Comment le Sud Viet Nam fut vaincu
Nguyễn Ngọc Châu
Extraits de Việt Nam – L’histoire politique des deux guerres – Guerre d’indépendance (18581954) et guerre idéologique ou Nord-Sud (1945-1975), Nguyen Ngoc Chau, Editions Nombre
7, 2020, préfacé par l’historien Pierre Brocheux. Informations sur
https://drive.google.com/file/d/1wAjGtHC4jEfRBtUywxkPcbuf9oMy6ba6/view?usp=sharing
Le Président Richard Nixon écrivit en 1985 :
« …Aucun autre pays ne se serait battu pendant plus de dix ans à l’autre bout du monde, à
grands frais, afin de sauver le peuple d’un petit pays de l’esclavage communiste […].
Nous avions moralement raison d’aider le Sud Viet Nam à se défendre, mais nous avons
commis des erreurs capitales dans la façon de nous y prendre […] Une stratégie militaire et
politique différente aurait pu assurer la victoire dans les années soixante. […] Finalement, le
Vietnam a été perdu aux États-Unis sur le front politique, et non sur le champ de bataille du
Sud-Est asiatique. […] Pendant deux ans, les Sud Vietnamiens ont réussi à contrer les
violations communistes du cessez-le-feu.
La défaite n’est venue que lorsque le Congrès, négligeant les termes précis de l’accord de
paix, refusa de fournir à Sài Gòn une aide militaire équivalente à celle que Hanoi recevait de
l’Union Soviétique. […] Notre défaite fut une tragédie d’autant plus grande que, après l’accord
de paix de janvier 1973, c’était facilement évitable. Il n’aurait pas fallu grand-chose pour
consolider notre acquis, simplement une menace crédible de faire respecter l’accord de paix
au moyen de raids de représailles contre le Nord Vietnam et une aide suffisante au Cambodge
et au Sud Vietnam. [Mais] le Congrès mit légalement fin à notre engagement [et] sanctionna
du même coup la défaite de nos amis. […] [Il] tourna le dos à une noble cause et à un peuple
brave.
Le Sud Viet Nam voulait simplement avoir la chance de se battre pour sa survie en tant que
pays indépendant. […]. Notre abandon, dans leur plus grande détresse, ne fut pas digne de
notre pays » 1.
Ngô Đình Diệm et les stratégies des Américains
« À bien des égards, la République du Việt Nam, qui a quitté l’année du Cochon, année
lunaire de 1959, avait connu une croissance sans précédent de son économie, de son
infrastructure politique et de sa stabilité intérieure, de son infrastructure politique et de sa
position diplomatique au sein de la communauté des nations qui composaient l’Asie du SudEst et le Pacifique », écrivait R. Bruce Frankum, Jr 2.
Malgré les réalisations de Ngô Đình Diệm depuis son arrivée en 1954, cinq ans après, l’avis
de l’équipe de l’ambassade des États-Unis à Sài Gòn n’était pas réjouissant. L’ambassadeur
Elbridge Durbrow3, un expert sur les Soviétiques [et donc plutôt un connaisseur de la mentalité
1
2
3
Plus jamais de Vietnams (No more Vietnams), Richard Nixon, Albin Michel, Paris (1986) et Arbour House,
NY (1985).
Vietnam, year of the rat, Elbridge Burbrow, Ngô Đình Diệm and the Turn in US Relations, 1959-61 (Vietnam,
année du rat, Elbridge Durbrow, Ngô Đình Diệm et le tournant des relations avec les USA, 1959-1961), Ronald
Bruce Frankum Jr.
Ambassadeur des États-Unis au Việt Nam du 14 mars 1957 à avril 1961.
1/12
de l’URSS] affirma « Tout en concédant que la RVN avait pour objectif à long terme un idéal
de démocratie et avait réussi à jeter les bases d’une telle forme de gouvernement, […] Ngô
Đình Diệm n’avait vraiment fait que des progrès minimes pour atteindre cet idéal 2 ». Il écrivit
au Département d’État le 7 décembre 1959 : « Le Việt Nam ne peut montrer que de petites
avancées. De plus, ces étapes ne représentent en grande partie que l’érection d’une façade et
la réalité de la situation reste celle d’un contrôle autoritaire par le régime 4 ».
Ngô Đình Diệm était loin d’être quelqu’un qui pouvait lui obéir au doigt et à l’œil pour servir
les meilleurs intérêts des Américains, suivant les objectifs que ceux-ci s’étaient fixés. Il avait
besoin de l’aide américaine et éprouvait naturellement à leur égard de la reconnaissance, mais
il s’entêtait à vouloir garder sa liberté d’agir suivant ses propres convictions. « L’Amérique a
une merveilleuse économie et beaucoup de bons côtés, disait-il un jour à un journaliste, mais
est ce que votre force, chez vous, signifie automatiquement que les États- Unis ont le droit de
tout dicter ici au Việt Nam, qui subit un genre de guerre que votre pays n’a jamais connue ?»
notera plus tard Nixon dans son livre Plus jamais de Vietnams 1.
Toute l’équipe menée par l’ambassadeur Elbridge Durbrow critiquait le parti Cần Lao de
tous les maux, y compris de corruption, car c’était un parti secret, et ne mentionnait pas dans
les rapports à Washington, ni le succès de ses réalisations humanitaires et sociales qu’elle
connaissait, ni les réussites du gouvernement. Impatiente, elle était ulcérée que Diệm pensait
en termes d’années, de décades, et non pas, de jours ou d’heures. Elle voulait pour le pays une
démocratie à l’américaine, alors que le président vietnamien concevait qu’un pouvoir fort et
certaines mesures dures, comme la censure de la presse, étaient nécessaires dans une guerre
contre la subversion. Alors que Ngô Đình Diệm demandait que des troupes soit entraînées aux
tactiques et techniques de contre-insurrection et de contre-terrorisme, Durbow passât son temps
à critiquer l’inefficacité de l’Armée de la République du Việt Nam (ARVN), alors que celle-ci
était formée par les Américains pour contrer une invasion possible des Nord Vietnamiens
comme cela s’était passé en Corée. La demande d’aide pour augmenter de 20 000 le nombre de
combattants que Ngô Đình Diệm considérait comme nécessaire, devint pour l’équipe de
l’ambassade un moyen de marchandage pour l’amener à faire des réformes démocratiques et à
se détacher de Ngô Đình Nhu : l’ambassadeur Elbridge Durbrow et ses conseillers Joseph
Mendenhall et Francis Cunningham étaient en contact avec des personnalités de Sài Gòn qui
voulaient plus de démocratie et de partage de pouvoir.
D’après l’historien militaire Geoffrey D.T. Shaw, les problèmes qui avaient surgi entre
Diệm et Washington avaient leur origine dans l’arène politique/diplomatique américaine. Alors
que Diệm et l’armée américaine s’accordaient bien, l'ambassade américaine et le département
d'État s'opposaient à la direction qu’ils avaient prise. Selon ces derniers, le problème ne trouve
sa solution qu’en Diệm, qui devait rendre son régime plus démocratique et moins autoritaire et
éloigner Nhu et sa femme. Ainsi, le Département d’État considérait l’accroissement de l’armée
et l’aide militaire comme un levier qui ferait garantir que Diệm ferait les réformes que les
diplomates américains pensaient devoir être faites.
4
FRUS 1958-1960, Volume I: Vietnam, 260, Dispatch 153, December 7, 1959.
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Ngô Đình Diệm voulait réduire la présence américaine (mai 1963)
Les agissements de l'ambassade américaine et du département d'État qui poussaient les
Américains à vouloir s’engager de plus en plus dans le pays et Ngô Đình Diệm à faire des
réformes suivant leur optique, ennuyèrent beaucoup celui-ci et son frère Nhu.
Ils avaient besoin des Américains, mais ne voulaient pas que le prix à payer soit la perte de
leur liberté d’initiative et la complète dépendance aux décisions de ces étrangers. Or cela était
inévitable, quels que soient les cieux sous lesquels on se trouvait. Les Vietnamiens du Nord et
du Sud, en se faisant la guerre, perdirent leur liberté désormais aux mains de ceux qui les
armaient.
Figure 1. Paroles de Ngô Đình Diệm à l’ambassadeur des USA en 1962
En mai 1963, Ngô Đình Diệm posa la question sur ce que les Américains voulaient faire au
Việt Nam et demanda que 5 000 de leurs militaires quittent le pays au début de l’été de la même
année. Le 17 mai 1963, dans l’accord sur le financement de la lutte anti-insurrectionnelle, on
pouvait lire : « le niveau actuel de l’effort de soutien et de conseil est nécessaire mais en
fonction de l’amélioration de la sécurité et du progrès du Programme des Hameaux
Stratégiques (PHS) il est prévu que l’assistance étrangère, à la fois en termes d’hommes et de
matériel, serait progressivement réduite ». Un article du 12 mai de la journaliste Unna dans le
Washington Post cita Nhu et sa déclaration dans une interview « le Sud Việt-Nam aimerait voir
partir la moitié des 12 000 à 13 000 militaires américains présents ici ». Nhu dut démentir ces
paroles et afficher une attitude conciliante après la forte réaction du gouvernement américain.
Contacts de Ngô Đình Nhu avec le Nord (1963)
En même temps, Ngô Đình Nhu prit contact avec le Nord à travers notamment une rencontre
dans le district de Tánh Linh de la province de Bình Tụy avec Phạm Hùng5 (1912-1988), vice
Premier ministre, responsable de l’unification des deux régions depuis 1958 et ancien chef de
la délégation militaire du Nord Việt Nam à Sài Gòn dans l’International Control Commission
(ICC, Commission Internationale de Contrôle) établie suivant les accords de Genève pour
5
Mủa hè máu lửa (L’été en feu et en sang), [général]Đổ Mậu,
3/12
contrôler leur application. Il passa aussi par l’intermédiaire de Mieczylaw Maneli, chef de la
délégation polonaise de l’ICC, venu le voir le 2 septembre 1963 au palais Gia Long6. Nhu avait
discuté avec quelques généraux, dont Dương Văn Minh (le Gros Minh, « big Minh ») de sa
conversation avec Maneli. Celui-ci lui avait retransmis une proposition du Premier ministre
nord-vietnamien Phạm Văn Đồng de commencer des échanges commerciaux entre le Nord et
le Sud et s’était mis à la disposition de Nhu pour s’envoler à Hà Nội à tout moment.
L’ambassadeur français Lalouette avait aussi offert ses services dans les mêmes buts.
Le 26 septembre 1963, plus d’un mois avant le coup d’État qui achèvera Ngô Đình Diệm et
Ngô Đình Nhu, il y eut un rapport de la CIA avec pour sujet « Possible rapprochement entre
Nord et Sud Việt Nam ».
Ce rapport estimait que « les signes que le GVN [gouvernement de la République du Việt
Nam)], la RDV [la République Démocratique du Việt Nam, c’est-à-dire le Nord] et les Français
étaient en train d’explorer des possibilités d’une sorte de rapprochement Nord Sud » que
Joseph Alsop avait indiqués dans son article du 18 septembre 1963 dans le Washington Post,
ne concernaient pas une imminente réunification, mais plutôt « un cessez-le-feu, un cessez-lefeu formel ou une sorte de neutralisation ». « Maintenant Nhu reconnait des contacts avec le
Nord et a laissé entendre que le GVN ne refuserait pas nécessairement de considérer des
ouvertures de Hà Nội […] Il y a suffisamment de possibilités que la famille Ngô est en train de
s’intéresser sérieusement à un tel rapprochement qu’il mérite que nous y prêtions une
continuelle attention… ».
Déjà « en mars 1962, Hồ Chí Minh avait confié son intérêt pour une solution pacifique au
problème Nord Sud au journaliste Wilfred Burchett [connu pour sa sympathie pour les
communistes] et en septembre [de la même année], le président Indien de l’ICC avait rapporté
que Hồ avait dit qu’il était prêt à tendre une main amicale à Diệm (“un patriote”) et que le
Nord et le Sud pourraient commencer quelques pas vers un modus vivendi, incluant un échange
de membres de familles séparées » 7. Ce discours méritait d’être analysé en tenant compte de
l’optique exprimée par Hồ Chí Minh dans le testament qu’il laissa pour la postérité : la
construction du marxisme-léninisme était sa priorité8.
La situation au milieu de 1963 était telle que le NSAM (National Action Security
Memorandum, ou Mémorandum d'action sur la sécurité nationale) n° 263 du 11 octobre 1963
prévoyait de retirer 1 000 militaires américains à la fin de 1963 et la date de fin 1965 pour le
retrait total de tous les militaires. Ainsi, le nombre de militaires présents sur le sol vietnamien
passa de 16 752 en octobre 1963 à 15 894 au 31 décembre 1963.
Tout cela n'était pas ce que voulaient les Américains. Certains pensaient qu’ils étaient
impliqués dans la crise bouddhiste derrière Thich Trí Quang qui s'était réfugié à l'ambassade
américaine pendant 70 jours après la répression gouvernementale, et même dans l'assassinat de
Diệm et Nhu en 1963.
Le président Nixon dira plus tard : « Nous commîmes une erreur cruciale au Sud Việt Nam
en 1963. Le gouvernement Kennedy, de plus en plus irrité contre le président Diệm, encouragea
et appuya un coup d’État militaire contre son gouvernement. Ce honteux épisode se termina
6
7
8
Thèse de Master’s Degree, The Vietnam War: Lost or Won? Vũ Ngự Chiêu, Université Wisconsin-Eau Claire,
1977, sous la direction du professeur Richard D. Coy.
FRUS (documents Foreign Relations of the US du Département d’État américain), 1961–1963, Volume IV,
Vietnam, August–December 1963, D151.
Voir 17.3. le testament de Hồ Chí Minh.
4/12
par l’assassinat de Diệm et fut le début d’une période de chaos politique ». William Colby, lui
écrira : « Les Américains, en patronnant le renversement de Diệm, ce que je considère encore
aujourd’hui comme la pire faute de la guerre du Việt Nam … ». Et qu’avait pensé le général
Dương Văn Minh, celui qui ordonna l’assassinat de Diệm, quand il sut plus tard, trop tard, que
Nguyễn Hữu Thọ, le président du FNLSVN, avait déclaré « la chute des Ngô était pour nous
un présent du Ciel » ? 9
La chasse aux sorcières qui suivit la mort de Diệm et Nhu, le démantèlement du réseau de
leurs fidèles et de leur service de renseignement, le remplacement de ceux qu’ils avaient
nommés, même s’ils étaient efficaces, la « démocratisation » voulue par le Département d’État
et les intellectuels saïgonnais, la catastrophique gestion de la situation par le général Dương
Văn Minh, combinée à la grogne des généraux, affaiblirent le régime. Les anciens membres du
parti Cần Lao Nhân Vị de Diệm, les chefs des provinces, les responsables des villes, tous ceux
qui avaient travaillé avec Diệm furent emprisonnés ou écartés malgré leur expérience de lutte
dans un contexte difficile et de gestion des ấp chiến lược souvent attaqués, sans qu’il y eût assez
de gens compétents pour les remplacer. Les mouvements et associations mis en place par Nhu
furent aussi démantelés sans qu’il y eût autre chose à la place. En novembre et décembre 1963,
les Thanh Niên Chiến Đấu (Jeunesse Combattante) créés par Nhu pour défendre les ấp chiến
lược qui, dans bien des endroits, avaient montré leur efficacité, furent démobilisés de crainte
qu’ils ne soient pas fidèles au nouveau gouvernement. Tout cela engendra un vide dont
profitèrent tout de suite les Việt cộng pour qui la mort de Diệm était un miracle.
Le nombre de conseillers américains s’accrut rapidement, et atteignit en quelques mois après
la mort des Ngô 23 300. Les troupes américaines augmentèrent de 50 000 hommes en juin 1965
à 185 000 à fin 1965, puis à 486 600 à fin 1967, et atteignirent le pic de 543 000 en avril 196910
lorsque le 37e président des États-Unis Richard Nixon (1913-1994) décida de remplacer les
troupes américaines par les troupes sud-vietnamiennes (programme de « vietnamisation »). Des
alliés des États-Unis étaient aussi présents au Sud Việt Nam : des Sud-coréens (48 000), des
Thaïlandais (10 000), des Australiens (quelques milliers) et des Philippins.
Plus tard, le programme de remise de la responsabilité de la guerre aux Sud Vietnamiens
commencé sous Johnson, continua sous le nom de « Vietnamisation » avec Nixon (1969-1974).
On revenait simplement à la situation de la période d’avant le coup d’État des généraux
vietnamiens contre Diệm en 1963. Nixon en fit un sujet de stratégie avec beaucoup de bruit,
suite au rapport d’octobre 1969 de Sir Robert Thompson, le conseiller britannique, qui indiquait
qu’avec une aide économique et militaire adéquate, les forces du Sud Việt Nam auraient dans
l’espace de deux ans la capacité de repousser toute action des communistes sans l’aide de
troupes américaines.
L’impact psychologique négatif aux États-Unis
Le moral du régime de Hà Nội était au plus bas après l’offensive du Tết Mậu Thân 1968.
Aucun des objectifs qu’il visait n’avait été réalisé. Personne ne s’était soulevé, partout leur
armée avait été repoussée avec de nombreuses pertes, et leur réseau d’agents secrets
sérieusement éventé et décimé.
9
10
Việt Nam où est la vérité (Việt Nam where the truth is), Trương Vĩnh Lễ, préfacé par Jacques Chaban-Delmas,
pub. Lavauzelle, 1989.
Seulement 10% à 25% des troupes américaines se battent vraiment. Une large proportion est impliquée dans
les tâches administratives et logistiques.
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Durant le premier semestre 1969, 20 000 hommes des troupes communistes se rendirent à
l’ARVN, triplant le nombre de l’année précédente. De 75 000 à 85 000 d’entre eux avaient été
tués durant les batailles de 1967 et 1968, dont la plupart étaient des forces du Sud, réduisant de
beaucoup sa puissance et ne lui permettant plus de s’engager dans de grandes opérations.
Le général Trần Văn Trà (1918-1996) qui mena l’offensive fit une autocritique en 1982 dans
son livre La fin de la guerre de trente ans (Kết thúc cuộc chiến tranh 30 năm) : « Nous n'avons
pas correctement évalué nos forces par rapport à celles de nos ennemis. Nous n'avons pas
pleinement compris que l'ennemi avait encore d'importantes capacités de combat, que notre
capacité était limitée et que les exigences dépassaient notre force ». Ce livre fut interdit de
publication, et lui valut d’être radié du Parti qu’il avait rejoint en 1938, bien qu’il eût été
ministre de la défense de 1978 à 1982.
Le général Trần Độ (1923-2002) qui fut Commissaire adjoint et Secrétaire adjoint de la
Commission militaire de l'Armée de libération du Sud Việt Nam, écrivit : « Pour être honnête,
nous n'avons pas atteint l'objectif principal qui est de stimuler le soulèvement général dans le
Sud. Mais nous avons infligé de lourdes pertes aux États-Unis et à l’armée fantoche. Et c'est
une grande victoire pour nous. En ce qui concerne la création d’une grande agitation aux ÉtatsUnis, ce n’est pas vraiment notre intention, mais c’est devenu une conséquence chanceuse et
heureuse »11.
Mais le gouvernement Johnson n’arriva pas à convaincre les Américains que le Nord avait
été bel et bien battu. L’échec militaire des communistes fut transformé en défaite politique des
Sud Vietnamiens et des Américains par la façon dont la presse et la télévision américaine, à
travers certains journalistes américains et des correspondants locaux, interprétèrent cette
offensive du Tết Mậu Thân. Ainsi Phạm Xuân Ấn, correspondant local du Time magazine, très
proche de Lansdale, chef de la Saigon Military Mission, était un membre secret du PCI qui
mourut en 2006 comme général de brigade de l’armée de la RSVN 12.
Le but de ces agents secrets communistes était d’influencer les médias étrangers suivant ce
que le Parti voulait leur faire croire et ils y parvinrent pleinement, en particulier avec les médias
américains.
L’attaque du petit David Nord Vietnamien, qu’on pensait être tout seul avec sa volonté et
son courage, contre le géant Goliath américain nanti de toutes les armes les plus modernes,
bouleversa toute l’Amérique.
Vis-à-vis du monde, la RVN et les États-Unis perdirent leur crédit par la grâce des
Américains. Le Nord avait pu transformer, pour les yeux du monde entier, par une intelligente
propagande et grâce à l’action des journalistes du monde occidental, la guerre idéologique entre
le Nord communiste et le Sud nationaliste en une guerre entre un pays indépendant, la
République Démocratique du Việt Nam (le Nord), et un envahisseur étranger, les États-Unis,
dont l’allié local, la République du Việt Nam (le Sud), n’était que la “marionnetteˮ
presqu’invisible dont les journaux Américains ne disaient que du mal. Les États-Unis
imposaient leurs décisions à cet “alliéˮ qui ne pouvait que leur obéir, car ils détenaient ce qui
En raison de son désaccord avec certains autres hauts dirigeants du Parti Lao Động, Trần Độ fut expulsé du Parti
le 4 janvier 1999 après en avoir été membre pendant 58 ans.
12
The Vietnam War’s Great Lie - How the Communists and Pham Xuan An won the propaganda war (Le grand
mensonge de la guerre du Việt Nam – comment les communistes et Pham Xuan An gagna la guerre de
propagande) – article du 13 février 2018 de Luke Hunt dans The Diplomat. L’interprétation des médias
américains fut analysée plus tard en profondeur par Peter Braestrup dans son livre Big Story.
11
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importait le tout dans une guerre : les moyens de la faire (l’argent, les armes, les munitions, les
avions, l’essence, etc.).
De l’autre côté, le Việt Nam du Nord se présentait comme un pays petit et faible, mais
indépendant, qui devait, pour préserver son existence, s’opposer à cette grande puissance, la
plus puissante du monde, sans qu'on puisse voir la moindre ombre, ni le moindre souffle, d’un
grand allié derrière ses épaules, grâce à la subtilité des discrets et habiles Chinois et Russes dont
l’aide était cependant primordiale à son effort de guerre. Et là, l’offensive du Tết Mậu Thân
montrait que lui et le peuple sud vietnamien n’avaient pas peur de s’opposer à cette Amérique
qui bombardait le Nord et étranglait le Sud du pays.
Une guerre qui ne pouvait pas être gagnée militairement
Les Américains étaient intervenus pour contenir l’expansion du communisme. Finalement
cela revint à arrêter le Nord d’envoyer des troupes dans le Sud. Il était hors de question que le
Nord soit vaincu militairement soit par une invasion des troupes alliées ou Sud Vietnamiennes,
soit par des bombardements destructeurs, le risque d’entrée en jeu de la Chine était trop grand.
Il s’agissait donc de se battre, non pour vaincre l’ennemi, mais pour le contraindre à négocier.
Les bombardements du Nord étaient ciblés sur des positions stratégiques soigneusement
choisies pour ne pas le mettre à terre. Mais cela demandait de la persévérance, de la patience,
ce que n’avaient pas du tout les Américains. On les avait vus avec Ngô Đình Diệm, ils
comptaient en heures, en jours, et pas en années ou en décades comme les Vietnamiens.
Impatients d’avancer vite, ils finirent par céder et reculer devant un Hà Nội inflexible, épaulé à
plein par la Chine et l’URSS. Celui-ci n’admettait pas jusqu’au bout que ses troupes étaient
envoyées au Sud. L’objectif des Américains d’arrêter cet envoi, devint finalement … leur
propre retrait du Việt Nam en emportant leurs soldats relâchés des prisons du Nord! Avec le
temps, le roc le plus dur est érodé par l’eau, et ici le roc n’était pas vraiment dur, les Américains
contenaient volontairement leur puissance de feu.
Sài Gòn, de son côté, était coincé. Il ne pouvait pas gagner la guerre militairement, ne
pouvant pas l’amener sur le sol de son ennemi. Il ne pouvait que subir ce que lui imposait son
allié, et ne pouvait, dans le meilleur des cas – c’est-à-dire bénéficiant d’un soutien américain
continuel équivalent à celui obtenu par le Nord de ses alliés communistes –, que maintenir le
statu quo devant la pression du Nord, sans aucune possibilité de le vaincre. L’arrêt de l’aide
soviétique et chinoise n’entraînerait que le ralentissement de l’envoi au Sud des troupes du
Nord, tandis que la survie du Sud dépendait du bon vouloir des Américains.
Le Congrès américain laisse le Sud Việt Nam à son sort
Le président Richard Nixon envoya plusieurs lettres au président Nguyễn Văn Thiệu qui
furent l’objet d’un article du New York Times du 30 avril 1975. Ces lettres datées des 14
novembre 1972, 17 et 20 janvier 1973 et 5 janvier 1974, que détenait l’ancien Ministre du Plan
Nguyễn Tiền Hưng contenaient l’engagement du président Américain qu’au cas où l’autre
côté violait les accords de Paris, les États-Unis reviendraient aider le Việt Nam.
Cependant, à l'issue de l'affaire Watergate13 déclenchée en 1972, une loi fédérale, la Loi sur
les pouvoirs de guerre (la War powers Resolution) fut votée en 1973 pour limiter l’initiative du
13
En 1972, des cambrioleurs étaient arrêtés dans les locaux du Parti Démocrate, dans l’immeuble du Watergate à
Washington. L’enquête qui s’ensuivit, aidée par des révélations faites par le Washington Post qui était renseigné
par un mystérieux informateur surnommé Deep Throat (Gorge profonde), mena à la découverte d’un système
7/12
président en cas de conflit militaire en l’obligeant à obtenir l'autorisation du Congrès pour une
intervention de plus de 60 jours, et pour les exportations d’armes et les aides à l'étranger.
Les batailles au niveau des divisions entre les armées du Nord et du Sud furent nombreuses
en 1973 et 1974. L'armée du Sud reprit au prix fort les territoires attaqués par celle du Nord. Sa
Huỳnh à Quảng Ngãi, envahi par une division nord-vietnamienne, est repris par la 2e division
ARVN après trois semaines d'intenses combats. En juin, la division nord-vietnamienne qui avait
occupé Trung Nghĩa à l'ouest de Kontum a été expulsée après trois mois de combats avec
l'ARVN. Fin 1973, l'ARVN comptait 80 000 victimes, le chiffre le plus élevé en un an depuis
le début du conflit.
Le moral de l'armée, cependant, était en train de s'effondrer avec des fournitures et des
munitions de plus en plus rares. Le Sud a subi des coupes dans l'aide américaine dont il
dépendait économiquement et militairement. De plus, le prix de nombreux produits de première
nécessité a plus que doublé depuis le cessez-le-feu. La crise économique, due au choc pétrolier
de 1971, débute en 1973 avec le prix du baril quadruplé et des conséquences importantes dans
le pays comme dans toutes les économies du monde.
Sir Robert Thompson fit savoir dans son livre Peace is not at hand (La Paix n’est pas à portée
de mains) Londres, 1974, qu’il n’avait pas de crainte sur la capacité de l’ARVN de combattre,
mais il avait plutôt peur que l’aide américaine ne soit coupée. Et ce fut ce qui arriva, avec les
efforts prodigués par les pacifistes et le sénateur Edward Kennedy. Le 6 mai 1974, le Congrès
décida de réduire de 233 millions de dollars l’aide américaine au Sud Việt Nam, faisant Sir
Robert Thompson dire que « la leçon principale à retenir de la guerre du Việt Nam est de ne
jamais considérer les Américains comme des alliés fiables »14 .
Après avoir baissé le montant de l’aide de 1974, le Congrès américain diminua celle de 1975.
L’aide pour les besoins militaires passa de 1 milliard 470 millions à 700 000 millions, qui
devait tenir compte de la forte inflation due à la montée du prix du pétrole en 1973. L’aide
économique fut aussi abaissée, avec la particularité de ne plus pouvoir être utilisée pour acheter
des engrais pour les paysans !
Le 15 avril 1975, Nguyễn Tiến Hưng, le ministre du Développement économique et de la
Planification, fut envoyé par le président Thiệu à Washington demander un prêt de 3 milliards
de USD remboursable en 3 ans avec les produits de la vente du pétrole découvert au large des
côtes vietnamiennes, les 16 tonnes d’or qui étaient stockés dans le sous-sol du bâtiment de la
Banque Nationale du Việt Nam, et les produits d’exportation du riz. Mais c’était trop tard. Le
18 avril, le Comité de la Défense du Sénat vota contre toute aide militaire à la RVN et le Comité
des affaires étrangères donna l’autorisation à Gérald Ford d’utiliser l’armée pour faire sortir les
Américains du Việt Nam.
Les conséquences sur l’armée et sa capacité de réagir aux combats furent importantes, car
des économies sévères devinrent indispensables. Aucun remplacement « one by one » comme
les Américains avaient le droit de le faire dans le cadre des accords de Paris ne fut réalisé.
L’aviation sud vietnamienne ne pouvait plus assurer que 50 % des vols nécessaires, les
hélicoptères ne pouvaient intervenir qu’à 70 % de leur capacité, 200 avions durent rester dans
les hangars, 400 pilotes en cours d’instruction aux États-Unis être rapatriés, des forces de l’aviation se reconvertir en troupes d’infanterie, 4 000 voitures être immobilisées et leurs pièces
utilisées pour la maintenance de celles qui pouvaient servir encore…
d’écoute dans la Maison Blanche et l’implication du président Richard Nixon. Cette affaire, appelée l’affaire du
Watergate, aboutit en 1974 à la démission du président Nixon.
14
Nhìn lại Sử Việt (l'Histoire du Việt Nam réexaminée), Lê Mạnh Hùng, Ed. THXBMDHK, 2013.
8/12
« Vers fin 1974, début 1975, [le général] Cao Văn Viên m’a fait savoir que les munitions
étaient tombées à 6 mois ou 9 mois de stock si l’on économise. Je lui ai dit que son estimation
était sur la base d’une intensité de combat ordinaire mais, après l’attaque de Phước Long puis
Ban Mê Thuột, il ne tiendra pas plus de 3 mois. Il n’y avait plus rien à espérer des Américains. »
écrivit dans ses lettres Nguyễn Xuân Phong, un membre de la délégation sud vietnamienne aux
négociations de Paris.
D’après le général Cao Văn Viên lui-même15, à mi 1975, le Sud Việt Nam n’aurait plus
d’essence pour se déplacer et en juin 1975, l’ARVN serait à court de munition. À fin 1974, les
munitions étaient rationnées tant elles étaient rares, 1,6 balle par jour par fusil, 10,6 balles par
jour pour les mitrailleuses, 0,3 obus par jour pour un mortier, 6,4 obus par jour pour de
l’artillerie 105.
Les accords de « paix » de Paris
Les accords de paix de Paris signés à l’hôtel Majestic de Paris le 27 janvier 1973 - qui ont
donné à Henry Kissinger (USA) le prix Nobel, le Nord-Vietnamien Lê Đức Thọ l’ayant refusé
- visaient principalement à permettre aux Etats-Unis de se retirer avec honneur, avec en prime
la libération de leurs soldats capturés. Il y a eu un cessez-le-feu sur place (standstill ceasefire),
mais qui n’avait en aucun cas réglé la présence de l’armée du Nord sur le sol du Sud. Les
Américains avaient dû partir, mais ils s’étaient déjà retirés : en décembre 1972, il ne restait plus
que 26 000 soldats non combattants. Le Sud pouvait recevoir une aide militaire des États-Unis,
mais sur la base d’un remplacement un pour un. Il a été dit que les communistes et le
gouvernement de Sài Gòn ne pouvaient pas « recevoir » de troupes supplémentaires sur le sol
du Sud et étaient obligés de retirer toutes leurs troupes du Laos et du Cambodge, sans indiquer
de date limite. L’accord prévoyait qu’à l’annonce de la paix, les représentants du GRP et du
gouvernement de Thiệu se réuniraient en présence de personnalités neutres de leur choix pour
constituer un Conseil national de réconciliation et de concorde nationale qui conviendrait d’un
futur gouvernement. Cette clause irréaliste n’a jamais été prise au sérieux par aucun des
protagonistes.
Un mois après la signature des accords de Paris, des rapports des services de renseignement
américains informèrent Nixon que la piste Hồ Chí Minh était encombrée de camions
transportant du matériel et des soldats vers le Sud alors que les 15 divisions nord-vietnamiennes
qui avaient participé à l’attaque de 1972 étaient toujours là.
Le livre Lịch sử Quân Đội Nhân Dân (Histoire de l’Armée populaire) publié à Hà Nội en
1994 par la maison d’édition de l’Armée populaire, indiquait que « de janvier à septembre
1973, le matériel envoyé sur le “champ de bataille B” était de 140 000 tonnes, soit quatre fois
celui de 1972. Il était composé de 80 000 tonnes de matériel de guerre (27 000 tonnes d’armes,
8 000 tonnes de carburant et de produits pétroliers et 40 000 tonnes de riz) et de 45 000 tonnes
de fournitures pour la population des zones libérées. 10 000 tonnes d’armes ont été stockées le
long de la chaîne Annamite. Plus de 100 000 officiers et soldats comprenant deux divisions
d’infanterie, deux régiments d’artillerie, une division de défense aérienne, un régiment de
chars, un régiment du génie, et diverses unités ont été envoyés en 1973 au sud pour renforcer
les troupes qui y combattaient »...« De début 1974 à fin avril 1975, 823 146 tonnes de matériel
ont été envoyées vers le Sud, soit 1,6 fois le poids transporté au cours des 13 années précédentes
»...« En 1973 et 1974, plus de 150 000 jeunes s’étaient enrôlés dans l’armée »...« Par rapport
15
The final collapse (L’effondrement final), général Cao Văn Viên, Washington DC, US Army, Center of Military
History, 1983, document sur le 30 avril 1975 écrit pour l’Institut d’Histoire militaire de l’infanterie américaine.
Dans Nhìn lại Sử Việt (page 270), Lê Mạnh Hùng cite Strategy and Tactics (Washington DC, US Center of
Military History, 1980) où le colonel Hoàng Ngọc Lung écrit que « certaines forces régionales devaient acheter
des grenades avec leur propre argent dans le zone militaire IV, … »
9/12
à 1972, les approvisionnements ont été multipliés par 9, les armes et munitions, par 6, le riz,
par 3, l’essence et le carburant, par 27 ».
Les Américains ne sont plus intéressés par le Viet Nam
La guerre froide était en « détente ». La « Realpolitik » menée par Nixon et Kissinger voulait
mettre de côté la dimension idéologique de la guerre froide et établir un état géopolitique stable
du monde. En Europe, sous la direction du chancelier Willy Brand de la République fédérale
d’Allemagne (RFA, Allemagne de l’Ouest), dans le cadre de son Ostpolitik, les relations entre
les deux Allemagnes commençaient à se normaliser avec l’accord quadripartite de Berlin signé
le 3 septembre 1971. En Asie, une rencontre amicale inattendue entre des athlètes de ping-pong
américains et chinois au Japon en 1971 a ouvert la voie à une visite américaine en Chine. Les
États-Unis et la République populaire de Chine n’avaient pas été en relation depuis la création
de cette dernière en 1949. Cet événement a ouvert la voie à un renouveau des relations sinoaméricaines avec la rencontre secrète entre Henry Kissinger et le Premier ministre Chou En Lai
en juillet 1971 et la visite en Chine en février 1972 du président américain Richard Nixon où il
a rencontré Mao Tse Tung et signé le communiqué de Shanghai. Avec Brejnev, que Nixon a
rencontré le 22 mai 1972, de nombreux accords ont été signés dans divers domaines, militaires
(SALT I qui traite des armes nucléaires à longue portée, des missiles balistiques) ainsi
qu’économiques et culturels.
Les Américains ne s’intéressaient plus au Việt Nam. Ils étaient là pour défendre leurs propres
intérêts, par peur de l’expansion communiste dans toute l’Asie du Sud-Est, puis dans toute
l’Asie, et finalement jusqu’aux États-Unis. Ce danger n’existant plus, ils firent tout pour partir
sans tenir compte des promesses faites à leur ancien allié.
« La leçon principale à retenir de la guerre du Việt Nam est de ne jamais considérer les
Américains comme des alliés fiables » déclarait Sir Robert Thompson après la décision, le 6 mai
1974, du Congrès américain de réduire de 233 millions de dollars l’aide américaine au Sud Việt
Nam. Il était le chef de la Mission des conseillers britanniques auprès du gouvernement de la
République du Việt Nam (septembre 1961 à Mars 1965) et un conseiller du Président Nixon.
Les derniers moments de la République du Việt Nam
Un télégramme de l’ambassade de France indiqua que le dernier combat eut lieu le 30 avril
1975 à l’aéroport de Tân Sơn Nhứt. Un bataillon de parachutistes y arrêta les Nord Vietnamiens
jusqu’à midi et détruisit six de leurs chars.
La fin de la République du Việt Nam avec son plus d’un million de combattants arriva après
quatre mois et demi de campagne de l’armée du Nord (attaque de Phước Long le 13 décembre
1974 – reddition de Dương Văn Minh le 30 avril 1975). Il y eut pratiquement peu de grandes
batailles acharnées à part les combats de Phước Long et de Xuân Lộc. L’ARVN s’était
désintégrée toute seule au nord et sur les Hauts plateaux sur les routes de sa retraite, empêtrée
dans la population paniquée qui fuyait les communistes, tombant sous les coups de l’ennemi.
Selon les archives conservées au musée de San José, la République du Việt nam avait 112 tướng
lảnh (généraux), dont environ 80 quittèrent le pays à la fin du mois d’avril 197516.
Depuis plusieurs nuits déjà, on entendait le ronronnement des hélicoptères qui passaient par
groupes dans le ciel. L’angoisse de devoir vivre dans un pays communiste, alors qu’on avait
16
De nombreuses informations sur les derniers jours du Sud sont disponibles dans Gian trá và Ngụy tạo (tức
Chuyện Tháng Tư Đen) (Mensonges et Inventions (c’est-à-dire l'histoire de l'Avril noir) ) en vietnamien du
professeur Lâm Văn Bé (Montreal) – qui cite les faits décrits dans les ouvrages de nombreux auteurs, dont des
Français (Pierre Darcourt, Olivier Todd, Jean Lartéguy), un Américain (Frank Snepp) , un Italien (Tiziano
Terzani) et des Vietnamiens (le professeur d’histoire Hoàng Ngọc Thành, le général Cao Văn Viên, chef d’état10/12
déjà goûté à la liberté de penser, de faire et de circuler, hantait tout le monde. La peur de se
faire tuer ou de devoir passer des années en prison – comme cela s’était passé partout où le
communisme avait pris le pouvoir – était présente dans tous les esprits. Tout le monde avait
peur que ce qui s’était passé à Huế au Tết 1968 avec la découverte de nombreux charniers allait
se répéter partout.
Un officier de la police se tira une balle dans la tête après avoir prié et s’être prosterné devant
un monument aux morts à Sài Gòn, des militaires se tinrent par la main et firent sauter une
grenade pour se suicider en groupe. Et l’on entendit dire que beaucoup d’autres avaient fait la
même chose ailleurs, partout dans le pays.
Beaucoup se ruèrent vers l’ambassade des États-Unis et les points de rendez-vous organisés
par les Américains, espérant pouvoir prendre les hélicoptères qui évacuaient des gens vers la
VIIe flotte amarrée aux larges de Vũng Tàu. Au port de Khánh Hội à Sài Gòn, plusieurs
plateformes, protégées des trois côtés de murs de sacs de sable, quittèrent Sài Gòn dans la soirée
du 29 avril, entraînées par un petit bateau accolé sur leur flanc gauche, pour rejoindre les navires
américains dans les eaux internationales.
Jean Lartéguy écrivit dans son livre L’adieu à Saigon, publié en 1975 : « [Coutard17] me
raconte qu’ils ont pu filmer les cadets de l’École d’officiers de Dalat montant en première ligne,
dernière réserve de l’armée sud-vietnamienne. […] Coutard les interroge avec cette brutalité
qui lui permet de déguiser sa tendresse :
•
•
•
•
Vous allez vous faire tuer ?
Oui, répond un aspirant.
Pourquoi ? C’est foutu.
Nous ne voulons pas du communisme.
Et bravement, les petits Saint-Cyriens de Dalat, dans leurs belles te-nues neuves, avec leurs
souliers bien cirés, s’en allèrent se faire tuer».
L’histoire se souviendra toujours d’eux, de ceux qui se battirent jus-qu’à la fin, de ceux qui
croupirent ou moururent en camp de concen-tration (dont 37 généraux18) ou attrapés et tués
dans leur cachette a-près la guerre, ou se tirèrent une balle dans la tête à l’annonce de la reddition
par Dương Văn Minh, tels les généraux Nguyễn Khoa Nam, Phạm Văn Phú, Lê Văn Hưng, Lê
Nguyên Vỹ, Trần Văn Hai, et tant d’autres officiers et soldats.
L’avant dernier président de la République du Việt Nam, Trần Văn Hương, à qui les deux
ambassadeurs américain et français proposèrent de faire quitter le pays, répondit comme ci à
Graham Martin: « Votre Excellence Monsieur l’ambassadeur, je sais que la situation est extrêmement dangereuse. Elle est la conséquence d’actions dans lesquelles les États-Unis ont leur
part de responsabilités. Aujourd’hui vous êtes venu m’inviter à quitter mon pays, je vous en
remercie beaucoup. Mais j’ai beaucoup réfléchi et j’ai décidé définitivement de rester. Je sais
17
18
major de l’armée sud-vietnamienne, avec son The final collapse écrit en 1983 pour le Centre d’histoire militaire
de l’Infanterie des USA et traduit en vietnamien sous le titre Những ngày cuối cùng của VNCH – les derniers
jours de la République du Việt Nam, en 2003 ; Nguyễn Tiến Hưng, ancien ministre, The Palace file, 1986,
traduit en vietnamien sous le titre Hồ sơ mật Dinh Độc Lập – Dossiers secrets du Palais de l’indépendance,
1987 ; le général Trần Văn Đôn, l'ancien député Lý Quý Chung, Nguyễn Ngọc An, Nguyễn Xuân Phong,
Hoàng Đống, Nguyễn Khắc Ngữ, etc. ) .
Raoul Coutard (1924-2016), trente ans d’Indochine, fit avec Schoendoerffer la 317e section (1965) sur la guerre
d’Indochine et était le réalisateur de Hòa Bình (Paix) (1970) un film sur la seconde guerre, primé au festival
de Cannes.
Lược sử Quân lực Việt Nam Cộng hòa (Histoire des Forces Armées de la République du Việt Nam), Trần Ngọc
Thống, Hồ Đắc Huân, Lê Đình Thụy (2011) et Biên bản chiến tranh 1-2-3-4.75 (Rapport sur la guerre 1-2-34.75), Trần Mai Hạnh, nxb Chánh trị Quốc Gia, 2014.
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aussi qu’une fois les communistes entrés dans Sài Gòn, combien de souffrances humiliantes
s'abattront sur le peuple du Sud. J'ai été leur dirigeant de plus haut niveau, je me porte
volontaire pour rester avec eux afin de partager une partie de la douleur, de l’humiliation et
de la souffrance de personnes ayant perdu leur pays. Je vous remercie d’ê-tre venu me rendre
visite. ». Ils se séparèrent sans se serrer les mains. En 1978, il refusa les droits du citoyen que
le nouveau régime voulait lui restituer. Il écrivit aux nouveaux dirigeants que beaucoup de gens
du Sud étaient encore en camp de concentration et de rééducation, et il n’accepterait de
reprendre ses droits de citoyen qu’après que tous les prisonniers les avaient déjà récupérés pour
eux-mêmes. Il mourut en 1981 à Sài Gòn en restant citoyen de la République du Việt Nam18.
Pendant ce temps le dernier « Tổng Thống » (Président) Dương Văn Minh avait accepté
l’offre offerte et les prisonniers purent, à travers la télévision, le voir aller avec allégresse élire
les députés désignés de l’Assemblée nationale. Il fut autorisé à quitter le pays en 1983 et mourut
en 2001 à Pasadena en Californie, aux États-Unis19.
Préface de Pierre Brocheux, historien
Avec Le temps des Ancêtres. Une famille vietnamienne dans la traversée du XXème siècle, (L’Harmattan,
2018), Nguyễn Ngọc Châu nous a proposé une saga familiale. Celle-ci nous avait conté une histoire « d’en bas ».
Châu ne pouvait pas s’arrêter là et il a éprouvé le besoin d’écrire une histoire « d’en haut » … sous le titre Việt
Nam- Histoire politique des deux guerres 1858-1954 et 1945-1975. Il revient en partie sur ce qu’il avait écrit en
ajoutant quelques nouveautés à la première édition de cette Histoire politique…sortie en juin 2019.
Il donne ainsi plus d’ampleur à son propos en l’approfondissant. En se mettant dans la peau d’un historien, il
a mobilisé une documentation plus riche et détaillée.
[…]
Pour avoir été acteur et avoir participé au fonctionnement de l’état dit sudiste qui n’était ni fantôme ni fantoche
ni valet, Nguyễn Ngọc Châu apporte une note personnelle. Cette histoire-témoignage étaye, sur plusieurs points,
la vision d’un Sud Vietnam réel. Sachons gré à Châu de l’avoir fait.
19
Cựu Tổng Thống Trần Văn Hương không chịu di tản (L’ancien Président Trần Văn Hương ne voulait pas
quitter le pays), un article du site Dòng Sông Cũ (Ancienne Rivière), 5 mai 2017.
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