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A l a r el h er ch r e d e l a c o o p é r a i o n
d a n s l e s v i l l e s d u Su d *
Isabelle Milbert
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Alors que la majorité des habitants du monde habiteront en ville dans les
premières années du XXIème siècle, la dernière grande conférence des
Nations Unies de cette décennie, en juin 1996, à Istanbul, porte sur l'habitat
et l'aménagement urbain, et consacre la reconnaissance des villes comme
acteurs à part entière du développement. Juste vision des choses donc: les
citadins constituent déjà une écrasante majorité de la population latino-américaine, et ils apportent une part essentielle des gains de productivité en
Afrique et en Asie. Pourtant, malgré une forte mobilisation des acteurs non
gouvernementaux, Habitat II a bien du mal, dans sa phase préparatoire, à
susciter un intérêt officiel de la part des Etats du Nord, et rien ne montre,
pour l'instant, que ces derniers s'engageront de façon plus nette sur le plan
financier, dans les mois qui suivront la Conférence.
A LA RECHERCHE DE LA VI LLE D A NS L ES AGENCES DE COOPÉRA T ION
En effet, la plupart des agences de coopération demeurent prudentes, dans
leurs projets et dans leur organisation, face à un secteur réputé coûteux et
apparu tardiyement dans le champ de leurs compétences. Tout se passe
comme si elles ne voulaient en aucun cas encourager l'expansion des villes,
sans considérer le fait que cette expansion se produira de toute façon. Alors
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* L'auteur tient à remercier M. B. Girardin et Mme F. Lieberherr pour la relecture critique de cet
article.
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que la coopération en milieu rural a dès le départ été clairement identifiée et
justifiée, la coopération en milieu urbain reste mal reconnue, sujette à
contestation à l’intérieur même des agences: le secteur urbain mérite-t-il
vraiment d’exister? Ne risque-t-on pas d’encourager encore la migration
rurale-urbaine à travers des projets touriiés spécifiquement vers la ville? La
plupart des documents internes aux agences, qui justifient les politiques
urbaines par la nécessaire complémentarité avec les autres secteurs d’intervention (rural, santé, environnement...), sont en fait des instruments d’information et de propagande à l’attention du personnel interne aux agences ellesmêmes, avant de trouver leur utilité à l’extérieur auprès des médias et du
public. A l’intérieur des agences, les Directions en place sont en général très
marquées par la suprématie incontestée du secteur rural des années 1960 et
1970. Cette approche est souvent appuyée par des lobbies ruralistes, relayés
par les partis au pouvoir. Par exemple, l’aide au secteur urbain aux Pays-Bas
est restée marginale (dix fois moins importante que la promotion des
femmes, pourtant mal reconnue aussi), aussi longtemps que les démocrateschrétiens ont été installés au pouvoir. Ce ne sont donc pas des critères d’analyse objective de la situation dans les pays en développement, ou même les
demandes des gouvernements de ces pays, qui sont déterminants, mais bien
plutôt le positionnement du parti au pouvoir et des différents lobbies dans les
pays du nord.
Même dans celles des agences multilatérales qui ont joué un rôle pilote
dans le lancement de projets en milieu urbain, les engagements financiers
demeurent limités: alors que la Banque mondiale a clairement décidé que le
développement urbain est une priorité, et qu’elle apparaît comme le leader
incontesté en matière de politiques urbaines, ses engagements dans ce secteur ont été de 5% dans la période 1988-93, et ne devraient pas dépasser 9%
du total dans la période quinquennale 1993-1998. Ceci alors que les prêts
non concessionnels, s’adressant aux pays les plus prospères, constituent
environ les deux tiers de ces financements.
De même, les engagements du PNUD pour les activités urbaines varient
entre 2,5 et 5% au début des années 1990, alors que l’agriculture, la foresterie et la pêche bénéficient de plus de 20% des engagements. Dans la quasitotalité des autres agences, les engagements financiers destinés aux villes
sont inférieurs à 5% des montants de l’aide.
Quelques agences ont, tardivement, créé un bureau sectoriel sur l’urbain,
mais ce bureau souvent très léger (0,5 à 3 postes dans les agences bilatérales)
n’est que rarement assis solidement et il est arrivé qu’il disparaisse du fait
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des restrictions de crédits, fréquentes depuis 1990. Quand les agences ont
une cellule sectorielle sur l’urbain, il y a souvent des hésitations quant à son
intégration dans un département social ou au contraire dans un service d’infrastructures. Ainsi, la nature même de l’intervention en milieu urbain fait
l’objet d’incertitudes. Le développement urbain doit-il servir des objectifs
sociaux ou économiques? Ou bien, comme pour la coopération japonaise,
l’aménagement urbain ne doit-il être vu que comme un ensemble d’infrastructures au service de l’appareil de production? Certaines agences se tirent
de ce mauvais procès en choisissant d’intervenir dans un domaine précis et
spécialisé, et donc en créant un programme ciblé: les Pays-Bas (Spearhead
Program on Urban Poverty), le Danemark (environnement urbain), l’Italie
(eau), la Suisse (villes moyennes, gestion urbaine participative).
Un certain nombre d’agences de coopération, et non des moindres, n’ont
encore aucun personnel traitant spécifiquement des questions urbaines. Cyest
le cas, par exemple, de la Banque Africaine de Développement, de la
Communauté Européenne, et des agences de coopération du Japon, de
l’Australie, de la Suède ou de la Norvège. Le fait que ces agences n’aient
pas de bureau spécialisé ne signifie pas qu’elles n’interviennent .pas dans le
champ spatial urbain, mais cela reflète l’absence de priorité sectorielle.
Une dispersion des actions peut apparaître lorsque les compétences se
partagent entre d’une part l’agence de coopération, dépendant le plus souvent du Ministère des Affaires Étrangères, et le Ministère de 1’Équipement
et/ou des Travaux Publics, qui mène souvent sa propre politique internationale, en obéissant plus ou moins aux priorités sectorielles et géographiques
définies par les autorités en charge de la coopération. A cela s’ajoute, pour
plusieurs pays européens et pour le Canada, la montée en puissance de la
coopération décentralisée, qui donne aux collectivités territoriales la possibilité de créer leur propres programmes de coopération avec des villes ou des
régions du Sud, avec des difficultés de coordination faciles à imaginer.
Pour ces différentes raisons, il est aujourd’hui presque impossible de
recenser les actions de coopération lancées dans le champ urbain par les pays
occidentaux. L‘OCDE aussi bien que la CEE ont essayé de s’attaquer à ce
problème sous l’angle statistique. Le secteur urbain, apparu tardivement dans
les priorités sectorielles des agences, garde un statut secondaire: dans la
nomenclature des agences, les rubriques sont en général la santé, l’éducation, les infrastructures, la population, l’énergie, l’industrie, le développenient rural et l’aide humanitaire, et le secteur urbain reste obstinément
absent, ce qui traduit bien le fait qu’il n’y a pas de vision globale de la ville.
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Les tentatives faites pour analyser la composante urbaine des projets, o
même l’impact de ceux-ci sur les citadins, semblent vouées à I’échec. Dan
l’ensemble des actions de coopération, depuis l’économie jusqu’à la culturr
en passant par le politique, les questions foncières, l’éducation ou la santé, i
y a toujours un résultat qui touche la ville, mais celle-ci n’apparaît pas dan
ses composantes originales. En effet, de nombreux projets sectoriels (sant
publique, éducation, environnement, promotion de la petite entreprise ou foi
mation) se déroulent dans la ville, mais ne prétendent pas avoir un impact su
le fonctionnement même de celle-ci et sur les politiques urbaines. I1 el
résulte parfois des situations étranges, où différents projets financés par 1,
même agence mais pas par le même département se déroulent au mêinr
moment dans la même ville en s’ignorant les uns les autres.
Ainsi, les projets se déroulant en milieu urbain et visant à promouvoir le:
services de santé, les écoles, la micro-entreprise et la petite industrie ou le:
ressources énergétiques se trouvent totalement coupés de toute analyse de 1;
gestion urbaine et du développement de la ville. I1 en est de même, parfoi:
de façon encore plus caricaturale, pour les projets de contrôle des naissance:
et pour les actions visant les femmes.
L’un des problèmes que les agences ont le plus de mal à surmonte1
semble être de combiner des projets d’infrastructure (comme l’adductioi
d’eau, le ramassage des ordures, etc.) avec des projets à objectif socio-éCo.
nomique. Ainsi, très rares sont les exemples de projets de construction de
logements à faible coût qui réalisent en même temps l’objectif de confier de:
lots aux micro-entreprises du quartier. La coordination entre projets, dont 1~
complémentarité apparaît évidente et nécessaire sur le terrain, est très difficile dans les bureaux des administrateurs, au sein des agences de coopération
ou lorsque plusieurs institutions du sud sont impliquées.
Une caractéristique de la manière dont les agences de coopération (une
minorité, d’ailleurs) définissent leurs stratégies dans le secteur urbain a été la
variété des approches adoptées. Ainsi, l’habitat n’est pris en considération
que dans l’action de la Banque mondiale, de la BID (Banque Interaméricaine
de Développement), de USAID (coopération américaine) et des coopérations
française, allemande et britannique. D’autres agences n’abordent que les
infrastructures telles que ports, ponts ou aéroports (Japon, Suède, Finlande).
Un autre groupe d’agences a concentré sa stratégie autour du développement
régional (GTZ), des questions environnementales, telles que le ramassage
des ordures ménagères ou l’eau (Italie, Grande-Bretagne, Pays-Bas et bien
sûr les grandes banques de développement). Trop souvent, les vraies justifi-
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cations à I’élaboration de ces priorités ne découlent pas d’une analyse de la
demande venant des pays du sud ou des populations pauvres de ces pays.
Elles sont la conséquence d’un rapport de force ou des équilibres internes
propres aux pays du nord: ainsi en est-il du Housing Guarantee Program aux
États-Unis, qui privilégie, avec des taux d’intérêt élevés, le financement
privé du logement pour classes moyennes dans des pays appartenant à la
zone d’influence politique américaine. C’est également le cas des services
urbains marchands ou de la dkcentralisation pour le gouvernement français,
vis-à-vis de ses partenaires d’Afrique de l’Ouest francophone. Peu d’agences
ont explicitement concentré leurs objectifs sur la lutte contre la pauvreté
urbaine. Seuls le Canada, les Pays-Bas, l’UNICEF et la Suisse développent
des stratégies à long terme et des projets spécifiques dans ce sens, Cet émiettement des actions a été constaté assez rapidement par la Banque mondiale
et le CNUEH, à Nairobi, et ils ont voulu y remédier en tentant d’orienter la
conception des programmes de coopération, à travers le Programme de
Gestion Urbaine.
Finalement, seules la Banque mondiale et la BID, puis, fort tardivement, la Banque Asiatique de Développement, ont adopté dans leurs projets une approche intégrée de 1’amCnagement urbain, et percevant la ville
comme un ensemble de réseaux superposés mais complémentaires, alimentant les flux financiers, commerciaux, migratoires, ainsi que l’eau, les
transports, les ordures ménagères etc. Ces institutions ont parfois une
démarche “iiitégrative”, accueillant dans leurs projets des cofinancements,
souvent bien inférieurs, provenant d’autres agences. Mais elles imposent
également leur vision de la ville et les tyrannies des modalités de gestion
peu souples.
En conséquence, sur le terrain, c’est dans la phase de mise en œuvre que
sont abandonnées les composantes les plus “intégratives” des projets, souvent les plus utiles aux habitants, mais qui sont aussi les plus difficiles à réaliser, car il faut du temps et beaucoup de présence pour entrer dans un processus de concertation. Ainsi en est-il des volets “lutte contre la pauvreté“,
“promotion de la petite entreprise” ou “microcrédits” explicitement prévus
dans de nombreux projets urbains. Peu de réalisations prennent au mot les
recherches et surtout les discours des agences proclamant la nécessité de lier
l’aménagement urbain et la promotion des entreprises privées locales. Dans
les faits, les opérateurs nationaux et internationaux ont une structure beaucoup trop cloisonnée pour mettre en pratique des projets à objectifs multiples
mais complémentaires, et qui viseraient par exemple à améliorer simultané-
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ment la desserte en services urbains, la santé économique des micro-entreprises et la collecte des impôts locaux.
Cette dichotomie entre le discours largement diffusé sur la scène internationale et la réalité des actions oblige à reconsidérer l’origine du discours.
c’est-à-dire la construction des concepts opérationnels au sein des agences.
A LA RECHERCHE D E S C O N C E P T S DERRIÈRE LES POLITIQUES P U B L I Q U E S
Le secteur urbain semble condamné à traîner avec lui un ensemble de termes
mal explicités, utilisés de façon politique et dans les sens les plus divers. II
est inutile ici de revenir sur les débats qui ont fait long feu à propos du “secteur informel urbain”, du “développement urbain soutenable” ou “durable”,
ou de la “crise urbaine”. I1 ne sera traité ici que d’un “concept” apparu en
1992, la c‘governance’’.
“Urban governance ” est quasiment intraduisible, moins pour des raisons
idiomatiques que parce que sa signification n’est pas claire: elle varie considérablement selon les chercheurs et les pays. En espagnol “governabilidad”
met un accent très fort sur les intérêts du gouvernement à mettre en place ses
politiques et le terme est donc considéré comme trop étroit. En français, le
terme “gouvernance” est un anglicisme. “Saine gestion” renvoie à des techniques issues des milieux d’affaires, et ne rend pas compte des idées liées à
l’intérêt général et à la construction du consensus qui sont en général associées à la governance. Dans le cadre de cet article nous conserverons donc le
terme anglais, qui illustre d’ailleurs la langue dans laquelle se déroule l’essentiel du débat.
I1 convient donc de retrouver la filiation de ce terme, apparu soudain dans
tous les programmes internationaux et dans toutes les réunions de bailleurs
et de chercheurs. I1 a été utilisé fort rarement dans la science politique britannique ou américaine jusqu’à très récemment. La govername devient, à
partir de 1992, un leitmotiv de la Banque mondiale, qui vise ainsi, au niveau
global, une “bonne gestion du développement”. Le “concept” (au sens où
l’utilisent les opérateurs du développement) va rapidement être appliqué aux
projets dans le secteur urbain: le relais est pris par le CNUEH, le Centre des
Nations Unies pour les Établissements Humains. Le seul problème est que le
vocabulaire, au départ, n’a pas été clarifié. Grosso modo, les indications données par la Banque mondiale quant à l’objectif de “good govenzance” visent
au respect des libertés publiques, 6 la sécurité des citoyens, i l’élaboration
d’un cadre législatif et judiciaire respecté, à la décentralisation et à l’accès
de tous à la démocratie. George et Sabelli (1995) rappellent à ce propos que
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l’organisation prônant ces règles ne les a pas toujours respectées sur le terrain, et qu’elle est souvent critiquée pour ses propres manquements à la
transparence et à la démocratie interne.... Mais la dure réalité s’impose: alors
qu’il n’est pas question de L‘governance’’dans les priorités du secteur urbain
de la Banque mondiale pour les années 1990, publiées en 1991, au cours des
années suivantes, désormais, le corps des professionnels du secteur urbain
doit travailler sur la governance ou ne pas travailler.
Mais personne ne s’entend sur la façon d‘appliquer la governance à la
ville: il y a les acceptions prescriptives du ternie, selon lesquelles la good
governance concernerait les méthodes de gouvernement, d’administration et
de gestion, non seulement des villes mais aussi de l’ensemble de 1’Etat.
Fondamentalement, il s’agit là’ pour les experts de la Banque aussi bien que
pour les administrateurs français qui ont vécu la période coloniale en
Afrique, d’influer sur le cœur de l’Etat, en redéfinissant son rôle et en le
remodelant de l’intérieur: on aborde donc des sujets tels que l’exercice de la
tutelle, le partage du pouvoir entre institutions, le recrutement des personnels
des services publics, les modalités d’élaboration des politiques publiques et
surtout l’organisation des finances publiques.
D’autres considèrent que la governance met moins l’accent sur une formule d’organisation que sur la nécessaire légitimité de l’autorité intervenant
dans le champ considéré, tant en termes de responsabilités que de capacité
de réponse aux besoins des usagers. Dans ce sens, la governance doit s’appuyer obligatoirement sur la démocratisation et sur la décentralisation, pour
permettre un renforcement des collectivités locales urbaines. Ainsi, pour
Mac Auslan, il s’agit donc d’une approche “morale’’: good governance
implique que le gouvernement soit légitime. I1 y a croyance dans l’existence
bénéfique d’une machine étatique efficiente et effective. La légitimité est
perçue comme existante dès qu’un gouvernement a été élu, mais les modalités de l’élection, le jeu des forces socio-économiques et le respect des libertés publiques au cours de l’élection fair election) sont rarement discutés.
Responsabilité, transparence, probité, équité, efficacité sont les mots-clés
“des préalables à l’introduction d’une réforme, et c’est à partir de là que les
réformes peuvent être acceptables de la part des citoyens” (Mac Auslan).
Malheureusement, cette approche positionnant l’éthique comme préalable
absolu peut prêter à sourire lorsqu’elle émane de chercheurs occidentaux
appartenant à des pays certes démocratiques mais où la corruption guette les
gouvernements locaux.
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Certains chercheurs voient la governance comme une façon d’aller audelà de la dimension purement technique de la gestion urbaine, et d’y inclure
problèmes sociaux et dimension politique. L‘équipe de recherche de R. Stren,
sous l’égide de la Ford Foundation, cherche ainsi, à travers l’analyse de la
governance, à la distinguer de l’analyse classique sur le gouvernement, et à
la décrire comme “les relations entre la société civile et l’Etat, entre les gouvernants et les gouvernés, dans le contexte de la globalisation économique,
de l’ajustement structurel, de la démocratisation et de l’émergence de nouveaux acteurs sociaux et politiques. Ces phénomènes ont aujourd’hui d’importantes répercussions spatiales qui accusent la dualisation des villes, les
difficultés d’accès au sol et de disposition d’infrastructures et de services et
les distorsions des marchés urbains de l’emploi. D’un côté, les Etats nations
délèguent à des municipalités étriquées des compétences plutôt que des
moyens et surtout que du pouvoir. D’un autre côté surgissent par tous les
pores de la ville les problèmes de pauvreté, d’inégalité, d’exclusion, de
ségrégation et de violence. On en arrive ainsi à des manifestations extrêmes
d’ingouvernabilité, quand cependant les villes sont gouvernées...”
En définitive, existe maintenant la situation paradoxale où ce ne sont plus
les chercheurs et les hommes du terrain qui traduisent une réalité sociale en
mutation pour apporter de nouveaux outils conceptuels aux agences de
coopération, mais les chercheurs, telles les équipes financées par le
Programme de Gestion Urbaine et la Ford Foundation, qui s’appliquent à
justifier un outil de politique positionné sur le marché par le principal
bailleur, et qui travaillent à lui donner plus de consistance.
Suite au lancement du produit “governar~ce”,de nombreuses agences de
coopération ont emboîté le pas dans la pratique de ce que George et Sabelli
appellent “la conditionalité politique”, sans toutefois suivre toujours la
Banque sur le terrain urbain, sauf en ce qui concerne la décentralisation. Qui
ne serait d’accord avec l’idée qu’une plus grande transparence des décisions,
une fiscalité plus équitable, des élections plus régulières et une meilleure circulation de l’information seront bénéfiques à la gestion urbaine? Exactement
comme la décentralisation, qui vise à une meilleure répartition des compétences et à un rapprochement des institutions vers le local, en direction des
individus, les responsables de la coopération tombent d’accord sur l’importance de ce thème, au moins dans un premier temps. D’ailleurs certains
bailleurs pratiquaient, telle la Scandinavie, ou prônaient, tel François
Mitterand à La Baule, cette conditionalité politique avant même que l’on ne
parle de “good governance”.
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La Banque mondiale difhse donc, fort bien, à travers des relais très efficaces que sont les sessions de formation, les séminaires de recherche et les
commissions préparatoires des conférences internationales telles qu’Habitat
II, ce discours “fer de lance” de la good governance, selon lequel les pays du
sud n’ont pas seulement besoin d’être moins gouvernés, mais aussi d’être
mieux gouvernés. Au-delà de l’élégance de la formule, la réforme de 1’Etat
paraît cependant bien difficile à mettre en œuvre, dans un contexte d’ajustement structurel et d’appauvrissement des populations et de l’ensemble des
institutions publiques, et il en est exactement de même en ce qui concerne
l’application de la governance au secteur urbain: il y a un coût à la décentralisation et à la good governance, que les agences et les responsables politiques ne sont pour l’instant pas prêts à payer. Comment imaginer que les
collectivités territoriales puissent mettre en place des réformes qui bouleversent profondément les équilibres politiques, alors que, en Afrique de l’Ouest
par exemple, les recettes de la fiscalité locale diminuent régulièrement
depuis cinq ans, du fait de la crise qui touche les revenus des contribuables?
De façon surprenante de la part d’experts en financement, on ne trouve
pas d’études évaluant le coût de l’accès à la good governance, ni au plan
national, ni dans la ville. Par exemple, en ce qui concerne la décentralisation,
qui n’est que l’un des volets de la good governance au niveau de la ville, sa
mise en place implique non seulement la préparation des textes et règlements
au plans national et local, mais surtout l’organisation des élections municipales et régionales, l’aide à l’installation des nouvelles mairies, le transfert
des compétences aux nouvelles collectivités. D’autre part il convient de former des techniciens de l’aménagement urbain, d’initier les élus fraîchement
sortis des urnes à leurs nouvelles fonctions, de créer un statut des personnels
locaux et les institutions éducatives oh les différentes branches de la gestion
municipale sont enseignées. Sans parler des questions plus délicates, qui portent sur la réforme des structures financières, sur la mise au point d’outils
simplifiés de fiscalité locale, de systèmes de contrôle financier et de formation des structures locales responsables de l’ordre public. Et il n’est pas
encore question d’aborder des problèmes encore plus complexes mais combien urgents, qui relèvent de la gestion prévisionnelle, tels que la coordination entre institutions pour une meilleure gestion de l’environnement urbain,
pour la prévention des catastrophes ou pour l’implantation et la promotion
des industries. Quels sont les montants de l’aide consacrés à ces domaines?
Les quelques actions lancées avec des financements britanniques, français,
suisses ou canadiens apparaissent encore bien limitées dans le temps et sur-
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tout dans l’espace. Les priorités restent tournées vers le secteur privé, et le
cadre “anti- État’’ des programmes d’ajustement structurel n’incite en rien, et
en fait s’oppose, au financement de la good govenzance. Même dans un cas
porté par l’urgence comme celui du Rwanda, on connaît la difficulté à trouver des fonds pour construire et renforcer les collectivités territoriales et le
système judiciaire.
George et Sabelli voient donc la governance et les aides qui l’accompagnent comme une attaque dans le dernier bastion de l’indépendance des
Etats: “L‘effet et l’intention de l’ajustement ont été d’affaiblir 1’Etat et de
garantir la reprise en main de nombre de ses fonctions traditionnelles par des
forces extérieures agissant au nom du marché mondial (...) La suite logique
est maintenant de substituer un pouvoir supranational à l’autorité nationale
sous la bannière de la governaizce” (p. 183). Dans les Commissions préparatoires à la Conférence d’Habitat II, les grands pays du su4 rompus à l’exercice de la coopération, et d’ailleurs fort bien représentés dans les organisations internationales, ne s’y sont pas trompés: les représentants du Brésil et
surtout de l’Inde se sont, avec une belle constance, opposés à ce que la “good
governance” apparaisse comme l’un des cinq thèmes prioritaires de la
Conférence. L’opposition du représentant indien a fait fi des procédures
diplomatiques courantes, jusqu’à ce que les organisateurs se trouvent obligés
de répondre à ses exigences et remplacent “good goverizance” par “gestion
urbaine et décentralisation”, non sans souligner avec quelque mauvaise foi
“que cela revient au même”.
Au-delà de ces craintes d’ingérence de la part d’organisations internationales qui décident, puis modifient, leurs priorités et leurs politiques sectorielles en les imposant aux autres agences aussi bien qu’aux pays du su4
quelle est la démarche des citadins et des groupes d’action locaux? La
société civile est certes à l’origine d’exigences grandissantes qui ne sont
pas formalisées par le terme “good governance”, mais qui concernent plutôt une gestion équitable et partagée des services urbains, des gouvernements locaux clairement identifiés, une circulation des financements où les
impôts versés correspondent à des services rendus. Nombreux sont les
“citoyens moyens’’ qui aspirent (sans toujours, pour autant, construire une
stratégie d’action) à ce que leur ville rende des comptes sur sa gestion,
ouvre la discussion sur les priorités et soit transparente sur le coût des
mesures à prendre. L‘“accountability”, la responsabilité assumée par les
institutions, est une valeur qui fait l’objet de revendications fréquentes de
la part des habitants, des ONG, de la presse, mais qui parait bien difficile
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à traduire en projets. Le débat ne se situe donc pas seulement au niveau de
1’Etat ou des agences étrangères, mais pose plutôt le problème de leurs instruments d’intervention et de leur marge d’action par rapport à la gestion
locale.
En observant les nombreuses actions qui se sont développées dans les
villes du sud au cours des dix dernières années, on constate que des quartiers
entiers se mobilisent pour lutter contre la corruption dans la fourniture des
services (Bombay, Delhi), dans la revendication pour des élections locales
(Brésil) ou pour la réalisation des promesses (Mexico après le tremblement
de terre). Ils sont parvenus à créer les mécanismes de négociation et les procédures de définition des priorités qui permettent une gestion partagée, non
pas de la ville, mais plutôt d’un quartier ou d’un service particulier. La tâche
des chercheurs, des militants et d’autres “disséminateurs de l’information”,
quel que soit leur statut institutionnel, est alors d’identifier ces exigences ou
ces amorces d’organisation et de négociation dans la gestion de la ville, et
d’imaginer et de proposer des modalités d’aménagement de la prise de décision qui tiennent compte de la demande locale. Être à l’écoute des citadins
et des gouvernements locaux, traduire la réalité en termes concrets constitue
la principale justification du rôle du chercheur, puisqu’il retrouve alors son
rôle de difision des connaissances, de “pôle imaginatif’’ et d’interface
devant les différents acteurs, y compris les agences de coopération.
Les gouvernements locaux et les citadins ont, de façon inéluctable, le
dernier mot face à la coopération. La meilleure governance possible est donc
de rendre possible un affichage des politiques et des priorités accompagnant
la prise de responsabilité politique sur le long terme, comme cela s’est passé
en Indonésie par exemple, où les bailleurs ont pu choisir les volets de la politique urbaine qu’ils désiraient appuyer. Au-delà des effets de mode, les
agences de coopération pourraient alors, de façon durable, participer à l’appui institutionnel, promouvoir des actions correspondant à la réalité de leurs
capacités financières et surtout répondre à la demande sociale et politique
des pays du Sud.