UNIVERSITÉ LIBRE DE BRUXELLES
DIGITHÈQUE
Université libre de Bruxelles
___________________________
DELWIT Pascal, DE WAELE Jean-Michel, La gauche face aux
mutations en Europe, Bruxelles : Editions de l’Université de
Bruxelles, 1993.
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Editions de l’Université de Bruxelles
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Edité par Pascal Delwit et Jean-Michel De Waele
LA GAUCHE FACE
AUX MUTATIONS
EN EUROPE
Institut de Sociologie
Histoire, économie, société
Editions de l'Université de Bruxelles
GAUCHE FAC
セ hゥウエッイ・L@
Directeur de la collection
économie, société"
Jacques Nagels
Publié avec le concours de la Communauté française
et du Conseil de ta Communauté française.
Edité par Pascal Delwit et Jean-Michel De Waele
Institut de Sociologie
Histoire, économie, société
Editions de l'Université de Bruxelles
Dans la même collection
La valeur d'usage chez Karl Marx, G. Roland, 1985
Laissez faire, laissez troquer, J. Nagels, 1986
Histoire et critique, P. Salmon, 3e édition, 1987
Privatisation = moins d'Etat?, A. Drumaux, 1988
Le New Deal européen . La pensée el la politique sociaJes·démocrates
face à la crise des années trente, M. Telo, 1988
L'avortement en Belgique. De la clandestinité au débat politique, B. Marques-Pereira, 1989
Taux de profit et accumulation du capital dans l'onde longue de l'après-guerre.
Le cas de J'industrie au Royaume-Uni, en France, en Italie et en Allemagne, A. Reati, 1990
ISBN 2-8004-1070-1
01199310171/7
© 1993 by Editions de l'Université de Bruxelles
Avenue Paul Hêger 26 - 1050 Bruxelles (Belgique)
Imprimé en Belgique
Avant-propos
Cet ouvrage fail suite au x travaux du colloque international « la gauche
face aux mutations en Europe» qui s'est déroulé à l'Institut de soc iologie de
l' Université de Bruxelles en décembre 1992. Celui-ci était co-organisé par le
groupe d ' histoire el de sociologie du commun isme de " ULB dirigé par José
GOlovitch, le groupe de recherche sur la gauche en Europe de l'Université de
Pari s l-Sorbonne dirigé par Marc Lazar et le groupe d'élude sur le communisme ouest-européen de " Uni versité de Paris x-Nanterre dirigé par Stéphane
Courtois.
Nous remercions vivement Michèle Mal pour ses conseils avisés dans la
relecture de l'ouvrage et Mario Te lô pour ses av is pertinents dans l'agencement des travaux du colloque.
P. D. el J.M. D.
La gauche face aux mutations en Europe
Pascal DELWIT et Jean-Michel DE W AELE
1. Les mutations
La thématique de ce livre nous invite à préciser les lennes auxquels nous
nous référons dans le titre et qui onl guidé la confection de cet ouvrage: la
gauche et les mutations en Europe.
Les mutations étudiées et leur impact sur l'ensemble de la mouvance de
gauche se caractérisent, d'une part , par leur polymorphisme ct, d'aulre part ,
par leurs interactions étroites. Nul doute que la mondialisation des échanges
économiques pose des questions et des problèmes partielle ment nouveaux
pour la gauche européenne. Ceux-ci l'obligent ou l'obligeront à envisager une
réorganisation dans laquelle le niveau tradit ionnel, l' Etat-nat ion, est remis en
cause. Et ron admettra sans peine que ces mutat ions q ui semblent irrésistibles
sont à la fois causes et conséquences des évolutions profondes que connaissent les partis poli tiques e t, plus particulièrement, les grandes organisations de
masse liées hi storiquement au mouvement ouvrier.
Nous avon s dégagé quatre types de mutations particulièrement importantes pour la problématique que nous abordons.
1.I. Les mutations sociologiques
Au cours de ces trente dernières années, des transferts massifs de population du secteur primaire vers le secteur secondaire, et de ces deux derniers
secteurs vers le secteur tertiaire ou vers ce que d'aucuns nomment le secteur
quaternaire se sont accomplis. Cette évolution s'est avérée capitale pour , 'analyse des formations de gauche tant il est vrai que leur électorat et la majorité
de leurs adhérents étaient hi storiquement liés à la classe ouvrière et à la paysannerie. Une modificat ion fo ndamentale est donc intervenue. Les partis socialistes et les partis communistes ont dû et doivent, pour une grande part
encore, la prendre en compte. Ce processus conduit parfois à une transformation des partis socialistes vers des catch-ail parties 1. Les effets de cette pre-
10
LA GAUCI IE FACE AUX MUTATIONS EN EUROPE
mière mutation ont produit et renforcé la d im inution du senüment d'appanenance à une catégorie ou une classe soc iales, alors que celui -ci fondait souvent
une adhésion, les fonnes de militantisme « classique» des panis de gauche et
un réflexe électoral stable.
1.2. Les mutations économiqlles et sociales
En matière économique, ces vingt-cinq dernières années, la mondiali sation de J'économie et des finan ces s'est intensifiée, et les centres de déc ision se
sont internationalisés, rendant complexes loutes formes d ' informat ion et de
contrôle dans la conduite et les choix des entreprises. Sur le plan soc ial, le
facteur le plus marquant paraît sans conteste l'émergence, au milieu des années soixante-dix et sa stabilisation depuis lors, d ' un taux de chômage extrêmement élevé, devenu une donnée structurelle des sociétés occidentales (entre
8 et 12%). La croissance économ ique « classique» ne suffit plus à le réduire
de manière significative. C'est un changement essentiel car, M. Alalu f le rappelle, « la démocratie, c'est aussi une panicipat ion quotid ienne aux divers
aspects de la vie en société. C 'est le travail qui est dans nos sociétés, pour une
grande pan , le vecteur de cette panicipation ».
Les profondes mutations soc iologiques fon t aussi évoluer lentement la
réflexion tradi tionnelle de la gauche sur des quest ions auss i centrales pou r son
ident ité que la place du « travail » dans nos sociétés et la notion générale de
« progrès ».
l .3. Les mutalions sociétales
Faisant suite à J'ébullition de mai 1968, des revend ications de type qualitatif ont pris de plus en plus de valeur et de signi fication pour les nouve lles
générations, surtout en matière de démocratie et de citoyenneté. L'émergence
de panis « verts» à l'identité fl oue questionne pour le moins la réflex ion el la
pratique politiques des partis et des organisations syndicales socialistes el
commun istes. Les uns vo ient dans la force des mouvements écologistes la
preuve d ' un échec de la gauche à se muer en poneuse de ces nouvell es aspiralÎon s. Les autres y décèlent plutôt un début de nouvelle identité politique et
d ' organisation pour la gauche et un instrument priv ilég ié d'adaptation aux
mutations de notre société.
1.4.Les mutations politiques et institutionnelles
Les panis pol itiques et les syndicats subissent une métamorphose sensible, résultat des transforma tions que nous venons d 'évoquer et de l'européanisation de la déci sion pol itique, économique et soc iale.
La Communauté européenne a connu et connaît e lie-même des changements profonds depuis le début des années quatre-vingt. De neuf Etals membres en 1980, la Communauté est passée aujourd ' hui à douze avec en perspec·
LA GAUCI IE FACE AUX セ iuta
i ons@
EN EUROPE
Il
tive les adhésions rapides de la Finlande, de l' Autriche, de la Norvège et de la
Suède , sans compter les autres demandes en provenance notamment des Etats
d ' Europe centrale et balkanique et de la T urquie.
Après avoir enterré le traité d 'Union européenne, plus connu sous le nom
de traité Spinelli , voté par le Parlement européen en février 1984, les Etats
membres ont successivement adopté l'Acte unique européen et le traité de
Maastricht. Aujourd'hui , un projet de Constitution européenne est à nouveau
en discussion au Parlement européen. La Communauté européenne pourrait
donc franchir une nouvelle étape institutionnelle dans les années à venir, à
laquelle les partis politiques, notamment de gauche, devront impérativement
s'adapter. Déjà le traité de Maastrich t souligne l' importance des part is politiques au niveau européen 2. 11 Y a là en germe une évolulion déterminante
pui squ ' aussi bien les part is, depui s leur création , ont été avant lout des acteurs
aux plans national el sub-nalional et On! donc fondé leurs rappons de force à
ces échelons. Celle transformation sera d'autant plus diffici le à accomplir que
nous vivons une période de récession - conjoncturelle - et de difficulté
économique structurelle.
Le trailé de Maastricht, objet d'analyses contradictoires par les partis de
gauche, les oblige à prendre la mesure de l'européanisation des décisions
économiques et polit iques en matière monélaire, par exemple , avec l' object if
de la monnaie unique ou au niveau de la difficile mise en place d ' une politique
étrangère et de sécurité commune.
Les mu tations institutionnelles ne s'arrêtent plus au « rideau de fer ». La
chute du mur de Berlin en novembre 1989 puis du système communi ste
constitue un autre bouleversement fondamenta l et un triple défi majeur pour
les partis politiques:
1. pour les pays et les partis des nouvelles démocraties en Europe centrale et
balkanique, et en Russie ;
2. pour les pays elles parti s d'Europe occidentale ayant vécu pendant quarante
ans dans une logique b ipolaire, d ifficile mais stable ;
3. pour les partis de gauche, plus spécifiquement, dans loute l'Europe depuis
l'effondrement du système communi ste: c'est l'horizon même d'un
système alternati f au capitali sme - rebapt isé économie de marché - qui
semble désormais avoir perdu toule créd ibilité.
C'est en fon ction de ces données très brièvement résumées que sont appréhendées les contributions du présent ouvrage. Nous avons fait le cho ix,
en regard des autres livres publiés récemment sur la gauche en Europe, de
priv ilégier les analyses précises et détaillées sur certaines formation s
sociales-démocrates et communistes et leurs réactions face aux diverses mutations que nous avons relevées.
D 'autre part, il nous a aussi semblé important d'étud ier, à côté des grands
partis, les petites formati ons parfoi s méconnues, souvent oubliées ou négl i-
12
LA GAUCHE FACE AUX MlITATIONS EN EUROPE
gées malgré l'originalité de leurs rénex ions et de leur parcours. C'est celle
approche qui nous a poussés à aborder aussi la si tuation de la gauche à l'est du
continent.
2. L' importa nce des organisations internationales
S i la gauche est donc essemiellement appréhendée à l'échelle des partis,
sociaux*démocrates et commun istes, en voie de mutation et/ou de disparition,
il nous a semblé utile d'élarg ir cette perspective:
1. en cernant les posit ions de la Confédération européenne des syndicats
(C. Gobin), essentie lles à la compréhension des d ispositions des part is
étudiés comme le montrent, par exemple, l'analyse des relations entre les
commiss ions ouv rières et le PCE, et entre l'uGTet le PSOE (P. Theuret), ou des
liens étroits entre la CCTP et le part i communiste portugais (c. Cunha).
L'étude sur l' Europe centrale et balkanique sou ligne l' importance de la
question syndicale pour le fu turde la gauche dans cette partie du conti nent;
2. étudier les positions de la Confédéra tion européenne des syndicats, c'est
aussi examiner la gauche par le biais de ses organisat ions internationales,
approche qui s'avérait aussi nécessaire dans le chef des partis, plus spéci*
fiq uement sociali stes. L'analyse de l' Internationale socialiste (G. Devin)
est à ce titre révélatrice des regards croisés entre l'organisation intematÎo*
nale et les partis membres ou qui sollicitent une adhésion. L'étude de la
coopération des partis au ni veau européen ou international prend de plus en
plus d ' importance. Celle coopérat ion constitue une tentative de réponse 11
l'internationalisation de J'économie. La Confédérat ion européenne des
syndicats existe depuis 1973 mais ne joue encore qu ' un rôle modeste. En ce
qui concerne les partis sociali stes, une évol ution mani feste s'est produi te
celte dern ière année puisqu 'à l' Union des partis soc ialistes de la Communauté européenne a succédé , en novembre 1992, le parti des social istes
européens(psE). De même. le groupe socialiste d u Parlement européen vient
de se transform er en groupe du parti des socialistes européens.
Pour les partis commun istes, le positionnement dan s le cadre d'une organisation européenne ou internationale se pose avec acuité. L'exemple du Parlement européen est à cet égard révélateur. Jusqu 'en 1989, les élus des différentes listes communistes étaient rassemblés dans le groupe ( communistes et
apparentés» qui défe ndait des positions politiques (par exemple envers la
Communauté européenne) contradictoires. D'où la création de deux groupes
après les élections européennes de juin 1989 : le groupe pour la gauche unitaire européenne rassemblant les élus du PCI, d ' ( izquierda unida }), de la gauche hellénique et du psp danois, et la coalit ion des gauches réunissant les é lus
du PCF, du PCP et du pani communiste grec. Aujourd ' hui , la situation des deu x
groupes apparaît des plus incertaines. Avec l'entrée des parlementaires euro*
péens du pos (ex*pcI) dans le groupe soc ialiste, le groupe pour la gauche uni*
LA GAUCHE FACE AUX MUTATIONS EN EUROPE
13
taire européenne est réduit à la portion congrue (huit membres) tandis que le
déclin électoral des parti s ayant des élus à la coalition des gauches rend son
futur des plus aléatoires à l'horizon des élections de juin 1994.
Guillaume Dev in aborde la question de la légitimité internationale des
pays d'Europe centrale et orientale et les problèmes qui en résultent pour
l'lnternat ionale socialiste. Faut4il choisir pour interlocuteurs privilégiés
les eX 4pani communistes en voie de reconversion profonde, à l' instar du
parti soc ia li s te h o n grois, ou fav o ri ser le dialogue a vec de s parti s
sociaux 4démocrates peu influents, souvent fort divisés et à la recherche d ' une
identité et d ' un rôle politiques ?
En dehors de celte approche importante, l'ouvrage analyse donc les partis
sociaux-démocrates et communistes.
3. Les interrogations des partis socialistes
Partis « modèle » du Welfare Stare, les partis scandinaves - et plus précisément le parti suédois - sont confrontés à deux types de mutations qui
minent leur identité:
1. l' internationalisation de l'économie et la question afférente de l' adhés ion à
la Communauté eu ropéenne l . Comme l'ont révélé les deux ré férendum s
danois pour la ratification du traité de Maastricht, le choix des électeurs
sociaux-démocrates sera très vraisemblablement déterminant pour l'accep4
tation de l'entrée dans la Communauté e uropéenne des uoi s autres pays
scandinaves. Les partis sociaux-démocrates des quatre pays scandinaves
ont d ' autant plus de mal à convaincre du bien4fondé de l' adhésion et du
processus communautaire que se développent ces derniers mois des interrogations, voire des remises en cause, de gauche sur le volet social du traité
de Maastricht el, plus largement , sur l'effectivit é de l'avènement d ' une
Europe sociale. Le Welfare Srate est une construction nationale et beaucoup
d'électeurs des pays d ' Europe du nord pensent avoir plus à perdre qu 'à
gagner en rej oignant la Communauté;
2. les transformation s sociétales observées à travers le pri sme de l'évolution
des ménages dans l'étuded'U. Lindslrom, qui met en év idence les tensions
internes des part is sociaux-démocrates.
Le problème du positionnement actuel des partis sociaux 4démocrates
scandinaves vient également de la situation précaire qu ' ils ont connue ces di x
dern ières années à l'échelle de chaque pays. En Suède, le SAP a été renvoyé
dans l' opposit ion ; au Danemark, après di x années d ' opposition , un gouvernemen t de coalition auquel participent les sociaux-démocrates a été mis en
place; en Norvège, le gouvernement social -démocrate travaille dans des conditions diffic iles parce que minoritaire.
La situation problémati que des sociaux-démocrates scandinaves vaut également pour le SPD, dans l'oppos ition depui s 198 1. Depuis fin 1989, les
14
LA GAUCHE FACE AUX MUTATIONS EN EUROPE
sociaux-démocrates allemands sont confrontés à la question historique de la
nation et de l' unité allemande, retracée par D. Heimcrl. A cet égard, l'élection législative de 1990 a mis en lumière une contradiction manifeste entre les
thèmes dom inants de la campagne du candidat chancelier dans les rangs
sociaux-démocrates, Oskar Lafontaine, qui étaient résolument post-nationaux ,
et la redécouven e des sentiments nationaux à cene époque, donnée qu ' avai t
perçue avec plus de réalisme feu Willy Brandt, même si manifestement , le Sl'D
avait nettement mieux évalué J'impact et le coût économique et social de la
réunificat ion al lemande qu ' Helmut Kohl .
Bien implanté dans les Lander mais sans véritable leader national, les
sociaux-démocrates allemands sont concurrencés aux niveaux électoral et sociétal par les Griinen. A la foi s alliés potentiels et partenaires encombrants, ils
rendent difficil e un recentrage programmat ique sur des positions jugées crédibles.
Celte situation est, dans une certaine mesure, com parable au cas ho11 andais (G . Voennan) où le part i du travail (PvdA) est tiraillé entre une formati on
libérale sociale, 066, qui le concurrence au centre ·de l'échiqu ier politique, et
la nouvelle « gauche verte »), produit de la fu sion du parti radical, du pani
socialiste pacifiste et du parti communiste qui le concurrence à sa gauche 4.
Après la radicalisation observée dans la pl upart des panis socialistes européens durant les années soixante-dix., ceux-ci, à l'image du PvdA en Hollande,
se trouvent aujourd ' hu i confrontés à une crise d ' identité profonde. Elle s'observe et se répercute dans la politique qu ' ils mènent -seuls ou en alliance lorsqu ' ils exercent le pouvoi r ou dan s le manque manifeste d ' alternati ve
lorsqu 'i ls sont dans l'opposition ; elle se marque par une décrue, parfois très
importante, du nombre de leurs adhérents et par une érosion électorale plus ou
mo ins signi ficative au cours des années quatre-vingt. C' est donc une fois encore l' idée et la notion de « modèle social-démocrate » qui semblent en jeu,
posanl de la sorte les contours de la définition de l'identité de gauche à l'aube
du vingt et unième siècle.
4. La fin des partis communistes ?
Les mutations que nous avons évoquées atteignent plus fortement encore
les partis communistes ou les ex-partis commun istes d ' Europe occiden tale. A
cel égard, l'attitude face à la Communauté européenne a été un révé lateur
pui ssant. Elle man ife ste les divergences de plus en plus nettes entre les formations communistes depuis la fin des années so ixante. De même, elle révèle
l'effritement voire l'implosion du consensus en leur sein comme le montrent
les cas ponugais, espagnol et belge.
Dans la grande majorité, l'évolution des panis communisles face à la
Communauté européenne mel bien en év idence une corrélat ion forte: pl us le
parti s'ouvre, se réforme, se démocralise et prend ses di stances à J'égard de
LA GAUCHE FA CE AUX MUTATIONS EN EUROPE
15
l'Union soviétique, plus il soutient le principe de l'unification européen ne
(PC I, PCE, PCS, KK E de l' intérieur) - même s' il en critique plusieurs aspects. En
revanche, les partis les plus « orthodoxes» se montrent les plus opposés au
processus communautaire (PCF, PCP, KKE) . Ce positionnement montre auss i à
quel point les partis communistes fi xent prioritairement leu rs orientations en
fonction de cons idérations internes: la « stabilisation démocratique» en Espagne, la « déstructuration de pans entiers de l' économie » pour le Portugal , le
«( développement économique » pour la Belgique.
Si la chute du mur de Berlin en 1989 et du régime soviétique en 1991 a
accéléré le déclin des partis communi stes, elle ne J'a pas générés. En effet, les
PC ont été affectés au premier chef par les mutations sociétales et soc iologiques qu'ils n ' ont pas pu ou voulu prendre en compte et le cas échéant, saisi
trop tard. L'attitude du PCF en matière d 'écologie est exemplaire à cet égard
(F. Simon-Ekovich): les mutations s'opposaient par trop à la culture tradi tionnelle du parti. L'ouvriérisme habituel et revendiqué l'empêcha d ' incorporer des revendications de type qualitatif. Il lui masqua aussi la déstructuration
et l'émiettement des classes sociales où se recrutaient l'essentiel des adhérents
el des électeurs des partis communistes.
ャ ・セ@ pour les partis communistes?
Quel est ou quels sont les avenirs ーッウゥ「
Nous décelons trois scénarios:
1. le premier est unique pour l' instant en Europe occidentale. LI s'agit de la voie
choisie par le parti démocratique de la gauche (ex-pcl) en Italie. Celte formation a rejoint, fin 1992, 1' Internationale social iste et a adhéré au groupe
socialiste du Parlement européen. Il n 'en demeure pas moins que son
identité reste encore floue actue llement ;
2. le deuxième cas est celu i des partis qui revendiquent fièrementl 'ét iqueue
et l'héritage de « communistes» et parient sur un aven ir part isan tel qu ' il a
fonctionné durant une bonne partie du xx" siècle. Les partis communi stes
françai s, grec et portugais en sont les représentants les plus caractéristiques.
Quoi que veuillent bien en dire leurs dirigeants, cene optique se révèle aujourd ' hui une impasse: en témoi gnent la chute très importante de leurs
effectifs, de leurs électeurs el leur incapacité à peser sur la décision
politique ;
3. enfin, certaines fonnm ions essaient de se positionner à la gauche des partis
socialistes existants et tentent d ' intégrer des composantes écologistes ou
porteuses des revendications des nouveaux mouvements soc iaux. On songe
ici à la « gauche verte» aux Pays-Bas, à « izquierda unida »en Espagne. au
parti de la gauche en Suède, à la gauche hellénique ou encore à l'alli ance de
gauche en Finlande.
16
LA GAUCHE l'ACE AUX MUTATIONS EN EUROPE
5, Les incertitudes en Europe centrale et orientale
S'i l y a des interrogations multiples à l'Ouest, qu 'en est-i l en Europe centrale et orientale?
Sur la crise générale d'identité traversée par les famille s socia li ste et communiste en Occident, se greffe une diffi culté toul à fait spécifique liée au passé
(( communi ste » des ex -démocraties popu laires. Règne une confusion à la foi s
sémam ique et politique. Les parti s se revendiquant de la gauche subissent le
discrédi t lié au passé.
Mais à celle difficulté majeure s'ajoule une comradiction difficilement
gérable: comment prôner l'économie de marché, l'ouverture à l'Ouest et le
développement du capitali sme en s' adressant dans le même temps à une
clientèle électorale avant tou t préoccupée par les conséquences sociales des
changements dans les structures économiques du pays?
Nouveaux partis socialistes et anciens panis communistes en voie de
transfonn ation - pour certains - tentent d'occuper l'espace de gauche. La
situation contrastée des pays d'Europe cemrale et balkanique a en fait peu à
voir avec le cas russe. Comme le souligne C. Sente; plus qu 'ailleurs, {( il apparaît prématuré de vouloir transposer à la Russie les critères ouest-européens
contemporains de définition de la gauche démocratique ». La prudence s' impose quant au futur et à la définition de la gauche en Ru ss ie.
Nous l' avons dit , pour les parti s de gauche en Russie ct en Europe centrale
et orientale, l'appartenance à l'Internationale socialiste est un critère de crédibilité interne que se disputent les différentes fonnation s. La majorité des
ex-pc reconnai ssent la nouvelle plate-fonne idéologique de l' Internationale
socialiste adoptée au congrès de Stockholm en 1989 et espèrent , à tenne, devenir membre de cette organisation.
6. A propos des « crises »
Il reste à s' interroger sur le concept même de (( crise» aussi souvent mobilisé et c ité que peu préc isé, analysé ou défini. Il nécessiterait une réfl exion à
part entière. Comme M. Lazar le met en lumière dans le cas des partis poli ti ques, « la situation de dérèglement ct de déstabili sation qu 'e lle sous-tend
est-elle exceptionnelle pour des organisations politiques, ex iste-t-il des critères absol us, des indices incontestables - et si oui lesquels? - qui autoriseraient à parler de crise d' une fonnation politique ou sont-i ls re latifs se lon les
conjonctures. ne devenant significatifs que lorsque les acte urs - responsables
de parti s et observateurs s'en emparent ?»
La crise de la gauche s' inscrit dans une {( cri se» globale de la soc iété qui
atteint une série d'autres institutions - école, fami lle, université. etc. Plus
largement - depu is 1973 et la crise de l'énergie qui marqua le début de la
prise de conscience des mutations de notre société - , c'est l'ensemble de
notre société qui semble en crise. Cette notion englobe de façon bien com-
LA GAUCI IE FACE AUX MUTATIONS EN EUROI'E
17
mode des évolut ions contradiclOires et complexes. Tout changement est-il
pour autant synonyme de crise? N'y a-t-il pas là une singulière paresse intellectuelle? La sollicitat ion tout azimuts de la notion de « crise»
n'oblitère-t-elle pas par elle-même l'analyse? Il nous semble par exemple que
cc concept n'a de sens que si le chercheur préc ise à quelle époque il compare
la situation ex istante pour diagnostiquer une crise.
Nous l' avons dit. la notion de « crise » mériterai t une étude en tant que
telle. Ce lle-ci dev rait en tout cas répondre à quelques questions essentielles.
Peut-on perpétuellement vivre en crise? Quelle fonction remplit celte notion
si présente dans notre soc iété alors que « tout semble en crise» : l'école,
l'année, l'agr icultu re. l'énergie, les valeurs, la religion, les idéologies, les
identités, la sexuali té, la gauche, l'environnement, les intellectuels, l'Eglise, la
culture, la nation, les relations internat ionales, ... La liste est sans fi n et ressemble à un inventai re à la Prévert.
La crise est-elle conjoncturelle? Est-ellc structurelle ? Et si ou i, peut-on
encore parler de crise? La « crise du capitalisme» tant de fo is annoncée,
prédite et analysée doit inciter le chercheur à la prudence.
Pour la gauche, les réponses sont multiples: s'agit-il d ' une crise indiquant
une défa ite ou un échec, dus d 'abord à son incapacité à évoluer ou, au contraire, comme le suggèrent par exemple G. Voennan et M. Lazar à la sui te de
R. Dahrendorf, d' une crise résultant de j'aboutissement des objecti fs de la
social-démocratie et du modèle qu 'elle entendait porter ? Il faut encore se demander si ces approches sont contrad ictoires ou si, inversement , elles se
complètent, se répondent et s' alimentent J'u ne J'autre.
NOies
, On se réfén:ra à CC I égard aux lravaux de l· tnsli luT de sciences poli tiques Cl sociales de Barcelone el à
セウ@
in EurO{UII : r>fC/(lss. Popu/ors. CO/cll·AII ? lns1i1u1 de
l'ouvrage paru en 1992 : ICI'S, So("i(llisl poイHゥ
cセョ」
ゥ ・ウ@ Politiques i Socials. 1992,246 pages.
l L'article 138 A stipule: .. Les partis poliliques au niveau européen SOnt imponams en lant que facteur
dïmégr.uion 3U sein de l'U nion. Ils contribuent à la formation d 'I!ne conscience européenne et 11 I"ex pres,
sion de la volonté politique des ciloyens de l'Union ...
C OSSEL !)lO
S COMMU.'1AUTts EUROI'EE.'1NES, comINエャウ
fUniO/I セQBqpョャN@
N セ@
DES COM).tUN"urts EUMMENSES,
Troil; su,
Office des publications officielles des Communautés européennes, 1992,253 pages,
p.62.
'Sur la qUC51ion des rappons de la social-démocralie au nalionalisme. voir M. Tm.b (a cura di), T,a
nッZゥャセ@
セ、@
Europa, (lnn(lli CIU 1992,1993, Franco Angeli, 1993, 428 pages,
• Voir J. BIDET CI J. Tli.XIF.R, .. L'écologie. ce malérialisme hislorique セ N@ aciャセQ@
M arx, 1992,218 pages.
) Voir P. Du .wlT, J.M. DI; WAELF, el J. GoroVITCll. CEI/rofX' d/'S ュオョゥウャセN@
édilions Complne.
1992.352 pages,
Les mutations économiques et sociales.
Des repères panni d 'autres
Mateo ALALUF
Si l'on parle de mutations, il conv ient de définir au préalable la référence
de départ. A panir de quels points de repère allons-nous envisager les transfannations économiques el sociales en cours? Ce texle se donne un double
objectif. D' une part, envisager la nature des mutations. Pour ce faire , par hypothèse. nous prendrons comme point de départ ce que de nombreux auteurs
ont qualifié de rapport salaria l fordi stc pour définir les structures
soc io-économiques qui se sont mises en place au lendemain de la deuxième
guerre mondiale. C'est donc par rapport au compromisfordisre que l'on parIera de transformations économiques el sociales. D'autre part, nous tenlerons
également d 'envisager des problématiques de recherche à panir desquelles
nous parlons de la société. Toute vérité n'est-elle pas condi tionnelle aux modalités qui ont penn is de l'observer et la révéler ? Du point de vue des
méthodes, c'est à la place respect ive des acteu rs et des structures que nous
nous intéresserons.
1. Le compromis fordiste
Après 1945 lout se passe comme si les revendications sociales, les aspirations politiques et les besoins de la reconstruction économique convergeaient
vers un même ensemble de réfonnes pennenant de sunnonter durablement les
contradictions ayant abouti à la crise des années trente.
Celle-ci avait trouvé son origine dans le déséquilibre entre une production
intensive el l'absence de consommation de masse. Le dispositif cohérent (que
l'on qualifiera de keynesien) qui se met en place s'appuie sur une forme de
rationalisation de l' utili sation de la mai n-d'œuvre dans les entreprises (le taylorisme), une production de masse, une amélioration du pouvoir d ' achat des
salariés et un système généralisé de sécurité sociale assurant la régularité de la
consommation. Ainsi s' institutionnalisera, après la guerre, le rapport salarial
qui constitue le mode d'intégration sociale des salariés.
20
LA GAUC HE FACE ,\ UX MlITATIONS EN EURO PE
Dans une perspective de croissance économ ique considérée comme durab le, de consommation de masse (on parle de société de consommation), il
s' agit d 'articuler mode de production et mode de consommation . Pour ce faire
on aura besoin, pense-t-on, de consommateu rs instru its et de travailleurs qualifiés. S i bien que celle régulation consolidera les rapports sociaux jusqu 'à
don ner une apparence de stabi lité aux facteurs précisément instables du salariat.
Pour expliquer une crise qui dévoile tous ses effets au mil ieu des années
soixante-dix , en tennes de chômage massif, de recul du pouvoir d ' achat et de
défic it des finan ces publ iques. on considérera que les divers é léments ayant
contribué au progrès dans la période précédente, ont épuisé leurs effets et ne
pennettent pl us la poursui te d'une croissance semblable à celle de la période
précédente. Les événements de 68 n'avaient-ils pas déjà montré les lim ites d u
taylorisme et d ' un mode de vie synthétisé par la fonn ule métro-bou lot-dodo ?
Bien sûr. ceue présentation des thèses d 'auteurs comme Boyer, Aglieua
ou Lipietz, est pour le moins schémat ique et peut-être caricaturale. Même
lorsqu 'e lles sont exposées de manière détaillée, on Peut leur objecter de ne pas
tenir comple suffisamment des relations internationales (rapports Est-Ouest et
Nord-Sud) et de conclure un peu rapidement peut-être à l'essoufflement des
fo nnes tayloriennes d 'organisation. Quoi qu ' il en soit, nous proposerons ce
modèle d 'analyse comme point de départ pour apprécier précisément les
transfonnation s induites par la crise depuis le milieu des années soixante-dix.
Jamais avant celle période de l'après-guerre, en effet, la classe ou vrière,
soc le en que lque sorte de la gauche, n'avait atteint un tel niveau d'organ isation, de représentation et d ' institutionnalisation. En nombre, les salariés, el
parmi eux les ouvriers, avaient connu un essor considérable. De plus, par la
concentration de la production , la classe ouvrière se trouvait rassemblée
elle-même dans des régions. des grandes entreprises et établissements, et homogénéisée par les standards tayloriens de l'ouvrier interchangeable, alors
que sa sphère de consommation s'élargissa it considérablement. Elle accédai t
également, à travers des conflits, des lulles et des tensions, à une stabilisation
sociale en rupture avec la précarité ct la salarisation : garantie d 'e mploi, protection sociale , stabi lisation fam ili ale 1.
2. Fin d ' une époque
Avec la crise et le chômage massif au mil ieu des années soixante-d ix, il
s'agi! véritablement de la fin d ' une époque. Certes, J'augmentation de la productivité, c'est-à·dire les gains de temps par unité produite, n 'ont sans doute
jamais progressé autant. Mais en même temps, c'est le lien entre emploi et
investissement qui paraît tout à fa it distendu , sinon rompu.
Comme le soutenait déjà K. Marx, dans Travail salarié et Capital, la
guerre économique « a cec i de particulier qu 'elle ne se gagne pas en recrutant
LES MUTATIONS ÉCONOMIQUES ET SOCIALES
21
mais en congédiant les années de travai lleurs }}. En effet. le licenciement n'est
pas seulement le résultat d' une dim inution des commandes ou la sanction d' un
défaut de gestion; il correspond au mode de fonctionnement nonnal, à la
bonne gestion des entreprises.
Au fond , la parenthèse de croissance qu 'ont représentée les années 1985 à
1990 en Europe, brève rupture dans une longue période de crise et de chômage
qu i a débuté en 1974, a consol idé paradoxalement ce constat: l'in vestisse·
ment nouveau pour l'essentiel ne crée pas d'emploi, puisqu' il s' agit d'abord
de rati onaliser la production el lorsqu' il y a création d'emplois non seulement
ceux·ci sont à temps partiel ou à durée détenn inée, mais ils s'adressent aussi
en grande partie à la population inactive (femmes désireuses de retravailler,
jeunes ...) et ne contribuent qu'à résorber très fa iblement le chômage.
Par leur extension , les pertes d 'emploi frappent des catégories de Ira·
vailleurs de plus en plus diversifiées mais touchent surtout les activités indus·
trie lles. Elles accentuent ainsi la tertiarisation de l'économie el entraînent
même une certaine déSOlivriérisatioll de l' industrie . Si bien que le chômage de
longue durée s' impose et qu ' une proportion importante des emplois se trouve
précarisée. Les phénomènes d'exclusion économique et sociale qui en résul·
tent menacent alors la cohés ion même des sociétés industrialisées européen·
nes.
3. Des rapports de for ce délériorés
Au delà des chiffres de l'emploi et du chômage, il faut en conséquence
répondre aux diverses situations que recouvre la réalité du chômage.
Quand on examine le chômage des jeunes, dont l'importance tout comme
l'accroissement ont été considérables, on observe que ce n'esl pas seulement à
la difficulté de trouver un emploi que ceux·ci sont confrontés. Comme il res·
sort de nombreuses études, les jeunes sont aussi soumis à une forte mobilité
involontaire et contrainte, alors que la mobi lité volontaire, qu i vise à améliorer
la position profess ionnelle, reste tout à fa it marginale.
De plus, beaucoup n' hésitent pas à attribuer la cause du chômage au man·
que de qualification et à l'inadéquation des fonna tions par rapport aux besoins
des entreprises. Ce qui pennet d' ai lleurs de rendre l'école responsable du chô·
mage. Pourtant, les taux de scolari sation ont progressé très considérablement
depuis plusieurs années. Il en est résulté une augmentation importante du ni·
veau de fonnat ion des jeunes et en particulier des jeunes chômeurs. Jamais les
entreprises n'ont eu un choix si grand panni un large éventail de diplômés. En
fai l, face à la général isai ion de la scolarisation, les employeurs augmentent
leur seuil d'embauche elles diplômes ne donnent plus accès aux mêmes cm·
plois qu 'auparavant. Les principales victimes de celte situation ne sont cepen·
danl pas les diplômés mais les non·diplômés exposés au chômage prolongé et
aux phénomènes d'exclusion.
22
LA GAUCUE FACE AUX MlffATIONS EN EUROPE
Ainsi. soumi s d 'abord à la mobilité résultant de la précarité des em plois, la
difficulté essentie lle que rencontrent les jeunes n'est pas de trouver mais bien
de garder un emploi. Progressivement cependant, enfennés dans des situations aléatoires, ils sont menacés d'être relégués de plus en plus loin dans la
fi le d'attente pour accéder à l'emploi et en conséquence, ils sont exposés à
l'exclusion sociale. On voit bien ainsi comment crise de l'emploi et cri se de
l'école s'enchaînent et se renforce nt mutuellement.
Pour les chômeurs âgés en revanche. le problème est moins celui de la
précarité que d' un nouve l accès à l'emploi. En cas de perte d'emploi , ils se
trouvent d 'emblée menacés d'év iction du marché du travail et d'enl isement
dans le chômage. Pour eux. le problème réside dans la très grande difficulté à
retrouver un emploi. C'est donc la protection des travailleurs âgés, par rapport
au licenciement. qui se trouve ainsi posée.
Une des transfonnations sans doute les plus fondamentales du travai l ré·
side dans la participation pennanenle des femmes à l'activité économique.
Celte tendance est tellement forte que, contrairement à ce qui s'était passé
précédemment , ni la crise. ni le chômage mass if n'ont réussi à freiner cette
évolution. La contrepartie des progrès réal isés en mat ière d'accès des femmes
au travai l a cependant été leur infériori sat ion dans l'emploi. Alors que les femmes sont durement fra ppées par le chômage, elles n'ont accès à présent, pour
l'essentiel. qu 'à des emplois à temps partiel ou encore à d'autres fonn es spécifiqu es d 'emploi.
Enfin, pour l' immigration également, les situations se sont fortement modifiées. On le sait , l'immigration est d'abord économique. C'est d'ailleurs en
lennes de travailleurs étrangers qu 'on la désigne souvent. Il n'est donc pas
étonnant que l'insertion professionne lle des immigrés ait constitué le facteur
principal de leur intégration.
Malgré certains problèmes, ce n'est heureusement pas dan s les lieux de
travail que la xénophobie eSl la plus présente. Tout au contraire, l' intégration
des travailleurs immigrés dans les syndicats, leur participation à part entière
aux é lections sociales. ont pennis leur accès à la citoyenneté économique.
C 'est cn revanche en tenncs de cohabitat ion dans les quart iers que les rapports
sociaux se sont le mieux prêtés à détérioration en période de crise.
Alors même que l'imm igrati on, qui répondait auss i à un défaut des naissances lié au vieiJli ssement de la population, est devenue familial e et s'est
sédentari sée. e lle se trouve à nouveau louchée par le chômage, mais aussi par
la xénophobie et le racisme. Dans le passé, tout en alimentant les échelons les
plus bas du salariat , l'immigration a pemlis une mobi lité soc iale importante.
Avec la crise cependant. les entreprises sont moins demandeuses d' une maind'œuvre encore mass ivement affectée aux segments non qualifiés du marché
de l'emploi. A présent , ce sont les jeunes issus de l'immi gration qui aspirent à
la scolarité, à J'emploi et à la mobilÎlé socia le. Même si les popu lations, issues
LES MUTAT IONS ÉCONOMIQUES ET SOCIAL ES
23
de l' immigration, occupent toujours des emplois situés dans les segments se·
condaires du marché du travail , il faut à présent prendre en compte le fait
qu'ils font partie intégrante de la population locale . C 'est donc en temles de
sécurité de séjour et de citoyenneté que se pose d ' abord la question de leur
insertion professionnelle, sociale et politique.
4. Réduction du temps de travail et flexibilité
Pour répondre à la cri se de J'emploi, les organisations syndicales ont
avancé un pe u partout en Europe la revendication de réduction du temps de
travail. Le patronat cependant s'y est opposé et a de son côté tenté d ' imposer
la fl ex ibilité de l'emploi comme moyen d 'améliorer la rentabilité et la campé·
titivité des entreprises. En toute logique, la fl exibilité aurait pu être dans ce
contexte la base d ' une transaction entre employeurs et travailleurs et consti·
tuer la contrepartie accordée à la réduction du temps de travail.
Pourtant au tenne d ' une enquête effectuée dans treize pays industrialisés,
G . Bosch et F. Michon aboutissent à une conclusion toute différente 2. Il s
constatent que le développement des emplois à temps partiel et/ou précaires
est, dans de nombreux pays, le fait d 'entreprises possédant déjà un haut niveau
de fl exibilité. Aussi, l' idée d ' un marchandage qui suppose J'acceptation d ' as·
souplissement des règles par les syndicats en échange de l'acceptation d ' une
réduction du temps de travail par les patrons ne se traduit guère dans les faits.
Les employeurs obtiennent les dérogations aux règles générales, pennettant
de flex ibili ser l'emploi sans devoir concéder des contreparties correspondan·
tes en tennes de réduction du temps de travail, en particulier, dans les pays à
système de relation pro fessionnelle décentrali sée (Grande· Bretagne ... ) ; alors
que dans les systèmes centrali sés (Belgique, Allemagne ... ), des compensa·
tions sont parfois obtenues par les syndicats. C'est bien sûr, contrairement à ce
que suppose le sens commun , lorsque l'emploi dev ient rare et rationné qu ' il se
prête le moins à un partage équitable.
Dans l'ensemble donc, dans un contex te de crise où les rapports de force
paraissent singulièrement détériorés pour les organisations syndicales, on liS·
siste à un profond mouvement de précari sation et de fragili sation de J'emploi
qui accentue une reprolétarisation ouvrière par le chômage. Il en résulte une
accentuation des tendances à la déstructuration et à la désolidari sation des or·
gani sations syndicales elles·mêmes. Celles·ci tendent alors à se replier sur les
entreprises et à se cantonner à la défense des dro its acquis. Dans un sauve·qui ·
peut improvisé, la sauvegarde des micro· intérêts dev ient un des rares repères
tangibles. Si l'on peut définir suivant les tennes de Pierre Ro lle la classe
ouvrière comme une commul/auté de r i va/u', la précarité affaiblit la commu·
nauté dans la mesure même où e lle accentue la ri valité.
24
LA GAUCIIE FACE AUX M UTATIONS EN EUROPE
5. Chômage el démocratie
Celle évolution a entraîné dans différents pays un affai bli ssement du mou·
vement social·démocrate dans ses composan tes polit ique, syndicale,
mutuelli ste et coopérati ve . Jusqu ' ici , comparativement aux au tres pays euro·
péens, le mouvemem socia li ste en Be lgique, ma lgré de très grandes difficul·
tés, a relativement bien résisté à la crise . Pour l'essentiel, les adhérents aux
organisat ions syndicales et mutue llistes, les électeurs des partis socialistes,
tout comme l'essentie l des acquis sociau x, ont pu être sauvegardés.
Il n 'en reste pas moins vrai que celle situation est fragil e et lourde de me·
naces. Elle ne peut cacher une perte de considérat ion qui frappe non seulement
les institutions mais auss i les forme s démocratiques dans leur ensemble. C'est
en effet à l'échelle de sa propre réuss ite que chacun apprécie les progrès de la
démocrat ie. Ceux qui affrontent les pires d iffic ultés peuvent en conséquence,
en arriver à postuler la fa il1 ite de la démocrat ie. Nous avons déjà pu observer
dans le passé combien les périodes de crise el de c.hômage, propices aux dési!·
セ@
lusions et aux désenchantements,.peuven t aussi l'être aux résurgences de ャG・ク
trême·d roite.
La question de l'emploi est essentielle parce qu'e lle touche ce qui condi·
tionne nos moyens de subsistance et les différents aspects de notre participa·
tion à ta soc iété. Lorsque l'on est privé d'emploi, si l'on ne trouve pas dans tes
structures soci ales habituelles le soutien attendu, on fi nit par rejeter ces ウ エイオ 」セ@
lures.
La démocratie ne se limite pas à la seule consultat ion électorale périod i·
que qu i en est bien sûr une condi tion nécessaire. C'est aussi une participat ion
q uotid ienne aux divers aspects de la vie en société. C'est le travail qui est dans
nos sociétés, pour une grande part, le vecteur de celle partic ipat ion.
Or, lorsque l'emploi privé se rétrécit, que les services publics sont fragili·
sés, que des secteurs sociaux se sentent marginalisés, les chômeu rs désignés
rapidement en termes de « noyau dur » se trouvent en quelque sorte « mis de
côté ». Leur fonction essentielle se réduit alors à peser vers le bas sur leur
propre protect ion sociale el sur les reven us et les conditions de travail des
autres. Dans ces condi tions, il n'est pas étonnant que la société perde ses lien s
et so it vulnérable à tOUies les démagogies.
6. Acteurs et effets de structure
Du point de vue des méthodes de recherche, on envisage souvent les chan·
gements. les mutations à partir des force s sociales qui les ont susc itées dans
des conditions spécifiques. On s' interroge alors sur la stratégie des acteurs en
présence. Mais ne nég lige+on pas alors les transformations que subissent ces
acteurs au cours des bouleversements économ iques et sociaux don t ils sont
censés rendre compte? Je voudrais quant à moi proposer de voir dans les mu·
tations récentes non seulement des stratégies mai s de suggérer la transforma·
LES MUTATIONS ÉCONOMIQ UES ET SOCIALES
25
tion des acteurs sociaux , en particulier des partis et des syndicats comme objet
de recherche.
Dans les termes de l'analyse stratég ique. les acteurs (en treprises, employeurs. syndicats, travailleurs, pouvoirs publics ... ) élaborent des stratégies
et mobil isent des ressources en fo nction des marges de manœuvre que permet
la conjonctu re. Ce système d'action concret (Crozier) peut alors révé ler un
compromis social pl us éclaté et flexi ble.
Si bien que les fo nnes d ' emploi, de chômage, de reconversions économiques ou de compensations accordées aux salariés seron t considérées comme
produites ー セ イ@ des compromis sociaux, eux-mêmes effets de composition, résultant des stratégies patronales, syndicales et étatiques. Les éléments principaux de l'analyse seront donc les stratégies des acteu rs, la structure qui définit
la règle du jeu, à savoir le marché, et les « mutations» qui en sont la conséquence. C 'est donc en définitive les stratégies des acteurs qui défi niraient les
transformations en cours.
Si J'on décortique ains i les stratégies différenciées des acteurs pour com prendre les changements en cours, la réalité et les transformations des acteurs
mis en présence sont rarement interrogés puisqu'ils sont considérés
eux-mêmes comme donnés a priori. C'est pour avoir accepté d 'emblée l'év idence des acteurs que nous manquons de curiosité à leur encontre. Il ne s'agit
donc pas de se limiter aux interactions entre acteurs, mais de s' interroger sur
les condit ions de leur rencontre et des rapports qui les défi nissent. En d'autres
termes, ce sont aussi les transformations de l'emploi , du chômage, et des
structures productives qui définissent la place, le rôle et les transformations
dont les syndicats, les patronats et les pouvoirs publics sont le siège.
Ce sont précisément ces circonstances qui permettent de comprendre les
transformations des acteurs. Aussi. les « effets de structure» sont- il s fondamentaux pour com prendre ces transformations bien que « les structures
n 'agissent jama is que par l' intermédiaire des actions individue lles et collectives" l.
7. Des capacités d ' innovation sociale?
Par rapport à la crise et au chômage, le renouvellement de la revendication
synd icale résulte du fait que les démarches trad itionnelles se trouvent atteintes
dans leur double composante: la revendication salariale se heurte au refus des
employeurs el aux politiq ues d ' austéri té des gouvernements. et la réduction du
temps de travai l, revendiquée préc isément pou r endiguer le chômage, au lieu
de s' accentuer s'en trouve frein ée. D' une part, le rapport de force ne permet
pas de diminution du temps de Iravait sans une diminulion des salaires et
d ' autre part , l'emploi devenu ressource rare rend improbable que des salariés
supposés rationne ls se retirent volontairemenl ou orientent librement leur pra-
26
LA GAUCII E FACE AUX MUTATIONS EN EUROPE
tique vers le partage de l'emploi disponible. La crise des négoc iations collectives est alors le reflet de ce double blocage.
Dès lors des pratiques syndicales nouvelles com me la participation aux
ウセL@
les questions de la formaprojets de formation et reconversion des ウ。 ャ。イゥ←
tion et de la fo nnation en alternance ne sont certes pas inscrites dans des stratégies préétablies mais peuvent être envisagées comme autant de transrormations el de capac ités d'innovation sociale induites par les circonstances.
En effet , le chômage qui dans un premier temps avait entraîné une reconversion émerveillée aux valeurs de l'entrepri se el du marché commence, sous
l'effet de la persistance el de l' aggravation du chômage, à produire un même
désenchantement. Les solidarités substitutives à celle de « classe », qui ont
pris la forme notamment de race, d 'ethn ie, de nation ou d'intégrisme, montrent à présent toute leur barbarie.
Si bien que l'extens ion, la généralisat ion et les transformations du salariat,
les exigences renou velées en termes d'esprit public et de contrô le démocrati que, le refus de la bureaucratie, constituent autant·de ressorts pour une gauche
qu i peUl trouver dans des ébauches de réponse à l' aggravation des inégalités le
sens même de son renouvellement.
NOIes
1M. VEUt:r." Où va la classe ouvrière française? セN@ O,,,,,irrs. ou\·rièrrs. Â"'remr1l1. 1992. pp. 21-35.
' G. Bosal CI F. MIalOS ... Réduction el neJl.ibilisalion du temps de lm,'ail ". dans F. MIOION CI
D. sセgriゥDtn@
(éd.). L'rmplpi. l"rmrrprise ri/a s()(ifll. E<:Ollomica. Paris. 1990. pp. 211-228.
1 L. t i|セBHャ
u ケN@ L'rrrsrigtlr/lIrlJ/ profrssiOlmr/ rIl Fral1cr. P\lF, 1991. p. 18.
• Voir M.C. V'UJ>YAI., Mil/arions Îndustrirllrs ri ruol/l"rrsÎOIr tirs sa/arih. L' Harmallan. 1992.
Crises et recompositions de la gauche
en Europe occidentale
Marc LAUR
Articles de journaux et de revues, essais, pamphlets, livres un iversitaires,
colloques académiques et rencontres grand publ ic sur le sujet se succèdent.
L'affaire est enrendue, le constat dressé sur tous les Ions et, à fo rce d'être ré·
pété. s' impose com me une év idence incontournable el un lieu com mun am·
plernent diffusé: la gauche en Europe est en crise.
En vérité, l'assertion se révèle plus complexe qu'il n 'y paraît. A commencer par l'appl ication de la notion de crise à un courant pol itique. La situation
de dérèglement et de déstabil isation qu'elle sous-entend est-elle exceptionnelle poU f des organisations politiques? Exisle-I-il des critères abso lus, des
indices incontestables - et si oui, lesque ls? - qui autoriseraient à parler de
crise d' une fonnation pol itique ou ceux-c i sont-ils relatifs selon les conjonctures, ne devenant sign ificatifs q ue lorsque les acteurs (responsables de partis et
observateurs) s'en emparent ? La recherche des causes suffi t-elle pour appréhender parei lle phase ou ne fau t-il pas aussi y intégrer les réponses et les comportements des principaux intéressés? Enfin, le tenne de crise peut-i l êtrc
employé de manière indifférenciée pour qualifier l'état de l'ensemble de la
gauche en Europe ?
Ces quelques questions orientent notre réflexion sur la gauche
aujourd' hu i, nourrie par l'observation des partis communistes et des partis socialistes ouest-européens. Une étude qui amène aussitôt à d istinguer leurs situat ions respectives et à mettre au plurielle mot « crise ».
1. Les crises de la gauche
1.1.La crise des partis communistes
A priori, elle ne tolère pas la discussion tant les symptômes concordent.
Elle se man ifes te d'abord par le recul général, commencé bien avant 1989, de
l' audience électorale des PC. Il n'est pas nécessaire d'en présenter un panorama détai llé et fastidieux ; constatons seulement qu' il a abouti à la di sparition
28
LA GAUCHE FA CE AUX MUT ATIONS EN EUROPE
totale de la scène é lectorale des minuscules partis autrichien, belge. britannique, danois, hollandais, norvégien et suisse, et au déclin de ceux qui curent
une plus ou moins grande importance historique, comme à Chypre, au Portugal , en Espagne. en Finlande, en France. en Grèce, en Italie ct en Suède 1. La
désaffection milit ante attei nt des proport ions impressionnantes pour les peti ts
partis communi stes au point de les transfonn er en coquilles vides; elle touche
aussi les pl us pui ssants d 'entre eux: ainsi, le dénombrement des mil itants entre l' année maximum de recrutement dans les années soixante-dix, moment
d 'embellie pour le commun isme ouest-européen, et les plus récentes données
en notre possession, montre qu 'en 1990, avant de disparaître, le PCI avait perdu
plus de 27% de ses effectifs par rapport à 1976, alors qu 'en 1987. le l'CF enregistrai t une saignée de plus de 36% par rapport à 1978 2•
Les autres indicateurs confinnent la tendance de fond: la diffu sion de la
presse communiste se rétracte partout, la capaci té des organisations de masse
liées aux PC s' amoindrit , les indices de popularité ou de sympathie établis par
les organismes de sondages attestent le peu de Crédi t des dirigeants communistes et le rayon nement cuhurel des PC s'affadit totalement. L'ensemble suscite d 'ailleurs des conflits multiples au se in des PC qui aboutissent à des affron tements ouverts et, parfo is, à des scissions, offrant de la sorte aux chercheurs qui s'y intéressent la possibilité de tester le fameux modè le de comportement - défe ction (exit), prise de parole (vo ice) et loyauté (Ioya lty) 3 - mis
au point par Albert O. Hirschman pour rendre compte du déclin des entrepri ses ind ustrielles.
Les caractéristiques communes de la phase génétique des partis communistes et leurs modalités historiques d ' instituti onnali sation ont fortement pesé
sur les trajectoires de chacun d 'entre eux et fom qu'il est assez ai sé de repérer
la nat ure de la cri se qu' ils traversent 4. Tous les PC sont confrontés à une semblable remi se en cause de leur projet général , de leur doctrine. de leur identité.
de leur stmtég ie, de leur organisat ion et de leurs modalités spéc ifiques d ' insertion dan s les sociétés ouest-européennes. Mai s l'originalité de la période présente doit être bien saisie.
Car en tant que telle, la situation de crise n 'est en rien exceptionnelle pour
les parti s communistes. A l' inverse, leur hi stoire est ce lle d ' une succession de
cri ses récurrentes interrompues par quelques rares et brèves plages de stabi li sati on et de répit. Par définition , le communisme est en pennanence travaillé
par des tensions internes et soumi s à des conjonctures favo rables et néfastes:
en e ffet , y sont à l'œuvre des processus contradictoires engendrés par des
« dynam iques du dehors» et des « dynamiques du dedans» 5. Les « dynami q ues du dedans >, proviennent du type de rapports centre-périphérie qui régissent le monde communiste: le centre veut sans cesse exercer son contrôle,
imposer un mode de comportement unifiant et homogénéisateur sur des réalilés pl urie lles, et se réfère à un corps de doctrine qu ' il cherche à éri ger cn or-
CRISES CI RECOMPOSITIONS DE l.A GAUCHE EN EUROPE OCCIDENTAl.E
29
thodoxie universelle. Les « dynamiques du dehors » découlent directement du
lien sém ina l et fondateur de leur légitimité que les partis communistes ti ssent
avec la lutte de classes, les conflits, les mouvements sociaux, qui les rend , plus
que toute autre fonnation , tributaire s des conjonctures sociales. Par conséquent, si l'état de crise est la nonne pour les pan is commu nistes, il reste à en
comprendre la nouveauté présente.
Le bouleversement des années quatre-v ingt et quatre-vingt-dix a mis un
point fin al au projet communiste fondamemal - renverser le rapport de forces avec le monde capitaliste et impériali ste au profit du monde socialiste quand bien même les tennes concrets de la réalisation et de la fa isabil ité de
ce lui-ci fure nt souvent repensés. De ce fa it, ce q ui subsistait de doctrine,
d ' identité et d ' organisat ions com munes, toutes fondées sur la centralité el le
rôle prééminent de l'URSS el du camp sociali ste, s'est disso us. A la di fférence
des autres revers subis dans le passé, par exemple, el pour se limi ter à
l'après-seconde guerre mondiale, en 1947, en 1956, durant les années du conflit sino-soviétique , en 1968, en 1979 ou en 1980- 198 1, il ne s ' agit pas cette
foi s-ci d ' un accroissement des di fférenciat ions internes au système communiste mondial aiguisant les rivalités entre PC, ma,is de l'écroulement complet
des derniers fe nnents de l' unité communiste. La désagrégation frappe tous les
PC, qu ' ils soient fidèles panni les fidèles ou « hérétiques », comme le parti
italien. Celui-c i a pâti de ne pas avoir voulu rompre complètement ses liens
avec le système communiste mondial. II ne peut plus désormais recourir au
double jeu traditionne l qui lui avait si longtemps profité : être à la foi s dans le
monde communiste et critique de ce lu i-ci lui pennettait d ' attirer les habituelles cl ientèles communi stes et les fractions de la gauche réservées envers l' URSS
qui appréciaient ses prises de distance avec Moscou.
A cela viennent s'ajouter les effets désonnais connus des mutations des
soc iétés dans lesq uelles évoluent les PC, des stratégies qu' ils adoptent et de
leu rs modes d ' organisation. Les chasses ァ 。イ、 セ ・ ウ@ des PC se transfonnent et
amenui sent les bases communistes potentielles 6. Les stratégies des l'C dotés
d ' une « capaci té d ' in tervention minimale » 7, soit ceux de Suède, d'Espagne,
de Finlande, du Portugal, de Grèce, de France, de Chypre et d ' Italie, on t toutes
échoué depuis plus d ' une décennie, les plaçant dans une sit uation de dépendance. Enfin , le centralisme démocrat ique apparaît désonnais com me un obstacle à l' adhés ion, constitue un motif supplémentaire de confl its internes et
semble inefficace par rapport aux fonn es contemporaines de l'action politiq ue.
Au regard de ce tableau, les part is sociaux-démocrates et soc ialistes
ouest-e uropéens présentent a priori un visage plus souriant.
30
LA GAUCHE FACE AUX MUTATIONS EN EUROPE
J.2. La crise des partis sociaux-démocrates el socialistes
De ce côté-là, les indices sont beaucoup moins clairs et nets. En 1991,
Wolfgang Merkel a même soutenu une thèse hérétique. Se fondant sur une
étude électorale comparative menée depuis 1945 , il s'est élevé contre l' idée
d'u n décl in général de la gauche socialiste. Affi nant son propos. il d istinguait
quatre sous-ensembles de partis: les part is travaillistes, britannique et irlandais, déclinent: les partis allemand, belge, fi nl andais, hollandais et suisse,
« pragmat iques de type coalescent », subissen t une légère érosion; les part is
d'Etat-providence, autrichien, danois, norvégien et suédois, restent stables ;
enfin. les part is de « type ambivalent» (France, Grèce, Espagne et Portugal)
progressent 8. Bien que les regroupements puissent prêter à d iscussion, les
derniers scrutins qui se sont déroulés en Europe occ identale compliquen t le
schéma d'analyse de Merkel mais allestent aussi les mouvements contradictoi res qui affecten t l'électorat de ces partis. Ainsi , en av ril 1992, le Labou r a
sans conteste été bauu par le parti conservateur, mais il a progressé de quatre
points par rapport aux élections précédentes, cependant que trois ans auparavant, en Irlande , le Labour, avec 9,5% des suffrages, avait gagné troi s points 9.
En revanche, l'échec social-démocrate est retentissan t en Suède où en 199 1, le
SAP recue il le 37.6% des suffrages et enregistre son plus mauvais résul tat depuis 1928. Echec net également pou r les sociaux-démocrates fin landais et be Iges la même année et pou r les Allemands en 1990 lors des é lect ions de la
réunification . En Autriche, le SPOe l'emporte aux élections législatives en
1990 ma is, deux ans plus tard , son candidat aux présidentielles est dé fait. En
Su isse, les élections de 199 1 se marquent par une stabi lité socia li ste. Enfin, si
les ps fra nçais et italien reculent, celui du Portugal perd largement les élections
de 199 1 tout en progressant de sept poi nts par rapport à 1987.
Ce pol-pourri électoral - qui nécess iterai t des investigat ions scientifiques
plus poussées - montre cependant la différence avec les partis communistes
où tous les indicateurs électoraux sans exception aucune sont à la ba isse. JI en
va de même pou r les effectifs. Les tableau x: comparatifs, dressés par Jan-Erik
Lane et Svante O. Ersson pour la période allant du milieu des années ci nquante à 1985, révèlent encore une fois une situation contrastée: hausse régulière des adhérents des parti s autrichien, belge, britanni que. finlandais, italien,
norvég ien et suédois: recul continu pour le parti danois; hauts et bas pour le
SPD (avec. en particul ier, une hausse des encartés dans la deuxième moitié des
années soixante-dix. suivi d ' une régression jusqu' en 1987 et d'u ne reprise par
la suite 10). pour le ps français. le Pt\SOK, les pani s soc ialistes espagnol et
sui sse Il.
Est-on autorisé. sur la base de l'étude com parat ive des résultats électoraux, des participations au pouvoir ct des poli tiques publiques sui vies par les
gouvernements soc ialistes et sociaux-démocrates, à conclure, à l' instar de
W. Merkc l. qu 'i l y aurait un décl in part iel du soc ialisme mais pas un déclin
CR IS ES ET RECOMPQS ITIO NS DE LA GAUCliE EN EUROPE OCCIDENTALE
31
général. ni un «décl in irréversible» Il? En fait , posé en termes quant itatifs, le
débat ne progresse guère. Parce qu'est occultée la crise de la social·démocra·
tie qui comporte quatre aspects principaux.
Crise d'abord du modè le social·démocrate de Welfare Store apparu dans
les années trente avec sa politique de régulation plus ou moins prononcée du
marché (tout en laissant celui·ci assurer le développement) et une politique
act ive de redistribution par l' intermédiaire du pouvoir étatique el le recours au
compromis entre partenaires sociaux puissamment organisés et représentés Il.
Elaborée. pour l'essentiel, en Scandinav ie, celte conception de l'Etat·provi·
dence a ensuite été imitée ai lleurs par les autres partis sociaux·démocrates ou
soc ialistes, avec à chaque foi s des ajus!ements spécifiques. Généralement, on
altribue la crise de ce système à partir de la fin des années soixan!e·dix à des
facteurs économiques: fin de la croissance qui réduit les capacités redistribu·
tives étatiques 14, mond ialisation de J'économie qui avive la compétition inter·
nationale el rogne les marges d'action des systèmes nationaux des Etats·pro·
vidence, prélèvements fiscaux devenus insupportables 15. Mais jouent égale·
menties effet s et les usages soc iaux délétères qui sont fait s de celte organisa·
lion économique et soci ale par les principaux intéressés. Au lieu d 'accroître la
solidarité collective au nom de laquelle l'Etal·providence a été institué,
l'ex istence de ce lui·ci, au fil du temps, renforce les stratégies particulières et
particulari stes des individus qui cherchent à profiter au maximum des ressour·
ces de l' Etat, à préserver leur propre confort et, parfois, dans le même temps, à
bénéfic ier des avantages d ' une extension des loi s du marché 16. De la sorte.
une véritable inversion de sens s'est produite qui dénature la philosophie ini·
liale du modèle social·démocrate.
Mais la crise de la soc ial ·démocratie est aussi idéologique et identitaire.
Comme les PC, les partis socialistes ou sociaux·démocrates subi ssent les con·
séquences des prodigieuses mutations sociales qui érodent leurs assises de
classe. Privés de projet, ils ne peuvent plus prétendre être la force qui réalisera
le paradis sur terre; comme le communisme, le 'socialisme démocratique fait
ses adieux à la référence utopique. Par ailleurs, il ne peut p lus se présenter
comme une alternative au communisme et au libéralisme. En effet, le premier,
avec lequel il avait, dans l'ensemble, engagé un vif affrontement, s'est tout
simplement délité. Avec le second, depui s 1945, et à l'exception remarquable
de la Grande·Bretagne de Margaret Thatcher, une symbiose s'est progressive·
ment réali sée. A cet égard , Ralf Dahrendorf avait sans doute raison de sau li·
gner que si le communisme a fa it fail lite, la cri se du socialisme n 'est pas syno·
nyme d 'échec: au contraire, elle résulte de son succès à avoir contribué, à la
suite d 'une convergence avec d 'autres formations - démocrates chrétiennes
par exemple, ou gaullistes en France 17 - à imposer un certain rapport entre
l'Etat. l'économie et la soc iété. Celle fonne particulière d'économie capita·
lisle et de relations sociales, distingue l'Europe occidentale du Japon ou des
32
LA GAUCHE FACE AUX /o.!UT ATIONS EN EUROPE
Etats-Uni s et interdit désormais de parler de manière indifférenciée d ' un capitalisme mondi al.
Aujourd ' hu i, ce système est en voie d ' amendement et de correction ; mais
ses fondement s ne sont pas vraiment remis en cause, à l'except ion encore une
foi s de la Grande-B retagne 18. D' autant que le nombre de ceux qui bénéfici ent
du Welfare Store limite objectivement les tentatives de réaction contre cet
Etal ; ainsi. en Allemagne. les personnes qui vivent de man ière prédominante
des transferts sociaux sont beaucoup pl us nombreuses que les travailleurs manuels (e lles représentaient près d ' un quart des é lecteurs en 1983 19 ). Mais
« l'épui sement de la force propulsive » du modèle social-démocrate W laisse
les partis qui s'en réclamaient devant un vide et provoque en son sein de fortes
divisions. En Scandinav ie, par exemple, une partie de la base soc iale-démocrate est de plus en plus tentée par un repl i identitaire autou r des vertus domestiques de la « maison du peuple)} aux couleurs suédoise. danoise ou norvégienne qui se teinte d ' une fierté nationa le bien particulière. En Suède , la social-démoc ratie prolonge la centralisation de CEtat tout en l'érigeant en barrière de protect ion contre tous les dangers, y compris ceux venus de l'extérieur. Plus généralement , elle se coule dans un nationalisme préexistant, et lui
confère un contenu socia l qui vire au « chauvinisme social )} 21 et ex plique les
difficultés d ' une partie de la base sociale-démocrate à accepter le ralliement
des dirigeants à l' idée européenne et leur campagne en fav eur de l' adhésion.
La crise de la social-démocratie est également une cri se d 'organi sat ion à
plusieurs volets. Cri se dans les relations entre parti et syndicats, en particulier
à cause des choix gouvernementaux et des politiques économiques qui déclenchent des affrontements el des confli ts entre les deux instances et mettent fin à
la combinai son plus ou moins harnlOnieuse et aux convergences d ' intérêts qui
étaient la marque d istinctive de la soc ial-démocratie. Crise dan s les rapports
entre parti et électeurs el entre parti et adhérents. L'estompage du « vote d' appartenance» u , caractérisé par la fidélité des électe urs et une intense identification à un parti , accentue l'éloignement des parti s soc iaux-démocrates de
leurs électeu rs traditionnels qui résulte de leur souhait de diversification de
leurs clientèles et de leur surinvestissement de l'Etat ; dans le même mouvement.les électeurs moins mobilisés, moins intégrés dans les partis, découvrent
des hori zons pl us larges devant eux et des offres politiques diversifiées, et
choisissent davantage leurs votes sans d 'ailleurs que cela signifie une forte
augmentation de la volatilité électorale mai s plutôt une fragmen tati on accrue
des partis politiques 23. Quant aux militants, il s perdent leur influence dans la
défi nition des politiques à cause de l'accroissemenl du processus d 'oligarchisalion des organisations; de même, se creusent les différenc iations socio logiques entre une base restée fortemenl ouvrière et populaire ct des leaders qui
disposent souvenl d ' asce ndances famil iales sembl ables mais connai ssent une
ascension sociale. En outre, se fait jour une contradiction de plus en plus nette
CR ISES ET RECOMPQS ITIONS DE LA GAUCHE EN EUROPE OCCIDENTALE
33
entre la volonté de ces directions de s'adjoindre d 'autres clientèles sociales et
polit iques, de répondre à des besoins nouveaux, et le poids des membres ou
des électeurs traditionnels des partis sociaux-démocrates et soc ialistes. Un
poids part iculièrement élevé comme en témoigne la corrélation toujours forte
entre vote ouvrier et vote soci al-démocrate en Suède, en Norvège, en GrandeBretagne et, à un degré moindre, en Autriche, en Belgique, au Danemark et en
Finlande 24, ou l'importance des retraités et inactifs dans le vote soci al-démocrate (de 30 à 48% selon les partis), ou panni les adhérents, comme dans le cas
holl andais où ils représentent 45% des effectifs R セN@ La crise de l'organisat ion
sociali ste ou sociale-démocrate provient également de ce que l'occupatioll des
responsabilités gouvernementales provoque une désaffection du part i (le PS en
France en fournit un bon exemple 26) ou des organisations ou associations diverses proches du parti et qu i tombent en désuétude: les ressources étatiques,
gouvernementales ou électives l' emportent sur celles issues du militanti sme et
de l' idéologie.
Part du l'ote des nOIl-actifs dans les électorats des panis socialistes
en 1983 (ell %) 27
ps (France)
so (Danemark)
30
33
SPO (RFA)
34
41
44
44
4S
LABOUR (Grande-Bretagne)
PSt (Italie)
PASOK (Grèce)
PVdA (Pays- Bas)
PSOE (Espagne)
48
Enfin, la crise de la social-démocratie est stratégique et se marque par une
interrogation sur les all iances politiques et soci.ales. Les alliés classiques, le
parti agrarien en Suède, les chrétiens-démocrates en Allemagne ou en Belgique, sont, à l'exception de ce dernier cas, négligés ou abandonnés au profit de
contacts avec les Verts. De même, la recherche du soulien des classes moyennes constitue ce que Adam Przeworski et Joh n Sprague on t appelé « le dilem me du socialisme électoral » qui, selon eux , ne peut qu'aboutir à un échec,
les partis sociaux-démocrates perdant du côté ouvrier sans gagner ailleurs u .
La prédiction reste à confinner 29 ; mais elle pointe un fait réel, à savoir le
grand brouillage stratég ique qui ne signale pas obl igatoirement un déclin assuré, mais plus sûrement une mutation en cours dont l' issue n' est pas encore
e n vue.
Si la crise du communisme est générale et a été accélérée de manière irrémédiable par J'échec des pays de l' Europe de l'Est, la crise du soc iali sme démocrat ique s'avère plus nuancée, variant d ' une situation à l' autre; moin s vio-
34
LA GAUCHE FACE AUX MUTATIONS EN EUROPE
lente dans ses symptômes. elle n 'en a pas moins des effets redoutables en ce
qu 'elle sape en profonde ur ses princ ipes fondateurs.
2, Quelle recomposilion ?
Il est encore trop lôt pour pouvoir dégager les grandes lignes de la réfl ex ion entrepri se ces dernières années par la gauche en Europe. On cherchera
toute foi s à avancer quelques remarques qui intéressent avant tout les partis
sociaux-démocrates el sociali stes. En effet , les partis communistes, en dépit
de ce qu ' ils proc lament , ne se sont guère engagés dans une refonte de leur
idéolog ie ou de leur organisation; en Espagne, en Grèce, en France, au Portugal, en Suède et en Finlande, ils se contentent généralement d ' aigui ser leurs
critiques contre les partis socialistes et essayent, selon des modalités variables
d ' un pays à l'autre, de se constituer en flanc gauche de ces mêmes panis renonçant de/acto à jouer un rôle plus déterminant. La seule except ion conceme
le PCI qui s'est transfomlé en part i démocratique de la gauche (PDS) et a rejo int
l'Intern ationale social iste et les différentes institutions européennes socialistes.
L'effort de chacun des partis sociaux-démocrates et socialistes et de l' Internationale soc iali ste porte d 'abord sur la doctrine . Il s' ag it de redéfinir le
cadre théorique de J' action sociali ste en insistant notamment sur la lutte contre
les inégalités et en faveur de la solidarité. Les soc ial istes mettent désormais en
avant les notions de démocratie sociale, d ' Europe intégratrice , de coopération
avec le Sud et d 'envi ronnement ; ils soul ignent la nécessité de réduire le déficil démocratique et d ' intégrer les nouve lles demandes sociales, par exemple,
les revend icat ions féminis tes JO. Or, à l'exception de quelques fonna tions conservatrices ou de dro ite popu li ste ou extrême, cela ne se dist ingue pas beaucoup des au tres courants politiques européens.
En vérité, ces tentatives réelles d'aggiomamellto ne sauraient masquer les
hésitations incessantes sur des questions cruciales, com me. par exemple, le
rapport entre Etal et société. puisque les partis sociaux-démocrates cherchent
dorénavant à se présenter comme les défen seurs les plus zélés du rôle régulateur et distributeur du premier et comme les parangons de la liberté de la seconde. Mais surtout, les ambitions actue lles du sociali sme démocratique et
surtout la légitimité e uropéenne dont il prétend se doter contiennent de fortes
contradictions. D' un côté, la gauche sociali ste se veut de pl us en pl us eu ropéenne: l' intemationaie sociali ste devient un « foyer de ressources» I I pour
ceux, part is ou leaders, qui en sont membres, et un parti des socialistes e uropéens a été créé en novembre 1992. Mais, d ' un au tre côté, ces velléités se
heurtent à quelques résistances tenaces : des tentations de repli agitent chaque
parti soc ial-démocrate ou socialiste, en Scandinavie, comme en Ho ll ande. ou
dans une tendance minoritaire du ps ; les prises de position dan s les institutions européennes des membres de la gauche, au Parlement de Strasbourg par
CRISES ET RECOMPOS!T!ONS DE LA GAUCHE EN EUROPE OCCIDENTALE
35
exemple, obéissent beaucoup plus à une logique d'appartenance à cette institution afin de la renforcer ou à une défense des intérêts nationaux qu'à un
impératif supranational ; enfin, toute une partie des « peuples de gauche» ne
réalise pas bien en quoi ces jeux et ces coups politiques les intéressent concrètement, ainsi que l'a prouvé le résultat du référendum français sur la ratificalion du traité de Maastricht en septembre 1992.
La fin du communisme et du socialisme se consu me devant nous pour des
raisons différentes déjà analysées. Aussi, la crise de la gauche se nourrit des
crises différenciées mais définitives des fonnes institutionnelles qu'elle a priゥ │」ャ・@
et au début du クセ@
siècle avec le socialisme et le
ses à la fin du ク{セウ
communi sme. En effet, l'un et l'autre ont success ivement el concurremment
occupé la gauche des systèmes politiques et accaparé une notion apparue au
XV I1 t<' siècle en en modifiant le sens, notamment en lui donnant un projet économique - la collectivisation des moyens de produclion - , en éri geant la
classe ouvrière en acteur social privi légié et en faisant du libérali sme son principal ennemi politique. Le socialisme a modifié progressivement ses repères,
révisé ses objectifs et changé ses moyens d'action; le communisme dans l'ensemble est resté fidè le à ces principes.
Si communi sme et socialisme paraissent avoir achevé leurs missions, la
tentation est alors grande chez certains acteurs ou théoriciens, qu' ils soient
engagés ou pas, d 'estimer nécessaire le maintien de la division entre droite et
gauche - parce qu'elle est au principe de la vie démocratique (Marcel Gauchet) - , et parfois indispensable une refondation de la gauche; celle-ci devrait renouer avec ses valeurs originelles et primordiales, l'égalité selon Steven Lukes ou la morale selon Giovann i Sarton, ou apporter sa contribution
pour de nouvelles perspectives, l'Europe (Ralf Oahrendorf) ou la démocratie
soc iale (Thomas Meyer) n. Ces suggestions suscitent elles-mêmes un fort
scepticisme sociolog ique. Peut-on vraiment penser en tennes de théorie politique ce qui sociologiquement n'a plus beaucoup de raisons d'être ? Comment
alors ne pas s' interroger sur la consistance m'ème de la notion de gauche
aujourd' hui ? Est-il poss ible, par exem ple, de faire l'économie d ' une réflexion
sur l'un des principaux modèles interprétat ifs de l'Europe politique, celui de
Seymour M. Lipset ct de Stein Rokkan, qui repéra it quatre ou cinq clivages
fo ndamentaux à l'origine de la fonnation des Etats nations. des systèmes et
des partis poli tiques 33?
Ces clivages - les deux engendrés par les révolutions nationales (centrepériphérie; Etat-église), les deux provoqués par la révolution industrielle (mi lieux industrie ls-mi lieux ruraux; ouvriers-bourgeois), et celui issu de la Révolution russe - ont-i ls encore un sens? Ou plus exactement , sont-ils encore
constitutifs de stratégies et d'identités, en particul ier l'opposition ouvriersbourgeois , à l'orig ine de la gauche soc ialiste et communi ste qui la transfonna
en ressource? Ces réalités sociales n ' ont certes pas disparu; les attributs
36
LA GAUCHE FACE AUX MUTAT IONS EN EU ROPE
ouvriers caractéri sent et identifi ent toujours les électorats et les adhérents des
partis de gauche. Mais elles ne constituent plus un atout décisif pour la compétition politique J.I . D ' autant que d' autres clivages se sont désormais imposés,
comme, par exemple, celui qui oppose ceux qui vivent de l' Etat-providence ct
ceux qui en estiment trop élevé le prix à payer, celui qui d ifférencie les partisans de la croissance à tout crin de qui privilégie la qualité 35, ou encore celui
qui sépare les actifs des non-actifs. La complexification croissante des clivages politiques provoque des fractures au se in de chacun des camps: dans ces
condi tions, peut-on encore parler de gauche el de droite?
Ces questions fond ent autant d ' hypothèses de travail sur l'usage des notions de gauche et de droi te. Celles-ci ne serv iraient plus qu 'à la légitimation
des entreprises pol itiques et aux nécessaires d ifférenciations du marché politique; acteurs et observateurs y recourant d ' autant plus volontiers que, comme
le note Michel Dobry , en période de crise. ces derniers sont pris dans « des
stocks cognitifs» tant « la conjoncture marquée par l' incertitude structure lle
les prive de moyens routiniers d 'anticipation et d 'appréciation des situations » 36. Dans cette optique. la gauche serait à é·tudier avant tout comme un
phénomène historique et socio logique en voie de mutati on ou d 'ex tinction,
dont les traces de cultures politiques ou de « sensibi lités » (Jean-François Sirinelli 1J) seraient plus ou moins prégnantes selon les pays.
Notn
, Le cas du l'OS allemand est particulier. Le OKP a toujours été marginal en RF.... Le POS. issu du n:o. a
réal isé un score de 2.4% aux premières éla:lions dans I·AlIemagnc: unifiée.
Muisons イ ッオァ
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duc Iles. parfois rollccti,·cs (cas du Labour).
'1 W. mセrk
elN@
op. cil.. p. 2[4.
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A lIis/ory of Social
Drmocracy in Pos/Ii'ar El/rapt'. Longman. 1991. pp. 173·175. Dans œue optique. on rejoint ici une panie
comre capilalismr. Seuil. 1991. qui. lui. privilégie. sans doute ex·
des analyses de M. AI.uE.ln. c。ーゥOウュセ@
cessivement. la matrice allemande ct cllrétienne sociale dans la mise en place de cc type de système éoooomique et social. Voir sur CI: livre. la discussion ill lセ@ Débat.janvier·février 1992. nO68. pp. 162-191.
Il R. DMIRE. . . DORF. Rlfll.'.rions sur la rll'O/UtiOfll.'lI Europl.' 1989·1990. Seuil, 1991, pp. 51-88.
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'" On reprend ici la formu le du dirigeant communiste italien Enrico Berlinguer qui. en 1981. au lende·
mai n du coup de forçe de l'ann.!e en Pologne. parlait de « l'épuisement de la force propulsive _ de la
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eL@
Pop ..' Ston .. s. A lfis/Qry af EI"c/arul Socia!isrn, Chicago University
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:0 Pour une discussion de cene tllèse. voir les cootributions citées de Wolfgang Medel.
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Le SPD et l'unité allemande
Daniela
H EIMERL
Les révolutions cenlre·européennes des années 1989 el 1990, , 'unification
allemande elles guerres toutes proches ont bouleversé un ordre européen établi et une stabilité sur le conlinefll auxquels lout le monde s'était habitué.
Aujourd ' hui , les Européens sont à la recherche d ' un nouve l équilibre ; l'Allemagne émerge unie de la désintégration de l'Esl européen, e lle est partie intégrante de celle Europe qui se rassemble.
La question allemande n 'est donc pas ( close» mais a refai t surface sous
une fann e nouvelle. En conséquence, les événements de 1989 cl 1990 obligent tous les panis pol itiques allemands à examiner leurs positions. L' unificali on du pays soulève non seulement le problème ardu de " Etat-nation dans
l' histoire allemande et ce lui de l'identité nationale, mais auss i celui du développement politique, économique, social et culturel du pays. En même temps,
elle a une dimension internationale, notamment quand il s 'agit des re lati ons
qu 'entretiendra cette nouvelle Allemagne avec ses voisins mai s auss i en ce qui
concerne la simultanéité entre l' intégration de l' Allemagne dans le système
européen et le processus d'unification intérieure.
Comment la social-démocratie allemande réagit-elle face à l' unité retrouvée de J'Etat ? Quelle a été sa posi tion en 1989- 1990? Quelles attentes pouvaient être placées en e lle en rai son de son expérience historique et de son
importance politique ?
Dans l' histoi re allemande, la question nationale apparaît comme la
« question fatale » du Sl'O, comme le démontrent d ' ailleurs toutes les césures
hi storiques et , notamment , celles des années 1870-7 1, 1914, 1933 et 194546.
Cec i s' avère également vrai pour l' automne 1989 el ses conséquences. Ain si,
lors du congrès fédéral du parti social-démocrate à Berlin, en décembre 1989 ,
Wi lly Brandt évoque-t- il, dans un discours mémorable, le lien qui existe entre
la question allemande et l' unité européenne , tout en soul ignant que les so lutions de la question allemande et de la question européenne ne sont pas identi-
40
LA GAUCitE FACE AUX MUTATIONS EN EUROPE
q ues. Plus d ' un mois après la chute du mur de Berl in , l'argumentat ion de l'ancien chance lier de la République fédérale d 'Allemagne était, à ne pas s'y
tromper, non seulement européenne, mais également nationale. Dans un discours prononcé le lendemain, en fa isant all usion à l' interdépendance globale
de tous les problèmes et notamment de ceux. de l'écologie, Oskar Lafontaine,
candidat du pan i à la chancellerie, cite l' internationalisme comme la tradition
détenninante de la social-démocratie, qu ' il faut perpétuer afin de donner un
aven ir à ce monde 1.
Ces deux discours berlinois mOllirent que la position soc iale-démocrate à
un moment aussi crucial dans l'histoire allemande, oscille entre engagement
national et international isme. Face à ces incertitudes quan t aux traditions mêmes du spo, [' historienne Brig itte Seebacher-Brandt, épouse de l'ancien
chancelier Willy Brandt, lance le débat. Au début de l'année 1990, dans un
an icle publié dans le Fral/kfurter AlIgemeine Zeirul/g, elle reproche à la
social-démocratie allemande, son échec récurrent dans la question nationale 2.
Pour mieux. comprendre ce débat qu i est toujours d ' actual ité à l'intérieur
du pani J, il est uti le de replacer le thème « nation et social-démocratie allemande » dans son cOlllexte historique.
1_ Dimensions h istoriques
Au XIx<" siècle, l'ère de l'Etat-nation, plusieurs problèmes se juxtaposent
dans l'évolution allemande: l'A llemagne, la « nation retardataire セ@ aspire à
l' unité nationale; la bourgeoisie libérale demande la création d'u n Etat constitutionnel moderne el l'industrialisation rapide soulève la question soc iale.
Par ai lleurs, on constate rapidement que la revendication d' un Etat national
dans lequel les frontières étatiques et ethniques correspondent, ne se réalisera
pas sans problèmes pour les différents peuples centre-européens qui ont été
liés à l ' histoire du Saint-Empire romain gennanique ct à son organisation supranationale.
J.1. Dans la première moitié du XIX' sièc le, le mouvement ouvrier al lemand cst
panie intégrante du mouvemelll politique qui s'exprime pou r la liberté dans
l' unité nat ionale. Après l 'échec de la Révolutionde 1848,el sans développer ses
propres concepts de la question nationale, il perpétue ceux de la trad ition
ャゥ「←イ。
ャ ・セN@
On observe donc nécessairement, dans le mouvement ouvrier, une
polarisat ion identique à celle qui existe dans le mouvement démocratique
national allemand , entre, d ' une pan, un courant pro-prussien autour de Ferdinand Lassalle appuyan t la solution d ' une « petite Allemagne» (kleindeursche
LOSlll/g) et, d'autre pan , le courant des Eisenachiens, proche de August Bebel
el de Wilhelm Liebknecht, qui prône la so lution d'une « grande Allemagne»
(grossdelltsche LOSIIIIg) 3. Quant à Marx et Engels en exil à Londres, ils
LE SPD ET L'UNITÉ ALLEMANDE
41
considèrent que l' unification bismarckienne du Reich doit être transformée en
un progrès pour Je mouvement ouvrier et pour la luue des classes.
En 1870, les deux courams soutiennent ce qu'ils considèrent être une
«guerre défensive» contre la France et cela, à l'exception de Bebel et Liebknecht qui , dans leur refus de l'hégémonie prussienne, s'abstiennent lors du
vote au parlement pour les crédits de guerre. Après la capi tulation de l'armée
fran çai se à Sedan, la social -démocratie allemande oublie vite ses dissensions
internes et dénonce résolument la poursuite de la guerre, considérée alors
comme une agression. Elle proteste également contre J'annexion de
l'Alsace-Lorraine. Ses prises de position sont immédiatement su ivies par des
arrestations; la persécution des socialistes sous l' Empire débutant à ce moment-là 6.
Le prestige considérable dont jouissaient les sociaux-démocrates allemands jusqu'à la première guerre mondiale au sein du mouvement ouvrier
international est dû, en grande partie, à leur attitude lors de la guerre francoprussienne et à leur opposition à l'annexion de l' Alsace-Lorraine.
En 1871, avec la fondation du Reich, l'objectif du mouvement national
s'est concrétisé. La réalisation de l'unité allemande entraîne une répression de
la soc ial-démocratie et de nombreuses discriminations du nouvel Etat unitaire: les sociaux-démocrates font figure d'opposants radicaux au régime.
Mais, parallèlement, elle doit poursuivre ses propres buts politiques et sociaux , et cela dans le cadre de cet Etat national. Cette tâche serait utopiq ue si
elle se laissait enfermer dans un antagonisme entre, d' une part, la loyauté nationale et, d'autre part, l'internationalisme prolétarien. A ce propos, le concept
révolutionnaire de Marx, qu i stipule, entre autres, que « les travailleurs n'ont
pas de patrie » ne s'avère pas d ' une grande utilité; Lassalle, plus proche de la
politique allemande que ne l'était Marx en exil à Londres, lente de lier la lutte
des classes à la pensée nati onale pui sque, se lon lui , la classe ouvrière doit , par
le suffrage universel, obtenir une co-responsabilité démocratique dans l'Elat.
エ@ la guerre francoCependam, l'attitude sociale-démocrate セョ、。
prussienne, son soutien , par solidarité internationale, à la Commune de Pari s
et sa vision d'une nation allemande en lant que communauté cu lturelle et de
valeurs de liberté et d'égalité - les sociaux-démocrates réclament la République en pleine exaltation monarchique - , seront perçus comme une grave
menace contre la construction du Reich. En 1895, l'empereur Guillaume Il
qualifie publiquement les sociaux-démocrates « de horde de compagnons sans
patrie (l'arerlallds/ose Gesellen) qui ne mériteraient pas d'être considérés
com me des Allemands ». Marqués comme «ennemis du Reich » (Reichsleinde) par un nationalisme naissant mais de plus en plus agressif, les
sociaux-démocrates sont enfin exclus de la communauté nationale par les loi s
anli -soc ialisles ( 1878- 1890) 7.
42
LA GAUCHE FACE AUX MUTATIONS EN EU ROPE
Se considérant comme les « vra is patriotes» menant une politique nationale qui sert les intérêts du peuple allemand, l'altitude an ti-prussienne des
sociaux-démocrates prend de J'ampleur. Ils prennent position de plus en plus
rad icalement contre 1'« Etat de classes» (Klassenstoat), la bourgeoisie et
l'Egli se (J'empereur personnifiait l' autorité politique et religieuse). Totalement isolés de la politique nationale de l'époque, ils vivent d 'autant plus
amèrement leur impui ssance, compte tenu du grand nombre des adhérents au
parti. En même temps. la classe ouvrière s'organise. en marge de la société,
dans une « contre-société» et avec sa « contre-culture セN@
Sur cette toile de fo nd, le rapport entre social-démocratie et Etat national se déve loppe d'une façon ambiguë. Deux courants contradictoires voient
le jour au sein du pani, limitant encore plus ses possibilités d 'action : une
droite « nationale» étatique et réformi ste et une « gauche» internationaliste et révolutionnaire. Par ailleurs , à cause du système politique
mona rcho-con s titutionn eJ e t de s a s itu·atio n de parti-g he tto , la
social-démocratie n'est pas en mesure de se faire une idée réaliste de la politique extérieure et internationale.
L'année 1914 met le parti devant l'épreuve du choix entre la solidarité
internationale et nationale. Le débat au sein du parti 8, en août 1914, à propos
du vote pour ou contre les crédits de guerre, et la décision majoritaire de la
soc ial-démocratie sous la direct ion de Friedrich Ebert en leur faveu r, se comprennent par l'expérience col lective de l'exc lusion. Au delà de toute considération idéologique. une grande partie de la social-démocratie se veut responsable: elle est partie intégrante de la société et de la nation. Celte décision
comporte les germes de la scission future du mouvement ouvrier allemand,
qui aura lieu en 19 17 avec la naissance des sociaux-démocrates indépendants,
en opposition aux (( socialistes du Kaiser ». En prouvant leur patriotisme, les
sociaux-démocrates pensent obtenir l'égalité politique et sociale de leur pani.
Celte déc ision en fa veur du Reich et contre la solidarité internationale est vi·
vement critiquée par les social istes étrangers.
Parallèlement . le parti , avec un mi ll ion d 'adhérents, qualre-v ingt-dix
quotidiens, ses imprimeries et ses maisons d'éditions, ses institutions cultu·
relies et soc iales, avait déve loppé son propre patriotisme et voulait défendre
ses acquis sociaux. C'est ainsi qu ' une partie de la classe ouvrière panicipe à
l'exaltation nationaliste 9.
Jusqu 'au printemps 19 17, les soc iaux-démocrates allemands sont incapables de sortir de cet engagement national, bien que la guerre ait accent ué le
caractère autorilaire de l'Elat et que l'innuence croissante du commandement
militaire ait anéanti les espoi rs naïfs que la soc ial·démocratie avait placés dans
une guerre strictement défensive, y voyant l'opportunité de réformes inlé·
rieures au profit de la classe ouvrière. Ce n'est qu 'après la révolution russe de
février 1917 que la social-démocratie fai t de nouveau sa propre politique na-
LE SPD ET L'UNITÉ ALLEMANDE
43
tionale en demandant une « paix de réconc il iat ion» et non pas une « pa ix victorieuse ».
1.2.La chute de la monarchie en 19 18 et la révolution de novembre portent les
sociaux-démocrates au pouvoir. Mais pour la première fo is, ils ne sont plus seuls
à gauche, avec l'émergence d ' un second parti ouvrier et celle d' un puissant part i
communiste. Malgré la situat ion difficile de l' après-guerre dans laquelle se
trouve le pays, la social-démocratie n' hésite pas à prendre la responsabilité
politique du destin de la nat ion 10.
En effet, pendant la République de Weimar, le SPD est un des pil iers de la
pol it ique de responsabilité nationale. Ainsi se bat-il pour préserver l' intégralité du Reich contre certaines aspirations séparatistes et contre l' intervention
étrangère; il tente également d'exécuter les conditions du trai té de Versailles,
afin d'obtenir une révision de celles-ci el d 'engager une pol itique de réconciliation. Par ailleurs, dans un cl imat général de retour à la fureur nat ionaliste
d'avant-guerre et à l'ignorance de la responsabilité européenne, la social-démocratie est consciente du rôle particulier de l'Al lemagne "pour sauvegarder la
paix en Europe. Elle cons idère l'entrée de l'Allemagne dans la Société des
nations comme un grand succès de la politique ex térieure de la République de
Weimar. Soutenant la politique de Locarno de Gustav Stresemann, e lle se
fixe , en 1925, dans son programme de Heidelberg, la création des Etats-Unis
d'Europe comme objectif politique. Mais la majorité des Allemands ne la
soutient pas.
En acceptant de prendre la responsabilité des événements pol itiques intérieurs et extérieurs consécutifs à la défai te, le SPD sera désigné, ainsi que ses
chefs politiques, comme bouc émissaire, par les forces qu i avaient elles-mêmes déclenché la guerre. A la politique de réconciliation avec les démocraties
occidentales, l'extrême-droite répond par les slogv.ns du « mythe d u coup de
poignard dans le dos » (Do/chstosslegende) et par l'accusation de la « trahison
nationale ». On peut se demander si la soc ial-démocratie aurait pu neutraliser
cette campagne incendiaire en sui vant l' appel de Eduard Bernstein, lors du
premier congrès du parti de l' après-guerre en 1919, de révéler publiquement
la responsabilité des anciens pouvoirs de l' Allemagne wilhelm ienne dans le
déclenchement de la guerre. Toujours est- il que le SPD est de plus en plus réduit à la défensive, devant constamment répondre à l'accusation de dérobade
face aux questions vitales de la nation.
Les rai sons de la chute de la République de Weimar onl élé longuement
débattues et l'argument de l'échec du mouvement ouvrier allemand dans le
domaine national est souvent revenu. La social-démocratie allemande a réussi
à sauvegarder l'ex istence nationale des Allemands et à poser les jalons d' un
Etat démocratique. Mais elle a échoué à créer un consensus national afin de
démocrat iser profondément le pays. La grande tâche qui se pose au début des
44
LA GAUCIIE FACE AUX MUTATIONS EN EUROPE
années trente de rassembler et motiver les forces de la nation dans la lulle
contre la misère économique et contre la menace de la démocratie n'a pas été
remplie ".
2. Du primai de la réunificalion au dogme du main lien
des deux Etats allemands
2.I.Le succès avec lequel la politique d' AdolfHitlerest accueillie au sei n même
de la classe o uvrière pose à nouveau, dans l'émigration socialiste, le problème
de la question nationale. Ce dern ier culmine, à la fin de la deuxième guerre
mondiale , dans laquestion de la culpabil ité et de la responsabilitécolJectives du
peuple allemand à propos des atrocités commises pendant la dictature nationalesociali ste. Comme la thèse d ' une culpabilité collective est liée au caractère du
peuple allemand, elle concerne aussi le mouvement ouvrier. Elle louche donc
ョ、 ・ ᄋ i セN@
profondément l'identité de la gauche 。ャ・ュ
Kurt Schumacher Il, premier chef politique du SPD d 'après-guerre, accepte
la responsabilité collective de la nation allemande, mais refuse que les « soc ialistes démocratiques. véri tables adversaires du national-socialisme soient
confondus avec les autres ». Symboli sés par Schumacher, qui a passé dix ans
dans un camp de concentrat ion, les sociaux-démocrates pensent sortir de la
terreur nationale-socialiste, moralement et politiquement, sans tare. Ils croient
être les représentants légitimes de « l'autre Allemagne » et appelés - bien
avant les autres forces politiques - à bâtir une démocratie allemande, à faire
office de gouvernement provisoire pan-allemand et à garantir l'ex istence nationale des Allemands vis-à-v is des particu larismes internes CI des puissances
alliées.
Le maintien de l'unité allemande sera, pendant dix ans, la priorité politique et émotionnelle des sociaux-démocrates dans l'opposition . En effet, sous
Schumachcr et Erich Ollenhauer, le SPD se présente comme Je parti de l' unité
nationale, combattant la politique d ' intégration occidentale menée par le
chancelier Konrad Adenauer qui « cimentait la division du pays ». Dans ce
contex te, et voulant garder ouvertes toutes les possibilités de réunifier le pays,
le SPD considère aussi la politique ouest-européenne avec réserve. Cet engagement ne cache pas un attachement primaire à l'Etat national. D' une part, il
est vrai que la division affaiblissait considérablement le parti en le coupant de
ces fiefs traditionnels à l' Est et, d'autre part, les sociaux-démocrates répétaient inlassablement que J'on ne devai t pas abandonner dix-huit mi ll ions de
compatriotes à un régime totalitaire.
Jusqu'au début des années soixante, la politique allemande de la soc ialdémocratie est dominée par le primat de l'unité du pays. Il est intéressant de
constater que J' interprétation de la scission en deux de l'Allemagne comme
une punition pour Auschwitz, telle qu'elle a été maintenue pendant longtemps
LE SPD ET L'UNITÉ ALLEMANDE
45
par une certa ine gauche allemande, apparaîtra beaucoup plus tard 14. En effet,
ce n'est que la génération de la gauche social isée dans le contex te de la République fédérale d'Al lemagne qui abandonnera dans ses réflex ions politiques
le leitmotiv national.
2.2. La revendication de l' unité allemande devenant de plus en plus une formule
creuse, et suite à plusieurs échecs électoraux, le SPDenlame, au milieu des années
soixante, une réorientati on de sa politique allemande. Celte nouve lle politique,
élaborée par le premier gouvernement soc ialo-libéral de 1969, veut sauvegarder
l' unité nationale et humaine dans le cadre de la division étatique. La construction
du mur de Berlin en août 1961 con vainc le SPD qu' il faut apprendre à vivre avec
le statll qI/a issu de la guerre. Sans aller jusqu'à le mettre en cause, il s'agit au
moins d 'essayer de l' améliorer au profit des citoyens dans les deux parties de
]' Allemagne. Mais reconnaître lestatll qllo territorial, pour fai re bouger le statu
qllo politique, implique indirectement de vouloir démocratiser et libérali ser
l' autre Allemagne .
Dans ce contexte, le chancelier Willy Brandt devient une véritable fi gure
d' intégrati on pan-allemande; c'est surtout visible lors de sa visite à Erfurt en
Allemagne de l'Est en 1970, où les citoyens de la RDA l' applaudissent spontanément. A cette époque, le rapport entre communication et nation est, pour
la première foi s depui s la guerre, reconstitué dans l'Allemagne di visée l S. Les
frontières entre les deux Etats dev iennent perméables et cela, malgré les
grands efforts de démarcation du régime communi ste est-allemand. En même
temps, l' objectif de l'unité étatique du peuple allemand, légitimée par le droit
à l'auto-détermi nation des peuples, figure dans le préambule au Iraité fondamental conclu entre les deux Etats allemands en 1972 .
Cependant, à partir des années quatre-vingt, les priorités de la pol itique
allemande sociale-démocrate commencent à changer. Malgré la bataille
autour des euromissiles qui attire de nouveau l'attention d ' un grand nombre
d'Allemands sur la situation géostratégique grotesque el précaire de l'A llemagne coupée en deux et crée un sentiment di ffus d'appartenance panallemande. l'obj ectif de réaliser l' unité allemande est au second plan.
Ce glissement dans la politique du SPD se reflète auss i sur le plan programmat ique. Ain si. le programme de Bad Godesberg de 1959 mentionne-I-i1
la question allemande dans les lerrnes suivants:
« Le parti social-démocrate allemand ( ...) préconise ( ... ) l'unification de
l'A llemagne dans une liberté gar..mtie. ( ...) La suppression de cette division est
une nécessité vitale pour le peuple allemand. ( ... ) Ce n'est que dans une
Allemagne ré unifiée que le peuple entier pourra détenniner le contenu ct la
ronne de l'Elat et de la société gr.î.ce à sa libre dé tennination » 16.
46
LA GAUCHE FACE AUX f.tUTATtONS EN EUROPE
Au contraire. le projet d ' Irsee de 1986 ne contien t aucune déclarat ion prônam
la réunificat ion du pays. Il stipule uniquement le droit des Allemands à l'autodétenn ination et pose la question :
« comment réunir les Allemands provenant des deux Etats dans une
communauté institutionnelle dans le cadre d'un ordre européen de sauvegarde de
la paix ?» 17.
Dans le nouveau programme fo ndamental de décembre 1989, avec lequel le
doit vivre auj ourd ' hui dans r Allemagne unie, le problème de l'u nilé allemande est abordé de la façon sui vante:
SPD
« Au même titre que tous les autres peuples, les Allemands ont un droit à
l'autodétennination. La question nationale reste subordonnée aux ex igences de
la paix. Nous aspirons à une paix européenne qui penneUe au peuple allemand de
recouvrer souverainement son unité. C'est dans une Europe en cours
d'unification que les citoyens des deux Etats allemanqs décideront de la fonne de
communauté institutionnelle. L'histoire allemande CI l'option prise par
l'Allemagne pour l'Europe unie proscrivent aux Allemands de s'engager sur une
voie spécifique. La fronti ère occidentale de la Pologne est définiti ve» ",
La politique allemande et l'Ostpolitik, à part ir des années soixante-dix ,
som bâties sur la conv iction que la division de l'Allemagne ne d isparaîtrai t
qu'à l'issue d ' un processus de rapprochement de l' ensemble du continent. La
chute du mur de Berlin va bou leverser le cours des événemen ts. En fait , au
sein du SPD, le concept de détente sur lequel repose sa polit ique, se fonde, peu
à peu, sur la reconnaissance finale et sans conditions, de l' ordre bipola ire de
l'après-guerre. Les rénexions autour d ' un nouvel ordre européen de paix présuppose, de plus en plus, le main tien des deux Etats allemands pou r
«( européaniser l'Europe » 19. Dans les années quatre-v ingt, ce n'est pl us
l' unité étatique ni le besoin de définir l' identi té nationale qui sont au cœur des
débats portant sur la question allemande au se in du SPD; il s'agit plulôt de regagner et de sauvegarder une dimension pan-allemande et d'é largir son horizon à l'Esl, rétréci par le mur de Berlin et le Rideau de fer.
La social-démocrat ie a-t-e lle fa it du maintien de la di vision étatique un
dogme de sa politique? Il est symptomatique qu'à celle époque, un grand
nombre de dirigeants soc iaux-démocrates se sentent non seulement mal à
l' aise en d iscutant publiquement la question nationale, mais qu ' il s gardent
aussi leu rs distances face au phénomène des oppositions est-allemande et
centre-européenne qui sont en train de se const ituer. Ayant des contacts étroits
avec le SED et craignant de mettre en danger des acquis politiques, le SPD, à la
lumière de la nouve lle politique gorbatchév ienne, est convai ncu que le changement en RDA prov iendra également des réformes introduites par le parti social iste unifi é est-allemand (SEO) . Peu flexib le, il sou s-estime la dynamique
des groupes d 'opposition multiples qui commencent à se fonner et à s'organi-
LE $PD ET L' UN ITÉ ALLEMANDE
47
ser dans l'autre Allemagne, précurseurs de la formidable révolution démocratique et paisible des citoyens de la RDA 20.
3. L' un ité a llemande: rêve ou ca uchema r ?
A partir de 1989, la social-démocratie allemande a-t-elle donc raté un rendez-vous avec l' histoire? Est-elle sortie perdante de la première étape du
processus d ' uni fication com me semblenl l'indiquer les résuhats désastreux
des premières élections pan-allemandes de décembre 1990? Les forces conservatrices et libérales ont-elles gagné une bataille historique?
L' image du SP D, de l'automne 1989 jusqu'au x é lections de décembre
1990, est liée en grande partie à la personna lité du candidat socia l-démocrate à
la chance llerie Oskar Lafontaine. Son « parler vrai » quant aux coûts économiques et soc iaux d' une unification rapide trouve peu d 'écho dans la population qui la souhaite, et cela toutes opinions politiques confondues. Ce qui différencie Lafontaine du parti conservateur d ' He lmut Koh l est moins la question de savoir si l' unité allemande doit être réalisée, que celle du « comment ?» 11. Pour lui, la priorité n'est pas ャ G オ ョゥ エ セ@ étatique mais l'égali té du
niveau de vie dans les deux Allemagnes. Dans son entreprise visant à moderniser le parti et à lui donner une organisation susceptible de lu i assurer une
position dominante dans la société allemande de l'an 2000, Lafontaine négl ige, dans la conjoncture politique précise des années 1989-90,I' importance
de la question nationale. En effet, à un moment où la majorité des Allemands
ne cachent pas leurs sentimenls nat ionaux , l'approche de Lafontaine est résolument « post-nationale» . En ce sens, il fa it l'impasse sur l' idée d ' un
Etat-nation sur le territoire allemand en écrivant, au mois de septembre 1989 ,
dans Der Spiegel :
« Le spectre d'un Iv" Reich allemand puissant fait peur aussi bien à nos voisins
occidentaux qu'orientaux. (... ) Je ne peux imaginer une nation culturelle
(Ku//llma/ion) allemande un ie que dans le cadre des Etats-Unis d'Europe telle que le SPD ['a fonnulée déjà en 1925 » セ N@
Au contraire, des soc iaux-démocrates comme Willy Brandt tentent de prolonger la tradit ion du spo, symbolisée par des hommes comme Kurt Schumacher, Ernst Reuter ou Herbert Wehner et leur attachement à une Allemagne
réunie. et qui légitimeraient la social-démocratie allemande comme leader
d' un mouvement pour l'unité allemande. En lançant au lendemain de
l'ouverture du mur, « maintenant s'assemble ce qui appartient au même ensemble », Willy Brandt renoue avec une conception de la nalion proche du SPD
et qui récuse la notion un i-dimensionnelle d ' une communauté aux origines
identiques pour lui substituer celle d' une communauté de deslin, qui exerce,
par sa volonté d'appartenir au même ensemble, son droit à
l'auto-déterm ination politique 23,
48
LA GAUC II E FACE AUX セャitajons@
EN EU ROPE
En effet, la question nat ionale et les discussions impétueuses autour des
di fférentes orientations secouent le SPD R セL@ Deux protagonistes surtout, chacun
appartenant à un camp différent, al imentent abondamment ce débat. Et tout
d 'abord Brigitte Seebacher-Brandt 25 qui met en avant la tradition nationale de
la socia l-démocratie allemande avec laquelle le part i rompt, se lon elle, dans la
deuxième moitié de l'hi stoire de l'ancienne République fédéra le d ' Allemagne, Elle lu i reproche d 'avoir gaspillé l'héritage national de Willy Brandt et
d ' Helmut Sch midt et d 'entretenir un rapport ma lsain avec la réalité, Ceci
empêche le SPD d 'évaluer l'envergure des événements de 1989- 1990 en Allemagne et en Europe au point de refuser, pendant un certain temps, de reconnaître les fa its, En critiquant la relation tordue 26 entre la social-démocratie
actue lle el la question nationale, elle accuse surtout la génération de 68 , qui
constitue en grande partie l'é li te sociale-démocrate d'aujourd ' hui , de manquer de sol idarité avec les Alle mands de l' Est et de fai re preuve d' une trop
grande indulgence à l'égard de .t'ancien régime ' communiste. En fait, pour
B. Seebacher-Brandt, il s'ag it d ' un confl it de générat ions. Des hommes
comme Willy Brandt et Klaus von Dohnanyi , deux sociaux-démocrates qui
avaient fait partie de la résistance allemande pendant le][Je Reich , s'expriment ,
dès l'automne 1989 , sans hésiter, en faveur de l' unité allemande. Ma is la génération sui vante est tounnentée par un sentiment de culpabil ité et souhaite
punir tardivement ses parents, même au pri x de la d ivision du pays. Il est vrai
qu'une partie de la jeune génération de la gauche ouest-allemande se définit
politiquement par rapport à l'hybris du nationalisme allemand et par la conviction qu 'elle ne peut échapper à l'ombre d ' Auschw itz par le sim ple oubli 27 .
Il fau t rappe ler, qu 'à l' Est, les mi lieux d'opposition et protestant s partagent cc
point de vue: ainsi l'appe l du 24 jui llet 1989 à la fo ndation d'un part i socialdémocrate en RDA reconnaît-i l explicitement la div ision de l'A llemagne en
raison de son passé coupable 28 ,
Autre animateur du débat q ui divi se le SPD, le député social-démocrate
Peter Glolz 29 commence à mett re en cause le concept de l'Etal-nation lui même, qui lui paraît une fau sse voie dans des régions où d ifférents peuples
cohabitent. Pour lui , le dro it à l'autodétenni nation des peuples ne veut pas
automatiq uement dire séparation ou sécession, Il cite, comme preuve d ' une
autre vieille tradition soc iale-démocrate, le programme sur les nalionalités
é laboré par la social-démocratie autrichienne en 1899. S'agissant d ' une trad ition q ui n'est pas nationale mais émane d ' un part i qui, à l'époque, a dû
composer, en Autriche-Hongrie, avec un mélange d 'ethnies et de peuples,
Glotz souligne le droi l à l' autonomie dont ne découle pas nécessairement un
Etat propre à chaque peuple . Mettant en garde contre un nouveau nationalisme
allemand, contre l'éq uation fédéralisme =prov incial isme et contre la tentation
de la trad ition bismarckienne de l' Etat national, il plaide pou r l' approfondisse-
LE SPD l:.ï L'UNITE ALLEMANDE
49
ment de l' Europe occidentale et pour l'Union politique européenne afin d 'y
intégrer et d'occidental iser pour toujours cette nouvelle grande Allemagne 30.
Ce débat autou r de l' unité allemande, qui agite aujou rd' hui les différents
courants sociaux-démocrates, rappelle les discuss ions au sein du SPD, après les
élections de 1957, qui annoncèrent un renouvellement profond du pani. Il
aborde les questions suivantes : dans queJle mesure le SPD est- il national?
L' Etat national est-il encore justifié aujourd ' hui et j usqu 'où peut aller le droit
à l'auto-détemlÎnation des peuples, concept forgé par le président améri cain
Woodrow Wilson, après la première guerre mond iale? Mais ces questions
sont ampli fi ées par les problèmes immédiats: comment fa ire J' uni té allemande intérieure et extérieure et quelle structure l'Europe aura-t-elle demain ?
Enfin , le rappon entre social-démocratie allemande et nation ne se
caractérise-t-il pas, depui s cent trente années, par Je lien entre ident ités nationale, soc iale et démocratique, le tout dans un cadre européen JI ? Mais làdessus, et à la lumière des changements que l'année 1989 a apponés et qui ont
profondément bouleversé toute la gauche ouest-européenne, se greffe donc
une question essentielle et qui , selon une série d'an icles publiés dans le
Frankf//rter AlIgemeille Zeit//ng, se fonnule ainsi : whot' s left ? 32, el cela dans
les deux sens du lenne.
Notes
1ProlOkoll l'D m Programm Pamilag Bu/in. 18·20 déccmbre 1989.
Cilé par B. FAULENfI,\Ql. " Soualdtmokralie und deui sc her Sonderweg ", N,u, Gfu llschafl,
juin 1990. p. 507.
J Voir la table ronde .. Nationalisme et émancipation démocratique " organisée par la Commission
historique du SPD. Frank/"ft , r AlIgt'r'lfirll' Z, ilung. 10 novembre 1992 ; voi r セ ァ。ャ・ュョ
エ@ D, GROU et
P. bra セ dtN@ Vatu latlds/osf g セ ウエャLョ
N@ Sozia/dn/lokrati, u/ld NUlion /861)·/99(), C. H. Beek Verlag, 1992.
• W. COS"lEet D. GROU, d ゥ セ@ Arbâ /frlN ....t grmg in 、 セ イ@ llO/iona/rn bセiG
セァ LB ァ L@ Emst Kleu Vet13g. 1966.
l S. MIUER .• Nationale Hoffnung _ nationale Ausgrenzung _ nationale EinbîndulIg: die Friihzeit
der deutschen Arbeiterbewegung bis 1.um Erslen Welt kri eg " ill 0 : DoIVE. So:;u/dl'nloli.ralil' und Na/JOlI in
Grsc/lirltl f ,md gイ ァセ iャGオイ
N@ Friedrieh·Eben.Stiftung. Forum Deutsche Einheir. nO2. 1990. p. 11.
- /bid .• p. 13 ctsuiv.
lIégative et attention ré\'olulionnaire ", 1.' nrOU\·tnrelll socilJl. avril·juin 1976.
' O. GROII, .. ャョエセァイ。ゥッ@
• S. Mlu.ER. op. cil., p. 18· 19.
• Voir H. GUBING. ArlNilulN...·rglmg. Deutscher Taschenbuch Verlag. 1987.
10 H.A. WISCK LER. " sッコ
ゥ セャ、」ュッォ
イッ エゥ・N@
Nation und Republik : Die Erfahrung VOII Weimar . ;', So:iu/·
、セュ
ッ ォイuャ
ゥエ@
ulld NU/ion. op. cil.. p.23·37. Voir aussi K. SoIÔSIIOVJ;X. Rrformismus und Ruditolisnrus,
DeutscherTachenbu ch Verl ag. 1989.
" G. W UTlIB. " Einheit der Nation Traum oder Trauma der Sozialdemok rali e ...
Drw schlamt·Archi\'. nO11. 1991. p. 1175.
Il P. BRASDT. .. Die deutsche Linke und die Nation ". Gl'lI'ubchaft/ichr MOIIIIlshffll' . 5·6. 1990.
p.278.
1) K . Sa/UMAOIU . r セ 、ュ@
Schrifll!'1l Korrrspond, nun t945· /951 (éd. par W . AI.lIREClfT). Berlin·Bonn,
1986.
"P. br aセo tN@ op. cil.• p. 279.
Il C. KI.J''sSMANS. Il Sozialdemokratie und deutsc he Froge lwischen Kal!em Klieg und neUl:r Oslpo·
litik .. in So:iQIdl'mokmlir und Nalion. op . cil .. p. 39·5 1.
1
50
LA GAUCIlE FACE AUX MUTATIONS EN EUROPE
du parti soôlIl·démocralt' IIl/emll/ld adoplé pur le C/J/lgrts ・xャイ、ゥュセ@
t. Programme ヲ o Oャ、BュセQi。@
dll SPI) à 8/1d God esberg . 13- 15 novembre 1959 (tradoclion française).
" Projl'I â!rsu pour iO セ@ nO/n'rlle p/II/e·form.· du ptmi stK'illl-diml>CrIIll' /II/l'ma/II!. juin 1986 (tra·
ウ・IN@
duction ヲイョセゥ
"Programme fO/ld/lml'/llal tlu parti socÎal-démocrllle /llItnllllld IIdO/Iii /1<lr Il' eongrh du SM ù Bulin.
18-20 dcrembre 1989 (traduction frnnçaisc).
P. BENDER. Das Emit des hle%giJCI!l'1I üillllius. Dil' EuropiiisiullIIg Europus. Severin und
Sicdler.1981.
'" D. h XセG セ rャ@ .... La social-dtmocratie allemande face au défi communiste de 1945 11 nos jours _,
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!J G. WunlE. op . cil., p. 1177.
l ' Voi r aussi J. IIAOOER. dセオャs
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IrflUmer. Sdw/rfiirber IIlId Ifelfershelfl'rder u o-Ditta/tlr lm lVes/eJ(.
Verlag UlIstcin. 1992.
!'I B. se
e ba cャ i e r M bセ BG sot
N@ Die Lillke I//Id die Eillheil. Sied 1er. 1991.
'" B. SEEBAC!IER- BR... L セijtN@
dゥセ@
delluehe Lillke II//d die vセイ セ ゥャァN@
table ronde. 12 novembre 1991 11
Bonn. Friedrich-Eben·Stiftung. Forschungsinstitut, 1991. p. 6.
,) Voir la n'ponse de 1. FlSCi lER 11 B. S&l:IAC! lf.ll.-BRASUT ill Def Spie8<'/, nO42, 1991.
,. Al/fmf:l/f Bildl/ng ¬ ョ セ イ@ i ャゥ。イBァエーセ@
",il drm lirl l'inr ウッZゥ。ャ、HGBLJイ・
ャL セ@ Pauâ ill d('r t)t)R ins
l セ 「・ョ@
=/r rtt/l'n. p. 4 (manuscrit).
:0 P. GI..OTL, Dl'! Irn..", dts NOliQrlUlstoo/('s. Europùiselte Rnlm at/l'ill dl'lIIScllu Pllblikll'" Vrll/selte
V('rl/lgsallSlall. Stuugan. 1990 CI P. gャNッイOセ@
Die 、セャiウ」ィ・@
Rte"I(', Wilhelm H eyne Verlag, 1992.
,., P. GLOTl. Die lゥBセ
G ・@ lIaeh MaaS/fic/II. Friedrich·Ebcn-Slîflung, 9 septembre 1992, p. 17 (manuseril).
l t Dir Zei/. 6no ..cmbre 1992.
セ@ .. Die Linke nach <lem
" Fr/lllkfitrl('r AI/grmei"e Zei/un,I{. 20 novembre 1992. Voir aussi P. g ャNotBO
Sieg des WeSlens ... DrUlscht \'l'!lagsallSlal/, 1992.
t.
La social-démocratie scandinave
face à l'impasse européenne
U lf LJ NDSTRCM
Comme l'a mi s en lumière le rejet populaire du traité de Maastricht au
Danemark en 1992, l'aveni r de la Scandinav ie en Europe paraît incertain. Les
conséquences du « non » danois ont été aussi ressenties au nord du Danemark,
rappelant aux hommes politiques fi nlandais. norvégiens et suédois que leur
électoral pourrait bien rejeter l'adhésion à la Comm unauté européenne lors
des référendums prévus fi n 1994 (se lon le calendrier établi par les partisans
les plus ardents de l'adhésion nordique à la CE). Pl us que jamais, comme
l'a encore démontré le deuxième référendum au Danemark, les partis
sociaux-démocrates et leurs électeurs détiennent la clé de l'altitude scandinave face à la question européenne.
Comment expliquer les difficultés rencontrées par les élites politiques
scandinaves pour obtenir l'adhésion de leur conc itoyens à la Communauté
eu ropéenne ou, pl us exactement, à l'Union européenne?
Pour expliquer la situation diffici le de la ウ ッ」 ゥ 。 ャ セ 、←ュッ」
イ 。 エゥ ・@ scandinave, il
convient de commencer par un relOur aux grands courants de la sociologie
politique. On peut en effet observer que:
il y a des pennanences et des contradictions contextue lles propres, se
← ュッ」イ。エ・
ウ@
rapportant exclusivement à la manière dont les électeu rs ウッ」 ゥ。オクセ、
perçoivent l'adhésion à la Communauté e uropéenne;
ces pennanences varient d ' un pays nordique à l' autre. Elles renvoient
l' image d ' une région dont les relations économiques. politiques et sociales
avec le monde extérieur sont de p lus en plus complexes;
si les dirigeants ウッ」 ゥ。オク
セ 、←ュッ」イ。
エ ・ウ@
des pays nordiques souhaitent briser
les chaînes de certaines structures pern icieuses, leur argumentaire en fave ur
de l'adhésion à la Communauté européenne est pauvre et assené comme
parole d 'évangi le avec plus de force à mesure que les référendums se
rapprochen!. Les partis sociaux-démocrates, dont le plaidoyer originel en
faveur de la Communauté européenne se limitai t aux thèmes de la crois-
52
LA GAUCHE FACE AUX MUTATIONS EN EUROPE
sance nationale et de l'emploi. doivent comprendre les évol utions de la vie
publique - autre fois source de la loyauté basée sur la classe et par la suite
lieu où se débauaienl les orientations poli tiques - où se man ifesten t un
désintérêt pour la chose politique et une inquiétude face aux questions
d ' intérêt généra l.
Contrairement à l'Etat-nation, une Communauté européenne , « laissée
dans une zone nébuleuse >, entre un marché com mun européen et l'Union
européenne, peut sembler être tout sauf sociale-démocrate. Car force est bien
d'ad mett re la vérité: l' intégration, comme le socialisme européen il y a un
sièc le, est un projet d 'avant-garde qui fa it table rase du passé. C'est un projet
réal isé par et pour des Européens bien part iculiers, à savoir les détenteurs des
ressources économ iques, culture lles et/ou pol itiques, ou pour des Etats euro·
péens en passe d'acquérir ces ressources.
En raison d ' un niveau de vie moindre en Fi nlande que dan s les autres pays
scandinaves, beaucoup de raisons mi litent en faveur de l'adhésion de la Finlande à l'Union européenne. Cependanl, alors q.ue la social-démocratie scandi nave détient ou croit détenir cet argument majeur, il est deux autres domaines où les Scandinaves semblent devoir lâcher la proie pour l'ombre.
Contrairement au social isme, qui portai t autrefois fièrement le n ambeau
de l' héritage judéo-chrétien, l' intégration européenne n' cst pas porteuse d' un
credo millénariste. d ' une utopie mobilisatrice, d ' une miss ion et d ' une cause
j ustes pour lesquelles se banre, au nom d ' une classe ouvrière opprimée, avec
un instrument d it parfait. Avec des intérêts d ivers selon les pays, le soc ialisme
européen réalisait la fu sion du moderne et du traditionnel. Cela permettait à la
classe ouvrière de rapprocher l'expérience quotid ienne de la victoire inéluctable des masses laborieuses . En fa it, l'intégration européenne est une sorte de
coup de force ultra-moderniste qui s'écarte de l'histoire eu ropéenne.
Pour la social-démocratie scandinave, il y a plus dans l' idée d'Europe
qu ' une simple union. La di vis ion du travail rampante, qui s' intensifie, et la
global isation de la culture des loisirs érodent les valeurs et le raisonnement
originaux de la soc ial-démocrat ie. Terril/III flOlI da/llr, ils seront accélérés par
les efforts des d irigeants pour convaincre les citoyens des pays nordiques de
voter « oui » lors des référendums sur l'adhésion à la Communauté européenne. Quelle que soit j' issue du vote, un dem i-siècle d 'exce ption scandinave aura pri s fin .
1. La structure d es ménages en Scandinavie
Rien ne fait mieux ressortir les changements de l' univers de l'é lecteu r
soc ial-démocrale scandinave q u' une visite à son dom ici le.
Un changement de la structure fa mi liale est allé de pai r avec l'avènement
de la soc iété posl-industrielle. Une économie intérieure nouvelle a favori sé
l'émergence d ' une signification plus compos ite de la croissance et de l'em-
LA SOCIAL-DÉMOCRATIE SCANDINAVE FACE À L'IMPASSE EUROPÉENNE
53
ploL Le ménage typique des années soixante, inscrit dans le contexte économique et culturel original du mouvement de la classe ouvrière, se composait
d ' un homme qui travaillait dans le secteur privé et d ' une femme qui , si e lle
travaillait, occupait un poste à mi-temps dans le secteur public 1. Au cours de
ces vingt dernières années, a surtout augmenté le nombre des « ménages publics », dans lesque ls l' homme et la femme sont tous deux employés dans le
secteur publ ic. Parmi les employés du secteur public, deux tiers s'occupent de
tâches propres à un Etat-providence moderne 2.
Dans ces conditi ons, les tennes de la bataille entre « Je marché» et
« l' Etat » pour assurer la croissance et l'emploi se sont modifiés. Les « ménages du marché» (c'est-à-dire les ménages dans lesquels l 'homme travaillait
dans l'industrie manufacturière et rappelait sans cesse que c'était ses revenus
imposables ct ceux de sa compagnie qui fin ançaient l'emploi à mi-temps de
son épouse auprès du gouvernement loca\ - et dépréc iait de la sorte l'activité
professionnelle de sa femme) sont en passe de disparaître.
Celte évolution a laissé des traces dans la politique scandinave dans trois
domaines au moins:
1. d 'abord et de la façon la plus év idente, en supprimant un grand nombre de
microcosmes sociaux-démocrates;
2. ensuite, parce qu' un « ménage publ ic» évite la politi sation en son sein . Le
positionnement politique différencié fait place à un av is uni forme dans
lequel les restricti ons elles opportunités semblent être imposées, particulièrement en matière d 'emploi ;
3. enfin, la nouvelle structure du ménage et le fait que les femmes accèdent à
d es pos ition s inte rmédiaires d ans l' admini stration , favorisa nt la
professionnalisation et un syndicalisme plus militant, ont modifié les
données du débat polit ique. Au cours d 'élections parlementaires régulières ,
les partis sociaux-démocrates sont apparus, pour les « ménages publics }),
comme des parti s crédibles établ issant cette forme de contrat: en échange
de crédits budgétaires plus importants alloués au secteur public, les employés de ce secteur - et leurs représentants syndicaux - étaient censés
admettre que la croissance économique nationale était le premier objectif de
la politi que gouvernementale.
Un type de ménage a survécu à la modernisation de l'économie: le « ménage en trépied ». Forme que l'on trouve communément dans l'arrière-pays,
part iculièrement en Norvège; mais aussi dans les régions intérieures du nord
de la Suède et du nord-est de la Finlande. Ce ménage possède une petite
ferme, un bateau de pêche, un centre d 'élevage aquatique ou un petit camp de
cabanes pour touri stes parce q ue la famille a également accès à des emp lois à
temps partiel dans l'administrat ion loca le. Schématiquement, la femme travaille généralement au centre local d 'aide aux personnes âgées et le mari
54
LA GAUCHE FACE AUX MUTATIONS EN EUROPE
s' assure un revenu supplémentaire par un travail saisonnier auprès de l' administration des transports. Dans beaucoup de communautés locales, le nombre
total de ménages dépendant d ' une économie en trépied est si élevé qu 'on n 'y
trouve pas les clivages parti sans originaux qui clichaient traditionnellement
classe ouvrière. classe moyenne et paysannerie locale.
Une société post-industrielle avec des « ménages publics» et des « ménages en trépied ». où le macrocosme de l' industrie manufacturière a quiné le
centre de la scène pol itique, sans que « ménages publics » et « ménages en
trépied » évoluent l' un vers l'autre, influence fortement les réactions face à la
Communauté européenne . L'argumentation de type économique - l'ouverture des marchés ou les ga ins d'échelle pour les entreprises privées - y a peu
de prise.
Contrairement à une élection parlementaire, un référendum offre seulement deux possibilités : « oui » ou « non ». Compte tenu de la pression ambiante et de la politique de proximité, on peut s'attendre à un «vote de microcosme ». Les ménages auront la prudence de ne pas transformer leur foyer
en champ de bataille. Les « ménages publics » et les « ménages en trépied»
seront plus enclins à voter uniformément que les « ménages du marché » et,
surtout , que les « ménages mixtes ». Alors qu'un « ménage mixte » peut toujours rationali ser aisément une divergence interne - par exemple en rapportant son choix aux intérêts de son employeur - , le « ménage de marché » est
à même de ne pas sui vre les recommandations de ses employeurs pour des
rai sons idéologiques. Le marché implique la liberté et encourage la prise de
ri sques J. En somme, globalement, la moderni sation de la structure du ménage
augmente la probabilité que les dirigeants sociaux-démocrates perdent les
deux votes du ménage. Dans certains cas, trois ou plus, si le microcosme inclut un ou plusieurs enfants en âge de voter et résidant au domicile familial.
2. La promotion de l'Europe sociale-démocrate comme alternative?
Les dirigeants du parti libéral et du parti conservateur expliquent à leurs
sympathisants traditionnels que le pays a intérêt à adhérer à la Communauté
européenne et ils sont généralement entendus par leur électorat. Les él ites sociales-démocrates disent la même chose mai s se ul un tiers de leurs partisans
セ ョ@
les suivrait, et encore sans conviction ; un autre tiers re fu serait ャG ッ イゥ ・ ョエ。ゥ
choisie par le pani , landis que le dernier tiers se compose des hési tants (voir
point 5).
S i les sociaux-démocrates scandinaves avaient un motif spécifique de
soutenir l'adhésion, comment imaginer que les partis suédois, finlandai s et
norvég ien, garderaient secrete la fo rmule du consensus européen et ne l'aurait
pas transm ise aux diri geants danois avant le référendum de juin 1992 !
En e ffet, après les votes danois et français sur le traité de Maastricht , les
défenseurs de I"adhés ion en Finlande, en Norvège et en Suède on t tous insisté
LA soc
i alセdmocrt
i e@ SCAN DI NAVE FACE À L'IMPASSE EUROPÉENNE
55
sur l' importance des aspects non matériels de la Com munauté. Pour la social·
démocratie scandinave (dont une minori té d'é lecteurs se ré fère encore aux
ex périences traumatisantes de la deuxième guerre mondiale ainsi qu 'à l'opti·
misme et à la confiance en soi qu ' ils avaient avant la guerre froide), ces pré·
occupations sont louables. Hélas, les stimulants non matériels sont peu effi ·
caces quand il s'agit de faire taire l'opposilion interne.
La social-démocratie du sud et nordique intègre l' internationalisme et les
valeurs de so lidarité. Elle a pris le parti des gens ordinaires contre les forces
ténébreuses auxquelles l' Europe a dû fa ire face, quelles qu 'elles fu rent, de
l'exploitation capitaliste au totalitarisme communiste en passant par l'into lé·
rance papiste. La social-démocratie scandinave ne doit pas s'excuser de soutenir l'i ntégration européenne, pas plus que les adhérents sociau x-démocrates
des pays nordiques ne sont indifférents à l' idée de fa ire de l'Europe un endroit
où la vie est paisible, décente et propre. Cependant, le part i social·démocrate
est coincé par sa collusion avec un Etat-nation bienvei llant, dont la fonne
institutionnelle n'est compatible ni avec le libéralisme (et l' anti-synd ical isme)
d ' un marché commun européen, ni avec le conservatisme (et le tradilÎonalisme) d ' une Union européenne édulcorée par le principe de subsidiarité.
L' Union européenne est une garantie de paix en Europe. Pourtant, sauf en
Finlande, cette dimension ne rencontre aucun écho. La Finlande, Etat tampon
à l' Est, est le seul pays nordique où l' adhésion à la Communauté européenne
est immédiatement liée à un raisonnement non matériel. La plupart des
sociaux-démocrates au Danemark, en Norvège et en Suède se contenteraient
d ' un assentiment pol i à celte idée de paix.
Evoquer l' Union européenne comme une institution qui rassemblerait le
meilleur de l' héritage culture l européen est aussi une perte de temps. Les
sociau x-démocrates scandinaves veulent bien que les Européens du sud vivent
aussi dans un Etat·prov idence à la scandinave, pour au tant qu'eux· mêmes ne
perdent pas leurs acquis sociaux. Mais si la Lombardie refu se d 'aider le
Mezzogiorno, pourquoi attendre d 'Oslo, d ' Helsinki ou de Stockholm , déjà
peu enclines à payer pour leurs périphéries nordiques, qu'elles assurent le
développement du sud de l'Europe ?
Les sociaux-démocrates scandinaves n 'ont guère l' occasion d ' apprécier la
culture lat ine lorsqu ' occasi onnellement , ils fon t du touri sme dans les régions
déshéritées de la Méditerranée. Ils se contentent de visiter les curiosités signalées par l' organi sateur de voyage, ne frayent pas avec les autochtones et se
plongent dans la presse de leur pays, une fo is rentrés à l' hôtel. Inversement, le
social·démocrate scand inave ordinaire est porté à croire que les autres étrangers n'apprécient pas les voyages organ isés et qu ' ils n 'ont de cesse de trouver
des maisons ou des fennes pittoresques, plutôt que des hôtels asepti sés et très
chers. Et il s ne rentreront pas non plus au bout de quinze jours.
56
LA GAUCHE FACE AUX MUTATIONS EN EUROPE
Que l'U nion européenne penneue aux jeunes Européens d'étud ier à
J'étranger, n'intéresse pas la base de la social-démocratie scandinave. « C'est
bien », diront-i ls, « mais pourquoi se donner la pe ine d'envoyer les enfant s en
Italie si c'est pour devenir plombier ou bonne d'enfants? » Que l' Union européenne assure la libre circulation des travailleurs leur paraît une provocation,
dans la mesure où la politique sociale-démocrate de ple in-emploi avait pour
objectif de créer du travai l à l'endroit même où les gens vivent. De plus, quelle
est la probabil ité pour qu ' une dactylo de l'administralion communale d'une
petite ville fmlandai se, mariée et ayant deux enfant s, puisse même envisager
de postuler un emploi vacant dans une préfecture savoyarde? La libené du
marché du travai l multiplie les risques de « dumpil/g social » de la maind 'œuvre.
Considérer l' Un ion européenne comme la seule institution capable d' imposer une pol itique supranationale en mat ière d 'environnemen t, qui ne s'arrête pas aux frontières, est un des arguments discutés par la base
sociale-démocrate. Mais les décrets pris par la Commi ssion européenne sur la
limitation des émiss ions de gaz lui semblent minima listes et rédigés par des
bureaucrates dépourvus de toute connaissance du terrain. Dc telles rég lementations communautaires pourraient faci lement supprimer celles qui existent et
qui sont applicables à l'industrie manufacturière. Les réglementat ions nordi ques sont généralement le résultat de négociations entre syndicats et patrons
ou administrati ons, et confinnées par une agence nationale pour la protection
de l'environnement. agence prête à discuter d'exemptions raisonnables. La
Communauté européenne pourrait imposer des nonnes plus sévères pour l'industrie lourde dans une petite ville typiquement sociale-démocrate.
Si les objectifs louables de la paix , des échanges culturels par l'éducation ,
de l'emploi, de la protection de l'environnement n'ont pas fait pencher la balance au Danemark en juin 1992, comment y parviendraient-ils mieux
ai lleurs en s 」 。ョ、ゥカ・
セ_@
Les réponses proposées à la majorité des
soc iaux-démocrates scandinaves sont futiles, même sur la question du « déficit démocratique » ou d' une empreinte sociale-démocrate à la construction de
l'Europe. En tennes de politique publique, quoi que puissent faire Strasbourg
ou Bruxelles, Copenhague, Helsinki, Oslo et Stockholm ont toujours fait
mieux et - selon le principe de subsidiarité - pourront toujours fa ire mieux.
De façon assez ironique, de toutes les idées nouvelles lancées par des
euro-v isionnaires doués, le principe de subsid iarité, appliqué à l'Europe contemporaine. est carrément anti-sociali ste. Celui-ci pennet à la
Grande-Bretagne de maintenir l' héritage thatchérien, à l'Europe catholique de
s'adapter à la fami lle, à l'église et à la communauté locales. La Scandi navie
sera-t-elle capable de se référer au principe de subsidiarité pour défendre
l'Etat-prov idence au se in de l' Union européenne? Deux comparaisons suggèrent le contraire.
LA soc
i alセ
d ᅨmocra
t Qe@
SCANDINAVE FACE À L'IMPASSE EUROPÉENNE
57
S' il avait été introduit un siècle plus tôt, le principe de subsid iarité aurait
、 ・ョ」@
ョ 。セ@
donné au)( opposants territoriau)( et/ou fonctionne ls de ャ G e エ 。エ セ ーイッカゥ
tional un liberum l'elO contre la social-démocratie. De la même manière que la
Cour suprême des Etats-Unis s'est finalement ralliée au mouvement des droits
c ivi ls, l'allié nature l des partis sociau)(-démocrates dans les petits pays serait
plutôt la Cour européenne qui réprime, dans le droit européen, toutes les tendances contredisant le principe de l'égalité des droits et des chances.
Dans sa coordination entre branches syndicale et politique, la mobilisation
des travai lleurs était un élément distinctif du mouvement ouvrier nordique par
rapport au continent où elle était souvent laissée à l'arrière-plan. A lors que la
liberté sur le marché du travail ne menace pas les intérêts de la main-d 'œuvre
très qualifiée comme les contrôleurs aériens par exemple, les syndicats de
travailleurs très peu qual ifi és ont besoin de pouvoi r s'appuyer sur une lég islation pan-européenne du travail. Au moment où certains synd icats prennent
leurs d istances d ' avec le parti social-démocrate, d 'autres craignent que le parti
ne soit désonnais plus en position de les aider.
Bien plus que les autres nations européennes, les Scandinaves considèrent
que la législation européenne est moins perfonnante en matière de politique
publique et de protection soc iale; les Suédois en particu lier ont du mal à
croire que les Françai s bénéficient auss i de cinq semaines de congés payés;
les Norvégiens cherchent à j ustifi er le fai l que les soin s denlaires ne fasse nt
pas part ie de leur système de santé publ ique. De même, on a enseigné aux
Scandinaves que ce qui vient de Bru)(elles, ce sont des règles « bidon » de
slandardisation ; c'est oublier que l' une de ces règles pennet aux gens de regarder des programmes té lév isés émi s dans d 'autres pays européens; c'est
oublier aussi que la standardisation nationale a été une part essentielle de
l'action législat ive des sociaux-démocrates.
Il y a un déséquilibre pol itico-cognitif entre part isans et adversa ires de
l'Union européenne, déséqu ilibre qui mel en év.idence le fai t que l' inlégration
européenne est encore politiquement dans l'enfa nce. Une Communauté politique déjà mûre aurait offert aux Européens un choix horizontal de traités et
pas seulement une proposition verticale d'approfondissement de l'intégrat ion,
avec l'option laissée aux pays d 'e n rédui re la portée par des référendums périodiques ou de se faire mettre en liberté provisoire par le biais du principe de
subsidiarité. Chaque ébauche de lrailé aurait au moins reflélé un minimum de
confiance dans les moyens poli tiques de contrôle du marché commun européen. Une coopération européenne de partis aurait pennis de différencier les
diverses visions du monde. Les groupes soc ial iste et démocrate-chrétien du
Parlement européen auraient été à même de proposer des lraités alternatifs aux
visions néo-libérales.
Pour l' instant, le Parlement européen, celle institution extraordi naire dans
l' hi stoire du gouvernement européen, est méprisé. On discute plus des sa laires
58
LA GAUCHE FA CE AUX MlITATlONS EN EUROPE
et des avantages divers des députés européens que de la fonction de cette institution. Les partisans de l'U nion européenne sont sur la défensive, sans cesse
en train de s'excuser de l'imperfection de cert ains détails du traité de Maastricht. En revanche. personne ne demande jamais aux opposants du traité de
présenter une ahem alive positive en matière d ' intégration européenne pas
pl us en Scandi navie qu'ai lleurs. Et on attribue la paix, qu i règne depuis cinquante ans sur le continent, à n' importe quel hypothétique mécani sme de résolution des conflits plutôt qu ' à la construction e uropéenne.
L' histoire de la social-démocratie scand inave est à l'o rigine une lutle pour
des conditions de vie décente (logement, nourriture, conditions de travail).
Lors des confli ts stratégiques au se in du mouvement ouvrier dans les années
d'opposition, puis de gouvernement, avec l'accent mis sur l'emploi et sur les
pol itiques de logement. le pragmatisme a toujours été une vertu pour le monde
du travail. Aux yeux de l'électoral, la social-démocratie a sa ra ison d 'être tant
qu 'elle ne s' introduit pas dans les sphères privées de la vie fa mi liale. Son rôle
est de distribuer les moyens aux masses.
Les stimulants non matérie ls - notamment la volonté d 'échange s culturels et intellectuels avec l'é lite cult ivée d ' Europe continentale - j usti fient le
soutien de deux tiers des membres de la classe moyenne scandinave en faveu r
de l' adhésion à la Communauté européenne. Ce qui fai t apparaître ces Scandinaves un peu moins« cupides» et arrogants, parce qu ' ils se som libérés des
valeurs et des restrictions institutionne lles obsolètes, présentées comme inhérentes à une société sociale-démocrate. Comme l'a montré le premier VOie
danois sur le lraité de Maastricht, la classe moyenne est nettement moins intéressée par un approfondissement politique de l'intégration européenne.
L ' impatience de la bourgeoisie luthérienne du Nord à devenir membre de
la Communauté la rend indulgente à l'égard du Sud. Un te l «européan isme
vulgaire » rend soudain la négl igence italienne à exécuter les politiques générales de la Communauté européenne naturellement élégante. En l'espèce, il
s'agit pour les Scandinaves de comprendre comment le monde catholique
pe rçoit le monde et de s'y adapter. Malheureusement, c'est là une ouverture
d 'esprit qui ne surv ivra pas longtemps à l' adhésion. Le tiers restant de la
classe moyenne finlandai se, norvégienne et suédoise - équi librée et bien
pensante dans son européanisme - court le risque de confondre le programme Erasmus avec l'expérience quotidienne de l' indéfi nissable base
soc iale-démocrate.
Cependant, étant all iés avec la droite pol itique, les partis
soc iaux-démocrates semblent utili ser un vocabulaire étranger quand ils parlent de l'adhés ion à la Communauté. « L' infaill ibilité » de la Communauté
européenne, à laquelle certains Scandinaves ont souscri t, en rebute d ' autres.
Après avoir échoué à faire passer le message de la croissance et de l'emploi.
les responsables pol itiques scandinaves empruntent aux élites polit iq ues du
LA SOCIAL-DEMOCRATIE SCANDIN AVE FACE À L'IMPASSE EUROPÉENNE
59
Continent un message qui porte sur la pauvreté, l'intolérance religieuse et
même la dictature. Mais ce discours provoque la base sociale-démocrate car il
ne recouvre pas ses « vrais intérêts », ceux de l'avenir de la Scandi navie. Le
jargon des places boursières, étranger à l'expérience quotidienne du mi lieu
industriel traditionnel des pays nordiques, est un affront à sa culture. C'est un
langage qui n'appartient pas non plus au monde de j'ate lier, sans parler de la
cantine où mange l'équipe de l'hôpital. Et les « ménages publics» ou les
« ménages en trépied » de la périphérie norvégienne y sont hennétiques. La
ligne de fo nd de la rhétorique sociale-démocrate est soudainement trop proche
de la vision du monde d ' une société qui continue à considérer les services du
secteur public comme improductifs.
Les infinnières et les autres, qui rentrent dans un « ménage public » ou
« en trépied », après avoir passé huit heures à servir une cause juste au bénéfice d' un Etat juste, n'ont j amais vou lu accepter l'idée que seuls les travailleurs industriels contribuent à créer la richesse. Dès lors qu 'elles contribuent aux ressources nationales plutôt qu 'elles ne les épuisent, les infinnières
voudraient bénéfi cier d ' un peu de respect pour leur dur métier. Mais il y a une
raison importante pour laquelle l'apport des employés du secteur public est
négligé: il ne s'accommode pas du discours néo: libéral.
La Communauté européenne peut faci lement être considérée comme le
corps étranger qui va égratigner voire supprimer l'essence même du mode de
vie scandinave: le ménage, le cercle d'amis proches et le voisinage. La métaphore suédoise est devenue une réalité : c'est le Folkhem - la mai son du
peuple - qui est en jeu. Dès 1928, Pet Albin Hansson, nouveau dirigeant du
parti social-démocrate, introduisait la « mai son du peuple » dans un discours
désonnais légendaire au Riksdag : « La base de la maison est l'unité et le
sentiment de vivre en com mun . Une bonne mai son ne considère personne
comme privi légié ou comme peu appréciable: elle ne connaît aucun favori
particulier ni aucun beau-fi ls ou belle-fill e. Là, personne ne toise personne;
là. personne n'essaye de tirer profit aux dépens d ' un autre ; et le plus fort ne
réprime ni ne pi lle le plus faibl e. Dans la bonne maison, l'égalité, la considération, la coopération et l'entraide prévalent. Appliqué à la grande maison du
peuple et des citoyens, ceci signifierait la dislocation de toutes les barrières
sociales el économiques qui divi sent aujourd ' hui les citoyens en privilégiés et
en malchanceux, en dirigeants et en sujets, en riches et en pauvres, en rassasiés et en indi gents, en pi ll ards el en pillés » 5.
Alors que la maison du peuple est une caractéristique de la Suède - pas
nécessairement très tolérante à l'égard de ses sujets les moins chanceux , mai s
surtout fi ère d'avoir fa it en sorte que ses élites fassent partie d' une Communauté (Gemeinschaft) locale et donc soient mo ins distantes et arrogantes - , la
version, moins connue, de la mai son du peuple en Finlande et en Norvège,
60
LA GAUŒE FACE AUX MUTATIONS EN EUROPE
c'est « l'économie en trépied » qu 'on retrouve dans l'arrière-pays. Dans la
mesure où e Ue est ancrée dans une structure d'activ ités co llecti ves, celle économie est vénérée comme la tradition d ' une soc iété qu i appone sa coopération
volontaire à la communauté locale.
Par essence, le d iscours se référant à la croissance est, pour les Scand inaves, associé à l'économie de marché - et politiquement à la d roi te - et à la
vision originelle de la Communauté européenne en tant que marché européen.
Mais depuis la grande dépression, l'emploi est un temle pol itique, associé à
l' histoire politique de la social-démocratie. Le compromis historique du part i
social-démocrate des années trente , qui laissait la croissance aux mains du
marché en échange d'une poli tique redistributrice des fru its du travai l, n 'est
pas - encore - applicable à une institut ion politique supranat ionale. Les
électeurs danois avaient des difficultés légitimes à faire le lien entre l'U nion
européenne et leurs inquiétudes ou leurs espoirs en matière d 'emploi. Dans les
années trente, le « marché de consommation intérieure )} était en accord parfait avec la technolog ie, l'infrastructure, l'offre cria demande de l'économie
nationale, et même avec ce lle des régions locales. Des programmes de création d 'emplois assuraient du travail dans les coins les plus reculés du pays,
proches de la fami lle et des amis. et loin de la France.
Le seul message vraiment efficace de la plate-form e soc iale-démocrate
pour le référendum se rait - pour autant que le groupe social iste du Parlement
européen s'en accommode - une « garantie de retour au pays)} : laissons aux
capitalistes leurs marchés. mais si le taux de chômage n 'est pas descendu à
moins de 3% cinq ans après l'adhésion, l'adhésion nordique sera déclarée
nul le et non avenue. Plusieurs raisons expliquent que les d irigeants soc iauxdémocrates ne peuvent obtenir des groupements d 'entreprises nationales el
des dirigeants conservateurs un tel engagement. Mais il était étrange que le
président du pani suédois, Ingvar Carlsson, annonçât en janvier 1993 que ,
plutôt que de prendre officiellemen t position sur l'adhésion suédoise, le SA P
laisserait à ses adhérents le soin de décider eux-mêmes. En effet, ce fai sant , les
dirigeants du SAP offraient aux Suédois une abd ication politique dans le genre
de celIe du dernier roi saxon: « Et bien, les enfants, débroui llez-vous tout
seul s» (Na. Killder. dmmmaclu El/ch EI/rell Drech alleelle).
Alors qu'i ls déclaraient ouvenement qu' ils voteraient à titre personnel en
faveu r de l'adhésion si le référendum se déroulait le lendemain, le président
du parti, Carlsson. et ses assoc iés les pl us proches libéraieOl le pani , et en fait
tout le mouvement ouvrie r, du devoir de resserrer les rangs derrière leurs di rigeants. C'est là la version renversée du « retour au pays)} . C'est implicitement une garantie de laisser-aller incon trôlé du pays, qui menace (aussi bien
les électeurs orphelins que les cadres indisciplinés des di fférentes branches du
mouvement ouvrier) de livrer le pouvoir à la droite (et ce qui reste de capital
national) afin de démante ler les acquis de la social-démocratie. Pendant ce
LA SOC IAL-DÉMOCRATIE SCAND INAVE FACE À L'IMPASSE EUROPÉENNE
61
temps, soul ignant le fa it que le parti abdiquera it politiquement en agi ssant de
la sorte, des dirigean ts sociaux-démocrates suédoi s réclamaient une enquête
publique menée scientifiquement sur les conséquences nationales d ' une victoire du « non » au référendum.
Bien sûr, il y a une Europe sociale-démocrate. Il se trouve simplement que
la vision sociale-démocrate scandinave du paradi s sur terre - dans la mouvance stricte du protestantisme - se limite au ple in-emploi, lequel offre donc
aux citoyens l'occasion de construi re un maison convenable dans le pays.
Mais pour l'Europe catholiq ue, il y a à la fo is plus et moins que cela. Paradis
perdu ou - au mieux - partagé, le choix entre le « oui » et le « non » implique forcém ent que chaque électeur se pose la question de savoir pourq uoi il
vote « oui » ou « non ». Au fur et à mesure que la campagne référendaire approchera de son point d ' orgue, le «oui ) et le « non » à la Communauté
européenne remueront beaucoup de sentiments profondément enracinés.
3. Conclusion : la social-démocratie face à l' évanescence
de la chose pOlitique
Un « contrat européen }), où les partis sociaux-démocrates offriraient
l' accès intégral à l' Europe en échange du plein-emplo i, implique une mutation
en profondeur à l'échelle nationale. Donc, la « contrainte européenne » approche insidieusement alors que la Scandinav ie se prépare à décider de son
statut dans l'Europe. Cependant , à moins qu ' ils ne veui llent exclure du parti
jusqu ' au dernier infidè le, les dirigeants sociaux-démocrates ne peuvent effaroucher tous leurs électeurs tout le temps; se ul s deux tiers se raidiront une
semaine avant l'élection.
Les élites gouvernantes sont à la recherche d ' un raisonnement évolutionniste pour poursuivre leur politique redistributive, mais le SA P abdique sa
fonction de g uide politique; la conclusion s' impose: la Scandinavie vit
l'abolition de la chose politique. Les ennemis politiques disparaissent dans
une démonologie brumeuse et les é lecteurs sociaux-démocrates scandinaves
(dont certains ont l' impress ion qu' ils sont désignés comme chair à canon et
d 'autres qu' ils sont abandonnés par leurs dirigeants) sont « libres») d ' agir
comme bon leur semble.
Dans le même temps, de nouvelles structures publiques et civi les ont
émergé. Exprimées dans des ternles idéologiques séducteurs com me
«co-délenninalion sur le lieu de trava il », « décentralisation », « démocratie
de l' usager » et « société civ ile » (voir le principe de subsidiarité), elles ont
encore davantage estompé les di stinctions entre amis et ennemis politiques .
En fait, certai nes d 'entre elles se réduisent à des réseaux infonnels et des mécanismes véreux.
D 'où un déséq uilibre entre le macrocosme et le microcosme
soc ial-démocrate, entre le national et le tri bal, entre le secteur public et le
62
LA GAUCllE FACE AUX MUTATIONS EN EUROPE
secteur privé. Il s' agit là d ' une dissonance qui met en évidence J'abolition de
la chose polit ique, une scène publique dévastée qui transfonn e le citoyen en
un individu menant une vie de fam îlle casanière; un individu dont les relations avec le gouvernement sont, de temps en temps, ce lles d ' un client ou, plus
souvent, d ' un consommateur de services publ ics. De façon assez ironique,
l' inquiétude man ifestée récemment en Europe à propos de la distance qu i se
creuserait entre l'Un ion eu ropéenne et les citoyens, est auss i un indicateur
d ' un « déficit démocratique » dans les politiques nationales. La Scandinavie
ne fai t pas exception: son «excédent démocratique» n ' a rien de démocrati que, pas pl us que les citoyens qui ulili senl, à leurs fin s personnelles, les services publics.
A ce sujet, les occasions offenes aux ménages de profiter d ' un grand marché de biens de consommation, matériels aussi bien que spirituels, sont irrésisti bles. Les sociaux-démocrates les plus « archaïques », qui usaient excl usivement de ce qui était offen par le mouvement, en sont réduits à n'être plus
qu ' une curiosité. Les sociaux-démocrates contractants, qui bénéficiaient principalement de ce qu'offrait la narion, découvrent des possibilités nouvelles .
Les ménages contemporains ont reçu à la foi s la latitude et les moyens d 'avoir
accès à tous les marchés et aux services publics nationaux, possibi lités si
nombreuses et variées qu 'elles peuvent les mainten ir occupés vingt-quatre
heures par j our. Alors qu 'on ne leur a pas donné la fonna tion politique adéquate pour le faire .
D' un autre côté, les moyens d'ex istence d ' un ménage sont complexes. Du
fait qu ' il compte sur deux soutiens de fami lle, et parfois sur une« économie
en trépied » comme c'est courant à J' intérieur des pays, aucun des membres
n'est remplaçable, ni encore moins sacrifiable, d ' un jour à l' aulre, sans déclencher une réaction en chaîne d ' implicat ions structurelles. Car l' ossature de
l'économie ménagère s'apparente également aux liens qui entourent la fami lle, (l'ex-fam ille), les amis, les collègues - pennellant au ménage de faire
appel à un confort non gouvernemental ou qui n ' a rien à voir avec le marché.
Néanmoins, la fami lle. en et par e lle-même (dans la mesure où son cycle de
vie est sujet à des transfert s publ ics complexes afférents à la condit ion de parents, aux congés de maternité, aux soins q uotidiens, à l'éducati on, elc.) est un
produit politisé. Par contraste. la proximi té avec les parents, les amis et les
collègues, est un produ it civil. Outre l' attention apportée aux tout jeunes et
aux plus âgés, les parents el les amis peuvent fréque mment devenir une
main -d 'œuvre non taxable. prêle à donner un coup de main au ménage pour
toutes sortes de choses. de la réparation g ralUite aux leçons de piano.
Une re lative facil ité des moyens d 'existence confère aux ménages une
agréable liberté d 'action . li y a peu de surprises pol itiques dans les orientations gouvernementales. Dans la mesure où le Parlement et les mini stères sont
profondément pénétrés par les groupes de pression , les crédits budgéta ires al-
LA SOCIAL· OÉMOCRATIE SCAN DINAVE FACE À L'IMPASSE EUROPÉENNE
63
loués aux postes du secteur public, les taxes et les subsides appliqués aux peti·
tes entreprises et aux fennes agricoles, ne changent pas facilement. Dans la
mesure où le gouvernement s' abstient d ' intervenir dans la sphère ménagère, il
ne prend pas d ' initiati ve au scin des microcosmes. D 'où, dans la plupart des
ménages, se manifeste une peur à l'égard des effets de l'adhésion sur l' une des
deux ou trois sources de revenu plutôt qu' une réfl exion sur les poss ibi lités de
transfonn er le ménage en un projet fondé sur dix ou vingt sources de revenu
di fférentes. La Scandi navie est encore très loin des économies méditerra·
néennes multipodes et, certainement, d u séisme qui ren verrait les femmes à
leurs fourneaux et transfonnerail le ménage en une économie unipode .
Comme les opportunilés abondent, la vie de tous les jours est devenue un
projel anti· fa taliste, un projet dans lequel la culture et le choix ralionnel se
mélangent parfaitement pour rendre cette opération rémunératrice. Face aux
mesures d ' austéri té imposées par la politique gouvernementale, les représentants des ménages ne se présentent que rarement comme ciloyens dans les
cantines ou dans les salles comm un autaires locales, prêts à discuter de ce qui
est agréable dans le « projet moyen » de la social-démocratie el du pays. C' est
bien plutôt le petit projet de chacun qui est le souci immédiat .
Les sociaux-démocrates partisans de l'adhésion à la Communauté européenne n 'ont pas besoin, par défi nition, d ' apparaître comme des cilOyens,
brand issant vaillamment leur épée pou r frayer leur chemi n et celui du pays à
travers la mauvaise herbe du sectarisme. Ils peuvent lout auss i bien être des
fat alistes q ui possèdent des ressources individuelles (économiques, culturelles, et/ou politiques), négociables à travers l' Europe, précisément parce qu ' il s
ne sont pas enchevêtrés dans un tissu matéri el qu i cont ribue à faire d u ménage
un projel en lui-même. Il y a un monde de différence entre, d ' un côté, les
ménages qui dépendent de l'accès à un marché un ique et, de l'aUlre, les ménages pour lesquels une existence « en trépied » イ ・ BL セG ッ ゥ ・@ chacun des pieds aux
ressources économiques, culturelles et pol itiques.
Exception faite de la Fi nlande, les aspects non matériels de l' inlégrali on
européenne sont d ' un apport limité pour la social-démocratie scandinave. Il s
ont été laissés en jachère, et même considérés avec mépris, depuis de Irop
longues années. La pai x, la démocratie, les échanges culturels, etc. apparaissent donc comme des thématiques se référant principalemenl aux expériences
méditerranéennes, et non nordiques, aux questions auxquelles l' Europe contemporaine est confrontée. Aussi tandis qu ' une Europe sociale-démocrate
« scandinave» ne peut pas, sculement à cause de la transfonnati on des ménages en projets, être trop éloignée d ' une Europe sociale-catholique, la réalité
protestante détennine encore toujours la fonnation polit ique des ménages.
Dans le mépris - ignorant - de l'encycliq ue Cemesimus mI m iS de
Jean-Paul [1 - qu i ex prime une pro fonde inquiétude à propos des con séquences sociales de l' Etat-prov idence moderne - , les ménages scandinaves
64
LA GAUCHE FACE AUX " , UTATIONS EN EUROPE
observent la version cathol ique du principe de subsidiarité dans le meilleur de
deux mondes; la responsabili té à l'égard des proches et des êtres chers et le
désir, la soif de recevoir les allocations de l' Etat.
A long terme, la classe moyenne qu i vit économiquement, culturellement
el politiquemenl dans J'abondance, s'est vu accorder une chance de cimenter
toutes ses potentialités en se libéram des plans de pension hautemem taxés et
obl igatoires, et des autres provisions publiques allouées en venu du principe
universali ste. Le ménage de la classe moyenne est au seui l d ' un monde
mei lleur Olt il peUl obtenir les options pri vées en plus de ce que l' Etat offre. La
question européenne fo rce donc les sociaux-démocrates. el en particulier le
DNA norvégien et le SAP suédois. à se résoudre à des assoc iations étranges, à se
ranger du CÔlé de cette partie de la classe moyenne nordique pour laquelle la
Communauté européenne est un moyen de se libérer de la social-démocratie.
Dans la mesure où la question de l'adhésion est poussée à ses conséquences ultimes. quand la logique et la stupidité inhérentes. à un référe ndum convergent comme le moindre de deux maux pour mettre les électeurs
sociaux-démocrates (et les dirigeants suédois) au pied du mur, des circonstances instÎlu tionnelles. auss i bien rée lles qu' imag inaires, incitent les dirigeants du parti suédois à trouver quelque chose qui pourrait passer pour un
« contrat européen ». Par contraste. les autres partis sociaux-démocrates scandinaves on l un long et d iffi cile chemin à parcourir avant d ' arriver à un arrangement qui puisse plaire notamment aux fe mmes employées dans les services
publ ics - sauf si des modifications politiques internes ou économ iques au
niveau international les y contraignent.
4. E pilogue
Les analogies possèdent une élégance irrés istible surtout quand elles ne
sont pas prises trop au sé rieux. On nous passera donc celle-ci: on ne peut pas
argumenter avec un enfant de trois ans, ni passer un contrat avec lui el il y a
des limites aux contrain tes qu ' on peut lui imposer pour qu ' il cesse de fa ire ce
que le dernier roi saxon suggérait. Mais comme un enfant de tfois ans comprend déjà ce que cela signi fi e d 'être privé de q uelque chose, de même les
sociaux-démocrates pourraient se résigner à choisir le moindre de deux maux.
Il semble que le rejel danois du traité de Maastricht, lors du premier référendum , ai t fort marqué les Norvégiens et les Suédoi s. Les conséquences d'un
isolemenl de la Scand inav ie , hors de l'Acte un ique européen ou de l' Union
européenne, sautent aux yeux de n ' importe q ue l social-démocrate nordique.
D' où éventuellement des sentiments et des réact ions conOictuels. Que ce sail
en 1994 ou en 1996, l'organisation des ré férendums sera im portante. Le plus
équitable serait que les trois pays nordiq ues organisent un « super di manche »,
c'est-à-dire que tous les pays aillent aux urnes le même jour. Pourtant, par
crainte d ' un jeu de dominos qui serait tac itement accepté par les pouvoirs nor-
LA SOCIAL-DÉMOCRATIE SCANDINAVE FACE À L'IMPASSE EUROPÉENNE
65
diques en place, une déclarat ion commune des partis de la gauche radicale
fi nlandaise, norvégienne el suédoise a déjà demandé une telle journée commune de consultation populaire. Ce qui rend l' idée d'un «super dimanche»
auss i peu probable que la coïncidence entre une écl ipse solaire et une pleine
lune. Des consultations populaires organisées à des moments différents, en
premier lieu en Norvège, ne SO!}t pas de nature à augmenter les perspectives
d ' un glissement substantiel vers le « oui » parmi les soc iaux-démocrates norvégiens et suédois. Mais si la Fin lande se prononce la première, suivie de la
Suède, les choses pourraient tourner autrement.
5. Ann exe
L'état de f' opinion slIr la question de l'adhésion
à la Communallté européenne OI'ant le premier référendum danois 6
Pour
Contre
Sans opinion
Finlande
Norvège
Suède
61
27
12
33
36
3\
44
36
20
L'état de ropillioll après le premier référendl/nI 7
Pour
Contre
Sans opinion
Finlande
Norvège
Suède
50
31
26
43
3\
32
47
2\
\9
66
LA GAUCllE FACE AUX MUTATIONS EN EU ROPE
L'état de l' opÎIIÎ(m par sensibilité politiqlle
avam le premier référe ndum dallois
Finlande (mai 1992)
Gauche
50
Agrariens
Conservateurs
42
50
8
65
22
13
46
43
85
7
8
Pour
Contre
Sans opinion
Il
Norvège (mai 1992)
Pour
Contre
Sans opinion
Gauche
50
10
66
24
47
17
36
Agrariens Conservateurs Parti du Progrès
3
87
10
73
7
20 ··
47
24
29
Suède (mars 1992)
Pour
Contre
Sans opinion
Gauche
50
8
67
25
33
47
20
Agrariens Conservateurs
19
58
23
71
14
15
Libérau x
63
23
14
Notes
'1. MOQVIST,
セ@ Fami]jcn _
best:indig och fOriinder]ig _, ill E. ALBEIIG (M.). ャOuヲエ
ウエイᅫオ
ュャオゥ
セ@
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Nセ N@
A. WI'STlIOl..'-1. G. biNom
e セ サャ N@
Catissons. ]990. p. 125. Voir aussi Q. pゥBtfNrso
mセ、ャクjイァオOサウ@
11UIb. Carlssons. 1989.
1J. GooL ASDEIISF_,". セ@ The Decline ofClass VOIing Revisited _.;11 P. GUNUbUClI. K. SI USE (éd.). Fram
ウ@voO セイ
ta Purticiponls. Essuys in Honour a/Olt Borrt. Polltica. 1992.
J M. Tllo.'-1l'SOl". R. ELus. A. W,LDAVSKY. pッャゥ・オicエキイセN@
Westvicw. ]990.
• K. si ui\セL@
P. SVENSSOS, Q. t セsgadN@
Der 「ャエセ@
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Clarendon. 1990.
' T. T'LTO.>;, tij セ@ Polilieul Th(ory ofS...r disll Social dセュocGッイZIL@
セB
sオイカ・ケ@
5·22 May 1992 .. H(lsillgill SO/lOmal. ]I juin 1992; « Survey 5·7 May 1992 ,..
OッN\ヲQᄋXオイュ
セ ャセイZ
B@ SUIVey 9·]2 Mareh ]992 _. gゥx」「ッイァウᄋpOセョN@
]5 mars 1992.
'« Survey 11·22 June ]992. Htlsillgill Su/tOmai. 18juitletl992: « SuIVey 2-4 June 1992 •.
M.<fI·BurtJ/lwlrr : .. SUIVey 4·10 June ]992 ". gェャエA「ッGァウMpH^sイセiL@
10 juin ]992.
()Im'und/irlg,
De la confiance à la crise. La gauche
aux Pays-Bas depuis les années soixante-dix
Gerrit
V OERMAN
La gauche au x Pays- Bas va dro it à la débâcle électorale. Selon les derniers
sondages d'opinion, les socialistes perdraient leur hégémonie traditionnelle
lors des élections légis lali ves de 1994. Les sociaux-démocrates perdraient un
tiers, voire la mo itié, de leurs éleCieurs au béné fi ce de la gauche libérale démocrate (066) dont l'électorat pourrait doubler, peut-être même tripler. Ce
bouleversement dans l'équ ilibre des forces est le résultat de la crise d ' identité
que traverse la gauche depuis le début des années quatre-vingt.
Initialement, le d iscours idéologique présenté par la gauche paraissait lim-
pide. Après guerre, le parti du travail
(PvdA),
stable, dominait le parti commu-
niste (CPN) en décl in. Celle bipolarité bien ordonnée ouvrit la voie à la naissance d ' une nouvelle fonnation de gauche en 1957: le part i socialiste pacifis te (psp).
La situation dev in! plus compliquée dix ans plus tard lorsque la gauche
commença à se fragmenter. Démocratie 66 (066), le pani radical (PPR) et un
part i plus conservateur appelé socialiste-démocrate (os'70) s' installèrent au
centre-gauche du paysage politiq ue. La fragmentation de la gauche néerl andaise qu i s'en est suivie dans les années soixante-d ix et quatre-vingt s'accompagna , pour la plupart des partis, d ' une transfo nnation idéologique : même si
les résultats différaient quant au contenu, ces changements étaient, dans une
certaine mesure, plus ou moins identiques. La confi ance qui avait caractérisé
la gauche néerlandaise d ans les années soixante-dix di sparut durant la décennie suivante. Les symptômes de la crise étaient cl airs: pertes é lectorales, déclin du nombre de membres, changements sociaux dans les rangs de la gauche, désarroi idéolog ique, éclatement et reconstruction de certains part is.
Même si 066 a auss i connu des hauts et des bas, ce part i eSl le seul à s'en être
sorti indemne.
Aujourd ' hui , trois partis se situent à gauche: le parti du travail, 066 et le
parti des socialistes écologistes de la « gauche verte ».
68
LA GAUCHE FACE AUX MUTATIONS EN EUROPE
Dans cet article, nous 。ョャケ
ウ・セ
ッョ ウ@ le passage de l' optimisme à la crise de
la gauche aux Pays-Bas dans la dernière décennie. Dans la première partie ,
nous étudierons les relations des part is de gauche entre eux et décrirons leurs
développements idéolog iques, dans ce cadre, depuis la fin des années
soixante. L' afrrontemenl enlre la « gauche archaïque» et la « nouvelle gauche» a condu it à des nuances dans la carte de la gauche: des coups de crayons
bleu (pour les libéraux) et vert (pour les écologistes) Onl été ajoutés.
Aujourd'hui , le vert ct le bleu tendent même à dominer la palette des couleurs
de la gauche. A la fin de ce texte, nous aborderons la transformation sociologique dans les rangs de J'é lectorat de gauche, qu i suit de près la rad ical isation
des mouvements. Il n 'aura fall u que di x ans environ pour que J'ancienne épine
dorsale de la gauche. la classe ouvrière, soit rempl acée par des membres de la
nouvelle classe moyenne.
Vu la position dominante du parti du travail au sein de la gauche néerlandaise, nous lui accorderons davantage d'attention.
l. Les partis de gauche
Depuis le début du siècle, le système politique néerlandais est fortement
segmenté 1. La société est di visée en piliers (qui traversent les classes) bien
organisés en groupes sociaux verticaux. Dans les années soixante cependant.
les clivages religieux, socio-économiques et culturels commencèrent à s'atténue r: la prospérité croissante et la consommation de masse y contribuèrent ;
l'Etat-providence était mis en place, l' accès à l'éducation s'était élarg i et la
mobilité soc iale prenait son élan - surtout du secteur secondaire vers le secteur tertiaire - . la télév ision et les autres médias prenaient de l'ampleu r.
Les normes culture lles tradit ionnelles changèrent ou perdi rent leur signi fication. La laïcisation des Néerlandais s'accé léra. Face à ces bou leversements,
la pol itique néerlandaise ne pouvait que changer. Le processus décisionne l
« conscensationnel » des élites polit iques fut secoué par des aspirations de démocratisation et de participation. Le système pol itique se transforma : d ' une
structure rigide et segmentée. on passa à une composit ion plus ouverte et plus
n ex ible. Les parti s traditionnels les plus im portants enregistrèrent des pertes
électorales et apparurent dans le paysage polit ique de nouveaux partis.
1.1 .Les rivaux Iradilionllels d 'extrême-gauche du parti du travail
Les partis de gauche ont été affectés par les tran sforma tions que nous allons présenter. Pendant les années cinquante, les social istes ont part icipé à une
coalit ion gouvernementale avec les cat holiques et les protestants. Celle dernière a dirigé la reconstruction économique de l'après-g uerre et mis en pl ace
les fondements du Welfare Sra/e. Durant celte période, le parti du travail recueillait envi ron 30% des voix. Sa position était à peine menacée par les partis
qui se situaient à sa gauche. Son seul rival potentiel était alors le CPN. Juste
LA GAUCI IE AUX PAYS - BAS
69
après-guerre , les communi stes avaient remporté un certai n succès (10,8%)
mais ils souffrirent de leurs liens avec Moscou pendanl la guerre fro ide. Le
PSP, fondé en 1957, s'opposa lui aussi au parti du travail. Il rejetait l'orientation atlantiste des socialistes et le pro-sov iétisme des communistes. En fait, il
plaidait pour un désarmement global. Cette « troi sième voie» s'assorti ssait
d'un programme de gauche social iste. Même si les socialistes pacifistes
glanèrent quelques sièges au Parlement, ils n 'ont jamais représenté un menace
réelle pour les socialistes.
1.2.Le virage à gauche opéré par les socialistes
au début des années soixante-dix
D'u n po int de vue électoral , le PvdA connut quelques années difficiles aux
alentours de 1970 2 • Sa position dominante chancela face à un décl in important du nombre de ses membres et de ses électeurs. Ce recu l résultait de facteurs internes el externes, à rapprocher de la « dépi larisation » » - déjà mentionnée - de la société néerlandaise.
En premier lieu, les socialistes se radicali sèrent sous l' influence de la
«nouve lle gauche ». En 1966, un groupe de jeunes intellectuels critiqua les
tendances réformistes du parti. La « nouvelle gauche» réclamait une stratégie
de polarisation. La soc ial·démocratie devait opposer une alternative tranchée
face aux partis de droite. Par conséquent , un renouveau des principes sociali stes s' imposait. La redistribution des biens, la participation des travailleurs à la
gestion des entrepri ses, la nationalisation des banques. une politique étrangère
plu s radicale et une révolution socio-culturelle constituaient les fers de lance
des revendications de ces jeunes intellectuels J.
La « nouvelle gauche» s'est implantée avec succès dans le parti du travail . Certains de ses membres ont été élus dans l'exécutif du parti et d 'autres
au Parlement. Le programme du parti adopta plusieurs de leurs revendications : démocratisation et participat ion sont devenues les slogans clés des socialistes. Le parti a quelque peu perdu son orientation gouvernementale et
s'est tourné vers la société. II a incorporé dans son idéologie de nouveaux
thèmes post-matérialistes: la libération de la femme, la protection de l'environnement, l'énergie antinucléaire •... Ces problématiques étaient chères aux
nouveaux mouvements sociaux qui les avaient mises en avan t dès le début des
années soixante-dix .
Le parti du travai l a dû payer le prix de son virage à gauche. L' aile conservatrice s'est opposée à cette nouvelle direction, s'en est distanciée et a créé
une nou velle fonnation politique, Ds'70. Ce parti a connu un succès électoral à
ses débuts en récoltant plus de 5 % des voix. Mai s en fin de compte. Ds'70
n'cst pas devenue un rival réel pour le parti du travail: en 1977, e lle a simplement disparu .
70
L A GAUCHE FACE AUX MUTATIONS EN EUROPE
J .3.Les nouveaux rivaux de centre-gauche du parti du tra vail
Parallèlement à la radicali sation du parti , les socialistes ont perdu leur hégémonie sur la gauche néerlandaise. Les concurrents habituels, communistes
et plus tard soc ialistes pacifistes, n'étaient pl us menaçants; même s' il est vra i
que le CPN obtint de me illeurs résu ltats électoraux pendant la détente. Le parti
com muniste progressa en partie grâce à sa distanciation avec Moscou pendant
le connil sino-sov iétique. D'autre part , le psp n'apparaissait pas en mesure de
progresser électoralement.
Mais le véritable danger pour la social-démocratie venait moi ns de
l'extrême-gauche que du centre-gauche. La radicalisation des soc ialistes avai t
ouvert la voie aux partis de gauche plus orientés vers le centre. os'70 ne fUI
pas la seule à béné fi cier du virage à gauche des sociali stes: d ' autres parti s qui
intégraient aussi des thèmes post-matérialistes dans leur programme On! comblé le fossé qui s'était creusé entIe les socia li stes et le cenlre Uusqu'alors dominé par les parti s confessionnels). Fondée en 1966; 066, fonnation essentiellement libérale de gauche, affinnait ne relever d ' aucune idéo logie et se
qualifiait elle-même de « pragmatique ». Sa priorité étai t la démocrat isation
du système politique . A ses débu ts. en 1967, 066 obtint près de 5% des suffrage s.
De même. un an plus tard , apparut le PPR, créé à l'initiative de dissidents
progressistes du parti catholique. Ceux-c i reprochaient à leur fonnation d 'orig ine sa volonlé de fu sionner avec les deux principaux partis calvinistes et il s
préférèrent dès lors se rapprocher du part i du travail. Même s' il émanait du
pani catholique, le PPR se dé fini t progress ivement comme un parti de gauche
séculari sé avec une tendance « nouve lle gauche ». Les radicau x revendiquaien t un changement des structures soc iales et des mentalités; ils privilég iaien t l'écologie, la paix et l'aide au développement.
J.4.Le parti du travail au début des années soixante-dix:
entre l'extrême-gauche et le celltre-gauche
Les véritables concurrents des sociali stes n'étaient donc pas le CPN et le
psp, mais bien le PPR. Ds'70 et 066. Les démocrates obti nrent de très bons résultats aux élections de \967 el de \97 \ , DS ' 70 en \97 \ et \972 et les radicaux
en 1972. En partie aux dépens du parti du trava il. La social-démocrat ie obtenait cependant des scores meilleurs que dans les années soixante . Elle avait
compensé la perte de certains de ses électeurs, séduits par le centre-gauche,
par la conquête de nouve lles voix, qui allaient auparavant aux parti s confessionnels.
Après la stratégie de polarisation voulue par la « nouvelle gauche », le
parti du travail rechercha une alliance non confessionnelle avec les démocrates et les radicaux. Ce « Irio progressiste» se mil d'accord sur une plate- fonne
LA
GAUC IIE AUX PAYS-BAS
71
pré-électorale en 1971 ct en 1972. Après le deux ième scrutin , ils réussirent à
fonner une coal ition gouvernementale même si. pour ce fa ire, ils durent s' adjoindre le parti catholique et le parti calviniste. De 1973 à 1977, cene coal ition
de centre-gauche gouverna les Pays-Bas avec , à sa tête, le leader socialiste
J. Den Uy l : gouvernement considéré comme le plus à gauche de l' hislOire des
Pays-Bas.
Ils voulaient démocrat iser l'éducation, l'exercice du pouvoir et accroître
les revenus d ' un pl us grand nombre. Ils durent compter avec la crise et la récession économ iques. En dépit de toutes ces difficultés, le gouvernement Den
Uyl acheva la construction économique du Welfare State et commença à
étendre sa politique au domaine socio-culturel.
1.5. La désintégration du trio progressiste
au milieu des années soixante-dix
Sous le gouvernement de centre-gauche, les chemins des partis de la coal ition progressiste commencèrent à diverger. 066 subit un revers é lectoral brutal
et semblait cliniquement morte aux alentours de 1975. Deux ans plus tard, elle
bénéficia cependant , grâce à un leader charismatique, d'une « magnifique résurrection ^セ N@ Les responsables du parti avaient attri bué celle crise à leur rapprochement avec le parti du travail et décidèrent donc de ne pl us part iciper à
une nouvelle coalition progressiste.
Au même moment, la séparation des rad icaux et des sociaux-démocrates
s' aggrava. Lorsqu ' il avait opéré un virage à gauche,le PPR s'était en fait rallié
aux thèses de la gauche du parti du travail. Les sociaux-démocrates s'accommodèrent mal du penchant des radicaux pour l' action extra-parlementaire. Le
sentiment de malaise se manifesta ouvertement lors des é lections de 1977 :
alors que les radicaux refusaient le maint ien de la coalition avec les panis
←@ en un parti démocrate
confessionnel s (à celte époque, ils avaient ヲオウ ゥッョセ
chrét ien, CDA), le parti d u travail se démarqua de celle position.
1.6.Créalion et origine de la « gauche verte» (1977-1989)
Les é lections de 1977 secouèrent la gauche néerlandaise. Elles marquèrent
non seulement la fin du rassemblement progress iste réunissant le parti du travaiL 066 et le PPR mais aussi le début du processus qui mena à la fu sion du PSI',
du PPR et du CPN en une « gauche verte ».
Les soc ialistes furent les grands vainqueurs de ces é lect ions. Aux dépens
celle fo is non des partis confessionnels mais bien des partis classés plus à gauche qu 'eux: le PPR, le psp et le CPN. Ces trois panis ne conservèrent que six de
leurs seize sièges. Leur électorat décimé, les communistes, les radicaux et les
socialistes pacifistes furent surnommés la « petÎ te gauche ».
Ce désastre électoral mena les trois partis à prôner une coopérat ion nationale entre eux 4 . Une liste commune pourrait endiguer leur décl in et empêcher
72
LA GAUCHE FACE AUX
MUTATIONS EN
EUROPE
les socialistes d 'occuper tout l'espace de gauche. En dépit de leur prédi lection
pour une all iance avec les social istes, aux niveaux local et prov incial, PPR et
PSP unissaient déjà de plus en plu s souvent leurs force s durant les années
soixante-dix. Petit à petit, le CPNétai t entré dans cette logique.
La chute électorale des communistes en 1977 déclencha un processus de
renouveau idéologique: en abandonnant la ligne stalinienne, le CPN devenait
un panenaire acceptable pour les socialistes pacifistes el les radicaux.
Les nouveaux mouvements sociaux infl uencèrent auss i le rapprochement
des part is de la« petite gauche ». Le psp et le PPR s' unirent, dans des actions
extra-parlementaires, à des mouvements écologistes, pacifistes, féministes el
anti-nucléaires. Dans ces actions où se côtoyaient pan is politiques et mouvements sociaux, les vieilles lignes de démarcation eurent tendance à s'estomper. Les activistes de ces mouvements mi litèrent en faveur de l'unité de la
« petite gauche» pour assurer un mei lleur écho parlementaire à leurs revend ications. Les mouvements sociaux ne fi rent pas seulement pression sur cet aspect organ isationne l de la (( petite gauche ». ils contribuèrent auss i au rapprochement idéologique du pSP, du PPR et du CPN. Durant les années quatre-vingt,
tous trois développèrent des analyses semblables sur les questions de la paix,
de l'environnement, de la puissance anti -nucléaire et de la libération de la
femme.
Si chaque parti semblait se rallier à une coopération accrue au ni veau national, la « petite gauche» ne montrait cependant pas d'empressement à fra nchir le dernier pas. Même si les lrois fonnalion s se présentèrent ensemble aux
élections de 1984, il leur fu t impossible d'aboutir à une entente pour les élections nationales de 1986. Elles fire nt dès lors cavalier seul et obtinrent chacune des résultats désastreux . Le CPN disparut complètement de la scène politique et le psp perdit deux de ses trois sièges. Seuls les radicaux lim itèrent les
dégâts en gardant leurs deux sièges. C'est donc sans surprise que fi nalement le
CPN, le PPR et le PSP tombèrent d ' accord pour créer un nouveau parti polit ique
sous le nom de «( gauche verte ».
1.7. Le réajustement centriste des socialistes dons les années quatre-vingt
Le résultat des élections de 1977 semblait très prometteur pour les socialistes: ils avaient obtenu un tiers des suffrages, un record historique absolu.
Mais s' il réuss it à éliminer ses rivaux de gauche , le pan i du travail ne parvi nt
toutefois pas à menacer 066 qui retrouva, voire amé liora, son résultat d ' avant
sa brusque défa ite de 1975.
Le pan i du travail aurait pu être le grand gagnan t des é lections mais il ne
parvint pas à former un nouveau cabinet avec les démocrates chrétie n (CDA) .
Après des mois de négoc iations in fructueuses, le CDA se tourna vers les conservateurs libéraux et forma en quelq ues semaines une coalition de
centre-droit. Cet échec soc ialiste traumatisa le PvdA : il commença à réal iser
LA GAUCHE AUX PA YS-BAS
73
qu ' il avait perdu la bataille qui l' opposait aux démocrates chrétiens dans la
conquête de la première place dans la vie polilique néerlandaise.
La stratégie de polarisati on des soc ialistes se révéla électoralement
payante mais d ' un point de vue politique , e lle se retourna contre le pani. Les
excellenles élections de 1977 se tenninèrenl en 」。 オ 」ィ・ ュ 。イ セ N@ Les soc ialistes
restèrent à J'écan de la scène gouvernementale pendant près de douze ans honnis un bref intennède de neuf mois entre 1981 et 1982 - et durent se
contenler d 'observer comment le gouvernement de centre-droi t démantelait le
Welfare State.
Lors des élections de 198 1, le pani du travail perdit presque tous ses gains
de 1977 : la « petite gauche» en profita modestement; c'est désonnais l'unique adversaire de centre-gauche du pani du travail , 066, qui engrangea l'essentiel des bénéfices. Comme la coalition de centre-droit avait perdu sa majorité, le CDA fonna une coalition avec le parti du travai l et 066. On ne promettait
pas une longue vie à ce cabinet: neuf mois auront suffi pour que le parti du
travail quille la coalition el que de nouvelles élections soient organisées. Le
CDA et les libéraux conservateurs reprirent leur coopération et restèrent au
pouvoir jusqu 'en 1989. Ils poursuivirent leur politique de détricotage du
Welfare State. Celle coalition essaya d 'étendre le secteur marchand en décentralisant et en pri vatisant, et de limiter la croissance du secteur public en réduisant le niveau des avanlages sociaux elle déficit budgétaire.
Durant cette période d ' opposition, le parti du travail réévalua certains de
ses principes de base. Un souffle de « réali sme nouveau » se leva : on mît en
question la stratégie de polarisat ion et les so lutions habitue lles de type « étatique » aux problèmes socio-économiques. Par ai lleurs, il fa ll ait trouver une
solution à un autre problème: celui de la succession du leader du parti , J. Den
Uyl. En 1986, le président du plus grand syndicat néerlandais, Kok, fut désigné comme le successeur de Den Uyl. Celle même année, Den Uyl mena, pour
la dernière fo is, son parti à la victoire électorale: le parti du travail récolta un
tiers des suffrages et égala presque ses résultats de 1977. Il ne put néanmoins
exercer le pouvoir : la coalition de centre-droit gardait sa majorité et pouvait
poursuivre sa pol itique économique et sociale néo-libérale. En raison de cette
« victoire-défaite », Ie pessimisme s'est répandu dans les rangs sociali stes. Un
débat s'est alors ouvert : aucun des principes socialistes n ' a été épargné. Le
pan i du travai l s'est positionné bien plus au centre de l'échiquier pol itique.
1.B. Le parti du travail en crise (1989-1992)
Le gouvernement de centre-droit tomba prématurément en 1989. Lors des
élections qui s'en suivirent, le parti du travai l adopta une attitude très modérée
mais perdit néanmoins que lques sièges. La « gauche verte » et 066 améliorèrent quelque peu leur position. Malgré son léger recul , le parti du travail fonna
une coalition avec les démocrates chrétiens. 066 ne fut pas conviée à rejoindre
74
LA GAUCHE FACE AUX M UTATIONS EN EUROPE
le cabinet. le CDA craignant la fonnat ion d ' une majori té progressiste au sein du
gouvernement. Se souvenant des effets de leurs exigences douze ans plus tôt,
les sociali stes n ' insistèrent pas cette fois pour incorporer 066 dans l' all iance
gouvernementale.
Après de longues années d ' opposition , le parti du travail retrouvait enfin
le pouvoir. Cependant. ce nouveau rôle n ' a pas répondu à ses attentes. Il eut
du mal à imposer sa marque à la coalition qui ne di fférait guère du gouvernement de centre-droit qui [' avait précédé. Les socialistes acceptèrent par exemple de voir s'effil ocher plusieurs acquis sociaux. Depu is lors, le part i du travail subit une crise profonde et ses relations avec les syndicats se sont fort
dégradées. Le nombre d ' adhérents a brusquement chuté et, selon les sondages,
les électeurs se sont massivement détournés du parti qui traverse une ère de
trouble idéologique.
2. Les changements idéologiques de la gauche
D ' une Façon générale, durant les années so ixante-dix, les partis politiques
de gauche aux Pays-Bas ont tous opéré une radicalisation idéologique. Mais
dans les années quatre-vingt, il s efFectuèrent un nouveau virage vers le centre .
Tous ne connurent pas les mêmes secousses et ils n ' empruntèrent pas les mêmes voies. 066 ne fui pas du tout perturbée alors que les démocrates firent
aussi, durant cette période, l'expérience d ' une transfonna lÎon idéologique. De
l' autre côté. socialistes et commun istes fure nt beaucoup plus affectés par leur
repositionnement. Nous traiterons ici des évo lutions idéologiques de chaque
parti .
2.J.La social-démocratie : l'adieu à l'Etat et à l'utopie
Les conceptions soc iales-démocrates de l' homme et de la soc iété ont
changé de manière substantielle ces dix dernières années. Après une période
volontariste et étatiste, le parti du travail rcconnutles limites de l' intervention
de l ' Etat 6,
La nouvelle analyse de la société s' opérait sur Fond de dépress ion économique persistante et de ce que l'on a appelé la crise du modèle de
l' Etat-providence. Elle prétendait contrer la réaction conservatrice et la montée de l ' ind ividualisme. Pendant les années soixante-dix , la confiance du parti
du travai l dans le dirigisme et dans les capacités réfonni stes de l' Etat était
totale. Les sociaux-démocrates avaient adhéré depuis longtemps aux principes, chers à leurs yeux. de l' interventionni sme comme outil pour façonner la
société.
La renaissance idéologique issue de l 'émergence de la « nouvelle gauche» renforça cette att itude. Toutefo is, celle évolution se révéla paradox ale
dans une certai ne mesure.
LA GAUCHE AUX PAYS-BAS
75
D' un côté, en raison des pressions de la « nouve lle gauche» et d 'actions
extra-parlementaires, le parti du travail s'ouvrit à la société en insérant dans
son programme de nouveaux enjeux post-matérialistes. Désonnais, il n'était
plus seulement un parti à vocation gouvernementale, il se voulait aussi actif au
sein de la société.
D'un autre côté, la confiance en la capacité réfonniste de l'Etat était
réact ivée. La «( nouvelle gauche» contribua donc à la revitalisation idéologique de la planification étatique, chère à la gauche classique, et ce, même si un
courant important au sein de la « nouvelle gauche» défendait des idées plus
libertaires.
Ce processus d 'accroissement du rôle de l'Etat fut renforcé par la crise
économique qui requérait une intervention publique au moment où les soc iali stes étaient au gouvernement. L'étatisme connut son heure de glo ire aux
alentours de 1980. La nouvelle déclaration de principes accordait une large
place à l'Elat comme régulateur du jeu des forces sociales (dans le même
temps cependant. cette déclaration prônait l' autogestion des travailleurs el
l'action directe).
Cet étatisme effré né fut la cible d 'attaques lorsque le parti du travai l se
retrouva dans l'opposition et que les libéraux et les démocrates chrétiens essayèrent, au gouvernement, d'appliquer leur pol itique néo-libérale de remodelage de l'Etat-providence. Le parti du travail prit conscience de la défiance
accrue que suscitait sa recette de plus de régulation et d 'expans ion du secteur
publ ic: beaucoup de citoyens trouvaient l'Etat-providence trop cher et y
voyaient un labyrinthe opaque et bureaucratique. Se greffaient sur cet état de
choses les effets de l'indiv idualisme. Plus personne n'étai t solidaire comme le
voulait le parti du travail ; chacun calculait les avantages qu'i l pouvait soutirer
de l' Elat.
Dès lors, l' idéologie socialiste se « désétatisa» dans les années
quatre-vingt. Le bureau de recherches du parti prit les devants. Dans un rapport, il est imait qu' une planification forte dotée de larges pouvoirs exécutifs
ne cadrait plus avec une société libre, démocratique el complexe '. Le parti du
travail devait abandonner ses prétentions exagérées de société organisée d'en
hau!. Il s'avérait impossible pour l'Etal de concilier des intérêts soc iaux di vergents. Plan ifie r au nom de « l' intérêt général » devenait dès lors une entrepri se
aléatoire. L'Etat devrait abandonner ses prétentions et adopter plutôt un profil
de médiateur.
Ces attaques dirigées contre un des dogmes les plus importants de la
social-démocratie provoquèrent un débat orageux. Même si, ni officie llement,
ni officieusement, les propositions du bureau de recherches n ' avaient mené à
un consensus, le dirigisme avait bel et bien ses plus belles heures derrière lui.
Un rappon du parti de 1987 restreignait encore davantage le rôle de l'Etat.
76
LA GAUCHE FACE AUX MUTATIONS EN EUROPE
L' individual isation avait clairement démontré que la société était trop réfrac taire pour être forgée par le biais de l'action politique.
Autre fo ndement du parti du travail contesté : la « perfectibi lité de
l'homme ». La déclaration de principes du pani du travai l concédait à
l ' homme une bonté « naturelle ». Seu les les structures sociales négatives empêchaient le plein épanouissement de cet être nature llement bon. Dans une
société socialiste, au contraire, la solidarité mutuelle créerait l'harmonie. Le
part i du travail s'est petit à petit distancié de cette vision. L ' auto-réal isation de
l' homme n'étai t plus seulement considérée comme le résultat de l' amélioration des structures sociales. II était adm is que l' indiv idu devait y mettre du
sien.
Le d irecteur du bureau de recherches du parti du travai l, qui avait admis
très tôt l'étatisme excess if du pani , franchit un pas supplémentaire dans le
processus d 'abandon de l' utopie en mettant en cause l'eschatologie
sociale-démocrate 8. Pou r lui, la crise du parti du travai l est liée à celle de ses
idéaux. En raison de son «( désir ardent toujours latent d ' une société socialiste
tout à fait différente », le parti n 'a pas réa lisé à quel point son programme était
déjà accompli. Il aurait dû alors renoncer au concept d ' utopie sociali ste sans
pour autant abandonner sa volonté d'amé liorer la société .
Très rapidement, ces rénex ions sont devenues monnaie courante. Le leader d u pani. Kok, déclara ainsi que la social-démocratie« ne devait pas incarner « l'Alternative » » . Et en 1991. l'exécutif du parti dénonça l'inutilité
d ' une idéologie prétendant couvrir tous les intérêts.
2.2. L e «cocklail » idéo logique de la « gauche verte»
Dans les années quatre-vingt, le parti du travail n 'est pas le seul à avoir
subi des transfo mlations idéologiques; la « petite gauche» a connu les mêmes turbulences, surtout le CPN. Les communistes se sont métamorphosés, liquidant le stalin isme au profit d'un parti ouvert ct pourvu d ' un programme
post-matérial iste. Le PPR et le PSI' s' interrogèrent, face à leur décl in électoral,
sur leur identité et la stratégie à adopter. Ces remises en question idéologiques
conduisirent progressivement ces trois formatio ns à se rapprocher.
2.2./. La
<1"
déléllillisalioll .. d /l CPN
En 1991, le CPN s'est fond u dans la « gauche verte» et s'est auto-dissous.
Même si les révolu tions d'Europe de l' Est accélérèrent son agonie, l'effondrement du communisme néerlandais n'est pas une con séquence d irecte de la
chute du système communiste. C'est de manière plutôt autonome que le CPN
s'était lancé dans le processus de renouveau, quelques années même avant
l'accession au pouvoi r de Gorbatchev.
Pendant longlemps, les communistes semblèrent résister à l' innuence d9mi nante de la « nouvelle gauche ») 9. Dans les années soixante-dix, le CPN resta
LA GAUCHE AUX PAYS-BAS
77
un part i orthodoxe, basé sur un centralisme démocratique stricl. En dépit de
ses relat ions problématiques avec le pcus, le parti était lié au dogmatisme soviétique inspiré du marxisme- léninisme. Mais, nous l'avons di t 10. les élections désastreuses de 1977 déclenchèrent toutefo is un processus de renouvellement idéolog ique. Peu après, le pani esqui ssa un nouveau programme. Bien
que les communistes néerlandais aient tourné le dos au stali nisme, leur nouveau dessein restait dans la mouvance du marxisme- léninisme. Beaucoup de
jeunes inte llectuels rénovateurs ne se satisfirent pas de ce « renouveau » .
Après une année de confl its internes, le parti adopta une nouvelle déclaration
de principes, en 1984, non plus du léninisme mais du fém inisme. Même si le
marxisme survécut, il n'en demeure pas moins que les communistes néerlandais abandonnèrent l' idée de la lutte des classes comme seul moteur de l'histoire. Pour remplacer la contradiction dominante entre le travail et le capital,
ils m irent en év idence d 'autres contradiction s, entre les sexes ou entre les
hommes et la nature. Ce renouveau pourrait être considéré comme une victoi re des activistes des nouveaux mouvements sociaux qui avaient désapprouvé la subordi nation traditionnelle de leur mouvement au parti communiste.
Dans la foulée de celle transfonnat ion, le parti abandonna le concept de
porte-parole de la classe ouvrière hi storiquement liée au PC - le système soviétique du parti unique reposait sur celle idée de base. Les commun istes intégrèrent et acceptèrent le principe du mu ltipartisme et le CPN soutint la
charte 77 et SolidartlOJc.
La déclaration ne fi t aucune référence fonnelle à l'Union soviétique. Le
CPN reconnaissait encore l'opposition entre l'Est et l' Ouest mai s ne se rangeait
ni d 'un côté, ni de l'autre; Moscou et Washington étaient toutes deux jugées
responsables de la course aux annements. La dé léninisation du CPN ne se li mita pas à la d imension idéo logique. Le CPN prit aussi ses distances par rapport
au modèle organisat ionnel fondé sur le centralisme démocratique et se lOuma
vers une nouve lle fonne d'organisation du parti , démocratique et féminis te
cette fo is. Après cette métamorphose, il ne restait plus grand chose de l' identité communiste. A cet égard, la dissolution du CPN ne fut que la conséquence
logique de sa « déléninisat ion )) .
2.2.2. LeJ socialistes pacifistes cOlllre le système capiraliJte
Contrairement au CPN, le PSI' fut influencé dès le début par les idées réformatrices de la « nouvelle gauche )). Il trouvait ses origines dans le mouvement
pacifi ste des années cinquante. Outre le désannemem , le psp définit assez tôt
ses priorités : l' autogestion, la démocrat isation et la révolution culturelle. En
dépit de l'opposition des tenants de la gauche classique qui soit quittèrent le
parti , soit s' adaptèrent à la nouvelle ligne.
78
LA GAUCHE FACE AUX MlITATIONS EN EUROPE
La protection de l'environnement est devenue un enje u important du programme des sociali stes pacifistes. Depuis la fin des années soixante, le PSI'
s'est investi - et c 'est le premier parti politique néerlandais à l'avoir fait dans des actions de protestation contre la pollution. L' insistance avec laque lle
le psp préconisait l'action directe s'accompagnait d ' une réelle aversion pour le
gouvernement et l'administration ; il fa llait construire le socialisme à la base.
L' importance du parlement était secondaire. Par conséquent, le parti se tourna
dans les années soixante-dix vers les nouveaux mouvements sociaux. Les activistes du psp prirent part aux mouvements anti-nucléaire, de protection de
l'environnement et de libération de la femm e. De ce fait, certains aspects de
base de l'idéologie du PSP commencèrent à changer. L' utopie socialiste se diversifia. Il ne s'agissait plus seulement d 'encourager une économie soc ial isée
basée sur l'autogestion: la société devait se fix er l'avènement du « système
patriarcal de l'hétérosex ualité ».
Selon le psp, les problèmes de l'environnement ne pouvaient être résolus
que dans une société social iste. Bien que le psp se soit très tôt montré attentif
aux problèmes causés par la pollution, il ne s'est certainement pas développé
dans une optique écologiste. Le combat contre le capitalisme, le patriarcat et
l'annement avait une plus grande importance. Pour les sociali stes pacifistes,
la société devait atteindre le socialisme avant que puissent se réaliser les solutions vertes. Ils n ' ont d ' ailleurs pas immédiatement abandonné celte opinion
au sein de la « gauche verte }).
2.2.3. Les premiers signes verts du PPR
Le PPR était fondu dans le moule de la « nouvelle gauche )1 comme le PSI'.
Les radicaux se sont toujours présentés comme un parti activiste soucieux de
changer les structures sociales autant que les me ntalités. Le PPR revendiquait la
démocratisation, l' autogestion, la protection de l'environnement et l'autodéveloppement. Il se centra sur les enjeux liés à la paix et à l'environnement.
C'est donc tout naturellement qu ' il insista sur l'importance de l'act ion directe.
Durant les premières années de son existence, celte attitude s 'accompagnait
d ' une volonté de participer au gouvernement. De 1973 à 1977, les radicaux
firent partie de la coalition gouvernementale aux côtés des soc ialistes et de
066. Par la sui te, le PPR privilégia l'action extra-parlementaire. Son profil est
devenu encore plus « vert Il. Dès 1979, le PPR et quelques partis écologistes
d ' Europe commencèrent à travailler ensemble. Cette tendance se confinna en
1983 dans une résolution du congrès du parti qui défin it le pPR comme un part i
« radical, solidaire, non confonnis le, écologiste et libertaire ». Dans la pratique, la dimension écologiste; fut encore plus accentuée: les problèmes de " environnement dominèrent les activ ités du parti. A côté de cette composante
écologique, la résolution du congrès montrait la volonté des radicaux de coopérer étroitement avec le PSP et le CpN. Cette coopération aboutit à la fondati on
LA GAUCIIE AUX PAYS-BAS
79
de la « gauche verte» au sein de laquelle les radicaux , en particulier, exprimaient le point de vue écologiste .
2.2.4. Le méli-mélo de la « gauche verte »
La convergence idéologique du CPN, du psp et du l'I'R se concrétisa par la
création de la « gauche verte» à laquelle participa auss i un petit parti chrétien
progress iste. Au départ, la nouvelle fonnation eut du mal à préciser ses conceptions sociétales de manière cohérente. Le premier manifeste mêlail pacifi sme, marx isme, féminis me et progressisme chrétien !!. Il ne résolvait pas les
contradictions entre une politique socialiste devant offrir un niveau de vie
raisonnable à tous et une politique écologiste qui donnerait la priorité à la
préservation de l'environnement. Après le rejet de ce document par le premier
congrès du part i, un nouveau manifeste vit le jour, encore imprégné de socialisme et d 'écologisme: on y trouvait les notions de « viabilité» écologique et
d ' idéal égal itaire en matière sociale. A cette occasion, le congrès du parti décida que les considérations écologiques devraient détenniner la politique
socio-économique. Le rôle de l'Etat fit l'objet d ' un compromis. La « gauche
verte» accepta tout à la fois les principes d'économie de marché et la nécessité d ' une planification , éléments qui la rapprochaient du parti du travail. Mais
les idées écologistes restèrent cependant étrangères aux sociaux-démocrates,
même si aujourd ' hui elles sont pl us intégrées dans le programme du l'VdA.
2.3.Les démocrates: du pragmatisme au libéralisme social
066 est à la foi s le produit et la preuve d ' une ère nouvelle de la politique
néerl andai se et de ses transfonn ations, ces vingt-c inq dernières années !2. A
l' origine, les démocrates rejetaient toutes les idéologies et prônaient une approche pragmatique, ne répondant à aucun dogme. Les démocrates ex igeaient
une démocratisation radicale de la poli tique néerlandaise, impliquant par
exemple l'é lection du premier ministre au suffragé uni versel. En ce sens, 066
pouvait être qualifiée de parti libertaire et républicain (bien qu 'elle ne fû t pas
anti-monarchiste) dont les membres étaient des citoyens soucieux de rev italiser le système politique.
Dans le cou rant des années soixante-dix, 066 devint plus attentive à la di mension sociale de ses idéaux. Elle se rendit compte que les réfonnes politiques ne suffi saient pas, à elles seules, pour aneindre une société démocratique. 1I fallait aussi rcdistribuer les biens et la richesse afin d 'offrir aux indi vidus des possibi lités réelles d 'épanouissement personnel. Par conséquent,
l' Etat devait étendre son champ d'action. 066 s'engagea dès lors clairement
dans la voie du (( libéralisme post-socialisle », destiné à stimuler l'individualisme et à offrir les bases matérielles à l'aulo-épanouissement
Le parti opéra un recentrage en 1985 lorsqu' un de ses fondateurs en reprit
la di rection. Avec lui , l 'acccnt porté sur les réfonnes politiques redevenai t une
80
LA GAUCHE FACE AUX MUTATIONS EN EUROPE
priorité - même si les préoccupations soc iales n'étaient pas écartées. Le programme de D66 contÎent encore aujou rd ' hu i un esprit social-libéral et républicain. Les démocrates sont apparemment en totale symbiose avec l'idéologie
dominante du moment, axée sur le marché.
3. Les glissements sociologiques de la gauche
La rad icalisation de la gauche dans tes années soixante-dix atla de pair
avec une transformation soc iologique profonde de sa composition. La classe
ouvrière n'a pas se ulement cessé d'être au centre des préoccupations de la gauche, elle a aussi disparu de ses rangs - c'est en tout cas ce que révèlent les
résultats des enquêtes disponibles. Cette mutation sociologique est particulièrement perceptible dans les anciens partis de la gauche comme le parti du travail el le CPN. Au sein du psp et du PPR, qui se sont orien tés dès le départ vers la
« nouvelle gauche », la classe ouv rière était , au contraire, peu présente. Il en
va de même pour 066.
Au départ pourtant , la classe ouvrière représentai t une partie considérable
des membres du parti du travail et du parti communiste. Selon les résultats
d' une enquête menée au début des années cinquante, un tiers des membres des
exécutifs des sections locales d u parti du travail étaient des travai lleurs en
«col bleu » et 4% seulement possédaient un diplôme universitaire. Par la
suite, la nouvelle classe moyenne inte llectuelle rejoignit en masse le pani du
·travail. Le groupe de la « nouvelle gauche» ne fai sait peUl-être qu'annoncer
cette configuration. La plupart de ses membres étaient des journalistes. des
scientifiques et des travailleurs diplômés; aucun d'eux ne fai sait étal d ' une
occ upation ouvrière. Les enquêtes effectuées dans les années soixante-dix
montrent un déclin de la représentation des ouvriers manuels dans les rangs
socialistes. En 1977, le parti du trava il mena une enquête parmi ses membres:
13% d 'entre eux étaient des ouvriers (qualifiés el non qualifiés), un tiers
n'avait qu ' un certificat de l'ense ignement prima ire et 40% possédaient un
diplôme universitaire B . Une autre étude inteme de 1986 confirme ces conclusions. Une minorité des membres appartenait à la classe ouv rière et étaittitulaire du certificat de l'ense ignement fondame ntal. La majorité était issue de la
classe moyenne, détentrice de diplômes supérieurs 14.
Au se in du parti communiste, sur base de ta composition sociale des con grès, on peul constaler que la composante ouvrière s'est aussi amenui sée peu li
peu dans les rangs du parti " . Jusqu 'en 1970, les travailleurs de l'industrie イ・ セ@
prése ntaient la majorilé absolue dans ces assises. Leur prépondérance prit fin
en 1975, avec le changement de génération: les employés remplacèrent les
ouvriers. De même, la nouve lle classe moyenne invesli ssaitle CPN ; au cong rès
d'auto-dissolution de 1991 , seul s 8% des délégués pouvaient être rangés dans
la classe ouvrière.
LA GAUCHE AUX PAYS-B AS
81
Nous l'avons dit, dès les origines, la classe ouvrière était moins présente
dans les rangs du PSI'. Seuls 9% des cent premiers membres étaient des
ouvriers; la majorité se composait d 'employés (professeurs, employés de bureau, hommes d 'église). Un cinquième de ceux-ci possédait un diplôme universitaire 16. Une enquête effectuée entre 1957 et 1963 panni les adhérents du
parti montra qu 'environ 40% des quelque 4.000 premiers membres étaient des
employés et 24% des ouvriers 17. Dix ans plus tard, la classe ouvrière avait tout
simplement disparu des listes. En 1973, 54% des nouveaux membres étaient
des étudiants. Le pourcentage de travailleurs manuels n'a pas été précisément
établi mais ces derniers représentaient tout au plus 10% des membres d u parti .
A la fin des années soixante-dix, un tiers des membres du pSP était composé
d 'étudi ants et un autre tiers travaillait dans le secteur social, de l' infonnation
et de l'éducation. On ne fai sait alors mention d 'aucune participation
ouvrière 18. Les enquêtes les plus récentes révèlent la même configuration (les
membres ont accompli des études longues et travaillent surtout dans le secteur
des services) .
La composition sociologique des membres du parti radical ressemble en
bien des points à ce lle de leurs partenaires socialistes pacifi stes . D 'après un
sondage effectué peu après la création du parti auprès des tout premiers membres, 9% au plus pouvaient être cl assés comme ouvriers, plus des deux ti ers
des personnes interrogées étaient des employés 19. Au congrès du parti qui
entérina la disso lution du PPR, les délégués répondirent à un questionnaire :
seul s 8% d'entre eux travaillaient dans le secteur de l' industrie et de l'agriculture, 75% appartenaient au secteur des servi ces (surtout publics) 20.
Si la composante traditionnelle de la classe ouvrière est devenue marginale au sein des effectifs du Pv d A et du CPN durant les années soixante-di x, elle
était très peu représentée à l' intérieur du PSP et du PPR et totalement absente des
rangs de 066. Ce dernier parti fut créé par une poignée d ' intellectuels; deux
tiers d 'entre eux possédaient un diplôme uni versitaire 21.066 a toujours gardé
son côté intellectuel : en 1986, trois-quarts des membres interrogés avaient un
diplôme de l'enseignement supérieur. On s'en doute, au sein de cette fonnation , il était très difficile de trouver des ouvriers 22.
4. Concl usions
A en juger par ces résultats, la classe ouvrière a disparu des rangs des
partis de gauche . Les études électorales tendent à démontrer qu ' il en va de
même dans leur électorat, même si les ouvriers n' ont pas totalement disparu
de l'électorat soc ialiste 23.
Deux facteurs exp liquent ce glissement sociologique, l' un objectif, l' autre
subjectif.
Le premier - objectif - a trait non seulement au recul de la classe
ouvrière dans la société post-industrielle néerl andaise, mais aussi et surtout, à
82
l A GAUCHE FACE AUX MUTATIONS EN EUROPE
la disparition de cette classe comme groupe socio logique à pan entière, en
rai son de tendances économiques et de processus socio-culturels comme l'i ndividuali sme. II résulte de celle évolution que des panis de gauche comme le
CPN et le pani du travail , qui avaient encadré la classe ouvrière, ont perdu leur
base soc iale traditionnelle et nature lle.
Un facteur subjecti f a joué auss i. La culture des pan is a radicalement
changé avec l'arrivée massive des membres de la nouvelle classe moyenne.
Un clivage culturel est apparu au sein même des partis. La classe ouv rière,
déjà en recul , a été minimisée. même si ce n 'était pas intentionnel. Les pani s
de gauche sont devenus très idéologiques: le parti du travail constitue, de ce
point vue, un exemple caractéristique. L' idéologie a intégré les valeurs
post-matérialistes et s'est par conséquent élo ignée des travailleurs, comme
dans le cas du CPN.
Les éléments qui ont amené ces transfonnations - « dépilari sation », politisation, transfonnations soc iales, etc. - ont aussi entraîné la fragmentation
de la gauche. Le psp a ouven la voie avant d 'être rejoint dix ans plus tard par
066 et le PPR. Ces trois panis ont incarné. à des degrés divers, les caractéristiques de la « nouvelle gauche ». Sunout, comme semblent l' indiquer les résultats des diverses enquêtes. il s eurent l' appui de la nouvelle c lasse moyenne.
L'entrée de celle dern ière sur la scène politique néerlandaise alla donc de
pair avec la création de panis associés à la « nouvelle gauche» et une radicalisation idéolog ique des partis existants. Après une décennie de radicalisme,
un tournant s'opéra vers une ligne politique plus modérée. L'idéologie
n 'occupait plus la première place et les différences au sein de la gauche commencèrent à s'estomper. A l'extrême-gauche. cela se tradui sit par l'émergence de la « gauche verte ». A l' heure actuelle, certains évoquent une poss ible fu sion entre le pani du travail . 066 et la « gauche verte» pou r consti tuer
un « parti populaire progressiste ». Mais l' idéologie détennine encore l' identité de ces fonnalion s. On peut définir 066 comme un parti li béral social avec
quelques touches écologistes; la « gauche verte » comme un parti éco logiste
social avec une once libertaire. Les deux part is priv ilégient des questions
post-matérialistes - en d 'autres tennes. non directement liées à des facteurs
socio-économiques - , notamment les thèmes de la citoyenneté démocratique
et de J'écologie.
Il est plus difficile aujourd' hui de défin ir l'idéologie du parti du travail. La
socia l-démocratie essaie désespérément de combler le gouffre social qui menace son ex istence même de force dominante de la gauche. La question qui
agite le parti du travail est de savoir comment rassembler les intérêts contradictoires de la classe ouvrière - sa base historique - et ceux des nouveaux
groupes sociaux. Dans celte « recherche », le parti du travail semble venir à
une fa nne de sociali sme pragmatique, auque l il avait adhéré dans les années
cinquante . S'y ajoutent des éléments empruntés à ses concurrents politiques
LA GAUCHE AUX PAYS- BAS
83
(par exemple, le projet d'écotaxe ou encore la notion de citoyenneté responsable). En vérité, le parti du travail ne s'est toujours pas défini d ' un poin t de vue
idéologique ni exprimé sur ses choix politiques futurs. Ce parti ne veui ou ne
peUl loujours pas accepler que sa vieille ulopie a déjà été en grande partie
réalisée, que les citoyens émancipés et bien instruits peuvent se passer d'un
parti soc ial-démocrate (même s' il s pourraient voter pour lui par solidarité) el
que seules les couches sociales les pl us basses pourraient en avoir besoin.
Notes
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" CeUe parlie est basée sur A. P.M. lオッNセdihL@
G. VOUM"'<. .. Worstclen mel ideologie. Hel verhaal van
een pragmJrische partij _./du. 1991. nO6. pp. 19-25.
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CUllltll/otieccmrr/m nイッエャ。、ウセ@
Pali/ide Partije'l. o N セiG|@
1991.228 pages. pp. 172-173.
l' U . ÛOOSCIIALK. " Enige polilîckc en sociale kenmerken van dc oprichlers van 066 " . AC/a PolitiCII,
1969. nO 1. pp. 62-74.
1.1 M.P. ZlEI'OSK ... ·Goo, R. HIUJ:SI1AND. op. cil .
Q
84
LA GAUCHE FACE AUX MlJTATIO"'S E\ - EUROPE
i ' Voir p.vcllemple J.\\.'. VA' Olm. \I.H. UUE., ..... Il. K. \\.'nnIllOOO." Op "'·er naarMn bn:de ,·oilspanij" _.111 G, VoaJ.l.'" (éd.I.JD!lrb. ....t /99/ fh ...iセエGヲャHBQ
ᄋ オュ@
Nr.frrf<llhfst' Pofil/rit' PlImjt'n. D'PI'.
1992. 225
ー。セ・N@
pp. 103·122.
La Confédération européenne des syndicats:
engagement syndical et construction européenne
Corinne
G OBIN
I. Introduction
La position du monde syndical européen vis-à-vis du processus de construction européenne est généralement présentée de façon fort peu nuancée.
Ainsi sont souvent opposées l'attitude des syndicats chrétiens ct socialistes.
partisans convaincus et enthousiastes d' une édification européenne assoc iée
aux valeurs de paix, de développement et de progrès soda-économiques, et
J' attitude des syndicats communistes, représentés notamment par la Confédération générale du travail française, s'corennanl dans un rejet abso lu d ' un processus qui déstabiliserai t la souveraineté politique et économique des Etats el
ancrerait défi nitivement J' Europe occidentale dans la sphère d ' infl uence atlantique. Et il est vrai que nous retrouvons très tôt. au sein des institutions de
militance pour la construction d ' une Un ion européenne, les principaux leaders
syndicaux social istes et chrétiens des pays concernés par le développement du
marché commun: ainsi, en 1960, au sein du Comité d ' action pour les EtatsUnis d'Europe de J. Monnet œuvrent côte à côte des grands noms de l'histoire
syndicale socialiste ct catholique: l'ancien rés istant allemand anti-nazi , personnage quasi mythique, Ludw ig Rosenberg (du DGB), le Français Robert
Bothereau (de la CGT-FO), les Belges Auguste Cool (de la csc) el André Renard
(de la FGTB), le Néerlandais Jacq Alders (de la Confédé ration néerlandaise des
syndicats catholiques) ou l' Italien Bruno Storti (de la CISL).
Celle représentation bipolaire découle de la déchirure terrible qui divisa le
monde pol itique et syndical de gauche dans l'immédiate après-g uerre alors
que peu à peu se met en place la politique de la guerre froide . Déchirure qui ,
au ni veau de la construction européenne, est symbol isée par l'acceptation ou
le refus de l'aide financ ière américaine au sein du plan Marshall, dans les années 1947 et 1948, par les Etats mais auss i par les insti tutions socio-politiques
(part is et organisations socio-professionnelles) qu i matérialisent le fonctionnement démocratique de ces Etats.
86
LA GAUŒ E FACE AU X MUTATI ONS EN EUROPE
Après l'effondrement des régimes pol itiques communi stes à l' Est qui
oblige les polito logues à complexifier davantage leurs approches analytiques
et les force à dépasser les interprétations manichéennes, on perçoit mieux,
dans les posit ions syndicales liées au processus d ' intégration européenne, des
tonalités différentes dans la justificat ion de l'engagement syndical « pour
l' Eu rope ». Celles-ci ex istaient depui s longtemps dans les mouvements syndicaux pro-européens mais étaient en quelque sorte « étouffées» sous l'effe t
massif d ' une vision pol itiq ue bipolaire dom inante 1.
Le débat politique français à propos du referendum sur le traité de Maastricht (20 septembre 1992) est révélateur à ce titre. En effet, si la position de la
Confédération européenne des syndicats ( CES) 2 reste inchangée depui s les résultats du sommet de Maastricht de décembre 1991 3, dans son soutien, critique certes mais soutien néanmoins, au trai té sur l'Union européenne, et si, en
vertu d ' une déc ision collégiale, l'ensemble de ses membres devrait adopter la
même attitude, s' affinnent cependant des points de vue sensiblement différents セ@ qui contribuent. en France - mais aussi par contagion , dans tous les
pays de la CEE - à alimenter les débats au se in d ' un courant de gauche favo rable au « non au traité de Maastricht », où se retrouvent côte à côte des opposants communistes, des intellectuels et des militants syndi cau x et politiques
issus des mouvances chrétiennes, écologistes et socialistes.
Au moment où se discutait le contenu de ce fameux traité au sein des Confére nces intergouvernementales dans le courant de l'année 1991 5, nous avons
effectué trente interv iews auprès de responsables syndicaux tous
issus d 'organi sations membres de la Confédération européenne des syndi cats 6 afin de les interroger sur le pourquoi de leur engagement
pro-européen présumé. Dans les pages qui suivent , nous essayerons, au cours
de cet article, de refléter la divers ité des justificat ions idéologiques exprimées ; ce qui pennet, à notre avis, a posteriori, de mieux comprendre le malaise aClue l, qui divise la gauche européenne - et plus particulièrement la
gauche syndicale - sur le sens ct le contcnu du processus d ' intégration européenne porté par les institutions de la CEE.
Auparavant , nous expliciterons la posit ion officielle prise par la CES au
début de l'année 1992, à l'égard du traité sur l' Union européenne.
2. La CES et le texte du traité sur l'Union européenne
Le comité exécutif de la CES adopta une déclaration sur le traité sur
l'Un ion européenne dans le cad re de sa réunion des 5 et 6 mars 1992, fa isant
suite à la signature dudit traité le 7 février 1992 par les différents chefs d ' Etat
et de gouvernement des pays membres de la Communauté européenne.
S i en conclusion de son analyse du lexte de ce traité,
«( ... ) la CES estime nécessaire que le mouvement syndical , au niveau européen
et dans les différents Etats membres, soutienne la r.ttifieation du traité sur
LA CONFÉDÉRATION EUROPÉENNE DES SYNDICATS
87
l'Union européenne. en panicipant aClivement au débal public. y compris avec
des initiatives propres ( . .. ) ».
ce la ne l'empêche pas d 'émeure des propos assez sévères dans son éval uation
globale de ce tex te . Examinons-les de plus près.
Alors que, dans le préambule de sa déclarat ion, la CES considère que ce
nouveau traité amorce une nouvelle étape dans la construction européenne en
permettant d'identifier les axes fondamentaux sur lesquels la future Union devrait se structu rer, elle constate néanmoins que cet accord politique continue à
avaliser le grave déséquilibre q ui s'est établi entre les dimensions économiq ues de l' intégration européenne (en se foca lisant aujourd ' hu i essentiellement
sur les aspects monétaires) et les dimensions polit ique et sociale, et ce dep uis
la genèse - trop marquée par le libéralisme - des textes fondateurs de la
Communauté européenne. Le rendez-vous politique de 1996 comme moment
d 'évaluation et de révision du contenu du traité devra être capital pou r supprimer ce déséquil ibre et consacrer le caractère fédéral de l' Union, sans leq uel
tout mouvement d 'élargissement mènerait à la d ilution des pouvoirs et des
capaci tés communautaires.
2. 1.La dimension démocratique
La CES mesure aussi l' impact de ce traité sur la dimension démocratique de
la Communauté européenne.
Le bilan est décevant dès lors que la nature insti tutionnelle de la
Communauté et la répartition des pouvoirs en son sein ne changent pas. Les
améliorat ions relevées restent trop fa ibles vu l'ampleu r du déficit démocratique constaté. La procédure de co-décision donnant un peu plus de poids au
Parlement dans l'exercice du pouvoir législatif, les nouvelles procédures d ' intervention et de contrôle du Parlement par rapport à la Commission, l' alignement de leur mandat dans le temps, l' importance accordée à la création de
partis pol itiques européens, l'établissement d ' un Comi té des Région s, le principe de citoyenneté européenne consacrée par le droit de vote et d 'é ligibil ité
aux élections locales et européennes pour tout citoyen communautaire n ' arrivent pas à masquer l'opacité du processus déc isionnel et législati f au sein du
Conse il, le poids d isproportionné de ce Conseil dans ce processus par rapport
au Parlement. plus part iculièrement en matière d ' Union monétaire (où Je Parlement est « hors course ») et sociale ... et enfi n, l' oubl i total des travailleurs
extra-communautaires, notamment dans leur capacité à pouvoir jouer aussi un
rôle polilique dans leur espace quotidien.
La CES espère que les quelques transfo rmations insti tutionnelles inscrites
dans le traité inciteront le Parlement à renforcer davantage sa coordination
avec les parlements nationaux, ne porteront pas atte inte au rôle joué par le
Comité économique et social et ouv riront la voie à J'élaboration d ' une Constitution eu ropéenne.
88
LA GAU CHE FACE AUX MUTATIONS EN EUROPE
2.2.L'UniOlI économique et monétaire
La CES est ime que la démarche d' intégration économ ique et monétai re au
sein des Douze est essentie lle car les économies nationales ne parv iennent
pl us à maîtriser ces dimensions; cependan t, le contrôle de celle dynamiq ue
doit être en tre les mains des institutions dotées d'une responsabilité démocra·
tique ' .
La cri tique essentielle vise la focalisation sur l' objecti f de stabilité moné·
taire au détriment des autres objectifs soc io-économiques (croissance, emploi,
cohésion économique et sociale), instaurant une subordination - à travers le
type des critères de convergence retenus - de ces objecti fs du traité à la seule
stabil ité monétaire. Reconnaissant qu'i l est imponant de luller contre l'inflation - mais seulement dans une perspective de long tenne - , la CES rappelle
néan moins son opposi tion totale aux politiques monétari stes qui , en contribuant, tout au long des années quatre-vingt, à dégrader fon ement ce qu i devrai t être les vraies aunes du développement économique - l'environnement
et J'em ploi - ont clairement montré 'Ieur im puissance. Une accentuation de
celle logique ne manquerait pas de plonger l' Europe dans une nouvelle récession. Or ce double risque existe bel et bien: à cause du pouvoir de la Banque
centrale q ui n'a pas, dans son optique propre, à prendre en com pte un quelconque intérêt général et qui le fera d 'autant moins q u'elle n 'est pas sou mise à
un contrôle effecti f des institu tions politiques, dont le Parlement européen ; à
cause des effets conj ugués de l' incapacité polit ique européenne de légiférer en
matière d' hannonisation fi scale - ce qui a plongé l' Europe dans une spirale
de « fi scalité compétitive » - et en raison de l'appl ication stricte des critères
de convergence 8 qui pourront conduire à une paralysie des gouvernements
dans leur capac ité de mellre en œuvre leur politique sociale.
Pour la CES, la vraie convergence à atte indre sur le plan des économies
européennes est tout autre: elle doit se fo nder sur une « stratégie coopérative
pour la croi ssance et l'emploi» et le texte du tra ité peut très bien fournir la
base des pol itiques économiques allant dans ce sens. La CES rappelle qu'elle
n'a accepté de soutenir le projet de Marché intérieur défini en 1985 qu'à la
condi tion que se réali se un tel programme . Or la solution mise en avant par le
« paquet Delors 11 » 9 ne suffit pas à susc iter une nouvelle croissance qualitative : les fond s financiers à mettre en œuvre doivent être plus importants; de
plus. si la logique de cohésion économique et soc iale - visant à stimuler le
développement des régions en diffic ulté - est essentielle, l'effort - afi n
d 'éviter une nouve lle récession - doit dépasser le seul cadre régional pour
impul ser une nouve lle croi ssance à l'échelon de la Communauté toute entière ,
même si cela doit accroître certains défi cits à court tenne. Sur celte base, la
CES demande dès lors une réorientation des dépenses publiques existantes vers
la fonnation, l'emploi et les investissements publics et pri vés capables de stimu ler cette croissance; l' intervention - san s plus de délai - de la Commu·
LA CONFÉDERATI ON EUROPEENNE DES SYNDI CAT S
89
nauté dans le contrôle des taux d ' intérêt beaucoup trop élevés; l' augmentation d u budget communautai re afin d 'aue indre progressivement le ni veau des
3% du produit intérieur communautaire sans laquelle les nouve lles compétences inscrites dans le texte du traité (en matière soc iale, d 'environnement, de
gestion du marché de l'emploi , de restructuration industri elle, de recherche ... )
ne pourraient être valablement prises en compte.
In fille, elle insiste sur le nécessaire renforcement d u rôle des« partenaires
soc iaux» 10 - tant au niveau des Etats nat ionaux qu 'à l'échelle communautaire - dans l'application des politiques de mise en œuvre de l'uEM; ce qui
nécessite le développement d ' un système européen de rel ations
socio-professionnelles et la création d ' un organi sme de contact entre les organisations socio-professionnelles représentatives et la fu ture Banque centrale
afin de veiller à ce que le développement économique induit par l'UEM pu isse
effectivement tenir compte de tous les intérêts sociaux en présence.
2.3.La dimension sociale
S 'attachant ensuite à la d imension sociale, elle considère d 'emblée que si
le compromis ex primé à travers l' accord sur la politique sociale à Onze, est
positif d ' un point de vue poli tique (ex pression d ' un refus de suivre la logique
anti -sociale prônée par le gouvernement britannique), il est problématique
d ' un point de vue juridique (oulre la question de la cohérence interne de la
Communauté, la coex istence de ce lexte avec la partic de l'Acte unique traitant du soc ial entraîne des di ffi cultés d ' interprétat ion et peut favoriser une leclure plus restrictive que par le passé de certaines matières sociales). Malgré
ces ambiguïtés, la CES insiste sur le fait que ce texte est de nature communautaire et qu 'à ce titre, toutes les in stitutions communautaires doivent pouvoir
participer à son application et au respect de celle-ci, suivant leurs attributions
respectives et qu ' il fera désormais partie de ャG 。」 アセ ゥ ウ@ communautaire lors de
toute dynamique d 'élargissement.
Cependant, cet accord social ne rencontre que le minimum acceptable
pour la CES. Ainsi, il consacre un élargissement des compétences communautaires dans le domaine social et facil ite la prise de décision du Conseil par
l'extension du vote à majorité q uali fi ée à - seulement - quelques matières
dans ce domaine; ai nsi, il intègre l' accord conclu entre les « partenaires sociaux» en octobre 199 1 qui permet d ' insti tuer une démarche contractuelle
européenne et de l'art iculer à la mise en œuvre du processus législati f comm unautaire. Les nouvelles m issions octroyées au Fonds social devraient permettre, par ail leurs, de stimu ler cette démarche contractue lle.
En revanche, l'autonomie des « partenaires soc iaux») et de leur production contractuelle n'est pas vraiment garantie; des matières sociales importantes ex igent toujours un vote à l' unanimité du Conseil tand is que d'autres sont
ex plicitement exclues de l'accord ; surtout, la po li tique d ' immigration n'a pas
90
LA GAUCHE FACE AUX MUTATIONS EN EUROPE
été intégrée en tant que telle panni les compétences communautaires et pire, le
lexte du traité la fai t dépendre du seul ressort judic iaire, ce qui est très problémat ique dans le contex te actuel de résurgence du rac isme. La CES demande
par conséquent au Conse il de définir, à l' unanimité de ses membres et de toute
urge nce, une politique générale d'immigration et de protection contre la discrimi nation raciale.
2,4,La cohésioll économique et sociale
Le compromi s réali sé à Maastricht a bien intégré le fa il que la réalisation
de l'UEM nécess itait un renforcement important de la pol itique de cohésion
économique et sociale, qui , la CES le rappelle, signifie que l'on se fixe pour
objectif d ' atteindre, de façon homogène dans toute la Communau té, un « progrès économique et soc ial équilibré et durable », Or, vu les problèmes et les
risques décou lant de la nou velle dynamique portée par le trai té - s'ajoutant
aux disparités actuelles de développement régional ---:- la CES souhaite pl us:
que la cohés ion dev ienne l'étalon de mesure du degré d ' approfond issement de
l' intégration européenne. Ce qui la conduit à fonnuler diverses exigences: la
mise en place d' un mécanisme communautaire de surveill ance de l'évolution
de la cohésion afin de mesurer l'impact sur celle-ci des politiques économi ques des Etats membres et des politiques communautaires; la mise au point
d 'un programme communautaire pour la cohésion qui engage tous ses membres à m ieux cibler les pol itiques à suivre en la matière; une me illeure efficacité des fond s structure ls et l' augmentation de leurs moyens fi nanciers au
delà du « paquet Delors Il)); la recherche d ' une stricte compatibilité entre
politique de convergence el cohésion; une augmentation substantielle des
ressources communautaires par le biais d ' une fi scalité européenne afin
d ' amortir les chocs présents et à venir des processus d ' intégration en cou rs,
Les perspectives nouve lles ouvertes par le traité bien qu ' insuffisamment
clarifiées - augmentation des missions de fonnation profess ionne lle pour le
Fonds soc ial, compétences en marière de politiques d ' infrastructures, de restructuration industrielle et de protect ion des consommateurs - devraient permettre néanmoins de renforcer la dynamique communautaire en matière de
cohésion.
Vu l' importance de cette dynamique, la CES exige que les « partenaires
sociaux» soient directement associés à tous les éléments de sa mise en œuvre,
Finalement, malgré ces critiques sévères du tex le même du traité de Maastricht, la CES reste globalement allachée à la dynamique d ' intégration européenne portée par ce projet d'Union européenne, Voici comment son secrétaire général justifie le sens de celle adhés ion g lobale:
Nous acceptons la logique de l'UEMen tant que complément indispensable du
marché un ique. Si l'industrie européenne n 'est pas compétitive, les syndicats
auront des difficultés à défendre l'emploi, pliS seulcmcnl la création d'emplois,
«
LA CON FÉDÉRATION EUROPÉENNE DES SYNDICATS
91
aussi ['cmploi existant et les acquis sociaux. L' UEM devrait pennettrc d'<!voir une
Europe plus fortc et plus compétitive au niveau mondial » Il.
Celle adhés ion, pri vilégiant le présupposé de retombées soc iales - sous l G。」セ@
tion syndica le - quel que soi t le type de développement économique, est-elle
la seule option présente au se in de cette extraordi naire mosaïque syndica le
qu'est la CES?
3. La gauche synd icale en faveur de l'Europe:
entre pragmatisme syndical et idéa lisme politiqu e
3. I.Le choix des interlocuteurs
Nous avons rencontré trente responsables syndicaux - choisis aux niveaux de responsabilité les plus élevés dans les différentes structures - de
mai 199 1 à octobre 1991 : nous avons essayé d ' introduire dans cet « échantillon» le maximum d 'éléments caractéri stiques d'une population de départ
(les membres affil iés à la CES) très hétérogène.
Nous avons ai nsi tenu com pte des d istinction s suivantes:
la nationalité. Dans cet échantillon, huit 12 nationalités de la CEE sont représentées (allemande, belge, fran çaise, grecque, hollandaise, italienne,
luxembourgeoise et portugaise). Nous y avons inclu s deux syndicalistes
suisses, pou r tenir compte de ce que la CES regroupe aussi des syndicats des
pays de r AELE et de la zone géographique du Consei l de l' Europe ;
la dive rsité idéologique. La CES regroupe en effet des syndicats d'origine
socialisle et chrétienne mais aussi des syndicats issus de ce qui fu t appelé,
à la fin des années soixante-dix , lamouvancc « eurocommuniste ». Ces tro is
sphères idéologiques sont présentes dans l'échantillon ;
le sralllr européen Olt narional des syndicalistes. Les instituti ons membres
de la CES sont soit des confédérations nationales, soit des comités syndicaux
européens. A côté des représentan ts de ceux-ci; les permanents syndicaux
forment un noyau de mil itants qui travai llent constamment au niveau
européen. Nous avons retenu cecritère dislÎnctif et rencontré des syndicalistes
dont l'essentiel du travai l se déroule encore dans un cadre national et des
syndicali stes qui doivent quotidiennement raisonner en temles « européens» ;
le "iveau de travail: interprofessionne l ou sectoriel. Division classique au
sein du monde syndical qui se retrouve aussi au sein de la CF.5, qu ' il était
d ' autant plus important de retenir que le projet de « marché intérieur », par
les mouvements de concentration industrielle qu ' il entraîne, bouleverse
déjà totalement les représentations actuelles de la notion de « secteur セ^@
industriel.
Les entretiens se sont déroulés sui vant un mode semi-directif, chaque
syndical iste étant simplement invité à expliquer les raisons de son engage_
ment personnel, en tant que synd icaliste, en faveu r de l'Europe;
92
LA GAUC IIE FACE AU X MlITATIONS EN EUROPE
la diversité des secteurs d' activiTé. Sur le plan sectoriel, nous avons renconlré des syndical istes travaillant dans le secteur public ou dans le secleur
privé, qu'i l soit primaire. secondaire ou lertiaire. Nous les avons choisis
dans les secteurs de pointe et dans les secteurs en difficulté.
3.Z.Le discours syndical enfa vellr de l'Europe: entre choix pragmaJiqu e
et idéaliste
L'ana lyse des résul tats de ces entretien s 13 nous a pennis principalement
de meUre au jour un cl ivage très marqué au sein de celte population synd icale
a priori pro-européenne. En effet, l'ensemble des positions syndicales en faveur de l' Europe que nous avons recueillies se répartit très neuement en deux
grands systèmes très différenciés de représentation idéologique: q uatorze
personnes opèrent un choix de «( pragmatisme syndical » ; onze développent
un ( discours d ' idéalisme européen »; cinq oscillent entre ces deux pôles
d'attraction. Les différenls é léments de d iscriminatip n choisis pour définir
détenninants dans ce clivage: nous
notre échantillon ne semblent pas エ セウ@
trou von s cependant un peu plus de personnes travaillant au niveau européen
(tant interprofessionnel comme responsable syndica l à la CES que sectoriel
comme responsabl e syndi cal dans les comités sectoriels européens) du côté du
d iscours d '« idéal isme européen » et un peu pl us de responsables syndicaux
travaillant à l'échelle d ' un secteur professionnel au niveau national dans les
di scours de « pragmati sme syndical »,
Que véhiculent ces deux systèmes de représentat ions?
a ) Le pragmatisme syndical
Pour les quatorze personnes développant ce système de représentation , le
syndicalisme est avant 10 UI un contre-pouvoir. Il doit être porteur d ' un projel
de soc iété qui défend les intérêts (matériels et moraux) des travai lleurs salariés
contre tout type de pouvoir institué (patronat ou pouvoirs politiques) : les connits ne doivent pas se limiter à la seule sphère de production et le syndicalisme
doit être capable d ' imposer la prise en compte d 'enjeux sociaux plus généraux. Il doit donc pouvoir adapter sa stratégie en pemlanence en fonct ion des
lieux et des espaces où se reconstituent de nou velles fonnes de pouvoirs. Or,
pour les quatorze personnes rencontrées, il y a manifestement, depuis pl usieurs années, un processus de transfert du pouvoir tant politique qu 'économique vers le niveau européen sous l'i mpulsion des institutions de la CEE. Il
s'agirait d ' un processus inévitable étant donné le mouvement globa l de mondialisati on de l'économie. Dès lors, il faut que le syndica li sme se constitue en
contre-pouvoir à ce ni veau aussi. D'emblée, cet enjeu est présenté comme primordial : il est aujourd ' hui aussi indispensable au syndicali sme d ' exister à
l'échelle européenne qu' il fut fondamental de le créer au xx.c siècle dans les
Etats-nations. Devant l'ampleur de la tâche, tous insistent sur la nécessité de
LA CONFÉDÉRATION EUROPÉENNE DES SYNDICATS
93
se structurer au niveau européen en unité de position, d 'action et de stratégie.
Le marché intérieur, entrevu essentiellemen t comme une nouvelle phase de
concentration financière et industrielle du capi talisme, est globalement perçu
comme une menace: pour y fa ire face, il fa ut œuvrer à l' unité synd icale de
façon transnationale; il s' agit, là, ni plus ni moins de la survie du syndicalisme politique à l'européenne. En cas d 'échec, en e ffet, l'on assisterait à une
exacerbation de la concurrence entre représentations syndicales (entre secteurs profess ionnels et groupes d 'entreprise et en leur sein) qui conduirait le
syndicali sme à adopter des attitudes corporati stes à l'américaine et fi nalement
à se désagréger. A court terme, cette situation ouvrirai t la voie au démantèlement pur et simple de l'ensemble des acqui s sociaux, conquis par la luite sociale depuis un siècle. L'enjeu est ainsi clairement posé : il ne peut y avoir
d'Eu rope soc iale sans Europe synd icale. Sans celle dernière, l' Europe ne sera
que celle des marchands et des finan ciers, retournant à l'ère d 'un capi talisme
sauvage.
Dans ce système de représentation, l' Europe, et plus précisément la construction européenne, n 'est dès lors pas une valeur politique positive en soi ;
elle est un niveau d 'organisation , aujourd' hui indispensable et nécessaire,
mais elle n 'est que cela car ces syndicali stes se pensent avant tout comme des
internationalistes, plus citoyens du monde qu'Européens et Européens parce
que d ' abord citoyens du monde. Pour eux, l'essence du syndicalisme doi! être
l' internationali sme: la construction du syndicali sme à l'échelle européenne
doit donc al ler de pair avec un renforcement d ' un syndicalisme solidaire internationalemenl . Leur idéal syndical internationaliste leu r fait souhaiter une collaboration mondiale solidaire et paci fique entre les peuples, l'abolition de
toute forme de nationalisme et de compéti tion économique. Une partie de ces
interlocuteurs se déclarent spontanément anti -capitalistes.
Fait important , à notre avis : dans ces discours, le mouvement syndical est
défini comme une instituti on soc io-politique autonome; il est porteur d'un
projet de société uni versali ste iセ@ ; il cherche à se structurer pour intervenir à
l'échelle européenne selon des formes d 'action syndicales.
b) L'idéalisme européen
Ce système de représentation est nellement mo ins cohérent que le précédent. Nous y trouvons en e ffet six variantes que nous regrouperons, pour la
facilité de J'exposé, en deux sous-groupes selon qu 'elles critiquent ou non le
processus actuel d ' imégrati on européenne sous la fomle du marché intérieur.
Cependant, dans la réalité du discours des personnes interrogées, ces différentes versions ne sont jamais pures; elles sont en partie mélangées chez un
même interlocuteur, des express ions critiques et non critiques apparaissant
dans tous les discou rs appartenant à ce modèle de représentation.
94
LA GAUCHE FACE AUX M lITATIONS EN EUROPE
Relevons, tout d 'abord, les points communs afin de justifier l'appellation
de discours d ' idéalisme européen.
A l'encontre du modèle précédent, pour ces syndicali stes, J'Europe dans
sa dynamique d ' intégration est perçue comme une valeur fondament alement
positive.
La fili ation historique de leur engagement européen est évoquée de prime
abord: il s'agit de continuer à mener le combat commencé par une partie des
syndicalistes d 'après-guerre qui voulaient stabiliser les démocraties et éradiquer à tout jamais d ' Europe les tensions guerrières, en revendiquant l'établissement des Etats-Uni s d ' Europe, mot d 'ordre symbolisant le souhait de réaliser une Union politique européen ne, afin de faire définitivement face au danger le plus menaçant pour la démocratie: l'exacerbation des nationalismes.
A partir de là, tout se passe comme si cet idéal d ' intégration politique et de
pacifisme était si fondam ental à leurs yeux que tout ce qui se fait au nom de
l' Europe est présenté par eux comme a priori ーッ セ ゥエヲ L@ comme renforçant
d ' office cette dynamique d ' intégrati on. L'ensemble du processus historique
de la construction européenne est dès lors systématiquement analysé à Ifavers
ce prisme, celle lecture politique fina le qui doit mener l'Europe vers l' Union
politique. Dans cette vision linéaire de l' histoire. de construction de l'Europe
à petits pas, progressant globalement vers le stade ultime, il n 'y a pas de place
pour une autre dynamique. pour d ' autres schémas d ' intégration possible. Il
n ' y a qu ' une construction européenne, ct il faut impérativement y adhérer.
S inon, c'est la catastrophe: la renaissance des nationali smes et la destruction
des Etats européens dans un chaos guerrier. Cet argument fonctionne dès [ors
comme une valeur repoussoir qui pennet de resserrer les rangs autour de l'Europe.
Bien sûr, en tant que syndicalistes, ils émettent des critiques sur le processus d ' intégration actuel : il est incomplet, imparfait, inachevé mais il n 'est pas
à remettre en cause globalement. Dans ce schéma, le syndical isme doit dès
lors s'organiser au niveau européen pour aider les forces progressistes à corriger ces imperfections en instaurant un rapport de force en sa faveur. Dans ce
modèle-ci, le mouvement syndical adhère à un projet-la construction politique d ' une Europe unie - qui a été défini 15 en dehors de lui et dont la
dynamique essentielle lui reste extérieure. C'est pourquoi, à notre avis, les
syndica li stes développant ce type de di scours attendent beaucoup de l'action
politique et administrati ve, à travers les partis politiques et à travers l'action
des instituti ons communautaires, pour amé li orer la dynamique européenne actuelle .
c) Les \'ers;olls criliques
Nous l'avons dit, cet idéalisme européen est néanmoins corrigé par une
série d 'arguments critiques qui explicitent les imperfections du processus
LA CONFEDÉRATION EUROPÉENNE DES SYNDICATS
95
d ' intégration. T rès souvent apparaît l'idée qu'il faut améliorer la dynamique
européenne et qu ' il faut dès lors plus de démocratie, de lég islations social es,
de représentati vité syndicale ... pour que les intérêts des travailleurs soient valablement représentés. Ce sont les discours sur le « déficit » (défic it démocratique, défic it soc ial ). Ai nsi, les projets de marché intérieur et d ' Union économique et monétaire sont à chaque fo is critiqués car ils ne tiennent pas suffisamment compte des dimensions sociale et politique. La focalisation sur l'aspect économique et fin ancier est souvent taxée de dérive néo-libérale, à corriger par le mouvement syndical, mais, fi nalement , en soi, ces projets restent
importants et nécessaires car ils symbolisent l' irréversi bilité d ' un processus
qui fini ra bien par tendre ve rs une intégration multidimensionnelle.
La version politique
Ic i, un des acquis essentiels du processus de construction européenne est
d 'avoir penni s la stabilisation et la diffusion du modèle démocratique au sein
des Douze 16. Pour achever la réal isation de ce modèle politique, il faut l'étendre à l'échelon supranational, c'est-à-di re principalement accroître les pouvoirs du Parlement européen pour qu ' il devienne un véritable organe législateur et organiser un contrôle démocratique réel sur l'application des déc isions
adoptées, à t.ravers les procédures exécutives de la Comm iss ion.
La version sociale
La recherche de la compétitivité économique ne peut procéder de pratiques de dumping social . Au contraire, l'Europe doit devenir un modèle social
en hannon isant vers le haut l'ensemble des politiques soc iales nationales.
Cette dimension sociale doit être assumée tant par les institutions pol itiques
com munautaires que par les organ isations soc io-profess ionnelles dont le rôle
doit être institutionnalisé à l'échelon supranational.
La version CIl/tI/relie
Le processus de création de l' Europe est, dans l'esprit de ces syndical istes,
une dynamique déjà très ancienne - fût-ce dans l'imaginaire collectif - :
l'ensemble des Européens partagent un patrimoine culturel commun (art isti que, intellectuel mais aussi social et politique). Et c'est pour sauvegarder ce
patrimoine que ces syndical istes émettent des exigences d 'ordre social et polilique: l'espace européen doit nécessairement rester démocratique avec ses
ex igences soc iales de progrès constant. Il doit aussi servir d 'exem ple pour le
reste du monde et diffuser un modèle politico-social à composante syndicale.
d) Les versions 11011 critiques
La versiOIl pacifiste-humaniste
L'engagement passé est encore pon eu r d'ense ignements. L'Union politique qui a l'air, pour ces syndicalistes . de se profiler nécessairement au bout du
96
LA GAUOIE FACE AUX MUTATIONS EN EUROPE
chemin du processus de consTruction européenne est toujours considérée
comme le seul rempart poss ib le comre la renaissance des national ismes et de
leurs velléités guerrières. De plus, dans celle vision, l'être humain ne peut se
réali ser pleinemem que dans un espace sans fronti ères, où seraient abolis 、 ← ヲゥ セ@
nitivement nationalismes et racismes de tous genres et toutes les barrières qui
empêchent une communion sincère entre les hommes et entravent leur déve·
loppement spirituel.
L'ambiguïté d u discours sur l'objectif 1992 de mise en p lace d'un espace
sans fron tières, véhiculé depuis 1986 par la Comm iss ion, a ainsi permis à
cette sensibi lité syndicale humaniste de « se sentir à l'aise» dans son adhésion
au stade actuel de l'évolution européenne 17.
UI versioll de la compétitioll écollomique
Pour quelques syndicalistes, enfin, l'Etat·nation n 'est plus un cadre de ré·
férence adéquat du fait de la mondialisation de ャG ← 」 ッ セッュゥ
・N@ Il fau t donc 」ッ ョ ウ セ@
tituer une Europe forte économique;ment pour pouvoir rivaliser sur le plan
mond ial avec les Etals·Unis ou le Japon. Le projet de marché intérieur est
considéré comme un pas dans cette direct ion et comme un facteur susceptible
d ' augmenter la richesse européenne en tennes de croissance économique. Il
appaniendra aux syndicats de veiller à ce que les bénéfi ces en soient répartis
de faço n équitable.
La version de l'imerdépendonce économiq/le
Depuis le début de la crise économique au milie u des années soixante·dix,
les Etats nationau x ont pensé qu ' il était possible de continuer à gérer nationa·
lement l'économie. Ce qui les a entraînés à prat iquer des politiques concurren,
tes qui les enfem13ient dans des spirales défl atoires. Il n 'est plus possible de
gérer nationalement les économies: il faut un cadre européen pour amorcer
une nouvelle croissance économique.
Un grO llpe mÎXte
Entre les deux pôles d'attraction que nous venons d'évoquer, naviguent
des syndicalistes porteurs d ' un discours mi xte, qui mêlent les caractéristiques
des deux systèmes que nous avons décrits; certains sont même prêts à remettre en cause leur adhésion à la con struct ion européenne si celle-ci continuait à
déri ver dans un sens, jugé par eux, par trop néo-li béral.
4. Conclusions
Nous l'avons vu, la vocat ion européenne d ' une institution - la Confédération européenne des syndicats - qui renète la diversité du syndicalisme
politique en Europe peut avoir des significat ions bien différe ntes. Y coexistent
au moins deux courants, porteurs de représentations sur l' Europe et sur le processus de construction européenne nettement différenciées: un courant de
LA CONFÉDÉRATION EUROPÉENNE DES SYNDICATS
97
netle adhésion mai s capable cependant de déve lopper un système argu mentaire critique très d ivers ifié et un courant pour lequel l'Europe n 'est qu ' une
étape , sans plus, vers la réalisation d ' un projet pol itique de type universaliste,
dès lors que la réalité du syndicali sme doi t correspondre à la réalité des
transformation s des systèmes poli tiques et économiques .
L'existence de ce deuxième courant nous paraît, plus globalement, correspondre au développement d ' une concepti on de gauche, rad icalement critique
à l'égard des dernières étapes de la dynamique d ' intégration européenne (le
marché intérieur et l'Union économique et monétaire), qui s'est manifestée
notamment à travers l'expression du « non » au trai té de Maastricht émanant
de c itoyen(nes)s français(es) issus de la gauche non communiste. Nourrie
d ' idées internationalistes, celle position s'écarterait ainsi totalement du vote
négatif pour des raisons nat ionali stes, malgré les dires de partisans fra nçais du
«oui » qui ont abusé de l'amalgame en fai sant systématiquement du ( non »
le symbole du « repli nat ionalitaire», contribuant ainsi à ternir le caractère
responsable des débats.
La présence de ce courant de « pragmat isme syndical » au sein de la CES
- évidemment non structuré en tant que tel (les structures syndicales - souvent obsédées par la recherche de l' unanimité - n 'admettent pas facilemen t
l'ex istence de courants politiques organisés en leur sein) - permet de mieux
comprendre le malaise qui se fait jour au se in de la gauche européenne depuis
que l' incert itude politique, déclenchée par le vote négati f de la majori té de la
popu lat ion danoise le 2 juin 1992 sanctionnant le traité de Maastricht, plane
quant aux possibilités de poursuivre te lle quelle une dynamique d'intégration
européenne dont la logique prioritaire était d ' ordre fi nancier et monétaire.
Mais plus fondam entalement peut-être, celle fracture au sein du monde
syndical européen nous renvoie auss i à une coupure théorique qui a marqué le
syndicalisme politique européen depu is ses ッイ ゥ ァ ゥ ョ ・セ@ : le débat sur son autonomie de projet et d ' action à l'égard des part is politiques « frères » et de leurs
cadres politiques qui, après la deux ième guerre mondi ale, se sont de plus en
pl us intégrés à la classe dirigeante politico-administrative et financi ère.
Quoi qu' i! en soit, au delà des divergences de position sur la signification
de leur engagement européen, la majorité des syndicalistes rencontrés ont insisté sur l'urgence qu' il y a de déve lopper et de renforcer l'organisation des
forces syndicales au niveau supranational européen, afin de diffuser à cet
échelon un modèle de démocratie socio-économique.
Et ces synd icalistes lancent bien là un dé fi majeur: si j usqu'à présent ,
après vingt ans d 'existence, la Confédération européenne des syndicats a pu
déve lopper une expérience institutionnelle de quasi- unité syndicale, originale
et unique dans l' hi stoire du syndicalisme européen, parviendra-t-elle à faire
plus, c'est-à-d ire à dépasser le stade actuel de la bureaucratie syndicale auquel
clle est cantonnée pour réussir le défi de créer une union d 'action des forces
98
LA GAUC l lE FACE AUX MUTATIONS EN EUROPE
syndicales de base, condition démocratique indispensable, parmi de multiples
autres 18, pour fa ire vivre pol itiquement et soc ialement une union de plus de
trois cent quarante-six millions de personnes?
5. Bibliographie
J. G ÉRARo- UB OIS, R. L EWIN, La Belgique ellfre dalls la gl/erre f roide et
l'Europe /947- /953 , éditions Pol-His. 1992,253 pages.
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Studia Diplomotica, Vol. XXXIV, nO 1-4, Bruxelles, 198 1.
A. DE B AECQUE (sous la direction de), Ulle HislOire de 10 démocratie ell
Europe, éditions Le MOI/de. 199 1,4 10 pages.
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organ isation of the lCFTU, European Trade Union School, 1954, 157 pages.
M. G ALLO , L'Elirope contre l'Europe, édition s du Rocher, 1992,263 pages.
J. K ULAKOWSKI , « Les travail leurs et la construction européenne (bi lan et
perspectives) », Droit social. n° Il , novembre 1971, pp. 139-15 1.
NoIes
, Ainsi. Jules
g
セr@
... RP- LIlj()IS el Rosine
lヲNwi
セL@
dans leur ouvrage. Lo Befgiqllr rnlrr dUlIs lu gua",
froidr ri l'Euro/" (/947·53). soulignent bien t':luilude prudente adoPlée en février J948 par l'importame
au mument de son adhésion au plan Marshall.
cemr:llc profeS$ionne lle belge des services publics (la cgsセI@
en assonissam celle·ci d'une série d'exigeoces syndica les et pol itiques. recommandam nOlamlTll.'m au mouvement ouvrier de rester vigilant.
ョ@ européenne dessyndicats, qui S'CSI 」ッョウエゥオセ@
en 1973. eSI unc institution syndicale
l La cッョヲ←、セイ。エゥ
assez origin:lle en Europe: elle teme de regrouper SUT une base unitaire la quasi-tot:llité de 1:1 force syndicale politique pour Urle aire géogrnpltique proche de celle du Consei l de l·Europe:. du moins aY:lntl'ouver·
lure de celui-ci aux nouveUesdémocralicsde l'Est. I...cs grands ;'I OsentS som les syndic aiS d'origine idéologi·
que communiste qui reSlent Irh critiques face au processus de conslruclion europ6::nne lels que la arr
française ou la CUlP-l.'1 ponugaise : des syndicats 11 caraclère catégoriel comme la ッウセL@
confédération
française de J'encadrement ou des syndicats de droite comme la OOSLa. confédéral ion générale des syndicats
libéraux de Belgique. En som membres les confédérations syndicales nationales et depuis le dernie r con·
ァセウ@
de mai J99J , les comités syndicau" europée ns, structures professionnelles regroupées li l'échel le euIUpéenne et Je pl us souvent 11 l'échelle de ta cu..
, Voir, par ue mple. J'imerview du secrét aire gént ral de la CES. E. G ... セ@ ... (;UO, M U/ldr dll IrUI'/lif libu.
publié]XIr I:l ClSt... Bruxelles, nO 1 J. septembre 1992, p. 3 .
ouvrière.
• Voir les propos エセ ウ@ prudentS de Marc Blondel. secré laire général du syndical français イ セイ」・@
11 l 'égard du lraité de Maaslrichl el l'uplication du pourquoi du choix de la .. neulralité • de ce syndical lors
de la cam]XIsne référendaire précédant le refen:ndum, Editori al de P.O. IItbdu, du 9 septembre 1992 et
Murul" du 2 septembre 1992.
1 Donc :lvant que l'on ne sache ave<: uactitude 1:1 fonne ct le contenu que prendrait la révision des
lrailés de Rome .
• Seules des raisons de lemps et d'opportunilé scientifique (délimitation wicte du sujel de thèse de
doctoral) Ill: nous ont pas amenée dans nos recherches 11 ana lyser, 11 Iravers des inlenoiews. l'argumentaire
communiSles à l'égard du processus de construction européenne en
idéologique de militants ウケョ、ォZャオセ@
cours.
1 Anaque implicite du princip.: de l':lUlonomie de Ja future B:loque cemrale européenne.
1 Qui fait poner l'acce m de 1:1 convergence SUT la réduclion drast ique des déficils des finances publi ques des EtaiS. (Rappelons que les cri tères de convergence défin is par un protocole explicitMt
u
LA confdiセrat
i on@
EUROI>ÉENNE DES SYNDICATS
99
l'anÎcte 109 J du troÎté de Maastricht sont les suivants: la stabi lÎlI! des prix. la siwation des finances publi·
ques des Etats, la participation au mécanisme de change du Système monétaire européen et la convergence
de s taux d'intérêt), [)e plus. pour la 0'.$, ces critères d'aççès 11 l'Union éwnornique et monétair'" ne peuvent
être souhaités qu'à moyen tenne et non 11 coun tenne si l'on ne veut pas qu'au lieu de converger, ils ne
divergent davantage,
• Cc vocable recouvre l'ensemble des mesures destinées 11 établir les reS5O\Jn:es budgétaires dont disposera la Communauté pour les quelques années 11 venir, Cc projet de financement fumr de la Communautf
fut présenté par la Commission devant le Parlement le 12 février 1992, axant son obj«tif prioritaire su r la
cohésion et proposant un accroissement gloooi des イ・セャウ@
de vingt milliards d'écus pour 1997 par rappon
11 renveloppe financière de 1992, Cependam. ce projet fut profondément modifié par le Conseil.
1992, a L セOGエiイ・@
Europr, nO 5878,
Voir les résultats du sommet d'Edimbourg des 11 et 12 、←セュ「イ・@
13 décembre 1992, pp. 11-18.
'0 Selon l'expression présente dans le texte de la déclarotion de la CES.
" Voir l'interview du secré taire généra l de la a;:ç. E. GABAGLIO. op. cir., p. 3.
I l Il nous manque ainsi des représentants syndicaux anglais, irlandais, danois et espagnoL Il aurai t été
bien sûr intéressal11 d'avoir, représenté dans cet échantillon,l'enscmble des nationalités présentes dans la
0'..1' mais des contingences principalement de temps (la période choi sie pour effectuer les interviews ne
pouvait être trop longue pour ne pas être marquée par trop d'événements politiques européens différents, ce
qui aurai t rendu difficile la comparaiSOll entre les interviews) et de langue (recourant en panie pour l'ana lyse 11 des ITltthodcs lexicométriques. il faUait que l'ensemble des inter,enants s'exprimen t tous dans la
même langue) ne IlOIlsont pas permis d'atteindre cene si tuation optima le. Par ailleurs, une gr:mde panie des
imerlocuteurs sont de nationalité !:!elge (doUl.e) pour des raisons évidentes de proximi té géographique,
H A côté des méthodes classiques d'analyse de contenu, nous avons オエゥャセ@
une analyse factorielle des
」ッイ・ウーョ、。セ@
sur l'ensemble du lex ique des interviews afin de mieux repérer les oppositions de vocabulaire et de nous aider 11 interpreterde la façon la plus scientifique possible le contenu de ces trente entretiens,
" [)eux versions de ce projet universali ste , suivant l'origine idéologique chrétienne ou socialiste des
sont dfveloppées : l'une optant pour rétabli ssement d'une solidaritf internationale
personnes ゥョエ・イカキセウN@
des trovailleurs afin d'améliorer les conditions d'existence de la population du tiers-monde : l'au tre pour la
solidarité internationale de tous les travailleurs dans le cadre du conflit capital.travail afin d 'abolir les raI>'"
pons capitalistes,
') Faut·il rappeler que seul un très petit oombre de syndicalistes (belges et hollandais) fut associé aux
déoots et aux rlI!gociations entourantl'élaOOrotion des traités de Rome?
.. Pensons Il l'Elipagne, 11 la Grèce. au Ponugal mais aussi 11 l'Italie et 11 l'Allemagne !
" Ce qui manque d'ctre de moins en moins le cas, la dissymétrie dans les componements législatif et
politique communautaires entre les différents tenne s du projet .. libre circulation des marchandises, des
dernières! Si dans
capitaux, des services et des personnes セ@ étant de plus en plus nagrante 11 l'égard de セウ@
un premier temps, la gauche syndicale peut se mobilise r pour essayer de lever les réticences politiques à
organiSt'r réellement celle libre circulation pour tout citoyen au St'in des Douze Etats membres. 11 notre avis,
elle ne pourra pas longtemps faire l'impaS$C - sous peine de perdre total ement son .. iime » - sur le problème du renforcement actuel des contrôles des frontières extérieures de la CEE avec les violations monstrueuses des droits de l' homme qu'elle entraîne (voir 11 ce propos, les enquêtes de F, gQ uoエGセ@
l'auteur
d'Arabirides. sur la situation tragique des immigrés clandestins vers l'obj«tif" Europe" ou l'article de
M, LE.\tOISE dans lA- Monde diplomaTique de dét'embre 1992) quoiqu'une majorité syndicale refuse actuellement de discuter du problème aigu de l'immigration extra-communautaire au TlOm du maintien de l'emploi pourles ressonissants CEE.
" Comme l'extens ion de la légitimité démocratique et des pouvoirs législatifs du Parlement européen
ainsi que l 'inst aurotiol1 de procMures démocratiques de contrôle des mesures d'application des politiques
communautaires et de proc<'dures de sanction en cas de nOCl·respect de ces politiques ou de détournement
des nux financiers qui y sont liés,
Le parti communiste de Belgique
face aux Communautés européennes
Pasca l DELW1T
1. Introduction
Si l'on excepte une courte période dans l' imméd iate après-guerre \ le
parti communiste de Belgique n'a jamais occupé une place signi ficative sur
l'échiquier pol itique belge. Néanmoins, jusqu'à son déclin marqué au début
des années quatre-vingt, son rôle dans la société el à l'égard de certaines organisations a dépassé ce que laissent entrevoir ses résultats électoraux.
Aujourd ' hui, le parti communiste ne représente plus qu ' une structure sans
perspective qui n'a pu sa isir ni son déclin ni la signification des événements
de 1989. Oc sa crise, aucune tentative de (re)naissance n'a émergé comme le
tentent actuellement Je PDS en Italie, J' alliance rouge-verte en Hollande, gauche unie en Espagne ou encore le parti de la gauche en Suède. Nous avons
choisi d'étudier son approche historique ct contemporaine de la construction
européenne qui nous semble intéressante et significative à quatre points de
vue :
1. en prenant les institutions communautaires comme témoin du cheminement
des relat ions entre communistes belges ct mouvement communiste ゥ ョエ ・ュ。
セ@
tional ;
2. en appréhendant la question européenne comme révé lateur de l' incapac ité
du PŒ à répondre à un défi et à assumer pratiquement des choix théoriques
et idéologiques;
3 en essayant de s' interroger parallèlement sur Ic(s) rôle(s)ella(les) fonction(s)
« latentes» ou « ex plicites» d ' une pet ite formati on politique 2dans un petit
pays J ;
4. enfin . en cons idérant la Communauté européenne comme indicateur des
rapportsdu parti comm uni ste à la société belge et aux autres partis poli tiques
du pays.
102
LA gauc
iセ e@ FACE AUX MUTATI ONS EN EUROPE
2, Aux origines du positionnemenl
A l'instar des autres fomation s communistes d ' Europe occidentale, le
positionnement du PeB Face aux projets d ' unification e uropéenne émergeant
après 1945 , doit être intimement rapproché des volontés de la diplomatie soviétique en la matière. Le plan Marshall est, à cet égard, un révé lateur pui ssant. Après quelques hésitations, l'Union soviétique ne s'adjoint pas aux déli bérations relatives à l'i nil iati ve américaine. En outre, elle décide manifestement d 'entériner et même de se revendiquer de la div ision du monde en deux
blocs. Dans cet engrenage, le parti communiste de Belg ique condamne avec
virulence l' init iati ve et l'empri se américaines dans le Façonnement de
1'« Europe occidentale ».
Il est évident que la Fondat ion du KominForm lors de la réunion de Slarska
Poreba en septembre 1947, constitue un moment clé dans celte évolution.
Dans son rapport sur la situation internationale, André Jdanov inv ite les partis
commun istes à (( prendre en main le drapeau de la dé Fense de l'indépendance
nationale et de la souveraineté de leur pays» 4 .
Quelques jours à peine après cette réunio n, le secrétaire général du PŒ
donne le ton en appelant à la dé Fense de la souveraineté nationale contre la
« marshallisation », « l' américanisation » du pays, fai sant pour la circonstance réFérence à Jaurès:
(( Nous n'avons jamais considéré la souveraineté nationale ( ...) comme une
abstr'dction métaphysique indépendante des contingences. (... ) Notre nationalisme, ou plus exactement, notre al1achcment à la patrie, ne nous a jamais
empêchés d'être des internationalistes, ce qui ne signifie pas pour aUiant que
nous soyons disposés à servir l' internationale des trusts. C'est le moment de
rappeler la noble parole de Jaures: « Un peu d'internationalisme éloigne de la
patrie, beaucoup d'internationalisme y ramène » »5.
Cette attitude n' a rien de particulièrement original dans la littérature communiste de l'époque puisqu 'on retrouve les mêmes assertions dans le même espace de temps dans l'ensem ble de la presse communiste. Le sectarisme de la
campagne communiste contribue à son isolement sur l'échiquier politique
belge dont sa courbe électorale est un des témoins 6.
Plus importante et peut -être plus significati ve, est la conséquence du combat mené à l' intérieur de la l'GTB. L' infl uence communiste s 'avère non négligeable, particulièremen t dans les secteurs les pl us combatiFs: mines, métallurgie, sidérurgie ct services publics. Les dé légués communistes relaient le
di scours du PeB. S ' ils rassemblent parfois des minorités significatives dans les
congrès sectoriels, leu r comportement fa vorise leur identification et concoun
à les écarter de tout posle de responsabi lité dan s l' organi sation syndicale . Au
demeurant, le parti communiste contraindra Théo Dejace, seul secrétaire national communiste de la l'GTU. à démi ssionner de son mandat!
LE PARTI COMMUNISTE DE BELGIQUE FACE AUX CO MMUNAUTÊS EUROPÉENNES
3, Le plan Schuma n et la
103
0:1>
Le combat pol it ique du parti communi ste contre la proposition Schuman
de mai 1950 et celle de réannement allemand envisagées quasi simult anément
s' in scrit dans le droit fi l de la dénonciation de l'hégémon ie américa ine sur
l'Europe.
L' argumentat ion des communi stes belges se fonde sur des concepts généraux et particuliers.
1. Laconstruction européenne basée sur la not ion des « Etats-U nis d ' Europe »
ne profite et ne peut profi ter qu'à la grande bourgeoisie transnationale. Ils
s'appu ient pour ce fa ire sur un texte écrit par Lénine trente-c inq ans plus tôt:
« Mais si le mot d'ordre des Etats-unis républicains d 'Europe fonnulé en liaison
avec le renversement révolutionnaire des trois monarchies les plus réactionnaires
d ·Europe. la monarchie russe en tête, est absolument inattaquable en tant que
mot d'ordre politique, on sc heune encore à une question éminemment
importante, celle du contenu et de la ponée économique de cc mot d·ordre. Du
point de vue des conditions économiques de J'impérialisme. c 'est-à-dire de
l'exponation des capitaux et du panage du monde par les puissances« coloniales
« avancées » et « civilisées », les Etats-Unis d 'Europe Sont en régime capitaliste,
ou bien impossibles ou bien réactionnaires» 7.
2. Dans la fou lée de cette légitimation historique, le J'CS décrit l' idée européenne défendue par Schuman et Adenauer comme réactionnaire et puissamment influencée par l'Eglise cathol ique. Schuman , Adenauer et De
Gasperi sont ainsi désignés comme les d ignes successeurs de Charlemag ne
ct d'H itler.
3. Le projet CECA ambitionne, selon les dirigeants du part i communi ste. d'arrimer l'A llemagne à l' Europe occidentale el porte en gennes une hégémonie
de ce pays. De plus, il accenlUe el sanct ionne la div ision de l'Europe entre
blocs occidental et ori ental.
4. Le PCB conteste les vertus annoncées de la CECA pour l' industrie charbonnière belge. A ses yeux, la CECA condu ira à court tenne à la fennetu re des
mines wallonnes et, à moyen terme, à la fi n de l'exploilal ion des mines
campinoises. Au surplus, le parti commun iste accuse son in itiateur, Robert
Schuman, de ne viser qu ' un échange avantageux entre la livraison de
charbon allemand bon marché au profit d ' un essor de l' industrie sidérurgique fran çaise. Dans le cadre belge, celle dimension s'avère capitale . Les
mines ont été relati vement épargnées durant la guerre. A la Libération , le
gouvernement d irigé par le sociali ste Achille Van Acker lance la « barai lle
de la production >, pour assurer le ravitaillement interne et exporter vers les
pays européens. Mais cet avantage initia l se mue très vite en handicap.
L'exploi tation du charbon en Wallonie est morcelée, les moderni sations
nécessaires ne sont pas effec tuées et le prix de revient de la tonne de charbon
104
LA GAUCHE FACE AUX MlITATIONS EN EUROPE
est le plus élevé d ' Europe. A la fin des années quarante, la situation est très
mauvaise, comme le confinne le rapport du consuhant américain Robinson
and Robinson 8. Si certains voient dans le plan Schuman une opportuni té de
s'atteler aux rénovations indispensables, d ' au tres j ugent sa perspective
catastrophique pour la Belgique. Les exploitants charbonniers s'y opposent
résolument de même que certains soc iaux-chrétiens el une part ie des
socÎalistes 9 panni lesque ls Achille Van Acker.
Il n'y a pourtant pas de pont entre ces opposants et le parti communiste, si
ce n 'est qu 'i ls votent de manière identique au Parlement. Les propos com muni stes comportent toujou rs l'indispensable référence à l'U nion soviétique, ce
qui les coupe de toute politique d'alliance éventue lle.
La condamnation de la CECA par le PŒ a été fenne et vigoureuse. Mais la
campagne menée par les communistes belges con tre le projet de Communauté
européenne de défen se est un combat quotidien. Les communi stes dénoncent
obstinément la division de J'Europe imposée par l'administration américaine 10, préd isent les pires méfaits des troupes allemandes et maudissent les
« suppôts » de ce plan ... A travers des organ isations satellites comme l'Union
belge pou r la défense de la paix (UBDP), il s tentent de fonne r un front du refus.
Force est pourtant de constater qu'i ls ne parviennent pas à entamer ou à pénétrer les « pil iers» belges, Ci toU! spéc ialement les organisat ions sociali stes Il .
En vérité, les deux é léments que nous avions déjà évoqués dans le cas de
la CED se sont renforcés , Le sectarisme exacerbé des communistes leur fenn e
toute porte d'autant que leur perte d ' influence est de plus en plus sensible.
4, La création du marché commun
Si la CECA et la CED ont engendré des polém iques - encore que confinées
aux élites pol itiques - , la création du marché commun et de la Communauté
européenne de J'énergie atomique passe presque in aperçue dans le débat politique. La Chambre el le Sénat rati fient le traité de Rome 11 une très confonab le
majori té au tenne d 'une discuss ion courte et sans passion. contrairemen t à ce
qui s'était passé lors de la ratification du traité instituant la Communauté
européenne de défense. Toute l' attention était foca lisée sur la guerre scolai re
et la lutte opposant la « coalition laïque» au « monde catholique ». L 'adoption de ces traités marque les origines du «consensus belge » sur les questions
européennes. A part ir de 1957, on ne peut déceler ni d iffé rences sensibles entre les trois principales fonna tions ni conflits majeurs en leur sein 12, Par
ai lleurs, la construction européenne apparaît , aux yeux. d ' une très grande majorité de la population, non seulement comme une nécess ité mais comme un
fa it et une évolution allant de soi. Intérêt et passion son t absents sur celte problématique.
A l' instar des aUlres PC occidentaux., les communistes belges fondent leur
argumentation contre le marché commun el l'Euratom sur les dix-sept thèses
LE PARTI CO:'IMUNISTE DE BELGIQUE FACE AUX COMM UNAUTÉS EUROPÉENNES
105
de l' Insti tut de l'économie mondiale et des relations internationales de Moscou. Politiquement , cet institut présente les deux nouve lles institutions communautaires comme un
« désir d' unir les forces de 1"impérialisme, en vue, d'une p.1n de lultcr contre Je
socialisme, les mouvemcnts de libération nationale des peuples colonisés CI des
pays sous tutelle ct, d 'autre pan, dc renforcer les positions du capitalisme cn
recourant 11 des unions internationales de type étatique et monopoliste » Il.
Du point de vue économique, toute possibi lité d ' intégration est farouch emem
niée:
« En ce qui concerne la CEE ct l'Euratom, il est absolument hors dt: doute que
même la réalisation complètc des mesures prévues dans les traités constitutifs (ce
qui est en soi déjà peu vraisemblable) ne pourra pas apporter de changements
dans le caractère du capital isme européen. ni conduire à la création d'un système
économiquc unique» iセN@
Le début des années soixante constitue cependant une nouve lle étape dans
l'approche des institutions communautaires et de la construction européenne
par les communistes belges. En effet, comme l'a noté Charles Zorgbibe iセL@ le
PCB est avec le PCI l'une des premières formations communistes à réviser et
nuancer ses conceptions envers le marché commun. Il s' agit là d ' une originalité mal connue des spécialistes des mouvements communistes. La perspective de modifier la lutte contre le marché commun au profit d ' un combat au
se in de la CEE est novatrice. Cette transformation s'opère en deux temps :
1. les communistes belges reconnaissent peu à peu la « réalité » du marché
commun esti mant tout retour en arrière impossible;
2. ils adaptent leur auitude et leur position en fonct ion de cel état de fait.
5, La « réalité» du marché commun
La constatation de la « réalité communautaire » s'effectue au début de la
décennie soi xante. Elle fait suite à l'évolution de l'industrie charbonnière en
Wallonie. En février 1959, les mineurs borains entament une grève contre les
femletures des mines encore en activité. Ce mouvement social n'enraie pas le
processus. Les fermetures de puits se succèdent. Le parti communi ste dénonce
vio lemment cet abandon mais il saisit aussi l' importance du contexte européen et de la pri se de décision à l'échelle communautaire. Parallèlement,
l' augmentation du commerce entre les six Etats membres du marché comm un
ne peut échapper à son attention, même s' il y a croissance général isée en Europe.
A la réun ion des économistes marxistes à Moscou en 1962, les dé légués
belges sou lignent celte dimension et décrivent l'existence du marché commun
comme un fa it: un fait all ant dans le « sens de l' histoire ». Deux personnalités, désormais, sont les observateurs les pl us attentifs des évolutions de la CEE,
106
LA GAUCHE FACE AUX MUTATIONS EN EUROPE
l'économiste Pierre Joye et le juri ste Jacques Moins 16. Mai s il importe de
souli gner l'attention Irès mini me portée par la base du parti communiste セ@ en
fai t à l'instar de la population セ@ aux quest ions européennes.
Les instances dirigeantes du l'CS essaient progress ivement d'adapter leur
réflex ion et leurs pratiques à partir de cette donnée. Mais la deuxième étape se
révèle longue et bal butiante dans la mesure où le parti communiste se retrouve
confronté à certaines con tradi ct ions. A la fin des années soi xante et au début
de la décennie soixante-di x, il apparaît clairement que l' adhésion de la Belg ique aux Communautés européennes constitue un élément intégré par le PŒ,
non remis en cause et que les communistes cherchent à adapter leur stratégie
en conséquence. Evaluant la nat ure el l'ampleur de la crise économique, le
prés ident du parti communiste insistait , par exemple, dans son rapport au
XX II" congrès en 1976, sur les spéc ificités be lges de la crise tout en la resituant
dans sa conjoncture européenne et internationale,
(( car, soulignait-il. dans notre pays, ce contexte revêt une signification d'autant
plus grande que la Belgique est étroItement intégrée dans le marché commun et
dans la « communauté atlantique » et que, dès lors, le développement de la crise
et les conditions dans lesquelles s'y déroule la lutte contre elle sont détenninées
dans une large mesure I l par son degré de dépendance à l'égard des principaux
centres de pouvoirs européens Ct atlantiques du grand capitalisme des
multinationales» 15.
Cette assimilation donnera même lieu à certaines autocritiq ues par rapport à
l'alti tude purement négati ve des années c inquante 19.
6. Les raisons d'une évolution
A l'origine de celle évolution fi gurent des éléments d 'ordre ex terne et
d ' ordre interne.
1. Relevons que ce chem inement ne se fait pas de faço n isolée. Il ex iste
également dans le parti communiste italien qui aboutj{ à la représentation du
PCI à l' Assemblée de Strasbourg et à la présence de la CGIL au comité économique el social. L'approche des autorités sov iétiques se transfonne aussi.
Les trenle-deux Ihèses publi ées en 1962 par l' Institut d 'économie mondiale
セ@
fai sant suite aux di x-se pl thèses de 1957 セ@ s'avèrent toujours ex trêmement critiques mais elles entérinent l'idée que le marché commun est un
fait 20.
2. Le suivisme strict envers les injonct ions du l'CUS a fait son temps. Le rapport
Khrouchtchev (de févrie r 1956) a bou leversé les pcouest-européens 21. Même
si le parti communiste de Be lgique reste profondément attaché à l'URSS et il
ses recommandations, on ne peut plus parler de relais inconditionnel des
positions soviétiques .
3. Le premier lustre des années soixante annonce et anticipe une période de
détente dans les relations internationales all ant de 1965 à 1973. Ce soula-
LE PARTI COMMUN1STE DE BELG1QUE FACE AUX COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES
107
gement favorise une appréhension de l' unification européenne et du marché
commun moins « mi litaire » et moins fi gée de la part des autori tés sovié·
tiques et des partis communistes.
4. Les évolut ions internes des Communautés attestent au demeurant de con·
flit s avec l'administration américaine. Le veto du général de Gaulle à
l' admission de la Grande·Bretagne en janvier 1963 est expressément
j ustifié comme un refus d'introduire le cheval de Troie américain dans le
fonct ionnement des institutions communautaires 22 ! Il dev ien t difficile de
dépeindre le marché commun comme la seule expression des volontés
américaines.
5. Le l'CB prend aussi en compte la dimension « belge » . La Belgique est un
petit pays et les limites d ' une - hypothétique - poli tique économique
autonome surgissem vite pour tout observateur sérieux. La croissance
souten ue n'est concevable que moyennant des exportat ions massives compte
tenu du taux d 'ouverture très important Or, l'Allemagne et la France sont
les principaux partenaires commerciaux. L'optique intégrative avec ceux-ci
et la « préférence communautaire» s'avèrent donc essentie lles.
6. Il Y a, dans le chef des commun istes belges, volonté de ne pas représenter
simplement une formation à seule fin alité « protestataire ». Tout au con·
traire, après les changements internes consécutifs au congrès de Vilvorde en
1954, Ie l'CB vise à influer sur les options programmatiques du parti sociali ste
- ou de certaines franges du parti socialiste - et de la FOTB, à jouer en que lque
sorte un rôle d 'aiguillon. Ce dessein constitue une des raisons qui ont mené
à l'éviction du secrétaire général du parti, Edgar Lalmand, en 1954 au profit
d ' une ligne et d ' une équi pe dirigeante moins sectaires.
7. L'act ion au niveau eu ropéen
Quelles seront les revendications ct propositions dominantes du l'CB en
matière européenne ?
1. Il exige avec constance l'ouverture des Communautés européennes vers
l'Union soviétique et les pays d ' Europe de l'Est. Ouverture politique mais
surtout ouverture économique: intensification des échanges de biens et
services, réalisation d ' une reconnaissance mutuelle CEE-CAEM 2J, échanges
culturels, ...
2. Le l'CS réclame sans relâche la « démocrat isation » de l' Europe , aux niveaux
politique et social. Ainsi, les communi stes belges revendiquent l'idée et
l' horizon des compétences accrues poUf le comité économique et social et
que« so ient é largies les prérogatives des représentants des travailleurs » 24
en son sein. Avec la revendication d ' une démocratisation politique se pose
la question com plexe des fonnes institutionnelles à promouvoir pour la CEE.
Ho stiles au slogan gaulli ste de« l' Europe des patries », plusieurs dirigeants
108
LA GAUCI-IE FACE AUX MUTATIONS EN EUROPE
communistes penchem plulôt ·vers une intégration approfondie en appuyant
l'inslallalion el le développemem de nouvelles politiques communes. En
OUlre, dans Colltre-projer pour l'Europe, les économistes proches du parti
communiste prônent l'établissement de parités fixes . le développement
d ' un système monétaire européen autonome etl ' utilisation de l'Ecu com me
ウセ
N@ Dans le même
monnaieeuropéenne,ce qui était des propositions ゥョ←、エ・
temps, le PCS défend l'adhésion du Royaume-Uni et des pays scandinaves
qui n'étaient pas censés faci liter cet « approfondissement ». L'é lection de
l'Assemblée européenne au suffrage universel se présente par exemple
comme une problémat ique d ifficile. Comrairement au l'CF, les communistes
belges ne sont pas hosliles au principe mais ils rejertent l' organisation de ce
qu 'i ls nomment des «élections alibi » d ' une fausse démocratisation. Ils
combattent ainsi, en 1976, le projet d ' Union européenne - qui ne sera
j amais retenu - d u premier ministre belge de l'époque, Léo Tindemans.
Justifiant le refus du « plan Tindemans », Jean Terfve, l'un des principaux
dirigeants du parti, précise que les communistes
« ne SOn! pas contre l'élection au suffrage universel du Parlement européen.
sunout si ce mode d'élection assure la représentation de tous les groupes
politiques. Mais dans le chcf de M. Tindemans, ce recours au suffrage universel
nous apparaît plus comme un alibi que comme un levier de démocratisme »26.
3. Ils se prononcent pou r une prise en compte par le « monde du travail », en
particulier le mouvement syndical, de l'européanisation de la déci sion
économique et politique et donc du besoin vit al de pratiquer la lutte au même
échelon. Conforme à son rôle d'aiguill on, le l'C souhaite apporter sa contri bution à la participatüm acti ve du fro nt commun syndical à la confédération européenne des syndicats et à la définition de certains mots d 'ordre
même si en définitive son inn uence à ce niveau reste margi nale 27.
Avec l'acceptation du principe des élections au suffrage universel et la
participation à ce scrutin, le l'CS affermit son investissement militant et intellectuel dans l'action au niveau européen 28. Il s'agit d'un élément acquis dans
la littérature communiste be lge et dans la priorité des dirigeants du parti , forme llement et fennement rappelé lors de la rencontre des partis communistes
des pays capital istes d 'Europe d 'octobre 1980 à Bru xelles 29.
8. La crise des communistes belges
Les élections de 1978 représentent la dern ière échéance législative où le
parti comm uniste enregistre un gain en voix. Il ne cessera de décl iner dans les
années quatre-vingt, alors que la situation internationale se dégrade, que
l'image de l' Union soviétique se tern it totalement et que la Communauté
européenne traverse une crise institutionnelle aiguë.
En quoi ces é léments affectent- il s l'approche de la CEE par le parti communiste?
LE PARTI COMMUNISTE DE BELGIQUE FACE AUX COMM UNAUTÉS EUROPÉENNES
109
En vérité, le PCB creuse son « européanisme » . 11 prône une indépendance
communautaire dans les relations internationales . Celle-ci suppose un détachement idéo log ique des Etats-Uni s bien sûr mais sans rapprochement corollaire vers les pays de l' Est. Ainsi, là où les commun istes belges exigeaient
dans les années soixante et soixante-dix un rapprochement avec l'autre bloc
européen, ils insistent durant celte décennie sur la nécessité d ' une construction indépendante et non alignée de la Communauté européenne JO. Dans son
rapport à la sess ion du comité central du 14 mars 198 1, le secrétaire international, Jan De Brouwere, en fait un élément constitutif de l' identité européenne:
« Maiscequ'il y a de nouveau et d ' importan t ici, c'est la rcc herche d 'une identilé
européenne vis-à-vis des Elats-Unis et bien entendu aussi vis-à-vis de l'URSS. Il
est évident que ceci continue à poser aux forces du travail et de la démocratie des
pays d'Europe occidentale les pro blèmes de la démocratisation des institulions
européennes et leur collaboration muluelle » l l.
De cette prémisse découle l'élabonuion du mot d ' ordr.e d '« économie de
paix» au milieu des années quatre-vingt. Le déblocage de la Communauté
européenne passerait par une réduction drastique des dépenses mil itaires, mettant de la sorte
« au service des gens el des peuples, les immenses moyens créés par les sciences
et les techniq ues» 32.
Certes, cette revend ication ne va pas à l'encontre des intérêts soviétiques mais
la priorité dans l'ordre des préoccupations nous semble avo ir changé . La primauté est désormais accordée à la perspective d ' une Europe autonome même
si celte revendication se marie quelquefois avec certaines composantes de la
d iplomatie soviétique. Mais fondamentalement, elle ne la rejoint pas, tant il
est vrai que le pouvo ir sov iétique sous Brej nev ignorait superbement toute
dimension politique de la Communauté européen·ne .
A parti r de l'ex igence d'une Europe souveraine, restait à en déterminer le
contenu et la forme . Dans ce domaine, les positions prises par le PC B semblent
avoir été timides faute de consensus interne. Le manifeste européen du parti
commun iste pour les élections de 1984 reste, par exemple, superficiel dans ses
inventaires même si le sens est clair :
a) sur les questions monétaires, les communistes belges se prononcent pour :
« l' util isatio n de l' Ecu européen au lieu du dollar » l3 sans préciser les modalités politiques de « gestion » de l'Ecu - monnaie unique, monnaie
commune 7 banque centrale autonome ou non 7, ... :
b) dans le domaine politique, ils se (ré)affinnent part isans d ' une « politique
européenne de non-alignement » :w sans s'avancer dans une réfl exion sur la
dimension sécuritaire de celle Europe, si ce n'est qu' ils se montrent hostiles
à tout nouveau projet de communauté européenne de défense. D' autre part,
11 0
LA GAUCIIE FACE AUX MlITATIONS EN EUROPE
ils condit ionnem toule démocral isation des Communautés notamment au
renforcement des pouvoirs du Parlement européen ma is sans évoquer une
seule fo is le projet de traité SpineUi voté quelques semaines plus tôt par
l'Assemblée de Strasbourg J}. Cette aUitude a de quoi surprendre dès lors
que le parti communiste doit se posit ionner en fonction du débat à l' Assemblée parlementaire. Fin mai , le député Daniel Fedrigo avait au demeurant
parlé d ' un appui avec réserve 36 qui se concréti sera par une abstention au
Parlement.
Les élections européennes de 1984 37 confirment le décli n du parti communiste et anticipent le résultat des élections lég islati ves de 1985. Le parti
communiste pe rd cette année-là toute représentation parlementaire 18. La portée de ses positions en son affa iblie mais cet aboutissement d ' un déclin électoral constant depuis 1978 résulte de la crise générale du parti communiste:
cri se du communisme occidental, cri se de la gauche be lge 19, crise des effectifs et crise interne. Pour la première foi s, certains dirigeants reconnaissent le
fra nchissement durable sous un seuil de crédibilité 40.
Celte cri se a une double répercussion dans l'approche des questions européennes par le PC ;
J. compte tenu des conflit s entre « rénovateurs» et « orthodoxes », les positions doivent de plus en plus être appréhendées en fonction de leur auteu r
ou du secteur précis du parti communiste qui les formu le;
2. la chute électorale, la réduction d 'effectifs et les contraintes budgétaires
suscitées par celte évol ution entraînent un raréfaction des cadres et des
pennanents et une attention de plus en plus faibl e envers les problèmes ayant
trait aux Communautés européennes. Le nombre d'erreurs ponctuelles, plus
ou moins graves, dans les documents officiels du parti sur la CE se multiplient.
Ces deux éléments n 'entament pas l' orientation « pro-européenne») que
nous avons dégagée, mais des nuances se font jour. Comme en témoigne cette
apostrophe d ' un de ses principaux dirigeants, Dirk Vonckx, l ' aile fl amande du
parti prône un investissement et une attention beaucoup plus soutenus aux
questions débattues à J'échelle européenne:
« Un certain nombre de gens de gauche en sont encore à se poser la question:
sommes-nous pour ou contre ta Communauté européenne? Comme si celte
question avait encore un sens! L'unification de l' Europe est en marche. (... ) La
question ne sc pose pas d'étre pour ou contre. La question est de savoir ce qu'on
en fa it. Quel est le contenu que la gauche. les syndicats, les forces progressistes
donnent à l'Europe de 1992 ? » ".
Mais d 'autres contributions démontrent une plus grande prudence, en particulier dans le chef de certains responsables wallons. Di scuté au comité centrai au mil ieu de J987. un rapport interne estimait que
LE PARTI COMM UNISTE DE BELGI QUE F,\CE AUX COMMUNAUT ÉS EUROPÉENNES
III
le niveau le plus opér'..ttif (... ) de la résistance el de la riposte efficace (... ) à
l'offensive néo-libérale reste encore au stllde present - et y compris en direction
de la CEE - celui de III région-communllUlé 42 ou de l'Etal belge» 4).
«
Les élections européennes de 1989 sont le théâtre d ' une double inilial ive
des communistes belges:
un congrès doctrina l organ isé sur 1'« Europe 92»;
- une alti tude nouvelle dans le mode d ' intervention électorale.
Le congrès, qui se tient les 18 et 19 mars 1989, axe ses débats et ses propositions sur trois thèmes majeurs:
1. l' importance de la Communauté eu ropéenne dans la mise en œuvre d ' une
poli tique de détente internationale ayant pour objecti f une « politiq ue de
sécurité axée sur la désescalade des blocs et sur une vaste coopérat ion
pacifique à l'éche lle de J'Europe tout entière» 4-1 ;
2. la nécess ité urgente d 'équilibrer les aspects économiques et financiers de
l'Acte unique par des « volets sociaux et politiques» 45 échafaudant une
véri table Europe sociale;
3. l'ex igence d ' une démocrati sation du foncti onnement des institutions communautaires. Les communistes ne fon t toujours pas de propositions très
nelles sur celle question mais louent le rôle du Parlemenl européen dans
celte perspective:
« li ser..lit sol de ne pas prêter sérieusement attention à l'évolution positive
récenle des comportements du Parlement européen, la seule institution de la
CommunaUlé qui soit à la foi s fédérale et démocrntique セᄏ
TW N@
Dans l'une des résolutions du congrès, le
PeB
se prononce
pour la constitution d'un pouvoir législatif européen élu au suffrage universel
et pour la désignat ion par ce pouvoir d'un exécutif responsable devant lui » 411.
«
Quelles sont les raisons qui ont amené les instances dirigeantes à organiser
des assises sur ce thème?
Il Y a, nous semble-t-il, une forme d 'engagement européen des dirigeants
dans la mesure où il leur semble acquis à celte date que le résultai élecloral
de 1985 n 'étai t pas conjoncture l. L' horizon belge est bouché. Et certaines
personnalités communistes veulent transposer à un niveau plus élevé le rôle
d 'aiguillon qu'ils ont tenté de jouer sur les socialisles el sur la FGTB.
Ensuite, l ' heure se prêtait bien à celte réunion, Nous nous situons à q uelques
semaines des élections européennes. « L'Europe » suscite quelque inlérêt à
ce moment. Le PC essaie d'intervenir publiq uement dans le débat.
A cet élément s'ajoute une prise de conscience plus forte que jamais de la
dimension européenne. La prise de contrôle de la Générale de Belg ique le pri ncipal holding industriel du pays - en 1988 par le groupe Suez après
une tentative d 'OPA de Carlo De Benedett i - en plei ne crise politique -
112
LA GAUCI IE FACE AUX /o. I UTATlONS EN EUROPE
monlre, si besoin en élail, que les décisions macro-économiques se prennent
en dehors de la Belgique.
Dernier facteur non négli geable, la perte de pouvoir dévolu à l' Etal belge se
confinne. La réfonne de 1988, conçue comme une nouvelle étape transitoire, a étendu le pouvoir aux régions flamande et wallonne ct a créé une
région bru xelloi se セY N@ La force de l'Etat belge est en quelque sorte minée par
le haut et le bas so.
La de uxième composante importante de l'échéance é lectorale de juin
1989 pour le PCB est la décision des ailes fra ncophone et flam ande de ne pas se
présenter sous le label «( communiste» aux élections. En Flandre, le KPB participe à une liste composée de que lques personnalités progressistes et du parti
ouvrier socialiste 51 . La liste Regenboog (Arc-en-ciel) passe complèlement
inaperçue 52 .
En Wallonie et à Bruxe lles, le débat se révè le extrêmement serré pour savoir si les communi stes doivent se présenter. Compte ' tenu de ce que le Conse il fran cophone avai t, en novembre 1988, entériné le non-avenir électoral du
PC B , cette instance propose de ne pas déposer de li ste aux élections européennes 54 . Au lenne de la discussion congressuelle, les communistes francophones décidèrenl par cinquante-neuf voix contre (rente-sept et onze abstentions
de soutenir cette position en adoptant la résolution suivante:
« Bien que ne préscntant pas de liste aux élections européennes. le parti
communiste a décidé de ne pas rester absent du débat politique et d ' intervenir
dans la campagne électorale, notammelll sur la nécessité de développement du
volct social européen. sur l'avenir des régions dans la perspective de l' intégmtion
européenne ct sur l'indispensable démocratisation des institutions» S5.
Les communisles wallons appellent à voter pour José Happart , candidat de
la liste du parti soc ialiste et fi gu re emblématique du combat wallon 56, Pour sa
part , la fédération bruxelloise du PC invite ses sympathisants à voter pour
Raymonde Dury, Bruxe lloise el tête de liste socialiste 57 .
Dans le matériel qu ' il diffuse à cette occasion, le PC fait campagne autour
de quatre mots d ' ordre: pour une Europe sociale, une Europe démocratique,
une Europe écolog ique el une Europe pacifique. On retiendra leur soutien à un
accroissement des moyens budgétaires de la Communauté par le biai s d ' « une
fi scalité européenne frappant les bénéfices des multinalionales)) 58 et d ' une
action significative contre les évasions fi scales.
Les é lections européennes de 1989 constituent le dernier point de repère
sérieux el significatif des positions communistes sur la question européenne.
Après l'année 1989, le PC est descendu sous un seuil rendant son examen diffi c ile dès lors que ses interventions publiques deviennent de plus en plus rares
et sont de moi ns en moins répercutées. Le phénomène est d ' ailleurs accentué
par la cessation de parution de son quotidien , Le Drapeau rouge, le
i セ イェ。
ョ カ ゥ ・ イ@ 199 1 59.
LE PARTI COMM UNISTE DE BElGIQUE FACE AUX COMMUNAUTÉS EUROI'ÉENNES
11 3
Il nous est impossible aujourd ' hui de dégager une quelconque position
face au traité de Maastricht et au débat qu ' il a occasionné. Seuls quelques
articles de son bu lletin de liaison interne traitent du sujet mai s il n 'y a aucune
référence à une position officielle du PC 60. Signalons l'intérêt porté à ces problématiques, en particulier celle de « l'européanisation de la gauche », par la
rev ue proche du PC, les Cahiers marxistes, mai s celte dernière ne reflète plus
les attitudes du PCB 61.
9. Conclusions
Si le part i communiste de Bel gique a, comme les autres fonnation s communi stes d ' Europe occiden tale, sévèrement condamné les premières institutions européennes, son altitude a néanmoins évolué très rapidement. Avec les
Italiens, les communistes belges figurent panni les premiers à réévaluer leurs
premières appréciations envers la Communauté économique européenne,
quille à exprimer leur désaccord avec certai nes appréciations sov iétiques et
d'autres PC européens.
Cette nouve lle approche tient, nous l'avons vu, à certains développements
dans les relations internationales et à la pesanteur du « con sensus européen »
en Belgique. En tant que telle, cene progression s'avère, selon nous, très caractéristique des fon ctions que le parti communi ste (ne) souhaite (pas) assumer. En 1954, au congrès de Vilvorde, une majorité de congress istes avait
rejeté la ligne sectaire qui avait prédominé jusqu 'alors et conduit à une logique de fortere sse: « qui n 'est pas avec nous est forcément contre nous ». Ce
changement représente aussi un rejet d' un rôle purement « protestatai re) que
certains pani s communistes ont endossé jusqu 'à l'heure actuelle. Au contraire, fonnation modeste, le PCB essaye d ' impulser des initi ati ves, de jouer un
rôle dynamique dans la FGTB à travers les délégués syndicaux communi stes et
d'agir directement ou indirectement sur les orient.ations du pani socialiste et
d 'organisations progressistes. Dans cette logique, un combat contre la Communauté européenne aurait été une négation de celle approche. C'est dans le
marché commun et en rappon avec l'européanisme partagé des milieux politiques belges que le PCB souhaite intervenir.
Mais ce fac teur n 'est pas la seule raison de la transfonnmion du comportement du l'CB. La « dimension belge ) y est aussi pour beaucoup. Dans un petit
pays au taux d'ouverture économique élevé, toute idée de repli ou d ' action
nationale paraît san s fond emenl . Profondément insérée dans des relations
économiques, commerciales, cul turelles ou technologiques internationales, la
Belgique a presque vocation à participer pleinement au développement de la
CEE. Se pose dès lors la question de définir que lles fonn es d 'organisations
préconi ser.
Nous l'avons vu, le PCB a endossé une démarche comportant des délégations de souvera ineté et s' inscrivant dans une optique fédé rale. Ainsi, il sou-
114
L,\ GAUCHE FACE AUX MUTATIONS EN EU ROPE
tient , moyennant certaines conditions. l'élection du Parlement européen au
suffrage uni verse l et encourage la dotatio n de nouveaux pouvoirs à celle Assemblée. Celle position le range du côté des partis communistes appuyant un
approfondi ssement fédéral de la Communauté européenne (à savoir principalement te PCI et le l'CE) contre ta logique de panis com me le PC!', te pcp ou encore le KKE qui rejettent tout pouvoir politique européen. Pourtant, le parti
communi ste de Belgique n 'ass umera jamais effectivement et clairement celte
approche. En 1984, il reste d iscret. fa ute de consensus interne. sur le traité
Spine lli et même le congrès de 1989 ne permet pas de dégager une option
claire. Celle crainte de choi sir nous paraît un des é léments détermi nants pour
comprendre le comportement du PCB face à sa crise. Partant d'une approche ct
d ' interrogations antic ipatrices el novatrices, le parti commun iste refuse d ' assumer véritablement ses rén ex ions fi geant le plus souvent ce qu i apparai ssai t
neuf. Son pos itionnement à l'égard de la Communauté européenne ou de
l' Union soviét ique 61 nous paraît à ce ti tre révélateur d ' une incapacité à concréti ser ses innovations: incapaci té menant en défin itive à la paralysie, au silence et finalem ent aujourd ' hui à la disparition dans l' indifférence.
NoIes
1 Aux セ A ・」ャゥッョセ@
de 19-46. il oblient 12.7% sur ャG・ョセエ「@
du territo ire (21.S % en Wallonie) eT panicipe
au gouvernement de !944 à 19-47.
1 L ' im ponance de celle 、ゥュ・ョセッ@
en sciences poli Tiques a bien éTé mise en セケゥ、・ョ」@
dans l'ouvrage:
F. MOLLER- RoMMEJ.. and G . PRlotIAM. Small Punies in W..S!ffll Europ ... ComparUliu ulld Natiollal Pt'rs·
pu/il'es, SAGE Modem pッャゥエ」セ@
Serie. Vol. 27, 1991.230 pages.
J Sur la Belgique. \"oir la comribulion de K. D ESClIOUWER. "Small Pan ics in 8 Small Country: The
Belgian Case,. .
• A. JOA.<;()V• • Rappon SUT la siTuaTion in ternationale pn!senté à 13 conférence d'information des neuf
panis communistes qui s'est tenue en Pologne il la fin du mois de septembre 1941 ,.. Lu noi|
Gセ ャi・@
」イゥャア
ェ セL@
1941,32 pages, p.!.
1 E. UI.-\lAI<Il, LL plan Marshall tT fa"('"ir dt la bセャァェアオエGL@
Société popul aire d'éditions, 1947,20 pa,
ges. p. 3 .
• R6 ullms é lecTOTlIux du !'CIl
1946
1949
1950
1954
!958
1961
1965
1968
1971
1974
1971
1918
198 1
1985
1981
Belgique
Wallonie
Fl andre
Bruxelles
12.1
2lj
7.5
4.7
3.6
1.9
3. 1
12.6
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3.6
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1.0
1.7
1.4
1.6
1.6
17.4
9.5
4,6
3.3
3.1
3.2
2.7
3.3
2.3
1.1
0.9
7.8
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6.4
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2.1
1.2
1.0
0.5
LE PARTI COMMUN[STE DE BELG[QU E FACE AUX COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES
11 5
"A propos du 11"101 d'ordre des Etats-Unis d'Europe • . ill Uc"ISF.. Œ""rrs ('omp/hu,
, V.L lセNniseL@
[960. Editions sociales-éditions en langue étrangère, vol. 21. pp. 35 1-355, p. 352.
1 Consul1am Robinson and Robinson, Rapporl sIIr r illlllmrir charbO/wilre IN/gc POl" イfNcセ@
mai 1950. Fonds M:u Buset.lnstitut Emile Vandervelde .
• ParadouJemem. le traité sera mieux acreplé par ['organisalion syndicale socialiste que par [e pani
socia[isle. Les misons en SOIIt mulliples. L'influerlCe communisle y eSI proponionnellemem plus grande CI
donc aussi [a ntcessité de se démarquer. Les mineurs revendiquent un Slatut panicu[ierdans lal'GTB dom les
dirigeants n'appréciem pas IOUjours les vo[omés d·autonomie. Si ['on ajoute 11 ce Stalut particulier el à
l'influence communisle qui y est fone. le fait que beaucoup d'entre eux ne SOIIl pas ... belges (élémem
soulignt expressément parce nains d irigeantS syndicaux). on compreBd le peu d'intérêt du syndicat en tant
que le i pour l"avcnir des milleS belges el le Slalut social des mineurs. En 1959. la "reslrucluration ,. des
mines en Belgique aboutissait 11 la femleture des puits wallons el à une limilation des puits limbourgeois.
Aujourd·hui. il n'y a plus d'exploitation minière en Belgique.
'0" L'idée de l'Europe a été reprise et développée par Hitler. non parce qu'elle com:spoodait à quelque
Maimenanl
chose de riel. mais parce qu'elle favorisail les mentes et les idées de domination ィゥエャセイ・ョN@
l'idée est reprise non p;1s pour consacrer un état de ehose en puissance et dom les premiers symptômes
existent. mais pmlr facilitcr une polilique détenninée. ( ... ) l"Europe soi-disant cn devcnir eS! une Europe
Elle écanerait volol11airernent et 、←QゥセョAュ・エ@
tOUt ce qui est Europe centrale,
dangereusement セエイゥアオ・N@
Europe balkanique ou Europe oriemale • . J. TEIl fvl'_ Discours ーイッョャO」セ@
à la Chamb,.r des rrprtsrlllams.
séance du 17 novembre 1953, p. 17.
autoritaire des principaux diri geants socialistes et syndi•, Signalons cependanl l' auilude ・クエイ↑ュセョ@
caux. favorables aux plans, en vers les personnalités socialistcs qui y élajent opposas_ Les prem iers rnuhipliem les mises en garde ,ontre lout contact ave, une organisation à panidpat ion communisle. Les
syndicats sont verrouillés. La dimension " démocralique JO souvent prêtœ au fon"ionllClIlCm des panis
socialistes a singulièremcnt セ エ ←@ absente dans«: cas. Les 。イ」ィゥカセウ@
du pn!sidem du pani socialisle. Max Busct
(consu ltables à l'Institut Emile Vandervelde) à ,eHc époque som sans セアオゥカッ・N@
Il Voir par exemp le N. LoEB. « Les lrois grands pani s politiques belges et l'intégration europ!cnlle It.
Courriu I!rbdonladoire du CR/SI'. nO433. le 28 février 1969; N. LoEB-MAYEIl. « Les troi s grands pan is p0litiques belges et ャGゥQセァイ。ᅫッョ@
européenne ,. in us partis poli/illurs n /" illligrario/l f'uropün/lf'. Actes du
Colloque de Bruges. association des inslilUts d'étu(\cs ・オイッセ」ョウL@
annuaire [969-1970, Genève.
" B. Durorr. L'URSS n lïmlgrarioJi l'lIroplrmlt', Publications de l'Université de Lausanne. 1964.
237 p;1ges. p. 189.
"Ibid.. p. 19!.
., C. ZOIlGB'8E. L'Europr de r Estfaff' 011 Marrltl comml/t/. Annand Colin. 1970.
'... Lorsqu'on étudie les problèmes liés 11 l'avenir des instilU1ions de la CEE, r entrée de la
Grande· Bretagne dans le marché commun (l"Europe des patries, l'Europe des Tigions. etc.). il ne faul pas
A ゥッョ@
imversible veT!i セ@ grands ensembles 6conomiques qui
perdre de \'uc une Tialité incontestable : エGセカッャオ
rappelle Jaçques Moins en 1969. J. MOINS. "Europe des travailleurs?, Co·
caractérise nOire セーッアオ・NL@
hirrs marxistes. juin·juillet-août 1969, p. 23.
Il Souligné par nous.
" L. VAS GEYT. « Rappon au XXII"' congres du PCB ». Faits n urg//ml'nts. nO5. juin·juillet 1976. p. 3 .
.. Dans l'ouvrage publié par des économisles communisles ou proches du PC1I en 1979.lcs autcurs. re·
qu' .. cn se camonnanl dans la
layantl"opinion ex primée p;lr plusieurs dirigeants. n'hI!sitaiem pas 11 セ」イゥ・@
seule dénonciation de l'inlégration européenne monopoliste. les pani s communistes d'Europe occidemale
ne rencontraient pas les prfucCUp;1tions des masses. Ils s'isolaient. n'occupaiem pas leur terrain et laissaient
dès lors 11 la droite l'initiative politique cn matière de construction européenne • . GROOI1l O·f.COSQloIiE
MARXISTE, C01Jlrr-projet polir r eOャイッー
セ L@ Libraire du monde enticr. 1979.425 pages. p. 50.
"" A l'heure actuelle. le s droilS de douane frnppantle commerce emre les six ont セャ←@ considérablemenl
abaissts. (. .. ) Ainsi. le mareht commun est devenuull<! イ←。ャゥエセ@
politique el économique. ( ... ) (Il l ne constitue
pas seulement la somme 。イゥエィセャアオ・@
des man::hés nationaux des pa ys qui appaniennent à la ŒE. mセュ・@
sous ses rormes capita[isles caricaturales. l'intëgratÎOII セ」ッョュゥアオ・@
peUl favoriser l' augmemation du volume de production du commerce inlérieur et extérieur ». B. DUTOIT, op. cit., p. 2 11.
1. Voir par exemple P. DELwlT, J .M. DE WAU.E Ct J. GoroVITC1I, l." E,,,OfH" dts (Qn,numistes. Complexe. 1992.353 pages. pp. 197 et suivames.
116
LA GAUCHE FACE AUX MUTATIONS EN EUROPE
n En évoquan t l'hypothét ique adhésion 'dan s sa conférence de presse, de Gaulle ne déclan.H-il pas
qu'" il est à prévoir quI'! la CO.llition de tous ses membres Ide la ŒIlI qui seraie nt trè s nombreux, tres divers,
n'y résisterait pas longtemps et. qu'en définitive. il apparaîtrait une communauté atlantique colossa le sous
dépendance ct direction américaines et qui aurait tôt fait d'absorber la Communauté ・オイッー←セョN@
C'est une
hypothèse qui peut parfaitement se justifier aux yeux de cenains, mais ce n'est pas du tout ce qu'a voulu
faire et ce que fait la France et qui est une construction proprement européenne •. C. DE GAULLE, Discollrs
l i ln/'sU/gu. POlir l'/'!forl, 1961-/965. Plon. 1970, 419 pages, pp. 10-11.
Il Sur cene qDestion, voir p, Da.... rr. " Historique des relations entre la Communauté et les )XIys de
l'Europe centrale et orien tale" in Un difi polir /11 Communmlli /'llropil'nn/' : lu ooll/CI'/'runrenrs Ù l'UI et
au anlr/' du CO/J/fli/'/J/, Editions de l' Uni\'ersité de Bruxelles, 1991, 291 pages, pp. 1·15,
2' J, TERFVE. " Quelle Europe demain'! JO, Call;/'rs morxll'll'S, n" 23, mars 1916, l', 1,
l> GROUPE oGセcn
o m@
).IARX ISTI!, op, cil .. l', 350,
セ@ J, TEMfVE. op. cil .. p, 1,
17 .. La 」ッョヲセ、←イNオゥ@
européenne des syndicats a êlaboré un programme -C t je tiens à rappeler que les
deux grandes organisations syndicales qui constituent en Belgique le front commun syndical fonl panie de
cette conféd\'!ralion - qui comporte une série de revendications essentielles qDi s' in scrivent dans le même
sens que les grandes options économiques et soc iales de l'alternative anti-erise dans notre pays el, en ce
sens, elles offrent une ba!>C solide pour une action solidaire des forces de progrès à l'fchelle de la Commu·
nauté JO , proclame Louis Van セケャ@
trois mois avanl les セi・」エ
ゥ ッョウ@
européennes de 1919, L. VAN GEYT,
'" Rapport au xiセ@
congrès du pcbセN@
Fairs fI urgunrm lS. n" 48,juin 1919, 1'1'.14-15,
" Le s résultais des élections som les su ivants:
セL@
=
セ@
..01'·11 ...•
セ@
c ッ ャ セ ァ・@
francophone
%
11,1
21.2
21.4
19,1
élus
',0
2
J
4
2
セ
cッャiセァ・@
'"
L@
""
Volksunie
'ffi
rlI!erlandophooe
%
15.3
48,0
20,9
9,7
élus
2
7
J
1,2
'" La conlribution du PCB rédigée par Piem: loye signifiai! clairement - en paniculier 11 1'311cl11ion des
communistes françai s et so\'iéliques à une époque tendDe pour le mouvement communisle - l'assim ilation
de la dimension européenne pour la Belgique et ... les communistes belges : « L' internationalisation crois·
San te des échanges el leur augmentation r.lpide au scin de la cu faÎl apparaître que ce n'est)XIs en s' isolant
commercialement qu'un pays comme la BelgiqDe lrouvera une solution à ses difficultés actuelles JO , comri bution complélêe par l'intervention en séance d'Augustin DDchateau spécifiant que " la CommunaUTé demeure un lieu sur Icquella bataille pour une politique de croissance équilibrée des pays et des régions el de
développement de J'emploi peUl el doit élre menée .., P. j ッ カ セLB@
La contribution du )XIrti eommuniSle do:
Be lgique à la rencontre des panis communistes des )XIYs capitalistes d'Europe, Bru,\ elles les 8 ct 9 OCIObre 1980 JO . FullS rrurguml'n/S, n" 62, décembre 1980, p, 12.
A, DuoIATEAli,,, Inter\'ention 11 la rencontre " , ibid., p. 15,
JO Voir par exemple P. JOYE." Les Etals·U ni s conlre l'Europe des dix JO , Calli/'rs marxistts, n° 106,
septembre 1982.
" J. DE. BROUWER!!, .. Rappon au comilé centr.ll du 14 mars 1981 : le PCB, la Belgique el l'Europe dans
les rappons de fDree internat ionaux .., FailS /'1 argum/'/IIs, n" 64. avril 1981, n" 64, l', 8,
Dan s son document priJXl11lloire au congrès de ヲ セカ イゥ・@
1982.1e rapport du comité central ne fait pourtant référence qu'aux Etats-Unis: .. Une Communauté européenne dêmocratique peut aussi jouer un rôle
imponant 、。ョ
セ@ l':111it de la course aux armements et le dé)XIssement de la politique des blocs el dans la
progression vers une réelle aUlonomie européenne à l'égard des Etats- Unis JO . .. Document pre)XIraloire sur
les ーイッ「jセュ・
ウ@ du pani, Pour un pani plus uni sur des positions plus claires » , U Dra{J/'uIl rollg/', samedi 6,
dimanche 1 et lundi 8 ヲセカイゥ・@
1982.
J:" xxv" congrès nalional du PCB, Résolutioos JO , Fairs (1 ur8"m/'n/s, nO80, avril 1986, p, 6,
)J PARTI CO'>IMUSIS'Tl: OF. BELGIQUE. MumÏtslt /'urQpi t lJ du purli CQnultlmiSll', Sl'l:, 1984,22 )XIges, p, 21.
}< Ibid" p. 16,
:u El ce malgré les eITorls de que lques personnalités comme par exemple Jacques Moins. qui appelle
!>Cs camarades à rinéchir et セ@ oser aborder les questions posées par ce projet: .. Bien de s questions se
117
LE PARTI COMMUNISTE DE BELGIQUE FACE AUX COMMUNAUTEs europセns@
bousculent. Avant toul. il faudra lever des options. fonnuler UII 」ィッゥセ@
clair. Faut·il oui ou non soutcllir des
formes qui évoluent vers le fédéralisme européen ct limitent les souveraine tés nalionales qui le som déjà sur
le terrain économique? ( ... ) Va+on favoriser le repli national ou avanœr vers les formes fédérales? Telle
est la question posée _. J. moi
N セウ@ . .. Demain quelle Europe? _. Cohit rs mor.ri"I"S, nO 124, juin 1984. p. S,
)t Evoquam le エイ。ゥセ@
Spinclli, Danie l Fedri go préeisait : .. Pour ce qui concerne la résolution sur la·
quelle nous devons nou s prollOnCer, nous l'appuierons mais avec des réserves. Pourquoi cet appui? Ceue
résolution invite nOIre gouvememelll il ralifier le projet instituant l'Union européenne. Le projet Spinelli
accroilles pouvoirs du Parlemem européen et reduit 」・オセ@
du Conseil européen et du Conseil des ministres.
Pourquoi des réserves? Parce que ce projet atcroÎt les pouvoirs de la Commission même si dans le même
temps. illa fait illvestir avec son programme par le Parlement européen. la Commissioo devenant ainsi en
quelque sone responsable devant le Parlemem européen _. U Dropem, rouge. 26-27 mai 1984.
jl Les résultats des élCCIions sont les suivants:
Collège rrancophone
%
Ecolo
セL@
'"
9,9
24.1
'90
セ@
34.0
セ@
2,8
Collège néerlandophOlle
%
élus
Agalev
3
2
5
m
m
"Volksunie
Lセ@
Vlaams Blok
7.1
14.2
32.5
28.1
13.9
0,7
élus
2
4
4
2
2, '
Avant cene échéance. il lui restait deux députés et un sénateur.
)t Le parti socialiste et Je socialistische panij qui ont vku la législature 1981· 1985 dans l'opp0::>5ition ne
libérale-chrétienne lors de ces élections .
parviennem pas à vaincre la ュ。ェッイゥエセ@
.. .. Le s 。ョセ・ウ@
78·79 ont marqué une ruplure. après 25 ans d'oscillatiOl1 de s イ←ウオャエ。セ
A ・」エッイ。
オセ@
autour
d'une moyenne d'environ 3% et la suite des mauvais résultats. depuis lors jusqu'à aujourd·hui. ne peul
laisser présumer une remontée rapide: l'avenir électoral du l'C fait dOliC question _. proclame un document
du bureau fédéral bruxellois.
« Vers le xx .... congrès natiOl1a! du 1'ClI. premier bilan de la discussion dans la fédératiOll 「イオセ・ャッ[ウ@
_,
pcBrw:ellts . nO68. février 1986. p. 3.
エ ゥアオ・セL@
Cahiers ml.lrxüUr. décembre 1988.
• , D. VOI'CKX. « La 8auche en 1992. remplir un vide ーッャゥ
nO164. p. 93.
U II y 8 actuellement en Belgique trois C()mmunamés _ francophone. néerlandophone et gemlanopllone - dont les CQlTlpétences sont essentiellement d'ordre culturel et, depu is 1988. trois régions - wal·
10l1Jle. flamande et bruxelloise - dont les C()mpétences sont aVant tout kooomiques el sociales.
• ) « Texte discuté par le cHIュゥエセ@
central du l'CB ". Cahiers morxislb. 11° 152.juin 1987. p. 73.
"« Pistes pour une approche alternative de la construction européenne _. in r;o'( congris nOlionol du
PC6·Kf6. Europe 91. Bruxelles 18·19 man 1989, p. 3 .
• ! Ibid.• p. 3.
.. Souligné par IlOUS.
"" Pistes pour une approche alternative de la construction européenne _. op. ("il .• p. 4 .
.. .. Pour une plofonde démocratisation de la Communauté ». Faits tI arsummls. nO91. !oCptem ·
bre 1989.1'.3 1.
.. Orientation que défend la majorité du parti communiste. Les 18 et 19 février 1989. les commun istes
francophones votent il l'unanimité moins on7.e abstentions (bruxelloi!oCs) une résolution demandant que la
régionalisatioo soit ftendue au crédit. il I·agriculture. au commerce extérieur. Il la politique énergé tique. aux
au développement. " Vers le fédéra·
affaires européennes à .. incidences régionales _ et il la セイ。エゥッョ@
lisme démocratique _. rfsolutioll du 」ッョXイセウ@
du PC. 18·19 février 1989.
3'1 Dans son rappon au congrès. le président national. Lou is Van Geyt. insiste sur celle dimension: .. Il
peut paraître insolite aux ケ・オセ@
de nos invités que notre congrès cOllsaere presque exclusivement son onen·
t;OI1 à la dimension européenne de la réflexioo et de ャG。」エゥカセ@
des communistes de Belgique. Si n<Nre con·
grès a choisi ce thème. c'CSt emre aut res parce qu'un avenir commun européen apparaît davantage assuré
(ou 11 tOIHle moins davantage inéluctable) pour les peuples flamand et wallon et la politique bruxelloise que
lt
118
LA GAUC/IE FACE AUX MUTATIONS EN EUROPE
l'avenir durable de la strucmre étatique belge ". "Rapport de L. V"N GEYT au xxvr congres ", Faits rt ornQ 91, septembre 1989, p. 25.
" Parti trotskyste membre de la IV< Internationale.
" Elle recueille 26.471 voix sur un tOial de 3.618.907 de suffrages!
.. .. Une première conclusion de CI.': qui précède: pour l'heure. I"IOtre avenir parJ.it bouché sur le plan
é lectoral et rien Ile laisse prévoir un dégagement relativement proche. C'est singulièrement vrai en CI.': qui
conceme les é lee1Îons européennes de juin 1989. Le Conseil considère que, tout en participant le plus activement possible au déoo.tlié à ce scrulin. il convient celle fois de ne pas déposer de liste de candidats du PC
aux " européennes "' ... NOle de travail su r le devenir du PC approuvée par le Conseil francophone (26 00vembre 1988) ", rapporl ronéo')''';, 10 pages, p. 4.
" Rappelons qu'il était absolument exclu que le l'CH ai t un élu. Onze parlementaires francophones de
Belgique siègent au Parlement européen, il faut donc récolter environ 10% pour gagner un siège, score
inimaginable pour le l'CIl.
"" Les communistes et les élections européennes ", rlsolulioll dit coIIgrh dit PC, bイオセ・ャウL@
18-19 février 1989.
,. Celui-ci a récolté plus de 288.900 voix de préférence, soit 30% des voix recueillies par le p.lrti socialis1c.
Les résultats des ←ャセ
Qゥッョ
ウ@ som les suivan1s :
ァオュセョャウL@
Collège fr:mcophone
%
""10
16,6
'oc
=
18,9
21,3
セ@
38.1
élus
2
2
2
,
Collège oéerlandophone
Agalev
セL@
セL@
"Volksunie
Vlaams Blok
%
12,2
17,1
34,1
élus
20,0
8.7
3
,
2
6.6
" Celle-ei a ré<:olté 23.100 voix de préférence.
'" PARTI COMMUNISTE, El/roM POl" ql.; ?, 1989, p. 3.
,. Le parti communis1e a li cene occasion Q・ョ
セ@ de lancer un joumal progressis1e Iflargi à de nouvelles
mouvances de gauche, Liberlis, Le projel poli1ique e1 financier fUI si peu éwdié que quelques mois plus
lard, Liberlés fut liquidé. Depuis le 1- décembre 1992, le PC publie un mensuel, AI·al/cte!! .
.. Voir M. MACIS,« Un énorme besoin d'union, Maastricht. Un sommet dans la slrlUOspMre,., A"uli '
CÙ!! dlmocra(jql/tS, nQ 100, novembre-décembre 199 1 ; M. MAGJS , .. Europe? L'urgence d'un déba1 >l,
A"u/ICù!! dlmocraliqut!!, nO 103, mai 1992.
• , Citons entre aUlres le numfro spécial « Europe 92, quelles stratégies pour la gauche? ", aoiIt·
sep1embre 1989 et le numfro spécial « Démocra1ie, la dimension internationale ", sep1embre 1992, nO 186.
101 Voir lice sujet P. Du ...·rret J,M. DE WAf.I..E, « Decl ine and FaUof1he C<HlImUniS1 Party of Belgium "
ill Paul HEYw(l()l) and D. Buu.. \l'ni Europecm Commllllisi Rcspo/lSts 10 1989 and 1991, Macmillan, 1994
(li paraître).
L'opposition du parti communiste portugais
à l'adhésion à la CEE
Carlos CUNHA
« Ce n 'cst pas le Ponugal qui entre dans la Communauté européenne!
C'est la Communauté européenne qUÎ enlre dans le Ponugal ! »
1. Introduction
Tout au long de son histoire, le parti communiste portugais (pep) 1 s'est
opposé à J'intégrat ion européenne. En 1972 déjà, le pep critiquait les re lations
entre l'Association européenne de libre échange (AELE) 2 el la Communauté
économique européenne (CEE) J. Noire contribution analyse les positions du
parti communiste à l'égard de l'adhésion du Portugal à la CEE depu is 1972 4.
Pour quelles raisons le pep s 'est-il opposé sans cesse à ceUe adhésion el, après
celle-c i, à toule évolution vers davantage d' intégration européenne ? Comment la luite du part i communiste contre la CEE a-t-elle évolué? Quelles ont
été les options tactiques et stratégiques poursuiv ies par le parti ? Qu 'espère le
pcp en adoptant une alt itude aussi hostile?
L'argumentaire du parti communiste a été très unifonne dans le temps,
sans véri table liaison d irecte avec les développements de la CEE. Néanmoins,
pour faci liter notre ex posé de ses positions, nous avons di stingué quatre étapes:
1. la demande d'adhésion,
2. l'adhésion à la CEE,
3. l' Acte unique européen,
4. le traité de Maastricht.
Nous examinerons les principaux arguments à chaque étape. Généralement. le parti communiste s'est rallié à des arguments que l'on pourrai t qualifier de « catastrophistes » et « tiers-mond istes» sur les effets de l'adhésion.
Par exemple, il a beaucoup insisté sur l' idée que loin de résoudre les problèmes économiques du Port ugal, l'adhésion accroîtrai t la dépendance de la nation envers le monde extérieur. Le Portuga l serait plus profondément intégré
dans la « d ivision internationale du travail voul ue par le capital monopol istique» ; entraînant par là même une perte considérable de souveraineté. Le
120
LA GAUCHE FACE AUX MUTATIONS EN EU ROPE
parti com munisle a aussi ex igé du gouvernement qu ' il infonne la population
sur le processus d 'adhésion ct ses conséquences, estimant que cette dernière
s'y opposerai t si elle était infonnée. Pendant plusieurs années, le PCP a centré
son analyse sur certains secteurs économiques pour montrer l' impact négatif
de l'adhésion sur l'économie portugaise. L' un des principaux feitmoril'c a été
que la CEE avait pl us investi le Portugal que le Portugal n'était entré dans la
CEE.
2. La demande d'adhésion
Historiquement , le parti communi ste n ' ajamais approuvé ['intégration du
Portugal dans la Communauté économique européenne. Il a mis constamment
en évidence les aspects négat ifs de l' intégration européenne.
En avril 1979. le part i organ isait un séminaire ouvert aux étudiants, aux
travailleurs et à toute autre personne intéressée, consacré à l'adhésion à la
Communauté 5. Il est uti le de s'attarder sur certaines des conclusions tirées
lors de cette rencontre parce qu'e lles sont symptomatiques des éléments que le
PCP utilisera contre J'adhésion ou contre l'approfondissement du processus
communautaire.
A cette époque, les communistes prétendent que l'entrée du Portugal dans
la CEE ne résoudra pas les problèmes économiques et qu 'elle n'arrêtera pas la
spirale inflationni ste; ce qui contred isait les arguments selon lesquels l' adhésion serait un facteur de croissance pour les nati ons les moins développées
d'Europe occidentale. Les communistes portugais estiment qu ' une ouverture
des fro ntières contribuera à augmenter la dette extérieure dans la mesure où il
faudra couvrir le défi cit commercial qui résultera inév itab lement de la forte
croissance des importations. Un plus grand endettement subordonnera de plus
en plus l' intérêt national aux intérêts étrangers, menaçant de la sorte le secteur
banca ire national isé. Adhérer à la CEE et, à travers elle, à la divi sion capitaliste
internationale du travail , ramènera la nation aux cond itions économiques
de dépendance qui prévalaient avant et juste après la révolution du
25 avri l 1974 6 . A la fin des années soixante-di x, le Portugal avait un secteu r
primaire arri éré el des secteurs de l'industrie légère (l'électronique) étaient
hypertrophiés de sorte que plusieurs étapes du processus de production et
leurs marchés respectifs échapperaient au contrôle du pays. Selon les conclusions du séminaire, une adhésion à la CEE béné fici erait aux seuls secteurs présentant un intérêt pour les filiales de firm es multinationales. Par ailleurs, le
parti communiste considérait que "indépendance agricole du Portugal serai t
menacée par les exportations en provenance de la CEE et des Etats- Unis. D' une
faço n plus globale, le PCP présentait les personnalités favorables à l' adhésion
comme des hommes-liges des intérêts du capi tal monopolistique, dé faits lors
de la révolution et qui voulaient restaurer le capitalisme au Portugal.
L'OPPOS IT ION DU PARTI COM MUNISTE PORTUGAIS À L'ADHÉSION À LA CEE
121
Pour le parti comm uni ste. le Portugal devait poursuivre. au contraire, une
slralégie de développement adaptée aux besoins du pays el encourager notamment une coopérat ion internationale accrue (autrement di!, développer les
pOlentialilés commerciales avec le bloc de l' Est) 7.
Un autre argument étail que le sous-déve loppement technologique el
structurel du pays condui rait à l'échec ou à la fu sion de beaucoup d' industries
et accélérerait la fai llite de pet ites et moyennes entreprises. li s'ensuivrait
auss i une sous-utilisation des capacités excéden taires d'industries comme la
construction navale. De plus, le pays perdrait une grande part de sa souveraineté en matière de droits de pêche et souffri rait, face à la concurrence, en raison de la vétusté de sa flotte ; tous éléments accroissant la dépendance à
l'égard de décisions prises hors du Portugal. Il faut y ajouter que les intérêts
portugais seraienl subordonnés au com merce eX lérieur el que les grandes surfaces ruineraient nombre de petits détai llants. De même, l' adhésion diminuerait J'accès aux sources d 'énergie indépendantes, ce qui entraverait les possibil ités de développement d'une politique énergétique propre. Dans la mesure
où la Grèce et l'Espagne souhailaient aussi adhérer à la CEE, le Portugal devrait
faire face à une concurrence de plus en plus sévère pour des produits similaires, sur les marchés intérieu r et ex térieur. L'indépendance en mat ière judiciaire et légis lative di minuerait aussi puisque le Portugal serait soumis aux
règlements et aux lois de la CEE 8.
Ces positions ont été réaffirmées lors du I X' congrès du parti , en mai
1979 ' . Une fois encore, le l'CP exposa les raisons de militer contre une adhésion éventuelle du Portugal à la CEE : il affirmait notamment que la volonté
d ' intégration découlait du désir des forces réactionnaires, des réfonnistes et
des impérialistes de restaurer le capi talisme monopoli stique et la domination
de type lalifundiaire à travers le capitalisme monopolistique d'EtaL Toutefois,
le congrès mit davantage l'accen t sur J'idée d'un .complot plus complexe.
L'adhés ion élait util isée pour justifier l' avènement d ' un gouvernement de
droite, l' alliance du PSP avec les partis réactionnaires et une tentative
anticonstitutionnelle de modifier la Constitution. D'autre part, l' intégration
conduirait à la destruction de vastes pan s de l'économ ie nationale. Le parti
communi ste soulignait encore le droit de la popu lation à connaître les détails,
gardés secrets par le gouvernement, d ' une adhésion.
Le PeP reprit ces griefs fond amentaux par la suite avec quelques variantes.
En 1980, le parti tint une grande conférence à Porto inti tulée «. Non au marché
commun » 10. Au début de 1981, le PeP mit en évidence le mécontentement de
plusieurs pays membres à l'égard du fonct ionnement de la CEE au point d 'envisager de s'en reti rer (le Royau me-U ni et l' Irl ande). Les communi stes relevaient aussi les nombreux problèmes minant la CEE - en part iculier le chômage - et le fail qu 'elle les avait exportés en Grèce. En cas d ' adhésion, le
Portugal serait lui aussi touché Il.
122
LA GAUCHE FACE AUX MUTATIONS EN EUROPE
3. L' ad hésion à la CEE
Le Ponuga l fi adhéré officiellement à la CEE en 1986. Le pani communiste
intensifia sa campagne et déclara que, j usqu ' alors, toutes ses analyses
s'étaient vérifiées. Contre les tenants de l' adhésion, le pep assurait que la CEE
n'apponerait aucun bénéfice économ ique au pays 12. Il prit l'exemple de l' industrie nationa le de la pêche pour prouver que les conséquences de l'adhésion
seraient les mêmes que celles que craignait la Norvège, qui l"avait final ement
rejetée. Il sout int que la cohabitation entre grandes et pet ites mu ions, au se in
d'une organisation internationale, mènerai t inév itablement à la domi nation
des premières sur les secondes - argument appelé à être développé. Selon le
pani communiste, le pays se rendrait de pl us en plus compte que les décisions
essentielles étaient prises par des bureaucrates é loignés plutôt que par ses propres dirigeants Il.
Examinant la situat ion après neuf mois d 'adhés ion, le peP affinna que ses
critiques étaient plus justifiées que jamais. Alors que 'le gouvernement subordonnai t les intérêts nationaux à la CEE, le pani commun iste prétendit qu ' il
préservait ceux-ci par l' intennédiaire de ses représentants au Parlement européen . Mai s. plus l"i ntégrat ion du Ponugal dans la Communauté devenait effective. plus la situation s'aggravait. L' industrie ponugaise étai t déjà menacée
par la concurrence extérieure , principalement espagnole , dans le domaine du
textile. de l'acier et des produits en conserves. La CEE com mençait à imposer
des quotas de production aux agricu lteu rs - par exemple pour les tomates et
en imposant la destruction de vignes. Le Ponuga l avait même été contraint
d ' acheter des céréales à la CEE à un pri x supérieur de 12% au cours du marché
international. Les fi liales de multinationales étaient en train de prendre le contrôle des quelques rares secteurs restés compétit ifs, comme celui du liège
(bouchon), du pono et de la viande. Depui s l' adhésion, la balance commercia le enlre le Ponugal el la plupan des autres pays membres s'était dégradée.
Le pays avait cédé à la division internationale et régionale du travai l, perdant
son indépendance économique. Généralement pl us petites que ce lles de la CEE,
les entreprises ponuga ises subissaient de plein foue t la concurrence des grandes entités, favorisées au demeurant par la Communauté, notamment dans les
secteurs du vin . du lait. des tomates, des o li ves ou encore dans le secteur énergétiq ue 14. Le PCP concluait sa démonstrat ion en prétendant être le seul qualifié
à défendre le Ponugal, mai ntenant que l'adhésion était une réalité, parce qu ' il
l' ava it comballue avec le plus de véhémence i セ N@
Au Parlement européen. les communistes ponugais re layèrent ces critiques et soulignenl paniculièrement le fait que le Portugal n'avait que
vingt-q uatre sièges sur cinq cent d ix-huit, soit une représentation ridicule à
leur yeux. Aux élections de juillet 1987. le parti communiste fil campagne au
nom de la défense des intérêts du Ponuga l comre l'emprise communautaire de
nature capita liste 16.
L'OPPOSITION DU PARTI COM/'. IUNISTE PORT UGAIS À L' ADII ÉS ION À LA CEE
123
4. L 'Acte unique euro péen
Après rentrée du Portuga l, le part i communiste s'est montré hosti le à tout
changement ou à tout développement des insti tutions de la CEE. Après la signature de l' Acte unique en 1987, le pep affimlait ainsi que ce nouveau tra ité
permellait à une majorité d'Etats d ' imposer leur volonté à une minori té. A
l'aveni r, le POllugal ne pourrai t plus user du droit de veto contre des décisions
qui lui seraient défavorables. En outre, l'Acte un ique était critiqué dans la
mesure où il préfigurai t l'établissement d' une pol itique ét rangère et de sécurité com mune, affaibl issant plus encore l'indépendance du pays. II est important de noter que pour nuancer son image d 'opposant irréd uctible à la CEE, le
pcp déclare. à ce moment, lu tter contre tou t ce qui affaiblit l'i ndépendance
pOllugaise mai s ne pas remettre en cause l'appartenance à la CEE 17.
Le part i communi ste a dressé un parallè le entre sa lutte contre l'Acte unique européen et son combat contre l'adhésion. Il s'était montré hostile. à l'entrée d u Portugal dans la CEE car il affirmait que les aut res Etats membres de la
Com munauté exploi teraient un Portugal sous-développé. Une étape supplémentaire dans l'intégration, te lle que conçue par l'Acte unique européen,
aurait les mêmes e ffets: une pénétration accrue des in térêts étrangers, un affaibli ssement de l'économie intérieure avec pour conséquence. un accroissement du chômage. Néanmoins, cet argument était d iffici le à étayer dès lors
que l'afflux de capitaux en provenance de la CEE avai t généré des emplois
nouveaux. Qu ' importe selon le PCP, le Portugal resterait à la périphérie de
l'Europe ct fournirai t aux monopoles étrangers une main-d 'œuvre bon marché. Le part i communiste continua d' insister par ai lleurs sur le fa it que l'empri se des nations les pl us importan tes de la Communauté sur les plus petites
s' accroîtrait 18. Mais il était clair que depuis l'adhésion, le pcp avait pour objectif de mi nimiser les dommages causés à la nation, à ses travai lleurs, aux
peti tes et aux moyennes en trepri ses agricoles, aux négoc iants, aux industriels,
etc. et non de faire campagne pou r le retrait de la CEE 19.
Comme l'opposition à la CEE s'avérait de plus en plus difficile pui sque la
Communauté subsidiait de nombreuses in itiatives au Portugal, le parti fit valoir qu 'en période transitoire la Com munauté ne présentait que des aspects
favorables et qu ' il était im poss ible de dresser un bilan rigoureux de l'adhésion. Jusqu'à la fi n de 199 1, le pays pourrait recevoir davantage d'argent qu'i l
n'en débourserait - alors que le pcp avait prétendu le contrai re 2<J. Après 1992,
cependant , J' illusion se dissiperait . Que pourrait espérer un Portugal qui recevrait moins de fonds, importerai t plus et exporterai t moi ns? Le pcp soutenait
que le déficit commercial grandissant avec la CEE anticipait les problèmes futurs. La libéralisation des transferts de capi taux et des investissements ét rangers condu irait à une dépendance accrue vis-à-v is de l'étranger et diminuerai t
le con trôle du Portugal sur ses propres ressources. Le Portugal devai t donc
124
LA GAUOIE FACE AUX MlJfATIONS EN EUROPE
renégoc ier son adhésion en des tennes plus favorables aux nations européennes les moins déve loppées 21.
En préparai ion au Xl f congrès, le parti communiste organisa une « rencontre nationale» pour discuter du bilan de deux années et denti d 'appartenance à la CEE. Il concl ut au bien-fondé de son analyse . L 'Acte unique européen lui paraissait poser quatre problèmes majeurs.
1. Avec la disparition des frontières, le Portugal se trouvait faire partie d' une
Comm unauté différente de celle à laquelle il avait adhéré. Il devait donc
renégocier des conditions pl us favorables .
2. La date prévue pour la mi se en œuv re de l' Acte unique coïnc iderait. dans
bien des domaines, avec la fin de la période de transition postérieure à
l'adhésion. Le changement n'en serait que plus radical.
3. La révolution scientifique induirait également des problèmes pour le
Portugal.
4. Ces transfonnatÎons s'accompagneraient de pri vafisations, d' un affaissement de la réfomle agraire, d ' une réduction des droits soc iaux et e lles
augmenteraient l'exploitat ion du capital dans le pays.
Afin d'affronter ces problèmes, il faudrait imaginer des politiques nouvelles en fave ur du déve loppement national . Il faudrait notamment restreindre
fon ement l' installation el la croi ssance des filia les de mult inationales. Le pays
devait prendre des précautions sérieuses en matière d ' union monétaire ct de
laux de change. Le parti commun iste discuta en détail des mesures additionnelles à trouver avanlles élections au Parlement européen en 1989 n.
S. Le traité de Maastricht
A la résistance du pcp à )' Acte unique, succéda une frond e contre le traité
de Maastricht dont le caractère vague mettait en péril l'i ndépendance du Portugal et qui n'avait pas fait l'objel d ' un vrai débat. L'ouverture des fronti ères
risquait de pénali ser davantage les nat ions périphériques en raison des surcoûts dûs au x transports si des mesures compensatoires adéquates n'étaient
pas prises afin de garantir la compétit iv ité 23.
I! était prévu que le Portugal fra nchi sse une nouvelle étape en matière de
politique agricole commune (PAC) en 1995, au tenne de la seconde phase de
l'i ntégration. A ce moment. les rég lementations agricoles de la PAC s'appliqueraient stricto sensu au Portugal, sauf en mat ière de pri x des céréales jusqu'en 200 1. Suite aux restrictions de l'Accord général sur le commerce et les
tarifs (GAn), les prix agricoles dev raient être abaissés au ni veau des prix
mondiau x. Les pressions améri caines exercées à travers le GATT, pour réformer les prix et la pol it ique de la CEE, ne prenaient absolument pas en compte la
di versité et les besoins spéc ifiques des différents Etats membres de la CEE R セ N@
Le pcp se targua alors de son opposition pennanente à l'Union européenne. Depu is le début, il ava it accusé le gouvernement d'escamoter le con-
L'OPPOSITION DU PA RTI CO MMUN ISTE POR11JGAIS À L'AD HÉS ION À LA CEE
125
tenu du traité afin d ' interdire tout débat. Dès l'entrée dans la CEE, le PeP avait
affirmé que les autori tés gouvernementales s' appropriaient J'infonnation en
réduisant les procédures parlementaires de contrôle. Aussi, le part i communiste prit-il des mesures au ni veau parlementaire pour susci ter un débat sur
l'U nion européenne.
Insuffisant au plan social , le lraité de Maastricht consacre, à ses yeux. une
intégration européenne plus poussée sur base d ' objecti fs néo-libéraux. Même
si les décisions fi nales en matière de pol itique étrangère et de sécurité commune ne sont pas encore arrêtées, des pas considérables ont été accompl is dans cette voie. Selon le PeP, les décisions prises à Maastricht risquent
d ' aggraver le « défi cit démocratique» en minimisant le travail des parlements, vérilables représentants des peuples dans les Etats membres : les décisions importantes sont souvent prises à huis clos par les exécutifs. Et de
réclamer un large débat sur l' impact de ces mesures au Portugal, avant la prise
de décision au Parlement 2}. Ainsi, après s'être opposé à l' adhésion, le parti
communiste portugais se bornait-il désormais à stigmatiser le traité de Maastricht, sans remeHre en cause l' appartenance à la CEE 26 .
Tout au long de 1992, le PCP continua à s'opposer à une intégration plus
poussée, sous prétexte qu 'elle réduirait les acquis sociaux 27 el diminuerait la
démocratie au Portugal en élargissant les pouvoirs de la police et l'accès au
fi chier des citoyens. Il reprochait au gouvernement d ' occulter des questions
importantes, comme Timor oriental, la pauvreté, le chômage, etc. Le parti défendait toujours la même ligne: le maintien de la souveraineté portugaise et le
rejet du traité de Maastricht à remplacer par une collaboration avec d 'autres
Etats sur un pied d 'égalité. A ce stade, le PCP combattait le traité dans la mouvance de la conférence de quatre j ours de jui n 28 .
Le traité de Maastricht a mobilisé le parti communiste plus que n' importe
quelle au tre mesure prise auparavant dans le cadre de l'imégration européenne : la monnaie unique, disait-il, rédu irait la marge de manœuvre de chaque pays en orientant son économie; les développements infrastructure ls
menés à l' aide des fonds de la CEE favoriseraient la domi nation des multinationales sur l'économie nat iona le au lieu de rendre les entreprises nationales
concurrentielles. Le traité de Maastricht devait aussi conduire à une politique
monétaire unifi ée.
De plus, dans la logique de son opposition aux engagements portugais
dans des actions militaires à l'étranger (golfe Persique, yougoslavie •. ..), le
parti communiste rejetait la PESe puisque le Portugal serait alors suscept ible
d'être pl us souvent impliqué dans des action s mil itaires 29.
L'élargissement du droit de vote à la majorité constituait un autre grief des
communistes portugais, puisque cela pouvait cond uire la Com munauté à imposer ses vues à une minorité. En particulier, le pcp reprochait qu'aucune décision ne puisse être pri se si le Royaume-Uni, la France et l' Allemagne s'y
126
LA GA UCIIE FACE AUX MUTATIONS EN EUROPE
opposaient conjointement, dans la mesure où ces trois Etats totalisent trente
voix et que la majorité qua lifiée nécessite cinquante-quatre voix sur soixanteseize. En revanche. si la Grèce, le Portugal, l'Irl ande et le Danemark s ' opposaient à une décision, leurs vingt et une voix se révéleraient insuffi santes pou r
la bloquer. Les Et:lls perdraient une part considérable de leur indépendance et
de leur souveraineté dans des domaines aussi variés que la pol itique monétaire, les échanges de dev ises et le budget, la politique étrangère et la sécurité
intérieure. Pire, ces pouvoirs seraient transférés à des organ isations supranationales qui ne seraient pas associées à la volonté des citoyens de chaque Etat.
Le PCP vit dans la réaction de la Com munauté européenne au « non » danois un exemple de la perte d ' autonomie potentielle des peti ts Etats. Le peu
d 'égards, voire le mépris pour les intérêts danois, a illustré ce que ferait une
organisation internationale face à l'opposition de l' un de ses mem bres les plus
petits.
Comme plusieurs panis portugais recommandaient la tenue d ' un référendum populaire sur la rat ification du. traité de Maastricht, le pcp affinna Que
pour ce faire, il fa ll ait amender la constitution, ce qui n'était pas envisageable
com pte tenu des dispositions de révision constitut ionnelle. Le parti com muniste était opposé par principe à ce procédé. Avec le temps. des opposants
internes au parti convai nquirent la direction de nuancer son alt itude. Le l'CP
proposa son propre plan de révision de la constitution, limité à la seule possibi lité d ' organiser un référe ndum 30.
6. Conclusion: le
l'CP,
les critiques et la Ct:t:
Dans les pages qui précèdent , nous avons privilég ié la ligne officie lle du
parti commun iste face à la CEE. Mais nombre de voix discordantes se firent
entendre au sein du pcp sur le rejet. Depui s 1987 , le parti a cessé d 'être monolithique et son attitude à l'égard de la CEE a été une des pommes de di scorde
entre rénovateurs JI el orthodoxes. Les rénovateurs dénoncent généralement
l' incapacité de certains responsables à comprendre et à s'adapter au x transfo rmations du Portugal, facilitées par la CEE, pour justifier une approche nouve lle
du parti communiste. Dans celte perspecti ve, la question de l' appartenance à
la CEE est devenue un révélateur des potenti alités de changements imemes.
Les « orthodoxes» ont toujours la mainmise sur la direction du parti . Alvaro Cunhal en est la personnalité la plus symbolique 32. Ses analyses de la
société portugaise ont eu un impact profond sur l' opposit ion du parti communiste à l'adhésion à la CEE. Il insistai t sur le fail que les spécificités du Portugal
requéraient une approche unique du sociali sme, à savoir ce lle que lui donnait
le PCP. Les principau x moyens de production dev iendraient la propriété de tout
le peuple. Tout un chacun aurait le droi t au travail , à l'éducation, aux soins de
santé, au logement et au repos. L'exploitation de l'homme par l'homme di sparaîtrait H , Etant donné que le capitalisme monopolistique était plus intéressé
L'OPPOSITION DU PARTI COM MUN ISTE PORTUGAIS À L'AD HÉSION À LA CEE
127
par l'exploitation des ressources nationa les que par la modernisation du pays,
Cunhal concluait que le Portugal continuerait d 'êlIe le pays le moins développé d ' Europe occidentale. A ses yeux, le pays était divi sé entre un capitalisme monopoli stique et une pratique latifundiaire d ' une part et, d 'autre part ,
le prolétariat (ouvriers industriels et agricoles), les paysans (petite et moyenne
agriculture), la petite bourgeoisie urbaine, quelques secteurs de la bourgeoisie
moyenne et les intellectuels 34 .
Se lon Cunhal , dès lors que le capitalisme monopolistique dominait encore
l'économie et la politique en Italie, en Espagne et en France. les partis communi stes de ces pays devaient s'adapter à la démocratie parlementaire libérale. En revanche, au Portugal, le capi talisme monopoli stique et les lati fund istes avaient été fort affaiblis par la révolution du 25 avril 1974 de sorte que le
PeP n'était pas contraint , comme les partis communistes ouest-européens, à
choisir la voie la plus lente - évolutionniste et démocratique-bourgeoise vers le socialisme. Les dirigean ts du PeP clamaient leur attachement au
marxisme-léninisme parce qu' il avai t pennis une transforma tion radicale non
seulement des structures politiques mais aussi des structures socio-économiques
de la société portugaise JS.
Cunhal insistait sur le fait que le Portugal n ' avait pas de classe moyenne
très développée et que les communistes européens fai saient fausse route en
cherchant à diminuer l'importance de la classe ouvrière au profit des classes
moyennes. Tant que la soc iété portugaise - largement agraire - évoluait
lentement vers le développement et l'industri ali sat ion, les travai lleurs en col
bleu demeuraient une force importante au sein du parti communiste. En revanche, si le pays évol uait vers une société post-industrielle, les dirigeants du
pani devraient songer à élargir leur base électorale aux classes moyennes
mais, selon Cunhal, il ne s'agissait que d ' une hypothèse.
Pour Alvaro Cunhal, compte tenu du sou s-développement du Portugal, les
transformations en cours signifieraient avant tout une industri ali sation du pays
qui élargirait de la sorte la classe ouvrière. Elles polariseraient aussi certains
des groupes politiques qui avaient été alliés aux travailleurs durant la première
étape de la révolution 36. Néan moins, les diri geants du PeP essayèrent de recruter des électeurs dans un éventail des classes sociales aussi large que possible. Plutôt que de critiquer la petite bourgeoisie en tant que classe et risquer de
perdre son soutien, les responsables du parti ont attaqué des groupes spécifiques qui aidaient le capitalisme monopol istique et les latifundistes à compense r les pertes causées par la révolution (les grossistes, par exemple) 37.
Le sous-développement, un niveau élevé d 'analphabétisme et une absence
de tradit ion démocratique, enlre autres, convainquirent Cunhal de ce qu ' une
démocratie libérale ne pouvai t fon ctionner au Portugal : pour ressembler aux
autres pays d'Europe occidentale, le Portugal devait réinstaurer le pouvoir
128
LA GAUCHE FACE AUX MUTATIONS EN EUROPE.
monopol istique, le capilali sme ・セ@ le capitali sme monopolistique d 'Etat, ce q ui
irait à l'encontre des théories du PCP.
L'orthodoxie des dirigeants communistes ne pouvait qu'en faire des opposants à l'adhés ion à la CEE. Ils ont cependant nettement sous-estimé l'impact
de l' entrée du Portugal dans celte organisation. Ils croyaient que la bourgeoisie portugaise refu serait la démocratie et chercherait à restaurer la dictature
pour rester compéti ti ve au niveau international. Une intégration accrue dans
les économies internationale et européenne, assurait le PCP, ne ferai t qu'accroître la menace dictatoriale . Cette analyse s'est révé lée fausse étant donné
l'aide que la Communauté européenne a fa it parvenir au Portugal bien avant
l' intégration définit ive, en 199 1.
Pourquoi le parti communiste s'est-il opposé à l'intégration européenne
pendant tant d 'années alors que certaines de ses organisations périphériques
étaient encouragées à demander des fonds communautaires et à s' impliquer
davantage dans les programmes de la CEE? N'était-ce pas là une reconnaissance de/aero de la CEE? L'appli cation des programmes de la CEE a plus souvent aidé le pcp que l' inverse la . Cec i confirme ce que beaucoup d ' observateurs avaient pressenti, à savoir que les dirigeants du parti communiste
n' avaient pas de position unique sur les transformations affectant la société
portugaise. Mais ils n'en défendaient pas moins la ligne offi cie lle: même si le
parti reti re quelque avantage de ces opportunités économiques, ce la ne signi fie pas que la CEE ne nuise pas au Portugal ni que ses analyses à long terme
soient incorrectes.
L'entrée du Portugal dans la CEE aeu aussi un impact sérieux sur l'organi sation syndicale la plus importante, la confédé ration générale des travai lleurs
portugais (CGTP), dominée par les communistes. Conséquence d' une modernisation rapide, la confédération affronte désormais une crise syndicale englobant :
- les répercussions de l'adhésion à la CEE;
- une ouverture plus grande de l'économie aux finnes multinationales;
- une révolution technologique et un transfert du travail du secteur secondaire vers le secteur tertiaire ;
- une concurrence de plus en plus forte de l'union généra le des travai lle urs (l'UGT). dominée par les sociali stes. C'est à bon dro it que la CGTP
s' inquiète de la réduction de ses effectifs. Elle s'est aussi préoccupée davantage de s'adapter à la situation économique nouvelle créée par l'appar1enance
à la CEE et d 'étud ier son impact sur le travai l organisé 39.
La crise se traduit aussi par le déclin très sign ificatif du par1i communiste,
au niveau électoral et en nombre d 'affili és, depuis le début des années
quatre-v ingt. Il a perdu la moitié de son électorat de l'époque qui s'é levait à
environ un million deux cent mille voix 40. Aussi longtemps que les cond itions
resteront les mêmes. il sera difficile pour le PCP de changer. Tant que le pays
L'OPPOSITION DU PARTI COMMUNISTE PORTUGAIS À L'ADHÉSION À LA CEE
129
progressera vers l' industrialisation, les communistes conserveront une certaine base électorale chez les ouvriers et les travailleurs en col blanc du secteur
des services. Mais il y a tassement progressif. Le parti se retranche électoralement, avec un peu moins de succès, dans la « ceinture rouge» et chez les travailleurs agraires de l'Alentejo.
Mais si l' on tient compte de son influence dans différenles organisations
périphériques, en particulier les syndicats, l' impact du peP dans la société est
bien plus important et plus significalif que les 8.8% atteints aux é lections parlementaires de 1991. Nous ne pouvons pas mesurer par le seul indice électoral
l'importance et la portée d ' un parti qui n 'espère pas arriver au pouvoir par la
voie é lectorale. Nous devons aussi garder présent à l'esprit le fait que le pep a
oblenu 8,8% au cours d 'élections qui se sont tenues deux mois à peine après
que le parti communiste ait apporté son soutien au coup d ' Etat en eX-URSS.
En dépit des apparences, de nombreux observateurs estiment qu ' une évolution s'est produite dans le parti. Des membres de la « troisième voie », qui
espèrent changer le parti, ont affinné que le parti se transfonnait bel et bien.
Par exemple, lors des élections pour le Parlement européen, la fonnation communiste a modifié sa propagande et son image électorales. Davantage
d '« européanistes }) et des cadres p lus jeunes (pas seulemenl les dirigeanls orthodoxes trad itionnels) figuraient sur la li ste du parti. Aboïm Inglês, tête de
liste lors des élections européennes précédentes, a été remplacé par Carlos
Carvalhas. le nouveau secrétaire général plus ouvert à l'égard de la Communauté européenne. Barros Moura, une personnalité critique, s'est retrouvée en
ordre utile pour être élu. La rhétorique et les affiches étaienl aussi moins « révolutionnaires » qu ' auparavant. Ajoutons qu'Alvaro Cunhal a essayé d'associer des rénovateurs à la direction afin de montrer que le pani conservait son
unité. li l'a fait en plaçanl des contestataires en position utile sur les li stes
confiant des postes
électorales européennes ou municipales. mais aussi en iセオイ@
de responsabilités du parti. Plus récemment, toutefois, plusieurs personnalités
om quitté le parti. dénonçant le caractère purement fonnel des changements.
D ' autres se demandem si les gestes accomplis constituent de véritables
modifications ou s' il ne s'agit que d ' un trompe-l'œil masquant la pennanence
des positions traditionnelles. Par exemple, les thèses discutées avant le
XIIe congrès acceptaient la démocratie dans le programme mais politiquement,
le parti continuait à promouvoir, comme modèle, l' Europe de l'Est d'avanlla
perestroïka. Le programme envisageait l'évolution de la Communauté européenne vers la démocratie. On le voi t, les contradictions ne manquent pas dans
les thèses, le programme et les statuts du pep, mettant en évidence la crise traversée par le parti.
Le temps eSI I'ennemi du PCP. Plus la démocratie durera au Portugal. plus
la popu lation intégrera une tradition démocratique. Avec le temps, les nouvelles générations s' habituent à la démocratie libérale et au parlementarisme, ce
13 0
LA GAUCHE FACE AUX MlITATIONS EN EUROPE
qu i forcera ce parti communiste orthodoxe soit à s' installer dans la marginalité, soit à évoluer comme le PCI ou le PCE et à faire face aux mêmes contradictions.
En tout état de cause. Alvaro Cunhal parait peu désireux de changer le
parti. Marxiste-léniniste « historique », il ne croit pas à la nécessité de réformes. 1I croit à la révers ibilité de la situation de l'ex-uRss et en Europe centrale
et orientale. Il est sans doute l'un des plus vieux dirigeants communistes « traditionnels ». II a vu naître et mourir les tentatives de ré fomles du système en
Chine, en Union soviétique et au sei n des partis communi stes européens. Pour
Cunhal. la continuité vers le socialisme est la force la plus grande .
La Tchéco slovaqu ie de 1968, la Ho n gr ie de 1956. le co mmuni sme
ouest-européen de la fm des années soixante-dix et la perestroïka n'ont été
que des allers sans retour. Il pense toujours que le marxisme-léninisme et le
socialisme sc ientifique apportent les solutions pour résoudre les problèmes du
monde. A ses yeux. la patience est une vertu. C'est une des raisons pour lesquelles il refuse le changement. Les év.énements feraient partie d'une stratégie
d 'ensemble. Pourquoi devrait-il croire que les tentatives actue lles de réformes
soiem durables, voire définitives? Cunhal a modelé un parti qui a toujours fait
preuve de prudence. Le parti est-il léthargique face aux bouleversements du
bloc de l'Est ou devrait-il assumer prudemment la continuité? Il a connu tellement de mutations au cours de son ex istence qu'il parie sur le caractère temporaire de la situation préseme. Pourquoi vou loir s'écarter du
marxisme-léninisme dès lors qu'on est convaincu qu 'il n'y a pas d'autre voie
pour atteindre le socialisme et améliorer la situation économique du prolétari at ? Mais certains dirigeants communistes pl us jeunes ne sont pas aussi patiems. Ils n'ont pas la même vision stratégique d'ensemble. Aussi, avec le départ d 'Alvaro Cunhal, le parti communiste pourrait-il prendre rapidement de
nouvelles orientations.
Le PCP maintient son hosti lité aux conditions dans lesquelles le Portugal a
rejoim la CEE. 11 n 'exige plus que le Portugal quitte la CEE mais qu ' il renégocie
son adhés ion (ce qui d'une certaine mani ère rev iendrait au même pui sque les
autres pays de la CEE n 'accepteraient pas les propos itions du PCP). Selon le
part i communiste, la Communauté européenne impose trop de restrictions et
de quotas à la production. Ayant approfond i cette problématique durant de
nombreuses années. les communistes portugais 001 accumulé maims exemples de l'impact de la CEE sur l'économie du pays. Le pcp prétend que la CEE
mènera à la récession et à la désorganisation de l'économie, qu 'elle augmentera la dette extérieure et le déficit budgétaire et que les conditions de vie de la
majorité des Portugais se détérioreront. En guise d'exemple, le parti communiste se réfère souvent aux problèmes qui ont affecté la Grèce après
son adhésion à la Communauté européenne. Mais par leur critique
anti-communautaire, les communistes portugais visent auss i le gouvernement
L'OPPOSlTlON DU PARTI COMMUNISTE PO RTUGAIS À L'ADHÉS ION À LA CEE
131
portugais, lui reprochant de ne pas infonner la population. Les dirigeants semblent pourtant avoi r compris q ue le retrait de la CEE n'était pas envisageable
dans un avenir prévisible. Aussi s'efforcent-il pl utôt de limiter la participation
du Portugal au fonctionnement el aux évolut ions de la Communauté européenne. Le dernier épisode de cette campagne, et le pl us mil itant, eSl l'opposition rad icale du PCP au traité de Maastricht.
NoIes
1 Le$ citalion$ conccmanlle l'CP sc n!Rrem. s.auf indicalion contraire. aux posilions officielles du pani
communisle. Pour une analyse de l'organi sation du pani. voi r C. CuI/liA. tィセ@
poイャ
L ァBセオ@
Contntlmist Par·
t)"'s Strutegy for p 。 L ᄋ セイN@ 1921·1986. New York. Garland Publi shing Inc .. 1992.
AN@ août 1912. Le Ponugal élait i'I ce momem membre de l'AELE.
: ahュャセ
) Avec l'ouven ure de la CEE de nalUre plus poli tique qu·économique. une qualification plus exacte se·
rait CommunaUlé ・オイッー←セョ@
{al. mais comme le PeP continue d 'évoquer la CEE,je ferai de même dans les
pages qui suivent
'Je pars de 1972 dans la mesure où l'on trouve des positions du PeP sur l"imégnuion européenne.
ゥャO。ョエセL@
juin 1979, n' 48. pp. 28·]0 .
j Les rense ignemem s qui suivent provi('nnenl d'O m
• Pour plus d'informalion sur l'analyse d u capilalisme monopolisle du PeP, voir infra.
セ N@ juin 1979, n' 48, pp. 28·30.
' 0 m ゥiO。ュ
1
Ibid.
Congre$O, P-.mido ComuniSla Ponuguês, r・ウッャオ。
セL@ aャGoョエ
セAL@
mai 1979. n' 281.
Le s proct'dures furenl publiées sous le li tre Nao 00 M ercado Conmn, Ediçaoes A.I·,mle !, 1980. Elles
ont été !'t'prises dans 0 MilifOnle. juin 1980. n' 60 et Al'OlIIe l, 4 juin 1980.
Il AI'OIlIe l, 28 mai 198 1 ; 0 Milifallfe, aOûl 1981, n' 74.
Il 0 Mili/onle>. juin 1986. n' 135.
Il,, Document du comité centra! セ Lo@
Mili/anlt, oclobre ]986, n' 137.
"0 Miliwnle, mai 1987. n' 144. pp. 21·26.
' " IX
10
" Ibid.
"" Communiqué du comité central セL o@ M i/iwnte. mai 1987, nO 144. pp. 29·]2.
" A. CuSIIAI.. Dueno'o /I'er Porri/gaI: tlno ] 000. Juventude Comunisla Po n uguesa. ]987, pp. 20·55.
" OMilifanfe.juilleI1987. n' 146, pp. l l·15eI24·25.
" CDU . Elu fion Ne>M·S. juillel ]987.
:0 0 " ' ililallft,j uin 1986. n' 135, pp. 13· 14.
II 0 mゥャ。ョヲ
セN@ février 1988, nO 15], pp. ]6·]8.
n 0 m ゥャHqョヲ
セN ェオゥャ・エiYXL@
nO 158. pp. 15.20.
'J MUnit !. 12 décembre 1991. p. 16.
:. Ibid.
Au Po n ugal.le ャイ。ゥセ@
de Maastricht doit êlre イ。エゥヲセ@
par ]e Parlement et non par rHérendum.
,. Une bonne vue d'ense mble de la posilion du !'CP à l'égard de l'intégralion européenne est donnée
セA
N@ 23 juillel 1992. pp. 14·15.
dan s a|G。ョヲ
" Le pani communisle ne précise pas ee grief. Il indique que les OOI1gés de maternité seraient affcctés.
mais pas de quelle manière.
lt a|GッュセL@
7 juillet 1992, p. 3.
Jl
,. Ibid.
JO
Mome!. 25 juin 1992, pp. 4-5.
Pour une analyse approfo ndie de l'impact des n!novaleurs sur le pani. voi r Carlos cオ セャ エ@ .... « The
Ponuguesc Communisl Pany and Mresfrof/w : ResiSlance and Reform s _. Currelll PoUtifs and Economies
of Europe>, vol. 1. n' 2, 1991.
l' Alvaro Cunhal s 'e st reliré aprts avoir occupé le posle de secn!taire général de mars 1961 àdécembrc
]992. Un poste de président du pani a élé イ←セ@
à $On inieniion. Beaucoup d'observateurs e$1i meni qu'il
demeure le vrai diri geant du pani et que Carlos Carvalhas. nouveau secrétaire gélléral, ne serai l qu'une
marionnelle. Il est encore lrop lôt à ce jour pour se prononcer.
JI
132
LA GAUCHE FACE AUX MlITATIONS EN EUROPE
JJ 0 Mi/iliJnie. mai 1978. pp. I(}.I).
l4 A. CUSHAL. Rumo à Vitoria. Ediçaoes A,·ant/'. 1979.
)j Interview d·A. Cunhal dans Opçao. 1 mars 1977. Pour une analyse des arguments de Cunhal. voir le
chapitre 7 de C. CUNItA. tィ セ@ Portflgr.est ComnumiJt Party's Stralegy for POK'er, 192/·/986. op. ("il.
)j, A. CUSUAt.. 0 Radicalisnw Pequeoo-Burgub dn Fa Fachoda Sxia/isto. Ediçaoes Avonte. 1974.
I\'< édition.
Jf Imerview de Cunhal dans Opçao. 1" mars 1977.
JI Beauooup de coopéraTives agraires on\. par ・セュー
ャ・ L@ demandé et reç u l'aide de la CEE.
" OJornol. 5 mai 1986. p. 46.
.00 0 Militante. juillet 1989. nO170. p. 9.
Les communistes espagnols et la question
européenne : du huitième congrès à Maastricht
(1972-1 992)
Patrick T.I EURET
Que ce soi! sous le franqui sme, pendant la procédure d 'adhésion
( 1977- 1986) ou depu is son entrée dans la CEE, l' Espagne a toujours manifesté
un penchant européislc.
Sous la d ictature, les Espagnols vivaient en marge de l' Europe, comme si
celle-ci n'avait commencé qu 'au delà des Pyrénées: e lle était synonyme de
richesse (et d'abord d'emploi), de démocratie, de liberté (de mœurs notam-
ment), breF de tout ce qui était interd it en Espagne. Distance mais aussi fascination: une altitude qui aura des répercussions durables sur la position des
Espagnols à l'égard de la CEE.
Pour l'essent iel, avec leurs spécifici tés, les communistes espagnols partageront le point de vue de leurs compatriotes. Comme eux, depuis 1986 et
surtout ces derniers mois, ils fo nt l'expérience de l'intégration, de ses incertitudes et des craintes grandissantes qu'elle suscite. Sous couvert d' une philosophie européiste apparemment intacte et magn ifiée, émergent peu à peu les
germes d'aspirations identitaires et de conflits sociaux.
1. Le primat du politique
1.1. L'européisme mlli-franquiste
Jusqu'au v i セ@ congrès en j uillet 1972, le PCE partageait avec l'ensemble du
mouvement communiste européen une hosti lité de fond et de principe à
l'égard de la Communauté économique européenne 1. Presque brusquement,
le PŒ change alors de posit ion en se prononçant en fave ur de l' adhésion de
l'Espagne au marché commun 2. Cette évolution est inscrite dans un contexte
de lutte ant i-franquiste où l' Europe de la CEE établi t des libertés que le PŒ
réclame pour l'Espagne, en les préconisant comme programme minim um de
l'ensemble des opposanls à la dictature. Lors du vnf congrès, le décalage est
grand entre l'Espagne et le reste de l'Europe sur le plan économique aussi. Le
PCE Y voit une raison de se rallier à la CEE. îl juge que « le retard relati f de
134
LA GAUOIE FACE AUX MlJTATIONS EN EUROPE
l'Espagne à l'égard des pays capitali stes (est) encore plus accentué que dans
les années vingt ». « la plaçant dans une situation pratiquement coloniale» 3 :
l' adhésion à la CEE est le moyen d 'év iter la marginal isation et de combler le
fossé.
Mais, dès l'origine, la ré nex ion du l'CE est dominée par des préoccupations
tact iques: les règles du traité de Rome sont « incompatibles avec les structures fa scistes ). A celle occasion, le l'CE se rapproche des fo rces d 'opposition de
tradi tion européi ste, soc ial istes et démocrates-chrétiens notamment. Il espère
par là tout à la foi s s: approprier un idéal promi s à un grand avenir, rompre son
isolement , faire taire ses adversaires qui l' accusent d 'apparten ir au camp soviétique ct s'allier à la bourgeoisie éclairée qui joue la constru'c tion européenne contre le franquisme. Enfin , il espère être mieux compris de la diaspora espagnole où se recrutent ses partisans les mieux organi sés.
Certes. la CEE est dominée, suivant le l'CE, par les fo rces conservatrices et
capital istes, mais en parfaite cohérence avec sa stratégie d ' all iance antifasciste, cette circonstance ne constitue pas un obstacle. Au contraire, le l'CE situe
nussitôt son combat à l'intérieur même de la CEE à laquelle l'Espagne n' appartient pas, pour s'opposer aux« monopoles qui dirigent le marché commun
et en tirent parti à leur propre profit », pour « obtenir, par la lutte des masses
de chaque pays. par une plus grande coordination au niveau européen, que la
classe ouvrière. les force s progress istes transfonnent dans un sens démocratique le caractère de la Communauté économique européenne ». A « l'Europe
des monopoles», les communi stes, comme d ' autres, opposent « l' Europe des
peuples» 4.
1.2.L'européisme du consensus
Après l' introduction de la monarchie parlementaire ( 1977), l'européisme
tactique anti-franqui ste cède la place à un européisme de consensus politique.
Cette évolution rend créd ible la proposition polit ique du l'CE : un gouvernement de rassemblement démocratique soutenu par la gauche et la droi te modérée. L'aspect soci al de la questio n européenne s'estompe progressivement
au profit d ' un choix institutionnel : consolider la démocratie espagnole ct fai re
entrer l'Espagne dans la CEE.
Aussi le l'CE se félicite-t-il de ce que la CEE ait accepté la candidature de
l' Espagne s. Son dirigeant et économiste attitré Ramon Tamames 6 précise. à
celle occasion, les avantages, escomptés par son parti , de l' intégration. Après
les arguments d 'ordre économique et social, il met en avant la volonté polili que: « la conj oncture historique est cruciale» en raison de « l'élection du Par·
lement européen ( ... ) au suffrage uni versel direct et secret ».
Le l'CE réitère son engagement et renforce son choix institutionnel lors de
son neuvième congrès. Il va même jusqu 'à revendiquer une part icipation politique avant l'intégration:
LES COMMUNISTES ES PAGNOLS ET LA QUESTION EUROPÉENNE
135
Le PŒ appuie l' intég....tlion de l'Espagne dans les Communaulés européennes.
Il s'agil d' une nécessité économique ct politique qui résulte du développement
des forces productives. de la structure de l'économie espagnole ct de son
commerce extérieur. L' intégration économique exigera un processus
relativement long et compliqué qui ne sc déroulera pas sans tensions ni lunes. En
revanche, il est imponant d'obtenir que l' Espagne puisse participer auparavant
aux organes de la Communauté. (... ) Nous considérons que ceux qui s'opposent à
l'entrée de l'Espagne dans le marché commun tournent le dos aux exigences
d'un processus déùlOCfatique, progressiste. au sein de ladite Communauté; à une
construclion européenne équilibrée, dans laquelle l' Europe du Sud ait le poids
qui lui revient 1.
«
Et d'ajoute r pour confirmer ses options idéolog iques.
« le l'CE. en préconisant l'entrée de l' Espagne dans la CEE. affinne sa volonté de
transfonner, aux côtés des autres forces de gauche en Europe. la nature actuelle
de la Communauté, dominée par les grands monopoles. Nous aspirons à
l'Europe des travailleurs. à l'Europe des peuples; une Europe unie sur les plans
économique et politique, qui ait une pol itique propre. indépendante. qui ne soit
subordonnée ni aux Etats-Unis, ni à l'Union soviétique» 8.
L'anti -franquisme revient com me un leitmotiv e ntre 1977 et 1982 : il fa ut
consolider la dé m ocratie espagnole. Manue l Azcarate écrit à ce sujet:
Pour comprendre la position du pani communiste d'Espagne, il faut prendre en
compte les nécessités de la politique intérieure du pays. L'entrée dans le marché
commun est incontestablement un facteur de consolidation de la démocratie en
Espagne. Il faudrait ici rappeler que, si l'Espagne n'est pas encore membre du
marché commun, c'cst parce qu'elle était un pays fasciste ᄏセN@
«
Enfin, le PCE espère voir la gauche devenir majoritaire e n Europe: e n Europe d u Nord, sociaux-démocrates et travaillistes dominent ; l 'Europe du S ud
semble sur le point de bascule r avec les résultats dt,! l'Cl en 1976 et surto ut de la
gauche fran çaise en 1977, les trois ancie nnes dictatures paraissant, à l'instar
du Portugal, à la portée des format io ns de gauche. Il suffira de quelques mois
pour bri ser cel espoir et voir la conjoncture s' inverser au profi t de la droite JO.
1,3.Le soutien au traité d'adllésiolt
Une des diffic ultés à soute nir l'adhés io n de l'Espag ne à la CEE fut l' amalgame répété entre adhésion à la CEE et à l'OTAN. Le consensus e uropéen en était
te rni. Amorcée en 198 1 par le gouvernement de droite de Leopoldo Calvo
Sote lo, malgré l'opposition des parle mentai res de gauche, l' adhésion à l'OTAN
se réalisera sous le gouverne me nt socialiste de Fe lipe Gonzalez et sera ratifiée
par voie de réfé rendum le 12 mars 1986. Le l'CE protestera, d 'abord avec le
PSOE, puis seul e n tant que fo rce parle me ntaire espag nole, contre 1' « amalgame » effectué par les« atlantistes» entre l'adhésion à l'une et à l' autre des
deux institutions in ternationales.
136
L A GAUCHE FACE AUX MlITATIONS EN EUROPE
Entre temps, l' Espagne intègre la CEE le 1" janvier 1986. Tout au long du
processus d'adhésion, le soutien du PeE ne s'est jamais démenti et les quatre
parlementaires du groupe comm uniste ont voté le traité d ' adhésion. Mais cc
soutien a changé de nature dans le temps. De revendicatif le PeE s'est mué en
observateur critique; d ' aulre part , les organisations qui font sécession adoptent, sur ce point , des positions plus réticentes, voire hostiles. Pl us fo ndamentalement, fin 1982, les communistes espagnols sont marginalisés face à
un gouvernement soc ialiste et retrouvent à ce moment une combativité sociale
bridée entre 1977 et 198 1.
2. Les rruils de l'expérience : crise politique et retour de l'économie
A partir de 1979-80, le l'CE entre dans un long processus de crise interne
nourrie par le contexte de mutations politiques en Espagne. Dans ce contexte,
les communistes espagnols jugent l'expérience de l'intégration de manière de
plus en plus négative. Elle tend à se confondre avec l' ensemble de la politique
néo-libérale du gouvernement socialiste espagnol. Elle n'entame pas, pour
autant, J'européisme philosophique.
2. I.Les doutes et les critiques croissants parmi les communisles
Dans la crise que traverse le com munisme espagnol à part ir du tournant
des années quatre-v ingt, l'attitude vis·à-vis de la construction européenne
constitue un assez bon indicateur du positionnement politique g lobal. Sur une
échelle d ' attitude gauche-droite, l'hostilité vient de gauche. l'adhésion de
droite. Cette dernière s'est peu développée de manière autonome tant el le s'est
longtemps confondue avec les positions officielles du PeE.
2.2.L'européisme de la « droile» commllniste:
l'ellrocommUllÎsme イ←ョッセ
G。ャ・
オイ@
L'eurocommunisme rénovateur accentue les tendances européi stes du
tronc central du PCE en fai sant de J'européisme une clé de l' identité eurocommuniste face, notamment, aux communistes « traditionnels» en recherchant
plus que d 'autres à s' amarrer au PCI.
Principal leader rénovateur, excl u du cc en septembre 1981. Manuel Azcanne met en év idence la dimension européenne des sol utions pour d iffére ncier les « eurocommunistes espagnols» Il :
Les nouvelles contradictions dans les sociélés capitalistes. la crisc que nous
traversons ct la stratégie eurocommuniste exigent de considérer quel type de
parti est le plus capable de réaliser cette stratégie. (...) C'est un problème qui n 'est
pas seulement espagnol mais européen » iセN@
«
Plus tard , Enrique Curiel. ancien secrétaire général adjoint du l'CE, démissionnaire depui s la fin 1987. el qui amorce di scrètement un rapprochement
avec le PSOE, annonce. en mai 1989, la créati on d ' une « Fondation Eu rope »,
LES COMM UN ISTES ES PAGNOLS ET LA QUESTION EURO PÉENNE
137
qui va servir d ' ultime« intennédiaire » pour négocier l' adhés ion collective au
PSOE. Curie l la définit comme le réceptacle du « secteur eurocommunisle du
PeE セIL@ œuvrant « en liai son avec les réflex ions européennes, sun out celles du
pani social-démocrate allemand et du pani communiste italien » Il. Le soutien
au traité de Maastricht donnera, pour la première foi s, l' occasion à ce courant
du communisme espagnol de se révéler de manière aUlOnome en devenant
minoritaire.
2.3.Les réticences et l'hostilité de la « gauche "II communiste
Contrairement à la tradition précédente, ce courant interne a pu longtemps
s' appuyer sur un réel mouvement soc ial en Espagne. Idéolog iquement, il se
rattache au x analyses classiques des partis communistes des années cinquante
et so ixante. L ' hosli lité à la CEE est fondée sur son caractère capitaliste et son
orientation fédéral iste. Toutes les oppositions de gauche apparues durant la
période considérée ont critiqué la position officie lle du PeE. C'est le cas des
groupuscules diss idents di ts « prosoviétiques » des années soixante-di x même
s'ils restent fort modestes et longtemps marginaux 14.
Entre 1978 et 1981 , l'éclatement de la cri se du PeE fait apparaître une
nouvelle génération d 'oppositions de gauche dont des Catalan s constituent le
fer de lance. L' hostilité de principe à l'adhésion de l' Espagne au marché
commun ne constitue pas alors un thème mobil isateur. Sa prise en compte
s'enchaîne comme une conséquence logique du processus de maturation de la
scission du parti IS.
Enfin, en 1983-84, tandi s que les d iss idences précédentes se regroupent au
sein d ' un parti communiste des peuples d ' Espagne ( PCPE) «sur base du
marxisme-léninisme et de l' internationalisme prolétarien », une nouve lle opposition interne apparaît autour de l'ancien secrétaire général Santiago Carrillo et de l'ancien responsable international Jaime Ballesteros. Sans faire de
la question européenne un axe essentiel de sa critique, Carri llo se démarque de
l'enthousiasme en faveur de l'adhésion à la CEE, qu ' il avait contribué à forger
dans la décenn ie précédente. Dès 1983, il tend à se différencier quelque peu :
« tout en maintenant la perspective de notre intégmtion en Europe, nous
communistes, devrions réfl échir beaucoup avant d'approuver une intégration
fa ite au nom du prestige dans des conditions défav orables» 16 .
Au fur et à mesure que s'accentue la contrad iction avec le groupe dirigeant du PCE, Santiago Carrillo renforce ses di vergences sur la question européenne, qui atteignent leur paroxysme au moment de la ratifi cation du traité
d ' adhésion, qui coïncide avec le dénouement du conflit interne, « Le plus
c lair, écrit-il , c'est ce que le traité va signifier: l , plus de chômage; 2. de nouvelles réductions de salaire; 3, une augmentation du coût de la vie » Il, Carrillo, pour autant, n ' a pas voté contre l'adhésion ; c'est le traité qui est crit iqué
et non le principe, Au moment du VOIe, il tient à se di stinguer de ses camara-
138
L A GAUCllE FACE AUX MUTATIONS EN EUROPE
des cn s' arrangeant pour être absent de la salle. Celle attitude est à interpréter
essentiellement, dans le contexte des confli ts au sein du mouvement communiste espagnol, com me une critique dc gauche face à la d irection du PŒ.
D'emblée, Jaime Ballesteros se montre plus rad ical dans sa critique. Dans
le journa l de son courant AllOra. il écrit notamment:
« Il y a des pays européens qui onl choisi une alternative distincte à l'entrée dans
la CEE. Pourquoi l'Espagne ne pourrait-elle le faire si le traité d'adhésion que lui
soumella CEE venait à être inacceptable?» " .
Six mois plus tard, en novembre 1984, avec cinq autres membres du comi té
central et plusieurs centaines de m ilitants, il quitte le FeE, Sa leure de dém ission fa it essentiellcment éInt de son désaccord à l'égard de l'attitude du PŒ
vis-à-vis de l'entrée de l' Espagne dans la CEE 19. Peu après, l' adhésion dc son
courant est acceptée au PCPE.
Jaime Ballesteros trouve un parti qui depuis sa création, en janv ier 1984, a
adopté une position de principe: « le l'CPE dénonce« l'européisme» comme
la fo rce qu ' acqu iert actuel lement l' idéologie de l' impérialisme en Europe occidentale. L'idéologie de la bourgeoisie monopoliste a influencé Ics partis
d 'orig ine ouv rière qui ont tendu à européiser leur politique ». Le l'CPE et le PCC
mènent une campagne pennancnte contre l'entrée dans la CEE. Cette altitude
les rapproche des grands l'C européens, honnis le l'CI,
Lors des premières élections européennes au suffrage univcrsel d irect, en
1987, Ic l'CPE all ié du PeE dans la coali tion gauche un ic (lU) s' inclinc devant la
position majoritaire de ce dernier. Au scru tin de 1989, en revanche, dégagé
des contraintes de la gauche unie dont il a été cxclu, le l'CPE mène campagnc
sur le thème « face au marché commun, VOlez communi ste », ce qui lui pennet
de se démarquer nettement d ' lU, après trois années de collaboration. Ces
élections tombent même à poi nt nommé pour un parti qui sort de sa plus grave
crise et cherche à reconstrui re son ident ité face à un l'CE qui vient d'absorber,
début 1989, la moi tié de sa direction etl'im mensc majorité de ses é lus. Ceuxc i à l' inverse, peu après avoir rejoint le PCE, semblent parfaitement à l'a ise lors
de la conférence nationale sur l' Europe qui apporte notamment son soutien 11
l'Acte un ique européen.
A partir de 1983, l'européisme s'affaiblit panni les com munistes espagnols. L' accentuation de la tens ion Est-Ouest, l'effo ndrement électoral du
l'CE, l' arrivée du PSOE au pouvoir et la di vision du communi sme espagno l sont
autant de facteurs qui, après l'intennède « gorbatchév ien », sonl intimement
liés à la revalorisation de la question européenne au scin du l'CE.
En plein débat sur l'Acte unique européen et après un congrès d'uni té
rompant avec la sci ssiparité habituelle depu is plusieurs années, le l'CE tient une
conférence nal ionale exclusivement consacréc à la question européenne, en
janv ier 1989. L' Acte unique, q ui ava it pou rtant été rati fié par les députés communi stes. essuie quelques durs reproches:
LES COMMUNISTES ESPAG NOLS ET LA QUESTION EUROPÉENN E
139
Ce qui est craint. c'est la division de l' Europe en « deux groupes », un riche et
un pauvre; la frontière ne s'établissant pas seulement entre nations mais en leur
sein (... ) ce qui met en évidence qu'il s'agit fondamentalement d'un problème de
classes plus que d"un problème national ».
«
Pour autant , le PeE en tend encore sauvegarder son choix politique ct ajoute:
ce qui précède ne signifie pas que la classe ouvrière doive rejeter le marché
intérieur. Car il faut dOler d' une base économique le projet politique de J' unité
européenne. En second lieu, parce que la population laborieuse a un intérêt
évident à améliorer sa qualité de vie - c'est sa dimension «consommateur ».
( ... ) D'autre part, le processus de mise en place du marché intérieur est à ce
niveau irréversible. La classe ouvrière d'aucun pays n'a le moindre intérêt à se
marginal iser du processus» 20.
«
Fidèle à son choÎx pol itique, le PŒ conçoit le versant économique et social
comme indépendan t du premier et le juge désonnaÎs « en retard ».
La confédération syndicale des commissions ouvrières (ccoo) dont les
cadres sont, dans leur immense majorité. communi stes, s' inspire fondamentalement des mêmes principes philosophiques européistes que le PeE. Toutefois,
la nécessité d 'examiner la question de l'adhésion du point de vue syndical la
conduit à entamer sérieusement la base concrète de ses présupposés idéologiques. Le mouvement ouvrier connaît en effet dans les années quatre-vingt une
double évolution: il se di stancie des parti s ( PeE et PSOE) et il se radicalise. Ce
double mouvement est symboli sé par la grève générale du 14 décembre 1988
qui rassemble 85 % des salariés du pays et paralyse tout le pays durant
vingt-quatre heures. Démonstration de force sans précédent dans l' histoire espagnole, celte grève est préparée conjoi ntement par les commissions ouvrières
et l'uGT. Celle dern ière consacre alors sa rupture avec le pani au pouvoir
auquel elle était organiquement liée. Celte rupture accentue la di stance prise
peu à peu par les ccoo vis-à-vis du PeE, à partir de 1979.
A l'occasion de leur congrès de juin 1984, les commi ssions ouvrières
rappellent leur choix d ' un « appui à l' intégrat ion de l'Espagne au se in de la
CEE, en tant qu 'espace géographique le plus important de nos re lations économiques - absorbant 50% de notre commerce extérieur ». La position est mi se
sur le même pied que l' adhésion des ccoo à la Confédération européenne des
syndicats (CES). Mais l' inquiétude s'empare des syndicalistes au fil des négociations : « une adhésion précipitée qui ne tienne pas compte de tous les fac teurs pourrait entraîner des préj udices plus grands que les bénéfices, elle empêcherait une avancée en Europe et s'opposerait à de larges couches de la
population concernée » 21 .
Deux ans après l'entrée de l'Espagne dans le marché commun en décembre 1987, le i セ@ congrès dresse un bi lan négatif caractérisé par :
« une nelle détérioration du solde de la b.11ance commerciale, qui a enregistré un
déficit de cent soixante-six milliards de pesetas contre un bénéfi ce de deux cent
140
LA GAUCHE FACE AUX M UTATIONS EN EUROPE
soixante-dix-huit milliards en 1985 (.. .) ; tandis que les exportations espagnoles
en direction des pays de la Communauté augmentent de 6,8%, les importations
espagnoles de produits de ces pays le font à r.lison de 32% ».
Se lon les comm issions ouvrières, le gouvernement Gonzalez a « signé un
traité d ' intégration déséquil ibré sur le plan sectoriel » dans un contexte
«d'absence de compétitivité intcrnationale» et de « graves déséquilibres de
l'économie espagnole, plus part iculièrement quant à sa dépendance vis-à-vis
des importations de biens d 'équipement et de technologies» n.
Secrétaire général, Marcelino Camacho joue un rôle act if dans le renforcement des positions critiques de la confédération. Elu à une présidence pl utôt
honorifique, il est alors remplacé par Antonio Gun ierrez qui , lui, cache de
moins en moins son européisme militant.
Au oye congrès, en décembre 199 1, les tenants de l' européisme l'emportent. Le climat est marqué par le premier anniversaire de l'adhésion à la CES.
Pour cc qui concerne le syndicalisme international, l' interdiction d'affi liation
(qui visait essentie llement la FSM) est levée. La majorité syndicale autour de
Gun ierrez est dirigée par des cadres proches de la minorité du PCE, qui se caractéri se entre autres par un engouement pour l' Europe et s'oppose aux partisans de Camacho. Pour l'essentiel, pou rtant, les crit iques adressées à la CEE sur
les plans économique et social ne s'auénuent pas, dénotant, (l contrario, le ur
persistance malgré les changements de direction.
Les ccoo s' inquiètent du renforce ment d 'une Europe à deux vitesses excluant l'Espagne du triangle Mi lan-Francfort-Londres. L'Acte unique européen est accusé de favoriser cene évolution en séparant les Européens en deux
groupes: ceux qu i s'enrichissent grâce à la spécial isation et la haute technologic et ceux qui lirent parti des avantages comparatifs liés aux bas coûts
salariaux. L'Union économique et monétaire qui « approfond ira de fa it les
inégal ités» préoccupe les commiss ions ouvrières, tout comme le poids grandissant de l'A llemagne au plan mondial el la « segmentation des hiérarchies
professionnelles », encouragée par la flexib ilité du marché du travail. En revanche, sur le p lan politique, l'européisme s'accentue, les ccoo continuent
d 'œuvrer à l'Union politique en préconisant même « un Etat européen de type
fédé ral, en com mençant par les douze» 23.
En ce qui concerne les jeunesses commun istes, le oye congrès de juin 1990
marque un tournant de l' histoire de l'organisation depu is 1977. Durant une
quinzai ne d'années, l'UJCE avait toujours appuyé les secteurs les plus « rénovateurs » du parti, où se recrutaient également les européistes les plus convaincus. Pour la première fo is, les courants de gauche 24, à une très courte
majorité, amendent en profondeur les tex tes et prennent la direction de l'organisation. La question européenne est parnli les pl us controversées:
Nous ne croyons pas que l'intégration européenne devienne bénéfique pour les
travailleurs espagnols. et encore moins pour ceux du reste du monde,
ft
lES COMMUNISTES ESPAGNOLS ET LA QUESTION EUROPÉENNE
141
particulièrement pour ceux du tiers-monde. Les travailleurs espagnols n'ont
d'avenir meilleur ni à l'intérieur, ni hors de l'Europe, parce que les lravailleurs
espagnols n'ont aucun avenir au sein d'une Europe capitalisle. (... )
L'interdépendance des relations économiques, et de plus en plus politiques.
engendre un renforcement des contraintes pour le développement des pays du
tiers-monde dans le cadre de limites politiques très claires: démocmtie
parlementaire, économie de marché, libémlisme, etc. »25.
3. Les relations avec les forces européennes de gauche
J.l.L'elirocommlinisme
Dans les années soixante-dix, la notion d'eurocommunisme caractérise
l'évolution du PCE, en politique intérieure comme en politique étrangère.
L'évolution des positions sur la question européenne figure parmi ces points
de repères 26. Le choix européiste se heurte alors à celui de la majorité des
organisations communistes d'Europe occidentale et réunit principalement le
PCE et le PCI. Les communistes espagnols participent à la campagne électorale
des seuls communistes italiens aux élections européennes 'de juin 1979.
J.2.La référettce italienne
Le PCE accorde un énorme crédit au PCt : c'est le parti de la ré nexion stratégique occidentale avec Gramsci, de l' indépendance vis-à-v is de Moscou
avec Togliatti , de la poussée électorale spectacu laire des années soixante-dix
avec Berlinguer. Le PCI, c'est également le symbole du parti de masse influent
chez les ouvriers comme chez les intellectuels; c'est le parti au mode de
fonctionnement démocratique et tolérant. Toutes ces images sont encore
bien présentes à la fin des années quatre-v ingt. En janvier 1989, la セ@ conférence fai sait toujours référence à cette dimension:
«Nous devons mettre en évidence le fail que notre option européenne était
originale panni les communistes européens, à un moment où la majorité des PC
continuaient à rejeter la Communauté, à l'exception du l'Cl ᄏセ Q N@
Mais ['aura du PCI s'est tout de même ternie aux yeux de nombre de militants du PCE. Il est aussi le pani qui, en pleine campagne référendaire sur
l'adhésion de l'Espagne à l'OTAN, venait exp liquer qu ' il vOlerait «oui » alors
que le PCE appelait à voter « non » . Il incarne aussi la « social-démocrati sation » pour les adversaires de l 'eurocommuni sme qui viennent de rejoindre le
PCE 28. Enfin. le PCI a brisé le rêve espagnol: une unité des communistes au
niveau européen.
J.3.L' intermède« gorbatchéviell»: les convergences superficielles
Durant sa période phare, les positions de Gorbatchev servent de référence
aux trois formalions communistes espagnoles : le PCE, le PCPE el le PTE que
fonde Carrillo en 1986 après son exclusion du comité central. Carrillo est le
142
LA GAUCHE FACE AUX MUTATIONS EN EUROPE
plus fervent parti san de Gorbatchev. accusant les deux autres pan is de tiédeur,
voire de duplic ité. Il opère à cette occas ion un nouveau revirement en passant
d ' une critique de gauche à une critique de droite du l'CE pour retrouver, sous
couvert de « gorbalchév isme », son eurocommunisme d 'antan. L'approche de
la question e uropéenne s'en ressent. Adolfo Pinedo, secrétaire général du PTE,
s'exprime ainsi à la conférence nationale en mars 1990:
« Nous croyons nécessaire d'accélérer le processus d ' intégration de la CEE, sur
les plans financier et politiquc. Sans cela, nous pourrions assister à la renaissance
de vicux nationalismes. (. ..) La CEE doit établir une politique decoopérmion avec
les pays du COMECON. Celle coopération peUl être la base du projet de « maison
commune européenne» ».
Celte « maison commune » est aussi appelée de ses vœux par le PC E et le
PCPE.
3.4.Le groupe parlementaire européen
et le mouvement communiste oue.st-européen
L'appartenance à la CEE et la participation espagnole au Parlement européen renforcent les liens avec les autres forces politiques présentes dans celte
enceinte. Les représentants du PCE et d ' tu s ' inscri vent immédiatement au
groupe communiste et apparentés 29. Ce groupe présente l'avantage de réunir
toutes les grandes fonnat ions communistes européennes partagées alors sur
l' attitude à adopter à l'égard de la CEE. Les positions représentées dans cc
groupe parlementaire reflètent la diversité des références du mouvement communiste européen (notamment les PC italien et portugais) .
Depui s le milieu des années soixante-dix, il importe avant tout, pour la
majorité du PCE, de ne pas se couper du PCI, force dominante panni les fonn ations communistes d ' Europe occ identale JO pour profiter si poss ible de sa dynamique. Le PCI constitue un pont vers les fonnalion s soc iales·démocrates et
évite un tête-à-tête avec les fo rces communistes jugées plus trad itionalistes et
plus favorab les à l' Union soviétique. A ce moment, le PC portugais constitue
pour une minorité très acti ve du mouvement communiste espagnol une référence symétrique au PCt l i .
La rupture au sein du mouvement communi ste espagnol interv ient avant
celle du mouvement communiste européen. Durant plusieurs années, les différentes fonnati ons communistes espagnoles se réclament du même groupe
parlementaire européen. Lorsque le PCC organise, par exemple, en mars 1984,
des journées de débat sur le thème« non au marché commun ». il accueille des
participants de haut niveau des PC grec et portugais n .
3.S.La rupture au sein du groupe communiste et apparentés
Pour le PCE. le groupe européen est plus qu' un groupe parlementaire: il
incarne l'européisme communiste. Aussi n' est-il pas surprenant de voir le PCE
angoi ssé à l'idée que ce groupe hautement symbolique se brise. Lorsque le PCI
LES COMMUN ISTES ESPAGNOLS ET LA QUESTION EUROPÉENNE
143
annonce son imemion de le qu iner pour créer son propre groupe, la majeure
partie des cadres de trajectoi re « eurocommuniste » opte avec plus ou moi ns
d 'enthousiasme pour le PCI.
Les communistes italiens ont décidé de fa ire caval ier seul en se débarrassant des PC grec, port ugais et frança is trop encombrants dans le processus de
rapprochement avec les socialistes. Le PŒ j ugeait celte évolut ion presque
inévitable:
« nous savions depuis des mois et nous l'avions dit lors de la rencontre des
députés européens à Madrid, que le groupe en tant que tel était fissuré par son
manque de cohérence programmatique et par l'absence dc nonnes adaptées et
raisonnables de fonctionnement » 3).
Les communistes espagnols réclament pourtant un « ult ime effort un itaire ».
Si cet effort ne sauve pas le groupe moribond, il obl ige néanmoins le PCI à
modifier sa déclaration de principes pour la consti tution du groupe. Il renonce
à une rédaction privilégiant les liens avec le seul groupe socialiste].l. Plus encore, ct pour son seul compte, le PCE déclare souhaiter maintenir « des contacts
systématiques avec les composantes du groupe antérieur, sans exception » 35.
J ul io Anguila auribue cette siruation au « succès de nos discuss ions avec les
forces communistes: nous avons garanti les trois éléments qui me parai ssem
fondamentaux dans notre projet : un programme cohérent, la relation programmatique avec d ' autres forces et l'autonomie de notre pol itique dans la
mesure où le sens unitaire de notre proposit ion n'a rien à voir avec la re lation
subalteme vis-à-vis des autres et des soc ialistes en particulier » 36. Cette
volonté de relations pri vilégiées conforte la position adoptée lOfS de la
....,. conférence, soit six mois plus tôt:
En tr.litant des relations entre les différents panis communistes d'Europe
occidentale ct des possibles relations de coopération, coordination et de
programme commun, il existe toujours un fond d' inquiétude ou de tabou basé sur
l'expérience historique de la nr< Inlemalionalc. Sans entrer à présent dans ce
débat. il est, en revanche, utile que nous reprenions avec objectivité la rationalité
d·une activité objective et concrète avec ceux qui, avec des différences plus ou
moins marquées. fonnent avec nous un courant idéologique, ont un patrimoine
idéologique commun, partagent nos objectifs el, en définitive. une histoire
marquée par plusieurs inflexÎons» J7.
«
Finalement, la gauche unie se retrouve aux côtés du PC I au sein du groupe
gauche unitaire e uropéenne. Celui-ci compte vingt-huit membres dont
vingt-deux du PCI, quatre d ' lU, un de la gauche grecque et un représentant du
PSP danois. Son président est italien et son vice-président, Antonio GUll ierrez
Diaz, est catalan. Après une année d ' activité, le groupe lU dressait un bilan
sati sfai sant de son expérience:
depu is le débul de la législature, en coopération avec les vingt-neuf députés
écologistes, les quatorLC représentants de la coal ition des gauches cl avec les cent
«
144
LA GAUCHE FACE AUX MUT,\TIONS EN EUROPE
quaire-vingts membres du groupe socialiste, avec lequel nous conservons une
étroite coordination de fonctionnemel1l, les vingt-huit députés de la gauche
unitaire européenne ont contribué à la construction d 'une majorité de gauche ct
de progrès constituée de deux cent cinquante ct une voix contre deux cent
quarante-trois à la droite» .III.
3.6,Recomposilioll au IIiveau européen .- sur les décombres du
l'CI
Avec ['effondrem ent des rég imes d ' Europe de [' Est, l'événement majeur
pour le communisme ouest-européen est de loin la transfonnation du PCI en
parti démocratique de [a gauche (P DS), suivie de la sc iss ion qui a conduit à la
création ultérieure du parti de [a refond.u ion communi ste (PRe). Le PCI présentait l'i mage d ' un communisme puissant, moderne, indépendant , d ' une intelligence brillante et subti le ... face à un communisme perçu par ailleurs
comme faibli ssant, archaïque, pro-soviétique et à l'esprit dogmatique. Le l'CE
avait opté pour la voie italienne mais dans le cadre du mouvement communiste. Les perceptions se modifièrent au fur et à mesure que le PCI s'en éloigna.
Pour beaucoup, toutes ces qualités n'avaient pas de sens sans la première
d'entre e lles: être communiste.
En se transfornlant, le PCI obligea le PCE à choisir entre le sui vre ou rester
communiste. La majorité des communistes espagnols souhai tait demeurer
« communiste » ; elle obligea les minorités favo rables au PCt à se marginal iser
les unes après les aUlres, tandis qu 'au ni veau international , elle préféra se lier à
un mouvement communiste en recom position plutôt qu 'à l'Internationale social iste comme l'avait fait le PDS. La situation en Italie sema le trouble. Le PCI
avait réussi là où le PŒ avait échoué: avoir une organisat ion unique mais
plurielle. Que puissent cohabiter dans un même parti Napolitano et COSSUIa en
faisait rêver plus d ' un . L' apparit ion du PRe changea brutalement les données.
Son relati f succès vis-à-vis du PDS accéléra la reconsidération de la question
italienne en Espagne . Une rupture se produisit pour la majorité du PŒ. Les
liens avec les autres forces communistes se renforcèrent.
Lors d'une réunion, à Li sbonne, des partis communistes de la zone méditerranéenne, le représentant du PCE, Manuel Monereo 39, sc montra un des plus
enthousiastes, déclarant notamment:
tout [e monde a le droit dc se ré unir. excepté les communistes. Tous possèdent
une Internationale, liennent des réunions, et l'on accueille encore avec
étonnement le fait que les communistes se réunissent » 40.
«
Ces re lations n ' affectent pourtant pas le groupe parl ementaire européen .
4. Le traité d e Maastricht, le plan d e convergence et la grève générale
4.1.Maastricht.- l'européisme du PCI-.· se scinde
Le traité de Maastricht est conclu au moment où les commun istes espagnols, divisés, s' apprêlcnt à tenir leur xuf congrès. Part isans du maintien d ' un
LES COMM UNISTES ESPAGNOLS ET LA QUESTION EUROPÉENNE
145
parti communiste indépendant au sein de la gauche unie. animés par le secrétaire général Jul io Angui ta, et part isans d ' une fu sion progress ive , ani més par
le responsable internat ional Francisco Paiera, s'affrontent depuis l'été.
Contrairement à l' Acte unique européen, le traité de Maastricht est l' objet
de vives critiques de la part de la d irection du l'CE. Dans son rapport introducti f, Julio Anguita qualifie les résultats du Conseil européen de « timi de avancée » privilégiant « les aspects monétaires et financiers du libéralisme économique» négligeant la création d '« un véritable espace économique et social
intégré », légitimant les « politiques monétaires et fi scales restricti ves », refu sant au « Parlement européen les nécessaires pouvoirs législatifs et de contrôle en matière policière, j udiciaire, de sécuri té ou de défense » el fondant
« la politique de sécurité commune ( ... ) sur l'UEO et sur l'OTAN» 41.
Les plus européistes des dé légués j ugent celle critique excessive et se font
les avocats d ' une appréciation plus favorab le. Le leader des Catalans (psuc),
Rafaël Ribo, met à l'actif de Maastricht pl usieurs mérites et notam ment: les
avancées en matière d ' union politique, monétaire, de défense, etc. Il propose
également la constitution d' une fonnation politique de gauche européenne.
Francisco Palero, qui compte dans son courant interne la totalité des députés
européens, lui emboîte le pas 42.
Les adversaires les plus décidés de Maastricht se situent, symétriquement,
à l'aile gauche du l'CE. Marcelino Camacho, président des com missions
ouvrières et porte-parole des délégués madrilènes, s' insurge contre les gaspillages de la CEE et son mépris de la misère du tiers-monde . Le porte-parole
de la délégation d ' Estrémadure accuse la CEE de menre en place un plan de
« désertification rurale ».
La division au X ll f' congrès ne recouvra qu ' imparfaitement les divergences sur Maastricht; l' année 1992 structure et fige les clivages internes.
4.2.Du plan de con vergence à la grève générale
Le mouvement synd ical uni mena des luites importanles depuis plusieurs
années contre les plans gouvernementaux marqués par une logique libérale.
Le gouvernement échoua depuis plusieurs années dans ses tentatives d 'associer les organisations syndicales à ses choix. En février 1992, le gouvernement
présenta un plan dit de « convergence» avec les impératifs fi xés par le traité
de Maastricht , notamment en matière de défi cit publ ic, de taux d ' intérêt et
d ' infl ation 43.
Exposé par le ministre de l'Economie, Carlos SoJchaga, le 13 février devant un parterre de deux cents entrepreneurs 44, le plan reprenait les grands
thèmes libérau x: limiter le rôle de l'Etat, « modérer » les salaires et mod ifi er
les règles de négociations collectives, réduire la couverture soc iale du chômage et accroître la fl exibilité du marché de l'emploi 45. Dans la foulée , le
gouvernement promulgua un décret réduisant le montant des indemnités de
146
t A GAUCHE FACE AUX MUTATIONS EN EUROPE
chômage et restreignit l'accès au régime de protection sociale. L 'Europe 」ッ ュ セ@
munautaire qui conservait une bonne image auprès des syndicalistes incarnait
alors l'ensemble des plans qu'i ls avaient rejetés.
Le 28 mai 1992 est organisée une grève générale. C'est la troisième 、 ←セ@
c1enchée conjointement par les ccoo et l' UGT mais pour la première foi s, e lle
visait des mesures liées au rapprochement européen.
Pour le l'CE,
« la politique de convergence dans la philosophie de Maastricht (...) continue
dans la même ligne monétariste et macro-économique qui ne traite jamais
suffisamment de la véritable nature de la situation économique, sociale et
politique ou la traite à partir de positions fondamentalement libérales ou
néo-libérales» oW'i .
4.3.Les IlésitatiollS de gauche unie sur le référendum
et le traité de Maas/rida
Si à la fin de t 99 1. le l'CE s'était divisé sur Maastricht, en 1992 c'est au sein
de gauche unie que se transféra le débat. La JI!" assemblée fédérale de lU
constitua l'étape décisive. Julio Anguita et les partisans du « non » J'emportèrent face à Nicolas Sartori us, leader du groupe parlementaire et favorabl e au
« oui » 47 . Le rapport de force était de 60-40% 48. Ma is le bloc majoritaire était
encore fragile et le poids des minori taires significatif; la conférence ne se
prononça pas pour le « non ». Elle remit la décision à son organe dirigeant
après l'ouverture d'un large débat, en ne lui fixant qu' une limite: exclu re a
priori le vote « oui », « ne pas voter en faveu r des accords de Maastricht >l.
Le vote danois et la décision frança ise de recourir au référendum renforcèrent les adversai res du traité. Ceux-ci l'emportèrent lors du conseil fédéral
des 22-24 ma i et du 4 juillet en fa isant adopter la décision de réclamer un
référendum 49. La proposition d'lUse fondait sur l'esprit et la lettre de J' article
92 de la Const itution qui , en ses paragraphes 1 et 2. indique respectivement
que « les décisions politiques de particu lière importance pourront être soumises au référendum consult atif de tous les citoyens» et que le « référendum
sera convoqué par le Roi sur proposition du président du gouvernement . préalablement autori sé par le congrès des députés ».
Le consei l fédéral , précédé de journées d'études sur l'Europe et Maastricht, se réunit le 27 septembre pour prendre définitivement position sur la
rat ification du traité. Les ani tudes étant connues depuis plusieurs moi s, le débat portait uniquement sur un point: les députés doivent-ils respecter la position adoptée par le conseil politique fédéral ou peuvent-ils s' arroger une
liberté de vote? Bien entendu, les adversaires de Maastricht. majoritaires, défendi rent le premier point de vue et leurs adversaires, l' autre. Pour les uns, la
di scipline est un signe de respect de la démocratie interne et un refus de l'indépendance des élus vis-à-vi s de la fonnat ion qui les a choisis pour se présenter
LES COMMUN ISTES ESPAGNOLS ET L A QUESTION EUROPÉENNE
147
devant les électeu rs. Pour les autres, la liberté de vote est un trait de modernité
et de pluralisme, caractéristiques idemitaires de la gauche unie. Les seules
concessions fa ites sonl : pour les panisans du « non », de précon iser comme
moyen tenne l' abstention ; pour les parti sans du «oui », d 'emériner la demande de convocation d 'un référendum. Deux motions furent présentées au
VOIe, celle de Julio Anguita fut adoptée. Elle rappellait sa « volonté de construction européenne» avant de juger le traité de Maastricht « fondame ntalement néo-libéral , maintenant le déficit démocratique (et) consacrant les deux
vitesses ». Elle réclamait un référendum et annonçait l' abstention lors du vote
parlementaire. La proposition de Francisco Palero présentait le vote « oui »
comme une résistance à 1'«( offensive conservatrice qui tend à dévaluer les
obj ectifs acqui s à Maastricht ». encouragée notamment par le vote fran çais 50.
Les partisans de Maastricht qui s'étaient opposés au référendum, s'y rallièrent
mais sans revenir sur leur soutien au traité.
Julio Anguita, qui semblait alors isolé panni les dirigeants politiques, obtint en revanche un net succès dans la population. Tous les sondages montraient qu'une majorité absolue d 'Espagnols souhaitaient être consultés. Il s
révélaiem aussi qu ' une majorité significative se prononcerait en faveur du
traité, même si le « non» rassemblait néanmoins environ un quart des électeurs. Pour concilier la philosophie européiste traditionnelle du l'CE depuis
vingt ans et son opposition aux plans de Bruxelles, Julio Anguita exposa la
posi tion du l'CE et d'lU de la manière suivante:
« Nous n'approuvons pas la ratilicalion parce qu 'elle nous semble
insuflisamment européiste. conservatrice dans tout ce qui a trait à la cohésion
économique et sociale et que la ligne adoptée au cours de l' ultime sommet
européen est faiblement « démocratisatrice ». Notre opposition est
ultra-européiste et de gauche » .
Le secrétaire général du l'CE proposa une renégociation fondée sur quatre
thèmes : éliminer le déficit démocratique, avancer vers une convergence véritable, éliminer le défi cit social et conserver une pol itique extérieure ct de
défense nationale réellement indépendante SI.
En septembre, Je « oui » des rénovateurs dev int de plus en plus critique.
Quant à la majorité favo rable au « non », elle fit un pas en direction de la
minorité en se concentrant sur l' abstention, position qui sera finaleme nt entérinée par le com ité fédéral 52.
La question vint en effet en discussion au Parlement où Nicolas Sanorius
put escompter entraîner la majori té. Mai s il élaÎl tenu par la déc ision de l'organe dirigeant d 'lU et démissionna de son poste le 14 septembre. Les partisans
du « oui » décidèrent néanmoins de maintenir leur « oui critique ». De la
sorte, lors du vote de rat ifi cation du traité 5J , le groupe de la gauche unie, don t
les communi stes, se div isa. Huit députés s'abstinrent, huit autres votèrent
«( ou i » el un ne prit pas part au vote 54.
148
LA GAUŒE FACE AUX MlITAT10NS EN EUROPE
Les deux grandes confédérations syndicales (ccoo et UGT) adoptent la posit ion du « oui crit ique» en s' appuyam notamment sur les positions de la CES.
La décision des commiss ions ouvrières, adoptée lors du conseil confédéral du
21 au 24 juin, fit réapparaître les d ivergences cristallisées lors du YC congrès.
Lors de la Hf assemblée fédérale d ' lU, les panisans du « oui » accusèrent
ceux du « non » d 'être aux côtés de Le Pen et des communi stes onhodoxes. Ils
soulignèrent aussi fréquemment la d ivision de la gauche européenne entre
« modernistes » favorables au « oui » et « dogmatiques» prônant le « non ».
Pounant, les clivages de Maastricht n'épousaient qu' imparfaitement les frontières traditionnelles de la gauche. La social-démocratie par exemple était
aussi divisée. Francisco Frulos rappe llait ainsi qu ' au Danemark le pani socialiste populaire, qui était dans le même groupe au Parlement européen que la
gauche unie, s'était retrouvé aux côtés du part i communiste pour le rejet d u
traité. Le PCPE et le l'CC se fire nt l'écho des positions de Re(ondation communiste en Italie, du PCF, du PCC et du PC grec. L' opposit ion du PCPE et du PCC au
tra ité de Maastricht était. en effet, sans nuance et en parfa ite cohérence avec
l'hosti lité de principe à la CEE. L'adoption de la proposition de référendum
leur pennit, de plus, de jouer sur les contradictions internes au PCE et à lU セN@
C'est le PCC qui était le mieux placé sur ce terrain en fa isam valoir aux militants et sympathisants du psuc qu 'i l était favorable à la proposition de Julio
Angui ta, tandis que la majorité catalane avait longtemps été réticente.
5. Conclusion
Les communistes espagnols ont adopté, au m ilieu des années
so ixante-dix, une gri lle d'analyse de la question européenne où prédominent
les choix fo ndés sur les alliances conçues pour l'Espagne et pour l' Europe.
Les aspects économiques et soc iaux étaient plutôt relégués au rang d ' instruments subalternes voire neutres. En ce sens, les positions européennes constituent un des meilleurs exemples et un des vestiges les pl us nets de cette
période h istorique dont le temle « eurocommunisme » constitue toujours le
symbole après avoir cherché à en être le fo ndement.
L' histoire récente de l' Espagne a vu deux changements majeurs, pour les
communistes. Les projets politiques ambi tieux qu' ils étaient en droit de nourrir. au regard de leur rôle moteur dans l'anti-franquisme, se sont effondrés . Le
28 octobre 1982, le PSOE obtenait la majorité abso lue au Parlement tandis q ue
le PCE était réduit à 4%. En second lieu, l'adhésion à la CEE est devenue dans
tous les domaines une réalité de pl us en plus liée à la politiq ue menée par le
gouvernement socialiste (avant puis après l'adhés ion).
D ' importantes luttes sociales, jalonnées par trois grèves générales en sept
ans, un mouvement ami-oTAN, une nouvelle jeunesse revendicati ve ont donné
corps à une nouvelle opposition de gauche dont le mouvement ouvrier constitue le soc le et les communistes la pan ie dynamique. L' image européenne
149
LES COMM UN ISTES ESPAGNOLS ET LA QUESTION EUROPEENNE
s'est peu à peu lernie dans ce contexte. Les positions et les débats au sein du
mouvement communi ste espagnol - singulièrement autour du traité de
Maastricht - en témoignent. Toutes les conceptions qui s'y affrontaien!
s' inspiraient de l' international isme traditionnel des communistes (la suppression des barrières entre les peuples) et admettaien! à cette fin de s' intégrer
dans un cadre politique dirigé par des fo rces sociales hostiles. Elles se différenciaient en revanche sur un point; l'attitude à adopter vis-à-vis de ces forces
dominantes. Coopération ou confrontation ? Sur ce plan, les uns privilégiaient
l' alliance politique pour la construction du cadre politique, les autres la défen se d 'un point de vue de classe spéc ifique. Il a fallu attendre Maastricht pour
que ce débat éclate de manière aussi claire.
6. Annexe: les résultats des élections européennes
Résultats électoraux
Election du JO juin 1987
Parti
lU
PTE
Voix
%
Sièges
1.011.830
222.680
5,3
1,2
3
0
1.234.5 JO
6,5
3
PçPE
Total
Election du 15 juin 1989
Voix
961.742
197.095
79.970
1.238.807
%
6, 1
1,3
0,5
7,8
Evolution Sièges
+0,8
+0, 1
+0,5
+ 1,4
4
0
0
4
Notes
1 Au cours de la session du oc de sepiembn: 1970. Santiago Carrillo pl'tscme un mppon qui scm ーオ「イゥ
セ@
sous le titre LilNrlad y Soâalismo (Editions sociales. 1971). En froid avec l'uRSS à cause de l'a ffaire エ 」 ィ セᄋ@
coslovaque et Cil pleine crise imeme.la questioll européenne eSt abordée par le seçl'ttaire gé!ll!ral du PŒ. en
deux paragraphes 」ッョセオエゥヲウ@
aux titres セ カ ッ」 。エ ・オイウZ@
.. LUlle commune con tre les monopoles supranatio·
naux • e t . Contre J'exploitation nfu-colollial iste yanku de j'Espagne et de l'Europe JO. On Y IiI notamment
que la constfUCtion européenne visc 11 セ@ cOflstÎtuer une Europe des RlQllOpoles en vue de s'opposcr à I·Union
soviétique et aux autres pays soc iali stes. et en même 1emps d'assurer leurs Întérèts dans la compétition
qu'ils livrent à leurs rivaux impé rialistes. Le refus de ce projet impérial iste par les communistes, nOIre
opposi tiOfl 11 une Europe capitaliste. ne signifie pas que nous autres commun istes. devions - et nous ne le
poUrriOIlS même pas - nous désiméresserde ce qu'i l y a de commull. de sim ilaire. dans la réalité politique
et tC(lllOmique de I" Europe occidentale" (p. 86).
1 Cenains signes セ エ。ゥ ・ ョエ@ timidement apparus quelques mois auparavant. NiC(ll as Sanorius. dirigeant
des commissions ouvrières et du PŒ. amorce le virage dans la revue CIliIc/er/JOS para セi@ dia/ogo. éclairant
du même coup les enjeux et le con tex te. Il plaide alors pour un セ@ ni oui. ni non : une al1em3tive spécifique,..
N. SARTQRI US." Los trabajores espano les y el mercado com ull ". cャゥ、セイョッウ@
para セi@ di%go. avril J972:
réédi té in N. SAMTOII;tUS. El イセjオァゥ@
drl mOl"immlO obrrro. Ed. Laia. 1977. pp. 88-98.
1 Mu/ldo Obrero, i セ@ 16. 13/10/1972. l'tsolution politique .
• moャゥヲセェッᄋpイァ。ョujN@
p. 26.
) L 'Espagne a rellOU,·elé sa demande au lendemain des セ ャ ・」エゥッョウ@
pluralistes de juin. le 28 juillet plus
・ク。」エャQセョN@
Cene candidat ure, qui remonte 11 1962, venai t enfin de recevoir un accueil favorable de la pan
des pays me mbres .
... Un dialogo ya comt llzado,.. ,\Imldo o「イセッN@
29/fYJ/l977.
150
LA GAUCHE FACE AUX MUT,\TIONS EN EUROPE
' Parmi les adversaires de l'adhis ion de l'Espagne au marché commun, le l'CE vise nOlammem les panis
çommunistcs ponugais et fr:mçais,
1 NOI'I'I/o COl/grl'so, pp, 140-141,
• M, A?.cAMATE. L' E/lropt' dt' /'Allollliqut' à rOurol, 1979, p, 27,
.0U çonviem de nOler içi que les deux ançiennes dictatures ayant connu des issues non ré\'olutionnaires
- la Grèce et J'Espagne - éeh;lppent au p;lnorama général cn pon;lrlt au pouvoir,à contre-cOUr'dnt, des
pan is socialistes : respeaivement en IlOvembre 1981 et en octobre 1982,
.. C 'est-à-dire les « carrilli stes .. el les« rénovaleurs .. suivant la terminologie de ャGセーッアオ・L@
' 1 Cité in Crisis dd EJ"ocomutlismo, p, 325,
"« Curiel y un grupo de ex,comunistas reapareçen en la vida po litica con la creacion de la Fundadon
eオイッー
セL@ El Pais, 2 mai 1989,
l' Cen aines d 'entre elles 001 ensuite fusionni pour consti1Uer le PCf'I! aV;l/lt de rejoindre le l'Cf. en 1988,
"C'est ain si qu'en Catalogne, le premier document politique offic iel de ce 」ッオイセョエ@
paru fin 1981, sous
le litre Por fm congrtso democro/ico dt' IHlf/icipacio'l 'j dt' /Inidad dei /'Suc, et même la résolution du congres fondateur du parti des communisles de Calalogne en 1982, n'abordem la question que sous 1,111 angle
intcrrogatif, La rupture est TlClle avec le choix sans iquivoque du l'CE. mais 1;1 pos it ion altcmalive est encore
de s constquences de lïntégTluion. Ce
absente. Il n'es, réclamé que l'ou\'enure d'un déoot sur ャ G セ カ。ャオエゥッョ@
débat sera tranché ultérieurement en faveur d'un . non" catigorique à la œE.
」[LNrセilo@
Memoria dt' la lroruicio'l, p. 152.
" A/lOrtllllt'nsual, nO Il, juillet 1985, p. 7.
"" Espana y la opcion europea ", Ahora mt'Mual. nO I.juillet 1984, pp. 21-25.
" « Cana de Jaime BaJlesteros al comi te central", Mfmdo Obrt'ro, nO306, 14/11/1984. Jaime Balles·
teros ra ppellc notamment le 」ッョエセ・@
e, les collditioos posées par la décision du VIII' congrh. JI estime quc
,. S.
çes dernière s ne SOnt pas réunies (puissance du secteur public, avancée socio-éoonomique, indépendance .... ). Il finit sa leliTe en exprimant son • désaccord global セ@ avec la poli'ique suivie pnr le l'CE..
,. Un ーイ oケセc
ヲ o@ dt' i=quit'rda paru UllU Europa 、セ@
progrt'SO. conferencia nacional. 21-22 janvier 1989.
pp.S-7.
l' GIICt'W sindiral. numero 」セエイ。ッ、ゥョL@
octobre 1984, pp. 37-38.
11« Iv' congreso oonfederaciOll si ndical dc œoo. Documentos 。ーイッ、
ウセN@
Gaula sindicul,
suplemento. mars 1988, p. 9.
II DOC'unJt'nIOS aprooodos t'n t'I.' cangrtso con/t'dt'rol, pp. 55 -58.
,. Il s'agit de la rusion d'un petit courant dynamique issu des jeunesses d u l'C!'E (les oc) avec une partie
de la base de J'ancÎellflC UJCE.
Il Matfrialts dt'I.' wngrt'so, 1991. pp. 12-13.
:0 Panni les nombreuses défini tions propostes par Ic PŒ, la ーャオウ」ッュ
ャ セ エ ・@ est sans conteste celle qui fut
セi。「ッョGA・@
dans le vi f de l' ac,ion née au lendemain du v' congrh du l'SUC q ui rejetn la notion d'eurocommu·
nisme à une ne ne ュ[ャェッ
イゥ エ セ N@ Une dtclaration du comité exécutif expose en huit points une dé finition de
J'eurocommunÎ sme. Cclle-ci n 'accorde aucune place il la question dc la œE. L ' Europe eSI 。「ッイ、セ
・@ incirepri ses: pour les rapprochements avec les autres forces politiques e, comme cadre global
demment 11 、・オセ@
ヲゥセ。ョエ@
UII contexte pour QG セ カッャオ
エ ゥoiャ@
ven le socialisme. Compo'lemn t'unâalts dt' la poli/ica セオイッ」ュᄋ@
nilw . nO24.
11 V II pro)'t'cIQ de i:q"it'rda para unt' i:quit'rda 、セ@ progrt'so, conferencia n;!Cional. p. 4.
Il A la mi-janvier 1989, s'est tenu un congri!s d'unification entre le PŒel une panic imponante du PCPE.
l'I Le tcrme 。ーイ・ョエセ@
sied bien, par exemple, au socia liste Alonso Puena. anciell militan t du PSOE ct
secn!taire ァセョNAイ。ャ@
du rASOC. principal allié du PŒ au sein d'tu ,
JO Rappelons id qu'il constitue la majorité d u groupe communi ste et apparentés au Parlement européen,
" Le fait est que jusqu'en 1989, le groupe ー。イャ・ョ
セ ョG。ゥイ・@
communiste européen présente celle originaliti de réullir IOUteS les tcrJdances du 1TlOU\'cment communiste occidental. tandis Ilue le communisme espagnol est div isé Cil trois formatio ns. même si deux d'entre elles son t provisoirement alliées. Lorsque le PCI'!!
panicipe à la li ste d 'tu en tai sant ses différences , l'un des premien arg uments uti lisés pour justifier celle
panicipation est que lesilus d'tu grossiraient un groupe parlementaire communiste déjà fon de quarante-six
membn:s. Voir par exemple J. TAfAu.o.. « El PCC ante las elecciooes al parlamenlo europeo ". AI'(JIII,
nO228. 22iUS/1987.
LES COMMUN ISTES ESPAGNOLS ET L A QUESTION EUIWI'ÉENNE
15 1
n° 83, 221031l984.
J. ANGUm,. '" Nueslra option europea
J.l MOili.
セN@ Eflrol/O·Espolio. n" 4, avril 1990,
Fin 1992, le processus est acllevé avec J'adhésion du pt)$ ital ien 11 l' Internationale social iste, au pani
des socialistes européens ct bien entendu au groupe socialiSlc du Parlement européen,
Jj DIc/ara/iOlI dt IIJ comnrissiOlI politiqut. 17 juillet 1989.
)0 Julio a L セguitBGN@
'" Nuestra option 」オイッー・。
セ L@ op, cil.
)1 Conferencia nxional, op. Cil" 21-22101/1989, p, 21,
.. J.M, fヲNセnBiGdez@
coordi nateur de la délégation lU-le au Parlement européen, " Balance de actividad
dei glllpo i u eセL@
Ellropo·lÙpoIiO. nO5, p, 6,
... Manuel Monereo CSt 11 lui seul un symbole de l'évolulion du PŒ, pui"qu'il n'en eSI membre que depuis le oongrts de réunificatioll de 1988, Il provenait des rangs du PCPE d'Ignacio Gallego, Après avoir
longtemps été membre des cellules lénin istes qui s 'étaie nt conSliluées en marge du PŒ dans les années
ウッゥク。ョ
ャ・M、ゥセL@
il est il. présent en charge des questions idéologiques 11 la direction du PŒ et le représente il
l'occasion au plan international.
.. ArulII, nO445, 14105/1992.
" '" lnfonne al Xlii 」ッョァイ・ウセL@
MWldo Obrrro. Separata, décembre 1991, pp, 2-3.
' 1 Les trois députés communistes au Parlement européen ont été élus en 1989 su r la liste de la gauche
unie (voir annexe), La première analyse du groupe parlementaire résume son point de vue de la manière
suivanle : " sans diminuer nos appréciations criliques. il OOIlyiem de COlmaler que la Communauté a fran·
chi un pas irréversible vers l'Union européenne lO , Dans cc cadre, la déclaration du groupe ・セーッウ@
de manière positive les avancées vers l'union politique, la citoyenneté européenne, la monnaie commune, la
protection de l'environnement, le développement des transpons transeuropéens, la reconnaissance des réet de ウ←」オイゥエセ@
commune, Le groupe ウGゥョアオセエ・@
essentiellement du " déficit
gions Ct la poli tique ・セエ←イゥオ@
démocratique .. et de l'" insuffisance ... de l'espace social. II critique sans ambages la position des Britanniques, • Valoracion dcl tratado de Maastricht .... Europa·EspallIJ, nO9, mars 1992, pp, 16-19.
que Maastricht ne ャG・セゥァ@
en matière de déficit public, Au lieu de
' J Il se veut même plus 。ュ「ゥエ・オセ@
de 4.4% du PlB 11 moins de 3%, il entend poursuivre jusqu'à aueindre 0,8% en 1996.
ramener le エ。オセ@
.. JI convient de ooterqu'cnjanvier,le patronat avait prisenté un plan de convergence dans les perspectives jゥセ←・ウ@
par t.h astricht.
i@ Pais,
" ", Sokhaga plantea un modelo de Estado corn mayor panicipacion de la iniciativa privada セLe
Jl
l<
13/121l992,
-Rappon présenté par F. FWTOS el approuvé par le comité fédéral (ex-comiléce ntral ) du 21 juin 1992,
Voir MU/ldo Obr..ro. nO II· 12.
"Ce courant prend alOl'S le nom de .. nouvelle ァ。オ」ィ・セL@
. ! Il convient de noter que les Calai ans ne sonl alors qu'observateurs et qu'ils se seraient probablement
prononcês en sens inverse 11 raison de 75-25%. Ceuc présence n'aurait pas pennis que la majorité fût renversée,
.. M'llldo Obr..ro, nO 11-12, p. 3, Cenains saisissenll'occasion pour rappeler que la gauche unie est née
pricisément de la demande de cooyocation d'un référendum sur l'entrtt de l'Espagne dans l'arAS en 1986,
lO", Maastricht no merece un enfren tamiemo ", /lllI/ldo Obrao, nO 14, octobre 1992, pp. 6-9.
51
1:1 Pais, 12/0611992.
。オセ@
panisans du '" oui ", onze au
et six abstentions,
!l La ratification fut acquise à la quasi-unanimité. Seuls, les députés de la coalition indépendanti5le
basque Hem Batasuna votèrent contre,
,.. Sur les 、ゥセᄋウ・ーャ@
députés de la gauche unie, quator.ee sonl communistes, Parmi ces derniers, huit s'abs·
tinrem, cinq vOlèrenl " oui .. el un ne pril ー。 セ@ pan au vote, Lorsdu conseil fédéral suiva nt, les députés qui ne
s'élaient pas confomll!s 11 b consigne d'abstenlion furem blâmés sans que soiem aggravé.:s les relatioos
enlre les 、・オセ@
camps.
Il Le 18 déce mbre s'est constituée 13 platc-fomtc catalane en faveur du référendum. Elle regroupe nolammenlles nationalistes HeセcL@
La cfida), les communisles (le psuc) el leurs alliés du PO: ainsi que des écologi stes.
jl
" non
Le conseil politique national d'lU accorda quarante·scp! カッゥセ@
セ@
Le parti communiste français à l'épreuve de
l'écologie : mutation illusoire, mutation impossible?
Evolution du discours et des analyses: 1972-1992
Francine SIMON-EKOVIOI
Au début des années soixante-d ix, lorsque les queslions de protection de
J'environnement ont commencé à s' imposer en France, le l'CF s'est trouvé
d 'emblée confronté à une série d ' interrogations el à une fonne de contestation
de nature nouve lle, radicalement étrangères à ses préoccupations, qui heurtaient de plein fouet sa propre thématique. ses références identitaires, el ne
pouvaient lui inspirer que méfiance à plus d ' un ti tre.
En premier lieu. cette ré Oex ion émanait de groupes a priori suspects à ses
yeux : d ' une part , les milieux libéraux américains, relayés en France par la
nébuleuse centriste autour de l'hebdomadaire L'Expr ess, el d 'aulre part , les
premiers groupes écologistes «( radicaux », issus du gauchisme de mai 1968,
qui s'ex primaient dans la nouvelle presse « underground )), notamment
C/wrUe-f/ebdo et lA CI/ellie Ouverte, et qui s'orientèrent dès 1971 vers le
combat anti -nucléaire, conçu alors comme le fer de lance de la contestation
Michel Bosquet
écolog iste. Enfin, dès 1972, les chroniques régulières セ・@
(alias André Gorz) dans l' hebdomadaire Le No uvel Observateur ont largement contribué à la diffusion de ces nouvelles interrogations dans la mouvance de la gauche non communiste.
En deuxième lieu, la nature des revendications écolog istes entrait en totale
contradiction avec les composantes essentie lles qui fo ndent 1' identité du l'CF :
une idéolog ie productiviste, une culture politique étroitement ouvriériste
nourrie d ' une mythologie de l'usine. la m ine, l' industrie lourde, et d ' une esthétique du paysage industriel 1 ; une base sociale ouvrière priv ilégiée par le
parti , et très peu réceptive aux questions d 'environnement.
Enfi n, la conception jacobine de l' Etat et la fi dé li té au modèle lénini ste du
parti on t, d 'entrée de jeu, fait J'objet de critiques radicales de la part des écologistes.
Cependant, à J' instar de tous les autres part is politiques traditionnels menacés par l'émergence d ' une nouvelle fomle de concurrence - certes encore
154
LA GAUCHE FACE AUX MUTATIONS EN EUROPE
marginale mai s dont l'impact n 'étai t pas négligeable - , le J'CF devait se détermi ner face à une série de questions: fallait-il accorder une place à l'envi ronnement et si ou i, laquelle? Comment analyser la contestation des sociétés
industriel les productiv istes ? Celle préoccupation méritait-elle une ré nexion
spéc ifique?
Dès le départ, le PCF s'est enfermé dans une grille d ' analyse fondée sur
deux postulats, qui ont fonctionné comme des in variants.
La crise dc l'environnement n'cst qu ' un aspect de la cri se du capi talisme.
Toute remise en question de la soc iété industrielle el de la croissance
économique est une utopie d 'essence conservatrice. qui sert objectivement
les intérêts du capitalisme , et qu'il faut rejeter d'emblée.
Partant de ces deux postulats, le PCF adopte une orientation qui est demeurée constante, caractérisée par un remodelage systématique de la thématique
écolog iste aux dimensions du prisme communiste. Dès lors" le J'CF s'auache à
retraduire les questions soulevées par les écologi stes en conflit classique du
trava il , épisode de la lulle des classes, et à déman te ler leu r d iscours. En opposant constamment les valeurs de la Science et la Raison - dont il se considère le déposi taire le plus fidè le - à de méprisables utopies obscurantistes,
le PCF cherche à nier, dans un prem ier temps, la spécific ité d ' une sensibilité
éco logique l porteuse d ' aspirations nouve lles et complexes.
A partir du début des années quatre-vingt, la prise en compte timide des
questions écologiques s'accompagnera d'un souc i presque constant de disqualifier les Verts en tant que mouvement politique.
Après une longue période d 'occultation, le PCF a mieux pri s en compte les
questions d 'environnement. Il s'avère cependant malaisé de dégager une périod isation claire de cette évol ution, au moi ns jusqu 'en 1988 : signe révélateur
du malaise, des hésitations et des désaccords qui ont affec té la direction du PCF
à propos de la place qu'il convenait d ' accorder à ces questions.
Si à ce jour, le PCF a indéniablement intégré les préoccupations écologiques à son discours et ses analyses, il convient de s' interroger sur la nature et
l'impact d ' un aggiomamclllo qui, à notre sens, s'apparente pl us à un
replâtrage qu'à un réel trava il de redéfini tion identitaire, compte tenu de
l'ampleur du fossé qu i sépare les mouvances communiste ct écolog iste.
l, L' écologie occullée: 1972· 198 1
Durant celte prem ière période, de la signature du programme commun
( 1972) à l'accession au pouvoi r d ' un gouvernement de gauche à participation
communi ste (198 1), le PCF, très méfia nt, campe sur des positions« marxi stes
mécanistes» : une altitude de stricte orthodox ie qui contribuera à renfo rcer
sournoisement un décalage culture l - déjà à l'œ uv re au moi ns depuis mai 68
- par rapport à d 'autres mou vances politiques et notam ment l'ensemble de la
gauche non communiste 3.
LE PARTI COMMUNISTE FRA NÇA IS Â L'ÉPREUV E DE L'ÉCOLOG IE
155
/ ./ . V II double refus: prémisses d' ulle margillalisatioll ?
La place à peine visible accordée à l'env ironnement dans L'Humanilé
(articles rares, brefs, purement Înfonnati fs, toujours relégués en dernière
page) traduit 1'att itude négative du J'CF.
La relat ive percée électora le (modeste, certes - 1,34% - mais supérie ure aux résultats des autres « marginaux ») de l'écol ogiste René Dumont,
aux élections présidentielles de 1974, a marqué une étape importante d ' un
double point de vue , poli tique et cu lturel : elle symboli sait la première tentati ve d ' inscrire l'écologie à part ent ière dans le débat politique officiel. Par
ailleurs, les thèmes nouveaux évoqués lors de cette campagne ont recuei lli un
écho substantiel dans la presse de toutes les tendances de la gauche et de
l'extrême-gauche non communiste et de la mouvance libérale. En contrepoint,
le silence appuyé de la presse communiste sur celle candidature inédite illustre, sous le vernis de l'Union de la gauche et du programme commun, le déオ ョゥ ウ エ・セ
N@
calage croissant entre le l'CF et la gauche non 」ッ ュ
L'occultat ion de la candidature de R. Dumont, et de la nouveauté qu 'elle
représentait , traduit un refu s plus global d'accorder une légitimité à l'écologie
com me nouveau champ de réflex ion doté d ' une problématique autonome.
Quelques procédés classiques - occultation, amalgame - sont mi s en œuvre
à celle fin.
De man ière très symptomatique, les responsables du part i év itent d ' utiliser le tenne d 'écologie, ou ne l'emploient qu 'entre guillemets - révélant
ainsi une appréhension du phénomène dans l' ordre de l'extériorité - , et lu i
préfèrent l'expression pl us neutre de «cadre de vie ». Les proposit ions sur
l' amélioration de celui-ci, di ssémi nées dans un catalogue de revendications
tradit ionnelles, sont dès lors dépoui llées de toute spécificité. Ou encore, la
question est évacuée, le sens de l'écolog ie dénaturé par des formul es creuses .
Cette occultation sommaire se double d ' un refus de mettre en œu vre une
ré fl ex ion réelle sur ces questions.
Le l'CF maintient que la prétendue crise de l'énergie n 'est qu '« un aspect
de la crise du capitalisme monopoliste d 'Etal » et dénonce «( les manœuvres
idéologiques de la grande bourgeoi sie pour masquer la crise » S en se référant
aux conclusions du rapport du Club de Rome, publ ié en avril 1972, et du rapport Sicco Mansho lt (alors président de la Commiss ion de Bru xe lles et
vice- président de l'Internationale sociali ste), publié à la même époque, qui
préconisaient un nécessaire ralenti ssement de la croi ssance et la mise en œuvre d ' un programme d ' économ ies d 'énergie. Le PCF s'em ploie à nier l'ex istence d'un problème de pénurie d 'énergie, considéré comme un alibi capitaliste pour imposer l'austérité et culpabili ser les travailleurs 6.
Bref, il s'agi t là d ' un discours très réducteur, induisant des propositions
simplistes et mécanistes, qui se résument à celte affirmation : seule la mise en
156
LA GAUCHE FACE AUX M UTATIONS EN EUROPE
œuvre du programme commun, avec la « nat ionalisat ion des grands monopoles », va automatiquement résoudre les problèmes d'environnement.
1.2.Les réactiolls hésitantes dll PCI'" face à l'irmption des écologistes
Sllr la scène politique
A la suite de la percée des écologistes aux é lections cantonales (1976) et
municipales ( 1977), on remarque quelques prises de position et initiatives de
Pierre Juquin 7 et de responsables de la fédération de Paris, discrètement soutenues dans la presse du parti par Mireille Be rtrand, favorables à une plus
grande prise en compte des questions d 'environnement.
Lors des élections lég islatives partie lles de Tours, en mai 1976, P. Juq uin
favorise la candidature orig inale d' un universita ire, directeur d'un laboratoire
d'écologie expérimentale et spécialiste de l'environnement, Vincent Labeyrie:
ce dernier souhaitait placer les problèmes de « qualité de la vie » au centre de
sa campagne .
En j uin 1976, lors d' une réunion du CC, P. Juquin présente un rapport sur le
« cadre de vie » 8, qu i servira de support lors de la campagne pour les é lections
municipales de mars 1977 9. Parallèlement, sous l'impulsion d' Henri Fiszbin 10,
la fédération de Paris élabore une « charte verte pour l'Ile-de-France ».
Enfin. la première réunion de la commission nationale chargée du « cadre
de vie» auprès du CC, ainsi que l'organisation d 'une « semaine d'action pour
le cadre de vie » sont annoncées Il.
Ces diverses initiati ves correspondaient à plusieurs objecti fs: occuper le
terrain et tenter ainsi de limiter la concurrence des écologistes, et j usti fier un
appel à voter à gauche au second tour. La candidature de V. Labeyrie a également répondu à un souci de disputer au ps le terrain de l'environnement, et
d 'auirer les classes moyennes, assez sensibles à ce thème 12.
Il fa llait aussi, plus largement, tenter de sensibiliser sur ces questions
nouvelles la base ouvrière d u PCF 0, dont les sondages montraient qu'elle y
était particulièrement peu réceptive 14. C'était, semble-t- il, l'objecti f principal
de la semaine d'action programmée du 12 au 19 juin 1977 15.
Le bilan de ces initiatives se révèle décevant à plus d' un titre. En premier
lieu, elles émanent d'une frac tion très restrei nte des instances dirigeantes du
l'CF, et demeurent marginales tant du point de vue géographique - il s'agit
uniq uemen t d'élus de la région parisienne - que politique.
Les partisans d' une prise en compte de J'environnement demeu rent, sur le
fo nd, extrêmement conventionnels, minimalistes. Ils é ludent tout débat de
fond sur la question centrale des sources d'énergie, ou n'en proposent qu' une
lecture très réductrice. Refusant d 'envisager l'hypothèse d ' une pénurie
d'énergie potent ielle 16, ils prétendent répondre à la contestation du « tout nucléaire ») en rappelant qu ' ils se sont préoccupés d'écologie en luttant contre la
LE PARTI COMMUNISTE FRANÇAIS À L'ÉPREUVE DE L'ÉCOLOGIE
157
fennelU re des mines de charbon 17. La question des énergies renouve lables
n 'est jamais abordée.
Le PCF a enregistré un léger recul aux élections légis latives partielles de
Tours 18. Mais l'échec patent de « la semaine d 'action pour le cadre de vie »,
an noncée comme une action d 'envergu re 19, apparaît encore bien plus révélaleu r. Celle-ci était clairement destinée à mobiliser les ouvriers sur ces questions. D' où le volonlarisme appuyé des art icles de L'Humanité, commentant
l'opération «Seine propre» organisée à Rouen. Il fallait présenter coûte que
coûte l'événement com me une mani festation de nature ouvrière. L'auteur du
reportage précise:
«Leur (les ouvriers) présence à cene action des communistes est
particulièrement significative. La lutte contre la pollution industrielle, pour une
meilleure qualité de la vic, c'est aussi. et surtout, leur 。ヲゥイ・I
セ N@
Cette action avortée 21 confirme que les timides tentatives d 'ouverture et
de récupération de l'écologie se sont mani festement heurtées à des blocages
- ou des inert ies - aux d ivers échelons de l'apparei l, y compris à la base.
Les partisans d'une ouverture à l'éco logie ont été pris dans une double
impasse: pri sonniers d ' une rhétorique ouvriériste obligée 22, qui allait nécessa irement limiter la portée de leurs actions, face à un monde ouvrier manifestement indifférent, ils se condamnaient dès lors à une analyse étriquée et une
définition complètement édulcorée des problèmes d'environnement avec,
comme seules solutions proposées, les nationalisations. D'où le b ilan quasi
nul de celte amorce de récupération , demeurée sans lendemain .
Le témoignage de P. Juquin sur celle période 21 vient éclairer et confi mlcr
ces observations, el pennet de replacer ce timide infléchissement dans le
contex te plus large de la concurrence pc-ps . P. Juquin rappelle que dès 1974,
face aux succès électoraux du pS, la direction du parti l'avait chargé de mener,
en tant que responsable du «cadre de vie », .« une contre-offensive sur le
thème des « libertés» », et il précise qu'il bénéfici ait alors du soutien de
G. Marchais (face à la réticence d ' une large partie du cc) dans ceue entreprise
d ' innovation et de défrichement de pistes nouvelles, comme l'écologie.
L'élection législative partielle de Tours intervient trois mois après le
XX II" congrès du PCF, marqué par l'abandon de la« dictature du prolétariat»:
c'est la période des grandes illusions d'aggiomamemo et de l'euphorie eurocommun iste.
P. Juquin relate aussi sa rencontre avec R. Dumont entre les deux tours des
présidentielles de 1974: «Choc pour moi. Voilà une écologie de gauche!! »14.
Lorsqu ' il présente au cc son rapport sur le « cadre de vie» en juin 1976, il
croi t dès lors, en dépit de « limites graves, erreurs, compromis (impasse sur le
nucléaire) », pouvoir ouvrir une voie « que le parti ne suivra jamais », et évo-
158
LA GAUCHE FACE AUX MUTATIONS EN EUROPE
que « le décalage entre la part ie réfonniste de l'appare il et les forces d ' inertie
internes au parti » 25 . Partisan enthousiaste de l'ouverture eurocommuniste,
persuadé alors d'une réelle mutation du parti , P. Juquin avoue avoir été pris de
court par le changement d'orientation de l'été 1977 et la rupture du programme commun: assailli par le doute , il continua néanmoi ns de « coller à la
ligne » et réalisera bien tard qu 'i l serv it d'alibi à la stratégie d'ouverture factice de G. Marchais. entre 1974 et 1977.
La pression cro issante de la contestation anti-nucléaire, que les écologistes sont parvenus à imposer comme enjeu polit ique, et qui atteint son point
culminant avec la grande manifestation de Creys -Malv ille 26, le
3 1 jui llet 1977, intervient au moment où la direction du l'CF amorce un nouveau processus de repli. Raison de plus pour continuer d'esqui ver un débat pour ou contre le nucléaÎre - dans leq uel les com munistes se trouvaient en
porte-à- fau x 27. Considérant que les événements de Creys-Malville n 'étaient
qu 'une provocation, ils ont replacé la controverse sur leur propre terrain ,
réaffinnant leurs posit ions en faveur du nucléaire, mais contre le
tout-nucléaire 28 , et précon isant la nationali sation de ce secteur com me un ique
garantie d ' une sécurité optimum . La vision réductrice du problème et la volonté d'en occ uller certains aspects demeurent, là encore, manifestes.
Ceue question restera pourtant l' axe central, structurant un nouveau clivage imposé par les écologistes dans le champ politique, même après l'accession de la gauche au pouvoir, et qui rebondira lors de la catastrophe de
Tchernobyl.
Après la rupture du programme commun , les préoccupat ions du PCF en
matière d 'env ironnement se limiteront à la défense de ses positions sur
l'énergie nucléaire civile.
2. Vers la mise en œuvre laborieuse d ' une « écologie communisle » :
1981-1992
A l'automne 198 1, alors que des mini stres communi stes participent au
gouvernement socialiste de Pierre Mauroy, la création du Mouvement nat ional de luue pour J'environnement (MNLE) 29 amorce un tournant.
La naissance de cette association témoigne d ' une double volonté. Il s'agit
de tenter, à nouveau, de sensibi liser certai ns secteurs du parti, à travers les
municipa lités el les sections syndica les, autour des questions d'envi ronnement, et d ' investir le cham p de l'écologie, en cherchant à conslruire, homogénéiser et promouvoir un di scours « écologiste communiste» spéc ifiq ue au PCF
- qui donnera notamment toute sa place à la défense du nucléaire civil. Il
s'agirait, dans un double mouvement, d ' un e ffort d u PCI' pour prendre en
compte. voire récupérer, l'écologie, accompagné d ' un souci de réaffinnali on
identitaire.
LE PARTI COMMUNISTE FRANÇAIS À L'ÉPREUVE DE L'ÉCOLOGIE
159
Cette démarche s'est cependant révélée très incertaine, et laisse supposer,
même si elles furent moins catégoriq ues que dans les années soixante-dix , de
forte s résistances internes.
2.1. Vne évolution lente el chaotique
Entre 1981 et 1985, celle orientation relativement nouvelle reste tout à fait
confidentielle, et ne s'étend pas au delà de la sphère du MNLEetde sa brochure.
Il faut allendre le xxVC congrès du PCF, en fé vrier 1985, pour trouver la
première intervention - très orthodoxe - d ' une déléguée sur le thème de
l'environnement JO, mais auss i un discours très critique de P. Juquin - qui
apparaît alors ouvertement comme opposant à la direction - , reprenant les
orientations exprimées dans les années soixante-dix, sur un mode plus déterminé et audacieux. Il questionne :
« N'avons-nous pas trop souvent ignoré. voire combattu des mouvements
novateurs parce qu'ils troublaient nos schémas? (... ) Ne nous sommcs-nous pas
trop isolés de la jeunesse, des nouvelles couches de travai lleurs ? » JI.
La frac ture est visible, el d ' autant plus apparente que la résolution du
xxVC congrès n'accorde aucune place particulière aux questions d ' environnement 32.
L' année 1987, marquant enfin une prise en compte explicite de l'écologie
par les instances officie lles ll, est aussi celle de la mise à l'écart de P. Juquin.
amorcée lors du xxVC congrès de 1985. On retrouve là un procédé bien connu:
la récupération par les instances dirigeantes d ' un thème soutenu par une contestation interne, préalablement réduite au silence.
En revanche , ce n 'est pas avant 1986, el surtout 1988, que l'on commence
à repérer dans L' Hllmanité quelques articles de fond qui contèrent enfin à ce
thème nouveau un minimum de visibilité. A partir de 1989,I'évol ution s'accélère, liée, selon toute vraisembl ance, à la pression des échéances électorales
(m unicipales en mars, européennes en juin), marquées par une très forte progress ion des Verts 34.
Pour la première foi s, la résolution du XXVI!" congrès, en décembre 1990,
révèle une prise en compte expl icite et substantielle de la défense de l'environnement comme thème à part entière.
2.2.Une évolution relative
Les postulats restent cependant les mêmes; les communistes s'en sont tenus à un habill age - sous forme d'aggiol"l/alllemo et de modern isation du
di scours - d ' une rhétorique traditionnelle, à savoir la réintégration des questions d 'écologie dans une perspective marxiste, et une redéfini tion de l'éco logie dépouillée de ses aspects « gênants », c'est-à-dire radicaux. Il s'agit, toujours, de disqualifier la log ique écologique radicale, qui prône la nécessaire
remise en question de la société industrielle producti viste.
160
LA G,\UCHE FACE AUX MUTATIONS EN EUROPE
Le tournant se révèle néanmoins effectif. L' assouplissement des analyses
apparaît clairement dans la tonalité générale de la brochure du MN LE, Nalllrellemem, ainsi que dans le dossier des Cahiers du communisme: les auteurs
admettent explicitement l'existence d ' un retard théorique dans la pri se en
compte des problèmes écologiques, et reconnaissent la nécessité de sortir du
schématisme et de l'automatisme qui ont prévalu, afin de mettre en œuvre une
réfl ex ion sur l'environnement à part entière:
Il faut dire aussi que longtemps dans les pays socialistes. mais également dans
les milieux eommunisles CI progressistes du monde enlier. l'idée d'une sorte
d'automalisme était implicitement acceptée. (... ) Bref. la seule exislencc du
socialisme dispensait, à la limite, de la mise en œuvre d'une politique
d'environnement» 3:1 .
«
La volonté de réévaluer l'importance de ce thème et d ' approfondir la réflexion est clairement affichée, La nouvelle ligne appelle à considérer l'env ironnement comme un thème rassembleur, notamment pour la jeunesse, et à
intégrer celui -ci à tous les proJet s et actions, Simultanément, la thématique
s'étoffe ; on trouve nombre d ' articles sur les questions d ' actual ité; forêt s en
péril . pluies acides, pollutions des eaux , etc., toujours interprétées comme les
méfai ts des mu ltinationales et de la logique capitaliste.
Sur la question délicate de l'énergie nucléaire, le PCF tente, surtout après la
catastrophe de Tchernobyl, de minimi ser l' impact de ses position s en faveur
du nucléaire civil , et déplace le débat sur le terrain des dangers du nucléaire
mi litaire . contre lequel il mène une campagne très active,
Enfin , les ana lyses proposées par le parti insistent sur le caractère international des menaces. à l'éche lle européenne, mai s auss i du point de vue des
rapports Nord-S ud. A cet égard, la presse communiste s'appuie très ouvertemen! sur le rapport audacieux de J'ONU, Notre avenir commUII, élaboré par la
Commission mondiale pour l'environnement et le développement, connu sous
le nom de rapport Sruntland 16, publié en avril 1987. Ce document démontre
très catégoriquement la relation incontournable entre les problèmes d 'environnement et les rapports Nord-S ud.
Dans le même mouvement, le l'CF manifeste un activ isme nouveau, émanant plus part iculièrement du Parlement européen 37, où le groupe communi ste a cherché à amorcer quelqucs rapprochements avec les pacifistes. On
remarque la publication de broc hures sur des questions ponctuelles 38, et d 'effo rts de promotion des thèses du rapport Brunt land , diffusé par le MNLE au
printemps 1989, qui a largement servi de support à la campagne act ive menée
par le l'CF pour les élections européennes de juin 1989 39 et demeure à ce jour le
document de ré férence. pas seulement pour le PCI'. C'est en fin une députée
communi ste au Parlement européen, Sylv ie Mayer, en même temps membre
du cc, et responsable du secteur « Environnement » auprès de celui-ci , qui est
LE PARTI COMMUN ISTE FRANÇA IS À L'ÉPREUVE DE L'ÉCOLOGIE
161
chargée de promouvoir un discours écologiste-communi ste, tout en réaffirmant la spéc ificité du parti 40.
Mais si la pri se en compte de la thématique écologiste paraît bien réelle,
l' argumentation qui sous-tend l'entreprise simultanée de d isqualification des
mouvements écologistes relève d ' un registre strictement orthodoxe, réducteur
et quelque peu obsolète.
2.3. Un loumant en trompe-l'œil ?
La réactivation d'une thématique traditiollllelle
Ce travail de récupération s'accompagne d ' une volonté de discréd iter les
écologistes, fondée sur la revendication d ' une double antériorité: l'écologie
scientifique, branche de la biologie au XIX' siècle, que le PCF reconnaît comme
seule pertinente, et le marx isme.
Cette thèse, déjà esquissée en 1977 par V. Labeyrie 41, est reprise et systématisée entre 1986 et 1988 par Pascal ACOI, chercheur au CNRS. Les deux
uni versitaires revendiquent respectivement les titres de professeur d 'écologie
et d ' historien de l'écologie. Cette référence appuyée à un savoir en matière
d ' écologie et à un statut uni versitaire n 'est pas anodine: elle vient renforcer la
volonté d ' affinner une double « supériorité », historique et scientifique.
P. Acot oppose l'écologie scientifique à l'écologie politique qui ne serait
que galvaudage 42, imposture, transposition douteuse de la sphère biologique à
la sphère sociale. Les« vrais» écologistes scientifiques, les écologues 43, seraient menacés par des idéologues conservateurs et usurpateurs de l'écologie,
les écologistes. P. AcOl reprend ici une thématique bien fam ilière: la stigmatisation de l'obscuranti sme.
Il déve loppe cette argumentation dans sa très savante H islOire de l'écologie. L' ouvrage est essentiellement consacré à démontrer l'existence d ' une
« idéo logie écologiste )} qui reposerait sur des présupposés théoriques erronés,
l' organicisme et le biologisme soc ial 401. Considérant que Jes écolog istes opéreraient de dangereux transferts concept uels, P. Acot en conclut que ceux-c i
commettent une « confusion épistémologique » 4S. L'« idéologie écologiste»
se caractériserait par un « retour au sacré» calqué sur les structures de pensée
chrétiennes -M. P. Acot affinne:
Contre la conception conservatrice. biologiste el sacrnlisante des écologistes,
une conception progressiste (... ). matérialiste, émerge au cours du クセ@ siècle ᄏセWN@
«
Il évoque encore, se référant à la théorie de Marx et Engels, la fondation d 'une
« pratique révolutionnaire dont l'h umanisme concret et donc la portée écologique ne sont pas près d 'être dépassés >} 48.
A partir de là, il s'ag it d 'opposer à « une pensée fatali ste qu i mène à la
désespérance» la définit ion d ' une autre écologie , l'écolog ie libérée, J'écolog ie de la libération , de la modem ité, autant de fonnules dès lors adoptées pour
revendiquer une approche de l'écologie spécifique au l'CF 4'1.
162
LA GAUCHE FACE AUX MLrrAT10NS EN EUROPE
S i la critique de certaÎnes tendances passéistes, conservatrices des écolog istes n 'est pas dénuée de fondem ents, ni propre au PCF 50, l'échafaudage
théorique proposé ici appelle cependant plusieurs remarques. II s' agit év idemment d ' une vision très réductrice: le PCF demeure prisonnier d ' une grille
traditionne lle. retournant contre les éco logistes les catégories d 'analyses utilisées pour désigner la droite.
Par ailleurs, prétendre à l'existence d'une idéologie écologiste, qui serait
par essence conservatrice, semble pour le moins discutable. On peut au ss i
s' interroger sur la pen inence de la revendication d ' antériori té d 'une« écologie sc ient ifique », qui , par un glissement subreptice, serait naturellement 51
marxiste. L'amalgame est équivoque, mais ce retour obligé à Marx et au
scientisme du XIX C siècle apparaît auss i comme un aveu très révélateur de
l' incapacité du PCF à d iversifier ses références, et donc à opérer une rée lle mutation. Autant de rigidités dans les gri lles d ' analyse, qu i privent de crédibilité
la crit ique enve rs les écologistes et condui sent une foi s encore à esqui ver toute
ré nexion sur leur mouvance dans sa dimension présente et complexe. La démarche du l'CF compone encore bien d'autres limites.
3, L'impaci douleux d ' un aggiornamento de façade:
le Pet' à la remorque d ' une r ecomposition en geslation
3.I.La marginalisa/ion du pa dalJ s le débat politique
Si le PCF manifeste. depuis 1988- 1989, la volonté d'in tégrer l'écologiecomme souci visible, non com me axe centra l - à l'ensemble de ses revendications, celle att itude ne présente actuellement aucune ori ginal ité par rapport
aux autres panis pol itiques: elle a été tout aussi tard ive, timide, et n ' a pas
permi s au l'CF d 'enrayer un processus de marginali sation . Tous les part is politiques se son! employés à (( écolog iser セ@ leur programme . En 1990, les divers
cou rants du ps, le RPR. plusieurs com posantes de l'UDF et le Front national ont
consacré leurs univers ités d 'été à l'écologie. La réc upération de ce thème est
devenue l'enjeu d ' une concurrence inlCnse. Rappelons, à titre d 'exemple, la
publication en avri l 1990, du très audacieux rapport de Miche l Bamier (RPR) 52
qui, en préconisant le doublement du budget de l'environnement et en exposant cent propos itions concrètes, cherchait à prendre de vitesse Brice Lalonde,
alors ministre de l'Environnemen t : ce dernier devait, un mois plus tard, annoncer la mi se en œuvre du plan vert , et la créat ion de son mouvement, Génération Ecologie. Au regard de ce t activ isme, les initiati ves du PCF apparaissent
bien modestes.
S i, par ai lleurs, on a pu observer quelques tentati ves très ponctuelles du
l'CF pour afficher un rapprochement avec les Verts, celles-ci, aussi éphémères
que superfic ielles, masquaient en réalité de profondes di vergences: elles
étaient en contradiction totale par rapport au discours analysé pl us haut et ne
suffircni pas à freiner le déclin é lectoral des communistes . Les Verts ont ob-
LE PARTI COMM UN ISTE FRANÇAIS À L' ÉPREUVE DE l 'ÉCOLOGIE
163
tenu un score largement supérieur à celui du PCF lors des élections européennes de 1989 SJ, en dépit du ton relativement conciliant adopté par ce dernier
d urant la campagne. Lors de la guerre du Go lfe, début 1992, la mobi lisation de
la mouvance pacifi ste, qui rassemblait notamment le PCF et les Verts, a momentanément pu donner l' illusion - vite dissipée après la fi n de l'opérai ion
« Tempête du désert » - de l'embryon d ' un axe « rouge-vert » : la perspecti ve de ce type de recomposition, qui inclurait le PCF, semble de pl us en plus
improbable j.I.
La campagne pour les é lections régionales et cantonales (mars 1992),
marquée par l' âpre concurrence entre les Verts et Génération Ecologie, et la
lancinante question des all iances au sein des assemblées régionales a favorisé
un repli encore pl us marqué du PCF vers une position de splend ide isolement.
Les scores très substantiels 55 obtenus par les deux partis écologistes ont confirmé cette évoluti on. Le l'CF a pu , tout à son aise, dénoncer sans d iscon tinuer
les« magoui lles politiciennes» des Verts et de Générat ion Ecologie.
La conjoncture était propice à la repri se d ' une rhétorique manichéenne et
à la réaffirmati on du clivage classique gauche-droite. Aussi les contraintes et
les compromis, liés à la participation au pouvoir régional, auxquels les écolog istes se sont trouvés inév itablement confrontés, ont-ils été assimilés à des
manœuvres dou teuses.
A l' appui de leur crit ique, les communistes s'en sont pris aux propositions
économiq ues des écologistes : ces dern iers, préconisant le partage des emplois
et des revenus, et une plus grande fl exibi lité du travail , prêtaient le fl anc à une
condamnation fac ile de la part du PCF qui a pu, tout à son aise, dénoncer une
collusion, év idente à ses yeux, en matière économique et soc iale, entre les
écologistes, la dro ite et le PS, tous favorables à ce que les communistes interprètent comme la généra lisati on du chôm age parti el )6.
Proclamant qu ' ils représentaient désormai.s le seul parti «propre », les
communistes ont été j usqu'à affi rmer qu ' ils étaient aussi les seuls à être réellement préoccupés d 'écolog ie face à ceux qui ne pensent plus qu 'à la tactique
polit icienne H.
Il faut , à ce stade, s' interroger sur la crédibilité de ce discours. Les questions d 'ordre économique et social demeurent, dans une certai ne mesure, un
atout dans l'argumentaire du PCF, conforté par une ambivalence relative des
proposit ions des éco logistes sur ce terrain. En revanche, la position de repl i et
d 'ex tériorité adoptée par les communistes dans la vie poli tique hexagonale,
doublée de leur critique très réductrice des écologistes, oblitère considérablement l'i mpact de leur effort de mise àjour en matière d 'écologie.
Plus encore: si l'on tien! compte - et comment ne pas le faire? - de
l'aveuglement accablant dont les instances d irigeantes du l'CF ont fait preuve
lors de la catastrophe nucléaire de Tchernobyl , à un moment où le parti était
supposé mettre en œuvre un aggiornamento écolog ique, alors on vo it mal
164
LA GAUCIIE FACE AUX MUTATIONS EN EUROPE
comment celui-ci, prisonn ier de sa schizophrénie. peut encore espérer retrouver une capacité d'attraction.
3.2. Tchernobyl,' ultime piège de la léléologie ?
La catastrophe de Tchernobyl セ XL@ survenue en avril 1986, a jeté à bas l'argumentation traditionnelle du J'CF en matière de sécurité nucléaire, et plus particul ièrementle postulat selon lequel le risque nucléaire et la crainte qu' il inspire sont· intimement liés à la logique capitali ste セYN@ Mais, avec cet accident
majeur, les communistes ont aussi été pris au piège de leur relation sacralisée
à l'Union soviétique. En s'obstin ant, contre toute év idence, à occulter l'ampleur de la catastrophe et à maintenir coûte que coûte une image positive.
voire infaillible. de J'URSS, les communistes sont tombés dans une embuscade
bien imprévue: celle de la glasnosr et de laperesrroïka. La presse du J'CF, et en
part iculier L'Humanité, a manifesté un suivisme exemplaire vis-à-vis de l' informatio n dist illée par les Soviétiques, el une criante incapacité à formuler un
discours quelque peu autonome; elle a été totalement pri se de court par le
revi rement des Soviétiques qu i, après quelques jours, ont reconn u non seulement l'ampleur de la catastrophe, mais les retards el lacunes graves de l'information , ainsi que la série d 'erreurs humai nes el de négligences à l'orig ine
de l' acc ident.
Avant de se suicider, le 27 avri l 1988, le docteu r Legassov 60 avait rédigé
un réqu isitoire fracassant contre l'induSirie nucléaire en URSS, mais aussi contre le fonctionnement du système soviétique, et notamment celui de la « responsabi lité collective », considéré comme principale cause de la catastrophe.
Son tex te fut publié dans La Prave/a du 20 mai 1988 sur une page ct dem ie, et
la presse communiste française s'est trouvée obligée d 'en fai re état 6 1. Au train
où allaient les choses, pouvait- il en être autrement ?
Plus qu' un accident nucléaire, Tchernobyl ressemblait alors à un symptôme, un révélateur des pesanteurs du système sov iétique et de la faill ite
patente de sa technolog ie. Mais quelques années p lus lard, à la lumière des
révélations sur l'état désastreux de l'environnement dans l'ensemble de
l'ex-bloc sov iétique, Tchernobyl apparaît comme une métaphore tragique de
l'effond rement du communisme et, pire encore , ne semble constituer que la
partie émergée - glasnost obligea - d ' un iceberg terrifiant de poll utions nucléaires Vセ N@
Le PCF, victime consentante du mythe de l'URSS et d'un système fondé sur
le mensonge et le silence, a été pris dans le piège de l'effondrement de son
modèle, indissociable d ' une catastrophe écologique sans précédent. La disparition du com munisme soviétique le dé leste paradoxalement d ' une référence par trop encombrante. Esquivanltoute réflex ion de fond sur la nature de
ce double désastre, le PCF admet la réalité de la dégradation de l'environnement à l' Est et se retranche, bien lard, derrière un argument simple: il exislait
LE PARTI COMMUNISTE FR ANÇAIS À L'ÉPREUVE DE L'ÉCOLOGIE
165
en URSS un régime bureaucratique, qui n 'était pas réellement sociali ste et a
sombré dans le retour au capitalisme sauvage 6J.
Celle argumentation semble bien courte au regard de l'ampleur du passif,
et on est en droit de se demander comment , Sur cette toile de fond sinistre, un
discours écolog ique du PCF, auss i pertinent fût-i l, pourrait revêtir un caractère
aUlre que factice.
3.3.Les paradoxes des él'olutiolls récetltes
Et pourtant, un examen rapide des controverses recentes susc itées par l' irruption de l'écologie dans le champ politique nous conduit au constat suivant :
certaines prises de positi on, confortées notamment par la prégnance du fossé
Nord-Sud, sont objectivement favorabl es aux options défendues par les communistes. En d'autres tennes, il existe un espace potent iel pour Je l'CF, dans un
débat de fond encore balbutiant. Mais le paradoxe est à la mesure du déclin du
l'CF: trop affaibli et sclérosé, ce dernier n'est plus en mesure d'investir, d 'exploiter cet espace possible ; il ne fa it que l' accompagner.
A la fin des années qUaire-v ingt, les écologistes ont incontestablement
réussi à provoquer une prise de conscience et une intégration de leurs préoccupations. Mais simu ltanément. les tennes du débat imposé dans les années
soixante-dix se sont amplement mod ifiés, notamment - mais pas seulement
- en raison de la participation des Verts au pouvoir municipal et rég ional et
de la logique gestionnaire qui en découle. Car le débat sur l'avenir de la planète , devenu protéifomle, mouvant , désordonné, se mesure à l'aune du désarroi - voire de l'impuissance - des pouvoirs en place. confrontés à des
enjeux non maîtri sés.
De plus, l'accumulation d ' informations multiples, parfois contradictoires,
sur la crise écologique mondiale, conjuguée à la « conversion au réalisme»relative pour une fraction des Verts, très appuyée dans le cas de Génération
Ecologie sous l' impulsion de B. Lalonde - , a entraîné une double évoluti on.
Les écologistes ont été condu its à modérer leurs positions. Au delà des
rivalités polit iciennes, cela tempère partiellement le caractère irréductible de
leur antagonisme vis-à-vis des communistes. Si, par exemple, l'opposi tion
n'a pas disparu, e lle a été
en tre « productivistes » et « 。 ョエゥ Mー イ ッ、 オ 」 エゥ カ ゥ ウ エ ・ウIセ@
progressivement supplantée par une fonnul e moins radicale: « produire
autrement » 64 .
Enfin, à l'év idence, ce débat ne cesse de se complexifier. Par exemple, les
révélations - postérieures à 1'« effet Tchernobyl » - sur les ravages de la
pollution chimique et de l'augmentation de l'effet de serre dus notamment à
l'extraction mass ive du charbon et du li gni te en Europe centrale et orientale,
ont contri bué à brouiller un peu plus les positi ons, et conforté les partisans de
l'énergie nucléaire, considérée comme « propre» si les conditions de sécurité
sont satisfaisantes.
166
LA GAUCHE FACE AUX MUTATIONS EN EUROPE
La permanence de la vieille controverse entre les « sc ientifiques », partisans du nucléaire, et les « idéologues» écologistes a largement favori sé cette
relative réévaluation de l'option nucléaire et rendu, indirectement , une certaine crédibilité aux thèses que le PCF avait toujours défendues.
・ウᄏ@
et « idéologues )}, doublée du retour
L'opposition entre セHウ 」 ゥ ・ ョエゥヲアオ
en force des parti sans d 'une approche riers-mondiste de la défense de l'environnement - nécessairement associée au développement et inséparable d ' un
nouve l ordre économique mondial - , fi rebondi à l'occasion du Sommet de la
Terre à Rio de Janeiro en juin 1992 65 , retraçant les contours d ' un espace politique dans leque l le PCF se trouve en harmonie. De fait, de nombreuses interventions, à comOlencer par ce lle du secrétaire général de l'ONU, Boutros
B. Ghali, s' inspiraient largement des conclusions du rapport Bruntland, référence du PCF depui s 1989. La réticence des Etats-Uni s face à ces positions n'a
fait que renforcer la thèse - largement reprise dans la presse du PCF - de
l'existence d ' une « écologie des riches}) et d.' une « écologie des pauvres » 66.
La problématique Nord-Sud s' impose désormais comme un axe incontournable autour duquel devront s'articuler toute réfl ex ion , tout travail de définition-redéfinition de l'écologie et de la gauche, el confirme la persistance
d ' un clivage droite-gauche. support de la thématique du PCF.
En revanche, la controverse entre « scientifiques» et « idéologues )}, posée en termes apparemment simples, témoigne du caractère équivoque d ' un
débat aux repères incertains. La querelle des priorités - quels maux de la
planète faut-il comballre en premier ? - masque des enjeux politiques et économiques considérab les. La polémique suscitée par l'Appel de Heidelberg,
signé par deux cent soixante-trois scientifiques, dont cinquante-deux prix
Nobel, et publié le j our de "ouverture du sommet de Rio 67, est à cet égard
révélatrice. Les signataires ex primaien t leur inquiétude face à « l'émergence
d ' une idéologie irrationnelle qui s'oppose au progrès sc ientifique et industrie l » 6S, et insistaient sur la priorité à accorder au déve loppement des pays
pauvres et au rejet de l'ignorance. Les communistes, épousant les arguments
de cet appe l, les ont amplement diffusés dans L' Humanité.
Cependant , la rédaction du journal Le Monde , dans l'éditorial de première
page du 3 juin, a manifesté un étonnement réprobateur :
« Qu 'un aréopage sc lève pour dénoncer. dans un appel solennel, l'écologie
comme une « idéologie irrationnelle », affimler que seule la science sauvera le
monde et demander qu'à toulle moins la geslion de la planète soit fondée sur des
critères scientifiques, n'cst pas ord inaire. (... ) Les chercheurs et industriels
allemands, contrariés par les limites draconiennes imposées - sous la press ion
des Yens - à leurs projets sur la biotechnologie, ont manifestement inspiré un
texte qui ne peut que faire plaisir à de puissants intérêts. (... ) On peut craindre
qu ' il y ait, dans cet "ppcl, une résurgence du scientisme du XIX· siècle. (... ) Si les
Nobel ont voulu montrer leur intérêl pour l'environnement, l'ambilion est
LE l'ART I COMMUNISTE FRANÇAIS Â L'ÉPREUVE DE L'ÉCOLOG IE
167
louable. Mais la manière dont ils le fonl donne ü leur message l'allure d 'une
admonestation péremptoire ».
Le lendemain, la rédaction de L ï ·/lll11onité publiait sa réponse indi gnée,
réitérant son soutien aux signataires de He idelberg. Si les insinuations du
Monde sont exactes, elles confirment que le clivage équivoque entre scientifiques et écologistes dépasse et broui lle les contours de l'opposition
gauche-droite.
La polémique recouvre d'autres ambiguïtés: présentée comme une opposition entre « scientifiques» et « idéologues », elle revêt un caractère artifi ciel, réducteur, et contestable d ' un point de vue théorique 69. Celte approche
reprise par le PCF dans sa version la plus simplificatrice élude une question
centrale pour une meilleure compréhension du mouvement écologi ste: ce
dernier s'est en panic constitué à panir d ' une contestati on de la science par les
scient ifiques eux-mêmes, autour de mai 68 70.
De toule év idence, la prise en compte tard ive de l'écologie par le PCI'
s'apparente à un repl âtrage : son di scours ti midement rénové est plaqué sur un
comportement de crispation identitaire. Les communistes cherchent avan t tout
à préserver leurs derniers bastions et s'enferment dans une attitude de radicale
ex téri orité par rapport à la vie politique fran çaise. Par ailleurs, en réduisant le
phénomène écologiste à une forme d ' archaïsme, les communistes reprennent
les mêmes catégories d ' analyses utilisées pour dés igner la droite. Ils manifestent là leur double incapacité à penser le phénomène dans sa complexité, à
renouveler leurs ressources théoriques et donc à se transformer.
Le PCF s'est structuré à partir de fractures économiques et sociales qui dasiècle. Il a longtemps incarné une forme de modernité liée à un
tent du xiセ@
moment de la société industTielle, de nos jours en voie de dépassement.
L'émergence des écolog istes semble correspondre à l' apparition de clivages nouveaux, encore embryonnaires, qui bousculent un système partisan
vieill i, fondé sur des cl ivages partiellement obsolètes. La thématique des
Verts repose avant to ut sur une critique de la spirale productiviste et technocratique de la société industrielle.
L'environnement constitue certes leur préoccupation majeure, mai s il s
sont aussi porteurs d ' autres aspirat ions encore diffuses. Leurs formes inédites
d 'organi sation et d 'action tradui sent un désir de faire de la politique « au trement » . Il s manifestent une volonté de questionner ct de repenser la modernité
dans ses excès centrali sateurs et bureaucratiques. Autant de composantes qui
les situent en rad icale opposition avec un part i communiste irrémédiablement
sclérosé.
Not ts
' Sur C(S qU(st Îon s, voi r notamment: S. COURffiIS. "Construction et déoonstructÎon du communisme
frarn;:tis ". Com"'lmismr. 1987. nO 15- ]6. pp. 52·74: セ@ La crisc lks identités communistes セョ@ Europe oc·
168
LA GAUCIIE FACE AUX MUTATIONS EN EUROPE
cidentale JO, Communismr, 1988, nO 17, pp. 47-61: M.l.A7......, MuisOllS rougrs: Irs partis cooummistrs
!rullçuis rt italirn dr la LibiratiOll tI 1101 joIlrS, Aubier, 1992. 416 pages : « Lu panis communistes de
l'Europe occident:1le face aux mut:uiom de la classe ッカイゥセ・@
_, Communisnrr, nO 17. 1988. pp. JO.46.
INClUS reprenons ici la llOIion utilisk par P. AlI'I!A1<DER'Y. P. BITOO." , Y. DuI'O!ll"T, L'lquil"oqur kola·
giqm' . La Découvene. 1991 ,277 pagel, p. 6.
J Voir セi⦅aN@
Rf..'"oo. .. La presse française et l'environnemem _, PreSSr ACIUUli'l, septembre·
octobre 1972. nO 76. pp. 27·39. L'f tude momre que L ' l/umO/rill sc plaçait alors en dernière position quant!
la prisc en romple des questi ons d'environnement
'Lorsque R. Dumont déd:tr:lit : « Il faut reconnaître aussi que J'ensemble de la classe ッオカイゥセ・@
fran çaise profite en panic de J'exploitation du tiers·monde _ (La Cmi.T. 27/411974), il llll1çaÎ\ une sévère provocation! \"endroit du rcF, que cc dernier n'a pas .. entendue _. Il Yavait poun:mtlill matière à un débat de
et que le l'CF a toujours. et pour cause, esquivf.
fond qui reste 、G。」エオャゥセN@
· G. PEv.CHAIJD, F. Dtoocou,. Quellemse. quelle issue? JO, Ca/rirrsdu communismr. décembre 1974.
p.31.
' G. BlOLA.l, .. Marctlands d'air pur el d 'tau limpide., La Nou"rllr cri,iqr/r. octobn: 1973. nO67.
pp. 18-22. Y. T AUlOtlA.S. « Qualilf de la vic: à questions nouvelles. n!ponses nouvelles _. Cahirrs du
cOOl/nullisme, aoûl-scplembre 1978.
, P. luquin ftait alors membre du OC du l'ÇI', 」ィ。イァセ@
du «cadre de vie" depuis fin 1974.
'L' ffllmonil l, 24/611976. p. 8.
' M. Bf.RTRAND.« Les communiSles et la fièvre vene _. FrllllCl' nOl/I·tllt. 7fJ/l977. ct« Les pollueurs
iIOI1t au pouvoir _. u Mondr. 10/3/1977.
'0 AIOI"$ seçlitaire de la ffdfr.uion de Paris depuis 1973, membre du oc ct candidat communisle 10 la
mairie de Paris.
" Cahirrs du commullismt, ;1,I;n 1977.
"Voir T. fオZセLBᅦziN@
セ@ Bataille poor les cluses moyellne$ JO, u Mondr, 51S/1976.
u. cGセU
エャ。@
clas!loC ッカセイ・@
qui est la ーイ・ュゥセ@
ゥョエヲセ@
par l'kologie ... M . BUl1u..,"o, op. cil.
"Voir !"enquête de la Sofres, «L'flcctor:u ven '", ーオ「jゥセ@
par
Nourd Obsrn"/llrUr, 7f211977 :
celle<i Ii\'èle la pefll\arlencc de l'impern1l!abililé des sympathisanls du PCf lia propagande .. vene BNiゥセA@
la çoofiilfltt acrord& au pani pour les prendre en cllarge. A ti lre d'indication. 3% !IoCulement des sympathi ·
çootre 16% de ceu.\ du l'SU et de
sants du PCf seraient rkepti fs Il la propagande ←」ッャァゥウエセL@
I·utlime-gauchc. 29% de 」・オセ@
du l'S. 7% du CDS et du pani radical. 5% des MI. 4% du Rf'1t. ct 33% de ceux
ne sc reconnaissant dans aucun pani.
"« Ces problèmes ( ...)onttoujoors préoccupé les ュ。イセゥ
ウエ・@
pour qui la qualité de la vic des 'ravaill eurs
roc sc limite pas aux licul où ils produisent _. R. PQuRTEAU, L'l/wlll/ni,I, 13/6/1977.
municipales : «Faire croire que le moode
" V. Labeyrie écrit en pleiroc campagne pour les セャ・」エゥoOQウ@
coun vers uroc pénurie d'fnergie ClOI une conclusion absurde immMiatemem オエゥャセ@
par l'idéologie des
monopoles au pou"oir ( ...) pour justifier l'austfrilf _. .. lmponancc et limites de l'kologie. , L'/lulllalli/l,
u
9fJ119n.
"M. BEltTRA.... D. op. cil .
"u Mondr,1l1Sl1976.
" Collirrs du communismr.juin 1977 : L'lIunuJ/litl. 13/6/1977.
"' L' lfllmonill.1 4/6/ 1977.
l' Le décalage entre l'ampleur de l'action annoncfc. le ton de s anicles. ct le traitcmem accord.! 11
|B セカヲョ・ュエ@
dans L ' /lullloni/i COlTOborc ce ne impression de di Sl;Cnsions internes; le sujel est ウケ エ セュ。エゥᆳ
que ment relfgué en dernière page.
" " L'écologie politique rtprtsente l'ambition des couches moyennes salarifes, intellectuelles en pani culier. floofffes( ... ) par le pouvoir des monopoles ( ... ) mais qui n'acceptent paser"lOOfC une alliance fr:mçhe
avec la classe ッオカセイ・N@
lui reconnaissant sa place. C'est l'ambition illusoire d'une u"Oisième voie dom les
couches moyennes salari&s セゥ・ョエ@
ralle dirigeant •. L PuœVAI., .. Ecologie politique, troisième
voie ? _. FraI/Ct" llou\·ellr. 5/ 12J19n.
Il E. QuIQUET, Pirrrr Juquin ou 10 grnist üUllr dissidmcr, Mailrise dlli stoire, Universi tf de Lille III ,
sous la direction de J.F. SI.t,"ELU. 1991 -92, 152 pages. Ce trnvail compone en annexe un docurnenl m:mus·
crit de P. Juquin. dans lequel il livre quelqucs prtcicux ren!loCignemems sur §()fI itirH!rnire politique.
l'Ibid.. pp. 146-147.
LE PARTI COMMUNISTE FRANÇA IS À L'ÉPREUVE DE L'ÉCOLOGIE
169
lllbid.. p. 141.
"' CeHe manifestation dégénéra dan s la violence. avec un mon et de nombreux blessés. Le PCF, favorable à ["énergie nucléaire, n'y panicipa pas. et le P:S - après des hésitations - non plus.
n Le PCF a toujours soutenu le nucléaire civil: c'est une composame fondamemale de ses orientations.
La défense de ce secteur va de p:lir avec la proteC1ion de ses 「。セエゥッョウ@
industriels, not amment f.[w(Ela:tricilé
エ@ à l'énergie atomique), entreprises publiques il forte implantation comde France) ct le ŒA Hcッュゥウセ。
muniste.
'" Ils ont repris 11 cene occasion un thème qui leur est cher, il savoir la néçessité de diversifier les sources
d'énergie par la riouvenure des millCs de charbon - autre bastion tr.lditionncl du PO'.
" Celle association contrôlée par le PCFct lau;r,édite une brochure. Nalllrelltmem, ti rée ilenviron cinq
mille ・セューI。ゥイウN@
et diffusée]».r abonnemems il des collectivités locales. des associations et des syndicats .
.IO )meO'emion de S. LI! Roux, .. Défendre ["environnement, c'est lutter contre la crise '", Cahiers du
commllnism/.'. février 1985.
I I Ibid.. pp. 200-201.
llOn ne retrouvera qu'un k ho discrtt de cc débat dans un petit article d'A. LEI'lŒRE. セ@ L'environnement en question .... Cahi/.'rs dll commllnisme. juillet-aoOt 1985.
II Voir le dossier substantiel: "L 'environnement, enjeu de société. enjeu de civil isation )J, Cahiers dll
comntlmisme, juillet·aoÛt 1981. dont on retrouve des éléments dans la résolution du xxv" Congrès de décembre 1981.
).1 Ces derniers obtiennent une moyenne d'environ 8% dans les villes de plus de neuf mille habitants où
ils se son t présentés (municipales). et 10.59% (neu f députés) aux élections européen1lCs.
" Calri/.'f$ du communisme, juillet-août 1987, p. 41.
,. Du nom de son auteur. Madame BR UNTU.No, fumier ministre social-démocrate de nッoGセァ・N@
l' Ce qui n 'exclut pas des initiatives régionales.
BG p。イ・セューャ@
lors de la pollution du Rhin par les usines Sandoz (novembre 1981).
JO Au cours de laquelle le groupe communiste nu Parlement européen a publif une brochure:
"' 10 propositions pour ["environ1lCment_ .
.. .. Nous ne IlOI.IS situons ni ne nous déterminons par r3ppon à d·autres. Nous ne nous prononçons pas
pour ou contre les positions des écologistes. mais bien ]».r rappon à nos propres conceptions de l'écologie •. (5. MAYER. " La IUlle pour l'environnement. ouvrir des perspa:tives nouvelles., Cahiers dll COI/I·
mWlism(. juill et-août 1990). S. M"Yf.Jl a aussi publié. il ["automne 1990, un ouvrage: Parli pris pour
rico/agie (Ed. Messidor), qui synthétÎse les positions du PO' sur la question .
.. V. la。fNョャセL@
.. Importance et limites de l'écologie ". L·Hllnianir/. 9/311911 ct " Qu'est-ce que
l'écologie 1 . , L'f/llmanill, 16/111 1911. L'auteur krit notamment: ,,["kologie eSI sortie du domaine
uclusivement scientifique. où elle fmi , d'ailleurs souvent ignorée. pouremrerdans la vie de touS les jours.
( ... ) Cene liaison entre écologie et politique irrite de nombreux セィ・イ」オウ@
qui la ressentenT comme une
souillure entâchant l'objectivité de leurs travaux _ (p. 8).
sièc le. Le mOl a ←エセ@ galvaudé dans
' l .. L 'écologie est une discipline de la biologie née au cours du セエxG@
les années ウッゥセ。ョャ・M、クN@
jusqu'à I"«ouvrir un discours très général. mais 11 prétention scientifique, sur les
choix de société. Il convient de remeure les choses en place '". P. Acur.", Le souci de l'environnemem et du
cadre de vie CSt une démarche naturellement ffiarllistt _. L' iャQュ。ョゥセN@
13/3/1986.
" P. ACOT.llülOirt dr rlc%gi/.'. pup. 1988,261 pages. p. 10.
" Ibid .. p. 112.
·' Ibid .. p. 219.
"Ibid .. pp. 240-242.
"Ibid., p. 242.
" P. Acur . • L'illusion naturaliste sur le point d'être dissipée. L 'écologie libérée ... L·I/umanill.
1511211988.
"Cc type d'argumentation a parfois verr.é dans la caricature, nOiammenllors de la campagne pour les
européennes en 1989. Le passage d'Antoi1lC Waechter, candidat des Vens, à l'émission télév isée
L'I/el"/.' d/.' l' IrÎli, n'est pas commenté par L' I/umanill. cependant que P. Acot y publie. en pleine ]».ge
0 /6/1989), un article inti tulé .. L'écologie de la modernité _, dans lequel on peut lire: " En libérant d'une
aliéna1Îon bi-millénaire la façon de penser les rappons entre l'homme et la nature. la pensée communiste D
nnticipé. sans le sa\'oir, su r la pensée écologique dont le monde modeme a besoin. On l'a compris. encore
セi・」エゥッョウ@
170
LA G.\UCI1E FACE .\UX MUTATIONS EN EUROPE
tout rttcmmem. à tr.m: rs I"échange COIre P. llerzog (po') et A. Wacchter. où le plus érologiste des dcux n'a
pas été セi オ ゥ@ allquel J'opinion publique s':lUcndait セN@
"' Voir L. Ft:RkV. U /lOI"'fI ordrl': Inllogiqrll!. L'urbre. /"Imimale/ /' homml'. GIOlSsel. 1992.274 pages.
" p, Arer... Le souci de l'environnemem et du cadre de vic est UfIC do!marche naturellemem
L@
marxiste '". L'J/rlllran;ll . ャjセiYXV
01 M. B...II." u;" , Chacun pour 10US, udlfi Icologique, Stock, 1990. L'auteur cst un ancien oollabor.ucur
IlOITInlé minis1Tl' de l'Environ·
de R, Poujade. pn:'miN ministre de l'Environnement en 1971, Ct vient 、Gセエイ・@
nement dans le goovememcm BaJiadur, Le premier ouvrage publM! p:tr le 1'0' sur la question (S. MAVEII:,
op. cil.) ne p:mlit qu'à J'autOOlfIC de la même anntc.
JJ I'O' : 7.71 % ; Vens: 10.59%.
"Nous la issons ici de côté lïtinérJire de P. Juquin ct des « セョッカ。
エ ・ オ イウセN@
ainsi que la démarche aclOelle des .. rtconstructeurs ,. Ct « rerond:ueurs .. du 1'C1'. Rappelons セー・ョ、。エ@
I"échec du projet
.. rougc -ven • (à ,'rai dire plus. rouge. que « ven _. car !\Outenu p:tr l'extrême·gauchc : la I.a. trotskyste,
Je l'SU ct la FMér.uion de la gauche alternative. maoiste) quc P. JUIluin avaittemé de promouvoir l travers sa
candidature aux élections prisidcmielles de 1988. Celui-ci n'obtint que 2.01 %. contre 3,78% 111
A. Wacchter. candidat dc$ VctU. Ce イ← セ オャエ。@
aneste - ct n'a pu été ゥョヲセ@
depuis - qu'un candida! cn
rupture de pani. mais nbnmoins marqué par une longue app:tnenance « rouge ". ne di spose que d'une
」。ーゥtセ@
d'a tl rt\Clion dérisoire: pour un électorllt sensible aux エセュ
・ ウ@ écologistes. face 1 des candidaTs positionnés, 、セウ@
le début de leur engagement po litique, du cᅯtセ@
des .. yens セ N@
L: adhésion de p, JUIluin au pnni des Vens a été 。 」セーエ←・@
avec beaucoup de セエゥ」ョL@
aprh un débat
trh sem! au sein du pnni. ct lia condition que l'ancien dirigeant communiste. trop marqué. aux yeux de
cenains, par son passé . rouge _. demeurt Totalement silencicux pendant quelques années.
Si les. rtton'>lructC'Urs " CT. refond:ueurs .. revendiqucnt une plus grande oovcnure envers l'écologie,
ct セョ。ゥ」U@
positions communes a"cc les Vens. ils n'ont établi avec ces dernicrs que des contacts indivi·
duels ct IIh embryonnaires.. AUTant 、Gゥョセ
ウ@ confinna nt la grande méfiance des Vens vis-l-vis des« rouges ".
JJ Aux élections n!giona les. les écologistes. TOuteS tend:lrlccs confondues. recueillent 14.37% des suffragcs, dont 7,1 % pour Génération Ecol08ie (B. Lalonde) CT 6.8% pour les Vens (A. Wacchter). l.e t'CF, en
recul de 2,32 points par rappon aux rtgionales de 1986. obtient 8% des voill.
" Voir notamment lGhオセュゥイOL@
13. 25. 26. 27. 28M2: 2.12.2613/1992,
'1 L' lIumDnill , 261311992.
"' F. SI)I()'o·EIto:o"K:H. t HG ィセイョッ「LNQ@
n iセ@ l'CF. communication au colloque de la mission hiSTOrique fJall·
çaise cn Allemagne. Institut fUr Zeitgcschichte. Mün ich. 1-3/ 12/1988.
" Cet accident n'a pas rtellemcnt affecté l'cnsemble des panis.ans du nucléaire cn France. qui onTbé·
néficH! de la !\Olide rtput:lTion de 1:1 technologie française. ct d'un consensus hexagonal relnTivcnlCnl
l31ge, en do!pit d'un vif do!bat sur la sécuritl! nucléaire. auquclle!'Cf' a :lmplement participé.
oo Membre du Praesidium de l'Académie des sciences ct de la commission d'enquête mise en place au
lendemain de l' accident.
.. L·/fumDn;ll. 2JISI I988. Rb"Q/utiOll, 3/611988, n 4JI. Voir aussi Le Momü. 22-2JISI 1988 .
.: Voir Je repon3ge accablanT diffusé le 23fJ/1992 dUJallT l'é mission tmvisée lA morcht du s;«lr
(France 3).
oJ Voir p31 cxemple L' HunI/Jnir/ . 26 ュSQセ@
1992. AVllllt l'effondrtment de l'UItSS. les commun istes invoquaient la pression de la guerre froide ct de l'i mpérial isme américain, pour trouver des circonstances
anénuantes aux ravagcs de 1:1 pollUTion nucléaire.
.. Fonnulc qui n'est pas sans lien Dvec le concept dt: « <JévcloppelllCnT SOUTenable .. H ウオjヲャェゥイ。「セ@
、セiG
セ G@
lopmrm) proposé dans le rappon Bruntland, NOirt /JI'Mir ù I/JU$. op, ('il. Voir aussi G, S... i ZュG セ ByL@ u s Vuu.
l'\lF. 1992. 127 pages, pp. 71-72
.. Sur le Sommet dt- Rio. voir U Mondr ct L'HunIanir/. qui en a très largemen t rendu compte du 2 au
6juin 1992.
" Voir P. PAlAIRE, L'ultip;r l'rrle : i」 ッャァゥセ@
drs richrs,lrologit litS pa/II'rrs, Hachelle, l'luriel, 1992,
221 pages.
"L' UMmnill,2I6I1992.
"CiTI! dam L'Uumonill, 2/6/1992. Voi r aussi l'inTervie w de Claude aijセァイ・L@
l'un des signataires. ù
NOl/I'tIObsc,."UlCur. 11·17/611992. pp. 96-98.
Q
L E PARTI COMMUN ISTE FRANÇAIS À lG i セiGreuv@
DE L'ECOLOGIE
17 1
ャi。ゥGセ」・N@
,., VOir J. IIAHI;R\IA', lA' Il!c/llliqllt' l'I la sril'lIet' mmme" idéologie . , l'ari,, Gallimard, 1973,
de b Re·
'" Voir R. PI<O\II,R. V.J. l セ@ SnG";LR. Gellùmi,m ,·rrtc. lu IcQlo.çim·s t'IIl)(,litiqllt'. ャG イ・UscZセ@
1992.334 ]Xlges, pp. 29-30.
Le retard social-démocrate
en Europe centrale et balkanique
Jean-M ichel D E W AELE
1. Introduction
Après l'effondrement inattendu du mur de Berlin en novembre 1989, de
nombreux observateurs croyaient pouvoir prédire " émergènce prochaine d'un
puissant courant social-démocrate dans les anciennes démocraties populaires.
Selon ces ana lyses, celui -ci aurait dû bénéfi cier de la peur et de l'incert itude
nées dans la population face à la rapidi té des changements économiques,
compte tenu de l'égalitarisme ambiant dans ces sociétés, de la présence encore
massive d' une classe ouvrière traditionnelle et du discrédit des partis corn·
munistes.
Ces prévisions semblaient renforcées par certains sondages et quelques
études relat ives aux intentions de vote et aux valeurs idéo logiques des populations de ces nouve lles démocraties parlementaires. Les conclusions apparaissaient alors généralement fort optimistes quant à l' avenir de la
social-démocratie. Manifestement , elles sont largement influencées par le
climat d 'euphorie qui régna pendant quelques. mois en ()çcident.
La plupan des thèses défendues dans le Joumal des élections 1 de février 1990 en sont des exemples symptomatiques . Ce journal publiait le résultat d ' une grande étude d 'opinion comparative menée dans différents pays
du continent européen 2. Les partis sociaux-démocrates « historiques» se
voyaient prometlre un avenir radieux tandis que les structures communistes
sembl aient appelées à se di ssoudre, à disparaître ou à rejoindre en bloc le
camp nationali ste.
En Europe occ identale, cette perception perdure j usqu 'aux résultats des
élections tenues en Républ ique démocratique allemande. A la surprise de
nombreux instituts de sondage. la population est-allemande pré fère les
risques et le rêve offert par une unificat ion immédiate. promise par les
chrétiens-démocrates, à l' intégration progress ive et prudente défendu e par le
SPD.
174
LA GAUCI IE FACE AUX MUTATIONS EN EUROPE
La série d 'échéances électorales d 'avril à juin 1990 dans les anciens pays
socialistes confirme et accentue mêl!le ce premier résultat. A tel point que les
scores obtenus par les sociaux-démocrates est-allemands, vécus au moment
même comme une lourde défaite, apparaissent quelque temps plus tard
comme les meilleurs réalisés par un parti soc ialiste en Europe centrale et balkan ique après la chute du communi sme .
En Albanie, en Bulgarie et en Rouman ie, les partis soc iaux-démocrates
n'obtiennent que des résu ltats insignifiants lorsqu ' il s ne fon t pas panie de
larges front s anti-communistes. En tout état de cau se, leur influence politique
et idéologique reste fort réduite. En Pologne, plusieurs mouvements se réclament explicitement ou impl icitemen! ) de la social-démocratie mais il s ont peu
d' influence électorale et resten! extrêmement morcelés, à l'image de l'ensemble du paysage politique polonais. Les élections législatives n'envoient à
la diète que quelques personnalités pouvan t être classées au mieux comme des
sympathisants des valeurs sociales-démocrates.
En Tchécoslovaquie, lors des prem ières élections .Jégislatives de juin
1990, les sociaux-démocrates n'obtiennent pas les 5% nécessaires pour siéger
au parlement. Seul le ralliement d 'élus du Forum civique, suite à son éclatement 4, permettra au part i social -démocrate d'être représenté au parlement
fédéral. En juin 1992, lors de nouvelles élections législatives, le parti
social-démocrate ne récolle en Bohême que 6,8 % à la chambre des nat ions.
Dans la partie slovaque, les résultats sont encore plus décevants pu isque,
ma lgré la présence d'Alexandre Dubcek sur ses lisles, le parti
social-démocrate slovaque ne parv ient pas à franc hir le minimum de 5% pOUf
obtenir des sièges au niveau national s.
En Hongrie. le mouvement social-démocrate semble aussi faible que divisé. Le tentative d'A. Petrasov its de faire renaître de ses cendres le parti
social-démocrate« historique» n'a été qu'une suite d'échecs dOnl l' Internationale socialiste a pris acte en suspendant ce mouvement en fait quasi
inex istant .
Globalement donc, le bilan de l'émergence ou de la renaissance des panis
sociaux-démocrates en Europe centrale et balkanique apparaît comme un
grave échec pour ceux-ci et pour l'Internationale socialiste. Aucun de ces
partis ne partic ipe pour l'heure à un gouvernement, leurs élus nationaux sont
rares et les partis sont faibles et divisés.
Nous voudrions tenter de mettre en évidence divers paramètres expliquant
celle situation. Les conséquences de tous ordres de la grave Crise économique
que traverse l'ensemble des pays d' Europe centrale ct balkanique ne seront
volontairement pas traitées. Elles nous semblent nécessiter une étude à part
entière. A notre sens, ce serail une erreUf de cons idérer soit qu' il ex iste une
explication simple et unique, soit que les situations divergent tellement d'un
pays à l'autre que seule une étude cas par cas pourrait faire avancer la recher-
LE RETARD SOCIAL- DÉMOCRATE EN EUROPE CENTRALE ET BALKANIQUE
175
che. Il nous semble que les expl ications sont de nature diverse (historique,
sociale. idéolog ique, etc,) et se combinent diffé remment et avec une intensité
variable se lon les part icularités nationales . Notre tenterons de mettre en év idence les éléments communs éclairant les diffi cultés générales d'émergence
de fo rces sociales-démocrates en Europe centrale et balkaniq ue 6 .
2. Le poids de l' Histoire
II serait certainement trop réducteur d'analyser les difficultés d 'émergence des partis sociaux-démocrates « historiques» uniquement en terme de
retour mécanique à l' histoire de l 'entre-deux-guerres. Les transfomlations
profondes des structures sociales, des mentalités et du niveau d 'éducation de
l'ensemble de la population interdisent tout automatisme, Néanmoins, l' histoire d' une région el d' un mouvement politique pèse sur le développement
fu tur des fo rces politiques . Elle forme une partie du terreau sur lequel se développeront les nouvelles forces poli tiques. Rappelons donc brièvement
quelques données qui appartiennent à l'histoire de ce siècle et qui , à des litres
divers et avec des intensités variables, continuent d'avoir des conséquences
sur la formation - ou la non-formation - des social-démocrat ies.
1. Il faut rappeler la grande faibl esse des mouvements sociaux-démocrates en
Europe centrale et balkanique. Sauf en Bohême-Moravie, les mouvements
d'inspiration sociali ste resteront faib les dans la plupart des pays d 'Europe
centrale et balkanique 7. JI est vrai que dans les grandes villes polonaises
aussi, le mouvement ouvrier consti tue une force imposante mais son
influ ence réelle sur l'évolution de la situation politique restera des plus
limitées, Ses divisions majeures, particu lièrement sur la question nationale 8,
empêchent l'émergence d' une force politique organi sée et puissante 9 . La
faible industrialisation 10, le poids massi f de la paysannerie II, le déchirement du mouvement ouvrier entre partisans et adversaires de la troisième
internationale, la priorité donnée aux quesfi ons nationales sur les questions
sociales et l' instauration rapide de dictatures autoritaires d'ex trême-droite
ne permettront pas la mise sur pi ed de mouvements infl uents liés à la soc ialdémocratie,
La sit uation générale des pays d 'Europe centrale et balkanique est
«peu favorable à l'élaboralion de la ré nexion sociale, cene situation a pounant
favorisé les partis communistes mieux adaptés que les panis sociauxdémocrates, clubs d 'intellecluels, à la vic clandesline ct qui ont réussi à maintenir
dans J'illégalité une volonté de lutte parfois impressionnante. Mais eux-mêmes
onl été pan agés en faclions opposées, cc qui pennet au Komimem d 'exercer sur
eux un contrôle qui est lo in d'être souvent profitable à leur action » 12,
Alors que durant l'entre-deux-guerres plusieurs partis socialistes d' Europe
occidentale connaissent presque tous un début de reconnaissance et d' inté-
176
LA GAUCHE FACE AUX MUTATIONS EN EUROPE
gration dans leur système politique national, les partis de l'est européen
subi sse nt emprisonnement et répression. Une ligne de partage entre partis
socialistes du con tinent s' instaure donc.
2. Le début de la guerre froide se ra marqué pour ces mouvement s
sociaux·démocrates par des rauachements autoritaires aux partis comm u·
nistes au pouvoi r. Oaniel· Louis Sei 1er rappelle que
l'on oublie trop souvent que la gauche paya au communisme un tribut au moins
aussi lourd quc la droitc » u.
Les conséq uences se feront sentÎr à un double niveau: d'une pan , par
l'absence de conti nuité d'une réfl ex ion théorique et politique produite par
des cadres se sentant proche des idéau x sociaux-démocrates; d'autre part ,
les valeurs sociales·démocrates n'ont quasiment pas été diffusées et expli·
quées dans la population,
Avant d'analyser quelques contradictions idéologiques rencontrées par les
panis sociaux-démocrates, nous voudrions mettre en ,évidence un certain
nombre de handicaps d 'ordre différent auxquels ont été confrontées ces force s
politiques au lendemain de la chUie du communisme.
«
3. L'absence de relais socia l ou polilique
Celte disparition totale des mouvements sociaux-démocrates, à tous les
niveaux et sous quelque forme que ce soit, n'a pu manquer d'avoir des con·
séquences durables pour ceux-ci. Comme le note Jan Vermeersch 1\
les sociaux-démocrates étaienl de manière évidente considérés comme le
principal ennemi des régimes eonununÎstes. Les démocmtes-chrétiens et les
libéraux ont établi des " panis satellites », mais les partis sociaux-démociJ.tes ne
furent pas autorisés à le faire» IS.
«
Un certain nombre de parti s politiques parviendront à récupérer une panie
de l'appareil organi sationne l, relationnel et financier de l'ancien régime après
avoir changé les dirigeants les plus compromi s. Les partis paysans peu vent
investir les anciennes format ions « paysannes» sate ll ites. Les exemples les
plus typiques sont le parti paysan polonais (PSL) ou le pani popul aire tchécoslovaque (CS L·KDU) qui , tous deux anciens pani s, changent rapidement de direction lors de la chute des régimes communistes et parviennent, grâce à leur
bonne implantation locale et à leurs moyens financiers con sidérables, à réali se r des scores électoraux non négligeables. Le CSL-KDU avec ses quelque
quatre·vingt·d ix mille membres obtient 6% des voix aux électi ons législatives
de juin 1992. Ses scores seront supérieurs à cette moyenne dans les petites
villes où les autres panis politiques - y compris les plus forts - n'ont pas
encore pu s'organiser el s' implanter. Le PSL recueille vingt-huit sièges profi·
tant aussi de son ancienne implantation dans des zones plus reculées du pays.
Ces partis peuven t aussi compter sur l'aide de l'ensemble du « lobby» paysan.
LE RETARD SOCIAL- DÉMOCRATE EN EUROPE CENTRALE ET BALKANIQUE
177
Les partis communistes peuvent eux aussi compter sur une part je de leurs
anciennes re lations locales, leur connaissance du terrain et sur une partie de
cadres qualifiés qui leur sont restés fidè les. Ces élément s leur serviront de
base pour temer - dans certains cas avec succès - leur transformati on politique (voir infra). Les panis chrét iens pourront de leur côté se reconstruire en
se basant sur un vaste ti ssu associatif d ' organisations - tolérées ou non - par
les autorités communistes. Les partis libéraux, partisans de la « thérapie de
choc », peuvem compter sur l'aide d ' une partie de l'ex-nomel/klatura reconvertie, surtout depuis le début de la perestroïka et des réfonnes économiques,
dans les affaires et la spéculation.
On pourrai! continuer l'énumération des nombreuses structures, organisations ou mouvements de l'ancien régime communiste qui om largement
aidé - avec des fortunes diverses il est vrai - les autres forces politiques.
Pour des raisons tenant à l'histoire et à l' idéologie, les part is
soc iaux-démocrates « historiques» d ' Europe de l' Est n 'ont pu compter ni sur
ces organi sations, ni sur ce tissu social parfois dense, ni sur ces rouages relationnels parfoi s anciens pour se reconstruire et s'organi ser. Les organi sation s
syndicales qui auraient pu jouer le rôle de relais des idéaux sociaux-démocrates
sont restées fort peu perméables aux changemems politiques et elles demeurent encore sous solide influence communiste.
Dès le départ donc, les partis sociaux-démocrates onl souffert d ' un lourd
handicap. Leur retard , au niveau organisationnel et structurel, risque d'être
long à combler. Le manque de relais social et politique propre aux partis
soc iaux-démocrates comparativement aux autres grandes forces politiques
d 'Europe cemrale et balkanique est, à nos yeux , un élément trop peu mi s en
avant jusqu ' ici pour expliquer les difficultés et les lenteurs de l'organi sation
des force s sociales-démocrates. L' inex istence d 'organisalions proches idéologiq uemen t de la social-démocratie !6 et sur lesque lles elle aurait pu appuyer
sa reconstruction explique aussi, partiellement, ses çlifficultés à rassembler
des cadres de valeurs et à se faire connaître du public.
4. Les événements de 1989
Sans essayer d'expliquer la dynamique des événements qui ont entraîné la
chute des démocraties populaires, une remarque doit être faile sur les événemenlS de 1989. Au cours de ce « court vingtième siècle », rarement les mouvements de la gauche démocratique européenne auront joué un rôle aussi fai ble dans le renversement « révolutionnaire » de régimes aulorilaircs. De fa çon
diverse el conlradictoire il est vrai , les mouvements de gauche ont jadis fail
fonc tion tantôt de moteur, tantôt de modérateur dans les renversements des
régimes autoritaires. Les mouvements se rattachant à la gauche démocratique
ont été pratiquement absents du processus, sauf en RDA pendant un court laps
de temps. En tout cas, il n 'est pas excessif de noter que la mouvance de gauche
178
LA GAUCHE FACE AUX M UTATIONS EN EUROPE
n'a pas été le moteur des transformations sociales radicales et qu 'elle aura
donc d'autant plus de difficulté à en tirer un profi t politique.
Se lon nous, l'explication de celte situation réside dans le fai t que les processus de changement de régime ont été en majorité impulsés dans un prem ier
temps par le « haut », suite aux tentatives des communistes réfomlateurs de
condu ire les transfonnatio ns. La Tchécoslovaquie est le seul cas où l'impulsion est venue « d'en bas », en l'absence de force réformatrice suffisamment
pui ssante au ウセ ゥョ@ du parti communiste tchécoslovaque. Celui-ci avai t été largement épuré après le printemps de Prague en 1968. Enfin , notons que mi se à part en Pologne - la mobilisat ion ouvrière n'a joué qu ' un faib le rôle
dans la chute des régimes communistes.
5. Le « rejet » des valeurs du socialisme
Le discrédit du régime communiste a entraîné une « allergie » à nombre
d 'idéaux traditionnels de la gauche. Tout ce qui de loin ou de près semble - à
tort ou à raison - proche du discours ou de la pratique 、 セ@ l'ancien régime
communi ste fait l'objet d' un rejet dans une.large panie de l'opinion publique
et dans la qu asi-total ité des élites dirigeantes. Une assimil ation et une confusion se sont produites entre les régimes du « socialisme réel» et l'ensemble
des idéaux de gauche: alors que les valeurs de la gauche étaient traditionnellement liées à la lutte pour la démocratie et pour la liberté, elles sont assoc iées
en Europe de l'Est à la dictature et à la répression. Il va s' instituer dans de
nombreux domaines un contre-pied systématique par rapport à ,'ancien régime.
En matière de politique économique par exemple. Jacques Nagels souligne que
« le rejet de l'ancien régime est un rejet total. un rejet de tous ses attributs. Panni
ceux-ci il y avait justement un certain nombre d'avancées sociales. Dès lors
l'aide à certaines entreprises en difficulté, les subventions à certains produits de
première nécessité, des réglementations du travail protégean t les salariés, la
poursuite d 'une politique globale de plcin emploi... risquent de devenir tabou,
non seulement parce qu 'el les contreviennent aux canons du marché, mais
égalemem parce qu 'elle sont imprégnées du sceau de J' ancien régime. La
Illercanti lisation de sphères habituellement non marchandes dans les pays de la
Communauté européenne est en vogue à l' Est, tout autant parce qu 'elle cadre
avec les précep tes du néo-libéralisme que parce qu'elle prend le contre-pied du
passé»
17.
Les mêmes constatations valem dans nombre d'aulres domaines.
6. L' influence des facl eurs externes
De façon générale, les social-démocraties balbutiantes de l'Est européen
tentent d'émerger dans un contexte global diffici le. Outre les problèmes inter·
LE RETARD SOCIAL-DÉMOCRATE EN EUROPE CENTRALE ET BALKAN IQUE
179
nes, elles doiven t tenir compte de l'innuence de trois crises ex temes largement entamées avant 1989 mais dont les conséquences sont indéniables sur la
formation à l'Est des nouvelles forces politiques en général et sur la
soci al-démocratie en part iculier.
Il s'ag it premièrement de la tentative d ' insertion dans l'économie capitaliste mondiale, largement compliquée si pas compromise par la crise économ ique profonde des structures de l'économ ie mondiale, en récession.
Deuxièmement , ces partis sociaux-démocrates se construisent à une époque de crise du paradigme social-démocrate et de l' Etat-providence. Les grandes organisations occidentales connaissent, elles aussi, à la foi s une profonde
mutation et une crise d ' identité et des valeurs traditionnelles 18.
Troisièmement, le processus de construction de nouvelles forces politiques à l'Est se déroule sur fond de crise de la représentation partitaire dans
l'ensemble du monde occidental. L'effondrement extrêmement rapide et totalement imprévu des démocraties populaires n ' a pas permis la nai ssance et le
mûri ssement de nouvelles formes d 'organisation politique et économique.
Le seul modèle politique et économique possible et disponible dans celle
conjoncture semble être l'importation immédiate du modèle occidental qui
apporterait bien-être et démocratie. Or ce modèle de référence importé traverse une passe difficile. Et la composante sociale-démocrate s'en sort encore
moins bien. Comment proposer aux populations un modè le lui-même en crise
d'identité, en mutation et en quête d'un renouveau et d ' un programme idéologique crédible pour la décennie?
7. Situation nouvelle pour la gauche
Outre ces difficultés dues à l'innuence de facteurs ex ternes, la
social-démocratie d 'Europe centrale balkanique doit faire face à une situation
inédite pour un mouvement de gauche. Historiquement, les grands part is
sociaux-démocrates nai ssent en réaction aux conséquences d ' un capitalisme
déjà puissant. En forçant l' institutionnalisation du dialogue social, ils deviennent partie prenante à la stabilisation et aux réformes d'un système dont ils
étai ent un des produits.
Or, la sÎluation s'avère radicalement différente en Europe centrale et balkanique. La question capitale posée à l'heure actuelle aux social-démocraties
est celle de la possibilité de voir émerger et se construire un large mouvement
sans capitalisme. La soc ial-démocratie peut-elle aider à la formation de ce capitali sme alors qu'en Occident, elle fut le résultat de ses excès?
Jacek Kuron, l'ancien leader du comité de défense des ouvriers « KOR» et
actuel mini stre et homme politique qui arrive en tête de toutes les enquêtes de
popularité 19, aimait décl arer il y a quelques mois à ses amis de la gauche occidentale:
180
LA GAUCHE FACE AUX MlITATtONS EN EUROPE
« J'aimerais beaucoup être social-démocrate dans un pays capitaliste développé.
Mais cn Pologne le capitalisme n'existe pas. Nous devons d 'abord le créer » 20.
Depuis lors, la fonnation du capitalisme a incontestablement fait « un grand
bond en avant » en Pologne.
Ces quest ions clés posent des problèmes idéologiques fondamentaux à
" ensemble de la gauche des anc iennes démocraties populaires. La spécificité
de cene situation rend l' aide ou la transposition des programmes
sociaux-démocrates occidentaux totalement inopérantes.
8. Les contradictions de l' identité sociale-démocrate
en Europe cenlrale et orientale
La social-démocratie a rapidement repris à son compte l'objectif de l'établissement accéléré d ' une économie de marché et d ' insertion des économies
de l' Est dans le commerce international. Ceci s'explique par l'absence complète de programmes crédibles et cohérents pour une transition di ffére nte de
ces anciennes économies planifiées. Aucune alternative pour un autre type de
transition ne s'est dessinée. La rapidité des changements, la crise idéologique
de la gauche et la fo rce ext raordinaire d ' attraction du modèle occidental expliquent en partie le peu de d ifférenciation idéolog ique et programmatique de
fond des part is sociaux-démocrates.
L'analyse des programmes politique et économique de ces partis démontre l'extrême difficulté qu ' ils éprouvent à form uler et à proposer une politique
sociale et économique cohérente. S' i! est indéniable que des d ifférences non
négligeables ex istent entre les programmes des nouveaux pan is d ' Europe
centrale et orientale, celles-c i ne se concentrent pas sur l'essentiel et ont pour
conséquence de plonger les forces socia les-démocrates dans des contradictions di ffic iles à surmonter à court terme.
Un des problèmes principaux rencontrés par ces partis est la construction
d' une identité politique propre. Or, cel le-ci est compliquée par la fa ible marge
de manœuvre dont bénéfic ient ces partis. Les d ifférences essentielles entre les
programmes polit iques des partis aux niveaux social et économ ique ne tiennent pas tant aux objectifs à atteindre qu ' au rythme et au coût social des réformes . Les partis sociaux-démocrates occupent en fai t une position centriste
coi ncée entre les partisans d ' une thérapie de choc, qui espèrent pouvoir atteindre leurs objectifs à court terme, et les mouvements d ' inspi rat ion généralement populiste ou nationaliste qui refusent le coût social des réfonnes. Entre
les deux, le discours prudent des partis sociaux-démocrates ne rencontre que
peu de succès. Les citoyens, qui craignent les réfonnes, sout iennent des
mouvements q ui défe ndront leurs intérêts. En prônant l'établissement rapide
d ' un système d 'économie de marché, la social-démocratie ne peUl espérer atti rer les larges couches de la population, effrayées par la profondeur des mutalions, puisqu 'elle ne les remet pas fondamenta lement en cause. Mais d 'autre
LE RETARD SOCIA L-DÉMOCRATE EN EUROPE CENT RALE ET BALKANIQUE
18 1
part, e lle ne peut pas non plus remporter de grandes victoires sur ce ux qui
défendentl'instauralion d ' une « thérapie de choc » car les critiques sur le coût
soc ial de telles réformes sont vécues comme autant de freins aux tnmsfomlations.
L'espace idéologique laissé aux soc iaux-démocrates est donc des plus réduits et l'émergence d ' une identité pol itique claire reste problématique, De
quelles couches sociales peuvent-il s défendre et relayer les intérêts? En effet,
ces pays connaissent des révolutions sociales. On peut prévoir qu'à court
terme le nombre de personnes travaillant dans les industTies lourdes, dans le
secteur étatiq ue et dans le secteur agricole diminuera fortement au profit du
privé, des PME et du secteur des serv ices, Un chômage d urable parmi ceux qui
auront été incapables de s'adapter rapidement aux exigences du temps risque,
en l'absence d ' un système fort de protection sociale, de créer ou d'augmenter
un quart-monde non négligeable, A moyen terme donc, les grands groupes
sociaux verront leur importance, leur poids et leurs intérêts varier profondément. Ces changements sociaux ne pouvant manquer d ' influencer le paysage
politique, celui-ci risque de rester instable et mouvant à l' image des groupes
sociaux qu 'i ls représentent et défendent. Les premières études menées sur la
composition sociale des différents électorats montrent qu 'en Pol ogne le parti
qui a obtenu le plus de suffrage s dans la classe ouvrière est le très nationaliste,
réactionnaire et populiste KPN".
De même, la fonction originale que peuvent exercer ces partis semble encore largement incertaine. Ils se déballent dans des contradictions di ffici les à
gérer el viven t une situation totalement inédite pour le mouvement ouvrier
traditionnel. Il est en effet paradoxal pour des partis sociaux-démocrates d'encourager la formati on rapide d ' un système capitaliste, de souhaiter l'émergence d ' un patronat et de défendre la privatisation mass ive et indiscriminée
des entreprises . Les désaccords avec les partis gouvernementaux ne portent
que sur les modalités et les mécani smes de privatisation. De même, le démantèlement d ' une partie notable des structures étatiques ne fi gure pas d ' habitude à l' agenda des part is de gauche.
Comme le résume G. Markus:
« la validité universelle de la social-démocralie trouvait ses nlcines dans la
eontnldiction entre la nécessité d'une économie de marché efficace, d'une part,
ct d 'autre part, les impératifs sociaux, humains ct écologiques de mettre en place
des garde-fous au marché ct à l'extension de la logique du marché. JI cst évident
que dans une société post-communiste, avec les tâches historiques et simultanées
d ' instaurer et de consolider la démocratie, le capitalisme ct la modernisation, le
contexte n'est guère favorable pour une «social-démocratisation » de ces
sociétés» 21.
Le principal handicap des partis soc iaux-démocrates en Europe centrale et
balkanique demeure donc l'absence d ' un projet sociétal original.
182
L<\ GAUŒE FACE AUX M lITATIONS EN EUROPE
Un autre facteur explicat if des difficultés d'émergence des
social-démocraties à l'Est réside certainement dans la priorité traditionnelle
accordée aux questions nationales sur les questions sociales. Le cl ivage dominant n 'est pas pour le moment ce lui qui oppose le travail (peu organi sé) au
capital national (à l'état d 'ébauche) mais bien plutôt, comme le démontre
G. Markus, celui qui oppose occidentali stes-démocrates et mouvement nationaliste traditionaliste 22 .
Ce clivage recouv re des réalités, des intensités et des références hi storiques différentes de pays à pays, mais il div ise de façon profonde toutes ces
soc iétés. Ce n' est pas non plus un hasard si c'est un chercheur d 'origine hongroise qui met part iculièrement en avant ces analyses. La sociélé hongroise
traditionne lle étant particul ièrement divisée entre ces deux courants. Cette
séparation recouv re des appartenances différentes au niveau de la cult ure politique comme au niveau des valeurs. Non sans conséquences pour les part is
soc iaux-démocrates:
1. ils sont en porte-à-faux par rapport à ce clivage faute d ' identité propre . Il
reste diffi ci le d ' imaginer le développement de mouvements sociaux-démocrates sans approfondi ssement du cl ivage capital-travail ;
2. l'émerge nce de fo rces soc iales-démocrate s et l' établi sse me nt de
l'Etat-providence passent par une « européani sation» préalable et progressive de la culture politique de ces pays dans laquelle la social-démocrat ie,
même minoritaire , a un rôle essentiel àjouer. Potentiellement, elle peut être
le moteur et le bénéfic iaire de la modern isation politique, sociale el
culturelle des sociétés post-com mun istes.
La social-démocratie a en effet besoin d ' un haut niveau culturel, d ' une
grande culture politique , d ' un sens du compromis, du réal isme, de tolérance
idéologique et d'une culture polil ique démocratique. Une démocratie stable
est une des conditions du déve loppement ct de la consol idat ion des organi sations sociales-démocrates.
Le défi nationaliste est, pour l'heure, le plus urgent à relever par l'ensemble des part is démocratiques en Europe centrale. Le danger qui menace le
plus les soc iétés post-communistes à moyen terme est sans nul doute l'arrivée
au pouvoir de mouvements popu listes, nat ional istes et autoritai res.
9, La réorganisation et la mutation de l'ensemble de la gauche
en Europe centrale et balkanique
En dehors des différents handicaps d'ordre idéologique ou programmati que que nous avons tenté d 'analyser, les partis sociaux-démocrates doivent
encore faire face à deux problèmes affectant la réorgani sation de l'ensemble
des fo rces pol itiques ou sy ndicales de gauche. Le premier résulte plutôt de
l' absence de relation forte avec le mouvement syndical. Le second vient de la
concurrence et de la présence encombrante des anciens partis communistes.
LE Rl:.iARD SOCIAL-DÉMOCRATE EN EURO PE CENTRALE ET BALK AN IQUE
183
9. 1.Le rôle difficile des organisatiolls syndicales
La situation des grandes centrales synd icales dans les pays d ' Europe centrale et balkanique se diversifie de plus en plu s à l' image de l'ensemble du
paysage politique. Leur avenir a une grande importance 23 pour l'évolution du
processus de tran sition vers la démocratie car comme l'écrit P. Hassenteufel.
« ( ... ) la démocratisation, pour être achevée, doit concerner non seulement le
politique (même s' il s'agit là du domaine fondateur de la démocratie) mais aussi
tous les secteurs de [a vie sociale. Dans la démocr.ltisation de la vie sociale, les
syndicats ont un rôle décisif à jouer. D'abord parce qu'ils sont un élément de
di ffusion des principes démocratiques dans d'autres lieux que [es enceintes
pol itiques (ainsi tout panicu [ièrement l'entreprise, mais aussi le système de
protect ion sociale. par exemple). Ensuite parce qu'ils pennettent l'accès de
groupes sociaux au processus de décision pol itique ᄏャセN@
Certaines centrales se sont fonnées et ont impulsé les change ments démocratiques. Elles jouent alors un rôle politique détenninant comme c'est le cas
aujourd ' hui en Albanie, en Bu lgarie ou en Pologne. Les anc iennes centrales
contrôlées par le pouvoir commun iste ont connu dans tous les pays un ravalement de façade: les vieilles directions ont été remplacées par des cadres plus
présentables.
Ces organisations, qu i géra ient un immense secteur soc ial et dont les travailleurs des démocraties populai res dépendaient concrètement pour l' organisation de leur vie quot idienne, ont été affaiblies par la perte d ' un grand
nombre de leurs privilèges, par la di mi nution notable du nombre de leurs adhérents et surtout par le discréd it dû à leur rôle sous le régime commun iste.
Enfin, une série de divisons politiques et sectorielles se sont produ ites, diminuant d'autant leur possibilité d ' action.
オ セ・ウ@
autres organisations sociales, elNéanmoins, par rapport à de ョッュ「イ・
les restent des forces relativement solides tant au niveau organisationnel qu'au
ni veau du nombre de leurs membres. De nouvelles organisations ont parfois
été créées dans certains pays balkaniques (Rouman ie et Bulgarie) mais elles
représentent souven t des intérêts corporatifs ou sectoriels. Elles se caractérisent alors par un anti-communisme et un apolitisme militants et parfois par un
soutien au rétabli ssement des monarchies.
Deux autres caractéristiques du mouvement syndical doivent encore être
souli gnées.
Premièrement, les contradictions et les paradoxes que nous avons relevés
dans les positions des part is sociaux-démocrates sont transposables, dans
l'ensemble , au monde syndical traditionnel. Cel ui -ci manque jusqu 'à présent
d' une stratégie pol itique cohérente. Les syndicats se trouvent eux aussi pris
dans une contradiction difficile à gérer entre la défense des intérêts de leurs
adhérents et leur désir de ne pas frei ner - voire de faire échouer - les réformes économiques. En l'absence d'institutionnalisation réelle de la concerta-
184
LA GAUCII E FACE AUX MUTATIONS EN EUROPE
tion sociale, la place de ces force s soc iales essentie lles à tout fonctionnement
démocratique reste encore hypothétique.
Deuxièmement, le rejet du politique constaté dans l' ensemble des soc iétés
post-comm uni stes se traduit au niveau syndical par la tendance générale des
organ isations à refuser tout contact avec les partis politiq ues. Ceci n' est évidemment pas sans influence sur les d iffi cultés d 'émergence de
social-démocraties qui onl souvent bâti leur puissance sur des relations privilégiées avec les fo rces syndicales. Rares sont celles qui ont réuss i à construire
une organisation de masse durable sans l'aide du mouvement syndical, out il
médiateur essentiel entre les élites polit iques du mouvement ouvrier et leur
base. Or, à l'heure actue lle, à la fo is pour les raisons déjà analysées dans notre
étude et à cause de la faib lesse politique et organisationnelle des part is
sociaux-démocrates. ces re lations sont fort réduites.
9.2. La mlltaliorl des PC
Ces partis constituent un des obstacles poli tiques le$ plus sérieux à
l'émergence de partis sociaux-démocrates fort s. Il y a concurrence et course
de vitesse entre les pan is sociaux-démocrates « historiques» et les anciens
part is communistes pour l'occupation de la gauche du paysage politique.
Si les part is communistes pl us ou moins réfonnés ont partout perdu le
pouvoir. ils n 'en ont pas moins réalisé des scores surprenants et en tout cas
partout supérieurs à ceux des pan is sociaux-démocrates. En Hongrie, le PSH a
obtenu 8,5% en 1990. Les résultats d 'é lections partielles et les sondages lui
prédisent une hausse sensible aux élections législatives de 1994 v. La
social-démocratie de Po logne (SD RP) est arrivée en seconde position aux é lections d ' octobre 199 1 avec I l ,98%. Les divisions de ses adversaires en font
même le principal groupe politique à la d iète . En 1992, le parti socialiste albanais a remporté les élections municipales. En Slovaquie, le part i de la gauche démocratique a recue illi 14% des voix tout comme le parti commu niste de
Bohême-Moravie. Ce dernier est le seul à avoir gardé son ancienne dénomination de parti communiste. Si ses membres se composent, d ' après certaines
sources, de deux tiers de pensionnés 26, il n 'en récolte pas moins ses meilleurs
résultats dans les régions d ' industrie traditionnelle particulièrement louchées
par les transfonnations économiques.
Ces scores électoraux. qui ont surpri s de nombreux é lecteurs, s 'expliquent
entre autres par l'avantage considérable qu ' un apparei l bien organisé peut représenter par rapport à l'ensemble des aulres forces politiques en voie
d 'émergence. En outre, il fau i tenir compte des moyens fin anciers substanliels, de la qualité de certains cadres expérimentés politiquement, des vieilles
solidari tés et du vote de l' ancienne nomenklatura e l d ' un ensemble de personnes difficile à circonscrire qui estimaient avoir quelque chose à perdre ou à
protéger dans les changements politiques. li serait néanmoins erroné de limi-
LE RETARO SOCIAL-DÉMOCR/\TE EN EUROPE CENTRALE ET BAL KANIQUE
) 85
ter )'influence des anciens communi stes à ces catégories sociales. Les groupes
sociaux les plus fragiles, pensionnés et classes ouvrières des rég ions en crise,
ont aussi apporté beaucoup de voix à ces partis.
La différenciation entre ceux-ci , naguère extérieurement si semblables,
s'acceOlue considérablement. La plupart 001 abandonné l' idéologie
marxiste-léni niste pour se transfonn er, avec plus ou moins de crédibilité, en
pan i socialiste. Certains de ces partis, les plus conservateurs, doivent faire
face au discrédit engendré par l'ancien régi me communiste. lis doivent aussi
affronter l' isolemen t politique persistant dans lequel les autres fo rces politiques tien nent à les maintenir. Celle silUation, qui les é loigne vraisemblablement du pouvoi r pour une longue période, leu r pennet de défendre un programme économique souvent assez démagogique.
La profondeur et la réception de ces changements semble directement
corrélée avec le poids du cou rant réfonnateur dans chacun de ces anc iens
panis, l'épuration pratiquée en leur sein, ainsi que l'attitude des anciens panis
communistes pendant les événements de 1989. Il est moins difficile à un anc ien communiste réfonnateur hongrois - que plus grand-chose ne séparait
depuis quelques années déjà de la social-démocratie occidentale - de se
prévaloir du rôle crucial et reconnu joué par son ancien parti qu ' à son homologue tchèque dont le parti n 'avait pl us vu l'émergence d ' un large courant
réfonnateur 27.
Selon nous, les ex-communi stes peuvent être rangés en deux catégories
di stinctes.
La première est composée des partis semblant ré ussir leur m utation , leur
transfonnat ion et leur social-démocratisation. C'est certainement le cas des
Hongrois qui ont déj à été admi s comme observateurs par l ' IOIemat ionale socialiste. C'est vrai aussi du parti de la gauche démocratique en S lovaquie dont
le rôle politique ne cesse de croître et dont les re lations avec les
sociaux-démocrates slovaques sont des plus sereines. Dans celle catégorie, on
peut sans doute ranger les cas lituanien et slovène par exemple. Ces partis en
tentative de soc ial-démocratisation souvent reconnue et affinnée ne sont plus
isolés sur leur scène politique nationale. Il s y jouent habituellement un rôle
modérateur.
La deuxième catégorie est composée de pani s qui , tout en condamnant
l'ancien régi me, ne parviennent pas à trouver une nouvelle crédibilité et une
nouvelle identité. C'est certainement le cas des Tchèques, des Bulgares ct des
Po lonais, quoique des courants fon d ivergents ex istent en Pologne. Ces part is
réali sent des scores électoraux respectables. L'explication est à rechercher, à
nOire sens, dans leur transfonnation en parti s protestataires qui , s' il s parvicnnent à conservcr une certaine audience électorale, restent sans poids réel sur le
processus déc isionnel. Ils penncttentl 'expression des peurs et des déceptions
nées du processus de réfonnes économ iques. Il est intércssant de constater que
186
LA GAUCIIE FACE AUX r.nITAT10NS EN EUROPE
lorsque par exemple la population polonaise est interrogée par sondage, seuls
deux à trois pour cent des sondés annoncent un vote pour les ex-communistes.
Mais dans le secret des isolo irs, plus de dix pour cent des é lecteurs leurs accordent leurs suffrages.
Ces anc iens partis communistes demeurent fort isolés politiquement, les
autres forces politiques refusant tou t contact ou négociation. La nature idéologique de ces mouvements devra indéniablement faire l'objet d'analyses plus
approfondies dans le fulUr. L'avenir de ces partis semble plus incertain. Mais
leur influence sur la recomposition de la gauche risque aussi d'être prédomi nante. Au mini mum de façon négative, par le blocage qu' ils créent et par
l' impossibilité d'impu lser de nouvelles convergences avec ces forces ressenties comme Irop intimement liées avec le passé.
10. Conclusion
Il nous semble que le futur de l'ensemble de la mouvance de gauche - et
donc de la social-démocratie - dépendra pour une part nj)n nég ligeable de
l'évolut ion de ces partis en voie de ウッ」 ゥ 。ャセ 、 ← ュ ッ」 イ。エゥ ウ。 」ゥ ッ ョ N@ La différence de
capacité organisat ionnelle par rapport aux petits partis soc iaux-démocrates, la
différence de poids é lectoral, la crédibilité retrouvée, la différence qualitati ve
d 'encadrement, l'expérience politique et l'enracinement local, et les liens
subsistant aussi bien avec cenai ns secteurs de la classe ouvrière qu'avec certaines forces syndicales plaident en leur faveur et leur pcnneuent d 'espérer
occuper la place et le rôle class iques des partis sociaux-démocrates en Europe
occidentale. Ce qui n'excl ut pas des d ifférences d ' identité réelles avec le modèle d 'organisation social-démocrate connu en Europe occ identale.
Ces partis en voie de soc ial-démocratisat ion ne seront sans doute pas les
seules composantes de la reconstruct ion d ' un pôle de gauche fort en Europe
centrale et balkanique mais ils nous semblent incontournables dans celte dynamique de recomposition d'une gauche moderne et démocratique.
On se retrouve aujourd'hui, dans certains pays, avec une situation paradoxale où certains anc iens PC - réuss issant leur mutation - font figure de
principale fo rce de gauche et d ' interlocuteur potentiel plus fort et souvent plus
crédible pour l' Internationale sociali ste 28.
Le futur des pani s sociaux-démocrates en Europe centrale et balkanique
demeure incertai n. Les di ffé rences nationales sont de plus en plus marquantes.
II est probable qu'entre l'échec géné ralisé ou le succès complet, des différences substantie lles se produiront au niveau national. Pour ces parti s, l'aveni r
dépend ra en grande partie de leur capacité à incarner la modernisation pol itique, culture lle et sociale de leurs soc iétés et à parvenir à meUre sur pied une
alternative économique pour l' Europe centrale.
LE RETARD SOC]AL- DÉMOCRATE EN EUROPE CENTRALE ET BALKANIQUE
187
Noies
• セ@ Le regain social·démocral<: _. U journal des jiu/ions. février·mars 1990. nG 1].
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l'Universi lé de Bruxelles. colleclion .. Eludes européennes _, 1992,550 pages.
) Voir lM. DE WAH.J;, .. Les élcelions législali\'es tchécoslovaques de juin 1992 _. TratuiliOlls. nG l,
1993,pp.115· 141.
" L 'ordre des différents chapitres ne signifie en aueune faÇQn une tentat ive de hiérarchisation des dif·
férents paramètres mis en avant
1 Voir comme セウオュ←@
rapide mais excellent de la queslion, J. drキ
セ@ .. Le socialisme en Europe cen·
traie: Hoogrie. AUlriche, T chécoslovaquie,. el G. CASTUl.AN, セ@ Le socialisme dans l'esl et le sud-est
européen: Balkans et Pologne ,. ill J. DROZ {sous la direction de), lI isloirt' gfllüo/e d" socio/iSnlt', tif 1918
à /945. Tome 3, PUF, 1977, 714 pages.
• Voir emre autres N. DAvlES,lIis/oire de la Pologllt. Fayard. 1990. 542 pages.
ole mouvemem ouvrier polonais aura de grandes 、ゥヲ」オャエセ
D@ 11 faire la synthèse de traditions politiques
différentes nées durant la division de la Pologoe jusqu'en 1918. Les tCJ.ditions du mouvemenl ouvrier russe.
austro-hongroi s et allem:md élaient difficilement assimilables et unifiables à court tenne. Ch3<jue régioo
restera durablemem marquée par son histoire el ses traditions d'organisat ion el de luue.
'"En Bulgarie. en 1939, il y a seu lement quatre centseOlreprÎses de pl us de cinquante ouvriers ! Pour la
estiment que 20% seulemeOl de la popu lation polonaise et hongroise est
même époque, les セ」ッョュゥsャ・ウ@
ernploy& par le secteur industriel. Ce chiffre aueint 45% en Tchécoslovaquie.
•• En 1938. le poun:emage de la population agricole est de 78% en Roumanie. de 80%en Bulgarie el de
58% en Albanie.
':G. CASl"EllA" . .. Le socialisme dans l'est cl le sud-est européen: Bal kans et PologllC セ@ in 1. DR07.
(sous la direction de), op. dl., p. 291.
" D.L. SFJt.F. R, セ@ Le cas des pani$ polit iques dans les nouvelles dé mocraties de l'est européen », Tra·
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"J. VUMEERSOI . The Le!1 in Eas/t", Europe. A Reporl on POSI Communisl Polilicai Lomiscape, SocÎalisl Institute for European SlUdies, Septembre 1991. 62 pages, p. 31.
'l Il nous faut relever l'exce ption tchécoslovaque mais clle est de peu d'importance.
'6 Les plus proches des idéaux sociaux·démocrates élaiem sans nul dOU1C dans cenains pays, l'aile ré·
fonnatrice de cenains 1'(:, Ils qui nerontle pani communiste lrop tard ou lemeront sans réel succh de Je faire
évoluer de J'intérieur pour parvenir à coostiiUer un pôle d'appui et un lieu dt reOCOmrt pour les forces
sociales-démocrates.
" J. NAÇUS. Du socialism( pen'uli Olf capillliisme .!lllll·oge. Editioos de l'Universilé de Bruxelles,
1991,305 pages. p. 274.
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lO J. Vf.RMfEllSCII.
op. cil .. p. 6.
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- Franco Angeli. 1993.428 pages. pp. 31 1·312.
" Ihid.
1JDes comparaisons nombreuses ont été lcmées ou souhaitées entre les transitions démocr:uiques des
pJys du sud de l'Europe et les anciennes démocraties populaires. L' Espagne a servi d'exemplecl de modèle
de transition douce el réussie. San s entrer dans cene controverse. il nous faut souligner au minimum qu'il
188
L A GAUCHE FACE AUX MlITATlONS EN EUROPE
existait en Espagne, aVMt Je rétablissement de [a démocratie , des structures syndicales solides et politisées
oomrôlées par ['opposition. CeUes-cijouèrent un role essentiel dans la transition démocratique. La situ3tion
est bien différente en Europe centrale el ba[l;anique. .
,. P. H"SSENThliH.l.. .. Syndicalisme. transition démocralique el passage il ['économie de marché,., i"
L'E"rQPI! Ull/rall! el t)ril!lUail!. 1992. La document3tion française. 1992.258 pages. p. 39.
IJVoi r A.A. RE.ISOr,« Hungarian Socialist Pany l.ool;s Ahead ", 'fO/lLRut'arch Rt'porl. Vol. l, nO 28,
I0f711992. pp. 20·25.
:0 A. Nov ...". «The LaS! Communist Party in Central Europe », Easi E"mprun Reporta. Vol. 5.
mai -juin 1992, p. 29.
v Les ravages des purges du printemps de Prague y som pour beaucoup.
'" Le PSI!. ancien pani communiste réfonné. a oblenu [1" slatut d'observateur au sei n de l'lnternat iona[e
soc ialiste au congres d'Amsterdam.
L'Internationale socialiste en Europe centre-orientaIe :
défInition et rôle des « amis politiques »
Guillaume DEVIN
Plutôt qu ' un répertoire, inévitablement dépassé par les mouvements de
" actualité, ou que des prospectives incertaines sur les « nouveaux partenaires » de J'Internationale socialiste (15) en Europe centre-orientale (ECO), nous
nous proposons de réfléchir aux. mécanismes de définition el de gestion de
ceux. qui ont été ou seront appelés à devenir les affiliés d'une organisation
collective comme celle de "IS. Pour respecter le cadre qui nous a été proposé,
nous situerons nos illustrations dans cette partie de l'Europe, anciennement
appelée «Europe de j'Est» (avec une incidenle concernant la Mongolie),
même si nos remarques peuvent être étendues à bien d ' aulres stratégies régionales de l' Internationale.
Ce choix mérite quelques ex plications.
Il est habituel, dans l'analyse des forces politiques et de leurs alliances, de
privilégier la dés ignation de l'adversaire comme un facteur contribuant à la
défi nition de l'identité parti sane. Dans un contexte compétitif - celui d'un
système de partis - , telle ou telle force clarifiera les attributs qu 'elle présente
comme spécifiques en se démarquant de rivaux qui von( parfois jusqu'à incarner l'image négative - inversée - de ce qu'elle prétend être. Murray
Edelman a montré comment les adversaires politiques, s'il s heurtaient leurs
opposants, les aidaient également , bien souvent: non seulement en facilitant
d'opportunes mobilisarions mais aussi en leur permettant de définir leur place
dans l' histoire 1.
Celle perspecti ve stratégique qui fait de l'identi té partisane une qualité
distinctive « en mouvement » - mobile et ajustable - est, sans aucun doute,
très féconde. Elle dynam ise et complète, plus qu'elle ne contredit, des approches soc io-h istoriques privilégiant l'émergence de « clivages » comme matrices possibles de véritables « famill es politiques» au sens des travaux de
S . Rokkan et de D.L. Seiler 2• Même inscrit dans une division fondatrice , ce
qui fait l'identi té du «sociali sme démocratique» - pour s'en ten ir à cet
190
LA GAUCHE FACE AUX Ml[f,\ TIONS EN EUROPE
exemple - , n' a pas été immuable depuis les années vingt (mutation de part is
ouvriers en partis « attrape-tout » ; abandon progress if des références marxistes ; priorité donnée, selon les périodes, à la promotion de l'égalité ou à la
défense de la li berté politique, cIe.).
Néan moins, malgré leurs apports, les dimensions stratégiques et
socio-historiques sont bien di scrètes sur les mécanismes de consolidation des
iden tités partisanes. Nous sommes conviés à apprécier comment ces identités
émergent , comment elles se modifient mais beaucoup moins comment elles
d urent.
L'hypothèse que nous fonnulons ici est que si l' identité partisane se façonne largement dans la compétition , elle se con sol ide (surcroît de visibi lité,
renforcement de légitimité) à travers l' affi liation à des fonn es de grandeur
j ugées supérieures sur le plan de la représentat ivité, de la capacité d 'action, de
la « pureté» des principes affi chés ou pour bien d'autres raisons. Ces cercles
larges ou « englobants» sont conçus comme des lieux de soutien identitaire.
En d ' autres rennes, s' il faut des adversaires pour se définir, il fau t aussi
des am is pour survivre. Mais ces amis doivent être « présentables », ce qui
n' est jamais acquis une fo is pour toutes . Il faut donc les choisir avec prudence
pour éviter l'embarras politique d 'alliés qui finirai ent par deven ir encombrants.
S ' agi ssant de l'IS en Europe centre-orientale, nous examinerons donc ces
trois aspects d ' un même processus de construction transnationale d ' une identité part isane :
d ' une part , le travail de recrutement à travers lequel se consolide l' imageque
l'on a de soi ;
d ' autre part, les garanties qu i facilitent la défin ition des affinités politiques ;
enfin , les risques qu ' implique tout élargissement du « cercle de ses ami s » .
1. Affiliati on et identité de soi
La politique d 'affi lialion de l' Is en Europe centre-orientale a une longue histoire. Pour la plupan des responsables socialistes d ' Europe occidentale qui se retrouvent après la seconde guerre mondiale, les événements de l' Est européen de
1945 à 1948 vont avoir une portée décisive. Après les horreurs nazies, la mainmise communiste à l' Est poussera résolument les représentants du « socialisme
démocratique» dans le camp des démocraties « pluralistes-constitutionnelles».
Le temps sera celui du combat contre le commun isme. Les am is devront servir ce
dessein mais pas seulement. Ils devront aussi éviter de rabattre le socialisme dans
le camp indifférencié de l'anti-commun isme et rappeler qu ' il ex iste une « troisième voie» socialiste et démocratique entre le capitalisme et le communisme.
La marge de manœuvre sera tout de même fort étroite, et, en fa it, les affi liations de celle période témoigneront surtout de la distance radicale que les
socialistes occidentaux veulent mettre entre eux et les communistes.
L' INTERNATIONALE SOCIA LISTE EN EUROPE CENTRE-ORIENTALE
191
La politique d'affi li ation de l' is dans les années quatre-vingt-di x n' a pas
celle intensité connictuelle. Au temps du combat contre un marché captif a
succédé, avec l'effondrement du communisme, l'âge de la compétition dans
un marché ouvert. Mais l'objectif est le même: assurer la représentation du
sociali sme démocrat ique et la consolider face à des entreprises rivales. Revenons rapidement sur ces deux périodes.
1.1.Le temps du combat
Dès 1945- 1946, les directions des partis sociali stes d'Europe
centre-orientale qui avaient été invitées par le part i travai lliste britannique aux
premières conférences socialistes internationales affichèrent une orientation
idéologique « révolutionnaire " . Contraintes de composer avec l'URSS et talonnées par la rhétorique marxiste des communistes, e lles cherchaient à se
marquer c lairement « à gauche ». Les tendances internes plus modérées furent
progressivement marginali sées voire, purement et simplement , expulsées tandis que les communistes gagnaient en influence avec l' aide de j'Uni on sov iétique. Celle polarisation de l'affront ement poli tique dans les pays d ' Europe
centre-orientale qui poussait certains PS sur la voie d ' une fu sion avec les communistes finit par se conclure par l'i nstauration d ' un monopole communi ste.
Pour les sociali stes occidentaux, le Coup de Prague (fév rier 1948) fut le
point de rupture avec tous les affi liés qui étaient liés aux PC et le point de départ d ' une nouvelle politique d'affiliation en direction des courants sociali stes
marginalisés qui résistaient à l' absorption communiste.
En ces temps de dures confrontations avec les communistes en Europe,
affî nner l' identité du socialisme démocratique impliquait d 'exhiber des ami s
résolument anti-communistes.
Cet impératif eut des incidences sur toutes les stratégies régionales de l' Is
j usqu 'à la fin des années soixante et même en Europe occidentale (expulsion
du parti socialiste italien en 1948), mais c'est en Europe centre-orientale qu' il
se voulut le plus démonstratif. Parallèlement à la mise en 'place d ' un Com ité
d'aide aux réfugiés, le Comité des conférences social istes internationales
(COMISCO), ancêtre de l'IS, se prononça ainsi pour la reconnai ssance des PS
ex ilés de Pologne, Tchécos lovaquie, Hongrie, Roumanie, Bulgarie et Yougoslavie (les socialistes hongrois et roumains étant préa lablement conviés à régler
leurs différends internes). En revanche, à l'exception des partis ex ilés des pays
baltes qui bénéfic ièrent également de la reconnaissance, les fonnation s politiques en exil issues de territoires appartenant à l'URSS étaient privées de tout
lien direct avec l'IS l .
Cette situation qui durera offi ciellement jusqu'au début des années
quatre-v ingt-d ix présentait une certaine si mplicité, tout du moins tant que les
・ウセI@
à
sociali stes occidentaux j ugèrent leurs partenaires de l' Est « 」 ッョヲ
l' image, clairement distanciée du communisme, qu ' ils voulaient donner du
192
LA GAUCI IE FACE AUX MUTATIONS EN EUROPE
socialisme démocratique. En d ' autres teffiles. le choix des affi liés à l' Est s' imposa assez naturellement par exclusion des sociali stes ralliés aux communistes. Au nom d ' une solidarité qui devait témoigner de l'existence toujours vivante d ' un courant sociali ste démocratique dans cette rég ion de l' Europe, les
personnalités et les groupes contraints à l'exil , parce qu ' ils se réclamaient de
celle orientation, se trouvèrent en position priv ilégiée pour incarner ce symbole de résistance au monopole communiste. Qui d 'autre aurait pu y prétendre ? Faute de combattants, les amis s' imposaient d 'eux-mêmes.
Le contex te se com pliquera un peu avec l'émergence de ce que l'on a appelé, dans les années soixante-dix, les « dissidents ». Néanmoins, compte tenu
du nouveau cours du soc ialisme démocratique en Europe occiden tale à cette
époque, très prudent à l'égard de ce qui aurait pu frein er la « détente»
Est-Ouest, et compte tenu aussi de la volonté des dissidents de rechercher un
soutien occ idental large, non li mité à une seule « famill e politique », il n 'y
aura pas de redistribution offi c ielle des alliances politiques.
En revanche. c'est dans de tout autres conditions que se présentent les
perspectives de l ' IS en Europe cen tre-orientale depui s 1989.
1.2.L 'âge de la compétilion
Il est des périodes où le travail de recrutement se stabilise: les alliances
sont défini es de manière relati vement durable malgré quelques inOex ion s mineures, les camps sont assez clairement identifiés. En revanche, que de nouveaux acteurs s' introduisent dans le jeu et le marché des affil iations connaît un
regain de dynamisme. La « démocratisation » en Amérique latine , mais surtout en Afrique et en Europe centre-orientale - entendons par là, l'émergence
de nombreuses formations politiques nouvelles - a relancé les défis.
Pour les principales forces politiques d ' Europe occidentale qui tentent de
défendre une identité distincte à travers des unions partisanes concurrentes socialistes, démocrates chrétiens. li béraux, écologistes - , l'enjeu de ces
ouvertures consiste à confinn er leur influence et à démontrer leur rayonnement. Pour les responsables des nouvelles fo nnations à l' Est, souvent plongés
dans une mê lée confuse, la tâche est surtout d ' obten ir des signes de reconnaissance afin de se distinguer com me les seuls dépositaires légitimes de tel ou tel
label. De part et d ' autre, la défen se et la promotion de l'identité partisane
passent donc par la recherche de partenaires à affilier ou avec lesquels s'affilier. Mais comment les choisir?
Si du côté occidental. l'offre d 'affilia tion est assez claire (Internationales
pol itiques ct fédérations européennes de partis ident ifiables), du côté de l' Europe ce ntre-orientale la situation est plus complexe: des dizaines de parti s,
souvent encore peu représentatifs et travaillés par des tendances contradictoires, des sigles peu significatifs, des personnalités au centre de plusieurs réseaux: enchevêtrés. En outre, pour l' Internationale soc ialiste, la tâche s'annon-
L' Il'ITERNATIONALE SOCIA LI STE EN EUROPE CENTR E-ORIENTA LE
193
çait plus délicate que pour les démocrates chrétiens ou les libéraux. D'abord
parce que d'un point de vue symbolique tout ce qui évoque le «( socialisme» à
l' Est de l' Europe a le goût d'un passé largement discrédité ; certes, le socialisme occidental ne s'est pas privé de stigmatiser les tentatives de confusion
entre le «socialisme démocratique» et le communi sme, mais il n 'empêche
que l'IS doit tout de même tenir compte d,e certains effets de sigles qui ne sont
pas à son avantage. Ce handicap est aggravé, ensuite, par la relative modération - complaisance, diront les plus critiques - dont l'is a fait preuve à
l'égard des pays communistes aux heures fastes de la « détente» Est-Ouest et
de l'Ostpolitik du chancelier Brandt. La défense assidue d'un certain stalll quo
géopolilique en Europe dans les années soixante-dix et quatre-v ingt, le développement de contacts avec les PC de l'Est, ne plaçaient pas les socialistes occidentaux dans la me illeure position au moment des grands bouleversements
de l'Est européen. Enfin, durant les phases de transition qui s'amorçaient, la
priorité était donnée à diverses fonne s de « libéralisation » politique et économique beaucoup plus proches des options el des méthodes préconisées par
les tenants occidentaux d ' un « néo-libérali sme» que de celles défendues par
des partis socialistes ou sociaux-démocrates à la recherche d ' un nouveau
souffle et parfois cantonnés dans l'opposition depuis de nombreuses années
(Labour britannique, spo).
Dans ce contexte défavorable, l'is devait donc se ressa isir si elle ne voulait
pas laisser le champ libre aux fonnation s internationales et européennes des
démocrates chrétiens et des libéraux. Aux prises avec des difficu ltés structurelles (déclin des bases ouvrières et crise de la représentativité syndicale),
avec la concurrence de forces politiques qui se présentent comme de nouvelles
« alternatives» (les écologistes notamment) et avec une spécificité qui
s'érode à mesure qu 'elle rentre dans le patrimoine commun (réformisme social tourné vers la réali sation d ' un « Etat de bien-être»), les socialistes démocratiques jouent surtout dans ce nouvel espace polilique d 'Europe
centre-orientale, la visibilité, l'actualité et la crédibilité de "leur image. A s'en
tenir aux seuls avantages que peuvent tirer les fonnations est-européennes
d'une affiliation à une collectiv ité identifiante et légitimante comme l '[S, on
perd de vue la nécessité qu 'i l y a pour les affiliateurs de conforter leur drapeau
par de nouvelles adhésions: les bénéfi ces d ' une affiliation réussie sonl réciproques. Mais comment (( réuss ir » ?
2. La définition d es affinités politiques
Apparemment, la mise en évidence d 'objectifs communs, de valeurs partagées et de stratégies compatibles, sinon comparables, su ffit à déce ler des
affinit és susceptibles de conduire à l' affiliation politique. Toulefo is, si cette
approche forme lle n 'est pas absente, elle se mê le à des procédés plus empiriques que ne le laissent croire les procédures officielles.
194
LA GAUCHE FACE AUX M UTATIONS EN EUROPE
2.I.L 1évaluation
Dans des situations ouvertes. toutes les informations sont bonnes à collecter pour éclairer les déc isions à prendre concernant le parti demandeur ou
pressenti . Le comité d'administration et des finan ces (CAF) qui regroupe les
principaux contributeurs de J'IS. c'est-à-dire , en fait , la plupart des PS
ouest-européen s, est chargé de proposer au Conseil et au congrès de l' Internationale des recommandations qui sont rarement modifiées en pratique.
La règle d 'or, se lon les responsables, est de prendre son temps pour
qu'une relati on d'affin ité se construise empiriquement: « We do Ilot rush »,
confie le secrétaire général de l'IS. Luis Ayala 4. Les statuts et les programmes
des partis évalués sont donc notoirement insuffisants. D'autres indices contribuent à se faire une opi nion , même si les décideurs n ' en parlent pas spontanément. Sans prétendre être exhaustif. nous en recen serons quatre qui furent à
l'œuvre dans J'évaluation des affiliations possibles en Europe centre-orientale.
En premier lieu, il apparaît que les contacts personnels et la connai ssance
des leaders des parti s pressenti s, souvent fac ilités par des missions de l '[s. par
certa ins responsables de partis affiliés ou celles de parlementaires
sociaux-démocrates. acquièrent une grande importance dans la prise de déc ision final e. Les relation s nouées avec des responsables baltes lors de missions
d 'information ont faci lité la réintégration de leur formation dans un statut de
membre de plein droit à J'IS'. Quelques connaissances personnelles au tem ps
de la « dissidence » ont également aidé à la réactivation d ' un réseau de contacts.
Plus généralement. la personn alité de certains leaders a joué comme un
indice de crédibilité avec les ri sques d'erreur qu' il recelait inévitablement 6 •
Ainsi les « bonnes impress ions» inspirées par Bat-Erdeneen Batbayer, le président du parti soc ial -démocrate de Mongolie (MSDP) , ont eu un rôle majeur
dans l'affiliation de ce parti comme membre consultatif à l '[S alors que celle
formation demeurait largement inconnue avant qu 'elle ne vienne frapper à la
porte du spo.
En second lieu. la représentativi té du candidat est une donnée très appréciée. Des structures officie lles. une représentation électorale réelle, même
modeste. sont. en effet, de nature à accroître la crédibilité d ' une forma tion
nouvelle et encore peu connue. Si l' affilié cherche à être va lorisé par son affiliation, il est également bien venu qu ' il soi t valorisant : sa visibil ité organ isationnelle et électorale est une forme de démonstration du dynamisme soc ialiste (démocratique) dans une nouvelle terre de mission. Le parti
social-démocrate albanai s (pso) semble avoir profité de ces atouts pour obtenir, en 1992, son affiliation à l' IS7. Le parti social-démocrate de Slovénie
(SDSS), qui est au pouvoir depuis les prem ières élections libres dans ce pays, a
également pu les fa ire valo ir pour son affiliation comme membre observateur
en 1992. à la vei lle de nouvelles échéances é lectorales. Le rega in d ' intérêt -
L' INTERNATIONA LE SOCIALISTE EN EUROPE CEr-,rm.E-ORtENTALE
195
une « réévalualion » plutôt qu ' un soutien - que semble susciter le président
roumain , 1. Iliescu, dans les rangs de certains affiliés de l'Is (Autrichiens,
Français et Italiens), n'est pas non plus étranger à sa récente confinnation
électorale.
En troisième lieu, l'affi liation qui s' inscrit dans un contexte régional doit
avoir des effets bénéfiques pour ct ' autres stratégies régionales ou tout du
moins ne pas leur nuire. La question s'est posée pour la Ligue des jeunes démocrates hongrois (FIDESZ) qui entretenait de bonnes relations avec certains
responsables socialistes occidentaux. L'affiliation de la RDESZ étai t envisageable mais ses liens avec la Fédération libérale européenne (un statut d ' observateur en mars 1992) constituaient un premier obstacle. En outre, le risque
de paraître poursuivre une politique de rapprochement avec des partis s' inlÎtulant « libéraux », pouvait créer des difficultés avec les affi liés
latino-américains 8. D'après certains délégués au CAF, ce dernier argument
était suffi sant pour ne pas fonn aliser excess ivement d 'éventuels contacts avec
la f.1DESZ, étant entendu que rien n 'empêchait les partis intéressés de poursui vre des relations bi latérales plus discrètes.
Enfin, dans ce travail d 'évaluation du « bon partenaire », les répercussions
de l'affil iation sur la scène politique nationale des affiliateurs est une donnée
omniprésente. L' ajustement ne va pas de soi. Chacun doit composer avec ses
propres contraintes. L' affiliation de partis régionaux ou « autonomistes» , par
e xemple, a toujours soulevé les plus vives résistances du côté britannique et
espagnol. En bref, parce que l'on est souvent jugé sur la « qualité» de ses
amis, l'affiliation ne doit surtout pas porter préjudice. En d 'autres temps et
dans d'autres régions, il y eut des précédents malheureux comme cette affi li ation du parti soc ialiste progressiste libanais de W. Jumblatt que beaucoup de
responsables social istes occidentaux ont amèrement regrettée par la sui te.
C'est celte objection d ' une image préjudiciable au plan interne que les
Scandinaves ont opposée aux demandes d ' affiliation des ex-pc de l'Est tandi s
que les socialistes français - moins gênés par ce voisinage d ' un communisme «réfonné » qui avait également l'avantage de souligner « l'archaïsme » du PCF - se monlraient plus ouverts. Une seule exception, non sans
réticence. fut accordée à l'ex-pc hongrois, devenu parti soc ialiste hongroi s
(MSZP) et affili é comme observateur en 1992. Les plus réservés ont probablement admis que la Hongrie était « un cas particulier» , d 'autant qu'ils avaient
souvent déjà noué des contacts avec ce parti ... avant 1989.
Si ces différentes appréciations contribuent à la définition des affinités
politiques, e lles n'interviennent pas de manière isolée. Elles sont portées et
avancées par des partis (i.e. leurs délégués) mieux inronnés et plus intéressés:
l'évaluation est le plus souvent inscrite dans une relation de patronage.
196
LA GAUCHE FACE AUX M lITATIONS EN EUROPE
2.2.Le patronage
Le phénomène n 'est pas nouveau. Déjà dans les années cinquante, les PS
des pays bal tes avaient dû leur affi liation à la chaude recommandation des
partis scandinaves, et notamment du part i suédois (SAP), à un moment où certains délégués socia listes (britann iques. frança is) percevaient celle reconnaissance comme une contestation inopportune de l' intégrité territori ale de l'URSS.
De fa it, les forma tions issues de l'Ukrai ne ou de la Géorgie fu rent éconduites
parce qu' elles apparaissaient comme une « source d'ennuis». S'il en fut
autrement pour les panis des pays baltes, cela ne tint probablement pas à une
quelconque spécificité historique mais au fa it que les Suédois pouvaient garantir une certaine modération d iplomat ique de ces nouveaux affi liés vis-à-v is
de l'URSS . Souc ieux de satisfaire les colonies baltes installées en Scandinav ie,
les sociaux-démocrates scandinaves étaient également à même de contrôler
leurs express ions politiques afin de ne pas nuire au « réalisme diplomatique »
de l 'is.
Ce patronage est encore très perceptible dans les affi liations récentes. La
reconnaissance du PSD albanais doit beaucoup à l'appui b ienveillant des socialistes italiens; celle du MSOP Mongolie à celui du SPD et à la « compétence régionale » que revendiquent les socialistes japonais, sans parler de l'affi liation
de l'éphémère SPD est-allemand qui fut "œuvre du SPO ouest-allemand. L' affi liation du parti social-démocrate de Slovén ie (SDSS) rentre également dans ce
cas de fi gure. Malgré des positions jugées« nationalistes» par certains affiliés
occ identaux , le parti slovène fut affilié sur l' ins istance des social istes autrichiens et de plusieurs délégués allemands. A cette occasion, rien n 'interd it de
penser que les « supporters » puissent « négoc ier » certaines affi liations contre d ' autres (celle du SDSS slovène contre celle de l'ex-pc hongrois ... ). D ' une
manière générale, il est probable que les affi liations - en Europe centreorientale ou ai lleurs - donnent lieu à des compétitions, plus ou moins implicites. pour accroître la « zone d'innuence » à laquelle peuvent prétendre certains affi liateurs. 11 y va, là encore. de leur image part isane mais aussi d ' une
image nationale don t ces représentants peuvent espérer des retombées politiques et économiques posilives pour leur pays. L' action, au nom d'une même
« fam ille polit ique », ne fai t pas di sparaître les rivalités nationa les entre les
unités affi liées.
Il est vrai que le patronage n 'est pas seulement le produit d' un calcul. La
prox imi té géographique. par exemple, fac ilite la collecte d ' informat ions sur
une nouvelle formation et la connaissance de ses responsables: s' agissant du
PSD albanais. les social istes italiens sont certai nement mieux placés que les
Japonais. Néanmoins. on constate que certains partis, par leurs ressources organisationnelles et l'étendue de leurs réseaux, acquièrent une compétence supérieure à la moyenne et pèsent sur la quasi-totalité des affi li ations. Le SPD
présente ce profi l avantageux, notamment en Europe centre-orientale, ce qui
L'INTERNATIONALE SOCIALI STE EN EU ROPE CENl1Œ-ORIENTALE
197
peut avoir comme conséquence de pousser certains affi liés à soutenir d'autres
candidats que ceux recommandés par le parti allemand. Là encore, bien que
non explic ite, la compétition n'est donc nullement exclue. Si e lle reste pourlan! limitée, c'est que l'unité de la représentation socialiste est plus précieuse.
Les socialistes ouest-européens en font une règle de base: «l'effet
d 'équipe » auquel vise l' IS9 ne doit pas être troublé par Irop de discordances,
ce qui - admettons- le - semble plus difficile à respecter lorsqu ' on élarg it le
cercle.
3. Le risque des alliances
L' image du socialisme démocratique véhicu lée par l'is est essentiellement
ce lle que veulent refléler, à un moment donné, les partis socialistes ouesteuropéens. Même si l'Internationale s'est « inlemationalisée» depuis les années c inquante, elle ne s'est pas fondamentalement « déseuropéanisée ».
Ce sont toujours les socialisles d ' Europe de l'Ouest qui fontl'orienlation
idéolog ique dominante de la concertation socialiste et définissent ses stratég ies d ' affilialion principales, nOlammenl en Europe centre-orientale. Défense
anti-communiste des valeurs du libéralisme politique, contestation marxisante
de la « légalité bourgeoise» ou redécouverte des vertus du réformisme social
dans un cadre plurali ste-constitutionnel, les tonalités des discours et l' image
que les socialistes ouest-européens ont voulu donner de leur label ont connu
des variations sensibles depuis la seconde guerre mondiale 10, Par hypothèse,
ces variations se répercutent sur la perception de ce qui fait la qualité du « bon
partenaire ». Peuvent donc coexister des « strates » d 'amis recrutés à des moments différents et dont certaines se révèlent par la suite inappropriées. Il n 'y a
de moyen d 'échapper à ce ri sque qu 'en visant large, en abandonnant des inveslissements trop ciblés, ce qui revient, par conséquent, à composer avec une
large part d ' incertitude.
3.1.Lefardeau des exilés
Dès l'origi ne, les PS exilés de l'Est e uropéen ont été accueillis avec prudence par leurs camarades ouest-européens. Non seulement leurs demandes
d 'affiliati on individuelles furent subordonnées à la création d ' une organisalion commune aux ex ilés (l' Union des socialistes d ' Europe centre-orientale,
USECO), distincte de l '[S - même si liée à e lle - , mai s, en oulre, ils n 'obi inrent qu ' un statut de membre consultatif (droit de parole sans droil de vOie)
alors qu ' ils revendiquaient un statut de membre à part entière ".
Avec les premiers signes du « dégel » soviétique (1953), la majorité des
socialistes ouest-européens opla, plus clairement encore, pour une ligne de
coexistence avec l'Etat soviétique. Ce« réalisme dipl omatique» écarta Ioules
les fonnat ions socialistes de territoires incorporés à l'URSS et lint à distance les
ps exilés d ' Europe de l'Est.
198
LA GAUCHE FACE AUX MUTATIONS EN EUROPE
Au fi l des années et notamment pendant la période de la « détente»
Est-Ouest. ils seront souvent neurralisés (Tchécos lovaquie, 1968) et considérés comme gênants. Dès le congrès d ' Eastboume ( 1969), il semble même que
certains délégués occidentaux se soient inquiétés de leur place « excessive»
dans les rangs de l' In ternationale. Celte tendance fut confinnée par des propositions de rév ision des statuts de l ' [S qui prévoyaient, entre autres modi fi cations, la suppression du statut de membre consultatif c ' est-à-dire la disparition
de l'affil iation indiv iduelle des PS exilés d ' Europe de l'Est. Même si celte
suggestion n'a pas été fi nalement retenue, elle était tout de même significati ve
aune « solidarité au rabais ».
Les événements de 1989 n'ont pas vraiment mod ifié celle re lation distante. Officiellement, l' is décidera, dans la préc ipitation, la « rev ita lisation»
des adhésions c'est-à-dire le passage des PS exilés de j'Est (et des pays baltes)
à un statul de membre à part entière, mais, en fait, ces partis démontreront
rapidemen t. par des scores électoraux médiocres notam ment , qu'i ls sont écl ipsés par de nouvelles fonnalions qui susci tent beaucoup plus d ' intérêt.
La volonté de témoigner de l'ex istence d'un courant soc ial-démocrate ou
socialiste à l'Est explique largement celle « revitalisation » des labels, mais
c'cst également la « mauvaise conscience» des socialistes ouest-européens,
après une période de délaissement des ex ilés, qui justifie le maintien de telles
affi liations. Il ne fait pas de doute qu ' il y a là des amis que l'on s'oblige à
« traîner » ... Néanmoins, la tâche n 'est pas trop pesante tant que les autres
partenaires poss ibles ne sont pas défini s plus clairement.
3 .2. Une gestion incertaine
Honnis le cas des partis sociaux-démocrates tchèque et slovaque bénéficiant du statut de membre à part entière de l' ancien parti tchécoslovaque dont
l' [S s'est seulement résignée à entériner la scission, il est frappant de constater
qu ' aucun nouve l affilié n'a été élevé au rang de membre de ple in droit entre
1989 et 1992. Les nouvelles recrues se sont distribuées entre partis consultatifs (Albanie, Mongolie) et partis observateurs (Hongrie, Slovénie). Cette dernière catégorie a d 'ailleurs été expressément remi se à l' honneur au dernier
congrès de l' is (Berlin , 1992) pour fonna liser des rapprochements que l'on ne
voulait pas exclure mais qui demeuraient encore très incenains. La question se
posait sunout à l'égard de fonna tions politiques récentes émergeant de contextes « en voie de démocratisation », notamment en Afrique noire et en Europe centre-orientale.
La hiérarchisation des statuts (membre de plein droit, consultatif et observateur) évoque ici le degré de proximité à ce qui est censé constituer l' identité
du socialisme démocratique. A l'év idence, celle identité dépend étroitemen t
des priorités pan agées, à un moment donné, par les affi liateurs ouest-européens. L 'entrée dans le « cercle inlérieur » exige donc une éva luation positive
L'INTERNATIONALE SOCIALISTE EN EUROPE CENTRE-ORIENTALE
199
renforcée par un patronage soutenu. Peu de jeunes formation s peuvent espérer
une introduction aussi brillante. C'est la raison pour laquelle les « cercles extérieurs» (les rangs de membre consultatif ou d 'observateur) fonctionnent
comme un signe d 'encouragement et comme une phase d ' observat ion. Plus la
situation politique est flui de, plus ils sont fonctionn els pour gérer l'incert itude
(d ' une manière significative, quatorze nouveaux membres consultatifs et huit
nouveaux observateurs ont été affiliés, par le dernier congrès de l' ts, ce qui
constitue des chiffre s très é levés par rapport à la moyenne des affil iations par
congrès). Il s peuvent même se prolonger en un simple lieu de présentation,
véritable couronne périphérique, distincte de l' organi sation elle-même, qui
accue ille sans engager et maintient les contacts au moindre coût dans l'attente
d'une « clarification» (Bulgarie, Roumanie, Pologne).
L' initiative d ' un Forum pour la solidarité et la démocratie, struc!Ure rattachée à l' Is mai s « indépendante », se lon l'express ion d ' un responsable, répond
à cet objectif. Officiellement lancé en janvier 1993, ce Forum doit permetlre
de rassembler des informations et de« favori ser le dialogue avec les nouveaux
partenaires de l' Est » 12.
Assurément, cette initiative est avantageuse pour les soc ialistes ouesteuropéens qui pourraient laisser échapper des relations souhaitables par le jeu
excluant des statuts d ' affi li ation. Avec le Forum , il s' agit de miser plus large
et d'anticiper sur des développements relativement imprévisibles tout en évitant des revers d 'all iance retenti ssants.
Réciproquement, il est poss ible que celte formule puisse satisfaire ceux
qui veulent éviter une exposition trop marquée auprès d ' une « famill e politique) qu i n ' a pas toujours bri llé par la clarté de ses engagements à "Est. Celte
distanciation assumée par les formation s pressenties en raison d ' un manq ue
de netteté de l' identité socialiste démocratique aujourd ' hui serait beaucoup
plus préoccupante pour les socialistes ouest-européens. L' incertitude majeure
ne serait plus alors celle qui entoure J'évolution des systèmes et des acteurs
politiques d ' Europe centre-orientale, mais ce lle qU ! pèse sur l' avenir du socialisme démocratique comme projet spécifique. L' hypothèse n' est pas à ex clure. Elle compliquerait sérieusement le prosélytisme des soc ialistes
ouest-européens. Tant il est vrai qu ' il est difficile de se faire des ami s lorsque
l'on est soi-même incertain.
Not es
1 M. EOEL.\IAN. COllstruetillg thr Politieal S/Kl"wclr. 1lle uョゥカ・セエケ@
of Chicago Press. 1988, pp. 66·89
dl. jru politiqué', Seuil, t99 I, 253 pages). Voir tgalement
(traduction française: Piku rf Gセァャイウ@
v. l 。ャセ
B|i クL@ « L ·utilité politique 、」 Nセ@ rivaux ", RC"IIc eUlludirl!lle de scirnrr politiql' r. Vol. XXIV, nO4. dt·
cembn: 1991. pp. 735·753.
1 Voir notamment S.M. LlpsE'f and S. ROKKAI'; (éd.). Party S)'strms and l'olrr Alignmmts.
Crass·Na/lonal Perspreti>'rs. 1lle Frce Press. 1967 et D.L SEIlH. Partis rt famillrs dr portis, f'tJf, 1980.
200
LA GAUCUE FACE AUX MUTATIONS EN EUROPE
J RtsolllliO/l eonctrning Eas/trn EIlTO/Nan Socia/iSI Par/in in Exilt, COMlseo, ClactonoQll·Sea, 3 dt·
cembre 1948, ciro 121. In s!itut international d'Histoire sociale (UliS), Amsterdam. Sur tous ces points, IlllUS
nous pc-rmenons de renvoyer à ootre ttude. G. Dl!VlN. L'lIutrnationalt JOdalis/t. Ifiswife tl sociologie du
sodalismt Imtrnalional, Presses de la Foodation nationale des sciences politiques. 1993. pp. 15-47 .
• t'mrt/lm al·te l'alllcllr. Londres. 20 mai 1990.
'Sodalisl Affairs (Ihe Journal of Ihe Socialisi International). 1990. nO3. p. 38 el 1990, n° 4. pp. 3)·35.
·Comme en ttmoigne l'tltvation au statut de membre de plein droi t du pani social·démocrate hon·
ァイッゥセN@
largement commandte par l'image fa,-omble de son nouveau leader, Mme Anna Pc trasovits. Celle-ci
se révtlera une personlUllitt très contestable el cooduira l'IS à rompre rnpidement avec ce parti ( 199 1).
' Le parl i social·démocrate de Mongolie avait tgalement oblenu quelques ウゥセァ・@
au Parl eme nt avant
SOIl affiliat ion à r IS.
' L',s accordai t déjà. en 1992. un statut de membre consullati f au pani libtlral de Colombie.
'G. DEvI.". op. dt" pp. 312-338.
IOlbid" pp. 154-167.
Il Minllus. confirmct du c aM/SCO. Londres. 7-8 avril 1951. cir. 54/51, IIiIS. AmSlerdam.
'1 Alle! QuEVM. (ps). entr ellm QI'ee fQlI/fllr. Paris. 2 février 1993. Allel QuEVAL. collaborateur de
P. MAUROV (pTtsident de l' IS). s'est pritt avec amabilitt à nos questions. Qu'il soit remercit ici de son accueil el de ses informai ions.
La place de la social-démocratie
dans la Russie en transition
Christophe SEr-rrE
1. Les difficultés théoriques de l'identification d'un programme
de gauche en Russie après 1991
Avant d 'évaluer l'étal des force s de gauche dans la Russie de Boris Eltsine
sur base des programmes des principaux partis et syndicats nationaux , il est
indispensable de traiter de la définition d ' un projet politique susceptible d 'être
identifié comme de « gauche» dans une société censée avoir réalisé, depuis
plus de soixante-dix ans, l' une des revendications socialistes qui compta
panni les plus radicales : l'expropriation des moyens de production.
Celte question préliminaire se décompose en deux sous-questions.
1. Est-il opportun de s' inspirer des documents programmatiques ellhéoriques
les plus récents de la soc ial-démocratie européenne, c'est-à-dire principalement des résolutions adoptées par l' Internationale sociali ste aux congrès
de Stockholm ( 1989) 1 et de Berlin ( 1992) 2, pour définir les critères devant
servir à l' identification d ' un projet politique de gauche en Russie ? Un tel
choix exprimerait en effet une adhésion implicite à la thèse de la convergence
des sociétés industrielles de l'Est et de l'Ouest, développée à partir des
années soixante notamment par John Kenneltl Galbraith aux Etats- Unis,
Raymond Aron en Europe et Andrcï Sakharov en Union soviétique).
2. Autre versant de l'alternative: des critères spécifiques de définition de la
gauche russe doivent-ils au contraire être proposés en arguant de la spécifi cité ou de la nature « asiatique )} attribuée à la soc iété ex-sov iétique par
Karl Wiufogel el plus récemment par Richard Pipes el Rudolph Baro 4 ?
Sans prétendre épui ser le sujet, nous apporterons des éléments de réponse
à ces deux quest ions et proposerons une définition provisoire et conjoncturelle
de la gauche russe.
Premièrement, il paraît prématuré de vouloir transposer à la Russie les
critères ouest-européens contemporains de définil ion de la gauche démocratique pour au moins deux rai sons.
202
LA GAUCHE FACE AUX MUTATIONS EN EUROPE
D ' une part, la gauche ouest-européenne est à la recherche de sa propre
identitéS programmatique depuis l'échec de la gestion keynésienne de J'économie dans les années soixante-dix (, et J'ébranlement plus récent de
l' Etal-providence, organisé sur une base nationale, par le «chauvinisme du
bien-être» (1. Habennas), c'est-à-d ire ici la mi se en question par les régions
riches du principe de solidarité avec les rég ions pauvres: ébranlement perceptible pri ncipalement en Italie, en Belgique et en Allemagne. En outre, sollicitée par l'essor de la pensée écologiste et soc iale-libérale (la « théorie de la
justice », par exemple), l' imell igentsia progressiste est divisée sur la nature
des inspirations théoriques auxquelles se ressourcer et doit tenir compte dans sa fonnulation d'un nouveau projet social-démocrate susceptible de rassembler une majorité de citoyens - des modification s intervenues dans la
composition sociologique de l'électorat potentiel de la gauche européenne.
D 'autre part, en dépit de la volonté affichée par les réfonnateurs du gouvernement Gaïdar (l991-décembre 1992) de transfonner rapidement leur
pays sur le modèle européen en un eエ セ エ@ capi taliste avancé et libéral 7, Ia Russie
en est fort loin. Elle a hérité son niveau de développement spécifique d 'une
révolution industrielle récente et réalisée dans le cadre de structures de planificat ion autoritaire. Elle conserve par conséquent des enjeux polit iques qui lui
sont propres à l' intérieur d ' une crise de société tout à fa it orig inale. Il convient
de remarquer que, bien que la transition en Russie offre sur le plan
macro-économique des simililudes avec J'Europe centrale et orientale B, la
crise politique y est celle d ' un pays dont la situation géostratégique, la dotation nucléa ire et les ressources économiques (énergie, industrie d ' annement)
penneltent à ses dirigeants de conserver une certaine autonomie de décision
dans le choix du modèle de développement à importer. Autrement dit, le modèle défini par la conjonction de l'économie de marché et de la démocratie
libérale et véhiculé par les institutions internationales occidemales qui se
proposem depuis les Som mets du G7 de Paris Gui llet 1989), Houston
Guillet 1990) et Londres Guillet 199 1) pour gérer la transition à l'Est, ne consti tue pour la Russie politique qu ' une option.
Pour illustrer celle spécificité du débat pol itique russe, largement dominé
par une fonne de résurgence du clivage tradition ne l entre les « occ identalistes» (Gaïdar) et leurs adversaires, nous relèverons que la solidarité avec le
Sud et le combat pour un modèle de croissance qualitative - qui, selon la
déclaration de principes de Stockholm de 1989, sont les socles de la refondation de l'idée socialiste eu ropéenne pour le xxI" siècle - constituent des préoccupations encore étrangères aux ronnati ons russes soucieuses de la protection sociale des travai lleurs nati onaux. Ainsi, la solidarité Nord-Sud est-elle
principalement invoquée jusqu'à présent par le parti libéral-démocrate
(ultra-nationaliste) ou par le parti du vice-prés ident de la république Alexandre Routskoy (parti populaire de la Russie libre; nationaliste modéré) pour
LA PLACE DE LA SOCIAL· D"éMOCRATTE DANS LA RUSSIE EN TRANS ITI ON
203
réclamer l'abandon de relat ions diplomatiques pri vilégiées avec l' Europe oc·
cidentale . Quant à la protection de l' environnement, elle a constitué dans les
années quatre·vingt 9 l' un des thèmes de mobili sation de groupements natio·
nali stes ou régionalistes.
Nous choisirons par conséquent de travailler à part ir de l' hypothèse théo·
rique dégagée par les menchéviques et Georges V. Plekhanov selon laque lle il
ne pourrait y avoir de gauche démocratique de type ouesH uropéen en Russie
qu ' une fo is accomplie une révolution capitali ste . Nous souscrirons à la cor·
rection apportée à celle thèse évolutionniste et mécaniste par Max Weber 10
pour qui l' apparition d ' une telle gauche en Russie n ' avait rien d ' inéluctable,
même dans l' hypothèse d ' une modernisation capitaliste.
Dans la Russie actuelle, le lancement d ' une révolution capitaliste remonte
à environ cinq ans ", mais c'est seulement la fi n, en décembre 199 1, de la
tentative gorbatchévienne d ' aulO·réforme du système soviétiq ue q ui a contri·
bué à accréditer définiti vement l' inéluctabilité d ' une modern isation écono·
mique radicale inspirée des mécanismes d u marché, y compris auprès des di·
rigeants du complexe mi lÎlaro·industriel qui , en août de la même année,
avaient soutenu les fac tions néo·staliniennes du pcus. Depuis lors. si, en fé·
vrier 1993, nous pouvons constater des indices d ' une structuration probable
des forces politiques russes sur un axe gauche·droite, il ne s' agit encore que
d ' un processus en cours dont l' issue est liée à l'orientation fU lUre de la tran·
sition économique elle·même. Toutefois. dans la Russ ie de 1993, rien ne per·
met encore de confi rmer la thèse de « l'épuisement de l'affrontement entre
libéralisme et socialisme» 12 après 1989.
Ceci étant posé, en nous référan t à une défin ition inspirée de l' expérience
européenne des années trente du sociali sme démocratique comme seule alternati ve au libéralisme classique et au populisme autoritaire, nous reconnaîtrons, comme forces de gauche en Russie, les formation s politiques qui développent un programme cherchant à réconcilier, d ' une part, les exigences perçues comme contradictoires par les marxistes-lénini stes d ' obédience stali nienne - c'est-à-d ire celles du respect des acquis sociaux du régime soviétique et des règles du pluralisme démocratique - et d ' autre part , celles considérées comme antinom iques par les libéraux formé s par la lecture de F. von
Hayek 1l, de l' introduction du marché et de la préservation des mécanismes
institutionnels de justice red istributive hérités de l' Etat-prov idence.
Le défi posé, à l ' heure actuelle, à la construction d ' une gauche russe porleuse d ' un tel projet démocratique de société n 'est pas selon nous seulement le
discrédit idéologique du tenne 14 même de sociali sme. imputable à son
dévoiement par le régime sov iétique. Il tient beaucoup plus à la difficulté conjonclUrel le de découpler la revendication d'approfondissement de la démocratie économ ique et sociale de ce lle de la préservation de la propriété état ique
des moyens de production . Si ces deux revendications ont pu constituer dans
204
LA GAUCHE FACE AUX MUTATIONS EN EUROI'E
l 'histoire lointaine de la social-dé-:nocratie e uropéenne les termes complémentaires d ' un projet global d 'émancipation des travailleurs, il n 'en va plus de
même dans la Russie contemporaine où les gestionnaires d ' un secteur état ique
hypertrophié tentent de canaliser les craintes populaires de la disparition de
l' Etat-providence pour préserver les rapports de production hérités de l' Union
sov iétique.
2. Les représentants de la gauche démocratique en Russie
2.1 . Les partis poliliques
Actuellement 15 - c'est-à-dire depuis J'éclatement après août 1991 du
camp des réformateurs regroupés autour de Boris Eltsine dans l'organisation
Russie démocrariqlle sur la question de la gestion de la transition - , deux
formation s correspondent, non sans ambiguïtés, à notre définition d'un parti
de gauche.
La première d'entre elles eSlle parti social-démocrate de Russie, fondé en
mai 1990 par trois jeunes universitaires, Oleg Rumyantsev, Pavel
Koudioukine et Alexandre Obolenski, issus de la mouvance des clubs politiques 16 pro-perestroïka, et dirigé depuis mai 1992 par Boris Orlov. A la différence du parti communiste d ' Union soviétique, le PSDR ne se définit pas
comme le « parti de la classe ouvrière» mais affirme sa volonté de maintenir
la tradition des réformes sociales après la disparition du « socialisme réel »
discrédité par le régime soviétique 11. Jusqu ' il y a peu, il soutenait unanimement la réforme économ ique libérale de Egor Gaïdar mais pressait le gouvernement d ' accompagner la modernisation capitaliste d ' une importation
massive de biens de consommation occidentaux destinés à améliorer les conditions d 'existence matérielle de la population russe. Représenté au sein du
gouvernement Gaïdar par Alexandre Shokin et Pavel Koudioukine - successivement ministres du travai l - , le PSDR constitue, à l' intérieur du courant
occ identaliste, l'aile gauche favorable à une politique de moderni sation
« soft» et à la préservation de la démocratie pluraliste. Le rôle joué par le PSDR
dans la tentative lancée en décembre 1991 de mise en place en Russie d ' un
système de concertation sociale 18 ouvertement inspiré des structures
néo-corporatistes ouest-européennes en est la preuve. Toutefois, la lenteur de
la mobilisation de la communauté internationale en faveur de la thérapie de
choc russe a incité en janvier 1993 une aile du PSDR à opérer, sous la direction
de O. Rumyantsev, une sci ssion 19 et à envisager une coopération avec des
forces nationalistes modérées.
La seconde formation qui satisfa sse partiellement aux critères que nous
avons proposés est le parti démocrate de Russie dirigé par Nicolas Travkine.
Son cas eSI inléressant parce que particulièremeOl représentatif de la difficuhé
politique et culturelle de fonnuler et de mai ntenir dans la Russie
LA PLACE DE LA SOCIA L- DtMOCRATIE DANS LA RUSSIE EN TRANSITION
205
post-commun iste, confrontée à ce que Cl aus Offe désigne comme le défi de la
« triple transition » de 1989 20, un projet de société d 'inspiration à la foi s socialiste et démocratique.
Le POR, aujourd' hui considéré comme l' une des principales forces du
pays, s'est présenté à sa naissance en 1990 dans les mêmes termes que la majorité des formation s russes apparues dans les premiers mois qui ont suivi
l' introduction du multipartisme: c 'est-à-dire comme un parti démocrate et
néo-libéral, favorable à la subordination du développement de la société russe
aux lois du marché. Toutefois, l'ampleur des mesures de protection sociale
que le programme du parti envisageait de sauvegarder 21 contredisait les professions de foi ultra-libérale de son président 22. La nature sociale-libérale du
parti est apparue plus clairement encore avec le départ en avril 1991 d ' une
faction ouvertement thatchérienne emmenée par le champion d 'échecs.
Gary Kasparov 2l et la tentative - avortée - en jui llet de la même année 24 de
nouer une alliance au sein du Congrès des députés du peuple avec le parti
social-démocrate.
Depuis le lancement de la thérapie de choc de janvier 1992, le PDR a développé une critique des conséquences sociales de la transition qui l'a rapproché non de la gauche occidentaliste représentée par le PSOR, mais du courant
constitué au sein du congrès par l'alliance du parti renouveau (expression politique des directeurs du secteur public) d 'Arkady Vo lsky et du parti populaire de la Russie libre (nationali ste modéré et étatiste) de Vassili Lipitsky et
Alexandre Routskoy RセN@ La convergence du POR avec ces deux derniers mouvements dontl ' auachement à la démocratie libérale est sujet à caution , s 'explique en partie par le fait qu ' ils revendiquent tous une coordination de la réforme économique à l'échelle de l'ex-uRss comme alternati ve à J' insertion
immédiate dans les structures de l'économie capitaliste mondiale et d ' abandon de la politique de dérégulation inspirée par le Fonds monétaire international. Si elle s'avère durable, ceUe alliance dite 4e l' union civique, pour laquelle M. Gorbatchev - qui à l'intérieur du PCUS représentait le courant des
réformateurs modérés - a exprimé sa sympathie, pourrait constituer le ferment d ' un mouvement populiste anli-capitaliste favorable à la transposition
en Russie du modèle chinois de moderni sation.
2.2.Les syndicals
La représentativité des partis politiques russes demeure une inconnue dès
lors que les citoyens n ' ont pas eu l'occasion de voter sur le système
mu ltipartite élaboré par le Congrès des députés du peuple et le Soviet suprême
après les élections de mars 1990. Aussi étudierons-nous les projets politiques
el sociaux défendus par les forces syndicales pour évaluer l'audience de la
social-démocratie.
206
LA GAUCHE FACE AUX M UTATIONS EN EUROPE
Autrefois associés forme llement à la gestion centrale de l'économie planifiée sov iétique, les syndicats russes sont, depuis le démantèlement anarchique
des rouages de celle-ci, investis d ' un pouvoir de négociation inédit et confrontés à une crise d ' identité profonde comme les partis qui se définissent comme
socialistes. En pleine restructuration depui s les grèves de 1989 26 qui ont
donné naissance à des organisations nouvelles ancrées dans la mouvance réformatrice, le monde syndical russe, au demeurant fort politisé, a du mal à
meUre en œuvre un programme d ' action cohérent qui défendrait les salariés
contre les effets sociaux de la thérapie de choc du gouvernement Gaïdar sans
faire obstacle à la modernisation économique nécessaire à long terme et à
l'épanouissement du bien-être social.
Nous nous appuierons sur la typologie proposée récemment par le soc io logue Leonid A. Gordon n pour distinguer en Russ ie trois types de programmes
syndicaux ou plutôt trois versions d ivergentes de la stratégie jugée la plus
opportune pour garantir aux travailleurs les conditions. matérielles d 'ex istence
o ffertes par le régime sov iétique avant le ralentissement de la croi ssance de la
fin des années soixante-dix. L.A. Gordon 28 l'a observé, les travailleurs russes
ne se sont pas - encore ? - constitués en partis politiques mais les structures
syndicales créées ou réformées récemment 29 ne se présentent pas pour la plupart exclusivement comme des instruments de la défense de leurs intérêts
matériels mais plutôt comme des organisations de type « Solidarnosc » qui
souscrivent à un projet de société global , bien qu'elles soient bien loin d 'en
posséder la capacité de mobilisation.
Les organisations représentatives du monde du travail se répartissent en
trois tendances.
La première est représentée par le bloc des syndicats « restaurateurs ». Il
s'agit d 'organisations néo-staliniennes hostiles à l' introduction d ' une modernisation économique inspirée des mécanismes d u marché comme à la démocratisation politique. Leur programme d 'action se résume pour l'essentiel à
une exaltation de la soc iété stalinienne où la condition ouvrière s'était considérablement améliorée JO, après les sacrifices imposés par l'industrialisation des années trente et la guerre mondiale. Ces syndicats, dont les plus
importants sont le From UII; des travailleurs et Russie au travail ont été
constitués, respectivement en 1989 et 1992 , à l'instigation des factions
ultra-conservatrices du pcus à la recherche du soutien de la classe ouvrière.
Les deux autres tendances divi sent les syndicats liés à la « gauche démocratique ». On y distingue en effet un courant occidentaliste et un courant
anarcho-syndicali ste qui cherche à rev italiser la notion de troisième voie entre
capitalisme démocratique et socialisme autoritaire.
Le courant occidentaliste est représenté par la grande majorité des groupements issus de l' institutionnalisation, progressive en 1989-90, des comités de
grève et affi liés à la Confédération d u travail créée au printemps 1990 3 1,
LA PLACE DE LA SOCI,\L·DÉMOCRATIE DANS LA RUSS IE EN TRANsmON
207
Cons idérés aujou rd ' hui comme les plus inOuents dans la classe ouvrière 32 , ils
souhaitent le développement en Russie d' une économie sociale de marché et
de la démocralie politique. Jusqu'à présent, ils ont soulenu le gouvernement
Eilsine 3l en animant des grèves poliliques duranlles événements d 'août 199 1
el en octobre 1992, lorsque les néo-communistes tentèrent de rassembler les
forces ullra-nationalisles de loutes obédiences à J'intérieur d ' un Front de salut
na/iona/.
Le courant anarcho-syndicaliste, minoritaire, est notamment représenlé
par l'Union des collectifs de travail, favorable à l'approfondissement de la
démocratie par la combinaison de la représentat ion parlementaire avec j' ins·
litulÎonnalisation de fonne s de conlrôle ouvrier sur la production. L' intérêt
des factions conservatrices du pcus - dans les mois qui ont précédé la révision de l' article 6 de la ConstÎlution (c'est-à-dire l' abandon du régime de parti
unique) - pour l' instaurai ion de fonne s de représentation corporat iste des
producteurs en lieu et place de l' introduction du multipartisme a toutefois jeté
le doute sur l' inspiration libertaire des revendications anarcho.synd icali stes 14•
3_ Conclusions
Quatre conclusions peuvent être apportées à cel exposé de l'état de la soc ial-démocratie en Russie.
Primo, le projet - attribué à Alexandre Yakovlev en 1990 de la transformation du parti communiste en un parti de masse socia j·démocrate organisé à
l'échelle de l' Union soviétique se confonnant aux exigences de la compétition
électorale - a échoué. Si la grande majorité des députés, et des hommes politiques en général, « démocrates » ou «( conservateurs» de la Russie actue lle
sont d 'anciens cadres du pcus, ils défe ndent des orientations politiques divergentes au sein desquelles la mouvance sociale-démocrate est aujourd ' hui encore minori taire.
Secundo, ai nsi que l'avait déjà relevé Max Weber dans son commentaire
des dern ières années du tsari sme, le caractère importé de la modernisation
capitaliste en Russie et la périphérisation l 5 qui en résulte à l' intérieur de
l'économie-monde, sont défavorables à la reproduction du schéma de développement hi storique de l' Europe occidentale et représentent au contraire des
fenn ents pour l' inslall ation de régimes autoritaires.
Ter/io, s' il existe dans la Russie post·soviétique des partis et des synd icats
favorables à une économie soci ale de marché inspirée des fonnes
ouest-européennes et au respect des règles de fonctionnement de la démo·
cratie parlementaire li bérale, leurs revendications ne sont pas comparables à
celles - en cours de redéfinition - de la social-démocratie occidentale contemporaine. D'une part, compte tenu des priorités dictées par l'état de l'économie nationale , les revendications des forces russes sont essentiellement
matérielles et quantitat ives. et par conséquent plus proches de celles de la
208
LA GAUCHE FACE AUX MlITATIONS EN EUROPE
social-démocratie européenne des années vingt et trente que de celles de l' Intemationale socialiste en 1993. D ' autre part, compte tenu de la profondeur de
la crise, ces revendications à la fois minimales et fo ndamentales de la
social-démocratie n' appellent ni à une rév ision ni à une actualisation dans la
mesure où le bien-être matériel, pas plus que la démocratie, n 'est un fa it acqui s en Russie.
Enfin, l' avenir politique de la gauche sociale-démocrate en Russie dépend
en grande partie de la clarificat ion des rapports entre possédants et travailleurs
avec la modernisation capitaliste et l'introduction de la privatisation. L' alliance objective entre les travailleurs et les dirigeants du secteur étatique 36 qui
ont intérêt aujourd ' hui à freiner la transition économique, représente à moyen
terme un obstacle de tai lle. L' opacité des rapports de production propre au
régime soviétiq ue et perpétuée par le chaos de la réforme actuelle est en effet
susceptible, dans un contexte de crise. d ' accroître l'audience d ' un discours
nationaliste fondamentali ste. qui prétend occulter les différences
socio-économiques, inéluctables, en valorisant la communauté d ' appartenance ethnique ou culturelle.
Notes
1Voir « L.a dklaration de principes de l' Internationale socialiste (Stockholm. 23 juin 1989) JO. Socialisme. nO124. juillet-août 1989.
1 Voir « L.a résolution du XIX< cnngrè$ de l'Internationale socialiste 11 Berlin ( 15-17 septembre 1992) JO .
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'Voir M. Tao." La crise des traditions de la gauche européenne et la rechen::he de nouvelles voies JO.
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16-17 décembre 1989.
• D.E. AStlFORO. « Democr.l1ic Dilemnas: Wha! FUlure for the Left? '", Tht Polilira/ QIlamrly.
vol. 64. nO4. octobre-décembre 1992.
1Voir par exemple A. KœvlI.Ev. « Russia: a Chance for Surviva! '". FortÎgn A!fairs. Spring 1992.
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エ ゥョウ@
i セァゥウ
ャ 。エゥカ・ウ@
エ」セッウャカ。アオ・D@
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Russi a .... Tdos. ne 8. Summer 199L.
Il Voir E. M... soa.. OJl,"Q OB オ セ@
dt Gorba/rht,· 7. Mnn treu il. 1989. C'est en effet en 1987 que som
ゥQ、ッーエセ・ウ@
les premil:res ュ・セウ@
(ell.: la loi sur le travail ー イゥカセ@
du 1" mai (987) susceptibles d'orienter
[" URSS vers {B セ」ッョュ
ゥ・@ de ュ。イ」セN@
11 Voir par ellemple P. B KUÇlG"ER, . Fin de la politique: ["affrontement droite-gauche '". papier ーイ←ウ」ョエ
セ@
au colloque SfXia/isnlt' : u/opit t'/ rlolills, Pn!senceet action culturelles, Bruxelles. 16-17 décembre 1989;
parmi d'autres thtoriciens du triomphe du libt:ralisme 1Il'EsI e!/ou de la « fin de l'Histoire JO. on peut ci ter
aUll Etats-Unis Francis Fuku yama et en France. le philosophe Philippe Nemo.
11F.A. vos HAvu. La routt dt la St'n·itude. Paris. t946.
LA PLACE DE LA SOCIAL-DÉMOCRATIE DANS LA RUSSIE EN TRANSITION
209
.. Voir R. Rouy. « 'The Imellectoals and the End of Socialism " . Thl' Yall' Rnil' .... vol. 80, nO 1·2.
avril 1992.
Il C. Sa.n, セ@ L' émerge nce du muhipanismc en Russie 1990· 1992", Tramirions, nO l, ]993.
I· V. P. lj u bi N セ@ ... Sozialdenwkralische Paneien in den Nachfolgestaalen der Sowjelunion ... , Buidul'
dl'r Bundcsinsrir/ll fiir Osrwissl'nschujrlichl' I//Id IlIIl'rltmionall' SwdiclI . 13, 1992. La plupan de ccs clubs
• informels ... ("ir/ormoli. c'est·à·di re n'ayant pas de statu! juridique) se som lran sfonnés
ou ュッオセ・ウ@
en panis politiques au le ndema in de l'abrogation du monopole politique du l'OJS en mars 1990. Les folldateurs du PSOR étaient eUll·mêmes issus ou liés au club moscovite PUl'slraiko dimocraliqlll'.
" 0. RUMV"-NTSF.V, « Our Way to Social Democracy ..., nllssian Polilics and La ..., Summer 1992,
vol. 31, nO I.p95.
Il E. T""'OUE. « Russian Govemment Seeks « Social Pannership,. .... Radio F,u Europe/Radia Librrly
Rl'uarch Repurl. vol. ], nO25,19 juin ]992, p. 22; M.V. B... o......
'TheCrcation oh New System o f La·
bor Relations in Russia ... , Problrms 0/ E.COIII)n';C T,01J$ili,,,,, September 1992. p. 43.
" Le pani du centre social-démocrale de Russie ainsi crié a choisi de se rapprocher de l'u nion civique.
Il riclame la mi se en place d'un Etal·providence modeme en Russie en même temps que la cond uit e d'une
pol itique gouvernementale " démocratique et patriOlique ".
" C'est·lI-dirc la tâche qui incombe aUll gouvernements post-oommunistes de défin ir simultanément le
de la nouvelle constitution. et 13 politique économique et sociale ; voir
cadre d'un Etat· nat ion, les セァャ・ウ@
C. OFI-"E, « Vers le capi talisme par la construction démocratique: la théorie de la démocratie et la triple
lransi tion en Europe de ["Est ", Rl'l"IIt /rançaist dt sdtnçr polilÎqllt. vol. 42, nO6, décembrc 1992.
II Pour une tr-.lduçtion du volet économique du programme du PDR, voir C. SIG.\,I"''', « Les programmes
économiques des nouveau;.; parlÎ:; russes ... , Le Cou"il'r des pays de r Est . nO358, mars ]991, pp. 55·60.
"N. Travkine définit parlois son mouvement comme un « parti conservateur de type européen " , défi ·
nition que reprennent parfois faute de mieull cenains observateurs du Radio Fru Europl'lRodio Librrty
Rt.'!earch Imlillll" comme Elizabeth Teague et Philip Hanson.
2J fiSC, Summary o/ World Broadcosts, Series Soviet Union. 29 avril ]991.
J' 8tJC, SII'fI, 8 juillet 1991.
2J 8tJC, SII'fI, 28 février 1992.
"' E. TUC;UE, "Organized Labour in Russia in 1992 JO, Radio Fru Europe/Radio Liberty RfSl'oreh
Rl'fIO'/' vol. 2, nO 5, 29 janvier 1993.
TI L.A. GoRDO." , « Russia on the Road to New Industrial Relalions », Probl..ms 0/ E.conomie Transi·
lion, Cktobc r 1992, p. 36.
" Ibid.. p. 16.
"" L' ancienne confédération syndicale subordonnée 11 ]"aat·Pani el qui cominue à ・セゥウエイ@
sous la dé·
nomination de FMIrO IÎOII dt.'! s)'ndicals indlp;:ndumsdt Russieest actuellement en pleine crise politique et
restructuration. Voir l'interv iew de son prisident Igor Klochkov./z\'csria. 13 novembre 1992.
JII N. WERTlI, " Renaissances et dilemmes du mouvement ouvrier en Union soviétique .... Le dlool,
nO67. novembre-d&embre 199 1.
)1 LA GoRDoN. op. cil .. p. 18.
lI Ce sont toutefois les vieilles StruCtures syndicales soviétiques, 11 présent impro]lfCmem rc baplisées
FMümion des syntficau intfip;:ndaflls dl' Russil' et 。ャゥ セ ウ@ II I 'union civique. qui conserven t le plus d ' adh\!·
rems. Ceci s'explique en grande partie parce qu 'elles détiennent le monopole de [a gest ion des fonds so·
ciaux : en revanche, les affiliés de fSIR restent sourds à ses appels 11 la grève générale contrc le gouverne·
ment.
" Yoir l"interview de Y. GouI;OY, prisident du conseil des comités ouvriers du bassin de Kouznetsk
(Kou1.bass) et affilié au sylldicat des mineurs indépendams. Les NOIH,t l/es de MosrOfI. nO25. 23 juin 1992,
p. Il.
"L. A. GoROOS. op. d l.. p. 20.
" Yoir 1. N... oELS, « La périphérisation des pa ys de l'e;';·IIRSs ", Transi/ions. n" l, 1993.
"' Il n'uiste toujours pas 11 proprement parler de « SC<:te ur privé ... imponant si non dans le domaine des
services (secteur . horeça ») ; à moins de considércr la mafia russe comme une grande entreprise privée.
,. «
Signatures
Mateo ALALUF est chargé de cours à l'Université de Bruxelles.
Carlos CUNHA est professeur au Dowling College de New York.
Pascal DELWIT est assistant chargé de recherche à l' Institut d 'études euro-
péennes de l'U niversité de Bruxelles.
Guillaume DEVIN est professeur à l' Université de Rennes.
Jean-Michel DE W AELE est assistant chargé de recherche à l' Institut
d 'études européennes de J' Université de Bruxelles.
Corinne GOBIN est assistante chargée de recherche à l' Insti tut d'études
européennes de l' Université de Bruxelles.
Daniela H EIMERL est chargée d 'études à la Documentation françai se
(CEDUCEE).
Marc L AZAR est maître de conférence à l'Université de Paris 1 et à l'Institut
d 'éludes politiques de Paris.
Vif Lt NOSm.OM est professeur de politique comparée à l' Un iversité de
Bergen .
Christophe SENTI:. est assistant à l'Université de Bruxelles.
Francine SIMON-EKOVICII est ingénieur d 'études 'au CNRS-CRPs-Pari s \.
Patrick THEURET est attaché au groupe de recherche sur la gauche en Europe de l' Université de Paris I-Sorbonne,
Gerrit VOERMAN est directeur du centre d'étude des parti s politiques hollandais de l 'Université de Groningen,
Table des matières
Avant propos
4
La gauche face aux mutations en Europe,
par Pascal DELWIT et l ean-Michel DE WAELE
1. Les mutations
1.1. Les mutations sociologiques
1.2. Les mutations économiques el sociales
1.3. Les mutations sociétales
1.4. Les mutations politiques et institutionnelles
2. L'importance des organisations internationales
3. Les interrogations des partis socialistes
4. La fin des partis communi stes?
5. Les incertitudes en Europe centrale et orientale
6. A propos des « crises»
Les mutations économiques et sociales. Des repères panni d 'autres,
par Mateo ALALUF
1. Le compromis fordi sle
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2. Fin d 'une époque
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3. Des rapports de fo rce détériorés
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4. Réduction du temps de travail et flex ibil ité
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5. Chômage et démocratie
6. Acteurs et effets de structure
7. Des capacités d' innovation soc iale?
24
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Crises et recompositions de la gauche en Europe occidentale.
par Marc LAUR
1. Les crises de la gauche
1.1. La crise des partis communistes
1.2. La crise des partis soc iaux-démocrates et socialistes
2. Quelle recomposition ?
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2 14
LA GAUCHE FACE AUX MUTATIONS EN EUROPE
Le SPD et l'unité allemande,
par Danie la HEIMERL
1. Dimensions historiques
2. Du primat de la réun ification au dogme du maintien
des deux Etats allemands
3. L ' unité allemande: rêve ou cauchemar?
La social-démocratie scandinave face à l' impasse européenne,
par Ul f LINDS11tÔM
1. La structure des ménages en Scandi navie
2. La promotion de l'Europe sociale-démocrate comme alternative?
3. Conclusion: la soc ial-démocratie face à l'évanescence
de la chose politique
4. Epi logue
5. Annexe
De la confiance à la crise. La gauche aux Pays-Bas depuis les années
soixante-dix,
par Gerrit VOERMAN
1. Les pani s de gauche
1.1 . Les rivaux traditionnels d 'extrême-gauche du pani du travail
1.2. Le virage à gauche opéré par les socialistes au début
des années soixante-dix
1.3. Les nouveaux ri vaux de centre-gauche du parti du travail
lA. Le parti du travail au début des années soixante-dix :
entre l'extrême-gauche et le centre-gauche
1.5. La désintégration du trio progressiste au mi lieu
des années soixante-dix
1.6. Création et origine de la « gauche verte» ( 1977-1989)
1.7. Le réaj ustement centriste des socialistes
dans les années quatre-vingt
1.8. Le parti du travail en crise ( 1989- 1992)
2. Les changements idéologiques de la gauche
2. 1. La social-démocratie: J' adieu à J'Etat et à J' utopie
2.2. Le « cocktail » idéologique de la « gauche verte »
2.2. 1. La « délénini sation » du CPN
2.2.2.Les sociali stes pacifi stes contre le système capitali ste
2.2.3. Les premiers signes verts du PPR
2.2A.Le méli-mélo de la « gauche verte»
2.3. Les démocrates: du pragmatisme au libéralisme soc ial
3. Les glissements sociologiques de la gauche
4. Concl usions
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TABLE or,s MATIÈRES
La Confédération européenne des synd icats: engagement syndical
et construction européenne,
par Corinne GaBIN
1. Introduction
2. La CES el le lexie du Irailé sur l'Union européenne
2. 1. La dimension démocratique
2.2. L' Union économique et monétaire
2.3. La d imension soc iale
2.4. La cohés ion économique et sociale
3. La gauche syndicale en faveur de l'Europe:
enlre pragmat isme syndical et idéalisme politique
3.1. Le cho ix des interlocuteurs
3.2. Le discours syndical en faveur de l'Europe:
entre choix pragmatique et idéaliste
a) Le pragmatisme synd ical
b) L' idéal isme européen
c) Les versions crit iq ues
La version politique
La version sociale
La version culturelle
d) Les versions non critiques
La version pacifiste·humaniste
La version de la compétition économique
La version de l' interdépendance économiq ue
Un groupe mixte
4. Conclusions
5. Bibl iographie
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Le pan i communiste de Be lgique face aux Communautés européennes,
par Pascal D ELWIT
1. Introduction
2. Aux origines d u position nement
3. Le plan Schuman el la CEO
4. La création du marché com mun
5. La« réalité» du marché commun
6. Les raisons d' une évolution
7. L'action au niveau européen
8. La crise des communistes belges
9. Concl usions
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11 3
L'opposition du pani communi ste ponugais à j'adhésion à la CEE.
par Carlos CUNHA
1. Introduction
119
119
2 16
LA GAUCHE FACE AUX MUTATIONS EN EUROPE
2. La demande d'adhés ion
3. L'adhés ion à la CEE
4. L'Acte unique europée n
5. Le traité de Maastricht
6. Concl usion: le l'CP, les critiques et la CEE
Les communistes espagnols et la question eu ropéen ne:
du huitième congrès à Maastricht ( 1972- 1992),
par Patrick THEURET
1. Le primat du politique
t . 1. L'europé isme anli-franqui ste
1. 2. L'européisme du consensus
1.3. Le soutien au trai té d'adhésion
2. Les fruit s de l'expérience: cri se politique et retour de l'économie
2. 1. Les doutes et les critiques croissants parmi les communistes
2.2. L'européisme de la « droite» communiste ':
l'eurocommunisme rénovateur
2.3. Les réticences et l' hostilité de la « gauche» communiste
3. Les relations avec les forces européennes de gauche
3. 1. L 'eurocommunisme
3.2. La référence italienne
3.3. L'intermède « gorbatchévien » : les convergences
superficielles
3.4. Le groupe parlementaire européen
et le mouvement communi ste ouest-européen
3.5. La rupture au sein du groupe communiste et apparentés
3.6. Recomposition au niveau européen : sur les décombres
du l'Cl
4. Le traité de Maastricht , le plan de convergence
et la grève générale
4.1. Maastricht : l' européisme du l'CE se sci nde
4.2. Du plan de convergence à la grève générale
4.3. Les hésitations de gauche unie sur le ré férendum
et le traité de Maastricht
5. Concl usion
6 . Annexe: les résultats des é lections européennes
Le par1i com muniste français à l'épreuve de l'écologie:
mutai ion il lusoi re, mutation im possible? Evolution d u discours
et des analyses: 1972- 1992,
par Francine SIMON-EKOVICII
1. L'écologie occultée: 1972- 198 1
l.1. Un double refus: prémisses d' une marg ina1isation?
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TABLEDESMAllÈRES
1.2. Les réactions hésitantes du PCF face à l' irruption
des écologistes sur la scène polilique
2. Vers la mise en œuvre laborieuse
d'u ne « écolog ie communi ste» : 1981-1992
2. 1. Une évolution lente et chaotique
2.2. Une évolution relative
2.3. Un tournant en trompe-l 'œil ?
La réactivation d ' une thématique traditionnelle
3. L' impact douteux d ' un aggiomamemo de façade :
le PCF à la remorque d ' une recomposition en gestation
3.1. La marginalisation du PCF dans le débat politique
3.2. Tchernobyl : ultime piège de la téléolog ie?
3.3. Les paradoxes des évol utions récen tes
Le retard social-démocrate en Europe centrale et balkanique,
par Jean-Michel DE W AELE
1. Introduction
2. Le poids de l' Hi stoire
3. L'absence de relais social ou polit ique
4. Les événements de 1989
5 . Le « rejet » des valeu rs du soc ialisme
6. L' influence des facteurs externes
7. Situation nouve lle pour la gauche
8. Les contradictions de l'identité sociale-démocrate
en Europe centrale et orientale
9. La réorganisation et la mutation de l'ensemble de la gauche
en Europe centrale et bal kanique
9. 1. Le rôle diffici le des organisations syndicales
9.2. La mutation des PC
10. Concl usion
L' Internationale soc ialiste en Europe centre-orientale: défi nition
et rôle des « ami s politiques »,
par Gui llaume D EVIN
1. Affiliation ct identité de soi
1.1 . Le temps du combat
1. 2. L'âge de la compétition
2. La définition des affinités politiques
2. 1. L'évaluation
2.2. Le patronage
3. Le risque des alliances
3.1. Le fardeau des exilés
3.2. Une gestion incertaine
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218
LA GAUCHE FACE AUX MUTATIONS EN EUROPE
La place de la soc ial-démocratie dans la Russie en transit ion,
par Ch ristophe SEI'ITE
1. Les diffic ultés théoriques de l' identification d ' un programme
de gauche en Russie après 199 1
2. Les représentants de la gauche démocratique en Russie
2.1 . Les partis politiques
2.2. Les syndicats
3. Conclusions
20 1
204
204
205
207
Signatures
2 11
Nou"ellc Impnlll('ne Dueulot SA. Gembloux (Iklgiquc). Tél. (081 )61 0061
20 1
LA GAUCHE FACE
AUX MUTATIONS
EN EUROPE
La gauche française en déroute, le parti socialiste italien en voie de disparition, le Labour Party subissant sa quatrième défaite consécutrve malgré quatorze ans de néo-libéralisme thatchérien, le SPD
confiné dans l'opposition depuis 1981 sans parvenir à presenter une alternative politique crédible face
aux problèmes liés à la crise économique et à la réunifICation. les sociaux-démocrates suédois dans
l'opposition tout comme le PASOK grec ou les socialistes portugais: l'état des partis de gauche paraît
des plus alarmants.
Le modèle social-démocrate scandinave est confronté à une crise d'identité sans précédent. les partis
socialistes méditerranéens jouent le rôle de vecteurs de modernisation de leur société en l'absence de
partis centristes ou démocrates-chrétiens. Les partis communistes agonisent et disparaissent pour la
plupart. Quelques tentatives de rénovation sont menées avec la plus grande difficulté.
Pourtant, il ya un peu moins de vingt ans, la gauche socialiste el communiste semblait promise à un
avenir radieux. Dans les pays nordiques, les partis sociaux-démocrates finissaient de façonner le
Welfare State. tandis qu'au Sud, tous les espoirs étaient permis suite à la démocratisation au Portugal,
en Espagne et en Grèce. En France, l'union de la gauche se donnait pour mission de renverser le
capitalisme et de ' changer la vie". Au même moment. certains partis communistes, en adoptant
l'eurocommunisme, semblaient vouloir et powoir prendre en compte les évolutions de la société.
Comment expliquer une telle évolution en un espace de temps somme toute assez court?
Prenant en compte les mutations sociologiques, économiques et sociales, institutionnelles et poli·
tiques, les auteurs examinent les transformations et les difficultés des partis socialistes et communistes
en privilégianlles analyses precises et détaillées de certaines formalions. peliles el grandes, couvrant
l'ensemble de l'Europe.
L'ouvrage rassemble à la fois des études sur les grands ' piliers" de la gauche européenne (socialdémocratie scandinave, SPD, PCF, Confédération européenne des syndicats) et des contributions sur
des formations parfois méconnues mais dont le parcours et les analyses méritent l'attention du publiC
francophone. Il tente aussi de dresser un premier bilan des difficultés rencontrées par les partis de
gauche en Russie et en Europe centrale et balkanique.
Les auteurs sont chercheurs et professeurs en sociologie, histoire et sciences politiques dans diHérentes universités et centres de recherche d'Europe. Ils collaborent au groupe d'histoire et de sociologie du communisme de l'Université de Bruxelles (ULB). au groupe de recherche sur la gauche en
Europe de l'Univefsité de Paris I-Sorbonne el au groupe d'étude sur le communisme ouest-européen
de l'Université de Paris X-Nanterre.
9
UNIVERSITÉ LIBRE DE BRUXELLES
Règles d utilisation de copies numériques d œuvres littéraires
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et mises à disposition par les Archives & Bibliothèques de l ULB
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Règles d’utilisation Digithèque – version 3 (janvier 2015)
UNIVERSITÉ LIBRE DE BRUXELLES
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Règles d’utilisation Digithèque – version 3 (janvier 2015)