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Approches géographiques de la transition (partie 1)

2020, HAL (Le Centre pour la Communication Scientifique Directe)

Approches géographiques de la transition (partie 1) Le concept de transition qui connaît depuis quelques années un certain succès médiatique, est encore relativement peu utilisé en géographie. Ce concept qui désigne un changement graduel d'un état de départ, plus ou moins stable, vers un autre, a d'abord été appliqué aux évolutions démographiques (la transition démographique), puis dans les années 1990 à l'évolution des économies des anciens pays communistes, qualifiée de transition économique. Depuis le début des années 2000, c'est principalement pour évoquer les changements qu'impliquent les défis environnementaux en lien avec le changement climatique que l'on emploie de plus en plus le concept de transition écologique ou énergétique. L'objet du séminaire du LOTERR qui s'est tenu le 18 juin 2019 à Nancy, était de décliner le concept de transition à travers différents objets d'étude géographique. Six contributions sont présentées dans deux quatre-pages.

Approches géographiques de la transition (partie 1) Gilles Drogue, Xavier Rochel, Stephane Angles To cite this version: Gilles Drogue, Xavier Rochel, Stephane Angles. Approches géographiques de la transition (partie 1). Le 4 pages du LOTERR n°3-1, 2020. ฀hal-03470524฀ HAL Id: hal-03470524 https://hal.univ-lorraine.fr/hal-03470524 Submitted on 8 Dec 2021 HAL is a multi-disciplinary open access archive for the deposit and dissemination of scientific research documents, whether they are published or not. The documents may come from teaching and research institutions in France or abroad, or from public or private research centers. L’archive ouverte pluridisciplinaire HAL, est destinée au dépôt et à la diffusion de documents scientifiques de niveau recherche, publiés ou non, émanant des établissements d’enseignement et de recherche français ou étrangers, des laboratoires publics ou privés. Distributed under a Creative Commons Attribution - NoDerivatives 4.0 International License Le 4 pages Mars 2020 N° 03-1 Approches géographiques de la transition (partie 1) Gilles DROGUE, Xavier ROCHEL, Stéphane ANGLES * Le concept de transition qui connaît depuis quelques années un certain succès médiatique, est encore relativement peu utilisé en géographie. Ce concept qui désigne un changement graduel d’un état de départ, plus ou moins stable, vers un autre, a d’abord été appliqué aux évolutions démographiques (la transition démographique), puis dans les années 1990 à l’évolution des économies des anciens pays communistes, qualifiée de transition économique. Depuis le début des années 2000, c’est principalement pour évoquer les changements qu’impliquent les défis environnementaux en lien avec le changement climatique que l’on emploie de plus en plus le concept de transition écologique ou énergétique. L’objet du séminaire du LOTERR qui s’est tenu le 18 juin 2019 à Nancy, était de décliner le concept de transition à travers différents objets d’étude géographique. Six contributions sont présentées dans deux quatre-pages. Transition climatique et ressource en eau de surface : quels enjeux ? (Gilles Drogue) Le vocable de transition climatique est peu usité dans la littérature géographique. On lui préfère celui de changement climatique sans doute parce que les formes de changement du système climatique sont multiples et ne se limitent pas à un passage lent et graduel d’un état moyen à un autre. Depuis l’époque préindustrielle, la France métropolitaine a connu un réchauffement par palier (hausse soudaine de la température de l’ordre de +1 à 1,2°C à la sortie du Petit Âge glaciaire, fin XIXe puis lors du « shift » climatique de 1987/1988) et des fluctuations naturelles, cycliques du climat, pilotées par l’océan Atlantique et s’exprimant aux échelles de temps multi-décennales. Plutôt qu’un changement lent et graduel, le climat français semble subir des ruptures, des changements abrupts, soudains, inaugurant des périodes décennales de relative stabilité. Cette forme de changement devrait perdurer au cours de ce siècle et nous emmener, par paliers successifs, vers un véritable choc thermique (+3 à +4°C) d’ici la fin du siècle. Le signal du changement sur les précipitations est plus difficile à détecter et à expliquer en raison de leur forte variabilité temporelle (faible rapport signal/bruit). L’évaluation de la réponse des cours d’eau au changement climatique n’est pas une question triviale : une forte variabilité naturelle des phénomènes hydrologiques peut masquer la présence de tendances éventuelles, des erreurs de mesure peuvent artificiellement créer des tendances, le débit des cours d’eau est influencé par des facteurs non climatiques (pompages, barrages, etc.). Dans le Nord-Est de la France, l’effet le plus visible du changement climatique observé concerne le régime d’étiage devenu de plus en plus sévère (Fig. 1) au cours des dernières années (François et al., 2019). Des liens asynchrones ont été détectés entre indices climatiques et indices hydrologiques : c’est ainsi que, sur le bassin de la Meuse, le type de circulation atmosphérique en hiver est corrélé à la sévérité des étiages (Grelier et al., 2017). De plus, le passage de l’expertise globale du GIEC sur l’évolution du climat planétaire aux impacts locaux exige une réduction d’échelle et une connaissance fine des usages de l’eau (voir à ce sujet les projets CHIMERE21 et MOSARH21 impliquant des chercheurs du LOTERR). Ces bases de connaissance sont indispensables pour mettre en place des politiques d’adaptation destinées à compenser les effets négatifs du changement climatique sur les cours d’eau. En * Gilles DROGUE, Maître de conférences HDR, Xavier ROCHEL, Maître de conférences HDR, Stéphane ANGLES, Professeur Laboratoire LOTERR, Université de Lorraine Mars 2020 - N° 03-1 1 effet, elles servent à évaluer la durabilité des actions planifiées pour réduire les dommages potentiels aux personnes, aux usages et aux biens et à identifier de nouveaux territoires potentiellement exposés à des risques d’étiage ou d’inondation importants. Tout cela montre le rôle considérable de l’espace dans le traitement de la question du changement climatique en hydrologie. Figure 1 : L’Eichel à Oermingen (affluent de la Sarre), en situation d’étiage lors de la sécheresse météorologique de l’été 2019 Références citées : François D., Delus C., Drogue g., lebaut s., gille e., 2019, Reconstitution des étiages de la Moselle depuis 1871. Colloque UNESCO-SHF « Sécheresses, étiages et déficits en eau », Paris, 8 p. grelier b., Drogue g., Pirotton M., arChaMbeau P., gernez e., 2017, Peut-on estimer l’effet du change- ment climatique sur l’écoulement à l’exutoire d’un bassin sans modèle pluie-débit ? Un test de la méthode de transfert climat-écoulement par régression dans le bassin transnational de la Meuse. Climatologie, 14, p.48-81. [En ligne] La transition forestière française est-elle un objet d’études pour les géographes ? (Xavier Rochel) La transition forestière désigne un processus par lequel, sur un territoire donné, une période de boisement net succède à une période de déboisement net (Mather, 1992 ; Grainger, 1995). À ce concept s’associe celui de forêt ancienne, définie comme une forêt dont l’état boisé est attesté depuis une date ou une période donnée, que l’on fixe généralement au point le plus bas des surfaces forestières sur le territoire en question. Les forêts anciennes sont donc celles qui ne sont pas issues des afforestations récentes ; elles se caractérisent notamment par une certaine biodiversité liée à leur caractère relativement stable durant les derniers siècles. En France, la transition forestière est un phénomène historique qui nous renvoie au-delà de l’épaisseur temporelle la plus couramment prise en compte par les géographes. En effet, le minimum des surfaces forestières, point de repère temporel pour la transition en question, est supposé être vers 18301850 (Rousseau, 1990 ; Cinotti, 1996 ; Koerner et Mars 2020 - N° 03-1 al., 2000 ; Dupouey et al., 2007), avec de fortes disparités selon les régions. L’inversion de la courbe des surfaces boisées relèverait donc à première vue de la recherche historique. Néanmoins, la discipline géographie paraît bien mobilisable sur ces questions : – en raison des enjeux environnementaux et territoriaux qui justifient la recherche sur les forêts anciennes, – en raison des sources cartographiques utilisées (Rochel et al., 2017), – et aussi parce qu’elle trouve là l’occasion de pratiquer les convergences entre sciences humaines et sciences de la nature dont elle s’est toujours prévalue. De fait, les géographes français ont frontalement abordé la question de façon précoce (George, 1933 ; Arnould, 1996). Lors du séminaire, la naissance du concept a été abordée dans un premier temps, avant d’évoquer les enjeux associés et la teneur des travaux engagés dans la recherche française. 2 Figure 2 : Un concept de géographes, devenu transdisciplinaire : la transition forestière. Nombre de publications dans des revues anglophones ACL, 1992-2019, portant explicitement sur la transition forestière. Sources : Jstor, Researchgate, Google Scholar, dépouillement : XR. Références citées : arnoulD P., 1996, Les nouvelles forêts françaises. L’Information Géographique, vol. 60-4, p. 141-156. Cinotti b., 1996, Évolution des surfaces boisées en France : proposition de reconstitution depuis le début du XIXe siècle. Revue Forestière Française, 48, pp. 547-558. DuPouey J.-l., baChaCou J., Cosserat r., aberDaM s., Vallauri D., ChaPPart g., CorVisier De Villele M.-a., 2007. Vers la réalisation d’une carte géoréférencée des forêts anciennes en France. Le monde des cartes, n°191, pp. 85-98. george P., 1933, Anciennes et nouvelles forêts en région méditerranéenne. Études rhodaniennes, 2, p. 85-120. grainger a., 1995, The Forest Transition: an alternative approach. Area, 27-3, pp. 242-251. Koerner W., Cinotti b., Jussy J.-h., benoit M., 2000, Évolution des surfaces boisées en France depuis le début du XIXe siècle : identification et localisation des boisements des territoires agricoles abandonnés. Revue Forestière Française, 52, 3, pp. 249-269. Mather a., 1992, The Forest Transition. Area, 24-4, pp. 367-379. roChel X., abaDie J., aVon C., bergès l., ChauCharD s., DeFeVer s., grel a., JeanMonoD J., leroy n., DuPouey J.-l., 2017, Quelles sources cartographiques pour la définition des forêts anciennes ? Revue Forestière Française, numéro spécial « forêts anciennes », 4-5, pp. 353-370. rousseau P., 1990, L’évolution des forêts françaises métropolitaines d’après les statistiques forestières. Revue Forestière Française, 42, 1, pp. 56-68. La transition agro-écologique : une Troisième Révolution agricole ou un verdissement du modèle agricole conventionnel ? (Stéphane Anglès) La notion de transition s’est désormais invitée dans l’agriculture et devient un des axes privilégiés de la transition écologique au centre désormais des agendas internationaux. Cette transition agricole n’est pas chose nouvelle puisque les fondements pour des alternatives à la modernisation et l’intensification agricoles apparaissent dès le début du XXe siècle. Ces agricultures alternatives ont d’abord eu des assises scientifiques avec, entre autres, les travaux pionniers de A. Howard, Mars 2020 - N° 03-1 de R. Steiner ou de M. Fukuoka, avant de se diffuser lentement dans des registres techniques : les agricultures biologique ou biodynamique, la permaculture… Un des fondements communs à toutes ces nouvelles pratiques agricoles repose sur la réintégration de l’agro-écosystème au sein de son propre écosystème en réduisant au maximum les externalités (fertilisation et protection phytosanitaire). Cette réintégration constitue la démarche essentielle développée dans l’agroé- 3 cologie dont le premier ouvrage scientifique paraît en 1983 sous la plume de Miguel Altieri. Depuis la décennie 1990, les politiques publiques agricoles ont entamé un processus de « verdissement » en préconisant les pratiques agro-écologiques qui tendent à devenir le nouveau cadre normatif en matière agricole. Un nouveau modèle technico-agricole est ainsi mis en avant et diffusé sous injonctions politiques : le rapport Guillou (2012) à la demande du ministre de l’agriculture S. Le Foll, la réforme de la PAC de 2013 avec l’écologisation des paiements agricoles ou la Loi française d’Avenir pour l’agriculture (2013) constituent autant de jalons essentiels dans l’orientation politique en faveur de l’agroécologie (Fig. 3). L’approche agro-écologique repose sur deux fondements : accroître la biodiversité au sein des agroécosystèmes et renforcer les régulations biologiques. Le premier objectif s’appuie sur une hétérogénéité croissante des couverts végétaux (cultivés et/ou noncultivés), la multiplication des écotones et des infrastructures écologiques afin de limiter la propagation des bio-agresseurs tout en assurant une diversification productive (polyculture, association élevages-cultures), une complémentarité entre ateliers et une réduction des intrants (engrais, produits phytosanitaires, énergie). Le second fondement correspond à la lutte biologique intégrée ; cela vise à optimiser les interactions au sein de l’agroécosystème en favorisant les interrelations naturelles entre les populations dans le but de contrôler les bio-agresseurs. Cela requiert une vision multi-scalaire du modèle agro-technique en favorisant la biodiversité au niveau des parcelles, des îlots de culture et des systèmes de production. La transition agro-écologique constitue un changement radical du cadre agro-technique ; cela nécessite de prendre en compte toutes les interactions entre les populations et l’agro-biotope, mais également de mieux intégrer les savoirs vernaculaires et les retours d’expérience. Ce changement préconise donc le temps long de la régulation biologique et non plus la réponse technique immédiate. En d’autres termes, cela signifie le passage d’une logique curative externe à court terme à une logique préventive, régulée et interne à long terme. La transition agro-écologique induit également une démarche collective afin de multiplier les complémentarités entre producteurs et entre agro-écosystèmes à une échelle régionale. Toutefois, cette préconisation en faveur de l’agro-écologie rencontre la question du coût induit par ces pratiques (investissements en équipement et en main-d’œuvre, réduction des rendements), de la temporalité (comment concevoir le long-terme dans un système où le court-terme s’impose au niveau des marchés et des contraintes financières ?) et du niveau de formation nécessaire pour conduire un tel changement. La transition agro-écologique en cours sera donc confrontée à un choix crucial : effectuer une mutation complète en rupture avec le modèle agricole conventionnel ou opérer de simples modifications techniques rendant plus « vert » le modèle agricole intensif. Figure 3 : Une montée en puissance de l’agroécologie Mars 2020 - N° 03-1 4