Joël 3 dans la littérature talmudique
RON NAIWELD
Introduction
Le chapitre 3 du livre de Joël constitue un texte extrêmement important dans l’étude du
christianisme primitif grâce à l’usage qu’en fait le Nouveau Testament (Actes 2) pour fournir
une preuve biblique à l’inspiration divine des apôtres et, peut-être, de tous ceux qui croient en
Jésus. En revanche, pour la tradition rabbinique, ce chapitre ne semble pas constituer un lieu
biblique important. On ne trouve pas dans le corpus rabbinique exégétique des passages
consacrés à l’ensemble des versets, mais seulement quelques exégèses éparses des certains de
ses lemmes.
En règle générale, la littérature rabbinique de l’époque tannaïtique (deuxième siècle-début du
troisième siècle) ne cite que très rarement Joël 3, plus précisément deux fois, dans la Mekhilta
de Rabbi Ishmael, un recueil exégétique sur le livre de l’Exode, et dans le Sifre Deutéronome,
un recueil exégétique sur le dernier livre du Pentateuque. Nous allons revenir sur ces exégèses
plus tard, mais pour le moment on peut noter le point suivant : bien que Joël 3 ne soit pas
beaucoup utilisé par les tannaïm, il n’est pas complètement ignoré par eux. Qui plus est, la
Mekhilta et le Sifre, où on trouve les exégèses sur Joël 3,5 sont des recueils exégétiques
provenant de deux écoles rabbiniques distinctes de l’époque tannaïtique – celle de Rabbi
Ishmaël et celle de Rabbi Aqiba. En ce qui concerne la littérature amoraïque et postamoraïque (troisième-huitième siècles), plus vaste que la littérautre tannaïtique, en on trouve
un nombre un peu plus grand, mais toujours restreint, de références à Joël 3, avec une
majorité légère des sources d’origine palestinienne et non babylonienne.
Nous allons passer en revue les lemmes cités par la littérature rabbinique et la manière dont
les rabbins en font l’exégèse. Je commence par une traduction des versets bibliques de Joël 3
en français :
1 Après cela, je répandrai mon esprit sur toute chair, et vos fils et vos filles prophétiseront, vos
vieillards songeront des songes et vos jeunes gens verront des visions.
2 Et aussi sur les esclaves et les servantes, en ces jours, je répandrai mon esprit.
3 Et je ferai apparaître [lit. donnerai] des prodiges dans le ciel et sur la terre: du sang, du feu et des
colonnes de fumée.
4 Le soleil se changera en ténèbres et la lune en sang, à l'approche du jour de Yhwh si grand et si
redoutable.
1
5 Alors quiconque sera appelé par le nom Yhwh se sauvera; car sur le mont Sion et dans Jérusalem le
salut sera assuré, ainsi que l'a dit Yhwh, parmi les survivants, à ceux que Yhwh appelle.
L’esprit répandu
L’esprit divin dont parle Joël en 3, 1 n’occupait pas beaucoup l’esprit des premiers rabbins, au
moins selon les traces textuelles qu’ils nous ont laissées. Pourtant, la question même de
« l’esprit saint » (rouah ha-qodesh) dans le sens d’une inspiration divine n’est pas absente du
discours rabbinique. Par exemple, dans Mishnah Sotah 9, 15, Rabbi Pinhas ben Yair dit que la
piété (hassidout) entraine l’esprit saint. Selon un autre enseignement attribué à Rabbi Aqiba
(Tossefta Sotah 6, 2) : « lorsqu’Israël sont montés de la mère ils voulaient chanter des
louanges. L’esprit saint a été répandu sur eux et ils ont chanté des louanges »1. Les rabbins
semblent utiliser le terme de manière relativement décomplexée. Il est vrai qu’ils insistent
parfois sur le fait que l’esprit saint ne séjourne plus sur Israël depuis l’époque des Prophètes,
mais on peut trouver d’autres enseignements qui attribuent l’esprit saint aux gens de l’époque
postbiblique, en fonction de leur éthique. Par exemple, la Mekhilta deRabbi Ishmael cite un
enseignement de Rabbi Nehemia : « celui qui accepte un seul commandement est digne
d’avoir l’esprit saint répandu sur lui »2. On peut tirer deux conclusions de ces enseignements.
Premièrement, le sens que donne le discours rabbinique à l’expression « esprit saint » est
proche voire similaire au sens que lui donnent les écrits du Nouveau Testament – une
inspiration divine qui « tombe » sur une ou plusieurs personnes et les rend capable d’exprimer
une parole de Vérité de la part de Dieu. Deuxièmement, il y a un désaccord au sein des
rabbins quant à la question si l’esprit saint peut toujours séjourner sur des êtres humains dans
l’époque postbiblique. En réalité, même en ce qui concerne l’époque biblique il y a un
désaccord, puisque certains rabbins affirment que l’esprit saint a quitté Israël après Elie.
Les traditions rabbiniques sur la fin de l’époque prophétique ne font pas appel à Joël 3, 1-2
(les deux versets où il est question de l’esprit répandu), mais les versets ne sont pas ignorés
par les rabbins, qui en proposent des exégèses. Nous avons cinq références aux versets dans
des recueils midrashiques rédigés en Palestine à la fin de l’époque talmudique (ca. Ve siècle).
Dans Eikhah Rabbah, un recueil d’exégèses rabbiniques sur le livre des Lamentations, Joël 1
est utilisé une fois, dans un passage qui distingue huit références biblique à Dieu qui répand
son esprit. Selon le passage, il faut distinguer entre les quatre actions divines de « répandre »
qui sont bonnes et quatre autres qui sont mauvaises. Les versets de Joël 3,1-2 font partie des
1
2
Voir aussi Tossefta Sotah chapitres 9 et 12 pour d’autres allusions à rouah ha-qodesh.
Mekhilta de Rabbi Ishamel Va-yehi, 6.
2
cas positifs avec Zacharie 12,1 (« Je répandrai sur la maison de David et sur l’habitant de
Jérusalem un esprit de grâce et de supplication… »), Ezéchiel 39,29 (« Et je ne leur cacherai
plus ma face, car je répandrai mon esprit sur la maison d’Israël… »). L’exégète considère que
Joël 3,1 et 3,2 représentent deux événements distincts où Dieu répand son esprit. Il le fait
probablement afin d’établir une symétrie avec les quatre cas négatifs. Dans ces derniers il est
question de Dieu qui répand sa colère (hamato). Il est intéressant de noter que la connotation
prophétique n’est pas soulignée par notre exégète. Ce qui lui importe est la positivité de la
chose répandue par Dieu, qu’il s’agisse de la grâce (comme dans le verset de Zacharie) ou de
l’esprit prophétique.
Le sens prophétique de Joël 3, 1-2 est plus souligné dans les quatre autres références
amoraïques et post-amoraïques. Le Midrash de Tanhuma cite l’enseignement suivant : « Le
Saint béni soit-il a dit : dans ce monde, la prophétie a été donné aux individus 3, mais dans le
temps à venir (la-atid lavo) [elle sera donnée] à chaque homme, comme il est dit : ‘Après cela,
je répandrai mon esprit sur toute chair, et vos fils et vos filles prophétiseront, vos vieillards
songeront des songes et vos jeunes gens verront des visions’. » 4 Selon l’exégète, dans
l’avenir eschatologique la prophétie sera universelle. Il n’y est pas question uniquement des
membres de la nation d’Israël.
Dans le recueil midrashique Midrash Tehilim (sur Psaumes), on trouve un autre midrash de
Joël 3,1 lequel le lit comme une prophétie sur « le temps à venir ». Il sera intéressant de citer
le passage, même si notre verset y occupe une place relativement marginal :
… Tu trouves que dans le livre des Psaumes, il est écrit deux fois : « Qui donnera de Sion le
salut d’Israël » (14, 7 et 53, 7) – une fois dans le premier livre, et puis dans le deuxième. Pourquoi ? R.
Levi a dit : l’une [a été dit] pour le maître, et l’autre pour le disciple (…) Le maître est le Saint, béni
soit-il, qui a dit : « Qui garantirait (lit. donnera) que leur cœur me craigne… » (Deut. 5, 25) ; le
disciple est Moïse, qui a dit : « Qui donnera que tous les gens [lit. peuple] de Yhwh soient prophètes »
(Nom. 11, 29). Ni les propos du maître ni ceux du disciple ne sont accomplis dans ce monde, mais
dans le temps à venir ils seront accomplis. Les propos du maître : « Et je vous donnerai un cœur
nouveau » (Ezéchiel 36, 26) ; les propos du disciple : « je répandrai mon esprit sur toute chair… »
(Joël 3, 1)5.
Ce passage est intéressant car il recoupe quelques traditions chrétiennes aussi bien par sa
thématique (la possibilité que la prophétie soit répandue sur « toute chair ») que par les
Autre version (dans l’édition Buber) : à un sur mille.
Tanhuma (édition Vilna) Miketz, 2 ; Tanhuma (édition Buber) Miketz 4.
5 Midrash Tehilim 14, 6 ; voir aussi 138, 2 pour un autre usage eschatologique de Joël 3, 1.
3
4
3
versets qu’il commente (Joël 3, 1 mais aussi Ezéchiel 36, 26). A la différence des traditions
chrétiennes, notre midrash et les autres références rabbiniques à Joël 3 considèrent que la
prophétie de Joël ne sera pas accomplie dans ce monde, mais seulement dans le « temps à
venir ». Contrairement à l’auteur des Actes, ils ne croient pas que le jour où Dieu répandra
son esprit « sur toute chair » soit déjà arrivé. Cependant, il est frappant de voir à quel point les
exégèses du midrash Tehilim et de Tanhuma partagent la même vision eschatologique que les
traditions chrétiennes : pour les exégètes rabbiniques aussi bien que chrétiens l’histoire
humaine se divise en deux – dans la première partie Dieu répand son esprit uniquement sur
quelques élus, tandis que dans le monde à venir cet esprit sera répandu sur tout le monde.
Quel est le rapport entre les exégèses rabbiniques et les traditions chrétiennes ? S’agit-il d’une
influence chrétienne sur les rabbins ? Pas nécessairement. On peut y voir un vrai phénomène
d’intertextualité qui est le résultat du fait que les discours rabbinique et chrétien font
l’herméneutique de la même tradition textuelle.
Un autre passage rabbinique, du recueil Avot deRabbi Nathan (version B chapitre 43), fait
référence à Joël 3, 1-2. Dans ce recueil, dont le statut au sein du corpus rabbinique est étrange
et peu même être qualifié de marginal, on trouve une compréhension très audacieuse des
versets :
Lorsqu’il dit : « Après cela, je répandrai mon esprit sur toute chair, et vos fils et vos filles
prophétiseront », et ajoute : « Et aussi sur les esclaves et les servantes, en ces jours [je répandrai mon
esprit] » - cela veut inclure aussi la bête et l’oiseau. J’aurai pensé qu’il s’agit uniquement des êtres
humains, mais lorsqu’il dit « et aussi », je comprends qu’il inclus tous [les êtres vivants].
Ici l’exégète opère une démarche midrashique classique que l’on connaît depuis l’époque
tannaïtique, où chaque lettre et chaque mot sont considérés comme ayant une signification. Le
midrash dit que la conjonction « et aussi » est redondant, car on peut comprendre le verset
parfaitement sans elle. Mais puisque tous les éléments du texte biblique doivent avoir un sens,
l’exégète prend la locution pour conclure que la promesse de Dieu de répandre son esprit sera
valable à tous les êtres vivants. Doit-on y voir la preuve d’une approche eschatologique
radicale qui éteint la prophétie future sur tous les êtres ? Peut-être. Mais le texte peut aussi
être lu comme une parodie de la part des rédacteurs sur la notion même de la prophétie
universelle que le texte biblique, et certains interprètes tardifs, juifs et chrétiens, semblent
suggérer.
4
Les prodiges dans le ciel et sur la terre
Les versets 3 et 4, où il est question des prodiges que Dieu fera dans le temps eschatologique,
le jour où il répandra son esprit sur tous, sont commentés également peu de fois par les
rabbins. On trouve deux références dans le corpus de Tanhuma, et une dans la Pesikta deRav
Kahana. Les deux sont des recueils midrashiques homilétiques, c’est-à-dire destinés à un
public synagogal, qui pouvait avoir une certaine familiarité avec les traditions rabbiniques.
La Pesikta deRav Kahana 7 cite Joël 3, 3 dans le cadre d’un passage exégétique au sujet de la
punition que Dieu va infliger sur Rome. Le passage dépend du lemme « Et au milieu de la
nuit [Yhwh frappa tout les premiers-nés dans le pays d’Egypte, depuis le premier-né de
Pharaon, jusqu’au premier-né du captif dans sa prison, et jusqu’à tous les premiers-nés des
animaux] » (Exode 12, 29). Il s’agit donc d’une interrogation sur la plaie la plus sévère
infligée aux égyptiens, et sur les neuf plaies qui l’ont précédée. La partie qui nous intéresse
commence par une citation de Rabbi Levi :
Rabbi Lévi, le gendre de Rabbi Zekharia au nom de Rabbi Berakhia dit : « Tout comme les nouvelles
arrivant d’Egypte, celles qui arriveront de Tyr [tsor] sèmeront la terreur » (Isaïe, 23, 5) – Rabbi
Eliezer a dit que chaque fois qu’il est écrit Tyr en écriture pleine [c’est-à-dire avec un ]וil s’agit bien
de Tyr, et chaque fois qu’il est écrit Tyr en écriture partiel [sans ]וil s’agit de Rome la méchante.
Rabbi Lévi au nom de Rabbi Hama ben Rabbi Hanina dit : celui qui a fait payer les premiers fera
payer les derniers : sur les égyptiens il a infligé la plaie du sang, ainsi il fera pour Edom – « Et je ferai
apparaître des prodiges dans le ciel et sur la terre: du sang, du feu et des colonnes de fumée » (Joël 3,
3) ; sur les égyptiens il a infligé la plaie des grenouilles, ainsi il fera pour Edom….
Le passage continue de cette manière afin d’appuyer son point que les dix plaies infligées à
l’Egypte seront infligés aussi à Rome. Notre verset de Joël est compris donc comme faisant
référence à une punition future contre Rome. On trouve pratiquement le même midrash dans
Tanhuma, Bo 6 (Buber).
Tanhuma Bereshit 12 est le seul passage de la littérature rabbinique classique qui emploie Joël
3, 4 :
« Telles sont les origines du ciel et de la terre lorsqu’ils furent créés » (Gen. 2, 4).
Notre maître, enseigne nous ! Celui qui voit des éclaires et des foudres, quelle bénédiction doit-il
prononcer ?
Nos maîtres ont enseigné ainsi : sur les foudres et les horreurs et les éclaires et les tonnerres il dit –
« Béni soit lui dont le pouvoir remplit le monde ».
5
Cet enseignement vient de la Mishnah ; Est-ce que la Bible nous apprends cela également ?
Oui ! Il est dit – « Celui qui fait trembler la terre en la regardant » (Ps. 104, 32), et qu’est-ce qu’il est
écrit à la suite de ce verset ? « Que la gloire de Yhwh soit éternelle » (Ps. 104, 31)6.
Elie de mémoire béni a demandé à Rav : mon maître, pourquoi les horreurs viennent-elles au monde ?
Il lui a répondu : Lorsque le Saint, béni soit-il voit que les gens d’Israël ne versent pas leur dîme
correctement, les horreurs viennent au monde.
Elie de mémoire béni lui a dit : […] voici la vraie raison de cela : lorsque le Saint, béni soit-il, regard
son monde et voit les maisons d’idolâtrie en paix et en sécurité tandis que son temple à lui est détruit,
à ce moment-là il veut faire tomber son monde et le fait trembler. Le Saint, béni soit-il dit : tout ce
bruit est fait pour consacrer mon nom, comme il est dit « Tous ceux qui se réclament de mon nom, que
j’ai crées, formés, façonnés pour ma gloire » (Isaïe 43, 7). Et ce qui devrait me glorifier – les nations
l’utilisent pour m’enrager. Celui-là dit - Yhwh fait ceci et cela, et celui-là fait les cultes des signes
astraux, et encore un autre fait le culte de Mercure et du soleil. Et c’est pour cela que j’apporte le
tremblement au monde. Même si les signes astraux n’ont pas péchés, puisqu’on les utilise pour
m’enrager, ils soufrent aussi, comme il est dit : « Le soleil se changera en ténèbres et la lune en sang »
(Joël 3, 4).
Et pourquoi soucieraient-ils de cela ?
Il le fait pour leur démontrer qu’aucune autre Dieu n’a créé le monde avec lui [….] tu apprends que les
anges ont été créés après que le Saint, béni soit-il a crée son monde. Et pourquoi ? Le Saint béni-soit il
s’est dit : si je les créé en premier lieu, les gens diront qu’ils m’ont aidé dans [la création] de mon
monde. Le Saint béni-soit il a dit : Moi-même j’ai créé mon monde, comme il est dit : « Tout cela ma
main l’a fait ! » (Isaïe 66, 2). La création du ciel et de la terre, d’où apprend-on [qu’ils étaient
également créés par Dieu] – comme il est dit : « Telles sont les origines du ciel et de la terre lorsqu’ils
furent créés »
Selon ce passage, la prophétie de Joël ne porte pas sur des événements à venir, dans un futur
eschatologique, mais plutôt sur des phénomènes naturels exceptionnels qualifiés ici des
« horreurs » — un tremblement de terre, une éclipse solaire, etc.
Ce midrash nous emmène à la fin de notre parcours avec la mention faite au verset d’Isaïe 43,
7 – « Tous ceux qui se réclament de mon nom, que j’ai crées, formée, façonné pour ma
gloire » - car il est très proche à Joël 3, 5 « Alors quiconque invoquera le nom Yhwh se
sauvera ». La racine qra est employée dans les deux versets et il est même probablement que
le verset d’Isaïe a inspiré celui de Joël.
6
En réalité ce verset précède l’autre.
6
Le nom Yhwh
Joël 3, 5 est commenté dans deux recueils exégétiques de l’époque tannaïtique – Mekhilta
deRabbi Ishmael sur le livre d’Exode et le Sifre sur le Deutéronome. Les deux recueils, nous
l’avons déjà dit, appartiennent chacun à une des deux écoles exégétiques principales de la
période tannaïtique –de Rabbi Ishmael et de Rabbi Aqiba. Il est important de noter que le
verbe yqra est lu par les rabbins à la troisième personne de singulier à l’imparfait (forme
nifal). C’est-à-dire qu’il ne faut pas le traduire « Alors quiconque invoquera le nom Yhwh se
sauvera » mais plutôt « Alors quiconque sera appelé par le nom Yhwh se sauvera ».
La mention du verset dans la Mekhilta se fait dans un contexte d’un passage midrashique long
où sont rapportés des dizaines de cas où un verset de la Bible annonce un événement futur
dont témoigne un autre verset biblique. Je citerai seulement l’exemple qui nous concerne :
Ainsi tu dis : « Alors quiconque sera appelée par le nom Yhwh se sauvera » (Joël 3, 5). Où a-t-il dit
[l’accomplissement de cette prophétie] ? – « Tous les peuples de la terre verront [que tu es appelé le
nom de Yhwh et il te craindront » (Deut. 28, 10).
Une conclusion qu’on peut tirer du midrash concerne la dimension universaliste que nous
avons rencontrée dans quelques exégèses rabbinique de Joël 3,1, lesquelles indiquaient que
l’esprit de Dieu sera répandu sur tous les hommes, et non seulement sur Israël. Dans la
Mekhilta, en revanche, nous trouvons une approche plus limitée. Ici, la promesse du salut de
« quiconque sera appelée par le nom Yhwh » est lue à l’aune de Deutéronome 28,10 où il est
question de la crainte qu’auront les nations du peuple d’Israël, lorsqu’ils comprendront qu’il
porte le nom de Dieu. Autrement dit, le salut est assuré uniquement à Israël. Il faut tout de
même rappeler que le Israël dont parle le midrash tannaïtique ne doit pas être compris dans la
perspective de la dichotomie paulinienne de l’Israël de la chaire et de l’esprit7.
La deuxième référence tannaïtique à Joël 3 se trouve dans le Sifre sur le Deutéronome, dans
un passage midrashique portant sur Deutéronome 10, 12 : « Maintenant Israël, que demande
de toi Yhwh, ton Dieu, si ce n’est que tu craignes Yhwh, ton Dieu, afin de marcher dans
toutes ses voies, de l’aimer et de servir Yhwh ton Dieu de tout ton cœur et de toute ton âme ».
A ce sujet voir : R. NAIWELD, « Entre l’éthique et l’ethnique : Universalisme et
particularisme dans le judaïsme rabbinique », dans L’identité à travers l'éthique. Nouvelles
perspectives sur la formation des identités collectives dans le monde gréco-romain, éd. K.
BERTHELOT, R. NAIWELD, D. STÖKL BEN EZRA, Paris, Brepols 2015, 187-206.
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« marcher dans toutes ses voies » - il s’agit des voies [traits] de Dieu – « Yhwh Dieu miséricordieux et
compatissant » (Ex. 34, 6), et il dit : « Alors quiconque sera appelé par le nom Yhwh se sauvera ».
Comment un homme peut-il être appelé par le nom de Dieu ? Mais – si Dieu s’appelle miséricordieux,
toi aussi sois miséricordieux ; le Saint, béni soit-il s’appelle compatissant, toi aussi sois compatissant,
comme il est dit « Yhwh est miséricordieux et compatissant » (Ps. 145, 8), toi aussi fais des cadeaux
sans attendre une récompense ; Dieu s’appelle juste, comme il est dit « Parce que Yhwh est juste et il
aime les actions justes » (Ps. 11, 7), toi aussi sois juste ; Dieu s’appelle pieux, comme il est dit « Parce
que je suis pieux la parole de Yhwh » (Jér. 3, 12), toi aussi sois pieux. C’est pour cela qu’il est
dit « Alors quiconque sera appelée par le nom Yhwh se sauvera » (Joël 3, 5) et il dit également « Tous
ceux qui se réclament de mon nom [que j’ai crées, formés, façonnés pour ma gloire] » (Isaïe 43, 7) et
il dit « Yhwh a tout fait [ ]פעלpour un but prédestiné [( » ]למענהוProverbes 16, 4)8.
Dans ce midrash on voit comment les rabbins emploient Joël 3, 5 afin d’avancer l’idéal
rabbinique de l’imitatio dei9. Il s’agit donc d’une lecture qui n’est pas eschatologique mais
plutôt éthique – elle incite l’homme à adopter les caractéristiques morales de Dieu.
Le reste des références à Joël 3, 5 proviennent de la littérature amoraïque et poste amoraïque.
Dans une tradition intéressante attribuée à Rabbi Yuden, ce dernier explique le sauvetage de
Daniel ainsi :
Un être en chair et en os, il a un patron. S’il lui arrive une catastrophe, il n’entre pas chez son patron,
mais il vient sur sa porte et il appelle son esclave où un de ses domestiques pour qu’ils lui disent qu’un
tel l’attend à la porte. Mais le Saint, béni soit-il n’agit pas de la même manière. Lorsque une
catastrophe arrive à l’homme, il n’appellera pas ni Michael ni Gabriel mais il m’appelle et je lui
réponds ! Ainsi il est écrit : « quiconque invoquera le nom Yhwh se sauvera » (Joël 3, 5)10.
On voit qu’ici le verset de Joël est lu d’une autre manière que dans les autres midrashim, avec
le verbe yqra dans la forme de pal à l’imparfait. Mais la suite du passage revient vers la
lecture dans la forme de nifal :
Rabbi Alexndrei a raconté le fait suivant : il est arrivé à un gouverneur dont le nom était Alexandre de
juger un brigand. Il lui a demande : quel est ton nom ? Il lui a répondu : Alexandre. Il lui a dit : tu peux
partir, Alexandre.
Il est possible que l’exégète lit le dernier verset ainsi : « Yhwh a tout fait pour lui ».
Voir par exemple Talmud de Babylonie, Shabath 133b.
10 Cette partie du midrash se trouve aussi dans Talmud de Jérusalem, Berkahot 9.
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Si celui qui partage le même nom avec un être en chair et en os est sauvé, à combien plus forte raison
celui qui partage le même nom avec le Saint, béni soit-il sera sauvé ! Israel – les droits de Dieu [Ishrei
el]11.
Le dernier lemme du verset – « parmi les survivants, à ceux que Yhwh appelle » – est
mentionné deux fois dans le Talmud Babylonien (Hulin 133a, Sanhedrin 92a) comme faisant
références à des « disciples des sages », un nom désignant les membres du mouvement
rabbinique.
Finalement, la figure même du prophète Joël n’a pas beaucoup intéressé les rabbins de
l’époque talmudique. On trouve une référence directe à sa personne dans le midrash Nombres
Rabbah : l’exégète dit que Joël était le fils du prophète Samuel. Selon ce midrash, Joël était
un pécheur qui s’est repenti et c’est grâce à cela qu’il a eu droit à avoir l’esprit saint répandu
sur lui.
Le recueil Nombres Rabbah est un recueil tardif qui a probablement été rédigé par un des
disciples d’une figure importante du judaïsme rabbinique médiévale – Rabbi Moshé
Hadrashan (11e siècle) de Narbonne en Provence. Cela nous ramène plus près de la question
du rapport des traditions rabbiniques au christianisme, car nous savons que ces écrits de Rabbi
Moshé Hadrashan constituaient une des sources principales de la littérature rabbinique pour
Raimond Martin, l’auteur du Pugio Fidei au 13e siècle.
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Midrash Tehilim (Buber) 4.
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