Approches géographiques de la transition (partie 1)
Gilles Drogue, Xavier Rochel, Stephane Angles
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Gilles Drogue, Xavier Rochel, Stephane Angles. Approches géographiques de la transition (partie 1).
Le 4 pages du LOTERR n°3-1, 2020. hal-03470524
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Le
4 pages
Mars 2020
N° 03-1
Approches géographiques de la transition (partie 1)
Gilles DROGUE, Xavier ROCHEL, Stéphane ANGLES *
Le
concept de transition qui connaît depuis quelques années un certain succès médiatique, est encore
relativement peu utilisé en géographie. Ce concept qui désigne un changement graduel d’un état de
départ, plus ou moins stable, vers un autre, a d’abord été appliqué aux évolutions démographiques (la transition
démographique), puis dans les années 1990 à l’évolution des économies des anciens pays communistes, qualifiée
de transition économique. Depuis le début des années 2000, c’est principalement pour évoquer les changements
qu’impliquent les défis environnementaux en lien avec le changement climatique que l’on emploie de plus en plus
le concept de transition écologique ou énergétique. L’objet du séminaire du LOTERR qui s’est tenu le 18 juin 2019
à Nancy, était de décliner le concept de transition à travers différents objets d’étude géographique. Six contributions
sont présentées dans deux quatre-pages.
Transition climatique et ressource en eau de surface : quels enjeux ? (Gilles Drogue)
Le vocable de transition climatique est peu usité dans
la littérature géographique. On lui préfère celui de changement climatique sans doute parce que les formes de
changement du système climatique sont multiples et ne
se limitent pas à un passage lent et graduel d’un état
moyen à un autre. Depuis l’époque préindustrielle, la
France métropolitaine a connu un réchauffement par
palier (hausse soudaine de la température de l’ordre
de +1 à 1,2°C à la sortie du Petit Âge glaciaire, fin XIXe
puis lors du « shift » climatique de 1987/1988) et des
fluctuations naturelles, cycliques du climat, pilotées
par l’océan Atlantique et s’exprimant aux échelles de
temps multi-décennales. Plutôt qu’un changement lent
et graduel, le climat français semble subir des ruptures,
des changements abrupts, soudains, inaugurant des
périodes décennales de relative stabilité. Cette forme
de changement devrait perdurer au cours de ce siècle
et nous emmener, par paliers successifs, vers un véritable choc thermique (+3 à +4°C) d’ici la fin du siècle.
Le signal du changement sur les précipitations est plus
difficile à détecter et à expliquer en raison de leur forte
variabilité temporelle (faible rapport signal/bruit). L’évaluation de la réponse des cours d’eau au changement
climatique n’est pas une question triviale : une forte
variabilité naturelle des phénomènes hydrologiques
peut masquer la présence de tendances éventuelles,
des erreurs de mesure peuvent artificiellement créer
des tendances, le débit des cours d’eau est influencé
par des facteurs non climatiques (pompages, barrages,
etc.). Dans le Nord-Est de la France, l’effet le plus visible du changement climatique observé concerne le
régime d’étiage devenu de plus en plus sévère (Fig. 1)
au cours des dernières années (François et al., 2019).
Des liens asynchrones ont été détectés entre indices
climatiques et indices hydrologiques : c’est ainsi que,
sur le bassin de la Meuse, le type de circulation atmosphérique en hiver est corrélé à la sévérité des étiages
(Grelier et al., 2017). De plus, le passage de l’expertise
globale du GIEC sur l’évolution du climat planétaire aux
impacts locaux exige une réduction d’échelle et une
connaissance fine des usages de l’eau (voir à ce sujet
les projets CHIMERE21 et MOSARH21 impliquant des
chercheurs du LOTERR). Ces bases de connaissance
sont indispensables pour mettre en place des politiques
d’adaptation destinées à compenser les effets négatifs du changement climatique sur les cours d’eau. En
* Gilles DROGUE, Maître de conférences HDR, Xavier ROCHEL, Maître de conférences HDR, Stéphane ANGLES, Professeur
Laboratoire LOTERR, Université de Lorraine
Mars 2020 - N° 03-1
1
effet, elles servent à évaluer la durabilité des
actions planifiées pour réduire les dommages
potentiels aux personnes, aux usages et aux
biens et à identifier de nouveaux territoires
potentiellement exposés à des risques d’étiage
ou d’inondation importants. Tout cela montre le
rôle considérable de l’espace dans le traitement
de la question du changement climatique en
hydrologie.
Figure 1 :
L’Eichel à Oermingen (affluent de la Sarre), en situation d’étiage lors
de la sécheresse météorologique de l’été 2019
Références citées :
François D., Delus C., Drogue g., lebaut s., gille e.,
2019, Reconstitution des étiages de la Moselle depuis
1871. Colloque UNESCO-SHF « Sécheresses, étiages
et déficits en eau », Paris, 8 p.
grelier b., Drogue g., Pirotton M., arChaMbeau P.,
gernez e., 2017, Peut-on estimer l’effet du change-
ment climatique sur l’écoulement à l’exutoire d’un bassin sans modèle pluie-débit ? Un test de la méthode
de transfert climat-écoulement par régression dans le
bassin transnational de la Meuse. Climatologie, 14,
p.48-81. [En ligne]
La transition forestière française est-elle un objet d’études pour les géographes ?
(Xavier Rochel)
La transition forestière désigne un processus par
lequel, sur un territoire donné, une période de boisement net succède à une période de déboisement net
(Mather, 1992 ; Grainger, 1995). À ce concept s’associe
celui de forêt ancienne, définie comme une forêt dont
l’état boisé est attesté depuis une date ou une période
donnée, que l’on fixe généralement au point le plus bas
des surfaces forestières sur le territoire en question.
Les forêts anciennes sont donc celles qui ne sont pas
issues des afforestations récentes ; elles se caractérisent notamment par une certaine biodiversité liée à
leur caractère relativement stable durant les derniers
siècles.
En France, la transition forestière est un phénomène historique qui nous renvoie au-delà de l’épaisseur temporelle la plus couramment prise en compte
par les géographes. En effet, le minimum des surfaces forestières, point de repère temporel pour la
transition en question, est supposé être vers 18301850 (Rousseau, 1990 ; Cinotti, 1996 ; Koerner et
Mars 2020 - N° 03-1
al., 2000 ; Dupouey et al., 2007), avec de fortes disparités selon les régions. L’inversion de la courbe des
surfaces boisées relèverait donc à première vue de la
recherche historique. Néanmoins, la discipline géographie paraît bien mobilisable sur ces questions :
– en raison des enjeux environnementaux et territoriaux qui justifient la recherche sur les forêts anciennes,
– en raison des sources cartographiques utilisées (Rochel et al., 2017),
– et aussi parce qu’elle trouve là l’occasion de pratiquer les convergences entre sciences humaines et
sciences de la nature dont elle s’est toujours prévalue.
De fait, les géographes français ont frontalement
abordé la question de façon précoce (George, 1933 ;
Arnould, 1996). Lors du séminaire, la naissance du
concept a été abordée dans un premier temps, avant
d’évoquer les enjeux associés et la teneur des travaux
engagés dans la recherche française.
2
Figure 2 :
Un concept de géographes,
devenu transdisciplinaire :
la transition forestière.
Nombre de publications
dans des revues anglophones ACL, 1992-2019,
portant explicitement sur
la transition forestière.
Sources : Jstor, Researchgate, Google Scholar,
dépouillement : XR.
Références citées :
arnoulD P., 1996, Les nouvelles forêts françaises. L’Information Géographique, vol. 60-4, p. 141-156.
Cinotti b., 1996, Évolution des surfaces boisées en
France : proposition de reconstitution depuis le début
du XIXe siècle. Revue Forestière Française, 48, pp.
547-558.
DuPouey J.-l., baChaCou J., Cosserat r., aberDaM s.,
Vallauri D., ChaPPart g., CorVisier De Villele M.-a.,
2007. Vers la réalisation d’une carte géoréférencée
des forêts anciennes en France. Le monde des cartes,
n°191, pp. 85-98.
george P., 1933, Anciennes et nouvelles forêts en
région méditerranéenne. Études rhodaniennes, 2, p.
85-120.
grainger a., 1995, The Forest Transition: an alternative
approach. Area, 27-3, pp. 242-251.
Koerner W., Cinotti b., Jussy J.-h., benoit M., 2000,
Évolution des surfaces boisées en France depuis le début du XIXe siècle : identification et localisation des boisements des territoires agricoles abandonnés. Revue
Forestière Française, 52, 3, pp. 249-269.
Mather a., 1992, The Forest Transition. Area, 24-4, pp.
367-379.
roChel X., abaDie J., aVon C., bergès l., ChauCharD s.,
DeFeVer s., grel a., JeanMonoD J., leroy n., DuPouey J.-l., 2017, Quelles sources cartographiques
pour la définition des forêts anciennes ? Revue Forestière Française, numéro spécial « forêts anciennes »,
4-5, pp. 353-370.
rousseau P., 1990, L’évolution des forêts françaises
métropolitaines d’après les statistiques forestières.
Revue Forestière Française, 42, 1, pp. 56-68.
La transition agro-écologique : une Troisième Révolution agricole ou un verdissement du
modèle agricole conventionnel ? (Stéphane Anglès)
La notion de transition s’est désormais invitée dans
l’agriculture et devient un des axes privilégiés de la
transition écologique au centre désormais des agendas
internationaux. Cette transition agricole n’est pas chose
nouvelle puisque les fondements pour des alternatives
à la modernisation et l’intensification agricoles apparaissent dès le début du XXe siècle. Ces agricultures
alternatives ont d’abord eu des assises scientifiques
avec, entre autres, les travaux pionniers de A. Howard,
Mars 2020 - N° 03-1
de R. Steiner ou de M. Fukuoka, avant de se diffuser
lentement dans des registres techniques : les agricultures biologique ou biodynamique, la permaculture…
Un des fondements communs à toutes ces nouvelles pratiques agricoles repose sur la réintégration de
l’agro-écosystème au sein de son propre écosystème
en réduisant au maximum les externalités (fertilisation
et protection phytosanitaire). Cette réintégration constitue la démarche essentielle développée dans l’agroé-
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cologie dont le premier ouvrage scientifique paraît en
1983 sous la plume de Miguel Altieri.
Depuis la décennie 1990, les politiques publiques
agricoles ont entamé un processus de « verdissement » en préconisant les pratiques agro-écologiques
qui tendent à devenir le nouveau cadre normatif en matière agricole. Un nouveau modèle technico-agricole est
ainsi mis en avant et diffusé sous injonctions politiques :
le rapport Guillou (2012) à la demande du ministre de
l’agriculture S. Le Foll, la réforme de la PAC de 2013
avec l’écologisation des paiements agricoles ou la Loi
française d’Avenir pour l’agriculture (2013) constituent
autant de jalons essentiels dans l’orientation politique
en faveur de l’agroécologie (Fig. 3).
L’approche agro-écologique repose sur deux fondements : accroître la biodiversité au sein des agroécosystèmes et renforcer les régulations biologiques.
Le premier objectif s’appuie sur une hétérogénéité
croissante des couverts végétaux (cultivés et/ou noncultivés), la multiplication des écotones et des infrastructures écologiques afin de limiter la propagation
des bio-agresseurs tout en assurant une diversification
productive (polyculture, association élevages-cultures),
une complémentarité entre ateliers et une réduction des
intrants (engrais, produits phytosanitaires, énergie). Le
second fondement correspond à la lutte biologique intégrée ; cela vise à optimiser les interactions au sein de
l’agroécosystème en favorisant les interrelations naturelles entre les populations dans le but de contrôler les
bio-agresseurs. Cela requiert une vision multi-scalaire
du modèle agro-technique en favorisant la biodiversité
au niveau des parcelles, des îlots de culture et des systèmes de production.
La transition agro-écologique constitue un changement radical du cadre agro-technique ; cela nécessite
de prendre en compte toutes les interactions entre les
populations et l’agro-biotope, mais également de mieux
intégrer les savoirs vernaculaires et les retours d’expérience. Ce changement préconise donc le temps long
de la régulation biologique et non plus la réponse technique immédiate. En d’autres termes, cela signifie le
passage d’une logique curative externe à court terme à
une logique préventive, régulée et interne à long terme.
La transition agro-écologique induit également une
démarche collective afin de multiplier les complémentarités entre producteurs et entre agro-écosystèmes à
une échelle régionale. Toutefois, cette préconisation en
faveur de l’agro-écologie rencontre la question du coût
induit par ces pratiques (investissements en équipement et en main-d’œuvre, réduction des rendements),
de la temporalité (comment concevoir le long-terme
dans un système où le court-terme s’impose au niveau
des marchés et des contraintes financières ?) et du
niveau de formation nécessaire pour conduire un tel
changement. La transition agro-écologique en cours
sera donc confrontée à un choix crucial : effectuer une
mutation complète en rupture avec le modèle agricole
conventionnel ou opérer de simples modifications techniques rendant plus « vert » le modèle agricole intensif.
Figure 3 : Une montée en puissance de l’agroécologie
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