Moscou – Kazan – Oufa : Jean-Richard Bloch en 1941-1942
Ludmila Stern
Dans Revue historique 2017/2 (n° 682),
682) pages 359 à 384
Éditions Presses Universitaires de France
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ISSN 0035-3264
ISBN 9782130788508
DOI 10.3917/rhis.172.0359
Moscou – Kazan – Oufa :
Jean-Richard Bloch en 1941-1942
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Parmi tous les intellectuels français de renom à son époque,
Jean-Richard Bloch (1884-1947) est le seul, à notre connaissance,
qui trouva asile en URSS pendant la guerre. La période des années
1930 de la vie de ce compagnon de route, devenu communiste, le
mène à la codirection de Ce Soir, avec Louis Aragon, et à son adhésion au PCF en 19391. Après la crise que Bloch subit à la suite du
pacte Molotov-Ribbentropp, il finit par s’allier à la politique de
l’URSS. Sous l’occupation allemande de la France, communiste et
juif, Bloch, selon les paroles de Nicole Racine, « était susceptible
d’être arrêté à tout moment. […] L’éventualité de son départ [pour
l’URSS] a été envisagée dès la mi-octobre 1940, à la demande des
dirigeants français du PCF et du représentant auprès de l’Internationale communiste2 ». La demande d’autoriser Bloch à trouver
un lieu sûr en URSS a été soutenue par une lettre élogieuse provenant du Responsable de la section des cadres du CEIC. Ce dernier
y fait l’éloge du soutien indéfectible que Bloch apporte au FCP et
à l’URSS3. En passant les mois de janvier et février 1941 dans les
milieux intellectuels de gauche et communistes, dont certains étaient
également en danger, Bloch interagissait aussi avec les diplomates
soviétiques, Kisselev et Bogomolov, qui ont participé à son départ
1. Voir, notamment, Annie Angremy et Michel Trebitsch (dir.), Jean-Richard Bloch ou l’écriture
et l’action, Paris, BnF, 2002.
2. Nicole Racine, « Jean-Richard Bloch ou les épreuves de fidélité », in Annie Angremy et
Michel Trebitsch (dir.), Jean-Richard Bloch, op. cit., pp. 253-272, p. 267.
3. Spravka, Guliaiev, responsable de la section des cadres du Comité exécutif de l’Internationale, 17 octobre 1940, RGASPI fonds 495, inventaire 270, dossier 7360, in Nicole Racine, « JeanRichard Bloch », art. cit. Je suis reconnaissante à Nicole Racine de m’avoir gentiment fourni
ce document.
Revue historique, 2017, n° 682, pp. 359-383
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pour l’URSS4. En dépit d’autres opportunités existantes (comme le
visa chilien), Bloch finit par partir et rejoindre l’URSS5.
Les archives du Komintern6 ne fournissent pas d’autre information concernant les opérations de soutien au départ de Bloch de la
France. Ayant quitté Paris le 15 avril 1941 de la Gare de l’Est, Bloch
et sa femme Marguerite traversent l’Allemagne nazie, en changeant de
wagon à Saarbruck et en faisant escale à Berlin où ils sont reçus par
les diplomates soviétiques Bogulov et Dekanosov7. Les Bloch arrivent
en URSS le 18 avril 1941. Ils y resteront pendant 44 mois avant de
regagner la France en janvier 1945. À la suite de l’attaque allemande
contre l’URSS le 22 juin 1941 et avec l’approche rapide des troupes
allemandes vers Moscou, les Bloch seront évacués à la mi-octobre,
d’abord à Kazan, la capitale du Tatarstan, puis à Oufa, la capitale de
la Bachkirie. Cette période du séjour des Bloch en URSS en temps
de guerre, et surtout celle de 1941-1942 où ils se trouvent déplacés,
reste peu connue. L’espace physique, politique et culturel dans lequel
se retrouve Bloch entre 1941 et 1942 ainsi que sa mobilisation en tant
qu’intellectuel français par les institutions soviétiques feront l’objet de
notre étude8.
RÉFLEXIONS SUR L’ESPACE DE JEAN-RICHARD BLOCH
Si c’est grâce aux démarches du Komintern, ou de l’Internationale Communiste (IC), et au soutien du gouvernement soviétique
que Bloch trouve asile en URSS, son cas se distingue des autres écrivains qui fuirent les régimes fascistes – par exemple, les réfugiés politiques allemands. Intellectuel français, qui confirma son engagement
en adhérant au PCF à l’heure où l’URSS perdait le soutien de plusieurs de ses alliés9, il est bien accueilli par les autorités soviétiques.
4. Jean-Richard Bloch, Agenda 1941, BnF, Département des manuscrits, Fonds Jean-Richard
Bloch, Varia, n° 36.
5. Ibid.
6. J’ai consulté les documents d’archive du Komintern disponibles en ligne sur le site
RGASPI et sur le site de l’université de Bourgogne.
7. Jean-Richard Bloch, Agenda 1941, 16 avril.
8. Pour un compte rendu détaillé de l’expérience des Bloch en temps de guerre en URSS
(1941-1944), voir Rachel Mazuy, « Un exil soviétique pendant la Grande Guerre patriotique.
Jean-Richard Bloch, intellectuel juif et communiste réfugié en Union soviétique (1941-1945) »,
Un parti global. Le Parti communiste français dans une perspective transnationale (1917-1991), Colloque,
25-27 mai 2016, Maison des Sciences de l’Homme de Dijon, à paraître.
9. Sur la période de 1939 à 1941, voir notamment Nicole Racine, « Jean-Richard Bloch ou
les épreuves de la fidélité (1939-1941) », art. cit. (n. 2).
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Il convient aussi de rappeler que pendant ce temps d’exil, il est mobilisé non seulement par le Komintern, mais aussi par l’Union des
écrivains soviétiques qui, elle aussi, gérait les actions de Bloch. Le
statut de Bloch est différent de celui des autres membres du CEIC,
et contrairement aux dirigeants éminents du FCP, Thorez et Guyot
(tous deux déserteurs), il ne sera jamais un membre du « cercle intérieur » du CEIC français. En outre, la relation que Bloch entretient
avec son « chef » immédiat du Komintern Marty deviendra progressivement tendue, aboutissant à un conflit ouvert en 1943.
Il importe également de rappeler la relation solide qu’entretenait
Bloch avec l’Union des écrivains soviétiques, ainsi que d’autres institutions dites culturelles (VOKS, Éditions d’état), au cours de sa visite lors
du 1er Congrès des écrivains soviétiques, en 1934. La Commission
étrangère de l’Union des écrivains avait, sous l’égide de son Secrétaire
Général Mikhaïl Aplétine, développé des relations chaleureuses avec
Bloch10. Ces relations étaient entretenues par correspondance et marquées par les signes du statut élevé de cet ami de l’URSS et soudées
par des services mutuels, des intérêts communs et des amitiés personnelles avec les membres de l’élite culturelle soviétique11. Lorsque
Bloch, ami de l’URSS jusqu’alors lointain et adulé, se retrouva au
sein même de l’Union des écrivains dans des circonstances extrêmement dures du début de guerre et de l’évacuation, son statut n’est plus
le même. Malgré cela, l’Union des écrivains a joué un rôle essentiel
en offrant à Bloch un soutien continu.
Sous quelle forme Bloch sera-t-il mobilisé pendant la guerre, et
comment se développent ses relations avec ces deux institutions, particulièrement pendant la période qu’il va passer à Kazan et à Oufa ?
Dans quelle mesure la reconstruction du cadre de la période de l’évacuation de Bloch nous permettra-t-elle d’évaluer ces questions ?
Pour cette étude, nous nous sommes appuyée sur des sources
inédites : deux Carnets de Marguerite Bloch, de 1941-194212, et les
Agendas et la correspondance de Jean-Richard Bloch sur la même
période13. En comparant les Carnets de Marguerite avec les Agendas
de Jean-Richard Bloch et une sélection de quelques autres sources
épistolaires, nous avons fait un travail de restitution de la période
10. Ludmila Stern, « “Prisonnier d’amitié” : Jean-Richard Bloch et ses correspondants soviétiques », in « Les intellectuels et le communisme en France (1944-1947) », Cahiers Jean-Richard
Bloch, n° 14, 2008, pp. 103-121.
11. Ibidem.
12. Les entrées commencent le 16 octobre 1941 et continuent avec quelques lacunes, dans
certains cas sur plusieurs mois.
13. Je remercie Rachel Mazuy d’avoir attiré mon attention sur plusieurs de ces documents et
de m’avoir communiqué ses transcriptions. Les Agendas de Jean-Richard Bloch (1941-1943) et les
Carnets de Marguerite Bloch (1941-1943), sont conservés à la BnF, op. cit. (n. 4).
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la moins connue de la biographie de l’écrivain, celle de son séjour à
Oufa en 1942. Afin de porter un regard ciblé sur cette période et de
mieux l’évaluer, nous bénéficions aussi des documents du Komintern
sur la même période, des études à ce sujet, avec notamment quelques
mémoires14. Ceci nous permettra de mettre au jour les circonstances
externes, les conditions de vie des Bloch et leurs relations professionnelles et personnelles avec leur cercle.
Il est important de noter que les Carnets de Marguerite et les
Agendas de J.-R. Bloch n’appartiennent pas au genre du journal
intime traditionnel, et il est impossible d’y puiser tous les renseignements nécessaires pour reconstituer un tableau complet. Leur
contenu est limité à la constatation des faits, ce qui laisse des lacunes
quant à leurs réactions et leurs réflexions. Tandis que la liste des événements que J.-R. Bloch note porte sur son écriture, ses rencontres,
ses activités, sans oublier les nouvelles du front, Marguerite, elle,
avec son don d’observation infaillible, anime ce compte-rendu avec
les détails variés de la vie de tous les jours. Ses annotations des nouvelles du front alternent avec le détail des activités quotidiennes, de
l’effort pour se procurer des provisions, du manque de nouvelles de la
famille. Pourtant, l’humour de Marguerite et sa force de caractère
nous permettent de reconstruire l’univers des Bloch et de leur cercle
d’amis et de collègues cosmopolites et polyglottes pendant la période
la plus difficile de la guerre pour l’URSS. On s’imagine vivement une
vie travailleuse, dure, presque sans loisir ni repos dans les conditions
d’exil. Cette existence crée un contraste remarquable avec leur séjour
festif de 1934 et nous fait réfléchir à leur statut parmi les écrivains
soviétiques et les kominterniens.
D’autre part, ces sources nous permettent d’abord d’établir
quelques dates-clés15 : l’arrivée des Bloch à Moscou le 18 avril 1941,
14. Par exemple, on trouve les documents du Komintern dans Grant M. Adibekov et al.,
Организационная структура Коминтерна, 1919-1943 (La structure de l’organisation du Komintern),
Moscou, Rospen, 1997. Sur le Komintern voir aussi Aleksandr Oganovich Chubar’yan (dir.),
История Коммунистического Интернационала 1919-1943. Документальные очерки
(L’Histoire de l’Internationale communiste, 1919-1943. Études documentaires), Moscou, Nauka, 2002 ;
Natalia Lebedeva et Mikhaïl Narinski (dir.), Коминтерн и Вторая мировая война, часть
II, После 22 июня 1941 (Le Komintern et la Deuxième guerre mondiale, 2e partie, Après le 22 juin 1941),
Moscou, RAN, RTsKHIDNI, 1998. Sur les dirigeants du Komintern voir Ivo Banac (éd.), The
Diary of Georgi Dimitrov, 1933-1949, New Haven et Londres, Yale University Press, 2012 ; Alexander
Dallin et Fridrikh Firsov (éd.), Dimitrov and Stalin, 1934-1943. Letters from the Soviet Archives, New
Haven et Londres, Yale University Press, 2000 ; Pascal Cauchy, « Les chemins du Komintern »,
Communisme, nos 47/48, 1996, pp. 199-209. Sur les dirigeants et les membres du Komintern et du
PCF, voir Giulio Ceretti À l’ombre des deux T. 40 ans avec Palmiro Togliatti et Maurice Thorez, Paris,
Julliard, 1973 ; Jeannette Thorez-Veemeersch, La vie en rouge. Mémoires, Paris, Belfond, 1997 ;
Annette Wieviorka, Maurice et Jeannette. Biographie du couple Thorez, Paris, Fayard, 2010.
15. Parmi ces dates, quelques-unes contestent celles proposées par Pascal Cauchy, « Les
chemins du Komintern », art. cit. et Annette Wieviorka, Maurice et Jeannette, op. cit.
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leur évacuation vers l’Est le 16 octobre 1941, leur séjour de plus
de deux mois à Kazan où ils arrivent le 20 octobre, et leur transfert à Oufa où ils arrivent le 30 décembre 1941. Ensuite, à partir
du 7 janvier 1942 et pendant presqu’un an, Bloch écrira et lira ses
Commentaires à la radio du Komintern. Il va être frappé par une
grave pneumonie à partir du 30 mai 1942, pour laquelle il sera hospitalisé avant de rentrer à la maison le 27 juin 1942. Le départ des
Bloch le 15 décembre 1942 et leur arrivée à Moscou le 17 décembre
1942 seront suivis d’une lacune de plusieurs mois dans le Carnet de
Marguerite tandis que Bloch continuera de noter les événements
dans ses Agendas.
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Lorsque les Bloch arrivent à Moscou le 15 avril 1941, ils y
retrouvent des relations bien établies avec les écrivains et les dirigeants de la Commission étrangère de l’Union des écrivains soviétiques, relations nouées durant leur visite de 1934. Tout un groupe
d’anciens amis et de collègues les attend à la gare : les écrivains francophones Ilya Ehrenbourg, Viktor Fink16 et Vladimir Lidine, dirigeants de la VOKS, membres de la rédaction de la revue Littérature
internationale, et bien d’autres encore. Le membre du CEIC, Raymond
Guyot, représente le Komintern17. Un véritable cortège de visiteurs
va défiler chez eux dans les jours qui suivent : anciens amis comme
Lydia Bach, fille de l’académicien ; Lili Brik, la sœur d’Elsa Triolet ;
les confrères soviétiques et étrangers de la Commission étrangère de
l’Union des écrivains soviétiques, y compris le chef de la Commission
étrangère, Mikhail Aplétine, et Natalia Kamionskaya, traductrice de
la Littérature internationale que la Commission étrangère met à la disposition de Bloch pour traduire ses articles et pour aider les Bloch dans
la vie quotidienne. D’après les activités qui suivent – visites, sorties,
dîners, randonnées, conversations à la VOKS, cirque, théâtre, opéra,
etc. – on pourrait croire que le séjour des Bloch est quasi-identique
à celui de 1934. Pourtant, les écrivains allemands – Friedrich Wolf,
Willi Bredel – sont des réfugiés politiques de l’Allemagne nazie, tandis
16. Voir leur souvenirs sur Bloch dans les œuvres de ces écrivains : Victor Fink, ‘Жан-Ришар
Блок,’ Литературные воспоминания (Jean-Richard Bloch, Mémoires littéraires), Moscou, Sovetski
pisatel, 1963, pp. 258-290 ; Ilya Ehrenbourg Люди, годы, жизнь (Les années et les hommes), Moscou,
Sovetski pisatel, 1990, vol. 2, pp. 341-347.
17. Jean-Richard Bloch, Agenda 1941, f° 29v°, vendredi 18 avril.
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SÉJOUR À MOSCOU
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que Bertold Brecht est en déplacement aux États-Unis18. Les Bloch
ne font aucune mention des confrères disparus pendant les purges de
la fin des années 1930 : le Président de la VOKS, Aleksandre Arosev ;
le journaliste et Président du comité d’organisation du Congrès des
écrivains, Mikhail Koltzov ; le grand metteur-en-scène Vsevolod
Meyerhold ; le dramaturge futuriste et cicérone des Bloch en 1934,
Sergey Tretyakov ; l’illustre écrivain Isaac Babel. Lili Brik leur a-telle parlé de la disparition de son mari, le général Primakov, exécuté
pendant le procès des militaires ? Maria Osten, qui avait accompagné
les Bloch pendant leur voyage au Caucase en 1934, leur rend visite.
La compagne, déjà veuve, de Mikhail Koltsov19 vient de revenir en
URSS avant d’y être arrêtée et de décéder à son tour. On peut se
demander comment le discours de ces « occidentalisateurs staliniens20 »
a changé par rapport à celui qu’ils tenaient avant les purges et la perte
de leurs proches. Les Agendas de Bloch se taisent sur ces questions.
Dorénavant réfugié politique, Bloch est au service de l’Union
des écrivains. Il est difficile de juger si les relations entre Bloch et
la Commission étrangère se situent toujours dans le même cadre de
la diplomatie culturelle d’avant-guerre, un cadre défini par les mécanismes d’influence indirecte de la part des établissements soviétiques
vis-à-vis du compagnon de route choyé. Bien accueilli par l’Union
des écrivains soviétiques et par la revue Littérature internationale, son
organe, il retrouve sur son compte les droits d’auteur dont les intérêts se sont accrus depuis 1934. Il est bien intégré dès son arrivée :
ses confrères littéraires l’amènent aux Éditions d’état, à la rédaction
de la revue Znamya, à celles des journaux Trud, Literatournaïa gazeta,
et autres, et il signe un contrat avec Novy mir. Pendant cette nouvelle
période, Bloch écrira surtout des articles destinés aux lecteurs soviétiques. Son premier article, remis le 5 mai à la Littérature internationale,
sera sur Gorki21.
Parallèlement, c’est le Komintern qui jouera un rôle dominant
dans sa mobilisation comme journaliste militant. Si au moment de
l’arrivée des Bloch, Raymond Guyot l’accueillera, les autres membres
du Secrétariat se trouvent aux datchas kominterniennes de Kuntsevo
en dehors de Moscou, et André Marty, secrétaire du Comité exécutif de l’IC, (« André » et « cam. André »), ne viendra voir l’écrivain
que le 25 avril, après quoi ses visites deviendront quasi-journalières.
Le 9 mai, Marty emmène Bloch à la rédaction de la radio, et le
18.
19.
20.
21.
Bloch le retrouvera le 21 mai 1941, Jean-Richard Bloch, Agenda 1941.
Mikhail Koltsov a été exécuté en 1940 ou 1942.
Le terme de Michael David-Fox.
Article sur Gorki, Jean-Richard Bloch, Agenda 1941, f° 33.
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13 mai, il est amené devant le CEIC pour y présenter un rapport
sur la situation en France22 – Georgi Dimitrov, Secrétaire général
de l’IC, le trouve fort intéressant. Comme le note Nicole Racine,
André Marty propose alors qu’un rôle spécifique soit attribué à Bloch
dans le domaine de la propagande internationale à l’intention « des
intellectuels des pays capitalistes et avant tout de France et des deux
Amériques sur les questions françaises et soviétiques. […]23 ». Cette
tâche, note Marty, doit être précisée avec la faction de la VOKS et
de la Littérature internationale qui, elles, « doivent toujours subordonner
l’activité de Jean-Richard Bloch à ses tâches internationales24 ». Si
les activités initiales de Bloch auprès du Komintern sont diverses (il
donne quelques discours à la rédaction de la radio de l’IC25 et écrit
un article sur Voltaire pour l’émission de radio du 28 mai26), lors du
déclenchement de la guerre contre l’URSS, le 22 juin 1941, les plans
de Marty d’utiliser Bloch comme outil de propagande internationale
antifasciste se concrétisent. Selon ces plans, Bloch sera « immédiatement affecté au secteur français d’Inoradio » – la radio du Komintern
dont les diffusions seront dorénavant adressées à l’étranger, à la population de la France occupée. La première émission de Bloch a lieu le
vendredi 22 août 1941.
Entre-temps, pendant une des visites à Kuntsevo où Marty amène
Bloch, il retrouve Maurice Thorez, Secrétaire général du PCF, déserteur dont l’identité et les coordonnées restent conspiratives27. Bloch
notera le 15 août : « Nous restons ensemble, André, son ami et
moi », après quoi Bloch désigne Thorez comme « M », « Maurice »,
« Jean » et « Жан » en caractères russes28. Son vrai nom ne figurera
jamais dans les Carnets de Marguerite de 1941-1943.
22. Jean-Richard Bloch, Agenda 1941, f° 31.
23. Le 21 mai 1941, à la demande du Commissariat des affaires étrangères, Bloch transmet
à Marty une liste sommaire des intellectuels français en situation difficile qui inclut Langevin,
Rolland, Moussinac : Nicole Racine, « Jean-Richard Bloch », art. cit. (n. 2), p. 272.
24. Marty, 30 avril 1941 : cf. « Bloch, Jean-Richard », Jean Maitron, Claude Pennetier (dir.),
Dictionnaire biographique du mouvement ouvrier français, tome XLIV, Complément aux tomes 1 à 43 :
1789-1939, Biographies nouvelles, Paris, Les Éditions de l’atelier, 1997, p. 88.
25. Jean-Richard Bloch, Agenda 1941, 9 mai et 16 mai 1941.
26. Ibidem, 17 mai 1941.
27. Voir aussi Jeannette Thorez-Vermeersch, La vie en rouge, op. cit. (n. 14), p. 103. D’autres
membres du Komintern qui se sont retrouvés en URSS portaient eux-aussi de faux noms, par
exemple, Arthur Ramette (Dupuy).
28. Jean-Richard Bloch, Agenda 1941, 18 août 1941.
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Bien que les carnets des Bloch ne disent rien sur le déclenchement
de la guerre contre l’URSS ni sur les premiers mois de guerre, leur
exode de Moscou à l’approche de l’armée allemande a été chaotique. Alors que la population de Moscou fuit, le 15-16 octobre,
le Komintern n’arrive pas à faire évacuer les Bloch29. Lorsqu’ils se
rendent au bureau du Komintern, le 15 octobre, malgré les préparatifs évidents pour le déménagement, personne ne donne l’ordre d’évacuer le personnel30. Le soir même, Bloch reçoit un coup de téléphone
de la part de Dupuy [Arthur Ramette] et ensuite de Kozovski, secrétaire de Dimitrov, pour se joindre aux évacués du Komintern, mais
Bloch considère le peu de temps qu’il dispose pour le faire comme
« irréalisable31 ».
Les carnets du chef du Komintern Georgi Dimitrov ont clarifié ces circonstances : s’attendant au pire, il avait déjà pris la décision d’évacuer le Secrétariat et la plupart des employés vers Oufa
le 14 octobre. Le 15 à 17 h, Staline ordonne personnellement à
Dimitrov de faire évacuer l’IC avant la fin de la journée. Il a ensuite
été prévu précipitamment de faire évacuer le personnel par le train
de 8 h 30. « J’ai attrapé Thorez et l’ai également amené », a écrit
Dimitrov le jour même32. Ce n’est qu’une fois dans le train que
Dimitrov envoie un télégramme à Moscou afin d’ordonner l’évacuation de tous les autres « employés nécessaires » et d’ordonner à
ceux restés derrière de quitter l’Hôtel Lux, la résidence du CEIC33.
André Marty suit les ordres tout en notant l’état chaotique des
préparatifs34.
C’est la Commission étrangère de l’Union des écrivains soviétiques qui les fait évacuer le 16 octobre à destination de Kazan en
compagnie de Natalia Kamionskaya, leur traductrice, et de son mari,
du peintre Alexandre Pliguine35 ainsi que des écrivains étrangers
29. Parmi les autres membres du Komintern, on compte les écrivains allemands Willi Bredel,
Ehrich Weinert et Alfred Kurella, Jean-Richard Bloch, Ibidem, 15 octobre 1941.
30. Idem.
31. Idem.
32. Ivo Banac (éd.), The Diary of Georgi Dimitrov, op. cit. (n. 14), 14-15 octobre 1941,
pp. 196-197.
33. Ibidem, 16 octobre 1941, p. 198.
34. André Marty, Carnet, RGASPI, 517/3/3/294-296, cité par Pascal Cauchy, « Les chemins du Komintern », art. cit. (n. 14), p. 202.
35. Natalia Kamionskaya (1901-1997), traductrice et rédacteur littéraire, traductrice et
interprète de Jean-Richard Bloch pendant la Seconde guerre mondiale. Collaboratrice, traductrice et rédacteur de la revue Littérature internationale, assistante [referent] à la Commission étrangère
d’avant-guerre. Son mari, Alexandre Pliguine (1880-1943), est peintre.
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LE DÉPART DE MOSCOU
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KAZAN : AU SEIN DE L’UNION DES ÉCRIVAINS SOVIÉTIQUES
L’objet de cet article ne nous permet pas de détailler le séjour
des Bloch à Kazan où ils partageront les conditions de vie et les préoccupations journalières des écrivains moscovites évacués, pour la
plupart privés de leurs privilèges42 : la recherche du logement et des
provisions, le ménage, le temps qu’il fait, la santé. La recherche permanente de vivres est une préoccupation saillante dans les Carnets
de Marguerite, ceci à l’opposé de son mari qui, lui, n’en fait aucune
mention. Bien que, grâce aux cartes de rations (payok) de l’Union des
écrivains, ils reçoivent du pain, du bois à chauffer et du sucre43, le
manque de nourriture en temps de guerre est évident. À la cantine
de l’Union des écrivains, où les Bloch vont chercher leur nourriture,
36. Willi Bredel (1901-1964), écrivain antifasciste allemand, exilé en URSS avant et pendant
la guerre.
37. Erich Wenert (1890-1953), écrivain et communiste allemand, exilé en URSS avant et
pendant la guerre. Il a fait partie du travail de propagande à l’intention des prisonniers de guerre
allemands afin de les faire changer de position.
38. Alfred Kurella (1895-1975), écrivain et fonctionnaire communiste allemand exilé en
URSS à partir de 1934 et pendant la guerre.
39. Sur la période de l’évacuation de l’Union des écrivains voir, par exemple, John Gordon et
Carol Garrard, Inside the Soviet Writers’ Union, New York, I. B. Tauris, 1990, pp. 61-62.
40. Marguerite Bloch, Carnet 1941, 16 octobre 1941.
41. Idem.
42. John Gordon et Carol Garrard, Inside the Soviet Writers’ Union, op. cit. (n. 39), p. 61.
43. Marguerite Bloch, Carnet 1941, 21 décembre 1941.
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Willi Bredel36, Ehrich Weinert37, Marguerite et Alfred Kurella38 qui
travaillent également pour le Komintern. C’est aussi le cas des centaines d’autres écrivains soviétiques, membres de l’Union des écrivains, évacués vers l’Est, qui se retrouveront à Kazan, Kuybyshev,
Sverdlovsk, Chistopol, Tashkent et Alma-Ata39. Le départ des Bloch
ressemble peu à leur voyage dans le Caucase de 1934 : « Dans la soirée à peu de distance », note Marguerite en partant, « nous voyons de
gros bombard[ements]. au nord-ouest de Moscou40. » Pourtant, bien
que le wagon-lit privé de Koltzov de 1934 n’ait rien à voir avec les
conditions dans lesquelles ils parcourent la distance entre Moscou et
Kazan en 1941, Bloch jouit tout de même d’un statut exclusif car
quelques écrivains soviétiques insistent pour le faire partir en « wagon
de classe41 » tandis que le colonel chef du train militaire reconnaît
Bloch, dont il avait lu… et Compagnie, et l’invite à rejoindre son train
dans un coupé couchette.
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ils attendent parfois une, deux, voire trois heures avant de recevoir
leur maigre repas44. Parfois ils rentrent bredouille. Le temps qui
change plusieurs fois les afflige – tempête de neige, dégel, beau temps,
encore de la neige et le froid, la boue qui entre dans les souliers et la
gorge qui leur fait mal.
Tout comme les écrivains soviétiques, Bloch est mobilisé dans le
travail de propagande patriotique anti-Hitler pour stimuler le moral
de l’Armée et de la population. Il écrit pour les journaux soviétiques (Krasny Flot, la Gazette des médecins, la Pravda), il fait un appel
pour la radio, une traduction d’un poème, un discours devant les
blessés, un nouveau poème pour les fêtes d’octobre. Avec les réunions fréquentes à l’Union des écrivains et celles de la rédaction
de la Littérature internationale, son emploi du temps paraît chaotique,
et Marguerite note leurs sorties tard dans la nuit. La liberté créatrice de Bloch est limitée par rapport à la période d’avant-guerre :
parfois, il est obligé de faire de la réécriture comme, par exemple,
celle de l’appel de la part des écrivains étrangers. C’est aussi le cas
lorsque, début novembre, Bloch écrit une « petite pièce » pour un
spectacle qu’on veut monter à Kazan45. S’agit-il d’Une perquisition
à Paris ? La liste de revenus de Bloch notée dans son Agenda de
1944 cite la somme reçue pour cette pièce. Malgré un écho favorable, quand Bloch lit les extraits de la pièce à quelques amis, au
régisseur du théâtre et à des collègues, par la suite, Bloch y apportera quelques amendements sous l’égide de Pessis, chef de section
de la rédaction de la Littérature internationale, et Antokolsky, poète et
membre de la rédaction de la Commission étrangère. Il n’assistera
pourtant pas à la production de la pièce car il sera convoqué par
l’IC et quittera Kazan le 25 décembre.
Marguerite, quant à elle, s’occupe des tâches domestiques. « J. au
Soyuz, moi au marché. » « J. travaille, je raccommode46. » « Et des
pannes d’électricité tt le temps. » Pourtant son sens de l’humour jaillit : « Tapé à la machine – elle marche mal et moi aussi47. »
En comparaison avec les autochtones, on dirait que Bloch jouit
de conditions quelque peu privilégiées, car il a accès à son payok
[ration alimentaire] d’écrivains, à la stolovaïa (cantine) et aux droits
d’auteurs. En revanche, il est moins avantagé par rapport aux autres
écrivains ou surtout aux membres de l’Académie des Sciences. Si
l’accès aux victuailles marque la hiérarchie et le statut, il est clair que
44.
45.
46.
47.
Ibidem, 23 octobre 1941.
Ibidem, 1 novembre 1941.
Ibidem, 4 décembre 1941.
Idem.
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Ludmila Stern
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Bloch n’occupe pas un rang élevé. Les membres de l’Académie qui
les invitent à dîner sont mieux approvisionnés, ainsi que leur confrère
étranger, Germanetto, membre de la rédaction de la Littérature internationale48. Pendant une soirée en honneur du célèbre écrivain Alekseï
Tolstoï, Marguerite note, « Après on mange et boit vodka. Gde animation. Rentrés à 1 h ½49 ».
Malgré le déclin dans le statut, les Bloch sont bien entourés et fréquentés. Les écrivains (Fink, Pessis) viennent souvent chez eux pour
partager leur repas, causer, leur lire les nouvelles, écouter l’écrivain lire
des extraits de sa pièce et même passer la nuit chez eux50. Leurs rapports avec Mikhaïl Aplétine, dont le nom revient souvent, deviennent
encore plus familiers qu’avant la guerre, ainsi que des relations très
chaleureuses avec Natalia Kamionskaya qui passe beaucoup de temps
chez eux pour lire le journal, traduire, enseigner le russe à Marguerite
et manger avec les Bloch, souvent avec son mari et sa fille. Ces relations n’ont rien de comparable avec les tensions qu’avaient éprouvées
les visiteurs occidentaux d’avant-guerre et leurs interprètes : Viollis,
Marquet, Gollansz, Feuchtwanger et d’autres51. Le cercle intellectuel
polyglotte des amis des Bloch est assez impressionnant : des écrivains
étrangers (Alfred Kurella, Ehrich Weinert, Willi Bredel, Friedrich
Wolf) et des membres de l’Académie des sciences (Alexeï Bach et sa
famille, Lina Stern, Pyotr Kapitsa, Knipovich52). De quoi discutentils ? Nous n’en savons rien car le contenu des conversations n’est pas
noté dans les carnets des Bloch.
Ce séjour touchera à sa fin deux mois plus tard, lorsque le CEIC
viendra réclamer Bloch sur l’ordre de Dimitrov afin « de se rendre
là où il y a du travail ». Chose curieuse : les Bloch, qui partent le
26 décembre, croient qu’ils ont été convoqués à Kuybyshev, siège du
gouvernement soviétique et du Komintern. Ce n’est qu’une fois à
bord du train qu’ils apprennent qu’on les amène à Oufa, le siège de
la radiodiffusion de l’IC, où ils arrivent le 30 décembre 1941. Est-il
possible que la destination ait été gardée secrète pour des raisons de
conspiration ? Cela a bien été l’intention de Dimitrov53. Ou encore
48. Ibidem, 3 novembre 1941.
49. Marguerite Bloch, Carnet 1941-1942, 25 décembre 1941.
50. Marguerite Bloch, Carnet 1941, 1 et 2 novembre 1941.
51. Ludmila Stern, Western intellectuals and the Soviet Union, 1930s-40s, Londres, Routledge,
2007.
52. Lina Stern (1868-1978) – biochimiste et physiologue d’origine suisse devenue soviétique et première femme membre de l’Académie des sciences de l’URSS. Pyotr Kapitsa
(1894-1984) – physicien soviétique illustre, prix Nobel (1978), membre de l’Académie des sciences
de l’URSS et Fellow of the Royal Society (Royaume Uni) ; pendant la guerre il a été évacué à
Kazan. Knipovich – il s’agit probablement de Yevguenia Knippovich, critique littéraire soviétique.
53. Dimitrov, telegramme à Sorkin, Guliaev, Vladimirov et Tatarenko, 16 octobre, Ivo Banac
(éd.), The Diary of Georgi Dimitrov, op. cit. (n. 14), p. 198.
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Moscou – Kazan – Oufa : Jean-Richard Bloch en 1941-1942
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Ludmila Stern
que les dirigeants du Komintern aient changé d’avis ? Après tout,
Dimitrov, lui aussi, a quitté Kouibyshev le 20 décembre pour Oufa.
« Le pronostic est que nous allons rester ici où travaille la radio étrang.
C’est l’avis du cam. qui voulait que Jean aille à Kouibyshev54. »
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On connaît toujours peu de choses sur la période d’Oufa55. Dès
l’ouverture du RGASPI (Les archives d’État russes d’histoire sociopolitique), les historiens se sont efforcés de trouver les réponses aux
questions sur les mécanismes de la prise de décisions au sein du
Komintern, en cherchant « derrière les coulisses » de la vie de l’IC56
et la condition de la « petite famille kominternienne » en 1941-194357.
Anette Wieviorka a-t-elle raison de dire que même aujourd’hui
la période de l’IC à Oufa est restée confidentielle ? Il est vrai que
ni Bloch dans Moscou-Paris (1947), ni Thorez dans son Fils du peuple
(1960) n’en disent rien. Jeannette Vermeersch ne consacre à Oufa
que deux pages dans ses mémoires58.
En 1994, Annie Kriegel et Pascal Cauchy ne retrouveront à
Oufa que le bâtiment reconstruit de la Maison des Pionniers où
se trouvait le siège de la section administrative du Secrétariat de
l’IC, dénommée l’Institut 30159, le bureau de Poste où la station
de radiodiffusion de l’IC avait été installée60 et l’hôtel Bachkiria où
logeaient certains membres de l’IC61. Les documents d’archives du
Komintern dévoilent des détails, parfois contradictoires, sur la structure du Komintern sujette à plusieurs changements, surtout dès le
début de la guerre, et dont le personnel et le budget ont été réduits
à la fin de 1941, pendant l’évacuation à Oufa62. On apprend que
54. Marguerite Bloch, Carnet 1941-1942, 30 décembre 1941.
55. Voir Pascal Cauchy, « Les chemins du Komintern », art. cit. (n. 14).
56. Valentina Mar’yina, « Komintern: likvidatsiya ili modifikatsiya? (1939 - 43 gg.) »,
Slavianovedenie, n° 5, 1994, p. 14.
57. Voir Pascal Cauchy, « Les chemins du Komintern », art. cit. (n. 14).
58. Giulio Ceretti, Mémoires (1973) et Jeannette Vermeersch-Thorez, La vie en rouge (1997) ; cf.
Annette Wieviorka, Maurice et Jeannette, op. cit. (n. 14), p. 306.
59. Sur la structure de l’Institut 301 voir Grant M. Adibekov et al., Организационная
структура Коминтерна, op. cit. (n. 14), pp. 201, 214 et note 33, pp. 246-247.
60. http://www.ufainfo.ru/f/ufimskiy-pochtamt-osp-ufps-rb-filial-fgup-pochta-rossii-2350
Site consulté en décembre 2016.
61. http://www.gkbashkortostan.ru/about/3d-tour/ Site consulté en décembre 2016.
62. Grant M. Adibekov et al., Организационная структура Коминтерна, op. cit. (n. 14),
note 56, p. 249.
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À OUFA
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l’Institut 301, ainsi nommé en 1939, fréquemment mentionné par
Marguerite, faisait partie du Service de communication du CEIC
et plus précisément de sa Section de gestion63. C’est à la stolovaïa, à
l’Institut 301, que les Bloch trouvent leurs repas. Mais c’était aussi
le lieu de la production de faux papiers, le centre et des stations de
radiodiffusion et de la cryptographie64. Toutes ces structures, ainsi
que le Secrétariat du Komintern, avaient déjà été installés à Oufa à
la mi-octobre 194165.
Bien avant l’arrivée des Bloch, le 23 octobre 1941, Dimitrov
qui se trouve à Kouibyshev donne les instructions de faire exister
l’IC évacuée « sous le drapeau de la radiodiffusion, et non celui de
l’IC. Il n’est pas opportun de divulguer le transfert de notre organisation de Moscou à Oufa ». De même, les messages envoyés par télégraphe et par radio feignaient d’être envoyés à partir de Moscou66.
Cette version était maintenue même après la guerre, ainsi que celle
selon laquelle le chef du PCF, Thorez, aurait passé la guerre en
France, et non en URSS, y compris à Oufa67.
Des mémoires presque inexistantes sur la période d’Oufa et des
journaux intimes68 mettent l’accent sur des conditions de vie très
dures : le froid qui tombait jusqu’à moins 45-50 degrés, la pénurie,
la faim, l’isolement. La plupart d’entre eux ne se plaignaient pas.
« Ce que vécut le peuple soviétique tout entier, durant ces annéeslà, fut à la limite du tolérable. Les difficultés et les souffrances étaient
décuplées par les conditions extrêmes du climat, par la pauvreté69 »
écrira dans ses Mémoires Jeannette Vermeersch. Deux mois avant
l’arrivée des Bloch, lorsque le Komintern fut transféré à Oufa, rien
n’était prêt pour les accueillir. « Quatre cents personnes sont entassées dans le Palais des Pionniers70 » se souviendra André Marty.
Tandis que les dirigeants étaient logés au cinquième étage de l’hôtel
Bachkiria ou, comme Thorez, dans une maison, certains autres se
sont trouvés envoyés aux quatre coins de la république71, y compris
plus de 200 membres et leurs familles logés dans le village de
Kouchnarenkovo (l’école politique y sera créée) dans les familles des
63. Ibidem, pp. 200-201.
64. Ibidem, p. 214.
65. Sous les ordres de Dimitrov le 24 juillet 1941, une radio réserve du Komintern a été installée à Oufa, Ivo Banac (éd.), The Diary of Georgi Dimitrov, op. cit. (n. 14), p. 185.
66. Dimitrov – Togliatti, 23 octobre 1941, RTsKhidNi, f. 495, op. 18, d. 1335, l. 1 in Grant
M. Adibekov et al., Организационная структура Коминтерна, op. cit. (n. 14), note 52, p. 250.
67. Voir, par exemple, Jeannette Vermeersch, La vie en rouge, op. cit. (n. 14), p. 115.
68. Giulio Ceretti, Jeannette Vermeersch, Dimitrov. Voir notes 62 et 64.
69. Jeannette Vermeersch, La vie en rouge, op. cit. (n. 14), p. 113.
70. Marty in Pascal Cauchy, « Les chemins du Komintern », art. cit. (n. 14), p. 202.
71. Ibidem, p. 203.
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Moscou – Kazan – Oufa : Jean-Richard Bloch en 1941-1942
Ludmila Stern
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kolkhosiens72. Comme la plupart des kominterniens – français, allemands, espagnols, italiens et autres –73, les Bloch aussi partageront les
privations, le froid intense et l’isolement. Qu’apportent leurs Carnets
et Agendas, documents contemporains avec leurs entrées quasijournalières, aux renseignements existants ? Qu’est-ce qu’ils ajoutent
à ce tableau incomplet de la vie de la communauté kominternienne ?
Un des aspects décrit les conditions de vie, et l’autre explique comment
s’est opéré la mobilisation de l’intellectuel français et de sa femme.
Le lendemain de leur arrivée, le 30 décembre 1941, les Bloch
sont logés à l’hôtel Bachkiria, dans « une chambre à un seul tt petit
lit mais bien chauffé et de l’eau courante74 ». Ils n’arrivent pas à
dormir : « Moi, sur le sommier, Jean sur le matelas par terre. À 6 h,
nous changeons de place [verso] […]75. » À la suite, ils souffriront
des chambres mal chauffées, sans cabinet ni toilette76, et comme leurs
compatriotes, du froid intense77. « Il fait depuis qq jours 40 à 45° de
froid – ou dav[antage] ; on ne sait pas » note Marguerite le 30 janvier 1942. Les chambres mal chauffées forcent Bloch à aller travailler
au Secrétariat : « J. est parti dès 10 h au Dom Pionera parce qu’il
fait froid ici et qu’il a un commentaire difficile à faire sur l’Armée
Rouge78. » Mais, comme Ceretti, Marguerite notera aussi de beaux
jours, « il a neigé hier. Il refait très beau, très doux79 ».
On se souvient que Marguerite s’est toujours intéressée au mode
de vie et au commerce de tous les jours des couches sociales différentes, mais dans les circonstances dans lesquelles elle s’est trouvée,
son expérience est celle d’un membre de la société soviétique et non
seulement celle d’une observatrice. Pendant leur voyage en URSS
de 1934, elle a noté que leurs « petits amis sont trop intellectuels et
ne s’intéressent pas au commerce. C’est pourtant une question pleine
d’intérêt, ici surtout80 ». En 1942, à Oufa, elle, d’origine bourgeoise et
femme d’un intellectuel, a partagé cette expérience avec les femmes
72. RTskhidNI, f. 495, op. 18, d. 1335, l. 27, in Grant M. Adibekov et al., Организационная
структура Коминтерна, op. cit. (n. 14), note 52, p. 250.
73. Pascal Cauchy, « Les chemins du Komintern », art. cit. (n. 14), p. 204.
74. Marguerite Bloch, Carnet 1941-1943, 31 décembre 1941.
75. Ibidem, 2 janvier 1942.
76. Ibidem, 8 janvier 1942.
77. « Mais le froid demeurait si intense que nous ne réussissions qu’à peine à nous chauffer »,
Jeannette Vermeersch, La vie en rouge, op. cit. (n. 14), p. 114.
78. Marguerite Bloch, Carnet 1941-1943, 21 février 1942.
79. Ibidem.
80. Marguerite Bloch, 10 septembre 1934 ; cf. Rachel Mazuy (éd.), « Moscou, Caucase,
été 1934. Lettres de Marguerite et de Jean-Richard Bloch », Cahiers Jean-Richard Bloch, n° 19,
2013, p. 150. De même, Ludmila Stern, « Carnet de voyage en URSS (1934) de Marguerite
Bloch », in Journée d’hommage à Nicole Racine, Archives et écriture de l’histoire, Cahiers Jean-Richard Bloch,
n° 21, 2015, p. 192.
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Moscou – Kazan – Oufa : Jean-Richard Bloch en 1941-1942
373
communistes telles Fernande Guyot et Jeannette Vermeersch qui
devaient pour leur part s’occuper des enfants en bas âge81.
Tout comme à l’Union des écrivains de Kazan, l’Institut 301 a
aussi une stolovaïa où le personnel de l’IC et les Bloch viennent chercher leur repas. Comme à Kazan, Marguerite s’approvisionne au
marché pour lequel elle fournit plein de détails et, en plus, au petit
buffet de l’hôtel : « Le soir on va prendre le thé à “notre буфет” [sic]
– et y trouvons bonbon, gâteaux, etc. – et miel, fromage [?], confiture82. » Au marché aux puces, elle trouve des objets d’occasion qui
leur manquent et même des petits cadeaux pour les enfants de ses
amies kominterniennes. Elle ne se plaint des prix que dans les cas
exceptionnels :
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Parmi « des [cravates ?], des chapeaux, des boutons, des fleurs
artificielles, des éventails, des boucles de ceinture » elle note aussi
« des portraits et bustes de Staline, Lénine et qq autres » 84.
Marguerite couvre plusieurs aspects de leur vie : leur emploi du
temps, leurs conditions de vie, le bain, la visite à la bibliothèque (celleci a suivi l’IC à Oufa), la santé, la nature de leur travail, le cercle de
leurs connaissances :
Dimanche, 4/1. Ns n’avons toujours qu’un lit pour nous deux. L’un des
deux couche par terre sur un soi-disant matelas, l’autre sur un sommier
absolument défoncé. Nous sommes aussi très enrhumés, fatigués. Ns
lisons ici qq dépêches Tass – puis allons travailler et déjeuner. Rentrons
vers 5 ½. Communiqué dit qu’on continue à avancer sur rien de précis.
Il a bien neigé, ce matin. Ce soir, très froid.
Comme à Kazan, si l’on prend en considération l’accès aux services « fermés » comme la stolovaïa et le ravitaillement des kominterniens, ceci malgré les privations du temps de guerre et le budget
réduit de l’IC, les Bloch sont privilégiés, surtout plus que les riverains (qui touchent 300 g. de pain noir par jour85). Les services
81. Jeannette Vermeersch décrit la période extrêmement difficile qu’elle a partagée avec Fernande
Guyot après le début de guerre et leur arrivée à Oufa, La vie en rouge, op. cit. (n. 14), pp. 107-112.
82. Marguerite Bloch, Carnet 1941-1943, 31 décembre 1941.
83. Ibidem, 23 mars 1942.
84. Ibidem, 21 avril 1942.
85. D’après Klara Ichemgoulova, « À la croisée des chemins », Bulletin des études Jean-Richard
Bloch, nos 10-11, 2002-2003, pp. 89-97, p. 93.
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Le matin nous avons été au marché aux puces et avons acheté deux
verres, 2 krushka [sic], 1 bidon, 1 petite cruche, 1 petit récipient, 1 confiturier, et une chemise – la chemise 250 p. [sic] – le reste : environ 150 p.
[sic]. L’un ds l’autre. Et quand je vais au marché le dimanche 22, les œufs
sont vendus 100 p. [sic] les 1083 !
Ludmila Stern
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médicaux leur sont accessibles et ils se procurent des médicaments
à la pharmacie NKVD86. Thorez a accès au « buffet spécial87 »
et son payok améliore beaucoup les conditions alimentaires de sa
famille, tandis que les autres kominterniens souffrent de malnutrition : Ceretti et Dupuy ont perdu plusieurs kilos88. Les Bloch ne se
plaignent pas mais Marguerite s’enthousiasme à l’idée d’un bon
repas : « Hier soir nous avons dîné chez les Gordon et Arcas – riz
au lièvre89 ! » C’est la fréquence avec laquelle les mots associés à
la recherche de la nourriture (« marché », « buffet », « pommes de
terre » et autres produits alimentaires) figurent dans ses entrées qui
signale à quel point le manque de provisions était au centre de leurs
préoccupations.
D’autres aspects les préoccupent davantage. Déjà, en 1941, ils
étaient au courant des persécutions des juifs en Europe occupée par
les Nazis. Les nouvelles que les kominterniens recevaient de France
« étaient en général très mauvaises, une litanie d’épreuves sans fin,
d’arrestations, de déportations, d’exterminations… C’était terrible et
réellement épouvantable de vivre ainsi, loin, dans l’attente et l’impuissance90 ». Tandis que Bloch en parle aussi dans ses Commentaires, il
n’en dit rien dans ses Agendas. Marguerite n’en parle que très rarement, comme pour supprimer son émotion : le premier anniversaire
que son fils Michel passe en prison91, ou encore le jour de la fête de
sa fille France92. De rares nouvelles qui leur parviennent de leur fille
Claude et de son mari Arturo Serrano trahissent son angoisse « Ns
recevons de Santiago une dépêche angoissante : Am all right. Carinos
(sic) Serrano. – Pas une adresse à B. Ayres. – Ttes les suppositions
sont pénibles93 ». On ne peut que deviner le souci que les Bloch
avaient pour leurs proches en France94.
Il est difficile de s’imaginer des douzaines ou même des centaines
d’étrangers (dont la plupart ne parlaient le russe qu’approximativement)
86. Marguerite Bloch, Carnet 1941-1943, 30 mai 1942. Pendant cette période d’évacuation,
l’IC travaillait étroitement avec les services secrets soviétiques. Voir Ivo Banac (éd.), The Diary of
Georgi Dimitrov, op. cit. (n. 14).
87. Giulio Ceretti, À l’ombre des deux T, op. cit. (n. 14), p. 289.
88. Ibidem, pp. 290-291.
89. Marguerite Bloch, Carnet 1941-1943, 8 février 1942.
90. Jeannette Vermeersch, La vie en rouge, op. cit. (n. 14), p. 115.
91. Marguerite Bloch, Carnet 1941-1943, 12 janvier 1942.
92. Ibidem, 21 février 1942.
93. Ibidem, 17 mars 1942.
94. Un des Commentaires de Bloch sur la persécution des Juifs en France signale qu’il était
au courant, et en 1943 ils apprendront la déportation de la mère de Marguerite dans un camps de
concentration et en 1944, via l’ambassadeur Soviétique en Angleterre, que sa mère allait bien. Ils
n’apprendront le sort de la mère de Bloch, de leur fille France et de leur gendre qu’à leur retour
en 1945.
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passer inaperçus dans cette grande ville provinciale à l’aspect d’un village. Isolés du monde extérieur, presque sans contacts avec les autochtones, les Bloch croisent les autres kominterniens à la cantine de
l’Institut 301, à la rédaction de la radio, à l’hôtel où ils logent, au marché ; ils passent les uns chez les autres, prennent le thé au petit buffet de l’hôtel et partagent leurs maigres repas. « Dupuis vient à 10 h
manger des pommes de terre avec nous95. » Les relations à l’intérieur
de cette petite communauté sont intimes, accentuées par le fait que
la plupart sont leurs compatriotes ou des francophones, ou encore par
la confidentialité de leur situation et le manque de contacts avec l’extérieur96. Pendant son hospitalisation pour sa pneumonie97, Bloch est
bien entouré et reçoit des visites de Marty et de sa femme Raymonde
Leduc, de la femme de Thorez, Jeannette Vermeersch, et même de
Dimitrov, de passage à Oufa en provenance de Kouibyshev98. On fait
de petites fêtes : « Le soir, pour mon anniversaire, visite dans notre
petite chambre 29, de Dupuis [Arthur Ramette], Stepanov [Stoyan
Minev], Fernande Guyot [femme de Raymond Guyot], Raymonde
Leduc, Marty (lui est absent), Jeannette Thorez, Roger Gohin et Nona,
Pierre Allard [Ceretti]99. » Il y aura un dîner d’adieu le 13 décembre
1942, la veille du départ des Bloch100.
POUR LA FRANCE !
« Nous poursuivions notre travail le mieux que nous pouvions »
se souvient de cette période Jeannette Vermeersch. « Le groupe français du Komintern continuait de travailler, aidant et soutenant la
Résistance101. »
Comme les Thorez, les Bloch sont immergés dans leur travail.
L’Inoradio est la « principale arme de propagande de l’IC102 » vers
les pays occidentaux occupés par Hitler, dont le but était de créer
95. Marguerite Bloch, Carnet 1941-1943, 2 juillet 1942.
96. Le médecin qui soignera Bloch et Marguerite, le docteur Boris Kogan, est peut-être le
seul soviétique qu’ils connaîtront à Oufa en dehors des membres du Komintern.
97. « Visite de Stepanov. Il m’apprend que j’ai eu une pneumonie infectieuse à streptocoques. » Jean-Richard Bloch, Agenda 1942, 30 juin 1942.
98. Marguerite Bloch, Carnet 1941-1943, 18 juin 1942.
99. Jean-Richard Bloch, Agenda 1942, 25 mai 1942.
100. Ibidem, 13 décembre 1942.
101. Jeannette Vermeersch, La vie en rouge, op. cit. (n. 14), p. 115.
102. Pascal Cauchy, « Les chemins du Komintern », art. cit. (n. 14), p. 201.
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Moscou – Kazan – Oufa : Jean-Richard Bloch en 1941-1942
Ludmila Stern
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la décomposition parmi la population à l’arrière de l’armée allemande et de ses pays alliés ainsi que de « prouver la nécessité de la
solidarité impérative de tous les peuples avec le peuple soviétique et
de son Armée rouge héroïque103 ». Faisant partie du Département
de presse (et de la radiodiffusion) de l’IC, dont faisait également partie l’agence télégraphique, la rédaction du bulletin d’Information, le
groupe de l’écoute et le bureau de traductions, la radio était gérée par
la Rédaction générale de propagande de radio ainsi que par ses seize
rédactions en langues étrangères. La radiodiffusion était effectuée à
travers les stations de radio secrètes installées d’abord à Moscou (fin
juin 1941) et ensuite déployées à Oufa. André Marty, le Secrétaire
du CEIC, était aussi le rédacteur en chef de la rédaction française
en 1941-1942104. À partir du début de 1943, les rédactions de la
radiodiffusion ont été inclues dans le Département de presse et de
la radiodiffusion105, ainsi que des chefs de rédaction et speakers en
langues étrangères (comme Dupuy [Arthur Ramette], Allard [Ceretti]
et Roger Gohen, tous fréquemment mentionnés par les Bloch), mais
aussi d’autres membres du personnel : rédacteurs, speakers, traducteurs, sténodactylos et machinotypistes106.
Bloch est mobilisé pour écrire ses Commentaires et les lire à la radio
française deux fois par semaine, ce qu’il fait à partir du 7 janvier 1942,
généralement à 23 h 20107, hormis quelques exceptions. « J. parle à la
radio à 18 h 30. On n’entend rien », note Marguerite le 19 décembre.
Pour la plupart, ses écrits sont des articles de propagande politique à
destination de la France, écrits sur un ton toujours optimiste, même
pendant l’époque la plus difficile du début de guerre et de la retraite
de l’Armée rouge. Publiés par Charles Tillon sous le titre de De la
France trahie à la France en armes, ces Commentaires mettent clairement
en œuvre les directives du Komintern, que ce soit les développements
sur le front et dans la France occupée, ou les commentaires dithyrambiques sur l’Armée rouge108. Par rapport aux dirigeants qui prenaient
103. Grant M. Adibekov et al., Организационная структура Коминтерна, op. cit. (n. 14),
« La Structure de l’appareil du CEIC. Les rédactions de la radiodiffusion, X.2.10 », p. 223 et
note 56, p. 250. Les documents reflètent la correspondance entre Dimitrov et les dirigeants soviétiques sur les impératifs du Komintern.
104. Grant M. Adibekov et al., Организационная структура Коминтерна, op. cit. (n. 14),
« La Structure de l’appareil du CEIC. Les rédactions de la radiodiffusion, X.2.10 », p. 224.
105. Idem.
106. Ibidem, p. 225.
107. Et non le mai 1942, date d’après laquelle l’équipement de la station centrale de diffusion à Oufa est achevé, d’après Pascal Cauchy, « Les chemins du Komintern », art. cit. (n. 14),
p. 207. La station avait été installée avant l’arrivée des Bloch, le 30 décembre 1941.
108. Jean-Richard Bloch, De la France trahie à la France en armes, Charles Tillon (éd.), Paris,
Éditions Sociales, 1949.
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Moscou – Kazan – Oufa : Jean-Richard Bloch en 1941-1942
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la parole le plus souvent sous des pseudonymes, Bloch est « l’exception
notable109 », ceci bien que sa famille soit restée en France.
Si, avant la guerre, les organisations soviétiques demandaient aux
compagnons de route de choisir leur propre style d’écriture, désormais Bloch, le propagandiste de l’Inoradio, est contraint de présenter
la situation sur le front et la situation internationale d’une certaine
façon. Le contenu et le ton des émissions de radio sont contrôlés par
les directeurs des comités nationaux de rédaction, dans ce cas Marty,
avec l’approbation de Dimitrov110. On voit les traces de pression que
Bloch a dû subir, avant tout de la part de Marty. Bien informé sur la
situation du front ainsi qu’en France et ailleurs111, grâce à l’écoute
des stations étrangères, Marty passait les renseignements à Bloch qui
ensuite les transmettait dans ses écrits.
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Marty venait également voir Bloch, souvent deux fois par jour, pour
discuter du commentaire que Bloch préparait113. Bloch, lui aussi, se
rend fréquemment à l’Institut 301 : « J. va chercher des instr[uctions].
et des documents [documentation ?] pour son Commentaire114. »
Ses Commentaires étaient ensuite vérifiés par Marty et d’autres
membres de l’IC, parfois plusieurs fois : « J. voit divers cam. pour son
Comm[entaire], réécrit certaines choses115. » Cela est suivi de « visite
du cam. St[epanov]., [qui] veut parler du Commentaire. – que Jean
va lire à la radio à 11 h 20116 ». Bloch est obligé de le récrire.
Avant de sortir, J. récrit une partie du Comm[entaire]. sur Laval – que je
recopie. – Nous rentrons ensemble vers 8 h. Il parle [à la radio] à 11 h.
après visite de Stépanov pour les corrections117.
109. Pascal Cauchy, « Les chemins du Komintern », art. cit. (n. 14), p. 207.
110. Ivo Banac (éd.), The Diary of Georgi Dimitrov, op. cit. (n. 14), 1942.
111. Ses informations comprenaient la résistance, la collaboration, la vie sociale et économique, la situation dans la zone occupée et celle des juifs en France et en Europe. Ses fonds
contiennent les textes des émissions « Commentaires » (nos 243 à 303) et « Informations et mots
d’ordre » (nos 243 à 303), même après la dissolution du Komintern. Paul Boulland, « Archives 2.
Le fonds André Marty du Musée de la Résistance nationale de Champigny », in Paul Boulland,
Claude Pennetier et Rossana Vaccaro (dir.), André Marty. L’homme, l’affaire, l’archive, Paris, Codhos
Éditions, 2005, p. 119.
112. Marguerite Bloch, Carnet 1941-1943, 2 janvier 1942.
113. Idem.
114. Ibidem, 6 janvier 1942.
115. Ibidem, 10 janvier 1942.
116. Ibidem, 11 janvier 1942.
117. Stepanov – pseudonyme de Stoyan Minev.
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Vu le cam. André qui nous fait un exposé sur la sit[uation]. mil[itaire].
et le point de vue offic[iel]. à ce sujet (ne pas exagérer les succès, qu’on
considère comme « locaux »)112.
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Ludmila Stern
Il écrit son Commentaire, je tape et nous allons M[aison].
ds P[ionniers]. à 15h. Lu les nouvelles – remis mon papier et le
Commentaire à C[amarade]. André. – (...) J. voit divers cam[arades].
pour son Comm[entaire], récrit [p. 12] certaines choses.
D’autres commissions viennent : du « centre » (« Kouibyshev lui
demande aussi une petite pièce qui sera traduite en anglais118 ») et
des journaux soviétiques : Izvestiya, Krasny flot et d’autres. Celles qui
sont urgentes, « hors cadre », créent un emploi du temps bien rempli
pour tous les deux, Bloch et Marguerite – et les traducteurs : « J. écrit
un article sur la Commune pour Izvestia. Il finit de l’écrire et moi
de le copier à 10h.½ du soir, seulement il doit encore être traduit et
[téléphoné ?]119. »
J. travaille. – Je vais faire une course. – je copie – on va Dom Pionniers
à15 h. – trav. – diné – retravaillé. – Je rentre à 8h. pour faire les achats au
petit buffet. – J. un peu plus tard120.
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Au cours de ces derniers mois j’ai rencontré des milliers de personnes
de toutes les classes, qui me disent m’avoir entendu pendant la guerre
à la Radio de Moscou, soit régulièrement, soit par occasion et j’ai reçu
de toute part des remerciements chaleureux pour la tâche que j’avais
accomplie à votre micro121.
En comparaison avec la critique permanente que Inoradio recevait pour la qualité médiocre de ses présentations, son contenu inadapté, son manque de compréhension des audiences nationales et ses
traductions non-professionnelles, la contribution de Bloch était manifestement de haut niveau.
LA TRAJECTOIRE DE MARGUERITE
La période d’Oufa serait encore plus mal connue sans parler de la
façon dont Marguerite a été, elle aussi, mobilisée par le Komintern. À
Oufa, elle continue à taper les écrits de Bloch. Marguerite, qui parle
du travail de Bloch et de son état de santé, ne dit rien sur sa propre
118. Marguerite Bloch, Carnet 1941-1943, 23 janvier 1942.
119. Ibidem, 16 mars 1942.
120. Ibidem, 12 janvier 1942.
121. Jean-Richard Bloch – L. Tcherniavsky, Chef de la Rédaction française d’Inoradio, 16 juillet 1945, BnF, Département des manuscrits, Fonds Jean-Richard Bloch, Correspondance, t. 44, p. 381.
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Ces Commentaires parvenaient-ils aux auditeurs français à travers
les frontières ? Dans sa lettre d’après-guerre à la rédaction française
de l’Inoradio, Bloch en livrera les échos.
Moscou – Kazan – Oufa : Jean-Richard Bloch en 1941-1942
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Je vais très tard à l’Inst.[itut] ayant écrit pour la 1re fois un petit papier.
J’ai écrit un autre l’après-midi sur l’envoi des ouvriers en All. – le 2e aussi :
relève des pionniers. Le cam[arade], à qui je les lis à 18h. ls déclare bons.
– Il faudra donc en faire d’autres124.
De retour à Moscou, Marguerite continuera son travail d’écriture
et à la fin de son Carnet, ses articles sont marqués comme « paru »
et « reçu ». Au moins l’un de ces articles est mentionné dans le
texte de son Carnet pendant qu’elle l’écrit (« Évacuation en Italie
– femmes »)125. Dans la liste des sommes d’argent touchées, aussi
à la fin du carnet (« Touché : moi – Jean »), la somme gagnée par
Marguerite est à deux reprises supérieure à celle de Bloch126.
LE RETOUR À MOSCOU
À la fin de 1942, bien que la bataille de Stalingrad ne soit pas
terminée et que le siège de Leningrad continue, l’armée allemande
122. Marguerite Bloch, Carnet 1941-1943, 3 janvier 1942.
123. Ibidem, 16 janvier 1942.
124. Ibidem, 8 août 1942.
125. Elle en parle au retour à Moscou, Ibidem, 23 décembre 1942.
126. « Touché : moi – 211, Jean – 500 », écrit à la fin du Carnet 1941-1943 sur la page intérieure de la reliure. Ceci contredit la liste de Bloch. Bloch est mieux payé pour ses Commentaires
régulier pour l’Inoradio et pour l’Informbureau, que pour les articles destinés à la presse soviétique. Comme tous les soviétiques du temps de guerre, Bloch paie lui aussi l’impôt militaire, souscrit à l’emprunt et de temps en temps fait un don, comme, par exemple, à l’occasion du 1er mai.
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maladie prolongée du 21 septembre au 17 octobre 1942. C’est grâce
aux Agendas de Bloch qu’on apprend la raison de cette interruption.
Au début, Marguerite mène une vie domestique. « Je lave des
mouchoirs – puis je tape122. » Elle apprend à faire des pelmeni et passe
son temps en compagnie d’autres kominterniennes, comme Fernande
Guyot. Il semble qu’elle travaille aussi sur d’autres documents sans en
préciser la nature, et écrit pour elle-même, « Il [Jean] est allé le matin
chercher les docum. – pend. ce temps j’ai tapé un papier de moi123 ».
Est-ce bien le travail de secrétaire qu’elle fait pour la section de presse
du Komintern, tout comme d’autres femmes kominterniennes ? Mais
dès le 3 juillet 1942, Marguerite commence à écrire des articles pour
la rédaction française. « À la fin de la journée, J. […] va avec moi à la
rédact. franç. avec qui je dois, maintenant, travailler aussi. Je déménage. On va me donner une table dans leur chambre. » Elle reçoit un
succès immédiat auprès de la rédaction :
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J’écris un papier le matin sur l’évacuation en Italie. Jean écrit un papier
sur la Jeunesse. A[ndré]. vient à 15h. j. 17h. Jean va à la radio enregistrer
son Commentaire. Je vais à la Comm[ission]. étr[angère]133.
La vie quasi-mondaine, avec des visites, les dîners fréquents à la
maison et parfois aux restaurants reprend.
Malgré le cadre chronologique et thématique limité des carnets,
on en apprend beaucoup sur les conditions de vie et de travail des
Bloch dès leur arrivée en URSS, jusqu’à la fin de leur séjour à Oufa.
On suit les changements dans les rapports entre Bloch et l’Union des
écrivains, et l’évolution de ceux qu’il entretient avec le Komintern.
Dans quelle mesure le modèle des relations entre Bloch et l’Union
des écrivains, forgé avant la guerre, a-t-il survécu aux changements
géopolitiques ? De nouvelles circonstances ont clairement modifié
le statut de l’écrivain exilé : ayant inclus Bloch comme l’un de ses
membres, l’Union des écrivains lui impose les mêmes obligations
127. La notation de Bloch (18 décembre 1942) contredit celle de Marguerite (17).
128. Marguerite Bloch, Carnet 1941-1943.
129. Voir les notations de cette période dans son Agenda 1942.
130. « 21 décembre Lundi Le matin à la C. étr. de l’Union des Écrivains – puis avec Nathalie
à la Milice », J.-R. Bloch, Agenda 1942.
131. « Marguerite à l’aide de Nathalie récupère nos bagages laissés à Savoy en oct. 41 »,
J.-R. Bloch, Agenda 1942, 25 décembre 1942.
132. Marguerite Bloch, Carnet 1941-1943, p. 47.
133. Ibidem, 23 décembre 1942.
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ne menace plus Moscou et les dirigeants du Komintern y retournent.
Lorsque les Bloch y arrivent aussi le 17 décembre 1942127, les alertes
aériennes persistent jusqu’en juin 1943.
Raoul Chapoan de l’Inoradio du Komintern, qui vient chercher
les Bloch à la gare, les amène dîner à l’hôtel Lux, où habitent toujours des membres du Komintern, et s’occupe de leur hébergement
à l’hôtel National où l’Inoradio les loge. « Visite des C[amarades].
André et Raymonde. Il met J, au cours du travail, ds circonstances,
etc.128 ». Bloch continuera à écrire des commentaires pour l’Inoradio
et Marty viendra le voir tous les jours129.
Les Bloch renouent leurs relations avec l’Union des écrivains et
leurs amis. Natalia Kamionskaya, à nouveau à leur disposition, les
accompagne à la milice130 ou encore aide Marguerite à transporter
les bagages d’un hôtel à l’autre131. Marguerite reprend ses leçons
de russe, et on ne peut manquer le glossaire bilingue consigné à la
fin du Carnet : sang, haïr, implacable, exterminer, peloton, avancer,
cavalerie, etc.132. Elle travaille aussi à la rédaction de la Littérature
internationale :
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qu’aux autres écrivains. Les circonstances de guerre, l’exode de
Moscou et l’évacuation accentuent la dépendance de Bloch par rapport à l’Union des écrivains qui le mobilise aux fins de propagande
de guerre antifasciste à l’adresse des lecteurs soviétiques. Bloch est
convoité par plusieurs éditions, la radio et le théâtre, et ses écrits sont
tout de suite traduits en russe. Bien qu’il soit soumis à certaines exigences, devant adapter ses écrits à la demande et fournir ses articles
dans des délais limités, il se joint volontiers, sans s’épargner, à l’élan
patriotique.
On voit encore quelques témoignages de son statut exclusif
d’avant-guerre à son arrivée, mais les circonstances de l’évacuation
au sein de l’Union des écrivains le rendent plutôt modeste. À Kazan,
sa situation ne se distingue point de celle des écrivains soviétiques,
et ses conditions sont plus modestes que celles du célèbre écrivain
soviétique, Alexis Tolstoï, ou même que celles des fonctionnaires de
la Commission étrangère. Grâce aux Agendas de 1943-1944, on
saura qu’à Moscou Bloch doit partager son bon d’achats (liter) avec
l’écrivain Andrey Ouspenski ; que même le bon de séjour à la maison de repos des écrivains de Peredelkino ne lui est proposé qu’en
hiver 1944. Finalement, il n’est plus question d’être reçu par Staline
dans une audience privée.
Ce qui survivra seront les relations chaleureuses entre Bloch et les
autres écrivains et la direction de l’Union des écrivains. Ces relations
à travers sa correspondance avec Aplétine, la Commission étrangère
et la rédaction de la Littérature étrangère survivront au retour de Bloch
en France libérée. C’est de la Commission étrangère et d’Aplétine
dont Bloch parlera dans sa lettre d’adieu à Molotov :
Grâce à vous, j’y ai trouvé asile, avec ma femme, depuis 1941. L’Union
des Écrivains Soviétiques et sa Commission Étrangère, dont le cher
camarade Aplétine est l’excellent président, se sont ingéniées à nous y
rendre la vie aussi douce et facile que les circonstances le permettaient134.
Quant à la période d’Oufa de 1942, elle a été peut-être la plus
harmonieuse dans les relations de Bloch avec le Komintern. Ces carnets s’ajoutent au tableau dépeint dans les écrits des autres kominterniens sur les conditions de vie à Oufa. Ils jettent de la lumière sur
le travail de propagande que Bloch a fait pour l’Inoradio à destination de la France, y compris sur ses relations avec Marty, et sur la
mobilisation de Marguerite, elle-aussi, en tant que propagandiste
134. Bloch – Molotov, 26 décembre 1944, BnF, Fonds J.-R. Bloch, t. XXXIV, f° 411, in
Ludmila Stern, « Prisonnier d’amitié », art. cit. (n. 10), p. 115.
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Moscou – Kazan – Oufa : Jean-Richard Bloch en 1941-1942
Ludmila Stern
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auprès du Komintern. Les notes laconiques de Marguerite reflètent
le contrôle effectué en permanence sur l’écriture de Bloch et le filtre
idéologique par lequel ses Commentaires sont passés avant qu’il ne
les lise à la radio. On en apprend davantage sur les relations soudées, quasi-fraternelles, des Bloch avec les autres kominterniens et
leurs familles. Ces notations, pleines de mentions de membres du
Komintern et de descriptions sur leurs allées et venues, animent plusieurs des documents concernant la structure et les opérations du
CEIC à Oufa, l’année avant la dissolution du Komintern.
Les notations de 1941-1942 ne nous préparent pas aux événements qui vont suivre à Moscou au retour des Bloch : le rapprochement entre Bloch et la Mission militaire française et la France Libre,
les conflits entre l’écrivain et Marty (mars-juin 1943) qui s’en suivent,
et la dissolution du Komintern en mai-juin 1943. On suivra la situation de Bloch, l’écrivain étranger à Moscou qui continue à collaborer
avec des journaux soviétiques, qui reste le membre de la rédaction
française de l’Inoradio (dont le personnel étranger sera remplacé par
les Soviétiques), qui collabore avec l’Informbureau et, finalement, qui
écrit sa pièce Toulon. Cette période mérite une étude approfondie pour
laquelle il faudra consulter des sources supplémentaires, à commencer par les Agendas et la correspondance de Bloch de 1943-1944,
les documents d’archives de RGALI y compris les carnets de Marty.
L’étude de ces documents sera à la base de l’étape suivante de ce
projet et complètera la vision d’ensemble sur la période de guerre que
l’écrivain français et sa femme ont passé en URSS.
Ludmila Stern, professeure agrégée, est la fondatrice et la première coordinatrice du master d’interprétation et de traduction à l’université de NouvellesGalles du Sud en Australie. Sa recherche historique porte sur la mobilisation des
intellectuels occidentaux dans l’Union soviétique de l’entre-deux-guerres, et examine de près l’intérêt que ces intellectuels occidentaux, en particulier français,
prêtaient à l’URSS de Staline. Parmi ses publications figurent la monographie
Western Intellectuals and the Soviet Union, 1920-40. From Red Square to the Left Bank
(Routledge, 2007) et la direction, avec Rachel Mazuy, de l’ouvrage à paraître,
Moscou-Caucase. Été 1934. Lettres de voyage en URSS de Marguerite et Jean-Richard
Bloch, préface de Christophe Prochasson, Institut de l’Histoire du Temps Présent
(Sciences Po), CNRS, Paris, 2017. Son domaine de recherche actuel porte sur
l’interprétation dans les procès pour crimes de guerre devant les tribunaux nationaux et internationaux, y compris la Cour pénale internationale (CPI).
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Moscou – Kazan – Oufa : Jean-Richard Bloch en 1941-1942
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RÉSUMÉ
Écrivain français communiste, Jean-Richard Bloch était probablement le seul
intellectuel français à avoir demandé l’asile politique en URSS pendant la Seconde
Guerre mondiale. L’expérience unique de son exil soviétique, partiellement
reconstituée grâce à ses notes inédites, ainsi que celles de sa femme, gardées au
Département des Manuscrits de la Bibliothèque nationale de France, commence
par l’arrivée de Bloch en URSS et son séjour à Moscou (avril-octobre 1941), suivi de
son évacuation vers l’Est à Kazan sous l’égide de l’Union des écrivains soviétiques
(octobre-décembre 1941), et ensuite à Oufa où il sera mobilisé par l’Internationale
Communiste pour lire ses Commentaires à la Radio du Komintern à destination de
la France occupée (décembre 1941-décembre 1942). Après avoir examiné brièvement
le développement des relations que Bloch entretenait avec l’Union des écrivains
dans de nouvelles conditions de guerre, nous nous concentrerons sur les attentes
du Komintern à l’égard de Bloch et de sa femme. La reconstruction des conditions de
travail et de la qualité de vie de la « famille kominternienne » contribuera à la littérature limitée (Ceretti, Cauchy, Thorez-Vermeersch, Wieviorka) de la période à Oufa, et
fera lumière sur les fonctions de Bloch, ainsi que son statut et ses interactions avec la
direction de l’Internationale Communiste.
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ABSTRACT
Moscow – Kazan – Ufa: Jean-Richard Bloch in 1941-1942
A French communist writer, Jean-Richard Bloch was possibly the only French
intellectual who had sought political asylum in the USSR during WWII. His unique
experience of Soviet exile can be partially reconstructed through his and his wife’s
notes, kept in the Manuscript Department of the Bibliothèque nationale de France.
The current article reconstructs Bloch’s initial arrival and stay in Moscow (AprilOctober 1941), his evacuation eastwards to Kazan under the auspices of the Soviet
Writers’ Union (October-December 1941), and his life and work in Ufa as a member of
the Comintern (December 1941-December 1942). Having examined the development
of Bloch’s pre-war relations with the Soviet Union under the new conditions, including the changes in his status, we shall focus on the way Bloch and his wife were
expected to operate by the Comintern. The reconstruction of the ‘Comintern family’’s living and working conditions will add to the scarce literature (Ceretti, ThorezVermeersch, Wieviorka) on the Ufa period, and will shed some light on Bloch’s new
functions and interaction with the Comintern leadership.
Keywords: 1941-1942, Ufa, Comintern, Communist International, Soviet Writers’
Union.
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Mots-clés : 1941-1942, Oufa, Komintern, Internationale communiste, Union des
écrivains soviétiques.
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