Un patrimoine « sculptural » et
« monstrueux » :
les gargouilles
Mémoire dirigé par Karin UELTSCHI-COURCHINOUX
Mémoire soutenu par Florian BOUQUET
Années universitaires 2015-2017
Master professionnel « Sauvegarde et Valorisation du Patrimoine culturel et
environnemental »
1
Un patrimoine « sculptural » et
« monstrueux » :
les gargouilles
Florian Bouquet
2
Remerciements
Je tiens à remercier chaleureusement mes deux directeurs de mémoire, Madame
Ueltschi et Monsieur Truillet pour avoir accepté de diriger mon mémoire et pour leurs
précieux conseils.
Je remercie mes parents et ma famille pour leur soutien moral et leur aide.
Enfin, je souhaite remercier toutes les autres personnes qui ont contribué à mener à
bien ce mémoire.
3
Table des matières
Remerciements ........................................................................................................................... 3
Introduction ................................................................................................................................ 5
I.
Les gargouilles : l’expression d’un patrimoine complexe ................................................... 9
A. Les fonctions de la gouttière sculptée ............................................................................. 9
1.
La genèse d’un élément décoratif monstrueux, de ses origines antiques à son
développement au Moyen Âge ............................................................................................ 9
2.
B.
L’usage technique et symbolique .............................................................................. 25
L’interprétation des figures de pierre ............................................................................ 33
1.
Les sources d’inspiration des éléments taillés ........................................................... 33
2.
Les gargouilles : images de la transgression, théâtre de l’ambivalence .................... 80
II. Un héritage architectural à conserver ................................................................................ 90
A. La redécouverte du Moyen Age au XIXe siècle ............................................................ 90
1.
Les Romantiques ....................................................................................................... 90
2.
La restauration et le renouveau gothique, Eugène Viollet-le-Duc et Jean-Baptiste-
Antoine Lassus .................................................................................................................. 99
B.
La conservation des figures de pierre .......................................................................... 107
1.
La mise en valeur ..................................................................................................... 107
2.
L’imagerie de la gargouille...................................................................................... 113
Conclusion .............................................................................................................................. 121
Bibliographie .......................................................................................................................... 123
4
Introduction
Avec l'apparition de l'art gothique en France, les édifices religieux se voient doter d'éléments
sculptés dont certains arborent plusieurs valeurs d'usages. Tombées en désuétude, les
gargouilles témoignent d'un héritage médiéval oublié à ressusciter.
Le style architectural gothique apparait au début des années 1140 en Île-de-France,
résultat d’une croissance économique et démographique alimentée par les progrès agricoles
ainsi que l’intensification des échanges commerciaux qui entrainent l’essor des villes. Ce
nouveau style traduit une amélioration conséquente des édifices religieux par rapport à ceux
des époques précédentes, en développant de nouvelles techniques de construction telles que
l’arc brisé et la croisée d’ogives. Elles permettent d’élever les édifices, de réduire l’épaisseur
des murs et d’insérer des fenêtres, laissant entrer davantage de lumière. Selon les théologiens
de l’époque comme l’abbé Suger, cette lumière devient la manifestation de la présence du
Saint-Esprit.
Les extérieurs de ces bâtiments religieux et civils se parent d’un foisonnement d’éléments
sculptés dont certains représentent des créatures grotesques qui ont pour principale fonction
de recevoir l’eau de pluie pour l’évacuer et protéger l’édifice. Elles se nomment les
gargouilles. Situées à plusieurs mètres au-dessus du sol, elles arborent des caractéristiques
monstrueuses issues des bestiaires médiévaux et de leurs origines antiques. Elles offrent à la
vue des passants, monstres, démons, âmes damnées et silhouettes chimériques provoquant
l’effroi ou l’hilarité. Leur fonction technique est bien établie alors que leur signification
symbolique, conjonction d’un art profane régit par une volonté religieuse, amène à la
réflexion quant à leurs rôles, leurs origines et leurs aspects. Les gargouilles adoptent ainsi un
discours symbolique depuis le Moyen Âge, sujet à de multiples interrogations encore
aujourd’hui.
Ces créatures de pierres possèdent différentes nominations en Europe, toujours
rattachées à leur principale fonction qui reste l’évacuation de l’eau. Le terme « gargouille » se
compose de la racine latine gargula signifiant « gorge » ou « gosier » et du mot « goule », du
vieux français « gueule ». Le verbe gargouiller est utilisé au Moyen Âge dans le sens de
bredouiller, c’est-à-dire tenir un discours incompréhensible, comme dans La Farce de Maître
Pathelin, où le drapier s’exclame : « Alas ! pour Dieu, entendezy. Il s'en va ! Comme il
gargoulle ! / Mais que deable esse qu'il bar[b]oulle1». Les traductions allemande et
1
La Farce de Maitre Pathelin [1485], Genève, Bôle, 1993, t. VII, p. 276.
5
hollandaise waserspeir et waterspuer, qui signifient littéralement « cracheur » et
« vomisseur » d’eau rejoignent l’étymologie latine dans la dimension sonore et l’idée
d’expulser un élément liquide par la bouche. En Italie, la définition gronda spongente dit
« gouttière en saillie » évoque, quant à elle, la fonction architecturale.
Pour souligner la question de la perte des clefs de compréhension, l’origine de la
signification des gargouilles et leur manque de valorisation dans un environnement moderne,
il est nécessaire de s’interroger sur la symbolique qui compose ces ensembles sculptés et sur
la perception de leurs sens. Ainsi, qu’est-ce qu’une gargouille à l’époque antique et à l’époque
médiévale et quelles perceptions en a-t-on ? Quelle en est la réception aujourd’hui et
comment sont-elles mises en valeur dans la société contemporaine ?
Images profanes sur des édifices religieux, les gargouilles demeurent sources de mystères
et d’émerveillement et continuent à alimenter nos imaginaires. Les messages que ces statues
de pierre renvoient paraissent incompréhensibles et éloignés de nos préoccupations
contemporaines. Subissant tour à tour les effets du climat, l’exposition continue ainsi qu’une
utilisation perpétuelle, ces éléments entrainent inévitablement des dégradations sur les
gargouilles, qui sont accentuées par leur position élevée. Ainsi, elles posent aussi bien des
problématiques de restauration que d’entretien. Nous comprend alors la rareté des études sur
le sujet, justifiant la rédaction de ce mémoire.
Les
sources
historiques
textuelles
restent maigres,
divisées
entre
les
récits
hagiographiques, les exempla médiévaux et les représentations des auteurs romantiques du
XIXe siècle. Dans Notre-Dame de Paris de Victor Hugo, les gargouilles sont dépeintes
comme des « monstres de pierres lugubres aux jappements terrifiants grouillant sur la surface
de la cathédrale2 ». Au XIXe siècle, l’engouement pour la période médiévale et son
architecture a permis aux gargouilles de bénéficier de traitements de restauration. Les pages
qui leurs sont dédiées dans le Dictionnaire raisonné de l’architecture d’Eugène Viollet-leDuc en sont un bon exemple3. Mais, tiraillées entre des interprétations symbolistes et
ésotériques formulées durant le XIXe et le XXe siècle, les gargouilles restent « muettes ». Les
études contemporaines, telles que les recherches d’Émile Male, découlent d’un
rapprochement de textes préexistants avec les monuments mais ne nous apportent pas
davantage d’éléments4. Dans les années 1990, avec les travaux de l’historien Michel Camille,
2
Victor Hugo, Notre-Dame de Paris [1831], Paris, Flammarion, 2009, p. 156.
Eugène Viollet-le-Duc, Dictionnaire raisonné d’architecture du XIe au XVIe siècle, Paris, V.A. Morel, 1875.
4
« Que signifient ces prodigieuses têtes qui émergent de la façade de Notre-Dame de Reims, et ces oiseaux
funèbres voilés d’un linceul ? (…) Aucun symbolisme ne peut expliquer la faune monstrueuse des cathédrales.
3
6
une relecture des gargouilles semble amorcée. Elle propose une nouvelle approche de cellesci. Avec l’appui des études monographiques, appliquées comme pour l’exemple de NotreDame de l’Épine dans la Marne, cette nouvelle lecture permet d’appréhender les gargouilles,
non comme des éléments isolés mais comme des structures interdépendantes qui s’articulent
autour d’un ensemble cohérent qu’est l’édifice.
Nous pouvons, malgré cette rareté textuelle, observer dans les récits médiévaux des
mentions d’incarnation de gargouilles célèbres comme dans la légende d’Abladane 5 où cellesci sont assimilées à des statues exerçant des pouvoirs, autant bénéfiques que néfastes,
illustrant ainsi la fonction protectrice du bâtiment. Certaines gargouilles se retrouvent dans
des récits citadins comme celui de la « désastreuse mésaventure » de la femme d’un usurier de
Dijon qui mourut écrasée par la bourse d’un usurier de pierre qui était accrochée sur l’église.
Cette histoire est relatée dans un exemplum d’Étienne de Bourbon au XIIIe siècle6. Enfin, les
légendes apocryphes narrent des affrontements entre les saints et des créatures malfaisantes.
La légende la plus célèbre reste celle qui raconte l’aventure de l’évêque saint Romain de
Rouen contre « la Gargouille », un terrible dragon qui terrifie la population. Ce récit possède
différentes versions dont une qui est très évocatrice de l’origine de la gargouille
architecturale. L’invention de cette légende remonte au XIVe siècle, lorsque les chanoines de
la cathédrale de Rouen souhaitent préserver un de leur privilège, qui est celui de gracier un
détenu condamné à mort par an. Celui-ci est intégré dans leur histoire pour accompagner le
saint dans sa salvatrice chasse au monstre :
Vers l’an 520 ou 620, dans les marais environnants la ville de Rouen, une infâme créature
détruisait tout sur son passage. Les habitants, dans le but d’apaiser sa colère, lui sacrifiait
vierges et prisonniers. Le prêtre Romain qui passait par là, découvrit avec effroi, les exactions
du dragon. Il promit aux habitants de se débarrasser de la bête et, muni d’un prisonnier, il
l’affronte et la dompte avec une entrave confectionnée dans sa robe. Il retourne à Rouen
Les bestiaires restent muets. De pareilles créations sont toutes populaires. Ces gargouilles qui ressemblent aux
vampires des cimetières, aux dragons vaincus par les vieux évêques ont vécu dans l’âme du peuple : elles sont
sorties d’anciens contes d’hiver ».
5
Louis-Ferdinand Flutre, « Le roman d’Abladane », Romania, 92/4, 1971, p. 478, roman anonyme des années
1260 consacré à la ville d’Amiens. Dans le roman d’Abladane, Flocars, un nécromancien très réputé, fait
installer sur les remparts de la ville trois sculptures. Il s’agit d’une image de la Vierge (en « or et argent et
pierres ; et estoit l’image si propre, que ce sembloit une femme toute vive ») et de deux gargouilles de cuivre qui
gardent les portes de la ville. Lorsqu’un individu souhaite rentrer dans la ville, empli de mauvaises intentions, les
gargouilles crachent du venin, tandis que lorsque le seigneur traverse les portes de la ville, il reçoit de l’or, de la
part des deux statues.
6
Pierre-Olivier Dittmar, Jean-Pierre Ravaux, « Signification et valeur d’usage des gargouilles : le cas de NotreDame de l’Épine », Notre-Dame de L'Epine 1406-2006, Actes du colloque international, L'Épine-Châlons 15-16
septembre 2006, t. II, 2008, p. 38-80.
7
victorieux, accompagné de la bête docile. Les habitants décident de la brûler et une fois le
corps réduit en cendres, seul subsiste sa tête, exhibée dans les rues et sur les remparts7.
Par cette légende, le monstre de Rouen devient la première mention de la gargouille en tant
qu’élément décoratif.
Cette étude porte sur l’histoire des gargouilles, leurs origines antiques et leurs usages
au Moyen Âge, illustrée par le cas de la basilique Saint-Urbain à Troyes. En effet, celle-ci
possède un éventail de gargouilles très important et unique de l’époque médiévale. Le corpus
est étoffé d’ouvrages historiques, architecturaux et littéraires. Nous nous appuyons aussi sur
une bibliographie portant notamment sur les bestiaires médiévaux et les dictionnaires
chrétiens qui servent à approfondir le sujet. Enfin, nous avons effectué un inventaire détaillé
des gargouilles de la basilique Saint-Urbain, qui sert de champ d’application et de référence à
l’étude. Après avoir réuni toutes ces données, nous nous intéressons aux restaurations de ces
éléments sculptés pour aboutir sur les problématiques liées à leur valorisation, en cherchant
des moyens de mise en valeur de ce patrimoine oublié.
En nous appuyant sur l’histoire de l’architecture au Moyen Âge, nous allons tenter
dans un premier temps d’établir un portrait historique des gargouilles sur leurs usages et leurs
significations. Dans un deuxième temps, nous aborderons les différentes typologies et thèmes
développés par ces sculptures monstrueuses. Avant de conclure, nous développerons les
problématiques de sauvegarde et de valorisation de ce patrimoine.
Janetta Rebold Benton, Saintes terreurs les gargouilles dans l’architecture médiévale, Paris, éd. Abbeville,
1997.
7
8
I.
Les gargouilles : l’expression d’un patrimoine complexe
A.
Les fonctions de la gouttière sculptée
Traversant les époques, les monstres demeurent une source intarissable d’étonnement et de
curiosité. Cependant, dans la sculpture monstrueuse, une exception se rencontre avec une
statue de conception fantastique qui donnera son nom à une nouvelle catégorie de monstre.
Située au croisement de la fonction architecturale et de la sculpture, la gargouille apparait
comme un élément de maçonnerie intéressant qui, malgré sa reconnaissance en tant que
sculpture emblématique de la période médiévale, son incarnation antique reste pourtant
méconnue. Au début du XXe siècle, le magazine Magasin pittoresque brosse une longue
histoire du chéneau et de la gargouille sculptée, en développant de manière conséquente cette
partie des monuments durant l’Antiquité, mais aussi en dépeignant leurs transformations ainsi
que leurs fonctions tout au long de l’histoire. C’est en suivant cette idée que s’amorce la
découverte d’exemples de gargouilles antiques. Grâce à leur filiation et leur héritage
monstrueux, ces gargouilles permettent de tracer en parallèle l’histoire des monstres de
l’Antiquité jusqu’à la période médiévale.
1.
La genèse d’un élément décoratif monstrueux, de ses
origines antiques à son développement au Moyen Âge
Le monstre dans l’art reste un sujet ancien, fruit de l’imagination de l’esprit humain et
d’une observation pointue du monde qui l’entoure. Les origines de leurs légendes sont parfois
issues de faits réels comme la découverte de fossiles, de peintures rupestres ou d’ossements de
grands mammifères8, pouvant être le générateur d’éléments singuliers et insolites qui, portés
par la peur de l’inconnu, le goût du merveilleux et du surnaturel, sont les causes premières de
ces créations fantasques. L’iconographie regorge de ces « monstres » et de ces créatures
merveilleuses. Il s’avère être compliqué de trouver leurs origines tellement elles sont
anciennes, personnages favoris des histoires que l’Homme aime à se raconter. Leur existence
s’est transmise au fil des siècles et des civilisations par différents vecteurs que sont l’oralité et
les arts. Ils apparaissent par moment comme de terrifiants ennemis, des bêtes primordiales,
une assistance divine, une incarnation du mal ou comme la personnification d’une nature
Au sujet des ossements des baleines vestiges de monstres mythologiques : « (…) dans les environs de Laon et
autres lieux ou ces énormes ossements suspendus à des voûtes, déposés même dans les temples étaient regardés
par l’ignorance ou la superstition, tantôt comme la dépouille de géants ou de monstres énormes qui infestaient la
contrée et que la puissance miraculeuse d’un saint faisait disparaitre », Barthélémy Faujas de Saint-Font, Essai
de géologie ou mémoires pour servir à l’histoire naturelle du globe, Paris, Dufour et Cie, 1803, p. 140.
8
9
indomptable. Ils symbolisent des puissances qui dépassent les êtres humains par leurs
caractéristiques étranges. Parfois, leurs aspects sont mélangés avec des éléments d’espèces
différentes, donnant naissance aux hybrides comme par exemple le centaure9, né de la fusion
du cheval et de son cavalier. L’étymologie du mot « monstre » provient de deux verbes avec
monstrum10 en latin, dérivé du verbe monere qui signifie « avertir » et « exhorter ». Dans ce
sens, le monstre prend sa signification dans le registre moral du sacrilège et du péché, avec
monstrare qui signifie « montrer, indiquer, faire connaître11 ». Dans sa signification actuelle,
sont regroupées dans la catégorie monstrueuse aussi bien les créatures réelles comme les gros
animaux et les humains atteints de malformations, que les créatures imaginaires. Certaines
civilisations apprécient plus les monstres que d’autres. Des évènements comme des crises ou
des guerres favorisent leur création, tel que le dragon de l’Apocalypse qui balaye de sa queue
« le tiers des étoiles du ciel12 », créature qui serait apparue pendant la crainte de l’an mil dans
l’iconographie chrétienne. Cependant, toutes ces incarnations fantastiques témoignent aussi de
leur existence dans de nombreuses cultures. En Occident, nous pouvons retracer leurs origines
dont une grande majorité provient de l’Antiquité et des civilisations grecque, romaine,
étrusque, égyptienne et même celtique et scandinave.
L’Égypte est une longue bande fertile qui ne s’agrandit qu’à l’approche de la mer
Méditerranée et compose une sorte d’enclave dans un vaste espace aride qui n’est autre que le
prolongement oriental du Sahara13. La vallée et le Delta sont autant de facettes d’un même
pays et d’une même civilisation. Durant l’Antiquité, les Égyptiens divisaient le pays en deux
parties, la haute et la basse Égypte. Pendant plus de trois millénaires, l’Égypte était dirigée
sans discontinuité par des pharaons, figures situées entre le monde des dieux et la vie terrestre.
Ils sont à la fois l’incarnation d’Horus et le fils du dieu solaire Rê. Au service de ses sujets, ils
obéissent à des obligations nourricières et combattantes. Le pharaon se doit de bâtir, restaurer
et agrandir les temples des dieux et il doit veiller au bon déroulement des coutumes
religieuses14, devenant ainsi la personnification vivante d’un dieu. L’ensemble des monstres
égyptiens reste compliqué à étudier. Néanmoins, les dieux eux-mêmes possèdent des
morphologies et des attributs qui peuvent aujourd’hui nous paraître monstrueux, comme le
dieu Horus qui adopte un corps d’homme et une tête de faucon. Comme le distingue Ernest
9
Pierre Ripert, Le Bestiaire des cathédrales [2004], Nîmes, De Vecchi, 2010, p. 15.
Anna Caiozzo, Anne-Emmanuelle Demartini (dir.), Monstre et imaginaire social, approches historiques,
Paris, Créaphis, 2008, p. 14.
11
Gilbert Lascault, « MONSTRES, esthétique », Encyclopædia Universalis [en ligne], consulté le 22 mai 2016.
12
P. Ripert, op. cit., p. 161.
13
Sophie Desplanques, L’Égypte ancienne [2005], Paris, Presses universitaires de France, 2016, p. 1-12.
14
Laure Gonin-Hartman, La Rhétorique du monstre au XVIe siècle, Washington, ProQuest, 2008, p. 70.
10
10
Martin dans son ouvrage Histoire des monstres de l’Antiquité à nos jours15, deux perceptions
des monstres sont présentes et bien distinctes avec d’une part en Occident, les monstres
rattachés à des événements néfastes pour les Romains et les Grecs, et d’autre part en Orient,
où ils sont divinisés et adorés comme en Égypte et en Inde. Mais alors, qui sont les monstres
dans l’Égypte antique et surtout à quoi ressemble leur incarnation en gargouilles ?
Le dessin apparait comme la première forme d’écriture, l’homme essayant tant bien
que mal de représenter les choses dont il veut parler. Mais, un problème survient qui est
comment réaliser des concepts abstraits qu’on ne peut pas exprimer avec des éléments réels ?
Pierre Ripert, dans son ouvrage Le Bestiaire des cathédrales, apporte une réponse à ce
questionnement en révélant l’affirmation suivante que « quand les formes vraies sont plus
suffisantes, l’homme puise dans de nouvelles ressources comme le symbole à partir
d’éléments empruntés à différentes espèces16 ». L’auteur développe ainsi l’exemple de la
déesse de la guerre Sekhmet qui, pour évoquer l’idée de beauté, de férocité et de majesté, est
représentée par une femme à tête de lion. Il s’agit de la thérianthropie17 qui décrit un
personnage partageant des traits humains avec des capacités ou des traits empruntés à d’autres
animaux, comme le dieu Toth qui possède un cou et une tête d’autruche, le dieu Râ qui
représente un homme avec une tête d’aigle et la déesse de la terre Isis qui possède à la place
des bras une paire d’ailes. Une autre créature présente sur la fameuse scène de la pesée du
cœur du scribe royal Hounefer a pour apparence un assemblage de différents animaux avec
une tête de crocodile et un corps de lionne et d’hippopotame. Elle était le bourreau bestial lors
de la pesée des âmes, la dévoreuse des morts, Ammout18, monstre abominable qui évoque plus
la bestialité que la beauté et le prestige des dieux.
L’Égypte abonde de ces créations hybrides et par ailleurs, une des figures les plus répandues
dans la statuaire égyptienne reste le sphinx. Il s’agit d’un animal étrange à corps de lion avec
une tête humaine, couché sur le ventre, les pattes avant étendues. Le sphinx19 est considéré
comme l’emblème de la sagesse et de la force ; son image est généralement employée pour les
représentations des rois. Les lions et créatures léonines occupent une place importante dans la
mentalité égyptienne20 car, au départ chassés, ils sont ensuite devenus plus rares à l’époque
Ernest Martin, Histoire des monstres de l’Antiquité à nos jours [1880], Paris, Jérôme Million, 2002.
P. Ripert, op. cit., p. 16.
17
Le mot « thérianthropie » est issu du grec ancien θηρίον / thêríon, qui signifie « animal sauvage » ou « bête »,
et de άνθρωπος / ánthrôpos, qui signifie « homme ». Il désigne donc une créature mi-homme et mi- animale.
18
Voir Annexe 1, p. 7.
19
Voir Annexe 2, p. 8.
20
Étienne Bernard, « Le culte du lion en Basse Égypte d'après les documents grecs », Dialogues d'histoire
ancienne, vol. 16, n° 1, 1990, p. 63-94.
15
16
11
des pharaons mais la majesté qui émane de leur apparence les teint d’une aura sacrée. C’est
pour cela que sa chasse comme son dressage reste un privilège royal, les Ramsès en ayant eu
comme compagnons de guerre21. Le lion apparait donc lié au passé le plus lointain des
habitants des bords du Nil. En effet, il occupe une place éminente dans l’imaginaire égyptien
ainsi que dans l’art. Dans son ouvrage Saintes terreurs : les gargouilles dans l’architecture
médiévale, Janetta Rebold Benton fait référence à des gargouilles égyptiennes mais elle ne
mentionne pas d’exemples22. Toutefois, nous rencontrons des gargouilles qui adoptent une
figure de lion, comme celles retrouvées sur le temple d’Hathor à Dendérah23. Elles arborent
une posture proche de celle du sphinx couché sur le ventre et entre ses pattes antérieures
étendues, coule l’eau des intempéries. Le lion reste un sujet très prisé des Égyptiens et très
présent dans leur cosmogonie. Par ailleurs, il existe une figure mythologique intéressante qui
est représentée par deux protomes de lion. Il s’agit d’Aker, une créature souterraine qui avale
le soleil au soir et le recrache le matin24. C’est aussi un gardien des portes de l’au-delà,
sentinelle garante du retour du jour. L’action de recracher le soleil comme la gargouille
recrache la pluie interpelle. D’après une hypothèse personnelle, ce rôle protecteur physique et
symbolique du bâtiment a l’air inhérent aux gargouilles. La volonté d’orner les bâtiments de
gouttières sculptées semble présente dans une grande partie de la Méditerranée durant
l’Antiquité.
De son côté, la Grèce antique possède une longue histoire, très étendue dans le temps,
allant des origines de la civilisation minoenne aux environs de 2800 avant J.-C. et s’achevant
avec la défaite du roi perse en Macédoine en 168 avant J.-C. Durant l’Antiquité, la Grèce se
divise en deux parties, séparées par le golfe de Corinthe. Au nord, se trouvait la partie la plus
étendue de la Grèce continentale, bien que le sud semble d’avantage peuplé. La cité de Thèbes
et le sanctuaire de Delphes étaient des lieux très importants et au sud de la Grèce méridionale,
se rencontraient d’autres cités comme Sparte, Olympie et Corinthe.
L’influence de l’imaginaire grec et de ses monstres continuent à hanter nos croyances
car ils sont nombreux à avoir laissé des marques dans la pierre, dans les récits et dans les
esprits. Parmi ces nombreuses représentations, nous pouvons citer l’Hydre de Lerne25 sur une
amphore attique à figure noire (v. 543-530 av. J.-C.) ou le minotaure de Thésée contre le
21
Serge Sauneron, Jean Yoyotte, Dictionnaire de la civilisation égyptienne, Paris, Hazan, 1959, p. 205.
J. Rebold Benton, op. cit., p. 4.
23
Voir annexe 3, p. 8.
24
Alexandre Moret, « Le jugement du roi des morts dans les textes des Pyramides de Saqqarah », École pratique
des hautes études, Section des sciences religieuses, vol. 35, n° 31, 1921, p. 3-32. Voir annexe 4, p. 10.
25
Héraclès et l’hydre de Lerne, amphore attique à figures noires (v. 543-530 av. J.-C.), Musée du Louvre : voir
annexe 5, p. 11.
22
12
Minotaure26 (entre 530 et 510 av. J.-C.). Dans ces deux exemples, nous découvrons le soin et
la minutie des artistes apportés autant sur la masse de têtes grouillantes du corps écailleux de
l’hydre que sur la majestueuse tête de bovidé du minotaure, courbée sous les assauts
désespérés de Thésée. L’art grec représente des monstres fictifs ou issus de la mythologie. Les
artistes grecs créent de nombreux monstres comme les cyclopes serviteurs du dieu Vulcain à
l’œil unique et même la statue de la Victoire de Samothrace qui, à la façon d’un ange, possède
des ailes dans son dos qui peuvent la faire paraitre, elle aussi, comme une sorte de monstre.
Les artistes empruntent des motifs appartenant à d’autres peuples et notamment aux Égyptiens
où ils réinterprètent l’aspect physique du sphinx en offrant une version ailée de celui-ci,
comme le soulève l’historien de l’art, Edmond Valton :
L’art grec a pris le sphinx aux Égyptiens, mais lui a ajouté des ailes (…). Chez les Grecs, le
sphinx est une femme jusqu’à la poitrine ; le corps se transforme ensuite en celui d’une lionne.
Une paire d’ailes très décoratives forme une ligne ample qui continue celle du dessus de la
tête27.
La nature des monstres grecs reste singulière. En effet, à travers la réalisation de créatures, les
artistes semblent rechercher non pas la monstruosité mais la beauté. Quand nous observons
leurs différentes productions plastiques, les monstres deviennent beaux. Edmond Valton
ajoute à ce sujet que « la foi qui domine la production en Grèce (…) est la foi en la beauté28 ».
Il insiste aussi sur la perte de la valeur symbolique de ces créatures issues des emprunts à
d’autres peuples :
La Grèce acceptera les inventions plus ou moins fantastiques qui viennent d’autre part, mais
elle les affranchira de l’étroite et rigide enveloppe symbolique dont elles les trouvent revêtues.
Ses artistes n’y voient qu’une occasion d’y développer la richesse plastique et l’opulence des
formes. Ils créent des monstres eux aussi mais ils s’inquiètent beaucoup plus du rôle décoratif
que de leurs significations dont ils paraissent se soucier médiocrement29.
Cet art agit donc de deux manières, l’une en rendant le monstre plus beau et l’autre en retirant
la fonction symbolique. Malgré cette mise en valeur des créatures monstrueuses, ils restent
des représentations du danger et permettent aux héros grecs de pouvoir progresser car elles
s’avèrent être des épreuves de choix pour prouver leurs valeurs.
Ces différents héros restent constamment en conflit avec ces monstres : Hercule et ses
« douze travaux », Ulysse qui terrasse Polyphème le cyclope, Thésée contre le minotaure,
Jason et Médée affrontent le terrible dragon gardien de la toison d’or. Ces monstres
26
Thésée contre le Minotaure, amphore attique à figures noires (entre 530 et 510 av. J.-C.), Musée du Louvre :
voir annexe 6, p. 12.
27
Edmond Valton, Les Monstres dans l’art, Paris, Flammarion, 1905, p. 57.
28
Ibid.
29
Ibid., p. 52-53.
13
représentent des épreuves pour les héros qui doivent les éradiquer pour être à même de
poursuivre leur quête. L’homme antique côtoie de joyeuses créatures fantastiques dans ses
croyances et ses légendes. Cela n’empêche que certaines d’entre elles provoquent la peur,
l’effroi et la crainte, et peuvent être alors qualifiées de « monstres » car elles demeurent des
exceptions de la nature, des êtres rares. Ces bêtes vivent dans les récits mythologiques et les
récits de voyages contés par Homère, Hésiode, Pindare et Ovide qui décrivent avec précision
leurs caractéristiques. Homère décrit le cyclope comme un géant et un mangeur d’hommes
puisque les compagnons d’Ulysse se font dévorer. Polyphème est un des fils de Poséidon et il
est l’exemple parfait du cyclope primitif, barbare et dupe, ou encore le poème d’Ovide qui
narre la rencontre de Persée et de la gorgone, Méduse :
Puis, par des sentiers cachés et des routes détournées, à travers des rochers hérissés de forêts
escarpées, il avait atteint la demeure des Gorgones (…) il avait vu des figures d’homme et de
bêtes féroces qui avaient été, perdant leur forme première, pétrifiées pour avoir vu Méduse.
Lui-même, cependant dans le miroir de bronze du bouclier qu’il portait à sa main gauche, il
avait aperçu le hideux personnage de Méduse. Profitant d’un lourd sommeil qui s’était emparé
d’elle et de ses serpents, il lui avait détaché la tête du cou ; Pégase, à la course ailée, et son
frère étaient nés du sang de cette mère30 .
Nous découvrons que dans les textes et dans l’art, le monstre grec n’est pas perçu de la même
façon, étant d’une part une créature aspirant à la beauté plastique et d’autre part des
terrifiantes créatures qui ne sont pas toutes monstrueuses malgré leur apparence. Nous
pouvons mentionner le dieu Pan qui est dépeint par les Grecs comme un berger libertin, jovial
et capricieux31 et qui peut s’avérer d’une immense bonté envers les bergers. Mais en tant que
dieu de la foule, il peut aussi déclencher « la panique » qui peut faire perdre l’humanité d’un
individu32. Ne serait-ce pas une manière de rendre ses victimes monstrueuses à leur tour ? Les
exemples de gargouilles grecques sont nombreux et très intéressants, car d’abondants vestiges
archéologiques en témoignent.
Les dégorgeoirs des gargouilles grecques peuvent être occupés par des animaux ou des
créatures grimaçantes comme celles mentionnées dans divers bulletins de correspondance
archéologique, tel que celui de Jean-François Bommelaer qui porte sur les « Simas et
gargouilles classiques de Delphes33 » et qui décrit avec précision les restes de gargouilles
corinthiennes au faciès léonin, retrouvées à Delphes en 196734. Ces deux têtes de lions
30
Ovide, Les Métamorphoses, livres IV, trad. Georges Lafaye, Paris, Gallimard, 1992, p. 69.
P. Ripert, op. cit., p. 18.
32
Pierre Ellinger, Pierre Borgeaud, « Recherches sur le dieu Pan », L'Homme, t. 21, n° 2, 1981, p. 121-124.
33
Voir annexe 7, p. 13.
34
Jean-François Bommelaer, « Simas et gargouilles classiques de Delphes », Bulletin de correspondance
hellénique, vol. 102, n° 1, 1978, p. 172-197.
31
14
servaient de tuile d’angles et prenaient place à l’extrémité du fronton. Pour les Grecs, les
chéneaux sont appelés sima et possèdent la même fonction que les gargouilles. Il semble que
ces têtes aient été ajoutées et fixées au bâtiment et que leurs crinières servaient à masquer le
raccord entre le fronton et la sculpture. Ces lions stylisés possèdent des proportions
géométriques qui peuvent évoquer d’autres gargouilles grecques provenant de sites comme
Olympie et d’autres du Pompéion à Athènes, de la Tholos de Delphes et du temple
d'Asclépios à Épidaure. Elles sont dotées de crinières foisonnantes et leur disposition sur
l’édifice apporte un aspect dynamique, témoins de la beauté de l’esthétisme grec. Les lions et
les monstres aux caractéristiques léonines sont légions sur les temples, leurs traits et leurs
mufles donnant l’impression de mugir sur les passants. Le lion durant l’Antiquité apparait
comme un animal qui, bien que redouté, est aussi fortement admiré, en tant que figure de la
bestialité et de la majesté féline. Lorsque Hercule, fils de Zeus, doit comme premier des douze
travaux commandités par Eurysthée affronter le terrifiant lion de Némée à la peau de cuir,
nous nous rendons compte à quel point cette créature est à la fois prodigieuse et effroyable. Le
grand héros arrive au bout de la bête en l’étranglant à main nue après maints efforts. Malgré
cela, le lion reste un fauve, animal craint et appréhendé par sa taille imposante, sa gueule
remplie de crocs acérés et ses griffes pointues
La civilisation étrusque naît autour du VIIe avant J.-C. et se développe dans l’actuel
Toscane. L’importance de cette civilisation est telle que le Romain Caton le Censeur, au
moment où Rome commence à étendre son influence en Méditerranée, rappelle à ses lecteurs
dans son livre les Origines que « l’Italie presque dans sa totalité avait été soumise à la
juridiction des Étrusques35». Dans les débuts de Rome, la ville étrusque de Véiesa été sa
rivale. Au Ier siècle avant J.-C., les Étrusques deviennent des citoyens romains.
Les gargouilles étrusques sont très curieuses car une des particularités de leur art est la
déformation des corps et la grande liberté d’expression des artistes. L’art étrusque italique
laisse une grande importance aux monstres et aux créatures hybrides dans les sculptures en
bronze ou en terre cuite, sur les sarcophages, les urnes funéraires et les peintures murales. Cet
art est peuplé de créatures dont les sirènes ailées et les chimères qui apparaissent dans les
bronzes d’Arezzo36, et les satyres. Entre 625 et 675 avant J.-C., apparaissent sur les toitures
étrusques des gouttières collectant l’eau en bas des tuiles et comportant souvent une
gargouille élémentaire. Ces toits couverts de tuiles arborent des gargouilles à tête de lion et
35
36
Dominique Bridel, Les Etrusques, Paris, Presses universitaires de France, 2016, p. 1-15.
Voir annexe 8, p. 14.
15
d’autres avec des faciès grimaçants ainsi que des statues acrotères comme le très fameux cowboy de Murlo en Italie, statue excentrique qui représente un haut dignitaire religieux ou
politique. Ce site de Murlo37 propose plus de cent-vingt gargouilles félines qui, comme leurs
homologues égyptiennes, arborent des têtes de lions. Les gouttières antiques sculptées offrent
un nombre conséquent d’éléments architecturaux représentant des animaux pouvant être
qualifiés de féroces avec leurs faciès grimaçants, leurs bouches déployées et leurs yeux
exorbités. Durant l’Antiquité, l’extérieur des bâtiments, qu’ils soient grecs, égyptiens ou
étrusques, foisonnent d’éléments sculptés. On les retrouve sur les frontons, dans les jardins et
sur les toits. Ces monstres et autres créatures sont aussi richement représentés à l’intérieur des
édifices, sur l’ameublement, la poterie comme la tête du dieu grec cornu Acheloos présente
sur les anses du chaudron en bronze, retrouvée dans la tombe de Lavau dans l’Aube38. Sur de
nombreux supports fleurissent des têtes grimaçantes aux traits bouffis, détracteurs des
monstres grotesques.
Pierre Ripert présente dans son ouvrage une brève histoire des monstres dans l’art où il
aborde le sujet des « prodiges romains » et traite de la banalisation des monstres dans
l’ameublement antique et plus précisément l’ameublement romain39. Selon lui, ces créatures
deviennent des sources de distractions qui amusent les hommes de l’Antiquité. Ces monstres
sont perçus comme des figures du quotidien, elles n’effraient plus, elles « distraient l’œil40 ».
Pourtant, elles ne font pas l’unanimité, comme dans le monde romain. Ainsi, des figures telles
que les mascarons ou les hybrides grotesques41, peints sur les murs des demeures42
provoquaient une profonde virulence de la part de l’architecte Vitruve, observée dans son
traité De architectura datant du Ier siècle avant J.-C.43. Il montre que ces ornements sont d’un
37
Voir annexe 9, p. 15.
« Une tombe princière celte du Ve siècle avant notre ère découverte à Lavau », Inrap, mars 2015.
39
P. Ripert, op. cit., p. 20.
40
Ibid.
41
Les grotesques représentent des types de décors antiques retrouvés à la Renaissance dans les premiers vestiges
provenant de la maison de Néron.
42
Voir annexe 10, p. 16.
43
« Cependant, ces nouvelles fantaisies ont tellement prévalu que, faute d'un homme qui soit en état de les
apprécier, les arts dépérissent journellement. Quelle apparence, en effet, que des roseaux soutiennent un toit,
qu'un candélabre porte des édifices, que les ornements de leur faîte, c'est-à-dire des tiges si faibles et si flexibles,
portent des figures assises, ou que des racines et des tiges produisent des fleurs et des demi-figures. À la vue de
ces faussetés, il ne s'élève pas un mot de blâme ; on s'en amuse, au contraire, sans prendre garde si ce sont des
choses qui soient possibles ou non. Les esprits obscurcis par la faiblesse de leur jugement, ne sont point en état
d'apprécier le mérite, la beauté d'un ouvrage. Une peinture n'est pas digne d'approbation, si elle ne représente
point la vérité. Il ne suffit pas qu'un sujet soit peint avec tout le prestige de l'art, pour qu'on doive immédiatement
le juger avec avantage ; encore faut-il que le dessin n'offre dans aucune de ses parties rien qui blesse la raison »,
Vitruve, De l'architecture, livre VII, texte établi et traduit par Bernard Liou et Michel Zuinghedau, commenté
par Marie-Thérèse Cam., vol. 7, 327, Paris, Les Belles Lettres, 2003, p. 52.
38
16
goût qu’il qualifie « d’iniquis moribus44 », d’excessif et de totalement irraisonnable. En effet,
dans sa diatribe, Vitruve s’oppose à cette imagination incontrôlée dont faisait preuve les
artistes peintres mais aussi les sculpteurs en proposant des monstres hybrides, représentant un
mélange d’éléments végétaux et d’humanoïdes qui défient les lois de l’apesanteur, sans
véritable réflexion ou sens, sans la symétrie ni les proportions qui lui sont si chères. Ces
artistes étaient bien loin de la phantasia45 des philosophes et artistes grecs, qui représentent la
faculté d’imagination nécessaire à la représentation des dieux ou encore celle employée par le
chantre Ovide à l’époque d’Auguste dans ses Métamorphoses46, où il philosophe sur la nature
dans l’épisode où la nymphe Daphnée est sujette aux avances du dieu Apollon et qui, pour lui
échapper, se transforme en laurier. Dans les représentations picturales de cette scène de
« métamorphose » salvatrice, deux espèces se distinguent, l’humain et le végétal. Le mélange
des deux sert à obéir à l’impératif pictural qui est de figer le mouvement et ainsi d’arrêter le
temps au moment de la transformation. Ce n’est en aucun cas l’idée des grotesques qui
n’obéissent pas à ce processus, étant un amalgame d’animaux et de végétaux qui méprisent la
vraisemblance comme l’écrit Horace dans L’Art poétique au sujet des poèmes composés sans
véritable sens, qu’il qualifie de « songe de malade47 ». En effet, l’alliance des contraires et
l’absence d’unité et de vraisemblance ne sauraient selon lui être transposées en poésie. Pour la
religiosité antique, les monstres du décor grotesque contreviennent à l’ordre voulu par la
divine nature. Vitruve, quant à lui, recherche comme idéal une forme de mimésis, notamment
grâce à l’emploi des mesures corporelles qui utilisent les parties du corps pour homogénéiser
les mesures de construction. De ce fait, c’est l’imitation de la nature qui aurait conçu le corps
humain selon un système de proportion, comme pour Platon dont l’interprétation de Vitruve
rejoint l’idée. L’homme, partie intégrante de ce monde ordonné, est un élément en réduction
44
Son indignation vise un goût inique, iniquis moribus qui signifie en latin classique « ce qui ne respecte pas la
mesure ce qui est déraisonnable », cité par Gilbert-Charles Picard, « Les Grotesques : un système décoratif
typique de l'art césarien et néronien », L’Art décoratif à Rome à la fin de la République et au début du principat,
Rome, Publications de l’Ecole française de Rome, vol. 55, n° 1, 1981, p. 143-149.
45
La traduction du grec phantasia par « imagination » pose plus de problèmes qu'elle n'en résout, ne serait-ce
que parce qu'elle recourt à un calque du latin impérial imaginatio qu'ignorait Cicéron, pour qui imago désignait
un portrait (De finibus, V, 1, 3). La traduction moderne de phantasia par « représentation », qui tend à s'imposer,
est certes meilleure en ce qu'elle ne renvoie pas à une notion, l'imagination, qui pour nous autres modernes
désignent tout autre chose que ce que les Grecs pouvaient vouloir signifier par phantasia, mais elle ne fait pas
droit à ce qui se tient au cœur de la phantasia, « l'apparaître ».
46
Ovide, op. cit., p. 103.
47
« Un tel tableau donnera tout à fait l’image d’un livre dans lequel seraient représentés, semblables à des rêves
de malade, des figures sans réalité, où les pieds ne s’accorderaient pas avec la tête, où il n’y aurait pas d’unité.
Mais, direz-vous peintres et poètes ont toujours eu le droit de tout oser. Je le sais, c’est un droit que nous
réclamons pour nous et accordons aux autres. Il ne va pourtant pas jusqu’à permettre l’alliance de la douceur et
de la brutalité, l’association des serpents et des oiseaux, des tigres et des moutons. », Horace, L’Art poétique, p.
11, cité par Jacques Darriulat, L’Écriture des grotesques [en ligne], Conférence pour le Collège International de
Philosophie, 12 janvier 2006, consulté le 13 mai 2016.
17
de ce cosmos. Les proportions de son corps sont une des manifestations de cette mise en
symétrie de l’ordre cosmique de son harmonie. Certes, ce sens s’éloigne de la première
définition, qui ne se référait qu’au mime, à la danse et à la musique, et il s’agissait donc de ne
pas de reproduire l'apparence du réel mais d'en exprimer la réalité cachée. La notion de
mimésis entraine de nombreuses interrogations sur son sens de la part des philosophes
antiques ainsi que sur la valeur éthique de l’art, car ce terme évolue au fil de son usage.
Socrate l’utilise à propos des arts plastiques qui copient la nature48 et ce concept est exploré
chez Platon49 et chez Aristote50 dans le contexte culturel de la Grèce classique.
Vitruve est à l’origine de la théorisation de l’architecture et a posé le rôle de la
représentation et du regard dans la construction. En effet, pour lui, tout acte architectural
s’accomplit avec trois critères fondamentaux, que sont la solidité, l’utilité et la beauté51. La
démarche de ses traités était de former et d’appliquer ces principes mathématiques et éthiques
dans l’architecture pour ainsi fournir des clefs de construction à ses lecteurs. Ses théories vont
traverser le temps puisqu’elles seront utilisées durant la période médiévale et bien plus
tardivement dans l’histoire. L’exemple de Vitruve démontre cette volonté « d’utilité » mais
aussi ce souci d’ornementation monstrueuse qui fait tant polémique, de cette soif de créatures
dont certains désirent orner leurs murs. Cependant, dès le IIe siècle avant J.-C., grâce aux
conquêtes romaines, le génie monstrueux grec commence à pénétrer chez les vainqueurs. Par
cette assimilation progressive de territoires conquis, de nouveaux monstres viennent
s’immiscer dans l’art romain, comme les chimères, les griffons et les satyres, hérités des
panthéons égyptiens, grecs ou barbares. Vitruve recommande l’emploi des gargouilles à tête
de lion afin de protéger le bâtiment de la pluie52, car leur principale particularité est le cumul
de deux fonctions, à la fois ornementale et fonctionnelle. Elles adoptent généralement l’aspect
d’une tête d’animal à la gueule ouverte. Ces éléments décoratifs rentrent dans le domaine de
la sculpture et les matériaux dans lesquels ils sont fabriqués sont la pierre, la terre cuite et
même le bois, auxquels sont ajoutés des éléments métalliques incrustés comme le plomb.
48
Mireille Courrent, « Illusion du réel et esthétique de la correction : mimésis et phantasia dans la théorie
vitruvienne de l’architecture », Phallas, 92, novembre 2013, p. 103-113.
49
« La nature divine doit être représentée sans artifice, telle qu’elle est, c’est-à-dire exempte de toute faiblesse et
de tout mal, étrangère au mensonge et immuable […] Non plus que la nature divine, les poètes ne doivent avoir
licence d’accréditer des mensonges sur les enfers », Platon, Oeuvres Complètes, t. 4 La République, trad. Robert
Baccou, Paris, Classiques Garnier, 1945, p. 26.
50
Aristote, Poétique, trad. Michel Magnien, Paris, Le Livre de Poche, 1990.
51
M. Courrent, op. cit.
52
Vitruve, éd. cit., p. 32 et 201.
18
Ces histoires concernant la monstruosité et les créatures fantastiques animent les pensées des
philosophes et des artistes. Aristote dans De la génération des animaux donne une définition
du monstre qui est « un phénomène qui va à l’encontre de la généralité des cas mais non pas à
l’encontre de la nature envisagée dans sa totalité53 ». Par conséquent, le monstre est une
exception, un être rare qui, par certains aspects, se distingue du monde commun. Il est la
vision inhabituelle que l'on garde en mémoire, celui que l'on montre et expose. Il s’agit d’une
spécificité qui, chez les Grecs, génère une certaine admiration. Ainsi, ces créatures qui ornent
les édifices apparaissent comme des êtres fascinants et cette volonté d’ornementer d’une telle
façon les édifices peut paraitre curieuse. Pourtant, ces monstres captivent aussi et sont la
source aussi bien d’attraction que de répulsion dont l’exemple de Vitruve semble être le plus
évocateur.
Ces éléments sculptés aux allures effrayantes s’estompent peu à peu des édifices et des
toitures dès la fin de l’Antiquité, notamment en Occident. Pourtant, les figures monstrueuses
investissent les intérieurs et les tympans des édifices religieux romans. À défaut d’être une ère
pour la création de gargouilles, la période romane devient un véritable terrain fertile pour la
sculpture monstrueuse qui se répand comme une nuée grouillante sur les chapiteaux des
édifices.
La période de transition qui s’étend des trois derniers siècles de l’Empire romain (284476) au Ve siècle environ est le théâtre des invasions barbares et de l’arrivée progressive du
christianisme. Cette période de troubles donnera naissance à un art chrétien, qui est celui de
l’art roman. Marie-Madeleine Davy, médiéviste et philosophe française, qualifie la période
romane de « merveilleuse renaissance qui n’a rien à envier à la véritable Renaissance54 ». En
effet, il s’agit d’un bouillonnement spirituel et créatif qui, sans renier les périodes antérieures,
s’appuie sur celles-ci pour produire un art inédit. Celui-ci naît vers l’an mil et connait son
apogée aux alentours de l’année 1080. Productif en matière de création, il obéit à une
recherche assidue entre des améliorations et un retour vers le passé pour y puiser l’inspiration.
C’est un art à la croisée des contraintes et des libertés, entre le réel et l’imaginaire, l’ordre et
le désordre. Malgré la présence de l’héritage et des modèles antiques, le respect de la Bible et
des Saintes Ecritures, l’apparition de l’artiste roman et de son interprétation est située aux
53
54
Aristote, De la génération des animaux, trad. Pierre Louis, Paris, Les Belles Lettres, 1961, p. 12.
Marie-Madeleine Davy, Initiation à la symbolique romane, Paris, Flammarion, 1977, p. 150.
19
limites des conventions prescrites par le respect envers le passé tout en incluant des influences
nouvelles. Les artistes romans s’approprient les arts et les vestiges de l’Antiquité romaine,
grecque et orientale, de l’islam, de Byzance ou des barbares dont les motifs ont été transmis
au haut Moyen Âge grâce aux bijoux, ivoires et textiles, ainsi que les manuscrits anglo-saxons
et irlandais. L’iconographie romane puise alors dans cette synthèse aux origines diverses qui
permettent à l’imagier roman de l’adapter à son propre monde et à sa vision chrétienne de
l’univers, en en faisant une puissance créatrice. L’art roman connait des variations et un essor
différents selon les régions, comme par exemple dans l’observation de l’art antique qui reste
plus présente en Auvergne et en Provence que dans le Nord de la France. Cet art est employé
pour la première fois dans une correspondance de deux érudits normands en 1818, Charles de
Gervilles et Auguste le Prévost, pour qualifier la dégradation du grand art antique à travers les
âges sombres qui précédaient la chute de Rome55. Ils le nomment « art roman » en référence
au langage car ils imaginaient que tout comme la linguistique, l’art avait subi le même
phénomène de dégradation qui avait conduit le latin aux langues romanes.
Les édifices religieux permettent à cet art de s’amplifier puisque l’Église, au faîte de
son pouvoir temporel et de ses richesses matérielles comme en France où on assiste à une
période de calme qui favorisera la reconstruction et « l’amélioration » des édifices religieux.
Victimes des raids Normands, ils connaissent des destructions nombreuses. Ainsi, des
campagnes de reconstructions sont entamées, où sont abandonnées progressivement les
toitures en bois pour être remplacées par de la pierre. Les princes offrant de généreuses
donations autant pour les reliques que les constructions, permettent de financer d’importants
travaux, comme Robert le Pieux qui finance le monastère dédié à saint Agnan et celui de saint
Vincent. La période romane permet aussi à la sculpture monumentale de ressusciter après un
long sommeil entamé dès la fin de l’Antiquité, pour renaître durant la période des XIe et XIIe
siècles. Ces sculptures dites « monumentales » sont intégrées à l’édifice et placées dans des
zones de jonction, comme les chapiteaux et les corniches, ainsi que dans tous les éléments qui
constituent le portail (tympan, linteau, trumeau, piédroit, claveaux, voussures, arcades). Les
éléments portants sont alors mis en valeur et les sculpteurs y placent toutes sortes de figures
que ce soit des décors abstraits, tels que des entrelacs56 comme ceux de l’église paroissiale de
Saint-Laurent à Laître-sous-Amance en Lorraine ou au cycle narratif, comme la pendaison de
55
56
Suzanne Braun, Art roman en Lorraine : architecture et sculpture, Metz, éd. Serpinoise, 2005, p. 7.
Voir annexe 11, p. 17.
20
Judas dans la cathédrale Saint-Lazare à Autun57, et d’autres plus élaborés comme la
formidable Mort de Caïn58, toujours à Saint-Lazare.
L’architecture et l’art roman connaissent des innovations architecturales et artistiques.
Dans cet élan de reconstruction, architectes et sculpteurs participent à l’embellissement des
lieux de culte, comme le cite un observateur de premier ordre de l’art médiéval et de
l’architecture romane, le moine clunisien Raoul Glaber :
On eut dit que le monde se secouait pour dépouiller sa vieillesse et revêtir une robe blanche.
Enfin tous les édifices religieux, cathédrales, moutiers des saints, chapelles des villages furent
convertis par les fidèles en quelque chose de mieux59.
Cet art roman apparait tout d’abord dans les monastères qui participent à son essor et à sa
diffusion. La première mission de ces lieux est d’assurer un accueil pour rassembler les
fidèles, car en raison de l’explosion démographique60 les besoins semblent énormes.
Rarement a-t-on construit autant et cette activité généralisée assure la propagation de la
chrétienté jusqu’aux frontières de l’Occident. Il se répand même dans les campagnes plus
lointaines où il adopte un caractère plus propre, offrant une véritable diversité61.
L’une des créations majeures de l’art roman reste le chapiteau historié. D’abord
expérimenté sous l’Antiquité, celui-ci connait son heure de gloire durant cette période. Un
chapiteau historié est un chapiteau qui porte des peintures ou des sculptures représentant des
scènes animées ou religieuses62. Nous pouvons aisément imaginer la difficulté des sculpteurs
à orner ces espaces resserrés. Ils doivent adapter leurs personnages dans des cadres donnés,
déformer les corps, les étirer, les plier, les raccourcir pour les inscrire dans cet espace. Ces
contorsions répondent au travail esthétique de la stylisation des formes63, une tradition héritée
de l’orfèvrerie barbare et des enluminures irlandaises et anglo-saxonnes, où l’artiste dépasse
la contrainte du cadre. Ce dernier, exigu, demeure un défi mais est aussi une aubaine pour les
sculpteurs qui peuvent exprimer leur créativité, la figure et le cadre s’assemblant pour devenir
un générateur d’inventivités.
57
Voir annexe 12, p. 18.
Voir annexe 13, p. 19.
59
Xavier Barral i Altet, L’Art médiéval [1991], Paris, Presses universitaires de France, 2011, p. 2. L’auteur fait
une mention du moine Raoul Gaber au sujet de la magnificence des édifices religieux de l’an mil et de leur
diffusion.
60
Jacques de Landsberg, L’Art en croix, le thème de la crucifixion dans l’histoire de l’art, Belgique, Renaissance
du livre, 2001, p. 71.
61
Victoria Charles, Klaus Carl, L’Art roman, New York, Parkstone press international, 2014, p. 6.
62
Bruno Phalip, L’Art roman en Auvergne, un autre regard, Nonette, éd. Créer, 2003, p. 106.
63
Amélie Bonnin, L’Histoire des arts dans votre poche, Paris, Larousse, 2014, p. 38.
58
21
Cet art de la sculpture de chapiteaux incarne une expérience esthétique originale qui permet
de réaliser de véritables scènes d’une grande complexité dans des espaces restreints.
Toutefois, cette pratique ornementale ne dure que pendant la période romane. Dans ces
productions de chapiteaux64, il est possible de tracer une évolution des décors sculptés qui
sont d’abord corinthisant et corinthiens, puis figurés, pour aboutir à de véritables récits de
pierre puisqu’avec les progrès en matière de taille, les œuvres deviennent plus fluides. En
revanche, l’art gothique délaissera ces chapiteaux sculptés pour conserver l’art des portails
sculptés et la figuration pourra se déployer sur tous les éléments qui le composent, dans un
ornement total qui atteindra même les parties les plus secrètes du bâtiment dont les
gargouilles et les chimères en feront partie.
La sculpture romane, soumise à la contrainte de l’espace architectural, soulève
également l’observation du manque de réalisme des figures combinées. Le cadre réduit
entraine la déformation des formes qui perdent tout réalisme. Nous pouvons supposer que ces
artistes romans n’ont pas la vocation de représenter la nature telle qu’elle est mais il
semblerait qu’à travers cette imagination, ils possèdent une forme de liberté et d’expression
qui comme le dépeint l’historien Henri Focillon au sujet de l’aspect visionnaire des artistes
romans : « Ils lui communiquent leurs instincts de surhumanité, leur appétit de choses cachées
et de vérités surnaturelles65 ». L’homme roman, tout comme l’artiste, possède une sensibilité
en matière de merveilleux66 qui est selon Jacques Le Goff, « friand de miracles qu’ils
discernent dans les phénomènes de la nature des signes annonciateurs d’événements bons ou
mauvais67 ». Par ailleurs, les hommes et les animaux seraient pourvus de pouvoirs
extraordinaires68. De fait, l’homme roman avec son sens du merveilleux couplé de sa foi en
Dieu inébranlable, est un étonnant créateur. Dieu punit et récompense sans délai, mais
pourtant, les apparitions de monstres ou de démons sont plus fréquentes que celles des saints
ou des anges69. Les visions émises par le malin frappent l’imagination. Elles façonnent des
images innombrables qui stimulent la création et hantent les esprits jusqu’à les retrouver dans
la pierre. L’époque romane génère une quantité impressionnante de bêtes monstrueuses et
merveilleuses et manifeste un goût prononcé des artistes pour les représentations des créatures
bibliques réelles comme l’épisode de la baleine qui recrache Jonas, ou encore imaginaires sur
64
P. Ripert, op. cit., p. 78.
Henry Focillon, L’Art des sculpteurs romans [1931], Paris, Presses universitaires de France, 1964, p. 10.
66
Jacques Le Goff, L’Imaginaire médiéval, Paris, Gallimard, 1985, p. 151-187.
67
M.-M. Davy, op. cit., p. 57.
68
Paul Rousset, « Le sens du merveilleux à l’époque féodale », Le Moyen Âge, vol. 62, 1956, p. 25-37.
69
M.-M. Davy, op. cit., p. 55.
65
22
un chapiteau d’Orcival où est visible un homme en proie avec un terrifiant démon70. Les
productions romanes sont teintées de dynamisme, donnant ainsi l’impression d’une faune et
d’une flore grouillante à la surface de celle-ci. Les exemples sont nombreux tels que le
chapiteau de la seconde Théophanie de l’Apocalypse, sur la tour-porche de Saint-Benoît-surLoire ou les chapiteaux de la nef de l’abbatiale de la Madeleine à Vézelay. Néanmoins, les
traditions iconographiques romanes ne sont pas avares en matière de motifs, d’entrelacs, de
formes et de compositions végétales71. Elles montrent une très grande innovation dans le
traitement des thèmes abordés, avec des scènes narratives, celles présentant des animaux tel
que le chapiteau de Thil-Châtel en Côte d’or où se trouvent des oiseaux à têtes humaines
entrelacés72, d’autres offrant des scènes bibliques avec le démon tentant Jésus-Christ73 sur un
chapiteau à Saulieu ou à caractères hagiographique avec la résurrection de saint Nectaire par
saint Pierre74 dans l’église de Saint-Nectaire et allégorique comme sur un chapiteau de
Poitiers représentant la dispute, exposé au musée de Sainte-Croix, ou mythologique. Elles
n’omettent pas les thèmes plus marginaux et populaires, avec les grotesques et les images
érotiques qui encore aujourd’hui laissent dubitatif sur leur signification.
L’art roman est empreint également d’eschatologie, ce vif moment d’attente de la fin
des temps observé dans le récit de L’Apocalypse de saint Jean-Baptiste et du retour triomphal
du Christ qui sont les deux thèmes les plus abordés. Cette aspiration céleste se manifeste par
la représentation du surnaturel et du surhumain, qui fournit une part très importante au
monstre. Ces êtres surnaturels participent à la préparation d’un combat manichéen entre les
forces du bien et les forces du mal, du Christ contre Satan, des Saints contre le Diable, les
anges contre les démons, illustrés par l’imagier roman, comme sur les chapiteaux de la nef de
Notre-Dame de Cunault représentant une scène guerrière75. En observant l’aspect de ces
nombreux chapiteaux, nous pouvons en déduire que les individus devaient mettre à l’épreuve
leur foi et mener un combat vers la rédemption76. De ce conflit permanent naît un cortège
monstrueux de bêtes et de démons par lesquels les sculpteurs expriment leurs peurs et leurs
angoisses. L’art roman est empreint de tératologie77. Par monstre, il faut entendre tout ce qui
relève du règne animal, de la nature indocile et de ce qui est maléfique, dans un monde où les
70
Voir annexe 14, p. 20.
Marcel Durliat, « Réflexions sur l'art roman en France », Cahiers de civilisation médiévale, vol. 39, n° 153,
1996, p. 41-65.
72
Voir annexe 15, p. 21.
73
Voir annexe 16, p. 22.
74
Voir annexe 17, p. 23.
75
Voir annexe 18, p. 24.
76
Jean Rivière, Le Dogme de la rédemption, la théologie contemporaine, Albi, Chanoine Lombard, 1948, p. 231.
77
M. Durliat, art. cit.
71
23
animaux réels et fantastiques existent véritablement pour les fidèles. La frontière entre la
réalité et l’imaginaire reste plus que poreuse, et par ailleurs, Jacques Le Goff a pu résumer les
relations entre le merveilleux et l’humain :
Le merveilleux revendique un espace humain, naturel entre Dieu et Satan (…). Il dilate
jusqu’aux frontières de l’inconnu, le monde et le psychisme. En rentrant dans le réel et le
naturel, il l’élargit et l’accompli. De l’étonnant, de l’extraordinaire, il fait moteur du savoir de
la culture et de l’esthétique du Moyen Âge. Il pousse à ouvrir grand les yeux sur la création et
sur l’imaginaire. Il inspire une culture de l’étonnement78.
L’animalité ainsi que l’hybridation homme-animal demeure l’expression la plus marquante du
péché. Les multiples représentations de monstres qui ornent les églises, au-delà de leur rôle
décoratif et ornemental, semblent être perçues par les hommes romans comme des avatars du
Mal car, perchées sur les corbeilles des chapiteaux, ces créatures malignes fixent de leurs
regards de pierres malveillants la conduite des fidèles. Tout comme de terrifiants gardiens,
elles surveillent sa progression vers le Salut. L’usage d’employer des bêtes semble être un
moyen de montrer et d’expliquer qu’en dehors du royaume de Dieu, le mal demeure
omniprésent dans chaque recoin du monde. Il s’agirait d’une fonction dissuasive et
pédagogique, pour d’une part présenter les dangers auxquels s’exposent l’individu s’il
s’écarte de la voie de la foi et d’autre part lui permettre de lire dans la pierre comme un
catéchisme imagé. L’art roman se veut donc imagé et attribue un pouvoir à l’image, car elle
est un vecteur de compréhension et d’introduction au mystère du christianisme ; elle n’est en
aucun cas comme dans la chrétienté orientale une source d’idolâtrie. Cet apprentissage par
l’image domine au Moyen Âge comme l’énonce le pape Grégoire le Grand dans sa
correspondance avec l’évêque de Marseille dès 600 : « (…) en effet la peinture est pour les
analphabètes ce que l’écriture est à ceux qui savent lire, parce que peuvent y lire ceux qui ne
connaissent pas leurs lettres, c’est pourquoi surtout la peinture sert de leçons aux gens79 ».
Au Moyen Âge et tout particulièrement au XIIe siècle avec l’apparition de l’art
gothique, des monstres se rencontrent en littérature et dans les représentations
iconographiques, dans ses formes d’animaux fantastiques et dans ses ressemblances avec des
78
J. Le Goff, op. cit.
« C’est une chose que d’aborder une peinture, une autre que d’apprendre par le moyen de l’histoire, qu’elle
rapporte ce qu’il convient d’adorer. Car ce que l’écriture apporte à ceux qui savent lire, la peinture le présente
aux illettrés qui la regardent, car elles les ignorants voient ce qu’ils doivent faire en elle peuvent lire ceux qui ne
connaissent pas l’alphabet. D’où vient que la peinture sert de lecture et en particulier pour les gentils », cité par
Celia M. Chazelle, « Picture, Book and the illiterate : Pope Gregory I’s letter to Serenus of Marseille »,
World&Image, vol. 6, n° 2, Londres, 1990, p. 138-153.
79
24
formes humaines. Le monstre, souligne Claude Lecouteux, « hante l’imaginaire médiéval et il
se rencontre partout80 ».
2.
L’usage technique et symbolique
Les architectes se sont préoccupés de diriger convenablement l’écoulement des eaux pluviales
qui tombent sur un édifice. Ils ont dû faire preuve d’ingéniosité pour résoudre ce problème
majeur qui met en péril la structure. La forme du toit, avec ses nombreux versants et les
matériaux nécessaires à sa couverture, sont tant d’éléments inclus dans ce processus
d’évacuation. Cette nécessité de protection dépend intrinsèquement du lieu et du climat dans
lequel le bâtiment est construit.
L’apparition d’éléments d’architecture adoptant ce rôle semble plus favorable dans des
pays où les pluies sont fréquentes. De ce fait, son incarnation médiévale semble être
l’aboutissement d’un système qui n’est pas le fruit du hasard. Les gargouilles réapparaissent
tout d’abord sur des édifices gothiques à la fois cultuels et civils sur lesquels elles se
propageront. Le théâtre des gargouilles reste la cathédrale qui demeure le plus grand édifice
des villes. Elle symbolise le pouvoir religieux et bénéficie de toutes les attentions mais elle
peut engendrer des sources de conflit entre le pouvoir religieux et le pouvoir séculier, car le
chantier est au centre des villes et perturbe le bon déroulement de la vie quotidienne81, comme
le précise Michel Camille au sujet des monstres sculptés en gargouille, « ils prennent le relais
des marges monstrueuses des édifices romans82». Auparavant, l’eau tombait directement sur
les toits et la gargouille permet d’écarter cette eau et de la renvoyer plus loin, au grand dam
des passants. Leurs aspects monstrueux sont changeants ainsi que leurs physionomies car
comme le dit Eugène Viollet-le-Duc : « Il y’en a pas deux pareilles en France83 », ce qui
signifie que nous sommes face à une légion de modèles, tous différents, représentants des
créatures imaginaires ou des figures humaines. Ce fameux architecte a donné une définition
de la gargouille et ses différentes évolutions morphologiques tout au long du Moyen Âge.
L’architecte étaye son propos de croquis de gargouilles. Toutefois, il ne faut pas omettre une
information importante, les sources concernant les gargouilles sont pauvres, leur fragilité étant
due à une exposition directe aux intempéries qui les abîment et nécessitent un remplacement.
Claude Lecouteux, Les Monstres dans la pensée médiévale, Paris, Presses de l’Université de Paris-Sorbonne,
1999, p. 256.
81
Jean-Claude Schmitt, Otto Oexle, Les Tendances actuelles de l’histoire du Moyen Âge en France et en
Allemagne, Actes de Colloques de Sèvre 1997 et Cotingen 1998, Publication de la Sorbonne, 2002, p. 546.
82
Michel Camille, Images dans les marges : aux limites de l'art médiéval, Paris, Gallimard, 1997, p. 110.
83
Eugène Viollet-le-Duc, Dictionnaire raisonné de l'architecture française, Paris, Bance et Morel, 1854-1868.
80
25
De fait, l’étude de ces éléments, réalisée par Viollet-le-Duc, peut être faussée car comme il est
suggéré dans le colloque sur la signification et les valeurs d’usages des gargouilles, celles-ci
peuvent provenir d’époque ultérieures et l’habileté des artistes est telle que ces sculptures
restent très compliquées à dater. Elles sont inaccessibles, ce qui ajoute une difficulté
supplémentaire :
(…) les XVIIe, XVIIIe et XIXe siècles ont créé une large partie des gargouilles qui existent
aujourd’hui. Le talent indéniable de ces restaurateurs est un handicap car leur virtuosité rend
souvent délicate la distinction entre une œuvre originale et une création plus récente. L’impact
des restaurations est tel qu’il est, dans certains cas, plus raisonnable de mener l’analyse à partir
des moulages faits au XIXe siècle ou des croquis faits par les architectes plutôt que des
gargouilles aujourd’hui visibles sur les monuments84.
Le développement de ce type de sculptures apparait aux alentours du XIIe siècle et leur
premier foyer selon Eugène Viollet-le-Duc serait la cathédrale de Laon. Il les décrit de la
manière suivante : « ces gargouilles85 sont larges, peu nombreuses, composées de deux assises
l’une formant rigole, l’autre le recouvrement86 ». Elles seraient d’abord en deux parties. Il
existe un exemple intéressant qui provient de Saint-Paul-Trois-Châteaux, une cathédrale dont
les travaux commencent pendant la première moitié du XIIe siècle et se terminent au début du
XIIIe siècle. Cet édifice présente des gargouilles de cette époque qui s’apparentent à des
cochons87. Elles sont sculptées en rond de bosse et leur sculpture peut paraitre grossière.
Pourtant, les yeux, les dents et les oreilles nous permettent de les identifier comme des
cochons. Elle est sculptée en un élément unique et non en deux parties comme le présente
Eugène Viollet-le-Duc. Il s’agit simplement d’une observation due à la difficulté de trouver ce
type de gargouilles à « recouvrement ». Dans les prémices de cette sculpture extérieure, nous
apercevons cette volonté d’orner les parties de l’édifice de monstres ou de bête sauvages.
Ainsi, les formes qu’elles prendront seront prodigieuses et variées. Cette pratique va se
démocratiser et de nombreuses cathédrales vont se parer de gouttières bestiales. Par ailleurs,
les architectes et tailleurs de pierre comprennent la nécessité d’allonger les cous de leurs
créations, toujours dans l’optique de sauvegarder le bâtiment de l’eau. Accrochées sur les
contreforts et les arcs boutants, elles soulignent les angles saillants du bâtiment, accentuant
ainsi la relation de ce lien logique entre l’édifice et la bête. Tout au long du XIIIe siècle, les
exemples de gargouilles s’affinent et deviennent complètes, comme celles de Notre-Dame de
84
P.-O. Dittmar, J.-P. Ravaux, art. cit., p. 38.
Voir annexe 19, p. 25.
86
E. Viollet-le-Duc, op .cit, p. 24-28.
87
Voir annexe 20, p. 26.
85
26
Paris en 1225, les gargouilles longilignes féminines et celles de la Sainte-Chapelle88 en 1245
qui s’allongent. À la fin du XIIIe siècle, une nouvelle forme de gargouille voit le jour, n’étant
plus bestiale mais étrangement humaine, comme le fameux Verseau89 de la basilique SaintUrbain à Troyes.
La gargouille reste un élément représentatif de la période gothique. Vestige et digne
successeur des monstres des chapiteaux romans, elle continue à effrayer et à subjuguer
jusqu’au XIVe siècle et ce n’est qu’à partir du XVe siècle que les sujets de ces sculptures vont
connaitre un changement de direction. Elles deviennent plus burlesques, plus cocasses avec
des postures provocantes en s’éloignant petit à petit des sujets religieux, comme celles qui se
trouvent sur la maison de Jacques Cœur de 1443 et 1457, avec leurs visages grimaçants ou les
singes malicieux90. D’autres sont plus osées comme la fameuse représentation de la luxure91,
exprimée par « le bouc et la none92 » sur l’église de Notre-Dame des Marais à Ville-sur-Saône
devenue ville franche en Beaujolais. Cette gargouille, bien que provenant du XVIe siècle,
appuie parfaitement l’idée que les sculpteurs habiles intègrent leurs productions à un style
médiéval alors qu’elles proviennent des périodes ultérieures. La fonction de la gargouille reste
la même depuis l’Antiquité, seule sa forme et les incarnations qu’elle adopte ont évolué au fil
de l’histoire.
Les gargouilles sont des statues situées en hauteur et ceux qui les contemplent savent
que pour les observer, il faut lever la tête. Elles semblent sculptées directement sur l’édifice
car elles paraissent complètement intégrées. Pourtant, comme les icebergs, la partie visible
des gargouilles n’est qu’une infime part de la totalité de l’ensemble de la sculpture. Celles qui
sont entreposées dans le cloitre du musée des Augustins, provenant de l’ancienne église des
Cordeliers, sont datées approximativement entre le XIIIe siècle et le XIVe siècle. Elles
montrent que la partie cachée insérée dans la maçonnerie est plus massive que celle visible
par les passants. Cette partie dissimulée arborant l’aspect d’un bloc de pierre sert à stabiliser
l’ensemble et agit comme contrepoids. Les tailleurs de pierres imagiers à l’origine des
gargouilles n’ont pas laissé de traces de leur passage. Nous pouvons supposer qu’ils devaient
travailler au sol et une fois la gargouille terminée, les maçons utilisaient un engin de levage
pour la poser. Les artistes ne pouvaient voir l’aspect de leur création intégrée dans l’ensemble
qu’une fois la gargouille posée. Ces sculpteurs habiles pouvaient travailler l’hiver dans leurs
88
Voir annexe 21, p. 27.
Voir annexe 22, p. 28.
90
Voir annexe 23, p. 29.
91
Jean-Noël Passal, L’Esprit de la chèvre, Paris, éd. Cheminements, 2005, p. 103.
92
Voir annexe 24, p. 30.
89
27
loges, alors que la pose des pierres était arrêtée et ne reprenait que quand le climat se
radoucissait. Enfin, la sculpture des gargouilles regorge de mystères qui méritent d’être
approfondis.
La question de l’ornementation de ces parties de l’édifice reste en suspens. Dans tous
les cas, beaucoup de propriétés sont attribuées aux gargouilles, car étant une sculpture en
marge du bâtiment, elles stimulent l’imagination et interrogent. Leurs significations ainsi que
leurs mentions dans les textes se font rares. Cependant, quelques exemples sont parvenus
jusqu’à nous. Leur fonction de protection et celle d’expulser un élément liquide n’est pas
remise en question. Le Roman d’Abladane narre en 1260 une histoire bien étrange. Un
nécromancien très réputé nommé Flocars fait ériger sur les remparts de la ville d’Amiens trois
étonnantes statues, dont une en or et argent qui arbore le visage de la Vierge et deux autres en
cuivre. Ces trois statues étaient enfermées dans un caisson. Campées sur les remparts, elles
guettaient ceux qui souhaitaient entrer dans la ville et si par malheur un visiteur désirait
rentrer par la force, une des têtes lançaient un jet de venin si puissant que le pauvre être
mourait sur le coup. Cependant, comme le prescrit l’inscription qui figure sous les sculptures,
quand le seigneur de la ville passe sous la porte, les gargouilles crachaient de l’or. Il est
intéressant de consulter le texte original ci-dessous :
À celle même porte de le citée Flocars avoit fait faire deux gargoules de cuivre, l’un d’une part
de la porte et l’autre d’autre part, qui estoient de telle condition que, se aucun venist pour
entrer en le citée ou s’en volsist faire sire par force, les gargoulles gettoient parmi leurs
gueules un si horrible venin et le lanchoient si loings que ceulz étoient si envenimés de venin
qu’elles jetoient qu’il les en convenoit mourir. Et le venin, Flocars l’avoit destrempé es
tombeaux ; et par se maitrise le faisoit lancher as gargouilles. Se estoit escrit desseure la porte
que, quand le sire de la cité viendroit, l’une des gargouilles jetteroit or et l’autre argent93.
Un autre texte, l’exemplum recueilli par le dominicain Étienne de Bourbon, relate l’histoire
d’un usurier de Dijon qui allait se marier. Arrivé avec sa future épouse devant Notre-Dame de
Dijon, un usurier de pierre de la façade prend vie. Il tue la mariée en lui jetant sa bourse de
pierre. De rage, les usuriers de la ville s’attaquent à la façade et détruisent les gargouilles
présentent sur celle-ci. Cet événement narré dans le récit n’est pas que fictif, car les
gargouilles de la façade de Notre-Dame de Dijon (achevée en 1228) ont été détruites. Elles
ont été remplacées en 1880 et des restes de gargouilles médiévales sont conservés au musée
de Dijon94. La mention écrite en tant qu’élément relatif à la construction apparait en 1295 sur
93
94
L.-F. Flutre, art. cit., p. 478.
Voir annexe 25, p. 31.
28
un compte de chantier concernant des pierres appelées « gargoules95 ». Dans les deux textes,
les gargouilles se situent sur un lieu de circulation à la fois les « remparts ou la porte de la
ville » ainsi que la « façade de Notre Dame de Dijon », ce qui consolide sa position de
gardienne. Par ailleurs, leur proximité d’un lieu de passage semble évoquer les lions
stylophores96 à l’entrée des édifices religieux comme ceux qui encadrent l’entrée de la
cathédrale de Sainte-Trophime d’Arles97. Et dans l’architecture gothique, les gargouilles ne
sont pas placées au milieu d’un mur, mais plutôt proches des entrées et des ouvertures des
bâtiments qu’elles encadrent. La fonction apotropaïque n’est pas annoncée directement dans
les textes présentés. Par contre, la notion d’efficacité et même de châtiment est elle, vérifiée.
Dans les deux cas, les statues agissent. Elles crachent du venin, de l’or ou lâchent une bourse
de pierre, elles ne sont pas inactives. Les gargouilles de ces textes à un moment donné
s’animent tout comme à la première pluie venue. Par ailleurs, le liturgiste Guillaume Durand,
évêque de Mende au XIIIe siècle, compare la pluie aux attaques incessantes des païens sur
l’édifice et attribue aux tuiles le même rôle protecteur que les gargouilles : « Tegule tecti que
ymbrem a domo repellunt sunt milites qui ecclesiam a paganis etab hostibus protegunt98 ». Le
choix de représenter des dragons ou autres hybrides cracheurs de feux ou d’autres substances
n’est pas anodin. Les récits hagiographiques mettant en scène les affrontements entre des
saints sauroctones et des dragons terrifiants étaient une des principales hypothèses concernant
l’esthétique et le rôle des gargouilles émises par Émile Male de monstres cracheur d’eau,
façonnés à l’image de ces histoires populaires. Néanmoins, sachant qu’elles ne figurent pas
dans le texte du Speculum, la grande encyclopédie de Vincent de Beauvais, Émile Male
considère ces sculptures comme purement imaginaires et dépourvues de sens : « Ces
gargouilles, qui ressemblent aux vampires des cimetières, aux dragons vaincus par les vieux
évêques, ont vécu dans les profondeurs de l’âme du peuple elles sont sorties d’anciens contes
d’hiver99 ». Certains dragons portent le nom de gargouilles ou des émules qui s’en
rapprochent, comme celles de Rouen100, la « Grand goule101 » de Poitiers et « Graouilly » de
Metz. Énormément de figures évoquent cette descendance reptilienne, leurs aspects se prêtant
admirablement à la figuration de gouttière. Cependant, il ne faut pas oublier que comme le
précise certains bestiaires, la force du dragon ne réside pas dans son souffle qui est inoffensif
95
M. Camille, op. cit., p. 110.
Les lions stylophores sont des sculptures de lion, placées au pied d’une colonne.
97
Voir annexe 26, p. 32.
98
Guillelmi Duranti, Rationale divinorum officiorum, I 36, CXL, vol. I-IV, Turnhout, Brepols, 1995, p. 23.
99
Émile Mâle, L’Art religieux du XIIIe siècle : étude sur l'iconographie du Moyen Âge et sur ses sources
d'inspiration [1898], Paris, Armand Colin, 1993, p. 77.
100
J. Rebold Benton, op. cit., p. 80.
101
Voir annexe 27, p. 33.
96
29
mais dans sa queue. Cette importance de la queue du dragon peut être illustrée lors du
troisième jour des Rogations à Troyes102 lorsqu’étaient mises en scène les funérailles de la
fameuse « Chair salée ». Celle-ci avait la gueule béante, les yeux éteints et la queue pendante.
Cette déambulation finale marquait la fin des festivités.
Tout au long du XIXe siècle, les historiens tentent de donner une signification précise à
chaque gargouille en essayant de se baser sur la Bible. Certains pensent qu’elles illustrent les
textes des Psaumes, XXI, 13 « Oui tu leur feras tourner le dos » car techniquement elles sont
dos à l’église, ou le Psaume XXII, 14-15 « Contre moi baille leur gueule, lions lacérant et
rugissant. Je suis comme l’eau qui s’écoule et tous mes os se disloquent ». Certaines
gargouilles représentent des lions rugissants à la crinière hirsute ou des créatures qui enlacent
leurs victimes dans une étreinte mortelle, évoquant un combat ou la dévoration. Ces images
véhiculeraient donc une certaine terreur en plus de leur fonction de gardienne. Malgré cela,
pour qu’une image ou une sculpture adopte un caractère apotropaïque, ce qui veut dire qu’elle
éloigne ou détourne le mal, il est nécessaire d’y placer un animal prédateur et qu’il mette
différents attributs en valeur, tels que les griffes, un rictus bestial rempli de dents ou même
tout simplement la gueule ouverte103. De ce fait, même un simple canidé peut être une figure
qui éloigne le mal. Dès le XIVe siècle, les broches des pèlerins représentent un chien avec un
collier104. Sur ce collier figurait « bien aie a qui me porte105 ». Cette formule est aussi
employée sur des bustes reliquaires106. Les gargouilles canines ou simplement des gargouilles
carnivores sont courantes, comme le chien gargouille de Notre-Dame des Andelys dans
l’Eure107. Un autre élément appuie cette fonction apotropaïque. Il s’agit de la figuration de
faces à caractère obscène, de scènes scatologiques et sexuelles et de représentations d’organes
génitaux. Les gargouilles de Notre-Dame de l’Épine possèdent un nombre très élevé de
gargouilles scabreuses : un masturbateur, de nombreux chiens aux parties génitales
proéminentes, une femme urinant en compagnie d’un maure. La cathédrale de Sens possède
aussi un exemple plus récent d’une femme nue évoquant la luxure restaurée par Viollet-leDuc avec l’eau qui passe par la bouche et son sexe108. Les historiens et érudits se sont
questionnés sur la présence de sculptures choquantes et les arguments qui ressortent de ces
102
Voir annexe 28, p. 34.
M. Camille, op. cit., p. 43-58
104
Voir annexe 29, p. 35.
105
P.-O. Dittmar, J.-P. Ravaux, op. cit., p. 44.
106
L’image est reproduite dans Denis Bruna, Enseignes de pèlerinage et enseignes profanes, Paris, Réunion des
Musées Nationaux, 1996, p. 312.
107
Voir annexe 30, p. 36.
108
Voir annexe 31, p. 37.
103
30
réflexions sont l’apparente jeunesse des sculpteurset leur positionnement éloigné sur
l’édifice109. Les gargouilles sont placées en hauteur et cette position favorable leur permet de
s’accorder certaines libertés et de pouvoir sculpter des motifs plus scabreux ou païens à l’insu
des commanditaires. Pourtant, l’étude monographique comme celle de Notre-Dame de
l’Epine démonte cette hypothèse :
Le fait que la localisation (haute, cachée etc.) ôterait ces images des regards inquisiteurs de
l’institution ne correspond pas à la réalité. Les sujets les plus choquants a priori, comme la
femme urinant, l’homme masturbateur ou l’homme qui lèche son anus font partie des éléments
parfaitement visibles depuis le sol. Avec un peu d’attention, on remarque aussi que des
personnages montrent fièrement leurs parties honteuses à la base du premier piédroit nord du
portail nord de la façade occidentale (la scène est visible par un enfant), et jusqu’au cœur de
l’édifice, soit un des chapiteaux séparant le chœur du déambulatoire. La situation effective va
même à l’inverse de la croyance puisque les gargouilles peu visibles des parties hautes,
notamment les tours, sont plutôt pudiques et représentent presque uniquement des animaux
hiératiques110.
Les gargouilles aux sujets les plus scabreux sont visibles alors que celles qui semblent plus
sobres sont souvent cachées dans les hauteurs des tours, dans le cas de Notre-Dame de
l’Épine. Sur la basilique Saint-Urbain à Troyes, les gargouilles les plus accessibles arborent
des physiques ou des formes plutôt dérangeantes alors que celles comme le porteur de cruche
avec son magnifique drapé est quant à lui inaccessible au premier coup d’œil. Dans ce cas,
pourquoi rapprocher ces images d’animaux apotropaïques et la figuration d’éléments à
caractère scandaleux ? La représentation des sexes masculins connait depuis l’Antiquité une
fonction protectrice111. En effet, plus une image parait horrible ou taboue, plus on détourne
son regard de l’horreur et plus elle est efficace. Il est très important de le rappeler comme le
cite le vieil adage : « il faut combattre le mal par le mal », aussi appelé la « répulsion des
semblables112 », qui peut être illustrée par l’épisode tragique narré par Étienne de Bourbon,
« c’est une gargouille d’usurier qui tue la femme d’un usurier ».
Les iconographes et les archéologues du XIXe siècle voient dans les gargouilles des
exemples de premiers dinosaures ou des portraits d’hérétiques ou encore pour les plus
nébuleux d’entre eux des constellations113. Les interprétations sont nombreuses, comme dans
le roman La Cathédrale de Joris-Karl Huysmans, où le héros est fasciné par la cathédrale et sa
ménagerie de pierre chargée en significations. Il définit les gargouilles comme :
J. Rebold Benton, op. cit., p. 45 ; E. Mâle, L’Art religieux du XIIIe en France…, op. cit., p. 58.
P.-O. Dittmar, J.-P. Ravaux, op. cit.
111
Lorrayne Baird, « Priapus Gallinaceous : The Role of the Cock in Fertility and Eroticism in Classical
Antiquity and The Middle Ages », Studies in Iconography, 7-8, 1981-1982, p. 81-111.
112
Ruth Mellinkoff, Averting Demons : The Protective Power of Medieval Visual Motifs and Themes, Los
Angeles, Ruth Mellinkoff Publications, 2005.
113
M. Camille, op. cit., p. 111.
109
110
31
« (…) des créatures hybrides matérialisant les vices vomis, rejetées du sanctuaire, rappelant
au passant qui les voit exhumer à pleine gueule les lies des gouttières, que hors de l’église ce
ne sont que gémonies de l’esprit et cloaque d’âme114 ».
En effet, comme l’indique dans leurs différentes étymologies, les gargouilles crachent,
vomissent et certaines défèquent. Généralement là où les animaux sont amenés à cracher du
venin, les gargouilles représentant des êtres humains ne font plus peur mais provoquent
l’hilarité. Ces figures humaines en gargouille apparaissent dès le XIIIe siècle. Elles vont
mettre en scène des métiers de marginaux, jongleurs, prostitués, prêteurs ou bien encore des
pêchés universels comme la gloutonnerie115. De plus, ces statues humaines émettent des
sécrétions, comme du sperme, du vomi et des excréments116. Mais toutes les gargouilles
humaines ne vomissent pas forcément, comme sur la basilique Saint-Urbain à Troyes où l’eau
passe pudiquement par la cruche et non dans la bouche. Dans le Mesnagier de Paris, ouvrage
destiné à l’éducation de la femme d’un bourgeois parisien, son auteur présente la bouche
comme la porte de l’enveloppe corporelle :
Le troisième point, c’est que la vertu de sobriété garde bien la porte du château pour empêcher
le diable d’entrer dans le corps de l’homme à travers le péché mortel : la bouche, c’est la porte
par où le diable entre dans le château pour combattre les bonnes vertus […] C’est par la
bouche que le Diable tente l’homme ; ainsi fit- il quand il invita Notre-Seigneur à transformer
les pierres en pain et quand il poussa Adam à manger le fruit. Par rapport à toutes les autres
créatures, l’homme a la bouche la plus petite en proportion du corps ; s’il a les autres parties
du corps en double –deux oreilles, deux narines, et deux yeux – il n’a qu’une seule bouche.
Cela nous indique que c’est avec sobriété qu’il doit manger et boire, et aussi parler117.
En contradiction, le passage d’un verset de Mathieu dit : « ce n’est pas ce qui entre dans la
bouche qui souille l’homme, mais ce qui sort de la bouche ». Elle est aussi en relation avec
des récits où le péché est expulsé par la bouche118, car comme tous les orifices, il s’agit de
lieux par lesquels transite le péché. Les gargouilles montrent les limites du corps humain. Les
exemples humains sont très souvent représentés tordus de douleur, la bouche béante, les yeux
exorbités. Toutes les représentations de prostitués, de jongleurs et de bouchers sont le temps
d’incarnation d’une humanité qui se fourvoie.
114
Joris-Karl Huysmans, La Cathédrale [1898], chap. XIV, Paris, Les Éditions du Rocher, 1992, p. 291.
M. Camille, op. cit., p.112.
116
Voir annexe 32, p. 38.
117
Anonyme, Le Mesnagier de Paris [1846], Paris, Le Livre de poche, 1994, p. 124-125.
118
Le choix d’un exemplum : « Il se confessa donc avec des larmes à un saint prêtre et dès qu’il eut reçu le
bénéfice de l’absolution, il vomit par la bouche sept petits animaux noirs et affreux, ressemblant par-devant à des
crapauds mais ayant des formes diversesà l’arrière. Chose merveilleuse ! Peu après, une fois ces animaux tombés
en pourriture, le corps et le visage de ce pénitent commencèrent à refleurir. Tout à fait sorti de danger dans son
âme et dans son corps, il servit longtemps d’exemple à son entourage », Thomas de Cantimpré,Bonum universale
de apibus, II, 50, 2, Douai, éd. G. Colvenere, 1627. L’expulsion par vomissement est propre aux guérisons
miraculeuses de la possession démoniaque, voir Pierre-André Sigal, L’homme et le miracle dans la France
médiévale (XIe-XIIe siècle), Paris, Le Cerf, 1985, p. 238-239 ; Jacques Berlioz, « Le crapaud animal diabolique »,
L’animal exemplaire au Moyen Âge, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 1999, p. 267-288.
115
32
B.
L’interprétation des figures de pierre
1.
Les sources d’inspiration des éléments taillés
Ces monstres ambivalents qui peuplent les édifices gothiques sont présents dans toutes les
régions de France. Afin de présenter un « parc de gargouilles » emblématique du Moyen Âge,
celles de la basilique Saint-Urbain de Troyes119 vont permettre de dévoiler les origines et les
sources de ces éléments. Certaines d’entre elles sont connues pour être les premières
gargouilles humaines médiévales. Leur création remonte vers la fin du XIIIe siècle selon
Eugène Viollet-le-Duc dans l’Encyclopédie Médiévale et comme le précise Michel Camille
lors d’un colloque au Musée de la sculpture comparée à Paris 120. Par ailleurs, six des
gargouilles présentes dans le Musée des monuments français proviennent de la basilique
Saint-Urbain de Troyes. Elles sont très importantes dans l’histoire de l’art. En effet, ces
gargouilles ne sont pas construites autour de la figure du monstre mais elles s’inspirent de la
figure humaine. C’est grâce à celle-ci qu’elles figurent dans les premières représentations de
gargouilles anthropomorphiques dans le musée depuis 1886121. Les individus présents sur la
basilique sont intéressants par leurs sujets et le très haut degré de sculpture.
La construction de l’édifice s’amorce avec Jacques Pantaléon, le futur pape Urbain IV
(1185-1264). Il est élu en 1261. Peu après sa nomination au Saint Siège, il achète en 1262 à
l’abbesse de Notre-Dame aux Nonnains, le terrain sur lequel se trouvait la maison ou
l’échoppe de ses parents. Il fit un don de presque trente mille livres pour la construction de
l’édifice122. Grâce à ses moyens financiers conséquents, la majeure partie de la basilique est
érigée en moins de trente ans. Urbain IV souhaite que la basilique devienne un lieu de prières
public, une collégiale dédiée au pape Urbain Ier. Dans la pensée populaire, le pape Urbain Ier
est un des patrons des vignerons et des vendanges123. Cependant, le pape Urbain IV ne reverra
jamais Troyes et meurt en 1264. Les travaux de construction se poursuivent en 1264 avec la
construction du chœur puis en 1266 avec l’édification du transept. Le cardinal Clément IV,
neveu d’Urbain IV, veille au bon déroulement du chantier. Au cours de l’année 1266,
l’abbesse de Notre-Dame aux Nonnains, Ode de Pougy, enrôle une des hommes d’armes qui
119
Voir annexe 33, p. 39.
M. Camille, Le Musée de la sculpture comparée : naissance de l’histoire de l’art moderne. Idées et débats,
Tours, Éditions du Patrimoine, 2001, p. 88.
121
Ibid., p. 89.
122
Dieter Kimpel, Robert Suckale, L’Architecture gothique en France : 1130-1270, Paris, Flammarion, 1990, p.
442.
123
Jacques de Voragine, La Légende dorée, Paris, Garnier, 1906, p. 149.
120
33
saccagent le chantier. Elle voit d’un mauvais œil l’implantation d’une collégiale placée
directement sous l’égide du Pape et non la sienne. Elle réitère l’opération en 1268 lors de la
tentative de consécration de l’église et de son cimetière par l’archevêque de Tyr et l’évêque
d’Auxerre. Suite à ses mauvais agissements à l’encontre du Saint Père, elle est excommuniée
en 1269. Toutefois, le pape Martin IV lève l’excommunication en 1283. La même année, un
incendie dont les causes restent encore inconnues, a lieu. Il réduit en cendres les charpentes en
bois et les échafaudages. Cette dernière mésaventure signe l’arrêt des travaux. La nef est
terminée dans le courant du XIVe siècle et le reste de l’édifice au XIXe siècle.
La basilique Saint-Urbain demeure exceptionnelle car elle est une des incarnations
majeures du style gothique rayonnant avec la Sainte-Chapelle de Paris. Elle est aussi une
synthèse des caractères champenois et bourguignon. Son plan et certains motifs, dont les
gables très saillants, apparaissent très proches de l’église de Saint-Amand-sur-Fion124 et la
hauteur des murs se rapproche de l’ancienne église Saint-Nicaise de Reims. L’architecte
devait posséder une maîtrise parfaite des styles parisiens qui laissent une grande place aux
verrières. Comme la Sainte-Chapelle, elle bénéficie d’une conception propice à
l’incorporation de vitraux. De ce fait, nous pouvons rencontrer de très beaux éléments
provenant du XIIIe siècle dans le chœur. Néanmoins, malgré l’apparente complexité de la
basilique et sa verticalité. On peut soulever que deux choses sont inhérentes à l’architecture de
la basilique Saint-Urbain. D’une part la place prépondérante des vitraux et d’une autre part
l’importance des éléments porteurs. La présence de ces deux éléments permet de renforcer la
place des verrières présentes dans la totalité de l’édifice ainsi que de mettre en valeurs son
squelette avec ses éléments porteurs qui le composent. Les forces qui agissent sur ces
éléments sont rendues possibles grâce aux arcs-boutants qui les retiennent et les rejettent vers
l’extérieur. Ils permettent la hauteur des verrières et l’extrême minceur des murs. La forme
générale de la basilique s’articule autour de trois vaisseaux, le cœur étant échelonné en trois
absides. On peut soulever l’absence des trois niveaux qui est une norme dans l’architecture
gothique classique et qui se compose généralement de grandes arcades, du triforium et des
baies hautes. La basilique possède seulement deux grandes arcades et des baies hautes sans
triforium. La basilique Saint-Urbain a été réalisée par des ouvriers et des architectes virtuoses,
leur travail est visible à l’intérieur avec les grandes colonnes fascicules et les voûtes.
L’extérieur n’est pas en reste avec de nombreux polylobes, galbes ainsi que ses multiples
124
D. Kimpel, R. Suckale op. cit., p. 442.
34
modillons. Ci-dessous, sont visibles les emplacements des gargouilles sur la basilique. Grâce
à ce plan, nous avons la possibilité de mieux appréhender leur position mais aussi d’avoir une
vue d’ensemble des espèces de gargouilles présentes. À la suite de ce plan, un tableau
regroupe les cinquante-quatre gargouilles présentes sur la basilique avec leurs emplacements
en chiffre ainsi qu’une brève description de leurs attributs.
35
36
Emplacement/Photos
Gargouille
Description
-Animale
-Quatre pattes
-Lion
-Crinière
-Oreilles rondes
-Museau
-Pattes de félidé
1
-Conduit d’eau passe par la bouche
-Hybride zoomorphe
-Quatre pattes
-Tête de lion
-Museau plat
-Crinière sur le cou
-Paire d’ailes (plumes)
-Pattes avec sabots fendus
2
-Oreilles en forme d’ellipse
-Conduit d’eau passe par la bouche
-Hybride zoomorphe
-Deux pattes
-Queue de reptile
-Tête de canidé ou de caprin
-Sabots fendus (pattes avant)
-Ailes rabattues
3
-Oreilles rabattues
-Conduit passe par la bouche
37
-Animal
-Quatre pattes avec pattes et mains
-Singe
-Oreilles rondes
-Nez plat
-Conduit passe par la bouche
4
-Humain
-Tonsure
-Moine
-Capuchon (sur le cou)
-Jambes écartées
-Mains posées sur les cuisses
-Présence d’une portion cannelée sur le torse
-Conduit passe par la bouche
5
-Hybride zoomorphe
-Tête de canidé
-Oreilles rabattues
-Ailes déployées
-Présence d’une portion cannelée entre le cou et
le torse
-Conduit passe par la bouche
6
38
-Hybride anthropocéphale
-Tête humaine et buste (féminin)
-Moniale
-Voile et gorget
-Onocentaure
-Reste du corps équidé
-Conduit passe par la bouche
-Pattes arrière (sabots)
-Tête et cou entourés dans une guimpe
7
-Main droite posée sur le cœur
-Main gauche posée entre les jambes
-Humain
-Chapeau
-Clerc
-Cote longue
-Usurier (escarcelle) ?
-Main gauche posée sur le cœur
-Main droite posée sur le chapeau
-Escarcelle accrochée à la taille
8
-Conduit passe par la bouche
-Animal
-Quatre pattes
-Lion
-Crinière
-Oreilles rondes
-Museau
9
-Pattes de félidé
-Patte droite (griffue) levée
-Conduit passe par la bouche
39
-Démon et humain
-Un fantassin
-Dévoration
-Cotte d’écaille
-Arme au fourreau (épée ou messer)
-Attaque de la créature par le cou
-Conduit d’évacuation passe par la bouche
10
-Humain
-Femme avec robe longue
-Femme
-Voile sur les cheveux
-Bras droit brisé
-Bras gauche sur sein gauche
-Conduit d’évacuation passe par la bouche
11
Gargouille brisée
12
40
-Hybride anthropocéphale
-Tête couronnée et bouche abimées
-Grylle ?
-Voile sur le cou
-Ailes, plumes
-Patte avant félidé
-Queue de serpent
13
-Conduit d’évacuation passe par la bouche
-Animal
-Tête brisée
-Âne
-Oreilles d’âne
-Quatre pattes d’âne élancées
-Conduit d’évacuation passe par la bouche
14
-Animal
-Bec
-Oiseau
-Ailes repliées avec plumes
-Pattes griffues
-Conduit d’évacuation passe par la bouche
15
Gargouille brisée
16
41
17
-Hybride zoomorphe
-Bec de griffon
-Griffon
-Crinière de lion ?
-très usée
-Paire d’ailes abimées
-Pattes griffues
-Conduit d’évacuation passe par la bouche
-Hybride zoomorphe
-Tête de canidé
-Canidé
-Corps de canidé
-Ailes ou éléments d’armures
-Grandes oreilles
-Conduit d’évacuation passe par la bouche
18
-Hybride zoomorphe
-Tête indéterminée
-Dragon ?
-Oreilles rondes
-Cou avec écailles de poisson
-Pattes de félidé/léonines
-Abdomen étrange, dard.
19
-Conduit d’évacuation passe par la bouche
42
-Hybride zoomorphe
-Tête indéterminée
-Oreilles pointues
-Cou avec crinière de lion
- Quatre pattes avec sabots (fourchues)
-Ailes repliées
20
-Conduit passe par la bouche
-Animal
-Corps de Canidé
-Chien
-Conduit d’évacuation passe par la bouche
-Gargouille brisée
-Sans tête
-Humain ?
-Crosse d’évêque
-Hybride
-Côte d’écaille
-Evêque ?
-Deux bras humains
-Poisson Moine ?
-Pattes arrière griffues
21
-Conduit d’évacuation passe par la bouche
22
23
24
Têtes néo-médiévales
25
43
-Hybride zoomorphe
-Tête léonine
-Tête de lion
-Crinière de lion
-Ailes de chauve-souris
-Pattes avant léonine
-Queue de reptile/serpent
26
-Conduit passe par la bouche
-Animal
-Tête léonine
-Lion
-Crinière
- Quatre pattes de félidé
-Serpent entre les pattes
27
-Conduit passe par la bouche
-Humain
-Personnage en toge
-Homme en toge
-Bonnet-Barbe
-Main droite tient le bonnet
-Main gauche posée sur la cuisse
28
-Pieds chaussés
-Conduit d’évacuation passe par la bouche
44
-Animal
-Corps de Canidé
-Chien
-Conduit passe par la bouche
-Animal
-Pies apparentes
-Cochon
-Pourceaux entre les jambes
-Laie
-Pourceaux sur les flancs droit et gauche
29
-Conduit d’évacuation passe par la bouche
30
-Humain
-Se tient à califourchon
-Joueur de vielle à archet
-Chapeau sur la tête
-Musicien
-Vielle à archet
-Marginal
-Cote longue
31
-Chainse
-Main gauche maintenant la vielle
-Main droite l’archer
-Conduit d’évacuation passe par la bouche
45
-Humain
-Femme nue
-Vénus ?
-Chevelure ondulée
-Femme
-Se tient la joue
-Se tient à califourchon
-Conduit d’évacuation passe par la bouche
32
-Gargouille abimée
-Tête indéterminée
-Bovidé ?
-Quatre pattes fourchues
-Conduit d’évacuation passe par la bouche
33
-Hybride zoomorphe
-Tête léonine
-Chien-Lion
-Oreilles rondes
-Courte crinière
-Pattes avant courtes et griffues
34
-Patte arrière
-Conduit d’évacuation passe par la bouche
-Humain
-Personnage enroulée dans une cape
-Homme ou femme en toge
-Chevelure tressée
-Bras gauche se tenant le sein droit
-Main placée en angle droit
-Pied reposant sur la saillie du mur
35
-Conduit d’évacuation passe par la bouche
46
-Humain
-Personnage en toge
-Homme/ou femme en toge
-Longue chevelure
-Main posée sur la gorge
-Conduit d’évacuation passe par la bouche
36
37
Gargouille restaurée
38
39
-Hybride zoomorphe
-Tête léonine
-Chien
-Pattes avant courtes et griffues
-Lionne ?
-Patte arrière plus longue
-Conduit d’évacuation passe par la bouche
40
-Humain Cornu
-Personnage cornu
-Dionysos jeune ?
-Masculin
-Diable ?
-Chevelure ondulée et courte avec front dégagé
-Main gauche se tenant le bas ventre
-Main droite se tenant la gorge
-Grappe de raisin entre les jambes
-Conduit d’évacuation passe par la bouche
41
47
-Humain
-Personnage en toge
-Homme en toge
-Important drapé sur la toge
-Verseau
-Les bras tiennent un poisson ou une
-Porteur d’eau
amphore absente
-Humain
-Personnage en haillons
-Lépreux ?
-Nez et bouches nécrosés
-Condamné ?
-Capuchon sur la tête
42
-Les deux mains sont posées sur les genoux
-Pieds nus
43
-Conduit d’évacuation passe par la bouche
-Hybride zoomorphe
-Tête de canidé
-Corps d’oiseau
-Pattes de félidé
-Conduit d’évacuation passe par la bouche
44
-Hybride anthropocéphale
-Tête humaine barbue
-Sphinx ?
-Chevelure longue et bouclée
-Voile sur le cou
-Patte léonine
-Queue de serpent
45
-Ailes en plumes
48
-Hybride zoomorphes
-Tête de chien
-Dragons ?
-Crête
-Cornes
-Pattes fourchues de caprins
-Ailes en plumes
46
-Conduit d’évacuation passe par la bouche
-Quatre Pattes d’équidé ou de bovidé
-Gargouille abimée
-animale
-bovidé ?
-Equidé
47
-Animale
-Gargouille abimée
-Oiseau
48
-Animale
-Tête de Caprin
-Chèvre ?
-Pattes de Caprin
-Bouc ?
-Conduit d’évacuation par la bouche
49
49
-Hybride Zoomorphe
-Tête indéterminée (canidé)
-Transformation
-Pattes avant bras humains
-Pattes arrière griffues
-Conduit d’évacuation passe par la bouche
50
Gargouille brisée
51
Gargouille Brisée
52
-Animale
-Corps de félidé
-Chat
-Conduit d’évacuation passe par la bouche
53
54
Gargouille Restaurée
50
Grâce à ces habiles imagiers, nous possédons encore aujourd’hui les somptueuses
gargouilles de la basilique Saint-Urbain qui comme le précise le docteur Henry Joanneton
dans Gargouilles, « de certaines gargouilles que l'on rencontre dans les églises gothiques en
général et dans l'insigne église collégiale et papale de Saint-Urbain en particulier125 »,
éveillent notre curiosité et nous interpellent du fond des âges. Dans La Datation de la
sculpture médiévale126, Jean Wirth soulève la difficulté de dater des éléments issus de la
sculpture médiévale. En effet, l’environnement et l’état de conservation des œuvres
engendrent souvent des difficultés pour la critique stylistique qui lui donne des limites. Dans
le cas de notre sujet, c’est une affirmation à prendre en compte car sans étude stéréotomiques
et une datation chimique, nous ne sommes pas en mesure d’établir réellement l’âge des
gargouilles. Nous pouvons simplement fournir des hypothèses et offrir quelques déductions
en fonction de ce que nous avons ex-nihilo sur l’édifice.
La basilique recense au total cinquante-quatre gargouilles. Elles proviennent
respectivement des XIIIe, XIVe et XIXe siècles. Les gargouilles restaurées qui semblent
provenir du XIXe siècle se situent sur les deux absidioles latérales qui bordent l’abside
centrale de la basilique. Elles représentent des têtes dans un style néogothique et animal. Elles
ne sont pas médiévales. La datation de la sculpture médiévale sur des gargouilles est
complexe. En effet, plusieurs contraintes doivent être prises en compte, telles que
l’inaccessibilité des éléments d’études ainsi que l’apparente dégradation des éléments qui
résulte d’une très forte exposition aux intempéries. À défaut d’avoir une idée précise de
l’époque de leur création, on peut s’intéresser aux sujets et aux multiples créatures de pierres
présentes sur l’édifice. De fait, nous analyserons les gargouilles hybrides, humaines et
animales. Les gargouilles qui ne seront pas prise en compte dans notre champ d’étude seront
d’une part les gargouilles restaurées et d’autre part les gargouilles trop abimées.
De prime abord, les gargouilles apparaissent plutôt chastes comparées à celles
présentes sur l’édifices de Notre-Dame de l’Épine. En effet, il n’y a pas d’animaux musiciens
ou de gargouilles obscènes comme la Gargouille, maure urinant ou déféquant127 ou encore
provocatrice comme les deux acrobates128. La basilique Saint-Urbain ne compte pas de
gargouilles qui abordent des thématiques scatologiques comme celles visibles au musée de
Cluny. Cette gargouille représente un « fol » ravisseur d’enfant. Sa jeune victime placée sur
125
Henry Joanneton, Jehan Rott, Gargouilles : ouvrage couronné par l'Académie de Sainte-Savine, Paris, G.
Frémont, 1910, p. 25.
126
Jean Wirth, La Datation de la sculpture médiévale, Genève, Droz, 2004, p. 90-91.
127
P.-O. Dittmar, J.-P. Ravaux, op. cit., p. 61.
128
Voir annexe 34, p. 40.
51
son épaule, ouvre légèrement son rectum de ses deux petites mains pour en faire l’orifice par
où s’écoule l’eau de pluie129. Cette gargouille illustre la notion de « vents130 », activité des
membres des confréries qui, lors du défilé de Carnaval, frappaient les participants avec des
vessies de porcs. Ces drôles d’instruments émettent des sons semblables à des pets. Cette
posture peut alors évoquer une variante du jeu « pet en gueule131 » qui consiste à soulever
quelqu’un avec les jambes en l’air de manière à avoir la tête entre ses cuisses. Ou alors, il
s’agit peut-être tout simplement d’une gargouille représentant un gamin facétieux porté par un
fou qui se soulage à la vue de tous lors du Carnaval132. Sur la basilique Saint-Urbain, nous
sommes bien loin de ces gargouilles facétieuses et gaillardes. Les figures présentes sur
l’édifice sont en effet plus sobres mais pas dénuées d’étrangetés. Cela peut se constater par le
nombre élevé d’hybrides présents. Ces créatures sont toutes plus étonnantes les unes que les
autres. Ces monstres hybrides fantastiques sont issus des alentours du XIIIe siècle. Ils sont à la
fois le fruit d’une recherche qui serait d’une part de raffinement et d’une autre part d’une
réminiscence des thèmes monstrueux romans, teintés de visions de l’Enfer, peuplé d’êtres
fabuleux. Ces images s’immiscent dans les marges des manuscrits, les bestiaires, la peinture
ainsi que dans l’architecture. Ces créatures font à leurs manières revivre les thèmes de
l’Antiquité133 grâce à la collection des glyptiques et de monnaies qui deviennent de fabuleux
instruments de transmissions des créatures et sujets antiques134. En effet, les rapprochements
avec l’Orient lointain permettent d’élargir les cadres géographiques et artistiques. Les
imagiers, artistes et enlumineurs assimilent et acquièrent ces nouveaux codes et renouvellent
les anciens. Toutes ces influences convergent vers ces créatures, démons et hybrides qui
participent à l’étrangeté de la période médiévale mais aussi son universalité135. La basilique
Saint-Urbain accueille un nombre important d’hybrides qui peuvent être divisés en deux
grandes familles, avec d’un côté les hybrides « zoomorphes » et de l’autre les hybrides
« anthropocéphales ».
Dès l’Antiquité en Occident, l’hybride est un être anormal voire mythique. Il se
compose d’éléments disparates qui appartiennent à des espèces bien distinctes comme les
harpies ou les gorgones. Cet être combiné incarne l’anomalie, l’imperfection et la décadence.
129
Voir annexe 35, p. 41.
Philippe Testard-Vaillant, « Les Images, côté obscur ». Les Cahiers de Sciences et Vie, 2016, p. 64.
131
Claude Tuot, Les Gargouilles de Paris, Italie, Abc Tipografia, 2016, p. 68-70.
132
Ibid., p. 69.
133
Jurgis Baltrusaïtis, Le Moyen Âge fantastique, Paris, Flammarion, 1993, p. 1-9.
134
Ibid., p. 12.
135
Emmanuel Molinet, « L’hybridation : un processus décisif dans le champ des arts plastiques », Le Portique
[en ligne], 2-2006, Varia, consulté le 29 Mars 2017, disponible sur http://leportique.revues.org/851.
130
52
L’hybride est assimilé à quelque chose de péjoratif, qui se retrouve dans sa définition136. La
formation du mot ibrida en latin renvoie au « bâtard », « sang-mêlé », amenant ainsi à un acte
de transgression qui brise l’ordre naturel établi. Avec le temps, ibrida est devenu hybrida qui
se rapproche du grec hubris et qui signifie « excès, ce qui dépasse la mesure ». Ce terme peut
être perçu comme « un viol, un outrage ». À cette définition, s’ajoute celle de l’Encyclopaedia
Universalis137. Elle définit l’hybride en deux termes liés aux sciences naturelles avec d’une
part « une fécondation qui ne suit pas les lois universelles » et d’une autre part le fait de
croiser « deux genres différents pour provoquer la naissance d’hybride ». Par ces définitions,
il semble évident que la notion d’hybride est perçue négativement. L’hybride, qu’il soit
purement bestial ou humain, reste plutôt horrifique. Cependant, nous pouvons rencontrer
certaines exceptions comme la fée Mélusine qui conserve son étonnante beauté tout en
possédant à la place de ses jambes un corps de serpent138.
Dans ces créatures médiévales, deux genres de monstres sont à distinguer, avec ceux
qui peuvent être perçus comme des monstres actifs dans la personne du Diable et ses
représentants comme les démons et les êtres originaires des confins de l’Orient, et d’autres
monstres plus passifs qu’il faut éviter car ils ne sont pas dénués de dangerosité, comme le
bonnacon139 qui attaque ses adversaires avec ses excréments hautement inflammables pouvant
traverser armures et boucliers140. Dans cette classification, se retrouvent aussi bien les
monstres du quotidien141 que les monstres et hybrides lointains. Mais dans tous les cas, ces
créatures n’auront pas la chance d’aller au Paradis car leur existence même est une
transgression de la nature142. Nous pouvons citer d’autres créatures originaires des confins du
monde143, telles que les blemnies144 qui n’ont pas de têtes mais dont leur visage se situent sur
leur torse ou encore les sciapodes145 qui se servent de leurs uniques pieds comme parasol. Il
existe aussi d’autres anthropomorphes originaux tels les panotiis146 qui se servent de leurs
136
Ibid.
Demarly, Barksy, Gilgenktranz, « Hybridation », Encyclopædia Universalis [en ligne], consulté le 29 mars
2017, disponible sur http://www.universalis.fr/encyclopedie/hybridation/
138
Samuel Sadaune, Le Fantastique au Moyen Âge, Rennes, Ouest France, 2015, p. 110-111.
139
Michel Pastoureau, Les Bestiaires du Moyen Âge, Paris, Seuil, 2011, p. 110.
140
Voir annexe 36, p. 42.
141
Christophe Migeon, « Les monstres font merveilles », Les Cahiers de Sciences et Vie, 2017, p. 38-45.
142
Gil Bartholeyns, P.-O. Dittmar, Vincent Jolivet, Image et Transgression au Moyen Âge, Paris, Presses
universitaires de France, 2008, p. 44.
143
Voir annexe 37, p. 43.
144
Exemple de blemnies dans Le Livre des merveilles de Jean de Mandeville, (v. 1410-1412), BNF ms. fr. 2810,
fol 194v, photo BNF.
145
Éric de Bussac, Sculpteurs au Moyen Âge. L’univers fantastique des chapiteaux romans, Clermont-Ferrand,
L’Instant durable, 2007, p. 73.
146
Gaétane Mérat, « Liber Monstrorum, retour aux sources », Les Cahiers de Sciences et Vie, 2017, p. 47.
137
53
oreilles comme couverture ainsi que les cynocéphales147 terriblement maléfiques148 avec leurs
têtes de canidés. Ces créatures sont omniprésentes dans l’art médiéval et sur les édifices.
La basilique Saint Urbain héberge un nombre très élevé d’hybrides. Les plus
représentés adoptent des caractéristiques combinées de différents animaux avec des
caractéristiques particulières. Cependant, les plus énigmatiques sont une combinaison subtile
d’animaux et de figures humaines. Ils sont à l’image des créatures précédemment citées
anthropomorphisantes et même anthropocéphales. Il est très dur de pouvoir nommer ces
combinaisons animales ou humaines puisqu’elles ne ressemblent à aucunes bêtes connues.
Lorsqu’il s’agit de créatures fantastiques connues comme les licornes, les centaures ou les
sirènes, ces espèces, qui nous sont familières, sont simples à définir car nous avons des
éléments d’identifications comme la corne de la licorne. Dans le cas d’hybrides qui sont
composés à partir d’animaux différents, mi-aigle, mi-lion, mi-serpent ou moitié hommesmoitié animaux, ils restent complexes à analyser. Néanmoins, l’étude de ces créatures laisse à
penser que cette hybridation traduit une conception de l’animalité par la représentation du
corps ainsi que de la parodie. La basilique compte une dizaine de gargouilles ressemblant à
des espèces de dragons dont la (3), (6), (19), (20) par exemple. En effet, elles partagent avec
celui-ci une apparence reptilienne ainsi qu’une queue, des ailes et une gueule redoutable de
lion, de félidé ou de reptile. Les dragons présents sur les édifices et dans les manuscrits sont
très durs à identifier149. Ils sont la meilleure illustration de l’hybride zoomorphe. Si nous nous
fions aux différentes descriptions des bestiaires150, ils sont dotés de corps d’apparence
reptilienne, d’une paire d’ailes faite de plumes ou membraneuses comme le rat oiseau ou la
chauve-souris. Certains dragons n’ont pas d’ailes mais un corps visqueux comme les
poissons151. Ils peuvent posséder plusieurs têtes, ailes et pattes152. Le dragon appartient aux
147
Jean-Loïc le Quellec, Dragons et Merveilles, légendes urbaines et mythes contemporains, Arles, Errance,
2013, p. 147.
148
Tous les cynocéphales ne sont pas maléfiques. Chez les chrétiens orthodoxes, nous retrouvons des
représentations de Saint-Christophe avec une tête de chien. Traditionnellement, Saint Christophe est représenté
comme un géant faisant traverser le jeune Jésus sur ses épaules. Les icônes orthodoxes le dépeignent avec une
figure de chien. Il est important de préciser que même si les cynocéphales paraissent diaboliques, ils marchent
sur deux pattes, portent des vêtements et sont capable de négoce. L’épisode de Saint-Christophe montre qu’un
cynocéphale est capable de reconnaitre la légitimité du Christ. Les cynocéphales ne sont donc pas si maléfiques
que leur aspect laisse penser.
149
Voir annexe 38, p. 44.
150
« Dans les encyclopédies le chapitre consacré aux dragons est toujours étendu : c’est une espèce prolifique et
diverse. Il existe des dragons à deux pattes, à quatre pattes, avec ailes, sans ailes, à une seule tête, à plusieurs
têtes, avec des cornes sans cornes. Tous sont redoutables. » M. Pastoureau, op. cit., p. 203. Nous pouvons
illustrer cette diversité d’espèces des dragons dans le manuscrit, le Recueil des textes encyclopédiques latins,
Rome, Bibliothèque vaticane, Codex Palatinus latinus 1066, fol. 129 v°-130.
151
S. Sadaune, op. cit., p. 128.
152
M. Pastoureau, op. cit., p. 207.
54
trois mondes, la terre, le ciel et la mer. Dans l’imaginaire, sur la terre, il est avide de trésor
d’où son sanctuaire caverneux et dans le ciel, il s’attaque à la milice céleste. Il crache une
fumée nauséabonde par ses narines. Son souffle est dépourvu de venin car sa force réside dans
sa queue153. Il possède aussi une autre arme, celle de son regard. En grec le mot drakon
s’apparente au verbe dekesthai, qui signifie « regarder fixement ». Nous pouvons illustrer les
vertus de son regard maléfique par ce court extrait présent dans le Livre de Job : « Il regarde
en face les plus hautains, il est le roi sur tous les fils de l’orgueil » et comme le précise Michel
Pastoureau dans son ouvrage, Bestiaire du Moyen Âge : « Il n’y’a pas de bons dragons dans la
civilisation médiévale154 ». À l’image des nombreux hybrides, le dragon est une créature
complète, toutes victoires contre celui-ci représente une victoire contre le mal. Cependant, le
dragon possède de nombreux cousins qui s’apparentent à sa physionomie mais qui n’ont pas
les mêmes caractéristiques. Nous pouvons mentionner les aspics
155
qui s’assimilent à des
petits dragons156, la salamandre et la Serre157, bête marine terrifiante158 qui fut décrite pour la
première fois dans le Physiologus159. Elle est dépeinte comme un gigantesque poisson ailé qui
attaque les navires en tranchant les mâts avec ses ailes. Au XIIIe siècle. Guillaume Ier, clerc de
Normandie, précise sa manière d’assaillir les embarcations : « Quand elle voit des nefs et des
dromons faire voile sur la mer, elle déploie ses ailes au vent et fait voile de toute la vitesse
dont elle est capable en direction du navire160 ». De plus, il existe aussi un parent proche du
dragon. Il s’agit du basilic161, hérité des Grecs pour être le Basilikon, qualifié de « petit roi ».
Dans les Étymologies de l’ecclésiastique d’origine romaine Isidore de Séville (560-636),
celui-ci qualifie le basilic à partir d’un nom grec basiliscos¸ c'est-à-dire le roi des serpents. Ce
reptile fantastique vit dans les déserts d’Afrique et sème la mort sur son passage. Il peut grâce
aux vapeurs qui s’échappent de ses yeux dissoudre la pierre, brûler et pétrifier celui qui a le
malheur de croiser son regard. Son statut de roi des serpents s’affirme grâce à la couronne
qu’il porte sur la tête comme le décrit le grand savant persan Avicenne (980-1037).
153
Ibid., p. 208.
Ibid.
155
P. Ripert, op. cit., p. 140.
156
Voir annexe 39, p. 45.
157
Antonio Anzaldi, Massimo Izzi, Histoire universelle de l’imaginaire, mythes et légendes et croyances du
monde entier, Florence, Gremese international, 1995, p. 161.
158
Voir annexe 40, p. 46.
159
Physiolugus, A medieval book of nature lore, trad. Michael Joseph Curley, Chicago, 1979, p. 3.
160
M. C. Hippeau, Le Bestiaire divin de Guillaume, clerc de Normandie, trouvère du XIII e siècle, Caen, A.
Bardel, 1970.
161
P. Ripert, op. cit., p. 141.
154
55
Alors comment qualifier ces gargouilles reptiliennes ? Sont-elles des aspics, des
basilics ou d’autres dragons ? La réponse est alambiquée car ces créatures ne vont pas dans
l’ordre naturel des éléments. Elles font partie d’espèces variées et ne sont pas toujours
reconnaissables. Sur la basilique Saint-Urbain, certaines sont complètement inventées et ne
ressemblent à rien de connu, comme celle posée sur une des absidioles (40). Elle correspond à
un étrange mélange de canidé, félidé avec des membres antérieurs disproportionnés. Nous
pouvons souligner la présence de sublimes griffons (17) hérités de l’Antiquité. La basilique
accueille d’autres curieux hybrides comme celui de la façade nord qui évoque une bête parée
de bras humains. Celle-ci peut être apparentées aux hybrides anthropomorphes, voire même
anthropocéphales, c’est-à-dire ceux qui possèdent des caractéristiques et des visages
étrangement humains. Ce genre de combinaison mi-humaine et mi-animale se banalise du
XIIIe siècle au XVIe siècle dans l’enluminure ainsi que dans la statuaire. Cette propagation est
si massive qu’elle demeure en Occident une singularité de l’art médiéval162. Les incarnations
multiples de ces créatures provoquent de multiples questionnements sur leurs significations.
Ces hybrides possèdent un visage beau et humain sur un corps de bête. Ils sont des images de
la transgression163. Ces figures n’appartiennent ni au règne humain, ni au règne animal. Elles
sont présentes depuis l’Antiquité dans les figures des sirènes, des centaures et des autres
hybrides. De ce fait, les hybrides humanoïdes présents sur la basilique ne sont pas totalement
inédits. Ils reflètent parfaitement la fusion du caractère humain façonné à l’image de Dieu et
le côté purement multiple des animaux créés dans un geste répété. Nous ne pouvons pas
réellement déterminer le sens précis de ces figures ni leurs noms. Par contre, nous pouvons
fournir des explications quant à la présence de ces éléments sur l’édifice. Seulement trois
hybrides anthropocépahes sont présents sur la basilique Saint-Urbain, avec une étrange
moniale au corps de chien ou de cheval (7) et un sphinx ailé doté d’une tête couronnée et
d’une queue de serpent (13). Le dernier hybride humanoïde possède les mêmes
caractéristiques que celui précédemment cité sauf qu’il n’a pas de couronne sur sa tête (45)
celle-ci est remplacée par une coupe de cheveu stylisée. Toutes ces gargouilles
anthropocéphales ont en commun un fragment de tissus qui couvre leurs gorges. Une petite
exception pour la moniale qui possède un voile et un gorget (vêtement provenant du XIV e
siècle), entourant sa tête et laissant apparaitre son visage figé en un cri d’effroi. Ces
162
163
G. Bartholeyns, P-O. Dittmar, V. Jolivet, op. cit., p. 26.
Ibid., p. 3.
56
gargouilles sont toutes composées d’une partie mi-humaine et mi-animale. Il existe aussi un
autre hybride cornu qui s’apparente à un faune ou à un diable.
L’étrange moniale au corps de chien ou d’équidé paraît avoir ses bras pliés. Elle
semble partager un lien de parenté avec une créature hybride provenant du Liber
Monstrorum164. Il s’agit d’un ouvrage rédigé au cours des VIIe-VIIIe siècles par un auteur
anonyme anglo-saxon. Il est le premier écrit de tératologie médiévale. Composé de cent-dixsept chapitres, il se découpe en trois parties avec Le Livre des monstres, où l’on rencontre les
créatures issues de l’Antiquité (le centaure, la sirène, le cyclope), Le Livre de bêtes avec les
animaux de l’Orient lointain (l’éléphant et l’hydre de Lerne, la chimère) et Le Livre des
serpents. Selon Claude Lecouteux, professeur émérite et titulaire de la chaire de littérature et
civilisation médiévales à l’université de Paris-Sorbonne, l’objectif de cet ouvrage est de faire
connaitre « ce que son époque considérait comme des mirabilia, merveilles, mais aussi de
sauvegarder ce patrimoine antique après les troubles déclenchés par les grandes
invasions165 ». Cet ouvrage est déterminant pour la transmission des monstres et leur
banalisation durant toute la période médiévale. En outre, le Liber monstrorum fournit de
nombreuses explications sur les différentes créatures, leur localisation géographique mais
aussi leurs nominations. Dans le cas de la créature présente dans le Liber monstrorum qui
adopte des caractéristiques similaires avec la gargouille « moniale166 », elle est appelée
d’après l’annotation du manuscrit onocentauris, l’onocentaure167, c’est-à-dire un hybride
ayant le buste, la tête et des bras humains sur le corps d’un âne sans tête168. Il est le fruit de
l’union de l’âne et d’une humaine. L’âne n’a pas bonne presse dans les bestiaires médiévaux.
Il évoque très souvent l’ignorance, la paresse et l’adultère. Est attribué à l’âne un penchant
luxurieux car en plus de fréquenter la jument avec laquelle il engendre le mulet, il attire aussi
les femmes qui sont « folles de son corps et de ses sens169 ». De cette union contre nature, la
femme donne naissance à l’onocentaure, ce monstre lascif et hybride qui vit en Afrique. Notre
moniale serait donc une onocentaure. En tout cas, elle semble adopter les mêmes
caractéristiques physiques. En effet, cette « moniale » qui semble plutôt chaste par le voile et
le gorget qu’elle arbore, s’avère être une créature libidineuse, voire même tentatrice.
164
Claude Lecouteux, Les Monstres dans la pensée médiévale européenne, Essai de présentation, Paris, Presses
de l’université de Paris-Sorbonne, 1993.
165
Ibid.
166
Rappelons que cette gargouille se compose de pattes arrière d’équidé et une partie supérieure
anthropomorphe. Elle fait partie de la famille des anthropocéphales.
167
Voir annexe 41, p. 47.
168
M. Pastoureau, Les Bestiaires du Moyen Âge, op. cit., p. 104.
169
Ibid.
57
L’apparente féminité de son image indique peut-être la séduction naturelle de la femme et son
penchant pour la luxure170 comme le signale Bernard de Morlaas au XIIe siècle. Sa présence
en tant que figuration de la sensualité ainsi que du péché serait donc entièrement justifiée.
N’oublions pas que la luxure est le plus grand péché de Satan171. Il est intéressant de noter que
très souvent les hybrides anthropocéphales possèdent un voile ou un vêtement qui cache leurs
parties monstrueuses, comme ceux présents dans des manuscrits enluminés, tels que l’hybride
au capuchon rouge dans la Bible historiale de Guiart et aux dents de vampire ainsi que
l’étrange homme serpent au chapeau et la cape bleue dans le Speculum historiale de Vincent
de Beauvais (1190-1264). Peut-être que ces vêtements dissimulent aux yeux des spectateurs,
l’apparente monstruosité de ces créatures afin de mieux les tromper. Cette hypothèse reste
totalement subjective mais en examinant la dérangeante moniale onocentaure, nous restons
d’abord fascinés par ce visage ciselé à la bouche ouverte, sans pour autant nous rendre compte
avec effroi, que nous contemplons un hybride monstrueux. Tout comme les exactions du
diable et des démons, nous sommes trompés par leurs subterfuges et l’apparente beauté de
leurs visages. Ces créatures hybrides semblent jouer la comédie, elles prennent de fausses
apparences pour se dissimuler derrière l’ombre et le « voile », au sens textile du terme.
Les autres hybrides anthropocéphales sont tout aussi étranges. La gargouille (13)
s’apparente à un sphinx ailé avec une queue de serpent et des pattes de lion. Tout comme la
gargouille « moniale », il arbore un voile qui cache son cou. Sa tête humaine est couverte
d’une couronne. La gargouille (45) quant à elle n’arbore pas de couronne, mais elle est très
similaire à celle précédemment citée avec la même combinaison tête-cou-voile-corps-ailes. Il
est aussi intéressant de soulever que ces deux hybrides ressemblent à un grylle172 présent sur
une Bible historiale de Guirat de Moulin qui représente un hybride vert ailé173, mi-homme mibête, ses pattes sont griffues comme celles d’un lion et sa queue ressemble à celle d’un renard.
Cette créature verte porte aussi un capuchon. Ce genre d’hybride est très répandu dans les
Marginalias174, ces espaces entourant les textes des manuscrits peuplés de créatures
extravagantes. Les Marginalias sont de véritables zones de libre expression des artistes
enlumineurs. Michel Camille dans son ouvrage Images dans les marges des manuscrits, les
Pierre Bonnassie, Les Cinquantes Mots-clefs de l’histoire médiévale, Toulouse, Privat, 1981, p. 127.
Romi, Les Métamorphoses du diable, Paris, Hachette, 1968, p. 31.
172
Le grylle est un petit monstre marginal représenté sur de multiples supports. Comme les hybrides, il se
compose d’une combinaison de différentes images, corps, créature. On le rencontre sur les anciennes monnaies
ou médailles gravées grecques et étrusques, amulettes de protections, sculptures. L’imaginaire assimile le grylle
aux drôleries des manuscrits.
173
Voir annexe 42, p. 48.
174
Société des historiens médiévistes de l’enseignement supérieur public, Construction de l’espace au Moyen
Âge. Pratiques et représentation, Paris, Publication de la Sorbonne, 2007, p. 339.
170
171
58
limites de l’art Médiéval175, trace une filiation entre les grylles et les gargouilles. Les
grylles176 peuplent les marges des manuscrits médiévaux tandis que les gargouilles ornent les
extérieurs des édifices. Ils partagent tous deux les mêmes origines antiques et leur position
reste « décentrée177 », éloignée du centre, autant sur l’édifice que sur la page. Cette position
extérieure voire même externe peut être croisée avec la concentration des monstres présents
aux confins de l’Orient. En effet, ceux-ci sont très éloignés géographiquement et demeurent
sensiblement plus nombreux qu’en Occident. Pour illustrer cette idée de position externe voire
d’éloignement, un dossier édité par la Bibliothèque nationale de France traite des bestiaires
médiévaux : « L’éloignement du centre de la terre provoque aussi une déshumanisation. En
dernier lieu, elles sont la conséquence du péché d’Adam, les rejetons de la création
appartiennent au chaos. Ces hybrides sont donc la preuve de la punition divine, après le péché
originel ».
Tout comme leurs positions sur les marges des manuscrits et des édifices, les gargouilles et
les grylles semblent partager ce sort d’art marginal et d’incarnation du péché. La basilique
accueille d’autres curieux hybrides comme celui de la façade nord qui évoque une bête parée
de bras humains. Serait-ce là une allégorie de ce qu’il se produit quand l’animalité prend le
dessus sur le corps humain ou serait-ce une transformation de celui qui a péché ou qui se
laisserait guider par ses désirs jusqu’en devenir une bête ?
La gargouille (41) représente un individu cornu. Outre ses cornes, il ne parait pas
posséder d’autres éléments monstrueux. Avec un de ses bras, il tient sa gorge et de son autre
bras, il se tient le ventre. Entre ses cuisses, il semble serrer une grappe de raisin. Étrangement,
cette gargouille fait penser à des représentations du dieu Bacchus pour les Romains et
Dionysos pour les Grecs. En effet, sur des vases peints d’Italie méridionale, est visible
Dionysos jeune et imberbe avec des cornes de taureaux naissantes sur le front. D’autres
représentations similaires se retrouvent sur des monnaies impériales de Nicée et sur la statue
du « melléphèbe178 », Dionysos de Sakha179 au musée du Caire. À défaut d’avoir trouvé des
informations sur l’utilisation du motif de Dionysos durant la période médiévale, nous pouvons
quand même saluer la présence de deux des attributs du dieu sur la gargouille que sont ses
cornes et sa grappe de raisin. Serait-ce une autre réminiscence des thèmes antiques ou une
M. Camille, Image dans la marge, aux limites de l’art médiéval, Paris, Gallimard, 1997.
Voir annexe 43, p. 49.
177
J. Wirth, Les Marges à drôleries gothiques, Genève, Droz, 2008, p. 3.
178
Voir annexe 44, p. 50.
179
François Chamoux, « Le Dionysos de Sakha », Bulletin de correspondance hellénique, vol. 74, 1950, p. 7081.
175
176
59
manière de dénoncer les excès de boisson durant les périodes de festivités ? Nous ne pouvons
qu’émettre des hypothèses sur la présence d’une telle gargouille sur la basilique.
Enfin, sur un des bas côtés de la basilique, trône un fantassin se faisant dévorer par une
créature indéterminée, la gargouille (10). Cette figure est aussi présente sur Notre-Dame de
l’Epine avec une Gargouille, bête torturant une âme180 . L’action de dévoration et des jeux
entre humains sont d’une manière globale les principales interactions entre humains et
monstres figés en gargouilles. Il s’agit du seul élément de la basilique à représenter une
créature en pleine action. Est-ce qu’on peut considérer cela comme un avertissement ? Sur
Notre-Dame de l’Epine, est visible une gargouille humaine qui se prépare à briser la mâchoire
d’un lion. Cette sculpture héroïque dépeint la démonstration de force du héros biblique
Samson qui, à mains nues, brise la mâchoire du lion comme Hercule avec sa rencontre avec le
lion de Némée. Peut-être pouvons-nous voir dans cette gargouille une manière de faire
renaître l’Antiquité à la manière du jeune Dionysos sur la basilique Saint-Urbain.
Les êtres humains sont très nombreux sur la basilique Saint-Urbain puisque sept sont
recensés. Sur ces sept gargouilles humaines, six possèdent un élément vestimentaire en
commun. Il s’agit de vêtements très amples qui s’apparentent à des cotes longues ou à des
toges. Ces vêtements sont présents sur les gargouilles (8), (11), (28), (35), (36) et (42). Nous
pouvons penser que grâce à ces types de gargouilles humaines, les imagiers médiévaux se
soient entrainés à façonner des drapés de ces mêmes étoffes qui habillent les saints et autres
représentations religieuses à l’intérieur de l’édifice. Ces longues tenues peuvent être aussi
assimilées à une des nombreuses manifestations de thèmes antiques 181. Cependant, ces drapés
ne permettent pas de définir ou de situer ces sculptures dans un temps donné. Jean Wirth,
auteur de la Datation de la sculpture médiévale, précise que « les costumes visibles sur les
monuments médiévaux sont d’une intemporalité conventionnelle182 ». Il faut avouer que sur la
basilique, peu d’éléments nous aident à déterminer clairement de qu’elles époques
proviennent ces gargouilles, ni ce qu’elles semblent représenter. Néanmoins, nous pouvons
soulever certaines caractéristiques de ces gargouilles qui, de manière relativement
hypothétique, évoquent certains thèmes et préoccupations de la civilisation médiévale. Ces
thèmes traités avec malice par les imagiers médiévaux peuvent s’assimiler à des parodies ou
des manifestations de l’inversion propres aux gargouilles. Les thèmes qui paraissent être
180
P.-O. Dittmar, J.-P. Ravaux, op. cit., p. 61.
Régis Bertrand, « La Nudité entre culture, religion et société », Rives nord-méditerranéennes, 30/2008, p. 1124.
182
J. Wirth, La Datation de la sculpture médiévale, Genève, Droz, 2004, p. 75.
181
60
présentés par les gargouilles humaines sur la basilique Saint-Urbain sont d’abord la religion
avec des membres du clergé, un moine (5) et un clerc (8), et une gargouille très abimée qui
possède une crosse d’évêque (22). Ensuite, se trouve une dame nue (32) qui peut évoquer le
rapport à la nudité ou peut être le désir de la tentation de la chair. Nous avons aussi une
illustre représentation de joueur de vièle à archet qui peut incarner les marginaux, les
musiciens et les jongleurs. Enfin, il reste un personnage sans nez qui s’apparente à un lépreux,
à un malade (43) ou à une personne torturée.
Les membres du clergé figurent très souvent dans la sculpture mais pas forcément sous
leurs meilleurs jours. En effet, d’innombrable laïcs se taillaient une tonsure afin d’échapper à
l’imposition royale ou pour pouvoir bénéficier de l’impunité que le clergé pouvait avoir183. Il
ne semble pas fortuit de trouver au sein du clergé des délinquants et d’autres malfaiteurs. Les
membres du clergé et les clercs n’étaient pas jugés par un tribunal civil mais par un tribunal
ecclésiastique qui permettait d’éviter la peine de mort184. En réalité, la justice de ces tribunaux
religieux n’était pas en mesure d’exécuter leurs membres, alors que les tribunaux civils en
étaient entièrement capables. Usurper la tonsure permettait donc de passer entre les mailles du
filet de la justice civile. Il était donc tentant pour n’importe quel malfaiteur d’usurper les
attributs du clergé. De plus, les agents des autorités royales n’appréciaient guère ce privilège
et répugnaient à restituer les clercs qu’ils avaient arrêté185. De nombreux textes et comptesrendus originaires de la ville de Bayeux relatent les multiples exactions commises par des
clercs véritables et usurpateurs186. Ces « mauvais » clercs semblent être à l’image de ceux
présents dans les fabliaux médiévaux. Ces récits sont habités d’une rare violence envers les
moines paillards : « ici on les castre, on les brule vif, on les roue de coups. Ces personnages
de moines comme de clercs, trichent, mentent, pillent, volent et trahissent. Les ermites quant à
eux sont des jouisseurs libidineux et abusent de la confiance des paroissiennes ». Les curés
confessent leurs ouailles en les engrossant. De nombreux auteurs comme Bronislaw Geremek
dans les Marginaux Parisiens aux XIVe et XVe siècles187 ainsi que François Neveux dans son
article Les Marginaux et le clergé dans la ville de Bayeux aux XIVe et XVe montrent cette
abondance de clercs illettrés ou non qui commettent toutes sortes de méfaits, escroqueries,
viols, contrefaçons, coups et blessures, meurtres et vols d’objets religieux. Dans tous les cas
183
François Neveux, « Les Marginaux et le clergé dans la ville et le diocèse de Bayeux aux XIV e et XVe
siècles », Le Cahier des Annales de Normandie, n° 13, 1981, p. 17-41.
184
Ibid., p. 23.
185
Valérie Toureille, Crime et Châtiment au Moyen Âge (Ve-XVe siècles), Paris, Seuil, 2013, p. 12.
186
F. Neveux, art. cit., p. 30.
187
Bronislaw Geremek, Les Marginaux parisiens aux XIVe et XVe siècles [1976], Paris, Flammarion, 2009, p.
155.
61
même si certains clercs restent « obscurs188 », il ne s’agit pas d’une généralité mais seulement
d’une partie faisant exception. Cette perception négative et cette animosité envers les
membres du clergé aurait très bien pu être matérialisée à travers les gargouilles. Elles
illustrent à la manière des fabliaux médiévaux, les vices dont font preuves cette partie des
représentants du clergé.
En ce qui concerne une autre gargouille humaine, elle représente une dame nue, les
cheveux dénoués, une main située sur sa joue et l’autre sur sa cuisse. La nudité, durant la
période médiévale, est loin d’être aussi négativement perçue qu’elle le deviendra dès le début
des Temps Modernes. En effet, que ce soit dans les villes ou à la campagne, l’homme et la
femme médiévale se retrouvent très souvent dans leur plus simple appareil, autant dans
l’intimité du domicile, dans les étuves que les bains publics189. Les occasions sont nombreuses
pour se dévêtir. Toutefois, le déshabillage forcé peut s’avérer pour l’homme médiéval
insultant et passible de poursuite judiciaire190. La nudité corporelle humaine au Moyen Âge
est ambiguë avec d’un côté le couple originel qui tente de cacher sa nudité et qui résulte du
péché originel, et de l’autre côté leurs corps qui évoquent l’innocence originelle191. Ces corps
nus doivent être l’occasion de montrer la beauté donnée par Dieu à l’homme et à la femme.
Par ailleurs, le nombre de statues et d’images dépeignant Adam et Eve sont très nombreuses
dès le XIIIe siècle. Toutefois, le nu reste assimilé au mal192. Il est du côté de la sauvagerie et
de la folie193. Dans Yvain le chevalier au lion de Chrétien de Troyes, le chevalier Yvain
devient fou suite à un amour déçu194. Il s’enfuit dans la forêt et y vit comme une bête, se
dépouillant de tous vêtements. Les héros qui, comme Yvain, se retrouvent soumis à l’exil et à
un « retour » à l’état sauvage, réintègrent leur statut social grâce à un don de vêtements qui est
très souvent ritualisé195. Être nu peut donc être l’expression de l’impudeur et l’érotisme,
s’habiller serait comme se protéger, à l’image du chevalier qui se pare de son armure. Il s’agit
d’un rempart face à l’animalité, car les animaux ne portent pas de vêtements. Outre ce retour à
l’animalité, la nudité peut aussi évoquer dans la sculpture médiévale, la représentation des
188
Dominique Lagorgette, Images du clerc obscur dans quelques textes au Moyen Âge, Aix en Provence, Presses
universitaires de Provence, 1995, p. 347-362.
189
André Guillerme, Les Temps de l’eau. La cité. L’eau et les techniques, Paris, Champs Vallon, 1997, p. 120.
190
Valérie Toureille, op. cit., p. 12.
191
Guy Lobrichon, Pierre Riché, Le Moyen Âge et la Bible, Paris, Beauchesne, 1995, p. 586.
192
Nathalie Nabert, Le Mal et le diable, leurs figures à la fin du Moyen Âge, Paris, Beauchesne, 1997, p. 213.
193
Javier Benito de la Fuente, Le Nu et le vêtu dans les romans arthuriens du XIII e siècle, Aix-en-Provence,
Université de Provence, 2001, p. 127-138.
194
Ibid., p. 127.
195
Ibid.
62
âmes ou des damnées196. Ils sont souvent représentés nus que ça soit sur les portails romans
sur lesquels les âmes damnées se retrouvent dans la bouche du Léviathan ou encore dans les
multiples représentations des ressuscités de la fin des temps. Ces deux figurations appuient ce
côté dépouillé et charnel alors que du côté des élus ceux-ci conservent leurs identités sociales.
Ils conservent leurs vêtements. Concernant le nu féminin, durant la période médiévale, nous
sommes face à deux pôles de la beauté féminine avec d’une part la Vierge Marie et d’autre
part Eve, la tentatrice qui expose sa nudité. Eve est conçue pour être la compagne de
l’homme. Elle est représentée nue tout comme l’est Adam. Son corps dévêtu peut être perçu
comme une référence au Paradis et conduit à l’attraction du corps féminin. François Villon
dira admirablement « corps féminin qui tant est suave 197». Marie quant à elle apparait comme
une rédemptrice. Elle demeure l’incarnation de la beauté sacrée, au visage radieux et au drapé
imposant. De ces deux modèles, se confronte la beauté profane et tentatrice du corps d’Eve, à
la beauté sacrée de la Vierge Marie. L’une expose son corps nu à l’image du péché originel et
l’autre génère l’admiration par son visage. Il est intéressant de se rendre compte de cette
dualité et de la perception du corps de la femme au Moyen Âge qui est tiraillée entre
l’attraction charnelle et l’adoration religieuse. La position des hommes et femmes nus est
indécise et à la croisée de multiples interrogations. Sur la basilique Saint-Urbain, cette
gargouille parait bien mystérieuse. Nous pouvons la rapprocher par analogie avec une autre
sculpture médiévale, bien que celle-ci soit plus ancienne. Il s’agit de la représentation de la
Tentation d’Eve sculptée par Gislebertus l’Autunois datant du XIIe siècle198. Cette
remarquable sculpture met en scène Eve qui se prépare à commettre le péché mortel en
saisissant la pomme. Il est intéressant de constater que cette Eve d’Autun partage la même
action de se tenir la joue avec la gargouille nue présente sur la basilique Saint-Urbain de
Troyes. Est-ce que le ou les sculpteurs imagiers qui travaillaient sur les gargouilles de la
basilique auraient eu connaissance de cette sculpture qui ornait le portail de la
cathédrale d’Autun ? Il ne s’agit que d’une simple hypothèse mais la ressemblance est
troublante.
Le joueur de vièle à archet de la gargouille (31), est placé sur un des contreforts de
l’abside. Elle se situe à une hauteur très importante ce qui ne facilite pas vraiment sa
distinction. Pourtant, le musicien est aisément reconnaissable, assis à califourchon sur une
196
Jean Mortensen, Le Théâtre français au Moyen Âge, trad. par Emmanuel Philipot, Genève, Stalkine Reprints,
1974, p. 176.
197
Jean Verdon, La Femme au Moyen Âge, Paris, Gisserot, 1999, p. 14.
198
Voir annexe 45, p. 51.
63
moulure. Il porte une tenue longue avec un chapeau sur sa tête. Ce musicien semble crier tout
en jouant de sa vièle à archet. À l’époque médiévale, étaient qualifiés de jongleurs « tous
ceux qui faisaient de la musique leur métier199 », c’est-à-dire les saltimbanques, les agitateurs
et faiseurs de tours, et les musiciens. Ils étaient considérés comme des marginaux 200 et les
autorités ecclésiastiques n’hésitaient pas à les qualifier « de suppôt du diable », « fils du
mauvais », « ennemis de dieu ». Quantité de documents cléricaux dénoncent avec virulence
leurs gesticulations, leurs gestes lascifs et leur musique qui « ramollit le cœur201 ». Par
ailleurs, dès l’année 873, le Concile de Tours interdit les clercs d’aller voir les spectacles202.
De fait, ces artistes gardent une très mauvaise réputation. Selon Jacques Le Goff, « le jongleur
partage ce sort funeste avec les prostitués et les usuriers. Ils n’ont qu’en leur possession deux
privilèges, celui que l’on reconnaît à d’autres personnes qui exercent des métiers méprisés ou
suspects : la sépulture chrétienne et le droit de faire des aumônes 203 ». Il semble important
d’ajouter que les moralistes médiévaux ont toujours eu à l’égard des instruments de musique
une certaine suspicion surtout quand ceux-ci sont manipulés par des jongleurs. Cette
animosité pour la musique populaire se traduit dans les représentations qui ont été faites des
musiciens et de leurs instruments. En effet, il n’est pas rare de croiser sur les édifices ou dans
les marges des manuscrits des animaux, des démons et hybrides musiciens. Ils deviennent
alors des tentateurs à l’image du diable, séduisent leur auditoire de leurs instruments et
appellent au châtiment, à la danse et à la mort204. Toutes ces créatures musiciennes, à l’image
des joyeux jongleurs, rappellent l’animalité qu’ils incarnent et leur côté diabolique. Malgré
cela, les musiciens restent les représentants vivants de la dualité et la transgression si
importante au Moyen Âge.
Le joueur de vièle est le seul musicien de la basilique en
gargouille.
Dans la musique médiévale, la distinction des instruments se fait en fonction de leurs
niveaux sonores, ce qui permet de différencier les « hauts » instruments des « bas »
instruments. La première catégorie rassemble les instruments dotés d’un timbre nasillard, tels
que les trompettes, les cornemuses, les instruments à hanches et les percussions. La seconde
catégorie regroupe les instruments aux sonorités douces et aigrelettes, comme la vièle à
199
Edmond Faral, Les Jongleurs en France au Moyen Âge, Paris, Champion, 1910, p. 2.
Martine Clouzot, « Un intermédiaire culturel au XIIIe siècle : le jongleur », Bulletin du centre d’études
médiévales d’Auxerre | BUCEMA [En ligne], Hors-série n° 2 | 2008, mis en ligne le 24 janvier 2009, consulté le
08 juin 2017.
201
E. Faral, op. cit., p. 27.
202
Ibid., p. 18-19.
203
Jacques Le Goff, La Société de l’Occident médiéval, Paris, Arthaud, 1967, p. 397‐447.
204
Dujka Smoje, La Mort et l’Au‐delà dans la musique médiévale, Le sentiment de la mort au Moyen Âge,
Montréal, Faculté de la Musique, Université Montréal, 1979, p. 249.
200
64
archet, le luth, les flûtes à bec et l’orgue. Les « bas » instruments peuvent aussi être assimilés
à des instruments thérapeutiques et « positifs205 ». Ils apaisent les âmes alors que les « hauts »
instruments sont perçus plus négativement, comme le précise Martine Clouzot dans son article
Souffrir en Musique, « les hauts instruments participent à créer un climat sonore angoissant
pour l’auditoire afin d’appuyer cette idée206 ». Elle présente l’utilisation de ces « hauts »
instruments lors de processions, d’exécutions ou de charivaris qui sont comme de véritables
outils de torture. Cette dernière intervient directement dans les représentations de la
souffrance de l’homme médiéval, comme peut le montrer un des panneaux du Jardin des
délices207 de Jérôme Bosch avec sa célèbre représentation de l’Enfer, peuplée d’instruments
de musique profane. Ces hauts instruments possèdent donc un côté néfaste par leur puissance
sonore et le bruit qu’ils émettent ainsi que les effets qu’ils peuvent engendrer. Ces musiques
jouées par ces instruments font également danser. La danse est perçue par beaucoup
d’ecclésiastiques comme l’œuvre du démon, comme l’affirme l’auteur de la Nef des fous,
Sebastian Brandt, dont l’origine de la danse serait issue « du diable qui créa le Veau d’or pour
se venger de Dieu 208». Les exempla du XIIe siècle et du XIVe siècle présentent bon nombre
de jeunes gens qui sont punis pour avoir dansé dans des cimetières 209 ou des personnes
possédées par la personne du diable qui se mettent en danser en pleine rue210. La gargouille de
Saint-Urbain joue de la vielle à archet, un instrument très apprécié durant la période
médiévale et même recommandé par les médecins comme outil thérapeutique. En effet, dans
les représentations iconographiques présentent dans le Régime du corps d’Aldébrandin de
Sienne datant du XIIIe siècle211, ainsi que celle du Tancuinum Sanitas du XVe siècle, nous
apprenons que la vièle à archet est utilisée pour soigner soit le sommeil, soit les incidents de
l’âme. Cet instrument permet de jouer de douces mélodies. Celles-ci sont dues à la chaleur des
vibrations des cordes sous la pression de l’archet. Par ailleurs, cet instrument à cordes frottées
possède une troublante particularité sonore qui est de ressembler au souffle de la voix
humaine. Cette sonorité procurerait un semblant de joie de vivre à l’auditeur aux humeurs
« mélancoliques ». Ainsi, la vièle n’a pas une symbolique péjorative comme peuvent l’avoir
205
Claude Gauvard, « Rumeur et stéréotypes à la fin du Moyen Âge », in La Circulation des nouvelles au
Moyen-Âge, Actes des congrès de la Société des historiens médiévistes de l'enseignement supérieur public, 24ᵉ
congrès, Avignon, 1993, p. 157-177.
206
Ibid.
207
Voir annexe 46, p. 52.
208
Sébastien Brant, La Nef des Fous. Bas Narrenschiff, Strasbourg, Séghers, 1979.
209
J.‐C. Schmitt, « Jeunes et danse de chevaux et de bois. Le folklore méridional dans la littérature des exempla
(XIIIe‐XIVe siècles) », Les Cahiers de Fanjeaux, 1976, p. 127‐158.
210
E. Faral, op. cit., p. 91.
211
Aldebrandin de Sienne, Le Régime du corps [en ligne], Rome, Bibliothèque vaticane, ms. Reg, consulté le 11
mars 2017, disponible sur http://catalogue.bnf.fr/ark:/12148/cb31708619q. Latin. 1256, XIIIe siècle.
65
les instruments à hanches tels que la cornemuse, l’instrument des marges et des fous 212. La
vièle à archet est même jouée par le roi David et les vieillards de l’Apocalypse d’après
différentes sculptures romanes. De fait, nous pouvons nous interroger sur la présence d’un tel
instrument qui pourrait être bénéfique entre les mains de cette « gargouille- jongleur » au cri
figé. Mais le fait qu’elle soit utilisée par une gargouille assise à califourchon et à la bouche
béante face au vide serait peut-être représentatif d’une évocation de ce concept d’inversion,
où le traditionnel doux son de l’instrument se mêle au chant du jongleur qui deviendrait un cri
d’effroi et un horrible crissement de l’archet sur les cordes. Nous pouvons rattacher à ce côté
« diabolique » et infernal de la vièle à archet, une sculpture romane qui se situe à Thine dans
l’église Notre-Dame en Ardèche où sur un chapiteau du premier quart du XIIe siècle se trouve
un démon qui danse avec un couple et un joueur de vièle213. Mais ce genre d’évocation du
côté « diabolique » de la vièle à archet semble plutôt rare.
La dernière gargouille humaine qui reste à analyser est celle qui s’apparente à une
personne malade (43) ou à un condamné. Elle est peu vêtue, avec simplement une cordelette
autour des hanches. Elle porte aussi un drôle de chapeau pointu qui peut s’apparenter à un
hennin. Deux éléments apparaissent saisissants sur cette gargouille. Il s’agit de son absence de
nez et ses lèvres rongées qui pourraient évoquer une maladie ou un lépreux. Les lépreux,
durant la période médiévale, étaient stigmatisés. Ils devaient, à l’instar des Juifs, porter des
vêtements distinctifs qui se composaient bien souvent d’une tunique, d’un manteau ou d’une
robe appelée esclavine214. Les lépreux étaient dotés d’une besace et d’une cliquette ou d’une
crécelle215 afin d’avertir les passants de leur arrivée. Ils vivaient de la mendicité et de la
charité chrétienne, mais ils devaient éviter tout contact avec la population. Ils restaient dans
léproseries et dans les maladreries. Les lépreux étaient tenus à un mode d’existence strict
qu’ils devaient scrupuleusement respecter216. Durant le XIVe siècle, la peste noire fait
d’énorme ravage en Europe. La ville de Troyes possédait des lieux réservés aux malades. On
comptait vingt-deux léproseries et de nombreuses bordes réservées aux lépreux. Les bordes
étaient des habitations de fortunes faites en bois. Lorsque le propriétaire mourrait, il été brûlé
212
Jean-Pierre Leguay, Vivre en ville au Moyen Âge, Paris, Édition Jean-Paul Giserot, 2006, p. 200.
Voir annexe 47, p. 53.
214
Ulysse Robert, Les Signes d’infamie au Moyen Âge. Juifs, Sarrasins, hérétiques, lépreux, cagots et filles
publiques, Paris, Champion, 1891, p. 146.
215
Claire Boudreau, Kouky Fianu, C. Gauvard et al. (dir.), Information et société en Occident à la fin du Moyen
Âge, Actes du colloque tenu à l’Université du Québec à Montréal et à l’Université d’Ottawa, 9-11 mai 2002,
Paris, Publications de la Sorbonne, « Histoire ancienne et médiévale », n° 78, 2004, p. 104.
216
Françoise Beriac, Histoire des lépreux au Moyen-Âge. Une société d'exclus, Paris, Imago, 1988. p. 120.
213
66
avec sa maison217. De nombreux textes témoignent de la présence des lépreux dans la ville de
Troyes, comme celui datant du XIVe siècle qui stipule que les bouchers ne devaient pas
acheter des bêtes élevées ou nourries dans les bordes des lépreux 218. Ces malades n’étaient
pourtant pas exclus de l’entière vie sociale puisqu’au sein de leurs locations se développaient
une « société des exclus219». En revanche, peu de sources fournissent des informations sur ces
bandes organisées de lépreux. De plus, les représentations des lépreux dans la sculpture ou
dans les enluminures demeurent plutôt rares. Nous pouvons citer le bas-relief220 qui ornait
autrefois le portail de Saint-Julien-le-Pauvre à Paris. Il représente un Jésus habillé en
lépreux, son corps est couvert d’une tunique ou d’un manteau. Dans le manuscrit latin 11560
de la Bibliothèque nationale de France, se trouve un lépreux encapuchonné, les bras croisés
tenant une cliquette. Quant au manuscrit 592 de la Bibliothèque de Besançon (Les Mystères
de l’Antéchrist), le lépreux tient lui aussi une cliquette dans sa main. Bien que la cliquette
semble être un attribut indissociable du lépreux, la gargouille présente sur la basilique SaintUrbain n’en possède pas et ni les autres attributs traditionnels des lépreux à part ses pauvres
vêtements et son voile. Son visage abimé ainsi que son absence de nez peuvent peut-être
évoquer les ravages de la lèpre. Une représentation d’un lépreux sur un vitrail de l’église
Saint-Lazare de Bourges évoque un lépreux au nez221 rongé par la maladie et creux tout
comme la gargouille. Il existe peu d’informations sur des figurations de personnages sans nez.
Pourtant, de violentes sanctions judiciaires pouvaient entrainer l’amputation et la mutilation
de parties du corps et notamment du nez222. Par ailleurs, dans le nord de l’Allemagne,
l’amputation d’un nez ou d’une oreille étaient une méthode punitive qui concernait les
domestiques223. En effet, ce genre de mutilations n’affectait pas la capacité de travail de ces
derniers. Elle concernait aussi les voleurs récidivistes. Dans la ville de Habsbourg,
l’amputation de nez était réservée aux prostituées qui s’étaient attardées en ville pendant la
période du Carême. Il est intéressant d’observer la répétition des gestes qu’adoptent ces
gargouilles. Comme le dit Jacques le Goff, « le corps fournit à la société médiévale ses
Histoire de la lèpre et des maladreries de l’Aisne, Mémoire de la Fédération des Sociétés d’Histoire et
d’Archéologie de l’Aisne, 1979, p. 198.
218
J. Verdon, Le Moyen Âge. Ombres et lumières [2005], Paris, Perrin, 2013, p. 30.
219
F. Berjac, op. cit., p. 120.
220
Voir annexe 48, p. 54.
221
Voir annexe 49, p. 55.
222
Rudolf His, Geschichte des deutschen Strafrechts bis zur Karolina, Druck & Verlag von R. Oldenbourg,
München und Berlin, 1928, p. 87.
223
Ibid.
217
67
principaux moyens d’expression. La civilisation médiévale est une civilisation du geste 224 ».
Seulement, malgré les recherches entreprises, il est compliqué d’attribuer un sens à ces gestes.
Autrement, la basilique Saint Urbain possède aussi douze gargouilles animales. Elles
représentent des animaux qui peuvent être qualifiés de domestiques comme peuvent l’être un
âne, un chien, un cochon, un chat, une chèvre et un bovidé, ainsi que des animaux plus
exotiques, tels que le singe et l’oiseau. Durant la période médiévale, les animaux sont
omniprésents dans l’art, les contes et la vie quotidienne. Leurs représentations demeurent très
riches et plurielles. Elles se diffusent sur de nombreux supports qui deviennent des éléments
d’apprentissage225. Que ce soit dans la sculpture, l’enluminure, la gravure et même la
joaillerie ainsi que le textile, ils sont partout. L’homme médiéval entretient un rapport
privilégié avec Dieu car celui-ci est son créateur. Dieu a créé les hommes à son image et les
animaux comme « ornementation du monde226 ». En effet, dans le récit de la Genèse, avant de
créer l’Homme à son image, « Dieu crée les poissons de la mer au cinquième jour et les bêtes
de la terre au sixième jour227 ». Le rôle de l’animal est d’instruire. Il possède un rôle
moralisateur et symbolique qui est développé dans les bestiaires médiévaux. Ces listes
d’animaux présentes dans les bestiaires sont très longues et incluent même des êtres hybrides
comme les sirènes et centaures. Toutes ces descriptions animales se fondent à partir du
bestiaire de Physilogus datant du IVe siècle après Jésus-Christ ou de l’Histoire naturelle de
Pline au Ier siècle ainsi que de la Collection des choses remarquables de son abréviateur Solin,
datant du IIIe siècle. Les bestiaires apparaissent un peu avant l’an mil. Ces ouvrages reçoivent
le nom de bestiarum, le « livre des bêtes ». Ils tiennent un discours sur les animaux et mettent
en place des méthodes de classement ainsi que des informations sur les différentes espèces.
Au fil des siècles, ces bestiaires vont ajouter des informations issues de compilations de textes
plus anciens228. Au XIIe siècle, le mot bestiaire apparait sous la plume d’un clerc anglonormand, Philippe de Thaon, attaché à la cour du roi d’Angleterre, Henri Ier Beauclerc.
Ensuite, à partir du XIIIe siècle, le célèbre Pierre de Beauvais en fournit une définition dans la
préface de son ouvrage : « Ici commence le livre que l’on appelle Bestiaire. Il est appelé ainsi
parce qu’il parle de la nature des bêtes ». Ces livres circulent dans toutes l’Europe tout au
224
Joëlle Fuhrmann, « Punition de la violence par la violence : Cruauté des sanctions dans le droit pénal
médiéval en Allemagne », Centre universitaire d’étude et de recherches médiévales d’Aix-en-Provence, Presses
universitaires de Provence, 1994, p. 220-234.
225
Josy Marty Dufaut, Les Animaux du Moyen Âge : réel et imaginaire, Paris, Autres temps, 2005, p. 1.
226
Jammie Durant, L’Art du Moyen Âge, Paris, Larousse-Bordas, 2009, p. 6-7.
227
Marie-Hélène Tesniere, Bestiaire médiéval : enluminure, Paris, Bibliothèque nationale de France, 2005, p. 25.
228
Dan Sperber, Pourquoi l’animal est bon à penser symboliquement, dans l’Homme, Paris Presses universitaires
de France, 1983, p. 117-135.
68
long de la période médiévale. Ils inventorient les espèces animales et brossent les contours
d’une taxinomie. Celle-ci regroupe les animaux par familles et selon leurs caractéristiques.
Dans les bestiaires anglais du XIIe siècle, se rencontrent quatre grandes familles composées
des oiseaux, des quadrupèdes, des reptiles et des poissons. Dans ces premiers récits
encyclopédiques, la distinction entre les animaux réels, les animaux imaginaires et les
animaux sauvages n’apparait pas. Les créatures les plus exotiques mentionnées dans la Bible
ont autant de substance que les animaux domestiques. En effet, dans la Bible se trouvent le
serpent de la Tentation, le bélier du sacrifice, d’Abel ou d’Abraham, les vaches du rêve du
Pharaon dans le cycle Joseph, le lion terrassé par Samson, l’ours et le lion vaincus par le roi
David. Comme le précise Franck Thénard-Duvivier dans les Images sculptées au seuil des
cathédrales229 : « Toutes ces représentations constituent une sorte d’exercice obligé pour tout
imagiers, enlumineurs, sculpteurs, peintres230 ». Au départ, ces représentations animales
étaient stylisées et tout au long de la période médiévale, elles vont évoluer avec notamment
l’apparition de croquis d’après nature comme le célèbre Lion et son dompteur de Villard de
Honnecourt231. Les hommes du Moyen Âge savent observer leur monde. Pourtant, ils ne font
pas le lien entre l’observation et le savoir232. Ils ne suivent pas vraiment une démarche
d’observation naturaliste. Ils vont privilégier une approche plus métaphysique comme le
précise Michel Pastoureau :
Cette perception des choses ne relève pas de la physique mais de la métaphysique : le réel est
une chose, le vrai en est une autre, différente. De même, artistes et imagiers savent fort bien
représenter des animaux de manière réaliste, mais ils ne le font guère avant la fin du Moyen
Âge parce que les représentations conventionnelles sont à leurs yeux plus importantes, plus
véridiques que les représentations naturalistes. Pour la culture médiévale, l’exact n’est pas le
vrai233.
Cette perception du monde animal est intéressante car nous comprenons que ce n’est pas la
représentation précise de l’animal qui compte mais sa fonction et ses caractéristiques. De fait,
les animaux apparaissent omniprésents dans les corpus iconographiques médiévaux comme le
souligne Michel Pastoureau dans l’ouvrage de Jacques Dalarun, Le Moyen Âge en lumière,
manuscrits enluminés des Bibliothèques de France : « Il semble bien qu’en Occident, aucune
autre époque ne l’ait aussi fréquemment pensé, observé, sollicité ou mis en scène 234 ». En
229
Franck Thénard-Duvivier, Images sculptées au seuil des cathédrales : les portails de Rouen, Lyon et Avignon
(XIIIe-XIVe siècles), Mont-Saint-Aignan, Presses universitaires de Rouen et du Havre, 2012, p. 234.
230
M.-H. Tesnière, Thierry Delcourt, Bestiaire du Moyen Âge, Paris, Somogy, 2004, p. 16-31.
231
Voir Annexe 50, p. 56.
232
M. Pastoureau, Les Bestiaires du Moyen Âge, op. cit., p. 12.
233
Ibid.
234
Jacques Dalarun, Le Moyen Âge en lumière : Manuscrits enluminés des Bibliothèques de France, Paris,
Nouveau monde, 2002, p. 65.
69
effet, au XIIIe siècle, les animaux interrogent les théologiens et les scolastiques. Est-ce que les
animaux ressuscitent après la mort ? Peuvent-ils travailler le dimanche ? Ont-ils une âme ?
Sont-ils responsable de leurs actes ? Si on répond de manière affirmative aux deux dernières
questions, l’homme médiéval va jusqu’à organiser des procès d’animaux. Ces procès oscillent
entre rituel judiciaire et rituel liturgique selon les crimes reprochés et les châtiments que
subissent ces animaux illustrent la nécessité d’anthropomorphiser l’animal pour pouvoir le
penser235.
Un des animaux les plus représenté en gargouille de la basilique Saint-Urbain est le
lion. Il figure à quatre reprises sur l’édifice. Nous avons les gargouilles (1), (9), (27), (40) :
Le lion au Moyen Âge n’est pas un totalement exotique. Il est si souvent peint, sculpté,
raconté, commenté et mis en scène qu’il fait presque partie de la vie quotidienne. À l’église,
on le voit partout. Dans les images, son attribut principal est sa crinière qui permet de le
distinguer de la lionne mais aussi du léopard. Parfois, il porte une couronne sur la tête afin de
bien montrer qu’il est le roi des animaux. Dans ce rôle, il a définitivement remplacé l’ours au
XIIe siècle236.
Les bestiaires médiévaux sont relativement volubiles sur le lion. Ils le décrivent comme le rex
animalum, le « roi des animaux » ou le rex bestiarum, « roi des bêtes ». Les auteurs
s’accordent à dire qu’il est le plus fort des animaux terrestres. Isidore de Séville l’appelle rex.
Les représentations du lion sont issues des traditions orientales et iraniennes. C’est grâce aux
récits bibliques que l’image de puissance du lion pénètre en Occident. La Bible mentionne
souvent l’image du lion237. Il est un animal puissant et le vaincre « est un exploit238 ».
Cependant, d’un point d’un vue symbolique, le lion reste ambivalent. Dans l’Ancien
Testament, celui-ci incarne les ennemis d’Israël. Les textes l’assimilent aux mauvais rois et
aux hommes vivants dans le péché. Les psaumes quant à eux sollicitent l’aide du divin
« Sauve-moi de la gueule du lion » dans le Psaume 21. Cette notion de lion maléfique est
aussi soutenue par Saint Augustin qui voit en lui une bête féroce et infernale. Tout combat
contre lui à l’image de Samson est un combat contre Satan. Cependant, il existe aussi le bon
lion biblique. Celui-ci demeure le symbole de la tribu la plus puissante d’Israël, celle de Juda
dans la Genèse (49,9). Il est assimilé à David et à sa descendance ainsi qu’au Christ. Son
image est aussi plus positive dans les ouvrages orientaux tels que le Physiologus qui le
dépeint en « roi des animaux » et chez les auteurs chrétiens comme Ambroise, Origène et
Raban Maur qui voient dans le lion le « seigneur des animaux ». Ces auteurs participent au
235
M. Pastoureau, Une histoire symbolique du Moyen Âge occidental, Paris, Seuil, 2004, p. 32-33.
M. Pastoureau, Les Bestiaires du Moyen Âge, op. cit., p. 60.
237
Olivier Clair-Hélion, Les Animaux de la Bible, allégories et symboles, Paris, Édition du Gerfaut, 2004, p. 68
238
Elena Cassin, « Le Roi et le lion », Revue de l'histoire des religions, t. 198, n° 4, 1981, p. 355-401.
236
70
triomphe du lion dans les bestiaires des XIIe et XIIIe siècles. Le lion devient un animal
christique qui possède différentes propriétés comme effacer ses traces avec sa queue pour
égarer les chasseurs, tout comme Jésus qui cache sa divinité pour mieux tromper le diable. Le
lion, qui épargne un adversaire vaincu, semble représenter le seigneur qui, par miséricorde,
épargne le pêcheur repenti. Le lion qui dort les yeux ouverts, c’est aussi le Christ dans son
tombeau, sa nature humaine dort, sa nature divine veille. Son souffle quant à lui posséderait
des vertus magiques car il serait capable de redonner la vie à ses enfants mort-nés. Tous les
bestiaires soulignent le courage du lion, sa générosité ainsi que son sens de la justice. Dès le
XIIe siècle le lion substitue le règne de l’ours sur le trône des animaux 239. Les hommes et les
femmes de l’époque féodale peuvent apercevoir au détour d’une foire un ours ou un lion.
Ceux-ci sont les vedettes des spectacles des montreurs d’animaux. Le rôle symbolique des
lions est tel que les rois, grands seigneurs et riches abbés en possèdent afin de mettre en scène
ces emblèmes vivants du pouvoir. Il semble apparent que les images de lion étaient
omniprésentes, à l’intérieur et à l’extérieur des églises, des bâtiments civils, sur des peintures,
des bijoux. Nous les retrouvons aussi sur les décors des manuscrites enluminés et des blasons,
comme le précise un adage présent dans les romans de chevalerie du XIIe siècle : « qui n’a pas
d’armes porte un lion240». Le lion demeure un animal emblématique des bestiaires médiévaux.
Il fait partie de la vie quotidienne. Célèbre et apprécié, les gargouilles en forme de lion de la
basilique Saint-Urbain sont toutes identifiables grâce à l’abondante crinière qui entoure leur
cou. Les différents ennemis du lion sont les coqs blancs241, le feu ainsi que les sons
qu’émettent le grincement des roues des charrettes242.
Une autre espèce de gargouille demeure très présente sur les édifices. Il s’agit des
chiens, comme le sont les gargouilles (18), le (21) et le (34). Dans les bestiaires médiévaux, le
chapitre consacré au chien est en lien avec celui du lion243. Au départ, le chien n’est pas très
bien perçu. Les auteurs des bestiaires le considèrent comme impur, sale, lubrique, ingrat et
grossier. En effet, les textes dénoncent les nombreux vices du chien. Il est dépeint comme un
animal dégoutant, qui se plait dans la saleté et qui ne cesse de se repaître du cadavre d’autres
animaux. Il remange aussi ce qu’il a dégluti. Cette action s’assimile à celle de l’homme
pécheur qui, après avoir confessé ses péchés, retombe dans ses fautes avant d’en commettre
M. Pastoureau, Figures et couleurs, Paris, Le Léopard d’or, 1987, p. 159.
M. Pastoureau, L’Art héraldique au Moyen Âge, Paris, Seuil, 2009, p. 100.
241
Pascale Mounier, Les Grands Jours de Rabelais en Poitou, Actes du colloque international de Poitiers des 30
août et 1er septembre 2001, réunis par Marie-Luce Demonet dans Réforme, Humanisme, Renaissance, n° 65,
2007, p. 197-199. Au sujet de la crainte que les lions ressentent au sujet du coq blanc.
242
M. Pastoureau, Les Bestiaires du Moyen Âge, op. cit., p. 60.
243
Ibid., p. 61.
239
240
71
de nouvelles. Les auteurs qualifient les chiens de lubriques et de concupiscents car ils
« flairent les autres chiens par derrières aux endroits impudiques244 ». Cette tendance lubrique
l’amène à fréquenter la louve, qui serait la plus lascive des femelles. Une fois la louve
fécondée, elle engendre le lincius, le chien loup245, qui est porteur de la rage. Le chapelain du
roi Charles V et traducteur de Barthélémy l’Anglais dépeint un tableau très réaliste des chiens
enragés dans le De propietatibus renum, Le Livre de la propriété des choses246. Cependant,
bien des bestiaires vantent les qualités du chien avec son odorat, sa vaillance, son intelligence,
sa mémoire et surtout sa fidélité247. Le chien garde les troupeaux, reconnait son maître et
pleure quand il ne le trouve pas, garde aussi la maison. Toutes ces caractéristiques
positives sont vantées par les traités de vénerie. Nous pouvons citer « Chien a grande
mémoire », « Chien a force et bonté ». Afin d’appuyer ces grandes qualités, ces traités
mentionnent des évènements légendaires comme l’histoire du chien du roi des Garamantes
qui est libéré par une armée de chiens248 , ou encore celle du roi Lysimiaque condamné au
bucher dont le chien se jette dans les flammes pour mourir avec lui249. L’auteur du Livre du
trésor, Brunet Latin, décrit les races les plus répandues en France dans le courant des années
1260 :
Les chiens qui appartiennent aux espèces domestiques sont de diverses sortes. Il existe des
chiens d’assez petite taille qui sont propres à la garde des maisons, et d’autres plus petits
encore, un peu camus, pour garder les chambres des lits des dames [...]. On leur étire souvent
les oreilles car ils sont plus beaux avec les oreilles pendantes. On trouve aussi des chiens
braques avec de semblables oreilles pendantes. Ils sont beaucoup plus gros et bons pour la
chasse : ils reconnaissent l’odeur des bêtes, des animaux et des oiseaux. L’homme qui aime
chasser doit leur porter beaucoup d’affection et se garder de faire de mauvais accouplements
car c’est en conservant la pureté de leur race que ces chiens gardent l’efficacité de leur nez.
Une autre espèce est celle des lévriers. Ils sont qualifiés de segus, c’est-à-dire de
« poursuivants » parce qu’ils suivent les bêtes jusqu’au bout, si bien que les uns chassent les
cerfs, les biches et les autres bêtes des bois tandis que les autres chassent les loutres, les
castors et les bêtes qui vivent dans l’eau. Ces chiens nagent fort bien. Il existe encore d’autres
chiens plus légers et plus rapides à la course, qui sont capables d’attraper les bêtes dans leurs
gueules. Une autre espèce est celle des matins, grands et gros, d’une force remarquable ; ils
chassent, les loups, les sangliers, les ours et tous les animaux de grandes tailles. Ils combattent
avec acharnement même contre l’homme250 [...].
244
Marino Ferro, Symboles animaux, Paris, Desclée de Brouwer, 1996, p. 305.
Claude-Catherine Ragache, Gilles Ragache, Les Loups en France : légendes et réalités, Paris, Aubier, 1981,
p. 234.
246
Guillaume le Clerc, Le Bestiaire divin, trad. Gabriel Bianciotto, Bestiaire du Moyen Âge, Paris, Stock, 1995,
p. 29-32.
247
Bénédicte Ottinger, L’Art de la chasse : histoire culturelle et artistique, Paris, Renaissance du livre, 2002, p.
89.
248
Caius Plinus Secundus, Histoire naturelle de Pline avec la traduction en français d’Émile Littré, Paris,
Firmin Didot, 1860, p. 342.
249
Ibid.
250
Konrad von Megenberg, Das Buch der Natur, Stuttgart, Édition F. Pfeiffer, 1861, p. 161. Trad. M.
Pastoureau, Les Bestiaires du Moyen Âge, op. cit., p. 125.
245
72
D’un animal perçu comme lubrique et impur, le chien devient, grâce aux traités de chasse et
aux bestiaires, un compagnon de premier choix pour les hommes du Moyen Âge. Nous
retrouvons aussi des représentations de chiens sur des broches à caractère apotropaïque avec
l’inscription « bien aie a qui me porte251 ». Ces broches de pèlerins assurent la protection de
leur maître. Leur figuration en gargouille semble plus que justifiée.
Sur la basilique Saint-Urbain, se trouve aussi une représentation d’un félidé célèbre, le
chat. Il s’agit d’une gargouille très abîmée, (53). Le chat n’avait pas une très bonne presse à la
période médiévale. En effet, les auteurs des bestiaires médiévaux prêtent aux chats des savoirs
de sorcier et de nécromant252. Ils connaissent l’avenir, font semblants, devinent les
catastrophes. La faculté qu’ils ont de voir la nuit les font assimiler à la catégorie des créatures
de l’Enfer aux côtés des loups, renards, chouettes et chauves-souris. Or, selon les
commandements de Dieu, les bons chrétiens doivent fermer les yeux et s’endormir la nuit253.
Ceux qui ne dorment pas se livreraient à des activités malfaisantes voire magiques. D’ailleurs,
les cathares comme l’indique leur nom, font du chat leur animal totem selon un exemplum
relatif à Saint Dominique254. D’autres hérétiques se rendent au sabbat et dans les messes
noires au cours desquelles le rituel chrétien est détourné avec l’adoration des animaux tels que
le bouc ou un grand chat noir, qui seraient les deux incarnations favorites de Satan et les
vedettes des bestiaires des sorciers 255. Quelques auteurs vantent certaines vertus du chat256. Il
se tient éloigné des lieux nauséabonds, possède une bonne hygiène malgré sa crainte de l’eau.
Il est aussi le contraire du chien qui lui aime se retrouver dans des endroits sales. La chatte est
aussi dotée de vertus257. Elle n’est pas luxurieuse car pour elle l’accouplement n’est pas
source de plaisir. Elle peut être capricieuse durant ses chaleurs mais c’est davantage pour
avoir des petits que par ardeur sexuelle. Les auteurs vantent son instinct maternel et l’amour
qu’elle a envers sa progéniture. Quelques-uns présentent aussi la chatte comme cannibale. En
effet, suite à un accouchement difficile, elle peut être amenée à dévorer un de ses petits.
Durant le haut Moyen Âge, les hommes et les femmes considèrent également le chat comme
farouche puis à la fin du Moyen Âge, son image est revalorisée. Cette revalorisation peut être
251
P.-O. Dittmar, J.-P. Ravaux, op. cit., p. 44.
Jules Husson, Les Chats : histoire, mœurs, observations, anecdotes, Paris, J. Rothschild, 1869, p. 53.
253
J. Verdon, La Nuit au Moyen Âge, Paris, Perrin, 1994.
254
Martin Aurell, Jean Duvernoy, Les Cathares devant l’histoire, Cahors, Hydre, 2005, p. 189.
255
Nicole Jacque-Chaquin, Nicole Jacque-Lefevre, Maxime Préaud, Le Sabbat des sorciers en Europe du XVe au
XVIIe siècle, Actes du colloque international E.N.S, 4-7 novembre 1992, Fontenay-Saint-Cloud, Grenoble,
Édition Jérôme Million, 1994, p. 411.
256
Roland Jussiau, Louis Montméas, Jean-Claude Parot, L’Élevage en France, 10 000 ans d’histoire, Dijon,
Educagri, 1999, p. 165-166.
257
Jacques Berlioz, L’Animal exemplaire au Moyen Âge, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 1999, p. 235.
252
73
expliquée au lendemain de la Grande Peste258 (1346-1350). Grâce aux recherches
contemporaines nous savons que les rats et les souris avaient joués un rôle dans la propagation
de la maladie259. Elles ont aussi mis en évidence que les chats étaient plus efficaces que les
belettes apprivoisées en ce qui concerne la chasse aux rats. Ils ont donc participé à
contrecarrer l’épidémie de peste. Néanmoins, les sculptures médiévales qui représentent des
chats sont plutôt rares. Les chats sont plus présents dans les manuscrits enluminés tel que le
Bestiaire Latin qui représente les activités nocturnes du chat. Rappelons que sur les toits du
château Pierrefonds, l’architecte Eugène Viollet-le-Duc avait placé des chimères en forme de
chat, probablement en hommage à cette créature qui ne dort pas la nuit.
Maintenant, nous allons étudier la gargouille qui représente une truie allaitant ses
petits (30). Les bestiaires n’offrent pas une image très valorisée du cochon. Voici un texte
anglais du XIIe siècle qui dresse son portrait :
Le porc est une bête immonde, qui fouille constamment la terre avec son groin pour y chercher
sa nourriture. Il regarde toujours vers le sol et ne lève jamais la tête vers le Seigneur. C’est
pourquoi il est l’image des hommes pécheurs qui préfèrent les biens de ce monde aux trésors
du ciel. Bien qu’il ait l’ouïe fine le verrat n’entend pas la parole de Dieu mais préfère écouter
les appels incessants de son ventre. Il représente les puissants qui ne travaillent pas et ne sont
jamais rassasiés des plaisirs. La truie est une femelle lascive, dépourvue de bile ; ses porcelets
sont plus nombreux que ses mamelles. Elle mange souvent des ordures ou des charognes et
parfois même se plait à dévorer la chair de ses propres enfants260.
Par ailleurs, la représentation d’une truie allaitant ses petits peut être comparée à la judensau
allemande261. La judensau, qui peut être traduite par « truie des Juifs », est un motif animalier
anti-juif. Il représente des individus accrochés aux mamelles d’une truie. Cette allégorie
apparait au XIIIe siècle en Allemagne dans la sculpture et sur les manuscrits. La gravure
permet l’essor de ce motif dans une grande partie de l’Occident. Pourtant, les ouvrages
d’agronomie de la fin du Moyen Âge tiennent un discours plus nuancé262. En effet, le cochon
est un animal utile. Toutes les parties de son anatomie peuvent être utilisées, sa viande, son
cuir, ses os, ses soies, ses oreilles, ses intestins. Étrangement, comme son cousin sauvage le
sanglier, il peut être courageux quand son porcher ou sa famille sont menacés. La truie quant
à elle, serait une mère dévouée comme le précise les traités de littérature agronomique
romaine :
258
Joël Dehasse, Tout sur la psychologie du chat, Paris, Odile Jacob, 2008, p. 22.
Frédérique Audoin-Rouzeau, Les Chemins de la Peste, le rat, la puce et l’homme, Rennes, Presses
universitaires de Rennes, 2015.
260
Philippe Walter, La Mythologie du Porc, Grenoble, Édition Jérôme Million, 1999, p. 115.
261
Katérina Sténou, La Différence du Mythe au préjugé, Paris, Seuil, 1998, p. 103.
262
M. Pastoureau, Les Bestiaires du Moyen Âge, op. cit., p. 119.
259
74
[…] La femelle met bas de nombreux enfants dont elle s’occupe dès la naissance. C’est une
mère attentionnée : quand il y’a plus de porcelets que de mamelles, elle partage son repas avec
ceux qui n’ont rien263.
De fait, l’image du cochon est elle aussi ambivalente. Elle est tiraillée entre les
représentations de la Bible qui en fait une créature repoussante et les représentations grécoromaines qui l’encensent. Les mythologies celtiques et germaniques le considèrent comme un
symbole de fécondité et de prospérité. La perception du cochon au Moyen Âge est le fruit de
ces trois visions. Pour l’Ancien Testament, le cochon serait un animal impur et l’image de la
déchéance dans la parabole du fils prodigue qui, après avoir dilapidé sa fortune, se retrouve
gardien de cochons (Luc, 15, 11-32). Animal sale et charognard, le porc se retrouve dans les
bestiaires du diable. Peut être mentionné l’épisode où Jésus et les apôtres rencontrent un
possédé au pays des Gérasénien. Afin de libérer le malheureux, Jésus ordonne aux démons
d’entrer dans un troupeau de deux milles cochons qui passait par là264. Les prédicateurs et les
théologiens du Moyen Âge vont utiliser cette image diabolique du cochon, notamment lors de
la première moitié du XIIIe siècle où la chrétienté a tendance à se replier sur elle-même et à
être hostile aux cultures voisines. Outre l’attribut du diable et de la Synagogue, le porc va
incarner certains péchés capitaux265 dont la sorditas (saleté), la gula (la gloutonnerie), la
luxuria, la acedia (la paresse). Chez les chrétiens, il existe pourtant un « bon porc » comme
celui qu’arbore Saint Antoine, ou le porcelet qui peut représenter un jeune enfant. Comme
dans une des légendes de Saint Nicolas où les jeunes enfants tués par le boucher sont salés et
présentés comme des petits porcelets. Grâce aux miracles du saint, les enfants sont ramenés à
la vie. Le porc est aussi présent dans la médecine médiévale car il est « l’animal
intérieurement semblable à l’homme266 ». Il se retrouve devant les tribunaux avec d’autres
animaux, soumis à des sentences de justice comme les chiens, les chevaux et les bovidés.
Cependant, les plus touchés restent les cochons, car ils sont très souvent laissés en liberté et
peuvent causer de nombreux incidents : « ils sont pensés comme étant les animaux les plus
proches de le l’espèce humaine 267». Après avoir brossé la vision du cochon au Moyen Âge,
nous comprenons pourquoi un tel animal pouvait-être représenté sur un édifice. En effet, le
cochon possède pleins d’attributs et de caractéristiques qui justifient sa représentation en
gargouille.
263
M. Pastoureau, « Une Justice exemplaire : les procès intentés aux animaux (XIIIe-XVIe siècle) », Les Cahiers
du Léopard d’Or, vol. 9 (Les rituels judiciaires), 2000, p. 173-200.
264
Thomas de Cantimpré, Liber de natura rérum, Berlin, Édition Boese, 1973, p. 115
265
Guy de Tervarent, Attributs et symboles dans l’art profane, dictionnaire d’un langage perdu 1450-1600
Genève, Librairie Droz, 1997, p. 366.
266
M. Pastoureau, L’Ours histoire d’un roi déchu, Paris, Seuil, 2007, p. 89.
267
Ibid.
75
Une autre gargouille de la basilique Saint-Urbain est très abimée et s’apparente à un
âne, (14). Elle possède de grandes oreilles, une queue et des pattes chaussées de sabots. L’âne,
à en croire les bestiaires, serait sale, négligent, paresseux, couard, entêté et stupide268. Il refuse
de franchir les ponts. Le seul moyen pour le faire avancer est de le battre ou de le piquer.
Pourtant, comme les autres animaux, d’autres auteurs lui prêtent de nombreuses qualités269.
L’âne peut s’avérer patient, travailleur270. Il mange très peu. Mais le plus souvent, l’âne est
pris en mauvaise part271. Il est moqué, symbolise la paresse, l’ignorance à cause de son
braiment ainsi que la luxure à cause de son sexe démesuré. L’ânesse quant à elle est perçue
plus positivement dans les bestiaires médiévaux. Son lait possède de nombreuses vertus. La
femelle serait moins stupide que le mâle ce qui la rend plus célèbre dans de nombreux récits
de l’Ancien Testament. Nous pouvons citer l’épisode du devin Balaam dans le Livre de
Nombres dans lequel l’ânesse fait preuve de clairvoyance en voyant l’ange du Seigneur. Nous
avons aussi l’ânesse qui permit à la Sainte Famille de s’échapper de l’Egypte et des
infanticides des soldats d’Hérode. Une autre illustre ânesse est celle que Jésus monte lors du
dimanche des Rameaux pour rentrer à Jérusalem et vivre sa Passion. Cette ânesse sera même
vénérée par le biais des reliques. L’âne de la crèche bénéficie aussi d’une grande renommée
avec son compère le bœuf. Ces deux animaux sont présents au moment de la Nativité et
réchauffent le Sauveur de leurs nasaux. Ces lignes offrent un éclaircissement de la perception
de l’âne au Moyen Âge et de son ambivalence.
Les bestiaires sont peu bavards sur la chèvre. Ils préfèrent le bouc. Les propriétés des
chèvres sont en effet très curieuses pour des animaux domestiques. Tout d’abord, elles
respirent par les oreilles, peuvent voir dans la lumière comme dans le noir. Ses dents seraient
vénéneuses et peuvent attaquer les essences d’arbres comme l’olivier. La chèvre est douce
mais libidineuse puisqu’elle peut avoir des relations avec le bélier, alors que la brebis ne se
laisserait probablement jamais monter par un bouc. Les bestiaires distinguent la chèvre
domestique de la chèvre de montagne. Cette dernière pratique l’automédication. Dans le
Physiologus, nous apprenons que la chèvre des montagnes apprécie les positions élevées. Elle
possède une excellente vue et peu distinguer les simples voyageurs ou les chasseurs. Par
contre, elle aurait du mal à se mouvoir sur un terrain qui n’est pas accidenté. De son côté, le
Jeanine Horrowitz, Sophia Menache, L’Humour en chaire, le rire dans l’église médiévale, Paris, Labor et
Fides, 1994, p. 119-120.
269
Richard de Fournival, Le Bestiaire d’Amour, trad. Celestin Hippeau, Paris, Auguste Aubry, 1809, p. 100.
270
Jean Sadaka, L’Âne, symboles, mythes et caractères, Paris, Mon petit éditeur, 2013, p. 13-14.
271
Louis-Ferdinand-Alfred Maury, Essai sur les légendes pieuses du Moyen Âge, Paris, Ladrange, 1843, p. 167168.
268
76
bouc est un animal luxurieux du fait de son sang chaud. Il ne possède aucune retenue et sa
sexualité est exacerbée272. Il symbolise les hommes et les femmes qui sont esclaves des
plaisirs charnels273. Le jour du Jugement Dernier, ces individus seront les premiers à êtres
précipités dans le gouffre infernal. Dans celui-ci, les damnés auront les parties génitales et les
mamelles dévorées par des serpents274 comme sur une des nombreuses représentations de la
cathédrale de Bourges. La luxure du bouc se lit aussi dans son regard car il n’est pas droit.
Dans la sensibilité médiévale, ce qui n’est pas droit mais oblique est un signe de grand
péché275. En effet, ne pas marcher droit signifie que l’on prépare un mauvais coup. Entrer en
biais dans une église n’est pas signe d’un bon chrétien. Durant la période romane, il y avait un
jeu de mot très fréquent qui consistait à rapprocher le terme obliquus de l’adjectif
diabolicus276. Les caprins sont considérés comme diaboliques par rapport aux ovins277. Tout
d’abord dans l’Evangile de Jean et dans la parabole du bon Pasteur : « Je suis un bon
pasteur, je connais mes brebis278 » qui montre le respect envers les ovins, alors que dans
l’annonce du Jugement dernier dans l’Évangile de Saint Matthieu279 pendant la séparation des
Hommes, les bons sont comparés à des brebis et les autres à des boucs. Les brebis sont
placées à droite alors que les boucs à gauche. La gauche est toujours liée au diable280. Par
ailleurs, Mathieu s’adresse aux « boucs de gauche » : « Allez loin de moi, maudits, dans le feu
éternel préparé pour le Diable et ses démons ».
Le Moyen Âge se révèle curieux envers les oiseaux. Les Hommes les observent. Ils les
étudient et les connaissent mieux que les poissons. Les bestiaires leur portent des propriétés
merveilleuses, magiques, héritées de la tradition antique. Dans les bestiaires latins, les
chapitres destinés aux oiseaux sont très longs et par moment ils deviennent des ouvrages à
part entière. Ils portent le nom d’aviaire ou de volucraire. Le plus célèbre est celui d’Hugues
Fouilloy. Dans ces ouvrages, de nombreuses espèces sont décrites. Sur la basilique SaintUrbain, il n’est pas facile de déterminer à qu’elle espèce précise les gargouilles oiseaux se
rattachent. Serait-ce un aigle ou une calandre281 ? Il s’agit des gargouilles (15) et (48).
Frank Mercier, La Vauderie d’Arras une chasse aux sorcières à l’automne du Moyen Âge, Rennes, Presses
universitaires de Rennes, 2006, p. 128.
273
Ibid., p. 203.
274
Georges Minois, Histoire de l’enfer, Paris, Presses universitaires de France, 1994, p. 77.
275
M. Pastoureau, Les Bestiaires du Moyen Âge, op. cit., p. 116
276
Ibid., p. 115.
277
Georges Martin, Jean Roudil, Cahiers de linguistique et de civilisation hispanique médiévale, Paris, Ens
Édition, 2005, p. 372.
278
M.-H. Tesnière, T. Delcourt, Bestiaire du Moyen Âge, op. cit., p. 92.
279
Alfred Durand, Évangile selon Saint Mathieu, Paris, Beauchesne, 1924, p. 460.
280
M. Pastoureau, Les Bestiaires du Moyen Âge, op. cit., p. 116.
281
Louis-Charbonneau Lassay, Le Bestiaire du Christ, Paris, Albin Michel, 2014, p. 802.
272
77
Cependant, leur état ne permet pas de déterminer s’il est question d’un oiseau ou d’un
hybride.
Il reste aussi un animal exotique, très proche de l’homme. Il s’agit du singe. Nous en
rencontrons un sur la basilique, qui est la gargouille (4). La culture médiévale semble détester
le singe. Elle le considère comme le pire animal de la création282. En effet, le singe ne
ressemble pas à l’homme mais tente de l’imiter, ce qui donnent des créatures fausses et
foncièrement diaboliques. Dans le Moyen Âge chrétien, il existe trois animaux qui
entretiennent des liens de ressemblance avec les humains, que sont l’ours283 en raison de son
apparence externe, le cochon pour son organisation anatomique interne et le singe. Les grands
penseurs de l’Antiquité tels que Pline ou Aristote pensaient que celui-ci était l’animal le plus
proche des humains284. Dans la pensée médiévale, le singe représente ce qu’il y’a de plus vil,
de plus diabolique et de plus repoussant. Isidore de Séville affirme que si une femme enceinte
contemple une image de singe, son enfant sera doté d’une laideur repoussante. Le bambin ne
pourra trouver sa place dans le monde des hommes285. À sa suite, bestiaires et encyclopédies
font du singe le plus laid et difforme des êtres vivant, notamment à cause de ses traits et de
son anatomie. Le singe est une créature imparfaite et ne peut ressembler à l’homme car celuici serait façonné à l’image de Dieu. Les scolastiques vont donc faire en sorte que le singe ne
ressemble pas à l’homme par nature mais par artifice. Il fait semblant de lui ressembler alors
qu’il ne lui ressemble pas du tout286. Par ailleurs, le nom latin du singe est simius, qu’on peut
traduire par « simule ». En effet, le singe simule, triche et trompe. Il est l’image même du
diable qui tente constamment de « singer » Dieu. De nombreux théologiens voient dans le
singe un homme qui s’est révolté contre Dieu et qui a été puni287. Cet individu condamné ne
possède plus que quelques miettes d’apparence humaine. Les singes sont très souvent munis
d’une pomme288 qui symbolise le fruit de la Chute comme celle d’Eve et Adam. Les bestiaires
rappellent la diversité des apparences de ces animaux. Comme la diversité des représentations
des démons, certains singes ont des queues, de longs poils, de la barbe, certains sont glabres.
Les singes sont aussi sensibles aux mouvements lunaires comme l’ours et le renard289.
282
Champfleury, Histoire de la caricature du Moyen Âge à la Renaissance, Paris, Editorial Maxtor, 2012, p. 8789.
283
M. Pastoureau, L’Ours : histoire d’un roi déchu, op. cit., p. 89.
284
Jean-Louis Labarrière, Gilbert Romeyer Dherbey, L’Animal dans l’Antiquité, Paris, Vrin, 1997, p. 463-467.
285
Isidore de Séville, Etymologiae, XII, I, 60.
286
Marion Challier, Bernadette Caille, Moyen Âge, entre ordre et désordre, Musée de la musique, 26 mars-27
juin 2004, Paris, Réunion des musées nationaux, Cité de la musique, 2004, p. 134.
287
M. Pastoureau, Les Bestiaires du Moyen Âge, op. cit., p. 86-88.
288
Ibid.
289
Ibid.
78
Lorsque la lune est haute, le singe serait joyeux et joueur mais par contre quand elle est basse,
il devient mélancolique. La mélancolie représente l’excès de bile noire, traduite en médecine
médiévale comme le pire des vices et la maladie. Toutefois, le singe est un animal facile à
dresser, car durant l’époque féodale, les bateleurs et les jongleurs incluaient les singes dans
leurs numéros290. Dans les villes comme Paris ou Lyon, on accordait à ses artistes des
emplacements particuliers comme les ponts. De plus, la nature du singe le pousse à
contrefaire les activités de l’homme. Cette caractéristique facilite sa capture. En effet, de
nombreuses manières de le chasser et de le traquer sont décrites dans les bestiaires médiévaux
et toutes ces méthodes sont basées sur le comportement de mimétisme que peut avoir le singe
quand il va imiter l’homme291. Ainsi, le chasseur de singe médiéval déploie un éventail de
ruses pour s’en saisir comme les bottes en plomb ou la colle sur les yeux 292. Une autre
méthode se base sur la négligence que peut avoir la guenon envers ces petits. En effet, celle-ci
accouche en général de deux petits. Malheureusement, elle semble ne pas les aimer d’un
amour égal, ce qui induit que lorsqu’on lui donne la chasse, elle s’épuise et elle se débarrasse
de celui qu’elle aime le moins afin de pouvoir échapper aux poursuivants. De nombreuses
miniatures montrent des guenons avec un petit bien accroché sur le dos et l’autre entre les
pattes ou en retrait, comme la miniature présente dans Le Bestiaire d’amour de Richard de
Fournival (1201-1260) qui représente une guenon portant son enfant sur le dos et tentant de
poursuivit par un chasseur équipé d’une lance et d’un gourdin293. Les singes sont des animaux
perçus négativement et sous leurs airs malicieux semblent être diaboliques. Ils portent en eux
un message fort et sont une manière de représenter un concentré de vice 294. Dans les
marginalias, les singes copient les humains qui jouent des instruments. Ils sont obscènes et
représentés dans des situations dérangeantes et cocasses. À l’image des bêtes et autres
créatures présentes sur l’édifice, le singe n’est pas ambivalent. Il n’a pas de caractéristique
positive. Il fait partie des créatures les plus viles et lubriques de la création.
Les rôles et les représentations des gargouilles sur l’édifice de Troyes nous permettent
d’explorer les multiples facettes de la civilisation médiévale. À travers ces sujets de sculptures
variées, monstres, animaux, marginaux, nous avons pu découvrir qu’au-delà d’une simple
290
E. Faral, op. cit.
M. Pastoureau, Les Bestiaires du Moyen Âge, op. cit., p. 87.
292
R. de Fournival, op. cit., p. 10-13.
293
Ibid.
294
J. Wirth, Les Marges à drôleries gothiques, Genève, Droz, 2008, p. 317.
291
79
sculpture, les gargouilles peuvent fournir énormément d’informations sur le Moyen Âge et la
perception que nous en avons. Néanmoins, les cinquante-quatre gargouilles de la basilique
traitent de multiples sujets dont la plupart sont ambivalents. En effet, si nous observons les
animaux comme les chiens, le chat ou les chèvres, ces animaux sont polysémiques. Leur
« symbolisme » apparait varié. Il n’est donc pas inintéressant de parler du dualisme entre le
sacré et le profane si cher aux gargouilles.
2.
Les gargouilles : images de la transgression, théâtre de
l’ambivalence
Le Moyen Âge reste une période historique chargée de mystères. Les gargouilles sont
considérées comme étant des incarnations de cette ambiguïté. Elles font partie des figures
grotesques et de fait, elles sont toujours ambiguës. Ces figures traversent les frontières des
espèces vivantes et défient toutes les catégories logiques. Elles provoquent à la fois le rire et
le désarroi295. Que peuvent donc faire ces figures sur un édifice sacré ? Ces figures qui
paraissent aujourd’hui choquantes, ou dérangeantes, semblaient relativement banales au
moment de leur réalisation296. Les gargouilles gothiques, si mystérieuses soient-elles, font
parties de ces représentations marginales, à l’images des modillons et des diverses
représentations scatologiques ou satyriques qui se retrouvent sur les cathédrales. Cependant,
avec nos yeux d’hommes modernes, ces images peuvent être considérées comme
transgressives, c’est-à-dire au-delà d’une norme. Après des années d’idéalisation, cette
période médiévale reste considérée comme obscure297, même si cette vision évolue, et les
clichés restent solides.
La pensée médiévale, accorde une importance particulière aux catégories. De ce fait,
une des premières actions d’Adam a été de nommer les animaux298. Le jardin d’Eden dans
lequel il évolue est ordonné et hiérarchisé. Les plantes et animaux sont créés selon leurs
espèces et soumises à l’Homme299. Lorsque Adam et Eve commettent le péché mortel en
goutant le fruit de la connaissance du Bien et du Mal, ils s’approprient une capacité
auparavant strictement réservée à Dieu. Le couple s’affranchit du cadre dressé par le créateur
295
Michel Jeanneret, Fréderic Elsig, Les Songes drolatiques de Pantagruel, Paris, Librairie Droz, 2004, p. 40.
G. Bartholeyns, P.-O.Dittmar, V. Jolivet, op. cit., p. 1.
297
Isabelle Durand-le Guern, Images du Moyen Âge, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2007, p. 72.
298
« Dieu modela encore du sol toutes les bêtes sauvages et tous les oiseaux du ciel, et il les amena à l’homme
pour voir comment celui-ci les appelleraient : chacun devait porter le nom que l’homme l’aurait donné.
L’homme donna des noms à tous les bestiaux, aux oiseaux du ciel et à toutes les bêtes sauvages… », Genèse, 2,
19-20.
299
« Emplissez la terre et soumettez-la ; dominez sur les poissons de la mer, les oiseaux du ciel et tous les
animaux qui rampent sur la terre », Genèse, 1, 28.
296
80
et fragilise les frontières entre les espèces. Dans cette situation nouvelle, le retour en arrière
semble impossible. Les catégories se bousculent et la transgression opère. Ce péché mortel
brise l’harmonie façonnée par le Créateur et donne naissance à l’hybridation et à toutes
formes de transgression. Par cet acte, la position de dominant de l’homme est désormais
fragilisée dans l’ordre de la Création. L’homme édénique qui partageait une symbiose avec la
faune environnante devient un chasseur. Il porte sur son dos, la peau de la bête (Genèse, 3,
21). De végétarien au Paradis, Adam devient carnivore et tente par tous les moyens de
retrouver son statut de dominant par la dévoration et la chasse. Les premiers hybrides
apparaissent quand les filles des hommes commencent à plaire et cèdent aux avances des fils
de Dieu (Genèse, 6, 1-2). De ces unions contre nature naissent les géants (Genèse, 6, 1-4). Ce
genre d’union expliquera en partie les raisons du Déluge et, à part les créatures sauvées dans
l’Arche, les autres périront dans les eaux. Par l’exemple des géants, il semblerait que les
catégories soient ici transgressées dans le péché. Nous comprenons la volonté médiévale de
réaffirmer une séparation entre les espèces. Il s’agit de retrouver l’ordre originel, de ne pas
aggraver la confusion introduite dans le monde. Le mythe chrétien fait de l’homme médiéval
ordinaire une copie, qui s’éloigne de plus en plus du modèle adamique. De ce fait, il porte en
lui la marque des pêchés successifs de ses ancêtres. C’est pourquoi il est soumis à la
confrontation de sa partie animale et humaine. Cette position entre l’animal et l’humain crée
l’hybridation. Entre le XIIIe siècle et le XVIe siècle, les hybrides prolifèrent dans la statuaire,
l’art et l’enluminure. Ces figures mélangent les hommes à diverses créatures. Ces êtres
évoquent une confusion entre l’homme et l’animal. Ils se distinguent des autres créatures car
ils n’ont pas de noms. Les historiens britanniques emploient le terme de non-descript300 pour
qualifier ces créatures hybrides. L’absence de nom au Moyen Âge serait liée à la capacité
d’exister. En effet, donner un nom à ces hybrides reviendrait à créer une nouvelle catégorie301.
Donc le fait de posséder un nom annulera leur nature transgressive. Cette dichotomie qui
existe entre « l’homme » et « l’animal » est importante pour comprendre la dualité qui parait
si chère à la civilisation médiévale. Comme le développe un anthropologue, Philippe Descola,
le Moyen Âge peut être défini comme une « société analogique302 », ce qui signifie que dans
ce monde segmenté en différentes entités individuelle, il est possible de tracer des
300
G. Bartholeyns, P.-O Dittmar, V. Jolivet, op. cit., p. 7.
Ibid., p. 1.
302
Philippe Descola, Par Au-delà nature et culture, Paris, Gallimard, 2005, p. 282-284.
301
81
correspondances entre-elles. Ces associations permettent de donner un sens plus général à la
Création et véhicule des normes et des valeurs303.
Ce concept de correspondance et d’association des catégories peut être illustré par la pratique
de la chasse. La chasse implique l’homme et la bête, la proie et le gibier. La question de la
chasse est importante car elle implique différentes pratiques et représentations, en fonction de
la catégorie sociale. Les catégories issues de la noblesse vont privilégier une chasse à cheval
et la fauconnerie, celles-ci étant considérées comme les plus raffinées, les plus intellectuelles.
Elles confirment la place de domination et d’harmonie qu’avait l’Homme avant la Chute.
Hommes et Animaux semblent à nouveau complices. Cependant, l’Église s’avère moins
tolérante avec la chasse qu’on appelle « force 304 ». Cette chasse est pratiquée par la
paysannerie et elle se compose de poursuites et de corps à corps. Les souffles, les corps de la
proie et du chasseur se mélangent. Le chasseur doit s’abaisser au niveau de l’animal. Les
paysans qui pratiquent ce genre de chasse sont presque l’objet d’une hybridation par leurs
rapports presque charnels avec la bête. Deux modèles s’opposent donc, « le chasseur noble »
et le « chasseur paysan ». Le « chasseur noble » incarne un mode de vie édénique. Il perpétue
ce modèle d’harmonie et cette hiérarchie entre hommes et animaux, et est moralement et
hiérarchiquement plus élevé dans son contact avec eux. Le « chasseur paysan », brutal, est
représenté comme une bête hybride. Une bête qui court derrière des quadrupèdes qui ne sont
pas plus sauvages que lui. Ces « chasseurs paysans » sont plus proches des hommes d’après la
Faute, ceux-ci étant contraints de se vêtir de la peau des animaux qu’ils ont tué. C’est ainsi
que la catégorie la plus présente numériquement, la paysannerie, est représentée vivant dans la
transgression. Ces images créées par ou pour l’aristocratie ne gardent en réalité de la
paysannerie que ce qu’elles veulent bien retenir305. Cependant, cette « chasse paysanne »
semble beaucoup moins brutale que ces images laissent transparaitre, car elle requiert
l’utilisation de pièges et donc plus de ruse que de force. Seulement, cette réalité est plus
embarrassante pour les premiers destinataires de ces images. C’est pour cela qu’elles ont une
place plus réduite dans la culture visuelle du Moyen Âge.
Ensuite, pour mieux séduire, ce discours qui joint transgression et hybridation passe
par une arme redoutable, l’humour. En effet, les gargouilles drolatiques sont légions sur les
édifices et témoignent de cette volonté d’utilisation de l’humour. De nombreuses études usent
303
G. Bartholeyns, P.-O Dittmar, V.Jolivet, op. cit., p. 33-35.
M. Pastoureau, Une histoire symbolique du Moyen Âge occidental, Paris, Seuil, 2004, p. 65-77.
305
G. Bartholeyns, P.-O. Dittmar, V. Jolivet, op. cit.
304
82
avec facilité de l’utilisation du terme « drôlerie » dans les manuscrits gothiques. Ces créatures
qui peuplent les pages des manuscrits ont été souvent exclues des études sérieuses qui
s’attachent à la portée des images. Le rapport entre humour et transgression dépasse la simple
coïncidence. Si ces images prêtent à rire, c’est parce qu’elles sont en décalage avec l’ordre
naturel des choses306. Elles transgressent l’ordinaire. L’auteure Mary Douglas a montré
combien l’humour scatologique possède deux faces : « On a recours au symbolisme des
limites du corps pour exprimer, avec une sorte d’humour, pas drôle, le danger qui menace la
frontière de la communauté307 ». L’obscénité, la scatologie, les insultes, les jeux de mots font
partie intégrante du comique médiéval. Ces traits d’humour s’ancrent dans cette tradition de la
transgression et des tabous. Une plaisanterie, telle qu’elle soit, ne fonctionne uniquement si
elle est comprise et partagée par l’auditoire. Cet humour renforce le caractère consensuel308 et
moral de ces images. Les représentations comme les gargouilles seraient peut-être plus
transgressives que les grimaces que l’on fait aux enfants, n’en déplaisent à Mickaël Bakhtine.
Il les considérait comme des bêtes mélangeant le comique et l’effroi309. La fonction des
gargouilles est en partie d’associer l’humour, la transgression et la peur pour agir de cette
manière. Cette fonction est d’autant plus probable que les hybrides sont principalement dans
les textes, les psautiers, qui servaient à l’apprentissage de la lecture et de l’écriture. Ces
hybrides qui se répandent dès les XIIIe et XIVe siècles tiennent avant tout un discours moral et
si aujourd’hui ces images conservent une aura sombre, c’est avant tout pour ces vestiges que
cette civilisation nous a laissé.
Les différentes représentations marginales, des monstres transgresseurs ont un point
commun. Elles sont produites « par » et « pour » l ’ordre en place, laïc ou ecclésiastique.
Cette donnée nous fait nous interroger sur la visée de ces figurations. Quels en sont les
bénéfices pour les institutions ? Ces productions plastiques vont diffuser tout une
iconographie du contre modèle. Le Moyen Âge n’a pas produit les conditions auxquelles les
images de transgression étaient tolérables. Par contre, la pensée médiévale semble s’être
construite autour du modèle d’Adam310. Les contres modèles seraient donc construits en
opposition de celui-ci. Ils existent grâce à l’opposition des modèles de référence comme
306
G. Bartholeyns, P.-O. Dittmar, V. Jolivet, op. cit., p. 36.
Mary Douglas, De la Souillure. Essai sur les notions de pollution et de tabou, Paris, La Découverte, 2001, p.
138.
308
Les ouvrages comme les fabliaux sont des « récits scabreux et son essentiellement conservateurs », ils
s’inscrivent à la « fois contre la loi et du côté de la loi », Howard Bloch, The Scandal of the fabliaux, Chicago,
University of Chicago Press, 1986, p. 125.
309
Mickael Bakhtine, L’Œuvre de François Rabelais et la Culture populaire au Moyen Âge et sous la
Renaissance, Paris, Gallimard, 1970, p. 68-148.
310
G. Bartholeyns, P.-O. Dittmar, V. Jolivet, op. cit., p. 38.
307
83
Jésus-Christ et les saints. Ces concepts cristallisent la pensée chrétienne qui cherche à traduire
le bien et le mal dans des catégories claires aux limites bien définies. Toutefois, dans le mythe
chrétien existe un paradoxe, car c’est notamment par une série de transgressions vis-à-vis de
la rationalité antique et de l’ordre naturel que le christianisme aurait forgé son identité et sa
force de conviction : une Vierge qui accouche d’un enfant, des morts qui ressuscitent, des
fous qui sont des vrais sages, un dieu qui naît dans une étable311 ainsi qu’un être mi-homme et
mi-Dieu. L’idée d’une transgression positive ne se rencontre jamais dans les discours
théologiques ordinaires qui associent strictement la transgression au mal. Ce qui est chrétien
reste l’idée du désordre strictement négatif, qui n’est qu’un état dégradé de l’ordre, tandis que
ce qui est désordonné appartiendrait au domaine du profane. Le sacré est quant à lui plus
ordonné. Les anthropologues312 ont mis en évidence que dans de nombreux systèmes
culturels, le désordre et la transgression possèdent des rôles positifs et font partie intégrante de
l’expérience religieuse. Dans les religions grecques et romaines, où ce type d’acceptation
positive du désordre et où la transgression est présente dans la société313, la notion du
« sacré » elle-même semble profondément ambivalente, sous la romanité le terme sacer qui
désigne notamment une personne qui a commis un crime contre la cité. Elle est frappée de
suspicion. L’Église l’encadrera sans jamais l’intégrer à sa doctrine. Ce type d’événements
engendre des bouleversements temporaires314, à la fois sexuels ou humains. Au XIIIe siècle,
les fêtes contestataires se multiplient, dans lesquelles tout se passe dans des révoltes
consenties. En effet, les diacres célèbrent les offices à leur façon, substituent les humbles ou
les puissants, revêtent les vêtements d’ordres supérieurs, s’habillent à l’envers, se
travestissent, les chanoines portent des costumes d’homme sauvage et la fête religieuse finit
par déborder dans les rues. Il est important de distinguer le christianisme de la société
chrétienne. Si les pratiques rituelles comme le carnaval mettent en scène un désordre positif
(purification cathartique, réaffirmation collective de l’ordre par son renversement), la
théologie chrétienne ne contient rien de tel. Dans son journal, Jules Michelet note que le
roman de Victor Hugo dépeint Notre-Dame comme une créature « capricieuse ». Il préfère
voir dans la cathédrale une « scolastique de pierre » et avance des arguments très novateurs
311
Misgav Har-Peled, Animalité, pureté et croisade. Étude sur la transformation des églises en étable par les
musulmans pendant les croisades, XIIe-XIIIe siècles, Cahiers et civilisation médiévale, 52, 2008, p. 113-136.
312
Marie-Claude Dupré, « La Fascination du désordre », L’Homme, 156, 2000, p. 247-258 ; Marie-Jo Thiel,
Marine Douglas, « De la souillure. Essai sur les notions de pollution et de tabou », Revue des Sciences, t. 77,
2003, p. 118-119.
313
Jean-Pierre Vernant, Pierre Vidal-Naquet, La Grèce ancienne. Rites de passages et transgressions, Paris,
Armand Colin, 1992.
314
Suzanne Chappaz-Wirthner, Le Turc, le Fol et le Dragon. Figures du carnaval haut-valaisan, Neuchâtel,
Édition de l’Institut d’Ethnologie, 1995, p. 30.
84
pour son époque notamment en ce qui concerne les gargouilles. Il considère les gargouilles
comme une incarnation de la pensé médiévale : durant la période médiévale, il y’avait des
individus qui incarnaient parfaitement ce concept de Carnaval et de désordre. Il s’agit des
fameux goliards315, clercs itinérants qui étaient pour la plupart issus des universités de droit.
Ces clercs étaient des poètes, comédiens, rédigeaient des recueils de poésie satiriques. Durant
les festivités, les goliards participaient aux différentes manifestations, en animant des messes
ou des rues. L’Université de Paris avait porté plainte pour les méfaits de ces personnages :
Prêtre et Clercs (…) dansent dans le chœur habillé comme des femmes (…) Ils chantent des
chansons légères. Ils mangent du boudin noir sur l’autel alors que le célébrant dit la messe. Ils
jouent aux dés sur l’autel. Ils encensent avec de la fumée puante provenant de la semelle de
vieille chaussure. Ils courent et sautent dans l’église sans rougir de leurs propres hontes. Enfin
ils conduisent des charriots et des carrioles usés à travers la ville et ses théâtres et soulèvent les
éclats de rire de leurs acolytes et des passants grâce à leurs représentations théâtrales infâmes
remplies de gestes impudiques et de mots vulgaires et dévoyés316.
Les goliards détournaient les ouvrages sacrés notamment des textes de la messe et des
cantiques latins en les transformant en sujets profanes et satiriques. Leurs satires étaient
dirigées vers les hauts dignitaires ecclésiastiques. Ils étaient un mouvement d’opposition
contre les abus commis non pas par l’Église, mais par certains opportunistes de leurs
représentants. À plusieurs reprises, ils durent affronter les foudres de l’Église. En 1227, le
Concile de Trêves leur interdit de prendre part aux offices. En 1229, les goliards participent à
l'agitation qui secoua l'Université de Paris à la suite des manigances du légat papal. Ils furent
l'objet de nombreux conciles, notamment en 1289, où est décrété que « les clercs ne doivent
être ni des jongleurs, ni des goliards, ni des bouffons » et en 1300, au concile de Cologne, il
leur est désormais interdit de prêcher ou de s’engager dans le commerce des indulgences. Les
goliards ont souvent été totalement privés des « privilèges du clergé317 ». Ces individus
semblent être l’incarnation du Carnaval et de ses dérives. Ils sont une bonne illustration pour
montrer ces dérives tolérées ou non par l’Église. Ainsi, le Carnaval est une période où le
monde s’inverse, où l’autorité est rabaissée, le bas devient haut, l’homme se déguise en bête
et profère des insultes qui deviennent des paroles essentielles. Néanmoins, les écarts entre la
pratique et les discours théologiques sont toujours marquants quand il s’agit de transgression.
Le Carnaval en est le parfait témoin de ce franchissement des bordures/limites comme tout ce
qui peut s’assimiler aux domaines des marges. Enfin, dans notre langue, le mot transgression
est toujours lié au mal et à l’immoral pour notre sens commun comme celui de clercs
315
Jelle Koopmans, Le Théâtre des exclus du Moyen Âge, Paris, Imago, 1997, p. 74.
« Les imprécateurs », sur www.lepoint.fr (consulté le 24/03/2017)
317
Richard Hoppin, La Musique au Moyen Âge, vol. 1, Bruxelles, Mardaga, 1991, p. 303.
316
85
médiévaux. Cependant, dans la langue de droit coutumier français du XIIIe siècle, le mot
franchir est synonyme d’anoblir318 et se trouve associé à une forme de liberté positive (la
franchise ou l’affranchi). Ce décalage entre la notion de transgression religieuse et le franchir
laïc rend compte de la distance entre qui a pu avoir entre la théologie obnubilée par l’ordre et
une société peut-être plus libertaire que nous pouvions le penser. L’utilisation et la production
des images de la transgression étaient gérées par les représentants de l’ordre en place.
Aujourd’hui, ce sont les artistes qui savent mieux que quiconque où va l’affection de telles ou
telles images. De ce fait, il est troublant de constater que la production de ces images est gérée
par ceux qui la condamnent. Mais ce qui est plus surprenant dans l’existence de ces modèles
et contre modèles reste la proximité physique qui existe entre eux. Qui a observé la basilique
Saint-Urbain ou la façade d’une cathédrale n’a pas été confronté à cette combinaison, de
démons, d’anges, de saints, d’animaux et de créatures à la gorge déployées, ou encore les
fameux modillons scabreux réalisées par les imagiers. Ces nombreuses combinaisons font la
joie des interprètes et guides qui se donnent à cœur joie d’offrir aux visiteurs des anecdotes
sur les vengeances des imagiers envers leurs employeurs. Ainsi, dans les bordures des édifices
et des manuscrits apparaissent au courant du XIIIe siècle de nouvelles zones de transgression,
les fameuses marges. Dans celles-ci vont naître deux espaces, l’un proprement « central » et
l’autre marginalisé, « la bordure ». C’est dans cet espace marginalisé que la transgression va
opérer et s’épanouir. Le discours normatif qui rayonne au centre de la page ne fait que
cautionner les saynètes gaillardes qui les entourent. Ces images marginales seraient une forme
d’expression de résistance à la norme édictée au centre. Cependant, un problème demeure,
celui de l’association d’éléments iconographiques variés et leur coexistence. L’historien de
l’art Meyer Schapiro considérait la présence de ces images marginales comme le fruit de
pulsions immorales, avant de les comparer à des griffonnages d’étudiant319.
Néanmoins, Michel Camille a montré que les images marginales produites, dans le
courant du XIIIe siècle ne sont ni un résultat aléatoire, ni des lieux de fantasmes autorisés.
Elles sont en rapport et présentent des liens avec le centre et le reste de la page. Elles doivent
être comprises dans une dialectique générale et qui englobe la totalité de la page. Les scènes
grotesques, crues, les autres monstres, grylles et différents habitants de ces marges participent
au discours dominant qui s’exprime dans les miniatures et le texte. C’est dans ces espaces que
318
Paul Viollet, Les Etablissements de Saint Louis, t. I, Paris, Librairie Renouard, 1881-1886, p. 173.
Meyer Schapiro, « Griffonnages dont les étudiants remplissent machinalement leurs cahiers », Romanesque
Art, Londres, Chatto-Windus, 1977, p. 1-25.
319
86
les imagiers peuvent « jouer sans jamais prendre leur place 320». Par ailleurs, ces figures sont
aussi présentes sur les manuscrits inachevés sous formes de croquis. Ces derniers montrent
qu’ils font partie d’un programme iconographique élaboré par le commanditaire de l’œuvre et
l’imagier. Ces images marginales se déploient dans les riches manuscrits et ne sont vues que
par les commanditaires et pas par le plus grand nombre. Nous pouvons citer l’exemple de
l’évêque de Metz, Renaud de Bar, qui est représenté sous forme d’un étrange hybride
mélangeant les caractéristiques d’un évêque, d’un chien ainsi que d’un poisson. Cette
représentation satirique se situe dans la marge de son premier psautier321. Cette représentation
s’apparente peut-être plus à une « boutade amicale » de la part de l’artiste que d’un véritable
acte de parodie. Il s’agit d’autodérision. Par ailleurs, l’auteur Hans Peter Duer, il
appartiendrait à ceux qui édictent les normes de pouvoir mieux s’en détacher 322. Cet humour
aussi cocasse qu’il soit aurait une portée émancipatrice que seule la minorité pouvait
comprendre.
Finalement toutes les associations « marginales » présentées mettent en regard deux
univers que tout oppose mais elles insistent sur les différences et non leurs interdépendances.
Dans un sens, c’est le rôle des marges de créer une distinction entre le « sacré » et le
« profane ». Par ailleurs, ces notions se retrouvent dans les images médiévales. Elles sont
chacune placées dans leurs espaces respectifs, la marge et le centre. Ces images transgressives
dépendent toujours d’une mise en relation. Nous pouvons parler de montage323 entre une
image et une autre image, une figure et une autre figure. Le montage s’oppose au mélange. De
ce fait, même les hybride les plus incongrues et innommables, dont le mélange conduit à
l’apparition d’une nouvelle catégorie, sont finalement plus moraux que subversifs. Ces
montages de créatures sont normatifs. Ils sont hiérarchisés à l’image des grylles voilés vus
précédemment. Leur ordre est signifié par une organisation spatiale tenue par un plan
symbolique324. Le « centre » et la « marge » peuvent évoquer la différence entre un monde
idéal et un monde quotidien. Sur la page et sur les édifices coexistent un ordre normatif (le
centre) et dans les marges un ordre qui prend en charge le désordre. Le lecteur médiéval doit
donc prendre en compte le centre et l’activité qui règne autour. C’est dans les marges que le
lecteur voit des références de sa culture matérielle, représentations d’instruments de musique,
jeux outils professionnels. Il y voit une version du monde idéalisé, l’horreur et les monstres ne
M. Camille, Images dans les marges : aux limites de l’art médiéval, Paris, Gallimard, 1997, p. 64.
Voir annexe 51, p. 57.
322
Hans Peter Duer, Nudité et pudeur le mythe du processus de civilisation, Paris, MSH, 1998.
323
G. Bartholeyns, P.-O. Dittmar, V. Jolivet, op. cit., p. 88.
324
Ibid.
320
321
87
sont pas terrifiants. Ils obéissent à l’ordre des marges. Cependant, pour ce qui concerne les
images centrales, elles appartiennent à des programmes plus contraignants et répétitifs, telles
que les représentations des personnages de la Bible et des saints par exemple. Alors que les
marges paraissent beaucoup plus libres, c’est dans celles-ci que la société médiévale a le plus
de chance de se développer. Dans cette version du monde idéalisé, les réalités sont classées
pour mieux répondre à l’ordre légitime du monde. Les individus de mauvaise vie tels que les
jongleurs, ivrognes ou autres représentent plus facilement les contre modèles et sont
davantage représentés que la sorcellerie continuellement combattue par les prédicateurs. Il en
va de même pour les représentations du binôme paysannerie/noblesse. Pourtant, le monde
bourgeois est ignoré. Dans cet univers simplifié, catégorisé à l’extrême, les questions délicates
sont souvent déplacées. Ce qui inquiète le plus les membres du clergé et les puissants n’est
pas en réalité ce qui est le plus représenté dans les marges.
À l’image de ces créations marginales présentent sur les manuscrits, les gargouilles
sont elles aussi éloignées du centre. Elles déploient leurs méfaits monstrueux sur les arcs
boutants et sur les positions les plus élevées de l’édifice. Contrairement à leurs cousins des
marges des manuscrits, ces créations sont à la vue de tous. C’est ainsi que dragons et hybrides
envahissent les « marges » des édifices et interpellent. La cathédrale serait-elle à l’image des
manuscrits, un « livre » d’images populaires325 ? Tout comme les marges des manuscrits, les
cathédrales et édifices religieux sont commandés par le clergé. Il parait normal de les
rencontrer sur les édifices. Ces images sont choquantes seulement car elles se situent sur des
lieux qui ne s’y prêtent pas. Mais ces images marginales désertent petit à petit les ouvrages et
édifices notamment à cause du Conseil de Bayeux326, qui a lieu aux alentours du XIV e siècle.
L’apparente liberté que qualifie la position des marges constitue un moyen de mettre en scène
certains êtres et certains actes mauvais. De ce fait, les marges constituent non pas un espace
de liberté mais renforcent le discours normatif énoncé dans le centre de la page. Elles servent
de faire-valoir. En utilisant des ressorts comiques, les marges constituent des moyens
d’instruire les lecteurs sur les bons et mauvais comportements327. Finalement, il s’agirait
d’éléments moralisateurs plus que d’éléments subversifs.
Aujourd’hui, ces figures marginales semblent en décalage avec notre monde moderne.
L’intention qui a permis leur réalisation est riche en enseignements. En effet, ces images qui
325
Joëlle Prungnaud, Figures littéraires de la cathédrale, 1880-1918, Lille, Presses universitaire du Septentrion,
2008, p. 108.
326
G. Bartholeyns, P.-O. Dittmar, V. Jolivet, op. cit., p. 89.
327
Ibid.
88
en leur temps tenaient un discours normatif sont perçues de nos jours comme intolérables et
transgressives, car dans ce monde des marges nous pouvons y voir le reflet d’une société
médiévale catégorisée qui, par différents artifices, tels que l’humour, la parodie, le montage
montrent sa complexité. Ainsi, la perception de ces images n’est pas linéaire. Elle se
développe au contraire des perceptions différentes en fonction, des objets, des lieux et aussi
des milieux sociaux. Les gargouilles s’inscrivent dans cette tradition d’image des « marges »
complexes et difficiles à appréhender.
89
II.
Un héritage architectural à conserver
A. La redécouverte du Moyen Age au XIXe siècle
1.
Les Romantiques
Les auteurs du XIXe siècle affectionnent et s’identifient à ces figures de pierre. Au départ, cet
attrait pour la période médiévale nait en Angleterre au XVIIIe siècle sous le nom de Gothic
revival328. Néanmoins, à partir de la Renaissance, l’art gothique est considéré comme barbare
et grossier. Il est l’art d’un peuple sans culture qui a détruit les brillants monuments des
civilisations antiques. Cette vision évolue dès le XIXe siècle où les auteurs romantiques
célèbrent la cathédrale. Ils en font « l’emblème du beau architectural unanimement célébré329
». Par ailleurs, si le mouvement romantique semble échapper à toute tentative de définition, il
existe néanmoins un certain nombre de motifs qui lui sont spécifiques, comme par exemple
les vestiges de la ruine gothique et la nostalgie du passé. Ces motifs sont notamment présents
chez les Anglais, les Français et les Allemands.
Un des instigateurs de ce nouvel attrait pour cet art millénaire est le poète et auteur
Goethe qui, lors d’un voyage à Strasbourg, est sublimé par la beauté de la cathédrale. Son
ouvrage L’Architecture allemande offre une des premiers éloges de l’art gothique. Au fil des
pages, Goethe développe son admiration pour le concepteur de la cathédrale, Erwin Stenbach.
Il décrit avec précision la façade mais ne s’attarde pas sur l’intérieur. Il s’insurge aussi sur le
néo-classique et glorifie la force ainsi que l’individualité de l’architecture allemande
médiévale. Ce qui semble intéresser Goethe est l’art et le génie de son créateur. Il passe sous
silence de nombreux détails dont le côté sacré de l’édifice, son usage cultuel. Il s’attarde sur la
beauté organique de l’édifice. Il diffuse aussi ces informations sur une brochure parue en
novembre 1772, « contribuant ainsi à la réévaluation du gothique330 ». L’expérience de
Goethe sert d’exemple pour ses confrères européens.
Le peintre Karl Friedrich Schinckel fait également de la cathédrale un motif récurrent
de son œuvre picturale comme l’incarne son tableau Gotische Kathedrale auf einem Felsen
am Meer331 de 1815. Ce tableau dépeint une cité-cathédrale à l’arrière-plan qui s’élance dans
les cieux. Cette peinture possède des éléments similaires avec Le Voyageur au-dessus de la
328
Mercedes Boixare, « Le Renouveau gothique », in Les Echos de Saint-Maurice, t. 78, Suisse, Abbaye de
Saint-Maurice, 1984, p. 28-37.
329
Joëlle Prungnaud, « La cathédrale gothique : modèles et contre-modèles au tournant du XIXe siècle », in
L’Imaginaire moderne de la cathédrale, Paris, G. Roque, 2012, p. 25.
330
Johann Wolfgang Goethe, Von deutscher Baukunst, D. M. Ervini, Steinbach, 1773.
331
Voir annexe 52, p. 58.
90
mer de nuages de Caspar David Friedrich (1774-1840). Les deux peintures dépeignent une
position dominante avec un promontoire rocheux ainsi que le thème cher aux romantiques qui
est la contemplation dans de grands espaces. Ce dernier composant est typique des arts visuels
et littéraires romantiques. Les encres de Victor Hugo, les aquarelles de William Turner ou les
peintures de Camille Corot témoignent du goût commun pour les artistes de la toute première
moitié du XIXe siècle pour la cathédrale gothique. Elle devient à la fois un symbole, l’objet
d’une quête, représentation chargée tour à tour de mélancolie, d’étrangeté et de merveilleux.
C’est avec la cathédrale que la figure romantique exprime la nostalgie d’un temps ancien.
Cependant, l’homme qui, au XIXe siècle, relance cette « folie des gargouilles » est
sans conteste Victor Hugo avec son roman Notre-Dame de Paris qui est imprimé en 1831. Ce
roman constitue à lui seul un monument littéraire et culturel qui relance l’intérêt pour la
période médiévale et sa culture. En effet, le projet de Victor Hugo est double. Il souhaite
défendre les monuments historiques, menacés de toutes parts par les destructions et rivaliser
avec Walter Scott dans le domaine du roman historique. Cet ouvrage plonge le lecteur dans le
Paris effervescent du XVe siècle en pleine fête des fous. La cathédrale et d’autres lieux
emblématiques de la capitale deviennent le théâtre d’une fresque tragique qui voit deux des
principaux protagonistes mourir tragiquement dans les caves de Montfaucon. Avec NotreDame de Paris, Victor Hugo attire l’attention des représentants de la monarchie de Juillet et
des Parisiens sur l’état critique des monuments médiévaux. Grâce à cet ouvrage, il devient
membre du Comité des arts et monuments qui expertisent les travaux de restauration, dirigés
par Jean-Baptiste-Antoine Lassus et Eugène Viollet-le-Duc en 1845. De ce fait, Victor Hugo
sera même directement et physiquement assimilé à la cathédrale comme le témoigne la
fameuse caricature du « Hugoth » où il se voit doté d’un chapeau haut de forme à l’effigie
d’une des tours de Notre-Dame332. Mais là où son œuvre lie d’une manière inéluctable les
gargouilles et une « fantasmagorie médiévale hugolienne », c’est dans son personnage
incontournable, Quasimodo. En effet, ce malheureux qui habite les hautes tours de NotreDame possède une laideur repoussante. La même laideur qu’il partage avec les gargouilles et
l’architecture gothique. Dans le chapitre 5 de Notre-Dame de Paris, les Parisiens se livrent à
un concours de grimaces. L’un après l’autre, les participants s’enchainent à travers une petite
rosace placée au dessus de la porte. Soudain, cette succession de visage drolatique déclenche
un tonnerre d’applaudissement car un visage surpasse les autres :
332
Voir annexe 53, p. 59.
91
C’était une merveilleuse grimace, en effet, que celle qui rayonnait en ce moment au trou de la
rosace. Après toutes les figures, pentagones, hexagones et hétéroclites qui s’étaient succédées
à cette lucarne sans réaliser cet idéal grotesque qui s’était construit dans les imaginations
exaltées par l’orgie, il ne fallait rien de moins pour enlever les suffrages (…). Nous
n’essaierons pas de donner au lecteur une idée de ce nez tétraèdre, de cette bouche de fer à
cheval, vde ce petit œil gauche obstrué d’un sourcil roux et en broussailles tandis que l’œil qui
disparaissait entièrement sous une énorme verrue, de ces dents désordonnées, ébréchées ça et
là, comme les créneaux d’une forteresse, de cette lèvre calleuse sur laquelle une de ces dents
empiétaient comme la défense d’un éléphant, de ce menton fourchu, et surtout de la
physionomie répandue sur tout cela, de ce mélange de malice, d’étonnement et de tristesse.
Que l’on rêve si l’on peut cet ensemble333.
La foule massée devant la lucarne reconnait ce monstrueux visage. Il s’agit de Quasimodo, le
sonneur de cloche, le bossu de Notre-Dame, « (...) entre les deux épaules une bosse
énorme…334 ». Tout au long de l’ouvrage, sa physionomie difforme sera associée à la
cathédrale. Sur la couverture de la première édition de 1831, l’illustration montre uniquement
le visage tel qu’il se manifeste dans toute sa difformité. Le dessin de Tony Johannot fond
l’horreur tapie dans les ombres335. C’est dans cette ombre que se traduit le combat de la
lumière et des ténèbres, le motif central du roman336. Dans l’édition de Pirrotin Garnier337 de
1844, la tête de Quasimodo338 émerge à la manière d’une gargouille devant les Parisiens
hilares339. Il suscite l’effroi et l’émerveillement des spectateurs. Quasimodo peut être vu en
plus de l’âme comme la personnification du visage de la cathédrale.
(…) trois sortes de ravages défigurent aujourd’hui l’architecture gothique. Rides et verrues
à l’épiderme, c’est l’œuvre du temps ; voies de fait, brutalités, contusions factures, c’est
l’œuvre des révolutions depuis Luther jusqu’à Mirabeau. Mutilations, dislocations de la
membrure, restauration. C’est le travail, grec, romain et barbare des professeurs selon Vitruve
et Vignole340.
Son visage abimé et meurtri illustre parfaitement cette monstruosité. Le XVIIIe siècle voit
dans le monstrueux une difformité comme Quasimodo. Les critiques d’arts proscrivaient les
chimères et autres centaures et les monstres qu’il fallait extirper comme des verrues. Victor
Hugo fait de la monstruosité un état d’esprit, il la glorifie. Quasimodo est élevé à l’ombre des
entrailles de la cathédrale et par moment il se confond avec elle : « c’est ainsi que peu à peu,
se développant toujours dans le sens de la cathédrale, y vivant, y dormant, n’en sortant
presque jamais, en subissant à toute heure la pression mystérieuse, il arriva à lui ressembler,
333
Victor Hugo, op. cit., p. 77.
Ibid.
335
Voir annexe 54, p. 60.
336
M. Camille, Les Gargouilles de Notre-Dame, Paris, Alma Editeur, 2011, p. 105.
337
Voir annexe 55, p. 61.
338
Louis Henry de Rudder, La grimace gothique de Quasimodo dans Victor Hugo, Notre-Dame de Paris, Paris,
Pierrotin, Garnier frère, 1844, p. 45.
339
Voir annexe 56, p. 62.
340
Victor Hugo, op. cit., p. 109.
334
92
c’est pour ainsi dire à en faire partie intégrante341 ». À force de côtoyer ces sculptures
grotesques, le bossu finit par leur ressembler :
Après tout, il ne tournait qu’à regret sa face du côté des hommes. Sa cathédrale lui suffisait.
Elle était peuplée de figure de marbre, rois, saints, évêques, qui du moins ne lui riaient pas au
nez et n’avaient que pour lui un regard tranquille et bienveillant. Les autres statues, celles des
monstres et des démons, n’avaient pas de haine pour lui, Quasimodo. Il leur ressemblait trop
pour cela. Elles raillaient bien plutôt les autres hommes342.
Cette ressemblance est encore plus marquée quand sans impunité Quasimodo évolue, entre les
gargouilles. S’il n’avait pas ses vêtements on pourrait le confondre avec un de ces monstres
de pierres « (…) ont eu pu le prendre pour un de ces monstres de pierre par la gueule desquels
se dégorgent depuis six cents ans les longues gouttières de la cathédrale343 ». C’est le corps de
Quasimodo qui fait vibrer et qui fait vivre l’édifice. Par ailleurs, à l’image de Quasimodo les
sculptures deviennent les porte-paroles du monument tout entier, « (…) Tantôt, on se heurtait
dans un coin obscur de l’église à une sorte de chimère vivante, accroupie et renfrognée, c’était
Quasimodo pensant344 ». Les illustrateurs de l’époque ont su tirer parti de cette ressemblance.
De ce fait il représente Quasimodo perché sur le parapet qui, dans les années 1830-1840, était
encore dépourvu de chimères et de gargouilles. Sur l’édition de Pierre Garnier 345 de 1844,
Quasimodo contemple de la balustrade les personnages du roman, la belle Esméralda et sa
chèvre, le juge Frollo et le valeureux Phébus. Le bossu Quasimodo vit comme un marginal. Il
est en dehors de la société, du clergé et du tiers état. Sa pose mélancolique et contemplative
rappelle le célèbre démon que concevra Eugène Viollet-le-Duc. Il est important de dire qu’au
moment de la publication de l’ouvrage de Victor Hugo, la cathédrale n’accueillait pas la
galerie des rois et les gargouilles n’étaient pas aussi grouillantes qu’après le passage de
Viollet-le-Duc. Dans Notre-Dame de Paris, une gargouille tient néanmoins un rôle décisif
lors de la scène finale du roman. Lorsque Quasimodo et Frollo s’affrontent sur une des tours
de la cathédrale :
En dehors de la balustrade de la tour, précisément au-dessus du point ou s’était arrêté le prêtre,
il y’avait une de ces gouttières de pierre fantastiquement taillées qui hérissaient les édifices
gothiques ; et dans une crevasse de cette gouttière deux jolies giroflées en fleurs, secouées et
rendues comme vivante par le souffle de l’air se faisaient des salutations folâtre346.
341
Ibid., p. 148.
Ibid., p. 151.
343
Ibid., p. 348.
344
Ibid., p. 154.
345
François Joseph-Aimé de Lemud, Frontispice, in Victor Hugo, Notre-Dame de Paris, Paris, Garnier, 1844.
346
Ibid., p. 486.
342
93
Frollo est projeté de l’une des tours. Il tente tant bien que mal de se cramponner à un monstre
de pierre pour essayer de stopper sa chute mortelle. Cette scène a été représentée sur deux
éditions, une de 1844 et une autre de 1889. Il est intéressant de noter que sur la plus ancienne
version347, elle dépeint Quasimodo appuyé sur le parapet à la manière des chimères
qu’installera Viollet-le-Duc quelques années après. Alors que la version de 1889 inclura sous
le parapet une des longues gargouilles de Viollet-le-Duc348.
Un des personnages les plus importants de Notre-Dame de Paris reste la cathédrale.
Disons-le de toutes les statues qui la parent, les plus saisissantes ne sont pas celles des saints
mais comme l’affirme Michel Camille, ce sont les gargouilles349. Elles sont les plus
spectaculaires et celles qui fascinent par leur étrangeté. D’ailleurs Victor Hugo leur consacre
des descriptions saisissantes, « des yeux et des bouches s’y ouvraient ça et la », « le cou tendu
et la gueule ouverte ». Il ne décrit pas les chimères qui n’existent pas en 1831. L’auteur ne
fournit juste des explications sur l’emplacement d’innombrables gueules et mufles d’animaux
dont les restaurateurs choisiront d’en orner les tours. Cette description parmi tant d’autres
semble avoir inspiré le projet d’Eugène Viollet-le-Duc qui appliquera le texte de Victor Hugo
en intégrant un nombre très élevé de gargouilles et de chimères sur la cathédrale. Loin de
concevoir les gargouilles comme les composantes d’un système d’évacuation, Victor Hugo
les considèrent comme pratiquement humaines. Cette définition des gargouilles gardiennes et
mystiques provient de la fascination pour le fantastique et le grotesque qu’il y’avait à
l’époque. Cette mode des gargouilles va prospérer jusqu’au milieu du siècle. Antérieurement
au récit de Victor Hugo, nous pouvons citer le recueil de poésie en prose d’Aloysius Bertrand
et son Gaspard de la nuit, qui abonde déjà de description de gargouilles, même s’il ne les
distingue pas comme telles. Alors que l’auteur visitait la cathédrale de Dijon :
Un éclat de rire se fit entendre là-haut, j’aperçus dans un angle du gothique édifice, une de ces
figures monstrueuses que les sculpteurs du Moyen Âge ont attachées par les épaules aux
gouttières des cathédrales ; une atroce figure de damné qui, en proie aux souffrances tirait la
langue, grinçait des dents et se tordait les mains. (…) La figure de pierre avait ri, d’un rire
grimaçant, effroyable, infernal mais sarcastique, incisif, pittoresque 350.
Gravure de François-Joseph-Aimé de Lemud, Frollo précipité par Quasimodo d’une tour dépourvue de
gargouilles, in V. Hugo, Notre-Dame de Paris, Paris, Perrotin, 1844.
348
Gravure de Olivier Merson, Frollo suspendu à une gargouille, in V. Hugo, Notre-Dame de Paris, Paris,
Testard, 1889.
349
M. Camille, Les Gargouilles de Notre-Dame, op. cit., p. 109.
350
Bertrand Aloysius, Gaspard de la nuit, fantaisie à la manière de Rembrandt et de Callo, Paris, Flammarion,
1972, p. 45.
347
94
Ce penchant pour les figures grotesques et drolatiques apparait au XIXe siècle et ce n’est pas
un hasard car c’est à ce moment-là qu’on commence à leur attribuer une valeur esthétique
pour lequel le canon classique n’avait pas établi de règles.
L’œuvre de Victor Hugo va donner naissance à un véritable engouement pour les
gargouilles gothiques. Quand Eugène Viollet-le-Duc est sélectionné pour restaurer les
cathédrales de Notre-Dame, il va ajouter plus de gargouilles qu’il y’en avait à l’origine. Cette
profusion de créatures apparait comme un affront face au style néoclassique. Dans le
Dictionnaire des beaux-arts, Aubin Louis Millin condamne ces sculptures « indécentes et
ridicules351 » des cathédrales gothiques. Les gargouilles sont aussi qualifiées de grotesques en
référence à la redécouverte de certains ornements classiques. Parmi les plus beaux dessins de
Viollet-le-Duc, les gargouilles de son Dictionnaire en font partie. Il les encense et vente la
qualité d’exécution et leurs unicités ainsi que l’énergie déployée par les sculpteurs pour leur
création352. Pour Victor Hugo, l’architecture médiévale exprimait les désirs de l’homme, elle
démontrait une certaine liberté d’action. La Renaissance amène l’académisme et le
rationalisme qui tuent l’architecture. Pour lui, la cathédrale avait un autre rôle de livre
universel, écrit avec un langage universel compréhensible de tous. Il considère cette
architecture comme un moyen d’imprimer la pensée dans la pierre. Il compare la cathédrale à
un espace de liberté comparable à la liberté de la presse 353, avis qu’il partage avec Viollet-leDuc. Victor Hugo a insufflé cet intérêt pour les gargouilles. Grâce à lui elles sont devenues
des objets de curiosité, vu d’en bas, ou sur leur promontoire, elles participent au
sensationnalisme gothique en vogue au milieu du XIXe siècle. Victor Hugo fait de la
cathédrale une masse du sublime, dressée au-dessus d’un abîme d’ignorance. Par cette masse,
elle peut déclencher une certaine terreur, comme si les gargouilles étaient censées témoigner
d’un assujettissement aux forces du mal dans le plan général de Dieu. Elles s’étaient
révoltées. Ces sculptures, qui depuis la révolution ont peut-être perdu leur fonction de
conjuration. Cependant, elles n’ont pas perdu de leur intérêt pour les observateurs curieux.
Après la fantasmagorie Hugolienne et ses gargouilles, s’oppose Jules Michelet qui
possède une vision différente de ce que pouvait être l’architecture gothique. Jules Michelet
(1798-1874) est salué comme le plus grand historien de son temps. Il va contribuer à rendre
au Moyen Âge ses lettres de noblesse. Mais il lui faut aussi s’incliner devant le romancier qui
351
Aubin-Louis Millin, Dictionnaire des beaux-arts, Paris, Crapelet Desray, 1806, p. 71.
E. Viollet-le-Duc, Dictionnaire raisonnée d’architecture du XIe au XVIe siècle, Paris, V. A Morel, 1845.
353
V. Hugo, op. cit., p. 178.
352
95
a mis à jour les racines historiques du gothique, Victor Hugo : « Je voulais du moins parler de
Notre-Dame de Paris. Mais quelqu’un a marqué ce monument d’une telle griffe de lion, que
personne ne se hasardera à y toucher354 ». Dans son journal, Jules Michelet note que le roman
de Victor Hugo dépeint Notre-Dame comme une créature « capricieuse ». Il préfère voir dans
la cathédrale une « scolastique de pierre » et avance des arguments très novateurs pour son
époque notamment en ce qui concerne les gargouilles. Il les considère comme une incarnation
de la pensé médiévale :
Autour de cette superbe dialectique de pierre qui emporte la pensée au ciel, autour de cette
gigantesque protestation religieuse de l’homme auprès de Dieu, voltige Satan, en gargouilles
monstrueuses, en figures dérisoires en obscoena. Mais tout cela ne l’introduira pas, il assiège
en vain le saint édifice355.
Michelet adopte une vision beaucoup plus proche d’une lecture postmoderne des gargouilles
plutôt que les fantaisies débridées d’Hugo ou de l’utopie hiérarchique de Viollet-le-Duc. Il
perçoit les ornements de l’église comme des manifestations sataniques parce qu’il voit dans
l’Histoire une lutte entre le bien et le mal. Pour lui, les gargouilles envahissent la cathédrale et
elles s’apparentent à des monstres terrifiants :
Les gargouilles sont généralement des poissons, béliers, corbeaux ou la brutalité est fortement
marquée par une longue oreille, portée en arrière. Aux angles surtout aux angles des tours, ce
sont des figures mêlées d’humanité et de bestialité, de grosses têtes avec des bras amaigris qui
se tordent la bouche avec leurs mains ou qui s’arrachent les cheveux. Cela complète l’idée de
la tour qui est celle du triomphe de Dieu. Rien trouvé d’ironique ni de satirique en tout cela356.
Pour lui, la cathédrale n’est pas le lieu du drame Hugolien, elle est l’Histoire, une Histoire
fracturée357. Michelet se sent étranger au monument médiéval :
Son profond symbolisme, qui parlait alors si haut, il est devenu muet. C’est maintenant un
objet de curiosité scientifique d’explications philosophiques, d’interprétations alexandrines.
L’église est un musée gothique que visitent les habiles : ils tournent autour, regardent
irrévérencieusement et loue au lieu de prier. (…) Touchons ces pierres avec précaution,
marchons légèrement sur les dalles. Tout cela saigne et souffre encore. Un grand mystère se
passe ici. Je vois partout la mort, et je suis tenté de pleurer (…). Le Moyen Âge, la France du
Moyen Âge, ont exprimé dans l’architecture leurs plus intimes pensées. Les cathédrales de
Paris, de Saint-Denis, de Reims, ces trois mots en disent plus que de longs récits (…). La
pierre aussi s’anime et se spiritualise sous l’ardente et sévère main de l’artiste. L’artiste en fait
jaillir la vie. Il est fort bien nommé au Moyen Âge : « Le maître des pierres vives » ; Magister
de vivis lapidus358.
354
Jules Michelet, Histoire de France, t. 3, livre IV, chap. 8, Bruxelles, Méline Cans et Compagne, 1840, p.
385.
355
Ibid., p. 81.
356
Ibid., p. 113.
357
M. Camille, Les Gargouilles de Notre-Dame, op. cit., p. 127.
358
J. Michelet, Histoire de France, t. 3, op. cit.
96
Cependant, il perçoit aussi la cathédrale comme un mort-vivant, une créature fragile. En effet,
avant la restauration de Viollet-le-Duc, Notre-Dame était dans un état de délabrement avancé
mais elle tenait debout. De ce fait, il considère les restaurateurs comme des « démolisseurs de
temps ». Cet aspect décrépit avant les travaux de restauration renforce cette dimension
historique d’objet du passé. L’acte de restauration va comme altérer la beauté originelle de
l’édifice. Michelet, malgré le respect qu’il porte à Viollet-le-Duc, finira par dénoncer la
compromission de l’architecte avec cette farce qu’est à ses yeux le Second Empire359. L’étude
du Moyen Âge change radicalement au fur et à mesure qu’il écrit sa monumentale Histoire de
France. Dans la préface des volumes 7 et 8 de 1855 où il traite de la Renaissance et de la
Réforme, il va jusqu’à introduire la notion de « l’obscur Moyen Âge » : « À la nature
proscrite a succédé l’anti-nature, d’où spontanément naît le monstre, sous les deux faces :
monstre de fausse science, monstre de perverse ignorance360 ». Il renie les thèses qu’il avait
lui-même défendues et va même reprocher à Victor Hugo d’avoir déformé cette époque pour
la rendre plus fantastique, étrange et peuplée de monstres361. Il finira par concevoir une
cathédrale encore plus terrifiante que celle de Victor Hugo.
Chez les auteurs tels qu’Hugo ou Michelet qui tentent à la force de leurs plumes de
construire un Moyen Âge en pleine France moderne, il existe un personnage que ces auteurs
apprécient et qui incarne à lui seul la cathédrale gothique et la subjectivité de son mal
« esthétique ». Il s’agit du diable, de Satan qui incarne la lumière et l’espoir dans les temps
sombre de la foi. Ce personnage a été immortalisé et pensé par Viollet-le-Duc sous les traits
de la fameuse chimère pensante ou le démon pensif. Elle porte aussi le nom de la stryge. Cette
icône de la gargouille moderne est aussi indéchiffrable aujourd’hui qu’elle ne l’était à
l’époque de sa création, entre 1848 et 1850. Selon Viollet-le-Duc la création artistique
convoque des éléments du passé. Pour sa stryge, son démon ne fait pas référence au Moyen
Âge. En effet, il faut rechercher dans la plupart des modèles de son propre siècle. Plus que
toutes les créatures de Viollet-le-Duc, la stryge mélancolique exprime le romantisme qui a
guidé la restauration. Cette chimère possède un large front, de profondes orbites, deux
moignons de cornes, des oreilles assez larges pour capter la rumeur de la ville et une paire
d’ailes en plume. Au départ, suite au poème de Prosper Mérimée, ami de Viollet-le Duc, elle
est surnommée le vampire et avec le croquis de Charles Meryon, elle est devenue
l’incontournable Stryge de Notre-Dame. Ce qui apparait marquant dans la contemplation de
Laurence Richer, La Cathédrale de feu : Le Moyen Âge de Michelet, de l’histoire au mythe, Anger, Presses
universitaires d’Anger, 1995, p. 228.
360
J. Michelet, Histoire de France, t. 7, op. cit.
361
Ibid.
359
97
cette chimère est la pose qu’elle adopte. En effet, celle-ci parait mélancolique, son menton est
appuyé sur ses mains ; elle renvoie aux représentations médiévales de la contemplation et de
la tristesse. La stryge partage cette pose avec une gravure célèbre d’Albrecht Durer,
Méléncolia I362. Cette gravure présente la mélancolie d’un ange perplexe échoué dans une
concentration d’objets dont il ne sait que faire. Tout comme la stryge qui incarne
l’emblématique combat de l’esprit avec la réflexion, cette langueur contemplative devient
symbole de frustration, de malaise et de génie qui est projeté sur le prince des ténèbres. Ce
diable de Notre-Dame exprime une subjectivité à laquelle nous sommes tentés de nous
identifier. François René de Chateaubriand (1767-1848), le premier romantique français se
reconnait dans le Satan de Milton. Mais l’ange déchu doit d’avantage au Faust de Goethe,
figure complexe, ironique et hautaine typiquement romantique. Il existe aussi le Satan363
d’Alfred de Vigny, drapé dans ses ailes de chauves-souris, cet ange pensif qui semble
tourmenté par les affres de l’introspection. Il partage avec la stryge364 la même corne et le nez
crochu. Viollet-le-Duc avait une obsession pour ce grotesque romantique car pour lui ces
sculptures semblent incarner une forme de liberté d’expression, une enclave de liberté contre
le fanatisme religieux. La gargouille gothique témoigne de la résistance laïque. La sculpture
de la Stryge est très importante dans le paysage artistique de l’époque. Même l’ouvrage de
Champfleury365, La Caricature au Moyen Âge et sous la Renaissance représente sur la
couverture une miniature à l’effigie de la Stryge mélancolique.
Les gargouilles représentent l’incarnation figée des romantiques à l’image de la stryge
de Notre-Dame qui contemple les Parisiens de son parapet. L’intérêt pour ces éléments
d’architecture permet de générer un nombre important de gargouilles. Qu’elles soient
d’inspiration médiévale ou bien évoquant une thématique du siècle, elles participent avec la
cathédrale à la redécouverte d’une époque médiévale mystérieuse, hybride et monstrueuse. Le
XIX e siècle peut être assimilé à un âge d’or de la gargouille. Dans le cas des gargouilles de
Notre-Dame de Paris, nous pouvons dire qu’elles sont la rencontre de deux univers celui de
Victor Hugo et celui de Viollet-le-Duc. Entre fantasmagorie et idéal médiéval, les gargouilles
du XIXe siècle sont à l’image de leur époque, troublée. Comment, dans l’effervescence des
chantiers, ces créatures anciennes ressurgissent dans l’esprit des architectes et des sculpteurs ?
362
Voir annexe 57, p. 63.
Voir annexe 58, p. 64.
364
Voir annexe 59, p. 65.
365
Voir annexe 60, p. 66.
363
98
Quelle est la place de ces gargouilles dans les travaux de restauration ? Et comment se
banalisent-elles ?
2.
La restauration et le renouveau gothique, Eugène Violletle-Duc et Jean-Baptiste-Antoine Lassus
Notre-Dame de Paris est au temps de Viollet-le-Duc méconnaissable. Elle s’apparente à une
ruine366. Elle est en mauvais état, les pierres noircies, les statues décapitées. Les restaurateurs
sont atterrés par la destruction progressive de ce superbe édifice, exposé à la violence et la
négligence des hommes. Le projet de restauration est dirigé par deux hommes, EugèneEmmanuel Viollet-le-Duc et son associé Jean-Baptiste Lassus. Les deux architectes
remportent le contrat de restauration. Le budget est de 2 650 000 francs. Les travaux
commencent le 30 avril 1844. Ils s’interrompent en 1850 et reprennent en 1853 et vont durer
jusqu’en 1865. Lorsque Lassus meurt en 1857, Viollet-le-Duc devient le seul architecte sur le
projet. Dès le début, il affiche des opinions très saines, l’édifice doit être restauré, conservé et
avec une abnégation complète de toute idée personnelle. L’architecte intervient lourdement
sur les sculptures de la cathédrale. Il reconstitue en partie la galerie des Rois mutilée ou
détruite pendant la Révolution, reprend les arcs-boutants et leur ajoute des édicules et des
gargouilles ainsi que des chimères. Les gargouilles de Notre-Dame restent les plus connues.
Elles sont l’incarnation des gargouilles et chimères médiévales. Leur étude permet de mieux
comprendre la place des gargouilles dans ce renouveau médiéval.
Les gargouilles de Notre-Dame sont d’abord conçues et réalisées sous formes de
croquis par Viollet-le-Duc et Lassus. Elles sont un élément essentiel à la puissance visuelle de
Notre-Dame, véritables « proues » de pierre qui s’élancent à l’horizontale. Elles
contrebalancent le côté vertical des pinacles. Au bord de l’abîme, elles plongent leur regard
dans le vide. Leurs bouches ouvertes donnent l’impression que l’édifice entier est entrain de
hurler. Notre-Dame de Paris compte plus d’une centaine de gargouilles. Elles étendent leurs
« gueules » dans tous les recoins de l’édifice, l’élévation de la nef, le chœur, les arcs boutants,
les angles supérieurs des tours. Dès le départ, Viollet-le-Duc a le souci d’intégrer les monstres
au bâtiment, à croire que l’architecte se prend de passion pour ces multiples monstres. Les
gargouilles se déclinent en une multitude de variantes, dragons, hybrides, animaux, monstres
terrifiants. Pendant le chantier de restauration, Viollet-le-Duc et Lassus tentent de coller aux
Gilles Deleuze, Félix Guattari, L’Anti-Œdipe, capitalisme et schizophrénie, Paris, Les éditions de Minuit,
1972, p. 133.
366
99
différentes périodes historiques de bâtiment367. Ils placent des gargouilles massives sur la
surface des tours. Elles rappellent les espèces canines présentes dans son Dictionnaire368,
s’inspirant du XIIIe siècle. Les parties les plus tardives accueillent des gargouilles plus
élancées, perchées sur leur console. De loin, ces rangées de gargouilles apparaissent comme
un ost monstrueux, prêt à cracher leur venin sur les éventuels spectateurs.
Au siècle des Lumières, les gargouilles avaient été retirées pour deux raisons qui sont
que certaines menaçaient de tomber et elles évoquaient un peu trop l’irrationalité médiévale.
Il fut un temps où la façade de la cathédrale avait été dépouillée de toute sa sculpture
extérieure et certaines gargouilles étaient remplacées par des tuyaux en plomb 369. Qu’elle ne
fut pas l’audace des restaurateurs de vouloir rendre à Notre-Dame son charme
« gargouillesque » d’antan, alors qu’elles incarnent, aux yeux des architectes néoclassiques,
tout ce que le style gothique avait de barbare et de monstrueux. Mais les gargouilles sont à
l’opposé des théories et préoccupations architecturales modernes. La presse populaire, comme
dans le Magasin Pittoresque, dépeint l’utilité des gargouilles. Alors que Le Journal pour rire,
présente la gargouille comme un genre de fontaine incommodante pour les spectateurs que
comme une sculpture pratique à la grande beauté370. Les gargouilles ont aussi souvent été
remplacées au cours du Moyen Âge. Au XIXe siècle, elles déclenchent de fortes controverses
entre les restaurateurs. Néanmoins, Viollet-le-Duc s’en fait le défenseur. Il invoque leur utilité
en temps de pluie, toujours à titre d’éléments de l’architecture gothique371 et constate que dans
les lieux où les gargouilles ont été remplacées par des tuyaux de fonte ou de plomb372, les
édifices sont plus abîmés qu’auparavant. Les gargouilles étaient donc pour Viollet-le-Duc
plus efficaces que d’autres dispositifs. Ce n’est qu’à partir de 1849 que Viollet-le-Duc et
Prosper Mérimée officialisent l’utilisation de la gargouille, en exhortant aux restaurateurs de
conserver les systèmes médiévaux d’écoulement des eaux373. L’influence qu’exerce Violletle-Duc sur la conception architecturale moderne est immense. Pourtant, sa vision des
gargouilles n’est pas celle de fabuleux dragons venus de la nuit des temps374, mais plutôt une
367
M. Camille, Les Gargouilles de Notre-Dame, op. cit., p.46.
E. Viollet-le-Duc, op. cit., p. 22.
369
M. Camille, Les Gargouilles de Notre-Dame, op. cit., p. 48.
370
« Gargouilles vomissant des cascades sur les Parisiens du Moyen Âge », Le Journal pour rire, 31 mars 1855,
p. 3.
371
M. Camille, Les Gargouilles de Notre-Dame, op. cit., p. 49.
372
E. Viollet-le-Duc, « De la construction des édifices religieux », Annales Archéologiques, 1845, p. 346-347.
373
Jean-Michel Leniaud, Jean Baptiste Lassus (1807-1857), ou le temps retrouvé des cathédrales, Paris, Arts et
Métier graphiques, 1980, p. 82.
374
M. Camille, Les Gargouilles de Notre-Dame, op. cit.
368
100
composante essentielle de la conception fonctionnelle qu’il se fait du gothique375. À ses yeux,
il n’y a rien de plus moderne ni de plus pratique. Les gargouilles ne sont pas les créatures
maléfiques enchainées à l’église qui évoquent le contrôle spirituel, mais des éléments qui
protègent l’édifice contre le délabrement et la ruine. Elles ne garantissent pas le salut de
l’âme, mais l’intégrité et la survie du monument à travers les affres du temps.
Après avoir intégré la valeur fonctionnelle aux gargouilles, Viollet-le-Duc va rajouter
la dimension artistique. Il va en transformer certaines en pot de fleurs376, en allonger certaines
comme pour concurrencer les pinacles. Mais les gargouilles qui vont profondément marquer
l’imaginaire populaire et les esprits sont celles que l’on rencontre sur la balustrade377. Ces
gargouilles portent le nom de chimères. Elles n’ont pas de fonction utilitaire contre les eaux
qui assaillent le bâtiment. Leur fonction est purement décorative. Elles sont indispensables à
l’esthétique général de la façade et vont représenter des créatures qui vont s’agripper à la
corniche comme des observateurs silencieux. Leur présence brise la monotonie horizontale de
la façade et elles permettent aussi de donner une échelle qui « (…) rend à la galerie sa
grandeur, en rappelant près des figures colossales, la hauteur de l’homme 378 ». Pour Violletle-Duc, la cathédrale est le symbole de fierté populaire :
Quand un siècle ne voit plus dans l’art qu’une affaire de luxe, que l’apanage des classes
privilégiées ou qu’une enveloppe propre à certains monuments publics, ce siècle peut être
policé, il n’est certainement pas civilisé et on peut pressentir des déchirements cruels. (…) Il
importe donc à tous de rendre à l’art ses droits sur toutes choses, sa place partout (…). Au
XIIIe siècle, l’art trouvé par l’école laïque est essentiellement démocratique, il était dans tout,
et le villageois pouvait être aussi fier de sa petite église, le simple chevalier de son manoir, que
le citadin de sa cathédrale et le suzerain de son palais379.
Les gargouilles et les chimères font partie de cette utopie idéale de Viollet-le-Duc qu’il
perçoit dans l’architecture gothique. Dans la cathédrale, il a peut-être aperçu une forme de
liberté de « la presse », un exutoire, pour les intelligences contestataires et exaltées dont il fait
partie. Curieusement, lors de l’installation des chimères en 1856, elles assistent à un régime
qui vient d’abolir la liberté de la presse. Peut-être est-ce la seule liberté qui permet à Violletle-Duc de s’échapper de la réalité de ces années-là. C’est la liberté, contenue dans sa propre
imagination, qu’il semble avoir matérialisé dans les créatures aux multiples formes que sont
les gargouilles et les chimères.
375
Hearn, The Architectural Theory of Viollet-le-Duc : Reandings and commentary Cambridge, MIT press,
1990, p. 15.
376
Meyer Moe, The Politics and Poetics of Camp, Londres, Routledge, 1994, p. 75.
377
Voir annexe 61, p. 67.
378
E. Viollet-le-Duc, op. cit., p. 74.
379
E. Viollet-le-Duc, Entretien sur l’architecture, vol. 1, Paris, Morel, 1863, p. 303.
101
Viollet-le-Duc a l’air de posséder un certain talent pour le dessin. Il maitrise
parfaitement l’anatomie et la gestion des ombres. Ses dessins n’ont rien à voir avec les dessins
architecturaux classiques380, celui qui est enseigné aux Beaux-arts comme les plans
d’élévation. Ses dessins lui permettent d’avoir un contrôle précis et efficace du bon
déroulement de la restauration. Grâce au dessin, il se réapproprie Notre-Dame dans les
moindres recoins. Sur le chantier, Viollet-le-Duc fournit à ses exécutants un nombre
important de dessins. Il fait une centaine de croquis de gargouilles lors de la première année
de restauration. Ils sont réalisés à l’aide d’une mine plomb et de lavis qui font ressortir les
volumes. Viollet-le-Duc fournit aussi des explications sur l’emplacement ainsi qu’une
signature et une date. Toutes les gargouilles sont présentées en deux parties, une vue en coupe
et une autre avec un gros plan sur « la gueule » de la gargouille. Les gargouilles de la seconde
phase du chantier de Notre-Dame sont représentées sur papier sombre ce qui facilite leur
transposition en trois dimensions grâce à des rehauts de blanc. Les fameuses chimères
bénéficient du même traitement que les autres gargouilles. Par ailleurs, il possède une
perception très particulière de la supériorité de l’art. Pour lui, elle ne peut se faire sans la
création de créatures irréelles et la supériorité de l’art consiste à rendre l’Irréel, réel381 :
Une statuaire a créé un centaure et a su rendre cette fiction vraisemblable en observant
scrupuleusement le mécanisme et les moindres détails de la création réelle ; c’est par
l’excessive finesse de l’observation sur la nature que la statuaire a pu faire admettre sa création
de second ordre par tous (…). Mais pense-t-on que ces sortes de création n’appartiennent
qu’aux peuples primitifs ? Aujourd’hui l’art n’intervient-il pas dans nos œuvres pour donner
un corps à la fiction ? Ne procède-t-il pas toujours de la même manière ?382
Enfin par cette volonté de créer ces créatures, Viollet-le-Duc fait preuve d’imagination et
d’innovation. Cette prise de risque n’était pas appréciée de tous et il rencontre de nombreux
détracteurs. Ces derniers n’hésitent pas à critiquer ses fabulations et ses prises de liberté
concernant ces chimères, notamment auprès d’artistes formés aux Beaux-Arts, comme
Antoine Etex :
Des monstres, des chardons, des gargouilles, toute cette horde grotesque me fait la grimace :
tout cela est baroque, tout cela grouille, et comme un charivari, carnavalesque, fait un vacarme
infernal aux oreilles de la pure et chaste harmonie383.
380
Voir Annexe 62, p. 68.
M. Camille, Les Gargouilles de Notre-Dame, op. cit., p. 59.
382
E. Viollet-le-Duc, op. cit., p. 26.
383
Antoine Etex, Essai d’une revue synthétique sur l’Exposition Universelle de 1855, Paris, L’Auteur, 1856, p.
15.
381
102
Par cet acte, nous comprenons que Viollet-le-Duc a fait confiance à la puissance de son
imagination, mêlée à une fine observation de l’art et notamment des gargouilles médiévales.
Ces créations sont dotées d’une aura fantastique, conférée par la fantaisie de leur concepteur.
Viollet-le-Duc était accompagné sur le chantier par son collègue Jean-Baptiste Lassus.
Lassus a toujours été éclipsé par son confrère et pour ajouter à cela, il mourut prématurément.
À l’image de son collègue, il possède aussi un goût prononcé pour le dessin et a même
contribué à publier un fac-similé, le fameux carnet de dessin de Villard de Honnecourt qu’il
publie en 1858. Malheureusement, une grande partie de ses contributions pour la restauration
de Notre-Dame a brûlé au cours de l’incendie de l’hôtel de ville, durant la Commune de 1871.
De plus, sur les quatre cents dessins conservés au Centre de Recherche des monuments
historiques, un seul est de Lassus384. Il est clair qu’un dessin ne suffit pas à appréhender son
implication dans le suivi du chantier385. Le dessin de Lassus restant représente une chimère
qui s’apparente à un diable cornu écrasant un crapaud. Elle possède un aspect grotesque, plus
comique avec un visage grimacier. La chimère qui ressemble le plus à son dessin in situ, est la
chimère placée sur la tour-nord de Notre-Dame à l’angle. Lassus avait du Moyen Âge une
vision plus romantique que son collègue, qui était plus rationnel. Il parait être plus audacieux
dans les choix de la représentation de sa chimère. Elle est plus grotesque, torve et hagarde.
Lassus a l’air plus sensible à la dimension mystique et comique du gothique. Restant un
fervent catholique, il doit accorder en réalité plus d’humour aux créatures démoniaques que
Viollet-le-Duc, plus laïque et désireux de perfection rationnelle. Lassus semble se rapprocher
des artistes médiévaux, qui pour se protéger des démons, les sculptent pour pouvoir les
prendre en dérision.
De ces deux hommes découlent donc deux visions de ces créatures, avec d’une part
Viollet-le-Duc qui donne à ses gargouilles et chimères une esthétique calquée sur
l’observation de la nature, et d’autre part Lassus qui, par son seul dessin, parait représenter
des démons plus proches de la figure humaine. Il se rapproche des créatures drolatiques de cet
univers médiéval. Mais de toutes les chimères de Notre-Dame, une surpasse les autres par sa
beauté et surtout, sa différence. Les autres bêtes sont prises, ou sont figées dans des tentatives
de dévoration ou en déployant leur gorge dans des cris de terreur. Cette chimère est appuyée
sur ses mains et regarde l’horizon d’un air mélancolique.
384
385
Voir annexe 63, p. 69.
M. Camille, Les Gargouilles de Notre-Dame, op. cit., p. 67.
103
Viollet-le-Duc et Lassus appartiennent tous deux à la génération romantique des
années 1830. L’imaginaire de Viollet-le-Duc s’est formé avec sa contribution conséquente à
l’un des plus influentes publications en matière de Renaissance gothique en France, que sont
les Voyages pittoresques et romantiques dans l’ancienne France, œuvre des romantiques
Charles Nodier et Isidore-Justin-Severin Taylor. Viollet-le-Duc s’engage à fournir pas moins
de deux cent quarante-neuf illustrations entre 1837 et 1844. Issues de compositions et
d’étonnantes mises en scène médiévalistes, ces images n’ont rien à voir avec les enluminures
médiévales. Il semble puiser dans des sources hétéroclites, allant de l’Antiquité et la
Renaissance. Il se construit un Moyen Âge fantasmé avec des représentations comme ces
illustrations de marges386 de la fête des fous de Ham387. Viollet-le-Duc possède alors un
certain talent pour évoquer un Moyen Âge carnavalesque dont sont friands les romantiques.
Dans ses productions, il obéit à une intuition picturale plutôt que textuelle. De ce fait, ses
chimères n’obéissent pas à un programme symbolique. Elles se contentent d’être
irrationnelles. Par ailleurs, Viollet-le-Duc semble rester hostile aux iconographes dont la
plupart sont des curés.
En 1847, l’année précédant les premiers dessins de Notre-Dame, une femme produit la
première étude iconographique sur les gargouilles. Elle se nomme Félicie d’Ayzac et est l’une
des premières historiennes de l’art de France. Son étude se consacre à un mémoire portant sur
les trente-deux sculptures symboliques388 observées à Saint-Denis, où chaque sculpture est
assimilée à un vice, ce qui semble être aux antipodes de la pensée de Viollet-le-Duc dont la
zoologie se veut strictement rationnelle. Cependant, les gravures contenues dans cette étude
vont influencer les gargouilles qui se placeront sur Notre-Dame. Mais ce qui fait la modernité
de ces chimères est qu’elles se soustraient à tout principe d’organisation textuelle389. Violletle-Duc se targue bien de suivre les conseils des iconographes comme l’abbé Charles Auguste
Auber dans son Histoire et théories du symbolisme, qui se présente comme un outil
« nécessaire aux architectes, aux théologiens, aux peintres verriers, aux décorateurs,
archéologues et à tous ceux qui sont appelés à la construction ou restauration des édifices
médiévaux ». Il souhaite une cathédrale laïque et préfère un bestiaire issu d’une Histoire
naturelle, plutôt que de la Bible. Viollet-le-Duc est intéressante ne réinterprète pas les codes.
386
Voir annexe 64, p. 70.
E. Viollet-le-Duc, Illustration en marge « de la fête des fous de Ham », dans les Voyages pittoresques et
romantiques dans l’ancienne France, Picardie, vol. 3, 1845.
388
Félicie Ayzac, De la Zoologie hybride dans la statuaire chrétienne constatée par les monuments de
l’antiquité catholique ou Mémoire sur trente-deux statues symboliques observées dans la partie haute des
tourelles de Saint-Denys, Paris, Revue générale de l’architecture des travaux publics, 1847, p. 145.
389
M. Camille, Les Gargouilles de Notre-Dame, op. cit., p. 77.
387
104
Il s’appuie sur un nombre important d’influences et de concepts afin de présenter des
gargouilles plus en adéquation avec son temps et sa pensée. Ces créatures sont nouvelles et
tout en s’intégrant dans l’édifice, elles font ressurgir des fantômes oubliés du passé. A la
manière d’une révolution, elles prennent le pouvoir sur l’édifice.
Dans son article sur la sculpture dans le Dictionnaire, Viollet-le-Duc vante les mérites
des sculpteurs des cathédrales françaises. Les artistes laïques du XIIIe siècle « n’étaient pas,
gens à aller regarder leur statue, ou leur vitrail, ou leur peinture, indépendamment du
monument auquel s’attachaient ces ouvrages390 ». Durant la période médiévale il n’existait
pas de distinction entre statuaire et sculpture d’ornement. Cependant, les sculptures de NotreDame ne datent pas du XIIIe siècle mais bien du XIXe siècle. L’artisan qui a taillé les
gargouilles de Notre-Dame dans le calcaire est qualifié de « sculpteur ornementaliste391 ». Il
s’agit d’un grade inférieur à celui des sculpteurs qui réalisent les statues en pied qui seront
présentes sur les portails. Cet anonymat est la seule chose qui rattache ces créatures de pierre
aux thèses de Viollet-le-Duc. Toutefois, l’artiste qui a réalisé ces gargouilles semble être
tombé dans l’oubli. Son nom revient à plusieurs reprises dans les archives du projet. Violletle-Duc et Lassus désignent cinq artistes qui vont être chargés d’une partie de l’édifice :
Jacques Eugène Caudron s’occupera de la sculpture du chœur, Joseph Bie et Constant
Delafontaine des transepts, Pierre Martrons de la nef et Pyanet de la façade occidentale 392.
Joseph Pyanet est un sculpteur d’ornements393 qui travaille à Paris en 1835. Il est âgé de
cinquante ans quand il est recruté sur les chantiers de Notre-Dame et est aussi embauché sur
les chantiers de la Sainte-Chapelle pour sous-traiter le travail du Baron Henri-Joseph-François
de Triqueti Pyanet394. Ce dernier va s’imposer comme un artiste de talent. En effet, ses
monstres vont faire sa renommée parmi ses contemporains395. Encadré par Viollet-le-Duc, il
va réaliser les gargouilles à tête de corbeau de l’église Saint-Nazaire de Carcassonne ainsi que
la rénovation de la cathédrale d’Albi. Il marque l’histoire par son engagement pour
l’exécution de la totalité des chimères396 et bien sur d’autres gargouilles. Son travail est
conséquent sur Notre-Dame car il réalise plus d’une centaine d’ornements allant du simple
390
E. Viollet-le-Duc, op. cit., vol. 8, p. 75.
M. Camille, Les Gargouilles de Notre-Dame, op. cit., p.85.
392
Mayer Janie, « Viollet-le-Duc et la sculpture ornementale des façades » in « Dossier Notre-Dame de Paris »,
Monumental, revue scientifique et techniques des monuments historiques, Paris, Centre des monuments
nationaux, 2000, p. 38-45.
393
Emmanuel Bénézit, Dictionnaire critiques et documentaire des peintres, sculpteurs, dessinateurs et graveurs
de tous les temps et de tous les pays, Paris, Gründ, 1976, p. 853.
394
M. Camille, Les Gargouilles de Notre-Dame, op. cit., p. 86.
395
Ibid.
396
Archives nationales, F 19-7807, devis estimatif établit par Pyanet le 22 juillet 1847.
391
105
bas-relief à des gargouilles animales très hauts perchées. Mais avant de fournir les croquis à
Pyanet, Viollet-le-Duc dessine lui-même les chimères de la balustrade et leur attribue un
territoire propre. Le XIXe siècle rappelons-le, est le siècle de la statuomanie397. Les espaces
sont envahis de statues et d’éléments tri-dimensionnels. Ces statues sont des représentations et
des figurations de l’égo. Les chimères de Notre-Dame participent à l’incarnation de cet
individualisme à outrance. Cette conception de chimères individuelles l’éloigne de la pensée
médiévale. Mais les gargouilles et sculpture médiévales s’intégrent dans un ensemble qu’est
la cathédrale. Chacune des chimères de Viollet-le-Duc et de Pyanet, sont des statues animées
d’une volonté propre, d’où leur popularité en tant que symbole d’une conscience isolée et
tourmentée. Le démon mélancolique, lui, suscite immédiatement notre empathie, plus qu’une
statue décapitée de saint. Au XIXe siècle, le calme des saints évoque la mort, alors que dans
les yeux des bêtes démoniaques brillent une étincelle de vie398. De plus, ce qui fait aussi la
renommée des chimères reste leur conception. Elles sont censées être vues de loin399. Le
sculpteur pouvait se permettre de laisser des surfaces de pierre brute, contrairement aux
statues de la façade occidentale, qui nécessitent de passer par plusieurs étapes intermédiaires
de créations, comme les maquettes, les figurines puis les moules en plâtre de taille réelle. Les
chimères n’étaient pas contraintes à ce processus, ce qui suggère une transition plus
immédiate du dessin à la réalisation finale. Le XIIIe siècle ne pratiquait surement pas une
planification si centralisée de la réalisation de la statuaire. Quand on regarde la cathédrale de
Reims, les figures où se côtoient des statues représentatives de générations et de styles
différents, ne semblent pas respecter des dessins détaillés et encore moins des maquettes. Les
archives du chapitre de la cathédrale de Reims témoignent du fait que les imagiers n’avaient
pas de consignes particulières pour les créations de gargouilles. Ils pouvaient laisser libre
cours à leur imagination400. Cependant, Victor Pyanet ne peut faire de même car chaque coup
de sa broche est une transcription de ce que Viollet-le-Duc a imaginé sur ses dessins. Comme
il est noté sur le cahier des charges de 1847 qui concerne la sculpture d’ornement, toutes les
sculptures devaient se conformer aux modèles présentés par les architectes. Elles pouvaient
être refusées si elles ne respectaient pas leur dessin et la pierre était alors facturée sur le
salaire du sculpteur401. Le chantier de restauration de Notre-Dame peut être comparé à une
véritable usine de production de sculptures médiévales. Viollet-le-Duc qui prétendait recréer
397
Maurice Agulhon, Histoire Vagabonde, vol. 1, Paris, Gallimard, 1988, p. 137.
M. Camille, Les Gargouilles de Notre-Dame, op. cit., p. 91.
399
Ibid.
400
J. Rebold Benton, op. cit., p. 162
401
M. Janie, op. cit., p. 38.
398
106
sur la cathédrale de Notre-Dame l’unité et la liberté qui caractérisaient les bâtisseurs
médiévaux, ne fait qu’imposer sa propre vision de l’architecture gothique.
Dans ce renouveau médiéval, les gargouilles possèdent une place très importante. Que
ce soit d’un point de vue pratique, que d’un point de vue esthétique. Elles participent à forger
une vision du Moyen Âge, qui sans être fausse, est déformée par différents éléments. Les
gargouilles de Notre-Dame de Paris illustrent parfaitement la pensée d’une époque, ainsi que
l’idéalisation qu’avait un seul homme de ces éléments. Le XIX e siècle participe à la
reconnaissance et à la valorisation des gargouilles. Cette mise en lumière de ces éléments va
se répercuter dans toute l’Europe et sur les grands chantiers néogothiques. Les motifs
monstrueux ou drolatiques vont retrouver une place de choix dans l’imaginaire collectif. Ils
seront même présents outre Atlantique, avec des gargouilles en terre cuite comme celles du
Woolworth Building à New York, copiées sur leurs aïeules de Notre-Dame. Cependant, ces
gargouilles modernes ne servent pas évacuer les eaux de pluie. A l’âge des machines, la
tuyauterie gothique a perdu sa raison d’être.
B.
La conservation des figures de pierre
1.
La mise en valeur
Les gargouilles, ces gouttières sculptées à l’effigie d’hybrides et de monstres, demeurent des
figures incontournables des édifices religieux. Il existe autant de gargouilles que d’édifices.
De ce fait, dans de nombreuses villes de France, les municipalités mettent en valeur les
gargouilles par le biais de diverses activités qui ont pour objectif de valoriser ces éléments du
patrimoine. Ces dispositifs sont variés. Ils vont des visites guidées aux ateliers pédagogiques
ainsi que des projets d’artistes contemporains. Les gargouilles ne semblent pas avoir fini
d’étonner les visiteurs.
Les gargouilles possèdent une longue histoire. Elles ont l’avantage de pouvoir aborder
un nombre important de sujets. En effet, elles fournissent des informations complètes sur leur
période historique. Les gargouilles médiévales, par exemple, permettent de découvrir des
informations sur les bestiaires médiévaux, sur la perception de ces figures au Moyen Âge, sur
le rapport à l’hygiène et au corps ainsi que l’architecture et la religion. Tous ces sujets
peuvent être abordés en explorant les extérieurs des édifices et en découvrant ses secrets et
recoins. Les gargouilles offrent aux visiteurs une découverte ludique de l’architecture. Grâce à
elles, les jeunes enfants peuvent identifier les éléments qui appartiennent à des animaux
107
d’espèces différentes. Ces créatures, qui sont très nombreuses, permettent aux visiteurs de
développer des compétences dans l’observation et l’imagination. Ainsi, les gargouilles sont
des éléments du patrimoine qui sont, par leurs aspects et leurs origines, des outils de
médiations récréatifs.
De plus, une ville propose des informations sur les gargouilles par le biais de
panneaux explicatifs. Il s’agit de la ville de Landerneau dans le Finistère qui a présenté en
2012, une exposition « Sirènes et Dragons », organisée par l’office de tourisme et le service
de valorisation du patrimoine de la ville. Durant l’été 2012, la ville lance une exposition sur le
thème du petit peuple de pierre que sont les gargouilles et différentes figures sculptées. Cette
redécouverte du patrimoine sculpté de Landerneau se compose d’une cinquantaine de
photographies en très grands formats qui jalonnent les places et les parcours. Le maire de la
ville, Patrick Leclerc, a souhaité que cette exposition fasse « descendre la culture dans la rue,
la rendre accessible à tous par une exposition d’été extérieure, dans la rue et le long de
l’Elorn, gratuite et remarquable, voici le leitmotiv sans cesse renouvelé de de la Ville de
Landerneau402 ». Grâce aux photographies et montages réalisés par le photographe JeanFrançois Chauchard, sa démarche était de mettre en valeur ces éléments :
Ces objets taillés dans la pierre et révélés par la lumière sont les vestiges de l’art qui avait
cours dans les siècles passés, les seuls que nos ancêtres pouvaient voir, n’ayant pas accès aux
cabinets de curiosités. Ma démarche dans cette exposition est de faire vivre ces éléments, de
les rassembler pour former des compositions imaginatives et esthétiques où je mêle le réel et la
fiction, le présent avec le passé, le vivant à côté du figé403.
Ces dispositifs avec des panneaux permettent de découvrir ce patrimoine sculpté, en les
mettant à la portée des visiteurs. Ce type de présentation reste encore très rare dans les villes.
Les dispositifs les plus utilisés pour mettre en valeur les gargouilles sont
principalement les visites guidées. En effet, elles sont le moyen le plus efficace de découverte
de ce patrimoine. Chaque ville propose ce service aux visiteurs, par le biais de l’office du
tourisme ou de la mairie, réalisé par des prestataires extérieurs ainsi que des guides
conférenciers. Ces balades durent en général une bonne heure et permettent de découvrir les
charmes cachés des gargouilles et autres chimères. La ville de Lyon propose par exemple, par
l’office du Tourisme et des Congrès du Grand Lyon, une visite sur les « Monstres cachés et
402
« Sirènes et dragons. Le surprenant patrimoine de Landerneau », 2012, Landerneau, consulté le 15 mai 2017,
disponible sur http://www.sirenes-et-dragons.fr/?p=99#more-99
403
Ibid.
108
gargouilles404 ». Elle permet de découvrir les églises de Saint-Jean, Saint-Georges et SaintNizier à travers leurs cent cinquante gargouilles environ. Par cette visite, les visiteurs peuvent
découvrir ces monstres hybrides représentatifs de la symbolique médiévale. La visite est
orchestrée par un auteur local du nom de Nicolas Le Breton, qui est guide et romancier. Il a
notamment écrit un roman policier, La Geste de Lyon, qui se déroule dans le Lyon médiéval,
et dans lequel son personnage principal élucide des crimes commis par une bête qui hante les
rues de la ville. Nicolas Le Breton fait revivre par cette visite guidée, les trésors insolites de
Lyon et plonge les visiteurs pendant deux heures dans un voyage au cœur des monstres et des
bestiaires médiévaux. Afin d’augmenter le confort de la visite, les visiteurs sont dotés de
jumelles fournies par l’office de tourisme. Les avis présents en ligne montrent à quel point
cette formule est appréciée des visiteurs : « bonne prestation », « bonne découverte », «
gargouilles fascinantes ». Cela permet de révéler que ce patrimoine passionne et fascine le
grand public. Ce type de visite parait réservée à une clientèle adulte avec des enfants. Les
villes profitent ainsi de ces éléments de pierre pour proposer des visites « insolites »,
« mystérieuse », des « randonnées urbaines », et usent de jeux de mots humoristiques, comme
« gare aux gargouilles ».
Les visites peuvent être aussi théâtralisées et nécessitent plus de personnes dans leur
réalisation. La ville d’Autun propose durant les soirs d’été, un spectacle historique du nom de
La Nuit de la gargouille. Dans celui-ci, une troupe de comédiens et de musiciens, ainsi que
des guides conférenciers, proposent huit représentations. Ce spectacle représente une manière
pour les habitants et les visiteurs de découvrir l’histoire de la ville. Le site de l’office du
tourisme présente le spectacle comme une « aventure théâtrale et historique », qui est narrée
par les gargouilles « descendues des gouttières405 ». Au cours de cette aventure théâtrale, les
visiteurs arpentent les rues des hauts quartiers et pénètrent dans les sites spécialement éclairés
et animés pour l’occasion. Ils découvrent les personnalités qui ont fait l’Histoire de Autun.
Cet évènement est intéressant car il allie d’une part, une approche festive et d’une autre part,
un côté plus historique, grâce à l’appui des guides conférencier qui permettent de
contextualiser et de restituer la chronologie des faits. Ce spectacle crée une approche
didactique et vivante entre les gargouilles et l’histoire de la ville. Les visites se déroulent très
souvent la nuit, surement pour bénéficier de l’aura mystérieuse et féerique des gargouilles. La
404
Office du Tourisme et des Congrès du Grand Lyon, « Monstres cachés et gargouilles. Visites guidées », 2015,
Lyon, consulté le 16 mai 2017, disponible sur https://www.visiterlyon.com/monstres-caches-et-gargouilles.html
405
Office du Tourisme d’Autun, « Les Nuits de la gargouille », Ouik, Autun, consulté le 16 mai 2017, disponible
sur https://www.autun.com/sortir-a-autun/les-spectacles-et-animations/les-nuits-de-la-gargouille
109
ville de Luxeuil-les-Bains propose aussi durant les « Marché de nuit » une visite nocturne du
nom de la « Chasse aux gargouilles ». Les visiteurs qui sont accompagnés d’un guide et d’un
musicien déambulent dans les rues et partent à la découverte des gargouilles. De son côté, la
ville de Nevers présente un spectacle qui s’appelle « Le Réveil des gargouilles ». Il s’agit
d’une balade nocturne contée jusqu'à la cathédrale, où les visiteurs découvrent les éléments
cachés de la ville durant l’été.
Hormis le cas de Landerneau, toutes les visites guidées qui présentent les gargouilles
sont animées par un conférencier. Cependant, nous pouvons ajouter qu’en décembre 2016, à
Josselin dans le Morbihan, l’hôtel de ville s’est vu parer d’un spectacle « Son et lumière » sur
le thème des gargouilles. La façade animée par des effets lumineux et visuels plonge le
spectateur dans l’univers des gargouilles. L’ensemble est lié à une histoire sur le thème de la
basilique. Ce type de support est intéressant car il permet de donner vie à des éléments
d’architectures figés.
De plus, les visites des édifices et de leurs gargouilles sont souvent destinées aux
jeunes enfants et à leurs parents. Elles peuvent être généralement suivies d’ateliers de
modelage ou de créations plastiques. Ces ateliers permettent au jeune public de se familiariser
avec la sculpture médiévale et avec la perception des volumes. À Limoges par exemple le
service d’animation de la ville propose à des groupes d’enfants de 6 à 12 ans, un atelier et une
visite de la cathédrale Saint-Étienne. Limoges, labellisée « Ville d’art et d’histoire », appelle
sa visite découverte de ce patrimoine, « Gare aux Gargouilles » en référence à la chanson de
George Brassens Gare au gorille. Dans cet atelier, les enfants se munissent de jumelles,
contemplent et utilisent leur sens de l’observation pour découvrir ces monstres de pierre. En
compagnie du guide conférencier, ils vont faire le tour de l’édifice et durant la visite, ils vont
les dessiner et décrire les gargouilles, puis à la fin de celle-ci, les enfants créent leurs propres
gargouilles en terre. Dans la même idée que Limoges, la ville du Mans proposent aussi une
visite-atelier sur les gargouilles où sont ensuite façonnées des gargouilles en terre. Seulement,
ces ateliers ne sont pas réservés uniquement pour les enfants, les adultes peuvent y participer.
L’office de tourisme des Andelys propose également le même type d’atelier avec les
gargouilles de la collégiale Notre-Dame. Enfin, le château de Vincennes offre aussi une visite
sur le thème des êtres effrayants présents sur le château. Nous pourrions encore citer de
nombreuses villes qui présentent des activités autour des gargouilles. La ville de Rouen, quant
à elle, propose une visite sous forme d’enquête découverte, du nom de « Sur la piste des
gargouilles ». Les familles partent à la recherche de ces petits êtres effrayants qu’ils soient de
110
pierre ou de bois. Cette enquête est disponible à l’office de tourisme ou téléchargeable en
ligne, sous la forme d’un livret-enquête. La visite peut s’effectuer avec l’aide d’un guide mais
uniquement sous réservation. La ville de Dinan propose une visite similaire sur le thème des
gargouilles et des maisons à colombage.
Ces dispositifs et procédés de médiation demeurent très simples, si on exclut les
spectacles de « Son et lumière » ainsi que les visites costumées. Ils ne nécessitent pas de
moyens de réalisation importants. Cependant, le motif et l’imagerie de la gargouille peuvent
être employés à d’autres fins, notamment comme sujet d’expositions, de spectacles à thèmes
ou même de concerts de musique. Tout comme le spectacle de « Son et lumière », « La Ronde
des gargouilles » a lieu chaque année à Chièvres. Il s’agit d’un spectacle innovant autour des
gargouilles. Il mélange les sons et lumières, le théâtre, les danses, les combats, avec des
personnages costumés, des effets spéciaux, des tournois de chevaliers. Ce grand spectacle qui
permet de montrer aux spectateurs une vision fantasmée de la gargouille qui la nuit, quitte son
enveloppe de pierre pour harceler les habitants de la forêt. La médiathèque de Beuzeville
expose pour sa part des dessins qui s’intitulent « les gargouilles ». Ils ont été réalisés par des
enfants et des adultes de l’atelier Bramais. Les gargouilles de l’église Saint-Hélier de
Beuzeville ont été une source d’inspiration pour ces dessins réalisés en encre de Chine et en
pastel sec. À Verdun-sur-Garonne, un artiste, Michel Brassac, expose en 2016 sa création de
chimères et de gargouilles, réalisés avec du bois et des objets de récupération. Ces créatures
sont fortement inspirées des bestiaires médiévaux. Autrement à Nancy, un photographe,
Julien Oddo, imagine des hommes et femmes maquillés en gargouille. Dans ses images, il
développe le côté légende urbaine de ces créatures de pierre. Il en résulte un travail en noir et
blanc traitant de l’aspect graphique de la gargouille, du visage du mal pourtant gardienne du
bien. De plus, un autre projet a lieu à Carcassonne, où le fond de dotation de « Pierres et de
rêves406 » a décidé de mouler une des gargouilles de la basilique Saint-Nazaire. Du moulage
une fois terminé, des exemplaires de la gargouilles en résine seront fournis à des artistes
contemporains. Ces derniers auront carte blanche pour les customiser « selon leur bon loisir
créatif » comme l’explique Christine Pujol, présidente du fond de dotation. Ces gargouilles
« versions arts-contemporains » seront ensuite vendues aux enchères. Les bénéfices seront
reversés au fond de dotation et permettront l’aménagement de certaines tours de la cité. Enfin,
pendant la Nuit des musées de 2016, le musée Saint-Loup de Troyes proposait également aux
406
« La Ronde des gargouilles pour dynamiser la cité », La Dépêche, 1er février 2017, consulté le 20 mai 2017,
disponible sur http://www.ladepeche.fr/article/2017/02/01/2508286-la-ronde-des-gargouilles-pour-dynamiser-lacite.html
111
enfants d’assembler différentes parties d’animaux en papier, afin de réaliser sa propre
chimère. Les activités proposées par les musées sur le thème des gargouilles sont nombreuses
et analogues. Elles ont pour vocation de faire découvrir ces éléments d’architecture de
manière ludique et pédagogique, tout en mettant en valeur un élément du patrimoine
méconnu.
Les gargouilles sont soumises aux aléas du climat, aux guerres et aux restaurations.
Elles font partie des éléments qui sont presque cachés aux regards des spectateurs. Les
dispositions des gargouilles dans les musées sont héritées du musée de la Sculpture
comparée407. Dans ce musée pionnier de l’exposition d’éléments de l’architecture médiévale,
fondé en 1879 par Viollet-le-Duc, se trouve un nombre important de gargouilles. Le but de
Viollet-le-Duc était de créer un musée où serait étudié des fragments ou membres
d’architecture, comme le ferait un paléontologue à partir de fragments d’os épars. Il souhaitait
un musée de l’architecture à l’image des musées d’histoire naturelle. Le musée de la Sculpture
comparée exposait les objets de façon très rapprochée, sans rapport avec leurs dispositions
originales, comme des spécimens zoologiques coupés de leurs encadrement initial408. Les
œuvres étaient rangées par ordre chronologique et stylistique. Le musée a évolué au fil du
temps et aujourd’hui, il fait partie de l’un des trois départements de la Cité de l’Architecture et
du Patrimoine. La muséographie de ce musée est divisée entre dissection et reconstitution,
fragments et monuments. On y trouve les grands portails de Vézelay, Saintes, Bordeaux,
Beauvais. Ces moulages d’éléments sont couplés avec des éléments photographiques et des
maquettes pour bien visualiser le positionnement sur l’édifice. Les gargouilles sont présentées
indépendamment de leur édifice d’origine. Elles sont placées très haut sous le plafond à
l’horizontale, ce qui permet aux visiteurs de voir l’œuvre à l’échelle et à une hauteur
accessible à l’œil, bien mieux que sur l’édifice. Ces moulages sont réalisés en plâtre blanc.
Cette couleur offre un avantage pour l’observation des détails des gargouilles. Mais
l’exposition des gargouilles n’est pas la même en fonction des musées. Au musée Saint-Loup
de Troyes par exemple, elles sont posées à la verticale sur leurs culots409. Cette disposition est
intéressante parce qu’elle rend compte de la taille des monstres et de leurs parties cachées.
Les visiteurs peuvent réaliser de l’aspect monumental de ces gargouilles. Le musée des
Augustins de Toulouseprésente quinze gargouilles, disposées de la même façon dans le
Anne Lafont, L’Artiste savant à la conquête du monde moderne, Strasbourg, Presses universitaires de
Strasbourg, 2009, p. 220.
408
M. Camille, Le Musée de la sculpture comparée naissance de l’histoire de l’art, op. cit., p. 88.
409
Voir annexe 65, p. 71.
407
112
cloître410. Par contre à Carcassonne, deux gargouilles ou chimères très abimées sont posées à
l’horizontale sur un dispositif métallique. Le musée des Beaux-Arts de Dijon possède la
dernière gargouille provenant du XIIIe siècle de la façade de Notre-Dame. Elle est exposée à
l’horizontale411 et à hauteur d’homme comme ces consœurs du Augustiner museum à Fribourg
en Allemagne et au château de Blois, tandis que certaines gargouilles comme celles présentes
dans le musée de l’œuvre de Notre-Dame à Strasbourg sont exposées à plat, sur un socle. Les
présentations muséographiques sont multiples et permettent d’appréhender la sculpture des
gargouilles. Exposer ces éléments d’architecture demeure un moyen intéressant et didactique
pour les approcher et les observer, voir aussi de quoi elles se composent. Nous pouvons mieux
distinguer ce qu’elles représentent et d’une certaine manière, mieux les observer. Cependant,
malgré tous les avantages dans le fait de posséder des gargouilles, que ce soit sous la forme de
moules en plâtre ou d’originaux, nous ne pouvons pas comprendre les gargouilles sans
connaitre le bâtiment dont elles faisaient partie. Or, la sculpture médiévale a été étudiée sous
forme de statue isolée comme objet esthétique.
Les dispositifs mis en place pour les gargouilles en général montrent qu’il existe un
engouement autour de cet élément d’architecture. Elles sont des supports de valorisation du
patrimoine. Les gargouilles sont devenues des sculptures incontournables de l’art médiéval.
Elles sont devenues, au fil du temps, de véritables symboles du Moyen Âge. Elles étonnent
petits et grands par leur étrangeté et leur esthétique. Les gargouilles dans notre société
contemporaine ont marqué notre imaginaire d’une manière indélébile. Malgré les tentatives de
destruction et leur côté scabreux, elles restent bien présentes sur les édifices et dans l’imagerie
populaire.
2.
L’imagerie de la gargouille
Parler des gargouilles implique de surligner le lien très étroit qui existe entre les gargouilles et
notre imaginaire. En effet, les différentes périodes historiques ont été fascinées par la création
et la représentation des monstres. Ce mémoire qui est une porte d’entrée sur cet univers de la
gargouille, doit se terminer sur deux questions. Qu’avons-nous fait des gargouilles et quelles
traces ont-elles laissé dans notre imaginaire ?
410
411
Voir annexe 66, p. 72.
Voir annexe 67, p. 73.
113
En France les gargouilles trônent sur nos édifices depuis le Moyen Âge. Elles résistent
aux affres du temps. Elles sont par moment changées mais toujours présentes. Les gargouilles
restent des créations fascinantes, à la fois hypnotisantes et repoussantes. Au début du XX e
siècle, un nouveau support va permettre la circulation des images. Il s’agit de la carte postale.
Aisée à envoyer et peu chère à produire, les cartes postales et notamment les nombreuses
séries sur les Chimères de Notre-Dame412 ont participé à la renommée et à la familiarisation
auprès du grand public de ces éléments. Elles étaient reproduites en grande quantité ce qui
permettaient une large diffusion. Ces cartes postales étaient peut-être la première exploitation
massive et populaire des gargouilles. Cependant, la perception que nous avons aujourd’hui
des gargouilles n’a pas été façonnée uniquement par les cartes postales et les divers supports
iconographiques. Pour mieux comprendre la fascination qu’exercent les gargouilles dans notre
imaginaire, il faut traverser l’océan Atlantique et aller aux Etats-Unis d’Amérique. L’absence
de Moyen Âge dans la culture américaine, qui est dépourvue d’églises, d’abbayes et de
restauration de châteaux, n’a pas empêché le renouveau médiéval. À défaut de posséder les
ruines et les édifices, les auteurs américains tels que Nathaniel Hawthorne ou Edgar Allan
Poe, vont inventer l’archétype de la maison hantée, qui est le sombre château de l’inconscient
américain. Les créations américaines néogothiques se dispensent de toutes références
sédimentaires. Ce gothique-là ne puise pas dans la nostalgie qu’éprouve un Européen face aux
ruines de l’ancien monde recouverte par le nouveau. Mais il va imaginer des horreurs plus
angoissantes qui vont prendre en compte l’utopie de cette terre nouvelle. Nous pouvons
comparer cette image du gothique américain avec les chimères de Notre-Dame qui sont déjà
« modernes » et inauthentiques comparées aux véritables sculptures médiévales. Le gothique
américain et la créativité de la seconde moitié du XXe siècle ne se nourrissent pas tant des
fantômes européens que des goules venues hanter les maisons américaines413.
Un autre support participe à la célébration des gargouilles, celui du cinéma. Les
gargouilles sont des éléments figés. Même dans des films qui n’ont rien avoir avec Paris et ses
créatures néogothiques, les gargouilles sont aussi présentes, comme dans le film Metropolis
de Fritz Lang, daté de 1927. Ce film est une allégorie de la nouvelle ère des machines. La
cathédrale gothique possède une place importante dans la ville futuriste414. À la fin du film, le
héros affronte son ennemi dans la pénombre de la balustrade. Ce motif de la balustrade est
412
Voir annexe 68, p. 74.
Mark Edmunson, Nightmare on Main Street : Angels, Sadomaschism and the culture of Gothic, Cambridge,
Harvard University Press, 1997, p. 266.
414
Voir annexe 69, p. 75.
413
114
déjà présent dans l’affrontement final entre Quasimodo et Frollo dans Notre-Dame de Paris
de Victor Hugo. La balustrade devient le symbole de réconciliation entre l’ouvrier et le
patron. Le réalisateur semble avoir voulu mettre en scène « le combat entre la science
moderne et l’occultisme moyenâgeuse415 ». Par ailleurs, une bobine perdue contenait des
images de « fantômes, goules et monstres qui sortaient d’une église gothique416 ». D’après
Tom Gunning, « le gothique est au cœur de la modernité », « Metropolis est une traduction
visuelle de l’imaginaire psychanalytique, tout comme les cathédrales médiévales traduisent
les écritures417 ». En incluant les gargouilles dans la science-fiction, Fritz Lang influence
durablement la production cinématographique et la pop culture.
La plus grande fabrique des images du XXe siècle reste Hollywood. Cette fabrique des
images contribue à l’adaptation de neuf films sur l’histoire de l’œuvre de Victor Hugo, NotreDame de Paris et ses fabuleuses gargouilles. Cependant, la première d’entre elles n’est pas
hollywoodienne mais bien française. Elle est réalisée en 1906 par Victorin Jasset et porte le
nom d’Esméralda. Celui-ci utilise un décor en carton-pâte inspiré des gravures de Meyron418 .
Le premier film muet tourné à Hollywood est réalisé par Wallace Worsley. Ce film bénéficie
à l’époque de plus de deux mille cinq cents figurants et d’un énorme budget. Un budget
tellement colossal qu’une réplique géante de la cathédrale est construite dans les studios
Universal, dont la balustrade est reconstruite à l’échelle sur une colline419. La cathédrale420
apparait comme Viollet-le-Duc l’a restauré, et non tel que l’avait imaginé Victor Hugo. Cette
cathédrale de carton-pâte devient un lieu de pèlerinage pour les spécialistes de Victor Hugo.
Cette fausse cathédrale est détruite en 1960. Le film de Worsley s’ouvre sur une image de la
façade où on y aperçoit des chimères reconstituées. L’une d’elles s’anime, il s’agit de l’acteur
Lon Chanley costumé en Quasimodo. L’acteur adopte la même pose que celle du démon
pensif ou de la stryge et tire la langue comme lui. Les gargouilles et chimères connaissent
leurs heures de gloire sur les grands écrans et les films d’Hollywood. Il serait intéressant de
voir les autres adaptations mais nous allons nous concentrer sur la très célèbre adaptation
française de 1956 par Jean de Delannoy. La stryge est présente aux côtés d’Esmeralda jouée
415
Tom Gunning, The Films of Fritz Lang : Allegories of Vision and Modernity, Londres, British Film Institute,
2000, p. 76.
416
Ibid.
417
Ibid., p. 68.
418
François Amy La Bretèque, « Stéréotypes des marginaux et exaltation des comportements déviants dans les
films à sujet moyenâgeux » in Conformité et déviance au Moyen Âge : Acte du deuxième Colloque international
de Montpellier, Université Paul-Valéry, 25-27 novembre 1993, Montpellier, Université Paul-Valéry, 1995, p.
771-779.
419
Philip Riley, The Hunchback of Notre-Dame, Atlantic city, Magic Image, 1988, p. 11.
420
Voir annexe 70, p. 76.
115
par Gina Lollobrigida et de Quasimodo, par Anthony Quinn. Le réalisateur a réaménagé la
balustrade pour regrouper les chimères les plus terrifiantes. Il offre une place d’honneur à la
stryge. Ce film rend un bel hommage au roman de Victor Hugo avec sa fin tragique.
Il existe aussi un trente-quatrième dessin-animé produit par les studios Disney en
1996. Il reproduit à merveille le graphisme romantique. Les vues de la cathédrale et de la rue
sont directement inspirées des illustrations du roman de Victor Hugo et des croquis de
Viollet-le-Duc. Trois des personnages principaux sont les chimères de la balustrade 421. Elles
sont les amies de Quasimodo, se déplacent sur des troncs sans jambes. Il s’agit surement d’un
clin d’œil à leur absence de pattes. Ces gargouilles humoristiques s’appellent Laverne, un
grand escogriffe du nom de Victor et le petit chenapan s’appelle Hugo. Sur une image du
film, ces trois gargouilles nous salue gaiement du haut des tours de Notre-Dame de Paris. Les
producteurs avaient pour cette adaptation de nombreuses intentions :
Toute la noirceur du roman de Hugo supposait une difficulté pour l’équipe qui voulait
tempérer le ton dramatique de l’histoire par des émotions éclatantes. (…) Pour faire ressortir
d’avantage l’humour de Quasimodo, les réalisateurs Trousdale et Wise ont proposé de faire
des gargouilles de Notre-Dame ses confidentes. Dans le roman, l’idée que les gargouilles
parlent est en partie suggérée par Hugo : « Les autres statues, celle des monstres et des démons
n’avaient pas de haine pour lui, Quasimodo (…) Les saints étaient ses amis et le bénissaient,
les monstres étaient ses amis et le gardaient ». Selon Dave Pruiskma, superviseur des de
l’animation, ces gargouilles qui correspondent parfaitement à la tradition Disney, sont
l’élément qui tout au long du film permet de raconter l’histoire avec humour et légèreté ».
Néanmoins, les cinéastes ont choisi de ne pas utiliser la magie ; et les gargouilles sont le fruit
de l’imagination de Quasimodo422.
Ces trois gargouilles dans le dessin animé sont aussi l’expression de la conscience de
Quasimodo, avec le côté festif qui veut faire des folies, le côté sage et loyal ainsi que le côté
snob423. Elles sont les compagnons de Quasimodo qui lui permettent de faire face aux
évènements. Les gargouilles de la cathédrale jouent un rôle encore plus important dans la
scène finale. Comme chez Victor Hugo, elles servent à verser du plomb fondu sur la foule,
mais elles interviennent surtout dans la mort du méchant Frollo. On se souvient que dans le
roman, la gargouille où s’est rattrapé Frollo se brise. Dans le dessin animé, elle prend vie et
ses yeux émettent une lueur infernale, puis, elle l’entraine dans le vide. Dans l’imaginaire
populaire, les gargouilles ont toujours pour habitude d’être sur le point de prendre vie. Les
graphistes de Disney semblent avoir bien compris l’utilisation de cette caractéristique
romantique des gargouilles.
421
Voir annexe 72, p. 78.
Stephen Rebello, Le Bossu de Notre-Dame, le livre du film, Paris, Dreamland, 1996, p. 132.
423
Ibid., p. 134
422
116
Les dessins animés ont le pouvoir de donner vie aux objets et de nier la mort.
N’oublions pas que la fin du roman de Victor Hugo est quasiment insoutenable, Esméralda
meurt pendue et le bossu disparait. En conclusion, on retrouve deux squelettes dans la crypte.
La fin du film Disney se termine sur Quasimodo qui émerge des ombres de la cathédrale, un
petit enfant perçoit la belle âme qu’abrite son physique monstrueux. Les dessins animés pour
les enfants ne sont pas censés faire mourir les personnages principaux à la fin de l’histoire. Le
succès remporté par le Bossu de Notre-Dame montre à quel point le « gothique américain » a
su respecter la culture française. Ce sont même des intellectuels américains qui ont reproché à
ce dessin animé d’avoir trahi l’esprit Hugolien. Un auteur, Paul Goldberger, a dénoncé la
faiblesse de la vision de la cathédrale et la marchandisation des œuvres classiques, qui est
rappelons-le un des personnages centraux du roman :
Notre-Dame elle-même est devenue un personnage de dessin animé : grande, lumineuse, tel un
palais de Cendrillon. Certes, mis à part les gargouilles dansantes, les détails gothiques sont
assez fidèlement rendus. Mais le dessin animé aussi réussi soit-il, n’est tout simplement pas un
bon support pour l’architecture gothique424.
Les gargouilles dépeintes par Disney isolent une angoisse culturelle pour la neutraliser dans
un fantasme rassurant. Les chimères du dessin animé n’expriment pas l’étrangeté, elles sont
devenues des créations domptées et canalisées.
À défaut d’avoir un « vrai » Moyen Âge en Amérique, les Américains ont construit
leurs propres cathédrales, plus grandes, plus belles, plus blanches sur les gigantesques
plateaux d’Hollywood aussi bien que dans les cathédrales comme celle de Saint-John the
Divine à New York. La riche tradition du gothique américain va d’Edgar Allan Poe aux films
d’horreur. Cette vision gothique ne repose plus sur l’image de la cathédrale, symbole d’unité
flamboyante, mais sur la maison hantée et la ville autodestructrice. Dans ces conceptions
résolument individualistes du gothique, la gargouille trouve un avatar post-moderne avec les
films d’épouvante, de science-fiction et fantastique, comme par exemple, le film Batman,
inspiré du personnage éponyme issu de l’univers D.C. qui est réalisé par Tim Burton. Dans
son film, Gotham City est une ville à la croisée des styles architecturaux du gothique et de
l’art déco425. Le personnage principal Batman évolue sur les toits et prend des pauses
mélancoliques comme la Stryge de Notre-Dame. Le nom même de Gotham fait référence au
côté « gothique de la ville ». C’est dans cette ville remplie de criminels que le personnage de
424
425
Paul Goldberger, « Cuddling Up to Quasimodo and friends », The New York Times, 23 juin 1966.
Voir annexe 71, p. 77.
117
Bruce Wayne alias Batman, combat le crime et les injustices à la manière d’un chevalier noir
des temps modernes.
Finalement, les gargouilles se retrouvent dans un nombre incalculable d’œuvres
cinématographiques à petit budget, qui ne passent pas dans les salles obscures. Ils possèdent
des titres très évocateurs comme La fureur des gargouilles (2009), Démon de pierre (2007),
la Vengeance des gargouilles (2004), Dark side les contes de la nuit noire (1990) et le film le
plus ancien Gargoyles (1972). Ces films en général exploitent le côté terrifiant et monstrueux
des gargouilles. Elles sont très souvent présentées comme des bêtes de cauchemars assoiffées
de sang, ou alors étant le fruit d’expérimentation scientifique qui ont mal tourné. Nous nous
rapprochons plus des créatures monstrueuses qui provoquent la peur. Elles sont les créatures
du mal et les démons des enfers. Mais l’esthétique gothique influence un nombre très élevé
d’œuvre cinématographiques. Le film The Crow d’Alex Proyas de 1994 hérite d’une
esthétique gothique dans son propos ainsi que dans l’esthétique verticale des décors, les
sculptures de pierre. Le mouvement gothique apparait dans les années 1970 dans la musique
et la mode. Il fait la part belle à la mélancolie, le romantisme noir, le chimérique gothique.
L’imagerie de ce mouvement provient en grande partie des symboles religieux détournés ou
occultes, et d’un imaginaire médiéval. Le cinéma de la boîte de production Hammer film en
Angleterre produit un nombre très important de films d’épouvante comme la série des Dracula
et la série des Frankenstein qui débutent durant les années 1960. Ces séries de films
participent à forger l’imaginaire collectif et créent des figures monstrueuses emblématiques.
Le mouvement gothique apporte un renouveau de ces thèmes noirs et il n’est pas rare de voir
dans des boutiques spécialisées d’accessoires « gothiques », des gargouilles et autres
chimères. D’autres mouvements musicaux utiliseront les mêmes codes visuels et l’imagerie
gothique. Le genre émergent à la même époque qu’est le heavy métal emprunte énormément à
l’imaginaire et des thèmes gothiques. Les gargouilles ont également une présence dans le rock
« gothique » et les mouvements musicaux alternatifs. Des chanteurs comme Christian Death
invoquent à grand cris des monstres imaginaires dans leurs chansons. Des pochettes sont
ornées de la Stryge de Notre-Dame et d’autre monstres de pierre comme la couverture de
l’album Chronic Town du groupe REM (1982) sur lequel trône fièrement une photographie du
démon pensif426 ; le logo et la pochette du groupe de Power Epic Métal américain du nom
évocateur de GARGOYLE (1987) sont ornés d’une terrifiante gargouille. Plus récemment en
2016, le groupe de power métal suédois Hammerfall a une pochette de leur album Built to
426
Voir annexe 73, p. 79.
118
Last qui dépeint cinq gargouilles, dont le démon pensif qui est représenté trois fois au côté
d’un puissant paladin armé de son marteau. A croire que les gargouilles débordent des
édifices et ne sont plus attachés à leurs monuments d’origines. Elles envahissent les produits
culturels.
Les gargouilles ont également fait une forte apparition dans l’imaginaire des jeunes
des années 1990. La chaîne de télévision TF1 diffusait une série du nom de Gargoyles, les
Anges de la nuit427. Ce feuilleton retraçait les aventures de cinq gargouilles écossaises,
menées par un leader charismatique, Goliath dont le corps évoque à la fois, Batman,
l’Incroyable Hulk et le penseur de Rodin. Après un sommeil d’un millier d’années, elles sont
réveillées par le milliardaire David Xanatos, qui transporte leur château au sommet de son
gratte-ciel newyorkais. La gargouille féminisée dans l’imaginaire du XIXe siècle devient un
concentré de muscles gonflés aux stéroïdes. Cette représentation s’inscrit dans le
prolongement de comics plus ancien. Il s’agit de Human Gargoyles des années 1970 ou avec
le super-héros des albums The Gargoyles par Marvel Comics en 1985428. Ces derniers
retracent l’enfance traumatisée du héros, condamné à prendre la forme d’une gargouille sur
les toits de Manhattan. Dans un épisode plus tardif, les gargouilles s’animent et prennent la
ville d’assaut, rejouant le fantasme typiquement américain d’une communauté menacée par le
chaos. Malgré leur musculature, The Gargoyles et ses avatars télévisuels expriment une
mélancolie qui rappelle les archétypes de Notre-Dame. Le feuilleton Gargoyles n’a duré que
deux saisons. Ses fans l’ont prolongé sur Internet en inventant des personnages et des
scénarios parallèles. On y retrouve la généalogie qu’avait établi Greg Weisman, coauteur et
producteur de la série télévisée. Les gargouilles ne sont pas des sculptures qui s’animent
magiquement, mais une espèce d’animal mise au même niveau que les dinosaures. D’après un
mythe totalement américain, elles sont capables de procréer et ne sortent que la nuit.
L’hypothèse selon laquelle la gargouille resterait pétrifiée pendant la journée est
vraisemblablement issue d’un point de vue évolutionniste, leur sommeil les protégeant de
leurs prédateurs. Le scénario de la série Gargoyles part de ce postulat où les hommes et les
gargouilles ont conclu un pacte avec les hommes, elles avaient pour mission de veiller sur les
humains. Ensuite, a lieu un génocide de gargouilles à l’époque des vikings : « au XIe siècle les
gargouilles ont disparu de la surface de la Terre », dit l’argumentaire de la série. Seule leur
légende a survécu. Quelques siècles plus tard, les sculpteurs ont voulu rendre hommage à
427
428
Voir annexe 74, p. 80.
Voir annexe 75, p. 81.
119
cette race décimée. Peut-être étaient-ils motivés par le vague souvenir que la gargouille
assurait une protection contre le malin. Ce sont les gargouilles que nous voyons encore sur les
cathédrales et les châteaux. D’après le mythe télévisuel, seules six gargouilles auraient
échappé à ce génocide. Ces dernières survivantes sont venues s’ajouter aux autres groupes
ethniques qui revendiquent leur part du rêve américain, comme l’exprime un internaute sur la
série spécialisée :
Une fois de plus Goliath et les gargouilles défendront leur territoire et leur communauté contre
leurs ennemis. Mais ce territoire a dépassé l’enceinte du château pour recouvrir Manhattan et
toute la communauté qui l’habite, les hommes et les gargouilles. On sait désormais que les
ennemis redoutables ne viennent pas de dehors.
Les gargouilles se sont forgées une réputation dans la culture populaire, au cinéma, à la
télévision, dans la bande dessinée. Elles ont une forte influence dans ces différents médias.
Ces éléments d’architecture sont devenus incontournables et un bon nombre de produits
dérivés sont créées à l’effigies des gargouilles, comme des statuettes en résine, tee-shirts,
gadgets, peluches et encore diverses reproductions. Nous sommes face à un véritable « culte »
des gargouilles. Les boutiques souvenirs au Nord-Est de Notre-Dame proposent chimères et
gargouilles. Les souvenirs permettent de conserver un « bout » de l’édifice, de s’approprier un
fragment de l’édifice. Elles deviennent des petits totems domestiques qui à l’image de la
stryge veillent sur les bureaux et les intérieurs des maisons.
120
Conclusion
Les gargouilles sont véritablement des éléments incontournables de l’architecture. Leur
création provient d’une nécessité qui est celle de protéger le toit des édifices. Toutefois, dès
leurs premières incarnations, ces éléments sont aussi sculptés. Ces sculptures de gouttières
vont être façonnées à l’image de multiples créatures. Mais elles vont marquer les esprits des
Hommes notamment dans leur métamorphose médiévale.
Les gargouilles connaissent leur premier âge d’or durant la période gothique. Elles
prennent d’assaut toutes sortes d’édifices dont la cathédrale. C’est sur celle-ci que les
gargouilles vont prospérer et construire leur réputation de sculpture marginale. Marginale car
elles sont le résultat de l’hybridation de deux schémas de pensées, l’un tourné vers Dieu et
l’autre tourné vers l’Homme. Les gargouilles traduisent à elles seules l’ambivalence et les
préoccupations de l’époque médiévale. Leurs figurations ne vont pas s’arrêter à l’image de
monstres et de démons des enfers. Elles vont adopter des visages plus humains en
représentant des individus ou des pratiques non-conformistes. De ce fait, elles vont être les
ambassadrices de ce monde des marges, lieu de toutes les libertés.
Avec ces nombreux qualificatifs de sculptures marginales et en transcrivant une
certaine liberté artistique, les gargouilles vont pouvoir traverser les époques. Cette traversée
du temps ne se fera pas sans encombre car restant des éléments soumis aux climats, aux
guerres et aux évolutions des goûts architecturaux, certaines d’entre elles vont être amenées à
disparaitre.
Avant le XIXe siècle, les gargouilles et l’art des cathédrales vont être considérés
comme hideux, laids et ils n’auront que peu de défenseurs. Cependant, des hommes vont
contribuer à encenser leur demeure qu’est la cathédrale. Il s’agit des auteurs et artistes
romantiques qui vont par la force de leur art, mettre en lumière ces éléments du patrimoine en
décrépitude. L’un d’entre eux, Victor Hugo, dans son roman Notre-Dame de Paris, va faire de
la cathédrale et de ses gargouilles, le théâtre de son histoire. Le succès de son roman est tel
que quelques années plus tard, un architecte du nom d’Eugène Viollet-le-Duc va marquer à
jamais notre regard sur le Moyen Âge. C’est durant le chantier de restauration de Notre-Dame
de Paris que les gargouilles vont connaître une nouvelle renaissance. En effet, Eugène Violletle-Duc, avec sa vision rationnelle et méthodique, va créer une nouvelle espèce de gargouilles
qui ne crache pas d’eau, qu’il nomme la chimère. Ces créatures campées sur la balustrade de
Notre-Dame vont participer à la reconnaissance de ces monstres de pierre taillées.
121
De nos jours, les gargouilles se retrouvent toujours sur les façades des édifices.
Certaines proviennent de la période médiévale, d’autres d’époques ultérieures mais elles
cohabitent ensemble. Les plus abimées se retrouvent dans des lapidaires des musées des
Beaux-Arts. Éléments chargés d’histoire par leur héritage, elles ne vont plus se contenter de
cracher de l’eau. Les gargouilles et la période gothique vont devenir d’importantes sources
d’inspiration pour la culture populaire. Certains façonnent encore des gargouilles, comme le
sculpteur Jean-Louis Bostel qui au lieu de marquer dragons et chimères terrifiantes, sculpte
des icônes de la pop-culture, telles que le xénomorphe de la série du film Alien de Ridley
Scott, les Gremmlins ou Goldorak.
Il demeure dans les sculptures que sont les gargouilles, une aura magique. Celle-ci
cristallise les rêves et chimères des artistes de toutes les époques. Dans leur immortalité de
pierre, les chimères et gargouilles restent les symboles de l’imagination et de la fantaisie.
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