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La ville de Kition et le Proche Orient

Centre d'Etudes Chypriotes

"12345!!678!9:77! !"#$%"&&'()$*'"+&&!,-.%/0$"+ & !"#$%#&&'%()*+%!%,-./00111! ! ! ! ! "#$%&#!!'()%*'#+!!",-.&/0%#+!!! !1,/"%&234&5633 '7889:7;<&'=&>;??@AB .@A7: "$2#$2!"111!$3'4 CENTRE D’ÉTUDES CHYPRIOTES CAHIER 41, 2011 La loi du 11 mars 1957 n’autorisant, aux termes des alinéas 2 et 3 de l’article 41, d’une part, que les « copies ou reproductions strictement privées à l’usage du copiste et non destinées à une utilisation collective » et, d’autre part, que les analyses ou les courtes citations dans un but d’exemple et d’illustration, « toute représentation ou reproduction intégrale, ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite » (alinéa premier de l’article 40). © Centre d’Études Chypriotes, Paris et Édition-Diffusion de Boccard, Paris ISSN 0761-8271 2012 Illustration de couverture: Larnaca, gravure de F. Cassas, 1785. Vignette de titre : Chapiteau d’Idalion (ici p. 239, fig. 1). C E N T R E D’É T U D E S C H Y P R I O T E S CAHIER 41, 2011 Dossier : Actes du POCA, Lyon 2011 (Postgraduate Cypriote Archaeology) édités par Anna Cannavó et Aurélie Carbillet Publié avec le concours de la Fondation A.G. Leventis Édition-Diffusion De Boccard 11, rue de Médicis, F-75006 Paris Postgraduate Cypriote Archaeology, Lyon 19-22 octobre 2011 Amphithéâtre Benveniste, Maison de l’Orient (Université de Lyon) La revue Cahiers du Centre d’Études chypriotes (abrégée CCEC) publie des contributions en allemand, anglais, français, grec, et rend compte d’ouvrages qui lui sont envoyés. Adresser les propositions d’articles au directeur de la revue (Centre Camille-Jullian, Aix). Directeur de la revue : Antoine HERMARY. Comité de rédaction : Derek COUNTS, Sabine FOURRIER, Antoine HERMARY, Hartmut MATTHÄUS, Robert MERRILLEES, Marguerite YON, qui constituent aussi le Comité de lecture avec la collaboration de spécialistes extérieurs. Maquette, mise en page : Marguerite YON. DAO illustration : Vincent DUMAS. Centre Camille-Jullian, MMSH, Université de Provence-CNRS, 5 rue du Château-de-l’Horloge, B.P. 647, F-13094 Aix-en-Provence Cedex 2. [email protected] [email protected] HISOMA [Histoire et Sources des Mondes Anciens], Université Lyon 2-CNRS, Maison de l’Orient, 7 rue Raulin, F-69365 Lyon Cedex 07. [email protected] [email protected] Cahiers du Centre d’Études Chypriotes 41, 2011 SOMMAIRE Sommaire ....................................................................................................................... 5 Avant-propos, par Antoine HERMARY, Président du Centre ............................................ 7 In memoriam Hans-Günther Buchholz, par Hartmut MATTHÄUS ................................... 9 ACTES DU POCA 2011 [Postgraduate Cypriote Archaeology] Lyon, 19-22 octobre Introduction au POCA 2011, par Anna CANNAVÓ et Aurélie CARBILLET ....................... 17 Conférence inaugurale : Marguerite YON, Larnaca et Kition aux XVIIIe et XIXe siècles ...................................... 21 Contributions : Constantinos CONSTANTINOU, 7th to 5th millennium Eastern Mediterranean: An Introduction to the Identification of Interactions between Cyprus and the North Levant after Pre-Pottery Neolithic Times ........................................ 53 Julien BECK : L’occupation néolithique de Kataliondas-Kourvellos : état de la question .................................................................................................. 79 Charalambos PARASKEVA, Middle/Late Chalcolithic to Early Bronze Age Cyprus: New Perspectives in Archaeological Theory and Techniques [Résumé] ............... 85 Luca BOMBARDIERI, Caterina CALABRISOTTO, Erika ALBERTINI, Francesca CHELAZI, Dating the contexts (or contextualizing the datings?). New evidence from the Southern cemetery at Erimi-Laonin tou Porakou (EC-LC I) .................. 87 Artemis GEORGIOU, The settlement histories of Cyprus at the opening of the twelfth century BC ..................................................................................... 109 Christian VONHOFF, The Phenomenon of feasting in early Iron Age Cyprus. Bronze and Iron Obeloi from Cypriot Tombs as Evidence for Elite Self-Conception, Social Networks and Trans-Mediterranean Cultural Exchange Chypre .............. 133 Anna PAULE, La parure protohistorique de Chypre : Recherche de traces sur le continent grec ............................................................................................. 153 Anna P. GEORGIADOU, À propos de la production céramique chyprogéométrique d’Amathonte .................................................................................... 167 Anja ULBRICH, Unpublished sculptures from ancient Idalion : The earliest provenanced find-assemblage in the Ashmolean Cypriot collection ................... 183 Jan-Marc HENKE, New Evidences for the Definition of Workshops of Cypriote Terracottas at East Aegean Findingspots and its Chronological Background ...... 211 Aurélie CARBILLET, Naviguer vers l’éternité. Les modèles de bateau en terre cuite chypriotes et leur association à la navigation eschatologique .............................. 223 6 CCEC 41, 2011 David Ian LIGHTBODY, Signs of conciliation: the hybridised “Tree of Life” in the Iron Age City Kingdoms of Cyprus ........................................................... 239 Yannick VERNET, L’Apollon chypriote, de la nature et des animaux ....................... 251 Christina IOANNOU, Les relations de la ville de Kition et le Proche-Orient selon les sources écrites de l’époque archaïque ................................................... 265 Pawel NOWAKOWSKI, The family of Titus Flavius Glaukos, !"#$%"&'#"(#)(*+,-.(/01234( ............................................................................... 283 Niki KYRIAKOU, Decoding rural landscapes: a GIS and ABM simulation for interpreting the structures of the hinterland. The case study of Roman Cyprus ......................................................................... 289 Philippe TRÉLAT & Hesperia ILIADOU, Localiser les marchés. Les activités artisanales et commerciales à Nicosie durant les périodes latine et ottomane / Tracing the market place : Commercial and artisan activity in Nicosia between the Latin and Ottoman eras .................................................................... 299 VARIÉTÉS Miltiade HATZOPOULOS, Retour sur Androclès d’Amathonte (rectificatif à CCEC 39, 2009, p. 226-234) .......................................................... 329 Jannic DURAND, L’exposition “Chypre médiévale” au musée du Louvre, octobre 2012 ..................................................................... 331 COMPTES RENDUS D’OUVRAGES 1. Jean GUILAINE, François BRIOIS, Jean-Denis VIGNE (dir.), Shillourokambos. Un établissement néolithique pré-céramique à Chypre. Les fouilles du secteur 1, Athènes, 2011 [M. Bailly] .................................................................................... 341 2. Aurélie CARBILLET, La figure hathorique à Chypre (IIe-Ier mill. av. J.-C.), UgaritVerlag, Münster, 2011 [A. Hermary] .................................................................... 344 3. Joanna SMITH, Art and Society in Cyprus from the Bronze Age into the Iron Age, New York, 2009 [A. Caubet] ................................................................................ 346 4. Hans-Günther BUCHHOLZ, Tamassos. Ein antiker Stadtstaat im Bergbaugebiet von Zypern, Band I. Die Nekropolen I, II und III, Münster, 2010 [S. Fourrier] .......... 348 5. Évangéline MARKOU, L’or des rois de Chypre. Numismatique et histoire à l’époque classique, !"#"$%&'$' 64, Athènes, 2011 [S. Fourrier] .................................... 350 6. Lorenzo CALVELLI, Cipro e la memoria dell’antico fra Medioevo e Rinascimento. Venise, 2009 [L. Bonato] ...................................................................................... 352 7. Despina PILIDES, George Jeffery: His Diaries and the Ancient Monuments of Cyprus, Nicosie, 2009 [Ph. Trélat] .................................................................................... 357 Cahiers du Centre d’Études Chypriotes 41, 2011 AVANT-PROPOS Il faut malheureusement ouvrir cette nouvelle livraison du Cahier par deux tristes nouvelles, celles du décès à l’été 2011 de Pierre Carlier et de Hans-Günter Buchholz. Hartmut Matthäus rappelle ici (p. 9-14) le rôle très important qu’a tenu le grand savant allemand dans l’archéologie chypriote depuis une cinquantaine d’années, en particulier par ses recherches sur le site de Tamassos. Je mentionnerai seulement ici les contributions qu’il a apportées à notre Cahier, d’abord en 1989 et 1991, à l’initiative d’Olivier Masson, à qui le liait une vieille amitié, puis en collaboration avec H. Matthäus et K. Walcher (en 2002, dans le volume en hommage à Marguerite Yon) et avec H. Matthäus seul (2003). L’autre décès que nous avons à déplorer est celui de Pierre Carlier, professeur à l’Université de Paris Ouest Nanterre-La Défense, qui, depuis de longues années, suivait et encourageait nos travaux ; il avait dirigé la thèse de Christina Ioannou, et dirigeait encore celle de Sidonie Lejeune sur Chypre à l’époque hellénistique. Nous avons perdu un ami et un grand historien de l’Antiquité. Ce volume est presque entièrement consacré à la publication du colloque des jeunes archéologues travaillant sur Chypre, le « POCA 2011 ». Cette manifestation annuelle, qui existe depuis plus de dix ans, s’est réunie pour la première fois en France, à la Maison de l’Orient et de la Méditerranée-JeanPouilloux à Lyon, du 19 au 22 octobre 2011. Notre Centre a apporté son soutien à ce colloque, remarquablement organisé par Anna Cannavò et Aurélie Carbillet (avec l’aide de Sabine Fourrier), dont l’esprit correspond tout à fait aux objectifs que nous nous sommes fixés depuis près de 30 ans, en encourageant les publications des jeunes chercheurs et en mettant l’accent sur la longue durée de l’histoire de Chypre, du Néolithique à l’époque moderne. Cet important dossier est présenté plus loin par les deux éditrices. On trouvera ensuite une présentation par Jannic Durand (qui en est le commissaire) de l’exposition sur Chypre médiévale qui s’ouvrira en octobre 2012 au Musée du Louvre : je le remercie d’avoir bien voulu nous faire connaître le contenu de cet important événement lors de notre assemblée générale de janvier 2012. Comme les années précédentes, j’adresse tous mes remerciements aux membres du bureau du CEC, ainsi qu’à l’Université de Paris Ouest Nanterre-La Défense et à l’équipe « Archéologie et Sciences de l’Antiquité » qui hébergent notre Centre au sein de la Maison René-Ginouvès, enrichissent notre fonds de bibliothèque et nous ouvrent leur page web (www.mae.u­paris10.fr, puis « sites hébergés ») : la mise à jour de notre site est due à 8 CCEC 41, 2011 Virginie Fromageot-Lanièpce, aidée par Nathalia Denninger que je remercie pour l’aide précieuse que, cette année encore, elle a apportée au fonctionnement du Centre. Ce volume n’aurait, bien sûr, pas pu être publié sans l’aide financière de la Fondation A. G. Leventis, ni sans le travail de composition et de mise en page effectué par Marguerite Yon, à laquelle nous sommes cette année encore profondément reconnaissants. Je remercie également pour leur aide Sabine Fourrier et Robert Merrillees, ainsi que Vincent Dumas qui, comme les années précédentes, a pris en charge le traitement des images. Antoine Hermary Président du Centre d’Études chypriotes Au moment où nous mettons en page ce volume, nous apprenons le décès de Veronica Tatton-Brown, au terme d’une éprouvante maladie. Nous avions dédié à cette grande spécialiste de Chypre, fidèle collaboratrice de notre Centre, le Cahier 35, 2005. Nous présentons à sa famille et à ses collègues du British Museum nos plus sincères condoléances. Cahiers du Centre d’Études Chypriotes 41, 2011 P O C A Postgraduate Cypriote Archaeology 2011 INTRODUCTION AUX ACTES Depuis maintenant onze ans, le POCA réunit et donne prioritairement la parole aux doctorants et jeunes chercheurs dont les travaux s’intéressent à la culture historique, anthropologique ou matérielle de Chypre, sans limite chronologique. De prestigieuses institutions universitaires, telles que le Trinity College à Dublin (2005), l’Université de Chypre à Nicosie (2007), l’Université Libre de Bruxelles (2008), l’Université d’Oxford (2009), ou, l’année dernière encore, l’Université de Venise, ont déjà parrainé la manifestation. Ce fut pour nous, organisatrices, une immense fierté et un grand honneur que d’avoir permis à cette onzième édition d’être accueillie pour la première fois en France, à Lyon, dans un lieu emblématique de l’archéologie française à Chypre : la Maison de l’Orient et de la Méditerranée – Jean Pouilloux (Université de Lyon). Son fondateur, J. Pouilloux – auquel l’institution est aujourd’hui dédiée –, consacra une partie de sa vie à l’archéologie chypriote, discipline pour laquelle il œuvra avec passion tout en participant à son rayonnement à l’échelle nationale et internationale. En outre, cette institution accueille, depuis leur création, les prestigieuses missions françaises de Salamine et de Kition, ainsi qu’une équipe active de chercheurs et d’étudiants spécialistes de l’histoire et de l’archéologie chypriotes. Nous tenons à exprimer nos remerciements les plus sincères au Centre d’Études Chypriotes, et en particulier à son Président Antoine Hermary, pour avoir porté et soutenu ce projet financièrement, mais aussi scientifiquement, en ayant en particulier proposé de dédier ce tome 41 des Cahiers à la publication des Actes, ce dont nous lui sommes extrêmement reconnaissantes. Remercions également nos nombreux autres partenaires financiers, sans lesquels cette manifestation n’aurait pu avoir lieu dans des conditions si favorables : la fondation Leventis, l’Association des Amis de la Maison de l’Orient, le laboratoire « HiSoMA » (UMR 5189-CNRS, Lyon 2), l’Université Lyon 2, la Ville de Lyon, l’École Doctorale 483 « Sciences Sociales » (Lyon 2) et la Maison de l’Orient et de la Méditerranée, que nous remercions également pour son soutien logistique. Le colloque s’est tenu du 19 au 21 octobre 2011. Il s’est ouvert par une conférence donnée par Marguerite Yon, intitulée « Les vestiges de Kition à Larnaca aux XVIIIe et XIXe siècles ». Nous tenons à lui exprimer toute notre gratitude pour nous avoir fait l’immense honneur et le privilège d’avoir répondu à notre invitation, tout en nous offrant, au travers 18 CCEC 41, 2011 de cette communication, une vision richement illustrée et peu connue de la topographie de cette ville et de ses vestiges antiques. Deux journées de communication, divisées en quatre sessions chronologiques et thématiques, ont accueilli dix-sept participants, rattachés à diverses institutions et universités d’Allemagne, d’Autriche, de Chypre, de France, de Grèce, d’Italie, de Pologne, du Royaume-Uni, de Suisse, venus présenter différents stades de leurs recherches, discuter des problématiques et des enjeux qu’elles supposent, de l’approche méthodologique qu’ils souhaitent adopter et des résultats qu’ils ont déjà obtenus. Ces interventions couvrent un vaste champ chronologique allant du VIIIe millénaire av. J.-C. à l’époque ottomane, avec cette année toutefois une part importante de communications axées sur la culture matérielle, les pratiques cultuelles et sur les échanges culturels au Ier millénaire av. J.-C. Les champs disciplinaires abordés sont aussi très variés : archéologie, histoire, histoire des religions, anthropologie funéraire, épigraphie, tout comme le sont aussi les problématiques : caractérisation de l’occupation du territoire à une période donnée, de la culture matérielle des habitants d’une région, des pratiques funéraires, de la religion et de ses rituels, des échanges économiques et culturels au sein même de l’île, mais aussi avec ses voisins occidentaux et orientaux. Les débats qui suivirent chacune des communications furent riches et magistralement arbitrés par les présidents de séance, que nous remercions chaleureusement d’avoir accepté de tenir ce rôle et de l’avoir si bien joué : Françoise Le Mort, Sabine Fourrier, Olivier Callot et Antoine Hermary, à qui revenait également la charge de s’occuper des remarques conclusives. Le colloque s’est terminé par une visite de la collection chypriote du Musée des Beaux Arts de Lyon, conjointement guidée par Mme Geneviève Galliano, Conservatrice des Antiquités, et par Sabine Fourrier, que nous remercions vivement. Nous ne saurions oublier de remercier Alexandre Rabot (Université Lyon 2) pour l’infographie, Corinne Cohen (UMR 5189 « HiSoMA ») pour la gestion des questions administratives, le Service communication de la MOM ainsi que Sabine Fourrier, pour leur soutien actif et leur efficacité si précieuse dans la préparation et l’organisation de ce colloque. La publication des Actes, que le Centre d’Études Chypriotes a généreusement accueillie dans le 41e volume de ses Cahiers, a pu se faire très rapidement, grâce au soutien scientifique et technique du Directeur de la revue et de son comité de rédaction. C’est une grande opportunité, pour de jeunes chercheurs, que de pouvoir publier rapidement les résultats de leurs recherches, et nous tenons à remercier encore une fois le Centre d’Études Chypriotes pour l’avoir offerte aux participants de ce colloque. Le premier article (C. Constantinou) est une introduction méthodologique aux recherches doctorales menées par l’auteur, dont l’objectif est d’identifier, d’analyser et de comprendre les multiples formes d’interactions qui ont pu s’opérer entre Chypre et le Levant entre la fin du VIIIe et le Ve millénaire av. J.-C. Ch. Paraskeva a présenté, lors du colloque, une mise au point méthodologique sur l’étude des structures sociales à Chypre entre la fin du Chalcolithique Récent et l’Âge du Bronze Ancien : nous donnons ici le résumé de sa contribution. Les deux articles suivants nous livrent les résultats inédits des fouilles menées par les auteurs A. CANNAVÓ & A. CARBILLET, INTRODUCTION AU POCA 2011 19 sur le site néolithique de Kataliondas-Kourvellos (J. Beck), et sur le site du Bronze moyen au Bronze récent I d’Erimi-Laonin tou Porakou (L. Bombardieri, C. Scirè Calabrisotto, F. Chelazzi). L’Âge du Fer a reçu, dans cette édition 2011 du POCA, une attention tout à fait remarquable. Les études d’A. Georgiou et de Ch. Vonhoff apportent de nouveaux éclairages sur les complexes phases de transition entre le Bronze Récent et l’Âge du Fer. Les articles d’A. Paule, d’A. Georgiadou et de J.-M. Henke proposent d’analyser des productions caractéristiques de l’île à l’Âge du Fer (respectivement orfèvrerie, céramique et terres cuites), avec un intérêt renouvelé et prometteur pour l’étude des productions régionales. L’article d’A. Ulbrich, tout en présentant une collection inédite de petites sculptures d’Idalion conservées à l’Ashmolean Museum d’Oxford, s’inscrit également dans ce sillage : la comparaison qu’elle opère entre ces sculptures et d’autres assemblages découverts à Idalion dans des contextes bien documentés lui permet de réattribuer cet ensemble à l’un des deux grands sanctuaires de la cité consacrés à l’Aphrodite locale. Les croyances religieuses sont abordées par trois études d’iconographie et d’iconologie : l’une s’intéresse au thème du bateau en contexte funéraire, à partir de productions en terre cuite (A. Carbillet) ; une autre au motif de l’« Arbre de Vie » (D. Lightbody) ; la dernière est consacrée à la figure du dieu Apollon (Y. Vernet). L’étude de Ch. Ioannou cherche, quant à elle, à mieux comprendre les relations politiques et économiques de la ville de Kition avec le Proche-Orient à l’époque archaïque, d’après les sources textuelles. La période romaine est abordée avec l’étude d’épigraphie de P. Nowakowski, qui s’intéresse à la famille du procurateur T. Flavius Glaukos, ainsi qu’avec le projet d’analyse archéologique des habitats ruraux présenté par N. Kyriakou. B. Chamel et alii ont présenté, lors du colloque, les résultats des fouilles d’un ensemble funéraire découvert en 1997 à Polis Chrysochou (au lieu-dit Ambeli tou Englezou), et montré l’intérêt des études anthropologiques à la compréhension des pratiques funéraires aux époques hellénistique et romaine à Chypre : mais les auteurs n’ont pas souhaité que leur résumé (disponible en ligne à l’adresse suivante : http://poca2011.sciencesconf.org/) figure dans ce volume, car un article doit paraître dans un prochain volume du RDAC. Enfin, Ph. Trélat et H. Iliadou dressent un tableau des activités commerciales de Nicosie au Moyen Âge et à l’époque ottomane. Nous tenons encore à remercier tous les participants de cette onzième édition qui ont donné vie à ce colloque, œuvré à son succès, respecté les délais pour la publication de ce Cahier et qui, nous l’espérons, garderont de leur participation à cette manifestation bien plus qu’un souvenir convivial. Nous souhaitons à présent tout le succès qu’elle mérite à la prochaine édition qui est prévue en novembre 2012 à Erlangen, en Allemagne, en espérant que cette institution du POCA aura encore une longue vie. Lyon, le 1er février 2012 Anna CANNAVÒ, Aurélie CARBILLET Organisatrices du POCA 2011 Cahiers du Centre d’Études Chypriotes 41, 2011 À la mémoire du Professeur Pierre Carlier, mon Directeur de Thèse, envers qui j’ai un grand devoir de reconnaissance LA VILLE DE KITION ET LE PROCHE-ORIENT selon les sources écrites de l’époque archaïque Christina IOANNOU Abstract. This article deals with the information available on Kition that comes from the study of all the written sources of the Archaic period. It also tries to underscore the role of Kition through the analysis of the historical context of that era, as well as Kition’s political profile and relationships with the Near East. Le présent article porte d’une part sur les relations entre la ville de Kition et la côte syro-palestinienne à l’époque archaïque et, d’autre part, sur la manière dont ces relations ont influencé la vie politique de Kition à la même époque. L’histoire politique de l’île de Chypre à l’époque archaïque est un sujet très difficile à traiter en raison de la rareté des sources, directes aussi bien qu’indirectes. Celles-ci sont beaucoup plus nombreuses durant la période classique. Par ailleurs, les sources indirectes de l’époque classique se rapportent souvent à l’époque archaïque. Elles sont un instrument de travail « à haut risque » du fait du décalage chronologique entre la période durant laquelle sont censés se dérouler les événements décrits et celle pendant laquelle elles ont été écrites. Ainsi, leur interprétation doit être proposée en fonction du temps et du lieu où elles ont été élaborées. La ville de Kition est complètement absente de l’historiographie grecque de l’époque archaïque 1, et les mentions dans les sources de l’époque classique 2 sont rares. Cette rareté constituera notre première conclusion. En revanche, nous retrouvons Kition dans les textes du Proche-Orient, dans les inscriptions cunéiformes, hébraïques et phéniciennes de la période archaïque 3. Les fouilles effectuées dans la ville ont également révélé de courtes inscriptions en chypro-minoen qui datent du XIIIe siècle 4. Certains des objets inscrits ont été produits localement, d’autres sont importés de la côte syro-palestinienne ; 1. Yon 1987. 2. Yon 1992. 3. Yon 2004. 4. Yon 2004, p. 359-364. 266 CCEC 41, 2011 pour certains, il s’agit simplement d’objets mycéniens. Dans la région de Hala Sultan Tekké a été trouvée une coupe en argent qui porte une inscription cunéiforme 5, écrite selon le système d’écriture ougaritique que l’on retrouve dans les régions de Ras Shamra et Ras Ibn Hani, ainsi qu’à Tell Soukas, Kamid el-Loz, Sarafand, etc. Du IXe siècle à la fin du IVe les inscriptions phéniciennes, dont le nombre dépasse 150 et qui couvrent tous les domaines de la vie quotidienne de Kition, sont les seuls témoignages écrits à ce jour. L’inscription royale assyrienne trouvée à Kition est l’un des documents écrits les plus importants d’un point de vue archéologique, en ce qu’elle est la première à fournir des éléments se rapportant à la vie politique de l’île à l’époque archaïque. Toutes les inscriptions, à l’instar des références dans les textes bibliques ou bien celles dans l’historiographie et la poésie grecques, témoignent du fait que Kition détenait une place et un rôle notables dans l’Antiquité, d’où ses liens avec le Proche-Orient et la Grèce. Nous aborderons dans cette étude seulement les sources écrites de la période archaïque : l’époque classique est en effet exclue, même si le corpus des sources écrites est beaucoup plus riche et qu’il fournit des éléments plus clairs pour éclairer la situation politique de la ville. Actuellement, on compte pour la période classique 84 inscriptions phéniciennes qui reflètent la présence royale dans la ville en mentionnant vingt-huit fois le titre de « roi de Kition ». Malgré ces données plutôt complètes et suffisantes en apparence, l’image de la vie politique de Kition à l’époque classique reste quelque peu floue, et continue à constituer une énigme dans l’histoire de l’Antiquité. La dynastie royale de Kition ne doit pas être considérée comme une présence politique apparue soudainement et coordonnant les intérêts politiques de l’Empire perse. Ce changement du statut politique de Kition exige une analyse très rigoureuse des données, tout comme l’examen de l’histoire politique de la ville prise dans son ensemble, et non exclusivement dans son déroulement à l’époque classique. Certes, les inscriptions phéniciennes à caractère politique sont les témoignages les plus tangibles de la vie politique de la ville. Nous ne pouvons néanmoins tirer de conclusions sur son statut politique sans tenir compte des changements politiques survenus au Proche-Orient et en Grèce, d’autant plus que nous ignorons le passé politique de Kition. Enfin, si nous nous penchons sur les données archéologiques de Kition avant et pendant l’époque classique, nous pourrons en déduire le caractère, l’influence et l’évolution de cette présence phénicienne, du début jusqu’au moment où un roi phénicien fait son apparition. Le corpus des inscriptions abordées dans cette étude comprend les tablettes inscrites en cunéiforme trouvées à Ougarit, une inscription phénicienne trouvée au Liban, quelques extraits de la Bible, les ostraca écrits découverts à Arad, en Palestine du Sud, les inscriptions néo-assyriennes trouvées à Kition et à Ninive, ainsi que les inscriptions phéniciennes de Kition datant de l’époque archaïque 6. 5. Masson cité dans Åström 1982, p. 72-76 ; Stieglitz 1983, p. 193 ; Bordreuil 1983, p. 7-15 ; Puech 1983, p. 365-374 ; Caubet, Yon 2001, p. 149 ; Yon 2004, p. 364. 6. Testimonia de Kition (Yon 2004). C. IOANNOU, KITION ET LE PROCHE-ORIENT 267 Commençons par les tablettes cunéiformes trouvées à Ougarit. Il faut noter que l’île de Chypre, appelée Alashiya au Bronze Récent, entretenait des relations avec les grands empires de l’époque, comme le confirment les lettres d’El-Amarna 7 qui datent majoritairement du règne d’Aménophis IV (1379-1362), et sont révélatrices de l’histoire politico-économique de Chypre-Alashiya, de l’Égypte et du Proche-Orient au XIVe siècle. Outre l’Égypte, Alashiya est également mentionnée dans les textes hittites. Tous les rois de cette époque, le roi des Hittites, le pharaon d’Égypte, le roi mésopotamien Washugani, le roi d’Assyrie et le roi d’Alashiya se disaient « frères » et cette situation atteste la puissance de Chypre 8. Ce qui est troublant tout de même, c’est que les fouilles n’ont pas encore révélé l’existence d’un palais à Chypre datant de cette période et que les indices ne nous permettent pas encore de reconstituer l’image d’une société gouvernée par un roi 9. Récemment, la mention d’Alashiya a également été trouvée sur les tablettes trouvées dans la maison d’Ourtenou à Ougarit 10. Parmi ces tablettes, inscrites en cunéiforme, certaines font mention d’Alashiya et confirment l’existence d’un roi. Des tablettes ont même été découvertes qui évoquaient des résidents alasiotes à Ougarit. Une tablette en ougaritique (RS.11.857) fournit la liste d’une famille d’Alashiya habitant évidemment à Ougarit, tandis que d’autres font état de ressortissants d’Ougarit habitant à Alashiya 11. Nous observons donc une immigration dans les deux pays. Les autres documents sont de caractère économique 12. Un des nombreux documents découvert en 1994 dans la maison d’Ourtenou avec bien d’autres, et complétant le dossier de la correspondance entre la cour d’Ougarit et celle d’Alashiya, attire l’attention : c’est une lettre adressée au roi d’Ougarit qui porte le nom du roi Kušmašuša 13. C’est le nom le plus ancien d’un roi chypriote et, pour la première fois, nous disposons d’un témoignage réel sur le système politique d’Alashiya. Les liens entre Ougarit et Chypre étaient très étroits et intenses à la fin du Bronze Récent 14. Les dernières informations sur Alashiya datent du voyage de Wenamon, comme nous pouvons le lire sur le papyrus très lacunaire ; son histoire pourrait, certes, être considérée comme une sorte de roman, à un récit dont nous ne pouvons tirer des conclusions entièrement fiables. En tout cas, une fois de plus, l’information suivant laquelle l’île était un passage obligé des itinéraires en Méditerranée orientale se trouve confirmée 15. Wenamon voyageait d’Égypte à Byblos pour s’approvisionner en bois ; il 7. Moran 1987, p.105-113. 8. Helck 1997, p. 358-359 ; Moran 1987, p. 105-113. 9. Baurain 1985, p. 204-207. 10. Malbran-Labat 1999, p. 121-124. 11. Bordreuil, Pardee 1989, p. 61 ; MacDonald 1978, p. 161-173. 12. Vincentelli 1976, p. 143-148. 13. Malbran-Labat 1999. 14. Yon 1999, p. 113-119. 15. Pritchard 1969, p. 25-29 ; Leclant 1968, p. 9-31 ; Bunnens 1978, p. 1-16. 268 CCEC 41, 2011 fut obligé de débarquer sur l’île d’Alashiya. Ce faisant, il fut victime de l’hostilité des habitants, ce qui lui valut de vivre une mauvaise expérience. Personne ne comprenait sa langue et il demanda à voir la reine, nommée Hathaba ou Hatiba, qui accepta de le recevoir. Wenamon insista sur le fait que son assassinat aurait des retombées négatives sur le royaume d’Alashiya, de la part de Byblos. Nous ignorons dans quelle région il débarqua et nous ne pouvons expliquer la présence d’une princesse. On peut toutefois, à partir de ce passage, formuler l’hypothèse qu’il existait une royauté dans l’île, image que reflètent les lettres d’El-Amarna tout comme les textes d’Ougarit, puisqu’il est fait mention du nom d’un roi à Alashiya. Dans le cadre d’une famille royale, la présence d’une reine qu’aurait rencontrée Wenamon, selon ses dires, est possible. La conclusion que l’on peut tirer de ce corpus et des sources proche-orientales est qu’il existait un royaume, celui d’Alashiya, qui occupait une place très enviable sur l’échiquier politique régional, comme le suggère la correspondance diplomatique de l’époque : ce roi échangeait des cadeaux prestigieux avec le Pharaon (échange de dons entre élites) pour lui exprimer sa gratitude quant à la préservation de la paix en Méditerranée orientale 16 tout comme avec les autres rois du Proche-Orient. Le papyrus de l’histoire de Wenamon s’interrompt malencontreusement au moment où intervient « la reine d’Alashiya » 17 et nous ignorons si ce royaume concernait l’ensemble de l’île de Chypre ou seulement une partie, peut-être une région côtière où Wenamon aurait débarqué et dialogué avec la reine. Dans ce contexte, l’absence de relations « fraternelles » avec un roi mycénien est un élément assez curieux. Si ce roi d’Alashiya, pour en revenir à Kušmašuša, entretenait des relations avec les rois du Proche-Orient, pourquoi ne se réfère-t-il pas à des rapports avec les rois mycéniens ? Pourquoi ne disposons-nous d’aucun élément confirmant l’existence d’un réseau de correspondance entre le roi d’Alashiya et les rois mycéniens, au moment où les données archéologiques confirment les relations entre Chypre et la Grèce durant la période mycénienne ? L’absence du nom d’Alashiya sur les tablettes mycéniennes nous intrigue, et nous penserions volontiers que cette absence est liée à l’appellation d’Alashiya, un nom qui était inconnu ou n’était pas utilisé dans le monde grec, apparaissant exclusivement dans les sources du Proche-Orient. La ville d’Ougarit, outre cette inscription dans laquelle figure le roi d’Alashiya, a fourni des textes de la fin du XIIIe siècle et du début du XIIe sur des tablettes comportant le mot kt. Une série d’attestations de kt trouvées dans les archives du Palais Royal 16. Karageorghis 1997, p. 246. 17. Pritchard 1969, p. 25-29. C. IOANNOU, KITION ET LE PROCHE-ORIENT 269 d’Ougarit, seraient liées soit à la ville de Kition soit à toute l’île de Chypre. Sur l’inscription RS 16.341, trouvée en 1952 18, il est écrit : ligne 9: kd. bn. amht. Kt , et ligne 10 : !"#$"%&'(%, qu’on peut lire ainsi : « Jarre du fils des employés de Kition / et fils d’Égypte ». La présence du nom de l’Égypte a conduit S. Segert 19 à suggérer que Kt dans ce cas désigne Chypre dans son ensemble. Mais M. Dietrich, O. Loretz et J. Sanmartín 20, quant à eux, en s’appuyant sur le fait que le k de la fin de la ligne 9 a été détruit, supposent que le mot n’est pas Kt (donc Kition), mais mlkt, et en conséquence désignerait « la reine » ; ainsi, ils ne rapportent pas le texte à Chypre. Cependant, le terme mlkt apparaît dans les archives, sous le numéro KTU 4. 219, 12, mais sans aucun rapport avec les servantes. Une liste du personnel du roi (KTU 4. 141 II1) 21 mentionne une catégorie désignée comme bn. kt, interprétée comme « fils de Kition ». Par la suite apparaissent des noms de personnes. C. Gordon 22 suppose que le mot kt pourrait être lié à Chypre et avoir un rapport avec Kition ; en tout cas, le mot tout seul a été utilisé selon lui pour désigner un objet lourd en métal précieux, destiné à un dieu. La relation de Chypre au cuivre, le matériau composant probablement l’objet en question, explique pourquoi il a été nommé ainsi. Cet objet était peut-être le « dais » que l’on déchiffre dans une autre inscription en cunéiforme, numéro KTU 1.4,I, ligne 30 : kt. il. dt. Rbtm, tandis qu’à la ligne 31, nous avons aussi kt. il. nbt. bksp. M. Dietrich, O. Loretz et J. Sanmartín 23 proposent d’interpréter le mot kt comme « dais », ce qui donnerait la traduction suivante : « un dais divin de vingt mille et un dais divin orné d’argent ». Le mot kt est également présent dans l’inscription KTU 1.13, à la ligne 10, où il est écrit kt. grk. signifiant « plateforme pour tes montagnes », tandis qu’à la ligne 12, kt. [k]bkm voudrait dire « plateforme pour les étoiles ». S. Segert tend à contester les interprétations de M. Dietrich et cite l’inscription kt.zt.mm (KTU 4.786,13), qui mentionne de l’huile d’olive et de l’huile de myrrhe, pour souligner que le mot kt était aussi lié à des textes de nature économique 24. Nous ne sommes finalement pas en mesure de parvenir à une conclusion solide quant à la signification du mot kt sur les tablettes cunéiformes, les interprétations étant diverses et confuses. D’autre part, le fait que les relations entre Ougarit et Kition étaient établies à l’époque renforce l’hypothèse que le terme de Kitiens servait soit aux habitants de Kition pour marquer leur origine, soit aux habitants de l’île entière pour souligner leur identité. 18. Publiée pour la première fois par Ch. Virolleaud (1957), puis par C. Gordon 1965, M. Dietrich et al. 1976, 1995, P. Bordreuil et D. Pardee 1989 ; Yon 2004, p. 35-36, n° 15. 19. Segert 2000, p. 165. 20. Dietrich et al. 1995, p. 301. 21. Dietrich et al. 1995, p. 267. 22. Gordon 1965, p. 424. 23. Dietrich et al. 1995, p. 35. 24. Segert 2000, p. 166. 270 CCEC 41, 2011 !"#$%&'()#*")#+,)$&+'-+%,)#*./(01&+-#'"&2"-#*.%3)"&4"&#5("6#*"'(+)#71#8+,#*"#7.90"#*(# Bronze Récent, deux noms se rapportent soit à l’île entière, soit à une partie de celle-ci. Alashiya, où règne un roi, pourrait désigner Chypre ou une région de l’île entretenant des relations avec la côte syro-palestinienne ; Kt pourrait tout aussi bien être soit le nom sous lequel était connue l’île dans son ensemble, soit la zone de l’île qui jouait un rôle majeur dans les relations commerciales avec la côte située en face. Nous tendons à penser qu’à cette époque-là, Alashiya désignait l’île tout entière et Kition la région côtière d’où partaient et où débarquaient les bateaux. L’ethnique kty se lit également sur une flèche en bronze inscrite provenant du Liban, selon des commerçants libanais qui l’ont transportée à Londres sans préciser l’endroit de la découverte. L’inscription, datée du XIe siècle, consiste en quelques lettres gravées : « Flèche du Kitien » 25 sur la face A de la flèche ; sur la face B, on lit un M, un Š, puis un Q qui désigne le porteur de la coupe ; on lit enfin quatre lettres : ’BDY, traduites par « Abday ». Le mot KTY sur la face A nous renvoie immédiatement à une personne originaire de cette ville (le Y final indique la provenance de quelqu’un, dans un territoire phénicien). La traduction complète est : « Flèche du Kitien porte-coupe de Abday », mais le nom du Kitien ne figure pas sur la coupe. Dans ce cas, nous ignorons encore une fois si le mot Kty se réfère à un habitant de la ville de Chypre, ou s’il s’agit d’un habitant de l’île en général. Il importe de noter que, parmi les 45 flèches inscrites trouvées à Akko et à Tyr, deux d’entre elles ne portent pas des noms phéniciens : en effet l’une porte en réalité un nom égyptien, alors que la seconde est celle qui provient de Kition et sur laquelle le nom n’est pas indiqué. Passons à présent aux textes bibliques, qu’on peut partager en deux catégories : ceux qui concernent la terre des Kittim et ceux qui concernent un groupe de personnes s’appelant Kittim. L’interprétation de ces textes est difficile, tout comme leur datation. Dans le corpus que nous allons examiner, nous exclurons les références datant de l’époque archaïque et postérieures. Le premier extrait est la prophétie d’Isaïe (23, 1-14) concernant la ville de Tyr : le pays de Kittim y est présenté comme la dernière escale des marins phéniciens qui, alors qu’ils étaient sur le point de quitter le pays de Kittim, ont appris la catastrophe de Tyr. La question qui se pose encore une fois est de savoir si le pays de Kittim comprend l’ensemble de la population de l’île de Chypre ou seulement celle de Kition. En s’appuyant sur le fait que l’emplacement géographique de Kition peut constituer la dernière escale des navigateurs phéniciens avant leur voyage de retour au pays, nous pourrions soutenir l’idée, pour la première fois probablement, que le pays des Kittim pourrait être la ville de Kition. Le quatrième oracle de Balaam (Nombres 24, 24) précise que Kittim désigne une région insulaire, un point d’escale pour les navires commerciaux ; cette deuxième attestation est en accord avec le prophète Isaïe, confortant la possibilité que la région soit la ville de Kition. 25. Sznycer 1995 ; Yon 2004, p. 36, n° 16. C. IOANNOU, KITION ET LE PROCHE-ORIENT 271 Le dixième chapitre de la Genèse présente les fils de Yawan dont les Kittim font partie. Ce chapitre sur les généalogies intitulé « Tables des peuples » reflète l’état du monde archaïque. M. Yon 26 a avancé l’hypothèse que l’extrait correspond à l’époque archaïque et particulièrement à l’intervalle chronologique VIIIe-VIe siècles, mais d’autres auteurs affirment que cet extrait présente l’origine des nations comme l’accomplissement de la bénédiction divine accordée à Noé et à ses trois fils, à l’époque achéménide, et que les peuples mentionnés appartiennent à l’empire perse, voire sont à situer encore plus tard, à l’époque hellénistique 27. L’extrait pourrait cependant refléter une période plus ancienne, bien que rédigé beaucoup plus tard. Cette réflexion nous paraît assez importante relativement à Kition qui semble être l’enfant de Japhet et le frère d’Elisha. En lisant le texte hébraïque, on peut penser tout d’abord que le nom Yawan pourrait constituer un terme générique désignant tous les Grecs, tout en se rapportant au nom Iaman, en akkadien, et à sa version néo-assyrienne Iawan 28. Les fils de Yawan sont en relations avec les Tarshish qui seraient les habitants de la ville de Tartessos, symbole de l’expansion phénicienne à l’ouest. Les Dodanim du texte hébraïque sont les Rodanim qui, en grec, ne sont autres que les Rhodiens. Les deux noms restants sont ceux d’Elisha et de Kittim. Le premier point intéressant concerne la ressemblance phonétique entre Elisha et Alashiya, nom sous lequel Chypre 29 était connue durant la dernière phase de l’9ge du Bronze, jusqu’à la plus récente mention du mot Alashiya dans le papyrus de Wenamon 30, au début du XIe siècle. Nous nous demandons dès lors si, dans ce texte, le terme Kittim devrait être interprété comme désignant l’île tout entière, tandis qu’Elisha se réfèrerait à la région qui entretenait des relations commerciales avec les grands empires de l’époque durant la dernière phase de l’9ge du Bronze. La question qui se pose est de savoir si Elisha – ou Alashiya – et Kittim renvoient à l’ensemble de l’île de Chypre et, si tel est le cas, pourquoi il y a deux termes pour désigner l’île. Cette distinction viserait-elle à désigner deux parties de l’île, celle qui a toujours été commercialement active et qui figure dans les textes diplomatiques *"#7.90"#*(#:&%,;"6#*.(,"#'1&-6#"-#Kittim, la nouvelle région clé émergente qui prend le relais des relations commerciales intenses entre Chypre et le Proche-Orient, d’autre part ? Ajoutons à cela le fait que, dans le texte, Kittim n’est pas présentée comme une région géographique, mais comme un terme identifiant un groupe de personnes, comme c’est le cas pour les Tarshish et les Rodanim. Elisha, en revanche, est dans le texte le nom d’une région. 26. Yon 2004, p. 33. 27. Ross 1964, p. 155-184; Speiser 1964, p. 64-73 ; Neiman 1973 ; Westermann 1974, p. 662-706 ; Luke 1982 ; Vermeyelen 1992. 28. Rollinger 1997. 29. Heltzer 1988, p. 167. 30. Schipper 2005. 272 CCEC 41, 2011 Un deuxième extrait mentionnant )*+,-a et Kittim est la prophétie d’Ezéchiel sur la destruction de Tyr 31. Cette prophétie décrit la ville de Tyr comme un bateau transportant tous les collaborateurs commerciaux de la ville et la fournissant en objets précieux. Les Kittim ravitaillent Tyr en bois alors qu’Elisha est la région d’où provient la pourpre. Cette particularité d’Elisha provoque une certaine confusion, étant donné que Tyr est la ville la plus célèbre s’agissant de la production de la pourpre. Il y a, certes, l’hypothèse avancée d’abord par I.M. Diakonoff 32, selon laquelle Elisha, dans ce passage, serait la ville de Carthage en Tunisie où avait lieu la production de la pourpre. Elisha pourrait également être assimilée à Tyr, puisqu’il s’agit du nom de la fille du roi mythique Baal qui, après avoir abandonné sa ville natale, a entamé un périple dans différentes pays, dont Chypre, pour trouver finalement refuge à Carthage. Ce voyage mythique d’Elisha est en fait une allégorie du voyage des Tyriens qui, partant du littoral de leur ville, ont sillonné toute la Méditerranée, effectuant des escales fréquentes dans des endroits où leurs marchandises prestigieuses enrichissaient la vie quotidienne des Méditerranéens. Dans cette perspective, si nous identifiions Elisha avec Tyr, nous pourrions justifier la relation fraternelle telle qu’elle est révélée dans le passage de la Genèse où les Tarshish sont les frères des Rodanim et des Kittim qui, selon l’archéologie aussi, sont les associés commerciaux des Tyriens. Pour conclure sur le sujet polémique d’Elisha qui reste toujours ouvert, soulignons la relation avec Kition telle qu’elle apparaît dans les textes, sa relation phonétique avec Alashiya, une appellation ne figurant dans aucun texte hébraïque, et, enfin, la relation directe qui existait entre Tyr et Kition. Le pays de Kittim pourrait donc se rapporter soit à la ville de Kition, soit à l’île entière. Cette région à l’ouest de la côte syro-palestinienne (Genèse 10, 4 ; Isaïe 23, 1) fait fonction de comptoir commercial pour les bateaux rentrant d’Occident et terminant leur parcours à Tyr. Les relations commerciales entre les Kittim et Tyr sont évidentes, étant donné que les Kittim étaient pour Tyr des fournisseurs de bois de bonne qualité. Outre les extraits bibliques, une série d’ostraca inscrits appelés Ktym ont été trouvés à Arad en Palestine du Sud, à l’ouest de la mer Morte, une région qui était sous le contrôle du royaume de Juda. Le corpus des ostraca 33 date de la fin du VIIe et du début VIe siècle. Le mot Kittim apparaît sur dix ostraca qui revêtent une grande importance en ce qu’ils constituent des textes administratifs, et qu’ils fournissent des informations sur les quantités de produits devant être livrés aux Kittim. A. Lemaire 34 a suggéré que ces individus portant le nom Ktym ne seraient pas des habitants de Kition au sens strict, mais des Grecs au sens large. Or, l’assimilation des Kittim aux Grecs est établie dans des textes beaucoup plus tardifs, tels que le premier livre des Maccabées (1 Mac., 1, 1), dans lequel nous lisons qu’Alexandre, fils de Philippe de Macédoine, s’en va du pays 31. Yon 1987, p. 361-363. 32. Diakonoff 1992, p. 175-176. 33. Aharoni 1981, p. 12-34 ; Yon 2004, p. 56-58. 34. Lemaire 1977. C. IOANNOU, KITION ET LE PROCHE-ORIENT 273 de Kittim ; un peu plus loin (1 Mac., 8, 5), Philippe V de Macédoine et son successeur Persée sont présentés comme rois de Kittim. Dans Job, 24, 28, les Kittim sont également identifiés aux Macédoniens. Le fait que le terme Kittim soit utilisé dans l’historiographie postérieure de l’époque archaïque pour désigner les Grecs et les Romains pourrait constituer un élément permettant de décoder cette appellation à l’époque archaïque. D’un autre côté, l’étude des autres textes d’époque archaïque, si l’on garde à l’esprit l’état des relations commerciales à l’époque entre l’île et la côte, tend à nous faire penser que les Kitiens cités sur les ostraca pourraient logiquement être soit des Kitiens 35, soit des mercenaires chypriotes recrutés à Chypre, sous la responsabilité kitienne ; en effet, dès le VIe siècle, les relations entre Kition et la côte levantine s’inscrivaient dans un contexte qui ne permettait pas l’utilisation du terme ktym au sens large. Il faut dire que les relations entre Kition et la côte levantine ont été établies depuis la fin du Xe siècle ; leur nature est essentiellement commerciale et fondée sur la coopération, qui prouve par ailleurs une présence phénicienne permanente à Kition. Ainsi, nous considérons que le terme de « Kition », à l’époque des ostraca, désignait probablement uniquement la ville, et non l’île tout entière ou le monde grec au-delà de l’île, comme le suggère A. Lemaire. Un indice qui justifie l’hypothèse est apporté par les inscriptions assyriennes rédigées à Ninive au VIIe siècle : elles doivent être considérées comme une preuve que le monde proche-oriental savait, soit par l’intermédiaire des Phéniciens, soit par les Assyriens euxmêmes, que Chypre était divisée en plusieurs cités-États. Le terme ktym ne devait donc pas englober des Grecs et donc des Occidentaux à cette époque. Nous supposons en conséquence qu’il se référait exclusivement aux habitants de la ville de Kition. La quatrième catégorie de textes concerne les écrits néo-assyriens découverts à Kition et à Ninive. Le premier texte est la fameuse stèle du roi assyrien Sargon 36 qui a été trouvée à Kition, et qui date de 707 av. J.-C. Après le XIe siècle et au lendemain d’une longue période, ce sont les sources akkadiennes qui désignent Chypre sous un nouveau nom : Iadnana. Cette stèle trouvée à Kition constitue le symbole de la soumission politique de l’île aux Assyriens et de leur expansion. L’interprétation du texte conduit à nombre d’interrogations quant au statut politique de Chypre. Pour commencer, le texte mentionne Ia’a à la première ligne, une région géographique comprenant Iadnana, nom censé désigner l’île tout entière. Iadnana y est en effet décrite comme une île située au milieu de la Méditerranée et dotée d’une structure politique et d’une position stratégique notables. Cette région se situerait « à proximité » de la côte syro-palestinienne, à une distance équivalente à sept jours de voyage. Le nom .+//+% brille par son absence dans l’inscription. Le numéro sept est utilisé pour définir le nombre des rois de Ia. Il faut noter que la stèle est décorée d’un relief du roi assyrien 35. Heltzer 1988. 36. <1*2%&# =>>?# @# !+'+A)B+# CDDE6# 'F# G=HGI# @# J%,# =>>G# @# ,%(4"77"# K*+-+%,# "-# -&1*($-+%,# '1&# F. Malbran-Labat dans Yon 2004, p. 345-354. 274 CCEC 41, 2011 au-dessous duquel apparaissent les sept symboles des dieux assyriens 37. On peut s’interroger sur l’utilisation du chiffre sept : se rapporte-t-il à la distance séparant l’île de la côte proche-orientale ? le nombre de rois n’est-il qu’une coïncidence par rapport à celui des dieux assyriens, ou plutôt une réalité ? Le nombre des jours de la semaine renforce l’hypothèse que le chiffre sept était utilisé pour des raisons symboliques et que les Assyriens ne disposaient très probablement d’aucune information concrète sur l’île et surtout sur son statut politique 38. La soumission, selon le texte assyrien du moins, s’est opérée sans l’usage de force, d’où l’absence de l’armée assyrienne sur l’île, ce qui est digne d’attention. Ia constitue donc la frontière occidentale de l’empire de Sargon, et Kition est la ville choisie pour l’érection de ce symbole de soumission. S’agit-il d’une autre coïncidence ou bien d’un acte impliquant des démarches diplomatiques ? La corrélation entre la ville de Kition et les Phéniciens est une réalité qui ne peut être négligée lorsque l’on tente de répondre à cette question. Une relation qui est évidente dans les textes bibliques. Durant le règne de Sargon et de son fils Sennachérib, Iadnana est mentionnée dans les inscriptions assyriennes toujours en rapport avec les Phéniciens. Dans la première inscription, datant de 701, il est écrit que Sennachérib, au cours de son expédition contre la Palestine et la Phénicie en 702-701, obligea Éloulaios, roi de Tyr, à se rendre à Kition pour y trouver refuge. L’inscription de Ninive, datée de 701, quant à elle, établit qu’à la suite de ces événements, « Luli le roi de Sidon redouta de m’affronter en combat ; il s’enfuit à Iadnana qui est au milieu de la mer et y rechercha refuge. Dans ce pays, il mourut dans la peur des armes d’Assur mon seigneur. Je plaçais Tubalu sur le trône de ce royaume et lui imposais le tribut dû à ma royauté » 39. Le fait que le roi phénicien ait trouvé refuge à Kition suppose d’une part l’absence d’ambassadeurs ou de l’armée assyrienne sur l’île, d’autre part elle laisse penser que la ville de Kition était dotée d’un statut particulier, le premier port d’embarquement des bateaux phéniciens, une ville capable d’accueillir le roi phénicien sans craindre d’en subir les conséquences politiques de la part des Assyriens 40. Une troisième inscription, qui date de 694, fait état de captifs appartenant à Sennachérib, dont un certain nombre de marins chypriotes et sidoniens qui avaient participé à l’expédition contre l’Élam 41. Cet incident demeure inexploré faute d’éléments, mais il nous permet toutefois de souligner la collaboration entre Chypriotes et Sidoniens et leur point commun, les compétences maritimes. 37. :L&B"&HM7NO,#=>PC6#Q0F#=RGF 38. Morandi 1988. 39. Yon 2004, p. 50, n° 33. 40. Luckenbill 1924, p. 68-69 ; Elayi 1985, p. 22-23 ; Briquel-Chatonnet 1992, p. 194. 41. Luckenbill 1924, p. 57-62. C. IOANNOU, KITION ET LE PROCHE-ORIENT 275 La quatrième inscription assyrienne provient de Ninive et constitue le texte le plus complet de l’histoire politique de l’île à l’époque archaïque 42. Il ne s’agit pas d’un texte royal comme celui de la stèle de Sargon à Kition, mais son importance est tout aussi grande. Le prisme du roi Assarhadon sur lequel figurent tous les rois et les royaumes soumis au pouvoir assyrien date de 673 ; il porte la liste de dix rois chypriotes qui, à l’instar de leurs homologues phéniciens et palestiniens, vont payer un tribut au roi assyrien qui s’en servira pour faire construire un nouveau palais. La cinquième inscription date de 667, lorsque Assurbanipal avait succédé à Assarhadon, et elle se rapporte à l’expédition du roi en Égypte 43. L’inscription présente la liste des rois et des royaumes chypriotes, ainsi que celle des souverains de la côte syropalestinienne soumis au roi assyrien. En comparant les deux prismes et la stèle de Sargon, il faut souligner qu’ils sont de natures et de fonctions différentes. La stèle de Sargon est le symbole de la soumission de l’île, tandis que les deux prismes ne sont que des catalogues énumérant l’ensemble des régions soumises. En ce qui concerne le statut politique de Chypre, il faut noter que sur les prismes, il est fait allusion à dix rois et donc à dix royaumes, alors que sur la stèle, il est question de sept rois et de sept royaumes. Les sources assyriennes introduisent le terme d’Iadnana et ne font pas apparaître celui de Kittim. Nous nous demandons donc si l’appellation d’Iadnana s’est substituée à celle de Kittim. L’absence de référence à la ville de Kition sur les deux prismes de 673 et de 667, le lieu choisi par les Assyriens pour affirmer leur pouvoir sur l’île en 707, pourrait constituer un indice reflétant la situation politique de la ville qui, à notre sens, a tout pour être identifiée avec la ville de Qarthihadast mentionnée sur les deux prismes. Les discussions autour du nom de Qarthihadast constituent un autre problème qui concerne les sources de l’époque archaïque tout en étant liée à la situation politique de Kition. Deux coupes inscrites (CIS I, 5) ont été acquises à Limassol, ce qui d’emblée pose un problème quant à leur provenance. Le fait qu’elles aient effectivement été découvertes hors d’un contexte archéologique, chez un antiquaire de Limassol, impliquant que les fournisseurs de ces prestigieux objets avaient apparemment un rapport avec le commerce d’antiquités, a donné lieu à un débat qui est loin d’être clos. Le contenu des inscriptions pose aussi quelques problèmes. Il est question d’un roi de Sidon qui dispose à cette période d’un gouverneur dans un endroit appelé Carthage. Où se trouvait donc cette Carthage, cette « ville nouvelle » des Phéniciens ? À Chypre ? Si tel est le cas, est-ce à Kition ou bien à Limassol, lieu où fut acquise la coupe, ou plutôt à Moutti Sinoas où, selon la rumeur, aurait été mise au jour la coupe qui a été apportée à l’antiquaire ? Si Carthage doit être perçue comme une ville nouvelle, une ville-colonie, s’agit-il d’une colonie phénicienne à Chypre soumise au roi de Sidon ? 42. !+'+A)B+#=>>=#@#S1))%,#=>>C#@#T"(21,,#=>>E6#'F#EH?F 43. Borger 1956, p. 18-20. 276 CCEC 41, 2011 La localisation de Carthage à Kition est une hypothèse soutenue par de nombreux chercheurs 44 ; un autre groupe d’auteurs et de chercheurs assimilent, quant à eux, Carthage à Amathonte 45 ; enfin un troisième groupe d’auteurs considèrent Limassol comme la « ville nouvelle » des Phéniciens 46. Nous concluons que ces coupes pourraient avoir eu une autre destination que l’île, comme les objets de luxe qui circulent dans toute la Méditerranée. Le fait qu’elles aient été vendues à Limassol ne signifie pas forcément qu’elles se trouvaient dans l’Antiquité dans une ville chypriote. Mais nous n’allons pas nous étendre davantage sur ce sujet qui mériterait une analyse plus profonde. Par ailleurs, le choix de Kition pour l’érection de la stèle de Sargon a été expliqué par nombre de savants comme une affirmation de la soumission politique de la ville de Kition à Tyr, qui était elle-même déjà soumise aux Assyriens. L’absence à ce jour d’inscriptions phéniciennes ou d’autres données archéologiques ne peut malheureusement pas contribuer à confirmer cette hypothèse. De plus, les relations entre Tyr et Kition, d’après ce que dévoilent les autres sources déjà examinées, ainsi que les témoignages archéologiques de l’Égée jusqu’à Huelva, ne permettent pas de conclure que la ville de Kition se trouvait sous le contrôle politique de Tyr ; tout au plus confirment-ils que les deux villes participaient ensemble aux voyages commerciaux. La stèle de Sargon, comme on peut l’a vu, incite à se demander si les Assyriens connaissaient ou non la situation politique et sociale de l’île. Les informations nécessaires étaient probablement transmises aux Assyriens par les Phéniciens, et plus précisément par les Tyriens. La soumission de l’île à cet égard n’aurait pu s’effectuer qu’avec l’aide d’une force maritime comme celle de Tyr 47. Le choix de Kition comme lieu de démonstration de cet assujettissement pourrait aussi s’expliquer par la proximité géographique entre Tyr et Kition. Iadnana était donc soumise aux Assyriens, qui étaient très probablement représentés par les Tyriens ; mais cette représentation ne peut être interprétée comme une soumission politique de la ville aux Tyriens. La situation est en fait beaucoup plus compliquée. Tyr n’a jamais fait preuve d’une envie de conquérir Kition. Les données archéologiques montrent au contraire qu’elle a influencé la culture matérielle des Kitiens, tout en encourageant la tendance qu’avaient dès le début les Phéniciens à s’intégrer à la société locale, tendance caractéristique du comportement phénicien partout en Méditerranée. D’un autre côté, les changements politiques survenus au Proche-Orient ont obligé Tyr, désormais partie de l’empire assyrien, à exécuter les décisions prises par les Assyriens. 44. Schraeder 1890, p. 337 ; Meyer 1931, p. 86 et 126 ; Moscati 1966, p. 104 ; Karageorghis 1976, p. 109-110 ; Bunnens 1979, p. 350-353 ; Baurain 1997, p. 254 ; Yon 2004, p. 19-22. 45. Hill 1949, p. 107-108 ; Hermary 1987. 46. !+'+A)B+#=>PI6#'F#C=CHC=?#@#4%+&#1())+#S1))%,6#U,;V$"&#=>RC6#)(+4+)#'1&#W1&3+,+#=>PD6#'F# 121-122 ; Katzenstein 1973, p. 207-208. 47. Briquel-Chatonnet 1992, p. 185. C. IOANNOU, KITION ET LE PROCHE-ORIENT 277 L’inscription assyrienne 48 du palais de Sennachérib à Ninive, datée de 701, témoigne de la nature des relations entre Tyr et Kition, en ce qu’elle relate la fuite de Luli à Iadnana. Il en est de même pour le relief du palais de Sennachérib qui montre probablement la fuite d’Éloulaios de Tyr 49. Le nombre de bateaux est assez remarquable, nous amenant éventuellement à faire état d’une certaine forme d’immigration. Les inscriptions phéniciennes de Kition qui s’inscrivent dans l’horizon de l’époque archaïque sont la cinquième et dernière catégorie de textes abordés. Notons tout d’abord que leur nombre est très limité et qu’aucune d’entre elles ne présente un caractère politique. Trois inscriptions sont antérieures au VIIe siècle. Deux inscriptions ornent deux coupes, le reste d’entre elles transcrivant des anthroponymes. Une inscription de 800 environ dédiée à Astarté est la raison principale qui nous conduit à assimiler le temple de KitionKathari à celui d’Astarté, symbolisant de ce fait la présence phénicienne à Kition 50. Malgré l’état de l’inscription, le nom d’Astarté – ‘ŠTRT – peut être lu sans difficulté, tout comme les lettres ML. C’est peut-être le nom d’un Phénicien de Tamassos qui serait allé à Kition et se serait rendu au temple d’Astarté ; il aurait offert à la déesse sa chevelure en la plaçant dans une coupe, interprétation très discutable qui n’est plus acceptée par l’opinio communis. Cette inscription, outre les informations importantes sur l’aspect religieux, fournit d’autres renseignements. Nous pouvons y voir la liaison entre Kition et Tamassos, région réputée pour son cuivre, et qui tomba beaucoup plus tard sous la domination de Kition. Ce geste religieux constitue-t-il un indice tendant à prouver que les Phéniciens s’étaient déjà installés à Tamassos pour tirer profit des mines, et qu’ils avaient déjà un temple à Kition en l’honneur de leur grande déesse Astarté ? Si le citoyen de Tamassos s’était contenté de déposer un objet votif dans le temple de la déesse, son geste n’aurait pu être considéré comme étrange ; ce serait alors encore un signe reflétant l’union des habitants des deux villes et prouvant que ce ML était un Phénicien installé à Tamassos qui se rendait à Kition pour son temple. L’existence d’une communauté phénicienne à Kition est naturelle, en raison de son emplacement géographique, de même qu’une implantation des Phéniciens à Tamassos, du fait de l’existence des mines. Nous voulons souligner la relation entre Tamassos et Kition que cette inscription met en évidence. L’étude des sources écrites, ainsi que celle des données archéologiques, a révélé que Kition entretenait une relation particulière avec le Proche-Orient, et les Phéniciens en particulier, avant et durant l’époque archaïque. Pour conclure sur les relations des Phéniciens avec Chypre, tournons-nous vers le Proche-Orient, et vers la situation politique de la côte qui semble être la clé permettant de décoder l’ensemble de cette présence. 48. Luckenbill 1927, p. 118-119 ; Saporetti 1976 ; Frahm 1997, p. 53 et p. 113-123 ; Yon 2004. 49. Barnett 1956, p. 87. 50. Demargne 1969 ; Dupont-Sommer 1974 ; Teixidor 1972 ; Magnanini 1973, p. 115 ; Coote 1975 ; Guzzo Amadasi, Karageorghis 1977, p. 149-60 ; Yon 2004, p. 188. 278 CCEC 41, 2011 Dès le Xe siècle, Tyr a réussi, à travers une pratique diplomatique brillante, à s’assurer des gains financiers au cours de cette période. La politique suivie par Tyr à partir du Xe siècle et jusqu’au IVe lui a valu d’être l’une des forces navales les plus importantes de la Méditerranée. L’émergence et la prédominance de l’empire assyrien n’ont pas perturbé Tyr qui a continué à s’acquitter de son tribut au roi assyrien, à l’instar des autres villes phéniciennes. Les Assyriens vont accorder leur autonomie aux villes phéniciennes jusqu’au VIIIe siècle. La prise du trône par Tiglath Phalesar XXX# marquera le début du changement de ce statut politique. Les Assyriens vont pour la première fois intervenir sur le commerce phénicien, instaurant un contrôle sévère. Tyr ne pouvait plus organiser des voyages maritimes sans l’autorisation des Assyriens. Le roi de Tyr au cours de cette période, Hiram II, va tenter de construire une coalition anti-assyrienne avec le roi de la région d’Aram, mais sans succès 51. Or la réaction du roi assyrien, eu égard à cette coalition, nous semble étrange dans la mesure où on s’attendrait à ce qu’il détruise la ville de Tyr et chasse le roi de son trône. Au contraire, il se contente de forcer Hiram II à payer tribut sans l’empêcher de continuer ses activités commerciales. Ce comportement ne pourrait s’expliquer qu’en tenant compte de l’incapacité des Assyriens à mener des affaires commerciales et de leur besoin en métaux précieux dont Tyr était le fournisseur. L’arrivée au pouvoir de Sargon a changé le comportement politique des Assyriens envers les royaumes de la côte syro-palestinienne. Sargon a en effet détruit les régions conquises et transféré des prisonniers à Ninive. La seule région à n’avoir pas subi cette tendance dévastatrice était Tyr. La seule fois où Tyr sera confrontée militairement aux Assyriens est celle où Luli se révolte contre Sennachérib, le successeur de Sargon. La fin de cette révolte s’est soldée par la fuite du roi tyrien à Iadnana, d’après l’inscription akkadienne. La même année, Tyr va perdre le contrôle de Sidon, ce qui avait été prédit par la prophétie d’Isaïe. Le successeur de Luli, Baal I, signa un accord avec Assarhadon afin d’affronter la situation difficile dans laquelle se trouvait Tyr. L’accord prévoyait que cette dernière pourrait continuer à mener ses opérations maritimes, mais sous le contrôle des Assyriens. Cette situation a duré jusqu’au règne d’Assurbanipal qui marque la chute politique et économique de Tyr, alors que Chypre se trouvait sous domination assyrienne. Les recherches sur le statut politique de Tyr éclairent le climat qui y régnait et la façon dont l’île était assujettie aux Assyriens. Elle met également en évidence les relations politiques entre Tyr et Kition. Les Tyriens seraient probablement à l’origine de la soumission de l’île aux Assyriens. Le choix de Kition pour l’érection de la stèle de Sargon, et le fait que la ville de Kition était inscrite avec le nom phénicien Qartihadast sur les deux prismes de Ninive, montrent que Tyr était l’anneau qui unissait Kition et les Assyriens, et Chypre et les Assyriens. La relation particulière entre Kition et Tyr explique pourquoi les scribes à Ninive désignent Kition sous ce nom phénicien, car il s’agit à leurs yeux de la ville la 51. Aubet 2006, p. 54. C. IOANNOU, KITION ET LE PROCHE-ORIENT 279 plus connue. Bien qu’elle soit sous contrôle assyrien, elle est dotée du même système politique que les neuf autres royaumes de l’île et de son propre roi, et elle jouissait d’une évidente autonomie. Pour clore cette étude des sources écrites, il faut dire que nous ne disposons pas d’éléments apportant la preuve que Kition était une ville soumise politiquement aux Phéniciens. En revanche, nous avons à notre disposition tous les indices nécessaires montrant que Kition a été la ville qui a le plus été influencée par les changements politiques au Proche-Orient et celle qui a le plus collaboré avec les Proche-Orientaux. Cette relation est très logique sachant que Kition et Tyr étaient deux villes portuaires, partageant bien entendu les mêmes intérêts. Enfin, l’influence politique de Tyr sur Kition durant la suzeraineté assyrienne ne pourra être comprise que si l’on prend en considération cette proximité géographique, le passé des relations et la situation politique et économique des deux régions. UMR 8167 - Orient et Méditerranée-Mondes sémitiques Université Paris X - CNRS BIBLIOGRAPHIE AHARONI (Y.), 1981, Arad Inscriptions, Jérusalem. ÅSTRÖM (P.), 1982, « A silver bowl from Hala Sultan Tekke », RDAC, p. 72-76. AUBET (M.E.), 1993, Phoenician and the West. Politics, Colonies and Trade, Cambridge. 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