"Guerres de Justinien" de Procope, L'Histoire, n°423, Mai 2016

/ 85 GUIDE CLASSIQUE « Guerres de Justinien » de Procope Le dernier historien de l’Antiquité décrit avec panache la lutte entre les Byzantins et les Goths dont il fut le témoin direct. Par Giusto Traina* LA THÈSE montre de moins en moins sévère à l’égard des Dans les Guerres de Justinien, Procope de Césa« Barbares », et il est même admiratif devant le rée narre les ambitieuses campagnes militaires numéro de voltige équestre efectué par le roi Totila avant la bataille de Tadinae (en Ombrie), où qui jalonnèrent le règne de l’empereur byzantin il trouva la mort en 552. Justinien (527-565). Les livres V-VIII, récemment réédités, sont consacrés pour l’essentiel à CE QU’IL EN RESTE la guerre contre les Goths. Dans les livres V et Le récit de Procope s’arrête peu après la bataille VI, l’historien se concentre sur la période 535de 552, décisive pour l’armée de Justinien. Sans 540, marquée par les exploits du grand général Bélisaire, qui vient d’écraser les Vandales en doute Procope est-il mort sans voir la suite des Afrique et qui, entre 535 et 537, occupe la Sicile, événements : Byzance recouvre une Italie épuisée par la guerre, toujours menacée par les BarNaples et la ville de Rome. La grande ofensive bares. Les derniers foyers de résistance sont écrabyzantine prend in en 540 avec l’occupation de sés en 562, mais, trois ans plus tard, à la mort de Ravenne, mais Justinien rappelle Bélisaire pour Les Belles Lettres, 2015. Justinien en 565, l’invasion des Lombards réduit l’envoyer en Orient. Les Goths en proitent pour Présenté et traduit par les territoires byzantins comme peau de chagrin. organiser la résistance. D. Roques et J. Auberger. Si Justinien ne réussit pas son projet de reconEnsuite, Procope relate les événements de façon quête, le talent de son historien préserve la méplus rapide, et surtout beaucoup moins enthoumoire des protagonistes de la guerre. siaste, visiblement déçu par son héros Bélisaire. Loyal à Justinien, le général refuse la proposition des Goths de le nommer Comme l’airme Denis Roques dans l’introduction à la nouvelle traduction française, Procope est « le Thucydide de son empereur d’Occident. époque ». En efet, s’inspirant d’Hérodote et de Thucydide, ProS’inscrivant dans la tradition de l’historiographie grecque clascope décrit son siècle avec fraîcheur et panache. Les descripsique, Procope est un observateur scrupuleux de son temps ; tions de sièges et de batailles, les excursus ethnographiques, en iligrane, on décèle ses critiques vis-à-vis de la politique ou bien les harangues des héros de la guerre sont des morde Justinien. Mais l’aspect le plus intéressant est sans doute ceaux de bravoure. Source fondamentale pour comprendre le rapport entre les « Romains » (comme se considéraient les le passage entre l’Antiquité et le Moyen Age, cette œuvre qui Byzantins) et les « Barbares ». En fait, les sujets de Justinien ne permet de reconstruire l’histoire événementielle de l’époque voyaient pas nécessairement les Byzantins comme des libérateurs venus les afranchir de la barbarie ostrogothe : leurs oide Justinien est aussi un régal pour le lecteur. n ciers thraces, slaves ou caucasiens comme l’Arménien Narsès, * Professeur à l’université Paris-IV-Sorbonne, le rival de Bélisaire, pouvaient être à l’occasion bien plus barbares que les Goths. En revanche, au il des pages, Procope se membre senior de l’Institut universitaire de France Procope de Césarée Les huit livres des Guerres de Justinien, dont le dernier parut vers 554, constituent l’œuvre maîtresse de Procope. Né au vie siècle à Césarée de Palestine (entre Haïfa et Tel-Aviv), Procope fut secrétaire et conseiller du général Bélisaire de 527 à 540, qu’il accompagna dans ses campagnes en Mésopotamie contre les Perses, en Afrique contre les Vandales et en Italie contre les Goths. Procope écrivit également un ouvrage Sur les édifices qui exalte les constructions promues par l’empereur Justinien, et l’Histoire secrète où il le brocarde violemment ainsi que sa cour et surtout sa femme Théodora. On suppose que Procope est mort peu après la in des événements narrés dans les Guerres. @ Retrouvez tous les « Classiques » sur www.histoire.presse.fr L’HISTOIRE / N°423 / MAI 2016