juridique a 7 8 Chloé Lemoine, La distinction en droit, approche épistémologique, th. Lyon 3, 2009, n° 32 p. 54. Denis Baranger, « Normativisme et droit politique face aux changements constitutionnels informels », préc.. 54 toujours été un avatar de la doctrine juridique, mais non son substitut »9. La science du droit doit avoir une fonction heuristique permettant de découvrir grâce aux outils conceptuels qu’elle forge ce que le droit signifie et de quelle « réalité » on peut rendre compte par sa description. Hans Kelsen s’est fait de l’exigence scientifique une opinion que sans doute peu de scientifiques partageraient. Héritier du kantisme, influencé par la philosophie analytique du Cercle de Vienne également qualifiée de « positivisme logique »10, il identifie pratiquement la logique formelle à la scientificité, ce qui conduit à dénier tout caractère « scientifique » à un discours qu’il n’est pas possible de traduire en langage mathématique 11. Ainsi, il va au-delà de l’exigence de prendre le seul droit positif comme objet de connaissance scientifique 12 . Il procède, par extension, « à une véritable réduction épistémologique fondamentale » au terme de laquelle « la théorie pure du droit ne traitera que de la structure normative du droit »13. Cette réduction de l’objet n’est pas la conséquence d’une construction de celui-ci. C’est la construction de l’objet qui est déduite d’un présupposé qui impose de ne construire l’objet que pour le rendre descriptible par de seuls énoncés formels. Nous pensons que d’inférer d’une réduction de l’objet au seul droit positif la nécessité d’une analyse qui soit purement formelle, logique, structurelle, constitue une position dogmatique et conduit à une sorte de mutilation. Le droit n’est certes pas une science dont on peut vérifier les propositions par des expériences de laboratoires, mais elle se construit sur des matériaux humains, sociaux, politiques et culturels qui ne la rapprochent pas des mathématiques les plus abstraites, au contraire. Nous ne pouvons donc que nous accorder sur la première étape de la démarche de Kelsen. Avec lui, nous ne connaissons pas d’autre droit que le droit positif c’est-à-dire produit par des volontés humaines et identifiable comme tel. En revanche, la démarche pêche ensuite par un excès de formalisme, qui conduit à la rendre certes capable de décrire tout ordre juridique quel qu’il soit, mais aucun ordre juridique en particulier car, pour ce faire, il est indispensable d’aborder les éléments matériels qui font la spécificité de tel ordre considéré. Le droit n’est pas neutre. Les principes qui régissent un ordre juridique et le contenu des normes qui le composent sont aussi importants que la validité de ces normes et la cohérence du Etienne Picard, « “Science du droit” ou “doctrine juridique”, in Mélanges Roland Drago, L’unité du droit, Economica, 1996, p. 170. 10 Anastasios Brenner, « Le positivisme logique : le cas du Cercle de Vienne », RIEJ, 2011, p. 119, qui démontre cette influence du contexte viennois sur la pensée de Hans Kelsen. Le Cercle de Vienne réunissait des philosophes voulant appliquer aux discours philosophiques les mêmes exigences logiques que les mathématiques. Si ce dernier point est associé en général à Rudolf Carnap, le Cercle a fonctionné de 1923 à 1936, date de l’assassinat de son principal animateur, Moritz Schlick. 11 Dans la philosophie du Cercle de Vienne, une science est soit empirique, si elle peut faire l’objet de confirmation par expérimentation, soit formelle. 12 Ambition qu’il affirme dès sa thèse d’habilitation, Hauptprobleme der Staatsrechtslehre, entwickelt aus der Lehre vom Rechtssatze, (Problèmes fondamentaux de la théorie juridique de l’État), Verlag von JCB Möhr, Paul Siebeck, Tübingen, 2e éd., 1923, p. VII. 13 Sandrine Pina, « La connaissance pure du droit et ses limites », Actes du VIe colloque de l’AFDC, 9, 10 et 11 juin 2005, version électronique, p. 2. 9 55 système. La validité n’est qu’une qualité de la norme, et n’en résume pas toute la densité. Notamment, on ne pourra pas distinguer la propriété des personnes publiques de la propriété des personnes privées si l’on fait abstraction de la densité matérielle, c’est-à-dire socioculturelle, que renferment ces catégories. Seuls des éléments matériels appréhendés juridiquement permettent de prétendre à une connaissance de cette dernière, bien qu’imparfaite et relative. C’est ici que la science du droit rend un service considérable en fournissant à l’observateur du droit des concepts formels lui permettant d’identifier et de distinguer les notions matérielles. A l’instar de « témoins » dans les expériences de biologie, ils permettent de repérer les propriétés invariantes et les caractères spécifiques des objets observés. Telle est leur fonction que nous pensons purement heuristique, c’est-à-dire servant à la découverte des notions matérielles et non à leur dissolution dans le formalisme de la théorie du droit. 64. Otto Pfersmann est parfaitement conscient du risque qu’accompagne l’excès de formalisme, exprimant ainsi la critique généralement portée au normativisme : « avoir procédé par réduction, jugée appauvrissante » 14 . C’est pourquoi il considère que la réduction formelle a une fonction heuristique : elle doit permettre de comprendre le droit et pas seulement de l’abstraire. Il faut sans doute distinguer le droit de la science du droit afin de séparer l’objet à connaître de la démarche de connaître des méthodes qui permettent cette connaissance. Il nous semble cependant que deux dimensions complémentaires sont nécessaires à une connaissance complète des phénomènes juridiques : une dimension formelle et une dimension matérielle. La dimension formelle permet de forger les outils conceptuels nécessaires à la compréhension du droit. La dimension matérielle résulte de l’utilisation de ces concepts formels pour lire le droit positif dont les valeurs et l’idéologie qu’il reflète constituent une dimension que le juriste ne saurait négliger. Non pour la contester ou en proposer une autre, et encore moins en invoquant une autorité ou des principes qui seraient “naturels”, mais pour l’appréhender comme une partie de cet objet de connaissance. Autrement dit, il ne faut pas confondre une lecture idéologique du droit qui doit être rejetée avec une lecture du droit dont la part d’idéologie qu’il recèle et que le juriste peut connaître. C’est cette conception qui nous permettra de disposer d’un concept formel de propriétaire. Ce concept opère une synthèse entre les concepts subjectifs. Il représente le sujet de droit, titulaire d’un droit de jouir et de disposer du bien qui en est l’objet. L’observation du droit positif confirmera alors qu’il y a lieu de distinguer selon que ce propriétaire est une 14 Otto Pfersmann, préc., p. 55. 56 personne publique ou une personne privée, car cela permet de déduire l’application de règles constitutives du statut de ce propriétaire. Le juriste est toujours un “spectateur engagé” 15, la prétendue neutralité axiologique étant toujours une neutralité bienveillante et donc contraire à la neutralité « pure ». Dès lors que cette neutralité bienveillante est le degré maximum que peut atteindre la neutralité axiologique et qu’il ne s’agit donc pas d’une véritable neutralité, cette neutralité axiologique n’existe pas. Il n’y a pas de description objective au sens de seule valable comme il n’y a pas la bonne interprétation de telle règle de droit. Recourir aux concepts formels proposés par la théorie du droit est un moyen d’expliciter les choix qui sont les siens. En ce qui nous concerne, appréhender cet ensemble de phénomènes discursifs qu’est le droit positif est facilité et rationalisé par l’utilisation de concepts ayant un sens précis et permettant de dépasser les inévitables imprécisions ou incertitudes que le langage du droit “officiel” renferme inévitablement. Par ailleurs, une telle approche apporte une simple méthode d’observation, qui n’oblige en rien à ignorer la dimension socioculturelle du discours juridique, qu’il soit celui des textes et de la jurisprudence ou de la doctrine et de ceux qui étudient et enseignent. 2) Les concepts formels : outils de comparaison des notions matérielles publiques et privées 65. Les concepts formels doivent servir à comprendre le droit tel qu’il est, avec sa part de rapports de forces sociaux et d’idéologie politique qui est la sienne. Ainsi, en ce qui nous concerne, les concepts formels n’ont de sens que s’ils présentent une vertu explicative du droit positif et de confirmation ou d’infirmation de l’opposition entre catégories de propriétaires en fonction de leur inclusion dans le droit public ou le droit privé. Avec Xavier Bioy, il faut dire que « la complexité d’un tel objet de recherche implique de bâtir une démarche de recherche qui, partant du droit positif, tienne compte des interactions entre droit et politique » 16 . Cette analyse rejoint celle de Benoît Plessix pour qui « il n’existe pas de notions universelles car toute notion juridique est le résultat d’une ou des finalités pour lesquelles elle a été élaborée », un but qui « ne se traduit pas seulement dans des régimes juridiques mais transforme les notions juridiques elles-mêmes, pénètre en leur cœur et leur imprime leurs traits distinctifs »17. Se priver de prendre en compte ce qui a forgé le droit conduit à méconnaître ce droit. 15 Selon le mot de Raymond Aron et son ouvrage éponyme, Le spectateur engagé, Paris, Julliard, 1981. Xavier Bioy, Le concept de personne humaine en droit public. Recherche sur le sujet des droits fondamentaux, Dalloz, 2003, n° 30 p. 17. 17 Benoît Plessix, L’utilisation du droit civil dans l’élaboration du droit administratif, op. cit., n° 887 p. 768. 16 57 Bien entendu, l’intérêt pour des considérations non juridiques ne doit servir qu’un but juridique, c’est-à-dire d’expliquer et de synthétiser le droit positif. Avec Xavier Bioy, nous disposons d’un exemple d’application de cette approche. Si dans son cas il était question de la personne humaine, l’analyse semble transposable à toute catégorie juridique. C’est cette analyse qui nous permettra d’opposer, pour des considérations liées au contenu matériel du droit positif qui leur est afférent, les catégories d’habilitation que sont la compétence et la capacité et les catégories subjectives de personne, de propriété et de droit subjectif en fonction de leur fondement dans l’une ou l’autre de ces deux normes de droit objectif. 66. Xavier Bioy se joint à la critique concernant l’ignorance du contenu matériel du discours juridique par l’analyse formaliste des normativistes. Ainsi, nous dit-il, « pour le positiviste, empreint de nominalisme, aucune réalité sous-jacente ne conditionne la construction du sujet de droit, qui n’obéit qu’à l’utilité et à la fonctionnalité »18. Pour les normativistes disciples de Hans Kelsen, la personne n’a pas de substance, de contenu. Elle est réduite à cette simple fonction de support sans s’intéresser à ce qu’elle supporte. Une telle démarche conduirait à dire qu’un sujet de droit exerce des prérogatives sur les choses ou les personnes en vertu de son habilitation en droit objectif. Comme on le verra, il s’agit là d’une approche formelle qui peut être utilisée mais qui ne doit pas autoriser à confondre deux réalités distinctes que l’on peut observer en droit positif. Parce qu’il en allait de même du concept de personne humaine masqué par la notion purement formelle de personne juridique, Xavier Bioy opposait alors une autre démarche : « les analyses d’anthropologie juridique permettent de prendre la mesure de la construction de ses sujets par le droit et de la portée symbolique de cette traduction du réel dans le monde normatif » 19 . Autrement dit, si les concepts formels suffisent à décrire la structure du droit, et même de tout droit, il faut recourir à des notions matérielles pour décrire la signification concrète de tel phénomène juridique particulier. Confier la gestion d’une activité que l’on met en œuvre à autrui est un mécanisme que l’on peut réduire à un concept purement formel, la “gestion déléguée d’une activité”. On verra cependant que, selon que l’activité est commerciale ou administrative, les implications concrètes de cette démarche ne sont pas exactement les mêmes. Ce dont on peut se rendre compte en disposant d’outils formels de description et de comparaison20. « Le droit, ajoute Xavier Bioy, a construit un concept de personne comme “contenant” que d’autres champs de la connaissance ont utilisé avec d’autres “contenus”, ceux-là même qui demandent aujourd’hui à 18 Op. cit., n° 19 p. 11. Ibid., n° 25 p. 14. 20 Cf. infra, Seconde partie, Chapitre 1er en ce qui concerne la gestion déléguée des fonds administratifs comparée à la gestion déléguée des fonds de professionnel du droit privé, le fonds de commerce notamment. 19 58 intégrer le droit »21. Ainsi, rejetant à la fois le jusnaturalisme et le positivisme stipulatif, l’auteur propose une troisième attitude qui, contre le premier et avec le second, admet la nécessité d’une méthode inductive ayant pour objet « le droit objectif qu’il convient d’étudier » mais en y ajoutant la dimension de construction d’une notion22. C’est ainsi qu’il en vient à exprimer l’objet même de son travail de recherche : « constater l’évolution de l’artifice de la personne juridique vers le réalisme de la personne humaine » 23 . Le positiviste qui veut comprendre le droit français actuel ne peut faire l’économie de la notion matérielle de personne humaine dégagée de l’utilisation du concept formel de personne juridique. Nous pensons qu’il ne peut pas faire l’économie non plus des notions de personne publique, de propriété publique et de droit subjectif public dégagée à partir de l’observation du droit positif à l’aide des concepts formels de norme d’habilitation, de personne juridique et de droit subjectif. Le normativiste qui ne s’intéresse qu’à l’agencement logique des concepts peut se suffire de la personne juridique (encore qu’il la rejette par dogme) mais il ne pourra pas comprendre ce qui différencie, en droit positif, une personne publique propriétaire d’une personne privée propriétaire parce qu’il ne verra que le concept formel et non les notions matérielles que ce concept permet de comparer. 67. L’influence de l’idéalisme – ou d’une forme d’idéalisme – de Kelsen, même s’il a pu évoluer vers l’empirisme par la suite, a sans doute beaucoup à voir avec cette approche qui tend à considérer les concepts formels comme des choses qui existent véritablement. Il ne nous semble alors pas inutile de revenir à la source du positivisme et, sous la plume de John Stuart Mill, trouver la pensée d’Auguste Comte en respectant la mise en garde suivante : « Personne ne niera, à moins d'ignorer entièrement l'histoire de la pensée, que dans toute l'antiquité et dans tout le moyen âge la spéculation n'ait été imprégnée de l'erreur qui consiste à prendre des abstractions pour des réalités. Les fameuses idées de Platon furent la généralisation et la systématisation de cette méprise. Les aristotéliciens la perpétuèrent. Les essences, les quiddités, les vertus résidant dans les choses, furent acceptées comme une explication bona fide des phénomènes. Ce ne furent pas seulement des qualités abstraites, mais encore les noms concrets des genres et des espèces qu'on prit pour des existences objectives. On crut qu'il y avait des substances générales correspondant à toutes les classes familières de choses concrètes : une substance Homme, une substance Arbre, une substance Animal ; et que ces noms désignaient directement ces substances et non pas les objets individuels ainsi appelés »24. Si nous avons tenu à rendre compte de la pensée positiviste originelle, c’est pour nous y accorder en tant qu’elle ne connaît que des faits et les relations qui unissent ces faits. Si le 21 Ibid., n° 54 p. 30. Ibid., spéc. n° 35 p. 19. 23 Ibid., n° 51 p. 28. 24 John Stuart Mill, Auguste Comte et le positiviste, trad. Georges Clemenceau, Paris, Baillière, 1868. 17. 22 59 positivisme français ajoute à l’empirisme anglais l’abstraction, il n’y a pas là un retour à l’idéalisme. C’est en revanche le cas si l’on accorde aux abstractions une existence et une vie propre. En positiviste, les abstractions ne sont que le résultat d’un effet intellectuel ayant pour base la réalité à partir de laquelle elles ont été induites et qu’elles ont vocation à comprendre25. Le positivisme philosophique n’est donc pas différent du positivisme juridique. Celui-ci ne connaît que le droit positif et les relations à partir desquelles on peut en proposer une description systématique 26 . Les phénomènes discursifs du droit positif et leurs mécanismes complexes de production, de mise en ordre et d’interprétation sont les faits et les relations entre ces faits que le juriste doit observer. Aussi, loin d’être détachée du droit positif, l’appréhension de la dimension socioculturelle particulière du droit qu’on étudie est un élément fondamental pour en permettre la véritable compréhension. Ainsi que le dit Xavier Bioy, « il s’agit donc bien d’une théorie à visée conceptuelle replaçant le droit positif dans son contexte social afin d’en éclairer le sens et la portée, mais n’étudiant que ce droit sans rechercher sa conformité à un ordre transcendant et sans présumer ou préjuger de sa cohérence théorique »27. Ainsi, alors que l’école de Kelsen dissout la personnalité juridique et les droits subjectifs en les réduisant à des complexes de normes sans contenu, la démarche que nous voulons privilégier et qu’a appliqué Xavier Bioy tient compte de ce contenu matériel des normes comme un élément essentiel d’une catégorie. Elle tient compte du fait que toute catégorie juridique, et partant toute distinction, est le fruit d’une construction dont les déterminants sont essentiellement socioculturels. 68. Si l’exigence de “pureté” constitue un progrès important dans la mesure où elle écarte les éléments extra juridiques en dehors des méthodes juridiques proprement dites, « cette avancée se réalise néanmoins au profit d’une vue d’ensemble à visée universelle et, par contrecoup, au détriment d’une relativisation nécessaire des constructions juridiques empreintes de données socioculturelles » 28. En effet, « en excluant la dimension socioculturelle inhérente aux objets étudiés, mais aussi à l’observateur qui fait partie du système, cette conception du droit ne permet pas d’envisager les différentes facettes de sa réalisation »29. C’est en cela qu’elle ne permet qu’une compréhension purement formelle du droit positif, une compréhension partielle. Or, non seulement la prise en compte de la dimension socioculturelle présente dans le droit est possible, mais elle peut se faire conformément à l’exigence positiviste de ne considérer 25 En ce sens, cf. Hippolyte Taine, Le positivisme anglais, op. cit.. Voir aussi, Paul Amselek, « Lois juridiques et lois scientifiques », Droits, 1987, p. 131. 27 Xavier Bioy, op. cit., n° 53 p. 29. 28 Chloé Lemoine, La distinction en droit, approche épistémologique, op. cit., n° 44 p. 81. 29 Ibid., n° 45 p. 83 . 26 60 comme objet de connaissance que le seul droit positif. La distinction du droit public et du droit privé, parce qu’elle traduit en droit positif le principe politique d’une différenciation de l’État et de la société, ne peut pas être perçue avec un concept purement formel. Il en va de même pour distinguer le propriétaire public du propriétaire privé. B. Le positivisme instruit appliqué aux concepts subjectifs : la possibilité d’une distinction des propriétaires 69. S’intéressant au Concept de personne humaine en droit public, Xavier Bioy démontre la possibilité d’opposer une catégorie matérielle de personne à partir du concept formel de personne juridique (1). L’application d’une critique du même ordre à la confusion des propriétés privées et publiques en un concept formel de propriété (2) ainsi que la mise en lumière de la possibilité d’identifier différentes catégories de droits subjectifs (3) achève de confirmer la possibilité d’opposer, sur la base des concepts de personne et de propriété, deux catégories de propriétaires. 1) Le positivisme instruit appliqué à la personnalité juridique et la possibilité d’une distinction entre les catégories matérielles de personnes 70. Xavier Bioy se défend de s’éloigner de l’exigence positiviste 30 . Son analyse de la personne humaine, terme juridique, met en lumière ce phénomène qui nous intéresse au premier chef : l’« introduction en droit positif de représentations qui lui étaient extérieures » 31 . Cette introduction signifie que « le concept de personne humaine ajoute à la sécheresse conceptuelle et instrumentale de la personnalité juridique un certain contenu substantiel de valeur »32. Et ce contenu, s’il a certes une origine hors du droit, appartient au droit positif qui l’exprime à travers des normes et à travers des phénomènes normatifs. Ainsi, « poursuivant un mouvement entamé en France par le Préambule de la Constitution de 1946 (thème de « l’homme situé » par opposition à l’abstraction de 1789), la consécration des droits fondamentaux » précise les contours de ce sujet, le concrétise, lui donne un visage. Il est désormais sexué, diminué ou non, situé, 30 Xavier Bioy, op. cit., note 122 p. 30: « La personne humaine ne sera pas ici un idéal métaphysique ou une valeur précédant le travail du juriste, mais un terme juridique dont il faut déterminer la spécificité et le rôle dans le domaine qui est désormais le sien : le droit positif. Cela n’empêche nullement d’en révéler l’origine, le droit se nourrissant ici clairement des représentations de l’homme élaborées dans d’autres domaines, disciplines et champs de connaissance. Ce constat purement positiviste d’un déploiement de nouveaux termes de droit s’annonce riche d’enseignement concernant des dimensions nouvelles du sujet du droit ou des dimensions nouvellement traitées par le système juridique, en tout cas des éléments de l’existence qui font l’objet de normes et de statuts jusque là dans l’ombre du procédé technique de la personnalité juridique ». 31 Ibid., n° 56 p. 30. 32 Ibid., n° 768 p. 403. 61 discriminé ou encore désocialisé » en raison des régimes juridiques qui visent à le protéger ou l’encadrer33. Par ailleurs, un tel concept peut non seulement être identifié à partir du droit positif mais aussi se révéler avoir lui-même des effets juridiques par le fait qu’il structure l’ordre juridique dès lors que celui-ci le reçoit. Ainsi, d’une abstraction formelle issue d’un travail d’observation, cette réception fait accéder le concept au statut « d’instrument juridique indirectement mais fortement normatif dont la structure propre donne un cadre au travail de l’interprète qui s’y soumet ». C’est donc en influençant l’interprétation34 que le concept s’ajoute lui-même au droit positif : « ici, la personne humaine, en tant qu’unité de certaines composantes guide les jurislateurs qui acceptent de s’en servir dans le sens de la préservation, la cohérence et l’équilibre de ces prédicats »35. On verra, par exemple, que la qualité publique du propriétaire modifie sensiblement l’attitude du juge judiciaire à l’égard des contrats qu’une personne publique peut passer pour l’occupation de son domaine privé36. Le concept de personne humaine est forgé à partir des dispositions qu’il met en forme et synthétise. La catégorie de personne publique propriétaire rendra compte de même de ce qui, dans le droit positif, révèle que la qualité de propriétaire diffère lorsqu’elle est attribuée à un sujet de droit dont l’activité est intégrale et ab initio l’action publique. 71. Il s’agit donc de confirmer l’idée de Jean-Bernard Auby d’après laquelle « il existe véritablement un statut personnel public qui se distingue du statut privé, probablement fondé sur le contenu sociologique de la personnalité publique »37. Ce contenu, selon nous, relève bien de l’étude de « cet objet très particulier qu’est la “juridicisation”, l’intégration en droit positif, de concepts, de valeurs et de normes sociales »38. Nul doute que les personnes publiques offrent autant d’éléments de ce type pour venir informer le concept neutre de personnalité juridique. Certes, ils seront sans doute différents du rapport au corps humain et à l’esprit dont elles sont dépourvues, et ce ne sont sans doute pas les exigences de la vie privée et de l’insertion sociale qui guident cet enrichissement. Néanmoins, à l’instar de la personne humaine, la personne publique est une notion qui se présente « comme le support d’une unité de différents prédicats attribués à [ce sujet public] par le système juridique, c’est-à-dire ceux qui se révèlent nécessaire au fonctionnement du sujet de droit pour atteindre les fins de la régulation juridique »39. Ces fins sont celles de l’action publique dans le cadre d’une démocratie libérale. 33 Ibid., n° 810 p. 423. L’auteur s’inspire notamment de la théorie des contraintes dont on trouve un exposé détaillé dans l’ouvrage de Michel Troper, Véronique Champeil-Desplats et Christophe Grzegorczyk (dir.), Théorie des contraintes juridiques, LGDJ, 2005. 35 Ibid., n° 1601 p. 880. 36 Cf. infra n° 541 p. 495 et s.. 37 Jean-Bernard Auby, op. cit., p. 72. 38 Xavier Bioy, op. cit., n° 1608 p. 885. 39 Ibid., n° 1609 p. 885. 34 62 L’individu que représente la personne humaine fait alors face à la personne publique, dont l’archétype est l’État. Une même logique doit être appliquée à la propriété qui, si elle est réductible à un concept formel unique, correspond à des réalités matérielles multiples en droit positif, notamment en fonction de la personnalité publique du propriétaire. 2) L’application du positivisme instruit à la propriété et la possibilité d’une distinction entre les catégories matérielles de propriété 72. Dans le cas de la propriété, Benoît Plessix affirme contre l’idée d’une confusion de la propriété publique et de la propriété privée sous prétexte de la possibilité d’une abstraction commune, que « toute l’histoire du droit français a été d’affirmer l’absolutisme du propriétaire, c’est-à-dire l’exclusivité de son droit. C’est cela, le droit de propriété privée. A trop vouloir épurer une notion pour la rattacher à un concept mère, on finit par ne plus rien lui faire dire. La notion positive de propriété privée est elle aussi le produit d’une histoire et d’un objectif : bannir la distinction du domaine utile et du domaine éminent ; (…) rompre avec la multiplicité des prérogatives humaines sur un même bien issue de la féodalité » 40 . La propriété peut donc être réduite formellement au droit de jouir et disposer des choses, il existe cependant deux notions matérielles différentes selon qu’elle relève de l’ordre du droit public ou de l’ordre du droit privé. Le fait que la propriété privée ait pour destinataire initial l’individu dont l’autonomie est proclamée est une donnée matérielle qu’on ne peut ignorer sans méconnaître le droit positif que l’on observe41. La propriété des personnes publiques n’a pas été reconnue pour les valoriser mais au contraire pour les considérer comme des particuliers n’ayant aucun titre à faire valoir pour s’affranchir du droit commun. La propriété fut déniée à l’État quant aux biens du domaine public pour que le droit spécial qui s’y applique soit une limite à son action et une garantie pour les administrés 42 . Il y a là des éléments essentiels du phénomène normatif à l’origine de l’irréductibilité de l’exercice de leur droit de propriété par une personne privée et par une personne publique. 73. Il faut garder à l’esprit que « des données de tous ordres (politique, économique, social, psychologique, géographique, religieux etc.) modèlent les notions juridiques à l’image des finalités qu’une société s’est proposée Pour qui « la définition est purement sociologique ; après tout, il existe aussi un sentiment d’appropriation de l’enfant vis-à-vis de ses jouets », op. cit., n° 886 p. 767. 41 Sur le lien entre la propriété et la dignité du propriétaire, Mikhaïl Xifaras, La propriété, étude de philosophie du droit, PUF, 2004, p. 41 : « la propriété de biens matériels est la preuves des qualités morales du propriétaire, de son statut personnel, familial et politique ». 42 Ce fut en réalité une stratégie assez générale, notamment adoptée par les juridictions judiciaires, désireuses de maintenir le droit administratif dans des bornes strictes en le considérant comme un droit d’exception, Grégoire Bigot, L'autorité judiciaire et le contentieux de l'administration, vicissitudes d'une ambition (1800-1872), LGDJ, 1999. 40 63 d’atteindre en décidant de se doter d’un système normatif » 43 . L’illustration que donne l’auteur relativement aux contrats est en cela éloquente : « Si le contrat administratif fait appel aux notions de but et d’équilibre des intérêts en présence, c’est que sa finalité n’est pas d’être un instrument de liberté entre individus égaux, mais d’être une modalité d’exercice de l’action administrative, un instrument permettant à la puissance publique de réaliser la satisfaction de l’intérêt général par une autre voie que celle de l’acte unilatéral »44. Il en va de même pour la propriété. Les personnes privées mettent généralement en œuvre leur propriété pour satisfaire des buts et des intérêts dont la puissance publique se désintéresse absolument la plupart du temps, n’intervenant que si un plaignant invoque un abus ou un trouble anormal. A l’inverse, une personne publique, lorsqu’elle met en œuvre son droit de propriété, poursuit un but dont elle doit pouvoir répondre et justifier de la dimension d’intérêt général. Ses décisions prises en qualité de propriétaire ne sont pas seulement susceptibles d’engager sa responsabilité en cas de dommage, mais constituent, sauf exception, des décisions administratives susceptibles de recours en excès de pouvoir et d’annulation pour motif d’illégalité45. La soumission à un droit spécial est ici la garantie d’une soumission des personnes publiques propriétaires à une légalité administrative inconnue des propriétaires privées. Privée, la propriété est le droit de jouir et disposer « de la manière la plus absolue », c’està-dire souverainement, en vertu de sa liberté personnelle et non suivant une finalité prédéterminée46. En cela, elle se réduit bien à l’exclusivité qui en est l’essence même. Publique, elle est ce même droit mais incorporé dans l’ordre juridique du droit public, et ainsi rendue autonome. Il devient alors difficile d’y voir l’exercice d’une prérogative « souveraine », d’un droit absolu qui ne connaîtrait « pas de limites inhérentes »47 à l’instar du droit de propriété privée. Il y a une finalité prédéterminée assignée à la propriété des personnes publiques qui ne peut pas être exercée dans un but étranger à tout intérêt général, fut-il l’intérêt financier de la personne publique, s’il est admis, ou un intérêt privé jugé digne d’être favorisé 48. Dans le cas contraire, 43 Benoît Plessix, op. cit., n° 883 p. 765. Ibid., n° 885 p. 766. 45 On reviendra au chapitre suivante sur le fait qu’il y là une différence véritable, et non une simple variante dans la technique juridique comme le pensent parfois les normativistes. Sur les limites plus contraignantes du principe de légalité dans le cas des personnes publiques par rapport aux personnes privées, cf. infra, cette partie, chapitre premier du titre second. Sur la qualification de décision administrative des décisions prises en qualité de propriétaire par les personnes publiques et le caractère secondaire de leur appréhension contentieuse, cf. infra, seconde partie, titre second, chapitre premier. 46 L’État de droit peut traduire en normes juridiques des présupposés issus de l’École du Droit naturel, la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen en est un bon exemple. Le jusnaturalisme consiste à dire que la nature fonde le respect de ces droits. Le positivisme considère purement et simplement que l’ordre juridique que l’on observe organise le respect par l’État d’une Déclaration qui a été reconnue juridiquement valide par un interprète authentique de la norme constitutionnelle. 47 François Terré, Philippe Simmler, Droit des biens, Dalloz, 2010, 8e éd., n° 141 p. 143. 48 Cf. infra p. 244 et s. et la démonstration qu’il y a une forme d’affectation primordiale de l’exercice de la propriété par les personnes publiques en raison de leur habilitation par une compétence qui les destine ab initio à la satisfaction de l’intérêt général et leur interdit donc la satisfaction d’intérêts purement privés sans motif légitime ou, si l’on préfère, légitimant et admis par le juge. 44 64 l’assimilation à la propriété privée, sous couvert de banalisation et prétexte de valorisation, ferait sauter « les bornes que les constituants de 1789 avaient posées devant la puissance de l’État » et par conséquent « irrésistiblement pensé au loup de la fable qui se déguise en agneau »49. L’élaboration d’une véritable notion de propriété publique comprenant notamment la construction d’un droit de propriété autonome, public, participe d’une réponse à la crainte ainsi exposée. 74. Or, c’est moins par déclinaison d’un concept purement abstrait et sans consistance de propriété que peut se construire une notion autonome de propriété du droit public, que par « l’utilisation du droit de propriété privée » sur laquelle Benoît Plessix s’est livré à une analyse approfondie. C’est par rapport à la propriété privée que la propriété publique a été progressivement discutée et définie et, notamment, que trois positions doctrinales sont apparues : l’assimilation à la propriété privée, le rejet de toute propriété au profit d’une forme de maîtrise non exclusive (garde, surintendance, usufruit etc.), l’élaboration d’un concept autonome de propriété publique. Soulignons rapidement que si la seconde option a disparu définitivement de l’horizon doctrinal, l’opposition demeure entre les deux attitudes restantes. Or, l’élaboration d’un concept autonome n’a connu sous l’Ancien Régime qu’une seule tentative. Ce qui explique cette rareté, c’est que « l’effort de la doctrine, à l’origine, s’est limité à un exercice de définition »50. Ainsi, le seul auteur à avoir véritablement ébauché une notion de propriété publique fut Charles de Lorry, préfaçant et annotant le Traité du Domaine de Lefèvre de la Planche51. L’auteur a tout d’abord distingué propriété et souveraineté pour élaborer un concept de propriété publique à partir du droit des régimes matrimoniaux, sous la forme d’une notion unique de « Domaine, ensemble des biens dont l’État est propriétaire » au sein duquel il rétablit une forme de dualité parmi les biens selon l’affectation52. Benoît Plessix considère que la théorie de Maurice Hauriou est « la réplique de la démonstration menée un siècle plus tôt par Charles de Lorry » et qu’il « a dégagé une notion de propriété administrative, caractérisée par un lien filial avec deux concepts fondamentaux du droit public : la personnalité juridique de l’État et l’affectation à l’utilité publique »53. Alain-Serge Mescheriakoff, « L’arrêt du Bac d’Eloka. Légende et réalité d’une gestion privée de la puissance publique », RDP, 1988, p. 1081. 50 Benoît Plessix, op. cit., n° 400 p. 398, avec cette nuance néanmoins apportée à la remarque : « il existe bien un véritable effort de construction théorique, mais il est le résultat d’un travail collectif, dont l’objet a été d’organiser un régime général axé autour du recensement et de l’explication des prérogatives du propriétaire public ». 51 Lefèvre de la Planche, Mémoires sur les matières domaniales ou Traité du Domaine, Paris, Dessaint & Saillant, Vincent, 17641765. 52 Benoît Plessix, op. cit., pp. 406-407. 53 Ibid., n° 417 pp. 414-415. 49 65 L’apport de Philippe Yolka a été de montrer que le droit de propriété public54 se définit indépendamment de l’affectation qui ne concerne que les biens, dont elle détermine le régime. En revanche, son adhésion à la conception classique de la propriété en droit privé l’a conduit à éloigner l’analyse du droit de propriété public dont la spécificité découle uniquement de la qualité de son titulaire 55. Contre cette conception classique, une conception subjective de la propriété a été élaborée. Elle définit la propriété comme la prérogative par laquelle le sujet de droit exerce sa maîtrise sur les choses. Cette prérogative étant fondée immédiatement sur le statut de propriétaire du sujet de droit, nous y voyons précisément la base du concept formel de propriétaire applicable aux personnes publiques et privées. Il faut encore y ajouter cependant le droit subjectif, prérogative qui permet de concrétiser effectivement cette propriété alors abstraite et virtuelle en l’appliquant à un bien donné, déterminé, attribué en titre au propriétaire. 3) Le positivisme instruit appliqué au droit subjectif et la possibilité d’une distinction entre les catégories de droit de propriété 75. Dans sa thèse consacrée à la notion de pouvoir en droit privé, Emmanuel Gaillard a proposé d’opposer le droit subjectif et le pouvoir comme étant deux prérogatives distinctes permettant aux sujets de droit d’agir par des actes juridiques56. Il s’inscrivait à la suite d’analyses, d’ailleurs inspirées par le droit public57 distinguant entre pouvoir discrétionnaire et compétence liée58, entre les droits discrétionnaires et les droits contrôlés59. Sa thèse consiste à démontrer que le droit subjectif et le pouvoir s’opposent en raison de la finalité que poursuit légitimement celui qui l’exercice : son propre intérêt dans le premier cas, un intérêt au moins partiellement distinct du sien dans le second. Il se ralliait au préalable à la doctrine préférant le terme de « prérogative » pour désigner « dans un sens générique, tous les droits conférés à l’homme par le droit objectif » 60 et formulait ainsi sa proposition essentielle : « Le droit positif connaît deux catégories de prérogatives juridiques par essence distinctes : les droits subjectifs abandonnés au libre arbitre de leur titulaire, le 54 L’expression sera retenue sous cette forme. En effet, le droit public de propriété évoque l’idée des régimes de droit public portant sur la propriété tandis que le droit de propriété publique ne rend pas suffisamment compte du fait que le droit est public bien plus que la propriété qui n’est au fond rien d’autre qu’un concept formel tant qu’on ne la situe dans son contexte, et notamment en fonction du propriétaire. 55 Philippe Yolka, La propriété publique, op. cit., p. 8 : « Il faut cependant être conscient du fait que la propriété est conçue comme un droit qui s’incorpore à son objet ». 56 Emmanuel Gaillard, Le pouvoir en droit privé, Economica, 1985. 57 Voir p. ex. Georges Ripert, « Abus ou relativité des droits. A propos de l’ouvrage de M. Josserand : de l’esprit des droits et de leur relativité », Rev. crit. de lég. et de jurisprudence, 1929, p. 42. 58 L’auteur fait notamment référence à Roger Bonnard, « La conception juridique de l’État », RDP, 1922, p. 39. On ajoutera également Lino Di Qual, La compétence liée, LGDJ, 1964. 59 Voir p. ex. Louis Josserand, De l’esprit des droits et de leur relativité. Théorie dite de l’abus des droits, Dalloz, 2e éd. 1939, rééd. 2006, spéc. n° 308-313 ; André Rouast, « Les droits discrétionnaires et les droits contrôlés », RTD Civ., 1944, p. 1. Sur l’application de ces considérations au droit de propriété public et à la part nécessaire de droit public dans la gestion privée par une personne publique, cf. infra, Titre 2, Chapitre 1, Section 1, in fine et Section 2, in fine. 60 Emmanuel Gaillard, op. cit., n° 2 p. 9. 66 sujet de droit, sous la seule réserve du contrôle de l’intention de nuire et de ses équipollents ; les pouvoirs conférés à leur titulaire, l’agent juridique, dans un intérêt au moins partiellement distinct du sien, et susceptibles, à ce titre, d’un contrôle judiciaire du détournement de pouvoir »61. Il va sans dire que dans cette perspective une personne publique n’exercice jamais qu’un pouvoir car la prérogative qu’elle exerce, même si elle consiste à retirer un profit d’un de ses biens, sert indirectement mais « au moins partiellement » un intérêt distinct du sien. Plus fondamentalement, elle ne s’est vue conférer l’existence et n’importe quelle prérogative qui en permet le développement que pour le service de l’intérêt général, n’ayant donc pas d’intérêt absolument propre, entendu dans le sens de « particulier », privé. Il ne nous semble cependant pas suffisant de céder à la facilité de l’adoption d’une telle logique. Le critère du but poursuivi nous semble constituer une manifestation en termes de régimes de la catégorie des personnes publiques et non l’expression du fondement de son autonomie. Par ailleurs, parce qu’elle est élaborée indépendamment de la division du droit public et du droit privé, la proposition ne permet pas de distinguer nettement entre les prérogatives des personnes publiques ou relevant du droit public et les prérogatives réservées aux seules personnes privées étrangères à l’action publique. En outre, elle ne marque pas suffisamment la distinction des prérogatives en fonction de leur objet, chose ou personne, qui nous semble fondamentale pour décrire l’activité juridique des sujets de droit62. C’est pourquoi nous retiendrons que le concept subjectif par lequel est désigné le moyen pour un sujet de droit d’exercer son emprise sur un objet, chose ou personne 63, est au sens formel un droit subjectif. C’est ensuite en raison de l’existence d’un droit objectif qui en fonde et en régit l’exercice qu’il est possible d’établir une summa divisio prolongeant celle des personnes publiques et des personnes privées entre les droits subjectifs publics et les droits subjectifs privés. L’identification d’un droit de propriété public achèvera alors de démontrer l’autonomie de la catégorie des personnes publiques propriétaires, dont la possibilité d’utiliser leurs droits de puissance au service de leur patrimoine est également un élément essentiel et consubstantiel de cette qualité. L’utilisation de concepts formels de personne juridique, de propriété et de droit subjectif permettra donc d’opposer deux catégories matérielles de propriétaires en fonction de la 61 Ibid., p. 232, Conclusion, proposition de thèse n° 1. L’auteur applique ainsi le pouvoir aux rapports de puissance, comme dans le cadre de la famille ou de l’entreprise, mais aussi aux rapports patrimoniaux à travers l’idée d’un pouvoir de représentation, et en prenant l’exemple de la copropriété ou du trust (pouvoir sans représentation selon lui) que l’on pourrait désormais appliquer à la fiducie, ibid., n° 243 et s. pp. 156-159 et n° 337 pp. 225-226. Nous verrons précisément que la fiducie met en lumière l’affectation qui est impliquée par tout mécanisme d’appropriation mais dont la portée en ce qui concerne les personnes publiques justifie l’opposition du droit de propriété public et du droit de propriété privé, cf. infra Titre 2 chapitre 1 de la présente partie. 63 Cf. infra Titre 2 de la présente partie pour la distinction entre les droits de propriété et les droits de puissance et leur rôle dans la catégorie des personnes publiques propriétaires. 62 67 personnalité publique ou privée. Si une telle démarche est conforme au positivisme à condition d’instruire celui-ci de la réalité matérielle que contiennent les règles de droit, encore faut-il admettre, en droit public, la description des personnes publiques sous la forme de sujets de droit exerçant un droit subjectif de propriété selon une logique formellement identique aux personnes privées. Il faut donc démontrer à la fois la conformité au positivisme de la description du droit par des concepts subjectivistes et l’application de cette description au droit public. 68 § 2 Le positivisme instruit et la combinaison des points de vue objectif et subjectif de description des ordres juridiques public et privé 76. Le droit subjectif est devenu l’enjeu de débats théoriques dans la doctrine juridique à partir de la deuxième moitié du XIXe siècle64 en parallèle des tensions dialectiques qui traversent alors les sociétés industrielles entre l’individuel et le collectif. On peut en voir des avatars précurseurs dans la philosophie contre-révolutionnaire d’Edmund Burke, Louis de Bonald et Joseph de Maistre65, autrement dit dans la contestation de l’introuvable “homme abstrait” que Maurice Barrès qualifiait de déraciné66. Louis Dumont a décrit cette rupture de la modernité par les concepts d’holisme et d’individualisme67, préfiguration de l’admission ou du rejet du principe libéral de distinction entre l’État et l’individu qui fondera selon nous l’opposition des propriétaires publics, dont l’État, aux propriétaires privés dont les individus sont l’élément constitutif premier 68 . Le droit s’est donc fait, par l’opposition de l’objectivisme et du subjectivisme, le relais de considérations idéologiques. Les considérations idéologiques ne doivent pas interférer dans sa méthode et ne doivent pas être traduites par les concepts formels. Formellement, la qualité de propriétaire résulte de l’attribution d’un droit de propriété à une personne juridique. Il faut donc disposer de ces concepts subjectifs formels pour distinguer deux catégories de propriétaires. S’il est indéniable que le subjectivisme et sa réaction objectiviste sont au départ déterminés par des considérations idéologiques, il est possible de les réduire à une dimension purement formelle, en faisant deux points de vue de description du droit positif à partir desquels on pourra comparer les personnes publiques et privées propriétaires (A). La théorie normativiste va donc trop loin en déniant toute pertinence aux concepts de sujet de droit et de droit subjectif. Le positivisme instruit consiste à adjoindre le point de vue subjectiviste au point de vue objectiviste, lequel domine par ailleurs la dogmatique du droit public au prix de contorsions artificielles et mal commodes. Le subjectivisme, loin de réduire l’autonomie des personnes publiques et de leur propriétaire est le moyen de la faire apparaître (B). 64 Octavian Ionescu, La notion de droit subjectif dans le droit privé, thèse, 1931 qui revient sur l’évolution historique du concept, spéc. n° 4 p. 21. 65 « Les contre-révolutionnaires, présentant une configuration théorique descriptible comme l’envers du libéralisme », s’opposent au subjectivisme pour dénier à l’individu et au peuple « le droit et surtout la capacité de prendre part à l’exercice du pouvoir », lequel ne doit répondre en dernière instance que de Dieu, « seule instance capable de « vouloir » un bien commun, pour Bonald et de Maistre », in Blaise Bachofen, Le libéralisme au miroir du droit, ENS éditions, 2008, pp. 18-19. 66 Maurice Barrès, Les déracinés, Paris, Charpentier, 1897. 67 Louis Dumont, « La conception moderne de l’individu », Esprit, février 1978, pp. 19-20 : « Pour les distinguer, on se demandera quel est le concept premier ou principal sur lequel porte la valorisation fondamentale, si c’est le tout social ou politique, ou l’individu humain élémentaire ». 68 On sait que dans le holisme, la collectivité qu’est la société ou la nation s’incorpore à la fois les individus et les pouvoirs publics qui ne sont pas distingués. Dans l’individualisme, sauf dans une approche anarchiste où le pouvoir n’existe pas, l’autonomie de l’individu est conquise en identifiant par différenciation l’État et ses émanations qui constituent des pouvoirs publics contre l’action desquels la société et les individus ont des droits, des garanties. 69 A. L’évacuation de la dimension idéologique des concepts formels nécessaires à la comparaison des personnes publiques et privées propriétaires 77. Décrire les personnes publiques sous la forme de sujets de droit titulaires de droits subjectifs pourrait répondre à ce qui constitue pour Philippe Yolka « un symptôme, parmi d’autres, de la faiblesse de notre dogmatique juridique » 69 . Ces concepts subjectifs renvoient cependant à un jusnaturalisme qui ne correspond pas au positivisme juridique que nous avons retenu. L’attribution à l’individu de droits inhérents à sa qualité d’homme conduit à reconnaître à la personne humaine des droits fondamentaux, dont la propriété privée, qui doivent être associés à certaines catégories matérielles et non au concept formel de personne juridique. Si le contenu du droit traduit l’évolution des conceptions philosophiques de l’Europe mettant progressivement l’homme et le sujet à l’origine de la connaissance et de l’action 70, le positivisme instruit exige de ne pas introduire ces considérations au sein des outils conceptuels de la dogmatique juridique. Il faut donc dans un premier temps faire la critique de la dimension jusnaturaliste du subjectivisme des origines et de ses premières applications en droit public (1). Face au subjectivisme idéologiquement marqué, l’objectivisme s’est d’abord manifesté sous la forme d’une réaction “holiste”, c’est-à-dire une contestation du primat de l’individu et l’affirmation des droits de la collectivité qui s’imposent à lui afin d’encadrer sa volonté et son activité juridique. Là encore, le positivisme juridique impose de faire abstraction de ces considérations qui intéressent le contenu des normes juridiques et non les modalités de leur description. L’objectivisme juridique, une fois mis en conformité avec le positivisme, ne signifie plus alors qu’une seule chose : le droit objectif, c’est-à-dire le droit positif décrit à l’état statique, un système de normes systématisées à partir des textes officiels et de leur interprétation authentique (2). 1) La critique constructive du jusnaturalisme associé au subjectivisme et ses premières applications en droit public 78. Décrire les personnes publiques propriétaires à l’aide des mêmes concept ne signifie pas qu’elles seront réduites aux personnes privées exerçant le droit de propriété de l’article 544 du Code civil. Les concepts subjectifs peuvent n’être qu’une certaine manière de décrire en 69 Philippe Yolka, « Pour une théorie des droits subjectifs publics des personnes publiques », AJDA, 2013, p. 313. Alain de Libera, Archéologie du sujet 1. Naissance du sujet, Vrin, 2007, p. 39 : « le “sujet” aristotélicien est devenu le sujet-agent des modernes en devenant “suppôt” d’actes et d’opérations ». 70 70 positiviste le droit positif. Loin d’en rendre les frontières incertaines entre le droit public et le droit privé, les concepts formels subjectifs peuvent être les révélateurs de l’existence de notions matérielles irréductibles. Cela suppose d’évacuer l’essentiel de la densité socioculturelle attribuée à ces concepts et qui ne concerne que leurs origines (a) et certaines de leurs expressions postérieures dans la première doctrine publiciste ayant eu recours aux concepts subjectifs (b). a) L’admission du subjectivisme après son évolution du jusnaturalisme des origines au positivisme juridique faisant du droit objectif le fondement du droit subjectif 79. Le droit subjectif n’est que la formalisation technique de la reconnaissance de l’individu71. Celle-ci n’a sans doute jamais été absolument absente d’une quelconque société72, mais elle s’est imposée comme fondamentale au fur et à mesure que le point de vue du sujet s’est imposé73. Bien que l’on puisse en discuter très largement la genèse 74, cette évolution est néanmoins fondamentale75. « Le sujet devient l’élément central du système juridique », et c’est là ce qui inspirera l’École du droit naturel, laquelle « voit logiquement dans la théorie du droit subjectif le ferment théorique apte à promouvoir le sujet de droit »76, les droits de la personne. L’idée fondamentale est de conférer à l’homme un statut juridique naturel, donc insusceptible de remise en cause par le pouvoir qui ne peut que le reconnaître et le respecter. Dans un premier temps, la figure du Christ a permis de Produit de l’influence conjuguée du stoïcisme et du christianisme, l’avènement de la personne est le véritable bouleversement de la pensée juridique moderne dont la portée se retrouve notamment dans l’appréhension de l’individu par le droit. 72 Et que décrit ainsi Marcel Mauss, faisant apparaître la part qui revient à l’individu y compris dans les sociétés holistes : « Les sociétés, même celles qui sont supposées dépourvues du sens des droits et des devoirs de l’individu, lui affectent une place tout à fait précise ; à gauche, à droite, etc. dans le camp ; de premier, de second dans les cérémonies, au repas etc. Ceci est une preuve que l’individu compte, mais c’est une preuve aussi qu’il compte exclusivement en tant qu’être socialement déterminé », « Une catégorie de l’esprit humain ; la notion de personne, celle de “moi” », 1938, éd. 1950, p. 346. Voir aussi, Henri Coing, « Signification de la notion de droit subjectif », APD, 1964, p. 1. 73 Pascal Michon, op. cit. p. 17 : « De même que les sociologues libéraux faisaient de celui-ci un produit de l’éclatement de la communauté traditionnelle, Burckhard et Dilthey font du sujet une conséquence de la scission des représentations du monde totalisantes, ce que Horkheimer appellera plus tard, et pour la même raison, le passage de la raison objective à la raison subjective ». Voir aussi, faisant le lien entre le néo-kantisme et le subjectivisme de Jellinek, Olivier Jouanjan, « Le monde subjectif dans lequel se joue la vie du droit… Une interprétation de Georg Jellinek », in Michel Coutu et Guy Rocher (dir.), La légitimité de l’État et du droit. Autour de Max Weber, LGDJ, 2006, p. 115, spéc. pp. 120-121. 74 Si on ne s’accorde pas sur la date exacte de l’apparition du droit subjectif, d’aucuns considèrent cependant qu’elle ne saurait être antérieure au Xe siècle de notre ère, Julien Laurent, La propriété des droits, LGDJ, 2012, n° 35 p. 27. Par ailleurs, si Guillaume d’Occam n’a pas inventé le concept, celui-ci lui doit beaucoup par la promotion qu’il en a faite, cf. Janet Coleman, « Guillaume d’Occam et la notion de sujet », APD, 1989, pp. 25-32. L’auteur précise que Guillaume d’Occam, n’étant pas juriste de formation, a pu plus facilement « innover » en rejetant ce que les spécialistes de son époque admettaient par convention. Voir aussi Michel Villey, « La genèse du droit subjectif chez Guillaume d’Occam », APD, 1964, pp. 97-127. 75 Sur la critique des « récits villeyens de l’histoire de la subjectivité juridique », on se reportera à l’article d’Olivier Jouanjan, « Les aventures du sujet dans la narration villeyenne de l’histoire de la pensée juridique », Droit et société, 2009, pp. 27-45. L’auteur y fait notamment le constat suivant auquel nous souscrivons : « une histoire des aventures de la subjectivité juridique, malgré certains apports considérables de Villey, reste encore largement à faire ; elle pourrait peut-être s’inscrire non plus en posant le sujet tout uniment au « fondement » de la modernité, mais en le considérant plutôt comme le « tourment » des Modernes autour duquel se nouent, se jouent et se déjouent des intrigues complexes ». 76 Julien Laurent, La propriété des droits, op. cit., n° 46 p. 37. 71 71 “subjectiver” le divin qui n’était jusqu’alors que l’ordre cosmique 77 ; de donné, celui-ci devint voulu78. Dans un second temps, la philosophie va rechercher en l’homme cette capacité d’agir sur le monde, et par conséquent d’en faire un objet. Ainsi, faisant référence à Guillaume d’Occam, Janet Coleman indique que « le droit subjectif provient de son analyse logique et philosophique des facultés humaines de connaître et de vouloir »79. 80. Il s’agit d’un « moment copernicien », substituant à la cosmogonie antique d’un ordre préexistant à l’homme « un nouvel ordre social (…) dont le droit individuel [est] la cellule élémentaire »80. Si cet ordre se construit bien tout entier sur la notion de puissance, potestas, « élevée à la dignité de droit », c’est que les hommes ne sont plus les instruments passifs d’un ordre qui s’impose – ou que certains leur imposent – en vertu d’une vérité prétendument révélée. Au contraire, la pensée moderne découvre que les représentations sont dans l’homme et que le droit peut ainsi être conçu comme le fruit d’une volonté consciente, délibérée, éclairée. Ainsi, « poser le sujet, c’est en même temps rapporter le monde des choses à la catégorie de l’objet »81. Le processus de la sécularisation se poursuit donc logiquement avec l’abandon du droit naturel lui-même, lequel, s’il aura été une étape vers le positivisme, relevait encore de la métaphysique. Il n’était au fond qu’une forme laïcisée de l’ordre divin, théologique82. Malgré ses différents substrats philosophiques, le droit subjectif s’est progressivement précisé pour devenir une notion purement technique de la dogmatique juridique. La résolution par la doctrine de la question de l’antériorité du droit subjectif par rapport au droit objectif est sans doute le point crucial. Le jusnaturalisme qu’exprime la Déclaration des droits de l’homme est naturaliste dans la mesure où il prétend proclamer des droits qui existeront même sans cet acte de volonté. C’est uniquement cette attitude qui a été progressivement abandonnée au profit La philosophie stoïcienne notamment, établissait une sorte d’égalité entre l’Univers, le Cosmos et Zeus, expression de cet ordre objectif dans lequel l’individu s’intègre sans pouvoir le modifier. 78 L’association du sujet de la volonté est soulignée par Olivier Jouanjan dans la pensée de l’autre « contre-moderne » qu’il évoque avec Villey, Heidegger : « l’affirmation métaphysique du sujet produit non pas seulement l’individualisme, mais aussi et du même geste, le volontarisme. La volonté est le sol ontologique véritable des Modernes, ce que veut dire Heidegger lorsqu’il écrit que “depuis le plein essor de la métaphysique des Temps modernes, l’Être est volonté” », préc., p. 31. 79 Janet Coleman, préc., p. 27. 80 Michel Villey, préc., p. 126 ; Bernard Bourgeois, « La raison dans le droit », in Mélanges François Terré, Dalloz, 1999, p. 25. 81 Olivier Jouanjan, préc., p. 31. 82 Le droit suit ici un processus qui confirme l’analyse d’Auguste Comte à travers la théorie des trois états ou âges de l’humanité (théologique, métaphysique et positif), certes réductrice car simplificatrice mais néanmoins extrêmement éclairante. Dans le même sens mais par rapport au thomisme et l’idée de Bien commun dont l’intérêt général des modernes est en réaction, Michel Villey, « Le droit de l’individu chez Hobbes », in Seize essais de philosophie du droit, Paris, Dalloz, 1969, p. 1979. Pour Villey, le positivisme juridique est le produit d’un même mouvement que celui qui a imaginé le sujet de droit, ibid., p. 32 : « la sortie du monde classique des juristes, qui passe par l’avènement du « sujet de droit », produit tout à la fois, selon Villey, comme d’un même mouvement de la pensée, et le droit individuel subjectif, qui devient le « maître-mot du droit moderne », et le positivisme juridique ». Connexion que Villey attribue au nominalisme en raison de l’ontologie individualiste au sens large de ce courant. 77 72 d’un positivisme faisant du droit objectif la source des droits subjectifs qui ne lui préexistent donc plus mais qui, au contraire, en dérivent83. La formule est donnée par Octavian Ionescu : « la conception que nous admettons (est) celle d’après laquelle les droits subjectifs privés découlent de normes objectives de droit » 84 . Cette évolution se constate dans la plupart des analyses de la notion et malgré les définitions concurrentes. Jean Dabin rassemble ainsi la solution en une formule cinglante : « posé le droit (objectif), les droits (subjectifs) suivent »85. Il y a donc bien eu un abandon progressif de la conception jusnaturaliste du droit subjectif au profit de l’orientation “artificialiste” d’après laquelle « le droit subjectif est considéré comme une construction artificielle, due au système juridique (et politique) ou, en d’autres termes, à la volonté du législateur quel qu’il soit »86. François Gény n’attribuait ainsi qu’une nature purement technique au droit subjectif, le considérant comme un « artifice »87. Sans être plus artificiel que tout élément du discours juridique, le droit subjectif est bien subordonné au droit objectif dont l’existence résulte d’une volonté intervenue pour édicter les normes qu’il comprend. C’est aujourd’hui une donnée parfaitement admise dans la doctrine privatiste 88 : tout droit subjectif a son fondement dans une norme du droit objectif, aucun droit n’existe sans qu’une norme, éventuellement énoncée par le juge, n’en constitue le fondement. Cette évolution est centrale car elle permet d’écarter l’essentiel de la critique de Léon Duguit fondée sur le caractère métaphysique du droit subjectif de même que le rejet de ces concepts subjectifs par Hans Kelsen. Cela suppose néanmoins d’admettre sous bénéfice d’inventaire les expériences pionnières d’une application des concepts subjectifs pour la description des personnes publiques et de leurs prérogatives. 83 Sur les critiques des théories du droit naturel et leur déclin devant les doctrines positivistes, cf. Jacques Ghestin (dir.), Traité de droit civil, Introduction générale, LGDJ, 4e éd., 1994, spéc. n° 16-25. 84 Octavian Ionescu, La notion de droit subjectif dans le droit privé, thèse Paris, Librairie du Recueil Sirey, 1931, n° 5 p. 22. 85 Jean Dabin, « Droit subjectif et subjectivisme juridique », APD, 1964, p. 29 ; on trouve une opinion similaire plusieurs articles du même numéro des Archives de Georges Kalinowski, « Logique et philosophie du droit subjectif », p. 42 ; François Longchamps, « Quelques observations sur la notion de droit subjectif en doctrine », p. 58 : « reste pourtant que l’opinion prévalente est celle de la primauté du droit objectif, fondement et assise de tous droits subjectifs (…) vue dominante et presque naturelle ». 86 Sergio Cotta, « A la recherche du droit subjectif », APD, 1990, p. 81. 87 François Gény, Science et technique en droit privé positif. Nouvelle contribution à la critique de la méthode juridique, Paris, Sirey, 1914-1924, t. III, p. 218 : « les concepts de sujet de droit, de droit subjectif, de personnalité morale, n’ont de valeur qu’en tant que moyens artificiels de l’élaboration juridique et que, cantonnés dans ce domaine, ils peuvent rendre de véritables services ». On relèvera l’influence qu’a eu également sur la pensée de François Gény la conception conventionnaliste d’Henri Poincaré auquel nous avons fait allusion. 88 Voir, Julien Laurent, op. cit., n° 2 p. 2 note 11 : « L’opposition est d’école, aussi nous ne rentrerons pas dans la controverse, désormais classique, concernant leur existence ou leur autonomie vis-à-vis du droit objectif » où l’auteur donne ensuite de nombreuses références. 73 b) La réception critique des expériences de la première doctrine subjectiviste du droit public encore teintée de jusnaturalisme 81. L’avènement de la loi positive comme expression de la volonté d’hommes raisonnables et éclairés est le bénéfice apporté par la sécularisation et la réappropriation par l’homme des règles qui organisent sa conduite. Cette approche où l’homme est le maître des lois se manifeste dans la pensée de Jeremy Bentham : « le principe de l’utilité, laïque, rigoureux, scientifique, qui considère le bonheur de tous les individus, suffirait à lui seul, sans recours à des principes contestés, à une prétendue loi naturelle ou une loi divine pour fonder les lois humaines »89. Les codificateurs de 1804 étaient inspirés par la philosophie des Lumières et la structure du Code civil reflète cette cosmogonie dans laquelle le sujet est au centre. La centralité du sujet, lequel s’oppose aux choses qui sont l’objet de sa puissance, conduit naturellement à une construction de l’ordre juridique civil à partir de la propriété : « le sujet du Code, alias le citoyen, est un propriétaire »90. Si le jusnaturalisme est encore présent au moment de la codification, il a été tellement lié au rationalisme si présent dans l’esprit français qu’il a produit une œuvre que le positiviste n’avait qu’à recevoir pratiquement sans rien y retrancher. Il suffisait simplement de rappeler au propriétaire qui est le sujet d’un pouvoir sur les choses, qu’il n’est tel que parce qu’il est assujetti à la loi. Le droit public n’a pas connu une formalisation juridique des conceptions idéologiques dans un code administratif, bien que celui-ci ait été prévu par les Révolutionnaires. C’est pourquoi ce n’est que par le commentaire des dispositions se référant aux biens insusceptibles de propriété privée que Proudhon, notamment, a forgé la doctrine de la garde. Celle-ci est imprégnée de conceptions jusnaturalistes et ne pouvait donc qu’être écartée si l’on voulait aborder la question de la propriété des personnes publiques à partir du droit positif et non de conceptions extra-juridique. Il nous semble que ce n’est cependant qu’aujourd’hui que nous disposons réellement de la matière suffisante en droit positif pour reprendre les choses conformément à un positivisme instruit de la perspective subjectiviste, si pertinente en ce qu’il s’agit de démontrer l’autonomie du droit subjectif de propriété en fonction de la qualité publique du sujet de droit qui l’exerce. En effet, la première doctrine publiciste était encore inscrite dans des querelles idéologiques renforcées par le fait que le droit administratif était encore largement à construire. 82. Léon Michoud résumait ainsi l’état de la doctrine de son époque : « la bataille, sur le terrain du droit public, est entre ceux qui cherchent à y conserver les vieilles conceptions du droit privé, celles de la 89 90 Mohammed El Shakankiri, « J. Bentham : critique des droits de l’homme », APD, 1964, p. 135. Julien Laurent, op. cit., n° 11 p. 11. 74 personnalité, de droit subjectif, de rapport juridique, et ceux qui, jugeant ces conceptions insuffisantes, arbitraires, trop purement formalistes, cherchent à leur substituer des notions plus proches de la réalité sociale » 91 . Contrairement à ce que laisse supposer l’affirmation de Léon Michoud, le courant qu’il défend est bien également novateur par rapport à l’état antérieur de la doctrine. Centrée sur le commentaire des textes et l’organisation institutionnelle de l’administration, la première doctrine du Droit public ne systématise pas les prérogatives de l’État et, dominée par la théorie de la fiction, rejette sa personnalité juridique. L’idée d’une personnalité privée était admise, mais limitée à l’État-propriétaire, excluant la personnalité de l’État en tant que puissance publique. Le progrès était donc fondamental de parvenir à rassembler l’ensemble des phénomènes juridiques qui concernaient l’État sous les concepts subjectivistes de personnalité juridique et de droits subjectifs. Le courant subjectiviste n’était évidemment pas parfaitement neutre du point de vue des conceptions idéologiques. Léon Michoud considérait ainsi que « [l’idée que la puissance publique est un droit] nous permet d’appliquer à ce sujet de droit des règles analogues à celles qui régissent les autres sujets de droit, (…) c’est la seule manière d’établir un lien entre le droit public et le droit privé, et de faire participer le premier des progrès accomplis par le second »92. C’était donc au service de la construction de l’État de droit que les concepts subjectivistes étaient mobilisés, partant du principe que l’identité formelle avec le droit privé conduirait au même résultat d’une soumission à la légalité. Il fallait cependant se garder de confondre l’instrument formel de description d’un État soumis au droit objectif en qualité de personne juridique, et le contenu matériel des règles de cette soumission. 83. Or, cette confusion se retrouve dans la réponse qu’ils doivent opposer à la critique, elle- même peu positiviste, consistant à les accuser de favoriser la puissance de l’État en la lui accordant sous la forme de droits subjectifs. Pour Léon Michoud, « conçue comme la simple représentation juridique du droit collectif, l’idée de personnalité de l’État ne contient en elle-même le germe d’aucun développement exagéré de la puissance publique ; elle aide au contraire à la limiter en montrant quelle est sa vraie raison d’être et aussi en la soumettant aux procédés habituels de la méthode juridique »93. La même idée se retrouve chez Félix Moreau pour qui « appliqués à la puissance publique, les mêmes procédés devaient, semblait-il, donner les mêmes résultats, régler et légitimer en même temps l’action des autorités, justifier et limiter le devoir d’obéissance des administrés en un mot créer le droit »94. 91 Léon Michoud, « La personnalité et les droits subjectifs de l’État dans la doctrine française contemporaine », Revue générale d’administration, 1911, p. 258. 92 Léon Michoud, La théorie de la personnalité morale, 3e éd., t. I, n° 114 p. 330. 93 Ibid., t. 1, n° 114 p. 329. 94 Félix Moreau, Manuel de droit administratif, Paris, Fontemoing, 1909, n° 33 p. 31. 75 Léon Michoud démontre qu’il est encore influencé par le jusnaturalisme 95 lorsqu’il affirme que « l’idée de droit est indépendante de l’idée d’État, qu’elle lui est antérieure et supérieure »96. Une telle idée préfigure la réaction objectiviste dès lors que celle-ci fournira une théorie de l’hétérolimitation de l’État beaucoup plus conséquente et puissante que la conception technique et formelle du subjectivisme. Par ailleurs, l’affirmation de l’autonomie du droit public était d’autant plus forte qu’on rejetait les concepts fondamentaux du droit civil. Rejetant le positivisme qui est ontologiquement associé à l’idée allemande d’autolimitation de l’État par lui-même, mais ne pouvant s’en tenir à une adhésion explicite au droit naturel des auteurs de l’âge métaphysique 97, c’est presque mécaniquement que Léon Duguit et ses disciples devaient forger leur propre conception, objectiviste et sociologique, autour des notions corrélées de solidarité sociale et de service public. Force est en tout cas de constater qu’il manque au courant subjectiviste de cette époque l’évolution essentielle qui a vu la substitution du juspositivisme au jusnaturalisme. Il y a là sans doute l’une des causes déterminantes de la réaction objectiviste à l’origine de la méconnaissance si générale en droit public de la perspective subjectiviste associée, à tort, au droit privé98. 2) L’objectivisme juridique : d’une réponse holiste aux excès de l’individualisme à la simple identification au droit positif 84. Léon Duguit incarne à lui seul le rejet absolu du subjectivisme juridique. Benoît Plessix rend ainsi compte de la pensée du doyen bordelais : « Le droit subjectif apparaît trop souvent comme un fils de l’École du droit naturel, exprimant alors en termes non juridiques une qualité inhérente à la personne humaine, et participant à une hypertrophie généralisée du moi et de la volonté individuelle »99. Il s’inscrit ainsi dans un contexte où les débats théoriques ont pour arrière-plan des oppositions idéologiques complexes, qu’ont mis en lumière des analyses historiques de la doctrine 100. Le holisme qui influence les auteurs objectivistes apparaît de manière assez nette. Les concepts qu’ils mobilisent traduisent l’idée d’un ordre préétabli que les hommes n’ont qu’à reconnaître et faire 95 Léon Michoud, op. cit., t. II, n° 198 p. 61 : « Nous admettons qu’au dessus même de la limitation résultant de la conscience sociale du groupe, il y a une autre limitation, de caractère tout idéal, qui est celle du droit naturel ». 96 Ibid., t. II, n° 197 p. 60. 97 Selon la célèbre théorie d’Auguste Comte des trois états théologique, métaphysique et positif. 98 Lequel a d’ailleurs des prolongements de l’objectivisme holiste en cherchant à circonscrire le droit subjectif associé à l’individualisme excessif. Un exemple topique de cette attitude est Paul Roubier, Droits subjectifs et situations juridiques, 1953, rééd. Dalloz, 2003. 99 Benoît Plessix, « Droits publics subjectifs des administrés et doctrine de la IIIe République », in Les droits publics subjectifs des administrés, LexisNexis, 2011, p. 35. 100 Telles que celles de Norbert Foulquier et Anne-Laure Girard, auxquelles on ajoutera volontiers l’étude menée sur la doctrine allemande par Aurore Gaillet, L’individu contre l’État. Essai sur l’évolution des recours de droit public dans l’Allemagne du XIXe siècle, Dalloz, 2012. 76 respecter mais dont ils ne sont pas les maîtres101. L’on retrouve bien ici la logique holiste qui domine les conceptions objectivistes, opposée à l’individualisme qui inspire toute approche subjectiviste102. La théorie de l’Institution de Maurice Hauriou est également une véritable réaction objectiviste en ce sens que cet auteur partage cette idée jusnaturaliste que « le fondement du droit, comme de toute institution, est objectif puisqu’il réside dans les idées qui existent de façon autonome »103. Ces auteurs veulent en réalité s’attaquer à deux « dangers » inadmissibles à leurs yeux : concevoir l’État comme détenteur d’une volonté qui produit et fonde le droit d’une part, reconnaître à l’administré des droits contre l’État d’autre part. Le premier point revient à nier le positivisme juridique et la réalité sociale de l’origine du droit. Le second point vise à dire au législateur ce qu’il doit faire au lieu de décrire et éventuellement de critiquer ce qu’il fait. Dans les deux cas, la doctrine allemande ayant été à la pointe de la construction subjectiviste, le contexte de la Belle Époque et de la Grande Guerre a été un facteur puissant de rejet de cette dernière. Autrement dit, c’est également par antigermanisme qu’ils veulent écarter toute idée d’autolimitation de l’État au profit d’une hétérolimitation 104 jugée plus sûre contre les errements du pouvoir politique et, d’autre part, de n’accorder à l’administré qu’une position passive dans une situation juridique et non un droit subjectif qui en ferait un trouble-fête105. 85. L’idée même d’hétérolimitation pose un problème dans la mesure où elle suppose l’existence d’une règle de droit antérieure et extérieure à l’État qui puisse s’imposer à lui. Félix Moreau se montre parfaitement positiviste lorsqu’il rejette les doctrines objectivistes en dénonçant le “sociologisme” de Duguit. Celui-ci n’est en cela positiviste que par la référence à Auguste Comte et non par épistémologie juridique106. Pour Félix Moreau, « si la notion de personne était bannie du droit administratif, elle y serait remplacée par la combinaison d’une constatation matérielle et d’une idée plus philosophique que juridique ». Évoquant la doctrine de Léon Duguit et la limitation extérieure à l’État en raison des règles issues de la solidarité sociale, il s’inquiète du fait qu’il 101 Anne-Laure Girard, op. cit., n° 86 p. 75. On soulignera d’ailleurs l’influence notoire de la sociologie d’Émile Durkheim sur la pensée juridique de Léon Duguit, Émile Durkheim étant considéré comme un fondateur du holisme par opposition à Max Weber. 103 Ibid., n° 88 p. 75, l’existence autonome des idées renvoyant aux inspirations aristotélo-thomistes de Maurice Hauriou, se rapprochant ainsi de la philosophie de Michel Villey qui a été développée plus haut. 104 Anne-Laure Girard, op. cit., n° 317 p. 310 : « Au cours du premier tiers du XXe siècle, la doctrine sape également les anciennes constructions propres au droit public. Elle se méfie de la personnification de la puissance publique. Elle lutte contre l'idée que la volonté étatique constitue la source des règles de droit, afin de renforcer la soumission de l'État aux normes. Elle malmène les fondements subjectifs du droit administratif, découverts par les auteurs allemands, pour y substituer une assise objective. La théorie de l'hétérolimitation de l'État traduit l'effort des administrativistes pour renouveler la base de leur discipline. La règle de droit, antérieure et extérieure à l'État, devient la pierre angulaire de leurs travaux ». 105 Norbert Foulquier, Les droits publics subjectifs des administrés. Émergence d’un concept en droit administratif français du XIX° au XX° siècle, Paris, Dalloz, 2003, spéc. pp. 38 et s. où l’auteur revient sur l’administré conçu comme un être irrationnel. 106 On trouve la même critique dans la thèse de Michel Rousset pour qui « loin d’avoir été le positiviste qu’il prétendait être, Duguit a été un moraliste (…) conduit à poser le droit comme supérieur et antérieur à la volonté étatique », L’idée de puissance publique en droit administratif, th. Grenoble, 1959, p. 91. 102 77 « resterait à dire comment et par qui la règle de droit sera découverte, proclamée, sanctionnée » 107 . Le scientisme de Léon Duguit le conduit à répondre que ce sera par les sociologues, ceux qui observent la réalité sociale qui renferme les règles de droit. On retrouve une manifestation de la conception de Léon Duguit de la propriété comme étant définie objectivement sous la forme de « l’affectation protégée d’une chose à un but d’utilité privée »108 ou publique et, dans tous les cas, exercée non sur le fondement d’un prétendu librearbitre, mais conformément à la solidarité sociale 109 . Pour Philippe Yolka, « Duguit dissout la notion de propriété dans celle d’affectation en présentant le patrimoine comme ensemble de richesses affectées à un but déterminé » 110 . Nous verrons que c’est le degré de détermination du but qui oppose la propriété des particuliers à celle des personnes publiques. Les personnes privées déterminent elles-mêmes les buts auxquels ils affectent l’exercice de leur droit de propriété et éventuellement certains en particulier. Le droit objectif ne leur assigne pas un but déterminé mais leur fixe une limite en sanctionnant l’exercice de la propriété dans un but illicite. Les personnes publiques, elles, se voient assignées une affectation générale de l’exercice de leur droit de propriété qui les oblige à justifier en principe des mobiles qui les animent 111. C’est donc moins sur la conception de la propriété elle-même que nous devons nous opposer que sur le fondement des règles qui en régissent l’exercice. L’idée de solidarité sociale de Léon Duguit reste un fondement jusnaturaliste de la règle de droit tout comme l’idée de droits naturels et imprescriptibles de l’homme. Simplement, c’est un jusnaturalisme holiste destiné à exiger le respect des droits naturels et impératifs du groupe, de la collectivité, lesquels s’imposent tant à l’État qu’aux individus, tous niés par l’auteur en tant que sujets de droit. Félix Moreau, refusant cette attitude, s’en tient donc à un légalisme qui évoque clairement le positivisme juridique : le droit administratif est d’abord juridique, donc la puissance s’exerce par un acte juridique, si bien que « la prérogative est assujettie à des règles légales ou tenues pour légales » 112 . C’est cette attitude que nous appliquerons aux personnes publiques propriétaires, qui se distingueront de leurs homologues de droit privé en raison du contenu de 107 Félix Moreau, Manuel de droit administratif, op. cit.., n° 35 pp. 33-34. Léon Duguit, Traité de droit constitutionnel, 3e éd., T. III, p. 363. 109 Roger Bonnard prolongea l’œuvre de Duguit en proposant la « propriété sociale » : « l’élément premier et irréductible de la propriété, c’est le fait de disposer librement de l’utilité de cette chose pour s’en réserver l’utilité ou pour attribuer à d’autres cette utilité tout en en conservant l’emprise et la détention ; ces deux modes de disposition constituant respectivement la propriété individualiste et la propriété sociale » 109, cette dernière correspondant à la propriété de l’administration sur les biens affectés à l’usage de tous. L’idée n’est évidemment pas dénuée de pertinence mais elle vise à opposer l’individualisme et le socialisme qui ne sont pas des catégories structurantes du droit positif. A l’inverse, le dualisme juridique entre droit public et droit privé repose lui sur des règles de droit positif de valeur constitutionnelle. 110 Philippe Yolka, La propriété publique. Éléments pour une théorie, LGDJ, 1997, p. 163. Sur la critique de la propriété sociale développée par Bonnard, pp. 194-195. 111 Cf. infra, le chapitre premier du titre second de cette première partie relatif au droit de propriété public des personnes publiques. 112 Félix Moreau, op. cit., n° 74 p. 78. 108 78 ces règles et de leur inscription dans un contexte normatif cohérent et global : l’ordre juridique partiel du droit public. Nous rejoignons ainsi la théorie dite “pure”, en ce qu’elle visait également à débarrasser les concepts les plus fondamentaux de l’analyse du droit de toute considération idéologique mais nous devons nous en éloigner en ce qu’elle rejette la considération du contenu du droit qui peut seul faire admettre la distinction public/privé et ses différentes déclinaisons. En rejetant le subjectivisme et la distinction du droit public et du droit privé, en imposant l’indifférence au contenu des normes, il nous semble que la théorie de Hans Kelsen et de ses disciplines confère à l’exigence de “pureté” une portée parfaitement excessive et qui, si elle permet de comprendre le droit comme un système formel, interdit de le comprendre en tant qu’il reflète l’état d’esprit d’une société. Ainsi, le sujet et le droit subjectif dérivent du droit objectif et constituent un moyen commode de décrire autrement le même droit positif. Ils seront l’instrument intellectuel d’une opposition entre deux catégories de sujet dérivant de deux ensemble de droit objectif : le droit public et le droit privé fondent les personnes publiques et les personnes privées. B. La mise en lumière de l’autonomie des personnes publiques propriétaires par l’adoption d’une perspective subjectiviste positiviste 86. Dans sa volonté d’épurer et de rendre formelle l’analyse du droit, la théorie “pure” a rejeté le subjectivisme comme idéologique par nature. La théorie normativiste a ainsi résolu la querelle idéologique de l’objectivisme et du subjectivisme en supprimant l’un des deux termes. Elle a donc proposé une théorie “pure” mais également purement objectiviste. Ce faisant, elle a selon nous été trop loin dans cette exigence de pureté, laquelle n’implique pas l’abandon des concepts subjectivistes de sujet de droit et de droit subjectif. Le droit privé n’a d’ailleurs jamais admis cet abandon tout en adhérant très largement au positivisme juridique (1). La doctrine publiciste, héritière en cela de l’école du service public, a produit une description juridique essentiellement objectiviste. Or, l’utilisation de concepts subjectivistes présente un caractère technique et pratique que l’on peut opposer à l’artificialité de l’objectivisme du droit public (2). 1) L’objectivisme théorique du normativisme : l’excessive résolution de la querelle par la dissolution des concepts subjectifs 87. La critique de Hans Kelsen se veut purement théorique, exempte de toute dimension idéologique, qualifiée de métaphysique. Dans un article paru à la Revue du droit public en 1926, il 79 en expose les principaux éléments, notamment ce que Léon Duguit considérait comme étant « la partie vraiment originale de la doctrine kelsénienne » : « l’identité complète de l’État et du droit »113. Hans Kelsen part de la notion d’imputation qui, lorsqu’elle vise une personne, « consiste à établir un rapport entre un certain fait et l’ordre (total ou partiel), considéré dans son unité, dont une règle ordonne que ce fait soit » 114 . Autrement dit, une personne juridique n’est qu’un ordre juridique partiel, un faisceau d’imputation : « l’ensemble des règles qui s’appliquent à la conduite d’un seul individu, constitue un ordre partiel, dont la personnification donne ce qu’on appelle la personne physique ». La personne juridique (terme employé pour viser la personnalité morale d’aujourd’hui) correspond simplement à l’application de ce mécanisme à un ordre partiel qui « règle la conduite réciproque de plusieurs individus compris dans un même groupe ». L’auteur refuse donc de détacher le sujet de droit de l’ordre juridique, il n’en est que la personnification totale (État) ou partielle, le résultat d’un certain regroupement de règles. Autrement dit, la personnalité n’est qu’une certaine lecture du droit objectif : là où l’on voit une personne juridique, on ne regarde en réalité qu’un ensemble de normes fédérées par une même règle d’imputation. La même analyse est faite quant au droit subjectif, lequel ne diffère pas non plus du droit objectif « mais est ce droit même, envisagé d’un point de vue particulier », c’est-à-dire que le droit subjectif n’est que l’une de ces règles qui, réunies, constituent le sujet de droit. Le droit subjectif est « la règle de droit dans son application à tel ou tel individu » 115 . Cette définition nous conviendrait absolument si l’auteur ne concluait pas de celle-ci au rejet définitif du concept lui-même. En effet, l’idée est bien de considérer le même droit selon deux points de vue différents, mais qui ont chacun leur utilité. Or, « la théorie pure du droit élimine ce dualisme ; elle ramène le soi-disant droit subjectif au droit au sens objectif, car elle dissout le concept de personne, parce qu’elle montre qu’il répond simplement à la personnification d’un complexe de normes (…) ; la théorie pure du droit prend et exprime une attitude pleinement universaliste et objectiviste (…) la théorie du droit devient ainsi une analyse de la structure du droit positif qui, libérée de tout jugement de valeur éthico-politique, vise à être la plus exacte possible »116 La critique qui s’impose à nos yeux est que Hans Kelsen ne veut reconnaître comme droit que le droit objectif. La dernière édition de la Théorie pure du droit manifeste qu’il s’agit ici d’une des constantes les plus fermes de sa pensée. En effet, les développements sur les notions de sujet de droit et de droit subjectif se concluent sur la thèse de l’abolition du dualisme du droit au sens subjectif et du droit au sens objectif. 113 Ibid., p. 23. Hans Kelsen, « Théorie générale de l’État », RDP, 1926, spéc. pp. 573-575. 115 Idem. 116 Hans Kelsen, Théorie pure du droit, op. cit., pp. 190-191. 114 80 Alors que le juriste autrichien a voulu abolir la distinction parce qu’elle était idéologique, nous proposons de substituer à une opposition idéologique une combinaison technique de deux termes qui ne constituent pas deux conceptions mais deux points de vue du droit positif. 88. Il faut souligner que les présupposés philosophiques des normativistes sont contradictoires avec la prétention affichée de « pureté ». Si cette école n’incarne pas nécessairement des conceptions politiques particulières, force est cependant de lui reconnaître un caractère des plus militants. En effet, il s’agit de pousser à l’extrême l’injonction prononcée par Auguste Comte d’éradiquer tout ce qui s’apparente à de la métaphysique. Le problème, c’est qu’à voir de la métaphysique dans tout énoncé, on élimine non seulement la métaphysique mais à peu près tout ce qui a une quelconque consistance pour un esprit humain. C’est ce que n’avait pas manqué de relever Roger Bonnard dans son compte-rendu consacré à un ouvrage d’un disciple de Kelsen, Adolf Merkl. Indiquant que l’auteur autrichien « s’attache uniquement au concept du droit, à ses éléments logiques et à leurs conséquences, abstraction faite de tout contenu concret », il explique à juste titre que « cette conception s’établit abstraction faite du contenu même du droit ». Il constate qu’avec cette méthode, « on obtient ainsi une sorte de droit supra-positif d’origine purement théorique puisqu’il est exclusivement tiré des éléments logiques du droit » ; « tel est le résultat d’une théorie pure du droit » 117 . Ce simple exposé fait bien apparaître ce à quoi conduit la transposition en droit de la philosophie du Cercle de Vienne : une analyse purement abstraite, peut-être universelle et objective comme le veulent ses défenseurs, mais qui nous semble manquer à l’exigence même du droit, discours inscrit dans le siècle et la vie sociale : l’intelligibilité et, au fond, l’humanité. Or, la perspective subjectiviste est de toute évidence l’outil le plus pertinent pour donner chair aux normes du droit objectif qui ne sont, c’est indéniable, que des énoncés. Le subjectivisme est simplement l’approche vivante et active de présenter le droit. Le fait que l’école normativiste soit contrainte, quasiment par la force des choses, à admettre la possibilité des vocables de sujet de droit et de droit subjectif nous conduit à penser que c’est bien l’excès auquel les conduisent leurs présupposés philosophiques qui leur interdisent de les manier simplement. C’est en effet ce à quoi conduit l’idée d’une concrétisation du droit par degré, dans la mesure où les normes évoluent du général au particulier en suivant la hiérarchie kelsénienne118. Lorsque Hans Kelsen distingue la statique juridique, considérant « le droit à l’état de repos, comme un système de normes en vigueur » et la dynamique juridique, contemplant Roger Bonnard, « La théorie de la formation du droit par degrés d’Adolf Merkl », RDP, 1928, p. 669. Roger Bonnard, préc., p. 685 : « En effet chaque norme juridique se forme par exécution d’une norme du degré supérieur. Elle est plus concrète que la norme de formation et celle-ci est plus abstraite que la norme formée. Il y a concrétisation croissante des normes de l’ordonnancement juridique à mesure que se déroule son processus de formation ». 117 118 81 « le droit en mouvement, le processus juridique par lequel il est crée, l’opération de formation et de concrétisation du droit »119, il ne fait qu’escamoter la relation fondement objectif/expression subjective du droit positif que permet la combinaison des concepts objectifs et subjectifs. Il est tout aussi positiviste de recourir à l’idée qu’une personne est un « complexe de normes » que de forger les outils décrivant tout propriétaire comme le sujet s’étant vu attribuer un droit subjectif de propriété par le droit objectif. 89. « L’ennui est que, ramené du ciel vers la terre, le droit subjectif perd alors de sa puissance symbolique et de son utilité concrète : si le droit subjectif n’est techniquement rien d’autre que le droit du sujet de droit, alors le droit objectif et le droit subjectif sont essentiellement des expressions désignant les deux faces d’une même pièce » 120 . A la suite de Benoît Plessix, nous voulons adhérer pleinement à cette idée d’une approche purement technique de la combinaison de l’objectivisme et du subjectivisme : « il s’agit d’aller plus loin et de dire que le droit est un phénomène social unique, que c’est toujours la même norme, envisagée tantôt dans son objet abstrait (le droit objectif), tantôt dans les prérogatives qu’elle reconnaît ou dans les devoirs qu’elle impose à tel ou tel sujet (le droit subjectif) »121. C’est sans doute la raison pour laquelle les civilistes ont résolu la querelle en admettant le positivisme mais sans rejeter le subjectivisme pour autant, dans la mesure où la perspective subjective est une approche particulièrement commode. Pour le mathématicien Henri Poincaré, on ne retient pas une géométrie parce qu’elle est vraie mais parce qu’elle est commode : « on veut dire que par sélection naturelle notre esprit s’est adapté aux conditions du monde extérieur, qu’il a adopté la géométrie la plus avantageuse à l’espèce ; ou en d’autres termes la plus commode »122. En ce sens, le subjectivisme est simplement une certaine géométrie appliquée à l’ordre juridique. L’utilisation des concepts subjectivistes s’est imposée parce qu’elle est utile. En réalité, l’analyse du droit administratif révèle qu’elle semble pratiquement indispensable. Anne-Laure Girard, La formation historique de la théorie de l’acte administratif, op. cit., n° 40 p. 33, faisant référence à Hans Kelsen, Théorie pure du droit, op. cit, p. 370. 120 Benoît Plessix, « Droits publics subjectifs des administrés et doctrine de la III e République », in Les droits publics subjectifs des administrés, LexisNexis, 2011, p. 35. 121 Ibid., p. 36. On soulignera qu’ici l’auteur évoque les prérogatives et les devoirs comme relevant du contenu que permet de décrire le point de vue objectif et le point de vue subjectif, et non selon un rapport de correspondance qu’établit Paul Roubier rapportant les obligations à l’objectivisme et les avantages au subjectivisme. 122 Henri Poincaré, La Science et l’Hypothèse, Flammarion, 1968 (1902), p. 108. 119 82 2) L’objectivisme inutilement artificiel du droit administratif : la neutralité des concepts subjectifs sur l’autonomie du droit public 90. Si le positivisme veut écarter le subjectivisme, « il faut constater que cette analyse, ainsi que les autres théories s’efforçant de nier l’existence des droits subjectifs n’ont pas sérieusement entamé l’attachement de la majorité des juristes à cette notion qui, du moins dans la pratique, résiste victorieusement aux critiques dont elle est l’objet »123. Cette habitude s’explique d’abord en raison de la commodité des expressions de sujet et de droits pour présenter un régime juridique : « à tel point qu’il serait extrêmement difficile, pour ne pas dire impossible, de se faire simplement comprendre si l’on tentait d’exposer l’état actuel de notre droit privé sans recourir à l’idée de droit subjectif »124. Il en va selon nous de même pour le droit public qui ne peut faire l’économie de notions parfaitement subjectives comme le pouvoir, la prérogative ou le rapport de droit qu’impliquent le contrat et la responsabilité. Les opposants au subjectivisme se trouvent ainsi bien obligés de recourir aux concepts subjectivistes, soit explicitement mais en s’efforçant d’en souligner le caractère accessoire (normativistes) soit en faisant une présentation artificiellement objectiviste125. Le subjectivisme ne s’identifie plus à l’individualisme dès lors qu’il traduit l’ensemble des normes du droit objectif soit comme des prérogatives (droits), soit comme des charges (obligations) 126 , si bien que l’intuition de Roubier de parler de situations juridiques est parfaitement justifiée127. 91. La notion de situation juridique peut être considérée comme le « vecteur de l’objectivation de l’acte juridique » utilisée en ce but par la doctrine objectiviste 128 . Cependant, elle partage les fondements contestables que nous avons évoqués : « l’ensemble des situations juridiques a ainsi, pour (Duguit), une origine sociale et un fondement objectif, la solidarité sociale » 129. Elle trouvera ensuite une meilleure légitimité en s’appuyant sur l’assimilation du droit au droit objectif qui se rapproche de la théorie normativiste. Léon Duguit amorce cette évolution lui-même : « l’emprunt à la doctrine allemande de l’expression “ordonnancement juridique” entraîne, en effet, le dépassement de la distinction traditionnelle entre le droit objectif et les droits subjectifs » 130 . Gaston Jèze et Roger Bonnard vont 123 Jacques Ghestin (dir.), op. cit., n° 179 p. 131. Ibid., n° 180 p. 131. 125 En droit public, il en va ainsi par exemple du concept de pouvoir objectif, et autres oxymores qui seront analysés, cf. infra n° 92 et s. 126 En ce sens, ibid., n° 181 p. 133 : « il est admis aujourd’hui que les droits subjectifs ne constituent pas toute la matière juridique. L’accent n’est plus mis exclusivement sur les prérogatives individuelles, mais aussi sur les devoirs ; il est reconnu par la plupart que certaines règles (…) donnent naissance à des situations qui ne se ramènent pas à un réseau de droits ». 127 Ibid., n° 194, p. 146 « tout un volet de la théorie du Doyen Roubier est consacré à l’étude des charges et cet apport est capital, car il restaure l’équilibre du système juridique ». 128 Anne-Laure Girard, op. cit., n° 339 p. 336. 129 Ibid., n° 344 p. 342. 130 Ibid., n° 348 p. 346. 124 83 approfondir la perspective objectiviste en analysant l’ordonnancement juridique « comme un système de situations juridiques » dans lequel la catégorie de l’acte juridique trouve une unité en raison « d’effets de droit présentant un caractère commun » : « tout acte a pour résultat d’établir, de modifier ou de supprimer les pouvoirs et les devoirs qui composent les situations juridiques » 131 . L’École viennoise viendra concurrencer les travaux de l’École bordelaise en transformant l’ordre juridique en structure logique dans laquelle « l’assemblage des situations juridiques est remplacé par une gradation et une corrélation de normes » : « l’ordonnancement juridique est donc un étagement de normes qui se concrétisent de plus en plus jusqu’à la norme individuelle »132. 92. Vouloir ne voir dans les situations que des actes examinés dans leur conformité à l’ordre juridique, ce n’est que refuser une construction purement explicative mais néanmoins commode destinée à rendre intelligible le droit lorsqu’il s’applique, se concrétise, et prend vie. L’escamotage réalisé par la doctrine pour « objectiver » absolument toute représentation du droit apparaît d’ailleurs de façon manifeste dans le compte-rendu qu’en donne Anne-Laure Girard : « Les situations juridiques forment alors le terreau de la rénovation de la représentation de l'acte juridique. Elles offrent à Léon Duguit et à Maurice Hauriou un instrument d'objectivation de l'effet de droit. Par leur biais, les conséquences juridiques de l'acte sont affranchies du vinculum juris et du droit subjectif. La situation juridique rassemble des pouvoirs, des devoirs, des intérêts, des avantages ou éventuellement des droits qui ne sont cependant jamais assimilables aux droits civils ». On ne voit pas en quoi cette assimilation serait impossible alors même que les concepts de pouvoir, de devoir, d’intérêt, d’avantage et évidemment de droit sont les matériaux essentiels de la présentation subjectiviste du droit. Plus encore, la notion de situation subjective forgée par ces auteurs témoigne de l’impossibilité de penser l’ordre juridique sans le présenter à un moment ou à un autre sur un mode subjectif. Une même réflexion doit s’appliquer à la notion de compétence qui appartient, à nos yeux, au droit objectif, en tant qu’elle réunit les règles qui fondent et régissent l’activité juridique de la personne publique. 93. L’ambiguïté de la notion de compétence dans sa relation à l’opposition objectif-subjectif apparaît dans sa définition classique de situation générale et impersonnelle. Ainsi, Michel Rousset affirme que « l’autorité administrative est titulaire de compétences, compétences qui sont des pouvoirs d’action juridique »133. Or, en bonne logique, c’est le sujet de droit qui est titulaire, et il l’est d’un droit lorsque ce droit est une prérogative permettant de produire des effets juridiques. 131 Ibid., pp. 346-347. Ibid., n° 350 p. 348. 133 Michel Rousset, L’idée de puissance publique en droit administratif, th. Grenoble, 1959, p. V. 132 84 Autrement dit, la compétence ne serait alors que le vocable du droit public pour dire droit subjectif. C’est ce que tend à considérer l’analyse dominante qui est faite de la notion de compétence. Pour François Vincent, la compétence est « un pouvoir prévu par un texte (…) qui aboutit à la création d’actes juridiques unilatéraux »134. François Lefoulon considère que capacité et compétences sont toutes deux des habilitations et qu’ainsi la compétence n’est que la capacité dont sont investis les organes d’une personne morale 135 . C’est la même analyse que reprend Florian Linditch lorsqu’il évoque la compétence structurante qui organise la répartition du pouvoir entre organes de la personne morale pour en exercer les droits subjectifs. Cependant, l’auteur y ajoute une compétence délimitante qui traduit simplement l’idée de spécialité, d’objet, qui est un caractère également commun aux personnes morales. Ces auteurs en viennent d’ailleurs à nier toute spécificité à la notion de compétence en droit public. Seule l’exigence de la prédominance de l’intérêt général conduit les auteurs à écarter l’idée de droit subjectif et à lui préférer la notion de pouvoir. Or, nous avons démontré que c’était là placer objectivisme et subjectivisme sur un même plan, considérer qu’il existe des prérogatives objectives, ce qui est contradictoire par nature. Sauf, évidemment, à ériger le pouvoir comme une catégorie de droits subjectifs. La compétence appartient de ce fait au droit objectif. Elle est l’ensemble des normes qui fondent et régissent l’activité d’une personne publique. C’est en recourant aux concepts subjectivistes que l’on en décrira la concrétisation sur le plan subjectif. Elle confère à un sujet de droit donné des droits subjectifs dont l’exercice sera conditionné par le régime que la compétence établit, que ce régime concerne les buts, les modalités ou les procédures de la réalisation des missions ainsi confiées. En d’autres termes, la compétence est l’habilitation à agir des personnes publiques. Elle s’oppose en cela à la capacité des personnes privées. Les deux ordres juridiques partiels que constituent le droit public et le droit privé entre en relation lorsque des personnes publiques exerçant une compétence établissent un rapport avec des personnes privées exerçant une capacité. Celle-ci est en réalité indéterminée, définie négativement et nécessitant de connaître le statut particulier de la personne, société anonyme ou société d’économie mixte par exemple, pour déterminer plus précisément sa condition juridique. La compétence, à l’inverse, signifie immédiatement que la personne juridique en cause appartient à l’appareil étatique et participe à l’action publique dont elle doit respecter les principes fondamentaux. Il y a là le préalable indispensable à l’opposition subséquente des personnes publiques et privées en leur qualité de propriétaire qui, attachée à leur personnalité juridique, en reproduira les spécificités intrinsèques, le patrimoine génétique. 134 135 François Vincent, Le pouvoir de décision unilatérale des autorités administratives, LGDJ, 1966, p. 17. Alain Lefoulon, La notion de compétence des agents administratifs en droit français, th. Rennes, 1970. 85 Section 2 Compétence et capacité, fondements respectifs de la personnalité publique et de la personnalité privée 94. Le propriétaire est la personne juridique exerçant sa propriété sous la forme d’un droit subjectif. Cela suppose l’existence en droit objectif de fondements juridiques l’instituant sujet d’un droit de propriété et régissant son exercice. Opposer deux catégories de propriétaires en raison de la catégorie de sujets de droit dont ils relèvent suppose d’identifier deux fondements en droit objectif à la qualité de personne juridique. La compétence et la capacité peuvent être proposées pour remplir ce rôle essentiel de fonder en droit objectif l’opposition de deux ensembles de concepts subjectifs, de droit public ou de droit privé. Cela suppose de revenir sur ces deux notions qui n’ont jamais reçu une définition suffisamment précise pour être opérationnelles. En effet, « la notion de compétence est floue » 136 tandis que « la capacité juridique en tant que telle n’existe pas dans la loi positive » 137 . Il est peu surprenant que des notions si mal assurées chacune prise isolément attirent également la critique sur leur distinction. Liées par ailleurs à la distinction du droit public et du droit privé, elles sont dépendantes de la considération que l’on a pour celle-ci. L’approche normativiste ne peut dès lors que conduire à rejeter cette distinction qui souffre de tant de maux. Considérant la distinction entre la compétence et la capacité « dénuée de fondement » 138 , Guillaume Tusseau propose alors de substituer purement et simplement à ces notions imprécises le concept formel de norme d’habilitation dont il a démontré qu’il pouvait les recouvrir, entre autres notions juridiques. C’est, selon nous, vouloir ériger un concept formel en notion matérielle, alors qu’il ne doit pas se substituer aux notions matérielles de compétence et de capacité mais au contraire en rendre compte et en permettre la comparaison. Sauf, bien sûr, à rejeter dogmatiquement l’observation des valeurs matérielles qu’elles véhiculent et ce pourquoi ces notions existent – la distinction du droit public et du droit privé. Si on l’accepte au contraire, le concept formel d’habilitation fait apparaître la summa divisio au niveau objectif en opposant la compétence à la capacité comme constitutives de deux normes d’habilitation dont l’une correspond au droit public et l’autre au droit privé (§ 1). Cette opposition se décline alors au point de vue subjectif en opposant, à partir du concept formel de personne juridique, les personnes publiques aux personnes privées (§ 2). Philippe Azouaou, L’indisponibilité des compétences en droit public interne, th. Paris X, 2012, n° 417 p. 374. Frédéric Zenati-Castaing et Thierry Revet, Manuel de droit des personnes, op. cit., n° 3 p. 16. 138 Guillaume Tusseau, Les normes d’habilitation, Dalloz, 2006, n° 720 p. 380. 136 137 86 § 1 Du concept formel de norme d’habilitation aux notions matérielles de compétence et de capacité 95. Si les faiblesses du discours doctrinal sont mises en lumière par l’analyse formelle des normativistes, c’est leur propre dogme consistant à refuser la summa divisio droit public – droit privé qui les conduit à refuser la distinction de la compétence et de la capacité. En cela, la critique normativiste révèle la fonction de la distinction de la compétence et de la capacité, qui est de traduire la summa divisio iuris au niveau du droit objectif, des normes d’habilitation (A). L’admission de la distinction de deux ordres juridiques partiels est ensuite la seule approche qui puisse intégrer véritablement l’opposition de la compétence et de la capacité. En effet, en reformulant le critère finaliste de la distinction, elle conduit à opposer un ordre juridique public dont le droit objectif des compétences est concrétisé à partir des personnes publiques à un ordre juridique privé où les personnes privées agissent sur le fondement d’une capacité (B). A. La fonction des notions de compétence et de capacité : traduire la summa divisio droit public – droit privé 96. L’analyse normativiste, en opérant une critique méthodique des discours qui s’y rapportent, nous donne les deux clefs de compréhension de l’opposition de la compétence à la capacité. D’une part, en démontrant qu’elles constituent deux normes d’habilitation, elle nous apporte le concept formel à partir duquel on peut les constituer en notions matérielles opposées (1). D’autre part, au lieu d’en renouveler l’opposition sur la base de cette clarification, Guillaume Tusseau choisit délibérément de l’abolir, révélant ainsi les présupposés qui l’animent : le refus de la summa divisio. Cela révèle également et surtout que traduire la distinction du droit public et du droit privé est précisément la fonction de l’opposition de la compétence et de la capacité en droit français (2). 1) La réduction formelle de la compétence et de la capacité : deux normes d’habilitations 97. La doctrine classique partage très largement l’intuition que capacité et compétence ont une même “nature”, c’est-à-dire qu’elles sont deux habilitations à agir, tout en entretenant une imprécision terminologique chronique, si bien que la distinction s’en trouve très mal assurée (a). La critique normativiste apporte ainsi une clarification terminologique et confirme l’intuition 87 d’une identité formelle des deux notions qu’appréhende parfaitement le concept de norme d’habilitation (b). a) Les insuffisances des discours classiques : l’intuition d’une identité formelle entre compétence et capacité et une imprécision terminologique chronique 98. Plusieurs auteurs soulignent l’imprécision terminologique qui frappe le terme de compétence. Pour Stéphane Rials, « le terme de “compétence” est un de ceux qui, dans le vocabulaire juridique, est pris dans les acceptions les plus nombreuses et les plus diverses » à tel point que « la notion est incertaine dans le domaine proprement juridique »139. Pour Etienne Picard, la compétence constitue une « notion étonnamment incertaine »140 tandis que Robert Hertzog s’étonne de ce que « étrangement, les publicistes, qui s’accordent sur l’importance de la notion de compétence, cœur de tout le droit public, se soucient peu de la définir » 141 . Rarement définie dans les manuels, figurant dans de très rares index, la notion de compétence n’a fait l’étude que d’un faible nombre de travaux dont une seule thèse la prenant explicitement et spécifiquement pour objet 142 . Ces études ne sont d’ailleurs pas parvenues à apporter une véritable clarification sur le terme. Quant à la capacité, elle n’a fait l’objet d’aucune étude particulière en droit privé et ce sont en réalité essentiellement les publicistes qui ont suscité son évocation, par opposition à la notion de compétence. L’une des premières études d’ensemble est un article de Gaston Jèze paru à la Revue de droit public dans lequel l’auteur opposait la compétence des agents publics à la capacité des particuliers143. Refusant la personnalité juridique et les concepts subjectivistes, et plus encore la personnalité morale de l’État, l’auteur oppose en réalité l’aptitude à agir d’une personne physique à celle de l’organe d’une personne morale144. Le positivisme instruit permet d’éviter cet écueil. Gaston Jèze considère bien, par ailleurs, que « la compétence de l’agent public et la capacité du particulier ont manifestement la même nature juridique : la compétence et la capacité sont des situations juridiques générales, impersonnelles, consistant dans le pouvoir légal de faire des actes juridiques »145. Dans le sillage de l’école du service public et de l’objectivisme qu’elle a rendu hégémonique de nombreux auteurs assimilent la compétence aux différentes dimensions de l’activité juridique des personnes publiques. Bien souvent, la compétence est confondue avec le 139 Dictionnaire de la culture juridique, p. 247. « Rapport de synthèse », in La compétence, op. cit., p. 237. 141 Robert Hertzog, « Les personnes publiques n’ont pas de compétence », in Mélanges Jean Waline, Dalloz, 2002, p. 237. 142 Vincent Corneloup, La notion de compétence en droit administratif français, contribution à une théorie générale des aptitudes à agir, th. Paris II, 2000. 143 Gaston Jèze, « Essai de théorie générale de la compétence pour l’accomplissement des actes juridiques en droit public français », RDP, 1923, p. 58. 144 La même critique est opérée par Florian Lindicth, Recherche sur la personnalité morale en droit administratif, op. cit., p. 190. 145 Gaston Jèze, Principes généraux du droit administratif, t. 3, p. 178. 140 88 pouvoir d’agir par acte juridique 146 . Pour Francis-Paul Bénoit : « La compétence d’un agent administratif est une aptitude qui lui est conférée à faire certains actes juridiques au nom d’une collectivité administrative et sur un territoire déterminé. La compétence est donc une aptitude à prendre des décisions s’analysant en actes juridiques ou constituant un des éléments de tels actes : actes unilatéraux ou contrats »147. Cela manifeste également l’imprécision terminologique des termes destinés à recouvrir les situations d’édiction d’actes juridiques. C’est cette imprécision qui conduit les auteurs à distinguer difficilement la compétence et la capacité, l’introduction de la théorie de la personnalité morale venant perturber a fortiori la discussion. 99. Ainsi, pour Florian Linditch, il y a identité de nature puisque capacité et compétence constituent chacune une « habilitation à créer des normes juridiques »148. L’opposition entre capacité et compétence lui paraissant trop tranchée, l’auteur retient « l’idée selon laquelle chacune se rencontre aussi bien en droit privé que public » 149 . La compétence serait attachée à la technique de la personnalité morale, laquelle implique une délimitation du champ d’activité de la personne et une structuration de l’activité juridique de ses organes. La capacité, quant à elle, correspondrait à la faculté d’exercer les droits subjectifs et de contracter. Pour Florian Linditch, « le droit de passer des contrats, celui de posséder un domaine, celui encore d’agir en justice sont difficilement explicables par le recours à la seule notion de compétence », cette dernière n’étant en réalité que « la notion qui permet à la capacité juridique de s’insérer dans la légalité administrative » 150 . La capacité correspond alors aux droits subjectifs parce que, tout simplement, « quel que soit le régime de droit public ou privé auquel on se réfère, les effets traditionnellement prêtés à la personnalité, regroupés dans la notion classique de capacité juridique, se retrouvent, sans qu’il y ait lieu de mettre à part les personnes morales de droit public »151. Pour Vincent Corneloup, les incapacités ne visent que des personnes physiques et la capacité n’a de sens qu’à leur égard152, si bien que la notion est nécessairement inapplicable aux personnes morales et, par conséquent, aux personnes publiques et privées chargées de l’exécution d’un service public. Ayant rejeté la capacité, « c’est donc la notion de pouvoir de représentation qui coexiste avec celle de compétence et qui permet à certaine autorités administratives de mettre en Ainsi Michel Rousset : « l’autorité administrative est titulaire de compétences, compétences qui sont des pouvoirs d’action juridique », L’idée de puissance publique en droit administratif, th. Grenoble, 1959, p. 5 ; Franck Moderne s’opposant à l’idée de droit subjectif de puissance publique affirme que « la puissance publique apparaît donc dans la théorie générale comme un ensemble de compétences, attribués à l’État pour qu’il puisse jouer son rôle et qui ne peuvent être exercées que dans cette perspective » ; François Vincent : « le mot de compétence désigne essentiellement le pouvoir du fonctionnaire de faire des actes d’ordre juridique (décisions unilatérales ou contrats) », Le pouvoir de décision unilatérale des autorités administratives, LGDJ, 1966, p. 16. 147 Francis-Paul Bénoit, Le droit administratif français, Dalloz, 1968, p. 470. 148 Florian Lindicth, op. cit., p. 198. 149 Ibid., p. 199. 150 Ibid., pp. 185-186. 151 Ibid., p. 5. 152 Vincent Corneloup, La notion de compétence des autorités administratives en droit français. Contribution à une théorie générale des aptitudes à agir, op. cit., n° 448 p. 335. 146 89 œuvre les droits attachés à la personnalité » 153 . Autrement dit, une personne morale, publique ou privée, agit dans le cadre d’une compétence si elle poursuit un but d’intérêt général, mais elle agit dans le cadre de son pouvoir de représentation si elle exerce ses droits subjectifs. En réalité, cette position est identique à celle de Florian Linditch à la seule différence que celui-ci parle de capacité. La raison en est que pour Vincent Corneloup, la capacité s’identifie alors ni plus ni moins à la personnalité juridique, ce que nous n’admettrons que pour la seule personnalité privée. Si les deux auteurs sont en réalité si proches, c’est que Vincent Corneloup considère que « jamais une compétence ne permet par elle-même à une autorité administrative, organe d’une personne publique ou d’une personne privée chargée de la gestion d’un service public, de mettre en œuvre les droits attachés à la personnalité »154. C’est précisément ce que nous allons proposer dans le cas des personnes publiques. Pour nous, la compétence est le fondement du titre et de l’exercice de leurs droits subjectifs, de puissance comme de propriété. Elle est l’habilitation qui fonde leur existence et régit leur activité de sujets de droit. Elle est l’équivalent de la capacité pour une personne privée, les deux notions remplissant une même fonction d’habilitation mais l’une correspondant à l’habilitation des sujets du droit public et l’autre à l’habilitation des sujets du droit privé. L’école normativiste considère qu’elles sont toutes deux « des complexes de normes comportant, à titre principal, des normes d’habilitation »155. Robert Hertzog, propose une conception qui n’est pas véritablement différente. Il distingue les missions dont sont investies les personnes publiques et les compétences qui, à l’instar de l’option de Florian Linditch, ne concernent que les organes de ces dernières 156 . Le concept de norme d’habilitation, tel qu’il a été mis en adéquation avec les concepts subjectivistes, propose une décomposition du même ordre de l’acteur investi des pouvoirs d’agir juridiquement et des missions qu’il est en droit de poursuivre. Leur réduction formelle de la compétence et de la capacité va cependant bien audelà et mérite donc d’être développée. b) La synthèse normativiste : les éléments communs relevant du concept de norme d’habilitation 153 Ibid., n° 449 p. 335. Ibid., n° 480 p. 357. 155 Guillaume Tusseau, op. cit., n° 722 p. 380. 156 Robert Hertzog, préc., p. 238 : « la compétence, en tant que capacité de faire des actes juridiques, est une qualité qui appartient exclusivement aux individus, agissant comme organes de personnes morales, alors que ces dernières ont des objets sociaux, des missions ou des tâches de nature extra-juridique, socio-économique, qui se situent sur un tout autre plan ». 154 90 100. Etienne Picard écrit que « plus une norme est élevée dans la hiérarchie, et plus elle est abstraite, vague, imprécise, voire incertaine en son contenu et moins elle semble opératoire dans sa portée immédiate »157. Si le propos peut parfois prêter à discussion, il nous semble aussi qu’alors, une telle norme est également des plus fondamentales. La compétence est une notion qui relève du plus haut niveau de généralité possible parce qu’elle est l’habilitation première, correspondant à la notion subjective primordiale. Dès lors, il nous semble nécessaire de ne pas s’accorder avec Etienne Picard sur la réserve dont il fait preuve à l’endroit de la compétence : « on ne peut pas demander à la seule notion de compétence, bien qu’elle soit tentée de le faire, de refléter toute la substance de ce qu’une autorité habilitée peut entreprendre » 158 . Au contraire, il nous semble que c’est précisément ce que la compétence doit recouvrir : l’habilitation intégrale de ce qu’un acteur public peut entreprendre. Jean-Bernard Auby n’était d’ailleurs pas loin d’une telle position lorsqu’il dénonçait deux confusions de la compétence avec les missions et avec les facultés des personnes publiques. Selon lui, ce que la compétence d’une personne publique désigne, « c’est l’ensemble des actes qui peuvent être émis, en son nom »159. Ces actes devant avoir un fondement et subissant un régime, la compétence synthétise l’habilitation à agir juridiquement de la personne publique. La définition qu’il propose conduit à définir la compétence comme la synthèse des règles qui fondent et régissent l’activité d’une personne publique. Cela ne recouvre pas seulement les actes qui sont édictés en son nom, cela concerne également les biens dont elle est propriétaire, qu’elle peut revendiquer et dont elle jouit et dispose conformément aux règles qui intègrent sa compétences parce que leur source a été admise. C’est en cela que la compétence est appréhendée par le concept de norme d’habilitation. 101. Pour Guillaume Tusseau, « le concept de norme d’habilitation est suffisamment souple pour couvrir toutes les hypothèses dont les diverses définitions de la compétence et de la capacité ne parviennent pas à rendre compte » 160 . Philippe Azouaou, pour sa part, se considère pratiquement contraint d’utiliser le concept de norme d’habilitation : « l’absence de définition unique et précise de la compétence rend cette notion inexploitable pour la construction d’un principe d’indisponibilité des compétences, sauf évidemment à vouloir donner à celui-ci des fondements fragiles » 161 . L’adoption du concept unificateur de norme d’habilitation lui permet de résoudre cette difficulté : « affirmer l’indisponibilité des compétences, c’est affirmer l’indisponibilité de la norme d’habilitation, et donc l’indisponibilité de chacun des éléments qui composent sa structure »162. Si l’on considère l’élément “acteur”, le concept rend compte des normes qui 157 Etienne Picard, « Rapport de synthèse », préc., p. 263. Ibid., p. 266. 159 Jean-Bernard Auby, La notion de personne publique en droit administratif, op. cit., p. 201. 160 Op. cit., n° 721 p. 380. 161 Philippe Azouaou, L’indisponibilité des compétences en droit public interne, op. cit., n° 540 p. 484. 162 Ibid., n° 550 p. 490. 158 91 désignent la personne juridique comme celles qui désignent l’organe d’une personne morale, ce qui permet d’appréhender ce que Florian Linditch appelait la compétence structurante et ce que Vincent Corneloup nomme le pouvoir de représentation. Si l’on s’intéresse à l’action, les normes qui fixent une certaine procédure où certaines modalités d’intervention sont réunies. Il en va de même du champ d’application qui correspond à la compétence définie comme un champ d’activité, un domaine d’intervention et ainsi, ce que Florian Linditch appelle la compétence délimitante et qui rejoint le principe de spécialité. Enfin, le champ de réglementation prévoit les différents cas où la doctrine percevait une prérogative, un pouvoir, mais encore la possibilité de passer un contrat, d’autoriser l’occupation du domaine ou d’ester en justice. Le concept forgé répond à l’objet pour lequel il a été conçu : rendre compte de toutes les situations où un acte juridique est édicté afin de constituer un référentiel pour évaluer la validité de cette édiction. Néanmoins, il nous semble que, s’agissant d’un concept formel, il devait avoir ce rôle et ne pas autoriser à faire disparaître la compétence et la capacité, pas plus que le concept formel de contrat n’autoriserait à faire disparaitre les catégories de contrat. Ainsi que l’indique Michel Troper dans la préface à la thèse de M. Tusseau, « ni l’habilitation ni les normes d’habilitation n’existent dans le monde, mais on décide de comprendre sous cet angle le monde du droit, c’est-àdire les discours des juristes »163. Si, alors qu’il ne devrait servir qu’à les appréhender, Guillaume Tusseau veut supprimer les notions de capacité et de compétence au profit du seul concept de norme d’habilitation c’est en raison du rejet catégorique de la distinction du droit public et du droit privé. En cela, l’auteur révèle la fonction véritable de ces deux notions qui est de traduire cette distinction dès lors qu’on en admet le principe. 2) La critique normativiste des fondements de la distinction et la révélation de sa fonction : traduire la summa divisio droit public – droit privé 102. Tous les auteurs déterminent leur attitude à l’égard de l’opposition en fonction de leur conception de la summa divisio entre droit public et droit privé. Ainsi, les auteurs qui admettent la distinction, qu’il s’agisse d’une opposition radicale ou d’une combinaison, sont ceux qui acceptent la summa divisio tandis que les normativistes rejettent la distinction, selon nous, parce qu’ils refusent la summa divisio (a). Les mobiles qui poussent M. Tusseau à substituer aux notions de capacité et de compétence le concept de norme d’habilitation rejoignent ceux qui poussaient 163 Op. cit., p. XVII. 92 la doctrine classique à les opposer tout en ayant conscience de la faiblesse de leur argumentation. Par ce choix dogmatique, lié au refus de la summa divisio, il confirme que c’est bien là la fonction de l’opposition (b). a) L’opposition compétence-capacité classiquement liée à la summa divisio dans la doctrine 103. L’intention de Gaston Jèze, lorsqu’il oppose la compétence des agents publics et la capacité des particuliers, est évidemment d’affirmer l’autonomie du droit administratif par rapport au droit privé164. C’est parce qu’il s’accorde avec l’idée que la dérogation au droit civil est un gage de cette autonomie qu’il développe, parfois avec excès, les différences de régime entre les deux aptitudes à agir. Lorsqu’il aborde les thèses contradictoires de Florian Linditch et de Vincent Corneloup, Guillaume Tusseau considère que « ces deux thèses recourent à des concepts qu’elles croient cantonnés à la sphère du droit privé »165. Pour Florian Linditch, c’est la notion de droit subjectif, de capacité et de personnalité juridique qui sont des concepts essentiellement privatistes. Une telle assimilation des concepts subjectivistes au droit privé n’est pas un cas isolé et traduit selon nous l’une des conséquences de l’objectivisme qui domine le droit public 166. Pour Vincent Corneloup, la compétence se distingue de la capacité en raison de sa finalité, l’intérêt général, ce qui lui semble justifier sa réservation au droit public. L’analyse de Guillaume Tusseau met ainsi en évidence que l’opposition de la compétence et de la capacité est liée à l’enjeu de la summa divisio. Pour cet auteur, « la promotion d’une distinction très nette entre les deux notions pouvait contribuer à deux résultats. D’une part, elle permettait de fonder l’autonomie du droit administratif en tant que corps de normes et de doctrines distinct de la dogmatique fermement établie du droit civil. Opposée à la notion de capacité ou de droit subjectif, la notion de compétence pouvait asseoir la spécificité de l’aptitude à agir des personnes publiques et la soustraire à l’emprise du juge judiciaire. Il pouvait s’agir d’autre part, sous couvert de décrire une opposition nécessaire, de justifier la soumission des personnes publiques à des règles plus strictes que les particuliers. Concevoir l’aptitude à agir des personnes publiques comme une compétence et non, à l’instar de la doctrine germanique, comme un droit subjectif, fondait un pouvoir de contrôle accru pour le juge administratif » 167 . Il nous semble que cela met en lumière tout d’abord que la doctrine publiciste a voulu utiliser l’opposition non seulement pour 164 L’idée est reprise par Jean Rivero, « Existe-t-il un critère du droit administratif ? », préc., pour qui la compétence qui lie l’administration tant quant au choix d’exercer ou non le pouvoir qu’elle fonde que pour en déterminer la fin que cette compétence détermine s’oppose aux personnes privées dont la capacité les laisse en principe libres d’agir et de déterminer les fins qu’ils se proposent ainsi de poursuivre. 165 Op. cit., n° 726 p. 384. 166 Par exemple, Benoît Garidou Recherche sur la théorie de la propriété publique en droit administratif français, th. Toulouse, 2003, qui propose d’utiliser la théorie de l’Institution de Maurice Hauriou afin d’éviter d’admettre ce qu’il considère être le cheval de Troie des théories civilistes, spéc. p. 217. 167 Guillaume Tusseau, op. cit., n° 725 pp. 383-384. 93 décrire un droit positif faisant une part à la distinction public – privé, mais également dans une optique de prescription, afin de construire le droit public, son autonomie et le contrôle du juge administratif. Si les seconds mobiles sont contraires au positivisme et doivent être distingués du premier, celui-ci nous semble demeurer légitime. Les normativistes sont en contradiction avec leur exigence de « pureté » lorsqu’ils rejettent la summa divisio. b) La substitution du concept formel aux notions matérielles : un choix motivé par le refus de la summa divisio 104. Pour Guillaume Tusseau, le concept d’habilitation ne permet pas seulement d’appréhender les notions de capacité et de compétence, il s’y substitue. Ainsi, il se réjouit de ce que le concept permet « la relativisation de contrastes opposant droit privé et droit public » 168 . Que le contraste soit relatif est une chose certaine, nécessaire même, mais qui n’emporte en rien l’abolition de la distinction. Par ailleurs, le concept de norme d’habilitation n’a aucune existence en droit positif alors que l’on peut trouver des bases normatives aux notions de compétence et de capacité. Si, au lieu de rechercher une formulation alternative mieux assurée, Guillaume Tusseau proposer de dissoudre les discussions doctrinales et de substituer le concept formel de norme d’habilitation aux notions de capacité et de compétence, c’est qu’il refuse catégoriquement la summa divisio iuris. Guillaume Tusseau peut ainsi écrire : « faisant œuvre de synthèse, le concept [de norme d’habilitation] dépasse les discussions qui résultent de distinctions artificielles et s’avèrent finalement peu pertinentes du point de vue de l’analyse du droit positif »169. Cette attitude est déterminée selon nous par le dogme d’une « science du droit qui n’est pas entravée par une hypothétique division entre droit public et droit privé » 170 . C’est cet a priori dogmatique qui lui interdit de vouloir distinguer capacité et compétence alors même que le concept formel qu’il forge rend cette démarche mieux assurée. Notamment, loin de conduire à constater une identité des régimes juridiques, son analyse conduit à clarifier les divergences qui existent bien de manière indiscutable sans qu’il soit besoin d’exiger une quelconque radicalité de l’opposition. En s’affranchissant du dogme normativiste du refus de la distinction du droit public et du droit privé, il nous semble possible, à partir du concept formel de norme d’habilitation ainsi dégagé, de proposer deux notions matérielles correspondant chacune à l’habilitation propre à l’ordre auquel elle appartient. La compétence, habilitation du droit public, peut ainsi être opposée à la capacité, habilitation du droit privé. 168 Ibid., n° 726 p. 384. Ibid., n° 724 p. 383. 170 Ibid., n° 722 p. 381. 169 94 B. L’intégration de l’opposition de la compétence et de la capacité par la théorie des ordres juridiques partiels 105. Guillaume Tusseau oppose la critique formelle à deux démarches destinées à justifier la distinction. Il y a, d’une part, une démarche conceptuelle visant à déterminer un trait distinctif, c’est le critère finaliste et, d’autre part, une démarche consistant à utiliser les différences de régime pour légitimer la distinction des notions. S’il a consacré l’essentiel de sa critique à la différence de régime, alors même qu’elle ne peut logiquement constituer un fondement, c’est que l’autre démarche est la seule possible, mais il ne peut en admettre le principe qui implique l’appréhension du contenu matériel du droit. Par la critique qu’il opère sur le critère finaliste de l’opposition de la compétence et de la capacité, Guillaume Tusseau met en lumière que ce critère ne doit pas nécessairement être abandonné mais doit, pour être conservé, être renouvelé, reformulé (1). La théorie des ordres juridiques partiels confirme alors sa pertinence en intégrant parfaitement l’opposition (2). 1) La nécessité d’approfondir le critère finaliste de distinction entre compétence et capacité 106. Certains auteurs introduisent un critère finaliste pour distinguer la compétence et la capacité. Ainsi, Vincent Corneloup oppose compétence et capacité en raison de la finalité d’intérêt général attachée à la première 171 : « une personne publique a nécessairement l’intérêt général comme unique objectif, alors qu’une personne physique a d’abord comme but son intérêt particulier »172. Pour Guillaume Tusseau, ce critère finaliste a peu de valeur en raison du fait que « les données à prendre en compte afin de déterminer le but de la capacité et la compétence sont largement indéterminées » et que, par ailleurs, « une telle investigation relève davantage de la sociologie que la science du droit »173. Si l’on admet que la science du droit ne forge que des concepts formels et qu’elle doit donc se combiner avec d’autres approches pour être utile à la compréhension du droit matériel, alors ces éléments socioculturels que le droit intègre doivent justifier la construction d’une distinction destinée à en rendre compte. C’est donc moins le critère finaliste qui pose problème en soi que l’appréhension de cette finalité spécifique. L’intérêt général est une notion fort vague. Le droit dans son ensemble n’ayant de légitimité qu’en raison de lui et toute personne pouvant, d’un certain point de vue, le 171 Vincent Corneloup, op. cit., n° 174 pp. 145-146. Ibid., n° 180 p. 151. 173 Guillaume Tusseau, op. cit., n° 712 p. 372. 172 95 poursuivre, même si cela suppose toujours, pour être juridiquement reconnu, l’intervention des pouvoirs publics174. Le critère de l’intérêt général semble donc difficilement opérant. Il nous semble que la distinction n’est pas entre l’habilitation à agir dans un but d’intérêt général et l’absence d’un tel but, mais entre l’intervention dans le cadre de l’action publique telle que voulue et organisée par l’État et les personnes publiques et l’activité qui, fut-elle d’intérêt général, demeure étrangère à cette action publique 175 . Et il en ira spécialement ainsi si l’on considère un propriétaire. Un propriétaire privé qui subit la présence de tiers sur un chemin traversant un terrain lui appartenant et qu’il a choisi de ne pas clore est étranger à l’action publique alors qu’une commune qui fait de même affecte ledit chemin à l’usage direct du public et en fait une promenade publique appartenant à son domaine public. Dans le premier cas, on peut dire qu’il y a un intérêt général, encore qu’il n’est en rien reconnu juridiquement, ni par les services de l’État, ni par un juge. Dans le second cas, il y a exercice de la compétence d’une personne publique et donc, nécessairement sous peine d’illégalité, une dimension d’intérêt général. Le critère de la compétence nous semble donc plus pertinent que l’intérêt général dans la mesure où il marque, de façon certes très générale car indifféremment de l’objet de l’activité, que celle-ci participe de l’action publique. Ainsi, la compétence, en tant qu’habilitation propre à cette action publique, marque cette spécificité matérielle et finaliste que « pour le droit administratif, les facultés juridiques ne sont jamais un potentiel d’action sans destination, mais au contraire des pouvoirs finalisés, “affectés”, et la notion de compétence permet de fonder terminologiquement cette différence »176. Il nous semble alors que la critique de la distinction mérite mieux qu’une conclusion lapidaire constatant simplement que « le dualisme des notions de capacité et de compétence repose dès lors sur une argumentation peu assurée »177. Si critiquer l’argumentation pour la corriger s’impose, tel n’est pas le cas en revanche du rejet définitif de ce que cette argumentation visait à décrire et qui est une réalité du droit positif. 174 Les conséquences juridiques de la reconnaissance de l’intérêt général d’une activité exercée par une personne privée peuvent être fiscales. Pour les associations, c’est la procédure du rescrit qui permet de prévoir l’attitude des services fiscaux qui, partant, sont maîtres de la reconnaissance de cet intérêt général. L'instruction BOI 4 H-5-06 récapitule l'ensemble des dispositions formant le régime d'imposition des organismes à but non lucratif. Elle vise les articles 206-1, 206-1 bis, 206-5, 1447 CGI. Elles peuvent également être d’un autre ordre, permettant à des associations d’agir en justice pour la défense d’intérêt généraux ou collectifs, comme il en va des associations reconnues ou agréées, qu’il s’agisse d’associations familiales, de défense de l’environnement ou de défense de victimes. Une loi est nécessaire pour contraindre le juge à admettre un recours dont il réserve sinon la possibilité aux individus lésés. Les textes de référence en la matière sont les articles 31 du Nouveau Code de Procédure Civile, L 411-11 du Code du travail, L 421-1 et s. et L 422-1 et s. du Code de la consommation. En droit public, on citera les articles L 141-1 et R 141-1 à R 141-20 du code de l'environnement. 175 Qu’il s’agisse d’une association ou d’une fondation, la reconnaissance d’utilité publique, si elle confirme le monopole de l’État en matière de reconnaissance de l’intérêt général, n’a ni pour objet ni pour effet de faire participer ces personnes privées à l’action administrative. 176 Jean-Bernard Auby, La notion de personne morale en droit administratif, op. cit., p. 201. 177 Guillaume Tusseau, ibid., n° 714 p. 374. 96 2) Le sens de l’opposition de la compétence à la capacité : la théorie des ordres juridiques partiels appliquée aux normes d’habilitation 107. Michel Troper nous indique que « la théorie générale du droit d’inspiration positiviste a pour ambition d’offrir une description générale du droit positif, une description qui serait valable non seulement pour le droit positif d’un ou de quelques pays, mais aussi pour tous les droits positifs de tous les pays et de toutes les époques »178. Il est en cela rejoint par Guillaume Tusseau qui, dans sa thèse, exprime sans détour que le concept de norme d’habilitation « fournit un moyen d'appréhender tous les droits possibles et tous les secteurs possibles de divers ordres juridiques nationaux ou internationaux ». Autrement dit, ce concept « ouvre ainsi la perspective d'une science du droit universelle »179. Cela signifie donc que tout ordre repose sur une hiérarchie dynamique des normes d’habilitation, si bien que, en toute logique, la distinction des droits et des secteurs évoquée par Guillaume Tusseau devrait avoir pour fondement l’identification d’habilitations de types différents. Ainsi, il faut admettre que la notion d’ordre juridique étant liée à la norme d’habilitation qui en commande l’existence, un ordre juridique est autonome si – et dès lors que – le droit positif fait apparaître un type d’habilitation caractéristique. Or, nous dit Guillaume Tusseau, « l’habilitation s’avère de la sorte une ressource que l’acteur mobilise en vue d’atteindre certains objectifs » 180 . C’est donc en raison de l’unité et de la spécificité de ces objectifs qu’il est possible de considérer qu’un secteur ou, plus fondamentalement, un ordre juridique partiel, se détache au sein d’un ordre global. Ainsi, quittant l’horizon universaliste de la science du droit pour revenir à la « doctrine courante » centrée sur des « considérations issues de la dogmatique d'un secteur particulier d'un droit positif national donné », il est possible de renouveler l’opposition de la compétence et de la capacité. Du point de vue académique, il est possible de considérer chaque matière à partir du concept d’habilitation. Dès lors, le droit commercial est le droit qui correspond à l’habilitation des commerçants à effectuer des actes de commerce. Le droit de la police administrative est relatif à l’habilitation des autorités administratives à prendre des mesures dont l’objet est la préservation de l’ordre public. De même, le droit de la propriété publique est le droit qui correspond à l’habilitation pour une personne publique à exercer la propriété (si l’on retient l’acception organique). Du point de vue plus fondamental de la théorie du droit, il nous semble possible d’aller plus loin et de confirmer le choix de la théorie des ordres publics partiels en s’appuyant sur le concept de norme d’habilitation, considéré comme le principe d’unité d’un ordre juridique donné. 178 Michel Troper, Le droit et la nécessité, PUF, Leviathan, 2011, p. 32. Guillaume Tusseau, op. cit., n° 898 p. 473. 180 Ibid., n° 904 p. 48. 179 97 108. L’universalisme, dont on a vu qu’il est l’ambition de la théorie du droit normativiste, a été largement critiqué par Benoît Plessix dont nous cherchons ici à développer le point de vue. Cet auteur « entend simplement démontrer que le droit, entendu de façon large, s’accompagne toujours de diversité et de pluralité dans la définition de ses concepts, bref qu’il n’est pas réaliste de le réduire à des notions uniques et communes » 181. C’est, selon nous, la réduction de cette diversité par l’abstraction qui permet d’élaborer des concepts formels comme celui de norme d’habilitation. C’est l’ignorance de cette diversité qui conduit à vouloir substituer un tel concept aux notions matérielles du droit positif. C’est en cela qu’un droit universel ne correspond pas à tous les ordres juridiques, mais à aucun ordre en particulier. Benoît Plessix démontre alors que l’idée d’un droit universel a besoin de se justifier et qu’elle ne le peut qu’en invoquant un droit prétendu naturel ou alors une généralité qui confine à l’idéalisme et à la croyance que les notions communes existent véritablement. Ce rejet de l’universalisme conduit à adopter la thèse du pluralisme juridique qui consiste à admettre la coexistence d’ensembles normatifs plus au moins autonomes ce qui, selon nous, rejoint l’idée même de secteurs et d’ordres distincts que semblent bien admettre les normativistes. Pour Benoît Plessix, l’universalisme « méconnaît la distinction des buts que chaque ordre juridique se propose d’atteindre », chaque ordre reposant « sur des principes qui lui sont dictés par les finalités qu’il poursuit »182. Or, dire avec Guillaume Tusseau qu’une norme d’habilitation est une ressource pour atteindre certains objectifs et dire avec Benoît Plessix que « la diversité des ordres juridiques est liée à la poursuite d’objectifs différents »183 nous semblent deux affirmations parfaitement complémentaires. Cela impose en revanche de quitter le formalisme et la pureté pour admettre que « ces finalités sont directement liées aux multiples données, politiques, économiques, sociales, etc., que la création d’un système normatif est précisément destinée à régir »184. Il faut souligner que l’idée d’ordre juridique partiel est admise par Hans Kelsen qui définit ainsi la personnalité juridique. Or, si une personne peut être un ordre juridique partiel comme le propose Hans Kelsen, un ensemble de personnes rassemblées par un type d’habilitation commun peut l’être également. C’est tout l’objet de lier la théorie des ordres juridiques partiels que sont le droit public et le droit privé au concept de normes d’habilitations tel qu’il peut se décliner du point de vue subjectif en catégories de personnes et, partant, de personnes en qualité de propriétaire. Benoît Plessix, L’utilisation du droit civil dans l’élaboration du droit administratif, op. cit., n° 874 p. 757. Ibid., n° 881 p. 762. 183 Ibid., n° 881 p. 763. 184 Ibid., n° 882 pp. 763-764. 181 182 98 109. Benoît Plessix propose de définir l’ordre juridique « comme l’ensemble, structuré en système, de tous les éléments entrant dans la constitution d’un droit régissant l’existence et le fonctionnement des activités auxquelles se livrent une communauté humaine, une société d’individus plus ou moins étroite » 185 . On peut convertir cette définition pour la rapporter au concept de norme d’habilitation. Dans ce cas, un ordre juridique est l’ensemble des normes d’habilitation fondant et régissant des activités ayant entre elles une cohérence suffisante pour qu’on les considère comme structurées en système. Dans les deux cas, on s’accorde avec l’auteur pour considérer que « le premier critère d’un ordre juridique est l’unité, en ce que tout ordre juridique apparaît comme structuré autour d’un principe unificateur »186. Pour cet auteur, ce principe unificateur est la fonction administrative qui « suffit à individualiser de façon très nette l’activité de l’institution qui lui est associée » 187 : l’Administration. Cependant, la thèse de l’auteur est centrée sur le droit administratif tel qu’il fut élaboré par la doctrine et le juge administratif. Autrement dit, l’ordre partiel est bien le droit public, mais il l’identifie à partir de ce qui en est le cœur, le droit spécial appliqué par un juge spécial qu’est le droit administratif. Or, nous l’avons dit dès l’introduction, il faut aujourd’hui concevoir l’ordre juridique du droit public comme constitutif du droit de l’action administrative, un droit mixte composé d’un corps de règles autonomes mais également de règles dont la source peut être commune avec des éléments qui lui sont extérieurs. Les personnes publiques propriétaires seront ainsi des propriétaires de l’ordre juridique public. Cela n’implique pas nécessairement leur soumission au seul droit administratif. Cette qualité de personne publique propriétaire, notamment, ne varie pas en fonction de l’appartenance du bien au domaine public ou au domaine privé. 110. Cela nous conduit à étendre la démonstration de Benoît Plessix au-delà du seul droit administratif dont l’opposition au droit civil et aux autres branches du droit privé est une dimension interne à la summa divisio. Le droit public est l’ordre juridique de l’action publique. Il comprend le droit administratif comme droit commun, ainsi que tous les régimes quelle qu’en soit la source qui ont vocation à la régir, droit de la consommation ou de la concurrence pour ne citer que des exemples biens établis. La conclusion de l’auteur est la suivante : « La disparition du droit administratif ne peut passer que par des décisions constitutionnelles et législatives inverses de celle de l’arrêt Blanco : elle n’est envisageable que le seul jour où, telle une reddition à l’armée ennemie, le législateur décidera, par exemple, que, désormais, le Code civil, dans ses articles 1382 et suivants, retrouve vis-à-vis de la 185 Ibid., n° 903 p. 779. Ibid., n° 904 p. 780. 187 Idem. 186 99 responsabilité des personnes publiques la généralité et l’absolutisme de ses dispositions »188. Cela n’est pas vrai seulement pour le droit administratif. Au sein de l’ordre juridique public, fondé sur l’unité l’action publique, étatique au sens d’appareil de gouvernement, s’affirme bien l’idée que l’autonomie y est, comme la souveraineté, « le pouvoir de se déterminer soi-même, la faculté de se donner sa propre loi ». Dans les systèmes sans dualisme juridictionnel, cette loi est la loi commune, sous réserve d’un droit d’exception. Dans le système français où le dualisme juridictionnel a été poussé à son paroxysme, l’arrêt Blanco signifie que cette loi est le droit administratif appliqué par le juge administratif, sauf exception. Dans les deux cas, il existe quand même un ordre juridique public autonome qui se caractérise par la possibilité même d’une loi différente de celle qui s’applique en dehors de son empire. Le droit administratif n’est pas plus remis en cause par les emprunts faits par le juge administratif au droit civil, que le droit public par l’application du droit privé aux activités administratives, parce que cette application résulte toujours d’un choix. « De même qu’un État souverain peut parfaitement décider de se soumettre aux prescriptions d’un ordre juridique extérieur, un tel choix de soumission étant précisément une manifestation de sa souveraineté, de même la décision de recourir à des emprunts faits au droit civil n’est rien d’autre qu’une manifestation de l’autonomie du droit administratif, c’est-àdire de la liberté de choix du juge administratif dans l’usage de son pouvoir prétorien ». Un État peut faire souverainement le choix de scinder son ordre juridique global pour différencier celui de l’action publique. Il peut encore faire le choix du droit commun ou d’un droit autonome. Ainsi, de même que « le phénomène des emprunts faits au droit civil par le droit administratif révèle l’existence d’une pluralité des ordres juridiques au sein même du droit français, dont la spécificité est liée à l’existence d’une dualité de l’ordre juridictionnel » 189 , l’option qui existe entre soumettre l’activité administrative à la loi civile ou à la loi administrative révèle l’existence d’un ordre juridique public autonome au sein de l’ordre juridique étatique. Il faut donc, malgré la communauté de certaines notions et techniques, faire siens les propos de Léon Michoud commentant le Précis de Maurice Hauriou : « le droit privé n’a pas les mêmes méthodes que le droit public, il ne part pas des mêmes idées, il ne se propose pas le même but ; ils ont sans doute entre eux des points de contact ; ils peuvent, dans une synthèse supérieure, être reliés l’un à l’autre par l’idée primordiale de droit, mais chacun d’eux demande à être traité séparément dans l’esprit et la méthode qui lui sont propres » 190 . Deux ordres juridiques partiels s’opposent Cela signifie qu’à deux catégories d’habilitations, la compétence et la capacité, correspondent deux catégories de sujets de droit, les personnes publiques et les personnes privées, chacune propriétaire selon cette habilitation qui lui est propre. 188 Ibid., n° 951 p. 821. Ibid., n° 898 p. 777. 190 Léon Michoud, « Compte-rendu sur le Précis de droit administratif de Maurice Hauriou », Revue générale d’administration, 1893, t. 1, septembre, p. 9. 189 100 § 2 La déclinaison subjective de la distinction : la summa divisio des personnes publiques et des personnes privées 111. Pour Gaston Jèze, « le Droit organise la capacité des individus et la compétence des agents publics » et, qui plus est, « il ne fait que cela »191. On peut étendre la proposition et considérer que le droit privé organise la capacité des personnes privées et que le droit public organise la compétence des personnes publiques. Compétence et capacité sont des habilitations qui appartiennent au droit objectif, lequel est, dans un cas, le droit objectif public et, dans l’autre cas, le droit objectif privé. Il s’agit donc de construire corollairement à la distinction des habilitations une summa divisio des personnes juridiques en opposant deux catégories de personnes juridiques, les personnes publiques et les personnes privées. Si compétence et capacité, pour opposer deux ordres juridiques partiels, doivent être les habilitations correspondant à deux catégories de personnes, encore faut-il s’entendre sur ce que cela doit signifier, c’est-à-dire établir les termes de l’opposition (A). Ce préalable de théorie générale du droit établi, il faut démontrer que la compétence et la capacité fondent respectivement la catégorie limitative des personnes publiques et la catégorie résiduelle des personnes privées (B). A. Les termes de l’opposition : le régime pertinent et les présupposés d’une summa divisio des personnes publiques et privées 112. “Personne publique” et “personne morale de droit public” ont pu être opposées selon la portée que l’on attache à ces deux expressions. Jean-Bernard Auby, partisan de la première, affirme qu’il « ne peut pas ne pas y avoir, dans les techniques de base du droit administratif, une place pour les sujets spécifiques dont ce droit régit principalement l’activité » 192 . Florian Linditch, voulant démontrer « l’unité profonde de la notion de personnalité morale jadis entrevue par Michoud »193, rejette quant à lui les expressions de personne publique ou administrative qui entendent marquer une différence de nature194. Pour cet auteur, « dans sa nature, la personnalité attribuée aux services administratifs ne diffère pas fondamentalement de celle qui est reconnue aux institutions formées par les particuliers ». Raison pour laquelle il préfère la qualification de « “personne morale de droit public”, c’est-à-dire littéralement, de 191 Gaston Jèze, Les principes généraux du droit administratif, rééd. Dalloz, 2005, t. 1 p. 7. Jean-Bernard Auby, La notion de personne publique en droit administratif, op. cit., p. 393. 193 Florian Linditch, Recherche sur la personnalité morale en droit administratif, op. cit., p. 6. 194 Ibid., p. 207. 192 101 personne morale relevant du droit public »195. Pour lui, les sujétions et privilèges des personnes publiques se superposent à la personnalité morale et sont seuls à conférer un caractère public. Il n’y a donc pas de sujet spécifique mais seulement un régime de droit public appliqué à une personnalité morale unique. Guillaume Tusseau s’inscrit dans une perspective analogue, conduisant inévitablement à supprimer les frontières entre catégories matérielles en insistant sur l’existence d’un concept formel qui s’applique aux deux. Il relève onze points relatifs aux différences de régime entre compétence et capacité. Il en fait la critique systématique en partant du principe que, ainsi relativisés, ces points ne sauraient fonder la distinction des deux notions et ainsi justifier la substitution qu’il propose par le concept de norme d’habilitation. Or, il nous semble que les différences de régime, dès lors qu’elles existent, peuvent être absolues ou relatives, leur existence légitime autant la distinction que leur relativité autorise à la discuter. C’est que le fondement d’une notion n’est pas dans son régime (1). Par ailleurs, il ne s’agit pas de distinguer les régimes juridiques qui sont la conséquence de la compétence et de la capacité, mais les règles qui font de l’une le régime privé d’habilitation, la capacité, et les autres le régime public d’habilitation, la compétence (2). 1) La portée limitée de l’analyse des différences de régime sur la pertinence de la distinction de la compétence et de la capacité 113. Les onze points qu’analyse systématiquement Guillaume Tusseau font en réalité apparaître la nécessité de nuancer l’opposition plutôt qu’ils ne révèlent une stricte identité entre les régimes juridiques que l’on peut associer à la compétence et à la capacité. Par exemple, le premier point discuté est relatif à l’idée selon laquelle, en droit privé, la capacité existe en principe et l’incapacité n’est que l’exception. A l’inverse, la compétence supposerait nécessairement une habilitation préalable explicite et il n’y aurait par conséquent pas d’habilitation implicite. Pour Guillaume Tusseau, la thèse de la capacité comme principe relève de la « croyance selon laquelle la capacité est un phénomène naturel » 196 et correspond donc à un présupposé jusnaturaliste. La critique ne peut qu’être admise. Des fondements en droit objectif, textuels ou implicites par interprétation authentique, sont nécessaires aussi bien pour fonder les facultés d’action des personnes privées que pour fonder celles des personnes publiques. Il est donc parfaitement exact de dire que « toute compétence ne présuppose pas nécessairement un texte »197, Ibid., p. 216, l’auteur souligne. Ibid., n° 719 p. 377. 197 Idem. 195 196 102 mais il serait erroné d’en conclure à une identité de régime. Le droit privé repose sur le principe de liberté, qui consiste à pouvoir faire tout ce qui n’est pas interdit. Le droit public repose sur le principe selon lequel l’administration ne peut agir que dans le cadre de sa compétence, et si elle peut justifier d’un intérêt public à son action. Par exemple, il n’y aura pas d’utilité publique si le projet qu’elle entend mener est sans rapport avec les besoins de la population et semble n’être mis en œuvre qu’au seul bénéfice d’une personne privée ayant vocation à en tirer profit in fine 198 . Il y a un détournement de pouvoir, on pourrait dire de compétence, qui peut être constitué pour tout acte de n’importe quelle personne publique si l’intérêt général est absent de ses motifs. Un détournement de pouvoir n’existe en droit privé que dans des cas exceptionnels 199 et l’abus de droit n’en est qu’une forme très éloignée200. En ce sens, il est donc juste de dire que la capacité de principe en droit privé s’oppose à la compétence toujours requise en droit public. L’existence d’une théorie spécifique de pouvoirs implicites en est selon nous la preuve201. 114. Cela rejoint le quatrième point où est évoquée et critiquée la différence de régime liée à l’intérêt poursuivi. On ne peut que s’accorder avec l’affirmation suivante : « il est erroné de considérer que les prérogatives privées ont toutes vocation à être employées dans l’intérêt de leur seul titulaire »202. Indéniablement, une personne privée peut parfaitement poursuivre un but d’intérêt général et cela sera d’ailleurs reconnu par une autorité étatique, qu’il s’agisse du législateur, de l’exécutif 203 ou d’un juge 204 . Néanmoins, cela ne nous semble pas avoir de portée sur la question de l’opposition de la capacité et de la compétence. En effet, si la capacité rend à l’évidence possible la poursuite de l’intérêt général, c’est que la poursuite d’un intérêt purement privé est, en somme, la norme. En revanche, la compétence ne s’exerce jamais avec effet de servir l’intérêt purement privé d’une personne privée ne poursuivant aucun but d’intérêt général, quitte à ce que l’intérêt On songe à l’arrêt CE, 26 oct. 1973, Grassin, AJDA, 1974, p. 34, note J. K., où l’aérodrome lié à la procédure d’expropriation n’aura d’intérêt que pour l’exploitant du club d’aéronautique et pas pour les habitants de la commune. 199 Dans les actes pris par les organes d’une personne morale dans un intérêt étranger à celui de la structure par exemple. 200 Parce qu’il ne sanctionne que les actes malveillants alors que le détournement de pouvoir peut également frapper un acte bienveillant constitutif d’une rupture d’égalité. 201 Florian Mauger, Les pouvoirs implicites en droit administratif français, th. Paris II, 2013. L’auteur démontre que c’est une démarche d’interprétation du juge qui lui permet d’étendre le pouvoir d’action de la personne malgré le silence de l’habilitation sur tel ou tel point. La capacité des personnes privées signifie que tous les instruments juridiques offerts par le droit positif sont à sa disposition, sauf à porter atteinte à des limites qui ne viennent qu’ensuite, en seconde intention. Il nous semble que la logique parfaitement inverse est à l’œuvre. 202 Ibid., n° 719 p. 378. 203 Par les décrets et arrêts déclarant d’utilité publique une fondation ou une association. 204 Il s’agit de l’évolution essentielle introduite par l’arrêt du CE Ass., 20 déc. 1935, Établissements Vézia, Rec., p. 1212, GAJA, n° 56. 198 103 public invoqué s’apparente à un sophisme205. C’est la raison pour laquelle il existe en droit pénal un délit de favoritisme qui ne vise que des individus exerçant une activité inscrite dans le cadre de l’action publique, donc des compétences, selon notre définition 206 . Une personne privée peut, si elle appartient à une catégorie qui le permet et répond aux conditions exigées, agir de façon totalement désintéressée, voire arbitraire, et satisfaire ainsi l’intérêt d’un tiers sans qu’aucune qualité ou action de ce tiers ne justifie cet acte. La chose est absolument et irrémédiablement impossible dans le cadre du droit public. C’est là la manifestation essentielle de la distinction de la compétence, prédéterminée à agir de façon compatible avec l’intérêt général, et la capacité, qui se caractérise précisément par le fait de laisser aux individus, personnes privées primordiales, leur libre arbitre et l’autonomie de leur volonté, sous les réserves de la loi. Une distinction est sans doute légitimée par une différence de régime et se trouve à l’inverse peu utile s’il n’y en a aucune. La question de la différence de régime ne connaît cependant pas de degré : il y a ou il n’y a pas une différence de régime. Une catégorie juridique est sans doute peu légitime si elle ne correspond à aucune différence de régime. Mais si une différence de régime légitime ainsi la catégorie, le fondement d’une distinction ne peut être recherché que dans ce qui a déterminé ces différences de régime. C’est en cela qu’une distinction repose toujours sur une dimension largement socioculturelle207. 2) La nécessité de distinguer compétence et capacité en tant que deux régimes d’habilitation distincts 115. Pour Guillaume Tusseau, la conclusion est radicale quant à la prétendue différence de régime entre la compétence et la capacité : « chacun des traits par lesquels les auteurs opposent les prérogatives normatives des individus dans le cadre du droit privé et des autorités dans le cadre du droit public est démenti par de nombreux contre-exemples » à tel point que, « pas plus que la référence à une hypothétique nature des notions en cause, l’invocation de leur régime respectif ne permet de distinguer capacité et compétence »208. La distinction lui semble ainsi dénuée de fondement. Cette conclusion appelle On songera à l’arrêt CE, 20 juillet 1971, Ville de Sochaux, Rec., p. 561 où l’intérêt de la circulation n’était sans doute pas des plus probants avant que la société privée ne propose l’échange de terrain dont on décide qu’il permet de le satisfaire. 206 Art. 432-14 Code pénal, lequel dispose notamment quant aux personnes privées : « une personne dépositaire de l'autorité publique ou chargée d'une mission de service public ou investie d'un mandat électif public ou exerçant les fonctions de représentant, administrateur ou agent de l'État, des collectivités territoriales, des établissements publics, des sociétés d'économie mixte d'intérêt national chargées d'une mission de service public et des sociétés d'économie mixte locales ou par toute personne agissant pour le compte de l'une de celles susmentionnées ». 207 Cf. Chloé Lemoine, La distinction en droit, approche épistémologique, op. cit.. 208 Ibid., n° 720 p. 380. 205 104 une discussion non plus relativement à la liaison entre une différence de régime et l’élaboration d’une distinction, mais quant au régime pertinent pour distinguer compétence et capacité. Les différences invoquées ont parfois été formulées avec la portée absolue qu’elles n’avaient pas, mais c’était une exagération inutile car la nuance dans le contraste ne supprime pas celui-ci. Elles reposaient parfois sur une lecture biaisée du droit positif, certes. Cependant, si cela autorise une plus exacte appréciation de ce dernier, cela n’autorise pas à conclure à l’inexistence de différences de régime. Celles-ci sont nombreuses. On en rencontrera en réalité tout au long de cette thèse car la compétence et la capacité s’opposent pour fonder deux logiques différentes dont découlent les différences de régime. Le droit administratif entendu comme le droit dérogatoire qui régit l’action administrative est aujourd’hui conçu comme un élément du droit de l’Administration 209 . Celui-ci comprend des règles de sources variées pouvant parfois être décrites comme une application du droit privé à l’action administrative. Néanmoins, rares sont les règles de droit civil qui sont appliquées de la même manière aux personnes publiques et aux personnes privées210. Autrement dit, si la dérogation ne résume pas le droit public, cela signifie néanmoins que celui-ci implique toujours une dimension dérogatoire. Ces différences de régime ne sont cependant pas le fondement mais la conséquence de l’autonomie du droit public. L’originalité des règles qui régissent l’exercice d’une compétence ou l’exercice d’une capacité ne doit pas avoir d’effet sur l’autonomie de ces deux notions. Celles-ci sont deux régimes d’habilitation, l’un est un régime d’habilitation public dont le résultat est la reconnaissance d’une personne publique, statut personnel immédiatement spécifique, l’autre est un régime d’habilitation privé dont le résultat est une personne privée que seul le statut particulier viendra spécifier. Les règles pertinentes pour vérifier leur opposition ne sont pas celles dont l’application en est la conséquence mais les règles par lesquelles est habilitée une personne privée ou une personne publique. La compétence et la capacité doivent donc être opposées comme deux régimes par lesquels est dévolue la personnalité juridique. Parce qu’une personne sera qualifiée de privée si elle n’est pas qualifiée de publique, la compétence fonde la catégorie limitative des personnes publiques opposée à la catégorie résiduelle des personnes privées que traduit l’habilitation indéterminée de capacité211. 209 Le droit de l’action publique qui régit les personnes, publiques ou privées, intervenant pour réaliser des politiques publiques sous l’égide des autorités de l’État ou des autres personnes publiques qui en assument la charge en dernier ressort. 210 Gabriel Eckert, « Droit administratif et droit civil », in Traité de droit administratif, t. 1, p. 602 et s., spéc. pp. 621 et 622 où l’auteur démontre que le juge judiciaire tient compte assez largement de la personnalité publique et/ou des missions d’intérêt général qui constituent l’enjeu ou l’arrière-plan du litige qui lui est soumis. 211 C’est une distinction consubstantielle de toute division bipartite à portée exhaustive ou summa divisio. Cf. Jean-Louis Bergel, « Différence de nature (égale) différence de régime », RTD civ., 1984, p. 268, « pour pouvoir absorber dans de telles classifications les notions et les réalités nouvelles que secrète l’évolution du droit, des faits et de la technique, il faut que, dans chaque classification, si l’une des catégories est limitative, l’autre soit résiduelle ». 105 B) Le critère formel de la personnalité publique et le caractère résiduel de la catégorie des personnes privées 116. Il convient tout d’abord de déterminer le lieu de l’opposition. La question est de déterminer si c’est au sein de la catégorie des personnes morales ou au sein de la catégorie des personnes juridiques que se traduit la summa divisio de la compétence et de la capacité. La question est fondamentale parce que les personnes publiques ne doivent pas seulement être opposées aux personnes morales de droit privé dont elles ont simplement la technique de la personnalité morale en commun, mais aux personnes juridiques, c’est-à-dire aux sujets du droit privé dont les particuliers sont l’élément primordial (1). Dès lors que c’est par un critère formel qu’une personne juridique est qualifiée ou non de publique, il s’agit de la catégorie limitée aux personnes qui répondent à ce critère tandis que la catégorie des personnes privées est résiduelle, accueillant toutes les personnes juridiques qui ne sont pas publiques et méritent de ce seul fit d’être qualifiées de privée (2). 1) Le lieu de l’opposition : la personnalité juridique et non la personnalité morale 117. Les personnes publiques sont toujours des personnes morales. Cette donnée n’a pourtant rien d’une vérité première, rien de « naturel ». Le droit public a construit l’exclusion des personnes physiques de son ordre juridique et ce n’est donc que dans le contexte du droit positif contemporain que l’affirmation est vraie 212 . C’est pourquoi il n’est pas interdit de considérer que c’est la personnalité juridique publique, physique ou morale, qui doit être opposée à la personnalité juridique privée, physique ou morale. Pour Xavier Bioy, « la personne humaine ne remplace pas la personne traditionnellement dite “juridique”, elle vient la concrétiser à l’occasion de certains rapports de droit où les dimensions corporelles et d’intégration sociale de la personne sont en cause »213. Cela veut bien dire que la personnalité juridique est le genre dont la personne humaine est une espèce, une catégorie interne à celle des personnes qui s’oppose aux choses. La personne humaine, c’est-à-dire la personne juridique dévolue à un être humain, n’est donc pas la personnification immédiate d’un être humain. Le droit ne décrit pas l’être humain tel qu’il est mais transcrit la représentation qu’une société donnée s’en fait à un moment donné. Ainsi, c’est par l’application à la personnalité juridique de prédicats établis en droit positif qu’apparaît la personne humaine, ces prédicats traduisant une certaine représentation sociale de 212 213 Cf. infra n° 149 p. 140 ets. Xavier Bioy, op. cit., n° 776 p. 405. 106 l’être humain. Les statuts du droit romain avaient tout autant pour objet un être humain que la personne humaine moderne. Simplement, en lieu et place de l’égale dignité, de l’intégrité physique et des exigences de la vie sociale, les Romains imposaient aux individus une position sociale qui les déterminait dès leur naissance. L’esclave du droit romain est une catégorie de personnes, la seule qui soit une chose par détermination de la loi en quelque sorte. La personnalité juridique, physique ou morale, est une. Il s’agit donc, toujours, de la personnification d’une représentation sociale, malgré l’objet biologique qui est pris en considération. D’ailleurs, cette affirmation se confirme si l’on veut bien avoir une analyse détachée de tout présupposé affectif du débat relatif à la personnalité juridique de l’animal qui, selon nous, ne viendrait pas grossir les rangs de la personnalité morale mais de la personnalité physique. Pour Jean-Pierre Marguénaud, la personnalité juridique n’est qu’une pure technique juridique que l’on peut mettre au service de la protection des animaux si bien qu’il propose d’admettre leur personnalité juridique 214 . Il faut donc admettre avec François Chénedé qu’il s’agirait simplement, à l’admettre, d’une utilisation technique de la personnalité juridique dont on ne saurait s’offusquer a priori « tant elle ne fait que révéler sa véritable nature : une technique, un outil, un vêtement, un instrument au service du système juridique »215. La personnalité juridique n’est toujours que cela, elle n’est jamais que cela. 118. La personnalité morale n’implique d’ailleurs pas l’existence d’un groupement d’individus et la personnalité morale traduit seulement, a minima, la consécration d’une représentation dont les intérêts qui y seront associés seront dès lors opposables. Nicolas Mathey affirme ainsi : « il n’y a aucun lien nécessaire entre la personnalité morale et l’existence de membres : toute personne morale n’est pas un groupement de personnes »216. Ainsi, il existe des personnes morales avec un seul membre comme l’EURL 217 , les sociétés d’exercice libéral 218 et les sociétés par action simplifiée à associé unique 219 . Le publiciste y ajoutera d’ailleurs les sociétés nationalisées dont l’État est le seul Jean-Pierre Marguénaud, L’animal en droit privé, Paris, PUF, 1992 ; « La personnalité juridique des animaux », D., 1998, p. 205 ; « Droits des animaux : on en fait trop ou trop peu ? », D., 2010, p. 816. Il ne s’agit pas ici de discuter la proposition mais simplement de tirer les conséquences qui s’attache à son existence même qui démontre que, souhaitable ou non, cette personnification est parfaitement possible. Anne-Marie Sohm-Bourgeois affirme que « l'animal nous paraît difficilement pouvoir être considéré différemment que comme objet de droit, d'abord parce que cela supposerait un complet bouleversement du droit positif en ce domaine, mais surtout parce que toute autre classification semble véritablement utopique », « La personnification de l’animal : une tentation à repousser », D., 1990, p. 33. Thierry Revet, pour sa part, considère que c’est l’ « inutilité, pour l'animal, de l'accès au commerce juridique (qui) distingue alors sa situation de celle des personnes morales, de laquelle on l'a parfois rapprochée », « Loi n° 99-5 du 6 janvier 1999 relative aux animaux dangereux et errants et à la protection des animaux », RTD civ., 1999, p. 479. 215 François Chénedé, « La personnification de l’animal : un débat inutile ? », AJ Famille, 2012, p. 72. 216 Nicolas Mathey Recherche sur la personnalité morale en droit privé, th. Paris II, 2001, n° 209 p. 73. 217 Loi n° 85-697 du 11 juillet 1985. 218 Loi n° 99-515 du 23 juin 1999. 219 La loi n° 99-587 du 12 juillet 1999. 214 107 actionnaire. Il existe même des personnes morales sans membre, telles les fondations : « il est impossible de considérer les fondateurs comme des membres car leur rôle n’est pas nécessairement permanent ; ils peuvent s’effacer définitivement après la création de la fondation »220. Pour lui, « le choc subi par la doctrine à cette occasion s’explique par la domination du modèle sociétaire dès qu’il est question de personnalité morale alors que la variété des institutions que recouvre le concept est beaucoup plus grande que l’on ne pense » 221 . Le phénomène est pourtant très ancien, surtout si l’on sort du cadre français. En droit anglais, il faut souligner l’existence de ce qu’on appelle corporation sole et qui s’applique à des entités aussi fondamentales que la Couronne et les principales institutions de l’Église anglicane. Ainsi, la Reine est une corporation sole, c’est-à-dire une personne morale dont elle est le substrat. C’est ainsi qu’on a dissocié les deux corps du Roi en Angleterre. Cela fait apparaître l’unité de la personnalité juridique malgré la division entre personnes physiques et morales et malgré l’extrême diversité de ces dernières, qui ne sont pas réductibles à des catégories binaires comme le fut la distinction entre personnes fondatives et corporatives 222 dont Jean-Pierre Théron s’était proposé de faire l’application aux établissements publics 223 . Sur cette distinction, nous nous accordons avec Philippe Yolka pour considérer que « toute personne morale porte les deux dimensions dans ses gènes, seule la proportion varie » lequel ajoute en note : « on dira donc simplement que certaines personnes publiques sont plus corporatives que d’autres, ou plus fondatives ». 224 La personnalité morale n’est rien d’autre que l’attribution de la personnalité juridique à une entité qui ne se confond pas avec un individu en tant qu’être humain. En cela, elle a forcément une dimension fondative que l’on retrouve dans « l’idée d’œuvre » de Maurice Hauriou ou d’intérêt opposable de Nicolas Mathey. Il s’agit simplement de la personnalité juridique détachée de toute personne réelle, avec son corps et ses attributs non détachables. Personne physique et personne morale ne sont donc qu’abstractions intellectuelles en tant qu’elles participent du discours juridique. Elles sont des personnes juridiques. Cependant, si les unes ont un substrat biologique225 qui se confond avec la personne réelle avec laquelle il est loisible de déjeuner, les autres ont pour substrat une représentation sociale a priori détachable de tout individu déterminé. La personnalité morale est par conséquent l’attribution de la 220 Nicolas Mathey, ibid., n° 212 p. 75. Ibid., n° 213 p. 75. 222 Léon Michoud, La théorie de la personnalité morale et son application au droit français, op. cit., spéc. pp. 224-226. 223 Jean-Pierre Théron, Recherche sur la notion d’établissement public, LGDJ, 1976, pour qui l’établissement est une fondation de droit public, p. 12. Cette conclusion ne s’appliquerait qu’avec difficulté aux établissements issus d’un regroupement de collectivités. Il nous semble préférable de ne pas recourir à l’opposition entre fondation et corporation, surtout si l’on admet la dissociation radicale entre la personnalité publique et tout individu pris isolément ou collectivement en dehors de la qualité d’administré ou d’agent. Une personne publique, selon nous, n’a pas de membre qui soit un individu. 224 Philippe Yolka, « Personnalité publique et patrimoine », in La personnalité publique, op. cit., p. 42. 225 Si l’on pousse le raisonnement encore plus loin, la personne physique n’a pas tant pour substrat l’être humain de l’anatomiste que celui du philosophe car la représentation sociale de l’individu détermine largement le contenu et l’étendue de la personnalité physique. Que l’on songe à ce lieu commun des cours de première année qu’est l’esclave, hélas présenté à tort comme relevant de l’Histoire du droit. 221 108 personnalité à une « idée »226, laquelle va pouvoir se réaliser dans la société par l’auxiliaire des voies et moyens de droit en tant que sujet. La doctrine a longtemps hésité entre l’intérêt et la volonté pour parvenir in fine à la définition de Léon Michoud, pour qui est sujet de droit tout « être capable d’avoir des droits subjectifs lui appartenant en propre »227 de sorte que, comme l’exprime Florian Linditch, « tout être individuel ou collectif doué de la capacité d’exprimer sa volonté et doté d’intérêts propres pourra légitimement prétendre au rang de sujet de droit »228. Mais à l’idée d’être « collectif », il est peut-être préférable de retenir l’expression de Barthélémy Goudy pour qui « il y a donc personne civile toutes les fois qu’il y a concentration de droits sur une essence juridique distincte des personnes physiques qu’elle comprend »229, ou simplement concerne, aimerions-nous ajouter. 119. Cette essence distincte, certains auteurs ont voulu la nommer en usant du terme d’activité230 ou d’intérêt231. Pour Nathalie Baruchel, voulant limiter la personnalité morale au phénomène collectif et ainsi rejeter les formes unipersonnelles de personnes morales, « l’existence d’un intérêt collectif et d’une possibilité de réalisation de celui-ci constituent des critères suffisants pour que la personnalité morale soit attribuée à un groupement »232. Cette conception de lege feranda ne nous semble pas devoir être retenue dès lors que les personnes morales unipersonnelles ou, comme on le pense des personnes publiques, a-personnelles, ont un intérêt pratique majeur. On s’accordera donc avec Nicolas Mathey pour qui la personnalité morale est « un concept utilisé par le droit positif pour désigner la technique par laquelle le droit assure l’opposabilité d’un intérêt organisé ». Cet intérêt, l’auteur considère qu’il « est une émanation de l’intérêt des personnes qui l’ont créée et/ou qui la font fonctionner », qu’ainsi « l’intérêt de la personne morale n’est pas totalement étranger aux intérêts des fondateurs et/ou des membres mais lié à eux » 233. C’est donc à eux en effet qu’il revient d’expliciter cet intérêt ce qui, en raison du lien avec l’objet de la personne, conduit à lier d’une certaine façon l’intérêt l’activité. Cela rejoint partiellement la définition donnée par Jean Paillusseau de la personnalité morale comme technique d’organisation d’une activité légitime 234. Nicolas Mathey démontre Dont Hauriou aimait à reconnaître des trouveurs… Léon Michoud, La théorie de la personnalité morale et son application au droit français, op. cit., p. 15. 228 Florian Linditch,, op. cit., pp. 25-26. 229 Barthélémy Goudy, De la personnalité juridique, th., Libr. de la Société du Recueil général des lois et des arrêts, 1896, p. 27. 230 Jean Paillusseau, art. préc., n° 30 dit en effet : « C'est de la nécessité de rattacher toutes les opérations auxquelles donnent lieu la conduite de l'action ou l'exercice de l'activité à une personne autre que les membres de l'association, de la fondation ou de la société, qu'elle soit unipersonnelle ou pluripersonnelle, que naît la personnalité morale ». 231 Position de Nicolas Mathey, prolongeant en réalité les thèses classiques de définition du sujet de droit comme un intérêt juridiquement protégé auquel on adjoint une organisation pour l’exprimer et le défendre. Ainsi que le relève Nathalie Baruchel, l’intérêt tel qu’il est alors défini intègre l’activité. On dira simplement que l’activité poursuit toujours un intérêt et que l’intérêt suppose pour être satisfait qu’une activité ait lieu. 232 Nathalie Baruchel, La personnalité morale en droit privé. Éléments pour une théorie, LGDJ, 2004, n° 576 p. 321. 233 Nicolas Mathey, op. cit., n° 851 p. 419. 234 Jean Paillusseau, La société anonyme, technique d’organisation de l’entreprise, Paris, Sirey, 1967 ; « Le droit moderne de la personnalité morale », RTD Civ., 1993, p. 705. 226 227 109 cependant que l’organisation se distingue de la personnalité morale qui se limite à un élément substantiel, l’intérêt, et un élément formel, l’opposabilité : « L’acte fondateur est donc un acte d’organisation et de sélection d’intérêts. Pour atteindre son but, cet acte juridique doit être publié afin que les tiers ne puissent méconnaître l’intérêt ainsi sélectionné ou organisé » 235 . Une personne morale est donc le résultat de l’admission à la vie juridique d’une représentation sociale dont il sera possible d’admettre que des individus, sur la base d’un pouvoir de représentation sont les agents et dont les actes sont imputables à cette personne. Telle est donc l’unité, purement technique et utilitariste de la personnalité morale. 120. Nicolas Mathey, devant justifier ses choix terminologiques, le terme de personnalité juridique lui semblant « trop ambigu car pouvant s’appliquer également aux personnes physiques », considère que « l’expression “personnalité morale” est plus juste pour désigner les institutions appelées à être agents actifs, autrement dit des sujets de droit qui ne sont pas des particuliers ». L’auteur, qui se justifie notamment par la volonté de s’écarter de la notion de personne physique, indique qu’il faut « prendre garde à l’anthropomorphisme qui guette toute théorie de la personnalité morale » 236 . La personnalité morale constitue une notion autonome s’opposant à la catégorie des personnes physiques qui, en réalité, s’identifie à la catégorie de la personne humaine. C’est la crainte de l’anthropomorphisme qui, bien souvent, justifie une prise de distance avec cette dernière et la focalisation sur la première. Ainsi l’opposition est-elle classiquement entre les personnes morales de droit public et de droit privé et non entre les personnes juridiques publiques et privées. On dira donc avec Frédéric Zenati-Castaing et Thierry Revet qu’il faut admettre une certaine « marginalisation du clivage opposant les personnes physiques aux personnes morales, lesquelles ne sont que deux variétés d’une même catégorie, celle des personnes juridiques »237. Les personnes morales constituent une unité cohérente mais en qualité de technique de personnification. Il faut donc bien opposer les personnes juridiques en deux catégories si l’on veut construire la summa divisio entre personnes publiques et personnes privées. Il s’agit maintenant de déterminer les termes de cette opposition. 2) Le critère formel de la personnalité juridique publique et la qualification par défaut d’une personne juridique privée 235 Nicolas Mathey, op. cit., n° 557 p. 247. Nicolas Mathey, op. cit., n° 62 p. 20. 237 Frédéric Zenati-Castaing et Thierry Revet, Manuel de droit des personnes, op. cit., p. 10. 236 110 121. Tant la personnalité juridique que la personnalité publique reposent sur un critère formel, l’acte recognitif d’une autorité étatique, qu’il s’agisse d’une loi, d’un acte administratif appliquant une loi, ou d’une décision juridictionnelle. Il faut cependant distinguer l’acte formel de reconnaissance de la personnalité juridique, qui est commun à toutes les personnes juridiques qu’elles soient physiques, morales, publiques ou privées (a) de l’acte formel par lequel une personne juridique est constituée ou reconnue comme une personne publique. C’est ce second critère qui permet de distinguer positivement les personnes publiques et de constituer en catégorie résiduelle les personnes privées (b). a) Le critère formel de la personnalité juridique, quelle que soit la catégorie concernée 122. Que l’on soit une personne physique ou morale, publique ou privée, on n’apparaît pas dans le monde du droit de manière certaine sans avoir reçu le “baptême” d’une autorité publique, qu’il s’agisse d’une administration ou d’une juridiction. Il existe dans une certaine mesure, pour les personnes physiques, un droit à la personnalité juridique sans laquelle toute existence socialement satisfaisante est rendue pratiquement impossible238. Il n’en demeure pas moins qu’un état civil en est la condition d’un exercice véritablement effectif. Le droit consiste alors à pouvoir en obtenir la délivrance239. Dans le cas des personnes morales, la querelle opposa longtemps les partisans de la fiction aux partisans de la réalité. Leur opposition avait une apparence juridique mais devait en réalité beaucoup au contexte politique de lutte entre l’État et les congrégations religieuses. La question portait sur le point essentiel de savoir si la loi, c’est-à-dire la majorité parlementaire largement anticléricale, avait tout loisir pour admettre ou ne pas admettre une organisation sociale, notamment religieuse, à la vie juridique. Autrement dit, est-il nécessaire qu’une loi ait prévu un statut juridique pour qu’un groupement puisse exister, en choisissant par conséquent de respecter les formes prévues par le statut ? La question est essentielle mais elle perd de sa portée juridique si l’on y ajoute le corollaire : un juge peut-il reconnaître la personnalité juridique d’un groupement en dehors des statuts et procédures de dévolution prévues par la loi ? La jurisprudence, en répondant à ces deux questions, a donné sa part à chacune des deux parties de la querelle. A la fiction, elle a donné raison en constatant que la personnalité juridique n’est 238 Xavier Bioy, « Le droit à la personnalité juridique », Revue Droits et libertés fondamentaux, 2012, chron. n° 12. Le même auteur indique ainsi le jugement du TGI de Lille pour qui « l’impossibilité d’établir un état civil place [la personne] dans une situation administrative inextricable et la prive des droits attachés à la personne humaine » (TGI Lille, 28 sept. 1995) ou encore un arrêt du 12 avril 1994, la Cour de Toulouse censurant le jugement ayant refusé de déclarer judiciairement la naissance d’un enfant du seul fait que la date de sa naissance ne pouvait être exactement déterminée. 239 111 reconnue définitivement à une personne morale que par le respect des procédures instituées ou une décision juridictionnelle, c’est-à-dire toujours par l’intervention d’un organe de l’État. Celuici maîtrise donc, in fine, l’existence des corps intermédiaires juridiquement reconnus sur son territoire. Il dispose par ailleurs des moyens légaux pour s’opposer à sa reconnaissance ou en organiser la dissolution. A la théorie de la réalité, les juridictions ont apporté la possibilité pour une personne morale d’apparaître en dehors des formes prévues par la loi en raison de critères élaborés par le juge pour qualifier juridiquement les faits en cause. Ainsi, dans l’arrêt de la Cour de cassation du 28 janvier 1954240, une personne morale est reconnue en dehors d’un statut législatif, même si en l’espèce le juge se fonde sur un texte par analogie 241 . En revanche, c’est dans le silence absolue de la loi que la Cour reconnut la personnalité juridique des comités de groupe institués par le code du travail242. Si le juge étend son propre office et relativise le rôle du législateur dont on n’attend pas l’intervention explicite pour reconnaître la personne juridique, il n’en demeure pas moins que l’intervention d’une autorité étatique est nécessaire. Si la réalité technique l’emporte sur les rigueurs de la volonté du législateur à laquelle la fiction voulait donner l’exclusive, toutes les personnes juridiques n’existent dans le monde du droit que parce que le droit admet le principe de leur existence et qu’une autorité publique, administration ou juridiction, le reconnaît pour telle personne particulière. Or, si le critère de la personnalité juridique est formel, il y a encore un pas à franchir pour qu’une personne soit qualifiée de publique et c’est tout ce qui différencie les personnes publiques des personnes privées, lesquelles sont toutes les personnes ne répondant pas au critère formel de la personnalité publique. b) Le critère formel propre aux seules personnes publiques et la qualification par défaut des personnes privées Cass. 2e sect. civ., Comité d’établissement de Saint-Chamond c. Ray, D., 1954, p. 217, note Levasseur ; JCP 1954 II. 7978, concl. Lemoine, Dr. Soc. 1954, p. 161, note Durand. Grands arrêts de la jurisprudence civile, 12e éd., t. 1, pp. 137 et s. V. aussi Cass. soc., 23 janv. 1990, JCP éd. E 1990, II, n° 15755, note M. Névot ; D. 1990, IR p. 44, sur les comités de groupe. 241 « Attendu que la personnalité civile n’est pas une création de la loi ; qu’elle appartient, en principe, à tout groupement pourvu d’une possibilité d’expression collective pour la défense d’intérêt licites, dignes, par suite d’être juridiquement reconnus et protégés ». C’est là le fondement objectif de la dévolution de la personnalité juridique à des groupements en dehors d’un statut législatif précis, bien qu’en l’espèce la personnalité du comité d’établissement en cause a été admise par analogie avec celle des comités d’entreprise reconnue par le décret du 2 novembre 1945 faisant lui-même suite à la loi du 22 février 1945 qui en reconnaissait l’existence. 242 Cass. Soc. 23 janv. 1990, JCP E 1990. II. 15755, note Névot ; comp., hostile à cette reconnaissance, G. Couturier, « Les budgets du comité d'entreprise », Dr. soc. 1986, nono 29, p. 379 ; et, favorable, M. Cohen, « La personnalité civile du comité de groupe », Dr. soc. 1983, p. 670 et s., spéc. p. 673. — V. aussi, au sujet des comités d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail institués par la loi du 23 déc. 1982, Soc. 17 avr. 1991, JCP 1992. II. 21856, note Y. Blaise). 240 112 123. Yan Thomas rapporte qu’une cité naissait par l’inauguration rituelle, dont on connaît l’exemple de Rome et du pomerium tracé à la charrue par Romulus qui tua son frère qui osa le franchir contre sa défense. A contrario, il était possible de concevoir la disparation d’une cité par un acte contraire. Ainsi, « la cité avait été juridiquement et rituellement abolie, par une exauguration contraire à son inauguration fondatrice. La cité était frappée d’inexistence par un acte de droit public sacral, à rebours de l’acte qui lui avait conféré l’existence »243. Tel fut le sort de Carthage, pour laquelle Romains ajoutèrent à l’acte formel l’opération matérielle d’exécution en rasant la ville et en semant du sel. Le droit positif moderne ne nous semble pas avoir varié beaucoup en dehors de ce dernier élément. Une personne juridique naît et meurt par l’acte juridique, texte officiel ou décision de justice, qui reconnaît son existence ou déclare son inexistence, indépendamment des éléments de la réalité physique ou sociale qui en sont le substrat. C’est un acte formel. Il va de même pour dire si cette personne est publique ou privée. Seul un texte ou une décision de justice permet de qualifier, en droit, une personne juridique de publique. Et si elle ne l’est pas, elle sera privée. En France, nous disent les auteurs des Grands arrêts, « l'origine de la distinction remonte à un arrêt de la Cour de cassation du 5 mars 1856 Caisse d'épargne de Caen (DP 1856.1.121) qui juge que les caisses d'épargne, quoique créées dans un but d'intérêt général et d'utilité publique, n'en sont pas moins des établissements privés » 244. L’évolution suivante est assez connue, et conduit à l’alternative entre un texte et une décision de justice. Dans ce dernier cas, « la démarche du juge consiste à rechercher l'intention du législateur lorsqu'il a institué un organisme déterminé, soit que celle-ci apparaisse d'elle-même, soit qu'il faille la dégager à partir d'un “faisceau d'indices” »245. « Dans les appréciations délicates auxquelles il doit ainsi procéder, ajoutent-ils, le juge tient compte également de considérations d'opportunité, en recherchant s'il est souhaitable de reconnaître à l'organisme en cause un statut de droit public, avec toutes les conséquences juridiques, administratives et financières qui en découlent »246. Autrement dit, la distinction résulte bien, comme le relevait Jean-Bernard Auby, d’un véritable choix du jurislateur qui, juge, parlement ou premier ministre est bien toujours l’État. Si cela signifie qu’il est impossible de déterminer avec certitude la qualité publique ou privée d’une institution innomée tant qu’un juge ne s’est pas prononcé, il Yan Thomas, « L’institution civile de la Cité », Le Débat, 1993/2, n° 74, p. 29. L’auteur précise : « Dans la sphère du commerce juridique, le droit romain séparait donc très nettement la pluralité concrète des communautés, d’un côté, et l’unité abstraite des universalités nominales, de l’autre. Il envisageait ces dernières comme des unités stables non pas selon la nature, mais selon le droit ». 244 Commentaire de l’arrêt TC, 14 fév. 2000, Groupement d’intérêt public « Habitat et interventions sociales pour les mal-logés et les sans abris c. Mme Verdier, Rec, p. 748, GAJA, 19e éd., n° 102, n° 2 p. 774 ; AJ, 2000, p. 465, chr. Guyomar et Collin ; JCP G, 2000, II, p. 10301, note Eveno ; AJFP, 2000, p. 13 comm. Mekhantar ; LPA, 4 janv. 2001, note Gégout et 24 juill. 2001, note Demaye ; RTD Com., 2000, p. 602, obs. Orsoni. 245 Idem. 246 Commentaire de l’arrêt TC, 9 déc. 1899, Association syndicale du Canal de Gignac, Rec., p. 731, S., 190°.3.49 note Hauriou ; GAJA, 19e éd., n° 7, n° 4 p. 47. Voir aussi, CE, 4 avril 1962, Chevassier, D., 1962, p. 327, concl. Braibant, ce dernier justifiant la solution par le fait que les lois précédentes qualifiaient les fédérations de chasse de personnes privées, alors même qu’il reconnaissait le nombre et la valeur des indices convergents vers la qualification inverse. Le critère formel est donc également un critère teinté d’opportunité. Ce que relève également l’arrêt TC, 20 novembre 1961, Centre régional de lutte contre le cancer Eugène Marquis, Rec, p. 879. 243 113 est en revanche tout aussi exact et, nous semble-t-il, fondamental, qu’en l’absence d’un tel caslimite la catégorie des personnes publiques est parfaitement identifiée et, a contrario, celle des personnes privées de même. Une compétence, c’est un intérêt qui n’est pas seulement admis comme général, mais voulu comme public et assumé comme tel. Ainsi, nous pouvons conclure avec Nicolas Mathey qu’une personne publique, parce qu’elle est toujours cela et jamais autre chose, trouve son critère dans la compétence qui lui confère non pas seulement une activité mais une finalité d’intérêt général : « seules les personnes morales de droit public ont l’obligation de poursuivre l’intérêt général et non seulement une faculté. Cette obligation tient à ce que les personnes morales de droit public n’ont pas seulement un objet mais aussi une finalité d’intérêt général. Les personnes morales de droit privé, même lorsqu’elles ont une activité d’intérêt général, restent à finalité privée. Elles ont assez de liberté de manœuvre pour ne pas toujours agir dans l’intérêt général sans que leur action devienne illégale » 247 . Il nous semble que l’existence de personnes privées par détermination de la loi invalide toute idée d’une unité de la personnalité privée. Il existe des personnes privées à finalité publique, c’est-à-dire « compétentes », comme le sont explicitement les Sociétés publiques locales. En revanche, sur ce point, l’homogénéité de la personnalité publique nous semble totale : elles ne peuvent jamais être à finalité privée. 124. Dans le cas des personnes publiques, il nous semble que la logique d’apparition des personnes nouvelles est incomparable avec celle qui préside à la naissance des personnes privées. En effet, alors que celles-ci ne font intervenir les pouvoirs publics que pour fixer le statut et reconnaître la personnalité juridique, les personnes publiques supposent nécessairement qu’une ou plusieurs personnes publiques aient préalablement voulu son existence. En réalité, il faut admettre qu’il a existé jusqu’en 2013 une exception à cette affirmation. Une section de commune pouvait apparaître en raison d’une initiative privée, un don ou un legs « à une communauté d’habitants ou un quartier et non au bénéfice de personnes nominativement désignées » 248 , initiative relevée par le juge qui constatait alors l’existence de la section249. Le juge, bien qu’instance étatique, n’intervient alors pas autrement que dans le cas des personnes privées. Ce cas de figure exceptionnel a été définitivement supprimé puisque le nouvel article L. 2411-1, II du CGCT dispose désormais que plus « aucune section de commune ne peut être constituée à compter de la promulgation de la loi du 27 mai 2013 ». Il ne constituait pour autant que l’exception qui confirme la règle puisque la qualification de personne publique des sections 247 Nicolas Mathey, préc., p. 78. Voir aussi sa thèse, op. cit., n° 424 p. 187. Romain Rambaud, « De la réforme à la remise en cause des sections de commune ? A propos de la loi n° 2013-428 du 27 mai 2013 modernisant le régime des sections de commune », DA, p. 18. 249 Romain Rambaud cite l’arrêt CE, 1er oct. 1986, Comme de Saulsotte c. Association des affouagistes de la Saulsotte. 248 114 de communes traduit précisément la volonté d’inscrire ces structures d’appropriation collective dans le système étatique. Il faut également évoquer le cas des associations syndicales de propriétaires. En effet, l’article 10 de l’ordonnance du 1er juillet 2004 prévoit la possibilité pour une association libre, personne privée, de se transformer en association autorisée, personne publique. S’agissant d’une demande à l’autorité compétence, on est en droit de se demander quelle marge d’appréciation dispose cette dernière. En l’absence de jurisprudence à notre connaissance, l’hypothèse d’une appréciation en opportunité ne peut être exclue. Surtout, la transformation devra suivre la procédure prévue pour les associations syndicales autorisées. Autrement dit, la transformation suit la procédure de la création d’une personne publique. La dévolution, par conséquent l’habilitation, demeure liée à la volonté des pouvoirs publics dans une toute autre mesure qu’en ce qui concerne les personnes privées. 125. L’État, en tant que législateur ou, au besoin, de constituant, établit les catégories de personnes publiques. Il maîtrise ainsi le contenu des catégories dont il est l’ordonnateur direct : les collectivités territoriales 250 et les établissements publics 251 , quand il n’a pas un pouvoir discrétionnaire sur la reconnaissance ou non de certaines personnes publiques en particulier252. Quant aux autres personnes publiques, qu’il s’agisse des Groupements d’Intérêt Public (GIP) ou des personnes publiques sui generis, toutes supposent d’avoir été voulues par les pouvoirs publics et, notamment, l’État lui-même. Dans le cas des GIP, l’approbation de l’État est sans commune mesure avec les personnes privées soumises à un contrôle de l’État. Certes, le refus d’approbation ne semble pas pouvoir être pris en pure opportunité 253. Il n’en demeure pas moins qu’un GIP est en charge de la mise en œuvre d’une politique publique intéressant directement l’État, ce dont témoigne le fait « qu'une fois le groupement constitué et approuvé, c'est le commissaire du gouvernement qui est le pivot de l'intervention de l'administration dans son fonctionnement »254. La liste de l’article 72 de la Constitution étant limitative. L’article 34 réservant au législateur la compétence d’en déterminera les catégories, ce qui manifeste le monopole de l’État sur ce pouvoir normatif et par conséquent sa maîtrise de ces catégories. 252 La jurisprudence du Conseil d’État a évolué sur le caractère discrétionnaire du pouvoir du préfet d’accepter la création d’un établissement public de coopération communale mais le préfet conserve une large marge d’appréciation. CE, 13 mars 1985, Ville de Cayenne, Rec. p.76 ; CJEG, 1985, p. 309, obs. L. Richer, concl. Dutheillet de Lamothe, qui évoquait l’opportunité vérifiée par le préfet ; CE 2 octobre 1996, Commune de Civeaux, AJDA, décembre 1996, p. 1032, concl. L. Touvet p. 1022 qui parlait encore de faculté ; enfin CE, 15 octobre 1999, Ministre de l'Intérieur c/ Commune de Saint-Ceneri-le-Gérei, AJDA, janvier 2000, p. 95, admet un contrôle, mais restreint à l’erreur manifeste d’appréciation. Le contrôle de l’État sur la création de ces personnes publiques n’en est pas moins incomparablement plus libre qu’en ce qui concerne les personnes morales de droit privé les plus communes. 253 CE, 28 déc. 2005, Syndicat mixte intercommunal d’aménagement du bassin de la Vesle, n° 268411 ; RFDA, 2006, p. 205, note P. Terneyre ; Environnement, 2006, p. 19, note J.-M. Février ; Coll. Terr. Inter., 2006, p. 17, note P. Bentolila ; JCP A, 2006, p. 843, comm. 1137, B. Jorion ; Revue juridique de l’environnement, 2007, p. 71, note J. Sironneau. 254 Mattias Guyomar, « Les pouvoirs des ministres et le contrôle du juge en matière de création d'un groupement d'intérêt public », AJDA, 2006, p. 380, conclusions sur l’arrêt précité. 250 251 115 Les GIP constituent par ailleurs la catégorie ultime qui sépare les personnes publiques des personnes privées destinées à servir nécessairement et immédiatement l’action administrative. On pourrait considérer que les Sociétés d’économie mixte en constituent le pendant au sein de la catégorie des personnes privées. Il faut voir ici la manifestation du choix laissé au législateur de constituer une personne ayant vocation à mettre en œuvre une action administrative sous la forme juridique publique ou privée. Il n’existe aucun principe constitutionnel imposant de recourir à la personnalité publique pour mettre en œuvre une action publique. Cela trouvera d’ailleurs tout son sens lorsque l’on démontrera que la véritable gestion privée consiste précisément à choisir la personnalité privée à laquelle est associée la propriété privée tandis que la personnalité publique implique le droit de propriété public dont l’exercice subit un régime juridique distinct du droit de propriété privé de l’article 544 du Code civil255. 126. Dans le cas des personnes publiques sui generis, qu’il s’agisse des établissements constitutifs de l’Institut de France ou de la Banque de France, force est de constater que leur existence a été voulue par les gouvernants, et que leur statut de personne publique résulte bien de la volonté de l’État de les voir exister tout en leur accordant par ailleurs une forme d’indépendance256. C’est cette indépendance qui, comme pour Agence France Presse, justifie en quelque sorte ce caractère sui generis. C’est bien la légèreté du contrôle, incomparable avec la tutelle qui les concerne qui a écarté la qualification d’établissement public pour l’Institut de France et les Académies qui le composent. Leur nature publique, elle, résulte de ce que leur existence est le fait de décisions des gouvernants dont les visas des décrets précités rendent compte257. En définitive, une personne publique est toujours conçue pour exercer une compétence, c’est-à-dire une activité que l’État ou une autre personne publique a entendu assumer en premier lieu. Ces missions peuvent ne pas appeler la qualification de service public. C’est la confirmation que la compétence est la seule habilitation par laquelle peut être dévolue la personnalité publique alors qu’une personne privée peut être parfaitement étrangère à l’action publique. La raison en est qu’une personne publique est nécessairement et ontologiquement un acteur public 255 Cf. infra chapitre suivant. En témoigne le Décret n°2007-811 du 11 mai 2007 portant approbation du règlement financier de l'Institut de France et des académies dont les termes révèlent à la fois le contrôle de l’État et l’indépendance dont jouissent ces institutions. Décret n°2007-810 du 11 mai 2007 portant approbation du règlement général de l'Institut de France et des académies. 257 Il s’agit de : la loi du 3 brumaire an IV sur l'organisation de l'instruction publique, l'ordonnance royale du 21 mars 1816 portant réorganisation de l'Institut, l'ordonnance royale du 26 octobre 1832 portant rétablissement, au sein de l'Institut, de l'Académie des sciences morales et politiques. 256 116 participant de l’État-appareil de gouvernants. La délégation participe de la logique même du système étatique : « dès lors que la souveraineté indique une concentration du pouvoir au profit de l’État, le pouvoir doit être exercé en pratique par des délégués du Souverain, les Magistrats » 258 . C’est cette reconnaissance officielle et immédiate de l’appartenance à la sphère publique que manifeste le critère formel par lequel une personne est dite publique ou sera, à défaut, privée. Cette structure confère à l’Administration une unité organique qui fait que non seulement l’État produit lui-même les compétences qui fondent et régissent l’action publique, mais que toute action qualifiée de publique sera imputable à l’État et devra donc avoir son origine dans une compétence. C’est ce que fait apparaître Philippe Azouaou dans sa recherche sur l’indisponibilité des compétences. Faisant référence à l’article 19 de la Déclaration des droits placée en préambule de la Constitution du 5 fructidor an III – « Nul ne peut, sans une délégation légale, exercer une autorité, ni remplir aucune fonction publique » - il en déduit que « la délégation de compétence est interdite car celle-ci conduit à ce que la puissance publique ait un titulaire non désigné par la loi »259. Au-delà de la puissance publique, c’est la question du “service public spontané” qui conduit à la nécessité de recourir au critère organique, alors toujours nécessaire et consistant en un véritable rattachement direct ou indirect à l’État. Une même activité pouvant être matériellement identique sera, selon qu’il y a rattachement ou non à l’État-appareil, une activité publique ou privée. Cette analyse apparaît dans la jurisprudence du Conseil d’État qui exige une délégation par la loi, par les prérogatives de puissance qui n’existeraient pas sans une telle délégation ou par un faisceau qui vise à monter l’intention de la personne publique de confier une telle mission260, cette dévolution pouvant être admise simplement en raison de « l’importance qu’elle revêt à ses yeux »261. 127. Bien sûr, en tant que catégorie résiduelle, la catégorie des personnes privées reçoit également toutes les formes juridiques de personnes morales sur lesquelles l’État exerce un contrôle d’une nature quelque peu différente. Ainsi, le contrôle sur les associations, la nécessité d’un décret pour la constitution d’une fondation ou la reconnaissance de l’utilité publique constituent des formes d’intervention de l’État qui, plus qu’une simple police du commerce juridique, traduisent une défiance à l’égard de ces formes juridiques. Néanmoins, un tel contrôle 258 Olivier Beaud, ibid., p. 161. Philippe Azouaou, op. cit., p. 164. 260 CE, 22 février 2007, Association du personnel relevant des établissements pour inadaptés, n° 264541, Rec., p. 92, RFDA, 2007, p. 803, note C. Boiteau ; RLCT, 2007, p. 30, note E. Glaser ; JCP G, 2007, n° 25, p. 21, note B. Plessix ; JCP A, 2007, p. 30, note G. J. Guglielmi, G. Koubi et p. 33 note M.-C. Rouault et C. Vérot ; AJDA, 2007, p. 793, chorn. F. Lenica et J. Boucher ; LPA, 2007, p. 16, note F.-X. Fort. 261 CE Sect., 6 avril 2007, Commune d’Aix-en-Provence, n° 284736, AJDA, 2007, p. 1020, comm. F. Lenica et J. Boucher ; Rev. des contrats, 2007, p. 867, note P. Brunet ; La Gazette du Palais, 2007, p. 4, note M. Touzeil-Divina ; JCP G, 2007, p. 31, note M. Karpenschif ; RTD Com., 2007, p. 694, note G. Orsoni ; RA, 2008, p. 631, note J.-M. Pontier. 259 117 n’est pas destiné à faire de la personne en cause un élément de l’action publique. Ainsi, l’acte de reconnaissance de l’utilité publique, qu’il s’agisse d’une association ou d’une fondation, ne conduit pas à faire exercer par la personne privée une compétence de l’État. Il en va différemment dans le cas des ordres professionnels 262 . Si leur qualification a suscité des discussions, c’est qu’il s’agit là de personnes de droit privé habilitées par la loi à exercer des compétences dont l’État a voulu déléguer l’exercice mais dont il conserve néanmoins la maîtrise. L’extrême limite entre la catégorie des personnes privées et des personnes publiques est atteinte lorsque l’État a conçu un statut de droit privé pour réaliser l’action publique. Cela peut relever de l’instrumentalisation pure et simple comme c’est le cas des sociétés publiques locales263 ou constituer une garantie d’indépendance, comme pour la personne privée sui generis qu’est l’Agence France Presse264. L’existence de ces formes juridiques ne remet cependant pas en cause le fait qu’une personne privée puisse apparaître spontanément, sans que la volonté des pouvoirs publics ne soit intervenue ni même ne puisse véritablement s’y opposer. A l’inverse, une personne publique ne peut, en principe, jamais apparaître spontanément et contre la volonté des autorités publiques. C’est ainsi la logique même de la catégorie des personnes publiques que d’être liées par un enchaînement de volontés ayant présidé à leur engendrement pour que, en dernier ressort, elles soient toutes considérées comme des émanations de l’État. Elles en partageront d’ailleurs d’autres caractéristiques, à commencer par la qualité d’expropriant dans le cadre d’une procédure d’expropriation d’utilité publique qui est reconnue de plein droit aux personnes publiques, alors qu’elle suppose soit un texte soit la délégation d’un service public pour les personnes privées265. 262 Cf. GAJA, 19e éd., 2013, arrêts Monpeurt du 31 juillet 1942, n° 51, pp. 328 et s. et Bouguen du 2 avril 1943, n° 52, pp. 338 et s. 263 Désormais régies par l’article 1531-1 CGCT, les SPL sont certes des Sociétés anonymes régies par le Code de commerce. Elles sont cependant créées par des personnes publiques qui détiennent l’intégralité de son capital. L’article précité dispose : « Ces sociétés sont compétentes pour réaliser des opérations d'aménagement au sens de l'article L. 3001 du code de l'urbanisme, des opérations de construction ou pour exploiter des services publics à caractère industriel ou commercial ou toutes autres activités d'intérêt général ». En somme, ce sont des personnes privées habilitées sur le modèle des personnes publiques puisque, « compétentes », elles en exercent une partie de l’activité. Cela a pour effet d’en écarter certains éléments de régime, ce qui manifeste la spécificité, a contrario, des personnes publiques véritablement habilitées par une compétence. 264 CE Ass. Avis du 10 juin 2004 relatif au statut juridique du siège de l’AFP, RFDA, 2004, p. 932, note J. C. L’auteur considère ainsi que ce statut original résulte de ce « la recherche de l'indépendance de l'AFP tant à l'égard de l'État que des intérêts commerciaux » conduit à rejeter le statut de société pour s’éloigner des seconds et la qualification de personne publique pour s’éloigner du premier, malgré l’existence d'une mission d'intérêt général. L’admission du recours introduit par Radio France devant la Cour de Strasbourg, alors qu’elle aurait pu être qualifiée d’organisme gouvernemental, relève d’une idée similaire. Décision de la chambre sur la recevabilité, 23 septembre 2003, 2003-X, l’arrêt définitif est le suivant, CEDH, 30 mars 2004, Radio France et a. c. France, n° 53984/00. 265 Cf. infra n° 343 p. 311 et s.. 118 Conclusion du Chapitre 1 128. Le jusnaturalisme érige en source du droit les conceptions personnelles des auteurs qui déclarent que les lois juridiques ne doivent être que la traduction des lois de la nature ou, suivant Léon Duguit, les lois de la solidarité sociale révélées par la sociologie. En cela, la critique normativiste n’a pu que triompher et conduire à écarter des sources du droit les convictions de ceux qui en observent les règles. Cela étant, le positivisme ne doit pas conduire à un formalisme ne pouvant plus concevoir le droit que par les rapports logiques de validité et de non contradiction entre les normes vidées de leur substance. Niant également la distinction du droit public et du droit privé, le normativisme parvient à décrire n’importe quel ordre juridique comme la combinaison de normes d’habilitation et de normes matérielles, mais ne peut décrire aucun ordre juridique particulier existant véritablement. C’est pourquoi il est possible de proposer un positivisme instruit qui prenne le seul droit positif comme objet, mais s’autorise à en observer le caractère socioculturel, la dimension politique qu’il recèle et traduit en normes juridiques. Ce positivisme peut également être instruit d’un autre progrès, qui consiste à rejeter la part d’idéologie à l’œuvre dans l’opposition entre l’objectivisme et le subjectivisme sans rejeter les concepts relevant de cette dernière perspective, comme y conduit le normativisme. Il devient ainsi possible de reprendre la théorie des ordres juridiques partiels et d’en proposer une dogmatique. Tout ordre juridique est formellement la concrétisation par des personnes juridiques exerçant leurs droits subjectifs, d’un droit objectif qui en fonde et régit l’existence et l’activité. Ce droit objectif comporte donc à la fois des normes d’habilitations et des normes matérielles. Les premières sont fondamentales parce qu’elles font apparaître les sujets qui vont utiliser et appeler l’application des règles de droit. C’est donc l’habilitation par laquelle apparaissent les personnes publiques qui constitue le point de départ de développement d’un ordre juridique. La compétence institue les personnes publiques, puis fonde et régit l’exercice de leurs droits subjectifs. La capacité fait de même mais avec pour résultat des personnes privées. Les premières relèvent de l’ordre juridique public et les secondes de l’ordre juridique privé. Indéterminées a priori, elles sont en principe étrangères à l’action publique alors que les personnes publiques y participent par définition. C’est pourquoi, si toute personne est un propriétaire parce que cette qualité est consubstantielle du concept formel de sujet de droit, la propriété des personnes publiques et celle des personnes privées sont irréductibles car l’une est un moyen de l’action publique quand l’autre lui est opposée comme une limite. 119 120 Chapitre 2 L’opposition de la propriété des personnes publiques à la propriété des personnes privées 129. Le Conseil constitutionnel a considéré que les articles 2 et 17 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen protégeaient « à un titre égal » la propriété des personnes publiques et la propriété des personnes privées 1. Ce fondement a pu faire naître l’idée que les personnes publiques et les personnes privées avaient une même propriété assortie des mêmes garanties. A ce que Philippe Yolka qualifie de « véritable hérésie d’un point de vue théorique »2, il est possible de préférer une explication plus nuancée sur la valeur de la propriété des personnes publiques. La disparition de la formule du « titre égal » dans les décisions postérieures révèle d’ailleurs « un mouvement jurisprudentiel visant à différencier le régime de la protection constitutionnelle des biens des personnes privées et celui des personnes publiques »3. La référence au texte révolutionnaire de 1789 n’a donc pas nécessairement pour portée l’assimilation de la propriété des personnes publiques à un droit inaliénable et sacré de l’homme invocable indifféremment par toute personne juridique. Une telle conclusion n’est pas admissible. Tout d’abord, la protection de la propriété dans la décision des 25 et 26 juin 1986 est une garantie constitutionnelle en trompe-l’œil. Elle ne protège pas la propriété de la personne publique contre une ingérence extérieure. Elle impose aux organes de l’État un exercice constitutionnel du droit de propriété de celui-ci. Cela permet de faire apparaître que le fondement nécessaire et suffisant de la propriété des personnes publiques est leur personnalité juridique (Section 1). Par ailleurs, quand il s’agit d’opposer la propriété à de véritable ingérences de la puissance publique, force est de constater que les personnes publiques ne bénéficient aucunement de la même protection. Le fondement dans la Déclaration de 1789 apparaît donc purement formel, les personnes publiques n’ayant d’ailleurs pas vocation à invoquer mais à se voir opposer les droits qui y sont proclamés (Section 2). Section 1 Une protection équivalente en trompe-l’œil : le contrôle de l’exercice de la propriété par les organes des personnes publiques Section 2 Une protection irréductible de la propriété en fonction de la personnalité publique ou privée du propriétaire 1 Décision n° 86-207 DC des 25 et 26 juin 1986, GDDAB, 2013, p. 644, note C. Chamard-Heim. Philippe Yolka, Les grandes décisions du droit administratif des biens, op. cit., n° 25 pp. 12-13. 3 Commentaire aux Cahiers de la décision n° 2011-118 QPC, M. Lucien M., p. 7. La formule disparaît à partir des décisions n° 2008-567 DC du 25 juillet 2008, cons. 25 et n° 2009-594 DC du 3 déc. 2009, cons. 15. 2 121 Section 1 Une protection équivalente en trompe-l’œil : le contrôle de l’exercice de la propriété par les organes des personnes publiques 130. La question du fondement constitutionnel de la propriété des personnes publiques peut être abordée à la lumière du propos d’Yves Guyon selon lequel « nul ne songe à dénier à une personne morale le droit d’être propriétaire »4. Cette négation serait en fait le déni de la personnalité juridique elle-même, laquelle constitue par conséquent un fondement juridique beaucoup plus immédiat et opérationnel que la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen du 26 août 1789, laquelle n’a eu de valeur juridique constitutionnelle explicitement affirmée qu’à partir du 16 juillet 19715. Frédéric Zenati-Castaing considère également que s’il est « est difficile de savoir s'il faut reconnaître aux personnes morales de droit privé les mêmes droits fondamentaux qu'aux personnes physiques (…) d’assez nombreux droits ne paraissent appeler aucune distinction » parmi lesquels figure au premier chef le droit de propriété qui « doit être aussi inviolable et sacré que son titulaire, soit une personne physique ou une personne morale »6. Si le caractère « inviolable et sacré » sera réservé aux seules personnes privées, cela révèle que le sujet de droit est un propriétaire. Ce premier élément de réduction des personnes publiques et privées à un concept formel unitaire apporte une première donnée qu’ils partagent de ce point de vue. La personnalité juridique, en raison de l’habilitation qu’elle suppose, est un fondement nécessaire et suffisant à la propriété (§ 1). La personnalité morale implique que l’exercice de son droit de propriété se fasse par des actes juridiques édictés par ses organes. Elle suffit à fonder le contrôle des actes d’exercice du droit de propriété. Seule la hiérarchie des normes imposait au Conseil constitutionnel de disposer d’une norme de valeur supérieure à la loi exerçant le droit de propriété de l’État 7. Il y a ici un même mécanisme que celui par lequel les membres d’une association ou d’une société ont droit à la contestation des actes des instances dirigeantes qui ont été accomplis dans un but étranger à l’intérêt de la personne morale8. C’est pourquoi il n’y a dans la décision des 26 et 26 juin 1986 une opposabilité en trompe l’œil de la propriété à la puissance publique (§ 2). 4 Yves Guyon, « Droits fondamentaux et personnes morales de droit privé », AJDA, 1998, p. 136. Décision n° 71-44 DC du 16 juillet 1971, Liberté d’association, GDCC, Dalloz, 2009, pp. 180-199. 6 Frédéric Zenati-Castaing, « La propriété, mécanisme fondamental du droit », RTD Civ., 2006, p. 136. 7 Ce qui peut intervenir également dans le domaine forestier, l’article L. 3211-5 disposant que « les bois et les forêts domaniaux ne peuvent être aliénés qu'en vertu d'une loi ». L’aliénation est bien un acte de propriétaire, qui peut donc être une loi. 8 Théorie dite de l’abus de majorité, d’origine prétorienne, la définition en a été donnée, pour la première fois, par un arrêt de la Cour de cassation rendu le 18 avril 1961 (Bull. civ. III, n° 175, D. 1961.661 ; S. 1961.1.257 ; JCP G 1961. II. 12164, note D. B. ; RTD com. 1961, p. 634, n° 8, obs. Houin) aux termes duquel est abusive la décision impliquant une rupture de l'égalité entre les actionnaires dès lors qu'elle a été prise « contrairement à l'intérêt général de la société et dans l'unique dessein de favoriser les membres de la majorité au détriment de la minorité ». 5 122 § 1 La personnalité juridique : fondement nécessaire et suffisant de la propriété des personnes, publiques et privées 131. La personnalité juridique est le sujet de droit, « titulaire de droits et d’obligations ayant, de ce fait, un rôle dans l’activité juridique » 9. Elle a donc pour objet « d’établir une relation subjective avec le monde »10 par l’exercice des droits subjectifs que le droit objectif attribut au sujet de droit. Or, ce dernier doit nécessairement être propriétaire de biens ou pouvoir prétendre le devenir s’il veut s’inscrire dans les relations du commerce juridique et contracter des obligations. Une personne publique ne présente aucune originalité de ce point de vue, qui répond d’une logique juridique fondamentale. La propriété est un « mécanisme fondamental » du droit avant d’être érigée en liberté ou en droit fondamental. Elle est une condition de l’existence des relations établies dans le commerce juridique. C’est pourquoi elle entre dans la définition du sujet de droit pour permettre les relations intersubjectives. C’est la raison pour laquelle les personnes publiques et privées sont réductibles à une même qualité formelle de propriétaire, qui résulte de ce qu’elles sont toutes, fondamentalement, des sujets de droit. Cette identité entre le sujet de droit et le propriétaire est en réalité le corollaire de la distinction fondamentale entre les personnes et les choses, qui ne saurait être remise en cause (A). Sans autoriser en rien leur réduction matérielle à une seule et même catégorie du droit positif, conformément au positivisme instruit développé précédemment, il faut donc constater que la qualité de propriétaire est donc consubstantielle de la personnalité juridique, laquelle constitue ainsi le fondement immédiat et suffisant à la propriété des personnes privées et publiques (B). A. L’identification du sujet de droit au propriétaire : corollaire de la distinction des personnes et des choses 132. Ainsi que l’indique Yan Thomas, « l’opposition métaphysique du sujet et de l’objet fonde toute notre vision du droit »11. Or, la distinction des personnes et des choses n’est qu’un prolongement de cette vision conçue à partir de l’opposition sujet-objet. Ainsi que l’écrit Judith Rochfeld, « le droit français se structure autour de la distinction fondamentale suivante, élevée au rang de summa divisio (c'est-à-dire d'une opposition au sein de laquelle tout ce qui ne relève pas de la catégorie principale tombe dans la catégorie « 9 Lexique des termes juridiques, Dalloz, 2013, v° « Personne juridique ». Frédéric Zenati-Castaing, « La propriété, mécanisme fondamental du droit », RTD Civ., 2006, p. 460. 11 Yan Thomas, « Res, chose et patrimoine (Note sur le rapport sujet-objet en droit romain) », APD, 1980, p. 421. 10 123 résiduelle ») : celle des personnes (catégorie principale) et des choses (catégorie résiduelle) »12. Si l’auteur évoque le brouillage issu de la réification d’éléments de la personne, comme certains produits du corps humains ou du phénomène inverse de personnification de certaines choses, la distinction demeure. Ainsi, le statut juridique du cadavre ne peut pas ne pas être appréhendé par le droit sans considération de ce qu’il fut le support d’une personne. Un cadavre reste néanmoins une chose. Les biens et souvenirs de famille, certains biens indispensables à la vie de la personne, rejoignent ce que l’auteur appelle un patrimoine de dignité13. Mais là encore, si cela les « soude » à la personne, ils restent des choses. Si certaines réflexions invitent à admettre la possibilité de « brouillage » entre les distinctions, elles nous semblent relever de ce que Jean-Louis Bergel appelle des correctifs, dont l’un consiste à altérer un élément d’une catégorie par des caractères propres à la catégorie en principe opposée14. Il ne nous semble pas possible de renoncer à la distinction des personnes et choses. La notion juridique de fondation nous semble révéler que le critère de distinction est précisément la propriété. William Dross a pu défendre l’idée que la fondation n’est pas tant une personne morale qu’une chose15, puisqu’elle résulte d’une décision du propriétaire d’affecter les biens à l’objet de la fondation. 133. Le « critère » qui distingue la chose de la personne, c’est la propriété16. L’identité du sujet de droit et du propriétaire est un axiome de la raison juridique17. Renoncer à la propriété serait tenter une géométrie non euclidienne du commerce juridique18. La personnalité morale et l’admission d’un patrimoine d’affectation sont deux techniques alternatives pour atteindre un même but de gestion d’un ensemble de biens affectés à un but. Ce qui distingue ces deux techniques réside dans le fait que dans le premier cas on constitue seulement l’autonomie d’un ensemble de choses tandis que dans le second cas on constitue un nouveau propriétaire en la puissance duquel ces choses sont placées. La fondation 12 Judith Rochfeld, Les grandes notions du droit privé, PUF, 2011, p. 9. Ibid., passim, spéc. n° 18 et 19. 14 Cf. supra en ce qui concerne la distinction des personnes publiques et privées, certaines personnes privées se voyant altérer par leur participation à l’exercice des compétences ou, plus encore, par leur création dans le cadre des compétences mais sous la forme, forcée en somme, de personne privée. 15 William Dross, « Personne morale corporative et personne morale fondative », Colloque Léon Michoud organisé à Grenoble les 21 et 22 novembre 2013. 16 Mikhaïl Xifaras, La propriété, étude de philosophie du droit, Paris, PUF, 2004, p. 75 : « C’est la définition de la personnalité du propriétaire comme capacité d’industrie, d’entreprendre et de conduire, qui organise la summa divisio des personnes et des choses ». 17 Philippe Azouaou, L’indisponibilité des compétences en droit public interne, th. Paris X, 2012, p. 46. Pour Philippe Azouaou, un principe ontologique du système juridique est « bien plus puissant qu’un simple principe normatif dont l’existence juridique serait contingente et la portée susceptible d’être largement limitée ». Un tel principe n’est pas une norme, il est une « propriété essentielle » au sens scientifique du terme, c’est-à-dire un caractère ineffaçable lié à une certaine conception du droit. 18 Il en va de même du contrat. Si François Llorens considère que la liberté contractuelle doit bénéficier à « l’ensemble des sujets de droit », c’est sans doute qu’il s’agit là aussi d’un principe formel indispensable, d’un véritable axiome sans lequel le système juridique ne peut pas fonctionner. La propriété et le contrat sont indispensables à la vie juridique des sujets de droit. François Llorens, « La liberté contractuelle des collectivités territoriales », CMP, 2007, p. 10. 13 124 sous forme d’un patrimoine d’affectation est une chose parce qu’elle a un propriétaire. La fondation sous forme d’une personne morale est une personne parce qu’elle est propriétaire19. Il en va de même des organisations qui en droit public oscillent entre une forme personnalisée ou une autonomie réalisée par l’isolement d’un patrimoine affecté à une activité ou un organe particulier20. Il en va ainsi des assemblées parlementaires dont on a pu discuter l’attribution d’une personnalité juridique distincte de l’État. Il en va de même des régies simplement autonomes ou personnalisées, des autorités administratives indépendantes et des services de l’État ou des collectivités qui prennent soit la forme d’une simple organisation interne à la personne morale soit accèdent à la vie juridique « par eux-mêmes »21. Autrement dit, être une personne c’est être propriétaire, nécessairement et consubstantiellement, que l’on soit une personne physique ou une personne morale, une personne privée ou publique. La propriété est l’attribut essentiel par lequel le sujet de droit entre en relation avec autrui par l’appropriation des choses, c’est-à-dire de tous les objets de droit que le droit objectif reconnaît comme lui appartenant. B. Le sujet de droit : le propriétaire, qualité consubstantielle de la personnalité juridique 134. Ainsi que l’écrivait Félix Moreau, « le droit est une abstraction […] un ensemble de procédés pratiques » parmi lesquels « la notion générale de personnalité » est une figue dominante applicable tant aux hommes qu’aux collectivités22. Or, en faisant de la propriété l’attribut du sujet de droit, la personnalité juridique se définit, au moins à titre principal, par l’aptitude à être propriétaire. En ce sens, la personnalité juridique est une technique d’appropriation. C’est sans doute pourquoi « toutes les théories du droit subjectif ont été, en réalité, des théories de la propriété. Le droit subjectif est le témoin de la prétention de la propriété de constituer le paradigme central de l’ordre juridique »23. La distinction des personnes et des choses est le présupposé fondamental qui fonde la consubstantialité de la propriété et de la personnalité, la première permettant précisément de soumettre les choses aux personnes (1). C’est cette consubstantialité de la personnalité et de la propriété qu’avaient à l’esprit Aubry et Rau lorsqu’ils conceptualisèrent pour la première fois la personnalité juridique 19 Valérie Guedj, Essai sur le régime juridique des fondations, th. Paris 2, 1999, spéc. pp. 156 et s. Le premier chapitre de la seconde partie établira la possibilité de se représenter les activités administratives sous la forme d’universalités des moyens qui y sont affectés, les fonds administratifs, conçus sur le modèle des fonds professionnels du droit privé (commercial, artisanal, agricole). 21 Cf. infra n° 405 p. 363 et s. 22 Félix Moreau, Manuel de droit administratif, Fontemoing, 1909, pp. 32-36. 23 Frédéric Zenati-Castaing, « Le crépuscule de la propriété moderne. Essai de synthèse des modèles propriétaires », in Les modèles propriétaires, Actes du colloque international organisé par le CECOJI en hommage au Pr H.- J. Lucas, LGDJ, 2012, p. 228. 20 125 à partir de la théorie du patrimoine. Cependant, en confondant la personne et son patrimoine, ils ne distinguaient pas suffisamment la simple aptitude à être propriétaire et débiteur de l’actif et du passif actuellement imputables à la personne, ses biens et ses dettes effectifs. La critique de la théorie du patrimoine par Frédéric Zenati-Castaing conduit donc à dépasser la théorie d’Aubry et Rau pour n’en conserver que le principe fondamental : la définition de la personne juridique par l’aptitude fondamentale et virtuelle à être propriétaire, et subir en contrepartie la propriété des autres, notamment ses créanciers en se constituant ou en étant constitué débiteur, par ses actes et par ses faits juridiques (2). 1) La consubstantialité de la propriété et de la personnalité révélée par leur reconnaissance concomitante en droit public 135. La propriété est largement à l’origine de l’appréhension des institutions publiques. En droit romain, l’appréhension de la Cité à la manière d’une personne s’est faite en raison de la possibilité d’une relation juridique entre les particuliers et leur Cité, ce qui suppose une qualité similaire pour qu’une relation s’établisse. Au droit est étrangère « l’idée d’un tout antérieur à ses parties » si bien que le sujet est premier, raison pour laquelle « l’acte juridique, à l’origine de sa très longue histoire occidentale, fut d’abord un acte exclusivement individuel ; l’acte d’un citoyen, jamais celui d’un groupe, a fortiori pas celui d’une cité » 24 . Néanmoins, les cités, par les guerres et les traités, fonctionnaient entre elles comme des particuliers entre eux. Mais, ainsi que le relève Yan Thomas, la personnalité de la cité s’est moins imposée en raison de cette unité à l’égard d’autres ensembles qu’en raison de la nécessité qu’impliquent les rapports avec ses membres, les rapports entre personnes juridiques. Après les guerres sociales, qui opposèrent Rome à ses alliés latins, la communauté politique romaine fut organisée en cités. C’est donc au sein de cette universalité romaine qu’apparut le phénomène, lorsque les préteurs admirent des actions impliquant les cités. C’est donc à l’occasion du fonctionnement du commerce juridique que la personnalité « publique » apparue, même si ce fut sous la forme d’une personnalité civile calquée sur le modèle de la personnalité des particuliers 25 . La Yan Thomas, « L’institution civile de la Cité », Le Débat, 1993/2, n° 74, p. 22 : « le droit romain fut le premier à titrer toutes les conséquences du fait que, dans les contrats et dans les litiges, les cités apparaissaient de l’extérieur comme des unités insécables ». 25 Idem. 24 126 personnalité des cités « procède d’une équiparation entre cités et sujets dans le commerce »26 afin que deux pôles équivalents puissent se rencontrer et nouer des relations27. Les mêmes besoins furent satisfaits par les mêmes techniques lorsqu’à partir du XIe siècle le droit parvint à concevoir à nouveau les collectivités humaines comme des personnes juridiques autonomes aptes à nouer des relations du commerce juridique 28 . Charles PetitDutaillis, souligne que la personnalité juridique des communes et des établissements religieux était certes diffuse mais a émergé essentiellement pour des raisons patrimoniales 29 . Roland Drago a pu souligné pour sa part que la reconnaissance de la personnalité juridique des institutions de l’Ancien Régime comparables aux établissements publics avait également répondu à une logique purement empirique, largement liée à des considérations d’ordre patrimonial30. 136. Le Conseil d’État ne procéda pas autrement lorsqu’il fut confronté, en 1807, à « la nécessité de distinguer les habitants d’une commune, pris isolément, susceptibles d’entretenir des relations juridiques et d’entrer en litige avec “le corps politique de la commune” »31. Olivier Maetz évoque également le décret du 19 mars 1808 reconnaissant la personnalité juridique de l’Université de Paris permettant au Conseil d’État, par un arrêt du 22 juillet 1881, de considérer celle-ci comme « propriétaire du lycée Louis-le-Grand » dont elle « était de fait en possession »32. La personnalité morale n’a pas émergé en droit privé pour d’autres raisons que pour pouvoir être propriétaire, passer des contrats et engager sa responsabilité33. Il est notable que dans le cadre d’un droit économique comme l’est le droit de l’Union européenne on constate aisément que « hormis quelques dispositions éparses au sein des traités fondateurs, il ne semble pas que le doit communautaire fasse une quelconque distinction entre personnes physiques et 26 Idem. Dans le même sens, Charles Petit-Dutaillis, Les Communes françaises. Caractères et évolution des origines au XVIII e siècle, Albin Michel, 1970 (1947), p. 113. 28 Sur ce mouvement d’émancipation urbaine, voir également M. Kaplan (dir.), Le Moyen-Âge XIe-XVe siècle, Bréal, 2000, t. 2, pp. 168 et s. ; Romain Telliez, Les institutions de la France médiévale. XIe-XVe siècle, Armand Colin, 2009. 29 Charles Petit-Dutaillis, op. cit., pp. 113-114 ; voir également Bertrand Faure, Le pouvoir réglementaire des collectivités locales, LGDJ, 1998, spéc. p. 10 et s. 30 Roland Drago, Les crises de la notion d’établissement public, Pédone, 1950, p. 33. 31 Olivier Maetz, Les droits fondamentaux des personnes publiques, Fondation-Varenne, 2011, p. 35, faisant référence à un arrêt CE, 27 sept. 1807, Commune d’Ecrameville, p. 15. 32 CE, 22 juillet 1881, Ministre des finances f. Ville de Paris (Lycée Louis-le-Grand), p. 726. 33 Voir pour une synthèse récente, Édouard Richard, « “Mon nom est personne” : la construction de la personnalité morale ou les vertus de la patience », Entreprise et Histoire, 2009, pp. 14-44. Spéc. quand l’auteur indique la personnalité morale a été utilisé par les marchands quelques temps avant la Renaissance avant de n’être officiellement admise en droit qu’au XIXe, pour les besoins de la société industrielle. Également Jules Valéry, « Comment s’est formée la théorie de la personnalité des sociétés commerciales », in Recueil d’études sur les sources du droit en l’honneur de François Gény, 1935, pp. 100-104, pour qui le point de départ de l’évolution résidait dans le fait que, « dans les cités de l’antiquité il était courant qu’un capitaliste (…) confiât des fonds à un individu placé sous sa puissance », généralement un esclave, au besoin sous un régime d’indivision entre plusieurs capitalistes. On sait également que Raymond Saleilles, a consacré à la question une étude fondamentale, De la personnalité juridique, 1922, 2e éd.. 27 127 personnes morales »34. La personnalité juridique n’importe dans un tel domaine qu’en raison du fait qu’elle est le vecteur des activités économiques et suppose ainsi la propriété35. Cette dernière est certes peu mise en avant par les juridictions de l’Union mais elle est un postulat sans lequel la vie économique est impossible 36 . C’est pourquoi si aucune disposition écrite ne dit explicitement que toute personne juridique est un propriétaire, c’est une donnée consubstantielle de la notion même de personnalité juridique, que le droit positif n’a d’ailleurs jamais eu à affirmer ni à définir. Ces éléments s’imposent à la raison juridique. 137. L’essence du sujet de droit n’est pas d’exister pour lui-même mais de pouvoir entrer en relation. La propriété est le moyen d’établir une relation entre les personnes à l’égard des choses qu’elles possèdent 37 , qu’elles échangent ou dont elles revendiquent concurremment la propriété38. La personnalité juridique relève d’une logique essentiellement finaliste, elle est « une construction technique dont l’intérêt réside dans les facilités de maniement qu’elle apporte à la matière juridique » 39 . La propriété est la première de ces facilités, permettant d’établir des relations contractuelles ou de se prévaloir d’un préjudice et en demander le remboursement. L’empirisme dans la reconnaissance de la personnalité juridique des institutions se développe pour leur permettre de nouer des relations. Il faut souligner à cet égard que la propriété des personnes morales de droit privé n’a pas plus de fondement juridique immédiat que celle des personnes morales de droit public. Le Code civil ne consacre en effet pas une seule disposition en 1804 aux personnes morales 40 . C’est pourtant la propriété qui a été l’élément déclencheur de la nécessité de leur personnification, que ce soit en droit privé ou en droit public. Si, dans ce dernier domaine, Florian Linditch considère que « la dichotomie classique du dominium et de l’impérium explique sans doute que le droit de propriété de l’État sur son domaine privé n’ait jamais été véritablement discuté »41, on peut considérer que cette absence de discussion vient aussi de ce que la personnalité et la propriété sont une seule et même chose parce que tout sujet de droit est nécessairement un propriétaire. D’ailleurs, la théorie de la garde n’était qu’une façon de 34 Stéphanie Pavageau, Le droit de propriété dans les jurisprudences suprêmes françaises, européennes et internationales, LGDJ, 2006, n° 63 p. 48. 35 « A l’origine, la personne est saisie dans sa dimension économique […]. Ensuite, la personne est appréhendée comme un membre de la société civile, indépendamment de sa qualité d’opérateur économique », M. Fallon, Droit matériel général des communautés européennes, 2e éd., Bruylant-LGDJ, 2e éd., 2002, p. 4563. 36 Sur l’appréhension principalement économique et indirecte du droit de propriété jusqu’à la Charte européenne des droits fondamentaux, cf. spécialement Christophe Roux, Propriété publique et droit de l’Union européenne, th. Lyon 3, 2013, spéc. pp. 56-57. 37 Muriel Fabre-Magnan, « Propriété, patrimoine et lien social », RTD Civ., 1997, p. 583. 38 Olivier Jouanjan, « Le monde subjectif dans lequel se joue la vie du droit. Une interprétation de George Jellinek », in M. Coutu et G. Rocher (dir.), La légitimité de l’État et du droit, LGDJ, Presses universitaires de Laval, 2006, p. 135. 39 Henri Motulsky, principes d’une réalisation méthodique du droit privé. La théorie des éléments générateurs de droits subjectifs, Paris, Sirey, 1948 rééd. Dalloz, 2002, p. 22. 40 François Terré, Dominique Fenouillet, Droit civil. Les personnes, Dalloz, 8e éd., 2012, n° 244 p. 238. 41 Florian Linditch, Recherche sur la personnalité morale en droit administratif, op. cit., p. 109. 128 mettre en parallèle la distinction de l’État personne publique titulaire de la puissance publique dont la domanialité publique a rapidement été conçue comme un avatar, et l’État personne civile titulaire d’une propriété privée sur le domaine privé. C’est bien d’ailleurs pourquoi « au travers de la progression de l’idée selon laquelle la notion de propriété est parfaitement compatible avec le régime de la domanialité publique, s’annonce l’achèvement de la personnalité juridique de l’État »42. C’est également pour cela que la théorie de l’État débiteur a pu être analysée par Norbert Foulquier comme constitutive des « prémisses d’une personnalité publique » 43 , et que la responsabilité du fait de la puissance a été le révélateur de la personnalité publique, ce lien ayant été particulièrement souligné par Léon Michoud. Or, être débiteur, être responsable, cela suppose de pouvoir verser la somme qui sera due, et cela suppose d’avoir un patrimoine, donc d’être propriétaire. Ce qui conduisit pour finir à l’admission désormais unanime de ce que les personnes publiques sont propriétaires des biens de leur domaine public. Tout cela fait apparaître définitivement que « le premier élément de la personnalité n’est pas, comme l’enseigne l’opinion commune, l’aptitude à avoir des droits mais […] l’aptitude à posséder » 44 . JeanBernard Auby ne disait d’ailleurs pas autre chose lorsqu’il écrivait que « la personne publique apparaît comme l'auteur d'actes juridiques parce qu'elle est un siège de compétences, parce qu'elle est le siège d'un patrimoine et parce qu'elle est dotée d'une représentation »45. C’est pourquoi il est possible de proposer une définition de la personnalité juridique à partir de l’aptitude fondamentale à être propriétaire46. 42 Ibid., Recherche sur la personnalité morale en droit administratif, LGDJ, 1998, p. 110. Norbert Foulquier, Les droits publics subjectifs des administrés. Émergence d’un concept en droit administratif français du XIX° au XX° siècle, Dalloz, 2003, n° 124 pp.110-111. 44 Frédéric Zenati, « Mise en perspective et perspectives de la théorie du patrimoine », RTD Civ., 2003, p. 673. 45 Jean-Bernard Auby, La notion de personne publique en droit administratif, th. Bordeaux, 1979, p. 200. 46 Cf. infra, lorsqu’il s’agira d’opposer le droit de propriété public au droit propriété privé en fonction de la qualité de la personne qui l’exerce, il faudra en effet revenir sur le fait que la propriété ne se détache jamais du sujet, dont elle est le véritable droit subjectif portant sur les choses. 43 129 2) La propriété comme élément de définition de la personnalité juridique 138. La première ébauche de théorie de la personnalité aura été la théorie du patrimoine d’Aubry et Rau47 (a). Cette théorie ne dissocie cependant pas encore suffisamment nettement l’aptitude à être propriétaire et débiteur et les biens et dettes effectivement imputables à la personne. C’est pourquoi, dans le prolongement de l’identification d’une véritable consubstantialité entre personnalité et propriété, il est possible de définir la personnalité juridique par l’aptitude à être propriétaire (et à subir la propriété des autres en étant leur débiteur) (b). a) La théorie du patrimoine : une première tentative de définition de la personnalité juridique par la propriété 139. Il est possible de concevoir la personne à travers l’ensemble des droits et des obligations dont elle est le sujet. Ces droits ayant a priori pour objet une obligation dont d’autres personnes sont sujets « passifs », et ces obligations étant le droit dont d’autres sont sujets « actifs », l’idée d’actif et de passif exprimant le contenu juridique de toute personne apparaît manifestement. Ce contenu constitue bien en cela ce que Hauriou appelait « la synthèse de ce qui est propre à chaque individu »48, ce qui tend à l’identifier à la personne elle-même. Or, l’idée de patrimoine est née d’une telle analyse 49, d’abord chez Zachariae 50 puis avec Charles Aubry et Charles Rau. Ces derniers, en faisant entrer dans le patrimoine ce qu’ils appelaient les « biens innés » et dont faisaient partie les « droits de puissance », paternelle et maritale à l’époque, tendaient ainsi à comprendre l’exhaustivité des rapports de droit d’une personne avec les autres. Ce qui explique aisément pourquoi ils affirmaient que « l’idée de patrimoine se déduit directement de celle de la personnalité »51. La théorie du patrimoine est liée à la propriété parce qu’elle voulait en premier lieu expliquer la succession du patrimoine du défunt puisque c’est à cette étape de leur Cours que les auteurs avaient développé cette théorie pour la première fois. Ensuite, la théorie était « destinée à Cf. la formulation, accompagnée de référence, de William Dross, Les Choses, op. cit., n° 489-3 p. 893 : « On a d’ailleurs souligné que le patrimoine était peut-être fondamentalement une des premières tentatives de définition de la personne, laquelle l’est paradoxalement par ses biens ». 48 Principes de droit public, 1ère éd., 1910, p. 669. 49 Sur l’évolution historique, Jean-Philippe Lévy, André Castaldo, Histoire du droit civil, Dalloz, 2e éd., 2010 ; Anne-Marie Patault, Introduction historique au droit des biens, PUF, 1989, spéc. n° 85. 50 Traduit par C. Aubry et C.-F. Rau, Cours de droit civil, 5 vol., Lagier, 1839-1846. 51 Charles Aubry et Charles-Frédéric Rau, Cours de droit civil français d’après la méthode de Zachariae, par E. Bartin, Marchal et Billard, 5e éd., 1917, n° 573 p. 333. 47 130 donner une explication d’ordre théorique au droit de gage général que consacre l’article 2285 »52. C’est ainsi qu’à partir d’une thèse visant seulement « l’explication de la théorie de la transmission active et passive des biens du de cujus ainsi qu’à la règle du concours des créanciers sur le patrimoine de leur débiteur »53, la théorie du patrimoine se voit attribuer une vocation beaucoup plus fondamentale : « organiser le droit dans son entier »54. C’est en ce sens que la théorie du patrimoine a fini par faire partie de la « cosmogonie juridique » 55 du droit privé, « comme si sa force avait été d’avoir révélé une vérité de toute éternité »56. 140. Le patrimoine porte en effet en lui des potentialités bien plus grandes que de pouvoir simplement expliquer les successions et le gage des créanciers. Faisant d’ailleurs référence au même article d’Alain Sériaux, un auteur a pu écrire que c’est la personne qui, au final, trouve « son expression économique dans son patrimoine »57. Au fond, l’idée centrale est la suivante : « les trois notions de personnes, biens et obligations n’existent qu’en considération l’une de l’autre, et leur mise en œuvre s’explique par le fonctionnement de la théorie du patrimoine »58. Le patrimoine est ainsi la théorie qui permet de révéler « la logique structurelle du Code Napoléon »59 en ce que « l’existence d’un patrimoine (assure) la corrélation entre les droits et les charges d’une personne »60. Permettant « à la fois de réunir un actif et un passif et de répondre d’un passif, ce qui paraît a priori contradictoire (…) la notion de patrimoine se ramène donc à celle de personnalité, de personne juridique »61 : le patrimoine « est le reflet de la personnalité de son titulaire » 62 . C’est ainsi, pensons-nous, que peut s’exprimer à son maximum la portée théorique de la théorie du patrimoine, telle qu’issue de l’interprétation de ses fondateurs. Cette théorie peut être dépassée en suivant la proposition de Frédéric Zenati-Castaing et de Thierry Revet de définir la personne juridique par l’aptitude à la propriété et à la responsabilité, avoir et devoir étant les deux principes nécessaires et suffisants du commerce juridique. 52 William Dross, « Une approche structurale de la propriété », préc., n°30. Frédérique Cohet-Cordey, « La valeur explicative de la théorie du patrimoine en droit positif français », RTD Civ., 1996, p. 819, n° 5. 54 Ibid. 55 Frédéric Zenati, « Mise en perspective et perspectives de la théorie du patrimoine », RTD Civ., p. 677. 56 Ibid., p. 667. Il faut cependant évoquer les auteurs qui ont voulu ramener la théorie du patrimoine à de moindres ambitions. Alain Sériaux a ainsi plaidé pour une conception du patrimoine qui soit limitée aux seuls éléments de l’actif économique d’une personne, Alain Sériaux, « La notion juridique de patrimoine. Brèves notations civilistes sur le verbe avoir », RTD Civ., 1994, p. 801 et s.. 57 Frédérique Cohet-Cordey, « La valeur explicative de la théorie du patrimoine en droit positif français », n° 22. 58 Ibid., n° 23. 59 Ibid., n° 5. 60 Ibid., n° 16. 61 Ibid., n° 49. 62 Idem. 53 131 141. La théorie du patrimoine est née dans le contexte des auteurs Strasbourgeois, dans le cadre de l’école volontariste63 et avec les présupposés de la philosophie idéaliste de Kant 64. Elle a subi en outre de nombreuses critiques au point d’être qualifiée par William Dross, de « construction intellectuelle, largement inutile et mal bâtie »65. La notion de patrimoine, réduite à l’idée que l’actif de la personne répond de son passif, y compris par les biens à venir, elle « apporte peu aux attributs de la propriété qui sont inhérents à la personnalité juridique »66. Tout cela conduit Frédéric Zenati-Castaing à conclure qu’ « ils ont davantage ouvert des chantiers que livré des constructions achevées »67. En droit public, la théorie ne fait l’objet que d’un intérêt relativement récent dans la mesure où les conceptions traditionnelles du domaine public la rendaient quelque peu sans objet. Celui-ci, longtemps réputé improductif, rétif à l’idée de gestion occultée par la police administrative n’a été conçu comme une richesse à exploiter qu’à partir des années 1930-1950. Par ailleurs, on soulignera que les bases juridiques de la théorie sont relativement sans objet en droit public, les personnes publiques n’étant pas sujettes à l’idée de continuation du défunt par la succession68 tandis que leur immunité aux voies d’exécution judiciaires rend l’interprétation du droit de gage peut applicable à leur endroit69. Le droit public peut donc utilement bénéficier de ce dépassement. Au lieu de chercher à transposer une théorie reconnue comme imparfaite en droit privé, il peut tout à fait décrire les personnes publiques propriétaires selon une approche moderne. Ce n’est pas la lettre mais l’esprit de la théorie qu’il convient de retenir. Les personnes publiques sont moins les détentrices d’un patrimoine selon Aubry et Rau que tout simplement des sujets de droit, aptes par ce seul fait à avoir des biens et à répondre de leurs dettes, c’est-à-dire aptes à la propriété et à la responsabilité. Ce sont là les aptitudes fondamentales de la personnalité juridique, celles qui en sont la substance et permettent de la définir avec plus de profondeur comme la possibilité de droits et d’obligations. 63 « Mise en perspective et perspective de la théorie du patrimoine », préc., p. 677. Cf. notamment Philippe Yolka, évoquant pour sa réception en droit public une nécessaire « dékantation », « Personnalité publique et patrimoine », in La personnalité publique, op. cit., p. 45. 65 Préc. 66 Frédéric Zenati-Castaing, Thierry Revet, Les biens, PUF, 3e éd., 2008, n° 276 p. 435. 67 Frédéric Zenati, « Mise en perspective et perspective de la théorie du patrimoine », idem. 68 Pour une application du concept détaché de sa relation intime à la personnalité physique, Servane Carpi-Petit, Les successions en droit administratif, Presses universitaires de Rennes, 2006. 69 Sur ces obstacles à la théorie du patrimoine transposée au droit public, cf. Philippe Yolka, « Personnalité publique et patrimoine », préc. et le développement de cette question par Christophe Roux, Propriété publique et droit de l’Union européenne, th. Lyon 3, 2013, spéc. pp. 287-297. L’auteur cependant, propose au final une approche « patrimoniale » découplée de la personnalité et par conséquent sans vraiment de rapport avec la théorie initiale qui avait précisément pour objet de définir la personnalité juridique. 64 132 b) Le dépassement de la théorie du patrimoine : la définition de la personnalité juridique par l’aptitude à la propriété 142. Maurice Hauriou avait pressenti le lien intime qui unit propriété et personnalité : « en définitive, la personnalité juridique se ramènerait à l’aptitude à être propriétaire, à acquérir des biens et à établir avec d’autres personnes des rapports juridiques » 70 . C’est en examinant le caractère perpétuel de la propriété que l’on en vient à confirmer cette intuition fondamentale. L’imprescriptibilité du droit de propriété peut être tenue en échec par certains régimes juridiques, celui de la prescription de façon évidente, mais aussi pour certains biens dont la dissolution du lien est délibérément organisée après un certain délai (droits d’auteur par exemple). Pour autant, l’imprescriptibilité est toujours présentée comme un caractère du droit de propriété. Pour Frédéric Zenati-Castaing, c’est la liberté du propriétaire, c’est-à-dire le choix en opportunité de mettre ou ne pas mettre en œuvre son pouvoir d’action juridique sur ses biens et droits, qui « explique philosophiquement et techniquement son imprescriptibilité et dès lors sa différence de nature avec les droits patrimoniaux (…) ; par sa structure, la propriété, tout comme la liberté, entre dans le statut de la personne » 71 . Si la propriété est imprescriptible, ce n’est pas seulement pour protéger le propriétaire contre les effets du temps et ainsi permettre le non-usage d’une chose. L’imprescriptibilité signifie que la propriété est une puissance qui ne disparaît qu’avec sa source, le sujet de droit. Dire que toute personne a un patrimoine peut donc être modernisé en disant que toute personne est propriétaire, qu’elle exerce sur les choses une puissance propriétaire qui s’exerce dès l’instant où un objet lui est attribué en titre et quel que soit l’usage ou le non usage qu’elle décide d’en faire. Cela conduisait l’auteur à proposer comme définition de la personnalité : « la personnalité juridique est fondamentalement l’aptitude à avoir des biens (jouissance) et à en faire commerce (disposition), autrement dit, à être propriétaire »72. Cependant, parce que le droit de propriété suppose un bien identifié sur lequel il porte, il faut que la propriété apparaisse à titre de virtualité avant son actualisation par les droits de propriété portant sur chaque bien du sujet. L’auteur identifie alors cette aptitude à la propriété à l’idée d’un pouvoir fondamental de propriété, aptitude virtuelle à l’appropriation, élément fondamental du statut moderne du sujet de droit. 143. « Le système juridique moderne est subjectif parce qu’il organise l’activité juridique à partir de la personne juridique. Les biens n’ont pas ce statut directement, ainsi qu’il en va dans un système objectiviste tel le 70 Maurice Hauriou, Principes de droit public, 1ère édition 1910, rééd. Dalloz 2010, p. 559. Thèse précitée, n° 540. 72 Ibid., n° 544. 71 133 système romain : ils ont ce titre par la mise en œuvre de la personnalité juridique à l’égard des choses. Lorsqu’un sujet exerce l’aptitude à l’avoir qui le caractérise, il crée le rapport d’appropriation grâce auquel les choses qui en sont l’objet deviennent des biens » 73. Autrement dit, le principe gouvernant le fonctionnement du système juridique dans une perspective subjective a son fondement dans l’exercice par le sujet de droit d’une puissance sur les choses que seuls des synonymes écartent artificiellement de la propriété – la titularité notamment. La théorie du patrimoine doit donc être dépassée pour être en définitive simplifiée et étendue. Simplifiée, elle est débarrassée des éléments liés au contexte de son émergence et devient purement et simplement une définition du concept juridique formel de personne juridique par l’aptitude à la propriété. Étendue, elle permet d’admettre tout type de bien sans avoir à réduire la propriété à la sphère marchande et aux choses corporelles. Cette importance des propriétés incorporelles et de l’appropriation des droits et des créances est une donnée commune aux deux ordres juridiques partiels 74 . Ils se rejoignent d’ailleurs notamment sur la question des autorisations administratives dont nous reparlerons, et qui soulèvent des problématiques essentielles à la vie économique comme en témoigne leur incorporation aux fonds de commerce malgré le dogme de leur prétendue extra-patrimonialité75. 144. La propriété est donc bien « la relation que les personnes sont susceptibles d’avoir avec tout intérêt susceptible de constituer un objet de droit »76, y compris l’image, le corps, ou la voix, attributs de la personne humaine alors objet du droit77. « Son champ devient illimité : dès lors qu’un objet est rattaché à un sujet par un droit subjectif, il est loisible de le considérer comme un bien » 78 . Loisible est le terme fondamental pour comprendre que cette vision des choses est la résultante d’une logique pure, celle d’un système conçu à partir de la maîtrise, par le sujet, des objets que le droit admet comme des biens. Cela signifie que le droit objectif doit en premier lieu organiser la reconnaissance d’une chose pour qu’elle soit objet de cette appropriation. Ensuite, ce même 73 Frédéric Zenati-Castaing, Thierry Revet, Manuel de droit des personnes, op. cit., note 1 p. 23, pour lesquels « cette position préjudicielle de la personne juridique dans l’ordonnancement général est exprimé par la Cour de cassation à travers « le principe fondamental suivant lequel il ne peut exister de droits sans sujets de droits » (Civ. 1ère, 22 juillet 1987, Bull. civ., I, n° 258 ; Gaz. Pal., 25 février 1988, n° 55-56, note E. S. de La Marnière) ». 74 Ce que le droit privé appelle les nouveaux biens et qui font l’objet d’une littérature des plus abondantes. On ne peut que renvoyer aux principaux manuels de droit des biens, qui abordent systématique la question de la propriété intellectuelle, du droit des marques, des droits de la personnalité dans leur rapport à l’appropriation. Voir spécialement, revenant sur cette évolution, Nadège Reboul-Maupin, Droit des biens, Dalloz, 4e éd., 2012, spéc. n° 12 et s. En droit public, l’immatériel devient un objet d’intérêt en raison de la valeur économique potentielle qu’il représente, cf. Claire Malwé, La propriété publique incorporelle : au carrefour du droit administratif des biens et du droit public économique, th. Nantes, 2008 ; Conseil d’État, Le patrimoine immatériel des personnes publiques, La Documentation française, 2013. 75 Voir notamment, Lise Chatain-Autajon, La notion de fonds en droit privé, Litec, 2006, pp. 349-357, qui démontre leur importance pour l’activité économique et par conséquent leur vocation à être inclus dans les fonds professionnels du droit privé. 76 Frédéric Zenati-Castaing, « La propriété : mécanisme fondamental du droit », préc., p. 462. 77 Ibid., voir également Thierry Revet, « La propriété de la personnalité », Gazette du palais, 2007, pp. 59-51. 78 Art. préc., p. 462. 134 droit objectif peut refuser à cette chose tout échange, ou simplement tout échange marchand, ce qui n’est que l’application de la potentialité d’une réglementation de toute chose par le droit. C’est pourquoi le besoin de conserver des espaces auxquels l’appropriation et l’échange sembleraient étrangers doit se faire dans le contenu matériel du droit positif et non dans sa structure formelle dont participe cette conception extensive de la propriété. Ainsi, lorsque William Dross conteste l’hégémonie d’une propriété conçue comme « le sésame par lequel la totalité de la réalité juridique s’ouvrirait », il nous semble vouloir adopter une conception formelle du droit pour des considérations matérielles. Cet auteur reconnaît d’ailleurs que « la propriété privée est la clé de voûte de l’économie de nos sociétés »79. C’est donc bien l’idée, sans doute partiellement fondée, qu’il y aurait une désacralisation de la propriété à vouloir en faire « l’alpha et l’oméga » de la réalité juridique qu’il en rejette cette extension à l’ensemble des relations du commerce juridique. On peut donc discuter la proposition sur la base d’une distinction strictement affirmée entre les concepts juridiques formels et les catégories matérielles du droit positif. Cela revient à dire « qu’aucune règle positive n’impose de limiter la mise en œuvre (du mécanisme de la propriété) à l’horizon borné du patrimoine tel qu’on le définit aujourd’hui, c’est-à-dire celui des choses pécuniaires ». Comme le rappelle fort justement Frédéric Zenati-Castaing : « ce sont les responsables mêmes de ce rétrécissement, les inventeurs de la théorie du patrimoine, qui l’affirment sans ambages »80, faisant référence à l’inclusion par Aubry et Rau des droits de la personnalité et des « biens innés », dont l’honneur mais aussi la puissance paternelle et maritale. Il en va même ainsi, comme nous le verrons, des droits de puissance publique par lesquels on peut commander directement à des personnes tenues à l’obéissance. Ils ont pu être des biens, dans le système féodal car le droit d’alors l’admettait. Ils ne le sont plus car le droit positif le refuse81. Une chose est un bien dès lors qu’on peut en principe s’en réserver l’usage à titre exclusif et que l’on peut par ailleurs en modifier la situation juridique par des actes qui seront imputable au « titulaire », c’est-à-dire au propriétaire de la chose82. Cela est vrai d’une créance83, d’un droit d’émission de gaz effet de serre84 comme d’une marque85, d’un sillon ferroviaire ou William Dross, « Une approche structurale de la propriété », RTD Civ., 2012, n° 36, « l’approche structurale entend redonner à la propriété sa juste mesure en restaurant la place que la chose occupe en son sein ». 80 Frédéric Zenati-Castaing, « La propriété, mécanisme fondamental du droit », préc., idem. 81 Cf. infra n° 297 p. 272 et s.. 82 Nous reviendrons sur la notion de biens lorsqu’il s’agira d’identifier les biens affectés aux activités publiques, cf. infra Chapitre 2 du Titre 1er de la Seconde partie. 83 Étrangement, la majorité des auteurs reconnaissent la valeur patrimoniale des créances, en admettent la cession, mais refusent d’y appliquer la propriété et préfère la titularité. D’où la proposition de la théorie moderne de la propriété de ne pas s’embrasser de cette prévention motivée essentiellement par la volonté de ne pas utiliser le mot. Yaëll Emerich, La propriété des créances. Approche comparative, LGDJ, 2007 ; Julien Laurent, La propriété des droits, LGDJ, 2012. 84 Sur cette question, voir particulièrement Julien Laurent, op. cit., pp. 100 et s. et sa proposition de qualifier ce type de biens de droits-contingentement. Cf. infra n° 331 p. 301 et s. quant au fait que ces biens résultent de l’exercice de la puissance publique. 79 135 d’un droit à émettre sur une fréquence du spectre hertzien 86. Ce sont seulement les régimes matériels du droit positif qui organisent l’exclusion de certaines choses du champ patrimonial en limitant leur pécuniarité ou leur commercialité. Mais cette limite est précisément la preuve qu’il s’agirait sinon de véritable de biens. Il apparaît donc qu’il faille rejeter la réduction du champ de la propriété aux seuls biens économiques et, ainsi, du commerce juridique au seul domaine de l’échange marchand. C’est l’ensemble des rapports entre sujets de droit qui, objectivables, peuvent faire l’objet d’un rapport d’appropriation. Le propriétaire est donc formellement le sujet de droit apte à la propriété et à l’obligation. C’est en cela que la propriété est si essentielle et mérite une protection dès lors qu’est reconnue une personne juridique. Cela étant, cela signifie aussi que la propriété n’est que le moyen pour les personnes de se réaliser et que la protection de la propriété ne peut être que proportionnelle à l’utilité sociale que le législateur attache à la personne en cause, à l’activité qu’elle met en œuvre et au contexte dans lequel la question se pose. Il ne va de même du droit au respect des biens qui est lui-même proportionnel à l’importance réelle du bien en cause et aux objectifs poursuivis par l’atteinte dont il fait l’objet. Nous verrons cependant que la latitude de l’État pour déterminer la répartition et l’usage des biens et éventuellement y porter atteinte est incommensurablement plus large quand il s’adresse aux personnes publiques. Ces dernières sont en revanche « protégées » contre leurs organes, c’est-à-dire contre elles-mêmes, sur le seul fondement nécessaire et suffisant de leur personnalité morale, laquelle n’est qu’une précision relative à leur personnalité juridique. 85 La question devient d’importance en droit public, de nombreuses personnes publiques ou communes ayant un nom qui est devenu l’équivalent d’une marque et dont elles ont intérêt à revendiquer le monopole et contrôler l’usage qui en est fait et tirer des revenus de leur exploitation économique par des personnes privées, cf.infra n° 424 p. 381. 86 Le droit d’utiliser un réseau quel qu’il soit est un droit de jouissance d’une chose exactement du même modèle qu’une servitude de passage, à la seule différence qu’il est momentané et à vocation économique beaucoup plus marquée. Or, personne ne remet en cause qu’une servitude de passage est un bien, comme tout droit réel. 136 § 2 La personnalité morale : fondement nécessaire et suffisant du contrôle des organes exerçant le droit de propriété de la personne 145. Pour Nicolas Mathey, « appliquée à la notion d’intérêt, l’immanence signifie que l’intérêt de la personne morale n’est pas d’une autre nature que celui des personnes qui l’ont créée et/ou qui la font fonctionner » 87. Une telle approche autorise à considérer que la protection de la propriété des personnes morales est en réalité un moyen de protéger par immanence la propriété des individus qui l’ont créé. Il en va ainsi, a fortiori s’ils y sont liés par un contrat et en attendent des revenus, tels les actionnaires des dividendes. Une telle explication immanente, pour admissible qu’elle soit en ce qui concerne les personnes morales de droit privé, ne saurait l’être pour les personnes publiques parce qu’aucun individu ne transfère ses intérêts à une personne publique par immanence88 (A). La propriété des personnes morales de droit privé a aussi pu trouver une explication dans l’inhérence c’est-à-dire l’idée que la personnalité juridique supposant la propriété, une personne morale a droit au respect de ses biens sur ce fondement. C’est là en revanche une explication tout à fait transposable aux personnes publiques, situées dans l’immédiat prolongement de la définition de la personnalité juridique par l’aptitude à être propriétaire (B). A. L’impossible explication immanente de la protection de la propriété des personnes morales de droit public 146. Le fondateur d’une personne publique est soit l’État, soit une autre personne publique, soit un groupement comprenant exclusivement ou partiellement des personnes publiques. Si une personne privée peut être rendue publique a posteriori, elle est alors indéniablement annexée par le droit public et, in fine, l’État qui s’en approprie les intérêts et les biens. C’est ce que démontre notamment l’évolution des sections de commune. Autrement dit, si la protection de la propriété des personnes morales de droit privé est une solution admissible en droit privé (1), elle ne peut qu’être écartée en ce qui concerne les personnes publiques, celles-ci supposant la dissociation absolue entre les individus et les fonctions publiques (2). 87 Nicolas Mathey, Recherche sur la personnalité morale en droit privé, th. Paris, 2, 2001, n° 458 p. 200. On aura relevé que les personnes publiques étant par ailleurs forcément des personnes morales, la protection de la propriété par immanence de tels fondateurs ne fait que reporter le problème à la personne morale fondatrice dont on doit à nouveau rechercher la propriété individuelle protégée par immanence. 88 137 1) Une solution admissible pour certaines personnes morales de droit privé 147. Selon Yves Guyon, « personnes morales et personnes physiques tendant à se confondre », la difficulté n’est pas vraiment sur le principe mais plutôt sur les modalités d’une transposition des droits fondamentaux89. Ainsi, « l’application des droits fondamentaux aux personnes morales paraît le plus souvent évidente » bien qu’elle implique de tenir compte du « particularisme de la condition juridique des personnes morales de droit privé » 90 . Notamment, leur diversité conduit à interroger l’utilité ou l’inutilité du bénéfice de tel ou tel droit. Il va sans dire qu’à ces limites à la reconnaissance de droits fondamentaux des personnes morales de droit privé feront échos les obstacles rédhibitoires à leur attribution aux personnes publiques. Certes, le bénéfice par les personnes morales de droit privé de la protection de droits fondamentaux ne fait pas véritablement débat. La rédaction de l’article 34 de la Convention européenne des droits de l’homme confirme cette évidence 91 . L’auteur évoque comme explication l’existence en droit privé du principe de l’égalité des personnes physiques et des personnes morales, qui, comme le souligne cet auteur, « n’est que l’application du principe général de l’égalité devant la loi »92. Ce principe trouve un fondement dans l’article 1123 du Code civil et une confirmation dans la jurisprudence tant du Conseil constitutionnel que de la Cour de Justice des Communautés européennes en matière de concurrence. Si Nicolas Molfessis a considéré que le Conseil constitutionnel passait ainsi « de la transparence la plus pure (…) à la conception la plus anthropomorphique » 93 , cet anthropomorphisme n’est guère plus discutable en ce cas que pour le concept même de personne appliqué à d’autres que les individus. C’est en effet anthropomorphique de dire qu’une personne peut être autre chose qu’un être humain mais c’est inévitable et, en réalité, fort commode. Chacun le comprend et chacun sait ce qu’on doit en conclure, s’identifiant sans mal à l’abstraction devenue personne. Chacun comprend également que violer les droits de l’entité dont il est membre, c’est violer son propre droit. 89 Yves Guyon, « Droits fondamentaux et personnes morales de droit privé », AJDA, 1998, p. 136. Si l’on cite généralement de cet article d’Yves Guyon l’idée qu’en « accordant certains droits fondamentaux aux personnes morales on a sans doute ouvert la boîte de Pandore », on néglige ce qui précède cette conclusion, consacrée uniquement aux risques d’emballement vers l’absurde ou le déraisonnable. 90 Idem, particularisme reconnu par le Conseil constitutionnel qui tolère une différence de traitement entre personnes morales et physiques, Cons. const. 21 juin 1993, déc. n° 93-320 DC, JCP 1993.III.66254. 91 Lequel vise avec une extrême ambiguïté, et partant très largement, les « groupes de particuliers ». Pour de plus ambles développements sur la reconnaissance expresse de la personne morale propriétaire par le cour européenne des droits de l’homme, cf. Stéphanie Pavageau, Le droit de propriété dans les jurisprudences suprêmes françaises, européennes et internationales, LGDJ, 2003, pp. 41-45. 92 Art. préc. 93 Nicolas Molfessis, Le Conseil constitutionnel et le droit privé, LGDJ, 1998, p. 369. 138 148. Il faut d’ailleurs bien admettre à cet égard que la personnalité morale de droit privé prolonge la personnalité physique, certains auteurs faisant même de la personnalité morale la traduction « d’aspirations collectives qui correspondent à la nature de l’homme en tant qu’être social, à son besoin de dépasser son isolement, on peut même dire à son instinct grégaire » 94 . Cette idée que la personnalité morale masque en réalité des individus dont les droits ne sauraient perdre leur protection en passant de l’individuel au collectif est précisément celle qui a conduit le Conseil constitutionnel à contrôler indifféremment le prix des actions nationalisées quel qu’en soit le propriétaire, personne physique ou personne morale. La propriété a donc été, certes tardivement, mais naturellement, consacrée par le Conseil constitutionnel comme un droit fondamental à valeur constitutionnelle dont bénéficient l’ensemble des personnes privées, lesquelles sont toutes placées sous l’égide du principe d’égalité devant la loi que le Conseil tire des articles 1 et 13 de la Déclaration. Stéphanie Pavageau constate ainsi que « les personnes morales de droit privé sont, au regard du droit de propriété, assimilées aux personnes physiques » en raison de « la désincarnation croissante des propriétaires privés » 95 . Elle considère cette assimilation comme un anthropomorphisme qu’elle qualifie de juridiquement fondé mais d’éthiquement discutable. Juridiquement, « l’anthropomorphisme qui résulte de l’assimilation faite entre les groupements et les personnes physiques tient, d’une part à l’absence d’objection juridique s’opposant à ce que des personnes morales jouissent de droits fondamentaux, d’autre part à la nature économique du droit de propriété »96. Ainsi, « au regard du droit positif, les groupements sont titulaires du droit de propriété au même titre que les individus »97. Si tel est le cas c’est que la consécration de la propriété ne suppose pas nécessairement d’être un sujet des droits fondamentaux comme la personne humaine, mais qu’elle est induite par la dévolution de la personnalité juridique. La propriété est l’aptitude fondamentale à avoir du sujet de droit, lequel est nécessairement un propriétaire. C’est ainsi qu’est également possible une explication non plus immanente, la protection se situant dans le prolongement des fondateurs de la personne morale, mais inhérente : la personnalité juridique de la personne morale implique elle-même que sa qualité de propriétaire soit reconnue et garantie. 94 François Terré, Dominique Fenouillet, Droit civil. Les personnes, Dalloz, 8e éd., 2012, n° 248 p. 239. Ces auteurs indiquent ainsi sans plus de développements sinon les références idoines que : « comme les personnes physiques, les personnes morales ont un état, un statut dans la société. Cet état peut comprendre des droits publics (droit de se constituer, droit de fonctionner, droit à la liberté de parole, de réunion, de groupement). Il peut comprendre aussi bien des droits extra-patrimoniaux que des droits patrimoniaux », n° 278 p. 263. 95 Stéphanie Pavageau, Le droit de propriété dans les jurisprudences suprêmes françaises, européennes et internationales, LGDJ, 2003, n° 40 p. 32. 96 Ibid., n° 68 p. 51. 97 Ibid., n° 70 p. 52. 139 2) Une solution inadmissible dans le cas des personnes morales de droit public 149. Patrick Wachsmann considère que « le saut qu’il faut accomplir pour passer des droits de l’homme à ceux des personnes publiques est encore plus important que celui qu’il faut faire pour passer des premiers aux droits des personnes morales de droit privé » 98 . Si, en droit privé, la personnalité morale semble prolonger la personne physique, l’assimilation des personnes publiques aux personnes physiques semble parfaitement inadmissible. Il faut même aller plus loin et considérer, qu’en droit public, c’est exactement l’inverse qui est à l’œuvre : la personnalité publique suppose sa dissociation des individus. Toute la construction de l’État moderne et, surtout, républicain et démocratique, a été de dissocier absolument les fonctions publiques des individus qui en sont les agents. C’est évidemment valable en premier lieu au sommet de l’édifice politique. L’État est le fruit d’une dissociation entre la personne physique du Roi et la personne morale qu’est la Couronne. La distinction des « deux corps du Roi »99 est l’expression de cette idée, laquelle fut d’ailleurs concrétisée à deux occasions tragiques par la séparation en deux du corps du Roi luimême100. La personne morale qu’est l’État ne saurait être considérée comme devant bénéficier de droits fondamentaux en raison de son prolongement d’individualités101. A première vue, l’affirmation pourrait sembler moins évidente en ce qui concerne certaines personnes publiques infra-étatiques que l’on considère comme ayant précédé la formation de l’État unitaire. Historiquement vraie, l’affirmation mérite d’être écartée dans le cadre du droit positif que cet État unitaire a précisément réinterprété pour s’incorporer ces corps potentiellement concurrents. Roland Drago a ainsi voulu considérer que les communes ont des droits fondamentaux spécifiques, ces « libertés locales » qui seraient selon lui un contrepoids au pouvoir de l’État et auraient « autant de valeur que les libertés individuelles »102. On objectera que, tout jugement de valeur mis à part, nous vivons bien dans cette « France centralisatrice qui, contre les Girondins, a imaginé le “crime” » de fédéralisme (…) dont Tocqueville a si bien défini le “despotisme administratif” (et qui) ne croit peut-être pas vraiment aux libertés locales et a toujours été tentée de faire de ses structures locales décentralisées un théâtre d'ombres » 103 . Dans son analyse de leur 98 Patrick Wachsmann, « Personnes publiques et droits fondamentaux », préc., p. 145. Ernst Kantorowicz, Les Deux Corps du roi. Essai sur la théologie politique au Moyen Âge, Gallimard, 1989 (1957). 100 Charles 1er d’Angleterre le 30 janvier 1649 et Louis XVI le 21 janvier 1793 ; on notera que c’est précisément la question qui préoccupa la pensée juridique allemande de la fin du XIX e siècle : « L’idée d’une personnalité propre de l’État semblait heurter le principe monarchique qui gouvernait les constitutions allemandes adoptées entre 1815 et 1860 environ. Personnifier l’État, c’est le détacher de la personne concrète du monarque et donc, dans une certaine mesure et d’une certaine manière, l’autonomiser par rapport à ce dernier », Olivier Jouanjan, préface à Georg Jellinek, L’État moderne et son droit, Ed. Panthéon-Assas, 2005, p. 63. 101 La démonstration de l’impossibilité de concevoir les personnes morales de droit public comme des groupements de particuliers est faite au titre suivant. Nous considérons en effet qu’elles sont la personnification d’une fonction publique, d’un office, termes que nous synthétisons dans le vocable juridique de compétence. 102 Roland Drago, « Droits fondamentaux et personnes publiques », AJDA, 1998, numéro spécial, p. 130. 103 Idem. 99 140 pouvoir réglementaire, Bertrand Faure a été conduit à revenir sur la question de l’autonomie des communes par rapport à l’État. Si l’auteur reconnaît l’existence d’une « tradition multiséculaire d’autonomie communale en France »104, il démontre que la commune moderne n’est plus l’association libre des habitants mais bien un organe personnalisé de l’architecture étatique. « Sous la Révolution française, la Constituante achèvera, en vertu du principe d’égalité, l’œuvre d’unification des structures territoriales », unité que ne remet absolument pas en cause la décentralisation105. Les collectivités publiques, toutes, sont désormais des organismes fonctionnels ayant une mission à remplir et ne représentent plus le syndicat d’individus identifiés mettant leurs intérêts en commun à l’image des personnes morales de droit privé. C’est pourquoi la distinction entre personnes corporatives et fondatives n’est pas opérante en droit public, car même si elle est un regroupement de personnes, même si elle inclut des personnes privées comme un GIP, une personne publique n’est que l’organisation sous la forme d’une personne juridique d’une fonction assumée par l’État ou une autre personne publique ou d’une activité qui y contribue. Elle n’a d’existence que par cette fonction à remplir, sa compétence, qui l’habilite à exister et à agir et non en raison de la relation qui l’unit à des individus qui en seraient « membres ». Une personne publique ne connaît des individus qu’à titre d’agents, d’usagers ou de tiers. 150. Quant aux biens communaux, ils constituent bien, quant à eux, une survivance des communautés villageoises ayant précédé la constitution de l’État moderne 106. Ils posent une difficulté apparente pour considérer qu’il n’y a pas lieu, ici, non plus, d’admettre que la propriété de la personne publique est protégée à titre de liberté fondamentale. Aux termes de l’article 542 du Code civil, il s’agit des biens « à la propriété ou au produit desquels les habitants d'une ou plusieurs communes ont un droit acquis »107 et aux yeux de Frédéric ZenatiCastaing, il s’agit d’un des rares cas de propriété collective en France 108 . On peut ainsi considérer que « leur régime a conservé certains éléments qui sont la réminiscence de cette ancienne forme de propriété si bien qu'il ne peut pleinement s'assimiler ni au droit de la propriété privée individuelle, ni à celui de la 104 Bertrand Faure, Le pouvoir réglementaire des collectivités locales, LGDJ, 1998, p. 10. Ibid., p. 19. 106 Nadine Vivier, Propriété collective et identité communale. Les biens communaux en France, 1750-1914, Publications de la Sorbonne, 1998. L’auteur démontre notamment qu’il est abusif de considérer que ces biens étaient destinés prioritairement aux habitants démunis ce qui explique les pétitions demandant leur partage de la part de certains paysans. 107 Jean-Gabriel Sorbara, « Les biens communaux », RDP, 2008, p. 1024. 108 Frédéric Zenati-Castaing, « La propriété collective existe-t-elle ? », in Mélanges Goubeaux, Dalloz-Litec, 2009, p. 589 ; dans le même sens Maurice Bourjol, Les biens communaux, Paris, LGDJ, 1989 : contra, Jean-Gabriel Sorbara, art. préc. Nadine Vivier nuance également cette idée en démontrant l’extrême diversité des formes d’appropriation, thèse précitée. 105 141 propriété publique classiquement entendue »109. Cependant, après d’importantes réductions sous l’effet du triage 110 et du cantonnement 111 sous l’Ancien Régime, « la Révolution, hostile à la propriété collective et voulant répondre favorablement aux revendications paysannes organisa le partage des communaux entre les habitants par un décret du 10 juin 1793 »112. L’attribution de la propriété des ces biens à la commune et aux sections de commune achève de transformer cette propriété collective en propriété privative, celle qui plus est d’une personne morale de droit public 113 . Reste à déterminer si le lien étroit entre cette section de commune et les habitants qui ont un droit de jouissance sur les biens en cause autorise à admettre l’existence, en droit français, d’une personne publique bénéficiant de droits fondamentaux. 151. La décision de la Cour d’appel de Lyon présentant les habitants de la section de commune comme des ayants droit ne remet d’ailleurs pas en cause l’impossibilité d’une protection par immanence dans la mesure où la protection ne vise pas le droit de propriété de la section, mais le droit de jouissance des habitants114. C’est ce droit de jouissance qui est le bien des habitants, au respect duquel ils ont droit. Les biens communaux, eux, sont la propriété exclusive de la section de commune, seule titulaire du droit de propriété 115. La question du droit au respect des biens ne peut donc être soulevée que pour les habitants, ce qui n’apporte donc aucun élément quant à fonder la protection de la propriété de la personne publique. Pour Philippe Yolka, la Cour applique un raisonnement par transparence : « derrière l’écran de la section de commune, ce sont sans conteste les intérêts patrimoniaux des ayants droit qu’il s’agissait de protéger » 116 . La Cour européenne des droits de l’homme motivait d’ailleurs sa décision leur refusant la possibilité d’introduire une requête en considérant que « la mission d’une section de commune est de participer à la gestion de biens et de droits collectifs, patrimoine attaché à un territoire déterminé, dans l’intérêt général et non individuel de ses habitants » 117. La section de commune apparaît bien, si l’on adopte le point de vue du droit européen des droits de l’homme, comme un élément de Jean-Gabriel Sorbara, art. préc. On notera au passage l’idée sous-jacente que la summa divisio des propriétés oppose bien la propriété collective, celle d’un collectif, à la propriété privative, celle d’un sujet de droit, source des malentendus sur la nature juridique commune de la propriété des personnes publiques et des personnes privées. Cette nature juridique commune est uniquement celle d’être une propriété privative, réservée à un titulaire unique et identifié. 110 Par lequel le seigneur se réservait un tiers du fonds, idem. 111 Par lequel le seigneur organisait le partage forcé, toujours à son avantage, idem. 112 Idem, l’auteur ajoute que, malgré son abrogation par le Directoire, les communaux sont depuis lors figés en l’absence de texte en permettant la création. 113 Décision n° 2011-118 QPC du 8 avril 2011, AJDA, 2011, p. 758 ; D., 2011, p. 2298, obs. B. Mallet-Bricout et N. Reboul-Maupin; AJCT, 2011, p. 303, obs. F. Scanvic ; RFDC, 2011, n° 88, p. 830, note A. Le Quinio. 114 CAA Lyon, 24 nov. 2009, Fédération des ayants droit des sections de commune de Haute-Loire, n° 07LY02310 ; Philippe Yolka, « La carpe et le lapin : retour sur les droits fondamentaux des personnes publiques », AJDA, 2010, p. 559. 115 Le Conseil constitutionnel a ainsi explicité rejeté que « doit être rejeté comme inopérant le grief tiré de ce que le transfert des biens d'une section de commune porterait atteinte au droit de propriété de ses membres », préc. 116 Note précitée sous CAA Lyon, 24 nov. 2009. 117 CEDH, 23 nov. 1999, Section de commune d’Antilly c. France, req. n° 45129/98. 109 142 l’État-appareil exerçant une compétence dévolue par l’État et non de la réunion d’individus poursuivant leurs intérêts en commun. Les sections de communes se définissant certes comme des personnes juridiques autonomes mais néanmoins comme une subdivision de leur commune, on peut enfin considérer que l’État s’est annexé avec elles l’ensemble des structures territoriales, achevant ainsi la centralisation administrative de la France. Il n’est donc pas possible de considérer que la protection de la propriété d’une personne publique puisse signifier, par immanence, la protection de la propriété d’individus. La protection de la propriété des personnes publiques doit être inhérente à leur personnalité juridique, nécessairement morale pour ce qui les concerne. B. L’explication inhérente : les droits de la personnalité morale elle-même 152. L’autre possibilité pour admettre la protection de la propriété d’une personne morale est de considérer que cette protection lui est due du seul fait qu’elle est une personne juridique. C’est l’explication inhérente. Il s’agit d’une solution parfois suffisante dans le cas des personnes morales de droit privé (1), mais de la seule solution véritablement envisageable au bénéfice des personnes morales de droit public (2). 1) Une solution parfois suffisante dans le cas des personnes morales de droit privé 153. Les personnes morales sont des personnes juridiques et cela pose en soi la question de leur reconnaître des droits de la personnalité, qu’il faut bien se garder de confondre avec les droits fondamentaux 118 . Si nous nous permettons d’aborder la question par ce biais, c’est justement en raison de la possibilité de faire entrer dans la catégorie des droits de la personnalité des droits et libertés dont on réussit à effacer le caractère fondamental. Ainsi, il nous semble que, si « l’étude de la reconnaissance au profit des personnes morales des droits fondamentaux et celle de la reconnaissance des droits de la personnalité sont deux questions différentes »119, elles peuvent se rejoindre. Les droits de la personnalité se distinguent en ce qu’ils permettent de s’écarter un peu de l’idée de simple transparence120. Les droits de la personnalité de la personne morale ne sont donc pas 118 Hélène Martron, Les droits de la personnalité des personnes morales de droit privé, Paris, LGDJ, Presses universitaires juridiques Université de Poitiers, 2011, n° 8 p. 23. 119 Ibid., n° 9 p. 25. 120 Dont elle admet cependant l’existence sous cette seule réserve : « En protégeant les personnes morales, on permet à ses fondateurs de concrétiser leurs projets. La protection des personnes morales permet donc in fine de protéger les personnes physiques », ibid., n° 47 p. 82. 143 tant destinés à protéger les individus qu’elle masque par transparence que la personnalité ellemême. « Ainsi, écrit-elle, les personnes morales reposent sur une réalité non pas physique ou psychologique mais sociologique et souvent économique » 121 . C’est pourquoi leur propriété doit recevoir le même traitement que les droits de la personnalité. Elle est inhérente à la personnalité juridique de la personne publique et non immanente à des personnes qui en seraient des fondateurs ou des membres. Liés à cette réalité que le droit saisi à travers l’organisation et, ajouterions-nous avec Nicolas Mathey et Jean Paillusseau 122, l’intérêt ou l’activité, ces droits « protègent ainsi ce qui fait l’essence de chaque personne, c’est-à-dire l’organisation sur laquelle repose la personne morale afin de lui permettre de réaliser ses activités » 123 . La propriété a fortiori destinée à se voir appliquer le raisonnement puisque, sans elle, une personne ne peut tout simplement pas participer au commerce juridique, lequel comprend toutes les relations entre sujets de droit en dehors des relations de puissance, et ne se réduit donc pas aux activités économiques. 154. Stéphanie Pavageau insiste alors sur ce que recouvre comme réalité sociale la personnalité morale : « Alors que les personnes physiques reposent sur une réalité physique, le corps humain, les personnes morales n’ont aucune réalité physique. L’organisation protégée par les droits de la personnalité ne constitue pas une réalité physique mais un ensemble regroupant les moyens matériels et humains réunis pour exercer une activité »124. Les deux droits de la personnalité qu’elle perçoit en droit positif sont donc destinés à garantir cette organisation et la réalisation de cette activité. C’est pourquoi elle développe successivement la protection de la personnalité sociale 125 puis la protection de la personnalité interne. Cette dernière protège le fonctionnement de l’organisation contre les perturbations générées par l’intrusion de tiers, ce qui conduit à protéger la correspondance, les locaux (à l’instar du domicile). Plus généralement, « le droit au respect de la vie privée a ainsi vocation préserver le cadre de leurs activités contre l’intrusion de tiers »126. Or, selon nous, cette protection de la personnalité à travers sa vie externe, sociale, et son organisation interne, peut tout à fait s’appliquer à la propriété. En effet, si l’objet des droits de la personnalité est de garantir l’organisation sans laquelle l’activité est impossible et, par 121 Ibid., n° 63 p. 98. Cf. supra. 123 Ibid., n° 79 p. 115. 124 Ibid., n° 130 p. 161. 125 La quelle recouvre la considération et la dénomination : « Par leurs différents actions, les personnes morales se voient progressivement dotées d’une réputation sur leur capacité à réaliser leur mission. Le public se forge ainsi une idée sur leurs compétences, leurs atouts ou leurs points faibles pour mener à bien leur projet », ibid., n° 133 p. 165. 126 Ibid., n° 215 p. 254. 122 144 conséquent, de garantir la réalisation effective de cette activité par des moyens matériels et humains, la propriété semble l’archétype de tels droits. La personnalité morale suppose la propriété comme la personnalité juridique, mais si l’on considère l’activité d’une organisation vers un but, qu’il soit économique ou non, l’appropriation s’impose comme une quasi-absolue nécessité. Si l’on considère uniquement les personnes publiques, on se satisfera sans mal de la formule de Charles Eisenmann que chacune suppose l’existence d’un budget, et par conséquent des ressources et des dépenses. C’est en ce sens que la propriété, mécanisme fondamental du droit, est inhérente à la qualité de sujet de droit et constitue de ce fait un principe ontologique du système juridique. C’est il nous semble la seule interprétation possible de la nécessité pour le Conseil constitutionnel de consacrer de manière absolue la propriété des personnes publiques qui est un corollaire nécessaire de leur qualité de personne juridique. 2) Une solution nécessaire dans le cas des personnes morales de droit public 155. Dans sa décision sur la loi de nationalisation, le Conseil constitutionnel a assuré la même protection et sur le même fondement aux personnes physiques et morales actionnaires des sociétés en cause127. On en conclut bien que, en droit privé, « le juge constitutionnel n’a fait aucune distinction entre les détenteurs des actions, alors même que certains étaient des personnes morales » 128 . Il ne s’agit pas seulement de dire que la personnalité morale n’est « en définitive qu’une technique juridique au service des individus »129. Certes, une société est un groupement d’associés, lesquels seront pour certains des individus de chair et de sang130. Mais Nicolas Mathey a montré qu’une personne morale pouvait ne pas avoir de membres, et le principe de dissociation de la personnalité publique de tout individu particulier interdit toute protection immanente. Stéphanie Pavageau fait d’ailleurs apparaître implicitement que la véritable rupture n’est pas entre les personnes physiques et les personnes morales, mais entre les personnes privées et les personnes publiques : « la dimension personnelle du droit de propriété, diluée dans l’abstraction de la personne morale de 127 Décision n° 81-132 DC du 16 janvier 1982, Loi de nationalisation, GDCC, 2009, pp. 209-214. Ibid., n° 62 p. 47. 129 Ibid., n° 71 p. 52. 130 Etienne Picard considère ainsi dans le même sens que « les droits d’une entreprise ne sont que les instruments juridiques permettant aux personnes qui y sont liées d’une manière ou d’une autre (associés, personnel) d’exercer leurs droits fondamentaux : droit de propriété, liberté d’entreprendre, droit du travail, droit d’en recueillir les fruits et d’être associé à la gestion de l’entreprise, etc. », « La liberté contractuelle des personnes publiques constitue-t-elle un droit fondamental ? », AJDA, 1998, p. 662. 128 145 droit privé, s’effacera définitivement lorsque son titulaire sera une personne publique dont la reconnaissance en tant que propriétaire oscille entre consécration et indifférence »131. Cette oscillation peut être interprétée comme manifestant le caractère discutable de fonder l’attribution de la propriété aux personnes publiques sur un même titre que les personnes privées, la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen du 29 août 1789. La propriété des personnes publiques découle uniquement de leur personnalité juridique. Elle n’a de caractère fondamental qu’en tant que mécanisme et non en tant que liberté. Si leur « aptitude à jouir d’un droit de propriété au titre des droits réels, ou assimilés, ne soulève en soi aucune interrogation »132, c’est précisément parce que cette qualité de propriétaire découle mécaniquement de celle de sujet de droit. Léon Michoud133 et plus encore Maurice Hauriou134 ont souligné la centralité de la propriété dans la théorie de la personnalité morale et, plus généralement, de la personnalité juridique elle-même. C’est ce qui conduit Frédéric Zenati-Castaing et Thierry Revet à considérer que le premier élément de cette dernière est non pas l’aptitude à avoir des droits mais l’aptitude à l’avoir, à la propriété135. La personnalité juridique est la virtualité de pouvoir être le pôle actif du rapport sujet-objet, ce qui n’est qu’une autre façon de dire propriétairechose. 156. La personnalité juridique suppose nécessairement la propriété. En cela, la personnalité juridique est un fondement suffisant, le titre essentiel et même principiel de la propriété des sujets de droit. C’est en cela qu’elle peut être admise comme un droit de la personnalité, mais de la personnalité juridique et par conséquent morale, ce que renforce encore l’idée que la propriété est le droit subjectif, le droit qui est l’attribut inhérent à la qualité de sujet de droit136. Il nous semble qu’il faut revenir à cette idée que le droit privé a superposé à la propriété technique une approche valorisée conforme à la philosophie libérale à l’origine de l’article 17 de la Déclaration de 1789. Or, on peut considérer que ce n’est pas pour faire bénéficier l’État et les personnes publiques d’une garantie contre leur propre puissance publique 137 à l’instar des personnes privées que leur propriété doit être protégée. C’est seulement en raison d’un principe 131 Stéphanie Pavageau, op. cit., n° 74 p. 55. Ibid., n° 42 p. 33. 133 Léon Michoud, qui définit la personne juridique comme « un être capable d’avoir des droits subjectifs lui appartenant en propre », La personnalité morale, op. cit., tome 1, p. 7. 134 Maurice Hauriou, Principes de droit public, 1ère éd., op. cit. Outre la définition de la personnalité juridique comme la synthèse de ce qui lui est propre, on relèvera que selon cet auteur, « la vie civile est fondée sur la propriété plus encore que sur la famille, que le régime civil est essentiellement le régime des biens, de la propriété, de sa pratique et de son faire-valoir », p. 310. 135 Frédéric Zenati-Castaing, Thierry Revet, op. cit. Cf. supra. 136 Ce qui constitue la thèse de Frédéric Zenati-Castaing, cf. supra. 137 Il faut souligner que lors des privatisation, c’est bien l’exercice du droit de propriété de l’État qui est en cause, droit exercé par le Parlement, organe de l’État et contrôlé par le Conseil constitutionnel, autre organe de l’État. En droit privé, un tel contrôle aurait nécessité une action en abus de majorité de la part des actionnaires majoritaires, pour donner l’exemple du droit des sociétés. 132 146 logique de non contradiction en science juridique que, « en tant que droit subjectif, et quelle que soit par ailleurs la catégorie juridique à laquelle il se rattache, le droit de propriété bénéficie aux personnes jouissant de la personnalité juridique » 138 . C’est ainsi qu’elle apparaît au plus haut niveau de notre droit objectif. 157. Les opérations de privatisations ont été l’occasion d’affirmer la protection de la propriété des personnes publiques. Il faut cependant relever que l’atteinte à la propriété n’était pas le fait d’une personne juridique extérieure qui serait venue troubler la jouissance exclusive de l’État, mais de l’exercice par un organe de celui-ci, le Parlement, de son propre droit de propriété. Le principe d’incessibilité à vil prix des biens publics est donc ainsi un principe qui autorise le juge à sanctionner l’exercice du droit de propriété d’une personne publique par l’organe compétent en méconnaissance de l’intérêt patrimonial de la personne pour le compte de laquelle il agit. Si la décision du Conseil constitutionnel des 25 et 26 juin 1986 a reconnu au bénéfice de l’ensemble des personnes publiques le bénéfice des dispositions de la Déclaration de 1789, elle est surtout à l’origine de la valeur constitutionnelle du principe d’incessibilité à vil prix de leurs biens139. Dans une telle affaire, c’est un organe de l’État, le Parlement, qui exerce par la voie législative le droit de propriété dont l’État lui-même est bien le titulaire. La loi contrôlée est un acte de disposition de l’État propriétaire, comme il en va de la délibération du conseil municipal pour le droit de propriété de la commune140. C’est donc contre le détournement du pouvoir juridique de leurs organes que la protection constitutionnelle de la propriété a été invoquée au bénéfice des personnes publiques. On a souligné la difficulté politique qu’il y aurait eu pour le Conseil à évoquer un moyen de cet ordre contre les députés. Patrick Wachsmann considère pourtant que le Conseil aurait tout aussi bien pu se fonder sur l’article 15 de la Déclaration de 1789 qui « eût constitué un fondement au moins aussi adéquat pour permettre au Conseil et, finalement, aux juges judiciaires et administratifs, de s’assurer que le patrimoine des personnes publiques ne serait pas cédé à vil prix, au détriment tout à la fois de l’intérêt général et d’une honnête gestion des affaires publiques »141. Ainsi, on sanctionne moins la violation de la propriété-liberté que le manque de probité des députés dans l’exercice du droit de propriété que leur pouvoir permet. 138 Stéphanie Pavageau, op. cit., n° 41 p. 33. Voir aussi Décision n° 2010-67/86 QPC du 17 décembre 2010, Région Centre et région Poitou-Charentes [AFPA – Transfert de biens publics] ; JCP A, 2011, 2002, note Ph. Yolka. 140 CE, Sect., 3 nov. 1997, Cne de Fougerolles, AJDA, 1997, p. 1010, note L. Richer ; RFDA, 1998, p. 12, concl. L. Touvet ; RDI, 1998, p. 227, chron. C. Maugüé ; GDDAB, Dalloz, 2013, p. 788, note Ph. Yolka. 141 Art. préc., p. 158. 139 147 Nul doute que la vente à vil prix sans motif d’intérêt général du bien d’une personne morale par l’un de ses organes, de même que celle du bien d’une personne protégée par son représentant légal seraient sujettes à annulation par le juge. Pire, un tel exercice illégal du droit de propriété de la personne morale conduirait le dirigeant d’une société ou les élus d’une commune à en répondre pénalement. Tous ces régimes sont institués pour sanctionner l’usage détourné du pouvoir de représentation par lequel un organe exerce les droits d’une personne morale. Parce que l’acte de cet organe est une loi lorsque la personne en cause est l’État, le contrôle de cet acte nécessite une disposition d’une valeur supérieure et par conséquent constitutionnelle. Nous ne voyons pas là un motif suffisant pour qualifier la propriété de droit fondamental des personnes publiques. 158. En définitive, la propriété est moins un droit qu’un mécanisme fondamental. Le fondement juridique véritable d’une propriété attribuée et nécessairement opposable c’est la personnalité juridique elle-même 142 . C’est ce qu’exprime avec force Mathieu Doat lorsqu’il affirme : « Le sujet de droit n’est sujet que tant qu’il peut être considéré comme propriétaire. S’il cesse d’être propriétaire, il cesse d’exister »143. Une personne publique, si elle existe, parce qu’elle existe, est propriétaire. Et parce que cette propriété ne peut qu’être exercée par des individus ne tenant leur pouvoir que de leur qualité d’organes de la personne morale, les actes de ces organes doivent être conformes à l’intérêt de la personne publique. Il est à ce stade parfaitement inutile de parler de droits fondamentaux ou de libertés. Quand bien même cette dimension semble apparaître en raison des mécanismes de protection de cette propriété, les personnes publiques n’ont qu’un seul droit légitime à faire valoir : la possibilité d’exercer leur compétence conformément au droit qui les en a investi, et sans avoir à subir l’exercice illégal de la compétence d’autres personnes publiques. 142 Dans le même sens, au sujet de la jurisprudence administrative, Hélène Pauliat, Le droit de propriété dans la jurisprudence du Conseil constitutionnel et du Conseil d’État, PUF, 1994, pp. 188-189. 143 Mathieu Doat, Recherche sur la notion de collectivité locale en droit administratif, LGDJ, 2003, p. 73. 148 Section 2 Une protection irréductible de la propriété en fonction de la personnalité publique ou privée du propriétaire 159. Maurice Hauriou affirmait que « les droits individuels des administrés réalisent leur maximum de résistance à l’action de la puissance publique en tant qu’ils atteignent la forme d’un droit de propriété (…), c’est donc que le pouvoir de la propriété privée est l’exact pendant de la puissance publique »144. Cette opposition de la propriété privée à la puissance publique nous semble caractéristique des rapports entre droit public et droit privé. L’État exerce la puissance publique contre laquelle l’individu oppose les droits qui en sont la limite. Si la propriété est pour l’État comme pour l’individu l’une des modalités de son activité juridique, seule celle du second peut être érigée en véritable liberté fondamentale. Ainsi que le souligne Pierre Soler-Couteaux, « il y aurait quelque paradoxe à voir revendiquer les droits fondamentaux par ceux-là même dont la fonction est d’en assurer la protection et contre lesquels ils ont vocation à être invoqués par leurs sujets natures »145. On s’accordera donc avec Jérôme Travard pour considérer qu’accorder aux personnes publiques « des libertés fondamentales constituerait donc sinon un dévoiement, au moins une mutation significative de la conception classique des droits et libertés »146. Nicolas Mathey a proposé de distinguer deux méthodes pour déterminer les droits fondamentaux dont doivent bénéficier les personnes morales de droit privé. Une méthode dogmatique, consistant à « se demander si la personne morale ne présente pas un particularisme tel que la jouissance des droits et libertés fondamentaux doit lui être refusée ou tout au moins ne lui être reconnue que dans une stricte mesure conforme à son particularisme ». Une méthode pragmatique, prenant pour « point de départ le droit en cause afin de déterminer s'il doit être protégé, et dans quelle mesure, lorsqu'une personne morale en revendique le bénéfice » 147 . Ces deux méthodes peuvent être appliquées à la propriété des personnes publiques. La méthode dogmatique conduit à refuser, parce que les droits fondamentaux n’ont pas vocation à être attribués aux personnes publiques, l’assimilation de la propriété des personnes publiques à celles des personnes privées (§ 1). La méthode pragmatique conduit à la confirmation de cette conclusion. En effet, elle conduit à constater que le droit positif n’offre absolument pas les mêmes garanties aux personnes publiques et aux personnes privées, notamment lorsqu’il s’agit de transférer unilatéralement la propriété pour des motifs liés d’organisation administrative et de répartition des compétences (§ 2). 144 Maurice Hauriou, La gestion administrative, op. cit., pp. 84-85. Pierre Soler-Couteaux, préface à la thèse d’Olivier Maetz, Les droits fondamentaux des personnes publiques, LGDJFondation Varenne, 2011, p. XV. 146 Jérôme Travard, « La reconnaissance de libertés fondamentales aux personnes publiques, vecteur de rapprochement avec les personnes privées ? », Droit de la famille, 2013, p. 21. 147 Nicolas Mathey, « Les droits fondamentaux des personnes morales de droit privé », RTD civ. 2008, p. 205. 145 149 § 1 L’incohérence dogmatique d’une propriété des personnes publiques érigée en droit fondamental comparable à celle des personnes privées 160. « L’État, écrit Olivier Beaud, est omniprésent dans le droit administratif mais sa présence est cachée »148. Pour le remettre en lumière, l’auteur en propose trois acceptions : l’État-collectivité, l’État-appareil et l’État-personne. La première acception correspond à l’identité entre l’État et l’ordre juridique que proposait Hans Kelsen. Le principe libéral consiste à dissocier cette totalité sociale en deux sphères, la sphère étatique, publique, et la sphère individuelle, privée. La condition de l’autonomie de cette Société à l’égard de l’État suppose d’identifier non seulement celui-ci mais aussi l’appareil qu’il a constitué en recourant à la personnalité publique ou en utilisant la personnalité privée d’autres sujets de droit c’est-à-dire « aussi bien l’État central que tous ses démembrements et toutes les personnes décentralisées » 149 . Cet appareil étatique est un appareil de contrainte et c’est pourquoi les individus et par extension leurs groupements de droit privé ont des droits qui sont opposables à l’action publique. La propriété a été reconnue comme l’une des garanties essentielles de la liberté de l’individu, lequel peut donc opposer à l’État ce droit inviolable et sacré, naturel et imprescriptible, dont il ne peut être privé que pour des motifs d’utilité publique. Appliquer cette logique aux personnes publiques revient à rompre la cohérence de l’État de droit libéral fondé sur la différenciation de la sphère publique et de la sphère privée. Cette séparation de l’État et de la Société est le fondement de l’incompatibilité entre la personnalité publique et la reconnaissance de droits fondamentaux (A). Cette donnée s’applique à la propriété des personnes publiques dont on constate qu’elle est envisagée, spécialement en droit communautaire et européen comme une menace contre les libertés individuelles et la société économique qu’est le marché, c’est-à-dire comme une activité publique qu’il s’agit de contrôler plus que de protéger (B). D’un point de vue dogmatique, la propriété des personnes publiques apparaît donc comme ne pouvant être érigée en droit fondamental comme l’est celle des personnes privées. Olivier Beaud, « L’État », in Traité de droit administratif, op. cit., t. 1, p. 231. Il invitait ainsi à répondre à la mise en garde de Roger Bonnard suivant laquelle « on ne peut arriver à une connaissance scientifique convenable du droit administratif sans prendre appui sur une théorie du droit et de l’État », Précis de droit administratif, 3e éd., LGDJ, 1940, p. 21. 149 Ibid., p. 236. 148 150 A. Le principe libéral de séparation de l’État et de la société : fondement de l’incompatibilité entre personnalité publique et droit fondamental 161. Si le libéralisme suppose de consacrer l’autonomie de la société et les droits de l’individu, il faut encore pouvoir identifier cet État-appareil contre lequel les libertés sont proclamées. C’est par le développement de l’intervention de l’État que ce sont multipliées les missions assumées par l’appareil public et qu’aux personnes publiques plus nombreuses et diverses sont encore venu s’ajouter certaines personnes privées. L’ensemble, malgré cette hétérogénéité, présente cependant une unité qui a un fondement organique : prolonger l’action publique à partir de la compétence primordiale de l’État (1). Contre cet appareil de gouvernement et l’action publique qu’il déploie, les personnes privées qui y sont étrangères ont des droits, qu’il s’agisse de libertés, de droits fondamentaux, ou plus généralement de tous les droits publics subjectifs des administrés. La reconnaissance de droits de cet ordre aux éléments de cet appareil de contrainte qu’est l’État apparaît alors manifestement contradictoire avec le principe libéral qui en suscité la reconnaissance aux individus (2). 1) La différenciation organique de l’État-appareil : l’État, les personnes publiques et certaines personnes privées 162. Dans la conception de Georg Jellinek, l’autolimitation de l’État n’est pas un fait volontaire de celui-ci mais, si l’on suit l’interprétation qu’en donne Olivier Jouanjan, « un concept nécessaire de la science du droit » 150 . L’État est un sujet de droit dont la spécificité vient de son aptitude fondamentale à la puissance sur les personnes, l’imperium, la puissance publique. L’État devient un appareil en développant son action par le mécanisme de la délégation de missions qu’il assume et c’est ainsi que, malgré le dépassement de la personnalité publique, l’ordre juridique partiel du droit public se développe suivant une logique organique. Ainsi que le relève Denys de Béchillon, « l’État n’est pas une personne comme les autres », parce qu’il donne la mort, la confiance et la juridicité 151. C’est par son pouvoir normatif qu’il donne la mort, juridique ou physique, la confiance et la juridicité. Si l’État est une personne juridique matérielle spécifique, une personne publique sui generis parce qu’il est à lui seul le Olivier Jouanjan, « Le monde subjectif dans lequel se joue la vie du droit… Une interprétation de Georg Jellinek », in Michel Coutu et Guy Rocher (dir.), La légitimité de l’État et du droit. Autour de Max Weber, LGDJ, 2006, p. 132. 151 Denys de Béchillon, « L’État est-il une personne publique comme les autres ? », in La personnalité publique, op. cit., in fine, p. 132. 150 151 représentant d’une catégorie autonome, c’est en raison d’un élément absolument suffisant : il est le sujet de droit dont l’aptitude à la puissance n’est pas purement virtuelle et « optionnelle » mais consubstantielle. Tous les autres sujets de droit pourraient, en théorie, n’avoir aucun droit de puissance. L’État lui, n’existe comme État que si on lui reconnaît le monopole de la contrainte légitime, laquelle se traduit juridiquement par le fait qu’aucune contrainte juridique n’est possible sans que l’État ne soit intervenu pour la fonder ou la reconnaître. Au dominium qui suffit à constituer un sujet de droit, l’État ajoute nécessairement l’imperium dont il a au fil des siècles affirmé le monopole. Dans le processus de fondation de l’État, il y a toujours l’élaboration d’un statut juridique du pouvoir politique. Maurice Hauriou définit le pouvoir politique comme « celui qu’exerce un chef sur un groupement d’hommes libres en vue de la conduite du groupe vers ses destinées »152. Ces pouvoirs sont de droit lorsqu’ils « ont été légitimés par l’acceptation des sujets et par l’obligation de sujétion que ceux-ci ont contracté envers eux »153. Ce pouvoir lorsqu’il est donné à l’État prend le nom de puissance publique. Hauriou considère que la souveraineté, assimilée à la puissance publique dans ce contexte, est indivisible quant à sa jouissance, mais pas quant à son exercice. Charlotte Denizeau prolonge cette distinction entre la jouissance et l’exercice de la puissance publique. Apparaissant en « filigrane derrière les notions de pouvoirs, de compétence, d’autorité » 154 , elle définit la puissance publique en droit administratif comme « la représentation par laquelle ont été systématisées les prérogatives de puissance publique dont dispose l’administration, afin de poursuivre ses missions d’intérêt général » 155 . En cela, la puissance publique s’oppose à la souveraineté qui est une virtualité absolue signifiant que l’État « n’obéit qu’aux règles à l’effet desquelles il a consenti expressément ou par acquiescement » alors que la puissance publique « représente le pouvoir d’action juridique qui permet à ces autorités d’imposer unilatéralement des décisions aux sujets de droit et d’en ramener, le cas échéant, l’exécution par la contrainte »156. Il est possible de nous accorder en écartant le terme de souveraineté hors du droit comme nous l’avons développé et de considérer que la virtualité absolue évoquée par l’auteur est en réalité l’imperium et de conserver de ce fait une même définition de la puissance publique. Cette puissance publique est le principe du pouvoir normatif de l’État, lequel va ainsi créer de nouvelles normes, qu’elles soient d’habilitation ou substantielles. Ces normes vont alors enrichir sa propre habilitation par de nouvelles possibilités d’action, des droits subjectifs de puissance ou de propriété, ou de nouvelles règles régissant l’exercice de ses droits. Ces normes 152 Précis de droit constitutionnel, op. cit., p. 10. Idem. 154 Charlotte Denizeau, L’idée de puissance publique à l’épreuve de l’Union européenne, LGDJ, 2004, p. 3. 155 Ibid., p. 4. 156 Ibid., p. 12. 153 152 vont également pouvoir faire apparaître d’autres sujets de droit dont l’habilitation comprendra également des droits subjectifs de puissance, des droits subjectifs de propriété et des causes d’engagement de leur responsabilité. L’État n’est donc plus le seul sujet exerçant la puissance publique et plus généralement l’action publique. La multiplication des compétences a entrainé la multiplication des personnes publiques et leur exercice a même conduit à l’intervention de personnes privées. L’ensemble organique du droit public s’est donc développé pour constituer ce que Charles Eisenmann appelle l’État-appareil. C’est contre cet appareil étatique que les administrés ont la possibilité d’opposer des droits subjectifs, que l’on peut qualifier de droits publics subjectifs, dont l’objet est d’imposer aux organes de cet appareil une action conforme à l’État de droit. 163. Le dépassement du critère organique par l’intervention de personnes privées comme sujets de l’action administrative a soulevé de fondamentales interrogations en doctrine. Cependant, il est possible de ne pas ignorer le débat tout en lui apportant une explication dépassionnée et rationnelle. Il faut sans doute s’en tenir à ce que disait déjà de ce phénomène Charles Debbasch, préfaçant la thèse de Jean-Paul Négrin. Considérant, en 1971, qu’il apparaissait alors « comme la maladie honteuse de l’époque », il semblait néanmoins surévalué, « l’action administrative rest(ant) pour l’essentiel le fait des personnes administrative » 157 . L’intervention des personnes privées se produit toujours sous la maîtrise d’une personne publique préalablement compétente mais ayant habilité la personne morale de droit privé à intervenir, à l’exception de situations des plus spécifiques158. Ainsi, l’existence d’autorités administratives en dehors des organes des personnes publiques masque le fait que la puissance publique exercée l’est toujours sur le fondement d’une habilitation. Dans le cas des compétences n’impliquant pas l’exercice de prérogatives de puissance publique, c’est la notion de service public qui est la garantie du rattachement organique de l’activité à l’appareil étatique. Charles Debbasch, préface à la thèse de Jean-Paul Négrin, L’intervention des personnes morales de droit privé dans l’action administrative, LGDJ, 1971, pp. XV-XVI. 158 Jean-Paul Négrin, ibid., p. 53, Faisant référence au collaborateur occasionnel du service public, au fonctionnaire de fait, au gestionnaire de fait et à l’enrichissement sans cause. Cela rejoint d’ailleurs l’analyse de la plupart des auteurs qui rejettent le principe d’une participation spontanée et non désirée à l’action administrative. Catherine Logéat parvenait à la même conclusion en démontrant que l’affectation d’un bien à l’utilité publique suppose toujours l’intervention d’une personne publique. Catherine Logéat, Les biens privés affectés à l’utilité publique, L’Harmattan, 2011, p. 282 : « La multiplication des cas d’affectation de biens privés à l’utilité publique ne doit pas être analysée comme une dilution du critère organique. L’étude de l’affectation de cette catégorie de biens a, à l’inverse, permis de démontrer que le critère organique – entendu comme l’influence de la personne publique sur le bien et non comme la propriété d’une personne publique – revêt une incidence déterminante. Tous les cas d’affectation de biens privés à l’utilité publique révèlent la présence d’une personne publique ». Voir également Andrée Martin-Pannetier, Éléments d’analyse comparative des établissements publics en droit français et en droit anglais, LGDJ, 1966, p. 37. 157 153 Nous ferons donc nôtres, pour conclure, les propos de Pierre-Laurent Frier et Jacques Petit : « Il y a donc un mélange croissant entre administration publique et organismes de droit privé, même si ces derniers, en quelque sorte dérivés, se rattachent toujours indirectement aux personnes publiques, car ils ne sauraient intervenir en ce domaine que s’ils y ont été habilités par celles-là »159. Et cette habilitation dérivée résulte de l’exercice de l’habilitation principale qu’est la compétence de la personne publique, rattachée in fine à la compétence de l’État. 164. Le vocable d’État-appareil résulte de la combinaison de la compétence avec le mécanisme de la délégation qui situe l’ensemble des compétences du droit public dans le prolongement de l’État-personne. Préfaçant l’ouvrage de Patrice Duran intitulé Penser l’action publique, Jacques Caillosse écrit : « Certes, [l’action publique] se construit à travers des pratiques collectives où interviennent des acteurs publics et privés toujours plus nombreux et diversifiés, mais la puissance publique n’en perd pas pour autant la singularité qu’elle retire de la manœuvre du droit. Elle continue ainsi de fixer les orientations de l’action et de fabriquer les normes à travers lesquelles, en tout état de cause, celle-ci continue de cheminer »160. Ce qui fait l’unité de l’action publique, c’est donc bien qu’elle a pour point de départ la puissance publique qui en fonde le principe, qu’elle qu’en soit la forme, économique ou non, le support, personne publique ou privée et le régime, de droit privé ou de droit public. Il y a donc une profonde cohérence de la catégorie limitative des personnes publiques, une unité organique du droit public dont l’autonomie de la propriété qui ne saurait être confondue avec une liberté ou un droit fondamental est la conséquence. La catégorie des personnes privées, parce qu’elle est résiduelle, comprend des éléments perturbateurs que sont les personnes privées investies d’une missions relevant de l’action publique. En règle générale, les personnes privées sont étrangères à l’action publique et ont de ce fait des droits à lui opposer pour l’astreindre à se réaliser conformément au droit objectif. C’est pourquoi il y aurait une grande incohérence à vouloir reconnaître aux personnes publiques des droits fondamentaux, dont participe en droit privé la propriété. La propriété ne doit avoir cette qualité complémentaire que dans l’ordre juridique partiel correspondant à la Société, dont l’autonomie suppose la différenciation de l’État, et dans lequel la propriété peut être l’instrument de la liberté. En droit public, elle n’est jamais que l’instrument de l’action publique, une manifestation des pouvoirs publics. 159 160 Pierre-Laurent Frier, Jacques Petit, Précis de droit administratif, Montchrestien, 7e éd., 2012, n° 18 p. 21. Jacques Caillosse, préface à Patrice Duran, Penser l’action publique, LGDJ, 2010, pp. 10-11. 154 2) L’incohérence d’une reconnaissance de droits fondamentaux aux personnes publiques C’est en faisant proclamer et respecter par l’État ces libertés et en établissant les mécanismes et institutions destinées à les garantir que le libéralisme politique est parvenu à instrumentaliser la puissance étatique et ainsi affirmer l’autonomie de la Société par rapport à l’État (1). Reconnaître à l’État et aux personnes publiques ces libertés reviendrait à faire profiter à la puissance publique les limites qui sont censées lui être opposées. C’est cette contradiction manifeste qui rend problématique la reconnaissance des droits fondamentaux aux personnes publiques (2). a) L’instrumentalisation libérale de la puissance publique : la proclamation des droits fondamentaux et leur protection juridique 165. Proposant de « mettre en relation la constitution avec l’histoire politico-sociale », Olivier Beaud considère que « la constitution moderne témoigne de l’apparition de la distinction entre l’État et la société civile ; si elle se borne à limiter le pouvoir de l’État, c’est parce que, selon le modèle individualiste-libéral, la société doit s’auto-gouverner et que la constitution doit justement être l’un des instruments juridiques permettant la réalisation de l’autonomie de la société et des initiatives individuelles » 161 . L’histoire juridique de l’Allemagne offre une forme presque idéale de cette séparation de l’État et de la Société. Suite à l’échec du libéralisme politique après le Printemps 1848 se perpétuent des régimes monarchiques qui, bien que constitutionnellement limités, « institutionnalisent ainsi le face-à-face entre l’État et une société qui n’a pas d’emprise sur la chose publique »162. Si cela conduit à y voir une certaine contradiction entre les doctrines françaises et allemandes 163, la France et l’Allemagne ont admis ce principe d’une séparation de l’État et de la Société. C’est qu’il s’agit là d’un élément essentiel du libéralisme politique, de l’État de droit. L’État de droit formel, suivant la distinction évoquée par Otto Pfersmann, devient matériel par son enrichissement de règles qui traduisent des principes fondamentaux de son organisation. Jacques Chevallier considère que l’État de droit libéral est celui où « la règle est la non-intervention et les activités sociales sont en principes libres : l’État se voit assigner un domaine d’action exceptionnel et résiduel, couvrant les tâches socialement indispensables mais qu’il est seul à pouvoir assumer parce Olivier Beaud, « L’histoire du concept de constitution en France. De la constitution politique à la constitution comme statut juridique de l’État », Jus Politicum, n° 3, 2009. 162 Aurore Gaillet, L’individu contre l’État. Essai sur l’évolution des recours de droit public dans l’Allemagne du XIX e siècle, Dalloz, 2012, n° 136 p. 94. 163 Idem. 161 155 qu’elles touchent à la souveraineté ou à l’“ordre public” »164. Cette conception est directement liée aux considérations philosophiques de la modernité qui nous imposent pratiquement l’approche subjectiviste du droit développée au titre précédent. Il y a toujours ce renversement opéré par la modernité et par lequel « la société n’est plus pensée comme résultat d’un “pouvoir-cause” » mais où la société va, au contraire, « produire, établir le pouvoir qui l’organise »165. L’opposition de l’État et de la Société est traduite par ce premier élément, certes plus symbolique que normatif, que le premier tient son pouvoir de la seconde. La Déclaration des droits de l’homme et du citoyen traduit le principe de séparation de l’État et de la Société par des garanties offertes contre le premier. Outre le droit de résistance à l’oppression, on s’intéressera notamment à l’article 15 selon lequel « la Société a le droit de demander compte à tout Agent public de son administration ». Cet article traduit d’abord le principe selon lequel la société se distingue de l’action publique, puisque la seconde s’exerce sur la première. Ensuite, cet article fonde le principe que les membres de la société ont, sur ceux qui agissent dans le cadre de l’action publique, un droit fondamental. On peut y voir un fondement symbolique au principe général du droit au recours de l’arrêt Dame Lamotte166 et à ce même droit consacré par l’article 13 de la Convention européenne des droits de l’homme 167 . Le recours contre les actes de la puissance publique est en effet la concrétisation juridique du principe libéral garantissant l’autonomie de la Société et la garantie des droits dont elle dispose contre l’État. Il y a un droit à la légalité de l’exercice par les personnes publiques de leurs droits subjectifs. C’est ce que Norbert Foulquier a appelé les droits publics subjectifs des administrés168. Cette notion peut parfaitement s’appliquer aux droits et libertés que le droit privé peine à admettre comme étant de véritables droits subjectifs 169 en raison de « normativité incertaine » et leur « manque d’effectivité »170. Si ces droits sont rétifs à leur assimilation aux droits subjectifs habituels du droit privé, c’est qu’ils ne sont pas des droits privés mais des droits publics subjectifs. C’est d’ailleurs bien Jacques Chevallier, L’État de droit, Montchrestien, 5e éd., 2010, p. 57. Marcel Gauchet, préface à Benjamin Constant, De la liberté chez les modernes, textes choisis, Pluriel, 1981, pp. 10-11. 166 CE Ass., 17 février 1950, Ministre de l’agriculture c. Dame Lamotte, Rec., p. 110 ; RDP, 1951, p. 478, concl. J. Delvové, note M. Waline ; GAJA, 19e éd., n° 60 p. 394. 167 « Toute personne dont les droits et libertés reconnus dans la présence Convention ont été violés, a droit à l’octroi d’un recours effectif devant une instance nationale, alors même que la violation aurait été commise par des personnes agissant dans l’exercice de leurs fonctions officielles ». 168 Norbert Foulquier, Les droits publics subjectifs des administrés. Émergence d’un concept en droit administratif français du XIX° au XX° siècle, Dalloz, 2003. Norbert Foulquier a montré qu’il existe, de manière générale, un droit subjectif des administrés à la légalité dont l’objet est la puissance publique. Cf. spéc. n° 421 p. 405 pour la définition du droit public subjectif des administratifs : « Un administré est titulaire d’un droit subjectif quand il remplit les conditions lui permettant d’être considéré comme bénéficiaire du pouvoir d’exiger – reconnu par une norme générale ou individuelle, ce sans être obligé d’utiliser ce pouvoir, dans un but personnel socialement légitime -, un certain comportement de la part des personnes publiques – ce qui constitue l’objet de leur obligation - , afin de se procurer un certain avantage moral ou matériel que l’ordre juridique a, expressément ou implicitement, considéré comme licite ». 169 Julien Laurent, La propriété des droits, LGDJ, 2012, p. 3 : « quoique leur différence soit plus de nature épistémologique que substantielle, il reste perceptible chez la plupart des auteurs qu’il existe une différence entre les libertés et droits fondamentaux et les droits subjectifs ». L’auteur expose largement les débats relatifs à cette question. 170 Ibid., p. 5. 164 165 156 ce que fait la Loi fondamentale allemande, qui qualifie de droits publics subjectifs les droits fondamentaux 171 . Elle précise d’ailleurs en son article 1 alinéa 3 que « les droits fondamentaux énoncés ci-après lient les pouvoirs législatif, exécutif et judiciaire à titre de droit directement applicable ». Si les personnes publiques peuvent avoir entre elles des voies de recours permettant d’imposer le respect de la légalité, y voir plus qu’une simple communauté de technique juridique avec les personnes privées titulaires de droits fondamentaux prête à discussion, d’autant que le mécanisme conventionnel de protection des droits de l’homme est refusé aux personnes publiques et autres organisations gouvernementales participant de l’État-appareil. b) La reconnaissance problématique de droits fondamentaux et libertés aux personnes publiques 166. Il faut s’arrêter sur le sens qu’il convient de donner à la notion de liberté ou de droit fondamental(e) car, ainsi que le relève Xavier Dupré de Boulois, « tout en multipliant les références à ces notions, le législateur s'est bien gardé d'en établir une définition ou une liste »172. Cet auteur identifie une approche par laquelle « la catégorie des droits et libertés fondamentaux est déduite a priori de différentes normes de nature constitutionnelle voire conventionnelle » et « n'est pas le produit de l'observation des occurrences de ces expressions dans lesdites normes et au sein des différentes jurisprudences », notant que « la “fondamentalité” est donc d'abord une qualification doctrinale ». Une autre approche « s'évertue à “coller” au discours juridictionnel » mais se heurte alors à la discrétion et au caractère erratique de la référence au terme en jurisprudence173. La première conduit à évaluer le caractère fondamental d’un droit à l’aune des valeurs qu’il porte ou de recourir à un critère formel en fonction du texte qui en constitue la source. La seconde conduit à rechercher dans la jurisprudence l’emploi qui est fait du terme. Xavier Dupré de Boulois constate alors que le juge administratif fait un usage plus parcimonieux d’une notion qui n’a en définitive que deux fonctions : déterminer le cas de voie de fait ou la possibilité du référé-liberté. A l’inverse, les juridictions judiciaires en font un usage plus libre, multipliant les politiques jurisprudentielles que la Cour de cassation n’unifie guère, et 171 Rainer Arnold, « La protection des droits fondamentaux dans la Loi Fondamentale : jurisprudence récente de la Cour constitutionnelle fédérale allemande », RIDC, 2003, p. 679 : « Les droits fondamentaux en droit constitutionnel allemand, contenus dans les articles 1 à 9 LF et complétés par des normes objectives ayant un caractère similaire à ces derniers sous l'orme de garanties juridictionnelle en vertu des articles 101 à 104 LF, sont, d'après la tradition allemande, des droits subjectifs, c'est-à-dire des normes de protection de la liberté individuelle dont le titulaire est un individu et auxquelles l'individu peut faire appel face à l'autorité publique en cas de conflit devant un tribunal » ; voir aussi David Capitant, Les effets juridiques des droits fondamentaux en Allemagne, LGDJ, 2001 ; Laurent Eck, Abus de droit et droit constitutionnel, L’Harmattan, 2010, spéc. n° 64 p. 65. 172 Xavier Dupré de Boulois, « Les notions de liberté et de droit fondamentaux en droit privé », JCP G, 2007, I, 211, n° 2. 173 Ibid., n° 3. 157 favorisant ainsi « un développement un peu anarchique de la catégorie » 174 . En somme, la notion est relativement imprécise et se rapporte plus à un label appliqué à un droit subjectif qu’à une véritable catégorie autonome175. 167. La reconnaissance de droits fondamentaux ou de libertés aux personnes publiques n’est le fruit que d’une poignée de décisions du juge constitutionnel et du Conseil d’État qui, toutes, ont reçu un accueil extrêmement critique de la part de la doctrine176. Patrick Wachsmann , après l’étude de ces différentes décisions, considère qu’« on ne peut pas dire que le droit français abonde en droits fondamentaux reconnus aux personnes publiques, ce qui accentue d’ailleurs l’assez grande étrangeté des solutions étudiées, qui doivent certes plus à des considérations d’opportunité qu’à des réflexions de fond »177. On rejoindra ainsi l’opinion d’Etienne Picard pour qui « les droits des personnes publiques, même s’ils se voient désignés par leur objet et par les mêmes noms que ceux appartenant aux personnes privées en général et aux personnes physiques en particulier, ne sauraient avoir la même nature juridique que les droits de ces dernières » 178 . Cela nous paraît valoir au premier chef à l’égard de la propriété, reconnue comme ayant valeur constitutionnelle tant pour les personnes publiques que privée par la décision des 25 et 26 juin 1986 de Conseil constitutionnel. Rédigée avec un souci de symétrie selon Jean Rivero179, cet argument fondé sur l’idée d’un artifice rhétorique ne peut néanmoins s’appliquer qu’à la seule décision relative aux privatisations. C’est d’ailleurs ce qui conduit Yves Gaudemet à considérer que la formule, « régulièrement reprise dans les décisions ultérieures », autorise à conclure que « la conception propriétariste du droit des biens publics s’impose comme une donnée constitutionnelle acquise »180. Il en va de même de l’idée « qu’un contrôle sur la fixation du prix de cession des entreprises eût été particulièrement difficile à justifier sans le détour, assez surprenant, mais peu analysé par la doctrine, par l’attribution aux personnes publiques d’un droit de propriété » 181 . Il nous semble en revanche possible de réinterpréter cette jurisprudence à l’aune des trois fonctions que Patrick Wachsmann associe à l’application de droits fondamentaux aux personnes publiques : combler 174 Ibid., n° 21. Cf. également supra l’analyse relative à l’opportunité d’écarter les droits publics subjectifs des administrés de la catégorie des droits subjectifs par les civilistes, supra. 176 Pour le premier, décision n° 86-207 DC des 25 et 26 juin 1986, loi autorisant le gouvernement à prendre diverses mesures d’ordre économique et social. Pour le second, CE Sect., 18 janvier 2001, Commune de Venelles et Morvelli en ce qui concerne la libre administration, CE Ass. 3 octobre 2008, Commune d’Annecy, Rec. p. 322 ; RFDA, 2008, p. 1147, concl. Aguila ; p. 1240, comm. Roblot-Troisier ; JCP G, 2008.I.225, § 2, chr. Plessix ; DA, 2008, n° 152, note F. Melleray ; JCP A. 2008, 2279, note Billet ; RDP, 2009, p. 449, note Carpentier ; p. 481, note Thibaud ; RJ env., 2009, p. 219, note Champeil-Desplats ; GAJA, 19e éd., n° 114, en ce qui concerne la Charte de l’environnement ; voir aussi CE, 17 juill. 2009, Ville Brest, AJDA, 2009, p. 1605 pour le bénéfice du délai raisonnable de jugement mais sans référence à la Convention européenne des droits de l’homme. 177 Patrick Wachsmann, « Personnes publiques et droits fondamentaux », in La personnalité publique, op. cit., p. 160. 178 Art. préc., p. 662. 179 Jean Rivero, note sous décision n° 86-207 DC, AJDA, 1986, p. 584 : « Nationalisation, privatisation, les deux opérations relèvent d’idéologies politiques inverses, mais leur constitutionnalité est analysée à partir des mêmes principes, en fonction des mêmes critères ». 180 Yves Gaudemet, « Constitution et biens publics », Nouveaux cahiers du Conseil constitutionnel, 2012, p. 65. 181 Patrick Wachsmann, art. préc. 175 158 un vide, faire bénéficier les personnes publiques d’un élément du régime protecteur des droits fondamentaux ou contribuer à l’assimilation des personnes publiques aux personnes privées. La première fonction permet en réalité d’expliquer intégralement le phénomène que l’on peut observer et sans l’interpréter comme l’extension aux personnes publiques de droits fondamentaux proclamés pour leur être opposables. La nécessité de combler un vide correspond à la seconde fonction puisque devant la nécessité de protéger la propriété des personnes publiques et en l’absence d’un fondement spécifique, il fallait bien cependant parvenir à une telle protection. Cette explication autorise à écarter absolument la dernière fonction possible qui pousse à une extrémité inadmissible un positivisme formel qui en devient presque absurde. Dès lors, l’interprétation qui paraît seule véritablement admissible est bien la suivante : « seul un vide, impossible à combler autrement dans le droit applicable, peut expliquer qu’il ait fallu argumenter, dans les deux cas (propriété et liberté contractuelle), sur le terrain des droits fondamentaux »182. Or, le vide réside dans le fait que le seul texte à disposition dans le bloc de constitutionnalité est la Déclaration de 1789 qui fait de la propriété un droit inaliénable et imprescriptible, naturel, sacré et inviolable… de l’homme. L’analogie entre les droits de l’homme et les droits des personnes publiques pourrait bien être l’un de ces prodiges que rend possible l’abstraction mais au prix de quelques vertiges suscités par les conséquences qu’on pourrait devoir y attacher183. La prudence qui s’impose permet en outre de ne pas prendre des libertés inconsidérées avec le droit européen des droits de l’homme qui dénie aux personnes gouvernementales, c’està-dire toute personne publique de droit français, le bénéfice des droits et libertés qu’il garantit. C’est d’ailleurs d’une manière générale et dans toutes les branches du droit que la propriété des personnes publiques est envisagée comme une activité publique, de la puissance publique au sens organique du terme, appelant son contrôle bien plus que sa protection. B. La propriété de l’État et des personnes publiques : une activité publique sous contrôle 182 183 Idem. Nous empruntons l’expression à Jacques Bouveresse, Prodiges et vertiges de l’analogie, Raisons d’Agir, 1999. 159 168. Les individus ont une propriété qui est un instrument d’exercice de leurs autres droits fondamentaux et l’expression immédiate de leur autonomie et de leur liberté. Les personnes publiques ont une propriété qui n’est que le moyen de réaliser leurs missions. Pire, cette propriété est conçue comme une menace si bien qu’elle est soumise à un contrôle à la fois quant à son principe et quant à son exercice, particulièrement si l’on envisage le droit public économique (1). Par ailleurs, l’unité de l’État-appareil est un principe essentiel du droit international public qui conduit à priver toutes personnes publiques de droit français de la protection conventionnelle dont bénéficient les personnes privées (2). 1) La propriété de l’État et des personnes publiques placée sous le contrôle des juges internes et communautaires 169. Il faut passer rapidement sur ce point qui ne pose guère de difficulté. La propriété de l’État et des personnes publiques, dès lors qu’elle est l’instrument d’activités venant léser les droits des personnes privées est envisagée de la même manière qu’une atteinte causé par la puissance publique proprement dite. Il suffit d’évoquer à titre emblématique que les droits de la défense ont été reconnus à l’occasion d’un litige portant sur l’occupation du domaine public, c’est-à-dire dans le cadre de l’exercice du droit de propriété d’une personne publique 184. Il faut évoquer le fait que les travaux publics peuvent être à l’origine d’atteintes causées à la propriété privée et ont pu être qualifiés de voie de fait justifiant l’intervention du juge des référés 185. C’est cependant le droit public économique, tant interne que communautaire qui fait apparaître la propriété des personnes publiques comme une prérogatives éveillant plus la défiance que suscitant la volonté de la protéger. On évoquera rapidement le fait que l’intérêt financier des personnes publiques aient émergé progressivement, parce qu’il était précisément conçu comme relevant de la sphère privée et étranger à la sphère publique186. Les personnes privées concluent librement les contrats par lesquels elles répondent à leurs besoins. Les personnes publiques, elles, sont soumises aux règles de la commande publique qui encadrent l’achat public. 184 CE Sect., 5 mai 1944, Dame veuve Trompier-Gravier, Rec, p. 133. CE, ord., 23 janv. 2013, Commune de Chirongui, n° 365262, AJDA 2013, p. 788, chron. X. Domino et A. Bretonneau, RFDA, 2013, p. 299, note P. Delvolvé. 186 Cf. infra. 185 160 Enfin, si l’on pu faire l’étude des relations entre la propriété publique et le droit de l’Union européenne, c’est que les personnes publiques agissant en qualité de propriétaire appellent une vigilance de la part des institutions de l’Union. Celles-ci n’envisagent généralement les personnes « qu’en leur qualité d’opérateurs économiques », faisant preuve d’une quasiindifférence à l’égard des personnes morales de droit privé 187. A l’inverse, leur approche des personnes publiques correspond à l’idée qu’elles sont une menace pour l’ordre concurrentiel et appellent des règles plus nombreuses et une interprétation stricte 188 . Ce sont toujours les entreprises publiques qui reçoivent un traitement différent des entreprises privées, et si on encourage leur privatisation189, c’est que la propriété des personnes privées va de soi quand la propriété des personnes publiques aura toujours à se justifier. Le droit européen des droits de l’homme est à cet égard encore plus radical puisqu’il refuse le bénéfice de sa protection aux personnes publiques, sauf à ce qu’elles démontrent ne pas participer de l’État-appareil. 2) La propriété de l’État et des personnes publiques et son impossible protection par la Cour européenne des droits de l’homme 170. La Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales manifeste la séparation de l’État et de la Société. En effet, son article 34 stipule, alinéa 1er : « La Cour peut être saisie d’une requête par toute personne physique, toute organisation non gouvernementale ou tout groupe de particuliers qui se prétend victime d’une violation par l’une des Hautes Parties contractantes des droits reconnus dans la Convention ou ses Protocoles ». Partant, la sphère de l’action publique est celle qui peut, potentiellement, porter atteinte aux droits de la Société qui pourra en demander compte. Les organisations non gouvernementales, c’est-à-dire les personnes juridiques étrangères à l’appareil de chaque État sont seules titulaires du droit de se prévaloir de la Convention devant la Cour de Strasbourg et en particulier de l’article 1er du premier protocole additionnel à la Convention relatif au droit au respect des biens. A contrario, il existe donc un ensemble de personnes juridiques qui n’ont pas vocation à se présenter devant la Cour pour se prévaloir d’une violation à ce droit. Il s’agit précisément de celles qui relèvent de cet appareil étatique dont l’identification est la condition de l’autonomie de cette Société qui s’y oppose : les personnes publiques. 187 Stéphanie Pavageau, op. cit., n° 63 p. 48. Cf. Christophe Roux, Propriété publique et droit de l’Union européenne, th. préc. 189 Mickaël Karpenschif, « La privatisation des entreprises publiques : une pratique encouragée sous surveillance communautaire », RFDA, 2002, p. 95. 188 161 171. La question ne se pose guère pour l’État central qui s’est engagé à respecter les droits et libertés garantis mais n’a pas vocation à s’en prévaloir190. S’il peut en exiger le respect dans le cadre de la procédure interétatique prévue par l’article 33 191 , ce n’est que dans le but de contraindre un autre État à respecter la Convention dans l’intérêt de tiers qui seraient victimes d’une violation192. Dans l’arrêt Radio France, la Cour a cependant rappelé que les principes du droit international s’opposent à ce que l’expression « organisation gouvernementale » puisse désigner « exclusivement le Gouvernement ou les organismes centraux de l’État »193. Cela vaut tant pour les collectivités territoriales que pour toutes les personnes publiques de droit français. En ce qui concerne les collectivités décentralisées, la Commission a jugé qu’une commune exerce des fonctions publiques ce qui en fait une organisation gouvernementale dont toute requête doit être déclarée irrecevable194. Elle a ensuite considéré plus généralement que « là où il existe une répartition décentralisée du pouvoir, toute autorité nationale qui exerce des fonctions publiques est également exclue comme requérante » 195 . Si certains auteurs ont pu déplorer une telle solution vidant finalement « la notion de décentralisation de tout contenu par l’assimilation qu’elle opère entre collectivités locales et pouvoir central »196, il n’en demeure pas moins qu’une collectivité territoriale est bien un démembrement de l’État. Olivier Maetz considère qu’il y a là un vide juridique dans la mesure où « la succession de recours de collectivités territoriales se prévalant de la lésion de leurs droits par une Haute partie contractante témoigne de l’existence d’un besoin de protection des collectivités territoriales »197. Les collectivités sont un élément de l’État contractant et la Cour n’a pas à leur apporter de protection. C’est notamment la raison pour laquelle une Section de commune n’a pas à voir sa requête reçue198 même si la question s’est posée en droit interne d’une éventuelle invocabilité des dispositions de l’article 1er du premier protocole en droit interne199. Celle-ci ne vaut que pour les habitants de ces collectivités, et c’est d’ailleurs ce qui explique le seul cas d’examen d’une requête introduite par des communes au nom de leurs habitants en Suède200, une fois 190 Voir néanmoins, Antoine Pillet, « Recherches sur les droits fondamentaux des États », RGDIP, 1898, p. 66 ; Florence Poirat, « La doctrine des “droits fondamentaux des États” », Droits, 192, p. 83. 191 L’article 33 stipule : « Toute Haute Partie contractante peut saisir la Cour de tout manquement aux dispositions de la Convention et de ses protocoles qu’elle croira pouvoir être imputé à une autre Haute Partie contractante ». 192 Frédéric Sudre, Droit européen et international des droits de l’homme, PUF, 11e éd. 2012, p. 655 évoque ainsi l’idée d’une protection du « caractère objectif des droits de l’homme » et visant au maintien d’un ordre européen de protection. 193 CEDH, 23 septembre 2003, Radio France et autres c. France, req. n° 53984/00 ; Rec., 2003-X, p. 437 ; JCP G, 2004. 194 Comm. EDH, 14 déc. 1988, Commune de Rothenthurm c. Suisse, req. n° 13252/87 ; D.R. 59, p. 251. 195 Comm. EDH, 28 juin 1995, Consejo general de colegios officiales de economistas de Espana c. Espagne, req. n° 26114/95 ; D. R., 82, p. 150 ; Comm. EDH, 8 déc. 1992, Association des résidents du Quartier Pont Royal, Cne de Lambersart et autres c. France, req. n° 18523/91. 196 Frédéric Sudre, ibid., p. 666. 197 Olivier Maetz, Les droits fondamentaux des personnes publiques, op. cit., p. 269. 198 CEDH, 23 nov. 1999, Section de commune d’Antilly c. France, req. n° 45129/98. 199 Cf. supra p. 142. Les sections de communes nous semblent constituer les personnes publiques françaises les plus proches de la « transparence » avec les individus qui en sont les ayants-droit. 200 Comm. EDH, 25 nov. 1996, Könkämä et 38 autres villages Sames c. Suède, req. n° 27033.95 ; D.R., 87, p. 78. 162 encore pour invoquer le droit au respect des biens. Olivier Maetz souligne que, dans cet exemple, la solution s’explique par « la législation suédoise qui organisait un système de défense des droits des habitants par le biais de recours exercés par les collectivités », correspondant par ailleurs à une minorité. Les deux autres exceptions concernent l’Église officielle des États en cause, ce qui est à l’évidence sans objet dans la République française où a été établi le principe de séparation des Églises et de l’État201. Dans la seconde affaire, le droit au respect des biens protégé par l’article 1er du premier protocole additionnel était invoqué par des monastères dont l’État grec voulait s’emparer des biens par un dispositif législatif ingénieux. En France, on verra que le transfert à titre gratuit, c’est-à-dire la privation de propriété sans compensation, est une pratique aussi courante que les transferts de compétence à laquelle elle est liée et ne pose aucune question relative à la protection d’un quelconque droit fondamental. Le raisonnement de la Cour pour admettre le caractère non gouvernemental de ces personnes publiques nous semble tout à fait éloquent pour considérer, a contrario, que ce caractère sera refusé à toute personne publique de droit français. Tout d’abord, la Cour relève que les monastères n’exercent pas de prérogative de puissance publique, ce qui est un élément généralement admis pour les personnes publiques de droit français ce qu’on vérifiera par la suite en ce qui concerne, notamment, l’expropriation 202. La Cour constate ensuite que « leurs objectifs essentiellement ecclésiaux et spirituels, et même culturels et sociaux pour certains d’entre eux, ne sont pas de nature à les faire ranger parmi des organisations gouvernementales poursuivant des objectifs d’administration publique ». La Cour ajoute que, dans le cas des monastères grecs, la qualification de personne publique ne s’applique que par la volonté du législateur d’accorder à ces institutions religieuses la même protection contre les tiers que celle des autres personnes morales de droit public. Enfin, « relevant de la tutelle – spirituelle – de l’archevêque du lieu où ils se trouvent situés et non de celle de l’État, les monastères constituent des entités distinctes de ce dernier, à l’égard duquel ils jouissent d’une autonomie complète »203. C’est cette autonomie du même ordre que celle dont bénéficient tous les particuliers, lesquels n’ont simplement pas les privilèges que l’État a accordé à l’Église orthodoxe, qui conduit les monastères à voir leur requête accueillie. Une telle autonomie n’existe pour aucune personne publique française. La transposition apparaît donc des plus problématiques. Certes, on pourrait aller jusqu’à interpréter que les objectifs culturels ne sont pas des objectifs d’administration publique. L’interprétation semblerait néanmoins excessive, il est plus 201 Comm. EDH, 11 avril 1996, Finska Församlingen I Stockholm c. Suède, req. n° 24019/94 ; D.R., 85, p. 94 ; CEDH, 9 déc. 1994, Saints monastères c/ Grèce, série A, n° 301. 202 Cf. infra. 203 CEDH, 9 déc., Saint monastères, préc. 163 qu’improbable que la Cour utilise cet argument dans le cas d’un Établissement public de coopération culturelle français 204 . Seul, selon nous, l’Institut de France et les personnes publiques qui le composent pourraient éventuellement, mais c’est un cas d’école, faire l’objet d’une discussion. En effet, l’article 35 de la loi n° 2006-450 du 18 avril 2006 de programme pour la recherche les qualifie de « personnes morales de droit public à statut particulier placées sous la protection du Président de la République » et leur accorde une large autonomie. Cependant, elles ont bien une mission dévolue par la loi, « contribuer à titre non lucratif au perfectionnement et au rayonnement des lettres, des sciences et des arts » si bien qu’elles ne se détachent totalement de l’État dont on a vu qu’il est à l’origine de leur existence205. On pourrait arguer que l’argument ne vaut ici que dans le cadre du droit européen des droits de l’homme. Cependant, la position de la Cour traduit un principe bien établi du droit international. Ensuite, et surtout, elle manifeste une conception de l’État moderne qui conduit à faire de l’État central le siège primordial de la puissance publique, quitte à en organiser ensuite l’exercice par une organisation fédérale ou unitaire, des structures infra-étatiques ou une intégration variable dans une structure supra-étatique. L’État constitue un appareil dont l’ensemble des personnes morales de droit public constitue, en France, un élément. Cela s’oppose à l’assimilation des droits des organismes gouvernementaux à ceux des personnes privées. La protection relative de la propriété des personnes publiques contre les décisions de l’État ou des autres personnes publiques confirme d’ailleurs empiriquement les limites théoriques à cette assimilation. 204 205 Loi n° 2002-6 du 4 janvier 2002, relative à la création d'établissements publics de coopération culturelle. Cf. supra. 164 § 2 Le constat pragmatique d’une protection relative de la propriété des personnes publiques face à la puissance publique 172. Si certains arrêts 206 ont pu laisser croire que les personnes publiques pouvaient être « titulaires de droit fondamentaux en droit français », Xavier Dupré de Boulois n’en considérait pas moins pour autant qu’elles n’en étaient, après analyse, que « des titulaires de seconde zone »207. Le Conseil d’État a par la suite refusé aux personnes publiques la possibilité de se prévaloir de l’article 1er du premier protocole additionnel à la Convention européenne des droits de l’homme 208 , réaffirmant ainsi la distance qui sépare les personnes publiques des personnes privées en leur qualité de propriétaire. Ce revirement invite à n’accorder, plus généralement, qu’une portée relative aux mécanismes de protection dont peuvent bénéficier les personnes publiques propriétaires. Même s’ils sont parfois identiques à ceux dont bénéficient les particuliers il est possible de s’en tenir à l’interprétation la plus stricte : ces mécanismes leurs sont offerts. Ce n’est donc pas parce que les personnes publiques auraient les mêmes droits que les particuliers qu’elles disposent de ces voies de droit. Les personnes publiques n’ont pas de droits fondamentaux. Il est seulement apparu préférable au juge, en l’absence de mécanismes de droit public appropriés, de ne pas laisser des décisions manifestement illégales sans disposer d’un contrôle juridictionnel adéquat. En somme, le fait qu’il s’agissait de protéger la propriété des personnes publiques est une donnée secondaire par rapport à l’objectif de simple soumission au droit de l’administration responsable de cette atteinte. Cela n’autorise donc pas à assimiler la propriété des personnes publiques à celle des personnes privées (A). Le peu de cas qui est fait de la propriété des personnes publiques secondaires lors de transferts de compétences est d’ailleurs la confirmation définitive de ce que la propriété des personnes publique n’est qu’un instrument, une modalité de l’action administrative (B). CE, 29 janvier 2003, Commune d’Annecy, Commune de Champagne-sur-Seine (deux espèces), n° 247909, Rec., p. 4 ; AJDA, 2003, p. 613, concl. L. Vallée ; F. Melleray, « L’invocabilité de la Convention européenne des droits de l’homme par les collectivités territoriales », LPA, 18 août 2003, p. 3 ; O. Dubos, « Les collectivités locales et la Convention européenne des droits de l’homme », JCP A, 2003, p. 994 ; DA, 2003, p. 16, comm. V. Tchen. 207 Xavier Dupré de Boulois, « Personnes publiques, droits fondamentaux et convention européenne des droits de l’homme », RDP, 2004, p. 545 et 560. Voir aussi Franck Moderne, « Bénéficiaires ou titulaires des droits fondamentaux. Rapport français », AIJC, 1991, p. 244. 208 CE Sect., avis, 26 juillet 2005, relatif au terrain d’assiette du Grand-Palais, n° 371615 ;EDCE 2006, p. 193 ; DA, 2006, comm. 76 ; CE, 23 mai 2007, Département des Landes et autres, n° 288378, AJDA, 2007, p. 1646, note N. Merley ; O. Maetz, « Les collectivités territoriales peuvent-elles se prévaloir du premier protocole additionnel à la convention européenne des droits de l’homme ? », AJDA, 2008, p. 562 ; X. Dupré de Boulois, « Les personnes publiques et la Convention européenne des droits de l’homme : un peu, beaucoup, pas du tout ? », AJDA, 2008, p. 1036, JCP A, 2007, comm. 2168, obs. M.-C. Rouault, concl. I. de Silva. 206 165 A. La portée limitée du bénéfice de certaines voies de recours quant à la valeur de la propriété des personnes publiques 173. Il convient de faire l’état des lieux des rapports juridictionnels entre personnes publiques sur la base desquels ont peut s’interroger sur la valeur de la propriété des personnes publique (1). Il s’agira dans un second de faire apparaître l’interprétation ne leur conférant qu’une portée réduite, consistant simplement à admettre l’existence de voies de droit permettant d’imposer le respect de leur propriété à d’autres personnes publiques, mais n’admettant pour autant d’assimiler la propriété des personnes publiques à la propriété privée et sa relation étroite avec la liberté individuelle (2). 1) Les recoures entre personnes publiques : un simple approfondissement de l’État de droit 174. Ainsi que le relèvent les commentateurs des Grands arrêts, « l’arrêt Commune de Néris- les-Bains se situe à l’origine de la jurisprudence relative à la recevabilité du recours pour excès de pouvoir intenté par une autorité administrative contre les actes d’une autre autorité administrative »209. Le phénomène d’un contentieux interne aux éléments de l’État-appareil est donc vieux de plus d’un siècle. Il connaît aujourd’hui des développements liés à l’augmentation des tensions entre l’État central et les collectivités territoriales devenues plus autonomes au gré de la décentralisation, tensions ellesmêmes déterminées par la crise des finances publiques210. Dès 1919 le Conseil d’État a imposé à l’État le respect de la personnalité juridique des communes, malgré le régime de la tutelle qui prévalait alors et à l’encontre d’une mesure d’application de la loi 211 . La décentralisation impose évidemment un renforcement de cette reconnaissance de la personnalité des personnes publiques secondaires et l’on comprendra donc ainsi la décision du Conseil d’État de reconnaître la libre administration des collectivités comme une liberté fondamentale212. Cette reconnaissance ne vaut seulement, il faut le souligner, qu’au sens de l’article L. 521-2 du Code des juridictions administratives. Par ailleurs, si la méthode téléologique d’interprétation reste pertinente, il faut sans doute accorder quelque importance au fait que « les 209 Comm. sous CE, 18 avril 1902, Comme de Néris-les-Bains, Rec., p. 275, S., 1902.3.81 note Hauriou ; Rev. gén. d’adm., 1902.2.297, note Lejouix, GAJA, 19e éd., 2013, p. 57. 210 Olivier Carton, « Les rapports financiers entre l’État et les collectivités territoriales : de la mésentente administrative à la guérilla politique ? », RLCT, 2010, p. 56. Benoît Plessix a ainsi pu parler de « juridictionnalisation des rapports entre personnes publiques », chron. sous CE, 24 novembre 2008, Syndicat mixte d’assainissement de la région du Pic-Saint-Loup, JCP G, 2009, n° 13, p. 28. 211 CE, 7 mars 1919, Commune de Cons-la-Grandville, S., 1922.III.9, note M. Hauriou ; RDP, 1920, p. 94, concl. L. Blum. 212 CE Sect., 18 janvier 2001, Commune de Venelles et Morvelli, Rec., p. 18 ; RFDA, 2001, p. 378, concl. Touvet ; p. 681, note Verpeaux ; AJDA, 2001, p. 153, chr. Guyomar et Collin ; D., 2002, p. 2227, obs. Vandermeeren ; LPA, 12 fév. 2001, note Chahid-Nouraï et Lahami-Dépinay, GAJA, 19e éd., n° 103, pp. 778 et s. 166 rédacteurs de la loi du 30 juin 2000 visaient expressément l’hypothèse d’un référé exercé à l’encontre d’une personne publique »213 et nullement l’hypothèse où elles l’introduiraient. Que le Conseil ait admis la possibilité ne doit pas être interprété de manière excessive. Le Conseil d’État fait ici un choix purement pratique, et ne tranche pas un débat théorique. Cependant, si les personnes publiques ont des droits à faire valoir contre l’État et les autres personnes publiques, il y a un pas supplémentaire pour considérer qu’il s’agit là de droits fondamentaux. Ces procédures mettent sans doute « le pouvoir de contrainte de l’État à l’épreuve »214, mais elles ne consacrent pas pour autant une quelconque valeur et solennité à la propriété des personnes publiques. Par ailleurs, si la propriété doit « se décliner comme l’une des formes de la liberté, celle de disposer librement de ses biens » 215 et si, dès lors, le référé-liberté doit la protéger pour toute personne juridique 216 , on y verra là encore confirmation que la propriété est fondamentale à titre de mécanisme juridique avant d’être consacrée comme un droit fondamental. Le premier élément concerne tous les sujets de droit, dont les personnes publiques, le second n’a pas vocation à concerner ces dernières. 175. « Liés à raison de leur objet »217, le référé-liberté est rejoint par la voie de fait dont la Cour de cassation, dans un arrêt du 28 novembre 2006, a admis la possibilité entre une commune et un département 218 . Cette décision mérite qu’on s’y attarde dans la mesure où elle pourrait créditer la thèse que la propriété est toujours la propriété, et toujours une liberté fondamentale. On relèvera cependant que la restriction de la voie de fait opérée récemment par le Tribunal des Conflits rend la solution caduque car ne correspondant pas à une extinction du droit de propriété219. Camille Broyelle résume ainsi les faits de l’affaire : « Des gens du voyage s'installent dans la commune de Saint-Maur-des-Fossés, sur un terrain appartenant au département du Val-de-Marne. Celui-ci entend les accueillir ; celle-là veut les déloger. Elle interdit le séjour des nomades, installe à l'entrée du terrain divers engins destinés à en obstruer l'accès et suspend le raccordement aux réseaux d'eau, d'électricité et 213 Olivier Maetz, Les droits fondamentaux des personnes publiques, op. cit., p. 236. Laëtitia Janicot, « Le conflit au service minimum d’accueil. Le pouvoir de contrainte de l’État mis à l’épreuve », AJDA, 2009, p. 292. 215 Michel Verpeaux, « Le juge administratif, gardien du droit de propriété », RFDA, 2003, p. 1096. 216 Jérôme Trémeau, « Le référé-liberté, instrument de protection du droit de propriété », AJDA, 2003, p. 653. 217 Michel Verpeaux, « Voie de fait et liberté fondamentale », AJDA, 2008, p. 885. 218 Cass. civ. 1re, 28 nov. 2006, Cne de Saint-Maur-des-Fossés, Bull. civ. 2006, I, no 529 ; AJDA, 2006, p. 2421, obs. M.-C. de Montecler ; JCP A 2007, 2118, note O. Renard-Payen ; JCP A, 2007, 2142, note Ph. Yolka ; JCP G, 2007, IV, 1006, obs. M.-C. Rouault ; RDP, 2007, p. 1335, note C. Broyelle. 219 TC, 17 juin 2013, Bergoend c. ERDF Annecy Léman, n° 3911, AJDA, 2013, p. 1568, chron. X. Domino et A. Bretonneau, AJDI, 2014 ? p. 124, étude S. Gilbert ; RFDA, 2013, p. 1041, note P. Delvolvé. 214 167 d'évacuation. Saisi par le département, le juge judiciaire ordonne qu'il soit mis fin au siège »220. Cependant, si l’auteur voit dans cet arrêt de la Cour de cassation la confirmation de ce que la propriété est protégée à un titre égal quel que soit le propriétaire en cause et ainsi une banalisation de la propriété publique, il nous semble que la conclusion mérite réflexion. Philippe Yolka, analysant cette curiosité accordait à l’arrêt un intérêt théorique majeur dont l’interprétation ne serait cependant pas univoque : « suivant les points de vue, l'on y décèlera une regrettable dénaturation de la voie de fait administrative ou une utile contribution à la théorie des droits fondamentaux des personnes publiques »221. Il semble possible de privilégier une voie médiane dans la mesure où la propriété est sans doute « un droit fondamental à valeur constitutionnelle » comme le décide la Cour de cassation mais qu’il n’y a pas en l’espèce reconnaissance d’une liberté proprement dite. Le Conseil d'État a également pu ordonner par la voie du référé liberté l'expulsion d’occupants sans titre du domaine privé de Gaz de France, dont le juge judiciaire avait ordonné le départ222. La chose n’avait cependant rien d’évident comme en témoigne la jurisprudence antérieure qui avait refusé l'application du déféré préfectoral suspensif prévu pour atteinte à une liberté publique ou individuelle demandée par Électricité de France en qualité de propriétaire223. Si l’on fait abstraction de la compétence du juge judiciaire dont on développera la portée sur l’autonomie de l’action des personnes publiques propriétaires en seconde partie, une interprétation nuancée s’impose. Le problème qui se pose est toujours le même que dans l’arrêt de 1902 quant aux possibilités pour une personne publique d’introduire un recours contre l’État ou une autre personne publique. En effet, il nous semble que toutes ces affaires ont en commun d’imposer aux personnes publiques l’exercice de leur compétence conforme au droit et de permettre l’exercice de sa compétence par une autre personne publique dans les mêmes conditions conformes à la légalité. 2) La distinction entre l’admission d’une procédure initialement conçue pour protéger les libertés et l’extension de son objet aux personnes publiques 176. Olivier Maetz constate : « Dans le cadre du contrôle de la constitutionnalité des lois ou de l’examen d’une question prioritaire de constitutionnalité, le Conseil constitutionnel accepte d’examiner le moyen tiré de la violation d’un droit fondamental d’une personne publique. Saisi d’un recours pour excès de pouvoir ou d’un 220 Camille Broyelle, « La voie de fait et la protection de la propriété publique », RDP, 2007, p. 1355. Philippe Yolka, « Une curiosité : la voie de fait entre personnes publiques », JCP A, 2007, 2142. 222 CE, ord., 21 nov. 2002, Gaz de France, Rec., p. 408 ; AJDA, 2002, p. 1368, note M.-C. de Montecler ; JCP A, 2002, 1350. 223 CE, 25 févr. 1983, Assemblée de Corse, Rec., p. 82. 221 168 référé-liberté, le juge administratif est également susceptible de protéger un droit fondamental d’une personne publique. La constatation d’une voie de fait devant le juge judiciaire permet également à une personne publique d’être rétablie dans ses droits fondamentaux ». Il considère que ces voies de droit constituent « le système interne de protection juridictionnelle des droits fondamentaux des personnes publiques » 224 . Cette interprétation nous semble aller bien au-delà de ce qu’impose la prise en compte de ces mécanismes de protection. Il n’y a là que des manifestations du fait que les personnes publiques sont des sujets de droit. De ce seul fait elles sont nécessairement propriétaires et la protection de leur propriété s’impose dès lors que ce serait là nier leur existence même que de leur refuser une telle protection. En induire que leur propriété est la même que celle des particuliers et bénéficie de la même protection consiste à conférer une portée théorique à un choix de politique jurisprudentielle qui avait une vocation purement instrumentale. Il faut bien admettre que tant pour la contestation d’une voie fait, l’introduction d’un référé-liberté ou un simple recours en excès de pouvoir, en refuser le bénéfice aux personnes publiques serait pour le moins problématique en pratique et peu justifiable d’un point de vue théorique, sauf à ce qu’il existe des voies propres à l’action publique pour y parvenir. C’est d’ailleurs sans doute parce que de telles voies produiraient le même résultat mais en donnant une satisfaction purement théorique qu’on n’en voit pas la nécessité. Mais il faut se garder de tirer de l’utilité pratique du référé-liberté au bénéfice d’une personne publique contre une autre des conclusions inconsidérées. La propriété privée a été consacrée en 1789 comme un droit inaliénable et sacré de l’homme et elle demeure, malgré les atteintes qu’elle peut subir comme toute autre liberté, un droit fondamental opposable à la puissance publique. A l’inverse, la propriété des personnes, si elle a été « banalisée » pour une part, n’appelle pas une telle valorisation culturelle et politique. Ainsi que le souligne Pierre Soler-Couteaux, on pourrait bien voir dans « l’invocabilité des droits fondamentaux par les personnes publiques au nom de leur prétendue banalisation (…) la manifestation d’une manifestation dégradée de l’individu, dont le statut ne serait pas suffisamment émergent pour que lui soient reconnus des droits fondamentaux qui lui appartiendraient en propre »225. Il est sans doute préférable par conséquent de conserver pour la propriété des personnes publiques la valeur qu’elle a toujours eu : un instrument d’exercice de leur compétence. On le vérifie à nouveau par l’observation des possibilités pour l’État d’organiser la répartition des biens et l’exercice de la propriété en rapport aux compétences dévolues aux personnes publiques. 224 225 Olivier Maetz, Les droits fondamentaux des personnes publiques, LGDJ-Fondation Varenne, 2011, p. 211. Préface à Olivier Maetz, ibid., p. XV. 169 B. Une protection négligeable lors du contrôles des transferts de compétences entre personnes publiques 177. Olivier Maetz, bien qu’il soit favorable à l’idée de droits fondamentaux des personnes publiques, admet cependant qu’ils « s’inscrivent toutefois dans le domaine finalisé de la compétence et ne remettent pas en cause le pouvoir de l’État d’aménager les compétences des personnes publiques »226. Il y a là plus qu’une nuance en ce qui concerne la propriété en particulier. Le pouvoir de l’État sur la répartition des biens des personnes publiques propriétaires est sans commune mesure avec le pouvoir normatif dont il peut faire usage pour régir la propriété des personnes privées. L’existence d’un contrôle constitutionnel des transferts de propriété opérés par l’État (1) doit par conséquent recevoir une interprétation interdisant définitivement toute assimilation de la propriété des personnes publiques à la propriété privée envisagée comme un droit fondamental (2). 1) L’absence de protection effective de la propriété des personnes publiques lors des lois de répartition des compétences 178. C’est en raison d’un mécanisme juridique du même ordre que celui par lequel a pu être construite la notion de personne humaine que la propriété privée est devenue un droit fondamental bénéficiant d’une protection renforcée. En effet, la propriété est enrichie de considérations sociales et philosophiques. C’est en raison de ces considérations que la propriété devient notamment « privée », au sens d’étrangère à la sphère publique. Réapparaît alors l’opposition fondamentale entre la Société et l’État. La propriété privée, c’est celle des membres de cette Société, et s’ils ont besoin d’avoir non pas un simple instrument de la technique juridique mais un véritable droit fondamental, c’est que cette propriété est sous la menace constante de l’État, des gouvernants. Le droit de propriété est un droit fondamental, un élément essentiel des sociétés libérales : « “Naturel”, “imprescriptible”, “inviolable”, “sacré”, “absolu”, le moins qu’on puisse dire est que la Constitution et le Code civil ne sont pas avares de superlatifs pour désigner le droit de propriété mais cette emphase lyrique est proportionnelle à l’ampleur et à la fréquence des atteintes qui lui sont pratiquement 226 Olivier Maetz, Les droits fondamentaux des personnes publiques, op. cit., p. 217. 170 portées »227. Cette valeur fondamentale accordée à la propriété dans nos sociétés libérales où le primat de l’individu est affirmé n’est pas remise en cause par les atteintes que ce droit subit. Il est comme tout droit soumis à un régime juridique qui en est la limite. Le mythe du droit absolu a fait long feu : « “étiolement”, “dépérissement”, “droit relatif”, “droit subalterne”, “droit de second rang”, telles sont – toujours selon Anne-Marie Le Pourhiet – les expressions fréquemment rencontrées dans les récits du fabuleux destin du droit de propriété »228. L’auteur souligne bien cependant que c’est là le trait de pratiquement tous les droits et libertés. Dans le même sens, René Hostiou remarque ainsi que, malgré ces manifestations de son déclin, le droit de propriété, « s’il n’a jamais été absolu, figure cependant au rang des fondements de l’organisation sociale qui est la nôtre » 229 . Il faut donc nuancer largement le propos de Jean-François Lachaume et d’Hélène Pauliat s’interrogeant sur le caractère fondamental du droit de propriété privée et dénonçant « la banalisation du droit de propriété (en faisant) un droit relatif qui doit se combiner avec d’autres droits, d’autres objectifs d’intérêt général plus qu’il ne s’impose à eux »230. C’est toutefois en raison de telles appréciations, qui ne sont pas sans rappeler les analyses de René Savatier sur la publicisation du droit civil231, qu’il « est traditionnel de considérer que (les) garanties ne représentent finalement qu’un bien faible rempart face à la multitude des assauts dont fait l’objet le droit de propriété au nom de l’intérêt général »232. L’idée que la propriété doit se conformer aux impératifs de la vie en société a donné lieu à différentes analyses. Elles ont toutes conduit à mettre en avant la dimension sociale de la propriété. Cependant, la propriété privée ne peut pas être considérée comme une fonction sociale233. En effet, la propriété donne lieu à l’exercice de libertés qui sont protégées directement, sans qu’il soit besoin d’évoquer le droit de propriété en tant que tel. C’est l’analyse que faisait Jean Morange à la préface de la thèse d’Hélène Pauliat : « Le droit de propriété est presque toujours envisagé comme un droit économique, et très rarement comme le support d’autres droits et libertés. Ses liens avec l’inviolabilité du domicile, le secret de la correspondance, ou, plus largement, la protection de la vie privée, n’ont 227 Anne-Marie Le Pourhiet, « Le droit de propriété : du sacré au profane », dans Actes du symposium européen Droit de propriété, chasse et environnement (symposium tenu le 23 septembre 2002), Conseil International de la Chasse, Fondation de la maison de la chasse et de la nature, 2003, p. 16. 228 Idem. 229 Préface à la thèse de Jean-François Struillou, Protection de la propriété privée immobilière et prérogatives de puissance publique, L’Harmattan, 1996. 230 Jean-François Lachaume, Hélène Pauliat, « Le droit de propriété est-il encore un droit fondamental ? », in Droit et politique à la croisée des chemins, Études en l’honneur de Philippe Ardant, LGDJ, 1999, p. 373. 231 Cf. supra. 232 Stéphanie Pavageau, op. cit., n° 295 p. 204. 233 Pour une discussion récente de la question cf. Jean-François Struillou, Protection de la propriété privée et prérogatives de puissance publique, L’Harmattan, 1996, p. 19 et s., rejoignant l’interprétation mesurée de François Bouyssou : « le Conseil constitutionnel n’est nullement insensible à l’évolution de la société, et au caractère non absolutiste du droit de propriété, qui doit être combiné et concilié avec d’autres impératifs de la vie sociale », « Les garanties supralégislatives du droit de propriété », D., 1984 chron., p. 131. 171 sans doute pas suffisamment retenu l’attention des publicistes contemporains »234. Or, une lettre est un bien meuble dont on est propriétaire et son ouverture par un autre est une atteinte à l’exclusivisme du propriétaire. De même, le domicile est un immeuble où toute intrusion non consentie est une violation de propriété. Le choix de la protection d’une autre liberté révèle que la propriété est trop omniprésente sur la vie juridique pour que son régime soit pertinent du point de vue des valeurs. Cela témoigne aussi de ce que la « question sociale » légitime que la propriété des uns soit mise au service de l’indigence des autres ou des besoins de l’intérêt général. Seulement, l’intérêt général invoqué se démontre, et cela sous le contrôle des juges. Or, la protection des personnes publiques propriétaires est pour le moins relative. 179. La propriété privée n’est pas un droit intangible et rend donc légitime les ingérences de l’État pour autant que celui-ci demeure dans les limites qu’il s’impose à travers les juridictions nationales et internationales protégeant ce droit. Qu’il s’agisse d’une privation ou d’une atteinte de la propriété, celle-ci fait l’objet d’un contrôle en droit interne ou en droit externe. En ce qui concerne le Conseil constitutionnel, Hélène Pauliat commentait en 2011 que, « par quatre décisions rendues sur questions prioritaires de constitutionnalité, le Conseil constitutionnel a conforté sa jurisprudence en matière de propriété. Ce droit n’est pas absolu et peut faire l’objet de restrictions, dès lors que son sens et sa portée n’en sont pas dénaturés »235. Certes, l’auteur relève que les critères de conformité sont souples et que, ainsi, le Conseil consacre une évolution de la propriété vers une prise en considération accrue des responsabilités sociales qui pèsent sur les propriétaires. Néanmoins, les critères demeurent et la propriété de même. En conclusion, la propriété est peut-être un droit encadré et partant relatif, parce qu’ayant un régime juridique riche et complexe, elle n’en reste pas moins un droit fondamental figurant en première place dans la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen. L’analyse de la jurisprudence du Conseil constitutionnel en ce qui concerne la propriété des personnes publiques ne permet pas de parvenir aux mêmes conclusions. 180. Les relations patrimoniales entre personnes publiques sont longtemps restées « secondaires pour des personnes préoccupées, de par leur objet, plus par l’exercice de la puissance publique que par le commerce juridique » écrivait Nathalie Bettio avant de démontrer que ces relations, loin d’être étrangères à Hélène Pauliat, Le droit de propriété dans la jurisprudence du Conseil constitutionnel et du Conseil d’État, PUF, 1994, tome I, pp. VI-VII. 235 Hélène Pauliat, « Le caractère absolu ou relatif du droit propriété ? – L’acceptation constitutionnelle de limitations justifiées et proportionnées », JCP A, 2011, p. 2366, commentaire des décisions n° 2011-169 QPC, 2011-172 QPC, 2011-176 QPC, 2011-182 QPC. 234 172 l’action publique en sont un élément fondamental236. Elles sont par ailleurs conflictuelles. Elles révèlent que la France reste un État unitaire proclamant une organisation décentralisée avec la toute la solennité possible, sans doute tenter d’en faire une réalité. L’État reste le maître des compétences et par conséquent des biens qui en sont le moyen d’exercice sans que les collectivités ne puissent s’y opposer. Il revient donc aux citoyens de faire pression dans un sens ou dans l’autre, question qui ne relève pas du contrôle juridictionnel. Le Conseil d’État a explicitement considéré à l’occasion d’un litige portant sur le transfert autoritaire237 de certaines portions de routes nationales au département des Landes que l’article 1er du premier protocole additionnel à la Convention européenne « ne crée pas de droits dont les collectivités territoriales puissent se prévaloir »238. La loi du 13 août 2004 ayant fait l’objet d’un contrôle a priori 239 à l’occasion duquel cette question n’a pas été soulevée, le Conseil a fait application de la théorie de la loi écran et refusé de vérifier la conformité du transfert aux articles 2 et 17 de la Déclaration des droits de l’homme240. Il nous faut donc évoquer les autres cas où l’État a, par la loi, décidé de mettre les biens d’une personne publique en conformité avec l’organisation des compétences qu’il a décidé d’établir. Lors du contrôle de constitutionnalité a priori de la loi relative à l'organisation et à la régulation des transports ferroviaires, le Conseil constitutionnel a validé l’idée que l’État dispose souverainement des biens des personnes publiques lorsqu’il organise la répartition des compétences 241 . Ainsi que le relève Fabien Hoffmann, ce résultat n’a pu être atteint que relativisant très largement l’exigence de protection des propriétés publiques 242 . Si le Conseil reprend la référence aux articles 6 et 13 de la Déclaration de 1789 et des articles 2 et 17, il n’évoque plus l’idée d’un « titre égal » entre la protection accordée aux personnes privées et celle accordée aux personnes publiques243. Cependant, son contrôle fait apparaître que la propriété n’est que très relative dans la protection qui doit y être associée. En effet, la rédaction du 236 Nathalie Bettio, La circulation des biens entre personnes publiques, LGDJ, 2011, n° 1 p. 1. L’article 18 de la loi du 13 août 2004 prévoit certes que les départements seront consultés et rendront un avis, mais ainsi que le jugera le Conseil d’État, le transfert « n'est pas subordonné à l'accord des départements intéressés ». 238 CE, 23 mai 2007, Département des Landes et autres, JCP A, 2007, act. 559 ; JCP A, 2007, 2168, concl. Isabelle de Silva ; N. Merley, « Le recours contre la décentralisation des routes est rejeté », AJDA, 2007, p. 1646 ; O. Maetz, « Les collectivités territoriales peuvent-elles se prévaloir du premier protocole additionnel à la Convention européenne des droits de l’homme ? », AJDA, 2008, p. 562. 239 Décision n° 2004-503 DC du 12 août 2004, Loi relative aux libertés locales. 240 Dans le même sens, CE, 19, nov. 2008, Communauté urbaine de Strasbourg, n° 312095 ; AJDA, 2008, p. 2203 ; AJDA, 2009, p. 425, note M. Verpeaux ; DA, 2009, p. 425, comm. n° 2. 241 Décision n° 2009-594 DC du 3 décembre 2009, Loi relative à l'organisation et à la régulation des transports ferroviaires et portant diverses dispositions relatives aux transports ; Fabien Hoffmann, « La propriété publique à l’épreuve de la circulation des biens entre personnes publiques », D.A., 2010, étude 16. Voir aussi Christophe Barthélémy et Aurore-Emmanuelle Rubio, « Le transfert, par la loi du 8 décembre 2009, des ouvrages du STIF à la RATP. Le Conseil constitutionnel a-t-il ressuscité la théorie de l’unité du domaine public pour pallier l’impossibilité de l’exproprier ? », RFDA, 2010, p. 62 ; Caroline Chamard-Heim, « Les transferts gratuits et forcés de biens entre personnes publiques : la contribution du Conseil constitutionnel », RJEP, 2010, n° 676, comm. 33. 242 Fabien Hoffmann, préc., n° 3 p. 8. 243 Pour Fabien Hoffmann, il y a par ailleurs un glissement vers une protection des biens, moins forte selon lui que la protection de la propriété. Une telle interprétation semble néanmoins isolée. 237 173 Conseil fait apparaitre que le respect de cette protection est acquis dès lors qu’il y a eu en parallèle transfert des droits et obligations et par ailleurs maintien de l’affectation au service public. Il ne nous semble pas possible de considérer, comme le propose Élise Langelier, de considérer qu’à un même fondement correspond « un parallélisme des règles de fond et de compétences »244. Dans le cas du transfert des matériels roulants, cette fois du patrimoine de la Société du Grand Paris à celui du Syndicat des transports d’Ile-de-France, le Conseil constitutionnel s’est ainsi fondé uniquement sur la libre administration des collectivités, ne mentionnant même pas, ni le principe d’incessibilité, ni la protection de la propriété 245. L’article 17 de la Déclaration des droits l’homme n’apparaît guère opérant dans les rapports entre personnes publiques. Qu’il s’agisse de les forcer à acquérir, à céder ou à réaffecter certains de leurs biens, les décisions de l’État qui effectue ces opérations sont manifestement des atteintes à leur droit de propriété dont le Conseil constitutionnel considèrerait à n’en pas douter qu’il conduirait à sa dénaturation si des personnes privées en étaient les « victimes ». Dans ces rapports institutionnels entre personnes publiques, la propriété dans ce qu’elle a de plus essentiel, la garantie contre les privations autoritaires et le principe de libre disposition, ne reçoit aucune protection constitutionnelle. Si avec le développement « d’une véritable subjectivisation (…) le commerce juridique devient désormais l’état naturel des relations qui se nouent entre (les propriétaires publics) à l’occasion de la circulation courante des biens publics »246, force est donc de constater que l’État reste le détenteur d’un pouvoir incommensurable. La décision relative au transfert par la loi et sans indemnité des biens des sections de communes aux communes a été l’occasion de confirmer l’absence d’une protection comparable des biens des personnes publiques. Certes, le Conseil vérifie que le législateur n’opère pas une forme de détournement de pouvoir en exigeant que la loi poursuive un but d’intérêt général en procédant au transfert. En dehors de cela, aucune indemnisation n’est exigée et cela signifie que les collectivités publiques ne jouissent des mêmes garanties contre les privations de leur droit de propriété que les personnes privées pour le leur 247. Les suites jurisprudentielles à la décision de 1986 ont donc montré que l’idée d’un « titre égal » de protection était erronée et qu’il était préférable d’abandonner l’expression 248 . Le commentaire de la QPC de 2011 aux cahiers du Conseil constitutionnel indique d’ailleurs que la 244 Élise Langelier, « Existe-t-il un statut constitutionnel du droit administratif des biens ? », RDP, 2011, p. 1493. Décision n° 2012-277 QPC du 05 octobre 2012, Syndicat des transports d'Île-de-France [Rémunération du transfert de matériels roulants de la Société du Grand Paris au Syndicat des transports d'Île-de-France]. 246 Nathalie Bettio, op. cit., p. 344. 247 Décision n° 2011-118 QPC du 8 avril 2011, Lucien M. ; Fabien Hoffmann, DA, n° 6, juin 2011, comm. 56. 248 Telle est la conclusion de l’étude de Rozen Noguellou, « Le droit des propriétés publiques, aspects constitutionnels récents », AJDA, 2013, p. 986. 245 174 décision « s’inscrit dans un mouvement jurisprudentiel visant à différencier le régime de la protection constitutionnelle des biens des personnes privées et celui des personnes publiques » et que le Conseil a ainsi entendu restreindre « cette notion d’ “égalité” de protection en s’attachant à reconnaître une importance croissante à la référence au principe d’égalité devant les charges publiques pour fonder la protection constitutionnelle des personnes publiques » 249 . On rejoindra sur ce point la doctrine institutionnelle quant à la portée qu’il convient de donner à sa propre jurisprudence. 2) La portée des décisions du Conseil constitutionnel : la différenciation de la propriété des personnes publiques, instrument de l’action publique 181. Ces décisions confirment la conclusion de Fabien Hoffmann : « Ni le droit de propriété, ni les principes de la domanialité publique n’empêchent que le législateur distribue les biens de personnes publiques entre elles sans aucune limite, si ce n’est celle tirée de la protection de l’affectation – somme toute assez relative du fait de la théorie des mutations domaniales » 250. Cet auteur poursuivait la réflexion à partir du lien classiquement établi entre la propriété et la personnalité, considérant que « la dilution ainsi entreprise du droit de propriété est un facteur d’instrumentalisation de la personnalité publique »251. Il déduit ainsi de cet affaiblissement de la propriété des personnes publiques devant l’État que, « sans nier la personnalité juridique, le Conseil constitutionnel la réduit à n’être qu’une modalité d’organisation de l’État » dont la personnalité est finalement la seule qui compte. Paraphrasant Hauriou, il évoque l’interprétation suivante de la décision commentée : « c’est la théorie de la personnalité de l’État qui comprend tout, explique tout, organise tout. Les autres personnes publiques n’en sont que les démembrements et l’octroi de la personnalité est une prérogative de protection de l’État qui ne saurait dégénérer en une sujétion »252. L’approche que nous avons développée dans l’ensemble des développements qui précèdent confirme cette hypothèse en lui donnant une portée toutefois plus large encore. L’État est habilité en quelque sorte par la compétence primordiale, car il est lui-même la personne publique primordiale. C’est lui qui crée toutes les autres compétences et avec elles les autres personnes publiques. Cela ne nie pas la personnalité juridique des personnes publiques, ni Commentaire aux Cahiers de la décision n° 2011-118 QPC, M. Lucien M., pp. 7-8. Si l’auteur évoque l’idée d’une protection accrue des biens du domaine privé « puisque la poursuite d’un objectif d’intérêt général est une condition sine qua non » à la constitutionnalité de leurs transferts. Sauf à sous-entendre qu’un transfert de biens du domaine public relève de la pure opportunité de la part du législateur, il ne semble que ces exigences accrues ne conduisent à faire du domaine privé un objet de protection comparable aux biens privés. 250 Fabien Hoffmann, préc., n° 14 p. 11. 251 Idem. 252 Ibid., n° 15 p. 12. 249 175 même leur propriété qui lui est consubstantielle. Cela fait cependant de leur puissance sur les choses, à l’instar de leur puissance sur les personnes, une puissance publique253. 182. D’ailleurs, lorsqu’il s’agit d’opposer leur qualité de propriétaire aux personnes privées dans le cadre des relations du commerce juridique, les personnes publiques n’apparaissent pas comme des assujettis dignes de protection, mais comme les détenteurs de pouvoirs exorbitants et les titulaires de privilèges. Le régime qui régit l’existence des personnes publiques propriétaires n’est donc pas destiné à leur garantir la libre disposition de leurs biens. Il est destiné à permettre la réalisation des missions qui sont dévolues à ces acteurs de l’ordre juridique partiel du droit public. Il comprend des privilèges et la mise en œuvre de prérogatives de puissance publique permettant aux personnes publiques d’acquérir des biens et des droits selon des modalités inconnues des personnes privées étrangères à l’action publique. Il comprend en contrepartie des sujétion dont la principale consiste dans la garantie que les biens des personnes publiques « soient utilisés en fonction des impératifs d’intérêt général qui devraient en guider l’usage » 254 . Les personnes publiques, propriétaires sur le fondement de leur compétence, n’exercent cette qualité que dans la mesure de leurs missions et dans les limites de la légalité administrative qui s’impose à elles. La propriété publique est un instrument de l’action publique. Cela exclut définitivement son assimilation à la propriété privée qui est celle de l’individu avant d’être étendue aux personnes privées. Cette irréductibilité de la propriété publique se confirme dans les manifestations de son autonomie. En effet, si la propriété s’exerce dans le cadre de l’habilitation que la personne a reçu du droit objectif, une compétence a pour effet d’affecter ab initio et de façon absolument générale l’exercice de la propriété à l’accomplissements des missions et de l’intérêt général qui sont attachés à la personnalité publique comme la propriété l’est à la personnalité juridique. 253 Cette idée est au cœur de la proposition d’Aurélien Camus relativement au pouvoir de gestion du domaine public, qu’il qualifie de puissance publique propriétaire, Le pouvoir de gestion du domaine public, th. Paris X, 2013. 254 Élise Langelier, « Existe-t-il un statut constitutionnel du droit administratif des biens ? », RDP, 2011, p. 1496. 176 Conclusion du Chapitre 2 183. La propriété a été reconnue par les Révolutionnaires comme un droit naturel et imprescriptible de l’homme, inviolable et sacré, sauf à ce que la puissance publique invoque la nécessité publique, condition restrictive bientôt élargie par la plume du Premier Consul en une simple utilité publique. Cette propriété, qui revient à l’homme et qui s’oppose à la puissance publique, n’est manifestement pas celle des personnes publiques mais celle que la Société oppose à l’État et aux autres organes constitutifs de son appareil de contrainte. La théorie des ordres juridiques partiels conduit à se représenter le face-à-face de l’individu et de l’État comme la rencontre de deux développements organiques ayant pris pour point de départ l’un et l’autre de ces sujets primordiaux. Que l’action publique suppose la propriété est indéniable. Que l’État de droit impose aux personnes publiques le respect de la légalité, y compris dans les relations qu’elles entretiennent est une solution qui s’impose par la logique même de la soumission des administrations au droit. Mais que les personnes publiques aient une propriété identique, de même valeur que la propriété individuelle parce qu’un même fondement leur a été reconnu à l’occasion d’un contrôle de constitutionnalité d’une loi qui ne portait pas atteinte à la propriété mais en constituait l’instrument d’exercice, voilà qui semble en revanche plus discutable. Les personnes publiques sont propriétaires parce qu’elles sont sujets de droit. Personnes morales, leur droit de propriété ainsi fondé ne s’exerce que par leurs organes, c’est pourquoi cet exercice doit être contrôlé afin que les organes n’abusent pas de leur pouvoir pour servir des intérêts étrangers à ceux que poursuit la personne au nom de laquelle ils agissent. Cela suffit à fonder le bénéfice pour les personnes publiques de toutes les voies et moyens leur permettant d’accomplir leurs missions par l’exercice de la propriété. Mais dès lors que cette propriété n’est plus conforme à leur compétence, elle cesse d’être conforme au droit. Et dès lors que leur compétence évolue, leur propriété n’a pas à être opposée à l’État qui est maître de l’organisation administrative de la République et de la répartition des missions entre les collectivités publiques. Une personne privée est propriétaire sur le fondement de sa capacité, ce qui ne signifie précisément rien en soi avant de savoir de quelle personne on parle, individu, société, association. Une personne publique est propriétaire sur le fondement de sa compétence et cela suffit à déterminer qu’elle n’est pas une liberté mais un instrument de l’action publique soumis par conséquent aux principes essentiels gouvernant l’organisation et le fonctionnement des pouvoirs. Ce que sont les personnes publiques, même en leur qualité de propriétaires. 177 Conclusion du Titre 1 184. er Les personnes publiques propriétaires sont la combinaison de deux notions : la personnalité et la propriété. Ces deux notions ne sont elles-mêmes pas des corps simples mais résultent de la combinaison de concepts fondamentaux que sont la personnalité juridique et le droit de propriété. Ces concepts peuvent alors être entendus de deux façons. On peut considérer qu’ils existent avant que le droit ne le met en forme et alors les propriétaires, personnes publique et privées, ne sont que des variantes dérivées de cette réalité idéelle. On peut considérer sinon, contre cette approche idéaliste, que le droit positif offre à voir à l’observateur des mécanismes d’appropriation des choses par des personnes qu’il est possible de lire avec les mêmes outils. Les concepts de personne, de propriétaire et de droit de propriété sont alors de simples instruments de la pensée qui, loin de préexister aux notions du droit positif, en permettent la description et la comparaison. C’est aux nécessités de cette approche, privilégiée ici, qu’a servi la conception d’un positivisme instruit. Il a permis l’identification des normes d’habilitation qui fondent en droit objectif l’existence des personnes publiques et des personnes privées : la compétence et la capacité. C’était là le préalable à l’opposition des personnes publiques et des personnes privées en leur qualité de propriétaire. En effet, si la propriété est un attribut immédiat de la personnalité juridique, celle-ci suppose un fondement en droit objectif que nous avons identifié comme étant soit une compétence, et alors la personne est publique ; soit, à défaut, une capacité qui constitue l’habilitation indéterminée correspondant à la catégorie des personnes privées. Les personnes publiques sont propriétaires parce qu’elles sont des sujets de droit. Mais elles ne sont des sujets de droit qu’en raison de la compétence qui leur a été donnée et sur laquelle toute leur vie juridique est fondée. À cette valeur purement instrumentale de la propriété des personnes publiques va alors correspondre un droit de propriété public manifestant ce rapport absolument contingent de l’activité des personnes publiques par rapport à leur compétence. Il en va ainsi de l’ensemble des droits subjectifs publics des personnes publiques, et notamment de leurs droits de puissance publique que leur compétence justifie de mettre au service de leur patrimoine. C’est là l’auxiliaire patrimonial absolu et que ne connaissent pas les personnes privées, sauf à participer elles-mêmes de l’action publique. 178 Titre 2 La compétence, fondement des droits subjectifs des personnes publiques propriétaires nd 185. Félix Moreau, représentant du courant subjectiviste du droit public au début du XX e siècle, décrivait ainsi l’apparition d’un sujet de droit : « Quand l’État veut admettre une collectivité à la vie juridique, c’est-à-dire quand il met à sa disposition des facultés juridiques pour la satisfaction de ses intérêts, l’accomplissement de sa destinée, l’acquittement de ses devoirs, l’État peut lui remettre deux sortes de facultés. Les unes utilisent la force économique ; elles consistent dans l’aptitude à être propriétaire, créancier, débiteur, plaideur, dans le pouvoir d’acquérir et d’aliéner à titre gratuit ou onéreux ; elles se résument dans la notion de patrimoine. Les autres utilisent la force politique ; elles consistent dans le pouvoir de commander avec ses formes multiples, dans le pouvoir d’émettre des ordres, des défenses, des permissions, auquel effet obéissance et au besoin de contrainte sont assurés ; elles se résument dans la notion de puissance publique »1. Positiviste, cette proposition place dans le droit objectif les règles qui fondent et régissent les droits subjectifs exprimant la force que le sujet imprime au monde extérieur pour le plier à ses besoins. Cette force s’applique aux deux objets juridiques de la summa divisio suprême : les choses, et alors il exerce la propriété ; les personnes, et alors il exerce la puissance. La puissance cependant, n’est pas uniquement publique, mais peut aussi appartenir à des personnes privées étrangères à l’action publique. C’est en considérant ces deux forces exprimées par les droits subjectifs que les personnes publiques propriétaires font apparaître les spécificités dérivant de leur compétence. Elles ont pour attribut exclusif un droit subjectif de propriété qui, s’il est toujours formellement le droit de jouir et disposer des choses, est néanmoins un droit subjectif public parce qu’affecté ab initio à l’exercice de leur compétence (Chapitre 1). Elles ont ensuite pour attribut caractéristique, parce que justifié par leur compétence, mais non exclusif, parce que potentiellement délégué avec l’exercice de celle-ci, de pouvoir faire de leurs droits de puissance publique un auxiliaire inconnu des personnes privées étrangères à l’action publique (Chapitre 2). Chapitre 1 Le droit de propriété public : attribut exclusif des personnes publiques propriétaires Chapitre 2 Les droits de puissance publique : privilèges patrimoniaux caractéristiques des personnes publiques propriétaires 1 Felix Moreau, Manuel de droit administratif, Fontemoing, 1909, n° 51 p. 50, nous soulignons. 179 Chapitre 1 Le droit de propriété public : attribut exclusif des personnes publiques propriétaires 186. Comme le relève Philippe Yolka, c’est à Frédéric Zenati-Castaing qu’il revient d’avoir vu dans la conception classique de la propriété « la marque d’une confusion entre son volet juridique et son volet matériel », entre sa dimension subjective de droit sur les biens et sa dimension objective que constituent ces biens1. Cependant, Philippe Yolka entend « s’accommoder d’une telle ambiguïté »2 et se rallie à cette conception. Or, la théorie développée par Frédéric Zenati-Castaing fait de la propriété l’attribut du sujet de droit, et permet ainsi, et contrairement à la conception classique, la comparaison des propriétaires. En identifiant le droit de propriété comme le véritable droit subjectif, attribut essentiel et indissociable du sujet de droit, cette approche permet l’opposition du droit de propriété public et du droit de propriété privé comme attributs respectifs de la personnalité publique ou privée. C’est pourquoi nous privilégions cette théorie dite « moderne » ou « néo-personnaliste » de la propriété car c’est à elle que correspond un concept formel de propriétaire permettant d’opposer les personnes publiques et les personnes privées en cette qualité. Formellement, le propriétaire est un sujet de droit titulaire du droit subjectif de jouir et disposer des choses conformément à la norme d’habilitation qui l’a institué. Matériellement, une personne publique ou privée est le propriétaire titulaire d’un droit subjectif de propriété fondé et régi par sa compétence ou sa capacité. Lorsque le droit de propriété est attribué sur le fondement d’une compétence, alors ce doit est public parce qu’il est affecté, en lui-même et avant toute affectation d’un bien particulier, aux missions confiées au propriétaire (Section 1). Les règles attachées à la propriété des personnes publiques doivent être analysées comme autant d’éléments du régime de cette affectation générale et fondamentale du droit de propriété public à l’exercice des compétences (Section 2). Section 1 L’affectation du droit de propriété des personnes publiques à l’exercice de leur compétence Section 2 Le régime associé à l’affectation du droit de propriété des personnes publiques La théorie classique confond en effet le droit se propriété et la chose qui en est l’objet, cf. supra, les analyses qui nous ont conduit à rejoindre Frédéric Zenati-Castaing quant à l’identité entre le droit subjectif sur les choses et le droit de propriété. 2 Philippe Yolka, La propriété publique. Éléments pour une théorie, op. cit., p. 8. 1 180 Section 1 L’affectation du droit de propriété des personnes publiques à l’exercice de leur compétence 187. Hervé Moysan écrit que « l’influence générale de la personnalité publique sur la propriété publique se manifeste d’abord par la finalisation de l’exercice du droit de propriété par les personnes publiques, que traduit la notion de compétence ». Il ajoutait cette idée essentielle que les facultés des personnes publiques ne sont jamais « un potentiel d’action sans destination, mais au contraire des pouvoirs finalisés, affectés, et la nation de compétence permet de fonder terminologiquement cette différence » 3 . Si nous souscrivons pleinement, la proposition suppose cependant que les concepts sur lesquels elle s’appuie soient assurés, à commencer par le droit de propriété et l’idée qu’il puisse être lui-même affecté – et non seulement les biens – et cela par la compétence, entendue comme l’habilitation en droit objectif des personnes publiques à exister d’abord, à être titulaire et à exercer ces facultés ensuite. Or, la doctrine privatiste est aujourd’hui divisée sur la définition du droit de propriété. « La propriété est malade de sa doctrine », écrit ainsi William Dross, pour lequel « la propriété, tiraillée entre son analyse classique et une approche renouvelée qui prétend en faire l’alpha et l’oméga de la réalité juridique, est aujourd’hui méconnaissable », au point que « nul ne sait plus ce qu’elle est vraiment » 4. Il ne s’agit pas pour ce qui nous concerne de trancher entre ces théories. Cependant, il en est une qui doit être retenue parce qu’elle est la plus pertinente pour comparer véritablement les personnes publiques et les personnes privées en leur qualité de propriétaire. En effet, seule la théorie dite « moderne » de la propriété, élaborée à la suite des travaux de Frédéric Zenati-Castaing, peut proposer un droit de propriété formel qui puisse être public ou privé en fonction de la personnalité publique ou privée du propriétaire (§ 1). L’élément qui va permettre de lier l’habilitation à être propriétaire, la compétence ou la capacité, au caractère public ou privé du droit de propriété ainsi attribué est alors effectivement l’affectation, laquelle peut concerner non seulement un bien particulier mais également le droit de propriété dont les biens sont l’objet. Il en va ainsi dans le cadre d’un contrat de fiducie, qui affecte le droit de propriété du fiduciaire à la mission établie dans l’intérêt du bénéficiaire et qui finalise l’exercice de ce droit sur les biens reçus du constituant. Ce raisonnement peut s’appliquer à la norme d’habilitation essentielle par laquelle une personne est propriétaire : sa capacité ou sa compétence. Cette dernière a pour effet d’affecter ab initio l’exercice de la propriété des personnes publiques aux missions qui leur sont dévolues et plus globalement à l’intérêt général. Telle est l’originalité du droit de propriété public (§ 2). 3 4 Hervé Moysan, Le droit de propriété des personnes publiques, LGDJ, 2001, pp. 200-201, l’auteur souligne. William Dross, « Une approche structurale de la propriété », RTD Civ., 2012, p. 419, n° 1. 181 § 1 La réduction formelle du droit de propriété, préalable à sa différenciation matérielle entre droits de propriété public et privé 188. « Le domaine de propriété, écrit Pothier, est ainsi appelé, parce que c’est le droit par lequel une chose m’est propre et m’appartient privativement à tous autres », droit qui « doit se définir le droit de disposer à son gré d’une chose, sans donner néanmoins atteinte au droit d’autrui, ni aux lois » 5 . Le droit de propriété apparaît ici dans sa plus simple expression. Certes, Pothier évoquait ensuite ce que cette qualité de propriétaire permet de faire de la chose ainsi appropriée. Cependant, la théorie classique de la propriété a fait de ces prérogatives, que Pothier présentait comme la simple conséquence de la propriété, un élément de sa définition. C’est ainsi que la propriété est devenue un droit réel parmi les autres, principaux ou accessoires, certes le plus parfait de tous mais néanmoins l’un d’entre eux. Ainsi, le droit de propriété est devenu lui-même un bien. Censée refléter la relation du sujet aux objets, la propriété est réduite à sa dimension d’objet6. La propriété publique est confrontée au même problème puisque « la formule désigne à la fois la relation du propriétaire public à ses biens et l’ensemble des biens du propriétaire public » 7 . La dissociation du droit de propriété et de son objet s’impose dans les deux ordres juridiques partiels, chacun pouvant avoir ensuite, en tant que notion matérielle, son propre droit de propriété, public ou privé. C’est l’objet même de la réduction formelle du droit de propriété à une définition unitaire. Il apparaît que la conception dite « moderne » de la propriété doit être préférée aux autres parce qu’elle a précisément découvert un tel concept formel de droit de propriété permettant ensuite d’en différencier la réalité matérielle en fonction de la personnalité publique ou privée du propriétaire (A). Débarrassé de toute dimension matérielle, qu’elle soit privatiste et liée à la propriété de l’individu ou publiciste et liée à l’intérêt général et aux fonctions administratives, le droit de propriété trouve sa définition la plus simple déjà entrevue par Pothier : il est le droit de jouir et disposer des choses conformément au droit objectif (B). Robert-Joseph Pothier, Traité du droit de domaine de propriété, in Œuvres de Pothier, Pichon-Béchet, 1827, n° 4 p. 114. Nous renvoyons également aux premiers développements de l’introduction qui soulignent cette ambivalence de la propriété oscillant entre sa définition subjective et sa définition objective. 7 Philippe Yolka, La propriété publique. Éléments pour une théorie, LGDJ, 1997, p. 7. 5 6 182 A. La théorie moderne de la propriété, seule capable de comparer les personnes en qualité de propriétaire 189. Il faut exposer brièvement les trois principales conceptions concurrentes de la propriété au sein de la doctrine privatiste et les critiques dont elles font l’objet de la part des tenants de chacune d’elles (1). Cela permettra de faire apparaître que la doctrine publiciste est à la fois en retrait des débats doctrinaux relatifs à la définition du droit de propriété en tant que tel mais que, paradoxalement, elle a tendance à privilégier implicitement la conception la plus critique, la conception « moderne », lorsqu’elle entend considérer qu’il y aurait identité de « nature » entre droit de propriété du droit privé et droit de propriété du droit public (2). 1) Les trois conceptions principales du droit de propriété en droit privé 190. Pour François Terré et Philippe Simmler, « un seul texte – mais, il est vrai, de grande ampleur – exprime ou fonde une théorie générale du droit de propriété. C’est l’article 544 du Code civil, ainsi rédigé : “La propriété est le droit de jouir et disposer des choses de la manière la plus absolue, pourvu qu’on n’en fasse pas un usage prohibé par les lois ou par les règlements »8. C’est à partir de ce texte que se sont développées les trois conceptions concurrentes : la conception dite « classique » 9 , qui correspond à la quasi totalité des ouvrages et manuels de droit des biens en droit civil, et les conceptions dites « moderne » et « structurale », développées par Frédéric Zenati-Castaing et Thierry Revet pour la première et, pour la seconde, par William Dross. Il nous faut revenir brièvement sur les principaux traits de chacune d’elles. 191. La théorie classique est dite du « double triptyque »10. Elle s’accorde en premier lieu sur le même postulat que la division des droits en droits réels et droits personnels est exhaustive et conduit à faire de la propriété l’un des premiers11. Elle établit ensuite le triptyque des attributs à partir des termes « jouir et disposer » où elle voit la reprise des formules de l’Ancien droit définissant la propriété comme le droit d’user, 8 François Terré, Philippe Simmler, Droit civil. Les biens, Dalloz, 8e éd., 2010, n° 75 p. 91. Pour une expression canonique, Henri Mazeaud, Léon Mazeaud, Jean Mazeaud, Leçons de droit civil, dans ses éditions successives jusqu’à devenir une collection de la Librairie générale de droit et de jurisprudence, cf. François Chabas, Introduction à l’étude du droit, LGDJ, 12e éd., 2000, t. 1, vol. 1. 10 Géraldine Delavaquerie, Pour une théorie de la propriété renouvelée. Étude commune des propriétés privée et publique, th. Caen, 2011, p. n° 5 où l’auteur démontre que cette conception est née de la systématisation de nombreux textes mis en cohérence par la doctrine. 11 Voir notamment les développements comparatifs et historiques, parmi d’autres, Marie-Laure Mathieu, Droit civil. Les biens, Sirey, 3e éd., 2013, spéc. pp. 8-13 et pp. 35 et s. sur la distinction entre droits réels et personnels ; William Dross, Droit civil. Les choses, LGDJ, 2012, pp. 71-81 et pp. 264-265 ; Frédéric Zenati-Castaing, Thierry Revet, Les biens, PUF, 3e éd., 2008, n° 166 et s. pp. 261-272 et n° 311 pp. 470-472. 9 183 de jouir et de disposer des choses, c’est-à-dire la définition donnée par Bartole 12 comme conférant à son titulaire l’usus, le fructus et l’abusus de la chose13. C’est ensuite à partir de la formule « de la manière la plus absolue » que la doctrine classique construit le second triptyque déclinant l’absolutisme en trois caractères du droit de propriété : il est exclusif, perpétuel et absolu. Cette présentation pour traditionnelle qu’elle soit n’est pas des plus assurées. Tous les auteurs ne s’accordent pas exactement sur le contenu qu’il convient d’accorder à chacun de ces termes. Tous ont conscience de la relativité des oppositions pourtant considérées comme fondamentales entre les droits réels et personnels et entre les droits patrimoniaux et extrapatrimoniaux. En réalité, ainsi que l’écrivent François Terré et Philippe Simmler au premier numéro de leur manuel, le droit des biens est un droit en crise14 et si les auteurs maintiennent la conception du double triptyque, ils en reconnaissent généralement la relative vulnérabilité aux critiques grandissantes15. 192. William Dross adresse de telles critiques. Tout comme Frédéric Zenati-Castaing sur ce point, il rejette le triptyque des attributs parce qu’il considère qu’il ne fait que traduire certaines qualités potentielles des choses et non des éléments du droit de propriété. Résumant la doctrine classique par l’équation « propriété = usus+fructus+abusus », il considère que « cette analyse, bien qu’elle demeure très majoritaire, n’est pas tenable et conduit à des impasses théoriques majeures »16. Il distingue donc le droit de propriété de la chose sur laquelle il porte, et à laquelle se rapporte ce premier triptyque. Quant au second triptyque, il y substitue le sien à partir de la déclinaison de l’absolutisme affirmé selon lui par le Code civil : « Exerce une maîtrise absolue celui qui ne partage avec personne (exclusivité), celui qui peut en principe en faire ce qu’il en veut (totalité), celui enfin dont le droit n’a pas vocation à s’éteindre par la fuite du temps (perpétuité) »17. Les deux premiers éléments sont fondés en réaction à la doctrine de Frédéric Zenati-Castaing et Thierry Revet qui dédoublent la jouissance Jean Brissaud, Cours d’histoire générale du droit français public et privé, Fontemoing, 1904, t. 1, pp. 213-214. Bartole est l’un des premiers juristes à ne plus considérer la propriété comme une puissance mais comme un droit, dans le but de la rendre impropre à porter sur les droits, voir Yaëll Emerich, La propriété des créances. Approche comparative, LGDJ, 2007, p. 38, spéc. note 210. 14 François Terré, Philippe Simmler, op. cit., n° 1 p. 1. 15 Voir par exemple, développant cette tendance dans la doctrine, Nadège Reboul-Maupin, Droit des biens, Dalloz, 4e éd., 2012, n° 29 et s. 16 William Dross, Droit civil. Les choses, Paris, LGDJ, 2012, n° 6 p. 12. Il faut souligner que, sur ce point, Philippe Yolka s’accorde à rejeter la réduction de la propriété aux attributs du propriétaire sur le bien, La propriété publique. Éléments pour une théorie, p. 174. 17 Ibid., n° 7 p. 12. 12 13 184 entre pouvoir d’exclusion et pouvoir de retirer les utilités immédiatement produites par la chose. L’opposition fondamentale concerne la propriété des droits. Sa réfutation constitue la thèse essentielle défendue par William Dross 18 . Il s’oppose à la fois à la patrimonialité des créances, qu’admet la doctrine majoritaire, et contre l’appropriation des droits jusqu’où va, seule, la conception moderne. Un droit, pour William Dross, n’est pas une chose et ne peut donc pas être approprié. Un droit est déjà un rapport juridique, et cela ne s’approprie pas 19. 193. Si nous allons revenir en particulier sur la conception moderne du droit de propriété proprement dit, celle-ci peut être évoquée. En qualifiant la propriété de droit réel et en rapprochant cette catégorie de celle des biens, la doctrine classique arrive à un raisonnement circulaire où le droit de propriété devient lui-même son propre objet alors qu’il devrait être un attribut grâce auquel le sujet prend les choses pour objet. Le postulat de départ consiste donc tout d’abord à détacher le droit de propriété de la catégorie des droits réels, faisant du premier un droit sur les choses, et des seconds seuls des choses, par conséquent les objets du premier 20. Le droit de propriété n'est alors plus un droit réel parmi les autres, lesquels sont des biens. Il est le droit qui porte sur les biens, qu’il s’agisse de propriétés corporelles comme un meuble ou un immeuble, de propriétés incorporelles comme les brevets et les marques ou même de droits dans la mesure où ceux-ci peuvent être des biens21. Le droit de propriété tel qu’il apparaît dissocié des choses, relève de la personne juridique, du sujet dont il est attribut. En cela, le droit de propriété est le véritable droit subjectif, celui par lequel le sujet établit sa puissance juridique sur les choses et participe ainsi au commerce juridique. Le propriétaire est donc le sujet de droit qui est apte à la propriété, aptitude virtuelle à avoir des biens qu’ils soient présents ou à venir et que concrétise sur un bien déterminé le droit de propriété22. Le droit de propriété est l’attribut caractéristique du sujet de droit. Il permet de concrétiser son aptitude fondamentale à être propriétaire et débiteur, ce qui permettra d’établir 18 William Dross, op. cit., n° 2 pp. 1-2. Dès l’introduction, l’auteur fait une observation essentielle « avant d’entrer dans le vif du sujet » : « Il y a la chose. Il y la personne. Entre les deux s’établit une relation de puissance qui est un droit, qualifié de réel (res, chose), par opposition aux droits personnels qui caractérisent la puissance d’une personne sur une autre personne (…). Une partie de la doctrine n’hésite pas à parler de propriété des droits, faisant ainsi du droit l’objet d’un autre droit. Nous rejetons cette analyse. Le droit est peut-être un bien, mais ce n’est pas une chose ». Sur ce point on notera que, si « une chose est tout ce qui n’est pas une personne », alors un bien devrait être une chose et que si un droit est un bien, alors il devrait être une chose. 19 Ibis., pp. 888-949. 20 Frédéric Zenati-Castaing, Thierry Revet, op. cit., n° 164 p. 260. 21 C’est contre cette réduction de la propriété que Samuel Ginossar a proposé de sortir la propriété de la catégorie des droits réels pour la situer en surplomb de l’ensemble des droits patrimoniaux, qu’il s’agisse des créances entre personnes ou des droits réels qui ne sont, en somme, que l’obligation qui pèse sur le propriétaire d’un bien d’accorder au bénéfice d’un tiers une utilité que ce bien peut lui rendre. Samuel Ginossar, Droit réel, propriété et créance. Élaboration d’un système rationnel des droits patrimoniaux, LGDJ, 1960. 22 Frédéric Zenati-Castaing, Thierry Revet, Manuel de droit des personnes, PUF, 2006, n° 106 et s. 185 le lien de corrélation entre le statut de la personne et le droit de propriété dont elle est attributaire. Il reste à présent à démontrer que cette dernière conception est la plus indiquée et mérite d’être retenue pour conduire à l’élaboration d’un concept formel applicable à la propriété des personnes publiques et permettant ainsi la comparaison puis la distinction entre le droit de propriété privé et le droit de propriété public. 2) La pertinence de la théorie « moderne » pour la comparaison des catégories matérielles de droit de propriété, public et privé 194. En droit public, force est de constater qu’aucune définition de la propriété n’a été proposée en alternative à ces trois conceptions. La plupart des auteurs qui évoquent l’idée que la propriété est un concept qui n’est en lui-même ni public, ni privé, ont en réalité une conception qui se rapproche sensiblement de celle de Frédéric Zenati-Castaing et de l’École dite « moderne ». Pour Philippe Yolka, la propriété est irréductible à ses attributs, ce qui est déjà rejoindre la critique essentielle de la conception classique. Il conclut que la propriété « n’est pas, dans son essence, un droit absolu et exclusif, mais simplement général, c’est-à-dire le droit de tirer tous les services d’une chose, sauf exception tendant notamment à des restrictions légales ». C’est là par conséquent rejeter implicitement la théorie du double-triptyque. Au final, l’auteur considère que « l’épure de la propriété s’analyse comme une relation d’appartenance entre un sujet et un objet, par laquelle le premier dispose en principe d’un droit général lui permettant de tirer du second toutes les utilités » 23 . Pour peu qu’on considère que tirer ces utilités suppose des actes juridiques mettant le bien en situation juridique de les produire, la propriété n’est alors pas autre chose que le droit de jouir et disposer des choses. C’est-à-dire une formulation identique à celle que propose la théorie dite « moderne ». Cette dernière est évoquée mais n’est pas discutée. On a indiqué que Philippe Yolka en a perçu la valeur critique quant à la confusion de la conception classique entre la dimension objective et la dimension subjective de la propriété, mais qu’il préférait conserver de la propriété l’idée d’un droit incorporé dans la chose. L’ensemble de ces réflexions invite à approfondir à la fois la critique du double triptyque et sa principale alternative conceptuelle. 23 Philippe Yolka, La propriété publique. Éléments pour une théorie, LGDJ, 1997, pp. 174-175. 186 Pour Caroline Chamard-Heim, la propriété suppose toujours la jouissance d’une chose et sa disposition 24, ce qui ne renvoie donc ni à la conception de la propriété par le double triptyque de la doctrine classique ni au triptyque proposé par William Dross et la propriété dite « structurale ». C’est également en structurant son argumentation en distinguant entre le droit de disposer et le droit de jouissance que Stéphanie Pavageau décrit les éléments constitutifs de la propriété 25 . Elle conclut de l’analyse de la jurisprudence des juridictions suprêmes, de droit interne comme international, que « le droit de propriété ne se définit pas nécessairement en fonction de ses caractères et de ses attributs » mais représente plutôt « une relation patrimoniale privilégiée et conditionnée entre son titulaire et les biens sur lequel il porte »26. L’idée rejoint donc l’essence même de la propriété telle que proposée à la suite des travaux de Frédéric Zenati-Castaing et qui consiste à faire de la propriété la relation de la personne aux choses et la base des relations aux personnes que ce pouvoir permet ensuite. Christophe Roux, enfin, lorsqu’il veut réduire la propriété à son essence, reprend la définition économique de la propriété qui en fait la combinaison d’une appropriation et d’une exploitation, ce qui rejoint exactement la jouissance et la disposition27. Pour Jean-François Giacuzzo, « la gestion est l’exercice du droit subjectif de disposer de ses biens déjà appropriés – de prendre les trois types d’actes patrimoniaux. Elle est fondamentalement distincte de l’appropriation qui est l’opération faisant naître les droits subjectifs de jouir et disposer des biens »28. Là encore, la propriété est le droit sur les choses permettant d’en jouir et d’en disposer, sans plus de qualificatif, et ne faisant aucune référence au double triptyque. L’auteur conclut d’ailleurs sa thèse en considérant que la propriété privée et la propriété publique « partagent un minimum commun » mais que « l’intérêt général est le vecteur d’une certaine originalité »29. Il y a ici l’idée que nous voulons proposer 30. La propriété est, une fois réduite à un concept formel, le droit de jouir et de disposer des choses. Autrement dit, la définition proposée par Frédéric Zenati-Castaing, mais absolument débarrassée de tout élément qui puisse 24 Caroline Chamard-Heim, « Les propriétés publiques », in Pascale Gonod, Fabrice Melleray et Philippe Yolka (dir.), Traité de droit administratif, Dalloz, 2011, pp. 303-304 : « Le droit de propriété des personnes publiques est constitué des mêmes éléments qu'en droit privé : le droit de disposer (ou de refuser de disposer) qui existe même pour les dépendances du domaine public, puisqu'il suffit, en ce cas, de prendre un acte de désaffectation et de déclassement ; le droit de jouissance comprenant, d'une part, le droit d'usage pour le propriétaire et la réglementation de l'usage de son bien et, d'autre part, le droit d'en percevoir les fruits ». 25 Stéphanie Pavageau, Le droit de propriété dans les jurisprudences suprêmes françaises, européennes et internationales, LGDJ, 2006, pp. 83 et s. 26 Ibid., n° 187, p. 129. 27 Christophe Roux, Propriété publique et droit de l’Union européenne, th. Lyon 3, 2013, n° 2 p. 1, évoquant à la fois la maîtrise et le pouvoir sur la chose (ce qui se rapprocherait d’ailleurs des conceptions de Jean Dabin du droit subjectif), et l’appropriation et l’exploitation avec Jean-Louis Bergel, « Une “approche” économique de la propriété en droit privé », RRJ, 2008, n° spécial 22, p. 2501. 28 Jean-François Giacuzzo, La gestion des propriétés publiques en droit français, th. Toulouse I, 2013, n° 158 p. 164. 29 Ibid., n° 663 p. 697. 30 A condition de considérer que Jean-François Giacuzzo, lorsqu’il écrit que « la propriété est “une” et, en elle-même, elle n’est ni publique, ni privée », signifie par là qu’elle est réductible formellement et non matériellement, ibid., n° 664 p. 700. 187 s’apparenter à une donnée matérielle propre au droit privé, le caractère de droit fondamental de la propriété au premier chef. Il sera alors possible d’utiliser ce concept formel de droit de propriété pour réintroduire les spécificités matérielles liées au contexte normatif. On relève également la position d’Aurélien Camus, qui fait la critique des conceptions classiques et choisit comme outil conceptuel la théorie « moderne »31. Il est évidemment trop tôt pour évaluer l’attractivité qu’aura la proposition d’une propriété « structurale » par William Dross dans la doctrine du droit public. En revanche, force est de constater que l’idée que la propriété des personnes publiques est, comme la propriété des personnes privées, un droit absolu, perpétuel et exclusif conférant à son propriétaire l’usus, le fructus et l’abusus, n’apparaît, ni explicitement, ni même implicitement, au premier plan de la doctrine publiciste. Cela s’explique par la difficulté d’appliquer la théorie classique de la propriété à la théorie contemporaine de la propriété publique. 195. En effet, si l’incessibilité à vil prix et l’insaisissabilité sont les caractères de la propriété publique, il est impossible de pouvoir déterminer précisément sur quel attribut et/ou quel caractère de la conception classique ils portent. Par ailleurs, en assimilant la propriété à un droit réel, donc un bien, la conception classique est pratiquement incapable de penser le droit de propriété comme l’instrument des relations établies à partir des choses, l’obligeant à rompre avec la lettre de l’article 544 pour faire de la libre disposition un attribut de la seule personnalité juridique, extérieur au droit de propriété. Or, c’est essentiellement dans la spécificité de cette relation aux choses que doit être recherchée l’autonomie de la propriété des personnes publiques. La conception classique ne semble donc pas de nature à le permettre. 196. Quant aux caractères de la propriété, seul le terme « absolu » pourrait faire l’objet d’une discussion par rapport au droit public, puisqu’il manifeste dans l’esprit de la majorité des auteurs, l’idée de liberté, d’absence de limitation de principe dont on a vu qu’une telle idée n’est guère compatible avec le droit public. L’interdiction pour un propriétaire public de vendre un bien à vil prix et plus généralement de s’appauvrir sans contrepartie ce qui le rend incapable de libéralité, l’illustre parfaitement. 31 Aurélien Camus, Le pouvoir de gestion du domaine public, th. Paris X, 2013, spéc. pp. 278 et s. Il faut souligner que les conceptions de l’auteur et les nôtres sont relativement proches dans l’attitude, mais qu’il a retenu d’une part d’unifier la puissance du sujet sur les choses et les personnes, et d’autre part de concentrer son analyse sur le seul domaine public. Ces deux points nous écartent donc mais nous avons en commun l’idée que le sujet est le pôle d’une puissance qui, lorsque le sujet est une personne publique, est bien la puissance publique au sens le plus large. 188 Plus généralement, dès lors qu’on admet qu’une personne publique n’exerce jamais de prérogative purement discrétionnaire, l’introduction du caractère absolu dans sa définition le rend inapplicable au droit public puisque cela conduit à dire que « le droit de disposer de la chose permet au propriétaire d’accomplir discrétionnairement tous les actes juridiques ou matériels entraînant pour lui la perte de tout ou partie du bien »32. Cependant, il faut tout d’abord souligner que l’interprétation du terme n’est pas univoque et que, semble-t-il, l’idée de ses rédacteurs était d’abord et avant tout de rejeter la division féodale du domaine utile et du domaine éminent33. C’est pourquoi on a pu y voir « formule pléonastique, un peu étrange, (dont) l’objectif était de conjurer tout risque de retour aux conceptions féodales »34. Ensuite, l’analyse classique aborde la relativité du terme par l’existence de restrictions à la liberté du propriétaire, lesquelles ont leur origine dans les textes (lois et règlements) ou dans les créations classiques de la jurisprudence que sont l’abus de droit et les troubles anormaux de voisinage. Autrement dit, ce caractère et ses limites renvoient en réalité au régime qui peut affecter l’usage, la jouissance et la disposition d’une chose. Pour le publiciste, cela permettrait au mieux de constater une différence de régime, d’un caractère non-absolu du droit de propriété public ou, ce qui revient au même, plus riche de restrictions, mais en aucune façon de construire une notion autonome de propriété publique. En effet, les divergences viendraient d’un caractère de la propriété et non d’un attribut censé la définir, même si la hiérarchie entre les deux triptyques n’est pas toujours explicitement exprimée. 197. De tout cela découle l’hypothèse que c’est la théorie « moderne » qui a su élaborer une définition de la propriété dont on puisse abstraire un concept formel applicable aux personnes publiques et privées sans les y dissoudre. Identifier le droit de propriété et le droit subjectif, en permettant in fine d’identifier le sujet de droit et le propriétaire, est la condition de démontrer dans un même mouvement l’autonomie de la personnalité et de la propriété publique. Nous avons déjà vu qu’elle permettait de considérer le droit de propriété comme le droit subjectif portant sur les choses. Il s’agit désormais de lui donner un contenu juridique technique. Le droit de propriété est le droit de jouir et disposer des choses, parce qu’il confère l’exclusivité sur un bien déterminé et autorise à accomplir des actes juridiques qui en modifieront la situation juridique. 32 Sophie Schiller, Droit des biens, op. cit., n° 76 p. 65. François Terré, Philippe Simmler, op. cit., n° 141 p. 142 : « l’absolutisme du droit de propriété illustre tout d’abord le rejet de la division féodale du domaine éminent et du domaine utile ». 34 Julien Laurent, La propriété des droits, LGDJ, 2012, n° 197 p. 157. 33 189 B. Le concept formel dégagé par la conception moderne : le droit de jouir et disposer des choses conformément au droit objectif 198. On a pu voir dans le droit romain la préfiguration du droit subjectif de propriété avec le dominium, exprimant la puissance, en latin potestas, d’une personne sur les choses (1). Le droit subjectif de propriété peut alors être conçu comme la concrétisation de cette puissance du sujet sur chacun des biens avec lesquels il établit un rapport d’exclusivité fondant la possibilité d’édicter des actes juridiques en disposant (2). 1) L’origine romaine du droit subjectif de propriété, le dominium : une puissance (potestas) de la personne sur les choses 199. Le droit romain, au moins dans son vocabulaire archaïque, ne distinguait pas nettement les personnes et les choses. Ainsi, « la familia est à la fois sujet, par les choses et les droits qu’elle détient en la personne de son représentant, et objet parce qu’elle est précisément tout ce sur quoi le pater exerce sa direction »35. Cette confusion s’explique par le fait que « le vocabulaire des biens obéit à des critères de classement qui ne sont pas abstraits, mais répondent à des jugements de valeur liés à des fonctions statutaires concrètes »36. Ainsi, patrimonium désigne le « statut légal du pater » tout comme matrimonium celui de la mère. Ces termes doivent alors être compris comme « une espèce de prolongement social de sa personne » 37 . Les statuts du droit romain, de l’esclave à l’homme libre et sui juris dont le paterfamilias est la forme suprême, organisaient une hiérarchie juridique manifestant l’inégalité profonde de la société romaine. L’unité de la personnalité juridique, statut fondamental et unique, traduit le principe d’égalité formelle qui régit nos sociétés modernes. En ce sens, les personnes du droit romain sont devenues la personne juridique du droit moderne. C’est là la prémisse qui permettra de démontrer que la puissance des personnes du droit romain est devenue le droit subjectif des personnes du droit moderne. 200. La puissance, en droit romain, était potestas. Ce terme générique appliqué au paterfamilias devient dominium, statut du dominus, le maître38. Le domaine, c’est l’empire de la puissance du 35 Yan Thomas, « Res, chose et patrimoine (Note sur le rapport sujet-objet en droit romain) », APD, 1980, p. 421. Ibid., p. 442. 37 Idem. 38 Frédéric Zenati, thèse précitée, n° 184 : « très liée à l’état des personnes, la propriété est un élément du droit de cité comme la libertas » ; en d’autres termes, la propriété c’est la liberté du sujet à l’égard du rapport qu’il veut établir avec les choses. 36 190 sujet, là où sont réunis tous les objets qui y sont soumis39. Entre la personne et ces objets, il y a nécessairement un lien qui manifeste la nécessité irréductible d’une forme de subjectivisme dans tout système juridique. C’est par une telle analyse que Frédéric Zenati, à la suite des travaux de Michel Villey qui avait déjà perçu la proximité des deux notions, fut conduit à affirmer que le droit subjectif existait en droit romain sous la forme du dominium. « Mode romain de conceptualiser l’appartenance », le dominium s’oppose radicalement aux choses parce qu’il permet justement de les placer en la puissance de son titulaire : le dominium est cette puissance40. Le dominium constitue ainsi le « modèle technique » associé à la théorie du droit subjectif41. La modernité a simplement imposé de le démultiplier en autant de droits subjectifs qu’il y a d’objets de droit. Considérant que les objets des droits subjectifs sont des biens et non les droits subjectifs eux-mêmes, l’auteur explique que, dans le droit moderne, « les biens ne sont pas rattachés au sujet par une puissance unique, comme ils l’étaient à Rome, mais par des liens individualisés, les droits subjectifs ». Or, le dominium « ne traduisait pas seulement les liens de la personne avec ses biens (où l’auteur inclut les droits), mais aussi d’une certaine manière la personnalité juridique »42. Autrement dit, la dévolution de la personnalité juridique consiste à ériger en sujet de droit une représentation sociale. A cette représentation correspond un statut 43. Ce statut fonde et régit une puissance juridique, potestas, sous l’empire de laquelle vont venir se placer les choses juridiques constituant le domaine du sujet de droit44. Cette puissance va alors se concrétiser par la reconnaissance d’un droit subjectif particulier relatif à chacune de ces choses. Le droit subjectif du sujet de droit, c’est donc le droit sur les choses, le droit de propriété du propriétaire. On a vu en introduction que c’est une même attitude intellectuelle qui anime Proudhon. Ibid., n° 173-174. 41 Les inventeurs du droit subjectif ont d’ailleurs pu voir dans le dominium la forme antique de ce droit. C’est ce qu’expose Frédéric Zenati-Castaing, faisant référence à Grotius, lequel proposait de « remplacer l’idée romaine d’appropriation, le suum, par le droit subjectif (étant précisé que le « sien » est un substitut du dominium, à Rome) ». Frédéric Zenati-Castaing, « La propriété, mécanisme fondamental du droit », RTD Civ., 2006, p. 452 ; voir également du même auteur, avec des références à d’autres auteurs qui « ont eu cette idée de concilier individualisme juridique et dominium romain », comme Pufendorf et Feltmann, thèse précitée n° 229 et s. 42 Article précité, p. 456. 43 Personne physique ou réalité sociale collective, publique ou privée, ces distinctions n’apparaissent qu’en se superposant à ce statut légal unique hérité de la Révolution, celui de personne juridique, respectueux de l’égalité formelle entre tous les acteurs du monde juridique. 44 Qui est alors le domanium à l’origine du versant objectif du domaine public entendu comme un ensemble de biens, tandis que son versant subjectif correspondait à la prérogative que la personne avait sur ses biens. Cf. supra les développements de l’introduction consacrés à la théorie de la garde élaborée par Proudhon qui fait apparaître cette conception du domaine comme étant à la fois dominium et domanium. 39 40 191 2) L’identification du droit de propriété au droit subjectif et sa portée : la représentation exhaustive des relations du commerce juridique 201. Si la question de la définition du droit subjectif, de sa structure, est aujourd’hui éludée, c’est pour Frédéric Zenati-Castaing en raison d’une confusion essentielle entre la propriété subjective et la propriété objective45. La recherche sur le droit de propriété ne pouvait donc que devenir une recherche sur le droit subjectif. Frédéric Zenati-Castaing proposa de dissocier le droit de propriété de son objet. Il identifia ensuite la structure du droit de propriété dans les termes jouir et disposer de l’article 544 du Code civil. Le premier fonde le pouvoir d’exclure autrui pour bénéficier de la chose à son gré. Le second fonde le pouvoir d’en disposer, d’effectuer les actes juridiques destinés à fixer le statut juridique de son bien. Le problème que l’auteur a dû résoudre est que le droit de propriété aussi largement défini qu’il le propose correspond à toutes les situations où le sujet de droit exerce une maîtrise sur un objet juridique, chose corporelle ou incorporelle, droit patrimonial ou non, si bien que la question devient : « comment trouver le genre d’une espèce qui a elle-même, par son caractère fondamental, tous les traits d’un genre ? » 46. La recherche d’une forme juridique à caractère générique devient alors malaisée ; « force est par conséquent de se tourner vers l’inaccessible notion de droit subjectif »47. Or, recherchant la définition du droit subjectif, la doctrine a oscillé entre une conception subjective – pouvoir de volonté pour Savigny 48 et Windscheid 49, appartenance-maîtrise pour Jean Dabin 50 – et une conception objective – intérêt juridiquement protégé pour Jhéring 51 , prérogative appropriée pour Roubier 52. On le constate, la propriété n’est jamais loin de ces tentatives53. Mais leur échec tient justement dans le fait d’avoir voulu élaborer une définition Frédéric Zenati, thèse précitée, n° 181. La distinction essentielle est entre le dominium et la proprietas. La proprietas n’est que « la chose elle-même, envisagée comme objet de propriété et abstraction faite de ses utilités » si bien qu’elle « n’est pas la propriété au sens où nous l’entendons dans cette étude, c’est-à-dire le pouvoir d’une personne sur une chose ». Elle doit donc être radicalement distinguée du droit qui porte sur elle, et c’est sans doute pour avoir « confondu l’unique propriété romaine au sens subjectif (le dominium) et son objet (la proprietas) que l’on a commis une série d’erreurs sur des points fondamentaux ». 46 Ibid., n° 507. 47 Ibid., n° 508. La citation complète est éclairante : « La tâche est loin d’être aisée. La notion de potestas était dans le droit romain une catégorie juridique parfaitement adaptée aux dimensions de la maîtrise des choses corporelles et des droits qu’était le dominium. Pouvoir intrinsèque de la personne s’exerçant virtuellement sur tous les éléments venant s’inscrire dans son domaine, la potestas permettait d’éviter la réduction de la propriété à une chose et rendait compte du caractère illimité des formes de son objet. Mais la puissance n’est plus une prérogative juridique spécifique dans la pensée juridique contemporaine. On parle même de « droits de puissance », pour autant qu’on utilise le concept, depuis que le déclin du patriarcat a suggéré l’abandon des différents éléments constituant la souveraineté de l’homme sur sa famille. Force est par conséquent de se tourner vers l’inaccessible notion de droit subjectif ». 48 Savigny, Système, t. 1, § IV. 49 Windscheid, Pandektenrechet, t. 1, 8e éd., par Kipp, Francfort, 1900, § 37. 50 Jean Dabin, Le droit subjectif, rééd Dalloz, 2007 (1952). 51 Rud von Jhering, L’esprit du droit romain, trad. Meulenaere, t. III, 3e éd., 1888, pp. 317-354. 52 Paul Roubier, op. cit., p. 73. 53 Frédéric Zenati-Castaing, « La propriété, mécanisme fondamental du droit », RTD Civ., 2006, p. 453 : « après l’oubli des racines dominitaires du droit subjectif et un siècle et demi de tâtonnements entre pouvoir de la volonté et intérêt juridiquement protégé, un mouvement général de rapprochement de la propriété et du droit subjectif s’est amorcé ». 45 192 applicable à tous les droits, qu’ils soient concevables à titre de biens ou inconcevables à ce titre. Un même constat s’impose pour les définitions mixtes du droit subjectif, comme celle de Léon Michoud par exemple54. Cela conduit à la nécessité de distinguer deux types de droits : ceux qui procèdent du sujet et ceux qui lui appartiennent. Or, la démonstration de Frédéric Zenati-Castaing vise justement à distinguer les droits qui traduisent la puissance du sujet, et les droits qui sont sous l’empire de cette puissance et qui, à ce titre, peuvent être considérés comme des biens. Le droit propriété est donc le véritable droit subjectif parce que, justement, il ne comporte pas d’élément ayant trait à son objet, il est uniquement prérogative sur les objets. Conçu comme une prérogative indissociable du sujet, le droit de propriété conduit à faire du « propriétaire un sujet dont l’essence est d’accomplir des actes juridiques »55 à l’égard des choses qui sont sa propriété, c’est-àdire qui sont en sa puissance. 202. Dans le prolongement de la distinction entre les prérogatives issues du statut de la personnalité juridique et les objets sur lesquels elles portent, une typologie a été proposée par un auteur de l’école néo-personnaliste, Julien Laurent, dans sa thèse relative à la propriété des droits. L’auteur distingue parmi les droits ceux qui « procèdent du sujet » et ceux qui « appartiennent au sujet »56. En cela, il reconnaît avec Frédéric Zenati-Castaing que la propriété fournit le modèle des droits-exclusion. Elle s’identifie bien au véritable droit subjectif, même s’il étend le nom à l’ensemble des droits. Ces droits subjectifs s’opposent aux droits de propriété en raison du fait que les droits-prestation sont des biens, appropriés grâce aux droits-exclusion. Les droits-exclusion procèdent du sujet dont ils sont une émanation. De ce fait, ils ne peuvent être considérés comme des choses et c’est pourquoi on peut y voir le véritable droit subjectif, celui qui a son point de départ du côté de la personne : « de telles prérogatives sont donc des pouvoirs du sujet projetés sur les biens réalisant le rattachement de ceux-ci à ceux-là » 57 . Exprimant la puissance du sujet sur l’altérité, l’identification de ce droit-exclusion au droit de propriété de l’article 544 du Code civil s’impose, l’auteur évoquant la « cosmogonie du Code civil (…), cosmogonie construite autour des droits du propriétaire »58. 54 Léon Michoud, La théorie de la personnalité morale et son application au droit français, LGDJ, 3e éd. par Trotabas, 1932 ; dans le même sens, Jellinek, System des subjectiven öffentlichen Recht, 1892, p. 42. Sur tous ces points, outre la synthèse proposée par Julien Laurent, on se reportera à celle que propose Emmanuel Gaillard, Le pouvoir en droit privé, Economica, 1985, pp. 206 et s.. Sur la thèse de cet auteur, cf. supra n° 75 p. 66. 55 Frédéric Zenati, thèse précitée, n° 536. 56 Julien Laurent, La propriété des droits, LGDJ, 2012, n° 76 p. 72. 57 Ibid., n° 80 p. 64 : « Le droit-exclusion se rapproche des conceptions subjectivistes pures qui conçoivent les droits uniquement en termes d’émanation de la personne, un lien du sujet vers le monde extérieur afin d’assurer l’expression de son pouvoir ». 58 Ibid., n° 281 p. 221. 193 203. La propriété ne peut pas être un bien parce que le bien est un objet de droit et que la propriété établit le rapport du sujet de droit à l’objet de droit. C’est pour cela que la propriété est le droit qui n’est pas un bien, le droit qui porte sur les biens. C’est pour cela que cette conception conduit à admettre la propriété des droits nés d’une obligation, parce que ceux-là sont des biens. La propriété est le mécanisme fondamental par lequel un sujet de droit participe au commerce juridique. Faire du droit de propriété un bien conduit à réduire la propriété à sa dimension objective, et à rendre inexplicable le fait que le droit de propriété permet de modifier l’ordonnancement juridique. Une chose n’agit pas, seule une personne le peut. Si le droit de propriété permet de faire des actes juridiques modifiant la situation juridique d’une chose, c’est que le droit porte sur la chose mais vient de la personne. La propriété est le rapport du sujet à l’objet et pour Frédéric Zenati-Castaing, un tel rapport ne peut s’exprimer que par une prérogative attachée à la personne59. Dans le rapport de la personne juridique aux choses, la propriété ne peut pas être distinguée entre d’autres prérogatives et toute tentative d’invoquer une alternative, comme la titularité60, masque en réalité la volonté d’appeler la propriété par un autre nom. La propriété est le droit subjectif de la personne sur les choses61. 204. C’est pourquoi « la propriété, qu’il sied de nommer droit subjectif parce qu’elle est effectivement pouvoir d’un sujet sur un objet, s’oppose donc aux droits d’obligation (ou droits relatifs), qu’il faut nommer droits patrimoniaux parce qu’ils ne se caractérisent pas tant par le pouvoir de leur bénéficiaire, traduit parfaitement par la propriété du droit, que par la relation qu’ils constituent entre deux patrimoines et, comme la plupart des objets de propriété, par leur statut de bien aliénable et saisissable »62. La propriété s’oppose aux droits réels parce qu’elle exprime ce « rapport privatif par lequel une personne fait sienne un bien ou un droit », rapport dénommé droit subjectif « dans la pensée moderne » et succédant ainsi au dominium des Romains63. C’est la raison pour laquelle la relation privative est l’atome du droit privé, mais également du droit public et qu’une personne publique, comme une personne privée, est par définition un propriétaire quand bien même elle ne possèderait pas de biens. Elle est apte à la propriété, condition de son aptitude à participer au commerce juridique. 59 Frédéric Zenati, th. précitée, n° 545. Pour l’auteur, le concept de titularité ne s’impose que pour « éviter l’utilisation du concept de propriété », ibid., n° 551. 61 Ibid., n° 547. 62 Sauf exception s’entend, la proposition ne doit soulever la question de sa transposabilité aux personnes publiques sous prétexte que les créances seraient insaisissables, ibid., n° 581. 63 Ibid., n° 593. 60 194 Frédéric Zenati-Castaing érige la propriété en mécanisme fondamental du droit par lequel les sujets maîtrisent toutes les choses et établissent toutes leurs relations intersubjectives dans le commerce juridique. Cette identification du droit subjectif et du droit de propriété s’impose parce qu’elle est le corollaire de la distinction des personnes et des choses. Elle permet de déterminer la « nature » juridique du droit de propriété, c’est-à-dire ce qu’il est par essence : le droit subjectif que le sujet exerce sur les choses 64. Le droit de propriété ne peut alors pas être un droit réel parce que les droits réels sont des biens, ce que n’est pas le droit de propriété. Le droit propriété est le véritable droit subjectif, celui par lequel le sujet établit sa domination sur tous les biens, et permet de faire apparaître le droit subjectif. 205. L’article 544 du Code civil définit le droit de propriété comme le droit de jouir et disposer des choses. C’est en fois encore à partir de cet article qu’est forgée la définition du droit de propriété par l’École « moderne ». Elle considère que la jouissance et la disposition constituent les deux éléments de définition du droit de propriété. Être propriétaire, c’est pouvoir exclure autrui, et agir juridiquement sur sa chose 65 . Elle ajoute par ailleurs qu’ils constituent également les composantes de l’aptitude de la personne juridique. Être une personne, c’est être apte à l’exclusivité et apte à la vie juridique, c’est-à-dire à édicter des actes valides66. Chacun de ces deux éléments fondamentaux donne au droit de propriété sa substance, son contenu opérationnel. Nous développerons plus longuement chacun de ces points lorsque nous établirons successivement l’irréductibilité du pouvoir de jouir de la personne publique par rapport aux personnes privées propriétaires et celle de son pouvoir de disposer de ses biens. Nous n’en dirons donc que quelques mots ici. Pour que le propriétaire puisse établir sa relation aux choses et en faire la base de sa relation avec les tiers, il doit recevoir la garantie de l’exclusivité à laquelle il peut prétendre sur son bien. C’est pourquoi l’exclusivité est l’élément essentiel de la propriété. Elle suppose de pouvoir exclure les tiers, opposabilité erga omnes garantie par la loi et qui permettra au juge de rétablir le propriétaire dans la pleine jouissance exclusive de sa chose. Prémuni contre ces atteintes à son exclusivité, il jouit alors des utilités que cette chose peut produire. La disposition est le pouvoir qu’a le propriétaire d’établir et de modifier la situation juridique de son bien. L’affectation que l’on va examiner ci-après en est une des expressions. 64 On verra que c’est parce qu’ils ont pour objet les personnes et cela sans la médiation des mécanismes par lesquels naissent les obligations dans le cadre du commerce juridique que les droits de puissance se distinguent des droits de propriété. 65 Frédéric Zenati-Castaing, Thierry Revet, Les biens, PUF, 3e éd., 2008, n° 192, p. 314. 66 66 Frédéric Zenati-Castaing, Thierry Revet, Manuel de droit des personnes, PUF, 2006, n° 106 et s. 195 Mais aussi la mise à bail du bien, la constitution d’une sûreté, d’un usufruit, ou d’un bail emphytéotique. La disposition ainsi entendue ne correspond pas à la distinction entre les actes de disposition et les actes d’administration. Celle-ci ne vient qu’ensuite, distinguant parmi les actes que le propriétaire peut faire à l’égard de ses biens. En tant que propriétaires, les personnes publiques établissent de même une relation d’exclusivité permettant de retirer les utilités de leurs biens, et bénéficient de la possibilité d’édicter les actes juridiques qui en modifieront la situation juridique. 206. L’identité de “nature” entre la propriété publique et la propriété privée vient de ce qu’elles sont réductibles à un même concept formel : le droit de propriété. Cependant, si le droit de propriété privé est fondé par l’article 544 du Code civil, cette disposition ne saurait fonder le droit de propriété public des personnes publiques. En effet, bien qu’utilisée par l’ordre judiciaire concernant le domaine privé67, le juge administratif l’a explicitement rejetée pour le domaine public 68 . Si le droit subjectif de propriété est le même, qu’un bien appartienne au domaine public ou au domaine privé, alors ce fondement doit être écarté et le juge judiciaire devrait sans doute s’abstenir de le viser. Le Code général de la propriété des personnes publiques suffirait à cet effet. Surtout, l’expression « de la manière la plus absolue » ne semble pas compatible avec les sujétions qu’implique la légalité administrative. L’article 348 du Code civil espagnol définit la propriété comme « le droit de jouir et de disposer d’une chose sauf disposition de la loi ». Une rédaction en ce sens lèverait sans doute l’objection, mais ce serait là définir la propriété de la manière la plus neutre possible. Cela ne ferait que reporter le problème. Les spécificités matérielles réapparaîtraient ensuite avec le caractère public de cette « loi », relevant de l’ordre juridique partiel du droit public ou du droit privé. La théorie « moderne » de la propriété propose un concept formel de droit de propriété. S’il est le droit de jouir et de disposer des choses conformément au droit objectif, c’est ce droit objectif qui va introduire une différenciation. Et cela commence avec la norme fondamentale du droit public, la compétence, qui est l’habilitation par laquelle les personnes publiques sont propriétaires et par laquelle leur droit de propriété est affecté ab initio et de façon générale à l’intérêt général. 67 Cass. 1ère civ., 3 juin 2010, Ville de Châteauroux, n° 09-14.633, JCP A, 2010, comm. 2230, note Philippe Yolka, pour il y a ainsi « l’ombre d’une contradiction entre les positions respectives des hautes juridictions ». 68 CAA Bordeaux, 9 mars 2006, Cne de Toulouse c. France Telecom, n° 02BX02121, JCP A , 2006, concl. Bernard Chemin. L’arrêt indique ainsi que « pour établir sa qualité de propriétaire, France Télécom ne peut utilement invoquer les dispositions de l'article 544 du Code civil qui ne sont pas applicables au domaine public ». 196 § 2 L’effet de l’habilitation sur la qualité de propriétaire : la compétence et le droit de propriété public affecté à son exercice 207. Être propriétaire n’est pas une fin en soi. Même la plus pure accumulation fait de la propriété le moyen de satisfaire un besoin, d’atteindre un but, même le plus vain et vaniteux. La puissance qu’exerce un propriétaire sur ses biens est aussi une puissance qu’il pourra exercer grâce à ces biens. La propriété est pour lui un moyen d’atteindre les objectifs qu’il se propose d’accomplir dans sa vie personnelle ou professionnelle, objectifs qui peuvent également lui être imposés par les circonstances, la volonté du législateur ou la volonté d’autrui. Cela suppose parfois de consacrer juridiquement le choix de ce but par la sélection des utilités de la chose qui sont en rapport. C’est la raison pour laquelle « c’est une technique élémentaire du droit que d’affecter un bien à un emploi déterminé »69. Inhérente à l’exercice de la propriété, l’affectation est une donnée commune aux personnes publiques et aux personnes privées qui peuvent, toutes, être propriétaires de biens affectés70. Elle est la voie par laquelle le droit appréhende la puissance du propriétaire en fonction des buts qu’il se propose de poursuivre à travers l’usage d’un bien. Elle peut aussi déterminer et fixer la finalité de l’exercice du droit de propriété qui porte sur ce bien, ou virtuellement sur tous. L’affectation d’un bien finalise donc par induction le droit qui porte sur lui (A). L’habilitation, qu’il s’agisse du statut personnel, de la loi, d’un contrat, procède à l’inverse par déduction en assignant une finalité à l’exercice même du droit de propriété. Ce faisant, elle affecte la propriété elle-même, c’est-à-dire la puissance propriétaire, réconciliant ainsi propriété et affectation que l’on avait cru devoir distinguer absolument en droit public71. Cependant, cela apporte aussi la combinaison de l’organique et du fonctionnel dont on a souligné la nécessité dès l’introduction. La propriété des personnes publiques apparaît alors comme la propriété affectée à l’exercice de la compétence, laquelle induit une finalité déterminée, à l’inverse de la capacité. Cela confère aux personnes publiques propriétaires la légitimité de cette qualité et leur autonomie à l’égard des personnes privées. Cela fondera les spécificités du régime d’appropriation qui y correspond, le droit de propriété public (B). 69 Frédéric Zenati-Castaing, Thierry Revet, Les biens, PUF, 3e éd., 2008, n° 236 p. 383. Comme on le verra, ce n’est donc pas le principe de l’affectation qui différencie les deux ordres juridiques mais l’objet de l’affectation. Univoque en droit public où l’affectation de la part d’une personne publique ne peut être qu’en rapport à l’utilité publique, l’affectation en droit privé est équivoque, pouvant correspondre à des fonctions multiples dont certaines seulement sont d’intérêt général. L’idée de distinguer l’affectation univoque ou équivoque a été formulée par Soraya Ziouche, Propriété privée et propriété publique : recherche d'une notion juridique commune, mémoire de M2 Droit privé fondamental rédigé sous la direction de Frédéric Zenati-Castaing, Lyon 3, 2014, spéc. pp. 102-106. 71 Philippe Yolka, La propriété publique. Éléments pour une théorie, LGDJ, 1997, qui visait l’affectation des biens et non du droit de propriété, élément que l’on peut donc simplement adjoindre au critère organique identifié et qu’il ne s’agit pas de remettre en cause, bien au contraire. 70 197 A. L’exercice finalisé du droit de propriété par induction : l’affectation d’un bien L’affectation n’est cependant pas une notion à la définition assurée et doit donc être précisée, notamment par rapport à la destination dont on considèrera qu’elle est un synonyme. Elle se définit comme l’acte juridique par lequel un bien est destiné à un usage déterminé. L’affectation est la norme d’usage d’un bien (1). En fixant une norme d’usage au bien, l’affectation s’impose à tous ceux qui seront en rapport avec le bien et auxquels la norme sera opposable. Il en va ainsi du propriétaire dont l’affectation du bien induit une norme d’exercice de son droit à l’égard de cette chose (2). 1) L’affectation : norme d’usage d’un bien 208. Philippe Yolka constate qu’il « a beaucoup été écrit sur ce vieux couple que forment, en droit administratif des biens, les notions de propriété et d’affectation, dont l’union féconde donna jadis naissance au domaine public »72. On écrit également beaucoup sur l’affectation en droit privé, où les relations semblent plus tumultueuses encore. La cause en est l’introduction en droit français du mécanisme de la fiducie73, dont Blandine Mallet-Bricout a pu dire « qu’il s’agit sans aucun doute d’une petite révolution juridique, tant la fiducie semble s’échapper d’un certain classicisme à la française, aussi bien en ce qui concerne la notion de patrimoine que celle de propriété » 74. Il est intéressant de souligner qu’au moment même où les publicistes prétendent, pour certains, assimiler la propriété des personnes publiques à celle des particuliers, les privatistes en viennent à se demander s’il n’existe pas plusieurs propriétés en raison de l’existence de propriétés affectées. Peut-être est-il préférable, face au risque d’éclatement de la propriété, de concevoir la propriété d’une façon unique du point de vue formel et de lui permettre d’accueillir toutes les réalités que donne à voir le droit positif du point de vue matériel75. Dans ce modèle formel de propriété, l’affectation doit tenir une place essentielle qui rende compte de la présence de ce mécanisme tant en droit privé qu’en droit public. 72 Philippe Yolka, « Affectation vs. Propriété ? », RLCT, sept. 2013, p. 3. Loi n° 2007-211 du 19 février 2007 instituant la fiducie, codifiée aux articles 2011 et s. du Code civil. 74 Blandine Mallet-Bricout, « Fiducie et propriété », in Mélanges Christian Larroumet, Economica, 2009, p. 298. 75 Pour une autre proposition de notion commune de propriété, Géraldine Delavaquerie, Pour une théorie de la propriété renouvelée. Étude commune des propriétés privée et publique, th. Caen, 2011, pour qui « la propriété, qu’elle soit publique ou privée, est une relation exclusive et immédiate qui confère au propriétaire le bénéfice du régime juridique du bien », n° 674 p.511. Le problème de cette définition est de considérer que l’essentiel du régime s’applique au bien avant de s’imposer (ou d’être utilisé) au propriétaire. Nous voulons précisément démontrer que le régime du bien n’est qu’une des sources des règles régissant l’exercice de la propriété. 73 198 209. Il faut au préalable trancher la question relative à la distinction qu’il convient de faire ou non entre les notions d’affectation et de destination. Si pour Romain Boffa76 et Blandine MalletBricout77 la distinction peut s’avérer utile, la majorité de la doctrine retient leur synonymie 78. C’était déjà la position de Serge Guinchard dans le cadre du droit privé79. En droit public, l’affectation, « poutre maîtresse de la domanialité publique »80, tient un rôle si prépondérant qu’elle embrasse toutes les dimensions du mécanisme par lequel un bien est mis en rapport avec un but ou une activité 81 . En droit privé, les termes sont concurrents pour désigner les mêmes phénomènes juridiques. Par conséquent, l’apport conceptuel d’une distinction impliquerait, pour être traduit en droit positif, une réécriture du droit public et du droit privé pour les y conformer. C’est pourquoi nous nous en tiendrons, dans le cadre de cette thèse, à la synonymie des termes. Nous verrons cependant ci-après que la distinction proposée par Blandine Mallet-Bricout est particulièrement éclairante pour faire apparaître l’idée que le droit de propriété peut être luimême affecté et non seulement les biens qui en sont l’objet. Il faut pourtant reconnaître que la distinction aurait un intérêt certain, particulièrement en droit public. En effet, si la domanialité publique globale 82 conduit à marquer l’affectation d’un ensemble immobilier à un même service public, distinguer la destination particulière de chacun des éléments serait sans doute une technique intéressante. La distinction permettrait notamment de distinguer les biens ayant une destination de plus grand service et les biens ayant une destination de plus grand profit, cela sous l’empire d’une même affectation générale à un même service public. Il y aurait cependant possibilité de distinguer ainsi le degré d’application du droit économique en fonction du caractère marchand ou non associé à la gestion de tel ou tel bien. Ces réflexions rejoignent celles qui nous conduiront à isoler au sein d’un même 76 Romain Boffa, La destination de la chose, Defrénois, 2008, n° 9 p. 10. Blandine Mallet-Bricout, « Propriété, affectation, destination. Réflexions sur le lien entre propriété, usage et finalité », Revue juridique Thémis (RJTUM Québec), 2014, n°2, n° 1. 78 Gérard Cornu, Vocabulaire juridique, Association Henri Capitant, PUF, 9e éd., 2011, v° Affectation : « la détermination d’une finalité particulière en vue de laquelle un bien sera utilisé ». 79 Serge Guinchard, L’affectation des biens en droit privé français, LGDJ, 1976, n° 42. 80 Rapport de synthèse de J. Morand-Deviller, Réflexions sur le Code général de la propriété des personnes publiques, actes du colloque, université de Lille II du 29 novembre 2006, présidé par Jacqueline Morand- Deviller, sous la direction de Stéphane Guerard, Litec, 2007, p. 131. 81 Philippe Godfrin, Jacques Degoffe, n° 109 p. 74 : « La doctrine a longtemps affirmé que l'affectation est réalisée par le classement qui constitue l'acte juridique par lequel l'administration décide officiellement de la destination du bien » ou encore n° 153 p. 107 : « destination du domaine ». Jean-Marie Auby, Pierre Bon, Jean-Bernard Auby, Philippe Terneyre, n° 30 p. 24 : « La distinction a pour principe une discrimination entre les biens publics en fonction de leur destination, ou de leur absence de destination, d'intérêt général », synonyme d’affectation puisque visent la distinction entre domaine public et domaine privé. Gustave Peiser, p. 24 : « Les auteurs ont fait remarquer que tous les biens des collectivités publiques sont par définition affectés à l'intérêt général. Le critère de distinction entre domaine public et domaine privé n'a pas grande utilité dans la mesure où l'on fait entrer dans le domaine privé des biens dont la destination générale est certaine (promenades publiques, biens affectés à un service public sans aménagement spécial) ». 82 La domanialité publique globale consiste à considérer un ensemble de biens comme un ensemble cohérent soumis en bloc à la domanialité publique, tel qu’un Hôpital de grande taille par exemple. Voir, p. ex., Yves Gaudemet, Droit administratif des biens, LGDJ, 15e éd., 2014, n° 189 et s. Cette théorie atteint certaines limites, particulièrement dans la période récente qui vise plutôt à limiter l’extension du domaine. Fabrice Melleray, « De quelques incertitudes relatives à la “théorie” de la domanialité publique globale », Mélanges Etienne Fatôme, Dalloz, 2011, pp. 321 et s. 77 199 organisme de droit public les activités qu’il met en œuvre sous la forme de fonds administratifs individualisés. Nous laisserons donc cette réflexion en concluant que la synonymie de l’affectation et de la destination mériterait d’être discutée et cela jusqu’à conduire, éventuellement, à une clarification dans les termes de la loi. Ces derniers imposent cependant d’admettre leur confusion en dehors des réflexions doctrinales. 210. Pour le commissaire du gouvernement Latournerie, l’affectation, « c’est la détermination du but assigné à un bien ou à une institution juridique et qui donne à la fois, aux pouvoirs impartis aux autorités publiques qui ont à atteindre ce but, leur fondement et leur mesure »83. Pour Serge Guinchard, affecter ou destiner c’est « soumettre un bien à un usage déterminé »84. Bien qu’il rejette la synonymie des termes, cette définition est à rapprocher de celle que donne Romain Boffa de la destination comme « une norme d’usage assignée à une chose par un acte juridique »85. Si un fait juridique peut aussi donner lieu à une affectation constatée par le juge86, cette hypothèse semble en revanche devoir être réservée au droit privé. Cela fait apparaître une différence essentielle. L’acte matériel par lequel une personne publique affecte un bien révèle une décision administrative comme la signature d’un contrat révèle la décision de le signer. Cela conduit donc à affirmer qu’en droit public, l’affectation est toujours un acte juridique, même s’il est implicite et que l’acte de classement n’est pas exigé. La définition d’André de Laubadère semble donc pouvoir faire la synthèse des développements qui précédent : « L'affection est l'acte ou le fait par suite desquels est donnée au bien sa destination particulière »87, cette destination devant être entendue comme une norme d’usage du bien ainsi affecté. « En tant que projection du sujet sur l’objet, écrit Marie-Laure Mathieu-Izorche, la destination apparaît alors à la fois comme manifestation de volonté et comme incarnation de cette volonté dans la chose même »88. Il faut enfin considérer que l’affectation produit un bien affecté, voulant entendre par là que l’affectation correspond à la fois à l’acte d’affectation et au résultat de l’acte 89. L’affectation est donc nécessairement un acte de volonté, soit du propriétaire de la chose soit d’un tiers, éventuellement d’un détenteur de la puissance publique. En effet, l’État, par la 83 Roger Latournerie, concl. sur CE, 28 juin 1935, Marécar, RDP, 1935, p. 590. Serge Guinchard, L’affectation des biens en droit privé français, op. cit., n° 15. 85 Romain Boffa, La destination de la chose, op. cit., n° 581 p. 431. 86 L’opposition n’est d’ailleurs pas si radicale dans la mesure où Romain Boffa relève, op. cit., n° 161 p. 109 que « l’extériorisation de la destination, qu’elle soit le fruit d’une convention, d’un acte unilatéral ou collectif, est accomplie par des éléments matériels ou formels qui permettent aux tiers d’en prendre connaissance ». Ces éléments matériels peuvent être suffisants en droit public, c’est-à-dire sans acte de classement. Mais la décision d’affectation est de toute façon considérée comme un acte juridique, qu’elle soit explicite ou non. 87 André de Laubadère, Traité de droit administratif, t. II, éd. 1980, n° 256. 88 Marie-Laure Mathieu-Izorche, préface à la thèse de Romain Boffa, op. cit., p. V. 89 En ce sens, Caroline Cassagnabère, « Définir l’affectation ? Réflexion sur la notion d’affectation sous le prisme de la volonté et de l’intérêt », Rev. jur. de l’Ouest, 2013, p. 159. 84 200 loi, mais aussi d’autres autorités publiques en vertu de la loi sous forme de servitudes administratives, peuvent affecter d’autorité un bien appartenant à une personne privée. Il en va ainsi, par exemple, des emplacements réservés prévus à l’article L. 123-2 b) du code de l’urbanisme que l’on peut interpréter comme l’affectation du bien à la réalisation d’un projet futur. 211. L’affectation permet « de produire une utilité qui s’ajoute à celles qu’elle comporte ou qui accentue une utilité préexistante »90. Elle est autrement dit une opération de sélection d’une ou plusieurs utilités qu’un bien peut servir et que l’on décide de lier juridiquement à un but dont elles sont de nature à permettre ou favoriser la réalisation. Par exemple, la clause de réserve de propriété permet au vendeur d’affecter la seule utilité du bien de lui appartenir, la proprietas, au but de garantir le paiement du prix par l’acheteur91. Fruit d’un acte juridique ou d’un fait, la source de l’affectation peut être la volonté du propriétaire, la volonté d’un tiers, ou la volonté de l’État par la loi (ou une mutation domaniale dans le cas des personnes publiques). Le phénomène existe tant en droit privé qu’en droit public si bien que tant les personnes publiques que privées peuvent être propriétaires de biens affectés92. Cette présence de l’affectation dans les deux ordres juridiques nous semble venir de l’omniprésence de l’idée de but qui rejoint les réflexions de Louis Josserand : « c’est le but qui crée le droit ; c’est la fin poursuivie qui justifie les moyens employés, et le droit tout entier, public ou privé, interne ou international, se ramène à une vaste téléologie sociale »93. L’affectation consiste à rendre juridiquement explicite le but que l’on se propose de réaliser par l’usage déterminé d’une certaine chose ou d’une certaine universalité de choses. « La chose se charge alors de la subjectivité du sujet : elle renvoie aux espérances que place en elle la personne et qui l’ont conduite à conclure l’acte juridique »94, ce qui selon nous renvoie à l’acte unilatéral de l’État législateur ou au contrat du propriétaire privé. 212. Il faut donc souligner que le droit ne s’intéresse qu’aux affectations qui ont vocation à être prises en compte par lui. Ainsi que l’écrit Romain Boffa, « la destination, au sens juridique du 90 Frédéric Zenati-Castaing, Thierry Revet, Les biens, PUF, 3e éd., 2008, n° 236 p. 383. Mécanisme introduit par l’ordonnance du 23 mars 2006 réformant les sûretés, codifié aux articles 2329 4° (meubles) et 2273 al. 2 (immeubles) du Code civil. 92 Sont des biens privés affectés au désintéressement des créances les biens qui font l’objet d’une sûreté, d’un gage ou d’une hypothèque par exemple. Sont affectés les immeubles qui ont reçu une destination formellement déterminée, à usage d’habitation ou commercial par exemple. Sont affectés enfin à l’utilité publique, les ouvrages publics appartenant aux personnes privées. 93 Louis Josserand, Les mobiles dans les actes juridiques du droit privé, Dalloz, rééd. 2006 (1928), p. II. 94 Romain Boffa, op. cit., n° 165 p. 115. 91 201 terme, suppose de rencontrer autrui » sans quoi « le droit se désintéresse des finalités susceptibles d’être dévolues à une chose par l’individu »95. Ce qui importe à présent est de démontrer en quoi l’affectation d’un bien, si elle lui assigne un but, induit par conséquent une norme d’exercice du droit de propriété dont le bien est l’objet. En effet, « ricochet insolite du monde des choses vers celui des personnes, la destination de la chose détermine le statut du sujet à travers le régime des actes qu’il accomplit »96. Cela permet de considérer que toute affectation d’une chose entraîne pour conséquence l’affectation du droit qui porte sur cette chose, première étape vers l’idée que la puissance du propriétaire elle-même peut être affectée et in fine, dans le cas des personnes publiques, a priori et à l’égard de tout bien présent ou à venir dans son patrimoine. 2) L’induction d’une norme d’exercice du droit de propriété à partir de l’affectation du bien 213. Si les affectations sont parfois inconnues du droit, toutes celles qui l’intéressent sont fondées et régies par lui, évidence qu’il convient d’expliciter pour faire apparaître les déterminants objectifs de la volonté subjective de la personne juridique qui affecte une chose. Cette personne peut être le législateur, il n’en demeurera pas moins que « seule une finalité en adéquation avec les potentialités matérielles de la chose et les prescriptions de la loi [au sens le plus large, incluant la Constitution] peut recevoir le sceau de la juridicité »97. En droit public, comme en droit privé, « le pouvoir d’affecter une chose à un usage déterminé s’exerce dans un contexte objectif préexistant »98 constitué à la fois de la nature de la chose et du droit objectif applicable. Déterminée par le droit objectif dans son principe, l’affectation y fait également appel dans son exécution. C’est ce que Romain Boffa révèle avec l’idée de fonction normative de la destination, laquelle « contribue à l’articulation des droits subjectifs sur la chose et à l’application du droit objectif à la chose »99. L’affectation ou la destination d’un bien est une norme d’usage. Cela signifie que cette affectation est un devoir-être 100 , que le bien doit être utilisé conformément au but auquel correspond la destination du bien affecté. Cette norme s’impose à toutes les personnes 95 Romain Boffa, ibid., note 81 p. 35 ; Marie-Laure Mathieu-Izorche écrit ainsi à la préface, p. VIII : « sans acte juridique relatif à la chose, la destination reste dans l’intimité du sujet et n’intéresse pas le droit ». 96 Ibid., n° 587 p. 433. 97 Ibid., n° 309 p. 205. 98 Ibid., n° 582 p. 431. 99 Ibid., n° 312 p. 208. 100 Hans Kelsen, Théorie générale des normes, Leviathan, PUF, trad. O. Beaud et F. Malkani, 1996, p. 2 : « dans la mesure où le mot “norme” désigne une prescription ou un ordre, la “norme” signifie que quelque chose doit être ou doit avoir lieu (…). Le devoir-être, la norme, est la signification d’une volonté, d’un acte de volonté ». 202 juridiques auxquelles l’affectation sera opposable101. En droit privé, cela signifie que « le preneur doit ainsi jouir de la chose selon la destination conventionnellement fixée par les parties ; de même l’utilisateur d’une œuvre doit-il s’inscrire dans la finalité assignée par son auteur, et le vendeur doit garantir à l’acheteur l’aptitude de la chose à fournir l’usage préalablement fixé dans la convention »102. En droit public, affecter un bien à l’usage direct du public induit l’application de la domanialité publique indépendamment de la volonté de la personne publique 103. Si le CG3P admet les servitudes conventionnelles du droit privé sur le domaine public, seules sont légales celles qui sont compatibles avec l’affectation que le domaine a reçu 104. En droit privé comme en droit public, l’affectation a en effet pour conséquence une qualification juridique par laquelle un régime devient applicable, ce que Romain Boffa appelle « une norme de catégorisation, c’est-à-dire d’application du droit objectif à la chose »105. En droit public, l’affectation d’un immeuble à un usage de bureaux a pour effet en droit public de déclencher l’application de l’article L. 2211-1 et de classer ledit immeuble dans le domaine privé de la personne publique propriétaire. En droit privé, l’affectation d’un immeuble à un usage commercial ou d’habitant dans un bail aura pour effet de déclencher l’application du régime du bail commercial ou du bail d’habitation 106 . L’affectation est donc une donnée générale de la propriété, commune au droit public et au droit privé et elle répond aux mêmes modalités de mise en œuvre, au moins du point de vue formel. 214. Même si nous devons nous accorder sur la synonymie, en droit positif, de l’affectation et de la destination, il faut revenir sur la distinction qu’en propose Blandine Mallet-Bricout. Cette dernière propose en effet de « considérer que la destination renvoie à l’usage déterminé d’une chose et que l’affectation renvoie à la finalité qui est donnée à cet usage » 107 . Cela permet de faire apparaître la possibilité d’une affectation du droit de propriété lui-même. L’affectation se situe donc à un degré de virtualité supérieur par rapport à la destination qui concerne nécessairement un bien déterminé, identifié. On peut donc appréhender la finalité Romain Boffa, La destination de la chose, op. cit., n° 316 p. 211 : « Le “destinataire” de la norme d’usage de la chose est l’utilisateur de cette chose. Quelle que soit la nature de son droit sur le bien, droit de propriété, droit personnel de jouissance, droit réel, l’utilisateur est potentiellement atteint par la destination ». 102 Ibid., n° 5 p. 4. 103 L’exigence d’un aménagement pour les affectations à l’usage direct du public ayant disparu définitivement avec l’adoption du CG3P, il résulte que le seul fait qu’un bien soit affecté à cet usage l’incorpore au domaine public et appelle l’application du régime correspondant. 104 Art. L. 2122-4 CG3P : « Des servitudes établies par conventions passées entre les propriétaires, conformément à l’article L. 639 du Code civil, peuvent grever des biens des personnes publiques (...) qui relèvent du domaine public, dans la mesure où leur existence est compatible avec l’affectation de ceux de ces biens sur lesquels ces servitudes s’exercent. » 105 Ibid., n° 315 p. 209. 106 Idem : « La destination constitue un critère décisif de rattachement de la règle de droit au bien concerné. C’est en effet au regard de l’usage dévolu à la chose que se détermine l’application du corpus de règles. La législation sur les baux, qui se morcelle en fonction de la destination commerciale, rurale ou d’habitation des lieux, en constitue la manifestation la plus éclairante ». 107 Blandine Mallet-Bricout, préc., n° 3. 101 203 d’un bien particulier ou plus largement la finalité de l’exercice de la propriété indépendamment de tout bien particulier. C’est pourquoi « l’étude des liens entre propriété, affectation et destination, intéresse tant la propriété tournée vers l’usage, que la propriété centrée sur elle-même, cette « propriété affectée » dont on n’est pas certaine qu’elle puisse facilement se rattacher à la propriété telle qu’entendue classiquement ». L’origine de l’affectation est la volonté déterminante du propriétaire ou la loi ; la compétence, à notre sens, est un régime d’affectation s’appliquant à la personnalité juridique et à l’aptitude à la propriété elle-même. Lorsqu’elle a pour objet un bien, l’affectation est justifiée par le rapport du bien à la personne ou à l’activité à laquelle le bien est destiné. Si l’affectation a pour objet la personne, alors c’est l’ensemble de son activité juridique et donc chacun des droits subjectifs qu’elle exercera qui subissent le régime de l’affectation. 215. Autrement dit, si du point de vue objectif l’affectation est « un modèle d’utilisation de la chose »108, elle est du point de vue subjectif un modèle d’exercice du droit de propriété, pour le propriétaire. Cela est évidemment le cas lorsque l’affectation est imposée au propriétaire par la loi, « le choix de la destination de la chose [n’est alors] pas laissé à l’entière discrétion de son propriétaire mais est conditionné par les objectifs poursuivis par le pouvoir politique »109. Mais la destination s’impose même au propriétaire lorsqu’il en a décidé de manière unilatérale, l’adage tu patere legem quam ipse fecisti s’appliquant en quelque sorte. Ainsi, le propriétaire qui décide d’affecter des meubles à un immeuble sera ensuite tenu de respecter le changement de qualification qui en découle, sauf bien sûr à désaffecter lesdits meubles. Il en va donc ici comme pour les personnes publiques, l’affectation oblige celui qui l’a décidée comme ceux à qui elle s’impose par son opposabilité. Cependant, si l’affectation du bien à une certaine finalité induit une limitation de l’exercice du droit de propriété qui porte sur ce bien, une approche déductive existe également en droit positif. Il s’agit de cas de « propriété affectée » où ce n’est pas le bien qui est destiné à un but, mais le propriétaire qui se voit confier une mission, laquelle détermine l’exercice du droit de propriété sur les biens qui sont affectés à son accomplissement, à la satisfaction du bénéficiaire. 216. Parce qu’elle s’impose au propriétaire, l’affectation s’apparente aux restrictions à la disposition que peuvent prévoir les lois et règlements mais également les actes juridiques 108 Romain Boffa, op. cit., n° 581 p. 431. Ibid., n° 60 p. 46. Dans ce cas, il y aura également un contrôle de l’administration a priori et un contrôle juridictionnel par le juge judiciaire a posteriori, ibid., n° 76 p. 56 : « La volonté individuelle n’est pas souveraine. Tandis que le contrôle exercé par l’administration s’effectue essentiellement de manière préventive, c’est-à-dire au seuil de la décision du propriétaire de choisir une destination donnée par le biais d’une autorisation, le juge judiciaire intervient a posteriori pour priver d’effet une destination née en contravention par rapport à la loi ». 109 204 contractuels ou unilatéraux ayant un effet obligatoire110. Cela permet de faire apparaître ce point essentiel qui est que l’affectation conduit, par induction, à faire de la norme d’usage du bien une norme d’exercice du droit de propriété. On peut se référer à l’analyse que fait Julien Laurent de l’indisponibilité comparée à l’incapacité qui sont également des normes d’exercice du droit par induction ou déduction. En effet, « l’indisponibilité d’un bien est l’équivalent de l’incapacité d’une personne dans le domaine des biens : une mise à l’écart du commerce juridique » 111 . Autrement dit, l’incapacité renvoie à une restriction du pouvoir de disposer s’appliquant à la personne juridique, donc dès le stade de son pouvoir fondamental et virtuel, tandis que l’indisponibilité est un élément du régime des biens. Dans les deux cas, l’intensité peut être variable, allant de la mise hors commerce totale en interdisant tout acte juridique, à une simple restriction organisant l’illégalité de certains actes. La distinction entre les deux se fait donc selon que la disposition vise la personne ou le bien. Il faut cependant remarquer que la restriction au pouvoir de disposition relativement à un bien ou une catégorie de biens « retentit nécessairement sur la condition juridique du propriétaire » et crée donc en quelque sorte « une incapacité à raison de cette chose » 112. L’affectation du bien finalise l’exercice du droit. L’affectation du droit inscrit toutes les finalités virtuelles du bien dans un champ délimité. C’est cela la propriété affectée, et elle l’est par une norme d’habilitation qui vient compléter la capacité des personnes publiques ou la compétence des personnes. Mais cette dernière est en elle-même une norme d’habilitation comprenant une affectation de l’aptitude à la propriété et de tous les droits de propriété de la personne publique. B. L’exercice finalisé du droit de propriété par déduction : la propriété affectée par habilitation du propriétaire 217. Frédéric Zenati-Castaing et Thierry Revet considèrent que « la propriété est fiduciaire lorsqu’une personne devient propriétaire afin d’exécuter une mission, à l’issue de laquelle la chose est restituée à l’aliénateur initial ou un tiers par lui désigné » 113 . Le propos est destiné à rendre compte de l’introduction de la fiducie en droit français, ce que les auteurs considèrent comme l’archétype d’une propriété affectée. Il faut souligner qu’ils considèrent par ailleurs que la propriété publique a été, avant l’apparition de la fondation, la toute première forme de propriété affectée en droit français. Pour Frédéric Zenati-Castaing en particulier, l’affectation « réconcilie la propriété 110 Julien Laurent, op. cit., n° 596 p. 456 : « il y a autant de restrictions potentielles au droit de disposer que d’actes de dispositions possibles ». 111 Ibid., n° 597 p. 457. 112 Ibid., n° 608 p. 466. 113 Frédéric Zenati-Castaing, Thierry Revet, Les Biens, PUF, 3e éd, 2008, n° 252 p. 404. 205 privée et la propriété publique »114. Nous voulons prolonger cette réflexion en considérant que la réconciliation signifie en réalité qu’il est possible de se présenter la propriété des personnes publiques et des personnes privées selon un même modèle dans lequel l’affectation tient un rôle essentiel. Cependant, les personnes privées ne peuvent que devenir des propriétaires fiduciaires car la capacité n’est associée à aucune mission déterminée. En droit privé, l’affectation est nécessairement médiate, se rapprochant des affectations spéciales que connaît aussi le droit public (1). A l’inverse, les personnes publiques naissent à la vie juridique comme des propriétaires fiduciaires. La compétence suppose l’existence d’une mission à laquelle l’aptitude à être propriétaire et le droit qui la concrétise seront affectés immédiatement, avant même l’intervention d’un statut catégoriel spécifique ou d’un acte juridique postérieur (2). 1) Le développement des mécanismes de propriété affectée en droit français et la convergence des propriétés publique et privée 218. L’affectation d’un bien en droit privé est une donnée qui existe depuis l’écriture du Code civil en 1804, soit l’origine du droit français contemporain à tel point que, pour Blandine MalletBricout, « l’affectation se situe bien au cœur de la propriété, propriété civiliste classique, propriété originaire ou coutumière telle qu’elle est entendue dans plusieurs États ou régions du monde »115. Il faut donc parler de développement de l’affectation pour rendre compte du phénomène qui saisit le droit privé des biens développement qui a connu une accélération dans la période récente pour aboutir à trois cas topiques de propriété affectée : la fondation, l’EIRL et la fiducie qui sont trois techniques par lesquelles un patrimoine est mis au service d’un but conformément auquel la propriété doit être exercée. Il faut cependant tirer l’exacte portée d’un phénomène qui ne s’oppose pas à la propriété privée. Il confirme seulement l’obsolescence de sa conception classique. La conception moderne permet à l’inverse d’intégrer à la forme de la propriété décrite précédemment tous les cas de propriété affectée tandis que nous pouvons les faire correspondre à la notion de capacité, habilitation indéterminée a priori du droit privé. 219. Deux évolutions majeures sont venues contredire deux piliers du droit français des biens. Tout d’abord, l’introduction de patrimoines d’affectation est venue remettre en cause le dogme selon lequel une personne n’a qu’un seul patrimoine. En effet, le fiduciaire est désormais 114 115 Frédéric Zenati-Castaing, « Le crépuscule de la propriété moderne », préc., p. 236. Blandine Mallet-Bricout, « Propriété, affectation, destination », préc., n° 12. 206 titulaire d’un patrimoine d’affectation qu’il tient distinct de son patrimoine propre. L’évolution fut confirmée par l’introduction de l’entrepreneur individuel à responsabilité limitée (EIRL) 116 que l’on peut définir comme « le statut permettant à une personne physique d’affecter à une activité commerciale, artisanale, libérale ou agricole un patrimoine distinct de son patrimoine personnel sur lequel il est tenu des dettes professionnelles à concurrence de son apport, sans créer de personne morale »117. Un individu comme une personne morale peuvent avoir plusieurs patrimoines. La seconde évolution est née de l’appréhension de la propriété du fiduciaire comme une propriété finalisée, jugée contraire à la propriété classique au point que certains auteurs ont voulu refuser d’admettre qu’il était propriétaire du patrimoine fiduciaire. 220. Dans les deux cas, il nous semble que la conception moderne de la propriété permet de rendre compte de ces phénomènes sans remettre en cause l’unité de la propriété formelle comme le droit de jouir et disposer d’une chose. Dans le cas des patrimoines d’affectation, la séparation du sujet et de l’objet conduit à considérer que la personne n’a pas un seul patrimoine mais une seule puissance, la sienne propre, qu’exercent ses droits subjectifs sur chacun des biens qui y sont placés. Dans le cas d’un patrimoine d’affectation, il y a donc simplement une division parmi les biens placés en la propriété de la personne qui a donc toujours le même droit de propriété, car son fondement est elle-même, mais qui sera exercé différemment suivant qu’il porte sur un bien affecté ou non, sur un bien qui est compris dans son patrimoine général ou dans un patrimoine d’affectation. Par suite, la propriété du fiduciaire sur le patrimoine de la fiducie est nécessairement la même que celle qui porte sur chacun de ses biens puisque c’est dans sa personnalité qu’elle trouve son fondement. En revanche, elle trouve avec la fiducie un contexte normatif qui imprime à l’exercice du droit de propriété certaines spécificités. 221. Cela signifie que l’affectation du patrimoine de la fiducie induit pour le fiduciaire un exercice de la propriété qui soit conforme à l’affectation. Mais c’est bien médiatement, par la convention de fiducie, que sa puissance est finalisée et ainsi régie par un régime distinct de celui qui s’applique à l’ensemble de ses autres biens. Le patrimoine d’affectation est une individualisation d’un ensemble de biens au sein du patrimoine général de la personne. Le patrimoine est une projection de la puissance du sujet qui fait apparaître son résultat, sa forme objective, l’ensemble des biens qui sont soumis à cette puissance. Le domanium, et l’ensemble des 116 117 Loi n° 2010-658 du 15 juin 2010. Gérard Cornu, Vocabulaire juridique. 207 biens soumis au dominium du dominus. Les termes s’appliquent donc aux concepts modernes de patrimoniale, de droit subjectif et de sujet de droit. Lorsqu’une personne publique affecte et aménage un bien de sorte qu’il incorpore son domaine public, sa puissance de propriétaire est concrétisée par le même droit de propriété que sur ses autres biens, mais elle est régie par un régime qui est induit par la domanialité publique de ce bien en particulier. C’est médiatement que le droit est finalisé, affecté. Il faut souligner que le fait, en droit public, de confier une mission à une personne privée à charge pour elle d’acquérir ou de construire puis d’affecter et d’utiliser les biens pour le seul accomplissement de cette mission est une chose parfaitement connue. Il s’agit de la concession. Le phénomène a même constitué un moyen de gouvernement à part entière sous l’Ancien-Régime118. 222. De nos jours, la concession est un moyen privilégié pour construire des ouvrages119 ou exploiter des services publics120 exigeant des investissements et des savoir-faire dont ne dispose pas une collectivité publique. Le concessionnaire acquiert et construit les biens nécessaires à l’activité, lesquels sont alors des biens de « retour ». En principe propriété ab initio de la personne publique, ils font en effet retour à la personne qui en retrouve la pleine propriété après n’en avoir donc concédé que l’usage durant le contrat. Cependant, il est désormais possible de déroger à la règle. Sauf si la domanialité publique y fait obstacle, les biens de « retour » peuvent être placés dans le patrimoine du concessionnaire, soumis à son droit de propriété ce qui permet, s’il est une personne privée, de recourir au crédit-bail121. Lorsque ces biens sont la propriété du concessionnaire et non de la personne publique, on peut légitimement considérer qu’il exerce sur eux un droit de propriété une propriété « fiduciaire ». L’affectation du droit de propriété à l’égard du « patrimoine concessif », est le résultat du contrat de concession qui est à l’image du contrat de fiducie une habilitation complémentaire venant fonder et régir l’exercice de la propriété. C’est une fois encore une affectation médiate. 118 Jean-François Sestier, Le développements des techniques administratives conventionnelles, th. Lyon 3, 1988, spéc. pp. 46-49. La concession de travaux publics est, au sens de l'ordonnance n° 2009-864 du 15 juillet 2009, le contrat administratif dont l'objet est de faire réaliser tous travaux de bâtiment ou de génie civil par un concessionnaire dont la rémunération consiste soit dans le droit d'exploiter l'ouvrage, soit dans ce droit assorti d'un prix. 120 La concession de service public est « le modèle de type de la délégation de service » et suppose pour le délégataire d’effectuer les investissements nécessaires puis d’exploiter le service à ses risques et périls. Elle se distingue notamment de l’affermage qui confie la gestion d’un service public à l’exclusion des investissements qui s’y rapportent. Cf. JeanFrançois Lachaume, Hélène Pauliat, Claudie Boiteau, Clotilde Deffigier, Droit des services publics, LexisNexis, 2011, pp. 370-375. 121 CE Ass., 21 déc. 2012, Commune de Douai, n° 342788, AJDA, 2013, p. 7 ; RFDA, 2013, p. 25 concl. Bertrand Dacosta ; Laetitia Janicot, Jean-François Lafaix, « Le juge administratif, le contrat et la propriété des biens de retour », RFDA, 2013, p. 513 ; Etienne Fatôme et Philippe Terneyre, « Le statut des biens des délégations de service public », AJDA, 2013, p. 724 ; Jean-François Sestier, « Les biens de retour, entre liberté contractuelle et encadrement aménagé », CP-ACCP, avril 2013, p. 79. 119 208 Cette affectation est la seule possible pour les personnes privées. En effet, leur habilitation par une capacité n’induit aucune finalité déterminée. Elle n’implique que des limites, celles de l’abus de droit et du trouble anormal de voisinage. La personnalité publique à l’inverse, fondée sur l’habilitation de droit public que constitue la compétence, est affectée immédiatement à l’accomplissement des missions particulières qui sont dévolues et, de manière générale, à la satisfaction de l’intérêt général, c’està-dire à l’exclusion de tout intérêt qui ne comporte pas une dimension publique. 2) L’affectation immédiate du droit de propriété des personnes publiques à l’intérêt général par leur compétence 223. Le point de départ de la réflexion réside dans le fait que le droit de propriété, qu’il soit privé ou public, doit répondre de l’exigence positiviste. Il faut que, en tant que droit subjectif, il ait, en droit objectif, une norme d’habilitation qui en fonde l’attribution et en régisse l’exercice. C’est là encore une donnée commune aux personnes publiques et aux personnes privées dont la qualité de propriétaire, pour inhérente qu’elle soit à la personnalité juridique, partage avec elle le même fondement et les mêmes limites à travers l’habilitation en droit objectif (a). En revanche, la différenciation résulte de ce que, précisément, l’habilitation du droit privé et l’habilitation du droit public sont différentes. La compétence fonde et régit un droit de propriété qu’elle affecte immédiatement à la poursuite de l’intérêt général qui en est la finalité positivement affirmée et déterminée. La capacité, elle, n’assigne au propriétaire privé aucune fonction à remplir, aucun but à poursuivre. Elle ne s’accompagne qu’au plus de limites, de buts négativement exclus car illégitimes. Le droit de propriété privé et le droit de propriété public s’opposent en raison de cette affectation nécessairement médiate du premier, et à l’inverse nécessairement immédiate du second (b). a) L’assujettissement des personnes publiques et des personnes privées propriétaires au droit objectif, fondement et limite du droit de propriété 224. Le droit français correspond à l’esprit de son époque et en 1804, la volonté individuelle n’a pas produit les drames qui fondent la conception allemande de la propriété en 1949. Le droit français se veut moderne, c’est-à-dire pétri de l’esprit des Lumières et correspondant à l’homme abstrait de la Déclaration de 1789. 209 Le sujet de la modernité, libre et rationnel, est aussi le propriétaire, celui qui exerce sur les choses « un pouvoir souverain »122. Ce sujet-origine, ce propriétaire-souverain, n’existe pas dans le droit positif. En droit positif, le sujet n’est pas une origine et une puissance parfaitement libre aux finalités indéterminées mais un sujet produit par le droit, assujetti au droit et dont les finalités sont dès lors nécessairement limitées par l’habilitation sur le fondement de laquelle le sujet est fait sujet et institué propriétaire123. C’est cela que veulent dire les termes « pourvu qu'on n'en fasse pas un usage prohibé par les lois ou par les règlements » de l’article 544 du Code civil et « sous les modifications établies par les lois ». Une personne est propriétaire en fonction du droit objectif au sein duquel se situe la norme d’habilitation qui fonde et régit son droit de propriété. Si « le projet du droit moderne a été de ramener les rapports de l’homme avec les objets à une relation unique qui exprime toute la puissance du sujet » 124 , le droit positif contemporain saisit ce rapport et enserre cette puissance dans des limites juridiques toujours plus précises et toujours plus riches des intérêts qui méritent l’attention du jurislateur. 225. C’est pourquoi l’introduction en droit français (privé) de propriétés affectées trouble les juristes au point d’y voir « le triomphe de la propriété-fonction, laquelle utilise la technique de la propriété dans un autre but que d’affirmer la souveraineté d’une personne sur une chose, celui de garantir, d’administrer, de transmettre, notamment ». Pour Frédéric Zenati-Castaing, il faut voir dans les nouvelles formes de propriété affectée la fin de l’esprit moderne au profit d’un esprit postmoderne lequel « renoue avec l’esprit pré-moderne, un esprit qui était secrété – la ressemblance est frappante avec le nouveau paradigme – par une société sans abondance et toute pétrie de l’unité entre les générations »125. Le sujet de droit des modernes correspond à une modernité naïve, trop simple et épurée. De même que la Révolution a fait table rase des corps intermédiaires, de même elle « a éradiqué les propriétés simultanées » 126 . Mais comme les corps intermédiaires, les relations économiques complexes réapparaissent. Le droit féodal était lié à une économie de rapports complexes et non de parcelles cadastrales juxtaposées. En retrouvant la complexité, le droit moderne renoue avec des formes qu’il avait fait disparaître, tout comme il a recréé des institutions entre l’individu et l’État. 122 Charles Demolombe, Cours de Code Napoléon, Paris, 1852, n° 540 p. 482. Cf. supra. 124 Frédéric Zenati-Castaing, « Le crépuscule de la propriété moderne. Essai de synthèse des modèles propriétaires », in Les modèles propriétaires au XXIe siècle, LGDJ, 2012, p. 227. 125 Frédéric Zenati-Castaing, « Le crépuscule de la propriété moderne », préc., p. 236. 126 Ibid., p. 227. 123 210 226. Cependant, l’introduction de la fiducie ne remet pas en cause le fait qu’une personne privée apparaît en droit avec une propriété à laquelle n’est assigné aucun but et qui ne connaît que les limites de l’abus de droit et du trouble anormal de voisinage. Ce n’est que par son statut particulier, un acte unilatéral ou un contrat qu’elle se voit obliger d’exercer son droit de propriété dans un but éventuellement déterminé. Mais, là encore, un tel but peut correspondre à une infinie variété de desseins, qu’il s’agisse d’un but lucratif ou non, dans l’intérêt du propriétaire ou d’un tiers et seulement en dernier lieu, éventuellement, une mission de service public. Si le droit privé connaît la propriété affectée, c’est-à-dire l’exercice du droit de propriété dans un but prédéterminé et à l’aune duquel la validité des actes du propriétaire sera évaluée, le phénomène suppose de superposer une norme d’affectation du droit à la personnalité privée Autrement dit, il faut qu’une norme d’exercice du droit de propriété vienne enrichir la capacité qui n’en comprend à l’origine aucune. Le droit privé semble donc voir dans l’affectation une anomalie de la propriété, une perturbation du modèle qui lui semble essentiel, dans lequel le propriétaire reste « empereur en son royaume » même s’il est devenu un monarque constitutionnel en raison de ces lois et règlements longtemps négligés et pourtant aussi fondamentaux dans la définition donnée par l’article 544 que les termes jouir et disposer. Ce sont ces lois et règlements qui sont particuliers en droit public parce qu’ils relèvent d’un ordre juridique partiel particulier, celui de l’action publique. Cet ordre qui fonde et régit les pouvoirs publics, fait naître entre la propriété publique et l’affectation une relation fusionnelle même si elle n’ignore pas les difficultés qu’accompagnent toujours ce genre d’union 127 . La personnalité publique implique l’affectation de la propriété à l’intérêt général comme la personnalité juridique, et privée, se contente de la seule propriété, sans plus de précision immédiate. Les personnes publiques se distinguent des personnes privées à ce stade fondamental. b) L’affectation immédiate à une finalité déterminée de l’exercice du droit de propriété public : conséquence de l’habilitation de la personne publique par une compétence Philippe Yolka se veut cependant rassurant sur l’issue du « relâchement des liens entre l’appropriation et l’affectation publiques », s’exprimant en musique plutôt avec « Brel (La chanson des Vieux Amants) que Delpech (Les divorcés) », « Affectation vs. Propriété ? », RLCT, sept. 2013, p. 3. 127 211 227. Assujetti, le propriétaire n’exerce la propriété que conformément à son habilitation si bien que même l’individu n’est pas totalement libre d’exercer son droit de propriété comme il l’entend ce dont témoigne la théorie de l’abus de droit. Cependant, l’habilitation n’assigne pas la propriété de la même manière quand elle se contente d’en fixer négativement les limites et quand elle fixe positivement un but auquel la conformité des actes est exigée. La première méthode est celle du droit privé parce qu’il est un droit de liberté. La seconde est celle du droit public parce qu’il est un droit de fonctions, les fonctions publiques 128 . C’est pourquoi la conception de Josserand quant à la relativité des droits et de leur finalité sociale a pu éveiller des craintes129. Si l’auteur écrivait bien que l’abus de droit doit sanctionner le but illégitime et non qu’il convenait de vérifier la légitimité du but 130 , le parallèle qu’il effectue parfois avec le détournement de pouvoir prête à une confusion qu’il convient d’écarter 131 . Ainsi, il écrivait ailleurs que les droits subjectifs sont « concédés par les pouvoirs publics, ils ont une mission sociale à remplir ». Il semble même hésiter à aller jusqu’à une définition positive de cette mission, d’une fonction sociale explicite et de simples limites. Il faut comparer les deux formules suivantes : « ils ne sauraient être mis, en aucun cas, au service de la malice, de la mauvaise foi, de la volonté de nuire à autrui ; ils ne peuvent pas servir à réaliser l’injustice » ; « ils ne doivent pas être détournés de leur voie régulière »132. 228. Déterminer un but à poursuivre, seul légitime, et fixer des limites aux buts que l’on peut déterminer soi-même sont deux choses différentes. C’est d’ailleurs pourquoi un auteur du droit public tend à proposer de transformer la notion de fonction telle qu’employée par Josserand en finalité dont l’exercice du droit ne doit pas se détourner133. En droit privé, la fonction sociale ne peut être admise. En droit public, elle est consubstantielle, tout pouvoir exercé devant se rattacher à une fonction publique à remplir. L’abus de droit signifie que la propriété peut être exercée pour les buts que détermine son propriétaire, à l’exception des buts qui seront jugés illégitimes, abusifs. Le détournement de 128 Sur une analyse de la dimension sociale de la propriété confrontée à la convergence du droit public et du droit privé via l’affectation et la « socialisation » du droit de propriété qui en résulte, Catherine Logéat, Les biens privés affectés l’utilité publique, Paris, L’Harmattan, 2011, pp. 235-282. 129 Antoine Pirovano « La fonction sociale des droits : Réflexions sur le destin des théories de Josserand », D., 1972, chorn. p. 67. Voir aussi, Emmanuel Gaillard, Le pouvoir en droit privé, Economica, 1985, p. 27 et s. 130 Louis Josserand, De l’esprit des droits et de leur relativité. Théorie dite de l’abus des droits, Dalloz, 2 e éd. 1939, rééd. 2006, n° 10 p. 10 : « on conçoit que la fin puisse justifier les moyens, du moins lorsque ceux-ci sont légitimes en eux-mêmes ; mais il serait intolérable que des moyens, même intrinsèquement irréprochables, pussent justifier toute fin, fût-elle odieuse et inconcevable ». 131 Louis Josserand, Cours de droit civil français, 3e éd., 1937, tome 1, n° 163 p. 119. Sur le concept de la relativité des droits : « Ce concept domine, en thèse générale, tous les droits, privés ou publics ; la théorie administrative du détournement de pouvoir n’en constitue qu’une application ». 132 Ibid., n° 162 pp. 118-119. 133 Louis Dubouis, La théorie de l’abus de droit et la jurisprudence administrative, LGDJ, 1962. 212 pouvoir renvoie à l’idée que la propriété doit être exercée dans les buts qui sont seuls légitimes. Ce mode est certes le seul possible pour une personne publique, qui n’exerce sa propriété que si elle peut justifier de l’intérêt public de son acte, fût-ce le sien propre qui n’est pas un intérêt privé. La compétence comprend immédiatement un but déterminé assigné à l’exercice du droit de propriété de la personne. Cette compétence constituera une norme de référence pour la validité de l’ensemble de ses actes juridiques. En cela elle finalise tous les droits subjectifs de la personne publique et fait de son droit de propriété un droit public comme le sont ses droits de puissance. C’est seulement parce que la puissance publique n’a plus de concurrent sérieux dans l’État moderne que la question de l’identité de « nature » entre les droits de puissance du droit public et ceux du droit privé ne s’est jamais posée. Mais c’est bien la compétence qui fonde la légitimité de la puissance publique en assignant à l’autorité qui l’exercice une finalité déterminée et des limites positives, et non réduites aux seuls abus. 229. La compétence est une notion qui semble plus précise que l’expression intérêt général car elle permet de distinguer l’intérêt général seulement consacré, qui peut être étranger à l’action publique, et l’intérêt général voulu et invoqué à l’appui de cette dernière qu’il fonde et limite à la fois. On peut ainsi aisément reformuler certaines propositions. Philippe Yolka écrit que « la propriété est publique, qu’il s’agisse du domaine public ou du domaine privé, parce que le propriétaire est une personne publique, génétiquement porteuse de l’intérêt général »134. On dira que la compétence est ce code génétique de la personnalité publique et qu’une personne publique n’agit en qualité de propriétaire que dans le cadre de sa compétence qui est, par définition, une habilitation à agir dans l’intérêt général. Elle ne porte pas seulement l’intérêt général. L’intérêt général est le référent pour la validité de chacune de ses actions, de chacun de ses actes juridiques dont elle doit pouvoir démontrer qu’ils n’ont pas été édictés dans le but de servir un intérêt purement privé. Caroline Chamard-Heim écrit que « les patrimoines publics, prolongements des personnes publiques, sont inévitablement des instruments de réalisation de l'intérêt général »135. On dira qu’ils sont des instruments pour l’exercice de leur compétence, pour la réalisation de leur mission, autant de choses qui cessent d’avoir une quelconque légitimité si l’intérêt général en est absent. Ces patrimoines sont d’ailleurs moins un instrument eux-mêmes que la réunion des biens sur lesquels porte le véritable instrument de l’exercice des compétences par les personnes 134 135 Philippe Yolka, in Les grandes décisions du droit administratif des biens, Dalloz, 2013, n° 27 p. 13. Caroline Chamard, La distinction des biens publics et des biens privés, op. cit., n° 895 p. 669. 213 publiques : le droit subjectif de propriété public. Affecté ab initio à l’action publique, celui-ci trouve dans son régime les corrélats des principes de celle-là. Les personnes publiques ne sont pas animées par « le même esprit » que les personnes privées parce que, ainsi que le soulignait Léon Michoud, l’ensemble de leur activité juridique est irrémédiablement attachée à l’intérêt général par « la règle générale des services publics »136. Norbert Foulquier parvient ainsi à la conclusion qui s’impose : « Le droit de propriété des personnes publiques (appelé aussi le droit de propriété publique) n’a pas la même nature que le droit de propriété des personnes privées » car les personnes publiques « n’existent que pour servir les administrés dans le respect de l’intérêt général »137. Autrement dit, l’habilitation que constitue la compétence a pour effet d’assigner aux personnes publiques une finalité générale, une prédestination que ne connaissent pas la plupart des personnes privées, et notamment les individus car c’est là le contraire de la liberté. La liberté n’a pas d’objet pour une personne publique. Elle est en quelque sorte ellemême un propriétaire affecté. Et ce régime d’affectation porte sur les deux prérogatives du propriétaire au sens formel : la jouissance et la disposition. Ainsi apparaît le droit de propriété public dont il convient de démontrer que les règles qu’on y associe sont autant de moyens de garantir cette prédestination de la personne publique propriétaire. Léon Michoud, « Étude sur le pouvoir discrétionnaire de l’administration », Annales de l’Université de Grenoble, T. XXV, n° 3, p. 437. 137 Norbert Foulquier, Droit administratif des biens, LexisNexis, 2e éd., 2013, n° 26 p. 15. 136 214 Section 2 Le régime de l’affectation du droit de propriété des personnes publiques 230. L’article 15 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen est sans doute une disposition de valeur constitutionnelle plus opérante que celles précédemment évoquées. En effet, s’il dispose que « la société a le droit de demander compte à tout agent public de son administration », on peut aisément considérer cette exigence s’applique par extension aux institutions dont ces agents sont désormais les organes. La société a le droit de demander compte à toute personne publique de son administration. Et son administration en tant qu’activité générale dispose pour ce faire du droit subjectif sur les choses qu’est la propriété. C’est pourquoi la société a le droit de demander compte à toute personne publique de son exercice du droit de propriété. Les personnes publiques propriétaires sont placées par leur appartenance à cette catégorie de sujets de droit sous un régime de contrôle. L’État de droit consiste à imposer à toutes les personnes publiques cette soumission au droit qui n’est pas seulement la soumission à la Loi de tous les destinataires des normes juridiques mais un ordre juridique partiel spécifiquement dédié à l’action publique, le droit public. La compétence habilite les personnes publiques à être des sujets de droit, par conséquent des propriétaires ; elle fonde et régit le droit de propriété publique qu’elles vont pouvoir appliquer à leurs biens. Elle affecte l’exercice de ce droit à l’intérêt général et plus particulièrement aux missions qui sont dévolues à la personne ainsi créée. L’affectation du droit de propriété des personnes publiques à l’exercice de leur compétence conditionne l’activité des personnes publiques propriétaires au niveau le plus fondamental et virtuel. C’est pourquoi son régime d’affectation va consister à maintenir les personnes publiques dans les limites de cette habilitation propre à l’ordre juridique public. Une personne publique a l’exclusivité sur ses biens et en retire les utilités, mais cela pour pouvoir exercer sa compétence, ce qui justifie à la fois une exclusivité accrue contre les ingérences qui en perturberaient l’exercice et un rapport prédéterminé aux utilités des biens qu’elle sélectionnera toujours à l’aune de son habilitation (§ 1). Une personne publique a la disposition de ses biens et peut donc en déterminer la situation juridique par des actes juridiques opposables aux tiers et qu’elle sera elle-même tenue de respecter. Mais il est impossible de leur accorder une « liberté de disposer » semblable à celle des particuliers relativement à leurs biens car ces actes sont largement soumis au contrôle juridictionnel de légalité (§ 2). 215 § 1 Les spécificités essentielles du droit de jouir de leurs biens des personnes publiques propriétaires 231. Pour Frédéric Zenati-Castaing, « la jouissance exprime soit l’essentiel des utilités d’un bien, soit l’exclusivité d’un bien » 138 . Cette jouissance permet donc en premier lieu de retirer tous les avantages immédiatement produits par l’objet considéré. Ces avantages sont évidemment très largement tributaires des qualités propres de cet objet, de « son statut juridique objectif », mais ils constituent néanmoins l’émolument de l’exclusivité139. De ce point de vue la jouissance donne accès à une « somme d’avantages qui ne sont pas constitutifs mais consécutifs au pouvoir d’exclusion du propriétaire », raison pour laquelle il faut rejeter l’analyse classique qui fait des utilités des choses des attributs du droit de propriété140. L’exclusivité évoque évidemment la notion de titre, c’est-à-dire la sanction par le droit objectif de la légitimité du droit que l’on détient, et qui le rend opposable à tous. Si c’est bien dans l’objet du droit que réside l’intérêt légitime que le droit objectif reconnaît, le pouvoir d’affirmer cette appartenance si besoin par une action en justice relève bien du droit-exclusion qui en assure la jouissance. Le contenu de l’exclusivité est alors traduit par l’auteur comme une défense contre les ingérences des tiers qui viendraient troubler cette jouissance. Il s’agit là d’un élément essentiel du régime d’appropriation des choses par appropriation au bénéfice d’un sujet de droit. C’est pourquoi les personnes publiques jouissent et disposent de leurs biens. Néanmoins, cette unité fondamentale n’exclut pas certaines originalités concernant les personnes publiques, ce qui confirme que l’identité n’existe qu’à l’égard de la propriété formelle et n’autorise donc aucune assimilation (A). Le principe d’insaisissabilité constitue par ailleurs un élément incontestablement spécifique de la condition juridique des personnes publiques propriétaires. Nous voudrions le rapprocher de cette jouissance en ce qu’il est une protection irréductible de l’exclusivisme attaché à la propriété des personnes publiques. En effet, l’insaisissabilité est une garantie dont bénéficient les personnes publiques de pouvoir jouir des choses dont elles ont la propriété sans risquer de s’en voir priver en raison de leurs dettes (B). A. Les spécificités fondamentales du droit des personnes publiques à la jouissance de leurs biens 138 Thèse précitée, n° 312. Julien Laurent, op. cit., n° 581 p. 445. 140 Ibid., n° 503 p. 391. 139 216 232. La jouissance suppose de pouvoir se prémunir contre les empiètements indésirables des tiers. Les personnes publiques, sur ce point, bénéficient des mécanismes du droit civil qui leur permettent d’obtenir du juge judiciaire la garantie de leur exclusive jouissance. Elles bénéficient également de certains régimes particuliers mais, surtout, de pouvoir réglementer l’usage de leurs biens et de l’éventualité de procéder à une exécution forcée qui leur permet d’obtenir le rétablissement immédiat de leur jouissance si les conditions sont réunies (1). Quant à pouvoir retirer immédiatement l’ensemble des utilités de leur bien, elle nous semble là encore se composer d’une base liée au concept formel et d’une dimension caractéristique liée à l’exercice des compétences. La première confère une marge discrétionnaire importante aux propriétaires publics. La seconde induit d’apprécier les utilités des biens des personnes publiques à l’aune de leur compétence, conférant une supériorité et une permanence aux utilités « de service », correspondant à l’exercice même de l’office public (2). 1) Les spécificités liées aux procédés exorbitants garantissant la jouissance de leurs biens par les personnes publiques propriétaires 233. L’exclusivité qui caractérise la propriété, tant publique que privée, suppose de mettre à la disposition des propriétaires les moyens juridiques de faire respecter leur jouissance. Cela explique parfaitement que les personnes publiques disposent des mêmes voies de droit que les personnes privées (a). Cependant, dans la mesure où elles ont une aptitude fondamentale à la puissance publique, les personnes publiques propriétaires disposent de voies de droit exorbitantes pour garantir cette jouissance : un pouvoir réglementaire sur les usagers de leurs biens et l’éventualité d’une exécution forcée à l’encontre des occupants sans titre (b). a) La part commune à l’ensemble des propriétaires : opposabilité et exclusivité de la propriété 234. Marcel Planiol s’est rendu célèbre pour avoir le premier voulu établir que les droits réels et les droits personnels ont en commun de supposer « un rapport d’ordre obligatoire entre les personnes » 141 . Cette position s’expliquait par la consubstantialité pour l’auteur du droit et de l’obligation : « là où il n’y pas d’obligation, le droit n’a rien à voir, le juriste n’a qu’à se taire » 142. Si la notion d’obligation passive universelle de Planiol a finalement été rejetée, il en reste bien 141 142 Marcel Planiol, Traité élémentaire de droit civil, 9e éd., 1922, Préface, p. X. Ibid., p. IX. 217 souvent l’idée fondamentale que la propriété de chacun mérite d’être respectée par tous et qu’ainsi « l’ensemble de la société est partie à ce rapport »143, que les tiers sont « soumis à une obligation générale d’abstention »144. Exclure autrui pour se placer dans un rapport direct avec une chose, telle est l’essence du droit de propriété. Le caractère absolu du droit de propriété signifie en premier lieu qu’il est opposable, caractère que l’on retrouve effectivement dans chacun des objets potentiels du droit de propriété, qu’il s’agisse d’une propriété corporelle, d’une propriété incorporelle ou d’une prestation. C’est en refusant de voir la différence de nature juridique entre les droits-exclusion et les droits-prestation que l’on rejette l’explication proposée. Ainsi, on a pu faire valoir que l’exclusivité attachée au droit de propriété va au-delà de cette seule opposabilité. Pour William Dross, il y a là une caractéristique des droits réels par opposition aux droits personnels : « les droits personnels sont marqués du sceau de la concurrence, au contraire des droits réels »145. La propriété est le droit destiné à organiser la réservation des utilités d’une chose au profit d’un seul, son propriétaire, « sa définition est : le caractère de ce qui est propre et le droit qui permet de l’établir »146. La doctrine classique confère à la propriété le caractère d’exclusivité qu’elle situe dans le prolongement de l’absolutisme147. Le droit positif offre des règles emblématiques de la sanction de ce caractère exclusif. Le propriétaire a toujours le droit de se clore 148, de couper les racines invasives149, tout comme il pourra toujours exiger la démolition d’un ouvrage empiétant sur sa propriété150. Plus généralement, l’exclusivité signifie le droit de se prémunir contre toute forme d’empiètement illégitime, ouvrant droit aux actions en revendication comme en responsabilité pour l’atteinte ainsi causée. Les personnes publiques bénéficient de l’ensemble des éléments destinés à leur garantir l’exclusivité de jouissance de leurs propriétés 151. En cela, leur spécificité ne peut venir que dans un second temps, en tempérant ou en exaltant cet exclusivisme qui est consubstantiel de l’appropriation exclusive. Or, les tempéraments ne viennent, sur le seul point de l’exclusivité, que des contraintes de règles de droit. Elles ne sont donc pas des arguments sur une différence de nature puisqu’elles altèrent le 143 Frédéric Zenati-Castaing et Thierry Revet, op. cit., p. 314. Stéphanie Pavageau, op. cit., n° 316 p. 220. 145 William Dross, Droit civil. Les choses, op. cit., n° 42 p. 84 : « Ce sont en effet tous les droits réels, et pas seulement la propriété, qui portent l’exclusion. Celui qui ne peut prétendre qu’à une utilité démembrée de la chose peut interdire à quiconque d’en jouir à sa place : il en a pareillement l’exclusivité. Les droits réels s’opposent en cela aux droits personnels, car celui qui a un droit de créance contre autrui ne peut en principe prétendre être le seul à avoir cette qualité ». 146 Frédéric Zenati-Castaing et Thierry Revet, Les biens, op. cit., n° 192 p. 313. 147 Ainsi MM. Terré et Simler, Les biens, op. cit., n° 143 p. 144 ; William Dross déduit l’ensemble des éléments de la propriété de l’absolutisme, considérant que « le propriétaire a été conçu à l’image du roi soleil », n° 41. 148 Art. 647 Code civil. 149 Art. 673 Code civil. 150 A l’exception notable de l’ouvrage public. 151 Les personnes publiques peuvent engager une action en revendication d’un bien censé relever de leur domaine public si elles en sont propriétaires, Cass., 11 juillet 1892, S., 1893.I.39 ; une application récente de la question a été soulevée par l’action en revendication des archives publiques sur laquelle on reviendra plus longuement, cf. infra n° 448 p. 405. 144 218 régime de l’exclusivisme de la propriété et ne font pas apparaître véritablement un régime alternatif d’exclusivité. b) Les procédés exorbitants à disposition des personnes publiques propriétaires : pouvoir réglementaire et exécution forcée 235. Deux éléments plaident en faveur d’une certaine spécificité à titre fondamental dans les garanties juridiques de l’exclusive jouissance de leurs biens par les personnes publiques. Il s’agit du pouvoir réglementaire dont disposent les personnes publiques propriétaires et des garanties dont elles bénéficient dans la sanction des atteintes à cette exclusivité. 236. Sur le premier point, il faut considérer que la dimension réglementaire de l’exclusivisme n’est pas ignorée de la doctrine privatiste152. Toutefois, Xavier Dupré de Boulois a démontré que la propriété ne fonde pas un pouvoir d’édicter des obligations à l’égard des tiers au-delà de la seule obligation de respecter l’exclusivité du propriétaire153. Celui-ci ne peut donc pas imposer des prescriptions particulières qui aient une valeur juridique véritable à l’égard des tiers154. Tel est cependant le cas des personnes publiques propriétaires qui peuvent prendre des actes réglementaires pour l’usage du domaine privé dont les prescriptions s’imposent aux tiers concernés. Si ce point mérite d’être développé dès à présent et non au chapitre suivant, c’est que ces prérogatives de puissance publique ne sont pas fondées sur l’établissement d’un rapport hiérarchique entre deux personnes mais sont la conséquence de la conjonction de la personnalité juridique et de la compétence. C’est au sein même du statut de personne publique propriétaire que réside la faculté d’édicter des actes règlementaires opposables aux tiers alors que cette faculté n’est pas accordée aux personnes privées malgré ce que certaines analyses ont pu laissé croire. En revanche, la possibilité de profiter en qualité de propriétaire des mesures de police administrative relève Frédéric Zenati-Castaing, Thierry Revet, op.cit., idem : la volonté d’exclure peut aussi être « notifiée à tous ceux qui seraient tentés de faire usage de la chose. Elle peut prendre la forme de prescriptions ou d’interdictions notifiées au public. Il y a une dimension réglementaire dans l’exercice du pouvoir d’exclure ». 153 Xavier Dupré de Boulois, Le pouvoir de décision unilatérale. Étude de droit comparé interne, LGDJ, 2006, p. 370. 154 L’auteur relève à ce titre une évolution en matière d’interdiction de stationnement par une copropriété, la Cour ayant admis en 1973 que le règlement pouvait s’appliquer au tiers avant de revenir sur sa position dans un arrêt de 1991. Civ 3e, 24 octobre 1973, Sebe c. Dame Villemejeanne, B. III n° 544, Civ. 3e, 12 juin 1991, Épx Thodoridès c. Épx Laguionie, B., III n° 171. 152 219 bien, quant à elle, de la mise au service de cette qualité d’un droit de puissance publique et non seulement d’un privilège associé à ce statut155. Il y a effectivement dans la propriété des personnes publiques une véritable puissance publique propriétaire à l’image de ce que propose Aurélien Camus concernant le domaine public 156 . Si celui-ci exalte les prérogatives exorbitantes attachées à la qualité de personne publique propriétaire en considération de l’affectation particulière d’un bien déterminé, l’affectation générale de cette qualité à l’exercice des missions administratives autorise l’administration à gérer ses propriétés avec toute son autorité. 237. Le second point pourrait également être considéré comme une manifestation de la mise au service de la propriété des personnes publiques de leurs droits de puissance. Ce qui nous conduit à en parler dès à présent c’est que l’exécution forcée 157 peut être mise en œuvre à la suite d’une décision régulière prise en qualité de propriétaire et non d’autorité administrative, comme la résiliation régulière d’un titre d’occupation par exemple. Cette exécution forcée est donc conditionnée à une « urgence motivée par un péril imminent » 158 . Certes, l’administration procèdera souvent à une exécution par la voie juridictionnelle. Cependant, ainsi que le souligne Philippe Yolka, si « généralement, l'évacuation d'office des immeubles publics est illégale et de nature à engager la responsabilité administrative (…), la prohibition de l'exécution forcée constitue un tigre de papier, si l'on garde à l'esprit que l'irrégularité de l'occupation emporte un effet exonératoire et que la voie de fait se trouve rarement constituée »159. Cela révèle une différence essentielle de la jouissance des personnes publiques et fondée sur leur habilitation par une compétence et par conséquent la personnalité publique. C’est là évidemment un privilège que ne connaissent pas les personnes privées sauf à avoir reçu cette prérogative avec la délégation d’une activité publique, c’est-à-dire de s’être vues transmettre ce privilège de la personne publique. Il faut souligner que ce privilège n’est pas fondé seulement sur les missions particulières dévolues à une personne publique mais est attaché à la personnalité publique elle-même, « parce qu’elles sont justement des organismes de droit public, dotées de prérogatives exorbitantes du droit commun »160. 155 Cf. infra. Voir également Norbert Foulquier, Droit administratif des biens, op. cit., pp. 162-164, spéc. n° 411: « Si une autorité de police ne doit pas utiliser ses prérogatives pour exclusivement protéger le patrimoine public, elle peut y recourir si cette protection se double de la préservation de l’ordre public ». La qualité d’autorité renforce celle de propriétaire, deux qualités consubstantielles de la personne publique à la différence de la personnalité privée. 156 Aurélien Camus, , Le pouvoir de gestion du domaine public, th. Paris X, 2013. 157 TC, 2 déc. 1902, Sté immobilière Saint-Just, Rec., p. 713, concl. J. Romieu ; GAJA, 19e éd., n° 10. 158 Cf. également Philippe Yolka, J.-Cl. Propriétés publiques, fasc. 69 Domaine privé – protection contre les occupants irréguliers, 1er fév. 2010 . 159 Philippe Yolka, « L’évacuation d’office des immeubles publics », JCP A, 2006, chron. 1103, n° 23. 160 Norbert Foulquier, Droit administratif des biens, op. cit., n° 402 p. 162. 220 On notera que faire respecter l’exclusivité attachée à la qualité de propriétaire n’est pas seulement une faculté bénéficiant potentiellement du privilège de l’exécution forcée mais peut aussi constituer une obligation positive. En effet, le refus de faire cesser un empiètement des riverains sur un chemin communal, lequel relève du domaine privé, est un acte détachable susceptible de recours en excès de pouvoir161. Une personne publique jouit de ses biens pour accomplir ses missions et plus généralement exercer sa compétence. Cela lui confère le privilège de pouvoir mieux qu’une personne privée exclure les indésirables, parce qu’ils ne portent pas tant atteinte à sa propriété qu’à cet exercice. C’est cet exercice aussi qui détermine le rapport aux utilités des biens publics. 2) Les spécificités de la jouissance dans le rapport des personnes publiques aux utilités des choses 238. Les utilités d’une chose proviennent de la chose elle-même d’abord, de l’inventivité et des moyens techniques de celui qui en dispose ensuite. En cela, il y a une part du rapport aux utilités qui ne dépend pas de la qualité juridique du propriétaire, les utilités de la chose n’étant pas immédiatement affectées par la personnalité publique (a). Ce n’est que dans la perspective de ce propriétaire public qu’apparaît la spécificité issue de l’affectation à l’exercice des compétences. En effet, les utilités des biens publics seront toujours l’objet d’une appréhension déterminée par la compétence de la personne publique propriétaire (b). a) Les utilités de la chose avant l’application de l’affectation de la personnalité publique à la compétence 239. Ainsi que l’énoncent Frédéric Zenati-Castaing et Thierry Revet, « le pouvoir exclusif que procure la propriété d’un bien permet d’en retirer des avantages illimités »162. On retrouve ici le caractère absolu du droit exclusif qu’est le droit de propriété. Ces auteurs en infèrent que le premier effet de l’exclusivité est de permettre au propriétaire de retirer l’ensemble des utilités licites que son bien peut offrir. De ce point de vue, aucun principe ne semble a priori interdire de transposer l’analyse aux personnes publiques propriétaires. La qualité de personne publique n’altère en rien les utilités des biens qu’elles possèdent pour la simple raison que « les prérogatives pratiques du propriétaire – sa jouissance – sont en grande partie prédéfinies par les possibilités que recèle en elle-même la 161 162 TC, 8 nov. 1982, Lewis, n° 02252, Rec., tables, p. 797 ; D., 1983, inf. rap., p. 272, obs. P. Delvolvé. Frédéric Zenati-Castaing, Thierry Revet, op cit., n° 208 p. 332. 221 chose », ses caractéristiques ainsi que son régime juridique, « son statut juridique objectif »163. C’est donc seulement en envisageant les utilités de la chose du point de vue de la personne publique qui peut virtuellement les retirer que peut apparaître une quelconque spécificité. Or, cela suppose de faire à nouveau intervenir l’idée d’une forme d’affectation fondamentale de la personne en sa qualité de propriétaire, c’est-à-dire une affectation de son aptitude à la propriété en raison de son habilitation par une compétence. Il est évident qu’alors les utilités de la chose qu’elle pourra effectivement retirer seront fonction de l’objet de la personne. La personne humaine ne connaîtra ainsi de limites que dans les mobiles de l’utilisation (abus de droit) et dans les effets jugés inacceptables celle-ci (troubles anormaux de voisinage). En somme, la propriété n’est certes pas une fonction sociale quand elle est à la disposition des individus, mais ces derniers sont juridiquement « affectés » à une vie sociale dans laquelle les actes purement antisociaux ou incompatibles avec les exigences de cette sociabilité sont prohibés. Les personnes publiques, elles, reçoivent une affectation qui précède le statut particulier qui est le leur et un éventuel principe de spécialité. Affectées à l’exercice de leur compétence que formalisent certaines missions dont elles ont la charge, les utilités de leurs biens s’analysent nécessairement dans leur rapport aux exigences de cette compétence et de ces missions. b) Les utilités des biens publics rapportées à la compétence de la personne publique propriétaire 240. Une personne publique est investie dès sa création d’une fonction à remplir et d’une ou plusieurs missions précises. Si la propriété est le moyen d’accomplir ces missions alors le statut même de la personne publique fait état de son habilitation à être propriétaire et des modalités possibles de réalisation de cette aptitude. Ainsi, on peut constater, par exemple, qu’un décret portant création d’un établissement public foncier apporte des précisions sur la qualité de propriétaire de l’établissement. Le décret n° 98-823 du 14 octobre 1998 portant création de l’Établissement public foncier de l’OuestRhône-Alpes (EPORA) dispose ainsi en son article 2 que l’établissement « est habilité (…) à procéder à toutes acquisitions foncières et toutes opérations immobilières et foncières de nature à faciliter l’aménagement au sens de l’article L. 300-1 du de code de l’urbanisme ». L’article 4 lui accorde également 163 Julien Laurent, La propriété des droits, op. cit., n° 581 p. 445. 222 le droit d’acquérir par expropriation ou préemption « pour la réalisation des objectifs définis ». Une même finalité est assignée par l’article 6 selon lequel « l’établissement est habilité à acquérir des participations dans des sociétés, groupements ou organismes dont l’objet concourt directement à la réalisation de ses missions ». Autrement dit, créé pour accomplir une fonction d’aménagement foncier, l’Établissement public n’a vocation à ne prendre en considération un bien que s’il présente une utilité pour l’accomplissement de ses missions. Cet exemple présente un intérêt dans la mesure où une société anonyme de promotion immobilière n’a pas à apporter de telles précisions dans ces statuts. La personnalité juridique implique l’aptitude à acquérir des biens et à en jouir et en disposer. La disposition relative à l’aménagement est alors sans objet car elle ne s’inscrit pas dans une politique publique mais dans une finalité de spéculation immobilière, contre laquelle l’activité d’un Établissement public foncier a précisément pour objet de lutter si l’intérêt général l’exige. La disposition relative aux prérogatives de puissance publique est évidemment sans objet. La dernière relative à la prise de participation l’est cependant tout autant car, contraire à un tel établissement public, une société de promoteurs immobiliers pourra prendre toutes les participations dont elle pourra justifier qu’elles présentent un intérêt pour la société, que cet intérêt soit purement financier ou immédiatement lié à son objet. Il y a, à un titre fondamental, un rapport aux utilités qui n’est pas seulement une altération du régime de la jouissance des biens, mais l’expression d’une spécificité de cette jouissance en tant qu’élément du régime de propriété des personnes publiques. Découlant de la condition juridique des personnes publiques dont nous ferons la démonstration dans la seconde partie164. Disons donc simplement pour l’heure qu’il y a lieu, selon nous, de considérer que par essence, une personne publique considère un bien dont elle est propriétaire en considération de ses missions, et que ce rapport est induit par une différence ontologique du rapport aux choses des personnes publiques. Les biens sont ainsi de plus grand service ou de plus grand profit, ce qui fonde l’échelle d’intensité dans la protection et le régime spécifique qu’ils appellent. Philippe Yolka a pu également évoquer une telle distinction, considérant ainsi que « la fonction patrimoniale reste seconde par rapport aux finalités de plus grand service, qu’elle ne saurait contrarier »165. Dans l’exemple retenu, la dimension de profit est exclue en ce qui concerne les prises de participation lesquelles sont circonscrites aux seules participations qui présentent une utilité de service pour l’accomplissement des missions relevant de la compétence de l’établissement. 164 165 Cf. infra Seconde partie, Titre 1, Chapitre 2. Philippe Yolka, La propriété publique, op. cit., p. 525. 223 Une personne publique participe donc au commerce juridique pour remplir ses missions et ce n’est que de manière marginale qu’elle y trouvera des ressources financières. L’essentiel de son rapport aux biens est déterminé par les utilités que ces derniers présentent pour l’accomplissement de sa fonction conformément à l’idée d’une propriété affectée. C’est encore la même logique qui est à l’œuvre pour justifier l’insaisissabilité générale des biens des personnes publiques. Un bien présente en principe l’utilité de pouvoir, par sa vente, désintéresser les créanciers qui y trouvent ainsi un « gage » faisant naître la confiance nécessaire à toute opération de crédit. Cependant, cette logique peut conduire à la disparition de la personne insolvable ou à tout le moins à la perturbation de ses activités par l’exécution forcée des créances qui pèsent sur elles. Ce sont ces conséquences qui éclipseraient les utilités de service des biens des personnes publiques et qui peuvent venir justifier l’insaisissabilité. Celle-ci est une garantie pour les personnes publiques de toujours jouir de leurs biens et cela contre l’ingérence de leurs créanciers éventuels. B. L’insaisissabilité générale des biens des personnes publiques : une garantie de jouissance contre leurs créanciers 241. L’aptitude à la responsabilité rejoint la propriété en raison du mécanisme de compensation qui permet de résoudre une action en responsabilité par le versement d’une indemnité pécuniaire. Or, dès lors que l’on admet que toute obligation est une prestation due par le débiteur et faisant l’objet d’un droit de propriété du créancier, alors la responsabilité, comme modalité de constitution d’un débiteur au profit d’un créancier implique la propriété. Si cette affectation ontologique de la propriété au désintéressement des créanciers est commune aux propriétaires, publics et privés, elle se concrétise selon des modalités qui interdisent toute assimilation (1). L’assimilation est par ailleurs absolument impossible dès lors que l’on considère qu’une telle immunité, générale et catégorielle, manifeste une spécificité fondamentale qu’aucun aménagement potentiel et hypothétique du principe ne remettrait véritablement en cause. Les personnes publiques sont définies par ce principe ontologique de ne pouvoir disparaître sans l’assentiment de l’État lui-même ; les personnes publiques sont des « débiteurs souverains » (2). 1) L’affectation spécifique de la propriété des personnes publiques au désintéressement de ses créanciers 224 242. Que l’on soit un propriétaire public ou privé, on répond en principe de ses dettes sur ses biens si bien que le principe est que l’inexécution des obligations se résout par le versement d’une indemnité, rarement par une injonction de faire ou ne pas faire 166 . C’est ce principe d’affectation de sa propriété au désintéressement de ses créanciers qui est commun à tous les sujets de droit et se traduit par l’existence d’un « gage » sans lequel aucune confiance n’est possible (a). Si l’existence d’un droit de gage est commune, les régimes de désintéressement des créanciers varient suffisamment pour limiter la comparaison. Les mécanismes existant à l’encontre des personnes publiques peuvent en effet être mis en rapport avec l’exercice des compétences, faisant apparaître un conflit où l’affectation au désintéressement des créanciers s’effacera souvent devant l’affectation à l’exercice des compétences (b). a) Le principe commun à tous les propriétaires : la responsabilité suppose la propriété et l’existence d’un « gage » des créanciers 243. La théorie du droit de gage général des créanciers, bien que souvent présentée comme l’une des raisons de son élaboration ou comme un de ses corollaires 167, peut néanmoins en être séparée. Comme pour le patrimoine, c’est la doctrine qui est à l’origine de la théorie du droit de gage général168. Cependant, il s’agit d’un principe bien établi du droit civil bien qu’il ait vu sa portée réduite avec l’apparition des patrimoines d’affectation 169 et qu’il ait par ailleurs été qualifié d’imparfait170. Si l’on en revient aux textes à l’origine de l’interprétation constructive qu’en fait la doctrine, le principe apparaît à la fois plus net et plus simple. Les articles 2284 et 2285 du Code civil énoncent en effet que les obligations se remplissent sur tous ses biens, présents et à venir. Cela signifie bien que c’est l’aptitude à l’appropriation du débiteur qui est affectée à l’exécution de ses obligations, au désintéressement de ses créanciers. 166 L’exécution directe ou en nature existe également, elle est même parfois considérée comme préférable lorsqu’elle est possible, mais elle ne constitue cependant pas le principe de fonctionnement du commerce juridique. Cf. Cécile Barhic Lambrey, Répertoire de procédure civile, Dalloz, v° Injonction de faire, MAJ janvier 2014, n° 1 : « Les dispositions de l'article 1142 du code civil, selon lesquelles « toute obligation de faire ou de ne pas faire se résout en dommages et intérêts, en cas d'inexécution de la part du débiteur », ont été traditionnellement interprétées comme empêchant que le débiteur récalcitrant d'une obligation de faire ou de ne pas faire puisse être contraint à s'exécuter : seuls des dommages et intérêts pourraient sanctionner son inexécution. Mais ce principe s'est très rapidement vu limité et des exceptions de plus en plus nombreuses lui ont été portées. L'une d'elles apparaît particulièrement importante en ce que son nom même l'inscrit à l'opposé du principe ; il s'agit de l'« injonction de faire ». 167 François Cohet-Cordey, « La valeur explicative de la théorie du patrimoine en droit positif français », RTD civ., 1996, n° 17 p. 826 : « Considérer que la personne ne peut exister sans patrimoine, c’est donc estimer non seulement que celle-ci peut s’approprier des choses mais également qu’elle doit répondre de ses actes ». 168 Henri Fougerat, Du droit de gage général des créanciers sur les biens de leurs débiteurs et des limitations apportées à ce droit par la loi en ce qui concerne les rentes sur l’État, les traitements des fonctionnaires, les appointements et salaires des employés, ouvriers et gens de service, Poitiers, Société française d’imprimerie et de librairie, 1897. 169 Loi 2010-658 du 15 juin 2010, en ce sens, Philippe Bihr, Marie-Hélène Bihr, Paris, Dalloz, 19 e éd., 2013, p. 272. 170 Yvaine Buffelan-Lanore, Virginie Larribau-Terneyre, Droit civil. Deuxième année, Paris, Sirey 11e éd., 2008, n° 307 p. 112. 225 Le droit de gage n’est donc pas nécessairement général, il est trivialement la traduction juridique de l’adage « qui s’engage engage le sien »171. En cela, rien ne s’oppose à son application aux personnes publiques dès lors que les biens qui constituent ce gage sont entendus de façon abstraite et générale. L’aptitude à la propriété des personnes publiques est également affectée au désintéressement de ses créanciers même si ceux-ci ne le seront que par le versement d’une somme d’argent et ne pourront pas recourir aux voies d’exécution judiciaire. 244. Si l’insaisissabilité générale qui frappe les biens des personnes publiques172 interdit de les réunir en une universalité qui serait l’objet du gage des créanciers 173 , cela n’emporte donc aucunement l’exclusion d’un droit de gage comparable dans son principe à celui qui a cours en droit privé. Selon nous, la raison en est que le droit de gage est consubstantiel à la personnalité juridique elle-même et de sa mise en relation avec d’autres dans le cadre du commerce juridique. Une personne juridique dont les biens ne seraient en aucune façon le gage de ses créanciers n’aurait tout simplement pas vocation à participer au commerce juridique. Ses biens doivent être, d’une façon ou d’une autre, le gage de ses créanciers. Caroline Chamard-Heim a ainsi été amenée à développer l’idée que les créanciers des personnes publiques n’ont qu’un droit de gage restreint dont l’objet est constitué seulement par les deniers publics174. Il est vrai qu’en dehors du cas extrême d’une mise en vente par le préfet, les créanciers seront désintéressés en dernier ressort par le versement de deniers publics. Mais au fond, c’est moins l’assiette du gage qui est en jeu que son simple principe. Cela signifie selon nous que le patrimoine est ontologiquement affecté à l’extinction des dettes, raison pour lesquelles toute personne juridique peut être appréhendée à partir de l’idée de passif et d’actif. Les personnes publiques n’échappent pas à la règle et même si leurs actifs ne sont pas le gage de leurs créanciers, ils sont évalués pour déterminer leur notation, la confiance que les créanciers peuvent avoir. Cependant, si le principe d’un droit de gage est commun aux propriétaires publics et privés, force est de constater que les modalités par lesquelles on désintéresse les créanciers des 171 Art. 2284 du Code civil : « Quiconque s'est obligé personnellement est tenu de remplir son engagement sur tous ses biens mobiliers et immobiliers, présents et à venir ». Art. 2285 du Code civil : « Les biens du débiteur sont le gage commun de ses créanciers ; et le prix s'en distribue entre eux par contribution, à moins qu'il n'y ait entre les créanciers des causes légitimes de préférence ». 172 Cass. Civ. 1ère, 21 décembre 1987, BRGM c/ Lloys Continental, RFDA, 1998, p. 771, note B. Pacteau, concl. Charbonnier ; CJEG, 1988, p. 107, note L. Richer ; JCP G, 1989, II, n° 21183, note B. Nicod, RTD Civ., 1989, p. 145, note R. Perrot ; GDDAD, Paris, Dalloz, 2013, p. 663, note Ph. Yolka. 173 Si un auteur a pu considérer que seuls les biens saisissables sont de véritables biens, cette position est a priori isolée, et il faut convenir que c’est la généralité du droit de gage des créanciers à l’égard des propriétaires privés qui est relative. Leur droit de gage ne porte que sur les biens évaluables en argent, et certains ne le sont pas, et sur les biens saisissables, et certains ne le sont pas non plus. Pierre Berlioz, La notion de bien, LGDJ, 2007. 174 Caroline Chamard, La distinction des biens publics et des biens privés, op. cit., spéc. n° 711 et s. 226 uns diffèrent sensiblement de celles applicables aux autres ce qui rend problématique l’assimilation. b) Les modalités particulières de réalisation du principe d’affectation de la propriété au désintéressement des créanciers des personnes publiques 245. L’article L. 111-1 du code des procédures civiles d’exécution dispose que « tout créancier peut, dans les conditions prévues par la loi, contraindre son débiteur défaillant à exécuter ses obligations à son égard »175. Ce droit a également été consacré par la Cour européenne des droits de l’homme 176. C’est au respect de ce droit que le droit de gage constitue un auxiliaire théorique et pratique précieux et c’est ce droit qui en justifie le principe. Le principe du droit de gage consiste en effet à assurer les créanciers que le patrimoine de leur débiteur sera affecté à leur désintéressement, si besoin par la contrainte qu’exerceront les pouvoirs publics 177 . L’objet des voies civiles d’exécution est donc de contraindre le débiteur à se conformer concrètement à l’obligation que détient sur lui son créancier. C’est pourquoi on peut définir l’exécution comme « l’accomplissement par le débiteur de l’obligation due »178, exécution qui devient forcée par la mise en œuvre des voies d’exécution. L’objet des voies d’exécution est donc de forcer la volonté d’une personne juridique par le recours à la contrainte, éventuellement la force publique179. Sans exécution, le droit n’est pas garanti, au sens subjectif de celui qui a un droit, et au sens objectif de l’état de droit. Selon les juges européens, le droit à un tribunal garanti par la Convention « serait illusoire si l'ordre juridique interne d'un État contractant permettait qu’une décision judiciaire définitive et obligatoire reste inopérante au détriment d’une partie »180. 246. Or, les personnes publiques se caractérisent par une immunité de principe contre les procédures d’exécution judiciaire dont l’origine remonte à l’arrêt Canal de Gignac 181 . Cette immunité rendrait impossible la participation sereine de ces personnes au commerce juridique si ceux qui entrent en rapport avec elles n’ont aucune garantie de les voir contraintes à respecter Suite à une première réforme par la loi n° 91-650 du 9 juillet 1991, l’ordonnance n° 2011-1895 du 19 déc. 2011 a codifié les procédures civiles d’exécution. 176 CEDH, 19 mars 1997, Hornsby c. Grèce, n° 18357/91, D. 1998, p. 74, note Fricero ; JCP G 1997., II. 22949, note Dugrip et Sudre ; RTD civ., 1997, p. 1009, obs. Marguénaud ; AJDA, 1997, p. 986, obs. Flauss ; JDI, 1998, p. 185, obs. Ascensio 177 Pierre Hébraud, « L’exécution des jugements civils », RIDC, 1957, p. 170 : « L’idée d’exécution correspond donc à deux versants principaux : d'un côté l'idée de réalisation, de l'autre, l'idée de contrainte ». 178 Gérard Cornu (dir.), Vocabulaire juridique, v° Exécution. 179 Lionel Miniato, Voies d'exécution et procédures de distribution, Paris, Montchrestien, 2010, n° 1 ; Jean-Bernard Auby, « L’exécution avec le concours de la force publique », RTD civ., 1993, p. 123. 180 Arrêt préc., § 40. 181 TC, 9 décembre 1899, Association syndicale du canal de Gignac c. Ducornot, S. 1900, III, p. 49. 175 227 leurs obligations. Elle remettrait par ailleurs en cause l’État de droit qui ne serait pas garanti, ni avec lui le droit à un tribunal. L’inexécution est, par ailleurs, une atteinte à la séparation des pouvoirs puisque l’État et les personnes publiques constituent, en tant qu’administration, l’expression du pouvoir exécutif tenu de respecter les décisions de pouvoir juridictionnel 182. C’est pourquoi, et c’est d’ailleurs ainsi qu’a raisonné l’avocat général dans l’arrêt BRGM 183 , il doit exister des voies d’exécution administratives, spécifiques en raison des personnes qu’elles visent mais ayant toujours le même objet : contraindre leur destinataire. Il faut cependant convenir que l’injonction sous astreinte ou l’exercice par l’État de ses pouvoirs de contrôle sur les autres personnes publiques ne sont pas identiques aux voies d’exécution judiciaires. Ni dans leur forme, ni dans leurs effets, ni dans leurs modalités. 247. Contre les personnes privées, les voies d’exécution sont essentiellement les saisies, parce que c’est en atteignant le patrimoine du débiteur que l’on forcera sa volonté. Mais le droit privé connaît également le mécanisme de l’astreinte qui est une menace de devoir payer une somme d’argent184. En pratique, les saisies sont d’ailleurs mises en œuvres non pas jusqu’à leur terme, mais pour provoquer la réaction du débiteur185. Dans tous les cas, il s’agit pour un créancier de demander à l’État de mettre la force publique à son service en forçant la volonté du débiteur récalcitrant par une vente forcée des biens dont le produit lui sera attribuée à fins de désintéressement 186. C’est la certitude que cette vente forcée aura lieu et la connaissance, relative, de « la fortune du débiteur qui garantit ses obligations »187 qui sont le fondement matériel du droit de gage général que traduit l’article 2084 du Code civil. En droit privé, la saisie apparaît ainsi comme « une procédure d’indemnisation un peu particulière car elle ne vise pas à allouer une réparation mais à l’effectuer, ce qui explique que le créancier soit l’acteur principal de la procédure comme dans une voie de justice privée, et non pas le juge »188. Dans le cas des personnes publiques, il semble bien qu’il s’agisse précisément moins d’effectuer la réparation 182 Didier Cholet, Répertoire de procédure civile, Dalloz, v° Exécution des jugements et des actes, MAJ janvier 2012, n° 13. Cass. Civ. 1ère, 21 décembre 1987, BRGM c/ Lloys Continental, précité. 184 Sur la contrainte par dissuasion dont relève l’astreinte, Roger Perrot, « La contrainte par dissuasion », in La procédure dans tous ses états, Mélanges Buffet, LPA, 2004, p. 393 et s. 185 Jean Carbonnier, Sociologie juridique, Paris, PUF, 1994, p. 408 et s. 186 Sous réserve, évidemment, des problèmes de concours entre créanciers mais nous pouvons nous en tenir au cas d’école d’un unique créancier pour suivre notre démonstration. Notons cependant que la résolution de tels concours fait également apparaître des différences assez flagrantes entre le désintéressement des créanciers d’une personne publique et d’une personne privée. 187 Frédéric Zenati-Castaing, Thierry Revet, op. cit., n° 235 p. 195. 188 Ibid., n° 237 p. 197, les auteurs précisant toutefois et évidemment que, « pour autant, la saisie n’est pas une voie de justice privée (…) un jugement ayant reconnu l’existence de la créance et l’ayant, au besoin, liquidée ». 183 228 que de l’allouer, car in fine, par soumission au commandement ou par substitution du préfet, c’est toujours la personne publique qui vend ou qui paye. Ce point est essentiel. 248. Le Conseil d’État a interprété la loi du 16 juillet 1980 développant les mécanismes d’exécution des décisions des juridictions administratives189 pour permettre au préfet d’exercer sa prérogative de substitution afin de contraindre une collectivité à répondre de ses obligations vis-à-vis de ses créanciers190. Les biens ne sont pas placés « sous main de justice » et vendus par l’autorité publique contre la volonté du propriétaire qui est ainsi contournée comme c’est le cas dans l’exécution judiciaire. Les biens seront vendus par la collectivité qui ne sont donc à aucun saisis, soustraits à la personne publique propriétaire. L’exécution administrative consiste à faire exprimer la volonté de la personne publique par la voie de la substitution. C’est en effet pourquoi Benoît Plessix critique l’assimilation par Charles-Henri Vignes entre le pouvoir de substitution et l’exécution forcée 191 . En effet, ainsi que Benoît Plessix l’exprime, « il est vrai que l’exécution forcée partage avec la substitution une finalité similaire : surmonter la mauvaise volonté de “débiteurs” récalcitrants (…), agir par substitution n’est pas exécuter par la force » 192. Il en va particulièrement ainsi pour distinguer l’exécution forcée par saisie-vente et la substitution préfectorale pour garantir aux créanciers d’une personne publique le versement de la somme due. Il faut donc opposer l’exécution forcée dont relève les procédures judiciaires et la substitution qui est seule en cause dans les voies d’exécution administratives. La première « est un instrument coercitif destiné à assurer l’exécution d’un acte administratif »193 ou, dans le contexte qui est le nôtre, d’une créance exigible ou d’une décision de justice. La seconde « est un instrument coercitif destiné à assurer l’élaboration et l’entrée en vigueur d’un acte administratif »194, acte administratif qui vise à désintéresser le créancier mais ne constitue donc qu’une exécution forcée indirecte de sa créance. 189 Loi n° 80-539 du 16 juillet 1980 relative aux astreintes prononcées en matière administrative et à l'exécution des jugements par les personnes morales de droit public. 190 CE Sect., 18 nov. 2005, Sté fermière de Campoloro et a., n° 271898 ; RFDA, 2006, p. 341, note P. Bon ; BJCL, 2006, p. 43, concl. N. Boulouis, note L. Touvet ; RFDA, 2006, p. 193 et p. 341, note P. Bon ; DA, 2006, comm. 33, note C. Guettier ; LPA, 24 avr. 2006, n° 81, p. 9, note F. Melleray ; AJDA, 2006, p. 137, chron. C. Landais et F. Lenica. Sur cette décision, cf. P. Cassia, La contrainte au paiement d’une somme d’argent en cas d’inexécution d’une décision juridictionnelle par une collectivité territoriale, AJDA, 2006, p. 1218 ; Christophe Roux, Propriété publique et droit de l’Union européenne, th. Lyon 3, 2013, spéc. pp. 575 et s. 191 Charles-Henri Vignes, « Le pouvoir de substitution », RDP, 1960, pp. 761. 192 Benoît Plessix, « Une prérogative de puissance publique méconnue : le pouvoir de substitution d’action », RDP, 2003, p. 583. 193 Ibid., p. 589. 194 Ibid., p. 591. 229 Ce qui compte dans la substitution d’action « c’est moins la substitution que l’action »195 et les voies d’exécution administrative par substitution du préfet est une modalité alternative de d’édiction d’une décision administrative par la personne publique. On objectera qu’il en va ainsi dans le cas des procédures collectives et la nomination d’un administrateur judiciaire. Ce dernier est certes comparable au préfet mais c’est précisément leur qualité qui fait apparaître la différence. L’exécution judiciaire consiste à faire intervenir l’autorité judiciaire. L’exécution administrative consiste à faire intervenir l’autorité administrative. L’identité formelle est patente et conduira certains à dire que c’est donc la même chose. Il nous semble que la différence de mots cache une réalité incommensurable et que la distinction matérielle s’impose car ce serait sinon méconnaître l’autonomie de « cette institution juridique bien spécifique dénommée “substitution d’action” et façonnée par le droit administratif français » et qui « relève de la théorie des compétences administratives »196. 249. Les voies d’exécution judiciaire ou les procédures collectives visent à régir les relations entre les débiteurs et les créanciers par l’intervention de la puissance publique de l’extérieur. « Avec la substitution d’action, on est plongé dans le pur droit administratif » car l’objet est incomparable : les voies judiciaires ou les procédures collectives ont pour objet le désintéressement du créancier alors que la substitution d’action « correspond au droit des administrés d’obtenir du pouvoir exécutif qu’il assure le fonctionnement normal du service »197 dont participe le paiement des dettes nées de l’exercice de sa compétence par la personne publique. Le véritable fondement de la substitution du préfet « c’est l’article 21 de la Constitution du 4 octobre 1958, c’est l’obligation d’assurer l’exécution des lois, même contre la volonté de deux qui en ont la charge, car une telle volonté d’inaction privée les citoyens du minimum des conditions nécessaires à la continuité de la vie nationale » 198 . Le débiteur privé n’est pas chargé d’exécuter les lois mais de les respecter. Le débiteur public ne les respecte qu’en raison du fait qu’il est avant toute chose chargé de les faire appliquer. Et c’est pourquoi seule une autorité administrative peut être titulaire du pouvoir de substitution et que seule une autorité administrative peut en être le destinataire199. C’est pourquoi la procédure établie par l’affaire Campoloro confirme l’autonomie des personnes publiques propriétaires dans sa contrepartie qui consiste à assumer la propriété de ses créanciers, à être débiteur. Cette qualité de débiteur public est d’ailleurs incommensurable du 195 Ibid., p. 603. Ibid., p. 629. 197 Idem. 198 Ibid., p. 604. 199 Ibid., pp. 604 et 606. 196 230 seul fait de l’insaisissabilité générale des biens publics qui y est (encore) associée mais dont l’atténuation ou même la remise en cause ne changerait strictement rien à cette autonomie matérielle, foncière, de la personnalité publique telle qu’elle s’inscrit dans le commerce juridique. 250. Enfin, l’intervention de la force publique est parfaitement inimaginable dès lors que la résistance des services de l’État confine à l’absurde et que celle des organes d’une autre personne publique s’apparente purement et simplement à de la trahison 200. Notons finalement que le cas d’une vente forcée est, à l’heure actuelle, unique et par conséquent anecdotique. L’inscription d’office au budget de la dépense avec celle de la recette si nécessaire constitue bien le mode privilégié de désintéressement des créanciers. Ce sont donc moins les biens, insaisissables, deniers compris 201 , que le « budget » de la personne publique qui pourrait constituer le gage de ses créanciers. Autant dire tout simplement que l’actif de la personne publique est destiné à répondre de son passif. Entre une « universalité de fait dénaturée » ou une universalité budgétaire étrangère au droit civil, il apparaît assez malaisé d’adapter la théorie du droit de gage des créanciers aux personnes publiques tant celui-ci suppose la saisissabilité des biens qui le composent. Cette transposition paraît d’ailleurs inutile pour peu que l’on revienne au principe essentiel qui précède et dont s’inspire le droit de gage de l’article 2084 du Code civil. 251. Caroline Chamard-Heim a développé sa démonstration en partant du postulat que « (si) le droit de gage des créanciers des personnes publiques ne peut pas grever l'ensemble de leur patrimoine, (…) il doit néanmoins exister »202. Elle infère cette nécessité de l’idée incontestable que « le droit de gage du créancier est finalement au centre du droit des biens, du droit des obligations et du droit des personnes, (qu’il) est l'élément qui lie les obligations des personnes juridiques aux biens dont elles sont propriétaires et qui permet de les concevoir ensemble »203. Cependant, ce droit de gage général n’est que la forme retenue par le droit civil de concrétisation d’un principe plus fondamental, lié à la technique de la personnalité juridique elle-même : l’aptitude à la responsabilité et à répondre pécuniairement de ses dettes. 200 Il faudrait en effet aller à cette extrémité si l’on voulait imaginer, par exemple, la commune de Campoloro refusant de remettre matériellement en possession au profit des acheteurs, les biens vendus juridiquement par elle après substitution du préfet. La « sécession » serait le terme pertinent et l’on a du mal à considérer juridiquement le problème que cela soulèverait. 201 La procédure de saisie-attribution n’est pas une exception au principe. Elle a en effet la particularité notable que la créance attribuée n’est que détenue par la personne publique, sans en être véritablement la propriété. Elle n’est donc pas un bien public. Cf. Christophe Roux qui voit cependant dans cette procédure du tiers-saisi (le tiers n’est pas la personne publique) une exception au principe d’insaisissabilité des biens publics, lequel aurait reçu « le coup de grâce » par l’arrêt Campoloro précité, th. précitée, p. 671. 202 Caroline Chamard, op. cit., n° 711 p. 534. 203 Ibid., n° 730 p. 544. 231 Pour s’en convaincre, il faut convenir que si la personnalité juridique est l’aptitude à être titulaire de droits et débiteur d’obligation, elle suppose que l’on soit apte aux mécanismes induits par la qualité même de débiteur. Formellement, toute personne juridique doit pouvoir être débiteur. Matériellement, une personne publique et une personne privée ne sont pas débiteurs de la même manière. 252. L’aptitude à être débiteur implique la certitude pour les créanciers de leur désintéressement, au moins à titre de virtualité. « Le commerce juridique ne serait pas concevable si le respect des engagements n’était pas assuré ». En passant de l’exécution sur le corps du débiteur puis à la vente de celui-ci et enfin à son seul patrimoine, la civilisation juridique en arrive au « brocard immémorial : qui s’oblige oblige le sien »204. Le droit de gage général du droit civil n’est en réalité que la garantie établie en raison de l’incertitude tant de la mise en œuvre que des résultats de la seule « bonne volonté » du débiteur palliant ainsi « cette infirmité structurelle de l’obligation personnelle »205. Parce qu’« être une personne, en droit, c’est aussi être apte à répondre de son fait, c’est-à-dire à réparer les dommages que l’on cause à autrui en établissant avec la victime un rapport d’échange compensatoire »206 et que cet échange se résoudra par le versement d’une somme d’argent, « c’est donc par la pécuniarité que l’aptitude à répondre donne à l’aptitude à devoir son unité dans la structure de la personnalité juridique »207. C’est la reconnaissance d’une telle aptitude à la responsabilité qui a révélé l’unité de la personnalité juridique des personnes publiques. L’aptitude à répondre pécuniairement de leurs dettes suffit à elle seule pour fonder la participation des personnes publiques au commerce juridique en qualité de débitrices sans qu’il soit besoin de transposer la théorie purement civiliste du droit de gage général. L’impossibilité de cette transposition fait apparaître un élément fondamental de la condition juridique des personnes publiques propriétaires : la spécificité de leur aptitude à devoir. C’est cette spécificité que manifeste le principe général d’insaisissabilité des biens des personnes publiques. 2) L’insaisissabilité comme manifestation d’une spécificité fondamentale de l’aptitude à l’obligation des personnes publiques 253. L’insaisissabilité est tout d’abord un corollaire de l’immunité des personnes publiques contre les voies d’exécution judiciaire, laquelle révèle en réalité l’existence d’un principe 204 Frédéric Zenati-Castaing, Thierry Revet, op. cit., n° 231 p. 192. Idem. 206 Ibid., n° 230 p. 191. 207 Ibid., n° 240 p. 200. 205 232 fondamentale explicable par l’affectation de la personnalité publique à l’exercice des compétences. L’exécution d’une décision de justice pourra toujours être mise en échec si l’exercice de la compétence de la personne publique doit être garanti (a). C’est en ce sens que l’insaisissabilité nous semble devoir être interprétée. Elle est un corollaire dans le champ patrimonial de cette résistance de la personnalité publique aux aléas du commerce juridique (b). a) Le principe d’immunité des voies d’exécution judiciaires : manifestation de la spécificité de la personnalité publique en raison des compétences 254. Il n’est pas inutile de revenir sur la décision du Tribunal des Conflits rendue le 9 décembre 1899 et ayant suscité le commentaire que l’on sait 208. Nous voudrions nous en tenir au fait que dans son dispositif, le Tribunal, pour juger de la compétence des juridictions administratives, se fonde sur les articles 58 et 61 du règlement d’administration publique du 9 mars 1894 en vertu desquels le préfet se voit attribuer le pouvoir d’inscrire d’office au budget des associations syndicales les dépenses obligatoires et de modifier leurs taxes afin d’y pourvoir 209 . Tout d’abord, le Tribunal y voit le dernier indice de la nature publique de l’association avec le caractère obligatoire sous peine de délaissement et l’assimilation de ses cotisations à des contributions directes. Surtout, il en fait découler la règle que « c’était au préfet seul (…) de prescrire les mesures nécessaires pour assurer le paiement de la somme due » aux créanciers. Autrement dit, ce pouvoir attribué au préfet fonde, selon le Tribunal, une compétence exclusive à son profit pour faire exécuter l’ensemble des créances pesant sur l’association. Ainsi que l’écrit Maurice Hauriou de l’article 58, « ce petit article était gros de conséquences », son effet essentiel étant que l’association cesse « d’être un débiteur civil pour devenir un débiteur administratif ». Il nous semble possible d’ajouter qu’une telle conséquence aurait pu être limitée aux seules dépenses obligatoires. En somme, on aurait très bien pu faire coexister cette procédure corollaire de la tutelle administrative sur l’association avec les voies d’exécutions ordinaires. Le Tribunal des Conflits préféra interpréter extensivement le texte en reconnaissant le bénéfice de l’immunité totale des personnes publiques. C’est qu’il ne s’agit précisément pas d’un corollaire de la tutelle mais de TC, 9 décembre 1899, Association syndicale du canal de Gignac c. Ducornot, S. 1900, III, p. 49. On n’insistera pas sur l’aspect le plus connu du commentaire de Maurice Hauriou. Motivée explicitement par la crainte du collectivisme, la critique apparaît absolument obsolète dès lors que l’on constate que l’auteur donne au principe libéral de séparation du politique et de l’économique une portée qu’il a perdu depuis, si tant est que la proposition suivante ait pu avoir quelque vérité par ailleurs : « les intérêts publics d’une collectivité sont d’ordre politique, tandis que les intérêts purement collectifs sont d’ordre économique ». Ainsi, il conteste la qualification de personne publique au motif que « les travaux d’association syndicale n’ont qu’un but économique, les associations syndicales ne sont que des organismes économiques ; par suite, en faire des membres de l’État, c’est lancer celui-ci dans la voie collectiviste des entreprises économiques », p. 50. 209 Notons qu’il s’agit là d’une procédure très similaire à celle qui fut rendue applicable à toutes les personnes publiques par la loi du 8 février 1995. 208 233 l’exercice des compétences dont participe le pouvoir de substitution comme on l’a vu. Il convient maintenant d’exposer la portée théorique fondamentale de cette particularité du droit public et de la qualité de débiteur public que sont les personnes publiques, contrepartie de leur qualité de propriétaire. 255. Selon Hauriou, en devenant un débiteur administratif, l’association « était déchargée de la responsabilité de ses dettes, car la voie d’exécution administrative est à la discrétion de l’administration supérieure, le créancier n’a aucun droit à exiger l’inscription d’office ». Aujourd’hui, ce droit, il l’a, dès lors que le juge administratif peut enjoindre sous astreinte l’État à ordonner la dépense et organiser la mise en vente de biens d’une collectivité. Néanmoins, le monopole de la force publique signifie bien que celui qui porte « la hache de guerre à la ceinture » est le seul qui ait le choix souverain de s’en servir ou de s’abstenir. Ainsi, les créanciers n’ont jamais la certitude que l’injonction sera véritablement suivie d’effet. On objectera que l’État pourrait aussi bien s’abstenir de recourir à la force publique dans le cas d’une voie d’exécution judiciaire et que cette certitude n’est que relative également. C’est effectivement le cas car c’est là la marque de la souveraineté et l’objet même de l’arrêt Couitéas210. Ainsi que le relève Jean-Bernard Auby, si l’État a en principe l’obligation de prêter le concours de la force publique, « l’État éprouve parfois de grandes difficultés à s'en acquitter, parce qu'il est aussi en charge de l'ordre public et que l'exécution d'une décision de justice par la contrainte peut parfois, à un moment donné, causer un trouble supérieur à celui que constitue indiscutablement le fait de laisser cette décision inexécutée »211. Certes, l’exécution est obligation de valeur constitutionnelle et une loi ne peut prévoir l’inexécution d’une décision d’expulsion de logement 212 . Cependant, des motifs impérieux pourraient justifier l’inexécution par l’État qui, de plus, même si ce serait évidemment un cas extrême, peut ne pas exécuter une décision en contrariété avec un principe dont, par définition, il est le seul à pouvoir garantir concrètement l’application puisqu’il a le monopole de la force publique. D’ailleurs, l’arrêt Hornsby précité, qui a consacré le droit à l’exécution, était précisément relatif au refus de l’État grec d’exécuter une décision du Conseil d’État hellénique. L’État peut donc, à défaut d’en avoir le droit, ne pas exécuter une décision, y compris de la Cour de Strasbourg. La souveraineté c’est aussi le fait de pouvoir déroger à la règle de droit 210 CE 30 nov. 1923, Couitéas, Rec. p. 789, S. 1923.3.57, note Hauriou, concl. Rivet, RDP, 1924 p. 75, note Jèze, p. 208 concl. Rivet. Le Conseil d’État affirmait d’ailleurs le principe auquel il était fait exception : « « le justiciable nanti d'une sentence judiciaire dûment revêtue de la formule exécutoire est en droit de compter sur l'appui de la force publique pour assurer l'exécution du titre qui lui a été ainsi délivré ». 211 Jean-Bernard Auby, « L’exécution avec le concours de la puissance publique », préc., n° 3. 212 CC, 29 juill. 1998, n° 98-403 DC, loi d'orientation relative à la lutte contre les exclusions, AJDA, 1998, p. 739 , AJDA, 1998, p. 705, note Schoettl. Sur la confrontation de la jurisprudence de la Cour avec l’arrêt Couitéas, Bertrand Seillier, « L’actualité de l’arrêt Couitéas », RFDA, 2013, p. 1012. 234 pour des motifs politiques. On évoquera l’état de nécessité comme illustration de la limite qu’impose à la responsabilité de l’État l’exercice de ses compétences. C’est une réponse du souverain ultime au juge qui croit statuer souverainement et indiquer qu’un État ne peut se prévaloir de sa situation financière pour ne pas exécuter une décision le concernant 213. Aussi faut-il bien insister. La conclusion de Maurice Hauriou conserve toute sa pertinence. La différence essentielle qui oppose personnes publiques et privées est relative au risque de disparaître en raison des aléas du commerce juridique : « Un établissement privé marche librement mais il court le risque d’être mis en liquidation par ses créanciers. S’il ne court plus ce risque, il devient un établissement public ». Évidemment, l’État peut se porter au secours d’un établissement privé en difficulté. Mais s’il s’agit d’une personne publique, il n’a pas à exprimer sa volonté de la protéger, celle-ci est protégée par sa seule qualité de personne publique. C’est là le privilège absolu des personnes publiques : si leur aptitude à devoir semble bien plus générale que l’arrêt Blanco ne semblait l’avoir conçue, elle ne saurait pouvoir conduire à la mise en liquidation et à la « mort » juridique de l’institution. Lorsqu’il existe des mécanismes de procédure collective applicables à des institutions publiques, comme aux États-Unis à l’encontre des communes, le régime ne prévoit jamais la disparition par liquidation, mais seulement le redressement214. Or, ce régime qui s’apparente à une procédure collective doit être, comme cette dernière, un obstacle à l’exécution instauré par la loi 215 et, en l’espèce, en considération de la nature publique de la personne. Si ce n’est pas le maintien de l’activité économique et de l’emploi comme on peut l’invoquer pour les procédures collectives, ce serait tout simplement la continuité de l’État et de toutes les personnes publiques qui justifierait l’impossibilité de faire disparaître une institution de ce type pour satisfaire ses créanciers. b) L’insaisissabilité des biens publics : corollaire de l’immunité fondamentale des personnes publiques à subir la conséquence ultime de leur responsabilité 256. C’est à l’aune de ce principe fondamental que l’insaisissabilité doit être analysée, dès lors qu’elle en est le corollaire. Dégagé par la Cour de cassation au titre d’un principe général du droit public216, il a été codifié après arbitrage gouvernemental en ce sens à l’article L. 2311-1 213 CEDH, 7 mai 2002, Burdov c. Russie, req. n° 59498/00, D. 2002. Somm. 2574, obs. Fricero ; Europe, 2002, comm. 310, note Lechevallier. 214 Chapter 9 of Bankruptcy Code. 215 Didier Cholet, préc., n° 116 : « Le législateur a en effet organisé des procédures en faveur des entreprises, puis des particuliers en difficulté, qui ont pour effet de dresser des obstacles temporaires ou définitifs à l'exécution des jugements et des actes ». 216 Arrêt de la Cour de cassation BRGM, préc. 235 CG3P. Ce principe « fait partie de ces règles du droit français dont le haut degré de permanence rivalise avec celui de leur contestation » 217 . Or, nous voudrions avancer l’idée que quand bien même cette contestation triompherait, la permanence ne serait nullement remise en question. En effet, s’il fallait en arriver à un tempérament fonctionnel du principe, ce tempérament instituerait uniquement l’exception qui confirme la règle. Ainsi, le système belge doit s’interpréter selon nous comme le fait que si, par principe, les biens des personnes publiques sont insaisissables, par exception certains de ces biens peuvent constituer le gage des créanciers. Il n’y a toujours pas de remise en cause du principe si en allant plus loin et comme le propose Christophe Roux de lege ferenda : « Les biens du domaine public sont insaisissables. Les biens du domaine privé (ou du domaine intermédiaire) peuvent faire l’objet de saisies sous réserve qu’ils ne soient pas nécessaires pour assurer la régularité et la continuité du service public »218. Certes, l’administration perd la maîtrise que le droit belge lui conserve dans la détermination des biens saisissables. Mais, d’une part cette maîtrise étant celle du juge il s’agit toujours d’un organe étatique, d’autre part, l’essentiel des biens assurant l’activité régulière de la personne publique seront toujours insaisissables. D’une manière générale, une personne publique bénéficie encore d’une immunité personnelle en vertu de laquelle seuls les biens affectés au désintéressement des créanciers peuvent composer l’assiette de leur droit de gage. C’est donc toujours l’exacte inverse de la condition juridique des personnes privées où l’actif patrimonial répond du passif par principe et dans sa globalité, sauf exception particulière. 257. Il faut alors écarter définitivement l’argument selon lequel la spécificité des personnes publiques s’estompe en raison du fait qu’il existe en droit privé des insaisissabilités. Si, en effet, « de nombreux objets de la vie quotidienne (tables, lit, vêtements, appareils de chauffage) » ou « liés à la poursuite d’une activité de travail en vertu de l’article 2092 du Code civil »219 ont été rendus insaisissables en raison de considérations humanitaires, cela ne nous semble pas autoriser d’en conclure que « si faibles soient-elles, ces exceptions possèdent un intérêt sur le plan théorique en démontrant que l’insaisissabilité n’est pas inhérente à la personnalité publique » 220. Elles démontrent seulement que la notion de bien insaisissable n’est pas exclusive aux personnes publiques. Mais il nous semble qu’une immunité personnelle, contrairement à une insaisissabilité réelle, est bien constitutive du statut de la personne : on la définit comme un « privilège faisant échapper une personne, en raison d’une qualité qui lui est propre, à un devoir ou une sujétion pesant sur les autres (...) l’exemptant à certains égards de Christophe Roux, Propriété publique et droit de l’Union européenne, th. dac., Lyon 3, 2013, n° 1091 p. 706. Ibid., n° 1141 p. 734. 219 Ibid., n° 1114 p. 718. 220 Ibid., p. 719. 217 218 236 l’application du droit commun »221. L’auteur d’ailleurs, relevait lui-même que, ne s’appliquant que de manière marginale aux biens privés, « en la matière, “comparaison n’est pas raison” » 222 . Aucune personne privée ne pourrait, en aucun cas ni aucune façon, bénéficier d’une telle immunité même tempérée. L’insaisissabilité, corollaire de l’immunité contre les voies d’exécution judiciaire, est bien inhérente à la personnalité publique : « l’insaisissabilité est un principe immanent à la personnalité publique »223. Elle constitue une règle constitutive du statut de personne publique propriétaire. Ainsi en va-t-il également de l’incessibilité à vil prix de leurs biens laquelle, tout comme le privilège que nous venons d’étudier, constitue une manifestation de ce régime spécifique qu’est et non reçoit la propriété des personnes publiques. Elle constitue la sujétion de principe découlant de l’ontologie de la propriété des personnes publiques, nécessairement enserrée dans des limites de droit public ignorées a priori de la propriété privée. A la jouissance spécifique du droit de propriété des personnes publiques répond un pouvoir de disposer incomparable à la libre disposition dont bénéficient les personnes privées. 221 Gérard Cornu, Vocabulaire juridique, PUF, 7e éd., 2005, p. 465. Ibid., n° 306 p. 217 ; Caroline Chamard relève ainsi que « la distinction est fondamentale car, alors que l'immunité d'exécution interdit toute mesure de contrainte à l'encontre du débiteur, l'insaisissabilité empêche seulement le créancier d'aller jusqu'au bout de son droit contre le débiteur. Dans cette dernière hypothèse, le débiteur peut faire l'objet d'une voie d'exécution, la procédure de saisie se déroule normalement, mais l'assiette de la saisie est nulle, car il n'y a pas de biens saisissables constituant le gage des créanciers », op. cit., n° 646 p. 492 ; ajoutant en note, outre la référence à Benoît Nicod, L'immunité d'exécution en droit interne et international, thèse Lille 3, 1987, que « les manuels de voies d'exécution traitent d'ailleurs de l'immunité d'exécution des personnes publiques dans les conditions subjectives de l'exercice des saisies et de l'insaisissabilité dans les développements consacrés aux conditions objectives des saisies (v. par ex., J. Vincent et J. Prévault, Voies d'exécution et procédures de distribution, pp. 61-65 et 67-81 ; M. Donnier, Voies d'exécution et procédures de distribution, pp. 51-54 et pp. 57 et suiv. ; G . Couchez, Voies d'exécution, pp. 24-27 et pp. 31-37) ». 223 Caroline Chamard, op. cit., n° 646 p. 492. 222 237 § 2 Les spécificités essentielles du pouvoir de disposer de leurs biens des personnes publiques propriétaires 258. L’affectation de l’aptitude à la propriété des personnes publiques à l’exercice de leur compétence se répercute également sur leur faculté de disposer de leurs biens, c’est-à-dire d’effectuer des opérations juridiques qui en modifient la situation. A l’abri des ingérences extérieures, le sujet du droit-exclusion peut alors bénéficier du deuxième élément que comporte le régime de propriété : la disposition. La disposition doit s’entendre de l’ensemble des actes juridiques que l’on peut faire à l’égard de l’objet qui est en sa puissance afin d’en modifier la situation juridique. La notion s’entend donc beaucoup plus largement que la seule cessibilité. Le droit-exclusion ou droit de propriété « n’étant autre que la relation privative s’établissant entre une personne et chacun de ses biens et droits, il apparaît comme le fondement même de toute activité juridique »224. L’énumération est alors impossible, étant encore essentiellement tributaire des qualités de l’objet considéré. Julien Laurent propose donc de réunir les actes d’exercice de ce pouvoir de disposition sous trois grandes catégories : l’aliénation225, l’affectation226 et l’abandon227. Ces trois éléments peuvent être formellement admis comme la structure de tout droit de propriété défini comme précédemment. Matériellement cependant, les règles de droit positif qui leur donnent un contenu ne sont pas les mêmes en fonction de la personnalité publique ou privée du propriétaire. Si l’aliénation n’est pas la seule expression du pouvoir de disposition, elle constitue cependant évidemment un acte central de cette faculté du propriétaire. L’incessibilité à vil prix des biens des personnes publiques peut ainsi être présentée comme l’expression de la spécificité essentielle de l’aptitude à disposer des personnes publiques, interdisant une aliénation qui, en considération de sa contrepartie, se révèle incompatible à l’affectation à la compétence (A). Elle s’insère en effet dans une approche théorique plus large autorisant de conclure au caractère résiduel de la distinction entre gestion publique ou privée 228. Si la gestion privée existe, elle s’inscrit toujours dans le prolongement de décisions administratives qui seront soumises aux règles propres au droit des activités administratives qu’est le droit public. Le pouvoir de disposition des personnes publiques propriétaires n’est pas purement discrétionnaire (B). 224 Ibid., n° 455. « Figure de proue du commerce juridique, l’aliénation est l’acte qui a pour objet le transfert de la propriété du bien. Toute limitation à la faculté d’aliéner son bien constitue donc, par principe, une restriction majeure à la libre disposition, ce qui appelle un contrôle strict des clauses d’inaliénabilité », Julien Laurent, op. cit., n° 594 p. 454. 226 « L’affectation est l’acte de disposition par lequel le propriétaire assigne son bien à un usage déterminé », idem. 227 « Enfin, la dernière catégorie est constituée par l’acte le plus radical : l’abandon, par lequel le propriétaire renonce purement et simplement à son bien », ibid., p. 455. 228 Gérard Quiot, Aux origines du couple gestion publique – gestion privée. Recherche sur la formation de la théorie de la gestion privée des services publics, th. Nice, 1992. 225 238 A. L’incessibilité à vil prix des biens des personnes publiques, manifestation de l’aptitude spécifique à disposer des personnes publiques 259. Il faut tout d’abord démontrer que l’incessibilité est irréductible aux concepts civilistes, tant en ce qui concerne la rescision pour lésion que les notions d’incapacité ou de manifestation du principe de spécialité (1). C’est en raison de principes fondamentaux du droit public qu’une libéralité est parfaitement incompatible avec l’affectation de la personnalité publique à l’exercice des compétences et que, par conséquent, un bien ne saurait être vendu à un prix dont la vileté servirait exclusivement un intérêt privé (2). 1) L’impossible rattachement du principe d’incessibilité aux concepts civilistes 260. En voulant dissocier deux éléments de l’incessibilité à vil prix des biens publics : la seule vente à vil prix et sa contrariété avec le droit à la juste valeur des biens d’une part, et d’autre part la prohibition des libéralités, Caroline Chamard-Heim s’est inscrite dans les cadres civilistes229. Cela étant, le premier élément concerne d’abord le régime de la vente et, si le droit à la valeur réelle d’un bien est effectivement un élément du régime de la propriété au point que le Conseil constitutionnel la conçoit largement comme un droit à cette valeur (a), le principe d’incessibilité s’applique beaucoup plus largement, vise les seules personnes publiques et a reçu une consécration constitutionnelle (b). a) Un principe seulement parallèle : le droit à la valeur réelle des biens 261. Caroline Chamard-Heim a proposé une analyse comparée de l’incessibilité à vil prix des biens publics avec deux mécanismes en droit civil portant sur la valeur de l’échange : la vileté du prix entraînant la nullité du contrat de vente et la rescision pour la lésion. Le prix vil et le prix lésionnaire se distinguent ainsi que les actions auxquelles ils donnent droit230, notamment pour des raisons de prescription. Dans le premier cas, il faut préciser que si la sanction de la vente à vil prix est une nullité absolue231, le bail à vil prix est quant à lui sanctionné par une nullité 229 Caroline Chamard, op. cit., n° 765 et s., le chapitre concerné s’intitulant « La vente des biens publics à des prix inférieurs à leur valeur : analogie de la propriété publique et de la propriété privée ». 230 Civ. 3e, 18 juill. 2001, n° 97-17.496, Bull. civ. III, n° 101 ; D. 2002. Jur. 680, note C. Castets, et Somm. 930, obs. G. Paisant ; AJDI 2002. 804, obs. F. Cohet-Cordey ; CCC 2001, n° 171, obs. L. Leveneur ; Defrénois 2001. 1421, obs. E. Savaux. 231 Cass., com., 23 oct. 2007, n° 06-13.979, D., 2008, p. 954. 239 relative232. Le prix est, dans un cas comme dans l’autre, un élément essentiel du contrat dont l’absence prive ce dernier de validité. Les nullités en cause sont donc des nullités liées au régime juridique du contrat, et plus particulièrement du contrat à titre onéreux puisque le prix est un élément par nature absent des conventions à titre gratuit. L’incessibilité à vil prix des biens publics ne sanctionne pas les opérations dont le prix fait défaut, mais dont l’équilibre financier n’est pas assuré ou dont le déséquilibre en valeur économique n’est pas compensé par des contreparties d’intérêt général. Les choses ne nous semblent que difficilement comparables, ou la portée de la comparaison demeure en tous les cas limitée. Il en va de même de la rescision pour lésion. Elle est fondée par l’article 1674 du Code civil qui dispose : « Si le vendeur a été lésé de plus de sept douzièmes dans le prix d'un immeuble, il a le droit de demander la rescision de la vente, quand même il aurait expressément renoncé dans le contrat à la faculté de demander cette rescision, et qu'il aurait déclaré donner la plus-value ». Tout d’abord, cela signifie que cette action est une simple faculté, à laquelle on ne peut certes pas renoncer dans son principe, mais que l’on peut renoncer à exercer. A l’inverse, une personne publique qui la néglige s’expose à l’action d’un de ses contribuables par le biais d’une autorisation de plaider 233 . Cela signifie ensuite qu’une vente comportant lésion n’est absolument pas nulle d’office, l’intention libérale pouvant même interdire aux héritiers d’engager cette action 234. Ce dernier point démontre que l’intention libérale, admise en droit privé, est exclusive de l’action en rescision pour lésion qui s’en distingue donc nettement. A l’inverse, le droit public prohibe absolument toute forme de libéralité. Enfin, la rescision pour lésion ne s’applique qu’aux immeubles alors même que l’incessibilité à vil prix des biens publics s’applique à tous les biens et non seulement aux opérations de cession, mais également de mise en location ou d’occupation. On comprend donc mal en quoi ces régimes autorisent à conclure que le principe d’incessibilité à vil prix « concerne toutes les formes de propriété, qu'elles soient publique ou privée, et les biens de toute nature »235 ni en quoi il faudrait en déduire qu’il « se retrouve, sous des formes et mécanismes divers, au sein du droit privé ».236 Ces formes et mécanismes que sont l’action en nullité pour vileté du prix et la rescision pour lésion sont tout d’abord, indiscutablement, distincts des mécanismes destinés à faire respecter le principe d’incessibilité à vil prix des biens publics. Par ailleurs, ce principe semble d’une application incommensurable pouvant concerner aussi bien une vente 232 Civ. 3e, 21 sept. 2011, n° 10-21.900, Dalloz actualité 4 octobre 2011, C. Dreveau. Sous la réserve d’une validation par le juge administratif qui vérifie que l’intérêt en jeu est suffisamment important et les chances de succès raisonnables. CE Ass., 26 juin 1992, Lepage- Huglo, Rec. p. 246, AJDA 1992, p. 506, concl. G . Le Chatelier ; Dr. adm. 1992, comm. n° 350 ; Rev. dr. imm. 1992, p. 490, note J.- B. Auby. — 22 juill. 1992, Grapin, Rec. p. 302. B. Poujade, Le régime des autorisations de plaider, Gaz. Cnes, 1998, n ° 32, p. 44. 234 Civ. 1re, 16 juill. 1959, D. 1960, p. 185, note R. Savatier. 235 Caroline Chamard, op. cit., n° 800 p. 594. 236 Christophe Roux, th. préc., n° 1083 p. 701. 233 240 qu’une autorisation d’occuper un bien du domaine privé ou du domaine public, un contrat qu’un acte unilatéral. Philippe Yolka a pu ainsi considérer que « poser la question de l'originalité d'un tel principe par rapport au droit civil semble de prime abord superflu », dès lors que « ce dernier consacre en effet de larges possibilités de cessions au rabais ou à titre gratuit »237. Le détour par les concepts civilistes semble lui donner raison. Le principe d’incessibilité à vil prix des biens publics, corollaire de l’interdiction de favoriser, consciemment ou non, un intérêt purement privé sans motif d’intérêt général invocable et sous le contrôle du juge administratif, y est irréductible. Il est autonome parce qu’il est un principe du droit public, propre à l’action publique et au droit qui régit l’activité des institutions publiques. 262. Que les personnes privées comme les personnes publiques aient droit, dans la vente mais pas uniquement, à ne pas subir le préjudice de l’ignorance de la valeur réelle de leurs biens est un fait acquis. Il permet bien de faire apparaître que la valeur du bien est un élément fondamental de la propriété quel qu’en soit le titulaire, partant un élément du régime général de la propriété en tant que technique juridique. Cependant, il n’y a là que la conséquence de la conception du droit de propriété comme droit à une valeur. Cela explique pourquoi il est finalement logique que, « certes, le Conseil constitutionnel (n’ait) jamais posé de manière générale le principe de l'interdiction de la cession des biens privés à des prix inférieurs à leur valeur »238. Un tel principe semble en réalité difficilement admissible. Ainsi, l’élément qui nous semble capital est le fait que « la seule opération patrimoniale qui reste propre à la propriété privée est la donation déguisée en raison de l’interdiction qui est faite aux personnes publiques de consentir des libéralités »239. En droit privé, le prix participe du régime du contrat de vente et entraîne la requalification du contrat s’il apparaît qu’il s’agissait en réalité d’une libéralité. Si en revanche il y a eu lésion, une action pourra être intentée sur ce même fondement que le prix est un élément du régime du contrat de vente. Le droit à la valeur réelle dans ses opérations patrimoniales est selon nous parfaitement étranger au principe d’incessibilité qui a été affirmé par le Conseil constitutionnel même s’il peut conduire au même résultat. Son véritable fondement, c’est la prohibition des libéralités en droit public. Une telle prohibition n’existe pas en droit privé, où seulement par des voies détournées comme la sanction de l’acte anormal de gestion en droit fiscal. Là encore, comparaison ne serait pas raison. 237 Philippe Yolka, J.Cl. Propriétés publiques, fasc. 60, n° 104. Caroline Chamard, op. cit., n° 785 p. 584. 239 Ibid., n° 800 p. 594. 238 241 Toutes les personnes peuvent intenter une action en raison d’une lésion en nullité pour vileté du prix, voilà la part qui revient au régime général de la propriété. Une personne privée peut consentir à une libéralité, cas où il y a bien cession à un prix inférieur à sa valeur et sans contrepartie. Une personne publique ne le peut pas. Voilà la part de l’autonomie de chacune des deux propriétés qui existent en droit positif quand on quitte le niveau de la pure science juridique. b) L’impossibilité de qualifier la prohibition des libéralités d’incapacité ou de manifestation du principe de spécialité 263. On a pu vouloir qualifier l’interdiction faite à l’État et aux personnes publiques de consentir des libéralités de restriction à leur capacité juridique 240. Il est vrai que c’est ainsi que le droit civil interprète, par exemple, les limites que la loi apporte à la capacité des associations de bénéficier des dons et legs, ce qui est par ailleurs distinct de la faculté de faire un dons ou un legs ce qui ne leur est en rien interdit. Plus généralement, la doctrine privatiste considère que les personnes morales connaissent, à travers le principe de spécialité, une « incapacité de jouissance » qualifiée de générale au motif que « tous les actes non compris dans le domaine délimité par la loi et les statuts sont interdits, sans qu’il soit besoin de les spécifier ni de les énumérer »241. C’est en s’inscrivant à la suite de ces analyses que Caroline Chamard-Heim considère que la prohibition des libéralités constitue plus un élément du régime général des personnes morales que des seules personnes publiques. Tout d’abord, elle considère que les libéralités consenties par des personnes publiques sont un fait qui a existé. Elle cite les exemples de la Grèce antique, tant de la République que de l’Empire romain ou encore de l’Ancien Régime. Il est vrai qu’un État peut prendre une décision de faveur dans le seul but de gratifier le bénéficiaire en raison de ses qualités ou des services qu’il a rendus242. On peut appeler cela une libéralité même si la qualification est discutable. Il nous semble cependant que l’intention libérale véritable ne pouvant être considérée comme légale ou même constitutionnelle, oblige à écarter ce terme pour le maintenir dans le seul champ du droit privé. Cette qualification n’a pas vocation non plus à s’appliquer aux récompenses et subventions qui peuvent être versées par des personnes publiques. 240 Ainsi, par exemple, Roger Bonnard, Précis de droit administratif, 4e éd., LGDJ, 1943, p. 678. Frédéric Zenati-Castaing et Thierry Revet, Manuel de droit des personnes, op. cit., n° 213 p. 179. 242 Jérôme Travard, « La récompense en droit public », RRJ, 2010, p. 757. 241 242 264. Un autre argument plaide en la faveur d’une telle interprétation, c’est que, dès lors que son objet le prévoit, une personne morale de droit privé peut parfaitement consentir des libéralités, c’est d’ailleurs tout l’objet des œuvres de bienfaisance. Autrement dit, l’intention libérale des fondateurs ou des individus composant les organes compétents d’une personne morale peut parfaitement se transmettre à la personne morale qui a donc cette faculté juridique. Seul son exercice est conditionné à l’adéquation de la libéralité avec l’objet social, mais le principe des libéralités par les personnes morales n’est pas exclu. D’ailleurs, l’assemblée générale d’une association qui autoriserait une libéralité ne ferait, à notre connaissance, aucun acte illicite. Elle est souveraine et agirait selon la liberté reconnue à l’ensemble de ses membres. En revanche, le Conseil constitutionnel, en considérant inconstitutionnelle toute cession d’un bien par une personne publique sans qu’il n’existe de contrepartie, monétaire ou non, prive bien les personnes publiques de cette faculté. L’exercice n’en est pas conditionné ou réglementé, il est tout simplement exclu si bien qu’à vouloir adopter les termes du droit civil, les personnes publiques ont une incapacité de jouissance à l’égard des libéralités. En publiciste on dira plutôt, qu’ayant une compétence comme habilitation, la personnalité publique s’oppose radicalement à la libéralité qui est la forme la plus absolue de désintéressement et que l’absence d’intérêt signifiant aussi l’absence d’intérêt public, la libéralité est absolument et irrémédiablement étrangère au droit public. 2) L’explication de l’incessibilité à vil prix par l’incompatibilité d’une vente dépourvue d’intérêt public avec l’affectation de la propriété publique 265. Il nous semble préférable d’écarter l’explication par des concepts civilistes et de s’en tenir simplement au fait qu’il existe un principe constitutionnel d’incessibilité à vil prix, dont l’autonomie se justifie par la convergence de deux fondements combinés. D’une part, toute intention libérale d’une personne publique porterait atteinte au principe d’égalité que le Conseil invoque avec les articles 6 et 13 de la Déclaration (a). D’autre part, la référence aux articles 2 et 17 nous impose d’ajouter à ce fondement tiré de l’égalité, un fondement tiré de la propriété. Nous l’avons vu, il s’agit là de protéger les personnes publiques contre la dégradation de leur patrimoine par des décisions de leurs organes. L’incessibilité des biens publics à vil prix sans contrepartie satisfaisante peut donc aussi se rattacher à un principe de probité dans la gestion des affaires publiques (b). 243 a) Le principe d’incessibilité, corollaire du principe d’égalité : l’illégalité absolue de l’exercice d’une compétence au bénéfice exclusif d’un particulier 266. Si le fondement de la protection de la propriété est mis en avant pour rattacher la règle d’incessibilité au régime de la propriété publique, il faut cependant rappeler que le Conseil constitutionnel vise, d’abord, « le principe d’égalité devant la loi et les charges publiques ». Selon nous, le fondement de l’égalité est au moins aussi important que la protection de la propriété de la personne contre l’exercice du pouvoir de disposition de ses organes. La portée du principe est fixée quant à ses destinataires par le Conseil constitutionnel décidant que le principe s’applique seulement si l’acheteur est « une personne poursuivant des fins d'intérêt privé ». Il nous semble que cette circonscription de l’incessibilité du point de vue de celui qui bénéficie de la cession révèle que le principe d’égalité est le fondement essentiel du principe. Une cession à vil prix est en effet un privilège dans la mesure où celui qui en bénéficie s’enrichit au terme d’une opération qui, en principe, devrait être un échange équitable. Cette iniquité de l’échange suppose d’être justifiée, ce qui démontre qu’une personne publique est toujours susceptible d’être appelée à rendre compte de ses décisions, fut-ce le législateur agissant pour le compte de l’État en sa qualité de propriétaire. Or, l’hypothèse qui circonscrit le principe d’incessibilité manifeste l’impossibilité absolue de justifier une cession à vil prix sans qu’aucun intérêt rattachable à la compétence de la personne publique soit satisfait. Si la vileté du prix constitue un avantage pour la seule personne privée qui en bénéficie, la cession est purement et simplement un détournement de pouvoir. On pourrait même aller plus loin et considérer qu’un tel agissement frise la faute personnelle voire l’infraction pénale tant l’idée qu’un agent public prenne un acte pour la seule satisfaction de l’intérêt purement particulier de son destinataire contredit la conception la plus élémentaire de l’action publique. L’exercice d’une compétence publique suppose d’être toujours déterminé par un motif d’intérêt public. Il ne faut donc pas voir d’exception au principe tel que circonscrit précédemment dans le cas où une cession est admise au bénéfice d’une entreprise qui crée des emplois. Certes, l’entreprise en cause poursuit un but lucratif qui est un intérêt parfaitement privé d’un point de vue juridique. En revanche, le taux d’emploi dans la population d’une commune est bel et bien un élément qui participe objectivement des préoccupations légitimes de ses édiles. On ne voit donc pas en quoi « la frontière entre intérêt général et intérêts privés sinue » ni en quoi « l'application du critère finaliste (ne serait) pas exempte d'incertitudes » du seul fait que « la jurisprudence administrative le montre, qui admet la cession au rabais de terrains publics à des entreprises créant 244 des emplois »243. L’intérêt que constitue l’emploi des administrés d’une personne publique est un intérêt public en rapport immédiat avec la compétence à l’exercice de laquelle est affectée sa propriété. La protection des patrimoines publics par le principe nous semble donc constituer un second fondement matériel possible du principe d’incessibilité dont les décisions du Conseil constitutionnel et du Conseil d’État constituent le fondement formel. b) Le principe d’incessibilité, corollaire du principe de probité dans la mise en œuvres des droits des personnes publiques 267. Pour Philippe Yolka, « l'incessibilité des propriétés publiques, que le droit contemporain consacre, est fille de l'inaliénabilité d'Ancien Régime, avec laquelle elle entretient des relations étroites. Comme cette dernière, l'incessibilité concerne tous les biens publics, elle n'est pas liée à l'affectation, et ne cesse pas par voie de déclassement. Toutes deux sont des règles de fond, qui visent à la conservation d'un patrimoine et peuvent être regardées – mutatis mutandis – comme des règles constitutionnelles : l'inaliénabilité des biens de la Couronne, parce qu'elle était une loi fondamentale du royaume ; l'incessibilité, parce que le Conseil constitutionnel en a fait un principe à valeur constitutionnelle » 244 . Or, il ne nous semble pas possible de comparer l’inaliénabilité de l’édit de Moulins avec un quelconque principe applicable en droit privé. C’est même précisément effacer la personnalité privée du Roi au profit de la personnalité publique de la Couronne que le principe a été édicté. C’est pour des motifs d’intérêt public, l’impôt se substituant aux recettes disparaissant avec l’aliénation des biens en cause, que la règle a été édictée. C’est donc bien en vertu d’une « certaine idée » de la compétence que les organes des personnes publiques ne peuvent en dilapider les patrimoines sans qu’un motif légitime lié à l’office public dont ils ont la charge soit invoqué. Il y a donc, comme fondement général à la règle qui prohibe que, par une cession à vil prix, une faveur indue soit accordée à quiconque, le principe général de probité des agents publics. Il en va de même de la règle d’ordre public qui veut qu’une personne publique ne doive jamais être condamnée à une somme qu’elle ne doit pas245. Aucun équivalent ne nous paraît exister en droit privé et la solution qui est rejetée par le Conseil d’État dans l’affaire Mergui ne nous semblerait pas illicite en droit privé. Il en va surtout, et cela nous semble constitutif d’un ensemble lié à ce principe de probité, que le bon emploi des deniers publics s’oppose aussi à l’éventuel un rabais consenti sans contrepartie suffisante. Le principe est une « exigence de 243 J.Cl, préc., n° 124. J.Cl, préc., n° 111. 245 CE Sect., 19 mars 1971, Mergui , n° 79962, Rec p. 235. 244 245 valeur constitutionnelle » découlant des articles 14 et 15 de la DDHC246. On en retrouve une manifestation à l’article 1er du code des marchés publics qui vise expressément la « bonne utilisation des deniers publics ». David Boiteux, à la lumière de deux décision du Conseil constitutionnel rendues en 2009247 et 2011248 évoque même l’idée d’un « droit fondamental au bon usage des deniers publics »249. Avec lui, on n’hésitera à pas rapprocher le principe avec la notion de bonne administration, standard juridique 250 qui rejoint l’idée d’une probité exigée par les organismes publics dans leur gestion, laquelle implique de ne pas dilapider le patrimoine dont ils ont la charge251. Et cela sous le contrôle du juge qui, lorsqu’il sanctionne le non respect de ce principe, sanctionne une règle de droit public, puisqu’il s’agit d’une règle dont l’objet est l’exercice des compétences des personnes publiques. On suivra également le rapprochement avec la théorie du bilan coût-avantages. En effet, si ce bilan est sans doute appliquer en premier lieu par l’administration active 252, il est aussi effectué par le juge qui, ainsi, vérifie que les élus ou les administrateurs ne vont pas démesurément grever le patrimoine public dont ils ont la responsabilité d’une charge disproportionnée par rapport à l’intérêt public qui en résultera253. Autrement dit, les élus et les administrateurs sont comptables de leur gestion et cela signifie que le juge, s’il se refuse en général à contrôler l’opportunité politique des décisions, se réserve le droit d’en juger de la pertinence économique. L’interdiction de vendre à vil prix rejoint, selon nous, cette exigence. 268. Ce contrôle de gestion juridictionnel est encore plus manifeste dans le cas des contrats de partenariat où le Conseil Constitutionnel souligne la nécessité d’établir un bilan plus favorable que d’autres modes de gestion dans « l’intérêt du bon usage des deniers publics »254. Il est évident que les personnes privées sont également protégées et disposent de recours, l’abus de majorité en est un exemple en droit des sociétés. Cependant, le contrôle de 246 Pour une première évocation, Décision n° 2002-460 DC du 22 août 2002, Loi d'orientation et de programmation sur la sécurité intérieure. Neuf autres décisions sont référencées pour cette expression. Première application avec la décision n° 2003-473 DC du 26 juin 2003, Loi habilitant le Gouvernement à simplifier le droit. David Boiteux, « Le bon usage des deniers publics », RDP, 2011, p. 1099. 247 Décision n° 2009-575 DC du 12 février 2009, Loi pour l'accélération des programmes de construction et d'investissement publics et privés. 248 Décision n° 2010-624 DC du 20 janvier 2011, Loi portant réforme de la représentation devant les cours d'appel. 249 Préc. 250 Apparaissant d’ailleurs, même si la portée juridique est circonscrite à l’application du droit de l’Union et sa portée relative, à l’article 41 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne. 251 Éric Oliva considère pour sa part que « l’exigence de bon emploi des deniers publics se rapproche du principe européen de bonne gestion financière », « Les principes budgétaires et comptables à valeur constitutionnelle », in Mélanges Pierre Bon, Dalloz, 2014, p. 461. 252 René Chapus, Droit administratif général, Tome II, Montchrestien, 15e éd., 2001, n° 907 et s. p. 746 et s. 253 Pour David Boiteux, « on peut estimer que le bon usage de deniers publics constitue ici un élément de ce contrôle « à double détente », d'abord exercé par l'administration, puis par le juge ». 254 Décision n° 2008-567 DC du 24 juillet 2008, Loi relative aux contrats de partenariat (cons. 9). 246 constitutionnalité des lois et le contrôle des décisions administratives qui cèdent des biens publics nous semblent d’une nature différente. Ils témoignent de la spécificité des intérêts en cause qui, publics, bénéficient d’un régime particulier. Le recours en excès de pouvoir contre les décisions de cession à vil prix manifeste d’ailleurs une autre spécificité fondamentale du droit de disposer des personnes publiques. Ce droit est inscrit dans la légalité administrative et relève de la gestion publique d’abord, la gestion privée n’intervenant qu’à titre résiduel. Il y a donc, en raison de l’affectation générale de l’intégralité de l’existence et de l’activité des personnes publiques à la compétence, une sujétion exorbitante 255 , une obligation propre aux pouvoirs publics et à eux seuls256, parce qu’ils s’inscrivent dans l’action publique. Ces pouvoirs publics 257 sont comptables de leurs décisions, tant unilatérales que contractuelles, et des conséquences qu’elles peuvent avoir non seulement sur les libertés publiques, qui sont les premiers droits des administrés ont sur eux, mais aussi sur leurs charges fiscales. Le contrôle par le contribuable local s’inscrit dans les nombreux contrôles administratifs ou juridictionnels, internes ou externes aux personnes morales de droit public et aux organismes qui sont jugés devoir en faire l’objet. La sphère publique, contrairement à la sphère privée, n’est pas tant le lieu de la liberté au prix de la responsabilité, elle est la sphère du pouvoir au prix du contre-pouvoir et ce, y compris, dans ces activités exercées en qualité de propriétaire. Sa puissance sur les choses autant que sa puissance sur les personnes, est affectée de manière absolue à l’exercice d’une compétence qui ne saurait être étrangère à un intérêt public, même quelque factice et n’ayant qu’une fonction, mais une fonction essentielle, de légitimation258. De cette affectation absolue, intégrale, il résulte que la gestion privée par une personne publique n’existe pas, ou alors qu’à titre résiduel, au stade de l’exécution des décisions. 255 David Boiteux, préc. Valérie Dufau, Les sujétions exorbitantes du droit commun en droit administratif. L'administration sous la contrainte, L’Harmattan, 2000, passim. 257 Didier Truchet, Droit administratif, Paris, PUF, 5e éd., 2013, p. 102, y inclut l’autorité législative et l’ensemble des autorités administratives nationales et locales. En somme, « l’État, non en son sens organique de personne morale de droit public, mais dans l’acception moins rigoureuse et plus fonctionnelle d’un ensemble complexe de missions de services publics et de prérogatives de puissance publique orienté vers l’intérêt général », du même auteur, « État et marché », APD, 1995, p. 314. 258 Didier Truchet, La fonction de la notion d'intérêt général dans la jurisprudence du Conseil d'État, LGDJ, 1977. 256 247 B. La spécificité du pouvoir de disposition des personnes publiques et la portée relative de la distinction entre gestion publique et gestion privée 269. La distinction de la gestion publique et de la gestion privée est née, selon Gérard Quiot, sous la plume de Maurice Hauriou considérant trois modes d’administration : l’autorité, la gestion publique et la gestion privée259. Reprise et popularisée par Romieu dans ses conclusions sur l’arrêt Terrier, l’opposition s’est imposée comme un critère pertinent du droit administratif260. Gérard Quiot constate alors : « Que l’Administration agissant en vue du service public puisse être réputée se comporter de la même manière qu’une personne privée et être traitée pareillement qu’une personne privée au motif que, précisément, elle se comporterait de la même manière qu’une telle personne est accepté comme allant de soi, depuis des décennies, par une partie importante de la doctrine. Or cela ne va pas de soi »261. Cette distinction a pu longtemps se présenter comme parallèle à la distinction du domaine public et du domaine privé. Dès lors que l’on écarte la solution de la coexistence de droits de nature différente, l’approche n’est plus permise. Et non seulement cela ne va plus de soi, mais il semble impossible de considérer qu’une personne publique puisse avoir plus que l’apparence d’une personne privée. C’est pourquoi la distinction entre la gestion publique et la gestion privée est secondaire, cette dernière ne consistant pas à faire de l’exercice du droit de propriété une activité intégralement soumise au droit privé. Il faut donc établir l’inapplicabilité théorique de l’article 537 du Code civil qui dispose d’ailleurs d’équivalents textuels en droit public (1). Par ailleurs, l’existence même d’actes détachables de la gestion du domaine privé témoigne que, en réalité, de tels actes ne sont que la forme contentieuse des décisions exécutoires qui sont la mise en œuvre de premier ordre du droit de propriété des personnes publiques. La gestion privée apparaît alors étrangère à ces décisions et cantonnée au seul stade des instruments techniques qui permettent la réalisation des opérations patrimoniales des personnes publiques. Ces dernières agissent toujours d’abord dans le cadre de la gestion publique qui aura toujours un irréductible empire sur leur activité juridique (2). Évoquant l’édition de 1903 du Précis de droit administratif. Cf. notamment, sur ce point, Charles Eisenmann, Cours de droit administratif, Paris, LGDJ, 1983, p. 348 et s. Pour l’auteur, le sens des expressions est le suivant : « sont régis par le droit public les actes, situations, rapports « administratifs » (rappelons que nous entendons par cette épithète : où figure et qui intéressent l’Administration) qui présentent des différences très sensibles d’avec les actes, situations, rapports comparables existant dans la sphère des relations privées, c’est-à-dire des relations entre particuliers. Sont, au contraire, régis par le droit privé les rapports, situations, actes administratifs qui présentent une ressemblance profonde avec leurs homologues de la sphère privée », ibid., p. 349. 261 Gérard Quiot, Aux origines du couple gestion publique – gestion privée. Recherche sur la formation de la théorie de la gestion privée des services publics, th. Nice, 1992, p. 11. 259 260 248 1) L’article 537 du Code civil et ses équivalents en droit public : l’impossible liberté des personnes publiques de disposer de leurs biens 270. L’article 537 du Code civil attribue au bénéfice des personnes privées un principe de libre disposition de leurs biens, lequel a valeur constitutionnelle262. Il renvoie au CG3P en ce qui concerne les personnes publiques ce qui, selon nous, manifeste l’exclusion de principe de cette libre disposition (a). Si le pouvoir de disposition s’impose comme corollaire de tout droit de propriété, l’autonomie de gestion des personnes publiques suppose seulement que ce pouvoir soit dans une certaine mesure discrétionnaire. Cependant, l’affectation de la propriété à l’exercice des compétences autorise à rejeter l’idée d’une liberté de disposer attachée au droit de propriété public (b). a) L’existence de dispositions spécifiques relatives à la disposition des personnes publiques : indice d’une impossible libre disposition 271. L’article 537 du Code civil dispose que « les particuliers ont la libre disposition des biens qui leur appartiennent, sous les modifications établies par les lois ». En revanche, dispose-t-il en son second alinéa, « les biens qui n’appartiennent pas à des particuliers sont administrés et ne peuvent être aliénés que dans les formes et suivant les règles qui leur sont particulières ». Cette rédaction fonde déjà en elle-même l’opposition entre la libre disposition des particuliers et l’exercice du pouvoir de disposition par les personnes publiques. Or, cet article 537 du Code civil connaît des équivalents en droit public. Ainsi, l’article L. 2221-1 CG3P qui renvoie à l’article 537 du Code civil dispose que les personnes publiques « gèrent librement » leur domaine privé. Cet adverbe « librement » disparaît pour ce qui concerne le domaine public, puisque l’article L. 2123-1 ne parle que de gestion, sans autre qualificatif, et ne fait plus référence à l’article 537. Autrement dit, la libre disposition de la propriété privée ne correspond pas au pouvoir exercé par les personnes publiques sur leurs biens. Gérer librement doit être compris comme l’exercice d’un pouvoir de disposition plus ou moins discrétionnaire, comprenant une part d’opportunité échappant au contrôle du juge 262 Décision n° 98-403 DC, du 29 juillet 1998, loi relative à la lutte contre les exclusions. Frédéric Zenati, « Protection constitutionnelle du droit de disposer », RTD civ., 1999, p. 136. Voir aussi, Romain Granjon, « L’effectivité de la protection de la libre disposition des biens : réflexions sur l’évolution jurisprudentielle », RFDA, 2003, p. 1104. 249 administratif. Il s’agit là d’un élément spécifique situé au cœur même du régime qu’est la propriété dans sa dimension active et juridique. 272. Les actes des personnes publiques propriétaires ne sont pas des actes d’exercice d’une liberté. Le terme d’ailleurs semble, on l’a vu, devoir être écarté de la sphère publique à laquelle il est destiné à être opposé. Hervé Moysan s’est livré à une étude précise de la disposition des personnes publiques. L’auteur avait l’ambition explicite de « montrer que la soumission des dépendances du domaine public à un véritable régime de propriété, adapté à l’intérêt public, implique l’abandon de la domanialité publique »263. Contestant également l’assimilation de la propriété des personnes publiques à la propriété privée, il écrit que « le régime du domaine privé offre le modèle d’un véritable régime de propriété publique »264. Ce régime est bien de droit public en ce qu’il vise la préservation des intérêts publics et interdit de reconnaître un intérêt particulier aux personnes publiques comme y conduirait l’assimilation à la propriété privée. La domanialité privée, régime de la propriété publique, permet de théoriser celle-ci en analysant les prérogatives des collectivités publiques « en termes de compétences – de prérogatives finalisées – et non – comme les particuliers – de prérogatives indéterminées ». C’est pour lui le seul moyen de concilier « les moyens d’une gestion économique efficace » pour les personnes publiques sans reporter à un régime seulement superposé les « garanties quant au respect de leurs missions »265. Dès lors, la liberté attachée au pouvoir de disposition de la propriété privée disparaît au profit de « prérogatives discrétionnaires, lesquelles sont spécifiquement encadrées » en raison du principe de légalité266. Nous souscrivons pleinement à une telle analyse. La libre disposition est un corollaire du droit de propriété qui ne saurait être garanti en présence d’une suppression de la disposition par son propriétaire ou d’un encadrement trop strict de cette liberté. Tant le Conseil constitutionnel que le Conseil d’État 267 s’assurent du respect de ce principe de libre disposition attaché à la propriété. Tel n’est pas le cas du pouvoir de disposer de leurs biens que mettent en œuvre les personnes publiques. 263 Hervé Moysan, Le droit de propriété des personnes publiques, LGDJ, 2001, p. 5. Ibid., p. 8. 265 Ibid., p. 38. 266 Ibid., p. 188. 267 Par ex. CE ord., 21 nov. 2002, Gaz de France, n° 251726, Rec., p. 408. Il s’agit d’une décision rendue dans le cadre d’un référé-liberté : « Considérant en premier lieu que le droit de propriété a pour corollaire la liberté de disposer d'un bien ». 264 250 b) L’impossible liberté de disposer de leurs biens des personnes publiques : manifestation de l’autonomie du droit de propriété public 273. La notion de compétence fonde une certaine spécificité en constituant une légalité objective particulière où le droit de propriété des personnes trouve son fondement et son régime. Si les personnes publiques comme les personnes privées sont des « systèmes de possibilités de volonté »268, les secondes seules ont « droit au caprice » en guise de mobile. En effet, le juge judiciaire ni aucun autre d’ailleurs n’aura la possibilité de venir discuter pour des motifs d’opportunité telle ou telle décision de céder, louer, ou changer de destination un bien. A l’inverse, une personne publique est soumise à un ensemble de principes qui, même sans textes, lui interdiront certains choix dont le caractère discrétionnaire n’autorise pas pour autant l’arbitraire. Le droit public se caractérise par une légalité beaucoup plus contraignante pour les personnes publiques que pour les personnes privées269. L’application de principes tels que la laïcité, ou l’égalité, alors même que la qualification de service public est écartée concernant le domaine privé, nous conduit à discuter l’idée d’une libre disposition par les personnes publiques. Une personne privée gestionnaire d’un service public par exemple, n’est soumise au respect d’obligations similaires uniquement dans le cadre de ses activités de service public. Par ailleurs, une personne privée gérant un service public ne verra jamais un acte de disposition de son droit de propriété contrôlé en excès de pouvoir par le juge administratif. Une personne publique oui. Cela montre qu’une personne publique est titulaire d’un droit public de propriété, et que ce droit est exercé par des actes de droit public avant, éventuellement, qu’un instrument de droit privé n’intervienne pour réaliser une opération quelconque. La gestion publique domine l’ensemble de l’activité juridique des personnes publiques. La gestion privée n’existe pas indépendamment de décisions administratives, que celles-ci soient susceptibles ou non d’un recours en excès de pouvoir. 268 Elizabeth Zoller, Introduction au droit public, Dalloz 2006, p. 66. Dans le même sens que les développements qui suivent, François Bourrachot, « La liberté des personnes publiques de disposer de leurs biens », RFDA, 2003, p. 110. 269 251 2) Le mythe de la gestion privée : son cantonnement aux seules opérations techniques de l’exercice du droit de propriété des personnes publiques 274. L’idée d’un clivage entre la gestion publique et la gestion privée n’est sans doute pas dépassée270, tant il demeure exact que des pans entiers de l’action publique sont régis par le droit privé271, tant en ce qui concerne des personnes privées, ce qui semble logique272, qu’en ce qui concerne des personnes publiques. Cela étant, il nous semble que la représentation habituelle consiste à placer les deux gestions en regard, y compris dans le cas des personnes privées comme si leur activité relevait tout de l’une ou tout de l’autre. Il nous semble préférable de considérer l’opposition pure et simple comme impossible dans le cas des personnes publiques (a), lesquelles ne connaissent au mieux qu’une succession, une opération de gestion privée faisant toujours suite à une décision de gestion publique, laquelle est alors irréductible (b). a) L’opposition impossible de la gestion publique et de la gestion privée au sein de l’activité juridique des personnes publiques 275. Pour Maurice Hauriou, « il y a gestion privée lorsque l’Administration accomplit une opération dans les mêmes conditions qu’un simple particulier, en se soumettant aux règles de droit privé et en faisant abstraction des droits et prérogatives spéciaux qu’elle tient de la puissance publique » 273 . Le commissaire Romieu considérait qu’il s’agissait d’un choix pour l’administration, maîtresse ainsi de son droit applicable. La chose est sans doute moins vraie qu’il n’a pu le penser, même si elle retrouve quelque force avec certaines décisions récentes 274 . En revanche, l’apport immuable jusqu’à présent de ce que Charles Eisenmann appelle « la doctrine Romieu », c’est d’avoir considéré que les actes d’autorité ne sont pas les seuls à relever du droit public et qu’il faut y ajouter les actes de gestion275. C’était là s’inscrire dans l’idée audacieuse qu’Hauriou défendait dès 1899 dans son opuscule consacré à La gestion administrative. Or, la propriété publique des personnes publiques, attribut de leur personnalité affecté comme cette dernière à une compétence autorise à revisiter la logique d’opposition de la gestion 270 Jean-François Mancel, « Gestion publique, gestion privée : la fin du clivage », AJDA, 1990, p. 765. Phénomène que renforce évidemment la logique des blocs de compétence. 272 Mais ce qui pose la question de leur soumission aux « valeurs » du droit public ; Jean-Bernard Auby, « Externalisation des activités publiques et valeurs du droit public », Mélanges Pierre Bon, Dalloz, 2014, p. 661 et s. 273 Maurice Hauriou, Précis de droit administratif, 12e éd., p. 1064. 274 CE, 3 décembre 2010, Stade Jean Bouin, n° 338272 ; lequel s’inscrit en quelque sorte, parce qu’il insiste sur l’intention et donc, en somme, la volonté de l’administration dans la qualification de service public, après CE, Sect., 22 février 2007, A.P.R.E.I., n° 264541. 275 Charles Eisenmann, Cours, op. cit., p. 61 ; lequel a même pu penser que la distinction entre gestion publique et gestion privée était le véritable critère, p. 348-350. 271 252 publique et de a gestion privée. Pour Philippe Yolka, « la reconnaissance de la fonction d’intérêt général du domaine privé (…) interdit de faire coïncider la distinction des domaines avec la ligne de partage entre gestion publique et gestion privée »276. Autrement dit, la ligne de partage serait au moins au-delà de la dualité domaniale, donc entre les propriétés publiques et les propriétés privées. Du point de vue subjectif, cela confirme l’idée que le droit de propriété des personnes publiques est public, si bien que ce son exercice est une activité publique à défaut d’être un service public. Cependant, l’argument invoqué peut être discuté. Pour Philippe Yolka, « à caractériser la gestion publique comme celle par laquelle aucun des moyens employés dans le commerce juridique ordinaire n’est mis en œuvre, le domaine privé relève assurément de la gestion privée » mais, poursuit-il, « si l’on définit en revanche la gestion publique comme celle dans laquelle la puissance publique entre en jeu, le domaine privé doit y être rattaché, puisque la puissance publique s’y infiltre à tous les niveaux »277. Il convient, selon nous, de distinguer nettement l’exercice de la puissance de l’exercice de la propriété, même si les situations nées du commerce juridique peuvent donner lieu à l’exercice de privilèges dont certaines prérogatives de puissance publique. L’argument est pertinent dans la mesure où, comme nous l’avons avancé, la personnalité publique se définit toujours par une aptitude incommensurable à exercice la puissance publique, ce qui se retrouve dans son activité de propriétaire. Mais, on peut pousser le raisonnement plus loin et écarter l’argument de la puissance comme distinct, même si non séparé, de la propriété. C’est, à un titre plus fondamental, en raison de l’inscription ab initio de la personnalité dans la sphère publique en raison de l’habilitation par une compétence que la gestion au sens le plus large des personnes publiques est toujours, d’abord, une gestion publique. Celles-ci sont, de par leur qualité, des propriétaires publics ce qui signifie que l’exercice de leur propriété relève toujours, en premier lieu, de la gestion publique. b) L’irréductible part de la gestion publique dans l’activité des personnes publiques : les décisions administratives d’exercice du droit de propriété 276. Maurice Hauriou énonce ce qui nous semble être la solution aux relations de la gestion publique et de la gestion privée dans l’activité des personnes publique : « Il faut distinguer en administration des décisions de principes et des décisions d’exécution. Les décisions de principe sont toujours des actes d’autorité. On dirait que la puissance publique s’y trace un programme à elle-même avant de passer à l’exécution, l’administration du domaine privé ne fait pas exception à la règle, les décisions de principe y sont des 276 277 Philippe Yolka, La propriété publique. Éléments pour une théorie, op. cit., p. 524. Ibid., p. 549. 253 actes d’autorité tout comme dans l’administration des services publics. Par là se marquent à la fois l’unité fondamentale de la personne administrative et la suprématie de la puissance publique »278. Admettre que la gestion publique et la gestion privée coexistent comme deux chaînes causales parallèles prenant leur source dans la volonté des personnes publiques, revient à dédoubler la personnalité publique ce qui nous semble inadmissible aujourd’hui. En témoigne selon nous l’existence des « actes détachables de la gestion du domaine privé »279. L’expression est d’ailleurs discutable car il ne s’agit pas tant d’actes détachables d’une gestion qui serait privée, que de décisions administratives manifestant le fait que l’exercice de la propriété publique est un élément de l’activité administrative, relève du droit public, et se constate éventuellement par l’existence du recours en excès de pouvoir. Si l’on abandonne le prisme purement contentieux de la qualification d’acte administratif, il est possible de considérer que l’acte administratif de gestion du domaine privé n’est pas une exception. Le principe, selon nous, est qu’a priori, tout acte d’exercice du droit de propriété d’une personne publique est un acte administratif. Seulement, le juge déterminera, comme il le fait pour de nombreux autres éléments de l’activité juridique des personnes publiques, quels actes sont susceptibles de recours. C’est en raison de cette appréciation subjective de la part du juge qu’il est difficile d’établir un critère ou de proposer une frontière 280 . L’acte soumis au contentieux de l’excès de pouvoir n’est que la partie visible d’une catégorie qui, théoriquement est beaucoup plus large. L’acte qui échappe à ce contentieux n’est pas, pour cette raison, de droit privé. Il n’y a pas de « décision » des personnes publiques qui soit de droit privé. Toute décision, c’est-à-dire tout acte de manifestation de volonté à partir duquel une série d’effets juridiques seront produits, est un acte de droit public parce qu’il relève de l’action publique. Tout décision est, en somme, un acte d’exercice de sa compétence par la personne publique. Nous voudrions défendre l’idée qu’il n’y a d’actes de droit privé des personnes publiques qu’au titre des instruments juridiques. Cela signifie que si le contrat de vente sera, a priori, un acte de droit privé parce qu’il est l’instrument de concrétisation d’une décision, celle de vendre, qui, elle, est un acte administratif. « Le nœud du problème touche, en réalité, la distinction entre gestion et cession des dépendances du domaine 278 Maurice Hauriou, La gestion administrative, Larose & Forcel, 1899, p.77. Par exemple, CE, 10 mai 2005, ONF, n° 268517, ADJA, 2005, p. 1646 : « la décision de constater le caractère infructueux de la procédure d’adjudication constitue un acte administratif antérieur au contrat de location, détachable de la gestion privée des forêts, dont il appartient au juge administratif de connaître ». 280 Sur la question du dualisme juridictionnel et de la propriété publique, cf. infra p. 477 et s. ; sur la question de la qualification des actes d’exercice du droit de propriété par les personnes publiques, cf. infra pp. 486-492. 279 254 privé : le contentieux du refus de vente est un révélateur de la porosité entre les deux sphères »281, considère Philippe Yolka. Or, s’il est impossible de distinguer nettement l’acte de cession de l’acte de gestion, il nous semble possible de l’expliquer par l’idée que le juge administratif s’intéresse non à la nature de l’acte mais au grief qu’il peut faire. En revanche, il peut considérer que la juridiction administrative n’est pas compétente chaque fois qu’un instrument juridique lui paraît relevé, par nature, du droit privé et du juge judiciaire comme ce fut le cas du refus de rétrocéder un bien préempté. 277. Il y a donc lieu selon nous de distinguer la part de la théorie et la part de la technique juridiques. Théoriquement, tout acte d’exercice du droit de disposer 282 attaché au droit de propriété est, lorsqu’il émane d’une personne publique, un acte administratif. Seulement une partie fera l’objet d’un contrôle du juge administratif s’il fait grief, ce qui nous invite à considérer que lorsque tel n’est pas le cas, il est plus juste de parler de mesure d’ordre intérieur que d’acte de droit privé. Seule la technique juridique connaît de tels actes émanant de personnes publiques. En effet, si les décisions d’exercice de la propriété des personnes publiques sont toutes administratives, certaines de ces décisions s’exécutent par des moyens de pur droit privé où la compétence judiciaire s’impose de ce seul fait. Ainsi, la décision de vendre ou le refus de vendre un bien sont toutes deux des décisions administratives, en l’occurrence susceptible de recours en excès de pouvoir. En revanche, le contrat de vente quant à lui relève de la compétence du juge judiciaire, y compris s’il a été précédé de l’exercice d’une prérogative de puissance publique comme le droit de préemption283. Sauf s’il contient une clause exorbitante du droit commun. Autrement dit, à l’inverse des contrats liant un SPIC à ses usagers 284 , un contrat relatif au domaine privé peut être administratif. 278. Il n’y a donc pas de raison de voir dans la gestion du domaine privé une activité de droit privé par nature. A l’inverse, nous pensons avoir montré qu’elle tient plus de l’activité administrative par principe. Philippe Yolka en déduisait que, dès lors, « il paraît conforme à l’intérêt 281 Philippe Yola, « Entre gestion et cession : le contentieux du refus de vendre les immeubles publics », JCP A, 2013, act. 664. 282 Qu’il ne faut pas confondre avec l’acte de disposition par opposition à l’acte d’administration mais à tout acte d’exercice du droit de propriété, le droit de disposer englobant ces deux sous-catégories destinées à organiser le contrôle de certaines formes de gestion pour autrui. 283 CE, 7 janv. 2013, n° 358781. 284 CE, Sect., 13 oct. 1961, Établissements Companon-Rey, Rec. p. 567 ; AJDA, 1962, p. 98, concl. Heumann, note A. de Laubadère ; TC, 17 déc. 1962, Dame Bertrand, Rec., p. 831, concl. Chardeau ; AJDA, 1963, p. 88, chron. M. Gentot, J. Fourré. 255 d’une bonne administration de la justice que le juge administratif soit considéré comme gardien de la propriété publique »285. Nous reviendrons sur cette question, le point nous semble cependant acquis que l’exercice du droit de propriété par une personne publique met en œuvre, comme tout droit de propriété, la prérogative de disposer de ses biens. Située dans le prolongement d’une aptitude fondamentale de la personne juridique à l’activité juridique, le commercium, ce pouvoir de disposer se fonde bien dans la nature publique de son titulaire. C’est cette nature qui oblige de considérer que le pouvoir de disposition des personnes publiques relève du droit public et s’exerce donc au stade de la décision qui exprime la volonté de le mettre en œuvre par des actes administratifs soumis à la légalité propre qui est celle des personnes publiques. Ainsi, les personnes publiques ont un rapport de droit public aux utilités qu’elles peuvent retirer des choses, et elles ont un pouvoir de disposer de ces choses qui relève lui-même du droit public. 279. Yves Gaudemet considère que le droit de propriété est « unique en son essence et de consécration constitutionnelle ». Il concède cependant qu’il est « naturel que l'identité du propriétaire, ce qu'il veut ou doit faire de son droit de propriétaire, retentisse sur les modalités d'exercice de celui-ci ». Il en va ainsi du « propriétaire bailleur social [qui] n'exerce pas son droit de propriété comme le propriétaire de murs commerciaux ou le titulaire de droits incorporels ; il en va de même des propriétaires publics qui exercent leur droit de propriété au titre et pour la mise en œuvre de compétences conférées par la loi et dans le cadre de leur spécialité »286. L’analogie est discutable en ce que le propriétaire bailleur social peut se retirer de l’activité en question, alors qu’un office public d’habitat a reçu une mission à l’accomplissement de laquelle il est assigné par le droit objectif et non par son choix de propriétaire. Habilitées par une compétence, les personnes publiques n’agissent qu’à la condition de pouvoir justifier d’un intérêt public, même indirect. Leurs droits de propriété ne dérogent pas à ce principe général du droit des activités administratives. Le droit de propriété public des personnes publiques est un droit dont l’exercice est affecté à l’intérêt public, à l’exercice de la compétence reçue. 285 286 Philippe Yolka, op. cit., p. 549. Yves Gaudemet, « Pour un acte II du droit des propriétés publiques… », RJEP, janv. 2014, repère 1, n° 1. 256 Conclusion du Chapitre 1 280. L’idée que la propriété n’est, en elle-même, ni publique ni privée ne doit pas être entendue dans une perspective idéaliste, mais dans une perspective positiviste. Ce n’est pas la découverte d’une entité qui existe indépendamment des faits. C’est la fabrication d’un concept qui résulte d’un effort d’abstraction à partir des faits. Ces faits, ce sont les phénomènes normatifs par lesquels des personnes juridiques établissent leur maîtrise juridique sur des choses. Ce concept, c’est le droit de propriété qui est le droit subjectif de jouir et de disposer des choses conformément au droit objectif. Passée cette réduction formelle de la propriété comme attribut constitutif du propriétaire qu’est nécessairement le sujet de droit, le droit objectif en cause devient l’élément premier et celui par lequel les distinctions s’imposent. La compétence et la capacité, habilitations respectives du droit public et du droit privé, fondent et régissent un droit de propriété public ou un droit de propriété privé attribué aux personnes publiques et privées qui en résultent. Habilitées à la propriété par leur compétence, les personnes publiques voient leur aptitude à la propriété elle-même affectée à l’exercice de celle-ci et, par conséquent, enserrée dans les limites qu’imposent la participation à l’action publique. Les personnes publiques sont par définition, indépendamment de la catégorie dont elles relèvent, et indépendamment même des missions particulières qui leur sont dévolues, des propriétaires fiduciaires. Elles n’exercent la propriété que pour remplir une fonction, leurs missions, à la manière des personnes privées habilitées à exercer la propriété sur un patrimoine confié en pleine propriété par un contrat de fiducie. Si leur droit de propriété est bien le droit de jouir et disposer des choses, leur jouissance et leur disposition sont elles-mêmes déterminées par la compétence. Un bien est, pour une personne publique, un moyen de réalisation de ces missions, ce qui détermine son rapport aux utilités que ce bien peut produire tandis que l’insaisissabilité met cette jouissance à l’abri de l’action des créanciers. Les actes d’une personne publique propriétaire exercent la prérogative de disposition attachée à la propriété. Mais ils s’évaluent à l’aune de l’intérêt public dont la personne publique doit toujours pouvoir justifier. C’est la raison pour laquelle le bien d’une personne publique est, de ce seul fait, un bien public. Sa gestion est toujours, pour une part, une gestion publique. A l’appui de celle-ci, les personnes publiques trouvent par ailleurs le secours de la puissance publique, achevant d’opposer leur condition juridique de propriétaire à celle des personnes privées étrangères à l’exercice des compétences. 257 Chapitre 2 Les droits de puissance publique : privilèges patrimoniaux caractéristiques des personnes publiques propriétaires 281. Félix Moreau distinguait les droits d’autorité pure « qui se réduisent à un commandement adressé aux administrés, sans enrichissement matériel ou pécuniaire de la collectivité »1 et les droits fiscaux, « droits de nature matérielle et pécuniaire, par lesquels (la collectivité) applique et emploie des biens à l’utilité publique »2. Cette distinction lui semblait « essentielle dans le droit public contemporain » car « elle est le terme d’une longue évolution qui l’a substituée à la confusion par le droit féodal [lequel] admettait que l’exercice des droits de police fournît une occasion licite, non seulement de percevoir des taxes, mais encore d’en créer ou étendre le régime » 3. Or, de même qu’il existe une propriété publique alors qu’on pensait cette prérogative type du droit privé, il existe une puissance privée4. La question est donc de savoir si l’une et l’autre sont ou non au service des propriétaires. Or, seules les personnes publiques et les personnes privées participant à l’exercice des compétences peuvent être amenées à exercer des droits « fiscaux », les personnes privées étrangères à l’action publique ne pouvant jamais utiliser la puissance au service de leur patrimoine. Si le droit privé se caractérise par une étanchéité pratiquement absolue entre l’exercice de la puissance et la qualité de propriétaire, le droit public se caractérise à l’inverse par une relation de coordination intime entre ces deux prérogatives. Les situations d’exercice de la puissance privée sont toutes des situations où l’exercice de la puissance épuise la finalité poursuivie et ayant justifié l’établissement d’un rapport hiérarchique. En droit public en revanche, la puissance et la propriété apparaissent comme deux modalités complémentaires d’exercice des compétences des personnes publiques (Section 1). La puissance publique est au service du patrimoine affecté aux missions administratives et ne peut donc pas être écartée de l’analyse des personnes publiques propriétaires. La puissance publique est un élément consubstantiel du statut de personne publique propriétaire (Section 2). Section 1 La puissance et la propriété en droit public : deux modalités complémentaires d’exercice des compétences Section 2 La puissance publique : élément du statut de personne publique propriétaire 1 Félix Moreau, Manuel de droit administratif, Fontemoing, 1909, n° 70 p. 70. Ibid., n° 71 p. 72. L’auteur ajoute que cette dernière catégorie comporte deux droits types qui sont le droit d’avoir un domaine public et le droit de lever des impôts. 3 Ibid., n° 72 p. 75. 4 Xavier Dupré de Boulois, Le pouvoir de décision unilatérale. Étude de droit comparé interne, LGDJ, 2006. 2 258 Section 1 La puissance et la propriété en droit public : deux modalités complémentaires d’exercice des compétences 282. « Au citoyen appartient la propriété, et au souverain l’empire » dit Portalis 5 , exprimant ainsi l’opposition fondamentale de la pensée révolutionnaire entre imperium et dominium, entre souveraineté et propriété6. Dans cette perspective, la puissance est toujours publique et relève du seul droit public et la propriété, toujours privée, relève du seul droit privé. Or, si la propriété et la puissance doivent bien s’opposer, elles ne traduisent pas en elles-mêmes la distinction du droit public et du droit privé. De même que la propriété signifie seulement un rapport aux choses à partir duquel établir, notamment, des relations économiques, la puissance suppose seulement des rapports inégalitaires qui « mettent en présence un supérieur et un inférieur », le premier exerçant le pouvoir de commander au second, « soumis à ce pouvoir, tenu à l’obéissance »7. Tel est, dans sa forme pure, le rapport de domination que traduit juridiquement l’idée de droit subjectif de puissance. On parvient ainsi à un modèle formel de description exhaustive de la vie juridique du point de vue subjectif. Toute prérogative d’un sujet de droit peut être considérée comme un droit subjectif. Puissance et propriété se distinguent par l’objet des droits subjectifs, personne ou chose. Elles ne sont qu’ensuite publique ou privée et cela en fonction de ce dont elles sont l’instrument : l’action publique ou non. L’identification des droits de puissance opposés aux droits de propriété se rapproche évidemment de l’ancienne opposition des actes d’autorité et des actes de gestion, mais il ne s’agit plus de rechercher un critère entre droit public et droit privé. Il s’agit de distinguer deux modalités radicalement différentes de l’action d’un sujet de droit. La contrainte et l’échange doivent avoir chacune leur prérogative respective : les droits de puissance pour la première, les droits de propriété pour la seconde. Ces deux prérogatives distinctes se rejoignent uniquement par le résultat de la puissance qui peut être appréhendé comme un bien (§ 1). En droit privé comme en droit public, le droit a pu chercher à vider la dimension économique et patrimoniale de l’exercice de la puissance en imposant un principe de neutralité patrimoniale de la puissance. Celle-ci ne doit pas bénéficier patrimonialement à celui qui l’exerce. Ce principe n’est cependant intangible qu’en droit privé, le droit public se caractérisant au contraire par son extrême relativité (§ 2). 5 Jean-Etienne-Marie Portalis, Discours préliminaire du premier projet de Code civil, éd. Confluences, 2008, p. 86. Voir aussi, André-Jean Arnaud, « Imperium et dominium : Domat, Pothier et la codification », Droits, 1995, p. 55. 7 Félix Moreau, Manuel de droit administratif, op. cit., n° 6 p. 5. 6 259 § 1 Droits de puissance et droits de propriété : la contrainte et l’échange comme modalités alternatives de l’action des sujets de droit 283. La puissance et la propriété sont les deux moyens à disposition de tous les sujets de droit dès lors que le droit objectif fonde et régit un tel droit. Puissance et propriété ne doivent par conséquent s’opposer qu’à raison de leur objet, une personne ou une chose, et non à raison de leur rapport à l’État et à l’action publique. Le modèle du positivisme instruit permet de conceptualiser les rapports de domination sous la forme de droits subjectifs. En effet, il est tout à fait possible d’identifier en droit positif des normes ayant pour objet d’établir un rapport de subordination où l’un édicte un commandement à destination de celui ou de ceux qui sont tenus d’y obéir. Ces normes de droit objectif s’appliquent alors nécessairement à travers des actes juridiques imputables à un sujet de droit, exerçant pour ce faire une prérogative, c’est-à-dire un droit subjectif8. Cela suppose que le droit objectif vienne placer un individu, et non plus une chose, ou un ensemble d’individus dans l’obligation d’obéir aux commandements que son titulaire est habilité à édicter (A). Les droits subjectifs de puissance se distinguent donc du champ patrimonial auquel correspond la propriété. Cela suppose de les distinguer des droitsexclusion et des droits-prestation afin que ni la personne objet du droit ni le droit lui-même ne puissent être réifiés. La puissance n’entre en rapport avec la propriété qu’en raison de son produit : une obligation c’est-à-dire une prestation, qui place l’assujetti et le titulaire de la puissance dans une situation de débiteur et de créancier. La puissance crée des choses, des obligations, et ces choses peuvent être des biens sauf à ce qu’un régime soit mis en place pour éviter cette « patrimonialisation » (B). 8 Lorsqu’il a voulu proposer l’autonomie du pouvoir à l’égard du droit subjectif, Emmanuel Gaillard a défini le premier comme la prérogative finalisée, exercée au service d’un intérêt au moins partiellement distinct de celui qui l’exerce. Le droit subjectif, à l’inverse était laissé au libre arbitre. Or, il considère essentiellement des situations qui correspondent à l’exercice d’un droit subjectif de puissance tel que nous le concevons : pouvoir de l’époux, des parents, du chef d’entreprise, pouvoir disciplinaire au sein des syndicats et association (le fondement est généralement admis comme contractuel dans ce dernier cas). Le pouvoir, peut-être, serait un vocable préférable que les droits subjectifs de puissance mais le concept formel resterait identique dans tous les cas. Emmanuel Gaillard, Le pouvoir en droit privé, Economica, 1988, spéc. les propositions de thèse pp. 232 et s. 260 A. L’expression juridique de la contrainte sur les personnes : les droits subjectifs de puissance 284. Nous définirons le droit subjectif de puissance de la façon suivante : le droit subjectif dérivant d’une norme établissant un rapport inégalitaire entre des personnes juridiques et habilitant le sujet investi de l’autorité à modifier la condition juridique du ou des sujet(s) soumis à cette autorité en le(s) constituant débiteur(s) d’une obligation nouvelle par l’édiction d’un acte unilatéral. Contrairement au rapport entre créancier et débiteur qui permet de médiatiser le rapport de deux personnes, le droit de puissance consiste précisément à établir un rapport direct et immédiat entre deux sujets de droit dont l’un est l’objet du droit, placé en la puissance de l’autorité à laquelle il doit obéissance. En cela, la puissance sur les personnes est, comme le dominium pour la propriété, une potestas se concrétisant ensuite sous la forme de droits subjectifs (1). Commune aux deux branches du droit, la puissance sur les personnes est un régime qui a des traits communs tant en droit public qu’en droit privé ce qui en permettra par la suite la comparaison quant à ses rapports avec la propriété (2). 1) La puissance sur les personnes, déclinaison d’une potestas en droits subjectifs 285. De la même manière que le droit moderne ne saurait réunir tous les objets de propriété sous une puissance unique, le dominium, la puissance sur les personnes doit être exprimée par des droits subjectifs (a). Cela est d’autant plus aisé que la combinaison technique que nous avons retenue permet bien de présenter ces droits subjectifs de puissance comme dérivant d’un droit objectif qui les fonde et les régit (b). a) L’analogie avec la mutation du dominium en droits de propriété 286. Pour les Romains, le statut de paterfamilias correspond à la souveraineté du chef sur sa gens et sur tout ce qu’elle comprend, si bien que « la distinction entre la puissance sur les personnes et la possession des choses n’existe pas à l’origine »9. Ainsi, la première forme de maîtrise des choses fut le mancipium. Faisant référence aux travaux de Fernand de Visscher, Frédéric Zenati-Castaing indique que cet auteur « analyse cette institution comme une puissance, un pouvoir de commandement exercé par le chef de famille sur des personnes et sur ces choses susceptibles d’obéir (animaux, esclaves), les choses 9 Frédéric Zenati, th. préc., n° 143. 261 inanimées (fonds, servitudes) constituant le cadre territorial de cette souveraineté » 10 . Cette autorité relève plus du politique que du juridique, témoignant ainsi de ce que la Rome archaïque était une « fédération » de gentes. Extrêmement formalisé et notamment en tant que régime très strict de cession, le mancipium s’est révélé impropre à permettre le développement des échanges. La nécessité d’une libre disposition des choses a ainsi favorisé le dominium comme véritable propriété tandis que la Patria potestate engloba le mancipium et les autres maîtrises sur les personnes 11 . Cela étant, mancipium et dominium sont bien deux espèces du même genre, potestas, puissance. Il faut donc appliquer le même raisonnement à la puissance sur les personnes que celui qui s’applique à la puissance sur les choses. Le dominium, prérogative indissociable du sujet, est un pouvoir fondamental et virtuel de propriété. Il se démultiplie en droits subjectifs de propriété pour chaque bien sur lequel s’actualise cette puissance. De même, la potestas est une prérogative indissociable du sujet qui manifeste son pouvoir sur certaines personnes. Elle est un pouvoir virtuel de domination qui s’actualise sous la forme de droits subjectifs de puissance. La différence essentielle tient dans le principe d’égalité juridique qui rend l’attribution d’une telle puissance sur les personnes exceptionnelle. Ainsi, alors que l’aptitude fondamentale à la propriété concerne tous les sujets de droit, la puissance sur les personnes, inégalitaire par essence, ne peut être accordée que parcimonieusement. Nous verrons cependant qu’il est une catégorie de sujets de droit dont la puissance fait partie du statut juridique au même titre que l’aptitude à la propriété : les personnes publiques. Pour l’heure, il faut encore démontrer que l’on peut se représenter les rapports de domination entre deux personnes sous la forme d’un droit subjectif. b) L’appréhension positiviste des rapports d’autorité : les droits subjectifs de puissance fondés et régis par le droit objectif 287. Le droit objectif confère donc à certains sujets de droit des prérogatives exorbitantes qui rompent le principe d’égalité et organisent une inégalité légitime. De telles prérogatives dérivent du droit objectif et supposent donc une norme habilitant une autorité à exercer une puissance 10 Ibid., n° 146. Ibid., n° 148 : « De la même manière que le développement économique exceptionnel connu par Rome à partir de l’influence étrusque produira avec un décalage, l’apparition d’un droit des biens indépendant du droit des personnes, un décalage se produira entre la constitution de ce droit des biens, qui se situe environ au IIe siècle av. JC et la formulation du concept qui le sous-tend puisque le terme dominium ne sera utilisé dans le sens de propriété que vers 50 ans av. JC ». 11 262 juridique sur un ensemble de personnes, assujetties, tenues d’obéir aux commandements formulés par les actes d’exercice du droit de puissance. Il peut s’agir d’un texte législatif, comme l’article 371 du Code civil qui habilite les parents à exercer l’autorité parentale sur les enfants, ou l’article L. 2212-1 du CGCT qui habilite le maire à exercer le droit de puissance de la commune qu’est la police administrative générale. Il peut s’agir d’une décision juridictionnelle qui vient sanctionner l’existence d’un tel pouvoir de commandement12. En droit privé, le pouvoir du chef d’entreprise fut longtemps reconnu par la seule jurisprudence sans que son fondement soit explicite ou satisfaisant. Xavier Dupré de Boulois a montré que la loi du 4 août 1982 13 est venue valider l’analyse institutionnelle au détriment de l’analyse contractuelle en conférant expressément un pouvoir unilatéral de l’employeur qui « dépasse le cercle des personnes liées à l’employeur par un contrat de travail » et « concerne l’ensemble de la communauté de travail »14. En droit public ce pouvoir résulte en tout premier lieu de la reconnaissance au chef d’un service public du pouvoir d’organisation de ce dernier 15, pouvoir qui a été reconnu à une entreprise privée gestionnaire d’un service public avec l’arrêt Époux Barbier16. Le code du travail est rédigé sur un mode objectiviste : « le règlement intérieur est un document écrit par lequel l'employeur fixe exclusivement » les mesures d’hygiène et de sécurité, les règles de discipline, l’échelle des sanctions etc. Le texte vise également un certain nombre de contreparties, de garanties pour les salariés 17. On peut le traduire sur un mode subjectiviste en considérant que le droit de puissance ainsi fondé est exercé par l’employeur, soit en son nom s’il agit en tant qu’individu soit au nom de la personne morale qu’il représente, sous la forme d’une décision unilatérale, le règlement intérieur, dont les dispositions sont obligatoires pour ceux qui y sont soumis. Un régime fixe le périmètre matériel de ce règlement, établit certaines dispositions obligatoires, et organise un certain de nombre de garanties et notamment les droits de la défense. Autrement dit, une norme d’habilitation a établi une relation de subordination entre l’entreprise et la communauté de travail dont l’organe ayant le pouvoir d’exercer ce droit de puissance est le chef d’entreprise. On retrouve ici les éléments essentiels d’un droit de puissance : un fondement dans le droit objectif, un droit exercé par des actes juridiques unilatéraux, dont l’objet est la condition juridique d’autres sujets de droit, qui ont l’obligation de se conformer aux dispositions édictées, sous réserve de leur légalité. La puissance sur les personnes, comme la propriété des choses, est 12 CE, 8 août 1919, Labonne, Rec. p. 737, GAJA, n° 35 p. 219. Il s’agit de la loi dite « Auroux », Loi n° 82-689 du 4 août 1982, relative aux libertés des travailleurs dans l'entreprise. 14 Xavier Dupré de Boulois, Le pouvoir de décision unilatérale. Étude de droit comparé interne, LGDJ, 2006, pp. 237-238. 15 CE, Sect., 7 fév. 1936, Jamart, Rec., p. 172, S., 1937.3.113, note Rivero, GAJA, 19e éd., n° 47. 16 TC, 15 janv. 1968, Compagnie Air France c. Époux Barbier, Rec., p. 789, concl. Kahn ; GAJA, 19e éd., n° 82. 17 Article L. 122-34 du Code du travail. 13 263 donc essentiellement une technique juridique dont les éléments formels seront communs aux droits public et privé. La puissance et la propriété ne se distinguent que du point de vue matériel en fonction des fins auxquelles elles sont employées et du régime qui en régit l’exercice. Ces invariants formels doivent être rapidement examinés. 2) La puissance sur les personnes : une technique à la structure formelle invariable en droit public et en droit privé 288. L’analyse des droits de puissance conduit à constater que, technique commune aux deux branches du droit, elle interdit de considérer l’exorbitance comme un critère du droit public (a). De même, l’exercice juridique d’un droit de puissance suppose l’édiction d’actes unilatéraux dont le régime comprend de nombreux traits invariants (b). Notamment, le principe de légalité s’applique sous la forme d’un contrôle formellement identique : la vérification de la conformité de l’acte unilatéral au droit objectif régissant le droit de puissance considéré (c). a) Premier caractère : la puissance sur les personnes est exorbitance 289. Le mécanisme décrit pour le droit du travail permet de comprendre pourquoi, a priori, le phénomène de la puissance de domination n’est pas propre au droit public. Dans la famille, dans les organisations où le principe hiérarchique s’impose, un certain pouvoir est concédé à une personne juridique qui va exercer sur une autre un rapport de domination, de contrainte. Félix Moreau réduit donc abusivement les phénomènes de domination à la seule puissance publique. L’auteur n’ignore pas l’existence de puissances privées mais sa posture d’affirmation de l’autonomie du droit public, fondée sur la puissance publique et le caractère inégalitaire des rapports juridiques en cause18, le conduit à minimiser ces « derniers vestiges de puissance individuelle (…) menacés de disparaître sous l’action des mœurs qui agissent constamment sur les lois »19. Or, loin de disparaître, les phénomènes de puissance en droit privé font l’objet d’études renouvelées et on assiste bien au contraire à leur juridicisation croissante et à la prise en compte grandissante de l’unilatéralisme en droit privé20. Toute personne juridique peut donc recevoir des règles du droit objectif des prérogatives ressortissant de deux puissances fondamentales : la puissance sur les choses et la puissance sur les autres personnes. La première est une puissance 18 Pour Félix Moreau, les rapports juridiques administratifs « mettent en présence un supérieur et un inférieur, la puissance publique qui exerce le pouvoir de commander, et un administré, un sujet, soumis à ce pouvoir de commander, tenu à l’obéissance », ibid., n° 6 p. 5. 19 Ibid., n° 51 p. 51. 20 Voir notamment, Fabrice Rosa, Les actes de réglementation privée, th. Paris 1, 2011. 264 en principe égalitaire fondée sur l’échange consenti et ayant donc pour faculté fondamentale l’aptitude à être propriétaire. La seconde est une puissance inégalitaire qui permet à un supérieur, le détenteur de la puissance, d’imposer à l’inférieur, assujetti à cette puissance, une obligation juridiquement sanctionnée. Cette puissance s’exerce par des actes qui manifestent l’exercice d’un droit dont le titulaire peut donc être une personne physique (parent ou employeur), une personne morale de droit privé (société en qualité d’employeur) ou une personne morale de droit public. La personnalité morale suppose simplement que l’exercice de cette puissance sera le fait d’un organe déterminé, à l’image de ce qui se passe pour le droit de propriété. Félix Moreau ne peut donc pas opposer l’égalité du droit privé à l’inégalité du droit administratif et considérer que seuls les rapports administratifs « mettent en présence un supérieur et un inférieur, la puissance publique qui exerce le pouvoir de commander, et un administré, un sujet, soumis à ce pouvoir de commander, tenu à l’obéissance » 21 . Tout droit de puissance est exorbitant, c’est-à-dire déroge au principe d’égalité formelle. Tout rapport établi par l’exercice d’un droit de puissance correspond à cette structure inégalitaire où l’un ordonne et l’autre obéit. La conclusion qui s’impose est donc que l’existence de rapports inégalitaires n’est pas l’apanage du droit public. L’exorbitance pouvant être définie comme l’expression d’un tel rapport, elle n’est pas un critère de distinction opérant, « l’exorbitance est la rencontre de deux phénomènes humains : le pouvoir et le droit »22. Pour Elodie Saillant, « signifiant l’existence de règles de droit, appliquées au pouvoir politique, différentes de celles auxquelles sont soumis les particuliers, et qui contiennent le pouvoir de commander aux particuliers, l’exorbitance est en effet la traduction dans le droit de la spécificité et de la supériorité du pouvoir politique »23. Cependant, ce pouvoir politique n’est pas exclusivement celui de l’État ou de l’administration. Il s’identifie à la force politique d’une personne sur une autre, sans qu’il faille y voir l’opposition entre droit public et droit privé. b) Deuxième caractère : la puissance suppose l’unilatéralité sans se confondre avec elle 290. Pouvoir de modification unilatérale de l’ordonnancement juridique d’un ou plusieurs sujets de droit, le droit de puissance suppose l’édiction d’un acte unilatéral, ce qui n’interdit évidemment pas que l’élaboration de la norme suive un processus de concertation et de 21 Félix Moreau, Manuel de droit administratif, op. cit., n° 6 p. 5. Elodie Saillant, L’exorbitance en droit public, Dalloz, 2011, p. 14. 23 Ibid., pp. 15-16. 22 265 négociation24. Celui-ci peut être réglementaire ou individuel25, tant en droit public qu’en droit privé : « le pouvoir de commander comprend naturellement et même nécessairement le pouvoir réglementaire, le droit d’émettre des règles générales »26. C’est la raison pour laquelle il existe des actes réglementaires de droit privé27. Il faut considérer l’acte réglementaire comme un procédé technique permettant de commander à un ensemble de personnes sans avoir à les identifier précisément. L’intérêt du règlement est ainsi d’être un gain de temps mais, surtout, il répond au « besoin de certitude, d’un avenir prévu, de stabilité (…), besoin de confiance » qui permet d’éviter la tyrannie : « les pouvoirs oppresseurs aiment mieux résoudre chaque cas isolément, toute règle les embarrasse, les contient, arrête leurs caprices »28. A l’acte unilatéral correspond un régime juridique qui s’applique évidemment aux actes de puissance mais seulement en ce qu’ils sont une espèce du genre. L’existence de rapports de puissance en droit privé permet de confirmer l’idée que « l’exorbitance du droit des actes administratifs unilatéraux a été considérablement exagérée par la présentation qui en est traditionnellement donnée »29. Notamment, bien que présenté comme « règle fondamentale du droit public »30, « le privilège du préalable ne présente pourtant pas plus d’exorbitance dans son principe que dans ses conséquences »31. C’est ainsi le propre de tout acte juridique unilatéral d’avoir force exécutoire dès son édiction32 et son corollaire est toujours qu’il est impossible de demander à un juge d’ordonner ce qu’on peut soi-même commander en vertu d’un tel droit33. La position de l’auteur est peut-être excessive dans sa relativisation du privilège de l’exécution forcée, mais nous conviendrons que ce privilège est indépendant de celui du préalable qui apparaît bien « inhérent à la technique de l’acte unilatéral »34. Il en va de même, dans son principe, de l’existence d’un contrôle de légalité des actes unilatéraux, lequel s’impose même pratiquement par la force des choses dans le cas de l’exercice d’un droit de puissance. 24 Jean-François Sestier, th. précitée, notamment la démonstration relative à l’existence d’un maintien de l’ordre conventionnel, pp. 517 et s. ; voir également Maëlle Perrier, pp. 409 et s. 25 On élude volontairement le cas des décisions d’espèce, dont le problème n’est pas ignoré, mais qui ne se résolvent pas à notre connaissance en l’exercice du pouvoir de commandement. S’ils fixent des obligations, c’est indirectement en raison du régime juridique dont ils déclenchent éventuellement l’application. 26 Félix Moreau, Le règlement administratif, Fontemoing, 1902, n° 21 p. 23. 27 Les principaux sont le règlement d’entreprise et le règlement de copropriété. 28 Ibid., n° 3 p. 6. 29 Bertrand Seiller, « L’exorbitance du droit des actes administratifs unilatéraux », RDP, 2004, p. 485. 30 CE Ass., 2 juillet 1982, Huglo et autres, Rec. P. 257 ; AJDA, 1982, p. 657, concl. Biancarellei, note Lukaszewicz ; D. 1983, J, p. 327, note Dugrip et IR, p. 270, obs. Delvolvé ; RA, 1982, p. 627, note Pacteau. 31 Bertrand Seiller, préc., p. 491. 32 Ibid., p. 492 : « l’état du droit est alors parfaitement et évidemment identique : les actes unilatéraux de droit privé sont eux aussi immédiatement obligatoires parce que l’acte unilatéral décision n’a d’intérêt que s’il déploie par lui-même ses effets ». 33 Ibid., p. 493 : « le licenciement ou la démission, le congé délivré au locataire ou la reconnaissance d’enfant naturel ne sauraient émaner d’un juge ». 34 Ibid., p. 492 ; la même idée est défendue par Xavier Dupré de Boulois, « Puissance publique et puissance privée », in La puissance publique, LexisNexis, 2012 p. 70 : « L’acte unilatéral de droit privé présente les mêmes caractéristiques que son alter ego publiciste. Il en est ainsi en particulier des attributs traditionnellement attachés au privilège du préalable, à savoir le caractère exécutoire de l’acte et le statut de défendeur à l’instance de son auteur ». 266 c) Troisième caractère : le contrôle de légalité, corollaire des droits de puissance 291. Xavier Dupré de Boulois remarque que « l’un des éléments les plus caractéristiques de l’approche de la puissance développée par le droit privé est que ce dernier se préoccupe finalement plus de l’encadrer que de la fonder »35. Il montre par là que le droit objectif se traduit par deux fonctions. Il fonde le droit de puissance. Il en organise le régime. Cela est conforme à l’idée générale que le droit subjectif dérive du droit objectif et n’est jamais totalement libre. Dans le cas des droits de puissance, le fait que s’exerce une contrainte qui porte atteinte à l’autonomie de la volonté de l’assujetti impose dans le cadre des sociétés modernes que le droit soit particulièrement précis quant à ces deux fonctions. Ainsi, le droit objectif fixe toujours celui qui, individu (père, mère) ou organe d’une personne morale, exercera le droit. L’importance supérieure que revêt la détermination de celui qui exerce le droit par rapport à celui qui en est titulaire traduit cette spécificité. Si le pouvoir de police municipale « appartient au maire », c’est bien la commune qui est le titulaire du droit de puissance36. Le droit objectif fixe également en principe le but que poursuit le droit de puissance, parce qu’un droit de puissance qui n’aurait pas de finalité précise sera évidemment l’antichambre d’un despotisme inadmissible. Quant à l’exercice, la procéduralisation de la puissance qui se manifeste par des exigences d’information, de motivation, de droits de la défense et de contradictoire, de préavis ou encore de consultations obligatoires 37 . Ce phénomène « participe de la volonté d’assurer la protection de la partie faible, de l’assujetti »38. Cela fonctionnalise le droit de puissance en imposant un contrôle des motifs et des finalités, « les motifs évoquent un exercice conditionné de la puissance alors que les fins renvoient à l’exercice finalisé de la puissance » 39 . Cela rejoint l’idée déjà évoquée d’une appréhension juridique du fait social que certaines personnes sont amenées à agir en raison d’une fonction, familiale, économique ou publique. Nous verrons que c’est seulement sur ces derniers éléments que nous pourrons proposer la compétence, en tant qu’élément du droit objectif fondant l’exercice d’une fonction administrative, comme critère de distinction. Formellement, et à ce stade, puissance publique et puissance privée correspondent au même modèle de droit subjectif de puissance, dont il faut à présent évaluer les rapports potentiels avec la propriété. 35 Xavier Dupré de Boulois, préc., p. 71. Félix Moreau, Le règlement administratif, op. cit., p. 16, où l’auteur énonce l’affirmation très nette de ce principe : « aucun agent, assemblée ou fonctionnaire, ne possède en propre les pouvoirs qu’il exerce ; tout agent est au service d’une personne morale, d’une collectivité, qui est le véritable titulaire des droits exercés ». 37 Xavier Dupré de Boulois, préc., pp. 71-72. 38 Ibid., p. 74. 39 Ibid., p. 73. 36 267 B. Les régimes juridiques destinés à écarter la « patrimonialisation » des droits de puissance 292. Les droits de puissance doivent à présent être situés dans leur rapport potentiel à la propriété. Cela suppose de les situer par rapport à deux catégories de droits subjectifs que permet de dégager la théorie « moderne » de la propriété : les droits-exclusion et les droitsprestation. Les droits de puissance doivent être distingués des droits-exclusion car une telle assimilation signifierait la réification des personnes qui en sont l’objet (A). Ils doivent également être distingués des droits-prestation car ce serait alors en faire des biens objets des droitsexclusion. Ils doivent donc bien être l’équivalent de ces derniers. Cela nous conduira à évaluer l’effet patrimonial des droits de puissance, c’est-à-dire la mesure dans laquelle ils peuvent perturber le commerce juridique dès lors que, nous l’avons dit, un acte de puissance constitue l’assujetti comme le débiteur du dominant qui se constitue lui-même créancier et, de ce fait, « s’enrichit » (B). 1) Les droits de puissance face à l’impossible réification de leur objet : leur opposition aux droits-exclusion 293. Il faut revenir un instant sur la typologie des droits subjectifs vis-à-vis de laquelle vont être situés les droits de puissance. Le droit de propriété est le droit subjectif sur les choses, mais il n’est pas un bien. En revanche, certains droits peuvent être des biens. Cela conduit à voir dans les droits « des rapports juridiques objectifs entre deux personnes que le droit a réifiés pour en faciliter le commerce » 40, commerce qui, rappelons-le ne se limite pas à la cessibilité, mais simplement à la possibilité de prendre un acte relativement à cet objet. C’est pourquoi aux droits-exclusion que sont les droits de propriété doivent être opposés les droits-prestation qui sont des biens, les créances que l’on a sur la prestation que nous doit un débiteur. Julien Laurent définit le droit-prestation ainsi : « Au contraire du droitexclusion, le droit-prestation est fondamentalement relationnel, parce que la prérogative portée par de tels droits prend corps dans le service qui est dû par autrui. Celui-ci pourra se concevoir très largement comme étant la faculté d’obtenir quelque chose d’autrui mais également de pouvoir faire telle action sans que cet autrui ne puisse s’y opposer ; le service dû par ce dernier étant alors, a minima, de souffrir ce comportement ou, plus couramment, d’en assurer l’effectivité » 41 . Autrement dit, alors qu’une propriété incorporelle, un brevet, une invention, est le fruit d’une activité sociale finie, impliquant peut-être plusieurs personnes au 40 41 Frédéric Zenati-Castaing, « La propriété, mécanisme fondamental du droit », RTD Civ., 2006, p. 456. Julien Laurent, La propriété des droits, op. cit., n° 81 p. 64. 268 demeurant, un droit incorporel est une réalité sociale latente, c’est-à-dire l’espérance d’une personne qu’une autre adoptera à son égard telle attitude, lui rendra tel service. Ce service peut être une prestation matérielle, c’est-à-dire « une action de la personne (son talent, son habileté, son intelligence) qui s’exerce dans le monde réel, le monde perceptible et physique »42. Ou alors il peut être une prestation juridique et « il s’agit alors, non de produire des effets dans le monde physique mais de modifier l’ordonnancement juridique, activité qui s’exerce exclusivement dans le monde du droit »43. Dans ce cadre, la distinction des droits réels et des droits personnels est à reconsidérer de la manière suivante : les premiers ont pour objet un service qui sera rendu par la chose ellemême tandis que les seconds visent un service personnel. Il nous est maintenant possible d’aborder la question de la relation des droits de puissance à la propriété avec comme méthode de les comparer successivement aux droits-exclusion, au droit de propriété, et aux droitsprestation, aux biens. 294. Dans la conception objectiviste du droit romain, la potestas d’un sujet dépend de son statut. En cette puissance peuvent venir se placer des choses ou des personnes, en raison là encore d’une conception objective de ces statuts, de leur qualité. Ainsi le débiteur est celui qui a la qualité d’être en la puissance du créancier. A une certaine époque, on l’a vu, cela allait jusqu’à réduire le débiteur en esclavage afin qu’il rembourse sa dette grâce à sa force de travail. Mais la puissance pouvait aussi être exercée sur les citoyens libres, puissance limitée seulement par l’évolution des mœurs, qui permit ainsi de faire disparaître le droit d’exposition qui permettait au père de condamner à une mort certaine un nouveau-né jugé insatisfaisant. L’exercice de la puissance conduit à considérer les personnes assujetties comme des objets ce qui les rapproche de la catégorie des choses. Si l’on reprend les composantes du droit subjectif de propriété et qu’on l’applique aux personnes, cela signifie que la puissance sur les personnes permet d’une part de s’opposer à toute prétention d’un tiers de venir concurrencer cette « maîtrise », et d’autre part de pouvoir modifier le statut juridique de cette personne par un acte juridique comme on le ferait d’un fonds. L’acte de puissance consiste toujours en la modification unilatérale des obligations à la charge de l’assujetti. L’objet de la puissance est donc, en soi, la condition juridique de l’assujetti. Son effet est d’imposer une prestation due supplémentaire. Autrement dit, rien n’est plus logique que le fait que le droit romain ait confondu sous des termes identiques la maîtrise des 42 Ibid., n° 82 p. 66, faisant également à la force de travail, cf. thèse de Thierry Revet précitée. Ibid., l’auteur faisant remarquer qu’on vise ici le point de vue du résultat, l’activité juridique supposant bien de recourir à des choses matérielles, l’écrit etc. Ce à quoi nous ajouterons volontiers la pensée qui, elle-même, est bien matérielle car biologique. 43 269 choses et la domination des personnes. Cette confusion est manifeste. Par exemple, le droit romain permettait de faire passer un enfant dans la puissance d’un autre paterfamilias, afin de fournir à celui-ci une force de travail. Ce procédé s’apparente bien à la concession d’une utilité de la chose dont on est propriétaire, sauf qu’il s’agit d’une personne et que l’utilité est la force de travail de celle-ci. Cependant, le principe, et la forme juridique, sont identiques. On comprend alors la nécessité qu’il y a à construire juridiquement l’exclusion d’une telle réification de l’objet du droit de puissance. 295. Aux droits-exclusion on opposera donc les droits-sujétion, droits subjectif de puissance portant immédiatement sur les personnes. L’élément qui se situe dans la personnalité juridique est toujours un pouvoir fondamental, mais il est un pouvoir fondamental de commander à des individus en vertu d’un rapport hiérarchique organisé par le droit objectif conférant à l’un le statut de supérieur et à l’autre le statut d’inférieur. Ce pouvoir fondamental s’actualise par des droits subjectifs de puissance portant sur chaque personne ou catégorie de personnes. Ces droits subjectifs de puissance sont définis comme le droit légitime de commander par des prescriptions impératives. Ce droit s’exerce par des actes juridiques unilatéraux, réglementaires ou individuels. Nous ne voyons pas d’autre moyen de traduire dans une perspective subjective la puissance sur les personnes tout en voulant l’opposer au droit de propriété. La propriété et la puissance sont deux régimes. Le régime de puissance justifie de figurer à titre de catégorie distincte en raison de l’objet en cause, des personnes, ce qui conduit à des différences de régime essentielles. La question qui se pose est de savoir si ces droits de puissance ne peuvent pas être réintégrés dans le commerce juridique, non en raison de la réification de leur objet mais de leur propre réification. Puisque tout commandement impose une obligation, et qu’une obligation s’analyse comme une créance. Un droit de puissance produit donc comme résultat un bien : un droit-prestation. Le droit de puissance a donc luimême une valeur, évaluée en fonction de la valeur qu’on peut espérer créances qu’il créera au bénéfice de l’autorité qui l’exercice, et à la charge des assujettis ainsi constitués débiteurs. C’est ce mécanisme qui conduit à pouvoir constituer un droit de puissance comme étant lui-même, la position d’autorité pouvant être cédée avec le titre qui fonde le rapport de domination. Tel était le cas du droit féodal, où la propriété de la terre était un fondement à la détention de droits de puissance. 2) Les droits de puissance et leur impossible réification : leur autonomie par rapport aux droits-prestation 270 296. Un commandement se traduit par une obligation pour celui qui y obéit, une prestation. Or, un droit-prestation est un bien, comme l’étaient les jura en droit romain. L’Histoire du droit montre que de ce fait, les droits établissant un rapport de domination entre individus inégaux ont pu être considérés comme des biens et placés dans le commerce juridique (a). Une telle patrimonialisation du pouvoir ne peut être rendue impossible qu’en distinguant radicalement le droit de puissance de son produit 44 , lequel est forcément un droit-prestation et donc virtuellement un bien sauf à établir un régime qui le dé-patrimonialise, comme on cherche à le faire en matière d’autorisations administratives (b). a) La possible patrimonialisation de la puissance sur les personnes 297. Jean Gaudemet a proposé une étude spécifique comparant les deux sources du pouvoir à Rome45 : « Dominium, imperium, deux termes prestigieux, qui désignent le « pouvoir », maîtrise et puissance. Ils ont cheminé pendant plus de deux millénaire d’histoire, au prix de mutations multiples de leur signification, qu’imposèrent la variété des formes politiques et des structures sociales aussi bien que la diversité des doctrines juridiques ou philosophiques »46. L’auteur propose une définition des deux termes. L’imperium est considéré comme « le terme le plus prestigieux, le plus chargé d’histoire, peut-être le plus ancien (…), c’est aussi le plus discuté »47. Selon l’auteur, et malgré certaines controverses entre spécialistes, « on serait tenté de dire que l’imperium est un pouvoir de commandement militaire, et donc de portée politique, avec certains aspects d’un pouvoir religieux » 48 . Évoquant une inscription retrouvée à Narbonne, l’auteur dit qu’elle « permet d’observer le glissement de sens qui conduit de l’imperium du magistrat (Pro praetore) à l’imperium du monde qui échoit à Auguste » ce qui fait de la notion un avatar antique de la souveraineté49. D’origine étrusque, peut-être, « il est en tout cas certain que l’imperium existe dans la cité républicaine, qui connaît l’imperium des magistrats. Le terme évoque toujours une autorité sur les hommes, une puissance personnelle, des relations « politiques » de supérieur à inférieur » 50. Pour sa part, le « dominium nous transporte dans un autre monde ; du religieux et du politique nous passons au « domestique », au cadre de la maison, de la domus ». Beaucoup plus tardif51, le terme a été précédé par d’autres dont dominatio Nous empruntons cette idée de « produit » d’un acte juridique à Georges Dupuis, op. cit., pour qui « le produit d’un acte, c’est ce qu’il crée : des normes, des biens, des services », n° 132 p. 205. 45 Jean Gaudemet, « Dominium – Imperium. Les deux pouvoirs dans la Rome ancienne », Droits, n° 22, 1995, pp. 3-18. 46 Ibid., p. 3. 47 Ibid., p. 5. 48 Ibid., p. 6. 49 Ibid., p. 8. 50 Ibid., p. 13. 51 On a vu qu’il s’est progressivement substitué au mancipium en raison de sa meilleure propension à permettre la vie économique et l’échange. 44 271 et il portait bien aussi sur des personnes. Il exprime cependant à titre principal la puissance sur les choses. La question se pose alors de savoir s’il faut parler de dualité ou de confusion entre les deux termes. La dualité « traduit deux notions différentes : celle de puissance, l’imperium ; et celle d’une appropriation des biens, le dominium »52. Analysant différents textes, Jean Gaudemet constate que « trois de ces textes font référence à l’imperium de Dieu, des parents, du chef, trois se rapportent à l’imperium des lois. Toutes les mentions de l’imperium, dans des textes d’époque différentes, entendent par ce terme une notion de puissance ou de gouvernement »53. On a vu que la forme archaïque de Rome était une fédération de gentes. La distinction entre droit public et droit privé s’applique donc mal et l’on sera tenté de dire que puissance des magistrats ou puissance des patres, la potestas sur les personnes est de même nature et qu’elle se différencie seulement en raison des caractères militaire et religieux de l’imperium. Ainsi, on dira avec l’auteur que la distinction « entre dominium et imperium reposait, pour bonne part, sur la distinction entre pouvoir « politique » et maîtrise privée, entre ce qui deviendra droit public et droit privé »54. La confusion sera le fait des évolutions des structures politiques : « déjà quelque peu mise à mal dans l’Empire romain tardif avec le régime du « Dominat », la distinction avait quasiment disparu dans les Monarchies « barbares », qui considéraient les royaumes comme la chose de la famille royale, acquise par droit de conquête, transmise par succession privée et éventuellement partagée au gré des héritiers ». S’opère alors une véritable patrimonialisation du pouvoir sur les personnes : les fiefs, les églises et, sur le fondement de ces dernières, « les dîmes, qui auraient dû servir aux besoins collectifs des églises, sont aussi l’objet de trafic et d’appropriation privée »55. Les prestations associées à l’exercice de la puissance se confondent en réalité avec les droits de puissance eux-mêmes qui, transmissibles ou cessibles, s’inscrivent dans le commerce juridique qui soumet partiellement leur distribution aux mécanismes de la propriété. 298. Il faut donc reconnaître aux opposants à l’objectivisme du début de XXe siècle que la crainte d’une patrimonialisation du pouvoir ne manque certes pas de fondement. Jacques Krynen a montré que les antécédents à la synthèse de Jean Bodin sur la souveraineté sont à rechercher à l’époque où le pouvoir royal s’est évertué à concentrer en son pouvoir souverain des prérogatives politiques réparties entre d’autres mains, celles de ses vassaux et de cette myriade de notabilités qui faisaient le tissu social du monde féodal. Cette centralisation du pouvoir a trouvé un instrument fondamental dans la théorie des droits régaliens. L’imperium est, contrairement au principe qui sera par la suite proclamé, parfaitement divisible en lui-même et 52 Ibid., p. 12. Ibid., p. 14. 54 Ibid., p. 15. 55 Idem. 53 272 manifestement divisé dans la société du Moyen-âge. Il se décline en droits, en iura imperialia ou regalia. L’idée des défenseurs du Roi est alors de considérer ces regalia, ces droits impériaux, comme étant usurpés s’ils ne sont pas au prince. La liste va dès lors s’allonger au fur et à mesure de leur identification à l’occasion de contestations qui sont autant d’occasions pour le monarque de construire l’unité de son pouvoir56 : « droits exclusifs, monopoles résultant de l’imperium, ils portent sur les voies publiques, les fleuves navigables, les ports, les tonlieux, les biens vacants et les biens des condamnés, les mines métalliques, les revenus des pêches et des salines, la moitié des trésors, et la création des offices publics »57. L’auteur explique ainsi que « ces catalogues de droits régaliens sont des outils de travail (…) destinés à fournir aux juges et autres défenseur de la couronne l’ensemble des droits exclusifs, inaliénables et imprescriptibles de cette dernière » 58 . Ils contribuent ainsi à progressivement construire l’État moderne : « tâche décisive, en vérité, que cette défense procès après procès de l’incessibilité des regalia, ce vaste faisceau de droits qui, constituant l’essence de la souveraineté, garantit la puissance et la perpétuité de la couronne, expression médiévale de l’État »59. L’indivisibilité de la souveraineté, l’inaliénabilité, l’incessibilité, l’indisponibilité de ces droits, sont autant de vocables qui manifestent la possibilité pour la technique juridique de considérer ces droits de puissance comme autant de biens dont on hérite, que l’on peut vendre ou concéder, et que le Roi en son temps, les citoyens après la Nuit du 4 Août, purent notamment racheter. Ils sont aussi la manifestation de la possibilité juridique de concevoir les droits comme des biens et d’en organiser l’appropriation. Ils montrent enfin, que l’État patrimonial et son refus dépendent moins de l’admission d’une conception subjective de l’État ou de son rejet, que de l’élaboration d’un régime juridique organisant la centralisation de ces droits de puissance par la limitation à l’extrême de leur cessibilité. La réponse objectiviste permettait certes la dépatrimonialisation du pouvoir, mais en suivant une logique non juridique, en contradiction avec les exigences d’une résolution purement technique et juridique de la querelle de l’objectivisme et du subjectivisme. C’est une solution conforme à cette logique juridique que nous voudrions proposer. b) La condition de l’exclusion des droits de puissance du commerce juridique : la distinction entre le droit et son produit, un droit-prestation 56 Jacques Krynen, « Notes sur Bodin, la souveraineté, les juristes médiévaux », in Mélanges Mourgeon, Bruylant, 1999, p. 62 : « le grossissement des listes reflète la montée des contestations provoquées par l’application pratique de la souveraineté royale dans le pays ». 57 Ibid., p. 61. 58 Ibid., p. 62. 59 Ibid., p. 65. 273 299. Dans la perspective objectiviste généralement retenue en droit administratif, on évoque le principe de l’indisponibilité des compétences, définissant celles-ci comme des « pouvoirs-devoirs objectifs » 60 . Jean-Marc Maillot considère que « le principe d’indisponibilité participe de cet arsenal juridique qui vient renforcer la démocratie » puisqu’il « rappelle aux autorités publiques que leur pouvoir n’existe et ne se définit qu’en fonction des devoirs qu’il engendre lui-même »61. Or, cela fait apparaître à nos yeux une nouvelle confusion de l’objectivisme et du subjectivisme sur un même plan. En effet, la compétence et les textes qui organisent l’exercice et l’interdiction ou la permission des délégations, constituent le fondement objectif des droits de puissance qui dérivent de ces ensembles normatifs. Tout droit de puissance nécessite une habilitation qui investit un sujet de droit et, la plupart du temps, directement un ou plusieurs organes d’une personne morale (faisant l’ellipse du véritable titulaire) et sera ensuite soumis à un régime. Il nous semble possible de traduire ce régime juridique du droit objectif en termes subjectifs. Pour qu’ils ne soient pas des biens, il faut que les droits de puissance soient incessibles. Mais cette incessibilité peut être de deux ordres. Elle peut s’analyser comme une limite au pouvoir de disposer du pouvoir en cause, mais c’est alors rapprocher le droit de puissance des biens. L’incessibilité peut autrement découler du rattachement absolu et indissociable au sujet de droit de la puissance qu’il exerce. Cela conduit bien à en faire le pendant des droits de propriété, c’est-à-dire de véritables droits du sujet, attachés au statut de la personnalité juridique considérée. Dans cette perspective subjectiviste, de même qu’on transfert un bien mais en aucun cas le droit de propriété qui, étant une puissance, porte sur lui mais ne disparaît qu’avec le sujet et ne peut être cédé, on ne saurait pas plus transférer un droit de puissance. Celui-ci n’est alors pas un bien rendu inaliénable. Il est inaliénable parce qu’il n’est pas un bien, qu’il n’est pas une chose, à l’instar des droits de propriété. Il n’est en somme, pas vraiment une chose, puisqu’il participe du statut de la personne dont il est une prérogative. Le concept d’indisponibilité des droits de puissance62 est donc assez malvenu. Il n’y a que ce que l’on possède dont peut ou non disposer. Or, on n’a pas un droit de puissance comme on possède un bien. On est une autorité exerçant un droit de puissance comme on est un propriétaire établissant un rapport d’appropriation par des droits subjectifs. Ainsi, il faut bien considérer, avec Philippe Azouaou, que l’indisponibilité des compétences n’est pas une règle de droit positif, mais un principe ontologique de l’ordre juridique lui-même, tel qu’il est conçu dans 60 Léon Duguit, Manuel de droit constitutionnel, Fontemoing, 1907, p. 449. Jean-Marc Maillot, « L’indisponibilité des compétences en droit public français », LPA, 2004, n° 194, p. 3. 62 Les auteurs parlent de la compétence comme de pouvoirs dans le cas de l’indisponibilité. Nous verrons qu’il s’agit bien d’un abus de langage lorsqu’on développera la définition déjà ébauchée dans l’introduction. 61 274 le cadre de la pensée rationaliste moderne. Nous pensons pouvoir ainsi affirmer que le rattachement des droits de puissance à la catégorie63 des droits qui procèdent du sujet en raison d’un élément de son statut juridique est une voie théorique plus juste qu’un concept d’indisponibilité qui les rapproche des biens. 300. Ce ne sont donc pas les droits de puissance qui sont des biens. En revanche, parce que l’effet juridique d’un acte juridique d’exercice d’un droit de puissance est d’imposer une obligation, il faut considérer que le produit d’un droit de puissance peut être un bien, sous la forme d’un droit-prestation. C’est la nature de la prestation en cause qui va donner à ce produit de la puissance une coloration plus ou moins économique. Ainsi, la décision de placer un individu en détention fait naître au profit de l’État un droit à une prestation qui n’est autre que la soumission du condamné à la décision. A l’inverse, si l’État condamne l’individu à des travaux forcés, la prestation est une mise à disposition gratuite de la force de travail du condamné et alors il est évident que la prestation est économique, a une valeur objective évaluable en argent. Pire, on peut très bien imaginer que l’État mette aux enchères ce droit-prestation que des entreprises achèteront. L’esclavage n’est pas loin bien sûr, mais au-delà de son caractère odieux, cet exemple fait apparaître que si la puissance sur les personnes n’est pas en elle-même économique, que l’on peut exclure les droits de puissance de la catégorie des biens, il est évident que le produit de l’exercice de la puissance est un bien, un droit-prestation. Dans le cadre de notre droit moderne et protecteur de la dignité individuelle, les types de droit-prestation manifestement économiques sont aisés à énumérer. Il s’agit de toute prestation qui impose à l’individu d’exercer contre sa volonté et contre son intérêt son pouvoir de disposer de ses biens. Ainsi, la prestation pourra être une obligation de souffrir un usage concurrent de son bien, telle une servitude administrative. La prestation pourra consister en une obligation de faire comme l’injonction du maire de procéder aux travaux sur un immeuble menaçant ruine, ou une obligation de céder et c’est le cas topique de l’expropriation. 301. Dans tous ces cas on le voit, l’exercice de la force politique a pour effet de forcer le commerce juridique en y insérant une obligation qui est le produit de l’acte de puissance. Il faut souligner que le caractère injuste ou non de cette perturbation viendra de l’existence ou non d’une contrepartie. En son absence, il s’agit véritablement d’une « spoliation » au sens de 63 Philippe Azouaou, L’indisponibilité des compétences en droit public interne, op. cit., n° 593 p. 525 : « les autorités normatives ne peuvent pas édicter d’acte de disposition portant sur leur propre compétence, c’est-à-dire d’acte qui modifie la règle de compétence qui les habilite à agir ». 275 négation absolue de l’échange. C’est le cas par exemple des servitudes administratives qui ne donnent droit à aucune indemnisation. En présence de contrepartie, cela signifie simplement que le produit de l’acte de puissance n’est pas seulement le droit-prestation dont bénéficie son auteur. L’acte fait naître un droit-prestation appartenant au destinataire (ou à des tiers intéressés d’ailleurs) permettant d’exiger le respect de certaines prescriptions du droit objectif. Ainsi, le droit à l’indemnité en matière d’expropriation manifeste cette déclinaison sur le plan subjectif des ensembles normatifs. D’une part le droit d’exproprier confère à l’État un droit de cession forcée d’un bien. D’autre part, l’exercice de ce droit aura automatiquement pour effet de faire naître un droit à l’indemnité dont on organise la procédure de détermination et de versement. Il faut souligner que la théorie des droits publics subjectifs des administrés s’intègre parfaitement dans cet ensemble logique. Ces droits ne sont pas subjectifs en ce qu’ils procèdent du sujet du fait de son statut d’administré. Ces droits appartiennent à l’administré en tant que biens, droits-prestation, produits par l’édiction même de l’acte en cause. Ainsi le droit à la légalité administrative. En ce sens, ces droits sont publics simplement en raison de leur origine dans un droit objectif qui établit un droit de puissance publique. Le droit du salarié à faire annuler un règlement intérieur d’entreprise est un droit-prestation au respect de la légalité qui a exactement la même structure juridique. Tous ces phénomènes juridiques s’expliquent très simplement. Destinée à imposer des obligations, la puissance sur les personnes s’analyse comme une perturbation extérieure du commerce juridique. Extérieure parce qu’elle ne procède pas de l’exercice du droit de propriété. Mais perturbation, parce qu’elle produit ses effets dans le commerce juridique, se traduit par l’apparition de biens en raison des obligations réciproques qui caractérisent les situations juridiques en cause. La potentialité d’une rencontre de la puissance et de la propriété lorsque l’obligation en cause a pour effet de diminuer le patrimoine de l’assujetti va nous permettre d’analyser l’effet patrimonial de la puissance publique comparativement à l’effet patrimonial de la puissance privée. 276 § 2 L’exorbitance de la puissance publique par rapport à la puissance privée : le rapport de complémentarité avec la propriété 302. L’idée que la puissance puise être mise au service de la propriété n’est pas sans évoquer l’extorsion la plus inadmissible car contraire aux principes de la vie en société. Franz Oppenheimer rend compte de cette approche en l’appliquant à l’État64. Partant du principe que tous les individus recherchent leur intérêt à travers un même but – l’acquisition de biens de jouissance, il considère qu’« il existe deux moyens, diamétralement opposés en principe, par lesquels l’homme, gouverné partout par le même instinct de conservation, peut arriver à satisfaire ses besoins : le travail et le rapt, le travail personnel et l’appropriation par la violence du travail d’autrui »65. Appliquée aux relations sociales, cette distinction l’amène à opposer le moyen économique, c’est-à-dire le travail personnel et l’échange équitable, au moyen politique qui est « l’appropriation sans compensation du travail d’autrui »66. Mettre la puissance au service de la propriété, c’est recourir au rapt qu’est le moyen politique selon cet auteur. L’échange équitable, le moyen économique, apparaissent seuls légitimes. C’est la raison pour laquelle la puissance est associée à un principe de neutralité patrimoniale destiné à ne pas en faire un outil d’enrichissement pour celui qui l’exerce. Un tel principe est identifiable en droit privé, et il semble parfaitement intangible (A). En droit public, les choses sont radicalement différentes. Si un principe de neutralité patrimoniale correspond à la police administrative où l’intérêt financier n’est pas un but légitime, il n’est d’ores et déjà pas intangible. Son identification conduit par ailleurs à circonscrire cette neutralité patrimoniale à un secteur de la puissance publique. Cela autorise à en faire l’auxiliaire de l’activité des personnes publiques propriétaires dans beaucoup d’autres domaines. La puissance publique apparaît alors comme complémentaire de la propriété des personnes publiques (B). A. L’intangibilité du principe de neutralité patrimoniale de la puissance privée 303. Les droits de puissance privée manifestent des commandements ne s’adressant pas au sujet en sa qualité de propriétaire, le patrimoine de ce dernier étant en quelque sorte préservé des effets de la puissance privée (1). Par ailleurs, si des dérogations existent en droit civil au Franz Oppenheimer, L’État, ses origines et son avenir, trad. W. Horn, Giard & Brière, 1913, p. 14. Cet auteur est au demeurant généralement classé dans le courant libéral. C’est donc essentiellement sur la histoire de l’émergence du libéralisme qu’il est opposé ici aux auteurs précédemment évoqués. 65 Ibid., p. 13. 66 Ibid., p. 14. 64 277 profit de certains sujets de droit et qu’elles ont pour effet d’organiser à son profit un avantage patrimonial, elles ne sont en général pas qualifiables de véritables droits de puissance. En effet, inscrites dans le régime d’une situation juridique du commerce juridique, ces dérogations ne sont pas la manifestation d’un rapport hiérarchique (2). 1) La neutralité patrimoniale des véritables droits de puissance privée 304. La neutralité patrimoniale de la puissance privée se manifeste dans les deux espaces essentiels de son expression : la famille (a) et l’entreprise (b). Elle pourrait évidemment s’appliquer à d’éventuels pouvoirs de police de droit privé, mais l’existence de ceux-ci doit être écartée (c). a) La neutralité patrimoniale de l’autorité parentale 305. L’autorité exercée par les parents, si elle s’accompagne d’une gestion des biens des enfants, est entièrement finalisée par l’intérêt de l’enfant 67. Dès lors, son exercice ne saurait avoir pour effet d’organiser un transfert d’actifs du patrimoine des mineurs vers celui d’un parent. Ce serait un exercice parfaitement illégal de l’autorité parentale. D’une part, l’acte de gestion du patrimoine de l’enfant ne saurait s’analyser comme un commandement à son endroit. Il s’agit d’un pouvoir fondé sur l’administration légale qui, si elle participe de l’autorité parentale, ne se traduit pas par des droits de commandement mais par un pouvoir de représentation légale. De ce fait, un commandement qui aurait pour objet de créer une obligation de fournir un travail (économique) ou d’opérer une cession forcée serait illicite. L’autorité parentale est, en dehors de l’administration légale, un droit de puissance d’autorité pure à l’instar de la police, étranger à toute dimension pécuniaire ou matérielle. A considérer que l’administration légale et, notamment, le droit de jouissance légale68, sont fondés sur l’autorité parentale, puissance privée, il faut néanmoins remarquer que, comme en matière de police administrative, le mobile financier est exclu des buts légitimes de son exercice. Ainsi, la jouissance légale ne se justifie plus aujourd’hui qu’en raison de la présomption que les revenus perçus seront affectés dans l’intérêt de l’enfant. Qui plus est, il faut distinguer selon l’âge de l’enfant : « avant 16 ans perception 67 Caractère qu’a renforcé la loi du 4 mars 2002 qui « accentue le caractère fonctionnel de l’autorité en imposant aux parents de respecter l’intérêt de l’enfant tel que sa personnalité, sous toutes ses facettes, peut le dessiner », François Terré, Dominique Fenouillet, Droit civil. Les personnes, Dalloz, 8e éd.2012, n° 406 p. 394. 68 « Le droit de jouissance légale des parents sur les biens de leur enfant consiste dans le droit qu’on les père et mère, lorsqu’ils exercent l’administration légale, de percevoir et s’approprier les revenus de leurs enfants mineurs de seize ans », ibid., n° 466 p. 478. 278 des biens et revenus par le titulaire de l'autorité parentale et de l'administration légale en tant qu'usufruitier et affectation présumée pour l'ensemble à l'entretien du mineur, de 16 à 18 ans perception des biens et revenus en tant qu'administrateur mais les parents sont comptables de l'affectation et du supplément éventuel »69. Ce droit s’inscrit ainsi dans une évolution qui le met en conformité avec le principe de neutralité patrimoniale de la puissance sur les personnes. La loi du 5 mars 2007 a substitué à l’expression « bon père de famille » celle de « seul intérêt de la personne protégée », réduisant la finalité de ce droit qui, dans le premier cas, pouvait dépasser l’intérêt de l’enfant. Quoi qu’il en soit, la neutralité patrimoniale semble bien pouvoir être qualifiée d’intangible dès lors que l’on considère, d’une part que la jouissance légale est finalisée au point de conférer une destination particulière aux biens ainsi acquis, d’autre part que cette jouissance est soumis à un régime dérogatoire au droit commun de référence que serait celui de l’usufruit, privant les parents de certaines techniques de gestion70. On notera également l’exclusion par l’article 387 du Code civil des « biens que l’enfant peut acquérir par son travail » qui peut s’interpréter comme une obligation pesant sur les parents « de capitaliser ces revenus pour le compte du mineur »71. A titre de confirmation de ces développements, on relèvera l’analyse que fait Xavier Dupré de Boulois de la question : « les prérogatives des parents à l’égard des biens de leur enfant ne se manifestent donc pas, en principe, par l’édiction d’actes juridiques unilatéraux dont le mineur serait le destinataire »72. Il n’était cependant pas superflu de s’étendre quelque peu dès lors que la sphère familiale est celle où s’entremêlent le plus les considérations personnelles et patrimoniales. Le principe de neutralité patrimoniale de l’autorité parentale semble cependant démontré. L’autorité ne s’exerce pas tant sur l’enfant-propriétaire que sur l’enfant tout court, dont l’incapacité explique qu’en parallèle existe un régime d’administration légale de ses biens et dont le lien familial justifie la survivance relative d’une jouissance légale atténuée73. b) La neutralité de la puissance du dirigeant d’entreprise 306. Dans la sphère de l’entreprise, le pouvoir de l’employeur exerçant le droit de puissance conféré se traduit par deux prérogatives essentielles : l’édiction d’un règlement et le prononcé 69 Jean Hauser, « Jouissance légale : les comptes des parents », RTD Civ., 1993, p. 813. Cf. François Terré et Dominique Fenouillet, op. cit., n° 468 pp. 480-481 pour le développement de l’idée général suivante : « Usufruit légal, le droit de jouissance légale conserve une certaine particulier, en raison de son caractère familial, ce qui dispense les parents de certaines obligations, mais les charge aussi de certaines autres ». 71 Ibid., n° 470 p. 483. 72 Xavier Dupré de Boulois, Le pouvoir de décision unilatérale. Étude de droit comparé interne, LGDJ, 2006, p. 304. 73 Il est à noter que le département le bénéficiaire d’un droit similaire prévu « à titre d’indemnité d’entretien et dans la limite des prestations allouées », art. L. 224-8 du code de l’action sociale et familiale. Ce qui permet de rappeler que l’autorité parentale est également un droit qui peut être exercé par des personnes publiques, l’État notamment lorsque le préfet en assure l’exercice en tant qu’organe. 70 279 éventuel de sanctions, dont la plus grave sera le licenciement. Concernant le premier, il faut revenir à la finalisation qu’organise la loi de l’exercice de cette contrainte. Aucun des chefs visés par le législateur n’autorise à y voir le fondement d’un droit de puissance ayant pour produit un droit prestation d’ordre économique. En ce qui concerne les sanctions éventuelles, le code du travail dispose : « les amendes ou autres sanctions pécuniaires sont interdites. Toute disposition ou stipulation contraire est réputée non écrite »74. Ce principe s’applique également en droit public, le Conseil d’État ayant par son arrêt Billard et Volle considéré par rapport à cette interdiction que « le législateur a énoncé un principe général du droit du travail »75. De même, relativement à la force de travail qui est l’objet du droit-prestation dans la relation contractuelle, le droit de puissance de l’entreprise ne saurait en permettre la modification unilatérale, même si le principe est ici éclipsé par le droit des contrats. Ainsi, « la sanction disciplinaire qui modifie le contrat de travail » n’est pas un acte unilatéral puisqu’elle nécessite un consentement exprès du salarié. Si celui-ci est, comme le qualifie M. Dupré de Boulois, « mâtiné de contrainte », c’est bien, selon nous, d’un rapport de force économique et non d’un rapport hiérarchique fondé en droit dont il s’agit76. On peut donc considérer que la puissance de l’entreprise sur les membres de la communauté de travail n’est que d’autorité pure destinée à l’hygiène, la sécurité, la discipline et, dans une certaine mesure, l’organisation du travail. Si cette dernière peut évidemment avoir pour effet d’améliorer le rendement économique de l’entreprise, il ne peut s’agir que d’une conséquence indirecte de l’acte de commandement. En aucune façon on ne peut identifier un droit-prestation qui en serait le produit direct. Seul le préjudice résultant d’un licenciement abusif sera indemnisé et fera intervenir un effet patrimonial du point de vue du salarié. Certes, un licenciement pour faute et légal aura pour effet de dégrader sa situation économique mais, de même que dans le cas fautif, il n’y a qu’un effet collatéral. En aucune façon le licenciement ne s’adresse au salarié-propriétaire, mais seulement au salarié tout court, ès qualité. c) L’absence de droits de police de droit privé 307. Enfin, recherchant l’existence de pouvoirs de police, c’est-à-dire à assiette territoriale, en droit privé, Xavier Dupré de Boulois fut conduit à examiner les domaines où un tel pouvoir fut évoqué. Sa conclusion est que seul « le capitaine de navire détient la faculté d’édicter des actes unilatéraux à assiette territoriale »77. En effet, l’idée d’un pouvoir de police apparaît « contestable pour le ministre du 74 Article L.122-42 Code du travail. CE, Ass., 1er juillet 1988, Billard et Volle, Rec. p. 268. 76 Op. cit., p. 259. 77 Op. cit., p. 347. 75 280 culte catholique » et « douteuse pour le chef d’entreprise et le syndicat des copropriétaires » 78 . Dans ses missions d’état civil et de justice, on dira que le capitaine de navire exerce en réalité les droits de puissance de l’État79. Ses autres attributions sont finalisées de manière à exclure toute idée d’une obligation qui serait pour les destinataires la cause d’un appauvrissement et pour le capitaine d’un enrichissement. Il en va de même, quand bien même leur qualification de police est discutée, des autres autorités évoquées. En aucune façon ces droits ne peuvent être exercés de manière à imposer une obligation d’ordre pécuniaire à un assujetti. 308. En droit privé, et malgré les imprécisions dans la sphère familiale, le principe de neutralité patrimoniale de l’exercice des droits de puissance apparaît comme absolu, intangible. Il faut cependant confirmer cette affirmation en excluant les autres procédés unilatéraux qui, en droit privé, ont un effet patrimonial. 2) L’exclusion des procédés unilatéraux à effet patrimonial en droit privé 309. On peut se poser la question de savoir si l’on peut considérer comme l’exercice d’un droit de puissance l’ensemble des prérogatives juridiques qui s’exercent au besoin contre la volonté d’un autre sujet de droit et alors, souvent, en sa qualité de propriétaire. Nous ne le pensons pas. La puissance sur les personnes est un phénomène suffisamment grave et exceptionnel pour être réservé aux cas où une autorité est en position de supériorité sur un assujetti qui lui doit obéissance. Il faut donc affirmer que, si tout droit de puissance constitue évidemment un privilège80, tout privilège n’est pas à proprement parler un droit de puissance publique. Les droits de puissance publique doivent être limités aux privilèges résultant de l’institution d’un rapport hiérarchique dans lequel le sujet investi du droit de puissance peut commander à d’autres sujets de droit par décision exécutoire, unilatérale et impérative. Dès lors, doivent être exclus de l’étude des rapports entre puissance et propriété les procédés qui, pour exorbitants qu’ils soient, n’appartiennent pas à l’exercice d’un droit de puissance. Trois domaines ont attiré notre attention : la mitoyenneté (a), la préemption (b) et le “squeeze out” en droit des marchés financiers (c). 78 Op. cit., p. 349. « Dans l’exercice de ces deux missions, le capitaine de navire agit comme un représentation de l’État sur le navire en vertu d’une délégation législative », op. cit., p. 350. 80 Georges Dupuis définit le privilège comme « une norme particulière et favorable », Les privilèges de l’Administration, thèse, Paris, 1962, n° 2 p. 10. 79 281 a) La mitoyenneté, simple privilège et non procédé unilatéral d’acquisition forcée 310. Il existe en droit privé deux procédés par lesquels une personne impose à une autre de faire entrer un mur sous le régime de la mitoyenneté : la cession forcée et l’acquisition forcée de mitoyenneté, prévues respectivement par l’article 661 81 et l’article 663 du Code civil 82 . Ces procédés ont pour effet d’imposer la mitoyenneté d’un mur, moyennant une indemnité égale à la moitié de son coût. On peut certes y voir un échange forcé, donc une forme d’expropriation, dans la mesure où une indemnité est versée. Ainsi, c’est le propriétaire qui est affecté par l’exercice de cette prérogative. Cependant, si le propriétaire est visé, il nous semble impossible d’y voir un commandement. En effet, ces articles du Code civil n’ont ni pour objet ni pour effet d’établir un rapport d’autorité entre des sujets inégaux. Ils ne confèrent pas un droit de puissance en vertu duquel un voisin devient le supérieur hiérarchique de l’autre. Plus précisément, la notion de situation juridique permet ici de fournir une clef de distinction entre les procédés simplement exorbitants et les véritables droits de puissance. Dans le cas de la mitoyenneté, la situation naît de la contiguïté de deux fonds et donc de la rencontre de deux propriétaires. S’il y a bien, dans le cas de la cession forcée, une véritable expropriation, celle-ci est un procédé qui est partie intégrante dans la situation juridique constituée par la contiguïté des deux fonds. Il y a donc certes une prérogative d’un voisin sur un autre, mais c’est uniquement une règle attributive d’un privilège et non le fondement d’un droit de puissance. Le propriétaire ne commande pas à l’autre de rendre le mur mitoyen, il ne fait qu’exiger d’autrui le respect d’une règle qui, certes, lui confère un avantage inégal, un privilège. Il en va autrement dans le cas de l’expropriation pour cause d’utilité publique où la situation juridique naît de l’exercice d’un véritable droit de puissance lequel crée la situation et n’en participe pas ab initio. En somme, la cession de mitoyenneté est un élément du régime de la situation née de la contiguïté de deux fonds, tandis que l’expropriation pour cause d’utilité publique est un régime de puissance publique ayant pour objet un transfert autoritaire de propriété. La première met en rapport deux propriétaires égaux dont l’un est privilégié. La seconde met en rapport une autorité supérieure qui a reçu du droit objectif le droit de commander à un propriétaire l’obligation de céder son bien. Dans le droit privé il y a simplement un privilège patrimonial mais non un procédé de puissance. Dans le droit public, la puissance est mise au service du patrimoine dans le cadre d’un rapport hiérarchique. Une même 81 Lequel a fait l’objet d’une décision du Conseil Constitutionnel ayant confirmé sa constitutionnalité, décision du 12 novembre 2010, n° 2010-60 QPC. 82 Dans ce second cas de l’acquisition forcée, le voisin à qui l’on demande cette acquisition peut toutefois se soustraire en abandonnant la bande de terrain où le mur est situé. 282 analyse est possible en ce qui concerne les droits de préemption qui existent tant en droit privé qu’en droit public. b) Les droits de préemption du droit privé, simples privilèges au sein du commerce juridique 311. Les droits de préemption du droit privé résultent d’une situation juridique dans laquelle il a été jugé d’intérêt général d’organiser un tel droit d’acquisition préférentielle. Or, qu’il s’agisse du locataire (bail rural 83 ou bail d’habitation 84 ), de l’indivisaire 85 ou de l’auteur d’une œuvre audiovisuelle 86 , le droit de préemption est un élément du régime de la situation existante, situation fondée sur un rapport entre sujets de droits égaux. A l’inverse, les droits de préemption du droit public sont des droits de puissance publique fondés par une loi, par lesquels une autorité publique établit en premier lieu par voie de disposition générale un champ d’application87 (géographique par zones88 ou matériel comme les œuvres d’art89) puis, exerce ce droit en s’ingérant dans une situation juridique, soit en s’imposant comme acheteur soit en se substituant à l’acheteur – dans le cas d’une convention déjà formée. Le droit de préemption du droit public établit donc un rapport général de sujétion dans le cadre duquel un commandement va pouvoir être adressé à un propriétaire qui aura créé la situation juridique particulière par son 83 Art. L. 412-1 Code rural. « En ce domaine, trois textes doivent être articulés. L'article 15-II de la loi no 89-462 du 6 juillet 1989 permet au preneur, auquel un congé a été délivré en vue de la vente de son logement, de l'acquérir aux prix et conditions de la vente projetée. Lorsqu'aucun congé ne lui est délivré, le locataire est protégé par deux autres textes. L'article 10-I de la loi no 75-1351 du 31 décembre 1975, dans sa rédaction issue de la loi no 82-526 du 22 juin 1982, accorde également un droit de préemption au preneur sur son logement lorsque la vente est consécutive à la division de tout ou partie d'un immeuble par lots. Théoriquement, le preneur dont les revenus sont modestes est ainsi mis en mesure d'accéder à la propriété, ce qui assure le maintien de la diversité sociale. Là encore, l'augmentation des prix de l'immobilier conduit à douter aujourd'hui de l'efficacité de ces mécanismes. La loi no 2006-685 du 13 juin 2006 a d'ailleurs complété ce dispositif en tenant compte partiellement de cette difficulté. Il était fréquent que des ventes en bloc soient consenties à des opérateurs immobiliers qui, après division en lots, revendaient les logements à l'unité à un prix trop élevé pour que les locataires aient une chance de les acquérir. La loi du 13 juin 2006 a enrichi la loi de 1975 d'un article 10-1-I qui oblige le vendeur de l'immeuble, lorsqu'il comporte plus de dix logements, à demander préalablement à l'acquéreur de l'immeuble s'il s'engage à prolonger les baux en cours pour six ans. À défaut, le propriétaire de l'immeuble doit d'abord proposer la vente des logements aux locataires en place », Gilles Pillet, Répertoire Paris, Dalloz de Droit immobilier, « Préemption et retrait », n° 48. 85 Art. 815-14 Code civil. 86 Art. L. 132-30 Code de la propriété intellectuelle. 87 Décision qualifiable de décision d’espèce. Cf. Christine Paillard, J.-Cl. Propriétés publiques, fasc. Droit de préemption, n° 8 : « La décision de création d'une zone de préemption en matière d'urbanisme est une décision d'espèce : si elle est dépourvue de caractère réglementaire (dès lors qu'elle permet simplement l'exercice du droit de préemption dans un périmètre donné), elle ne ressortit pas davantage à la catégorie des actes individuels (CE, avis, 2 févr. 1988 : EDCE 1989, p. 301) ». 88 « L’institution d’une zone d’aménagement différé, la mise en place du droit de préemption urbain ou encore la délimitation d’une zone de préemption au sein des espaces naturels sensibles conditionne l’utilisation du droit de préemption : celui-ci ne peut, en effet, être exercé qu’à l’intérieur d’un périmètre donné, préalablement délimité par l’autorité publique. L’instauration du droit de préemption emporte dès lors un certain nombre de conséquences sur les modalités de vente des biens assujettis à cette prérogative, le droit de préemption étant principalement conçu comme l’intervention d’une tierce personne dans le contrat de vente », René Hostiou, Jean-François Struillou, Expropriation et préemption, Litec, 2e éd., 2004, n° 245 p. 157. 89 « Institué par la loi du 31 décembre 1921, ce droit est aujourd'hui régi par l'article L. 123-1 du code du patrimoine. Ce texte soumet au droit de préemption les ventes publiques ainsi que les ventes de gré à gré des biens déclarés non adjugés à l'issue des enchères. L'article 61 du décret no 2001-650 du 19 juillet 2001 (JO 21 juill.) dresse une liste assez détaillée, mais très compréhensive, des œuvres d'art dont la vente donne prise au droit de substitution », Répertoire Dalloz, préc., n° 45. 84 283 intention d’aliéner. Ce qui distingue, pour l’instant car l’explication est insuffisante90, le droit préemption du droit public du droit de préemption du droit privé, c’est que ce dernier participe du régime d’une situation née du commerce juridique, tandis que le premier crée une perturbation autoritaire de telles situations. Il y a dans le cas du droit privé une règle exorbitante dans le cadre d’une situation du droit commun. Il y a dans le cas du droit public, un régime exorbitant qui impose une telle règle dans des situations du droit commun. Cela signifie pour notre analyse que le droit de préemption du droit public est un droit de puissance tandis que tel n’est pas le cas du droit de préemption du droit privé. En effet, alors que le premier découle de l’établissement par la loi d’un rapport de domination de l’administration sur le commerce juridique, le second ne découle que d’une dérogation interne aux mécanismes « normaux » de ce commerce. Simple privilège dans le droit privé, véritable droit de puissance dans le droit public, un même procédé a une nature différente selon le droit où il est édicté. Là encore, le droit positif fait apparaître une différence importante : seul le droit public met la puissance au service du patrimoine avec le procédé de la préemption. c) Le « squeeze out », mécanisme de droit financier étranger à l’idée de puissance sur les personnes 312. Enfin, le Code monétaire et financier organise la possibilité pour les actionnaires majoritaires d’une société de demander le retrait forcé d’actionnaires n’ayant pas plus de 5% du capital ou des droits de vote 91 . Il s’agit bien d’un procédé permettant de forcer l’échange (puisqu’il y a évidemment indemnité) par la voie d’une offre publique d’achat suivie d’un retrait obligatoire. Là encore, s’il y a indéniablement cession forcée, il est impossible d’y voir une décision mettant en œuvre un droit de puissance de la société sur des assujettis. On voit mal en effet comment on pourrait qualifier les actionnaires majoritaires d’autorités ayant qualité de supérieur par rapport aux minoritaires. Il faut résolument écarter toute idée de rapport de domination. Certes, il y a une forme de cession forcée établie dans l’intérêt du marché boursier. Mais, une fois encore, cette cession est un élément du régime d’une situation qui résulte du commerce juridique sans l’intervention de la puissance sur les personnes. Le droit privé objectif organise simplement un privilège qui vient moduler l’égalité formelle pour des motifs d’intérêt 90 Cf. infra au paragraphe suivant où il est démontré que la compétence fonde cette opposition entre droits de préemption et explique pourquoi le droit de préemption public est un droit de puissance quand le droit de préemption privé n’est qu’un privilège. 91 Art. L.433-4 Code monétaire et financier. 284 général entre deux propriétaires qui n’en demeurent pas moins parfaitement égaux. Autrement dit, si la règle est un privilège, elle n’est pas pour autant un droit de puissance privée laquelle n’est donc pas, une fois encore, mise au service du patrimoine pour un simple motif d’intérêt général dans les relations du commerce juridique92. 313. Il ressort de ces développements que le droit privé, s’il connaît des droits de puissance entre sujets de droit, ne connaît pas de commandements s’adressant à un propriétaire en tant que tel. Le droit de puissance privée ne participe pas de la condition juridique de propriétaire, n’est pas d’une utilité patrimoniale pour celui qui l’exerce. En droit privé, si des dérogations sont parfois instituées au bénéfice d’un propriétaire et participent donc de son statut, de sa condition juridique, ces dérogations n’apparaissent jamais pouvoir être qualifiées de droit de puissance privée. Si un tel principe de neutralité patrimoniale de la puissance existe également en droit public, il a d’emblée un champ d’application plus circonscrit et une portée seulement relative. B. La complémentarité de la puissance et de la propriété dans l’exercice des compétences des personnes publiques 314. Dans la recherche qu’elle a consacré à l’intérêt financier dans l’action administrative, Catherine Teitgen-Colly met en évidence l’existence d’une illégalité de principe du but financier dans l’exercice de la puissance publique : « comme puissance commandante exerçant son pouvoir par voie de prescription, elle ne peut être guidée par une finalité financière » 93 . L’auteur développe cependant, immédiatement après avoir exposé ce principe, l’existence de limites. Il ne s’agit pas ici de renouveler l’étude mais simplement d’en retracer les principaux éléments pour faire apparaître que s’il existe un principe de neutralité de la puissance publique, ce principe est immédiatement conçu comme relatif en relation de la porosité de la puissance aux considérations économiques (1). Cette porosité doit être approfondie pour parvenir à deux conclusions. La puissance et la propriété doivent être distinguées en fonction de l’objet du droit subjectif exercé, personne assujettie ou chose appropriée, liée à un rapport inégalitaire d’autorité dans le premier cas et un rapport égalitaire d’échange dans le second. D’autre part, ces deux prérogatives distinctes sont Pour une application du procédé à l’encontre d’une collectivité publique, voir les deux décision du Conseil d’État, 4 juillet 2012, Département de Saône-et-Loire, req. n° 356168 et de la Cour d’appel de Paris, 29 novembre 2012, Département de Saône-et-Loire c/ Société Autoroutes Paris-Rhin-Rhône (APRR) et Société Eiffarie, n° 2010/18633 ; AJDA, 2013, p. 522 et s., note Gweltaz Eveillard. 93 Catherine Teitgen-Colly, La légalité de l'intérêt financier dans l'action administrative, Economica, 1981, p.17. 92 285 cependant deux moyens d’atteindre des buts et identiques et peuvent être complémentaires l’une de l’autre (2). 1) La porosité de l’exercice de la puissance publique aux considérations financières 315. Catherine Teitgen-Colly considère que le but financier est le premier qui va être sanctionné comme illégal de la part d’une autorité de police, évoquant l’annulation d’un arrêté d’un maire interdisant l’accès à la plage aux baigneurs ne s’étant pas acquittés d’une taxe au profit d’un établissement de bains, alors même qu’ils ne recouraient pas à ce service 94. Elle ajoute également qu’il est illégal d’édicter une mesure de police dans le seul but d’éviter une dépense, évoquant ainsi une limitation de la circulation dans le seul but de limiter l’usure de la voie95. L’ambiguïté apparaît cependant dès la reconnaissance d’une police conçue immédiatement en association avec la propriété : la police de la conservation. Bien sûr, cette police ne déroge pas en apparence au principe. Ainsi, elle ne peut être exercée dans un but financier 96 . Cependant, « toute mesure édictée dans un but de protection de ce domaine a nécessairement pour conséquence d’éviter à l’administration responsable de son entretien certaines charges qui seraient nées des dégradations commises en l’absence de ces mesures »97. Elle retrace ensuite l’évolution qui a d’abord admis une pluralité des buts poursuivis par un acte de puissance publique ce qui signifie que, « pour le juge, la légalité de l’acte est subordonnée au caractère non “déterminant” ou non “principal” du but financier illégal »98. Ensuite, le juge en est venu à présumer le but financier illégal comme étant surabondant si bien que, désormais, « le juge ne prend même plus la peine de motiver ses décisions en se fondant sur le caractère principal ou non du but financier, et sans doute ne le recherche-t-il pas »99. En d’autres termes, l’existence d’un but licite est suffisant et il est indifférent qu’un but financier ait été également poursuivi, ce qui achève d’établir une extrême porosité entre l’exercice de la puissance publique et les considérations financières. Il en résulte que « l’administration, présumée agir dans un but légal, ne voit en effet ses décisions annulées que si les requérants parviennent à prouver qu’elle n’a poursuivi aucun but légal et que la satisfaction d’un 94 CE, 19 mai 1858, Vernes, R. p. 399. CE, 12 février 1892, Royer et Faitout, S.1893.III.53. 96 Catherine Teitgen-Colly, op. cit., p.27 « Il en est de même lorsque l’administration exerce la police de la conservation du domaine public. Ayant pour but la protection de l’intégrité matérielle du domaine public, la police de la conservation est généralement présentée comme une police patrimoniale. De l’idée de police patrimoniale à l’idée d’une police qui peut s’exercer dans un but financier, il n’y a qu’un pas que les collectivités publiques ont souvent été tentées de franchir. Mais, ici, comme en matière de police de l’ordre public, un tel but est illégal. La police de la conservation a une finalité bien déterminée, elle ne peut être exercée à des fins financières. Chaque fois que l’occasion lui en a été donnée, le juge l’a rappelé. ». 97 Ibid., p. 80. 98 Ibid., « Une jurisprudence très abondante notamment en matière d’expropriation illustre ces nouveaux principes, dès lors que l’intérêt financier de la collectivité expropriante ne constitue pas le but principal de l’opération, celle-ci est légale ». 99 Ibid., p. 81 et p. 82 : « Le but financier illégal est toujours présumé surabondant, il n’entache donc pas la décision dont le but est présumé légal ». 95 286 appétit financier a été le mobile exclusif de son action »100. La raison en est que la puissance est une modalité de l’action publique et que l’action publique est une activité qui a un coût pour des finances publiques dont l’équilibre est tout aussi d’intérêt général que le maintien de l’ordre public. L’auteur conclut d’ailleurs avec l’évocation de la théorie du bilan qui conduit à intégrer le coût de l’exercice de la puissance publique, en l’espèce l’expropriation, à la légalité de l’opération 101 . Ce que relevait déjà André Homont, pour lequel « la prise en considération d’un élément financier dans la définition de l’utilité publique s’insère bien dans l’évolution générale des idées actuelles et de l’administration moderne, alors que le coût des services devient un élément d’appréciation de la valeur de l’activité administrative »102. En somme, dans l’exercice de la puissance publique, « le but financier est alors toléré, et ce sans qu’il y ait lieu de distinguer selon qu’il s’agit d’une recherche de moindre coût ou de profit »103. Cependant, si l’exercice de la puissance publique peut être appréhendé du point de vue de la propriété, il ne faut pas admettre une éventuelle confusion entre les deux modalités de la vie juridique. La propriété des choses et la puissance sur les personnes doivent être distinguées afin qu’aucune ne puisse avoir raison de l’autre en lui imposant sa logique propre. 2) La distinction et la combinaison de la puissance et de la propriété dans les activités administratives 316. Il est nécessaire de distinguer les droits de puissance des droits de propriété pour en faire apparaître ensuite la complémentarité naturelle dans les activités administratives. Le permis de stationnement est encore considéré parfois comme un acte de police et fournit l’occasion de la première étape de la démonstration. Si la compétence pour l’accorder est parfois associée à la compétence de l’autorité de police, il nous semble préférable de ne pas confondre les deux et considérer que le permis de stationnement est un acte de gestion (a). Quant à la seconde étape de la démonstration, le droit de l’Union européenne fournit l’occasion de faire apparaître la difficulté à qualifier une activité au sens large comme relevant de l’autorité ou de la gestion. Cela s’explique par le fait que les actes d’exercice de la puissance et les actes d’exercice de la propriété sont deux modalités complémentaires de la plupart des activités relevant de la compétence des personnes publiques (b). 100 Ibid., p. 84. Ibid., p. 114 : « par ce bilan qui n’est pas sans rappeler les procédés de rationalisation des choix budgétaires, cette jurisprudence s’inscrit dans l’optique plus générale de la recherche d’une gestion plus efficace de l’administration ». 102 note sous CE Ass., 23 janv. 1970, Époux Neel, n° 68324, Rec., p. 44, concl. Beaudouin ; AJDA, 1970, p. 293. 103 Catherine Teitgen-Colly, ibid., p. 115. 101 287 a) La distinction des actes d’autorité et des actes de gestion dans les activités administratives : l’exemple du permis de stationnement 317. Le domaine public a donné lieu à des analyses opérant une confusion entre actes de police et actes de gestion. La raison en est que le pouvoir des personnes publiques sur les dépendances du domaine public a pu être conçu comme relevant de l’idée de police104. Ainsi, Etienne Picard considère qu’il faut se garder d’opposer autorité et gestion parce que la police doit recevoir une acception extensive. Or, cette extension ne peut passer que par les buts qu’on veut y associer 105. C’est pourquoi l’auteur proposait d’ajouter à l’ordre public général un ordre public domanial106. Une telle conclusion a été abandonnée et le pouvoir de gestion est unanimement considéré comme fondé sur la propriété. Cependant, la discussion reste ouverte en matière de permis de stationnement. Il s’agit de l’acte unilatéral par lequel est autorisée l’occupation du domaine public sans emprise au sol par l’occupant. L’analyse des droits de puissance publique comme étant les droits subjectifs ayant pour objet les personnes et non les choses permet de proposer une solution à la controverse. Le but poursuivi ne peut pas être un critère pertinent entre la propriété et la puissance parce qu’elles sont précisément deux modalités alternatives d’atteindre n’importe quel objectif. Elles sont les deux forces à disposition des sujets de droit. 318. De nombreuses mesures prises par les personnes publiques en qualité de propriétaires contribuent à préserver l’ordre public. Une preuve a contrario de ce fait est que le refus d’accès à une « facilité essentielle », propriété d’une personne publique peut être motivé pour des motifs liés à l’ordre public107. A l’inverse, une mesure de puissance peut être exercée pour imposer aux usagers d’un service public d’acquérir un matériel qui en facilite l’exploitation, ce qui correspond à l’espèce de l’arrêt Cayzeele où le contrat imposait aux usagers générant une quantité de déchet particulièrement importante d’acquérir des containers d’un certain volume108. 104 Voir, pour des analyses approfondies des conceptions concurrentes, Etienne Fatôme, Le pouvoir de réglementer l’utilisation du Domaine public affecté à l’usage de tous. Recherches sur son fondement et son étendue, th. Limoges, 1973, spéc. pp. 86 et s. en ce qui concerne l’évolution ; Etienne Picard, La notion de police administrative, LGDJ, 1984, t. 2, pp. 845 et s. ; Philippe Yolka, La propriété publique, op. cit., pp. 231 et s. ; Aurélien Camus, Le pouvoir de gestion du domaine public, th. précitée, pp. 140 et s. 105 Etienne Picard, op. cit., p. 268. 106 Ibid., pp. 860 et s. Sur la critique ce « fractionnement abusif de l’ordre public », Philippe Yolka, op. cit., pp. 246-249. 107 Christophe Roux, th. préc., spéc. pp. 465 et s. ; citant notamment l’avis du Conseil de la concurrence du 21 oct. 2004, avis n° 04-A-19 relatif à l’occupation du domaine public pour la distribution des journaux gratuits ; RLC, 2005, n° 145, note M. Bazex et S. Blazy ; RJEP, 2005, p. 144, note Ph. Dupeyré. 108 CE, 10 juill. 1996, Cayzeele, AJDA, 1996, p. 732, chron. Chauvaux et Girardot ; CJEG, 1996, p. 382, note Terneyre ; RFDA, 1997, p. 89, note Delvolvé. 288 Le critère pertinent qui doit distinguer les droits de propriété des droits de puissance doit être l’objet qui est mis en regard du sujet qui exerce le droit. La police a pour objet des personnes qui constituent les destinataires des mesures édictées par l’autorité de police. Elle est un droit de puissance publique. La propriété a pour objet les choses, dont elle modifie la situation juridique par son exercice. 319. Par un arrêt du 9 avril 2014, le Conseil d’État a confirmé que le maire est compétent, « en sa qualité d'autorité compétente en matière de police de la circulation sur les voies de communication situées à l'intérieur des agglomérations », pour délivrer des permis de stationnement109. Le Conseil d’État indique qu’il s’agit d’une exception au principe qui veut que la compétence revienne à l’autorité en charge de la gestion du domaine 110 : « si la délivrance incombe en principe à ce même gestionnaire, c'est sous réserve de dispositions contraires » dont font partie les articles L. 2213-1 et L. 2213-6 combinés du CGCT. Certes, le champ d’application du pouvoir de police va déterminer le champ de compétence de l’autorité de police ce qui n’est pas sans poser des difficultés de délimitation. Le critère aura été dans cet arrêt que la voie en cause, fut-ce une place, doit être une voie d’accès entre deux lieux pour constituer une voie de communication au sens de l’article L. 2213-1111. Ainsi que le souligne Norbert Foulquier pour expliquer le fait que cette compétence de l’autorité de police soit une exception au principe qui l’accorde au gestionnaire, « il importe que ce soit l'autorité la plus immédiatement intéressée par l'affectation et l'exploitation du domaine qui détienne ce pouvoir » 112 . L’exception prévue par le législateur par l’article L. 2213-6 s’explique donc sans doute par la souci de prévenir les atteintes à l’ordre public qui pourraient résulter de la délivrance d’un permis de stationnement. 320. L’article 63 de la loi dite MAPTAM113 semble contribuer au débat, et peut-être trancher définitivement la question. Cette disposition a pour objet de retirer aux tarifs perçus sur les automobilistes stationnant sur la voie publique leur caractère d’amende pénale si bien que « lorsque la loi du 27 janvier 2014 entrera en vigueur, l’automobiliste n’acquittera plus des droits de 109 CE, 9 avril 2014, Établissement du domaine national de Chambord, n° 366583, AJDA, 2014, p. 823, note Montecler ; AJDA, 2014, p. 1840, comm. N. Foulquier. 110 Principe qui résulte de la jurisprudence antérieure ; CE 14 juin 1972, Elkoubi, n° 83682, Rec., p. 437; CE 14 mars 1980, Ville de Lyon, n° 11470, Rec., p. 148. 111 Cf. Norbert Foulquier, « L’autorité compétence en matière d’autorisations domaniales », préc., p. 1841. 112 Idem. 113 Loi n° 2014-58 du 27 janvier 2014, loi de modernisation de l’action publique territoriale et d’affirmation des métropoles. 289 stationnement, mais une redevance de stationnement » 114 . La loi ajoute en effet à l’article L. 2213-6 CGCT que « les modalités de la tarification et la gestion matérielle du stationnement des véhicules sur la voie publique sont régies par l’article L. 2333-87 ». Ce dernier renvoie lui-même au Code général de la propriété des personnes publiques pour que la perception et le recouvrement soient régis par les dispositions relatives aux redevances domaniales. Hervé de Gaudemar conclut que, à la lecture du nouvel article L. 2333-87 du CGCT, « il n’existe qu’une seule redevance de stationnement des véhicules sur la voie publique, distincte des permis de stationnement qui continuent à pouvoir être accordés par le maire sous la forme d’autorisations unilatérales d’occupation de la voie publique »115. Il nous semble cependant que la distinction ne repose que sur la procédure par laquelle le droit d’occupation de la dépendance est accordée et la contrepartie monétaire recouvrée par la personne publique qui a été habilitée à exercer cette prérogative. Cette dernière est une prérogative de propriétaire, même si elle est exercée par une collectivité qui n’est pas propriétaire du bien, mais d’un droit de gestion sur le bien avec la contrepartie financière qui l’accompagne. Un permis de stationnement est donc toujours un acte de gestion et ne peut pas être un acte de police. La personne privée qui en sollicite l’accès n’est aucunement dans un rapport de subordination avec la personne publique propriétaire et l’organe qui lui accorde le permis n’agit qu’en tant que propriétaire ou gestionnaire de la dépendance. Si le maire peut agir sur un bien dont la commune n’est pas propriétaire, c’est que la police de la circulation qu’il exerce sur la voie publique appelait, aux yeux du législateur, l’unification avec elle des prérogatives de gestion. La puissance peut conduire une autorité administrative à exercer une prérogative de propriétaire. Cela révèle cet élément essentiel que l’autorité et la gestion ne sont pas deux fonctions distinctes au sein de l’action publique, mais deux modalités complémentaires de son accomplissement. b) La complémentarité de l’autorité et de la gestion dans les activités administratives : l’apport du droit de l’Union européenne 321. Le droit de l’Union européenne soumet au droit de la concurrence les activités économiques des entreprises. Il est donc logique que ce soit la notion d’entreprise qui ait reçu une définition positive. C’est la raison pour laquelle « il n’apparaissait pas nécessaire de promouvoir une notion permettant de définir a contrario le champ des activités non soumises au droit de la concurrence »116. La catégorie limitative des activités économiques tendait cependant à n’admettre que peu d’activités 114 Hervé de Gaudemar, « La dépénalisation du stationnement payant des véhicules sur la voie publique », JCP A, 2014, 2055, n° 14. 115 Ibid., n° 16. 116 Christophe Roux, th. préc., n° 535 p. 333. 290 ne pouvant être qualifiées d’économique. C’est pourquoi des critères réducteurs furent établis afin d’en corriger la propension tentaculaire. Cela fut le cas des activités reposant sur la solidarité117 et des activités d’autorité publique. La conception de la Cour de Justice est essentiellement téléologique et ne vise pas à établir une théorie des actes d’autorité. Par la catégorie des actes d’autorité publique elle cherche seulement une cause d’exonération des obligations de mise en concurrence qui incomberaient sinon à la personne publique. Le raisonnement consiste ainsi non pas tant à qualifier une acte comme relevant de la catégorie des actes d’autorité publique pour lui appliquer un régime qu’à disposer d’un outil permettant de motiver au contraire l’inapplication du régime qu’appellerait en principe le constat que l’acte affecte les échanges entre États membres. Elle conduit cependant à vouloir faire le départ entre l’autorité et la gestion dans les activités administratives, et démontre que cette séparation ne peut correspondre aux activités administratives mais seulement à deux catégories d’actes qui en permettent l’exercice. Sa jurisprudence révèle en effet que les buts que poursuivent les administrations sont atteints par une combinaison des actes d’exercice de la puissance et des actes d’exercice de la propriété. Il ne faut donc pas opposer la gestion et l’autorité comme étant incompatibles mais comme étant au contraire deux modalités différentes et non exclusives d’accomplissement des finalités de l’action publique. Celle-ci n’est donc pas plus identifiable à l’exercice de la puissance qu’à l’exercice de la propriété. L’une et l’autre trouvent d’ailleurs dans l’autre un auxiliaire précieux. 322. Concluant sur l’arrêt Reyners, l’avocat général Mayras proposait de définir l’autorité publique en lien avec la souveraineté et l’imperium de l’État : « elle implique, pour celui qui l’exerce, la faculté d’user de prérogatives exorbitantes du droit commun, des privilèges de puissance publique, de pouvoirs de coercition qui s’imposent aux citoyens » 118 . La puissance publique apparaît bien ici comme le commandement adressé à une personne tenue d’y obéir. C’est sur la base d’une telle interprétation que la Cour avait écarté l’application du droit de la concurrence aux activités de police à l’occasion de l’affaire Eurocontrol119. Dans cet arrêt, la Cour relevait ainsi que les missions de contrôle de l’espace aérien exigent l’exercice de prérogatives « qui sont typiquement des prérogatives de puissance publique »120. Dans ce cas, il semble que ce soit bien en raison de la coercition exercée sur des personnes tenues à l’obéissance que l’activité n’est pas économique mais d’autorité. Elle appliqua par la suite le 117 CJCE, 17 fév. 1993, Poucet et Pistre, C-159 et C-160/91, Rec. I-637 ; Europe, 1993, comm. 172, note L. Idot ; Dr. social, 1993, p. 488, note P. Laigre. 118 Henri Mayras, concl. sur CJCE, 21 juin 1974, Reyners, aff. 2/74, Rec., p. 631. 119 CJCE, 19 janv. 1994, SAT Fluggesellschaft, C-364/92, Rec., p. I-43, dite « Eurocontrol ». 120 Pt. 30. 291 raisonnement aux activités de lutte contre la pollution dans le port de Gênes, en considérant une fois encore que l’activité en cause impliquait « un exercice suffisamment qualifié de droits exclusifs, de privilèges de puissance publique ou de pouvoir de coercition » 121 . C’est donc là encore la possibilité d’exercer un pouvoir de contrainte sur des personnes tenues à l’obéissance que semble se fonder l’identification d’un acte d’autorité publique. Or, ce critère n’est pas, apparemment, le véritable motif conduisant à l’inapplicabilité du droit de la concurrence. Au contraire, c’est vers le critère tiré de l’objet de l’activité, l’ordre public ou les fonctions régaliennes de l’État qui sont mises en avant par la doctrine. C’est donc moins la nature de l’activité de commandement qui est le véritable élément déterminant dans les décisions en cause que la matière concernée et cela explique pourquoi l’avocat général Giuseppe Tesauro retient une approche plus restrictive. Celui-ci considère en effet que les activités d’autorité renvoient aux « attributions essentielles de la puissance publique telles que l’Administration générale et fiscale, la justice, la santé publique et la défense nationale »122. Il est vrai que les activités en cause ne supposent en rien l’exercice exclusif de la puissance publique, mais appellent au contraire une combinaison de l’exercice de la propriété et de l’exercice de la puissance. Il devient alors nécessairement difficile de trancher quant à la qualification d’activité économique ou d’activité d’autorité publique. On comprend alors que le choix soit motivé en considération de l’opportunité ou non d’affranchir l’administration des règles de la concurrence, dans ce cas précis, et non de faire œuvre de qualification juridique par application d’un critère qui puisse constituer une motivation objectivement indiscutable. L’intérêt de cette difficulté réside pour nous dans le fait qu’il révèle une donnée essentielle du droit des activités administratives et contribue donc à la compréhension de l’ordre juridique partiel du droit public. Qu’il s’agisse de l’espace aérien123, d’un port de commerce124, des fréquences radioélectriques125, le rapport de l’administration à cet « espace » consiste à en contrôler les activités qui s’y déploient. Cependant, on peut aussi voir, dans ces activités, la gestion de ces « biens » que sont, a minima, les droits que l’on accorde pour l’utilisation des couloirs aériens ou des fréquences nécessaires à une activité économique exercée par ce biais. 121 CJCE, 18 mars 1997, Diego Cali, C-343/95, Rec. I-1546, pt. 22. Giuseppe Tesauro, conclusions sur l’affaire « Eurocontrol » précitée, pt. 9. 123 Cas de l’affaire Eurocontrol précitée mais aussi CJCE, 26 mars 2009, Selex Sistemi Integrati SpA ; ec. I-2207, aff. C113/07 P ; RLC, 2009, n° 1408, note L. Arcelin-Lécuyer ; RLC, 2009, n° 1423, note S. Destours ; CMP, 2009, comm. 152, note G. Eckert ; Concurrences, 2-2009, p. 212, note J.-Ph. Kovar. 124 Affaire Diego Cali précitée. 125 CJCE, 28 oct. 1993, Lagauche, C-46/90 et C-93/91, Rec. I-5267. 122 292 Si l’espace aérien n’est pas un élément du domaine public126 alors que l’option a pu être défendue127, tel est le cas du domaine maritime et du domaine hertzien en droit français. Dans ce dernier cas, l’alternative était d’ailleurs de préférer un régime juridique de police administrative à un régime de propriété publique128. Dans toutes ces situations, l’exercice des missions administratives dévolues aux personnes publiques fera intervenir tout autant des actes d’exercice de la puissance et des actes d’exercice de la propriété. Il semble donc bien qu’il soit impossible de qualifier « en bloc » les activités de la personne publique à leur endroit. Il faut distinguer deux dimensions distinctes de l’activité administrative en cause. D’une part, il y a l’exercice du droit de puissance sur les assujettis au pouvoir de réglementation des activités qu’ils exercent sur une infrastructure ou dans un espace considéré. Par exemple, les utilisateurs du domaine aérien sont obligés de respecter une mesure prescrivant le déroutage d’un appareil. D’autre part, il y a l’exercice de la propriété quand la personne publique conclut un contrat avec un prestataire fournissant un élément matériel d’exercice des missions administratives dévolues. Ces deux activités juridiques relèvent de l’exercice de deux prérogatives distinctes. Mais le droit public en fait deux forces mises au service de l’action publique. Il combine la puissance et la propriété qui sont toutes deux affectées aux activités relevant de la compétence des personnes publiques. C’est pourquoi la puissance participe du statut de ces personnes publiques en leur qualité de propriétaire. 126 Christophe Roux nous renseigne d’ailleurs sur le fait que l’espace aérien est l’objet d’une relation d’appropriation publique en droit irlandais (Art. 10, al. 1er de la constitution irlandaise du 1er juill. 1937 : « Toutes les ressources naturelles, y compris l’air et toutes les formes d’énergie potentielles, soumises à la compétence du Parlement et du gouvernement établis par cette Constitution ainsi que toutes les royalties et franchises soumises à cette compétence reviennent à l’État (...) ») et portugais (Art. 84, al. 1er de la Constitution portugaise : « Appartiennent au domaine public : (...) b) les couches aériennes au-dessus du territoire, au-delà de la limite de la propriété des sols ou des autres droits concédés à sa surface »), Propriété publique et droit de l’Union européenne, th. Lyon 3, 2013, n° 543 p. 337. 127 Voir sur cette question Caroline Chamard, La distinction des biens publics et des biens privés, Dalloz, 2004, n° 353 et s. ; la position avait également était retenue lors d’un arrêt du Conseil d’État, 6 févr. 1948, Sté Radio-Atlantique, RDP, 1948, p. 244, concl. B. Chenot, note G. Jèze. 128 Cf. infra n° 337 pp. 307 et s. 293 Section 2 La puissance publique : élément du statut de personne publique propriétaire 323. Les destinataires de la puissance publique sont parfois les sujets de droit en tant que propriétaires. Tel est le cas chaque fois que l’obéissance implique pour le sujet de droit une évolution de ses possibilités patrimoniales voire un certain appauvrissement La puissance publique entretient alors deux sortes de rapports au commerce juridique : elle le domine en tant que maîtresse du droit objectif dont il dérive, n’étant arrêtée en cela que par les rapports de force généraux qui l’opposent aux puissances de économiques (§ 1) ; elle le perturbe ensuite en imposant aux assujettis des obligations se traduisant par une atteinte directe à leur richesse économique. C’est dans ce dernier cas que la puissance publique peut être associée à la qualité de personne publique ou, le cas échéant, à certaines personnes privées en raison de leur participation à l’exercice des compétences des personnes publiques (§ 2). § 1 La domination générale du commerce juridique par la puissance publique de l’État 324. A la suite de Félix Moreau, l’État doit être considéré comme le titulaire du pouvoir de commander le plus général : « souverain dans l’ordre juridique, qui est son œuvre propre et son domaine, maître des sanctions que le droit fournit, il appelle à la vie juridique telles collectivités qu’il lui plaît et dans les conditions qu’il lui plaît »129. Ce pouvoir de commandement par la modification directe du droit objectif fonde la domination du commerce juridique par la puissance publique. Cette domination doit être analysée d’un point de vue général (A) avant d’examiner ses principales manifestations (B). A. La domination du commerce juridique fondée sur la maîtrise du droit objectif 325. « Le pouvoir de commander, écrit Félix Moreau, appartient d’abord et principalement à l’État, qui constitue la collectivité la plus étendue pour chaque société distincte, et, par conséquent, la collectivité suprême, qui possède le pouvoir le plus général et, par conséquent, le plus élevé » 130 . L’État est la personnification juridique du pouvoir de commander bien plus que de la nation, qui n’est que la formule de légitimation de cette contrainte exercée par la nature des choses dès lors qu’il existe des 129 130 Félix Moreau, Le règlement administratif, op. cit., p. 25. Félix Moreau, Manuel de droit administratif, Fontemoing, 1909, p. 25. 294 gouvernants et des gouvernés131. Le pouvoir fondamental de puissance sur les personnes se situe en ce qui concerne l’État, dans le concept d’imperium qui devient effectif sous la forme de la puissance publique132. L’État exerce son pouvoir de commander par l’édiction de dispositions générales qui modifient l’ordonnancement juridique, le droit objectif, et occupent les places les plus élevées dans la hiérarchie des normes. De ce fait, le pouvoir réglementaire est inhérent à l’exercice de la puissance dès lors que celle-ci peut ordonner à une catégorie de personnes, et non par des mesures individuelles. Contrairement à l’idée reçue et que partageait Félix Moreau, le pouvoir réglementaire n’est donc pas le propre de l’État. En revanche, il est bien évident que les règlements des autorités administratives n’ont pas la même substance que les règlements de l’employeur, par exemple. Où l’on retrouve la limite d’un normativisme qui serait indifférent au contenu de la norme133. Les articles 34, 21 et 37 de la Constitution fondent la puissance normative que l’État exerce par la voie de la loi ou du règlement. Il faut alors souligner que la loi et le règlement sont simplement deux modalités différentes d’exercice du même droit d’édiction de normes générales : « le règlement et la loi ont la même nature intrinsèque, ils diffèrent par l’autorité qui les fait »134. On y ajoutera volontiers les autorités juridictionnelles lorsqu’elles ne se contentent pas de prendre une décision particulière destinée à garantir la cohérence de l’ordonnancement juridique mais introduisent une nouvelle règle de portée générale dans le droit objectif. Nul ne soutient plus aujourd’hui le mythe d’une absence de pouvoir normateur du juge, sans qu’il soit besoin de chercher une explication métaphysique selon laquelle le juge révélerait des normes préexistantes135. Par la loi, le règlement et la décision de principe, l’État définit le statut légal des propriétaires, en retirant absolument le bénéfice des droits-exclusion. En supprimant le pouvoir fondamental de propriété, l’État organise une incapacité totale de jouissance ou « mort civile » qui réduit la personne juridique, si tant est qu’elle demeure dans la catégorie, à n’être qu’un 131 Olivier Beaud, La puissance de l’État, op. cit., p. 16 : « la souveraineté interne est une puissance de commandement qui se manifeste par des actes unilatéraux qui traduisent un rapport de subordination entre l’auteur et l’adressataire de la norme ». La maîtrise du droit objectif par l’État signifie qu’il se subordonne l’ensemble des sujets de droit qui sont soumis à sa puissance, soit, en principe, tous ceux que l’État connaît dans l’ordre interne : « la souveraineté moderne est un pouvoir suprême de l’État sur les personnes qui entrent dans le cercle de sa domination », ibid., p. 42. 132 Cf. supra. 133 Ibid., p. 23 : « le pouvoir de commander comprend naturellement et même nécessairement le pouvoir réglementaire, le droit d’émettre des règles générales ». 134 Ibid., p. 50. 135 On évoquera ici également les recours de plein contentieux objectif au terme desquels le juge prend éventuellement une décision qui se substitue à celle de l’administration et se fait donc lui-même administratif comme en matière, par exemple, d’installations classées, d’immeubles menaçant ruine, de contentieux de l’aide sociale. Cf. par ex., Etienne Mueller, « Le contentieux de la récupération de l’aide sociale des départements », AJDA, 2013, p. 282. 295 élément passif du commerce juridique voire à en être exclu. On comprend que cette technique ait disparu. L’État instaure donc désormais uniquement de simples incapacités 136. L’État peut aussi modifier la catégorie des choses en en supprimant un élément jusqu’alors reconnu par le droit 137 ou à l’inverse en y faisant apparaître une chose nouvelle 138 . L’État peut simplement modifier le « statut juridique objectif » d’une chose et définir ainsi les utilités qu’une chose peut licitement produire et les procédures nécessaires à cette jouissance 139. Il peut ensuite venir modifier les règles qui régissent l’appropriation ellemême comme le font les règles relatives à l’accession ou aux alluvions. 326. C’est ici qu’il faut évoquer le sort que réserve l’État aux choses sans maîtres 140 , aux successions en déshérence141 et aux sommes et valeurs prescrites142. C’est parce qu’il est maître du commerce juridique qu’il peut s’en attribuer la propriété ou, dans le cas des premières, la proposer en premier lieu aux communes. Une controverse avait agité la doctrine quant à la nature du droit de l’État sur les successions en déshérence. Loin de vouloir l’ouvrir de nouveau, nous nous rallierons au commentaire afférent des Grandes décisions du droit administratif des biens : « la majorité de la doctrine considère que la réforme de 2006 n'a pas transformé la nature du droit de l'État sur les successions en déshérence, qui s'explique par sa souveraineté et non par le fait qu'il aurait la qualité d'héritier »143. Si la souveraineté explique ces règles, c’est qu’elles sont le pur et immédiat produit de la législation, laquelle n’a pas conféré à l’État le statut d’héritier dans le cas particulier des successions en déshérence. D’une manière générale, l’État est le maître de tous les éléments de l’institution juridique qu’est la propriété depuis le sujet du droit jusqu’au bien qui en est l’objet en passant par toutes les opérations et procédures. Aussi faut-il souligner que l’État est le maître du statut légal des propriétaires et, notamment, de son propre statut comme de celui des personnes publiques. C’est ainsi la puissance publique s’exerçant comme maîtrise du droit objectif qui établit les 136 Totale ou partielle, l’incapacité n’atteint pas l’aptitude à l’exclusivité, mais seulement « le pouvoir de disposer puisqu’elle restreint l’activité juridique et l’action justice », Frédéric Zenati-Castaing, Thierry Revet, Manuel de droit des personnes, op. cit., pp. 122-123. 137 L’abolition de l’esclavage n’est rien d’autre qu’un tel acte de puissance publique modifiant la condition juridique d’un individu qui passe de la catégorie des choses à celles des personnes. 138 Les propriétés incorporelles, malgré leur substrat social objectif, sont bien des créations de l’ordre juridique lui-même et n’étaient pas des biens avant que l’État n’en décide ainsi par la loi ou la jurisprudence. 139 Ce qui, certes, altère la liberté de disposition mais bien en raison du statut de la chose considérée et non de façon générale à raison du statut du propriétaire. 140 L’article L.1123-2 du CGPPP renvoie à l’article 713 du Code civil, lequel dispose : « Les biens qui n'ont pas de maître appartiennent à la commune sur le territoire de laquelle ils sont situés. Toutefois, la propriété est transférée de plein droit à l'État si la commune renonce à exercer ses droits ». 141 Article L.1122-1 du CGPPP : « Par application des dispositions des articles 539 et 768 du code civil, l'État peut prétendre aux successions des personnes qui décèdent sans héritiers ou aux successions qui sont abandonnées, à moins qu'il ne soit disposé autrement des biens successoraux par des lois particulières ». 142 Dont le régime d’appropriation par l’État est organisé aux articles L.1126-1 et s. du CGPPP. 143 Rozen Noguelou, in Les grandes décisions du droit administratif des biens, Dalloz, 2013, commentaire n° 13, n° 5 p. 119. 296 dérogations au statut légal de droit commun. C’est ainsi le juge étatique qui a établi l’immunité des personnes publiques contre les voies d’exécution judiciaire 144 dont le corollaire est l’insaisissabilité de leurs biens, principe général du droit145 réapproprié par le législateur146. C’est encore le juge qui a fondé juridiquement l’exercice de la puissance publique de l’État sur le domaine public des autres personnes publiques par la création de la théorie des mutations domaniales147. Il faut cependant écarter en droit français l’idée d’une propriété éminente de l’État sur l’ensemble des biens car si l’État peut en effet à la fois s’approprier et affecter n’importe quelle chose, ce n’est qu’en raison de sa seule souveraineté, c’est-à-dire sa maîtrise du droit objectif148. C’est bien par l’exercice de son pouvoir de commandement que « l’État comme législateur fournit à l’État comme personne publique propriétaire les pouvoirs de sa suprématie »149. Si par le même mécanisme toute personne juridique peut devenir un « super-propriétaire » selon le mot de Xavier Bioy, nous rejetterons l’idée de propriété éminente qui n’est que la manifestation, selon nous, de la souveraineté, c’est-à-dire de la maîtrise du droit objectif dont les règles régissant le statut des propriétaires ou le régime des biens. En cela, l’État jurislateur est évidemment un allié potentiel de l’État propriétaire et cela révèle une spécificité fondamentale de l’État dans cette qualité et, partant, de la propriété publique. 327. On trouvera une confirmation de cette idée en évoquant la souveraineté de l’État en matière économique et monétaire. L’économie politique fournit en effet les manifestations d’une puissance de l’État exercée sous la forme d’une domination et d’une maîtrise du commerce juridique ou, plus spécifiquement, du marché. L’État peut tout d’abord fixer unilatéralement le cours de la monnaie et notamment procéder par voie de dévaluation même si la chose devient quelque peu théorique dans un régime de changes flottants. Il peut ensuite procéder à la monétisation de ses dettes et aux autres procédés qualifiés par les économistes « d’argent gratuit », prérogative toujours potentielle même si, comme en France, il a accepté de privatiser entièrement la création monétaire150. Enfin, en raison de son monopole de la force publique, l’État peut unilatéralement 144 TC, 9 décembre 1899, Association Syndicale du Canal de Gignac. Cass. Civ. 1ère, 21 décembre 1987, Bureau de recherches géologiques et minières, GDDAB n° 75. 146 Article L.2311-1 CGPPP. 147 CE, 16 juillet 1909, Ville de Paris et Chemins de fer d’Orléans, Rec., p. 707 concl. G. Teissier ; S. 1909, 3, p. 97, note M. Hauriou. 148 Contra, Xavier Bioy, « La propriété éminente de l’État », RFDA, 2006, pp.963-980. 149 Ibid., p. 966. 150 Cette abstention de l’État d’exercer tout pouvoir de création monétaire est aujourd’hui exprimée par l’art. 123 TFUE. 145 297 décider à l’encontre de ses créanciers (ou une partie d’entre eux) qu’il ne payera pas ses dettes 151. Tous ces procédés ont connu des précédents historiques et ont pu être réalisés par des voies de droit qui relèvent aujourd’hui du droit public économique. Il faut donc s’en tenir aux expressions les plus emblématiques de la souveraineté de l’État en matière économique, fiscale et pénale. B. Les principales manifestations patrimoniales de la puissance publique de l’État 328. La puissance publique va venir directement perturber le commerce juridique chaque fois qu’elle constituera un administré débiteur d’une prestation d’ordre patrimonial. Les trois manifestations les plus manifestes sont les contributions obligatoires (1), les amendes pénales et les sanctions administratives (2) ainsi que les monopoles publics, ces derniers étant notamment l’occasion de développer la question de la patrimonialité des autorisations administratives (3). 1) Les contributions obligatoires établies par la puissance publique 329. La disposition d’une loi de finance qui crée un impôt ou une taxe nouvelle, est l’exercice du droit de puissance fiscale par lequel l’État fonde une dette qui sera exigée par les services fiscaux et due par les contribuables. Pour Michel Rousset, « le pouvoir fiscal est en effet essentiellement autoritaire » 152 . Son exercice a pour produit un droit-prestation dont l’obligation qui en est l’élément objectif consiste à verser une somme d’argent sans avoir exprimé son consentement. Le raisonnement mérite d’être étendu à toutes les contributions qui sont établies par disposition unilatérale. Les redevances qui financent certains services publics s’en rapprochent bien souvent dès lors que la seule attitude permettant à l’administré de s’y soustraire est un pur fait : ne pas bénéficier du service, ce qui dans bien des cas est plus que théorique. Par ailleurs, ne pas acheter un bien est certes un moyen de ne pas payer la T.V.A., nul n’en conclut pour autant qu’il ne s’agit pas d’un impôt. Cependant, ces difficultés de distinction entre catégories juridiques (impôt, taxe, redevance) démontrent qu’il y a des nuances dans l’exercice du pouvoir de commandement à fin de contribution pécuniaire des administrés. Cela fait surtout apparaître que la puissance publique cherche parfois à apparaître moins autoritaire, ce qu’elle demeure 151 En France, la dernière manifestation de souveraineté de ce type eut lieu le 9 vendémiaire an VI (30 septembre 1797), lorsque Dominique Ramel (dit Ramel-Nogaret), ministre des Finances du Directoire fit voter une loi annulant de facto les deux tiers de la dette publique. 152 Michel Rousset, op. cit., p. 310 298 néanmoins. Les peines et sanctions en revanche, ne connaissent pas ces subtilités tant elles sont indissociable de la contrainte dont elles sont la conséquence. 2) Les peines et autres sanctions patrimoniales prononcées par la puissance publique 330. La première des prérogatives que l’Histoire du droit attribue au bénéfice, aujourd’hui exclusif153, du pouvoir politique est celle de rendre la justice. Ainsi, il faut d’emblée considérer que lorsqu’une décision de justice a pour effet de fixer la condition patrimoniale d’un sujet de droit, elle consiste à exercer ce droit de puissance publique qu’est la iurisdictio lequel est bien un droit de puissance de l’État. Ainsi, le juge judiciaire dans le cadre de procédures collectives ou de surendettement peut être amené à réduire les dettes d’une personne en difficulté en raison de « la poursuite par le législateur d’un intérêt d’utilité publique, en l’occurrence un but social et économique »154. Il porte ainsi atteinte au patrimoine des créanciers et cela par un commandement revêtu de l’autorité de la chose jugée. Toute décision de justice peut comporter un commandement de payer une somme d’argent ou de donner une chose. Lorsqu’un tel commandement bénéficie à l’État, il y a bien exercice du commandement et enrichissement corrélatif. La condamnation par le juge pénal à payer une amende produit ainsi une obligation de verser à l’État une somme d’argent. Autrement dit, la puissance juridictionnelle peut créer au bénéfice de l’État un droitprestation contre un particulier sans son consentement et en dehors de tout rapport juridique préexistant, ce dont dispose de manière générale l’article L. 1124-1 CGPPP155. Il faut y ajouter également les deux peines complémentaires qui, en matière pénale, frappent le patrimoine du condamné : la confiscation156 et la fermeture d’établissement157. La décision d’une juridiction étatique constitue donc un acte d’exercice du pouvoir de commander de l’État et elle a très souvent un effet patrimonial. Il en va de même de la sanction administrative pécuniaire dont le bénéficiaire est la personne supportant l’autorité administrative. Leur fondement objectif se partage entre la loi et le règlement 158 et elles peuvent être patrimoniales, y compris sous la forme d’une amende versée au Trésor public, ce qui est très souvent le cas en matière fiscale. Les « droits de justice », privés, cessibles, et rémunérés par les « épices », ont fait des partie des regalia, c’est-à-dire de ces jura placés dans le commerce juridique en tant que biens. Il est évident que le cas de l’arbitrage ne saurait entrer dans cette catégorie, les droits dont on parle ayant la même force dans la société féodale que les décisions juridictionnelles. 154 Julien Laurent, op. cit., n° 657 p. 501. 155 Qui dispose : « Les biens, à caractère mobilier ou immobilier, dont la confiscation a été prononcée par décision de justice sont, sauf disposition particulière prévoyant leur destruction ou leur attribution, dévolus à l’État ». 156 Art. 131-21 Code pénal. 157 Art. 131-33 Code pénal. 158 CC, n° 89-260 DC du 28 juillet 1989. 153 299 3) Les monopoles établis par la loi : une interprétation en termes de relation de la puissance à la propriété 331. Georges Dupuis considère les monopoles comme constitutifs de privilèges de l’Administration. Il les définit comme « les activités matérielles et intellectuelles dont l’ordre juridique réserve l’accomplissement à la seule administration en interdisant toute concurrence privée »159. Il ajoute que, « historiquement, la fonction naturelle des monopoles est précisément d’alimenter le trésor public » 160 . Cela témoigne d’un évident problème de légitimité pour leur établissement. Les monopoles fiscaux relèvent de la plus pure légitimité organique dont nous avons évoqué dès l’introduction le caractère contraire aux principes de l’État de droit démocratique. Cependant, leur existence démontre la spécificité de la puissance de l’État qui peut ainsi être mise au seul et unique service de son patrimoine. Julien Laurent a proposé, du point de vue du droit privé, une analyse de l’établissement de certains monopoles en dégageant la notion de droit-contingentement, forme de droit-prestation (a). Cette analyse doit être prolongée car elle permet d’apporter quelques lumières sur la question de la commercialité des autorisations administratives (b). a) Une analyse des monopoles en termes privatistes de propriété : la création de biens par la puissance publique, le monopole et les droits-contingentement 332. L’établissement d’un monopole fiscal correspond ainsi à l’archétype du droit de puissance de l’État exercé par le législateur et permettant de monopoliser une activité économique. Cependant, il est possible d’approfondir l’analyse des activités réglementées en l’intégrant dans le modèle que nous avons retenu. C’est à une telle analyse que Julien Laurent, à la suite de MM. Zenati-Castaing et Revet, s’attache à reconnaître la qualité de biens aux droitsprestation qui résultent de l’établissement d’un monopole. L’analyse s’étend au-delà des monopoles fiscaux qui se sont d’ailleurs raréfiés, dès que « l’activité régulatrice de l’État moderne n’est pas toujours mue par un intérêt financier – comme elle l’était souvent sous le pouvoir royal »161. Ainsi, toute réglementation consistant à limiter la liberté d’entreprendre tout en organisant ensuite un accès conditionné à la délivrance d’une autorisation répond de la même logique et « au même schéma de base »162. 159 Georges Dupuis, op. cit., n° 95 p. 100. Ibid., n° 103 p. 166. 161 Julien Laurent, op. cit., n° 122 p. 99. 162 Ibid., n° 123. 160 300 Deux procédés sont possibles. Le premier est la technique du numerus clausus, explicite lorsque le nombre d’autorisations est prédéterminé, implicite lorsque « les contraintes réglementaires d’accès sont telles qu’elles tendent objectivement vers ce résultat »163. La seconde est celle des quotas. « Un tel mécanisme correspond directement à celui, fort ancien, du privilège royal » 164 , mécanisme qui procède juridiquement par les mêmes étapes. La norme qui pose le monopole s’analyse comme une interdiction d’exercer l’activité économique. C’est une atteinte à la liberté d’entreprendre mais aussi à la libre disposition des biens puisque défense est donc faite aux sujets de droit d’établir des relations juridiques destinées à mettre en œuvre cette activité (apports en sociétés, contrats etc.). Si la norme s’en tient là, il y a soustraction d’une activité à la vie économique qui ne sera pas exercée du tout. Si l’activité en cause sera exercée, alors il s’agit d’une réservation, d’une exclusion et la propriété apparaît. En effet, Julien Laurent décrit les étapes du processus. Dans un premier temps, « l’activité de régulation de l’État (…) crée artificiellement mais non moins sûrement une rareté »165. L’activité devient alors une chose juridique, tel un jus romain, appropriable et utile et prétendant de ce fait à la qualité de bien. Le monopole fiscal est constitué lorsque l’activité est ainsi une source de revenus garantie par l’exclusivité : « l’État apparaît en réalité comme le concédant d’un accès à l’activité à l’égard de laquelle il s’affirme implicitement être le maître »166. Ce bienactivité réservée, l’État en jouit en vertu de l’exclusion qu’il opère, puis il en dispose en remettant volontairement en cause cette exclusivité. En effet, de même que le propriétaire peut concéder les utilités d’un champ à un fermier, l’État propriétaire d’une activité réservée peut en concéder l’exercice par la délivrance de titres. Ces titres sont ce que Julien Laurent appelle les droits-contingentements, « biens (qui) remplissent exactement le même rôle que les anciennes « patentes », ces autorisations consistant en une concession d’exercer telle ou telle activité » 167 . La limite matérielle de ce « champ » est celle que le marché économique de l’activité économique permet, lequel va également entrer en jeu dans la fixation de la valeur du contingentement. 333. Il faut apporter une inflexion à l’exposé fait par Julien Laurent. Celui-ci se concentre sur les procédés qui ont une visée économique. Ainsi, il voudrait exclure de la catégorie les autorisations de police administrative Pour l’auteur, elles ne constituent pas des biens parce que leur délivrance n’est pas contingentée. Leur logique est donc a priori extra-économique et ne crée, à proprement parler, aucune relation de service entre l’autorité publique et les titulaires de 163 Ibid., n° 123 p. 100. Ibid., n° 124 p. 100. 165 Julien Laurent, idem. 166 Ibid., n° 125 p. 101. 167 Ibid., n° 127 p. 102. 164 301 ces autorisations168. L’auteur réduit le mécanisme à l’idée de logique économique mais on a vu que, dans le modèle développé, la pécuniarité puis la cessibilité, condition de la patrimonialité, ne sont que des qualités contingentes qui s’ajoutent à la qualité de chose. Celle-ci, intrinsèque, étend à l’ensemble des objets juridiques l’application du mécanisme de la propriété. Par ailleurs, les droits publics subjectifs des administrés viennent à nouveau apporter une solution au problème que croit relever l’auteur du droit privé. Dans le cas d’une activité de police administrative, il y a bien interdiction de principe d’une activité alors réservée par l’Administration en vertu d’un droit-exclusion, sur la base duquel peuvent naître des droitsprestation. L’administré qui répond aux conditions légales de délivrance de l’autorisation a donc un droit à cette délivrance, sanctionné par l’annulation d’un refus éventuel, prestation qui est l’obligation pour l’administration de souffrir l’atteinte à son monopole, c’est-à-dire d’en concéder une utilité. Pour Julien Laurent, s’établissent alors deux relations juridiques entre l’État et les agents économiques concernés. Tout d’abord, la règlementation établit une relation verticale pour laquelle l’auteur fait référence à l’article 7 du décret d’Allarde : « [la liberté du commerce et de l’industrie] sera tenue de (…) se conformer aux règlements de police qui pourront être faits ». Ici, nous considérons qu’il y la manifestation de la seule puissance sur les personnes. L’acte unilatéral qui établit la restriction est un commandement, c’est-à-dire une limite apportée à une liberté. Il s’agit donc bien de l’exercice d’un droit de puissance du fait de la domination du commerce juridique par l’État qui le domine. D’autre part, s’établit une « relation horizontale (…) par laquelle l’État concède un droit-contingentement aux agents habilités »169 : « sur le modèle du droit réel, il s’agit pour la puissance publique (propriétaire du bien-monopole) de concéder aux beati possidentes un accès aux utilités de ce bien-monopole »170. Dans cette relation horizontale, l’État apparaît comme un acteur du commerce juridique, c’est-à-dire en tant que propriétaire. Entre les deux se manifeste l’effet patrimonial de la puissance qui produit un bien dont l’État est propriétaire et sur la base duquel il peut concéder un nouveau bien à des tiers. Il y a donc deux biens dans ce modèle : le monopole, produit de l’acte posant la norme générale d’interdiction de l’activité économique et le droitcontingentement. Le premier est la propriété de l’État et il est produit direct de l’acte de puissance publique, la loi instituant l’interdiction d’exercer l’activité ainsi réservée. Le second est la propriété de son bénéficiaire, et il est lui le produit de l’autorisation délivrée d’exercer l’activité. Si dans les deux cas c’est un acte administratif unilatéral qui produit ces biens, il y a une différence de nature entre eux manifestant la distinction de la puissance et de la propriété. 168 Ibid, note 408 pp. 102-103. Ibid., n° 128 p. 104 170 Ibid., n° 129. 169 302 La loi qui organise le monopole est l’acte qui exerce la puissance et il produit une propriété incorporelle (de même nature qu’une clientèle si l’on veut, sorte de clientèle universelle). C’est ici que disparaît le principe de neutralité patrimoniale du droit privé. La mesure individuelle qui délivre l’autorisation produit ensuite un droit incorporel en vertu duquel l’administration s’engage à suspendre l’interdiction au profit du bénéficiaire. Ce nouveau bien est un droitprestation qui résulte du pouvoir de disposition du propriétaire. Ici, il n’y a pas de différence entre un propriétaire privé et public, du moins à ce niveau d’analyse. Le fait que l’acte soit qualifié d’acte administratif montre bien que la propriété originelle, ni publique ni privée, n’est qu’une abstraction étrangère au droit positif. Si l’État dispose d’un tel bien par un acte administratif, c’est qu’un tel bien est le fruit de la puissance publique. C’est un élément de la théorie de la propriété publique et il ne doit pas être négligé. L’État peut disposer gratuitement de son monopole ou monnayer l’autorisation qu’il délivre. Dans ce cas, l’État ou la personne publique concédante tire un profit de l’exercice de la puissance qui a produit le bien dont elle dispose. Sinon, la personne publique concédante ne titre aucun profit d’un bien qui n’est, en réalité, qu’une simple chose appropriée mais sans utilité économique, pécuniaire. C’est ici la véritable alternative concernant la mise de la puissance publique au service d’un propriétaire, qui peut s’arrêter à la seule exclusivité ou être une source de profit. Nous devons cependant aller plus loin et revenir sur la question essentielle de la commercialité des droits-contingentements. b) La commercialité des droits-contingentement, des autorisations administratives 334. Depuis la Révolution, on s’accorde pour considérer que « l’acte administratif – unilatéral ou contractuel – qui permet l’exercice de telle ou telle activité revêt un caractère précaire et n’est susceptible d’aucune cession par son titulaire, même lorsque ce dernier peut se réclamer de l’aval de l’administration compétence »171. L’idée que les autorisations administratives délivrées par les autorités publiques puissent être des biens a suscité la critique d’auteurs considérant que la vénalité des offices réapparaissait si l’on admettait cette façon de voir les choses 172 . La crainte de constituer certains administrés en privilégiés173 faisait naître le sentiment qu’il est particulièrement choquant de pouvoir vendre 171 Jean Gourdou, « Droits à produire et problématique générale de la cessibilité des autorisations administratives », Rev. dr. rural, 1999, n° 1 p. 94. 172 Henri Laulhé, « La vénalité des actes administratifs », AJDA, 1961, p. 424. 173 Francine Batailler, « Les beati possidentes du droit administratif », RDP, 1965, p. 1051. 303 une autorisation qui n’a pas été achetée174. Prétendre qu’elle n’a rien coûté en revanche, serait également choquant pour les professionnels qui ont conçu le projet et déjà investi à cet effet en attendant d’avoir, et de pouvoir obtenir, l’autorisation nécessaire à l’activité. Malgré cette affirmation de principe que l’autorisation obtenue par l’administration ne saurait être conçue comme un bien, la pratique n’a pas pu qu’imposer une fois encore une forme de revanche des faits en organisant une cessibilité dès lors que l’autorisation ne puisse être obtenue qu’en étant cédée, et que l’administration ne fasse pas échec, sinon encourage, le mécanisme de cession. C’est ainsi que, « en dehors de la vénalité des offices, « la patrimonialité a pu se réintroduire soit incidemment soit officiellement à l'occasion de l'adoption des actes administratifs ou de leur transmission »175. La patrimonialité des actes administratifs s’est ainsi imposée dans de nombreux secteurs 176 au point que la « vénalité » de la réglementation économique est une donnée essentielle du droit des affaires177 et que les fonds de commerce ont vocation à les intégrer parce qu’elles participent de sa valeur et sont nécessaires à l’activité exercée178. 335. Thibault Soleilhac distingue les autorisations « éminemment personnelles comme les permis de conduire, de port d’armes ou les autorisations délivrées aux personnes handicapées » dont la circulation n’a aucun sens des autorisations qui « ont une indiscutable valeur patrimoniale car elles sont la condition juridique d’une activité économique », posant alors « la question de leur cession »179. Précisons tout d’abord que certaines des autorisations de la première catégorie sont le fondement indispensable de certaines activités économiques. Ensuite, il faut bien distinguer l’utilité économique qui confère à l’autorisation la qualité de bien, de sa cessibilité qui lui confère la qualité de bien patrimonial. En comptabilité et notamment pour la cotation en bourse, une autorisation peut être mise à l’actif même si elle est purement personnelle et donc incessible, comme un permis d’exploiter une ressource naturelle. La question doit alors être abordée largement. L’autorisation s’analyse comme un droit-prestation dont l’objet est l’assurance que l’État souffrira l’accès à une activité en principe interdite. Sur la base ce bien, le titulaire (propriétaire) peut faire naître un commerce juridique d’ordre patrimonial. Il n’y a cessibilité que si l’acte par lequel on dispose de l’autorisation a pour effet de substituer au cédant le nom du On soulignera combien le noble argument de subordonner la possession légitime à l’effort qui aura été nécessaire pour obtenir le bien conduirait à des conséquences que les auteurs n’admettraient en question probablement pas. 175 Pierre Delvolvé, « La patrimonialité des actes administratifs : rapport de synthèse », RFDA, 2009, p. 44. 176 Hervé de Gaudemar, « Les quotas d’émission de gaz à effet de serre », RFDA, 2009, p. 25 ; Jean-Michel Lemoyne de Forges, « La patrimonialité des actes administratifs en matière de santé », RFDA, 2009, p. 32 ; Denis Rapone, « La patrimonialité des actes administratifs en matière de communications électroniques », RFDA, 2009, p. 39. 177 L. Rapp, P. Terneyre et N. Symchowicz, « La “vénalité” de la réglementation économique », Lamy droit des affaires. 178 Cf., consacrant de longs développements à la nécessité d’incorporer à la notion de fonds les autorisations administratives, Lise Chatain-Autajon, La notion de fonds en droit privé, Litec, 2006, pp. 346-357. 179 Thibault Soleilhac, « Vers une commercialité des autorisations administratives », AJDA, 2007, p. 2178. 174 304 cessionnaire 180. Ainsi, on devrait en principe exclure les droits-contingentements qui sont la base d’un mécanisme de présentation. En effet, en toute logique juridique, il y un engagement personnel du titulaire à présenter à l’administration son successeur mais si l’acte suppose l’existence du titre, il ne porte pas sur lui. 336. Cependant, ainsi que le déduit M. Soleilhac de la comparaison avec la difficile reconnaissance en droit civil de la cession des clientèles de professions libérales : « le raisonnement selon lequel la valeur patrimoniale est celle du droit de présentation et non celle de l’autorisation est l’exacte reproduction en droit administratif de l’ancienne position civiliste aujourd’hui abandonnée » 181 . Selon le modèle que nous adoptons, cette possibilité s’analyse comme utilité du droit-contingentement, d’autant qu’elle résulte de la pratique de l’administration qui confère son crédit à l’espérance d’obtenir le titre après présentation. La présentation se rapproche en réalité d’un mécanisme destiné à obtenir l’agrément de la personne publique. Or, un agrément est certes une condition de la cession, mais aussi le révélateur de la cessibilité. Par ailleurs, si c’est le caractère personnel d’une autorisation qui en fonde l’incessibilité en privant d’objet une telle convention, cette incessibilité « n’existe qu’en l’absence de dispositions contraires » 182 . Ainsi, en matière de permis de construire, bien que personnel, sa validité étant indépendante de la qualité du titulaire, son transfert est possible et a été reconnu par le Conseil d’État. Or, preuve de l’appropriation par le bénéficiaire, ce transfert nécessite l’accord de celuici même s’il n’est plus propriétaire du terrain183. Le seul obstacle à ce que ce transfert se fasse à titre onéreux est que, pour la même raison, le nouveau propriétaire obtiendra le permis pratiquement à coup sûr. En revanche, le transfert est intéressant dans la relation née de la vente du bien immobilier. Le cas le plus extrême de cessibilité est évidemment réalisé lorsqu’il est créé un véritable marché sur lequel s’échangent avec une totale liberté les autorisations en cause. C’est le cas des quotas d’émission de gaz à effet de serre : « l’autorisation d’émettre est intégralement conçue dans sa dimension marchande, la politique de lutte contre le réchauffement climatique étant centrée autour de la valeur d’échange du quota »184. Thibault Soleilhac auquel nous avons fait référence à plusieurs reprises, a été conduit à adopter également la perspective de l’école dont nous avons mobilisé la doctrine. Il terminait son article par l’idée que la vénalité des autorisations. 180 Thibault Soleilhac, préc. : « Au sens strict, la cession implique le remplacement du titulaire par un tiers et le maintien des éléments essentiels de l’autorisation d’origine ». 181 Idem. 182 Idem. 183 CE, 24 juillet 1987, Rayrole, req. n° 61164. 184 Art. préc., idem. 305 L’auteur considère que, officieuse ou indirecte, « la vénalité des offices ressurgit en quelque sort au profit des premiers titulaires » mais que l’administration se prive, avec la gratuité « de revenus potentiellement importants ». L’auteur propose donc une solution iconoclaste : « que l’administration vende elle-même les autorisations »185. 337. Or, nous pensons pouvoir identifier un cas où l’administration a organisé un tel procédé, purement financier, d’exercice de la puissance publique : les ondes hertziennes. Leur domanialité publique a été discutée par la doctrine. Aujourd’hui consacrée par le CG3P, elle ouvre droit à la délivrance d’autorisations d’exploiter les ondes, autorisations vendues aux enchères. Or, l’alternative à la domanialité publique était « celle de l’encadrement des fréquences et des activités dont elles sont le vecteur par un régime de police »186. Cela nous apparaît démontrer deux choses. Tout d’abord que la réglementation d’une activité pour la soumettre à autorisation de la puissance publique revient bien à une exclusion donc une appropriation. Sans même se demander si une onde est de la matière, c’est bien l’activité d’émettre un signal radioélectrique qui est soumise à la délivrance d’une autorisation délivrée à titre onéreux. Le parallèle avec la concession du domaine public ne conduit pas à faire des ondes hertziennes des choses corporelles à l’instar d’une rivière ou d’un pont, elle confirme qu’une chose parfaitement juridique, un monopole sur une activité187, est un bien recelant des utilités dont certaines sont économiques et donc la concession est un nouveau bien, un droit-prestation. Par ailleurs, les ondes hertziennes sont des biens purement juridiques à l’instar des propriétés incorporelles. De même que les clientèles résultent de leur formulation dans l’ordre juridique objectif, le domaine public hertzien résulte de la volonté du législateur exerçant le droit de puissance de l’État sur le droit positif. Aujourd’hui communément admises en droit privé, les propriétés incorporelles font désormais indiscutablement partie du droit administratif des biens. Ce qui nous intéresse à titre principal, c’est que la justification du choix de la domanialité plutôt que de la police est parfaitement patrimoniale : « la qualification de domaine public présente (…) l’avantage de permettre de subordonner les autorisations au paiement de redevances domaniales »188. Ce qui fait l’objet d’une appropriation est donc bien l’activité consistant à utiliser les ondes au moyen d’une installation et d’une organisation de type industriel189. 185 Idem. Thomas Pez, Le domaine public hertzien, LGDJ, 2011, p. 15. 187 La prétendue utilisation des ondes hertziennes est la transmission d’une information par émission d’un signal radioélectrique. Elle est dans la droite ligne des premiers sémaphores et des télégraphes. C’est bien l’activité qui est monopolisée, non les ondes, dont la rareté ne provient que du brouillage résultant d’une excès d’émissions différentes. 188 Ibid., p. 18. 189 On fera nôtre en l’appliquant à l’ensemble des cas qui sont moins l’appropriation d’une chose véritablement préexistante que la réduction d’un ensemble complexe de phénomènes physiques et d’activités humaines : « le domaine public hertzien n’existe que parce qu’il est utilisé : c’est l’usage des fréquences qui crée le domaine public », op. cit., p. 22. 186 306 Une fois encore, non seulement cela démontre la perméabilité de la notion de bien aux choses purement juridiques, les monopoles d’exploitation, mais, surtout, le fait que ces nouveaux biens sont le fruit de l’activité normative de l’État qui peut, le cas échéant, établir un monopole fiscal dont l’objet est, au moins à l’origine, de se garantir des revenus. La preuve en est que, si l’on généralise la réflexion effectuée sur le domaine public hertzien, la vénalité de l’autorisation d’exploitation serait possible sous un régime de police mais à la condition d’être une taxe. Seulement, ainsi que le dit l’auteur, « l’inconvénient de la taxe est qu’elle doit être déterminée par la loi alors que la redevance peut l’être par l’administration » si bien que « le régime domanial présente plus de souplesse qu’un régime soumettant la délivrance d’autorisation au paiement d’une taxe » 190 . La distinction des deux régimes selon leur finalité apparaît donc comme un simple renversement de perspectives. L’ordre public est premier et la valorisation seconde dans la police, tandis que les obligations de service public peuvent être l’accessoire légitime aux autorisations d’occupation du domaine. On voit qu’ici le brouillage est total entre les droits d’autorité pure et les droits fiscaux selon la terminologie de Félix Moreau. 338. De tous ces développements, il ressort que la puissance publique domine le commerce juridique au point non seulement d’en établir le régime juridique par la maîtrise du droit objectif, mais d’exploiter cette maîtrise en y organisant certaines activités à son profit. Il reste à voir maintenant comment un commandement direct peut produire un droit-prestation dont l’objet soit profitable, patrimonialement, à l’administration titulaire du droit de puissance. 190 Ibid., p. 18. 307 § 2 Les droits de puissance des personnes publiques propriétaires et leur éventuelle transmission aux personnes privées 339. Ainsi que le décrit Michel Rousset : « l’autorité administrative peut avoir besoin de biens et de services. Pour se les procurer elle dispose de deux prérogatives, le pouvoir d’exproprier la propriété privée immobilière et le pouvoir de réquisition de services personnels, de l’usage ou de la propriété de certains biens »191. Il s’agit donc de commander à un propriétaire de vendre ou de souffrir l’usage de son bien, donc de le constituer unilatéralement débiteur d’une obligation de consentir une modification de la situation juridique d’un de ses biens. Il faut distinguer les droits de puissance par lesquels il est possible de contraire un propriétaire à céder son bien et les droits de puissance par lesquels on impose à un propriétaire de subir un droit-prestation dont l’objet est l’utilisation de son bien par un tiers. Nous proposons de les traiter en fonction de leur place dans le statut des personnes publiques propriétaires. En ce qui concerne les droits qui permettent d’imposer à un propriétaire de souffrir l’utilisation de son bien pour des finalités administratives, il y a là une manifestation de l’autonomie de la puissance publique par rapport à la puissance privée en raison de son effet patrimonial. Ces servitudes ne sont pas inhérentes à la personnalité publique, et c’est qu’en raison de leur rapport l’exercice des compétences qu’elles relèveront de l’action publique (A). En revanche, l’expropriation pour cause d’utilité participe du statut de personne publique propriétaire au même titre que l’incessibilité à vil prix et l’insaisissabilité de leurs biens car elle a pour fondement immédiat et suffisant la personnalité publique (B). A. Les droits de puissance imposant un droit-prestation à l’encontre d’un propriétaire : les servitudes administratives 340. En ce qui concerne les commandements se traduisant non par une obligation de céder mais par une obligation de disposer en se constituant débiteur droit réel, droit-prestation produit par le droit de puissance, il faut examiner le cas emblématique des servitudes administratives. Le terme est impropre dans la mesure où il vise une institution du droit des biens très spécifique par laquelle deux fonds sont objectivement reliés par une affectation permettant que l’un serve l’autre et s’imposant au propriétaire du fonds servant. Les servitudes administratives sont en revanche un droit-prestation produit par l’exercice de la puissance publique et leur objet est bien réel puisqu’il s’agit de souffrir l’utilisation concurrente d’un bien 191 Michel Rousset, L’idée de puissance publique en droit administratif, thèse, Grenoble, 1959, p. 314 308 dont on a la propriété exclusive contre sa volonté. Dans la nomenclature de Julien Laurent, de tels droits sont donc des droits réels en raison du fait que c’est une chose qui va rendre le service au bénéficiaire. Ce commandement porte atteinte au pouvoir de disposition en forçant l’exercice de celui-ci. Une loi est donc nécessaire pour le fonder en droit objectif, en arrêter le principe. Par exemple, en matière de travaux publics, la loi du 29 décembre 1892192 a établi un droit d’occupation temporaire193. Ce droit est soumis à l’autorisation préfectorale ce qui signifie non pas que l’État en a le monopole mais qu’il a souhaité en réglementer l’exercice. Autrement dit, si c’est l’État seul qui commande de céder en matière d’expropriation, c’est l’exécutant qui, après autorisation de l’État, commande de souffrir le passage ou l’occupation temporaire pour travaux publics. 341. L’État intervient généralement dans la reconnaissance de l’utilité publique qui fonde matériellement l’établissement d’une servitude particulière. Cela témoigne du monopole découlant de la souveraineté elle-même qu’a l’État pour définir formellement ce qui est d’intérêt général et d’utilité publique. Il en va ainsi des nombreuses servitudes établies par le code de l’énergie194 qui supposent une telle reconnaissance préalable. Par exemple, l’article L. 323-4 du même code dispose que c’est la déclaration d’utilité publique qui confère le droit au concessionnaire d’établir les servitudes mentionnées ensuite. Il faut interpréter cette condition comme un élément du fondement en droit objectif du droit subjectif de puissance publique qui permet l’établissement de cette servitude, la production d’un droit-prestation dans le patrimoine du concessionnaire et de l’obligation corrélative au passif du propriétaire. 342. On voit donc que l’exercice de la puissance publique est bien extérieur au commerce juridique mais que c’est en son sein que se produisent ses manifestations. L’indemnité prévue par l’article L. 323-7 traduit l’apparition corrélative à l’exercice du droit de puissance d’un droitprestation qui est cette fois au bénéfice de l’assujetti et constitue une charge pour le concessionnaire. Il faut souligner que l’indemnité n’est pas évaluée au prix qu’on pourrait donner à la prestation mais bien à raison des préjudices directs, matériels et certains résultant de l’occupation. Autrement dit, on peut distinguer deux modalités de contrepartie de l’exercice Loi du 29 décembre 1892 sur les dommages causés à la propriété privée par l’exécution des travaux publics, DP 1893. 4. 36. On en rapprochera la loi du 6 juillet 1943 relative à l’exécution des travaux géodésiques et cadastraux et à la conservation des signaux, bornages et repères (DA 1943. 106) dont l’article 1er dispose : « Nul ne peut s’opposer à l’exécution sur son terrain des travaux de triangulation, d’arpentage ou de nivellement entrepris pour le compte de l’État (…) sous réserve de l’application des dispositions du premier paragraphe de l’article 1er de la loi du 29 décembre 1892 (…) ». 193 Jugée conforme par le Conseil Constitutionnel, décision n° 2011-172 QPC du 23 septembre 2011. 194 Résultant de l’ordonnance n° 2011-504 du 9 mai 2011. 192 309 d’un droit de puissance. Dans le cas de l’expropriation, et il en va de même dans le cas de la préemption, il y a un échange forcé (ou perturbé) mais qui doit demeurer un échange équitable semblables à celui qui aurait pu résulter d’un accord de volonté. L’indemnisation correspond alors au prix de l’échange normal, du moins dans son principe. A l’inverse, dans le cas des servitudes administratives et, par exemple, de celles précitées, l’indemnité répond plus à un mécanisme de responsabilité puisque c’est le préjudice qui est évalué. Autrement dit, il n’y a pas de marché et donc pas de prix qui résulterait de négociations mais seulement un dommage causé par la puissance publique et réparé immédiatement. Cela nous permet de remarquer que l’exercice d’un droit de puissance et sa contrepartie sont deux choses distinctes. La contrepartie n’existe que si elle est elle-même prévue par le droit objectif, soit par la fixation d’un prix associé à la prestation ce qui est le plus conforme à l’échange économique, soit par la possibilité d’engager la responsabilité ce que l’indemnité fixée par rapport au préjudice permet donc de tenter d’éviter. B. L’expropriation pour cause d’utilité publique : une faculté inhérente à la qualité de personne publique 343. L’expropriation pour cause d’utilité publique est la figure emblématique de l’exercice du droit de puissance imposant unilatéralement un commandement de céder son bien. Elle doit être rappelée pour faire apparaître qu’elle est inhérente à la personnalité publique et seulement liée au service public quand elle est mise en œuvre par une personne publique. 344. L’expropriation est, tout d’abord, une prérogative régalienne. D’origine médiévale et probablement antique 195 , l’expropriation apparaît comme la relativisation nécessaire de la propriété dans le texte même de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen 196. Il s’agit aujourd’hui d’un droit subjectif de l’État fondé en droit objectif par le code résultant des décrets du 28 mars 1977197. Cependant, l’État organise l’exercice et le bénéfice de ce droit dont il est cependant le titulaire exclusif198. Cela signifie que si le droit objectif qui fonde le principe de Sur une présentation des études historiques de droit romain et sur l’émergence médiévale de l’expropriation moderne, cf. Charles-Stéphane Marchiani, Le monopole de l’État sur l’expropriation, LGDJ, 2008, spéc. n° 37 et s. 196 Art. 17. 197 Décrets n° 77-392 et 77-393. 198 Charles-Stéphane Marchiani, n° 4 p. 2 : « Autorité politique centrale, suprême et permanente, l’État impose sa volonté aux individus pour satisfaire l’intérêt public, c’est-à-dire assurer la pérennité de la communauté. Cela peut conduire l’État à contraindre un individu à céder sa propriété quand bien même la conservation de ce droit est, depuis la Déclaration du 26 août 1789, un des fondements de la communauté politique. Cette puissance de domination, dont un des attributs est le pouvoir d’exproprier, n’est pas autre chose que la souveraineté. Le monopole de l’État sur l’expropriation se présente donc comme une conséquence de l’exercice exclusif de la souveraineté ». 195 310 l’expropriation se décline subjectivement par un droit subjectif de l’État, d’autres normes en organisent l’exercice par intervention d’autres acteurs juridiques199. Au sein de l’État lui-même ce droit s’exerce selon des modalités complexes faisant intervenir les autorités exécutives ou administratives et juridictionnelles. Ce que l’État délègue à d’autres sujets de droit, c’est la prérogative d’initier une procédure, c’est-à-dire la seule possibilité de demander à l’État d’exercer ce droit d’exproprier au service d’une mission formellement distincte des siennes. Par ailleurs, le bénéficiaire ultime de la procédure peut ne pas être la personne expropriante mais un tiers, éventuellement une personne privée. Dans tous ces cas, c’est toujours le droit d’exproprier de l’État qui est exercé, seules ses modalités et ses finalités d’exercice changent. 345. Il faut alors souligner un point qui nous semble essentiel. Il nous semble qu’une différence de régime indiscutable sépare les personnes publiques des personnes privées. L’arrêt Levesque200 décide qu’une personne publique, en raison de cette qualité, est habilitée à acquérir par voie d’expropriation201. Cette règle est désormais reprise par le Code général de la propriété des personnes publiques à l’article L.1112-2202. En ce qui concerne les personnes privées, le principe donc, si l’on veut, le régime de la personnalité privée de droit commun, est l’inaptitude des personnes privées à acquérir par voie d’expropriation, même si elles peuvent en être bénéficiaires. Seul un texte spécifique leur donne en principe la possibilité de mettre en œuvre la procédure, conjointement avec l’État. Dans l’arrêt Ancelle 203 , le Conseil d’État a reconnu ce même droit d’être à l’initiative de l’expropriation aux personnes gestionnaires d’un service public. Il s’agit selon nous d’une autre règle qui ne remet pas en cause l’apport de l’arrêt Levesque et ne relativise donc en rien l’autonomie de la personnalité publique. Ainsi que le relèvent ses annotateurs, « suivant en cela son commissaire du gouvernement, le Conseil d’État juge donc implicitement que tous les organismes privés chargés d’un service public doivent se voir reconnaître le droit de déclencher une procédure d’expropriation » 204 . Cela signifie, selon nous, que la délégation par une personne publique d’une mission de service 199 René Hostiou, Jean-François Struillou, Expropriation et préemption, Litec, 2e éd., 2004, n° 31 p. 26 : « L’État dispose du monopole du droit régalien d’exproprier. En dépit des avancées intervenues en matière de décentralisation, les autorités de l’État contrôlent entièrement l’utilisation de cette procédure. Elles demeurent seules habilitées à initier le processus d’expropriation en décidant d’ouvrir l’enquête publique, à apprécier le caractère d’utilité publique qui s’attache à la réalisation de l’opération et à prendre la déclaration d’utilité publique ». 200 CE, 17 mars 1972, Ministre de la santé publique et de la sécurité́ sociale c/ Levesque, Rec. p. 230, RDP, 1972, P. 705 concl. A. Bernard ; D. 1972 J. 722, note. A. Homont ; DA, 1972, n° 138 ; AJDA, 1973, p. 329, note A. Heymann. 201 « Considérant que les établissement publics peuvent en leur qualité de personnes morales de droit public recourir à l'expropriation pour cause d'utilité publique ». 202 Si celui-ci ne vise que les personnes mentionnées à l’article L.1, il n’existe pas à notre connaissance de texte déniant expressément à une personne publique la possibilité d’acquérir par expropriation. 203 CE, 17 janv. 1973, Ancelle et autres, Rec. p. 138 ; AJDA, 1973, p. 141, chron. Cabanes et Léger. 204 Préc., p. 131. 311 public implique que puissent être vaincus les obstacles à son exécution. Les auteurs relèvent à juste titre qu’on aurait pu refuser le droit évoqué, obligeant la personne privée à solliciter de la part de son délégataire d’agir dans le sens voulu. Preuve que l’initiative d’une expropriation est bien dans son principe un élément de l’exercice d’une compétence. Le juge a préféré faire suivre l’application de la règle avec l’habilitation à participer à cet exercice, qui s’en trouve ainsi facilité. Cela, selon nous, n’enlève rien à la différence de régime d’abord. Une personne publique peut toujours acquérir par voie d’expropriation, c’est-à-dire être expropriante. Une personne privée ne le peut en principe absolument pas. Yves Gaudemet note ainsi que « si la qualité d’expropriant des personnes publiques est parmi les attributs ordinaires de la personnalité publique, celle des personnes privées apparaît moins normale, s’agissant d’une prérogative exorbitante de puissance publique ; aussi n’est-elle reconnue qu’à certaines personnes privées, en considération de l’intérêt général que présente leur activité et dans la mesure où des textes la leur confèrent »205. On vérifie l’affirmation en approfondissant la comparaison de l’arrêt Levesque et de l’arrêt Ancelle. Dans le premier, le commissaire du gouvernement avait proposé deux solutions, proposant de se fonder soit sur l’élément matériel, le service public, soit sur l’élément organique, la nature de personne publique 206 . Arlette Heymann en conclut que le Conseil d’État, « en s’attachant à un critère organique plutôt qu’à un critère finaliste, a probablement voulu marquer les limites du rôle de la notion de “mission de service public” »207 ce qui nous semble souligner le lieu d’opposition entre les deux décisions. L’auteur insiste : « C’est dans la nature de la personne qu’il vit le facteur déterminant. Ce n’est pas la mission de service qui commande l’attribution d’une prérogative de puissance publique. Celle-ci est un attribut de la personne » et le principe général du droit qu’elle évoque se range, d’après elle, dans ce que Jean Rivero considérait comme lié à « la nature des choses »208. Dans l’arrêt Ancelle, c’est bien l’élément service public qui justifie la décision du juge qui fonde un droit d’exproprier pour les personnes privées gestionnaires d’un service public. Or, ainsi que le notait Arlette Heymann sur la procédure par laquelle un établissement public pouvait demander à la collectivité dont il relevait d’exproprier pour son compte, il y a une curiosité juridique évidente puisque c’est le droit de celui pour le compte de qui on agit qu’on exerce en pareil cas. 205 Yves Gaudemet, Traité de droit administratif. Droit administratif des biens, tome 2, LGDJ, 13e éd., pp. 362-363. Antoine Bernard, art. préc. p. 709 : « Il nous paraît inutile d’insister. Si vous ne voulez pas aller jusqu’à affirmer que les établissements publics peuvent bénéficier de l’expropriation du seul fait qu’ils sont chargés par définition d’un service public, ce qu’il n’est pas nécessaire de dire aujourd’hui, vous vous bornerez à constater que ce droit est inhérent à leur qualité de personnes morales de droit public qui doit leur valoir de disposer, même sans texte exprès, de prérogatives de droit public telles que l’expropriation ». 207 Arlette Heymann, art. préc., p. 332. 208 Jean Rivero, « Le juge administratif français, un juge qui gouverne ? », D., 1951, chron. 21. 206 312 Cela confirme selon nous l’idée que la prérogative qui revient au gestionnaire du service public n’est pas la création ex nihilo d’un droit d’exproprier nouveau, mais la transmission de la faculté de la personne publique à son délégataire de service public. En conclusion, la personnalité publique permet de déduire la faculté d’avoir la qualité de personne expropriante dans le cadre d’une procédure d’expropriation tandis que la personnalité privée permet de déduire l’exacte inverse. Seul un texte ou la gestion d’un service public sont de nature à opérer l’apparition de cette règle dans sa condition juridique. La possibilité de mettre en œuvre une procédure d’expropriation, même si elle consiste à exercer le droit de puissance dont l’État est seul titulaire, est donc une faculté qui participe du statut de personne publique. C’est un des éléments du régime de ces propriétaires et une manifestation de leur autonomie au même titre que l’incessibilité à vil ou l’insaisissabilité de leurs biens. 346. Il n’existe pas de principe de neutralité patrimoniale de la puissance publique. Au contraire, non seulement ce principe cède lorsque l’utilité publique servie par un bien doit être accessible au besoin contre la volonté de celui qui en a la maîtrise mais il cède même lorsque la puissance publique cherche ainsi à organiser une utilité économique pour son propre profit. La théorie de la propriété publique fait ainsi apparaître un paradoxe né de l’exclusion de la puissance publique de sa définition. En effet, aucune prérogative de puissance publique ne lui est associée en complément de sa relation générale à l’intérêt public et des règles de l’insaisissabilité et de l’incessibilité à vil prix des biens publics. Pourtant, au principe de neutralité patrimoniale de la puissance privée qui la rend essentiellement parallèle au commerce juridique correspond un rapport de la puissance publique à ce commerce qui manifeste sa domination et sa perturbation. Nous pensons qu’il y a là un élément fondamental du rapport du droit public à la propriété, lequel est pourtant ignoré tant de la perspective organique que de la perspective fonctionnelle. 313 Conclusion du Chapitre 2 347. La puissance publique se situe dans un angle mort de la propriété publique, ne correspondant ni au droit spécifique des personnes publiques, ni au régime spécifique des biens affectés à l’utilité publique. Si la puissance existe en droit privé, elle ne met jamais en rapport deux propriétaires dont l’un serait supérieur à l’autre. Ce qui signifie qu’en droit privé, les propriétaires sont toujours dans un rapport d’égalité formelle, nonobstant d’éventuels privilèges. En droit public, la puissance s’adresse parfois directement à un sujet en tant que propriétaire. Mieux, elle met parfois en rapport deux propriétaires, dont l’un use de son pouvoir de commandement pour appuyer cette qualité, tandis que l’autre est constitué débiteur d’une prestation affectant son patrimoine. Autrement dit, le droit public fait participer la puissance de la condition juridique du propriétaire ce qui devrait conduire à l’inclure dans la théorie de la propriété publique. Or, entendue comme la propriété des personnes publiques, la théorie exige pour ce faire une double condition de généralité et de spécificité que ne remplissent jamais les droits de puissance publique. Quant à la spécificité, il y a ici manifestation d’un phénomène bien connu : le dépassement du critère organique. En effet, les droits de puissance étant des moyens au service de l’intérêt général, l’attribution des premiers suit la poursuite du second si bien qu’ils reviennent presque mécaniquement aux personnes privées dont l’activité d’intérêt général en exige le bénéfice. Tel est le cas de l’expropriation, de l’occupation temporaire et de servitudes administratives. Cependant, l’expropriation bénéficie à ces personnes en raison de la délégation d’une activité publique, alors qu’elle est inscrite dans le statut des personnes publiques indépendamment de toute considération liée à l’activité dont elles ont la charge. La qualité de personne publique propriétaire se caractérise donc par la possibilité de mettre la puissance sur les personnes au service de son patrimoine afin que celui-ci puisse servir les missions assumées par la personne publique. Ce n’est qu’en raison d’un exercice délégué de ces missions que ces prérogatives de puissance publique sont éventuellement attribuées à des personnes privées. Inhérentes à la qualité de personne publique, elles supposent alors une mission de service public. L’organique et le fonctionnel sont consubstantiels de la personnalité publique tandis qu’une fonction de service public autorise l’attribution de privilèges aux personnes privées. 314 Conclusion du Titre 2 348. nd En 1979, Jean-Bernard Auby écrivait : « le droit administratif a tout à perdre à laisser une notion comme celle de personne publique dans l'équivoque » 209 . En 2007, Jacques Petit constatait que « la spécificité et l’unité de la personnalité publique sont assez limitées ». Il relevait cependant que « les prérogatives ou sujétions de puissance publique véritablement propres aux personnes publiques sont autant d’éléments du régime de leur patrimoine » 210 . Si l’équivoque ne semble donc totalement levée, la personnalité publique semble trouver dans sa qualité de propriétaire une expression de son irréductible spécificité. Il en va ainsi en tout premier lieu du droit de propriété lui-même. Si celui-ci est toujours, formellement, un droit de jouir et de disposer des choses conformément au droit objectif, cela signifie conformément aux normes d’habilitations qui en fondent et en régissent l’exercice. Les personnes publiques sont habilitées par une compétence, marquant ainsi leur appartenance ab initio à la sphère étatique et à l’action publique. Il en résulte qu’alors que l’affectation de la propriété n’existe en droit privé qu’à titre exceptionnel dans le cadre d’un contrat de fiducie, par exemple, c’est l’aptitude à la propriété des personnes publiques qui est affectée au service de l’intérêt général. Cela permet d’expliquer pourquoi les biens des personnes publiques sont insaisissables et incessibles à vil prix. La première règle permet de protéger les personnes publiques contre l’exécution forcée de leurs créanciers dont la confiance repose d’ailleurs moins sur la possibilité d’une saisie que par l’état des finances publiques et de l’économie. La seconde règle interdit aux personnes publiques d’exercer leur droit de propriété dans un but parfaitement étranger à l’action publique. Admettre une libéralité de la part des personnes publiques, ou autoriser à ce que leurs biens soient vendus à un prix inférieur au prix du marché sans contrepartie, serait contraire au bon emploi des deniers publics et au principe d’égalité. Enfin, parce que les personnes publiques sont immédiatement destinées au service de l’intérêt général, leur patrimoine est le moyen de réalisation de leurs missions et mérite à ce titre de trouver un secours inconcevable dans les relations de pur droit privé : la puissance. Notamment, il faut ajouter aux deux règles précitées celle en vertu de laquelle une personne publique peut être expropriante sur le fondement de cette seule qualité. Être une personne publique propriétaire, c’est donc, fondamentalement, ne pas pouvoir servir un intérêt purement particulier, être à l’abri de la liquidation et mettre la puissance au service de son patrimoine. 209 210 Jean-Bernard Auby, La notion de personne publique en droit administratif, th. Bordeaux, 1979, p. 2. Jacques Petit, « Rapport de synthèse », in La personnalité publique, Litec, 2007, p. 256. 315 Conclusion de la première partie 349. Les personnes publiques ne sont propriétaires qu’en raison du droit objectif qui fonde cette qualité. En effet, si on peut décrire le droit positif du point de vue subjectif, celui-ci suppose que les objets qu’il décrit soient fondés et régis par le droit objectif. Cette combinaison purement technique de l’objectivisme et du subjectivisme juridiques permet de décrire la « vie juridique » des sujets de droit comme la concrétisation du droit objectif dont les degrés progressifs sont la personnalité, les droits subjectifs et les situations juridiques. Ces sujets de droit sont les foyers d’une puissance, mise en œuvre par une volonté, et exprimée juridiquement par des droits subjectifs. Si ces droits sont les véritables droits subjectifs, c’est parce qu’ils sont les attributs du sujet de droit et ne s’en détachent pas. La puissance des sujets s’exerce par ces droits subjectifs sur les objets extérieurs dont ils se servent pour atteindre leurs fins, puissance dont les objets peuvent être répartis suivant la summa divisio des choses et des personnes. La puissance sur les choses est la propriété. Les choses deviennent alors des biens et se répartissent entre les propriétés corporelles, les propriétés incorporelles, et les droits-prestation. À la puissance sur les personnes, on conservera et réservera le terme de puissance pour la distinguer de la propriété. Or, si cette puissance peut être construite pour se dissocier de la propriété et de la notion de bien, elle n’en demeure pas moins susceptible de profiter au propriétaire qui en est titulaire. Le modèle ainsi conçu rend compte de n’importe quel sujet de droit et de l’intégralité de l’activité juridique des sujets de droit. Il est constitué des deux qualités essentielles de propriétaire et d’autorité, cette dernière pouvant servir la qualité de propriétaire lorsque la force politique permet l’acquisition de facteurs économiques. Le commerce juridique est constitué de la rencontre de ces sujets de droit dont les rapports réciproques constituent les situations juridiques concrètes qu’est destiné à régir le droit objectif abstrait. Avec la puissance, la propriété et leur contrepartie qu’est la responsabilité, le monde du droit atteint la complétude exigée par sa volonté d’être une manière de décrire le monde et de régir le corps social. 350. La distinction du droit public et du droit privé est la traduction juridique de la séparation libérale de l’État et de la société civile, garantie de l’autonomie individuelle et des libertés publiques. En France, la séparation a été portée jusqu’à des extrémités peu communes. Ainsi, la distinction conduit à opposer deux ordres juridiques partiels au sein de l’ordre juridique étatique. L’identification organique de l’ordre juridique public comme étant l’ordre qui fonde et 316 régit l’action publique suppose une distinction des sujets de droit. La personnalité publique, autonome sur le fondement de la compétence, est aussi originale quant à son régime. Ce régime de la personnalité publique est déterminé par la compétence qui est la norme de droit objectif caractéristique du droit public. La compétence a pour effet d’inscrire une personne publique dans l’action publique. Cela interdit de lui accorder de véritables droits fondamentaux. Seul l’exercice de sa compétence justifie que des mécanismes protègent les droits des personnes publiques. L’exercice de cette compétence limite la protection des droits des personnes publiques. 351. La compétence a aussi pour effet d’affecter les droits subjectifs des personnes publiques, leurs droits de puissance et leurs droits de propriété. Le droit de propriété est un instrument qui permet à un sujet de droit d’établir sa maîtrise sur une chose et d’en disposer par des actes juridiques. Le droit de propriété, formellement, est le droit de jouir et de disposer des choses conformément au droit objectif. Matériellement il sera le droit de propriété que ce droit objectif donne à voir, lui donnant un contenu, une texture, une substance. Le droit de propriété des personnes publiques est le droit de jouir et de disposer des choses conformément à leur compétence. Cette dernière est leur habilitation à agir. La compétence est le droit objectif conformément auquel doit s’exercer le droit de propriété public. C’est pourquoi ce droit subjectif est affecté immédiatement et absolument à l’action publique. Il en subit les principes, c’est-à-dire les privilèges et les sujétions. Cette affectation fonde le privilège de pouvoir imposer aux tiers les règles d’usage de leur bien et de pouvoir s’opposer à l’exécution de leurs créances sur leurs biens, ce que manifeste le principe d’insaisissabilité des biens publics. Cette affectation fonde la sujétion de n’exercer ce pouvoir que conformément à l’intérêt. Cela leur interdit absolument d’exercer leur propriété pour servir un intérêt purement privé, ce que manifeste l’incessibilité à vil prix des biens publics. Ce qui caractérise les personnes publiques propriétaires n’est cependant pas limité au droit de propriété public. Les personnes publiques trouvent en effet dans leurs droits de puissance des instruments pouvant être utilisés en appui de leur qualité de propriétaire. Puissance et propriété sont les deux catégories de droit subjectifs. Elles sont les deux instruments de l’action publique mis en œuvre à partir des personnes publiques. C’est pourquoi l’action publique se développe avec l’exercice de leur compétence par les personnes publiques propriétaires. 317 Seconde partie L’exercice de leur compétence par les personnes publiques propriétaires 352. Léon Duguit définissait l’État comme « un groupe d'individus détenant une force qu'ils doivent employer à créer et gérer les services publics »1. L’essence de cette proposition réside, à notre sens, dans la perspective dynamique qu’elle adopte, paradoxalement si subjective, alors que Léon Duguit était un tenant de l’objectivisme radical. On peut donc la reformuler à l’aide des concepts du subjectivisme juridique développés précédemment. Il ne peut plus être question d’un groupe d’individus mais d’un ensemble de personnes juridiques, dont les principales sont les personnes publiques. La force que ces personnes emploient, ce sont les droits subjectifs de puissance et de propriété, qui permettent d’affecter les personnes et les choses à la mise en œuvre de ces services publics. On étendra le propos à toutes les activités administratives, y compris celles qui, sans être qualifiées de services publics, relèvent néanmoins de l’action publique. En cela, on rejoint la réconciliation de la puissance publique et du service public, tout en leur assignant à chacun une place qui n’est ni primordiale, ni exclusive2. 353. La puissance et la propriété sont les deux moyens de l’action publique, et ils s’utilisent sous la forme de droits subjectifs. Le service public est la forme essentielle des activités administratives, mais il ne les épuise pas. La compétence est la notion qui correspond au droit objectif qui fonde et régit ces activités, le fonctionnement de ces services. L’ensemble constitue l’ordre juridique partiel du droit public, qui est le droit de l’action publique. Cette dernière apparaît alors comme l’ensemble des activités administratives et constitue la dimension fonctionnelle de l’ordre juridique du droit public. Elle est le pendant de l’Étatappareil qui, constitué de l’ensemble des personnes publiques et privées intervenant dans l’action administrative, en est la dimension organique. La légitimité fonctionnelle que l’Étatappareil retire des finalités ainsi poursuivies est rejointe par l’unité organique des activités administratives qui sont toutes assumées par une personne publique, au moins. 354. On peut donc se représenter l’ordre juridique partiel du droit public comme l’ensemble des activités relevant de la compétence des personnes publiques et au service desquelles sont affectés des moyens de tous ordres. Or, si toutes les activités administratives ne sont pas 1 2 Léon Duguit, Les transformations du droit public, La Mémoire du Droit, rééd. 1999 (1913), « Introduction », p. XIX. René Chapus, « Le service public et la puissance publique », RDP, 1968, p. 235. 318 qualifiées de service public, il est utile de rechercher une notion pouvant les décrire toutes, service public ou non. Il faut que cette notion soit neutre au point de pouvoir correspondre aux activités exercées en régie ou par délégation, par des personnes publiques ou des personnes privées. Il faut également que cette notion puisse comprendre tous les moyens réunis pour servir l’activité en cause, qu’il s’agisse de biens meubles ou immeubles, corporels ou incorporels. Il faut enfin que cette notion puisse faire la synthèse d’actes et de situations juridiques n’appelant pas uniquement l’application du droit administratif mais également celle du droit privé, appelant parfois la compétence du juge judiciaire et non celle du seul juge administratif. Autrement dit, il faut une notion pouvant décrire l’exercice des compétences des personnes publiques par les activités dont ces compétences permettent la mise en place et régissent l’exercice. Cette notion fonctionnelle qui permet de décrire une activité par les moyens réunis et affectés à celle-ci existe en droit privé. Elle a permis aux commerçants de représenter leur activité lucrative sous la forme d’un bien qui pouvait être vendu, nanti, ou mis en locationgérance. Il s’agit de la notion de fonds, qu’il soit commercial, artisanal, agricole. Sa transposition au droit administratif permet de disposer d’un degré supplémentaire dans la concrétisation subjective du droit public objectif : la personne, ses droits subjectifs, les fonds administratifs qui représentent ses activités, et seulement ensuite les actifs qui y sont affectés, c’est-à-dire les biens et déduction faite des dettes se rapportant à l’activité. L’action publique est décrite juridiquement par les personnes publiques qui assument les activités, et l’ensemble des moyens qui y sont affectés. Ces activités pouvant être représentées sous la forme de fonds administratifs, universalités des actifs affectés à une activité administrative assumée par une personne publique, l’exercice des compétences correspond à la gestion des fonds administratifs des personnes publiques (Titre 1). La gestion de ces fonds administratifs rend compte de la logique organicofonctionnelle qui gouverne le développement de l’action publique, conférant ainsi sa cohérence à l’ordre juridique partiel du droit public. Celui-ci est parfaitement autonome, et ce en dépit des dualismes, à la fois juridique et juridictionnel. Il se distingue de l’ordre des activités privées, avec lesquels il entre en contact cependant, notamment lorsque l’activité de propriétaire devient activité économique (Titre 2). Titre 1er L’exercice des compétences des personnes publiques : la gestion de leurs fonds administratifs Titre 2nd Le développement de l’action publique par la gestion des fonds administratifs des personnes publiques 319 Titre 1 L’exercice des compétences des personnes publiques : la gestion de leurs fonds administratifs er 355. « En droit administratif, comme en droit civil, il existe une théorie générale des biens. Il s’agit ici des biens utilisés par l’administration dans l’exercice de ses différentes attributions et pour se donner les moyens de celui-ci. Pour l’exercice matériel de ses activités de police et de service public, l’administration utilise en effet des personnels (le droit de la fonction publique largement entendu), des flux financiers (les finances publiques) et des biens (le droit des biens) »1. Or, ces éléments ne connaissent aucune notion juridique fédératrice. En somme, le droit administratif est analytique. Il ne fait pas la synthèse juridique de ces éléments épars qui n’ont pourtant de sens qu’eu égard à cette même activité auxquels ils se rapportent et sont affectés, la fraction de la politique publique dont ils sont le moyen. La notion de fonds en droit privé peut se définir, indépendamment des différentes catégories existantes, comme « un ensemble complexe de biens et de dettes affectés à l’exercice d’une activité professionnelle »2. Il est l’universalité de ces biens et dettes, de ces actifs nets si l’on soustrait le passif à l’actif. En transposant cette notion aux activités administratives, le fonds administratif reçoit la définition suivante : l’universalité des actifs affectés à l’exercice d’une activité relevant de la compétence d’une personne publique, activité de service public ou non. La gestion d’un fonds administration, c’est donc la mise en œuvre d’une activité assumée par une personne publique, et c’est donc l’exercice de sa compétence. Cet exercice est direct si elle assure l’activité, indirect si cette activité est assurée par une tierce personne, publique ou privée. C’est donc l’exercice des compétences des personnes publiques que la notion de fonds administratif permet de représenter. Le fonds administratif est l’universalité des actifs affectés à une activité administrative (Chapitre 1). La notion démontre sa pertinence en réunissant effectivement l’ensemble des biens qui y sont affectés, qu’ils appartiennent au domaine public ou privé d’une personne publique ou soient la propriété d’une personne privée, recouvrant ainsi l’intégralité de la catégorie fonctionnelle des biens administratifs (Chapitre 2). Chapitre 1 Le fonds administratif : universalité des actifs affectés à une activité administrative Chapitre 2 Le fonds administratif : une réponse à l’extrême diversité des biens affectés à une activité administrative 1 2 Yves Gaudemet, Traité de droit administratif, t. 2, Droit administratif des biens, op. cit., n° 1 p. 1. Lise Chatain-Autajon, La notion de fonds en droit privé, Litec, 2006, n° 921 p. 531. 320 321 Chapitre 1 Le fonds administratif : universalité des actifs affectés à une activité administrative 356. « La propriété publique, écrit Yves Gaudemet, correspond à un constat organique : celui que le propriétaire d’un bien déterminé se trouve être une personne publique ; les personnes publiques en effet, comme les autres personnes morales, ont vocation à l’appropriation et peuvent y trouver un instrument légitime de réalisation de leur objet »3. La réalisation de leur objet, c’est l’exercice de leur compétence. Cette compétence est l’habilitation de la personne publique. Elle affecte à sa réalisation tous les droits subjectifs de puissance ou de propriété qu’exercera cette personne publique. Cependant, l’action publique n’est pas plus réductible à l’action des personnes publiques que le droit qui régit ces dernières ne se réduit au seul droit administratif. Le juge judiciaire peut connaître de la contestation entre deux personnes publiques relative à la propriété d’un bien relevant du domaine public. Le juge administratif peut connaître des litiges concernant des biens de personnes privées, comme les ouvrages publics dont elles sont parfois propriétaires. L’action publique se développe par l’action de personnes privées comme de personnes publiques, toutes soumises à la fois au droit administratif et au droit privé. L’action publique ne semble ne plus présenter aucune unité du point de vue juridique. L’unité peut être rétablie si l’on parvient à décrire l’action publique comme un ensemble d’activités administratives, de service public ou non, assumées par les personnes publiques. La notion de fonds administratif peut remplir cette fonction essentielle. La transposition de la notion de fonds aux activités administratives permet de décrire ces dernières à travers l’ensemble des biens qui y sont affectés et, surtout, les universalités qui résultent de cette mise en cohérence d’éléments épars faisant souvent intervenir différents acteurs, publics ou privés (Section 1). Les problématiques particulières de l’action publique n’étant pas celles qui ont guidé l’élaboration des fonds du droit privé, destinés à être vendus, nantis ou mis en location-gérance, les fonds administratifs doivent évidemment être adaptés aux activités administratives4 (Section 2). Section 1 La transposition de la notion de fonds aux activités administratives Section 2 L’adaptation des fonds administratifs aux activités administratives 3 Yves Gaudemet, « L'avenir du droit des propriétés publiques », in Mélanges François Terré, Dalloz-PUF, 1999, p. 572. Les chapitres du Titre IV du livre premier du code de commerce relatif au fonds de commerce sont en effet : la vente, le nantissement, la location-gérance, le bail commercial et les gérants-mandataires. 4 322 Section 1 La transposition de la notion de fonds aux activités administratives 357. René Chapus définit le service public comme étant « une activité assurée ou assumée par une personne publique en vue d’un intérêt public »5. Pour sa part, Joël Monéger considère que « le fonds de commerce, par sa plasticité reste apte, aujourd’hui comme hier, à embrasser [toute forme d’activité commerciale] » si bien qu’il s’agit pour lui d’un « concept pérenne en perpétuelle adaptation aux exigences de l’activité commerciale »6. La notion de fonds administratif peut, également, se montrer capable d’embrasser toute forme d’activité administrative, c’est-à-dire assumée par une personne publique et ainsi imputable à l’État-appareil. La plasticité étant le propre de la notion de fonds elle-même, les fonds administratifs peuvent être, également, un concept pérenne capable de s’adapter à toutes les exigences et les spécificités de l’activité administrative. Quant à la définition de la notion de fonds, nous avons l’avantage de nous situer dans l’ordre juridique partiel du droit public et d’être par conséquent libres de nos emprunts à l’instar du juge administratif vis-à-vis du droit privé7. A partir de l’observation empirique des fonds particuliers, Lise Chatain-Autajon est parvenue à proposer une notion unique de fonds, conçue de façon générique comme « la construction originale qui permet de grouper des objets hétérogènes au service d’une même activité »8. Le fonds administratif peut-être, de même, la construction permettant de regrouper tous les biens nécessaires à l’exercice d’une activité administrative. Cela suppose dans un premier temps de démontrer que l’activité est le principe fédérateur du fonds et que les différences entre les activités sont neutres quant à l’unité de la notion de fonds. Celle-ci peut donc représenter toute activité, y compris administrative, sous la forme d’une universalité comprenant tous les biens qui y sont affectés (§ 1). Ce qui distinguera les fonds administratifs des fonds du droit privé ne saurait être la nature de l’activité qui peut être parfaitement identique. C’est un critère organique qui sera retenu. Dire qu’une activité est assumée par une personne publique peut être traduit par le fait que le fonds appartient à la personne publique ou est géré sous son contrôle étroit. Les fonds administratifs sont les fonds dont l’activité qu’ils représentent relève de la compétence d’une personne publique qui assume l’activité et contrôle l’exploitation du fonds (§ 2). 5 René Chapus, Droit administratif général, Montchrestien, 14e éd., 2000, n° 748 p. 569. Une définition faisant également une place à l’élément organique est proposée par Didier Truchet, Droit administratif, PUF, 5e éd., 2013, p. 338 : « une mission créée, définie, organisée et contrôlée par les personnes publiques en vue de délivrer des prestations d’intérêt général à tous ceux qui en ont besoin ». 6 Joël Monéger, « Le fonds de commerce : mythes et réalités », AJDI, 2001, p. 1076 : « le fonds de commerce, par sa plasticité reste apte, aujourd’hui comme hier, à embrasser tout au aussi bien la traditionnelle boutique – avec ou sans franchise ou “commissionaffiliation” - , le commerce installé dans l’enceinte d’un centre commercial, le café, le restaurant, l’hôtel, ou les commerce cybernétiques ». 7 Benoît Plessix, L’utilisation du droit civil dans l’élaboration du droit administratif, éd. Panthéon-Assas, 2003. 8 Lise Chatain-Autajon, La notion de fonds en droit privé, Litec, 2006, n° 729 p. 430. 323 § 1 L’unité de la notion de fonds : universalité des biens affectés à l’exercice d’une activité quelconque 358. La loi d’orientation agricole du 5 janvier 2006 a créé le dernier né des fonds existant en droit français, le fonds agricole 9, à la suite du fonds de commerce 10, du fonds commun de placement11, du fonds artisanal12, du fonds libéral13 et du fonds de placement immobilier14. Si chacun de ces fonds connaît des variations de régime, la notion de fonds a cependant pu être dégagée à partir de leur observation. Par ailleurs, l’autonomie du droit public nous autorise une totale liberté dans l’utilisation des propositions faites dans le domaine du droit privé. La notion de fonds apparaît donc, pour nous, comme un concept formel à partir duquel forger la notion matérielle de fonds administratif. Un fonds permet de se représenter une activité à travers l’ensemble des moyens qui y sont affectés et, éventuellement, des charges qui en résultent. A l’image du patrimoine fiduciaire dont il se rapproche par l’idée de but, le fonds est « à la fois un système d’exploitation et son objet »15, ce qui signifie que le fonds permet de se représenter une activité par les moyens réunis et organisés pour en permettre l’exercice. La notion de fonds administratif est la représentation juridique d’une activité administrative comme les fonds du droit privé sont la représentation juridique d’une activité professionnelle. C’est donc l’activité et elle seule qui constitue le caractère distinctif de la catégorie juridique des fonds, laquelle peut correspondre à toute forme d’activité, y compris une activité administrative (A). Parce qu’ils sont des universalités et donc des biens, les fonds, qu’ils soient de droit privé ou de droit public se distinguent à la fois des personnes auxquelles ils appartiennent et des patrimoines qui sont les seules universalités de droit et dont les fonds sont un élément. Cette donnée permettra de rattacher les activités constitutives de l’action publique au champ patrimoniales donc, in fine, aux personnes publiques propriétaires dans le prolongement desquelles ces activités se situent, exprimant ainsi l’unité organico-fonctionnelle du droit public (B). A. Le critère de qualification des fonds : une activité, éventuellement administrative 9 Loi n° 2006-11 du 5 janvier 2006. Issu de la pratique, appréhendé d’abord par le droit fiscal, le fonds de commerce a été consacré explicitement pour la première fois avec la loi du 17 mars 1909. 11 Loi n° 79-594 du 13 juillet 1979 complétée par le Décret n° 79-835 du 27 sept. 1979. 12 Loi no 96-603 du 5 juillet 1996, dont l’article 22 qui autorise le nantissement suivant les modalités du fonds de commerce. 13 Reconnu avec l’arrêt Cass. 1ère civ., 7 nov. 2000, Bull. civ., I, n° 273, p. 183 ; JCP G, II, 10452 note F. Vialla ; Defrenois, 2001, juris., p. 431, note R. Libchaber. 14 Ordonnance n° 2005-1278 du 13 oct. 2005. 15 Céline Kuhn, Le patrimoine fiduciaire : contribution à l’étude de l’universalité, th. Paris 1, 2003, n° 82 p. 65. 10 324 359. La « première définition rudimentaire » du fonds que propose Lise Chatain-Autajon désigne le fonds comme « un mode d’organisation pour exercer une activité » 16 . La notion de fonds est la représentation juridique d’une activité par les moyens qui y sont affectés (1). Toute activité peut donner lieu à la constitution d’un fonds, y compris une activité administrative (2). 1) L’objet de la notion de fonds : la représentation juridique d’une activité par les moyens affectés 360. La notion de fonds est donc une donnée du droit positif, également ancrée dans l’histoire du droit et assez largement partagée du point de vue du droit comparé, démontrant la constante nécessité de disposer d’une notion réunissant l’ensemble des moyens affectés à une activité (a). Le fonds s’identifie donc à l’activité exercée et ne doit pas être confondu avec l’un des éléments du fonds ou le produit de son exploitation. C’est pourquoi la clientèle doit être écartée de la définition du fonds dont elle n’est pas l’élément fédérateur, mais simplement une preuve par métonymie (b). a) La notion de fonds : une réponse à la nécessité largement partagée de disposer d’un concept représentant une activité par les moyens affectés 361. Le fonds est une notion de droit romain conforme à l’économie agraire où l’exploitation de la terre est la première des richesses. Le fonds du droit romain ne se limite pas seulement à la terre mais s’étend également aux éléments qui permettent l’exploitation de celle-ci. C’est pourquoi le fundus cum instrumento est « une notion complexe : ensemble d’immeubles bâtis et non-bâtis, d’outils d’exploitation et de main d’œuvre affecté à une exploitation agricole »17. Il correspond à « un domaine ou plus précisément une exploitation » 18 autrement dit une activité agroalimentaire représentée juridiquement par une terre et l’ensemble des moyens immobiliers, mobiliers et humains (les esclaves appartenant au fonds comme le serf à la glèbe) qui y sont affectés. Pour Frédéric Zenati-Castaing et Thierry Revet, « le fonds est donc la première représentation du capital » correspondant au « moyen de conceptualiser l’exploitation, cet ensemble de moyens fédérés autour d’un projet économique » 19 . Si l’on songe au service de l’annone qui avait pour objet d’assurer l’alimentation en blé de la ville de Rome depuis la Sicile et l’Égypte notamment, on comprend 16 Lise Chatain-Autajon, La notion de fonds en droit privé, Litec, 2006, n° 24 p. 12. Ibid., n° 2 p. 1. 18 Ibid., n° 53 p. 33. 19 Frédéric Zenati-Castaing et Thierry Revet, Les biens, op. cit., n° 54 p. 100. 17 325 assez bien ce que peut donner la représentation de ce service public essentiel sous forme de fonds administratif. Il suffit d’ajouter aux fonds agricoles de ces « greniers à blé » les infrastructures, les navires et les lieux de distribution, peut-être également les créances à terme, les effets de commerce que les Romains avaient progressivement développé. Il s’agit là évidemment d’une approximation, mais qui permet un premier parallèle entre les fonds envisagés sous un angle de droit privé et sous un angle de droit public 20. Il faut noter, par ailleurs, que les fundi appartenant à l’empereur ou à l’État peuvent être considérés comme des fonds administratifs en raison de la qualité de leur titulaire et/ou du service public de l’annone auquel ils sont affectés. Il faut conclure l’évocation du droit romain par l’existence d’un même mécanisme juridique appliqué à d’autres activités que l’exploitation agricole de la terre. En effet, les romains connaissaient la taberna instructa qui leur permettait d’envisager « la complexité du capital réuni par le marchand pour exercer son activité, ensemble unissant la boutique, les marchandises achetées et vendues, le matériel nécessaire à la vente et les esclaves affectés au commerce »21. Gilles Guglielmi et Geneviève Koubi soulignent que, par l’importance extrême qu’avait fini par prendre l’annone, les boulangeries à Rome étaient devenues propriété de l’État et que le boulanger était fonctionnarisé par les autorités avec obligation pour ses enfants de prendre sa suite22. Si Lise Chatain-Autajon voit dans la taberna instructa une version commerciale du fondus instructus, on conclura également que les biens de toute nature, immeubles, meubles et incorporels, et les personnels employés constituent les moyens matériels à la base de toute représentation d’une activité par la notion de fonds. Il suffit, par exemple, d’installer des fonctionnaires dans un immeuble de bureau équipé du matériel de bureautique comprenant les meubles corporels que sont les ordinateurs et fournitures, les propriétés incorporelles que sont les logiciels élaborés ou acquis par l’administration, par exemple, et les droits-prestation que constituent les contrats relatifs à la fourniture d’eau, de gaz, d’électricité. Tel est le fonds administratif relatif à une activité de simple administration. Il y a une invariance dans la structure de toute activité entreprise par un groupe d’individus qui est à la base même de l’idée de représenter ces activités par une seule et même notion : le fonds, qui trouve son origine dans le fundus romain. 362. Lise Chatain-Autajon démontre également qu’une notion se rapprochant du fonds qu’elle propose ou des fonds particuliers du droit français ne constitue pas une exception Évoquant également cet exemple de « service public » de l’empire romain, Gilles J. Guglielmi, Geneviève Koubi, Droit du service public, Montchrestien, 3e éd., 2011, n° 26 p. 28. 21 Lise Chatain-Autajon, La notion de fonds en droit privé, op. cit., n° 73 p. 43. 22 Op. cit., idem. 20 326 française. Si l’auteur distingue les droits qui reconnaissent ou ne reconnaissent pas l’existence d’un contenant séparé, « l’idée essentielle qui consiste à fédérer en un contenant organisé des éléments d’exploitation et de les affecter à une activité »23 se retrouve dans les droits italien, espagnol, allemand et belge. Par ailleurs, « nonobstant les disparités législatives qui viennent d’être soulignées, la nécessité de grouper en un ensemble cohérent les biens utiles à l’exploitation d’une activité est une constante du monde économique ». Or, ce n’est certainement pas cette nécessité qui distingue le monde économique du monde de l’action publique, d’autant plus que les activités économiques peuvent être en outre des activités de la sphère publique. Le cas du droit italien est particulièrement propre à faire comprendre la notion de fonds de la manière la plus exhaustive et dont on pourra utilement proposer la transposition au droit public. En droit italien, l’azienda comprend, selon la Cour de cassation italienne, « l’ensemble des biens meubles et immeubles, matériels et immatériels, des rapports juridiques actifs et passifs et de toute l’organisation destinées à l’accomplissement d’une activité économique » 24 . Là encore, c’est le seul terme d’économique qui doit être modifié pour transposer la même logique aux activités administratives. On peut donc étendre l’idée que la nécessité d’un concept de regroupement des biens au service d’une activité est une constante dans tous les domaines où cette activité complexe suppose des biens hétérogènes. L’objet du fonds donc de représenter juridiquement une activité par les moyens qui y sont affectés. Si l’activité est l’élément fédérateur de la notion de fonds, elle est de manière absolument suffisante à l’exclusion de tout élément qui fait partie du fonds et ne saurait donc le définir, ce qui est notamment le cas de la clientèle des fonds professionnels. b) L’exclusion de la clientèle comme condition de l’existence d’un fonds autre que professionnel 363. Si la clientèle est fondamentale en droit privé, son importance est souvent relativisée et critiquée par la doctrine25 au point que Paul Le Floch exprimait l’opinion générale en écrivant : « que l’on hésite à admettre l’identification du fonds de commerce à la clientèle se conçoit sans difficulté »26. Sans doute la clientèle est-elle indispensable à l’existence d’un fonds mais elle est essentiellement un 23 Lise Chatain-Autajon, ibid., n° 12 p. 7. Chambre sociale de la Cour de cassation italienne, 12 juillet 1961, n° 1672, Mass. Foro it., 1961, col. 430 cité par A. Lévi, Lamy droit commercial, 2005, n° 19 p. 12. 25 Lise Chatain-Autajon, ibid., pp. 290-301 ; Lamy Droit commercial, 2014, n° 2, « Difficulté de la définition juridique fonds » : « La clientèle est certes citée par la loi du 17 mars 1909, mais celle-ci ne mentionne pas son caractère indispensable. La nécessité et la fonction de la clientèle sont précisément les difficultés les plus controversées de la matière, mais nul ne nie son importance. Elle concrétise la part de marché que l'exploitation doit conquérir pour remplir sa fonction économique naturelle, qui est de dégager un profit ». 26 Paul Le Floch, Le fonds de commerce. Essai sur le caractère artificiel de la notion et ses limites actuelles, LGDJ, 1986, n° 113 p. 107. 24 327 moyen d’évaluation du fonds, une unité de calcul faisant office de « baromètre du fonds » 27 . Frédéric Zenati-Castaing considère ainsi que la clientèle est le produit du fonds, une utilité de ce bien et que la clientèle n’existe pas tant en elle-même qu’en raison de l’exploitation du fonds : « la clientèle, ce n’est pas les clients, mais le pouvoir attractif exercé sur les clients »28. Ce pouvoir d’attraction des clients naît de l’organisation par le commerçant des éléments qui constituent ce fonds, qu’il s’agisse des moyens matériels ou de son savoir faire. La clientèle naît de l’exploitation du fonds parce qu’il est apte à la susciter et à en retirer le profit qui est, lorsque le fonds est professionnel, sa raison d’être. Lise Chatain-Autajon s’inscrit dans cette ligne en considérant que la clientèle est un concept dépassé : « l’activité, et non la clientèle, caractérise l’existence du fonds »29. Au mieux peut-on considérer que la clientèle prouve l’existence d’un fonds professionnel. C’est pour avoir cette certitude que législateur exige une clientèle propre à l’existence d’un fonds au profit de l’occupant du domaine public30. L’analyse a toute sa pertinence en droit administratif où les usagers d’un service public, quand ils existent, ne sont pas l’élément essentiel pour formaliser juridiquement l’activité même s’ils en sont évidemment les destinataires. En droit privé comme en droit public il est donc préférable de considérer que c’est l’activité qui est l’élément fédérateur du fonds : « le commencement de l’exploitation marque la naissance du fonds et son arrêt entraîne la mort du fonds » 31 . Positivement, le fonds se caractérise donc par son objet : l’activité, laquelle « justifie l’appartenance ou l’exclusion d’un bien du périmètre du fonds » et « constitue également le ciment transformant les éléments d’exploitation disparates en un nouveau bien : le fonds ». De ce fait, « chaque bien trouve sa place dans le fonds en fonction de l’intérêt qu’il présente pour l’exploitation et cet intérêt est souvent lié à la combinaison des biens au sein du fonds » 32. L’activité est bien l’unique objet du fonds si bien que « l’activité exercée par son exploitant, est plus importante que la personne-même de l’exploitant » et que « le fonds ne disparaît que s’il cesse d’être exploité, quelle que soit la personne de son exploitant »33. Autrement dit, avec l’activité naît le fonds et le fonds disparaît si l’activité cesse. L’activité est donc le critère par lequel on peut qualifier un fonds, quelle que soit la nature de cette activité. 2) La neutralité de la nature de l’activité sur la possibilité d’élaboration d’un fonds 27 Pierre Collomb, « La clientèle du fonds de commerce », RTD Com., 1979, n° 34 p. 33. Frédéric Zenati, RTD Civ., 1994, p. 639. 29 Lise Chatain-Autajon., op. cit., n° 505 p. 301. 30 Loi n° 2014-626 du 18 juin 2014 relative à l’artisanat, au commerce et aux très petites entreprises, JO 19 juin 2014, p. 1015 ; AJDA, 2014, p. 1641, comm. C. Chamard-Heim et Ph. Yolka ; JCP A, n° 36, pp. 25-30, comm. Ph. Hansen ; CMP, 2014, pp. 23-25, comm. G. Clamour. Cette évolution a répondu aux attentes qu’exprimaient certains praticiens, cf. sur ce point l’encadré de l’article des professeurs Chamard-Heim et Yolka. 31 Lise Chatain-Autajon, op. cit., n° 518 p. 307. 32 Ibid., n° 262 p. 152. 33 Idem. 28 328 364. L’activité économique et l’activité administrative sont une réalité sociale avant d’être appréhendée par le droit, ce qu’elles sont généralement de façon indirecte. L’entreprise renvoie en droit commercial à l’idée d’une « unité économique qui implique la mise en œuvre de moyens humains et matériels de production ou de distribution des richesses reposant sur une organisation préétablie » et en droit du travail à celle d’un « ensemble organisé de personnes et d'éléments corporels et incorporels permettant l'exercice d'une activité économique qui poursuit un objectif propre » étant entendu que « plusieurs sociétés juridiquement distinctes peuvent, au regard du droit du travail, constituer une seule entreprise » 34 . Une administration n’atteint pas ce stade de conceptualisation, du moins pas en tant qu’unité de l’action publique. Didier Truchet écrit ainsi que l’Administration ne connaît aucune définition et que le mot désigne, avant toute notion juridique, « une réalité politique, sociologique, pratique, voire “bureaucratique” »35. Cela n’est donc pas sans se rapprocher singulièrement des difficultés que rencontre le droit privé à définir l’entreprise. Elle aussi est à la fois « matériellement ou fonctionnellement une activité et organiquement ou formellement l’institution qui exerce cette activité », là encore selon les mots de Didier Truchet. Or, la notion de fonds apparaît de nature à rendre compte par une notion juridique, appartenant à la catégorie des universalités de fait, des activités sous la forme d’un ensemble complexe et organisé de moyens affectés au service d’une activité, que cette activité soit celle d’une « entreprise » ou d’une « administration ». 365. Lise Chatain-Autajon admet dans un premier temps que, « dans une approche extensive, toute activité, qu’elle soit spéculative ou non, réalisée à titre privé ou professionnel, peut donner naissance à un fonds »36. Elle s’inquiète cependant du réalisme d’une telle approche au terme de laquelle « si chaque activité humaine accouche d’un fonds, le patrimoine de l’individu apparaît comme un véritable patchwork où chaque bien est susceptible en fonction du jour, de l’heure et du lieu, de faire partie d’une variété infinie de fonds »37. L’argument ne nous semble cependant pas définitif. Sans doute serait-il problématique de multiplier à l’infini les fonds en fonction de l’ensemble des activités mises en œuvre par une personne. Pour autant, qu’il faille réserver la constitution d’un fonds aux activités d’une certaine importance ou d’une certaine durée ne doit pas inquiéter outre mesure dans la mesure où l’intérêt de formaliser une activité par l’ensemble des moyens qu’on y affecte dépendra largement de ces caractères. 34 Serge Guinchard, Thierry Debard (dir.), Lexique des termes juridiques, Dalloz, 22e éd, 2014-2015, v° Entreprise. Didier Truchet, Droit administratif, PUF, 5e éd., 2013, p. 87. 36 Lise Chatain-Autajon, op. cit., n° 522 p. 309. 37 Idem. 35 329 Si chaque activité peut donner lieu à la formalisation du fonds qui peut la représenter, la pertinence de cette opération juridique sera beaucoup moins générale. En revanche, dire qu’une personne publique n’est rien d’autre qu’un patchworck de fonds administratifs, ce n’est pas dire autre chose que Léon Duguit définissant l’État comme « une coopération de services publics organisés et contrôlés par des gouvernants » 38 . L’ensemble des activités qu’assument les personnes publiques constitue sans doute l’essentiel sinon l’entièreté de l’action publique prise à son point de départ. Les fonds administratifs sont donc un moyen d’envisager l’action publique sous l’angle fonctionnel des activités qui s’y rapportent sans remettre en cause ni la spécificité des personnes publiques ni l’unité organique qui en suppose l’intervention, le contrôle. Disposer d’une notion qui puisse représenter ces activités présente donc un intérêt de ce point de vue. 366. Lise Chatain-Autajon s’intéresse pour sa part à l’application de la notion de fonds aux activités associatives, coopératives ou mutualistes. Elle considère cependant que « le fonds est un objet de la sphère marchande, un outil économique conçu pour réaliser un profit, et ce depuis son origine »39. Elle refuse donc d’admettre l’application de la notion de fonds à ces activités. Or, si les coopératives de consommation achètent « en gros des marchandises et les revendent au détail à leurs adhérents au prix de revient plus les charges d’exploitation »40, on ne voit guère que le prix et le profit pour les distinguer des entreprises capitalistes de la grande distribution. Il y a les mêmes moyens affectés à la même activité, seule la finalité altruiste ou de profit diffère entre le fonds de distribution coopératif et le fonds de distribution commercial. On soulignera d’ailleurs que l’activité destinée à faire des économies est tout autant une activité économique que l’activité spéculative41. 367. Lorsque Lise Chatain-Autajon cherche à distinguer le fonds de la fondation, elle semble faire état du même tropisme par lequel le fonds devrait seulement représenter une activité à but lucratif. La fondation a pu être définie comme une « action d’établir un fonds pour les besoins d’une œuvre que l’on crée » 42 , ce qui invite à nuancer l’opposition entre notion de fonds et celle de fondation. Lise Chatain-Autajon conclut elle-même que le fonds et la fondation ont en commun de regrouper des biens au service d’une activité, l’universalité de biens affectés à une activité étant la définition du fonds. C’est uniquement, écrit-elle, « le but fixé par le fondateur du 38 Léon Duguit, Traité de droit constitutionnel, 3e éd., 1928, t. II, p. 59. Lise Chatain-Autajon, op. cit., n° 522-523 pp. 309-310. 40 Idem. 41 L’alinéa 1er de l’article 1832 du Code civil dispose en effet que « la société est instituée par deux ou plusieurs personnes qui conviennent par un contrat d'affecter à une entreprise commune des biens ou leur industrie en vue de partager le bénéfice ou de profiter de l'économie qui pourra en résulter ». 42 Larousse de l’année 1865, cité par Françoise Roques, « La fondation d’utilité publique au croisement du public et du privé », RDP, 1990, p. 1755. 39 330 fonds ou de la fondation qui offre à ces groupements de biens une autonome originale »43. Cette autonomie pourrait être le motif pour distinguer deux types de fonds, le fonds à but lucratif et le fonds à but non lucratif. Les deux catégories de fonds correspondraient ainsi aux deux catégories de personnes habituellement retenues pour présenter les personnes morales de droit privé. L’auteur ne retient pas cette option et considère que la nécessité d’un acte irrévocable d’affectation, la nature caritative de l’œuvre et l’intégration de ressources au patrimoine de la fondation, interdisent d’aborder cette dernière comme exploitant un fonds à l’image d’un commerçant ou d’une société. Or, il n’y a là que les modalités particulières d’un fonds « fondatif » qui diffère effectivement des fonds professionnels n’ayant pas vocation à la perpétuité (ce qui dépendra cependant essentiellement de la permanence des profits générés par l’activité), dont le but est de réaliser des profits. 368. La véritable raison pour laquelle Lise Chatain-Autajon fait une distinction entre la fondation et les fonds, c’est qu’elle soutient que les fonds ont forcément un objet économique. Mais si un fonds peut permettre le business, il faut peut-être garder à l’esprit que les anglo-saxons parlent des fondations comme du non profit business. Les moyens ne diffèrent pas tant que le but, profitable ou non. Si l’auteur oppose les fonds qui ont un but professionnel à la fondation qui a un but désintéressé44, il faut souligner qu’une fondation peut avoir une activité professionnelle, mais exercée dans un but d’intérêt général lui ayant valu la reconnaissance d’utilité publique. Il est donc discutable d’affirmer que « l’œuvre d’intérêt public poursuivie par la fondation dans un but non lucratif ne peut se confondre avec l’objet qui est au cœur des fonds » professionnels. Aussi, si « il existe donc ici une différence irréductible entre les fonds et la fondation : le but de l’affectation des biens qui les fonde est d’une essence radicalement différente » 45 , il convient de ne pas surestimer la portée de cette « essence ». Si un fonds est l’ensemble des moyens affectés à une activité, alors la fondation exploite un fonds, un ensemble de moyens affectés à une activité, non lucrative certes, mais c’est une donnée seconde par rapport à l’existence d’une activité, seul critère de l’existence possible d’un fonds. Un fonds peut correspondre à une activité à but lucratif ou non lucratif, ce que René Chapus a pu décrire en droit public comme le plus grand profit ou le plus grand service46. Un fonds peut correspondre à tout type d’activité y compris une activité de service public, que le service soit à caractère administratif ou industriel et commercial, et que l’exploitation du fonds donne lieu ou non à des activités économiques. Le fonds, qu’il soit privé ou public, fédère un 43 Lise Chatain-Autajon, op. cit., n° 421 p. 248. Ibid., n° 444 p. 263. 45 Idem, p. 264. 46 René Chapus, Droit administratif général, Montchrestien, 15e éd., 2001. 44 331 élément autour d’une activité. Il n’est que cela et l’existence d’une activité réalisée par des moyens organisés en ce but suffit à permettre d’en concevoir un, si un intérêt à cela existe évidemment. Lorsqu’une personne publique met en œuvre une activité quelconque, elle y affecte des moyens financier, matériels et humains, et ces moyens constituent un fonds administratif. Ce fonds partagera la même « nature » au sens de catégorie juridique fondamentale dont ils relèvent, que tous les autres fonds quelle que soit l’activité qu’ils représentent ou la personne qui les exploite : une universalité de fait. B. La nature commune des fonds professionnels et administratifs : universalité sui generis, distincte des personnes et des patrimoines 369. La notion de fonds, comprenant à la fois des biens et des dettes, est une universalité de fait, bien qu’elle soit évidemment plus complexe qu’un fonds bibliothécaire composé de livres. Elle se distingue de l’universalité de droit que constitue le patrimoine. Le fonds est un bien, meuble, incorporel 47 . Dans notre perspective, le fonds administratif sera a minima une universalité de fait, mais pourrait rejoindre la proposition qui est faite et comprendre des dettes sans pour autant devenir une universalité de droit. Il se distinguera donc, quel que soit le choix qui sera retenu à l’avenir quant à son contenu, à la fois des personnes et des patrimoines. En effet, si le fonds est un bien, alors il est une chose, et à ce titre, il ne saurait être confondu avec une personne. Il est dans le patrimoine d’une personne, mais on ne peut réduire une société au fonds de commerce qu’elle gère et exploite, pas plus qu’on ne peut confondre un établissement public avec le service public dont il a la charge (1). Parce qu’il est situé dans un patrimoine, le fonds n’est pas un patrimoine, raison pour laquelle on lui conteste la qualité d’universalité de droit. Le fonds est une fraction de patrimoine. S’il réunit des biens divers affectés à une activité, c’est toujours la personne qui est propriétaire de ces biens. Le fonds est dans le patrimoine de la personne et il n’est donc pas un patrimoine d’affectation qui est encore une universalité de droit dans laquelle l’actif et le passif correspondent (2). Lise Chatain-Autajon, op. cit., pp. 455-468. L’auteur y voit une universalité sui generis, n° 784 p. 455 : « Le fonds apparaît donc sous les traits d’une universalité particulière. Plus large qu’une universalité de fait, le fonds comprend les dettes et les contrats affectés à l’activité. Moins ambitieux que l’universalité de droit, le dons n’est pas un patrimoine d’affectation dont l’actif répondrait seul des passifs affectés ». Nous préférons nous en termes aux distinctions binaires. La catégorie limitative est l’universalité de droit dans laquelle l’actif répond du passif de l’universalité. Dans le cas d’une universalité de droit, si passif il y a, il ne repose pas sur l’actif de l’universalité, mais du patrimoine dans lequel elle se trouve. Dans le fonds, la personne assume les dettes de l’activité et en répond sur l’actif de son patrimoine, et non de seuls actifs du fonds. D’où l’intérêt de concevoir le fonds comme un ensemble d’actifs, actifs nets s’entend. 47 332 1) La distinction entre les fonds et les personnes, publiques ou privées, assumant l’activité en cause 370. Si une activité nécessite un ensemble de biens et d’agents affectés à sa réalisation, elle doit également avoir, en droit, un sujet de droit qui soit propriétaire de ces biens et à qui imputer les agissements de ces agents qui ne sont que des organes ou des préposés. La notion de fonds suppose donc un exploitant et celui-ci sera nécessairement une personne juridique, physique ou morale. Le second cas nous intéressera est seul pertinent pour la comparaison entre les fonds professionnels et les fonds administratifs. Il faut revenir un instant sur les développements que nous avons consacré à la personnalité morale et évoquer notamment les travaux de Jean Paillusseau et Nicolas Mathey 48. Le premier comme le second permettent de distinguer nettement l’intérêt poursuivi par l’activité, l’organisation la satisfaction de cet intérêt, et l’activité mise en œuvre concrètement. Jean Paillusseau considère en effet que la personnalité morale est une technique d’organisation d’une entreprise49, concurrente du patrimoine d’affectation, ce qu’il a prolongé avec l’idée d’une fonction organisationnelle du droit et en particulier du droit des activités économiques50. Nicolas Mathey, pour sa part, distingue bien l’opposabilité de l’intérêt qu’est destinée à servir la personne morale, et l’organisation de la personne morale qui va permettre le service de cet intérêt51. Ces raisonnements sont transposables à toutes les activités administratives : dès lors qu’a été défini un intérêt public, par exemple l’intérêt des habitants de disposer de moyens de transport collectif, la constitution d’une personne publique rend l’intérêt qu’elle défend opposable tandis qu’une organisation est mise en place pour le satisfaire. Ce n’est qu’alors que des moyens sont réunis et organisés pour être affectés à l’activité qui concrétisera cette aspiration. Le fonds administratif n’apparaît qu’à ce moment, lorsque l’intérêt et l’organisation se mettent en mouvement et, imprimant la force du sujet de droit sur les objets nécessaires, produisent une activité. Jean-Bernard Auby avait également considéré que la personnalité publique est une technique d’organisation de l’action administrative : « la personnalité morale est, par excellence, une méthode grâce à laquelle un faisceau de moyens juridiques est affecté à un objet donné » et les personnes 48 Cf. supra. Jean Paillusseau, La société anonyme, technique d’organisation de l’entreprise, Sirey, 1967. 50 Jean Paillusseau, « Le droit des activités économiques à l'aube du XXI e siècle », D., 2003, p. 260. 51 Nicolas Mathey, Recherche sur la personnalité morale en droit privé, th. Paris II, 2 vol., 2001, n° 634 p. 291 : « L’idée de variabilité de la personne morale en fonction de la forme ou en fonction des règles internes d’organisation doit être rejetée. La personnalité morale n’est pas réductible à son organisation. Elle tend à rendre celle-ci opposable aux tiers mais est dans une large mesure indifférente aux contenus réels des règles d’organisation. La loi de la majorité, le pouvoir disciplinaire, la démocratie interne : aucune de ces idées n’est de l’essence de la personnalité morale ». 49 333 publiques, « relèvent d'une branche du droit toute imprégnée des fins à poursuivre, des œuvres à réaliser » 52. L’activité mise en œuvre par la personne ne se confond pas pour autant avec elle, et il doit en aller de même du fonds administratif comme du fonds professionnel. 371. Si le fonds représente l’activité sous la forme d’une universalité de moyens, la personne morale représente uniquement l’un des acteurs juridiques de mise en œuvre de cette activité. D’ailleurs, Jean Paillusseau souligne la complexité des activités économiques dont le droit est d’abord un droit d’organisation. Le raisonnement vaut également pour les activités administratives. Notamment, tant une entreprise qu’une administration peut impliquer l’intervention de plusieurs personnes 53. C’est ainsi qu’apparaît la nécessité de bien distinguer l’activité représentée par une personne qui a pris en charge l’intérêt qu’elle représente et s’est organisée en conséquence, et l’activité représentée par les moyens affectés à sa réalisation. Lise Chatain-Autajon démontre également la distinction entre le fonds et la personne qui exploite le fonds. Elle souligne que la notion d’entreprise renvoie à une charge idéologique que ne connaît pas le fonds, plus neutre54, et que l’entreprise peine à être juridiquement reconnue 55 et n’accède en tout cas certainement pas à la qualité de sujet de droit 56. La personne et le fonds doivent donc être distingués et la personnalité morale est simplement un certain moyen d’exploiter les fonds : « la structure sociétaire permet d’organiser les rapports entre les associés et de réglementer leurs pouvoirs de gestion » pour l’exploitation du fonds57. Cette dimension est intéressante pour le droit public où l’activité est essentielle et appelle des modalités d’organisation pouvant procéder par déconcentration ou décentralisation. Cela autorise donc à distinguer l’activité représentée par le fonds et la technique d’exploitation de ce fonds qui consiste soit individualiser un service au sein de la personne morale qui assume l’activité, soit à créer une personne publique à cet effet, soit à déléguer l’activité à une tierce personne. Un fonds administratif pourra donc être exercé en régie simple par la personne publique qui l’a créé, par un établissement public qu’elle aura créé et à qui elle aura confié la 52 Jean-Bernard Auby, La notion de personne publique en droit administratif, th. Bordeaux, 1979, p. 237. Jean Paillusseau, « Le droit des activités économiques à l'aube du XXIe siècle », préc., n° 80. 54 Pour Lise Chatain-Autajon, « l’entreprise est pour beaucoup une construction idéologique tendant à défendre notre économique libérale. Les fonds apparaissent quant à eux comme le pendant juridique « neutre » de l’entreprise », ibid., n° 326 p. 190 ; le fonds est le noyau de l’entreprise qui est en somme une technique d’exploitation d’un fonds par constitution d’une personne juridique. 55 Cf. supra les recherches de Jean Paillusseau voyant l’entreprise une technique d’organisation d’une activité économique. L’entreprise est au sens de la directive 98/50/CE du 29 juin 1998 toute « entité économique maintenant son identité, entendue comme un ensemble organisé de moyens en vue de la poursuite d’une activité économique ». 56 Isabelle Beyneix, Sylvie Hebert, « La prise en compte de l’entreprenariat par le droit », RTD Com., 2012, p. 671 ; J.-P. Bertrel, M. Bertrel, F. Bien, Th. Bonneau, Ch. Collard, J. Delga, M. Dupuis, D. Fasquelle, N. Ferry-Maccario, M.-P. Fenoll-Trousseau, G. Guéry, A. Medina, Ch. Roquilly, J.-L. Vallens, R. Walter, Droit de l'entreprise, Lamy, 2012-2013, spéc. n° 102, p. 48, « Seule la société immatriculée se voit reconnaître la personnalité morale » ; G. Chabot, « De l'évolution du droit de l'entreprise individuelle », JCP E 2002. I. 1202. 57 Lise Chatain-Autajon, La notion de fonds en droit privé, n° 410 p. 242. 53 334 responsabilité du fonds, ou par toute autre modalité que l’on connaît sous le nom des modes de gestion externalisée d’une activité de service public. Le fonds se distingue de la personne parce que la personne est propriétaire du fonds. Elle assume l’activité mais se distingue des moyens qu’elle affecte à sa réalisation. Par ailleurs, ces moyens ne sont réunis que dans le cadre d’une universalité de fait, un bien, ils ne sont pas une universalité de droit comme l’est le patrimoine. 2) La distinction entre les fonds, universalités de fait, et les patrimoines d’affectation, universalités de droit 372. Si le fonds représente l’activité par les moyens qui y sont affectés et se distingue de la personne qui exerce cette activité, il se distingue aussi de la notion de patrimoine. Les deux ont en commun d’être un ensemble de biens, une universalité. Mais le patrimoine est une universalité de droit puisque l’actif qui y est incorporé répond du passif qui lui est imputé. Le fonds, qu’il soit professionnel ou administratif, est un élément au sein d’un patrimoine. La question d’incorporer au fonds les dettes qui résultent de l’activité exercée ne change d’ailleurs rien au problème puisque le fonds sera toujours une fraction d’actif et de passif qu’il s’agisse du patrimoine général d’une personne ou d’un patrimoine d’affectation. Pour Lise Chatain-Autajon, « les fonds et le patrimoine diffèrent profondément : les fonds se construisent autour d’une activité alors que le patrimoine se construit autour d’une personne »58. On a vu que la théorie du patrimoine doit conduire à une division entre le propriétaire et son aptitude à avoir des biens, et l’ensemble des biens qu’il possède effectivement 59. La distinction du patrimoine et des fonds relève de la même logique. Une personne a un patrimoine parce qu’elle est apte à avoir des biens et à répondre de ses engagements. Une personne n’aura un fonds que si elle a affecté et organisé des moyens pour réaliser un projet, une activité. Autrement dit, le fonds suppose le patrimoine et l’intègre. Le patrimoine d’une personne n’est pas un bien. Elle ne peut pas le céder, parce que le patrimoine représente l’aptitude à avoir et à devoir de la personne, qui ne peut qu’en modifier le contenu et non s’en affranchir en tant que contenant. Le fonds est un bien. Il peut être cédé et s’il devait comprendre les dettes liées à l’activité exercée, il n’y aurait là qu’un bilan partiel rendant compte du fonctionnement d’une activité et non de l’état patrimonial de la personne. 58 59 Ibid., n° 263 p. 153. Cf. supra. 335 373. Le patrimoine est une universalité de droit en ce que l’actif répond du passif, l’ensemble des biens constituant le gage des créanciers ou, à tout le moins, la source de leur confiance et donc de la capacité d’emprunt de la personne. Un fonds est, de ce point de vue, un actif dont la valeur dépendra de la capacité à générer des revenus et ainsi susciter la confiance des créanciers. Là encore, on peut admettre d’intégrer les dettes au fonds en raison du rapport direct entre ces charges et l’activité exercée, ou du fait que c’est l’activité qui générera les revenus permettant de désintéresser les créanciers. Mais dans ce cas, le rapport entre les dettes et les actifs du fonds ne permettront que d’évaluer le fonds et non la confiance qu’on peut avoir dans la personne. Il s’agira donc de concevoir le fonds comme un ensemble d’actifs au sens d’actifs nets. Le fonds est un bien parce qu’il est une activité représentée par les moyens et que l’on évaluera à l’aune de la capacité de cette activité à générer des revenus tout en assumant ses charges et l’amortissement de ses investissements. 374. La solution apparaît encore plus nettement dans le cas des patrimoines d’affectation. Une fiducie du droit privé peut accueillir le fonds de commerce du constituant, les revenus générés étant affectés au bénéficiaire. Le fonds ne peut pas constituer en lui-même un patrimoine fiduciaire sans entraîner une contradiction dans les termes. La fiducie suppose un patrimoine fiduciaire parce qu’elle est une forme d’appropriation particulière, une propriété affectée. Le fonds, lui, n’est qu’un bien. Il peut être l’objet d’un droit de propriété privé, public, et dans le cadre du droit commun ou dans un cadre finalisé sur le mode de la fiducie. De même, dans le cas de l’entreprise individuelle, l’entrepreneur verra le fonds passer de son patrimoine propre au patrimoine d’affectation que constitue l’entreprise individuelle. Le patrimoine et le fonds relèvent de deux catégories distinctes : universalité de droit, universalité de fait. Un fonds est, en tant qu’universalité de fait, un bien, soumis à cette propriété dont il est l’objet. Les fonds administratifs partageront avec les fonds du droit privé cette même nature et s’opposeront donc de même à la fois aux personnes morales, qui n’en sont que les propriétaires ou les gestionnaires, et aux patrimoines au sein desquels ces fonds se situent. Ce qui va faire la spécificité des fonds administratifs, c’est que l’activité dont ils rendent compte est un élément de l’action publique, ce qui suppose son rattachement aux personnes publiques et ce qui suppose également, à un moment ou à un autre, l’exercice des droits subjectifs publics de ces dernières, qu’il s’agisse des droits de puissance ou de propriété. 336 § 2 Le critère organique de qualification des fonds administratifs : l’appropriation ou la maîtrise par une personne publique 375. L’expression « activité administrative » correspond à l’ensemble des activités que l’on peut rattacher à l’État-appareil tel qu’il est entendu dans cette thèse. Il s’agit donc du genre dont les services publics sont une espèce. Cela étant, les services publics constituent les activités les plus importantes et illustreront fréquemment notre propos. Une autre raison plaide en faveur de l’expression « activité administrative ». Il s’agit de la possibilité de définir le service public organiquement, comme un élément de l’appareil étatique, et matériellement, comme une des missions que remplit cet appareil. Une activité administrative répond purement et simplement à la dimension fonctionnelle et se distingue absolument de la dimension organique. Les personnes publiques et privées sont les acteurs qui, par l’exercice de leurs droits subjectifs, font apparaître les activités administratives. Ce faisant, elles développent les fonds administratifs qui représentent ces activités. Ce n’est donc pas la nature de l’activité qui la rend publique mais son inscription dans l’appareil d’État, « autrement dit, ce n’est pas la nature d’une activité, considérée par rapport au besoin à satisfaire, qui fait le service public, mais bien plutôt l’intervention d’une personne publique qui décide à un moment donné, compte tenu de circonstances données (politiques, économiques, sociales), de créer un service public pour satisfaire un besoin donné »60. L’intensité du lien qui relie l’activité à la personne publique déterminera si elle l’assume. C’est une donnée essentielle pour déterminer la limite du développement fonctionnel du droit public. L’unité organique des activités prises en charge dans l’ordre juridique partiel du droit public peut donc être décrite à travers les fonds administratifs qui représentent ces activités. L’hypothèse la plus immédiate de rattachement organique réside dans les fonds qui, créés par la personne publique à l’initiative de l’activité sont, de ce seul fait, administratifs. Le rattachement réside alors dans l’appropriation du fonds qui apparaît immédiatement dans le patrimoine de la personne publique compétente (A). L’hypothèse médiate d’un rattachement organique est relative aux activités qui sont nées de l’initiative privée. Le rattachement suppose alors que la personne publique ait une maîtrise suffisante du fonds et ainsi sur l’activité dont on pourra alors dire qu’elle l’assume, sur le modèle du critère organique nécessaire à la qualification d’une activité de service public. Les fonds deviennent alors administratifs par captation de la part d’une personne publique (B). 60 Jean-François Lachaume, Hélène Pauliat, Claudie Boiteau, Clotilde Deffigier, Droit des services publics, LexisNexis, 2012, n° 359 p. 196. Dans le même sens, Gilles J. Guglielmi, Geneviève Koubi, Droit du service public, Montchrestien, 3e éd., 2011, n° 312 p. 155. La proposition est ici étendue à l’ensemble des activités de l’action publique, lesquelles sont qualifiées d’administratives parce qu’une personne publique l’assume, ce qui recouvre différentes hypothèses de contrôle. 337 A. Le rattachement organique immédiat : l’appropriation du fonds administratif par une personne publique 376. Lorsqu’une personne publique prend l’initiative d’exercer une activité, elle sera présumée être une activité de service, qualification que l’on écartera dans des cas relativement marginaux uniquement61. L’hypothèse existe cependant et autorise à maintenir la distinction entre les fonds administratifs et les activités de service public même si, pour l’essentiel, il y aura en pratique une réunion de deux notions. Cela étant dit, nous examinerons successivement la qualification immédiate des fonds administratifs créés à l’initiative des personnes publiques (1) et la neutralité d’une éventuelle gestion déléguée du fonds administratif sur sa qualification (2). 1) L’initiative des personnes publiques : critère suffisant de qualification d’un fonds administratif 377. L’initiative de la personne publique prend la forme d’une décision administrative ayant pour objet d’exprimer la volonté de mettre en œuvre une activité. Le fonds apparaît dès l’instant où cette activité est actée dans son principe et commence à être mise en place en y affectant ses premiers moyens. Il faut ici distinguer le principe de l’existence d’une activité de son organisation effective. En effet, si une loi peut prévoir l’accomplissement d’une certaine mission, l’activité permettant l’accomplissement de cette mission n’existera qu’à partir du moment où des décisions auront été prises à cet effet. Pour prendre un exemple concernant une activité de service public, les articles L. 2223-1 et suivants du CGCT imposent aux communes et à certains établissements publics de coopération intercommunale de disposer d’un cimetière tandis que l’article L. 2223-19 est relatif en particulier au service extérieur des pompes funèbres. Or, si cette mission doit être assurée, elle ne le sera bien évidemment qu’à compter du moment où la commune l’aura mise effectivement en place. On peut relever à ce titre qu’un règlement municipal des pompes funèbres, conforme au règlement national, est prévu par l’article L. 2223-21. L’activité apparaît avec ce règlement et l’ensemble des actes administratifs qui mettent en place le service public des pompes funèbres. 61 Voir par exemple, Jean-François Lachaume et al., op. cit., n° 351 p. 190 : « force est de reconnaître que les hypothèses où la présomption peut être renversée ne sont guère significatives et se présentent plutôt comme des cas limites sans grand intérêt au regard de la fonction administrative » ; citant par exemple le cas d’une fête locale sans caractère traditionnel, CE, 12 avr. 1973, Chatelier, Rec., p. 262 ; D., 1973, p. 454, note Duprat ; CE, 12 mars 1999, Ville de Paris, DA, 1999, p. 127. 338 Cet exemple fait apparaître que la publicité attachée aux actes relatifs à un fonds administratif est en principe celle qui régit les actes administratifs réglementaires. S’il est exercé en régie, le service constituera immédiatement un fonds administratif comprenant l’ensemble des biens prévus à cet effet et qu’évoque le code à plusieurs reprise, précisant à l’article L. 2223-26 du CGCT que « le matériel fourni dans le cadre du service public des pompes funèbres par les régies et les entreprises ou associations habilitées doit être constitué en vue aussi bien d'obsèques religieuses de tout culte que d'obsèques dépourvues de tout caractère confessionnel ». Cette dernière disposition met parfaitement en évidence qu’un fonds administratif représente une activité à travers les moyens qui y sont affectés et tels qu’organisés conformément aux caractères et aux principes de l’activité en question. Ici, c’est le principe de neutralité qui apparaît. 378. Pour prendre un autre exemple qui ne concerne pas un service public, on évoquera le cas des salles municipales. Si une salle relève du domaine privé de la commune, sa gestion ne constitue pas en elle-même une activité de service public 62 . Cependant, la salle pourrait constituer l’élément d’un fonds que l’on pourrait qualifier de « support », comprenant la salle, le personnel affecté à son entretien et à sa gestion, et l’ensemble des matériels nécessaires à son utilisation et son équipement en fonction des activités qui s’y déroulent. Dans ce cas, le fonds en question constitue un fonds administratif, bien qu’il ne s’agisse pas d’un fonds relatif à une activité de service public proprement dite. D’ailleurs, il sera régi par des règles et principes qui relèvent bien de l’ordre juridique du droit public, la gestion des locaux communaux étant une activité qui n’est certes pas de service public, mais qui donne lieu à un contentieux très riche 63 portant notamment sur les libertés publiques syndicales 64 ou religieuses 65 auxquelles cette gestion peut potentiellement porter atteinte. En réalité, dès lors qu’une activité est mise en œuvre par une personne publique, elle est une activité administrative et si on la représente par un fonds, alors ce fonds devra être qualifié d’administratif. Si l’activité ainsi mise en place et le fonds ainsi constitué vont être respectivement assurée et exploité par une autre personne en vertu d’une délégation, cela n’aura aucun effet sur la qualification du fonds comme étant un fonds administratif, l’activité relevant toujours de l’action publique quand bien même elle cesserait de constituer un service public. TC, 5 mars 2012, Dewailly c. Centre communal d’action sociale de Caumont, n° 3833, CMP, 2012, comm. 143, note Devillers ; JCPA, 2012, p. 1180, note Martin. 63 Voir Philippe Collière, « La mise à disposition de locaux communaux au profit d'associations, de syndicats et de partis politiques », AJDA, 2006, p. 1817. 64 Cass., 1ère civ., 3 juin 2010, Ville de Châteauroux, n° 09-14.663, Bull. civ. I, n° 127 ; AJDA, 2010, p. 1121, obs. S. Brondel ; AJCT, 2010, p. 84, obs. G. Le Chatelier ; JCP A, 2010, n° 2230, note Ph. Yolka. 65 CE, 30 mars 2007, Ville de Lyon, n° 304053, AJDA, 2007, p. 1242, note S. Damarey ; JCP A, 2007, actu. n° 378 ; DA, 2007, comm. 90, F. Melleray ; BJCL, 2007, p. 392, obs. B. P. Voir aussi l’arrêt CE Ass., 19 juillet 2011, Commune de Montpellier, n° 313518, qui apporte d'importantes précisions sur l'utilisation des locaux communaux par les associations cultuelles, AJDA, 2011, p. 1667, chron. X. Domino et A. Bretonneau. 62 339 2) La neutralité d’une délégation dans la qualification administrative d’un fonds créé à l’initiative d’une personne publique 379. Il faut tout d’abord évoquer l’hypothèse où l’activité créée à l’initiative d’une personne publique est déléguée à une autre personne publique. Dans ce cas, il ne fait aucun doute que le fonds qui représentera cette activité sera un fonds administratif, qu’il s’agisse ou non d’une activité de service public. Il en va ainsi tout d’abord d’une régie dotée de la personnalité morale66. Si le recours à ce type d’établissement public67 « manifeste précisément la volonté de cette collectivité territoriale de ne pas gérer directement le service public et d’en confier la gestion à une personne publique distincte d’elle »68, l’autonomie respective des deux entités sera des plus relatives. Le processus se rapproche très largement des mécanismes du droit commercial en matière d’établissements distincts d’exploitation d’un fonds de commerce, lesquels se caractérisent par la possibilité d’établir des relations juridiques propres, ou la filialisation. Il ne fait en tout état de cause aucun doute que l’activité exercée par la régie personnalisée est assumée par la personne publique qui a créé cette dernière et que le fonds est donc administratif. Il en va ainsi de l’essentiel des établissements publics dont la création est concomitante de la création de l’activité dont ils vont avoir la charge. Il en va d’ailleurs de même lorsqu’une personne privée chargée de la gestion du service public est directement une émanation de la personne publique assumant l’activité en cause. Il en va ainsi par exemple du fonds exploité par une société anonyme dont la personne publique est le seul actionnaire, comme l’imprimerie nationale par exemple69. Il en va de même lorsque les personnes publiques sont à l’origine de la création de la personne privée qui n’est toujours qu’une émanation de ces collectivités, telle une société publique locale ou une société d’économie mixte ou même une association créée par les organes de la personne publique. Dans tous ces cas, le fonds administratif qu’exploitent les personnes privées en cause est un fonds administratif géré pour le compte de la personne publique. Il s’agit seulement d’un mode de gestion et non de l’abandon de l’activité70. 380. La question se pose essentiellement dans les cas où la personne privée qui va exploiter le fonds existe indépendamment de la volonté de la personne publique qui a souhaité que l’activité 66 Art. L. 2221-10 et s. CGCT. L’article 197 de la loi n° 2004-809 du 13 août 2004 relative aux libertés et responsabilités locales est venue clarifier la nature juridique des régies personnalisées en les qualifiant expressément d’établissements publics. 68 Jean-François Lachaume et al., op. cit., n° 401 p. 226. 69 Loi n° 93-1419 du 31 déc. 1993 relative à l’Imprimerie nationale. 70 Cf. infra. 67 340 soit exercée. Dans un tel cas, la personne privée est, à l’origine, étrangère à l’action publique et entre en relation avec elle en étant habilitée à gérer un fonds administratif71. Il y aura un rattachement organique à une personne publique à travers le fait que la décision qui fait naître le fonds est une décision administrative prise par cette personne. Par exemple, un conseil municipal peut confier, « par simple délibération, à une association de parents d’élèves la gestion d’une cantine scolaire »72. Dans cette hypothèse, le fonds est créé par la personne publique mais apparaît dans le patrimoine de l’association qui va le prendre en charge. On verra plus loin qu’il y a donc ici un exemple de contrôle du fonds, non pas par son appropriation publique, mais par le contrôle exercé sur la personne qui l’exploite et dont les obligations fixées par la personne publique garantissent l’exécution de la mission confiée. 381. Il faut enfin évoquer l’arrêt APREI dans lequel le Conseil d’État a exposé le faisceau d’indices permettant d’identifier le lien organique dont l’intensité permet de considérer l’activité assumée par la personne publique 73 . Il a ainsi été décidé qu’à défaut de prérogatives de puissance publique, « une personne privée doit également être regardée, dans le silence de la loi, comme assurant une mission de service public lorsque, eu égard à l'intérêt général de son activité, aux conditions de sa création, de son organisation ou de son fonctionnement, aux obligations qui lui sont imposées ainsi qu'aux mesures prises pour vérifier que les objectifs qui lui sont assignés sont atteints, il apparaît que l'administration a entendu lui confier une telle mission ». On peut traduire ces indices dans la perspective d’un fonds qualifié d’administratif s’ils sont réunis. Ainsi, un fonds sera qualifié d’administratif si l’activité dont il est le support revêt un intérêt général, notamment pour la personne publique dont on recherche si elle l’assume ou non. Tel sera le cas si elle dispose d’une maîtrise suffisant sur le fonds soit à l’égard de la personne qui le gère, par des obligations, des objets et un contrôle, soit à l’égard des moyens affectés à l’activité et incorporés au fonds, qu’il s’agisse des biens, du personnel ou des financements. Ces liens multiples conduisent à caractériser l’emprise de la personne publique sur l’activité à travers les éléments du fonds, lequel sera qualifié d’administratif. En définitive, lorsqu’une activité est initiée par une personne publique qui en confie la réalisation à une personne privée, on peut considérer que le fonds administratif qui apparaît avec l’affectation de moyens à cette activité est soit la propriété de la personne publique, soit l’objet d’une propriété fiduciaire. Ce fonds aura donc vocation à revenir dans le patrimoine de la personne publique et avec lui l’essentiel des biens et droits nécessaires à son exploitation. Le 71 Il peut également s’agir d’une personne publique existant indépendamment de la volonté de la personne publique assumant l’activité mais cela rejoint l’hypothèse évoquée précédemment. 72 Jean-François Lachaume et al., n° 670 p. 358. 73 CE, 22 février 2007, Association du personnel relevant des établissements pour inadaptés, n° 264541, précité. 341 fonds est administratif, parce qu’il est le fonds d’une personne publique, qui en est le propriétaire en l’état, ou en puissance, car le fonds et les biens ont vocation à lui revenir si les délégations d’activité venaient à cesser. B. Le rattachement organique médiat : la simple maîtrise du fonds administratif et la limite des activités administratives 382. Lorsque l’activité n’a pas été initiée à l’initiative de la personne publique, ou que cette initiative est équivoque, un fonds peut être conçu dans la mesure où des moyens sont affectés et organisés pour servir cette activité mais il est possible d’hésiter quant à sa qualification de fonds administratif. Nous examinerons tout d’abord les activités « captées » par la puissance publique par les différents mécanismes possibles de prise de contrôle d’un fonds qui alors devient administratif alors qu’il ne l’était pas (1). On examinera ensuite les activités qui subissent seulement l’influence des personnes publiques mais dont les fonds, bien qu’en relation avec la sphère publique, y restent étrangers et demeurent inscrits dans le seul ordre juridique partiel du droit privé (2). 1) Les fonds rendus administratifs par la prise de contrôle d’une ou plusieurs personnes publiques 383. Une personne privée à l’initiative d’une activité, qui y affecte des moyens et les organise pour mettre en œuvre cette activité, est à l’origine d’un fonds au sens formel où nous l’entendons. Ce fonds est alors étranger à l’action publique. Il peut s’y rattacher lorsqu’une ou plusieurs personnes publiques établissent une emprise sur l’activité et ainsi sur le fonds qui, de même, devient administratif. Telle est l’hypothèse de l’arrêt relatif au Festival d’art lyrique d’Aix-en-Provence74. Créé à l’initiative privée, le festival peut être représenté comme un fonds même si le droit privé, comme on l’a vu, privilégie cette technique dans le seul domaine marchand et économique. Lorsque la personne privée gestionnaire du fonds a eu des difficultés, plusieurs personnes publiques se sont associées pour le prendre en charge et ainsi assurer sa survie. La décision du Conseil d’État, prononcée suite au recours contre la délibération de la commune d’Aix-enProvence attribuant des subventions à l’association exploitant le fonds, illustre le cas où un tel CE Sect., 6 avril 2007, Commune d’Aix-en-Provence, n° 284736, AJDA, 2007, p. 1020, comm. F. Lenica et J. Boucher ; Rev. des contrats, 2007, p. 867, note P. Brunet ; La Gazette du Palais, 2007, p. 4, note M. Touzeil-Divina ; JCP G, 2007, p. 31, note M. Karpenschif ; RTD Com., 2007, p. 694, note G. Orsoni ; RA, 2008, p. 631, note J.-M. Pontier. 74 342 fonds devient administratif a posteriori en raison de la prise de contrôle opérée par les personnes. Ces dernières, ont en effet établi une maîtrise sur l’activité, et donc le fonds qui en est le support au point que le Conseil d’État y a reconnu le rattachement organique nécessaire à la qualification d’une activité de service public. Le raisonnement vaut cependant également pour d’autres situations où l’activité dont le fonds est le support n’est pas de service public. Lorsqu’une personne publique devient l’actionnaire majoritaire d’une société commerciale, elle prend ainsi le contrôle du fonds qui représente l’activité économique de cette société. Sans que cette activité ne devienne pour autant un service public, le fonds, en revanche, devient un fonds administratif, parce que l’activité économique est alors assumée par la personne publique. Les nationalisations constituent en effet l’exemple le plus topique des fonds qui deviennent administratifs après avoir été appropriés par l’État. Or, les cas de figures possibles ne conduisant pas nécessairement à soumettre le fonds à un régime de droit public dans son fonctionnement. Ainsi, la nationalisation pour sanction ne crée pas un nouveau service public. L’entreprise rejoint d’ailleurs le secteur public et sera soumise à ce titre au contrôle qu’exercent les institutions européennes sur les entreprises contrôlées par les États membres ou leurs démembrements 75 . Tel n’est pas le cas en revanche des fonds de nature économique qui viennent à entrer en relation avec un fonds administratif mais sans se confondre avec lui. 2) Les fonds étrangers à l’action publique mais subissant l’influence des personnes publiques 384. Dans la décision du 5 mai 1944 Compagnie maritime de l’Afrique orientale, le Conseil d’État avait simplement reconnu la compétence de l’autorité gestionnaire du domaine public pour soumettre « à des obligations de service public les bénéficiaires des autorisations d'outillage accordées en vue d'assurer la satisfaction des besoins des usagers des ports de la colonie » 76 . Il en fut de même dans les décisions du 6 février 1948 Société Radio-Atlantique et Compagnie carcassonnaise de transports en commun77. Ces décisions ont ouvert à la voie à la théorie du « service public virtuel »78, qui aurait donc pour équivalent, suivant notre perspective, l’idée de fonds administratifs virtuels. Les On sait que la définition de l’entreprise publique est une chose malaisée et qu’il existe des divergences entre la conception française, qui se concentre plutôt sur la détention majoritaire du capital, et la conception de l’Union européenne qui s’attache plus largement au contrôle d’un organisme public sur l’opérateur économique. CJCE, 14 nov. 1984, SA Intermills c/ Commission, C-323/82, Rec. I-3809 ; CJCE, 14 oct. 1987, Allemagne c/ Commission, aff. 248/84, Rec. I-4013. Jennifer Marchand, L’appartenance publique, th. Toulouse, 2012, p. 178 et s. Voir également Christophe Roux, Propriété publique et droit de l’Union européenne, spéc. n° 405 et s, pp. 258-261. 76 CE Sect., 5 mai 1944, Compagnie maritime de l’Afrique orientale, Rec., p. 129, D., 1944, p. 164, concl. Chenot, RDP, 1944, p. 236, concl. Chenot, note Jèze, S., 1945, 3, p. 15, concl. Chenot, Penant, 1947, p. 113, note Waline. 77 CE, 6 fév. 1948, Société Radio-Atlantique et Compagnie carcassonnaise de transports en commun (2 espèces), Rec., p. 65 et p. 69 ; RDP, 1948, p. 244 concl. Chenot, note Jèze. 78 Michel Degoffe, « A propos du service public virtuel », CJEG, 1993, spéc. pp. 546-550. Gilles J. Guglielmi, Geneviève Koubi, op. cit., n° 766 et s. ; Jean-François Lachaume et al., n° 359 et s. 75 343 conditions seraient celles que proposait le commissaire du gouvernement Chenot à l’origine de cette théorie : que l’activité soit en lien direct avec l’intérêt général et qu’elle ait pour siège le domaine public. Le fonds exploité par une personne privée serait donc administratif du seul fait qu’il sert directement l’intérêt général et qu’il comprend un droit d’occupation du domaine public. La proposition conduirait à faire de toute personne satisfaisant des besoins d’intérêt général, en raison de la volonté d’une personne publique, un participant à une mission de service public. Une telle conclusion semblerait à tout le moins excessive. Les politiques publiques se réalisent sans doute largement en imposant à certaines personnes des obligations mais cela n’en fait pas pour autant des gestionnaires de service public. Il faut alors peut-être s’en tenir à la formule de Pierre Delvolvé concernant le service public « virtuel » : « Un service public est ou n’est pas. Une délégation de service public résulte d’un statut juridique déterminé. Elle ne peut pas être le produit de circonstances de fait »79. 385. L’activité de l’occupant du domaine public n’est un service public que si l’activité qu’il réalise est assumée par la personne publique, ce qui suppose que l’administration ne souhaite pas seulement que l’activité existe, ne s’arrange pas seulement pour que cette activité réponde à certaines exigences d’intérêt général, mais que, ainsi qu’il a été jugé dans l’arrêt Commune d’Aixen-Provence précité, que la personne publique « en raison de l’intérêt qui s’attache [à l’activité] et de l’importance qu’elle revêt à ses yeux, exerce un droit de regard sur son organisation et, le cas échéant, lui accorde, dès lors qu’aucune règle ni aucun principe n’y font obstacle, des financements ». Nous ne pensons pas que cette décision prolonge la théorie du service public virtuel 80 mais qu’au contraire elle achève d’écarter une conception dont la postérité était déjà anecdotique 81. Les difficultés d’établir la véritable qualification de l’activité de la personne privée, et donc la nature de la relation qui l’unit à la personne publique existent, c’est indéniable. L’affaire Jean Bouin est une illustration de ce que la qualification de service public des activités des occupants du domaine public est tout sauf une hypothèse d’école 82 . Il faut cependant se garder de vouloir faire de tout exploitant d’une activité, comportant pour une part des utilités pour les activités administratives de la personne publique propriétaire, un délégataire de service. 79 Pierre Delvolvé, « Les contradictions de la délégation de service public », AJDA, 1996, p. 675. Jean-François Lachaume et al., op cit., n° 361 p. 197. 81 René Chapus, Droit administratif général, Paris, Montchrestien, 15 éd., 2001, t. 1, n° 798. 82 CE, 13 janv. 2010, Assoc. Paris Jean-Bouin et ville de Paris, n° 329576 ; CMP, 2010, comm. 116, note G. Eckert ; BJCP, 2010, n° 69, p. 115, concl. L. Olléon ; AJDA, 2010, p. 731, note G. Mollion ; JCP A, 2010, n° 2069, note C. Devès ; CCC, 2010, comm. 74, note C. Prébissy-Schnall. 80 344 L’occupant du domaine public exerce en général sa propre activité et exploite par conséquent son propre fonds, lequel n’est pas administratif, même si le fonds est exploité par l’occupation d’un bien du domaine public de la collectivité. Même si ce n’est pas toujours aisé, il est préférable de maintenir une distinction entre le fonds professionnel exploité dans un but de profit et l’activité de la personne publique qui consiste à gérer un bien qui lui appartient en en permettant l’occupation. 386. Propriétaire d’un immeuble ou d’un complexe comme un port, la personne publique est en charge de l’exploitation d’un fonds administratif constitué par ce port et tous les éléments qui sont affectés à l’activité dont il est le support, activité qui peut se limiter à la gestion ou comporter d’autres prestations. Dans l’affaire de la Brasserie du Théâtre83, ladite brasserie accueille un commerçant qui exploite son propre fonds de commerce, lequel n’a rien d’administratif, nonobstant les obligations que lui a imposées la personne publique, notamment d’être ouvert en même temps que les représentations. La personne publique exploite son propre fonds administratif qui consiste à organiser les représentations d’une part, gérer le théâtre d’autre part. Elle suscite dans cette seconde activité la venue du commerçant dont le fonds purement privé produira indirectement une utilité pour les usagers du fonds administratif. Il n’y a pas ici captation de l’activité du commerçant par l’administration, mais simplement une relation symbiotique. Il faut donc bien distinguer les fonds administratifs parce que supportant une activité assumée par une personne publique, des activités dont le fonctionnement comporte une dimension d’intérêt général, que cette dimension soit imposée par la loi, le règlement, ou le contrat passé avec une personne publique. 387. Un fonds ne devient administratif que si une ou plusieurs personnes publiques ne veulent pas seulement orienter l’activité vers l’intérêt général mais veulent véritablement faire de cette activité en elle-même un élément de l’action publique. C’est pourquoi imposer à une société privée des obligations de service public est autre chose que de lui confier un service public à gérer. Dans le premier cas on introduit seulement des obligations d’intérêt général correspondant à la volonté des gouvernants, dans le second on fait de l’activité de la personne un élément de la politique publique elle-même. La frontière n’est pas sans rendre possible les incidents, elle n’en existe pas moins. 83 CE, Sect., 28 décembre 2009, Société Brasserie du Théâtre, Rec., p. 528 ; AJDA, 2010, p. 841, note O. Févrot ; BJCP, 2010, p. 124, concl. L. Olléon, obs. C. Maugüé ; CMP, 2010, comm. 190, note L. Touzeau ; DA, 2010, comm. 22, note F. Melleray ; JCP A, 2010, 2197, note C. Chamard-Heim.. 345 Si toute activité administrative peut être représentée sous la forme d’un fonds administratif, l’action publique en général et certaines missions de l’administration en particulier appelleront une approche particulière à la fois par rapport aux fonds professionnels du droit privé et au sein même des fonds administratifs. « Chaque fonds [étant] constitué autour de son objet, c’est-à-dire de l’activité choisie par son exploitant »84, les spécificités du fonds administratif seront liées à cet objet, une activité relevant de la compétence d’une personne publique, tandis qu’il faudra décider comment appréhender l’extrême diversité des activités assumées par les personnes publiques. C’est à l’adaptation des fonds administratifs ainsi identifiés aux activités administratives qu’il s’agit donc de s’intéresser à présent. 84 Lise Chatain-Autajon, op. cit., n° 278 p. 160. 346 Section 2 L’adaptation des fonds administratifs aux activités administratives 388. « Il faut revenir obstinément à la notion de fonds de commerce, ensemble structuré, dont le tout représente davantage qu’une simple addition des parties. (…) La création d’un fonds de commerce est donc en réalité une opération complexe qui implique la conception, la réunion et le montage de tout ce qui doit constituer “les éléments d’attraction nécessaires et suffisants de la clientèle” dans des conditions réellement efficaces. Il est clair dans ces conditions que la création d’un fonds de commerce ne se réduit pas à une simple addition, à un emboîtage d’un local, d’un agencement et de marchandises car s’il en était ainsi, aucune entreprise ne ferait faillite. La création d’un fonds de commerce c’est autre chose, tout à la fois une intuition et une décision, une imagination et une initiative. C’est aussi et surtout un investissement et un risque »85. Un fonds administratif n’est guère différent, formellement, du fonds de commerce ici décrit. Il est lui aussi le fruit d’une opération complexe commençant avec la décision d’entreprendre l’activité, d’en déterminer les buts et les principes relatif à la réunion et au montage des moyens affectés à leur réalisation. Un fonds administratif suppose également des investissements et comprend une part de risque. Risque que le service tel qu’il a été conçu ne réponde pas aux besoins. Risque qu’il cause des dommages, voire de véritables drames 86. Risque financier également, car si la faillite d’un service public et la disparition du fonds administratif qui le supporte sont juridiquement écartées, il n’est pas impossible que le contexte financier rende l’activité impossible. La première différence matérielle entre les fonds du droit privé et ceux du droit public réside dans le fait que, en général, l’attraction d’une clientèle est remplacée par la satisfaction des usagers. Cette différence s’estompe si les usagers contribuent par le versement d’un prix. Par ailleurs, l’initiative à l’origine d’un fonds administratif n’est pas, en principe, l’exercice d’une capacité mais d’une compétence. La différence essentielle réside donc dans la coordination des activités administratives et dont résulte une combinaison des fonds administratifs, combinaison peut-être plus complexe que dans le monde économique où le phénomène est circonscrit aux groupes d’entreprises et aux fonds de commerce exploités par des établissements et des succursales. L’analyse du régime régissant la constitution des fonds administratifs, à la fois du point de vue du fonds lui-même et des biens qui y sont affectés (§ 1), précédera l’analyse des principaux traits du régime relatif à leur gestion (§ 2). 85 Bruno Boccara, note sous Cass. com., 14 nov. 1995 et Paris, 6 février 1996, JCP G, II, 22818, p. 168. La responsabilité sans faute en droit administratif est née des risques qui naissent des activités administratives et dont la charge peut être assumée par la collectivité entière au bénéfice des victimes sur le fondement de la solidarité nationale. 86 347 § 1 L’adaptation du régime de constitution des fonds administratifs aux nécessités de l’activité administrative 389. La constitution d’un fonds administratif suppose la définition d’une activité et de l’organisation qui va en permettre la réalisation, puis l’affectation des biens à cette activité et leur incorporation au fonds administratif. Dans les deux cas, la spécificité qui nous semble essentielle en matière d’activités administratives concerne la valeur juridique et la portée des actes juridiques et matériels qui interviennent. Il s’agit d’actes administratifs réglementaires dont la publicité accrue s’impose en raison de l’exorbitance des règles dont la constitution d’un fonds administratif appellera l’application. Nous examinerons en premier lieu la création du fonds administratif, laquelle entraîne immédiatement l’établissement d’un rapport entre le fonds créé et le régime des biens qui sera partiellement déterminé par le régime du fonds administratif (A). Nous pourrons alors nous intéresser à l’affectation et à l’incorporation des biens au fonds administratif, biens qui viendront se soumettre à la relation précédemment instaurée par la création du fonds (B). A. La création d’un fonds administratif par une personne publique 390. Joël Monéger considérait que « chaque époque sécrète une notion de fonds de commerce dont le contenu change, dont la finalité évolue, selon les contrats et les biens qui participent au fonctionnement de l'entreprise dont il est le cœur » 87 . Le régime du fonds administratif sera également fonction de l’activité exercée, laquelle est de nature administrative a minima et éventuellement de service public, parfois régalien. Ainsi, alors qu’un fonds de commerce se caractérise par un régime qui en permettra la transmission ou l’utilisation comme garantie, le régime d’un fonds administratif est entièrement destiné à déterminer les modalités d’organisation et de fonctionnement ainsi que le partage des responsabilités engagées à l’occasion de son exploitation (1). Les biens administratifs suivent un régime général qui est induit par l’activité du fonds dont ils sont les éléments et un régime qui leur est propre, soit par leur relation particulière à l’activité du fonds, soit par leurs propres caractéristiques particulières (2). 87 Joël Monéger, « Émergence et évolution de la notion de fonds de commerce », AJDI, 2001, p. 1042. 348 1) Les règles constitutives du régime applicable aux fonds administratifs eux-mêmes 391. De nombreuses formalités sont exigées pour la création d’un fonds de commerce, au point que l’Union européenne a imposé aux États membres d’organiser un « guichet unique »88 à cet effet. Le droit commercial a cependant exigé dès l’origine une publicité particulière 89 sous la forme du registre sur lequel chaque commerçant doit s’inscrire. Un fonds administratif doit également être constitué formellement, ce que traduisent les textes fixant les missions des personnes publiques et qui relèveront donc de leur compétence entendue comme norme d’habilitation. Le fonds administratif résulte de la combinaison d’une transposition pure et simple de ces dispositions présentes dans la loi ou les statuts de la personne publique et de l’appréciation des organes dirigeants sur l’activité particulière qui sera l’objet du fonds. Ainsi, si une commune décide de créer une crèche, le maire pourra faire voter les délibérations nécessaires et établir un « règlement » instituant un fonds administratif par lequel est crée un service public administratif prenant le nom de la crèche, et faisant ensuite apparaître les éléments importants. Cela rejoindrait l’attention qui doit être portée en droit privé au règlement d’un fonds professionnel qui doit en régir le fonctionnement, la répartition des attributions de chaque personne ayant vocation à y intervenir90. 392. Il s’agit de fixer les missions que le fonds se propose de réaliser, les modalités de l’organisation et du fonctionnement qui s’appliqueront aux entités et individus impliqués dans l’exploitation du fonds, de fixer les conditions et les garanties concernant les usagersadministrés etc. Les tarifs sont par exemple un élément qui pourrait apparaître dans ce texte, qui serait en somme « la loi du service ». Les finances du service impliqueraient de tenir la comptabilité intégrée du fonds comprenant l’ensemble des recettes et des dépenses liées à son exploitation. Un inventaire tiendrait à jour la liste des biens compris dans le périmètre du fonds administratif, comme c’est le cas en matière de délégations de service public. Les biens, meubles ou immeubles qui sont nécessaires au fonctionnement du service public sont inclus dans le fonds de façon obligatoire 88 Directive CE no 2006/123 du 12 déc. 2006 du Parlement et du Conseil, JOUE no L. 376/36, 27 déc. 2006 ; voir notamment l’article R. 123-10 du code de commerce. 89 Sur l’exigence d’une publicité associée à la création des fonds de commerce, voir notamment Paul Le Floch, Le fonds de commerce, op. cit., passim ; Bernard Saintourens, « La réforme des modalités d'inscription et des mentions au Registre du commerce et des sociétés », RTD com. 2005. 475 ; « La réforme du décret du 19 juillet 1996 relatif aux centres de formalités des entreprises (Décret no 2006-679 du 9 juin 2006 modifiant le décret no 96-650 du 19 juill. 1996, JO 10 juin, p. 8838) », RTD com. 2007. 321. 90 Sur cette question, voir notamment Lise Chatain-Autajon, n° 735 p. 431, pour qui le risque de conflits d’intérêts est une motivation essentielle pour élaborer précisément les règles de gestion des fonds professionnels. 349 et de plein droit. La tenue de l’inventaire mériterait de faire l’objet d’une réglementation sans doute plus stricte, afin de constituer un véritable acte juridique entre les parties prenantes et plus facilement opposable aux tiers. Une publicité devrait informer des entités impliquées dans l’exercice même du service public, à savoir la collectivité de rattachement, la personne publique qui assume le fonds, les personnes publiques et/ou privées qui assurent l’activité. Leurs attributions devraient être mentionnées afin que le public soit informé de façon transparente des relations qui unissent la personne publique compétente aux différents acteurs qui collaborent à l’exercice de cette activité. C’est ici notamment que doit s’appliquer le principe d’indisponibilité des compétences et la limitation des activités délégables et non délégables sous le contrôle du juge administratif, lequel disposerait ainsi d’une première information. Le préfet pourrait également bénéficier de cette publicité pour exercer le contrôle de légalité. Ont vocation ensuite à être déclinées les lois du service public. Par exemple, le principe de la laïcité. Dans la mesure où il est intégré au fonctionnement du service public sous forme de neutralité, il est une règle applicable au fonds et par conséquent à toute entité qui en assure partiellement l’exploitation, sauf à ce que l’activité justifie sa mise à l’écart comme dans le cas des établissements privés confessionnels sous contrat avec l’État. On pourrait ainsi intégrer la jurisprudence de la Cour de cassation applicable à une crèche privée à la notion de fonds administratif. La crèche en question était en effet en charge de l’exercice délégué d’une activité relevant du fonds administratif élaboré par la personne publique qui assume91. 393. La rencontre de fonds administratifs différents est une option qui mérite d’être évoquée. Ainsi, les superpositions d’affectation en constituent l’exemple traditionnel 92 et signifient de notre point de vue qu’un bien produit au moins deux utilités, dont chacune est utile à un fonds administratif différent. Le bien est donc affecté à deux fonds administratifs et cela implique une coordination. 91 Il s’agit de deux arrêts de la Cour de cassation rendus le 19 mars 2013 relatifs à la possibilité de faire appliquer le principe de laïcité à des salariés d’une personne morale de droit privé relevant du droit du travail, pourvois n° 12-11.690 où le licenciement est validé en considération de la participation au service public, et n° 11-28.845, Baby Loup, où le licenciement est rejeté en considérant que le principe de laïcité ne s’applique pas aux salariés étrangers à l’action publique. Soc. 19 mars 2013, n° 12-11.690, Mme X. c. CPAM de Seine-Saint-Denis, bull., AJDA, 2013, p. 597 ; D., 2013, p. 777 ; Soc. 19 mars 2013, n° 11-28.845, Mme X. c. Association Baby Loup, bull. ; D. 2013, p. 777 ; ibid., p. 761 F. Rome ; Sem. soc. Lamy, 2013, n° 1577, obs. J.-G. Huglo (rapp.) ; obs. R. Schwartz et V. Berger ; JCP S, 2013, p. 1146, obs. Bernard Bossu. Après arrêt contraire de la Cour de renvoi, la Cour de cassation a finalement décidé que « que la restriction à la liberté de manifester sa religion édictée par le règlement intérieur ne présentait pas un caractère général, mais était suffisamment précise, justifiée par la nature des tâches accomplies par les salariés de l'association et proportionnée au but recherché », écartant l’application du principe de laïcité ou de neutralité qui n’a pas vocation à s’appliquer à d’autres entités que les organismes placés sous contrôle de l’État et des personnes publiques. Cass., ass. plén., 25 juin 2014, n° 13-28.269 ; AJDA, 2014, p. 1293, chron. J.-M. Pastor ; D., 2014, p. 1536, note. C. Radé ; AJDA, 2014, p. 1842, comm. S. Mouton, T. Lamarche. 92 CE, 21 nov. 1884, Conseil de fabrique de l’église Saint-Nicolas-des-Champs, Rec., p. 803, concl. Maguerie. 350 Lorsque la superposition est physiquement concrétisée, comme pour les passages à niveaux, les ponts ou, dans les ports, « les quais pouvant être affectés autant à la navigation qu’à la circulation routière » 93, les difficultés ne sont pas insurmontables et l’on peut aisément prendre chaque élément pour un bien autonome. Consacrée par l’article L. 2123-7 qui dispose qu’un « immeuble dépendant du domaine public en raison de son affectation à un service public où l’usage du public peut, quelle que soit la personne publique propriétaire, faire l’objet d’une ou de plusieurs affectations supplémentaires relevant de la domanialité publique dans la mesure où celles-ci son compatibles avec ladite affectation ». Cependant, si une convention doit nécessairement intervenir, le code ne règle pas la question d’un éventuel « défaut d’entente entre les gestionnaires domaniaux » pour lesquels, « à moins que l’État fasse jouer son pouvoir de mutation domaniale, le gestionnaire qui demande l’ajout d’une affectation à un bien qui ne lui appartient pas se heurte aux prérogatives du propriétaire » dont le refus, selon Norbert Foulquier, « ne pourrait être sanctionné par le juge administratif qu’en cas de détournement de pouvoir ou d’erreur manifeste d’appréciation constitutif d’un abus de propriété »94. Il est en tout cas encore une fois contradictoire de faire prévaloir le droit du propriétaire alors qu’il y a ici un rapport entre deux activités publiques et non un rapport de voisinage. Il nous semble qu’il y a là un exemple de situation où le fonds administratif pourrait trouver son utilité. En effet, en formalisant une activité administrative et en y associant les moyens nécessaires à son accomplissement, la confrontation de deux fonds administratifs comprenant un même bien affecté permettrait de résoudre un éventuel conflit entre gestionnaires. L’arbitrage pourrait être le fait du préfet par son pouvoir de mutation domaniale 95 , mais la solution préférable est sans doute à rechercher du côté du juge administratif qui serait le juge du contrat de superposition d’affectation. La solution qui aurait pu venir des textes n’a pu que décevoir, puisque le décret auquel renvoi l’article L. 2123-7 alinéa 3 était attendu96, mais n’a pas donné satisfaction lors de son édiction le 22 novembre 201197. En conséquence, « l’absence d’un cadre contractuel minimum laisse persister les difficultés qui existaient avant l’adoption du CG3P quant à la rédaction d’une convention organisant une superposition d’affectations »98. La notion de fonds administratif pourrait alors s’avérer utile, au moins à titre de point de vue. Alors que le droit domanial part du bien pour arriver à l’activité, on pourrait en moderniser le régime en l’étendant à tous les biens affectés à une activité administratif, en ayant une 93 Norbert Foulquier, Droit administratif des biens, LexisNexis, 2e éd., 2013, n° 657 p. 266. Ibid., n° 658 p. 266. 95 David Capitant, « Les mutations domaniales et les superpositions d’affectation », in Réflexions sur le Code général de la propriété des personnes publiques, Litec, 2007, qui considère la solution s’imposer, dès lors qu’une mutation peut supprimer une affectation totalement. 96 Gilles Bachelier, « Les transferts de propriété entre personnes publiques », JCP A, 23 oct. 2006, 1249. 97 Il ne précise aux articles R. 21223-15 à -17 que les seules règles de compétence. 98 109e Congrès des notaires de France, op. cit., n° 3214 p. 634. 94 351 approche globale où les gestionnaires des fonds s’accordent pour organiser au mieux ces deux activités et ensuite en décliner la concrétisation pour les biens. 394. Dans le cas d’un transfert de gestion sur la base de l’article L. 2123-3 du CG3P, une personne publique peut modifier l’affectation d’un bien de son domaine public et ainsi en transférer la gestion totale ou partielle à une autre par un contrat. Si le propriétaire décide de revenir sur l’affectation, il reprend la pleine jouissance de son bien au détriment de la personne publique affectataire qui a droit cependant, sauf disposition contraire, à être indemnisée de ses investissements non amortis99. La notion de fonds administratif permettrait là encore de donner un outil intellectuel pour penser la situation juridique et les conséquences de sa modification. D’autant que ces conséquences ne se limitent pas aux relations entre les deux personnes publiques, mais aussi aux bénéficiaires de l’activité de la personne affectataire comme à ses partenaires liés par contrat. La remise en cause de l’affectation par la personne propriétaire peut avoir des conséquences, dont on observerait les effets par avance en regardant le fonds administratif de la collectivité affectataire. Le fonds administratif assumé par la personne publique propriétaire et auquel est ou serait affecté le bien du domaine public en cause, permettrait de constituer un élément de comparaison pour effectuer un contrôle du bilan. Celuici permettrait de contester la décision, ou au contraire de la valider. Ces considérations nous amènent à considérer la nécessaire combinaison entre le régime du fonds et le régime des biens, qui en sont les éléments constitutifs. 2) La combinaison des règles applicables aux fonds et des règles applicables aux biens administratifs 395. Lise Chatain-Autajon souligne qu’une destinée commune ne doit pas signifier un régime identique et que « si les biens sont unis dans un même destin économique et juridique, cette similitude dans la destinée ne signifie pas une identité du régime »100. Cette donnée est fondamentale pour conserver sa pertinence au fonds qui doit être une source de souplesse et non de rigidité. En droit public, il y aurait sans doute un progrès à prolonger la dissociation entre l’appropriation et l’affectation par la dissociation entre le régime du fonds administratif, c’est-à-dire l’activité de service public considérée, et le régime propre aux biens qui en font partie. Le fonds est un « contenant complexe dont la cohésion résulte à la fois de son organisation et de son exploitation »101. Ce qu’on « traduira » en P. ex. CAA Nancy, 28 mas 2013, Cne d’Aubigny-les-Prothées, n° 12C01362. Lise Chatain-Autajon, La notion de fonds en droit privé, op. cit., n° 773 p. 449. 101 Ibid., n° 918 p. 529. 99 100 352 droit public par l’idée que le fonds administratif trouve sa cohésion de l’organisation et l’exécution du service public. Les sujétions qui s’imposent à la personne publique qui assume le fonds et aux personnes qui en assurent l’exploitation, ont vocation à se retrouver dans la relation juridique qui unit ces personnes à chacun des biens dont elles auront la propriété ou la garde. Ainsi pourrait être entendu la notion de décision administrative liée à l’exercice d’un droit de propriété portant sur un bien administratif. Si les personnes publiques méritent un contrôle sur l’ensemble de leurs biens, les gestionnaires de service public devraient sans doute pouvoir être contrôlés sur la base des décisions qu’ils prennent à l’égard des biens administratifs et qui peuvent avoir des conséquences sur le bon fonctionnement du service public ou préjudicier les droits des tiers. Ainsi, tout acte pris à l’égard d’un bien administratif intègrera dans les conditions de sa validité les principes qui s’imposent dans l’exercice d’une mission de service public102. 396. C’est en ce qui concerne les privilèges que s’impose une discrimination en fonction des intérêts privés qui seraient atteints en raison de la relation au bien administratif. Les principes de continuité et de mutabilité, confèrent à la personne publique qui assume le fonds, la faculté de s’opposer à certaines actions et d’imposer une modification de certaines situations établies. Dans ces deux cas, il faudra rechercher la nécessité et la proportionnalité entre l’objectif poursuivi sur le fondement de ces principes, et les intérêts éventuellement lésés par la décision prise. On retrouve ici la recherche de l’équilibre et de la conciliation entre les exigences de l’action publique, et les garanties qui doivent être offertes à ceux qui en subissent les effets et qui ont un intérêt légitime à son encadrement. B. L’affectation et l’incorporation des biens au fonds administratif d’une personne publique 102 Sur l’absence d’application du droit administratif régissant l’exercice de la propriété aux personnes privées chargées d’une mission de service public, cf. infra n° 518 pp. 472 et s. 353 397. La technique de constitution d’un fonds est d’abord l’affectation, « le fonds n’existe en effet que par l’affectation d’éléments constitutifs à une activité » 103 , ce qui vaudra donc en droit public également. Avant que le bien ne soit affecté, il faut cependant que la personne publique qui assume l’activité ou la personne à qui elle a confié la mission de l’assurer, acquiert les biens ou puisse en disposer. C’est alors que l’alternative entre le recours aux procédés du droit commun ou aux procédés de la puissance publique interviennent104. Quant aux modalités de l’affectation, il faut ici évoquer l’alternative dont bénéficient les personnes publiques et certaines personnes privées, investies de prérogatives de puissance publique comparables, entre l’échange et la contrainte. L’affectation peut résulter de mécanismes amiables, qu’il s’agisse de l’acquisition du bien, ou de la constitution d’un droitprestation ayant pour objet une utilité du bien pour l’activité administrative. Elle peut aussi résulter d’une acquisition forcée du bien ou d’une servitude administratif constituant unilatéralement un droit à jouir de l’utilité nécessaire105. Si l’affectation est l’élément technique commun, le fonds de droit privé tel qu’il est actuellement conceptualisé en droit positif ne donne pas un contenu satisfaisant pour le droit public. L’exclusion des immeubles et des relations contractuelles, notamment, peut être remise en cause dans la sphère administrative. On suivra donc Lise Chatain-Autajon dans le sens d’une approche du fonds pouvant accueillir tout objet juridique que l’on jugera utile et possible d’y affecter (1). Il faudra ensuite établir le caractère obligatoire ou facultatif de l’affectation en fonction du rapport de nécessité entre le bien et l’activité correspondant au fonds administratif. C’est une problématique commune en droit public et en droit privé, mais il semble que le droit positif du droit public ait trouvé des mécanismes relativement aboutis pour constater la nécessité d’un bien pour l’exercice d’une activité administrative et son incorporation de fait au fonds administratif que l’on pourrait y associer (2). 1) L’affectation des biens à l’activité et leur incorporation au fonds administratif 103 Lise Chatain-Autajon, n° 454 p. 273. Cf. supra. 105 Cf. supra. 104 354 398. En droit privé comme en droit public, affecter un bien particulier conduit à l’asservir à une activité et « s’apparente ainsi à celle de restriction »106. Si l’on quitte l’affectation d’un bien pris en particulier, mais l’affectation d’un ensemble de biens à une activité, alors l’affectation prend une dimension à la fois plus virtuelle parce qu’il y a moins l’idée d’asservissement du bien à une destination. Elle pose cependant des questions du même ordre : le caractère volontaire ou obligatoire de l’affectation des biens, l’opposabilité de l’affectation aux tiers, la publicité permettant aux tiers de savoir si un bien est affecté à un fonds où quels biens y sont inclus. En ce qui concerne la question de l’affectation volontaire ou obligatoire, le premier volet se justifie dans la mesure où « l’affectation des biens au fonds apparaît comme la manifestation de l’autonomie de la volonté de l’exploitation : le fonds est un outil créé par l’exploitant pour développer une activité » et ce droit doit donc être « la volonté de l’exploitant qui crée le fonds et qui en fixe les limites »107. Sur ce point, le droit administratif ne nous semble pas devoir s’éloigner de cette idée puisque les personnes publiques disposent d’une large discrétion pour organiser une activité de service public et décider des biens qui devront y être affectés. L’affectation obligatoire se justifie en droit privé du fait de ce que « certains biens sont absolument nécessaires à l’activité exercée au sein du fonds »108. Le droit privé et le droit public se distingueront toujours en fonction de l’objet des régimes mais si le droit privé organise l’affectation présumée ou obligatoire d’éléments nécessaires à une activité économique, le droit administratif où domine le principe de continuité du service public n’a aucune raison de procéder différemment. S’il en va ainsi des modalités de l’affectation, en principe volontaire mais obligatoire pour les biens essentiels à l’exercice de l’activité, il en va sensiblement de même en ce qui concerne les effets de l’affectation. 399. Lise Chatain-Autajon distingue les effets internes et externes de l’affectation. Au titre des effets internes, il faut souligner le fait qu’en affectant un bien au fonds, non seulement celui-ci en devient ainsi un élément, mais sa valeur évolue également puisqu’elle « se juge alors à l’aune de son utilité pour l’exploitation : le bien est utile en considération du fonds, intuitu fundi, et non plus en considération de la personne de l’exploitant »109. Cela nous permet de constater d’une part, qu’il il y a presque naturellement une dissociation entre appropriation publique et exercice d’une activité de service public, et d’autre part que l’appréciation du rapport entre le bien et l’activité doit se faire avec à l’esprit, l’idée que l’affectation crée une « indivisibilité fonctionnelle » 110. Dès lors, le 106 Ibid., n° 456 p. 274. Ibid., n° 463 p. 277. 108 Ibid., n° 464 p. 277. 109 Ibid., n° 469 p. 281. 110 Serge Guinchard, L’affectation en droit privé français, op. cit., n° 325 p. 277. 107 355 régime du bien ne vient plus seulement de ses caractéristiques propres, mais de l’ensemble auquel il appartient désormais si bien que « l’affectation des biens à l’exploitation d’une activité détache ainsi les biens de leur titulaire pour les lier au fonds qu’ils suivent en quelques mains qu’ils se trouvent »111. La formule nous semble éclairer les développements qui précèdent d’un jour tout à fait nouveau et intéressant. L’activité de service public est l’élément fédérateur des biens qui se détachent de la personne publique ou privée propriétaire pour trouver ainsi leur unité. Ils suivent la délégation de l’exercice de l’activité, mais la reprise en régie de l’activité induira le retour des biens au sein du patrimoine de la personne publique compétente. Les effets externes de l’affectation ont trait en droit privé au fait que l’affectation s’impose aux tiers ou peut appeler leur protection. La difficulté tient notamment aux risques liés à une transmission au fonds des contrats et obligations, actives et passives. Pour Lise ChatainAutajon, même si cela peut heurter le droit des obligations, « la réalité économique impose d’inclure dans le fonds les obligations liées à l’activité » et il faut donc « élaborer une solution qui permette à la fois de préserver la cohérence du fonds comme outil économique efficace et de protéger les tiers unis dans un lien d’obligation avec le fonds » 112 . En droit public, la question mériterait sans doute d’être abordée minutieusement, et confrontée au droit des contrats administratifs, et plus généralement publics. La question se pose sans doute en des termes différents, mais elle mériterait l’attention, car si un fonds de droit privé a vocation à être cédé, une compétence se transfère et cela signifierait donc transmissions des fonds administratifs qui relèvent d’une nouvelle personne publique. Le fait que la transmission se fasse uniquement entre personnes publiques ou relevant du système organique du droit public rend d’ailleurs tout à fait admissible l’idée que les relations contractuelles liées à l’activité suivent le transfert. 400. Si le fonds administratif se distingue du fonds de droit privé parce que celui-ci vise à formaliser une activité professionnelle privée, un service public est une entreprise, éventuellement économique, dont les besoins sont peu différents des entreprises privées lucratives ou non. Dès lors, les éléments constitutifs n’auraient pas vocation à différer de façon essentielle. Les fonds du droit privé sont nés à une époque où l’immatériel n’avait pas révolutionné le monde des affaires, tandis que l’immeuble en a été exclu parce que bien souvent le commerçant n’en est pas propriétaire, le bail commercial devenant une pièce maîtresse du régime. Or, le droit public est vierge de tout présupposé puisque le fonds n’y existe pas encore. Dès lors, il n’y a aucune raison d’avoir une approche a priori limitative des éléments constitutifs 111 112 Lise Chatain-Autajon, op. cit., n° 469 p. 282. Ibid., n° 471 p. 283. 356 du fonds. On partira donc directement de la proposition fait par Lise Chatain-Autajon et qui nous semble en phase avec notre époque et adaptable aux exigences de l’ordre juridique public. Il en va ainsi tout d’abord des immeubles. Si, en droit privé, « aucune raison impérative ne justifie plus l’exclusion des immeubles hors de l’assiette du fonds »113, rien ne s’y oppose en droit public. Quant aux meubles, l’importance des meubles corporels, et plus encore des propriétés incorporelles et des droits, est devenue une donnée centrale des activités, privées ou administratives. Dès lors, « le fonds apparaît comme un complexe de biens, à la fois mobilier et immobilier, unis dans une même affectation »114. Ces biens peuvent également être augmentés des droits, que l’on adhère ou non à l’idée qu’ils peuvent être l’objet d’un droit de propriété. Le fait qu’il existe en effet « une multitude de droits susceptibles d’être compris dans le fonds », qu’il s’agisse d’autorisations administratifs et de créances dont l’admission serait sans doute profitable pour les activités de service public 115 . S’appuyant sur des exemples tirés du droit comparé, l’auteur propose également d’y inclure les dettes, et dans le cas des créances comme de ces dernières la technique de l’affectation est la seule valable et suffisante : « un élément, qu’il s’agisse d’un bien corporel, incorporel ou d’une dette, est compris dans le fonds si l’exploitant choisit délibérément de l’affecter au fonds » 116 ou, rappelons-le, si son caractère essentiel à l’activité l’impose, ce qui serait sans doute plus courant en droit administratif. En retenant la possibilité d’affecter tout type de bien, le fonds administratif serait pertinent pour rendre compte de toute activité relevant de la compétence d’une personne publique. 2) Le caractère obligatoire ou volontaire de l’affectation des biens et de leur appartenance au fonds administratif 401. Un fonds administratif n’a pas vocation à intégrer « tous les biens qui gravitent autour du service public mais uniquement ceux qui s’avèrent indispensables pour atteindre le but que doit satisfaire le service public »117. En droit privé, la question se pose également de savoir si un bien utile à l’activité doit obligatoirement appartenir au fonds ou si son incorporation doit rester le choix de la personne en vertu de l’autonomie de la volonté. Pour Lise Chatain-Autajon, le lien avec l’exploitation au fonds doit être suffisant pour décider d’y incorporer un bien, une large marge d’appréciation devant être laissée aux acteurs afin de faciliter la gestion. En revanche, « en cas de transfert du fonds, 113 Ibid., n° 554 p. 327. Ibid., n° 563 p. 332. 115 Ibid., n° 571 p. 337. 116 Ibid., n° 616 p. 370. 117 Hélène Saugez, L’affectation à l’utilité publique. Contribution à la théorie générale du domaine public, th. Orléans, 2012, p. 50. 114 357 les biens et de dettes nécessaire à l’exploitation sont obligatoirement compris dans le périmètre du fonds ; en revanche, les parties sont libres d’exclure de l’assiette du fonds les objets qui ne sont pas strictement nécessaires à l’activité ». Il nous semble qu’une telle proposition n’est pas très éloignée de la position du Conseil d’État en matière de biens affectés à un service public dans le cadre d’une concession. On pourrait donc considérer que les biens nécessaires au fonctionnement de l’activité prise en charge sont de plein droit incorporés au fonds administratif tandis que les personnes publiques et privées intéressées peuvent librement déterminer l’incorporation des autres biens en fonction des nécessités de la gestion ou de l’opération particulière en cause. Cette faculté serait évidemment exercée sous le contrôle de juge, tenant compte du bon fonctionnement de l’activité et, notamment, de la continuité du service public. 402. Or, l’essentialité est une notion de droit positif connue en droit de la concurrence à travers la théorie des facilités essentielles 118 . Si l’on se réfère à l’étude d’ensemble qui a été consacrée à celle-ci119, l’essentialité se traduit par deux caractères consubstantiels permettant de dégager deux critères. Un critère vertical qui est celui de la nécessité : le bien produit une utilité qui constitue une étape incontournable pour l’activité exercée. Un critère horizontal qui est celui de l’unicité : le bien doit être irremplaçable dans des délais et à un coût raisonnable et il ne doit pas y avoir d’alternative raisonnable de substitution120. Pour Guillaume Dezobry, « la dimension opérationnelle du critère vertical est quasiment nulle », permettant « seulement de trancher les questions de nonessentialité flagrante dispensant la juridiction ou l’autorité concernée de mener une analyse plus poussée à partir du critère horizontal » 121 . C’est donc, en droit de la concurrence, le critère horizontal qui est déterminant et qui va permettre de caractériser positivement une facilité essentielle. Il nous semble que la logique des activités administratives est ici différente et autorise à accorder la primauté au critère vertical, précisément en raison de sa propension extensive. En effet, tout bien nécessaire au service et au fonctionnement de celui-ci dans de bonnes conditions est ainsi concerné. On songe ainsi aux biens de retour des délégations de service public que l’arrêt précité Commune de Douai définit, du moins pour ce qui concerne « les biens de retour au sens strict » 122, comme les biens nécessaires ou indispensables au service public. Cependant, les biens de retour sont certes toujours nécessaires mais ils ne sont pas forcément conforme à l’exigence d’unicité, le caractère unique et irremplaçable à un coût et dans un délai raisonnable. On citera ainsi l’arrêt L’avis du Conseil de la concurrence n° 02-A-08 du 22 mai 2002, non publié, relatif à la saisine de l’Association pour la promotion de la distribution de la presse, détaille ainsi l’application de cette théorie à une infrastructure essentielle. 119 Guillaume Dezobry, La théorie des facilités essentielles. Essentialité et droit communautaire de la concurrence, op. cit.. 120 Ibid., n° 52 p. 35 et s. 121 Ibid., n° 213 p. 135. 122 François Llorens, « La théorie des biens de retour après l’arrêt “Commune de Douai” », RJEP, 2013, étude 9, n° 8. 118 358 dont on reparlera, Sociétés Equalia et Polyxo123, qui déclare comme biens de retour des appareils de fitness. S’ils sont sans doute nécessaires au service public assumé par la commune délégante, ils n’étaient pas essentiels au sens de non duplicables. On voit donc qu’en droit administratif, le critère des biens administratifs est bien plus leur intégration à un processus administratif fonctionnant normalement que le critère de leur absolue nécessité pour le service ou l’absence de substitut raisonnable. 403. Il semble que les critères de l’essentialité soient quelque peu restrictifs au regard des catégories que connaît le droit positif. Celui-ci semble faire primer le critère vertical sur le critère horizontal. Cependant, cette primauté de la non duplicabilité du bien sur son caractère indispensable à la réalisation de l’activité, s’explique sans mal dans le contexte du droit de la concurrence auquel il appartient. Les facilités essentielles ont en effet un intérêt pratique parce que le refus d’en accorder l’accès peut constituer un abus de position dominante ou une entente illicite. En droit public, l’essentialité n’a pas la même finalité. Elle vise non pas à garantir l’accès au bien mais l’affectation du bien à l’activité. Dès lors, l’existence ou non d’un substitut intéresse moins la personne publique que le simple fait de ne pas avoir en chercher un. La protection des finances publiques doit s’appliquer à l’évidence pour les biens dont la duplication serait possible à un coût exorbitant, mais elle peut aussi être légitime pour un coût simplement non négligeable. C’est pourquoi l’essentialité d’un bien administratif s’évalue d’abord par son caractère nécessaire pour l’accomplissement du service public. Le critère tiré de ce que le bien ne peut être dupliqué pourrait en revanche jouer comme étant toujours suffisant mais non nécessaire, tandis que le critère tiré de ce que le bien est indispensable jouerait comme étant toujours nécessaire mais forcément suffisant Sans doute faut-il admettre qu’il existe « une échelle d’affectation, à l’image de l’échelle de la domanialité »124, et que le régime destiné à appréhender le bien dans le rapport qu’il entretient avec la compétence qu’il sert doit évoluer en fonction de l’intensité de l’utilité. Il nous semble que, de ce point de vue, un équilibre devra notamment être trouvé entre le pouvoir des gestionnaires publics de déterminer le régime qu’ils jugent le plus pertinent, les règles qui leur imposeront cette donnée, et le contrôle que le juge exercera dans les deux cas. 123 CE, 5 fév. 2014, Sociétés Equalia et Polyxo c. Communauté de communes de Saint-Dizier, Der et Blaise, n° 371121, AJDA, 2014, p. 1397 comm. J.-S. Boda et P.-A. Rohan. 124 Hélène Saugez, th. préc., p. 55. 359 § 2 L’adaptation du régime d’exploitation des fonds administratifs aux exigences de l’activité administrative 404. « Quels sont les acteurs de l'activité économique ? », se demande Jean Paillusseau avant d’y apporter la réponse suivante : « Ce sont bien évidemment les entreprises. Chaque entreprise exerce une parcelle de l'activité économique. C'est sa caractéristique première. Elle produit, elle transforme, elle distribue des produits et des services, elle tisse des relations de toute nature avec les autres entreprises ainsi qu'avec la société en général et ses membres » 125 . Cette considération relative au droit des activités économiques s’applique parfaitement au droit des activités administratives et aux « administrations », synonymes ici des entreprises évoquées par Jean Paillusseau. Chaque administration exerce une parcelle de l’activité administrative. Chaque administration contrôle un fonds administratif à partir duquel elle tisse des relations de toute nature, à la fois avec les autres administrations et avec la société constituée des usagers, de ses partenaires et des tiers. Le droit administratif présente généralement les activités administratives en distinguant les services publics selon leur caractère administratif, ou industriel et commercial. Nous proposons une autre façon d’aborder la question en ce qui concerne les fonds administratifs. L’élément qui semble propre aux activités administratives réside en effet dans leur cohésion, parfois relative, mais qui constitue cependant une donnée générale dont nous avons déjà constaté la réalité : l’unité organique 126 . Il semble donc pertinent de distinguer les fonds administratifs en fonction de la complexité de leur gestion. Tout d’abord, il faut revenir sur l’unité de la personnalité juridique publique, qui n’est en rien remise en cause par la coexistence d’une pluralité de fonds administratifs au sein d’un même patrimoine public, même en accordant à ces activités une extrême autonomie (A). Ensuite se pose la question de la délégation d’activités relatives à un fonds administratif et de la limite à ce phénomène. Cette limite signifie que la personne publique aura toujours la responsabilité d’un fonds administratif propre comprenant les activités dont la délégation est impossible (B). Jean Paillusseau, « Le droit des activités économiques au XXIe siècle », préc., n° 74, l’auteur souligne. Cf. supra en ce qui concerne l’unité de l’appareil étatique et l’incohérence qui en résulte d’assimiler les droits des personnes publiques aux droits fondamentaux et libertés des personnes privées. 125 126 360 A. L’unité de la personnalité publique malgré la coexistence d’une multiplicité de fonds administratifs autonomes 405. Une personne publique peut être, et elle seule, en charge d’un seul et unique fonds administratif. C’est le cas typique des établissements publics créés pour accomplir une mission déterminée et relativement circonscrite. Dans un pareil cas, la situation est simple et ne diffère guère quant à sa complexité d’un fonds de commerce relativement simple, accueilli par une entreprise unipersonnelle ou une société n’ayant que cette seule activité à son actif. Tel n’est pas le cas des principales personnes publiques que sont l’État et les collectivités territoriales ayant une vocation suffisamment large pour appeler l’exploitation d’une multitude de fonds administratifs leur appartenant. La coexistence de ces différents fonds administratifs correspondant au diverses activités qu’assument ces personnes publiques ne remet pas en cause l’unité de leur personnalité juridique. L’autonomie de certaines activités peut même être assurée sous la forme d’un fonds administratif ayant un règlement d’organisation et de fonctionnement spécifique, mais toujours approprié par une seule et unique personne publique. Il faut revenir particulièrement sur la question de l’autonomie fonctionnelle des assemblées parlementaires qui a pu soulever la question de leur personnalité juridique, en raison de l’autonomie dont ces organes de l’État bénéficient pour la gestion de leurs affaires et de leurs biens (1). La réflexion sera alors étendue aux ministères, aux autorités administratives indépendantes, aux services déconcentrés, ainsi qu’à certains services au sein d’autres personnes publiques dont l’activité jouit d’une suffisante individualité pour pouvoir être érigée en fonds administratif autonome (2). 1) L’autonomie des assemblées parlementaires : leur attribution en jouissance exclusive d’un fonds administratif appartenant à l’État 406. L’autonomie des assemblées s’impose conformément à la théorie de la séparation des pouvoirs, même si elle n’est pas instituée concrètement par des normes de droit positif 127. Jean Rivero, en raison de l’immunité juridictionnelle extrêmement large dont bénéficient les actes de ces organes de l’État, voyait en elles les « types les plus achevés que notre Droit public connaisse d'institution autonome »128. La question a donc pu se poser de savoir si cette autonomie devait 127 Vincent Dussart, L'autonomie financière des pouvoirs publics constitutionnels, Paris, éd. CNRS, , 2000, p. 167 ; Pierre Avril, Jean Gicquel, Droit parlementaire, Paris, Montchrestien, 4e éd., 2010, p. 61. 128 Jean Rivero, Les mesures d'ordre intérieur administratives. Essai sur les caractères juridiques de la vie intérieure des services publics, Paris, Sirey, 1934, p. 178. 361 signifier que les assemblées avaient, chacune, une personnalité juridique propre et distincte de celle de l’État. La question s’est posée de même en ce qui concernait les ministères et l’on nous autorisera d’aborder ces deux questions parallèlement, dans la mesure où elles posent une même question et appellent une même réponse129. Dans l’arrêt Joly, le Conseil d’État avait été amené à se prononcer sur les travaux d’extension du Palais Bourbon et la construction d’une nouvelle salle des séances de la Chambre des députés sous la IIIe République130. Pour qualifier ces travaux de public, le Conseil s’est contenté de constater que le coût des travaux était imputé au budget de l’État et portait sur un ouvrage. Selon Maurice Hauriou, « le Conseil d’État a réservé la question de savoir pour le compte de qui les travaux du Palais-Bourbon devaient être entrepris et par là évité de se prononcer sur la personnalité morale de la Chambre des députés ». Il continuait cependant, en ce que, « sans prétendre explorer le problème dans toute son étendue, nous pouvons au moins le jalonner de quelques réflexions ». Ces réflexions le conduisaient à conclure que « les symptômes d’une personnalité morale des assemblées législatives sont donc certains » : elles ont leur propre budget, leurs ordonnateurs et comptables, disposent de leurs biens et de leurs personnes. En somme, elles ont un patrimoine, même si elles ne sont pas censées être propriétaires des biens qu’elles utilisent. C’est pourquoi Maurice Hauriou y voit l’expression d’une personnalité morale en devenir et qu’il prévoit d’être reconnue. Il le déplore en ces termes : « il vaudrait mieux, assurément, que la personnalité morale des assemblées ne se révélât pas et ne vint pas fortifier leurs ambitions politiques ; mais en fait, elle se révèle, et, fidèle observateur du fait juridique, notre devoir est de la signaler ». La motivation des craintes du célèbre doyen peut être discutée131, il est un fait qu’une assemblée parlementaire, qu’il s’agisse désormais du Sénat ou de l’Assemblée nationale, mérite une indépendance conforme à la séparation des pouvoirs et qui ait sa traduction dans l’utilisation des moyens affectés à son fonctionnement. Pour Léon Michoud, la question méritait d’être tranchée négativement quoi qu’il advienne : « le roi, un parlement ou même le peuple réuni dans ses comices, n'est jamais toute la personne morale pour laquelle il légifère, mais seulement son organe »132. Plus récemment, c’est à une même conclusion que parvenaient deux auteurs ayant soulevé de nouveau la question 133, rejoignant l’essentiel de la doctrine qui considère que les assemblées ne sont pas des sujets de droit distincts de l’État dont elles ne sont que l’organe, 129 Bertrand Delcros, L'unité de la personnalité juridique de l'État. Étude sur les services non personnalisés de l'État, Paris, LGDJ, 1976. 130 CE, 3 fév. 1899, Joly, S., 1899.3.121, note Hauriou. 131 Par exemple : « II nous parait à redouter que le régime actuel, qui tient encore énergiquement les assemblées sous la dénomination de l’électeur et sous le contrôle de l’opinion publique, n’aboutisse, par la fatigue et la désaffection de ceux-ci, à la domination pure et simple des assemblées, transformées en syndicats politiques se recrutant eux-mêmes par cooptation d’une façon plus ou moins déguisée ». 132 Léon Michoud, La théorie de la personnalité morale et son application au droit français, LGDJ, 1924, rééd., 1998, p. 58. 133 Benoît Camguilhem, « L’illusoire personnalité juridique des assemblées parlementaires », RDP, 2013, p. 867 ; Xavier Barella, « L’autonomie des assemblées parlementaires », RDP, 2013, p. 843. 362 position confirmée à deux reprises par l’assemblée du Conseil d’État134. Ainsi que le conclut Benoît Camguilhem, « par le champ donné par la pratique à leur autonomie, les assemblées parlementaires ont tendu au maximum le lien qui les unit à l'État sans qu'il ne vienne jamais à se rompre »135 et n’ont donc pas la personnalité juridique. Si la chose est entendue, l’immunité juridictionnelle évoquée, bien que réduite dans son étendue, reste problématique. Xavier Barella considère à cet égard que « l'autonomie des assemblées parlementaires est un principe qui se justifie dans le cadre de la construction de l'État de droit et est une exigence démocratique », ce qui justifie sans doute « l'existence de services propres, d'une autonomie financière ainsi que d'une autonomie normative », mais « il est de plus en plus difficile d'admettre l'existence d'une immunité juridictionnelle pour les actes des assemblées parlementaires »136. 407. Adopter le point de vue des fonds administratif autorise à proposer une solution permettant à la fois de garantir l’autonomie des assemblées tout en autorisant leur soumission à la légalité sans que cela ne puisse, par un étrange paradoxe dans un État de droit, remettre en cause la séparation des pouvoirs. La solution s’étendrait aux ministères dont l’autonomie n’a à l’inverse aucune garantie à recevoir du point de vue constitutionnel, mais qui existe de fait. L’élaboration du fonds administratif de chaque assemblée comporterait la nomenclature et l’inventaire de l’ensemble des moyens matériels, financiers et humains affectés à leur fonctionnement. Le fonds serait géré par les organes des assemblées, mais appartiendrait encore à l’État, autorisant l’intervention des autres organes de celui-ci sous la seule réserve de respecter l’autonomie des assemblées. La propriété et la gestion d’un fonds peuvent être distinctes, réparties entre la personne publique et ses organes, ou comme on le verra entre plusieurs personnes intervenant dans sa gestion ou en raison de l’appartenance des biens affectés au patrimoine de personnes juridiques différentes. Sur l’ensemble des moyens affectés à leur activité, les assemblées auraient une autonomie de gestion interdisant tout acte émanant d’une autre autorité administrative relativement à leur gestion. En revanche, un contrôle pourrait être exercé extérieurement à la gestion de ce fonds à la fois par la Cour des comptes et par le juge administratif, qui pourrait ainsi connaître des actes relatifs à la gestion des biens incorporés au fonds. On pourrait imaginer d’y ajouter le critère d’un doute sérieux sur la légalité de l’acte pour en permettre la recevabilité à l’image des référés d’urgence, mais le fait est que l’acte serait alors susceptible de recours tout en ayant créé à l’avance un contexte d’autonomie absolue de l’assemblée dans la gestion des moyens affectés à son activité. Il faut souligner que l’ordonnance du 17 novembre 134 CE, Ass., 5 mars 1999, Président de l'Assemblée nationale, n° 132023 ; RFDA, 1999, p. 340, concl. C. Bergeal ; CE, Ass., 8 février 2007, Gardedieu, n° 279522 ; RFDA, 2007, p. 361, concl. L. Derepas. 135 Benoît Camguilhem, préc., p. 889. 136 Xavier Barella, préc., p. 866. 363 1958 prévoit déjà le recours contre les actes relatifs aux marchés publics des assemblées. Leur fonds administratif doit être préservé des ingérences d’autres services de l’État, notamment du gouvernement mais les actes relatifs à ces fonds et aux biens qui y sont incorporés ne doivent pas être exclus du principe de légalité auquel aucun organe ne doit pouvoir se soustraire. En termes propriétaires, les biens des assemblées doivent voir leur jouissance exclusive réservée aux seuls organes relevant de chaque assemblée, mais les actes juridiques qui s’y rapportent ne doivent pas bénéficier d’une immunité juridictionnelle injustifiable. Le raisonnement s’étend sans difficulté aux autorités administratives indépendantes dont l’indépendance les soustrait au pouvoir hiérarchique et à la tutelle 137 . Il serait possible de considérer qu’elles sont gestionnaires d’un fonds administratif comprenant à la fois le droit de puissance de l’État qu’elles exercent lors de leurs activités de réglementation, voire de sanction, et les moyens matériels qui sont nécessaires à leur fonctionnement. On généralisera la proposition en considérant la possible attribution de fonds administratifs à tout service dont les spécificités de l’activité ou de son régime le justifient. 2) L’attribution de fonds administratifs autonomes à certains services centraux, déconcentrés ou internes à certaines personnes publiques 408. Dans son étude sur les fonds du droit privé, Lise Chatain-Autajon suggère qu’il serait profitable au droit des procédures collectives 138 . Ce dernier connaît la notion de « branche complète et autonome d’activité », laquelle branche, si elle est économiquement viable, a vocation à être préservée nonobstant l’éventuelle mise en liquidation de l’entreprise qui l’accueillait139. La notion de fonds permettrait de conceptualiser une telle activité divisible et viable140. 137 CE Ass., 7 juill. 1989, Ordonneau, Rec., p. 161, AJDA, 1989, p. 598. Voir aussi Gilles J. Guglielmi et G. Koubi, Droit du service public, op. cit., pp. 354-355 qui rapprochent le fonctionnement des AAI, dans ses modalités, de la régie. 138 Elle effectue un même parallèle en ce qui concerne les contrats de travail, appliquant la notion de fonds à l’article L. 122-12 du code du travail prévoyant le transfert des contrats de travail. On pourrait sans doute effectuer la même réflexion que la nôtre mais dans le domaine de la fonction publique. Cf. pour initier la réflexion, CE, 13 juill. 2012, n° 359266, AJDA, 2012, p. 2148, « Transferts de compétences et garanties des agents détachés » ; Jacques Ferstenbert, « Le transfert des personnels dans la loi relative aux libertés et responsabilités locales », AJDA, 2004, p. 1996. 139 Directive n° 90/434/CEE du Conseil, 23 juill. 1990, art. 2-i la définit comme « l’ensemble des éléments d’actif et de passif d’une division d’une société qui constituent, du point de vue de l’organisation, une exploitation autonome, c’est-à-dire un ensemble capable de fonctionner par ses propres moyens ». 140 Lise Chatain-Autajon, La notion de fonds en droit privé, op. cit., p. 497-514, laquelle conclut, n° 893 p. 514 : « la substitution du concept de branche complète et autonome d’activité par celui de fonds permettrait donc une nouvelle approche du périmètre du plan de cession partielle d’entreprise : le juge pourrait envisager non seulement la cession des contrats nécessaires à l’activité mais également celle des contrats utiles à l’activité que le repreneur souhaite continuer ». 364 Cette notion pourrait tout d’abord être appliquée dans le cadre des transferts de compétences, auxquels sont associés en principe le transfert des moyens 141 qui y sont affectés, ce qui n’est pas sans poser des difficultés et soulever des contestations 142. La notion de fonds administratif appliquée aux activités préalablement à leur transfert entre collectivités permettrait de prévoir ces difficultés par avance et de prévenir, peut-être, certaines de ces contestations. L’intuition permet également de soumettre chaque activité prise en charge par une personne publique au régime juridique pertinent. 409. Les services de l’État peuvent avoir une certaine autonomie de fonctionnement sans remettre en cause l’unité de la personnalité juridique de celui-ci. Cette autonomie a été formalisée dans le cadre de la politique de modernisation de l’État. Désormais, l’article R. 23131 du CG3P dispose que « les immeubles qui appartiennent à l’État sont mis à la disposition des services civils ou militaires de l'État et de ses établissements publics afin de leur permettre d'assurer le fonctionnement du service public dont ils sont chargés, dans les conditions prévues par une convention dont le modèle est fixé par arrêté du ministre chargé du domaine ». Il n’y a pas de véritable contrat car il n’y a pas deux personnes juridiques distinctes. Pour autant, on peut considérer qu’il y a la rencontre de plusieurs fonds administratifs autonomes. Il y a d’une part le service des domaines qui est chargé d’exercer quotidiennement le droit de propriété de l’État sur les biens qui lui appartiennent. Il y a d’autre part tous les fonds administratif correspondant aux services de l’État, centraux ou déconcentrés, que l’on pourrait individualiser sous cette forme. Le service des domaines constitue un fonds administratif support à l’échelle de l’État, comprenant l’ensemble des immeubles dont il a la charge. Le service domaine en organise ensuite l’affectation et la mise à disposition. Cela a pour effet d’intégrer ces immeubles aux fonds administratifs opérationnels au bénéfice des services de l’État qui les utilisent. Le rapport de la mission d'évaluation et de contrôle de juin 2008 sur les suites données aux préconisations de la mission d'évaluation et de contrôle sur l'immobilier de l'État soulignait : « la fonction de pilotage de l'immobilier de l'État reste encore à structurer : le regroupement des services doit être recherché (synergies, coûts de communication et de transport, mutualisation des installations salles de réunion, documentation...) ». Or, ajoutait-il, « les économies ainsi réalisées seraient substantielles... l'économie des coûts de structure, liée à une mutualisation des moyens, pouvait être estimée à 10 % du total en 2011, après trois années de mise en œuvre ». Concevoir comme un fonds administratif support cette 141 L’article L. 5211-5 CGCT prévoit une telle obligation en ce qui concerne les EPCI : « Le transfert des compétences entraîne de plein droit l'application à l'ensemble des biens, équipements et services publics nécessaires à leur exercice, ainsi qu'à l'ensemble des droits et obligations qui leur sont attachés à la date du transfert, des dispositions des trois premiers alinéas de l'article L. 1321-1, des deux premiers alinéas de l'article L. 1321-2 et des articles L. 1321-3, L. 1321-4 et L. 1321-5 ». 142 Nathalie Bettio, La circulation des biens entre personnes publiques, Paris, LGDJ, 2011, pp. 223 et s. 365 activité essentielle au service de toutes les activités administratives de l’État et de ses établissements publics n’est pas sans intérêt à première vue. On pourrait sans mal, imaginer un même rapport entre les services en charge de l’affectation des fonctionnaires sans poste attribué et les services en demande de postes vacants. Le vote du budget n’est en cela rien d’autre non plus qu’un acte de répartition des crédits entre autant de fonds administratifs ainsi financés. La Caisse des dépôts et consignation, qui constitue depuis la loi du 4 août 2008 un établissement spécial et, avec ses filiales, « un groupe public au service de l’intérêt et du développement économique » selon l’article L. 518-2 du Code monétaire et financier, constitue également un exemple possible de fonds support. Cette distinction entre fonds supports et fonds opérationnels permettrait de se représenter avec exactitude les moyens de chaque service, dont l’agrégation devrait fournir une représentation synthétique. On passerait ainsi d’une approche statique concevant les biens comme un patrimoine à conserver, à une approche résolument dynamique les appréhendant comme les actifs à gérer pour le fonctionnement optimal des activités dont ils sont les moyens. 410. Un autre intérêt de pouvoir individualiser certaines activités administratives au sein d’une même personne publique, consiste à la soumettre au régime juridique adéquat. On sait que le droit communautaire soumet certains services d’une même administration au droit de la concurrence, dans la mesure où l’activité qu’ils mettent en œuvre s’apparente aux activités économiques d’une entreprise143. Or, les logiques de « valorisation » ou plus généralement de recherche de rentabilité dans les services publics 144, conduisent de plus en plus d’organismes en charges d’une mission de service public à développer des activités annexes ayant vocation à générer des recettes. Prenons l’exemple des établissements publics de coopération culturelle 145, dont la loi ne précise d’ailleurs pas la nature administrative ou industrielle et commerciale 146 . La précision n’aurait d’ailleurs été que d’un secours relatif dans la mesure où l’établissement public peut être 143 CJCE, 27 oct. 1993, Decoster, C-69/91 ; Taillandier, C-92/91, I, 5335-5383, concl. G. Tesauro ; Jean-François Sestier, « Les personnes soumises au droit communautaire : pouvoir adjudicateur et entité adjudicatrice », LPA, 2000, p. 50. 144 Sébastien Bernard, La recherche de la rentabilité des activités publiques et le droit administratif, Paris, LGDJ, 2001. 145 Régis par les articles L. 1431-1 CGCT. Créés par la loi n° 2002-6 du 4 janvier 2002 relative à la création d'établissements publics de coopération culturelle ; Jean-Marie Pontier, « L’établissement public de coopération culturelle », AJDA, 2002, p. 430. 146 L'EPCC a la qualité de service public administratif (SPA) ou industriel et commercial (SPIC) selon « l'objet de son activité et les nécessités de sa gestion » , ce qui n’infirme donc pas la présomption de service public administratif et renvoie à l’application des critères classiques ; voir sur ce point Yvon Goutal, Armand Desprairies, « Focus sur l’établissement public de coopération culturelle », AJCT, 2013, p. 404 : « Sur ce point, la circulaire interministérielle n° 2003/05 du 18 avril 2005 (complétée par la Circ. n° 2008/006 du 29 août 2008) donne des indices de qualification en SPA (établissements d'enseignement et les établissements à mission principalement patrimoniale) ou de SPIC (les institutions de création, de production et de diffusion du spectacle vivant telles que les opéras ou théâtres) ». 366 à double visage ou à visage inversé147. Tel fut le cas dans un arrêt relatif au Port autonome de Bordeaux et à la contribution à la formation professionnelle aux salaires « versés à leurs personnels dans la proportion où ceux-ci sont affectés à des activités de caractère industriel ou commercial ». On peut imaginer que l’individualisation des moyens affectés à ces activités faciliterait la détermination de cette proportion. Cela serait facilité par le fait que le fonds administratif du port autonome correspond à « une activité de nature industrielle et commerciale, en ce qui concerne en particulier l'exploitation des outillages du port »148. On voit que prendre le problème à partir des moyens qui sont affectés et du temps consacré à leur exploitation pourrait avoir une certaine pertinence. Lorsqu’une personne publique prend en charge une activité économique accessoire à son activité principale, il semble qu’individualiser sous la forme d’un fonds administratif spécifique les personnels, les moyens et les autres éléments relatifs à cette activité entrant en concurrence directe avec d’autres opérateurs sur le même marché des espaces à destination des entreprises, serait un moyen efficace de soumettre au droit de la concurrence cette seule activité et non l’activité de service public proprement dite. Il y aurait ainsi une activité à destination des usagers et une activité à destination de véritables clients, identiques à celle que mettent en œuvre d’autres opérateurs pour attirer leur propre clientèle 149. Cela permettrait d’étendre, à titre de principe d’organisation des activités administratives, les règles relatives aux budgets annexes. Le fonds administratif constituerait donc une technique intéressante pour représenter une activité, son budget, ses biens et les personnes qui en relèvent tout en tenant une comptabilité transparente ou, à tout le moins, pouvant l’être. Il y aurait notamment une plus grande facilité à isoler d’un point de vue comptable et budgétaire une activité se développant dans un cadre concurrentiel. On peut évidemment individualiser également des fonds administratifs de même nature, marchande ou non marchande, pour des raisons analogues tenant à une différence de régime le justifiant. Par exemple, un établissement public en charge de deux missions de service public complémentaires mais néanmoins distinctes et relevant de la compétence de personnes publiques différentes, gagnerait sans doute à procéder à une même individualisation. La représentation des activités administratives sous la forme de fonds administratifs permettrait peut-être également de clarifier certains points qui peuvent aujourd’hui poser des 147 TC, 17 avril 1959, Abadie Rec., p. 239 concl. Henry ; CE, 26 juill. 1982, Min. du budget c. Port autonome de Bordeaux, et sur le visage inversé, le FORMA qualifié d’EPIC ne gère en réalité qu’un SPA, TC, 24 juin 1968, Société d’approvisionnements alimentaires et Société Distilleries bretonnes. Jean-François Lachaume, « Brèves remarques sur les services publics à double visage », RFDA, 2003, p. 362 ; Bertrand Seillier, « L’érosion de la distinction SPA-SPIC », AJDA, 2005, p. 417. 148 149 Un tel cas de figure est illustré par la création sous la forme d’un établissement public de coopération culturel du Musée des Confluences à Lyon. Destiné principalement à accueillir le public venant profiter des expositions du Musée, celui-ci a prévu par ailleurs une activité de commercialisation d’espaces à destination des entreprises privées. 367 difficultés. Ainsi, la discrimination entre les dépenses d’investissement et les dépenses de fonctionnement pourrait recevoir une formulation renouvelée. Il y aurait sans doute quelque profit à en retirer au vu des conséquences budgétaires 150, quant à l’équilibre des finances d’un fonds, c’est-à-dire par activité administrative, et fiscales, tout particulièrement relativement au fonds de compensation de la taxe sur la valeur ajoutée151. Quoi qu’il en soit, la notion de fonds administratif permet de diviser les activités d’une même personne publique en autant d’éléments qu’il est nécessaire. Cela permet une meilleure efficacité du service, un meilleur équilibre budgétaire ou l’application différenciée des régimes juridiques pertinents. B. La gestion déléguée des fonds administratifs et la question des activités insusceptibles de délégation 411. Il faut tout d’abord revenir sur le cas des fonds administratifs dont l’activité relèverait de l’hypothèse des services publics constitutionnels. L’analyse révélant que ces fonds comportent bien une part d’activités qui ne pourraient être assurées par une autre personne que la personne publique compétente sans modification de la Constitution, la réflexion peut être étendue. En effet, tous les fonds administratifs sont administratifs parce qu’une personne publique en assume l’activité. Ils comportent donc tous une part résiduelle d’activité nécessairement assurée par la personne publique, sauf à cesser d’être des fonds administratif en étant transférés au seul secteur privé (1). Les modalités de délégation peuvent alors être examinées brièvement, dans la mesure où elles seront régulièrement l’objet de développements tout au long de la présente partie. Il s’agira simplement de présenter les délégations d’activités administratives sous la forme de modalités d’exploitation des fonds administratifs (2). 150 Les articles du CGCT L. 2311-1, pour les communes, L. 3311-1 al. 2, pour les départements, L. 4311-1 al. 2., pour les régions, disposent que le budget de la collectivité concernée « est établi en section de fonctionnement et section d'investissement, tant en recettes qu'en dépenses ». Voir également l’arrêté du 16 décembre 2013 relatif à l'instruction budgétaire et comptable M. 14 applicable aux communes et aux établissements publics communaux et intercommunaux à caractère administratif. 151 Le régime du FCTVA est actuellement fixé par les articles L. 1615-1 à L. 1615-13 et R. 1615-1 à D. 1615-7 du CGCT. 368 1) Les éléments insusceptibles de délégation au sein des fonds administratifs : leur appropriation publique résiduelle obligatoire 412. La décision du Conseil constitutionnel relative aux privatisations 152 a soulevé l’hypothèse de services publics nationaux. Leur nécessité découlerait « de principes ou de règles de valeur constitutionnelle » (cons. 53). Leur existence et leur fonctionnement « seraient exigés par la Constitution » (cons. 54). Une confirmation semblait ressortir de la décision Liberté de communication dans laquelle le Conseil ne considérait pas la télévision comme étant par elle-même « une activité de service public ayant son fondement dans des dispositions de valeur constitutionnelle » 153 . Cependant, le Conseil n’a jamais constaté l’existence d’un service public qui s’imposerait à l’État en vertu de la Constitution154. La catégorie des services publics constitutionnels n’a donc pas été consacrée par le droit positif155 et reste donc purement « doctrinale »156. On pourra considérer que « le Conseil constitutionnel distingue des éléments indissociables et des éléments détachables des fonctions de souveraineté »157. Considérer les fonds administratifs qui sont le support de ces activités prévues par la Constitution permet de prolonger cette interprétation. On peut en effet proposer une interprétation du régime juridique des services publics dits constitutionnels du point de vue des fonds administratif. L’État réunit et organise des moyens essentiels à une activité de souveraineté dont le matériel et le personnel immédiatement employé à son exercice ne peuvent qu’appartenir, nécessairement, au fonds administratif dont il est seul propriétaire et responsable158. En revanche, toutes les activités périphériques peuvent parfaitement être le fait de partenaires privés à la condition de prévoir les obligations, légales ou 152 Décision n° 86-207 DC des 25 et 26 juin 1986 précitée. Décision n° 86-217 DC du 18 septembre 1986, Liberté de communication ; voir aussi la décision n° 87-232 DC du 7 janvier 1988, Loi relative à la mutualisation de la Caisse nationale de crédit agricole, évoquant un service « exigé par la Constitution » et la décision n° 96-375 DC du 9 avril 1996, Loi portant diverses dispositions d’ordre économique et financier. 154 Il est possible de considérer que le service public d’admission des demandes d’asile est une activité qui s’impose à la France en vertu de sa volonté d’adhérer à la Convention de Genève de 1951 et dont la disparition pourrait entraîner l’engagement de sa responsabilité internationale. Convention du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés. Dans le sens d’une possible obligation internationale de créer certains services publics, Gilles J. Guglielmi, Geneviève Koubi, Droit du service public, op. cit., pp. 175 et s. ; Jean-François Lachaume et al., Droit des services publics, op. cit., pp. 158 et s. 155 Ramu de Bellescize, Les services publics constitutionnels, Paris, LGDJ, 2005. 156 Yves Gaudemet, préface à la thèse de Ramu de Bellescize, précitée, p. V : « aucune des quatre décisions du Conseil constitutionnel intervenues entre 1986 et 1996 ne désigne positivement un tel service public constitutionnel ; aucune des lois déférées ne concernait un service public de cette catégorie ; et dès lors la mention des services publics constitutionnels, inutile à chacune de ces décisions du Conseil, apparaît pour ce qu’elle est, ou voudrait être : une construction purement jurisprudentielle, réservant l’avenir et marquant l’inaccessibilité de certains services publics au législateur, au moins pour leur existence et les principes de leur fonctionnement ». Considérant qu’il existe une distinction entre services publics constitutionnels et législatifs, Louis Favoreu, Loïc Philip, Les grandes décisions du Conseil constitutionnel, Paris, Dalloz, 15ème éd., 2009, n° 31, p. 533. 157 Maëlle Perrier, Le recours au contrat en matière de police administrative, th. Lyon 3, 2011, p. 462. 158 En matière de défense, « la « ligne rouge » à ne pas franchir est de ne pas affecter la conduite des opérations militaires. En effet, les opérations qui relèvent directement de l’exercice de la souveraineté ne peuvent pas être externalisées », Maëlle Perrier, ibid., p ; 468 ; cf. Ramu de Bellescize, op. cit., p. 184 : « l’armée reste au cœur de l’État, comme le prescrit la Constitution, seulement le noyau dur de ses activités est considérablement diminué ». 153 369 contractuelles, de nature à garantir la continuité du service public et les libertés publiques éventuellement concernées159. C’est pourquoi il nous semble possible d’affirmer qu’une activité assumée par une personne publique signifie in fine qu’elle est propriétaire d’un fonds administratif résiduel du point de vue des activités concrètement assurées, mais principal par rapport aux fonds administratifs qui assurent cette activité au quotidien mais n’en sont que les accessoires, les instruments. 413. La notion de fonds administratif permet de faire la part des activités qui doivent demeurer sous la responsabilité immédiate d’une personne publique et celles qui peuvent faire l’objet d’une gestion déléguée, éventuellement sous la forme d’un fonds administratif propre à une personne privée. Alain-Serge Mescheriakoff proposait de diviser les services publics en trois niveaux : la maîtrise du service, la gestion du service et l’exploitation du service160. Cette analyse a pu être appliquée à la police administrative161. D’une manière générale, une activité pour être « assumée » par une personne publique suppose que cette dernière ait, au moins partiellement, la maîtrise du service et en exerce ainsi une part résiduelle incompressible. Ce caractère résiduel est d’ailleurs purement quantitatif car il s’agirait pour l’essentiel de la définition du besoin que l’activité doit satisfaire et de ses modalités essentielles d’accès et de fonctionnement. On peut relever que, en ce qui concerne le service public des pompes funèbres déjà évoqué, la commune conserve une responsabilité résiduelle même en cas d’absence de service communal. En effet, l’article L. 2223-27 dispose que le service doit être gratuit pour les personnes dépourvues de ressources 162 et que, dans pareil cas, la commune doit prendre en charge les frais d’obsèques et choisir l’organisme qui assurera le service. La commune constitue donc nécessairement un fonds administratif relatif aux pompes funèbres. Ce qu’illustre le développement des externalisations d’activités au Ministère de la défense ; François Saliou, « L’externalisation permet-elle une réduction des dépenses publiques ? L’exemple du ministère de la Défense », JCP A, 2012, 2141 ; Rapport de la Cour des comptes ; Rapport d’information sur le coût et les bénéfices attendus de l’externalisation au sein du ministère de la Défense, enregistré à la présidence de l’Assemblée nationale le 2 fév. 2011 ; voir également le rapport de la Cour des comptes. Le projet de budget pour le Ministère de la défense pour l’année 2015 est à ce titre édifiant. Il prévoit la mise en place de contrats de projet, qui ne sont qu’une formule lénifiée pour désigner des contrats de partenariat dans lesquels les matériels de l’armée seront la propriété d’une personne privée malgré leur affectation. Le principe d’appropriation publique des biens affectés aux services publics constitutionnels est semble-il introuvable. 160 Alain-Serge Mescheriakoff, Droit des services publics, PUF, coll. « droit fondamental », 2ème éd., 1997, p. 278. 161 Maëlle Perrier, th. préc., p. 465 : « Le premier niveau correspond à la fonction intrinsèque de la police qu’est l’adoption de la prescription, c’est-à-dire la compétence d’édiction de mesure de police et l’ensemble des actes qui impliquent l’exercice de la puissance publique. A un second niveau, se trouve la fonction d’action ou d’exécution matérielle, soit les prestations matérielles de police. Au dernier niveau, se situe l’ensemble des prestations purement extérieures à la mission de police mais non dépourvues de tout lien avec elle comme par exemple la construction et l’entretien des bâtiments destinés aux besoins de la police ». 162 Dont l’identification peut parfois se révéler problématique, Cass., 1 ère civ., 14 mai 1992, JCP N, 1994, II, p. 56, note Testu. 159 370 Ce fonds comportera, a minima, les heures de travail nécessaires des fonctionnaires qui y sont affectés, les moyens d’établir les actes afférents et, le cas échéant, les deniers publics permettant la prise en charge des obsèques pour les plus démunis. La plupart des fonds administratifs suppose une activité de la part de la personne 414. publique qui l’assume, laquelle est donc propriétaire a minima d’un fonds administratif qui lui est propre et à partir duquel se développe le fonds administratif « global » ou « intégré », comprenant tous les fonds secondaires supportant toutes les activités liées à la mission ainsi accomplie. Le rattachement organique des activités administratives serait donc ainsi identifié du point de vue des universalités de moyens qui y sont affectés. Ces universalités seraient enchaînées les unes aux autres jusqu’à participer au sommet de la chaîne du fonds administratif possédé et géré par une personne publique. Ce fonds pourrait bien être réduit aux seuls moyens de direction et de contrôle de l’activité, dont l’essentiel serait constitué des droits et obligations détenus sur les différents biens affectés et les opérateurs intervenant dans l’activité. Ces droits et obligations seraient autant liens caractérisant le rattachement organique de l’activité à la personne publique, inscrivant l’ensemble dans l’ordre juridique partiel du droit public. 2) Les fonds administratifs confrontés au phénomène de délégation d’activités administratives 415. Dans le cas d’une délégation d’activité initiée par une personne publique, matérialisée par une convention conclue avec la personne qui aura en charge de l’assurer, on peut distinguer selon que le délégataire aura à sa charge les investissements nécessaires à la mise en place de l’activité ou non. Si tel n’est pas le cas la situation se rapproche du modèle de l’affermage ou de la régie intéressée et si oui du modèle de la concession, qu’il s’agisse là encore de service public ou non. Dans le premier cas, le rattachement organique le plus immédiat est illustré par l’hypothèse d’une régie intéressée en ce qui concerne les services publics. La régie intéressée est définie comme « le mode de gestion en vertu duquel un régisseur intéressé assure l’exploitation du service public, entretient, certes, une relation avec les usagers mais effectue des opérations de recettes et de dépenses pour le compte de la collectivité et perçoit une rémunération figurant en dépenses dans le budget de la collectivité »163. La situation s’apparente ici pratiquement à un contrat de mandat à titre onéreux en droit privé, et 163 Jean-François Lachaume et al., op. cit., n° 705 p. 377. 371 dont l’article L. 146-1 du code de commerce propose une adaptation présentant, là encore, de grandes similitudes : « Les personnes physiques ou morales qui gèrent un fonds de commerce ou un fonds artisanal, moyennant le versement d'une commission proportionnelle au chiffre d'affaires, sont qualifiées de "gérants-mandataires" lorsque le contrat conclu avec le mandant, pour le compte duquel, le cas échéant dans le cadre d'un réseau, elles gèrent ce fonds, qui en reste propriétaire et supporte les risques liés à son exploitation, leur fixe une mission, en leur laissant toute latitude, dans le cadre ainsi tracé, de déterminer leurs conditions de travail, d'embaucher du personnel et de se substituer des remplaçants dans leur activité à leurs frais et sous leur entière responsabilité ». Dans l’hypothèse d’une régie intéressée, on peut donc considérer que la personne publique demeure propriétaire du fonds administratif comme il en va du fonds de commerce confié à un gérant-mandataire. Dans le cas de l’affermage, la délégation s’apparente plutôt à la location-gérance prévue par les articles L. 144-1 et suivantes du code de commerce (et dont sont exclues les personnes publiques à l’exception des EPIC) et qui vise « tout contrat ou convention par lequel le propriétaire ou l'exploitant d'un fonds de commerce ou d'un établissement artisanal en concède totalement ou partiellement la location à un gérant qui l'exploite à ses risques et périls ». Dans une telle situation, les travaux importants ou les investissements reviendront à la charge du propriétaire, qui ne pourra pas en imputer le coût au gérant. Une telle situation est à l’évidence très proche de l’affermage en matière de service public, « contrat par lequel une collectivité publique confie à une autre personne, le fermier, l’exploitation d’un service public, à l’exclusion des investissements qui s’y rapportent »164, le fermier agissant à ses frais et risques. La différence essentielle tient en ce que la personne publique ne pourra pas se départir des attributions relatives à détermination de l’objet de l’activité et de ses principes de fonctionnement. 416. La seconde hypothèse correspond aux cas de concession, mais on étendra plus largement à l’ensemble des relations de partenariat entre une personne publique et une personne privée. Etienne Muller propose de définir ces relations de la façon suivante : « toute opération dans le cadre de laquelle une autorité publique confie à un opérateur économique une mission globale et de longue durée comprenant le préfinancement, la réalisation et l’exploitation ou l’entretien d’un investissement affecté à une activité publique »165. L’élément essentiel qui nous concerne est qu’en pareil cas, même si la chose est possible en affermage, l’activité a certes été définie par la personne publique, mais n’existe pas concrètement avant d’avoir été mise en œuvre par le partenaire de la collectivité. C’est donc lui qui va donner son existence au fonds en prenant les biens mis à sa disposition, en acquérant ou en construisant ceux qui font défaut, et en affectant et organisant l’ensemble de 164 165 Ibid., n° 703 p. 375. Etienne Muller, Les instruments juridiques des partenariats public-privé, Paris, L’Harmattan, 2011, n° 21 p. 27. 372 ses moyens à l’activité prise en charge. C’est donc le partenaire de la personne publique qui va créer et enrichir le fonds à partir duquel l’activité va être assurée. Pour autant, cette activité est toujours assumée par la personne publique et le fonds géré est peut-être l’objet de la propriété du partenaire, mais il s’agit cette fois d’une véritable propriété fiduciaire. 417. La meilleure illustration réside dans le sort des biens affectés au fonds lorsqu’ils n’appartiennent pas à la personne publique mais à son partenaire. Dans l’hypothèse d’une activité de service public, les biens sont de retour ou de reprise s’ils sont affectés spécialement à l’activité exercée, c’est-à-dire au fonds administratif. Les premiers feront retour de plein droit à la personne publique, qui aura sur les seconds une option d’achat privilégiée, si bien que l’ensemble des biens incorporés au fonds ont vocation à suivre celui-ci et par conséquent revenir à la personne publique. 418. Enfin, on terminera ces développements en évoquant cette variante de la délégation qu’est la mutualisation des moyens affectés à une même activité. Il s’agit d’une démarche de rationalisation de l’action publique largement encouragée dans la période actuelle. En ce qui concerne les services des collectivités166, il y aurait ici des fonds administratifs « supports », au service d’autres fonds administratifs qualifiés d’opérationnels. C’est sans doute en ce qui concerne ces derniers que les questions sont le plus complexe car les moyens peuvent être quantitativement et qualitativement plus importants. Par exemple, plusieurs communes ayant chacune une activité d’exploitation forestière peuvent recourir ensemble à la faculté que leur offre l’article L. 231-1 du code forestier (nouveau) de constituer un syndicat intercommunal de gestion forestière167 « en vue de la mise en valeur, la gestion et l'amélioration de la rentabilité » des bois et forêts leur appartenant. Il y aura sans doute ici constitution d’un fonds administratif unique entre les mains du syndicat, mais ce fonds demeurera de toute évidence administratif, sans constituer pour autant le support d’une activité de service public. Qu’il soit la propriété du syndicat, propriété fiduciaire en ce cas, ou copropriété des collectivités qui en sont membres 168 , le fonds sera qualifié d’administratif. 166 Floriane Boulay, « Vers une généralisation de la mutualisation des services entre collectivités locales ? », AJDA, 2012, p. 468. 167 Lui-même conçu sur le modèle prévu à l’article L. 5212-1 CGCT. 168 A l’image des fonds commun de placement qui sont également sous le régime de la copropriété, cf. Lise ChatainAutajon, op. cit., p. 198 et s. 373 Conclusion du Chapitre 1 419. Propriétaires sur le fondement de leur compétence, les personnes publiques exerceront cette dernière par la mise en œuvre des activités nécessaires à l’accomplissement des missions qui en relèvent. A l’instar des activités économiques connues du droit privé, les activités administratives peuvent être décrites sous la forme d’un fonds administratif. Ce fonds est l’universalité des biens affectés à cette activité. Les fonds administratifs sont nécessairement placés sous le contrôle d’une personne publique, qu’elle en soit propriétaire ou non. L’action publique est alors constituée de l’ensemble des fonds administratifs exploités sous la contrôle des personnes publiques. C’est donc à partir de ces fonds administratifs que l’exercice des compétences par les personnes publiques propriétaires se développe. Les fonds administratifs sont ainsi la représentation fonctionnelle des activités administratives, sans couper le lien organique qui constitue le critère de l’administrativité de ces fonds. Ils vont alors pouvoir permettre d’inscrire la gestion de ces fonds dans le seul ordre juridique partiel du droit public. Il en ira ainsi des éléments qui sont relatifs à ces fonds : de l’ensemble des biens incorporés aux fonds administratifs, quelle qu’en soit la situation juridique et la personne propriétaire, dès lors qu’une personne publique en aura toujours la maîtrise ou vocation à la propriété ; de l’ensemble des règles applicables aux actes relatifs à la gestion de ces fonds, quelle qu’en soit la source, car il s’agira toujours de régir l’action publique ; de l’ensemble des litiges qui naîtront de l’organisation et de la gestion de ces fonds administratifs, quel que soit le juge compétent, car il s’agira toujours de juger l’action publique. Enfin, le caractère économique des activités liées à la gestion de ces fonds entraînera parfois leur soumission au droit économique, mais il s’agira du droit public économique car ces activités économiques seront avant tout administratives. Les fonds administratifs sont des biens qui sont de ce fait destinés à être inscrits dans le commerce juridique, lequel est notamment la représentation juridique de la vie économique. Les personnes publiques propriétaires sont les personnes juridiques en charge de la gestion des fonds administratifs. Cela ne signifie pas qu’elles soient les propriétaires des biens qui y sont affectés, ni même qu’elles en assurent les activités d’exécution. Cela signifie qu’elles assument l’activité, qu’elles en contrôlent l’objet, les finalités, les modalités essentielles de fonctionnement. Les fonds montrent alors une utilité immédiate en pouvant réunir l’ensemble des biens affectés aux activités administratives. 374 Chapitre 2 Le fonds administratif : une réponse à l’extrême diversité des biens affectés à une activité administrative 420. « Pour remplir leurs missions, écrit Caroline Chamard-Heim, et notamment pour servir d’appui aux services publics, les personnes publiques ont besoin de biens mobiliers et immobiliers, corporels et incorporels ». Ces biens sont alors appréhendés « dans leurs rapports avec leur propriétaire » 1, ce qui conduit l’auteur à la conclusion que c’est la qualité de celui-ci qui en fait des biens publics. Ces biens peuvent aussi se rapporter à l’activité qu’ils permettent d’exercer et ainsi au fonds administratif dont ils relèvent. Or, cela ne suppose pas forcément d’en être le propriétaire. C’est pourquoi la relation des personnes publiques à l’égard de ces biens suit celle de l’exercice de leurs compétences qui peut être direct ou indirect. Les fonds administratifs, dans leurs relations complexes évoquées au chapitre précédent, doivent être en mesure de réunir l’intégralité des biens nécessaires aux activités qu’ils représentent. L’intérêt du fonds administratif est donc de pouvoir dépasser l’extrême diversité des catégories, des régimes et des situations dont relèvent ces biens administratifs. Qu’ils appartiennent au domaine public ou au domaine privé d’une personne publique ou qu’ils soient la propriété d’une personne privée, les biens administratifs sont les biens nécessaires à l’exercice d’une activité relevant de la compétence d’une personne publique (Section 1). Le fonds administratif est l’universalité de ces biens administratifs dont il permet la synthèse, sans méconnaître ni la domanialité publique ou privée des biens publics, ni l’appropriation des biens administratifs par une personne privée (Section 2). Section 1 Les biens administratifs : les biens nécessaires à l’exercice d’une activité relevant de la compétence d’une personne publique Section 2 Le fonds administratif : un dépassement de la diversité des propriétaires et des régimes des biens administratifs 1 Caroline Chamard-Heim, « Les propriétés publiques », in Traité de droit administratif, t. 2, op. cit., p. 284. 375 Section 1 Les biens administratifs : les biens nécessaires à l’exercice d’une activité relevant de la compétence d’une personne publique 421. Caroline Chamard-Heim a montré que, « dans la mesure où les choses publiques répondent à la qualification de biens, il est possible d’utiliser à leur égard les distinctions établies par le droit civil qui opposent les biens corporels et incorporels, les meubles et les immeubles, les biens frugifères et ceux qui sont stériles, les biens patrimoniaux et extrapatrimoniaux »2. Il s’agit à présent d’étendre l’analyse à tous les biens qui sont utilisés pour l’exercice de la compétence d’une personne publique. Or, en raison de l’éventualité d’un exercice délégué de la compétence à une personne privée, la propriété privée d’un tel bien est possible. Un bien peut donc être organiquement privé et fonctionnellement public car utile à l’action administrative3. Pour éviter toute confusion, il conviendra donc d’appeler biens publics les biens appartenant aux personnes publiques tandis que l’expression de biens administratifs sera réservée aux biens, publics ou privés, utiles à l’exercice, direct ou indirect, de la compétence d’une personne publique. Les biens administratifs qui vont à présent nous intéresser doivent également être distingués de l’acception purement économique qui définit les biens publics, public goods, comme des biens ayant une dimension collective, sociale, mais qui relève d’une acception trop peu juridique4. Les biens administratifs se définissent par un critère fonctionnel lié à leur utilité pour l’exercice d’une compétence (§ 1). Ce critère fonctionnel suppose au préalable de démontrer qu’un bien peut être appréhendé par les utilités qu’il peut rendre aux personnes, lesquelles sont évidemment en premier lieu les propriétaires des biens mais aussi celles qui, de la volonté de ceux-là ou non, en bénéficient (§ 2). 2 Caroline Chamard, La distinction des biens publics et des biens privés, op. cit., n° 331 p. 237 ; voir aussi Christophe Roux, th. préc., pp. 152 et s. pour qui il y a de ce fait une « normalisation » des biens publics, avatar du mouvement de banalisation du droit administratif selon cet auteur. 3 Ce qui est bien une autre façon de parler des « biens privés affectés à l’utilité publique » mais nous verrons qu’il est possible de préciser le sens exact de cette affectation en s’inscrivant dans le prolongement critique de l’analyse de Catherine Logéat, Les biens privés affectés à l’utilité publique, op. cit.. 4 Paul Samuelson, « The pure theory of expenditures », The Review of Economics and Statistics, Vol. 36, No. 4. (Nov., 1954), pp. 387-389 ; « Diagrammatic exposition of a theory of public expenditure », The Review of Economics and Statistics, Vol. 37, No. 4. (Nov., 1955), pp. 350-356 et Richard Musgrave, Theory of public finance, McGraw-Hill, 1959 ont proposé une distinction entre les biens privés et les biens publics à partir de critères d’indivisibilité, d’absence de rivalité et de production jointe à utilisateurs multiples. Voir aussi L. Tubiana et J.M. Severino, « Biens publics mondiaux, gouvernance mondiale et aide publique au développement », in Gouvernance mondiale, Rapport du CAE, La Documentation française, 2001. Voir aussi, pour une application particulière liée à la protection de l’environnement, Anne Danis-Fâtome, « Biens publics, choses communes ou biens communs ? », in Mélanges Etienne Fâtome, Dalloz, 2011, pp.99 et s. ; Béatrice Parance, Jacques de Saint Victor (dir.), Repenser les biens communs, CNRS éd., 2014. 376 § 1 L’appréhension des biens comme sources d’utilités pour les personnes, publiques ou privées 422. La chose est tout ce qui n’est pas une personne 5 . La notion de bien pose d’autres difficultés car il s’agit de distinguer, au sein des choses, ce qui mérite cette qualification. La notion de bien n’est pas des plus assurées dans la doctrine au point qu’on peut considérer que « d’innombrables définitions de la notion de bien pourraient être adoptées par le droit »6. Un bien est, objet du droit de propriété, une chose dont on jouit et dont on dispose. Or, la jouissance comme la disposition se rapportent à ce que le bien peut rendre comme services à son propriétaire. Ces services sont les utilités dont le bien est le siège, ce qui conduit par exemple William Dross à définir le bien à partir de l’idée d’une chose comme somme d’utilités 7. Un bien doit donc tout d’abord être analysé par les utilités qu’il est susceptible de produire (A). Un bien est une chose appropriée qui produit des utilités dont la jouissance est en principe exclusivement réservée à son propriétaire. Cependant, tant le juge judiciaire que le juge administratif ont admis une limite à cet empire du propriétaire sur les utilités de ses biens (B). A. La définition formelle du bien : chose, admise par le droit objectif comme étant objet de propriété et siège d’utilités 423. Il faut admettre que le véritable critère du bien est un critère formel, en ce sens qu’est un bien toute chose que le droit objectif, c’est-à-dire un texte ou une décision de justice, a reconnu comme tel (1). Les utilités d’un bien sont alors virtuellement infinies mais peuvent être structurées de la façon suivante : la proprietas, c’est-à-dire la qualité du bien d’appartenir à son propriétaire, la nue-propriété en somme, et toutes utilités qui gravitent dans l’orbite de cette utilité primordiale (2). 5 Sur ce point, il n’y a guère de difficulté. Ainsi, William Dross, Droit civil. Les choses, LGDJ, 2012 , n° 1 p. 1 : « La distinction des personnes et des choses est totalisante : une chose est tout ce qui n’est pas une personne. La catégorie est ouverte sur le matériel et l’immatériel, car les choses ne se limitent pas à la réalité tangible », l’auteur souligne. 6 Emmanuel Putmann, compte-rendu de la thèse de Pierre Berlioz, RTD Civ., 2008, p. 373. 7 William Dross, op. cit., n° 8 p. 12. 377 1) Une approche purement formelle de la notion de bien : chose reconnue comme un bien par le droit objectif 424. Un bien est une chose 8 qui est objet d’un droit de propriété 9 , dont on jouit, ce qui suppose une utilité10, et dont on dispose, ce qui suppose de pouvoir en déterminer la situation juridique et le régime 11 . Avec Simone Goyard-Fabre il faut avoir du bien une conception essentiellement formelle et uniquement juridique. Ainsi, la chose juridique est « le résultat d’une opération constructive de l’esprit » qui permet à la technique humaine de soumettre les choses aux fins humaines et « ce rêve prométhéen signifie que l’homme, loin d’être l’esclave des choses naturelles, peut, en remodelant leur structure et leur sens, devenir leur maître »12. Le génie juridique crée alors, à partir de choses tangibles ou à partir de représentations mentales, des choses qu’il choisit de considérer comme des biens, des objets du droit de propriété13. 425. Il y a peu de limites à la qualification de bien qui peut être une propriété, corporelle ou incorporelle, ou un droit-prestation 14, la chose juridique étant un « modèle de culture », en cela « tributaire de tout un environnement notionnel et culturel »15 parfaitement relatif. Il faut cependant ne pas oublier qu’un bien peut avoir une valeur économique ou n’en avoir point 16, et qu’il est 8 Une chose est « tout ce qui a une existence quelconque » (Caroline Chamard, la distinction des biens publics et des biens privés, op. cit., § 383), et notamment tout qui peut recevoir un nom, être un objet de spéculation. Le monde est l’ensemble des choses que l’on divise pour les besoins de la réflexion. En droit, la première division est entre les personnes et les choses. 9 François Terré, Philippe Simler, Droit civil, les biens, Dalloz, 8e éd., 2010, n° 29 p. 35 ; Frédéric Zenati-Castaing Thierry Revet, Les biens, PUF, 3e éd., 2008, n° 2 pp. 18-19 ; Christian Attias, Droit civil, les biens, Litec, 11e éd., 2011, n° 1 p. 1 ; Adoptant cette définition, Carole Chamard, n° 329 p. 234 : « les biens comme étant des choses susceptibles d'appropriation et dont l'appropriation est utile ». 10 Certains auteurs considèrent l’utilité incertaine et considèrent l’appropriabilité suffisante. Sophie Schillier fait ainsi référence à Planiol et Ripert, Traité pratique de Droit civil français, t. II : Les biens, par M. Picard, 1926, n° 51 p. 57 ; Philippe Malaurie et Laurent Aynès, Droit civil, les biens, Defrénois, 4e éd.,2010, n° 8 p. 6. 11 C’est ainsi que certains auteurs veulent réduire les biens en fonction de leur aptitude à certaines opérations juridiques : leur évaluation pécuniaire, le cessibilité, leur saisissabilité. Respectivement, Patrick Courbe, Mathias Latina, Droit civil. Les biens, Paris, Dalloz, 6e éd., 2011 ; Pierre Berlioz, La notion de bien, LGDJ, 2007. 12 Simone Goyard-Fabre, « La chose juridique dans l’idéalisme moderne », in Les biens et les choses, APD, 1979, pp. 151, 159, 160. Voir aussi Jean-Marc Mousseron, Jacques Raynard, Thierry Revet, « De la propriété comme modèle », Mélanges Colomer, Litec, 1993, p. 282 : « utile et rare, une valeur au sens économique du terme devient un bien au sens juridique du mot lorsque la société répond par le droit aux soucis complémentaires de réservation et de commercialisation de son maître du moment, objet de droit de propriété la chose est conceptualisée au rang de bien ». 13 Comp. Sophie Schillier, Droit des biens, Dalloz, 5e éd., 2011, n° 12 et s. 14 Odile de David-Beauregard-Berthier fait une référence notable à G.-A. Guyot et son Répertoire de jurisprudence dans lequel l’auteur appréhendait déjà les droits incorporels domaniaux, qu’il s’agisse de droits dépendant de la souveraineté et domaniaux par essence comme le droit de créer des offices ou dépendant du droit de justice comme la confiscation ou les amendes, op. cit., p. 35. 15 Simone Goyard-Fabre, préc., p. 171 ; il y a cependant évidemment une part d’appréhension de la chose qui est déterminée par ses qualités propres, si bien qu’on nuancera quelque peu le pouvoir démiurgique de l’esprit juridique pour convenir avec K. Stoyanovitch qu’il y a « des choses qui n’ont d’existence que par le système juridique dans lequel elles sont nommées, et d’autres dont le système juridique ne fait que régler le sort d’un certain point de vue », « Les biens selon Marx », in Les biens et les choses, op. cit., p. 213. 16 Ainsi, Norbert Foulquier relève que les personnes publiques peuvent acquérir des biens dont l’utilité économique est quasi-nulle, spécialement en ce qui concerne les immeubles exposés à des risques naturels telles que les inondations et avalanches, art. L.561-1 du code de l’environnement, Droit administratif des biens, LexisNexis, 2e éd., 2013, n° 21 p. 10. On 378 possible d’interdire juridiquement de faire naître une valeur pécuniaire de la propriété d’un bien. Un bien est patrimonial ou non, mais il est toujours une chose appropriée. Cela intéresse donc la question des choses que l’on ne voudrait pas voir qualifiées de biens mais qui le sont néanmoins. D’aucuns considèrent que les critères de l’appropriabilité et de l’utilité des choses ne sont pas pleinement satisfaisants, en raison du fait que « certains éléments utiles à l’homme ne seront jamais qualifiés de biens »17. Il y a là une forme de retour au jusnaturalisme dans cette affirmation absolue, qu’il nous faut discuter afin de mettre en lumière qu’une chose est un bien si elle est reconnue comme telle par le système juridique. Il n’est possible, dans le cadre du positivisme, de dire qu’elle ne peut pas l’être qu’à la seule condition que le système juridique en refuse explicitement la qualification de bien. Ainsi, le chapitre II du titre premier du premier livre du Code civil dédié au respect du corps humain est un corps de règles qui a précisément pour objet d’empêcher ce qui est donc, a contrario, parfaitement possible sinon : que le corps humain, ses éléments et ses produits, puissent faire l’objet d’un droit patrimonial 18 . Cela ne signifie pas d’ailleurs qu’ils ne peuvent pas faire l’objet d’un de droit de propriété. Ils sont des biens, mais dont l’extrapatrimonialité n’ayant précisément rien de naturel, doit être imposée par le droit 19, construite intellectuellement. Dès lors qu’un produit du corps peut être cédé et utilisé20, il est difficile de considérer qu’il ne s’agit pas d’un objet dont on peut disposer par acte juridique. La gratuité du don du sang, dont on peut discuter la pertinence par ailleurs21, n’est ainsi pas le constat d’un état de fait naturel, mais le résultat d’un choix politique traduit juridiquement. Le don est un acte juridique à titre gratuit qui démontre que le sang, détaché du corps, est un produit et donc un bien. Chacun conviendra que l’on jouit à chaque instant de ses éléments et produits, de son corps en général, l’utilité produite étant de la façon la plus élémentaire et indiscutable qui soit : la vie. dira seulement qu’ici l’utilité est neutralisée, comme dans le cas des biens acquis par le conservatoire du littoral et, temporairement du moins, les réserves foncières. 17 Nadège Reboul-Maupin, Droit des biens, Dalloz, 4e éd., 2012, n° 17 p. 15. 18 Art. 16-1 du Code civil, créé par la loi n° 94-653 du 29 juillet 1994, art. 3. 19 Ce qui est l’objet de l’article 16-5, « les conventions ayant pour effet de conférer une valeur patrimoniale au corps humain, à ses éléments ou à ses produits sont nulles » et des suivants. Si une convention est nulle, c’est qu’elle peut être conclue mais qu’elle ne doit pas l’être, selon les auteurs de la disposition. Il en va ainsi de la convention de gestation pour autrui, prohibée par l’article 16-7. Dans tous ces cas, le droit comparé apporte un démenti au jusnaturalisme et valide l’idée qu’un bien est une chose juridiquement appréhendée comme un objet de propriété, propriété qui ne se confond avec le domaine du marchand et de l’économique. 20 L’article L.1211-1 du code de la santé publique dispose ainsi : « La cession et l'utilisation des éléments et produits du corps humain sont régies par les dispositions du chapitre II du titre Ier du livre Ier du code civil et par les dispositions du présent livre ». Si on cède et on utilise une chose, c’est qu’on en jouit et en dispose, donc qu’on en est propriétaire et que cette chose est un bien. 21 Économiquement moins efficace en comparaison des pays où le don du sang n’est pas effectué à titre gratuit, le système français reposant sur la solidarité a impliqué la mise en place d’un marché protégé au bénéfice de l’Établissement français du sang qui entre en conflit avec les parts qui relèvent d’un marché concurrentiel comme l’illustre l’arrêt de la CJUE, 13 mars 2014, Octapharma France, C-512/12. 379 Cela doit convaincre que le droit peut appréhender toute chose comme un bien, surtout quand il y a lieu pour des motifs aussi éminents que la primauté de la personne et la dignité humaine d’en régler la jouissance et la disposition, en somme le régime de la propriété. C’est précisément parce que toute chose peut être appréhendée comme un bien, que le droit s’y intéresse pour leur appliquer un régime plus ou moins exorbitant, voire élaborer une construction qui permette d’éviter leur réification22. En droit public, l’affaire dite des « têtes maori » a donné une nouvelle occasion de mettre en balance le régime juridique des biens du domaine public 23 et l’idée exprimée par le Code civil que « les restes des personnes décédées (…) doivent être traités avec respect, dignité et décence »24. Il fallut ainsi adopter la loi du 18 mai 2010 pour permettre la restitution des têtes que l’inaliénabilité protégeait contre la volonté de la ville de Rouen qui en était propriétaire 25. Le droit public est donc également confronté à l’étendue virtuellement toujours extensible de la notion de bien, ce dont témoigne l’intérêt pour les propriétés immatérielles des personnes publiques26, à commencer par leur nom27. La question des autorisations administratives évoquée à la première partie rejoignant celle des données publiques sur laquelle nous reviendrons ciaprès. 426. Le bien est donc une chose susceptible d’appropriation parce qu’elle est juridiquement appréhendée par le droit comme un objet de propriété. Ce bien est ensuite susceptible de 22 Cf. supra, en ce qui concerne les droits de seigneurie et la nécessité de construire juridiquement l’extrapatrimonilaité de la puissance publique. 23 Le juge administratif a considéré que les têtes en question relevaient du domaine public mobilier et devaient à ce titre faire l’objet d’un déclassement avant toute cession, ce qui dans le cas de biens dont l’incorporation au domaine public est le fait de leurs qualités intrinsèques pose quelques difficultés. TA Rouen 27 déc. 2007, n° 0702737 ; CAA Douai 24 juill. 2008, n° 08DA00405, AJDA, 2008, p. 1896, concl. J. Lepers. L'article L. 451-5 du code du patrimoine exige l’avis conforme de la commission scientifique nationale des musées de France, avis qui faisait défaut en l’espèce. L’objet de la loi n° 2010-501 du 18 mai 2010 est de dispenser l’autorité administrative de cet avis pour procéder au déclassement du bien et ainsi rendre possible la cession, Stéphane Duroy, « Peut-on perdre la tête… maori, dans le respect du droit ? », AJDA, 2011, p. 1225. 24 Art. 16-1-1 créé par la loi n° 2008-1350 du 19 décembre 2008, art. 11. Nul n’a considéré que leur exposition dans un musée était indigne mais il s’est agi de céder au désir de la Nouvelle-Zélande de traiter ces restes conformément aux rites ancestraux. Il y a donc mise en balance de deux traitements également dignes, l’un lié au partage des cultures, l’autre au respect de l’une d’entre elles. La délibération du Conseil municipal de la ville de Rouen du 19 oct. 2007 a effectué ce choix, le Conseil s’étant fondé sur le « caractère sacré » de la tête en question pour décider de son retour « à sa terre d'origine, pour y recevoir une sépulture conforme aux rites ancestraux », cité par Mireille Bacache, RTD civ., 2010 p. 626. 25 Le feuilleton juridique a donné lieu à de nombreuses contributions. On citera à titre d’illustration la perspective donnée par Jean-Marie Pontier, « Une restitution, d’autres suivront. Des têtes maori aux manuscrits Uigwe », AJDA, 2010, p. 1419. Voir aussi le commentaire de la décision de Cour administratif d’appel de Douai au JCP A, 2008, 2245 par Colette Saujot. 26 Claire Malwé, La propriété publique incorporelle : au carrefour du droit administratif des biens et du droit public économique, th. Nantes 2008. 27 Jean-David Dreyfus, « Nom des collectivités et droit des marques », AJCT, 2013, p. 127 ; La loi n° 2014-344 du 17 mars 2014, art. 73, a créé l’article L. 712-2-1 du code de la propriété intellectuelle qui crée la possibilité pour les collectivités territoriales et les EPIC d’être alertées par l’Institut national de la propriété intellectuelle « en cas de dépôt d’une demande d’enregistrement d’une marque contenant sa dénomination ». 380 multiples qualifications qui peuvent venir s’appliquer, qu’il s’agisse de la qualification de marchandise, de bien culturel, d’effet de commerce, de bien de famille, etc. Autant de qualifications qui ramènent d’ailleurs à l’idée qu’évoque Marie-Laure Mathieu selon laquelle « au fond, le droit “des biens” apparaît alors comme un droit des relations entre les hommes, relativement aux relations qu’ils entretiennent avec les choses ». Avec elle, on conviendra que face au constat « qu’il y a presque autant de définitions du mot “bien” que d’ouvrages de droit des biens » il faut prendre son parti et considérer qu’en la matière, « il n’y a pas de place pour des vérités mais seulement pour des propositions »28. Nous rejoindrons ainsi l’essentiel de la doctrine pour considérer qu’un bien est une chose dont l’appropriation est possible et qui, une fois objet de propriété, est le siège d’utilités. L’idée sera par la suite de proposer de définir la notion de bien public comme une chose mise en rapport avec une personne publique habilitée par une compétence du droit public. C’est alors en se focalisant sur le rapport d’une utilité au moins que procure le bien à l’exercice des compétences qu’apparaîtra la notion de bien administratif. 2) Les utilités des biens : la proprietas, utilité noyau, et les utilités satellites 427. La première utilité d’un bien réside dans sa qualité d’appartenir à son propriétaire, la proprietas ou, si l’on veut, la nue propriété prise en elle-même. Cette qualité suffit parfois, que l’on songe aux nombreuses choses que l’on a, dont on n’a aucun usage particulier et qui n’ont guère de charge affective non plus, mais dont on refuse de se séparer, parfois le plus irrationnellement. La valeur, liée à cette utilité immédiate que la chose soit « à soi », fait apparaître les utilités qui gravitent autour de cette proprietas laquelle est ainsi comme « un atome constellé d'une multitude d'utilités »29. Ces autres utilités peuvent être appréhendées par l’idée de valeur, ce que propose William Dross à partir des valeurs d’usage et d’échange qu’il utilise à la suite des enseignements d’Aristote30. On ne s’accordera pas, cependant, avec l’assimilation que fait l’auteur de la valeur d’usage à la jouissance et de la valeur d’échange à la disposition, en raison de la divergence entre la propriété « structurale » qu’il propose et le modèle formel lié à l’école de Frédéric ZenatiCastaing que nous avons retenue31. Nous signalerons au fil des développements les exigences d’une mise en adéquation de l’approche des biens par William Dross avec celle de l’écolé néopersonnaliste, ce qui s’effectue par ailleurs, non sans quelque ironie, sans véritable difficulté. 28 Marie-Laure Mathieu, Droit civil. Les biens, Sirey, 3e éd., 2013, n° 20 p. 6, n° 25-26 p. 8. Frédéric Zenati, obs. sous Civ. 1ère, 10 mars 1999, RTD civ., 1999, p. 862. 30 William Dross, ibid., n° 9 p. 13. 31 Cf. supra. 29 381 428. Au titre de la valeur d’usage des choses, « les utilités offertes par un bien dépendent fondamentalement de sa nature propre » 32 . Il faut y ajouter les besoins de l’homme et sa maîtrise technique, à quoi on ajoutera pour finir le régime légal du bien qui interdit la jouissance des utilités illicites. William Dross fait alors un rapport au droit féodal qui nous est indispensable pour la suite du raisonnement. Reflet d’une société de pénurie, le droit féodal cherchait « à tirer le meilleur parti possible des biens, en en répartissant l’ensemble des utilités concevables entre les différents membres du corps social, selon les besoins de chacun »33, et leur rang ajouterons-nous volontiers34. Une même chose peut alors être scindée en fonction des utilités qu’un droit permet de retirer « au détail » : culture, pâture, gains et regains, affouage, édification etc. L’auteur signale ainsi, ce qu’on a déjà évoqué, que le bien peut aussi être le siège de pouvoirs politiques à dimension économique comme « le droit de rendre la justice et de prélever l’impôt, lesquels constituaient des utilités juridiques de l’immeuble »35. Si l’on applique à ces conceptions la théorie néo-personnaliste de la propriété, il est possible de considérer les choses ainsi. Il y ainsi un fractionnement de la maîtrise des utilités d’un même bien, ce qui a pour effet d’en créer de nouveaux sous la forme de droits-prestation consistant notamment en l’obligation pour le propriétaire de souffrir la jouissance par un tiers de l’utilité ainsi distraite de son exclusivité originelle. Le propriétaire dispose ainsi de son bien pour lui conférer une situation juridique qui partage les utilités entre lui-même et d’autres bénéficiaires. Ainsi, le propriétaire d’un champ, qui conclut avec un fermier un contrat de bail rural, partage l’utilité de culture du champ entre lui-même, par le loyer qu’il perçoit, et le fermier, par le produit de la vente de ses récoltes. Le propriétaire a un droit-exclusion sur la proprietas du champ et un autre sur le droit-prestation au loyer, tandis que le débiteur de ce dernier, le fermier, a un droitprestation à la jouissance de l’utilité de culture du champ dont il a assure sa propre jouissance par l’opposabilité que ce droit autorise. La division des utilités est sans doute la condition à l’utilisation optimale d’un même bien, ce qui motive l’analyse que conduit William Dross 36 . Comme on le voit, elle peut être mise en œuvre par le droit positif et décrite par la théorie néopersonnaliste qui admet la propriété des créances. Elle s’applique, comme on peut le vérifier 32 Ibid., n° 11 p. 13 : « Si l’on raisonne sur le cas d’un terrain, celui-ci sera également utilisé aux fins de construction, de plantation (agriculture) ou d’extraction de matériaux divers (mines, carrières, sources, …). Mais il peut aussi satisfaire des fins plus modestes (…) ». 33 Ibid., n° 12 p. 14. 34 Le droit de chasse, omniprésent dans les cahiers de doléance en 1788, participe d’une même logique de réservation d’une activité constituant un bien, le monopole, permettant de concéder d’autres biens, les droits de chasser. 35 Idem. 36 Ibid., n° 4 p. 10 : la propriété « consiste à réserver au propriétaire l’ensemble des utilités que (les choses) sont à même d’offrir ». Or, « cette concentration entre les mains d’un seul de tout le profit que l’on peut tirer d’une chose est cependant loin d’être une solution toujours économiquement opportune. On a souvent meilleur compte à partager ce profit entre plusieurs afin de le maximiser. C’est à cela que sert la technique du démembrement : dissocier les utilités de la chose afin de les distribuer entre différents individus ». 382 avec le détail des utilités liées à la valeur d’usage, aux biens dont les personnes publiques peuvent être propriétaires. 429. L’analyse de la valeur d’échange des biens permet de compléter la formalisation de la vie juridique des biens en décrivant leur circulation entre les propriétaires, qui consiste à appliquer son pouvoir de disposer non plus aux utilités périphériques mais au noyau, à la proprietas. Il s’agit alors d’un acte qui rompt le rapport d’appropriation du propriétaire à son bien. Contrairement à la doctrine classique, on considérera bien que ce n’est pas le droit mais le bien qui est transféré37. Le bien, de la puissance du propriétaire qui le vend, passe sous celle du propriétaire qui l’achète38. L’opération s’effectue, dès la conclusion du contrat, par la création de deux biens constitués par le droit de l’acheteur à la remise de la chose et le droit du vendeur au paiement du prix, si l’on se situe dans le cadre d’un contrat de vente. Le caractère onéreux ou gratuit, équitable ou non de l’opération, s’évalue à l’aune du résultat de l’opération sur la valeur de l’actif de l’un et de l’autre. L’échange onéreux et équitable étant en principe un jeu à somme nulle n’ayant pour effet ni d’enrichir ni d’appauvrir aucune des parties. On comprend alors que le principe d’incessibilité soit plus rigoureux que le principe de l’ordre public civil qui veut qu’une vente à vil prix n’est pas une vente. Le principe vaut pour tout acte de disposition ayant pour effet d’appauvrir une personne publique sans contrepartie jugée suffisante pour justifier ce fait qui éveille nécessairement la suspicion. Tel n’est pas le cas pour une personne privée qui peut tout à fait décider volontairement d’un rabais, inférieur au 5/12e si l’on veut échapper à la rescision39. On comprend également qu’en cas de difficulté à déterminer précisément la valeur d’échange du bien cédé par la personne publique, il est difficile de déterminer le caractère équilibré ou non de l’échange. Les termes de celui-ci peuvent en effet être indéterminables, soit en raison du caractère proprement unique du bien40, soit en raison du marché dans le cadre duquel le bien se situe41. Quant à l’inaliénabilité du domaine public, elle intervient ici comme un motif de nullité absolue de la cession qui empêche donc la création du rapport d’appropriation. Le bien du domaine public est légalement insusceptible d’être admis en la puissance de la personne privée. William Dross, ibid., n° 27 p. 44 : « On a disputé le point de savoir si c’était la chose elle-même qui était transmise au coéchangiste – ce qui paraît à première vue l’évidence –, ou plus subtilement, le droit de propriété qui la grevait. Mieux vaut ici s’en tenir à l’évidence ». 38 Contra, dès lors qu’il rejette la conception personnaliste, ibid., n° 27-2 p. 46 : « c’est un excès de subjectivisme que de placer le droit dans le seul orbite de la personne du propriétaire ». 39 Cf. supra. 40 On se demande bien à quel montant la vente de la Joconde serait dite à vil prix, même si la valeur finale des enchères finirait bien par en donner un, qui serait sans doute loin d’être vil. 41 Ainsi en va-t-il de la vente d’actions sur un marché aux fluctuations incessantes, dont on déterminera difficilement si elles sont à vil prix, Jean-François Sestier, « Les difficultés de cession des biens nécessaires à l’action des personnes publiques », CP-ACCP, déc. 2013, n° 138, spéc. note 24. 37 383 Avec la nue-propriété et les fruits de toute nature, un bien apparaît comme le siège d’utilités périphériques liées à l’usage de la chose que le propriétaire retire a priori exclusivement par son droit de jouissance, mais qu’il peut partager en faisant usage de son pouvoir de disposition. Il crée ainsi une situation juridique complexe, où les droits-prestation s’ajoutent dans le monde du droit à la chose appréhendée comme le bien originel de l’opération. La question qui se pose est alors de savoir s’il y a une limite à l’appropriation exclusive par la propriété des utilités que peut produire son bien. B. Les limites juridiques nécessaires à la circonscription de l’exclusivité de la jouissance des utilités par le propriétaire 430. Le droit civil et le droit administratif offrent deux exemples de la nécessité de fixer une limite à une logique qui n’en a aucune par elle-même. Le premier a posé un problème dans les deux de juridiction et est relatif à l’image des biens. Le second est plus spécifique au droit administratif et correspond à l’affaire dite de la « taxe-trottoir ». Nous voulons ici démontrer qu’il est possible, et plus commode, d’analyser la solution de refus de la redevance imposée dans le second (1) suivant la logique qui a écarté l’analyse en termes de propriété de l’image des biens (2). 1) Une limite problématique à l’exclusivité du propriétaire sur les utilités de ses biens : le cas du droit à l’image des biens 431. William Dross expose le premier problème en ces termes : « la facilité qu’il y a à fixer l’image des biens et surtout à la reproduire indéfiniment a conduit à leur large diffusion, souvent à des fins plus ou moins directement commerciales, si bien que la question s’est posée de savoir si le propriétaire du bien dont la photographie a été utilisée sans son accord afin de vanter tel produit ou tel service pouvait légitimement s’opposer à une telle utilisation »42. Le 10 mars 1999, la Cour de cassation rend une décision célèbre relative à l’affaire dite du Café Gondré, jugeant que « l'exploitation de photographies » représentant la première maison libérée en Normandie lors du débarquement de juin 1944 sous forme de cartes postales « porte atteinte au droit de jouissance du propriétaire », lequel « a seul le droit d'exploiter son bien sous quelque forme que ce soit » 43. Autrement dit, la propriété se définit comme la réservation exclusive des 42 William Dross, op. cit., n° 17 p. 23, développant longuement la question aux pp. 23-33. Cass. 1ère civ., 10 mars 1999, n° 96-18.699, JCP G 1999, II, 10078, note P.-Y. Gautier et I, 175, n° 2, obs. H. PérinetMarquet ; JCP E 1999, n° 819, note M. Serna ; RTD com. 1999, p. 397, obs. A. Françon ; RTD civ. 1999, p. 859, obs. F. 43 384 utilités d’un bien au profit de son propriétaire ce qui conduit à qualifier d’atteinte à cette exclusivité toute jouissance par un tiers qui n’est pas consentie ou imposée par une disposition en ce sens. La solution signifiait donc que, juridiquement, un propriétaire d’un bien dont l’image était reproduite, avait toute latitude pour sanctionner cette atteinte à son droit de propriété. La chose semble, concrètement, difficilement praticable. Raison pour laquelle, dès 2001, la Cour de cassation tempérait le principe en exigeant la preuve d’un trouble certain dans le droit d’usage ou de jouissance44. 432. Par un arrêt du 7 mai 2004, la Cour opère donc un revirement de jurisprudence en consacrant le principe suivant lequel « le propriétaire d'une chose ne dispose pas d'un droit exclusif sur l'image de celle-ci » mais « qu'il peut toutefois s'opposer à l'utilisation de cette image par un tiers lorsqu'elle lui cause un trouble anormal »45. Il y a donc une limite au principe déductible de l’article 544 du Code civil et que rappelle la Cour de ce même arrêt, suivant lequel « le droit de jouir emporte celui d'user de la chose dont on est propriétaire et de l'exploiter personnellement ou par le truchement d'un tiers qui rémunère le propriétaire, ce droit ayant un caractère absolu et conduisant à reconnaître au propriétaire un monopole d'exploitation de son bien, sauf s'il y renonce volontairement ». Thierry Revet considère qu’il y a une certaine contradiction, dans la mesure où la Cour écarte la propriété en refusant l’empire de l’article 544 à l’image des biens pour la réintroduire immédiatement après avec le droit pour le propriétaire de s’opposer à l’utilisation qui lui causerait un trouble 46 . Pour cet auteur, cette décision semble n'avoir que restreint encore - et significativement - le régime du droit de propriété relatif à l'utilité « image ». S’il critique cette solution en raison du fait quelle divise la chose objet du droit de propriété, contrairement à la conception maximaliste de l’exclusivité, il nous semble que la solution s’impose dès lors que certaines utilités situées, dans l’orbite la plus Zenati ; D. 1999, jurispr. p. 319, concl. J. Sainte-Rose, note E. Agostini et somm. p. 247, obs. S. Durrande ; D. 2000, somm. p. 281, obs. O. Tournafond ; RIDA 1999, n° 182, p. 149, note M. Cornu ; Comm. com. électr. 1999, comm. 4, obs. Y. Gaubiac ; RD imm. 1999, p. 859, obs. M. Bruschi et J.-L. Bergel. L'arrêt est aussi commenté in H. Capitant, F. Terré et Y. Lequette, Les grands arrêts de la jurisprudence civile, Paris, Dalloz, 11e éd., 2000, t. I, p. 327. 44 Cass. 1ère civ., 2 mai 2001, JCP G 2001, II, 10553, et note Caron ; D. 2001, jurispr. p. 1973, note J.-P. Gridel ; RTD civ. 2001, p. 618, obs. Th. Revet ; JCP E 2001, n° 1386, note M. Serna ; Defrénois 2002, p. 329, note S. Piédelièvre ; Petites affiches 22 août 2001, note J.-M. Bruguière ; Légipresse 2001, n° 183, III, p. 115, note G. Loiseau.. On notera que l’affaire concernait un Comité régional de tourisme dont la finalité d’intérêt général, non commerciale, aurait, selon Thierry Revet, motivé la censure. 45 Cass., ass. plén., 7 mai 2004, n° 02-10.450, D. 2004, p. 1545 notes Bruguière et Dreyer ; JCP G 2004, II, 10085 note Caron, I, 163 n° 24 obs. Viney et I, 171 n° 1 obs. Périnet-Marquet ; RTD civ., 2004, p. 528 obs. Revet ; Christophe Caron, « Requiem pour le droit à l’image des biens », Communication, commerce électronique, 2004, étude 14. 46 Thierry Revet, RTD civ., 2004, p. 528 : « La fin de l'attendu principal de l'arrêt du 7 mai 2004 en contredit donc directement le début : tandis que celui-ci affirme que l'image d'une chose est exclue du domaine du droit de propriété relatif à cette chose, la suite de l'attendu réintroduit la protection réelle de l'image, au titre du droit de propriété, puisque le trouble anormal doit être subi par « le propriétaire ». Il n'est donc pas possible de conclure que l'arrêt considéré aurait purement et simplement soustrait l'image des choses corporelles au droit de propriété dont elles sont l'objet ». 385 éloignée de la chose elle-même, peuvent légitiment être exclues de l’absolutisme attaché à l’exclusive jouissance du propriétaire. William Dross y voit un renoncement total à la logique propriétariste qui induit donc une contradiction, puisque le trouble anormal suppose un droit de propriété auquel on porte atteinte. Il est vrai qu’il y a en apparence un glissement de la propriété à la responsabilité, ce qui cependant n’est pas foncièrement contradictoire puisque propriété et responsabilité se situent sur deux plans différents malgré leurs interactions systémiques. Le droit administratif offre peut-être un élément de solution à cette question de théorie juridique. 433. Le Conseil d’État, à l’occasion d’une affaire similaire, ne semble pas avoir écarté totalement l’empire du droit de propriété sur l’image du bien mais avoir confirmé l’interprétation qu’il conviendrait peut-être de faire de la jurisprudence civile 47 . En effet, à l’occasion de l’utilisation privative que constitue la photographie pour exploiter commercialement les œuvres exposées dans un musée, le Conseil d’État a reconnu le droit de la personne publique de refuser cette utilisation privative, sous la condition du respect du principe d’égalité48. En considérant « que la prise de vues d'œuvres relevant des collections d'un musée, à des fins de commercialisation des reproductions photographiques ainsi obtenues, doit être regardée comme une utilisation privative du domaine public mobilier impliquant la nécessité, pour celui qui entend y procéder, d'obtenir une autorisation », il reconnaît qu’il y a bien un monopole d’exploitation commerciale de l’image des œuvres49. La personne publique qui en est propriétaire a donc une jouissance exclusive de cette utilité qu’est, sinon l’image du bien sur laquelle on ne disposerait donc ni en droit administratif ni en droit civil d’un droit exclusif, du moins l’exploitation commerciale de l’image du bien. On notera que l’une des divergences fondamentales entre une personne privée et une personne publique, dans ce cas, est que la personne privée ne peut que se clore ou retirer le bien de la vue du public tandis que la personne publique peut faire usage d’un droit de puissance pour venir réglementer l’utilisation des biens qui s’inscrivent dans un service public50. 47 CE 29 oct. 2012, Commune de Tours, n° 341173 ; AJDA, 2013, p. 111 note N. Foulquier ; AJCT, 2013, p. 153, obs. F. Blanc ; BJCL, 2013, p. 54, concl. N. Escaut et obs. B. Poujade ; JCP A, 2012, n° 2390 note S. Carpi-Petit et n° 2391 note C. Vocanson. 48 Manifestation de l’affectation ontologique de la personnalité publique à l’exercice des compétences qui se transmet au régime fondamental du droit de propriété public. Ce refus n’est pas arbitraire, ce qu’il pourrait être en droit privé, évidemment. 49 C’est d’ailleurs bien ce qui motivait le refus de la commune : « La commune fondait son refus, en défense, sur le souci de préserver le droit de reproduction des œuvres d'art dont elle est propriétaire, et de garder un contrôle sur ce droit afin qu'il ne soit pas porté atteinte, par une divulgation non maîtrisée et non contrôlée, à l'image de ces œuvres et à leur intégrité », Sébastien Degommier, « Liberté du commerce et de l’industrie et gestion des musées », AJDA, 2010, p. 1475. 50 Ce que relève Sébastien Degommier en l’espèce, préc. : « A ce titre, il appartenait bien à l'autorité compétente de la commune de Tours de réglementer la photographie des œuvres du musée, biens appartenant au domaine public. C'est ce qu'a fait le maire de Tours : le règlement intérieur du musée des Beaux-Arts, du 26 juin 1984 autorise, en son article 24, les photographies des œuvres pour l'usage privé de l'opérateur ; quant à la photographie professionnelle, qui fait l'objet du présent litige, l'article 28 du règlement se borne à indiquer qu'elle est 386 La divergence qui apparaît entre les deux ordres de juridiction, se situerait alors sur le degré d’exclusivité dans la jouissance exclusive portant sur l’exploitation commerciale de l’image du bien. Presque non exclusive dans l’arrêt de la Cour de cassation de 2004, l’exploitation commerciale semble bien réservée au profit exclusif du propriétaire de l’œuvre dans l’affaire qu’a jugé le Conseil. Mais il est possible d’y voir une gradation liée aux contextes respectifs des deux affaires. En effet, en droit privé, les affaires sont liées à la photographie depuis le domaine public ou en tout cas depuis l’extérieur. A l’inverse, les collections des musées sont exposées à l’intérieur d’un édifice certes accueillant du public mais néanmoins privatif. Qui plus est, en l’espèce, il semble que les prises de vues supposaient de retirer les œuvres de l’exposition le temps d’effectuer les prises de vue ce qui, on en conviendra, change quelque peu les conditions de l’utilisation de l’image du bien 51 . Il est probable que la solution retenue par le juge administratif dans le cadre d’un musée public serait partagée par le juge judiciaire, si ce n’est déjà le cas, dans le cadre d’un musée privé. Ce dernier cas n’a rien de saugrenu puisque, comme le relève Jean-David Dreyfus, « nombreuses sont les institutions muséales gérées par des personnes privées (associations, fondations...) »52. Il faut y ajouter que le régime de la propriété intellectuelle pourrait avoir à s’appliquer lorsque la photographie porte sur des œuvres encore protégées par la propriété intellectuelle qui réserve à l’artiste le contrôle de l’exploitation qui en est fait, y compris à travers sa reproduction53. Certes, la conciliation entre le droit du propriétaire et le droit de l’artiste est une problématique habituelle du droit de la propriété intellectuelle « notamment au travers du concept d’œuvre composite »54. Dans le cas d’un bâtiment public, il ne semble pas envisageable de considérer qu’il y aurait atteinte à l’exclusivité de la personne publique propriétaire en raison de l’exploitation commerciale de son image. La solution retenue par un Tribunal administratif en ce qui concerne une photographie du château de Chambord a d’ailleurs été à cette occasion conforme à celle retenue par la Cour de cassation dans sa décision de 2004 55 . On s’écartera de l’idée que la solution du Conseil d’État relative à la photographie d’une œuvre exposée dans un musée soit soumise à une réglementation particulière ». Sur l’utilisation de la puissance publique comme auxiliaire de la qualité de propriétaire, cf. infra, chapitre suivant. 51 Le rapporteur public relève ainsi : que « dans la mesure où la prise de ces clichés supposait de soustraire provisoirement les œuvres d'art à l'exposition au public, la demande d'autorisation formulée par l'EURL Josse portait sur une utilisation privative du domaine public », concl. préc. Fabrice Melleray fait cependant apparaître un doute sur ce point dans la mesure où la Cour administrative d’appel avait jugé quant à elle que « les photographies devaient être effectuées sans manipulation des œuvres, dans des conditions de nature à assurer leur protection », « L’utilisation privative du domaine public », AJDA, 2013, p. 992. 52 Jean-David Dreyfus, « Musées et autres équipements muséographiques : perméabilité des frontières, recherche de nouveaux modèles », AJCT, 2011, p. 259. 53 William Dross, op. cit., n° 19 p. 25, qui développe la question du droit à l’image des biens tel qu’il se confronte à la propriété littéraire et artistique. 54 Ibid., n° 19-1 p. 27. 55 TA Orléans, 6 mars 2012, n° 1102187, AJDA, 2012, p. 1227, concl. J. Francfort ; D., 2012, p. 222, note J.-M. Bruguière 387 applicable aux bâtiments publics photographiés56. L’exclusivité de la personne publique s’arrête donc comme pour les personnes privées, à l’image de ses biens immobiliers et mobiliers 57, sauf s’ils sont inscrits dans un contexte nettement privatif malgré l’ouverture au public que suppose l’activité exercée. 434. Dès 1920, Marcel Nast écrivait que « le fait de dessiner ou de photographier une chose ne porte atteinte à aucune des prérogatives reconnues traditionnellement au propriétaire » 58 . On considérera que, néanmoins, le dessinateur utilise la chose puisqu’à partir de l’image de cette chose il produit une reproduction de celle-ci. Le droit organise une limitation à l’exclusivité de la jouissance du propriétaire sur l’image de son bien, limitation qui semble s’imposer du point de vue social autant que pragmatique. La décision de 2004 de la Cour de cassation et le juge du TA d’Orléans décident donc que le droit du propriétaire, s’il n’est pas nul, n’est pas exclusif sur l’image d’un bien 59 . En revanche, l’exploitation commerciale de ce bien est une activité qui peut plus facilement relever du monopole d’exploitation du propriétaire, comme le prouve l’arrêt non contradictoire du Conseil d’État. On imaginera que la solution serait la même pour considérer que celui qui profite de la musique de son voisin mélomane jouit d’une utilité qui n’est donc pas exclusive de son propriétaire, de même que ceux qui ont la chance de vivre à proximité d’un lieu de spectacles en pleine air comme un théâtre antique. Il y a une dimension sociale de la propriété qui réapparaît avec l’exemple de l’image des biens. Une dimension sociale en vertu de laquelle toute utilité produite par un bien ne doit pas être réservée à l’égoïsme de son seul propriétaire en titre. Le propriétaire a donc la jouissance exclusive emportant monopole d’exploitation de toutes les utilités de son bien, sauf celles qui seront écartées par la loi ou le juge60. Selon nous, l’analyse est applicable à l’affaire dite de la « taxe-trottoir » que le Conseil d’État a récemment résolue en dernière instance. Cette affaire offre un nouvel exemple de ce que certaines utilités produites par un bien n’ont pas vocation à 56 Norbert Foulquier considère ainsi qu’il n’y a pas nécessairement contradiction entre la solution du Conseil d’État et les solutions convergentes de la Cour de cassation et du Tribunal administratif d’Orléans, celui-là même qui avait validé le refus du maire dans l’affaire des œuvres muséales. « Les photographies du domaine public mobilier », AJDA, 2013, p. 111. 57 On imagine par exemple l’image des engins de guerre défilant au 14 juillet et dont l’exploitation commerciale par des tiers ne nous semble pas de nature à être soumise à autorisation et à rendre exigible le versement d’une redevance pour utilisation de l’image de ces biens. 58 Cité par Frédéric Zenati-Castaing, Grands arrêts de la jurisprudence civile, 12e éd., t. 1, p. 642. 59 Contra, Servane Carpi-Petit, pour qui, « dès lors que le droit sur l'image d'un bien n'est pas exclusif, il ne saurait s'agir d'un droit de propriété », ce qui nous semble discutable dans la mesure où l’exclusivité peut connaître des degrés et que l’exclusivité dépend aussi de circonstances factuelles puisque le propriétaire peut l’établir par des actes matériels mettant le bien hors de vue de quiconque sans que nul n’ait de droit à s’y opposer sauf disposition obligatoire en ce sens. Servane CarpiPetit, préc. 60 De nombreux auteurs précités s’interrogent sur la compétence du juge de venir ainsi limiter le droit de propriété quant à certaines utilités que le bien produit. On considèrera que la solution relève de l’article 544 tel qu’interprété par les juridictions. 388 être placées sous l’empire de l’exclusivisme de son propriétaire, pour des raisons d’intérêt général. 2) Un exemple de la nécessaire limitation à l’exclusivité des propriétaires publics sur leurs biens : l’affaire de la « taxe trottoir » 435. Après plusieurs décisions en première instance61 et en appel62, le Conseil d’État est venu rendre une décision en dernier ressort sur l’affaire dite de la « taxe-trottoir » en jugeant que l'occupation ou l'utilisation du domaine public dans les limites ne dépassant pas le droit d'usage appartenant à tous, qui n'est soumise à la délivrance d'aucune autorisation, ne peut pas être assujettie au paiement d'une redevance63. Dans tous les cas, les juridictions administratives ont voulu se fonder sur le droit du domaine public uniquement, et plus particulièrement les articles L. 2122-1, L. 2125-1 et L. 21253 de code général de la propriété des personnes publiques. De leur combinaison résulte la nécessité d’un titre pour occuper ou utiliser « dans des limites dépassant le droit d’usage qui appartient à tous » une dépendance du domaine public, titre d’occupation appelant en principe le versement d’une redevance calculée en « tenant compte des avantages de toute nature procurés au titulaire de l’autorisation ». Le Tribunal administratif de Nîmes, suivant en cela le rapporteur public 64 , a considéré « qu'indépendamment du simple droit d'accès tiré de la qualité de riverain de la voie publique, les personnes qui ne peuvent exercer leur activité lucrative et réaliser les opérations matérielles de vente ou de transactions que parce que leur clientèle stationne temporairement sur la voie publique devant leur établissement doivent être regardées comme utilisant pour elles-mêmes le domaine public ». Pour la Cour administrative d’appel de Marseille, à l’inverse, il n’y a pas une utilisation anormale ce qui conduit à censurer le jugement. Le Conseil d’État valide cette position en précisant que « si la personne publique est fondée à demander à celui qui occupe ou utilise irrégulièrement le domaine public le versement d'une indemnité calculée par référence à la 61 TA Grenoble, 15 décembre 2009, Sté Lyonnaise de Banque, Banque populaire des Alpes, Sté générale, n° 0703737, n° 0703739 et n° 0703740, JCP A, n° 6, 8 février 2010, 2057, comm. Ph. Yolka ; TA Nîmes, 3 mars 2011, Madame Lagrange et a., n° 1002678, n° 1003096, n° 1003190, JCP A, n° 13, 28 mars 2011, act. 231 ; concl. F. Héry, « Légalité d’une redevance mise à la charge du commerçant dont l’activité suppose l’utilisation du domaine public par sa clientèle », AJDA, 2011, p. 1022 ; Olivia Tambou, « La taxe trottoir : outil pour valoriser l’utilisation privative du domaine public des communes », AJCT, 2012, p. 86. 62 CAA Marseille, 26 juin 2012, Chiapinelli et a., n° 11MA01675 ; Hélène Pauliat, JCP A, n° 27, 9 juillet 2012, act. 465 ; D.A., n° 10, Octobre 2012, comm. 82. 63 CE, 31 mars 2014, Commune d’Avignon, n° 362140, AJDA, 2014, p. 709 note D. Poupeau ; Revue de droit bancaire et financier, comm. F.-J. Crédot et T. Samin ; DA, 2014, comm. 37 J.-F. Giacuzzo. 64 Préc., p. 1023 : « cette utilisation revêt bien, à notre sens, un caractère privatif, dès lors que premièrement, la transaction ne peut avoir lieu que si le client stationne sur le domaine public ; deuxièmement, un piéton usager du domaine public ne peut circuler librement au droit de ce type de commerce – ou d'ailleurs d'un distributeur automatique de billets – lorsque des transactions sont en cours de réalisation ». 389 redevance qu'il aurait versée s'il avait été titulaire d'un titre régulier à cet effet, l'occupation ou l'utilisation du domaine public dans les limites ne dépassant pas le droit d'usage appartenant à tous, qui n'est soumise à la délivrance d'aucune autorisation, ne peut, par suite, être assujettie au paiement d'une redevance ». Il considère ensuite successivement qu’il n’y a, ni utilisation privative, ni occupation du domaine public excédant le droit d’usage qui appartient à tous. On peut maintenant aborder la question en considérant le bien à la base de la situation, c’est-à-dire la voie publique. Parce que ce bien est ouvert à la circulation du public, il est mis en situation de produire une première utilité qui est de pouvoir aller et venir, utilité que le propriétaire met à la disposition du public sous la forme d’un droit-liberté consacré. Parce que ce bien n’est pas clos mais que les façades limitrophes sont en accès immédiat, la voie publique produit deux nouvelles utilités : l’accès des piétons aux dispositifs et vitrines situés sur le fonds voisin, et la possibilité d’établir un tel contact pour ceux qui jouissent de ces vitrines et dispositifs. Il en résulte l’utilité finale qu’est l’activité commerciale que permettent les échanges rendus possibles par la situation de la voie publique. La question, identique à celle relative à l’image des biens, est de savoir si l’ensemble des ces utilités est placé sous l’empire de la jouissance exclusive de la personne publique propriétaire. Si tel est le cas, il y a bien utilisation dans chaque cas et alors peut se poser la question de sa qualification de normale ou de privative. En évoquant la seule présence de la clientèle, le Conseil d’État fait apparaître que, évidemment, c’est du côté des professionnels que l’on recherche une utilisation et que l’on veut la qualifier. Or, il nous semble quelque peu maximaliste de considérer que la mise en place d’une activité commerciale en raison de la clientèle qu’apporte un fonds voisin, même riverain, est constitutive d’une utilisation « par clientèle interposée »65. Le Conseil considère que la seule présence des clients « n'est pas constitutive d'un usage privatif du domaine public par ces établissements, dès lors que ceux-ci ne disposent d'aucune installation sur le domaine public ». S’il considère qu’il y a usage mais non privatif, alors il reconnaît la propriété de la personne publique sur l’utilité qui est procurée aux professionnels, l’achalandage en somme. S’il considère qu’il n’y a aucun usage d’aucune sorte, ni privatif ni collectif, il dénie cette propriété. Comme dans le cas des utilités de l’image d’un bien, il nous semble qu’il y a nécessairement une division de la propriété. Il y a bien usage, mais il s’agit de l’utilisation d’une dimension du bien qui ne fait pas l’objet d’une appropriation exclusive : le fait que les usagers qu’attire le bien soient des clients potentiels. Il y a ici ce que Jean Clam a pu appeler une 65 Philippe Yolka, « Distributeurs de billets : les banques ne passeront pas à la caisse », JCP A, n°6, 8 février 2010, 2057. 390 « socialisation des utilités »66 mais qui ne s’applique pas seulement aux biens publics, comme en l’espèce, mais également aux biens privés comme le montre la réservation de ce que l’image peut permettre. Il y a une limite au monopole du propriétaire sur son bien, et si un bien, parce qu’il attire du public, achalande de ce fait les commerces avoisinants, aucun droit exclusif ne doit lui permettre d’exiger une part des bénéfices générés. En l’espèce, il nous semble que la personne publique n’est en aucune façon confrontée à un tiers qui vient jouir sans autorisation d’une utilité dont elle a la réservation exclusive en qualité de propriétaire. Les usagers de la voie publique ne font qu’un usage normal et collectif de la dépendance. Quant aux commerçants, ils utilisent la façade qui, sauf à être déclarée mitoyenne, n’appartient pas à la personne publique. Ils jouissent donc de l’utilité que procure ce fonds qu’ils occupent. Celle qui leur vient du domaine public ne doit faire l’objet, comme pour l’utilité que procure l’image des biens, d’aucun droit exclusif qui rendrait légitime leur action. En somme, il y a bien une « taxe » instituée par les conseils municipaux et par conséquent exercice du droit de puissance et non du droit de propriété. Or, la compétence revient ici au seul législateur et la délibération mériterait sans doute la sanction de l’inexistence. Cela aurait le mérite de stigmatiser symboliquement une décision allant au-delà de toute limite raisonnable dans la quête de redevances domaniales. 436. Il reste à la personne publique trois options. Comme en droit civil, on doit pouvoir lui permettre d’interdire l’utilisation qui lui cause un trouble anormal de jouissance mais il serait sans doute peu souhaitable que disparaissent les distributeurs de billets et les commerces concernés. Elle devrait également pouvoir demander réparation d’un éventuel préjudice, dont on voit mal cependant la teneur, sinon le manque à gagner ou lucrum cessans. Enfin, si l’attroupement que génère un commerce rend la circulation impossible, un arrêté au titre de la police de la circulation pourrait intervenir pour garantir l’affectation à la circulation du public. Or, cela semble impossible dès lors que, comme le constate le Conseil d’État, l’exercice de l’activité commerciale « n’est ni exclusive de la présence d'autres usagers du domaine public ni incompatible avec l'affectation de celui-ci ». Il y a donc une limite pour la personne publique à rechercher le bénéfice de toutes les utilités d’ordre économique que peuvent procurer ses dépendances du domaine public. On conviendra qu’il y a un intérêt général évident à arrêter ici l’ambition du propriétaire de procéder à un prélèvement supplémentaire de la richesse nationale dont le gain Jean Clam, Trajectoires de l’immatériel. Contribution à une théorie de la valeur et de sa dématérialisation, CNRS éd., 2004, passim, spéc. pp. 59-114 ; voir aussi du même auteur, « Qu’est-ce qu’un bien public ? Une enquête sur le sens et l’ampleur de la socialisation de l’utilité dans les sociétés complexes », APD, 1997, p. 215. 66 391 est fort modique. La voie publique est un bien et le siège d’utilités liées à la compétence de la personne publique. Ses missions, d’abord : faciliter la circulation et garantir la liberté d’aller et venir. Sa propriété, ensuite, qui l’autorise à se procurer une ressource alternative à l’impôt et à l’emprunt en générant un revenu. Ainsi apparaît la problématique entre affectation et valorisation que nous voudrions développer à partir de l’idée qu’un bien public a pour critère de procurer une utilité en lien avec l’exercice de la compétence d’une personne publique. Le bien administratif est un bien, donc une chose juridique pouvant faire l’objet d’un droit de propriété. Il est administratif en raison du rapport qui s’établit entre une utilité qu’il produit et l’exercice de la compétence d’une personne publique. Ce seul critère autorise à retenir une conception élargie de la notion de bien administratif, catégorie fonctionnelle qui peut se cumuler aux catégories personnelles de biens publics et de biens privés. 392 § 2 Les biens administratifs : une catégorie fonctionnelle inscrite dans l’unité organique du droit public 437. Le caractère essentiel d’un bien administratif pour l’exercice d’une activité administrative ne préjuge en rien de son appartenance au domaine public, au domaine privé ou au patrimoine d’une personne privée. Cela confirme l’ineffectivité d’un critère personnel d’identification des biens administratifs. Le critère fonctionnel est donc absolument suffisant, c’est le rapport d’utilité du bien pour une activité assumée par une personne qui suffit à le qualifier d’administratif et le rend susceptible d’être incorporé à un fonds administratif (A). Cette approche ne doit pas cependant masquer l’unité organique des biens administratifs en raison du rattachement de l’activité à la personne publique qui l’assume. Ce lien organique ne saurait être remis en cause. L’appropriation privée du bien administratif supposera donc toujours une forme de contrôle de la personne publique dont la compétence est exercée grâce à lui et si ce contrôle peut prendre une autre forme que l’appropriation du bien, cette appropriation demeure la modalité permettant le contrôle le plus étroit du bien (B). A. Le critère fonctionnel des biens administratifs : le rapport d’utilité du bien à l’exercice de la compétence d’une personne publique 438. Un bien administratif est un bien utilisé pour l’exercice de la compétence d’une personne publique. On écartera donc d’emblée les biens des simples particuliers et ne présentant aucun intérêt en rapport direct avec l’exercice d’une compétence. En suivant une logique d’intensité progressive du lien entre le bien considéré et la compétence exercée, on distinguera les biens selon qu’ils sont l’objet de l’exercice d’une compétence et le produit de cet exercice. Par opposition à ces deux catégories, le véritable bien administratif est donc le bien qui n’est pas seulement l’objet ou le produit de l’exercice des compétences mais en est l’instrument, le moyen. Un bien peut être l’objet de l’exercice d’une compétence, ce qui ne suffit pas à en faire un bien administratif, mais son affectation éventuelle à une autre compétence permet un cumul des deux rapports. Le bien est alors à la fois objet d’une compétence et instrument d’une autre (1). Il peut ensuite en être le produit et le bien ne sera alors administratif que si, une fois produit, il est affecté à une activité assumée par une personne publique et intègre de ce fait un fonds administratifs (2). 393 1) Les biens envisagés comme objets de l’exercice d’une compétence et la superposition éventuelle de leur affectation à un fonds administratif 439. L’action administrative peut envisager les biens dans le cadre de l’exercice de ses attributions comme l’objet même de cette action. Les biens en cause ne sont alors ni affectés à une activité administrative ni incorporés à un fonds administratif. Ils subissent l’action publique et le fonds administratif qui en représente l’activité. Le bien est alors en principe parfaitement extérieur au patrimoine de la personne publique qui assume l’activité dont le bien est l’objet, mais l’hypothèse de la propriété de la personne publique n’est pas exclue (a). Un bien peut ensuite être l’objet d’une certaine compétence, et être affecté à une autre dont il est alors l’instrument. Le bien subit l’activité mise en œuvre à partir d’un fonds administratif, dont il se distingue, mais est également affecté à un autre fonds administratif, dont il participe. Cela rejoint l’éventuelle rencontre et confrontation des compétences qui nous conduira à évoquer la théorie du bilan67. Cela suppose, là encore, de pouvoir distinguer entre les deux points de vue. On illustrera cette possibilité à partir de la distinction entre l’ouvrage public, catégorie de bien administratif, et le monument historique qui est une qualification portant sur le bien en tant qu’objet de l’activité qui relève de la protection du patrimoine (b). a) Les biens en tant qu’objets des compétences et leur éventuelle appropriation publique 440. Nous avons évoqué l’idée d’une distinction entre l’intérêt général privé et l’intérêt général public68. Nous voudrions reprendre cette distinction pour l’appliquer aux biens. Un bien peut intéresser les pouvoirs publics en raison de l’intérêt général qu’il revêt, mais cet intérêt général peut être parfaitement privé tout comme celui qui conduit l’État à réglementer les rapports entre les particuliers 69. Un bien peut ainsi recevoir un régime destiné à garantir un intérêt général attaché à son existence même ou à encourager ou interdire certains usages. C’est ici en qualité de régulateur de la propriété que l’État intervient. Cela ne suffit pas à faire de ce bien un bien administratif soumis à un éventuel régime de droit administratif70. 67 Cf. infra 509 et s. Cf. supra. 69 Sophie Nicinski soulève la même question lorsque, s’interrogeant sur « la frontière entre le droit public des biens et le droit privé des biens », elle propose de la situer en distinguer l’intérêt général invoqué pour résoudre un conflit de droits privés et la fonction de l’intérêt général en droit public qui est de fonder et de finaliser l’action publique, « Le domaine public : de la crise à la reconstruction », préc., p. 672. 70 Contra, les attitudes de certains privatistes qui ont pu voir dans la multiplication des régimes d’encadrement de l’usage des biens une conquête du droit public sur le droit privé, cf. pour l’argumentation de René Savatier et la réponse de Charles Eisenmann, notamment, cf. supra. 68 394 Ainsi, le souvenir de famille est soumis à un régime exorbitant 71 en raison de l’intérêt reconnu par la loi aux membres d’une famille de pouvoir espérer toujours maintenir dans leur patrimoine des biens qui sont indissociables de l’unité familiale à laquelle ils appartiennent. Ainsi, les règles de droit commun du partage sont exclues 72 et il est possible de s’opposer à la vente d’un souvenir de famille qui est ainsi indisponible73. Le régime exorbitant en cause repose forcément sur un motif d’intérêt général que l’on peut d’ailleurs admettre comme étant simplement la reconnaissance du particularisme de certaines familles, particularisme étranger à tout jugement de valeur mais au contraire lié à des considérations affectives jugées légitimes. En tout état de cause, il ne viendrait à l’esprit de personne de considérer que le régime des biens de famille, parce qu’il est exorbitant, est un régime de droit public et qu’un bien de famille est un bien administratif. Raison pour laquelle les souvenirs de famille apparaissent comme des biens nécessairement privés 74 et cessent de l’être s’ils sont légués à une personne publique75. La raison en est que ce régime est certes édicté et appliqué par les pouvoirs publics mais ces derniers n’y voient aucunement un instrument de l’accomplissement de leur politique publique actuelle. L’intérêt général en cause est purement privé. 441. Le régime peut également être d’une certaine façon de droit public, dans la mesure où à l’instar du droit de l’urbanisme il fait intervenir des autorités et des décisions administratives. Là non plus, il n’y a aucun motif légitime à qualifier le régime et le bien de publics. A l’inverse, on sait qu’une exception au principe qui veut que l’objet de l’expropriation soit un immeuble concerne les brevets intéressant la défense nationale76. Le brevet est alors l’objet de l’exercice par l’État de sa compétence, à travers sa mission régalienne de défense nationale. Une fois exproprié, il sera au minimum un bien organiquement public car approprié par une personne publique, et éventuellement un bien fonctionnellement administratif parce qu’utilisé par le ministère de la défense. Le droit administratif connaît par ailleurs des polices administratives immédiatement liées à certaines choses. Ainsi, la police des édifices menaçant ruine conduit à envisager Jean Hauser évoque une forme de copropriété familiale sur les souvenirs de famille, « Fiançailles : l’air des bijoux de famille », RTD civ., 2008, p. 277. 72 Versailles, 15 oct. 1992, D., 1993, p. 222. 73 Cass., 2e civ., 20 mars 1995, n° 93-18.769, affaire relative à un bien de la famille d’Orléans attribué au Comte de Paris, illustration de ce que ce régime très particulier est assez éloigné des principes républicains de l’action publique et s’en dissocie par conséquent entièrement. 74 Christophe Roux, Propriété publique et droit de l’Union européenne, th. Lyon 3, 2013, n° 225 p. 157. 75 Que l’on songe au fameux diamant rose et au château de Chantilly qui ont appartenu aux Condé avant d’être légués. 76 Décret-loi du 30 oct. 1935, JO du 31 octobre 1935. 71 395 l’immeuble en cause comme l’objet de la police exercée77. Or, les mesures d’exercice de cette police administrative n’ont ni pour objet ni pour effet de faire des édifices en cause des biens administratifs. Ces biens restent des biens privés ou publics en raison de la qualité de leur propriétaire mais ne sont bien que l’objet de l’exercice de la compétence. Il en va de même de la police relative aux animaux dangereux ou errants78 ou de la police sanitaire qui peut conduire à envisager autant les immeubles que les animaux79. Dans ce dernier cas, une affaire récente ayant suscité l’intérêt de l’opinion publique a porté, à Lyon, sur des éléphants qui étaient l’objet de la compétence de l’État exercée par le préfet dans le cadre de ladite police sanitaire80. Ces biens étaient également des biens privés, parce que la propriété du Cirque Pinder (Société Promogil). Ils étaient pour finir des biens administratifs parce qu’utilisés pour l’exercice de la compétence de la Ville de Lyon gestionnaire du parc zoologique de la Tête d’Or, un fonds administratif. On voit donc bien apparaître le critère qui nous semble le seul pertinent pour qualifier un bien d’administratif. Un bien qui subit juridiquement l’action administrative n’en est parfois que le simple objet. En cela il reste distinct de l’action administrative qui porte sur lui comme l’administré reste extérieur à l’action publique qui s’adresse à lui. De tels biens ne sont pas administratifs de ce seul fait car ils ne sont en rien utilisés pour l’exercice de la compétence. 442. La question peut se poser dans des termes légèrement différents si la personne publique est, à l’origine, propriétaire du bien objet de la mission en cause ou si elle est amenée à le devenir. L’exercice de la compétence va alors consister soit à trouver une utilité aux biens en cause, soit à les détruire ou à les vendre. Le cas déjà évoqué de l’article L. 561-1 du code de l’environnement offre un nouvel exemple de ces biens qui sont appropriés par la personne publique mais qui ne sont à l’origine que l’objet de la compétence exercée. Le bien deviendra la propriété de l’État, de la commune ou d’un groupement de communes. Il est un bien public parce qu’il est la propriété d’une personne publique. Il n’a certes aucune utilité économique puisque le bien est destiné à ne faire l’objet d’aucune opération immobilière et peut même être totalement inaccessible. Dans ce cas, toutes les utilités du bien sont en somme gelées, le bien est inerte. Cependant, il est une utilité qui n’a pas disparue, sans laquelle le bien ne serait plus un bien, mais une chose inappropriée. C’est la proprietas elle-même. Le bien, en effet, n’a plus 77 Code la construction et de l’habitat, articles L. 511-1 à L. 511-6 et R. 511-1 et s. ; elle est une police spéciale même si elle est en liaison étroite avec la police administrative générale, toutes deux étant de la compétence du maire. 78 Art. L. 211-11 et s. du code rural. 79 Art. L. 223-1 et s. du code rural. 80 CE, 27 février 2013, Société Promogil, n° 364751. 396 qu’une seule qualité du point de vue du droit : il appartient à son propriétaire public. Cette nuepropriété, qui est une utilité en soi, est alors consubstantielle de la réalisation de la compétence et, en cela, le bien peut être considéré comme administratif au sens où nous l’entendons. Il est utile de se l’approprier pour accomplir la mission de sécurité publique. En cela il n’est pas possible de considérer que le bien ne présente aucune utilité pour la personne publique. Il était l’objet d’une activité administrative mais en a intégré le fonds, non pas pour permettre l’activité, mais au contraire pour en épuiser l’accomplissement de la façon la plus absolue qui soit. L’appropriation est l’utilité du bien qui suffit en elle-même à assurer l’exécution de la mission assumée par la personne publique, l’exercice de sa compétence. En cela, un bien qui a été l’objet de la compétence avant d’être exproprié, est devenu un bien administratif, dont on peut d’ailleurs considérer que l’inaliénabilité s’impose de fait, tant que le bien présentera un danger en soi pour la sécurité publique qu’il incombe aux pouvoirs publics de garantir. 443. Un bien du domaine public est aussi parfois l’objet de la compétence d’un certain point de vue et, d’un autre point vue, l’instrument de la compétence de différentes autorités de l’État. On pense au domaine public hertzien et au fait, récemment clarifié, qu’il « revient au Premier ministre en vertu de l'article L. 41 du code des postes et des communications électroniques, de répartir ces fréquences entre celles qui sont attribuées aux administrations de l'État et celles dont l'assignation est confiée au Conseil supérieur de l'audiovisuel ou à l'Autorité de régulation des communications électroniques et des postes »81. Cette compétence fait du domaine public hertzien l’objet de la compétence de l’État en la personne du Premier ministre, domaine qui devient ensuite l’instrument de la compétence exercée par les services qui utilisent certaines fréquences, l’armée notamment. Dans une logique similaire, un bien qui est utilisé par l’administration, par exemple un ouvrage public, peut tout à fait devenir l’objet d’une compétence. Ainsi, le maire peut prendre un arrêté au titre de la police des édifices menaçant ruine à l’encontre d’un ouvrage public, ce qui supposera de rechercher un équilibre entre la protection de l’ouvrage et les exigences de la sécurité publique82, c’est-à-dire entre la compétence exercée par l’affectataire de l’ouvrage et la compétence exercée par le maire 83 . Ces conflits de réglementation manifestent leur CE, 9 juillet 2014, Sté Bouygues Telecom, n° 367376 ; AJDA, 2014, p. 1466, note J.-M., Pastor ; l’arrêt précise par ailleurs que le brouillage d’une fréquence est une atteinte à la jouissance que l’autorisation garantit au bénéficiaire de l’autorisation de l’exploiter. Cela témoigne selon nous du fait que le droit d’’émettre sur une fréquence est un droit à jouir d’une des utilités que confère le domaine public hertzien lequel devient donc un bien parce que le droit organise son appropriation et en fait le siège d’utilités diverses. 82 TA Dijon, 23 fév. 2006, Fédération des Motards en colère de Côte-d’Or, n° 0401261 ; JCP A, 2006, comm. 1117, note J. Moreau, où le juge administratif valide l’arrêté du maire ordonnant le déplacement d’un poteau dangereux pour les motards alors même qu’il constitue un ouvrage public pour le département propriétaire du chemin départemental. 83 Sur cette question, Norbert Foulquier fait exception en y consacrant quelques développements au titre des exceptions à l’inaliénabilité, Droit administratif des biens, LexisNexis, 2e éd., 2013, n° 464 p. 185. Selon lui, « un immeuble du domaine 81 397 indépendance relative, ce qu’on a déjà pu observer du point de vue de l’analyse du droit objectif de la propriété publique au chapitre précédent84. C’est dans le prolongement de ces analyses que l’on peut distinguer deux catégories applicables à un bien correspondant à la théorie des ordres juridiques partiels. L’une est une catégorie qui relève du droit public de la propriété, l’ouvrage public et l’autre non, le monument historique qui est une catégorie qui s’incorpore au droit public et au droit privé en fonction de la qualité des propriétaires, publics ou privés, qui sont destinataires de son application. b) L’exemple de la distinction entre l’ouvrage public et le monument historique 444. La distinction du monument historique et de l’ouvrage public, tous deux potentiellement bien privé ou bien public, permet de démontrer l’utilité de distinguer les biens qui sont l’objet de ceux qui sont le moyen de l’exercice d’une compétence. Les biens qui subissent l’action d’une administration, et ceux qui s’incorporent à un fonds administratif. L’article L. 621-1 du code du patrimoine dispose que « les immeubles dont la conservation présente, au point de vue de l'histoire ou de l'art, un intérêt public sont classés comme monuments historiques en totalité ou en partie par les soins de l'autorité administrative ». L’ouvrage public est défini quant à lui, en dehors d’une éventuelle qualification législative85, comme l’immeuble résultant d’un travail de l’homme et affecté à une utilité publique 86 . Tous deux sont des immeubles 87 et tous deux présentent un intérêt général reconnu juridiquement. Ils se distinguent cependant en raison des finalités de la protection dont ils bénéficient. L’ouvrage public est nécessairement un bien affecté à une activité administrative et incorpore donc forcément un fonds administratif. Un monument historique n’est que l’objet d’une compétence, la protection du patrimoine, et n’incorpore pas, en lui-même, un quelconque fonds administratif. C’est pourquoi, le monument historique n’est pas considéré comme aménagé dans un but d’intérêt général et par conséquent qualifié d’ouvrage public de façon automatique. Le public menaçant ruine pourrait difficilement répondre aux besoins de l’affectation » et l’ordre de démolition ne porterait donc pas atteinte à cette dernière. On contestera a priori l’idée que les ouvrages publics vétustes n’existent pas et que la police des édifices permet au maire d’enjoindre des travaux sur un immeuble en activité. Il est vrai cependant que « la jurisprudence en la matière reste rare et imprécise ». 84 Cf. les développements relatifs à la théorie du bilan et la conciliation entre régimes publics et privés, et surtout comme en l’espèce entre régimes publics, supra. 85 Ex. art. 2 le loi n° 2005-357 du 20 avril 2005 relative aux aéroports qui qualifie d’ouvrages publics les immeubles affectés au service public aéroportuaire. 86 CE ass., avis, 29 avr. 2010, M. et Mme Béligaud, n° 323179, AJDA, 2010, p. 1642, chron. S.-J. Liéber et D. Botteghi et p. 1916, étude S. Nicinski, P.-A. Jeanneney et E. Glaser ; RDI, 2010, p. 390, obs. O. Févrot ; RFDA, 2010, p. 557, concl. M. Guyomar et p. 572, note F. Melleray. Voir aussi, Jacques Petit, Gweltaz Eveillard, L’ouvrage public, Litec, 2009. 87 CE, 26 sept. 2001, Département du Bas-Rhin, Rec., p. 434 ; AJDA, 2002, p. 549, note Arbousset ; JCP 2002, II, 10029, concl. Bachelier. 398 monument historique n’est que l’objet de l’exercice de la compétence assumée par l’État de protéger le patrimoine historique. Il n’est pas en lui-même le support de l’activité administrative destinée à le garantir. C’est pourquoi un monument historique, même ouvert aux visiteurs, n’est pas pour autant affecté au service public de la culture. C’est seulement s’il l’est qu’il deviendra, par ailleurs, un ouvrage public. Il aura alors intégré le fonds administratif affecté à une activité culturelle. Ce sont deux données distinctes du droit positif. La qualification juridique du bien conduit à lui appliquer deux catégories cumulatives. Le monument historique est une catégorie de biens en elle-même étrangère à l’action publique et qui n’intègre le droit public qu’à la condition d’intégrer la légalité administrative en s’imposant au propriétaire public d’un monument historique. A l’inverse, l’ouvrage public est une catégorie de biens intégrée au droit public parce que n’ayant de sens qu’au vu de la compétence d’une personne publique. Cette compétence peut être impliquée indirectement à travers le but que poursuit l’administration dans le rapport qu’elle établit avec le bien, comme le cas d’un réseau de télévision par câble établi dans un lotissement mais « installé par la commune pour concilier la sauvegarde du site avec la liberté de réception des faisceaux hertziens nationaux par les habitants »88. La commune a exercé sa compétence au moyen d’un bien, qui dès lors mérite la qualification d’ouvrage public. C’est pourquoi un ouvrage public est toujours un bien administratif et qu’il suit la délégation de l’exercice de la compétence parce qu’on a jugé utile de maintenir ce régime dans le cadre de la gestion privée du service public. Le rattachement indispensable de l’ouvrage public à l’action publique se manifeste par l’exigence d’un véritable service public si le bien est privé et d’une appréciation plus souple si le bien est la propriété d’une personne publique89. La protection du monument historique et l’intangibilité 90 (relative désormais) de l’ouvrage public permettent de comparer leur régime. Il ne faut pas, cependant, s’écarter de leur raison d’être. Si, dans les deux cas, l’intégrité du bien doit être préservée, ce n’est pas pour les mêmes raisons, et ce n’est pas suivant les mêmes modalités. Ainsi, le classement comme monument historique aura pour effet d’imposer à son propriétaire des obligations d’entretien et de restauration, sous le contrôle des autorités administratives. Ce sont les caractéristiques propres du monument historique qui justifieront son régime. 88 CE, 10 nov. 1993, Cne de Mirebeau, Rec., p. 314 ; CJEG, 1994, p. 145, concl. Pochard ; D., 1994, somm., p. 291, obs. Maisl ; DA, 1994, comm. n° 24, obs. M.P. ; LPA, 15 juill. 1994, p. 4, note Perot. 89 Katarzyna Grabarczyk, « L’ouvrage public appartenant à une personne privée », AJDA, 2011, p. 2269. 90 CE, 7 juillet 1853, Sieur Robin de la Grimaudière, S., 1854.II.113. 399 L’ouvrage public lui, sera protégé par le principe d’intangibilité dont l’évolution signifie seulement qu’il y a aujourd’hui application de la théorie du bilan 91. Il est donc vrai de dire que « le degré de contribution à l’utilité publique du bien constituera alors sans nul doute un critère essentiel pour juger de la tangibilité potentielle de l’ouvrage »92, ce qui signifie que le régime est ici appliqué « pour l’utilité publique qui s’attache à la continuité de l’activité développée à partir de cet ouvrage »93. Si « l’effet de cette nouvelle approche jurisprudentielle est évidemment d’atténuer très fortement la protection de l’ouvrage public, puisque dorénavant le juge peut être amené à en ordonner la démolition »94, il faut cependant tempérer la portée de l’évolution. Tout ouvrage public sera intangible s’il est nécessaire à une activité de service public et si son déplacement ou sa modification sont déraisonnables, soit pour le fonctionnement du service, soit pour les finances de la personne publique qui assume la compétence. Il y aura donc adéquation entre la protection du bien et l’importance effective et réelle de l’utilité qu’il sert pour la compétence exercée. L’ouvrage public est un bien administratif selon la conception qu’on s’en fait, qui est fondée sur le critère fonctionnel de l’utilité administrative que sert le bien. Un bien qui est le produit de l’exercice de la compétence peut, de même, être un simple bien public ou être, de surcroît, un bien administratif. 2) Les biens en tant que produits par l’exercice d’une compétence et leur éventuelle affectation aux fonds administratifs 445. Dans le cadre de l’exercice d’une compétence, des biens peuvent être produits sans que cela emporte nécessairement leur utilisation par l’administration. Les biens qui sont produits par l’exercice d’une compétence ne sont donc pas forcément des biens administratifs au sens fonctionnel où nous l’entendons. Il faut tout d’abord évoquer rapidement le fait que les biens des personnes publiques peuvent être à l’origine de fruits et produits nés de l’exploitation ou de la transformation d’un bien lui appartenant (a). Le cas des données publiques mérite à lui seul de s’attarder en raison du fait que ces données sont des biens qui présentent les trois rapports à la compétence puisqu’ils sont à la fois le produit, l’objet et l’instrument de l’exercice de missions relevant de la compétence de personnes publiques (b). 91 CE sect., 29 janvier 2004, Cne de Clans, AJDA, 2003, p. 784, note P. Sablière ; JCP A, 2003, n° 1342, note J. Dufau ; RFDA, 2003, p. 477, concl. C. Maugüé, note Ch. Lavialle ; GDDAB, 2013, p. 762, note F. Melleray. 92 Christophe Roux, th. préc., n° 303 p. 214. 93 Yves Gaudemet, « Que reste-t-il de l’intangibilité de l’ouvrage public ? », in Mélanges Etienne Fâtome, Dalloz, 2011, p. 158. 94 Maylis Douence, « La notion d’ouvrage public est-elle toujours nécessaire ? », in Mélanges Pierre Bon, Dalloz, 2014, p. 826. 400 a) Les biens issus de l’exercice de la compétence de la personne publique et leur éventuelle utilité administrative 446. Un bien peut être le fruit ou le produit, naturel, industriel ou civil d’un bien public, dès lors qu’une personne publique jouit elle-même de l’utilité de profit que le bien peut ainsi généré. Dans le cas des Hospices civils de Lyon (HCL), le Conseil de l’immobilier de l’État relevait ainsi que l’établissement public avait « un portefeuille d’actif particulièrement valorisable puisque, d’une valeur de 630 M€, il relève de la taille critique des sociétés foncières » 95. L’essentiel des fruits et produits non civils sont cependant la propriété des occupants auxquels l’établissement a délégué l’exploitation. Quant aux fruits civils, il s’agit de deniers publics qui alimentent le budget général de l’établissement. Les HCL produisent donc de nouveaux biens, des deniers publics, à partir des biens publics sur lesquels portent leur droit de propriété public et dont l’exercice est un élément de l’exercice de leur compétence. Ce qui faisait dire à Jean-Bernard Auby que le domaine privé est bien indirectement affecté à l’utilité publique. De ce fait, un bien public est toujours, dans une certaine mesure, un bien administratif, dès lors qu’il produit des revenus. Il appartient en somme au fonds support dont les actifs produisent des recettes, lesquelles seront affectées aux fonds opérationnels. Cela n’est pas juridiquement appréhendé ainsi dans le cas d’un gestionnaire privé d’un service public, sauf à ce que les produits soient perçus sur les usagers et, alors, ces produits ne sont plus purement civils mais au contraire administratifs dans une très large mesure qui en explique le régime particulier. Les redevances sont envisagées comme des produits du service public, des produits de l’exercice de la compétence. Cela démontre que le critère organique correspond au droit de propriété public des personnes publiques et étend ses effets à tous les biens, indifféremment à leur rapport à une quelconque mission particulière, tandis que l’élément fonctionnel est constitué par le critère de le rapport du bien à une telle mission. 447. Le régime exorbitant qui s’applique aux droits d’auteur des agents publics permet de s’intéresser aux biens qui sont produits par l’exercice d’une compétence mais constituent organiquement des biens privés, puisque propriété des agents pris en tant qu’individus. Si ce droit d’auteur n’est pas nié, la loi du 1er août 2006 y apporte des restrictions qui « ont pour effet 95 Ainsi, au 31 décembre 2012, les Hospices civils de Lyon étaient propriétaires de 6 hectares de vignobles, mais aussi de 1100 hectares de forêt et de 350 hectares de terres agricoles. Avis du Conseil de l’immobilier de l’État, Séance du 29 mai 2013, n° 2013-18. Outre les tènements urbains sur lesquels ils ont consenti des baux à construction. 401 d'écarter le droit des agents du droit commun des auteurs » 96 . En effet, alors que les droits moraux constituent l’objet même du régime juridique des droits d’auteurs, ces droits sont largement réduits pour s’adapter aux exigences de l’action administrative. Ainsi, l’article L. 121-7-1 interdit à l’agent auteur de « s'opposer à la modification de l'œuvre décidée dans l'intérêt du service par l'autorité investie du pouvoir hiérarchique, lorsque cette modification ne porte pas atteinte à son honneur ou à sa réputation » et soumet à l’autorisation de ses supérieurs l’exercice de son droit de retrait qui lui permet notamment de détruire l’œuvre dont il est l’auteur. C’est en fonction de l’intérêt du service, selon Nicolas Font, que la divulgation pourra être réduite ou élargie sans que la volonté de l’agent auteur puisse intervenir. Enfin, les conditions de rémunération liées à l’exploitation commerciale de l’œuvre ne semblent guère offrir un régime en faveur de l’agent auteur. Les œuvres qui sont ainsi le produit de l’exercice d’une compétence d’une personne publique, si elles sont la propriété intellectuelle de l’agent qui en est l’auteur, constituent des biens privés soumis à un régime de droit public justifié par leur rapport à l’exercice des compétences. Par ailleurs, la propriété publique intervient dès l’instant où l’œuvre en question n’est plus seulement le produit mais aussi l’instrument de l’exercice de la compétence. En effet, l’article L. 131-3-1 du code de la propriété intellectuelle dispose que « dans la mesure strictement nécessaire à l'accomplissement d'une mission de service public, le droit d'exploitation d'une œuvre créée par un agent de l'État dans l'exercice de ses fonctions ou d'après les instructions reçues est, dès la création, cédé de plein droit à l'État ». Le bien que constitue le droit d’exploitation devient alors organiquement public. Si, pour Nicolas Font, « l'incapacité de l'agent à puiser des ressources est justifiée par le fait que la collectivité employeur ne tire aucun bénéfice de l'œuvre, hormis son utilité pour le service », nous y voyons un appui certain à la position défendue dans la présente étude. L’œuvre de l’agent produit une utilité administrative qui peut être isolée par la constitution du droit d’exploitation. Ce droit confère la maîtrise de l’utilité permettant la réalisation de sa mission par la personne publique, raison pour laquelle il est un bien administratif (si l’on admet que les droits de ce type sont des biens)97. C’est alors le droit d’exploiter l’œuvre qui est incorporé au fonds administratif. En effet, l’utilité de service en question voit sa maîtrise par la personne publique compétente garantie par ce régime d’attribution du droit d’exploitation pour les besoins du service, c’est-à-dire de l’exercice de la compétence. Ce rapport entre le droit d’exploitation de l’œuvre et la mission relevant de la compétence de la personne publique constitue bien le critère fonctionnel par lequel on identifie un bien administratif et on l’incorpore à un fonds administratif. 96 Nicolas Font, « Le statut des agents auteurs, facteur de valorisation du patrimoine immatériel des collectivités territoriales », AJCT, 2013, p. 130. 97 Cf. supra. 402 448. Les archives publiques sont un autre type de biens produits par l’exercice des compétences des personnes publiques. L’article L. 211-1 du code du patrimoine définit les archives comme « l'ensemble des documents, quels que soient leur date, leur lieu de conservation, leur forme et leur support, produits ou reçus par toute personne physique ou morale et par tout service ou organisme public ou privé dans l'exercice de leur activité ». Une telle archive, en vertu de l’article L. 211-4, devient publique si le document procède « de l'activité, dans le cadre de leur mission de service public, de l'État, des collectivités territoriales, des établissements publics et des autres personnes morales de droit public ou des personnes de droit privé chargées d'une telle mission ». Autrement dit, une archive est un bien produit par un fonds administratif mais immédiatement réincorporé au fonds administratif que constituent les archives et dont l’activité consiste à conserver les documents ainsi produits. Il est particulièrement intéressant de noter que la notion d’archive privée est, par l’article L. 211-5, définie a contrario. Nous y voyons la confirmation de l’idée défendue précédemment que la sphère publique est limitative tandis que la sphère privée est résiduelle 98. En d’autres termes, une archive publique est un bien qui résulte de l’exercice direct ou délégué de la compétence d’une personne publique, en l’espèce, à travers l’exécution d’une mission de service public qui permet de limiter l’étendue de la catégorie des archives publiques. La mise en vente aux enchères des archives d’un général d’Empire a suscité une application complète du régime juridique en cause, aboutissant in fine à leur qualification, par le TGI de La Rochelle, d’archives privées99. La solution contraire aurait conduit à considérer l’État propriétaire des documents puisque les archives publiques appartiennent, en vertu de la loi, au domaine public mobilier des personnes publiques. Les archives publiques rejoignent ainsi la question des données publiques dans la mesure où elles peuvent être réutilisées et notamment à des fins commerciales, posant la question de la marge d’appréciation laissée à l’administration dans l’admission ou le refus de la demande d’accès par une personne privée100. b) Les données publiques : produit, objet et support de la compétence de la personne publique 449. « Les organismes chargés d’une mission de service public recueillent, produisent, reproduisent et diffusent un large éventail d’informations, qu’il s’agisse d’informations sociales, économiques, géographiques, 98 Cf. supra. Le tribunal expose longuement la procédure et ses péripéties, notamment quant à la détermination de l’ordre juridictionnel compétent. TGI de La Rochelle, 26 mars 2013, n° 2/00363, AJDA, 2013, p. 1525, comm. Nelly Ach. 100 Sur le suivi d’une affaire liée aux archives publiques du département du Cantal, Damien Connil, « Réutilisation commerciale d’archives départementales : nouveaux défis, première décision », commentaire sous TA ClermontFerrand, 13 juillet 2011, n° 1001584, AJDA, 2012, p. 375 ; « Réutilisation d’archives départementales : nouvelle décision, nouvelle étape », commentaire sous CAA Lyon, 4 juillet 2012, n° 11LY02325, AJDA, 2013, p. 301. 99 403 météorologiques ou touristiques », écrit Ludovic Coudray. « Concrètement, poursuit-il, ces organismes tiennent à jour des registres d’état civil, établissent des annuaires, élaborent des statistiques, adoptent des normes juridiques, éditent des cartes, rédigent des études » 101 , ce qui se rapproche de la qualification des administrations comme des « machines informationnelles »102. Ces informations sont donc des biens, à l’instar du numéro de carte de crédit 103 pour un particulier 104 . Certes, la question de la distinction entre données brutes et bases de données, et plus généralement celle de l’appréhension juridique du rapport d’appropriation par un sujet de droit des données et informations est encore à ses balbutiements. Les données personnelles des utilisateurs de services Internet, recueillies et utilisées sans que l’information soit satisfaisante et avec la contrepartie dérisoire d’une apparente gratuité du service rendu est une problématique d’avenir pour le droit privé. En ce qui concerne le droit public, l’arrêt du Conseil d’État Direct Mail Promotion 105 est une première pierre apportée à l’édifice encore à construire du régime des données publiques et de leur exploitation économique par les gestionnaires de service public ou par les tiers106. Si ce dernier est produit par l’activité économique de sa banque mais lui revient en pleine propriété comme un accessoire du service, les données publiques sont le produit de l’exercice d’une mission de service public et, par conséquent, de l’exercice d’une compétence. Cela induit une appréhension qui tienne compte de cette qualité, ce dont témoigne le traitement particulier que les informations et données publiques appellent107. Damien Connil rend ainsi compte de la politique publique actuelle à l’égard des données publiques : « envisagé comme un moyen de renforcer la transparence de la vie publique, de favoriser l’innovation numérique et de valoriser le patrimoine immatériel des personnes publiques l’open data est largement encouragé »108. Le régime juridique applicable aux données publiques démontre une fois encore l’autonomie et l’originalité du droit qui doit s’adapter aux exigences particulières de l’action administrative dans son rapport à la propriété. Ludovic Coudray, « L’incidence du droit communautaire sur le statut des informations publiques », in Jean-Bernard Auby et Jacqueline Dutheil de la Rochère (dir.), Traité de droit administratif européen, Bruylant, 2e éd., 2014, p. 1151. 102 Maurice Ronai, « L’État comme machine informationnelle », RFAP, 1994, n° 72 p. 571. 103 Thierry Revet, « Notion de bien : le numéro d'une carte bancaire est susceptible de détournement », RTD civ., 2001, p. 912, note sous Cass. crim., 14 nov. 2000, D., 2001, p. 1423, note B. de Lamy ; RTD com., 2001, p. 526, obs. B. Bouloc ; Rev. science crim., 2001, p. 385, note R. Ottenhof ; Dr. pén., 2001, comm. n° 28, obs. M. Véron ; chron. n° 16, S. Jacopin. 104 On peut encore s’interroger sur le cas des numéros de téléphone mobile, mais ce serait plutôt la loi qui les exclut du rapport d’appropriation et donc de la qualification de bien, Aurore Laget-Annamayer, « Les numéros de téléphone ne sont pas la propriété des opérateurs », AJDA, 2003, p. 1381, note sous CE, 29 janvier 2003, n° 237618 et n° 242379. 105 CE Ass., 10 juill. 1996, Sté Direct Mail Promotion et a., Rec., p. 227 ; AJDA, 1997, p. 189, note H. Maisl ; RFDA, 1996, p. 11, concl. M. Denis-Linton ; RIDA, 1996, n° 170, p. 221, note A. Kérever. Christophe Roux note à son égard que « le caractère vague des termes choisis a légitimement fait naître l’hésitation de la doctrine, notamment s’agissant de la portée de l’expression “droits privatifs issus de la propriété intellectuelle” », th. préc., n° 482 p. 323. 106 Herbert Maisl, « Les données publiques : un gisement à exploiter ? Introduction », RFAP, 1994, n° 72, p. 563. 107 On ne distinguera pas entre les deux notions qui nous semblent synonymes. 108 Préc., AJDA, 2013 p. 301. Le phénomène est d’ailleurs assez généralisé dans le monde. Pour une évocation du cas de la Suisse, Joseph Jehl, « Suisse : vers un accès plus facile aux données publiques », JCP G, 10 mars 2014, 317. 101 404 C’est à partir de la loi du 17 juillet 1978109 que s’est construit leur régime. Revêtant un intérêt majeur pour les libertés publiques et la vie économique, et constituant un problème largement commun aux sociétés de l’information, le problème a fait l’objet d’une démarche au niveau de l’Union européenne. Ainsi, l’ordonnance du 6 juin 2005110 est venue transposer la directive n° 2003/98/CE du 17 novembre 2003 concernant la réutilisation des informations du secteur public111. Ces données publiques sont le fruit du travail accompli par certains services publics et sont par conséquent produites à l’occasion de l’exercice d’une compétence d’une personne publique. Ces données sont des biens : elles sont des choses et peuvent être décrites comme faisant l’objet d’un droit de propriété. Elles sont des biens publics parce qu’au moment de leur production elles appartiennent à une personne publique. Sous l’influence du droit de l’Union européenne, le principe s’impose de permettre largement leur réutilisation, dont un régime juridique doit garantir la possibilité112. La jouissance exclusive qui y est attachée étant cependant déjà remise en cause par la loi française puisque l’article 10 de la loi de 1978 autorise la réutilisation des données publiques, y compris à des fins commerciales, à la seule condition de ne pas les altérer et de respecter les dispositions relatives aux données personnelles. Suivant notre modélisation, cela signifie que la loi impose au propriétaire des données, souvent une personne publique, de souffrir une atteinte à sa jouissance exclusive en créant au bénéfice des tiers un droit-prestation opposable à l’accès à ces données 113 . Pour Antoine Chéron, « il ressort des licences mises en place ainsi que de la pratique générale, que les autorités étatiques s'estiment le plus souvent titulaires d'une forme de droit sur ces informations »114. Il faut selon nous considérer sans ambages que la personne privée ou publique dont l’activité a produit les données publiques en est la propriétaire tout en étant débitrice par ailleurs du droit opposable d’y avoir accès, que la loi crée au bénéfice des tiers. 109 Loi n° 78-753 du 17 juillet 1978 dite « loi CADA », qui comprend désormais un chapitre 2 intitulé « de la réutilisation des informations publiques ». 110 Ordonnance n° 2005-650 du 6 juin 2005 relative à la liberté d'accès aux documents administratifs et à la réutilisation des informations publiques. 111 Dont l’objet est précisé au considérant 25 : « faciliter la création de produits et de services d’information l’échelle de la Communauté basés sur les documents émanant du secteur public, favoriser une utilisation transfrontalière efficace des documents du secteur public par les entreprises privées en vue de créer des produits et des services d’information à valeur ajoutée et limiter les distorsions de concurrence sur le marché communautaire ». 112 Cf. Ludovic Coudray, préc., spéc. pp. 1153-1155 sur le principe de réutilisation. 113 Antoine Chéron, « La réutilisation des données publiques : bases de données et open data », AJCT, 2011, p. 391, fait ainsi état dans le même sens d’un jugement du 13 juillet 2011 confirmant l'opposabilité de ce droit en ces termes : « les services concernés ne disposent que d'une liberté de fixer s'ils le souhaitent les modalités de réutilisation des données mais en aucun cas de remettre en cause la libre réutilisation prévue par la loi », TA Clermont-Ferrand, 13 juill. 2011, n° 1001584, AJDA, 2012, p. 375, note D. Connil. 114 Antoine Chéron, idem. 405 La propriété est importante parce que la donnée en cause n’est pas toujours seulement le résultat de l’exercice de la compétence. Elle peut aussi être utile à l’exercice des missions relevant des compétences de la personne publique propriétaire ou d’une autre personne publique. 450. La donnée ainsi produite est l’objet de l’exercice des compétences liées à leur gestion et leur mise en ordre. Bien souvent la personne publique qui doit en assurer la gestion en sera aussi propriétaire. Les données publiques sont aussi l’objet des missions confiées à la CADA qui doit en assurer l’accès lorsque les données figurent sur des documents entrant dans le champ d’application de la loi de 1978 et de l’APIE qui est en charge du patrimoine immatériel de l’État dont les données publiques constituent un élément essentiel. Par ailleurs, les données sont éventuellement l’instrument de l’exercice de la compétence dans la mesure où ces données sont utilisées par une administration pour réaliser des études et analyses. Les données permettent ainsi de mettre en évidence qu’un bien peut tout à la fois naître de l’action publique, en demeurer l’objet et en constituer l’outil. Les données publiques sont donc des biens publics et des biens administratifs, soumis à un régime spécifique qui en assure la jouissance par les tiers en imposant à la personne publique de leur attribuer l’utilité que constitue l’information qu’elles permettent. Ainsi, on citera en exemple les données de l’établissement public Météo-France dont l’exploitation est un moyen de réaliser leur compétence pour des institutions en charge de la sécurité civile. Les données correspondent donc à trois dimensions. Il y a tout d’abord la dimension de protection des libertés individuelles auxquelles la détention d’informations à caractère personnel peut porter atteinte et qui justifie un régime juridique s’imposant à l’administration 115. Il y a ensuite la dimension du rapport de ces données à l’action administrative, qui fait de ces biens produits à l’occasion de l’activité des instruments de l’accomplissement de certaines missions de service public. Enfin, « sous l’influence communautaire », s’ajoute « un dispositif valorisant l’exploitation économique des informations publiques »116. On voit qu’ici la valorisation est au profit des tiers, ce qui pose la question du profit réalisé par la personne publique à l’occasion de cette exploitation ou d’une éventuelle exploitation commerciale par la personne publique elle-même117. 115 CE, 29 avril 2002, Ullmann, n° 228830, RFDA, 2003, p. 135, concl. D. Piveteau, AJDA, 2002, p. 691, note P. Raimbault. Le Conseil considère ainsi la loi de 1978 comme un texte concernant « les garanties fondamentales accordées aux citoyens pour l’exercice des libertés publiques ». 116 Ludovic Coudray, préc., p. 1161. 117 Sur une analyse des données publiques orientée essentiellement sur cette problématique de leur patrimonialisation voir Christophe Roux, th. préc., n° 472 et s., pp. 318-331. 406 Quoi qu’il en soit, les données publiques sont donc à la fois l’objet, le produit et le moyen de l’exercice de la compétence, tout en étant au contact de la société par les atteintes aux libertés et les besoins des acteurs économiques. En cela, elles offrent une synthèse des différentes dimensions par lesquelles un bien peut être appréhendé dans le contexte du droit public. Elle fait également apparaître la complexité des fonds administratifs lorsque leurs activités se rencontrent, et les règles, comme la transparence, qui en régissent le fonctionnement de façon transversale. Il faut à présent vérifier que le critère fonctionnel des biens administratifs est pertinent quant à son périmètre, et comment il se conjugue avec le critère personnel de la propriété publique et l’unité organique du droit public, dont celle-ci participe en tant que modalité d’exercice de leur compétence par les personnes publiques. B. La portée limitée de l’approche fonctionnelle : une exclusion du critère personnel sans remise en cause de l’unité organique 451. Les biens administratifs sont utiles voire essentiels à l’exercice d’une compétence. Or, ce rapport d’utilité ou de nécessité du bien à l’égard de la compétence exercée n’est en rien lié à la qualité du propriétaire, qui peut même être parfaitement étranger à l’action publique et être simplement obligé à l’égard d’une administration qui détient un droit-prestation à l’utilité administrative de son bien (1). Cela étant, l’unité organique du droit public demeure. Les biens administratifs se rapportent toujours à une personne publique qui assume la compétence dont ils servent l’exercice. Cela emporte, comme conséquence immédiate, qu’un contrôle de la personne publique compétente sera exercé sur le gardien du bien ou à travers un régime propre au bien administratif tant que celui-ci servira une compétence sans être la propriété de la personne publique. Par ailleurs, dès lors que le bien est nécessaire au fonctionnement du service public et que celui-ci n’est pas supprimé, la personne publique aura vocation à en devenir propriétaire si la délégation de la compétence vient à cesser : à l’unité organique des compétences répond l’unité des biens administratifs qui y sont affectés (2). 407 1) L’exclusion manifeste du critère personnel : l’indifférence à l’égard de l’appropriation publique ou privée des biens administratifs 452. Catherine Logéat a pu constater que si l’existence de biens privés affectés à l’utilité publique n’est pas récente en elle-même, et qu’elle est par ailleurs fort répandue en droit comparé, elle a cependant connu un essor aussi conséquent que soudain avec la modification du statut d’établissements publics en sociétés anonymes sans pour autant leur retirer la dévolution d’une mission de service public118. Les causes sont à rechercher dans « les limites de l’appropriation publique » 119 que constituent l’impossibilité pour les personnes publiques d’assurer seules le financement et le régime inadapté de la domanialité publique. Le résultat en est qu’il existe des biens affectés à un service public sans être la propriété d’une personne publique. Ces biens méritent cependant d’être appréhendés, parce qu’ils ont de ce fait vocation à intégrer les fonds administratifs. Cela d’autant plus qu’il peut s’agir de biens essentiels à l’exercice d’une mission de service public. Par conséquent, les biens administratifs n’ont en rien besoin d’être la propriété d’une personne publique pour que l’affectation soit préservée. 453. François Llorens a pu rappeler cet état de fait en considérant qu’il y a eu une évolution du fondement de la propriété publique des biens de retour. Ainsi, « jusqu’à l’arrêt “Commune de Douai”, la propriété de la personne publique sur les biens de retour était communément justifiée par les exigences du service public » mais « cette justification étant cependant devenue indéfendable tant d’un point de vue pratique que d’un point de vue juridique ». En effet, « il avait été démontré maintes fois que le respect des exigences inhérentes au service public n’impliquait pas nécessairement la propriété publique des biens qui lui sont affectés »120. Une voie ouverte à la circulation ou un chemin de halage peuvent être la propriété d’une personne privée, y compris étrangère à la mission remplie par l’ouvrage. Le délégataire de service public peut être propriétaire des biens essentiels à l’activité exercée, soit parce qu’il les possédait avant la délégation, soit parce qu’il s’agit de biens propres ou de reprise, de même qu’une personne privée chargée d’une mission de service public peut être propriétaire des ouvrages qui y sont affectés. Le principe d’appropriation des biens administratifs ne nous 118 Voir aussi, Sophie Nicinski, « La transformation des établissements publics industriels et commerciaux en sociétés », RFDA, 2008, p. 35. 119 Catherine Logéat, op. cit., p. 22. 120 François Llorens, préc., n° 37. 408 apparaît donc pas présent en droit positif. En d’autres termes, l’appropriation publique des biens administratifs n’est pas le seul moyen d’en garantir l’affectation. Celle-ci peut suivre d’autres voies, et la notion de fonds administratif est de nature à pouvoir maintenir l’unité fonctionnelle des biens affectés à l’activité malgré leur appropriation par des personnes distinctes. 454. Il en va ainsi au niveau constitutionnel où aucune norme ne nous semble imposer l’appropriation publique de quelconques biens. On ne s’étendra pas sur le Préambule de 1946 et son alinéa 9 dont on a fait à maintes reprises l’analyse de la portée juridique121. La remise en cause des monopoles par les politiques de libéralisation achève de neutraliser la disposition. Christophe Roux ajoute à cet égard, qu’il est « d’ailleurs intéressant de constater combien cette neutralisation de l’alinéa 9 s’est opérée sans débat relatif à la primauté du droit de l’Union européenne, alors même que l’alinéa 9 constitue le seul fondement constitutionnel protégeant directement l’appropriation publique »122. C’est dire à quel point, d’une part, cette appropriation est distincte de l’usage qui est fait du bien en cause et de l’importance primordiale de l’activité, et d’autre part que l’alinéa 9 est une disposition politique qui supposerait l’adhésion générale aux postulats de l’idéologie dont elle relève, ce qui ne semble pas être le cas. On se préoccupera donc plus particulièrement de la question des services publics constitutionnels et de la question d’un éventuel principe d’appropriation des biens administratifs qui y sont essentiels123. Si l’on prend l’exemple de la justice, ce service public fonctionne en réalité sans avoir besoin de biens répondant absolument aux critères de l’essentialité, notamment celui de la non duplicabilité. L’existence d’une justice rendue par des personnes privées, sans utiliser pour ce faire les moyens d’une personne publique ou de l’État, achève d’infirmer l’idée que les biens nécessaires à l’exercice du service public constitutionnel qu’est la justice doivent être la propriété de l’État ou d’une personne publique. Si elles engagent la responsabilité de ce dernier, elles accomplissement leurs fonctions juridictionnelles dans leurs locaux et avec leurs moyens propres. Si l’on prend l’exemple de l’exercice des pouvoirs constitutionnels et en particulier du pouvoir législatif, la propriété publique du Palais Bourbon et du Palais du Luxembourg est L’alinéa 9 dispose que « Tout bien, toute entreprise, dont l'exploitation a ou acquiert les caractères d'un service public national ou d'un monopole de fait, doit devenir la propriété de la collectivité ». Christophe Roux, th. préc., n° 228 p. 159 : « Depuis son édiction, la doctrine n’a pas manqué de souligner combien l’alinéa 9 se révélait obscur quant à sa portée juridique ». Voir également, Pierre Lavigne, « Les biens qui doivent “devenir la propriété de la collectivité” », in Mélanges Georges Péquignot, CERAM, 1984, p. 407 qui revient plus longuement sur les travaux préparatoires de la disposition. 122 Ibid., n° 237 p. 165. 123 Caroline Chamard, op. cit., n° 463 : « les biens qui sont le siège des services publics constitutionnels de souveraineté doivent être la propriété de personnes publiques et ne peuvent être, en aucune façon, transférés à des personnes privées ». 121 409 moins importante que l’autonomie fonctionnelle qui assure aux Assemblées la gestion des biens dont elles ont l’emploi, et de leur propre budget. Par ailleurs, si l’on peut discuter de savoir si la salle du Jeu de Paume était un bien public ou privé, on conviendra que lors de l’évacuation de Paris menacé d’occupation en 1870 ou effectivement occupé en 1940, ces services publics constitutionnels ont pu fonctionner simplement parce que l’État disposait sans en être propriétaire des locaux nécessaires à la tenue des séances. 455. Si, pour accomplir leurs missions, les personnes publiques utilisent des biens, elles n’ont besoin que de la jouissance de l’utilité de service du bien et cela ne suppose donc pas nécessairement l’appropriation du bien. Des garanties peuvent suffire à s’assurer de la jouissance de l’utilité administrative, sans passer par la propriété. Autrement dit, il faut que l’affectataire du bien, personne publique ou privée exerçant la mission de service public, soit jouisse de toutes les utilités du bien, parce qu’il en est propriétaire, soit jouisse d’une utilité parce qu’il a un droit-prestation obligeant le propriétaire du bien à la lui concéder. On retrouvera cette distinction lorsque la puissance publique interviendra comme auxiliaire des personnes publiques propriétaires, leur attribuant soit le bien (expropriation) soit la jouissance de l’utilité de service du bien (servitude administrative)124. Il faut cependant ne pas exagérer la portée de la démarche fonctionnelle qui permet d’identifier un bien administratif dans le patrimoine d’une personne privée. En effet, le droit public se caractérise par une unité organique qui rapporte tous ses éléments à l’État-appareil de gouvernement. Il en va de même des biens administratifs qui ont vocation à perdre cette qualité s’ils cessent de servir à l’exercice d’une compétence, ou à redevenir la propriété de la personne publique si celle-ci cumule à nouveau la fonction d’assumer et d’exercer la compétence. 2) La permanence de l’unité organique à l’égard des biens administratifs : la vocation des biens à faire retour au terme de la délégation 456. La dissociation entre la propriété du bien et son affectation signifie une seule chose : le propriétaire d’un bien administratif peut être une personne publique ou une personne privée. Il s’agit donc exactement du même constat que pour un service public, dont le gestionnaire peut être une personne publique ou privée. Et dans les deux cas, cela n’autorise en rien à considérer qu’un service public ou un bien administratif puisse exister dans la sphère privée, c’est-à-dire sans être rattaché organiquement à l’action publique par le fait que le service et le bien qui y est 124 Cf. infra, chapitre suivant. 410 affecté accomplissent une mission qui relève de la compétence d’une personne publique. C’est pourquoi il faut affirmer que l’approche fonctionnelle des biens administratifs ne fait pas disparaître le critère organique. Catherine Logéat a choisi d’appliquer aux biens des personnes privées les critères de la domanialité publique. Elle considère qu’est un bien privé affecté à l’utilité publique le bien affecté à l’usage direct du public ou à un service public, étant entendu que le critère réducteur est ici inutile. Cette définition n’est pas très éloignée de la nôtre. Par exemple, elle écarte les logements réquisitionnés parce que « l’affectation à l’utilité publique telle que définie pour le domaine public implique également d’exclure de l’étude les biens privés qui, dans un objectif d’intérêt général, sont mis à la disposition de personnes privées, c’est-à-dire, qui servent in fine un intérêt individuel »125. On s’accordera avec elle pour dire qu’un bien réquisitionné pour y loger des personnes privées n’est pas un bien administratif, parce qu’il est seulement l’objet de l’exercice de la compétence. De ce fait, on s’écartera de l’interprétation extensive des biens privés affectés à l’utilité publique que retient Christophe Roux pour qui « on retrouve ainsi dans cette catégorie les biens des fondations et des associations d’utilité publique qui, en vertu de la loi, se doivent d’être affectés à l’objet d’intérêt général poursuivi par ces structures »126. Il en va de même des biens des musées et plus généralement de tous les biens qui font l’objet d’une protection quelconque au titre du code du patrimoine. A penser ainsi, on voit mal ce qui interdirait d’y ajouter les biens qui sont protégés par le droit de l’environnement comme les biens privés inclus dans le périmètre d’un parc naturel ou même les forêts privées confiées à l’ONF. Christophe Roux considère pourtant que tout autre définition que celle retenue par Catherine Logéat « autoriserait un glissement progressif difficilement maîtrisable, puisqu’on pourrait considérer que toute propriété privée possède une dimension d’intérêt général »127. Or, si les biens que veut inclure Christophe Roux dans la catégorie des biens affectés à l’utilité publique présentent un intérêt général, ils sont l’objet de l’action publique et non son instrument. Cela reviendrait à assimiler l’administré et le fonctionnaire, alors que le premier rencontre le droit public quand seul le second en est l’agent. Qu’une association prévoit, dans un contrat de cession-bail, des clauses garantissant la continuité de son activité, fût-elle reconnue d’utilité publique, n’autorise pas à considérer que « le mécanisme de préservation de l’utilité publique du bien serait similaire sans qu’une quelconque intervention de la puissance publique n’ait lieu »128. C’est justement cette intervention, ou plutôt l’expression de la 125 Catherine Logéat, op. cit., p. 18. Christophe Roux, th. préc., n° 292 p. 203. 127 Idem. 128 Idem. 126 411 volonté de l’État ou de ses démembrements d’ériger l’activité en service public qui fixe la frontière entre l’action publique et la sphère privée. 457. Il faut donc pouvoir distinguer l’activité d’intérêt général privé et l’activité d’intérêt public, ce qui suppose un système et donc des pôles de rattachement. C’est pourquoi le rattachement organique s’impose et qu’un bien ne peut être administratif que s’il répond à un besoin de l’action publique, que garantit notamment la qualification de service public. C’est pourquoi, même un bien affecté à l’usage direct du public par la volonté de son propriétaire privé, une voie privée ouverte à la circulation du public, suppose une manifestation de la volonté de la personne publique et qu’il est « impossible d’identifier des affectations exclusivement subjectives, c’est-à-dire, traduisant un acte de volonté autonome d’une personne privée »129. Or, lorsqu’un bien est indispensable à une mission qui relève de la compétence d’une personne publique, la réunification de l’exercice et de la personne publique qui assume la mission a vocation à s’accompagner de la réunification des biens qui y sont affectés. C’est ce qu’on vérifiera à la fin de ce chapitre en revenant plus longuement sur la théorie des biens de retour dont on proposera la généralisation. 458. Les biens entretiennent donc trois rapports non exclusifs à l’exercice des compétences des personnes publiques : en être l’objet, en être le produit et en être l’instrument. Dans ce dernier cas, le bien produit au moins une utilité dont la jouissance permet l’accomplissement d’une mission relevant de la compétence d’une personne publique. C’est ici que l’on identifie conceptuellement un bien administratif. Or, un tel bien n’est pas nécessairement la propriété d’une personne publique. Il n’est pas nécessairement un bien public. On y verra le reflet de la définition que propose Catherine Logéat : « un bien pourrait être qualifié de chose publique à partir du moment où il est affecté à l’utilité publique et que la personne publique exerce sur lui une influence qui peut ne pas correspondre à sa propriété » 130 . Ce qu’elle appelle chose publique correspond donc à notre concept de bien administratif, lequel nous semble mieux se distinguer du bien public. Il faut cependant se garder d’écarter définitivement le critère organique. L’absence d’un rapport d’absolue nécessité entre l’appropriation publique des biens administratifs, et l’exercice des compétences écarte certes le critère de la propriété publique de l’identification des biens administratifs. Cependant, l’appropriation publique est une modalité essentielle de l’exercice de la compétence des personnes publiques au moyen de l’utilisation des biens. Lorsque le bien est 129 130 Catherine Logéat, op. cit., p. 185. Catherine Logéat, Les biens privés affectés à l’utilité publique, op. cit., p. 434. 412 privé, l’absence d’un régime immédiatement applicable en raison de son utilité administrative interdit pour l’instant de constituer la notion de bien administratif en catégorie juridique. 459. Cela permet de conclure cette section en considérant qu’un bien est administratif dès lors qu’il présente une utilité dont la jouissance intervient dans l’exercice d’une activité relevant de la compétence d’une personne publique. Cela ne suppose en rien l’appropriation publique de ce bien. Cependant, l’appropriation privée du bien n’emporte pas l’application d’un régime particulier, si bien qu’il n’existe pas de catégorie juridique de bien administratif. A l’inverse, l’appropriation publique emporte l’application immédiate du régime de la propriété publique et, éventuellement, la superposition des régimes d’affection dans le cadre de la domanialité publique ou de la domanialité privée. L’alternative de principe entre appropriation et maîtrise du bien se double d’une application différenciée des régimes juridiques, ce qui pose éventuellement problème. Il y a donc bien distinction entre le critère personnel qui s’applique au propriétaire et produit son effet sur le droit de propriété qui est alors public ou privé et le critère fonctionnel qui s’applique au bien en fonction de l’activité à laquelle il concourt, publique ou privée. Les deux choses cependant se conjuguent et la première partie a démontré que l’abandon de l’élément personnel ferait perdre un élément essentiel d’identification de ces pôles de rattachement organique que sont les personnes publiques. 413 Section 2 Le fonds administratif : un dépassement de la diversité des propriétaires et des régimes des biens administratifs 460. Sophie Nicinski propose de reconsidérer le périmètre du domaine public en y intégrant « les biens mobiliers ou immobiliers soumis au contrôle de l’administration, affectés à l’utilité publique ou présentant intrinsèquement une valeur patrimoniale » 131 . Si propriété publique, domaine public et domanialité publique sont trois choses distinctes, la notion de fonds administratif rejoint la proposition mais en opérant à droit constant la synthèse de l’ensemble des moyens affectés à une activité de service public. Le fonds administratif, peut être l’universalité à partir de laquelle repenser l’affectation d’un ensemble de biens administratifs à une activité relevant de la compétence d’une personne publique. Il peut être un outil venant faciliter une réforme, éventuelle, en ce qu’il dépasse, sans le nier, un droit confronté à tant de totems et de tabous. Cela d’autant plus que la propriété publique n’est pas la condition à ce qu’un bien soit le support d’une mission de service public, ou plus généralement d’une activité de l’administration. Or, pour Catherine Logéat, « ce mouvement de dissociation entre la propriété publique et l’utilité publique est de surcroît facilité par les critiques adressées au régime des biens publics affectés à l’utilité publique »132. Ces critiques doivent être confirmées. Si la « matrice d’origine »133 qu’ils constituent a pu préfigurer l’idée qu’un ensemble de biens liés à l’action publique doivent être appréhendés juridiquement et se voir appliquer un régime idoine, domaine public et domanialité publique sont aujourd’hui inadaptés à la réalité de l’action publique et aux exigences variables et évolutives de celle-ci (§ 1). Par ailleurs, si les biens privés peuvent être des biens administratifs au sens où nous l’entendons, force est de constater que les régimes qui s’y appliquent sont des plus hétérogènes. Ils sont, pour cette raison, une invitation à dépasser la diversité des régimes, dont la cohérence est incertaine, pour proposer une nouvelle approche à partir d’une notion inédite proposant l’universalité des biens administratifs affectés à une activité de service public : le fonds administratif (§ 2). 131 Sophie Nicinski, « Le domaine public : de la crise à la reconstruction », in Mélanges Jacqueline Morand-Deviller, Montchrestien, 2007, p. 662. Si le dernier élément s’impose notamment en raison de la définition du domaine public mobilier qui surajoute un régime domanial au régime des œuvres d’art et monuments historiques, il nous semble que le périmètre du domaine public qu’elle propose correspond à la notion de bien administratif que nous proposons. 132 Catherine Logéat, Les biens privés affectés à l’utilité publique, op. cit., p. 24. 133 Sophie Nicinski, « Le domaine public : de la crise à la reconstruction », préc., p. 661. 414 § 1 Les insuffisances de la domanialité publique pour appréhender l’ensemble des biens administratifs affectés à l’exercice d’une compétence 461. La domanialité publique, si elle agit « comme un voile – le voile de l’affectation publique – qui s’étend sur la propriété publique » 134 , est un régime à l’unité mythique 135 et dont le pivot, l’inaliénabilité, est devenu parfaitement obsolète à l’heure de la circulation et de la valorisation des biens publics (A). Quant au domaine public, censé être l’ensemble des biens appelant l’application du régime d’affectation, il peine à se détacher d’une consubstantialité avec les immeubles, totalement archaïque, qui conduit à lui fixer un périmètre inadapté si l’on considère l’existence de biens administratifs présentant les mêmes caractéristiques mais placés dans le domaine privé ou le patrimoine d’une personne privée et ne subissant pas de régime prédéfini lié à leur affectation (B). A. L’inaliénabilité : un fondement obsolète à l’heure de la circulation et de la valorisation des biens publics 462. La domanialité publique voit son régime fondé sur deux principes qui ont pu paraître consubstantiels mais qui ne le sont plus, l’inaliénabilité et l’affectation du bien 136. L’affectation signifie que le bien doit pouvoir être utile aux missions qu’il permet d’exercer et qui relèvent la compétence d’une personne publique. Or, cet exercice suppose que la circulation des biens soit possible pour accompagner la redistribution ou l’évolution des compétences (1). La bonne gestion du bien administratif, qui non seulement n’est pas incompatible avec l’affectation mais qui en est parfois une des modalités premières de réalisation, suppose ensuite de faciliter l’utilisation et l’occupation des biens du domaine public que les activités en cause soient Préface d’Yves Gaudemet à la thèse de Philippe Yolka, op. cit., p. V. Jean-Pierre Duprat, « L’évolution des logiques de gestion du domaine de l’État », ADJA, 2005, p. 578, qui développe l’éclatement des régimes applicables aux biens du domaine public ; Manuel Gros, « De la nécessaire distinction entre les divers domaines publics de l’État », AJDA, 2005, p. 1977. 136 Considérant que l’inaliénabilité protège l’appropriation du bien par la personne publique, Hervé de Gaudemar, L’inaliénabilité du domaine public, th. Paris II, 2006, p.483 n°931 : « Les droits à l’utilisation de la dépendance sont disponibles. La règle d’inaliénabilité, qui est destinée à garantir l’appropriation publique, ne concerne en effet que la titularité du droit de propriété. Elle neutralise l’exercice du droit d’aliéner lorsque le sujet de l’aliénation est une personne privée. Mais elle n’implique pas l’indisponibilité des droits à l’utilité de la dépendance ». Contra, Norbert Foulquier qui, exprime ainsi la position de la majorité de la doctrine bien qu’elle soit par ailleurs critique comme on le verra à l’égard de la règle, « la thèse est séduisante mais ne convainc pas car elle repose sur la dissociation entre propriété et affectation, alors que celle-ci est une expression du droit de propriété », ibid., p. 178 note 4. Il faut cependant remarquer que l’affectation peut être décidée quant à son contenu véritable par un autre que le propriétaire. C’est le cas par exemple de l’affectation à telle activité commerciale quand le bail était prévu pour tout commerce. 134 135 415 bénéfiques de façon générale à l’économie nationale ou plus particulièrement eu égard au service public (2). 1) L’inaliénabilité contre la circulation des biens administratifs, pourtant favorable à l’optimisation de l’exercice des compétences 463. Né d’une interprétation malheureuse des articles 538 et 540 du Code civil aujourd’hui abrogés, le domaine public est devenu depuis un héritage encombrant. On en dénonce l’ineffectivité économique 137 . On en combat « l’hypertrophie pathologique » 138 par un critère réducteur139, le déclassement140 ou la privatisation141. Proposer la disparition de la domanialité publique 142 ou sa réforme revient régulièrement à l’occasion des études générales 143 . La domanialité publique s’est construite à partir de l’idée que certains biens devaient être soustraits à la propriété, des particuliers comme de l’État. L’esprit de cette approche survit à travers l’inaliénabilité censée 144 s’imposer aux personnes publiques propriétaires 145 . Cette conception s’expliquait lorsque le domaine public en cause était considéré comme insusceptible de propriété privée et qu’il était dominé par le spectre du public comme propriétaire véritable 146. Christian Lavialle propose une conception du domaine public qui n’est pas éloignée de cette conception primordiale du domaine lorsqu’il considère que les dépendances du domaine public 137 Domaine public et activités économiques, Actes du colloque organisé les 20 et 21 sept. 1990 par la Faculté de droit de Paris Saint-Maur et les Cahiers juridiques de l'électricité et du gaz, n° hors série des CJEG, oct. 1991 ; Hubert-Gérald Hubrecht, « Faut-il définir le domaine public et comment ? Méthode énumérative ou méthode conceptuelle », AJDA, 2005, p. 598 pour qui l’extension du domaine public présente l’inconvénient « de soumettre à un régime conçu à l’origine comme radicalement incompatible avec les règles du commerce, des biens qui en relevaient de toute évidence ». 138 Georges Liet-Vaux, « Hypertrophie pathologique de la notion de domaine public », à propos de l’arrêt du CE, 28 janvier 1970, Consorts Philip-Bingisser, RA, 1970, p. 297 et s. ; « L’évolution de la propriété publique », in L’évolution contemporaine du droit des biens, Paris, PUF, 1991 p. 105. 139 Fabrice Melleray, « La recherche d’un critère réducteur de la domanialité publique », AJDA, 2004, p. 490 ; Etienne Fatôme, « La consistance du domaine public immobilier général sept ans après le CGPPP », AJDA, 2013, p. 965. 140 Ce fut l’objet, par exemple, de la Loi MURCEF en ce qui concerne les biens de La Poste. 141 On peut encore se référer aux biens de La Poste, qui sont l’objet du droit de propriété privé de la personne formellement privée qu’est devenue La Poste en devenant une société anonyme. 142 Cf. les thèses précitées d’Hervé Moysan et Marine Chouquet. 143 Odile de David-Beauregard-Berthier, La justification actuelle de la distinction du domaine public et du domaine privé, th. AixMarseille, 1994, ladite justification étant caduque ; Hervé Moysan, Le droit de propriété des personnes publiques, LGDJ, 2001, rejoint par Marine Chouquet, Le domaine privé des personnes publiques. Contribution à l’étude du droit des biens publics, th. Bordeaux IV, 2013 pour considérer la domanialité privée, amendée, comme un véritable régime de propriété publique ; Christophe Roux, Propriété publique et droit de l’Union européenne, th. Lyon 3, 2013, cf. supra pour sa proposition de recentrage. 144 Maurice Duverger, L’affectation des immeubles domaniaux aux services publics, th. Bordeaux, 1940, p. 240 qui considérait l’inaliénabilité comme une règle de compétence, plus procédurale que matérielle. Certes, Norbert Foulquier souligne à raison que si le déclassement permet de faire disparaître la règle, celle-ci produit ses effets pendant l’affectation mais le fait est que le bien du domaine public n’est pas véritablement inaliénable sauf s’il ne peut être déclassé, Norbert Foulquier, Droit administratif des biens, op. cit., n_ 452 p. 179 note 10. 145 Ce qui est une conception à rapprocher des lois fondamentales du Royaume qui étaient là encore censées, car elles ont été sans cesse contournées, empêche le Roi d’aliéner les biens de la Couronne. 146 J.-B. V. Proudhon, Traité du domaine public, Lagier, 2e éd., 1843, t. 1, p. 266 : « des choses qui appartiennent à ce être moral et collectif que nous appelons le public ». 416 doivent être rattachées « à cet être collectif qu’est le public puisque c’est à l’usage de celui-ci qu’elles sont réservées » au point que ce domaine n’existe que par le public et qu’il « rend visible cette collectivité humaine »147. Sans doute cela est-il vrai pour les dépendances qui sont des lieux où le public circule et se rencontre. Alors, la « vraie nature » du domaine public est peut-être d’être « un espace destiné à accueillir la part intrinsèquement collective des activités individuelles et qui pour cela sera soustrait à l’appropriation privée, ce qui le distingue des lieux publics privés, lieux privés ouverts au public, tels les grands magasins, cinémas, théâtres, salles de concert, par exemple où les gens viennent pour des motifs d’ordre privé »148. On discutera d’ailleurs le fait que l’utilisation collective des biens affectés à l’usage direct du public soit une utilisation publique. Elle est collective, mais parfaitement privée à notre sens, car nous rejetons le holisme d’une conception qui conduit à faire de l’État la totalité sociale. Cette conception, admissible à la limite pour certains biens affectés à l’usage direct du public, ne se justifie plus guère si l’affectation est à un service public. Dans ce cas, les biens en cause sont les moyens de l’action administrative qui prolonge la volonté des gouvernants et non le besoin « naturel » de la collectivité. Ces services ont été créés par un acte de volonté politique et peuvent être modifiés ou supprimés de même, si bien que les biens qui y sont affectés n’ont absolument plus le même rapport au public que constituent les administrés. Le domaine public n’est pas la chose du public. Il est la chose de son propriétaire, la personne publique si bien que « ramenés à leur consistance matérielle et à leur régime juridique, les biens publics sont aujourd’hui considérés comme des objets marchands, intégrés au circuit économique »149. Force est de constater cependant que cette intégration est plutôt incertaine et imparfaite. Certes, il est certain que certains biens ont vocation à rester la propriété de l’État ou des personnes publiques. Ces biens constituent un « patrimoine » qu’il s’agit de conserver et de transmettre et ces exigences en justifient l’appropriation publique. Il en va ainsi des œuvres d’art du domaine mobilier qui sont des trésors nationaux du point de vue de l’histoire ou de l’art, mais aussi les biens du Conservatoire du Littoral. Or, l’intérêt de protéger ces biens par un régime d’inaliénabilité interroge. En effet, soit ces biens sont si importants que leur aliénation sans garanties provoquerait un tollé général qu’aucun gouvernement démocratique ne saurait supporter sans tomber, soit l’importance que revêtent ces biens aux yeux de l’opinion publique est si faible qu’une règle d’inaliénabilité s’impose à des pouvoirs publics que l’on soupçonne de vouloir se débarrasser à la première occasion. L’alternative n’est pas sérieuse et, en tout cas, frise 147 Christian Lavialle, « Du domaine public comme fiction juridique », JCP G, 1994, n° 3766, p. 260 ; voir aussi du même auteur, « Regard sur l’appropriation publique », Droit et ville, 2006, p. 318. 148 Christian Lavialle, « Que reste-t-il de la jurisprudence Société Le Bêton ? », RFDA, 2010, p. 535. 149 Christophe Roux, th. préc., n° 213 p. 147. 417 le jusnaturalisme en voulant imposer à l’État une règle intangible alors que les règles doivent refléter une vision politique actuelle, contingente, ni absolue ni « révélée ». Autrement dit, l’inaliénabilité s’imposait dans le cadre d’une monarchie absolue où la gloire personnelle du prince faisait office d’intérêt public, avec le succès relatif que l’on sait. L’inaliénabilité est encombrante en démocratie parce qu’elle est parfaitement inutile, et cela tout autant lorsqu’elle est nécessaire que lorsqu’elle ne l’est pas. Or, l’inaliénabilité du domaine public n’a plus guère de sens dès lors que l’appropriation par la personne publique du bien administratif n’est plus une condition de son affectation. L’article L. 2141-2 du CG3P qui permet la vente sous condition résolutoire d’un déclassement dans les trois ans est en ce sens emblématique puisque l’appropriation publique peut n’avoir aucune importante pendant trois ans et devenir indispensable passé ce délai. La logique que suit le législateur n’est pas évidente. Par ailleurs, si l’affectation doit être la « poutre maîtresse de la domanialité publique »150, les conséquences déduites de l’inaliénabilité laissent dubitatifs sur leur pertinence à l’égard de l’objectif poursuivi qui serait de garantir l’affectation. 464. Tout d’abord, l’inaliénabilité a pendant longtemps constitué un frein à la circulation des biens entre personnes publiques151. Christian Lavialle considère que « l’introduction du concept de circulation constitue un changement de paradigme dans un droit jusqu’alors plutôt marqué par les notions d’immutabilité ou de conservation des biens » 152 . Ce changement s’imposait si l’on considère que l’affectation au service, en raison de la possibilité et même de la nécessité d’une mutabilité de celui-ci, variera de même, imposant ainsi éventuellement que le bien du domaine public suive la compétence qui peut correspondre à des personnes publiques différentes. Dès lors, il était nécessaire de faire en sorte « que les biens du domaine public qui sont le support de ces affectations successives puissent circuler » 153. Le Code a donc dû apporter des tempéraments importants pour venir renforcer ce que Caroline Chamard avait cependant déjà identifié comme le commerce juridique spécifique aux personnes publiques entre elles et dans lequel l’inaliénabilité ne joue pas avec la même rigueur154. Cette circulation se fait avec ou sans transfert de propriété, démontrant 150 Jacqueline Morand-Deviller, « Rapport de synthèse, in Réflexions sur le Code général de la propriété des personnes publiques, actes du colloque à l’université de Lille II du 29 novembre 2006, Litec, 2007, p. 131. 151 Jean-Marc Peyrical, « Transferts de biens entre collectivités publiques ; pour un assouplissement du droit de la domanialité publique », AJDA, 2002, p. 1157 ; Maylis Douence, « De la nécessité de revoir la règle de l’indisponibilité des dépendances domaniales entre personnes publiques », AJDA, 2006, p. 238. L’article L. 35 du Code du domaine de l’État a cependant toujours constitué un fondement permettant à ce dernier de transférer la gestion de ses biens sans le moindre déclassement à ses établissements ou aux collectivités afin que ces personnes publiques puissent accomplir leurs missions. 152 Nathalie Bettio, La circulation des biens entre personnes publiques, Paris, LGDJ, 2011, Préface de Christian Lavialle, p. V. 153 Yves Gaudemet, Traité de droit administratif, t. 2, op. cit., n° 257 p. 171. 154 Caroline Chamard, La distinction des biens publics et des biens privés, op. cit., n° 541 et s., « Chapitre 2 La relativité de l’indisponibilité du domaine public : l’existence d’un commerce juridique réservé aux personnes publiques ». 418 encore une fois la dissociation de la question de la personne propriétaire avec l’affectation du bien à la mission qui peut relever de la compétence d’une autre personne publique. Au titre des premiers qui constituent donc une neutralisation des effets de l’inaliénabilité, en dehors des changements d’affectation autoritaires par mutations domaniales 155, il faut citer l’existence de conventions de gestion qui peuvent être conclues avec ou sans changement d’affectation156. Enfin, l’idée que le bien doit suivre l’activité à laquelle il est affecté est selon nous consacrée par l’article L. 1321 du CGCT qu’Yves Gaudemet évoque à juste titre à la suite des conventions de gestion157. L’article L. 1321 alinéa 1 dispose en effet que « le transfert d'une compétence entraîne de plein droit la mise à la disposition de la collectivité bénéficiaire des biens meubles et immeubles utilisés, à la date de ce transfert, pour l'exercice de cette compétence » ce qui signifie que c’est bien la jouissance de l’utilité que produit le bien par rapport à la mission exécutée qui importe au regard de la personne publique compétente et non l’appropriation du bien. On soulignera encore le fait que c’est l’intercommunalité qui devient notamment compétente pour conclure les contrats afférents à la gestion du bien ou permettre des occupations. Seules demeurent dans la compétence de la personne publique propriétaire les facultés de vendre le bien et la faculté de le déclasser qui en est la condition. Autrement dit, c’est la personne publique compétente qui jouit et dispose effectivement du bien dont elle n’est cependant pas propriétaire. Le droit public organise ici une forme d’usufruit administratif en dissociant la nue-propriété du droit aux autres utilités rendues par le bien. Cependant, le régime n’offre pas toutes les garanties satisfaisantes et notamment, la publicité du mécanisme a pu être sollicitée de la part des notaires158 ce qui confirme sur un point essentiel l’utilité du fonds administratifs que nous proposons et qui a en effet pour intérêt de pouvoir garantir l’opposabilité de l’incorporation des biens administratifs au sein de l’universalité. 465. Au titre des transferts impliquant une véritable exception à l’inaliénabilité, les articles L. 3112-1 et s. du CG3P qui permettent des cessions entre personnes publiques et des échanges, en ce cas y compris au bénéfice d’une personne privée. On remarquera qu’est une fois encore confirmée le caractère instrumental des patrimoines publics, affectés uniquement à l’exercice de la compétence et dont la composition varie avec les missions relevant de celle-là. Cette affectation générale est encore confirmée si l’on veut bien lire en ce sens la disposition qui 155 Consacrées par l’article L. 2123-4 CG3P et dont on a évoqué le rapport à la valeur de la propriété des personnes publiques dont elles contredisent le caractère de liberté fondamentale, cf. supra. 156 Respectivement au titre des articles L. 2132-2 et L. 2132-3 du CG3P. 157 Yves Gaudemet, op. cit., n° 278 p. 182. 158 Propriétés publiques, quels contrats pour quels projets ?, 109e congrès des notaires de France, Lyon, juin 2013, n° 1147 et s. 419 conditionne l’opération d’échange à ce qu’elle soit décidée « en vue de permettre l’amélioration des conditions d’exercice d’une mission de service public ». L’exclusion des chemins ruraux du dispositif par l’interprétation stricte que fait le Conseil d’État de l’article L. 161-1 du code rural n’en prévoyant que la vente « tient vraisemblablement au fait que, d'après la Haute Juridiction, les formalités imposées par le Code rural pour la cession des chemins ruraux se révéleraient incompatibles avec une autre forme d'aliénation »159 et suscite la critique dès lors que l’obstacle semble pouvoir être levé. Cependant, l’explication du « rigorisme » du Conseil d’État peut peut-être être recherchée dans le fait que la gestion de ces chemins relève par définition de la compétence de la commune sur le territoire de laquelle ils sont situés. Il faut donc être certain que le lien entre le chemin rural et la compétence communale a été dissout conformément aux garanties dont doivent bénéficier les habitants de la commune. Quoi qu’il en soit, les dispositifs de transferts conventionnels rejoignent les transferts autoritaires décidés par le législateur et qui correspondent toujours à l’idée que le bien doit suivre la compétence dont relèvent les missions auxquelles il est affecté. L’inaliénabilité a pour effet de rendre illégal toute cession. Or, maintenant qu’il existe de tels dispositifs qui font échec à l’inaliénabilité, celle-ci n’a plus lieu d’être puisque une cession conforme à l’exercice des compétences est légale tandis qu’une cession qui ne serait pas conforme est illégale. La légalité administrative, et les garanties constitutionnelles quant aux libertés publiques dont un bien est le siège et à la continuité du service public, protègent donc aussi bien et plus pragmatiquement le lien d’affectation entre un bien administratif et la compétence d’une personne publique. Ces régimes de circulation ne sont cependant pas exempts de critiques. Ainsi, constatant que la circulation est ainsi « empreinte d’une certaine relativité », Christophe Roux regrette que l’on ait pas tiré pleinement les conséquences de ce que la protection de l’affectation est dissociée de l’appropriation publique160. Le cas de la circulation au profit des personnes privées en témoigne. 466. L’inaliénabilité continue pourtant d’interdire la cession d’un bien du domaine public au bénéfice d’une personne privée. Or, le contrôle de légalité de la décision de désaffectation (ou du refus d’y renoncer) produirait exactement la même garantie que la personne publique exerce sa compétence conformément aux exigences évoquées. L’inaliénabilité produit des effets de protection superfétatoires au prix de complications inutiles. Cela est topique en matière de biens de retour. En effet, comme le relève François Llorens, la domanialité publique oblige le Conseil d’État à élaborer un raisonnement « étrangement circulaire » qui démontre un certain embarras : 159 160 Philippe Yolka, « L’interdiction d’échanger les chemins ruraux », Rev. dr. rural, mars 2008, comm. 43. Christophe Roux, th. préc., n° 273 p. 191. 420 « tout se passe, en effet, comme si [le Conseil d’État] inversait les termes du raisonnement et faisait de la propriété de la personne publique une conséquence de la domanialité publique des ouvrages concernés alors que, selon la définition consacrée du domaine public, elle devrait en constituer la condition »161. Or, ce n’est pas ici le régime de la concession et le rapport à l’affectation qui est en cause, la possibilité de s’en remettre au contrat pour d’autres biens indispensables au service public le prouve. C’est uniquement parce qu’il faut bien faire avec la domanialité publique que le juge est contraint de mettre la décision qu’il rend en conformité à ce dispositif législatif qui apparaît véritablement encombrant et sans rapport avec l’objet qu’il prétend avoir. C’est selon nous également pour cette raison que l’assemblée n’a pas suivi le rapporteur public qui proposait de permettre l’appropriation privée des ouvrages édifiés sur le domaine privé162. Ainsi que le relève encore François Llorens, le Conseil a sans doute ainsi évité une disparité problématique par laquelle « des ouvrages de même nature, affectés au même service public, auraient, en effet, tantôt relevé de la domanialité publique et appartenu à l’autorité délégante sans autre possibilité de dérogation que celle prévue par la loi ; tantôt constitué de biens privés, propriété du délégataire, ceci en fonction de la seule nature initiale de leur terrain d’assiette » 163 . Non seulement la domanialité contraint le juge a s’interdire de consacrer une évolution concernant les biens de retour édifiés sur le domaine public, mais il se sent obliger d’en tirer les conséquences pour le domaine privé. L’évolution n’est pourtant pas préjudiciable aux intérêts publics puisque que le Conseil décide par ailleurs que, « contrairement à ceux établis sur la propriété d’une personne publique, les ouvrages édifiés sur la propriété d’une personne privée n’appartiennent pas nécessairement à la collectivité délégante » qui peut en attribuer contractuellement la propriété au délégataire. Il reconnaît donc formellement que la propriété du bien administratif essentiel n’est pas une condition du fonctionnement du service auquel il est affecté mais la domanialité publique conduit à lui interdire d’en tirer les conséquences pour les biens publics. Ainsi que l’écrit Jean-François Sestier, « ce qui importe pour la continuité du service public n’est pas tant la propriété du bien que l’assurance que la personne publique pourra en disposer »164. Le bien appartient au fonds administratif dès lors qu’il est affecté à l’activité que ce fonds représente. Cela doit conférer à la personne publique un droit de contrôle sur les actes qui sont pris à l’égard des biens incorporés au fonds, quel qu’en soit le propriétaire ou le gestionnaire. Quant à ce dernier, si la volonté des parties doit pouvoir intervenir, pour des raisons liées à des stratégies d’organisation ou des techniques de finances, il faut qu’en tout état de cause le droit qu’il exercera sur le bien, simple droit de jouissance ou de droit de propriété, François Llorens, « La théorie des biens de retour après l’arrêt “Commune de Douai” », préc., n° 39. Bertrand Dacosta, concl. préc. 163 François Llorens, préc., n° 42. 164 Jean-François Sestier, « Les biens de retour, entre liberté contractuelle et encadrement aménagé », CP-ACCP, avril 2013, p. 82. 161 162 421 soit un droit « fiduciaire », dont les actes seront évalués à l’aune de la mission confiée. Le droit de propriété privé connaît le mécanisme avec la fiducie dans le droit des activités privées. Il serait surprenant que le droit public ne puisse exploiter la possibilité en s’intéressant moins au bien qu’aux prérogatives qui sont exercées à leur égard. Encore une fois, l’inaliénabilité est ici encombrante voire contraire à l’affectation si l’on admet d’aller plus loin et de considérer que l’appropriation par le délégataire peut être une bonne solution du point de vue du service exécuté. L’inaliénabilité apparaît alors contraire, plus généralement, à une bonne gestion des biens du domaine public. 2) L’inaliénabilité contraire aux exigences d’une bonne gestion des biens administratifs supposant la sécurité juridique des occupants 467. L’inaliénabilité a aussi pour effet de ne pas permettre la constitution de sûretés réelles. Si en ce qui concerne les personnes publiques, l’insaisissabilité a le même effet et interdit donc de critiquer la domanialité publique en ce qui les concerne et à cet égard, il en va différemment des occupants du domaine public. Or, l’interprétation qui a été faite de l’inaliénabilité en termes de droits réels pouvant être attribués aux occupants sur les constructions qu’ils édifient est problématique. D’un point de vue doctrinal, l’interdiction des droits réels a été « présentée comme une conséquence logique et nécessaire de l’inaliénabilité du domaine public que seule une la loi pourrait écarter »165. La jurisprudence s’est ralliée à ce point de vue, le Conseil d’État affirmant, par sa décision Eurolat, « l’incompatibilité avec les principes de la domanialité publique » de clauses de conventions qui comportaient l’attribution, par un bail emphytéotique, de droits réels sur le domaine public166. L’interprétation de cet arrêt comme interdisant toute forme de droit réel sur le domaine public est cependant discutable en ce que, « à aucun moment dans l’arrêt ni dans les conclusions du commissaire du gouvernement Genevois on ne lit la proposition de principe que toute espèce de droit réel serait impossible sur le domaine public »167. Or, l’enjeu n’est pas négligeable, constitué par le fait que « les occupants domaniaux et propriétaires voisins tributaires du domaine public réclament des garanties de stabilité et des possibilités de financement dont la reconnaissance de droits réels sur le domaine public est l’instrument privilégié »168. On constatera cependant qu’il a perdu de son acuité en raison de la multiplication des dispositifs de contournement désormais à disposition des acteurs publics. 165 Yves Gaudemet, op. cit., n° 315 p. 204. CE, 6 mai 1985, Assoc. Eurolat et Crédit foncier de France, n° 41589 et 41699, Rec., p. 141 ; AJDA, 1985, p. 620 note J. Moreau et É. Fatôme ; LPA, 23 oct. 1985, p. 4, note F. Llorens ; RFDA, 1986, p. 21, concl. B. Genevois ; GDDAB, Paris, Dalloz, 2013, p. 77, note Ph. Yolka. 167 Yves Gaudemet, ibid., n° 316. 168 Ibid., n° 317 p. 205. 166 422 Encore une fois, la solution était plus conforme à une certaine conception de la propriété et de la domanialité publique qu’à un raisonnement fondé sur l’affectation qui est pourtant réputé être l’objet même de la question soulevée. La vision statique conduit à associer appropriation par la personne publique et affectation à l’utilité publique ; La vision dynamique conduit à inscrire les biens et les personnes dans un fonds administratif, placé sous le contrôle de la personne publique dont l’activité relève de la compétence. Dès lors que l’on considère véritablement l’affectation à l’activité comme le cœur du problème, on écarte l’inaliénabilité et l’on se soucie peu de ce qu’il faut entendre conceptuellement par démembrement de propriété et domanialité publique. Dès lors que l’affection seule entre en compte, on doit chercher à finaliser les prérogatives de toutes les personnes, publiques ou privées, qui interviennent dans le fonctionnement de l’activité par la gestion des biens. C’est pourquoi l’idée que tout droit peut avoir un caractère fiduciaire pourrait être utilement exploitée par le droit public. 468. On peut renouveler l’analyse des droits de l’occupant d’une propriété publique à la lumière de cette logique dynamique focalisée sur l’activité et ainsi considérer le bien en fonction du fonds administratif avec lequel il entre en relation. Il semble qu’il coexiste deux catégories de droits réels : ceux qui s’apparentent au droit de superficie connu du droit privé et les droits réels développés à partir des titres d’occupation du domaine public. On peut justifier les premiers types de droit réel par le fait que l’activité qu’ils permettent n’intéresse pas la personne publique. Ils rejoignent la logique ayant conduit à la reconnaissance des fonds de commerce sur le domaine public. Les seconds types de droit réel manifestent à l’inverse une volonté de conserver à la personne publique un contrôle sur l’activité des occupants, ou leur présence. Il y a là une logique qui est parfaitement compatible avec l’idée de fonds administratifs. Ainsi, les premiers conduisent Yves Gaudemet à considérer qu’ils « s’identifient même à une quasi propriété définitive dans la durée pour les ouvrages qu’il est autorisé à réaliser dans son intérêt propre et exclusif et qui sont étrangers au service public »169. A ce titre, confirmant une solution plus ancienne170, la motivation du Conseil d’État est explicite : « considérant que l’appropriation privative d’installations superficielles édifiées ou acquises par le titulaire d’une autorisation d’occupation du domaine public n’est pas incompatible avec l’inaliénabilité de celui-ci lorsque l’autorisation de l’occuper et d’y édifier des constructions ou d’acquérir les constructions existants n’a pas été accordée en vue de répondre aux besoins du service public auquel 169 170 Yves Gaudemet, op. cit., n° 319 bis p. 207. CE, 21 avril 1997, Ministre du budget c. Sté Sagifa, DA, 1997, comm. 316, note C. Lavialle. 423 le domaine est affecté »171. Cela peut s’interpréter comme le fait que l’activité de l’occupant étant étrangère à la compétence dont relèvent les missions auxquelles le bien du domaine public est affecté, ni l’occupant ni les biens qui lui servent en propres n’ont vocation à subir un régime lié à l’affectation. Le bien ne relève d’aucun fonds administratif, ni ne risque de faire obstacle au fonctionnement d’un autre fonds administratif. Seule la possibilité pour la personne publique propriétaire de reprendre la disposition de son bien, au besoin de façon anticipée marquera l’inscription de la situation juridique dans l’ordre juridique partiel du droit public. En attendant, l’assiette est mise entre parenthèse, et les constructions qui y sont édifiées par l’occupant relèvent d’une activité purement privée. Rien ne s’oppose à ce que le propriétaire en soi celui qui les utilise pour ces finalités privées. 469. Les seconds types de droits réels sont « ceux qui, sur la base d’un texte, peuvent être consentis à l’occupant sur les installations d’intérêt général ou de service public qu’il est autorisé à réaliser et qui feront retour en pleine propriété au propriétaire domanial en fin de titre »172. En ce qui les concerne, outre la question des biens de retour déjà abordée, la question doit encore une fois être envisagée à partir de l’affectation. Or, la domanialité y apporte une réponse tirée d’autres considérations. D’où la multiplication de textes qui accréditent peut-être la thèse de l’interdiction mais la vident peu à peu de sa portée. Les occupants bénéficient de droits réels dont le Conseil constitutionnel a pu juger qu’ils n’ont pas pour effet d’organiser une aliénation et ne sont pas inconstitutionnels pour autant qu’ils s’accompagnent de garanties en ce qui concerne les libertés et le service public 173. De telles garanties n’ont aucun rapport avec le fait que le bien soit la propriété ou non de la personne publique compétente. Pour elle, seul importe que la mission de service public qu’elle assume et dont elle a délégué l’exercice soit assurée. Or, l’intervention des banques et les risques qui s’accompagnent des procédures d’exécution en cas d’inexécution des obligations du débiteur qu’est l’occupant et délégataire sont réels. On peut y répondre en conditionnant leur mise en œuvre à l’existence d’un repreneur dont on n’imposera pas la personne privée à la personne publique qui aura un droit d’agrément. Ces seconds types de droits réels pourraient recevoir un régime uniforme et s’intégrer à la logique des fonds administratifs. En réalité, on pourrait revenir à deux situations, appelant deux régimes types : soit le bien n’a aucun rapport avec un quelconque fonds administratif, et 171 CE, 7 juin 2010, Montravers, liquidateur judiciaire de la société Neuville Foster Delaunay Belleville, DA, nov. 2010, p. 31, note F. Brenet. 172 Yves Gaudemet, idem. 173 Décision du 21 juillet 1994 n° 94-346 DC, Loi relative à la constitution de droits réels sur le domaine public ; AJDA 1994, p. 786, note G. Gondouin ; RFDC, 1994, p. 814, note P. Bon ; voir aussi Etienne Fatôme, « A propos des bases constitutionnelles du droit du domaine public », AJDA, 2003, p. 1192. 424 alors s’applique seulement le principe qu’une personne publique pourra toujours remettre une situation juridique en cause si l’intérêt général l’exige ; soit le bien est affecté à un fonds administratif et alors il doit se voir appliquer le régime des biens des concessions dont on proposera la généralisation. Dans le premier cas, la personne publiques est propriétaire d’un bien et entre en relation avec un tiers dans le commerce juridique sans que ce tiers ne s’inscrive de ce fait dans le droit public. Dans le second cas, le tiers est inscrit dans le droit public parce qu’il entre dans une relation qui est elle-même un élément d’une activité administrative. 470. La précarité des occupations du domaine public est présentée comme une conséquence de l’inaliénabilité du domaine public. Là encore, il faut se situer par rapport à la mission de service public exercée. Soit l’occupant assure une part de cet exercice et la précarité n’a aucun sens, contrairement à la possibilité de résiliation unilatérale pour motif d’intérêt général prévue pour les délégations de service public. Soit l’occupant n’assure en rien l’exercice de la mission de service public et alors la précarité s’impose simplement pour deux motifs : un autre occupant serait préférable à l’occupant actuel ; la personne publique a besoin de disposer à nouveau de la dépendance pour l’utiliser à d’autres fins. Dans le premier cas, la précarité est un privilège de l’administration qui sera d’ailleurs largement fiscal si seul son intérêt financier est invoqué, le nouvel occupant étant présumé générer plus de revenus que le précédent. Dans le second cas, il s’agit d’un privilège administratif fondé sur l’utilité publique. On a vu cependant que la précarité peut être organisée par les textes ou le contrat en ce qui concerne le domaine privé et n’a donc pas à découler de l’inaliénabilité. Cette dernière constitue d’ailleurs un fondement théoriquement discutable dans la mesure où la mise en location de son bien n’est pas vraiment une aliénation. La personne publique se constitue débitrice d’une prestation consistant à laisser jouir autrui de l’utilité du bien en cause. A ce titre, il faut insister sur le fait que l’utilisation privative durable conduit à écarter l’affectation et on en voudra pour preuve la division en volume. On citera également la Brasserie du Théâtre puisque l’établissement en cause est détaché du domaine public en raison de son accès propre. Il est sans doute utile aux spectateurs après les représentations et en cela il est logique que certaines obligations soient imposées à son gérant. Cependant, force est de constater que le service public théâtral n’a pas pour objet de fournir des collations. Raison pour laquelle il y a là une utilité de plus grand profit et non de plus grand service. Le profit étant généré au moins autant par l’industrie du gérant de la brasserie que par l’achalandage provoqué 425 par les représentations du théâtre, il est juste que chacun en prenne sa part. Cela permet d’expliquer que le calcul d’une redevance se fasse à la fois en fonction de la valeur locative du bien et du chiffre d’affaires généré, parce que des éléments générateurs sont déterminés par l’activité de service public exercée. 471. En somme, soit l’inaliénabilité est encombrante, soit son objectif est atteint par ailleurs. L’inaliénabilité du domaine public est un fondement obsolète qui correspond à l’idée que le patrimoine public est un trésor que l’on conserve jalousement, alors qu’il est composé de biens divers et dont la circulation participe de la bonne gestion et il en va de même de leur occupation. Il est sans doute d’une utilité publique moins discutable de permettre le financement des investissements nécessaires à l’activité de service public ou au développement économique par l’activité des occupants que de vouloir tirer d’un tel principe des conséquences discutables autant par elles-mêmes que dans leurs effets. Cela d’autant plus que le périmètre des biens sur lesquels ce régime contesté a vocation à s’appliquer est lui-même discutable en raison de sa focalisation archaïque sur les immeubles. B. Le domaine public et l’immeuble : une consubstantialité archaïque induisant un périmètre inadéquat au regard des biens administratifs essentiels 472. La valeur vénale d’un bâtiment construit en matériaux bon marché est sans doute très largement inférieure au chiffre d’affaires que génèrent les ventes qui s’y concluent en quelques semaines ou quelques mois. Mieux, la recette générée par le placement financier des fonds de trésorerie des supermarchés est venue s’ajouter à la recette générée par l’activité elle-même. Le droit privé des affaires n’a donc pu que constater que ce qui a de la valeur dans une activité commerciale, ce n’est pas l’immeuble dans le cadre duquel l’activité est réalisée mais cette dernière même174. Le monde de l’action publique n’a pas, juridiquement, fait cette révolution même si Gaston Jèze déjà soulignait que les professeurs et les soldats sont plus importants que l’Université ou la caserne175. D’où la conception du fonds de commerce et l’idée qui est la nôtre de s’en inspirer pour nourrir la réflexion en droit public. Celui-ci, en ce qui concerne le domaine public, est frappé d’un tropisme immobilier qui ne manque certes pas de justification – les immeubles du domaine public ne sont pas de simples immeubles mais des rivages, des fleuves, 174 Arnaud Reygrobellet, Christophe Denizot, Fonds de commerce, Paris, Dalloz, 2e éd., 2013, 04.11 : « il est apparu très rapidement que la valeur de l'ensemble de ces éléments, coordonnés en vue de l'exploitation commerciale, était en réalité supérieure à la somme des valeurs de chacun des éléments en question considérés isolément ». 175 Gaston Jèze, « Les conditions requises pour qu’une chose fasse partie du domaine public », RDP, 1911, p. 310. 426 des voies publiques, des bases militaires ou des infrastructures ferroviaires et portuaires – mais qui mériterait cependant d’être relativisé. Or, non seulement la domanialité publique n’a pas su construire à partir des immeubles la compréhension synthétique des biens administratifs participant à l’exécution des missions de service (1), mais elle ignore de ce fait des biens administratifs essentiels qui sont des meubles, des propriétés incorporelles ou des droits (2). 1) L’incapacité de la domanialité publique à adapter son tropisme immobilier aux exigences de l’affectation 473. Il faut constater que le domaine public immobilier n’a pas tiré toutes les potentialités que le droit privé a développé en matière d’immeubles affectés à une activité. En effet, une alternative au fonds de commerce, certes difficile d’emploi et largement critiquée 176 , est l’immobilisation par destination 177 . Si le droit public a sans mal admis l’immobilisation par incorporation178, il n’a pas considéré pertinent de recourir à celle par destination 179. Or, l’objet de la technique devrait intéresser au plus haut point le droit public puis qu’il s’agit « de lier au destin de l’immeuble les meubles utiles à son usage »180. En dehors des lapins de garenne et des pigeons qui font le charme rustique du Code civil, la technique permet ainsi d’attacher à l’immeuble tous les meubles indispensables à l’activité dont l’immeuble est le siège. Tel n’est pas pour les meubles liés à une activité exercée sur le domaine public, alors même que ces biens sont utiles, voire nécessaires au service public. On s’étonne d’autant plus du peu d’intérêt du Conseil d’État pour la technique que, si elle est particulièrement surannée en ce qui concerne le fonds de commerce pour lequel l’immeuble n’a qu’une importance relative 181, il en va de toute évidence William Dross, Droit civil. Les choses, op. cit., n° 419 p. 772 : « L’immobilisation par destination, par laquelle le Code civil a tenté de forger l’unité des exploitations tant agricoles qu’industrielles, s’est révélée inadaptée aux situations, extrêmement fréquentes en pratique, dans lesquelles l’exploitant n’est pas propriétaire de l’immeuble où il exerce son activité : l’absence d’immeuble condamne sans appel le recours à cette technique ». 177 Art. 517 et s. du Code civil. 178 Philippe Yolka, « Un détour par les “meubles de retour” », AJDA, 2013, p. 974 ; spéc. p. 978, CE 17 févr. 1932, Commune de Barran, D. 1933. 3. 49, note R. Capitant ; v. depuis lors, pour un orgue : CE 10 févr. 1978, Société Muller, req. n° 98274, Lebon 65 ; pour des bas-reliefs : CE 24 févr. 1999, Société Transurba, req. n° 191317, Lebon 33 ; D. 1999. 110 ; JCP 1999. I. 175, obs. H. Périnet-Marquet ; JCP 2000. II. 10232, note P. Deumier). 179 Pour Philippe Yolka, deux obstacles rendent difficile, mais pas impossible, la transposition : la sphère fiscale à laquelle se limitent les rares arrêts qui s’y réfèrent, la volonté du propriétaire des eux biens de créer entre eux un rapport de destination, ibid., p. 978. Dans ce dernier cas, notons l’analyse que fait William Dross, Droit civil. Les choses, op. cit., n° 416 p. 766 : « on a beaucoup débattu du rôle exact de la volonté du propriétaire » mais « cet élément est secondaire » dans la mesure où le critère objectif a pour conséquence que « sitôt que le meuble est effectivement utilisé pour permettre l’exploitation agricole, artisanale, commerciale ou industrielle de l’immeuble, il est un immeuble par destination, ce dont le propriétaire n’aura d’ailleurs que fort peu conscience », cette dernière remarque valant sans doute notamment pour les meubles attachés à un immeuble du domaine privé censé être régi par le droit privé. 180 William Dross, ibid., n° 414 p. 613. 181 J.-B. Blaise, « Les rapports entre le fonds de commerce et l’immeuble dans lequel il est exploité », RTD com., 1966, p. 827. 176 427 autrement dans le cas du domaine public où le terrain ou l’édifice sont essentiels. L’hypothèse la plus vraisemblable est que la Haute juridiction exprime elle-même l’attitude franchement paradoxale entretenue à l’égard de la domanialité, qui oscille entre son extension par déférence à son objet et sa délimitation par appréhension de ses effets. Il faut également ajouter les difficultés liées à la technique de l’immobilisation par destination et, notamment, le fait qu’elle suppose l’unité de la propriété alors que l’action administrative connaît de nombreux cas où des acteurs différentes interviennent pour s’approprier l’immeuble, les aménagements ou les meubles qui ensemble forment l’unité des moyens patrimoniaux d’une activité182. La technique n’a donc pas eu de succès en droit public. A l’inverse, on a su étendre les immeubles du domaine public à des accessoires - après une période de confusion avec l’accession aujourd’hui révolue 183 – dont on discuterait volontiers le rapport d’utilité au service public auquel le bien principal est affecté. Le fait est que sur ce point le Code est venu apporter une clarification qui satisfait la logique. Ne peut être l’accessoire d’un bien du domaine public que le bien qui entretient un lien physique et fonctionnel avec lui184. Dès lors, tout bien du domaine public par accessoire est lui-même un bien administratif. Cependant, il n’est pas certain que le caractère doive emporter l’assimilation du bien à la catégorie dont relève le bien principal, ce qui est perçu en droit privé comme un dépassement de la logique de la maxime accessorium sequitur principale185. Le phénomène atteint d’ailleurs son paroxysme avec la domanialité publique globale qui conduit à inclure dans le périmètre du domaine public des immeubles qui n’ont aucun rapport d’utilité à la compétence exercée, mais en sont seulement une activité connexe. Tel est le cas dans l’arrêt cité comme celui ayant affirmé le principe de la domanialité globale186. Selon le commissaire du gouvernement, la solution s’imposait car « juger autrement ferait de chaque gare une mosaïque de parcelles enchevêtrées qui relèveraient les unes du domaine public, les autres du domaine privé, et donc la gestion deviendrait pratiquement impossible »187. On ne voit pas, rétrospectivement, ce que la gestion gagne à ne pas tenir compte de la diversité effective des éléments qui composent un ensemble complexe. Ainsi, l’hôtel situé près de la gare de Perrache à Lyon fournit certes à (certains) voyageurs un service qui n’est pas inutile et qui n’est pas étranger à leur qualité d’usager du service ferroviaire. Néanmoins, il existe à Lyon d’autres hôtels à proximité immédiate et fournissant un service comparable. Il ne nous semble que le gérant de l’hôtel se 182 Cass. 1ère civ., 18 fév. 1957, D., 1957, p. 249 ; Cass., 3e civ., 5 mars 1980, Bull. civ. III, n° 51. Cf. Yves Gaudemet, op. cit., n° 205-206 pp. 142-143. 184 Art. L. 2111-2 CG3P. 185 Gilles Goubeaux, La règle de l’accessoire en droit privé, Paris, LGDJ, 1969, spéc. n° 252 et s. 186 CE, 5 fév. 1965, Sté lyonnaise de transports, RDP, 1965, p. 493, concl. Y. Galmot. 187 Préc. 183 428 trouve malgré lui appelé à assurer par son activité une partie de la mission de service public. Par ailleurs, l’unité du régime souhaitée par la domanialité publique globale ou celle par accessoire ne peut qu’être relativement vaine si des biens essentiels au fonctionnement du service sont ignorés quand d’autres, peu utiles à l’activité s’y trouvent inclus en soulevant plus de problèmes qu’autre chose. 474. L’inaliénabilité a aussi pour conséquence d’interdire qu’un bien appartenant à un immeuble en copropriété puisse appartenir au domaine public188. Cette conséquence est tirée d’une interprétation de l’inaliénabilité d’après laquelle la copropriété fait échec à la condition selon laquelle un bien doit appartenir en pleine propriété à la personne publique. L’affectation ne guide en rien la décision du juge d’exclure du régime protecteur les biens compris dans un immeuble en copropriété. Or, les décisions à la majorité dans la copropriété pourraient éventuellement perturber l’affectation. L’affectation n’apparaît pas protégée par une décision prise à l’égard du régime qui n’a de sens qu’à son égard. Ainsi, non seulement la mise à l’écart de la domanialité n’est pas décidée en raison de l’absence d’impact de la copropriété de l’immeuble sur la mission de service public qui y est exécutée, mais elle conduit à laisser cet impact sans réponse juridique adaptée. Yves Gaudemet considère ainsi que l’affectation doit être protégée, l’inaliénabilité ne doit pas porter sur le bien car ce sont les activités de la personne publique qui importent. Or, « la copropriété n’apparaît pas alors comme un obstacle à celles-ci, pas plus que la domanialité est une condition de leur bon exercice » 189 . L’auteur considère que l’article L. 2122-4 du CG3P qui permet les servitudes conventionnelles réelles entre dépendances du domaine public et propriétés privées s’inscrit dans le sens d’une évolution. Néanmoins, ces dispositions ne concernant que la domanialité publique, elles ne s’appliquent donc pas en matière de copropriété. Dans ce cas, il faudrait sans doute offrir la possibilité à la personne publique de pouvoir imposer l’inscription dans le règlement de la copropriété de dispositions semblables aux clauses qui garantissent dans certains contrats la continuité du service public. Il faudrait d’ailleurs prévoir des garanties du même ordre au bénéfice des personnes privées dans la copropriété. La domanialité publique en excluant la copropriété manifeste son manque de pertinence dans l’appréhension des biens administratifs. 2) L’inadaptation du périmètre du domaine public : l’exclusion des meubles et des biens incorporels nécessaires aux services publics CE Sect., 11 fév. 1994, Cie d’assurances La préservatrice foncière, CJEG, 1994, p. 197, chron. P. Sablière, concl. Toutée ; AJDA, 1994, p. 548, note J. Dufau ; D., 1994, p. 493, note J.-F. Davignon ; JCP , 1994, II, 22338, note M.-Ch. Rouault. 189 Yves Gaudemet, op. cit., n° 95 (bis) p. 78. 188 429 475. Il faut revenir sur l’affaire Sociétés Equalia et Polyxo190 qui déclare comme biens de retour des appareils de fitness. Ces biens sont des meubles de retour qui ont ainsi pu faire l’objet d’un référé mesures utiles par lequel le juge administratif a enjoint au délégataire, qui avait enlevé les meubles en question à la fin du contrat, de les restituer à la personne publique. Le Conseil d’État a considéré que « la restitution par le délégataire de biens de retour est au nombre des mesures utiles et urgentes qui peuvent être prises sur le fondement de l’article L. 521-3 du code de justice administrative afin d’assurer la continuité du service public et son bon fonctionnement ». Or, « la création d'activités de remise en forme et d'aquacycle visait, conformément aux termes de l'article 3 de la convention de délégation de service public du 23 juin 2008, à, améliorer le service offert aux usagers » et a été approuvée par la commune qui a en conséquence augmenter les tarifs. Le juge en déduit donc que « les activités de remise en forme et d'aquacycle relevaient du périmètre de la délégation de service public consentie et que les équipements utilisés pour l'accomplissement de ces activités pouvaient être regardés comme des biens de retour ». En d’autres termes, sont des biens administratifs les biens qui sont utiles à toute activité qui s’inscrit dans la continuité du service public concédé. Il peut en aller ainsi de meubles, dont la jouissance est une condition du bon fonctionnement du service et permet ainsi d’en enjoindre la restitution. A aucun moment la domanialité publique n’intervient et, cependant, l’affectation est préservée. Cela démontre que la domanialité n’est pas indispensable pour préserver l’affectation, que le périmètre du domaine public est inadapté en excluant les meubles et que l’activité est le principe fédérateur auquel on se réfère pour déterminer le caractère administratif des biens. Il faut en dire autant des propriétés incorporelles. Un logiciel peut être un élément essentiel du fonctionnement d’un service public. La conclusion que tire Claire Malwé au terme de l’étude qu’elle consacre aux propriétés immatérielles est à ce titre édifiante. En effet, elle considère que « la constitution d’une propriété publique incorporelle n’a de sens que si elle s’accompagne de la détermination d’un régime juridique applicable et adapté aux missions particulières poursuivies par l’administration. A défaut d’un tel effort conceptuel, la constitution d’une propriété publique immatérielle n’aura vocation qu’à servir les intérêts économiques de la croissance, vocation pour le moins réductrice eu égard aux potentialités qu’elle recèle en terme d’amélioration du service public ou de diffusion des connaissances. Aujourd’hui pourtant, aucun régime juridique spécifique ne vient s’appliquer à ces nouvelles propriétés administratives. Leur soumission à la foi du marché semble entamer leur vocation à servir le plus largement possible les intérêts des administrés ». Elle termine alors en considérant que, « en ce sens, la propriété publique incorporelle est aujourd’hui à la recherche d’un régime juridique adapté aux nouveaux enjeux 190 CE, 5 fév. 2014, Sociétés Equalia et Polyxo c. Communauté de communes de Saint-Dizier, Der et Blaise, n° 371121, AJDA, 2014, p. 1397 comm. J.-S. Boda et P.-A. Rohan. 430 portés par l’intervention publique dans la société de l’information » 191 . Force est de constater que la domanialité publique ne saurait être ce régime. En revanche, les propriétés immatérielles, combinant les propriétés incorporels et les droits-prestation, pourraient s’ajouter aux immeubles et aux meubles dans une synthèse d’ensemble : le fonds administratif. 476. La domanialité publique en tant que régime et le domaine public en tant que constitutif de son champ d’application ont été amendées des points essentiels pour tenir compte de leurs imperfections respectives. Cependant, le nouveau Code combine la logique de l’affectation qui s’impose pour appréhender le régime des biens administratifs et celle liée à la personnalité publique et qui impose de les formaliser comme des propriétaires particuliers, publics. En cela, il mêle une logique institutionnelle, organique, et une logique matérielle, fonctionnelle, la première prédominant en raison de l’objet même du code. On peut donc effectivement regretter que « l’idée de but (le service public) est en filigrane mais jamais clairement affirmée » 192 . Cette logique finaliste liée au but et au service public oblige à intégrer le fait qu’il se rattache toujours à une personne publique quant à son principe, il s’exerce également par des propriétaires privés et leurs biens. Si ce qui importe c’est l’activité de service public alors tout comme le fait que son exécution est possible par une personne privée, car la personnalité juridique n’importe ici pas en dehors du critère du rattachement organique, il faut admettre l’existence de biens privés utilisés pour l’exercice d’une activité de service public. Le droit positif l’a admis à de nombreuses reprises mais sans faire apparaître une appréhension cohérente et satisfaisante. 191 Claire Malwé, La propriété publique incorporelle : au carrefour du droit administratif des biens et du droit public économique, th. Nantes, 2008, p. 723. 192 Sophie Nicinski, « Les logiques du Code général de la propriété des personnes publiques : de la pluralité au risque de contradiction », RLCT, 2008, n° 1064. 431 § 2 Les incertitudes liées aux régimes spécifiques applicables aux biens privés administratifs 477. Philippe Yolka consacre tout un développement du fascicule consacré à la dualité domaniale aux rapports entre domanialité publique et “quasi-domanialité publique”. Si le droit privé peut s’inquiéter de la disparition qui naîtrait de la multiplication des biens spéciaux 193, que dire du droit des biens administratifs : « accompagnant ici avec retard une évolution qui remonte ailleurs à plusieurs décennies (l'application du droit administratif aux personnes privées chargées d'une mission de service public), la période contemporaine voit des éléments du régime domanial déborder leur sphère originelle : les biens de certaines personnes privées se trouvent soumis à divers principes qui figureraient, d'après une partie de la doctrine, une “domanialité publique bis” »194. Or, « le rapport avec l'inaliénabilité du domaine public ne doit pas être exagéré (la liberté de cession demeure le principe, alors que l'exigence d'un déclassement est systématique en matière domaniale) »195. Dès lors, cela rejoint peut être l’analyse de Sophie Nicinski selon laquelle « l’examen minutieux de ce florilège de régimes disparates » prouve que « l’existence d’un service public n’appelle pas forcément de protection particulière des biens » 196 . Etienne Muller considère cependant que dans le cadre des partenariats public-privé, « cet aspect [le régime des biens] est sans doute l’un de ceux pour lesquels l’actuel éclatement des instruments juridiques et des régimes produit le plus grand désordre et la plus grande insécurité juridique »197. La notion de fonds répond à l’idée que chaque bien administratif n’a pas tant d’intérêt en lui-même que par le rapport d’affectation qui le relie à l’activité dont il est l’instrument. La question de la pertinence de régimes d’affectation ayant pour objet les biens administratifs pris ut singuli se pose donc. Pour y apporter une réponse, il est possible de s’intéresser aux biens privés en fonction de la relation du propriétaire à l’égard de la compétence exercée. Les biens privés administratifs peuvent tout d’abord être la propriété d’une personne privée étrangère à l’action administrative (A). Ils sont ensuite, ce qui est sans doute le plus en phase avec notre approche, la propriété de personnes privées chargées de l’exécution d’une mission de service public (B). 193 Yves Strickler, « Droit des biens : évitons la dispersion », D., 2007, p. 1149. Philippe Yolka, J.-Cl. Propriétés publiques, fasc. n° 10, 2014, n° 49. 195 Philippe Yolka, « L’opposition à cession », JCP A, 7 juin 2010, act. 426. 196 Sophie Nicinski, « Le domaine public : de la crise à la reconstruction », préc., p. 679. 197 Etienne Muller, Les instruments juridiques des partenariats public-privé, L’Harmattan, 2011, n ° 943 p. 557. 194 432 A. Les biens administratifs des personnes privées étrangères à l’action publique 478. Catherine Logéat identifie les biens qui nous intéressent comme étant « strictement privés » parce que n’ayant jamais connu l’appropriation publique198, ce qu’on traduira pour adapter à notre point de vue comme étant les biens dont le propriétaire n’est pas et n’a jamais été investi d’une mission de service public. Elle y inclut les voies privées ouvertes à la circulation du public et les biens des fondations et associations. Ces derniers ne nous intéresseront pas dans la mesure où ils ont été exclus précédemment de l’ordre juridique partiel du droit public qui seul nous intéresse, « une œuvre d’intérêt général sans but lucratif » visée par l’article 18 alinéa 1er de la loi du 23 juillet 1987 n’étant pas un élément de l’action publique. Seules les voies privées ouvertes à la circulation du public nous intéresseront donc, leur régime appelant de nombreuses remarques venant à l’appui de notre démonstration (1). Il nous semble qu’il est, par ailleurs, nécessaire de considérer comme des biens administratifs, au sens où nous l’entendons, les biens qui, en raison d’une servitude administrative notamment, concourent à l’exécution d’une activité publique en raison de l’utilité qu’ils servent (2). 1) Les voies privées ouvertes à la circulation et leur analyse à l’aune de la compétence des personnes publiques 479. Il s’agit, comme le dit Catherine Logéat, d’un cas topique d’une affectation en vertu de l’article 544 du Code civil199. En effet, l’affectation résulte de la volonté du propriétaire, explicite ou implicite par une simple tolérance, de laisser le public circuler librement sur une voie lui appartenant. A contrario, il peut désaffecter la voie en excluant les tiers et rétablissant ainsi l’exclusive jouissance normalement associée à son droit de propriété. La question qui nous occupe est de savoir si le régime de la voie publique témoigne du fait qu’il s’agit d’un bien administratif et si ce régime est un régime de protection de la voie ou un régime lié à la seule activité dont elle est l’objet. La seconde réponse s’impose selon nous. En effet, l’ouverture de la voie intéresse la personne publique au premier chef non pas en tant qu’immeuble, mais en raison des conséquences de cette ouverture, raison pour laquelle « l’initiative du propriétaire s’effectue toujours sous le contrôle de la personne publique compétence »200. Or cela s’explique plus en raison des conséquences de l’ouverture sur la compétence de la personne publique que de considérations 198 Catherine Logéat, op. cit., p. 46. Ibid., p. 56. 200 Ibid., p. 55. 199 433 liées à la voie prise en tant que bien. En effet, l’ouverture supposera la réglementation de la circulation, tout cela dans le but de garantir les exigences de la sécurité des personnes et de la circulation. C’est pourquoi le régime pertinent est moins celui de l’affectation de la voie que tout ce qui l’entoure. Ainsi, on citera l’article L. 123-8 du code de la voirie routière qui dispose que « les voies privées à créer qui doivent, soit traverser une route nationale, soit y aboutir, ne peuvent être établies, dans leurs parties en contact avec cette route, que suivant des projets préalablement agréés par le préfet qui peut subordonner son agrément, notamment, à l'adoption de dispositions propres à éviter tout cisaillement des courants de circulation sur cette route ». A l’inverse, dès lors que la voie privée n’a pas de contact avec le réseau des voies publiques, elle n’intéresse en rien l’action publique parce qu’aucune personne publique n’est compétente à son égard et constitue donc un bien privé absolument privé 201. La voie, prise en elle-même, importe cependant. Elle est l’objet d’un droit de propriété privé, ce qui la place sous le régime de la propriété privée. Cela implique que le propriétaire reste responsable de son bien et donc de son entretien dont il assumera notamment la responsabilité en cas de dommage. C’est en raison de ces charges que « certains propriétaires souhaitent faire classer dans la voirie communale les voies dont ils sont propriétaires » 202 . Cependant, la commune peut s’y opposer et peut, par ailleurs, imposer ce classement d’office 203. Dans les deux cas, c’est la commune qui apprécie les conséquences du classement sur l’exercice de sa compétence et c’est cet exercice qui importe donc à titre essentiel, et non la voie et son affectation. Une voie privée n’est donc un bien administratif que pour autant qu’elle s’inscrit dans le champ de la compétence d’une personne publique, qu’il s’agisse de faire appliquer le droit de l’urbanisme (mais alors la voie n’est que l’objet de la compétence) ou d’en assurer l’entretien et d’en régir l’utilisation, un maire pouvant même interdire l’accès de la voie aux véhicules automobiles pour des raisons de sécurité 204 . Autrement dit, la voie n’intéresse pas le droit administratif pour ce qu’elle est, mais pour ce qu’elle permet. Les régimes juridiques visent moins à en garantir l’affectation qu’à l’organiser. Ils visent d’ailleurs moins la voie elle-même que la personne publique compétence et le propriétaire. Ainsi, ce n’est pas l’affectation à l’usage direct du public qui détermine sa qualité d’ouvrage public, mais le fait que la voie est entretenue 201 Cass. 3e civ., 9 mars 1976, Giraud-Moine, Bull., 1976, III, n° 107 ; JCP G, 1976, IV, p. 156 ; Cass. 2e civ., 15 mars 1978, Gabeiret c/ Guilloux et a., Bull., 1978, II, n° 81. 202 J.Cl., préc., n° 37. 203 Soit suivant la procédure de l’article L. 318-3 du code de l’urbanisme pour les voies comprises dans un ensemble d’habitations, soit selon l’article L. 171-14 du code de la voirie routière qui concerne la Ville de Paris et les villes qui feraient une demande pour en bénéficier, art. L. 173-2. 204 CE, 18 oct. 1995, Benoît, n° 150490. 434 et aménagée ou non par la personne publique 205 . Si ces activités relèvent de la capacité du propriétaire privé, il n’y a pas d’ouvrage public malgré l’intérêt général lié à l’affectation de la voie. Si ces activités relèvent de la compétence de la personne publique, il y a ouvrage public et donc l’utilité produite par la voie devient ainsi administrative. Dès lors, la responsabilité de la commune ne sera pas engagée en fonction de l’affectation de la voie à la circulation mais en fonction de l’inscription dans le chef de sa compétence de la responsabilité de son entretien à l’égard des personnes qui en deviennent les usagers206. Ces derniers ne sont pas qualifiés de tels si l’entretien de la voie revient à son propriétaire et que la voie cause un dommage qui n’a alors aucun lien avec l’exercice d’une compétence. Il ressort de cette analyse qu’une voie privée est certes affectée à l’usage du public lorsqu’elle est ouverte à la circulation. Ce n’est cependant pas cet élément qui est véritablement déterminant pour la compréhension du régime qui s’applique ensuite. Ce régime s’intéresse pour l’essentiel aux activités qui peuvent être occasionnées par la voie, et en raison de leur rapport potentiel à la compétence des personnes publiques. C’est donc la liaison entre la voie et la compétence qui importe et cela nous invite à valider l’idée que le caractère administratif du bien n’implique pas tant des règles destinées à intégrer le régime de ce bien, que des règles fondées sur l’implication d’une compétence et s’appliquant par déduction au bien qui va en permettre l’exercice. De même, le propriétaire privé du bien administratif ne subit pas tant les conséquences de l’affectation du bien, que de la dévolution ou non du bien et de son entretien à la compétence d’une personne publique. La compétence de la personne publique est donc bien l’élément fondamental. Il traduit l’activité publique dont le fonds pourrait être la formalisation juridique. Cela se vérifie également en ce qui concerne les biens privés frappés d’une servitude administrative. 2) Les biens privés administratifs en raison d’une servitude administrative 480. Les biens qui sont la propriété d’une personne privée étrangère à l’action publique peuvent néanmoins être administratifs en ce qu’ils vont être temporairement ou de façon 205 Cf. J.Cl. administratif, fasc. n° 410-28, n° 22 : Une voie privée ouverte à la circulation publique mais dont la commune n'assume ni l'entretien ni l'aménagement ne constitue pas un ouvrage public. La responsabilité de la commune pour défaut d'entretien, en cas d'accident causé par cette voie, ne saurait donc être retenue (CE, 8 janv. 1964, Ville Brive c/ Ardouin : Rec. CE 1964, tables, p. 1035 ; Dr. adm. 1964, comm. 77. – Dans le même sens, CE, 26 avr. 1983, Jaffrain : Rev. adm. 1983, p. 251, note G. Liet-Veaux) ; et n° 23 : « En revanche, lorsque la commune assume l'entretien d'une voie privée affectée à la circulation du public, les travaux constituent alors des travaux publics et en ce cas, cette commune est responsable des conséquences d'un accident dû à un défaut d'entretien du sol de la rue (CE, 16 nov. 1957, Ville Marseille c/ Poro : AJDA 1957, p. 458, note J.-G. ; Dr. adm. 1958, comm. 396, note G. Liet-Veaux ; Rec. CE 1957, p. 1040, 1041 et 1060. – CE, 15 janv. 1982, n° 19424, Communauté urbaine de Lille. – CE, 4 mai 1988, Cne Villeneuve : Dr. adm. 1988, comm. 402). 206 CE, 30 nov. 1979, Ville de Jouy, Dr. adm. 1980, comm. 40. 435 permanente utilisés par une personne publique ou privée chargée de l’exécution d’une mission de service public ou de travaux publics, activité qui relève de même de la compétence d’une personne publique. Ces servitudes ont, selon Catherine Logéat, pour fonds dominant « une notion juridique abstraite : l’utilité publique »207. Pour certaines d’entre elles, il faut dire plutôt qu’elles ont pour fonds dominant l’activité de service ou de travaux publics. Il en va ainsi pour les biens qui subissent l’application de la loi de 1892 instituant la possibilité dans le cadre de travaux publics de s’introduire sur les terrains de personnes privées 208 . La loi, en imposant au propriétaire de souffrir une atteinte à l’exclusivité de sa jouissance en tant que propriétaire a pour effet d’accorder au bénéfice de la personne publique un droit-prestation à l’utilité de service que constitue cette possibilité. Il en va de même dans le cas des réquisitions de biens qui permettent l’utilisation du bien pour les besoins de l’action en cours et dont l’urgence nécessite cette atteinte à la propriété 209 . A ces cas de jouissance temporaire de l’utilité de service on ajoutera les servitudes administratives permanentes comme celles qui autorisent l’implantation de lignes électriques sur les propriétés privées ou de canalisations. Chaque fois, là encore, le service que rend l’utilité du bien est la conséquence de l’utilisation par la personne qui exerce la compétence en cause d’un régime exorbitant. Le bien, de même, devient administratif sous l’effet de ce régime et cesse de l’être avec la disparition de ce régime exorbitant. Cela confirme l’idée qu’un bien administratif n’appelle pas forcément un régime qui en garantisse l’affectation, mais qu’il s’inscrit en revanche dans un contexte normatif entièrement destiné à régir l’activité à laquelle ce bien se rapporte. C’est seulement ensuite que ce régime de l’activité peut avoir une conséquence sur le régime du bien, par déclinaison, appréciation que l’on rapprochera de l’analyse de Catherine Logéat selon laquelle « l’entretien des biens affectés au service public est aisément rattachable au respect des lois du service public »210. La notion de fonds, en s’intéressant non au bien pour ce qu’il est mais simplement en raison du lien qui l’unit à l’activité exercée, répond en ce sens peut-être mieux aux objectifs que poursuit le droit positif. Les biens des personnes privées participant à l’action publique permettent de prolonger encore plus avant cette réflexion. B. Les biens administratifs des personnes privées en charge de l’exécution d’un service public 207 Catherine Logéat, op. cit., p. 215. Cf. infra chapitre suivant en ce qui concerne l’analyse de ce régime comme instituant un droit de puissance publique venant en soutien de l’activité des personnes publiques propriétaires. 209 Ce qui permet de confirmer l’exclusion des réquisitions de logement qui, a contrario, ne sont pas utilisés par l’administration mais par des particuliers une fois qu’ils sont réquisitionnés. 210 Ibid., p. 327. 208 436 481. Lorsqu’une personne privée est chargée de l’exécution d’une mission de service public, elle va mettre son droit de propriété au service de l’action publique et se rendre ainsi éventuellement propriétaire de biens nécessaires à la mission qui lui a été confiée. Cette appropriation privée de biens nécessaires à une activité administrative signifie une dissociation entre la propriété du bien et la propriété du fonds administratif qui doit être, au moins pour une part résiduelle, le fonds de la personne publique qui assume l’activité 211. Or, le droit positif actuel ne présente pas une cohérence satisfaisante pour organiser avec simplicité et prévisibilité le sort des biens ainsi affectés à une activité administrative assumée par une personne publique (1). L’application de la propriété fiduciaire aux situations où le bien est la propriété d’une personne privée permettrait d’étendre à l’ensemble des biens incorporés à un fonds administratif la théorie des biens des concessions (2). 1) La situation insatisfaisante du droit positif en ce qui concerne les biens nécessaires à une activité administrative 482. L’acquisition différée des ouvrages par la personne publique a pu être conçue comme un moyen de s’affranchir des contraintes du droit des marchés publics, conduisant à la condamnation des marchés d’entreprise de travaux publics 212 . Le principe d’une propriété privée des biens nécessaires à une activité administrative, y compris de service public, s’est cependant imposé à nouveau en raison des besoins de financements auxquels ne pouvaient faire face les collectivités publiques. En effet, l’appropriation privée permet le recours, notamment, au crédit-bail qui est impossible lorsque le bien est un bien public, par conséquent insaisissable. La difficulté naît de la multiplication des instruments qui « a conduit à une approche fragmentée de cet élément pourtant transversal »213 qu’est la situation juridique des biens nécessaires à une activité de service public. Développée avec ces instruments, « la constitution d’un droit de propriété privée sur un bien nécessaire au fonctionnement d’un service public est une pratique relativement nouvelle, qu’il peut être délicat d’appréhender à partir des données les plus classiques du droit administratif »214. Jusqu’alors en effet, les biens étaient généralement la propriété de la personne publique et mis à disposition de la personne privée, ou alors régis par le droit de la concession et, si nécessaires au service public, qualifiés de biens de retour ou de biens de reprise ce qui garantit dans les deux 211 Cf. supra. Etienne Muller, Les instruments juridiques des partenariats public-privé, op. cit., pp. 177 et s. 213 Ibid., n° 407 p. 255. 214 Ibid., n° 414 p. 259. 212 437 cas une possible réunification des biens et de l’activité assumée par la personne publique, dans le fonds administratif dirons-nous. En outre, lorsque les immeubles sont nécessaires au service public, le Conseil d’État remet volontiers en cause le droit de superficie de l’occupant pour étendre à ces constructions la protection de la domanialité publique215. Certes, le principe ne semble valoir que lorsque les droits d’occupation et de construction ont été accordés « en vue de répondre aux besoins du service public auquel le domaine est affecté ». Il y a là cependant une forme de confirmation d’un éventuel principe d’appropriation publique des biens nécessaires au service public. C’est une intuition que partageait Etienne Muller, considérant qu’il se pourrait « que ces décisions traduisent l’existence d’une interdiction implicite plus générale ou du moins – ce qui revient pratiquement au même – la diffusion parmi les pouvoirs publics de la conviction qu’une telle interdiction existe » 216 . Il est vrai qu’un avis rendu par le Conseil d’État en 2005 allait dans ce sens en considérant que les conventions ne pouvaient pas « légalement prévoir une propriété privée » d’installations qualifiées de biens de retour, des remontées mécaniques en l’espèce217. 483. Néanmoins, le législateur a multiplié des dispositions qui ont pour effet de constituer une propriété ayant une forme relativement incertaine sur les biens compris dans les instruments de partenariat. Aux baux emphytéotiques administratifs prévus pour les collectivités territoriales sont venus s’ajouter les autorisations temporaires d’occupation du domaine public créatrices de droits réels, lesquelles, d’abord destinées à l’État et ses établissements publics, furent ensuite étendues à l’échelon local. Par ailleurs, les contrats de partenariat sont également concernés dans la mesure où l’ordonnance prévoit l’appropriation privée des biens qui seront affectés aux besoins de la personne publique. On peut discuter de la nature respective des prérogatives qu’exerce la personne privée sur les biens dont elle aurait la propriété. Les dispositions relatives à l’AOT ou celles relatives au contrat de partenariat n’évoquent pas expressément un droit de propriété mais un simple « droit réel conférant pour la durée de l’occupation les prérogatives et obligations du propriétaire »218. Dans le cas des BEA, « les modalités de l’appropriation privative ouverte par la loi font, au moins au premier regard, davantage songer à un droit de propriété au sens du droit civil » 219 . L’article 215 CE, 21 avril 1997, ministre du budget c. Sté SAGIFA, n° 147602, DA, 1997, p. 768, RFDA, 1997, p. 935, note Ph. Terneyre, E. Fatôme. Décision critiquée mais confirmée par CE, 7 juin 2010, Montravers, liquidateur judiciaire de la Société Neuville Foster Delaunay Belleville, n° 320188, CMP, 2010, p. 41, note G. Eckert, DA, 2010, p. 31. 216 Etienne Muller, op. cit., n° 417 p. 260. 217 Avis CE (sect. TP), n° 371234 du 19 avril 2005, BJCP, 2006, p. 107 concl. R. Schwartz, note Ph. Terneyre ; JeanFrançois Sestier, « Retours sur la question des biens de retour », BJCP, 2006, p. 327. 218 Article L. 2122-6 al. 1 et 2 CG3P ; article L. 1311-5 al 1 et 2 CGCT ; art. 13, I de l’ordonnance sur les contrats de partenariat et art. L. 1414-16 al. 1 CGCT. 219 Etienne Muller, op. cit., n° 429 p. 266. 438 L. 1311-3 2° du CGCT indique en effet que le preneur est propriétaire des ouvrages qu’il édifie si bien qu’on peut y voir un droit de superficie. Il nous semble que l’on pourrait unifier l’ensemble des ces droits exercés par un propriétaire privé habilité à cet effet dans le cadre d’une délégation d’activité administrative. Une telle délégation s’apparente au contrat de fiducie qui a pour objet de rendre une personne propriétaire pour accomplir une mission. On pourrait utilement considérer que dès lors qu’un bien est incorporé à un fonds administratif en raison de son affectation à une activité relevant de la compétence d’une personne, la propriété dont il est l’objet est soit une propriété publique soit une propriété privée fiduciaire. C’est-à-dire fondée et régie par la délégation et exercée conformément à l’affectation du bien à l’activité assumée par la personne publique. Il faut d’ailleurs souligner que dans le cas des BEA et des AOT créatrices de droits réels, la propriété privée n’est que temporaire et la personne publique deviendra de plein droit propriétaire des biens à l’expiration du contrat, que celle-ci intervienne à son terme normal ou de façon anticipée. Il y a donc une vocation de principe à la réunification des biens administratifs avec le fonds administratif dont ils relèvent en raison de leur affectation. Si cela autorise une dissociation de l’appropriation publique du bien et de son affectation, celle-ci réapparaît en faisant de son propriétaire un propriétaire fiduciaire. C’est cette analyse qui nous conduit à proposer une extension de la solution jurisprudentielle établie à propos des biens des concessions de service public. 2) L’extension de la théorie des biens des concessions de service public à l’ensemble des biens incorporés à un fonds administratif 484. Lorsqu’il envisage une unification, Etienne Muller s’oriente vers une restriction de l’appropriation privée. En effet, s’appuyant sur l’avis du Conseil d’État rendu en 2005, et qui allait être remis en cause sur ce point par l’arrêt Commune de Douai, l’auteur propose d’y voir la préfiguration d’un « principe général du droit en vertu duquel un bien nécessaire au fonctionnement d’un service public ne peut faire l’objet d’une appropriation par une personne privée que lorsque la loi le prévoit »220. Dans sa portée, le principe viserait l’ensemble des biens meubles et immeubles, situés sur un terrain appartenant à la personne publique assumant l’activité ou une tierce personne 221. La solution retenue par le Conseil d’État dans l’arrêt du 21 décembre 2012, Commune de Douai222, ne remet que partiellement en cause cette conception. Cet arrêt autorise en effet les parties, à 220 Ibid., n° 948 p. 559. Ibid., n° 950 p. 560. 222 CE Ass., 21 déc. 2012, Commune de Douai, n° 342788, préc.. 221 439 moins que les biens n’aient pour assiette le domaine public, à convenir que des biens de retour pourront être la propriété de la personne privée, autorisant ainsi leur financement par créditbail. Or, cette solution signifie, à notre sens, que si l’appropriation privée des biens nécessaires à une activité de service public est possible, elle ne sera jamais qu’une propriété fiduciaire, d’une part, et temporaire, d’autre part. Le premier point permet de préserver les exigences de l’affectation durant l’appropriation par la personne privée. L’autre élément résulte du caractère de bien de retour, faisant retour gratuitement à la personne publique et cela de plein droit. 485. On peut considérer, d’un point de vue dogmatique, qu’à travers les catégories de biens de retour, biens de reprise et biens propres le Conseil d’État offre une typologie des biens dans leur rapport à l’exercice de la compétence d’une personne publique par une personne privée participant à l’exercice d’une compétence d’une personne publique. Les biens de la concession appellent la question de la généralisation du régime à l’ensemble des délégations de service public. Or, il s’agit moins d’un régime du bien en raison de son affectation prise isolément, que d’un régime destiné à situer le bien administratif dans le contexte de l’activité et à appeler par conséquent des règles applicables par déduction à tout bien qui y serait affecté formellement. Le fonds administratif pourrait répondre à cette attente. Cela permettrait de répondre à la crainte qu’exprimait Jean-Philippe Brouant en considérant que « dans le cadre d’un GIP gérant une mission de service public, le bien propriété d’un membre personne privée en redressement judiciaire ou débiteur d’une dette pourra être saisi alors même qu’il est indispensable au fonctionnement du service public »223. Cette crainte peut s’interpréter comme visant le fait qu’un bien soit fonctionnellement administratif n’induirait pas mécaniquement qu’il subira un minimum incompressible de règles de droit public. Son inclusion dans un fonds administratif pourrait emporter de ce seul fait la possibilité de mettre en œuvre les mécanismes destinés à maintenir le rapport d’utilité du bien à l’activité de service public. 486. Sur la base de cette réflexion, on peut renouveler l’analyse des biens privés issus de la sociétisation des établissements publics. En effet, ces régimes ne sont pas d’une grande complexité. Au contraire, ils reposent essentiellement sur un mécanisme d’opposition à cession, de contrôle des opérations financières qui pourraient permettre une saisie, voire une éventuelle Jean-Philippe Brouant, « Sur le régime juridique des biens gérés par les groupements d’intérêt public », in Mélanges Etienne Fâtome, Paris, Dalloz, 2011, p. 85. 223 440 insaisissabilité. En somme, ces régimes reproduisant l’idée que l’appropriation publique doit être garantie, mais sans emporter les conséquences inutiles et préjudiciables de la domanialité publique. Or, une telle approche ne se justifie en réalité que pour les biens administratifs essentiels et à ce titre, le régime des biens d’Aéroports de Paris trouve ici une certaine justification. L’article L. 6323-6 du code des transports ne vise en effet que les ouvrages et terrains nécessaires « à la bonne exécution par la société de ses missions de service public ou au développement de cellesci ». A l’inverse, les autres régimes n’ont pas cette précision et ils relèvent plus d’une volonté de sauver les apparences en maintenant une apparence de contrôle de l’État qu’à instituer un véritable régime qui aurait les biens administratifs de ces sociétés comme objet. Christophe Roux peut ainsi considérer que ces « régimes de sujétions taillés sur mesure »224 selon le mot d’Etienne Fatôme sont « difficiles à systématiser et à réduire dans une catégorie unique »225. La raison réside peut-être dans l’appréciation précitée de Sophie Nicinski qu’un service public n’appelle pas forcément un régime spécifique pour les biens qui lui sont utiles. Elle ajoute qu’en ce cas, « la protection accordée peut passer par de multiples voies : qualité du propriétaire, pouvoir prépondérant de décision sur le propriétaire, qualité des biens, obligation de comportement des exploitants des biens ou interdiction d’opérations »226. Or, en dehors de l’ouvrage public auquel renvoie la qualité des biens, ces mécanismes visent, tous, non pas tant à régir le bien, que son propriétaire. Ils sont un palliatif au fait que l’exercice de son droit de propriété par une personne publique, contrairement aux personnes publiques, ne donne pas lieu à des décisions administratives susceptibles de recours en excès de pouvoir. La solution serait donc plutôt à chercher dans la possibilité de qualifier d’acte administratif certains actes portant sur des biens administratifs, même édictés par leurs propriétaires privés, ou d’inscrire en tout cas la gestion de ces biens dans un contexte de droit public. Le fonds administratif apporterait ici une première pierre à cet édifice. 487. La relativité des régimes juridiques considérés invite donc à discuter la pertinence d’un régime particulier d’affectation du bien à la mission administrative qu’il sert. Deux hypothèses apparaissent. Si le bien est absolument nécessaire à l’activité en cause, alors le principe de continuité du service public le protégera contre tout régime juridique qui y porterait atteinte et justifierait également l’opposition à l’exécution d’une décision de justice. Quand bien même les juges Etienne Fatôme, « A propos de l’apport en garantie des équipements publics », AJDA, 2003, p. 21. Christophe Roux, th. préc., n° 301 p. 211. 226 Sophie Ninciski, « Le domaine public : de la crise à la reconstruction », préc., p. 679. 224 225 441 décideraient l’exécution d’une décision portant atteinte au principe de continuité, l’État pourrait tout à fait ne pas y donner suite, quitte à engager sa responsabilité sans faute. Si, en revanche, les biens ne sont pas indispensables, alors ils peuvent être suffisamment utiles pour que leur utilisation soit la condition du bon fonctionnement du service. L’institution d’un droit de préemption serait sans doute aussi suffisante qu’elle semble l’être en matière d’œuvres d’art ou de biens culturels. Par ailleurs, l’expropriation sera toujours possible. Enfin, le principe de mutabilité s’oppose en partie à la nécessité de l’appropriation, en ce qui concerne les biens liés aux caractéristiques techniques de l’activité. Il n’y aurait en effet aucun intérêt à maintenir l’appropriation publique de biens devenus obsolètes alors qu’il y a un intérêt évident à en permettre le remplacement par des biens plus modernes. Ce qui importe ce n’est donc ni l’immeuble ni les autres biens qui concourent à l’activité mais l’activité elle-même. Cette activité est masquée par l’affectation et l’utilité publique. La première est l’acte par lequel est établi le lien entre les biens et l’activité à laquelle ils sont utiles. La seconde est le principe de légitimation de cette activité. Si l’on se concentre sur l’activité à la manière du droit privé, il faut alors concevoir l’affectation comme le lien entre un principe fédérateur, l’activité, et l’universalité des biens qui y concourent. C’est pourquoi nous proposons, au moins à titre d’outil conceptuel, de concevoir une notion de fonds administratif qui soit l’équivalent des fonds de droit privé en rapport aux activités économiques, mais propre aux activités administratives, et conforme à leur spécificité. 442 Conclusion du Chapitre 2 488. La distinction des biens publics et des biens privés repose sur un critère organique, en faisant des premiers les biens des personnes publiques, et des seconds les biens des personnes privées. Or, les uns comme les autres peuvent être affectés à une activité administrative et même lui être absolument nécessaires. C’est pourquoi nous avons proposé d’appeler biens administratifs les biens, publics ou privés, nécessaires à l’exercice d’une compétence et ayant par conséquent vocation à incorporer les fonds administratifs. La domanialité publique n’a pas forcément à être abandonnée. Il existe désormais de nombreux moyens de s’affranchir de ses contraintes et elle est de nature à protéger les collectivités dans les rapports de force pouvant les opposer à des sociétés privées susceptibles d’abuser de leur position et de leur savoir-faire. Ainsi, les biens de retour établis sur un bien relevant de la domanialité publique ont une vocation absolument certaine à rester dans le patrimoine de la personne publique et, a fortiori, dans le fonds administratif qui supporte l’activité dont ils sont le moyen nécessaire. Cependant, focalisée sur les immeubles et inadaptée aux exigences de la gestion moderne des biens administratifs, la domanialité publique peut être dépassée en l’intégrant à un dispositif plus général. C’est ce que permet l’utilisation du concept de fonds administratif, appliqué aux activités administratives et aux biens qui y sont affectés. Les fonds administratifs permettent de réunir l’ensemble des biens administratifs, qu’ils appartiennent au domaine public ou au domaine privé d’une personne publique, ou qu’ils appartiennent à une personne privée. Ils peuvent également accueillir tout type de bien, meuble ou immeuble, corporel ou incorporel, et y compris les droits dont, notamment ceux qui résultent de l’établissement de servitudes administratives. Un fonds administratif est nécessairement sous la maîtrise d’une personne publique qui assume l’activité dont il est le support. L’ensemble des biens nécessaires à cette activité sont incorporés à ce fonds administratif. Il serait alors possible d’affirmer un principe général du droit selon lequel tous les biens incorporés à un tel fonds ne peuvent en être distraits et qu’ils ont, par ailleurs, vocation à revenir dans le patrimoine de la personne publique si les activités devaient être assurées par elle de nouveau. Cela induirait, pour les personnes privées propriétaires de tels biens, qu’elles n’ont sur eux qu’un droit de propriété fiduciaire, l’habilitation à exercer une activité administrative s’apparentant à l’habilitation par un contrat de fiducie en droit privé, expressément liée à l’accomplissement d’une mission. 443 Conclusion du Titre 1er 489. Si l’activité économique est constituée de l’ensemble des entreprises, l’action publique est alors constituée de l’ensemble des administrations, et plus généralement de l’ensemble des activités administratives. L’ordre juridique partiel du droit privé, s’il ne s’y résume pas, comprend notamment le droit de ces activités économiques. L’ordre juridique partiel du droit public, quant à lui, est le droit des activités administratives. Il n’est que cela, et tout activité administrative s’inscrit dans son cadre. Elle est alors fondée et régie par le droit public objectif. Elle se concrétise à partir des personnes publiques qui, exerçant leur compétence par leurs droits subjectifs de propriété et de puissance, mettent en place, développent et organisent les activités qui sont administratives parce qu’elles les assument. Si l’on se représente les activités économiques sous la forme de fonds, il est également possible de se représenter les activités administratives sous la forme de fonds, administratifs dès lors qu’ils relèvent de la compétence d’une personne publique. Les fonds administratifs permettent d’intégrer tous les biens qui sont affectés aux activités assumées par les personnes publiques. Ils permettent également d’en respecter la diversité, quant au propriétaire, qui peut être public ou privé, quant aux catégories qui vont leur apporter leurs régimes. L’action publique est alors l’agrégat de l’ensemble de ces fonds. Elle répond donc bien d’une logique organique, puisque les activités sont assumées par les personnes publiques, et fonctionnelle, puisque leur exercice s’adapte aux besoins, aux exigences, aux contraintes ou aux choix politiques d’organisation des activités administratives. C’est ainsi qu’à partir de la perspective patrimoniale et du point de vue des personnes publiques propriétaires, on peut se représenter l’action publique comme un ensemble de fonds administratifs réunissant eux-mêmes, en tant qu’universalités, l’ensemble des actifs affectés à ces activités. Les personnes publiques et privées sont elles-mêmes réunies en un système cohérent par les relations qu’elles nouent à l’occasion de la gestion de ces fonds. C’est ainsi que peut être proposée une présentation organico-fonctionnelle de l’ordre juridique partiel du droit public, lequel est à la fois un ensemble de personnes et un ensemble d’activités, un ensemble de fonds administratifs gérés par ces personnes, représentant ces activités, et réunissant les biens qui y sont affectés. Il faut, à présent, démontrer que l’exploitation de ces fonds et la gestion de ces biens, demeure en toute occasion dans le cadre de cet ordre juridique partiel du droit public, dont on veut faire l’ordre de l’action publique. 444 Titre 2 Le développement de l’action publique par la gestion des fonds administratifs des personnes publiques nd 490. Jacques Caillosse constate que « les auteurs [de manuels] sont bien loin de s’accorder – pour autant qu’ils soient à la recherche d’un pareil accord – sur l’identité juridique propre de l’objet que tous décrivent comme étant constitutif du droit administratif des biens » 1 . La perspective subjectiviste conduit à ne pas considérer les biens de l’administration mais l’action administrative exercée grâce aux biens. Or, si le droit public est le droit de l’action publique, le droit administratif des biens se présente « comme du droit administratif “concentré” », comme son « noyau dur » 2 . Lorsque Yves Gaudemet considère que « le droit des biens, plus éloigné sans doute aujourd’hui qu’autrefois du droit administratif général, appartient désormais à la matière indéfinie et accueillante du droit public économique »3, il faut donc considérer qu’il y a moins l’éloignement d’un secteur qu’une transformation de « tout le système juridique de l’administration » 4 . Considérer qu’il s’agit du droit des activités administratives représentées sous la forme de fonds administratif permet de rendre compte de cette évolution générale du droit de l’action publique au cœur duquel se trouve le droit administratif des biens. Dominée par l’affectation générale à leurs compétences, la gestion des fonds administratifs a pour contexte normatif le seul ordre juridique partiel du droit public, quel que soit le droit applicable ou le juge compétent (Chapitre 1). Le droit public économique, effectivement accueillant, soumet de plus en plus l’action publique à ses lois. Cela fait apparaître que la gestion des fonds administratifs par les personnes publiques provoque la rencontre de l’action publique et des activités économiques. C’est pourquoi l’on peut dire que la gestion de ces fonds provoque la rencontre des ordres juridiques partiels. Les fonds administratifs, et à leur origine les personnes publiques propriétaires, entrent en rapport avec les activités économiques privées des personnes privées propriétaires (Chapitre 2). Chapitre 1 L’ordre juridique partiel du droit public, contexte normatif exclusif de la gestion des fonds administratifs Chapitre 2 La rencontre des ordres juridiques partiels à l’occasion de la gestion des fonds administratifs 1 Jacques Caillosse, « Le “droit administratif des biens” constitue-t-il un champ juridique spécifique ? », Mélanges René Hostiou, Litec, 2008, n° 11 p. 92 ; voir aussi dans le même sens, Sabine Boussard, Christophe Le Berre, Droit administratif des biens, LGDJ-Lextenso, 2014, n° 2 p. 16. 2 Jacques Caillosse, préc., n° 16 p. 95. 3 Yves Gaudemet, août 1998, Avertissement à la 11 e éd. du Traité de droit administratif, t. 2, Droit administratif des biens, reproduite jusqu’à la dernière édition, LGDJ, 15e éd., 2014, p. VIII. 4 Jacques Caillosse, préc., n° 20 p. 98. 445 446 Chapitre 1 L’ordre juridique partiel du droit public, contexte normatif exclusif de la gestion des fonds administratifs 491. L’état du droit positif donnait à voir à René Chapus l’image d’un « dualisme juridique tempéré et, en quelque sorte, accueillant et tel, par suite, qu'il apparaît comme une façon d'être de l'unité de l'ordre juridique français » 1 . Cette unité de l’ordre juridique français ne peut cependant être considérée comme absolue. Le dualisme, même tempéré, résulte d’une différenciation entre la sphère publique et la sphère privée dont rend compte la théorie des ordres juridiques partiels suivant laquelle l’ordre juridique français est scindé en deux pour traduire de cette manière le principe libéral de séparation de la société et de l’État. Ce dualisme se dédouble pour structurer le droit public. Dualisme juridique, entre droit privé et droit administratif. Dualisme juridictionnel, entre juge judiciaire et juge administratif. Ces deux dualismes ne correspondent pas à l’opposition entre droit public et droit privé entendus comme ordres juridiques. Ces dualismes sont internes au seul droit public en tant qu’ordre juridique partiel relatif aux activités administratives. Le droit public est le droit des activités administratives. Il appelle à la fois l’application de règles de droit privé et de règles de droit administratif, et la compétence tant du juge judiciaire que du juge administratif. En ce qui concerne le dualisme juridique, c’est-à-dire les variations dans les règles applicables aux activités administratives, une donnée qui détermine cette variation est le choix entre la personnalité publique ou la personnalité privée pour mettre en œuvre ces activités. Si la personnalité privée est la véritable gestion privée des fonds administratifs, le dualisme juridique ne remet pas en cause l’unité du droit de l’action publique mais confirme seulement l’autonomie des personnes publiques (Section 1). Cette unité n’est pas remise en cause non plus par le dualisme juridictionnel. Dualisme interne, il n’est d’aucune portée sur l’autonomie et l’unité du droit public qui n’est ni affecté par son existence ni ne serait renforcé par sa disparition. La pertinence de ce dualisme quant à la propriété publique ne s’interroge que du seul point de vue de la technique juridique (Section 2). Section 1 L’intégration du dualisme juridique à l’ordre juridique partiel du droit public régissant les fonds administratifs Section 2 L’intégration du dualisme juridictionnel à l’ordre juridique partiel du droit public régissant les fonds administratifs 1 René Chapus, « Dualité de juridictions et unité de l’ordre juridique », RFDA, 1990, p. 739. 447 Section 1 L’intégration du dualisme juridique à l’ordre juridique partiel du droit public régissant les fonds administratifs 492. Le droit des activités administratives n’est pas plus réductible au droit administratif qu’aux seules personnes publiques2. Le développement des fonds administratifs a pour point de départ les personnes publiques qui, en assumant l’activité, sont propriétaires du fonds principal à partir duquel elle se développe. Ce rattachement de l’activité à la compétence de la personne publique n’interdit cependant pas le recours au droit privé, ni l’intervention de personnes privées. Jamais, cependant, le développement de cette activité ne quitte la sphère du droit public, et c’est la raison pour laquelle celui-ci est hétérogène. Il est le droit des activités administratives, quel qu’en soit le support, personne publique ou privée, et quelle que soit la part respective du droit privé et du droit administratif dont le régime de ces activités. Il faut d’ailleurs souligner que les personnes privées, lorsqu’elles sont étrangères à l’action publique, comprennent également une part de droit administratif dans la mise en œuvre de leurs activités, sans quitter pour autant l’ordre partiel du droit privé dont elles relèvent. Ni le propriétaire d’un terrain bénéficiant d’un permis de construire, ni le salarié dont le licenciement est conditionné à une décision administrative, ne sont déplacés dans l’ordre juridique partiel du droit public. Celui-ci a seulement fondé la compétence de la personne publique et régit son exercice par l’autorité administrative appelée à intervenir. A l’inverse, une personne privée en charge d’un service public édictant les mesures d’organisation du service devra respecter le droit administratif, non parce que la loi lui impose une formalité, mais parce qu’elle est alors soumise au droit des activités administratives et relève de l’ordre juridique partiel du droit public. Ce dualisme des règles applicables est particulièrement développé en ce qui concerne l’exercice des compétences par la propriété, spécialement celle des personnes publiques. Ce dualisme révèle qu’il est impossible de qualifier une règle de publique ou de privée en fonction de sa source. De source privée ou administrative, une règle est de droit public si elle fonde et régit une activité administrative, l’exercice d’une compétence (§ 1). C’est pourquoi il est possible qu’une activité administrative soit réalisée par un propriétaire privé selon les règles du droit privé. Cette activité n’en demeure pas moins administrative et cela révèle, par comparaison avec les personnes publiques, que la véritable gestion privée d’une activité administrative suppose l’intervention d’une personne privée (§ 2). Yves Gaudemet, in Fabrice Melleray (dir.), L’exorbitance du droit administratif en question(s), Université de Poitiers-LGDJ, 2004, p. 4 : « Si – après Charles Eisenmann – on tient que le droit administratif est le droit applicable aux personnes publiques, il est pour une large part le droit commun et n’a rien d’exorbitant ». On verra qu’en ce qui nous concerne, ce droit n’est commun que par ses sources et se présente bien souvent sous la forme d’un droit privé administratif, exorbitant par l’application qui en est faite. 2 448 § 1 Le seul critère d’appartenance des règles au droit public : fonder ou régir l’exercice d’une compétence, d’une activité administrative 493. Il faut donc considérer que la théorie des ordres juridiques partiels permet de neutraliser le rapport entre la source d’une règle de droit et son caractère public ou privé. Une personne privée peut être soumise à des prescriptions de droit administratif et rester absolument inscrite dans l’ordre juridique partiel du droit privé qui régit l’intégralité de ses activités. De même, une personne publique peut bien faire appel à des mécanismes de droit privé ou y être nécessairement soumise, il y a un droit privé qui relève de l’ordre juridique partiel du droit public parce qu’il régit une activité administrative (A). A l’inverse, certaines règles de droit administratif s’appliquant indifféremment aux activités administratives et privées peuvent entrer en collision avec les régimes d’exercice des compétences si bien que les règles de droit administratif applicables à l’exercice des compétences au moyen de la propriété ont en réalité parfois deux objets distincts : permettre ou seulement régir cet exercice (B). A. L’indifférence de la source d’une règle et de son caractère public ou privé : droit administratif des activités privées et droit privé des activités administratives 494. Si aucun critère ne permet de déterminer avec certitude le caractère civil ou administratif d’une règle ou de prévoir avec certitude quel droit sera applicable, il est en revanche possible de réduire la portée de l’incertitude. En effet, la question perd de son importance si on la considère purement interne à l’ordre du droit public, ordre mixte en lui-même et non pas « envahi » par le droit privé. Pour Yves Gaudemet, le critère du droit administratif soulève une question nécessaire à laquelle apporter une réponse est cependant impossible3. Il arrive ainsi à la même conclusion que Jean Rivero : « lorsqu’un problème, après un siècle d’effort, et malgré les travaux des meilleurs esprits, n’a pu recevoir de solution, peut-être est-on en droit d’en reconsidérer l’énoncé, et de se demander si l’échec ne tiendrait pas, non aux chercheurs, mais à quelque erreur incluse dans cet énoncé même, et qui rendrait le problème insoluble » 4 . Ces deux auteurs définissent le droit administratif comme la collection de règles spéciales, dérogations en plus et en moins pour le second. Chacun reconnaît également que ce droit administratif ne réunit pas l’ensemble des règles applicables à l’action de l’administration. Dans son cours de l’année 1952-1953, Charles Eisenmann défendait lui aussi 3 Yves Gaudemet, « Le critère du droit administratif : une question nécessaire, une réponse impossible », Mélanges Boivin, Ed. La Mémoire du Droit, 2012, p. 3 et s. 4 Jean Rivero, « Existe-t-il un critère du droit administratif ? », pp. 289-290. 449 l’idée que le droit administratif au sens large signifiait le régime applicable à l’administration et englobait, ainsi, « toutes les règles régissant des rapports dans lesquels l’Administration figure en une qualité quelconque, que ce soit à titre de sujet actif, titulaire de droits ou de pouvoirs, ou à titre de sujet passif, titulaire d’obligations »5. En ce qui concerne le droit administratif, Yves Gaudemet relève également que « si l’autonomie du droit administratif est constante, le particularisme de son contenu est variable »6, l’autonomie et l’originalité d’un droit étant deux choses nettement distinctes. Cela rejoint la démonstration, faite par Benoît Plessix, que l’utilisation du droit civil pour élaborer le droit administratif ne remet absolument pas en cause l’autonomie de ce dernier. Au contraire, cette utilisation, libre, choisie, est l’expression même de cette autonomie7. Elle prouve que le juge administratif est maître du droit qu’il veut appliquer. Il peut admettre l’application d’une disposition du Code civil 8 , s’inspirer d’un principe que le Code civil manifesterait selon lui 9 ou créer une règle « foncièrement » identique à une règle existant en droit privé mais, de ce fait, formellement autonome10. Situer le dualisme juridique au seul niveau du droit applicable et du juge compétent conduit à admettre les idées d’intrusion du droit privé, ou de dédoublement de l’administration. 495. Charles Eisenmann considérait que « la classification du droit en droit public et droit privé porte immédiatement, non pas sur les règles de droit prises individuellement, mais sur deux ensembles que l’on appelle “branches du droit” ou “matières” »11. La théorie des ordres juridiques partiels consiste à reprendre la proposition mais à y voir plus qu’un simple partage académique. Ces deux « branches » sont la division juridique de l’ordre de la sphère publique, des activités administratives, par opposition à l’ordre de la sphère privée, de la Société, des activités étrangères à l’action publique. C’est la raison pour laquelle l’analyse des règles prises individuellement dans chacun des deux ordres ne peut livrer aucun renseignement sur l’autonomie de l’un et l’autre. L’autonomie de l’ordre juridique public provient du principe qui le fonde et n’a donc de rapport direct qu’avec les règles qui ont permis l’identification de ce fondement. 5 Charles Eisenmann, Cours de droit administratif, tome 1, p. 529. Yves Gaudemet, préc., idem. 7 Cf. supra. 8 Par exemple la règle de l’accession des articles 552 et 553 suivants du Code civil qui est appliquée par le juge administratif pour constater la propriété de dessous de la personne publique propriétaires du dessus, y compris s’il s’agit du domaine public, ex. CAA Lyon, 20 mai 1992, Joseph Toussaint Torre, RFDA, 1993, p. 1146 ; concl. D. Richer ; RDI, 1993, p. 350, chron. J.-B. Auby. 9 Par exemple l’application aux travaux publics de la garantie décennale, décidée par l’arrêt CE ass., 2 février 1973, Trannoy, n° 82706 en se fondant sur les principes dont s’inspirent les articles 1792 et 2270 du Code civil. Sur ce point, cf. Benoît Plessix, L’utilisation du droit civil par le juge administratif, op. cit., n° 730 et s., spéc. n° 735 pp. 657-658. 10 Charles Eisenmann, ibid., pp. 533-534. 11 Charles Eisenmann, « Droit public, Droit privé (En marge d’un livre sur l’évolution du droit civil français du XIX e au XXe siècle) », préc., n° 20 p. 923. 6 450 Pour le reste, ce droit public trouve dans les sources du droit qu’il admet les règles qui en constitueront le contenu. Deux alternatives s’offrent alors d’un point de vue théorique. Soit on considère que le droit public doit avoir ses propres sources, autonomes, ne produisant pas de règles applicables dans l’ordre juridique privé. Soit on considère que le droit public peut connaître des règles communes aux deux ordres en raison de l’admission des mêmes sources. Cette seconde branche de l’alternative est en réalité pratiquement inévitable. Elle s’impose d’évidence dans l’ordre juridique de la Grande-Bretagne où la source immédiate des règles applicables à l’action publique est la Common Law, sauf à ce qu’il existe une source spécifique, Administrative Law12. Elle s’impose également dans l’ordre juridique de la France où l’existence d’un ordre juridique partiel public n’a pas eu pour corollaire la spécificité absolue de ses sources. Ainsi, si le droit administratif est le droit commun de l’action publique, des sources communes avec l’ordre privé apportent au droit public des règles qu’ils auront en partage. 496. Le choix d’appliquer le droit privé à une activité administrative n’est pas une remise en cause de l’autonomie du droit public qui fonde et régit cette activité. Au contraire, il est la marque de ce que le droit des activités administratives est le résultat d’une volonté, laquelle peut décider qu’un droit spécial doit s’appliquer ou à l’inverse qu’une source commune avec les acteurs privés est parfaitement pertinente. En effet, il est possible de proposer que l’ordre juridique du droit public, par cette décision du juge administratif ou du législateur, s’incorpore une règle de droit civil, la fait sienne. Il en va de même de l’intervention du juge judiciaire. Celui-ci n’est certes pas le juge de droit commun des activités administratives, mais il le devient parfois. Lorsque tel est le cas, il est un juge de l’ordre juridique partiel, raison pour laquelle on intégrera autant le dualisme juridictionnel au droit de l’action publique que le dualisme juridique. Cela est particulièrement vrai dans l’exercice des compétences au moyen de la propriété, celle d’une personne publique ou privée. La soumission de la personne publique à des régimes de droit privé dans l’exercice de sa propriété peut être considéré comme un régime juridique pertinent mais il n’en demeure pas moins que l’action de la personne publique propriétaire relève de l’ordre juridique partiel. En ce qui concerne les personnes privées, le droit administratif a vocation à s’appliquer en fonction de mécanismes fonctionnels qui lui imposent soit un régime spécial comme les régimes législatifs d’affectation des biens privés, soit en fonction de catégories propres aux L’approche correspond toutefois à l’idée communément admise. En réalité, il y a plutôt ou soumission trop relative au droit de l’administration, et par conséquent essor d’un véritable droit administratif ayant également ses juridictions spécialisées, cf. Patrick Birkinshaw, « Le droit public anglais dans le creuset européen », in Jean-Bernard Auby, Jacqueline Dutheil de la Rochère (dir.), Traité de droit administratif européen, Bruylant, 2e éd., 2014, pp. 761 et s. 12 451 seules activités administratives comme l’ouvrage public. Le droit privé qui régit leur activité de propriétaire, la plupart du temps, n’apparaîtra sans doute que très marginalement comme relevant du droit public. Tel est pourtant le cas dès lors que le propriétaire privé exerce une mission administrative par son droit de propriété. C’est pourquoi on propose de voir dans la propriété privée des biens de retour et de reprise du concessionnaire une propriété fiduciaire, dont le régime apparent de droit privé masque la réalité de la nature administrative de son activité. Ainsi, dès lors qu’une règle fonde ou régit l’exercice d’une compétence, elle appartient à l’ordre juridique public, sans qu’y fasse obstacle son existence dans l’ordre juridique privé. Si la règle n’est pas identifiable au sein du droit applicable à l’exercice d’une compétence, alors elle appartient au seul droit privé. L’ordre juridique partiel du droit public est un ordre complexe, ayant des sources diverses et deux ordres juridictionnels, en droit interne, appelés à faire application des es règles qui intègrent, de cette façon, le droit des activités administratives. 497. Cela permet d’apporter une réponse à la question que pose Yves Gaudemet : « pourquoi donc deux systèmes de droit, si le droit est le même ou très proche d’un système à l’autre ? »13. Tout d’abord, il faut convenir qu’une extrême proximité est cependant une différence, et cela mérite d’être pris en compte, les développements du droit administratif en Angleterre le prouvent. Surtout, la réponse réside dans le fait que ces deux systèmes ne s’opposent pas en raison de leur contenu, mais en raison de la représentation sociale qu’ils véhiculent et que le droit traduit. Le système du droit public a un objet bien précis : fonder et régir l’action publique, ce que nous avons choisi de décrire juridiquement comme l’exercice des compétences. Cela permet aussi de compléter le propos selon lequel « là est la crise du droit administratif français, dans l’alignement de ses solutions sur celles du droit privé »14. Si crise il y a du droit administratif, elle ne concerne pas le droit public en tant qu’ordre autonome mais concerne seulement son contenu, le droit administratif en tant qu’ensemble de règles spéciales. Il en va de même de l’intégration dans la légalité administrative de règles issues du droit économique, qu’il s’agisse du droit de la consommation ou du droit de la concurrence. S’il y a évolution du droit de l’action publique, éventuellement de son exorbitance, il n’y a absolument aucune remise en cause de son autonomie. Il en va de même en ce qui concerne le droit régissant l’exercice de la propriété, laquelle est publique non pas en raison des règles qui s’appliquent mais en raison du rapport entre le propriétaire et l’exercice des compétences. 13 14 Yves Gaudemet, préc., p. 8. Idem. 452 B. La dualité d’objet des règles de droit administratif régissant l’exercice des compétences par les propriétaires 498. Pour Yves Gaudemet, « on peut utilement distinguer le “droit administratif des biens”, englobant toutes les actions de l’administration portant sur des biens matériels, du “droit des biens de l’administration” centré, comme les termes l’indiquent, sur les seuls biens dont les personnes publiques ont, d’une façon ou d’une autre, la propriété ou la maîtrise »15. Il existe donc des règles de droit administratif qui s’appliquent à tous les propriétaires indépendamment de leur rôle dans l’action publique, et des règles dont l’objet est l’exercice des compétences au moyen de la propriété et, au premier chef, celle des personnes publiques. Ces dernières sont soumises à ces deux types de règles de droit administratif. La distinction de ces deux corps de règles permet de mettre en évidence l’objet de la propriété publique proprement dite, qui est de permettre l’exercice des compétences au moyen de la propriété (1). Cette dualité interne aux règles de droit administratif applicables aux propriétaires permet d’appréhender la conciliation éventuelle qu’opère le juge en appliquant la théorie du bilan. Si la théorie est née à l’occasion de litiges portant sur l’acquisition forcée des biens par expropriation, elle a une portée générale sur l’exercice des compétences et sa limitation par des règles de droit administratif, révélant la confrontation de différents intérêts privés et publics (2). 1) L’objet alternatif des règles de droit administratif applicables aux propriétaires : permettre ou limiter l’exercice des compétences 499. Les activités administratives sont soumises au seul droit public, parce qu’il est le droit qui fonde et régit ces activités. Cela n’interdit pas de faire la part des règles en fonction du rapport qu’elles entretiennent avec l’action publique, qui est de la permettre ou au contraire de la limiter. On peut faire apparaître cette dualité d’objet, au sein même du droit administratif applicable aux activités administratives. L’exemple du droit de l’urbanisme et de la construction est à ce titre topique (a). Il peut être étendu au droit privé qui, lorsqu’il devient un droit des activités administratives, doit être pleinement pris en compte comme un élément du droit public (b). 15 Yves Gaudemet, Traité de droit administratif. Droit administratif des biens, 15e éd., 2014, n° 3 p. 2. 453 a) Le dualisme d’objet des règles de droit administratif applicables aux propriétaires : l’exemple du droit de l’urbanisme et de la construction 500. « Le droit de l’urbanisme et celui de la construction peuvent être considérés comme deux entités distinctes mais reliées par leur domaine d’application » 16 , ce qui permet d’établir l’existence d’un contact inévitable entre l’ordre juridique public et l’ordre juridique privé17. Ils se distinguent en ce que « l’un est le droit de l’action publique sur l’évolution urbaine, l’autre celui des initiatives immobilières privées »18. Le premier est bien un droit des compétences publiques, puisqu’il fonde et régit l’action d’autorités administratives ayant pour fonction de faire appliquer le droit de l’urbanisme, le second, en principe19, un droit des capacités puisqu’il fonde et régit la faculté qu’ont les sujets de droit de réaliser des opérations immobilières. Néanmoins, ces deux droits ont « un secteur d’activité commun, celui de l’occupation du sol, de l’habitat et du cadre de vie » si bien qu’à une « identité d’objet » s’ajoute celle des acteurs qui les utilisent20. En effet, ce sont les mêmes personnes qui ont l’initiative d’opérations immobilières et qui auront besoin pour les réaliser des autorisations administratives que produira l’exercice de leur compétence par les autorités administratives. Cet exemple suffit à démontrer que les sujets de l’ordre privé sont confrontés au droit administratif pour réaliser leurs projets. Ils se doivent de le respecter et ils disposent par ailleurs des voies de droit destinées à en garantir l’application. Le permis de construire qu’obtient le constructeur privé est le résultat de l’exercice de sa compétence par le maire et ainsi le produit du droit public. Mais une fois titulaire de ce permis, cette autorisation devient un fait juridique, d’aucuns diraient même un bien21. En tout état de cause, le permis de construire une fois délivré est simplement utile à son bénéficiaire et sera d’ailleurs transféré avec la cession de l’immeuble concerné22. L’ordre juridique partiel privé n’est en rien altéré ou menacé, pas plus qu’il ne l’est par l’obligation qui est faite de devoir disposer d’un acte notarié, le notaire exerçant bien une Jean-Bernard Auby, Hugues Périnet-Marquet, Rozen Noguellou, Droit de l’urbanisme et de la construction, Montchrestien, 9e éd., 2012, n° 1 p. 1. 17 Outre le fait évoqué au chapitre bien sûr que résultant de l’exercice de l’imperium, la puissance publique, toute norme est le produit de l’exercice d’une compétence et par conséquent le fruit d’un processus relevant de l’ordre juridique public. 18 Ibid., n° 2 p. 1. 19 Ces règles intégreront la compétence de la personne publique qui devra s’y soumettre si le jurislateur en décide ainsi. 20 Ibid., n° 3 p. 2. 21 CE, 10 déc. 1965, Synd. de copropriété de l’immeuble Pharo Pasteur, Rec., p. 684 : « Le permis de construire n'est pas délivré en considération de la personne qui en devient titulaire ; lorsque, pendant la période de validité d'un permis de construire, la responsabilité de la construction est transférée à une autre personne, il n'y a pas lieu pour l'administration de délivrer un nouveau permis mais simplement de transférer, avec l'accord du propriétaire du terrain, le permis précédemment accordé. » 22 CE, 10 déc. 1965, Syndicat des copropriétaires de l’immeuble Pharo-Pasteur, Rec., p. 864 où le Conseil affirmer que « le permis de construire n’est pas délivré en considération de la personne qui en devient titulaire » mais en fonction de la conformité aux règles d’urbanisme du projet envisagé et sur le terrain considéré. Le transfert implique l’intervention de l’autorité administrative qui va modifier le nom du bénéficiaire, CE, 24 fév. 1992, Sté Cogédim Ile-de-France, RDP, 1993, p. 1154. Cf. Henri Jacquot, François Priet, Droit de l’urbanisme, Dalloz, 6e éd., 2008, n° 746 pp. 810 et s. 16 454 prérogative de droit public. Le contact entre les deux ordres est inévitable mais ne signifie jamais qu’un statu quo23 quant à leurs frontières respectives. Il en va exactement de même pour la personne publique qui se voit délivrer un permis de construire. La différence essentielle est que le permis est alors utile non seulement à la réalisation d’une opération immobilière, mais à l’exercice d’une compétence. Cela signifie que si l’opération est immédiatement en rapport avec les missions dévolues à la personne publique, les travaux qui suivront seront publics et que, s’il est destiné à ces missions par la suite, l’immeuble qui en résultera sera un ouvrage public24. Quand bien même le travail immobilier effectué serait privé, il serait soumis aux exigences de la commande publique si bien que le régime de la construction qui s’appliquerait ne viendrait qu’à la suite de décisions et procédures administratives. Enfin, les dettes de la personne publique bénéficieraient du régime de la déchéance quadriennale. Dès lors, pas plus qu’il n’est possible « aujourd’hui de confondre la propriété publique et les régimes d’affectation relevant ou non de la domanialité publique » 25 , il n’est possible d’attribuer à l’existence de règles de droit privé ou à l’affaiblissement de l’exorbitance des règles de droit administratif, une remise en cause de l’autonomie qui est celle du droit public, du droit de l’action publique. 501. C’est ainsi qu’apparaît la différence entre le propriétaire public et le propriétaire privé. L’activité du premier fait de l’exercice de la propriété une modalité de l’action publique. C’est pourquoi il peut bien se trouver devant le juge judiciaire ou se voir appliquer le Code civil par le juge administratif, il n’en reste pas moins toujours soumis au droit qui fonde et régit l’exercice des compétences, le droit public. Le propriétaire privé, s’il n’exerce aucune activité administrative, ne peut que subir cette action publique dans sa fonction traditionnelle d’application de la loi. C’est pourquoi le propriétaire privé, s’il rencontre le droit administratif, ne le trouve qu’à la marge, comme une étape obligée dans la réalisation du projet qu’il veut réaliser. Il est toujours soumis à l’ordre juridique du droit privé. Ce n’est que lorsque la personne privée exerce son droit de propriété au service d’une activité administrative, en l’exerçant sur des biens incorporés à un fonds administratif notamment, que l’on peut dire que 23 Jean Rivero, « Droit public et droit privé : conquête ou statu quo ? », D., 1947, chron. XVIII, p. 69. Cf. infra les analyses de Charles Eisenmann en réponse à René Savatier. Ils se rejoignent pour dénoncer l’idée de René Savatier selon laquelle les nouvelles réglementations faisant intervenir des services administratifs pour leur application « publicisent » le droit privé. Suivant la théorie des ordres juridiques partiels, cette idée ne peut qu’être définitivement écartée. 24 Pour un exemple du cas contraire et dans lequel le droit de la construction s’appliquera de plein droit au projet de lotissement de la commune, TC, 25 mars 1939, Sté immobilière des Glacis c. Ville de Bayonne, Rec., p. 664. 25 Yves Gaudemet, préc., idem. 455 le droit de propriété privé est alors soumis au droit public. Qu’il n’y ait aucune part de droit administratif dans le régime applicable est alors soit peu probable, soit problématique26. Le droit des personnes publiques n’est pas plus homogène, la part de droit administratif y est simplement prépondérante. Raison pour laquelle le droit administratif applicable lui-même, parfois commun à tous les propriétaires, est un droit complexe poursuivant parfois deux objets distincts. 502. On peut distinguer les règles de droit administratif en fonction de leur objet pour les classer, selon le cas, dans la catégorie des régimes administratif de la propriété, indifféremment privée ou publique, ou celle des régimes propres à l’exercice des compétences au moyen de la propriété. Ainsi, le droit public dans le cas de l’urbanisme est constitué par les règles qui en fondent l’existence et en régissent l’exécution par les collectivités qui gèrent leur territoire et en sont de ce fait le garant ainsi que l’indique l’article L. 110 du code de l’urbanisme. En revanche, lorsque les collectivités se soumettent à ce droit, il devient un élément de la légalité de leur activité, laquelle ne répond évidemment pas forcément à cette finalité mais relève d’une autre mission. A l’inverse, les articles L. 422-2 et R. 422-2 du code de l’urbanisme, qui dérogent à la compétence du maire au profit de celle du représentant de l’État, relèvent du droit administratif. Il y là évidemment une première dimension qui est symbolique pour expliquer la règle, l’État n’admettant pas devoir solliciter un maire pour obtenir une autorisation destinée à lui permettre d’exercer son droit de propriété. Cela révèle aussi l’objet dual des règles de droit administratif applicables aux personnes publiques. En effet, ces dispositions ont pour objet de permettre l’exercice de sa compétence par l’État ou pour son compte. Ainsi peut se comprendre la décision du Conseil d’État de considérer que « la notion de réalisation pour le compte de l'État, au sens de ces dispositions, comprend toute demande d'autorisation d'utilisation du sol qui s'inscrit dans le cadre de l'exercice par celui-ci de ses compétences au titre d'une mission de service public qui lui est impartie et à l'accomplissement de laquelle le législateur a entendu que la commune ne puisse faire obstacle en raison des buts d'intérêt général poursuivis »27. Ce privilège de l’État qui consiste à pouvoir se délivrer à lui-même les autorisations nécessaires à l’accomplissement de ses missions, dans le respect des mêmes règles de légalité s’entend. C’est bien une règle qui n’a de sens qu’en considérant l’exercice de la propriété comme une modalité de l’exercice de la compétence en cause. En l’espèce, il s’agissait de ne pas permettre à la commune sur le territoire de laquelle la gendarmerie devait être construire de faire obstruction à l’exercice de la mission étatique en ne 26 Cf. infra. CE, 5 février 2014, Commune de Bollène, n° 366208, AJDA, 2014, p. 311, note Rémi Grand ; RDI, 2014, p. 226, obs. P. Soler-Couteaux. 27 456 délivrant pas l’autorisation. La compétence du préfet apparaît comme un moyen de maîtriser l’application des règles d’urbanisme et de garantir l’édiction de l’acte administratif nécessaire. La disposition qui crée ce privilège relève du droit de la propriété publique parce qu’elle vise à permettre une construction destinée à l’exercice de la compétence d’une personne publique. Elle facilite donc l’exercice d’une compétence au moyen de la propriété. Elle participe de l’activité d’une personne publique propriétaire ou ayant vocation à retirer une utilité de service du bien considéré28. Il faut avoir une même analyse de certaines règles de droit privé applicables aux activités administratives et qui sont parfois une modalité essentielle de développement des fonds administratifs. b) Le dualisme d’objet appliqué aux règles de droit privé applicables aux activités administratives 503. L’administration rencontre sans doute le droit privé comme une limite à son action chaque fois qu’une personne privée lui oppose des droits qui sont opposables à l’action publique, la forme extrême de cette limite étant constituée par la voie de fait, dont l’objet est précisément de « dégrader » l’administration pour lui retirer son caractère public. Dans ce cas, le droit privé applicable relève encore de l’ordre juridique partiel du droit privé. Cela confirme que le dualisme des ordres juridiques est destiné à traduire la séparation de l’État et de la société, le premier étant limité par les droits que la seconde lui oppose. Cependant, le droit privé est également un outil au service de l’action publique et les personnes publiques font usage de règles de droit public chaque fois qu’elles recourent à des procédés du droit privé. Il faut même souligner avec Jean Rivero que l’intérêt général est parfois même « mieux servi par le droit privé » 29 , lequel ne remet alors nullement en cause l’autonomie générale du droit de l’action publique. Le recours à des mécanismes contractuels de droit privé peut parfois s’avérer plus pertinent qu’un contrat administratif 30 . Il en va de même en ce qui concerne la matière patrimoniale et le droit des biens et, plus encore, des nouveaux biens, et particulièrement dans le domaine de l’immatériel. Nous avons déjà évoqué à ce titre le cas des données publiques qui constituent à la fois un gisement de revenus potentiels mais également une dimension Cf. infra, chapitre suivant en ce qui concerne l’utilisation administrative des biens. Jean Rivero, « Existe-t-il un critère du droit administratif ? », RDP, 1953, p. 283. 30 Etienne Muller, Les instruments juridiques des partenariats public-privé, L’Harmattan, 2011, pp. 491 et s. 28 29 457 essentielle de la transparence de l’action publique, et de la mise de celle-ci au service de l’économie en général31. 504. On peut évoquer à ce titre le droit des marques qui devient en enjeu essentiel pour l’action publique. L’enjeu est tout d’abord financier 32 , la renommée que certaines personnes publiques ont acquise pouvant faire l’objet d’une valorisation importante. Ainsi, le Louvre a développé un accord de licence avec Abu Dhabi ayant rapporté 400 millions d’euros33. Le droit privé peut néanmoins opposer un obstacle à une démarche de cet ordre, comme le révèle l’affaire de la commune de Laguiole déboutée par le TGI de Paris par le jugement du 13 septembre 201234. Jean-David Dreyfus note à cet égard que la protection des marques peut certes revêtir un intérêt pour le service public mais que « les personnes publiques ne bénéficient pas de régime de faveur et doivent donc procéder par enregistrement » comme le font toutes les personnes juridiques désireuses de protéger une marque dont elles s’estiment propriétaires 35. L’évolution apportée par la loi du 17 mars 2014, est donc ici une avancée particulièrement attendue36. Il sera désormais possible à une commune dans la même situation de demander à l’Institut national de la propriété intellectuelle de l’alerter « en cas de dépôt d’une demande d’enregistrement d’une marque contenant sa dénomination ». Cela ne préjugera certes pas de l’issue des recours éventuellement intentés. 505. On peut évoquer le domaine de la recherche publique qui fait également l’objet d’un intérêt accru dans la perspective de valorisation 37 . Les découvertes effectuées par des institutions relevant de la sphère publique n’ont pas nécessairement vocation à être livrées au public à titre purement gracieux. Il est même raisonnable de faire de la valorisation de ces résultats une des modalités de financement de la recherche publique, dont l’importance pour l’économie mérite de lui faire bénéficier de ressources complémentaires aux financements publics classiques. Surtout, la recherche doit organiser elle-même la passerelle entre les travaux du monde universitaire et les activités économiques, démarche qu’illustrent les incubateurs d’entreprise adossés à des organismes publics d’enseignement supérieur et de recherche38. 31 Cf. supra. Rapport « L'économie de l'immatériel, La croissance de demain », rapport de la commission sur l'économie de l'immatériel, Ministère de l'économie des finances et de l'industrie, M. Lévy, J.-P. Jouyet, 2007. 32 Catherine Rossetti, « Vers une gestion stratégique des marques publiques », AJDA 2010, p. 2197. 33 Jean-David Dreyfus, « Nom des collectivités et droit des marques », AJCT, 2013, p. 127. 34 TGI Paris, 13 sept. 2012, Cne de Laguiole, n° 10/08800, AJCT, 2012, p. 459. 35 Préc., idem. 36 La loi n° 2014-344 du 17 mars 2014, art. 73. 37 Rapport d’information de P. Adnot sur la valorisation de la recherche dans les universités, JO Sénat, 10 mai 2006. 38 Créés par loi n° 99-587 du 12 juillet 1999 sur l'innovation et la recherche. 458 Encouragée par les textes, la valorisation de la recherche est un élément désormais essentiels des activités administratives concernées et l’une des finalités des fonds administratifs qui en sont le support39. Or, le droit privé constitue là encore un vecteur juridique idoine pour de telles activités administratives40 relevant, malgré ce cadre juridique ayant sa source en droit privé, de l’ordre juridique partiel du droit public. Ce droit privé appartient au droit public parce qu’il régit une activité administrative. 506. Cela permet donc de préciser la limite entre l’action publique consistant à créer les conditions d’activités privées et l’action publique exercée au moyen d’activités régies par le droit privé. Cela renvoie par exemple aux activités liées aux incubateurs d’entreprises et aux ateliersrelais. L’activité administrative est celle qui consiste à offrir des conditions favorables, et non l’activité économique des personnes privées qui va s’épanouir avec elles. Cela explique, à notre sens, pourquoi « le service public irrigue la construction mais s’évapore une fois l’ouvrage achevé »41. C’est l’existence de l’atelier-relais qui constitue la mission de la personne publique, et non l’activité qui va s’y développer. Sauf, bien sûr, l’activité qui consiste à gérer l’atelier-relais si elle y est hébergée. On ne peut plus dire, dans ce cas, que l service s’évapore une fois l’ouvrage achevé. Le service public trouve sa place, et elle est circonscrite à la part qui revient à l’action administrative proprement dite. Il en va ainsi de même lorsqu’une commune réhabilite un bâtiment puis y accueille un fonds de commerce, tel un restaurant42. Christophe Roux « éprouve quelques difficultés à valider la cohérence »43 du raisonnement par lequel la Cour qualifie le bâtiment ainsi rénové de dépendance du domaine public en raison de son affectation au développement touristique et économique et de l’aménagement que constitue la réhabilitation, sans pour autant qualifier le contrat d’occupation conclu avec le restaurateur de délégation de service public. Il nous semble au contraire que, mis à part la critique sous-jacente de la domanialité publique en elle-même, le raisonnement de la Cour administrative est parfaitement cohérent. Elle fait la part de ce qui 39 Le livre V de la partie législative du code de la recherche est intitulé « La valorisation des résultats de la recherche et le transfert de technologie en direction du monde économique et des associations et fondations reconnues d’utilité publique. Par valorisation des résultats et transfert de technologie, on entend l'ensemble des actions qui permettent de passer d'un résultat scientifique à un impact économique, notamment via une innovation. Il peut être assuré par des moyens incitatifs (crédit d'impôt, aide), structurels (mise en place de structures adaptées) et humains (mobilité des chercheurs vers les entreprises). Le système de transfert et d'innovation français s'est complexifié. La loi ESR du 13 juillet 2013 a pour objectif de le rendre plus cohérent, plus simple, plus efficace et plus accessible. Sur le fondement de l'habilitation donnée à l'article 124 de cette loi, l'ordonnance no 2014-135 du 17 février 2014 ajoute un livre V consacré à «la valorisation des résultats de la recherche» et au «transfert de technologie en direction du monde économique et des associations et fondations reconnues d'utilité publique». Ce nouveau livre regroupe l'ensemble des dispositions législatives qui étaient disséminées dans le code, aux livres I, III et IV. Commentaire au Code de la Recherche, Dalloz. 40 Thierry Lambert, « La valorisation de la recherche publique en sciences humaines et sociales face au droit d’auteur des universitaires », D., 2008, p. 3021. 41 Philippe Yolka, « La condition juridique des ateliers-relais », JCP A, 2005, n° 1215. 42 CAA Nantes, 12 juill. 2013, Cne de Monteneuf, n° 12NT000334 ; JCP A, 2014, n° 2073, note C. Devès. 43 Christophe Roux, Propriété publique et droit de l’Union européenne, th. Lyon 3, 2013, n° 785 p. 485. 459 revient à l’action publique et la part de ce qui revient aux activités privées. Elle fixe une frontière entre le droit de l’action publique, et la sphère privée. La réhabilitation du bâtiment constitue une activité de service public et crée les conditions du développement économique. Le bâtiment qui en résulte, à l’image des Halles de marché, est un élément du domaine public parce qu’il est le bien d’une commune affecté à un service public et incorporé au fonds administratif. Ce dernier est constitué par l’ensemble des moyens, dont ce bâtiment, affectés à la réunion des conditions favorables à l’implantation d’activités économiques. Celles-ci, en revanche, ne relèvent pas de l’action publique. Elles ne la rencontrent pas différemment que le cafetier qui installe une terrasse sur une place publique. Elles relèvent de la sphère privée. Par conséquent, si la jurisprudence « procède en fait à une liaison asymétrique entre l’activité de service public, la qualification de la dépendance domaniale, et celle de la convention d’occupation »44, c’est que lier symétriquement ces trois éléments ne serait pas plus cohérent. Au contraire, cela reviendrait à remettre en cause la séparation de la sphère publique et de la sphère privée. Le service public et la dépendance domaniale sont liés parce qu’ils appartiennent au fonds administratif. La convention d’occupation, si elle est une opération de gestion du fonds administratif, n’a pas pour effet d’y incorporer le fonds de commerce de l’occupant. On retombe ici sur les limites de la théorie du service public virtuel45. 507. Quant à considérer que « cette soudaine disparition de l’activité de service public est d’autant plus gênante à admettre que, en sens inverse, il y a fort à parier qu’elle serait maintenue si l’activité de restauration était directement prise en charge par une personne publique »46, c’est là ne pas voir qu’une activité assurée par une personne publique est nécessairement assumée par elle. La boucherie municipale de l’arrêt Zénard47 démontrait déjà que la prise en charge d’une activité en vue de faire face à la rareté, est une activité de service public48. En revanche, le restaurateur installé sur le domaine public assure une activité que n’assume en rien la personne publique. Elle la permet, et le service public s’arrête une fois les conditions de l’activité réunies, lorsque commence l’activité privée qui se développe ainsi sous l’égide des pouvoirs publics. Loin de faire apparaître une incohérence, il faut au contraire voir ici une nouvelle confirmation de la frontière entre l’action publique et les activités privées. L’activité privée accueillie sur une propriété publique ne relève pas de l’action publique, raison pour laquelle lui retirer le bénéfice du fonds de commerce était une forme d’injustice peu compréhensible. S’il 44 Idem. Cf. supra. 46 Idem. 47 On sait que la commune de Reims avait mis en place une boucherie municipale dans la ville dévastée après la guerre de 1914-1918 pour pallier l’insuffisance de l’offre, CE Ass., 24 nov. 1933 Zénard , Rec. p. 1100. 48 Sur cet arrêt, Jean-François Calmette, La rareté en droit public, L’Harmattan, 2004, p. 156. 45 460 faut voir ici la prévalence de la « logique organique française » sur « la logique fonctionnelle communautaire »49, il faut surtout constater que c’est effectivement le critère organique qui fixe la limite entre l’action publique et les activités privées. La logique fonctionnelle ne vient toujours qu’en seconde intention pour appliquer les régimes pertinents en fonction de la situation, laquelle est donc déjà une situation de droit public ou une situation de droit privé. Le fonds qui représente l’activité du restaurateur ne devient un fonds administratif que par la prise de contrôle de l’activité ou sa prise en charge par la personne publique. Le fonds, alors, ne sera pas forcément régi par le droit administratif en tout et pour tout. Il sera encore largement soumis au régime précédemment applicable. Il sera néanmoins passé de la sphère privée à la sphère publique, et sera désormais régi, de façon générale, par le droit public. 508. Il faut donc bien distinguer les règles en fonction de leur objet. Les règles qui n’ont pour objet que de régir l’exercice de la propriété, que celle-ci soit publique ou privée, sont des règles qui n’appartiennent pas en elles-mêmes au droit public. Elles y appartiendront seulement dans la mesure où elles intégreront la légalité régissant l’exercice d’une compétence. A l’inverse, les règles qui ont pour objet de régir l’exercice d’une compétence par la propriété sont des règles de la propriété publique en elles-mêmes. Elles ne s’appliqueront donc qu’à des propriétaires ou à des biens dont l’activité ou la destination se rapportent à l’exercice d’une compétence. Cette distinction n’a donc aucun sens pour les personnes privées étrangères à l’action publique mais nous semble importante pour les sujets de droit qui y prennent part. Ainsi, comme on le verra au chapitre suivant, la qualification de « monument historique » ne relève pas a priori de l’ordre du droit public, tandis que la catégorie de l’ouvrage public en relève exclusivement. Distinguer ces règles permet de mieux comprendre leur éventuelle confrontation lorsqu’elles sont contradictoires mais simultanément applicables. 2) La théorie du bilan : instrument de contrôle de l’exercice des compétences par le développement des fonds administratifs 509. Dans l’exercice de leur compétence au moyen de la propriété, les personnes publiques disposent du privilège de pouvoir mettre en œuvre leurs droits de puissance publique afin 49 Laquelle semble au demeurant des plus organiques si l’on en juge par le rôle fondamental que jouent les notions de contrôle et d’influence des personnes publiques dans les qualifications d’entreprise publique, d’organisme de droit public. Les catégories fonctionnelles du droit de l’Union européenne supposent autant l’élément organique que les catégories fonctionnelles du droit public français. C’est là une confirmation qu’il s’agit là d’une donnée consubstantielle de la conception libérale de l’État de droit dans lequel l’action de l’État et de ses démembrements doit avoir une unité organique pour que la société conserve son indépendance et son autonomie. 461 d’acquérir par le voie de l’expropriation les biens nécessaires à leurs activités administratives50. Cette prérogative constitue donc un instrument de l’action publique du point de vue de la personne publique qui en appelle la mise en œuvre. Toujours du point de vue de cette personne, les intérêts qui seront invoqués pour y faire échec sont donc des obstacles à l’exercice de sa compétence. La mise en balance de l’intérêt de la compétence exercée et des intérêts opposables à cet exercice est un approfondissement fondamental dans le contrôle des activités administratives, et en l’espèce de l’addition par voie de contrainte d’un bien immobilier à un fonds administratif. Il faut distinguer alors entre l’intérêt invoqué ne relevant pas de l’exercice d’une autre compétence (a) et l’intérêt invoqué relevant d’une compétence dont l’exercice entre en collision avec la compétence ayant justifié le recours à la procédure d’expropriation (b). Le premier cas confronte l’action publique au moyen de la propriété, à la sphère privée. Le second est un conflit interne à l’ordre juridique partiel du droit public, mettant en conflit deux compétences concurrentes impliquées dans une même opération patrimoniale. a) La théorie du bilan mettant en balance l’intérêt d’un fonds administratif et les intérêts opposés par la sphère privée à son développement 510. La décision Ville Nouvelle Est a établi le principe selon lequel « une opération ne peut être légalement déclarée d'utilité publique que si les atteintes à la propriété privée, le coût financier et éventuellement les inconvénients d'ordre social qu'elle comporte ne sont pas excessifs eu égard à l'intérêt qu'elle présente » 51 . Le bilan permet d’opposer d’une part les intérêts qui sont invocables contre l’accomplissement de l’action administrative aux intérêts qui sont invocables à l’appui de la volonté de l’administration. Les règles dont le bénéfice assure la primauté de ces derniers intérêts sont notamment celles qui ont pour objet l’exercice de sa compétence par la personne publique. L’affaire Notre-Dame-des-Landes offre l’illustration d’une conciliation des règles ayant pour objet l’exercice de sa compétence par la personne publique avec les règles ayant un autre objet, en l’espèce le droit de l’environnement. L’utilité publique du projet a été déclarée par le décret du Premier ministre du 9 février 200852. Le 31 juillet 2009, le Conseil d’État rejette un premier recours contre ce décret, justifiant le projet par « la saturation des capacités de l'aéroport de 50 Cf., supra. CE, 28 mai 1971, Ville Nouvelle Est, n° 78825, GAJA, 19e éd., n° 84, p. 586. 52 Décret du 9 février 2008 déclarant d'utilité publique les travaux nécessaires à la réalisation du projet d'aéroport pour le Grand Ouest - Notre-Dame-des-Landes et de sa desserte routière et emportant approbation des nouvelles dispositions des plans locaux d'urbanisme des communes de Fay-de-Bretagne, Grandchamp-des-Fontaines, Notre-Dame-desLandes, Treillières, Vigneux-de-Bretagne dans le département de la Loire-Atlantique, JO n° 0035 du 10 février 2008, p. 2503. 51 462 Nantes-Atlantique et par la nécessité de répondre à la croissance du trafic aérien ; qu'il s'inscrit également dans un cadre plus général visant à favoriser le développement économique du Grand Ouest, à améliorer l'aménagement du territoire et à développer les liaisons aériennes nationales et internationales »53. Le contrôle du bilan intervient après vérification de l’intérêt général du projet 54 et la nécessité de l’expropriation pour mener à bien l’opération 55. Le contrôle opéré dans l’espèce, qualifié par Agathe Van Lang d’expéditif, s’inscrit dans « la ligne jurisprudentielle classique n'aboutissant qu'exceptionnellement à la censure des ouvrages d'envergure nationale ou régionale »56. Il y a donc un premier élément de hiérarchisation qui apparaît entre les missions ayant une portée particulièrement locale et celles qui relèvent d’un intérêt d’ordre national ou même régional. René Hostiou fait d’ailleurs état d’un cas où le Conseil d’État avait annulé l’opération relative à un aérodrome de bien moindre importance mais initié par une commune 57. Surtout, il nous semble que dans un tel litige, il y a de la part du Conseil d’État une volonté de faire prévaloir les intérêts invoqués par l’Administration sur ceux invoqués par les requérants. Cela témoigne de ce que l’exercice de la compétence peut vaincre l’obstacle érigé par un intérêt pourtant consacré par l’État lui-même. Cet intérêt peut avoir une valeur constitutionnelle, comme l’intérêt invoqué sur la base de la Charte de l’environnement, cela ne lui conférera pas nécessairement une force suffisante pour s’opposer à un projet dont l’intérêt est manifestement d’un autre ordre, aucun principe constitutionnel n’étant menacé si l’aéroport n’est pas construit. Par ses arrêts du 27 janvier 2010 58 et du 17 octobre 2013, le Conseil d’État 59 fait à nouveau application de la théorie du bilan pour apprécier la légalité de la déclaration d’utilité publique et rejette notamment l’argument tiré de la Charte en raison de l’antériorité du décret 53 CE, 31 juillet 2009, AIPA et a., n° 314955. Il s’agit de l’hypothèse classique de détournement de pouvoir, par exemple l’adoption d’une nouvelle déclaration d’utilité publique n’a pour seul but que d’empêcher les anciens propriétaires de mettre en œuvre le droit de rétrocession, CE, 12 mai 2004, Dpt des Alpes Maritimes et min. Equip., n° 253586, Rec., tables, p. 572 ; JCP A, 2004, p. 1713 note Ph. Billet. 55 CE, 19 oct. 2012, Commune de Levallois-Perret, n° 343070, AJDI, 2013, p. 16, chron. S. Gilbert ; RDI, 2012, p. 617, obs. R. Hostiou ; AJCT, 2013 ? p. 102, obs. R. Grand ; AJDA, 2012, p. 1982, note Jégouzo. 56 Agathe Van Lang, « Le projet d'aéroport de Notre-Dame-des-Landes à l'épreuve de la compensation écologique – et inversement », DA, 2013, étude 16. Voir aussi, déjà en ce sens, André Holleaux, « La jurisprudence du bilan », RA, 1980, p. 593. L’auteur percevait déjà le fait que « le Conseil d’État est moins assuré lorsque des valeurs nouvelles sont en jeu. Il a alors tendance à privilégier les besoins classiques », p. 603. 57 CE, 26 oct. 1973, Grassin, AJDA, 1974, p. 34, note J. K. Dans un arrêt le contrôle d’opportunité se confond presque avec le contrôle opéré. CE, 24 juill. 1987, Min. int. c. Époux Denis, n° 66080, Rec., p. 281 : « si la commune fait état de ce qu’elle désire attirer une population nouvelle pour assurer son développement et maintenir certains services publics et privés, il n’est pas établi par les pièces du dossier ni même allégué que ce projet de lotissement fasse partie d’une opération d’ensemble destinée à atteindre ces objectifs et réponde à un besoin exprimé de logements dans cette commune de 370 habitants, qui compte d’ailleurs une quinzaine de logement vides ». 58 CE 27 janv. 2010, Commune de Vigneux-de-Bretagne, Communauté de communes d'Erdres et Gesvres, n° 319241. 59 CE, 17 oct. 2013, Collectif des élus qui doutent de la pertinence de l'aéroport de Notre-Dame-des-Landes, n° 358633, AJDA, 2013, p. 2056, note M.-C. de Montecler ; René Hostiou, « La notion d'utilité publique à l'épreuve du contentieux de l'aéroport de Notre-Dame-des-Landes », AJDA, 2013, p. 2550. 54 463 sur celle-ci. En l’espèce, le juge privilégie à l’enjeu environnemental celui du développement économique, tout en préservant les apparences quant au contrôle d’opportunité60. Cette dernière est alors renvoyée au contrôle politique exercé par les citoyens sur leurs élus. Il y a donc là une confortation entre l’action publique cherchant à augmenter le fonds administratif exploité et la sphère privée qui s’y oppose. Il arrive que deux fonds administratifs soient mis en cause par une opération d’expropriation. La théorie du bilan s’inscrit alors dans le seul ordre juridique partiel du droit public. b) La théorie du bilan mettant en balance les intérêts divergents de deux fonds administratifs impliqués par l’opération d’expropriation 511. Dans une affaire liée au projet de la ville de Lille d’étendre le stade de Grimonprez- Jooris, l’équilibre fut en défaveur de l’exercice par la personne publique de sa compétence. Prévalut, en l’espèce, la protection des monuments historiques, en l’espèce la protection de l’aspect de la citadelle de Lille contre l’atteinte qui lui porterait l’extension prévue. Le Conseil d’État61 valide ainsi l’analyse des juges de la Cour administrative d’appel de Douai, lesquels ont souverainement apprécié que « la construction projetée était visible en même temps que plusieurs édifices classés au titre des monuments historiques ou inscrits à l'inventaire supplémentaire des monuments historiques dont, notamment, deux des édifices classés de la Citadelle, la demi-lune Sainte Barbe et le Grand Carré, situés à proximité immédiate du stade de Grimonprez-Jooris ». Sur la base de cette appréciation, c’est encore à bon droit que les mêmes juges ont constaté une erreur manifeste d’appréciation commise par le ministre chargée de la protection des monuments historiques après avoir tenu compte du réaménagement des abords de la citadelle qu’invoquait la ville pour compenser l’atteinte ainsi constatée. Le stade est l’objet de l’exercice de sa compétence par la ville de Lille qui voit un intérêt public à augmenter la capacité d’accueil du stade sportif. Cependant, l’intérêt invoqué à l’encontre de l’action envisagée est également un intérêt public, consacré par la loi du 31 décembre 1913 que codifie le code du patrimoine. Le projet de la ville sur son bien est alors mis en échec par la disposition invoquée. Le stade enjeu du litige sera finalement rasé en 2010. La légalité de la propriété publique n’échappe donc pas à la conciliation qu’il convient d’opérer entre les intérêts publics que poursuit immédiatement l’administration par une action donnée, et les intérêts publics, qu’à défaut de poursuivre en ce cas, elle se doit de considérer. Le premier 60 André Holleaux faisait de même référence à un projet de base nautique sur un site mis en danger par l’afflux de population qui en résultera mais validé par le juge administratif, CE, 1 er fév. 1980, Bodin & Marzat, n° 9712. 61 CE, 28 déc. 2005, Ville de Lille, n° 284863. 464 bilan est donc celui de l’administration elle-même. Le second est celui du juge sous l’impulsion des requérants et en fonction des arguments des parties. 512. Les deux affaires précédemment évoquées montrent que l’exercice des compétences peut prévaloir ou non lorsqu’on lui oppose des intérêts qui, bien que reconnus légitimes par les pouvoirs publics en tant que jurislateurs, n’ont pas été intégrés comme des finalités de l’action publique elle-même. Un dernier cas doit être évoqué pour faire apparaître la complexité du droit administratif applicable aux personnes publiques. Il s’agit de la confrontation de deux compétences dont l’exercice est en cause. En effet, dans l’affaire Société civile Sainte-Marie de l’Assomption 62 sont en cause deux activités administratives. Il s’agit en d’autres termes de la confrontation de deux fonds administratifs, celui de la ville de Nice et de celui de l’établissement psychiatrique. La première, souhaitant aménager une bretelle d’autoroute, accomplissait sa mission de développer les infrastructures dans le but de permettre le développement urbain, touristique et économique. Le second accomplissait une mission participant du service public de santé. Or, le Conseil d’État a estimé que, en l’espèce, la bretelle et l’échangeur projetés nuiraient à la tranquillité des malades, usagers de l’établissement par ailleurs surchargé. Ce n’est donc pas un intérêt privé opposé à l’action publique qui lui impose une limite, mais une compétence qui prévaut sur une autre. Ici, le Conseil d’État arbitre entre deux fonds administratifs, faisant prévaloir le service public de la santé et l’intérêt de ses usagers sur le développement des transports et du tourisme défendus par la ville de Nice. 513. L’exercice des compétences est donc autant fondé que régi par un droit toujours public. Les règles qui s’y incorporent ne sont pas classées en fonction de leur caractère civil ou administratif mais en fonction de leur objet par rapport à l’action administrative envisagée. Dès lors, les règles de droit civil utilisées par l’administration pour accomplir ses missions ont pour objet l’action publique à l’inverse des règles de droit administratif qui en sont une limite parfois aussi indirecte que des régimes de droit privé invocables par les requérants contre l’administration. Dans les trois cas précités, le droit public seul est en jeu parce que c’est toujours l’action publique qui est jugée. Les régimes juridiques invocables contre l’administration renvoient aux règles du droit administratif qui n’ont pas d’autre objet que d’encadrer et régir l’exercice des 62 CE Ass., 20 oct. 1972, Société civile Sainte-Marie de l’Assomption, n° 78829, Rec., p. 657 concl. Morisot ; RDP, 1973, p. 843, concl. ; AJDA, 1972, p. 576, chron. Cabanes et Léger ; JCP G, 1973, II, 17470, note Odent ; CJEG, 1973, p. 60, note Virole. 465 compétences. Les régimes juridiques qui sont invocables par l’administration, éventuellement par une autre administration comme dans le dernier cas, renvoient quant à eux aux règles du droit administratif qui ont pour objet d’assurer l’exercice de ces compétences. Or, ce dualisme interne au droit administratif ne survient que si et seulement si la personne en cause participe à l’action administrative. C’est pourquoi cela permet d’opposer les personnes publiques aux personnes privées étrangères à l’action publique. Dans le cas où ces personnes ont reçu une habilitation à exercer partiellement une compétence, l’opposition devra donc être trouvée sur un autre plan. Si le droit civil applicable aux personnes publiques intègre le droit public parce que ces personnes lorsqu’elles agissent comme propriétaires exercent toujours une compétence, tel n’est pas le cas des personnes privées. Même lorsqu’elles exercent une mission de service public, leur propriété reste privée confirmant ainsi négativement le critère organique du droit de propriété public, attribut des seules personnes publiques propriétaires. 466 § 2 La propriété privée au service de l’action publique : confirmation du critère organique de la propriété publique 514. L’affectation de la personnalité publique à l’exercice des compétences a pour effet de maintenir irréductiblement une part de gestion publique au stade de la décision d’initier une opération juridique. Le droit administratif applicable aux personnes privées participant à l’action publique permet de confirmer négativement cette conclusion. En effet, si la participation d’une personne privée à l’action administrative conduit à lui appliquer certaines règles du droit administratif, on ne saurait interpréter cette application comme ayant pour effet de changer sa qualité de propriétaire privé titulaire de ce fait d’un droit de propriété privé, en un propriétaire public titulaire d’un droit de propriété public (A). Cela permet de considérer que la personnalité privée est la condition d’une véritable gestion privée, laquelle suppose donc le droit de propriété privé et s’oppose au droit de propriété public. Est ainsi confirmée la pertinence du critère organique quant à l’exercice du droit de propriété public, propre aux seules personnes publiques et fondement d’une gestion toujours publique au stade primordial de la décision d’exercer le droit63 (B). A. L’absence d’altération du droit de propriété privé par l’application du droit administratif 515. La participation des personnes privées à l’action administrative signifie que cette dernière est exercée par un sujet du droit privé, partant, régi principalement par le droit privé et relevant du juge judiciaire. Cependant, il serait difficilement admissible de ne le soumettre qu’au seul droit privé. C’est la raison pour laquelle la dévolution d’une partie de cet exercice s’accompagne de l’application de règles qui ont un objet de droit public, c’est-à-dire destinées à régir ce qui dans leur activité mérite d’être appréhendé comme l’exercice indirect d’une compétence64. On constate cependant que l’application du droit administratif ne régit jamais immédiatement l’exercice du droit de propriété privé lui-même mais intervient seulement de façon médiate (1). Ce phénomène nous semble pouvoir être fondé sur la difficulté théorique qu’il y aurait à appliquer par transparence le droit administratif des biens de manière générale aux personnes privées (2). 63 Ce qui nous conduira plus loin à démontrer qu’il n’y a pas tant d’actes détachables de la gestion (privée) du domaine privé qu’existence d’une décision administrative préalable à toute opération patrimoniale, même régie principalement par le droit privé. Cf. infra. 64 Ce qui suppose en tout premier lieu de mettre en place des mesures de contrôle d’une personne publique sur l’activité exercée, cf. en ce qui concerne la délégation par voie législative, Décision n°2003-480 DC du 31 juillet 2003, Loi relative à l’archéologie préventive. 467 1) L’application indirecte du droit administratif à l’activité des personnes privées propriétaires 516. Les notions matérielles du droit administratif n’ont généralement pas d’autre objet que de permettre la soumission des personnes privées au droit initialement prévu pour régir l’exercice des compétences des personnes publiques. Il en va ainsi des règles qui régissent les pouvoirs publics envisagés dans leur dimension essentielle d’élément de l’État – appareil de gouvernants. Une personne privée peut ainsi voir ses comportements appréhendés en termes de violation d’une liberté fondamentale contestée par l’introduction d’un référé-liberté65. Il en va ainsi, dans le même sens, de la catégorie d’organisme de droit public qui permet de soumettre certaines personnes privées aux règles de mise en concurrence de la commande publique ou aux règles relatives aux aides d’État66. La qualification de service public, plus particulièrement, constitue la catégorie matérielle fondamentale par laquelle s’ajouteront aux règles de l’ordre juridique privé des règles de droit administratif. Or, si cette application du droit administratif aux personnes privées se rapporte parfois à leur qualité de propriétaire, le mécanisme est toujours indirect en ce qu’il ne porte jamais sur l’exercice général de son droit de propriété par la personne privée. Le moyen le plus indirect d’atteindre le régime de la propriété est évidemment d’appliquer un certain régime à un certain bien. Le régime de l’exercice du droit de propriété sera donc spécifique, mais seulement à l’égard de ce bien particulier. Il en va ainsi par exemple d’un immeuble qualifié d’ouvrage public67 qui soumettra la personne privée propriétaire au régime de responsabilité subséquent. Dans le même sens, on peut évoquer la soumission à la loi de 1978 relativement à la communication des documents administratifs68. De tels documents pourraient être considérés comme des biens meubles dont le régime de communication porte atteinte à l’exclusivité de la jouissance que devrait y attacher le droit de propriété 69. Cependant, là encore, seul le bien peut être considéré comme « publicisé » d’une façon ou d’une autre. Le droit de propriété de la personne privée n’est altéré qu’à l’égard de ce bien particulier si bien que, par principe et de manière générale, le droit dont elle dispose sur ces biens demeure absolument le droit de propriété privé. L’article L.521-2 du Code des juridictions administratives incluant dans son champ d’application les organismes de droit privé chargés de la gestion d'un service public. 66 Voir, par exemple, Michaël Karpenschif, « Pouvoirs adjudicateurs, unités opérationnelles, centrales d’achat et entités adjudicatrices : évolutions ou révolution ? », CMP, juin 2014, étude n° 5. 67 Cf. infra les analyses consacrées spécifiquement à la notion d’ouvrage public. 68 Loi n° 78-753 du 17 juillet 1978 portant diverses mesures d'amélioration des relations entre l'administration et le public et diverses dispositions d'ordre administratif, social et fiscal. L’application ou non de cette loi était l’enjeu juridique concret de l’arrêt APREI où la demande portait précisément sur la communication de documents. 69 Cf. infra pour l’analyse du régime des données publiques qui prolonge cette réflexion. 65 468 517. Les régimes applicables aux biens privés affectés à l’utilité publique sont également des régimes relevant de la propriété du droit public qui viennent s’ajouter au régime de la propriété du droit privé qui constitue le droit commun de leur activité. Il en va ainsi en matière de concession de service public, et notamment la division entre biens de retour, de reprise et biens propres et, surtout, dans la possibilité de constituer des biens de retour, mais appropriés par la personne privée le temps de la concession 70 . Lorsque le concessionnaire est une personne privée, il ne peut avoir sur les biens qu’il possède qu’un droit de propriété privé, fondé sur sa capacité. Cependant, la prérogative qu’il exerce sur les biens de retour et de reprise doit être différenciée. On peut considérer que le concessionnaire dispose d’un droit de propriété fiduciaire sur ces biens qui feront retour de plein droit à la personne publique, ou le pourront seulement si elle lève l’option d’achat. Les biens du concessionnaire, qu’il s’agisse de biens de retour ou de biens de reprise, sont l’objet d’un droit de propriété privé mais dont l’exercice est encadré par l’affectation de ces biens à l’activité. Leur incorporation dans un fonds administratif, dont la gestion seulement est confiée au délégataire, les voue à l’appropriation publique tant que la personne publique assume l’activité. Il en va de même des régimes plus récents nés de la transformation en personnes privées d’établissements publics et des conséquences qu’en a tiré le législateur à l’égard de leurs biens ainsi devenus objets d’une propriété privée. Le régime spécifique élaboré pour La Poste 71 , France Telecom 72 ou Aéroport de Paris 73 n’autorisent pas plus que l’exemple précédent à considérer que ces personnes ont sur les biens concernés par le régime un droit, de nature différente de celui qu’elles exercent sur les autres biens. Si l’indisponibilité du bien est une forme d’incapacité circonscrite à l’égard de ce bien du point de vue de son propriétaire, il ne s’agit que du régime de la propriété et non de la propriété en tant que régime. Si la personne est privée, son régime d’appropriation est la propriété privée, non la propriété publique. Il y a donc affectation du droit de propriété par le droit public, donc inscription de la personne privée dans l’action administrative. Il n’y a pas modification de sa nature de personne privée ni mutation de son droit de propriété en droit subjectif public. On voit que la propriété publique et privée du point de vue organique se distingue uniquement par la personnalité publique ou privée, tandis que la propriété publique ou privée du point de vue fonctionnel repose sur une autre logique, celles des fonds administratifs. Si elle 70 CE Ass., 21 déc. 2012, Commune de Douai, n° 342788, pour une analyse détaillée cf. infra chapitre suivant. Après le déclassement opéré alors que La Poste était confirmée comme Établissement public à caractère industriel et commercial (Loi MURCEF n° 2001-1168 du 11 déc. 2001), les biens concernés sont devenus la propriété privée de la société de droit privé qu’est devenue La Poste à la faveur de la loi n° 2010-123 du 9 fév. 2010. 72 Loi n° 96-660 du 26 juill. 1996. 73 Loi n° 2005-357 du 20 avril 2005. 71 469 suppose l’intervention préalable d’une personne publique dont la compétence sera partiellement exercée par la personne privée, l’application à cette dernière de règles spéciales supposera toujours l’intervention d’un élément matériel, qu’il s’agisse d’une catégorie juridique ou d’un texte entraînant leur application. Cette analyse se confirme si l’on envisage l’éventualité d’une application des règles de la propriété publique par transparence aux personnes privées. 2) L’inapplicabilité par transparence de la propriété publique aux personnes privées 518. La délégation, par une personne publique, de l’exercice d’une activité relevant de sa compétence, n’a pas pour effet de transférer à une personne privée le régime applicable au droit de propriété. Le cas le plus extrême d’une personne « fictivement » privée est celui de l’association transparente. Or, l’objet du recours à une telle pratique est parfois des plus discutables « lorsqu’il vise purement et simplement à contourner les réglementations contraignantes propres à la gestion publique » ce qui concerne notamment les droits de la commande publique, de la comptabilité publique et de la fonction publique74. Si l’on s’attache à l’étude plus précise des conséquences d’une telle qualification par le juge, il n’y a aucune raison pour que la substitution de la personne publique à l’association transparente ne s’étende pas aux biens de cette dernière comme c’est d’ailleurs le cas des deniers publics, du fait de l’application du régime de la gestion de fait75. C’est ce que relève Norbert Foulquier lorsqu’il aborde la question de l’extension de la jurisprudence Commune de Boulogne-Billancourt76 qu’il transpose comme suit : « lorsqu'une personne privée est créée à l'initiative d'une personne publique qui en contrôle l'organisation et le fonctionnement et qui lui procure l'essentiel de ses ressources, cette personne privée doit être regardée comme transparente et les biens qu'elle détient sont des biens publics soumis au Code général de la propriété des personnes publiques »77. Les réserves qu’émet l’auteur sont tirées du fait que la propriété est consubstantielle de la personnalité et que, transparente, l’association n’en existe pas moins en tant que personne juridique. Ainsi « l'acceptation du domaine public transparent implique(rait) donc de se défaire des conséquences habituellement attachées à la propriété et de s'abstraire de la règle selon laquelle le droit de propriété est, en principe, une des causes essentielles de l'imputation des actes et des actions » 78 . Une association qui sera reconnue 74 Charlotte Denizeau, « Associations », J.-Cl. Administratif, fasc. n° 115, 28 février 2008. Hervé Gisserot, « Associations et gestion de fait », EDCE, 2000, n° 51, pp. 381-391. 76 CE, 21 mars 2007, Cne de Boulogne-Billancourt, n° 281796 : « Considérant que lorsqu'une personne privée est créée à l'initiative d'une personne publique qui en contrôle l'organisation et le fonctionnement et qui lui procure l'essentiel de ses ressources, cette personne privée doit être regardée comme transparente et les contrats qu'elle conclut pour l'exécution de la mission de service public qui lui est confiée sont des contrats administratifs ». 77 Norbert Foulquier, « Le domaine public transparent », Mélanges Fatôme, Dalloz, 2011, p. 144. 78 Ibid., p. 146. 75 470 transparente pourra donner lieu à l’application de la gestion de fait de deniers publics 79 lesquels ne sont là encore que certains biens particuliers. On peut par ailleurs considérer que ce régime juridique s’applique en ce cas moins à l’association qu’à ses dirigeants, qui seront en tant que personnes juridiques et non organes soumis à la gestion de fait 80. Cela signifie qu’une personne privée sera toujours une personne privée, de ce fait titulaire d’un droit de propriété privé. Plus fondamentalement encore, l’inapplication de la propriété publique par transparence ou à la suite d’une délégation de service public démontre que l’une des manifestations fondamentales de la distinction des personnes juridiques est bien la propriété qui leur est attribuée. La personnalité privée et la propriété privée sont consubstantielles comme la personnalité publique et la propriété publique. La première exerce un droit fondé sur une habilitation neutre qu’est la capacité, éventuellement inscrite dans un second temps dans l’action publique. La seconde en revanche, exerce un droit fondé sur une compétence qui est ab initio une habilitation à agir en tant qu’acteur public. De là certaines conséquences qui nous ont conduit à démontrer l’impossibilité d’une gestion totalement privée par les personnes publiques. Si les personnes publiques agissent toujours, même à un titre très résiduel, dans le cadre de la gestion publique, la véritable gestion privée des activités publiques est par conséquent possible uniquement par le recours à la personnalité privée. Il y a évidemment une certaine instrumentalisation qui est faite de la personnalité privée qui permet ainsi de s’affranchir des contraintes de la propriété publique. Cela confirme surtout qu’à la summa divisio des personnes correspond la summa divisio des droits de propriété. B. La personnalité privée : seule possibilité d’une véritable gestion privée dans l’exercice d’une compétence 519. La personnalité privée en tant que support de l’action administrative ne peut, au vu de l’applicabilité du droit administratif qui se maintient malgré ce statut juridique, être considérée comme un moyen d’échapper absolument aux règles du droit public. Cependant, le fait que l’application du droit administratif ne suive pas la délégation de l’exercice d’une compétence en ce qui concerne le droit de propriété permet de nuancer le propos sur ce point particulier. La personnalité privée aurait ainsi pour fonction essentielle d’écarter la propriété publique, 79 Jean-Luc Albert, Luc Saïdj, Finances publiques, Dalloz, 8e éd., 2013, n° 197 p. 210 : « L'exemple devenu le plus classique de ces deux situations [de gestion de fait] est constitué par l'association, généralement contrôlée par des administrateurs (« association transparente ») qui la subventionnent (quelquefois en déguisant l'objet réel de ces « subventions fictives ») ou la chargent d'encaisser puis d'utiliser certaines recettes normalement destinées à la collectivité publique, opérations qui peuvent entraîner pour l'ensemble des intéressés de sérieuses conséquences ». 80 L’affaire Cne de Boulogne-Billancourt a ainsi eu des suites pénales à l’encontre des dirigeants de l’association, Cass. crim., 7 nov. 2012, n° 11-82.961, Bull. crim., 2012, n° 243. 471 confirmant d’une part que la véritable gestion privée est la gestion par une personne privée, et d’autre part que cela ne peut s’expliquer qu’en raison du caractère absolu du critère organique de la propriété publique (a). Si cela confirme donc négativement la conclusion dégagée en première partie que les personnes publiques connaissent toujours une part irréductible de gestion publique, cela permet d’en déduire comme corollaire que l’intégralité du droit qui leur est applicable, quelle qu’en soit la source, s’incorpore à leur habilitation, leur compétence et partant le droit public (b). 1) La personnalité privée comme condition de la gestion privée : confirmation du critère strictement organique de la propriété publique 520. Identifié par son rapport immédiat à l’exercice des compétences, l’exercice du droit de propriété s’appréhende différemment selon qu’il s’applique aux personnes publiques et aux personnes privées. En effet, dans le premier cas, il est régi par la compétence de la personne publique qui en constitue l’habilitation, d’où l’affectation de la personnalité publique à l’action publique. Les personnes publiques voient leur activité de propriétaire régie exclusivement par le droit public nonobstant la mixité des règles du point de vue de la distinction du droit privé et du droit administratif. En revanche, une personne privée est qualifiée telle en raison de l’absence de régime juridique spécifique déductible de sa qualité avant la prise en compte de son statut particulier. La première partie a fait apparaître que la participation des personnes privées à l’exercice d’une compétence suppose toujours la volonté d’une personne publique, ce qui garantit l’unité organique de l’ordre juridique public81. La portée de cette unité serait absolue si ce rattachement organique avait pour effet de faire du droit public le droit objectif de ces personnes privées, dès lors « fictivement » privées, formellement de droit privé mais matériellement de droit public. Évidemment, cela ruinerait l’intérêt pratique de l’intervention des personnes privées qui tient pour partie en la possibilité de réaliser l’action publique par l’utilisation du droit privé. Il y aurait en somme confusion entre la notion d’organisme public et celle de personne publique. C’est la raison pour laquelle une personne privée reste une personne privée quand bien même elle se voit confier une activité liée à une compétence d’une personne publique. C’est la raison pour laquelle, en ce qui concerne la propriété, celle-ci reste privée quand bien même la personne privée jouit et dispose de ses biens dans le cadre d’activités liées à une compétence publique. Une société publique locale, par exemple, est un propriétaire privé parce qu’elle est 81 Cf. supra. 472 une personne privée titulaire d’un droit de propriété privé, celui que lui attribue l’article 544 du Code civil. Le CG3P ne lui est évidemment pas applicable. Une personne privée, sujet du droit privé, est toujours titulaire d’un droit de propriété privé. C’est donc par un effet de perturbation que le droit public s’intègre à la capacité des personnes privées et conduit à l’application du droit administratif, lequel constitue par conséquent le seul élément de la propriété publique applicable aux personnes privées. Cela justifie de considérer que la notion juridique de propriétaire public ne correspond pas, juridiquement, aux personnes privées intervenant dans l’action administrative, même si les biens dont elles ont la propriété ou la maîtrise sont au service de cette action. Les personnes publiques seules sont des propriétaires publics au sens du droit positif parce qu’elles seules sont titulaires d’un droit de propriété public. Le critère organique est de ce fait confirmé quant à son sens, à savoir déterminer l’exercice d’un droit de propriété public ou d’un droit de propriété privé, et sa portée, limitée aux seules personnes publiques et exclusif de toute personne privée, même « fictivement » privée. C’est tout l’objet de la fiction en cause que d’écarter la propriété publique au sens organique. Ce n’est que par certaines procédures dérogatoires de cession ou de disposition, et principalement à travers un régime spécifique à certains biens, que le droit administratif s’applique au rapport d’appropriation des personnes privées intervenant dans l’action publique82. L’analyse, sans doute, pourrait être transposée à d’autres actes et situations juridiques des personnes privées exerçant des missions de service public, le service public organique devant bien être réservé aux seules personnes publiques. Cela confirme aussi l’idée que nous défendons de réserver la notion de compétence non seulement au droit public, mais aux personnes publiques qui seules les assument, n’en déléguant qu’au plus une part de l’exercice à des personnes privées amenées à assurer certaines missions ainsi dévolues. 2) L’incorporation des règles de droit privé à la compétence des personnes publiques, manifestation de la part irréductible de gestion publique 521. L’idée essentielle qu’il faut rejeter est celle d’un dédoublement de la personnalité juridique entre une personnalité publique et une personnalité privée 83. Lorsque deux personnes Par ex., Benoît Plessix, « L’éternelle jouvence du service public », JCP A, 24 oct. 2005, 1350, n° 1 : « le droit français, à l’égard de ses anciens établissements publics privatisés en sociétés commerciales, est en train de créer des propriétés privées fiduciaires grevées d’une servitude légale d’affectation au service public, emportant une série de règles dérogatoires aux prérogatives que confère en principe la propriété privée », propriété privée dont sont donc bien titulaires les personnes privées en question. 83 Qui était celle des auteurs du XIX e siècle et qui recoupait largement les binômes autorité-gestion, puissancepatrimoine, domaine public-domaine privé. 82 473 publiques concluent entre elles un contrat qui ne fait naître que des rapports de droit privé, le contrat est privé et le juge compétent le juge judiciaire 84 . Cela n’a pas pour effet de « transmuter » les deux parties en personnes privées et faire sortir la situation de l’ordre de l’action publique, de l’ordre juridique partiel du droit public. Cela rejoint la proposition que nous faisons d’une véritable affectation de principe à l’exercice d’une compétence en vertu de laquelle une personne publique est soumise à une légalité particulière. Toute opération juridique se compose d’une décision administrative qui précède l’acte d’exécution qui sera éventuellement privé. L’intégralité de l’activité juridique d’une personne publique est la concrétisation de sa compétence. Celle-ci n’est pas pour elle qu’un simple but ou un ensemble de missions. Elle est son habilitation de droit objectif à être sujet de droit et cette habilitation inscrit cette personne et son activité juridique dans le droit public. Il faut considérer de la même manière le droit administratif et le droit privé applicables aux personnes publiques dans le cadre de leur activité de propriétaire. Qu’un bien soit l’objet d’un acte de droit privé n’autorise pas à lui retirer sa qualité de bien public et le considérer comme un bien privé. Un bien est public dès lors qu’il appartient à une personne publique. Une personne publique propriétaire d’un bien soumis à un régime de droit privé n’en devient pas pour autant un propriétaire privé. Au mieux, elle a agi avec l’apparence d’un propriétaire privé. On va voir par ailleurs que le droit privé qui s’applique aux personnes publiques est très souvent interprété par le juge d’une manière telle que l’on peut parler d’un droit privé administratif. Une personne publique, malgré le régime de droit privé a priori applicable, demeure toujours un sujet du droit public ce dont le juge, y compris judiciaire, tient compte à maints égards. Une personne privée, parce qu’elle demeure inscrite dans le seul droit privé en raison de son habilitation qui est une capacité, ne sera donc qu’indirectement intégrée à l’action publique et ainsi soumise au droit public. C’est en cela que nous proposons d’y voir une superposition de la compétence à la capacité et la coexistence qui en résulte au sein du droit applicable à ces sujets de droit hybrides. 84 TC, 21 mars 1983, UAP, n° 02256, Rec., p. 537. 474 Section 2 L’intégration du dualisme juridictionnel à l’ordre juridique partiel du droit public régissant les fonds administratifs 522. L’existence de deux ordres de juridiction et d’un Tribunal des conflits organisant la répartition des contentieux entre eux est une donnée fondamentale du droit français, du droit public français, faut-il dire. Si Didier Truchet ne se lasse pas de plaider pour la réunion des juridictions, il faut en effet insister sur le fait qu’il ne s’agirait en rien, y compris pour cet auteur, d’une dilution du droit public dans le droit privé. Au contraire, l’auteur considère que « l'idée de règles spéciales pour l'administration sera d'autant mieux admise que cette dernière n'aura plus son juge, entendu comme un ordre juridictionnel propre »85. Le dualisme juridictionnel est donc de ce point de vue une donnée distincte de l’existence d’un droit des activités administratives qui réponde à leurs nécessités particulières. On laissera de côté la question de l’unification qui ne saurait être qu’une proposition de réforme. On défendra cependant que le dualisme juridictionnel ne se confond pas, loin s’en faut, avec la coexistence de deux ordres juridiques partiels qui est fondée, elle, sur un principe fondamental de séparation de la sphère publique et de la sphère privée. Le dualisme juridictionnel doit, comme le dualisme juridique, être intégré comme une donnée interne au droit public qui fonde et régit l’exercice de leur compétence par les personnes publiques propriétaires. Si la question se pose d’une unification au profit du juge administratif du contentieux impliquant les personnes publiques propriétaires, c’est une question de pure technique juridique dont la réponse fera varier le régime de la propriété publique mais non son autonomie et par conséquent son unité. Cette dernière est confirmée tout d’abord par la relativité de la dualité domaniale comme critère de répartition du contentieux. Celui-ci demeure en effet largement de la compétence du juge administratif qui constitue donc bien le juge de principe de l’action publique, y compris en ce qui concerne l’activité des personnes publiques propriétaires 86 (§ 1). En outre, la rupture entre la compétence et le fond n’exclut pas l’application du droit administratif par le juge judiciaire tandis que l’interprétation qu’il fait des règles de droit privé tient largement compte de la spécificité du propriétaire ou du bien en cause. Cela signifie que même lorsque le régime juridique de l’action publique est confié à la juridiction judiciaire, celle-ci voit son office altéré au point de pouvoir considérer le juge judiciaire comme étant alors, par exception, un juge de l’action publique relevant par conséquent de l’ordre juridique partiel du droit public (§ 2). 85 Didier Truchet, « Plaidoyer pour une cause perdue : la fin du dualisme juridictionnel », AJDA, 2005, p. 1767. Comp. Sabine Boussard, Christophe Le Berre, Droit administratif des biens, LGDJ-Lextenso, 2014, n° 404 p. 221 : « le contentieux du domaine privé, dont la caractéristique première n’est pas l’unité sous l’égide des tribunaux judiciaires, mais bien une situation d’éclatement entre les deux ordres de juridiction ». 86 475 § 1 La relativité du dualisme juridictionnel : la compétence administrative prédominante à l’égard des propriétaires publics 523. Si à l’occasion de la gestion de son domaine privé, la personne publique est réputée agir « comme une personne privée, comme un propriétaire ordinaire dans les conditions du droit commun »87, elle ne l’est cependant jamais et demeure donc toujours, derrière la fiction 88, une personne de droit public 89 . C’est la raison pour laquelle le critère de la domanialité privée est éclipsé dès lors qu’une autre catégorie juridique a pour effet de confier la compétence du litige au juge administratif. Il en va ainsi des catégories que l’on qualifiera d’indirectes en ce qu’elles interviennent à l’occasion de la gestion du domaine privé mais sans se rapporter directement à l’exercice du droit de propriété (A). La personnalité publique induit ensuite une part irréductible de gestion publique qui caractérise directement l’exercice du droit de propriété public. Les actes administratifs d’exercice de la propriété publique sont dits détachables de la gestion du domaine privé. Il semble qu’il faille préférer comme explication que ce sont, à l’inverse, certaines opérations sur des biens du domaine privé qui absorbent ces décisions administratives et soumettent l’intégralité du litige au juge judiciaire. Le fait que les actes de gestion du domaine privé soient susceptibles ou non de recours devant le juge administratif n’est qu’une donnée secondaire qui ne doit pas déterminer leur nature véritable. Ils constituent à titre fondamental des décisions administratives des personnes publiques propriétaires, dont toute expression de volonté est, en tant qu’élément de l’action publique, fondé et régi par le droit public (B). A. Les nombreuses catégories indirectes faisant échec au critère de la domanialité privée 524. Les actes unilatéraux relatifs à la gestion du domaine privé peuvent relever de la compétence du juge administratif en raison de l’exercice qu’ils manifestent d’une prérogative de puissance publique (1), de même qu’en cas de qualification de contrat administratif (2) et d’engagement de la responsabilité administrative (3) il y aura mise en échec du critère de la domanialité privée. 87 Jean Romieu, concl. sur CE, 6 févr. 1903, Terrier, Rec. p. 94. Marine Chouquet, Le domaine privé des personnes publiques, th. Bordeaux IV, 2013, pp. 200 et s. 89 Idée que l’on rapprochera de l’appréciation du président Labetoulle, pour qui « la jurisprudence qui tire de la distinction entre domaine public et domaine privé des conséquences en termes de répartition des compétences juridictionnelles nous paraît discutable, et dépassée l’idée suivant laquelle en gérant son domaine privé l’Administration se comporte comme une personne privée », concl. sur CE, sect., 17 oct. 1980, Gaillard, AJDA, 1981, p. 313. 88 476 1) La puissance publique : critère de compétence du juge administratif dans la gestion du domaine privé 525. La réserve de compétence du juge administratif en matière d’actes pris dans l’exercice de prérogatives de puissance publique trouve ici à s’appliquer 90 . Tout acte qui se rapporte à l’exercice d’un véritable droit de puissance publique conduit à l’ignorance complète de la nature de la dépendance en cause. La raison en est que les destinataires sont plus les administrés, tenus à l’obéissance, que le bien lui-même. A contrario, la Cour de cassation a jugé que l’action de l’ONF pour obtenir l’arrêt de travaux effectués par une personne privée et mettant selon elle en cause l’intégrité du domaine forestier dont il a la charge, dès lors que l’office ne met en œuvre aucune prérogative de puissance publique, n’appelle pas la compétence du juge administratif 91. En ce cas, l’office est dans la situation de simple propriétaire, et la dimension administrative de son activité est en quelque sorte absorbée par le régime de cette situation. Celle-ci appelle la compétence du juge judiciaire et l’application du droit privé, sous réserve de la part résiduelle de droit administratif évidemment. En définitive, un propriétaire privé aurait pu en faire autant sur sa propre propriété, mais il n’aurait participé alors à aucune activité administrative et serait demeuré dans l’ordre juridique partiel du droit privé, au contraire de l’ONF qui est en charge d’un fonds administratif. On est ici dans une illustration parfaite de la théorie de Romieu et d’une personne publique agissant sous l’apparence d’une personne privée, ce qu’elle n’est pas, ou sous le régime des activités privées, alors que la sienne est administrative. Dans le cas des mesures de police administrative qui peuvent être prises à l’occasion de la gestion du domaine privé, la compétence administrative s’impose92. Il en va de même des actes réglementaires qui, en principe, relèvent du juge administratif 93, ainsi que des actes relatifs à l’organisation des services publics y compris dans la mesure où le domaine privé est en cause. Un arrêt, cependant, peut relativiser la portée de cette dérogation au critère de la domanialité privée. L’arrêt Époux Campagne 94 retient la compétence du juge judiciaire pour connaître de 90 Décision n° 86-224 DC du 23 janvier 1987, Conseil de la concurrence, GAJA, 19e éd., n° 88 pp. 634 et s. Yves Gaudemet, Traité de droit administratif. Droit administratif des biens, n° 687 p. 400, qui cite notamment CE, 9 juill. 1948, Bourgade, Rec., p. 314 ; 21 avril 1972, Ville de Caen, Rec., p. 302 ; CE, 21 mars 1990, Cne de La Roque d’Anthéron, Rec., p. 74, D., 1990, inf. rap., p. 92. 91 Cass., 1ère civ., 10 avril 2013, ONF, n° 12-13.902 ; AJDA, 2013, p. 1552. 92 Un règlement relatif à la baignade est un règlement de police, CE, 28 nov. 1980, Commune d’Ardres, Rec., p. 449. De même la décision d’ouvrir un chemin rural à la circulation, CE, 13 mai 1987, Buban, n° 69724, DA, 1987, n° 389. 93 René Chapus, Droit administratif général, t. 2, n° 645, 3°. CE, 19 fév. 2003, Cne de Primelles, n° 220278. 94 CE, 27 mai 1991, Époux Campagne, n° 96591, Rec. p. 212 ; DA, 1991, n° 282, p. 682 ; RDI, 1991, p. 461 note JeanBernard Auby. 477 l’arrêté municipal interdisant l’accès à une place aux véhicules sauf autorisation 95. Pour JeanBernard Auby, la solution s’explique par le fait que l’acte a été considéré comme un pur acte de propriétaire et non comme un acte réglementaire96. En cela, il rejoint l’idée que, si la décision est d’un point de vue théorique une décision administrative, elle ne justifie pas un contentieux administratif, ce qui a conduit le juge à la rendre insusceptible de recours au profit de l’ordre judiciaire La compétence de celui-ci suffira à garantir les droits auxquels la décision pourrait éventuellement faire grief. Il faut souligner cependant qu’il y a là un acte qui, s’il était pris par une personne privée, serait juridiquement inopposable aux tiers qui n’ont pas à se soumettre à l’acte d’une personne privée interdisant l’accès à sa propriété. Elle doit se clore si elle veut se prémunir contre la présence des tiers97. Quoi qu’il en soit, le juge judiciaire est alors juge de l’action publique, et devient donc un juge d’application du droit public en tant qu’ordre juridique partiel. Le raisonnement s’applique également en matière de contrats relatifs à un bien du domaine privé. 2) Les contrats administratifs relatifs à un bien du domaine privé 526. Les contrats qui portent sur la gestion d’un bien du domaine privé, en dehors de toute autre catégorie juridique impliquant l’application du droit administratif, sont en principe des contrats de droit privé. Il faut cependant relever immédiatement que même en ce cas, le droit administratif intervient dans la mesure où il régit la compétence et les procédures, ce que le juge judiciaire considère comme d’ordre public98. Ce faisant, il intègre dans les sources du droit qu’il est chargé d’appliquer des règles de pur droit administratif, confirmant ainsi qu’il est juge de l’action publique et que le litige est inscrit dans l’ordre juridique partiel du droit public. Autrement dit, si le contrat est privé et relève de la compétence du juge judiciaire, le droit administratif fonde et régit cependant le principe même de l’existence de ce contrat. Cela constitue déjà une première confirmation de ce qu’une opération juridique d’une personne publique comporte toujours une part irréductible de gestion publique. En outre, le risque de dénaturation du contrat est grand et peut entraîner sa requalification 99. Enfin, lorsque le régime 95 La « protection » évoquée par la décision Brasserie du Théâtre renverrait notamment à cet arrêt, cf. infra. L’analyse est discutable dans la mesure où, contrairement à ce que considèrent parfois les auteurs, une personne privée ne peut pas réglementer l’utilisation de ses biens par les tiers et leur imposer unilatéralement des obligations. Cf. infra Chapitre 1er du titre 2 de la présente partie. 96 Commentaire précité, p. 461. 97 Civ. 3e, 12 juin 1991, Epx Thodoridès c. Epx Laguionie, B., III n° 171, refusant l’opposabilité aux tiers de l’interdiction de stationnement d’un règlement de copropriété, cf. supra. 98 Cass., 1ère civ., 16 janv. 2013, Cne de Portes-lès-Valence, n° 11-27.837 ; CMP, 2013, comm. 85, note Ubaud-Bergeron ; JCP A, 2013, comm. 2097, note E. Langelier. 99 Cf. Norbert Foulquier, Droit administratif des biens, LexisNexis, 2e éd., 2013, n° 272 p. 119. 478 de droit privé s’applique, les détails sont souvent l’occasion d’une résurgence du droit administratif 100 . Surtout, de nombreuses qualifications de droit administratif viennent s’appliquer et seront toujours hiérarchiquement supérieures à celle de “contrat relatif à la gestion du domaine privé”. La domanialité privée s’efface donc chaque fois que le contrat peut être administratif sur un autre fondement. Tout contrat relatif à un bien du domaine privé mais qui consacre une participation du cocontractant à un service public sera qualifié de contrat administratif et soumis au contrôle du juge administratif101. Il en va de même du contrat qui comprend une clause exorbitante du droit commun 102 , solution confirmée 103 malgré le refus de qualifier comme telle une clause de résiliation insérée dans une convention d’occupation du domaine privé 104 . Il faut ajouter l’ensemble des contrats de la commande publique en rapport avec la gestion d’un bien du domaine privé, qu’il s’agisse d’un marché public de fourniture105, de travaux106, ou de service107. Enfin, il en va ainsi de l’ensemble des contrats administratifs qui, à moins d’être innomés, sont soit constitutifs d’une délégation de service public, soit sont administratifs par détermination de la loi108. 527. En conclusion, si un contrat relatif à la gestion du domaine privé n’est pas nécessairement un contrat administratif, il faut cependant se garder de conclure qu’il est un contrat de droit privé par principe. En effet, on devrait sinon appliquer ce principe à tout acte juridique d’une personne publique qui n’est de droit administratif que s’il relève d’une catégorie qui le qualifie comme tel. Outre que l’intérêt pratique d’une telle conception est plutôt incertain, il y a là une concession parfaitement inutile à la thèse selon laquelle le droit privé est le droit commun et le droit administratif le droit exceptionnel. Lorsque les exceptions sont plus nombreuses que le principe, c’est peut-être que le principe signifie seulement que, en l’absence de toute catégorie applicable relevant du droit administratif, un contrat relatif à la gestion du 100 Voir par exemple le régime des baux ruraux qui prévoit la possibilité de clauses énonçant des contraintes environnementales insérées par la personne publique (art. R.411-9-11-1 du code rural), ou limitant le droit au renouvellement à la volonté de la personne publique de changer la destination du bien au profit d’un but d’intérêt général (art. L. 515-11 du code rural). 101 TC, 15 janvier 1979, Payan, Rec., p. 793 ; cf. Yves Gaudemet, Traité de droit administratif. Droit administratif des biens, op. cit., n° 627 p. 368. 102 TC, 1962, Consorts Cazoutets, Rec., p. 823. 103 TC, 28 mars 2011, Groupement forestier de Beaume Haie c. ONF, DA, juin 2011, n° 59, note Melleray, qui rapproche cependant la solution du critère du régime exorbitant, qui est en l’espèce la conséquence du contrat confiance la gestion de la forêt du propriétaire privé à l’ONF. 104 TC, 20 fév. 2008, Verrière, cf. Philippe Yolka, « Une peau de chagrin : la clause exorbitante dans les contrats d’occupation du domaine privé », JCP A, mai 2008, n° 2117. 105 Depuis la loi MURCEF de 2001, tous les marchés publics sont de nature administrative. 106 Y compris s’il s’agit de travaux privés, contrairement à ce qu’avait pu considérer la jurisprudence, TC, 5 juill. 1999, Cne de Sauve, n° 03142, Rec., p. 464. 107 Ainsi a été reconnu comme étant un marché de service le mandat de vente d’un bien du domaine privé TC, 14 mai 2012, SARL La musthyere c. Cne d’Egry, n° C3860. 108 Ainsi les baux emphytéotiques administratifs, art. L.2331-1 CG3P et L. 1311-1 à -4 du CGCT. 479 domaine privé est de droit privé, mais inscrit cependant dans l’ordre juridique du droit public. Cela est conforme au droit positif sans accorder à cette donnée une portée théorique qu’elle n’a pas. Elle est par ailleurs conforme à l’idée qui, elle, semble fondamentale, que le contrat par lequel une personne publique dispose d’un bien de son domaine privé est sans doute un acte de droit privé, mais qui s’inscrit dans une opération qui relève de l’exercice de sa compétence et suppose donc une part irréductible de droit public. Il s’agit toujours d’un acte inscrit dans les activités administratives et soumis à ce titre au droit public. Sans doute, cela signifie qu’il y aura une difficulté pour les personnes qui agissent dans le cadre de l’action publique, et plus particulièrement les personnes publiques, à trouver le juge compétent en ce qui les concerne. Peut-être une unification serait-elle la bienvenue. Quoi qu’il en soit, se situer dans le cadre de la gestion de fonds administratif apparaît une fois encore comme un moyen pertinent pour se représenter les choses dans le contexte du droit public sans en tirer de conclusions a priori sur le droit applicable. Il en va encore de même si l’on envisage l’engagement de la responsabilité des personnes publiques à l’occasion d’un dommage généré par un bien du domaine privé. 3) La responsabilité administrative à l’occasion d’un dommage causé par un bien du domaine privé 528. La responsabilité de la personne publique peut être engagée devant le juge judiciaire sur le fondement de la responsabilité des choses que l’on a sous sa garde109 ou en raison de rapports de voisinage 110 . Là encore cependant, la qualification de dommage imputable à un bien du domaine privé, dont une personne publique est le gardien ou le propriétaire, est une catégorie primordiale. Dès lors qu’une catégorie administrative s’y superpose, la domanialité privée s’efface. Il en ira ainsi si l’on considère que c’est moins le bien que le service public administratif qui est en cause dans le dommage. Il en va de même si l’opération effectuée sur le bien est qualifiée de travail public. Par ailleurs, si le bien est un ouvrage public, la compétence est celle du juge administratif qui applique les principes de la responsabilité administrative. 109 Cass. 2e civ., 3 mars 2011, Farcis c. Cne de Rimplas, n° 09-69.658, cité par Norbert Foulquier, Droit administratif des biens, op. cit., note 3 p. 118, qui précise qu’il s’agit d’un transfert de garde d’une falaise entre une commune et un département. 110 TC, 6 janv. 1975, Cts Apap c. État français, Rec., p. 79 ; AJDA, 1975, p. 241 note F. Moderne, à propos de dommages causés par des sangliers provenant d’une forêt domaniale ; TC, 18 mars 1991, Bartoli, n° 2639 relatif au dommage causé à une propriété privée en contrebas d’un étang relevant du domaine privé d’une commune ; Cf. Diane Roman, « Le voisinage en droit administratif des biens », in Mélanges Jacqueline Morand-Deviller, Montchrestien, 2007, p. 723 et s., dont certaines analyses sont transposables bien que l’auteur se concentre sur le seul voisinage du domaine public et de l’ouvrage public. 480 On sait d’ailleurs qu’il a pu s’inspirer de la responsabilité du fait du gardien 111 pour élaborer la théorie de la garde, applicable aux individus « gardés » et dont le comportement est dommageable112, et aux ouvrages publics pour lesquels la responsabilité des dommages causés par leur existence ou leur fonctionnement incombera au maître d’ouvrage 113, lequel pourrait ne pas être la personne publique propriétaire du bien, mais le concessionnaire ayant la charge de la gestion opérationnelle du fonds administratif. Par ailleurs, le Conseil d’État retient, dans les deux décisions relatives à l’application de la théorie de la garde aux ouvrages publics, que « les tiers peuvent rechercher, pour obtenir réparation des dommages imputables à un ouvrage public qu’ils ont subis, la responsabilité non seulement du maître de l’ouvrage mais également de la collectivité publique qui assure l’entretien de cet ouvrage »114. On voit ici que le fonds administratif, en impliquant plusieurs personnes pour son exploitation, induit un partage des responsabilités entre la personne qui met en œuvre l’activité et maîtrise l’ouvrage qui y est affecté, et la personne qui a la charge de l’entretien de cet ouvrage, généralement parce qu’elle en est le propriétaire. Dans le cas contraire, il y aurait lieu de tirer les conséquences de ce qu’un même bien est sous la garde de celui qui l’utilise pour une activité administrative, appartient à la personne qui en est le propriétaire, et est éventuellement entretenu par une troisième115. L’exonération de ce dernier de la responsabilité des dommages causés par les biens qu’il possède et son transfert à la personne qui en a la garde, parce qu’elle est en charge de l’activité auquel le bien est affecté, démontre la pertinence de concevoir la dimension patrimoniale de l’action publique selon un point de vue subjectif et dynamique, celui des personnes et de leur rôle dans les activités administratives. Dans les cas de responsabilité sans faute institués pour risque à raison d’une chose dangereuse116, d’un produit dangereux117, ou d’une arme à feu118, on peut voir autant de régimes 111 Inaugurée à partir de l’article 1384 al. 1 er du Code civil par l’arrêt Jand’heur (Ch. Réunies, 13 fév. 1930, S.1930.1.121 note Esmein. Le Conseil d’État avait fait application de la même logique pour exonérer le propriétaire d’un véhicule volé ayant causé un dommage constitutif d’une contravention de grande voirie, CE, 5 juill. 2000, ministre de l’Équipement c. Chevallier, Rec., p. 294 ; AJDA, 2000, p. 857, chorn. M. Guyomar et P. Collin. 112 CE, 11 février 2005, GIE Axa Courtage, Rec., p. 45 ; RFDA, 2005, p. 595, concl. Devys, note Bon ; AJDA, 2005, p. 663, chron. C. Landais et F. Lenica ; D., 2005, p. 1762, note F. Lemaire ; AJ Pénal, 2005, p. 198. 113 Il s’agit de deux décisions du 3 mai 2006 (2 espèces), Ministre de l’écologie et du développement durable, Commune de Bollène et autre, n° 261956, 262041 et Commune de Bollène, Syndicat intercommunal pour l’aménagement et l’entretien du réseau hydraulique du Nord Vaucluse, n° 262046 : « Considérant que le maître d’ouvrage est responsable, même en l’absence de faute, des dommages que les ouvrages publics dont il a la garde peuvent causer aux tiers en raison tant de leur existence que de leur fonctionnement ». 114 Solution déjà envisagée dans l’avis CE, 26 fév. 2003, Courson, tables, p. 982 ; CJEG, 2003, concl. C. Maugüé et de l’arrêt qui suivit, CE, 27 juill. 2005, Courson, table, p. 1094. 115 Défendant l’idée que « la garde pourrait justifier que la responsabilité de la personne chargée de l’entretien de l’ouvrage puisse être également recherchée au même titre que celle du propriétaire », Maryse Deguergue, « La garde dans les dommages de travaux publics », note sous les deux décisions précitées, AJDA, 2007, p. 208. 116 CE, 28 mars 1919, Regnault-Deroziers : l’explosion survenue le 4 mars 1916 était due à la manutention des explosifs, bombes et grenades, stockés dans le fort de la Double-Couronne depuis 1915. Autrement dit, le dommage était dû à ces biens qui faisaient partie du domaine privé de l’État. Si le fort appartenait sans doute au domaine public, la théorie de l’immobilisation par destination ne s’applique guère en droit public et les explosifs étaient donc bien des éléments du domaine privé. 481 de responsabilités qui écartent la qualification pourtant également exacte d’un point de vue théorique, de “responsabilité pour dommage occasionné par un bien du domaine privé”. Il y a là encore manifestation que, domaine public ou privé, le bien est envisagé dans son état statique alors qu’il semblerait plus pertinent de situer dans la perspective dynamique de l’utilisation qui en est faite par la personne qui exploite le fonds administratif. Ce n’est que lorsque la situation est statique, que la personne est envisagée pour ce qu’elle est, propriétaire, que la compétence est déterminée, abstraction faite de l’activité en cause. Lorsque le Conseil d’État considère « qu’il n’appartient qu’aux tribunaux de l’ordre judiciaire de connaître de la responsabilité encourue par une commune dans la gestion de son domaine privé »119, cela signifie que la situation juridique en cause peut tout à fait être réglée en faisant abstraction (fictive) de ce qu’il y a nécessairement exercice d’une compétence. C’est là encore le principe d’un choix, dans le cadre du droit public, d’une application du droit civil comme étant une solution adéquate de réalisation de l’État de droit, préférable à l’application du droit administratif. 529. L’effet de la domanialité privée s’arrête donc dès l’instant où l’opération s’écarte du strict rapport du propriétaire à son bien et de la « cause » juridique étroitement réduite à une simple question de propriété. Selon Yves Gaudemet, la raison du principe selon lequel la domanialité privée implique compétence du juge judiciaire et application du droit privé, « est que ce contentieux porte sur des questions qui touchent au droit de propriété, sous ses différents aspects, peu important que, en la circonstance, le propriétaire soit une personne publique » 120 . Dès lors que cela importe à nouveau, la domanialité privée s’efface et ne produit plus d’effet. La propriété publique réapparaît, comme étant bien sous-jacente à la domanialité privée. Celle-ci n’est que la qualification la plus simple, primaire en somme, qui s’applique à un bien public. A cette qualification irréductible mais à la portée limitée de bien public, s’ajouteront toutes les qualifications administratives qui peuvent s’y superposer au préjudice de la domanialité privée. Le critère de la domanialité privée pour déterminer la compétence du juge judiciaire peut donc être défini à ce titre comme correspondant aux cas où la question posée n’est en rien altérée par le fait que l’exercice de la propriété correspond à l’exercice d’une compétence. Le régime est donc ici lié à l’état de propriétaire de la personne publique, et non à l’activité administrative que cette qualité permet. On le vérifie a contrario avec l’exception, à l’explication purement historique, de la compétence du juge administratif en matière d’aliénation des 117 Art. L.1142-1 du code de la santé publique qui codifie la solution retenue. Or, le produit dangereux peut être appréhendé comme un bien à l’origine du dommage. 118 CE ass., 24 juin 1949, Lecomte, n° 87335, l’arme à feu, ou si l’on veut la balle qu’elle a permis de tirer, étant ici indiscutablement un bien meuble relevant du domaine privé de l’État et à l’origine du dommage. 119 CE, 7 déc. 1979, Jacquel, n° 10662. 120 Yves Gaudemet, Traité de droit administratif. Droit administratif des biens, op. cit., n° 681 p. 397. 482 immeubles de l’État 121 . Si le Conseil d’État en tire toutes les conséquences en termes de vente 122 , de refus de vente 123 , d’interprétation 124 ou de nullité des actes 125 , ainsi que de responsabilité126, le Tribunal des conflits a quant à lui refusé d’étendre ce principe à d’autres collectivités127. La vente du bien relève de l’état de propriétaire et n’appelle donc pas le juge de droit commun de l’action publique car il n’y a pas ici un litige en rapport avec l’activité administrative. Cela manifeste le caractère exceptionnel et, en somme, anormal de la compétence du juge judiciaire en ce domaine. Cela rejoint l’idée que nous voulons défendre que la catégorie des actes des personnes publiques propriétaires relevant de la compétence du juge judiciaire est essentiellement fondée sur des considérations contentieuses et des mobiles pragmatiques de bonne administration de la justice. Pour peu que l’on ne confonde pas la définition contentieuse des actes administratifs avec la définition générale et fondamentale qui peut en être donnée, toute opération patrimoniale d’une personne publique commence toujours par une décision administrative manifestant sa volonté. C’est donc moins un acte détachable qui est identifié par le juge administratif pour en déduire son incompétence, que cette décision administrative qui est confondue avec l’opération juridique dans le but d’admettre la compétence du juge judiciaire. Celle-ci se justifiant essentiellement pour des raisons techniques que faisait apparaître le rapporteur public Laurent Olléon dans l’arrêt du Conseil d’État Brasserie du Théâtre128 : « Le contentieux des baux commerciaux ou des baux d'habitation doit-il basculer dans la compétence administrative lorsque ces contrats portent sur des dépendances du domaine privé des collectivités publiques ? Ces contentieux mettent en cause des législations qui sont familières aux tribunaux judiciaires, dès lors qu'elles se rattachent aux attributions de la propriété privée »129. En d’autres termes, l’action publique trouve à se réaliser dans des conditions tout à fait acceptables sous le contrôle du juge judiciaire, lequel est plus compétent au sens trivial du terme 121 Art. L.3231-1 CG3P qui reprend ainsi les dispositions de l’article 4 de la loi du 28 pluviôse an VIII dont le mobile était de pouvoir garantir la propriété des biens nationaux contre la revendication du clergé ou de la noblesse. 122 CE, 18 avr. 1958, Varsa, n° 24081, Rec., p. 215. 123 CE, 15 fév. 1989, Vandal, Rec., p. 56, n° 65301 ; DA, 1989, comm. 172 ; LPA, 13 juin 1990, note Llorens ; CE sect., 10 mars 1995, Commune de Digne, n° 108753, Rec., p. 124 ; AJDA, 1995, p. 479 ; D. 1995, p. 541, note J.-F. Davignon ; RDI, 1995, p. 737, obs. J.-B. Auby, C. Maugüé ; RFDA, 1996, p. 429, concl. H. Savoie, ce dernier soulignant que la gestion par une personne publique de son domaine privé ne l’autorise pas à agir comme si elle ne poursuivait plus que des intérêts purement privés. 124 TC, 18 mars 1991, Préfet de la Réunion c. Epx Kichenin, n° 2635. 125 CE sect., 8 nov. . 1974, Epx Figueras, n° 83517, Rec., p. 545. 126 CE, 25 juill. 1947, Sté l’ALFA, Rec., p. 344. 127 TC, 10 mai 1993, Miette, n° 02850, Rec., p. 399. 128 CE, Sect., 28 décembre 2009, Société Brasserie du Théâtre, Rec., p. 528 ; AJDA, 2010, p. 841, note O. Févrot ; BJCP, 2010, p. 124, concl. L. Olléon, obs. C. Maugüé ; CMP, 2010, comm. 190, note L. Touzeau ; DA, 2010, comm. 22, note F. Melleray ; JCP A, 2010, 2197, note C. Chamard-Heim. 129 Concl. préc., p. 131. 483 que son homologue administratif 130 . On peut évoquer comme une illustration de ce que le fondement véritable de la compétence du juge judiciaire est dans ce rapport entre la formation intellectuelle des juges et la matière concernée par une question dans l’établissement d’un bloc de compétence judiciaire en matière de propriété intellectuelle131. Cela nous conduit à proposer une conception renouvelée de la notion d’acte détachable en matière de gestion du domaine privé. B. Les actes détachables de la gestion du domaine privé : décisions administratives des personnes publiques propriétaires 530. C’est en raison du caractère extrêmement circonscrit de l’acte de la gestion du domaine privé induisant la compétence du juge judiciaire que l’on peut discuter la qualification d’acte détachable de la gestion du domaine privé et lui préférer celle de décision administrative des personnes publiques propriétaires (1). C’est à l’occasion de la déclinaison contentieuse de cette catégorie, conforme à l’idée d’une irréductibilité de la gestion publique dans l’exercice de la propriété publique, que la catégorie sera divisée entre les décisions susceptibles et insusceptibles de recours (2). 1) La qualification discutable d’acte détachable et la qualification préférable de décision administrative des personnes publiques propriétaires 531. Les actes de gestion du domaine privé ne sont pas considérés comme des actes administratifs mais comme des actes de droit privé132. A ce titre, ils ne sont donc pas soumis au régime de communication prévu par la loi du 17 juillet 1978 133. En conséquence, ces actes ne sont pas, en principe, susceptibles d’un recours devant le juge administratif. Il en va ainsi, par exemple, de la délibération du conseil municipal autorisant le maire à engager une procédure d’expulsion à l’encontre d’un occupant sans titre du domaine privé qui ne peut faire l’objet d’un 130 Sur l’analyse de la compétence avec une prise en compte du sens commun correspondant aux qualités propres à un individu, Éric Maulin, « Compétence, capacité, pouvoir », in La compétence, op. cit. p. 33 et s. 131 Dans deux arrêts du 7 juillet 2014, le Tribunal des conflits a consacré un tel bloc de compétence. TC, 7 juillet 2014, n° 3954 ; AJDA, 2014, p. 1463, note J.-M. Pastor. 132 CE, 7 déc. 1844, Finot, Rec., p. 629 ; TC, 24 oct. 1994, Duperray et SCI Les Rochettes, n° 2922, Rec., p. 606 ; RDI, 1995, p. 93 obs. J.-B. Auby et C. Maugüé. 133 CE Sect., 26 juill. 1985, Amadou, n° 35067, Rec., p. 243 ; AJDA, 1985, p. 742, note J. Moreau. 484 recours devant le juge administratif 134 ou encore concernant le recouvrement d’une créance pour l’occupation du domaine privé135. En revanche, là encore, cette qualification est écartée dès lors qu’une autre qualification intervient et il en va ainsi de celle d’acte détachable de la gestion du domaine privé. La jurisprudence en ce domaine a fait preuve d’atermoiements incessants. En 2005, par la voix du Conseil d’État interprétant de façon maximaliste une décision du Tribunal des conflits 136 , elle semblait s’être arrêtée sur un critère organique en vertu duquel tout acte unilatéral, de l’organe délibérant ou de l’exécutif137, serait détachable de la gestion du domaine privé138. La solution semblait emporter un domaine de compétence trop étendu, ce qui est en réalité la logique même si l’on considère, comme on le proposera ci-après, qu’il n’est pas d’opération de gestion du domaine privé qui ne commence par une décision administrative, donc un acte unilatéral de la personne publique exprimant ainsi, au minimum, sa volonté d’initier l’opération juridique en cause139. 532. La jurisprudence a donc tenté d’opérer une clarification attendue par la décision du Tribunal des conflits du 22 novembre 2010, SARL Brasserie du Théâtre140 sur renvoi du Conseil d’État141. Cet arrêt décide que « la contestation par une personne privée de l'acte, délibération ou décision du maire, par lequel une commune ou son représentant, gestionnaire du domaine privé, initie avec cette personne, conduit ou termine une relation contractuelle, quelle qu'en soit la forme, dont l'objet est la valorisation ou la protection de ce domaine et qui n'affecte ni son périmètre ni sa consistance, ne met en cause que des rapports de droit privé et relève, à ce titre, de la compétence du juge judiciaire ; qu'il en va de même de la contestation concernant des actes s'inscrivant dans un rapport de voisinage ». La clarification s’opère au prix de nombreuses précautions. Tout d’abord, la solution présente une approche personnelle puisque la compétence ne vaut que pour la contestation introduite par le cocontractant de la personne publique ou située dans le voisinage de son bien. Dans ce dernier cas, l’obiter dictum n’est sans 134 CE, 4 juin 2007, Petitpas, n° 289248 Rec., p. 234 ; DA, août-sept. 2007, n° 121, note J.-M. Février ; Philippe Yolka, « Expulsion du domaine privé et compétence juridictionnelle, JCP A, oct. 2005, n° 1333. 135 CAA Marseille, 23 avril 2013, GAEC d’Estèbe, AJDA, 2013, p. 1861, concl. S. Deliancourt. 136 TC, 14 fév. 2000, Commune de Baie-Mahault et société Rhoddlams, n° 3138, Rec., p. 747 ; D., 2000, p. 64 ; RDI, 2000, obs. F. Llorens et P. Soler-Couteaux. 137 Pour un arrêté municipal, CE, 17 mai 2006, Commune de Jonquières, n° 281509, Rec., tables, p. 784 ; AJDA, 2006, p. 1390, concl. E. Glaser. 138 CE, 5 déc. 2005, Cne de Pontoy, n° 270948, BJCL, fév. 2006, concl. E. Glaser, obs. B. Poujade. 139 A ce titre, nos analyses prolongeront parfaitement l’appréciation portée par Emmanuel Glaser dans ses conclusions précitées sur l’arrêt Cne de Jonquières dans lesquelles il assimilait la consécration du critère organique à l’admission d’une compétence du juge administratif de principe pour connaître de la gestion quotidienne du domaine privé. 140 TC, 22 novembre 2010, SARL Brasserie Théâtre c/ Commune de Reims, Rec., p. 591 ; AJDA, 2010, p. 841, note O. Févrot ; AJDA, 2010, p. 2423, chron. D. Botteghi et A. Lallet ; BJCP, 2010, p. 55, concl. P. Collin, note R. Schwartz ; Contrats et Marchés publics, 2011, n° 26, note P. Devillers ; Dr. Adm., février 2011, comm. 20, pp. 46 et s., note F. Melleray ; JCP A, 2011, act. 537, obs. G. Eveillard et n° 2041, note J.-G. Sorbara ; RJEP, 2011, comm. 13, note G. Pélissier ; GDDAB, Dalloz, 2013, n° 67, comm. F. Melleray. 141 Préc. 485 doute pas anodin, mais il renvoie à des solutions classiques en matière de dommage déjà évoqué ou de bornage142. En ce qui concerne le cocontractant, c’est l’objet de la relation contractuelle qui est limitatif puisqu’il ne peut s’agir que de la valorisation ou de la protection. Par ailleurs, la règle de compétence s’efface si le contrat affecte le périmètre ou la consistance du domaine privé. En revanche, si ces conditions sont remplies, la relation contractuelle est réputée ne faire naître que des rapports de droit privé et relève du juge judiciaire à toutes ses étapes. Ces conditions sont toutefois des plus restrictives. Aux parties au contrat, et aux voisins, dès lors que certaines de ces conditions sont écartées, aux tiers, s’ils démontrent un intérêt à agir, la voie du recours devant le juge administratif est ouverte à nouveau. Il n’est pas donc pas certain que la décision s’oriente vers la constitution d’un bloc de compétence judiciaire, ou alors seulement en ce qui concerne les relations de pur voisinage d’une part, et d’autre part les relations contractuelles qui ne font naître entre la personne publique et son partenaire que des rapports de pur droit privé. 533. Sa raison d’être s’explique sans doute, en partie, par le fait que les questions qui sont soulevées à l’occasion des litiges entrant dans le champ d’application de la règle posée sont des questions habituellement réglées par le juge judiciaire et parfaitement inhabituelles pour le juge administratif. Il nous semble dès lors possible de considérer qu’au-delà de la solution contentieuse qui consiste, dans l’intérêt de la justice, à donner le contentieux au juge qui est le plus indiqué pour y répondre, on reste toujours dans le cadre du droit public. Si ce n’est pas une situation de droit administratif que doit trancher le juge judiciaire statuant sur le régime du bail commercial de l’occupant du domaine privé, c’est néanmoins une situation de droit public. La personne publique a en effet exercé sa compétence en acquérant le bien, en le donnant à bail et en gérant la relation contractuelle. A aucun moment elle n’a pu s’affranchir de son affectation à l’action publique et aux exigences qui en résultent. C’est pourquoi nous voudrions proposer de qualifier les actes de gestion du domaine privé comme des décisions administratives, qu’elles relèvent du juge judiciaire ou du juge administratif. 2) La distinction entre les décisions administratives des personnes publiques propriétaires et les actes susceptibles ou non de recours devant le juge administratif Prévu à l’article 646 du code civil, le droit de bornage se réalise y compris pour les personnes publiques, et sauf en cas de domanialité publique, 142 486 534. L’idée que la gestion du domaine public et la gestion du domaine privé correspondent chacune à un bloc de compétence attribué, pour la première au juge administratif, pour la seconde au juge judiciaire, traduit sans doute « un équilibre rassurant pour l’esprit »143. Cependant, ainsi que le souligne Christian Lavialle, dès lors que les personnes publiques exercent toujours le même droit de propriété sur les biens, quel que soit le domaine auquel ils se rattachent, l’idée d’un dédoublement de l’activité de gestion interroge. Sans doute faut-il admettre que l’analyse révèle sa profonde unité. La singularité de la gestion domaniale des personnes publiques ne nie pas, loin s’en faut, la diversité des régimes applicables mais cette diversité est en réalité « structurellement celle de la propriété publique en partie espace affecté, en partie patrimoine propre des corporations (ou fondations) publiques » 144 . A l’appui de cette affirmation, l’auteur considère que l’activité de gestion est toujours « le développement de ce droit en conséquence elle est, quel que soit l’élément du domaine concerné une » ce qui emporte comme conséquence essentielle que « le pouvoir de gestion aura à l’évidence le même fondement propriétariste, qu’il concerne le domaine public ou privé, puisque l’un et l’autre sont issus d’une seule et même propriété, la propriété publique » 145 . Cela doit nous conduire à considérer que c’est moins l’acte qui se détache de la gestion domaniale, que l’opération patrimoniale qui absorbe parfois la décision ayant permis l’édiction de l’acte de gestion. Tel n’est pas le cas des décisions unilatérales sur lesquelles le juge administratif conserve la compétence. Si la compétence du juge s’impose en raison de l’exercice par les personnes publiques de leur prérogative de décision, celle-ci ne doit cependant être confondue avec l’idée de puissance publique qui doit selon nous être limitée aux rapports de domination autorisant la personne publique à édicter un commandement à un administré tenu de s’y conformer. En cela, il nous faut discuter la proposition de Maryvonne Hecquard-Théron pour laquelle « l’essentiel, sinon l’essence de la puissance publique s’exprime dans le pouvoir de décision unilatérale »146. Étant admis que la puissance et la propriété sont deux modalités alternatives de l’action publique et, plus encore, complémentaires et interactives dans bien des cas, la prérogative de décision en tant que manifestation de la volonté d’une personne publique est l’essence de l’action publique. Partant, elle est toujours administrative, que cette qualité intrinsèque se retrouve ou non au plan des qualifications contentieuses qui sont une fois encore une dimension distincte du droit considéré. Ainsi, alors que Maryvonne Hecquard-Théron considère Christian Lavialle, « L’acte de gestion domaniale », Mélanges Franck Moderne, Dalloz, 2004, p. 265. Ibid., p. 266. 145 Ibid., p. 269. 146 Cela en réponse à l’analyse que propose Maryvonnne Hecquard-Théron, « De la prérogative de puissance publique à la prérogative de décision », in Mélanges Jacques Mourgeon, Bruylant, 1998, p. 673. 143 144 487 que cette prérogative de décision « tend à faire du juge administratif le juge de la puissance publique »147, nous considérons qu’elle tend à en faire le juge de l’action publique, que cette action s’exerce au moyen de la puissance ou de la propriété, que l’auteur semble négliger. Par conséquent, on rejettera l’idée que cela « consacre inéluctablement le rétrécissement du droit administratif autour de l’idée de puissance publique »148, ce que par ailleurs nous semble démentir le contentieux des actes relatifs au domaine privé. 535. Il en va ainsi par exemple de l’acte par lequel la personne publique établit les conditions de la procédure d’adjudication relative à la location de droits de chasse 149 . La légalité administrative est impliquée pour que l’administration se conforme à l’adage tu patere legem. Cela témoigne donc non de la subsistance d’une part de puissance publique ici peu décelable, mais du fait que l’exercice de la propriété par une personne publique est toujours l’exercice d’une compétence, soumis par conséquent aux principes du droit administratif. En cela, les manifestations de volonté des personnes publiques propriétaires à l’égard de leur domaine privé nous semblent se rapprocher de ce que Jean Lamarque a pu appeler les décisions administratives de droit privé. Celles-ci, selon nous, se caractérisent bien par un contenu de droit privé alors qu’elles ont la forme d’un acte de droit public, ou des décisions absorbées par un acte de droit privé parce que le caractère privé vient de l’objet ou des rapports de droit privé 150. Elles ne sont de droit privé que du point de vue contentieux et des règles matérielles destinées à s’y appliquer principalement. Elles sont de droit public parce qu’elles sont des décisions prises par une personne publique, critère organique suffisant dès lors qu’on admet que l’intégralité de l’activité des personnes publiques y participe. 536. Sous réserve des catégories particulières de personnes publiques, et notamment de la situation incommensurable de l’État, une personne publique propriétaire d’un bien relevant de son domaine privé en dispose chaque fois que, par un acte de volonté, elle en modifie la situation juridique. Cet acte de volonté est une décision. Le critère organique qui veut que tout bien, quel qu’en soit la nature et le régime, qui appartienne à une personne publique soit un bien public, conduit à constituer les personnes publiques en propriétaires publics titulaires d’un droit de propriété public. De ce fait, la décision par laquelle une personne publique décide de 147 Idem. Idem. 149 TC, 6 juill. 1981, Eysseric, n° 02188, Rec., p. 505. 150 Jean Lamarque, « La décision administrative de droit privé », in Mélanges Stassinopoulos, LGDJ, 1974, p. 291 et s., spéc. pp. 295-296. Voir aussi, la réponse critique détaillée de Joseph Pini, « Les “décisions administratives de droit privé”. Contribution à l’étude de la notion d’acte administratif », RRJ, 1993, p. 793 et s. 148 488 disposer d’un de ses biens est, à tout le moins, le premier moment où l’acte qui dispose de ce bien est édicté. Qualifier de privée la décision sur le seul fondement de l’appartenance du bien au domaine privé entrerait en contradiction avec l’idée que la dualité domaniale se distingue de la propriété publique. Il reste donc à choisir entre deux options. Soit la décision par laquelle une personne modifie la situation juridique d’un de ses biens est a priori de droit privé sauf à ce qu’un facteur la rende administrative. Soit, à l’inverse, toute décision par laquelle une personne publique décide d’exercer son droit de propriété public est a priori administrative sous réserve d’un motif justifiant de la qualifier de droit privé. Il nous semble que la seconde solution est préférable en ce qu’elle permet de créer une certaine unité à l’ordre juridique public. En rapprochant la compétence comme habilitation en droit objectif public et la personnalité publique comme personnalité juridique affectée à une compétence, on peut considérer que tout acte de volonté d’une personne publique est une décision administrative, nonobstant l’éventualité d’un traitement juridique de ses conséquences dans le cadre du droit privé. Le droit privé alors appliqué ne signifie pas que la personne publique est considérée comme n’appartenant plus à l’ordre du droit public. Il signifie simplement que, dans certaines situations, l’action publique peut soulever une question juridique qui pourra être tranchée utilement par les règles du droit privé. Lorsqu’une personne publique affecte un bien à l’utilité publique151, lorsqu’elle décide d’acquérir un bien152 ou à l’inverse refuse de le vendre 153, cette personne publique agit en qualité de propriétaire, certes, mais surtout comme habilitée par une compétence et participant de ce fait à l’action publique relevant de la sphère et du droit public dont le juge administratif est le juge de droit commun. C’est la raison pour laquelle la jurisprudence Brasserie du Théâtre n’a qu’une portée circonscrite aux seules opérations dont la connaissance par le juge judiciaire est parfaitement commode pour l’administration de la justice. Elle est de nature à garantir les exigences de l’État de droit. A l’inverse, le refus de conclure un bail est un acte qui fait grief, non pas du point de vue du droit privé, de l’état statique de propriétaire, mais du point de vue du droit public parce que le preneur débouté se heurte à l’appareil d’État, à la dimension dynamique de la gestion d’un fonds administratif154. De même, lorsque le juge refuse de regarder la décision renouvelant Si l’on considère que l’effet de l’affectation en termes de régime exorbitant dénote une dimension de puissance publique, on pourra objecter que le droit de propriété n’est pas en cause mais le fait demeure qu’une telle décision relève de la prérogative de tout propriétaire de choisir la destination de son bien, ce qui parfois induit des conséquences juridiques sans pour autant changer la nature patrimoniale de l’opération. CE, 30 oct. 1987, Cne de Levallois-Perret, n° 65367, Rec., p. 336 ; AJDA, 1988, p. 43, concl. Hubac. 152 CE, 10 nov. 1967, Tixier, n° 66204, Rec., p. 421. 153 CE, 29 déc. 1993, Edwige, n° 124606, Rec., tables, p. 766 où la décision émane du gestionnaire de la dépendance. 154 TC, 5 mars 2012, Dewailly c. Centre communal d’action sociale de Caumont, n° 3833, CMP, 2012, comm. 143, note Devillers ; JCPA, 2012, p. 1180, note Martin. 151 489 l’exploitation d’une carrière « comme un acte de pure gestion du domaine privé »155, la qualité organique de personne publique efface la qualité matérielle de propriétaire et éclipse ainsi la domanialité privée au profit de la propriété publique. Une personne publique est toujours une personne publique et elle décide selon cette seule nature, quelle que soit l’opération juridique projetée. La gestion privée par une personne publique est toujours une fiction, une apparence, et cette gestion, la personne publique la réalise avec toute son autorité. Celle-ci réapparaît par ailleurs dès que nécessaire et le traitement que réserve le juge judiciaire aux litiges impliquant une personne publique gérant son domaine privé le prouve. 155 CAA Lyon, 15 mars 2001, Ksouri, n° 00LY00814, Rec., tables, p. 876. 490 § 2 La compétence du juge judiciaire dans le fonctionnement des fonds administratifs, juge des activités administratives 537. L’idée que le juge judiciaire est un juge du droit public s’inscrit dans la théorie des ordres juridiques partiels. La dualité de juridiction partage le contentieux du droit public entre son juge de droit commun, le juge administratif et son juge d’exception, le juge judiciaire. Deux données contentieuses importantes abondent en ce sens. D’une part, le juge judiciaire applique le droit administratif. D’autre part, il tient compte de la personnalité publique dans l’interprétation du droit privé qu’il applique et qui devient, de ce fait, un droit privé administratif (1). On en déduit que la question de la répartition du contentieux entre le juge administratif et le juge judiciaire est une question de technique juridique interne au droit de l’action publique et n’a donc aucune partie sur l’autonomie et l’unité du droit public régissant l’activité des personnes publiques propriétaires (2). A. La spécificité du droit appliqué par le juge judiciaire à l’égard des activités administratives : droit administratif et droit privé administratif 538. Il faut tout d’abord souligner que la distinction de la compétence et du fond conduit à considérer les cas où le juge judiciaire, compétent pour trancher un litige, tient compte ou fait application de règles de droit administratif (a). Par ailleurs, si le domaine privé est l’occasion de décisions du juge judiciaire, Marine Chouquet a pu démontrer que ce dernier tient compte de la spécificité du litige qu’induit la qualité du propriétaire public (b). 1) L’application du droit administratif par le juge judicaire : la rémanence du caractère administratif de l’activité considérée 539. L’application du droit administratif par le juge judiciaire n’est pas seulement réservée au cas emblématique de la responsabilité des opérations de police judiciaire qui donnèrent lieu à la jurisprudence Giry 156 . Le régime juridique d’une situation peut être de manière générale un régime de droit privé, certains détails peuvent être ajoutés par les textes et qui sont, par leur objet, des règles de droit administratif. Ainsi, les textes instituent parfois une précarité des occupations du domaine privé selon des règles qui s’imposeront au juge judiciaire, dont l’objet 156 Cass., civ., 23 nov. 1956, Trésor public c. Giry, Bull. civ., II, p. 407 ; GAJA, 19e éd., n° 72 pp. 489 et s. 491 est de permettre l’exercice de leur compétence par les personnes publiques. Au cas déjà évoqué des baux ruraux, il faut ajouter celui des réserves foncières. Dépendances du domaine privé par détermination de la loi en raison des doutes quant à leur qualification par les critères de la domanialité publique, les réserves foncières font en effet l’objet d’une disposition du type évoqué. Ainsi, l’article L. 221-2 du code de l’urbanisme dispose que les immeubles constitués à titre de réserves foncières « ne peuvent faire l’objet que de concessions temporaires qui ne confèrent au preneur aucun droit de renouvellement et aucun droit à se maintenir dans les lieux lorsque l’immeuble est repris en vue de son utilisation définitive ». Une telle règle a pour effet tout d’abord d’écarter la possibilité d’invoquer les dispositions relatives au fermage et par conséquent interdit la possibilité pour la personne publique de conclure un bail à ferme sur une réserve foncière 157. Saisi d’un litige dont il se reconnaîtra compétent158, il sera amené à concilier des dispositions dont l’objet public ne fait aucun doute. Il en va ainsi, par exemple, lorsqu’est en cause le régime d’un droit de préemption ayant porté sur un bien devenu une réserve foncière 159. Dans ce cas, les juridictions judiciaires sont amenées à trancher un litige qui relève nécessairement de l’action publique et qui consiste bien à régir l’exercice par une personne publique de sa compétence entendue comme sa norme d’habilitation du droit public. 540. L’idée d’une liaison de la compétence et du fond a vécu 160. Le juge administratif est tout à fait libre d’appliquer le droit privé, et il ne manque pas de le faire. De même, le juge judiciaire, y compris en dehors de la responsabilité administrative du fait d’une opération de police judiciaire, applique parfois le juge administratif. Agathe Van Lang a montré que le juge judiciaire fait une utilisation du droit administratif dès lors que le litige dont il est saisi l’amène à le faire. 157 Cass.3e civ., 10 janvier 2007, 06-11.130, Bull. III, n° 2 p. 1 ; AJDI, 2007, p. 488, note Y. Rouquet qui souligne que « c’est donc pour avoir omis de replacer le contentieux dans le contexte juridique particulier qui le caractérisait, que le juge grenoblois est censuré ». Ce contexte particulier est bien selon nous le contexte de droit public qui conduit à un traitement par la juridiction judiciaire tenant compte du fait qu’elle est alors juge de l’action publique selon les règles qui régissent l’exercice de sa compétence par la personne publique. 158 Compétence qui peut être écartée si la personne publique propriétaire de la réserve foncière exécute à son endroit une mission de service public, Cass. 1ère civ., 31 mars 2010, 09-10.731, inédit : « Attendu que pour déclarer les juridictions de l'ordre judiciaire incompétentes, l'arrêt retient, par motifs propres, que la concession temporaire par l'EPAD, de l'occupation d'un ensemble immobilier faisant partie de la zone d'aménagement différé s'inscrit dans le cadre de sa mission de service public d'aménagement du quartier de la défense et de la gestion de la réserve foncière constituée à cette fin, et, par motifs adoptés, que la clause dérogatoire au statut des baux commerciaux reproduisant les dispositions de l'article L. 221-2 du code de l'urbanisme, est exorbitante du droit commun ; Qu'en statuant ainsi alors d'une part, qu'il résultait de ses constatations que la convention litigieuse, si elle répondait aux besoins de l'EPAD, n'avait pas pour objet l'exécution du service public, d'autre part, que le fait qu'une clause déroge au statut des baux commerciaux en conférant un caractère précaire au droit concédé à l'occupant ne suffit pas, à lui seul, à emporter la qualification de clause exorbitante du droit commun, la cour d'appel a violé le texte susvisé ». 159 Cass., 3e civ, 1er mars 1995, Époux Dargent c/ Cne de St Cloud, n° 93-10.340, Bull., III, n° 70 p. 47 ; RDI, 1996, p. 55, C. Morel et Martine Denis-Linton : Selon l'article L. 213-16 du Code de l'urbanisme les dispositions de l'article L. 221-2 de ce Code sont applicables aux biens acquis par exercice du droit de préemption. Justifie légalement sa décision de débouter les vendeurs de leur demande en paiement de dommages-intérêts la cour d'appel qui constate que le pavillon, objet de la décision de préemption, avait été affecté provisoirement à l'habitation de la directrice d'une école voisine dans l'attente de l'acquisition d'autres propriétés pour permettre son utilisation définitive à des fins d'extension du garage municipal. 160 Voir sur ce point la démonstration, après de nombreuses controverses, que propose Christian Duval, La liaison entre la compétence et le fond du droit en droit administratif, th. Aix-Marseille, 1994. 492 Reposant sur la liberté du juge compétent à choisir les normes destinées à trancher le litige, « c’est l’unité de l’ordre juridique français qui permet au juge judiciaire de puiser dans le réservoir du droit administratif, et justifie son aptitude à appliquer ce doit »161. Cependant, il faut s’entendre sur ce que signifie cette unité de l’ordre juridique. Elle doit être entendue comme l’appartenance des juges français à un seul et même ordre juridique global, étatique. En revanche, le fait que l’un et l’autre puisent dans les sources à l’origine destinées aux situations qui relèvent de la compétence de son homologue renforce l’autonomie de chacun des ordres de juridiction. Plus fondamentalement encore, lorsque le juge judiciaire connaît d’un litige impliquant une personne publique et est conduit, de ce fait, à faire application du droit administratif, il est possible de considérer qu’il se fait alors juge de l’action publique. Il est le juge judiciaire d’une situation de droit public162. C’est-à-dire que sa compétence résulte du choix de confier à ce juge qui n’est pas le juge du droit commun de l’action publique, une affaire qui en relève cependant. De la même manière que le juge administratif lorsqu’il est amené à trancher un litige entre deux particuliers parfaitement étrangers à l’action publique n’est plus un juge de l’action publique, le juge judiciaire peut être en situation de trancher un litige qui relève de l’ordre juridique partiel du droit public. Il faut bien admettre que lorsqu’une partie soulève l’exception d’illégalité d’un acte administratif et que le juge judiciaire refuse de poser la question préjudicielle parce qu’il ne juge pas la contestation sérieuse, il juge implicitement de la légalité de cette décision. Ce que l’on veut faire apparaître, c’est que le juge judiciaire qui tranche un litige où une personne publique est partie est juge d’une situation de droit public, bien qu’il s’agisse d’une situation relevant de sa compétence et matériellement tranchée par le droit privé. 2) L’application d’un droit privé « administratif » par le juge judiciaire : l’effet normatif du caractère administratif de l’activité considérée 541. Il convient, pour achever cette démonstration, de prendre acte d’un apport essentiel de la contribution de Marine Chouquet à l’étude des biens publics. En effet, cet auteur constate que l’occupation du domaine privé, si elle est en principe régie par le droit privé, fait néanmoins apparaître une spécificité liée à l’interprétation que fait le juge judiciaire de ce droit privé 163. Elle relève avec Norbert Foulquier que « le domaine privé forme le terrain d’élection » des conventions 161 Agathe Van Lang, Juge judiciaire et droit administratif, LGDJ, 1996, n° 133 p. 92. Damien Botteghi, Alexandre Lallet, « La carte du Tribunal des conflits et le territoire du domaine privé », AJDA, 2010, p. 2426 : « Si, par leur nature, et en général, les obligations qu’elle noue avec les occupants du domaine privé ne distinguent pas l’administration de tout propriétaire privé, il n’en reste pas moins qu’elle agit selon des règles de fonctionnement propres aux personnes publiques ». 163 Marine Chouquet, Le domaine privé. Contribution à l’étude des biens publics, th. précitée, pp. 279 et s. 162 493 d’occupation précaire du domaine privé 164 permettant de déroger au statut législatif du bail commercial165 et du bail d’habitation. Or, si le juge judiciaire est bien à l’origine de cette faculté, il la subordonne à des circonstances exceptionnelles dont il admet beaucoup plus favorablement l’existence pour les personnes publiques. Ainsi, alors qu’en principe 166 une telle clause n’est licite qu’à des conditions très particulières, notamment le caractère saisonnier de la location 167 , « les juridictions s’avèrent plus compréhensives à l’égard des propriétaires publics, auxquels elles reconnaissent facilement la possibilité d’insérer des clauses de résiliation unilatérale dans les contrats de mise à disposition de leurs biens »168. Les exemples qu’elle relève sont soit en rapport avec une considération d’intérêt général, telle que la protection de l’environnement169, soit en rapport avec les nécessités du service public 170. Dans ce dernier cas, il nous est possible de considérer qu’il y a là une donnée qui rejoint l’idée que l’exercice de la propriété par les personnes publiques est l’exercice de leur compétence et que le juge administratif, juge du premier pour appliquer le droit privé, est aussi juge du second et de ce fait un juge du droit public. L’évolution semble confirmer cette idée que la précarité se justifie par les nécessités de l’exercice de sa compétence par la personne publique qui a inséré la clause comme condition de l’occupation de son domaine privé171. Avec cet auteur, il semble qu’il faille considérer la banalisation des clauses exorbitantes, c’est-à-dire l’extension de la compétence du juge judiciaire en raison de leur non identification, alors même qu’elles instituent toujours une inégalité dans la relation contractuelle, comme justifiée par cette bienveillance du juge judiciaire. Cette compétence du juge judiciaire ne saurait autoriser à voir dans la situation qu’il va juger une situation de pur droit privé, tant il demeure que, malgré l’application du droit privé, « on peut valablement soutenir que l’organisation de la précarité des occupations du domaine privé est imprégnée d’exorbitance, car elle correspond à une contrainte spécifique à l’administration qui en assure la gestion, celle d’utiliser ses biens dans l’optique de satisfaire au mieux les missions qui lui incombent, ce qui implique de les affecter à la plus grande utilité publique possible »172. 164 Norbert Foulquier, Droit administratif des biens, op. cit., n° 273 p. 120. Art. L.145-5. La disposition n’est pas propre aux personnes publiques, mais leur spécificité apparaît au stade de l’interprétation du juge de cette disposition. 166 Il va sans dire que nous nous situons ici dans le seul cadre des baux ruraux véritables et non des baux emphytéotiques qui y ressemblent « comme un Picasso ressemble à un Boticelli » selon le mot de Bosgiraud, CJEG, oct. 1991, n° hors série, p. 73.. 167 J.-P. Blatter et B. Vial-Pedroletti, « Bail d’habitation. Locations soumises à la loi du 6 juillet 1989 - Domaine d’application », J.-Cl. Civil, fasc. 115, 2010 (MAJ 2012), n° 40 et s. ; F. Kenderian, « Bail commercial. Champ d’application du statut. Convention d’occupation précaire. Baux dérogatoires : bail d’une durée au plus égale à deux ans. Location à caractère saisonnier », J.-Cl. Bail à loyer, fasc. 1255, 2009. 168 Marine Chouquet, ibid., p. 280. 169 Cass. civ. 3ème, 2 février 2005, Office national des forêts c/ Mme Limery, Bull. civ., III, n° 28, p. 24. 170 Cass. com., 10 avril 1967, Chauffrée c/ Directeur des Domaines du Calvados, Bull. civ., III, n° 137, p. 138, relatif au service des ponts et chaussées ; Cass. soc., 26 janvier 1967, Dedieu c/ Directeur des Domaines du département de Seine-et-Oise, Bull. civ., IV, n° 83, p. 69, justifiant la précarité par l’exigence d’adaptation aux évolutions techniques du service public de radiotélévision. 171 Ibid., pp. 281-282. 172 Ibid., p. 284. 165 494 Si ces autorisations contractuelles et unilatérales d’occupation précaire du domaine privé sont des actes de droit privé, elles n’en sont pas moins des modalités de l’action administrative. Elles relèvent donc de la logique des fonds administratifs. A ce titre, elles nous semblent relever de l’ordre juridique public au sein duquel doivent être intégrés, comme des modalités internes à son fonctionnement, le dualisme juridique comme le dualisme juridictionnel. L’intégralité de l’activité des personnes publiques propriétaires relève du droit public, lequel se concrétise cependant parfois par les voies et moyens du droit privé, mais un droit privé « administratif » qu’applique un juge judiciaire parfaitement conscient du caractère public de la situation malgré sa compétence. En cela, le juge judiciaire se fait à cette occasion un juge du droit public, par exception à la compétence de droit commun du juge administratif. C’est la raison pour laquelle mettre fin à cette répartition ou non n’est qu’une question de pure technique d’organisation du service public de la justice lorsqu’il porte sur l’action publique. B. La portée purement technique d’une réforme de la répartition du contentieux de la propriété publique 542. La rupture entre la compétence et le fond pose évidemment la question du dualisme juridictionnel dès lors que « l’affirmation par le juge judiciaire de son aptitude à traiter les litiges administratifs constitue une sape redoutable des assises du dualisme »173. Il ne s’agit cependant que du seul dualisme de juridiction, et non de la différenciation du droit public et droit privé. La fin du dualisme juridictionnel signifierait dans un premier temps la fusion des ordres puis la spécialisation ferait immédiatement son office174. En rien ne serait mise en cause la dualité du public et du privé, qui se traduit par le droit public comme ordre juridique de l’action publique, que l’on choisisse de soumettre cette action publique au droit privé ou au droit administratif, et que l’on choisisse de la faire relever du juge judiciaire ou du juge administratif. Si le régime actuel de répartition du contentieux de la propriété publique appelle sans doute encore certaines des critiques qui n’ont eu de cesse d’être formulées jusqu’à présent (1), il nous semble que, cependant, le dualisme juridictionnel s’impose dans la mesure où l’activité des personnes publiques propriétaires est typiquement celle qui soulève des problèmes juridiques dont la teneur relève de la juridiction judiciaire (2). 173 Agathe Van Lang, op. cit., n° 373 p. 285 : Jean Boulouis, « Supprimer le droit administratif ? », Pouvoirs, n° 46, 1988, p. 5, spéc. p. 6 où l’auteur souligne que la suppression du juge n’autoriserait pas la suppression du droit administratif ce que la proposition d’Agathe Van Lang confirme bien. 174 495 1) Les critiques récurrentes de la répartition du contentieux de la propriété publique entre les deux ordres juridictions 543. René Chapus considère le contentieux du domaine privé comme l’un « des plus tourmentés qui soient »175. On a vu que tant les actes unilatéraux que les actes contractuels ou les actions en responsabilité peuvent soulever la compétence du juge administratif, en raison d’une catégorie juridique venant faire échec à la compétence du juge judiciaire en principe associée à la domanialité privée. Devant l’insécurité juridique qui découle du caractère imprévisible de la compétence en matière de domaine privé, de nombreux auteurs ont plaidé pour une simplification. La solution d’une compétence exclusive du juge judiciaire en dépit des catégories juridiques indirectes évoquées plus haut semblerait si excessive que nul ne l’a récemment défendue, à notre connaissance. A l’inverse, l’unification de la compétence au profit du juge administratif a été défendue à plusieurs reprise. En 1997, Philippe Yolka considérait dans sa thèse que, « unifier le contentieux de la propriété publique au profit de la juridiction administrative (…) n’est pas déraisonnable, parce que le partage actuel des compétences juridictionnelles en matière domaniale laisse à désirer, aussi bien du point de vue de ses fondements que de ses conséquences »176. Hervé Moysan, dont la thèse est de supprimer la domanialité publique au profit de la domanialité privée, considère pour sa part que « la compétence du juge administratif devrait être considérée comme le droit commun du contentieux qui intéresse ce domaine dans la mesure où des intérêts publics et des personnes publiques sont en cause »177. Marine Chouquet, plaidant également en faveur d’une domanialité privée rénovée comme régime d’ensemble des biens publics, s’est intéressée à la dualité juridictionnelle, constitutive selon elle d’une entrave à l’achèvement du processus d’unification des régimes juridiques. L’auteur vise en effet à « faire sauter le “verrou juridictionnel” destiné à reproduire, au plan contentieux, la dichotomie de régimes juridiques que connaît la propriété publique » dans le but de faire coïncider unification des régimes et unification du contentieux 178 . Elle ajoute enfin que « l’importante insécurité juridique imputable à la délimitation de sphères de compétences contentieuses en matière de biens publics commande de céder à la tentation unificatrice sur le plan juridictionnel »179. Il est vrai que, comme elle le relève à juste titre, « la compétence du juge judicaire en matière de gestion du domaine privé subit l’effet attractif des grandes notions du droit administratif, 175 René Chapus, Droit administratif général, t. II, Montchrestien, 2001, n° 641, p. 534 ; Maryse Deguergue, « Domanialité privée et compétence administrative. Retour sur un contentieux “tourmenté”, in Mélanges Jean-Pierre Boivin, éd. La Mémoire du Droit, 2012, p. 469. 176 Philippe Yolka, op. cit., p. 533. 177 Hervé Moysan, op. cit., p. 222. 178 Marine Chouquet, op. cit., p. 643. 179 Ibid., p. 644. 496 dont le contentieux relève de la juridiction administrative »180, en plus des qualifications législatives qui existent par ailleurs. On constate tout d’abord que ces propositions ne sont pas étrangères à la question de la dualité domaniale. Christophe Roux relève, à ce titre, que « l’une des raisons de l’échec de la logique moniste » fut probablement le dualisme juridictionnel181. Cela vaut également pour les propositions favorables à la suppression de la domanialité privée au profit de la domanialité publique qui induiraient une même unification du contentieux182. Pour autant, ces propositions portent seulement des considérations techniques de bonne justice et d’administration de la justice et la dualité de juridiction ne doit pas être conçue par un esprit trop rigide de symétrie. Le maintien ou la remise en cause du dualisme juridictionnel n’auront aucune conséquence sur l’autonomie de l’activité des personnes publiques propriétaires, qui restera une activité administrative par essence car exerçant nécessairement une compétence. Il n’y aura pas plus de conséquence sur l’autonomie des activités liées à la gestion des fonds administratifs, qui relèvent toujours de l’ordre juridique partiel du droit public qui fonde et régit les activités administratives. Moins que la réforme par l’unification du contentieux, il s’agit peut-être de déterminer quelles conséquences il faut tirer de la clarification opérée par la décision du Tribunal des conflits. Or, si « la décision Brasserie du Théâtre entend clore une valse-hésitation propre à donner le tournis à plusieurs générations de magistrats et d’universitaires » 183 , cela suppose néanmoins de reconsidérer le principe, discutable en raison de la propriété publique, de la compétence du juge judiciaire en ce qui concerne le domaine privé. Cette compétence ne se justifie pas par des raisons conceptuelles. Elle heurte à l’évidence l’idée simple et flatteuse pour l’esprit de système d’une unité droit public-juge administratif-droit administratif. Mais elle répond à l’exigence pratique, sociologique, de confier les problèmes à ceux qui sont armés pour les résoudre. Les contentieux de voisinage et autres rapports de pur droit privé sont de ceux qu’il convient de confier pour ce motif au juge judiciaire. 180 Ibid., p. 647. Christophe Roux, th. préc., n° 1007 p. 656. 182 Marie-Aimée Latournerie, Point de vue sur le domaine public, Montchrestien, 2004. 183 Damien Botteghi, Alexandre Lallet, « La carte du Tribunal des conflits et le territoire du domaine privé », AJDA, 2010, p. 2423. 181 497 2) La probable nécessité d’une compétence résiduelle du juge judiciaire en matière de propriété publique 544. La solution actuelle découle de la décision du 22 novembre 2010 Brasserie du Théâtre du Tribunal des conflits 184 et il nous semble possible de considérer qu’elle confirme largement l’appréciation de Christian Lavialle pour qui « la gestion du domaine privé, parce qu’il appartient aux personnes publiques, laisse aussi la place à l’application de règles de droit public et à un délitement du bloc de compétence judiciaire au profit du juge administratif »185. Alors que l’on y a vu parfois l’apparition d’un bloc de compétence au profit du juge judiciaire186, il nous semble plutôt qu’il y a là clarification de ce qu’est une situation juridique n’appelant pas suffisamment la compétence administrative pour que puisse être admise la compétence du juge judiciaire. En effet, on peut en faire la lecture suivante : relèvent de la compétence du juge administratif le contrôle de la légalité des décisions administratives prises dans l’exercice de leur droit de propriété par les personnes publiques ainsi que les litiges de plein contentieux soulevés par leurs conséquences dommageables, à l’exception des litiges dont la question juridique à trancher ne relève que des rapports de pur droit privé dont connaît habituellement le juge judiciaire. Il en va ainsi des actes unilatéraux de pure gestion du domaine privé. Il en va ainsi également des rapports de voisinage ne présentant pas de particularité par rapport à ceux qui intéressent les particuliers entre eux. Il en va ainsi, enfin, des relations contractuelles entre une personne publique et une personne privée 187 qui ne présentent aucun autre enjeu que les relations patrimoniales qui unissent les particuliers dans le commerce juridique188. Le juge judiciaire connaîtra donc notamment des actes par lesquels une personne publique, y compris s’ils sont adoptés par l’assemblée délibérante d’une collectivité, initie, conduit ou termine une telle relation contractuelle. Nous pensons trouver une confirmation que c’est donc bien une compétence parfaitement résiduelle du juge judiciaire, conditionnée à l’absence de tout enjeu d’ordre administratif dans le litige, dans le fait que l’objet de la relation 184 Décision précitée. Christian Lavialle, « L’acte de gestion domaniale », préc., p. 266. 186 Yves Gaudemet, Traité de droit administratif, t. 2, Droit administratif des biens, n° 682, pp. 397-398 ; à rapprocher du fait relevé par Jean-Gabriel Sorbara que les termes employés dans la décision Brasserie du Théâtre sont les mêmes que ceux de l’arrêt du Conseil d’État Établissements Companon-Rey relatif aux contrats entre un SPIC et ses usagers, CE Sect., 13 oct. 1961, Ets Companon-Rey, Rec., p. 567 ; AJDA, 1962, p. 98, concl. C. Heumann, note A. de Laubadère ; D., 1962, juris. p. 506, note J. Vergnaud. Jean-Gabriel Sorbara, note sous TC, 22 nov. 2010, préc., JCP A, janvier 2011, 2041 ; TC, 17 déc. 1962, Dame Bertrand, Rec., p. 831, concl. Chardeau ; AJDA, 1963, p. 88, chron. M. Gentot, J. Fourré. 187 La décision Brasserie du Théâtre exclut en effet les relations entre personnes publiques, qui sont régies par la présomption réfragable établie par l’arrêt UAP, ce que souligne Florian Mokhtar, « Le tiers peut contester devant le juge administratif les actes détachables de gestion du domaine privé », AJDA, 2012, p. 1684, note ss Dewailly, préc. 188 Caractère qui justifie la compétence du juge judiciaire pour Guylain Clamour, « La contestation par un tiers d’un contrat portant sur la gestion du domaine privé », AJDA, 2011, p. 1682. 185 498 doit être la valorisation et la protection du domaine privé, et que son effet doit être neutre sur le périmètre et la consistance. En d’autres termes, non seulement la compétence du juge judiciaire se limite aux litiges du pur droit privé, mais il se limite aux litiges de faible importance puisque si l’opération peut avoir pour effet de modifier le patrimoine de la personne publique ou la valeur du bien en cause, le juge administratif reprendra sa compétence au stade de l’acte détachable. Celui-ci est donc bien par principe une décision administrative, sauf à ce que ce caractère soit délibérément ignoré pour des motifs de bonne administration de la justice, à l’instar du cas des mesures d’ordre intérieur. Quant aux contrats de droit privé189, la banalisation des clauses de résiliation unilatérale 190 se justifie non en raison du bloc de compétence du juge judicaire 191 mais à l’inverse, ce bloc peut se justifier dès que l’exorbitance de ces clauses est admise par le juge qui fait application d’un droit privé « administratif », altéré par la conscience qu’a le juge de la spécificité de la situation en raison de la personnalité publique d’une des parties et de l’action publique qu’elle met en œuvre192. 545. La réforme de la répartition du contentieux signifierait de préférer au juge judiciaire le juge administratif pour connaître de litiges que les conseillers de TA et de CAA ne résolvent jamais et pour cause. Sans doute seraient-ils tout à fait aptes à maîtriser les règles applicables aux litiges en cause. Mais l’intérêt de l’unification, en dehors de l’esthétique du système juridique qui présenterait sans équivoque une unité parfaite, semble des plus douteux. Le juge administratif, dans l’application du droit civil qu’il serait sans doute amené à faire, aurait sans doute l’occasion d’apporter les adaptations qu’imposent les nécessités de la conciliation entre les nécessités de l’action administrative et la protection des intérêts qui lui sont opposables. Néanmoins, l’intérêt en question n’est pas absolument acquis dès lors que le juge judiciaire lui-même procède, s’il le souhaite, à une telle adaptation 193. Ce serait renouer avec 189 Antoinette Hastings-Marchadier, « Les contrats de droit privé des personnes publiques et la liberté contractuelle », AJDA, 1998, p. 693, qui démontre, spéc. pp. 689 que de tels contrats de droit privé ne sont pas pour autant des contrats privés dans la mesure où des règles incompressibles de droit public s’y appliquent. 190 TC, 20 février 2008, Verrière c/ Communauté urbaine de Lyon, n° 3623 ; AJDA, 2008, p. 436 ; Annales voirie 2008, n° 125, p. 13, obs. S. Deliancourt ; BJCL, 2008, p. 543, concl. A. Gariazzo ; Contrats et Marchés publics 2008, comm. 122, note G. Eckert ; Dr. Adm., mai 2008, comm. 64, p. 21, note F. Melleray ; JCP A, 2008, comm. 2117, note P. Yolka. ; Rev. Lamy coll. terr., septembre 2008, p. 41, obs. E. Glaser. 191 Cf. Marine Chouquet, p. 284 et la discussion qu’elle opère avec Fabrice Melleray, note précitée sous l’arrêt Verrière, où il considère que la clause n’était en fait pas exorbitante, contrairement à la jurisprudence précédente. Une clause n’est sans doute pas en elle-même exorbitante, mais elle sera ou non considérée comme telle pour des raisons plus profondes et plus larges que son seul contenu particulier. 192 Cf. supra. 193 Un cas emblématique est la nécessité pour le juge pénal, confronté à la mise en cause d’une personne publique dans le cadre de l’article 121-2 du code pénal, de déterminer à la fois le caractère de service public d’une activité et le caractère délégable de l’activité. Voir, tout particulièrement, les conclusions de Dominique Commaret dans l’affaire du Drac, sur l’arrêt Cass. crim., 12 déc. 2000, Bull. n° 371 ; Rapp. C. cass. 2000, p. 441 ; Bull. inf. C. Cass. 2001, n° 529, p. 3, rapp. Mme Ferrari, concl. Mme Commaret 499 l’idée d’un privilège de juridiction que de considérer que l’administration serait mieux servie par « son » juge. Ce serait une garantie discutable que de considérer que les intérêts des particuliers pourraient être mieux protégés par le juge administratif dont la fonction est de contrôler l’administration. La question appelle donc un traitement politique clair faisant état des véritables motifs et des véritables finalités d’une modification de l’état du droit. En revanche, le système actuel autorise à réviser la présentation qui est faite du droit positif, qui ne semble plus être en adéquation avec lui. Il ne nous semble plus exact de dire que le domaine privé signifie, en principe, compétence du juge judiciaire. Les exceptions sont si nombreuses et le principe si exceptionnel qu’une inversion des termes s’impose 194. La propriété publique implique de manière générale la compétence du juge administratif et, par exception, la compétence du juge judiciaire, lorsque l’essentiel d’un litige relève du droit privé et pratiquement rien du droit administratif. C’est donc les caractères juridiques matériels du litige qui justifient la compétence du juge judiciaire et non une relation d’identité entre propriété et juge judiciaire, qui renverrait à la conception première mais obsolète d’un domaine privé, domaine de propriété privée. En effet, « l’antinomie du rapport entre fonction patrimoniale et fonction d’intérêt général apparaît contre-nature, dès lors qu’elle postule que l’administration propriétaire des biens du domaine privé n’agisse pas en vertu du mandat d’intérêt général qui la fonde »195. Au contraire, l’activité des personnes publiques propriétaires est une activité administrative au même titre que l’exercice de la puissance publique. Elle appelle application du même droit, le droit public, lequel a pour droit commun le droit administratif, et pour juge naturel le juge administratif. Il connaît cependant des règles de droit civil et la compétence, par exception, d’un juge judiciaire qui se fait alors juge de l’action publique. 546. En conclusion, la propriété publique est un droit mixte. Elle connaît des règles de droit civil et des règles de droit administratif. Elle appelle la compétence des deux ordres de juridiction. Cette mixité ne divise pas pour autant l’activité des personnes publiques entre une action publique et une action privée. Cette activité est toujours un élément de l’action publique. Les personnes publiques propriétaires, étant toujours un élément de l’État-appareil, sont toujours régies par le droit public. C’est celui-ci qui, droit de l’action publique, connaît en son sein des règles issues de sources diverses et dont l’application sera partagée entre deux ordres de juridiction. Le Tribunal des conflits n’est donc pas tant l’arbitre entre la sphère privée et la sphère publique que le seul départiteur entre deux ordres de juridictions pour la soumission de 194 195 Ce que considérait déjà René Chapus, Droit administratif général, Montchrestien, 2001, 15e éd., t. 2, n° 641 p. 534. Marine Chouquet, op. cit., p. 177. 500 l’action publique au droit. Il faut donc se départir du prisme purement contentieux dans l’analyse des décisions de l’administration, au sein desquelles on distinguera les actes qui font grief ou non, comme les mesures d’ordre intérieur, et les actes insusceptibles de recours, comme les actes de gouvernement, ou les actes dont le recours offert devant le juge judiciaire s’avère suffisant196. L’ordre juridique partiel du droit public est donc le seul contexte normatif de l’activité des personnes publiques propriétaires et ceux parce qu’elles en sont les sujets. L’exercice de leur droit de propriété est toujours l’exercice de leur compétence, raison pour laquelle il s’exerce par des décisions administratives susceptibles de recours devant le juge administratif, sauf à ne faire que trop peu grief ou selon des termes juridiques dont le juge judiciaire a l’habitude de connaître. La compétence de la personne publique, habilitation du droit public objectif, fonde et régit l’activité des personnes publiques dans toutes ses dimensions, nonobstant l’application de règles dont la source n’est pas univoquement administrative et la compétence éventuelle du juge judiciaire. L’activité des personnes publiques propriétaires est donc toujours, au moins au stade de la première impulsion, la concrétisation de cette compétence, si bien que toute situation juridique qui en résultera recélera une part résiduelle de droit administratif 197 . Elle est, par conséquent, inscrite dans le seul droit public, malgré sa rencontre avec les particuliers, sujets du droit privé. La participation des personnes publiques au commerce juridique n’a donc pas pour effet d’en modifier la nature, ni même de l’altérer en dehors de la simple apparence. Cette activité s’inscrit aussi dans ce que ce commerce juridique traduit juridiquement : le commerce économique des propriétaires de richesses nourrissant des relations d’échange. L’action publique dans le commerce juridique est donc une activité économique publique soumise à ce titre au droit public économique qui va, on va le voir, structurer l’activité des personnes publiques propriétaires. Dans le même sens, Anne-Laure Girard, La formation historique de l’acte administratif, Dalloz, 2013 ; également sur le tropisme contentieux Michel Virally, v° Acte administratif, Répertoire de droit public et administratif, Dalloz, 1958, t. 1, p. 6 ; Francis-Paul Bénoit, Le droit administratif français, Dalloz, 1968, pp. 513-520 ; Pierre-Laurent Frier et Jacques Petit, Précis de droit administratif, Montchrestien, 2010, 6e éd., p. 281. 197 Marine Chouquet, op. cit., p. 316, considère ainsi que « l’intégralité de leur capacité d’action est conditionnée par le respect d’une finalité spécifique, celle de contribuer, au mieux de l’intérêt général, à remplir leurs missions », ce que nous appelons concrétiser leur compétence en tant qu’habilitation. Cf. infra le dernier chapitre de cette thèse. 196 501 Conclusion du Chapitre 1 547. L’ordre juridique partiel du droit public suppose des règles qui en sont la substance juridique et des juges qui en assurent l’effectivité par leur application lors des litiges que soulève l’action administrative à l’occasion de la gestion des fonds et des biens administratifs. Quant aux règles, l’ordre juridique partiel du droit public accueille toutes celles dont il reconnaît la source. Cela ne remet en rien en cause l’autonomie de l’ordre partiel parce que les règles ainsi admises sont appropriées par cet ordre et modifiées autant que de besoin pour être adaptées aux exigences de l’action publique. La soumission de la gestion des fonds et des biens administratifs au droit issu de sources de l’ordre juridique du droit privé ou d’ordres juridiques internationaux ne modifie donc que le contenu de l’ordre juridique partiel du droit public et ne change rien à son autonomie. Il en va de même de la compétence du juge judiciaire, qui se fait juge de l’ordre juridique partiel du droit public chaque fois qu’il connaît d’un litige trouvant sa cause dans la gestion des fonds et des biens administratifs. Le problème qui se pose est essentiellement technique, relatif à la situation des plaideurs confrontés au dualisme juridictionnel qui implique soit un doute sur la compétence juridictionnelle soit la nécessité de poser des questions préjudicielles allongeant la procédure. Le problème le plus important, selon nous, est cependant l’application du droit privé aux personnes privées en charge de la gestion de fonds ou de biens administratifs. En effet, si le juge judiciaire tient compte de la qualité des personnes publiques qui sont parties aux litiges qu’il est appelé à trancher, il n’est pas certain qu’il tienne compte des exigences de l’action publique dans un litige impliquant deux personnes privées, même si l’une agit en qualité de gestionnaire d’un service public. C’est là une question qui dépasse le cadre de cette étude mais qui appellerait sans doute une attention toute particulière, le recours aux personnes privées étant un moyen de s’affranchir des règles du droit public, au risque d’en perdre le bénéfice lorsque ces règles sont des garanties de bonne gestion publique. Quoi qu’il en soit, cette analyse permet de confirmer que la spécificité des personnes publiques tient notamment à leur propriété qui voit sa nature confirmée jusque dans les litiges qui la soumettent au droit privé « administratif » qu’applique le juge judiciaire. Nous allons voir qu’il en va de même du droit économique que doivent respecter les personnes publiques et qui, lui aussi, est approprié par l’ordre juridique partiel du droit public. Mieux, les personnes publiques lorsqu’elles gèrent leurs fonds et leurs biens administratifs constituent une composante du droit public économique. 502 Chapitre 2 La rencontre des ordres juridiques partiels à l’occasion de la gestion des fonds administratifs 548. « En économie de marché, écrit Guylain Clamour, le droit public ne peut trouver son salut que dans la reconnaissance pleine et entière de l’intérêt public concurrentiel ». Cela conduit à intégrer le droit de la concurrence comme étant une source à part entière du droit des activités administratives. Cela étant, il ajoute immédiatement que, « une fois ce (grand) pas effectué, [le droit public] s’impose comme étant le seul droit à pouvoir réaliser la conciliation, tellement impérieuse, entre la concurrence et leurs autres exigences d’intérêt général de même valeur » 1 . Autrement dit, la soumission des activités administratives au droit de la concurrence ne signifie pas soumission sans adaptation. C’est cette logique qui soulève l’hypothèse que la soumission des activités administratives au droit public économique n’a qu’une portée relative quant à l’autonomie du droit des activités administrative. Les règles de droit d’ordre économique sont appropriées par l’ordre juridique partiel du droit public, qui les y adapte, les colore de ses propres spécificités et principes, et tient compte, notamment, de la qualité publique des opérateurs qui en sont les destinataires. L’intégration aux fonds administratifs de règles de droit public économique, loin d’atténuer leur autonomie, réaffirme la distinction des ordres juridiques partiels, malgré leur mise en relation dans le milieu économique. En effet, d’une part, le droit public économique n’est pas seulement le droit régissant les activités économiques liées aux fonds administratifs. Il est d’abord le droit de la politique économique en ce qu’il fonde, avant de la régir, la dimension économique des activités administratives. Il faut donc voir dans la soumission au droit public économique un simple approfondissement de l’État de droit (Section 1). Si une évolution indéniable s’est produite dans l’encadrement des activités administratives par le droit public économique, ce phénomène n’a qu’une portée limitée et confirme, en réalité, l’autonomie des fonds administratifs, c’est-à-dire des activités relevant de l’ordre juridique partiel du droit public (Section 2). Section 1 La soumission au droit public économique : un simple approfondissement de l’État de droit Section 2 La soumission au droit public économique : une confirmation de l’autonomie des fonds administratifs par rapport aux fonds du droit privé 1 Guylain Clamour, Intérêt général et concurrence. Essai sur la pérennité du droit public en économie de marché, Dalloz, 2006, n° 96 p. 45. 503 Section 1 La soumission au droit public économique : un simple approfondissement de l’État de droit 549. Sophie Nicinski souligne le lien structurant entre l’État et l’économie : « qu’il soit libéral ou qualifié d’interventionniste, l’État s’est construit sur la maîtrise de l’économie, a assuré de tout temps un rôle de gardien du bon fonctionnement du marché et s’est parfois même octroyé des prérogatives dirigistes »2. Ce rapport de l’État à l’économie est constitué par des rapports de forces dont on peut considérer, en simplifiant, qu’il s’agit de la volonté politique d’une part, et du milieu économique d’autre part. Dimitri Yernault, voulant définir le droit public économique comme le droit de la politique économique, s’est proposé d’en faire la démonstration en le décrivant à travers cinq relations de l’État à la propriété3. Il nous semble que son analyse peut être confirmée par le point de vue que nous avons adopté. En effet, les personnes publiques exercent la puissance et la propriété, ce qui fait la synthèse de ces relations sous deux mécanismes essentiels de l’action publique à l’égard de la propriété : commander aux propriétaires, agir en propriétaires. L’État définit le régime de la propriété et lui donne ses règles d’exercice au moyen de la puissance publique normative. Certaines personnes publiques seront appelées à compléter ces règles ou à en assurer l’application. L’État et les personnes publiques, propriétaires bénéficiant de l’éventuel renfort de la puissance, peuvent alors développer leurs propres activités, soutenir les activités privées ou établir des mécanismes de redistribution des richesses. Le droit public, y compris économique, est toujours principe d’action et principe d’encadrement de l’action. Dimitri Yernault considère qu’il y a « a droit public économique là où il y a volonté des gouvernants d’organiser les circuits d’échange, de production, de consommation, voire d’influer sur le sens même de ces activités, et de veiller un tant soit peu à leur équilibre général »4. C’est la dimension volontariste du droit public, celle qui en fait un droit au service de l’action publique. Cependant, il existe aussi un droit public économique qui constitue une limite au droit public économique. C’est cette ambivalence qu’il s’agit de souligner pour définir le droit public économique comme étant à la fois du droit de l’action publique par l’action sur l’économie, et le droit qui saisit les activités administratives dans leur dimension économique (§ 1). Ce droit a connu une évolution particulièrement notable dans les dernières décennies, passant du droit destiné essentiellement à traduire la politique économique nationale, à un droit destiné à régir les activités administratives dans leur ensemble, et donc les fonds administratifs (§ 2). 2 Sophie Nicinski, Droit public des affaires, Montchrestien, 3e éd., 2012. Dimitri Yernault, L’État et la propriété. Le droit public économique par son histoire (1830-2012), Bruylant, 2013. Si l’auteur se réfère à l’Histoire du droit public économique de la Belgique, l’essentiel des analyses sont parfaitement transposables en droit public économique français. 4 Dimitri Yernault, op. cit., p. 91. 3 504 § 1 L’ambivalence du droit public économique : traduction de la politique économique, encadrement des politiques publiques 550. Loin d’être un phénomène récent, « les rapports du Droit et de l’Économie sont passés au cours des trois derniers siècles par des phases successives d’imbrication, puis d’antagonisme ou d’ignorance mutuelle et enfin d’intérêt réciproque »5. Ces oscillations ne traduisent rien d’autre que les évolutions historiques de la dialectique évoquée à l’instant. Le droit public économique d’une société donnée correspond à la représentation juridique des activités économiques, et traduit la politique que les gouvernants développent à leur égard. La relation éventuellement conflictuelle entre l’État et la vie économique constitue le contexte le plus général mais aussi, sans doute, le plus fondamental, de l’activité des personnes publiques propriétaires 6 . Les personnes publiques propriétaires peuvent être situées dans la perspective d’une participation de la superstructure politique dont elles relèvent à l’infrastructure économique qui est représentée, en droit, par le commerce juridique et les rapports économiques mis en œuvre au moyen de la propriété (A). Le fait que l’on puisse décrire le droit public par les relations de l’État-appareil à la propriété, comme l’a proposé Dimitri Yernault, permet de prendre les personnes publiques propriétaires comme un objet dont l’observation permet la description analytique du droit public économique (B). A. Les personnes publiques propriétaires : la participation de l’État-appareil aux activités économiques 551. La dialectique entre l’infrastructure économique et la superstructure juridique se fonde sur le fait que les rapports politiques sont, notamment, la continuation de rapports économiques7. Autrement dit, il est pertinent de mettre en rapport le droit et l’économie à partir des concepts de superstructure et d’infrastructure (1). L’activité des personnes publiques propriétaires apparaît alors comme une participation de la superstructure à l’infrastructure, ce qui n’est que la traduction en langage économique de l’autonomie de leur action en termes juridiques (2). 1) Les personnes publiques propriétaires entrant en relation avec l’infrastructure économique 5 Ainsi, pour Bruno Oppetit, « Droit et économie », APD, 1992, p. 17. Une manifestation récente de cette donnée résulte de la loi n° 2014-626 du 18 juin 2014 relative à l'artisanat, au commerce et aux très petites entreprises ayant admis les fonds de commerce constitués sur le domaine public. 7 La proposition se situe dans le prolongement des analyses précédentes relatives à la constitution du droit public selon un modèle organique. L’infrastructure est cette souveraineté latente qu’est le milieu social, tandis que la superstructure est ce souverain pré-juridique d’où jaillit l’État et son doit. Cf. supra. 6 505 552. Le rapport du pouvoir politique à l’économie constitue une forme de loi sociologique, une constante historique qui conduisait Fernand Braudel à considérer que les civilisations sont, notamment, des économies8. La profondeur historique des relations entre les pouvoirs publics et les activités économique autorise (a) à recourir aux concepts de superstructure et d’infrastructure à titre d’outils explicatifs (b). a) La profondeur historique des relations entre les pouvoirs publics et les activités économiques 553. Gérard Minaud a fait l’étude des rapports de l’État romain aux Gens de commerce à travers l’étude du droit romain des activités économiques et commerciales 9. De l’indifférence absolue au contrôle le plus étroit, le pouvoir politique a produit une politique économique et un droit des gens de commerce qui ont reflété des évolutions de la société romaine. L’expansion de l’Empire, et plus encore de la ville même de Rome, a progressivement fait de l’État le responsable de l’alimentation d’une plèbe urbaine oisive. La dépendance du pouvoir politique à la satisfaction de cette dernière imposa progressivement un contrôle de plus en plus strict de la production des denrées et de leur acheminement jusqu’à Rome. Or, cet encadrement de l’économie par le pouvoir politique est devenu facteur de paralysie et d’atonie de la vie économique du Bas-Empire romain10. Gérard Minaud évoque également un dilemme important, « celui d’assurer à l’État des revenus en fiscalisant les mouvements commerciaux de marchandises et d’éviter de voir le prix du détail trop élevé » 11 . On relèvera que c’est un dilemme qui n’a rien perdu de son actualité, puisque les revenus des personnes publiques, qu’ils soient fiscaux ou produits par les propriétés publiques, sont toujours un facteur de renchérissement du prix pour le consommateur final. Si l’infrastructure économique est une source de puissance politique, la ponction ne saurait dépasser un certain seuil sans la tarir. Enfin, l’auteur évoque la gestion collective par le peuple romain des salins, que Tite-Live décrit comme un monopole public dès 503 av. J.-C. et qui furent concédés à des particuliers en 204 av. J.-C.. Ce commerce du sel, « né d’une initiative publique, a entretenu pendant des siècles l’activité Fernand Braudel, Grammaire des civilisations, Flammarion, 1993, spéc. pp. 50 et s., pour ce qui concerne l’économie. L’auteur considère que la civilisation se définit par les sciences de l’homme que sont la géographie, la sociologie, l’économie et la psychologie collective. 9 Gérard Minaud, Les gens de commerce et le droit à Rome, PUAM, 2011. 10 Ibid., n° 302 p. 279 : « De normes qui encourageaient les acteurs du commerce les plus dynamiques, le monde romain était passé à des normes qui écrasaient les acteurs du commerce sans leur présenter d’espoirs de jours meilleurs ». 11 Ibid., n° 378 p. 335. 8 506 de professionnels privés » 12 , ce qui démontre l’ancienneté de ce qu’on nomme aujourd’hui valorisation et qui consiste, notamment, à susciter une activité économique sur les propriétés publiques13. Il y a ici interdépendance du pouvoir politique et des agents économiques, puisque le propriétaire public permet et, par conséquent, soutient une activité tout en pouvant, éventuellement, lui imposer des obligations en forme de régulation. Cela démontre que, si les personnes publiques propriétaires relèvent de l’action publique, cette action est intimement liée à l’activité économique en général. En somme, le droit romain connaissait une propriété publique ayant un fondement en droit objectif, l’établissement du monopole par lequel la Cité assumé l’activité, et un exercice subjectif, par des partenaires privés assurant l’activité. Le fonds administratif à gestion délégué apparaît sous forme de prototype historique avec ces salins publics de la République romaine 14. L’objectivisme du droit romain connaissait une certaine forme de limite. Il faut noter que les déterminants du monopole sur le sel n’étaient pas uniquement économiques mais relevaient également d’une dimension sociopolitique15, le sel étant un produit de subsistance vital. Qu’il soit aujourd’hui devenu un problème de santé publique16 révèle qu’il est toujours une question intéressant les pouvoirs publics. Entre gestion collective d’une ressource, appropriation publique ou établissement d’un service public, les personnes publiques choisissent les modalités de leur relation à la vie économique. Ce choix n’est neutre ni pour l’État et les institutions politiques, ni pour l’économie et les entreprises qui en constituent les particules élémentaires. On retrouve des analyses du même ordre dans les développements consacrés à la vie économique par Jacques Ellul 17 . Plus récemment, la très faible efficacité de l’économie administrée des États socialistes s’inscrit dans cette même problématique : le politique peut conduire à l’assèchement de l’économique. A l’inverse, les puissances économiques peuvent aussi, on le sait, aliéner entièrement le politique à leur profit, le contrôler par corruption ou de 12 Ibid., spéc. pp. 339 et s. L’auteur évoque également le cas plus connu des mines, indiquant qu’en « mettant à ferme l’exploitation de biens fonciers publics pour en extraire des minerais, les transformer en lingots, les transporter et enfin les vendre, les pouvoirs publics romains ont généré des gens de commerce », ibid., n° 384 p. 341. 14 On relève qu’une même analyse a pu être proposée des compagnies coloniales et maritimes comme les premières expressions de l’économie mixte associant l’État et des actionnaires privés, Jean-Paul Valette, Droit public économique, Hachette, 2e éd., 2009, pp. 12-14. 15 Ibid., n° 383 p. 340 : « L’importance socio-économique du sel, aussi bien destiné à la préparation et à la conservation des aliments qu’aux soins médicaux et vétérinaires, ne pouvait échapper à Rome au droit public de l’économie ». On évoquera également le fait historique que Venise construisit largement sa puissance sur le monopole du sel, maintenu fermement par la force des armes pour réserver son exploitation dans la lagune et ainsi contrôler son commerce dans la vallée du Pô, . 16 Gérard Brochoire, « Le pain et le sel : un enjeu de santé publique ? », NAFAS, n° 1, mars 2003 ; Directive 95/2/CE du Parlement et du Conseil du 20 février 1995 concernant les additifs alimentaires autres que les colorants et les édulcorants. Une autre directive devrait réduire spécifiquement la quantité de sel dans le pain à l’horizon 2015. 17 Jacques Ellul, Histoire des institutions, L’antiquité, PUF Quadrige, 1999 (1961), spécialement le développement consacré aux Lagides d’Égypte, p. 202 : « Ce dirigisme n’a pu se maintenir longtemps. Progressivement, l’État s’est embourbé dans une administration excessive ; la centralisation a rendu l’administration économique incohérente lorsque le pouvoir central a été moins vigoureux. L’étatisme a ruiné le pays et l’État ». 13 507 manière encore plus systémique (phénomènes oligarchiques) ou lui opposer comme obstacle « le mur d’argent ». Gérard Minaud relève ainsi, pour le cas de l’Empire romain, que c’est l’affermage de l’impôt qui conféra une puissance telle aux publicains chargés de son recouvrement que Cicéron ou Tite-Live purent parler d’un ordo publicanorum se maintenant jusqu’à ce que les procurateurs et questeurs reprennent en régie la collecte des recettes 18. Le même phénomène se produisait sous l’Ancien Régime avec la Ferme générale 19 . On voit ici comment les acteurs économiques peuvent influencer les acteurs politiques sans oublier l’éventuelle identité entre certains acteurs des deux sphères ou en tout cas le soutien apporté aux mêmes groupes d’intérêts. Ainsi que l’exprime Dimitri Yernault : « Le capitalisme, comme n’importe quel autre mode d’organisation des rapports économiques, en particulier dans sa composante financière dominatrice, a eu besoin de l’État et de son droit, pour s’installer, croître, prospérer et survivre. Quand les forces qui le dominent à leur tour sur le moment croient que ceci est fait, elles n’ont de cesse que de s’en affranchit » 20 . Le droit public économique est non seulement le produit des politiques économiques mais, à travers elles, il traduit un certain état du rapport entre le pouvoir politique et la vie économique. C’est pourquoi l’observation des personnes publiques et de ce dont elles sont propriétaires est particulièrement révélateur de l’état de ce rapport dans une société donnée et à un moment donné. 554. Les patrimoines publics reflètent l’évolution des missions composant les compétences des personnes publiques 21 et les techniques juridiques édictées pour en permettre l’accomplissement 22 . Du point de vue du rapport à la vie économique, deux dimensions essentielles apparaissent. D’une part, les activités économiques des personnes publiques peuvent être une source de revenus. D’autre part, elles peuvent être un moyen pour les personnes publiques d’agir sur la société, quant à la répartition des richesses, quant à leur production. Les ressources publiques ont évolué au point de marginaliser à l’extrême les revenus issus directement de l’exploitation des patrimoines publics. Les ressources sont devenues essentiellement fiscales. Il y a un siècle déjà, Arthur Bochard écrivait que, alors que « les domaines 18 Gérard Minaud, op. cit., n° 385 p. 342. Jean-François Sestier, Le développement des techniques administratives conventionnelles, th. Lyon 3, 1988, pp. 48-49. 20 Dimitri Yernault, L’État et la propriété. Le droit public économique par son histoire (1830-2012), Bruylant, 2013, p. 61. 21 Hubert-Gérald Hubrecht, Droit public économique, Dalloz, 1997, pp.17-18 : « l’économie française est en effet caractérisée par l’ancienneté de la prise en charge directe par l’État d’un nombre non négligeable d’activités économiques et même plus précisément industrielles ». 22 Dans le même sens, Christophe Roux, Propriété publique et droit de l’Union européenne, n° 990 p. 646 : « Les finalités poursuivies par les personnes publiques, la conception de leur rôle ou leur environnement juridique évoluent. La propriété publique reflète alors l’évolution de leur être mais surtout celle de leurs fonctions ». 19 508 productifs de revenu diminuent non seulement en importance relative, mais en importance absolue, d’autre part il se reconstitue parallèlement mais sur de nouvelles bases, un domaine public national, provincial et communal »23. Le domaine privé se met progressivement au service des missions de service public tandis que le domaine public prend une ampleur croissante à mesure que ces services se multiplient et s’approfondissent. En somme, la propriété de l’État reflète ses fonctions et le rapport entre les produits du domaine et les recettes fiscales. Le même auteur faisait ainsi en 1910 un inventaire qui reflète assez bien la consistance des biens qui composent les patrimoines publics d’aujourd’hui : « peu à peu se construisent et s’agrandissent les ports maritimes, les voies de navigation intérieure, les grandes routes, les chemins d’intérêt général et local, les routes départementales, les chemins vicinaux, les rues, places, promenades et jardins publics des villes et communes, etc. A ces biens viennent s’ajouter les rivages de la mer, les portes, murs, fossés, remparts des places de guerre et des forteresses, les grands monuments publics, les palais et musées nationaux, ainsi que les objets d’art, tableaux, statues, manuscrits, plans et autographes qu’ils renferment » 24. Il notait ainsi, déjà, qu’une nouvelle catégorie de biens suivait une progression analogue : « ce sont les propriétés de l’État affectées à des services publics »25. Autrement dit, c’est en fonction des compétences de l’État qu’évoluent les patrimoines des personnes juridiques qui en sont, en droit, les agents immédiats. De nos jours, « on connaît bien l’évolution des fonctions de l’État devenu de plus en plus interventionniste à partir des deux premières guerres mondiales, prenant en charge des activités nombreuses, ce qui a entraîné une augmentation très importante des propriétés administratives, en raison des services publics implantés, devenues dans la plupart des cas des éléments forts d’aménagement du territoire comme les ports, les aéroports, les gares, les marchés d’intérêt national, etc. » 26 . On soulignera que la prise en charge des activités en cause relevait non seulement d’une volonté politique de favoriser le développement économique par la constitution des infrastructures, mais correspondait aussi aux exigences de la défense nationale lorsqu’elle reposait sur une mobilisation générale suivie d’une concentration des forces aux frontières. Cette évolution est fondamentale et n’a pas encore achevé de produire ses effets aujourd’hui. Elle a conduit à faire des personnes publiques propriétaires et des activités économiques qu’elles mettent en œuvre directement ou qu’elles permettent indirectement des structures fondamentales de la vie économique de la nation. On peut y voir une relation de la superstructure politique à l’infrastructure économique. Arthur Bochard, L’évolution de la fortune de l’État, Giard & Brière, 1910, p. 274. Idem. 25 Ibid., p. 277. 26 Catherine Mamontoff, « Les aires d’accueil des gens du voyage : point de rencontre du domaine public et de l’aménagement des lieux de vie », in Mélanges Philippe Godfrin, Mare & Martin, 2014, p. 313. 23 24 509 b) La dialectique de la superstructure et de l’infrastructure comme méthode d’analyse des rapports entre droit et économie 555. L’intérêt pour le rapport entre le droit et l’économie n’a rien de récent 27 mais il a pris, avec le développement d’un droit économique devenu hégémonique, une importance qu’il n’a sans doute jamais eue28. Un auteur s’inquiète ainsi de la difficulté pour le juriste d’aborder les questions économiques : « Sur le marché des idées, la science économique déroute par son émiettement. Les juristes doivent se convertir à la science économique. Soit, mais laquelle ? » 29 . Il faut dire que la théorie économique remonte à l’Antiquité 30 et que le rapport de l’économie et du droit avait, par exemple, été perçu par Jean Bodin31. Romain Rambaud dénonce la confusion généralement commise par la doctrine française entre le champ disciplinaire Droit et Économie et son courant dominant, mais aussi idéologiquement marqué, de l’Analyse économique du droit32. Il déplore que, par son ignorance de la diversité des théories en cours dans cette discipline, la doctrine française se « prive de la possibilité d’en explorer toutes les potentialités »33. Le juriste, s’intéressant à la propriété publique, semble donc devoir prendre conscience de cette connexion disciplinaire34. 556. La concurrence entre les théories économiques, qui n’est souvent que l’un des champs d’affrontement de conceptions politiques concurrentes, a des répercutions dans l’élaboration du droit qu’il nous revient de comprendre. Il est même possible de percevoir l’influence de telle ou telle théorie sur le discours du droit positif et la pratique des autorités chargées d’en assurer 27 C’est ce que démontre Romain Rambaud, L’institution juridique de la régulation. Recherches sur les rapports entre droit administratif et théorie économique, L’Harmattan, 2012, spéc. l’introduction. 28 Sur ce point il convient de mentionner les travaux précurseurs de Laurent Vidal et Thierry Kirat. P. ex. Laurent Vidal, L’équilibre financier du contrat dans la jurisprudence administrative, Bruylant, 2005 ; Thierry Kirat, Économie et droit, La Découverte, 1999. 29 Alain Bernard, « Law and Economics, une science idiote ? », D. 2008, p. 2806. 30 Cf. infra l’analyse effectuée à partir de la thèse de Gérard Minaud. Voir aussi Aurélien Antoine, Prérogatives de puissance publique et droit de la concurrence, spéc. n° 27. 31 « République est un droit gouvernement de plusieurs mesnages, et de ce qui leur est commun, avec puissance souveraine. » Jean Bodin apparaît par sons analyse de l’inflation due à l’arrivée massive de métaux précieux des colonies espagnoles du Nouveau Monde comme un précurseur de l’analyse quantitative de la monnaie tandis qu’il consacre par ailleurs des développements à la dette publique. Jérôme Blanc, « Les monnaies de la République. Un retour sur les idées monétaires de Jean Bodin », Cahiers d’économie politique, 2005. 32 Pour une présentation détaillée, cf. Bruno Deffains (dir.), L’analyse économique du droit dans les pays de droit civil, Actes du Colloque organisé par le Centre de Recherches et de Documentation Économique de l'Université de Nancy 2 les 28 & 29 juin 2000, éd. Cujas, 2002 ; Pour une approche critique appliquée au droit public, cf. également Jean-François Calmette, « Réflexions sur la valeur de l’analyse économique du droit : le cas du droit public », RRJ, 2004, p. 905. 33 Romain Rambaud, op. cit., n° 75 p. 53 ; voir aussi Ejan Mackaay, Stéphane Rousseau, Analyse économique du droit, Paris, Dalloz, 2e éd., 2008. 34 Pour Alain Bernard, il s’agit d’admettre l’idée que « les juristes, comme spécialistes de la mise en forme du pouvoir, portent certainement une part de responsabilité dans la défaillance collective révélée par la crise financière », « Le marché autorégulé, « une idée folle » ? », D., 2009, p. 2289. 510 l’application 35 . En politique économique, cela se traduisit aux États-Unis par un vaste mouvement de déréglementation financière au début des années 198036. L’œuvre juridique essentielle vient cependant du droit public économique. Avec le développement d’une politique de libéralisation décidée à l’échelon de l’Union européenne, il a conduit à des évolutions majeures dans l’action publique effectuée au moyen des activités économiques 37 . Pour François Denord, il convient néanmoins de distinguer, au sein du néolibéralisme. En effet, si le courant le plus offensif est celui de l’école de Chicago elle-même, il n’est pas celui qui a eu la plus grande influence en Europe. Selon cet auteur, c’est plutôt un courant pragmatique, représenté dans le modèle d’économie sociale de marché qui domine en Allemagne et dans les instances l’Union européenne 38 . Si les thèses n’ont donc pas eu, en France, le même succès qu’aux États-Unis et en Grande-Bretagne, il y eut néanmoins réception de certaines idées relatives à la modernisation de l’action publique39. En France, Françoise Dreyfus a pu décrire en ces termes l’évolution générale : « le rôle assigné à l’État, recentré sur ses fonctions régaliennes et stratégiques, ne consistera plus à faire ce que le secteur privé est censé faire mieux que lui et à moindre coût ; quant à l’administration bureaucratique, elle sera soumise à une transformation radicale grâce à la mise en œuvre systématique des préceptes du New Publics Managements ». Autrement dit : « moins d’État – du point de vue de son périmètre d’action directe – et, surtout, un État dont la gestion emprunte ses instruments à celle en usage dans les entreprises privées »40. Si le rôle de l’État évolue donc sous l’influence de conceptions économiques, il en va de même du droit qui régit leur propriété. Les concepts d’infrastructure et de superstructure sont de nature à permettre la démonstration de ce que l’activité des personnes publiques propriétaires est un élément du droit public économique, qui n’est pas qu’une matière parmi d’autres, mais le champ structurant du droit public régissant l’exercice des compétences par la propriété publique. 557. Absent de la pensée de Karl Marx, le droit a été cependant appréhendé par ce que Frédéric Zenati-Castaing a pu appeler les marxologues41. La raison en est que, pour Marx, le droit n’est que superstructure, et son étude exclusive conduirait à « ignorer que l’ordre social 35 Sur le lien entre certains phénomènes juridiques et la promotion de Milton Friedman comme conseiller de Ronald Reagan, Jean Paillusseau, « Respect des équilibres, choix de société et gestion du risque financier systémique », Revue de droit bancaire et financier, n° 6, Novembre 2010, étude 36. 36 Jacques Adda, La mondialisation de l’économie. Genèse et problèmes, La Découverte, 2006, p. 198. 37 La période qui s’étend de 1980 à nos jours est présentée par Dimitri Yernault comme celle du primat de la concurrence, op. cit., pp. 784 et s. 38 François Denord, Néo-libéralisme version française. Histoire d’une idéologie politique, Demopolis, 2007, passim. 39 Philippe Bezes, Réinventer l’État. Les réformes de l’administrations française (1962-2008), PUF, 2009, spéc. pp. 127-180. 40 Françoise Dreyfus, « La révision générale des politiques publiques, une conception néolibérale de l’État ? », RFAP, 2010, p. 860. 41 Frédéric Zenati, « Le droit et l’économie au-delà de Marx », préc., p. 121. 511 qu’induit un type donné d’économie engendre un ordre juridique spécifié »42. C’est pourquoi Bruno Oppetit considère que « Marx, loin de fonder une complémentarité du juridique et de l’économique, aboutit à nier l’autonomie du juridique »43. Il faut donc, d’emblée, admettre la critique de l’économisme de Marx qui ignorait les facteurs non matériels, telles que les guerres et la sexualité, déterminant les évolutions sociales44. L’intérêt pour les rapports entre l’économie et le droit conduit en somme à combler cette lacune. Or, les personnes publiques propriétaires qui ont désormais fait apparaître leurs droits subjectifs, de propriété et de puissance, et leurs activités, les fonds administratifs, apparaissent comme une donnée essentielle de ce rapport du droit à l’économie. Il s’agit ici d’apporter une contribution à la compréhension de la dimension économique du droit que révèle l’étude des personnes publiques dont l’action s’inscrit dans le milieu économique. 558. Pour Karl Marx et Friedrich Engels, l’infrastructure et la superstructure sont deux concepts permettant de penser les rapports sociaux, approche qui, dès lors, « condamne l’observateur à l’interdisciplinaire » 45 . S’ils sont inspirés par la pensée de Georg Hegel et liés à l’origine aux « jeunes hégéliens de gauche », ils rompent avec l’idéalisme de ce courant philosophique 46 . En effet, alors que pour Hegel l’évolution vient de l’Esprit, et qu’ainsi la superstructure – la société civile – détermine l’infrastructure, Marx et Engels considèrent que la relation est inverse. Il nous semble que la relation est sans doute alternative et qu’en réalité, ces deux points de vue n’approchent chacun que la réalité qu’ils permettent de comprendre. C’est pourquoi c’est en marxien plutôt qu’en marxiste que ces deux concepts seront utilisés, c’est-àdire en considérant le marxisme comme une méthodologie et non comme une doctrine politique47. 559. Des questions essentielles de la propriété publique en droit français sont en lien avec des considérations d’économie politique 48 . L’accroissement des recettes tirées de la gestion des propriétés publiques ne s’explique guère sans référence au contexte actuel des finances 42 Ibid., p. 122.. Bruno Oppetit, préc., p. 18. 44 Frédéric Zenati, préc., spéc. p. 24. 45 Idem. 46 Notamment dans l’ouvrage inédit à l’époque et qu’ils rédigèrent ensemble, L’idéologie allemande, in Karl Marx, Œuvres Economie I, éd. La Pléiade, Gallimard, 1965. 47 Frédéric Zenati, idem, souligne combien le marxisme a été altéré par l’évolution puisqu’il ne se considérait pas, à l’origine, comme une doctrine ou une théorie de la société. 48 On citera par exemple : Catherine Teitgen-Colly, La légalité de l’intérêt financier dans l’action administrative, Economica, 1981 ; Jean-Philippe Brouant, Le régime domanial à l’épreuve de la valorisation économique, th., Paris I, 1995 ; Sébastien Bernard, La recherche de la rentabilité des activités publiques et le droit administratif, LGDJ, 2001 ; Catherine Mamontoff, Domaine public et entreprises privées : la domanialité publique mise en péril par le marché, L’Harmattan, 2003. 43 512 publiques, lequel n’est lui-même que le reflet de la dialectique puisqu’il résulte autant de décisions politiques49 que de phénomènes purement économiques50. L’infrastructure désigne, selon ces auteurs, ce qui est relatif à la production : les conditions de production (climatiques, techniques, ressources naturelles), les forces de production (outils, machines), les rapports de production. Quant à la superstructure, elle désigne le très large champ des choses non matérielles, couvrant notamment, ce qui nous intéresse, les institutions politiques et juridiques51. La relation qui les unit n’est pas univoque, loin s’en faut. Si l’infrastructure, comme son nom l’indique, constitue sans doute la base fondamentale d’une société et en détermine largement les formes culturelles et sociales, la superstructure est le lieu où se forment les idées nouvelles et où se mettent en place les actions politiques qui, à leur tour, peuvent faire évoluer l’infrastructure et donner lieu à des évolutions sociales importantes52. Par ailleurs, les relations dépendent largement de la situation politique, paix ou guerre, et économique, crise ou non, ce qui rendra le droit qui en traduit l’état, le droit public économique, nécessairement « polymorphe »53. En somme, il s’agit, « à partir de l’œuvre de Marx d’avancer la double proposition que le rapport économique est juridique et le rapport juridique est économique »54. Autrement dit, il s’agit d’aborder sous cet angle le rapport qui unit le droit et l’économie. Cela permettra d’avancer, à terme, que l’activité des personnes publiques propriétaires est à la fois une activité économique 55 et une activité juridique, si bien que décrire leurs activités dans leur dimension économique revient à décrire l’une des dimensions essentielles du droit public économique. 2) L’activité des personnes publiques propriétaires : participation de la superstructure à l’infrastructure 560. L’analyse du droit public économique par les différents rapports qu’entretient l’État à l’égard de la propriété peuvent être réévalués à partir du point de vue de l’activité des personnes 49 Comme le choix du financement de la dette publique auprès des marchés financiers en lieu et place de la Banque centrale ; choix qu’on attribue parfois à tort à la loi n° 73-7 du 3 janvier 1973 qui en son article 19 confirme cette possibilité tout en, et c’était son objet, garantissant le contrôle du Parlement. En revanche, l’article 123 TFUE impose bien l’interdiction aux banques centrales de prêter directement aux États, cf. infra. 50 Tel que la contrainte énergétique, l’énergie disponible étant en quelque sorte la condition physique à l’activité économique quelle qu’en soit la nature et la toujours apparente immatérialité. 51 Karl Marx, Avant-Propos à la Contribution à la critique de l'économie politique, 1859, op. cit.. 52 On évoquera, pour illustrer le propos, l’évolution du rôle et de la fonction du critère social dans l’attribution des titres d’occupations du domaine public dont Catherine Mamontoff a montré qu’il s’est effacé progressivement devant la montée en puissance de la logique de valorisation, op. cit., spéc. pp. 184-187. CE, 18 déc. 1985, req. 48293, AJDA, 1986, p.112, concl. M. J. C. Bonichot, arrêt qui admet la prise en compte de critères sociaux mais ceux-ci ne peuvent plus désormais être exclusifs. 53 Jean-Christophe Videlin, « Le droit public économique et les crises économiques : approche historique », RFDA, 2010, p. 727, spéc. pp. 728-729. 54 Frédéric Zenati, préc., p. 126. 55 Expression employée ici dans un sens trivial, cf. infra pour l’analyse correspondant au droit de l’Union européenne. 513 publiques propriétaires à laquelle tous sont liés (a). Certaines évolutions du régime juridique de la propriété publique s’expliquent aisément si l’on situe ces personnes publiques propriétaires dans le cadre de la dialectique de la superstructure et de l’infrastructure (b). a) Les fonds administratifs et l’inscription des activités administratives dans le commerce juridique des activités économiques 561. Les personnes publiques apparaissent comme le lieu où la superstructure s’incorpore à l’infrastructure sans cesser de s’en distinguer pour autant. En effet, si leurs fonds administratifs sont constitués de l’ensemble des actifs affectés aux activités qu’elles assument, ces fonds administratifs sont insérés dans le milieu économique. Les personnes publiques perçoivent les recettes fiscales, et l’on sait que la prospérité économique de l’infrastructure détermine les recettes de cet élément de la superstructure qu’est l’État au sens large. Les prévisions de croissance sont ainsi le fondement de l’évaluation des recettes fiscales et la croissance effective le déterminant des recettes fiscales effectivement perçues. Le Premier président de la Cour des comptes, dans le cadre d’une communication, adressée en référé 56 au ministre des finances, Pierre Moscovici, soulignait ainsi l’impact budgétaire des écarts entre prévisions et réalisation. Par ailleurs, c’est une donnée fondamentale que cette part de la richesse est prélevée par les prélèvements obligatoires, mais également par l’emprunt et par les recettes autres que lesdits prélèvements57. Il y a cependant aussi une relation inverse par laquelle la commande publique, par exemple, détermine une large part de l’activité économique et ainsi, fait de la superstructure étatique un acteur institutionnel de l’infrastructure58. En d’autres termes, c’est en leur qualité de propriétaire, à travers le développement de leurs fonds administratifs, que les personnes publiques établissent une véritable interface matérielle entre la superstructure politique et l’infrastructure économique dont les relations d’interdépendance n’ont sans doute jamais été aussi fortes. Elles expliquent certaines des évolutions du droit régissant les personnes publiques propriétaires. Référé n° 68282 du 16 déc. 2013, sur le fondement de l’article R. 143-1 du code des juridictions financières. Qui rétablit ainsi l’égalité comptable entre le taux de prélèvement obligatoire et le taux de dépenses publiques, qui étaient respectivement en 2013 de 46,3 % et 55,3 % selon le ministère de l’économie et des Finances, « chiffres clés » associés au projet de loi de finance 2013. 58 Xavier Bezançon, « Le partenariat public-privé, véritable instrument de relance économique ? », in Le partenariat publicprivé, vecteur de relance ? dossier spécial : CP-ACCP, juin 2009, p. 34 et s. ; Loïc Levoyer, « Le plan de relance et les nouvelles conditions de financement des partenariats public-privé », JCP E, 2009, p. 1688 ; Florian Linditch, « Relance et marchés publics, relever le défi ? », JCP E, 2009, p. 2095 ; Mathieu Heintz, « La commande publique, outil d’interventionnisme public », RFDA, 2010, p. 760. 56 57 514 b) L’explication de certaines évolutions du droit de la propriété publique à l’aune de l’évolution de la dialectique traduite en droit public économique 562. La problématique des droits réels sur le domaine public 59 est essentiellement une problématique liée aux mécanismes du crédit60. Du point de vue de la personne publique, la logique de valorisation est essentiellement liée aux besoins de financement par le secteur financier61, laquelle n’est en réalité qu’un symptôme alternatif à la crise de la dette et des déficits publics, lesquels sont moins le fruit de la gestion passée que de la décision d’interdire pour les États d’emprunter directement à la banque centrale. Du point de vue de l’occupant, la question est le principe même de l’accès au crédit et, le cas échéant, à quel prix. La lecture de la thèse de Catherine Mamontoff démontre que le régime juridique du domaine public n’est pas en soi antiéconomique. Au contraire, il est tellement favorable à la personne publique du point de vue économique que cette dernière est la partie forte de la relation62. C’est en raison de la crainte de subir les effets des prérogatives dont elle dispose que l’investisseur privé réfléchit à deux fois avant de s’y implanter et qu’une banque exige des garanties pour consentir un prêt 63 . On comprend bien alors que l’intérêt des montages liés à l’occupation des propriétés publiques, domaine public en tête, réside essentiellement dans la relation qu’ils permettent d’établir avec les établissements de crédit. Ainsi, pour François-Charles Bernard, l’intérêt du bail emphytéotique et du crédit-bail réside toujours dans le fait de disposer rapidement d’un ouvrage ou d’un équipement, « sans supporter la charge de l’investissement, lissée dans le loyer » ou « sans recourir, formellement, à un emprunt »64. Or, l’État maîtrise largement, par le régime juridique qu’il met en place, la capacité pour lui-même, ses avatars et ses partenaires, d’obtenir le crédit. C’est donc bien le contexte normatif actuel qui contraint les besoins de financement des personnes publiques et privées et non une dimension théorique fondamentale. Les évolutions récentes relatives aux droits réels sur le 59 Parmi une littérature abondante, se référer par exemple à Yves Gaudemet, « Les droits réels sur le domaine public », AJDA, 2006, p. 1094. La question sera également abordée plus longuement dans le dernier chapitre. 60 Marion Ubaud-Bergeron, « Les contradictions du régime du financement privé des ouvrages publics sur le domaine public de l’État », AJDA, 2003, p. 1361. 61 Sauf évidemment lorsque valorisation équivaut en réalité à cession pure et simple d’actifs, comme cela a pu être critiqué en ce qui concerne la politique immobilière, voir notamment, Philippe Yolka, « Un État sans domaine ? », AJDA, 2003, p. 1017. 62 L’auteur considère ainsi, ibid., p. 60 : « on peut donc affirmer que le domaine public est un espace marchand où l'entreprise peut être anéantie à tout moment ». Voir aussi Christophe Alègre de la Soujeole, L’adaptation de la domanialité publique à l’interventionnisme de l’État, th. Montpellier I, 1979, p. 16, qui reproche ainsi au régime domanial de « faire peser la même précarité sur toutes les occupations privatives, au lieu de modeler les droits de l’occupant en fonction de l’intérêt que représente pour elle, telle ou telle activité privée sur son domaine public ». 63 D’où résulte que, « un paradoxe apparaît, effet pervers insoupçonné, but opposé à celui recherché initialement : c'est que la recherche exacerbée de rentabilité du domaine produit un effet inverse à celui espéré : on assiste à une régression des ressources domaniales, et au déclin du rôle économique du domaine public », ibid., p. 454. Voir aussi, déjà, Odile de David-Beauregard-Berhier qui posait la question en ces termes : « les collectivités publiques peuvent-elles sérieusement solliciter le concours d’investisseurs privés, tout en conservant le privilège de les évincer sans indemnité dans de nombreux cas ? », La justification actuelle de la distinction du domaine public et du domaine privé, op. cit., p. 164. 64 Voir par ex. François-Charles Bernard, p. 449-450. 515 domaine public, liées au besoin de financement auprès des marchés financiers, sont donc bien conjoncturelles et contingentes. Cependant, l’État ou plus généralement le pouvoir normatif le plus général (désormais partiellement institué dans le cadre de l’Union européenne) dispose structurellement et absolument du régime de financement de ses activités, et des activités qu’il juge nécessaires. La crise de la dette et des déficits publics achève de démontrer cette dimension fondamentale qui fait de l’État le maître en dernier ressort des conditions de la vie économique et, partant, de sa propre situation financière. Pour autant qu’il le veuille, et pour autant que les conditions économiques réelles le lui permettent, cela va de soi. 563. La crise de la dette est dans une large mesure le résultat de la « privatisation » de la création monétaire qui résulte indirectement de l’interdiction pour les États d’emprunter directement à leur Banque centrale. Ainsi, pour l’économiste Alain Grandjean, « si l’État retrouve le bénéfice de la création monétaire il redevient un acteur majeur dans le financement de l’économie, il retrouve sa liberté d’action dans le domaine de la politique économique et il peut imposer des contraintes et des règles ce qu’il ne peut plus faire aujourd’hui sous peine de sanctions immédiates sur le taux d’intérêt qui lui est imposé par les marchés »65. Il est clair que le rapport de l’État à la création monétaire, s’il est l’expression d’un privilège régalien emblématique, est aussi une dimension fondamentale de sa qualité de propriétaire. On se gardera cependant de confondre la création monétaire mesurée par la simple possibilité d’une relation entre l’État et la banque centrale, et la question toute différente de l’indépendance de celle-ci et du risque de dérive du type « planche à billet ». On soulignera donc seulement que toutes les questions qui portent sur la possibilité de faciliter le financement par les banques, que ce soit au profit de la personne publique ou de son partenaire privé, sont largement induits par l’interdiction d’emprunter directement à la Banque centrale ou à une institution financière publique. La proposition n’a rien d’iconoclaste ni d’extrême par elle-même66, défendue notamment par l’ancien Premier ministre Michel Rocard qui considère que la Banque centrale européenne pourrait prêter à des institutions européennes publiques, comme la Banque européenne d’investissement à 0,01%, laquelle prêterait aux États à 0,02% 67. Il est évident que le service de la dette ne limiterait plus les marges de manœuvres budgétaires des États. L’inflexion dans la politique de la Banque centrale européenne lors des derniers développements de la dette 65 Alain Grandjean, « Transférer le bénéfice de la création monétaire à la puissance publique », contribution au colloque du collectif des « économistes atterrés » sur la Création monétaire du 24 mars 2012. En ligne sur le site atterres.org. 66 Elle l’est cependant, de toute évidence, si l’on en juge par les tendances politiques qui se l’approprient et qui se situent pour l’essentiel, mais pas uniquement, aux deux extrémités de l’échiquier politique. 67 Michel Rocard, Mes points sur les i. Propos sur la présidentielle et la crise, Odile Jacob, 2012, p. 156. 516 grecque sous l’impulsion de son président, Mario Draghi, est d’ailleurs située dans la même ligne directrice que cette solution68. Il n’est cependant pas question d’entrer dans des débats de politique générale mais l’évocation de la question était néanmoins indispensable pour faire apparaître ce lien qu’un auteur percevait déjà avec une parfaite précision en 1910. Arthur Bochard faisait ainsi de l’évolution des patrimoines publics un objet à la confluence de la science des finances et du domaine, leur influence réciproque l’amenant à considérer que « si la fortune de l’État et les revenus publics ont leurs racines profondes dans les faits économique, les formes sous lesquelles ils se présentent dépendent, à un haut degré, des progrès du droit public, des différentes théories de l’État et des formes juridiques de la propriété publique »69. Dans le même esprit nous retiendrons deux idées essentielles. D’une part, la propriété publique, en tant qu’institution normative, s’inscrit dans un contexte d’économie politique qui en détermine largement le statut et le régime juridiques. D’autre part, l’État dispose d’une maîtrise de fait et de principe, absolue, sur le régime juridique de la vie économique et, par conséquent, de sa propre situation patrimoniale. Le statut des personnes publiques propriétaires et le régime de l’action publique au moyen de la propriété sont donc le résultat d’une contingence socio-économique et de la volonté de l’État. En cela la propriété publique est le résultat de la politique économique. Or, le droit public économique peut être défini comme le droit de la politique économique pouvant être décrit par les cinq relations de l’État à la propriété. B. Le droit public économique et sa description par les relations de l’État-appareil à la propriété 564. Dimitri Yernault définit le droit public économique comme étant le droit de la politique économique, et se propose d’en faire l’Histoire à travers l’évolution des rapports de l’État à la propriété. Résultant « des choix politiques à l’égard des activités économiques traduits en normes juridiques d’une part, et des limites juridiques s’imposant à la politique économique d’autre part » 70 , ce droit est d’abord un produit de la volonté de l’État jurislateur. Cependant, les personnes publiques font également usage du droit économique, qui leur permet notamment d’agir en qualité de propriétaires, ce qui constitue l’une de ces relations qu’entretiennent l’État et la propriété. Cela fait apparaître que le droit économique a pour destinataires les propriétaires, dont il fonde et 68 Le 6 septembre 2012, le Conseil des gouverneurs de la Banque centrale européenne, annonce qu’il interviendra sur le marché secondaire des dettes souveraines si nécessaire. Cette décision a sans doute mis fin, sinon à la crie de l’euro ce qui semblerait outrageusement optimiste, du moins à la spéculation prédatrice qui en était le symptôme majeur et sans doute le plus condamnable. 69 Arthur Bochard, L’évolution de la fortune de l’État, Giard & Brière, 1910, p. VII. 70 Dimitri Yernault, L’État et la propriété. Le droit public économique par son histoire (1830-2012), Bruylant, 2013, p. 18. 517 régit à la fois, donc limite également, l’activité au moyen de la propriété. Il est public dès lors qu’il a pour destinataire des propriétaires qui, publics ou privés, mettent en œuvre les activités administratives (1). Ce droit public économique peut être décrit par les relations que l’ensemble des éléments de l’État-appareil nourrissent avec la propriété et que l’on pourra réduire à deux dimensions : régir la propriété, exercer la propriété (2). 1) Du droit économique applicable aux propriétaires, au droit public économique applicable aux activités administratives 565. La volonté des gouvernants d’organiser les activités économiques est d’autant plus présente aujourd’hui que nos sociétés avancées connaissent une vie économique particulièrement développée, technique et exigeante quant aux modalités de sa réalisation 71. Le droit de l’État destiné à traduire sa volonté politique à l’égard de l’économie est également d’autant plus riche qu’il doit répondre à des intérêts toujours plus nombreux et souvent contradictoires72 dans une société où la conscience des individus a atteint un degré inégalé 73. Ainsi, c’est sans doute la figure du « consommateur » qui traduit le mieux cette évolution fondamentale de la dialectique puisqu’avec lui c’est le destinataire des circuits économiques qui demande à la superstructure de garantir son intérêt dans l’infrastructure 74 . La politique économique, si elle est la relation du pouvoir politique à la vie économique, se traduit juridiquement en autant de secteurs qu’il y a de problèmes à résoudre. C’est la raison pour laquelle « les éléments du droit public économique sont alors éparpillés entre plusieurs disciplines »75. De l’affirmation du statut du propriétaire dans le commerce juridique aux relations du travail en passant par le droit des marques et le droit de la concurrence, le droit public fonde la production par l’État du droit économique. On s’accordera donc avec Gérard Farjat pour considérer que le droit économique n’est pas seulement le droit public, mais aussi le droit produit par les pouvoirs publics pour régir l’économique 76 , ce qui oblige à adopter une 71 Les normes constituent sans doute la manifestation la plus topique de cette caractéristique de l’ordre juridique actuel, que ne remettra sans doute en cause qu’à la marge un éventuel « choc de simplification ». 72 L’idée que le droit public est un droit de conciliation, si elle n’est sans doute pas nouvelle dans son principe, a trouvé dans le phénomène de la régulation qui accompagne l’essor du droit de la concurrence une base nouvelle de conceptualisation. Cf., notamment, Guylain Clamour, Intérêt général et concurrence. Essai sur la pérennité du droit public en économie de marché, Dalloz, 2006, passim. La pérennité évoquée dans le sous-titre étant assurée selon cet auteur si l’État fait du droit public le droit de la conciliation des intérêts généraux pluriels. 73 Et que manifeste la vitalité du tissu associatif dont le droit administratif connaît indirectement à l’occasion des contentieux que ces associations de défense d’intérêts divers ne manquent pas de susciter. La réaction consiste alors parfois à entraver cette possibilité d’action contentieuse par l’exigence d’un agrément ou le respect de conditions particulières de recevabilité (cf. p. ex. les articles L.141-1 et s. du Code de l’environnement). 74 Dimitri Yernault souligne ainsi l’avènement du consommateur, « le grand oublié de la proclamation des règles juridiques du jeu économique là où celui qi avait vocation à entreprendre pouvait se reposer sur le principe du décret d’Allarde », op. cit., p. 1212. 75 Ibid., p. 91. 76 Gérard Farjat, Pour un droit économique, PUF, 2004. 518 approche combinant et le droit public et le droit privé « car elle met en exergue l’aptitude du droit économique à couvrir la totalité du spectre des régimes juridiques de propriété »77. Ainsi, si « la question du droit économique a été presque toujours posée en liaison avec [celle] de la mise en cause de la séparation du droit public et du droit privé »78, preuve en est que l’on peut admettre le droit économique et maintenir la summa divisio. Si le droit économique est produit par l’État sur la base du droit public, et notamment constitutionnel, ce produit sera lui-même subdivisé en fonction de son application à l’État ou à la société, abstraction faite de toute action publique. C’est une analyse du même ordre que menait Didier Truchet lorsqu’il considérait que l’on « se trouve plutôt en présence d’un droit économique scindé par l’existence de deux ordres juridiques préexistants »79. Le droit public économique, dans ce cadre, est constitué tout d’abord du droit qui fonde l’édiction par l’État du droit économique. Il établit un certain ordre économique, lequel cependant n’efface pas les volontés individuelles ou la distinction du droit public et du droit privé. Le droit économique, expression qui a la préférence de l’auteur, traduit l’idée que le droit économique est constitué de l’ensemble des règles applicables aux relations entre personnes juridiques prises en tant qu’unités économiques80. Il devient un droit public s’il s’applique aux personnes publiques et, au-delà, aux activités de gestion des fonds administratifs. Dans ce dernier cas, le droit économique public, pour reprendre la terminologie de Didier Truchet, devient un élément de la légalité administrative, et non plus seulement un élément du droit édicté et dont l’administration assure l’application. Cette approche conduit à admettre une conception subjective et dynamique du droit public économique. Il est subjectivement produit par la volonté de l’État et l’exercice de sa puissance81. Dynamique, en ce qu’il s’étend à tous les degrés de la concrétisation qui suit ce premier mouvement de fondation. Dans le prolongement de l’évocation du consommateur et de cette analyse, la soumission de l’action publique au droit de la consommation est l’exemple type de cette incorporation au droit public d’un droit à l’origine destiné « à la société », c’est-àdire aux sujets de droit indifféremment de leur rapport à l’exercice des compétences82. Dimitri Yernault procède à la critique de deux tendances de la doctrine dans la définition du droit public économique, par rapport à l’interventionnisme d’une part, par rapport au droit 77 Gérard Farjat, Droit économique, PUF, 2e éd., 1982, p. 30. Gérard Farjat, « La notion de droit économique », APD, 1992, p. 28. 79 Didier Truchet, « Réflexions sur le droit économique public en droit français », RDP, 1980, p. 1013. 80 Ibid., p. 1019. Contra, Martine Lombard, « Le droit public face à la crise. Rapport de synthèse », RFDA, 2010, p. 764 : « l’idée d’un droit « économique » me paraît aussi discutable que celle d’un droit sportif alors même qu’il existe bien un droit du sport » et qui préfère par conséquent l’expression droit public de l’économie, cf. Pierre Delvolvé, Droit public de l’économie, Dalloz, 1998. 81 Pascale Idoux, « Le droit public économique vu à travers la crise », DA, 2010, étude 5, n° 40 : « même lorsque les règles utilisées pour orienter les comportements économiques continuent de relever du droit privé, le procédé qui consiste à les utiliser relève, lui, généralement, du droit public, par exemple lorsqu’il est fait usage du pouvoir normatif ». 82 CE, 11 juill. 2001, Société des eaux du Nord, CJEG, 2001, p. 496, concl. C. Bergeal. Le juge administratif en fait même une application que d’aucuns considèrent plus extensive que le juge judiciaire, CE, 13 mars 2002, Union fédérale des consommateurs, AJDA, 2002, p. 976, note Guglielmi, RFDA, 2003, p. 772, note C. Deffigier. 78 519 des affaires d’autre part. A s’en tenir au droit public qui prend objet le seul point de vue de l’activité juridique des pouvoirs publics, le droit public économique doit être entendu plus largement que le droit du seul interventionnisme. Telle est l’attitude de Pierre Delvolvé reprenant la suite des réflexions de Bernard Chenot 83 , et définissant l’objet d’étude comme « le droit applicable aux interventions des personnes publiques dans l’économie et aux organes de ces interventions » 84 . C’est la position défendue par les nombreux auteurs qui ont ainsi une approche largement influencée par la pensée keynésienne, quelle que soit la dimension critique de leur rapport à cette théorie économique 85. L’opposition entre principes libéraux et principes interventionnistes témoigne de ce que ces auteurs ont une certaine lecture du phénomène qui oblige à ne pas retenir cette définition qui manque singulièrement de neutralité. La politique économique ne signifie pas une intrusion et n’est pas non plus une action isolée86. Le droit public économique ne se réduit donc pas au droit de l’interventionnisme public. Il ne se réduit pas non plus au droit public des affaires. C’est l’option retenue tout d’abord par Gabriel Eckert 87 puis à sa suite par Sophie Nicinski88. Cette approche peut cependant être intégrée dans une conception moins étroite. En effet, « le droit public économique couvre bien l’organisation des “affaires”, les rapports de l’autorité à celles-ci, mais il ne s’y résume pas »89, concernant également d’autres secteurs juridiques. Pour Pascale Idoux, il y a une différence de périmètre entre le droit public des affaires et le droit public économique, et, plus fondamentalement encore, une perspective différente90. 566. La perspective que retient Dimitri Yernault s’inscrit alors dans le voisinage d’approches ayant une même attraction vers la dimension politique de ce droit. Il en va ainsi de JeanPhilippe Colson et Pascale Idoux pour lesquels il s’agit de s’intéresser à l’action de la puissance publique à l’égard de la vie économique. Ces auteurs soulignent notamment que « la référence à un ordre public économique qu’il s’agit de définir et d’imposer, au-delà de l’ordre public classique, ne saurait donc être interprétée comme une démarche hasardeuse par laquelle l’État s’écarterait de sa mission habituelle »91. Il y a là l’expression, sous une autre forme, de l’idée que l’État établit juridiquement un ordre qui correspond à un certain état de la relation entre le pouvoir politique et les activités Bernard Chenot, L’organisation économique de l’État, Dalloz, 1951. Pierre Delvolé, Droit public de l’économie, Dalloz, 1998, pp. 14 et 16. 85 Pascale Idoux, préc., n° 30. 86 Ibid., n° 33 : « le droit public économique n’est pas, selon nous, devenu un droit de crise, dont l’objet se limiterait à l’étude de mesures d’intervention publique exceptionnelles, telles que celles mises en œuvre depuis l’automne 2008 ». 87 Gabriel Eckert, Droit public des affaires, Montchrestien, 2001. 88 Op. cit. 89 Dimitri Yernault, op. cit., p. 100. 90 Pascale Idoux, préc., n° 41 : « Il semble en effet que le centre de gravité des deux disciplines ne soit pas identique, l’une étudiant les diverses règles du droit public concernant la vie affaires, l’autre soupesant plus globalement les instruments juridiques à l’œuvre dans l’action publique en matière économique et leur effet combiné ». 91 Jean-Philippe Colson, Pascale Idoux, Droit public économique, LGDJ, 2008, p. 15 et p. 31. 83 84 520 économiques. La dimension volontariste du droit public économique exige la référence à la politique économique, ce à quoi procèdent Didier Linotte et Raphaël Romi, pour qui « le droit public économique consiste en la mise en œuvre, par des voies de droit, de la politique économique des personnes administratives »92. C’est en reprenant largement les analyses et les soubassements de celles-ci que Dimitri Yernault parvient à la définition du droit public économique comme étant le droit de la politique économique. Il considère alors par ailleurs que, « étant “droit public”, il pose forcément la question de l’État. Étant “économique”, il pose forcément la question de la propriété » 93 . Ce droit public économique peut être décrit par les relations qu’entretient l’État en tant qu’appareil, aux activités économiques. 2) Les personnes publiques propriétaires dans la description analytique du droit public économique 567. C’est le droit public économique lui-même qui crée les conditions d’une participation des personnes publiques au commerce juridique, à l’infrastructure. Il le fait en créant le commerce juridique et en leur attribuant le droit de propriété. En effet, le premier objet du droit public économique est de constituer l’ordre économique (a). La proposition de Dimitri Yernault de décrire le droit public économique de façon analytique à partir des rapports entre État et propriété peut être précisée en l’appliquant aux personnes publiques. Celles-ci exercent leurs droits de puissance et leurs droits de propriété pour inscrire leur action dans cette infrastructure que le droit a ainsi permis de décrire (b). a) Le droit économique et les conditions d’une participation des personnes publiques propriétaires aux activités économiques 568. L’État, s’il est déterminé par l’infrastructure économique, n’en demeure pas moins l’auteur du droit public économique qui va dans un premier temps la formaliser, l’instituer94. En cela, la superstructure est le reflet de l’infrastructure mais un reflet plus ou moins déformé et même déformant. Il est déformé lorsque le droit saisit imparfaitement la réalité. Il est déformant lorsque la politique économique influe sur l’infrastructure en intervenant à l’égard de ses 92 Didier Linotte, Raphaël Romi, Services publics et droit public économique, Litec, 2001, p. 20. Dimitri Yernault, op. cit., p. 110. 94 Le droit public économique, comme tout droit, est le produit de l’exercice par l’État de son imperium, de la puissance publique normative que l’on désigne par le terme générique de jurislateur. 93 521 acteurs95. La politique économique de l’État est une conciliation entre les rapports de forces qu’entretiennent les agents économiques 96 . La politique économique de l’État consiste par conséquent à créer le droit public économique, c’est-à-dire à créer le droit qui fonde et régit le rapport de l’État, entendu au sens large d’appareil étatique, à la propriété, c’est-à-dire à l’économie telle qu’appréhendée par le droit97. Si le droit public économique est et a toujours été « l’expression juridique de choix de politique économique »98, il en va ainsi en tout premier lieu de la proclamation de la propriété et de ses conséquences en ce qui concerne l’édification d’une superstructure juridique conforme à l’infrastructure capitaliste. Ce choix politique trouve sa source dans la philosophie nouvelle qui se développe en Angleterre et en France99. La propriété qui est défendue puis proclamée n’est évidemment pas neutre, et ceux qui écrivent l’article 17 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen sont évidemment euxmêmes les propriétaires dont le droit va ainsi être consacré 100. Pour autant, ce droit proclamé n’est pas exempt d’ambiguïté. Ainsi que le relève Jean Morange, c’est le seul droit dont on puisse être intégralement privé ce qui, selon l’auteur, « montre clairement que ce droit était, à l’époque, envisagé sous un angle économique et non comme le support d’autres droits et libertés ou de la vie privée »101. L’abaissement de tous les obstacles que l’Ancien régime dressait contre la libre initiative sont supprimés par la Constitution de 1791102, et les décrets d’Allarde (2-17 mars 1791) et la loi Le Chapellier (14-17 juin 1791). Certes, il s’agit là de textes de circonstances n’ayant produit que des effets médiats, dont la liberté du commerce et de l’industrie qui en découle sans être solennellement proclamée 103 . Cependant, les bases fondamentales d’un droit économique élaboré et appliqué par la puissance publique sont ainsi les fondements primordiaux du droit économique. Un système d’économie libérale, en effet, existe à la condition que soit reconnue la liberté et l’égalité comme conditions de la mise en œuvre d’un droit de propriété également protégé104, et qui garantit lui-même ces libertés105. 95 Marie-Anne Frison-Roche, Sébastien Bonfils, Les grandes questions du droit économique, PUF, 2005, p. 4 : « le droit économique est une réflexion sur la réalité des choses, sur leur principe de fonctionnement et la façon dont la normativité peut s’y accrocher (…) le droit économique est donc avant tout une théorie de l’ajustement de la règle aux faits, par considérations de ceux-ci ». 96 Dimitri Yernault montre ainsi qu’en Belgique, la politique économique a connu une rupture concomitante du passage du suffrage restreint au suffrage universel, l’intérêt des électeurs changeant évidemment avec la composition du corps électoral. 97 Affirmation qui se situe dans le voisinage de l’analyse de Nikos Poulantzas, « A propos de la théorie marxiste du droit », APD, 1967, p. 145 : « le droit est une condition d’existence de l’économie », et la propriété peut alors être conçue comme désignant l’économie juridiquement appréhendée par métonymie. 98 Dimitri Yernault, op. cit., p. 90. 99 Stéphane Rials, La déclaration des droits de l’homme et du citoyen, Hachette, 1988, spéc. pp. 344-347. 100 Georges Burdeau, Traité de science politique, t. 6, L’État libéral et les techniques politiques de la démocratie gouvernée, LGDJ, 3e éd., 1987, note 284 p. 524. 101 Jean Morange, La Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, PUF, Que sais-je, 1993, p. 46. 102 Qui dispose dans son Préambule : « Il n’y a plus ni jurandes, ni corporations de professions, arts et métiers ». 103 Cf. Guylain Clamour, op. cit., spéc. pp. 54-55. 104 Alain Couret, « La propriété et l'organisation de la production en économie libérale », in Gérard Farjat, Bernard Remiche, Liberté et droit économique, De Boeck, 1992, p. 43. 522 Or, la définition du droit de propriété relève du rapport dialectique et du droit public économique qui le traduit à un titre essentiel. C’est pourquoi, il n’est pas étonnant que l’on puisse considérer que, en sus de considérations symboliques et politiques, « le droit de propriété est aussi largement envisagé dans une perspective économique, les auteurs du code étant convaincus qu’il est le meilleur garant de la prospérité nationale » 106 . Le droit de propriété est un mécanisme général à l’ensemble des sujets de droit et va donc pouvoir constituer un premier vecteur de la politique économique au moyen de la participation à la vie économique. En effet, en considérant que « sous des formes très variées (pures ou mixtes), l’État s’est toujours trouvé être propriétaire de certains facteurs de production de biens et services », Dimitri Yernault propose une forme de définition générale de la propriété publique lorsqu’il décrit « l’aptitude des pouvoirs publics à être propriétaires eux-mêmes, à affecter un patrimoine distinct à l’accomplissement d’une tâche d’intérêt général (fût-ce en se limitant à prévoir un régime de comptabilité spécifique) ou à organiser le régime de propriété de personnes émergeant, de près ou de loin à leur contrôle (par la voie hiérarchique, tutélaire, actionnariale…) »107. La gestion d’un fonds, lequel est l’universalité de ces facteurs de production, représente l’activité que met en œuvre une personne publique par sa qualité de propriétaire. b) Les personnes publiques propriétaires : la concrétisation du droit public économique par l’exercice de la propriété 569. Le droit positif qui a constitué le matériau d’analyse de Dimitri Yernault à la fois des normes que les gouvernants édictent à l’attention des acteurs économiques, et le droit auquel ils se soumettent 108 . Le droit public économique est donc bien composé de deux dimensions. D’une part il fonde la possibilité pour l’État de créer du droit économique. D’autre part, il pose la question de savoir si ce droit est partiellement ou non destiné à l’État et aux personnes publiques109. Cette ambivalence du droit public économique se retrouve dans les cinq relations qui lient l’État à la propriété et qui vont nous permettre de démontrer en quoi l’activité des personnes publiques propriétaires appartient au droit public. Ces relations, « faites d’interdépendance », sont les suivantes : « 1/ quand l’État définit un ou des régimes de propriété ; 2/ quand l’État est lui-même propriétaire de facteurs de production ;3/ quand l’État 105 Jean Carbonnier, « La propriété, garantie des libertés », in ibid., p. 63. Jean-François Niort, « Droit, économie et libéralisme dans l’esprit du Code Napoléon », APD, 1992, p. 106. 107 Dimitri Yernault, ibid., p. 37. 108 Dimitri Yernault, op. cit. p. 11. 109 Dans ce dernier cas seulement apparaît la question de savoir si les normes en causes sont spéciales ou non, et si non si l’interprétation qui en est faite devra ou non tenir compte du contexte public. Cf. la section suivante consacrée au dualisme juridique comme donné interne au droit public entendu comme ordre juridique partiel. 106 523 réglemente, régule, stabilise les usages multiples de la propriété, privée comme publique ; 4/quand l’État soutient la propriété ; 5/ quand l’État redistribue la propriété ou certains de ses fruits »110. 570. La première relation permet à l’État de fonder le commerce juridique à partir des relations qu’établiront les sujets de droit sur la base de la propriété, par leurs contrats, et sous la contrepartie de leur responsabilité. La seconde relation correspond à « l’aptitude des pouvoirs publics à être propriétaires euxmêmes »111 ce qui recouvre l’État au sens large d’appareil constitué de personnes publiques et privées dont l’action peut être imputée in fine à l’État personne. Les personnes publiques propriétaires sont toutes l’expression de cette relation de l’action publique aux activités économiques. La relation de la participation. Or, les trois autres relations peuvent être ramenées, juridiquement, à ces deux modalités d’exercice de la volonté politique prenant pour objet la vie économique : la puissance, la propriété. 571. En effet, la réglementation, la régulation, impliquent l’exercice de la puissance. Il s’agira de la puissance publique normative de l’État par les lois qui instituent les règles d’usage de la propriété et les principes d’une régulation. Il s’agit des droits de puissance qu’il attribue aux autorités administratives chargées de mettre en œuvre ces mécanismes de régulation. Il peut même s’agir de personnes privées, comme le montre l’exemple des ordres professionnels. En somme, l’État et les personnes publiques manifestent ces deux relations dans la rédaction même de l’article 544 du Code civil. L’État crée le droit de propriété, le définit, et l’attribue aux personnes privées. Puis il y ajoute les lois et les règlements dont les autorités administratives auront la charge d’assurer l’application. On peut réduire ces deux relations à la mise en œuvre de la politique économique, fondée et régie par le droit public économique, par l’exercice de la puissance publique. 572. En revanche, s’il s’agit de soutenir la propriété en versant des aides aux opérateurs économiques, et s’il s’agit d’instaurer des mécanismes de redistribution et de protection sociale, ces activités administratives ne supposent pas seulement l’édiction de prescriptions mais impliquent nécessairement d’entrer dans une relation d’échange patrimonial avec les usagers. Il y a donc deux relations complémentaires à celle qui suppose la qualité de propriétaire des personnes publiques. On peut donc réduire ces trois relations à la mise en œuvre de la politique 110 111 Ibid., p. 10. Ibid., p. 37. 524 économique, fondée et régie par le droit public économique, par l’exercice de la propriété des personnes publiques. Autrement dit, par la gestion de fonds administratifs dont une partie du patrimoine n’est pas seulement le support de l’activité administrative, mais son moyen de réalisation. Soit que la personne exploite des biens sous la forme d’une activité économique, soit qu’elle en dispose pour verser des aides économiques ou des aides sociales. 573. Ces cinq relations peuvent donc être réduites à deux : exercer la puissance à l’encontre des opérateurs économiques ; exercer la propriété auprès de ces opérateurs économiques. On y ajoutera évidemment le fait que la puissance peut être un auxiliaire de cette action économique publique par participation au commerce juridique. L’exercice de la puissance et l’exercice de la propriété mis en relation avec les activités économiques permettent ainsi de rendre compte du droit public économique. Les personnes publiques, dans ces deux formes d’activités, font apparaître les manifestations d’une certaine politique économique, traduisant la dialectique entre l’infrastructure et la superstructure telle qu’elle est appréhendée à un certain moment dans une société donnée. On se gardera, avec Dimitri Yernault, de ne considérer cette relation que dans un sens univoque. Il y a bien une relation dialectique entre les personnes publiques qui constituent l’appareil d’État, et les activités économiques qui constituent l’infrastructure. Certes, ici, l’État exerce son “droit” « d’arrêter le régime de propriété, de devenir propriétaire par expropriation ou nationalisation (et a fortiori par tous les accords de volonté possible), de réglementer l’usage des biens (et partant, de réguler les usages économiques de la propriété aussi), d’en redistribuer certains fruits puisqu’il peut imposer [de l’impôt] »112. Cependant, « ramenée à son rapport à l’économie, une norme juridique peut tout à la fois être le produit de rapports de forces économiques et avoir pour visée d’influer sur ceux-ci »113. Les personnes publiques propriétaires se situent précisément au cœur de cette dialectique. En effet, elles sont à la fois inscrites dans les rapports de forces économiques par leur participation à l’infrastructure, mais prétendent également influer sur ceux-ci parce qu’elles participent de la superstructure, de l’action publique. Décrire les relations des personnes publiques avec le milieu économique, tant du point de vue de leur qualité d’autorité exerçant la puissance, que de gestionnaire exerçant la propriété permet donc de décrire la politique économique, et le droit public économique qui en est la traduction. Les personnes publiques ont vocation à constituer un ordre juridique autonome situé en surplomb des activités privées dont elles régissent les activités, par la puissance normative, ou y participent, par l’exercice de la propriété, avec le secours éventuel de la puissance. 112 113 Ibid., p. 45. Ibid., p. 58. 525 § 2 L’enrichissement du droit public économique de nouvelles règles à destination des personnes publiques propriétaires 574. Le droit public économique contemporain, ainsi que l’écrit Didier Truchet, traduit l’idée que, « dans la France contemporaine, l’État a besoin du marché comme le marché a besoin de l’État » 114 . Lorsque le marché s’impose à l’État, cela signifie que celui-ci doit le respecter et en admettre les règles. Dans cette perspective, l’intervention de l’État est perçue comme une limite potentielle à la production des richesses par le marché. Lorsque le marché a besoin de l’État, c’est qu’à l’inverse le marché a besoin des règles que l’État lui impose. Ces règles prémunissent le marché contre un fonctionnement incontrôlé et autodestructeur tandis que certaines activités administratives garantissant les conditions de la création de richesses par le marché. L’équilibre du droit public économique contemporain se situe entre l’affranchissement des acteurs économiques de la tutelle politique et la nécessaire intervention des personnes publiques, par la puissance et par la propriété. Les personnes publiques propriétaires s’inscrivent donc dans cette problématique. La gestion de leurs fonds administratifs implique des activités qui ne sont pas seulement des activités purement administratives. Inscrites dans le commerce juridique général, il peut aussi s’agir d’activités économiques, augmentant leur qualité de propriétaire de celle d’opérateurs économiques intervenant sur des marchés. Dans ce cas, les personnes publiques propriétaires respectent le marché dans la mesure où elles se soumettent à ses règles ; elles s’imposent au marché en y participant. Le droit public économique français a connu une évolution fondamentale. L’intégration au droit de l’Union européenne en a profondément modifié l’objet et le rôle dans les activités administratives. Autrefois limité au contrôle des interventions économiques locales 115, il laissait toute latitude au gouvernement dans la détermination de la politique économique de la nation116. Désormais, il laisse une large possibilité d’intervention aux collectivités locales 117, mais constitue une limite à la politique économique nationale (A). Cette évolution emporte des 114 Didier Truchet, « État et marché », APD, 1995, p. 315 ; dans le même sens, mais avec la coloration social-démocrate assumée par l’auteur, Dimitri Yernault, L’État et la propriété. Le droit public économique par son histoire (1830-2012), Bruylant, 2013, p. 16, pour qui le droit public économique « tente d’organiser une économie de marché en maintenant autant que faire se peut un certain modèle social ». 115 CE, 29 mars 1901, Casanova, Rec., p. 333 ; S. 1901, 3, 73, note Hauriou ; GAJA, 19e éd., n° 8 p. 50 et s. ; CE, 30 mai 1930, Chambre syndicale du commerce en détail de Nevers, Rec., p. 583 ; RDP, 1930, p. 530 concl. Josse ; S., 1931, 3, 73 concl. Josse, note Alibert ; GAJA, 19e éd., n° 42 p. 265 et s ; RJEP, févr. 2011, comm. Lombard. 116 C’est l’idée de neutralité économique de la Constitution. Cf. infra n° 577 p. 530. 117 CE, 3 mars 2010, Département de la Corrèze, Rec., p. 652 ; AJ, 2010, p. 957, concl. N. Boulouis ; CMP, 2010, p. 146, comm. Eckert ; RDSS, 2010, p. 341, note Koubi et Guglielmi ; RJEP, août-sept. 2010, p. 30, note Pellissier ; RLCT, 2010, n° 24, note Clamour. 526 conséquences générales sur la gestion des fonds administratifs, c’est-à-dire les activités administratives exercées au moyen de la propriété (B). A. L’évolution du droit public économique : de la traduction juridique de la politique économique à l’encadrement des politiques publiques 575. Le droit public économique est, traditionnellement, et tout au moins en France, le droit de la politique économique. Il ne manifeste pas la soumission de l’État aux lois du marché, mais au contraire le pouvoir de l’État d’édicter le droit régissant les activités économiques (1). C’est cette dimension volontariste du droit public économique qui est quelque peu mise à mal par l’instauration de règles ne traduisant plus la politique économique nationale, mais s’imposant au contraire pour limiter cette politique, et encadrant de ce fait l’ensemble des politiques publiques (2). 1) Le sens initial du droit public économique : traduire en droit la politique économique des gouvernants 576. En 1951, Bernard Chenot écrivait : « l’ensemble des actes par lesquels le Pouvoir exerce une influence sur la vie économique forme la politique économique du Gouvernement »118. Cette politique suppose des institutions et des moyens. L’affectation des seconds et leur gestion par les premières donne lieu à la création de fonds administratifs. Si ces fonds administratifs relèvent de la volonté d’influencer la vie économique, alors ces fonds administratifs sont une manifestation de la politique du gouvernement. Or, si l’on considère que c’est « l’administration de la rareté qui explique les premières lois de politique économique » 119, alors c’est avec la gestion des biens rares que commence la politique économique et, avec elle, le droit public économique. Jean-François Calmette considère qu’effectivement, face à de telles ressources à la fois rares et nécessaires au bon fonctionnement de la société, « l’État est alors conduit à intervenir pour les protéger, contrôler leur usage et veiller à en maintenir l’accès pour tous »120. La rareté des biens économiques appelle l’intervention des personnes publiques pour qu’elles mettent en place les politiques destinées à en supprimer les causes ou à en gérer les effets sociaux. Dans le premier cas, il y aura une action destinée à organiser la production du Bernard Chenot, L’organisation économique de l’État, Dalloz, 1951, p. 454. Lucien Rapp, Préface à la thèse de Jean-François Calmette, La rareté en droit public, L’Harmattan, 2004. 120 Jean-François Calmette, La rareté en droit public, L’Harmattan, 2004, p. 19. 118 119 527 bien rare, voire à la mettre en œuvre. Dans le second cas, il y aura réglementation de l’utilisation qui peut être faite du bien rare ou de son partage. La politique économique consiste bien dans les deux cas à agir à l’égard du marché, qu’il s’agisse de le stimuler ou de le régir 121. À ces politiques publiques vont donc correspondre des fonds administratifs, ayant un objet de réglementation des activités relatives à ces ressources, ou ayant pour objet de mettre en œuvre l’une ou plusieurs de ces activités. Tant que le droit public économique n’est que la traduction juridique des décision politiques correspondant aux politiques publiques ainsi décrites abstraitement, on peut parler de neutralité économique car le droit positif ne permet pas de dire ce que peut ou ne peut pas être la politique économique. Cela change si l’on peut fixer des limites négatives ou des buts qui s’imposent dans les objectifs et les modalités de mise en œuvre de la politique économique. 2) La nouvelle fonction du droit public économique : limiter et régir l’action publique par le moyen économique 577. Pour Hugues Rabault, « le concept de constitution économique désigne la base juridique fondamentale du fonctionnement du système économique, ou, en d’autres termes, l’ordonnancement juridique structurant le système économique » 122 . Le premier objet du droit public économique est de constituer juridiquement le marché. Les libertés économiques sont la même réalité envisagée du point de vue des droits fondamentaux. La proclamation de la propriété, de la liberté contractuelle et de l’égalité, correspond à l’idée que « le concept de constitution économique désigne donc l’organisation juridique primordiale du système économique »123. Ainsi est institué et garanti l’ordre économique, traduction juridique de la conception politique de la vie économique124. La question de la neutralité de la constitution économique vient dans un second temps, puisqu’il s’agit d’appréhender cet ensemble normatif en fonction du « degré de contrainte exercé par la constitution sur les politiques économiques » 125 . Ce degré est évidemment très variable. Ainsi, en ce qui concerne une politique de nationalisations massives, il faudrait aux États-Unis adopter un amendement à la Constitution de 1787 alors que le cas de la France, semblable à celui du Royaume-Uni, ne demanderait qu’une simple loi comme ce fut le cas en 1982. Comp. Pascale Idoux, préc., n° 36 : « La conception large de l’intervention publique dans l’économie conduit à inclure dans le périmètre de la discipline juridique dont elle est l’objet l’ensemble des actions par lesquelles les pouvoirs publics prétendent orienter le comportement des opérateurs économiques et l’équilibre du marché conformément aux objectifs d’une politique publique ». 122 Hugues Rabault, « La constitution économique de la France », RFDC, 2000, p. 709. 123 Ibid., p. 710. 124 Sur la notion d’ordre public économique et les conceptions qui s’y rapportent, Guylain Clamour, op. cit., pp. 92-95. 125 Hugues Rabault, préc., p. 712. 121 528 La raison en est qu’en France, pour autant que l’on puisse parler de constitution économique 126 , celle-ci laisse une large marge de manœuvre aux autorités politiques pour décider de la politique économique. La problématique que soulève l’idée de constitution économique est en effet liée au caractère discrétionnaire ou non que l’on laisse au gouvernement et à sa majorité parlementaire. En France, la neutralité de la constitution économique signifie que « l’État ne doit pas être lié par la constitution au plan des politiques économiques, notamment en matière budgétaire, en matière monétaire, ou encore en ce qui concerne les relations entre le niveau central et les collectivités ». En somme, la politique économique doit relever « de l’appréciation quasi souveraine du législateur » 127 . Ainsi, « la neutralité économique est bien la caractéristique essentielle de la constitution économique de la France »128. En témoigne l’évolution du régime juridique s’appliquant aux décisions des collectivités d’entreprendre une activité économique. La décision Casanova 129 relevait d’une forme de « constitutionnalisme » économique en prétendant limiter l’action publique par un principe de non concurrence. Cette décision fut très progressivement relativisée à partir de la décision Chambre syndicale du commerce en détail de Nevers130 qui établissait une condition de carence ou d’une insuffisance de l’initiative privée. Cette condition se dissout avec la décision131 Ordre des avocats au barreau de Paris132 dans laquelle le Conseil d’État décide que, outre « les activités nécessaires à la réalisation des missions de service public dont elles sont investies » et pour lesquelles elles « bénéficient (…) de prérogatives de puissance publique », les personnes publiques, « si elles entendent, indépendamment de ces missions, prendre en charge une activité économique… ne peuvent le faire que dans le respect tant de la liberté du commerce et de l'industrie que du droit de la concurrence ». Le respect de la première implique seulement l’invocation d’un intérêt public en rapport avec la compétence de la personne publique. Sophie Nicinski considère ainsi que « la condition de l’intérêt public est placée au premier plan et devient la condition unique et générale de l’initiative publique » 133 . Cet intérêt public est aujourd’hui entendu On rejoindra à ce titre la précaution de Hugues Rabault, préc., pp. 724-725 pour qui « s’il existe en France une constitution économique, celle-ci résulte davantage de la pratique constitutionnelle que de l’expression d’une doctrine réellement pensée au préalable. En un mot, la constitution économique de la France existe, mais elle demeure largement implicite, elle attend une formulation expresse par les juristes ». 127 Ibid., p. 728. 128 Ibid., pp. 741-742. 129 CE, 29 mars 1901, Casanova, préc. 130 CE, 30 mai 1930, Chambre syndicale du commerce en détail de Nevers, préc.. 131 La solution était cependant annoncée par les évolutions ayant immédiatement précédé ; Jean-François Sestier, « L’intervention des collectivités locales entre liberté du commerce et de l’industrie et libre et égale concurrence », in Mélanges Jacques Moreau, Economica, 2002, p. 401 et s. Guylain Clamour, Intérêt général et concurrence, op. cit., p. 482 et s. qui défendait à partir de l’interprétation de l’avis Jean-Louis Bernard Consultants, l’hypothèse maximaliste d’un principe de libre concurrence au bénéfice des personnes publiques. 132 CE Ass., 31 mai 2006, Ordre des avocats au barreau de Paris, Rec., p. 272 ; concl. Casas, BJCP, 2006, p. 295, CJEG, 2006, p. 430 et RFDA, 2006, p. 1048 ; AJ 2006, p. 1584, chr. Landais et Lenica ; CP-ACCP, oct. 2006, p. 78, note Renouard ; CCC, oct. 2006, comm. Rolin ; CMP, juill. 2006, n° 202, note Eckert ; DA, août-sept. 2006, n° 129, note Bazex ; JCP A, 2006, p. 113, note Linditch ; Gaz. Pal., 7 déc. 2006, p. 7, note Renaudie ; RLC, oct.-déc. 2006, p. 44, note Clamour. 133 Sophie Nicinski, Droit public des affaires, op. cit., n° 826 p. 459. 126 529 largement134 et comprend l’ancienne condition de carence qui est donc devenue l’un des motifs légitimes parmi d’autres135. C’est ce contexte, d’une extrême latitude dans la définition du principe et des modalités de la participation des pouvoirs publics à la vie économique, sous une forme tant normative que gestionnaire, qui a été radicalement modifié avec la soumission des politiques publiques. 578. De 1914 à 1982 136 , l’État a vu toutes ses dimensions propriétaires s’amplifier. Il a développé une police économique diversifiée et généralisée qui traduit l’essor de l’État régulateur. Il a constitué un secteur public fondé notamment sur l’idée d’intégration verticale des activités de service public et une politique industrielle proche de l’idée de capitalisme d’État. Celui-ci se combinait avec un soutien important aux activités privées. Il a, enfin, développé un système de protection sociale et de redistribution par l’impôt qui n’a jamais connu d’équivalent. Dans un article paru à La Revue Socialiste en 1904, Maurice Hauriou développait ce qu’il appelle le régime d’État et que l’on retrouve tout au long de son œuvre137. Il répondait à un auteur socialiste, Anton Menger, opposant l’État individualiste à l’État socialiste qu’il appelle de ses vœux. Dans sa réponse, Maurice Hauriou défend le premier parce qu’« aucun autre régime que l’État n’a assumé pour fonction légale de garantir systématiquement et pratiquement les libertés des individus en créant des stabilités sociales ». Certes, le régime d’État a commencé par le champ politique avant de s’intéresser au champ économique, mais, ainsi qu’il l’affirme, « rien ne prouve donc a priori que l’État individualiste, par la seule logique du développement de son principe interne, ne soit pas amené à donner satisfaction aux principaux desiderata socialistes et, par exemple, à faire entrer dans les préoccupations du bien public l’assurance ou les assurances multiples relatives à la subsistance des travailleurs ». Cent dix années plus tard, l’observateur ne peut que lui donner raison, ayant à voir un État garantissant un standard de confort de vie et de sécurité sociale dans tous les aspects de l’existence qui dépasse sans doute l’imagination la plus optimiste des socialistes éditant la revue en question. Certains nourrissent des craintes sur la pérennité du résultat obtenu. Il est vrai que le modèle ainsi décrit, particulièrement en France, est arrivé à un tel degré de systématicité qu’il ne peut que subir frontalement l’introduction de logiques différentes. Cependant, l’apparition de règles 134 CE, 3 mars 2010, Département de la Corrèze, préc. : un service de téléassistance, « ouvert à toutes les personnes âgées ou dépendantes,... indépendamment de leurs ressources, satisfait aux besoins de la population et répond à un intérêt public local » ; par suite, sa création « n'a pas porté une atteinte illégale au principe de la liberté du commerce et de l'industrie ». 135 Dimitri Yernault fait la même démonstration, à savoir qu’il n’existe aucune condition de carence de l’initiative privée en droit public économique belge. 136 Pour Sophie Nicinski, c’est avec la seconde vague de nationalisations sous la présidence de François Mitterrand que « le secteur public atteint alors son ampleur maximale puisque plus de 10% de l’effectif salarié y est employé, que le secteur bancaire et des assurances est presque entièrement public et que les entreprises publiques du secteur industriel représentent plus de 10% du PIB », Droit public des affaires, Montchrestien, 3e éd., 2012, n° 559 p. 316. 137 Maurice Hauriou, « Le régime d’État », La Revue socialiste, 1904 (mai), p. 564, in Carlos Miguel Herrera, Par le droit, au delà du droit : textes sur le socialisme juridique, Kimé, 2003. 530 s’imposant à l’État en ce qui concerne la politique économique et budgétaire ne doit pas tant conduire à s’en inquiéter qu’à s’interroger sur le sens de la convergence qui est censée en résulter au niveau de l’Union européenne. 579. Dimitri Yernault fait apparaître un contraste saisissant : « En 1957, les formes juridiques les plus mixtes de l’économie pouvaient avoir libre cours. En 2011, les formes plus publiques d’intervention économique de l’État, malgré l’arsenal déployé au cours de la crise mondiale en 2008, ont clairement marqué le pas quand elles revêtent les atours de propriétés, de droit public ou privé, détenues de près ou de loin par l’État »138. Il retrace alors une évolution commune à tous les États membres et donc tant à la France qu’à la Belgique dont il décrit l’histoire du droit public économique. Cette évolution commence avec la directive de la Commission sur la transparence des relations financières entre les États et les entreprises publiques, et suit ensuite les différentes étapes d’une politique de construction du marché intérieur par le biais d’un double mouvement de fragmentation du monopole public historique et de réglementation du secteur considéré. Au final, « la combinaison du primat de la concurrence et des libertés économiques (…) a conduit à l’enserrement des rapports de l’État à la propriété, en particulier l’État propriétaire, l’État régulateur, l’État soutien »139. En d’autres termes, le primat de la concurrence est l’élément essentiel du droit public économique actuel. Il conduit à régir plus strictement l’activité des personnes publiques propriétaires. Or, ce droit est aujourd’hui largement élaboré au niveau du droit de l’Union européenne. L’évolution fondamentale est sans doute relative au découplage de la dimension de la souveraineté politique, l’État-nation, par rapport à celle des marchés, largement internationaux. La volonté politique des États cherche à s’appliquer à des marchés qui dépassent largement leurs dimensions et, parfois, leurs capacités économiques. Maurice Hauriou considère que « l’institution politique peut s’adapter à l’échange de deux façons : elle peut vivre à côté des marchés économiques sans les centraliser et se les incorporer, se bornant à les utiliser du dehors ; au contraire, elle peut centraliser et s’incorporer un marché économique qui lui devienne intérieur et qui lui soit propre ». Il ajoute alors que, « le jour où se produisent cette centralisation et cette incorporation d’un marché économique propre à une institution politique, l’État est né, et il ne subsistera comme État que tant que dureront la centralisation et l’incorporation du marché et par conséquent tant que subsistera le marché intérieur »140. Il nous semble que l’ordre juridique partiel du droit public s’inscrit dans la logique décrite par 138 Ibid., p. 796. Ibid., p. 864. Il renvoie de même à André et Georges Decocq qui parlent du passage structurel d’un « libéralisme de stratégie » à un « libéralisme de conviction », Droit européen des affaires, LGDJ, 2010 pp. 17-35 et à l’idée d’une « intégration juridique » qu’évoque Cyrille Nourissat, Droit des affaires de l’Union européenne, Dalloz, 2010. 140 Maurice Hauriou, Principes de droit public, 2e éd. 1916, op. cit., pp.346-347. 139 531 Hauriou et a vocation à correspondre à cet État qui résulte de la concordance de l’échelle à laquelle la puissance publique est exercée et de l’échelle à laquelle les activités économiques se développent. Pour l’heure, l’adéquation n’a pas encore été atteinte entre la dimension de l’infrastructure et celle des autorités qui doivent la régir. Au contraire, la soumission aux lois de l’infrastructure est admise, désormais, par les personnes publiques elles-mêmes ce qui a des conséquences dans la gestion de leurs fonds administratifs. B. Les conséquences générales de cette évolution dans la gestion des fonds administratifs par les personnes publiques propriétaires 580. Il est certain que « les transformations en cours dans la réorganisation des États occidentaux sont une conséquence directe de la mondialisation et de la globalisation »141. L’auteur poursuit en considérant qu’à partir « du modèle plus dirigiste et interventionniste de l’après-guerre, les États occidentaux ont évolué vers un renouvellement de l’action publique, pensée d’abord sur le thème de la régulation depuis trois décennies »142. La soumission des activités administratives à un niveau de hiérarchie normative tel que celui du droit de l’Union européenne conduit à encadrer la gestion des fonds administratifs selon deux points de vue. Tout d’abord, l’émergence d’une fonction de régulation conduit à remettre en cause le périmètre des activités que peuvent réellement prendre en charge les personnes publiques sous un régime de droit public (1). Ensuite, les contraintes chiffrées qui pèsent sur les finances publiques conduisent à limiter fortement les marges de manœuvre des organismes en charge des fonds administratifs, contraint d’en limiter les coûts de fonctionnement (2). 1) La prédominance des fonctions de régulation sur les fonctions de prestation : une circonscription des objets des fonds administratifs 581. L’évolution fondamentale du droit public économique contemporain réside dans la soumission de l’État à une régulation dont il est certes le commanditaire, mais dont il n’est plus l’auteur direct. Il peut donc la concevoir comme une règle qui s’impose à lui en dehors de sa volonté. L’édiction de directives par la Commission européenne elle-même s’imposant aux États sans qu’ils aient exprimé leur volonté concordante 143 , voire qu’ils aient manifesté Daniel Mockle, La gouvernance, le droit et l’État, Bruylant, 2007, p. 2. Ibid., p. 3. Voir aussi, Jacques Chevallier, « La mondialisation de l’État de droit », Mélanges Philippe Ardant, LGDJ, 1999, p. 325. 143 La première fut la directive de la Commission sur la transparence des relations financières entre les États et les entreprises publiques ; n° 80/723/CEE devenue depuis 2006/111/CE, la libéralisation de l’essentiel des secteurs étant 141 142 532 explicitement leur opposition144, est évidemment la manifestation topique de cette révolution juridique, qui remet en cause l’idée que les normes de l’ordre juridique national relèvent du monopole de l’État. Ainsi que l’indique Dimitri Yernault, « l’État régulateur s’est subdivisé » avec la création de la Commission européenne, dès 1957 mais seulement de manière aussi effective à partir des années 1980. « L’architecture est dès lors complexe entre l’État régulateur qui n’est plus que du ressort communautaire (l’essentiel de la politique agricole commune p. ex.), celui qui se partage entre les échelons communautaire et national (les règles générales de concurrence p. ex.) et celui qui se déploie sectoriellement avant tout à l’échelon national (p. ex. à l’égard du secteur ferroviaire, ce qui n’exclut pas une attention pour les réseaux transeuropéens et l’interopérabilité) »145. Un droit public économique, reflétant une politique économique générale définie avec les États précédemment, est désormais produit pour imposer aux États le respect de leurs engagements. Cela modifie évidemment le régime juridique fondamental applicable aux activités administratives et, notamment, quant aux objets qu’on peut y associer. Les moyens qu’il est nécessaire ou possible de leur affecter sont également limités. C’est ainsi que l’évolution décrite modifie le droit objectif, sur le fondement duquel sont créés et développés les fonds administratifs. 582. Le droit public économique, tant interne que résultant d’ordres juridiques d’intégration, « vise à l’organisation et à l’encadrement d’un système d’économie de marché dont la concurrence est le moteur central et la propriété privée des facteurs de production l’assise essentielle » 146. Ce marché, loin d’être un donné naturel, est bien un construit, « le fruit du droit, d’une action consciente du pouvoir politique ». Or, « la liberté politique du législateur d’organiser peu ou prou les circuits économiques, de désigner le public et le privé, de commander ce qui dans le public doit être propriété, etc. relève, dans le droit contemporain, des contrôles afférents à la théorie de la marge d’appréciation et du contrôle, marginal, de la proportionnalité de ses ingérences dans le droits et libertés à portée économique »147. Ces contrôles conduisent à établir un primat de la concurrence qui concerne l’action publique dans toutes ses dimensions économiques, si bien que « la neutralité du droit communautaire à l’égard du régime de propriété ne joue qu’en second rang : l’État peut aussi être propriétaire pour autant qu’il respecte le droit de la concurrence et du marché intérieur. A bien des égards, la conjonction des divers instruments intervenue entre temps. Cf., Dimitri Yernault, L’État et la propriété, op. cit., pp. 796 et s. sur l’évolution du droit public économique par les règles du droit communautaire. 144 Comme le démontre le recours intenté par la France contre cette directive et qui a donné lieu à l’arrêt de la CJCE, 16 juin 1993, République française c. Commission des Communautés européennes, C-325/91. 145 Ibid.., p. 790. 146 Ibid., p. 32. 147 Ibid., p. 34. 533 juridiques et financiers, contraignants et moins contraignants, a conduit à la privatisation des modes gestion publique et à des privatisations au sens strict par des transferts d’actifs du secteur public vers le secteur privé. L’autonomie institutionnelle des États membres s’en trouve limitée, voire écornée »148. En d’autres termes, on retrouve l’explication du paradoxe évoqué. Les personnes publiques peuvent intervenir dans le marché dès lors qu’elles justifient d’un intérêt public à le faire. Mais elles ne peuvent intervenir dans le marché qu’à la condition d’en respecter les règles. Ce qui est fondamental ici, c’est que le droit public français reposait sur l’idée que la volonté de l’administration doit vaincre les obstacles. Si un régime juridique est incompatible avec une activité administrative, on crée un régime dérogatoire qui permet l’activité, quitte à porter atteinte aux intérêts que préservait l’application du droit initialement applicable. On passe ainsi d’une logique de constitution des fonds administratifs mettant en œuvre les activités économiques voulues par les gouvernants à une logique d’obligations imposées aux fonds relevant de la sphère privée. On leur impose d’agir dans le respect des finalités jugées nécessaires par le pouvoir politique, mais sans les inscrire pour autant dans l’ordre juridique partiel. Leur activité demeure une activité privée et non pas administrative. La concurrence internationale se charge évidemment de donner lieu à une éventuelle « revanche des faits sur le droit » lorsque les obligations imposées par l’État aux opérateurs économiques privés limitent leur « compétitivité ». Ce n’est alors pas une règle de droit public économique qui impose une limite à la volonté politique en matière de régulation, mais il n’est pas exclu de voir dans l’impuissance publique une conséquence de l’évolution contextuelle décrite ci-dessus. Quoi qu’il en soit, les fonds administratifs ne peuvent apparaître qu’à la condition de respecter les règles d’un droit économique qui en limite l’objet et les modalités de fonctionnement. L’incompatibilité des règles de l’Union européenne avec la personnalité publique conduira ainsi soit à la gestion des fonds administratifs concernés par des entités privées, soit à la modification du statut d’établissement public industriel et commercial pour qu’il ne soit plus qu’une personne publique sur le critère formel, mais n’en conserve pratiquement aucune des caractéristiques matérielles. On peut s’interroger sur ce qui fait, en dehors du critère formel qui est, rappelons-le, suffisant, qu’un tel établissement public demeure une personne publique au sens matériel. Il pourrait bien s’agir de sa propriété et du droit de propriété public dont il serait titulaire. Même affranchi des règles d’insaisissabilité et d’inapplicabilité des procédures collectives, il n’en demeurerait pas moins un élément de l’État-appareil et à ce titre soumis aux sujétions inhérentes à l’action publique, l’exigence de ne jamais agir au service d’un intérêt purement 148 Ibid., p. 864. 534 privé notamment. Le principe d’incessibilité à vil prix de ses biens s’appliquerait donc toujours, non pas pour des raisons de prohibition des aides d’État, mais parce que cet établissement serait soumis aux exigences constitutionnelles liées à la bonne gestion des deniers publics. Il serait par ailleurs toujours en charge d’un fonds administratif en raison du rattachement organique de son activité à une personne publique. En somme, un fonds administratif d’ordre économique parfaitement inscrit dans le droit économique applicable aux activités économiques dont il participe, serait encore inscrit dans l’ordre juridique partiel du droit public. Exactement comme une entreprise nationalisée mais n’ayant aucune mission ou même obligation de service public. 583. Quant à la possibilité pour cette entité de disparaître contre la volonté de l’État, il y aurait à nouveau une revanche du fait sur le droit mais dans le sens de la souveraineté économique. En effet, le sauvetage des banques par les États au plus fort de la crise de 2008 était une décision manifestement contraire au droit de l’Union européenne. La théorie des circonstances exceptionnelles ne s’applique cependant pas qu’en temps de guerre mais également de crise économique, pour venir introduire une dérogation validant rétroactivement une décision illégale lorsqu’elle aura été prise149. Bien sûr, la décision intervenant au moment des faits, les apparences sont préservées en soulignant le caractère temporaire de la dérogation, c’est-à-dire des décisions contraires au droit positif théoriquement applicable150. Il y avait là un exemple du rapport entre l’intervention de l’État au soutien de la propriété privée et le droit de l’Union européenne. L’analyse est transposable à la propriété publique. Si un fonds administratif devait être « too big to fail » comme le sont les organismes de crédit à dimension structurelle, nul doute qu’une même logique en autoriserait le sauvetage, sans que soit brandie l’illégalité d’une garantie illimitée151. Un fonds administratif reste donc, quelle que soit l’entité qui le gère et le régime juridique applicable aux activités particulières qui en 149 Communication de la commission du 13 oct. 2008, JOUE, C 270 du 25 oct. 2008 ; Communication de la commission du 13 déc. 2008, JOUE, C 10 du 15 janv. 2009, p. 2 : « Le interventions publiques proportionnées et temporaires (…) conçues de façon à inciter les banques à embourser l’État dès que la situation du marché le permet ». Surtout, les communications 2011, C 6/05 sur le cadre temporaire de l’Union pour les aides d’État destinées à favoriser l’accès au financement dans le contexte de la crise économique et financière actuelle, JOUE, 11 janv. 2011 et C 329/7 concernant l’application à partir du 1er janvier 2011, des règles en matière d’aides d’État accordées aux banques dans le contexte de la crise financière, JOUE, déc. 2010, C 329/7. Cf. Dimitri Yernault, op. cit., p. 1037-1046 sur le droit public économique de la crise financière et spéc. pp. 1047-1051 où il revient sur l’épisode Fortis qui constitue « un condensé du droit public économique d’hier et de demain ». 150 On relèvera avec Dimitri Yernault que si « la souveraineté, l’imperium, est réactivée de façon explicite (ou de façon implicite mais certaine) dès lors qu’il s’agit de sauver de lui-même le cœur financier du système économique, osons avancer qu’une conscience plus nette de la souveraineté, de la prééminence de l’intérêt social global, dans les périodes dites « normales » de fonctionnement du marché financier permettrait d’éviter certains déboires », op. cit., p. 1086. 151 CJUE, 3 avril 2014, République française c. Commission, aff. C-559/12 P, AJDA, 2014, p. 1242, comm. Martine Lombard, Sophie Nicinski et Emmanuel Glaser. 535 permettent le fonctionnement, une universalité d’actifs affectés à une activité assumée par une personne publique. Il s’inscrit donc encore dans l’ordre juridique partiel du droit public. 2) La politique européenne de stabilité financière : une contrainte nouvelle dans la gestion des fonds administratifs des personnes publiques 584. La propriété publique est à la fois un résultat et un instrument. Elle est le résultat des politiques publiques passées qui lui ont donné, par sédimentation, son régime et son contenu actuels, les fonds administratifs actuellement exploités. Elle est un instrument en ce que son exercice reflétera la politique économique actuelle, les missions que remplissent les fonds administratifs ainsi exploités. Or, depuis l’œuvre fondatrice de Keynes en théorie économique et les décisions des gouvernements qui s’y rattachent, la politique budgétaire est un élément essentiel de la politique économique. Dès lors que le droit public financier vient non plus seulement fonder mais également encadrer la politique nationale, la constitutionnalisation d’une certaine politique budgétaire devient problématique de la même manière que celle d’une certaine politique économique. Le droit financier français correspond quelque peu à l’idée de neutralité économique déjà constatée en matière économique. Éric Oliva montre comment « la constitutionnalisation des principes budgétaires s’est réalisée très discrètement dans l’indifférence presque générale »152. La raison en est que ces principes essentiellement techniques venaient encadrer la façon dont le budget est établi et exécuté, et non les finalités politiques dont le budget est l’instrument de réalisation. Dès lors qu’il n’est plus question de régime juridique d’élaboration et d’exécution des budgets, mais d’une limite juridique à la politique dont le budget prévoit la mise en œuvre, la contrainte se fait tout autre. Cela explique pourquoi la constitutionnalisation des principes « neutres » a pu se faire dans l’indifférence générale, alors que l’adoption du Traité de stabilité, de coordination et de gouvernance au sein de l’union économique et monétaire pose des difficultés. Le Conseil constitutionnel a ainsi, en qualité de constituant par interprétation, constitutionnalisé les principes « neutres », mais décidé « qu’introduire directement des dispositions contraignantes et permanentes imposant le respect des règles relatives à l’équilibre des finances publiques exige la modification de ces dispositions constitutionnelles »153. Le constituant dérivé, s’il venait à effectuer les modifications nécessaires, ferait entrer dans la constitution des principes substantiels traduisant une certaine politique budgétaire. 152 Éric Oliva, « Les principes budgétaires et comptables à valeur constitutionnelle. Considérations autour de la « vraie » constitution financière de la France », in Mélanges Pierre Bon, Dalloz, 2014, p. 455. 153 Décision du 9 août 2012, n° 2012-DC, cons. 21. 536 C’est ce qu’opère l’Union européenne en introduisant des critères chiffrés (ceux de convergence notamment) s’imposant à l’action publique au plus haut niveau de l’État. Ainsi que le relèvent Raymond Muzellec et Mathieu Conan, « le droit induit par la mise en place de l'Union économique et monétaire aux termes du traité sur l'Union européenne signé à Maastricht le 7 février 1992, a notamment et initialement généré via le pacte de stabilité et de croissance, un exemple unique de dispositif multilatéral contraignant de politique budgétaire »154. Or, ce dispositif contraignant ne s’applique pas seulement au budget de l’État. A travers lui et en raison de l’intégration comptable des activités qui relèvent de la sphère publique, il irrigue l’ensemble des activités administratives et contraint donc tous les gestionnaires de fonds administratifs. Si Dimitri Yernault considère que « le nouvel étau juridique chiffré qui pèse sur les finances publiques (dont le cadre vient d’être renforcé lors du Conseil européen des 24 et 25 mars 2011) risque de rentrer à son tour un jour ou l’autre en conflit avec la satisfaction des besoins collectifs »155, il est certain qu’il contraint les fonds administratifs destinés à y répondre. La portée sociopolitique de ces évolutions dépasse cependant leur portée théorique en droit public. Celle-ci demeure relative parce que la soumission des activités administratives à un droit économique n’en modifie ni l’inscription au seul ordre juridique partiel du droit public ni, par conséquent, l’autonomie qui impose à ce droit une adaptation et conduit à en faire un droit économique public, simple dimension économique du droit des activités administratives. 154 Raymond Muzellec, Mathieu Conan, Finances publiques, Sirey, 16e éd., 2013, p. 47. Disposition réformée par la suite puis enrichie de « six pack » en 2011 et de « two pack » en 2013, ibid., pp. 51-52. 155 Dimitri Yernault, op. cit., p. 1233. 537 Section 2 La soumission au droit public économique : une confirmation de l’autonomie des fonds administratifs par rapport aux fonds du droit privé 585. Le droit de l’Union européenne soumet les personnes publiques propriétaires au « primat du marché et ses deux “adjuvants” majeurs, droit de la concurrence et libertés communautaires » 156. Ce droit du marché contraint les personnes publiques à ne pas exercer leur propriété selon des modalités qui auraient pour effet de fausser la concurrence et applique, pour ce faire, ses propres catégories juridiques, au risque de remettre en cause celles du droit interne et les régimes associés. Cependant, l’analyse révèle au final que ce n’est qu’indirectement que la propriété publique est affectée par le droit de l’Union européenne. Son influence n’a pas la portée théorique qu’on aurait pu imaginer (§ 1). En dehors de certaines évolutions concernant certaines règles particulières, évolutions qui dépendront des rapports de force institutionnels entre les acteurs en jeu, le droit de l’Union européenne souligne en réalité le caractère fondamentalement spécifique des activités économiques des personnes publiques. La gestion des fonds administratifs n’est donc pas remise en cause en elle-même. Elle se voit seulement enrichie de règles nouvelles au sein du droit applicable (§ 2). § 1 La portée relative du droit de l’Union européenne sur la théorie française de la propriété publique 586. L’analyse menée par Christophe Roux conduit à une conclusion extrêmement nuancée sur l’impact du droit de l’Union européenne sur la théorie de la propriété publique. L’auteur conclut en effet que, « en l’état actuel des choses, le droit de l’Union européenne n’a ni fait disparaître la propriété publique telle qu’on l’entend en droit français (c’est-à-dire au sens organique), ni les protections qui lui sont attachées (incessibilité à vil prix et insaisissabilité) », si bien que ce droit « modifie moins les cadres conceptuels du droit de la propriété publique que ses finalités »157. Si la propriété publique est évidemment « infléchie » par le droit de l’Union européenne (A), cela laisse largement ouvert le champ des possibles en ce qui concerne la recomposition du droit régissant l’activité des personnes publiques (B). A. L’inflexion manifeste de la propriété publique par le droit de l’Union européenne Christophe Roux, Propriété publique et droit de l’Union européenne, th. Lyon 3, 2013, n° 10 p. 5, en référence à Louis Dubouis, « Droit administratif et droit communautaire », AJDA, 1996, n° spécial, p. 66. 157 Christophe Roux, ibid., n° 1157 p. 741. 156 538 587. L’activité des personnes publiques propriétaires est saisie par le droit de l’Union européenne dans la mesure où les finalités de celui-ci trouvent à s’appliquer aux modalités de celle-là. Ainsi, les biens publics peuvent être qualifiés d’infrastructures essentielles. Les opérations patrimoniales des personnes publiques peuvent se rattacher à la commande publique sous forme de marchés et de concessions. Leurs subventions et leurs prises de participations peuvent être qualifiées d’aides d’État. Enfin, leurs activités de gestion peuvent poser la question de leur qualification comme activités économiques. Défini comme « le droit des relations entre l’administration et les opérateurs économiques », le droit public des affaires régit les trois positions que peut adopter l’État par rapport au marché : extérieur, et l’administrant, ou en tant qu’opérateur économique lui-même, ou en collaboration avec les opérateurs économiques 158 . Dans ces deux derniers cas, c’est bien en qualité de propriétaire qu’il interagit avec le marché, au sein du marché. C’est dans ces cas que le droit de la concurrence s’applique. C’est pourquoi l’analyse des rapports de la propriété publique et du droit de l’Union européenne, sans méconnaître l’existence d’autres champs matériels du droit de l’Union159, peut se résoudre en l’étude de la confrontation de la propriété publique au droit de la concurrence160. Prolongeant la jurisprudence Million et Marais161, la soumission des personnes publiques propriétaires au droit de la concurrence162 découle d’un approfondissement de l’État de droit par l’intégration de nouvelles sources au sein de la légalité administrative 163. Dans ce cadre, le droit de la concurrence pose directement la question de l’obligation ou non de mettre en concurrence les titres d’occupation du domaine public, question qui focalise en effet l’attention de la doctrine164. Mais ce sont plutôt les dérogations dont peuvent bénéficier les personnes publiques qui sont mises en cause. Le contrôle de la nécessité et de la proportionnalité des privilèges conduit en effet à suspecter les protections n’ayant d’autre fondement apparent que la seule personnalité 158 Sophie Nicinski, Droit public des affaires, Montchrestien, 3e éd., 2012, n° 3-4 pp. 9-10. Christophe Roux, op. cit., n° 41 p. 31 : « bien que le prisme économique et concurrentiel demeure essentiel, l’étude des concepts communautaires dépasse souvent le cadre du droit de la concurrence et mérite donc un traitement global » faisant référence au droit de l’environnement notamment. 160 Op. cit., n° 42 p. 32 qui, in fine, limite la comparaison au seul droit économique de l’Union européenne. 161 CE, Sect., 3 nov. 1997, Sté Million et Marais, n° 169907, Rec., p. 406 ; CJEG, 1997, p. 441 et RFDA, 1997, p. 1228 concl. J.-H. Stahl ; AJDA, 1997, p. 945, chr. Girardot et Raynaud ; AJDA, 1998, p. 247, note O. Guézou ; RDP, 1998, p. 256, note Y. Gaudemet ; GAJA, 19e éd., 2013, n° 98, p. 724. 162 Si la décision porte sur le domaine public, il faut considérer a fortiori que la gestion du domaine privé est concernée : CE, 26 Mars 1999, Sté EDA, n° 202260 ; CJEG, 1999, p. 264, concl. J.-H. Stahl ; AJDA, 1999, p. 427, note M. Bazex ; RDI, 1999, p. 630, note Ch. Lavialle ; RFDA, 1999, p. 977, note D. Pouyaud ; RDP, 1999, p. 1545, note S. Manson ; RDP, 2000, p. 353, note C. Guettier ; D., 2000, p. 204, note J.-P. Markus ; GDDAB, Paris, Dalloz, 2013, p. 460, note R. Noguellou. 163 Guylain Clamour, Intérêt général et concurrence. Essai sur la pérennité du droit public en économie de marché, op. cit., passim. 164 Outre les nombreuses contributions qui lui sont consacrées sous forme d’articles, la question a fait l’objet d’une thèse récente rédigée par Sophie Comellas, Les titres d’occupation du domaine public à des fins commerciales, L’Harmattan, 2014. 159 539 publique de leur bénéficiaire. Une logique fonctionnelle devrait donc venir légitimer des dérogations qui, en effet, se justifient mal si elles ne peuvent démontrer en quoi elles sont utiles et proportionnées à la réalisation d’une mission déterminée ou pour lever un obstacle bien identifié. D’où le fait que la conséquence sans doute la plus visible et politiquement problématique soit celle de la possibilité de concilier personnalité publique et activité principalement économique, c’est-à-dire les établissements publics à caractère industriel et commercial165. 588. Au titre du recul de l’exorbitance de la propriété publique, Christophe Roux considère que, « si elle n’est pas condamnée per se, (elle) mérite une appréciation renouvelée à l’aune des motifs présidant à son existence, sa nécessité et sa proportionnalité »166. Or, il est clair que le droit de la propriété publique comprend des « masses de granit » qui correspondent assez peu à cette appréciation exigeante et au détail des règles applicables et des privilèges accordés par le droit positif. Le droit de l’Union européenne est l’ennemi des dérogations qui ne sont pas justifiables par une argumentation rationnelle, économiquement compréhensible. On comprend ainsi que la prescription quadriennale, qui relève de la curiosité de l’histoire juridique après être née du pragmatisme de trésorerie, soit mise en cause. Les choses deviennent évidemment plus problématiques lorsque les régimes sont plus structurants pour la pensée juridique française. Ainsi, la remise en cause de l’insaisissabilité des biens publics, au moins dans sa généralité, dérange, autant que la remise en cause de la forme de l’Établissement public industriel et commercial. On contestera à ce propos l’idée que « la seule circonstance qu’un bien soit approprié par une personne publique ne permet pas de postuler qu’il est affecté à une utilité publique et, ce faisant, qu’il mérite une protection corrélative »167. Si le bien n’est peut-être pas une destination immédiate et formelle à une utilité publique déterminée, il est en raison du propriétaire qui exerce un droit de propriété public sur lui, soumis à un régime général d’affectation à l’exercice des compétences, lequel est toujours lié à l’intérêt général. C’est la limite du droit communautaire et de son approche analytique, au cas par cas, au détail. Une personne publique peut certes avoir des activités appelant des qualifications et des régimes différents. Mais quels que soient ces qualificatifs et ces régimes, une personne publique sera toujours un acteur public ayant, de ce fait, une certaine dignité sans laquelle un repère disparaîtrait dans l’esprit collectif. Peut-être est-ce là la rationalité économique, mais cette dernière est sans doute, comme celle de l’homo œeconomicus lui-même, une rationalité fort limitée. 165 CJUE, 3 avril 2014, République française c. Commission, précitée. Sophie Cornellas, op. cit., n° 10 p. 7. 167 Ibid., n° 31 p. 25. 166 540 589. Parce qu’elles s’inscrivent dorénavant dans la légalité administrative à un niveau hiérarchique prééminent, « le respect des règles communautaires de concurrence constitue une contrainte forte, et multiforme, qui s’impose dans les actes de gestion du patrimoine des personnes publiques »168. Hubert Légal, juge au Tribunal de première instance, considère que c’est à deux titres que les personnes publiques sont sous surveillance en matière de gestion patrimoniale : « en tant qu’acteurs économiques mais également en tant qu’autorités susceptibles de favoriser et de protéger l’offre nationale au détriment de la fluidité du marché intérieur » 169 . Il énonce le principe et son corollaire : le Traité n’interdisant pas la propriété publique, « l’État peut, sans méconnaître ses obligations, acquérir, conserver ou vendre des participations dans l’économie et il en va de même des autres personnes publiques ». Le principe est donc l’absence de limite à l’action économique des personnes publiques. Le corollaire est cependant un encadrement immédiat de cette action : « En revanche, toute activité économique est soumise aux règles de la concurrence, sous la réserve des aménagements requis pour les services d’intérêt économique général lorsque l’accomplissement de leurs missions exclut l’application entière de ces règles ». On en tire deux conclusions : tout ce qui n’est pas qualifiable d’activité économique et, le cas échéant, n’atteint pas la taille critique de l’intérêt frontalier, n’est pas soumis au droit de l’Union. Tout le reste y est soumis, ce qui n’exclut pas les correctifs apportés pour les exigences de l’action publique. En ce dernier cas s’applique le contrôle de la nécessité et de la proportionnalité de la dérogation. 590. Il y a donc, sinon une suspicion à leur égard, du moins la volonté de formaliser la gestion des personnes publiques en les soumettant à des procédures de commande publique particulières et, lorsqu’ils agissent en qualité d’opérateur économique, à les soumettre au contrôle relatif aux aides d’État et aux pratiques non concurrentielles. Si le champ de l’application des règles est circonscrit par leur objet, la portée n’est donc pas négligeable : « la seule conclusion à en tirer est que la contrainte d’origine communautaire qui porte sur un gestionnaire public est en réalité plus lourde que celle qui porte sur un entrepreneur privé puisque, d’une part, il suppose des obligations procédurales spécifiques dans ses rapports avec le monde économique, d’autre part, il doit être en mesure d’établir la rationalité économique de ses choix d’un point de vue d’investisseur privé lorsqu’il opère en économie de marché et, lorsque des missions de service public emportent dérogation à la loi du marché, de justifier, en particulier comptablement, l’ampleur des compensations nécessaires »170. Hubert Legal, « L’impact du droit de la concurrence sur la gestion du patrimoine des personnes publiques », AJDA, 2007, p. 949. 169 Idem. 170 Hubert Legal, idem. 168 541 D’emblée, cela confirme que l’influence du droit de l’Union européenne est d’abord l’enrichissement de la légalité applicable aux personnes publiques, ensuite que ces dernières constituent des propriétaires spécifiques, soumis à un régime de droit conçu spécifiquement à leur endroit. Il y a donc sans aucun doute une influence du droit de l’Union européenne sur la propriété publique, mais il y a sans aucun doute également, confirmation de la propriété publique, de sa spécificité et de son autonomie au sens de propriété des organismes publics et, par définition, des personnes publiques. Si l’exercice de la propriété est encadré plus strictement et selon une structure normative plus complexe, il demeure un instrument de l’action publique tandis que le droit public économique en structure plus que jamais le droit applicable. Tel est sans doute l’effet le plus notable du droit de l’Union européenne et la raison pour laquelle on le considère de plus en plus comme la véritable constitution économique et financière des États membres. B. La portée théorique limitée de l’influence du droit de l’Union européenne sur la propriété publique en droit français 591. Christophe Roux est amené à juger de la non compatibilité du droit interne de la propriété publique au droit de l’Union européenne qui, hiérarchiquement supérieur171, impose une mise en conformité. Or, le droit de l’Union confronté à 28 ordres juridiques différents et autant de frontières différentes entre personnes publiques et personnes privées ne peut que préférer une approche matérielle et fonctionnelle à une approche organique. Par ailleurs, la fonction du droit de l’Union européenne est de faciliter la constitution du marché commun et ses concepts sont donc essentiellement économiques. Dès lors, on peut s’interroger sur la portée de l’approche du droit de l’Union européenne. Elle impose sans nul doute que l’appréhension d’un bien en fonction de l’activité économique qu’il sert soit prise en compte en droit interne pour faire respecter les exigences concurrentielles. Mais si c’est « au regard de l’activité qu’ils entendent servir que les biens sont appréhendés par le droit de l’Union européenne »172, il en va de même du droit interne des biens. Un bien peut être qualifié d’administratif dès lors qu’il est utilisé par l’administration, c’est-à-dire qu’il sert une activité liée à l’action publique. Cette activité est éventuellement économique, ou se confronte 171 On sait que sur la question des normes constitutionnelles le point de vue du juge de l’Union européenne est inverse de celui des juges internes, considérant que les États n’ont pas à opposer leurs normes nationales pour faire échec au droit de l’Union, fussent des normes constitutionnelles. L’explication la plus simple est qu’un juge international face à 27 constitutions ne peut qu’affirmer qu’elles ne lui sont pas opposables, et que 27 juges nationaux ne connaissant que leur Constitution ne peuvent qu’affirmer qu’ils pourront l’opposer, si évidemment les conditions restrictives apportées à cette opposabilité étaient remplies. 172 Ibid., n° 1019 p. 662. 542 éventuellement à une activité économique. Cependant, à moins de se confondre avec la catégorie communautaire des activités économiques, l’activité de l’administration à partir d’un bien administratif est, d’abord et avant tout, la concrétisation d’une politique publique. Sans doute y a-t-il ici un différend qu’il faudra trancher. Il y a là une manifestation de cette « confrontation de plus en plus vive entre le modèle français et le modèle communautaire » qu’évoque Sophie Nicinski 173 et pour laquelle elle considère que « ni l’Europe ni la France ne pourront faire l’économie d’une réflexion sur l’existence d’un intérêt général économique justifiant l’action des pouvoirs publics, sauf à faire perdre aux États désireux d’orienter leur économie les moyens de leur politique »174. C’est ce à quoi mènerait un alignement de la distinction public-privé autour de l’opposition économique/non-économique 175 , distinction dont Maurice Hauriou fustigeait l’abolition à une époque où elle avait déjà fait long feu176. C’est pourtant la proposition qui est faite d’aligner la dualité domaniale sur la distinction des biens selon que le droit de la concurrence serait seulement opposable ou véritablement applicable à sa leur gestion. 592. La mise en conformité au droit de l’Union supposerait donc d’adopter un prisme économique pour les biens qu’utilise l’administration. C’est pourquoi l’auteur se réfère à l’analyse d’un ancien juge au TPICE, Hubert Legal, distinguant les biens publics « qui participent à une activité » et ceux « qui sont d’ordre purement patrimonial et excluent toute insertion dans une logique de marché »177. Les premiers sont soumis au droit de la concurrence et les autres non, la notion de bien public devant être entendue largement et non selon des considérations organiques, bien entendu. Dès lors, « tout semble avoir été dit » et « la ligne de partage vers laquelle devrait tendre le droit français est tracée : il s’agirait de départir les biens au service d’une activité économique de ceux qui ne le sont pas »178. Et il propose ainsi de recentrer le domaine public sur les biens non-économiques. Le critère de distinction semble cependant incertain dans son application. Ainsi, selon Christophe Roux, il faudrait rédiger l’article L. 2111-1 du CG3P de façon à classer dans le domaine public les biens immobiliers qui sont affectés à l’usage du public, à un service public non-marchand ou qui font partie du domaine naturel179. L’auteur a conscience de ce que les biens du domaine public ne sont pas étrangers à la sphère marchande en raison d’éventuelles occupations privatives et logiques de valorisation. Selon lui, « la séparation proposée a 173 Sophie Nicinski, Droit public des affaires, op. cit., n° 12 p. 13. Ibid., n° 13 p. 16. 175 Ibid., n° 1020 p. 663, l’auteur considérant qu’il y aurait là une nouvelle légitimité à la distinction des domaines. On serait tenté de se demander à quel prix. 176 Maurice Hauriou, note sous TC, 9 déc. 1899, Canal de Gignac, S., 1900, 3, p. 49. 177 Hubert Legal, « L’impact du droit de la concurrence sur la gestion du patrimoine des personnes publiques », AJDA, 2007, p. 949. 178 Christophe Roux, ibid., n° 1017 p. 661. 179 Ibid., n° 1061 p. 688. 174 543 néanmoins le mérite d’a priori scinder deux sphères : celle où le droit de la concurrence est par principe seulement opposable (domaine public) et celle où le droit de la concurrence est non seulement opposable mais applicable (domaine privé) »180. Cependant, la sphère d’application du droit de la concurrence n’est pas pour l’auteur l’intérêt essentiel de la proposition qui « demeure surtout dans la possibilité de maintenir en l’état l’exorbitance de la domanialité publique », laquelle ne porterait plus que sur « les biens dont la propriété publique paraît indispensable » 181 . On s’interroge donc. L’auteur a reconnu que l’appropriation publique des biens du domaine naturel est un choix182, le choix de l’option de l’appropriation du bien par rapport à la réglementation qui convient parfaitement à des systèmes où ces biens ont la même valeur symbolique et sont le siège des mêmes enjeux 183. Les biens affectés à l’usage direct du public, autres que naturels par conséquent, sont quant à eux des biens qui peuvent voir leur affectation supprimée, tout autant qu’un bien affecté au service public. Enfin, les biens affectés aux services publics non marchands utilisent sans doute des biens suffisamment sensibles pour que l’appropriation publique s’impose. Pour autant, un hôpital, un commissariat et même une prison, pouvant faire l’objet d’un contrat de partenariat, peuvent parfaitement abriter un service administratif sans être la propriété de l’affectataire ou d’une autre personne publique. Et dans chacun des cas précités, le droit de la concurrence n’est pas seulement opposable mais applicable sauf à considérer que n’en font pas partie le droit de la commande publique, le droit des aides d’État ou encore le droit des ententes et de l’abus de position dominante dont la qualification de facilité essentielle appelle l’application. Chaque catégorie que l’auteur classe dans le domaine public peut comprendre un immeuble qualifié d’essentiel et dont l’accès pourrait être obligatoirement ouvert à des conditions raisonnables et non discriminatoires, du point de vue du droit de l’Union européenne. 593. Quant aux protections organiques, il ne sous semble pas que la prohibition des aides d’État puisse être un substitut valable au principe d’incessibilité à vil prix 184. L’auteur considère que « ce sont au fond tous les biens “contrôlés par une personne publique” qui sont potentiellement appréhendés par le droit des aides d’État » si bien que « le principe d’incessibilité pourrait favorablement être étendu : il ne 180 Ibid., n° 1062 p. 689. Idem. 182 L’auteur reconnaît également à cet endroit de la thèse que le domaine naturel est une création artificielle, suivant en cela Christian Lavialle, « Existe-t-il un domaine public naturel ? », CJEG, 1987, p. 628. 183 Dire que les biens du domaine naturel sont d’ailleurs des biens dont la gestion n’est pas une activité économique fait d’ailleurs naître quelque doute, que l’on songe aux activités de navigation, de tourisme, de loisir, de chasse et de pêche qui ont lieu sur le domaine maritime ou le domaine fluvial. Toutes ces activités supposent de la part du gestionnaire public une autorisation qui est un bien et dont la contrepartie financière sous forme de redevance caractérise le caractère marchand de l’échange. Le droit interne arrive ici aux limites de la logique élémentaire et l’auteur qui le souligne par ailleurs semble s’en accommoder soudainement. 184 Sur la critique du fondement organique à partir de l’idée que tout régime juridique sanctionnant un écart entre prix du marché et prix effectif autorise à considérer que le principe d’incessibilité à vil prix s’applique, cf. supra. 181 544 concernerait alors plus seulement les biens sur lesquels disposent d’un droit de propriété, mais également tous ceux placés sous leur influence dominante » 185. Une vente à vil prix peut aussi être une aide d’État. Cela ne veut pas dire qu’elles sont une seule et même chose. Si les deux règles ont un même effet possible, rendre illicite une opération patrimoniale réalisée à un prix inférieur au prix du marché, elles ont un objet radicalement distinct. L’incessibilité à vil prix est un principe régissant les pouvoirs publics en eux-mêmes, en ce qu’ils sont financés par l’impôt et sont comptables de leur gestion des deniers et des autres biens publics. La prohibition des aides d’État est un principe encadrant la seule activité de soutien à l’activité économique des entreprises par les pouvoirs publics. Quant à l’adjonction d’un tempérament fonctionnel au principe d’insaisissabilité des biens publics, on a déjà dit que tempérer n’est pas supprimer un principe mais au contraire le consacrer et que l’insaisissabilité masque la véritable réalité, sans doute intangible, que la disparition d’une personne publique n’intervient qu’avec le consentement de l’État dont elle est un démembrement186. 594. De façon générale, s’il conteste certains auteurs ayant pu considérer l’influence de l’Union européenne comme assez limitée, Christophe Roux n’en considère pas moins que, en définitive, « il s’en faut certes encore de beaucoup pour prétendre que le droit de l’Union européenne bouleverse l’économie générale d’un corpus juridique complexe, marqué par la pluralité des dynamiques, des intérêts et des concepts qui le traversent et le nourrissent » 187 . La portée est d’autant plus limitée si l’on rejette, contrairement à l’auteur, l’idée que « la finalité des biens publics est, avant toute chose, économique »188. Il ne nous semble pas que sur l’ensemble des biens publics pris en considération, la majorité d’entre eux soit le siège d’une activité économique régulière. L’essentiel des biens publics ne présente pas de véritable utilité économique et, lorsque c’est le cas, s’opère une conciliation entre cette utilité économique qui ne peut être qu’accessoire et l’utilité liée à l’exercice des compétences qui est principale. Parce qu’il n’est, ici, que le droit du marché, même si cela le conduit à s’intégrer dans tous les domaines car tout domaine comprend une certaine dimension économique, le droit de l’Union européenne ne peut avoir d’influence en dehors de son objet. C’est donc bien dans la large mesure mais dans cette mesure seulement où la propriété publique se confronte au « primat du marché et ses deux “adjuvants” majeurs, droit de la concurrence et libertés communautaires »189 qu’elle est 185 Ibid., n° 1090 p. 706. Cf. supra. 187 Christophe Roux, op. cit., n° 1170 p. 747. 188 Ibid., n° 1172, p. 748. 189 Ibid., n° 10 p. 5. 186 545 mise à l’épreuve. Si il y a donc un certain recul de l’exorbitance, les catégories et les régimes de la propriété publique ne sont pas directement remis en cause et ne sont par conséquent pas destinés à disparaître190. Les propositions de l’auteur relativement à la recomposition de la propriété publique semblent aller au-delà des exigences déductibles du droit de l’Union européenne et accorder une importance trop fondamentale aux questions de concurrence qui ne sont destinées qu’à régir les effets de l’activité des personnes publiques propriétaires sur le marché et non l’essence de cette activité qui est de concrétiser par ce moyen des politiques publiques qui n’ont parfois aucun objet ni aucun effet économique. Il est discutable que « l’édification d’une nouvelle architecture se [doive] donc d’épouser les cadres concepts et les logiques du droit de l’Union européenne »191. Les catégories du droit de l’Union doivent seulement pouvoir s’insérer dans la qualification juridique des biens publics et leur régime se conjuguer ainsi avec celui qu’il rencontre192. En raison de la primauté du droit de l’Union européenne, il est cependant certain qu’une recomposition s’impose pour tenir compte de la dimension économique de l’activité des personnes publiques propriétaires. Celle-ci est première parce qu’elle est intrinsèque, mais elle n’est pas principale parce qu’elle masque l’essentiel : réaliser les politiques publiques au moyen de la propriété publique. Parce que cela implique la participation des personnes publiques à l’infrastructure, c’est-à-dire au commerce juridique, la légalité qui régira l’exercice du droit de propriété comprendra tout ce qui relève du droit de l’économie de marché. C’est pourquoi le droit public économique est la structure de l’activité des personnes publiques propriétaires, le cadre dans lequel cette activité s’inscrit sans pour autant imposer de l’y dissoudre. § 2 Une évolution sans conséquence sur l’inscription des fonds administratifs dans l’ordre juridique partiel du droit public 595. L’activité des personnes publiques propriétaires est économique dans la mesure où la propriété est le fondement de la participation au commerce juridique, dont la fonction essentielle est de traduire juridiquement le marché où se rencontrent les opérateurs. Elle est 190 Il faut convenir que c’est le corollaire qui s’impose en toute logique de l’idée que « si [le droit de l’Union européenne] n’ignore pas la distinction des domaines, il en écarte les conséquences dès lors que les cadres conceptuels du droit interne ne correspondent pas aux siens », ibid., n° 1011 p. 658. Le phénomène est le même devant la CEDH qui forge des notions autonomes n’ayant absolument pas vocation à supprimer les catégories du droit interne. 191 Ibid., n° 990 p. 647. L’auteur souligne ainsi par ailleurs qu’une perspective de rénovation signifie se fondre dans le « dessein communautaire », n° 1010 p. 658. 192 Ce dont, paradoxalement, l’auteur convient par ailleurs : « Après tout, si l’on excepte la question de l’emprise concurrentielle sur la gestion patrimoniale ou encore, l’encouragement à la privatisation des entreprises et du régime des biens, il s’en faudrait de beaucoup pour que le droit de l’Union européenne prétende déstabiliser un tel édifice », ibid., n° 991 p. 648. 546 cependant une activité publique parce qu’elle est une alternative au commandement par l’usage de la puissance publique. Il s’agit donc d’une activité économique publique. Si l’État et le marché s’imposent l’un à l’autre, comme le considère Didier Truchet, il en va de même de l’action publique et du droit public économique. L’activité des personnes publiques propriétaires, nécessairement économique, tant du point des finances publiques qu’elle prolonge, que de la participation au marché qu’elle implique, ne peut qu’être soumise au droit public économique (A). Parce qu’elle est cependant le moyen de réalisation d’une politique publique, lui est appliquée un régime juridique apte à concilier l’intérêt de l’action publique aux intérêts qu’on lui oppose. Si le droit en cause est économique, il est au même titre un droit public et le droit public économique s’adapte nécessairement à l’action publique (B). A. L’État de droit et la soumission des activités administratives aux règles issues des droits économiques 596. Tout sujet de droit n’agit qu’en fonction des ressources dont il dispose et sur la base desquelles il agira soit immédiatement sous la forme d’une dépense, soit en différé sous la forme d’un engagement dont il répondra de l’inexécution comme de ses comportements. Dès lors, de même que tout patrimoine suppose un actif et un passif, tout propriétaire connaît des recettes et des dépenses et connaît par conséquent un budget193. C’est la raison pour laquelle il y a une convergence presqu’inéluctable entre les finances privées et les finances publiques, tant du point de vue des finalités (dépenser plus, moins ou mieux), des moyens (notamment à travers le recours aux marchés financiers) et des conditions qui supposent régularité juridique des opérations et qualité économique de la gestion194. D’où l’existence dans toutes les institutions de grande envergure d’un contrôle interne, externe et juridictionnel de l’élaboration et de l’exécution du budget. Le droit des finances publiques cependant, comporte quelques spécificités. Les notions de coût et de rendement sont « déterminantes pour les affaires privées » mais « apparaissent secondaires pour les affaires publiques » 195 . Les ressources financières des personnes privées sont toutes fondées sur l’échange économique tandis que les personnes publiques ont pour principale ressource financière l’impôt qui est un procédé par contrainte. Enfin, contrairement à une certaine litanie, les finances de l’État ne sont pas celles d’un ménage et « il peut, au contraire du particulier, dépenser plus qu’il ne recouvre et recourir à la contrainte »196. Par ailleurs, si 193 Luc Saïdj, « Retour sur une question classique : la notion de budget », in Mélanges Joël Molinier, LGDJ, 2012, p. 623. Raymond Muzellec, Mathieu Conan, Finances publiques, Sirey, 16e éd., 2013, p. 4. 195 Ibid., p. 3. 196 Idem. 194 547 un conseil d’administration peut être comparé au Parlement en ce qu’il s’agit d’une assemblée représentative prenant des décisions ensuite mises en œuvre par un exécutif, il faut sans doute concéder que ce n’est pas tout à fait la même chose non plus. Dès lors, le contrôle politique est un élément essentiel des finances publiques197. Les personnes publiques propriétaires sont propriétaires parce qu’elles sont sujets de droit, c’est entendu. Mais elles tirent leurs ressources pour l’essentiel des contributions obligatoires versées au Trésor par les contribuables. Ceux-ci subiront de même l’augmentation des redevances et loyers perçus auprès des occupants des propriétés publiques qui ne manqueront pas de répercuter ce coût sur leurs prix. C’est pourquoi il existe à un degré inconnu du droit privé un contrôle politique198, administratif199 et juridictionnel200 sur la gestion publique qui n’est qu’une autre manière de désigner l’activité des personnes publiques propriétaires. C’est pourquoi « contribuable local » est une qualité qui donne éventuellement intérêt pour agir devant le juge administratif201. C’est pourquoi il existe une procédure d’autorisation de plaider qui permet au contribuable d’agir en lieu et place de la personne publique si celle-ci néglige d’intenter une action ayant des chances de succès et un intérêt patrimonial suffisant 202. Il faut inscrire dans une même logique les régimes juridiques de lutte contre la corruption 203 et notamment le droit de la commande publique qui est destiné en premier lieu à garantir la passation de contrats aux conditions économiques les plus justes204. Les finances publiques sont donc un élément fondamental du droit public économique, qui fonde et régit l’activité des personnes publiques propriétaires. Il s’agit d’un droit public parce que lié à l’exercice du pouvoir politique, à la démocratie et au contrôle des citoyens et contribuables sur l’action de leurs élus et administrateurs. Il s’agit d’un droit économique parce qu’il a pour substrat l’économie privée dont l’action publique tire ses ressources205. 197 Il faut rappeler que le parlementarisme est né de l’exercice d’un pouvoir de contrôle exercé par une instance délibérative sur les finances, que l’on songe à la Magna Carta de 1215 ou aux États généraux. 198 Au niveau national il revient au Parlement lors du vote des lois de finance et par le contrôle qu’il est censé exercé et qu’a consacré la révision constitutionnelle de 2008. Au niveau local, il est exercé par les élus qui sont présents en dehors des assemblées des collectivités au sein des instances dirigeantes des personnes juridiques qui en sont l’émanation. 199 Soit au sein de la personne publique considérée, soit en raison du contrôle exercé par exemple par les juridictions financières. La loi du 3 février 2011 a ainsi ajouté l’article L. 311-3-1 au code des juridictions financières : « La Cour des comptes participe à l'évaluation des politiques publiques dans les conditions prévues par le présent code ». 200 Non seulement par les juridictions financières mais aussi par le Conseil d’État et les juridictions administratives au sens strict comme l’a montré Stéphanie Damarey, Le juge administratif, juge financier, Dalloz, 2001. 201 Selon le célèbre arrêt Casanova précité. 202 Dispositif prévu à l’article L. 2132-5 et s. CGCT. Dispositif certes contraignant et encadrer, qui relève parfois de la curiosité juridique, mais qui n’en manifeste pas moins le principe essentiel à l’État de droit démocratique que le contribuable est directement intéressé à la gestion des collectivités publiques. 203 Rappelons que ce qu’on connaît sous le nom pudique de Loi sapin est la loi n° 93-122 du 29 janvier 1993 relative à la prévention de la corruption et à la transparence de la vie économique et des procédures publiques. 204 Raison pour laquelle la procédure la plus courante jusqu’à la fin du XIX e siècle était l’adjudication qui consiste à choisir le plus offrant avant que n’interviennent des procédures pouvant permettre le choix du mieux disant. 205 Pour plus 90% le prélèvement est autoritaire sous forme de contributions obligatoires et pour moins de 10% il est consenti sous la forme de différents prix perçus par les administrations. Le domaine public et le domaine privé de l’État ne génèrent même que 0,3% des recettes totales. 548 597. Cette dimension prend le dessus lorsque l’activité des personnes publiques s’envisage comme une participation du pouvoir politique à l’économie de marché. Une personne publique parce que son activité de propriétaire peut avoir des implications économiques, est alors appelée à se voir appliquer des catégories juridiques autres que purement administratives. Or, « les personnes publiques se trouvent assurer, en pratique, la gestion de nombreuses activités commerciales »206. Ainsi, une personne publique peut être qualifiée de commerçant au sens du code du commerce, de professionnel au sens du code de la consommation207, d’employeur au sens du code du travail, ou d’entreprise exerçant une activité économique au sens du droit de la concurrence. Celui-ci lui interdira certains comportements et lui en imposera d’autres, comme l’obligation d’accorder un accès aux facilités essentielles dont les personnes publiques ont la propriété ou la maîtrise. A contrario, elle peut aussi être consommateur et bénéficier de la protection que le droit économique accorde à celui-ci208. Sauf lorsque l’État tente de lui refuser ladite protection par l’adoption de lois de validation209. B. L’appropriation par l’ordre juridique public des nouvelles règles applicables aux personnes publiques propriétaires 598. Dans tous les cas évoqués à l’instant, la qualité de personne publique ou la nature administrative de la mission poursuivie par l’opération, induiront souvent une appréciation particulière du régime applicable justifiant de parler d’un droit public de la consommation ou de la concurrence, etc. La conciliation, que Guylain Clamour considère comme étant l’essence même du droit public, aura alors à s’appliquer entre les intérêts publics et privés mis en cause par l’activité des personnes publiques propriétaires. Tantôt l’accomplissement de cette activité primera toute autre considération, notamment s’il y a urgence et péril, le sauvetage des banques traduisant à un niveau macroéconomique ces considérations que la police administrative connaît à des échelles plus locales. Tantôt l’activité sera encadrée ou interdite en raison de l’opposition de libertés fondamentales ou de la confrontation à d’autres intérêts publics, éventuellement même l’exercice de la compétence d’une autre personne publique. 206 Gabriel Eckert, Droit administratif et commercialité, th. Strasbourg, 1994, p. 26. Sylvain Lafont, La soumission des personnes publiques au droit de la consommation, Litec, 2009. 208 TGI Nanterre, 4 juillet 2014, n° 11/10608, D., 2014, p. 1540 qui annule le taux conventionnel d'un contrat de prêt souscrit par la commune d'Angoulême auprès de la société Dexia pour défaut d'indication du taux de période unitaire et de sa durée et condamne la société à substituer le taux légal au taux conventionnel et à rembourser à la commune 3,4 millions d'euros 209 Après une invalidation du Conseil constitutionnel par sa décision du 29 déc. 2013, n° 2013-685 DC, le Conseil a finalement validé une loi de validation contrant les effets de la décision précitée relative aux emplois toxiques, Décision n° 2014-695 DC du 24 juillet 2014 : « eu égard à l'ampleur des conséquences financières qui résultent du risque de la généralisation des solutions retenues par les jugements [du tribunal de grande instance de Nanterre du 8 février 2013 et du 7 mars 2014], l'atteinte aux droits des personnes morales de droit public emprunteuses est justifiée par un motif impérieux d'intérêt général ». 207 549 C’est pourquoi, « de manière générale, la réception des règles du droit privé en contentieux administratif s’accompagne immanquablement d’une acclimatation à leur nouveau milieu de déploiement : d’une part, parce que théoriquement elles subissent une “publicisation” du fait même de leur emprunt ; d’autre part et de manière plus pratique mais tout aussi déterminante, parce qu’elles nécessitent alors d’être exactement combinées avec d’autres éléments du bloc de légalité » 210 . Guylain Clamour rejoint ici exactement les réflexions développées précédemment sur la neutralité du dualisme juridique quant à l’autonomie des activités administratives inscrites dans le seul ordre juridique partiel du droit public. Les données développées alors s’appliquent parfaitement au droit de la concurrence, et c’est pourquoi l’auteur, faisant lui aussi suite aux travaux de Benoît Plessix, considère que « la régénération de l’intérêt général, principalement par son enrichissement aux règles de concurrence, telle qu’opérée par le juge administratif, permet de rénover et de conforter l’idée d’une autonomie de l’ordre administratif »211. Cet ordre, que nous appelons ordre juridique partiel du droit public, s’incorpore ces règles de concurrence comme il s’est incorporé des outils conceptuels, des modèles, des notions, des règles aussi du droit privé en général. Il s’approprie le droit de la concurrence comme le droit de la consommation. Il fait naître ainsi un droit public de la concurrence et un droit public de la consommation. Ces droits participent du droit des activités administratives bien que le doit des activités économiques en fût la source initiale. C’est pourquoi les règles applicables aux personnes publiques propriétaires peuvent bien être érodées, réécrites, pour être mises en conformité avec les règles du marché et le droit de l’Union européenne, elles resteront une catégorie juridique autonome. Il en ira ainsi tant que les distinctions entre la sphère publique et la sphère privée, la compétence et la capacité, la personnalité et la personnalité privée, toutes indissociablement liées, continueront de traduire juridiquement le principe de séparation de l’État et de la société. La question du droit de la concurrence pose une difficulté en raison de la valeur juridique de règles qui n’ont dans l’imaginaire collectif qu’une importance parfaitement secondaire. Rien n’est plus légitime en effet que de fausser le jeu d’une concurrence dont on considère la liberté comme une version lénifiée de la loi du plus fort. La politique française et son droit sont pétris de cette idée que la liberté asservit quand la loi libère et de l’idée que l’intervention de la puissance publique s’impose pour rétablir quelque équité dans les rapports de forces économiques. On voit mal cependant ce que l’intérêt public perdrait à la remise en cause de certains monopoles profitant à certaines professions réglementées héritières d’une vénalité des offices unanimement dénoncée. Autant pourrait être dit, par équité politique, à 210 211 Guylain Clamour, op. cit., n° 716 p. 412. Ibid., n° 740 p. 425. 550 l’endroit des avantages et privilèges acquis sur la faiblesse d’autorités politiques pressées de gagner la paix sociale dont le prix est payé par l’usager ou le contribuable. Quoi qu’il en soit des choix de politique économique, la soumission au droit public économique des activités des personnes publiques propriétaires ne doit en aucune façon s’analyser en une remise en cause de leur autonomie et de celle de l’ordre juridique public dont elles relèvent. Il s’agira toujours d’un droit public économique ayant à s’adapter dans son contenu, ou qui sera adapté par son interprétation 212 . Cela révèle que le droit public économique n’est pas un élément perturbateur qui vient de l’extérieur, mais un nouvel élément qui s’y est incorporé comme l’intérêt du marché est devenu un élément de l’intérêt général 213. Il est possible alors d’envisager cette intégration du point de vue cette fois inverse. Non le point de vue du droit public économique qui s’impose aux personnes publiques propriétaires. Mais le point de vue des personnes publiques propriétaires qui participent du droit public économique. Elles apparaissent alors comme une composante du droit public économique, lequel peut être décrit par les relations de l’État-appareil à la propriété. Les personnes publiques propriétaires apportent alors une contribution non seulement à la compréhension du droit objectif qui s’impose à elles, mais à la définition ce de droit objectif, le droit public économique, dont elles sont l’instrument de la concrétisation et l’une des deux facettes permettant de le décrire. Le droit public économique résulte de la puissance normative qui édicte des règles applicables aux activités économiques, et de la propriété des personnes publiques qui inscrivent leurs activités dans le milieu économique à travers les fonds administratifs qu’elles y développent. Le droit public économique n’est pas un droit étranger au droit de l’action publique et qui lui serait inoculé de l’extérieur. Il est le droit des activités administratives telles qu’elles se déroulent sur le plan des échanges. Et c’est pourquoi le droit public économique repose sur la propriété des personnes publiques. Les personnes publiques n’y sont donc pas seulement soumises, elles le concrétisent. Elles sont l’une des relations de l’État-appareil à la propriété par lequel ce droit public économique peut être décrite : l’État propriétaire. 212 213 Cf. supra. Cf. Guylain Clamour, op. cit., dont c’est la thèse essentielle. 551 Conclusion du Chapitre 2 599. Les fonds administratifs des personnes publiques sont l’interface par laquelle elles inscrivent leur action dans le commerce juridique. Ce dernier étant l’instrument primordial de l’exercice, en droit, des activités économiques, la gestion des fonds administratifs devient un vecteur de la participation des personnes publiques à la vie économique. Cette participation n’est jamais neutre et même si elle est soumise à des droits initialement conçus pour les opérateurs économiques privés, il s’agit de droits publics parce que régissant toujours l’action publique. Il en va ainsi, par exemple, du droit public de la consommation, du droit public de la concurrence. En inscrivant leur action dans les échanges économiques dont le commerce juridique permet la représentation, les personnes publiques recherchent en principe la satisfaction d’intérêts publics. Parfois même, la participation au commerce juridique est le moyen essentiel de réalisation de la mission qui leur incombe. En cela, la participation des personnes publiques au commerce juridique est un moyen de réalisation des politiques publiques. La donnée nouvelle du droit public contemporain est cependant d’avoir approfondi l’État de droit jusqu’à l’étendre aux activités économiques des personnes publiques. La gestion de leurs fonds administratifs a donc vocation à se soumettre plus souvent et plus strictement aux règles applicables aux autres intervenants dans le commerce juridique. Si cela oblige à justifier de leurs éventuels privilèges et dérogations, cela n’en remet cependant pas en cause le principe. C’est pourquoi le droit des activités administratives est toujours du droit public, même lorsque ces activités sont économiques. Les fonds administratifs, s’ils sont des ensembles complexes représentant des activités sur le modèle applicable aux activités privées, différent par leur appartenance à l’État-appareil. Ils en sont l’expression fonctionnelle mais répondent à un critère organique. Le commerce juridique est le lieu de la rencontre des activités privées et des activités administratives. Ces dernières, lorsqu’elles sont des activités économiques, prennent les mêmes apparences que les entreprises mais n’en sont pas. Le droit qui leur est applicable en témoigne. Il y a là la rencontre des deux ordres juridiques partiels par les relations que nouent entre eux les acteurs qui relèvent, pour les uns d’activités privées, pour les autres d’activités administratives. L’autonomie de chacun des deux ordres n’est pas remise en cause par la soumission à des droits issus du marché. C’est la politique mise en œuvre qui évolue et avec le contenu du droit public qui la reflète. L’autonomie du droit public, elle, n’en est en rien affectée. 552 Conclusion du Titre 2 600. nd L’exercice des compétences des personnes publiques signifie la gestion des fonds administratifs et des biens qui par leur affectation à l’activité que représente ce fonds y sont incorporés. Cet exercice s’inscrit intégralement dans l’ordre juridique partiel du droit public, c’est-à-dire l’ordre du droit public fondant et régissant l’action publique. L’ordre juridique partiel du droit public est le seul ordre dont relève l’activité des personnes publiques propriétaires. Il est l’ordre dont relève leur compétence, laquelle est exercée par la gestion des fonds administratifs dont ces personnes publiques ont la propriété ou la maîtrise. Cela autorise d’abord à intégrer au droit public, à leur compétence, le dualisme des règles de droit. Qu’il s’agisse d’un régime de droit civil ou commercial ou d’un régime de droit administratif, l’exercice de la propriété publique est l’exercice d’un droit subjectif public relevant du droit public. Cela autorise ensuite à intégrer au droit public le dualisme des ordres juridictionnels. Lorsque le juge judiciaire connaît d’une question relative à l’exercice de sa propriété par une personne publique, il se fait juge de l’action publique et, en cela, juge du droit public. D’ailleurs, il est alors amené à rencontrer le droit administratif et plus fondamentalement encore, à tenir compte de l’administrativité du litige dans l’interprétation qu’il fera du droit privé. Les personnes publiques, dans la gestion de leurs fonds administratifs, donnent lieu à des activités qui sont très souvent de nature économique. La propriété est en effet, avec la liberté contractuelle et la responsabilité, à la base du commerce juridique qui n’est qu’une forme juridicisée du commerce économique. C’est pourquoi la propriété des personnes publiques a pour objet de les faire participer à ce commerce, d’en faire des acteurs de l’économie. Acteurs néanmoins absolument et nécessairement publics, les personnes publiques propriétaires sont soumises à un droit public économique qui en fonde et en régit les activités économiques, lesquelles sont encore des activités administratives. L’ordre juridique partiel du droit public rencontre celui du droit privé dans le commerce juridique mais cette rencontre n’est pas une confusion. Elle confirme au contraire l’autonomie de l’action publique par les personnes publiques propriétaires. 553 Conclusion de la seconde partie 601. Les personnes publiques sont propriétaires sur le fondement de leur compétence, laquelle affecte leurs droits subjectifs à son exercice. Cet exercice des compétences suppose cependant l’exercice de ces droits. L’action publique commence donc avec l’exercice des droits subjectifs des personnes publiques, premiers sujets du droit public. Les droits de puissance les concrétisent sous la forme de règlements qui établissent les activités administratives qui vont être mises en œuvre. Les droits de propriété leur affectent les moyens qui y seront nécessaires. 602. Ces activités peuvent être décrites sous la forme de fonds administratifs comme des fonds en droit privé représentent les activités commerciales, artisanales, agricoles, notamment. Un fonds administratif est l’universalité des actifs affectés à une activité assumée par une personne publique. Assumer une activité, c’est être propriétaire d’un fonds administratif et avoir le contrôle des fonds administratifs qui se combinent avec lui. Là est le rattachement organique par lequel une activité est dite publique, relevant de l’ordre juridique partiel de l’action publique. 603. Une personne publique peut être à la tête d’autant de fonds administratifs qu’elle met en œuvre d’activités. La notion de fonds administratif facilite ainsi l’individualisation des services au sein de la personne publique. Elle facilite également les transferts d’activités entre personnes publiques. dont elle peut représenter le mécanisme de la façon aussi exhaustive que possible, sinon voulue. Les modes d’organisation des fonds administratifs seront à l’image de la complexité de l’organisation administrative et des techniques à disposition pour les mettre en œuvre. Il y aurait cependant sans doute lieu de préférer à la multiplication des mécanismes spéciaux, un retour aux principes généraux. La notion de fonds administratif entend y contribuer d’une certaine manière. 604. Si un fonds administratif est l’universalité des actifs affectés à une activité, il comprend par conséquent tous les biens qui y sont nécessaires. Il peut s’agir d’immeubles, naturels ou artificiels ; de biens meubles, précieux ou non ; de propriétés incorporelles, comme les marques ou le nom, associés aux personnes publiques. Il peut encore s’agir de droits, qu’il s’agisse du 554 droit relatif à la prestation due par une personne, ou du droit de jouir d’une utilité produite par le bien d’autrui. On doit considérer que les biens affectés à un fonds administratif font en principe l’objet d’un droit de propriété fiduciaire contraignant la personne privée à ne pas pouvoir en disposer dans un intérêt incompatible avec l’activité. Ces biens pourraient se voir appliquer de façon générale les principes applicables aux concessions. Nécessaires ou particulièrement utiles, ils doivent pouvoir, dans l’intérêt de la gestion du fonds administratif, être la propriété d’une personne privée. Ils ne seront pas, pour autant, distraits du fonds administratif auquel ils restent affectés, attachés. Au terme de la délégation, ils reviendront en la pleine puissance propriétaire de la personne publique qui assume l’activité. Ce mécanisme sera le fait d’une propriété ab initio, d’un retour de plein de droit, ou d’une reprise si la personne publique lève une option d’achat. Dans ces conditions, on peut s’interroger sur l’utilité de la domanialité publique. L’intérêt principal de la notion de fonds administratif est d’inviter à réfléchir dans une perspective dynamique et subjective liée à l’activité exercée et les nécessités de celle-ci. 605. Le droit public est en effet le droit des activités administratives. L’ensemble des fonds administratifs constituent l’ensemble de l’action publique et appelle l’ensemble des mécanismes juridiques qui la fondent et la régissent. C’est pourquoi nous avons pu considérer que les dualismes entre le droit applicable et le juge compétent, administratif ou privé, ne sont qu’apparents et relèvent en réalité d’une logique interne à l’ordre juridique partiel du droit public. Celui-ci s’approprie les règles dont il choisit d’admettre la source. Il fait du juge judiciaire un juge de l’action publique lorsqu’il en accepte la compétence. C’est pourquoi les personnes publiques, lorsqu’elles agissent au moyen de la propriété, perturbent le commerce juridique et le marché que ce concept représente. Elles instrumentalisent ce commerce juridique au profit de l’action publique. Le droit public économique est le droit qui fonde et régit les activités administratives économiques. En cela, il achève de décrire l’ordre juridique partiel comme le droit de l’action publique, laquelle est constituée par l’ensemble des activités assumées par les personnes publiques et mises en œuvre à partir de l’exercice, par ces sujets primordiaux du droit public, de leurs droits subjectifs de puissance et de propriété. 555 Conclusion générale 606. Georges Clemenceau interpelle son lecteur en ces termes : « L’action est le principe, l’action est le moyen, l’action est le but (…) unique force et totale vertu »214. La perspective adoptée a tenté de répondre à l’interpellation. Le choix fondamental a été, en effet, d’aborder la question de la propriété publique, non pas du point de vue statique de l’état de propriété, ses régimes et ses biens, mais du point de vue dynamique de l’action du propriétaire : devenir propriétaire, agir en propriétaire, cesser d’être propriétaire. 607. Cette action suppose cependant que le propriétaire ait été institué, se soit vu attribué un droit de propriété et puisse ainsi utiliser les mécanismes par lesquels le droit positif fonde et régit son action de propriétaire. Un tel phénomène peut être décrit par la combinaison des points de vue objectif et subjectif d’observation du droit positif. En droit objectif, il existe des normes qui fondent la possibilité d’édicter d’autres normes : les normes d’habilitation. En droit subjectif, une telle habilitation crée, en tout premier lieu, un sujet de droit. Celui-ci va agir en exerçant des droits subjectifs fondés et régis par le droit objectif. L’habilitation donne à ce droit objectif son contenu en admettant les sources de droit qui détermineront les règles applicables. Cette approche dogmatique permet de considérer qu’un ordre juridique résulte de la combinaison des normes d’habilitation et des activités que les sujets de droit peuvent mettre en œuvre sur leur fondement ; à la suite de quoi les rapports naissent entre les sujets de droit et les éventuels litiges surviennent. 608. L’appréhension du droit à l’échelle de l’humanité rend désormais difficile la distinction des ordres juridiques comme des unités cohérentes et étanches. Cependant, les États souverains demeurent, dans la conception générale, les ordres juridiques principaux. Lorsqu’un État adopte le principe libéral de la séparation de la Société et de l’État, il différencie ce dernier pour garantir les libertés et l’autonomie des individus qui composent la première. Aux individus il accorde des droits fondamentaux qui seront la limite à l’action de l’État. Celui-ci manifeste son autonomie sous la forme juridique d’un ordre juridique partiel qui va circonscrire son action par rapport aux activités qui relèvent de la sphère privée. La volonté de l’État peut alors consister, comme en France, à marquer la différenciation par une catégorie spécifique de sujets de droit ne comprenant pas seulement l’État mais d’autres personnes 214 Georges Clemenceau, Le grand Pan, Charpentier & Fasquelle, 1896, préface, p. LXXXI. 556 publiques. Le droit public apparaît alors comme le droit de l’action publique, le droit qui fonde et régit les activités administratives qu’ont décidé d’assumer l’État et les personnes publiques qu’il admis à la vie juridique sous cette forme. 609. L’ordre juridique partiel du droit public est un système qui se développe organiquement à partir des personnes publiques, avec pour fonction de fonder et régir les activités administratives qui en réalisent les fins. Son essence est l’action publique. Sa substance est l’ensemble des activités administratives. Les actes et les situations juridiques qui en résultent s’y rapportent toujours, comme les juges qui auront à en connaître et seront, administratif ou judiciaire, juges de l’action publique et des activités administratives. Celles-ci sont principalement les activités de service public, mais s’étendent encore à toutes celles qui n’auront pas reçu ce « label ». Ces activités pourront avoir une dimension économique variable, confirmant que l’action publique oscille entre le plus grand profit qui lui assure des moyens, et le plus grand service qui lui permet d’atteindre ses fins. Ce n’est donc ni l’objet ni le régime des activités qui permet d’en déterminer le caractère administratif, c’est-àdire l’appartenance à l’ordre juridique public. 610. C’est pourquoi l’ordre juridique public repose sur un principe d’unité organique et un principe de légitimité fonctionnelle. Le premier lui confère la cohérence en faisant assumer par une personne publique toutes les activités qu’il fonde et régit. La règle qui s’applique aux activités de service public est ici transposable à toute activité qui relève de l’action publique si et seulement si elle est assumée par une personne publique. Si l’activité est celle d’une personne publique, le doute n’est pas permis et l’activité relève de l’action publique. Si l’activité est celle d’une personne privée, il faut chercher si une personne publique attache une importance à cette activité, s’y intéresse et exerce son action pour en contrôler suffisamment les modalités d’exercice. Il est certain que l’exercice n’est pas simple, et le faisceau d’indices est une technique commode pour pouvoir décider en opportunité. Mais c’est le prix de la différenciation d’un appareil d’État qui a multiplié à l’infini les objets de ses activités et les modalités de leur réalisation. La perspective adoptée, subjective et dynamique, met en évidence que renoncer au critère organique revient à revenir sur la différenciation de l’appareil d’État. Ce serait relativiser l’autonomie de la Société qui suppose que les personnes publiques, leurs activités et les personnes privées auxquelles elles en délèguent une partie, soient clairement identifiées. Les incidents de frontière sont un moindre mal par rapport à l’absence de frontière. 557 611. Le principe fonctionnel permet de limiter la propension de l’action publique à porter atteinte à la sphère privée. Ce principe n’intervient que dans un second temps. Il est cependant indispensable. Il est une condition à la légitimité de l’action publique et, surtout, à l’exorbitance des règles qui doivent s’y appliquer. Seule la fonction à remplir justifie des privilèges, qui doivent être proportionnés aux obstacles qu’il s’agit de lever et à la finalité poursuivie. Si cette fonction est incarnée par la personne, alors ces privilèges sont justifiés par l’affectation de cette personne elle-même à l’action publique. On peut interpréter ainsi la raison d’être des privilèges organiques des personnes publiques. Leur proportionnalité pose des questions d’un autre ordre. Il est certain en revanche que tout principe qui atténuerait la portée de ces privilèges n’en supprimera jamais le principe. L’État et les personnes publiques sont consubstantiels de la puissance publique, de la possibilité de faire échec aux mécanismes juridiques si les compétences l’exigent, comme de celle de mettre la puissance au service de ces compétences par des moyens d’action exorbitants. Le fait que l’expropriation ait pour fondement la personnalité publique est l’expression de cette ontologie des personnes publiques qui sont les sujets de l’action publique. 612. L’organique et le fonctionnel sont l’horizon indépassable du droit public. Les personnes publiques propriétaires le prouvent. La qualité de propriétaire, organique, est destinée à réaliser leur compétence, leur fonction. Leur droit de propriété résulte de ce statut organique, mais est affecté à l’intérêt public, fonctionnalisé. Elles réalisent leurs fonctions en mettant en œuvre des activités sous la forme de fonds, dont le caractère administratif dépendra du lien organique par lequel on peut dire qu’une personne publique assume l’activité. Les biens qui sont affectés à ces fonds peuvent bien être appropriés par des personnes privées, la personne publique ne s’en désintéresse pas et aura vocation à en retrouver la pleine disposition si nécessaire. L’expropriation et la réquisition manifestent cette possibilité fondamentale des personnes publiques de pouvoir devenir propriétaires par la puissance si l’intérêt public dont elles ont la charge l’exige. Il faut terminer en appliquant aux personnes publiques l’interpellation de Clemenceau. Les personnes publiques sont les sujets de l’action publique, qui est l’ensemble des activités administratives mettant en œuvre les politiques publiques. L’action publique est leur principe, leur moyen et leur but. L’action publique est la seule source de leur force et elles en tirent la totalité de leur vertu. Agissant par la puissance ou la propriété, c’est toujours l’action publique que les personnes publiques mettent en œuvre, et ce n’est que pour cette action qu’elles ont la puissance et la propriété. 558 559 Bibliographie Ouvrages généraux I. Théorie du droit et ouvrages généraux ALLAND (D.) et RIALS (S.) (dir.), Dictionnaire de la culture juridique, PUF, 2003. ARNAUD (A.-J.), Critique de la raison juridique, LGDJ, 1981, éd. num. du RED&S. ATTIAS (C.), Philosophie du droit, PUF, 3e éd., 2012. AUTEXIER (C.), Introduction au droit public allemand, PUF, 1997. BACHOFEN (B.) (dir.), Le libéralisme au miroir du droit, ENS éditions, 2008. 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Cass. 3e civ., 10 janvier 2007, 06-11.130, Bull. III, n° 2 p. 1 ; § n° 539. Cass., com., 23 oct. 2007, n° 06-13.979 ; § n° 261. Cass., 1ère civ., 3 juin 2010, Ville de Châteauroux, n° 09-14.663, Bull. civ. I, n° 127 ; §§ n° 205 ; 378. Cass. 2e civ., 3 mars 2011, Farcis c. Cne de Rimplas, n° 09-69.658 ; § n° 527. Civ. 3e, 21 sept. 2011, n° 10-21.900 ; § n° 261. TGI Paris, 13 sept. 2012, Cne de Laguiole, n° 10/08800 ; § n° 504. Paris, 29 novembre 2012, Département de Saône-et-Loire c/ Société Autoroutes Paris-Rhin- Rhône (APRR) et Société Eiffarie, n° 2010/18633 ; § n° 312. Cass., 1ère civ., 16 janv. 2013, Cne de Portes-lès-Valence, n° 11-27.837 ; § n° 525. Cass., 1ère civ., 10 avril 2013, ONF, n° 12-13.902 ; § n° 525. Cass., plén., 25 juin 2014, n° 13-28.269 ; § n° 392. TGI Nanterre, 4 juillet 2014, n° 11/10608 ; § n° 597. - 594 - II. Jurisprudence des juridictions administratives et du Tribunal des conflits CE, 7 juillet 1853, Sieur Robin de la Grimaudière ; § n° 444. CE, 19 mai 1858, Vernes, Rec.. p. 399 ; § n° 315. CE, 21 nov. 1884, Conseil de fabrique de l’église Saint-Nicolas-des-Champs, Rec., p. 803 ; § n° 393. CE, 12 février 1892, Royer et Faitout ; § n° 315. CE, 3 fév. 1899, Joly ; § n° 406. TC, 9 déc. 1899, Association syndicale du Canal de Gignac, Rec., p. 731 ; § n° 123 ; 246 ; 254 ; 326 ; 521. CE, 29 mars 1901, Casanova, Rec., p. 333 ; §§ n° 574 ; 577. CE, 18 avril 1902, Comme de Néris-les-Bains, Rec., p. 275 ; § n° 174. TC, 2 déc. 1902, Sté immobilière Saint-Just, Rec., p. 713 ; § n° 237. CE, 16 juillet 1909, Ville de Paris et Chemins de fer d’Orléans ; § n° 22 ; 326. CE, 7 mars 1919, Commune de Cons-la-Grandville ; § n° 174. CE, 8 août 1919, Labonne, Rec. p. 737 ; § n° 287. CE, 17 janvier 1923, Piccioli ; § n° 22. CE 30 nov. 1923, Couitéas, Rec. p. 789 ; § n° 255. CE, 30 mai 1930, Chambre syndicale du commerce en détail de Nevers, Rec., p. 583 ; § n° 574 ; 577. CE, 13 janvier 1933, Chemin de fer de Paris-Orléans ; § n° 28. CE Ass., 24 nov. 1933 Zénard , Rec. p. 1100 ; § n° 507. CE, Sect., 7 fév. 1936, Jamart, Rec., p. 172 ; § n° 287. CE Ass., 13 mai 1938, Caisse primaire “Aide et protection”, Rec., p. 417 ; § n° 6. TC, 25 mars 1939, Sté immobilière des Glacis c. Ville de Bayonne, Rec., p. 664 ; § n° 500. CE Sect., 5 mai 1944, Compagnie maritime de l’Afrique orientale, Rec., p. 129 ; § n° 384. CE, 25 juill. 1947, Sté l’ALFA, Rec., p. 344 ; § n° 529. CE, 6 fév. 1948, Société Radio-Atlantique et Compagnie carcassonnaise de transports en commun (2 espèces), Rec., p. 65 et p. 69 ; § n° 384. CE, 9 juill. 1948, Bourgade, Rec., p. 314 ; § n° 525. CE Ass., 24 juin 1949, Lecomte, n° 87335 ; § n° 528. CE Ass., 17 février 1950, Ministre de l’agriculture c. Dame Lamotte, Rec., p. 110 ; § n° 165. - 595 - CE, 18 avr. 1958, Varsa, n° 24081 ; § n° 529. TC, 17 avril 1959, Abadie, Rec., p. 239 ; § n° 410. CE Sect., 13 oct. 1961, Ets Companon-Rey, Rec., p. 567 ; § n° 277 ; 544. TC, 20 nov. 1961, Centre régional de lutte contre le cancer Eugène Marquis, Rec., p. 879 ; § n° 123. CE, 4 avr. 1962, Chevassier, D., 1962, p. 327 ; § n° 123. TC, 17 déc. 1962, Dame Bertrand, Rec., p. 831 ; § n° 277 ; 544. CE, 13 mai 1964, Mlle Eberstarck, n° 53965 ; § n° 28. CE, 5 fév. 1965, Sté lyonnaise de transports, n° 57781 ; § n° 463. CE, 10 déc. 1965, Syndicat des copropriétaires de l’immeuble Pharo-Pasteur, Rec., p. 864 ; § n° 500. CE, 10 nov. 1967, Tixier, n° 66204 ; § n° 536. TC, 15 janv. 1968, Compagnie Air France c. Époux Barbier, Rec., p. 789 ; § n° 287. CE Ass., 23 janv. 1970, Époux Neel, n° 68324 ; § n° 316. CE Sect., 19 mars 1971, Mergui , n° 79962 ; § n° 267. CE, 28 mai 1971, Ville Nouvelle Est, n° 78825 ; § n° 510. CE, 20 juillet 1971, Ville de Sochaux, n° 80804 ; § n° 114. CE Ass., 20 oct. 1972, Société civile Sainte-Marie de l’Assomption, n° 78829 ; § n° 512. CE, 17 janvier 1973, Ancelle et autres, n° 74821 ; § n° 345. CE, 12 avr. 1973, Chatelier, Rec., p. 262 ; § n° 261. CE, 26 oct. 1973, Grassin, n° 83261 ; § n° 114 ; 510. CE Sect., 8 nov. 1974, Epx Figueras, n° 83517 ; § n° 529. TC, 6 janv. 1975, Cts Apap c. État français, Rec., p. 792 ; § n° 528. TC, 15 janvier 1979, Payan, Rec., p. 793 ; § n° § n° 526. CE, 30 nov. 1979, Ville de Jouy ; § n° 479. CE, 7 déc. 1979, Jacquel, n° 10662 ; § n° 528. CE Sect., 17 oct. 1980, Gaillard, Rec., p. 778 ; § n° 523. CE, 28 nov. 1980, Commune d’Ardres, Rec., p. 449 ; § n° 525. TC, 6 juill. 1981, Eysseric, n° 02188 ; § n° 535. CE Ass., 2 juillet 1982, Huglo et autres, n° 25288 ; §§ n° 261 ; 290. CE Sect., 26 juill. 1982, Min. du budget c. Port autonome de Bordeaux, n° 16957 ; § n° 410. TC, 8 nov. 1982, Lewis, n° 02252 ; § n° 237. CE, 25 févr. 1983, Assemblée de Corse, n° 195246 ; § n° 175. - 596 - TC, 21 mars 1983, UAP, n° 02256 ; § n° 521. CE, 13 mars 1985, Ville de Cayenne, n° 19321 ; § n° 125. CE, 6 mai 1985, Assoc. Eurolat et Crédit foncier de France, n° 41589 et 41699 ; § n° 467. CE Sect., 26 juill. 1985, Amadou, n° 35067 ; § n° 531. CE, 13 mai 1987, Buban, n° 69724 ; § n° 525. CE, 24 juillet 1987, Rayrole, req. n° 61164 ; § n° 336. CE, Ass., 1er juillet 1988, Billard et Volle, Rec. p. 268 ; § n° 306. CE, 15 fév. 1989, Vandal, n° 65301 ; § n° 529. CE Ass., 7 juill. 1989, Ordonneau, n° 56627 ; § n° 407. TC, 18 mars 1991, Préfet de la Réunion c. Epx Kichenin, n° 2635 ; § n° 529. CE, 27 mai 1991, Époux Campagne, n° 96591 ; § n° 525. CE, 24 fév. 1992, Sté Cogédim Ile-de-France, n° 119134 ; § n° 500. TC, 10 mai 1993, Miette, n° 02850 ; § n° 529. CE, 10 nov. 1993, Cne de Mirebeau, n° 103852 ; § n° 444. CE, 29 déc. 1993, Edwige, n° 124606 ; § n° 536. CE Sect., 11 fév. 1994, Cie d’assurances La préservatrice foncière, n° 109564 ; § n° 474. CE Sect., 10 mars 1995, Commune de Digne, n° 108753 ; § n° 529. CE, 10 juill. 1996, Cayzeele, n° 138536 ; § n° 318. CE, 2 oct. 1996, Cne de Civeaux, n° 165055 ; § n° 125. CE Ass., 10 juill. 1996, Sté Direct Mail Promotion et a., n° 168702 ; § n° 449. CE, 21 avril 1997, Ministre du budget c. Sté SAGIFA, n° 147602 ; §§ n° 468 ; 483. CE, Sect., 3 nov. 1997, Cne de Fougerolles, n° 169473 ; § n° 157. CE, Sect., 3 nov. 1997, Sté Million et Marais, n° 169907 ; § n° 587. CE, Ass., 5 mars 1999, Président de l'Assemblée nationale, n° 132023 ; § n° 407. CE, 26 Mars 1999, Sté EDA, n° 202260 ; § n° 587. CE, 15 oct. 1999, Ministre de l’Intérieur c. Cne de Saint-Ceneri-le-Gérei, n° 195689 ; § n° 125. TC, 14 fév. 2000, Groupement d’intérêt public « Habitat et interventions sociales pour les mal- logés et les sans abris c. Mme Verdier, n° 03170 ; § n° 123. TC, 14 fév. 2000, Commune de Baie-Mahault et société Rhoddlams, n° 3138 ; § n° 531. CE Sect., 18 janvier 2001, Commune de Venelles et Morvelli, n° 230045 ; § n° 167. CAA Lyon, 15 mars 2001, Ksouri, n° 00LY00814 ; § n° 536. - 597 - CE, 11 juill. 2001, Société des eaux du Nord, n° 221458 ; § n° 565. CE, 26 sept. 2001, Département du Bas-Rhin, n° 204575 ; § n° 444. CE, 13 mars 2002, Union fédérale des consommateurs, n° 177509 ; § n° 565. CE, 29 avril 2002, Ullmann, n° 228830 ; § n° 450. CE, ord., 21 nov. 2002, Gaz de France, n° 251726 ; § n° 272. CE, 29 janvier 2003, Commune d’Annecy, Commune de Champagne-sur-Seine (deux espèces), n° 247909 ; § n° 172. CE, 19 fév. 2003, Cne de Primelles, n° 220278 ; § n° 525. CE, 26 fév. 2003, Courson, tables, p. 982 ; § n° 528. CE Sect., 29 janvier 2004, Cne de Clans, n° 245239 ; § n° 445. CE Ass. (avis), 10 juin 2004, relatif au statut juridique du siège de l’AFP, n° 370252 ; § n° 127. CE, 11 février 2005, GIE Axa Courtage, n° 252169 ; § n° 528. CE, 10 mai 2005, ONF, n° 268517 ; § n° 276. CE Sect., avis, 26 juillet 2005, relatif au terrain d’assiette du Grand-Palais, n° 371615 ; § n° 172. CE, 27 juill. 2005, Courson, table, p. 1094 ; § n° 528. CE Sect., 18 nov. 2005, Sté fermière de Campoloro et a., n° 271898 ; §§ n° 248 ; 250. CE, 5 déc. 2005, Cne de Pontoy, n° 270948 ; § n° 532. CE, 28 déc. 2005, Syndicat mixte intercommunal d’aménagement du bassin de la Vesle, n° 268411 ; § n° 125. CE, 28 déc. 2005, Ville de Lille, n° 284863 ; § n° 511. TA Dijon, 23 fév. 2006, Fédération des Motards en colère de Côte-d’Or, n° 0401261 ; § n° 443. CAA Bordeaux, 9 mars 2006, Cne de Toulouse c. France Telecom, n° 02BX02121 ; § n° 206. CE, 17 mai 2006, Commune de Jonquières, n° 281509 ; § n° § n° 531. CE Ass., 31 mai 2006, Ordre des avocats au barreau de Paris, n° 275531 ; § n° 577. CE, Ass., 8 février 2007, Gardedieu, n° 279522 ; § n° 407. CE, 22 février 2007, Association du personnel relevant des établissements pour inadaptés, n° 264541 ; §§ n° 126 ; 275 ; 331. CE, 30 mars 2007, Ville de Lyon, n° 304053 ; § n° 378. CE Sect., 6 avril 2007, Commune d’Aix-en-Provence, n° 284736 ; § 127 ; 383. CE, 23 mai 2007, Département des Landes et autres, n° 288378 ; § n° 172. CE, 4 juin 2007, Petitpas, n° 289248 ; § n° 531. - 598 - TC, 20 février 2008, Verrière c/ Communauté urbaine de Lyon, n° 3623 ; § n° 544. CE Ass. 3 octobre 2008, Commune d’Annecy, Rec. p. 322 ; § n° 167. CE, 19, nov. 2008, Communauté urbaine de Strasbourg, n° 312095 ; § n° 180. CE, 31 juillet 2009, AIPA et a., n° 314955 ; § n° 510. CAA Lyon, 24 nov. 2009, Fédération des ayants droit des sections de commune de Haute-Loire, n° 07LY02310 ; § n° 151. TA Grenoble, 15 décembre 2009, Sté Lyonnaise de Banque, Banque populaire des Alpes, Sté générale, n° 0703737, n° 0703739 et n° 0703740 ; § n° 435. CE, 28 déc. 2009, SARL Brasserie du théâtre, n° 290037 ; §§ n° 386 ; 470 ; 526 ; 529 ; 532. CE, 13 janv. 2010, Assoc. Paris Jean-Bouin et ville de Paris, n° 329576 ; § n° 275 ; 385. CE 27 janv. 2010, Commune de Vigneux-de-Bretagne, Communauté de communes d'Erdres et Gesvres, n° 319241 ; § n° 510. CE 3 mars 2010, Département de la Corrèze, req. n° 306911 ; § n° 574. CE Ass. (avis), 29 avr. 2010, M. et Mme Béligaud, n° 323179 ; § n° 27. CE, 7 juin 2010, Montravers, liquidateur judiciaire de la Société Neuville Foster Delaunay Belleville, n° 320188 ; § n° 468 ; 482. TC, 22 novembre 2010, SARL Brasserie Théâtre c/ Commune de Reims, n° 3764 ; §§ n° 532 ; 544. TC, 28 mars 2011, Groupement forestier de Beaume Haie c. ONF, n° 3787 ; § n° 527. TA Clermont-Ferrand, 13 juillet 2011, n° 1001584 ; § n° 449. CE Ass., 19 juill. 2011, Commune de Montpellier, n° 313518 ; § n° 378. TC, 5 mars 2012, Dewailly c. Centre communal d’action sociale de Caumont, n° 3833 ; §§ n° 378 ; 536. TA Orléans, 6 mars 2012, n° 1102187 ; § n° 433. CAA Marseille, 26 juin 2012, Chiapinelli et a., n° 11MA01675 ; § n° 435. CAA Lyon, 4 juillet 2012, n° 11LY02325 ; § n° 449. CE, 4 juillet 2012, Département de Saône-et-Loire, req. n° 356168 ; § n° 312. CE, 19 oct. 2012, Commune de Levallois-Perret, n° 343070 ; § n° 510. CE, 29 oct. 2012, Commune de Tours, n° 341173 ; § n° 433. CE Ass., 21 déc. 2012, Commune de Douai, n° 342788 ; §§ n° 5 ; 222 ; 484 ; 517. CE, ord., 23 janv. 2013, Commune de Chirongui, n° 365262 ; § n° 169. CE, 27 fév. 2013, Société Promogil, n° 364751 ; § n° 441. - 599 - CAA Nancy, 28 mars 2013, Cne d’Aubigny-les-Prothées, n° 12C01362 ; § n° 394. CAA Marseille, 23 avril 2013, GAEC d’Estèbe, n° 11MA00396 ; § n° 531. TC, 17 juin 2013, Bergoend c. ERDF Annecy Léman, n° 3911 ; § n° 175. CAA Nantes, 12 juill. 2013, Cne de Monteneuf, n° 12NT000334 ; § n° 506. CE, 17 oct. 2013, Collectif des élus qui doutent de la pertinence de l'aéroport de Notre-Dame- des-Landes, n° 358633 ; § n° 510. CE, 5 fév. 2014, Commune de Bollène, n° 366208 ; § n° 502. CE, 5 fév. 2014, Sociétés Equalia et Polyxo c. Communauté de communes de Saint-Dizier, Der et Blaise, n° 371121 ; § n° 402 ; 475. CE, 31 mars 2014, Commune d’Avignon, n° 362140 ; § n° 435. CE, 9 avril 2014, Établissement du domaine national de Chambord, n° 366583 ; § n° 319. CE, 9 juill. 2014, Sté Bouygues Telecom, n° 367376 ; § n° 443. III. Jurisprudence du Conseil constitutionnel Décision n° 71-44 DC du 16 juillet 1971, Liberté d’association ; § n° 130 Décision n° 81-132 DC du 16 janvier 1982, Loi de nationalisation ; § n°155. Décision n° 86-207 DC des 25 et 26 juin 1986, Loi autorisant le gouvernement à prendre diverses mesures d’ordre économique et social ; § n° 129 ; 167 ; 412. Décision n° 86-217 DC du 18 septembre 1986, Liberté de communication ; § n°412. Décision n° 86-224 DC du 23 janvier 1987, Conseil de la concurrence ; § n° 525. Décision n° 87-232 DC du 7 janvier 1988, Loi relative à la mutualisation de la Caisse nationale de crédit agricole ; § n° 412. Décision n° 93-320 DC du 21 juin 1993, Loi de finances rectificative pour 1993 ; § n° 147. Décision n° 94-346 DC du 21 juillet 1994, Loi relative à la constitution de droits réels sur le domaine public ; § n° 469. Décision n° 96-375 DC du 9 avril 1996, Loi portant diverses dispositions d’ordre économique et financier ; § n° 412. Décision n° 98-403 DC, du 29 juillet 1998, Loi relative à la lutte contre les exclusions ; § n° 255. Décision n° 2002-460 DC du 22 août 2002, Loi d'orientation et de programmation sur la sécurité intérieure ; § n° 267. Décision n° 2003-473 DC du 26 juin 2003, Loi habilitant le Gouvernement à simplifier le droit ; § n° 267. - 600 - Décision n°2003-480 DC du 31 juillet 2003, Loi relative à l’archéologie préventive ; § n° 515. Décision n° 2004-503 DC du 12 août 2004, Loi relative aux libertés locales ; § n° 180. Décision n° 2008-567 DC du 24 juillet 2008, Loi relative aux contrats de partenariat ; § n° 268. Décision n° 2009-575 DC du 12 février 2009, Loi pour l'accélération des programmes de construction et d'investissement publics et privés ; § n° 267. Décision n° 2009-594 DC du 3 décembre 2009, Loi relative à la régulation des transports ferroviaires et portant diverses dispositions relatives aux transports ; § n° 129à ; 180. Décision n° 2010-60 QPC du 12 novembre 2010, M. Pierre B. ; § n° 310. Décision n° 2011-118 QPC du 8 avril 2011, Lucien M. ; § n° 150. Décision n° 2012-277 QPC du 05 octobre 2012, Syndicat des transports d'Île-de-France ; § n°180. Décision n° 2012-654 DC du 9 août 2012, Loi de finances rectificative pour 2012 (II) ; § n° 584. Décision n° 2013-685 DC du 29 déc. 2013, Loi de finances pour 2014 ; § n° 597. Décision n° 2014-695 DC du 24 juillet 2014, Loi relative à la sécurisation des contrats de prêts structurés souscrits par les personnes morales de droit public ; § n° 597. IV. Jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme Comm. EDH, 14 déc. 1988, Commune de Rothenthurm c. Suisse, n° 13252/87 ; § n° 171. Comm. EDH, 8 déc. 1992, Association des résidents du Quartier Pont Royal, Cne de Lambersart et autres c. France, n° 18523/91 ; § n° 171. CEDH, 9 déc. 1994, Saints monastères c/ Grèce, série A, n° 301 ; § n° 171. Comm. EDH, 28 juin 1995, Consejo general de colegios officiales de economistas de Espana c. Espagne, n° 26114/95 ; § n° 171. Comm. EDH, 25 nov. 1996, Könkämä et 38 autres villages Sames c. Suède, n° 27033.95 ; § n° 171. Comm. EDH, 11 avril 1996, Finska Församlingen I Stockholm c. Suède, n° 24019/94 ; § n° 171. CEDH, 19 mars 1997, Hornsby c. Grèce, n° 18357/91 ; § n° 245. CEDH, 23 nov. 1999, Section de commune d’Antilly c. France, n° 45129/98 ; §§ n° 151 ; 171. CEDH, 7 mai 2002, Burdov c. Russie, n° 59498/00 ; § n° 255. CEDH, 23 septembre 2003, Radio France et autres c. France, n° 53984/00 ; § n° 127. CEDH, 3 fév. 2004, Gouvernement de la Communauté autonome du Pays Basque c. Espagne, n° 28134/03 ; § n° 171. - 601 - V. Jurisprudence des juridictions communautaires et de l’Union européenne CJCE, 14 nov. 1984, SA Intermills c/ Commission, C-323/82, Rec. I-3809 ; § n° 383. CJCE, 14 oct. 1987, Allemagne c/ Commission, aff. 248/84, Rec. I-4013 ; § n° 383. CJCE, 17 fév. 1993, Poucet et Pistre, C-159 et C-160/91 ; § n° 321. CJCE, 16 juin 1993, République française c. Commission des Communautés européennes, C325/91 ; § n° 321. CJCE, 28 oct. 1993, Lagauche, C-46/90 et C-93/91, Rec. I-5267 ; § n° 322. CJCE, 27 oct. 1993, Decoster, C-69/91 ; Taillandier, C-92/91, I, 5335-5383 ; § n° 410. CJCE, 19 janv. 1994, SAT Fluggesellschaft, C-364/92, Rec., p. I-43 ; § n° 322. CJCE, 18 mars 1997, Diego Cali, C-343/95, Rec. I-1546, pt. 22 ; § n° 322. CJCE, 26 mars 2009, Selex Sistemi Integrati SpA ; ec. I-2207, aff. C-113/07 P ; § n° 322. CJUE, 3 avril 2014, République française c. Commission, aff. C-559/12 P ; § n° 583. - 602 - Index (Les numéros visent les paragraphes) A Abus de droit : 2 ; 113 ; 196 ; 226-228. biens des concessions : 4 ; 222 ; 402403 ; 453 ; 467-469 ; 475 s. ; 484 s. Actes de puissance : biens privés affectés (biens administratifs) : 27-28 ; 163 ; 452-459. de propriété : 316 et s. au sens du droit de l’UE : 321 s. Bilan (contrôle du) : 267 ; 315 ; 509 et s. structure du régime : 288 s. C Actes détachables (domaine privé) : Compétence nature de décision adm. : 530 s. définition : 47-51. contentieux : 542 s. opposition à la capacité : 96 s. norme d’exercice du droit : 223 s. Affectation aux fonds administratifs : 398-400 Contrat de partenariat : 268 ; 483. bien privé : 31 ; critère de la propriété publique : 2-10 Concurrence : par la compétence : 223 s. et droit public : 110 ; par la fiducie : 220-222 et actes d’autorité : 321 s. norme d’usage : 208 s. et fonds administratifs : 410. superposition : 393. Copropriété : Affermage : 415 s. des fonds administratifs : 418. et domanialité : 474. Archives : 448. D B Domaine/domanialité Bail : domaines public/privé : 15 ; 20-21 ; 2324 ; 102-103 ; critique, 461 s. commercial : 400 ; 533 ; 541. emphytéotique administratif : 433 ; 483. contentieux du domaine privé : 523 s. domanialité par accessoire : 473. Bien domanialité globale : 473. autorisations administratives : 334 s. mutations domaniales : 326 ; 464. notion de bien : 132 s. ; 424 et s. bien administratif : 437 s. Données publiques : 449 s. - 603 - Historique (approche) Droits réels et droit de propriété : 191-193 ; 204 ; 293 théorie domaniale : 17-23 sur le domaine public : 467 s. ; 562. dominium/proprietas : 201 s. servitudes conventionnelles : 213. droits de puissance : voir Regalia. servitudes administratives : 210 ; 340 s. ; 480. notion de fonds : 361. personnalité morale : 123. rapports État/propriété : 558 s. E I Établissements publics : Immunité d’exécution : 141 ; 246 ; 253 s. ; 326 ; et double visage ou visage inversé : 410 et personnalité publique : 583 ; 587-588. Immunité des assemblées : 406. Exécution forcée : 237. Incessibilité à vil prix : 157 ; 259 s. Expropriation : 30 ; 240 ; 310 ; 343 s. Infrastructure/superstructure : 555 s. F Insaisissabilité : 253 s. Fonds notion de fonds : 355 ; 361-362 Intervention économique des personnes publiques : 507 ; 577 ; et activité : 364 s. et clientèle : 363 s. M Fonds administratif Meubles de retour : 402. notion de : 373. création : Monopole (droits-contingentement) : 332 s. gestion déléguée : 415 s. support/opérationnel : 418. O Fonds professionnels : 361-362 Ordres juridiques partiels (théorie des) : 38 et s. ; 35 -37 ; 93 ; 105 s. ; 162 s. ; 350 ; 414 ; 443 ; 468 ; 493 et s. ; 546 ; 569 s. Finances publiques et personnes publiques propriétaires : 584 s. ; 596. Ouvrage public : distinction d’avec historique : 444 et s. G intangibilité : 444. Garde (théorie de la) : 22. responsabilité : 528. H - 604 - le monument Taxe-trottoir : 433 s. P Patrimoine (théorie du) : 139-141. U Utilités des biens Positivisme : vs. jusnaturalisme : 79 s. proprietas : 442. normativiste : 88 s. rapportées aux compétences : 437 s. Pouvoir de réglementation et biens : 236. V Voisinage : 532 s. Puissance publique droits subjectifs de puissance : 286 s. puissance privée et propriété : 303 s. puissance publique et propriété : 314 s. et personnes publiques propriétaires : 339 s. Permis de stationnement : 317 s. Personnalité : aptitude à la propriété : voir Patrimoine. Droits de la personnalité morale : 145 s. Propriété affectée : voir affectation par la fiducie. des droits : 143 ; nature du droit de : 205-206 théories privatistes : 190 s. doctrine du droit public : 194 s. R Regalia : 298. S Service public : 5 ; 126 ; 273. et expropriation : 345. des pompes funèbres : 377. virtuel : 384 s. T - 605 - Table des matières INTRODUCTION ............................................................................................................................................. 1 § 1 La dialectique de l’organique et du fonctionnel dans la formation historique de la propriété publique ..................... 9 A. Les idéaltypes de la propriété publique : propriété organique et propriété fonctionnelle ....................................... 9 B. La combinaison de l’organique et du fonctionnel et la nécessité de concevoir un droit de propriété public attribué aux propriétaires publics .................................................................................................................................. 13 1) Du droit romain au droit intermédiaire, l’ignorance presque absolue de l’élément subjectif de la propriété publique .................................................................................................................................................................... 13 2) Les linéaments d’une propriété publique subjective : dualité domaniale et dualité de prérogatives patrimoniales ............................................................................................................................................................ 17 § 2 La dialectique de l’organique et du fonctionnel au service de la systématisation de la propriété publique ............... 23 A. L’organique et le fonctionnel du point de vue de la propriété objective : biens publics et biens administratifs .. 23 B. L’organique et le fonctionnel du point de vue de la propriété subjective : exercice public de la propriété et propriété des personnes publiques ................................................................................................................................ 26 1) Les régimes fonctionnels en faveur de la thèse de l’assimilation de la propriété publique à la propriété privée ........................................................................................................................................................................ 27 2) La difficile remise en cause de l’autonomie de la propriété des personnes publiques ..................................... 29 a) La remise en cause de la propriété des personnes publiques par la critique des règles constitutives de son régime ........................................................................................................................................................... 30 b) La portée de la remise en cause et l’intérêt fondamental du droit de propriété public des personnes publiques propriétaires ....................................................................................................................................... 31 § 3 La synthèse à partir de la compétence : fondement de la qualité de personne publique propriétaire et de ses prolongements fonctionnels ................................................................................................................................................ 34 A. La théorie des ordres juridiques partiels et la définition du droit public comme le droit de l’action publique .... 34 B. Distinction des propriétés, distinction des personnes et summa divisio ................................................................. 38 1) Les personnes publiques propriétaires ou la distinction des sujets de droit...................................................... 38 2) Les présupposés d’une analyse subjectiviste du droit public.............................................................................. 40 C. La compétence : du droit public objectif à sa concrétisation subjective à partir des personnes publiques propriétaires ................................................................................................................................................................... 41 1) Des définitions concurrentes à la synthèse par le concept formel de norme d’habilitation ............................. 41 2) La compétence comme universalité des règles fondant et régissant un office public ....................................... 43 § 4 Problématique et plan de la recherche ......................................................................................................................... 44 PREMIERE PARTIE LA COMPETENCE, FONDEMENT DE LA QUALITE DE PROPRIETAIRE DES PERSONNES PUBLIQUES ................................................................................................................................................... 47 TITRE 1 LA COMPETENCE, CRITERE DE LA CATEGORIE DES PERSONNES PUBLIQUES PROPRIETAIRES49 ER Chapitre 1 L’opposition de la compétence des personnes publiques à la capacité des personnes privées ......................................................................................................................................................... 51 Section 1 Le positivisme instruit et la comparaison des ordres juridiques par la combinaison des points de vue objectif et subjectif................................................................................................................................................................................... 52 § 1 L’utilisation de concepts formels pour la comparaison des catégories de personnes publiques et privées propriétaires ......................................................................................................................................................................... 53 A. Les limites du formalisme juridique “pur” et la pertinence d’une comparaison des notions matérielles à partir de concepts formels ....................................................................................................................................................... 53 1) Les limites d’une connaissance “pure” du droit : la fonction purement heuristique de l’analyse formelle appliquée au contenu matériel du droit .................................................................................................................. 54 2) Les concepts formels : outils de comparaison des notions matérielles publiques et privées ........................... 57 B. Le positivisme instruit appliqué aux concepts subjectifs : la possibilité d’une distinction des propriétaires ......... 61 607 1) Le positivisme instruit appliqué à la personnalité juridique et la possibilité d’une distinction entre les catégories matérielles de personnes ......................................................................................................................... 61 2) L’application du positivisme instruit à la propriété et la possibilité d’une distinction entre les catégories matérielles de propriété ........................................................................................................................................... 63 3) Le positivisme instruit appliqué au droit subjectif et la possibilité d’une distinction entre les catégories de droit de propriété ..................................................................................................................................................... 66 § 2 Le positivisme instruit et la combinaison des points de vue objectif et subjectif de description des ordres juridiques public et privé ..................................................................................................................................................... 69 A. L’évacuation de la dimension idéologique des concepts formels nécessaires à la comparaison des personnes publiques et privées propriétaires .................................................................................................................................. 70 1) La critique constructive du jusnaturalisme associé au subjectivisme et ses premières applications en droit public ........................................................................................................................................................................ 70 a) L’admission du subjectivisme après son évolution du jusnaturalisme des origines au positivisme juridique faisant du droit objectif le fondement du droit subjectif ................................................................... 71 b) La réception critique des expériences de la première doctrine subjectiviste du droit public encore teintée de jusnaturalisme .................................................................................................................................... 74 2) L’objectivisme juridique : d’une réponse holiste aux excès de l’individualisme à la simple identification au droit positif................................................................................................................................................................ 76 B. La mise en lumière de l’autonomie des personnes publiques propriétaires par l’adoption d’une perspective subjectiviste positiviste .................................................................................................................................................... 79 1) L’objectivisme théorique du normativisme : l’excessive résolution de la querelle par la dissolution des concepts subjectifs .................................................................................................................................................... 79 2) L’objectivisme inutilement artificiel du droit administratif : la neutralité des concepts subjectifs sur l’autonomie du droit public ..................................................................................................................................... 83 Section 2 Compétence et capacité, fondements respectifs de la personnalité publique et de la personnalité privée ........... 86 § 1 Du concept formel de norme d’habilitation aux notions matérielles de compétence et de capacité......................... 87 A. La fonction des notions de compétence et de capacité : traduire la summa divisio droit public – droit privé .... 87 1) La réduction formelle de la compétence et de la capacité : deux normes d’habilitations ............................... 87 a) Les insuffisances des discours classiques : l’intuition d’une identité formelle entre compétence et capacité et une imprécision terminologique chronique .................................................................................... 88 b) La synthèse normativiste : les éléments communs relevant du concept de norme d’habilitation .............. 90 2) La critique normativiste des fondements de la distinction et la révélation de sa fonction : traduire la summa divisio droit public – droit privé ................................................................................................................. 92 a) L’opposition compétence-capacité classiquement liée à la summa divisio dans la doctrine ....................... 93 b) La substitution du concept formel aux notions matérielles : un choix motivé par le refus de la summa divisio .................................................................................................................................................................. 94 B. L’intégration de l’opposition de la compétence et de la capacité par la théorie des ordres juridiques partiels ... 95 1) La nécessité d’approfondir le critère finaliste de distinction entre compétence et capacité ............................. 95 2) Le sens de l’opposition de la compétence à la capacité : la théorie des ordres juridiques partiels appliquée aux normes d’habilitation ......................................................................................................................................... 97 § 2 La déclinaison subjective de la distinction : la summa divisio des personnes publiques et des personnes privées 101 A. Les termes de l’opposition : le régime pertinent et les présupposés d’une summa divisio des personnes publiques et privées ...................................................................................................................................................... 101 1) La portée limitée de l’analyse des différences de régime sur la pertinence de la distinction de la compétence et de la capacité ................................................................................................................................. 102 2) La nécessité de distinguer compétence et capacité en tant que deux régimes d’habilitation distincts ............ 104 B) Le critère formel de la personnalité publique et le caractère résiduel de la catégorie des personnes privées .... 106 1) Le lieu de l’opposition : la personnalité juridique et non la personnalité morale .......................................... 106 2) Le critère formel de la personnalité juridique publique et la qualification par défaut d’une personne juridique privée ....................................................................................................................................................... 110 a) Le critère formel de la personnalité juridique, quelle que soit la catégorie concernée ............................. 111 b) Le critère formel propre aux seules personnes publiques et la qualification par défaut des personnes privées ............................................................................................................................................................... 112 Conclusion du Chapitre 1 ....................................................................................................................................................... 119 608 Chapitre 2 L’opposition de la propriété des personnes publiques à la propriété des personnes privées ....................................................................................................................................................... 121 Section 1 Une protection équivalente en trompe-l’œil : le contrôle de l’exercice de la propriété par les organes des personnes publiques ................................................................................................................................................................ 122 § 1 La personnalité juridique : fondement nécessaire et suffisant de la propriété des personnes, publiques et privées123 A. L’identification du sujet de droit au propriétaire : corollaire de la distinction des personnes et des choses ..... 123 B. Le sujet de droit : le propriétaire, qualité consubstantielle de la personnalité juridique ..................................... 125 1) La consubstantialité de la propriété et de la personnalité révélée par leur reconnaissance concomitante en droit public ............................................................................................................................................................. 126 2) La propriété comme élément de définition de la personnalité juridique ........................................................ 130 a) La théorie du patrimoine : une première tentative de définition de la personnalité juridique par la propriété............................................................................................................................................................ 130 b) Le dépassement de la théorie du patrimoine : la définition de la personnalité juridique par l’aptitude à la propriété ........................................................................................................................................................ 133 § 2 La personnalité morale : fondement nécessaire et suffisant du contrôle des organes exerçant le droit de propriété de la personne.................................................................................................................................................... 137 A. L’impossible explication immanente de la protection de la propriété des personnes morales de droit public .. 137 1) Une solution admissible pour certaines personnes morales de droit privé ..................................................... 138 2) Une solution inadmissible dans le cas des personnes morales de droit public ............................................... 140 B. L’explication inhérente : les droits de la personnalité morale elle-même ........................................................... 143 1) Une solution parfois suffisante dans le cas des personnes morales de droit privé .......................................... 143 2) Une solution nécessaire dans le cas des personnes morales de droit public ................................................... 145 Section 2 Une protection irréductible de la propriété en fonction de la personnalité publique ou privée du propriétaire 149 § 1 L’incohérence dogmatique d’une propriété des personnes publiques érigée en droit fondamental comparable à celle des personnes privées................................................................................................................................................ 150 A. Le principe libéral de séparation de l’État et de la société : fondement de l’incompatibilité entre personnalité publique et droit fondamental ..................................................................................................................................... 151 1) La différenciation organique de l’État-appareil : l’État, les personnes publiques et certaines personnes privées ..................................................................................................................................................................... 151 2) L’incohérence d’une reconnaissance de droits fondamentaux aux personnes publiques .................................... 155 a) L’instrumentalisation libérale de la puissance publique : la proclamation des droits fondamentaux et leur protection juridique ................................................................................................................................... 155 b) La reconnaissance problématique de droits fondamentaux et libertés aux personnes publiques ............ 157 B. La propriété de l’État et des personnes publiques : une activité publique sous contrôle.................................... 159 1) La propriété de l’État et des personnes publiques placée sous le contrôle des juges internes et communautaires ..................................................................................................................................................... 160 2) La propriété de l’État et des personnes publiques et son impossible protection par la Cour européenne des droits de l’homme .................................................................................................................................................. 161 § 2 Le constat pragmatique d’une protection relative de la propriété des personnes publiques face à la puissance publique.............................................................................................................................................................................. 165 A. La portée limitée du bénéfice de certaines voies de recours quant à la valeur de la propriété des personnes publiques ...................................................................................................................................................................... 166 1) Les recoures entre personnes publiques : un simple approfondissement de l’État de droit ......................... 166 2) La distinction entre l’admission d’une procédure initialement conçue pour protéger les libertés et l’extension de son objet aux personnes publiques ................................................................................................ 168 B. Une protection négligeable lors du contrôles des transferts de compétences entre personnes publiques .......... 170 1) L’absence de protection effective de la propriété des personnes publiques lors des lois de répartition des compétences ........................................................................................................................................................... 170 2) La portée des décisions du Conseil constitutionnel : la différenciation de la propriété des personnes publiques, instrument de l’action publique ........................................................................................................... 175 Conclusion du Chapitre 2 ....................................................................................................................................................... 177 Conclusion du Titre 1er ............................................................................................................................ 178 TITRE 2 LA COMPETENCE, FONDEMENT DES DROITS SUBJECTIFS DES PERSONNES PUBLIQUES PROPRIETAIRES............................................................................................................................................. 179 ND 609 Chapitre 1 Le droit de propriété public : attribut exclusif des personnes publiques propriétaires ..... 180 Section 1 L’affectation du droit de propriété des personnes publiques à l’exercice de leur compétence ........................... 181 § 1 La réduction formelle du droit de propriété, préalable à sa différenciation matérielle entre droits de propriété public et privé ..................................................................................................................................................................... 182 A. La théorie moderne de la propriété, seule capable de comparer les personnes en qualité de propriétaire ....... 183 1) Les trois conceptions principales du droit de propriété en droit privé ........................................................... 183 2) La pertinence de la théorie « moderne » pour la comparaison des catégories matérielles de droit de propriété, public et privé ........................................................................................................................................ 186 B. Le concept formel dégagé par la conception moderne : le droit de jouir et disposer des choses conformément au droit objectif............................................................................................................................................................. 190 1) L’origine romaine du droit subjectif de propriété, le dominium : une puissance (potestas) de la personne sur les choses .......................................................................................................................................................... 190 2) L’identification du droit de propriété au droit subjectif et sa portée : la représentation exhaustive des relations du commerce juridique ........................................................................................................................... 192 § 2 L’effet de l’habilitation sur la qualité de propriétaire : la compétence et le droit de propriété public affecté à son exercice ............................................................................................................................................................................... 197 A. L’exercice finalisé du droit de propriété par induction : l’affectation d’un bien ................................................. 198 1) L’affectation : norme d’usage d’un bien ........................................................................................................... 198 2) L’induction d’une norme d’exercice du droit de propriété à partir de l’affectation du bien .......................... 202 B. L’exercice finalisé du droit de propriété par déduction : la propriété affectée par habilitation du propriétaire 205 1) Le développement des mécanismes de propriété affectée en droit français et la convergence des propriétés publique et privée ................................................................................................................................................... 206 2) L’affectation immédiate du droit de propriété des personnes publiques à l’intérêt général par leur compétence............................................................................................................................................................. 209 a) L’assujettissement des personnes publiques et des personnes privées propriétaires au droit objectif, fondement et limite du droit de propriété ....................................................................................................... 209 b) L’affectation immédiate à une finalité déterminée de l’exercice du droit de propriété public : conséquence de l’habilitation de la personne publique par une compétence ............................................... 211 Section 2 Le régime de l’affectation du droit de propriété des personnes publiques ........................................................... 215 § 1 Les spécificités essentielles du droit de jouir de leurs biens des personnes publiques propriétaires ....................... 216 A. Les spécificités fondamentales du droit des personnes publiques à la jouissance de leurs biens ........................ 216 1) Les spécificités liées aux procédés exorbitants garantissant la jouissance de leurs biens par les personnes publiques propriétaires........................................................................................................................................... 217 a) La part commune à l’ensemble des propriétaires : opposabilité et exclusivité de la propriété ................ 217 b) Les procédés exorbitants à disposition des personnes publiques propriétaires : pouvoir réglementaire et exécution forcée ............................................................................................................................................ 219 2) Les spécificités de la jouissance dans le rapport des personnes publiques aux utilités des choses................. 221 a) Les utilités de la chose avant l’application de l’affectation de la personnalité publique à la compétence 221 b) Les utilités des biens publics rapportées à la compétence de la personne publique propriétaire ............ 222 B. L’insaisissabilité générale des biens des personnes publiques : une garantie de jouissance contre leurs créanciers ...................................................................................................................................................................... 224 1) L’affectation spécifique de la propriété des personnes publiques au désintéressement de ses créanciers..... 224 a) Le principe commun à tous les propriétaires : la responsabilité suppose la propriété et l’existence d’un « gage » des créanciers .................................................................................................................................... 225 b) Les modalités particulières de réalisation du principe d’affectation de la propriété au désintéressement des créanciers des personnes publiques .......................................................................................................... 227 2) L’insaisissabilité comme manifestation d’une spécificité fondamentale de l’aptitude à l’obligation des personnes publiques ............................................................................................................................................... 232 a) Le principe d’immunité des voies d’exécution judiciaires : manifestation de la spécificité de la personnalité publique en raison des compétences .......................................................................................... 233 b) L’insaisissabilité des biens publics : corollaire de l’immunité fondamentale des personnes publiques à subir la conséquence ultime de leur responsabilité ......................................................................................... 235 § 2 Les spécificités essentielles du pouvoir de disposer de leurs biens des personnes publiques propriétaires ............ 238 A. L’incessibilité à vil prix des biens des personnes publiques, manifestation de l’aptitude spécifique à disposer des personnes publiques .............................................................................................................................................. 239 610 1) L’impossible rattachement du principe d’incessibilité aux concepts civilistes ................................................. 239 a) Un principe seulement parallèle : le droit à la valeur réelle des biens ..................................................... 239 b) L’impossibilité de qualifier la prohibition des libéralités d’incapacité ou de manifestation du principe de spécialité ............................................................................................................................................................ 242 2) L’explication de l’incessibilité à vil prix par l’incompatibilité d’une vente dépourvue d’intérêt public avec l’affectation de la propriété publique ..................................................................................................................... 243 a) Le principe d’incessibilité, corollaire du principe d’égalité : l’illégalité absolue de l’exercice d’une compétence au bénéfice exclusif d’un particulier ........................................................................................... 244 b) Le principe d’incessibilité, corollaire du principe de probité dans la mise en œuvres des droits des personnes publiques ......................................................................................................................................... 245 B. La spécificité du pouvoir de disposition des personnes publiques et la portée relative de la distinction entre gestion publique et gestion privée ................................................................................................................................ 248 1) L’article 537 du Code civil et ses équivalents en droit public : l’impossible liberté des personnes publiques de disposer de leurs biens ...................................................................................................................................... 249 a) L’existence de dispositions spécifiques relatives à la disposition des personnes publiques : indice d’une impossible libre disposition .............................................................................................................................. 249 b) L’impossible liberté de disposer de leurs biens des personnes publiques : manifestation de l’autonomie du droit de propriété public ............................................................................................................................. 251 2) Le mythe de la gestion privée : son cantonnement aux seules opérations techniques de l’exercice du droit de propriété des personnes publiques ................................................................................................................... 252 a) L’opposition impossible de la gestion publique et de la gestion privée au sein de l’activité juridique des personnes publiques ......................................................................................................................................... 252 b) L’irréductible part de la gestion publique dans l’activité des personnes publiques : les décisions administratives d’exercice du droit de propriété ............................................................................................. 253 Conclusion du Chapitre 1 ....................................................................................................................................................... 257 Chapitre 2 Les droits de puissance publique : privilèges patrimoniaux caractéristiques des personnes publiques propriétaires ............................................................................................................................ 258 Section 1 La puissance et la propriété en droit public : deux modalités complémentaires d’exercice des compétences .. 259 § 1 Droits de puissance et droits de propriété : la contrainte et l’échange comme modalités alternatives de l’action des sujets de droit ............................................................................................................................................................... 260 A. L’expression juridique de la contrainte sur les personnes : les droits subjectifs de puissance ............................ 261 1) La puissance sur les personnes, déclinaison d’une potestas en droits subjectifs ............................................. 261 a) L’analogie avec la mutation du dominium en droits de propriété ............................................................. 261 b) L’appréhension positiviste des rapports d’autorité : les droits subjectifs de puissance fondés et régis par le droit objectif .................................................................................................................................................. 262 2) La puissance sur les personnes : une technique à la structure formelle invariable en droit public et en droit privé ........................................................................................................................................................................ 264 a) Premier caractère : la puissance sur les personnes est exorbitance ........................................................... 264 b) Deuxième caractère : la puissance suppose l’unilatéralité sans se confondre avec elle ........................... 265 c) Troisième caractère : le contrôle de légalité, corollaire des droits de puissance ...................................... 267 B. Les régimes juridiques destinés à écarter la « patrimonialisation » des droits de puissance............................... 268 1) Les droits de puissance face à l’impossible réification de leur objet : leur opposition aux droits-exclusion . 268 2) Les droits de puissance et leur impossible réification : leur autonomie par rapport aux droits-prestation ... 270 a) La possible patrimonialisation de la puissance sur les personnes .............................................................. 271 b) La condition de l’exclusion des droits de puissance du commerce juridique : la distinction entre le droit et son produit, un droit-prestation .......................................................................................................... 273 § 2 L’exorbitance de la puissance publique par rapport à la puissance privée : le rapport de complémentarité avec la propriété ............................................................................................................................................................................. 277 A. L’intangibilité du principe de neutralité patrimoniale de la puissance privée....................................................... 277 1) La neutralité patrimoniale des véritables droits de puissance privée ............................................................... 278 a) La neutralité patrimoniale de l’autorité parentale ....................................................................................... 278 b) La neutralité de la puissance du dirigeant d’entreprise .............................................................................. 279 c) L’absence de droits de police de droit privé ............................................................................................... 280 2) L’exclusion des procédés unilatéraux à effet patrimonial en droit privé ......................................................... 281 611 a) La mitoyenneté, simple privilège et non procédé unilatéral d’acquisition forcée ...................................... 282 b) Les droits de préemption du droit privé, simples privilèges au sein du commerce juridique .................. 283 c) Le « squeeze out », mécanisme de droit financier étranger à l’idée de puissance sur les personnes ...... 284 B. La complémentarité de la puissance et de la propriété dans l’exercice des compétences des personnes publiques ...................................................................................................................................................................... 285 1) La porosité de l’exercice de la puissance publique aux considérations financières ........................................ 286 2) La distinction et la combinaison de la puissance et de la propriété dans les activités administratives ........... 287 a) La distinction des actes d’autorité et des actes de gestion dans les activités administratives : l’exemple du permis de stationnement ............................................................................................................................. 288 b) La complémentarité de l’autorité et de la gestion dans les activités administratives : l’apport du droit de l’Union européenne ......................................................................................................................................... 290 Section 2 La puissance publique : élément du statut de personne publique propriétaire ................................................... 294 § 1 La domination générale du commerce juridique par la puissance publique de l’État .............................................. 294 A. La domination du commerce juridique fondée sur la maîtrise du droit objectif .................................................. 294 B. Les principales manifestations patrimoniales de la puissance publique de l’État ................................................. 298 1) Les contributions obligatoires établies par la puissance publique .................................................................... 298 2) Les peines et autres sanctions patrimoniales prononcées par la puissance publique ..................................... 299 3) Les monopoles établis par la loi : une interprétation en termes de relation de la puissance à la propriété .. 300 a) Une analyse des monopoles en termes privatistes de propriété : la création de biens par la puissance publique, le monopole et les droits-contingentement ..................................................................................... 300 b) La commercialité des droits-contingentement, des autorisations administratives ..................................... 303 § 2 Les droits de puissance des personnes publiques propriétaires et leur éventuelle transmission aux personnes privées................................................................................................................................................................................. 308 A. Les droits de puissance imposant un droit-prestation à l’encontre d’un propriétaire : les servitudes administratives .............................................................................................................................................................. 308 B. L’expropriation pour cause d’utilité publique : une faculté inhérente à la qualité de personne publique ......... 310 Conclusion du Chapitre 2 ....................................................................................................................................................... 314 Conclusion du Titre 2nd ............................................................................................................................ 315 CONCLUSION DE LA PREMIERE PARTIE ...................................................................................................... 316 SECONDE PARTIE L’EXERCICE DE LEUR COMPETENCE PAR LES PERSONNES PUBLIQUES PROPRIETAIRES318 TITRE 1 L’EXERCICE DES COMPETENCES DES PERSONNES PUBLIQUES : LA GESTION DE LEURS FONDS ADMINISTRATIFS .............................................................................................................................. 320 ER Chapitre 1 Le fonds administratif : universalité des actifs affectés à une activité administrative......... 322 Section 1 La transposition de la notion de fonds aux activités administratives ..................................................................... 323 § 1 L’unité de la notion de fonds : universalité des biens affectés à l’exercice d’une activité quelconque .................... 324 A. Le critère de qualification des fonds : une activité, éventuellement administrative ............................................. 324 1) L’objet de la notion de fonds : la représentation juridique d’une activité par les moyens affectés ................. 325 a) La notion de fonds : une réponse à la nécessité largement partagée de disposer d’un concept représentant une activité par les moyens affectés ............................................................................................ 325 b) L’exclusion de la clientèle comme condition de l’existence d’un fonds autre que professionnel ........... 327 2) La neutralité de la nature de l’activité sur la possibilité d’élaboration d’un fonds ........................................... 328 B. La nature commune des fonds professionnels et administratifs : universalité sui generis, distincte des personnes et des patrimoines....................................................................................................................................... 332 1) La distinction entre les fonds et les personnes, publiques ou privées, assumant l’activité en cause ............... 333 2) La distinction entre les fonds, universalités de fait, et les patrimoines d’affectation, universalités de droit ... 335 § 2 Le critère organique de qualification des fonds administratifs : l’appropriation ou la maîtrise par une personne publique.............................................................................................................................................................................. 337 A. Le rattachement organique immédiat : l’appropriation du fonds administratif par une personne publique ..... 338 1) L’initiative des personnes publiques : critère suffisant de qualification d’un fonds administratif .................. 338 2) La neutralité d’une délégation dans la qualification administrative d’un fonds créé à l’initiative d’une personne publique .................................................................................................................................................. 340 612 B. Le rattachement organique médiat : la simple maîtrise du fonds administratif et la limite des activités administratives .............................................................................................................................................................. 342 1) Les fonds rendus administratifs par la prise de contrôle d’une ou plusieurs personnes publiques ............... 342 2) Les fonds étrangers à l’action publique mais subissant l’influence des personnes publiques ......................... 343 Section 2 L’adaptation des fonds administratifs aux activités administratives ....................................................................... 347 § 1 L’adaptation du régime de constitution des fonds administratifs aux nécessités de l’activité administrative ........... 348 A. La création d’un fonds administratif par une personne publique ......................................................................... 348 1) Les règles constitutives du régime applicable aux fonds administratifs eux-mêmes........................................ 349 2) La combinaison des règles applicables aux fonds et des règles applicables aux biens administratifs ............. 352 B. L’affectation et l’incorporation des biens au fonds administratif d’une personne publique ................................ 353 1) L’affectation des biens à l’activité et leur incorporation au fonds administratif ............................................... 354 2) Le caractère obligatoire ou volontaire de l’affectation des biens et de leur appartenance au fonds administratif ............................................................................................................................................................ 357 § 2 L’adaptation du régime d’exploitation des fonds administratifs aux exigences de l’activité administrative ............. 360 A. L’unité de la personnalité publique malgré la coexistence d’une multiplicité de fonds administratifs autonomes361 1) L’autonomie des assemblées parlementaires : leur attribution en jouissance exclusive d’un fonds administratif appartenant à l’État ........................................................................................................................... 361 2) L’attribution de fonds administratifs autonomes à certains services centraux, déconcentrés ou internes à certaines personnes publiques ............................................................................................................................... 364 B. La gestion déléguée des fonds administratifs et la question des activités insusceptibles de délégation ............... 368 1) Les éléments insusceptibles de délégation au sein des fonds administratifs : leur appropriation publique résiduelle obligatoire .............................................................................................................................................. 369 2) Les fonds administratifs confrontés au phénomène de délégation d’activités administratives ....................... 371 Conclusion du Chapitre 1 ....................................................................................................................................................... 374 Chapitre 2 Le fonds administratif : une réponse à l’extrême diversité des biens affectés à une activité administrative ........................................................................................................................................... 375 Section 1 Les biens administratifs : les biens nécessaires à l’exercice d’une activité relevant de la compétence d’une personne publique ................................................................................................................................................................... 376 § 1 L’appréhension des biens comme sources d’utilités pour les personnes, publiques ou privées .............................. 377 A. La définition formelle du bien : chose, admise par le droit objectif comme étant objet de propriété et siège d’utilités ......................................................................................................................................................................... 377 1) Une approche purement formelle de la notion de bien : chose reconnue comme un bien par le droit objectif..................................................................................................................................................................... 378 2) Les utilités des biens : la proprietas, utilité noyau, et les utilités satellites ....................................................... 381 B. Les limites juridiques nécessaires à la circonscription de l’exclusivité de la jouissance des utilités par le propriétaire ................................................................................................................................................................... 384 1) Une limite problématique à l’exclusivité du propriétaire sur les utilités de ses biens : le cas du droit à l’image des biens..................................................................................................................................................... 384 2) Un exemple de la nécessaire limitation à l’exclusivité des propriétaires publics sur leurs biens : l’affaire de la « taxe trottoir » .................................................................................................................................................. 389 § 2 Les biens administratifs : une catégorie fonctionnelle inscrite dans l’unité organique du droit public ................... 393 A. Le critère fonctionnel des biens administratifs : le rapport d’utilité du bien à l’exercice de la compétence d’une personne publique ............................................................................................................................................. 393 1) Les biens envisagés comme objets de l’exercice d’une compétence et la superposition éventuelle de leur affectation à un fonds administratif ........................................................................................................................ 394 a) Les biens en tant qu’objets des compétences et leur éventuelle appropriation publique ......................... 394 b) L’exemple de la distinction entre l’ouvrage public et le monument historique ........................................ 398 2) Les biens en tant que produits par l’exercice d’une compétence et leur éventuelle affectation aux fonds administratifs ........................................................................................................................................................... 400 a) Les biens issus de l’exercice de la compétence de la personne publique et leur éventuelle utilité administrative .................................................................................................................................................... 401 b) Les données publiques : produit, objet et support de la compétence de la personne publique ............. 403 B. La portée limitée de l’approche fonctionnelle : une exclusion du critère personnel sans remise en cause de l’unité organique ........................................................................................................................................................... 407 613 1) L’exclusion manifeste du critère personnel : l’indifférence à l’égard de l’appropriation publique ou privée des biens administratifs .......................................................................................................................................... 408 2) La permanence de l’unité organique à l’égard des biens administratifs : la vocation des biens à faire retour au terme de la délégation ....................................................................................................................................... 410 Section 2 Le fonds administratif : un dépassement de la diversité des propriétaires et des régimes des biens administratifs ............................................................................................................................................................................ 414 § 1 Les insuffisances de la domanialité publique pour appréhender l’ensemble des biens administratifs affectés à l’exercice d’une compétence ............................................................................................................................................. 415 A. L’inaliénabilité : un fondement obsolète à l’heure de la circulation et de la valorisation des biens publics ...... 415 1) L’inaliénabilité contre la circulation des biens administratifs, pourtant favorable à l’optimisation de l’exercice des compétences .................................................................................................................................... 416 2) L’inaliénabilité contraire aux exigences d’une bonne gestion des biens administratifs supposant la sécurité juridique des occupants .......................................................................................................................................... 422 B. Le domaine public et l’immeuble : une consubstantialité archaïque induisant un périmètre inadéquat au regard des biens administratifs essentiels .................................................................................................................... 426 1) L’incapacité de la domanialité publique à adapter son tropisme immobilier aux exigences de l’affectation . 427 2) L’inadaptation du périmètre du domaine public : l’exclusion des meubles et des biens incorporels nécessaires aux services publics ............................................................................................................................. 429 § 2 Les incertitudes liées aux régimes spécifiques applicables aux biens privés administratifs ...................................... 432 A. Les biens administratifs des personnes privées étrangères à l’action publique ..................................................... 433 1) Les voies privées ouvertes à la circulation et leur analyse à l’aune de la compétence des personnes publiques................................................................................................................................................................. 433 2) Les biens privés administratifs en raison d’une servitude administrative......................................................... 435 B. Les biens administratifs des personnes privées en charge de l’exécution d’un service public ............................. 436 1) La situation insatisfaisante du droit positif en ce qui concerne les biens nécessaires à une activité administrative .......................................................................................................................................................... 437 2) L’extension de la théorie des biens des concessions de service public à l’ensemble des biens incorporés à un fonds administratif............................................................................................................................................. 439 Conclusion du Chapitre 2 ....................................................................................................................................................... 443 Conclusion du Titre 1 ............................................................................................................................................................ 444 er TITRE 2 LE DEVELOPPEMENT DE L’ACTION PUBLIQUE PAR LA GESTION DES FONDS ADMINISTRATIFS DES PERSONNES PUBLIQUES .......................................................................................... 445 ND Chapitre 1 L’ordre juridique partiel du droit public, contexte normatif exclusif de la gestion des fonds administratifs .................................................................................................................................. 447 Section 1 L’intégration du dualisme juridique à l’ordre juridique partiel du droit public régissant les fonds administratifs448 § 1 Le seul critère d’appartenance des règles au droit public : fonder ou régir l’exercice d’une compétence, d’une activité administrative ......................................................................................................................................................... 449 A. L’indifférence de la source d’une règle et de son caractère public ou privé : droit administratif des activités privées et droit privé des activités administratives ....................................................................................................... 449 B. La dualité d’objet des règles de droit administratif régissant l’exercice des compétences par les propriétaires .. 453 1) L’objet alternatif des règles de droit administratif applicables aux propriétaires : permettre ou limiter l’exercice des compétences .................................................................................................................................... 453 a) Le dualisme d’objet des règles de droit administratif applicables aux propriétaires : l’exemple du droit de l’urbanisme et de la construction ................................................................................................................ 454 b) Le dualisme d’objet appliqué aux règles de droit privé applicables aux activités administratives ............. 457 2) La théorie du bilan : instrument de contrôle de l’exercice des compétences par le développement des fonds administratifs ................................................................................................................................................ 461 a) La théorie du bilan mettant en balance l’intérêt d’un fonds administratif et les intérêts opposés par la sphère privée à son développement ................................................................................................................ 462 b) La théorie du bilan mettant en balance les intérêts divergents de deux fonds administratifs impliqués par l’opération d’expropriation ........................................................................................................................ 464 § 2 La propriété privée au service de l’action publique : confirmation du critère organique de la propriété publique 467 A. L’absence d’altération du droit de propriété privé par l’application du droit administratif ................................. 467 1) L’application indirecte du droit administratif à l’activité des personnes privées propriétaires ....................... 468 614 2) L’inapplicabilité par transparence de la propriété publique aux personnes privées ....................................... 470 B. La personnalité privée : seule possibilité d’une véritable gestion privée dans l’exercice d’une compétence ..... 471 1) La personnalité privée comme condition de la gestion privée : confirmation du critère strictement organique de la propriété publique ....................................................................................................................... 472 2) L’incorporation des règles de droit privé à la compétence des personnes publiques, manifestation de la part irréductible de gestion publique ..................................................................................................................... 473 Section 2 L’intégration du dualisme juridictionnel à l’ordre juridique partiel du droit public régissant les fonds administratifs ............................................................................................................................................................................ 475 § 1 La relativité du dualisme juridictionnel : la compétence administrative prédominante à l’égard des propriétaires publics................................................................................................................................................................................. 476 A. Les nombreuses catégories indirectes faisant échec au critère de la domanialité privée ..................................... 476 1) La puissance publique : critère de compétence du juge administratif dans la gestion du domaine privé ..... 477 2) Les contrats administratifs relatifs à un bien du domaine privé ....................................................................... 478 3) La responsabilité administrative à l’occasion d’un dommage causé par un bien du domaine privé .............. 480 B. Les actes détachables de la gestion du domaine privé : décisions administratives des personnes publiques propriétaires ................................................................................................................................................................. 484 1) La qualification discutable d’acte détachable et la qualification préférable de décision administrative des personnes publiques propriétaires ......................................................................................................................... 484 2) La distinction entre les décisions administratives des personnes publiques propriétaires et les actes susceptibles ou non de recours devant le juge administratif ................................................................................. 486 § 2 La compétence du juge judiciaire dans le fonctionnement des fonds administratifs, juge des activités administratives .................................................................................................................................................................... 491 A. La spécificité du droit appliqué par le juge judiciaire à l’égard des activités administratives : droit administratif et droit privé administratif ............................................................................................................................................ 491 1) L’application du droit administratif par le juge judicaire : la rémanence du caractère administratif de l’activité considérée ................................................................................................................................................ 491 2) L’application d’un droit privé « administratif » par le juge judiciaire : l’effet normatif du caractère administratif de l’activité considérée ...................................................................................................................... 493 B. La portée purement technique d’une réforme de la répartition du contentieux de la propriété publique ......... 495 1) Les critiques récurrentes de la répartition du contentieux de la propriété publique entre les deux ordres juridictions .............................................................................................................................................................. 496 2) La probable nécessité d’une compétence résiduelle du juge judiciaire en matière de propriété publique.... 498 Conclusion du Chapitre 1 ....................................................................................................................................................... 502 Chapitre 2 La rencontre des ordres juridiques partiels à l’occasion de la gestion des fonds administratifs ............................................................................................................................................ 503 Section 1 La soumission au droit public économique : un simple approfondissement de l’État de droit ......................... 504 § 1 L’ambivalence du droit public économique : traduction de la politique économique, encadrement des politiques publiques ............................................................................................................................................................................ 505 A. Les personnes publiques propriétaires : la participation de l’État-appareil aux activités économiques ............. 505 1) Les personnes publiques propriétaires entrant en relation avec l’infrastructure économique ....................... 505 a) La profondeur historique des relations entre les pouvoirs publics et les activités économiques .............. 506 b) La dialectique de la superstructure et de l’infrastructure comme méthode d’analyse des rapports entre droit et économie.............................................................................................................................................. 510 2) L’activité des personnes publiques propriétaires : participation de la superstructure à l’infrastructure ........ 513 a) Les fonds administratifs et l’inscription des activités administratives dans le commerce juridique des activités économiques ....................................................................................................................................... 514 b) L’explication de certaines évolutions du droit de la propriété publique à l’aune de l’évolution de la dialectique traduite en droit public économique............................................................................................. 515 B. Le droit public économique et sa description par les relations de l’État-appareil à la propriété ......................... 517 1) Du droit économique applicable aux propriétaires, au droit public économique applicable aux activités administratives ........................................................................................................................................................ 518 2) Les personnes publiques propriétaires dans la description analytique du droit public économique ............. 521 a) Le droit économique et les conditions d’une participation des personnes publiques propriétaires aux activités économiques ....................................................................................................................................... 521 615 b) Les personnes publiques propriétaires : la concrétisation du droit public économique par l’exercice de la propriété ........................................................................................................................................................ 523 § 2 L’enrichissement du droit public économique de nouvelles règles à destination des personnes publiques propriétaires ....................................................................................................................................................................... 526 A. L’évolution du droit public économique : de la traduction juridique de la politique économique à l’encadrement des politiques publiques ...................................................................................................................... 527 1) Le sens initial du droit public économique : traduire en droit la politique économique des gouvernants ... 527 2) La nouvelle fonction du droit public économique : limiter et régir l’action publique par le moyen économique ............................................................................................................................................................ 528 B. Les conséquences générales de cette évolution dans la gestion des fonds administratifs par les personnes publiques propriétaires ................................................................................................................................................ 532 1) La prédominance des fonctions de régulation sur les fonctions de prestation : une circonscription des objets des fonds administratifs ............................................................................................................................... 532 2) La politique européenne de stabilité financière : une contrainte nouvelle dans la gestion des fonds administratifs des personnes publiques ................................................................................................................. 536 Section 2 La soumission au droit public économique : une confirmation de l’autonomie des fonds administratifs par rapport aux fonds du droit privé ............................................................................................................................................. 538 § 1 La portée relative du droit de l’Union européenne sur la théorie française de la propriété publique .................... 538 A. L’inflexion manifeste de la propriété publique par le droit de l’Union européenne ........................................... 538 B. La portée théorique limitée de l’influence du droit de l’Union européenne sur la propriété publique en droit français .......................................................................................................................................................................... 542 § 2 Une évolution sans conséquence sur l’inscription des fonds administratifs dans l’ordre juridique partiel du droit public .................................................................................................................................................................................. 546 A. L’État de droit et la soumission des activités administratives aux règles issues des droits économiques ............. 547 B. L’appropriation par l’ordre juridique public des nouvelles règles applicables aux personnes publiques propriétaires ................................................................................................................................................................. 549 Conclusion du Chapitre 2 ....................................................................................................................................................... 552 Conclusion du Titre 2nd ............................................................................................................................ 553 CONCLUSION DE LA SECONDE PARTIE....................................................................................................... 554 CONCLUSION GENERALE ........................................................................................................................... 556 BIBLIOGRAPHIE ...................................................................................................................................... - 560 OUVRAGES GENERAUX ............................................................................................................................ - 560 - I. Théorie du droit et ouvrages généraux ............................................................................................ - 560 II. Droit privé ....................................................................................................................................... - 562 III. Droit public.................................................................................................................................... - 563 OUVRAGES SPECIALISES .......................................................................................................................... - 565 - I. Droit privé des biens ........................................................................................................................ - 565 II. Droit administratif des biens, droit de l’urbanisme, droit de l’environnement ............................ - 566 THESES ET MONOGRAPHIES ................................................................................................................... - 567 - I. Droit privé et autres disciplines........................................................................................................ - 567 II. Droit public ..................................................................................................................................... - 568 OUVRAGES COLLECTIFS ET RAPPORTS .................................................................................................. - 572 ARTICLES .................................................................................................................................................. - 574 TABLE DE JURISPRUDENCE...................................................................................................................... - 593 - I. Jurisprudence des juridictions judiciaires ........................................................................................ - 593 II. Jurisprudence des juridictions administratives et du Tribunal des conflits................................... - 595 III. Jurisprudence du Conseil constitutionnel..................................................................................... - 600 IV. Jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme.................................................... - 601 - 616 V. Jurisprudence des juridictions communautaires et de l’Union européenne ................................ - 602 INDEX ...................................................................................................................................................... - 603 TABLE DES MATIERES .................................................................................................................................. 607 617