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Droit de grève, « service minimum » et réquisition en France

Ni patrie ni frontières

Avant 1946, les fonctionnaires n'avaient pas le droit de faire grève, comme c'est encore le cas en Allemagne aujourd'hui puisque, en raison d'une fiction juridique, le rapport entre l'Etat allemand et ses salariés n'est pas considéré comme un rapport entre un employeur et ses salariés ! L'idée dominante en France avant 1946 était aussi que le contrat entre le fonctionnaire et l'Etat n'était pas un contrat de travail normal, puisque les fonctionnaires devaient assurer la «continuité du service public» au service de tous les Français. La grève était considérée comme un «acte illicite». Depuis 1946, le droit de grève a été introduit dans la Constitution française, ce qui peut sembler une avancée pour les travailleurs du secteur public 1 , mais en même temps il a été constamment limité par l'adoption de différents règlements, décisions de justice et lois, ainsi que par deux procédures qui limitent considérablement le droit de grève : la désignation et la réquisition. En France il n'existe pas donc pas un droit de grève absolu pour tous les salariés, du public mais aussi du privé. En effet, on peut obliger les fonctionnaires de l'Etat, et même des salariés de certains secteurs stratégiques du privé (centrales nucléaires, hôpitaux, entreprises de transport-voir plus loin-, audiovisuel, etc.) à travailler soit en raison d'une obligation de service minimum soit grâce à deux mécanismes juridiques : la désignation et la réquisition. Pour ce qui concerne le service minimum : «Certaines catégories de personnel ont un droit de grève limité par la loi afin d'assurer un "service minimum". Cela concerne, par exemple, les agents hospitaliers, les agents de la navigation aérienne et les agents du service public de l'audiovisuel. Ces limitations constituent des atteintes au droit de grève des fonctionnaires. Dans le secteur des transports terrestres réguliers de voyageurs, en cas de grève, les salariés relevant des catégories d'agents indispensables pour assurer un certain niveau de service, sont tenus d'informer leur employeur de leur intention de participer à la grève au plus tard 48 heures avant sa participation effective à la grève. En cas de non-respect de cette obligation de déclaration préalable, les salariés sont passibles de sanction disciplinaire. Les entreprises de transports doivent élaborer un plan de transports pour garantir un certain niveau de service en cas de grève, avec conclusion d'un accord 1 En réalité, les lois et règlements limitant le droit de grève ne concernent pas seulement les fonctionnaires au sens strict mais tous les «agents du service public», notion plus large qui inclut des travailleurs d'entreprises privées effectuant des missions de service public (les entreprises privées chargées du nettoyage des rues, par exemple) ou assurant des services commerciaux ou industriels pour l'Etat (RATP, les trois EPIC de la SNCF, les Ports autonomes, la Réunion des Musée nationaux, etc.). Il y avait en France, en 2016, 5,75 millions de «fonctionnaires» au sens large : en effet, les fonctionnaires, au sens strict, ont un statut mais pas de contrat ; tandis que les autres agents de l'administration dont des contrats, eux-mêmes de différents types. La fonction publique est divisée en trois catégories : la fonction publique d'Etat (2,35 millions d'agents), la fonction publique territoriale (1,87 million d'agents) et la fonction publique hospitalière (1,53 million d'agents), eux mêmes divisés en titulaires, non titulaires de droit public et non titulaires de droit privé. C'est parmi les non titulaires (17 % de ceux qui travaillent pour les trois fonctions publiques à un titre ou un autre, soit presque un million d'agents) qu'on trouve une multitude d'emplois précaires : vacataires, auxiliaires, contractuels, supplétifs et même intérimaires.

Droit de grève, « service minimum » et réquisition en France * Avant 1946, les fonctionnaires n’avaient pas le droit de faire grève, comme c’est encore le cas en Allemagne aujourd’hui puisque, en raison d’une fiction juridique, le rapport entre l’Etat allemand et ses salariés n’est pas considéré comme un rapport entre un employeur et ses salariés ! L’idée dominante en France avant 1946 était aussi que le contrat entre le fonctionnaire et l’Etat n’était pas un contrat de travail normal, puisque les fonctionnaires devaient assurer la «continuité du service public» au service de tous les Français. La grève était considérée comme un «acte illicite». Depuis 1946, le droit de grève a été introduit dans la Constitution française, ce qui peut sembler une avancée pour les travailleurs du secteur public1, mais en même temps il a été constamment limité par l’adoption de différents règlements, décisions de justice et lois, ainsi que par deux procédures qui limitent considérablement le droit de grève : la désignation et la réquisition. En France il n’existe pas donc pas un droit de grève absolu pour tous les salariés, du public mais aussi du privé. En effet, on peut obliger les fonctionnaires de l’Etat, et même des salariés de certains secteurs stratégiques du privé (centrales nucléaires, hôpitaux, entreprises de transport – voir plus loin- –, audiovisuel, etc.) à travailler soit en raison d’une obligation de service minimum soit grâce à deux mécanismes juridiques : la désignation et la réquisition. Pour ce qui concerne le service minimum : «Certaines catégories de personnel ont un droit de grève limité par la loi afin d’assurer un “service minimum”. Cela concerne, par exemple, les agents hospitaliers, les agents de la navigation aérienne et les agents du service public de l’audiovisuel. Ces limitations constituent des atteintes au droit de grève des fonctionnaires. Dans le secteur des transports terrestres réguliers de voyageurs, en cas de grève, les salariés relevant des catégories d’agents indispensables pour assurer un certain niveau de service, sont tenus d’informer leur employeur de leur intention de participer à la grève au plus tard 48 heures avant sa participation effective à la grève. En cas de non-respect de cette obligation de déclaration préalable, les salariés sont passibles de sanction disciplinaire. Les entreprises de transports doivent élaborer un plan de transports pour garantir un certain niveau de service en cas de grève, avec conclusion d’un accord 1 En réalité, les lois et règlements limitant le droit de grève ne concernent pas seulement les fonctionnaires au sens strict mais tous les «agents du service public», notion plus large qui inclut des travailleurs d’entreprises privées effectuant des missions de service public (les entreprises privées chargées du nettoyage des rues, par exemple) ou assurant des services commerciaux ou industriels pour l’Etat (RATP, les trois EPIC de la SNCF, les Ports autonomes, la Réunion des Musée nationaux, etc.). Il y avait en France, en 2016, 5,75 millions de «fonctionnaires» au sens large : en effet, les fonctionnaires, au sens strict, ont un statut mais pas de contrat ; tandis que les autres agents de l’administration dont des contrats, eux-mêmes de différents types. La fonction publique est divisée en trois catégories : la fonction publique d’Etat (2,35 millions d’agents), la fonction publique territoriale (1,87 million d’agents) et la fonction publique hospitalière (1,53 million d’agents), eux mêmes divisés en titulaires, non titulaires de droit public et non titulaires de droit privé. C’est parmi les non titulaires (17 % de ceux qui travaillent pour les trois fonctions publiques à un titre ou un autre, soit presque un million d’agents) qu’on trouve une multitude d’emplois précaires : vacataires, auxiliaires, contractuels, supplétifs et même intérimaires. 1 collectif de prévisibilité du service. Ce service garanti conduit à la possibilité de recourir à la réaffectation du personnel disponible (c’est-à-dire du personnel non gréviste).2» Pour ce qui concerne les procédures encore plus restrictives mises en place contre le droit de grève, elles sont de deux sortes : – la désignation (depuis 1950). La désignation implique que le Conseil des ministres démontre que certains fonctionnaires sont indispensables à «la sécurité des personnes et des biens» ou bien qu’ils sont «chargées de fonctions d’autorité» (grosso modo, les cadres). La procédure de désignation est, en théorie, contrôlée par le Conseil d’Etat et repose sur l’idée qu’une grève ne peut interrompre totalement un service public. Selon un rapport de la CGT, les désignations sont souvent l’objet d’abus et le nombre de personnes désignées doit, en principe, être restreint au seulement au nombre de salariés nécessaire pour assurer un service minimum. Les grévistes peuvent saisir le juge administratif contre une désignation mais évidemment ils ne gagnent pas à tous les coups. Les désignations prises par les chefs de service (et non par le gouvernement et les préfets comme les réquisitions) reposent parfois sur des listes de salariés tenus à rester à leur poste en cas de grève, et ces salariés doivent être prévenus par un lettre individuelle. C’est le cas, par exemple, dans les hôpitaux. En ce qui concerne les enseignants, s’ils sont désignés pour assurer la tenue d’un examen, ils sont obligés de venir mais pas de faire l’appel, de contrôler que les élèves copient ou ne téléphonent durant l’examen3. Pour les syndicats, la désignation ne repose sur aucune loi ni aucun règlement ; elle relève seulement d’un arrêt du Conseil d’Etat en 1950 et de la jurisprudence respectée par les tribunaux depuis cette date. Cette jurisprudence est donc systématiquement défavorable aux grévistes victimes de cette procédure de désignation – et la réquisition Si une grève «porte gravement atteinte à la continuité du service public ou aux besoins de la population certains agents peuvent être réquisitionnés» selon la loi. Quand il était ministre de l’Intérieur , Sarkozy a introduit cette disposition dans le Code de sécurité intérieure 4 voté par le Parlement en mars 2003, mais elle avait déjà été pratiquée largement par l’Etat avant lui (au moins depuis la loi du 11 juillet 1938), même si elle était tombée en déshérence après la grande grève des mineurs de 1963 (voir plus loin). La réquisition des grévistes ne peut jamais être demandée au juge, ni ordonnée par l’employeur. L’Organisation internationale du travail n’admet ce type de restrictions au droit de grève que lorsque sont en cause «la sécurité des personnes ou leur santé», mais pas pour des enjeux industriels, ou encore 2 https://www.cgt.fr/actualites/fonction-publique-services-publics/droit/greve-dans-le-secteur-publicmodalites-et 3 http://www.cnt-f.org/59-62/archives/Juri0010.htm 4 Comme le remarque Patrick Le Moal dans un article intitulé «Réquisitions : premières remarques https://www.chroniqueaprès les ordonnances des dernières semaines» (2010), ouvriere.fr/spip.php?article189 : «Rappelons que cette loi créait une série de nouveaux délits et de nouvelles sanctions concernant la prostitution, la mendicité, les gens du voyage, les squatters, les rassemblements dans les halls d’immeubles, les menaces, le hooliganisme, l’homophobie ou le commerce des armes. Elle octroyait par ailleurs de nouveaux pouvoirs aux forces de l’ordre comme l’élargissement de certains fichiers, des modifications des conditions de garde à vue, etc.» Et de conclure «Manifestement, le gouvernement de l’époque a utilisé la loi sur la délinquance pour faire passer en catimini une attaque majeure contre le droit de grève» car «dans quels autres cas que la grève peut-on faire appel à “ la réquisition de stations d’essence, la réquisition de certaines entreprises”» ? 2 liés à l’enseignement, la circulation ou l’énergie… En même temps, cette position est hypocrite puisque l’OIT soutient l’imposition aux travailleurs d’un service minimum !!! Le gouvernement et les préfets peuvent mettre en place la réquisition des salariés dans le secteur public comme dans le secteur privé. Le droit de grève est donc plus encadré dans le secteur public que dans le secteur privé mais ce dernier n’y échappe pas. La réquisition doit être motivée et peut faire l’objet d’un recours devant le tribunal administratif. L’objectif n’est pas, en principe, de supprimer totalement le droit de grève, mais de conserver un service minimum. Donc on ne peut obliger tous les salariés d’une entreprise à reprendre le travail. Il s’agit néanmoins d’une arme de dissuasion redoutable dans la mesure où les grèves sont rarement activement soutenues par 75% voir même 51% des salariés. La peine encourue pour un salarié qui refuse de se plier à la réquisition peut aller jusqu’à 6 mois de prison ferme et 10 000 euros d’amende. Résister à une réquisition est donc prendre un risque très important. Les réquisitions ont beaucoup été imposées par l’Etat français durant la guerre froide et jusqu’à la grande grève des mineurs de 1963 : réquisition du personnel des cokeries en 1948, des travailleurs du gaz et de l’électricité en 1950, des cheminots en 1953, des fonctionnaires de l’administration pénitentiaire en 1957, des employés de la SNCF en 1959, des conducteurs de la RATP et des employés d’Air France en 1960, des agents de la Météorologie nationale, du personnel de la SNCF et des internes des hôpitaux en 1961 5. En 1963, les mineurs passèrent outre à la réquisition décidée par le gouvernement ce qui porté un coup d’arrêt provisoire à cette procédure. Voici quelques détails informations utiles à ce propos fournies par le camarade Paul (cf. son article sur « Les lois et la réalité à la SNCF » ci-dessous) : «La grève des mineurs éclate en 1963 (du 1er mars au 4 avril, soit 35 jours) dans une période où, au pouvoir depuis mai 1958 et après la fin de la guerre d’Algérie en mars 1962, le régime gaulliste semble intouchable d’autant plus que de 1959 à 1965, les grèves marquent le pas. Elle démarre, à l’appel des trois syndicats CGT, CFTC et FO, le 1er mars 1963. Une des causes en est la suppression de l’indexation (mise en place en 1954) des salaires des mineurs sur celui des prix. En conséquence, le salaire moyen des mineurs diminuait par rapport à celui des autres catégories. Dès le début de la grève, le gouvernement Pompidou, via le ministre du Travail, Bokanowski, annonça que la grève ne pouvait durer que 48 heures et qu’ensuite ce serait la réquisition. L’ordre parut le 4 mars 1963. Les 200 000 mineurs grévistes résistèrent à cet ordre ; la grève dura 35 jours (jusqu’au 4 avril 1963) et le gouvernement ne pût imposer son ordre de réquisition. Il accepta finalement d’augmenter les salaires de 8 % plus 4,5 % minimum, échelonné jusqu’au 1er avril 1964 et accorda la 4e semaine de congés payés. Et c’est cela qui fut interprété comme une victoire. En fait, une minorité de grévistes voulait continuer et se sentit flouée par la consigne de reprise donnée par les syndicats, CGT en tête. Dans plusieurs mines du Nord (Déchy, Hénin-Beaumont, etc.), les grévistes déchirèrent leurs cartes CGT.» Au XXIe siècle, les dernières réquisitions ont eu lieu à l’automne 2010, pendant un autre mouvement contre la réforme des retraites. Douze raffineries étaient bloquées. Le préfet des Yvelines réquisitionna les salariés de Total à Gargenville pendant 6 jours en raison des risques de pénurie pour l’aéroport de Roissy et les services d’urgence. Une première fois, le préfet de Seine-et-Marne demanda la réquisition de la quasi totalité du personnel de la raffinerie de Grandpuits dans son département mais son arrêté de réquisition fut annulé parce qu’il portait atteinte au droit de grève. Par contre contre il fut accepté, la 5 Ces informations sont extraites de «La privation du droit de grève», de Pascal Cambeau, dans Grèves et droit public, ouvrage dirigé par Florence Crouzatier-Durand et Nicolas Kada, Presses de Toulouse 1 Capitole, 2017. Cet article m’a été très utile pour écrire ce texte ainsi que les sites de la CGT, de la CNT et de Sud Education. 3 seconde fois, parce qu’il réquisitionna «seulement» 14 grévistes. Et le préfet de Loire-Atlantique réquisitionna 4 salariés du dépôt (15 salariés) d’une raffinerie à Donges comptant 650 salariés. D’autres préfets demandèrent des réquisitions qui furent refusées par la justice. En effet la référence à la nécessité d’alimenter les particuliers en fioul domestique ne fut pas considérée comme suffisante ; les préfets auraient dû démontrer qu’il y avait un enjeu de salubrité ou de santé publique. Si l’on peut se réjouir que les syndicats aient pu dans certains cas faire reconnaître l’illégalité des réquisitions préfectorales, il faut savoir, comme le note Patrick Le Moal (op. cit.), que, dans toutes les décisions de justice, les juges ont considéré que les grèves pouvaient provoquer des «troubles à l’ordre et à la sécurité publics», ce qui n’est pas de bon augure pour le respect du droit de grève : «Dès lors qu’un secteur industriel, de transport, a la capacité de bloquer l’économie, le risque est grand de voir utiliser cette procédure de réquisition, qui vide de sens toute efficacité à la grève. On dépasse ici toutes les décisions condamnant les grévistes jugés responsables d’atteinte au droit de propriété, d’atteinte à la liberté du travail, puisqu’on peut être amené à voir jugé que l’exercice d’un droit constitutionnel peut être une atteinte à l’ordre public.» Plusieurs lois prônent la réquisition : – Le Code de la défense, rarement appliqué. La réquisition décidée par le gouvernement doit concerner tous les citoyens français pas simplement des grévistes. Et elle suppose donc que la France ou une partie du territoire soit attaquée ou bien qu’il y ait une mobilisation générale de la population en prévision d’une guerre. Cela dit, comme le remarquait le gouvernement Sarkozy en 2003, «Il a été fait application de ces dispositions, pour la dernière fois, à l’occasion de la guerre du Golfe de 1991 (décrets n° 91-42 du 14 janvier 1991 et n° 91-60 du 17 janvier 1991), afin de réquisitionner des personnes et des moyens matériels des compagnies aériennes et des compagnies d’armements maritimes françaises.» – Le Code des collectivités territoriales (dans ce cas, la réquisition est prise par le préfet, le plus souvent suite à une décision gouvernementale mais pas toujours). Le maire d’une commune peut donc réquisitionner les salariés qui dépendent de son autorité. Il faut que les mesures soient justifiées par l’urgence et proportionnées. Par exemple, en novembre 2003, lors d’une grève de sages femmes à la clinique du Parc le préfet d’Indre-et-Loire s’est vu condamné pour avoir voulu requérir toutes les sages-femmes et parce qu’il n’avait pas cherché d’autres solutions alternatives dans la région de Tours. Certains fonctionnaires n’ont pas le droit de faire grève : policiers, militaires, juges, une partie du personnel des prisons, ingénieurs de la météorologie nationale, douanes, greffiers, agents de sécurité,6, etc. Il est intéressant de noter que les fameux «régimes spéciaux» des fonctionnaires qui sont au cœur de la réforme des retraites du gouvernement Macron-Philippe ont été mis en place justement pour empêcher les fonctionnaires de faire grève en leur accordant des «avantages» qui n’étaient pas accordés aux autres salariés, notamment en terme de déroulement de carrière, de primes, d’indices des salaires et de retraites. Cela n’a pas empêché les salariés visés par cette interdiction de faire grève de manifester ou de mettre en place des grèves du zèle, qu’il s’agisse des magistrats ou des policiers. Pour pouvoir faire grève dans la fonction publique – il faut qu’un préavis de grève ait été déposé par un syndicat considéré comme représentatif à l’échelle nationale ou dans l’entreprise ou le service concerné. En principe, cela veut dire que, contrairement au secteur privé, un groupe de non syndiqués ne peut pas lancer de grève dans le secteur public. Le préavis doit être déposé 5 jours ouvrables avant la grève. Cette règle a des effets pervers pour les gestionnaires de l’ordre bourgeois, puisque les syndicats ont de moins en moins de membres et 6 Jusqu’en 1984, les contrôleurs aériens n’avaient pas le droit de faire grève mais depuis cette date ils peuvent cesser le travail mais doivent assurer un service minimum. 4 d’influence. Cela a abouti dans le passé à la constitution de comités de grève où les syndicats sont minoritaires, ou plus grave encore pour les bureaucraties syndicales et l’Etat, de coordinations en dehors des syndicats par exemple chez les cheminots en 1986 et les infirmières en 1988, coordinations plus représentatives que les syndicats et en même temps illégales. Certes, ces coordinations ont fini par se transformer en syndicats pérennes, mais la faiblesse et le peu de représentativité des syndicats demeure, même chez les fonctionnaires. Dans les écoles maternelles et élémentaires, les préavis de grève ne peuvent être déposés qu’à l’issue de négociations préalables entre l’Etat et les syndicats enseignants représentatifs. Depuis 2008, il existe un service minimum d’accueil dans les écoles maternelles et élémentaires. Les enseignants doivent se déclarer grévistes au moins 48 heures (dont un jour ouvré) avant la grève. Ils doivent remplir une «déclaration individuelle d’intention», aussi appelée «D2I». Lorsqu’il y a plus de 25% d’enseignants en grève c’est à la commune et non à l’Etat de trouver des solutions. Dans les transports, les travailleurs peuvent se mettre en grève à n’importe quel moment durant le préavis déposé, mais seulement au moment de leur prise de service. Les grévistes ne peuvent empêcher les transports de fonctionner, ce qui pose des problèmes par exemple pour bloquer les dépôts de bus en ce moment même. Y.C., Ni patrie ni frontières, 23/12/2019 *** - QUELQUES ARTICLES UTILES SUR LA REQUISITION, LE SERVICE MINIMUM ET LE DROIT DE GREVE DES FONCTIONNAIRES ET ASSIMILES https://www.lailler-avocat.com/greve-blocage-requisition/ http://www.chronique-ouvriere.fr/spip.php?article189&lang=fr http://www.cgteduc.fr/droits-syndicaux-mainmenu-56/droits-de-grve-mainmenu-140/modalitsmainmenu-141/1107-rquisition-assignation-dsignation https://www.lemonde.fr/les-decodeurs/article/2018/04/09/sept-idees-recues-sur-le-droit-degreve_5282761_4355770.html http://www.cnt-f.org/educ34/spip.php?article38 5 * Les lois et la réalité, l’exemple de la SNCF Depuis la loi du 21 août 2007 sur «sur le dialogue social et la continuité du service public dans les transports terrestres réguliers de voyageurs » il existe «des règles pour favoriser le dialogue social et permettre une meilleure organisation des services de transports publics terrestres en cas de grève sans mettre en place une véritable obligation de service minimum». La loi instaure l’obligation pour les salariés d’indiquer quarante-huit heures à l’avance qu’ils ont l’intention de faire grève pour permettre aux collectivités locales de réorganiser le service sur les dessertes les plus importantes, en substituant des non-grévistes aux grévistes. En fait, la loi, le droit ne sont que des expressions, à un moment donné du rapport de force entre salariés et patrons. Une mesure comme la déclaration à l’avance (DII) sert le patron quand un mouvement n’est pas majoritaire, il peut le bloquer, la déclaration est nominative donc la hiérarchie sait qui fait grève ou pas. Mais lorsqu’un mouvement est massif et imprévu (sans faire référence à la grève des mineurs de 1963), la loi vole en éclats devant le rapport de forces en faveur des grévistes (voir plus loin). A la SNCF, trois catégories de personnel sont soumises à ce dispositif de déclaration à l’avance : les conducteurs, les contrôleurs et les aiguilleurs. Cela n’empêche pas les grèves, cela facilite le travail du patron pour contrer les effets de la grève tant en réorganisant le service en fonction du nombre de grévistes déclarés. Elle a d’ailleurs créé, pour contrer les grèves des conducteurs (les plus aptes par leur place dans les rapports de production, à bloquer celle-ci et produire des effets visibles) le sinistre PoolFac (ou pool facultatif). Ce pool, créé en 2008, est composé de conducteurs bénéficiant de salaires plus élevés et de primes supplémentaires lorsqu’ils remplacent, au pied levé, d’autres conducteurs, surtout lorsque ces derniers sont grévistes, sur toutes les lignes du réseau Île-de-France. Les effets pervers du DII sont les suivants. Dans une entreprise travaillant 7 jours sur 7, les salariés ont des plannings complexes incluant entre le travail et les congés, ou la maladie, des jours de repos. Si un travailleur est de repos programmé le samedi et le dimanche (jours payés) et qu’il fait grève le vendredi et le lundi, le samedi et le dimanche lui seront déduits comme jour de grève. Et cela vaut aussi si le salarié avait posé des congés. Et ce principe vaut également à la RATP mais aussi pour les instituteurs du primaire. Conséquence, les salariés qui font grève sont parfois obligés de jongler (s’ils ne veulent pas perdre trop de salaires) avec leur présence à la grève, ce qui affaiblit naturellement celle-ci. Lors de la grève des 2/5 (grève deux jours sur cinq) d’avril à juillet 2018, j’avais interrogé des grévistes, lors d’une AG, sur ce qui se passait quand on contrevenait à la déclaration en DII. «Peut-on faire grève sans être couvert par un préavis syndical ? Formellement non mais pratiquement oui, sauf en évoquant le droit de retrait. Donc si on veut faire rebondir la grève et quitter les 2/5, il faudrait s’appuyer sur le préavis de SUD. Certes, à cause du D2I, “l’imprévisibilité” est limitée mais si on outrepasse cela, que risqueraient ceux qui le pratiqueraient ? Ça discute dans tous les coins.» Réponse : «On perd trois jours par jour de grève «sauvage», si bien que 10 jours de grève coûteraient le mois de salaire. Ensuite, il y a les sanctions. Pour un jeune aiguilleur, cela a été un blâme. Pour M. [délégué CGT animateur du syndicat CGT de Versailles], la fois précédente, cela a été convocation et avertissement non-amendable. Réfléchir au contournement des D2I n’est pas pour l’instant à l’ordre du jour. En discuter sans hostilité est possible, mais la réponse reste : «Oui, mais on fait ce qu’on peut avec les règles du jeu que l’on a.». En fait, ce que révèlent ces dispositifs c’est qu’ils forcent prématurément, lors d’une grève, les grévistes à se poser la question de l’illégalité ; question qui, comme chacun sait, ne se décrète pas mais ne peut être que le produit d’un long murissement de la perception des grévistes. 6 Pourtant, dernièrement, les conducteurs, même s’ils ne se sont pas déclarés franchement en grève (ils ont utilisé le «droit de retrait 7» ont réussi à paralyser efficacement le trafic. * La «grève sauvage» du 18 octobre 2019 Un TER reliant Charleville-Mézières à Reims a percuté un convoi exceptionnel routier sur un passage à niveau de Saint-Pierre-sur-Vence (Ardennes). Le choc a fait onze blessés, dont le conducteur qui a dû gérer, seul, la situation : rassurer les 70 passagers mais aussi éviter le «sur-accident» en alertant les autres trains. Les syndicats contestent le principe d’«équipement agent seul» (EAS), qui concerne 75 % des TER, où le conducteur est le seul salarié de la SNCF à bord. Aussitôt la nouvelle connue, les conducteurs se mettent en grève par contagion dans de nombreuses régions et bloque le trafic voyageurs lors du weekend. La grève se termine le 21 octobre. Aucune revendication. Cette grève exprimait le ras le bol des conducteurs depuis la défaite de 2018. Cela prouve juste qu’une grève ne se décrète pas, ne se force pas, en tout cas par les syndicats (pourtant ces conducteurs étaient syndiqués à la CGT, SUD Rail et même l’UNSA. * Paul, 18/12/2019 7 Depuis 2008, tout salarié peut stopper son travail en cas de danger «grave et imminent», ou s’il constate «toute défectuosité dans les systèmes de protection». Tant que le danger n’est pas écarté, l’employeur ne peut forcer un salarié à reprendre le travail. Contrairement à une grève, le droit de retrait n’empêche pas le travailleur de toucher son salaire, et il n’est pas nécessaire de déposer un préavis. L’employé qui veut exercer son droit de retrait doit en informer sa hiérarchie. Puis «l’employeur procède immédiatement à une enquête avec le représentant du comité social et économique (NDLR : un syndicaliste) qui lui a signalé le danger et prend les dispositions nécessaires pour y remédier», souligne le Code du Travail. «À défaut d’accord entre l’employeur et le comité social et économique sur les mesures à prendre, l’inspecteur du travail est saisi par l’employeur», poursuit la loi. 7