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HDR Volume 1 - Mémoire de synthèse

Ce premier volume du dossier d'habilitation à diriger des recherches expose l'unité de mon travail depuis la maîtrise (nouvellement nommée Master 1) et résume quelques-uns de mes principaux travaux depuis la thèse de doctorat "Sens et connaissance". Les quatre sections qui composent ce mémoire de synthèse correspondent aux quatre rubriques du Volume 2, où sont réunis des travaux publiés. C'est pourquoi elles s'intitulent respectivement "Études simondoniennes", "Études de philosophie française contemporaine", "Études de philosophie allemande contemporaine" et "Publications préparatoires à La Société de l'invention/La Philosophie du paradoxe".

Université Paris Nanterre Dossier pour l’obtention de l’habilitation à diriger des recherches (soutenu le 7 décembre 2017) De l’encyclopédisme génétique à sa refondation englobante présenté par Jean-Hugues Barthélémy Référent : François-David Sebbah Composition du jury : - Madame Florence Burgat, Directrice de recherches, Archives Husserl, UMR 8547 ENS-CNRS Monsieur Xavier Guchet, Professeur des universités, Université de Technologie de Compiègne Madame Catherine Larrère, Professeure émérite à l’Université Paris 1 – Panthéon Sorbonne Monsieur Pierre-Yves Quiviger, Professeur des universités, Université Nice Sophia Antipolis Monsieur François-David Sebbah, Professeur des universités, Université Paris Nanterre Madame Isabelle Thomas-Fogiel, Full Professor, University of Ottawa Volume 1 : mémoire de synthèse sur l’ensemble des travaux Volume 2 : choix de travaux, en quatre sections : Section 1 - Études simondoniennes : 233 pages + 1 monographie de 267 pages (Simondon) + 1 ouvrage collectif de 145 pages (Cahiers Simondon – Numéro 6) Section 2 - Études de philosophie française contemporaine : 43 pages Section 3 - Études de philosophie allemande contemporaine : 36 pages Section 4 - Publications préparatoires à La Société de l’invention / La Philosophie du paradoxe : 76 pages Volume 3 : La Société de l’invention. Essai d’écologie humaine 1 Volume 1 : Mémoire de synthèse sur l’ensemble des travaux 2 à Alexis Philonenko, pour ces échanges anciens qui agissent encore. 3 4 Introduction générale au dossier Que ce Volume 1 du dossier pour l’habilitation à diriger des recherches soit de taille modeste, cela tient au fait que depuis 1988, l’ensemble de mon travail est animé par un questionnement qui se concrétise en une seule idée-solution et un seul projet : construire le système global mais ouvert de l’individuation du sens, par-delà l’individuation des êtres pensée par Gilbert Simondon. Que cette idée-solution, et le questionnement auquel elle répond, soient même en réalité antérieurs d’un an à ma rencontre de l’œuvre de Simondon – qui date de 1989 -, c’est là ce qui se précisera dans l’introduction à ce Volume 1, à l’occasion d’une explication du nom donné à mon parcours depuis la thèse jusqu’à l’inédit La Société de l’invention, ce nom étant aussi le titre général de ce dossier : « De l’encyclopédisme génétique à sa refondation englobante ». Il s’y agira en effet de prévenir les malentendus qu’un tel titre général peut susciter, lui qui, tout en affichant certes l’ambition de refonder et d’englober l’ontologie simondonienne au sein d’un système philosophique plus vaste, continue de porter sur un trajet institutionnellement calculé depuis la thèse – en France, mieux vaut travailler sur un auteur pour en devenir spécialiste -, et non pas sur la réalité chronologique et fortement « post-wittgensteinienne » de mon questionnement personnel depuis mon « avantSimondon », auquel je reviens aujourd’hui pour commencer de construire le système global mais ouvert de l’individuation du sens. Le Volume 3, lui, présente La Société de l’invention en tant qu’inédit auquel tendaient ainsi mon questionnement de jeunesse puis celui de ma thèse de doctorat, déjà tournée vers la « refondation englobante » de l’ontologie simondonienne malgré la nécessité institutionnelle d’un travail prioritairement exégétique. Plus précisément, c’est la seconde partie de cet inédit qui livre un début de construction du système global mais ouvert de l’individuation du sens. Il ne s’agit bien sûr que d’un début, mais il constitue déjà en lui-même une finalité pour les vingt-neuf années passées et un premier aboutissement, qui donne sens à tout le reste - et qui trouvera son complément dans La Philosophie du paradoxe, mon nouveau chantier théorique pour les trois années à venir. C’est là ce dont témoignent également les travaux réunis dans le Volume 2 : qu’il m’ait fallu consacrer les années 1999-2013 à Simondon afin de faire connaître son oeuvre, cela 5 même ne pouvait qu’aider à la fermentation du questionnement qui en réalité transcende et précède ce travail d’exégèse. C’est en quoi, contrairement à ce qui se dit et malgré mes fonctions de directeur du Centre international des études simondoniennes (CIDES) à la Maison des Sciences de l’Homme Paris-Nord, je ne suis pas jusqu’au bout un « simondonien », même si j’ai tâché de comprendre l’œuvre de Simondon d’une façon aussi rigoureuse – et généreuse – qu’elle se voulait polémique et refondatrice. Bien sûr, mon ambition de construire un système global de l’individuation du sens peut sembler démesurée. Mais en réalité il s’agit moins d’une ambition que de la simple conséquence d’un questionnement : la nature globale de ce système ne relève pas du Savoir mais au contraire de la diffraction première et pluridimensionnelle des significations manipulées, dont les dénotations sont irréductibles à la seule dimension de l’ob-jet à connaître, ainsi que l’explique La Société de l’invention. En cela, on peut bien dire que mon questionnement originellement post-wittgensteinien – ce qui toutefois n’est certainement pas dire « wittgensteinien » -, celui-là même qui a soumis tout mon travail sur Simondon à l’exigence d’une « refondation englobante » de son ontologie, est aussi la marque d’un abandon du savoir à la science, la philosophie ayant à produire d’abord la simple connaissance de soi de l’individu philosophant dans sa non-originarité de sens-sujet individuant le sens pluridimensionnel, puis à proposer à partir de là une axiologie (première dimension), une économie politique (seconde dimension) et une ontologie (troisième dimension) à chaque fois secondes, et soumises respectivement aux trois « transcendances » que sont la conduite de l’individu philosophant, la volonté générale et le savoir scientifique. C’est de cette modestie inédite pour la philosophie que je parlerai dans mon discours de soutenance. Enfin, une remarque s’impose également sur la forme : contrairement aux deux autres volumes, ce Volume 1 est écrit avec un interligne « classique » et donc large. Cela tient d’une part à ce que, bien que mes convictions toujours plus profondément écologiques me conduisent à concilier désormais le plus possible les exigences de lisibilité avec celles de l’économie de papier, le poids des traditions institutionnelles est venu l’emporter finalement pour aérer ce Volume 1, quitte à économiser un peu moins le papier. Mais cela tient aussi et d’autre part au fait que de toute façon ce Volume 1 est bien moins copieux que les deux autres, le gaspillage de papier du fait de son interligne étant ainsi à relativiser. Les exigences de lisibilité, quant à elles, me semblent suffisamment satisfaites dans les deux autres volumes, grâce à la taille des caractères adoptée, et malgré l’interligne minimal – qui permet de réduire de plus d’un tiers le nombre de pages (400 pages au lieu de 650 pour le Volume 2 ; 270 pages 6 au lieu de 440 pour le Volume 3), et ceci m’importait d’autant plus qu’outre la question de la déforestation de la planète, la production de papier accroît la pollution de cette dernière. 7 8 Introduction au Volume 1 Le trajet désigné par le titre général de ce dossier d’habilitation à diriger des recherches conduit de la pensée de Simondon à celle dont il s’agit de poser les bases dans La Société de l’invention. Si ce type de trajet peut sembler aller de soi lorsque l’on se destine à la recherche philosophique et à la création de concepts au service d’une pensée qui se veut nouvelle - au lieu d’en rester à l’auteur dont on est devenu spécialiste -, le titre choisi ne doit cependant pas laisser penser que l’expression « encyclopédisme génétique » aurait été utilisée par Simondon lui-même pour désigner sa propre pensée : cette expression même est bien plutôt déjà le résultat d’un travail d’analyse de son œuvre, qu’elle vise précisément à qualifier. L’essentiel de mon travail depuis 1999, année de mon D.E.A. et donc de ma reprise des études après une très longue interruption – j’avais 32 ans -, a en effet consisté à explorer l’œuvre restée méconnue de Simondon, que j’avais découverte en librairie dès 1989 à l’âge de 22 ans – L’individuation psychique et collective (IPC) venait de paraître, et Simondon, de mourir, ainsi que je l’appris plus tard -, afin d’en dégager toute la force mais aussi les tensions internes et, finalement, la logique générale – comme telle aussi apaisée que possible -, logique que j’ai ainsi décidé de nommer « encyclopédisme génétique » en 2006 dans un numéro que je coordonnais pour la Revue philosophique de la France et de l’étranger, puis en 2008 dans mon ouvrage de synthèse Simondon ou l’encyclopédisme génétique (P.U.F.) – donc trois ans après la parution des deux volets issus de ma thèse. Il s’agissait bien évidemment de « réhabiliter » une œuvre dont seul l’ouvrage Du mode d’existence des objets techniques (MEOT), que j’avais paradoxalement découvert après L’individuation psychique et collective alors même qu’il se trouvait dans la bibliothèque de mon père depuis ma naissance, était un tant soit peu connu. Cette « reconnaissance » même des mérites de MEOT doit du reste être nuancée, car en réalité l’ouvrage n’avait pas vraiment été lu, tant ses premières pages étaient idiosyncrasiques – elles osaient comparer la « libération » espérée des machines à l’ancien combat contre l’esclavage -, mécomprises et mal jugées. Le titre même de l’ouvrage prêtait aux objets techniques un « mode d’existence », à une époque où la notion d’existence restait marquée par le discours de Sartre sur les spécificités de l’homme. Par ailleurs L’individuation psychique et collective et L’individu et 9 sa genèse physico-biologique (IGPB) n’ont été réunifiés qu’en 2005 avec la parution de la thèse principale de Simondon dans son entier et sous son titre originel : L’individuation à la lumière des notions de forme et d’information (ILFI). Mon travail en 1999 était donc d’autant plus solitaire que même le grand œuvre de Simondon était encore très mal édité lorsque je décidais de lui consacrer mon mémoire de D.E.A. Je peux dire que ma solitude dans l’enseignement secondaire est aujourd’hui toujours aussi grande, car l’immense majorité des professeurs de philosophie en lycée ignore complètement l’œuvre de Simondon. La réhabilitation de cette dernière reste donc entièrement à faire dans ce milieu, même si elle a largement commencé de se faire dans le Supérieur comme dans les milieux de curiosité intellectuelle et engagée – souvent fédérés par tel ou tel penseur qui utilise Simondon, comme c’est le cas de Bernard Stiegler. Mais cette réhabilitation à laquelle je me vouais en 1999 puis dans ma thèse – commencée en septembre 2000 - exigeait un effort d’exégèse qui devait consister aussi à « remettre de l’ordre » dans une pensée quasiment « jetée » par Simondon sur le papier comme elle lui était venue à l’esprit, mêlant dans une même page tant de choses qui auraient ainsi à être dépliées, et multipliant les paradoxes sans prendre la peine d’expliquer en quoi ils étaient de simples paradoxes, qui plus est nécessaires, et non pas des contradictions. J’ai souvent insisté sur ce dernier point, et la distinction fondamentale – et philosophiquement fondatrice à mes yeux - entre paradoxe et contradiction fera l’objet d’une nouvelle théorisation dans La Philosophie du paradoxe, qui sera strictement complémentaire de La Société de l’invention - par lequel s’inaugure la « refondation englobante » de l’encyclopédisme génétique de Simondon. Une seconde remarque préventive concerne justement cette refondation englobante. En effet, et comme l’annonçait déjà mon introduction générale aux trois volumes de ce dossier, l’idée d’un système ouvert mais global de l’individuation du sens, c’est-à-dire l’idée qui commence de se réaliser aujourd’hui dans La Société de l’invention, n’est pas postérieure mais antérieure à ma rencontre de l’œuvre de Simondon en 1989, année qui fut donc celle où je comprenais en quoi Simondon avait pour ainsi dire écrit à l’avance, mais en la prenant à tort pour une « philosophie première », l’ontologie de l’individuation qui devait devenir une problématique seconde parmi d’autres d’un futur système ouvert mais global, parce que pluridimensionnel : celui qui commence de prendre forme aujourd’hui dans La Société de l’invention, où je reviens enfin à mon grand projet post-wittgensteinien de jeunesse après tant d’années d’études simondoniennes. Cette même année 1989 était aussi celle où je cherchais un sujet pour mon mémoire de maîtrise, hésitant ainsi pendant des mois entre Wittgenstein, dont j’avais lu les uns à la suite des autres tous les textes traduits en français, et Simondon, 10 que je découvrais avec saisissement tant son ontologie de l’individuation correspondait à ce qui, dans mon esprit, devait constituer l’une des problématiques secondes du futur système ouvert de l’individuation du sens. Ce qui me tenait fondamentalement à cœur, en réalité, en 1989 pour le mémoire de maîtrise, c’était de tenter une critique nouvelle de ce magnifique Adversaire que je nommais le « fondationalisme égologique », courant très multiforme (Descartes, Hegel, Husserl) fournissant à mes yeux différents sommets de la vieille et vénérable tradition philosophique dite « continentale ». Husserl, que j’avais lu d’un bout à l’autre, me fascinait par la réflexivité de son questionnement comme par son souci de la précision, qui n’avait rien à envier aux philosophes analytiques – les husserliens peuvent être très impressionnants dans ce domaine. Hegel, lui, était à mes yeux le plus grand, et ce malgré Kant. L’architectonique future du philosopher aurait, j’en avais la conviction, à revenir encore une fois sur leur opposition, afin de remplacer la pensée kantienne de la finitude par une autre forme de pensée de la finitude. Car la tentative heideggérienne ne m’avait pas convaincu, pour des raisons qui seront évoquées à plusieurs reprises dans ce dossier, et qui ont pour symptôme majeur la confrontation au sommet – elle se voulait telle - mais manquée de Heidegger avec Hegel, telle que l’analyse mon texte « Hegel et l’impensé de Heidegger » dans le Volume 2 du dossier. Quant à Descartes, ce « héros » selon Hegel – qui entendait toutefois remplacer l’ego humain immédiatement donné par l’ « Absolu sujet » auto-médiatisé -, il avait inauguré une interrogation réflexive sur le « commencement » du discours qui avait justement défini la nature de mes toutes premières interrogation et expérience philosophiques dans la petite enfance à travers l’hypothèse que je rêvais et la découverte que même dans cette hypothèse, je pensais encore et sans pouvoir en douter. Je redécouvrais là par moi-même la certitude apodictique propre au cogito. Mais plus de quinze années plus tard, donc en 1988-1989, j’en venais à penser que ce type de certitude devait désormais être renversé, et selon un mode paradoxal parce que radical plutôt que fondé sur une prétendue connaissance de l’antériorité du vécu biologique sur la réflexivité psychique – telle était ma « certitude » nouvelle pour le mémoire de maîtrise, et ma lecture de Wittgenstein, qui envisageait qu’ « où manque le doute, manque aussi le savoir », ne pouvait que la renforcer encore. Or, si Simondon était certes lui aussi déjà présent dans ce travail de maîtrise sur et contre le fondationalisme égologique – j’avais tranché en sa faveur, et laissé le véritable travail sur Wittgenstein « en attente » -, il me paraissait pourtant clair que son ontologie génétique – au sens de génésique – ne pourrait pas me donner la problématique première et archi-réflexive que je cherchais, et qui seule se situerait au niveau de profondeur requis par le combat contre 11 le sublime fondationalisme égologique. Car je croyais déjà comprendre qu’en ce dernier se voyait prétendument « fondée » une attitude qui, à mes yeux, était en réalité partagée, mais à leur insu et parfois même contre leurs thèses, par tous les individus philosophants depuis Platon – le Wittgenstein d’Ueber Gewissheit excepté, parce qu’il en restait essentiellement au questionnement, et dans une direction qui certes transcendait encore la lettre de son discours, mais qui justement me paraissait féconde pour inventer un nouveau rapport aux significations que nous manipulons. Cette « attitude » partagée à leur insu par tous les individus philosophants depuis Platon, le chapitre V de La Société de l’invention la thématise comme étant en réalité à la fois inexorable et illusionnante, puisqu’elle procède de l’intention[n]alité humaine elle-même comme structure d’oubli de sa propre non-originarité : en égalant les significations manipulées à leur dénotation ob-jective, l’intention[n]alité humaine ob-jective le sens via ces significations, réduites à leur seule dimension noético-noématique, et ainsi elle se présuppose à son insu non constituée par ce sens, et donc originaire. Dans La Société de l’invention, je montre comment contourner cette loi pourtant inexorable de l’intention[n]alité humaine : ce que j’appelle adopter un nouveau rapport aux significations – « arbre », « table », « homme », « concept », etc. - que nous manipulons. Je dis également en quoi les sciences, elles, ont l’avantage de pouvoir ob-jectiver les significations manipulées en se décentrant, c’est-à-dire sans que le sujet connaissant se rende à son insu originaire. La « théorie générale du décentrement » est devenue, ainsi que je le dirai en Section 4 de ce Volume 1, la colonne vertébrale du système global mais ouvert de l’individuation du sens tel qu’il se dessine dans La Société de l’invention. Le questionnement philosophique qui s’y déploie a été préparé de longue date à travers mon mémoire de maîtrise bien sûr, mais aussi la longue Introduction et la quatrième et dernière partie de ma thèse, dont il sera question en Section 4 de ce Volume 1, ainsi que certains articles présents dans la Section 4 du Volume 2 : notamment les textes « Penser après Simondon et par-delà Deleuze », « Du “matérialisme de la rencontre” à la pensée de l’individuation du sens », et « Vers la Relativité philosophique ». Revenons aux années 1988-1989, où prenait forme ce questionnement que je qualifie aujourd’hui d’archi-réflexif. Simondon, lui, n’échappait évidemment pas à ce qui me semblait de plus en plus constituer une sorte de « malédiction » du philosopher occidental : lui aussi se rendait à son insu originaire, malgré ses thèses sur la non-originarité de l’individu. Toutefois, je commençais à comprendre que son ontologie génétique avait le mérite insigne de pouvoir constituer une traduction ontologique adéquate de la nouvelle problématique première que je 12 cherchais, et qui devrait être pluridimensionnelle et comporter une traduction seconde dans chacune des dimensions concernées – cela aussi je n’en doutais plus. Bien sûr, à l’époque cette certitude procédait essentiellement du diagnostic postwittgensteinien – je n’avais jamais été « wittgensteinien » mais possédais ma propre relecture du questionnement du tout dernier Wittgenstein, qui me paraissait au moins pointer au-delà de ce qu’en disait Jacques Bouveresse - que je portais sur la tradition philosophique occidentale, et elle ne rendait pas encore possible une véritable construction philosophique qui puisse laisser pleinement entrevoir un système de l’individuation du sens. Si donc j’ai choisi le titretrajet « De l’encyclopédisme génétique à sa refondation englobante » pour ce dossier d’habilitation à diriger des recherches, c’est précisément parce que malgré l’antériorité de mon idée d’un système ouvert mais global de l’individuation du sens sur ma rencontre de l’ontologie simondonienne, cette idée ne s’est en réalité précisée qu’en travaillant sur Simondon : de 1999, année où le D.E.A. m’a permis de me remettre aux études et à mon questionnement philosophique après une longue interruption due à « la vie », à 2013, année où j’ai achevé le Simondon que m’avait demandé le regretté Richard Zrehen pour Les Belles Lettres, il m’a fallu quatorze années d’études simondoniennes et de promotion de son œuvre – on est toujours embarqué pour des années par ce qui a été l’objet de sa thèse, ainsi qu’en témoigne la création des Cahiers Simondon en 2009, soit quatre ans après la publication de la thèse - pour que puisse vraiment se construire en parallèle, et sans que j’en publie davantage que des programmes, l’idée à laquelle je donne désormais le nom d’ « écologie humaine ». C’est donc ce trajet, ses raisons philosophiques et les publications qu’il a permises, qu’il s’agira de retracer dans ce Volume 1 du dossier, et je le ferai selon quatre sections répondant à la distribution des textes choisis pour le Volume 2 : - la première section, intitulée « Études simondoniennes », se concentrera sur ce que j’ai voulu apporter aux études simondoniennes par mes ouvrages et articles consacrés à l’œuvre de Simondon, mais aussi sur la façon dont j’ai participé à construire un collectif qui est désormais international – ce que Lecourt, qui avait dirigé ma thèse et dont l’humour est connu, a nommé la « simondialisation ». À la différence, donc, des sections suivantes, cette première section sera autant biographique que bibliographique ; - la deuxième section, intitulée « Études de philosophie française contemporaine », sera consacrée aux quelques penseurs français que j’ai voulu revisiter soit par intérêt pour leur pensée, soit parce qu’ils étaient à mes yeux incontournables pour situer la pensée de Simondon, ces deux raisons se conjuguant le plus souvent ; 13 - la troisième section, intitulée « Études de philosophie allemande contemporaine », portera sur les quelques penseurs de langue allemande auxquels j’ai consacré des analyses, le plus souvent en dehors de mes études simondoniennes parce qu’ils sont moins liés au questionnement de Simondon qu’à celui qui m’anime depuis ma jeunesse – même si cette section les abordera pour eux-mêmes et non pas pour conduire au système global mais ouvert de l’individuation du sens ; - la quatrième et dernière section, intitulée « Publications préparatoires à La Société de l’invention / La Philosophie du paradoxe », aura pour objets mes quelques travaux relatifs à l’idée d’un système global mais ouvert de l’individuation du sens, autrement nommé « écologie humaine » dans l’inédit La Société de l’invention, ainsi qu’à sa formulation analogique sous le nom de « Relativité philosophique » - laquelle sera reprise et développée dans La Philosophie du paradoxe. 14 Section 1 Études simondoniennes Sans remonter cette fois au mémoire de maîtrise – dirigé par Frédéric Nef en 1989 - ni même à ma reprise des études à travers le mémoire de D.E.A. – étrangement dirigé par Catherine Colliot-Thélène, car Simondon n’intéressait toujours personne en 1999 à l’Université de Rennes 1 -, je prendrai pour point de départ la décision qui fut la mienne, en septembre 2000, pour la thèse de doctorat qui serait soutenue fin 2003 : après avoir déjà travaillé sur Simondon, il s’agirait désormais pour moi de produire prioritairement une explication détaillée, approfondie et systématique de ses deux grands ouvrages, qui étaient aussi ses deux thèses principale et complémentaire. La dimension polémique et refondatrice du travail de thèse, telle qu’elle est évoquée dans la Section 4 de ce Volume 1, devait n’être que seconde - même si elle fournissait indéniablement et déjà le cadre général et l’ « horizon », ainsi que je le nommais, de l’exégèse. Le choix de Dominique Lecourt comme directeur de thèse tenait d’abord à ce que Bachelard était pour moi une grande source d’inspiration depuis longtemps, lui qui avait combattu le substantialisme des philosophes occidentaux avec tant de finesse et de compétence scientifique. La théorie générale du décentrement qui, dans La Société de l’invention, fournit la colonne vertébrale de l’écologie humaine doit beaucoup, dans ses prémisses du moins, à l’idée bachelardienne de « phénoménotechnique ». J’y reviendrai. La seconde raison qui me portait à choisir Lecourt pour diriger la thèse était qu’à la dernière page de son pamphlet Les piètres penseurs, il appelait à se pencher sur Wittgenstein et Simondon – dont le « réalisme des relations » est très bachelardien. Il y avait là une double évidence pour moi, mais j’ignorais encore que Lecourt avait en réalité publié en 1981 une thèse de doctorat où le dernier Witgenstein se voyait réinterprété selon des voies qui préfiguraient la lecture que j’en avais faite en 1989 lors d’un exposé passionné et long de trois heures – autorisées par Françoise Armengaud, à qui je dois ce souvenir profondément heureux. 15 Faire ce doctorat n’était pas une chose évidente sur le plan du temps disponible, puisqu’en 2000 j’enseignais la philosophie en lycée – j’étais titulaire depuis 1995, après avoir été maître auxiliaire entre 1990 et 1995 pour gagner ma vie, et avec une année de chômage en cours de route -, et j’ai eu l’immense chance d’obtenir un congé-formation grâce au désistement des deux collègues qui me précédaient sur la liste d’attente. Mon plan détaillé était pour ainsi dire prêt dès 2001, et le congé-formation, que j’avais choisi sous la forme de deux interruptions de six mois durant les années scolaires 2001-2002 et 2002-2003, me permit de rédiger une grande partie des 612 pages de la thèse. Même si bien sûr l’introduction et la quatrième partie de cette thèse étaient grandement consacrées à ma propre problématique première et donc à l’objectif d’une refondation englobante de l’ontologie simondonienne, les trois premières parties du travail étaient consacrées à l’explication de cette ontologie et de son lien à la pensée simondonienne de la technique, qui à mes yeux ne pouvait se comprendre indépendamment d’ILFI - auquel renvoyait du reste MEOT, même si ce renvoi restait furtif. Bien sûr, chacune des trois parties de l’exégèse ainsi produite était ici ou là l’occasion d’un propos plus critique et destiné à la future opération de refondation englobante, et c’est pourquoi je parlais dès cette époque d’ « exégèse polémique » - celle-là même que j’ai retrouvée pratiquée en 2011 par Baptiste Morizot dans sa thèse, dont la préface a été pour moi l’occasion d’un propos militant sur lequel je reviendrai. Mais l’essentiel restait bien d’accomplir une mission proprement exégétique qui devait définir toute la première phase de ma production philosophique, c’est-àdire les années 2000-2014 : réhabiliter une œuvre en explicitant ses concepts et les voies par lesquelles cette œuvre procédait elle-même, dès 1958, aux trois réhabilitations de la philosophie de la nature, de l’analogie et de la technique. Ces trois premières parties de la thèse avaient ainsi pour titres respectifs « Penser la Nature », « Penser la Connaissance » et « Penser la Technique » : a/ La première partie, publiée en 2005 sous le titre Penser l’individuation. Simondon et la philosophie de la nature, avait pour objet l’ontologie génétique d’ILFI. Le premier chapitre situait cette audacieuse « philosophie de la nature » par rapport à Bergson, Teilhard de Chardin et Merleau-Ponty – la Section 2 de ce Volume 1 précisera ces rapports de Simondon à la philosophie française -, mais en insistant sur son ambition d’être une ontologie en laquelle l’objet n’est pas ob-jet : la connaissance de l’individuation est elle-même individuation de la connaissance, et en cela Simondon hérite, via Bergson et Merleau-Ponty notamment, d’un XXe siècle « continental » marqué par le projet fondamental du dépassement du face à face 16 classique et principiel entre le sujet philosophant et son objet – Heidegger étant ici celui qui, par-delà le face à face encore présent à l’intérieur de la relation noético-noématique pensée par Husserl, a fait de la connaissance un simple « mode d’être » de l’être-au-monde plurimodal et constitutif du Dasein. On le devine, cette introduction à l’ontologie génétique par le biais de son ambition la plus grande et la plus modeste à la fois – sortir de la prétention à la Connaissance à laquelle est condamnée toute philosophie qui veut simplement connaître un ob-jet – me servait à préparer déjà la future refondation englobante de cette ontologie au sein d’un système global de l’individuation du sens encore moins objectivant qu’elle pour le sens. Mais ce n’est pas le lieu d’aborder déjà ce qui relèvera de la Section 4 de ce Volume 1. Dès le deuxième chapitre, l’essentiel était alors pour moi de montrer en quoi, chez Simondon, la subversion envisagée de l’opposition principielle entre le sujet et l’objet était pour ainsi dire rabattue sur la subversion de l’hylémorphisme, ce dernier étant en effet identifié par Simondon à une tradition philosophique occidentale menant d’Aristote à Kant – penseur des « matière » et « formes » de la connaissance - et même au-delà. Simondon présentait par ailleurs son projet ontogénétique comme celui qui, en concurrençant l’universalité encyclopédique qui avait fait la force du schème hylémorphique, révélait dans le même temps que ce dernier était en définitive ce que je proposais de nommer un substantialisme déguisé ou subtil. Je dégageais donc son retournement de la recherche du « principe d’individuation », en lien avec le sens non-dialectique de sa relativisation du tiersexclu, et entrais dans son extraordinaire analyse critique de la doctrine hylémorphique, analyse que je baptisais « herméneutique de l’hylémorphisme » parce qu’au premier chapitre d’ILFI, Simondon avait montré que derrière ce que je proposais de nommer le paradigme conscient ou manifeste de l’hylémorphisme, qui est l’opération technique de moulage, gît un paradigme inconscient ou latent qui est la relation sociale appauvrie du maître et de l’esclave. Par là même, Simondon dénonçait – et mon travail était à nouveau de le rendre explicite l’inadéquation du paradigme conscient de l’hylémorphisme à cette doctrine elle-même, puisque l’opération technique de moulage ne se réduit justement pas à une prise de forme où la matière et la forme préexisteraient. Ici encore, l’analyse de Simondon est impressionnante de maîtrise techno-logique, et mon propre mérite a consisté à entrer dans la complexité épistémologique de cette analyse. L’un des apports majeurs de mon travail est certainement d’avoir non seulement montré au chapitre III que l’ontologie génétique de Simondon possède pour noyau la doctrine épistémologique du « réalisme des relations », héritière de l’anti-substantialisme bachelardien, mais aussi explicité le sens exact de ce réalisme des relations : loin de se confondre avec 17 l’idée que l’individu se réduirait à ses relations à son milieu, cette doctrine affirme que l’individu est lui-même une relation entre des ordres de grandeur, cette relation pouvant se démultiplier pour renforcer l’individualité de l’individu plutôt que la dissoudre. J’ai signalé, des années après ma thèse, en quoi Edgar Morin a retenu sur ce point la leçon de Simondon, et j’ai également proposé entre-temps de faire de ce dernier LE penseur de la « complexité » mais sans savoir que Simondon avait, ainsi que je l’ai appris récemment, reproché à Morin de s’être attribué cette thématique qu’il jugeait sienne alors que pour sa part il ne l’avait pas nommée ainsi dans ILFI ! Mon chapitre III montrait aussi en quoi les termes par lesquels Prigogine et Stengers, dans leur réhabilitation de la philosophie de la nature, se réfèrent à Whitehead disent l’intention centrale, et plus explicite encore, de Simondon : le réalisme antisubstantialiste des relations désubstantialise l’individu sans le déréaliser, ainsi que j’aime à dire ; or, même si ce réalisme des relations est revendiqué – sans être nommé - par Prigogine et Stengers dans La nouvelle alliance, il est plus clairement assumé par Simondon que par Whitehead, toujours suspect de vitalisme – même revisité. Enfin, j’entrais dans la discussion complexe et certainement inachevée de la théorie de l’information par Simondon, et montrais en quoi elle était le cœur de la « réforme notionnelle » revendiquée par lui pour l’ensemble de son ontologie, la notion d’information désignant chez lui une paradoxale prise de forme non hylémorphique, ou genèse, dont la transmission de message n’est qu’un cas dérivé. J’y reviendrai. Je nommais « dérivation anti-réductionniste », dans le chapitre IV, le passage d’un régime d’individuation à un autre au sein de l’ontologie génétique, ces régimes étant le régime physique, le régime vital et le régime psycho-social ou « transindividuel ». C’est là ce que je nomme aujourd’hui « émergence », en insistant sur le fait que l’émergentisme, tel que je le conçois à partir de Simondon, est anti-substantialiste autant qu’anti-réductionniste. Après avoir analysé dans les chapitres précédents les notions simondoniennes de « préindividuel » et de « métastabilité » mais aussi de « transduction » – analysée derechef dans la deuxième partie de ma thèse, et donc évoquée plus bas -, j’entrais dans ce que je nommais l’ « hypothèse » simondonienne de la néoténie « généralisée » : chaque régime d’individuation était peut-être rendu possible par le prolongement de la phase inchoative et première du processus d’individuation de régime inférieur. J’analysais alors le statut de paradigme de la cristallisation comme processus, dans sa différence par rapport au cristal, puis l’individuation du vivant comme « individualisation » - ou individuation à la fois perpétuée et différenciatrice -, et enfin la double discussion par Simondon du processus d’adaptation du vivant tel qu’il est pensé par Lamarck d’une part, Darwin de l’autre. 18 Dans le dernier chapitre, j’analysais les difficultés introduites dans le texte de Simondon par le fait que le régime transindividuel ou psycho-social d’individuation ne constitue pas au même titre que le physique ou le vital un régime d’individuation : la continuité entre le vital et le transindividuel est assurée par ce que Simondon nomme une « voie transitoire psychique » porteuse du « sujet » somato-psychique et affectivo-perceptivo-actif, voie qui cependant ne peut aboutir à des « personnalités » proprement dites qu’en passant par une « désindividuation émotionnelle provisoire » suivie d’une individuation « par le collectif » - ou le psycho-social. J’y voyais là de quoi repenser l’animal comme un sujet, et ce point est bien sûr l’un de ceux qui sont devenus fondamentaux dans La Société de l’invention. Mais je problématisais aussi, en utilisant Stiegler, le transindividuel simondonien, resté insuffisamment « prothétique » à mon goût. Les différences, toutefois, entre mon projet personnel et celui de Stiegler sont les suivantes : - dans La Société de l’invention le transindividuel est pensé à l’intérieur d’une « philosophie de l’information ontologique » qui, à l’instar de l’ontologie génétique de Simondon, respecte l’ordre des régimes d’individuation ; - cette philosophie de l’information ontologique n’est elle-même qu’une traduction seconde d’une sémantique archi-réflexive première ; - l’ « extériorité constitutive » n’y est pas la « rétention tertiaire » ou la « prothèse » dont parle Stiegler, mais la double transcendance constitutive « langue/système d’objets ». b/ Les seconde et troisième parties de la thèse, publiées elles aussi en 2005 sous le titre Penser la connaissance et la technique après Simondon, avaient certes un accent plus polémique mais conservaient pour priorité d’expliquer la pensée de Simondon en se confrontant à ses aspects les plus difficiles et ignorés comme à ses aspects les plus faussement « réputés » car restés méconnus, tels, respectivement, le troisième chapitre d’ILFI, consacré à la physique quantique, et la première partie de MEOT, lieu d’élaboration des notions peu analysées – elles le sont davantage aujourd’hui - de « concrétisation », d’ « individualisation » et de « naturalisation » de l’objet technique. Simondon ayant écrit ses deux thèses en quelques mois seulement après avoir beaucoup lu, et sans structurer clairement sa pensée, il s’agissait pour moi de dégager la cohérence et la systématicité au moins potentielles de sa conceptualisation en allant plus loin et en couvrant davantage de problèmes, pour ce faire, que le petit livre de Muriel Combes qui avait paru juste avant mon doctorat - et qui constituait la première présentation vraiment reconnue de la pensée de Simondon. Mes analyses ont donc d’abord montré que : 19 - dans l’introduction comme dans la conclusion d’ILFI, la fameuse dualité quantique ondecorpuscule est, en tant que « plus qu’un », ce qui nous donne l’accès le plus profond mais aussi le plus difficile à ce que Simondon nomme le « préindividuel » ; - comme l’indique le très long chapitre « Forme et substance », cela ne signifie pas qu’il n’y aurait pas chez Simondon une indistinction relative entre le préindividuel et son opération d’individuation, et c’est pourquoi la dualité corpuscule/onde est aussi pour lui un « couple » individu/milieu : en ce point, Simondon s’oppose à l’exclusivité réciproque des « prédicats » corpusculaire et ondulatoire telle que la pense la célèbre doctrine bonhrienne de la « complémentarité » ; - même si ce questionnement de Simondon sur la dualité quantique onde-corpuscule semble largement influencé par Louis De Broglie, qui est sa grande référence pour penser la physique contemporaine, il ne s’arrête pas pour autant à la « théorie de la double solution » broglienne : conformément à l’idée du « plus qu’un », le « couple » corpuscule/onde compris comme « couple » individu/milieu est ici une seule et même réalité dédoublée plutôt qu’un couple ; - les toutes dernières pages de « Forme et substance » ouvrent à une théorie nouvelle, mais encore totalement intuitive, de ce qu’il faudrait nommer les « champs sur-continus » : des champs quantiques se situant au-delà de l’opposition entre le continu et le discontinu. Tel est l’horizon à partir duquel il faut comprendre en quoi Simondon, malgré les malentendus parfois présents dans sa critique de la position de Bohr, se montre cependant capable à la fois de pointer les faiblesses de cette position et ses apports. Concernant, maintenant, les notions de « concrétisation », d’ « individualisation » et de « naturalisation » des objets techniques, j’ai insisté dès la thèse sur le fait que dans MEOT la concrétisation est un progrès théorisé selon une analogie avec l’évolution des êtres vivants déjà pensés par ILFI, lesquels seuls cependant sont « concrets dès le début » - les objets techniques n’étant d’ailleurs jamais absolument concrets pour leur part, et la concrétisation étant donc asymptotique par rapport à la concrétude du vivant. J’ai alors analysé le double fait que d’une part la concrétisation des objets techniques possède plusieurs aspects, selon que l’on aborde le niveau des éléments techniques, celui des individus techniques ou celui des ensembles techniques, d’autre part ces aspects de la concrétisation se révèlent à différents âges tendanciels du progrès technique en quoi elle consiste, âges dont les deux derniers requièrent absolument et respectivement les notions d’ « individualisation » et de « naturalisation » de l’objet. Au niveau des éléments, deux aspects sont dégagés par Simondon : 20 - l’augmentation de la « résonance interne » entre les éléments qui composent l’objet. C’est l’idée d’une organicité croissante, par laquelle chaque pièce « ne peut pas être autre qu’elle n’est » ; - le fait qu’un élément d’un objet devienne plurifonctionnel au lieu d’avoir une seule fonction. Un troisième aspect ne concerne plus les éléments qui composent l’objet, mais la relation de cet objet au « milieu associé » appelé par son fonctionnement lui-même, cette relation étant alors une « causalité récurrente ». C’est là justement le processus d’ « individualisation » des objets techniques, qui ne s’accomplit pleinement qu’avec les machines de la modernité avancée en tant qu’ « individus techniques » appelés à travailler de manière autonome – donc par-delà le couplage machiniste homme-machine, qui restait « aliénant » pour l’homme et « asservissant » pour la machine, dit Simondon. Enfin, à l’âge contemporain et en cours des ensembles informationnels s’accomplit pleinement la convergence entre science et technique et donc la « naturalisation » des objets techniques, dernier aspect de la concrétisation. La « technicité » d’aujourd’hui, dit Simondon, réside tendanciellement « dans les ensembles », parce que cet âge est celui de l’information. Mais l’ensemble informationnel paradigmatique est pour Simondon le laboratoire scientifique, et la naturalisation des objets techniques se précise donc comme suit : - dans MEOT, l’objet technique est conçu comme un système physico-chimique au sein duquel les actions réciproques se font selon un nombre croissant de lois naturelles scientifiquement connues. C’est pourquoi la construction de l’objet technique ne peut être parfaite que si elle procède de ce que Simondon nomme une « connaissance scientifique universelle ». Telle est la voie de la techno-logie, que Simondon juge toutefois asymptotique ; - dans la « Note complémentaire sur les conséquences de la notion d’individuation », texte qui complète ILFI et dont j’ai toujours fait le lieu privilégié de connexion entre les deux thèses de Simondon, c’est réciproquement la connaissance scientifique qui dépend de l’activité technique, dans la mesure même où l’intégration croissante des lois naturelles au fonctionnement technique fait de l’objet technique le médiateur entre l’homme et la nature qui reste encore à découvrir. La normativité technique s’exprime pleinement dans la recherche scientifique, parce que la machine n’y médiatise pas la relation de l’individu à la communauté, mais la relation du sujet actif à l’objet. Telle est la voie de la phénoménotechnique, telle que l’avait déjà définie Bachelard. Ce sont là mes apports exégétiques sur les aspects plus haut mentionnés des deux thèses principale et complémentaire de Simondon. Mais il s’agissait aussi pour moi de montrer en quoi ce dernier réhabilitait l’analogie tout en précisant ses conditions de validité. C’est 21 pourquoi ma thèse, et donc également Penser la connaissance et la technique après Simondon, exploraient d’une part la notion de « transduction » proposée par Simondon comme second schème universel après celle, revisitée, d’information – dont je n’ai qu’allusivement parlé plus haut parce que j’en réserve l’évocation à la future présentation de mon Simondon paru aux Belles Lettres en 2014 -, d’autre part l’idée d’ une « allagmatique » en tant que nouvelle discipline explicitement analogique – et concurrente de la cybernétique. La notion de transduction, qui chez Simondon désigne au départ la propagation d’une structuration par déphasage à partir d’un centre, avait déjà été requise et définie dans la première partie de ma thèse et dans Penser l’individuation. Simondon et la philosophie de la nature, afin justement de penser la notion non-technologique d’information qui faisait le cœur de la « réforme notionnelle » ambitionnée par Simondon. Mais il fallait lui consacrer désormais un développement particulier si, chez Simondon, elle désignait aussi bien une méthode de connaissance qu’un devenir de l’être. Je montrais alors en quoi le débat, antérieurement évoqué, de Simondon avec Bohr permettait de confirmer que chez le premier la connaissance de l’individuation est une connaissance analogique qui se fonde sur une opération mentale spécifique de transduction comme individuation de la connaissance. C’est là également ce qui faisait de l’ « intuition » parfois revendiquée par Simondon une intuition réflexive, cette réflexivité ne consistant pas à reconduire le sujet à lui-même en tant qu’il s’opposerait à l’objet, mais à se retrouver dans le processus d’individuation par lequel advient également l’objet. Je dirai en Section 2 ce qui, sur cette question de l’intuition, relie et sépare Simondon et Bergson. Parce qu’enfin, chez Simondon, l’analogie est redéfinie par la transduction qui seule la légitime en tant qu’elle permet de « connaître en définissant des structures par les opérations qui les dynamisent, au lieu de connaître en définissant les opérations par les structures entre lesquelles elles s’exercent », la « théorie de l’acte analogique » qu’il propose est directement liée à son idée d’une « allagmatique » comprise comme « théorie des opérations » qui serait, « dans l’ordre des sciences, symétrique à la théorie des structures, constituée par un ensemble systématisé de connaissances particulières : astronomie, physique, chimie, biologie ». J’analysais toutefois ici les tensions possibles entre les différentes définitions données par Simondon de l’allagmatique, afin de résoudre ensuite ces tensions : si l’allagmatique a aussi pour rôle de « déterminer la relation véritable entre la structure et l’opération dans l’être, entre la science analytique et la science analogique », c’est parce que chez Simondon définir l’opération revient déjà à définir une certaine convertibilité de l’opération en structure et réciproquement - « puisque l’opération réalise la transformation d’une structure en une autre 22 structure » -, de sorte qu’en réalité l’allagmatique comme théorie des opérations est par définition également théorie de la relation entre opération et structure. En définitive, l’allagmatique n’est pas une connaissance de l’individuation par transduction analogique qui serait placée à côté de la connaissance scientifique et analytique des structures, mais elle naît après celle-ci pour se découvrir ensuite englobante. Voilà donc quelques-uns au moins des points que ma thèse puis Penser la connaissance et la technique après Simondon voulaient éclairer, en sus du chapitre d’ILFI consacré à la physique quantique, au sein de la pensée simondonienne de la connaissance tant scientifique que philosophique. De même, à propos de sa pensée de la technique cette fois, il ne s’agissait pas d’en rester à l’analyse plus haut évoquée des trois notions de concrétisation, d’individualisation et de naturalisation de l’objet technique, mais de montrer également que Simondon réhabilitait la technique grâce à une technophilie qui entendait se distinguer de ce qu’il nommait le « technicisme intempérant » - lequel nourrissait par réaction une certaine technophobie. C’est pourquoi toute mon analyse de MEOT s’inscrivait à l’intérieur d’une problématisation ayant pour objectif central la construction de ce que je devais appeler, aussitôt après la publication des deux volets issus de la thèse, un « humanisme difficile » consubstantiel à l’ « encyclopédisme génétique » – Simondon ayant pour sa part critiqué, au seuil de MEOT, le « facile humanisme » technophobe. Il importait à cet égard de prévenir certaines lectures rattachant Simondon à l’anti-humanisme, de même qu’il importe aujourd’hui de prévenir celles qui le rattachent au post-humanisme. Ici encore, Deleuze, Stiegler ou Sloterdijk – parfois même Latour - semblent être ceux qui motivent des interprétations et usages nombreux mais très libres de Simondon, lui-même devenu victime d’une mode nous éloignant de la lettre même de son texte, qui appelle dans la deuxième partie de MEOT à l’élaboration d’un « nouvel humanisme » compatible avec la technophilie comme avec la reconnaissance de l’être-sujet de l’animal. La Société de l’invention propose la réalisation de cet humanisme difficile sous la forme d’un humanisme décentré qui dialogue notamment avec Latour d’une part, Stiegler et Sloterdijk d’autre part. Ma thèse a montré à cet égard que l’humanisme qui se dessine dans MEOT n’a plus rien de ce que Simondon nommait dans ILFI, et en la critiquant, l’ « anthropologie » essentialiste, ni même de l’humanisme anti-essentialiste contemporain qui oppose la culture à la nature : ce sont en fait la nature, la technique et la culture qui s’y trouvent toutes les trois réconciliées. Car si l’objet technique inventé est pensé par Simondon comme le « support » d’une relation entre hommes qui est « le modèle de la transindividualité », ce support technique ne saurait 23 toutefois couper l’homme de la nature puisqu’il est au contraire « nature dans l’homme », c’est-à-dire expression de la « charge de nature » contenue dans le sujet qui l’a inventé. En effet le sujet, depuis ILFI, n’est pas seulement l’être somato-psychique et affectivoperceptivo-actif, il est aussi et d’abord l’ensemble formé par l’individu et sa « charge préindividuelle » ou non encore individuée, laquelle est recueillie dans l’affectivité qui devient ainsi motrice pour l’individuation collective du sujet. Mais parce que d’autre part cette « nature dans l’homme » n’est pas « nature humaine », la réconciliation entre l’homme et la nature, donc entre la culture et la nature, n’est pas pour autant retour à un quelconque essentialisme : en fait, la technique est ici ce qui constitue une dimension essentielle de la culture tout en prolongeant la nature. À cela s’ajoute un paradoxe qui n’est en rien une contradiction puisqu’il est même fondateur chez Simondon : alors même que la technicité de l’objet technique ne réside pas dans son usage par l’homme mais dans son fonctionnement susceptible de progrès et doté de sa propre « normativité technique intrinsèque », cette technicité devient, à l’âge des ensembles informationnels, normative pour le progrès social lui-même. J’ai tenu à insister depuis la thèse sur ce paradoxe, qui est exemplaire de la nature para-doxale, parce que subtile et transcendante à l’égard de la doxa, de la pensée de Simondon. Ma thèse n’a cessé en réalité de dégager puis de résoudre des paradoxes sans la perception desquels la pensée de Simondon reste tout simplement mésinterprétée, tant ils lui sont essentiels dans sa visée théorique profondément novatrice. Enfin, penser la technique comme une dimension essentielle de la culture, et la technicité comme fonctionnement plutôt qu’usage par l’homme, c’était d’une part comprendre pourquoi Simondon faisait du travail lui-même une « phase » de la technique plutôt que l’inverse : l’humanisme nouveau a ici pour rôle d’annoncer un âge où l’individualisation des êtres techniques, étudiée dans la première partie de MEOT, affranchira la machine du couplage machiniste homme-machine et libèrera par là même l’homme de cette relation aliénante, la machine devenant « individu technique », et l’homme, surveillant et réparateur des machines qui travaillent de manière autonome. D’autre part, et pour en venir finalement à la troisième partie de MEOT, la « technicité » n’était pas seulement pour Simondon ce dont le fonctionnement – plutôt que l’usage - constitue l’incarnation : elle était aussi une essence déterminant une « phase de la culture » ou un « mode d’être au monde » - Simondon supprimant ici les tirets utilisés par les phénoménologues. Où l’on comprend au passage que, malgré toute l’ambiguïté des descriptions de Simondon à cet égard, il faut le prendre au sérieux lorsqu’il annonce que les « phases » ne seront pas des « moments » temporels : la théorie simondonienne des phases de la culture est en réalité une eidétique génétique plutôt 24 qu’une théorie historique ayant affaire à des « moments », et les « déphasages » successifs qui, depuis celui de l’ « unité magique primitive » en technique et religion, donnent lieu à l’apparition des différentes phases de la culture obéissent à des lois d’essence plutôt qu’à un déterminisme proprement historique et toujours menacé, soit de se renverser en contingence, soit de se muer en téléologie. Mais cela, je n’en posais dans ma thèse que certaines conditions de compréhension, cette dernière ne se faisant pleine et entière que dans « Genèse, histoire et normativité technique » - texte présent dans le Volume 2 de ce dossier - ainsi que dans mon Simondon. Par « technicité », donc, il faut entendre dans la troisième partie de MEOT cette essence qui commande un type de rapport au monde caractérisé par la discrétisation en éléments, Simondon nommant « fonction de l’élément » le rôle qui revient à la technique en tant que rapport au monde, et dont le complémentaire et le symétrique est la « fonction de totalité » qui revient à la religion. Je remarquais aussi que les notions de « sujet » et d’ « objet » telles qu’elles étaient utilisées par Simondon dans cette même troisième partie de MEOT ne correspondaient ni au « sujet » somato-psychique et affectivo-perceptivo-actif d’ILFI, ni à la dualité classique du sujet et de l’objet se faisant face, puisque cette fois les « premiers sujets » étaient rendus possibles par la religion tandis que les « premiers objets » étaient les objets techniques. J’explorais plus généralement toutes les étrangetés mais aussi les ambiguïtés et les tensions qui étaient présentes dans le texte de Simondon, et dont les plus architectoniques venaient nourrir ma visée propre d’une refondation englobante de l’encyclopédisme génétique. J’y reviendrai. Les années de thèse furent également celles d’une rencontre déterminante puisqu’elle était celle de l’étudiant qui deviendrait mon collaborateur direct et mon complice durant toutes ces années où devait progressivement se mettre en place la « simondialisation » : Vincent Bontems, ex-normalien et agrégé de philosophie. Bien davantage que Bernard Stiegler, que j’avais rencontré dès 1994 et dont l’œuvre revisitait et discutait la pensée de Simondon, Bontems, rencontré en 2000, serait celui dont la passion pour l’œuvre de Simondon me deviendrait d’autant plus essentielle qu’il partageait mon « bachelardisme » antisubstantialiste. Je tiens son Bachelard, publié aux Belles Lettres en 2010, pour la meilleure étude sur le philosophe français, et je suis profondément reconnaissant à Richard Zrehen d’avoir suivi mes recommandations concernant le choix de celui qui devrait écrire un Bachelard pour sa collection : nous avons là un petit bijou sur l’ensemble de l’oeuvre. Bontems était aussi celui qui, immédiatement et à la manière d’Alexis Philonenko quelques années auparavant, m’encourageait dans mon projet personnel d’un système ouvert de 25 l’individuation du sens. Sur le plan du développement des études simondoniennes, il a été un moteur essentiel en animant durant plusieurs années l’Atelier Simondon de l’E.N.S. Ulm, en parallèle et partenariat avec mes séminaires successifs de la Maison des Sciences de l’Homme Paris-Nord (2007-2013). Durant mes années de doctorat, Bontems était en D.E.A. puis en thèse d’épistémologie sous la direction d’Éric Brian à l’E.H.E.S.S., travaillant notamment sur le rapport entre la pensée simondonienne des « ordres de grandeur » et la théorie physique de la « Relativité d’échelle » élaborée par Laurent Nottale (Observatoire Paris-Meudon). Comme je faisais moi-même occasionnellement ce rapport depuis mon mémoire de D.E.A., nous décidâmes dès 2001 de publier dans la Revue de synthèse un texte intitulé « Relativité et Réalité ». Ce fut ma première publication, immédiatement suivie en 2002 du texte « L’idée de Relativité philosophique chez Simondon et son rapport à la théorie physique de la relativité d’échelle », où je parcourais en réalité le spectre allant de mon projet d’un système global de l’individuation du sens à la Relativité physique d’échelle en passant par l’appel de Simondon à un « relativisme pris en un sens nouveau » sur le plan strictement épistémo-ontologique – donc bien moins large que mon idée purement analogique de Relativité philosophique telle qu’elle est à nouveau définie dans l’inédit de ce dossier. Cette seconde publication se faisait dans le cadre des Actes d’un colloque sur Simondon organisé en 2001 à Saint-Étienne par Jacques Roux, sociologue du CRESAL. Bontems et moi y avions rencontré Pascal Chabot, qui faisait sa thèse sur Simondon sous la direction de Gilbert Hottois – auteur de la première monographie sur Simondon en 1993 -, ainsi que le duo formé par Bernard Aspe et Muriel Combes, que je connaissais pour ma part déjà depuis 1996. Combes avait publié en 1999 une très bonne petite monographie sur Simondon aux P.U.F. Avant ce colloque de Saint-Étienne qui fut aussi l’occasion d’une vive confrontation entre Isabelle Stengers et le duo que je formais avec Bontems -, il n’y avait guère eu sur Simondon que celui, prestigieux, de 1992, publié en 1994 chez Albin Michel et réunissant notamment René Thom, Anne FagotLargeault, Jean-François Marquet, François Laruelle, Gilbert Hottois et Bernard Stiegler. Ma thèse fut soutenue le 14 novembre 2003 devant un jury composé de Françoise Balibar, Claude Debru, Jean Gayon, Dominique Lecourt et Bernard Stiegler, la présence de ce dernier permettant au jury d’être conforme à la nature profondément philosophique de la thèse, pourtant soutenue dans le cadre d’une École doctorale d’épistémologie et histoire des sciences et des techniques (Université Paris 7 – Denis Diderot). Certes, le contenu même de l’œuvre de Simondon justifiait mon inscription dans ce type de doctorat, et je n’avais pas ménagé mes efforts pour entrer dans les débats sur la physique quantique, mais mon rapport à cette œuvre 26 et l’horizon qui s’y préparait d’une refondation englobante de son ontologie faisaient clairement de ma thèse un travail de philosophie générale et de philosophie contemporaine, et pas seulement d’épistémologie. Du reste, à l’instar de Simondon lui-même je n’avais pas fait le même travail en épistémologie de la biologie qu’en épistémologie de la physique – ce déséquilibre a été quelque peu compensé depuis. Or, si le jury m’accorda cependant les félicitations à l’unanimité en raison de l’ampleur philosophique du travail et de l’absence d’erreurs flagrantes en épistémologie de la biologie – dont Jean Gayon et Claude Debru sont de grands spécialistes -, je n’eus pas réellement l’occasion, toutefois, de démêler un malentendu avec Françoise Balibar concernant mon usage de la notion de relativité – malentendu dont je constatais avec quelque soulagement qu’il existait aussi entre Balibar et l’usage de la notion par Bachelard lui-même. À mes yeux cet usage, contrairement à ce qu’écrivait Françoise Balibar dans son rapport, n’était pas différent du sien. Je n’en ai cependant pas gardé de regrets, car même si le rapport écrit par Françoise Balibar était susceptible de ternir quelque peu la réputation de la thèse, de toute façon mes chances d’obtenir un poste d’ATER ou de Maître de conférences étaient déjà extrêmement réduites – une fois seulement j’ai été retenu pour un oral -, du fait de mon âge et de mon statut de simple certifié qui n’avait jamais préparé l’agrégation – je viens tout juste d’obtenir celleci par « liste d’aptitude », donc au mérite sur l’ensemble du parcours professionnel déjà accompli. Par ailleurs, j’étais un enseignant du Secondaire ayant la chance de savoir à quoi il devait consacrer les décennies à venir, et je restais relativement heureux dans le rapport pédagogique avec les élèves qui fait l’essentiel de mon métier – devenu extrêmement pauvre en possibilités de développer des analyses conceptuelles. Il ne me restait plus qu’à m’organiser pour libérer du temps afin de pouvoir écrire mais aussi donner des conférences, moments merveilleux où je pouvais me « lâcher » quelque peu sur le plan conceptuel. Ces moments vinrent très vite, puisque dès la thèse soutenue, Natalie Depraz puis Jean-Michel Salanskis me donnèrent l’occasion de m’exprimer dans le cadre de leurs séminaires respectifs du Collège international de philosophie. Enfin, les années de thèse ou de l’immédiat après-thèse furent aussi celles de ma rencontre avec Xavier Guchet, qui devait livrer en 2005, donc l’année même où je publiais les deux volets issus de ma thèse, un ouvrage important à mes yeux : Les sens de l’évolution technique, où Simondon était rattaché à l’évolutionnisme technique et exploré dans ce cadre conceptuel en compagnie de Leroi-Gourhan. En 2006, soit un an après la publication des deux volets issus de la thèse, l’occasion m’était donnée de diriger un numéro de la Revue philosophique de la France et de l’étranger 27 consacré à Simondon, et j’y publiais « La mentalité technique » de Simondon, ainsi que des textes de Bernard Stiegler, Pierre Montebello, Vincent Bontems, et mon texte « Deux points d’actualité de Simondon », où il s’agissait de mettre en valeur d’une part la pensée « nonanthropologique » de l’homme et de la technique chez Simondon, d’autre part la capacité de ce dernier à nourrir le projet que je nommais depuis la thèse une Relativité philosophique dans sa différence par rapport au « relativisme ambiant ». Si ce projet très global d’une Relativité philosophique était certes mien et relevait en ce sens de ce qui sera évoqué en Section 4 de ce Volume 1, mon texte restait cependant sur le terrain proprement épistémologique qui, parce qu’il avait été pensé par Simondon sous le nom de « réalisme des relations », justifie qu’il en soit question ici même. Ce texte, qui s’accompagnait d’une introduction au numéro intitulée « Présentation de l’encyclopédisme génétique », était aussi pour moi l’occasion de proposer une première fois, et donc deux ans avant la parution de mon Simondon ou l’encyclopédisme génétique, l’appellation « encyclopédisme génétique » pour désigner la doctrine constituée par les deux grands ouvrages de Simondon. Pierre Montebello et Jean-Marie Vaysse m’avaient auparavant invité à intervenir à l’Université de Toulouse 2 – le Mirail, en compagnie notamment de Muriel Combes, de Bernard Stiegler et de Christiane Chauviré, lors d’une journée d’étude consacrée à Heidegger et Simondon. C’était la première fois que Simondon se voyait mis en dialogue avec un penseur de cette dimension, et il en est résulté le beau volume Monde, individuation, technique. Heidegger, Simondon, Deleuze paru chez Olms en 2006 à partir de la réunion de cette journée et d’une autre, consacrée par les universitaires toulousains à Deleuze. J’évoquerai mon propre texte et ses visées en Section 4. La dynamique née du duo que je formais avec Bontems nous a permis d’organiser en 2007 à l’E.N.S Ulm la journée d’études « L’individuation de Simondon », le double sens de cette expression incitant à préparer déjà un après-Simondon dont se réclamait ma propre conférence inaugurale « L’individuation de Simondon. Réformer l’idée de Système philosophique ». Quelques mois auparavant, le Collège international de philosophie et le Centre Georges Canguilhem avaient organisé le colloque « Actualité de Simondon », où j’avais retrouvé notamment Bontems et Guchet. Nos travaux respectifs se faisaient connaître, et Simondon devenait lentement mais sûrement le penseur qu’il est. Observant cette dynamique, Lecourt m’avait proposé dès 2006 d’écrire pour sa collection aux P.U.F. un livre de synthèse plus pédagogique que les deux tomes issus de la thèse, qui restaient excessivement techniques et difficiles. Ce fut l’occasion pour moi de montrer que les deux grands ouvrages de Simondon offraient un « encyclopédisme génétique » et la 28 possibilité d’un « humanisme difficile », notions auxquelles je ne reviendrai cependant que plus bas à propos de mon texte « What new Humanism today ? », et qui ont eu un certain succès auprès des jeunes chercheurs français ou étrangers travaillant sur Simondon. Paru en 2008, Simondon ou l’encyclopédisme génétique s’ouvrait sur la capacité de Simondon à offrir une autre réponse que la réponse phénoménologique à la crise du sens, dont j’affirmais dix ans avant La Société de l’invention qu’elle était devenue plus radicale – et sans doute plus réelle, tout simplement – qu’à l’époque de Husserl. Si cet ouvrage de 2008 avait donc clairement pour horizon mon travail post-simondonien d’aujourd’hui, son objet restait de dégager l’unité des deux grands ouvrages de Simondon, et j’optais à cet égard pour la question de l’individu, mais en insistant dans le premier chapitre sur ce que je nommais le « noyau épistémologique » de l’ontologie de l’individuation – en l’occurrence le réalisme des relations -, et en disant en conclusion l’auto-transcendance de l’encyclopédisme et de l’humanisme tels que Simondon les avait repensés – préparant ainsi leur prochaine refondation englobante au sein du système global mais ouvert de l’individuation du sens. Que la notion d’individu s’imposât davantage que celle d’individuation, cela tenait à ce que dans MEOT il n’est pas question d’individuation mais de « concrétisation », puis d’ « individualisation » de l’objet technique devenant « individu technique », par analogie avec l’individualisation du vivant pensée dans ILFI. Les cinq chapitres de mon ouvrage de synthèse avaient ainsi pour titres respectifs : 1. Le « réalisme des relations », un préalable épistémologique ; 2. Philosophie de la nature et unification des savoirs ; 3. L’individu et sa genèse physico-biologique ; 4. La question du transindividuel ; 5. Passage à l’individu technique. J’insistais au passage, et conformément à ce que j’avais déjà montré dans la thèse, sur le fait, resté semble-t-il inaperçu de Combes dans son petit livre-référence, que le « transindividuel » devait être mis en relation avec la thématique de la « personnalisation » : il y avait un parallélisme, dans ILFI, entre la tripartition individu/sujet/personnalité et la tripartition individuation/individualisation/personnalisation. Je revenais également sur la question, si obscure chez Simondon, de l’information, afin d’en proposer une nouvelle exposition. Mais je réserve à la présentation de mon Simondon l’évocation de cette question, dont Lecourt m’avait dit avec quelque irritation, durant la thèse, que Simondon était en ce point incompréhensible …. En 2010 je publiais dans Cultural Politics le texte « What new Humanism today ? », issu de la conférence qu’Yves Michaud m’avait proposé de donner à l’UTLS deux ans avant. J’y précisais l’idée d’ « humanisme difficile » en confrontant Simondon et Heidegger, et en montrant que ce dernier s’oppose d’autant plus violemment à l’humanisme classique qu’il 29 partage avec cet humanisme ce que l’on peut nommer une vue essentialiste, laquelle condamne alors son « anti-humanisme » à devenir un sur-humanisme élitiste ou aristocratique se réservant la compréhension du privilège métaphysique de cette « essence de l’homme » qu’est le Dasein. Parlant de ce « dieu » qui « seul » peut « nous sauver », Heidegger se faisait l’homme à être, dans tous les sens de cette expression. À ce sur-humanisme se rattachait le fait que Heidegger, même s’il refusait lui aussi comme « anthropologique » la réduction de la technique à un simple ensemble de moyens, ne posait cependant ce refus qu’en restant dans l’anthropologie pour un regard simondonien, comme en témoignait le fait que chez Heidegger « l’essence de la technique ne peut être conduite dans la métamorphose de son destin sans l’aide de l’homme ». En posant par ailleurs que cette essence de la technique n’est absolument « rien de technique », la pensée heideggérienne de la technique ne désanthropologisait l’essence de la technique qu’en anthropologisant le technique comme étant cet ensemble de moyens auquel ne se ramène justement pas l’essence de la technique. Or, non seulement la subtilité se révélait ici peu économique en hypothèses, puisqu’elle introduisait une différence pour ainsi dire interne qu’il s’agissait de justifier, mais en outre le paradoxe voire la contradiction était que cette différence visait aussi à dire par ailleurs que l’essence de la technique réside dans une volonté de puissance qui n’est pas humainement technique mais humaine. Où nous retrouvions l’homme comme fondement, ou plutôt son essence si Heidegger distinguait l’homme et l’essence de l’homme comme il distinguait la technique et l’essence de la technique. Ainsi commençait de s’éclairer la formule rattachant la métamorphose du destin de l’essence de la technique à l’homme, mais d’une lumière qui jetait sur la pensée heideggérienne un soupçon d’anthropologie résiduelle. Contre quoi Simondon écrivait que « l’humanisme ne peut jamais être une doctrine ni même une attitude qui pourrait se définir une fois pour toutes ; chaque époque doit découvrir son humanisme, en l’orientant vers le danger principal d’aliénation » : si l’humanisme était à ses yeux indépassable, c’est parce qu’il était auto-transcendant comme l’était l’encyclopédisme, et à la différence de l’universalisme de la Raison – cette dernière étant une notion pour ainsi dire absente chez Simondon - qui seul faisait la naïveté de l’humanisme des Lumières. Fondé sur un encyclopédisme devenu génétique parce qu’anti-substantialiste, l’humanisme difficile esquissé par Simondon aurait à se construire comme cet humanisme qui d’une part intègre la technique à la culture dont elle est une « phase » et libère l’homme en libérant la machine - cela, Simondon l’avait déjà pensé -, d’autre part combat la « coupure anthropologique » en intégrant l’homme au vivant à partir d’un dédoublement interne que 30 Simondon pensait pour sa part comme psycho-social – ni le psychique ni le social ne pouvant prétendre au statut d’essence de l’homme -, et que je tâche aujourd’hui dans La Société de l’invention de penser plutôt, et par-delà Leroi-Gourhan, comme la mise en interface du langage et de la technique qui préexistent séparément chez l’animal. Ce dernier point marque le passage de ce que je nommais l’ « humanisme difficile » - et seulement esquissé - de Simondon à ce qui seul le réalise pleinement et que je revendique sous le nom d’humanisme décentré, lequel doit aussi être un « humanisme de l’autre que l’homme » qui nous protège de toute misanthropie même si et parce que cet humanisme révèle chez l’animal, et en compagnie de Frans de Waal, une « humanité » des comportements dont nous avons plus que jamais besoin à l’heure où l’homme prend conscience qu’il est le facteur décisif mais aussi destructeur de la dernière ère géologique en cours. D’où le titre du §1 puis le thème du premier chapitre de La Société de l’invention, qu’il n’est toutefois pas encore temps d’introduire – cela se fera bien sûr en Section 4. Les années 2009-2013 furent surtout pour moi celles de la création, de la direction et de l’édition des Cahiers Simondon, à raison d’un numéro par an, avec le soutien de la Maison des Sciences de l’Homme Paris-Nord où j’étais directeur de programme depuis 2007 et animais successivement les séminaires « Simondon ou l’encyclopédisme génétique » (2007 à 2009), « Individuation et technique » (2009 à 2011) et « Culture et invention » (2011 à 2013). Ces deux activités étaient parfaitement complémentaires, puisque j’invitais des intervenants et publiais dans les Cahiers Simondon les meilleures interventions. Chaque numéro était conçu comme un ouvrage collectif couvrant différents aspects de la pensée simondonienne et présentant même des pistes de prolongements, plutôt que comme un ouvrage thématique. J’ai ainsi pu publier des articles de Xavier Guchet, Anne Sauvagnargues, Baptiste Morizot, Sacha Loeve, Vincent Bontems, Ronan Le Roux, mais aussi des articles de chercheurs étrangers souvent jeunes, que je devais traduire moi-même parfois et auxquels j’apportais alors souvent mon expertise simondonienne afin d’obtenir, avec leur accord, des textes dignes de ceux des chercheurs confirmés ou des jeunes chercheurs français retenus par moi, qui avaient eu la chance d’entrer plus en profondeur que la plupart des chercheurs étrangers dans le texte simondonien et sa langue spécifique - pas encore traduite à l’étranger en ces années 20092013. Je suis heureux et fier d’avoir ainsi donné naissance, grâce au concours de chacun de ces auteurs, à une collection de textes qui restent indéniablement parmi les meilleurs que l’on ait publiés sur Simondon. Le dernier numéro des Cahiers Simondon fut le sixième, paru en 2015 avec un an de retard parce que l’année 2013-2014 ne m’avait pas procuré tous les textes que 31 j’espérais. C’était là, à mes yeux, le signe que l’aventure devait s’achever, d’autant plus que je pouvais désormais diriger et publier, de façon à la fois plus aisément aléatoire et encore davantage tournée vers l’avenir, des numéros en ligne grâce à la revue Appareil de la MSH Paris-Nord, dont j’avais été rédacteur en chef entre 2017 et 2010. Je le fis d’ailleurs en janvier 2016, avec un numéro intitulé « Individuer Simondon. De la redécouverte aux prolongements », suivi dix mois après du numéro de la revue Implications-philosophiques.org intitulé « Technique et technoscience après Simondon », pour lequel j’avais obtenu la participation de Bernadette Bensaude-Vincent et mobilisé des amis compétents comme Sacha Loeve, Andrew Iliadis, Vincent Bontems ou Yuk Hui. La direction et l’édition des Cahiers Simondon représentaient par ailleurs un travail copieux, qui m’empêchait de travailler à une nouvelle monographie. Je n’ai pu écrire celle-ci qu’en 2013, et grâce au fait qu’elle avait été en réalité commencée en 2007-2008 à la demande de Richard Zrehen, pour sa collection « Figures du savoir » aux Belles Lettres. Richard Zrehen décédant peu après, et étant de mon côté absorbé par le travail sur les Cahiers Simondon, je repoussais à 2013 le travail sur le Simondon, pour lequel Corinne Enaudeau, qui avait succédé à Zrehen, m’obligea à une véritable pédagogie. Outre sa pédagogie, l’apport de cet ouvrage paru en 2014 consiste d’une part en ce que pour la première fois, j’y présentais non seulement les deux grands ouvrages de Simondon déjà expliqués par mes ouvrages antérieurs, mais aussi, dans mon dernier chapitre, le Cours sur la perception et le cours Imagination et invention, parus quelques années auparavant, ainsi que les grandes postérités de Simondon – notamment Deleuze et Stiegler. D’autre part, dans le second chapitre je parvenais à faire de sa pensée une présentation nouvelle la situant de cinq façons différentes sur cinq questions distinctes, et sans que cela relève de l’artifice : « Sujet et objet : Simondon dans le XXe siècle » ; « Matière et forme : Simondon versus Aristote et Kant » ; « Mécanisme et vitalisme : Simondon par-delà Bergson et Canguilhem » ; « Psychologisme et sociologisme : Simondon entre Freud et Durkheim » ; « Humanisme et technicisme : Simondon ailleurs que Marx et Heidegger ». Ici le positionnement de Simondon par rapport aux penseurs concernés variait à chaque fois, parce que les duos d’auteurs mobilisés pour le situer définissaient à chaque fois des relations différentes eu égard aux oppositions notionnelles ou aux alternatives à subvertir en sa compagnie – seul le duo Freud/Durkheim recouvrant une alternative, en l’occurrence celle qui opposait psychologisme et sociologisme et vis-à-vis de laquelle Simondon, dans sa démarche systématiquement « au milieu », se situait donc « entre » Freud et Durkheim grâce à sa distinction déjà évoquée entre « individu » et « sujet ». 32 De même, dans le premier chapitre je systématisais la présentation de la pensée simondonienne en cinq trios de notions centrales : 1. « Individuation », « transduction », « ontogenèse » : du vocabulaire aux enjeux conceptuels ; 2. La question générale de l’individuation : relations, ordres de grandeur et « phases » ; 3. Du physique au biologique : polarisation, individualisation, « sujet » ; 4. Le transindividuel : collectif réel, personnalité, spiritualité ; 5. L’objet technique : concrétisation, individualisation, naturalisation. J’insistais particulièrement sur la logique nouvelle commandée par les trois notions de relation, d’ordres de grandeur et de « phase », dans la mesure où cette logique nouvelle était aussi générale chez Simondon : elle pouvait s’appliquer à tous les objets de pensée de l’encyclopédisme génétique. Les deux premiers chapitres étaient en réalité commandés par les deux sens du terme « milieu », et c’est pourquoi ils s’intitulaient respectivement « Penser au “ milieu ” : l’individu et son milieu associé » et « Penser “au milieu” : partir du centre de l’être » : telle était la systématisation la plus globale de l’onto-techno-logie de Simondon, c’est-à-dire de sa philosophie de la nature et de sa philosophie de la technique dans leur unité. Toutes deux étaient abordées dans chacun de ces deux chapitres, mais selon des angles différents puisque le premier chapitre dégageait la logique générale de la pensée simondonienne, tandis que le second montrait en quoi il permettait de subvertir cinq oppositions notionnelles ou alternatives majeures. Le troisième et dernier chapitre, lui, était successivement consacré au dialogue central de Simondon avec Wiener et notamment à la question de l’information, puis à deux points de doctrine restés relativement incompris – la question du « déterminisme technique » et celle des « phases de la culture » - et enfin aux cours de Simondon sur la perception, l’imagination et l’invention, avant de se clore sur un passage en revue des grandes postérités de Simondon et de leurs usages - ou mésusages - de sa pensée. J’aurai l’occasion d’évoquer ce dernier point en Section 4, et me contenterai ici de présenter mes apports exégétiques sur la question de l’information comme sur les cours de Simondon. Concernant d’abord l’information, j’ai montré que si Simondon est incontestablement séduit par l’idée de Brillouin puis de Wiener selon laquelle l’information serait néguentropique, il aspire cependant et tout aussi clairement à faire de l’information une réalité à la fois probabilitaire – l’entropie et la néguentropie sont probabilitaires - et nonprobabilitaire. D’où les embarras suscités par son discours, que j’ai pour ma part tenté à plusieurs reprises d’atténuer en suggérant qu’il y avait chez lui un lien implicite entre la question de l’information et celle de l’indéniable dualité probabilitaire/non-probabilitaire en 33 quoi consiste la dualité quantique corpuscule/onde. Dans mon Simondon, toutefois, je repoussais à plus tard cette voie qui conduirait certainement à porter Simondon au-delà de luimême – ou du moins de ce qui est explicite chez lui -, afin de rassembler simplement les points que mes travaux exégétiques antérieurs avaient rendus toujours plus clairs : - Simondon ne peut se satisfaire d’une théorie quantitative de l’information qui ignore la dimension de signification ; - alors que Bertalanffy, dans sa Théorie générale des systèmes, dira la systémique et la cybernétique fondées sur des schèmes différents – la thermodynamique versus l’information -, Simondon se dirige dès 1958 vers un concept systémique et donc nouveau d’information ; - la condition fondamentale pour qu’il y ait de l’information n’est pas à ses yeux un état particulier de l’émetteur ni une propriété du message, mais un état particulier du récepteur, que Simondon qualifie de « métastable » parce que chargé de potentiels pour un devenirinformé ; - L’information comme transmission d’un message n’est qu’une genèse perpétuée du récepteur, car toute information est genèse, et il y a une « information première » dans laquelle l’émetteur et le récepteur n’existaient pas encore et dont la condition de possibilité est une première métastabilité, dont a hérité dès lors le récepteur de l’information dans le cas où celle-ci est transmission de message. Par où « l’information est la formule de l’individuation », et l’ontologie de l’individuation susceptible de devenir philosophie de l’information ontologique dans le futur système global de l’individuation du sens. Tel est l’objet du chapitre VI de La Société de l’invention. Quant aux cours de Simondon, je ne leur avais jusqu’alors consacré qu’un article, paru dans les Cahiers Simondon, et revenais à eux dans le Simondon avec le souci d’insister sur leur complémentarité. Préfacé par Renaud Barbaras, le Cours sur la Perception de 1964-1965 relève de ce que Simondon nommait sa « psychologie générale ». Ce qui m’a d’abord frappé, et qui sert mes intentions très actuelles et personnelles relativement à la question de ce que je nomme les « dimensions du sens », c’est le fait que Simondon veuille penser la perception comme une dimension du vivant animal parmi d’autres, qui sont l’action et l’émotion : les quatrième et cinquième parties du cours pensent les interférences entre ces trois dimensions, qui dans le même temps restent identifiables car irréductibles les unes aux autres. Ces analyses sont introduites après un parcours historique des théories de la perception où Simondon se montre plus clément avec la Gestaltpsychologie qu’il ne l’était dans sa conférence « Forme, information, potentiels » - intégrée à ILFI -, puis des développements fort renseignés où il propose de singulariser le simple degré humain par la capacité à 34 l’abstraction et la symbolisation – la perception humaine étant dotée d’une « richesse sémantique ». Je disais finalement en quoi la perspective génétique – mais pas empiriste - du cours Imagination et invention de 1965-1966 consistait centralement à renverser les positions sartriennes, pourtant allusivement évoquées par Simondon en introduction seulement, en faisant de l’image, si ce n’est de l’imagination, ce qui est présent non seulement dans la perception elle-même, mais même avant elle – dans la simple motricité du vivant. L’image y était en effet pensée comme capacité d’anticipation qui déborde largement l’imagination conçue comme faculté supra-perceptive. Je dégageais ensuite les grandes spécificités du « cycle des images » génétique établi par Simondon, les images infra-perceptives puis intraperceptives étant suivies des « images-souvenirs » appelées à devenir « symboles », puis de l’invention comme « concrétisation » de l’image et instauration d’un « nouveau cycle de rapport avec le réel ». En effet, la formalisation dont résultait le symbole était ce par quoi pouvaient être surmontées les contradictions nées de l’expérience du sujet comme accumulation d’images-souvenirs, mais l’achèvement de cette formalisation consistait en une extériorisation à valeur universelle dont le symbole partageable n’était que la préparation. L’objet inventé était cette extériorisation possédant sa propre consistance indépendante du sujet qui l’avait inventé. Je concluais mon Simondon en me démarquant de Simondon quant aux ambitions de la philosophie, mais aussi en profitant des ambiguïtés de son positionnement tel qu’il se partageait entre une ontologie non-objectivante de l’individuation et le projet d’une allagmatique aussi nommée « Cybernétique universelle » : contrairement au projet de l’allagmatique antérieurement évoqué, l’ontologie de l’individuation pouvait procéder d’une démarche qui n’aurait plus rien d’une connaissance de ce qui est, et mon futur système de l’individuation du sens avait justement pour vocation de refonder, d’englober et de transformer cette ontologie, prétendue « philosophie première », en philosophie de l’information ontologique se contentant d’unifier les sciences – seules détentrices du savoir – parce qu’elle serait désormais la traduction seconde d’une pensée inédite et philosophiquement première du sens, par-delà – ou en-deçà de – toute prétention à dire ce qui est. J’y viendrai en Section 4. La « simondialisation », elle, n’avait vraiment commencé qu’en 2012 avec la parution du premier ouvrage collectif anglo-saxon consacré à Simondon : Gilbert Simondon. Being and Technology (Edinburgh University Press), pour lequel Arne De Boever, du California Institute of the Arts, m’avait demandé de rédiger un « Glossaire Simondon » dont la version française, 35 parue l’année suivante dans le Numéro 5 des Cahiers Simondon, figure dans le Volume 2 du dossier. Elle avait ensuite pris son envol avec le colloque international « Gilbert Simondon ou l’invention du futur » que Bontems et moi avions organisé à Cerisy-la-salle en août 2013. Ni Gilbert Hottois ni Xavier Guchet n’avaient malheureusement pu venir, mais nous étions parvenus à réunir Bernard Stiegler, Anne Sauvagnargues, Andrew Feenberg, ainsi qu’un grand nombre des jeunes chercheurs français et étrangers qui travaillaient sur Simondon. Parce que toutefois je n’étais pas satisfait de la qualité d’un certain nombre des textes issus de cette « décade » autour de Simondon, je laissais Bontems diriger l’ouvrage collectif qui devait en résulter (Simondon ou l’invention du futur, Klincksieck, 2016) Fin 2013, donc, la « simondialisation » désormais en cours exigeait que soit créé un Centre international des études simondoniennes, afin de rassembler les meilleurs jeunes chercheurs travaillant sur Simondon dans le monde. Avec Bontems, et grâce à l’accueil de la Maison des Sciences de l’Homme Paris-Nord et au parrainage de la Fondation « pour la science » via Éric Brian, nous avons donc créé fin 2013 – début 2014 le CIDES, dont l’équipe réunit aujourd’hui six chercheurs français (Barthélémy, Beaubois, Bontems, Duhem, Loeve, Morizot), deux chercheurs italiens (Bardin, Carrozzini), un chercheur allemand (Hörl), un chercheur argentin (Rodriguez), un chercheur canadien (Iliadis) et un chercheur chinois (Hui). Le CIDES organise chaque année une journée d’études, désormais consacrée à prolonger la pensée de Simondon plutôt qu’à simplement la commenter – mais nous attendons toujours la publication de la thèse, proprement exégétique, de Ludovic Duhem, après celle de Baptiste Morizot parue chez Vrin en 2016. Dans « Simondon, ou le symptôme d’une époque. Chronique d’une redécouverte », texte paru en 2014 dans Hermès, j’ai tenu à dire en quoi la « simondialisation » était malheureusement aussi une « deleuzo-stieglerisation » de la pensée de Simondon, laquelle est à ce jour encore trop rarement travaillée pour elle-même et avec rigueur. La préface que j’ai écrite pour l’ouvrage tiré de la thèse de Morizot a été elle aussi l’occasion de « dire les choses », l’enquête menée par Morizot donnant un exemple des qualités requises pour travailler sur une œuvre dont la puissance conceptuelle n’a d’égales que sa technicité et son irréductibilité à ses sources comme à ses postérités – lesquelles sont souvent des pensées plus métaphoriques qu’analogiques. Dans La Philosophie du paradoxe, je thématiserai cette différence entre pensées métaphoriques et pensées analogiques, que Simondon a commencé lui-même de préciser mais qui me semble quasiment ignorée de la plupart des deleuziens, et de beaucoup de bergsoniens et stiegleriens – Deleuze et Stiegler ayant de nombreux disciples anglophones écrivant sur Simondon dans le cadre des cultural studies. 36 Un petit livre qui me tient particulièrement à cœur est Life and Technology : An Inquiry Into and Beyond Simondon, paru fin 2015 dans la nouvelle collection « After Simondon » créée par Erich Hörl et Yuk Hui, respectivement Professeur et post-doctorant à l’Université Leuphana de Lüneburg. Cet opuscule de 73 pages, qui inaugure la collection, réunit les deux textes « Aspects of a Philosophy of the Living » et « Technology and the Question of NonAnthropology », traductions de deux articles parus dans des ouvrages collectifs respectivement dirigés par Jean-Claude Ameisen et Laurent Cherlonneix pour le premier, Jean-Marie Vaysse pour le second. Ce second texte, qui propose une critique nouvelle et interne du Gestell heideggérien, prépare également la refondation englobante de la pensée simondonienne, et c’est pourquoi j’ai placé sa version française dans la Section 4 du Volume 2 de ce dossier, réservant également son évocation pour la Section 4 de ce Volume 1. Le premier texte, lui, est strictement exégétique et figure dans la Section 1 du Volume 2, pouvant donc être évoqué ici. Il m’a permis d’une part de souligner en quoi la théorisation du vivant est à la fois le centre de l’encyclopédisme génétique et la tâche la plus difficile pour lui, les deux points étant en réalité liés : la difficulté de penser le vivant ne tient pas seulement au fait que Simondon, comme beaucoup de philosophes, ignorait en 1958 les bouleversements qui venaient de s’opérer en biologie, elle tient également à ce que son optique philosophique générale consiste à faire de la coupure anthropologique, ou coupure entre l’ « Homme » et le reste du vivant, la complice du mécanisme. C’est parce que l’homme doit se comprendre comme un vivant que réciproquement la vie doit se comprendre comme potentiellement porteuse d’un devenir psycho-social. Tel est le sens de l’étrange formule utilisée par Simondon pour dénoncer la démarche des philosophes : « il est bien certain que l’on ne peut faire sortir l’homme du vital, si l’on retranche du vital l’Homme ». Le mécanisme, appliqué au vivant, servait les intérêts d’un anthropocentrisme qui était premier, et qu’il s’agit de combattre en redonnant au vivant sa capacité à engendrer l’homme et sa « spiritualité », comme dit Simondon. Mais ce texte m’a aussi permis de préciser quelques propos de Simondon ou l’encyclopédisme génétique sur l’actualité possible des passages consacrés par Simondon au double de statut de la mort : à la fois terminus et processus permanent qui, paradoxalement, participe à cette genèse poursuivie qu’est la vie. J’ai tenu à préciser aussi dans ce texte les limites d’une telle anticipation par Simondon de ce que la biologie nomme « apoptose » ou, pour reprendre la métaphore utilisée par Ameisen dans La Sculpture du vivant, « suicide cellulaire ». J’ai conclu mon propos par une double lecture d’un passage dans lequel Ameisen, tout en semblant implicitement décrire un processus correspondant à ce que Stephen Jay 37 Gould a nommé « exaptation », vise en réalité un processus revendiqué plus complexe encore, qui aurait d’autant plus séduit Simondon que ce processus explique la « sculpture » de l’organisme par l’environnement en faisant intervenir l’actualisation différée d’un potentiel à la fois progressivement accumulé et jusque-là réprimé. Je suis enfin reconnaissant à Andrew Iliadis, qui à cette date était encore post-doctorant à l’Institute of Technology de l’University of Ontario, de m’avoir permis de publier fin 2015, dans le Journal of French and Francophone Philosophy, un long entretien-bilan sur mes quatorze ou quinze années d’études simondoniennes. Cet entretien, intitulé « Gilbert Simondon and the Philosophy of Information », a également été l’occasion de laisser entrevoir en quoi - et conformément à ce qu’avait montré ma thèse - l’ontologie simondonienne de l’individuation est aussi une philosophie de l’information comprise comme genèse et prise de forme, se prêtant alors d’autant plus à devenir la « philosophie de l’information ontologique » qui définit justement, dans le cadre de mon propre système ouvert mais global de l’individuation du sens, la traduction ontologique seconde de la nouvelle problématique première et pluridimensionnelle. Cet entretien clôt la Section 1 dans le Volume 2 du dossier, parce qu’avant de faire la transition entre Simondon et mon propre projet refondateur et englobant, il est d’abord et prioritairement un bilan sur mes études simondoniennes, et il m’a permis de revenir sur la différence entre l’exégèse que je revendique et l’activité, plus libre, d’interprétation : la première consiste à rendre sa cohérence la plus pleine possible à une pensée qui n’avait pas pris la peine de résoudre ellemême les paradoxes qui, dans leur subtilité et leur différence par rapport à des contradictions, lui sont philosophiquement nécessaires. C’est là une contrainte forte que ne se proposent pas les « interprétations », moins soucieuses de repérer les paradoxes pour les résoudre que de s’approprier une pensée pour la conduire dans une direction prédéterminée. Qu’en est-il des études simondoniennes dans mon travail aujourd’hui ? Même si je dois désormais prolonger l’inédit de ce dossier par d’autres ouvrages de création philosophique – à commencer par La Philosophie du paradoxe - plutôt que d’exégèse, j’aimerais rassembler un jour certains textes en un gros recueil d’Études simondoniennes. Il serait peut-être bon également de réunir les deux tomes issus de la thèse et de réécrire à partir d’eux, et à la lumière des quelques apports de mes deux autres ouvrages sur Simondon, un seul gros ouvrage qui serait mon « testament exégétique ». Mais à moins qu’un éditeur me le demande, ce type de travail attendra. En fait, je serais surtout heureux de co-diriger au moins des thèses sur Simondon, ainsi que cela m’a été demandé à plusieurs reprises sans que je puisse pour l’instant répondre à ces demandes d’étudiants, faute d’être déjà habilité. 38 Section 2 Études de philosophie française contemporaine Mon intérêt particulier pour certains penseurs français contemporains est motivé tantôt par leur rôle dans l’élaboration de la pensée de Simondon, tantôt par ce qu’ils lui doivent, tantôt enfin par leur capacité à nourrir mon propre questionnement philosophique tel qu’il prend sa source dans ma jeunesse et se dirige vers le système global mais ouvert de l’individuation du sens, donc au-delà – et en-deçà - de la problématique ontologique de Simondon. Concernant les sources d’inspiration de Simondon, j’ai montré dès la thèse que son ontologie génétique est à certains égards, qui sont centraux, la réécriture de la cosmogenèse encore trop vitaliste de Bergson à partir d’un noyau épistémologique fourni par l’antisubstantialisme de Bachelard, et rebaptisé « réalisme des relations » par Simondon - dont le mot d’ordre avait été, en ce point précis, clairement anticipé par Bachelard écrivant occasionnellement qu’« au commencement est la relation ». Réciproquement, Simondon construisait ainsi l’ontologie anti-substantialiste que l’épistémologie revendiquée « régionale » de Bachelard s’était toujours interdit de concevoir. Pour ce qui est de Bergson, d’abord, je montrais au début de la première partie de ma thèse puis dans Penser l’individuation. Simondon et la philosophie de la nature que la filiation entre Bergson et Simondon se définit par deux grands motifs liés l’un à l’autre : - d’une part, l’affirmation d’un devenir qui ne se laisse pas ob-jectiver parce qu’il est ce dont procède le sujet lui-même. Par où je proposais de dire que Simondon donne raison à Bergson contre Husserl en ce qui concerne le moyen de réaliser la subversion des alternatives classiques - visée obsessionnelle chez Simondon, et déjà de plus en plus prégnante depuis Kant et sa triple subversion des alternatives idéalisme/réalisme, innéisme/empirisme et dogmatisme/scepticisme - : ce moyen est la « réduction » au devenir plutôt que celle à l’intention[n]alité ; - d’autre part, l’opposition répétée à Kant à travers l’affirmation de la priorité de l’ontogenèse, comme « philosophie première », sur la critique. Par où je proposais de réhabiliter la vertu de réflexivité de Bergson : ce n’est pas en tant qu’elle est réflexive que la réflexivité kantienne 39 est pour Bergson une erreur, mais seulement en tant qu’une telle « analyse préalable » du pouvoir de connaître est aussi par là même une « réflexion prématurée » où manque l’ « effort pour se fondre à nouveau dans le tout », c’est-à-dire pour se reconnaître dans son objet. Dans la troisième partie de la thèse puis dans Penser la connaissance et la technique après Simondon, je m’attachais plutôt à montrer en quoi l’intuition comme transduction analogique chez Simondon diffère de ce qu’était l’intuition chez Bergson : ce que Simondon, dans MEOT, nomme « idée », pour la distinguer de l’intuition, correspond précisément à l’intuition bergsonienne en tant que « coïncidence » avec un Tout dont la nature diffère de celle de la matière. En cela le devenir bergsonien n’est pas transductif, et sa connaissance n’est pas analogique, c’est-à-dire capable de maintenir l’identité dans la différence. Dans mon Simondon, j’ai tenu à compléter mon propos sur la question du rapport entre la dualité science/philosophie et le problème de l’identité et de la différence : tandis que les sciences sont par définition régionales et abolissent l’identité dans la différence, et que le Savoir absolu, lui, absorbe la différence dans l’identité conçue comme « identité de l’identité et de la différence » (Hegel), la philosophie comme ontogenèse analogique (Simondon) cherche l’identité dans la différence maintenue. Concernant Bergson, je montrais aussi en quoi sa subversion de l’opposition entre mécanisme et finalisme allait moins loin que celle de Simondon dans l’emploi de ce qui en est le moyen et la condition : la subversion de l’opposition entre mécanisme et vitalisme. Et lorsqu’il arrivait à Bergson de relativiser l’expression « élan vital » en ancrant le physique et le vital lui-même dans une source commune qui ne serait ni physique ni proprement vitale, ce n’était pas pour qualifier cette source de simplement préphysique et prévitale comme le fait Simondon, mais pour la dire spirituelle : « C’est la conscience, ou mieux la supra-conscience, qui est à l’origine de la vie ». Quant à Bachelard, ma thèse puis Penser la connaissance et la technique après Simondon ont rappelé en quoi le mouvement interne à sa pensée pouvait conduire à Simondon : - chez Bachelard le rapport entre le « monde où l’on pense » et le « monde où l’on vit » est d’abord un rapport de rupture, tandis que chez Husserl il était d’abord un rapport de fondation. Il ne saurait non plus être question pour Bachelard de faire comme Husserl, c’est-àdire d’aller chercher dans une genèse de la sensibilité les nouveaux cadres de l’entendement non-euclidien et non-newtonien, qui ne sont bien plutôt à ses yeux que la radicalisation de la rupture déjà opérée par l’entendement classique avec le « monde où l’on vit » ; - Bachelard, comme Platon, oppose connaissance objective et expérience sensible en faisant de celle-ci un « obstacle épistémologique », mais contrairement à Platon, qui ne connaissait que la nécessité et l’universalité mathématiques et non celles de l’expérimentation physique 40 moderne, Bachelard oppose expérience sensible et expérimentation technique et fait de la seconde une condition de la vérité physique, le « monde sensible » pouvant dès lors être objet de science pour lui-même parce que, de même que la raison ou la théorie physique ne sont rien sans l’expérience, de même et réciproquement celle-ci est devenue ce qu’elle doit être : une production technique de l’observable où les instruments sont des « théories matérialisées » ; - entre l’affirmation bachelardienne d’un « noumène mathématique » et celle d’une constitutivité technique de la connaissance physique dans la « phénoménotechnique », on trouve chez Bachelard celle qu’ « au commencement est la relation », par où s’introduit le réalisme des relations qui deviendra aussi chez Simondon le nerf d’une transformation de la dialectique chère à Bachelard en une pensée transductive comme pensée du déphasage à partir d’un centre. Dans Simondon ou l’encyclopédisme génétique, j’ai complété ces analyses en rappelant d’abord que la « valeur inductive » prêtée par Bachelard à la relativité einsteinienne ne désignait pas tant une capacité de la théorie physique à se construire par induction que sa portée philosophique. C’est en quoi toute l’épistémologie historique et « régionale » de Bachelard est travaillée par un projet ontologique anti-substantialiste refoulé, que Simondon ose réaliser en partant de « schèmes physiques » et de la doctrine épistémologique du réalisme des relations, laquelle reprend ici à la lettre la formule bachelardienne selon laquelle « la relation est contemporaine de l’être ». Si toutefois Bachelard se refusait à la généralisation ontologique, c’est peut-être en raison de son mathématisme. Non que mathématisme et rationalisme régionalisé soient liés comme une cause à sa conséquence. Mais les mathématiques sont elles-mêmes pour Bachelard l’autre mode, et le seul qui soit légitime, de l’ontologie. De fait, la « valeur inductive » de la relativité était dite, dès 1929, d’ordre fondamentalement mathématique. J’ai également consacré plusieurs articles à Bachelard. Parmi eux, le plus important est certainement « Théorie de la connaissance et Relativité philosophique. Bachelard et nous » (2013), où je propose de placer le « rationalisme instrumental », revendiqué par Bachelard, dans l’optique d’une théorie philosophique de la connaissance qui soit propre à notre temps, et qui lui permette de ne pas retomber en pure et simple « épistémologie historique » (Lecourt), toujours menacée de devenir une - plus modeste encore - « histoire épistémologique » (Canguilhem). On trouvera ce texte dans le Volume 2 du dossier. Le rapport de Simondon à Merleau-Ponty est plus complexe. Dans « De la “chosemouvement” aux ordres de grandeur : le rôle de la physique contemporaine dans l’anti41 substantialisme ontologique de Bachelard, Merleau-Ponty et Simondon », paru en 2011, j’ai d’abord rappelé ce que ma thèse avait déjà expliqué : l’ontologie simondonienne des « régimes d’individuation » physique, vital et transindividuel est aussi la réécriture de l’ontologie encore résiduellement substantialiste des « ordres » physique, vital et « humain » esquissée par Merleau-Ponty dans La structure du comportement. Mais j’ajoutais en 2011 que le Merleau-Ponty du Visible et l’invisible, qui avait assisté à la soutenance de thèse de Simondon, proposait très tôt dans son texte un paradigmatisme quantique formulé, qui plus est, en termes de « relations d’échelle », et destiné à permettre de penser à nouveaux frais la relation sujet-objet. Les quelques éléments d’analyse que j’avais réunis, et qui appellent des développements auxquels les nouvelles générations ne manqueront pas de se livrer – j’en ai eu témoignage lorsqu’il m’était demandé de diriger une thèse, comme cela m’arrive de plus en plus du fait des croyances erronées sur mon statut actuel -, pourraient bien inverser cette fois la relation de Simondon à Merleau-Ponty, faisant du second un penseur en dette non seulement de Husserl et de Heidegger, mais aussi de Simondon. Merleau-Ponty est aussi celui qui, dans Signes, a développé des réflexions que j’ai tenu à évoquer dans la thèse, puis dans le dernier chapitre de Penser la connaissance et la technique après Simondon, pour introduire à mon questionnement propre et donc à l’archi-réflexivité et à l’individuation du sens. Mais j’y reviendrai en Section 4. Les autres penseurs français dont j’ai montré dès la thèse qu’ils étaient importants dans la genèse de la pensée de Simondon sont Georges Canguilhem, Pierre Teilhard de Chardin, Raymond Ruyer et le physicien Louis de Broglie. J’ai notamment montré en quoi l’interprétation originale que proposait Simondon de la notion d’énergie potentielle était en réalité issue d’un texte quasi-subversif du physicien français sur cette notion. Quant à Teilhard de Chardin, dont j’étais le premier à parler dans un travail sur Simondon, il s’est révélé après ma thèse que dans un exposé fait aux États-Unis sur la philosophie française, Simondon l’avait même présenté comme le penseur français le plus important de son époque. Les liens de Simondon à Canguilhem, directeur de la thèse complémentaire de Simondon, et à Ruyer, auteur de La cybernétique et l’origine de l’information, étaient peut-être plus évidents malgré le fait que Simondon ne se réfère pas à eux. Du moins mon mérite me paraît-il moindre à leur égard. Je crois toutefois être celui qui a montré en quoi la notion de polarisation, telle qu’elle s’applique à la membrane cellulaire comme aussi bien à l’affectivité normative, est l’héritage proprement canguilhemien de Simondon, qui pour sa part tend même à l’universaliser vers le bas pour en faire ce phénomène unifiant dont le physique et le vital livreraient simplement des types distincts. Or, Canguilhem est celui qui m’importe 42 particulièrement pour ma propre théorie du décentrement, dans la mesure où le type de polarisation du vivant est justement ce qui en fait un centre obligeant le biologiste à se décentrer selon un mode spécifique et différent du décentrement mathématico-instrumental du physicien. La Société de l’invention présente cette théorie du décentrement. J’ai aussi une pensée pour Mikel Dufrenne, qui fut l’une de mes grandes lectures de jeunesse et dont j’ai découvert par la suite qu’il avait été l’ami de Simondon, qui le remercie d’ailleurs au seuil de Du mode d’existence des objets techniques. Réciproquement, la perspective ouverte par Simondon semblait la seule à pouvoir concurrencer le dernier Merleau-Ponty, aux yeux de Dufrenne à la fin de L’inventaire des a priori. J’écrirais volontiers un texte plus ou moins copieux sur l’ensemble du questionnement de Dufrenne depuis La notion d’a priori jusqu’à L’inventaire des a priori. J’aimerais aussi consacrer une étude aux trois tomes de l’Introduction à l’épistémologie génétique de Jean Piaget, grand esprit que j’ai toujours admiré, y compris pour son rapport critique aux philosophes dans Sagesse et illusions de la philosophie. J’ai été pour ma part très heureux de constater que Lecourt lui consacrait un chapitre - dans son excellent Que sais-je ? sur l’épistémologie -, car Piaget me semble être l’un des grands absents des discours des philosophes de la théorie de la connaissance et de l’épistémologie générale. Gilles-Gaston Granger également me semble, de ce point de vue, devoir être revisité et peut-être réactualisé. Enfin, et pour en venir cette fois aux postérités de Simondon – Granger n’en est pas une si par « postérité » on désigne ce qui « se rapporte à » et pas seulement ce qui « est postérieur à » -, il est clair que parmi les postérités françaises dont j’ai parlé dans le Simondon, Stiegler est celui qui lui doit le plus, et dès ma thèse je lui consacrai d’abord des réflexions éparses lorsque je problématisais la pensée simondonienne du transindividuel, puis un chapitre entier permettant de conduire de la pensée simondonienne de la technique à mon questionnement sur le sens, objet de la dernière partie de la thèse et occasion de critiques adressées à Husserl et Heidegger comme aussi bien d’un examen de l’évolution de Wittgenstein – avant de conclure par le chapitre donnant le programme du système ouvert mais global de l’individuation du sens. Stiegler, donc, est celui sur lequel je suis susceptible d’écrire un ouvrage, mais avec une perspective critique de plus en plus affirmée puisque Stiegler et moi nous sommes éloignés l’un de l’autre en 2015, après vingt années d’amitié et de complicité intellectuelle. J’ai déjà dit en Section 1 les trois grandes différences entre ma façon de repenser le transindividuel simondonien et la façon stieglerienne de le faire : ces différences concernent non seulement la nature de l’ « extériorité constitutive » – « rétention tertiaire » ou « prothèse » chez Stiegler, « interface langue/système d’objets » ou double « transcendance constitutive » dans La 43 Société de l’invention -, mais aussi le statut philosophique de ce discours, qui dans La Société de l’invention prend place à l’intérieur d’une philosophie de l’information ontologique ellemême traduction seconde de la sémantique archi-réflexive. On trouvera dans le Volume 2 de ce dossier un texte consacré aux trois tomes parus de La technique et le temps, qui est le grand œuvre philosophique - inachevé, car il devait compter six tomes - de Stiegler. Ce texte, intitulé « De la finitude rétentionnelle. Sur La technique et le temps de Bernard Stiegler », privilégie le troisième tome (Le temps du cinéma), à l’aune duquel il revient sur les tomes précédents parce que Le temps du cinéma est incontestablement l’Opus magnum de Stiegler, celui avec lequel j’aspire à me confronter et commençais du reste de le faire dans la dernière partie de mon propos. Non pas tant pour en discuter la vérité que pour questionner son statut : si l’analyse stieglerienne, dans son prolongement-dépassement de l’analytique existentiale heideggérienne, ne se veut certes pas encore le discours fondamental que Stiegler ambitionne projectivement et dont la « nouvelle critique » annoncée par lui serait sans doute le nom approprié, il reste qu’envisager la refondation « prothétique » du transindividuel simondonien, comme le fait Stiegler, n’est pas encore poser une problématique radicalement non-ob-jectivante. Telle est - pour anticiper ici sur la sémantique archi-réflexive proposée par La Société de l’invention, et donc sur les questions qui animeront déjà la Section 4 de ce Volume 1 - la différence entre d’une part la thèse prétendument sue de la « finitude rétentionnelle » ou « prothéticité » de la conscience, et d’autre part l’attitude par laquelle l’individu philosophant pourrait en effet penser les sens-objets comme constitutifs de lui-même comme sens-sujet non-originaire. Dans mon Simondon, je suis revenu sur la pensée de Stiegler en tant que postérité de Simondon, afin de montrer notamment que, conformément à ce que Stiegler lui-même laissait entendre dans « Le théâtre de l’individuation. Déphasage et résolution chez Simondon et Heidegger », c’est Heidegger qui fournit à Stiegler le complémentaire et le symétrique de Simondon. Symétrie et complémentarité grâce auxquelles Stiegler entend n’en rester ni à son ancien maître Derrida, marqué par Heidegger, ni à cet ancien maître de nombreux « stiegleriens » français et étrangers qu’est Deleuze, marqué par Simondon. Dans une autre étude enfin, qui est pour sa part absente du Volume 2 de ce dossier, je mettais l’accent sur le caractère syncrétique de l’œuvre de Stiegler en formulant de la façon suivante la transition – faite en 2001 dans Le temps du cinéma - entre sa thèse anthropogénétique fondamentale et première et sa thèse d’économie politique développée depuis 2003 : en vertu de la « finitude rétentionnelle », le processus « transindividuel » ou « psycho-social » d’ « individuation » repose sur une « extériorisation de la mémoire » qui fait 44 de lui un processus « transductif » d’« épiphylogenèse » fondée sur des « prothèses » comprises comme « déjà-là » et « supplément » pouvant aujourd’hui, à l’ère des « technologies de l’esprit » et de leur exploitation consumériste, engendrer une « désindividuation » comprise comme « désublimation », c’est-à-dire une régression du désir à la « pulsion » et une « prolétarisation des consommateurs » comme perte de savoir-désirer après la « prolétarisation des producteurs » entendue ici comme « aliénation psychophysiologique » et perte de savoir-faire. Dans cette thèse globale articulant les deux pans de son œuvre, la plupart des notions placées entre guillemets sont revisitées par Stiegler mais prises à Husserl, Leroi-Gourhan, Simondon, Derrida, Marcuse - mais aussi Marx et Freud eux-mêmes. On trouvera bien plutôt dans le Volume 2 une analyse, approfondie parce que comparable à une énigme, du rapport étonnant - mais explicite et tôt préparé - d’André Jacob à Simondon dans Temps et langage. Étonnant, ce rapport l’est dans la mesure où le langage est le grand absent de la pensée de Simondon. Cette absence tient d’une part à ce que le langage était le paradigme d’une vogue structuraliste à laquelle Simondon reprochait de ne pas être une pensée de la genèse. Elle tient d’autre part à ce qu’il ancrait l’eidétique génétique – évoquée dans ma Section 1 - de la troisième partie de MEOT dans une unité magique primitive se déphasant en technique et religion, à la différence de la perspective temporelle de LeroiGourhan quelques années après, où se révélait que la complémentarité qui fonde le devenir humain est celle du langage et de la technique. Or, à l’instar de Leroi-Gourhan, mais selon des voies davantage liées à la tradition de l’anthropologie philosophique d’une part, et à la linguistique de Gustave Guillaume d’autre part, Jacob pensait une genèse de l’activité linguistique – comprise en réalité par lui comme capacité psycho-socio-technique à donner du sens, et donc comme pensée. La présence de Simondon dans cette entreprise théorique commence dès lors de se comprendre. Car d’une part chez Jacob la « coupure » entre l’animal et l’homme, dans la mesure même où elle se présente comme repensée - tout comme est repensée l’idée même de genèse -, n’en est peut-être plus réellement une, et elle est en tout cas moins nette que dans une anthropologie philosophique comme celle de Cassirer. Cela tient à ce que, contrairement à ce dernier, Jacob ne reprend le cadre néo-kantien de théorisation qu’en l’orientant délibérément vers une pensée génétique de type explicitement piagétien. D’autre part, pardelà le point de vue fonctionnaliste qui, déjà, articulait en linguistique la synchronie à la diachronie sans dissoudre pour autant la première, Jacob entend dès le début, et de façon déjà très simondonienne, « passer d’un point de vue fonctionnel [point de vue axé sur les 45 fonctions] à une théorie du fonctionnement ». Or, c’est en distinguant ensuite entre deux types de synchronie que Jacob tendra vraiment à une théorie proprement simondonienne de ce qu’il faut nommer l’individuation linguistique, la notion d’individuation étant d’ailleurs reprise par Jacob dans sa Troisième Partie. Approfondissant ce point tout en confrontant Jacob et Simondon à Aristote à propos de l’individuation comprise comme actualisation, je dégageais pour finir les limites du rapprochement entre Jacob et Simondon, par-delà donc l’usage non polémique que faisait le premier du second. Enfin, depuis une dizaine d’années j’ai publié dans la Revue philosophique de la France et de l’étranger un certain nombre de comptes-rendus d’ouvrages, dont neuf comptes-rendus d’ouvrages de philosophes français de la seconde moitié du XXe siècle ou du début du XXIe siècle : L’invention dans les techniques, Imagination et invention et Sur la technique de Simondon, La technique et le temps 3. Le temps du cinéma, Mécréance et discrédit 1. La décadence des démocraties industrielles et La société automatique. L’avenir du travail de Stiegler, Heidegger, le mal et la science de Salanskis, Usages contemporains de la phénoménologie de Salanskis et Sebbah, et La philosophie en France au XXe siècle. Moments de Worms. À côté de la pensée que je veux développer dans les années à venir, j’aimerais trouver le temps d’écrire un livre d’histoire de la philosophie française contemporaine. J’ai d’ailleurs eu pour projet d’écrire un ouvrage intitulé Une autre histoire de la philosophie française du XXe siècle. L’idée de départ était la suivante : la philosophie française du XXe siècle a parfois été présentée comme directement tributaire de la philosophie allemande des XIXe et XXe siècles : ce jugement s’appliquait surtout à la phénoménologie française (Sartre, MerleauPonty) et à ses « dépassements » (Levinas, Derrida), mais aussi bien sûr au marxisme (Althusser) et à un certain « structuralisme » teinté de nietzschéisme (Foucault). On sait que telle fut par exemple, et de façon plus ciblée, la lecture de la « pensée 68 » par Alain Renaut et Luc Ferry, qui faisaient d’elle le « produit dérivé » français de la grande pensée allemande. Malgré toutes les réserves que l’on peut émettre sur tel ou tel point d’interprétation – à cet égard j’avais beaucoup aimé Pour l’homme de Dufrenne, dans ma jeunesse, parce que ce livre était moins obsédé par l’anti-humanisme et aspirait à un humanisme moins classique que celui de Renaut et Ferry -, on ne saurait nier que les philosophes évoqués par les deux auteurs sont représentatifs d’une dépendance plus générale de la philosophie française du XXe siècle à l’égard de la philosophie allemande, dans la mesure où depuis L’être et le néant en 1943 jusqu’aux trois tomes de La technique et le temps, une bonne part du spectre de cette philosophie française du XXe siècle peut être lue comme centralement tributaire de la grande 46 pensée allemande. Ferry et Renaut eux-mêmes ne font pas exception à l’idée qu’ils émettent à propos de leurs adversaires « anti-humanistes » : leur propre humanisme doit tout ou presque à Kant et Fichte, et en cela ils entendent faire jouer la pensée allemande du XVIIIe siècle contre celle des XIXe-XXe siècles. Outre cette dépendance à l’égard de la créativité conceptuelle et architectonique allemande, on a aussi attribué à la philosophie française du XXe siècle la faiblesse d’être, lorsqu’elle n’emprunte pas, une philosophie littéraire éprise de métaphores : de Bergson à Deleuze et Derrida, et quels que soient en l’occurrence les rapports de filiation ou de nonfiliation théorique, se serait radicalisée l’identification du « concept » philosophique - tel qu’il se distingue du concept scientifique – à la métaphore. L’« affaire Sokal » serait venue sanctionner, au double sens du terme, cet état de fait spécifiquement français. Sans doute la virulence, elle aussi particulière, des philosophes analytiques français (Roger Pouivet prioritairement, Frédéric Nef secondairement) contre la philosophie française de type « continental » est-elle liée à un tel jugement. Par-delà ces rattachements de la philosophie française du XXe siècle à la philosophie allemande et à la littérature, j’envisageais de montrer que la lecture récente de l’ensemble de l’œuvre de Simondon et la mise en évidence du paradigmatisme technoscientifique de sa pensée peuvent aujourd’hui se prolonger en une relecture d’une partie au moins de la philosophie française du XXe siècle qui fasse droit à un rapport trop souvent négligé de celleci à la science, y compris la physique elle-même : de Brunschvicg au Merleau-Ponty du Visible et l’invisible en passant par Bachelard bien sûr et Simondon, les sciences de la nature elles-mêmes ont pu non seulement être objet de l’interrogation philosophique – comme chez Bachelard et Canguilhem notamment -, mais aussi inspirer l’invention philosophique en fournissant des paradigmes. On sait le rôle joué par l’ « épistémologie historique » (Lecourt) de Bachelard chez un Althusser. On a moins pris la mesure, me semble-t-il, de l’influence de Bachelard mais aussi Simondon sur le Merleau-Ponty du cours du Collège de France sur La Nature et du Visible et l’invisible. Quant à Deleuze, ce n’est que tout récemment, grâce au travail d’Anne Sauvagnargues dans Deleuze. L’empirisme transcendantal, qu’on a pu comprendre en quoi il devait son architectonique conceptuelle initiale à un travail d’appropriation de la philosophie de la nature de Simondon telle qu’elle s’était construite à partir de la physique contemporaine. Si donc je me lançais dans une telle entreprise, mon but serait d’abord de dégager le statut de Simondon dans les rapports de la philosophie française à la science au XXe siècle. Il serait ensuite, et plus largement, de montrer par là même que la récente réparation d’un oubli – celui 47 de l’œuvre de Simondon – est susceptible d’éclairer d’un jour nouveau la philosophie française du XXe siècle, et de lui donner une dimension théorique qui la protège des réductions aux statuts de « produit dérivé » ou de « philosophie littéraire ». Sur le plan purement exégétique par ailleurs, une telle relecture d’une partie de la philosophie française serait d’autant moins négligeable qu’à travers Bachelard, Simondon et le dernier MerleauPonty elle vise certaines articulations centrales au sein des trois grandes filiations qui traversent la philosophie française au XXe siècle, et sur lesquelles s’ouvrait déjà mon texte de 2011 cité plus haut – on trouve ce texte dans le Volume 2 de ce dossier. Mon texte « Le statut de Simondon dans la philosophie française de la nature au XXe siècle », paru à la fois en chinois et en français dans les Études de la pensée française en 2016, rassemblait et prolongeait quelques éléments issus de ma thèse pour une telle perspective. 48 Section 3 Études de philosophie allemande contemporaine Contrairement à mon intérêt particulier pour certains penseurs français contemporains, celui qui me porte vers Kant, Hegel, Husserl, Heidegger, Wittgenstein et quelques autres penseurs de langue allemande tient moins à leurs liens possibles – et ténus - avec Simondon qu’au rôle décisif qu’ils ont joué, entre 1985 et 1989 et donc avant ma rencontre avec l’œuvre de Simondon, dans mon cheminement personnel vers l’idée d’un système ouvert mais global de l’individuation du sens, que je concevais d’une part comme l’antidote post-wittgensteinien au Système du Savoir absolu de Hegel, et d’autre part comme la véritable pensée noncontradictoire de la finitude après celles de Kant ou de Heidegger, dont le rapport aux significations manipulées impliquait à mes yeux qu’ils étaient des individus philosophants se rendant à leur insu originaires. J’admirais Kant et Heidegger, mais Hegel et Husserl m’aidaient à comprendre en quoi le dépassement de leurs fondationalismes égologiques respectifs requérait un autre type de pensée de la finitude que les types kantien ou heideggérien. Et le Wittgenstein d’Ueber Gewissheit, tel du moins que je le lisais, me mettait sur la voie. J’y reviendrai en Section 4, dans la mesure où cette relecture du tout dernier Wittgenstein est explicitement dirigée vers l’idée de Relativité philosophique telle qu’elle fournit la formulation analogique de l’idée de système ouvert mais global de l’individuation du sens. Kant, d’abord, intervient partout dans mon travail : outre que du point de vue de mes travaux exégétiques sur Simondon il est incontournable en tant qu’interlocuteur de ce dernier, du point de vue de mon questionnement propre en vue du système global mais ouvert de l’individuation du sens, cette fois, il est celui dont la « révolution copernicienne » doit aujourd’hui être remplacée par une « révolution einsteinienne », celle-là même que je nomme Relativité philosophique et qui définit l’horizon de tout mon travail depuis ma maîtrise. Quant à Hegel, il est pour moi l’Adversaire admirable et par excellence, ainsi que cela va se préciser immédiatement. 49 J’ai consacré à Husserl, Heidegger et Wittgenstein des chapitres de la dernière partie de ma thèse, tandis que la confrontation de Heidegger avec Hegel fait l’objet de mon texte « Hegel et l’impensé de Heidegger », publié dans Kairos en 2006. Ce texte, qui figure dans le Volume 2 du dossier, montre que si Heidegger reproche explicitement à Kant de ne pas avoir compris la « transcendance du Dasein », sa partition ontique/ontologique reconduit toutefois la partition kantienne de l’empirique et du transcendantal. Une telle ambiguïté du dépassement, qui se dissimule comme ambiguïté et se refuse même comme dépassement grâce à l’idée d’une « appropriation » de Kant, nourrit le soupçon porté par certains contemporains sur le profit tiré par Heidegger de sa confrontation au sommet avec Hegel, dont le statut exceptionnel à ses yeux consiste à être le penseur qui a déjà pensé l’impensé fondamental, et dont La phénoménologie de l’esprit est de ce fait « ontologie fondamentale de l’ontologie absolue ». Mon enquête, qui livre les raisons de penser que le « cercle herméneutique » de Sein und Zeit est la reconstruction du cercle du Savoir absolu comme Savoir de la finitude de l’être, montre ensuite et ultimement que la nature restée inaperçue de l’ « impensé » philosophique fondamental place Heidegger, mais aussi Gadamer et Ricoeur, à l’intérieur du Système. Ce texte aurait certes pu être présenté dans la Section 4 de ce Volume 1, tant il concerne le problème posé dans La Société de l’invention pour introduire à la sémantique archi-réflexive qui fournit la problématique première du système global de l’individuation du sens : le problème de l’individu philosophant qui, de Platon à aujourd’hui et du fait de son rapport aux significations manipulées, se rend à son insu originaire, y compris dans toutes ces pensées contemporaines de la finitude dont l’attitude non-archi-réflexive contredit à mes yeux les thèses. Mais parce qu’il consistait d’abord en un travail précis et approfondi d’analyse des textes de Heidegger, j’ai tenu à le placer dans cette Section 3 du Volume 1. Quant à Husserl, j’ai tâché de montrer dans « Husserl et l’auto-transcendance du sens » (Revue philosophique de la France et de l’étranger, n°2/2004), texte figurant également dans le Volume 2 du dossier, que loin d’être une « égologie cartésienne » ou un « apriorisme kantien », la phénoménologie husserlienne se veut d’un bout à l’autre de l’œuvre une subversion des alternatives classiques dont relèvent selon elle Descartes et Kant, et par lesquelles se définit la métaphysique en un sens très large et contemporain de ce terme. S’il est vrai que Husserl revendique un « idéalisme transcendantal », c’est en approfondissant la réfutation kantienne de l’idéalisme, et cela en un geste qui, par le biais de l’intention[n]alité comme auto-transcendance ayant pour vocation – sans doute non réalisée - de subvertir l’opposition principielle du sujet et de l’objet, préfigure déjà l’annulation heideggérienne du « scandale » qui préoccupait Kant, mais selon une voie qui n’oublie pas pour autant de rendre 50 compte de la possibilité de la connaissance scientifique – exigence dont Heidegger, lui, se désintéresse. Mais le concept d’auto-transcendance du sens, horizon de ce texte lui aussi tout entier animé, en réalité, par les questions archi-réflexives issues de ma thèse, ne désignait pas seulement la particularité de l’intention[n]alité noético-noématique d’être à la fois le sujet et l’objet – par « immanence » du noème à la visée noétique - : il désignait aussi le caractère immanent–transcendant du fil directeur de la pensée husserlienne à cette pensée elle-même, laquelle aimait déjà elle-même porter les pensées des prédécesseurs au-delà d’elles-mêmes. C’est pourquoi mon texte se divisait comme suit : Introduction. Les paradoxes antipédagogiques de la pensée husserlienne ; 1. De la filiation à la rupture avec Kant : le transcendantal comme problème ; 2. De l’idée de « vécu intentionnel » à celle de « généalogie de la logique » ; 3. La « thèse générale du monde », sol commun à l’empirisme et au rationalisme ; 4. De la filiation à la rupture avec Descartes : l’apodictique comme problème ; 5. De la réfutation de l’idéalisme à la « réduction intersubjective » ; Ouverture : phénoménologie et auto-transcendance du sens. Je me suis enfin intéressé à Peter Sloterdijk, pour ses convergences et différences avec les thèses de Stiegler. Le texte « La “révolution de l’espace” et l’architecture comme “réalisation de la philosophie” dans Écumes de Sloterdijk », qui clôt la brève Section 3 du Volume 2 de ce dossier, est un examen de ces convergences et différences. Cet examen me sert bien sûr dans le même temps à suggérer qu’il existe, chez Sloterdijk comme chez Stiegler, une coupure anthropologique résiduelle que La Société de l’invention visera à dénoncer dès son premier chapitre. Mais le texte sur Sloterdijk reste essentiellement exégétique, plutôt que polémique : il établit notamment que si l’analytique du Dasein doit, aux yeux de Sloterdijk, être réécrite à partir de la paléoanthropologie, réciproquement il s’agit bien, comme l’écrit Sloterdijk luimême, de « s’en tenir à l’alliance avec Heidegger, penseur de l’extase existentielle », parce qu’aux yeux de Sloterdijk aucune anthropologie empirique ou « positive » ne rendra compte de cette « ex-stase » qui singularise l’homme, c’est-à-dire de ce fait étrange qu’est l’extériorité de l’esprit à lui-même, constitué qu’il est par un « monde » qui n’est pas un simple « milieu », et qui n’est plus naturel mais technique. Le pari de Sloterdijk est donc en réalité de penser entre l’anthropologie empirique, qui ignore l’extase propre à l’homme, et l’ontologie philosophique « à la Heidegger », qui ignore le devenir-humain, et c’est à cette fin que se développe la théorie métaphorique que Sloterdijk baptise « sphérologie », et qui consiste à penser le devenir-homme – objet de l’anthropologie - à partir de la problématique de l’habiter 51 - comme problématique en même temps ontologique car rendant compte de la « clairière de l’Être ». Voilà donc quelques études de philosophie contemporaine allemande directement liées à mon questionnement propre, mais pas aussi explicitement dirigées vers le système de l’individuation du sens que ne le sont les textes dont parlera la Section 4. Si j’en avais le temps, je souhaiterais vivement prolonger ces études de philosophie contemporaine allemande en écrivant un ouvrage sur Husserl et Heidegger. Je pense ici à Réduction et donation de JeanLuc Marion, qui fut une lecture décisive dans ma jeunesse. Je voudrais reprendre les analyses critiques à la lumière du questionnement apporté par ma sémantique archi-réflexive, mais également montrer en quoi la notion d’anthropologie et sa critique par Husserl comme par Heidegger définissent à la fois le lieu de leur malentendu et celui de leurs faiblesses distinctes mais réelles. Non que la philosophie doive se faire anthropologie, au contraire même : chacun des deux philosophes allemands était à mes yeux en droit de reprocher à l’autre de rester dans l’anthropologie, ainsi que doit le faire comprendre la perspective ouverte par la sémantique archi-réflexive qui fonde le système ouvert de l’individuation du sens. C’est vers ce système, et sa position dans La Société de l’invention, que sont dirigés les textes dont il sera question dans la dernière section de ce Volume 1. 52 Section 4 Publications préparatoires à La Société de l’invention / La Philosophie du paradoxe Dès la thèse, intitulée à dessein « Sens et connaissance. À partir et en-deçà de Simondon », c’est dans l’optique d’une future refondation englobante de l’ontologie simondonienne que je travaillais à l’exégèse, revendiquée « polémique », de l’œuvre de Simondon. La thèse se voulait en cela fidèle au questionnement archi-réflexif, parce que post-wittgensteinien, qui était né plus de dix ans avant dans mon mémoire de maîtrise sur et contre le fondationalisme égologique. C’est pourquoi le premier des deux chapitres composant la longue Introduction de la thèse s’intitulait « Horizon d’une exégèse polémique de l’œuvre de Simondon : la relativisation refondatrice de l’ontogenèse de l’individuation ». Par « ontogenèse de l’individuation » il fallait entendre, conformément à l’usage du terme « ontogenèse » par Simondon, l’ontologie génétique elle-même et non pas seulement le processus d’individuation ou de genèse qu’elle décrit. Aujourd’hui je préfère dire « ontologie génétique » ou « ontologie de l’individuation », de même que je ne parle plus de « relativisation refondatrice » mais de « refondation englobante » de cette ontologie : l’idée de « relativisation d’une théorie » est trop liée au processus que décrivait Bachelard à propos du progrès de la physique tel qu’il s’illustre chez Einstein vis-à-vis de Newton, et la refondation englobante de l’ontologie simondonienne à laquelle j’aspirais n’était pas une relativisation prise en ce sens. Elle consistait seulement à transformer une « philosophie première » en problématique seconde et unidimensionnelle d’une nouvelle problématique pluridimensionnelle. Que cette refondation soit englobante, cela ne signifie pas qu’elle relativiserait d’anciens cadres absolus qui seraient devenus des « cas-limites » de nouveaux cadres, comme c’est le cas de l’espace et du temps newtoniens dans le nouveau contexte de l’espace-temps einsteinien, mais simplement qu’elle replace l’ontologie de Simondon dans un cadre plus vaste permettant de penser également l’axiologie et l’économie politique – elles-mêmes dissociées l’une de l’autre, ainsi qu’en témoigne la refondation hors l’éthique du droit compris comme légiférant sur le système de la satisfaction des besoins à partir de leur propre normativité économique et non pas axiologique, et avec pour tâche de les compatibiliser. 53 Cette refondation hors l’éthique du droit définit le telos politique de La Société de l’invention. La thèse de doctorat, elle, se « contentait » il y a quatorze ans de préparer ce nouveau chantier théorique, nommé « système global mais ouvert de l’individuation du sens » - ou encore « écologie humaine » -, en donnant dans son dernier chapitre le programme très général d’un tel système après avoir discuté Husserl et Heidegger et revisité Wittgenstein dans la quatrième et dernière partie de la thèse, intitulée « Penser le sens ». La sémantique archiréflexive de La Société de l’invention, nouvelle problématique première définissant les différentes problématiques secondes du système global de l’individuation du sens, hérite de ce questionnement comme de ce programme fournis par la thèse. Mais à l’époque le vocabulaire était parfois quelque peu différent : je nommais « gnoséologique » - en un sens nouveau, car excessivement large, de ce terme - l’attitude que je dénonçais chez les philosophes dans leur rapport aux significations manipulées, et « non-gnoséologique » la méthode employée par la sémantique archi-réflexive – méthode pas encore véritablement cernée en 2003. De même, la sémantique archi-réflexive était nommée « sémantique philosophique », et rattachée à l’idée d’une « herméneutique réflexive » permettant à l’individu philosophant de penser sa propre non-originarité. Or, d’une part l’expression « herméneutique réflexive » avait déjà été utilisée par Ricoeur pour désigner tout autre chose. D’autre part, dans La Société de l’invention la part herméneutique de la sémantique archi-réflexive se précise comme lieu où l’intention[n]alité humaine est pensée en tant que structure d’oubli de sa propre non-originarité. L’archiréflexivité, elle, est alors proprement sémantique et non pas herméneutique, parce qu’elle consiste pour l’individu philosophant à déterminer la méthode lui permettant de contourner cette structure d’oubli afin de se penser comme sens-sujet non-originaire individuant le sens qu’il manipule. On trouve dans Penser la connaissance et la technique après Simondon, donc en 2005, un premier et un dernier chapitres qui héritent tous deux des aspects de la thèse tournés vers la future refondation englobante de l’ontologie simondonienne. Dans le premier chapitre de l’ouvrage, intitulé « De l’usage philosophique de la relativité physique », je posais le cadre dans lequel l’exégèse de la pensée simondonienne pourrait se faire « polémique », ainsi que je la qualifiais : l’usage philosophique de la relativité physique ne pourrait se limiter à l’épistémologie ni même à l’ontologie, mais devrait donner lieu à une analogie du type de celle élaborée par Kant à travers l’idée de « révolution copernicienne » - il y avait donc là une analogie entre analogies. L’ontologie génétique de Simondon, que ce dernier voulait « philosophie première », devrait donc se faire désormais « problématique seconde » d’un système global possédant une problématique première inédite. Mais parce que l’idée de 54 Relativité philosophique entendait aussi désigner une vue distincte du relativisme tendanciel dont je ressentais la prégnance contemporaine, je consacrais une partie de ce premier chapitre à réfuter les positions de Kuhn en compagnie de Canguilhem et de Granger, qui avaient tous deux perçu les conséquences problématiques de la thèse de l’incommensurabilité des paradigmes. C’est seulement dans le dernier chapitre de la thèse puis de Penser la connaissance et la technique après Simondon, où il était intitulé à dessein « Penser le sens ? » - dans la thèse ce titre était celui de la quatrième partie entière -, que je donnais le programme général du futur système global mais ouvert de l’individuation du sens. Rappelant d’abord quelques tensions internes à la pensée de Simondon, que je problématisais notamment en compagnie de Canguilhem, j’en venais ensuite à celles, proprement architectoniques, qui motivaient la future refondation englobante de l’ontologie génétique telle qu’on la trouve aujourd’hui dans La Société de l’invention, où sont brièvement rappelées ces tensions architectoniques internes à la pensée de Simondon. Je pouvais alors annoncer ce qui, plus de dix années après, commencerait seulement de se réaliser : « Il ne revient pas à la problématique philosophique radicale de penser l’individuation ontogénétique, mais seulement de penser la finitude de l’individu philosophant lui-même comme sens individué ou sens-sujet ». Dans les termes qui sont ceux de La Société de l’invention et notamment de son chapitre V, où sont posées les bases de la reconstruction globale du philosopher : la « philosophie première » n’est pas l’ontologie mais la sémantique archi-réflexive par laquelle l’individu philosophant se pense comme sens-sujet non-originaire individuant le sens. Je tâchais aussi de revisiter au passage le Merleau-Ponty de Signes, dont le questionnement me paraissait pointer au-delà de ce qui avait été explicitement pensé par lui, qui toutefois dès la Phénoménologie de la perception annonçait : « Aucune philosophie ne peut ignorer le problème de la finitude sous peine de s’ignorer elle-même comme philosophie ». Dans Signes, je privilégiais les deux textes « Sur la phénoménologie du langage » et surtout « Le philosophe et la sociologie », que je citais et commentais afin de montrer en quoi le sens autotranscendant du questionnement de Merleau-Ponty réside en ce que je formulais ainsi : « […] un Savoir définitif – ce que prétend encore être la Critique kantienne comme connaissance des conditions de possibilité et limites de la connaissance, puis du devoir, luimême intemporel - n’a pas de sens, et la “philosophie première” est la pensée de la finitude du “sujet” philosophant, ce que ni la tradition philosophique ni même l’historicisme et le sociologisme – compris comme sociologie “ontologisée” en philosophie première -, dans 55 lesquels le sujet philosophant s’absolutise encore à son insu tout en prétendant ne plus philosopher, ne permettent de penser […]. Que la véritable “rupture avec l’objectivisme” ne soit pas “introspection”, cela doit être pensé dans toutes ses conséquences, que ni le Heidegger de Sein und Zeit ni même le MerleauPonty de Signes, dans leur critique de l’égologie husserlienne, n’ont à nos yeux tiré jusqu’au bout. Car cela signifie que la philosophie de la conscience dont Husserl restait encore trop prisonnier – même si son sujet transcendantal n’est pas le « sujet sans monde » qu’y voyait caricaturalement Heidegger – n’était “en rivalité avec le savoir”, comme dit Merleau-Ponty, que parce que l’attitude de l’individu philosophant Husserl y restait encore objectivante à l’égard des significations, ce qui définit l’objectivisme fondamental – porteur de l’idéalisme fondamental comme auto-absolutisation impensée du “sujet” philosophant – qui fait le sol commun à l’objectivisme au sens ordinaire et à toute philosophie à visée de savoir qui prétendrait le combattre. La véritable “philosophie première” non-objectivante [pour le sens luimême] consiste donc en une réflexivité paradoxale car radicale, puisque amenant l’individu philosophant lui-même à se reconnaître dans ce qu’il n’est pas, le sens déposé dans ses “objets” le constituant lui-même comme “sens-sujet”. C’est donc à une pensée non-objectivante de l’être-au-sens que nous conduit l’interrogation du Merleau-Ponty de Signes. Cette pensée, dont le non-ob-jet n’est pas un objet “numériquement distinct” des autres, comme dit Merleau-Ponty, mais le “social-mien” en tant que caractère de sens de tout objet de pensée ou de toute représentation, diffère autant du sociologisme que d’une philosophie de l’ego ou introspection ». Je concluais mon propos en précisant d’abord l’idée analogique de Relativité philosophique à partir des vœux comme des apports et insuffisances du tout dernier Wittgenstein d’une part, de Simondon d’autre part, puis en indiquant le nouveau statut de l’ontologie génétique comprise comme « philosophie de l’information ontologique » traduisant secondairement la nouvelle problématique archi-réflexive et sémantique de la philosophie, et enfin en livrant quelques éléments pour une « théorie du décentrement » comprise comme théorie de la connaissance scientifique : autant d’aspects qui sont repris et affinés dans La Société de l’invention, où la dite « théorie du décentrement » se révèle en fait bien plus large qu’une théorie de la connaissance scientifique puisque la notion de décentrement y acquiert une applicabilité à tous les étages du questionnement philosophique – la théorie du décentrement devenant dès lors la « colonne vertébrale » du système global mais ouvert de l’individuation du sens. 56 De même que ma thèse puis Penser la connaissance et la technique après Simondon préparaient ainsi ce qui se laisse penser dans La Société de l’invention, ainsi également depuis 2005 certains de mes textes ont consisté tantôt à poser des pierres pour le système global mais ouvert de l’individuation du sens, tantôt à reformuler de façon plus pédagogique le programme qu’en avait donné le dernier chapitre de la thèse. Ces textes, qui concluent le Volume 2 du dossier, seront simplement présentés ici : - Le premier d’entre eux est « La question de la non-anthropologie », paru en 2006 dans un ouvrage collectif dirigé par Jean-Marie Vaysse. J’y confrontais les deux pensées « nonanthropologiques » de la technique proposées par Heidegger et Simondon, et faisais une critique interne et nouvelle du Gestell heideggérien. Ce fut aussi l’occasion pour moi, deux ans avant la parution de Simondon ou l’encyclopédisme génétique, de proposer une première fois la notion d’ « humanisme difficile » pour qualifier le « nouvel humanisme » revendiqué et esquissé par Simondon. Concernant toutefois l’au-delà de Simondon au sein duquel il s’agirait de construire véritablement cet humanisme difficile en tant qu’humanisme décentré, je montrais en définitive que la critique interne du Gestell heideggérien proposée par mon texte ne signifiait aucunement que la pensée simondonienne de la technique aurait le dernier mot en la matière. En effet, le fait que la question de l’être représente une non-question, ainsi que l’avait montré ma critique interne, ne signifiait nullement qu’il n’y aurait pas une question plus radicale que la question ontogénétique de Simondon. Question plus radicale qui, si elle procédait d’une critique interne de la pensée heideggérienne, pourrait bien cette fois déboucher secondairement, comme pour la refonder en l’englobant, sur la pensée ontogénétique et non-anthropologique de Simondon, tout en la libérant sans doute du caractère destinal qui pesait encore résiduellement sur elle – depuis la thèse j’avais problématisé ce que je nommais le « finalisme résiduel » de la pensée simondonienne. Ce texte, dans l’argumentation qui est la sienne et que je ne puis ici résumer, constitue à mes yeux l’un des sommets de mon travail post-simondonien, et il était parfaitement logique qu’il fasse partie, quelques années après sa parution en français, des deux textes réunis dans mon petit livre Life and Technology : An Inquiry Into and Beyond Simondon ; - Le deuxième texte est « Penser après Simondon et par-delà Deleuze » (Cahiers Simondon – Numéro 2, 2010), où je formulais de façon à la fois synthétique et pédagogique le programme du système ouvert mais global de l’individuation du sens après avoir présenté les rapports de Deleuze puis de Stiegler à la pensée simondonienne. J’y dénonçais d’abord l’ambiguïté de 57 Deleuze dans Logique du sens, lorsqu’il disait devoir à Simondon les « cinq caractères par lesquels nous essayons de définir le champ transcendantal » : en prêtant ici à Simondon « la première théorie rationalisée des singularités impersonnelles et pré-individuelles », Deleuze prolongeait une mésinterprétation déjà amorcée dans sa recension antérieure de L’individu et sa genèse physico-biologique, car outre qu’il ne distinguait plus la singularité et le champ préindividuel qui, chez Simondon, la rencontrait, Deleuze transformait par ailleurs en pluralité d’inspiration explicitement mathématique dans son propos ce qui, chez Simondon, était LA singularité d’inspiration thermodynamique. Il ne signalait pas non plus que chez Simondon il ne saurait être question d’un champ « transcendantal ». J’exposais ensuite le rapport de Stiegler à Simondon, le premier apportant entre autres au second une théorisation nouvelle de l’inconscient dans sa dimension transindividuelle et historique – je nommais cette théorisation « psycho-sociologie historique des profondeurs » -, ainsi qu’un prolongement proprement politique. Je disais en quoi cela n’était possible, chez Stiegler, qu’à partir d’une refondation « prothétique » du psycho-social ou transindividuel, lequel ne peut être détruit que par ce qui le constitue : tel est le fondement ontogénétique du combat politique de Stiegler contre les industries culturelles et la « désublimation » qu’elles induisent. Je donnais enfin le programme très général de ce que je nommais depuis la thèse la « Relativité philosophique », c’est-à-dire le système global mais ouvert de l’individuation du sens qui permet d’une part de refonder l’ontologie simondonienne en l’englobant, d’autre part d’éviter de rabattre les plans du philosopher les uns sur les autres - comme le faisait Deleuze lorsqu’il revendiquait à la fois et au même lieu l’ontologique et le transcendendal -, enfin d’éviter de partir du transindividuel – comme le fait Stiegler à la suite de Heidegger, pour qui le vivant se pense « par privation » à partir du Dasein – alors qu’il n’est qu’un régime dernier d’individuation après les régimes physique et vital ; - Le troisième texte est « Individuation and Knowledge. The “refutation of idealism” in the French Heritage of Simondon », paru en 2012 dans la revue américaine SubStance. Ce texte, dont l’enjeu était de mesurer la capacité des postérités de Simondon à réfuter l’idéalisme pardelà ce qu’en avait dit Heidegger dans Sein und Zeit, m’a permis d’entamer cette fois un véritable dialogue théorique avec Stiegler, et sans doute aussi de rendre encore davantage possible la rupture avec lui qui devait se produire trois ans plus tard. Après un rappel des grandes visées de la pensée de Simondon, j’examinais donc la façon dont Stiegler réfutait l’idéalisme lors de son dialogue avec Heidegger dans La technique et le temps 3. Le temps du 58 cinéma : Stiegler y reprochait à Heidegger de n’avoir pas vu que l’être-au-monde, par lequel doit selon Heidegger se dissoudre la question même de la réfutation de l’idéalisme, est constitué par les « prothèses » en tant qu’extériorité constitutive du « qui » - le « qui » étant chez Stiegler ce que Heidegger nommait « Dasein ». En d’autres termes, Stiegler reprochait à Heidegger de n’avoir pas vu la véritable raison pour laquelle la question même de la réfutation de l’idéalisme est en effet dissoute : si le monde est toujours déjà donné, c’est parce que je ne puis avoir conscience de moi-même que grâce aux « béquilles de l’esprit » que sont les artefacts présents à l’extérieur de moi. Or, dans la mesure où la problématique fondamentale de la philosophie est chez Stiegler celle où se joue cette dissolution de la question même de la réfutation de l’idéalisme, le dépassement stieglerien de Heidegger condamne Stiegler à maintenir l’idée, émise au §10 de Sein und Zeit, d’une secondarité de la thématisation ontologique du vivant par rapport à la pensée du « qui » (Dasein). Je montrais finalement en quoi il était possible d’envisager une dissolution de la question de l’idéalisme qui n’ait pas pour conséquence que la théorisation du transindividuel prothétiquement fondé soit philosophiquement première. Non qu’il s’agisse de retomber dans un réalisme simpliste faisant de la thématisation des régimes physique et vital d’individuation le discours philosophiquement premier : repartant des questions de théorie de la connaissance dont Stiegler, dans sa thèse de la « constitutivité originairement technologique du préindividuel », semblait avoir présupposé la réponse, je montrais que l’ontologie génétique tout entière – et donc aussi la pensée stieglerienne du transindividuel, ainsi remise à sa place - pouvait se penser comme l’une des traductions secondes d’une sémantique archiréflexive et pluridimensionnelle où la non-originarité de l’individu philosophant requérait que le sens manipulé via les significations soit pensé comme une transcendance constitutive, idée qui deviendra centrale dans La Société de l’invention. - Le quatrième texte est « Encyclopédisme et théorie de l’interdisciplinarité », paru en 2013 dans Hermès. L’ambition théorique de ce texte est moindre que celle des autres, mais j’y prends position sur le paradoxe formé par le mot d’ordre institutionnel de l’interdisciplinarité et son inapplicabilité revendiquée chez les scientifiques. En complément aux explications seulement psycho-socio-économiques, je soutiens que ce paradoxe trahit également l’absence d’une théorisation adéquate des vertus de l’interdisciplinarité, et que cette théorisation adéquate ressortit à l’encyclopédisme dans sa différence par rapport à un simple savoir encyclopédique. Dans le même temps, ce texte pose déjà quelques éléments pour la nouvelle définition de « technoscience » qui est proposée dans La Société de l’invention ; 59 - Le cinquième texte est « Du “matérialisme de la rencontre” à la pensée de l’individuation du sens », paru en 2016 dans un numéro de Lignes intitulé « Quels matérialismes ? Pour quels mondes ? » et réunissant notamment des textes de Jean-Luc Nancy, Bernard Stiegler, Catherine Malabou. Il s’agit là d’une version courte du chapitre qu’avait consacré ma thèse à Wittgenstein, et elle m’a permis de montrer que certains aphorismes d’Ueber Gewissheit autorisent une interprétation conduisant à mon idée analogique de Relativité philosophique, laquelle y est initialement rappelée à partir des deux aphorismes suivants : « Ce qu’il faut à nouveau, ici, c’est un pas, analogue à celui que fait la théorie de la relativité » et « Peut-on dire : “Où manque le doute, manque aussi le savoir” ? ». Dans un deuxième temps, je montrais l’irréductibilité du questionnement d’Ueber Gewissheit à celui auquel procédaient les Philosophical Investigations. La lecture par Lecourt – dans L’ordre et les jeux - du trajet de Wittgenstein anticipait ici largement sur mon propos, mais Althusser, qui se basait sur elle pour s’intéresser à Wittgenstein, rabattait à tort le « surmatérialisme » revendiqué par Lecourt sur un « matérialisme de la rencontre » encore seulement ontologique et référé au clinamen d’Épicure, plutôt que sémantique et radicalement non-objectivant pour le sens. Dans un dernier temps, je montrais en quoi une telle visée non-objectivante prenait dans Ueber Gewissheit, et via la thématisation des « formes de vie », le visage d’une philosophie réflexive mais non-transcendantale de l’action, donc « quelque chose comme du pragmatisme », ainsi que l’écrivait Wittgenstein, mais sans pourtant que cela s’y réduise puisqu’il y allait du sens dans son irréductibilité à la vérité. Je pouvais alors suggérer qu’après Wittgenstein il nous fallait penser pleinement la pluri-dimensionnalité du sens in-objectivable – ou non réductible à la dimension d’ob-jet de connaissance -, selon une démarche archi-réflexive qui fait de l’individu philosophant un sens-sujet non-originaire individuant le sens, cette perspective étant toujours restée étrangère à Althusser et plus encore à Marx dans sa visée d’une Connaissance. La Société de l’invention propose ainsi comme problématique première de la philosophie une sémantique archi-réflexive où les dimensions générales du sens sont des modes d’action constitutifs de toute signification manipulée par l’individu philosophant, lui-même constitué par ces modes d’action ; - Le sixième texte est « Vers la Relativité philosophique », paru en 2016 dans l’ouvrage collectif Gilbert Simondon ou l’invention du futur (Klincksieck), dirigé par Bontems. J’y procède d’abord à un rapide rappel de la critique interne que j’avais faite, au terme de Penser la connaissance et la technique après Simondon, non pas des thèses proprement ontologiques 60 de l’ontologie simondonienne, mais du statut de « philosophie première » qu’elle s’attribuait réflexivement. Puis je dresse un très bref état des lieux de la philosophie contemporaine dans sa division en « philosophie continentale » et « philosophie analytique », avant de donner les principes de la théorie du décentrement qui constitue véritablement la colonne vertébrale de l’écologie humaine – alors présentée sous le nom de « Relativité philosophique », ou système ouvert et global de l’individuation du sens. L’ontologie génétique y devient « traduction seconde d’une sémantique philosophique » possédant deux autres traductions secondes respectivement économique et axiologique, et elle n’est donc plus philosophie première. Ce texte peut dès lors être considéré comme l’embryon des aspects proprement architectoniques de la seconde partie de La Société de l’invention ; - Le septième et dernier texte, intitulé « De l’ontologie au droit : quels fondements ? », est à paraître dans le n°1/2018 de la Revue philosophique de la France et de l’étranger. Consacré, comme l’est ce numéro entier, à la théorie de la « complexité en mosaïque » de mon ami Georges Chapouthier, il est l’occasion pour moi de poser quelques éléments relatifs à la refondation hors l’éthique du droit que propose La Société de l’invention. Examinant d’abord le modèle de la complexité en mosaïque, je souligne que ce modèle possède pour visée fondamentale d’expliquer la complexification qu’est en réalité, aux yeux de Chapouthier, l’évolution du vivant jusqu’à l’homme. C’est pourquoi le modèle se veut une « base complémentaire à la théorie darwinienne », laquelle serait en fait – et moins modestement cette fois - englobée dans un schème théorique plus large dont le paradigme est lié à la reproduction asexuée : lorsqu’elle est suivie d’une non-séparation des entités identiques produites, la reproduction asexuée engendre de la juxtaposition de structures qui pourront ensuite être intégrées dans un ensemble plus vaste. D’où l’idée du « principe de juxtapositionintégration », dont je montre aussi que chez Chapouthier, et quel que soit le vocabulaire utilisé par ce dernier, il ne désigne pas un processus finalisé. Dans un second temps, qui ne concerne plus l’ontologie mais la philosophie du droit, je montre en quoi l’oscillation frappante de Chapouthier entre le terme « droits » et le terme « besoins » le place dans une proximité rare vis-à-vis de mon optique, que je présente rapidement, d’une refondation hors l’éthique du droit. Rappelant d’abord la structure étagée de mon projet telle qu’elle avait été déjà présentée dans mes textes antérieurs, c’est-à-dire comme reposant sur une archi-réflexivité sémantique dont les motifs profonds résident dans le fait que les individus philosophants se sont jusqu’ici rendus à leur insu originaires du fait de leur rapport aux significations manipulées, j’insiste ensuite sur l’existence d’une normativité 61 intrinsèque - et interne à l’organisme somato-psychique - qui n’est pas axiologique mais économique : elle ne concerne pas les valeurs, mais les besoins en tant qu’ils ne s’inscrivent pas dans l’opposition entre les faits et les valeurs. Un besoin est en un certain sens un fait, mais il est un fait normatif, ce qui n’est pas dire pour autant une valeur. Les faits sont ontologiques, les besoins sont économiques, les valeurs sont axiologiques. Nous avons ici affaire à trois dimensions différentes, certes corrélées mais irréductibles les unes aux autres, du sens, et ce sont elles que se propose de dégager la sémantique archi-réflexive, avant que de se traduire dans chacune de ces dimensions pour redéfinir l’ontologie, le droit, l’éthique. L’inédit La Société de l’invention, que je présente en tant que Volume 3 de ce dossier d’habilitation à diriger des recherches, est évidemment le premier de mes travaux qui soit intellectuellement comparable à ma thèse, dont découlaient ou que prolongeaient tous mes travaux jusqu’à présent. La nouveauté de La Société de l’invention, dont l’élaboration a d’abord requis une longue fermentation – durant toutes ces années, pourtant consacrées dans les faits à Simondon - suivie d’un nouvel effort de création conceptuelle comme de rédaction sur la durée - toutes mes trop rares semaines de liberté durant ces trois dernières années -, est en réalité une double nouveauté. D’une part, le programme que livrait le dernier chapitre de la thèse y est cette fois largement précisé sur toute la seconde partie de l’ouvrage, de sorte que cette partie ressemble même à un début de réalisation du programme. D’autre part, la redéfinition et la reconstruction des domaines de la philosophie en quoi consiste ce début de réalisation du programme sont amenées via une première partie de l’ouvrage consacrée à quatre grands problèmes actuels de la philosophie : les problèmes a/ de l’être-sujet animal et de la place de l’homme après Darwin, b/ de la dualité invention/découverte et des conditions de possibilité et limites de la connaissance après la relativité einsteinienne et la physique quantique, c/ du pouvoir en contexte technologique, et d/ du sens de l’éducation et de la « crise du sens ». Après La Société de l’invention, l’ouvrage La Philosophie du paradoxe viendra offrir les « prolégomènes à la Relativité philosophique ». Cette formulation analogique de l’idée de système de l’individuation du sens, parce qu’elle consiste à remplacer l’analogie structurale kantienne de la « révolution copernicienne » par une autre analogie structurale propre à notre temps, privilégiera les questions de théorie de la connaissance, tout en précisant la triple distinction entre analogie structurale, inspiration méthodologique et objet de fondation philosophique : chez Kant, la première concerne Copernic, la seconde concerne le plan incliné de Galilée, la troisième concerne la physique newtonienne. La Société de l’invention, lui, ne 62 fait qu’évoquer très rapidement cette répartition des rôles, et ce qu’elle pourrait devenir aujourd’hui au sein d’une Relativité philosophique comprise comme « révolution einsteinienne ». La Philosophie du paradoxe aura également pour souci de construire ce que je nomme une paradoxologie, par laquelle il apparaîtra que le dépassement du sens commun par la science d’une part, la philosophie d’autre part, suppose tantôt la découverte, tantôt la construction, de paradoxes. Cette différence entre découverte et construction signifie par ailleurs que la philosophie se distingue autant de la science qu’elle s’oppose au sens commun : elle n’est pas une entreprise de connaissance, mais de préservation du sens - et de la conscience de la finitude qui le rend possible - par la simple connaissance de soi – ainsi que La Société de l’invention aura commencé de le montrer. Il revient alors à la philosophie de déterminer réflexivement la différence essentielle entre paradoxe et contradiction, mais aussi celle entre analogie et métaphore, à une époque où ces deux différences semblent par trop oubliées. La Société de l’invention dialogue prioritairement avec Kant, Mill, Husserl, Heidegger, Simondon, Jonas, Rawls, Latour, Stiegler et Pelluchon. La Philosophie du paradoxe, dont la rédaction fut entamée puis interrompue il y a deux ans pour privilégier celle de La Société de l’invention, dialoguera pour sa part prioritairement avec Kant, Wittgenstein, Popper, Habermas, Deleuze, Sloterdijk, Meillassoux, Benoist et Malabou. En parallèle avec la rédaction de La Philosophie du paradoxe, je dois également coordonner un numéro sur la « question animale » pour la Revue philosophique de la France et de l’étranger, qui sera issu de la dernière journée d’études annuelle du CIDES, et un numéro pédagogique sur Simondon pour la revue Implications-philosophiques.org, puis achever un petit livre lui aussi commencé, mais destiné pour la première fois au grand public cultivé, et composé de cinq chapitres revisitant les problèmes de la religion, des normes, du progrès, de l’Anthropocène et du sens. Ce sera là une manière de faire connaître davantage certaines des idées qui s’expriment dans La Société de l’invention, mais aussi d’aborder certaines questions à la fois brûlantes et relativement absentes de mon travail jusqu’ici, tel le problème de la croyance religieuse. Une fois ce petit livre et La Philosophie du paradoxe tous deux achevés, je ne reviendrai sans doute pas immédiatement au système de l’individuation du sens esquissé dans La Société de l’invention pour en développer le discours et en préciser les articulations. Car avant de rédiger les différents tomes de ce futur travail que je conçois comme mon grand traité, j’aurai certainement le désir d’écrire l’un au moins des projets indiqués au terme des sections 63 précédentes, et/ou un ouvrage sur la formation. Celle-ci est ce que l’on a coutume d’appeler « éducation », mais que La Société de l’invention ne peut nommer ainsi en raison du sens spécifique qu’il réserve à ce dernier terme en lui faisant désigner la seule transmission des valeurs. La formation, elle, consiste à apprendre à transmettre des valeurs, mais aussi à s’informer sur le monde et à satisfaire ses besoins par les savoir-faire du système productif au sens le plus large du terme. Ce sont là, et respectivement, ce que La Société de l’invention nomme l’éducation axiologique, l’information ontologique et la production économique en tant que dimensions de l’existence mais aussi du sens de toute chose, toujours pluridimensionnel plutôt que noético-noématique. Saint-Pierre du Mont, le 25 juin 2017 64 Annexe 1 Publications dont le texte est intégré au dossier d’habilitation (par ordre chronologique)1 1. « Husserl et l’auto-transcendance du sens », Revue philosophique de la France et de l’étranger, n°2/2004, pp. 181-197 (3). 2. Table des matières de Penser l’individuation. Simondon et la philosophie de la nature, Paris, L’Harmattan, 2005 (1). 3. Introduction de Penser l’individuation. Simondon et la philosophie de la nature, Paris, L’Harmattan, 2005 (1). 4. Conclusion de Penser l’individuation. Simondon et la philosophie de la nature, Paris, L’Harmattan, 2005 (1). 5. Table des matières de Penser la connaissance et la technique après Simondon, Paris, L’Harmattan, 2005 (1). 6. Introduction de Penser la connaissance et la technique après Simondon, Paris, L’Harmattan, 2005 (4). 7. Conclusion de Penser la connaissance et la technique après Simondon, Paris, L’Harmattan, 2005 (4). 8. « La question de la non-anthropologie », in J-M. Vaysse (éd.), Technique, monde, individuation. Heidegger, Simondon, Deleuze, Georg Olms Verlag, 2006, pp. 117-132 (4). 9. « Hegel et l’impensé de Heidegger », Kairos n°27, 2006, pp. 89-110 (3). 10. « Deux points d’actualité de Simondon », Revue philosophique de la France et de l’étranger, n°3/2006, pp. 299-310 (1). 11. « De la finitude rétentionnelle. Sur La technique et le temps de Bernard Stiegler », in P-E. Schmit et P-A. Chardel (dir.), Phénoménologie et technique(s), Paris, Le Cercle Herméneutique Editeur, 2008, pp. 199-226 (2). 12. Simondon ou l’encyclopédisme génétique, Paris, P.U.F., coll. « Sciences, Histoire et Société », 2008 (1). 1 Les numéros en gras et entre parenthèses renvoient aux différentes sections du Volume 2 dans lesquelles sont répartis ces textes. Les ouvrages Simondon, Paris, Les Belles Lettres (2014 et 2016) et Cahiers Simondon – Numéro 6 (2015), qui sont ajoutés au dossier plutôt qu’intégrés à son Volume 2, sont cependant rattachés ici à la Section 1 de ce Volume 2. 65 13. « Penser après Simondon et par-delà Deleuze », Cahiers Simondon n°2, Paris, L’Harmattan, 2010, pp. 129-146 (4). 14. « What new Humanism today ? », tr. C. Turner, Cultural Politics, Vol. 6, Issue 2, Berg Publishers, 2010, pp. 237-252 (1). 15. « De la “chose-mouvement” aux ordres de grandeur : le rôle de la physique contemporaine dans l’anti-substantialisme ontologique de Bachelard, Merleau-Ponty et Simondon », in G. Hieronimus & J. Lamy (dir.), Imagination et mouvement. Autour de Bachelard et de Merleau-Ponty, éditions E.M.E., coll. « Transversales philosophiques », 2011 (2). 16. « Sur l’architectonique de Du mode d’existence des objets techniques », Cahiers Simondon n°4, Paris, L’Harmattan, 2012, pp. 97-135 (1). 17. "Individuation and Knowledge. The “refutation of idealism” in Simondon’s Heritage in France", tr. M. Hayward & A. De Boever, SubStance, n°3/2012, University of Wisconsin Press, pp. 60-75 (4). 18. « Encyclopédisme et théorie de l’interdisciplinarité », Hermès n° 67, 2013, pp. 172-177 (4). 19. « Individuation et apoptose : repenser l’adaptation ? (Simondon, le vivant et l’information) », in Ameisen J-C & Cherlonnaix L. (dir.), Nouvelles représentations du vivant en biologie et philosophie du vivant, Éditions De Boeck Université, 2013 (1). 20. « Glossaire Simondon. Les 50 grandes entrées dans l’œuvre », Cahiers Simondon n°5, Paris, L’Harmattan, 2013, pp. 105-137 (1). 21. « Genèse et symbolisation : du rôle de Simondon dans Temps et langage d’André Jacob », in Hervé Barreau (dir.), Les conditions de l’humain. Autour de l’œuvre d’André Jacob, Paris, Armand Colin, 2013 (2). 22. « La “révolution de l’espace” et l’architecture comme “réalisation de la philosophie” dans Écumes de Sloterdijk », revue Appareil, n°11/2015 ; URL : http://appareil.revues.org/1767 (3). 23. « Théorie de la connaissance et Relativité philosophique. Bachelard et nous », in J-J. Wunenburger (dir.), Gaston Bachelard. Science et poétique, une nouvelle éthique ?, Paris, Hermann, 2013 (2). 24. « Simondon, ou le symptôme d’une époque. Chronique d’une redécouverte », Hermès n° 70, 2014, pp. 191-196 (1). 25. Simondon, Paris, Les Belles Lettres, coll. « Figures du savoir », 2014 (1). 26. « Gilbert Simondon and the Philosophy of Information » (entretien mené par Andrew Iliadis), Journal of French and Francophone Philosophy, Vol. XXIII, N° 1 (2015), pp. 102112 (1). 66 27. Cahiers Simondon – Numéro 6 (édition et direction), Paris, L’Harmattan, 2015 (1). 28. « Genèse, histoire et normativité technique », in V. Bontems (dir.), Gilbert Simondon ou l’invention du futur, Paris, Klinksieck, 2016, pp. 17-32 (1). 29. « Vers la Relativité philosophique », in V. Bontems (dir.), Gilbert Simondon ou l’invention du futur, Paris, Klinksieck, 2016, pp. 349-356 (4). 30. Préface à Baptiste Morizot, Pour une théorie de la rencontre. Hasard et individuation chez Gilbert Simondon, Paris, Vrin, 2016 (1). 31. « Du “matérialisme de la rencontre” à la pensée de l’individuation du sens », Lignes, n°51, pp. 52-69, 2016 (4). 32. « De l’ontologie au droit : quels fondements ? », Revue philosophique de la France et de l’étranger, 1/2018 (4). 67 68 Annexe 2 Publications dont le texte n’est pas intégré au dossier d’habilitation (par ordre chronologique) 1. « Relativité et réalité » (en collaboration avec Vincent Bontems), Revue de synthèse, 1, 2001, pp. 27-54. 2. « L’idée de Relativité philosophique chez Simondon », in J. Roux (dir.), Simondon, une pensée opérative, Publications de l’Université de Saint-Etienne, 2002, pp. 249-272. 3. « Des instruments de connaissance », Sciences-et-avenir Hors-série, octobre/novembre 2004, pp. 46-50. 4. « Bernard Stiegler, La technique et le temps, t. 3 : « Le temps du cinéma et la question du mal-être », Paris, Galilée, 2001 », Revue philosophique de la France et de l’étranger, n° 4/2004, pp. 504-506. 5. Penser l’individuation. Simondon et la philosophie de la nature, Paris, L’Harmattan, 2005 (préface de Jean-Claude Beaune)1. 6. Penser la connaissance et la technique après Simondon, Paris, L’Harmattan, 20052. 7. « Barbara Stiegler, Nietzsche et la critique de la chair. Dionysos, Ariane, le Christ, Paris, P.U.F., 2005 », Revue philosophique de la France et de l’étranger, n° 3/2005, pp. 369-370. 8. « Simondon », in D. Lecourt (dir.), Dictionnaire d’histoire et de philosophie des sciences, Paris, P.U.F., 2006 (4e éd. revue et augmentée), pp. 1006-1008. 9. « Simondon », in P. Savidan et S. Mesure (dir.), Dictionnaire des sciences humaines, Paris, P.U.F., 2006, pp. 1083-1084. 10. « Bernard Stiegler, Mécréance et discrédit, t.1 : « La décadence des démocraties industrielles », Paris, Galilée, 2004 », Revue philosophique de la France et de l’étranger, n°1/2006, pp. 114-115. 11. « Andrew Feenberg, (Re)penser la technique, trad. A-M. Dibon, Paris, Editions La Découverte-MAUSS, 2004 », Revue philosophique de la France et de l’étranger, n°1/2006, pp. 101-103. 12. « Présentation de l’Encyclopédisme génétique », Revue philosophique de la France et de l’étranger, n°3/2006, pp. 275-278. 1 2 Exception faite de la Table des matières, de l’introduction et de la conclusion de l’ouvrage. Voir l’Annexe 1. Exception faite de la Table des matières, de l’introduction et de la conclusion de l’ouvrage. Voir l’Annexe 1. 69 13. « Appareil et critique de l’hylémorphisme », in J-L. Déotte, M. Froger et S. Mariniello (dir.), Appareil et intermédialité, Paris, L’Harmattan, 2007, pp. 31-50. 14. « Les significations philosophiques de l’ordinateur », in Goujon P. et Lavelle S. (dir.), Technique, communication et société : à la recherche d'un modèle de gouvernance, Presses universitaires de Namur, 2007. 15. « Simondon e la questione etica », trad. G. Carrozzini, Il protagora, anno XXXVI, quinta serie, n°12, 2008, pp. 341-350. 16. « Simondon et la question des âges de la techniques », revue Appareil, juin 2008 ; URL : http://appareil.revues.org/450 17. « Philosophie de la nature et artefact. La question du préindividuel » (en collaboration avec Vincent Bontems), in J-L. Déotte (dir.), Le milieu des appareils, Paris, L’Harmattan, 2008, pp. 97-108. 18. « L’invention dans la philosophie de Gilbert Simondon » (en collaboration avec Ludovic Duhem), in I. Toulouse et D. Danetis (dir.), Euréka. Le moment de l’invention, Paris, L’Harmattan, 2008, pp. 35-46. 19. « D’une rencontre fertile de Bergson et Bachelard : l’ontologie génétique de Simondon », in F. Worms et J-J. Wunenburger (dir.), Bachelard et Bergson : continuité et discontinuité, Paris, P.U.F., 2008, pp. 223-238. 20. « L’idée de naturalisation de l’objet technique chez Simondon », in S. Phay-Vakalis (dir.), Miroir, appareils et autres dispositifs, Paris, L’Harmattan, 2009 pp. 181-197. 21. « Du mort qui saisit le vif. Sur l’actualité de l’ontologie simondonienne », Cahiers Simondon n°1, Paris, L’Harmattan, 2009, pp. 77-90. 22. Cahiers Simondon – Numéro 1 (édition et direction), Paris, L’Harmattan, 2009. 23. « Jean-Michel Salanskis et François-David Sebbah, Usages contemporains de la phénoménologie, Paris, Sens&Tonka Editeurs, 2008 », Revue philosophique de la France et de l’étranger, n°2/2009, pp. 246-247. 24. « Gilbert Simondon, Imagination et invention (1965-1966), Chatou, Éditions de la Transparence, 2008 », Documents pour l'histoire des techniques [En ligne], 17 | 1er semestre 2009, pp. 230-231 (URL : http://dht.revues.org/580). 25. « Technique et culture chez Simondon », in R. Belot et L. Heyberger (dir.), Prométhée et son double, Éditions Alphil - Presses universitaires suisses, 2010, pp. 229-240. 26. « Memoria, Immaginazione e Tecnica nell’opera di B. Stiegler » (trad. M. Feyles), in Martino Feyles (dir.), Memoria, Immaginazione e tecnica, Rome, NEU, 2010, pp. 189-198. 27. « Perception et imagination. Sur la portée théorique des Cours de Simondon », Cahiers Simondon n°2, Paris, L’Harmattan, 2010, pp. 7-26. 70 28. Cahiers Simondon – Numéro 2 (édition et direction), Paris, L’Harmattan, 2010. 29. « Frédéric Worms, La philosophie en France au XXe siècle. Moments, Paris, Gallimard, 2009 », Revue philosophique de la France et de l’étranger, n°2/2010, pp 257-259. 30. « Jean-Michel Salanskis, Heidegger, le mal et la science, Paris, Klincksiek, 2009 », Revue philosophique de la France et de l’étranger, n°3/2010, pp. 412-414. 31. « La formation au-delà du travail : l’individu, le sujet et les nouveaux “milieux associés ” », Education permanente, n°183, 2010, pp. 27-36. 32. « Quel mode d’unité pour l’œuvre de Simondon ? », Cahiers Simondon n°3, Paris, L’Harmattan, 2011, pp. 133-150. 33. Cahiers Simondon – Numéro 3 (édition et direction), Paris, L’Harmattan, 2011. 34. "Simondon - ein Denken der Technik im Dialog mit der Kybernetik", trad. K. Wojtyczka, in E. Hörl (dir.), Die Technologische Bedingung, Suhrkamp Verlag, Berlin, 2011. 35. « Du mort qui saisit le vif. Simondonian Ontology Today », trad. Justin Clemens, in Arne De Boever, Alex Murray, Jonathan Roffe, and Ashley Woodward (ed.), Gilbert Simondon: Being and Technology, Edinburgh: Edinburgh UP, 2012. 36. Cahiers Simondon – Numéro 4 (édition et direction), Paris, L’Harmattan, 2012. 37. “Fifty Key Terms in the Work of Gilbert Simondon", trad. Arne De Boever, in Arne De Boever, Alex Murray, Jonathan Roffe, and Ashley Woodward (ed.), Gilbert Simondon. Being and Technology, Edinburgh: Edinburgh UP, 2012. 38. « Simondon, de la “Cybernétique universelle” à la techno-esthétique », Architecture and ideas, special issue on “Entropic Territories”, guest-edited by Alessandra Ponte, Toronto, 2012. 39. “Entrer dans l’époque techno-esthétique”, Revue de synthèse, tome 133, 6e série, n°4/2012. 40. « De Simondon à Stiegler via Leroi-Gourhan : la refondation artefactuelle du transindividuel », in B. Dillet et A. Jugnon (dir.), Technologiques. La pharmacie de Bernard Stiegler, Nantes, Éditions nouvelles Cécile Defaut, 2013. 41. « L’humanisme ne prend sens que comme combat contre un type d’aliénation » (entretien réalisé par Ludovic Duhem), Tête-à-tête, n°5, 2103, pp. 55-67. 42. Cahiers Simondon – Numéro 5 (édition et direction), Paris, L’Harmattan, 2013. 43. « Gilbert Simondon, Sur la technique, Paris, P.U.F., 2014 », Hermès n°69, 2014, pp. 227229. 44. « Simondon et les enjeux de notre temps », iPHILO [en ligne] ; URL : http://iphilo.fr/2014/09/12/simondon-et-les-enjeux-de-notre-temps/ 71 45. “The Question of Information in the French Theory of “Complexity”. Simondon, Atlan, Morin”, in A. Iliadis (dir.), “Book Symposium on Le concept d’information dans la science contemporaine”, Philosophy&Technology, Springer, 2015. 46. “La dérivation philosophique de l’homme et les enjeux de l’écologie humaine” [en ligne], revue Appareil, mars 2015; URL: http://appareil.revues.org/2157 47. « Le génie de Gilbert Simondon » (propos recueillis par Hugues Simard), Le Journal des Grandes Écoles et Universités, mars 2015. Version en ligne : http://journaldesgrandesecoles.com/le-genie-de-gilbert-simondon-rencontre-avec-jeanhugues-barthelemy/ 48. « Bernard Stiegler, La société automatique. L’Avenir du travail, Paris, Fayard, 2015 », Revue philosophique de la France et de l’étranger, n°4/2015, pp. 582-583. 49. « Le statut de Simondon dans la philosophie française de la nature au XXe siècle », Études de la pensée française, L’Automne 2015 (versions française et chinoise ; parution différée d’un an). 50. « Quel nouvel humanisme aujourd’hui ? », revue Implications philosophiques, février 2016 ; URL : http://www.implications-philosophiques.org/actualite/une/quel-nouvelhumanisme-aujourdhui/ 51. « Dominique Raynaud, Qu’est-ce que la technologie ?, préface de Mario Bunge, Paris, Éditions Matériologiques, coll. Sciences & philosophie, 2016 », Revue philosophique de la France et de l’étranger, n°2/2017, pp. 274-275. 52. « Crise de l’École française. Analyse interne et préconisations », Les Notes de l’Institut Diderot, mai 2017 (Avant-propos de Dominique Lecourt). 72