Femmes en armes au XVIe siècle
Nicole Dufournaud
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Nicole Dufournaud. Femmes en armes au XVIe siècle : Les dames ” doi[ven]t avoir ceur d’homme ” :
une invitation à participer à l’idéal féodal masculin du métier d’armes au XVIe siècle.. Penser la
violence des femmes, Jun 2010, Paris, France. halshs-00687858
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Femmes en armes au XVIe siècle
Nicole Dufournaud
Docteure en histoire, Ingénieure de Recherche, EHESS – CRH
« La duchesse Anne dit alors à l'épouse du canonnier :
- Seigneur Dieu ! Que faire ? Voilà votre pauvre mari blessé !
- Quand même mon mari serait mort, je saurais bien le remplacer ! Son canon, je le
chargerai, feu et tonnerre ! Et nous verrons1 ! »
La femme du canonnier devient la « canonnière ». Grâce à sa précision, elle tue
mille huit cents assiégeants d'un seul coup de canon et en blesse autant : elle sait donc
manier le canon et y est entraînée. Ce chant populaire breton relate un événement historique de 1489. A côté de la canonnière, la duchesse Anne est représentée sur les murailles telle une guerrière. Le chant tient un discours qui n'étonne personne, celui de la
duchesse combattant pour son duché2.
Comme l'écrit Christine de Pizan au début du XVe siècle, les dames « doi[ven]t
avoir ceur d'homme », doivent « savoir les droits d'armes » afin qu'elles soient « preste
de ordonner ses hommes » si besoin est, « pour assaillir ou pour deffendre » et elles
doivent prendre garde que leurs forteresses soient bien garnies. La dame prête à agir
doit aussi « essayer ses gens » et vérifier leur courage3. Par le mot « dame », il nous
faut entendre celui de « seigneure »4.
Au Moyen Âge, l'exercice du pouvoir politique est lié à l'action militaire. Les
femmes, seigneures, doivent pouvoir user de leurs prérogatives militaires en cas de nécessité. Se pose alors la question des rapports entre les hommes et les femmes dans
1
« Le siège de Guingamp » dans Théodore Hersart de La Villemarque, Barzaz-Breiz Chants populaires de la Bretagne, 1839, rééd. Paris, Perrin, 1963, p. 259.
2
Christophe-Paulin de La Poix de Fréminville, Antiquités des Côtes du Nord, 1837, rééd. Paris-Genève-Gex, Slatkine, 1980, p. 375. Ce chant breton a plusieurs versions. Au XIX e siècle, Madame de
Saint-Prix qui a consigné beaucoup de chants bretons populaires, en donne une autre plus complète
mais édités par un homme, le chevalier de Fréminville.
3
Marie-Thérèse Caron, « Mariage et mésalliance : la difficulté d'être femme dans la société nobiliaire française à la fin du Moyen Age », dans La femme au Moyen Age, éd. par Michel Rouche et Jean
Heuclin, Maubeuge, 1990, p. 315-326.
4
Le terme de « seigneure » est utilisé au moins jusqu'à la fin du XVIe siècle.
1
une société hiérarchisée où la condition féodale autorise certaines femmes à prendre
les armes. Dans une société de subordination et de préséance, l'inégalité favorise-t-elle
les femmes dans l'exercice de leur puissance ? Se battre signifie aussi se vêtir plus
commodément : comment ces femmes s'habillent-elles pour combattre ? Travesties,
comment sont-elles perçues par les hommes de leur temps ? Comment imaginer l'impensable : des femmes armées comme des hommes combattant à pied ou à cheval, à la
tête de troupes d'hommes armés obéissants ?
A partir d'une étude locale réalisée dans les archives à Nantes, je propose de revenir
sur l'historiographie puis de dresser un portrait de ces femmes prêtes à user de violence
et à prendre les armes dans une société elle-même violente dans laquelle elles agissent
pour préserver leurs biens, leurs intérêts et leur vie.
La question de la violence des femmes sous l'Ancien Régime a été particulièrement
étudiée pour le XVIIIe siècle, bien représenté grâce aux travaux d'Arlette Farge avec
Cécile Dauphin, Dominique Godineau et Jean-Clément Martin. Les XVI e et XVIIe
siècles n'y sont traités qu'au travers des guerres de Religion et de la Fronde : trop souvent les femmes y sont soit représentées comme victimes soit comme des sujets d'amusement ou de curiosité.
Le XVe siècle est celui des preuses. Les figures antiques sont mises à contribution
comme Penthésilée, la reine mythique des Amazones. Sophie Cassagnes-Brouquet a
montré le parallèle entre le thème littéraire et iconographique des Neuf preux et celui
des Neuf preuses5. Cette mode perdure : Hilarion de Coste au début du XVII e siècle
compare la reine d'Écosse Marie Stuart à Zénobie, la reine antique 6.
5
Sophie Cassagnes-Brouquet, « Penthésilée, reine des Amazones et Preuse, une image de la femme
guerrière à la fin du Moyen Âge », Clio, Histoire, Femmes et Sociétés « Armées », Toulouse, PU du
Mirail, n° 20, 2004, p. 169-179 ; « Les Neuf Preuses, l'invention d'un nouveau thème iconographique
dans le contexte de la Guerre de Cent ans. », Actes du colloque Le genre face aux mutations. Masculin
et féminin, du Moyen Age à nos jours, Capdevilla Luc et al. (dir.), Rennes, PU Rennes, 2003, p. 279289.
6
Hilarion de Coste, Les éloges et les vies des reynes, des princesses et des dames illustres
en piété, en courage et en doctrine, Paris, S. Cramoisy, 1647, 2 vol, p. 504-528. La Siefar – Société Internationale pour l'Étude des Femmes de l'Ancien Régime – est une association qui se propose
de mieux faire connaître ou découvrir les conditions d'existence, la pensée, l'action, les œuvres des
femmes reliées d'une quelconque manière à la France, dans la longue période qui s'étend du Moyen
Age à la Révolution. Des dictionnaires de femmes d'Ancien régime ont été mis en ligne dont celui
d'Hilarion de Coste sur http://www.siefar.org/
2
Eliane Viennot quant à elle a étudié la littérature de la Renaissance remplie de
femmes fortes, voire de guerrières comme les deux ennemies Bradamante et
Marphise : personnages de fiction, ce sont des héroïnes de la littérature de la Renaissance italienne dans l'œuvre du Roland furieux d'Ariosto7.
La littérature et l'iconographie proposent des modèles, l'histoire en offre d'autres 8.
Dans des temps troublés comme à la fin du Moyen Âge et au XVI e siècle, quelques
noms de femmes combattantes nous sont parvenues. Ces femmes guerrières à l'instar
de Jeanne d'Arc se rendent visibles dans un contexte guerrier catastrophique et pendant
une crise de la Chevalerie9. En voici quelques portraits.
Jeanne de Flandre est duchesse de Bretagne au XIV e siècle10. Dans ses Chroniques,
le célèbre Froissart, son contemporain, raconte le combat naval près de Guernesey au
cours duquel la duchesse tient un « glaive moult roide et bien tranchant, et trop bien se
combattoit et de grande courage ». « Sa vaillance au reste ne fut pas tousjours une
vaillance de tournoys et de carrouzel : et sa braverie une braverie peinte et de parade »,
écrit Pierre Le Moyne au XVIIe siècle ; « Des guerres contrefaites, et des combats de
sale, elle passa aux veritables Guerres, et aux combats de campagne : elle se treuva à
des sieges, et à des batailles navales... L'armée françoise alla assiéger Hennebont où la
comtesse s'estoit jettée avec la fleur de ses Amys. Elle soustint le siege virilement et y
servit de toute sa personne... »11.
Au XVIIIe siècle, Pierre-Joseph Boudier de Villemert rapporte les exploits au XIV e
siècle de Jeanne de Belleville, l'épouse d'Olivier de Clisson ; il la décrit « le fer à la
7
Éliane Viennot, « Les femmes dans les "troubles" du XVIe siècle », Clio Histoire, Femmes et Sociétés « Guerres civiles », PU du Mirail, Toulouse, n° 5, 1997.
8
Pour une synthèse sur l'Ancien Régime du sujet, voir Godineau Dominique, « De la guerrière à la
citoyenne. Porter les armes pendant l’Ancien Régime et la Révolution française », Clio, Histoire,
Femmes et Sociétés « Armées », PU le Mirail, Toulouse, 2004, n° 20, pp. 43-69.
9
Sophie Cassagnes-Brouquet, « Penthésilée, reine des Amazones et Preuse, une image de la femme
guerrière à la fin du Moyen Âge », loc. cit.
10
Andrée Lehmann, Le rôle de la femme dans l'histoire de France au Moyen Age, Paris, Berger-Levrault, 1952.p. 217, p. 222, p. 481, p. 484 et p. 494 ; Micheline Cuénin, « La Femme et la Guerre
(1516-1660) », Ian Richmond et Constant Venesoen (éd.), Présences féminines. Littérature et société
au XVIIe siècle français. Actes de London, Canada (1985), Paris Seattle Tuebingen, Biblio 17, 1987,
pp. 291-323.
11
« ...elle y agit des bras non moins que du coeur et de la teste : et y valut toute seule plusieurs soldats et plusieurs capitaines. Elle donnoit les ordres, et estoit la première à executer les ordres donnez,
elle estoit de toutes les sorties, et assistoit à tous les assauts... La courageuse Princesse, aprez avoir
preparé tout le monde à la defense jusques à ses femmes et à ses filles... monta sur une tour... et sortant
par une porte détournée, à la teste de trois cens cuirrasses alla mettre le feu dans les logemens des en nemys. » Pierre Le Moyne, La Gallerie des femmes fortes,L. et D. Elzevier, Leide, 1660, p. 176-180.
3
main, y porter le carnage et l'incendie »12.
Toujours au XVIIIe siècle, Philibert Riballier et Charlotte-Catherine Cosson de La
Cressonnière rapportent les faits d'armes de plusieurs femmes : au XV e siècle, Marie
d'Harcourt, se porte à la tête de ses troupes au secours de la ville de Vaudemont et
force les ennemis à lever le siège ; la célèbre Jeanne Hachette est représentée « ...une
pique à la main, montée sur la breche, arracher le drapeau que l’on y vouloit arborer, et
jetter en bas de la muraille l’Officier qui le portoit... »; au XVIe siècle, Madeleine de
Sennaictaire entretient une compagnie de cinquante braves jeunes gens à la tête desquels elle fait des courses en Auvergne13.
Enfin, retenons deux derniers personnages. Pendant les troubles du XVIe siècle, Catherine de Clermont défend ses terres du duché de Retz menacées par les Ligueurs :
elle rassemble des troupes à ses frais et se met à leur tête 14. Début XVIIe siècle, Alberte-Barbe d'Ernecourt Saint-Baslemont en habits d'homme, met en application sa
science de la guerre15.
Ces femmes peuvent nous paraître marginales et leur histoire anecdotique. La question s'impose donc : comment ces femmes dites fortes étaient-elles perçues par leurs
contemporains ? Retenons en deux : Brantôme et le seigneur de Tavannes.
Brantôme semble apprécier et s'émerveiller de l'attitude de ces dames guerrières qui
protègent leur manoir ou leur château avec le village qui l'entoure 16. Mais il n'accepte
pas que les dames et les femmes qui se comportent comme des hommes, s'habillent
comme eux. Qu'elles meurent au combat, certes, ce sont de valeureuses combattantes,
mais qu'elles meurent habillées selon leur sexe ! Enfin, il explique la vaillance et le
courage de ces « Dames » par le fait qu'elles aiment le pouvoir « car l'ambition de do12
Pierre-Joseph Boudier de Villemert, Notice Alphabétique des Femmes célèbres en France[Le
Nouvel Ami des femmes ou La Philosophie du sexe. Ouvrage nécessaire à toutes les jeunes personnes
qui veulent plaire par des qualités solides : Avec une Notice Alphabétique des Femmes célèbres en
France], Amsterdam/Paris, Monory, 1779, en ligne sur le site de la SIEFAR http://www.siefar.org/
13
Philibert Riballier et Charlotte-Catherine Cosson de La Cressonnière, De l'éducation physique et
morale des femmes, avec une notice alphabétique de celles qui se sont distinguées dans les diffé rentes carrières des sciences & des beaux-arts, ou par des talens & des actions mémorables, Paris,
chez les frères Estienne, 1779, en ligne sur le site de la SIEFAR http://www.siefar.org/
14
François Rouget, « Claude-Catherine de Clermont », Dictionnaire de la SIEFAR,, 2004, en ligne
sur http://www.siefar.org/
15
Micheline Cuénin, « Alberte-Barbe d'Ernecourt », Dictionnaire de la SIEFAR, 2004, en ligne sur
http://www.siefar.org/
16
Viennot Éliane, « Les femmes dans les "troubles" du XVIe siècle », Clio Histoire, Femmes et Sociétés « Guerres civiles », PU du Mirail, Toulouse, n° 5, 1997.
4
miner, régner et commander, loge dans leurs ames, aussi bien que des hommes, et elles
en sont aussi friandes »17.
Gaspard de Saulx, seigneur de Tavannes, quant à lui, n'apprécie guère de voir les
dames se mettre à la place des hommes : « Que les femmes facent les femmes, non les
capitaines : si la maladie de leurs maris, la minorité de leurs enfants, les contraignent
se présenter au combat, cela est tolérable pour une fois ou deux en la nécessité ; il leur
est plus séant se mesler des affaires en une bonne ville proche des armées, que d'entrée
en icelle, où elles sont injuriées des ennemis et mocquées des amis. 18 »
Pour Dominique Godineau, il « pose clairement les limites : en cas de "nécessité",
les dames peuvent remplacer les hommes, ou participer à la protection d’une ville assiégée en réparant les murailles, en encourageant les combattants, voire en prenant les
armes (Poitiers 1569, La Rochelle 1572). Mais leur place n’est pas sur les champs de
bataille, car il n’est guère bienséant de voir une femme, armée et vêtue comme un
homme, se distinguer par des exploits individuels qui vont à l’encontre des qualités féminines de réserve et modestie... Et surtout, dans tous les cas, leur combat doit être défensif et non conquérant... De fait, ces nobles héroïnes se sont souvent battues pour défendre leur domaine, et non pour aller porter le fer à l’étranger ; et c’est d’ailleurs souvent parce que leur mari [guerroye] au loin qu’elles-mêmes les [remplacent] sur
place »19.
Enfin, l'historienne Sylvie Steinberg a montré que le travestissement permet à ces
nobles dames de restaurer les valeurs chevaleresques au cours des Guerres de religion.
A la fin du XVIe siècle, la vue d'une femme en armure provoque une réaction scandalisée chez ces hommes qui la tiennent pour indécente20.
17
Pierre de Bourdeille dit Brantôme, De l'amour des Dames, tome 65, Collection universelle des mémoires particuliers relatifs à l'histoire de France, 3 volumes, rééd. Londres, 1790,
p. 380.
18
Mémoires de Très-noble et Très-illustre Gaspard de Saulx, seigneur de Tavannes, Paris, Nouv.
Coll. De Mémoires pour servir à l'histoire de France, 1ère série, tome VIII, 1838, p. 337, cité dans Sylvie Steinberg, « Le mythe des amazones et son utilisation politique de la Renaissance à la Fronde »,
Wilson-Chevalier Kathleen et Viennot Eliane (dir), Royaume de fémynie : Pouvoirs, contraintes, espaces de liberté des femmes, de la Renaissance à la Fronde, actes du colloque de Blois (13-15 Octobre 1995), Paris, Honoré Champion, 1999, et Dominique Godineau, « De la guerrière à la citoyenne.
Porter les armes pendant l’Ancien Régime et la Révolution française », loc. cit.
19
Dominique Godineau, « De la guerrière à la citoyenne. Porter les armes pendant l’Ancien Régime
et la Révolution française », loc. cit.
20
Sylvie Steinberg, La confusion des sexes. Le travestissement de la Renaissance à la Révolution,
Paris, Fayard, 2001, p. 213-245.
5
Pour comprendre ce changement de mentalité, revenons un siècle en arrière. Pour
assumer la charge de leur condition, leur dignité permet aux dames de se travestir et de
s'habiller en homme : elles portent l'armure, l'épée, la lance, la salade 21 et l'étendard ;
elles vont à cheval22. Mais en ont-elles le droit ? La Coutume les y autorisent-t-elles ?
La hiérarchie sociale se détermine par la possession des terres et de leur statut.
Comme les seigneurs, les dames en tirent leur pouvoir car il n'est pas question ici d'individu : cette société d'ordres est organisée en lignages dont les chefs potentiels
peuvent être des femmes. L'ordre prévaut sur le sexe.
A la fin du XVe siècle, la Très Ancienne Coutume de Bretagne, par exemple, distingue deux types de dames : la « gientilfamme dame de soy » et la « gentilfamme o
l'auctorité de son mari »23. La première est son propre seigneure et ne dépend pas d'un
époux. La hiérarchie existe au sein même de la noblesse et une distinction est faite
pour les femmes nobles qui sont seigneures de fief et celles qui ne le sont pas. Ces seigneures de fief assurent le service de la guerre même si, comme les seigneurs, elles
peuvent se faire représenter. Ce n'est pas une exception bretonne. Dans le Beauvaisis,
au XIIIe siècle, Beaumanoir spécifie que « les lignagers ne sont pas tenus à l'assistance
militaire s'ils sont clercs, femmes ou mineurs, bâtards ou malades »24. Cela signifie
qu'il est possible de ne pas le faire, mais ce n'est pas interdit.
Nous voyons bien que la question pose problème. L'idéal masculin est confronté à
une réalité : les dames font les aveux, ces actes qui établissent les liens de vassalités ;
elles peuvent être « sujette et hommesse » ; « dame et mestraisse », elles reçoivent les
hommages, rendent la justice et font la guerre qu'elles soient mariées, veuves ou
« filles seules ». Une autre question s'impose ici : comment ces femmes nobles peuvent-elles du jour au lendemain prendre les armes ? Et quelles armes ! Lourdes et encombrantes : des épées, des hallebardes, des arquebuses !
Dans les livres, les actes héroïques sont en bonne place dans les chroniques rédigées
par les contemporains ou rapportées par leurs successeurs immédiats :par exemple,
Bernard de Girard Du Haillan rapporte deux épisodes militaires sous François Ier : le
21
La salade est un casque de forme ronde.
22
Colette Beaune, Jeanne d'Arc, Perrin, Paris, 2009, p. 183 et suiv.
Marcel Planiol, La Très ancienne coutume de Bretagne..., Rennes, Plihon et Hervé, 1896,
23
p. 135, article 86.
24
Jean Gaudemet, Les communautés familiales, Paris, Marcel Rivière et Cie, 1963, p.98.
6
premier à Péronne où « les femmes mesmes faisoyent de leur plein gré la charge & le
devoir des soldats »; le second à Saint-Riquier « Les femmes, montant elles mesmes
sur les murailles avecques leurs maris, exercèrent si virilement l'office d'hommes, qu'à
force de poix résine et d'eaux chaudes et bouillantes elles contraignirent enfin les impériaux de se retirer. Voire, dict on que quelques unes de ces femmes habillées en
hommes leur ostèrent deux de leurs enseignes.»25 .
Parmi les sources manuscrites, les sources judiciaires sont incontournables ainsi que
les livres de raison. Plus inattendues sont d'autres sources auxquelles notre imaginaire
nous interdit de penser : les quittances en sont un exemple. Au Moyen Âge, le devoir
de guet est imposé aux nobles et anoblis mais également aux habitants riches des
villes. Ceux-ci rechignent à y répondre et préfèrent, pour les plus aisés d'entre eux,
payer des amendes. Ces revenus permettent alors de recruter d'autres personnes, soit
les exemptés, soit des habitants de l'extérieur de la ville, qui composent alors des compagnies de gens d'armes soldés. A Nantes, une quittance de 1503 prouve qu'un service
de garde payant pouvait être assumé par des femmes. La veuve Jehanne Godin reçoit
un salaire de Pierre Picart, receveur et miseur de Nantes : elle a gardé la porte de SaintNicolas pendant un an et treize jours, la porte Poissonnière pendant cinq mois et douze
jours, et la porte du port Briand Maillard pendant six mois et dix jours. S'y ajoute la
garde des logis « de dessus la muraille » pendant deux ans26.
Ce service est-il requis uniquement pendant les crises ? Le guet est une assistance
obligatoire permanente. Une ordonnance du roi de France Louis XII de 1504 oblige à
faire le guet une fois par mois sous peine d'une amende de 5 sous ; en sont exemptés
les veuves, les orphelins et ceux qui paient une taille inférieure à 5 sous 27. Rien n'est
stipulé pour les « filles seules » et riches. La garde des murailles des villes fait l'objet
d'une organisation administrative précise. Des listes sont constituées qui sont appelées
« nommee ». A Nantes en 1522, neuf femmes sur quatre-vingt-seize noms, soit 9 %, y
25
Bernard de Girard Du Haillan, Histoire generale des roys de France..., Paris, S. Cramoisy, 1615,
t. II, p. 1451, cité dans François Génin, Lettres de Marguerite d'Angouleme, soeur de François Ier,
reine de Navarre, Paris, Renouard, 1841, p.338.
26
Archives municipales de la ville de Nantes « Quittance de Jehanne Godin veuve de feu Jehan de
St Val pour avoir servi à fermer et ouvrir les portes St Nicolas le port Poissonnier et le port Briend et à
garder les loges de dessus les murailles. Guillaume Paticier controleur 1503-1506 » - AM Nantes EE
20.
27
Michel Le Mene, « La population nantaise à la fin du XVe siècle », Annales de Bretagne et des
pays de l'Ouest, 1964, n° 2, juin, tome LXXI, pp. 189-220.
7
sont nommées en leur nom propre ou représentent leurs enfants dont elles sont tutrices
ou curatrices. Seules deux d'entre elles se font représenter par un homme. Toutes et
tous certifient avoir servi à la garde de la ville et du château de Nantes. En 1543, toujours à Nantes, huit femmes sont inscrites sur les listes : il leur est ordonné de « y comparoir armez et accoustrez ainsi qu'ils sont tenus se monstrer aux monstres 28 generales
dudit Evesché de Nantes »29. En 1532, de passage à Nantes, le roi de France, François
Ier, réorganise la milice à l'imitation de celle du royaume. Au XIX e siècle, l'érudit nantais Camille Mellinet écrit à ce sujet que François Ier y obligea tous les habitants sans
exception quel que fût leur état « même les femmes veuves ayant moyen, et qui sont
tenues de faire la garde en personne, ou envoyer un homme, duquel les capitaines se
contenteront »30. L'auteur utilise l'italique pour appuyer certains passages et montrer
son étonnement d'homme du XIXe siècle.
Si nous ne savons pas toujours comment ces femmes étaient habillées, nous savons
en revanche comment la milice urbaine était armée : en 1532, une épée et une pique.
Les arquebuses, trop lourdes, n'ont pas été retenues. Or un armement lourd est défavorable aux femmes ; le fait de n'autoriser qu'une épée et une pique facilite le devoir de
guet pour les habitantes des villes, même si certaines femmes possèdent des arquebuses. Regardons les listes de recensement pendant la Ligue en janvier 1592 à Nantes.
Un préambule du procès verbal exprime qu'il s'agit « de rechercher combien il y avait
d'hommes, de femmes, de serviteurs portant ou habiles à porter les armes ». Seules les
servantes en sont exemptes. Or comme les hommes sont pour la plupart absents, les
femmes doivent les remplacer et ne peuvent pas se faire représenter par un homme. En
pleine Ligue, les femmes – nobles et roturières – sont requises. Il n'est pas question ici
de différence de sexe. Par exemple, Jehanne Bretayche possède des armes – une arquebuse, une épée et une dague – alors qu'aucun homme ne demeure chez elle. Elle vit
seule avec trois chambrières : elles ne sont pas exemptes de garde pour autant 31.
Comment ces femmes se procurent les armes et les armures ? La réponse à cette
question se trouve dans les sources : elles les possèdent de leur père ou de leur mari.
28
Une monstre est une revue militaire.
Morice Pierre-Hyacinthe, Mémoires pour servir de preuves à l’histoire ecclésiastique et civile de
Bretagne..., 3 volumes, Paris, C. Osmont, 1742-1746, rééd. 1974, p. 1046.
30
Camille Mellinet, La commune et la milice de Nantes, Nantes, 1841, p. 96.
31
AM Nantes EE 30
29
8
Les inventaires en font mention : des « brigandine, salade, vouge, coleuvrine, corsept,
hache »32 mais aussi des arquebuses « une curace, une banniere, quatre ganteletz, deux
gardebraz avecques leurs cannons » ainsi qu'une huche d'armes à cheval et « deux
trousses de carrotz neuffs et une demye dozaine de trect »33. Les femmes ont donc facilement la possibilité de s'armer et de s'habiller que ce soit pour se défendre ou pour
répondre à un devoir comme celui du guet.
Grâce à ces sources manuscrites parfois inattendues, j'ai établi que des femmes,
nobles ou riches roturières, entourées de femmes qui les servent, doivent s'armer quand
les hommes font défaut. Comment expliquer l'impensable ? Deux pistes peuvent être
suggérées : l'éducation est la première d'entre elles.
Un phénomène oublié dans nos sociétés occidentales du début du XXI e siècle est la
mortalité effrayante des siècles passés dans nos régions. Dans l'intérêt de la communauté, les individus doivent être prêts à affronter la mort de leurs proches: en quelques
mois, un cinquième enfant en rang de naissance peut devenir héritier ou héritière après
la mort des quatre premiers enfants. L'éducation doit préparer les enfants à se retrouver
à la tête d'une « maison » noble, à la tête d'une « frérêche », à la tête de la « fabrique »,
bref de la communauté dont ils sont issus ou alliés. Quelle était l'éducation que les
femmes nobles recevaient pour gouverner et prendre éventuellement le commandement d'une armée ? L'éducation des filles diffère peu de celles des garçons : toutes les
femmes nobles doivent être physiquement prêtes au combat 34. Les activités que nous
pouvons qualifier de « sportives » les y préparent : monter à cheval et chasser. Pensons
également aux jeux d'enfants ! Devenues adultes, certaines nobles dames, éduquées
comme les hommes, usent de l'exercice militaire pour faire prévaloir leurs droits lors
des troubles. Elles y sont préparés car, en temps de paix, les dames participent aux
chasses, vont à cheval, le faucon au poing : elles savent dresser l'oiseau, le lancer, le
rappeler ou l'encourager par leurs cris. En ville, elles doivent le service du guet.
Au cours du XVIIe siècle, l'évolution des méthodes de la guerre et la nouvelle organisation de l'armée sous l'impulsion de Le Tellier 35 écartent les femmes de la fonction
militaire. Ce ne sont plus les seigneures de leur fief qui défendent leur « maison ». Les
32
AM Nantes EE 30
À la mort de son mari, Raoulline Hubert est détentrice de ces meubles, Archives départementales
de Loire-Atlantique - ADLA Titres de famille Crocelay 2E720.
34
Micheline Cuénin, « La Femme et la Guerre (1516-1660) », loc. cit.
33
9
femmes en sont exclues par les réformes36.
La seconde piste à suivre est celle avancée par l'historienne Sylvie Steinberg qui
élabore le concept de « substitution »37. J'en retiens ici quelques grandes lignes : la
substitution d'une fille à son frère non-né ou mort, d'une épouse à son mari absent,
d'une veuve à son mari défunt fut un des moyens privilégiés par lequel les familles, les
états et les corps ont cherché à se perpétuer à l'identique. La substitution était tolérée
jusqu'à accepter que les femmes placées à la tête d'un fief exercent des prérogatives
militaires et participent elles-mêmes aux combats. Car il était « compréhensible qu'une
femme noble s'élève, précisément par sa noblesse, au-dessus de son sexe », d'où l'accession à l'office viril. C’est leur sang noble qui leur permet de dépasser la faiblesse de
leur sexe et leur donne les mêmes qualités viriles qu’aux Amazones. Ainsi Mademoiselle de Montpensier jugeait-elle que ce qui serait un défaut chez une autre (amour de
la guerre, bravoure, ambition) ne l’était point chez elle grâce à la grandeur de sa naissance. C’est bien ce statut d’exception, personnel et social, qui les rend acceptables
dans la société d’Ancien Régime fondée sur le principe de l’inégalité et de la distinction.
J'ajoute que les roturiers et roturières ne s'y trompent pas : ils et elles se mettent au
service de leurs dames afin d'en tirer un pouvoir qu'ils n'atteindraient jamais sans cette
proximité, voire promiscuité. Les nobles également qui savent évaluer leur rang et se
positionner vis-à-vis de leur « maistresse », servent de plus hautes qu'eux. On reconnaît ainsi à la femme noble en particulier le droit de défendre une terre ou des places
fortes mais tout droit à l'initiative, tout droit à l'offensive de type guerrier lui sont en
revanche déniés38. Les femmes parviennent à ce rôle réservé aux hommes par « défaut
35
Michel Le Tellier commence une refonte de l'armée que poursuivra son fils, François Michel Le
Tellier, marquis de Louvois.
36
Sur le sujet de l'éducation, voir entre autres l'article de Micheline Cuénin, « La Femme et la
Guerre (1516-1660) », loc. cit.
37
Sylvie Steinberg, « Hiérarchies dans l'Ancien Régime », sous la dir. de Michèle Riot-Sarcey, De
la différence des sexes. Le genre en histoire. Madrid, Larousse, 2010, p. 131-160. Je tiens à remercier
Sylvie Steinberg qui m'a autorisée à utiliser ses travaux avant leur publication. Son article porte sur
« la place assignée aux femmes dans une société organisée en ordres » et « la logique des constructions comparées des hiérarchies sexuées et sociales ».
38
Michelle Bubenicek, « Femme, pouvoir, violence : une adéquation ? Quelques pistes de réflexion
autour du cas de Yolande de Flandre », dans Femmes de pouvoir et pouvoir des femmes dans l'Occident médiéval et moderne, études réunies par Armel Nayt-Dubois et Emmanuelle Santinelli-Foltz, PU
Valenciennes, Amiens, 2009, p. 259-272.
10
de mâle », et ce ne sont pas des exceptions.
Quand la guerre signifie l'absence des hommes, temporaire ou définitive et la nécessité d'agir par elles-mêmes, les femmes sont invitées à participer à l'idéal masculin : la
substitution fonctionne « comme un principe de survie et de pérennisation »39.
Récemment, la sociologue Geneviève Pruvost a énoncé quatre interdits qui ont empêché pendant deux siècles les femmes d'accéder aux métiers d'ordre qui font usage
des armes40. Le premier interdit concerne celui du port et de l'usage des armes. Constatons que les dames seigneures de leur fief ont le droit et le devoir d'être armées : elles
sont invitées à participer à l'idéal féodal masculin du métier d'armes. D'autres femmes,
roturières, sont réquisitionnées pour défendre les villes. Toutes possèdent des armes
qu'elles savent utiliser grâce à leur éducation. Ces armes sont celles des hommes absents. Le second interdit tient à l'accès au commandement. Les femmes ont-elles l'autorité pour commander des troupes ? Les dames agissent en chef militaire car leur
condition les y autorise ; les hommes acceptent cette autorité et consentent à leur obéir.
Le troisième interdit touche aux circonstances historiques. Au cours des Guerres de religion, le travestissement permet aux nobles dames de restaurer les valeurs chevaleresques féodales qui sont en train de disparaître. Enfin, les femmes armées ont-elles un
rôle spécifique ? Les conflits sont l'occasion pour les femmes d'assumer des responsabilités essentielles à la survie de leur parenté et à la conservation des biens. Elles ne
doivent pas agresser mais défendre, c'est leur rôle ! Pourtant, pendant les Guerres de
religion, certaines femmes vont cependant transgresser cette norme.
Les femmes en armes disparaissent progressivement au XVII e siècle au moment où
les métiers d'ordre apparaissent : ce processus participe à la construction de la division
sexuelle. En peinture, les dernières représentations de femmes en armes datent de la
première moitié du XVIIe siècle, parmi les « hautes et puissantes dames » celles de
Marie de Médicis, la Grande Mademoiselle ou Anne d'Autriche : elles représentent des
femmes du passé.
39
Sylvie Steinberg, « Hiérarchies dans l'Ancien Régime », loc. cit.
Geneviève Pruvost, De la sergote à la femme flic : une autre histoire de l'institution policière,
1935-2005, Paris, La Découverte, 2008, p.11-16.
40
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