Verbum – Analecta Neolatina XXV, 2024/1
ISSN 1588-4309; https://doi.org/10.59533/Verb.2024.25.1.4
Judas Iscariote dans trois romans français
contemporains
Zsófia Pavlovics
Université de Debrecen
[email protected]
Abstract: Even though the Bible was written two thousand years ago, it has always
been represented in Arts. Biblical figures often appear in literary works but some of
them are especially popular, that is the case of Judas Iscariot. In my paper, I will analyse
three novels of contemporary French literature (Stéphane Arfi: Trois jours à Jérusalem,
Éric-Emmanuel Schmitt: L’Évangile selon Pilate, Gérald Messadié: Judas le bien-aimé)
and my aim will be to highlight how this biblical figure appears in contemporary
French literature, what similarities and differences there are between the biblical texts
and the novels, to what extent these representations are different from one another.
Keywords: contemporary French literature, comparative literature, biblical apocrypha, Judas Iscariot, Bible
Résumé : Les histoires et les personnages bibliques constituent une source d’inspiration
majeure pour de nombreux écrivains jusqu’à nos jours. Certains personnages
bibliques sont particulièrement populaires, c’est le cas de Judas Iscariote. Il est
l’un des personnages bibliques les plus énigmatiques, suscitant ainsi de nombreuses
controverses et réécritures. Les écrivains s’intéressent à son rôle dans la vie et la
mort du Messie. Ils s’inspirent des Évangiles canoniques et apocryphes et complètent
l’histoire par des éléments fictifs. Dans mon étude je vais analyser le roman de
Stéphane Arfi intitulé Trois jours à Jérusalem, celui d’Éric-Emmanuel Schmitt portant
le titre L’Évangile selon Pilate et Judas le bien-aimé de Gérald Messadié.
Mots-clés : littérature française contemporaine, littérature comparée, apocryphe biblique, Judas Iscariote, Bible
1 Judas Iscariote et ses apparitions dans la littérature
Selon Bertrand Westphal, «Si on mesure sa popularité à l’aune des innombrables transpositions et commentaires dont il a fait l’objet dans l’univers des
arts et des lettres, Judas Iscariote est sans aucun doute le personnage le plus
68
Zsófia Pavlovics
célèbre du geste christique après Jésus1 .» Dans l’Antiquité, il apparaît dans
les évangiles canoniques, dans les Actes des Apôtres, dans une série de textes
apocryphes. L’évangile johannique ainsi que les traditions patristique et médiévale ont contribué à la caractérisation négative de Judas. De nombreuses
œuvres médiévales se caractérisent par le croisement des itinéraires de Judas et
d’Œdipe. Dans la Légende dorée (Jacques de Voragine), Judas devient disciple de
Jésus après avoir tué son père et épousé sa mère. Dans sa Passion d’Angers, Jean
Michel nous présente un Judas cupide, possédé par Satan qui devient traître
à cause de ses antécédents œdipiens.2 En ce qui concerne la Renaissance,
la représentation de Judas la plus connue est celle de Dante dans sa Divine
Comédie. Il est dans l’Enfer et est considéré comme ayant le pire supplice
et ainsi, la pire punition.3 Le 17e siècle signifiait un tournant concernant les
représentations de Judas car à cette époque-là « […] les caractérisations de Judas
sortent du carcan d’une tradition devenue séculaire4 ». Au 18e siècle, dans son
Messias, Friedrich Gottlieb Klopstock ne cherchait pas à réhabiliter le traître
mais à expliquer son comportement du point de vue de la psychologie : « Le
disciple qui était persuadé que le pouvoir de son Maître se révélera sur terre,
a trahi Jésus afin de le contraindre à se manifester dans sa toute-puissance5 . »
Judas a également inspiré Goethe car dans Des Juifs éternels il trahit son Maître
parce qu’il est déçu par l’inaction politique de celui-ci. Au 19e siècle, l’écrivain
anglais Thomas De Quincey était l’un des premiers à expliquer la trahison de
Judas par un mobile politique dans son opuscule Judas Iscariot.6 Au 20e siècle,
Judas faisait l’objet de nombreuses œuvres littéraires dont la plupart le mettent
dans une lumière positive. La pièce Mort de Judas de Paul Claudel en est une
exception parce que l’auteur insiste sur son refus de récupérer Judas. Il choisit
de faire du traître « […] le point de mire de tous les pécheurs […] » en qui « […]
siégeraient tous les péchés […]7 ». L’écrivain Jean Ferniot était fasciné par Judas
depuis longtemps. Dans les années 1960, il avait déjà écrit un texte portant sur
ce personnage, Champ du sang, pour une émission radiophonique et a publié
1
S. Parizet : La Bible dans les littératures du monde. Paris: Les éditions du Cerf, 2016: 1342.
Ibid. : 1344.
3
Ibid. : 1345.
4
Ibid. : 1346.
5
Idem.
6
Idem.
7
I.-D. Rusu : Judas dans la littérature francophone du XXème siècle (Paul Claudel, Marcel Pagnol,
Jean Ferniot, Eric-Emmanuel Schmitt, Armel Job) (thèse de doctorat), Cluj-Napoca, 2013, p. 16.
2
L’accueil critique de Jules Verne en Hongrie, 1945–1989
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en 1984 son roman Saint Judas dans lequel Judas est l’émetteur d’une réflexion
sur les thèmes du bien et du mal, de l’enfer et du paradis.8 Le Judas de Pagnol
a deux caractéristiques essentielles: d’une part, il est un personnage-acteur
accomplissant les écritures, d’autre part, il interprète les paroles de Jésus et
agit en conséquence. Sa trahison est l’accomplissement de l’injonction de Jésus,
son suicide est une possibilité pour arriver le plus vite possible à la rencontre
du Messie dans le royaume.9
2 Stéphane Arfi: Trois jours à Jérusalem
Dans le roman Trois jours à Jérusalem, Judas Iscariote n’est pas le personnage
principal mais il y fait son apparition plusieurs fois. L’histoire, comme le
montre son titre, se déroule à Jérusalem pendant trois jours et pour l’écrire,
l’auteur s’est inspiré de la Bible car l’Évangile selon Saint Luc nous renseigne
sur les événements suivants :
Ses parents se rendaient chaque année à Jérusalem pour la fête
de la Pâque. Et lorsqu’il eut douze ans, ils y montèrent, comme
c’était la coutume pour la fête. Une fois les jours écoulés, alors
qu’ils s’en retournaient, l’enfant Jésus resta à Jérusalem à l’insu de
ses parents. Le croyant dans la caravane, ils firent une journée de
chemin, puis ils se mirent à le rechercher parmi leurs parents et
connaissances. Ne l’ayant pas trouvé, ils revinrent, toujours à sa
recherche, à Jérusalem.
Et il advint, qu’au bout de trois jours, ils le trouvèrent dans le
Temple, assis au milieu des docteurs, les écoutant et les interrogeant […]. (Lc 2,4–46)
C’est tout ce que la Bible nous raconte concernant la disparition de Jésus
mais elle ne dit rien de plus de ce qui s’est passé pendant ces trois jours. Est-ce
que Jésus a passé tout son séjour au Temple? Si non, que faisait-il pendant ce
temps-là? Qui a-t-il rencontré? Comment a-t-il influencé la vie des autres ou
comment sa vie a-t-elle été influencée par eux? Ce sont les questions auxquelles
8
9
Ibid. : 17–18.
Ibid. : 18–19.
70
Zsófia Pavlovics
Stéphane Arfi répond dans son roman : tout en gardant le fond évangélique, il
nous introduit dans un monde fictif.
Arfi nous décrit Jésus, qu’il appelle dans son œuvre Joshua, comme un enfant
« d’une intelligence et d’une sensibilité extrêmes10 ». Il était toujours différent
des autres enfants. Il était toujours curieux, voulait tout savoir, n’acceptait pas
la souffrance des gens, voulait comprendre comment l’homme pourrait être
heureux dans toutes les situations, malgré le plus grand mal. Sa vie a changé et
il a compris pourquoi il était exceptionnel quand sa mère lui a appris qu’il était
le Fils du ciel, ce qui signifie le fils de Dieu11 . C’est suite à cette révélation qu’il a
décidé d’aller au Temple et de demander au Ciel pourquoi les gens doivent tant
souffrir et quel est le secret du bonheur12 . C’est donc pour cette raison qu’il a
quitté ses parents et s’en est retourné à Jérusalem. Il y rencontre – entre autres
– Judas Iscariote qui est, lui aussi, encore un enfant. Donc, le roman d’Arfi est
particulier en ce que son auteur présente l’enfance du futur disciple.
Le roman nous fournit plusieurs informations sur l’enfant Yéhoudah (appelé
ainsi par Arfi) qui ne figurent pas dans la Bible: il est devenu porteur d’eau, il est
orphelin et solitaire, pauvre, passe son temps dans la ville basse de Jérusalem
et il hait l’empire parce que celui-ci prend tout au peuple et dans un rêve, il
se voit comme sikaryot qui tue les ennemis. Les constatations – en principe
fictives – faites par Arfi concernant les sikaryots et les idées politiques de Judas
en général pourraient se rapporter à la réalité. En recherchant l’origine du mot
« Iscariote » on trouve deux explications. Selon l’une, le nom de Judas signifie
qu’il est l’homme de Qeriyyot (une petite localité de Judée), l’autre « […] se
fonde sur le latin Sicarius, « sicaire », c’est-à-dire l’homme au poignard, porteur
de dagues. « Sicaire » était l’un des noms donnés aux zélotes […]13 ». En ce qui
concerne les idées politiques de Judas, la Bible ne traite pas ce sujet mais il est
possible de connaître les idées politiques qui caractérisaient les Juifs en général
à l’époque de Jésus : leur pays avait été occupé par un peuple étranger, dans
ce cas par les Romains et ils rêvaient d’une libération politique, ils attendaient
le Messie.
Yéhoudah suit Joshua dans la ville. Quand ils se rencontrent, Yéhoudah lui
offre une galette de pain pour lui donner ce qui lui manque. Joshua lui dit qu’il
10
S. Arfi : Trois jours à Jérusalem, Paris: Éditions Jean-Claude Lattès, 2018, p. 11.
Ibid. : 64.
12
Ibid. : 76.
13
P. Valente : Le traître nécessaire? Judas l’Iscariote. Revue française de psychanalyse 72, 2008 :
955–972, p. 956.
11
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parle comme les prêtres, lui explique farouchement qu’il hait les prêtres qui
ne vont pas dans les rues nourrir ceux qui ont faim et relever ceux qui sont
tombés14 . Il dit clairement qu’il maudit ces gens et lui, il peut les juger s’il le
veut. De plus, il peut juger même Dieu qui selon lui ne fait rien pour rendre
heureux les hommes. L’auteur décrit en détails quel effet Joshua a produit sur
Yéhoudah :
Certes, il voudrait dire à Joshua qu’il exagère, qu’il ment, qu’il
raconte n’importe quoi et que pire encore : il blasphème. Mais
il sait que ce que dit Joshua, c’est la vérité15 . […] Yéhoudah sent
s’envoler toutes ces peurs qui faisaient de lui un être soumis, un
moins que rien, un sans-passé, un sans-avenir : toutes ces peurs qui
faisaient qu’il ne pouvait imaginer que demain puisse être meilleur
qu’aujourd’hui, elles se sont envolées d’un coup d’un seul ! Et il
sent, Yéhoudah, que s’installe en lui un sentiment inconnu, indéfinissable. Un sentiment qui délivre16 .
En lui se sont développés un désir de vengeance, une haine des oppresseurs,
du roi, de l’empire, un besoin de justice. Ce changement d’esprit n’est pas sans
conséquences. Le lendemain, Yéhoudah est battu par les gardes du Temple. Les
gardes l’ont arrêté parce qu’il chantait des airs guerriers, il a dépassé la distance
de marche autorisée un jour de repos sacré et en plus, il leur a mal parlé et leur
a jeté des pierres17 . Joshua le sauve mais Yéhoudah est en colère et il l’accuse
en disant : « […] c’est toi qui m’as mis dans la tête ces idées de vouloir changer
le monde, de se battre contre la terre entière, de défier les prêtres, le roi et les
soldats18 !» Il l’appelle fils de vipère, démon, faux ami. Après une marche de
deux heures, il s’écroule contre un petit arbre qui est appelé „arbre de Judée”.
Selon la tradition, Judas, après la trahison, s’est pendu sur un tel arbre et dans
ce passage on y trouve une allusion : « Exténué, il s’est écroulé contre un petit
arbre qu’on nomme arbre de Judée, dont les branches sont si robustes qu’il est
souvent choisi par ceux qui veulent s’y pendre pour en finir avec la vie19 . » Les
14
Ibid.
Ibid.
16
Ibid.
17
Ibid.
18
Ibid.
19
Ibid.
15
:
:
:
:
:
:
69.
70.
71.
158.
161–162.
175.
72
Zsófia Pavlovics
Évangiles racontent les circonstances du suicide de Judas : « Alors Judas, qui
l’avait livré, voyant qu’il avait été condamné, fut pris de remords et rapporta
les trente pièces d’argent aux grands prêtres et aux anciens : « J’ai péché, ditil, en livrant un sang innocent. » Mais ils dirent : « Que nous importe ? À
toi de voir. Jetant alors les pièces dans le sanctuaire, il se retira et s’en alla se
pendre. » (Mt 27, 3–5)
L’enfant Yéhoudah se trouve près de cet arbre évoqué par l’Évangile, quand
il ressent un sentiment de culpabilité et même si ce n’est pas la trahison bien
connue qui vient de se passer, il a tout de même maltraité Joshua. Maintenant,
il se rend compte de ce qu’il lui doit : ce garçon lui a montré comment doit être
la vie, comment en finir avec l’injustice, ce que c’est la liberté. Arfi explique au
lecteur pourquoi son héros change d’avis : tout cela est la conséquence d’une
blessure rouverte qui est la peur, celle d’être abandonnée, une telle blessure que
rien ne soigne20 . Pour un orphelin, le besoin d’être aimé est terrible mais ce qui
est encore plus terrible, c’est la peur de ne plus l’être. Dans le texte se lit un
monologue de Yéhoudah : « Comment ai-je pu détester ce garçon qui a voulu
m’aider ? se dit-il d’une voix lasse. Pourquoi l’ai-je repoussé, insulté, menacé,
maudit, puisque je l’aime, cet ami dont je ne sais pas le nom ! Oui, je l’aime
cet ami que pour mon malheur je ne reverrai plus. Démon que je suis ! Pour
effacer ma faute, je devrai me pendre à cet arbre21 ! »
Dans le passage cité, Yéhoudah se nomme démon et il dit, pour effacer sa
faute, qu’il devrait se pendre. Il ne le fait pas mais ces phrases semblent se référer aux événements bibliques : selon l’Évangile de Luc « Satan entra Judas » (Lc
22,3) même si l’enfant ne parle du démon qu’au sens figuré. Comme l’Évangile
de Matthieu, il considère le suicide – sans le faire – comme un châtiment juste,
une solution pour se débarrasser de son sentiment de culpabilité. Le troisième
jour change tout. Yéhoudah rencontre Joshua qui lui pardonne, ils décident
de changer le monde ensemble. Au début, Yéhoudah était seul, sans parents,
sans amis, il n’aimait pas la vie, il n’avait pas d’objectif. Maintenant, il n’est
plus seul, il se sent aimé, il espère, il sait que plus tard tout ira mieux et il voit
comment il pourrait y contribuer22 .
20
Ibid. : 176.
Ibid. : 177.
22
Ibid. : 289–290.
21
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3 Éric-Emmanuel Schmitt : L’Évangile selon Pilate
Judas Iscariote apparaît également dans L’Évangile selon Pilate, un roman
d’Éric-Emmanuel Schmitt qui présente un Judas déjà adulte. C’est Jésus –
appelé dans le roman Yéchoua – qui introduit Judas au lecteur quand il pense à
ce qui s’est passé dans sa vie jusqu’à son arrestation : Judas était différent des
autres disciples car il venait de Judée et non de Galilée, il était plus instruit que
les autres parce qu’il savait lire et compter, il est devenu leur trésorier et sa tâche
était de redistribuer chaque jour aux pauvres l’excédent des aumônes reçues.
Concernant ses sentiments envers Judas, Yéchoua dit ce qui suit : « J’appréciais
de m’entretenir avec lui et, assez vite, il passa pour mon disciple préféré. Je crois
que de ma vie je n’ai jamais aimé un homme autant que Yehoûdâh. Avec lui,
et lui seul, je parlais de Dieu23 . »
Les phrases citées montrent déjà que Yehoûdâh est le disciple préféré, l’ami
proche de son Maître, le seul qui puisse comprendre Dieu. Iulia-Diana Rusu
insiste sur la différence entre lui et les autres disciples : « Le roman d’EricEmmanuel Schmitt fait de Judas l’apôtre par excellence. […] Les autres apôtres
sont des figures inoffensives, presque absentes. Ils sont elliptiquement évoqués par Jésus… Les disciples sont des figures presque muettes, pleurnichardes,
infantiles. […] Au moment des adieux, Jésus est pris par un sentiment de
tendresse, voire de pitié […]24 ». Cette interprétation ne peut pas être prouvée
par les textes bibliques car dans les Évangiles rien ne dit que Judas aurait été
le disciple préféré, il y est présenté comme l’un des Douze. Par contre, Schmitt
présente le rapport entre le disciple et le Maître tout à fait différemment : son
Yéchoua n’est pas comme celui des Évangiles canoniques. Il s’agit ici d’un
homme qui doute, qui a des incertitudes et des peurs, qui n’est pas certain qu’il
soit le Messie. C’est pourquoi le rôle de Yehoûdâh devient très important, il
essaie de convaincre Yéchoua. Une fois, il retrouve dans les détails absurdes de
l’existence de Yéchoua la réalisation des prophéties d’Elie, Jérémie, Ezéchiel,
Osée. Yéchoua proteste. Pendant longtemps, le Messie lui-même n’est pas
certain qu’il est le Fils de Dieu mais quand il se sent convaincu, le premier à
le savoir est son disciple préféré. Après l’annonce, le trajet messianique de
23
É.-E. Schmitt : L’Évangile selon Pilate suivi du Journal d’un roman volé, Paris: Éditions Albin
Michel, 2000: 56–57.
24
I.-D. Rusu : Judas dans la littérature francophone du XXème siècle (Paul Claudel, Marcel Pagnol,
Jean Ferniot, Eric-Emmanuel Schmitt, Armel Job). (thèse de doctorat), Cluj-Napoca, 2013, pp.
219–220.
74
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Yéchoua continue. Lui et Yehoûdâh lisent les textes des prophètes ensemble.
Cela semble signifier d’une part, qu’il passe plus de temps avec Yéchoua que
les autres disciples, son Maître lui donne des enseignements complémentaires
et d’autre part, qu’il a une plus grande volonté de savoir, peut-être il a plus de
talent et d’intelligence que les Onze. Pendant l’une de leurs conversations, ils
échangent les mots suivants :
– Tu dois retourner à Jérusalem, Yéchoua. Le Christ connaîtra
son apothéose à Jérusalem, les textes sont formels. Tu devras être
humilié, torturé, tué, avant de renaître. Il va y avoir un moment
difficile.
[…]
– Tu mourras quelques jours, Yéchoua, trois jours, puis tu ressusciteras.
– Il faudrait en être sûr25 .
Selon Iulia-Diana Rusu, Yehoûdâh qui est une figure du mystique inspiré,
possède des talents divinatoires et son inspiration prophétique détermine
l’inspiration messianique de son Maître26 . Les Évangiles ne nous font pas
penser que Judas est un disciple particulier, qui encourageait son Maître et
connaissait les Écritures mieux que les autres car – à part les descriptions
sur la trahison et le suicide – il figure toujours avec les Onze et n’est pas
particulièrement mis en exergue. Comme nous l’avons vu, Yehoûdâh joue
un rôle particulier dans la découverte de la messianité et pas seulement dans
cela mais aussi dans les événements qui suivent. Schmitt imagine l’arrêt de
Jésus différemment des Évangiles car selon lui, Jésus veut éviter un châtiment
collectif, il ne veut pas que les disciples soient en danger mais en se rendant il
reconnaîtrait le pouvoir du Sanhédrin et renierait son chemin27 .
Bien que dans L’Évangile selon Pilate de Schmitt, ce soit Jésus qui ordonne
à Judas de le dénoncer et que Judas soit présenté comme le disciple préféré du
Messie, dans la culture en général, Judas est considéré comme un personnage
négatif, le représentant de la méchanceté, de l’avarice, de la trahison et il est
25
Ibid. : 67–68.
Ibid. : 221.
27
É.-E. Schmitt : L’Évangile selon Pilate suivi du Journal d’un roman volé, Paris: Éditions Albin
Michel, 2000, pp. 77–78.
26
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75
la contrepartie de Jésus qui est toujours un personnage positif. Schmitt ne
traite pas Judas comme un traître, un méchant. Le disciple bien-aimé a accepté
de faire selon la volonté de son Maître mais lui aussi a un plan : après les
trois jours, quand Yéchoua ressuscitera, ils ne pourront pas se rencontrer car
il sera mort, il a décidé de se pendre. Yéchoua lui pardonne mais Judas ne
peut pas se pardonner28 . Selon certaines interprétations, deux suicides ont
lieu et ceux-ci sont dans un rapport direct l’un avec l’autre. Le suicide de
Judas précède et annonce celui de Jésus29 . Yéchoua doit mourir pour sauver
le monde des péchés et Yehoûdâh doit devenir traître pour rendre possible
le sacrifice sur la croix. Selon Iulia-Diana Rusu, chez Schmitt, le sacrifice de
Judas va de pair avec celui de son Maître et il s’agit d’une collaboration secrète
entre le Messie et son disciple. Quand Judas quitte la salle de la dernière
Cène et apprend à Jésus qu’il va le vendre, la réponse est un seul mot plein
d’affection : Merci30 . Cette scène montre que Jésus n’était ni fâché, ni surpris
mais que tout se passait avec son consentement. Schmitt « […] va au-delà de
la structure classique co-rédemptrice de Judas, jusqu’à inverser les rôles, en
faisant de lui l’agent principal de la rédemption. Jésus a l’air d’être le bouc
émissaire, s’infligeant la souffrance dans son corps par la crucifixion, alors que
Judas, semble le réceptacle de l’inspiration divine appelant au sacrifice. Dans ce
texte, Jésus n’est pas envisageable sans Judas. C’est Judas qui conduit Jésus au
sacrifice, comme Moïse le peuple d’Israël dans ses pérégrinations. Judas se veut
le mandataire divin, le dépositaire légitime de la prise en charge d’un certain
accomplissement des prophéties vétérotestamentaires31 ». Le premier chapitre
finit avant l’arrivée des soldats romains. Ni la trahison, ni l’arrêt de Yéchoua
ne sont décrits.
4 Gérald Messadié: Judas le bien-aimé
Judas Iscariote est présenté de la même manière dans le roman de Gérald
Messadié intitulé Judas le bien-aimé. Il apparaît comme le personnage principal,
le livre entier lui est consacré. L’écriture du roman a été influencée par le texte
28
Ibid. : 79–80.
I.-D. Rusu: Judas dans la littérature francophone du XXème siècle (Paul Claudel, Marcel Pagnol,
Jean Ferniot, Eric-Emmanuel Schmitt, Armel Job). (thèse de doctorat), Cluj-Napoca 2013, p. 42.
30
Ibid. : 41.
31
Ibid. : 36.
29
76
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apocryphe L’Évangile de Judas découvert en 2005. Judas est présenté comme
le disciple préféré et l’ami de Jésus. Dans l’œuvre, Jésus et son disciple se sont
rencontrés dix-sept ans avant le commencement de l’activité publique de Jésus,
Judas connaît son Maître mieux que les onze disciples et comprend davantage
ses enseignements. Leur première rencontre et leur amitié sont présentées
ainsi : « Des Douze, il était le privilégié. Le bien-aimé. Celui qui connaissait
Jésus depuis le plus d’années : il l’avait rencontré dans le désert, là-bas, près
de la mer de Sel. Dès la première rencontre, il avait été attiré par lui comme
le papillon par la flamme. Jésus brûlait. Et dès lors, il avait attaché ses pas
aux siens32 . » L’amour de Judas envers Jésus est bien expliqué dans les lignes
suivantes : « Il l’aimait. Il aimait cet homme comme lui-même. Quand Jésus
parlait du Père, savait-il que, pour Judas, il était ce Père plus que son propre
géniteur, Simon l’Iscariote ? Depuis les premiers mots que le Maître lui avait
adressés, il l’avait formé comme le Créateur avait façonné le premier homme
dans l’argile33 . »
Ils faisaient partie de la communauté essénienne. L’amitié entre Jésus et
Judas est remarquable car pour Jésus, Judas n’est pas seulement un ami et un
disciple mais aussi le frère que l’Esprit lui a donné34 . En tant que membres
de la communauté essénienne, ils partageaient leurs traditions, participaient à
leurs cérémonies religieuses. Judas a vécu une extase qui est possible pour peu
de croyants35 . Jésus a enseigné à Judas tout ce qui était important concernant
la religion, il lui a expliqué la signification des textes religieux, par exemple
l’histoire de Caïn et Abel, Abraham et Job. L’enseignement donné par Jésus à
Judas est essentiel dans l’Évangile de Judas aussi36 .
Judas Iscariote est un disciple particulier, un initié qui connaît Jésus et comprend mieux ses enseignements que tout le monde. Sa connaissance supérieure
apparaît plusieurs fois dans le roman. Le premier chapitre du roman commence
par l’entrée royale de Jésus à Jérusalem. Cet événement qui devrait signaler
l’arrivée d’un roi et l’agression de Jésus contre les marchands ont provoqué
Caïphe37 . Les disciples appréhendent qu’ils ne peuvent pas éviter le conflit avec
les forces et les partisans du Temple et avec les légionnaires romains. Selon eux,
32
G. Messadié : Judas le bien-aimé, Paris: Éditions Jean-Claude Lattès, 2007, p. 51.
Idem.
34
Ibid. : 99.
35
Ibid. : 102.
36
R. Kasser, M. Meyer & G. Wurst : L’Évangile de Judas, Paris: Flammarion, 2006, p. 7.
37
G. Messadié : Judas le bien-aimé, Paris: Éditions Jean-Claude Lattès, 2007, p. 39.
33
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cela signifie qu’il faut proclamer Jésus roi avant la Pâque. Ils sont persuadés
que leur Maître aspire à la double onction de grand-prêtre et de roi38 . Judas
n’est pas d’accord, il connaît les vraies intentions de Jésus et il est le seul qui
a bien compris ce que celui-ci avait dit. Il corrige les autres disciples en disant
« N’avez-vous pas de vos oreilles entendu ce qu’il a dit : « Le Fils de l’Homme ne
peut être un prétendant au trône, comme un quelconque Hérodien39 . » Dans
les évangiles canoniques, Judas est un disciple comme les autres, il n’est pas
présenté comme quelqu’un de particulier, c’est seulement sa trahison qui le
distingue. Par contre, Jean est « le disciple que Jésus aimait (21, 20 Jn). »
Judas Iscariote est privilégié non seulement parce qu’il sait ce qui se passera
durant les jours à venir mais aussi parce qu’il y joue un rôle déterminant.
Contrairement aux Évangiles canoniques, dans le roman de Messadié c’est Jésus
lui-même qui demande à son disciple préféré de le trahir. Judas est représenté
comme l’ami, le disciple fidèle de son Maître qui d’abord ne veut pas le trahir
mais qui n’a pas d’autre choix que de le faire. Il conjure à Jésus de demander à
quelqu’un d’autre et sa demande devient supplication quand il dit : « […] je t’en
supplie…Non, pas moi40 ! » Enfin, Judas comprend qu’il doit agir selon l’ordre
de Jésus. Il se rend au palais hasmonéen où réside Caïphe et là, la question
« Qu’est-ce que tu veux ? » lui est posé deux fois (par un garde et un lévite)
et provoque en lui des sentiments étranges : « […] il s’avisa justement qu’il ne
voulait rien: il était voulu. Il n’avait plus de volonté propre. Judas l’Iscariote
était un fantoche inventé par Dieu savait quelles puissances inhumaines41 ».
Rabatel commente ainsi la responsabilité réduite de Judas : « Judas est donc
« malheureux », comme le mentionnent les Évangiles synoptiques, non pas
parce qu’il serait méchant, mais parce qu’il est l’instrument nécessaire et douloureux d’une séparation d’avec l’ici-bas pour trouver enfin la vraie vie, dans
la lumière divine, qui est, dit-on, celle de la connaissance vraie et aussi celle
de l’amour infini. Un mal nécessaire pour un grand bien, en somme, selon
une visée transcendante42 . » L’œuvre contient la description de la crucifixion
de Jésus et celle de la mort de Judas. Dans le roman, le disciple bien-aimé ne
38
Ibid. : 40–41.
Ibid. : 47.
40
Ibid. : 110.
41
Ibid. : 120.
42
A. Rabatel : « L’arrestation de Jésus et la représentation de Judas en Jean, 18, 1–12. Mise en
perspective avec l’univers de la gnose dans l’Évangile de Judas », Études théologiques et religieuses
84(1), 2009 : 49–79, p. 68.
39
78
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se suicide pas, il est tué par les autres disciples de Jésus qui se vengent de sa
trahison. Ils le tuent d’un couteau et après, le pendent pour que personne ne
sache ce qui s’est passé.
L’Évangile de Matthieu nous apprend que Judas, après avoir vu la condamnation de Jésus, a été pris de remords et a rapporté les trente pièces d’argent
aux chefs des prêtres en espérant qu’ainsi Jésus serait libéré. Quand son offre
a été refusée, il a jeté l’argent dans le Temple, s’est retiré puis s’est pendu. Une
autre description de la mort de Judas se trouve dans les Actes des Apôtres selon
laquelle Judas « est tombé la tête la première et a éclaté par le milieu, et toutes
ses entrailles se sont répandues. » (Ac 1,18) Selon Valente, « Au corps de Jésus
percé par la lance du soldat d’où coulent l’eau et le sang purs du salut, répond
le corps de Judas qui s’ouvre après sa chute et dont les entrailles impures se
répandent à terre […]43 ». La mort de Judas illustre l’immanence de la justice
divine, elle apparaît comme l’envers de la victoire du Christ sur la mort, peut
être considérée comme un juste châtiment44 .
5 Un personnage – trois romans
Les trois romans que je viens d’analyser parlent de Judas mais chacun le
présente différemment. Trois jours à Jérusalem de Stéphane Arfi se base sur
un épisode de l’évangile de Luc selon lequel Jésus a disparu à Jérusalem quand
il avait 12 ans. Le personnage principal est Jésus, Judas apparaît seulement
comme un personnage secondaire. Comme Jésus, lui aussi est un enfant. Arfi
nous propose une représentation nouvelle, différente par rapport aux évangiles
canoniques et aux évangiles apocryphes. Les événements qui se déroulent
dans l’œuvre sont fictifs car l’enfance de Judas n’est racontée nulle part. Les
deux autres romans nous parlent d’un Judas déjà adulte. Les œuvres d’Arfi
et de Schmitt nous donnent Jésus comme le personnage principal, Judas n’est
qu’un personnage secondaire. Cependant, tandis que chez Arfi, Judas n’est
pas un personnage distingué, chez Schmitt, il est présenté comme le disciple
préféré de son Maître. Il connaît bien les Écritures, les prophéties et convainc
Jésus de sa messianité. Il trahit Jésus sur l’ordre de celui-ci, la trahison est
l’accomplissement des prophéties. Le rapport entre Jésus et Judas est présenté
43
P. Valente : « Le traître nécessaire? Judas l’Iscariote ». Revue française de psychanalyse 72,
2008 : 955–972, p. 961.
44
Idem.
L’accueil critique de Jules Verne en Hongrie, 1945–1989
79
similairement mais plus en détails dans Judas le bien-aimé de Messadié, consacré entièrement à Judas Iscariote. Il est le personnage principal, le disciple
préféré de Jésus, un initié car il connaît des secrets ce dont Jésus n’a jamais
parlé aux autres disciples. Contrairement au roman de Schmitt où Judas et
Jésus se rencontrent seulement quand celui-ci commence son ministère, chez
Messadié, les deux personnages vivent dans le désert et appartiennent à la
communauté des Esséniens avant le commencement du ministère publique
de Jésus. En ce qui concerne la mort de Judas dans Judas le bien-aimé, nous
pouvons voir une différence par rapport à L’Évangile selon Pilate. Dans ce
dernier, nous trouvons une allusion au suicide de Judas mais dans le roman
de Messadié, il s’agit d’un meurtre : les disciples se vengent sur le traître. Nous
pouvons constater que ces trois romans se basent sur les évangiles canoniques
mais ils sont également influencés par le gnosticisme, l’Évangile de Judas et
l’imagination de leur auteur.
6 Conclusion
Tout au long de notre travail, nous avons essayé de rendre compte de l’intérêt
suscité par le personnage de Judas Iscariote dans la littérature française contemporaine. Nous avons également fait allusion aux nombreuses controverses
qui accompagnent la figure de Judas depuis des siècles. L’analyse de trois
romans de l’extrême contemporain nous a permis de comparer les différentes
réécritures. Dans un premier temps, nous avons présenté le roman intitulé Trois
jours à Jérusalem de Stéphane Arfi dans lequel Judas apparaît comme un enfant
et l’auteur raconte comment sa vie a changé après la rencontre avec Jésus. Dans
un deuxième temps, nous avons montré comment L’Évangile selon Pilate de
Schmitt met l’accent sur le rôle de Judas dans le trajet messianique de Jésus
et l’accomplissement des prophéties. Dans un troisième temps, nous avons
examiné comment Judas apparaît comme l’ami et le disciple initié de Jésus dans
Judas le bien-aimé de Gérald Messadié. Ces trois romans présentent Judas de
plusieurs points de vue, ils gardent les fondements bibliques mais en même
temps, nous fournissent des informations ne figurant pas dans les Évangiles.
80
Zsófia Pavlovics
Références
Arfi, S. (2018) : Trois jours à Jérusalem. Paris: Éditions Jean-Claude Lattès.
Kasser, R., M. Meyer & G. Wurst (eds.) (2006) : L’Évangile de Judas, Paris:
Flammarion.
La Bible de Jérusalem. Les Éditions du Cerf, Paris, 1998.
Messadié, G. (2007) : Judas le bien-aimé. Paris: Éditions Jean-Claude Lattès.
Parizet, S. (eds.) (2016) : La Bible dans les littératures du monde. Paris: Les
éditions du Cerf.
Rabatel, A. (2009) : L’arrestation de Jésus et la représentation de Judas en Jean,
18, 1–12. Mise en perspective avec l’univers de la gnose dans l’Évangile de
Judas. Études théologiques et religieuses 84 : 49–79. https://doi.org/10.3917/
etr.0841.0049
Rusu, I.-D. (2013) : Judas dans la littérature francophone du XXe siècle (Paul
Claudel, Marcel Pagnol, Jean Ferniot, Eric-Emmanuel Schmitt, Armel Job).
Thèse de doctorat. Cluj-Napoca-Clermont-Ferrand, Universitatea BabeșBolyai, Université Blaise Pascal: CELIS. https://theses.hal.science/tel01084832/document
Schmitt, É.-E. (2000) : L’Évangile selon Pilate. Paris: Éditions Albin Michel.
Valente, P. (2008) : Le traître nécessaire: Judas l’Iscariote. Revue française de
psychanalyse 72 : 955–972. https://doi.org/10.3917/rfp.724.0955