Villes du Sud et environnement
Daniel Bley, Jacques Champaud, Patrick Baudot, Bernard Brun, Hélène
Pagezy, Nicole Vernazza-Licht
To cite this version:
Daniel Bley, Jacques Champaud, Patrick Baudot, Bernard Brun, Hélène Pagezy, et al.. Villes du
Sud et environnement. BLEY Daniel, CHAMPAUD Jacques, BAUDOT Patrick, BRUN Bernard,
PAGEZY Hélène, VERNAZZA-LICHT Nicole (ss dir.). France. de Bergier, 241 p., 1998, Villes du
Sud et environnement, 2-9511840-2-6. hal-01290270
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publics ou privés.
Éditeurs scientifiques
D. Bley, J.Champaud, P. Baudot, B. Brun, H. Pagezy, N. Vernazza-Licht
Éditions de Bergier
Travaux de la Société d’Écologie Humaine
c/o UMR 6578 du CNRS - Adaptabilité Humaine : Biologie et Culture
Université de la Méditerranée, Faculté de Médecine
27, boulevard Jean-Moulin, 13385 Marseille cedex 5
Directeur de la Publication : Nicole Vernazza-Licht
Déjà parus :
L’homme et le lac 1995
Impact de l’homme sur les milieux naturels : Perceptions et Mesures 1996
Cet ouvrage est issu, pour l’essentiel, des travaux présentés aux VIIIe journées scientifiques
de la Société d’Écologie Humaine (SEH), qui se sont tenues à Orléans en juin 1996.
Ces journées étaient organisées par :
- la Société d’Écologie Humaine
- l’équipe du DEA « Environnement, Temps, Espaces, Sociétés », Université d’Orléans
- l’UMR 6578 « Adaptabilité Humaine : Biologie et Culture », CNRS-Université de la
Méditerranée, Marseille
- le laboratoire Population-Environnement, Université de Provence/Orstom, Marseille
- le laboratoire ERMES, Orstom, Orléans
Il a bénéficié du soutien financier du département Environnement, Technologies et
Société de l’Université de Provence, Marseille
Dépôt légal : 4e trimestre 1998
ISBN : 2-9511840-2-6
ISSN : 1284-5590
Tous droits réservés pour tous pays
© Éditions de Bergier
476 chemin de Bergier, 06740 Châteauneuf de Grasse
[email protected]
VILLES DU SUD
ET
ENVIRONNEMENT
Éditeurs scientifiques
Daniel Bley, Jacques Champaud, Patrick Baudot,
Bernard Brun, Hélène Pagezy, Nicole Vernazza-Licht
1997
SOMMAIRE
___________
Daniel BLEY, Jacques CHAMPAUD, Patrick BAUDOT,
Bernard BRUN, Hélène PAGEZY, Nicole VERNAZZA-LICHT
L’environnement urbain est-il une idée neuve ?
7
L'environnement urbain
Marie-Jo MENOZZI
Ouagadougou, côté jardin
20
Emmanuel NGWE et Mohamadou SALL
Les différences spatiales de l’accès à l'eau potable dans une
ville d'Afrique subsaharienne, Yaoundé (Cameroun)
39
Hamid BOUKIR et Bernard BRUN
Facteurs environnementaux et sociaux de la répartition des
maladies hydriques dans la Médina de Fès (Maroc)
54
Patrick BAUDOT et Balla DIARRA
La mortalité des enfants d’un quartier de Bamako (Mali)
65
Georges COMPAORÉ et Idrissa KABORÉ
Gestion urbaine et environnement : l'exemple de Ouagadougou
(Burkina-Faso)
80
Emmanuelle PHILIPPOT
Gestion et pratiques des déchets solides à Pondichéry. Dynamiques
et dégradations des espaces en milieu urbain
100
René-Joly ASSAKO ASSAKO
Apport des systèmes d'information géographique dans l'analyse
des risques d'inondation et de glissement de terrain à Yaoundé
110
Balla DIARRA
Caractérisation de l'environnement urbain par télédétection :
exemple de Bamako (Mali)
125
-5-
Moïse M. BALLO et Jacques CHAMPAUD
La cartographie de l'environnement urbain
Myriam ARMAND-FARGUES
Le Caire : croissance de la ville et économie des ressources
renouvelables.
131
139
Les relations des villes et du milieu rural
Hélène PAGEZY et David NZOUANGO
La pêche aux crevettes sur la Lobé face à la demande des villes :
changement de pratiques et conséquences sur la gestion durable
des ressources
156
Serge BAHUCHET et Kornelia IOVEVA-BAILLON
Le rôle de la restauration de rue dans l'approvisionnement des
villes en viande sauvage : le cas de Yaoundé (Cameroun)
171
Théodore TREFON
Une exploitation durable des produits forestiers par les citadins
d'Afrique centrale : une gageure ?
183
Pierre GASSELIN
Les communautés paysannes andines de Cangahua en
Équateur : une dynamique agricole aujourd'hui sous l'emprise
de la ville
Marina GOLOUBINOFF
Indiens dans la ville, les Nahuas artisans d'Acapulco
(Mexique)
Ronan BOUDIGOU, Daniel BLEY, Hélène PAGEZY, Nicole
VERNAZZA-LICHT
Le retour au village des migrants comme exemple des
interactions ville/forêt au Sud-Cameroun
-6-
198
214
225
L'environnement urbain est-il une idée neuve?
La préoccupation de l'environnement est ancienne, sous des termes
différents (milieu naturel, écologie) et de nombreux chercheurs, de
disciplines diverses, se sont attachés à son étude. Mais la popularisation
du terme, son amplification politique, de grandes manifestations
comme la conférence de Rio, lui ont donné une dimension nouvelle, et,
au-delà de l'exploitation durable des ressources naturelles s'est
imposée plus récemment la nécessité d'attacher une plus grande
attention à l'environnement urbain. Le terme véhicule aussi bien des
contradictions que des effets de mode et il importe d'essayer de définir
plus précisément quelques concepts. Nous le ferons ici en suivant un
gradient d'anthropisation croissante du milieu.
- le premier concept est celui d'écosystème. La ville s'inscrit en
effet dans un milieu naturel dont on analyse les diverses composantes
(relief, climat, végétation...) pour mieux saisir les transformations
qu'ont apportées l’intensité et la permanence de l'occupation humaine,
estimer aussi les risques naturels liés à ce milieu. C'est ce que l'on
pourrait appeler l'environnement de la ville au sens propre du terme.
- un deuxième élément d'analyse, à plus grande échelle, est
celui de l'environnement physique de la ville elle-même : le sol, l’air,
l’eau, la végétation. Quelle est la qualité de chacun de ses éléments ?
Constituent-ils une menace et un danger pour l’homme ou lui permettentils de vivre et de s’épanouir ? Quelles sont les pollutions d'origine
humaine (y compris industrielles) qui perturbent ce milieu ? On entre
là dans le domaine de la qualité du cadre de vie, l'environnement des
citadins.
- enfin il faut prendre en considération la première acception
du terme « écologie urbaine », tel que défini par les sociologues et
géographes de « l’École de Chicago » dans les années 1920, qui consiste
à examiner les relations entre l'homme et le territoire : « la ville est à
la fois un système d'individus et d'institutions en interdépendance et
un ordre spatial... Pour comprendre les comportements, les formes
d'organisation sociale, les changements sociaux, on ne saurait se passer
de prendre en compte les rapports qu'ils entretiennent avec l'espace
dans lequel ils s'inscrivent nécessairement » (Grafmeyer et Joseph,
1984). Cet ordre spatial recouvre pour l'essentiel les relations entre les
-7-
groupes sociaux (ou ethniques) et le territoire urbain ; la disposition en
auréoles concentriques (d’après le sociologue Burgess dans les années
20, s'inspirant de l’économiste allemand Von Thunen, 1875) ou en secteurs
radiants (d’après l’économiste Hoyt en 1939) permettent de dessiner
une géographie sociale de la ville.
L'environnement urbain peut faire partie de ces « mots-valise » dans
lesquels on fourre tout et n'importe quoi. Mais c'est aussi une notion
complexe qui ne peut être abordée efficacement que dans le cadre
d'une analyse systémique : il n'est pas possible de « tirer l'un des fils
sans avoir à dévider une bonne partie de l’écheveau » (Metzger-Peltre
1996). Au-delà de la pluridisciplinarité, scientifique, il importe plus
qu'ailleurs d'associer étroitement à la définition des programmes et à
l’exposé des résultats d'une part les praticiens de l'urbanisme (architectes,
bureaux d’études techniques, ingénierie) et d'autre part ceux qui ont
une responsabilité, politique ou administrative dans la gestion de la
ville, en faisant en sorte d'identifier soigneusement tous ces acteurs.
Plus concrètement, il nous a semblé intéressant de centrer la
réflexion autour de trois thèmes principaux, : le risque, la présence de
la nature en ville et les questions de gestion urbaine.
Le risque en ville
Plusieurs phénomènes peuvent être rassemblés sous cette rubrique :
les risques géomorphologiques, les risques liés à l'eau, les risques liés
à la présence de l'homme.
Les risques géomorphologiques
Ils sont d'abord représentés par les catastrophes naturelles. Par
nature la plupart d'entre eux sont imprévisibles dans leur déclenchement
et leur intensité; on sait cependant que certaines zones sont plus exposées
que d'autres... Partant, un certain nombre d’entre elles devraient faire
l'objet d'une interdiction de construire, qu'il est bien difficile de faire
respecter. Dans d'autres secteurs des normes de construction parasismiques devraient être édictées (et appliquées : on se souvient que lors
de catastrophes récentes, les tremblements de terre de Mexico ou
d’Arménie, on avait pu mettre en relief l'absence de précautions
antisismiques de constructions réalisées pourtant dans des zones « à
risque »). D'une manière générale la corrélation est fréquente entre les
zones d'habitat précaire et les secteurs les plus exposés aux risques
naturels
L'un des problèmes les plus fréquemment évoqués est celui des
pentes et de l’écoulement des eaux. Ce sont souvent les terrains les
-8-
Villes du sud et environnement
plus difficiles à aménager qui reçoivent (parce qu'ils sont délaissés par
les promoteurs classiques) l’habitat le plus pauvre. C'était le cas du
quartier Nylon à Douala, peuplé de plus de 200 000 habitants, majoritairement des immigrés des hauts plateaux de l'ouest, ou du quartier
Maroko à Lagos (qui « abritait » si l'on peut dire 300 000 habitants
exposés aux risques d'inondation de la lagune ; il a été récemment
rasé, officiellement pour des raisons d’hygiène, en fait pour étendre un
quartier chic). Parfois aussi on construit, après les avoir obstruées, sur
les zones d’écoulement des rivières, et on engendre ainsi une situation
de catastrophe potentielle. Les pluies tropicales sont violentes et l'absence
d’écoulement correct des eaux (qui est souvent limité aux routes revêtues)
produit des inondations. Les caniveaux, quand ils existent, n'ont pas
toujours la pente suffisante et sont obstrués par les déchets de toutes
sortes. Par ailleurs les bassins de rétention qui seraient un moyen efficace
de stocker l'eau lors des fortes pluies sont très rares. René-Joly
Assako-Assako montre ainsi, dans le cas de Yaoundé au Cameroun,
que les systèmes d’information géographiques, utilisant les nouveaux
outils de l’analyse spatiale, peuvent efficacement contribuer à délimiter
les zones à risques et servir de support à une orientation de l’environnement urbain intégrant la prévention des risques naturels
Même dans les villes du Sahel où il pleut beaucoup moins, la brutalité
des averses est cause d’inondations, ou même de destruction des maisons
construites le plus souvent en terre. À Mopti par exemple, au Mali, la
ville vit au ras de l'eau et, lors de l’arrivée de la crue du Bani et du
Niger et en fin de saison des pluies, plusieurs quartiers sont régulièrement inondés.
Les risques biologiques
Cet environnement des villes a aussi des conséquences sur la santé
des habitants et constitue à certains égards un milieu épidémiologique
particulier. La question la plus importante est celle de la mauvaise
qualité de l'eau à laquelle sont liés le choléra, les maladies diarrhéiques
particulièrement fréquentes chez les enfants, les bilharzioses. On note
aussi la prolifération des bactéries, ou celle des insectes vecteurs de
maladies ; certaines maladies se propagent rapidement à cause de la
promiscuité. La ville historique de Fès, au Maroc, constitue un bon
exemple de cette situation. Hamid Boukir et Bernard Brun analysent
les relations entre la densification de la ville ancienne, due
essentiellement à une immigration récente d’origine rurale, les
modes d’approvisionnement en eau, et les maladies d’origine hydriques.
La géographie de ces maladies ne se superpose pas à celle de la pollution
bactérienne, mais reflète des interactions complexes entre conditions
écologiques et socioculturelles. À Yaoundé, Emmanuel Ngwe et
Mohamadou Sall ont étudié les différences spatiales de l’accès à l’eau
-9-
potable. Près du quart des ménages n’a pas accès à une eau de bonne
qualité, en raison de l’éloignement et des carences en aménagement des
quartiers périphériques.
Globalement pourtant, le niveau moyen de santé est meilleur en ville
qu'en campagne : meilleur déroulement des grossesses, recul de la
malnutrition, prévalence plus faible des maladies vectorielles, marginalisation du paludisme, meilleure couverture vaccinale (Dorier 1993).
Mais avec de très fortes disparités d'un quartier à l'autre : les risques
pathogènes sont plus liés à la pauvreté qu'à la « tropicalité », les quartiers
les plus pauvres cumulent entassement, mauvaise desserte en voies et
en eau, éloignement des centres de santé. Ainsi, dans un même quartier
de Bamako, au Mali, Patrick Baudot et Balla Diarra observent que la
mortalité des enfants dans les familles peut varier du simple au triple
selon que l’habitation se situe dans la partie aisée ou populaire du
quartier, avec cependant des constantes comme la surmortalité des
fillettes.
La nature en ville
Existe-t-elle encore ? Certes l'écosystème initial a subi des transformations irréversibles, mais une nature reconstruite, urbaine, existe
encore sous diverses formes.
L'agriculture résiduelle
Les villes s’étendent en phagocytant progressivement les villages
périphériques, où se maintient pendant une durée variable une activité
agricole. Souvent le terrain est cher en ville et les néo-citadins
s'agglutinent aux portes de la ville, aux limites du périmètre urbain
officiel, là où il est possible de trouver un terrain constructible par
entente directe avec les propriétaires traditionnels. Ils poursuivent
eux-mêmes des activités de culture ou d’élevage, destinés soit à leur
propre subsistance soit à la vente. Cependant, comme le montre
Myriam Armand-Fargues, les liens de causalité entre croissance de
la population urbaine et consommation des terres agricoles
environnantes ne sont pas directs. Dans le cas de la ville du Caire, en
Égypte, l’analyse fine des images satellitaires prouve que la croissance
démographique récente s’est essentiellement réalisée par la densification
des quartiers de la rive ouest et la colonisation de terrains désertiques,
plus que sur les terrains agricoles comme le laissait croire l’idéologie
néomalthusienne.
En ville même l'agriculture se maintient durant quelque temps, surtout
dans les délaissés de l'urbanisation comme les bas fonds inondables ou
les abords des rivières. Il y a même sans doute augmentation des
terres cultivées à la faveur de la crise.
-10-
Villes du sud et environnement
L'arbre en ville.
En gros, il y a trois sortes de paysages arborés dans la ville africaine :
celui des beaux quartiers, celui des quartiers traditionnels anciens,
celui de l'habitat précaire (Haeringer 1980).
Dans les quartiers chics l’archétype est la maison coloniale (même si
les bâtisses coloniales ont été remplacées par des édifices modernes)
placée au milieu ou au fond de la « concession », la végétation demeure
abondante, avec l'occupation des espaces libres par des plantes, des
arbres d'ornement et des haies.
Dans les quartiers traditionnels anciens, à densité intermédiaire,
règne le plus souvent un habitat horizontal en cour : les pièces d'habitation
se disposent en périphérie d'un espace libre où sont maintenus
quelques arbres. À Ouagadougou, au Burkina Faso, Marie-Jo Menozzi
observe des changements d’attitude radicaux : alors qu’il était traditionnellement déconseillé de planter des arbres dans la cour de la maison,
ce comportement s’est maintenant généralisé, d’abord sous une forme
purement utilitaire (ombrage, production de fruits,…), puis avec une
recherche ornementale de plus en plus marquée.
Mais l'arbre se raréfie à mesure qu'augmente la densité d'occupation
de la concession. Dans les quartiers populaires, l'entassement des maisons
et la promiscuité font qu'il n'y a pratiquement plus de place pour
l'arbre.
II demeure pourtant en ville de nombreux espaces vides qui peuvent
être utilisés de diverses manières. Il importe de maintenir la plupart
d'entre eux. Quel que soit en effet le niveau du bâti il n'est pas de
bonne architecture ni de bon urbanisme sans maintien d'espaces non
construits. Très souvent la voirie est démesurée alors que l'on manque
de véritables places conçues pour être des lieux de rassemblement, de
marchés, de fêtes.
Mais l'utilisation la plus utile des espaces « vides » est celle qui repose
sur l'agriculture intra-urbaine. Il serait indispensable que les plans
d'utilisation des sols, ou ce qui en tient lieu, fassent leur place à ces
cultures. Enfin d'un strict point de vue d'urbanisme, c'est un bon
moyen de préserver des espaces « naturels » qui pourraient être transformés
plus tard en espaces de loisirs, de sports ou de détente.
Le couvert végétal reflète ainsi l'urbanisme ségrégationniste et
fonctionnel qui était de rigueur lors de l’époque coloniale (mais qui
s'est maintenu depuis sous d'autres formes). La végétation est un bon
marqueur de la différenciation sociale des quartiers, et est d'ailleurs
souvent utilisée comme tel dans l'exploitation des images satellitaires.
-11-
La gestion de l'environnement
Si l'environnement pose de nombreux problèmes, la gestion des
villes, capitale pour l’élaboration du cadre de vie des citadins est
également une difficulté, d'autant que les acteurs sont nombreux.
« Peu d’autorités responsables de la gestion municipale dans les pays
en développement possèdent les pouvoirs, les ressources et le personnel
qualifié qui leur seraient nécessaires pour mettre à la disposition des
citadins toujours plus nombreux les terrains, les services et les commodités
dont l’être humain a besoin pour vivre décemment : de l'eau saine, des
équipements d'assainissement, des écoles et des moyens de transport.
Le développement soutenable des villes dépendra d'une coopération
plus étroite avec les citadins pauvres, qui forment la majorité et qui
sont les vrais bâtisseurs de la ville » (Gro Harlem Brutland, rapport
aux Nations Unies 1987, cité par Villes en Développement 1991).
Le constat que dressent Georges Compaore et Idrissa Kabore concernant
la ville de Ouagadougou est alarmant : marginalisation des quartiers
périphériques, baisse de l’approvisionnement en eau potable et électricité,
réseaux d’assainissement saturés, prédominance de l’utilisation de
l’énergie primaire (donc déboisement). Les auteurs soulignent que les
difficultés de gestion urbaine, liées à la pauvreté du pays et des individus,
rendent les mesures correctives aléatoires dans la préservation de
l’environnement. Prenant l’exemple de Pondichéry, en Inde,
Emmanuelle Philippot insiste sur les disparités, de plus en plus
visibles dans l’espace urbain. La conjonction de l’inefficacité du ramassage
des ordures et des fortes densités humaines accentue l’insalubrité en
milieu urbain et présente un facteur de risque pour la santé de la
population, qui constitue plus un problème social que médical.
Les municipalités ont peu de moyens financiers et ceux ci proviennent
pour l'essentiel de l’État. Du fait de la crise, les politiques d'ajustement
structurel conduisent ce dernier à se désengager, mais le transfert des
charges ne s'accompagne pas du transfert ou de la création de ressources
supplémentaires. En outre les villes les plus importantes, notamment
les capitales, sont toujours étroitement contrôlées par le pouvoir central.
Un exemple : le découpage des villes en communes (Yaoundé, Douala,
Abidjan, Conakry, Bamako et bien d'autres), et la création concomitante
de « communautés urbaines » ou de « districts urbains », dont le
responsable est souvent un fonctionnaire nommé par le gouvernement
qui détient de fait, avec les moyens financiers, l'essentiel des pouvoirs.
La situation évolue cependant avec l'instauration progressive dans
certains pays de la décentralisation qui donnera de réels pouvoirs aux
exécutifs élus. Mais il est difficile de doter les communes d'un budget
significatif. Les bailleurs de fonds poussent à la construction d’équipements
générateurs de ressources, comme les marchés, les boutiques, les gares
routières et dans plusieurs pays on s’apprête à instaurer une taxe foncière.
-12-
Villes du sud et environnement
Au-delà des communes proprement dites c'est à l'ensemble des institutions qui interviennent sur la ville qu'il convient de s’intéresser. En
effet la période récente a vu se développer, dans de nombreuses villes,
les associations de tous genres : d'artisans, de jeunes diplômés, de
femmes, en plus des nombreux groupes politiques portés par le vent de
la revendication démocratique. Beaucoup de ces associations ont un
but d’entraide ou cherchent à suppléer aux carences des pouvoirs
publics en matière de gestion urbaine. Citons par exemple les groupes
qui se sont constitués pour le nettoyage collectif des quartiers ou le
curage des caniveaux, les associations de femmes pour gérer des moulins
à grains ou des jardins d'enfants. Des associations de parents d’élèves
ont pris en charge la gestion d’écoles, ou bien de jeunes diplômés sans
emploi ont créé eux mêmes des écoles primaires et se font payer par
les parents.
Les outils d'analyse
La complexité de l’environnement urbain conduit à mettre à la
disposition des responsables et gestionnaires des villes des outils de
travail adéquats. Il reste à définir ce que peut être le contenu de ces
bases de données, les rapports entre les chercheurs et les décideurs, la
création par exemple d'indicateurs de l'environnement (à titre
d'exemples : le mode d’approvisionnement en eau, les réseaux et le
taux de branchement, pour l'eau et l’électricité, le mode de ramassage
des ordures ménagères). Dans cet ouvrage, Moïse Ballo et Jacques
Champaud consacrent un chapitre à ces problèmes, appliqués au
contexte africain. Dans le cas de Bamako, au Mali, Balla Diarra
montre que l’utilisation des images satellite peut se révéler fructueuse
dans l’analyse de l’environnement urbain.
Les relations des villes et du milieu rural
Le phénomène d'urbanisation dans les pays en développement a eu
des conséquences multiples sur l'environnement urbain mais aussi sur
le milieu rural qui n'a jamais cessé d'entretenir des relations avec les
villes : migrations de travail, déplacements liés aux études, aux
événements familiaux, aux activités commerciales, administratives,
religieuses et de loisirs. Ces mobilités peuvent être très diverses dans
leurs modalités, en impliquant aussi bien des personnes seules que des
groupes (familles, amis), par l'intensité du phénomène migratoire,
selon la période de migration (période scolaire, activités saisonnières
ou à autre périodicité), selon la durée (migration viagère ou temporaire).
Les relations entre les villes et le monde rural ne concernent pas que
des personnes; on observe parallèlement tout un flux de biens matériels :
-13-
produits alimentaires, plantes médicinales, bois de chauffe, objets
artisanaux dans le sens campagne-ville, articles manufacturés locaux
(ustensiles, outils, textiles, mobilier) et produits d'importation en sens
inverse.
Si ces échanges en hommes et en biens ont toujours existé, la forte
croissance urbaine des dernières décennies a accentué la dynamique
existante entre le monde rural et le monde urbain, ce qui a modifié
considérablement les stratégies d'exploitation du milieu en vue de
l'approvisionnement des villes. Cette ponction exagérée du milieu a
obligé les gestionnaires, chercheurs et politiques à prendre en compte
le concept de « gestion durable des ressources » (Kabala et Maldague,
1989) afin d'en contrôler le flux et d'éviter une situation irréversible
préjudiciable au milieu rural et par voie de conséquence aux conditions
de vie des populations urbaines.
Certains articles présentés dans la deuxième partie de l'ouvrage
décrivent les relations ville-campagne sous l'angle de déplacement de
personnes, alors que d'autres analysent plutôt les flux de produits
entre monde rural et monde urbain.
En Équateur, Pierre Gasselin montre comment la forte croissance
urbaine des villes avoisinantes a influencé l'évolution d'une communauté
rurale située à 70 km de Quito. La demande de main d'œuvre de la
ville a généré une migration temporaire chez les petits exploitants
agricoles. Par ailleurs l'impact s'est aussi fait sentir par une pression
foncière accrue et la satisfaction de besoins en eau des villes.
D'autres exemples ne sont pas aussi négatifs. Ainsi, au Cameroun,
Ronan Boudigou et col. abordent la réflexion de l'impact du monde
urbain sur les campagnes en examinant en quoi dans ce pays les
comportements des migrants retournés au village peuvent générer un
changement social.
Au Mexique, Marina Gouloubinoff met en évidence les liens restés
très étroits avec leur région d'origine chez les Indiens Nahuas installés
dans la ville d'Acapulco par l'existence d'une complémentarité de la
ville et la campagne dans la confection d'objets artisanaux ; celle-ci a
eu une influence positive dans l'intégration des Indiens en ville.
Ces trois textes montrent la diversité en même temps que la complexité
des conséquences du phénomène migratoire entre ville et campagne.
D’autres articles traitent de la circulation des produits de la campagne
vers la ville et du risque de surexploitation des ressources généré par
la demande urbaine. Chacun des exemples aborde ces relations dans
un contexte forestier tropical.
-14-
Villes du sud et environnement
Théodore Tréfon se situe à un niveau plus général d'analyse permettant
de comprendre les différentes situations et le poids respectif des facteurs
dans la dynamique entre population et ressources.
Ces facteurs sont repris à travers deux exemples concrets d'approvisionnement alimentaire des villes. Serge Bahuchet et Kornelia Baillon
situent leur étude à Yaoundé en montrant toute l'importance que revêt
la viande de brousse pour les citadins et à terme les conséquences qui
en découlent pour la quantité de gibier disponible en milieu rural.
Hélène Pagézy et David Nzouango traitent du même problème, à travers
la pêche aux crevettes sur un petit fleuve du Sud-Cameroun. Comme
dans l'exemple précédent, la motivation financière liée à la vente d'un
produit valorisé a augmenté la pression d'exploitation d'une ressource
qui, si l'on n'y prête pas garde, pourrait descendre sous un seuil qui
aurait alors un impact sur le stock disponible pour les populations
locales.
Bien d'autres exemples existent pour illustrer les relations entre le
monde rural et le monde urbain, et tous soulignent l'interdépendance
des deux milieux de sorte qu'il nous semble difficile de concevoir le
phénomène d'urbanisation dans les PVD hors de ce contexte et aussi
d'aborder le développement du monde rural sans ignorer la question
de la croissance urbaine.
Conclusion : les villes, la démocratie et le développement durable.
Vingt ans après la conférence de Stockholm, la conférence des
Nations Unies sur l'environnement et le développement (Rio de
Janeiro, juin 1992) a été l'occasion d'une mobilisation mondiale pour
un type de développement prenant en compte à la fois les besoins de
l'homme et la préservation de la biosphère. Et sans doute aussi, pour
les Occidentaux, d'une prise de conscience qu'ils ne peuvent plus se
développer aux dépens des autres habitants de la planète. Il ne s'agit
plus dès lors de s'attaquer aux conséquences du développement sur
l'environnement mais de prendre le problème en amont en posant les
principes d'un développement durable.
Il importe donc de replacer ces différents aspects de l'environnement
urbain dans la durée et d'avoir à l'esprit la notion d'écodéveloppement
tel que la définissait I. Sachs en 1974 : « L’homme étant la ressource
la plus précieuse, l'écodéveloppement doit contribuer avant tout à sa
réalisation.... L'identification, la mise en valeur et la gestion des
ressources naturelles se font dans une perspective de solidarité
diachronique avec les générations futures; la déprédation est sévèrement
proscrite et l’épuisement, inévitable à long terme, de certaines ressources
-15-
non-renouvelables, mitigé par une double démarche qui consiste à éviter
leur gaspillage, et à utiliser aussi souvent que possible les ressources
renouvelables qui convenablement exploitées, ne devraient jamais se
tarir ».
L'un des objectifs essentiels des études urbaines, dans le contexte
d'un pays pauvre est donc d'examiner les conditions du développement
durable appliqué ici à celui des villes (sustainable cities). Ce développement durable des villes ne se réalisera que si un certain nombre de
conditions sont réunies :
La prise en compte des risques naturels. Il est important de savoir
où se situent les zones à risques (volcanisme, tremblements de terres,
inondations) et comment se prémunir contre eux.
L’aménagement de l'espace pour ménager l'espace : connaître les
modes d'occupation des sols, les définir et se donner les moyens de
faire respecter cette répartition ; la conservation d’espaces non
construits (et non constructibles) pour préserver l'avenir; l’organisation
d’un co-développement villes-campagnes, et la priorité à donner désormais
aux villes secondaires ou moyennes.
Il importe aussi que les habitants de la ville disposent des moyens
d'agir pour qu'elle soit organisée et fonctionne dans des conditions
politiques, institutionnelles, sociales et culturelles satisfaisantes et
équitables pour tous (ce qu'on pourrait appeler les conditions de
citoyenneté) .
Daniel Bley, Jacques Champaud, Patrick Baudot, Bernard Brun,
Hélène Pagezy, Nicole Vernazza-Licht
-16-
Villes du sud et environnement
BIBLIOGRAPHIE
ARMAND-FARGUES (M.) 1996. L'environnement urbain entre écologie et urbanisme, in « Villes du
Sud... sur la route d'lstambul ». Orstom pp 167-199
BAILLY et al. 1994. Les concepts de la géographie humaine. Masson 247 p.
BURGESS 1925, « The growth of the city : an intoduction to a reseach project », in Park & Burgess :
The city, Chicago
COURRIER INTERNATIONAL 20.02.1992 Dernière trouvaille de la Banque Mondiale : polluer les
pays pauvres.
DEVERIN-KOUANDA (Y.) 1993. De la fertilité rurale à la nuisance urbaine. Les difficiles variations
culturelles du tampuure (tas d'ordures) en pays mossi (région de Ouagadougou - Burkina Faso).
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-17-
Travaux de la Société d’Écologie Humaine
c/o UMR 6578 du CNRS - Adaptabilité Humaine : Biologie et Culture
Université de la Méditerranée, Faculté de Médecine
27, boulevard Jean-Moulin, 13385 Marseille cedex 5
Directeur de la Publication : Nicole Vernazza-Licht
Déjà parus :
L’homme et le lac 1995
Impact de l’homme sur les milieux naturels : Perceptions et Mesures 1996
Cet ouvrage est issu, pour l’essentiel, des travaux présentés aux VIIIe journées scientifiques
de la Société d’Écologie Humaine (SEH), qui se sont tenues à Orléans en juin 1996.
Ces journées étaient organisées par :
- la Société d’Écologie Humaine
- l’équipe du DEA « Environnement, Temps, Espaces, Sociétés », Université d’Orléans
- l’UMR 6578 « Adaptabilité Humaine : Biologie et Culture », CNRS-Université de la
Méditerranée, Marseille
- le laboratoire Population-Environnement, Université de Provence/Orstom, Marseille
- le laboratoire ERMES, Orstom, Orléans
Il a bénéficié du soutien financier du département Environnement, Technologies et
Société de l’Université de Provence, Marseille
Dépôt légal : 4e trimestre 1998
ISBN : 2-9511840-2-6
ISSN : 1284-5590
Tous droits réservés pour tous pays
© Éditions de Bergier
476 chemin de Bergier, 06740 Châteauneuf de Grasse
[email protected]
VILLES DU SUD
ET
ENVIRONNEMENT
Éditeurs scientifiques
Daniel Bley, Jacques Champaud, Patrick Baudot,
Bernard Brun, Hélène Pagezy, Nicole Vernazza-Licht
1997
Ouagadougou côté jardin
Marie-Jo Menozzi*
Un phénomène s’observe dans toutes les villes africaines, la
tendance à planter des végétaux à mesure que la ville se développe et
se modernise. La modernisation et l’extension de ces villes se
traduisent par l’accroissement des populations végétales ornementales. Celles-ci égaient autant l’espace public de la ville que l’espace
privé des habitations et des cours arborées et des jardins se donnent à
voir dans différents quartiers des villes.
On prendra comme exemple pour illustrer ce processus la ville de
Ouagadougou, actuelle capitale du Burkina Faso. Le choix de cette
ville est intéressant d’un triple point de vue. Elle se situe en zone
soudano-sahélienne, qui se caractérise par une longue saison sèche qui
dure de octobre à juin, ce qui a priori est incompatible avec l’entretien
d’un jardin. Elle a commencé à se développer et à se moderniser
récemment, surtout depuis la révolution de Thomas Sankara (19831987). Les populations installées ici traditionnellement ne plantent
pas d’arbres ni ne font rentrer des végétaux à l’intérieur de l’espace
d’habitation.
La problématique générale est que l’élément végétal est autant
constitutif du caractère d’une ville moderne que ce qui la définit
habituellement, à savoir la présence d’organes administratifs, la
concentration de commerces et de sociétés de service.
On va s’intéresser à la plantation et à l’aménagement de végétaux à
l’intérieur des parcelles d’habitation. La parcelle correspond à une
unité d’espace délimitée lors des opérations de lotissement de la ville.
Elle comprend une cour et des bâtiments d’habitation. On va retracer
les étapes historiques de diffusion des végétaux et la manière dont ils
se répartissent en fonction des différentes catégories de population
*Laboratoire
ERMES, Université de Rennes 2, place Saint Melaine, 35000 Rennes, France
-20-
Villes du sud et environnement
installées à Ouagadougou. L’élément végétal participe à la définition
sociologique des individus au même titre que d’autres biens de
consommation (villa, voiture, télévision...). La diffusion de la pratique
du jardinage parmi la population citadine du Burkina Faso s’effectue
selon un processus d’acculturation. Les individus se réapproprient les
modèles importés par les occidentaux, et ne font pas que les imiter. On
verra selon quelles modalités s’effectue cette acculturation.
Les faits présentés ici résultent d’enquêtes effectuées à
Ouagadougou dans le cadre d’une thèse d’anthropologie menée sur le
développement des jardins dans les villes du Burkina Faso sous
l’influence de la modernisation du pays. Les informations ont été
recueillies lors d’une série d’enquêtes qualitatives menées auprès de la
population de juillet 94 à janvier 95.
Modalités historiques
Ouagadougou est la capitale de l’actuel Burkina Faso (ex HauteVolta). Elle est bâtie sur un plateau, le plateau mossi. Elle est une des
rares villes soudaniennes à ne pas être traversée par un fleuve. Trois
barrages de retenue d’eau alimentent la ville. Ouagadougou
appartient à la zone climatique nord-soudanienne. La saison sèche
dure d’octobre à mai, période durant laquelle souffle l’harmattan, la
pluviométrie est de 500 mm à 800 mm par an.
Ouagadougou était la capitale du plus important royaume moose1, le
royaume de Wogodogo. L’explorateur Binger, en 1888 donne une
première description de la ville. En fait, il est déçu par ce qu’il voit, la
capitale du prestigieux royaume n’est guère différente des simples
villages moose (Binger, 1892).
L’arrivée des Européens et la constitution de Ouagadougou en base
militaire vont être le point de départ de la transformation de
Ouagadougou en ville moderne. La présence française se caractérise
par plusieurs faits : la plantation d’arbres, l’aménagement de l’espace
selon un processus de parcellisation, l’importation du modèle de la
villa-jardin, l’introduction de nouvelles espèces végétales.
Dès leur arrivée, les Français se sont inquiétés de planter des
arbres : arbres d’ombrage le long des avenues, constitution de vergers
dans les bas-fonds, création de jardins, dans lesquels se côtoient arbres
et végétaux d’ornement.
La plupart de ces végétaux sont allochtones. Il y a néanmoins une
exception notable, le caïlcédrat (Khaya senegalensis, méliacées), dont
1Les moose sont une population de guerriers-cavaliers organisée en monarchie. Venus du Ghana, ils
ont colonisé une partie de l’actuel Burkina Faso entre le XIIe et le XVe siècle. Les populations locales
ont été assimilées aux moose. Wogodogo est devenue la capitale de ce royaume (en tout, il y en a
quatre) vers 1441. Elle devint la résidence permanente du Mogho Naba en 1691. Le royaume moose
était l’un des plus puissants empires précoloniaux de l’Afrique occidentale (Skinner, 1974).
-21-
le feuillage ombre les avenues des anciens quartiers coloniaux. Depuis
l’indépendance, il semble qu’il n’était plus guère planté, une des
raisons invoquée étant qu’il représente l’époque coloniale, et avait subi
la désaffection de la population Burkinabè. On raconte que des
caïlcédrats avaient été plantés il y a quelques années le long de
l’avenue Charles De Gaulle mais qu’ils sont rapidement morts parce
que personne ne voulait les arroser. Cependant, cet arbre commence à
être réhabilité et certaines avenues en ont récemment été garnies.
Pourquoi les Français ont-ils surtout planté des végétaux exotiques ?
Peut-être qu’ils ne connaissaient pas encore la végétation locale et
qu’ils n’avaient pas eu la possibilité de la domestiquer. Celle-ci va
s’amenuiser, remplacée progressivement par des formations végétales
sélectionnées par l’homme. Les karités (Butyrospermum parkii,
sapotacées), nérés (Parkia biglobosa, mimosacées), baobabs
(Adansonia digitata, bombacacées) et tamariniers (Tamarindus
indica, césalpiniacées) cèdent la place aux manguiers (Mangifera
indica, anacardiacées), nimes (Azadirachta indica, méliacées), cassias
(Cassia siamea, Cassia alata, césalpiniacées), flamboyants (Delonix
regia, césalpiniacées) et diverses autres plantes.
Les Français ont introduit une nouvelle forme d’organisation de
l’espace, le quadrillage selon un plan de parcellisation. Les premiers
quartiers lotis (en 1926-27) furent les quartiers administratifs et les
quartiers de résidence (S.Jaglin et al, 1992).
Jusqu’à l’indépendance, on peut opposer deux villes, la ville des
colons et la ville africaine ; la première, quadrillée, parcellisée, plantée
d’arbres et égayée de jardins, l’autre, organisée sur un modèle traditionnel d’organisation de l’espace. On peut tenter de reconstituer les
populations végétales des jardins coloniaux : des arbres d’ombrage, des
arbres fruitiers comme le manguier, le citronnier, le goyavier, des
haies de thévétia (Thevetia neriifolia, apocynacées), des bougainvillées
(Bougainvillea sp., nyctaginacées), liane de Madagascar (Argyreia
nivosa, convolvulacées), liane goïne, des rosiers, des poinsettias, des
plantes à fleurs comme les cannas (Canna sp, cannacées, zinnias,
composées), œillets d’Inde (Tagetes sp, composées), pervenche de
Madagascar (Catharantus roseus, apocynacées).
Deux modalités historiques de jardins
Ces nouvelles pratiques vont ensuite se diffuser parmi la population
burkinabè selon un processus acculturatif. À partir des renseignements possédés, on peut poser l’hypothèse que dès les années 60, lors
des opérations de lotissement et de transformation de la ville, la
pratique s’est développée dans toutes les couches sociales de planter
des arbres et des végétaux dans la cour.
-22-
Villes du sud et environnement
Traditionnellement, les moose ne plantent pas d’arbres. Un adage
dit : « qui plante un arbre fruitier mourra avant de l’avoir vu porter des
fruits ». De même, on ne plante pas de végétaux dans la cour parce que
ça peut « sucer les forces du maître de famille ». (Deverin-kouanda,
1992). Maintenant, l’interdit relatif à la plantation d’arbres est tombé
en désuétude ainsi que celui de faire rentrer des végétaux dans la cour
d’habitation. On rencontre des arbres plantés par l’homme dans la
plupart des cours de la ville. M. Traoré (63 ans, maçon, : « C’est dans
le temps que les parents disaient de ne pas semer d’arbres. A présent,
on sait qu’un arbre, c’est bien dans la cour, c’est un ami ». On peut voir
des vestiges végétaux de vieilles cours habitées par des Burkinabè,
peuplées de grands arbres d’ombrage et de quelques végétaux
d’ornement, les mêmes que ceux observés dans les anciens quartiers
administratifs (des flamboyants, nîmes, cassias, manguiers, des
plantes comme le thévétia, le bougainvillée). Il s’agit des quartiers
résidentiels lotis dans les années 50 et 70 à l’usage des fonctionnaires
affectés en Haute-Volta, puis à l’usage des cadres burkinabè. Ces
quartiers présentent le même genre de physionomie que les premiers
quartiers lotis en ce qui concerne la végétation arborée, à quelques
différences près, le caïlcédrat ayant disparu. Les habitations sont
établies sur le modèle de la villa. Cependant, dans les années soixante,
d’après un informateur, les cadres burkinabè plantaient des arbres
dans leur cour afin qu’ils procurent de l’ombre, mais ils ne s’intéressaient guère aux plantes ornementales. Ils préféraient assigner à la
cour un usage utilitaire et élever des animaux (poules, moutons) plutôt
que mettre des végétaux décoratifs et confectionner un jardin. Leurs
parcelles avaient plutôt une allure de cour arborée. Il n’y a que
récemment que les végétaux d’ornement se rencontrent dans les cours
habitées par des populations africaines et qu’une attention est
accordée à la manière dont ils sont organisés dans l’espace.
L’accroissement de la végétation dans la ville, et notamment de la
végétation ornementale est contemporain de la modernisation de la ville.
Les années 80 sont marquées par une extension et un développement rapide de Ouagadougou sous l’impulsion de la politique
révolutionnaire de Thomas Sankara. Sa volonté était de transformer
Ouagadougou en ville moderne. Auparavant, Ouagadougou était ironiquement surnommée « Bancoville » (le banco, mélange de paille et
d’argile, est le matériau de construction traditionnellement utilisé
pour élaborer les cases et les murs d’habitation) et beaucoup
d’individus s’accordent à dire qu’avant la révolution, Ouagadougou
n’était pas une ville, mais plutôt un gros village, les critères par
lesquels on définit une ville y étant présents d’une manière infime. Au
niveau de la politique du logement, cela se traduit par le lotissement
systématique de tous les quartiers spontanés de Ouagadougou, la
construction accélérée de cités pavillonnaires et de petits immeubles
-23-
(les « cités de la révolution »). Il s’agissait de construire des logements
sociaux, qui en fait étaient accessibles seulement aux classes
moyennes et supérieures de la population, leur coût d’acquisition les
mettant hors de portée de la majorité de la population. Il s’agissait de
petites villas dans une parcelle d’une superficie de 300 mètres carrés
environ. Ces cités ont été organisées sur le modèle de la banlieue
ouvrière française : un ménage dans un pavillon assorti d’un petit
jardin. Un des slogans de cette période était : « à chaque ménage son
potager ».
L’accent était aussi porté sur les politiques de préservation de l’environnement. Actuellement le Burkina Faso connaît des problèmes de
déboisement, et la région de Ouagadougou est fortement touchée par
ce problème du fait de la demande croissante de la ville en bois d’usage
et bois de chauffe, causé par l’accroissement de sa population. Le mot
d’ordre « plantons des arbres, fleurissons nos cours » illustrait cette
politique de sensibilisation. Lors de cette période, l’obligation a été
instaurée de planter des arbres lors des événements heureux
(mariage, baptême). Dans le cadre des travaux d’intérêt collectif, les
hommes étaient chargés d’aller planter des arbres en brousse. Les
plantes utilitaires et les animaux d’embouche cèdent peu à peu la
place aux plantes ornementales.
On assiste à l‘élaboration d’une nouvelle forme d’aménagement de
l’espace de la parcelle chez les cadres supérieurs de Ouagadougou. Le
modèle de la cour arborée est délaissé au profit d’un autre type d’aménagement, que nous appellerons jardin moderne. Celui-ci, entre
autres, se caractérise par des plantes spécifiques, dont la plupart ont
été introduites à partir de 1985 environ. Le Clerodendron inerme
(verbénacées) est utilisé pour faire des haies, le Ficus benjamina
(moracées), le filao (Casuarina equisetifolia, casuarinacées)
remplacent les flamboyants, les cassias, gmelinas (Gmelina arborea,
verbénacées) etc. Des arbres considérés comme « utiles » pour l’ombre
et éventuellement les fruits qu’ils procurent sont délaissés au profit
d’arbres aux formes plus esthétiques, comme le filao et le ficus. La
gamme des « plantes vertes » se diversifie (diverses araliacées,
acanthacées, aracées). Les plantes ornementales disponibles à
Ouagadougou augmentent, ramenées pour la plupart des pays côtiers
voisins (Côte d’Ivoire, Togo, Bénin). Dans le même temps, le secteur
informel relatif à la production de végétaux d’ornement se développe.
Divers petits métiers se développent, pépiniériste, tailleur de plantes,
jardinier ambulant, vendeur de terre, de fumier. Certaines personnes
font profession de paysagiste pour les bourses les plus remplies. Si
Thomas Sankara préconisait aux habitants de planter des végétaux
maraîchers, ceux-ci ont rapidement cédé la place dans les cours à des
plantes plus spécifiquement ornementales. Les personnes enquêtées
arguaient de la trop forte dépense en eau demandée par ces produits
-24-
Villes du sud et environnement
maraîchers qu’on peut se procurer à moindre prix sur les marchés, et
préféraient donc les remplacer par des plantes ornementales et des
arbres. Ces nouvelles pratiques ont rapidement gagné les habitants
des cités et des quartiers résidentiels.
Un des habitants de la « cité An II » (première cité de la révolution)
se souvient du quartier avant qu’il ne soit loti. C’était un quartier
populaire avec des maisons et peu de végétation, quelques arbres, des
manguiers notamment, dont certains ont été conservés. Aujourd’hui,
c’est une cité aux allées bien tracées, avec de petites villas entourées
de verdure. Pendant la révolution, cette pratique s’effectuait peut-être
sous la pression exercée par le pouvoir politique mais depuis cette
période on voit que l’habitude a été prise de planter des arbres et des
végétaux d’ornement. Dans les habitats de cité, il semble même que
cela soit devenu une norme à laquelle il est difficile de se soustraire.
On peut actuellement observer à Ouagadougou les deux modalités
d’aménagement de la parcelle que nous avons présentées, la cour
arborée et le jardin moderne. Il est intéressant de constater que ces
deux catégories se retrouvent aussi dans l’espace public de la ville. Les
jardins publics créés dans les années soixante suivent le modèle de la
cour arborée : on constate la présence d’arbres et de haies, sans
beaucoup de plantes ornementales. Le nime, le flamboyant, le cassia
l’albizzia (Albizzia lebbeck, mimosacées), le thévétia prédominent
Récemment, plusieurs jardins publics ont été inaugurés. Leur
végétation diffère des précédents et ils sont plutôt conçus sur le modèle
du jardin moderne. On trouve des Ficus benjamina, filao, cocotiers
(Cocos nucifera, arécacées), Bauhinia rufescens (césalpiniacées), divers
autres arbustes décoratifs. Un espace est prévu pour installer de la
pelouse.
On constate à Ouagadougou les mêmes phénomènes que ceux
observés par Philippe Haeringer à Abidjan, d’une part le fait de
planter des arbres quand on est citadin, d’autre part le développement
des plantes ornementales dans les populations africaines avec
l’accession d’une partie de celles-ci au modèle d’habiter de la villa.
La plantation d’arbres est-elle la caractéristique de l’homme citadin ?
Il parle « d’une identification homme-arbre, puisque l’arbre (fruitier)
apparaît avec l’homme-habitant et lui survit au point de porter
témoignage de son passage. Le geste arboricole du néo-citadin pourrait
donc être interprété comme un réflexe culturel qui, dans le cadre
contraint du parcellaire urbain, aurait une charge plus essentielle que
son utilité économique » (Philippe Haeringer, 1980). L’appropriation
de l’espace et du mode de vie urbain des différentes catégories de
population de la ville passerait par la plantation d’arbres et par la
confection de jardins. On a pu constater en effet, que la plantation
-25-
d’arbres s’effectue dans toutes les catégories de population de la ville,
même les moins « proches » de la modernité. La véritable acculturation
au milieu urbain et l’appropriation de l’espace ne se font-elles pas par
le jardin ?
« L’accession en masse des jeunes cadres à la villa de série et de leurs
aînées à la villa d’apparat a sorti la plante florale du ghetto de la ville
blanche » (Philippe Haeringer, 1980). Un lien étroit unit la présence de
végétaux et le type d’habitat. Pour résumer, plus l’habitation est
moderne, plus on trouvera des végétaux d’ornement. Il est peu
probable de voir un jardin associé à une maison en banco. les gens
viendraient visiter la parcelle pour se moquer parce que la cour serait
perçue comme étant plus jolie que la maison. On va maintenant
observer les différentes formes d’habitat présentes dans la ville et le
type de végétation qu’on y observe.
L’aménagement des parcelles
Le simple fait d’être citadin semble conditionner le fait de planter
des végétaux dans la cour. Les contraintes de l’organisation de l’espace
qu’impose la ville peuvent expliquer le changement de place des
végétaux par rapport à l’habitation traditionnelle moose. La
concession familiale « yiri » se compose de la cour d’habitation, fermée,
où se distribuent les différentes cases des membres de la famille et
s’organisent les activités domestiques, et d’un espace extérieur à la
cour où se trouvent les champs de case entretenus par les femmes et
le « samandé », espace de discussion situé contre un mur extérieur de
la cour. Aucune plante ne rentre dans la cour et les arbres d’ombrage,
s’il y en a, sont situés à proximité du « samandé ». En ville, les plantes
du jardin de case se trouvent à l’intérieur de la parcelle et l’espace de
discussion se trouve de plus en plus être sur la terrasse, à l’intérieur
de la cour. Actuellement, comme le soulignait une personne enquêtée,
les arbres qu’on plante à l’extérieur de la cour ne servent plus d’espace
de discussion mais permettent de tenir les voitures à l’ombre. Les
cultivateurs citadinisés plantent autant d’arbres dans la cour que les
autres catégories de population.
Tous les habitats de la ville présentent des caractères communs :
fermeture de l’espace de la parcelle par un mur, modèle carré de la
maison à toit de tôle, une terrasse sur le devant de l’habitation. Dans
les classes populaires, les logements sont distribués le long des murs
de la parcelle, ce qui dégage une cour centrale au sein de laquelle
s’organisent les diverses activités domestiques, la cuisine, la lessive, la
culture de plantes alimentaires pendant la saison des pluies. Des
arbres sont plantés, dont le manguier, et les canaris d’eau sont placés
à l’ombre de leurs houppiers. Une terrasse en ciment se trouve devant
-26-
Villes du sud et environnement
l’entrée de la maison et elle est parfois agrémentée de quelques fleurs
(cannas, pervenche de Madagascar...) et plantes médicinales. Dans les
classes moyennes et les classes supérieures qui ont adopté le modèle
de la villa, celle-ci est plus ou moins centrée sur la parcelle, ce qui
dégage une cour à l’avant et une cour à l’arrière de l’habitation. La
cour devant la maison, appelée la « devanture », est utilisée pour
planter des arbres d’ombrage, des arbres fruitiers et des plantes
d’ornement. Le jardin, quand il existe, est placé à la devanture. La
cour située à l’arrière, à l’abri des regards des visiteurs, est utilisée
pour les activités domestiques, et les plantes utilitaires, quand il y en
a, sont placées à cet endroit. Par l’emplacement différent accordé aux
plantes utilitaires et aux plantes d’ornement, on constate la
distinction qui est établie entre elles. Des plantes comme les arbres
fruitiers sont à cheval sur les deux catégories, ils sont d’ailleurs
plantés devant ou derrière la maison selon le statut qu’on leur accorde.
L’organisation du jardin moderne
L’ambiance végétale de la devanture est très codifiée. On peut en
décomposer les différents éléments :
La haie. Elle entoure le mur d’habitation, elle est destinée à protéger
de la poussière de la ville, mais quand elle prend des formes géométriques, elle remplit autant une fonction ornementale.
On constate toujours la présence d’une terrasse, dont le tour spécialement aménagé est garni de plantes d’ornement, des acalyphas
(euphorbiacées), sanchezias (acanthacées), barlerias (acanthacées),
thévétias pour l’essentiel.
Les arbres. Toutes les cours contiennent des arbres d’ombrage et des
arbres fruitiers. Dans les jardins modernes, ils tendent à disparaître
et des arbres plus spécifiquement ornementaux les remplacent, comme
les ficus et les filao, auxquels on donne des formes géométriques
variées. On a rencontré deux femmes de la classe supérieure dans les
jardins desquels se trouvaient des manguiers. Cependant, leur ombre
nuisait à la bonne forme de la pelouse située dessous, et le choix de ces
femmes a été de les couper.
La haie, le tour de terrasse, les arbres sont les trois éléments
rencontrés dans la plupart des cours, cours arborées et jardins
modernes. Ces derniers se distinguent par la présence d’autres
éléments : végétation couvre-sol ou aménagement du sol, présence
d’arbustes décoratifs, de « plantes vertes » comme les syngoniums
(aracées), dieffenbachias (aracées), dracaena (liliacées)...Celles-ci sont
installées dans des pots placés sur la terrasse ou sous l’ombre des
arbres présents. Il est rare qu’une plante franchisse le seuil de l’habitation, si ce n’est une plante artificielle.
-27-
Les mêmes types de plantes se retrouvent dans la plupart des
jardins modernes burkinabè et le même type d’aménagement prévaut.
On constate que cet ensemble est plutôt codifié.
La recherche d’ordre et de propreté caractérise ces jardins. Les
arbres sont alignés, et les plantes sont organisées de manière
symétrique. Tout ce qui peut être assimilé au désordre est banni, ce
qui peut aussi expliquer le fait que les plantes soient souvent
installées dans des parterres spécialement aménagés à cet effet. Les
propriétaires de jardins sélectionnent des plantes qui ne « salissent »
pas la cour, de ce fait, les arbres qui se défeuillent (les Teminalia
(Terminalia mantaly, combrétacées), flamboyants...) et les plantes à
fleurs comme les cannas (en fânant, la fleur tombe et salit la cour) ne
sont guère appréciées et tendent à disparaître des jardins modernes.
Cependant, on peut avancer une autre explication du rejet de ce type
de plantes, à savoir que les individus recherchent plutôt des plantes
pérennes, dont l’aspect ne se modifie pas au fil des saisons.
On constate aussi que la plupart des plantes sont d’origine
étrangère, les Burkinabè n’ont guère le goût des plantes locales. Le
choix des espèces du jardin diffère selon qu’on est Burkinabè ou
Européen. En effet, les Européens mélangent les espèces locales et
exotiques, et s’intéressent à des plantes comme le bégonia ou des
plantes intéressantes pour leurs fleurs, délaissées par les Burkinabè.
Le choix de la devanture comme emplacement du jardin souligne le
rôle du paraître de celui-ci. Mme Sawadogo (42 ans, magistrat) dit que
derrière la maison, elle met des plantes qui protègent du soleil,
« puisque, des ornementales...si derrière on met des roses, qui va aller
les voir ? il faut que ça fasse beau à la devanture, donc tu mises sur les
fleurs. » Est-ce le seul usage fait du jardin ? En effet, faire un jardin
pour aller se bronzer sur la pelouse n’est guère dans les habitudes des
Burkinabè. Dans une moindre mesure, il est considéré comme un
passe-temps, une occupation pour des femmes cadres salariées dont le
temps n’est plus occupé aux diverses activités domestiques traditionnelles.
Le jardin moderne burkinabè prend des formes caractéristiques,
soulignant par là le processus acculturatif mis en œuvre. Cette acculturation est sélective dans la mesure où elle concerne une minorité de
la population.
Modalités sociologiques
Si la plantation de végétaux dans la cour concerne toutes les
populations citadines de Ouagadougou, la constitution d’un jardin
proprement dit n’est le fait que d’une minorité de la population. Ils se
cantonnent essentiellement aux classes supérieures de la ville. Les
-28-
Villes du sud et environnement
deux types de cours que nous avons distinguées se distribuent dans la
population en fonction de différents facteurs sociologiques : l’âge, le
niveau de revenu et le niveau scolaire. À ce moment de l’investigation,
il ne semble pas que la variable religieuse et la variable ethnique
jouent un rôle important en ce qui concerne la distribution des
végétaux dans la population.
Le jardin moderne proprement dit se trouve dans les classes
supérieures de la population. Cependant, on observe un processus de
diffusion parmi les classes moyennes et même parfois les classes
populaires. Bien que parmi les classes moyennes on constate souvent
des contraintes comme l’espace restreint de la parcelle et l’impossibilité de consacrer une forte somme à l’eau, on observe une tendance à
planter de plus en plus. Les cours des classes moyennes empruntent
autant des éléments au jardin moderne des classes supérieures que
des éléments aux cours arborées. Ce qui donne des parcelles caractéristiques, où les végétaux d’ornement côtoient les arbres fruitiers et les
plantes utilitaires.
L’ancienneté de la cour, plus ou moins corrélée à l’âge de son propriétaire est un facteur déterminant quant à observer la présence de
différentes catégories de végétaux. Les cadres fonctionnaires âgés de
plus de cinquante ans possèdent une cour de type arboré. On constate
essentiellement la présence d’arbres : manguiers, cassias, citronniers,
de haies de thévétias, quelques plantes comme la bougainvillée, peu
des plantes « modernes » introduites depuis la révolution.
La présence de plantes utilitaires est nettement corrélée au statut
socioprofessionnel. On les trouve essentiellement dans les milieux
populaires. Il s’agit du gombo (Hibiscus esculentus, malvacées), de
l’oseille de Guinée (Hibiscus sabdariffa, malvacées), parfois de
tomates, épinards (espèce non identifiée), essentiellement cultivés
pendant la saison des pluies. On trouve aussi des plantes médicinales,
comme le kwasafana (Vernonia colorata, composées), kinkeliba (en fait
du « faux kinkeliba », Cassia occidentalis, césalpiniacées), une
kalanchoe locale (crassulacées) utilisée pour soigner les maux d’oreille,
du basilic (Occimum basilicum, labiacées) pour chasser les
cauchemars des enfants... Les arbres fruitiers sont aussi présents, le
manguier, le bananier (Musa sp, musacées), le palmier à huile (Eleais
guineensis, palmacées), le citronnier (Citrus sp, rutacées). On a
plusieurs fois constaté que les plantes ornementales sont introduites
dans les cours populaires par le biais d’enfants scolarisés. Mme
Kenedougou habite dans une maison en banco amélioré. Elle ne
travaille pas et n’a pas fait l’école. elle vit seule avec ses deux fils. Sur
la droite de la parcelle, une partie est réservée à un parterre de plantes
ornementales. Elle nous explique que son plus jeune fils les a un jour
ramenées et plantées. Elle-même ne s’y intéresse pas. Elle explique
-29-
Le jardin moderne de M.Yaméogo, médecin
Liste des plantes
16
Althernantera sp., Amaranthacées
1
Anona squamosa, Anonacées
17
Mangifera indica, Anacardiacées
2
Breynia nivosa, Euphorbiacées
18
Pandanus sp., Pandanacées
3
Carica papaya, Caricacées
19
Philodendron sp., Aracées
4
Casuarina equisetifolia, Casuarinacées
20
Portulaca grandiflora, Portulacacées
5
Catharantus roseus, Apocynacées
21
Punica granatum, Punicacées
6
citronelle (Cymbopogon citratus?), Graminées
22
Rosa sp., Rosacées
7
Citrus aurantia, Rutacées
23
Sanchezia nobilis, Acanthacées
8
Citrus lemon, Rutacées
24
Setcreasa purpurea, Commélinacées
9
Clerodendron inerme, Verbénacées
25
Tabernaemontana sp., Apocynacées
10
Cocos nucifera, Palmacées
26
Tecoma stans, Bignoniacées
11
Codiaeum sp., Euphorbiacées
27
Terminalia catappa, Combrétacées
12
Cordyline, Liliacées
28
Thevetia neriifolia, Apocynacées
13
Dieffenbachia picta, Aracées
29
Tomate, Solanum sp., Solanacées
14
Dracaena fragans, Liliacées
30
Vitis vinifera, Vitacées
15
Eleais guineensis, Palmacées
31
Pelouse (Paspalum sp. ?), Graminées
-30-
Villes du sud et environnement
La cour arborée de M.Traoré, instituteur
Liste des plantes
12
Mirabilis jalapa, Nyctaginacées
1
Carica papaya, Caricacées
13
Ziziphus mauritiana, Rhamnacées
2
Cassia siamea lam, Caesalpiniacées
14
Prosopis sp., Mimosacées
3
Citrus lemon, Rutacées
15
Amaranthacées
4
Mangifera indica, Anacardiacées
16
Pennisetum sp., Graminées
5
Persea americana, Lauracées
17
Portulaca grandiflora, Portulacacées
6
Psidium goyavia, Myrtacées
18
Ipomea batatas, Convolvulacées
7
Thevetia neriifolia, Apocynacées
19
Occimum basilicum, Labiées
8
Clerodendron inerme, Verbénacées
9
"Aubergine africaine" (Solanus sp.),
Solanacées
10
Hibiscus sabdariffa, Malvacées
11
Bulvaka (nom dioula, ?)
-31-
cela par le fait qu’elle est du temps colon et que son fils, lui est « chose »
(moderne ?). Parmi les classes moyennes les plus jeunes, les plantes
utilitaires, les arbres et les plantes ornementales (plantes en pots,
arbres et haies taillés) se partagent l’espace de la cour. Les unes sont
plantées à l’arrière de la cour, les autres occupent la devanture. Selon
les individus, les arbres fruitiers sont plantés devant la maison ou bien
dans un parterre à l’arrière spécialement aménagé pour eux. Il y en a
une plus grande variété que dans les classes populaires, on voit des
pomme-canneliers (Annona squamosa, annonacées), mandariniers,
orangers, grenadier (Punica granatum, punicacées), goyavier
(Psidium goyava, myrtacés).
Deux faits vont essentiellement concourir à distinguer différentes
catégories de jardin moderne, le choix de certaines espèces rares et
valorisées ainsi que le coût consacré à la création et à l’entretien du
jardin. Ces deux types d’investissement permettent notamment
d’établir une distinction entre les catégories les plus aisées du Burkina
et les autres. On constatera donc des différences majeures entre les
jardins des classes supérieures économiquement favorisées et les
classes moyennes et les fonctionnaires.
Des plantes rares et valorisées
La possession de plantes comme le filao, le Ficus benjamina, le
Clerodendron inerme ainsi que les plantes utilisées pour faire les tours
de terrasses (Acalyphas, sanchezias, barlerias) ne distinguent pas des
catégories de population spécifiques. On les trouve aussi bien parmi
les classes moyennes que parmi les classes supérieures. Dès qu’on
commence à confectionner un jardin, ce genre de plantes apparaît,
quand le jardin a été conçu depuis moins de 10 ans. Ces plantes ne
distinguent donc pas différentes catégories de jardins. Par contre,
toute une gamme de plantes, réputées rares, sont extrêmement
valorisées par les catégories dominantes de la population. Parmi ces
plantes, on peut citer le cycas, le cocotier, l’arbre à pain (Artocarpus
incisus, moracéees), des plantes comme l’araucaria (araucariacées),
l’arbre du voyageur (Ravenale madagascarensis, strélitziacées). On
observe un processus de distinction à travers la possession de ces
plantes. M. Sawadogo (informaticien, 35 ans) recherche des formes
spéciales, un ficus au tronc tressé, élaboré à Abidjan, des plantes
chinoises. Il se vantait aussi d’être l’un des cent premiers à
Ouagadougou à posséder un cycas (cycadacées). D’une manière
générale, les plantes venant des pays humides et nécessitant une forte
dépense en eau sont valorisées parmi les classes supérieures.
M. Nikiema, (46 ans, commissaire habitant cité « An II ») possède une
cour arborée plutôt qu’un jardin moderne. Cependant, sa cour est très
valorisée par la présence d’espèces rares rapportées de voyages dans
-32-
Villes du sud et environnement
les pays côtiers. il possède un arbre à pain, un « karité des îles »
(Melicocca bijuga, sapindacées). Pourquoi de nouvelles plantes sontelles apparues il y a une dizaine d’années et pourquoi ont-elles eu tant
de succès ? Les anciennes plantes sont parfois considérées comme
étant des « plantes coloniales », on peut aussi dire que les végétaux
ornementaux se dévalorisent quand ils deviennent trop communs, ce
qui peut expliquer la recherche de végétaux rares.
Outre la possession de raretés botaniques, le coût consacré à
l’entretien du jardin permet de distinguer différentes catégories de
jardin moderne. Il faut distinguer l’entretien lui-même (confection et
entretien du jardin) et le coût consacré à la facture d’eau. On peut
distinguer différents types de jardiniers, notamment en fonction du
coût de leurs prestations. Dans les classes supérieures, consacrer un
coût élevé à la confection du jardin importe autant que la forme du
jardin lui-même. De même, une certaine logique de la dépense
amènera à acheter ses plantes chez les « pépiniéristes » qui les vendent
cher. Parmi les classes moyennes, une autre rationalité est mise en
jeu : la possession de plantes ornementales n’est pas obligatoirement
assortie d’une forte dépense monétaire et différentes stratégies sont
mises en œuvre pour minimiser le coût du jardin (le confectionner soimême, économiser sur l’eau d’arrosage, faire soi-même ses boutures...).
Une distinction s’établira aussi en ce qui concerne le coût consacré à
l’eau. Dans les classes moyennes, le coût de l’eau consacrée à
l’entretien des plantes varie entre 5000 et 15000 Franc CFA par mois
en saison sèche, dans les classes supérieures, cela peut aller de 30000
à 60000 francs CFA. À Ouagadougou, le principal facteur limitant
dans l’entretien d’un jardin est l’eau, et celle-ci est particulièrement
chère. Une distinction s’établit donc en fonction de ceux qui peuvent
investir dans une lourde facture d’eau et ceux qui ne le peuvent pas.
Les jardins des individus ayant un haut revenu économique se caractérisent par la présence de plantes venant des zones humides et
gourmandes en eau, l’arbre du voyageur, diverses aracées, liliacées,
marantacées. La présence d’une pelouse (qui s’accompagne d’une
facture d’eau pouvant aller de 50000 à 100000 francs CFA par mois en
saison sèche) classe son propriétaire dans les catégories dominantes
du Burkina.
La plantation de végétaux d’ornement permet d’intégrer les normes
du groupe social auquel on souhaite s’identifier. M. Kouanda (40 ans,
fonctionnaire) était maçon. Lorsqu’il a acquis sa parcelle il y a une
dizaine d’années, il avait planté surtout des arbres fruitiers. D’après
les dires de sa femme, il était chauffeur. Il y a trois ans, il a passé le
concours de l’ENAM (école nationale de l’administration et de la
magistrature). La réussite à ce concours a été suivie de trois ans de
formation. Au bout de ces trois années, il est allé au barrage se
-33-
procurer des plantes ornementales pour agrémenter le tour de la
terrasse, confectionner une haie de Clerodendron et mettre des plantes
ornementales devant sa parcelle. Dans cet exemple, le changement de
statut s’accompagne de la modification de l’environnement végétal.
M. Orlando (technicien supérieur, 36 ans) a organisé sa cour sur le
mode du jardin d’agrément valorisé dans les classes supérieures : petit
carré de pelouse devant la terrasse, plantation de cocotiers et de ficus.
Les plantes utilitaires, que sa femme fait pousser en saison des pluies
et les arbres fruitiers sont relégués à l’arrière de l’habitation. Cette
pratique ne lui permet-elle pas d’intégrer la norme de la classe
supérieure, à laquelle il tente de s’identifier ?
Les végétaux plantés dans les habitations urbaines, la manière dont
ils sont disposés témoignent de la modalité des types de liens sociaux
établis en milieu urbain. Ils permettent de définir les caractéristiques
sociologiques de leur propriétaire, et élaborent une certaine forme de
classement. Une des caractéristiques de l’individu citadin est qu’il est
défini, et qu’il se définit lui-même en fonction de sa place dans le
système hiérarchique socioprofessionnel. Les végétaux donnent une
définition de la situation occupée par leur propriétaire au sein de cette
échelle de classement.
Les plantes, d’un autre point de vue, participent aussi à l’intégration
de l’individu au sein de la société moderne (telle qu’elle est perçue) en
tant que citoyen. Depuis Thomas Sankara s’est développée l’idée du
lien entre le fait de planter des végétaux et le fait d’être un bon
citoyen, ceci étant d’une certaine manière perçu comme étant un
devoir civique. Mme Sablago (45 ans, comptable) racontait un de ses
rêves. Elle se faisait décorer par Thomas Sankara pour avoir eu la cour
la plus verte. Une distinction s’établit entre ceux qui se soucient de
l’environnement et ceux qui continuent à consommer des arbres sans
en planter : la frontière, pour les individus interrogés, passe par la
coupure entre les individus modernes et éduqués et ceux qui ne le sont
pas. Être moderne signifierait se soucier de planter des arbres et des
végétaux.
La possession de plantes et d’un jardin opèrent une fonction de
classement. Selon un processus d’identification-distinction, posséder
un jardin distingue les gens citadins, éduqués et riches des gens de la
campagne, pauvres et ignorants. Posséder un jardin, c’est s’inscrire
dans les catégories du Burkina moderne.
Le jardin opposé à la brousse ?
Trois conditions semblent prévaloir, tout au moins parmi les classes
moyennes et supérieures de la population. Il faut que ces plantes
soient exotiques, qu’elles ne salissent pas la cour, qu’elles soient
ordonnées dans l’espace.
-34-
Villes du sud et environnement
Le jardin moderne de M.Orlando, 34 ans, technicien supérieur
Liste des plantes
14
Musa sp., Musacées
1
Anona squamosa, Anonacées
15
2
Bougainvillea sp., Nyctaginacées
Pelouse (Paspalum notatum ?),
graminées
3
Carica papaya, Caricacées
16
Plumeria rubra, Apocynacées
17
Psidium goyavia, Myrtacées
18
Sanchezia nobilis, Acanthacées
19
Tangelo (Citrus sp.), Rutacées
20
Terminalia catappa, Combrétacées
21
Thevetia neriifolia, Apocynacées
4
Casuarina equisetifolia, Casuarinacées
5
Citrus aurantia, Rutacées
6
Citrus limon cv., Rutacées
7
Clerodendron inerme, Verbénacées
8
Clerodendron inerme, Verbénacées
9
Cocos nucifera, Palmacées
10
Duranta repens, Verbénacées
11
Ficus benjamina, Moracées
12
Gmelina arborea, Verbénacées
13
Mangifera indica, Anacardiacées
-35-
Les plantes locales, mises à part certaines plantes utilitaires autrefois
cultivées dans les jardins de case sont très peu recherchées par les
individus. Les arbres locaux ne sont pas plantés dans les cours d’habitation et quand on en trouve, c’est qu’ils étaient déjà présents et ont
été conservés. Dans certaines cours des quartiers résidentiels, on
remarque parfois un karité (Butyrospermum parkii, sapotacées) ou un
raisinnier (Lannea microcarpa, anacardiacées), vestiges de l’ancienne
végétation locale. Une des conditions nécessaires à la plantation
d’arbres est-elle que ceux-ci soient importés ? Les individus ne sont
guère disposés à planter des arbres locaux, comme le baobab, le néré
et encore moins le tamarinier, qui est supposé être la demeure de
génies. L’hypothèse émise est que la plantation d’arbres n’est possible
que si ceux-ci sont « culturellement vierges », non intégrés au système
de représentation traditionnel. L’interdit de planter des arbres ne
subsiste-t-elle pas pour une part en ce qui concerne les arbres locaux ?
De même, peu de plantes locales entrent dans la parcelle. Le
Calotropis procera (asclépiadacées) est considéré comme étant une
plante sauvage, une plante de la brousse, il n’est donc pas question de
l’intégrer à la cour d’habitation (en outre, en ville, elle affectionne
particulièrement les cimetières). Les plantes qui viennent de la
brousse sont source potentielle de danger (comme la brousse ellemême est source potentielle de danger ?). Entrant dans une cour où il
y avait des « mauvaises herbes » dans un coin, un voisin dit qu’il fallait
enlever ce gazon sauvage, que ce n’était pas bon comme le gazon
domestique et qu’il pouvait attirer des serpents.
M. Orlando assimile les grands arbres de la brousse au désordre.
Dans une parcelle, ceux-ci feraient désordonné parce qu’ils sont « trop
maousses ». Est-ce qu’il assimile la brousse et ce qui en vient au
désordre ? D’autres raisons, plus « rationnelles » expliquent le refus
des arbres locaux, comme leur trop faible vitesse de croissance, et leur
taille disproportionnée par rapport à celle de la parcelle.
Seules des plantes apprivoisées peuvent entrer dans la sphère
d’habitation (sauf les arbres déjà présents) et les plantes sauvages
semblent perdre leurs pouvoirs quand elles sont apprivoisées Mais les
usagers de plantes disent que cela ne fait pas partie de leurs
compétences. Un processus d’identification et de domestication des
plantes locales pour en faire des plantes ornementales a vu le jour au
Centre National des Semences Forestières. Le Bauhinia rufescens a
subi cette domestication et on le voit timidement apparaître le long de
certains murs d’habitation.
La recherche d’ordre, de propreté, de netteté, la recherche de
végétaux exotiques montrent qu’une coupure nette est établie entre la
nature au sein de la sphère humaine et celle de la brousse sauvage. Le
jardin, propre, net, agrémenté de plantes apprivoisées, adaptées à la
temporalité et à l’espace urbains tend à s’élaborer en opposition à la
-36-
Villes du sud et environnement
brousse, sauvage, dangereuse. Le jardin est un lieu où se déploie
l’ordre humain, et où le naturel n’a pas sa place. M. Kéré avait confectionné un jardin plutôt désordonné pour ensuite lui donner plus
d’ordre. Il explique le pourquoi des changements qu’il a induit dans
son jardin : « Dans leur évolution, les plantes ne présentaient pas
tellement d'aspect esthétique. Il y en a même qui étaient des plantes
grasses. D’autres se développaient un peu trop anarchiquement.
C’était difficile à maîtriser, on a préféré faire des substitutions. (...)
Dans un premier temps, quand on n’avait pas encore occupé la
parcelle, moi je disais que c’était un peu le jardin nature. Donc effectivement, il y avait des plantes un peu partout. Maintenant, quand on
s’est installés, on a été obligés justement de mettre un peu d’ordre
dedans, parce que dans l’entourage, il n’y avait pas autant de maisons.
Avant, c’était un peu la brousse, ça pouvait servir de repaire aux
serpents et autre, donc on a jugé utile de mettre un peu d’ordre et de
lumière là-dessous ». Malgré son goût pour un jardin « un peu
anglais », M. Kéré s’est néanmoins plié à la norme locale.
On a souligné le phénomène de réappropriation des modèles de
jardin européens, dans la mesure où les jardins des Burkinabè ne
présentent pas la même physionomie que les jardins des occidentaux.
On peut avancer une première explication à la forme prise par les
jardins burkinabè. A.Henry (1991) établit un lien entre les formes
prises par l’entreprise moderne en Afrique et les valeurs du milieu
social. la codification rigoureuse des méthodes de travail apparaîtrait
comme une réécriture dans un cadre industriel des codes relationnels
détaillés qui au village fixaient la conduite à tenir et les solutions
adaptées à chaque occasion. Ce modèle explicatif tendrait à s’adapter
au phénomène des jardins tel qu’on l’a observé dans la ville de
Ouagadougou, où prévaut une extrême codification de l’environnement végétal.
Mais par ailleurs, il est intéressant de constater que cette attitude
des Burkinabè vis-à-vis des jardins et de la nature sauvage n’est pas
un trait qui leur soit caractéristique. En effet, on peut effectuer un
parallélisme entre l’attitude des moose vis-à-vis des végétaux et les
modifications de leur comportement et l’attitude des Anglais telle que
Keith Thomas la présente. Avant l’époque moderne, la forêt était
perçue comme sauvage, hostile et couper les forêts signifiait le
triomphe de la civilisation. Les jardins du début de l’époque moderne
avaient une apparence soignée, « l’apparence soignée et les dessins
formels avaient toujours été pour les hommes une manière caractéristique d’indiquer la séparation entre nature et culture. Mais il semble
qu’on ait eu encore plus tendance à planter avec uniformité, si c’est
possible, au début des Temps modernes » (Thomas, 1985), ce que
semble bien valider la forme prise par les jardins burkinabè. Ce n’est
que dans un deuxième temps que l’intérêt s’est porté en horticulture
-37-
vers des formes moins géométriques et ordonnées et que la nature
sauvage a été exaltée pour ses beautés. Assistera-t-on à Ouagadougou
au même processus ? La volonté de différencier les jardins de la nature
se transformera-t-elle plus tard en un attrait pour des formes plus
naturelles (ainsi que pour des espèces végétales issues de la nature
environnante) ? Le désintérêt des citadins burkinabè pour la nature
locale se transformera-t-il aussi ?
BIBLIOGRAPHIE
BINGER C, 1892, Du Niger au Golfe de Guinée en passant par le pays de Kong et le Mossi, Paris, ed
Hachette (Nvlle édition 1980 par la Société des Africanistes, Musée de l'Homme), 416p.
DEVERIN KOUANDA É, 1993, « De la concession rurale à la parcelle urbaine. Mutations de l’architecture et des fonctions de l’habitat en pays mossi (région de Ouagadougou) », communication au
colloque du 2-7 juill 93 tenu à Ouagadougou : « Interactions villes-campagnes : l’expérience
francophone ».
-38-
Travaux de la Société d’Écologie Humaine
c/o UMR 6578 du CNRS - Adaptabilité Humaine : Biologie et Culture
Université de la Méditerranée, Faculté de Médecine
27, boulevard Jean-Moulin, 13385 Marseille cedex 5
Directeur de la Publication : Nicole Vernazza-Licht
Déjà parus :
L’homme et le lac 1995
Impact de l’homme sur les milieux naturels : Perceptions et Mesures 1996
Cet ouvrage est issu, pour l’essentiel, des travaux présentés aux VIIIe journées scientifiques
de la Société d’Écologie Humaine (SEH), qui se sont tenues à Orléans en juin 1996.
Ces journées étaient organisées par :
- la Société d’Écologie Humaine
- l’équipe du DEA « Environnement, Temps, Espaces, Sociétés », Université d’Orléans
- l’UMR 6578 « Adaptabilité Humaine : Biologie et Culture », CNRS-Université de la
Méditerranée, Marseille
- le laboratoire Population-Environnement, Université de Provence/Orstom, Marseille
- le laboratoire ERMES, Orstom, Orléans
Il a bénéficié du soutien financier du département Environnement, Technologies et
Société de l’Université de Provence, Marseille
Dépôt légal : 4e trimestre 1998
ISBN : 2-9511840-2-6
ISSN : 1284-5590
Tous droits réservés pour tous pays
© Éditions de Bergier
476 chemin de Bergier, 06740 Châteauneuf de Grasse
[email protected]
VILLES DU SUD
ET
ENVIRONNEMENT
Éditeurs scientifiques
Daniel Bley, Jacques Champaud, Patrick Baudot,
Bernard Brun, Hélène Pagezy, Nicole Vernazza-Licht
1997
Travaux de la Société d’Écologie Humaine
c/o UMR 6578 du CNRS - Adaptabilité Humaine : Biologie et Culture
Université de la Méditerranée, Faculté de Médecine
27, boulevard Jean-Moulin, 13385 Marseille cedex 5
Directeur de la Publication : Nicole Vernazza-Licht
Déjà parus :
L’homme et le lac 1995
Impact de l’homme sur les milieux naturels : Perceptions et Mesures 1996
Cet ouvrage est issu, pour l’essentiel, des travaux présentés aux VIIIe journées scientifiques
de la Société d’Écologie Humaine (SEH), qui se sont tenues à Orléans en juin 1996.
Ces journées étaient organisées par :
- la Société d’Écologie Humaine
- l’équipe du DEA « Environnement, Temps, Espaces, Sociétés », Université d’Orléans
- l’UMR 6578 « Adaptabilité Humaine : Biologie et Culture », CNRS-Université de la
Méditerranée, Marseille
- le laboratoire Population-Environnement, Université de Provence/Orstom, Marseille
- le laboratoire ERMES, Orstom, Orléans
Il a bénéficié du soutien financier du département Environnement, Technologies et
Société de l’Université de Provence, Marseille
Dépôt légal : 4e trimestre 1998
ISBN : 2-9511840-2-6
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476 chemin de Bergier, 06740 Châteauneuf de Grasse
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VILLES DU SUD
ET
ENVIRONNEMENT
Éditeurs scientifiques
Daniel Bley, Jacques Champaud, Patrick Baudot,
Bernard Brun, Hélène Pagezy, Nicole Vernazza-Licht
1997
Facteurs environnementaux et
sociaux de la répartition des maladies
hydriques dans la Médina de Fès
(Maroc)
Hamid Boukir* et Bernard Brun*
L'abondance de l'eau sur le site - celle de l'oued Fès et celle des
sources - a été à l'origine de la fondation de la ville de Fès par les
Idrissides au IXe siècle. Permettant l'horticulture et le développement
de professions grandes consommatrices d'eau (teintureries, tanneries,
moulins...), l'eau a assuré la prospérité de la ville et l'a rendue célèbre
pour l'agrément de ses fontaines et jardins.
Le réseau hydraulique, conçu probablement au XIVe siècle se
composait de trois parties : un réseau haut, alimenté par l'oued Fès,
qui distribuait l'eau pour les usages domestiques et artisanaux ; un
réseau bas, constitué à partir d'un second oued, qui recueille toutes les
eaux du réseau haut après usage ; un système de distribution d'eau
potable fondé essentiellement sur une multitude de sources dans la
Médina. Un grand nombre de puits par ailleurs permettait l'accès
facile à de l'eau potable (Le Tourneau, 1949).
L'ampleur et la rapidité de la croissance urbaine au cours du XXe
siècle ont bouleversé les conditions de la distribution de l'eau. Cette
distribution pose problème tant sous l'angle de la disponibilité que de
la qualité, et la persistance chronique de maladies « hydriques » est un
problème majeur de santé publique.
La croissance urbaine ne s'est pas traduite seulement par l'extension
spectaculaire de la surface urbanisée, mais également par une densification de son noyau historique, la Médina. La densification de
*Laboratoire Population-environnement, Université de Provence/Orstom, case 10, 3 place Victor
Hugo, 13331 Marseille cedex 03, France
-54-
Villes du sud et environnement
l'habitat s'est elle-même accompagnée par un très large remplacement
de la population citadine d'origine par des immigrants provenant des
zones rurales de la province, mais ce remplacement est très inégal
selon les quartiers (Fejjal, 1993). L’enquête conduite en 1994 et 1995
a eu pour objectif principal d'examiner comment les bouleversements
démographiques et sociologiques pèsent sur l'accès à de l'eau de
qualité et sur son usage. En effet, il était très vite apparu que le
problème d'hygiène publique posé par la question de l'accès à l’eau ne
se limitait nullement à des problèmes techniques de ressources, de
qualité et de distribution. En particulier, la distribution géographique
des maladies hydriques ne se superpose pas de façon simple à celle de
l'eau polluée (Boukir, 1995).
Croissance et renouvellement de la population de la Médina.
Au début de ce siècle, Fès comptait environ 100 000 habitants (Le
Tourneau, 1965). Sa croissance, relativement modérée pendant la
première moitié du siècle s'est accélérée ensuite : la ville est passée de
223 000 habitants à 510 000 entre 1960 et 1982, avec un taux de
croissance annuel de 3 % entre 1971 et 1982 (Recensements Généraux
de la population et de l'Habitat, 1961,1971 et 1982). En 1995, la
population était estimée à environ un million d'habitants (La Vie
Économique, n° spécial, 1995), avec un taux de croissance de 4,5 à 5 %,
dont 1,5 % dû à l'apport migratoire, essentiellement d'origine rurale
(SDUF, Version 1991).
Si l'essentiel de cette croissance s'est réalisé par l'extension de la
surface urbanisée, la Médina, dont les effectifs sont restés à peu près
stables pendant le premier tiers du siècle a vu sa densité multipliée
par un facteur de l'ordre de 2,5 entre les années trente et 1980. Depuis,
la tendance semble à la stabilisation (tableau 1).
Tableau 1 : Évolution de la population de la Médina1
Années
Nb. d'habitants (milliers)
1900
100
1920
90
1936
100
1971
198
1980
250
1Sources
: 1900 et 1936, estimations du Protectorat (Le Tourneau, 1965) ; 1920, SDUF, 1977 ; 1971,
recensement général ; 1980, Delcour, 1980.
-55-
Une enquête du SDUF en 1977 montre que 45,1 % de la population
de l'agglomération de Fès est d'origine rurale, les deux tiers des
immigrants provenant de la province même de Fès. L'immense
majorité de ces immigrants ruraux (96 %) n'avait jamais fréquenté
l'école, et était composée (à 90 %) de manœuvres ou de personnes non
classées selon la profession, ce qui signifie en pratique sans qualification professionnelle autre qu'agriculteur (SDUF 1980).
L‘enquête de 1994 dans la Médina auprès des chefs de ménage2
révèle des proportions globalement comparables. Le questionnaire
proposé a permis de préciser qu'en 1994, 37 % des chefs de ménage de
la Médina y résidaient depuis moins de 10 ans et environ 4 % depuis
moins d'un an. Seuls 9 % étaient résidents depuis leur naissance. Il est
à remarquer que la quasi-totalité des immigrants arrivent
directement dans la Médina, sans relais intermédiaire.
Le choix d'une résidence dans la Médina est attribué par 50 % des
personnes interrogées au bon marché du logement et de la vie dans ce
quartier, par 25 % à la proximité du lieu de travail et par 17 %
seulement à des raisons d'enracinement familial (naissance ou
présence familiale dans le quartier).
L'importance du renouvellement de population que traduisent ces
chiffres tient à la destruction de la cohésion sociale traditionnelle :
l'accès à l'eau, les comportements d'hygiène faisaient partie intégrante
d'un ensemble de pratiques sociales dont l'appartenance au quartier
(le derb) assurait l'homogénéité (Naciri, 1991).
L'immigration rurale a été permise par deux ordres de facteurs :
l'émigration fassie et la densification de l'habitat.
L'émigration fassie a commencé dès l'installation du protectorat
français et le choix de Rabat comme capitale politique et Casablanca
comme capitale économique. Au début, il y a eu départ des cadres et
des couches sociales aisées (Illala, 1985). Après la deuxième guerre
mondiale, l'émigration a concerné de nombreux artisans, commerçants
et boutiquiers émigrant vers d'autres villes, Casablanca accueillant à
elle seule près de 47 % des émigrants (Escalier, 1981).
La densification de la Médina est devenue un phénomène suffisamment massif pour avoir entraîné la création d'une Agence pour la
Dédensification et la Réhabilitation de la Médina de Fès (ADER-Fès).
La densification s'est développée à travers la densification de l'habitat
par l'urbanisation progressive des jardins intra-muros, par la subdivision
des logements anciennement dévolus à une seule famille (tableau 2), par
l'augmentation du nombre de personnes par pièce d'habitation, par la
tendance à la réduction des espaces non occupés de façon permanente
(cuisines, débarras, sanitaires) (ADER-Fès/Pnud, 1993).
2Notre
enquête a porté sur 263 ménages représentatifs pris dans les 18 secteurs de la Médina.
-56-
Villes du sud et environnement
Tableau 2 : Répartition des ménages dans les maisons de 1960 à 19943
Ménages/maison
(%)
1960
1
66
2
1983
1994
41
15
13
31
25
24
21,5
3
3
24
23
20
4
6,5
18,5
15,5
5
2,5
9
12
6
0,5
4
8
7
0,5
2,5
4,5
8
1,5
2
9
1
1,5
10
1
1,5
Nb. ménages
enquêtés
1971
274
416
652
712
La consommation en eau dans la ville de Fès
De l'indépendance (en 1956) à nos jours, le Maroc a connu deux
phases en matière de demande en eau urbaine. La première qui s'est
achevée au début des années quatre-vingt s'est caractérisée par une
augmentation de la consommation sans préoccupation majeure de
l'état des ressources. La phase récente est par contre marquée par la
conscience de la pénurie à terme de la ressource en eau (Jellali, 1992).
À Fès, la production d'eau n'a pas cessé d'augmenter, mais de façon
irrégulière en fonction des grands travaux. Les éléments les plus
marquants de l'évolution des ressources en eau sont la diminution
progressive du débit de l'oued Fès en raison des prélèvements, sa
pollution et de même la dégradation de la nappe phréatique qui
alimente les puits et les fontaines (El Haité, 1991). La mise en place,
dès les années soixante-dix, d'un réseau moderne de distribution ayant
recours à des captages de plus en plus profonds ou lointains, et
doublant ou renforçant l'ancien réseau traditionnel a transformé les
usages.
L'eau « moderne » est distribuée par une régie, la RADEEF4.
Sur l'ensemble de l'agglomération de Fès, la consommation
journalière par personne est de 270 litres par jours, tous usages
3
4
Sources : 1960 et1971, recensements généraux ; 1983, Illala ; 1994, enquête personnelle.
Régie Autonome de Distribution de l'Eau et de l'Électricité à Fès.
-57-
confondus, mais cette moyenne cache d'importantes disparités. En
effet, 20 % des citadins de l'agglomération ne sont pas branchés sur le
réseau de la Radeef (O.N.E.P., 1994) et s'approvisionnent à des bornes
fontaines publiques, à des sources ou à des puits (le taux moyen de
non-raccordement en milieu urbain au Maroc est de seulement 8 %).
Les puits et sources.
Avant la colonisation il y avait à Fès environ 2000 puits et 6000
sources et fontaines. Depuis l'industrialisation et l'extension urbaine,
la pollution chronique de la nappe phréatique est telle que l'administration a décidé la désinfection et la fermeture des puits (pollués) et le
raccordement de la plupart des bornes fontaines sur le réseau d'eau
potable (Naciri, 1987).
Il y a cependant une forte résistance de la population à la fermeture
des puits. L'enquête à ce sujet est difficile, mais montre qu'un grand
nombre de puits continue a être utilisé clandestinement.
L'approvisionnement aux puits et sources correspond approximativement à 5 % des ménages. L'avantage essentiel de l'eau des puits et
des bornes fontaines est la gratuité, et la rumeur veut que les désinfectants aient pour fonction de modifier le goût de l'eau afin de la
rendre impropre à la consommation et de justifier ainsi le recours
obligatoire à l'eau - payante - offerte par les raccordements au réseau.
L'approvisionnement aux bornes fontaines correspond à 19 % de
notre échantillon de la Médina et représentait en 1989 encore plus de
7,58 % de la consommation totale en eau de la ville (O.N.E.P, 1994).
Les raccordements
En Europe, disposer de l'eau courante signifie pratiquement toujours
disposer d'un compteur personnel, propre au ménage, et payer en
fonction de sa consommation personnelle, avec éventuellement des
modulations par forfaits, abattements, tarifs progressifs ou dégressifs.
À Fès, en revanche, la notion de raccordement recouvre deux
modalités bien différentes : le raccordement individuel et le raccordement collectif. Dans le raccordement collectif, tout un ensemble de
ménages s'alimente sinon à un même point d'eau, du moins à partir
d'un même compteur.
Le type de raccordement présente des variations considérables selon
l'activité professionnelle du chef de ménage et selon le statut d'occupation du logement (tableaux 3 et 4) 5.
5Enquête personnelle, 1994.
-58-
Villes du sud et environnement
Tableau 3 : Mode de raccordement au réseau de la RADEEF en fonction de l'activité
professionnelle (en % par catégorie).
Activité économique du
chef de ménage
Compteur
personnel
Compteur
collectif
Artisan type 1 (tanneur,...)
48
Artisan type 2 (plombier,...)
35
65
Ouvrier
35
65
Fonct. type 1 (instituteur,...)
47
53
Fonct. type 2 (gardien,...)
36
64
Commerçant
63
37
Chauffeur
75
25
100
0
33
67
100
0
59
41
100
0
Chômeurs
29
71
Employés de maison
33
67
Agriculteur
Métier informel
TME
Retraité
Cadre supérieur
52
Tableau 4 : Statut d'occupation du logement en fonction du type de branchement sur
le réseau de l'eau potable (% par type de compteur).
Type d'occupation
Compteur
Compteur
du logement
personnel
collectif
Propriétaire
Copropriétaire
Locataire
Logé gratuitement
62
21
6
4
27
71
6
4
Les deux motifs principaux de raccordement collectif plutôt qu'individuel sont d'une part le coût de l'installation d'un compteur
individuel, d'autre part le statut précaire des locataires. En effet, la
-59-
densification s'opère le plus souvent par location d'éléments d'un
ensemble unitaire initial sans contrat écrit et par hébergement à
durée indéterminée de membres de la parenté. L'absence de titres de
location et le maintien d'un compteur collectif au nom du propriétaire
sont deux moyens complémentaires de pression de ce dernier ; par la
menace de fermeture du compteur et par la solidarité des locataires
vis-à-vis des conséquences de son exécution éventuelle, il dispose d'un
moyen de pression efficace en vue du recouvrement des loyers et de la
redevance collective correspondant au prix de l'eau.
En définitive, la géographie du mode d'approvisionnement en eau
reflète très étroitement la géographie sociale de la Médina. Cette
dernière est elle-même le reflet de l'histoire du renouvellement de la
population. Il a en effet progressé très inégalement selon les quartiers.
Les diarrhées infantiles, l'approvisionnement en eau et les
pratiques d'hygiène.
Tableau 7 : Rapport entre la diarrhée et le type d'approvisionnement en eau potable
(Enquête 1994).
Type d’alimentation
en eau
Diarrhée (%)
Oui
Non
Total
Réseau
63
37
100
Borne fontaine
88
12
100
Puits/source
90
10
100
Le tableau montre une relation frappante entre la diarrhée et le type
d'approvisionnement en eau. Une analyse plus fine montre que
lorsqu'il y a raccordement au réseau, il y a une relation entre le mode
de raccordement (personnel ou collectif) et la fréquence des diarrhées
infantiles : il est donc clair que la qualité de l'eau consommée n'est pas
seule en cause.
Le nombre insuffisant de données ne permet pas d'établir des
chaînes de causalités précises dans l'étiologie de la diarrhée, mais
seulement de pointer un certain nombre de corrélations, notamment
entre statut d’occupation des logements et divers aspects de l’équipement des ménages ayant une relation spécifique avec l’hygiène.
C’est ainsi que les compteurs d’eau personnels se trouvent dans 62 %
des cas chez des propriétaires et dans 27 % des cas chez des locataires,
tandis que les proportions sont inversées pour les compteurs collectifs
qui se trouvent dans 21 % des cas seulement chez des propriétaires,
-60-
Villes du sud et environnement
mais dans 71 % chez des locataires. De la même façon, les W.C.
personnels se rencontrent dans 50 % des cas chez des propriétaires et
dans 40 % chez des locataires, tandis que les W.C. collectifs se
rencontrent dans 14 % des cas seulement chez des propriétaires et
dans 83 % chez des locataires.
On observe encore des corrélations entre origine (citadine ou rurale)
et niveau d’instruction. L’ensemble de toutes les corrélations possibles
serait fastidieux à énoncer ; l’une des plus frappantes est certainement
celle qui relie la perception du risque de maladie hydrique au mode de
raccordement : à la question « Pensez-vous que l’eau peut être à
l’origine de la diarrhée ? », les personnes raccordées au réseau de
distribution municipal répondent oui à 54 %, ceux qui consomment
l’eau des bornes fontaines sont déjà un peu moins nombreux à croire
aux risques hydriques (46 %) et ceux qui consomment l’eau la plus
lourde de risque les ignorent massivement (seulement 20 % de
réponses positives à la question).
La répartition de la contamination par les vibrions cholériques des
puits et sources par circonscription sanitaire donne une bonne idée des
risques épidémiques généraux liés à la consommation en eau « non
raccordée » mais le faible nombre de cas de choléra - qui persiste à
l'état endémique - ne permet pas une comparaison fructueuse de leur
répartition avec celle de la contamination bactérienne. L'étude de la
fréquence des diarrhées infantiles est beaucoup plus éclairante : très
schématiquement, on retiendra que la zone de fréquence maximale des
diarrhées infantiles recouvre paradoxalement celle de moindre contamination des puits et sources (carte n°1).
Carte 1 : Importance de la diarrhée chez les enfants de moins de 5 ans
-61-
L'explication de ce fait doit être cherchée dans des facteurs
multiples. On retiendra tout d'abord le fait que la contamination à
l'origine des diarrhées est possible même à partir de l'eau distribuée,
bien que le risque soit atténué par la meilleure qualité de l'eau. Par
ailleurs, le risque n'est pas strictement lié à la consommation de l'eau
(fruits, légumes...). Ensuite - et il apparaît que c'est sans doute le
facteur (lui-même multiforme) le plus important - les conséquences
d'une contamination initiale peuvent être étendues ou réduites selon
les pratiques d'hygiène et les représentations de la nature et des
causes de la maladie.
La comparaison entre la carte de l'importance de la diarrhée et celle
de la proportion des femmes (épouses) immigrées dans la Médina
témoigne d'une corrélation remarquable (carte n°2). On peut dire que
le statut de mère immigrée rurale synthétise en quelque sorte un
ensemble de pratiques (au sens le plus large du terme) à risques. Il
s'agit aussi bien de la densité d'occupation des logements, avec ses
corollaires d'absence de cuisine et de toilette individuelles, de non
raccordement ou de raccordement collectif que du niveau très faible de
scolarisation et d'une représentation de la maladie qui fait obstacle à
des pratiques d'hygiène efficaces.
Carte 2 : Répartition géographique des femmes immigrées (épouses) dans la Médina
-62-
Villes du sud et environnement
Discussion et conclusions
Les conditions sanitaires actuelles relatives aux maladies hydriques
dans la Médina de Fès dépendent d'un ensemble de contraintes qu'on
peut qualifier d'écologiques au sens traditionnel du terme : conditions
générales d'alimentation en eau de la ville, conditions géologiques
locales de la nappe phréatique alimentant puits, sources et fontaines
et conditions de sa pollution ; mais elles dépendent également d'un
ensemble complexe de facteurs socio-culturels qui régissent le mode
d'accès à l'eau (recours encore fréquent à l'eau de la nappe phréatique
locale, même pour la boisson) et l'ensemble des pratiques d'hygiène.
On peut distinguer un pôle social de réduction des risques caractérisé
par le statut de propriétaire, urbain autochtone, disposant de revenus
relativement importants et d'un niveau de scolarisation également
élevé, raccordé au réseau de distribution d'eau courante de la ville par
un compteur personnel. Le pôle opposé d'augmentation des risques
correspond à des immigrants ruraux récents, locataires ou hébergés à
titre précaire, à revenus faibles ou très faibles, souvent inconstants, à
bas niveau de scolarisation (les mères n'ont pratiquement jamais été
scolarisées), non raccordés au réseau, ou seulement raccordés collectivement. La densification de l'habitat dans la Médina, particulièrement
importante au cours de la seconde moitié du XXe siècle, s'est
accompagnée d'un très large renouvellement de la population, et
comme on le sait depuis les travaux d'écologie urbaine de l'école de
Chicago, ce renouvellement s'est très classiquement poursuivi de façon
très inégale dans l'espace géographique de la Médina. Il en résulte que
la géographie des maladies hydriques (ici l'étude a porté essentiellement sur les diarrhées infantiles) ne se superpose pas à celle de la
pollution bactérienne, mais reflète des interactions complexes entre
les conditions écologiques et les conditions socio-culturelles. Il est
permis de se représenter la situation sanitaire actuelle de la ville
comme correspondant à un stade intermédiaire entre une situation où
prévalaient des conditions écologiques de risque et une situation espérée dans le futur - d'uniformisation par réduction généralisée des
risques.
Le poids des contraintes économiques et socio-culturelles qui
expliquent la fréquence des non-raccordements ou des raccordements
collectifs au réseau municipal de distribution d'eau courante interdit
d'imaginer que l'on puisse résoudre la question d'hygiène publique par
de seules mesures techniques.
-63-
BIBLIOGRAPHIE
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-64-
Travaux de la Société d’Écologie Humaine
c/o UMR 6578 du CNRS - Adaptabilité Humaine : Biologie et Culture
Université de la Méditerranée, Faculté de Médecine
27, boulevard Jean-Moulin, 13385 Marseille cedex 5
Directeur de la Publication : Nicole Vernazza-Licht
Déjà parus :
L’homme et le lac 1995
Impact de l’homme sur les milieux naturels : Perceptions et Mesures 1996
Cet ouvrage est issu, pour l’essentiel, des travaux présentés aux VIIIe journées scientifiques
de la Société d’Écologie Humaine (SEH), qui se sont tenues à Orléans en juin 1996.
Ces journées étaient organisées par :
- la Société d’Écologie Humaine
- l’équipe du DEA « Environnement, Temps, Espaces, Sociétés », Université d’Orléans
- l’UMR 6578 « Adaptabilité Humaine : Biologie et Culture », CNRS-Université de la
Méditerranée, Marseille
- le laboratoire Population-Environnement, Université de Provence/Orstom, Marseille
- le laboratoire ERMES, Orstom, Orléans
Il a bénéficié du soutien financier du département Environnement, Technologies et
Société de l’Université de Provence, Marseille
Dépôt légal : 4e trimestre 1998
ISBN : 2-9511840-2-6
ISSN : 1284-5590
Tous droits réservés pour tous pays
© Éditions de Bergier
476 chemin de Bergier, 06740 Châteauneuf de Grasse
[email protected]
VILLES DU SUD
ET
ENVIRONNEMENT
Éditeurs scientifiques
Daniel Bley, Jacques Champaud, Patrick Baudot,
Bernard Brun, Hélène Pagezy, Nicole Vernazza-Licht
1997
La mortalité des enfants d’un quartier
de Bamako (Mali)
Patrick Baudot* et Balla Diarra*
Bamako, capitale du Mali, compte aujourd'hui plus d'un million
d'habitants. Comme beaucoup d'agglomérations africaines, la ville se
caractérise par une croissance très rapide de sa population, de l'ordre
de 6 % l'an, et par la prolifération de quartiers spontanés dépourvus de
toute infrastructure. Le climat est de type soudano-sahélien, chaud
(moyenne annuelle de 28°C) avec une saison des pluies s'étendant de
Juin à Septembre (moyenne annuelle des précipitations de 900 à 1000
mm). Pauvre et enclavé, le pays se caractérise par une espérance de
vie encore faible (46 ans environ) et donc par une mortalité dans
l'enfance élevée. Les quelques études à ce sujet (cf. infra) sont relativement anciennes, les données datant d'une dizaine d'années, et il est
permis de penser que des évolutions significatives ont pu se produire,
sous le double effet des campagnes de développement des soins de
santé primaire et de la crise économique. Nous avons adopté ici une
approche micro-démographique, adaptée à notre problématique et à
nos moyens, en vue d'étudier quelques déterminants de la mortalité
des enfants dans un quartier de Bamako.
Matériel et méthodes
Zone d'étude
Nous avons choisi le quartier de Magnambougou, en rive droite du
fleuve Niger, au Sud-Est de l'agglomération. Il présente l'avantage de
se différencier très nettement en deux parties : le « village » et le
« projet ». La partie « village » est une zone d'habitat traditionnel, avec
* Laboratoire Population-Environnement, Université de Provence/Orsom, case 10, 3 place Victor
Hugo, 13331 Marseille cedex 03, France
-65-
des maisons de terre à toits en tôle, dépourvue de viabilisation. La
partie « projet » est un lotissement moderne, aux maisons de ciment,
avec eau courante, électricité, évacuation des eaux usées, etc...Les
populations résidentes diffèrent évidemment par leurs caractéristiques économiques et sociales, couches plutôt défavorisées dans le
premier cas, essentiellement des fonctionnaires pour le second (les lots
de terrain leur ayant été attribués pour un prix symbolique).
En résumé, une zone bourgeoise où l'on rencontre tous les éléments
du confort moderne côtoie une zone très démunie, à la limite de la
misère.
Questionnaires d'enquête - échantillonnage
Les renseignements collectés se rapportent principalement à
l'histoire génésique des femmes enquêtées et aux éventuels décès de
leurs enfants. La méthode de collecte des données est donc de type
rétrospectif, ce qui présente l'avantage de pouvoir rassembler un
grand nombre d'événements à partir d'un échantillon de taille réduite.
Les inconvénients (oublis, omissions, imprécisions) sont également
classiques, mais nous pensons qu'ils peuvent être grandement
minimisés lorsque le plus grand soin est apporté à la récolte des
données (Cantrelle, 1979). En outre, certaines questions se rapportent
au statut socio-économique du ménage (profession, revenu, ethnie,
statut matrimonial,...), ainsi qu'à l'habitat.
Le plan de sondage est déterminé par les objectifs de l'étude, à savoir
établir avec une précision satisfaisante les niveaux et les principaux
déterminants de la mortalité des enfants dans le quartier de
Magnambougou. Les contraintes consistent en un calendrier serré et
des moyens financiers limités.
Pour l'échantillonnage, nous nous sommes appuyés sur les résultats
du recensement de 1987 (Ministère du Plan, 1990), actualisés par nos
soins. On dénombre ainsi quelques 5000 « concessions » 1 dans le
quartier Magnambougou. Le taux de sondage est de 7.75 % 2, sur la
base d'un échantillon autopondéré. 629 femmes ayant procréé au
moins une fois ont ainsi été interrogées. Les principales caractéristiques sont présentées ci-dessous (tableau 1).
1Les problèmes de définition du "ménage" en Afrique sont bien connus (voir par exemple Lohle-Tart
et Sala-Diakanda, 1988). Le ménage est défini ici comme un ensemble de personnes participant
habituellement aux mêmes activités de production ou de consommation. Les ménages sont regroupés
en unités d'habitation ou concessions.
2En partant d'un intervalle de confiance à 95 % pour le phénomène étudié (estimé à 185 ‰), d'une
proportion de femmes de 15-49 ans de 1.4 par ménage, et de 1.3 ménages par concession, toutes
données issues du recensement de 1987.
-66-
Villes du sud et environnement
Tableau 1 : Principales caractéristiques de l'échantillon.
Classe d’âge
15-19
20-24
25-29
30-34
35-39
40-44
45-49
EFF
31
96
160
159
82
71
30
%
4,9
15,3
25,4
25,3
13,0
11,3
4,8
Instruction
aucune
primaire
secondaire
345
73
211
54,8
11,6
33,6
Ethnie
Bambara
Peul
Soninké
Autres
448
35
46
100
71,2
5,6
7,3
15,9
Situation
matrimoniale
célibataire
monogame
polygame
Veuve/divorc
41
417
148
23
6,5
66,3
23,5
3,7
La majorité des femmes n'a reçu aucune instruction, alors
qu'environ un tiers déclare un niveau secondaire, ce qui est
extrêmement élevé pour le Mali, où les femmes sont analphabètes à
90 % selon le recensement de 1987. L'explication est simple et réside
dans la partie « projet » du quartier où la majorité des femmes sont
épouses de fonctionnaires ou fonctionnaires elles-mêmes.
Du point de vue ethnique, la grande majorité des femmes sont
Bambara, ce qui est logique, puis Peul, Soninké et enfin originaires
d'une dizaine d'autres ethnies variées, ce qui démontre bien l'intensité
du brassage de populations s'effectuant à Bamako.
Le statut matrimonial reflète bien la diversité des situations
maliennes à ce sujet : si la majorité des femmes vivent en union
monogame (dont la presque totalité de celles originaire du « projet »),
les femmes issues d'une union polygame représentent quand même
près du quart de l'échantillon, et les mères célibataires ne sont pas en
proportion négligeable (6.5 %, toujours des jeunes femmes de moins de
25 ans).
Enfin, l'ancienneté de résidence dans le quartier (non mentionnée
dans le tableau) a été également prise en compte, dans le sens où cette
variable aurait pu être une source de biais pour le phénomène étudié
-67-
(femmes rurales récemment immigrées par exemple). La totalité des
femmes du « village » vivent dans la zone depuis plus de 20 ans,
période de référence de notre étude, ou y sont nées. Le problème est
différent pour la partie « projet », qui n'a été lotie qu'au début des
années 80, mais nous avons constaté que la presque totalité des
résidentes sont originaires de Bamako. Le biais doit donc être très
limité, étant donné que la condition sociale de ces femmes, pour la
plupart épouses de fonctionnaire, n'a probablement pas évolué de
manière sensible depuis une vingtaine d'années.
Résultats - discussion
Niveaux
Les quotients de mortalité infantile, juvénile et infanto-juvénile3
pour la totalité de l'échantillon sont présentés au tableau 2. Les décès,
relevés de manière rétrospective, s'étalent sur 2 décennies, de 1974 à
1993, et ne reflètent donc pas la mortalité actuelle. À titre de
comparaison, le tableau 3 regroupe les résultats des principales
enquêtes effectuées récemment à Bamako.
Tableau 2 : quotients de mortalité et rapport mortalité juvénile/mortalité infantile.
Quotients
Village
Projet
1q0
107.6 ‰
42.2 ‰
74.7 ‰
4q1
98.2 ‰
16.9 ‰
56.6 ‰
5q0
195.2 ‰
58.5 ‰
127.1‰
Rapport MJ/MI
0.91
0.40
Ensemble
0.76
Globalement, l'intensité de la mortalité est un peu plus faible d'après
nos résultats que ceux des autres enquêtes. Cela n'a rien d'étonnant,
puisqu'une bonne partie de l'échantillon est issu des classes aisées.
Le principal élément qui ressort de ces résultats bruts est l'énorme
contraste existant entre les deux zones du quartier. La mortalité
infantile est plus de deux fois et demi plus importante dans la partie
« village », la mortalité juvénile près de six fois. La différence provient
donc pour l'essentiel des décès juvéniles, ce qui n'est pas étonnant, ces
derniers étant par nature plus sensibles aux conditions du milieu. Le
rapport entre mortalité infantile et juvénile passe ainsi de 0.91 pour la
3 1q0 représente les décès entre la naissance et le premier anniversaire, divisé par le nombre de
naissances vivantes, soit le quotient de mortalité infantile. 4q1 est le quotient de mortalité juvénile
(entre le premier et le cinquième anniversaire), 5q0 le quotient de mortalité infanto-juvénile. N'ont été
considérées pour les calculs que les cohortes sorties de la période d'observation, afin d'éviter les biais.
-68-
Villes du sud et environnement
Tableau 3 : quotients de mortalité selon différentes sources4
Quotients EDS Mali Fargues et al., EMIS Bko
77-86
1988
83-85
1q0
73‰
86 ‰
81 ‰
5q0
165 ‰
186 ‰
-
zone « village », ce qui est conforme à un schéma de mortalité traditionnelle, à 0.40 pour la partie « projet ». Dans les paragraphes
suivants, nous allons approfondir notre analyse.
Tendances
Nous avons calculé les quotients de mortalité infantile, juvénile et
infanto-juvénile pour chacune des deux zones du quartier
Magnambougou, et par quinquennat entre 1974 et 1993 (tableau 4).
Nous avons également estimé les moyennes mobiles quinquennales de
ces mêmes quotients, dont l'évolution est présentée à la figure 1. Cette
dernière technique a été utilisée pour conserver des effectifs
suffisants, tout en lissant les fluctuations annuelles.
Tableau 4 : Évolution dans le temps des quotients de mortalité
ENSEMBLE
Quinquennats
Quotients
74-78
1q0
84-88
89-93
111.1‰ 93.1‰
66.9‰
53.4‰
52%
4q1
80.4‰
34‰
23.4‰
71%
5q0
182.3‰ 181.3‰ 98.6‰
75.3‰
59%
Village
79-83
Diminution
97.3‰
Quinquennats
Quotients
74-78
84-88
89-93
1q0
156.7‰ 138.8‰ 95.1‰
71.4‰
54%
4q1
132.7‰
54.0‰
59%
5q0
268.7‰ 282.3‰ 147.9‰ 121.5‰
Projet
Quotients
79-83
166.6‰ 58.4‰
55%
Quinquennats
74-78
79-83
84-88
89-93
1q0
59.3‰
45.2‰
38.7‰
35.5‰
4q1
27.0‰
36.8‰
11.0‰ -
59%
5q0
84. ‰
80.4‰
49.3‰
58%
4EDS
35.5‰
40%
Mali : enquête démographique et de santé, données concernant Bamako. EMIS Bamako : enquête
sur la mortalité infantile dans le district de Bamako (cf références complètes en bibliographie).
-69-
Figure 1 : Moyennes mobiles quinquennales des quotients de mortalité
Malgré quelques irrégularités qui proviennent probablement en
partie de la petite taille de l'échantillon, la diminution de la mortalité
des enfants sur 20 ans est manifeste. La proportion de décès infantojuvéniles passe ainsi de 182.3‰ à 75.3‰, soit une diminution relative
de 59 %.
La baisse semble bénéficier en priorité aux décès juvéniles, réputés
plus sensibles à l'amélioration des conditions du milieu, et aux enfants
de la zone « projet », pourtant déjà très avantagés : le rapport des
mortalités infanto-juvéniles entre « village » et « projet » passe de 3.2
dans la période 74-78 à 3.5 dans les années 89-93. Ce dernier résultat
constitue d'ailleurs une surprise, dans la mesure où on aurait pu
penser que l'amélioration des conditions sanitaires (mise en place des
programmes de vaccination par exemple) aurait profité d'abord aux
plus démunis. Mais la couverture vaccinale est loin d'être complète, et
on peut supposer que les plus pauvres, qui sont aussi les moins
instruits, sont également les moins motivés par les opérations de santé
primaire.
Les courbes des moyennes mobiles quinquennales illustrent bien le
rythme de baisse de la mortalité. En dehors des crises de mortalité
qu'ont connues les années 1983 et 1987 (graves épidémies de
rougeole), la diminution est ininterrompue. On constate une nette
accélération à partir de 1984, année de mise en place du programme
élargi de vaccination.
Mortalité par sexe
« Le Mali est non seulement l'un des pays où la mortalité infantojuvénile est l'une des plus élevées du monde, il est aussi l'un des pays
-70-
Villes du sud et environnement
Tableau 5 : Quotients de mortalité selon le sexe et le lieu de résidence
Quotients
Décennie 1974-83
Décennie 1984-93
Masculin
Féminin
Masculin
Féminin
1q0
87.3‰
119.7‰
49.3‰
68.1‰
4q1
79.2‰
109.7‰
39.2‰
26.7‰
5q0
159.6‰
215.8‰
86.6‰
93.0‰
Tableau 6 : Quotients de mortalité selon le sexe et la décennie.
Quotients
Village
Masculin
Projet
Féminin
Masculin
Féminin
1q0
97.6‰
131.2‰
39.6‰
56.3‰
4q1
97.8‰
110.5‰
23.1‰
29.4‰
5q0
184.3‰
226.1‰
61.9‰
69.8‰
d'Afrique au Sud du Sahara où l'existence d'une surmortalité féminine
durant l'enfance paraît incontestable tout au moins en milieu urbain »
(Mbacke et Legrand, 1991). Nos résultats confirment cette affirmation
(tableaux 5 et 6).
Le rapport entre mortalité infantile masculine et féminine n'a guère
évolué avec le temps : il est passé de 0.73 dans les années 1974-83 à
0.72 pour la décennie suivante. La diminution générale de la mortalité
n'a semble-t-il pas favorisé les petites filles, comme cela avait été
constaté par exemple au Maroc (Bley et Baudot, 1994). Le constat est
identique lorsqu'on compare la mortalité infantile par sexe des zones
« village » et « projet ». Bien que le second présente des quotients de
mortalité infantile près de trois fois plus faibles, les rapports de
mortalité masculin/féminin sont pratiquement identiques (respectivement 0.70 et 0.74). Là encore, l'amélioration des conditions de vie ne
s'est pas faite en faveur du sexe féminin, qui reste défavorisé.
La situation est différente en ce qui concerne la mortalité juvénile.
Tout d'abord, les différences de mortalité entre sexes sont moins
nettes : les rapports sont respectivement de 0.88 et 0.89 pour « village »
et « projet ». Ensuite, il semble émerger une vigoureuse inversion de
tendance lorsqu'on examine l'évolution du phénomène dans le temps :
le rapport de 0.72, en défaveur des petites filles pour les années 197483, se transforme en surmortalité masculine (rapport de 1.47) durant
la décennie 1984-93.
-71-
Les causes de cette disparité demeurent largement incertaines. Il ne
semble pas y avoir de discrimination sensible dans les soins apportés
aux enfants selon leur sexe, mais on dispose de fort peu de données à
ce sujet. Tout au plus peut-on noter que le sexe masculin paraît
fréquenter plus volontiers l'hôpital : selon Fargues et Nassour (1989)
59 % des décès masculins ont lieu à l'hôpital contre 52.3 % des décès
féminins (tous âges confondus, ce qui ne signifie donc pas grand
chose). Les auteurs remarquent également que l'essentiel du différentiel de mortalité entre garçons et filles semblerait provenir des
décès par rougeole, bien plus fréquents pour le sexe féminin. Mais les
statistiques de causes de décès sont encore largement incertaines (cf.
infra).
Enfin, si la surmortalité féminine dans l'enfance ne semble effectivement pas faire de doute, sa structure est pour le moins curieuse.
Ainsi, à chaque fois que ce phénomène a été relevé dans des études
précédentes (voir par exemple Gbenyon et Locoh, 1989), la surmortalité féminine était toujours plus nette pour les décès juvéniles qu'infantiles. Les cas de surmortalité infantile féminine sont même
rarissimes. L'interprétation réside dans une plus grande faiblesse
constitutive, d'origine génétique, du sexe mâle. Lorsqu'apparaît une
discrimination dans le comportement des parents envers leurs enfants
des deux sexes, celle-ci aura plus de conséquences sur les décès tardifs
que sur les décès des premiers âges. Le même phénomène joue
d'ailleurs sur le rapport entre mortalité juvénile et infantile, qui
diminue avec la mortalité (cf. paragraphe « niveaux »). Un grand
nombre de décès masculins des premiers âges sont ainsi considérés
comme « endogènes », au sens de J. Bourgeois-Pichat (1951), donc
relativement incompressibles.
Or, à Bamako, il semble se produire exactement l'inverse. Les
rapports de surmortalité féminine sont plus élevés avant le premier
anniversaire, alors que l'inversion de tendance qui semble se
manifester pour la dernière décennie ne concerne que les décès
juvéniles. L'état actuel de nos connaissances ne nous permet pas
d'avancer une hypothèse fiable permettant d'interpréter ce
phénomène. Un travail spécifique devra être engagé dans ce sens,
incluant si possible des causes de décès précises, où du moins leur
structure détaillée par âge.
Mortalité et facteurs socio-économiques
Nous n'avons considéré ici que quelques-uns des facteurs qui nous
ont semblé les plus significatifs : instruction des parents, revenu,
statut matrimonial de la femme. Les variables habituellement
utilisées dans ce type d'études, telles que statut d'occupation du
logement (propriétaire, locataire,...), origine de l'eau de boisson, lieu
d'aisance, etc... ne sont ici que le reflet de l'opposition entre « projet »
-72-
Villes du sud et environnement
et « village » que nous avons déjà analysée. Les résultats sont
présentés dans le tableau 7 ci-dessous.
Tableau 7 : Quotients de mortalité selon les conditions socio-économiques
QUOTIENTS
Instruction de la mère
aucune
1q0
4q1
5q0
112.2‰
81,0‰
184.1‰
primaire
80.5‰
25,0‰
103.4‰
secondaire et +
39.9‰
20.8‰
59.9‰
107.7‰
72.2‰
172.1‰
primaire
66.0‰
101.0‰
160.4‰
secondaire et +
44.5‰
25.1‰
68.5‰
moins de 50 000 FCFA
107.0‰
108.1‰
203.5‰
50 000-100 000 FCFA
95.4‰
40.8‰
132.3‰
100 000 FCFA et +
85,0‰
37.1‰
118.9‰
63.5‰
63.8‰
123.3‰
polygame
141.9‰
74.9‰
206.2‰
veuve-divorcée
133.3‰
107.7‰
226.7‰
Instruction du père
aucune
Revenu
Situation matrimoniale
monogame
Comme prévu, la variable la plus significative est l'instruction de la
mère : les enfants de mères instruites (niveau secondaire et supérieur)
meurent trois fois moins que la progéniture des femmes illettrées. Le
niveau d'instruction du père intervient également, quoique moins
nettement. Ce constat semble d'ailleurs commun à toute l'Afrique
noire (Chidambaran, 1985). On remarque que, dans les deux cas, la
différence est plus sensible pour les décès juvéniles qu'infantiles.
Le revenu du ménage influe sur la probabilité de survie des enfants,
mais les difficultés relatives à la collecte de ce type de données5
empêchent toute analyse approfondie.
5Cette
question nous a valu des refus de réponse de la part des enquêtés. Nous sommes donc passés
par une évaluation des dépenses quotidienne du ménage pour estimer le revenu, d'où une certaine
imprécision au sujet de cette variable.
-73-
Le statut matrimonial montre également une nette corrélation avec
les niveaux de mortalité, du moins lorsqu'on compare les femmes
issues des ménages monogames aux autres catégories. Cela n'a rien de
surprenant, puisque nous avons vu que la presque totalité des
ménages de la zone « projet » sont monogames. Nous n'avons par
contre relevé aucune différence sensible de mortalité selon les
différentes ethnies.
En résumé, les caractéristiques socio-économiques étudiées sont
largement corrélées entre elles : ainsi, une femme instruite fait
généralement partie d'un ménage monogame à haut revenu et vit dans
la partie « projet » du quartier.
Mortalité et facteurs biologiques
Nous avons regroupé sous cette appellation quelques variables liées
à la fécondité : ce sont les intervalles intergénésiques (espacement
entre deux naissances vivantes), la parité et l'âge de la mère, le rang
de naissance de l'enfant. Selon certains auteurs (par exemple Taucher,
1988) ces facteurs influenceraient la mortalité des enfants plus
nettement que les caractéristiques socio-économiques.
Les intervalles intergénésiques sont très fortement corrélés avec le
niveau de mortalité, infantile comme juvénile. Des naissances
rapprochées diminuent fortement la probabilité de survie de l'enfant,
qu'il soit né (intervalle suivant) ou à naître (intervalle précédent). Le
cas le plus défavorable est celui où l'intervalle suivant dure moins de
2 ans. On relève dans ce cas une mortalité infantile de 153 ‰, la plus
élevée de l'échantillon. Il ne faudrait cependant pas en tirer de
conclusions trop hâtives : en effet, le décès précoce d'un enfant peut
être la cause d'un intervalle suivant de courte durée, et non sa
conséquence. On observe en ce cas une diminution de la durée d'infécondité post-partum (due à l'arrêt de l'allaitement), et une tendance
certaine, quoique difficile à cerner, au « remplacement » de l'enfant
perdu, d'où un intervalle court. On observe enfin, ce qui est logique,
que les différences apparaissent encore plus sensiblement au niveau
des décès juvéniles. Ceci s'explique par « l'effet de compétition »
survenant nécessairement entre les deux jeunes enfants.
L'effet du rang de naissance est également incontestable : les
quotients de mortalité, infantile comme juvénile, augmentent régulièrement avec la parité. Par contre, on n’observe pas de surmortalité
pour les naissances de premier rang, phénomène qui a été mis en
évidence à de nombreuse reprises, en particulier dans l'EDS Mali
(Traore et Coll., 1990). L'explication la plus plausible est à rechercher,
une fois de plus, dans la forte proportion de femmes de la zone
« projet », où les premières naissances sont moins précoces qu'ailleurs.
-74-
Villes du sud et environnement
Cette hypothèse se trouve en partie justifiée par l'examen des
quotients de mortalité selon la classe d'âge des femmes : il se dégage
une très nette surmortalité, infantile et juvénile, pour les mères de
moins de 20 ans. La répartition de la mortalité est ici plus classique,
avec un minimum entre 20 et 30 ans.
Tableau 8 : Quotients de mortalité et facteurs biologiques.
INTERVALLE INTERGENESIQUE
Intervalle précédent
QUOTIENTS
1q0
<= 2 ans
129.5‰
4q1
5q0
81.3‰ 200.3‰
2-3 ans
59.5‰
33.8‰
91.3‰
> 3 ans
34.5‰
14.3‰
48.3‰
153.2‰
108.2‰
244.9‰
2-3 ans
45.6‰
34.8‰
78.8‰
> 3 ans
49.3‰
59.3‰
105.6‰
1
78.8‰
59.5‰
133.6‰
2-3
90.9‰
61.0‰
146.3‰
4-6
95.2‰
69.3‰
157.9‰
7 et +
108.6‰
71.1‰
- de 20 ans
87.0‰
142.9‰
217.5‰
20-29 ans
54.9‰
34.9‰
87.9‰
30-39 ans
113.8‰
61.3‰
168.1‰
40-49 ans
109,0‰
113.1‰
209.8‰
Intervalle suivant
<= 2 ans
Rang de naissance
171.9‰
Âge de la mère
Évaluation des causes de décès
Nous nous sommes efforcés de relever le plus grand nombre possible
de causes de décès. Les résultats sont forcément imprécis, eu égard à la
profonde méconnaissance de la population envers tout ce qui touche la
maladie, et au faible niveau de médicalisation. L'examen des données a
permis d'identifier 5 grandes causes de décès : prématurité, mort subite,
paludisme, rougeole et infections de l'appareil digestif (Tableau 9).
-75-
Tableau 9 : principales causes de décès selon l’âge au décès et la décennie.
Âge au
décès
Causes de décès
prématurité mort subite paludisme rougeole infection autres
intestinale
1974-83
- de 1 an
2%
1-5 ans
46 %
29 %
7%
9%
7%
2%
24 %
62 %
8%
4%
30 %
36 %
3%
7%
8%
36 %
29 %
13 %
22 %
37 %
33 %
6%
8%
7%
1%
28 %
46 %
10 %
15%
1984-93
- de 1 an
16 %
1-5 ans
1974-93
- de 1 an
1-5 ans
9%
Il semble évident que nous soyons passés à côté de causes de décès
importantes, telles que, par exemple, les maladies de l'appareil respiratoire. La cause en est que tout décès ayant pour cause immédiate un
fort accès de fièvre a tendance à être attribué au paludisme. Ceci
conduit très probablement à une surestimation des décès par
paludisme, et à une sous-estimation de ceux par infection de l'appareil
respiratoire ou digestif. Par contre, la rougeole semble relativement
bien identifiée.
On remarque également la fréquence importante de causes « fourretout » telles que « mort-subite », particulièrement abondante dans les
décès au tout jeunes âge. Ce type de déclaration recouvre certainement
des pathologies très diverses.
Bien qu'approximatifs, les résultats confirment le lourd tribut payé
au paludisme et à la rougeole, qui demeurent les premières causes de
décès des enfants bamakois.
On notera le très net fléchissement de la rougeole au cours de la
dernière décennie, ce qui confirme amplement l'efficacité des
campagnes de vaccination systématique. Si on tient compte de la
diminution de la mortalité, les décès par rougeole ont été divisés par
un facteur 7 d'une décennie à l'autre.
Bien que probablement surestimé (cf. supra), l'impact du paludisme
est préoccupant. Certes, le nombre de décès par paludisme a diminué
d'une décennie à l'autre, et l'augmentation de son importance relative
est due pour une grande part à la diminution de la rougeole, mais
-76-
Villes du sud et environnement
l'extension rapide de la chloroquinorésistance et la prolifération des
moustiques font craindre le pire pour l'avenir.
Comme signalé ci-dessus, l'appellation « mort subite » est très
imprécise : les variations inverses de l'importance des causes
« prématurité » et « mort subite » d'une décennie à l'autre le
démontrent. Il s'agit en fait la plupart du temps de décès très précoces,
dont une part importante surviennent à la maternité, et il se trouve
que la rubrique « mort subite » est proposée dans les formulaires à
remplir obligatoirement dans ce cas… À ce sujet, signalons toutefois
que les décès dus au tétanos ombilical sont probablement assez rares,
la très grande majorité des accouchements se déroulant en maternité,
donc en milieu protégé.
Enfin, les décès causés par les maladies de l'appareil digestif
semblent peu fréquents eu égard à l'absence quasi-générale de
dispositifs de conservation des aliments et aux mauvaises conditions
d'hygiène prévalant pour une bonne partie de l'échantillon.
Conclusion
Nous pensons avoir justifié l'approche micro-démographique en
matière d'étude de la mortalité des enfants. Malgré la taille limitée de
l'échantillon, les résultats sont remarquablement cohérents dans la
plupart des cas. On regrettera cependant l'impossibilité d'approfondir
certaines analyses (causes de décès par sexe et par quartier par
exemple).
Nos conclusions s'appuieront sur trois axes, sources de futures
recherches plus détaillées : tout d'abord, l'intensité des contrastes
relevés entre les deux zones du quartier, témoins d'une inégalité
sociale devant la mort considérable. Au-delà du fait mesuré, il conviendrait de s'interroger sur les causes profondes de ces disparités :
couverture vaccinale, recours aux services de santé, état nutritionnel
et croissance des jeunes enfants, autant de pistes que nous n'avons pas
eu la possibilité de suivre.
Le second axe est celui de l'étude de la mortalité par sexe, dont la
répartition et la structure sont à première vue surprenantes. Nous
avons mis en évidence une nette surmortalité infantile du sexe
féminin, qui ne pourrait, a priori, s'expliquer que par une très
importante discrimination sexuelle dans les soins apportés aux
enfants. Or, de tels comportements des parents, et plus particulièrement de la mère, n'apparaissent pas de manière évidente. Le seul
facteur défavorable, et pour cause, aux petites filles est l'excision
précoce, encore très largement répandue. De toute évidence, ceci
n'apparaît pas suffisant pour expliquer nos résultats, d'autant plus
-77-
que la mortalité juvénile, dans certains cas, est aussi défavorable au
sexe féminin. Il faudrait envisager une étude précise des causes de
décès par sexe selon l'âge, que nous n'avons pu entreprendre.
Enfin, nous avons établi que la décrue de la mortalité des enfants
s'est poursuivie à un rythme soutenu jusqu'à ces dernières années.
L'évolution des quotients de mortalité sur deux décennies montre que
le facteur déterminant dans la diminution des décès, surtout juvéniles,
est la mise en place des programmes de vaccination, qui s'est traduite
par une marginalisation progressive de la rougeole, principale cause
de mortalité au début de la période d'observation. Or, il semble se
produire actuellement un certain relâchement dans les vaccinations,
et la récente dévaluation du franc CFA a eu pour conséquence
immédiate le doublement du prix des médicaments, et un net repli
vers la médecine traditionnelle, bien meilleur marché. Cette nouvelle
donne pourrait rapidement avoir des conséquences sur la mortalité
dans l'enfance. Le type d'étude présentée ici, par un renouvellement
régulier, pourrait permettre à moindre coût, de suivre l'évolution de la
mortalité.
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Travaux de la Société d’Écologie Humaine
c/o UMR 6578 du CNRS - Adaptabilité Humaine : Biologie et Culture
Université de la Méditerranée, Faculté de Médecine
27, boulevard Jean-Moulin, 13385 Marseille cedex 5
Directeur de la Publication : Nicole Vernazza-Licht
Déjà parus :
L’homme et le lac 1995
Impact de l’homme sur les milieux naturels : Perceptions et Mesures 1996
Cet ouvrage est issu, pour l’essentiel, des travaux présentés aux VIIIe journées scientifiques
de la Société d’Écologie Humaine (SEH), qui se sont tenues à Orléans en juin 1996.
Ces journées étaient organisées par :
- la Société d’Écologie Humaine
- l’équipe du DEA « Environnement, Temps, Espaces, Sociétés », Université d’Orléans
- l’UMR 6578 « Adaptabilité Humaine : Biologie et Culture », CNRS-Université de la
Méditerranée, Marseille
- le laboratoire Population-Environnement, Université de Provence/Orstom, Marseille
- le laboratoire ERMES, Orstom, Orléans
Il a bénéficié du soutien financier du département Environnement, Technologies et
Société de l’Université de Provence, Marseille
Dépôt légal : 4e trimestre 1998
ISBN : 2-9511840-2-6
ISSN : 1284-5590
Tous droits réservés pour tous pays
© Éditions de Bergier
476 chemin de Bergier, 06740 Châteauneuf de Grasse
[email protected]
VILLES DU SUD
ET
ENVIRONNEMENT
Éditeurs scientifiques
Daniel Bley, Jacques Champaud, Patrick Baudot,
Bernard Brun, Hélène Pagezy, Nicole Vernazza-Licht
1997
Gestion urbaine et environnement :
l’exemple de Ouagadougou
(Burkina Faso)
Georges Compaoré* et Idrissa Kaboré**
Le Burkina Faso connaît une urbanisation relativement modérée.
Selon le recensement de décembre 1985, le taux d'urbanisation
s'élevait à 12,7 pour cent (en tenant compte des seize centres
secondaires de plus de 10.000 habitants). Avec les 119 localités de plus
de 5.000 habitants, ce taux dépasse à peine 27 pour cent. Des pays
comme la Côte-d'Ivoire, le Ghana, le Sénégal présentaient au même
moment des taux de 45 à 50 pour cent.
Cependant la taille et le nombre des centres urbains ne cessent de
croître : cinq villes en 1975 lors du premier recensement général de la
population, dix-huit en 1985. Des données récentes (INSD, 1995),
donnent un effectif de 634 479 à Ouagadougou la capitale, et 268 926
à Bobo-Dioulasso, la deuxième ville, principales agglomérations
urbaines du Burkina-Faso (Tableau 1). Selon les estimations actuelles
de l'Institut National de la Statistique et de la Démographie (les
données du recensement général de la population et de l'habitation de
décembre 1996 n'étant pas encore disponibles), la population de
Ouagadougou est évaluée à 911 780 habitants en 1996 soit 49,3 pour
cent de la population urbaine nationale, à un taux d'accroissement
moyen de 6,8 pour cent. Ouagadougou et Bobo-Dioulasso regroupent
70 pour cent de la population urbaine nationale. Toutefois, les taux
d'urbanisation n'ont pas beaucoup progressé : 14 pour cent en 1991, et
16,2 pour cent en 1994 (INSD, 1996a). La population burkinabe est
donc encore fortement rurale.
*Université de Ouagadougou, BP 7021, Burkina Faso
**INSD, BP 374, Ouagadougou, Burkina Faso
-80-
Villes du sud et environnement
Ouagadougou, la capitale est le pôle le plus développé avec une
armature urbaine assez complète, des activités et des fonctions diversifiées (Compaoré G., 1990). Le développement urbain est ici plus
perceptible qu'ailleurs, il en est autant des problèmes ; équipements
insuffisants et inadaptés, marginalisation des populations démunies,
destruction du patrimoine naturel, forte croissance démographique.
Les problèmes d'urbanisation et d'environnement sont d'actualité,
mais ils se posent différemment selon les villes.
Tableau 1 : Évolution de la population urbaine de 1960-1961 à 1994, Burkina Faso
Burkina Faso
Période
Ouagadougou
Population
Taux
Taux
Population
urbaine
d’urbanisation d’accroissement urbaine
( %)
annuel (%)
1960-61
290 874
4,7
59 126
1975
362 610
6,4
3,7
172 661
1985
1 011 074
12,7
10,8
441 514
1991
1 287 285
14,0
4,5
634 479
1994
1 521 079
16,2
5,0
Source : INSD, 1996a
Dans le monde en développement, ils sont plus complexes et
pernicieux, alors que les moyens disponibles ne permettent pas de les
juguler. « Gestion urbaine et environnement » sera examinée à partir
de l'exemple de Ouagadougou, ville sahélienne en pleine croissance.
La dynamique urbaine
Les aspects démographiques
Du gros bourg qu'elle était, il y a environ une trentaine d'années,
Ouagadougou est devenue progressivement une agglomération
importante, mais sans jamais égaler les autres capitales sousrégionales telles que Lagos, Accra, Abidjan et Dakar. Elle n'a pas
connu en fait une croissance spectaculaire au cours de sa lente
évolution. Elle concentre cependant la moitié de la population urbaine
nationale. Ce poids démographique a certainement eu un impact sur
l'espace urbain.
-81-
L'afflux de population rurale après l'Indépendance a modifié la
morphologie du paysage urbain. Cet afflux est inhérent à une forte
natalité (45 pour mille) combinée à une immigration rurale massive.
Les taux d'accroissement intercensitaire pour la période 1975-1985 et
1985-1996 soit respectivement 9,7 et 6,8 pour cent, corroborent ce
dynamisme démographique urbain (Tabl.1).
Malgré une tendance à la baisse depuis une décennie, la croissance
de Ouagadougou se maintient toujours à un niveau élevé. À ce rythme
annuel (6,8 pour cent), cette agglomération doublera sa population au
bout d'une dizaine d'années. Or, depuis 1927, tous les lotissements de
Ouagadougou se sont faits sans plan d'urbanisation. L'autorité
publique n'a pas pu contrôler l'extension urbaine très rapide, encore
moins la maîtriser. N'est-ce pas la caractéristique de beaucoup de
villes africaines et même de celles du Tiers-Monde, marquées par la
croissance et le développement de l'habitat spontané en périphérie de
la ville ? Cela justifie que soit mise en place une politique urbaine
cohérente.
Les aspects spatiaux
L'évolution spatiale
Sur le plan spatial, l'essor de la ville a connu un tournant décisif au
cours des années 80. Au cours de cette période, des lotissements
massifs ont eu lieu pour répondre d'une part, aux besoins pressants de
terre à bâtir d'une population en croissance rapide et d'autre part,
garantir un meilleur assainissement à la ville. Entre 1960 et 1980, les
pouvoirs publics n'ont loti que 1.040 ha, portant la ville lotie de 520 à
1.560 ha. Au cours de la même période les quartiers d'habitants
spontanés s'étalaient sur près de 4.900 ha soit 71 pour cent de l'espace
urbain où habitaient 60 pour cent des citadins.
À la même année (1980), l'habitat urbain dans son ensemble
souffrait de graves insuffisances. Le tableau 2 montre bien l'état des
lieux et l'ampleur des actions à entreprendre. Si pendant longtemps
l'espace urbain s'est réduit au noyau central, l'évolution actuelle
imprime une nouvelle physionomie (figure 1). La ville a largement
débordé ses limites administratives pour intégrer les villages environnants dans son espace urbain. Au cours de la décennie 70, l'étroitesse
de l'espace urbain facilitait relativement les activités de voiries. Avec
l'essor actuel et les moyens économiques disponibles, la gestion
urbaine devient un problème crucial et interpelle aussi bien les
populations que le pouvoir public. Les implantations anarchiques de
l'habitat et des dépotoirs observés çà et là, sont des exemples de cette
situation préoccupante particulièrement dans les secteurs géographiques périphériques.
-82-
Villes du sud et environnement
Figure 1 : Évolution spatiale de la ville de Ouagadougou de 1960 à 1990
Tableau 2 : Répartition des logements selon le degré de confort et les matériaux
utilisés
Norme
Matériaux
Equipement
%
Durables
Eau-électricité
13
Assez bonne
Durables ou mixtes
qual. (banco+ciment)
Eau et/ou électricité
WC
15
Qualité moyenne
Mixtes ou banco
WC, rarement en eau 25
Mauvaise qualité
Précaire (banco)
Absence d'eau
et d'électricité
16 % sans WC
Bonne qualité
47
Source : groupe Huit-BCEOM, 1989
La marginalisation des secteurs périphériques
L'avènement de la révolution d’août 1983 sous l'impulsion du jeune
capitaine Thomas Sankara, marque le début d'une ère nouvelle pour
-83-
l'aménagement urbain national. Le Discours d'Orientation Politique
(D.O.P) du 02 octobre 1983 est fort éloquent à ce sujet : « Dans le
domaine de l'habitat, des mesures importantes devront être prises
pour établir des loyers raisonnables, procéder au lotissement rapide
des quartiers spontanés, développer sur une grande échelle la
construction de maisons d'habitation modernes en nombre suffisant et
accessibles aux travailleurs ».
Deux textes fondamentaux voient le jour : l'ordonnance
n°84/050/CNR/PRES du 4 août, portant organisation agraire et
foncière au Burkina Faso, et le décret de son application
n°85/404/CNR/PRES du 4 août 1985. De grandes réformes sont alors
entreprises. Ce fut d'abord la création d'un Domaine Foncier National,
constitué par toutes les terres situées dans les limites du territoire
national. L’État est donc le seul propriétaire foncier, les chefs
coutumiers n'ont donc plus aucun droit sur la terre.
Chaque individu ne peut désormais bénéficier que d’un « titre de
jouissance » sur la parcelle de terrain que l'Etat lui a octroyée. Ce titre
lui permet d'édifier des constructions destinées à l'habitation et à leur
dépendance. Cela se traduit concrètement par l'impossibilité pour
l'individu de vendre une parcelle de terrain non mise en valeur parce
que appartenant à l'Etat, puisque de fait le bénéficiaire n'est pas
propriétaire mais usufruitier. Seule la valeur des investissements
opérés sur une parcelle est prise en compte lors des transactions
immobilières.
Le nouveau pouvoir met également en place des structures d'aménagement, de gestion et l'élaboration d'instruments d'aménagement.
Un Schéma Directeur d'Aménagement et d'Urbanisme (SDAU), est
ainsi établi et adopté en 1986. Il vise à maîtriser le développement de
la ville de Ouagadougou jusqu'à l'horizon 2 000. De nouvelles limites
sont fixées. Elles englobent les quartiers spontanés périphériques dont
la plupart ne faisaient pas partie de la ville dans ses limites administratives de 1955, date de la création de la commune de Ouagadougou.
En 1984, la ville fut divisée en 30 secteurs géographiques, d'où la
dislocation des 66 quartiers, privant ainsi leurs chefferies de leurs
assises territoriales traditionnelles (Marie A, 1986).
À partir de 1984, les actions sont surtout centrées sur la politique de
l'habitat. Ainsi commencèrent des lotissements de grande envergure.
Pour aller vite, on appliqua ce qui fut appelé à l'époque « la méthode
d'aménagement progressif » (M.A.P).
Elle consiste à équiper progressivement les secteurs nouvellement
lotis : ouverture de voies d'accès, construction de drains principaux
pour l'évacuation des eaux pluviales, installation de bornes fontaines
et de postes d'eau autonome, électrification...
-84-
Villes du sud et environnement
Dans ce cadre, en 1984, l'objectif de procurer une parcelle de terrain
à usage d'habitation à tout ménage burkinabè s'est traduit par une
campagne de lotissement dans la périphérie de Ouagadougou : 65.000
parcelles de terrain couvrant une superficie de 3 000 hectares, furent
dégagées au profit des citadins. Elles sont essentiellement localisées
dans les anciennes zones occupées jadis par l'habitat spontané.
La plupart des bâtiments administratifs et commerciaux, établissements scolaires et structures sanitaires et des équipements de
production (eau, électricité, téléphone etc.) sont en grand nombre au
centre-ville, en dépit des efforts déployés pour équiper les secteurs
périphériques. L'aménagement spatial en cours souffre donc de
nombreuses insuffisances.
Pourtant, Ouagadougou se caractérise par son étendue : 19 272 ha.
(M.T.P.H.U, 1994), un faible pourcentage de construction et une
densité relativement faible (100 hab/ha). Cette situation entraîne
évidement l'installation de nombreux services infrastructuraux pour
peu d'habitants, c’est-à-dire, des coûts d'équipement particulièrement
élevés. Dans chaque secteur de la ville existe le plus souvent quelques
marchés, un certain nombre d'écoles primaires et secondaires, des
formations sanitaires, une salle de cinéma… On arrive ainsi à la
conclusion qu'en fait Ouagadougou malgré son extension récente
continue de diriger l'ensemble de la ville à partir d'un noyau initial
sans pouvoir conforter le reste.
Le grand projet « Ouaga 2 000 » (M.T.P.H.U, 1984) en cours
d'exécution à l'extrême sud de la ville, dans les secteurs 15,16 et 30
(figure 2), verra la naissance d'un deuxième pôle urbain qui
contribuera à atténuer le poids écrasant du centre-ville actuel.
Actuellement, près de la moitié des formations sanitaires, et des
établissements secondaires, et 40 pour cent des marchés urbains se
sont établis dans le centre-ville.
Une telle distribution des équipements urbains n'est acceptable que
dans la mesure où la ville est de petite dimension, les déplacements
entre le centre et la périphérie étant minimisés.
Mais l'extension de Ouagadougou entraîne une exagération des
distances entre le centre ville et la périphérie : 15 km de rayon
environ, distance trop grande pour être parcourue à pied, alors que les
transports en commun sont faiblement développés. Cette déficience
des transports publics explique le développement du transport
individuel. En revanche, ce serait le manque de moyens financiers qui
expliquerait le foisonnement des « deux roues » à Ouagadougou.
En outre, l'accroissement rapide de la population amène les citadins
à solliciter intensivement les mêmes équipements à l'intérieur d'une
-85-
zone limitée. Le centre ville est en mouvement continu : perpétuellement sollicitées, les infrastructures risquent de vieillir très
rapidement. Sans rayonnement positif sur l'ensemble de l'espace
urbain, son aire d'influence serait relativement restreinte.
Figure 2 : secteurs géographiques 89
Les équipements urbains
L'équipement de base fait défaut en périphérie : l'Office National des
Eaux et de l'Assainissement (ONEA) et la Société Nationale
d'Electricité du Burkina (SONABEL) y sont peu représentés. Cela se
traduit par des difficultés majeures d'approvisionnement en eau
potable et d'éclairage des populations résidentes. Les routes sont très
dégradées, rendant les transports en commun difficiles.
L'adduction d'eau
Le réseau d'eau potable de Ouagadougou, est celui de l'Office
National de l'Eau et de l'Assainissement (ONEA), mais il couvrait à
peine la moitié des besoins urbains en 1990. L'ONEA n'a pas encore pu
mettre en place un véritable réseau d'adduction d'eau en dehors de
quelques bornes fontaines, pompes manuelles et postes d'eau
-86-
Villes du sud et environnement
autonome implantés hâtivement pour faire face à une demande
pressante en eau des secteurs périphériques. Ouagadougou compte
environ 30.000 abonnées à l'eau et 400 bornes fontaines et postes d'eau
(forages).
Plus de 60 pour cent de ses équipements isolés sont concentrés au
centre ville. Dans les secteurs périphériques restructurés, les femmes
continuent donc de se diriger vers les puits traditionnels aux eaux de
qualité douteuse. Pour pallier ces insuffisances, le commerce d'eau est
effectué par des jeunes gens de quatorze à vingt ans. L'eau est vendue
de porte à porte à raison de 30 FCFA la barrique de 200l, lorsque l'eau
est abondante (juillet-janvier) et entre 200 et 500 FCFA en saison
sèche. Le service de ces nombreux revendeurs ravitaillait 37 pour cent
de la population (DGUT, 1994). Au regard des modes d'approvisionnement existants et surtout des coûts pratiqués, l'accessibilité à l'eau
demeure un problème préoccupant. Un branchement particulier de
5 m coûte 90 000 FCFA au consommateur depuis avril 1994, non
comprises l'avance sur consommation et la location du compteur. Tous
ces facteurs, expliquent en partie la tendance à la baisse de l’approvisionnement en eau potable de la capitale (tableau 3).
Tableau 3 : Évolution de la consommation d'eau potable à Ouagadougou
Nature
1992
1993
Écart (%)
Consommation totale (m3) 8 124 834
8 985 790
+11
Branchements privés (m3)
6 261 170
5 909 656
-6
281 181
195 509
-58
1 863 664
2 880 625
+55
- par habitant : 1/hab/j
29
26
-12
- par abonné : 1/hab.j
820
743
-10
- par borne fontaine : 1/hab.j
13580
20446
+51
- par poste d'eau autonome
27513
19130
-44
Poste d'eau autonome (PEA)
Bornes fontaines (m3)
Consommations spécifiques
Source : Rapport d'activités 1993/ONEA, juillet 1994
À la trame d'accueil du secteur 20 aménagé pour accueillir les
populations déguerpies du secteur 14, ancien quartier loti mais
insalubre, le problème d'eau est permanent. La distance empêchait le
-87-
raccordement au réseau d'eau de la ville car la pression eût été trop
faible à la trame. Les forages donnèrent peu de résultat, car la nappe
phréatique est pauvre (substratum cristallin granitisé).
Sur seize forages, six n'avaient pas d'eau et sur les 10 restants, 3
seulement avaient un débit suffisant (5 m3/heure et plus), pour être
équipés de postes autonomes dès février 1989 (Dimbarre C., 1990). En
1990, la situation s'est légèrement améliorée puisque 5 postes d'eau et
5 bornes fontaines ont été installés. La production d'eau potable est
cependant faible, à peine 13.000 m3 d'eau par an soit environ 1,5
l/jour/habitant. L'eau potable insuffisante, est complétée par celle des
puits ou des mares voisines. Ces quelques exemples illustrent le
dénuement des anciens quartiers d'habitat spontané et l'ampleur des
opérations d'équipement à entreprendre.
L’électricité
L'électricité paraît un luxe. Ouagadougou consomme près de 60 pour
cent de l'énergie nationale produite par la Société Nationale d’Électricité (SONABEL), cependant, le taux de desserte du réseau
électrique reste faible. La SONABEL semble hésiter devant des
opérations massives d'électrification à cause du faible pouvoir d'achat
de la population. Le coût élevé du KW/h (86 FCFA) et celui des installations domestiques (200.000 FCFA minimum) écartent beaucoup de
citadins. Sur un total de 86 497 abonnés en 1994, la part de
Ouagadougou représentait près de 45 pour cent, soit 37 pour cent des
ménages urbains. L'analyse des résultats de l'enquête prioritaire sur
les conditions de vie des ménages (INSD, 1996 b), a révélé que 68 pour
cent des ménages de Ouagadougou utilisent la lampe à pétrole comme
mode d'éclairage principal. Pour l'instant, l'alimentation électrique
d'envergure et de l'éclairage public se font attendre.
Les transports urbains
Les services de voirie et ceux de transport public présentent de
nombreuses défaillances. Les rues sont jonchées de détritus ; dès
l'hivernage, l'absence de caniveaux de drainage des eaux pluviales
provoque une rapide dégradation des voies à cause d'un intense
ruissellement. Aux secteurs 29 et 30, cette dégradation est si
importante que des espaces routiers sont interrompus par endroit. En
taxi ou en bus, les liaisons entre le centre-ville et la périphérie ne sont
guère aisées. Le bus dessert tous les secteurs de la ville, mais il s'agit
beaucoup plus d'une ligne de pénétration qu'un véritable réseau de bus
bien hiérarchisé à l'intérieur des secteurs.
-88-
Villes du sud et environnement
De ce fait, les déplacements intra-urbains s'opèrent péniblement,
malgré des coûts relativement acceptables (100 FCFA la course).
Quant aux taxis, ils n'ont d'existence que le nom : état mécanique
défectueux, lenteur exagérée, coût du transport fluctuant (150 à 500
FCfA la course) selon l'heure de la journée et la destination, et jamais
connu à l'avance. Au total, les anciens quartiers spontanés devenus
nouveaux secteurs restructurés attendent souvent un équipement
minimal. Le renforcement de leurs infrastructures serait un élément
important d'une politique de l'habitat qui toucherait « le plus grand
nombre ».
La gestion de l’environnement
L'évacuation des eaux usées et de ruissellement
Les interactions entre les établissements humains et leur environnement se manifestent particulièrement à travers l'évacuation des
eaux usées et de ruissellement. La rapide croissance urbaine de
Ouagadougou les nombreuses activités urbaines, entraînent le rejet
d'importantes quantités d'eaux usées par des canaux à ciel ouvert
dans des conditions dangereuses pour la santé.
Les eaux du canal du « Mogho-Naba » se jettent dans le barrage n° 2
qui communique avec le barrage n° 3. Ces deux barrages alimentent la
ville en eau potable.
En outre, les eaux des mares sont pauvres en poissons : seules
quelques espèces ont réussi à s'adapter au milieu : clarias, polyptères,
tilapias et les formes naines barbus… parce que leurs eaux sont
polluées.
Le réseau public de collecte des eaux usées est largement insuffisant.
En dehors des drains principaux, au centre ville, il n'en existe pas et
la périphérie en est dépourvu. Pourtant, c'est là que l'on observe les
fortes concentrations de population. Faute de voirie, ces canaux
reçoivent en plus des eaux usées ou de ruissellement, des détritus
divers qui achèvent de les remplir. L'Enquête Démographique de
1991, a révélé que 81 pour cent de la population des villes évacuaient
les eaux usées dans la rue.
En outre, le lessivage des murs construits en terre crue entraîne
dans les caniveaux une charge très élevée en sables et argiles qui les
obstruent. Les insectes vecteurs de maladies prolifèrent dans les
marigots et les caniveaux saturés et obstrués avec pour conséquence le
développement des maladies liées à l'insalubrité.
À l'intérieur des habitations, les installations d'évacuation des eaux
usées sont rares. La plupart du temps, quand elles existent, elles ont
-89-
été construites par le chef de ménage lui même. Il s'agit plutôt des
simples fosses que de véritables systèmes de « tout à l'égout ».
Rudimentaires, des fosses se remplissent vite, et il faut les vider
fréquemment. On attend alors le soir pour le faire. Les eaux sales sont
versées à ciel ouvert dans les caniveaux, sur la chaussée, dans la rue.
Les éclaboussements des véhicules, la divagation des animaux et
principalement des porcs, les jeux des enfants à demi-nu dans les rues
des quartiers traditionnels créent dans ces conditions, des risques de
contamination très grands. Malgré les interdictions et les mesures de
la municipalité, ces pratiques extrêmement dangereuses ne peuvent
cesser.
La pollution des eaux
Pourtant ces rejets polluent les canaux de surface. Les analyses
chimiques des eaux opérées aux barrages n°3 et de Loumbila sont
révélatrices d’une pollution permanente (Tableau 4).
Tableau 4 : Analyse chimique des eaux
Lac
Date
Ouaga n°3 Ouaga n°3 Loumbila
13/08/84
14/03/85
14/03/85
Ca++ ion calcium
16,9
10,1
9,7
Mn+++ ion manganèse
3,41
6
3,5
Na+ ion sodium
20,6
24,5
2,5
K+ ion potassium
19,9
20
7,5
Si+ ion silicium
0,19
-
-
HCO3 acide carbonique
122
91,5
55,6
6,6
5
5
CI- chlore
19
25,5
0,7
N03- ion nitrate
-
0,5
1,5
SO4-- sulfate
N.B. Ces ions sont exprimés en mg/l et les sommes en mili-équivalents Les analyses ont
été effectuées au CGR de Thonon les bains et au laboratoire d'hydrologie de l'université
Pierre et Marie Curie de Paris. (Travaux de Poda jean NOEL, hydrobiologiste CNRST).
Les eaux usées de Ouagadougou sont bicarbonatées sodiques, elles
sont donc conformes aux terrains cristallins caractéristiques du
Plateau Central. La très forte teneur en chlore (CL) et les différences
de concentrations ioniques entre les mesures de Ouaga n°3 le 13/08/84
-90-
Villes du sud et environnement
et le 14/03/85 sont liées aux variations saisonnières (dilution en
saisons des pluies -août- et forte évaporation en saison sèche -mars-).
Les concentrations ioniques élevées des eaux du barrage n°3 de
Ouagadougou comparativement à celles de Loumbila (tous les deux
barrages étant sur les mêmes terrains cristallins) traduisent
l'influence nette des rejets urbains sur les eaux des barrages n°1, 2 et
3 de Ouagadougou.
L'abondance de l'ion potassium (K+) renforce cette hypothèse. La
forte teneur en acide carbonique (HCO3) est un indice de l'influence
urbaine(UNESCO-MAB, 1985. La décomposition des matières
organiques charriées par les eaux de ruissellement en est la source. En
relation avec la pollution de l'atmosphère, il y a toutes sortes de
fumées qui se dégagent aussi bien des activités économiques que
domestiques. La combustion des produits pétroliers et des ordures
diverses riches en oxyde de carbone (CO) et en dioxide de carbone
(CO2), prouve qu'ils sont toxiques.
La destruction du couvert végétal
Le bois constitue la première source d'énergie des ménages
burkinabe. À Ouagadougou, le bois représente 76 pour cent des
dépenses énergétiques ; l'électricité, 0,5 pour cent, et le reste par les
produits pétroliers et le gaz. 3 pour cent seulement des ménages
urbains utilisent d'autres combustibles que le bois.
La consommation en bois par habitant et par jour était de l'ordre de
1,18 kg en 1990 soit une consommation journalière de 454.000 kg.
Aujourd'hui, ce volume doit être multiplié par deux, voire davantage.
La couverture de ces besoins entraîne la destruction annuelle de
14.000 ha de terrains surexploités et laissés à l'érosion autour de
Ouagadougou et de Bobo-Dioulasso.
La dégradation de plus de la moitié de ces terrains est due à l'approvisionnement de Ouagadougou en bois. Un million de m3 de bois
consommé aux environs de Ouagadougou correspond à une coupe à
blanc de 10.000 ha de savane.
On aboutit à un déséquilibre écologique marqué par une intense
érosion suite au déboisement intensif et à, la disparition progressive
de certaines espèces animales et végétales.
Le problème prend de l'ampleur à cause des dimensions
économiques du phénomène : le commerce du bois apporte quotidiennement plus de 4,5 millions de FCFA de contribution économique à la
ville.
L'influence du Ouagadougou s'exerce fortement sur ses alentours
-91-
immédiats (50 km) et même lointain. La dégradation progressive du
couvert végétal devient alors un problème préoccupant. Elle résulte
pour une bonne part des interférences des activités humaines sur la
couverture végétale de type savane, donc particulièrement sensible.
L'agriculture et l'élevage qui utilisent encore des méthodes traditionnelles d'exploitation contribuent pour beaucoup au déboisement et
à l'érosion. Une bonne partie des citadins mènent encore des activités
agricoles intenses autour de la ville. Mais les terres périphériques
jadis vouées à l'agriculture, sont de plus en plus occupées par l'habitat.
Les agriculteurs « urbains » doivent donc se déplacer toujours plus loin
pour trouver de nouvelles terres agricoles. Ce mouvement perpétuel a
abouti à des paysages dénudés parsemés d'arbres protégés aux
environs immédiats de Ouagadougou Butyrospernum parkii (karité),
Parkia biglobosa (néré) mais constamment exposés à l'érosion éolienne
et pluviale.
Les déchets solides
Historique de la gestion des déchets solides
La croissance de la ville de Ouagadougou a considérablement
perturbé le système ancien de gestion des ordures. Avant 1988, elle
relevait de la voirie ou services municipaux. L'agrandissement de
l'espace urbain et la production accrue de déchets divers, à cause de
l’augmentation rapide de population urbaine, ont vite débordé les
capacités de gestion de la voirie. Ainsi naissait l'Office National des
Services d'Entretien, de Nettoyage et d'Embellissement (ONASENE).
Par la suite, des structures administratives ont été créées en vue
d'une meilleure gestion de l'environnement : la direction de la
prévention des pollutions et des nuisances, la direction de l'éducation
pour la santé et l'assainissement enfin, la direction du contrôle des
maladies transmissibles.
Initialement, l'ONASENE avait le monopole de la gestion des
déchets solides municipaux. Mais très vite, il s'est vu débordé par les
prestations à honorer. Il devait donc recourir à des entreprises privées
auxquelles il rétrocédera une partie de ses activités.
Les intervenants actuels
À partir de 1990 les institutions privées intervenant dans le domaine
de l'assainissement se sont multipliées. Cinq des douze (12)
entreprises agréées par l'ONASENE sont fonctionnelles (Tableau 5).
L'ONASENE et la Division Économique relèvent du secteur public.
-92-
Villes du sud et environnement
Tableau 5 : État des ressources des services de gestion des déchets solides à
Ouagadougou
Intervenants
Nb
emp
Matériel
Modalités
État
Fréq
hebd
Q
hebd
m3
22
4 Tracteurs agricoles
Porte à porte
avec remorque
Amorti bacs
Pelles, Fourchettes
dépotoirs
sauvages
2
216
26
4 Multi-bennes
4 Bennes basculantes
1 Chargeuse
Pelles, Fourches
2
630
Mode
d’interv
Office National des
Services d'Entretien de
Nettoyage et
d’Embellissement
(ONASENE)
DIVISION
ECONOMIQUE
Service d'Entretien des
Locaux et Gazon
(SELG)
03
Service d'Entretien et
de Nettoyage (SENET)
09
Service Nouveau
(NOVA SERVICE)
68
1 Bâchée
2 Fourgonnettes
1 Bâchée
Pelles, Fourches
Bureau d'Entreprise des
Constructions et
07
d'Entretien des
Bâtiments (BECEB)
1 Bâchée
1 ISUZU TX
Pelles, Fourches
Express Précoopérative
du Faso (ECOFA)
1 Tracteur agricole
avec remorque
05
Mauvais
-
2
Bon
-
Bon
Porte à porte
2
48
-
Porte à porte
3
32
Bon
Porte à porte
2
42
Bon
Porte à porte
2
10
Source : CREPA, 1992.
Ces entreprises agréées interviennent surtout dans le centre-ville
avec des camions, camionnettes et tracteurs. À côté d'elles, cohabitent
des intervenants informels qui opèrent à l'aide de charrettes et
brouettes pour le ramassage des ordures. Ce secteur informel de
collecte des ordures s'occupe essentiellement de la pré-collecte au
niveau des ménages. Les déchets solides sont évacués des lieux de précollecte vers les dépotoirs sauvages (tas d'immondices), les bacs
publics. L'évacuation hors de la ville est le fait des services publics.
Mais valorisation des déchets dans l'agriculture va faire naître
d'autres agents d'évacuation.
-93-
L'analyse du tableau 5 montre que les services de ramassage des
ordures sont en nombre réduit et ne disposent que de moyens
matériels et humains limités. Il en résulte des insuffisances dans la
collecte des ordures (Figures 3 et 4) : seulement 33 pour cent des
déchets sont évacués hors de la ville (CREPA, 1992). La présence des
tas d'immondices ou des dépotoirs anarchiques principalement dans
les secteurs périphériques en est la cause, mais il ne faut pas perdre
de vue que les déchets évacués hors de la ville, sont souvent déversés
dans les champs péri-urbains à l'état brut. Il en est de meme des boues
de vidange.
Figure 3 : Ramassage des déchets
Le mode d'évacuation des ordures
Ouagadougou a produit en 1993 un volume de 172 350 tonnes de
déchets solides (DGUT, 1994), mais la couverture de collecte atteint à
peine 30 pour cent. La collecte et l'évacuation relèvent de la Division
économique du Haut Commissariat et de l'Office National des Services
d'Entretien, de Nettoyage et d'Embellissement (ONASEN) avec un
équipement sommaire. Le système repose sur 115 bacs disséminés
dans les secteurs, sept camions multibennes et de quelques bennes
tasseuses.
-94-
Villes du sud et environnement
Figure 4 : Gestion des déchets
L'Arrondissement de Baskuy a été privilégié dans les opérations de
collecte et de ramassage parce qu'il est le plus peuplé des cinq arrondissements qui composent la Commune de Ouagadougou. Il concentre
plus de 60 pour cent de la population urbaine.
Il existe un autre système appelé « système de tas au sol » dans les
secteurs périphériques qui consiste à rassembler les ordures en un lieu
donné par secteur pour faciliter la rotation des camions de ramassage.
Un tel équipement est nettement insuffisant pour couvrir les besoins
des 83 000 ménages urbains, de ce fait, ces deux structures sous
traitent l'activité avec les secteurs privé et informel. Le ramassage se
fait de porte à porte au moyen de petits engins motorisés ou de
charrettes tractées par des ânes.
Les données de l'Enquête Démographique de 1991 et de l'Enquête
Prioritaire 1993, ont montré qu'en milieu urbain, le mode d'évacuation
des ordures le plus fréquent est le débarras sur les tas d'immondices
ou dépotoirs anarchiques (Tableau 6). L'utilisation de la poubelle, du
bac ou de la décharge publique n'est pas encore ancrée dans les
habitudes des populations. Mais c'est sans doute parce que leur
nombre est insuffisant que les tas d'immondices prolifèrent. Comme le
révèlent certaines études, c'est faute de mieux que l'on se débarrasse
de ses ordures de façon anarchique (CREPA, 1993).
-95-
Ces ordures trouvent une utilité judicieuse auprès des populations
périphériques pour la fertilisation des champs de cultures périurbains ; les ordures y sont déversées par des camions bennes de six
m3 environ, à raison de 1 500 à 2 000 FCFA.
Ces prix sont pratiqués nettement avant la saison des pluies,
autrement, au début de l'hivernage, lorsque les activités champêtres
commencent, les prix fluctuent entre 2 000 et 3 500 FCFA.
Tableau 6 : Mode d’évacuation des ordures
Mode
d'évacuation
des ordures
ménagères
Poubelle
Immondice
Incinération
Fosse
Bac
Décharge
Autre
Total
Milieu de résidence 1991
Urbain
26,6
46,3
6,2
6,8
1,8
9,8
3,1
100
Rural
2,1
83,6
2,0
4,8
0,1
0,4
7,0
100
Milieu de résidence 1993
Burk Faso Ouaga/B
5,6
20,7
78,3
33,6
2,6
5,1
15,8
0,3
1,7
22,8
6,5
7,9
100
100
Urbain
15,4
50,3
15,8
22,8
7,9
100
Rural
1,9
67,7
8,5
4,8
13,7
100
Burk Faso
5,1
67,9
8,5
4,8
13,7
100
Source : INSD, 1995 et 1996.
Ce commerce relève aussi bien de particuliers que d'agents du
service public, chargés d'évacuer les ordures hors de la ville, et qui
profitent de cette situation pour se faire un peu d'argent lors de leur
multiple rotation.
L’agriculture urbaine et l’utilisation des ordures
La situation de l'agriculture urbaine
Sur le plan des activités, la ville de Ouagadougou se caractérise par
un secteur informel important (MEINE, 1986), mais les revenus des
populations sont en général bas. Le Salaire Minimum
Interprofessionnel Garanti (SMIG) de 24 918 FCFA en 1994 en est le
reflet. Beaucoup de citadins se trouvent dans ce cas dans une situation
précaire. L'une des réponses à cet état de fait, se traduit par le
développement d'une agriculture urbaine périphérique, source d'amélioration du revenu.
En même temps, cette agriculture contribue à l’absorption d'une
partie des déchets urbains. Ainsi, on pourrait parler d'une nouvelle
forme de gestion des ordures de la ville à la faveur de cette activité
-96-
Villes du sud et environnement
primaire. On y produit des céréales telles que le petit mil, le sorgho et
le maïs ; des légumineuses à l'exemple du haricot et des oléagineux
comme l'arachide. En outre, les cultures maraîchères occupent une
place importante parmi les activités de saison sèche. De là est né un
commerce actif aux mains des femmes. Ainsi, entre la ville et sa
périphérie se sont tissées des relations très étroites dans ce domaine
pour son approvisionnement en produits maraîchers.
La stratégie providentielle
L'évacuation des ordures par des particuliers se fait dans l'informel.
Un tas d'ordures est ramassé parce qu'on en a besoin quelque part. Or
ce tas est encombrant et gênant pour les populations surtout
riveraines du dépôt. Se débarrasser de ses ordures et évacuer les
dépôts est difficile compte tenu de la lenteur de la voirie et des coûts.
Les particuliers qui transportent les ordures vers les champs
soulagent les populations d'une nuisance et leur permettent
d'améliorer leur production.
L'utilisation des déchets apparaît comme une providence car les
populations n'ont souvent pas les moyens financiers suffisants pour
fertiliser leurs champs de culture à partir d'engrais chimiques
produits sur place ou importés.
La gestion des déchets dans un tel cycle est un fait du hasard et ses
implications premières sont bénéfiques. En voulant satisfaire des
besoins, à savoir ceux de l'assainissement de l'environnement
(évacuation des ordures) et de l'amélioration de la production, s'est
instaurée une forme particulière de gestion des ordures qui s'est
imposée à la population. L'utilisation des ordures dans les champs de
culture, est une valorisation des déchets, et elle améliore considérablement la production : les populations sont unanimes à le reconnaître.
On estime à plus du double la production sur une même superficie
après épandage des divers déchets. Vu sous cet angle, on peut donc
parler d'une stratégie providentielle, mais cela ne doit occulter l'effort
à poursuivre par les individus et la municipalité pour l'amélioration
constante de la qualité du cadre de vie.
Les conséquences de telles pratiques urbaines sur l'environnement et les hommes
Évacuer les ordures de la ville vers la périphérie est une nécessité.
Mais on se rend compte que pour les besoins de production, certains
dépotoirs anarchiques de la ville sont privilégiés à d'autres en raison
de la composition de leurs déchets (pouvoir fertilisant). Ainsi certains
quartiers sont mieux assainis que d'autres (Figures 2 et 3).
-97-
L'épandage des ordures dans les champs de culture ne répond à
aucune norme de l'assainissement et leur décomposition peut être
source de contamination des sols de façon irréversible. La manipulation de ces ordures se fait à mains nues donc sans aucune protection.
Dans ces conditions d'insalubrité totale, l'homme qui manipule ces
ordures peut développer certaines maladies telles que celles de la peau,
les parasitoses etc. Débarrasser les populations urbaines de leurs
ordures en vue d'améliorer leur environnement et les utiliser aussitôt à
l'état brut à des fins agricoles, n'est pas dénué de tout danger.
De plus, l'épandage des ordures dans les champs donne un nouveau
paysage qui se caractérise par la présence de morceaux de métaux et de
matières plastiques, de tessons de bouteille, éparpillés sur un vaste
espace. À plus ou moins brève échéance, ces espaces deviennent malsains
et incultes. Par ailleurs, travailler dans ces milieux n'est pas aisé,
l'individu étant exposé à des piqûres diverses pouvant favoriser le tétanos.
Conclusion
Les aspects que nous venons d'évoquer ne poussent pas à
l'optimisme. Les problèmes soulevés se ramènent presque tous à des
facteurs dynamiques (croissance démographique), qui, imbriqués à des
situations stagnantes comme la pauvreté urbaine, la reproduction des
modes de vie ruraux en milieu urbain (agriculture, consommation
d'énergie primaire) immobilisent les efforts de développement. Les
difficultés rencontrées semblent les conséquences de problèmes
majeurs qui se manifestent de cette manière dans le milieu urbain.
Comment résoudre l'extension spatiale urbaine, sans maîtriser la
croissance démographique rapide, et sans élever le niveau de vie ? Les
difficultés de la gestion urbaine liées à la pauvreté du pays et des
individus, rendent les mesures correctives aléatoires dans la préservation de l'environnement.
Pourtant, la question d'environnement, santé et développement
durable quel que soit le milieu considéré, et particulièrement le milieu
urbain, est une donnée fondamentale qui doit guider les programmes
et politiques de développement. Certains comportements des citadins
(pollution des eaux, insalubrité des habitations) sont liées à l'incapacité des pouvoirs publics d'asseoir une politique urbaine cohérente.
Ils aggravent ainsi le défaut d'infrastructures socio-collectives. Une
gestion saine de l'environnement devrait être perçue comme un moyen
de préserver le développement des villes et la santé des hommes. À ce
titre, l'implication de chaque individu dans la sauvegarde de l'environnement est indispensable pour offrir aux futures générations un
patrimoine sain et prospère.
-98-
Villes du sud et environnement
BIBLIOGRAPHIE
COMPAORE G., 1990 La rénovation des centres urbains : le cas de Ouagadougou « -maîtriser le
développement urbain en Afrique Subsaharienne » - (coll. intern.), Ouagadougou, 1er déc.1990.
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gestion des déchets solides. Projet pilote de Ouagadougou,Étude du milieu, Burkina Faso. 96P.
CREPA/RIF, 1993 Impact du projet de ramassage des ordures dans les quartiers de Wogodogo,
secteur 10 de Ouagadougou.Évaluation du projet pilote, sept octobre 1993
DIMBARRE C., 1990 La restructuration de la zone commerciale de Ouagadougou, université de
Bordeaux-III (mém. de maîtrise).
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LAFONTAINE S., 1990, La destruction d’un quartier populaire Oulandais : Étude du parcours des
familles déguerpis, Paris-Val-de-Marne (mém. maîtrise).
MARIE A. 1989 « Politique urbaine : une révolution au service de l’Etat », Politique africaine, n°33,
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MEINE P.D, 1986 Burkina Faso : le secteur informel à Ouagadougou. Harmattan. Villes et
Entreprises. 203p
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« Grand Ouaga », document optionnel, Ouagadougou.
ONEA, 1994 - Rapport d'activités, Ouagadougou.
UNESCO-MAB 11, 1985 Approche écologique pour l’amélioration de la planification urbaine en
Afrique en rapport avec la population : le cas de Ouagadougou, université de Ouagadougou, déc.
1985.Université de Ouagadougou
-99-
Travaux de la Société d’Écologie Humaine
c/o UMR 6578 du CNRS - Adaptabilité Humaine : Biologie et Culture
Université de la Méditerranée, Faculté de Médecine
27, boulevard Jean-Moulin, 13385 Marseille cedex 5
Directeur de la Publication : Nicole Vernazza-Licht
Déjà parus :
L’homme et le lac 1995
Impact de l’homme sur les milieux naturels : Perceptions et Mesures 1996
Cet ouvrage est issu, pour l’essentiel, des travaux présentés aux VIIIe journées scientifiques
de la Société d’Écologie Humaine (SEH), qui se sont tenues à Orléans en juin 1996.
Ces journées étaient organisées par :
- la Société d’Écologie Humaine
- l’équipe du DEA « Environnement, Temps, Espaces, Sociétés », Université d’Orléans
- l’UMR 6578 « Adaptabilité Humaine : Biologie et Culture », CNRS-Université de la
Méditerranée, Marseille
- le laboratoire Population-Environnement, Université de Provence/Orstom, Marseille
- le laboratoire ERMES, Orstom, Orléans
Il a bénéficié du soutien financier du département Environnement, Technologies et
Société de l’Université de Provence, Marseille
Dépôt légal : 4e trimestre 1998
ISBN : 2-9511840-2-6
ISSN : 1284-5590
Tous droits réservés pour tous pays
© Éditions de Bergier
476 chemin de Bergier, 06740 Châteauneuf de Grasse
[email protected]
VILLES DU SUD
ET
ENVIRONNEMENT
Éditeurs scientifiques
Daniel Bley, Jacques Champaud, Patrick Baudot,
Bernard Brun, Hélène Pagezy, Nicole Vernazza-Licht
1997
Gestion et pratiques des déchets
solides à Pondichéry.
Dynamiques et dégradations des
espaces en milieu urbain
Emmanuelle Philippot*
Depuis ces dernières décennies, les problèmes d'urbanisme ont
changé de dimension et singulièrement dans les pays du Sud. Il
convient comme dans le passé de pourvoir au bon fonctionnement de
la gestion des flux, de limiter la concentration et d'éviter les engorgements, mais le milieu urbain se constitue aujourd'hui de structures de
plus en plus complexes. Les nuisances et les pollutions environnementales liées au développement urbain et tout particulièrement dans les
pays en développement, alimentent tout un imaginaire de la ville en
visions dramatiques et désespérées. Il est vrai que la situation des
villes indiennes s'avère dans bien des cas très alarmante, à l'exemple
de ce que peut nous montrer la ville de Pondichéry, dans le sud de
l’Inde sur la côte du Comorandel. Aux lendemains de l'Indépendance,
Gandhi souhaitait fournir à la population de l'Inde un environnement
sain et voulait limiter le développement des villes, « lieu de désespérance et de perdition »(Ramachandra Guha, 1996). Or, les problèmes
de logement, d'alimentation en eau potable, d'évacuation des déchets,
de transport... n'ont fait qu'empirer depuis cette époque avec la
croissance de la population urbaine. En outre, la plupart des
mutations de la société indienne se réalisent en milieu urbain, lieu de
productivité, de dynamisme, lieu de circulation des flux financiers, des
personnes, des biens et des idées.
L'étude de cas menée à Pondichéry a permis de mettre en évidence
les disparités qui s'accroissent dans l'aménagement urbain. Certains
*ETES/ERMES,
Université d’Orléans/Orstom, Campus de la source, 45072 Orléans cedex02,France
-100-
Villes du sud et environnement
quartiers offrent à leurs habitants un niveau de services de plus en
plus proche de celui qu'ils pourraient trouver dans les villes occidentales ; d'autres n'ont même pas les équipements de base nécessaires.
Ainsi, l'inégalité en matière de production et de ramassage des déchets
ménagers montre la grande diversité sociale qui existe au sein de la
population. Ces disparités, de plus en plus visibles dans l'espace
urbain, font de ce dernier le révélateur des bouleversements sociaux
provoqués depuis quelques années par la croissance industrielle du
pays.
Spécificité de Pondichéry, ville capitale de l’Union du
Territoire de Pondichéry
Le passage en quelques décennies de la ville de Pondichéry, de
100 000 habitants, à une agglomération de plus de 600 000 habitants,
pose des difficultés aux planificateurs qui ont la lourde charge
d’équiper, sans grands moyens publics, une ville dont ils ne maîtrisent
pas le développement. Ainsi, la croissance démographique (croissance
naturelle et immigration pan-indienne) et l’expansion spatiale de
Pondichéry rendent de plus en plus problématiques le ramassage et le
traitement des déchets solides. En effet, les responsables locaux
doivent relever le défi des déchets, toujours plus nombreux et
demandant à être déposés toujours plus loin à la périphérie de l’espace
urbain car les marges de la ville s’étendent rapidement. La croissance
de Pondichéry selon un mode de développement anarchique se traduit
dans l’espace par une structure en mitage, par la présence de zones
d’habitations illégales et par l’insuffisance en matière d’équipement
urbain. En outre, le délicat problème de gestion du territoire trouve
son acuité dans le fait que Pondichéry se développe sur un site naturel
peu propice. La ville se situe sur la côte de Coromandel qui est d’une
manière générale peu hospitalière car basse, marécageuse et exposée
aux vents et à l’action marine. Derrière la ligne littorale se trouve un
cordon dunaire irrégulier qui abrite une légère dépression longitudinale composée de lagunes, de bras de cours et nappes phréatiques
saumâtres (Singaravelou M., 1993). La situation au-dessous du niveau
de la mer d’une partie de la ville a imposé des techniques particulières
pour permettre le développement urbain. Ainsi, avec la croissance de
Pondichéry dans l’espace, les zones de terrains humides ont été
drainées pour la construction de zones d’habitation.
Pondichéry, une « mosaïque urbaine » à habitat diversifié
Pondichéry est une ville-capitale, dont la situation géopolitique
privilégiée est le résultat d’une histoire originale (figure 1). Lorsque la
ville accède à l’indépendance en 1958, elle acquiert un nouveau statut
-101-
administratif qui lui permet de mener une politique fiscale préférentielle. La conjonction du développement industriel de Pondichéry et de
l’apparition de nouvelles couches sociales entraîne de profonds bouleversements. En effet, il existe à Pondichéry, comme dans la plupart
des cités indiennes, à la fois des monuments du passé et des images
urbaines plus modernes. Mais la particularité de la ville tient au fait
que ces deux types d’éléments cohabitent très peu sur le « même
territoire ». Dans cette ville hétérogène, vit une population pauvre et
nombreuse aux comportements marqués par les contraintes de survie,
et une classe moyenne au pouvoir d’achat en pleine croissance.
L’organisation spatiale de Pondichéry révèle deux dynamiques de
développement urbain. D’une part, il existe une périphérie en pleine
mutation, phagocytant les terres agricoles, repoussant toujours plus
loin les quartiers les plus précaires ou les intégrant dans un tissu
d’infrastructures modernes, à savoir, nouveaux quartiers résidentiels,
zones industrielles planifiées... D’autre part, le centre ancien est
caractérisé par la présence majoritaire de la fonction résidentielle et
des activités tertiaires : administrations, commerces et services divers.
Le nom de Pondichéry éveille l’imaginaire. Ancien comptoir, cette
ville évoque un doux rêve, une vieille image de la présence française
en Inde, pays souvent bien plus imaginé que vécu et vraiment connu.
Idéalisée, ignorée ou inconnue, pour celui qui la visite, Pondichéry ne
peut masquer ni les traces de son passé original, ni ses aspects
crasseux et miséreux propres à toutes les villes indiennes. Ou peutêtre pour celui qui limite sa visite aux quartiers de la ville blanche, la
perception est celle des larges rues agréables, nettoyées et où sentent
bon les bougainvilliers. L’historien Jacques Weber1 décrit la ville
blanche par ces quelques lignes : le long des rues, « tirées au cordeau
et plantées d’arbres des deux côtés, ce qui est d’un aspect charmant,
s’alignent, dans la ville blanche au moins, de somptueuses demeures
construites en briques et tuiles. Ses églises, ses bâtiments publics et
surtout son palais du gouverneur, construit entre 1738 et 1752, embellissent la cité (...) ». Cependant la route de notre visiteur ne devra pas
le conduire au petit matin aux abords de l’hôpital, où, au cœur même
de la ville, gisent des déchets fraîchement sortis de l’établissement de
soins. Enfin, son chemin devra s’arrêter au canal, véritable frontière
sociale et sanitaire, qui sépare la ville blanche de la ville noire. Passée
cette zone, toutes les nuisances, olfactives et esthétiques, se
multiplient. L’expansion urbaine amorcée dans les années soixante se
poursuit et modifie profondément l’aspect de Pondichéry ; elle est
confrontée aux problèmes généraux des villes indiennes comptant
plusieurs centaines de milliers d'habitants, avec partout un déficit en
terme d'équipements, d’emplois, de services, etc... Bref, portrait d'une
ville qui ne maîtrise pas ou peu la croissance. Est ainsi posée la
question de la gestion des déchets dans une telle hétérogénéité sociospatiale.
1Jacques
Weber est l’auteur d’une thèse en cinq volumes sur Les Établissements français en Inde au
XIXe siècle (1816-1914).
-102-
Villes du sud et environnement
Figure 1 : L’agglomération de Pondichéry
N
Université
État du Tamil Nadu
vers Madras
État du
Tamil Nadu
Auroville
Territoire de
Pondichéry
Baie de
Bengale
Centre historique dense
1 km
Autre forme d’urbanisation dense
Extension de la zone urbanisée
Axe de dévéloppement
urbain
Des espaces mal gérés
Il nous semble important de noter l’ancienneté de l’organisation de
la société hindoue à gérer ses déchets et de tout ce qui est considéré
comme impur. Or, le modèle de gestion de la propreté et de l’hygiène
urbaine est composé à partir du modèle villageois. Il n’y a donc pas de
mode de gestion spécifique au milieu urbain. Philippe Cadène (1992) a
-103-
décrit le modèle villageois de gestion des déchets qui ne produit pas de
résidus. Les déchets sont recyclés au sein d’une économie rurale
n’utilisant que des produits périssables. L’auteur précise que « La
saleté des villes indiennes sur laquelle bien des Occidentaux mettent
l’accent provient ainsi de la dégradation du modèle villageois qui
subsiste dans les villes en dépit de leur croissance rapide. » Ainsi selon
lui, le manque d’hygiène est lié au processus de dégradation du modèle
villageois, accentué à mesure de la croissance des agglomérations. Il
ne fait aucun doute que l’étirement dans l’espace des habitations
augmente les distances entre les lieux de collectes et les lieux de
dépôts des déchets.
À Pondichéry, la municipalité a la charge de la collecte, du transport
et de l’élimination des déchets ménagers. Selon une estimation des
services des déchets, les habitants produisent plus de 240 tonnes de
déchets solides quotidiennement, soit 0.4kg par personne et par jour
environ. Les déchets sont entreposés dans les poubelles installées dans
les différentes rues de la ville. Les quartiers pauvres ne sont pas aussi
bien desservis que les quartiers où vit une population plus aisée. Les
quartiers installés de façon irrégulière ne font pas l’objet d’un
ramassage des ordures ménagères. D’après un article paru dans
Urban Affairs Quaterly (1991), 30 % des habitants des villes indiennes
ne seraient pas desservis par le ramassage des ordures. Les raisons
données sont l’inaccessibilité des rues pour les équipements de la
municipalité, la prolifération rapide de quartiers irréguliers, le
manque d’équipement et de personnel. Dans de nombreux points de la
ville, les aires de dépôts de déchets se transforment en aires d’accumulation. Des terrains vagues et des bassins se remplissent d’immondices.
Une partie des déchets produits est immédiatement récupérée par
les street pickers. Il nous est impossible d’évaluer la quantité de ces
déchets qui rentrent dans le système informel. Nous pouvons
cependant tenter une approximation grossière en nous basant sur une
étude réalisée à Bangalore en 1994 (Baud, Schenk,1994). La
composition initiale des poubelles municipales comprend 8 % de
papier, 6 % de plastique, 6 % de verre et 3 % de métal. Lors de la
collecte municipale, la composition a changé avec 4 % de papier, 2 % de
plastique, 1 % de verre et une quantité insignifiante de métal. La part
des déchets solides récupérés est d'environ 15 % et, pour ce qui
concerne les déchets hospitaliers, la récupération est de l’ordre de
35 %. Ces chiffres montrent que le marché informel des ordures n’est
pas insignifiant.
5Urban
6Baud
Affairs Quarterly, 1991.
I. & Schenk H., 1994.
-104-
Villes du sud et environnement
Le secteur informel du recyclage, des roupies sous les ordures...
(figure 2)
Waste collectors, rag pickers, waste pickers, refuse workers ... sont les
différents noms donnés à toutes ces personnes, hommes, femmes et
enfants qui vivent des ordures. Les pickers participent avec la municipalité au nettoyage de la ville. On peut même parler de relais informel
à la collecte des ordures ménagères. En outre, ils font ce que les agents
gouvernementaux n’ont pas fait jusqu’ici en réussissant à créer toute
une chaîne d’activité basée sur le recyclage. Ces gens font partie de
l’énorme armée de pauvres urbains en Inde, qui doivent prendre ou
créer leurs propres opportunités pour survivre.
Les pickers ont un statut social évidemment très bas. Ils sont sales,
ils travaillent sur la voie publique et ils sont constamment en contact
avec des matériaux dégradants ou impurs. En effet, la voie publique,
lieu de passage de tout type de caste, est considérée comme impure
dans le système symbolique hindou. En outre, trier les déchets, c’est
accepter de manipuler des détritus qui ont fatalement été touchés par
des gens impurs. Les pickers exercent donc une profession très
dégradante qui les place aux marges de la société. Ainsi, tout contact
avec les cadavres, les cheveux, les ongles, les déchets, le sang
menstruel est un grave facteur de pollution. Aussi, ces gens appartiennent essentiellement aux basses castes2 jati, couramment connues
sous le terme d’intouchables ou Harijans, les enfants de Dieu. Dans le
système symbolique hindou, le niveau de pureté est lié à l’activité. Le
terme d’intouchable tend à être éliminé de la terminologie courante,
car il est fort dépréciatif, et paraît un peu obsolète dans une Inde où
les nombreuses possibilités de contacts urbains relativisent certaines
pratiques liées à l’intouchabilité dans la société villageoise.
En récupérant et en triant dans les déchets, les pickers parviennent
à redonner une valeur économique à des détritus qui n’en avaient plus
pour son utilisateur. En plus de recréation d'une valeur marchande, ils
débarrassent une partie des détritus issus des poubelles ou des tas
d’ordures qui auraient dû être enlevés par la collectivité. Ainsi, le
pourcentage de déchets prélevés par les pickers, aussi minime soit-il,
évite un coût supplémentaire pour la municipalité. La part des déchets
qui est ainsi recyclée n’est pas bien connue. D’après l’étude menée par
l’université d’Amsterdam les 20 à 30 000 waste pickers de Bangalore,
ramassent chacun de 12 à 15 kg de déchets par jour. La collecte est
essentiellement revendue le jour même à des grossistes pour un
montant s’élevant entre 15 et 20 roupies par personne, soit trois à
quatre francs. Ce sont les acheteurs-grossistes, bien implantés dans le
réseau du recyclage, qui tirent l’essentiel des profits de ce type de
transactions informelles. Ceux qui achètent aux pickers sont généralement spécialisés dans un type de déchet : soit dans le verre, soit dans
2 Le terme de caste ne vient d’aucune langue indienne ; ce sont les Portugais qui ont nommé ainsi les
différents groupes que forment la société. Il est donc préférable d’employer le mot jati, qui lui vient
du sanskrit et signifie, race, espèce, genre ou type.
-105-
la ferraille, soit dans le papier, etc. Ce genre de commerce s’effectue au
niveau local mais certains grossistes importants traitent directement
avec des entreprises au niveau régional, voire national (voir le schéma
de l’organisation des ordures ménagères).
Néanmoins le recyclage connaît des limites ; tous les déchets ne
peuvent être réutilisés sans risques. Les déchets hospitaliers sont ici
présentés comme une illustration des limites du recyclage.
Figure 2 : schéma du fonctionnement global des déchets. Des roupies sous les ordures
Ménages
Commerces Industries
Institutions
PRODUCTEURS DE DÉCHETS
Déchets déposés dans la rue
ACTIVITÉS DU
SECTEUR INFORMEL
ACTIVITÉS DU
SECTEUR FORMEL
Streetpickers
Collecte
Éboueurs
Revendeurs
Transport
Dumppickers
DÉCHARGE
COMPOST
Grossistes
RECYCLAGE
CONSOMMATEURS
La collecte des déchets hospitaliers, déchets à risques3
Parmi les déchets produits par les institutions, les déchets solides
hospitaliers doivent faire l’objet d’une attention particulière. Il est
indispensable d’aborder ce type de déchets dits à risques dans la
mesure où, dans la plupart des villes indiennes, ils ne sont ni triés, ni
incinérés, et sont dès lors mélangés aux autres déchets domestiques.
3Déchets
à risques : déchets justifiant une procédure d’élimination particulière, qui augmente par làmême le coût d’élimination des déchets
-106-
Villes du sud et environnement
Tous ces déchets sont ensuite pris en charge par les services de la
mairie. Une telle situation s’avère dangereuse aussi bien pour les
populations séjournant ou travaillant au sein de l’hôpital, que pour les
employés chargés de les évacuer, et que pour l’environnement général.
En effet, lieu d’accueil de personnes affaiblies par la maladie, l’hôpital
constitue un milieu fragile où l’hygiène doit être une préoccupation
constante. Ce type de déchets doit donc faire l’objet d’une vigilance
spécifique dès sa production et jusqu’à son élimination finale. Or, les
précautions à prendre sont souvent mal perçues en raison de la méconnaissance des risques qui peuvent survenir au cours de leur
élimination.
À Pondichéry, les services municipaux sont responsables de la
collecte des déchets issus des cliniques et établissements sanitaires
privés ; en outre, les établissements sanitaires publics prennent en
charge, en théorie, l’élimination de leurs déchets. La méthode adoptée
la plus simple et la plus explicite pour apprécier cette organisation a
été de nous placer devant les différents établissements de soin de la
ville, en général vers dix heures du matin, et d’observer. Les entretiens
avec les responsables concernés apportent bien souvent de maigres
informations, car rares sont ceux qui dénoncent les problèmes. Au sein
de certains établissements privés, les déchets spécifiques sont triés et
emballés dans des sacs plastiques pour éviter tout contact ultérieur.
Les éboueurs, en les collectant, les mélangent au reste de leur
chargement constitué d’ordures ménagères et le tri préalablement
effectué devient inutile. En ce qui concerne les établissements publics,
la situation semble tout aussi critique. Des incinérateurs sont en
principe présents au sein des établissements de soin afin que les
déchets puissent être brûlés. En fait, l’absence ou le mauvais fonctionnement de l’incinérateur contraint les employés sanitaires à jeter tous
les types de déchets issus de l’hôpital directement dans la rue. Ainsi
gît, dans la rue, une grande variété de déchets : emballages, bandages,
sondes, aiguilles, seringues, bocaux en verre et en plastique, tissus,
sang... Une fois déposés dans la rue, les déchets font l’objet de toute
une activité informelle.
L’étude menée à Bangalore révèle que les hôpitaux de la ville
génèrent 1400 kilogrammes de déchets par jour. Sur les soixantequatre établissements de soins (cinquante privés et quatorze publics),
seulement vingt-cinq séparent les déchets spécifiques des déchets
domestiques. L’étude montre donc clairement que la plupart des
hôpitaux n’ont aucune politique de gestion de leurs déchets et elle
dénonce le manque de connaissances de la part du personnel
hospitalier sur les dangers que peut représenter ce type de déchets.
Étant donné l’absence d’infrastructures disponibles à Bangalore
pour l’élimination des déchets, les responsables sanitaires adoptent
-107-
différentes méthodes. Les deux tiers des déchets hospitaliers rentrent
dans le cycle des déchets domestiques et sont donc pris en charge par
la municipalité. Environ trente-cinq pour-cent des déchets déposés,
principalement des déchets dégradables et du matériel biologique,
sont récupérés par les pickers. Les bandages, les pansements usagés,
et les seringues sont ainsi collectés. Ces déchets sont nettoyés,
remballés et revendus sur le marché !
Dans un contexte de forte croissance démographique dans les villes
des pays du Sud, la présence des déchets et la volonté de « contenir la
marée des déchets » suscite l’intérêt depuis ces dernières années. Il
s’agit là d’un véritable défi à relever ; la conjonction de l’inefficacité du
ramassage des ordures et des fortes densités humaines accentue
l’insalubrité en milieu urbain et représente un facteur de risque pour
la santé de la population. Avec l’industrialisation, l’urbanisation et la
transformation des modes de vie qui lui sont liées, les déchets produits
par l’activité humaine changent en qualité et en quantité. Le volume
des ordures augmente et les déchets sont de moins en moins composés
de matières dégradables. Les déchets ont des implications directes sur
le milieu. L’étude des déchets et la constatation des manques en
matière « d’hygiène collective », permettent de souligner que les
problèmes de santé rencontrés en milieu urbain, sont plus des
problèmes sociaux que des problèmes médicaux (Salem, 1994).
L’image des villes indiennes particulièrement sales véhiculée par les
visiteurs occidentaux s’est avérée totalement fondée lors du
dramatique épisode de l’épidémie de peste à Surat en 1992. Cet
événement que l’on peut qualifier de crise urbaine révèle que la
situation est grave dans la plupart des villes indiennes et notamment,
dans les communautés pauvres, qui sont particulièrement
vulnérables.
BIBLIOGRAPHIE
BAUD I., SCHENK H., 1994, Solid waste management, Modes, Assesments, Appraisals and linkages
in Bangalore, Manohar, New Delhi, 168p.
CADENE P., 1992, « La mise au propre des villes indiennes », in Annales de la Recherche urbaine.
RAMACHANDRA GUHA, 1996, « Le mahatma Gandhi et le mouvement écologique en Inde »,
Écologie et Politique, à paraître.
SALEM G., 1994, Urbanisation et santé en Afrique de l’Ouest, Géographie d’un petit espace dense :
Pikine (Sénégal), habilitation à diriger des recherches, Montpellier, non publié.
SINGARAVELOU M., 1993, « La côte de Coromandel », p.31, in, VINCENT R., (sous la dir.), 1993,
Pondichéry 1674-1761, l'échec d'un rêve d'empire, Série Mémoires, coll. Autrement, Paris, 262p.
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Villes du sud et environnement
Urban Affairs Quarterly, vol XXIII, jan-march 1991, n°1, Center for Urban Studies, Indian Institute
of public Administration, pp.1à16, p.3
WEBER J., 1988, Les Établissements français en Inde au XIXe siècle (1816-1914), Librairie de l’Inde,
Paris, 5 vol.
WEBER J., 1996, Pondichéry et les comptoirs de l’Inde après Duplex, la démocratie au pays des castes,
Denoël, Paris, 447p.
Un espace mal géré
Insuffisance du nombre de poubelles et insuffisance
du rythme de la collecte des déchets
Dans les quartiers où la collecte des déchets est inexistante, les populations
sont contraintes de jeter les déchets dans le canal ou derrière les maisons
Les ordures gênent l’écoulement de l’eau du canal
-109-
Le caniveau a été nettoyé mais les
résidus ne sont jamais ramassés
Travaux de la Société d’Écologie Humaine
c/o UMR 6578 du CNRS - Adaptabilité Humaine : Biologie et Culture
Université de la Méditerranée, Faculté de Médecine
27, boulevard Jean-Moulin, 13385 Marseille cedex 5
Directeur de la Publication : Nicole Vernazza-Licht
Déjà parus :
L’homme et le lac 1995
Impact de l’homme sur les milieux naturels : Perceptions et Mesures 1996
Cet ouvrage est issu, pour l’essentiel, des travaux présentés aux VIIIe journées scientifiques
de la Société d’Écologie Humaine (SEH), qui se sont tenues à Orléans en juin 1996.
Ces journées étaient organisées par :
- la Société d’Écologie Humaine
- l’équipe du DEA « Environnement, Temps, Espaces, Sociétés », Université d’Orléans
- l’UMR 6578 « Adaptabilité Humaine : Biologie et Culture », CNRS-Université de la
Méditerranée, Marseille
- le laboratoire Population-Environnement, Université de Provence/Orstom, Marseille
- le laboratoire ERMES, Orstom, Orléans
Il a bénéficié du soutien financier du département Environnement, Technologies et
Société de l’Université de Provence, Marseille
Dépôt légal : 4e trimestre 1998
ISBN : 2-9511840-2-6
ISSN : 1284-5590
Tous droits réservés pour tous pays
© Éditions de Bergier
476 chemin de Bergier, 06740 Châteauneuf de Grasse
[email protected]
VILLES DU SUD
ET
ENVIRONNEMENT
Éditeurs scientifiques
Daniel Bley, Jacques Champaud, Patrick Baudot,
Bernard Brun, Hélène Pagezy, Nicole Vernazza-Licht
1997
Apport des systèmes d’information
géographique dans l’analyse des
risques d’inondation et de glissement
de terrain à Yaoundé1
René-Joly Assako Assako*
Une politique d'aménagement urbain soucieuse de préserver les
milieux naturels tout en assurant aux populations les meilleures
conditions résidentielles, est un processus intégré et systémique. En ce
sens, elle doit tenir compte de tous les paramètres de fonctionnement
et de protection de l'espace, alternativement considéré comme support,
objet et enjeu de l'action humaine. L'information nécessaire à un tel
processus présente des exigences de quantité, de qualité, de diversité
et de précision. Ces exigences sont, comme le montre C. Collet (1996),
le propre de l’analyse spatiale. En effet, celle-ci s’intéresse à éclairer
l’organisation des objets dans l’espace en prenant en compte leurs
caractéristiques et leur dynamique. Les objets spatiaux sont donc
appréhendés dans leur triple dimension spatiale, thématique et
temporelle.
Pour répondre à de telles exigences, la gestion manuelle de l'information spatiale devient vite lourde, voire même impossible ; elle
aboutit à la production de documents largement en retard sur la
réalité qu'ils sont censés prévoir. La plupart des villes en développement en sont à ce stade. Les systèmes d'information géographique
(SIG) par contre permettent d’accroître l’efficacité du rendu informatif
(Assako, 1995-b) et la portée préventive des documents d'aménagement. Utilisant ces nouveaux outils de l'analyse spatiale, la présente
analyse vise à produire des documents pouvant servir de support à une
orientation de l'aménagement urbain qui intègre la prévention des
risques naturels : érosion, glissements de terrain et inondations
* Institut de Géographie, Université de Fribourg Pérolles, 1700 Fribourg - Suisse.
1Les
traitements dont les résultats sont présentés dans le présent article ont été effectués au
Laboratoire de Géomatique de l'Institut de Géographie de l'Université de Fribourg (IGUF) sous la
direction de Dr. C. Collet, dans le cadre d'un stage post-doctoral financé par AUPELF-UREF.
-110-
Villes du Sud et environnement
notamment. Une telle approche présente un grand intérêt pour la ville
de Yaoundé où une urbanisation rapide, anarchique et non maîtrisée
se développe sur un site collinaire particulièrement sensible.
Yaoundé : un site de collines abondamment arrosé
Un relief accidenté
Yaoundé se développe dans un site collinaire, sur un plateau d’une
altitude moyenne de 760 mètres, profondément entaillé par un réseau
hydrographique dense (Franqueville A., 1984). Trois unités morphologiques se partagent ainsi le site urbain : les sommets d’interfluves, les
pentes et les fonds de vallées inondables.
Les hauts reliefs forment une ligne qui cerne la ville dans sa partie
nord-ouest et influencent l'orientation de l'urbanisation de deux
manières. Par leur présence, ils constituent une véritable barrière à
l'avancée du front urbain. L'obstacle qu'ils opposent à l'implantation
urbaine se traduit par une augmentation des pressions foncières dans
les zones plus facilement urbanisables. Cependant, ces hauts reliefs ne
sont pas partout totalement inhospitaliers. Il reste en effet certaines
zones intra ou péri-montagneuses où le risque d'une densification
urbaine démesurée est bien présent, la disponibilité du terrain,
constructible ou non, étant le seul moteur de l'urbanisation. C'est
notamment le cas des quartiers Carrière et Etoug-ébé.
Les zones de forte pente posent le problème de l'instabilité des
terrains. Constituées de sols ferralitiques, elles sont l'objet d'une
érosion de grande ampleur qui se transforme souvent en de véritables
glissements de terrain. Ces mouvements de terrain se trouvent
aggravés par l'action humaine qui, décapant le couvert végétal, accroît
le ruissellement diffus.
Les vallées occupent près de 20 % de la superficie totale de Yaoundé
et, reliées bout à bout, elles formeraient un couloir de 30 km de long
sur 20 km de large, soit 600 km2. Ces zones présentent une
consistance pédologique quasi nulle. Elles sont constituées de sols
hydromorphes retenant jusqu'à 45 g d’eau pour 100 g de terrain. Leur
urbanisation nécessite des aménagements particulièrement coûteux :
remblais, construction des murs de protection des berges, etc.
Un climat pluvieux
Située au 3°50 N et 11°E, à environ 200 km de la côte atlantique,
Yaoundé connaît un climat équatorial nuancé par l’altitude et la continentalité. Comme on le voit sur le diagramme ombrométrique (figure
1), ce climat généralement pluvieux (1600 mm d’eau par an) est
caractérisé par quatre saisons bien tranchées (tableau 1). Pendant les
-111-
deux saisons des pluies et plus encore pendant la grande saison des
pluies (de Septembre à Novembre), les précipitations, du fait de leur
fréquence, de leur abondance et de leur brutalité, provoquent des
inondations aussi dramatiques que régulières.
Tableau 1. Répartition annuelle des saisons à Yaoundé
Saisons
Périodes
Petite saison de pluies
Mars
Juin
Petite saison sèche
Juillet
Août
Grande saison des pluies
Septembre
Novembre
Grande saison sèche
Décembre
Février
Figure 1. Répartition mensuelle des précipitations à Yaoundé
Mois
Une forte croissance démographique
Les figures 2a et 2b rendent bien compte de la croissance démographique de Yaoundé. La première (2a) montre l'évolution des effectifs
de population. Ainsi voit-on que de 200000 habitants en 1950, la
population de Yaoundé avait dépassé un million d'habitants au début
des années 1990. C'est le résultat d'un taux de croissance qui, malgré
sa tendance actuelle à la baisse, est demeuré élevé et soutenu autour
de 7 % sur des décennies successives (2b).
Les flux migratoires, qui constituent l'élément explicatif principal de
cette évolution des effectifs de population et du taux de croissance
démographique, drainent surtout des populations à faibles revenus.
-112-
Villes du Sud et environnement
Figure 2. Évolution des données démographiques à Yaoundé
2a-Effectifs de population de Yaoundé
2b-Taux de croissance démographique par décennie.
Celles-ci s'entassent dans des quartiers populaires, espaces nullement
aménagés pour recevoir une forte densité de population.
-113-
Une urbanisation non maîtrisée
La rapidité de la croissance démographique et la faiblesse de la
législation en matière d'occupation du sol urbain entraînent une
urbanisation essentiellement anarchique et précaire. Celle-ci se
développe surtout dans des zones à risques, peu sollicitées par
l'urbanisme réglementaire : fortes pentes exposées à l'érosion et aux
glissements de terrain, vallées marécageuses, localement appelées
élobi. Ces zones naturellement inadaptées à une urbanisation dense
ne reçoivent souvent aucun aménagement leur permettant de résister
à la forte pression humaine dont elles sont l'objet (Assako, 1996). Il en
résulte de graves conséquences responsables de la dégradation de la
qualité de l'habitat : urbanisation horizontale entraînant une
dégradation du couvert végétal, pollution des eaux, développement de
toute une série de maladies liées à l'eau, dommages matériels et
humains à l'occasion des réguliers inondations et glissements de
terrain, permanence de l'érosion hydrique.
Les sources de données utilisées
Nous avons basé l'analyse par SIG de l'érosion et des glissements de
terrain sur trois couches d'information spatiale : l'altitude, le réseau
hydrographique et la couverture végétale de la région urbaine de
Yaoundé. Pour ce faire, deux sources d'information ont été utilisées.
La première est une carte topographique. Celle-ci présente trois
avantages majeurs : échelle assez grande (1/10.000), grande lisibilité
des courbes de niveau à équidistance de 5 mètres et périmètre
suffisant pour couvrir toute la région urbaine. La deuxième est une
image satellitaire SPOT-XS (K = 85 ; J = 342) du 07 février 1992. Elle
présente aussi plusieurs avantages : résolution spatiale acceptable
pour une étude urbaine (20 m), enregistrement à une période intéressante pour le suivi de la biomasse en zone urbaine (fin de la grande
saison sèche et début de la petite saison des pluies).
Ces deux sources de données (cartographique et satellitaire) ont été
intégrées dans un système géoréférencé qui en a facilité l'exploitation,
chacune permettant de traiter un aspect de la problématique. Les
données topographiques ont servi à l'extraction de l'information altitudinale alors que l'image satellitaire a permis d'analyser la couverture
du sol. La méthode générale d'exploitation de ces sources d'information est présentée à la figure 3.
Traitements et résultats
Analyse des risques d'inondation
L'analyse des risques d'inondation s'est basée sur deux critères
principaux : l'altitude et la distance linéaire des zones bâties par
rapport aux cours d'eau.
-114-
Villes du Sud et environnement
Tableau 2. Traduction des classes d'altitude en degrés de risque d'inondation
Classe d'altitude Codification du
(en m)
risque d'inondation
Désignation/
appréciation
> 900
1
Risque très faible
752 - 900
2
Risque faible
727 - 751
3
Risque moyen
< 727
4
Risque très élevé
Figure 3. Méthode suivie pour l’identification des zones à risques d’inondation,
d’érosion et de glissements de terrain à Yaoundé
Géoréférence
-115-
Différentes méthodes d'interpolation appliquées sur les courbes de
niveau ont permis de réaliser un modèle numérique d'altitude (MNA)
sur la base duquel nous avons obtenu quatre classes d'altitude (figure
4). Ces classes d'altitude ont ensuite été traduites en degrés de risque
d'inondation, l'hypothèse retenue étant que le risque d'inondation est
inversement proportionnel à la valeur d'altitude. Autrement dit, nous
avons considéré que plus un terrain est bas et plus il est inondable. Le
tableau 2 explique la codification utilisée.
Figure 4. Altitudes
En retenant ce critère, on s'aperçoit que les zones les plus exposées
au risque d'inondation sont également celles qui sont actuellement
-116-
Villes du Sud et environnement
densément urbanisées. Le risque le plus élevé concerne les vallées,
surtout dans la partie australe de la ville, là où l'altitude tombe en
deçà de 727 mètres. Les zones les moins exposées aux inondations sont
les hauts reliefs constituant la chaîne montagneuse qui cerne la ville
dans sa partie nord-ouest (à partir de 900 mètres). Y échappent aussi
d'autres sommets moyens en plein milieu urbain.
Ce critère d'altitude a été complété par la distance des zones bâties
par rapport au lit des cours d'eau. Faute d'informations complémentaires, nous avons retenu la distance linéaire, en supposant notre
espace isotrope, c'est-à-dire sans contrainte directionnelle. Il est vrai
que ce modèle n'est pas la traduction exacte de la réalité. Mais il donne
une information intéressante dans un processus de simulation de la
dynamique spatiale.
Ainsi, en prenant appui sur le réseau hydrographique et grâce à une
solide connaissance du terrain, nous avons défini trois classes de
proximité par rapport aux cours d'eau. Et, comme pour les classes
d'altitude, nous avons traduit les classes de distance en degrés de
risque d'inondation, étant entendu qu'une zone est d'autant plus
exposée aux inondations qu'elle proche de la rivière (Tableau 3).
Tableau 3. Traduction des classes de proximité en degrés de risque d'inondation
Classe de
proximité(en m)
Codification du
risque d'inondation
Désignation/
appréciation
> 200
1
Risque faible
50 - 200
2
Risque moyen
< 50
3
Risque très élevé
La figure 5 qui représente ces classes de proximité montre une
réalité évolutive des risques d'inondation. De façon générale, ce sont
les vallées qui sont exposées aux inondations. Cependant, les talwegs
sont naturellement plus exposés que les versants.
Pour apprécier les risques d'inondation de façon plus globale, nous
avons croisé l'information altitudinale et la proximité des espaces aux
tracés des cours d'eau. Le résultat de ce croisement est donné à la
figure 6. Les hauts reliefs, notamment les sommets d'interfluves ne
présentent aucun risque d'inondation. Ce risque, présent dans toutes
les vallées suit la configuration du relief. Il est plus élevé au centre et
dans la partie sud de la ville où l'on rencontre les altitudes les plus
basses de tout le site urbain. D'autre part, il s'amenuise à mesure
qu'on s'éloigne des talwegs.
-117-
Analyse des risques d'érosion et de glissement de terrain
L'analyse des risques d'érosion et de glissement de terrain s'est
basée sur deux couches d'information spatiale : la pente (dérivée de
l'altitude) et la couverture du sol, à travers un indice de biomasse. La
première est donnée par la carte topographique et la deuxième par
l'image satellitaire, après que les deux aient été ramenées à un seul
système de référence spatiale.
S'agissant de la pente, nous avons estimé qu'un terrain est d'autant
plus exposé à l'érosion qu'il est pentu. Ainsi, comme dans les cas
précédents, nous avons traduit les classes de pentes de la figure 7 en
degrés de risque d'érosion et de glissement de terrain (Tableau 4).
Tableau 4. Traduction des classes de pente en degrés de risque d'érosion
Classe de pente
(en %)
Codification du
risque d'inondation
Désignation/
appréciation
< 10
1
Risque faible
10 - 25
2
Risque moyen
> 25
3
Risque très élevé
Le critère de pente a été pondéré par la couverture du sol. Car, s'il
est vrai que le degré d'érosivité du sol est fonction de la pente, il est
aussi à noter que cette érosion ne produit pas les mêmes effets ou n'a
pas la même puissance selon que le sol est couvert (de végétation) ou
non. L'information relative à la couverture du sol a été obtenue par
l'indice de végétation normalisé (Figure 8). On s'aperçoit ainsi que les
zones les plus couvertes se trouvent à la périphérie de la ville et plus
encore dans la partie nord-ouest dont nous avons dit qu'elle porte les
plus hauts reliefs de tout le site urbain. On remarque aussi la présence
de la végétation sous forme de lanières, à la faveur des multiples
vallées intra-urbaines. On voit également les zones mixtes, celles où la
dégradation du couvert végétal est effective, compte tenu de l'avancée
du front d'urbanisation.
Le croisement de ces deux paramètres donne une vision plus globale
des risques d'érosion et de glissements de terrain à Yaoundé. On
s'aperçoit que les zones de plus fortes pentes sont aussi les plus
exposées. Si la pondération par la couverture du sol semble ne pas
avoir joué ici, c'est probablement compte tenu des faibles valeurs de
l'indice de végétation. En effet, comme nous le signalions plus haut,
-118-
Villes du Sud et environnement
Figure 5. Zones de proximité par rapport aux cours d’eau
l'image satellitaire a été enregistrée en début février, c'est-à-dire à la
fin de la grande saison sèche. La végétation se trouvait donc à son état
hydrique le plus médiocre.
Cependant, on constate que l'essentiel des zones urbanisables ou
urbanisées se trouve dans les classes de risque moyen à très faible.
Ainsi, malgré son développement dans un site collinaire, Yaoundé
jouit d'une relative stabilité pédologique, du moins en ce qui concerne
les glissements de terrain, l'érosion étant un phénomène plus diffus et
de moindre envergure.
-119-
Figure 6 : Risques d’inondation en fonction de l’altitude et de la proximité de l’eau
-120-
Villes du Sud et environnement
Figure 7 : Répartition des valeurs de pente à Yaoundé
-121-
Figure 8 : Classification de l’indice de végétation en vue de ressortir la couverture du sol
Image SPOT-XS du 07/02/92. K=85; J=342
-122-
Villes du Sud et environnement
Figure 9 : Risques d’érosion et de glissement de terrain à Yaoundé en fonction de la
pente et de la couverture du sol
-123-
Conclusion
L'érosion, les glissements de terrain ou les inondations à Yaoundé
posent le problème plus global de l'impact de l'action de l'homme sur
le milieu. Ils ne prennent de l'envergure que parce que l'implantation
humaine s'est produite à des endroits et en des proportions ne tenant
pas compte des dispositions naturelles du site. L'aménagement et le
développement urbains procèdent donc d'un processus cyclique où il
faut trouver l'équilibre entre l'incontournable croissance urbaine et la
nécessaire protection des milieux naturels. Ceci nécessite un
permanent arbitrage pour l'exercice duquel les systèmes d'information
géographiques, grâce à la diversité, la souplesse et la précision des
traitements numériques, offrent une information adéquate.
Sans revendiquer une quelconque exhaustivité, le modèle que nous
venons de développer permet de soulever un problème majeur quant à
l'orientation de l'aménagement et du développement urbains à
Yaoundé : les terrains les mieux indiqués pour l'urbanisation (compte
tenu de la douceur relative de la pente et d'une relative platitude du
relief) sont aussi les plus exposées aux aléas pluviométriques. En effet,
le nord-ouest et une partie de l'ouest sont manifestement impropres à
l'implantation humaine, compte tenu non seulement des hautes
altitudes mais aussi de l'affleurement de la roche : la plupart des
sommets sont dénudés. D'autre part, les directions du nord, de l'est et
du sud s'avèrent mieux adaptées à une densification urbaine. Mais cet
avantage est à nuancer dans la mesure où le sens de l'écoulement des
eaux de surface et la relative platitude du relief font que les risques
d'inondation y sont plus élevés.
BIBLIOGRAPHIE
ASSAKO ASSAKO R. J., 1995-a. L'amélioration de l'habitat à Yaoundé : succès tardif ou fiasco
consommé ?, Revue Histoire et Anthropologie, n° de Juillet 1995.
ASSAKO ASSAKO(R.J., 1995-b. Essai de différenciation des quartiers de Yaoundé à l'aide d'une
image HRV de SPOT, in Actes des Vie Journées Scientifiques du Réseau Télédétection de l'AUPELFUREF, à paraître.
ASSAKO ASSAKO R. J., 1996. Contribution à la création d'un observatoire urbain utilisant la télédétection et les données géo-référencées à Yaoundé (Cameroun), Thèse de Doctorat Nouveau Régime,
Université Paris X-Nanterre, 327 p.
COLLET C, 1996. La géomatique, un domaine méthodologique au service de l’analyse spatiale. in
Cahiers de l’Institut de Géographie de L’université de Fribourg, n°11-1996, pp. 73-82.
FRANQUEVILLE A, 1984. Yaoundé : construire une capitale, Éditions ORSTOM, Paris, 192 p.
KIET SRANG, 1972. Hydrologie d'un bassin versant de zone urbaine, (CMR), ORSTOM, Paris, 46p.
-124-
Travaux de la Société d’Écologie Humaine
c/o UMR 6578 du CNRS - Adaptabilité Humaine : Biologie et Culture
Université de la Méditerranée, Faculté de Médecine
27, boulevard Jean-Moulin, 13385 Marseille cedex 5
Directeur de la Publication : Nicole Vernazza-Licht
Déjà parus :
L’homme et le lac 1995
Impact de l’homme sur les milieux naturels : Perceptions et Mesures 1996
Cet ouvrage est issu, pour l’essentiel, des travaux présentés aux VIIIe journées scientifiques
de la Société d’Écologie Humaine (SEH), qui se sont tenues à Orléans en juin 1996.
Ces journées étaient organisées par :
- la Société d’Écologie Humaine
- l’équipe du DEA « Environnement, Temps, Espaces, Sociétés », Université d’Orléans
- l’UMR 6578 « Adaptabilité Humaine : Biologie et Culture », CNRS-Université de la
Méditerranée, Marseille
- le laboratoire Population-Environnement, Université de Provence/Orstom, Marseille
- le laboratoire ERMES, Orstom, Orléans
Il a bénéficié du soutien financier du département Environnement, Technologies et
Société de l’Université de Provence, Marseille
Dépôt légal : 4e trimestre 1998
ISBN : 2-9511840-2-6
ISSN : 1284-5590
Tous droits réservés pour tous pays
© Éditions de Bergier
476 chemin de Bergier, 06740 Châteauneuf de Grasse
[email protected]
VILLES DU SUD
ET
ENVIRONNEMENT
Éditeurs scientifiques
Daniel Bley, Jacques Champaud, Patrick Baudot,
Bernard Brun, Hélène Pagezy, Nicole Vernazza-Licht
1997
Caractérisation de l’environnement
urbain par télédétection :
l’exemple de Bamako (Mali)
Balla Diarra*
L’objectif de cette présentation est de caractériser l’état et l’évolution
de l’environnement naturel urbain à l’aide de données du satellite
SPOT1.
Selon Bannari et al (1995) « l’indice de végétation s’avère un
paramètre indicatif de la qualité de vie urbaine ; il constitue (...) une
source d’information potentielle originale et utile aux urbanistes... ».
Différentes études ont été menées sur l’environnement urbain à partir
de données satellitaires. Ces études ont pu montrer les relations
existant entre les types de paysages urbains et le taux de couverture
végétale. Forster (1983) a ainsi pu montrer qu’à Sydney (Australie) le
taux de couverture végétale est un indicateur de la qualité de la vie
c’est-à-dire aussi du pouvoir socio-économique des populations
citadines. L’IAURIF2 conduit depuis plusieurs années des études
fructueuses du même genre sur la région parisienne.
Toutes ces études ont été menées à partir des indices de végétation
qui sont des néo-canaux obtenus à partir de différents types de combinaisons entre les bandes spectrales rouge et proche infrarouge. S’ils
donnent d’intéressants résultats, les indices de végétation ne sont pas
toujours faciles à interpréter en milieu urbain. La végétation n’étant
presque jamais une entité en soi dans ce milieu, les indices de
végétation sont affectés par les propriétés optiques du bâti et surtout
* Laboratoire Population-Environnement, Université de Provence/Orsom, case 10, 3 place Victor
Hugo, 13331 Marseille cedex 03, France
1Cette
étude a été réalisée au Laboratoire de l’Orstom à la Maison de la Télédétection (Montpellier)
et concerne les premiers traitements d’images dans le cadre de notre thèse et d’une Action de
Recherche partagée de l’AUPELF, Réseau Télédétection.
2Institut
d’Aménagement et d’Urbanisme de la Région d’Île de France.
-125-
des sols nus. En effet les réflectances des sols et quelle que soit leur
nature, augmentent avec la longueur d’onde entre le visible et le
proche infrarouge. Or c’est dans cette longueur d’onde - particulièrement en ce qui concerne SPOT - que la végétation réfléchit le plus.
L’indice de végétation est donc affecté par la réflectance du sol même
après une différence normalisée. Ceci explique d’ailleurs la multiplication de ces indices (Bannari op cit.).
L’objectif de cette étude est de montrer qu’on peut extraire d’un néocanal relativement simple de création et d’interprétation (la
composition colorée P+XS), des informations sur les niveaux de
couverture végétale dans leur relation avec les types de quartiers.
Milieu d’étude et données images
Bamako, capitale du Mali, est située entre 12°32 et 12°42 de latitude
nord et 7°55 et 8°4 de longitude ouest. La ville est étalée dans la plaine
alluviale du plus grand fleuve d’Afrique occidentale - le fleuve Niger qui la partage en deux. Les températures sont presque toujours
élevées et les hauteurs de pluies - qui tombent de Mai à Octobre varient de 850 mm à 1200 mm. La ville compte six communes couvrant
une superficie de 252 km2. Comme la plupart des capitales africaines,
la ville concentre la majeure partie des infrastructures socioéconomiques du pays. Ceci explique le volume de la population : près
d’un million d’habitants. La diversité socio-économique des quartiers
apparaît nettement au niveau des paysages urbains que nous allons
identifier à partir des niveaux de couverture végétale.
Les données images utilisées dans cette étude sont deux couples
d’images XS et P enregistrés au-dessus de la ville de Bamako. Le
premier est de Novembre 1986 et le second d’Avril 1996. Ces deux mois
correspondent, à Bamako, à deux saisons différentes notamment, en ce
qui concerne cette étude, au plan de l’état de la végétation. Le mois de
novembre correspond à la fin de la saison des pluies tandis que le mois
d’avril correspond à la fin de la saison sèche. Cette différence de prise
de vues a des répercussions sur l’interprétation diachronique comme
on le verra plus loin.
Différentes méthodes existent pour créer les compositions colorées
P+XS. Celle utilisée ici est relativement simple :
- dans un premier temps les canaux multispectraux ont été
rééchantillonnés à 10 mètres pour les rendre superposables à l’image
panchromatique. Il est à noter que cette étape est de plus en plus
intégrée directement par les logiciels comme un élément de la rectification, donc exécutée en même temps que celle-ci.
-126-
Villes du Sud et environnement
- Dans un second temps des points d’appui ont été sélectionnés
sur les canaux XS et P en vue de rectifier les premiers par rapport au
second.
- Enfin, après avoir reétalé la dynamique des valeurs et
procédé à quelques filtrages pour rehausser les contrastes dans
chaque canal, les composés colorés ont été créés à partir des canaux
XS1 (bleu) Panchromatique (vert) et XS3 (rouge). Le canal panchromatique a été mis dans le vert en remplacement de XS2 parce qu’il est
le plus corrélé à celui-ci.
L’avantage de la composition colorée P+XS est qu’elle allie la finesse
géométrique de l’image panchromatique à la richesse thématique des
XS.
Avant de développer les informations obtenues par l’interprétation
visuelle de ces images améliorées, il est nécessaire de rappeler
brièvement les mécanismes de la réflexion des végétaux pour mieux
comprendre et interpréter les différents tons de couleurs qui
concernent la végétation dans une composition colorée classique.
Comportement spectral de la végétation
Les végétaux ont un comportement spectral différent dans le visible
et le proche infrarouge. Disons pour simplifier qu’ils réfléchissent
moins dans le premier intervalle de longueur d’onde que dans le
second. La faiblesse de la réflectance ici s’explique essentiellement par
la chlorophylle. Celle-ci diminue avec l’âge des végétaux. Les feuilles
âgées réfléchissent donc plus dans le visible. Mais la réflectance
demeure toujours faible ; guère plus de 15 % du rayonnement reçu.
Dans l’infrarouge la réflectance des végétaux dépend presque
entièrement de la structure des feuilles. La coupe simplifiée d’une
feuille fait apparaître, en plus de la cuticule, l’épiderme et
l’hypoderme, deux autres composants. Le premier, appelé parenchyme
palissadique, a des cellules allongées et serrées les unes contre les
autres. Le second a des cellules sphériques et contient des lacunes,
d’où son nom de parenchyme lacuneux. C’est lui qui est la base de la
différence de réflectance entre les espèces végétales mais aussi entre
différents stades phénologiques (cf. Girard et Girard, 1989)3. Les
grands végétaux ont plutôt un parenchyme palissadique plus
développé au contraire des herbes par exemple, ce qui se traduit par
une réflectance moindre. Avec l’âge les cellules du parenchyme
lacuneux perdent leur forme et donc leur capacité de réflexion. À ce
3Notons
que le processus de rétrodiffusion des végétaux est nettement plus compliquée (interférences
de l’environnement, de la structure propre à chaque espèce, du support ligneux etc.) et cède le pas à
celle du sol si la couverture n’atteint pas les 30 %. Ce qui est très fréquent en milieu urbain.
-127-
stade la teneur en eau est déterminante dans la distinction des
végétaux. Cependant la teneur en eau dépend de la position géographique et de la saison. Ceci complique l’interprétation des couleurs.
Résultats
Deux types d’informations peuvent être cherchées à partir de ces
compositions :
1- l’identification des niveaux de couverture végétale à partir des
teintes et intensités de couleurs (le rouge notamment dans lequel est
mis le canal proche infrarouge dans les composés colorés standards)
mais aussi leurs structures. Ces facteurs traduisent des gradients de
recouvrement du sol par la végétation. Ainsi les surfaces recouvertes
presque entièrement par la végétation apparaissent en rouge vif
tandis que celles où la végétation est mélangée à du minéral, avec
prédominance de la première, apparaissent en rouge foncé (grands
arbres mêlés à du bâti comme l’ancienne ville coloniale). Si le minéral
prend le pas sur la végétation, la couleur rouge est totalement altérée.
Les surfaces concernées prennent une teinte chocolat présentant ellemême des nuances. Cette différence de tons n’est pas toujours due à la
présence de surface minérale. Il s’agit parfois d’une différence
d’espèces végétales, de stade de croissance ou du stress (état phytosanitaire, hydrique) de la végétation. Par exemple les herbes et les
arbustes réfléchissent plus que les grands arbres. Les premiers
apparaissent en rouge intense et les seconds en rouge foncé. Ceci
dépend de leur comportement spectral (cf. supra).
La structure est presque en plage si la végétation domine ou presque
le bâti et clairsemée si elle l’est moins.
Ces gradients de teinte de couleurs, qui correspondent donc à des
niveaux de couverture végétale, peuvent être rattachés, sous certaines
réserves, à des types de quartiers. On distingue ainsi les quartiers
résidentiels des quartiers pauvres par l’importance du taux de
couverture végétale des premiers. Entre ces deux extrêmes les taux de
couverture moyens sont les plus rencontrés. Ils correspondent à une
structure pointillée d’une teinte entre le rouge foncé et le chocolat,
conséquence de l’influence d’un bâti dense.
La structure de la couleur associée à sa teinte peut, dans certains
cas, permettre de définir la fonction du paysage urbain concerné. Par
exemple la structure clairsemée du rouge foncé (correspondant à de
grands arbres) au sud de l’ancienne ville européenne est due à
l’existence en cet endroit des grandes maisons commerciales. Il s’agit
là du grand centre commercial de la ville. Il en est de même de la zone
industrielle où la géométrie des grands bâtiments apparaît nettement.
-128-
Villes du Sud et environnement
On constate aussi que les quartiers anciens sont moins boisés que les
quartiers récents. Plusieurs hypothèses peuvent être envisagées :
- les nouveaux quartiers abriteraient plus de personnes aisées ;
- les citadins prennent de plus en plus conscience de l’importance d’un environnement plus naturel ;
- la preuve d’une meilleure prise en compte des espaces verts
dans les lotissements officiels ;
Ces hypothèses devront être précisément vérifiées. À notre connaissance on peut penser qu’il s’agit d’une combinaison de tous ces
facteurs.
2- Le second type d’information concerne l’évolution de l’environnement naturel. Cet exercice est ici rendu délicat à cause de la
différence entre les saisons de prise des images multidates. En effet
l’état physiologique de la végétation étant très différent entre
novembre et avril, il est difficile de soutenir que l’aspect de la
végétation sur l’image de 1996 n’est que le résultat de la régression du
couvert végétal entre les deux dates. Il peut s’agir d’une simple perte
ou d’un assèchement des feuilles en saison sèche.
Cette réserve étant faite, on peut cependant appréhender l’évolution
phénologique et spatiale en se donnant des clefs de décision. S’il s’agit
d’une extension, le problème est moins délicat ; la végétation paraîtra
plus importante sur l’image de 1996 (cas du cimetière de Niaréla ou la
partie Est de Lafiabougou). Par contre pour décider qu’une zone a
connu un recul de la végétation entre les deux dates, l’utilisation de
connaissances exogènes est indispensable. Ainsi on peut affirmer que
la surface végétalisée entre l’ex-aérodrome et le quartier de
Lafiabougou (à l’ouest des images) a diminué car une partie a bien été
occupée par les constructions du projet « Goudjabi ». L’aspect dégarni
de cet endroit sur l’image de 1996 par rapport à celle de 1986 n’est pas
dû à la seule différence de saisons de prise de vues. Le même
phénomène s’observe au sud du cimetière de Niaréla (en blanc sur
l’image de 1996) où la végétation a fait place au marché.
En conclusion on peut retenir que la composition colorée P+XS
permet de caractériser l’environnement naturel urbain. Cependant le
contrôle de terrain est nécessaire pour la validation de certaines
couleurs. Pour identifier les cultures urbaines - ce qui est intéressant
dans le contexte bamakois - des données complémentaires sont
également nécessaires.
-129-
BIBLIOGRAPHIE
BANNARI et al, 1995, Caractérisation de l’environnement urbain à l’aide des indices de végétation
dérivés des données de haute résolution spatiale et spectrale. Sixièmes journées AUPELF, Liège 19p.
CHEREL J.P, 1993, Maîtriser l’aménagement urbain en Afrique subsaharienne : intérêts des images
SPOT. Exemple de Nairobi et Ouagadougou. Thèse de géographie, Montpellier III, 354p.
DONNAY JP, 1990, Application de la télédétection satellitaire à l’aménagement du territoire et à
l’urbanisme. CNES, revue Télédétection spatiale, pp 221 - 241.
EBERHARD JM, 1994, Typologie de quartiers urbains à partir d’une composition colorée. L’exemple
du sud-est de Mexico. ORSTOM, 7p.
ESCADAFAL, 1988, Les propriétés spectrales des sols. ORSTOM, colloques et séminaires pp 19 - 42.
GIRARD et GIRARD, 1989, Télédétection appliquée : zones tempérées et intertropicales. Ed Masson,
260p
IAURIF, 1986, Mesurer la végétation urbaine par télédétection : du satellite au terrain. Paris, 90p.
IAURIF, 1987, Cultures, changements d’affectation du sol et télédétection spatiale : le cas de la région
d’Île de France. Paris, 98p.
-130-
Travaux de la Société d’Écologie Humaine
c/o UMR 6578 du CNRS - Adaptabilité Humaine : Biologie et Culture
Université de la Méditerranée, Faculté de Médecine
27, boulevard Jean-Moulin, 13385 Marseille cedex 5
Directeur de la Publication : Nicole Vernazza-Licht
Déjà parus :
L’homme et le lac 1995
Impact de l’homme sur les milieux naturels : Perceptions et Mesures 1996
Cet ouvrage est issu, pour l’essentiel, des travaux présentés aux VIIIe journées scientifiques
de la Société d’Écologie Humaine (SEH), qui se sont tenues à Orléans en juin 1996.
Ces journées étaient organisées par :
- la Société d’Écologie Humaine
- l’équipe du DEA « Environnement, Temps, Espaces, Sociétés », Université d’Orléans
- l’UMR 6578 « Adaptabilité Humaine : Biologie et Culture », CNRS-Université de la
Méditerranée, Marseille
- le laboratoire Population-Environnement, Université de Provence/Orstom, Marseille
- le laboratoire ERMES, Orstom, Orléans
Il a bénéficié du soutien financier du département Environnement, Technologies et
Société de l’Université de Provence, Marseille
Dépôt légal : 4e trimestre 1998
ISBN : 2-9511840-2-6
ISSN : 1284-5590
Tous droits réservés pour tous pays
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VILLES DU SUD
ET
ENVIRONNEMENT
Éditeurs scientifiques
Daniel Bley, Jacques Champaud, Patrick Baudot,
Bernard Brun, Hélène Pagezy, Nicole Vernazza-Licht
1997
La cartographie de
l'environnement urbain
Moïse M.Ballo* et Jacques Champaud*
Le terme d'environnement urbain connaît depuis quelque temps un
succès certain1, malgré des controverses sur sa définition et ses
limites. Pour les pays en développement il faut le relier à plusieurs
préoccupations : les retombées de la conférence de Rio et la vogue du
thème du « développement durable », la croissance inquiétante des très
grandes villes (les mégapoles) et la consommation d'espace qui résulte
de leur développement horizontal, mais aussi la crise financière
sérieuse qui empêche les États de consacrer des ressources suffisantes
aux villes. Se greffe aussi sur ces phénomènes la revendication
démocratique qui aspire à moins d'intervention de l'État dans la
gestion et à une plus grande participation des citoyens. Tout ceci
concourt à mettre en avant le souci d'économiser (l'espace, l'argent, les
biens durables), de mieux gérer, et au delà, à réfléchir à l'avenir des
villes.
Quel peut être dans cette perspective l'apport des cartes, et plus
largement, des modes de représentation de l'analyse spatiale ?
Nous essaierons de voir, en prenant appui sur des documents déjà
publiés :
- comment dans des publications récentes a été cartographié l'environnement urbain.
- comment cartes et atlas peuvent être les éléments constitutifs
d'observatoires urbains.
- comment la cartographie peut être un instrument d'aide à la
décision et participer à la démocratisation de la vie publique.
*Laboratoire Population-environnement, Université de Provence/Orstom, case 10, 3 place Victor
Hugo, 13331 Marseille cedex 03
1Parmi les publications récentes sur ce thème : Armand M. (1996), Couret D. (1996), Metzger P.
(1996), Pigeon P. (1994),
-131-
Les principaux thèmes représentés dans les atlas :
Le site
La représentation du site sur lequel est implantée une ville suppose
deux choses. D'une part de replacer la ville dans son ensemble
régional, seule façon de comprendre (ou parfois de reconstituer) l'écosystème antérieur à l'urbanisation. D'autre part d'examiner plus
précisément ce qui à l'échelle de la ville et de ses environs immédiats
est créateur de paysages nouveaux ou porteurs de difficultés. À
Lubumbashi (Zaïre) par exemple, à la suite d’une carte géomorphologique régionale, les auteurs ont représenté à l'échelle du 1/200 000e la
situation de la ville montrant les contraintes qui pèsent sur les
constructions : inselbergs et autres reliefs résiduels, zones inondables
etc... Aujourd'hui, plusieurs logiciels de SIG permettent de représenter
le relief sous forme de modèles numériques de terrain (M.N.T.), sur
lesquels peuvent être superposées d’autres couches d’information. Les
cartes hydrogéologiques sont également utilisées, en plus des planches
géomorphologiques, pour caractériser le site ; elles permettent aussi de
dresser le bilan des ressources en eau dans une double perspective de
protection et de gestion. Sur de telles cartes, en plus des couches
habituelles comme la stratigraphie des affleurements et l’hydrologie,
peuvent être représentées, comme c’est le cas dans l’atlas de Quito
(Équateur), les points de pollution connus ou potentiels et leurs zones
d’épandage.
Le couvert végétal fait également l'objet, à Lubumbashi, d'une
planche qui montre son évolution régressive, certaines formations de
pelouse, en outre, étant même liées aux sites pollués par les pluies
acides et les poussières industrielles.
À Pikine (Sénégal), étudiée par G. Salem, le relief est faible, une
planche est consacrée à la morphologie du site : eau, dunes, sables,
zones inondées, limite du front salé ; une autre aux données hydrogéologiques.
Les risques (naturels et technologiques) et les aptitudes.
En France, la cartographie du risque s’est affirmée essentiellement
à partir des cartes de « zones exposées à des risques liés aux
mouvements du sol et du sous sol » (ZERMOS), réalisées sur tout le
pays de 1975 à 1979, à moyenne échelle et des plans d’exposition aux
risques (PER) réalisés à partir de 1985. Les premières sont des cartes
d’alerte dont l’objectif est de localiser les types de mouvements de
terrain et de définir un zonage hiérarchisé en termes de stabilité. Ce
zonage est visualisé par les couleurs : rouge pour « danger », orange
pour « attention » et vert pour « pas de danger ». Les PER quant à eux
se composent de cartes de localisation de phénomènes et de leur
-132-
Villes du Sud et environnement
extension précisant la nature et les valeurs de paramètres significatifs ; de cartes d’aléas visant à traduire en quelques niveaux la
manifestation potentielle d’un phénomène ; et enfin de cartes de vulnérabilité résultant du croisement du niveau d’intensité de l’aléa avec la
résistance de l’objet qui lui est soumis. Un nouvel outil réglementaire
(Plan de Prévention des Risques) est prévu pour pallier les difficultés
rencontrées dans la réalisation des PER, notamment par rapport à
l'approche quantitative (B. Ledoux 1994).
Dans les pays en développement, de bons exemples de cartographie
des risques naturels ont été élaborés sur Quito, notamment avec des
planches sur la stabilité géomorphologique et le risque sismique. En
Afrique, la cartographie des risques et aptitudes est encore embryonnaire et plus orientée vers l’évaluation du risque épidémiologique.
Ainsi dans l’atlas de Lubumbashi, les contraintes du site font l’objet
d’une seule planche, intéressante, mais trop touffue pour être
facilement lisible ; on y trouve d'une part les secteurs sensibles à
l'érosion ou aux pollutions, mais aussi les couloirs de lignes à haute
tension et le cône de bruit de l'aéroport. Sont cartographiés aussi les
cours d'eau pollués, les abattoirs et les dépôts d'ordures sauvages, les
terrils et les carrières.
Les questions de santé sont traitées dans plusieurs atlas, visant à
mettre en valeur les phénomènes qui ont une influence sur la santé
publique. À Pikine, des cartes intéressantes ont été dessinées sur la
densité d'anophèles par parcelles et le risque anophélien en liaison
avec la densité de population et l'éloignement des niayes (ou étendues
d'eau permanentes) ; on a cartographié également la prévalence des
parasitoses intestinales. Pour trois maladies (affections respiratoires,
maladies diarrhéiques, rougeole), les risques de mortalité infantojuvénile sont mis en relation avec la qualité de l'habitat ou de l'eau. La
cartographie est dans cette perspective un outil essentiel de la
recherche et pas seulement son illustration.
À Richard Toll (au Sénégal également), l'objectif était plus précis : il
s'agissait d'une étude sur la bilharziose qui a donné lieu à la
fabrication d'un petit atlas informatisé (non publié) comprenant une
série de cartes (23) dont 5 consacrées spécifiquement à la maladie :
charge parasitaire des habitants par îlot et par sexes et âges et
proportion de rongeurs parasités.
Le cadre de vie et les réseaux.
L'existence et la qualité de la voirie sont un élément important des
paysages urbains et du confort des quartiers : largeur et nature du
revêtement sont les éléments les plus souvent représentés (on en
trouve un bon exemple à Pikine). À Sokodé (Togo) les auteurs ont
-133-
cartographié successivement la voirie, la distribution de l'eau et
l'emplacement des transformateurs. Il existe deux manières de
représenter les équipements : soit en cartographiant leur présence,
soit en calculant, pour certains d’entre eux la proportion de personnes
qui en bénéficient ou leur consommation. ces cartes deviennent alors
un bon indicateur du niveau social des quartiers, mais les données ne
sont pas toujours accessibles à un niveau suffisant.
À Lubumbashi, des cartes utiles sont consacrées aux équipements
collectifs : assainissement, eau, électricité, mais il n'y a pas d'indications sur le taux de branchement aux réseaux, simplement la mention
qualitative par quartiers (équipé, partiellement, non équipé).
Les bornes-fontaines sont aussi un élément d'appréciation de la
desserte des quartiers : à Pikine où la recherche sur l’eau était un
élément essentiel de l’environnement de la santé on les a représentées
sous la forme suivante : existantes, supprimées, nouvelles.
L'équipement des parcelles en eau et électricité est cartographié ainsi :
évolution 86/93 ; accès à l'eau : consommation quotidienne par
personne, nombre d'habitants/borne-fontaine ; qualité des eaux souterraines. On a ainsi un panorama assez détaillé et complet de l’eau dans
la ville.
À Richard Toll, quelques cartes utiles pour l'objectif de la recherche
poursuivi : l'eau dans les concessions et les latrines, notamment,
permettent de cerner les milieux plus ou moins réceptifs aux parasites
De même le ramassage des ordures ménagères est un indicateur
utile du cadre de vie ; ainsi, à Pikine la cartographie des circuits de
ramassage et de l'emplacement des conteneurs montre l'inégalité de
traitement des quartiers au regard de l'hygiène publique.
La nature et la ville
L'agriculture urbaine est cartographiée, à Lubumbashi, et à Abidjan
(Côte d'Ivoire), aussi bien dans l'espace urbanisé (cultures vivrières et
fruitières, denses ou éparses, agriculture marginale, espaces verts)
qu'en périphérie : cultures de plein champ, fermes, plantations,
élevages.
Au-delà de la production agricole les lieux de commercialisation sont
représentés également dans certains documents. Ainsi à Pikine, les
marchés et l'offre de produits vivriers (en nombre d'étals)
La consommation d'espace
Elle se mesure de manière assez classique par une carte représentant l'extension des zones construites à diverses périodes. De telles
-134-
Villes du Sud et environnement
cartes sont tributaires des sources d'information : documents
d'archives, cartes, photos aériennes, images satellites. À Pikine par
exemple la consommation d'espace est mesurée par une série de 8
cartons dessinés d'après photos aériennes de 1958 à 1980. Cette étude
diachronique est aussi un indicateur de la croissance démographique
urbaine ; on ne peut certes, à l’heure actuelle, évaluer ainsi la
population urbaine entre deux recensements, mais on peut du moins
en approcher (grâce aux images satellites par exemple) par la mise en
évidence des secteurs où l’urbanisation s’est développée.
La consommation d’espace est aussi celle des zones boisées qui
diminuent non pas par suite des constructions urbaines, mais à cause
de la coupe du bois. C’est ainsi qu’à Lubumbashi on a pu montrer,
d'après des images Landsat, la limite de la zone déboisée en 1973 et en
1981. Dans d’autres travaux empruntés cette fois à la télédétection,
l’examen diachronique d’images satellitaires a permis de cartographier, sur la ville de Nairobi, les espaces ayant changé d’affectation
entre deux observations : il s’agit, dans la plupart des cas, d’espaces
nouvellement construits (Chaume et al, 1993). Dans d’autres exemples
la comparaison d’images multidates a permis de comparer l’évolution
des quartiers à l’intérieur de la ville : disparition du couvert végétal,
défrichements à blanc en vue de chantiers, création de routes etc.
Atlas et observatoires urbains.
Les cartes ont de façon classique été compilées dans des atlas avec
une approche, soit thématique soit territoriale. Aujourd'hui, avec les
avancées technologiques dans le domaine des sciences de l'information
et l'affinement des méthodologies les cartes trouvent de nouveaux
supports et de nouvelles utilisations. Le support numérique a véritablement révolutionné la cartographie suscitant du coup détracteurs et
défenseurs ardents de la « cartomatique ». Les atlas informatisés,
comme celui de Quito, ont servi de base à la constitution de Systèmes
d'information géographiques qui à leur tour évoluent vers les systèmes
d'aide à la gestion et vers des observatoires qui permettent le
diagnostic et le suivi diachronique de la croissance urbaine.
Allant un peu plus loin dans la démarche, il est peut-être temps de
préciser ce que peut être un observatoire urbain pour un pays ne
disposant encore que de peu de statistiques fiables. Dans la phase
actuelle, dans un pays comme le Mali par exemple, où les statistiques
sont rares et l'observation des villes plus récente que dans d'autres
pays africains, on peut estimer qu'un observatoire (où les questions
d’environnement seront essentielles mais ne seront pas les seules à
représenter) devrait permettre :
-135-
- de stocker et de concentrer l’information sur les villes, y compris les
nombreuses études techniques qui, éditées à un petit nombre d’exemplaires, disparaissent très vite. Ce devrait être ainsi la mémoire de la
ville si l'on prend en compte également l'histoire et la patrimoine
urbain.
- d'élaborer un tableau de bord donnant une vue d'ensemble des
équipements et de l’action des communes (un exemple intéressant
existe en ce domaine avec le guide municipal de Côte d’Ivoire.)
- de produire un certain nombre de documents utiles pour la gestion
urbaine : atlas informatiques (sur support électronique), atlas édités
sur papier, ou simples cartes fournies à la demande et régulièrement
mises à jour.
- de faciliter le travail des élus, des administrations et la participation des citoyens.
Les documents produits seront différents selon la taille des villes,
mais il est important que la collecte, le traitement et le stockage de
l'information participent de la même démarche. L'essentiel est de
constituer le plus vite possible une base de données et de la traiter
avec les techniques modernes de l'informatique.
La nature des documents produits sera diverse. On peut estimer que
pour les villes les plus grandes (par exemple les villes millionnaires en
habitants) il convient d'adopter dès à présent une démarche SIG.
Certes il ne sera pas possible d'aller très loin faute de statistiques
fiables mais précisément la démarche SIG est un bon moyen de mettre
en évidence les carences ou les lacunes de l'information et d'essayer d'y
remédier. Par ailleurs l'évolution des techniques montre que cette
démarche n'est pas forcément onéreuse une fois fait l'effort de former
des personnels compétents et d'acheter un minimum de matériel.
À l'échelon des villes moyennes (50 000 à 200 000 hab.) il faut
prévoir un stockage informatique et l'édition d'atlas modestes mais
couvrant cependant l'essentiel de ce que l'on a besoin de connaître sur
ces villes. Beaucoup d'entre elles ont été couvertes dans les années
récentes par des photographies aériennes qu'il faudrait exploiter pour
en tirer une cartographie de base correcte. Une édition papier s'impose
dans ce cas-là : de petits atlas urbains (20 à 30 cartes) seraient utiles,
traduisant un certain nombre d’indicateurs socio-économiques et
permettant d’appréhender l’organisation de l’espace.
Pour les petites villes (ou bourgs ruraux) il faudrait choisir les
quelques cartes constituant le programme minimum dont ont besoin
les administrateurs de la ville : 4 ou 5 cartes dont il serait intéressant
d'homogénéiser le contenu pour toutes ces villes. on pourrait estimer
que ce lot minimum comprendrait :
-136-
Villes du Sud et environnement
• une carte représentant le milieu naturel et les contraintes du site,
• une carte des VRD (voies et réseaux divers),
• une carte du patrimoine public et des principaux équipements,
• une carte économique : commerces, marchés, transports,
• une carte sommaire d’occupation du sol.
Le stockage de l'information sur support électronique serait
suffisant, dont seraient tirées (sur imprimante couleurs) les quelques
exemplaires de cartes dont ont besoin les décideurs.
La cartographie et les décideurs.
La cartographie n'est évidemment pas faite uniquement pour les
chercheurs, elle doit être en même temps instrument au service des
décideurs. Mais il ne s'agit pas seulement d'aider des services publics
ou des élus locaux, il convient aussi de participer au mouvement de
démocratisation de la vie publique en mettant les outils à la portée
d'un maximum de citadins-citoyens qui sont aussi les acteurs de la
ville. De ce point de vue la carte est un document d'un grand intérêt.
C'est ainsi que l'atlas de Sokodé veut être un outil pédagogique au
service des élus ou des autres acteurs de la ville. Une partie de
l'ouvrage est intitulée « des outils pour une planification urbaine ».
L'objectif est entre autres de rendre accessibles pour tous des
documents difficilement consultables, comme les archives, les plans
directeurs d'urbanisme, la localisation des titres fonciers ou la
« mémoire de la ville ». Cette mémoire est importante, et attendue
(comme l’ont montré, dans le même pays, les ouvrages édités par
Y.Marguerat sur Lomé), même si la ville n’est que création coloniale.
Il est important également que la cartographie oblige à penser au
quartier, à la territorialité, aux relations de proximité et pas
seulement aux réseaux individualisés. C’est aussi la perspective de
l’environnement qui permettra une prise de conscience plus rapide
d’une démarche vers le développement durable des villes.
Conclusion
Dès lors que l'on se lance dans l'exercice de représenter l'environnement sur une carte on se heurte à plusieurs problèmes et on est
amené à faire des choix. Parmi ces problèmes on peut citer celui du
choix des niveaux pertinents de perception ou de représentation des
phénomènes, des variables et des indicateurs pour les transcrire et
suivre leur évolution. Les questions de mode de représentation ayant
trait à la sémiologie graphique ne sont pas non plus des moindres.
-137-
Au regard de ce qui précède, nous considérons que la cartographie,
par l'effort d'analyse puis de synthèse et de généralisation qu'elle
impose, a contribué avant les nouveaux outils de traitement de l'information géographique à préciser les concepts et les méthodologies dans
le domaine de l'environnement urbain.
En effet, malgré le caractère parfois un peu flou du concept d’environnement urbain, la cartographie permet d’en préciser les contours
dans une démarche dialectique : analyse et synthèse, réflexion et
action. L’environnement urbain devient un enjeu essentiel du développement durable, d’autant qu’il conduit à mettre en perspective les
évolutions, à mettre en valeur, à côté de la notion de bien durable, celle
de bien collectif. Il amène aussi à élargir les perspectives de réflexion
vers les « environs » de la ville qu’il s’agisse de périphéries en voie
d'urbanisation ou de campagnes plus lointaines transformées elles
aussi par le phénomène urbain. Les enjeux de la connaissance se
doublent ici d’une meilleure efficacité des décideurs et d’une meilleure
lisibilité de la ville pour les citoyens.
BIBLIOGRAPHIE
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IGPH (Équateur), Orstom (France) 1992
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(Sénégal). diplôme d'habilitation à diriger les recherches, Univ. P. Valéry, Montpellier, vol 3 : atlas
-138-
Travaux de la Société d’Écologie Humaine
c/o UMR 6578 du CNRS - Adaptabilité Humaine : Biologie et Culture
Université de la Méditerranée, Faculté de Médecine
27, boulevard Jean-Moulin, 13385 Marseille cedex 5
Directeur de la Publication : Nicole Vernazza-Licht
Déjà parus :
L’homme et le lac 1995
Impact de l’homme sur les milieux naturels : Perceptions et Mesures 1996
Cet ouvrage est issu, pour l’essentiel, des travaux présentés aux VIIIe journées scientifiques
de la Société d’Écologie Humaine (SEH), qui se sont tenues à Orléans en juin 1996.
Ces journées étaient organisées par :
- la Société d’Écologie Humaine
- l’équipe du DEA « Environnement, Temps, Espaces, Sociétés », Université d’Orléans
- l’UMR 6578 « Adaptabilité Humaine : Biologie et Culture », CNRS-Université de la
Méditerranée, Marseille
- le laboratoire Population-Environnement, Université de Provence/Orstom, Marseille
- le laboratoire ERMES, Orstom, Orléans
Il a bénéficié du soutien financier du département Environnement, Technologies et
Société de l’Université de Provence, Marseille
Dépôt légal : 4e trimestre 1998
ISBN : 2-9511840-2-6
ISSN : 1284-5590
Tous droits réservés pour tous pays
© Éditions de Bergier
476 chemin de Bergier, 06740 Châteauneuf de Grasse
[email protected]
VILLES DU SUD
ET
ENVIRONNEMENT
Éditeurs scientifiques
Daniel Bley, Jacques Champaud, Patrick Baudot,
Bernard Brun, Hélène Pagezy, Nicole Vernazza-Licht
1997
Le Caire :
croissance de la ville et économie
des ressources renouvelables
Myriam Armand-Fargues*
La croissance de la population urbaine est-elle responsable de l'urbanisation des terres agricoles ? Au lendemain de la conférence « Habitat
II » d'Istanbul (juin 1996), la réponse évidemment positive, semble
indiscutable. Le Caire ne fait-il pas partie de ces « cités de la démesure
qui dévorent l'espace qui les entoure » ? (Le Monde, Villes Géantes,
dossier du 6 juin 1996).
Pourtant, en Égypte plus que partout ailleurs, la construction des
villes sur les terres agricoles n'est-elle pas une forme banale de leur
croissance ? Hormis les fondations ex nihilo sur le désert, somme toute
rares jusqu'à l'époque contemporaine, l'histoire urbaine est celle de
l'urbanisation des campagnes. Au Caire, c'est seulement dans l'aprèsguerre que ce développement est jugé indésirable, lorsque la ville
devient la scène d'un étalement sans précédent dénommé « Cairo
Urban Sprawl ».
Deux événements majeurs la transformèrent : un fort accroissement
démographique d'une part, cet étalement de l'autre. Selon une
perception communément admise, la démographie serait directement
responsable de l'extension. Une causalité simple, une réponse
mécanique unirait ces deux phénomènes.
Une observation spatio-temporelle fine de la partie de l'agglomération qui s'étend sur le Gouvernorat de Giza, révèle au contraire
l'existence d'un intervalle de temps assez long entre la cause, la
croissance de la population du Caire et son effet, la construction sur les
*Université Paris I et CEDEJ, 14 rue Gameyet El Nsir, Mohandessine, Dokki, Le Caire, Égypte
-139-
terres agricoles. L'explication de ces effets de retard, d'un grand
intérêt pour la planification urbaine, supposerait une analyse des
processus à l'origine des mouvements de concentration et de desserrement de la population qui dépasse le cadre de ce travail. On
montrera seulement comment les représentations habituelles
occultent ce temps de réponse et dénoncent un gaspillage de la
ressource renouvelable (les sols cultivables) là où, en réalité, la
population se concentre plus que partout ailleurs.
Une méthode simple permet de suivre l'évolution spatio-temporelle
de la relation population/espace urbanisé et de reconsidérer le
caractère apocalyptique de l'urbanisation de la vallée. On s'interrogera
alors sur les raisons d'une perception si peu nuancée de ce qui est
considéré comme un problème majeur d'environnement, dans un pays
où l'eau pourrait être une ressource renouvelable encore plus
précieuse que la terre.
Population : une entière responsabilité ?
Une relation parfaite, une causalité évidente
On postule souvent un lien de cause à effet entre la croissance de la
population et celle de l'espace bâti. L'idée d'une entière responsabilité
de la démographie dans l'extension de la ville se fonde sur la mise en
correspondance de ces deux variables sur une longue période (un ou
plusieurs siècles). Une étude sur Le Caire a ainsi établi (Waguih A.,
1994) que de 1917 à 1986, la croissance des surfaces bâties a suivi celle
de la population. L'évolution parallèle des courbes (figure 1) laisse
supposer que la relation linéaire observée entre les deux phénomènes
exprimerait un lien de cause à effet : l'augmentation des effectifs
démographiques engendrerait une extension spatiale strictement
proportionnelle. Cependant, on remarquera que l'ensemble du siècle y
est décrit à partir de trois points seulement.
Des représentations cartographiques suggèrent une causalité de
même ordre. À titre d'exemple, la carte n°1 montre que la croissance
du Caire sur les terres agricoles du gouvernorat de Giza s'est effectuée
entre 1947 et 1986 (F Shorter, 1989). Avant 1947, la ville de la rive
gauche, comprise entre le Nil et la voie ferrée Le Caire- Assouan, se
compose des quartiers planifiés de Dokki et de Giza et de quelques
villages (Embaba). Après 1947, de la voie ferrée et jusqu'au plateau
des pyramides, des quartiers illégaux, construits sur les terres
agricoles, s'édifient.
Cette carte semble faire la preuve d'une simultanéité entre l'urbanisation des terres agricoles et ce que nous savons du fort accroissement
démographique de la ville, postérieur à la deuxième guerre mondiale.
Le Caire est passé de 2,779 millions d'habitants en 1947 à 9,754
-140-
Villes du Sud et environnement
Figure 1 : une relation linéaire entre les courbes de croissance du bâti et de la
population, Le Caire 1917-1986
%
Population
Surface bâtie
Source
: Wagih
1994 (Shorter
millions
enA.,
1986
F., 1989) ou encore de 2,568 millions à 9,487
millions si l'on se réfère à la définition de l'agglomération morpholoCarte
: L’extension
des zones construitesF.,
au 1995).
Caire de 1917 à 1986
gique1 (Denis
E., Moriconi-Ebrard
Historical limit of watered
(agricultural) land
0
km
5
1947-1986
Planifié et contrôlé
Bâti avant 1947
Non contrôlé
Source : Shorter F., 1989
-141-
Une planification urbaine prévue en conséquence
Dans la deuxième moitié du siècle, la planification urbaine du Grand
Caire, suivant le même raisonnement, s'est attelée au contrôle des
mouvements de population. Les différents schémas directeurs (1953,
1977, 1983), et les options urbaines plus récentes (GOPP-IAURIF,
1986, 1989, 1991, 1994) ont toujours considéré la protection des terres
agricoles comme une priorité. Dès 1979, la colonisation du désert,
successivement sous la forme des villes satellites, des villes nouvelles
et des news-settlements, devait être une solution alternative à l'urbanisation de la vallée. La place de la question démographique au sein
des études préliminaires et des schémas stratégiques révèle son
importance pour l'urbanisme officiel. À titre d'exemple, le Schéma
Directeur de 1983 (GOPP-OTUI-IAURIF, 1983), toujours de référence,
lui consacre 60 pages contre 3 pages seulement pour l'examen des
aspects économiques. En outre, l'urbanisation des terres agricoles est
indésirable a priori, excluant de fait une comparaison des avantages et
des coûts respectifs de l'édification de la ville sur le désert et sur les
terres agricoles.
Mettre en doute l'entière responsabilité de la démographie
Pourtant, l'histoire et la géographie urbaines enseignent que
l'extension des villes ne résulte pas seulement de l'accroissement de
leurs effectifs démographiques mais de la combinaison d'un faisceau
de facteurs. Parmi eux, les opérations d'urbanisme volontaire et le
développement des transports urbains figurent en bonne place.
L'historien du Caire A. Raymond a montré qu'après une stagnation
de près d'un siècle, la surface de la ville fut multipliée par deux entre
1863 et 1882 pour atteindre 1260 hectares. Dans le même temps la
population passa de 305 000 à 374 000 habitants soit une augmentation de 74 000 personnes seulement (Raymond A., 1993). Cet
étalement fut la conséquence de l'adoption d'un urbanisme de voirie
(« ville européenne », du Khédive Ismaïl) calqué sur le modèle haussmannien, particulièrement consommateur d'espace. Par le fait du
Prince, le rapport entre la surface bâtie et la population changea donc
brutalement.
De la même manière depuis les années soixante, les générations
successives des villes nouvelles, des villes satellites, puis récemment
les news-settlements ont changé ce rapport en augmentant de près de
400 hectares l'agglomération du Caire entre 1966 et 1986. C'est
cependant dans la période récente, depuis la fin des années quatrevingt qu'elle connaît son plus fort développement. Les villes nouvelles
de Dix-de-Ramadan à l'est et du Six-octobre à l'ouest, représentent
-142-
Villes du Sud et environnement
aujourd'hui une surface urbanisée équivalente à celle de l'agglomération morphologique du Caire soit 679 km2, (Moriconi-Ebrard F.,
1994 ; Denis E., Moriconi-Ebrard F., 1995). Or on sait que l'accroissement démographique s'est considérablement ralenti depuis 1966. Le
taux d'accroissement annuel de 4,38 % entre 1947 et 1966 tomba à
2,50 % au cours de la période inter-censitaire suivante (1966-1976)
(GOPP-OTUI-IAURIF, 1983). Cette baisse a continué jusqu'à une
période récente. Il n'aurait été que de 2,15 % par an entre 1986 et 1990.
Il ne serait plus que de 1,93 % pour la période 1986 -1994.
L'observation du Caire sur de courtes périodes met ainsi en évidence
des variations de l'espace bâti indépendantes de l'effectif de
population. Le desserrement des agglomérations vers les périphéries
est un phénomène connu. Pour apprécier le rôle de la démographie
dans ce mouvement et notamment sa responsabilité dans la consommation des terres agricoles, il faudrait comparer l'évolution respective
de la population et de l'espace bâti à partir de séries temporelles plus
fournies que celles dont on dispose habituellement.
Observer et mesurer l'agglomération morphologique
La méthode pour observer rétrospectivement l'évolution de la ville
est empruntée à la base de données Géopolis (Moricconi-Ebrard F.,
1994). Elle repose sur la définition d'une agglomération morphologique affranchie des définitions administratives dont les variations
s'opposent à une observation continue de la relation population/espace
urbanisé.
La définition officielle restrictive qui limite la ville à la muhafazah
du Caire exclut ses extensions urbaines situées dans les muhafazat de
Giza et de Qaliubiyah. Celle, extensive, du Grand-Caire définit plus
des « compétences - celles de la Greater Cairo Authority, créée en
1965- qu'un territoire parfaitement délimité » (IAURIF, 1985). La ville
varie aussi d'un recensement à l'autre. Ainsi, celui de 1986 adopte une
définition du Caire plus étroite que celle du précédent, sous-estimant
la population de l'agglomération de 1 million de personnes (Shorter F.,
1994). Les séries temporelles disponibles pour Le Caire sont
tributaires des définitions adoptées par leurs auteurs.
Aucune des définitions officielles ne permet d'observer les limites
physiques de l'agglomération ni de mettre en relation le territoire
effectivement urbanisé avec la population qu'il occupe à différentes
dates. En revanche, le concept d'agglomération morphologique ajustée
développé par F. Moriconi-Ebrard autorise l'étude rétrospective de
cette relation parce qu'il détermine l'extension d'un l'espace urbain
puis calcule sa population en fonction de cette emprise spatiale.
-143-
Définir rétrospectivement une série « d'agglomérations
morphologiques ajustées »
Cette opération est tributaire des sources disponibles (représentations cartographiques et recensements de population) de leurs échelles
(cartes), et niveaux d'agrégations (statistiques), enfin de leur exhaustivité. Ainsi, on a pu disposer de données concernant le bâti et la
population agglomérée pour les dates : suivantes 1917, 1947, 1966,
1976 et 1986.
À chaque date, on détermine d'abord le périmètre de la ville à partir
des représentations spatiales (cartes, images du satellite SPOT pour
1986). Conformément à la définition de l'agglomération morphologique, on considère que la continuité est rompue lorsque plus de 200
mètres séparent les éléments urbains (bâtiments mais aussi parkings
et voies de communications diverses).
On dispose alors pour les différentes dates d'une « entité spatiale
définie par son unité morphologique » (F. Moriconi, 1994) et complétée
par une notion d'usage. Elle inclut ainsi les aéroports et les camps
militaires où des espaces bâtis jouxtent des espaces dépourvus de
constructions mais soustraits à toute autre utilisation. L'opérateur
examine à la fois, les caractéristiques d'occupation (land-cover) et
d'usage (land-use) des sols, à la manière d'un photo-interprète. Mais à
la différence de ce dernier, il opère sur des représentations déjà interprétées, ce qui le rend tributaire des règles de généralisation cartographique afférentes à l'échelle des cartes. Les cartes utilisées pour
déterminer les périmètres successifs doivent être d'échelles
comparables.
Les enveloppes spatiales de la ville sont ensuite intégrées à la base
de données de l'Observatoire Urbain du Caire Contemporain (CEDEJ)
et ajustés sur les limites des unités locales des recensements correspondants. Cette opération permet de calculer la population qui
correspond effectivement à chaque périmètre. L'ajustement consiste à
exclure les effectifs des unités locales non agglomérées, et inversement
à retenir celles qui, bien qu'agglomérées, étaient exclues de l'entité
urbaine définie par les recensements successifs. Ainsi, généralement
exclus des comptes officiels, les développements de l'agglomération sur
les terres agricoles des Gouvernorats de Giza et de Qaliubiyah contemporains des recensements ont-ils pu être comptabilisés.
Prenons à titre d'exemple la carte qui fournit une représentation de
l'agglomération morphologique du Caire en 1977, l'une des dates de la
séquence chronologique. Cette carte résulte de l'interprétation de près
d'une centaine de cartes au 1/5000 réalisées par l'IGN (Institut
Géographique National, France) et le Department Survey of Egypt
-144-
Villes du Sud et environnement
(Égypte). Le croît du périmètre de 1977 et de la base de données
statistique permet d'associer au territoire urbain ainsi défini en 1977,
la population du recensement le plus proche (1976). On dispose alors
non plus d'une « tache urbaine » sans réalité spatiale et sociale mais
d'une information géo-référencée.
Évolution comparée de la population et de l'habitat
Afin de comparer l'évolution respective de la population et des
surfaces bâties, les données des deux séries temporelles (espace
aggloméré d’une part, population de l'autre) ont été ramenées à la base
indiciaire 100 pour l'année 1917. Les indices représentés par le
graphique 2 qui distingue l'ouest et l'est montrent que la relation
linéaire établie par le précédent graphique (Fig 1) ne se vérifie plus
que pour la première moitié du siècle. Elle est infirmée de 1947 à 1986.
En effet, avec le Cairo Urban Sprawl, les courbes divergent très
nettement. À partir de 1947, l'espace bâti s'accroît plus vite que la
population pour l'ensemble du Caire et pour la rive est. Mais le
mouvement s'inverse pour la rive Ouest. Sur les terres agricoles,
l'accroissement de la population est plus rapide que celui de l'habitat.
Cette concentration va à l'encontre de la perception commune selon
laquelle l'urbanisation « dévore » les terres agricoles. On constate en
effet que cet espace se densifie d'autant plus que la ville s'étend. Le
mouvement local va à l'inverse de la dynamique de l'ensemble. Ainsi,
de 1947 à 1986 lorsque la ville du Caire enregistre le taux d'accroissement annuel du bâti le plus fort, la rive Ouest s'étend de 6,96 % par
an, mais dans le même temps sa population progresse de 9,35 %, soit
un écart de plus de 2 %. Au cours de la période suivante, tandis que
l'espace bâti s'accroît de 3,39 % par an, la population s'accroît de
4,95 %.
Beaucoup mieux que les taux d'accroissement annuels, les indices
(figure 2) et les densités (tableau 1) des espaces urbains permettent
d'apprécier la concentration de la population sur cette partie de
l'agglomération. À la différence de la rive est où elles ont peu varié,
passant de 137 habitants à l'hectare en 1917 à 149 en 1986, celles de
la rive ouest sont passées de 80 habitants à l'hectare en 1917 à 318 en
1986. Cette augmentation considérable des densités s'explique par
l'homogénéité de la rive gauche, par opposition à la rive droite aux
tissus urbains plus contrastés en raison de la présence de nombreuses
infrastructures de services et d'une structure urbaine plus lâche sur le
désert. Très tôt la ville y débordait avec la création d'Héliopolis puis de
Medina Nasr.
-145-
Tableau 1 : Le Caire, évolution des densités urbaines de l'agglomération morphologique de 1947 à 1986
Années
Rive ouest
Rive est
1917
80
137
1947
128
280
1976
281
183
1986
318
149
Calculées d'après les séries temporelles établies à partir des
différentes agglomérations morphologiques (Armand M.).
Dynamique
de la
croissance
sururbain
les terres
agricoles
1986-1994
Figure
2 : L’évolution
comparée
de l’espace
aggloméré
et de la population
du
Caire de 1917 à 1986, rives ouest et est
L'absence de données de recensement - le dernier date de 1986 et les
résultats de celui qui est en cours seront publiés au plus tôt en 1997-
Valeur indicative base 100 en 1917
Population Ouest
Bâti Ouest
Population Est
Bâti Est
Source M.Armand
empêche d'étudier la relation population/bâti dans la période récente.
Néanmoins, des images multibandes (XS) du satellite SPOT ont
permis d'apprécier l'évolution de l'espace urbain.
L'urbanisation des terres agricoles sur le gouvernorat de Giza a été
mesurée en faisant la différence des agglomérations morphologiques
extraites des images de 1986 et de 1994. Cette démarche est conforme
à celle qui a été appliquée ci-dessus sur les cartes. Elle est plus
adaptée à l'extraction de l'urbain aggloméré que l'analyse multidate
habituelle (M Armand, 1995).
-146-
Villes du Sud et environnement
Pour qu'on puisse les comparer, les données satellitaires des dates
respectives doivent être dans la même géométrie. L'image SPOT view
du 10/08/94 sert de référence géométrique pour le recalage de l'image
de 1986. Après correction, les données, devenues superposables,
peuvent être comparées point par point, avec une précision inférieure
au pixel (la résolution au sol est ici de 20 mètres).
On effectue alors séparément sur chaque image-satellite une classification en catégories primaires (ville, désert, terres agricoles). Le
résultat de cette classification (format vectoriel) sous la forme d'un
périmètre d'agglomération assorti de ces nombreux écarts est ensuite
repris par PIAO (M Armand, 1995) pour déterminer les périmètres
définitifs.
Les surfaces urbanisées entre 1986 et 1994 apparaissent en faisant
la différence des agglomérations morphologiques de ces deux dates.
Elles représentent une extension de 2560 ha sur les terres agricoles de
Giza, soit une « consommation » moyenne annuelle de 320 ha. À titre
de comparaison, la dernière étude officielle réalisée évaluait cette
consommation annuelle à 143 ha pour la période 1986-1989 (IAURIFGOPP, 199O). Le chiffre obtenu est plus de 2 fois plus élevé. Il est plus
proche des résultats de deux études d'occupation des sols antérieures.
La première, réalisée à partir d'images Landsat MSS (Padco, 1982),
évaluait la perte de terres arables pour le Grand-Caire à 590 ha entre
1977 et 1978. La deuxième réalisée dans le cadre de l'étude préliminaire du Schéma Directeur de 1982 l'estimait à 590 hectares par an
entre 1977 et 1982 (GOPP-OTUI-IAURIF, 1983).
Ces études ont eu recours à des sources et à des méthodes de calculs
différentes, ce qui rend difficile toute comparaison. De ce fait, les
séries temporelles qui décrivent la consommation de terres agricoles
de l'agglomération du Caire et auxquelles on se réfère en général, sont
sujettes à caution. S'il y eut effectivement un ralentissement de
rythme de consommation entre 1986 et 1989, la croissance aurait
repris de 1989 à 1994 pour se rapprocher en fin de période du niveau
des années 1970.
Quoi qu'il en soit, ce ralentissement est mineur par rapport au
mouvement d'ensemble. Trop court, il ne peut être le fruit des
politiques urbaines qui semblent avoir peu d’effet sur l'urbanisation
des terres agricoles, du moins à Giza et jusqu'en 1994.
La morphologie de ces extensions récentes importe peut-être autant
qu'une évaluation en valeur absolue qui ne peut être qu'indicative. À
partir des images, on observe une progression du bâti par densification
sur les terres agricoles. De 1986 à 1994, l'urbanisation s'est toujours
effectuée sans rupture de continuité avec l'agglomération morpholo-
-147-
gique. La faiblesse des épars et des espaces libres intra-urbains atteste
du caractère compact de ce développement. Les formes de croissance
réticulaires sont rares à l'exception de celles qui jouxtent la route
d'Alexandrie. À moins de 10 kilomètres du centre-ville, on peut lire
dans cette forme d'occupation du sol l'adaptation (au sens de Mc Kenzi
R., 1925) d'une population aux caractéristiques de la ressource
spatiale locale.
L'étude des images-satellite comme celle des cartes montre que Le
Caire progresse sur les terres agricoles par densification de l'espace
bâti et par concentration de la population plus que par étalement. Il
s'agit bien d'un « étalement minimum » (Denis E., 1995) qui semble
procéder de la recherche d'économie d'espace, par opposition aux
développements planifiés de ces vingt dernières années.
Population : une erreur d'appréciation
Les développements ci-dessus montrent que l'exemple du Caire
illustre très mal cet étalement des mégapoles où la démographie
galopante serait responsable de la consommation des terres arables.
Comment expliquer que cette représentation, démentie par l'observation, continue à s'imposer ?
Disponibilité et choix des données
L'erreur d'appréciation s'explique par la rareté des données
décrivant l'espace bâti d'une part, et par le choix des années de
référence choisies pour observer la relation, d'autre part.
Contrairement à la population qui fait l'objet de recensements systématiques depuis 1846, les données concernant l'occupation du sol sont
très rares, trois études seulement pour l'ensemble de la période (citées
ci-dessus, 2.3). Du fait de l'absence de tradition dans la collecte d'informations sur le bâti, les données existantes sont peu comparables. Elles
procèdent de sources et de techniques différentes et ne sont pas
relevées dans une perspective de suivi.
Or, pour apprécier l'état de la ressource spatiale (terres arables) et
les modalités de sa consommation il faut mettre en rapport un effectif
de population et la surface qu'il occupe effectivement à la même date.
Cette simultanéité idéale n'est remplie qu'exceptionnellement car les
inventaires cartographiques sont rarement contemporains des recensements de population. Contrairement à ces derniers, ils représentent
souvent un état des lieux étalé sur plusieurs années. La pénurie
d'informations géographiques concernant l'espace urbain n'est pas
propre au Caire. On la déplore pour la plupart des villes du tiersmonde où elle nuit principalement à la connaissance des périphéries.
-148-
Villes du Sud et environnement
En l'absence d'une collecte systématique et régulière comparable à
celle des recensements, la difficulté d'une étude rétrospective réside
aussi dans le choix des données de référence. Car l'observation est
toujours tributaire de l'échantillonnage temporel. Ainsi, la carte 1,
établie pour la période 1946-1986 suggère une simultanéité entre la
croissance démographique et l'urbanisation des terres agricoles. Seule
l'introduction de données intermédiaires centrées sur les recensements de 1976 et de 1966 fait apparaître le caractère récent du
mouvement et son décalage par rapport à la croissance démographique. Il conviendrait donc d'observer les rapports entre la
population et l'espace bâti au moins avec la fréquence des recensements sinon avec une résolution temporelle plus fine, pour être en
mesure de repérer de véritables cooccurrences.
L'idéologie
On remarque aussi que ce sujet se situe à un point de rencontre idéal
du « mythe de la nature et de la population » (selon l'expression
d'Hervé Le Bras, 1994) et qu'il est fréquemment abordé par le biais de
l'idéologie. Rares sont les études qui ne mentionnent pas le manque de
terres et la surpopulation de l'Egypte. En l'occurrence, urbanistes,
décideurs et scientifiques ne sont-ils pas victimes d'un « piège
malthusien » lorsqu'ils sacrifient aux différentes métaphores et images
d'épouvante qui décrivent l'urbanisation des terres agricoles ?
À travers ce thème transparaît une peur écologique ancestrale : que
le pays consomme son capital de ressources renouvelables, la terre
arable, et n'atteigne sa « population limite ». L'équilibre séculaire de
l'Égypte serait mis en péril par la croissance des villes.
Avec 35 000 km2 de terres arables, totalement soumises à l'irrigation, c’est-à-dire moins de 4 % du territoire national, on conçoit que
l'Égypte alimente ces craintes. Ces dernières sont accentuées par le
fait qu'en dépit d'une intensification de sa production agricole, ce pays
ne parvient pas à nourrir toute sa population. Dans ce contexte, les
terres agricoles les plus menacées situées à la périphérie des villes
sont d'autant plus précieuses.
Mais ce raisonnement postule l'existence d'un dispositif clos, celui du
rapport villes/campagnes dans les limites nationales. Il nie l'appartenance à un monde ouvert animé par des échanges internationaux et
donc la possibilité de favoriser un secteur de développement (industrie
et services) plutôt qu'un autre (agriculture). H Le Bras a souligné
qu'en raison de cette globalisation, la notion de population limite ou
surpopulation n'avait de sens qu'à l'échelle mondiale.
Par ailleurs, on sait que la dépendance, de 17,5 % en 1992, résulte en
grande partie du changement des habitudes alimentaires et
-149-
notamment de l'augmentation de la ration carnée (Mitchell T., 1996).
Le pays couvre 82,5 % de ses besoins en viande, grâce notamment à
une très forte augmentation des surfaces cultivées en luzerne (barsim)
au détriment des cultures de céréales et des légumineuses. La moitié
seulement des besoins en blé sont satisfaits. 30 % du maïs consommé
est importé, et 80 % des légumineuses (CAPMAS, 1995).
La question de l'autonomie alimentaire, comme celle de l'équilibre
entre la population et les ressources, se pose donc en termes
d'échanges mondiaux économiques et, on le voit, culturels. Elle n'est
pas réductible à un simple calcul de surfaces « perdues » par urbanisation. Perte qui doit aussi être appréciée par rapport aux 2 863 500
feddans, soit 1 292 670 hectares de terres bonifiées entre 1952 et 1994
et à la productivité agricole (CAPMAS, 1995). Pendant toute cette
période, l'augmentation de la production agricole a été supérieure à
celle de la croissance démographique.
Une responsabilité partagée
Le décalage d'une vingtaine d'années observé entre le maximum de
l'accroissement démographique du Grand-caire, qui intervient au
cours de la période 1947-1966, et celui de l'urbanisation des terres
agricoles de Giza, qui s'effectue surtout de 1976 à 1986, signifie que ce
mouvement résulte d'une dynamique complexe dépassant le cadre
démographique.
Le desserrement qui s'est effectué depuis 1976 en faveur des
périphéries agricoles est le résultat d'un faisceau de déterminants.
Les causalités multiples impliquées dans ce mode d'urbanisation ont
fait l'objet de nombreuses études. Elles ont montré notamment
comment la construction de logements y répond à un taux de reproduction élevé (F Shorter, 1994), à l'augmentation de l'espérance de vie
mais aussi au désir de dé-cohabitation des jeunes ménages (Ph.
Fargues, 1994) et aux possibilités de réalisation d'une promotion
immobilière liée à l'économie de rente (G El Kadi, 1987). Ainsi, la
démographie reste au cœur de la problématique mais elle doit compter
avec la géographie, l'économie, l'anthropologie, la sociologie qui
rendent ces terres arables si attractives en dépit des interdictions de
construire successives et de l'offre alternative de logements sur les
terres désertiques.
Ces recherches, dont on constate qu'elles sont consécutives à une
volonté de réhabilitation des quartiers informels, ont mis en évidence
les paradoxes de cette urbanisation spontanée. À titre d'exemple,
l'espace urbain non planifié y est d'une qualité inhabituelle (Oldman
L., El Hadidi H., Tamaa H., 1987) et (Panerai Ph., Noweir S., 1990), et
le nombre de logements vacants supérieur à la moyenne (GOPP-
-150-
Villes du Sud et environnement
IAURIF, 1994). On s'étonne que ce développement n'ait pas faibli en
période de décroissance économique (Handoussa H., 1990). On
découvre que la ville sous ses formes indésirables est aussi facteur de
développement.
Longtemps, ces quartiers informels, illégalement construits sur les
terres agricoles ont été perçus comme des espaces de relégation dont
la fonction était d'absorber l'excédent démographique. Les sciences
sociales leur ont peu à peu reconnu une identité urbaine. C'est leur
rôle dans le développement du pays qu'il conviendrait de préciser pour
apprécier l'urbanisation de ces terres à sa juste valeur.
Conclusion
En matière d'urbanisation, comme en d'autres domaines, les
données d'observation et la mesure sont une parade contre l'idéologie.
Dans le cas du Caire, l'analyse rétrospective de l'agglomération
morphologique a permis de reconsidérer l'existence d'une causalité
trop simple établie entre la croissance de la population et l'empiétement de la ville sur les terres agricoles. Cette causalité fonde un
raisonnement malthusien et nourrit la plupart des métaphores qui
prospèrent au carrefour de l'écologie et de l'urbanisme.
Une fois l'idéologie démasquée, les exigences de la mesure
conduisent à s'interroger sur les catégories d'analyse en usage. On doit
reconsidérer les définitions administratives de la ville, comme celles
de l'urbanisme (ville planifiée et informelle) pour rendre compte des
dynamiques de l'occupation des sols indispensables à la connaissance
de la relation population/environnement au sein de l'écosystème
urbain.
Enfin, la transformation des terres agricoles en sol urbain change de
sens selon le niveau d'observation. La peur du nombre et du manque
de ressources ne résiste pas à l'échelle mondiale. Par réaction, cette
optique globalisante rend l'urbanisation des terres agricoles dérisoire
et achève de réhabiliter les quartiers auxquels elle donne naissance. Si
la démographie n'est pas plus galopante que ces quartiers ne sont des
tumeurs malignes, alors les modèles d'urbanisme proposés comme
alternative sont remis en question. Les développements extraordinaires de la ville sur le désert ne vont-ils pas de fait gaspiller une
ressource plus précieuse que la terre sans protéger cette dernière pour
autant ?
Cet exemple apporte la preuve que l'analyse de la ville en termes
d'environnement pourrait contribuer, en raison même des nécessités
de mesure, à renouveler la gestion urbaine.
-151-
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-153-
Travaux de la Société d’Écologie Humaine
c/o UMR 6578 du CNRS - Adaptabilité Humaine : Biologie et Culture
Université de la Méditerranée, Faculté de Médecine
27, boulevard Jean-Moulin, 13385 Marseille cedex 5
Directeur de la Publication : Nicole Vernazza-Licht
Déjà parus :
L’homme et le lac 1995
Impact de l’homme sur les milieux naturels : Perceptions et Mesures 1996
Cet ouvrage est issu, pour l’essentiel, des travaux présentés aux VIIIe journées scientifiques
de la Société d’Écologie Humaine (SEH), qui se sont tenues à Orléans en juin 1996.
Ces journées étaient organisées par :
- la Société d’Écologie Humaine
- l’équipe du DEA « Environnement, Temps, Espaces, Sociétés », Université d’Orléans
- l’UMR 6578 « Adaptabilité Humaine : Biologie et Culture », CNRS-Université de la
Méditerranée, Marseille
- le laboratoire Population-Environnement, Université de Provence/Orstom, Marseille
- le laboratoire ERMES, Orstom, Orléans
Il a bénéficié du soutien financier du département Environnement, Technologies et
Société de l’Université de Provence, Marseille
Dépôt légal : 4e trimestre 1998
ISBN : 2-9511840-2-6
ISSN : 1284-5590
Tous droits réservés pour tous pays
© Éditions de Bergier
476 chemin de Bergier, 06740 Châteauneuf de Grasse
[email protected]
VILLES DU SUD
ET
ENVIRONNEMENT
Éditeurs scientifiques
Daniel Bley, Jacques Champaud, Patrick Baudot,
Bernard Brun, Hélène Pagezy, Nicole Vernazza-Licht
1997
La pêche aux crevettes sur la Lobé
face à la demande des villes :
changement de pratiques et
conséquences sur la gestion durable
des ressources
Hélène Pagezy* et David Nzouango**
En Afrique peut-être encore plus qu'ailleurs, la production de
produits vivriers doit faire face à une demande des villes dont
l'extension et la croissance démographique sont particulièrement
rapides. Les villes africaines survivent grâce aux importations
massives de nourriture de base, céréales ou tubercules, mais aussi de
nourriture d'accompagnement, voire de prestige. C'est le cas du gibier,
et particulièrement du gros gibier (cf Bahuchet et Baillon, article dans
le présent ouvrage) et des espèces les plus grandes de poisson de
rivière. Ainsi, les citadins issus de régions arrosées par de grandes
rivières attribuent au poisson d'eau douce une valeur sociale,
culturelle et affective supérieure à celle du poisson de mer. Il en va de
même pour les crevettes1. Les classes aisées de Douala ou de Yaoundé
sont prêtes à payer le prix fort pour pouvoir offrir à leurs invités des
crevettes de la Lobé. Un grossiste de Yaoundé affichait en 1993 des
prix tournant autour de 1000 F/kg pour le poisson congelé, 1500 F
(crabe) à 4500 F/kg (langoustes) pour les crustacés, les crevettes de la
Lobé se vendant 3000 F/kg. Les menus gastronomiques proposés par
les restaurants de Kribi, petite ville touristique du bord de mer, ne
manquent pas de faire figurer à côté du poisson de mer ces fameuses
crevettes. Ces crustacés, qui peuvent dépasser 10 cm de longueur,
n'ont rien à envier à leurs cousines de mer. C'est la demande
croissante des villes en crevettes d'eau douce qui est l'objet de notre
*UMR 6578 CNRS Adaptabilité humaine, Université de la Méditerranée, 27 avenue Jean Moulin,
13385 Marseille cedex 05, France
**WCS, Yaoundé, Cameroun
1Macrobrachium sp, Palaemonidea
-156-
Villes du Sud et environnement
étude, menée entre 1993 et 1995 à partir du village de Mabenanga sur
la Lobé.
Localisation de l'étude
Le village de Mabenanga est le dernier village Mabea et aussi le plus
important des 7 villages2 qui se succèdent le long du fleuve Lobé
depuis son estuaire sur environ 15 km (figure 1). Excepté Doumale où
exerçait jusqu'à sa mort récente un fameux guérisseur, les autres
villages n'atteignent pas 25 habitants.
La Lobé est un des grands fleuves du Sud Cameroun. Il longe à l'est
la réserve forestière de Campo et se jette dans l'océan Atlantique à
Figure 1 : Localisation de l’étude. Fleuve Lobé, Sud Cameroun
quelque 10 km de Kribi par des chutes spectaculaires. Juste avant ces
chutes, le pont de la Lobé est le terminus de certains taxis collectifs
faisant la liaison avec Kribi. La route qui longe la mer continue vers le
sud sur Campo.
Certains Mabea sont des pêcheurs d'eau douce à l'embouchure du
2Nkingui,
Mvumbélé (ou Doumale, dernier lieu accessible par route), Rebvuni, Namassambi, Pfuguè,
Bvungangomi,
-157-
Ntem et sur la route menant de Kribi à Ebolowa ; d'autres pêchent en
mer comme leurs voisins Batanga ou Yassa. Ils sont installés sur la
côte entre Kribi et Campo.
En mai 1993, Mabenanga ne comptait que 63 personnes, dont 10
pêcheurs. Cela n'a pas toujours été le cas : dans les années 50, ce
village était 3 à 4 fois plus peuplé. La plupart des familles ont fui ce
village, lassées par les dégâts causés dans leurs cultures par les
éléphants, espèce protégée par la loi. Les migrants se sont installés au
pont de la Lobé (quartier de Kingi), et sur la route d'Ebolowa.
Les habitants de Mabenanga sont plutôt jeunes : le village ne compte
qu'une personne, (une femme) de plus de 70 ans. Ils vivent de l'agriculture sur brûlis et de la pêche. L'excédent des récoltes se vend
directement au domicile du vendeur. Au village, une femme de
pêcheur gère par intermittence un petit commerce (cigarettes, alcool,
huile, savon, beignets). L'essentiel des revenus du village provient de
la vente des crevettes d'eau douce.
Mabenanga est un village très enclavé dans la mesure où aucune
route digne de ce nom ne le traverse ; il ne possède ni école ni
dispensaire ; la seule construction inhabitée est une église animée par
un catéchiste-pêcheur. Les enfants sont scolarisés à la Socapalm,
société fabriquant de l'huile de palme, qui s’étend sur la rive droite du
fleuve, ou à Kribi. Étant donné les distances, ils passent l'année
scolaire en pension chez un parent employé par la société ou installé
sur la route menant de Kribi à Campo. Ces écoliers reviennent au
moment des vacances.
Le village possède deux embarcadères, situés à chacune de ses
extrémités. En principe chacun dessert le quartier le plus proche. En
pratique, tout pêcheur peut garer sa pirogue dans l'un ou l'autre
embarcadère selon qu'il prévoit de pêcher en amont ou en aval du
village.
Les pêcheurs de Mabenanga s’éloignent jusqu'à 3,5 km de part et
d'autre du village (Bipili en amont ; Mbandi en aval). Au-delà de cette
distance, ils passent la nuit dans des « cabanes ». Ce sont des
habitations temporaires, normalement habitées en saison sèche et
occupées parfois aussi en saison des pluies. Certaines sont bien
entretenues, recouvertes de tôle ondulée, fermées ou non à clef.
Chaque « cabane » a son propriétaire mais n'importe qui peut s'y
abriter s'il la trouve ouverte et non occupée. Autour des « cabanes », on
élève des poulets, considérés comme étant mieux protégés des rapaces
qu'au village.
Aux deux saisons sèches (de décembre à février, et en juillet) les
pêcheurs de Mabenanga partent pour une durée d'un mois s'établir
dans les nombreux campements situés pour la plupart en amont du
-158-
Villes du Sud et environnement
village3 et jusqu'à 35 km du village mais aussi en aval4. La plupart de
ces campements sont situés à proximité des confluents de la Lobé avec
ses affluents, sur les voies de migration de certaines espèces de
poissons.
Les pirogues à moteur remontent le fleuve depuis le pont de la Lobé
jusqu'aux chutes de Bitombo. À ce niveau, hommes et bagages doivent
débarquer afin de passer les rapides et continuent en pirogue plus
légère jusqu'aux emplacements de pêche ou jusqu'aux autres
campements situés en amont. Les cabanes y sont plus rudimentaires ;
ce sont souvent de simples abris bâchés.
La rive droite du fleuve, non protégée par un statut de réserve, est
depuis quelques décennies partagée entre deux grandes sociétés : en
aval vers Kribi, la Socapalm exploite le palmier à huile ; en amont vers
Ebolowa, l'Hévécam exploite le caoutchouc. Ces deux sociétés qui
longent le fleuve sur une vingtaine de km chacune, sont en pleine
expansion puisqu’il est prévu qu’elles se rejoignent d’ici quelques
années. Ce sont des lieux très attractifs. Les pêcheurs y trouvent un
marché, des magasins, une école, un dispensaire et de nombreux bars.
Les plantations sont reliées aux principales villes par des routes
relativement bien fréquentées. Chaque quinzaine, à l’occasion de la
paie, il règne une grande animation : la population se gonfle de
nombreux visiteurs, commerçants et femmes.
La pêche aux crevettes face à la demande des villes : de
l'autoconsommation au profit
À Mabenanga comme dans le Sud Cameroun près du littoral
(Dounias, 1993), la capture du poisson au moyen de filets ou de lignes
était l'affaire des hommes, celle des crevettes l'affaire des femmes. La
production de crevettes, comme celle de poisson, était destinée à l'autoconsommation. En cas de surplus, le poisson se conservait fumé pour
une utilisation familiale différée. Les autres activités de subsistance
consistaient essentiellement en la préparation des champs et la chasse
pour les hommes, en la plantation et la récolte de produits agricoles et
la préparation de la nourriture pour les femmes.
Actuellement, une logique de profit a remplacé la logique de
subsistance. Les crevettes représentent la principale source de
revenus des ménages. C'est une denrée extrêmement valorisée,
consommée dans les restaurants de Kribi, voire de Yaoundé et de
Douala, où la demande est importante. Poussés par l'attrait du gain,
les hommes ont depuis une vingtaine d'années rejoint leurs femmes
dans la pose de nasses.
3Bipili,
Tsimanguio, Mbpassi, Shè Malendi, Bitombo, Boungouli-mbili, Touo-bvuo, Makuermbabvou, Bissanguier, Shè Nguma, Lolo, Tsia-Bura, Djissè Nere, Kobolo, Nzimi
4Paga, Tuoli, Mbandi, Milinga
-159-
Les conséquences de cette nouvelle logique de profit apparaissent
essentiellement à deux niveaux : l'augmentation du revenu du
ménage, en particulier celui des femmes, et l'augmentation de la
pression de pêche, celle-ci laissant présager des conséquences
fâcheuses sur la gestion durable de ces ressources halieutiques.
Pression de pêche et gestion durable des ressources
Si la pression de pêche dépend essentiellement du niveau d'eau, elle
dépend également de l'effectif des pêcheurs, de l'effectif de nasses par
pêcheur, de la technologie employée en particulier du choix des lieux
de pêche et du choix des appâts. Il est évident que les conséquences de
l'adoption de cette activité par les hommes ne se font pas uniquement
sentir au niveau de l'effectif plus important des pêcheurs actifs, mais
aussi de leur façon plus efficace de pêcher, par l'investissement de
lieux de pêche inexploités plus distants du village, de la mise en jeu
d'un plus grand nombre de nasses et de l'utilisation d'appâts plus
performants.
La pêche aux crevettes, activité féminine et saisonnière
La pêche aux crevettes était à l'origine une activité saisonnière,
rythmée par le niveau du fleuve et par les activités des femmes. Les
nasses sont « trempées » près des rives où l'eau est peu profonde.
Lorsque l'étiage est au plus bas (décembre-janvier et juillet), les
crevettes remontent vers l’amont ; elles se font rares en aval (Monod,
1980). Par ailleurs, deux fois par an, en avril et en août, les femmes
s'arrêtaient de pêcher pour se consacrer à la mise en culture de leur
champ. En octobre pendant la grande crue, le haut niveau du fleuve et
la force du courant sont tels que toute activité de pêche devient
impossible durant environ un mois : en effet selon Olivry (1986) le
débit de la Lobé passe de 21 m3/s en février et août à 292m3/s en
octobre, ce qui représente un débit presque 14 fois plus élevé en saison
des pluies. Pour ces raisons la pêche aux crevettes s'arrêtait autrefois
pendant 5 à 6 mois par an.
Augmentation du nombre de pêcheurs
L'adoption de l’activité de pêche aux crevettes par les hommes a eu
des conséquences importantes sur la pression de pêche. Actuellement,
en toute saison (excepté 3 à 4 semaines en octobre au plus fort des
crues), l'homme remplace son épouse lorsque celle-ci est appelée à
d'autres occupations (travaux des champs, soin des enfants, déplacements, visites). Ainsi les couples gérant leurs nasses en communauté
en possèdent davantage mais moins que lorsque chacun des membres
du couple gère ses nasses séparément (tableau 1).
-160-
Villes du Sud et environnement
En saison des basses eaux, sitôt les nouveaux champs terminés, les
hommes remontent le fleuve, seuls ou en famille, et s'installent dans
des campements temporaires et des « cabanes » isolées. Ils se font
remorquer par une pirogue à moteur (moyennant finance) et se font
porter par le courant à la descente. À Bitombo, principal campement
situé à un jour du pont de la Lobé, les pêcheurs du fleuve sont rejoints
par des néo-pêcheurs, originaires pour la plupart du pont, attirés par
le gain facile, particulièrement au moment des fêtes de fin d'année, où
la demande en crevettes est importante. Possédant beaucoup plus de
nasses que les pêcheurs autochtones, ils exploitent aussi les rives sur
de plus grandes distances. Commençant leur activité tôt dans l'aprèsmidi, ils se choisissent aussi les meilleurs emplacements.
En amont de Mabenanga et de Bitombo, certains campements par
leur situation favorable à la vente (ils se trouvent face à la grande
société de plantation Hévécam où résident quelque 25 000 personnes)
attirent, malgré la distance, les pêcheurs les plus motivés. Ainsi deux
pêcheurs de Mabenanga y ont séjourné en 1993-94 pratiquement
toute l’année. L'un, attiré par le gain facile, possédait 200 nasses ;
l'autre avait choisi cette stratégie ponctuelle afin de faire face à la
perte subite de toutes ses nasses par la montée du fleuve. Également,
à 3,5 km en aval de Mabenanga, deux autres pêcheurs se sont
installés en 1995 de façon semi-permanente, là où les déchets de la
Socapalm se déversent dans le fleuve. Ce milieu biologiquement riche
leur assure une production très élevée.
Tableau 1 : Gestion et répartition des nasses dans les ménages. Mabenanga janvier,
mars, avril 1994
Nasses gérées en communauté entre mari et femme
5/1
Nb nasses
Martin
72 +
Madeleine
6/1
7/1
8/1
9/1
10/1
+
0
+
0
0(v)
0
0(v)
+
0(v)
+
Jean Paul 65 0(f)
Anne*
+
0(f)
+
0(f)
+
0
0(v)
0(abs) 0(abs)
0(abs) 0(mal)
29/3
Nb nasses
60 +(f)
+
0
30/3
31/3
1/4 2/4 3/4
+(f)
0
+(f)
0
+(f) +(f)
0
0
40 +
0
+
0
+(f)
0
+(f)
0
+
+
+
+
0 (Pâques)
0(Pâques)
+(f) +(f)
0
0
Nasses gérées séparément dans le couple
Pierre
Thérèse
Nb nasses
57 +(f)
35 +
+(f)
+
+(f)
+
0(v)
0(v)
0(v)
+
+(f)
+
40
25
Nb nasses
+(f)
+(f)
+
+
+ : a “trempé” ses nasses ; 0 n’a pas trempé ses nasses
(f) : a posé ses filets
(v) : est allé(e) vendre sa production
* Enceinte en mars/avril 94
-161-
+
+
0(Pâques)
0(Pâques)
Accroissement de l'effectif des nasses
Tous les 6 mois un pêcheur doit renouveler son stock de nasses,
parfois avant car elles pourrissent vite si l’on n'a pas pris soin de les
mettre régulièrement à sécher. Le renouvellement des nasses se fait
essentiellement au moment des décrues de mai ou de novembre, juste
avant les grandes saisons de pêche. Suite aux pluies torrentielles, les
variations brutales d'étiage surprennent souvent les pêcheurs qui ont
mis leurs nasses à sécher sur des rochers insuffisemment protégés de
l’inondation. Certains d’entre eux peuvent perdre en un jour jusqu’à la
totalité de leurs 60 à 80 nasses. Les nasses déjà placées ne seront
récupérables que deux à trois jours plus tard, avec la décrue.
Ainsi, le samedi 10 juillet 93 suite à une pluie torrentielle, 250
nasses ont été emportées par le courant. Elles appartenaient à 4
pêcheurs. La crue a également emporté 6 filets, une pirogue et les
stocks de crevettes fraîches mises en réserve dans le bongolo5, et qui
correspondait à une semaine de travail.
À Mabenanga, les ménages possèdent de 45 à 130 nasses, soit deux
à trois fois plus que les femmes seules, qui n'en possèdent que 27 à 60
(tableau 2). On est bien loin du nombre de nasses des néo-pêcheurs de
Bitombo, qui investissent les lieux avec leurs 150 à 200 nasses.
Mobilité et techniques
Lieux exploités par les hommes et fréquence de trempage
Nous avons remarqué que la production en crevettes par nasse
dépendait du lieu de trempage. Disposant de moins de temps et
maniant moins bien la pirogue, les femmes exploitent davantage les
rives surexploitées situées aux abords du village. Leur production est
triée généralement à l'embarcadère même. Inversement, les hommes
s'éloignent jusqu'à 3,5 km de part et d'autre du village et rentrent le
soir. Ils choisissent de préférence les lieux biologiquement plus riches
où se déversent les petites rivières, comme celle charriant les déchets
de l'usine de la Socapalm. Les crevettes supportant mal le transport et
l'exondation, le triage se fait alors sur place.
Les emplacements saisonniers, comme le campement de Bitombo où
se rendent à chaque saison sèche de nombreux pêcheurs, restent très
productifs malgré le nombre élevé de nasses mises à tremper. Dans
les campements comme parfois au village, les hommes effectuent en
saison 2 à 3 relevés par nuit, récupérant ainsi la totalité des crevettes
piégées alors qu’habituellement une certaine proportion parvient à
s’échapper.
5cylindre
percé de trous, immergé, permettant de stocker les crevettes durant une semaine
-162-
Villes du Sud et environnement
Tableau 2 : Variation du nombre de nasses selon les saisons
Juil
Nov
Janv
93
93
94
Mars
Oct
94
95
Couples
Martin/Suzanne
0/25 (p80)
90
72
60
41/53
Jean Paul/Anne
47/53
50
65
40
NP
Simon Elizabeth
37/45
30
NP
38
NP
Joseph Marceline
90
120
130
110
Abs
Nicolas/Adeline
12(p39)
60
62
Pierre/Thérèse
0/36(p92)
90
57+35
Abs+15
NP
40+25
NP
Femmes seules
Catherine (Avx)
43
50
60
Abs
NP
Agnès (veuve, Avx)
Deuil
Deuil
58
35
NP
Hermine (Avx)
35/15
47
Tata (jeune f seule)
Allaite
Allaite
Malade
27
Malade
15
NP
Abs
Avx : assez vieille, Abs : absent, NP : ne pêche pas (eau trop haute), p : perte
0/36 : 0 n’avait plus de nasse, 36 : en a confectionné (ou acheté) 36
40+25 : 40 pour Monsieur, 25 pour Madame
en gras : effectif de nasse le plus élevé possédé par un couple ou une femme seule
Le choix des appâts
L'appât le plus répandu consiste en du manioc doux peu cuit et des
noix de palme (parfois des noix de coco). Lorsqu'on en a l'opportunité,
ce qui est surtout les cas des hommes, on utilise un appât de nature
animale, poisson fretin, sardinelles achetées à Kribi, ou encore abats
de gibier. L'adjonction d'appâts de nature animale améliore sensiblement la production par nasse. C'est ce que montre le tableau 3 où
figure également la variation de la production de pêche en fonction de
la distance du village. Les lieux les plus éloignés sont plus productifs
car la pression y est moins forte.
La pêche aux crevettes, une stratégie de rente
À Mabenanga, l'homme et la femme possèdent en général leurs
propres nasses, qu'ils peuvent mettre en commun lorsque l’un d’entre
eux ne pêche pas, et parfois leur propre pirogue. Chaque jour, la
production de pêche doit être stockée rapidement dans l'eau courante
afin d'éviter qu'elle ne se perde. Elle y restera pendant une semaine,
dix jours au maximum, enfermée dans un bongolo, nasse de grande
taille ou cylindre métallique percé de trous. Seuls les crustacés de
petite taille, les moins vivaces et les pinces des gros individus capables
de s'attaquer à leurs congénères (30 % de la pêche du jour), qui représentent la fraction non économiquement rentable, sont rapportés à la
maison où ils donneront du goût à la sauce du repas.
-163-
Tableau 3 : Production de crevette (en g/nasse), en fonction de la nature de l’appât et du
lieu de pêche
Appât végétal : noix de palme (ou noix de coco) et manioc
Appât animal : poisson fretin, abats
Poids moyen (g) des crevettes capturées par nasse
Lieu de pêche
Nature de l’appât
Nov 93
Oct 95
À moins de 3,5km du village
Appât végétal
Appât végétal et animal
18g
27g, 29g
38g, 40g
52g
Lieu de pêche
Nov 93
Nov 95
Proche du village Kieur (loin en amont)
35g, 39g
63g, 70g
47g, 54g
69g, 81g
Lorsque le bongolo est commun au couple, les bénéfices sont
partagés lors de la vente, entre mari et femme au prorata du nombre
de nasses et du nombre de jours d'activité de chacun.
Jusqu'en 1995, la production était vendue directement par les
pêcheurs aux restaurants de Kribi, parfois aux dirigeants6 des
plantations. À partir de 1995 ce sont des collecteurs (grossistes)
commandités depuis Kribi, Yaoundé et Douala, qui effectuent
l'essentiel du commerce. Le premier est apparu sur la Lobé en février
1994. En octobre 95 on comptait 2 collecteurs réguliers, originaires du
pont.
Avant l'apparition de collecteurs, les pêcheurs devaient eux-mêmes
trouver leurs clients. C'était généralement la femme, considérée
comme moins gaspilleuse que le mari, mais parfois l'homme, qui était
chargée de cette mission. En route avant l'aube - la totalité de la
production devant être vendue avant 9h du matin - elle atteignait le
pont de la Lobé après 4 heures de marche pour éviter le risque de
pourriture.
À partir de 1996, 2 collecteurs se chargent du ramassage régulier des
crevettes, une à deux fois par semaine, et de leur écoulement.
D’autres, comme C, employé par une agence touristique, en font une
activité opportuniste.
Pour le collecteur, la faible différence de prix proposée avec la ville,
une à deux crevettes par tas de 100 F, est compensée par l'importance
de la vente7. De leur côté, étant donné le gain de temps et d'argent
(prix du taxi jusqu'à Kribi et retour), les pêcheurs y trouvent leur
avantage.
6les
crevettes représentent un produit de luxe, inaccessible à la plupart des ouvriers, contrairement
au poisson de mer ou du fleuve, de moindre valeur sociale et bien meilleur marché
7En fonction de l'offre et de la demande, le cours des crevettes varie de 4 à 10 unités pour 100 F à
Kribi contre 5 à 12 unités pour 100 F sur place.
-164-
Villes du Sud et environnement
Prenons deux exemples :
Avant l'existence de collecteurs
Le 31 juillet 93, madame A. est partie vendre ses crevettes à Kribi
avant l'aube. Elle s'est chargée de la production de N., qu'elle a payé
2000 F (7 unités pour 100 F). À Kribi madame A. a vendu ses crevettes
à 5 unités pour 100 F. Elle a donc réalisé un bénéfice de 800 F. Il lui
en a coûté 8 heures de marche et 400 F de taxi.
Stratégie des collecteurs
En juillet 93, C. a acheté tôt le matin pour 60000 F de crevettes aux
différents pêcheurs œuvrant depuis le pont de la Lobé jusque
Mabenanga. Il a payé 100 F les 7 unités. Disposant d'un bac à glace, il
peut compter sur une marge de temps supérieure à celle des pêcheurs,
voire des autres collecteurs moins bien équipés. Les crevettes se sont
revendues à Kribi à 100 F les 5 unités. Le bénéfice de C. s'est élevé à
12000 F (soit 17000 F moins 5000 F de carburant). À 10 h ses transactions étant terminées, C. qui travaille par ailleurs pour une agence
touristique, était disponible.
Entre Noël et le Jour de l'An 94, le collecteur S. a acheté pour
100000F de crevettes à 1400 F/kg8 aux pêcheurs de Mabenanga. Il les
a revendues 2000F/kg à Kribi. La valeur élevée du bénéfice9,
s'explique par la forte demande en crevettes pendant la période de
fête. Le lendemain S. a réinvesti dans l'achat de crevettes 100000 F à
Bitombo, campement saisonnier situé à quelques heures de moteur du
Pont de la Lobé.
En 1997, un nouveau collecteur, une femme restauratrice de Kribi,
investissait chaque semaine un minimum de 500000 F CFA dans
l’achat de crevettes. Nous sommes loin des 2000 F de chiffre d’affaire
cités précédemment.
Il est évident que si les collecteurs font de gros bénéfices, les
pêcheurs semblent eux aussi y trouver leur compte. En négociant 100F
pour 7 crevettes (au lieu de 5 sans intermédiaire), ils gagnent 4000 F
au lieu de 5600 F, mais n’ont ni frais de taxi, ni fatigue, ni risque.
Aussi, le risque de ne pas vendre lorsque la période touristique est
basse s'applique surtout aux pêcheurs qui ne sont pas pourvoyeurs
attitrés des restaurants. En effet, la plupart des restaurants traitent
avec un pêcheur attitré. Si celui-ci n’honore pas ses commandes, il
perd son exclusivité. S'il honore ses commandes l'acheteur le garde, et
lui achète la totalité de sa production, même en période de pléthore.
Avec un client régulier, les prix pratiqués sont stables, généralement
6 crevettes pour 100 F, quelle que soit la période considérée ; pendant
8S.
vient de la ville ; il pratique le tarif par kg
du prix d'achat soit 35 000 F c'est-à-dire 40 000 F moins 5 000 F de carburant
940 %
-165-
Tableau 4 :Estimation (en FCFA) du revenu mensuel des pêcheurs (d’après les carnets
hebdomadaires) (En 1994 100FCFA = 2FF)
Vente de
Ménage n°1
Avril
Mai
Juin
Juillet (perte de nasses)
Crevettes
Poisson
Autre
60000
51000
23800
18000
Moyenne mensuelle (sur 4 mois) : 39100
Ménage n°2
Avril
Mai
Juin
Juillet
Août
20000
4000
6000
19000
37700
Vente alcool(2)
Moyenne mensuelle (sur 5 mois) : 17300
Ménage n°3
Avril
Mai
Juin
Juillet
Août
Septembre (malade)
24000
25000
12000
23900
18000
8800
Tontine 8500
oui
Moyenne mensuelle (sur 6 mois) : 26300
Ménage n°4
Avril
52600
Mai
50000
Juin
50000
Juillet (perte nasses)
6000
Moyenne mensuelle (sur 4 mois) : 39650
Ménage n°5
Avril
28000
36000
Mai
34000
11000
Juin
30000
Juillet
34000
Août
33900
21500
Septembre
52500
21000
Moyenne mensuelle (sur 6 mois) : 60320
Ménage n°6
Avril
Mai
Juin
Juillet (perte de nasses)
gibier 6500, beignets(3)
gibier 17000
gibier(1) 1400
Huile de palme(4)60000
38000
23000
18500
6000
Moyenne mensuelle (sur 4 mois) : 22630
Ménage n°7
Mars(perte de nasses)
Avril
Mai
Juin (aux cabanes)
Juillet (aux cabanes)
Août (aux cabanes)
15000
0
0
Gibier 2000
Gibier 2000
Moyenne mensuelle (sur 3 mois) : 6330
Ménage n°8
Avril
Mai
Juin
Juillet
Août
44000
34000
35000
44000
39800
Moyenne mensuelle (sur 6 mois) :39360
(1) Coût d’une cartouche : 500F
(2) Alcool de maïs harki ou zouazoua : acheté 100F/l à Kribi, revendu 50F les 5cl ou
1000F/l au village
(3) Beignets vendus 5F l’unité
(4) Huile de palme fabriquée à partir des noix de la Socapalm, vendue 250F/l ou
60000F le fût de 200l
-166-
Villes du Sud et environnement
la mauvaise saison, le pêcheur peut être perdant, la demande étant
supérieure à l'offre et le cours officiel plus intéressant ; il se rattrape
pendant la bonne saison, le restaurant lui payant sa production au
dessus du cours officiel. Ainsi, les pêcheurs de la Lobé, hommes et
femmes, grâce à la vente des crevettes s'assurent des revenus
réguliers, d'environ 2000 F à 15000 F (vente de 10 jours) par opération,
soit 2000 F à 60000 F par mois. Ainsi, le revenu moyen mensuel d'un
ménage de pêcheurs dépasse souvent celui des fonctionnaires ayant un
salaire du même ordre de grandeur subissant souvent des retards de
paiement (tableau 4). De plus, ce revenu régulier peut être complété
par des revenus occasionnels (vente de gibier, d'huile de palme,
d'alcool), selon une stratégie propre à un ménage, modulable d'une
année sur l'autre.
Tableau 5 : Partage et utilisation de l’argent dans les ménages, août-septembre 1993
Couples pratiquant la gestion séparée du budget
Jean Paul/ Anne
Achats Mme
Semaine1
8000
2000
6000
cigarettes
Savon
Lait bébé
Simon/ Elizabeth
Vente (total)
Monsieur
Madame
Achats M
Achats Mme
8000
6000
2000
Cartouches
épargne
Vente (total)
Monsieur
Madame
Achat M
Semaine2
12700
5700
7000
Filets
Semaine3
8000
0
8000
Rien
Semaine4
9000
2400
6600
Filets
Semaine5
5000
3000
2000
Plombs
Lait bébé
Consult
Médicam
Habits enf
Vin à vendre
Cigarettes
à vendre
2800
2800
0
Rien
rien
8200
8200
0
Fournit
scolaires
8800
9100
5000
6200
3800
2900
Cartouches Filets, pb
farine
farine, huile
Couples pratiquant la gestion commune du budget
Simon/ Firmine
Vente (total)
Monsieur
Madame
Achats M
Achats Mme
3800
3800
id
Aliments
id
10000
10000
id
Piquets
Aliments
14000
14000
id
Céphalophe
aliments
fournitures
scolaires
7000
7000
id
rat
NB : Les éventuelles dépenses de Monsieur en boissons, difficiles à évaluer, n’ont pas été prises en compte
-167-
Tableau 6 : Montant en CFA (100FCFA=2FF) épargné à la tontine du village selon le
sexe.
1992
1993
1994
Hommes
Tintin
Pierre
Simon2
Joseph
Jean Paul
Simon1
Pius
Edouard
12500
9900
7100
28000
1500
1900
Total hommes
Moyenne/épargnant
60900
10150
1500
1000
1500
9500
1000
1500
3500
500
2000
2500
15000
5000
1500
4500
200
26200
5240
Femmes
Suzanne
Firmine
Alphonsine
Madeleine
Thérèse
Hermine (Avx)
Anne
Cécile (Avx)
Elizabeth
Catherine (Avx)
Léontine
Marceline
Hélène
Adeline
Hermine S (Avx)
Total femmes
Moyenne/épargnante
500
200
5075
55250
10200
6500
2000
3300
2400
1000
500
3700
5000
700
400
35000
500
2500
1450
2000
7000
10000
200
2000
500
20950
2325
50500
8415
1000
87425
7948
Avx : femme assez agée
Bien qu'elle n'en ait plus le monopole, la femme tire de la vente des
crevettes l'essentiel de ses ressources monétaires. Elle accède ainsi à
une relative autonomie économique qu'elle utilise souvent à faire face
aux besoins familiaux (tableau 5). On observe chez les hommes une
utilisation différente de l'argent. Lorsqu'ils ne gaspillent pas tout leur
gain dans les bars (surtout les jours de paie des sociétés), ils le réinvestissent dans du matériel de pêche ou de chasse, et dans les fournitures
scolaires au moment de la rentrée. Les femmes, quant à elles, utilisent
l'argent gagné dans les dépenses de santé, les habits des enfants, la
nourriture, les fournitures scolaires au moment de la rentrée etc, ou le
-168-
Villes du Sud et environnement
réinvestissent dans l'achat de produits qui font défaut au village et
qu'elles revendront avec bénéfice (cigarettes, alcool, farine pour
beignets).
Cette nouvelle indépendance économique des femmes se reflète dans le
montant qu'elles versent à des associations d'épargne (tableau 6). En effet,
certaines d'entre elles cotisent à une tontine ou à la caisse de solidarité du
village des sommes plus importantes (jusqu'à 55 000 F CFA par an) que
celles économisées par les hommes (maximum 28 000 F CFA). Le
montant épargné est versé à l'épargnant une fois par an, ce qui lui
permet de faire face à de plus grosses dépenses. L'adhérent peut
également demander une avance sur épargne en cas de coup dur. Dans
ce cas, il devra également verser chaque mois des intérêts élevés.
Conclusion
La pêche aux crevettes sur la Lobé était autrefois une activité exclusivement féminine. Depuis 20 ans, intéressés par la valeur
économique du produit, les hommes se sont mis à « tremper » les
nasses, remplaçant leur épouse chaque fois que celle-ci n'était pas
disponible. Plus récemment, un certain nombre de néo-pêcheurs se
sont mis à exploiter en amont du fleuve saisonnièrement (Bitombo) ou
toute l'année (Hévécam) des emplacements non revendiqués par les
villages. Ils "trempent" deux fois plus de nasses que les pêcheurs
autochtones : 150 à 200 contre 50 à 80. Parallèlement, l'apparition de
collecteurs remontant la rivière chaque semaine est venue à propos
pour répondre aux problèmes de débouchés de la production vers les
villes. Deux conséquences à ce changement de logique de pêche, qui,
d'activité de subsistance est devenu source de profit :
- sous l'angle de la gestion durable des ressources, on observe un fort
accroissement de la pression de pêche, susceptible à long terme de
causer un préjudice au renouvellement du stock naturel de crevettes.
- sous l'angle des revenus monétaires des ménages, on constate la
réalisation par les ménages d'un gain mensuel avoisinant celui des
enseignants. Les femmes ne semblent pas être laissées pour compte :
de cette stratégie économique il semble qu'elles tirent leur indépendance financière. Les gains réalisés par les pêcheurs, hommes et
femmes, sont peu sujets aux fluctuations conjoncturelles, l'argent
arrivant régulièrement (2 à 4 fois par mois), ce qui n'est pas le cas des
fonctionnaires actuellement.
Jusqu'à une dizaine d'années, un grand fleuve comme la Lobé
semblait sous-exploité, une cinquantaine de familles de pêcheurs
occupant les 7 villages disséminés depuis le pont, du côté de la réserve
-169-
de Campo. Sur l'autre rive, les habitants des grandes sociétés ne
pêchant pas, ce nombre semble peu élevé compte tenu des possibilités
de pêche. L’effectif des pêcheurs du cours inférieur de la Lobé apparaît
donc peu élevé compte tenu des possibilités de pêche. Il semble
néanmoins que la pression de pêche ait pris un nouvel essor grâce à
l'apparition de collecteurs et de néo-pêcheurs, bien plus ancrés dans
une logique de profit généré par la demande des villes. Il serait peutêtre temps de mener des études sur la biologie de ce crustacé et ses
fluctuations démographiques afin de prendre, le cas échéant, les
mesures s'imposant en vue de la gestion durable de cette ressource de
haute valeur sociale et économique.
BIBLIOGRAPHIE
DOUNIAS, E., 1993. Dynamique et gestion différentielles du système de production à dominante
agricole des Mvae du sud-Cameroun forestier. Thèse présentée a l’Université des Sciences et
Techniques du Languedoc pour obtenir le diplôme de Doctorat, spécialité Physiologie, Université de
Montpellier II, 490 p.
OLIVRY, J.C., 1986. Fleuves et rivières du Cameroun. MESRES-ORSTOM, collection Monographies
hydrologiques ORSTOM, n°9, 190-200.
MONOD, T., 1980. Décapodes. In J.R. Durand et C. Levêque (eds). Flore et faune aquatique de l’Afrique
sahélo-soudanienne. Ed de l’ORSTOM, coll. Initiations Documents techniques, n°44, 369-389.
PAGEZY, H., GUAGLIARDO, V., NZOUANGO, D., FABRE, D. et M. BWEMBIA, 1994. Interactions
entre facteurs écologiques et sociaux dans la production, conservation, commercialisation du poisson
d'eau douce en Afrique équatoriale (Zaïre et Cameroun). Compte-rendu de fin d'étude d'une recherche
financée par le Ministère de la Recherche et de la Technologie, Décision d'Aide 90 L 0379, 117p.
Cette recherche a fait l'objet d'un financement du Ministère de la Recherche et de la
Technologie (MRT, Décision d'Aide 90 L 0379), du Groupe d’étude des populations
forestières (GEPFE), et du programme Avenir des Peuples des Forêts Tropicales (APFT,
DG8, aire ACP) que nous remercions.
-170-
Travaux de la Société d’Écologie Humaine
c/o UMR 6578 du CNRS - Adaptabilité Humaine : Biologie et Culture
Université de la Méditerranée, Faculté de Médecine
27, boulevard Jean-Moulin, 13385 Marseille cedex 5
Directeur de la Publication : Nicole Vernazza-Licht
Déjà parus :
L’homme et le lac 1995
Impact de l’homme sur les milieux naturels : Perceptions et Mesures 1996
Cet ouvrage est issu, pour l’essentiel, des travaux présentés aux VIIIe journées scientifiques
de la Société d’Écologie Humaine (SEH), qui se sont tenues à Orléans en juin 1996.
Ces journées étaient organisées par :
- la Société d’Écologie Humaine
- l’équipe du DEA « Environnement, Temps, Espaces, Sociétés », Université d’Orléans
- l’UMR 6578 « Adaptabilité Humaine : Biologie et Culture », CNRS-Université de la
Méditerranée, Marseille
- le laboratoire Population-Environnement, Université de Provence/Orstom, Marseille
- le laboratoire ERMES, Orstom, Orléans
Il a bénéficié du soutien financier du département Environnement, Technologies et
Société de l’Université de Provence, Marseille
Dépôt légal : 4e trimestre 1998
ISBN : 2-9511840-2-6
ISSN : 1284-5590
Tous droits réservés pour tous pays
© Éditions de Bergier
476 chemin de Bergier, 06740 Châteauneuf de Grasse
[email protected]
VILLES DU SUD
ET
ENVIRONNEMENT
Éditeurs scientifiques
Daniel Bley, Jacques Champaud, Patrick Baudot,
Bernard Brun, Hélène Pagezy, Nicole Vernazza-Licht
1997
Le rôle de la restauration de rue
dans l’approvisionnement des villes
en viande sauvage :
le cas de Yaoundé (Cameroun)
Serge Bahuchet* et Kornelia Ioveva-Baillon**
Le commerce de viande1
La préservation de la biodiversité dans les forêts équatoriales est
maintenant une préoccupation prioritaire pour l’avenir de notre
planète. Les forêts denses humides représentent les écosystèmes où la
diversité biologique et la complexité écologique sont les plus grandes
sur la surface de la terre, la forêt d’Afrique centrale ne fait pas
exception. De ce fait, plusieurs zones destinées à la conservation de la
nature sont à l’étude dans plusieurs pays africains. Ainsi au
Cameroun, trois vastes réserves devraient permettre de préserver la
forêt dense humide, dans la moitié sud de ce pays. Elles représenteraient une surface de l’ordre du cinquième de la forêt camerounaise.
Toutefois, l’un des problèmes, et non des moindres, qui se pose aux
responsables de ces projets, est la présence de populations rurales au
sein des mêmes massifs forestiers. Ces populations tirent leur
subsistance de la pratique de l’agriculture itinérante sur brûlis,
complétée par l’exploitation des ressources forestières (collecte,
chasse, piégeage et pêche ; cf. Hladik, Bahuchet & Garine, 1989). En
particulier, l’essentiel des protéines de leur régime alimentaire
provient de la faune sauvage, car l’élevage (poules et chèvres) n’est
pratiqué que pour des transactions sociales (en particulier les dots).
*LACITO/CNRS, 44 rue de l’amiral Mouchez, 75014 Paris, France
**APFT, Yaounde, Cameroun
1Initiée
par K. Ioveva-Baillo, cette enquête a bénéficié au début des conseils de François Baillon,
zoologue à l’Orstom. Par la suite, nous avons obtenu quelques soutiens du WWF (Yaoundé) grâce à
l’attention de Steve Gartlan, et du groupe d’étude des populations forestières (GEPFE, Paris). Sophie
Bouly de Lesdain nous a généreusement fait profiter de ses collectes bibliographiques. Nous les en
remercions tous chaleureusement.
-171-
Un autre facteur d’importance tient au fait que, bien qu’une partie
du gibier tué soit consommée dans les communautés, une autre partie
en est commercialisée vers l’extérieur. L’ampleur du phénomène, qui
s’est d’ailleurs accentué ces dernières années en corrélation nette avec
la chute des cours des cultures de rente (café, cacao), inquiète
fortement les biologistes en ce qu’elle met en danger la survie des
populations animales. Cette situation n’est pas sans poser de sérieux
problèmes pour la mise en œuvre des programmes, tant de conservation de la nature que de développement rural. Dans quelle mesure
faudrait-il interdire toute chasse traditionnelle, qualifiée généralement de « braconnage », dans quelle mesure au contraire serait-il
possible de gérer cette pratique ? Préconiser purement et simplement
une interdiction du « braconnage », c’est faire abstraction de la réalité :
des gens chassent et vendent de la viande pour gagner leur vie, et
d’autres achètent et consomment parce qu’ils en ressentent le besoin.
Corrélativement, il a été reconnu que les populations citadines, de
plus en plus importantes démographiquement, emploient une quantité
notable de produits forestiers, mais souvent d’une manière peu
compatible avec un « développement durable ». D’une manière
elliptique, on peut affirmer que « l’avenir des forêts tropicales et des
peuples forestiers se joue aussi en ville » 2. En particulier, les produits
sauvages consommés dans les villes africaines situées en zone
forestière sont nombreux : outre le bois de chauffe, les matières
premières (construction, menuiserie, vannerie), les fruits, épices et
condiments, les plantes médicinales, la viande sauvage est certainement la ressource la plus valorisée. Un très net « flux » de viande de
chasse approvisionne ainsi les gros bourgs et les villes, jusqu’à la
capitale même, Yaoundé.
Si la présence de gibier sur les marchés de certaines grandes villes
comme Kisangani au Zaïre (Colyn et al., 1987) a été analysée, et
l’importance actuelle du commerce de viande pour les communautés
rurales signalée notamment au Cameroun (Dounias, 1993) et au
Gabon (Lahm, 1993), la diffusion et la consommation en tant que telles
dans les villes restent encore à préciser. Pour cette raison nous avons
entrepris depuis 1994 une enquête approfondie prenant en compte
tous les maillons du circuit de la viande, du piégeur au consommateur,
selon une démarche d’ethnographie et d’ethnoscience. Il s’agissait de
comprendre les motivations de chaque participant de cette chaîne, et
de comprendre ce que la viande représente, étape par étape, dans les
représentations et les habitudes culturelles. En ville, ultime maillon
de la chaîne, notre attention s’est portée sur les consommateurs. Qui
sont les acheteurs de cette viande sauvage, et pourquoi la mangentils ? L’enquête, menée en 1994-1995, a porté sur tous les lieux de vente
2Cette
conviction nous a poussé à développer un volet sur « l’interface ville-forêt » dans le programme
« Avenir des Peuples des Forêts Tropicales » (APFT) de la Commission Européenne (DG VIII). (Cf.
TREFON 1994, 1995). Notre présente recherche a, depuis, été intégrée dans ce volet d’APFT.
-172-
Villes du Sud et environnement
et de consommation : marchés, restaurants, gargotes et même maisons
privées. Pour avoir une image la plus précise possible, l’une d’entre
nous (KIB) a exploré tant les quartiers populaires que les quartiers
résidentiels de la capitale, visitant les divers endroits et y discutant
avec les principaux intéressés, propriétaires et consommateurs.
Ensuite pendant une année entière (1995-1996) celle-ci a effectué des
enquêtes orales auprès des revendeurs et des relevés systématiques et
répétés sur les marchés de Yaoundé, et dans plusieurs types de
restaurants et gargotes ; ils nous ont permis d’évaluer l’importance du
commerce et ses variations saisonnières (Ioveva-Baillon en prép.).
Les types de restaurants
Dans une ville comme Yaoundé, forte de plus d’un million
d’habitants, nombreux sont les lieux publics où l’on achète de la
nourriture préparée, dans des lieux fermés (divers restaurants), dans
les marchés et dans la rue, des vendeurs ambulants ou installés
proposant ananas épluchés, carottes nettoyées ou mangues mures,
préparant devant le chaland brochettes, jarrets de porcs, poissons,
fruits de safous ou épis de maïs grillés sur la braise, ou servant
omelettes et sandwichs de margarine pour accompagner du café au
lait. Restaurants, gargotes, « chantiers », « circuits », « chez les
veuves » 3, « aides-mamans », « tourne-dos », « sauveteurs » 4... la
nomenclature camerounaise des lieux de restauration est riche et
diversifiée, que nous décrirons ici.
L’importance de la restauration de rues dans les villes africaines, et
la diversité des lieux de vente n’ont pas échappé aux observateurs.
Ainsi Diouf (1981) analyse-t-il les activités des restauratrices de
Dakar, en replaçant l’existence des vendeuses de rue dans le contexte
global de la misère économique et de la modicité des moyens des
travailleurs : « Les restauratrices de la zone industrielle de Dakar
constituent un exemple, entre tant d’autres, de la façon dont des
centaines de femmes, dans les villes du tiers-monde, sont engagées
dans une bataille économique où leur arme principale sera la
marmite. » (1981 : 249). En complément, Mainet & Mainet (1990)
décrivent les hommes des tangana, « cafetiers des trottoirs » qui
proposent des petits-déjeuners à Dakar.
À Abidjan, la diversité des lieux de consommation est remarquable,
telle qu’elle est rapportée par Leimdorfer (1990 : 329-330). Mais le lieu
de restauration par excellence est le « maquis », lui-même multiforme,
car il va d’une sorte de restaurant à tables basses jusqu’à une cour
enclose où se côtoient de nombreux « tabliers » 5. Kouakou N’Guessan
3Terme
utilisé au début des années 80 et qui semble désormais passé de mode, au profit de « circuit ».
« vendeurs à la sauvette », terme désignant tous les marchands ambulants, aussi bien
de divers objets ou accessoires que de fruits ou de biscuits.
5Comprendre « vendeurs sur une table » ou un banc, vendant un ou deux plats cuisinés.
4Comprendre
-173-
(1983) situe avec pertinence les « maquis » dans le contexte
économique de la crise économique que subissent les Africains : « La
création des maquis fut une triple réponse aux questions de la restauration, des mets africains et des prix raisonnables ; l’ensemble se
rapportant aux citadins moyens encore profondément attachés à leurs
habitudes culinaires du village et ne pouvant trouver de possibilité de
satisfaire leurs envies gastronomiques dans la grande cité sans grands
frais. Il s’est agi donc de résoudre un des problèmes du pouvoir d’achat
du « petit abidjanais » en lui permettant l’accès à des plats du
territoire à bon marché. » (1983 : 549). Vidal (1985) quant à elle,
montre comment la restauration de rue concentre un très grand
nombre d’emplois féminins, et assure une fonction capitale, en
nourrissant à bon marché la population active sur les lieux de travail,
alors que n’existe aucune sorte de cantines dans les écoles, bureaux,
usines ou hôpitaux.
Tous ces articles bien documentés démontrent l’importance
économique et sociale de la restauration populaire, fortement ancrée
dans le secteur informel, pour les grandes villes africaines (et même
pour les villes du tiers-monde en général, comme l’indique l’article de
synthèse de Chauliac & Gerbouin-Rerolle 1994). Ils décrivent des
situations aisément reconnaissables également à Yaoundé. Mais
aucun n’aborde la question qui nous préoccupe ici, celle de la viande de
brousse dans l’alimentation urbaine - hormis par la définition citée en
exergue par Leimdorfer (1990 : 325) : « Maquis : restaurant semiclandestin où l’on consomme surtout du gibier (fourni par les
braconniers). » 6
La consommation de la viande de brousse
À Yaoundé, la viande de brousse se consomme dans trois lieux
principaux : restaurants, « circuits » et « aides-mamans ».
Le restaurant peut être décrit comme africain et de luxe. Il fait appel
à la conception européenne du restaurant : un endroit à décor
agréable, où le consommateur déguste les plats, confortablement assis
à des tables hautes. Un tel endroit n'est accessible qu'à une clientèle
privilégiée. Ces restaurants sont pour la plupart implantés dans les
quartiers résidentiels tel Bastos ou le centre ville. Tenus par des
Camerounais ils ne se différencient cependant en rien des autres
restaurants tenus par des occidentaux, sinon par des prix nettement
plus abordables, bien qu’encore trop élevés pour la majeure partie de
la population de Yaoundé.
On y propose une cuisine mixte, c’est-à-dire des grillades et des plats
européens ainsi que des spécialités du pays, plats de ndole (feuilles de
6In
: Inventaire des particularités lexicales du français en Afrique noire, AUPELF-ACCT
-174-
Villes du Sud et environnement
Vernonia) et ragoûts à base de gibier, tel qu'athérure (« porc-épic »),
serpent, phacochère, crocodile, etc. Dans ces lieux, les principaux
consommateurs de gibier sont des étrangers. En effet il s'agit là d'une
clientèle à la recherche d'exotisme, qui n’ose cependant pas se
hasarder dans les quartiers populaires. En revanche, c'est la
possibilité de pouvoir manger de la cuisine européenne qui attire la
clientèle camerounaise disposant de moyens financiers suffisants.
Dans ce cas, ce choix ne correspond pas à un rejet de la nourriture
traditionnelle, mais à la volonté d’afficher son statut social.
Le prix du plat du gibier varie entre 2500 F CFA7 et 4000 F CFA
selon les restaurants. Dans ceux qui visent une clientèle plutôt
européenne, le gibier est un peu plus cher que les autres plats (avec
une différence de l’ordre de 1000 F CFA), alors que les autres, destinés
à la clientèle camerounaise, proposent des prix sensiblement
identiques. Ajoutons que la plupart des hôtels offrent aux touristes la
possibilité de déguster diverses viandes de brousse.
Dans les quartiers dits populaires, les endroits permettant de
manger du gibier dans un certain confort sont les circuits. Il s'agit de
lieux clos faisant partie de l'habitation d'une personne, qui transforme
une partie de sa maison en restaurant (généralement le salon). En
entrant dans un circuit l'impression d'une ambiance familiale prévaut,
sensation due tant à l'ameublement (fauteuils, canapés, tables basses)
qu’à la fidélité d’une clientèle se connaissant.
On distingue deux types de circuits selon qu’ils disposent ou non
d’une licence. Les premiers sont généralement signalés par une
enseigne, les seconds, sans être réellement annoncés, sont connus des
usagers. Dans les deux cas, il est difficile d’en évaluer le nombre, à
l’évidence très important dans Yaoundé.
Quoi qu’il en soit, le fonctionnement des deux types est identique, et
leur publicité se fait grâce aux habitués des lieux, de bouche à oreille.
Certains circuits que l’on peut qualifier de haut standing, se
distinguent en accueillant une élite aisée, comme les hauts fonctionnaires. Pour les autres, l'appartenance à une classe sociale particulière
n'a pas d'importance.
Bien que le gibier soit leur spécialité, les circuits proposent
également poulets et poissons grillés. Entre les différents circuits les
prix varient considérablement. Pour ceux que nous avons appelé de
« haut standing » les prix tournent autour de 2500 F CFA quel que soit
le type de gibier. Seuls les plats d'éléphant sont plus chers (5000 F
CFA). Dans les autres, les prix sont beaucoup plus abordables, ne
dépassant pas 1000 CFA.
7100
F CFA = 1 FF, depuis 1994.
-175-
Il est ici de coutume de discuter les prix : la tenancière (ce sont en
effet des femmes qui, la plupart du temps, tiennent les circuits) fixe le
prix en fonction du morceau du gibier demandé par le client, mais elle
accordera un rabais aux habitués.
Les « aides-mamans » et la consommation quotidienne
La troisième catégorie correspond à la vente dans la rue : les consommateurs choisissent la portion directement dans une marmite. Le
client, s’asseyant sur un banc de bois à côté de la marchande, est servi
dans une assiette émaillée ou en plastique et consomme sur place, en
plein-air. Les outils de travail se limitent donc à deux ou trois
marmites et quelques couverts en plastique. Généralement, la
vendeuse ne dispose pas de réchaud et vend sa cuisine qui refroidit au
fil de la journée.
Ces « aides-mamans » sont présentes dans tout Yaoundé, souvent
installées à des endroits stratégiques, devant les usines, la gare
ferroviaire, les gares routières, à côté des ministères, au pourtour des
grands marchés, des écoles, des hôpitaux ainsi que devant les bars. Celles
qui sont installées devant les bars doivent payer une « patente » au
propriétaire des lieux qui en fixe le tarif à son gré en fonction du quartier :
de 350 F CFA par jour dans les quartiers populaires à 1000 F CFA au
centre ville.
Les habitants de Yaoundé expliquent ce nom par une forme
d’entraide : les « aides-mamans »8 aident la population en proposant
une nourriture bon marché, en même temps que les clients les aident
en mangeant chez elles.
Dans les quartiers plus exigeants (ministères, gares), certaines
aides-mamans ont une petite installation précaire : une cabane en
planches aménagée de banc en bois et de longues tables basses. De tels
endroits sont appelés « tourne-dos » à cause de la disposition des tables
(on tourne le dos à la rue).
Les vendeuses à la marmite sont très nombreuses à Yaoundé : le
recensement auquel nous avons procédé en septembre 1995, dans 39
des 63 quartiers de la ville, nous donne le chiffre de 845 « aidesmamans », dont 162 pour le seul Centre ville (voir liste en annexe).
Toutes les aides-mamans, même celles disposant d’un petit abri,
apportent leurs marmites chaque matin, généralement deux : dans
l'une il y a du gibier, dans l'autre du poisson ou de la viande d'animaux
domestiques. Ici, les prix sont modestes : de 250 F CFA dans la rue, à
500 F CFA dans les « tourne-dos ».
8Naguère
l’appellation « Maman-ndole » (du nom du plat national du Sud camerounais, les feuilles
de Vernonia) désignait ces dames
-176-
Villes du Sud et environnement
Toutes ne vendent cependant pas du gibier. Si certaines préparent
deux plats, l’un de gibier et l’autre de viande ou de poisson, d’autres ne
proposent que ces derniers, en particulier celles qui sont implantées
dans les quartiers à dominante musulmane (Mokolo, Briqueterie). La
raison en est l’impureté supposée de ces viandes provenant d’animaux
n’ayant pas été égorgés.
Le rôle des aides-mamans dans la diffusion des mets nationaux est
primordial. Leur clientèle est très variée, elle touche toutes les
catégories professionnelles, aussi bien des fonctionnaires que des
vendeurs ambulants et même des gens sans emploi.
Pour mener à bien leur commerce les aides-mamans doivent
quelquefois se rabattre sur le gibier boucané qui coûte moins cher que
le frais et est plus facilement disponible sur le marché. En revanche le
prix d'achat trop élevé de certains types de gibier, comme le crocodile,
empêche de les proposer.
La portion est toujours accompagnée de manioc, de banane-plantain,
de riz ou de haricots. Lorsque l'aide-maman propose deux plats, gibier
et viande d'élevage, les prix sont sensiblement équivalents, à 100 F
CFA près. Elles ont aussi leur clientèle de fidèles auxquels elles
peuvent accorder un rabais de 100 F CFA par plat.
Dongmo (1990 : 23-24) a consacré une importante thèse à l’approvisionnement alimentaire de Yaoundé, dans laquelle il décrit la consommation et les lieux de commercialisation, à partir d’enquêtes réalisées
principalement en 1984. Si les types de lieux de consommation que
nous avons observés en 1994 sont comparables, la nomenclature
présente des différences notables. Il distingue les restaurants des
points de vente sur le trottoir - et parmi ces derniers, seulement les
vendeurs de viande de bœuf grillée, et les vendeuses de beignets, de
haricots ou de divers aliments grillés (fruits de safou, poissons,
plantains, etc.) ; il ne mentionne pas les vendeuses à la marmite (au
contraire de Kengne Fodouop (1991 : 57) qui classe bien les
« vendeuses de plats cuisinés » dans les petits métiers). Parmi les
restaurants, outre ceux de style européen, Dongmo décrit deux types
de restaurants « africains » : les bidi bi nam (« nourriture de pays »)
qui proposent des plats camerounais, et sont tenus par des femmes, et
les « aide-maman », tenus par des hommes servant des aliments
d’origine européenne (café, pain, macaroni, riz, etc.). Viennent ensuite
les « chantiers » ou « circuits » qui sont des restaurants clandestins,
c’est là qu’est vendu le gibier. Enfin les cafétérias préparent les petits
en-cas (café, pain et omelettes). On observe donc un glissement pour
l’appellation « aide-maman », ce que confirment nos enquêtes.
-177-
Les espèces consommées
Les espèces les plus fréquentes dans les circuits sont : athérure
(Atherurus africanus), aulacode (Thryonomys swinderianus), pangolin
(principalement Manis tricuspis), phacochère (Phacochoerus
aethiopicus), potamochère (Potamochoerus porcus), varan (Varanus
niloticus, V. griseus), les céphalophes (Cephalophus monticola, C.
dorsalis, C. callipygus), vipère (Bitis spp.), python (Python sebae),
divers singes (cercopithèques, cercocèbes) et même éléphant.
N'ayant pas d'argent à investir, les aides-mamans propose un gibier
moins varié, avec une seule espèce par jour. Les plus fréquents dans
les marmites sont les singes (quelquefois même gorille et chimpanzé),
le potamochère et les céphalophes. L'athérure, l'aulacode et le
pangolin sont trop chers pour le nombre de parts possibles : les
vendeuses n’en proposent que de temps en temps pour faire plaisir à
leurs clients réguliers, malgré un bénéfice inexistant.
Pourquoi manger du gibier ?
Actuellement, l’observateur ne peut manquer de rencontrer de la
viande de brousse dans tous les lieux de consommation alimentaire à
Yaoundé. Le contraste est d’autant plus frappant avec les études
antérieures, soit que le gibier n’était que peu présent, soit que les
auteurs aient occulté son existence - probablement les deux, une faible
présence ne nécessitant pas un traitement particulier, par rapport à
d’autres produits alimentaires.
Ainsi Dongmo, dans son étude détaillée sur l’approvisionnement, ne
mentionne-t-il qu’en passant les viandes de brousse. Dans l’analyse
des structures de repas, la fréquence des aliments est éloquente : alors
que toutes les viandes domestiques confondues (bœuf, porc, mouton,
chèvre, poulet) apparaissent dans 37,5 % des repas, le gibier n’intervient que dans 2,4 % (dont 2 % pour le gibier sec, et seulement 0,4 pour
la viande fraîche) (Dongmo 1990 : 19, enquête directe en février 1986,
sur 3710 repas). Et dans sa description des plats vendus, le gibier
n’apparaît pas du tout.
C’est dire si le facteur « viande sauvage » reste limité à ce moment Dongmo discute cependant plus loin des modes de chasse et des
différents « producteurs » de viande sauvage (à propos des « réponses
de la production dans l’arrière-pays »), pour indiquer qu’ils fournissent
soit des particuliers soit des « gargotes » (1990 : 185-186). À cette
époque donc, le gibier est réservé aux « circuits », lieux de délassement
« discrets et luxueux », vivement animés la nuit mais « à niveau de prix
élevé » (1990 : 24). Il est évident que nous nous trouvons là au début
du commerce de viande sauvage vers la ville de Yaoundé, et surtout
que cette viande n’est pas une nourriture ordinaire. Cette impression
-178-
Villes du Sud et environnement
est renforcée à la lecture de l’ouvrage de Kengne Fodouop (1991). S’il
décrit tous les types de vendeurs et de fabricants de produits alimentaires, le mot de gibier n’est jamais mentionné, même dans la liste des
plats vendus dans la rue - son étude ayant été menée en 1988-1989.
Depuis que la journée continue de travail a été instaurée en 1994 sur
le territoire camerounais, le rôle des aides-mamans s'est considérablement accru. En effet, n’ayant pas le temps de rentrer à domicile, des
centaines d’employés viennent manger chez elles à la pause de midi.
Ainsi une seule vendeuse peut-elle servir plus de 20 personnes chaque
jour.
N’ayant pas une lourde structure à gérer, elles offrent une
nourriture bon marché car elles ne recherchent qu'un bénéfice limité
au minimum vital. Les aides-mamans sont la cantine quotidienne de
milliers d’employés. Même si elles ne figurent pas dans la liste
officielle des métiers, leur importance sociale et économique ne peut
pas être ignorée.
Le deuxième facteur tient au prix des produits. Nous avons pu
constater que, tant dans les divers restaurants que dans la rue, la
différence de prix entre plats de viande sauvage ou de viande
d’animaux domestiques (bœuf, porc, poulet) voire de poisson, n’était
pas significative (Tableau 1). Dans ce contexte, tous les plats étant au
même prix, le consommateur se donne le plaisir de choisir ce qu’il
préfère, c’est-à-dire le gibier, et même son gibier favori lorsqu’il en
trouve !
Tableau 1 : Comparaison des prix des portions
Aides-mamans
Circuits
gibier
poisson
poulet
viande
150-500
250-400
200
500-600
1000-2000
1000-2000
1000-4000
divers
ndole 350
1000
En troisième lieu, la crise économique que vit le Cameroun depuis
une dizaine d'années puis la dévaluation du franc CFA au début de
1994 ont entraîné à la fois une baisse du pouvoir d’achat et une hausse
des prix du gibier au marché. Ainsi la pièce de gibier a augmenté de
plus de 1000 F CFA. Les animaux les plus appréciés (athérure,
pangolin, aulacode), sujets à forte demande et donc à spéculation,
atteignent aisément 5000 F CFA. En conséquence, il est difficile à un
ménage camerounais, dont le revenu mensuel moyen ne dépasse pas
-179-
40000 F CFA (et qui compte 4 ou 5 personnes), de se permettre de
dépenser une telle somme pour deux kilogrammes de viande. De tels
prix interdisent aux Camerounais une fréquente consommation
familiale de viande de brousse.
L'argent se faisant rare, les gens sortent moins ; la fréquentation des
circuits a nettement diminué. Nombre de restaurants et de circuits
connaissent une existence éphémère, même si les prix n'ont pas
changé depuis la dévaluation : en effet, pour ne pas rebuter leur
clientèle, les propriétaires des circuits ont maintenu les mêmes tarifs,
mais en diminuant le contenu des plats, sans que cette petite ruse
suffise à empêcher le désintérêt de nombreux clients.
Des circuits devenus trop onéreux pour le pouvoir d'achat, du gibier
trop cher pour une consommation à la maison, une insuffisante
différence de prix entre le bœuf et l’antilope : tous ces facteurs
expliquent le succès des aides-mamans, les seules qui permettent aux
citadins de déguster un plat de gibier sans grever le budget
domestique, grâce à la pratique de prix dérisoires mais satisfaisants
pour les deux parties.
Conclusion
À Yaoundé, chaque jour, chaque midi, des centaines de femmes
proposent à la pratique, dans tous les quartiers, des portions cuisinées
de viande sauvage, à un prix très modique. Aujourd’hui au Cameroun,
si le gibier reste l’aliment le plus apprécié, pourvu d’une image très
valorisée, il n’est paradoxalement plus le mets de luxe qu’il fut naguère,
car il est devenu le menu quotidien de milliers de passants, employés et
fonctionnaires.
Il reste à analyser par quel dysfonctionnement économique les
aliments animaux d’origine domestique n’entrent pas en compétition
avec le gibier et ne représentent donc aucunement une alternative. À
notre avis, ce devrait être là une priorité pour tous les intervenants
concernés par la préservation de la faune sauvage, dont les actions
devraient être axées vers un développement de l’approvisionnement
en viande d’élevage plus que vers une illusoire répression du
braconnage et du commerce du gibier.
-180-
Villes du Sud et environnement
BIBLIOGRAPHIE
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-181-
Annexe : Recensement des « aides-mamans » des principaux quartiers de Yaoundé
(évaluation en septembre 1995)
Anguissa
12
Melen
20
Centre ville
162
Mimboman
14
Djoungolo
8
Mokolo
11
Ekie
3
Mvog Ada
63
Ekounou
24
Mvog Mbi
64
Eleveur
7
Ngoa Ekele
20
Ngousso
11
7
Nkol Eton
10
Elig Essono
46
Nkol Ewe
8
Emana
16
Nkol-Messeng
7
Emombo
17
Nkolndongo
37
Essos
43
Nlongkak
17
Etam Bafia
4
Nsam 1
4
Etoa Meki
9
Nsimeyong
27
21
Omnisport
13
Gare centrale
11
Quartier Fouda
6
Kondengui
32
Rue Manguier
16
Lycée bilingue
12
Santa Barbara
8
Elig Edzoa
Elig Effa
Etoudi
Madagascar
28
4
Mbalmayo
13
Mbankolo
0
TOTAL
845
Quartiers non recensés :
Nkomo, Olézoa, Tsinga, Bastos, Brasseries, Efoulan, Dakar, Etoug Ebé,
Mendong, Obili, Cité verte, Mvog Beti, Messa, Carrière, Nkonkana,
Briqueterie, Messassi, Mvolyé, Tongolo, Mfoulassi, Biyem Assi, Obobogo
-182-
Travaux de la Société d’Écologie Humaine
c/o UMR 6578 du CNRS - Adaptabilité Humaine : Biologie et Culture
Université de la Méditerranée, Faculté de Médecine
27, boulevard Jean-Moulin, 13385 Marseille cedex 5
Directeur de la Publication : Nicole Vernazza-Licht
Déjà parus :
L’homme et le lac 1995
Impact de l’homme sur les milieux naturels : Perceptions et Mesures 1996
Cet ouvrage est issu, pour l’essentiel, des travaux présentés aux VIIIe journées scientifiques
de la Société d’Écologie Humaine (SEH), qui se sont tenues à Orléans en juin 1996.
Ces journées étaient organisées par :
- la Société d’Écologie Humaine
- l’équipe du DEA « Environnement, Temps, Espaces, Sociétés », Université d’Orléans
- l’UMR 6578 « Adaptabilité Humaine : Biologie et Culture », CNRS-Université de la
Méditerranée, Marseille
- le laboratoire Population-Environnement, Université de Provence/Orstom, Marseille
- le laboratoire ERMES, Orstom, Orléans
Il a bénéficié du soutien financier du département Environnement, Technologies et
Société de l’Université de Provence, Marseille
Dépôt légal : 4e trimestre 1998
ISBN : 2-9511840-2-6
ISSN : 1284-5590
Tous droits réservés pour tous pays
© Éditions de Bergier
476 chemin de Bergier, 06740 Châteauneuf de Grasse
[email protected]
VILLES DU SUD
ET
ENVIRONNEMENT
Éditeurs scientifiques
Daniel Bley, Jacques Champaud, Patrick Baudot,
Bernard Brun, Hélène Pagezy, Nicole Vernazza-Licht
1997
Une exploitation durable des
produits forestiers par les citadins
d’Afrique centrale : une gageure ?
Théodore Trefon*
L'avenir des forêts tropicales et des peuples forestiers se joue
paradoxalement en ville1. Les populations citadines, à la démographie
galopante, emploient la forêt et ses produits d'une manière peu
harmonieuse avec une exploitation durable. Leur perception de
l'espace forestier et de ses ressources contribue en partie à cette exploitation. Ceci est vrai aussi bien pour les couches populaires que pour les
élites. Le déboisement périurbain et la disparition des espèces sont
directement liés à la précarité économique dans les villes en Afrique.
Cette situation risque de s'accentuer et donc d'avoir un impact négatif
sur les relations entre les peuples forestiers et leur environnement,
autrefois caractérisés par une symbiose relative. Les répercussions
socio-économiques ainsi qu'environnementales qui en découlent
peuvent être dramatiques.
Une réflexion sur l'interface ville-forêt a commencé suite à une interrogation apparemment simple : la forêt est-elle dans la ville ou la ville
dans la forêt ? Cette question s'est révélée néanmoins une véritable
énigme. Le volet ville-forêt du projet APFT a donc comme objectif de
mieux comprendre comment des populations urbaines contribuent aux
dégradations environnementales, surtout en zone périurbaine, et
comment elles peuvent aider à ralentir le processus.
*APFT/Centre d’anthropologie culturelle, Université Libre de Bruxelles 44 avenue Jeanne, 1050
Bruxelles
1Cette
recherche est poursuivie dans le cadre du projet européen « Avenir des Peuples des Forêts
Tropicales ». Des versions préliminaires de ce papier ont été présentées à la African Studies
Association, Annual Meeting, novembre 1995, Floride (Etats-Unis) et à l'Université de Kent à
Canterbury (Angleterre), février 1996.
-183-
L'importance de cette interface découle d'une série de priorités internationales dont les plus évidentes sont le développement économique
et social, la protection de l'environnement, la maintenance de la biodiversité et une tentative de gestion de la crise urbaine liée à la
croissance démographique. Bien que de nombreuses recherches de
pointe aient été menées pour chacun de ces thèmes - et beaucoup ont
combiné deux d'entre eux -, aucune tentative n'a été faite jusqu'à
maintenant de juxtaposer les trois en un paradigme théorique unique.
Afin d'y contribuer, nous allons aborder la question suivante : les
besoins d'approvisionnement des citadins en produits forestiers sontils compatibles avec une exploitation durable ? Deux éléments qui nous
amènent vers une réponse sont d'abord le processus de l'urbanisation
et la complexité du changement démographique qui en résulte et
ensuite les motivations de la consommation urbaine des ressources
forestières. L'analyse qui suit est basée sur une revue bibliographique
et une description de nos résultats préliminaires.
La croissance urbaine
L'expansion des villes d'Afrique subsaharienne due à l'exode rural,
l'explosion démographique naturelle alarmante et la sévérité des
conditions matérielles et politiques ne laissent que peu d'espoir aux
urbanistes d'en renverser le cours (Stren et al., 1993). Bien que le
phénomène d'urbanisation soit relativement récent, une très large
partie de la population du continent vit aujourd'hui en ville. Les
données fiables manquent mais on estime que plus de 50 % des
Camerounais, Congolais et Zaïrois vivent en ville. Selon le dernier
recensement, 73 % des Gabonais sont des urbains (République
Gabonaise, 1993, p. 7). En Guinée équatoriale, plus de 60 % de la
population se trouvent à Malabo (Sayer, et al. 1992, p. 161). En 1990
il y avait 18 villes en Afrique subsaharienne avec plus d'un million
d'habitants : selon les prévisions, il y en aura 70 en 2020 (Venard,
1995, p. viii).
Une ville, selon les définitions de différentes organisations
nationales et internationales, est une agglomération avec une
population minimum de 5.000 à 20.000 habitants. Les critères
purement numériques ne sont cependant pas d'une importance prédominante ici car la pression culturelle sur des ressources forestières,
par exemple, peut être aussi forte que la pression matérielle. Ainsi,
certains produits forestiers peuvent être autant menacés par une ville
comme Libreville avec ses 500.000 habitants que par une mégalopole
comme Kinshasa avec 5.000.000. D'autres critères s'ajoutent à celui-ci
pour définir la nature urbaine d'un peuplement humain, comme par
exemple l'existence d'une activité économique spécialisée à plein
temps, la structure de l'habitat, l'organisation de l'infrastructure, ou la
-184-
Villes du Sud et environnement
durabilité de l'agglomération (Bairoch, 1996, p. 21-22). Le concept de
« ville » dans notre analyse est plus fonctionnel que quantitatif ou
matériel et il trouve son sens dans une définition articulée par Marcel
Wertheimer pour les villes africaines. Pour lui, une ville secondaire est
« une agglomération dont les habitants exercent de façon permanente
les fonctions diversifiées de l'administration, du commerce, de
l'industrie et/ou de l'artisanat, des services publics et privés, de l'agriculture, mais où la fonction agricole n'est pas dominante. Une ville
primatiale est celle où toutes les fonctions.sont présentes et auxquelles
s'ajoutent la fonction gouvernementale et la fonction de relation
privilégiée avec l'étranger » (Wertheimer, 1985, p. 138). Pour des
citadins en général, l'intégration dans la vie urbaine est marquée par
une transition de l'économie d'autosubsistance vers une économie de
service ou de marché.
La plupart des villes importantes d'Afrique subsaharienne d'aujourd'hui furent fondées à la fin du XIXe siècle et au début du XXe siècle
afin de servir l'entreprise coloniale triple : administration, commerce,
prosélytisme. Néanmoins, «...les villes avaient existé un peu partout
en Afrique depuis très longtemps...» (Coquery-Vidrovitch, 1993, p. 3337). Les facteurs économiques, agricoles et politiques ont influencé
directement le phénomène d'urbanisation. Pour la partie ouest
d'Afrique centrale, les origines urbaines sont liées à un contexte
écologique favorable, le développement du commerce à longue
distance, la production de quelques biens de consommation ainsi que
l'émergence d'une société complexe et très centralisée (de Maret, sous
presse).
Les puissances coloniales ont contrôlé l'organisation spatiale des
villes selon une ségrégation stricte entre Européens et Africains. Elles
ont aussi veillé sur la taille de la population urbaine afin de satisfaire
leurs besoins de main-d'œuvre et de garantir une stabilité politique.
Dès l'indépendance, cependant, les villages se vidaient des jeunes qui
allaient tenter leur chance en ville. Certains cherchaient des emplois,
des services de santé, des écoles ou les divertissements, tandis que
d'autres voulaient s'échapper d'une vie rurale caractérisée par un
travail physique éprouvant, le sentiment d'ennui et des codes sociaux
souvent astreignants. La peur de la sorcellerie, considérée comme
omniprésente dans les villages, a aussi été avancée comme une raison
de cette migration (Rowlands et Warnier, 1988, p. 121). Les migrants
étant en général jeunes, leur taux de fertilité élevé, la natalité urbaine
est plus importante que dans les zones rurales. Ces facteurs combinés
font de ces enclaves de modernité relative des melting pots de groupes
ethniques très hétérogènes qui continuent à croître. Un peu partout en
Afrique centrale, la gabegie est généralisée et les populations urbaines
sont extrêmement pauvres : ils vivent dans une précarité dramatique
caractérisée par la malnutrition, toutes sortes de maladies
-185-
endémiques, une criminalité croissante, des problèmes psychologiques, etc. Encore pire, la pauvreté urbaine est un phénomène
cumulatif (Iliffe, 1987, p. 164-192).
Au fur et à mesure que ces populations se rendent compte combien
il est difficile de trouver un logement, la nourriture, un travail et les
autres services qu'elles associent à « la vie urbaine », la tendance à
retourner au village pourrait se développer davantage : jusqu'à
présent il n'y a que relativement peu de mouvement dans cette
direction. Par contre, le phénomène de « l'africanisation de la ville
africaine » est très visible (Stren, 1995) : la ville commence à
ressembler de plus en plus au village à cause d'une nouvelle organisation de l'espace due à des changements d'attitudes et des comportements influencés par les exigences socio-économiques.
Malthus et au delà
Est-ce que l'augmentation de la population urbaine constitue
réellement une menace environnementale ou un danger d'épuisement
des ressources forestières ? Jusqu'à il y a peu de temps, les observateurs des tendances démographiques africaines ont effectivement
perçu le problème de la croissance urbaine selon l'interprétation
malthusienne : le rapport entre l'augmentation de la population et la
pression sur des ressources naturelles étant directe. Cette analyse
existe déjà dans un cadre historique :
«la Rome Antique [une des premières villes à compter plus d'un
million d'habitants] est un exemple frappant de l'effet parasite de la
vie urbaine. Pour nourrir sa population, de vastes régions fertiles
d'Espagne et d'Afrique du Nord ont été surexploitées et se sont
finalement désertifiées. Les forêts des régions méditerranéennes ont
été déboisées et le phénomène a été irréversible » (Oestereich, 1992, p.
58-59).
Des échos d'une telle interprétation sont encore fréquents et énoncés
par exemple, par la Banque Mondiale : « en Afrique subsaharienne,
l'agriculture itinérante sur brûlis - face à une croissance démographique - est en train de provoquer un cycle pervers de dégradation du
sol et de productivité réduite » (Serageldin, 1994, p. 1, notre
traduction). De même, pour le Biodiversity Support Program : « les
produits forestiers subissent toutes sortes de pressions mais l'augmentation de la population est peut-être la plus importante. Étant
donné les faiblesses infrastructurelles dans bien des secteurs de la vie
en Afrique centrale, l'augmentation de la population peut élargir
l'écart entre une production durable et l'épuisement des ressources »
(Biodiversity Support Program, 1993, p. 21, notre traduction).
-186-
Villes du Sud et environnement
Il est temps cependant de réexaminer cette interprétation et
plusieurs auteurs ont commencé à le faire. À propos de Rome encore
une fois, un doute sur sa validité se manifeste déjà : «...les périodes de
déforestation les plus rapides dans le passé ne résultent pas nécessairement d'une croissance rapide de la population...» (von Droste et
Schreckenberg, 1991, p. 372, notre traduction). Par ailleurs, K. S.
Amanor, à propos de l'espace forestier ghanéen, « met l'accent sur le
potentiel humain de transformation de la nature et sur la capacité des
gens à inventer des systèmes de production matérielle qui surmontent
des obstacles économiques contemporains et les problèmes de l'environnement qui sont symptomatiques d'un malaise économique....les
contraintes économiques et environnementales majeures émanent du
système capitaliste mondial et de la structure économique du marché
mondial des denrées » (Amanor, 1994, p. 5, notre traduction). Le
problème de surexploitation et l'épuisement des ressources ne résulte
alors pas des facteurs de population ou de « la capacité de charge »
(land carrying capacity). T. K. Rudel propose un argument similaire :
pour lui, « la déforestation rapide coïncide avec l'incorporation des
régions de forêts denses humides dans une économie mondiale en
expansion » (Rudel, 1989, cité par Lambin, 1994, p. 3, notre
traduction).
Dans une veine un peu différente, Eric Lambin a observé que
« plusieurs auteurs ont remarqué une corrélation étroite entre la
croissance démographique et la déforestation...Néanmoins, ce rapport
n'est pas nécessairement direct... Contrairement à la perception
populaire, le lien entre la pression démographique et la dégradation
écologique est complexe et indirect : de nombreux variables et
processus conjugués sont concernés. Comme n'importe quelle interprétation de la dégradation écologique de style 'hypothèse unique', un
point de vue simpliste qui établit un rapport causal direct entre la
croissance démographique et la dégradation écologique devrait être
examiné avec beaucoup de prudence » (Lambin, 1994, p. 61, notre
traduction).
Pour la Fondation du développement africain de l'USAID, les
expériences des dix dernières années nous montrent d'une manière
claire que, comme les systèmes humains, les systèmes écologiques
peuvent s'adapter aux stress. (USAID, 1988-1992, p. 66.) Ceci est aussi
le sujet d'un ouvrage intéressant dirigé par Tony Binns sur les
populations et l'environnement en Afrique (Binns, 1995). Une étude
des techniques agricoles dans la région de Machakos au Kenya par
exemple, a révélé comment la croissance démographique peut avoir
une influence positive - et non pas négative - sur la conservation de la
nature et la productivité (Mortimer et Tiffen, 1995, p. 70).
-187-
Dans une analyse sur la gestion de bois de chauffe, Robin Mearns
met en évidence le fait qu'il est peu réaliste d'imaginer que la consommation suit la croissance démographique car au fur et à mesure que le
bois devient rare, que la collecte devient plus difficile, ou que les prix
augmentent, les gens adaptent leurs comportements. Ils plantent des
arbres, emploient le bois d'une manière plus économe, adoptent des
sources d'énergie plus facilement disponibles, comme les déchets
agricoles et ils essaient de stimuler une régénération naturelle des
espaces boisés (Mearns, 1995, p. 105).
En ce qui concerne les transitions savane-forêt, Fairhead et Leach
ont aussi trouvé des exemples où les paysans contribuent au
reboisement : ils ont constaté que « le développement des enclaves
forestières est encouragé d'une manière plus ou moins délibérée par
les activités quotidiennes, soit par la plantation d'arbres ou plus
souvent en créant des conditions de sol ou de feu favorables au
développement des espaces forestiers » (Fairhead et Leach, 1995, p.
166, notre traduction).
Pour résumer ces différentes hypothèses, nous pouvons nous référer
à un important travail de Kandeh and Richards : « Contrairement aux
suppositions néo-malthusiennes, l'augmentation de la population ne
veut pas nécessairement dire qu'il y a moins de bio-diversité.
Davantage de gens pourraient signifier une plus grande attention
prêtée à l'environnement » (Kandeh et Richards, 1996, p. 103).
Bien que ces exemples ne visent pas le problème bien spécifique de
la pression démographique urbaine sur les ressources naturelles, ils
sont néanmoins intéressants car ils proposent des alternatives à
l'interprétation malthusienne à une échelle plus générale. Une contribution au livre de Binns a cependant essayé d'aborder cette question
qui nous préoccupe plus particulièrement. Hamish Main présente une
analyse des effets de l'urbanisation sur les environnements ruraux.
Pour lui, l'urbanisation a certainement des impacts négatifs sur l'environnement mais le processus a des impacts positifs aussi. Ces derniers
sont, par exemple, le remplacement de la végétation naturelle par une
agriculture durable ; une amélioration de la capacité productive afin de
satisfaire les besoins urbains en aliments ; et le rôle positif de la
mobilité entre village et ville, essentiellement par la création des
revenus qui pourraient être employés dans la protection de l'environnement rural (Main, 1995, p. 47-57).
Les recherches récentes sur le secteur informel montrent aussi que
la perception malthusienne apocalyptique du rapport populationressources est quelque peu exagérée. Un regard même peu expert peut
témoigner à quel point le citadin africain - poussé par la contrainte
économique - a une capacité extraordinaire de rentabiliser ses maigres
ressources. Son activité quotidienne de production, de service ou
-188-
Villes du Sud et environnement
d'artisanat révèle un niveau d'ingéniosité remarquable. Les matériaux
sont récupérés, cannibalisés et recyclés infiniment : l'organisation
spatiale est souvent bien étudiée malgré un désordre apparent. Les
urbains qui n’ont ni formation, ni cousin bien placé, se voient
contraints à s'adapter aux possibilités offertes par le marché. Ainsi, ils
vaquent à une multitude de petits métiers de rue. Une étude sur la
ville de Yaoundé en a classifié 121 qui varient entre l'acheteur de
bouteilles vides au vendeur de pneus d'occasion en passant par
l'écrivain public, le gardien de voitures ou le réparateur d'ustensiles de
cuisine (Fodouop, 1991). L'image est identique pour n'importe quelle
ville d'Afrique noire. C'est peu étonnant alors qu'on estime que 60% de
la population active travaille dans le secteur informel (Stren, 1995, p.
22).
Le développement de l'agriculture urbaine est une autre facette du
secteur informel qui montre comment l'occupation du sol évolue et ceci
d'une manière positive. Confrontées à l'urbanisation rapide, aux
politiques agricoles peu efficaces, aux réseaux de distribution
d'aliments en état de délabrement et l'élimination des subsides, en
plus des problèmes d'ordre macro-économique, les populations
urbaines se sont mises à cultiver leurs propres aliments et à faire de
l'élevage (Mougeot, 1993, p. 2). Dans de nombreuses villes africaines,
la moindre parcelle, même en bordure de rue est exploitée. Cette
description de Kinshasa est révélatrice :
«Vue d'avion, la capitale du Zaïre est un immense jardin. Partout,
comme le long du boulevard du 30 juin - jour de l'indépendance du
pays en 1960 - d'immenses arbres poussent majestueusement. Mais la
verdure ici, n'est pas seulement une coquetterie. Devant les belles
résidences de l'Ambassade de France, vous verrez que le manioc et le
maïs ont remplacé les bougainvilliers et vous ne trouverez pas un
mètre carré, en cette fin de saison de pluies, qui ne soit soigneusement
sarclé au cœur même de la ville » (Lauzon, 1995, p. 7).
L'agriculture urbaine est donc devenue un phénomène de survie et,
comme d'autres initiatives, a contribué à alléger la faim dans le
monde. Depuis 1975 le problème de faim diminue sans cesse et il y a
moins de personnes ayant faim aujourd'hui par rapport à il y a quinze
ans - et ceci malgré une augmentation de plus ou moins 1.1 milliard
d'êtres humains dans les pays en développement (Comité consultatif
de la Conférence sur la faim et la pauvreté, 1995, p. 2). Les statistiques
concernant la Côte d'Ivoire nous montrent que la croissance démographique ne mène pas nécessairement à la dépendance alimentaire : les
paysans dans ce pays arrivent à dépasser leurs besoins caloriques bien
que la population nationale a triplé et la population urbaine s'est
multipliée par un facteur de dix depuis trente ans (Snrech, 1995, p.16).
-189-
L'urbanisation entre le développement et la conservation
Quand Pearce et Warford disent qu'une croissance durable peut être
compatible avec la protection de l'environnement si les décisions
économiques intègrent le facteur environnemental, ne prennent-ils
pas leurs désirs pour la réalité ? (Pearce and Warford, 1994, p.15.)
D'un ton un peu plus réaliste, ils ajoutent que la dégradation de l'environnement est néfaste pour les économies des pays pauvres comme
pour les pays riches et qu'elle rend le processus de développement
particulièrement difficile et coûteux. L'urbanisation est au cœur de ce
débat. En effet, il est souvent considéré que le processus d'urbanisation s'étend au détriment de l'environnement - surtout dans les
tropiques (Pearce and Warford, 1994, p. 27-28). Les problèmes sont
multiples et concernent la gestion des eaux, les transports, le logement
et bien sûr le déboisement provoqué par les besoins de bois et la
demande de terres pour l'agriculture périurbaine ou l'élevage. Des
études géographiques ont évoqué ce problème pour Kinshasa (Mpasi,
1992) et Yaoundé (Frenay, 1987) et une étude de télédétection a
montré l'effet d'auréole autour de Lubumbashi (Wilmet et al., 1992, p.
9-15).
Bien que l'impact environnemental de l'urbanisation soit plutôt
négatif, le processus peut être lié à la croissance économique et à la
mobilité sociale - si toutefois l'infrastructure peut fournir les biens et
les services nécessaires aux investisseurs. Pour le moment,
néanmoins, ces critères ne sont pas remplis par les villes d'Afrique
centrale. Si un jour ils l'étaient, l'urbanisation pourrait créer des
emplois dans les secteurs formels et informels, les industries et les
services, et améliorer la capacité des agriculteurs à bénéficier des
marchés urbains. L'urbanisation pourrait aussi instaurer une
meilleure productivité, la création des économies d'échelle et une
compétitivité positive. En se demandant si l'urbanisation est une
fatalité inévitable liée au développement ou si elle en est une garantie,
Lemelin et Polèse concluent que l'urbanisation est une condition
nécessaire mais insuffisante au développement économique (Lemelin
et Polèse, 1995, p. 14-32). Becker et al. posent une question similaire :
pourquoi les centres urbains se sont-ils développés en Afrique subsaharienne ? Sont-ils nécessaires au processus du développement
économique ou leur expansion constitue-t-elle un frein ? Leurs travaux
montrent que le secteur urbain est d'une importance cruciale pour les
économies africaines, même si elle est parfois exagérée par les statistiques (Becker et al., 1994, p. 25). Par ailleurs ils observent que les
liens étroits entre villes et villages sont d'une importance capitale pour
le succès des stratégies de développement rural (Becker et al., 1994, p.
52). Cette complémentarité du développement rural et du développement urbain a déjà été soulignée à l'époque coloniale, ainsi que
l'impact positif de l'urbanisation sur le développement (Denis, 1958, p.
364-370).
-190-
Villes du Sud et environnement
L'urbanisation peut aussi avoir des implications potentiellement
positives dans le domaine politique. Vers la fin de l'époque coloniale, les
élites étaient des citadins. Suite à la Conférence de Brazzaville de 1944
qui a marqué le début de la décolonisation de l'Afrique francophone, on
débattait en ville de l'évolution politique et de la revendication de
l'indépendance. Au Congo belge, où les autorités étaient moins clairvoyantes à propos de la décolonisation que leurs homologues français,
la violence urbaine s'ajoutait à la négociation : la mutinerie de février
1944 à Luluabourg et les émeutes de janvier 1959 à Léopoldville ont de
fait contribué au nationalisme naissant (Young, 1968, p. 149).
Aujourd'hui, les éléments de la société les plus puissants au niveau
politique, tels que les membres du gouvernement ou de l'opposition, les
fonctionnaires, le milieu des affaires, les journalistes (Frère, s.d.), les
ouvriers qualifiés, les enseignants et les étudiants, parmi d'autres, se
trouvent aussi dans les villes. La tendance positive d'accorder de plus
en plus de pouvoir aux ONG, aux groupes participatifs et aux agents du
secteur informel est, encore une fois, un phénomène essentiellement
urbain.
Les aspects apparemment positifs de l'urbanisation pour le développement et l'incidence néfaste pour l'environnement constituent un
paradoxe. Les « conservateurs » luttent pour la préservation des forêts
tropicales tandis que les promoteurs du développement économique
œuvrent pour celui-ci et pour la création des institutions démocratiques
stables. Bien que les deux objectifs ne soient pas nécessairement incompatibles, il est difficile de les harmoniser. Une remarque à propos de la
consommation d'énergie est particulièrement parlante : « On
doit...souligner que l'éradication de la pauvreté dans le Tiers-Monde
constitue un objectif tellement important pour la communauté
mondiale dans son ensemble que toute contrainte sur l'utilisation
d'énergie qui ralentirait le développement en général et l'allégement de
la pauvreté en particulier serait préjudiciable pour l'ordre politique et
social mondial » (Pachauri, 1995, p. 226). Un exemple venant de
Kinshasa nous aide à élucider cette remarque : Bricafrica (anciennement Brickin) est la seule entreprise industrielle de briques et
d'autres matériaux en terre cuite de la capitale zaïroise, employant
approximativement 500 personnes. À l’époque coloniale déjà, ses vingt
fours étaient chauffés au mazout, tandis qu'aujourd'hui ils sont
chauffés au charbon de bois - en attendant les possibilités d'électrification. Bien que cette société privée joue un rôle non négligeable dans
les domaines de la production et de l'emploi, son système de chauffage
est un non-sens sur le plan environnemental. La communauté internationale devrait mieux se rendre compte de ce genre de paradoxe mais
jusqu'à aujourd'hui aucun programme ou aucune institution ne
s'attaque au problème de rendre l'urbanisation moins destructrice au
niveau environnemental en zone tropicale, tout en respectant les
objectifs du développement et le bon déroulement des activités
économiques appropriées.
-191-
L'usage de la forêt par les citadins
Lorsqu'on parlait de forêt vierge auparavant, on imaginait un monde
exclusivement voué aux règnes animal et végétal - un monde vierge de
la présence humaine. Mais la réalité est tout autre car depuis des
millénaires, des groupes humains exercent des activités de chasse,
d'agriculture, de cueillette et de pêche dans ces forêts sans en compromettre l'existence. Leur style de vie est compatible avec la conservation d'un milieu qu'ils ont d'ailleurs contribué à façonner (Bahuchet
et de Maret, 1994).
Ce milieu, aussi bien que ce mode de vie, est extrêmement fragile et
peut être facilement bouleversé, par exemple, par la modernité, l'intégration dans un système capitaliste, les projets de développement mal
adaptés à la réalité locale, ou, bien sûr, l'urbanisation. La symbiose
relative entre les peuples des forêts tropicales et leur milieu n'est pas
comparable dans des zones urbaines où le rapport entre la densité
démographique importante et les ressources disponibles est
caractérisé par un stress considérable même si on sait maintenant que
les systèmes s'adaptent de mieux en mieux au stress. L'activité
humaine dans ce contexte, c'est-à-dire l'organisation sociale et
économique non traditionnelle et non liée à l'autosuffisance, est
devenue incompatible avec la maintenance de la biodiversité. Il reste
donc à déterminer théoriquement où, comment et pourquoi l'activité
humaine entre en conflit avec une bonne gestion des ressources
forestières : quels sont les paramètres spatiaux, quelles sont les
variables ?
Par ailleurs, les décideurs d'Afrique centrale, qui sont eux-mêmes
des citadins de facto, n'ont pas réellement assimilé la cause de la
conservation. Les dirigeants kenyans et tanzaniens, par contre, voient
clairement l'intérêt de la protection de la nature qui se traduit chez
eux en des recettes écotouristiques importantes. Guppy a exprimé le
problème sans indulgence : « la déforestation est liée aux motivations
politiques des élites locales et leur manque de volonté de voir la réalité
en face » (Guppy, 1984, cité par Lambin, 1994, p. 4, notre traduction).
Ces décideurs ont signé des accords internationaux et des lois
nationales qui protègent en principe les écosystèmes forestiers et la
biodiversité, mais très peu d'actions concrètes sont menées afin de les
faire respecter. Mobutu peut facilement comparer les aires protégées
du Zaïre aux cathédrales mais ce n'est pas pour autant que son gouvernement octroie un budget de fonctionnement suffisant à l'Institut
zaïrois pour la conservation de la nature. En Afrique centrale en
général, les ONG, les organisations internationales et les agences de
l'aide bilatérale sont seules à œuvrer dans cette direction. Cependant,
il ne faudrait pas être trop critique à l'égard des leaders africains dans
ce contexte, car il est effectivement très difficile d'harmoniser la
-192-
Villes du Sud et environnement
conservation, qui est une vaste et longue entreprise avec les exigences
politiques et économiques d'ordre local et quotidien. En effet, « il est
très difficile de convaincre les gouvernements qui sont assaillis par des
problèmes immédiats d'agir sur les problèmes futurs dont la gravité ne
peut pas être établie d'une manière certaine » (Atkinson, 1994, p. 100,
notre traduction). Dans un registre politique, on pourrait se demander
pourquoi on trouve une intensité de terribles dictatures dans la forêt
dense humide d'Afrique centrale.
Le bois de chauffe, le charbon de bois, le bois d'œuvre ainsi que le
gibier sont les exemples les plus évidents des produits forestiers
consommés par les citadins et les plus néfastes pour l'équilibre de
l'écosystème. Mais il y a bien d'autres produits qui se vendent sur les
marchés régulièrement : les plantes médicinales, les insectes, les
fruits, les dérivés des palmiers (vin, alcool, l'huile), les feuilles, les
champignons, les écorces et les racines, le miel, les parties non
comestibles des animaux et les reptiles, etc. etc.
La consommation urbaine de ces produits peut s'expliquer par trois
raisons principales qui se chevauchent. L'explication dominante, étant
donné la pauvreté généralisée en Afrique, est de l'ordre socioéconomique à double face. D'un côté, il y a la demande de la part des
masses urbaines pauvres qui n'ont pas d'autres possibilités de
subvenir à leurs besoins vitaux. Pour eux la forêt est « une entité
inanimée et profane qui peut être pillée afin de satisfaire les exigences
économiques les plus élémentaires » (de Garine et al., 1993, p. 530,
notre traduction). De l'autre côté, elle est une vaste zone économique
à exploiter par des entrepreneurs de toute taille. La chaîne d'échanges
entre « producteur » (chasseur, coupeur ou cueilleur), ceux qui traitent,
travaillent ou transforment ces produits, les transporteurs (par force
musculaire ou par des moyens plus modernes), les vendeurs en gros,
demi-gros et au détail, et enfin le consommateur final (sans oublier le
militaire, le policier ou l'officiel corrompu) est une longue pourvoyeuse
de revenus. Les bénéfices peuvent être soit très élevés à l'échelle de
l'économie locale, soit extrêmement faibles.
Lorsque ces différents acteurs économiques ont un accès aux
instruments d'une modernité relative comme les fusils, les tronçonneuses, les camions ou camionnettes, l'exploitation traditionnelle est
bouleversée, provoquant une dégradation environnementale
exacerbée. Dans le contexte de crise économique généralisée, les
fonctionnaires, dont les modestes salaires sont payés (au mieux) avec
des mois de retard, ou les anciens étudiants qui ne trouvent pas
d'emplois dans le secteur formel et ne veulent pas rentrer au village,
se tournent de plus en plus vers la commercialisation de gibier. C'est
une activité qui peut rapporter vite, bien et sans investissement
préalable (Dethier, 1995, p. 78-81).
-193-
La deuxième raison est d'ordre socio-politique et due à la faiblesse
des systèmes étatiques. L'incapacité (ou le manque de volonté) des
États de fournir les biens et les services de base a poussé les
populations urbaines à adopter des stratégies de survie alternatives
qui se traduisent très souvent en une dépendance des ressources
forestières. Ces stratégies en général ne respectent pas les objectifs
d'un développement durable et sont souvent dévastatrices. Par
ailleurs, au fur et à mesure que l'État s'affaiblit, le besoin de ces
produits s'intensifie. Dans le contexte socio-politique actuel, l'État
n'est pas à même de s'investir dans la modernisation du secteur
énergétique, l'agriculture intensive ou l'élevage, l'amélioration des
réseaux routiers, etc. En même temps, la diminution de l'aide internationale influence (et est influencée par) cette situation de crise sociopolitique.
Bien que le lien entre le niveau de développement et la dépendance
des produits forestiers semble assez clair (la dépendance a tendance à
diminuer au fur et à mesure que les sociétés se modernisent), le débat
théorique n'est pas fermé. Un bon réseau routier, par exemple, peut
alléger le problème de déboisement périurbain car la nourriture ou le
bois peuvent être acheminés de plus en plus loin dans l'arrière pays
mais ce même réseau facilite le transport du gibier braconné des zones
forestières lointaines vers les marchés urbains.
Une dernière explication qui ressort de cette analyse est qu'un
meilleur niveau de développement peut entraîner, mais n'implique pas
nécessairement, une diminution de l'attachement culturel des citadins
pour la forêt et tout ce dont elle regorge. En effet, la forêt est omniprésente dans la culture de l'Afrique centrale et se manifeste d'une
manière linguistique, historique, artistique, religieuse, médicale et
politique (Falconer, 1990, p. 39). D'un point de vue spatial, la forêt est
le lieu où le visible et l'invisible sont en harmonie, où les êtres vivants,
les ancêtres et les esprits communiquent entre eux. Les citadins
continuent à y retourner pour les cérémonies sacrées, l'initiation, le
mariage ou les rencontres avec les guérisseurs. D'un point de vue
matériel on s'y procure des substances rituelles et religieuses, une
vaste pharmacopée, des mets traditionnels et les symboles d'un statut
social. Cet attachement culturel, et donc le besoin de préserver la forêt,
pourrait être un argument utile dans le discours de politique de
conservation mais n'a pas été exploité d'une manière efficace dans les
villes jusqu'ici. Inversement l'attachement culturel pour certains
produits, le gibier notamment, est un élément qui rend la protection de
la faune extrêmement difficile. Il serait intéressant, par ailleurs,
d'approfondir une analyse du comportement des consommateurs
urbains à ce propos : comment se juxtapose le déterminisme
économique prédominant aux facteurs culturels ou traditionnels dans
le choix entre les différentes espèces de viande de brousse et la viande
dite de boucherie (voir par exemple, Ioveva-Baillon, s.d.).
-194-
Villes du Sud et environnement
Quel avenir des citadins, quel usage de la forêt ?
Dégager des solutions isolées aux problèmes de l'urbanisation, du
développement ou de la protection de l'environnement est déjà un défi
colossal : harmoniser des solutions encore virtuelles paraît alors insurmontable. Dès lors, les ressources forestières seront exploitées par les
citadins, parfois brutalement, parfois d'une manière plus tempérée,
aussi longtemps qu'ils seront pauvres, que l'infrastructure ne
répondra pas à leurs besoins les plus élémentaires ou aussi longtemps
que le message de la conservation ne sera pas entendu et assimilé par
des chefs d'États. Beaucoup d'éléments de cette riche biodiversité
d'Afrique centrale disparaîtront sans doute entre temps. L'analyse
s'est donc basée essentiellement sur une interprétation qui favorise le
déterminisme économique, bien que les aspects socioculturels aient
aussi clairement leur place.
Si les citadins ont aujourd'hui un impact négatif sur la vie des forêts
qui s'éloignent de plus en plus des villes, il n'est cependant pas
impossible que ces mêmes citadins puissent demain participer
activement au ralentissement du processus. Pour le faire, il faudrait
mieux les écouter et rester attentif à leurs problèmes et à leurs désirs.
Il nous faudrait aussi une compréhension comparative, approfondie et
détaillée de l'usage de la forêt par les urbains ainsi que de la
perception qu'ils ont de ce milieu dont beaucoup parmi eux sont
originaires. Cette meilleure compréhension pourrait contribuer à
l'harmonisation des priorités socio-économiques du développement
avec les objectifs d'une gestion de l'environnement localement
appropriée.
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Travaux de la Société d’Écologie Humaine
c/o UMR 6578 du CNRS - Adaptabilité Humaine : Biologie et Culture
Université de la Méditerranée, Faculté de Médecine
27, boulevard Jean-Moulin, 13385 Marseille cedex 5
Directeur de la Publication : Nicole Vernazza-Licht
Déjà parus :
L’homme et le lac 1995
Impact de l’homme sur les milieux naturels : Perceptions et Mesures 1996
Cet ouvrage est issu, pour l’essentiel, des travaux présentés aux VIIIe journées scientifiques
de la Société d’Écologie Humaine (SEH), qui se sont tenues à Orléans en juin 1996.
Ces journées étaient organisées par :
- la Société d’Écologie Humaine
- l’équipe du DEA « Environnement, Temps, Espaces, Sociétés », Université d’Orléans
- l’UMR 6578 « Adaptabilité Humaine : Biologie et Culture », CNRS-Université de la
Méditerranée, Marseille
- le laboratoire Population-Environnement, Université de Provence/Orstom, Marseille
- le laboratoire ERMES, Orstom, Orléans
Il a bénéficié du soutien financier du département Environnement, Technologies et
Société de l’Université de Provence, Marseille
Dépôt légal : 4e trimestre 1998
ISBN : 2-9511840-2-6
ISSN : 1284-5590
Tous droits réservés pour tous pays
© Éditions de Bergier
476 chemin de Bergier, 06740 Châteauneuf de Grasse
[email protected]
VILLES DU SUD
ET
ENVIRONNEMENT
Éditeurs scientifiques
Daniel Bley, Jacques Champaud, Patrick Baudot,
Bernard Brun, Hélène Pagezy, Nicole Vernazza-Licht
1997
Les communautés paysannes andines
de Cangahua en Équateur :
une dynamique agricole aujourd’hui
sous l’emprise de la ville
Pierre Gasselin*
À 70 km au nord-est de Quito, capitale de l’Équateur, les
communautés paysannes de ouest-Cangahua exploitent plusieurs
étages écologiques entre 2600 et 3950 mètres d’altitude, sur le versant
oriental du couloir interandin. Située à 15 km au sud du bourg de
Cayambe, dans la province du Pichincha, l’agriculture de la paroisse
de Cangahua se trouve aujourd’hui sous le double feu des influences
urbaines de Quito et de Cayambe. Soumis à de rudes conditions agroécologiques, les petits exploitants de cette région héritent d’un lourd
passé d’asservissements continus (Bonifaz, 1972 - Ramón, 1987 et
Salomon, 1980). L’explosion démographique de la capitale après le
boum pétrolier des années 70 entraîne la région de Cangahua dans son
aire d’influence. La pression qu’exerce la ville sur les ressources
hydriques et foncières se double d’une emprise urbaine croissante sur
le réservoir de la main d’œuvre agricole. En outre, les infrastructures
aéroportuaires favorisent le développement de nouvelles activités
agro-exportatrices. Successivement sous le joug inca puis colonial, la
population de Cangahua essentiellement minifundiste est maintenant
confrontée à un impossible processus d’accumulation face aux grandes
exploitations agricoles capitalistes.
*LEA-Orstom, BP 5045, 34032 Montpellier Cedex 01, France
-198-
Villes du Sud et environnement
Conditions écologiques et conséquences agronomiques
Le climat équatorial andin est marqué par deux saisons sèches et ses
caractéristiques dépendent de l’altitude. À 3200 mètres, la moyenne
des précipitations annuelles est de 740 mm, mais on observe de très
fortes irrégularités interannuelles. Le régime thermique est typique
des régions équatoriales : très faible amplitude thermique annuelle,
forte amplitude diurne (16ºC en moyenne à 2600 mètres). Au-delà de
la régularisation et de l’augmentation des rendements des cultures
pluviales, l’irrigation permet l’introduction de cultures maraîchères et
d’un deuxième cycle cultural estival.
La variabilité altitudinale relevée lors de l’étude du climat s’observe
aussi dans la distribution spatiale des sols -sableux et peu profonds
entre 2600 et 3100 mètres, noirs et profonds à partir de 3600 mètres-.
Par ailleurs, l’étage tempéré se distingue de l’étage froid (> 3200
mètres) par des processus d’érosion qui font affleurer des formations
volcaniques indurées. Ces dernières sont impropres à toute activité
agricole sans un lourd travail de récupération préalable, dispendieux
en temps de travail, ou en argent dans le cas d’une réhabilitation
mécanisée.
Cette nette distinction écologique des étages froids et tempérés se
prolonge par une différenciation socio-ethnique marquée des
communautés y résidant. L’étage froid, plus difficile d’accès, est occupé
par des populations indiennes au parler Quichua, tandis que l’étage
tempéré abrite une société métisse. L’histoire contribue, autant que
les paramètres géographiques, à la compréhension de ces clivages et
des situations socio-économiques actuelles.
De l’hacienda coloniale aux communautés paysannes actuelles
L’histoire agraire des Andes équatoriennes est marquée par cinq
grandes ruptures :
- l’invasion Inca qui signe le passage d’un simple système de
redistribution au sein des communautés à un appareil centralisé
d’organisation de la production,
- la colonisation espagnole avec l’introduction de nouveaux
outils (l’araire), l’importation de nouvelles espèces végétales et
animales et la structuration de l’appareil de production, pour les
besoins de la Couronne d’Espagne, en très grandes propriétés (les
haciendas) organisées sur une main d’œuvre indienne asservie qui
reçoit l’usufruit d’une parcelle de terre et qui paie pour son usage en
argent, produits, travail ou services,
- l’Indépendance du pays (1822) qui s’ouvre alors aux marchés
internationaux, hors de la mouvance coloniale,
-199-
- les deux Lois de réformes agraires (1964 et 1973) très partiellement appliquées, dont les grands objectifs furent la redistribution
plus ou moins forte des terres des grands propriétaires aux minifundistes ainsi que la modernisation des structures agraires,
- et enfin, les mutations socio-économiques qui s’opèrent dans
l’Équateur contemporain sous l’effet conjugué de l’accroissement de la
population, de la mondialisation des échanges, des réformes de
structures et d’un afflux des nouveaux capitaux tirés du pétrole.
Crises du système agraire d’hacienda
Il faut remonter à la colonisation espagnole du XVIe siècle pour voir
la Couronne d’Espagne distribuer les terres à des colons qui forment
des haciendas et s’approprient la main d’œuvre indienne par des
mécanismes d’endettement. Celle-ci est structurée autour d’une
organisation sociale pyramidale garantissant son contrôle économique
et social. Elle est dirigée par une équipe salariée, hiérarchisée et ethniquement stratifiée, au service d’un propriétaire souvent absentéiste.
Les réductions de main d’œuvre, les changements de productions, les
conflits familiaux, les réductions de surfaces et l’endettement sont
autant d’indicateurs des difficultés rencontrées par les haciendas de
ouest-Cangahua au début du XXe siècle. La spécialisation dans
l’élevage laitier a mis ces haciendas en concurrence avec celles de la
vallée, qui bénéficient d’avantages comparatifs notables : le climat
plus doux favorise la pousse de l’herbe et permet l’introduction de
races laitières améliorées (Holstein). La décadence des grandes
haciendas a donc provoqué une dynamique spontanée de redistribution partielle des terres, antérieure aux réformes agraires de 1964
et 1973. Pour les haciendas, les moyens de rémunération ne sont plus
l’usufruit mais le salaire.
L’explosion démographique et urbaine
D’une ampleur inattendue, le boum pétrolier de 1973 donne à l’État
Équatorien les moyens et l’autonomie de contrôler et stimuler ses
efforts de réorganisation, notamment par la réforme agraire de 1973.
Mais une autre conséquence de cette manne financière fut l’explosion
urbaine de la capitale. Même si le décollage de la population de Quito
est antérieur aux années 70 (Godard, 1987), c’est à cette époque que la
ville franchit le cap des 500.000 habitants pour en compter près de
900.000 en 1982, avant d’être consacrée ville-millionnaire par le
recensement de 1990 avec plus de 1,1 million d’habitants (INEC,
1991). Le transport ferroviaire, l’amélioration des conditions de
transport routier, la recrudescence d’embauches dans le secteur public
-200-
Villes du Sud et environnement
et le développement du secteur de la construction placent alors la
région de Cangahua dans l’aire d’influence de la capitale administrative.
La population équatorienne est multipliée par 10 entre 1886 et 1990,
date à laquelle elle approche les 10 millions d’habitants.
Augmentation globale de la population qui doit être nuancée : le poids
relatif de la population rurale de la Sierra, région andine de
l’Équateur, diminue fortement (Figure 1).
Figure 1. Composition de la population de la province du Pichincha
% population
100%
80%
Pop. urbaine
60%
40%
Pop. rurale
20%
0%
1960
1962
1974
1982
1990
Source : INEC, 1992
Elle représente 33,8 % de la population totale en 1950 et 24,7 % en
1974. Si la tendance se poursuit, elle ne représentera plus que 10 % de
la population totale en l’an 2000 (BERNARD, 1982). Néanmoins, cette
diminution relative doit être nuancée par une augmentation absolue
de la population aussi bien urbaine que rurale (Figure 2).
Figure 2. Évolution des populations urbaines et rurales de la province du Pichincha
Habitants
1 800 000
1 600 000
1 400 000
Pop rurale
1 200 000
Pop urbaine
1 000 000
800 000
600 000
400 000
200 000
0
1960
1962
1974
Source : INEC, 1992.
-201-
1982
1990
L’explosion démographique de l’Équateur ne peut donc être
considérée comme homogène sur l’ensemble du territoire. Elle est
moins accentuée dans les zones rurales de la Sierra que dans les
centres urbains du pays. L’accroissement démographique est
cependant un des principaux facteurs de l’augmentation globale des
surfaces cultivées (+15% dans l’étage tempéré de la zone d’étude entre
1956 et 1993) et de la diminution des surfaces par exploitation.
Le système agraire actuel
Les exploitations capitalistes
Haciendas, plantations de fleurs et exploitations minifundistes sont
les trois grands systèmes de production identifiés dans la partie
occidentale de la paroisse de Cangahua. Sans détailler les caractéristiques des exploitations capitalistes avec salariés que sont les
haciendas et les plantations de fleurs, il nous faut remarquer l’opposition des logiques économiques qui gouvernent ces deux systèmes.
Opposition qui rejoint des trajectoires fort différentes puisque
l’hacienda est un système hérité de l’appareil colonial tandis que la
floriculture se développe depuis les années 80 à la faveur d’un marché
international encore « florissant ».
À l'opposé des systèmes minifundistes où l’autosubsistance est le
principal objectif des chefs d’exploitation, les deux autres systèmes
visent à rentabiliser au mieux le capital investi. Le propriétaire
cherche à maximiser son taux de profit. Que les rapports de prix ou les
productivités du travail deviennent structurellement plus favorables
dans d’autres secteurs d’activités (construction, commerce, spéculation
foncière...) et les exploitants capitalistes y déplaceront leurs capitaux.
L’hacienda est un système d’élevage bovin extensif faisant appel à
peu de main d’œuvre et ne nécessitant que de faibles investissements
par hectare. Les propriétaires sont souvent absentéistes et conservent
simultanément d’autres activités, essentiellement urbaines. À
l’inverse, les plantations de fleurs, principalement destinées à l’exportation vers les Etats-Unis, nécessitent de très gros investissements
(1.250.000 FF/ha : préparation du terrain très minutieuse, serres,
éclairage nocturne, chambre froide). L’exploitant doit ensuite acheter
une force de travail salariée très nombreuse et employer des intrants
coûteux (semences, fertilisations chimiques et produits phytosanitaires). Ces deux systèmes répondent à une logique capitaliste, l’un de
manière « extensive » (en travail et en investissement), l’autre par des
méthodes « intensives ».
-202-
Villes du Sud et environnement
La question foncière
Trop loin de Quito (70 km) pour que la spéculation foncière ait pu
jouer son rôle de désagrégation du cadastre agricole, la région est
aujourd’hui soumise à une nouvelle forme de pression foncière. Les
plantations de fleurs se sont toujours établies à proximité du bourg de
Cayambe afin de bénéficier des moindres coûts de transports de la
main d’œuvre qu’elles prennent en charge. Un décret municipal
interdit maintenant toute nouvelle installation de plantation dans la
périphérie de Cayambe afin de lutter contre les pollutions odorantes et
sanitaires liées à la grande consommation de pesticides inhérente à
cette activité. Le dynamisme toujours soutenu du marché des fleurs
d’exportation permet de penser que le canton de Cayambe n’a pas fini
d’accueillir de nouvelles entreprises à la recherche des avantages
comparatifs de la région (proximité de Quito et de son aéroport,
conditions écologiques favorables, faible coût de la terre et de la main
d’œuvre, perspective de main mise sur des droits d’eau d’anciens
réseaux d’irrigation). Ces nouveaux entrepreneurs n’auront alors
d’autres alternatives que de placer leurs serres dans l’étage tempéré
de la périphérie lointaine de Cayambe, induisant ainsi une plus-value
foncière entretenue par le blocage foncier des haciendas.
Nombre d’exploitations
Figure 3 : Distribution des exploitations minifundistes par classe de Superficie Agricole
Utile (SAU) par personne dans la région de ouest-Cangahua
Classes de SAU (en ha/personne)
En effet, les surfaces cultivées par personne sont très faibles dans les
systèmes de production minifundistes (Figure 3). Malgré une faible
densité de population (environ 38 hab./km2) pour l’ensemble de la zone
-203-
étudiée, il est possible de calculer une « densité de population minifundiste apparente » de 510 hab./km2 (Population minifundiste totale /
Somme des SAU des systèmes de production minifundistes). Ces
chiffres donnent la mesure du caractère très partiel de la redistribution des terres d’hacienda aux paysans minifundistes et du risque
de pression foncière que représente la prochaine installation des
plantations de fleurs.
Les systèmes de production minifundistes
L’essentiel de la population de cette région pratique une agriculture
d’autosubistance où le système de production minifundiste dominant
est la polyculture associée à un petit élevage (384 exploitations
couvrant 445 ha de SAU). La surface agricole utile (SAU) est en
moyenne de 1,16 hectare, mais plus des deux tiers des exploitations
familiales ont moins de 1 hectare tandis que moins de 2% des exploitations ont plus de 5 hectares (Figure 4).
Nombre d’exploitations
Figure 4. Distribution des exploitations minifundistes par classes de SAU dans la région
de ouest-Cangahua
Classes de SAU
Au-delà de la répartition très inégale du facteur de production terre
entre les exploitations minifundistes et les haciendas qui possèdent
des centaines d’hectares, on remarque une distribution inégale des
terres au sein des petites exploitations minifundistes. Le capital
d’exploitation est toujours très réduit. Près de 40% des exploitants ne
travaillent la terre que manuellement à la houe, et seules 13% des
unités de production possèdent une paire de bovins permettant la
-204-
Villes du Sud et environnement
traction animale de l’araire. Aucune exploitation ne détient de
tracteur. Ils sont loués aux haciendas. Donc, hormis quelques exploitations pratiquant la culture attelée légère et possédant un araire ou
une charrue très légère sans avant train, un joug et une paire de bovin,
l’outillage est très réduit et toujours manuel.
Différenciation des systèmes de production minifundistes
Il apparaît clairement que le système de production minifundiste
ainsi défini n’est pas unique mais recouvre plusieurs sous-type. Après
une opposition agro-écologique puis socio-ethnique des étages froids et
tempérés, le diagnostic des systèmes de production minifundiste
révèle une opposition agro-économique de ces deux étages. La culture
attelée légère, la tendance aux « grandes » superficies (> 1 ha), les
« gros » troupeaux ovins-caprins (20-50 têtes) et la rotation « pomme
de terre - fève - orge » sont le propre des exploitations de l’étage froid.
En revanche, l’étage tempéré abrite essentiellement des exploitations
de plus petites tailles (< 1 ha) pratiquant la culture manuelle. Les
productions végétales y sont essentiellement du blé ou des associations
de maïs et de légumineuses comme le haricot ou le petit pois. Outre ces
productions qui sont en volume les plus importantes, de nombreuses
autres espèces cultivées permettent une diversification de l’alimentation, une gestion des risques climatiques et une optimisation de l’utilisation des terres. Les productions animales sont pour l’essentiel de
petites basses cours (cochon d’Inde, volailles, lapin), associées à de
petits troupeaux ovins-caprins (entre 1 et 20 têtes).
L’étude des trajectoires montre que l’importance des cheptels
ovins/caprins, les superficies possédées, les équipements et le mode du
travail du sol des systèmes de production actuels sont le reflet des
héritages de la différenciation socio-économique qui prévalait dans le
système agraire d’hacienda.
Mais sous des systèmes de production différents se cache une unité
de fonctionnement. Presque toutes les productions agricoles, aussi
bien animales que végétales, sont vivrières et autoconsommées.
Quelques ventes ont lieu entre voisins. Cependant, comme à l’époque
précolombienne, il s’agit plus fréquemment d’échanges de productions,
de trocs, permettant notamment une diversification de l’alimentation.
La région de ouest-Cangahua ne génère aucune production agricole
commercialisée en ville. Les comptabilités de l’exploitation et de la
famille sont toujours communes. L’emploi des engrais chimiques et des
produits phytosanitaires reste très réduit. Les formes de renouvellement de la fertilité sont le transfert des animaux depuis les
pâturages vers les terres de cultures. La force de travail est la
marchandise la plus communément vendue.
-205-
Les petites surfaces cultivées, l’outillage rudimentaire, la mauvaise
qualité des sols et l’érosion galopante sont des facteurs limitant la
production agricole des exploitations minifundistes. Mais il semble
que l’absence d’eau d’irrigation est un autre facteur essentiel
expliquant les faibles productivités obtenues dans cette région où les
précipitations sont irrégulières et absentes pendant près de 4 mois.
Où la ville s’empare de l’eau
Toutes les communautés disposent des infrastructures (réservoirs et
canaux) nécessaires à la distribution de l’eau d’irrigation par gravité
et sont reliées au même canal principal situé à 3600-3500 mètres
d’altitude : le canal de la Guanguilquí. Long de 43 km, ce canal fut
construit par l’hacienda du même nom à la fin du XIXe siècle.
L’hacienda Guanguilquí, dans l’impossibilité d’entretenir seule le
canal, céda une fraction de son débit à l’hacienda Guachalá en échange
d’une partie de l’entretien, mais cet accord n’a pas résisté à l’ampleur
des travaux de maintenance. Dans les années 60, l’hacienda
Guanguilquí, en crise, est conduite à abandonner son canal, dont les
70% sont endommagés. La plupart des haciendas ayant disparu, les
communautés commencent à le réhabiliter dans les années 70.
En 1973, les communautés situées en amont initient des démarches
d’appropriation des eaux d’irrigation. Après un procès de 17 ans,
l’Agence de Quito de l’INERHI, l’office national qui gérait la ressource
en eau avant la « privatisation de l’eau » (RUF, 1994), attribue 80% du
débit de ce canal aux six haciendas qui font valoir leurs anciens droits
d’eau. Comme il fallait s’y attendre, la sentence généra de nombreux
affrontements entre le groupe des haciendas et celui des 16
communautés de la partie adverse. En acquérant de nouvelles terres,
les paysans minifundistes augmentèrent leurs nécessités en eau d’irrigation et la pression sur cette ressource. Après de nombreuses
tentatives de conciliation (14 procès) et en éclaircissant les différents
intérêts en jeu par l’appui institutionnel et le diagnostic d’organisations professionnelles1, la décision est inversée en 1988 avec 92% du
débit total (220 l/s) attribués à 29 communautés par le Conseil
Consultatif des Eaux.
Les communautés de ouest-Cangahua, situées à la fin du parcours
du canal, sont tributaires des travaux réalisés plus en amont et ne
disposaient toujours pas d’eau à la fin de l’année 1995. Pourtant,
depuis 1988, de nombreuses étapes ont été franchies dans la réhabilitation de cet ancien réseau d’irrigation : schéma de répartition intercommunal consensuel, début des travaux de réhabilitation du canal
principal, formation d’une « assemblée de l’eau » mensuelle réunissant
1Le
Centre Andin d’Action Populaire (CAAP) de 1983 à 1989 et depuis 1990, L’Institut d’Écologie et
de Développement de Cayambe (IEDECA).
-206-
Villes du Sud et environnement
les représentants des communautés et des haciendas, construction
d’ouvrages de répartition et de stockage, définition des systèmes
communaux d’irrigation (responsables, fonctionnement des réservoirs,
calendriers, tours d’eau...), formation à la conduite des cultures
irriguées et à l’entretien des infrastructures... Mais le débit du canal
de la Guanguilquí reste insuffisant pour les 2500 familles concernées.
Parmi d’autres projets de ponctions sur des cours d’eau voisins, le
captage de la rivière Oyacachi devait permettre une très forte augmentation du débit total. En partie financé par la Banque Mondiale, ce
projet a donné lieu à de nouveaux conflits. C’est la ville de Quito,
prioritaire dans son exigence d’eau potable, qui s’est octroyée le
bénéfice d’une nouvelle prise d’eau pour un usage domestique.
La situation géographique et l’histoire des communautés et
haciendas conditionnent les débits attribués lors de procès où les
rapports de force sont déterminants. La croissance de Quito introduit
aujourd’hui une nouvelle donne dans l’échiquier des forces candidates
à une appropriation des ressources hydriques.
Ouest-Cangahua présente donc une agriculture très contrastée sans
aucune transition entre l’hacienda, les plantations de fleurs et les
petites exploitations familiales dont l’existence est souvent récente.
L’homogénéité historique, structurelle et fonctionnelle des systèmes
de production minifundistes se traduit par une cohérence de leurs
résultats économiques.
Une migration pendulaire nécessaire pour les petits exploitants
La première constatation qui s’impose est la faiblesse des productivités du travail, et donc des revenus agricoles. Toutes les exploitations
minifundistes présentent des revenus agricoles en dessous du seuil de
survie placé à 1.290.000 sucres (la monnaie équatorienne) annuels par
travailleur (2715 FF en mars 1995 qui représentent les dépenses vestimentaires et d’alimentation les plus strictes qui soient). Il serait
presque redondant de préciser que toutes les exploitations ont un
revenu agricole inférieur au seuil de reproduction économique établi à
près de 4 millions de sucres (8370 FF en mars 1995 qui représentent
le coût d’opportunité du travail). Aucun des systèmes de production
minifundistes ne parvient donc à dégager une quelconque capacité
d’investissement.
La seconde observation essentielle est que ces systèmes de
production ne sont jamais déficitaires. Tous les exploitants dégagent
un revenu positif de leurs activités agricoles. Les faibles consommations intermédiaires et l’équipement réduit permettent de limiter les
risques financiers et d’assurer au chef d’exploitation la garantie d’un
revenu, aussi faible soit-il.
-207-
De fait, 91,9% des exploitations minifundistes (total : 384) ont au
moins un de leur membre travaillant également hors de l’unité de
production agricole. Cette double activité se traduit systématiquement
par une migration pendulaire des personnes impliquées dans des
activités extra-agricoles non qualifiées, qu’il s’agisse d’un emploi
urbain dans le secteur de la construction ou d’une embauche dans des
exploitations agricoles capitalistes produisant des fleurs d’exportation.
Deux secteurs d’emploi accaparent toute la main d’œuvre issue de ces
communautés, ce qui suggère l’existence de véritables filières. La
sécurité des emplois reste toujours très précaire. Le déplacement du
double-actif est quotidien lors d’un emploi dans les plantations
souvent proches de Cayambe, hebdomadaire dans la construction à
Quito. Cette migration pendulaire se fait essentiellement vers les deux
centres urbains proches des communautés, à savoir Cayambe (15 km)
et Quito (70 km). Plus de la moitié (56,6%) de la population mobile des
communautés travaille à Quito.
La double activité apparaît plus marquée dans les communautés
métisses que chez les Indiens. Une des explications à ce phénomène
pourrait être l’enclavement géographique plus fort des communautés
indiennes que des communautés métisses. De plus, la qualité des sols
et le niveau de capitalisation, supérieurs dans les communautés
indigènes, autorise des revenus agricoles plus importants. Et l’on
n’oubliera pas les aspects historiques et culturels qui rendent difficile
l’intégration des Indiens dans la population urbaine.
Interdépendances des activités agricoles et urbaines
Les résultats de l’étude économique montrent que les revenus
agricoles représentent, selon les systèmes de production minifundistes, de moins de 1% à seulement 25% des revenus totaux (hypothèse
d’un seul double-actif dans l’exploitation alors qu’ils sont souvent plus
nombreux). C’est dire l’importance des revenus extérieurs dans le
budget familial. Ces constats permettent de mieux comprendre
l’importance de la double activité dans la zone étudiée : elle est une
véritable nécessité pour ces agriculteurs dont les exploitations ne
dégagent pas même un revenu de subsistance.
Des emprunts agricoles déguisés
Les revenus extérieurs participent également au fonctionnement de
l’exploitation. De toutes les productions agricoles, la pomme de terre
permet d’obtenir la plus haute productivité du travail. C’est aussi une
des plus risquées. Le coût des consommations intermédiaires (essentiellement d’engrais et de pesticides) nécessaires à sa production est
-208-
Villes du Sud et environnement
toujours supérieur au revenu agricole. En l’absence d’endettement,
cette situation implique la participation des revenus extérieurs dans
la trésorerie de l’exploitation. Les activités extra-agricoles contribuent
au fonctionnement de l’exploitation minifundiste en permettant
d’éviter le coût d’un emprunt, par l’intermédiaire d’une trésorerie
« artificiellement » gonflée autorisant des cultures à forts intrants. Au
flux des migrants se superpose donc un flux monétaire. Mais il est
clair que ces revenus extérieurs contribuent aussi à la capitalisation
(achats de terres, de matériels ou d’animaux).
Gestion du travail et des activités
La mobilité spatiale et professionnelle s’est développée sans
supprimer le tissu d’activité agricole grâce à une gestion du travail
communautaire sous forme d’entraide qui autorise une absence du
chef de famille pendant tous les jours ouvrables de la semaine. Les
travaux agricoles les plus exigeants en main d’œuvre sont la
préparation du sol et les récoltes. Les agriculteurs ont résolu le
problème des pointes de travail en pratiquant l’entraide. Elle a une
grande importance économique pour les exploitations où le rapport
surface/travailleurs est le plus grand et où la main d’œuvre familiale
peut être insuffisante à la réalisation des pointes de travail. Le
premier avantage de cette pratique réside dans la possibilité de ne pas
avoir à payer de journaliers, et donc d’éviter une sortie de trésorerie.
Ensuite, le coût de cette entraide est moindre que celui d’une main
d’œuvre salariée puisque le travail est prêté sans intérêt. Enfin, cette
pratique permet aux doubles-actifs de concentrer leurs activités
agricoles durant les week-ends et ainsi finir une tâche urgente en peu
de temps.
De nouveaux rapports salariaux
L’introduction du rapport salarial apparaît comme la prolongation
du travail servile des paysans autrefois attachés à l’hacienda. Il est
aujourd’hui le double moteur d’une reproduction temporaire de
l’exploitation minifundiste et de sa soumission aux contextes
économiques régionaux, nationaux et internationaux. Situation qui
conduit au paradoxe d’un système de production vivrier où les productivités du travail insuffisantes à sa seule survie n’empêchent pas son
maintien dans l’économie équatorienne.
Par son activité agricole, le double actif assure une partie de sa
subsistance, ce qui lui permet d’accepter un salaire inférieur au coût
réel d’entretien et de reproduction de sa force de travail, maintenant
ainsi une pression à la baisse sur le niveau des salaires. De plus, il
-209-
représente une main d’œuvre librement achetée et congédiée suivant
les fluctuations du marché. Ainsi, tout entrepreneur capitaliste
équatorien trouve en ces doubles-actifs un moyen d’augmenter ses
taux de profit.
Par ailleurs, la proximité de Quito permet un accès facile à un
niveau de rémunération du travail plus élevé que celui en vigueur
dans la région de Cayambe. La migration pendulaire a donc des effets
contraires dans la mesure où elle tend à faire baisser le niveau des
salaires urbains tout en entraînant une hausse de prix de la journée
de travail dans les haciendas de la région. Les forts taux de profits des
plantations de fleurs voisines des haciendas contribuent également à
maintenir une pression à la hausse sur les salaires payés par les
haciendas. Après s’être opposées à toute rémunération monétaire, les
haciendas résistent à sa hausse sous peine de disparition faute d’une
productivité du travail suffisante.
Image sociale et effets sociaux de la double activité
Les exploitants ne considèrent pas la double activité comme
dégradante, mais bien comme une nécessité acceptée d’un revenu
extérieur et la notion de « vrai agriculteur » n’est pas débattue. Les
très rares exceptions d’exploitants n’ayant pas d’activités extérieures
ne sont pas suffisamment nombreuses pour créer des mouvements
d’orgueil ou une dynamique de fierté dans la population rurale
(d’autant que ces derniers sont souvent économiquement dépendants
de liens familiaux). Cependant, cette représentation du statut
d’ouvrier-agriculteur, de maçon-agriculteur ou encore d’agriculteurmécanicien n’est pas sans nuance suivant la durée consacrée à l’une
des deux activités. Ainsi, certains ne perçoivent leur exploitation que
comme un jardin potager cultivé sans passion aucune, tandis que
d’autres s’évertuent à investir temps et argent dans leur système de
production afin de réduire la part de leurs activités extérieures. Ces
deux tendances sont symptomatiques des deux dynamiques antagonistes de soumission et de résistance au processus de prolétarisation
de la paysannerie andine.
L’intégration de l’économie paysanne au marché du travail urbain
provoque une modification de la division du travail agricole. Femmes
et enfants sont aujourd’hui les principaux acteurs de la production.
Même si le chef de famille conserve son statut de responsable de l’unité
de production par les décisions qu’il reste seul à prendre, son épouse
devient la conseillère indispensable et l’unique détentrice des
pratiques agricoles. Un autre effet de la migration pendulaire est
l’importation de traits culturels du milieu urbain dans les
communautés rurales, qu’il s’agisse de la télévision, des jeans ou de
-210-
Villes du Sud et environnement
l’acquisition de l’espagnol dans les communautés indiennes. Enfin, les
nouveaux métiers de ces petits paysans sont à l’origine d’une différenciation sociale où la pérennité de l’emploi, son salaire, sa qualification
et sa localisation dictent une nouvelle hiérarchie sociale. Après
l’inégale répartition de la terre et des moyens de production, celle des
salaires et des épargnes qu’ils impliquent conditionnent un enrichissement relatif définissant de nouveaux groupes sociaux.
Conclusion
Le terme d’exode rural, insuffisant et impropre à caractériser la
complexité de la situation de ouest-Cangahua, évoque néanmoins de
nombreux attributs du fort courant migratoire drainé par Quito. Cette
migration de la campagne vers la ville ne présente pas (encore ?) les
caractères définitifs de l’exode, toujours associé au dépeuplement
absolu de la zone rurale. Néanmoins, de nombreux déterminants lui
sont communs : croissance démographique et surpeuplement relatif,
paupérisation paysanne induite par une structure foncière fortement
inégalitaire, absence de système de production suffisamment productif
à la mise en valeur d’une « zone défavorisée ». La migration pendulaire
observée est un véritable exutoire aux trop fortes contraintes
écologiques, historiques, économiques et sociales de la région de ouestCangahua. Quito apparaît ainsi comme le refuge d’une population
rurale active rejetée par sa campagne : sans la ville, c’est bien à des
migrations définitives auxquelles on assisterait.
Mais au-delà de causes proprement rurales, la ville tient aussi sa
part de responsabilités dans la désarticulation des activités agricoles.
En effet, Quito, conquérante sur le plan démographique et au niveau
de son espace rural périphérique, commence à laisser son empreinte
sur une lointaine ceinture rurale. La ville est ici doublement
concurrente des moyens de production agricole, qu’il s’agisse de la
force de travail ou de l’eau. Elle a également des effets induits sur la
terre, son rejet d’activités polluantes initiant une pression foncière.
Le moteur économique de la migration pendulaire est très certainement décisif. Pour dominant qu’il soit, il ne faudrait pourtant pas
oublier d’autres facteurs socioculturels. On pourra citer la recherche
d’une promotion sociale, et pas seulement par l’argent, la volonté
d’intégration à la société métisse urbaine et l’attraction des agréments
du milieu urbain et de ses infrastructures. L’existence de véritables
filières induit une dynamique de migration, la population mobile
reconstituant une nouvelle communauté sur le lieu des activités extraagricoles communes.
La ville n’est pas le premier objet de cette étude. Cependant, on
devinera à quelles difficultés conduisent l’afflux temporaire des
-211-
migrants dans l’agglomération. La double résidence et l’urbanisation
sauvage qu’elle implique sont des casse-tête de gestion des logements,
des équipements urbains et des transports. De plus, l’épargne, finalité
de l’activité urbaine, introduit certainement un déséquilibre
économique local.
Ce transfert de richesses est le dernier élément de stabilisation des
communautés de ouest-Cangahua. Sans être représentative de toute
la ceinture périurbaine de Quito, cette agriculture ne donne aucun
signe d’émergence d’un système de production suffisamment productif
pour être reproductible. L’arrivée de l’eau d’irrigation sur les parcelles
cultivées constitue une des mesures permettant d’espérer une
augmentation des revenus agricoles. Néanmoins, les gains de productivité du travail permis par l’irrigation ne seront certainement pas
suffisants à l’obtention de revenus agricoles supérieurs au seuil de
reproduction, si les surfaces cultivées ne sont pas plus grandes. La
récupération des surfaces érodées et indurées constituerait une
alternative au blocage foncier des haciendas. Mais cet effort de récupération des sols indurés n’aura de sens que lorsque des mesures
efficaces de lutte contre l’érosion auront été prises.
L’agriculture fait souvent figure d’activité dominée. Dans les pays
occidentaux de la vieille Europe du XIXe siècle, l’épargne des ruraux a
servi à financer l’industrie, les chemins de fer et les constructions
urbaines. Ici encore, la ville, que certains qualifieraient de parasitaire
et dominatrice, bénéficie des trop fortes contraintes qui pèsent sur
l’activité agricole d’une région mal lotie, tout en pérennisant une
agriculture inégalitaire.
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Travaux de la Société d’Écologie Humaine
c/o UMR 6578 du CNRS - Adaptabilité Humaine : Biologie et Culture
Université de la Méditerranée, Faculté de Médecine
27, boulevard Jean-Moulin, 13385 Marseille cedex 5
Directeur de la Publication : Nicole Vernazza-Licht
Déjà parus :
L’homme et le lac 1995
Impact de l’homme sur les milieux naturels : Perceptions et Mesures 1996
Cet ouvrage est issu, pour l’essentiel, des travaux présentés aux VIIIe journées scientifiques
de la Société d’Écologie Humaine (SEH), qui se sont tenues à Orléans en juin 1996.
Ces journées étaient organisées par :
- la Société d’Écologie Humaine
- l’équipe du DEA « Environnement, Temps, Espaces, Sociétés », Université d’Orléans
- l’UMR 6578 « Adaptabilité Humaine : Biologie et Culture », CNRS-Université de la
Méditerranée, Marseille
- le laboratoire Population-Environnement, Université de Provence/Orstom, Marseille
- le laboratoire ERMES, Orstom, Orléans
Il a bénéficié du soutien financier du département Environnement, Technologies et
Société de l’Université de Provence, Marseille
Dépôt légal : 4e trimestre 1998
ISBN : 2-9511840-2-6
ISSN : 1284-5590
Tous droits réservés pour tous pays
© Éditions de Bergier
476 chemin de Bergier, 06740 Châteauneuf de Grasse
[email protected]
VILLES DU SUD
ET
ENVIRONNEMENT
Éditeurs scientifiques
Daniel Bley, Jacques Champaud, Patrick Baudot,
Bernard Brun, Hélène Pagezy, Nicole Vernazza-Licht
1997
Indiens dans la ville,
les Nahuas artisans d’Acapulco
(Mexique)
Marina Goloubinoff*
Fondé par les Espagnols au XVIe siècle, le port d’Acapulco a joué à
l’époque coloniale un rôle capital dans l’économie du Mexique qui
s’appelait alors la Nouvelle Espagne (Dehouve, 1994). C’est de cette
baie que partait le célèbre galion de Manille à destination des
Philippines (Valdés Lakowsky, 1992). Le port accueillait également les
bateaux qui assuraient le trafic avec les colonies espagnoles
d’Amérique du Sud. L’importance économique et commerciale
d’Acapulco diminua progressivement à la fin du XVIIIe siècle mais son
activité, bien que moins intense, ne s’arrêta pas.
Aujourd’hui, notamment grâce au tourisme qui s’est développé
depuis les années cinquante, la ville connaît un nouvel essor. Avec une
population de plus de 600.000 habitants, elle concentre près du quart
de la population du Guerrero et se développe à un taux de croissance
annuel de 5%, qui est essentiellement dû à une migration intérieure.
En effet, l’État du Guerrero est un des plus pauvres du pays (carte 1).
Forcés par la nécessité, beaucoup d’hommes et de femmes sont venus
à Acapulco des zones voisines, à la recherche d’un travail dans
l’industrie, le bâtiment, l’hôtellerie ou la restauration.
La population de la ville est donc constituée d’Acapulqueños de
« souche » (établis depuis plusieurs générations) et d’une majorité de
migrants, provenant d’autres États du Mexique et surtout, de
différentes régions du Guerrero. Parmi ces derniers figurent les
Nahuas du Haut Balsas (carte 1). Certes, ils ne sont pas très nombreux
(tout au plus quelques centaines d’individus). Un observateur attentif
* GDR 1201, Musée de l’Homme, place du Trocadéro, 75016 Paris, France
-214-
Villes du Sud et environnement
Carte 1 : Localisation de la région du Haut Balsas dans l’État de Guerrero
Océan Atlantique
Océan Pacifique
Guerrero
District Fédéral
(Mexico)
Michocáo
État de
Mexico
Morelos
Iguala
Océan Pacifique
Chilpancingo
Puebla
Oaxaca
Acapulco
les remarque cependant aisément car c’est avec un art consommé du
négoce qu’ils proposent aux touristes leurs objets multicolores :
peintures sur papier d’écorce, poissons en bois, céramique peinte,
masques...etc.
Les Nahuas artisans sont présents dans tous les endroits « stratégiques » de la ville (centre ville, marché d’artisanat, plages,
débarcadère des bateaux de croisière...) et sont d’autant plus identifiables que beaucoup de femmes portent encore le mandil (tablier de
toile vichy à volants) de leur région d’origine. Ces Indiens qui font
maintenant partie du paysage de la ville sont dans l’ensemble bien
-215-
intégrés. Mais les premiers artisans qui quittèrent il y a trente ans,
leurs villages pour venir vendre leur production, durent faire preuve
de courage et de ténacité.
L’artisanat dans le Balsas et le début de sa commercialisation
La plupart des Nahuas artisans qui vivent actuellement à Acapulco
sont originaires de la région du haut Balsas qui se situe à mi-chemin
entre Mexico et Acapulco, soit à environ 200 kms des deux villes. Cette
zone est surtout habitée par des Indiens nahuas qui s’y sont installés
dès le XIIe siècle. Les Nahuas vivent traditionnellement de la culture
du maïs (Zea mays), de la courge (Cucurbita spp), du haricot
(phaseoleus spp) et d’autres plantes associées. Comme l’irrigation n’est
pratiquée que marginalement, en bordure des fleuves, l’essentiel de la
production agricole provient de cultures pluviales. Or les précipitations étant relativement faibles (700 mm de moyenne annuelle) et
irrégulières, les récoltes ne suffisent pas à combler les besoins d’une
population qui a toujours dû se livrer à des activités complémentaires
comme le travail saisonnier dans des exploitations agricoles,
l’artisanat ou le commerce (Good, 1988, Toumi, 1983).
Grâce à cette diversification, les Nahuas parvenaient à vivre assez
modestement. Mais il y a quarante ans, est apparu l’artisanat du papel
amate qui allait changer la vie dans la région. Il s’agit de peintures
ayant pour thème des oiseaux (pájaros) ou des scènes de la vie
quotidienne (historias) réalisées sur papier d’écorce de Ficus ou amate.
Le support (écorce battue) est fabriqué dans la Huasteca1 mais ce sont
les Nahuas du Balsas qui pratiquent l’art de la peinture sur amate2.
Le nouvel artisanat commença dans le village d’Ameyaltepec puis se
répandit rapidement dans les communautés voisines (San Juan
Tetelcingo, Xalitla, San Agustín Oapan, Maxela et d’autres). Ce travail
contribua largement au développement économique des villages et à
l’amélioration des conditions de vie. Ressource complémentaire à
l’agriculture, il devint même l’activité principale de nombreux foyers.
Avec l’amate s’offrait une opportunité à tous ceux qui ne pouvaient
vivre de la terre (ou en vivaient mal) et qui autrement, n’auraient eu
d’autre choix que d’émigrer3.
Si l’amate fit réaliser un véritable boom économique dans les villages
c’est bien sûr en raison de son originalité mais aussi parce que,
1Le
principal producteur de papier d’écorce est le village otomi de San Pablito qui se trouve dans la
Huasteca, région qui borde le Golfe du Mexique. Les fabriquants de feuilles d’amate vivent donc à
plus de 400 kms des artisans qui les peignent !
2Sur
le début de cet artisanat original, voir Good (1988), Goloubinoff (1986,1994), Hémond (1991),
Museo Nacional de Culturas Populares (1982), cités en bibliographie.
3Le
développement de l’artisanat dans la région n’a pas réussi à empêcher totalement l’exode rural
et la migration vers les États-Unis. Il est néanmoins certain que le taux de migration est plus faible
dans les villages artisans que dans ceux qui ne pratiquent pas cette activité
-216-
Villes du Sud et environnement
contrairement à ce qui se passe habituellement au Mexique, les
artisans ont pris en main la commercialisation de leur travail. En
effet, certains n’ont pas hésité à sortir de leur village pour aller à la
rencontre de la clientèle dans les marchés, les places publiques, les
bureaux, les ambassades. Partout où se trouvaient des touristes et des
amateurs d’art. Ainsi, les Nahuas ont-ils évité en grande partie le
système classique des intermédiaires qui généralement s’enrichissent
au détriment des artisans (Goloubinoff, 1993). Une telle démarche a
demandé beaucoup d’audace et d’esprit d’entreprise de la part des
Indiens qui, à l’époque, ne maîtrisaient pas bien l’espagnol et n’étaient
pas habitués à la ville. Ils devaient faire face au dédain des citadins et
à des dangers divers (vols, tracasseries administratives, mauvais
traitements de la part de la police). Maintenant, les Nahuas savent
évoluer dans le milieu urbain. Ils sillonnent tout le pays du Nord au
Sud et ont établi de réseaux commerciaux entre le Balsas et les
principaux centres touristiques du Mexique. Cette aventure
commerciale débuta néanmoins par la « conquête » de trois villes :
Mexico, Cuernavaca (dans l’État du Morelos) et Acapulco.
Installation des artisans du Balsas à Acapulco
Comme Acapulco, haut lieu du tourisme, ne se trouvait qu’à
quelques heures de bus du Balsas, il est normal que les artisans
nahuas aient cherché très tôt à y déployer leurs activités. Leur installation en ville fut cependant progressive.
Les Indiens venaient d’abord pour de courts séjours par petits
groupes de quelques individus. Il s’agissait généralement de jeunes
gens ou d’hommes plus âgés (ayant souvent des liens de parenté entre
eux) qui avaient décidé de faire le voyage ensemble pour partager les
frais et s’entraider. Les femmes et les enfants restaient habituellement au village, à de rares exceptions près. Les artisans logeaient à
plusieurs dans des chambres d’hôtel bon marché ou louaient à la
semaine ou au mois des pièces chez l’habitant. Lors que le stock de
marchandise qu’ils avaient apporté était épuisée4, ils revenaient chez
eux, le temps de réunir assez d’artisanat pour entreprendre une
nouvelle expédition.
Bientôt, les voyages se firent plus fréquents car les œuvres proposées
remportaient du succès auprès des touristes. Par ailleurs, les artisans
avaient remarqué qu’ils pouvaient trouver des clients en toute saison5.
Beaucoup firent donc venir leurs familles et décidèrent de s’installer
de manière plus durable en ville.
4Ceci
pouvait prendre d’une semaine à un mois, selon la demande et leur aptitude à la vente.
5Il
n’y a pas de « morte saison » à Acapulco, car les touristes de divers pays et de différentes sortes
(retraités, fonctionnaires, étudiants, employés...etc.) se succèdent tout au long de l’année. Tout au
plus les statistiques montrent-elles une légère baisse du taux de remplissage des hôtels en septembre
et octobre. Voir (INEGI, 1987)
-217-
Les familles migrantes étaient presque toutes originaires d’un seul
village : San Juan Tetelcingo. Il semble que le choix de s’établir en ville
est généralement dicté par les conditions qui prévalent dans le village
d’origine. Or, les situations varient d’une communauté à l’autre. Par
exemple, à Xalitla qui se trouve en bordure de route, les habitants ont
pu se doter rapidement d’infrastructures et de services qui ont rendu
la vie plus facile (eau potable, électricité, école secondaire, centre
médical, etc). Ils ont également profité des grandes facilités de
transport pour développer leur commerce, sans être obligés de
s’installer en ville. Le service régulier de cars leur permet jusqu’à
présent d’effectuer des voyages fréquents mais de courte durée pour se
rendre sur les lieux de vente ou livrer chez des clients .
Les habitants de San Juan ne bénéficient pas de ces facteurs
favorables. Leur village, situé plus à l’intérieur des terres, au bord du
fleuve Balsas reste encore relativement isolé et il l’était encore
davantage il y a trente ans. La piste qui le reliait à la route nationale
était beaucoup moins praticable qu’elle ne l’est actuellement. En
saison des pluies, les véhicules ne parvenaient pas à passer le guet et
la route devenait particulièrement dangereuse. C’est sans doute à
cause de cet isolement et de certains problèmes internes que des infrastructures telles que l’électricité et l’eau courante n’arrivèrent que
tardivement à San Juan. Par ailleurs, le type de tenure foncière et les
différents litiges agraires avaient déjà poussé un certains nombre de
« laissés pour compte » à s’installer dans des villages voisins où il
restait encore quelques lopins terres cultivables vaquants. Ces
facteurs « expulseurs » ont donc pesé dans la décision des artisans qui,
par ailleurs étaient déjà motivés par les atouts commerciaux que leur
offrait Acapulco.
Au début de leur installation, les familles nahuas habitaient en
location dans des logements exigus disséminés dans plusieurs
quartiers assez éloignés du centre-ville et de la zone hôtelière. Ils se
trouvaient donc loin des lieux de vente. Leur situation était encore
instable et précaire. Certains songeaient parfois à repartir dans le
Balsas. Cependant, l’on inscrivit les enfants à l’école et cela marqua le
premier pas du processus d’intégration de cette communauté au sein
de la ville. La possibilité d’offrir aux enfants une meilleure scolarité et
par conséquence de plus vastes perspectives d’avenir, comptait
beaucoup pour les mères de famille qui n’avaient pas eu cette chance6.
Les enfants allaient s’acclimater rapidement et aider leurs parents à
se sentir mieux acceptés dans ce nouvel environnement.
L’artisanat fut également un facteur d’intégration pour les Nahuas
d’Acapulco. Bien que leur activité relève du secteur informel, ils ont
6A
San Juan il n’y a qu’une petite école primaire et les enfants qui veulent poursuivre leur scolarité
et qui en ont les moyens sont obligés de partir ailleurs. Dans les villages traditionnels, les filles ne
sont pas encouragées à étudier car on considère qu’elles sont plus utiles à la maison et que de toute
façon, elles sont appelées à se marier. Or, à l’âge adulte, beaucoup de femmes regrettent souvent ce
manque d’instruction qui les handicape.
-218-
Villes du Sud et environnement
cependant bénéficié pendant la période des années soixante-dix, sinon
de bienveillance, du moins d’une certaine tolérance de la part des
autorités de la ville. En effet, le gouvernement central qui misait
beaucoup sur le tourisme avait compris que l’artisanat mexicain
contribuait à son essor. Divers projets nationaux et régionaux ont vu
le jour pendant cette époque. On créa dans divers États du pays des
Casas de Artesanías (maisons de l’artisanat) sous contrôle de l’État
ainsi que des marchés touristiques afin de promouvoir l’artisanat
local, tout en tentant de surveiller cette branche informelle. À
Acapulco même, les autorités locales décidèrent d’accorder des
patentes aux artisans originaires du Guerrero. Quelques Nahuas
purent ainsi bénéficier de cette mesure pour installer des petits stands
sur la jetée (El Malecón). Même si les autorisations étaient délivrées
« au compte-goutte » et que la majorité des Indiens continuaient à
vendre « à la sauvette », cela représenta pour ce groupe à l’époque un
début de reconnaissance officielle de leur statut d’artisans.
Dans les premiers temps, comme nous l’avons vu, les artisans ne
vendaient à Acapulco que les peintures amate réalisées dans les
villages par eux-mêmes ou des membres de leur famille. Parfois,
venaient s’ajouter dans le lot quelques poteries traditionnelles
fabriquées par leurs voisins nahuas de San Agustín Oapan. Mais
rapidement, les migrants se mirent à travailler sur place avec les
feuilles achetées dans le Balsas7 et les pots de peinture trouvés dans
des magasins de la ville. L’activité artistique et commerciale des
Nahuas d’Acapulco amorça dés cette époque son propre développement mais resterait toujours étroitement liée à l’évolution de ce
secteur dans la région initiale. Car, encore aujourd’hui, bon nombre
d’articles vendus par ces artisans proviennent du Balsas ou y
transitent. Ce système inter-régional liant les Indiens des villages et
leur « colonie » d’Acapulco sera expliqué plus loin.
Pour comprendre la complexité de ces échanges il est nécessaire de
revenir avant sur le « boom » artistique que connut le Balsas dans les
années soixante-dix. Ce développement dépassa le cadre restreint de
la région nahua puisqu’il eut des répercussions sur les villes métisses
d’Iguala et de Taxco8.
Le développement des artisanats
Le succès de l’amate stimula l’activité artistique dans le Balsas.
Certains artisanats déjà existants se développèrent ou se transformèrent. De nouvelles formes et de nouveaux articles firent leur
7Rappelons
que ce papier n’est pas une production locale mais qu’il est vendu aux peintres par les
Otomis qui le fabriquent ou par des intermédiaires
8Taxco,
ville coloniale, vécut pendant plusieurs siècles de l’exploitation de ses mines d’argent mais
son économie actuelle repose surtout sur le tourisme.
-219-
apparition. La demande en objets de collection aussi bien qu’en
souvenirs (bon marché mais originaux) était en pleine croissance.
Les artisans nahuas qui, entre temps avaient acquis l’expérience du
commerce, comprirent qu’il fallait répondre à ces besoins émanant
d’une clientèle variée. Il leur fallait donc diversifier la gamme. C’est
ainsi qu’ils stimulèrent certains artisanats réalisés par des nonindiens et développèrent d’autre part leurs propres productions.
Les ateliers d’objets en pierre et l’industrie des masques
Certains amateurs d’art étaient près à payer cher pour acquérir des
pièces « authentiques » (masques traditionnels anciens, objets archéologiques). Or ces articles étaient rares. Se développèrent alors dans les
villes d’Iguala et de Taxco, des ateliers de travail lapidaire où des
artisans métis réalisaient des statuettes en pierre d’inspiration préhispanique. Cette industrie particulière avait débuté dans les années
quarante mais elle profita du dynamisme de l’artisanat du Balsas
parce que les Nahuas contrôlaient désormais le commerce de ces
articles dans toute la région y compris en ville. L’exemple mérite d’être
souligné car il contredit les schémas habituels des relations de pouvoir
au Mexique, puisqu’ici ce sont des Indiens qui monopolisent la
production d’artisans métis (Good, 1988, Goloubinoff, 1993).
L’industrie régionale des masques en bois connut une évolution
assez proche puisque plusieurs ateliers ouvrirent à Iguala à la fin des
années soixante. Des Métis y travaillaient9 mais également quelques
Nahuas originaires du village de San Francisco Ozomatlan (Balsas) ou
l’on fabriquait depuis longtemps des masques pour les danses traditionnelles. Indiens et Métis s’enrichirent mutuellement de leurs
expériences respectives. Ceci donna naissance à une gamme très
variée de masques dans une fourchette de prix assez large. Le touriste
désargenté aussi bien que le riche collectionneur pouvaient y trouver
leur bonheur10.
Céramique traditionnelle et céramique repeinte
D’autres artisanats ont connu des transformations sous l’effet de la
demande. C’est en particulier le cas de la céramique. Les villages de
San Agustín Oapan et d’Ameyaltepec ont toujours fabriqué de la
poterie pour un usage domestique local. Oapan était notamment
connu pour ses grandes jarres à eau ornées des motifs végétaux ocre et
noir sur fond crème. Comme ces objets n’avaient qu’un marché
9La
plupart des ateliers de masques d’Iguala sont tenus par les membres d’une famille originaire de
San Martín Pachivia, un petit village près de Taxco
10Parmi
ces amateurs, figuraient notamment l’ethnologue américain Donald Cordry qui a consacré
un livre à ce sujet (voir en bibliographie) et le cinéaste français François Reichenbach qui a légué sa
collection au Musée de Marseille.
-220-
Villes du Sud et environnement
limité11, les potiers décidèrent d’élargir leur production en réalisant
des ustensiles qui ne faisaient pas partie de la vaisselle traditionnelle
mais qui correspondaient au besoin d’une clientèle urbaine ou
étrangère (saladiers, cruches, coupelles, vases, cendriers...). Ils
inventèrent aussi des objets à usage purement décoratif destinés à
être accrochés au mur ou posés sur un meuble. Les masques en terre
cuite illustrent bien ce type de production. Les figurines d’animaux et
les personnages accomplissant diverses activités (musiciens, femmes
préparant le repas, couples enlacés...) sont également caractéristiques
de la nouvelle tendance.
La technique de fabrication de la céramique (matériaux, façonnage,
cuisson, polissage, décoration avec des pigments naturels...etc) resta
néanmoins globalement la même, malgré l’augmentation de la
production. Les touristes et les collectionneurs appréciaient l’aspect
rustique et original des objets.
La céramique « San Juan-Acapulco » : un produit qui voyage...
Les artisans-marchands de Xalitla et d’Ameyaltepec qui allaient
vendre des amates et de la céramique dans les centres touristiques
eurent cependant l’idée d’associer ces deux artisanats : les pièces en
terre cuite de Oapan seraient repeintes à la manière des amates avec
des motifs d’oiseaux (pajaros) ou des scènes villageoises (historias).
Pour cela, ils se servirent des couleurs acryliques utilisées pour le
papier d’écorce. Les nouvelles réalisations aux teintes vives accrochant
le regard plurent également au public même si certains amateurs
restèrent des inconditionnels de la céramique « naturelle ».
Les artisans nahuas d’Acapulco qui venaient souvent dans le Balsas
pour s’approvisionner en marchandise (masques, céramique, amates)
observèrent avec intérêt cette nouvelle expérience de peinture. De
retour en ville, ils s’y exercèrent à leur tour sur les poteries rapportées
de Oapan et constatèrent avec satisfaction le succès remporté par ces
œuvres.
D’un point de vue technique ce support était appréciable : la
céramique, plus lisse que la feuille d’écorce n’accrochait pas le pinceau,
elle absorbait également moins de peinture, à condition d’être bien
« préparée »12. Enfin, la surface à décorer est plus réduite. Le rapport
entre le prix de revient (achat de la céramique et des peintures et du
vernis/temps de travail) et le prix que l’on pouvait demander à la
vente, semblait intéressant. C’est pour cela que les Nahuas d’Acapulco
décidèrent de se consacrer essentiellement à cette tâche, même s’ils
continuèrent à peindre quelques amates.
11Sur
le marché local, la céramique traditionnelle subit la concurrence des produits industriels en
plastique ou en métal. Par ailleurs, la demande en jarres à eau reste stable mais modeste car lors
qu’on en achète une, elle sert pendant environ dix ans.
12Pour
que la céramique ne « boive » pas trop de peinture, il faut la laisser tremper quelques heures
dans l’eau. La terre cuite devient ainsi moins poreuse.
-221-
Le développement de la peinture sur terre cuite fut également
favorisé par l’adoption par les Nahuas d’Acapulco de la céramique de
Tlaquepaque. Celle-ci, fabriquée de manière semi-industrielle dans le
nord-ouest du Mexique présentait de nombreux avantages : meilleure
qualité de cuisson (plus grande résistance), large éventail de modèles
reproduits en grosse quantité, prix d’achat relativement bas. Les
Nahuas ont surtout fixé leur choix sur les animaux (canards, chats,
cochons et autres) qui se prêtaient bien à leur type de travail.
La peinture s’inspirait de celle des amates. De petites scènes avec
des personnages étaient réalisées sur les surfaces larges des objets
(dos, devant ou flanc des animaux) alors que les parties plus étroites
qui ne pouvaient être traitées ainsi étaient ornées de fines courbes, de
volutes et de délicats motifs de fleurs réalisés par une succession de
petits points (photo). Cette technique de calado (finition) pointilliste
devint la marque distinctive de ce que nous avons appelé le style « San
Juan- Acapulco ». Les artisans nahuas étaient en effet devenu si
habiles dans cette technique du calado qu’ils préférèrent s’y consacrer
exclusivement, confiant les opérations précédantes à d’autres artisans
C’est ainsi que la céramique de Tlaquepaque achetée à Acapulco
était envoyée dans le Balsas (en particulier à Maxela où les artisans se
sont spécialisés dans l’illustration miniaturiste) pour y être peinte en
historias. Puis elle retournait vers le port pour les finitions. Enfin, elle
pouvait être vendue aux touristes à Acapulco même. Parfois, d’autres
artisans nahuas, venus spécialement d’Ameyaltepec et de Xalitla pour
acheter ce type d’article en rapportaient pour les proposer dans
d’autres centres touristiques du pays (Mexico, Puerto Vallarta,
Cancún,...etc.).
Ce système de circulation des marchandises et de fractionnement
des opérations fonctionne encore actuellement. Cependant, comme
depuis environ cinq ans, quelques artisans de Xalitla et de Maxela
sont parvenus à maîtriser la technique pointilliste de leurs cousins
d’Acapulco, ces objets peuvent désormais être entièrement réalisés
dans le Balsas13.
Conclusion
L’activité artisanale a servi de vecteur entre les Nahuas immigrés et
leur région d’origine. Les liens restent donc étroits et continus, même
si le processus d’intention en ville se poursuit. Depuis les années
quatre-vingt, les Nahuas ont eu en effet la possibilité de « s’ancrer »
davantage à Acapulco par l’acquisition de maisons et l’obtention (achat
ou bail) de véritables boutiques dans le nouveau marché d’artisanat du
13Les
Nahuas ont également donné de modèles de céramique de Tlaquepaque à une fabrique de la
région pour qu’elle les reproduise en série
-222-
Villes du Sud et environnement
Parasal. Il est donc désormais clair que ces familles ne reviendront pas
vivre à San Juan une fois « fortune faite »14.
Les Nahuas d’Acapulco restent néanmoins très attachés à leu région.
Certains se sont fait construire des « maisons de campagne » à San
Juan où ils séjournent lors de leurs « voyages d’affaire » et des fêtes.
Ils participent aussi financièrement à des travaux d’utilité collective
(installation d’infrastructures) ainsi qu’aux frais des événements
communautaires majeurs. Lors de la fête patronale du village qui a
lieu pendant le Carême, les artisans d’Acapulco et les émigrés établis
aux États-Unis, offrent toujours de somptueux feux d’artifice. Mais
leur intérêt pour la région s’est également manifesté dans des
occasions plus graves, comme lorsqu’au début des années quatrevingt-dix, le projet du barrage San Juan Tetelcingo menaçait l’avenir
des villages nahuas (Hémond, 1994, Goloubinoff, 1994). Les artisans
d’Acapulco, suivirent alors de près les événements qui se déroulaient
dans le Balsas.
Bien qu’intégrés, les migrants nahuas conservent leurs racines et
sont attachés à leur identité. Il est d’ailleurs intéressant de constater
que plusieurs familles se sont regroupées pour acheter des terrains
dans un quartier en centre-ville. Elles se sont également associées
pour construire ensemble des « longues maisons » dont chaque pièce
était destinée à abriter un foyer. Ce type d’habitat, peu courant au
Mexique (y compris dans le Balsas) s’explique sans doute par le fait
que les matériaux avaient été achetés collectivement et que cela
revenait moins cher d’édifier quelques grandes maisons plutôt que
plusieurs petites demeures individuelles.
Mais ce mode d’habitat et d’aménagement collectif répond également
à un besoin de recréer une communauté avec ses propres coutumes et
sa langue. Car, les générations qui ont grandi à Acapulco et qui
parlent couramment espagnol (avec l’accent de la côte), savent encore
le nahuatl et le maîtrisent parfois mieux que certains de leurs contemporains du Balsas. Ces jeunes ont souvent conscience de leur double
identité et s’efforcent d’assumer, même si cela ne va pas sans quelques
tiraillements. Il est donc possible d’être intégré en ville sans renier son
héritage culturel.
14Les
migrants rêvent souvent de revenir dans leur village avec de meilleures conditions de vie que
lorsqu’ils en sont partis. Parfois, ce projet se concrétise, même si la réadaptation n’est pas toujours
facile.
-223-
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-224-
Travaux de la Société d’Écologie Humaine
c/o UMR 6578 du CNRS - Adaptabilité Humaine : Biologie et Culture
Université de la Méditerranée, Faculté de Médecine
27, boulevard Jean-Moulin, 13385 Marseille cedex 5
Directeur de la Publication : Nicole Vernazza-Licht
Déjà parus :
L’homme et le lac 1995
Impact de l’homme sur les milieux naturels : Perceptions et Mesures 1996
Cet ouvrage est issu, pour l’essentiel, des travaux présentés aux VIIIe journées scientifiques
de la Société d’Écologie Humaine (SEH), qui se sont tenues à Orléans en juin 1996.
Ces journées étaient organisées par :
- la Société d’Écologie Humaine
- l’équipe du DEA « Environnement, Temps, Espaces, Sociétés », Université d’Orléans
- l’UMR 6578 « Adaptabilité Humaine : Biologie et Culture », CNRS-Université de la
Méditerranée, Marseille
- le laboratoire Population-Environnement, Université de Provence/Orstom, Marseille
- le laboratoire ERMES, Orstom, Orléans
Il a bénéficié du soutien financier du département Environnement, Technologies et
Société de l’Université de Provence, Marseille
Dépôt légal : 4e trimestre 1998
ISBN : 2-9511840-2-6
ISSN : 1284-5590
Tous droits réservés pour tous pays
© Éditions de Bergier
476 chemin de Bergier, 06740 Châteauneuf de Grasse
[email protected]
VILLES DU SUD
ET
ENVIRONNEMENT
Éditeurs scientifiques
Daniel Bley, Jacques Champaud, Patrick Baudot,
Bernard Brun, Hélène Pagezy, Nicole Vernazza-Licht
1997
Le retour au village des migrants
comme exemple des interactions
ville/forêt au Sud-Cameroun
Ronan Boudigou*, Daniel Bley**,
Hélène Pagezy**, Nicole Vernazza-Licht**
Lors d'un recensement de la population sur la boucle du fleuve Ntem
au sud Cameroun1, nous avons fait le constat qu'un nombre
conséquent de personnes résidant dans cette zone forestière avait, à
un moment donné de leur cycle de vie, effectué un ou plusieurs séjours
dans des centres urbains.
Si les migrants partis à la ville qui retournent dans leur village
peuvent avoir des difficultés de réinsertion dans leur milieu d'origine,
ils représentent aussi un potentiel d'innovation pour des zones rurales
restées encore très traditionnelles.
Sans vouloir opposer ici mode de vie rural et mode de vie urbain,
dont les contradictions ont trop souvent été soulignées au détriment
des complémentarités et ressemblances, il nous a semblé intéressant
d'analyser le comportement de ces personnes une fois retournées au
village. Il s'agit de savoir dans quelle mesure des individus socialisés
dans un autre milieu que celui d'origine valorisent, une fois réinsérés
dans celui-ci, les nouvelles connaissances qu'ils ont acquises.
C'est la raison pour laquelle nous avons essayé de saisir la situation
actuelle des migrants de retour en nous posant deux grandes
questions :
*C.I.E.H, Université Aix-Marseille III, Pavillon de Lenfant, 346 route des Alpes, 13100 Aix-enProvence, France
**UMR 6578 du CNRS : Adaptabilité Humaine, Université de la Méditerranée, 27 Bd Jean Moulin,
13385 Marseille Cedex 5, France
1Recherche
effectuée dans le cadre du programme des communautés européennes « Avenir des
peuples des forêts tropicales ».
-225-
- À quels problèmes sont-ils confrontés lorsqu'ils tentent de se
réinsérer ?
- Quelles expériences ont-ils retiré de ce passage en ville et que
comptent-ils en faire maintenant qu'ils se sont réinstallés au village ?
Problématique
On peut émettre l'hypothèse, pour ces migrants de retour, qu'ils sont
des acteurs du changement social.
- Ils sont susceptibles, plus que ceux restés au village, de s'investir
dans des formes de vie sociales novatrices (associations, coopératives).
Ils peuvent même, en certains cas, se faire le relais des initiatives
institutionnelles.
- Ils peuvent aussi être plus novateurs, en étant à l'initiative de
l'introduction de nouvelles cultures, et en étant porteurs de projets
variés, tant individuels que collectifs.
- Enfin ces migrants doivent plus facilement s'investir dans des
activités annexes ou être les vecteurs de nouvelles pratiques
culturelles en matière par exemple d'alimentation, d'habitat ou d'utilisation de l'espace collectif ou privé.
Nous avons distingué plusieurs types de migrants pour les besoins
de notre analyse. Ces catégories, par ailleurs sécantes, résultent de la
prise en compte de critères supposés discriminants :
- Migrants ayant séjourné dans les grands centres urbains
(Yaoundé-Douala).
- Migrants venant essentiellement du milieu rural (Compagnies
forestières...).
- Migrants de moins de trente-cinq ans.
Parmi les migrations de retour on peut distinguer globalement :
- celles qui sont prévues, planifiées même : c'est le cas des retraités
ou des individus qui ont atteint leur but économique au travers de la
migration.
- celles qui concernent des personnes qui n'avaient pas prévu de
rentrer et pour lesquelles le retour est une rupture avec leur projet. Il
s'agit des personnes victimes de la crise économique (compression de
personnel, fermeture de l'entreprise) mais aussi celles qui doivent
composer avec des événements familiaux imprévus.
Enfin rappelons que la migration, quelle qu'en soit la direction, n'est
pas qu'une action individuelle où l'acteur confronterait les avantages
des différents lieux. Les économistes considèrent souvent la migration
-226-
Villes du Sud et environnement
du strict point de vue de l'agent rationnel décontextualisé. Ainsi la
personne migrerait une fois prise en compte la différence de salaire, le
coût direct de la migration et la probabilité d'obtenir un travail en ville
(Harris et Todaro, 1970). Courgeau (1983) nous rappelle que l'objectif
de la migration est la recherche de meilleures conditions de vie personnelles et familiales. L'action de tout migrant s'inscrit dans des
stratégies beaucoup plus larges faisant appel aux réseaux familiaux.
Cette volonté d'optimisation des conditions de vie doit être mise en
relation avec les stratégies des autres membres de la famille car la
migration en Afrique s'articule autour de stratégies individuelles et
familiales. De plus, elle subit les effets externes qu'elle ne maîtrise pas
(décision politique, conjoncture économique).
La méthode utilisée
Nous avons retenu comme définition du « migrant de retour », les
individus qui sont revenus au village après l'avoir quitté pour une
période au moins égale à un an et ayant exercé à la ville une autre
activité. Cette définition est suffisamment large pour inclure une
palette très variée de migrants mais exclut les migrants temporaires,
relativement nombreux semble-t-il, qui mettent à profit la période de
faible activité agricole pour partir chercher un complément de revenu
à la ville.
Le corpus ainsi rassemblé est hétérogène. En effet, l'expérience
urbaine de ces migrants est très diverse et dépend du degré de
développement des villes de résidence, de la durée du séjour, du type
d'activité exercé. Des facteurs indépendants influent aussi sur l'intériorisation de l'expérience urbaine et la valorisation des acquis,
notamment le niveau scolaire, la volonté de repartir ou encore l'âge.
Pour l'analyse des trajectoires migratoires, de nombreux travaux
proposent des méthodes d'investigation de plus en plus sophistiquées
(Picouet, 1991). Cependant la prise en compte d'indicateurs statistiques aussi précis soient-ils paraît insuffisante pour vérifier certaines
hypothèses comme par exemple celle soulevée par Manga Bella L.
(1994) selon laquelle, « l'effet du migrant de retour sera positif ou
négatif au village selon qu'il aura réussi son séjour ou pas ».
Il est évident que des aspects subjectifs sont à prendre en considération. Pour cette raison, nous avons choisi d'utiliser un questionnaire
relativement souple, afin de pouvoir interroger un maximum de
personnes sur la zone d'étude, et de le compléter par une série d'entretiens approfondis de migrants .
Les réponses obtenues à ces questions ouvertes, d'un contenu riche
en informations, ont fait l'objet de classifications pour arriver à
extraire une typologie des réponses nous permettant d'obtenir des
-227-
résultats quantifiables. Ces derniers, confortés par les entretiens
approfondis et des observations de terrain, nous ont permis de valider
quelques unes de nos hypothèses.
Le terrain d'étude
Plusieurs raisons peuvent justifier l'intérêt d'une étude des migrants
de retour sur le site de la boucle du Ntem. (cartes 1 et 2)
Carte 1 : Le Cameroun
La première tient à la faiblesse des recherches de terrain effectuées
en ce domaine alors même qu'il apparaît comme un élément non
négligeable des flux migratoires et une conséquence de la crise
économique urbaine particulièrement aiguë en Afrique. Si un grand
nombre d'articles et revues traitant de la crise économique urbaine ou
des relations entre la ville et le monde rural font état de ce
-228-
Villes du Sud et environnement
Carte 2 : Région du Ntem
phénomène, il n'a donné lieu jusqu'à présent, du moins au Cameroun,
qu'à très peu d'étude de cas (Gubry P. et Al., 1996 ; Manga Bella L.,
1994 ; Guimapi C. C., 1991).
La seconde concerne le choix des sites. En effet les seules recherches
menées sur ce thème ont porté sur des zones propices à un tel retour :
les monts surpeuplés et pauvres de Mandara à l'extrême nord, le
département du Ndé, marqué traditionnellement par un fort exode
rural et enfin, un village du centre situé dans la sphère d'influence de
Yaoundé (Yemessoa). Nous pensons qu'il est intéressant d'évaluer ce
phénomène sur une région qui ne se distingue pas particulièrement
dans l'intensité de ses mouvements migratoires. L'enclavement de la
zone et son éloignement des centres urbains secondaires (Ebolowa) ou
principaux (Yaoundé, Douala), mais aussi sa faible densité de
population et son système socio-économique ne la prédispose pas à se
singulariser au niveau des flux de migrants du reste du Cameroun.
Elle est donc, en cela, très intéressante à analyser pour juger de
l'impact des migrations de retour dans les campagnes du pays.
L'étude a été réalisée sur l'ensemble des treize villages bordant la
piste terminant l'axe Ma'an-Ebolowa du village de Nkong-Meyos
jusqu'à celui de Nyabisan soit, la zone géographique de la boucle du
fleuve Ntem. Celle-ci relève administrativement de l'arrondissement
de Ma'an (petit chef lieu de 658 habitants : Timnou J. P., 1993) situé
dans le département du Ntem.
-229-
Il s'agit d'une région faiblement peuplée (environ 2h/km2, RGP
1987) dont les populations pratiquent l'essartage comme agrosystème
forestier de zone tropicale humide, mais ce périmètre est inclu dans
l'ancien bassin cacaoyer du Sud Cameroun. Cette zone de transition
du point de vue de la végétation allie à la forêt semi-caducifoliée
dominante des éléments de la forêt atlantique ; celle-ci est dégradée le
long des axes routiers par l'occupation humaine persistante et la
culture cacaoyère. La piste s'achève d'ailleurs à Nyabisan, dernier
village administratif de la zone d'étude, au bord du fleuve Ntem et
d'un massif montagneux marquant le début de la réserve de Campo.
La population de la région s'étire donc depuis plusieurs décennies le
long de l'unique piste reliant tous les villages au chef lieu d'arrondissement (Ma'an). Si la densité rurale est faible, de même que le taux
d'urbanisation du département (29,3 %), il faut remarquer que la
population est très inégalement répartie (Timnou J.P., 1993).
Elle se compose de deux ethnies, les Ntumu et les Mvae toutes deux
appartenant au groupe linguistique Pahouin (sous groupe Fang).
L'aire de peuplement de ces deux groupes (singulièrement pour les
Ntumu) s'étend bien au-delà de notre périmètre d'étude : en effet la
même ethnie se trouve largement représentée aussi bien en Guinée
Equatoriale qu'au Gabon.
La majorité des habitants sont Ntumu, cependant l'intercompréhension linguistique, l'utilisation des mêmes référents rituels et
symboliques ainsi que les mariages mixtes et la proximité résidentielle
(Dounias E., 1993) nous ont autorisé à ne pas faire de distinction pour
notre sujet entre ces deux ethnies.
Les villages sont généralement monoclaniques et constitués de
plusieurs hameaux. Les populations pratiquent le mariage de type
exogamique à résidence virilocale : raison pour laquelle nous n'avons
pris en compte dans notre corpus que des hommes.
Les migrants de retour : agents privilégiés du changement social
Les migrations sont-elles instigatrices d'un mouvement innovateur
de grande ampleur ou s'agit-il de micro-réalisations, voire de projets
dont la réalisation dépend autant de facteurs endogènes (vécu du
migrant et donc sa capacité propre à innover) qu'exogènes (infrastructures etc...).
La migration peut en effet avoir des impacts bénéfiques pour la
population rurale, uniquement dans la mesure où s'enclenche une
dynamique de développement par l'intermédiaire d'investissements
dans des activités agricoles et extra-agricoles, par l'instauration
d'activités nouvelles, par une diversification des filières, et par de
nouvelles formes de gestion des ressources (coopératives etc.).
-230-
Villes du Sud et environnement
Les facteurs culturels ont été appréhendés à partir de deux
indicateurs, le discours tenu par les migrants vis-à-vis des villageois
(permettant d'apprécier les écarts dans les conceptions socioculturelles
entre migrants et sédentaires) et les nouvelles pratiques culturelles
(utilisation de l'espace, mode d'alimentation...).
L'analyse des projets des migrants nous a aussi permis d'apprécier
leurs volontés d'innovations et d'évaluer l'impact, sur les diverses
initiatives (agricoles ou non), de l'acquisition de savoirs lors de la
migration.
Les difficultés de réinsertion au village
Le recueil des principaux griefs des migrants à l'encontre des
villageois et le discours, relativement négatif, tenu par certains
migrants à propos de leur réinsertion au village nous permettent de
comprendre les difficultés socioculturelles du retour et de saisir l'écart
entre les conceptions culturelles de notre échantillon et celles de la
population générale.
Plus d'un tiers des individus enquêtés mettent l'accent sur les
difficultés rencontrées lors de leur retour au village. Cependant, pour
des profils migratoires semblables, les discours sont parfois contradictoires et relèvent plus de la position des acteurs dans le champ social
que d'un réel problème d'insertion.
Pour ces individus, les travaux agricoles sont essentiellement perçus
comme une activité pénible, contrairement aux autres personnes
interrogées qui mettent plus volontiers l'accent sur leur rapidité
d'adaptation.
Les migrants reprochent aussi aux villageois leur absence de projet
à long terme, de prévision budgétaire ; la réalisation d'économie serait
l'apanage des migrants habitués, par leur immersion dans l'économie
de marché et l'expérience du salariat, à gérer un budget. L'essentiel
des griefs tenus à l'encontre des villageois montre bien qu'il existe une
opposition entre une rationalité technico-scientifique urbaine et la
rationalité traditionnelle.
L'apathie des villageois envers les projets novateurs est parfois
soulignée : « le problème, avec les gens du village, c'est qu'ils sont
comme des moutons, on peut pas les bouger. Si tu viens de la ville et que
tu as des projets pour le village, ils ne suivent pas, tu as beau leur
expliquer ».
De même l'individualisme et l'absence de consensus qui en découle
pour toute action collective sont régulièrement reprochés aux
habitants. Cet argumentaire sert aux migrants de justification à
l'échec ou, à l'absence de coopératives ou de projets collectifs : « Les
-231-
gens sont très individualistes, il n'y a pas de sentiments collectifs, les
politiciens nous ont sensibilisés aux travaux collectifs mais personne
n'a pris cela au sérieux...Je ne vais pas perdre mon temps à sensibiliser
les gens » .
Un autre migrant explique : « J'avais un projet de chambre froide,
monter cela pour le poisson. Mais, l'argent réuni par les villageois
nécessite de s'entendre. Mais, comme l'argent ne fait que transiter, il
n'y a pas d'intérêt immédiatement visible. L'investissement, l'épargne
pour les villageois, ça pose des problèmes et donc pour les projets c'est
difficile. Il faut d'abord amener quelque chose de concret pour
encourager les villageois sinon ça marche pas. »
L'échange inégal dont est victime le migrant à son retour ou,
l'attention intéressée dont il est l'objet de la part des habitants, qui
espèrent bien une rétribution, se transforme rapidement en tension
lorsque ces attentes ne sont pas satisfaites et renforce l'écart entre le
migrant et les autres habitants. Ainsi un migrant explique « La
brousse ça va, il y a pas eu trop de problème, mais des problèmes au
niveau du village par rapport à la mentalité d'ici. On donne à boire et
à manger aux étrangers pendant deux jours et puis, après, vous n'êtes
plus considéré comme un étranger, alors vous vous débrouillez ».
Le discours relatif à la mise en place des coopératives met en
évidence les intérêts personnels que l'individu espère retirer de sa
participation ainsi que les intérêts collectifs en terme de rentabilité du
travail ou dans le but d'agir plus efficacement sur le processus de
vente (prix, pesée...).
L'influence de la durée de séjour, et donc de l'expérience acquise en
milieu urbain, sur le type d'argument avancé est nette. Ceux qui
mettent en avant les intérêts collectifs ont résidé deux fois plus
longtemps en ville (13,5 ans contre 7,5 ans) que les personnes qui
justifient leur participation par les avantages individuels qu'ils
espèrent en retirer (primes).
Cette liaison entre la durée du séjour en ville et l'adoption d'un
discours soulignant l'opposition de conceptions socioculturelles entre
certains migrants et le reste des habitants se trouve conforté par
l'analyse des caractéristiques du groupe que l'on peut qualifier de
« moderniste » et que nous avons défini comme l'ensemble des
personnes ayant souligné l'écart existant entre leur mode de pensée et
celui des non migrants.
Trois variables permettent de distinguer les « modernistes » du reste
des personnes enquêtées :
- le nombre d'années passées à l'extérieur du village est plus élevé
(63,2% sont partis plus de cinq ans) et peu d'individus ont effectué une
-232-
Villes du Sud et environnement
migration de très courte durée (10,5% sont partis moins de deux ans
contre 29% pour l'ensemble des migrants)
- le lieu de destination, puisque seulement 16% sont demeurés dans
le monde rural. La capitale provinciale et les autres villes secondaires
du Cameroun (52,6%) sont les zones d'attractions privilégiées de cette
catégorie de migrants.
- les projets, dont la fréquence très élevée (84,2 %) marque ainsi, une
volonté plus nette de s'investir dans le village que la moyenne. À
l’inverse, le niveau scolaire et la volonté de repartir ne sont pas des
variables discriminantes.
Des comportements socioculturels novateurs
Il faut noter l'importance des habitations que l'on peut qualifier de
modernes, tant par l'aspect extérieur que par l'agencement intérieur
(disposition et importance du mobilier, photos..). La construction d'une
demeure imposante en ciment est l'élément incontestable de réussite
économique et de prestige social, comme c'est le cas de certains
retraités ayant passé toute leur vie professionnelle dans une grande
ville. Cependant, de manière plus subtile et, à capacités financières
égales, le migrant se distinguera du villageois par l'agencement de son
intérieur : importance du mobilier, disposition, place des photographies...
Cet investissement dans l'intérieur de l'habitation se double d'une
pratique de l'espace privatif plus accentuée. Ainsi, les personnes qui
investissent dans leur intérieur y passent plus de temps, et cela au
détriment de l'espace collectif par excellence que représente le Corps
de garde1. Ils restent plus volontiers chez eux pour recevoir les invités,
pour les repas ou le repos.
Ce changement d'attitude ne va pas sans tensions et le migrant doit
composer face à la pression du village, comme l'explique l'un d'eux
« J'ai un beau salon, mais je ne l'utilise pas aussi souvent que je
voudrais car, si je reste trop là-bas et pas assez au corps de garde, les
villageois croient que tu es fier, que tu les méprises alors je retourne làbas mais je reçois les invités ici au salon. » Dans un des villages, les
tentatives pour remettre en usage les repas au corps de garde ont
avorté face aux dissensions créées.
L'alimentation est aussi un bon indicateur des changements
culturels. Les pratiques alimentaires des villes s'immiscent dans celles
du village à l'occasion des cérémonies festives où, les produits d'importations se substituent aux aliments locaux (maquereaux, vin rouge,
café...).
1hangar
ouvert où se tiennent les hommes pendant la journée. Lieu de rencontres et de palabres.
-233-
Une vision différente dans la gestion du temps et de l'argent a pu
aussi être appréciée : « Certainement, les gens qui ont habité la ville ont
une conception différente du travail. Ici, les villageois ne calculent
qu'au jour le jour, ils vont aux champs de concombres et, s'il faut, ils y
restent jusqu'à la nuit sans penser au souper ou faire autre chose. Moi,
par exemple, je rentre toujours avant midi pour m'occuper à diverses
activités et je veux que ma femme rentre du champ avant seize heures ».
La gestion de l'argent, même si celle-ci tient une place modeste dans
une économie peu monétarisée, révèle la volonté, chez les migrants, de
susciter de nouveaux comportements auprès des habitants. Ils leur
reprochent un manque d'anticipation, de prévoyance : « les gens d'ici
ne prévoient pas le lendemain avec leur argent, s'ils en ont beaucoup
après la récolte du cacao, ils dépensent tout en boisson ou d'autres
choses sur le moment. Ils ne gardent rien en prévision de moments
difficiles, pour les médicaments, alors que les gens qui ont vécu en ville
comme moi font plus attention, ils gardent un peu ».
L'ouverture d'un compte en banque n'est pas rare chez les migrants
ou du moins sa pratique est-elle connue et appréciée alors que les non
migrants s'orienteront plus volontiers vers des formes d'épargnes plus
traditionnelles (tontines, caisses noires).
Les migrants tentent parfois de mettre en place un compte collectif
au niveau du village : « Oui j'ai un petit compte à la CCP. J'ai montré
çà aux villageois, comment faire, mais ils ont peur que ça se perde làbas, ils ne croient pas aux avantages que je leur dis ».
Un villageois confirme la difficulté de mettre en place un système de
gestion bancaire au village : « La FUMAC nous a donné des renseignements, mais les formalités sont difficiles à remplir pour prendre
l'argent. Moi j'ai compris, mais pas tous les villageois, même si j'essaye
de les aider....Avec la COMAC il y a une caisse d'épargne, mais ça ne
marche pas. J'ai ici plus de quarante cartes qui ne sont pas vendues.
La COMAC a créé la caisse d'épargne ; j'étais le président, mais
beaucoup boivent à la place d'épargner, alors qu'ici ils essayent
d'épargner même si c'est seulement que 12000 francs. Ils vont utiliser
cela à la saison sèche. D'autres n'acceptent pas, car ils ont peur que le
trésorier bouffe l'argent. »
Les migrants participent cependant aux formes d'épargnes traditionnelles, mais ils essayent parfois de les moderniser.
L'investissement dans la coopérative, vecteur privilégié du
développement.
La mise en place de nouvelles formes d'organisation de la production
est un facteur indispensable dans toute dynamique de développement
-234-
Villes du Sud et environnement
et les migrants y contribuent nettement au travers de leur participation active aux coopératives, avec 64,3% d'adhésions à ces dernières.
Cependant, le fort investissement dont peuvent se prévaloir les
migrants au sein des coopératives ne préjuge pas forcement d'un
développement efficace.
Les différentes formes de groupement, avant d'être des projets de
développement agricoles, sont d'abord les instruments d'une politique
de contrôle par l'Etat des petits producteurs. L'État a saupoudré les
espaces cacaoyers et caféiers de sociétés et de programmes de développement sans chercher à favoriser une quelconque représentation
paysanne.
«Avant, la SODECAO aidait les planteurs à créer de nouvelles
plantations. Vers les années 85-90, ils donnaient du matériel et des
sachets pour la plantation, des brouettes aussi, mais la société a été
dissoute avec la crise économique. Maintenant il n'y a plus rien » nous
indique un planteur.
Lorsque la coopérative fonctionne, ce qui est le cas dans la moitié
seulement des villages enquêtés, l'absence de soutien des autorités
entrave encore plus le fonctionnement de ce système : « C'est difficile,
la coopérative, car les chefs de la coopérative au niveau de l'arrondissement, les fonctionnaires, bloquent tout, même s'il y a des propositions. On sait pas si les demandes arrivent ou il se doit. On a demandé
à construire la maison de la coopérative depuis cinq ans comme à N. et
M, mais toujours pas de nouvelles » .
Des projets innovants, indicateurs d'un changement social
potentiel
En questionnant les migrants sur leurs projets nous voulions cerner
leur potentiel d'innovation dans le milieu d'origine.
Près des trois quarts des migrants déclarent avoir au moins un
projet et 26,9% plusieurs. Ces projets relativement divers ont été
regroupés en trois types qui reflètent la conception plus ou moins
« innovatrice » des migrants et ses conséquences sur la vie socioéconomique du village.
Le premier type de projet (agrandissement de l'exploitation, cultures
traditionnelles, création d'une plantation) relève d'une conception
traditionnelle de la vie socio-économique alors que le second
(équipements collectifs, nouvelles cultures, élevage) répond à une
vision plus moderne.
-235-
Le commerce (la création d'une boutique) représente un stade intermédiaire entre ces deux types de projet.
La volonté d'innover en matière de production agricole au travers de
nouvelles cultures est très présente parmi les personnes interrogées
(31,9%). Celles-ci devancent la création d'une petite boutique qui
demeure une constante dans cette zone très enclavée qui souffre de
l'absence de ravitaillement en produits de première nécessité.
L'élevage et la mise en place d'équipements collectifs pour le village
(dispensaires, puits, écoles..) ne sont pas négligés (12,9%) alors que les
projets de type traditionnels sont nettement moins bien représentés.
La majorité des projets proposés par les migrants sont donc de type
moderniste (57,3%) bien qu'ils investissent aussi dans les cultures
traditionnelles.
Ces quelques résultats montrent leur dynamique au sein de la
communauté villageoise. Mais, la plupart du temps, toutes ces bonnes
intentions restent en l'état, en raison du manque de moyen financier
et surtout d'une totale absence d'infrastructure de transport
empêchant toute circulation des produits et des hommes. Cette
situation est aggravée par le manque de moyens de conservation des
marchandises et de la demande locale.
Lorsqu'ils décrivent leur projet, près de la moitié des migrants
renvoient effectivement la « paternité » de celui-ci à son observation au
lieu de résidence lors de la migration ; par exemple :
«Je voulais entreprendre l'élevage de volaille à tout prix car, quand
j'étais à l'ouest, ça rapportait beaucoup, on vendait la chair, les œufs.
Cela m'a tellement intéressé. Et aujourd'hui si j'avais les moyens je
ferais ça. »
ou encore : « Je pense faire une plantation de tomates, je vais essayer,
on verra. J'ai vu comme les autres en font à Ebolowa, la production est
rapide ».
Il s'agit donc d'un indicateur très pertinent pour saisir l'impact de
la mobilisation du savoir acquis lors de l'expérience urbaine sur le
milieu d'origine. Cette prégnance d'un modèle extérieur dans les
intentions modernisatrices des migrants se retrouve dans tous les
types de projets (commerce, équipements collectifs, coopérative).
La nécessité économique et la multiactivité
Parmi les migrants, 13,5 % exercent une autre activité en sus de celle
de planteur. La mise en place d'un commerce (l'un des investissements
les plus prisés par les migrants) relève de deux logiques distinctes. Il
peut s'agir soit d'un moyen d'accumulation d'un capital en vue
d'améliorer ses revenus :
-236-
Villes du Sud et environnement
«Il a créé une plantation de concombres, et si ca rapporte bien il veut
monter une boutique pour vendre divers articles. Il considère que ça
rapportera beaucoup plus et s'il réussit tout ça, il peut aller créer une
boutique en ville à Ma'an ou dans une autre ville. »
soit de pouvoir réaliser ses projets :
« Avec les revenus du commerce j'ai pu acheter une plantation de
cacao de deux hectares chez un oncle maternel, puis comme c'était
insuffisant, j'ai donc acheté une autre parcelle d'à peu près trois
hectares avec la boutique et j'espère qu'avec mon commerce je vais
pouvoir l'agrandir pour devenir un homme d'affaires...»
La création d'une boutique pour les migrants de retour peut aussi
être conçue comme un palliatif à la faiblesse des revenus tirés de la
terre, sans intention d'accumulation dans un but précis.
«Vous savez, pour celui qui vient de la ville, c'est difficile de subsister
de la brousse, il faut payer le gibier. alors pour joindre les deux bouts
on a fait une boutique ; c'est pas pour les profits ».
En dehors du commerce officiel relativement modeste (une petite
boutique par village avec quelques produits de première nécessité), il
existe en complément un commerce informel qui propose les mêmes
articles (cigarettes, pétrole, vin de palme...). Les villageois, à l'occasion
de déplacements en ville, ramènent un stock de l'un de ces articles
qu'ils revendent au village à des prix nettement supérieurs au prix
d'achat et de transport. Là encore, les migrants de retour participent
fréquemment à ce genre d'activité sans pour autant en détenir le
monopole.
Enfin certains migrants exercent un métier en complément à celui
de planteur : charpentier, maçon, menuisier. Ces activités représentent aussi un moyen supplémentaire de réinsertion sur le lieu
d'origine surtout, lorsqu'ils n'ont pas de plantation.
En dernier lieu, il est intéressant de noter que sept chefs de village
sur onze sont des « migrants de retour ». Ainsi, loin de n'être
représenté que par une seule classe sociale, notre échantillon possède
en son sein toutes les strates de la hiérarchie traditionnelle. Cet
élément peut aussi avoir son importance dans la propagation de
certains comportements novateurs.
Des degrés divers dans l'acquisition d'un comportement novateur
On peut également se demander si la valorisation des acquis de
l'expérience urbaine dépend, outre de la position sociale de l'individu,
de son parcours migratoire.
-237-
Afin de répondre à cette interrogation, nous avons comparé les
migrants, classés en fonction du lieu de destination, de l'âge et du
temps passé à l'extérieur du village.
Les principales conclusions qui ressortent de cette comparaison sont
les suivantes :
L'incidence du lieu de résidence sur la participation aux coopératives
donne un résultat inverse à nos hypothèses : les personnes ayant
séjourné dans les grands centres urbains participent moins à ces
regroupements que les « ruraux ». Il en va de même des jeunes qui
s'impliquent moins que la moyenne. C'est le contraire pour les
personnes ayant vécu longtemps à l'extérieur (78,6% comme adhérent
et 42,9% en tant que membre actif).
Une relation forte se retrouve entre la durée passée en ville et les
projets de type modernes (80% de ces personnes, pour un taux de
22,2% chez les moins de 35 ans) qui n'existe pas pour le lieu de
résidence. Dans le même esprit, les migrants absents plus de dix ans
ont davantage tendance à proposer plusieurs projets que la moyenne.
En revanche, les jeunes et les ruraux sont peu nombreux à être dans
cette situation.
Les individus ayant immigré sur une durée de dix ans ou plus ont
donc de nombreuses similitudes avec la catégorie des « novateurs »
(personne participant aux coopératives et aux projets de type
moderne). Ces derniers sont relativement âgés (plus de 51 ans), ils
sont mariés et, une minorité accepterait de repartir. Ce groupe est
essentiellement constitué de fonctionnaires et d'employés avec un
parcours nettement urbain. Leur niveau d'étude élevé semble être la
seule différence notable avec les personnes migrantes sur plus de dix
ans. Le temps passé en ville semble donc être la variable déterminante
pour qu'un migrant s'investisse dans son milieu d'origine.
D'autres éléments viennent renforcer cette propension à investir : il
faut que le migrant soit bien inséré au village et donc qu'il ait atteint
un âge assez avancé, annihilant par là même toute velléité de départ.
L'analyse de E.Ngwe (Ngwe E., 1991) montre que le comportement
migratoire des ruraux est davantage fonction des motivations individuelles que d'une différence de niveau de développement entre régions
ou d'une population trop nombreuse par rapport aux ressources
disponibles.
En effet, les jeunes, malgré leur parcours urbain ou leur niveau
d'étude, ne sont pas suffisamment insérés dans le village et envisagent
trop souvent l'éventualité d'un nouveau départ pour s'investir dans
leur lieu d'origine. L'archétype même du novateur peut être perçu
comme l'aboutissement d'une succession d'étapes nécessaires : un
niveau d'étude élevé lui permettra de se maintenir en ville afin
d'accumuler les expériences, de se forger un nouvel état d'esprit qu'il
-238-
Villes du Sud et environnement
pourra réinvestir au village à la condition de ne plus avoir l'intention
de repartir. Mais pour que cette condition soit remplie, il doit être bien
inséré dans celui-ci et par nécessité avoir atteint un certain âge, qui de
toute façon l'oblige à rester sur place tout en le laissant suffisamment
dynamique pour entreprendre des actions au niveau du village.
L'analyse de ces différentes catégories de migrants soulève un autre
point intéressant puisqu'il infirme, dans ce cas précis, les résultats
obtenus par Manga Bella (1994) sur le village de Yemessoa, à savoir
que l'investissement au village dépend de la réussite ou de l'échec de
la migration. En effet, nous avons analysé à part, les personnes ayant
eu un parcours urbain plutôt vécu comme négatif (c’est-à-dire
revenues à la suite d'une perte d'emploi). Or ces individus semblent
s'investir autant que les autres migrants. Ils participent aux coopératives (66,6%), formulent des projets (76%) qui sont majoritairement de
type moderne. De plus, les principaux indicateurs choisis pour noter le
degré de réinsertion au village (habitation, situation matrimoniale,
plantation) ne diffèrent guère des taux obtenus pour l'ensemble des
migrants.
Quel est l'apport en définitive des migrants de retour au village ?
Certes ils ne peuvent enclencher une dynamique de développement
par le seul réinvestissement des acquis relevant de l'expérience
migratoire, trop de facteurs entravent ces initiatives.
- La plupart rentrent au village sans avoir acquis préalablement les
éléments d'un statut social stable et ils se réinsèrent donc dans les
structures familiales existantes.
- Les facteurs exogènes sont bien trop pesants : infrastructure
inexistante, faible soutien des instances publiques aux initiatives.
- L'étroitesse financière grève tous les projets.
Ces éléments ne feront probablement que s'amplifier dans la mesure
où la crise économique renverra de plus en plus de migrants démunis
au village et que l'État n'aura plus les moyens de mener des actions de
soutien efficaces au développement.
Cependant les migrants de retour agissent malgré tout sur leur
environnement. Des potentialités de changements socio-économiques
existent, que ce soit en terme de nouvelles organisations collectives,
d'innovations agricoles ou extra-agricoles ou, en terme de
changements socioculturels. L'orientation vers d'autres activités, la
familiarisation avec de nouveaux circuits financiers à usage individuel
ou collectif sont autant d'indices désignant le migrant comme un
vecteur potentiel de changement socio-économique. De fait, ces
évolutions possibles ou ces transformations effectives pourront servir
de base à une dynamique de développement dans la mesure où
l'évolution des facteurs exogènes soutiendra cette dernière.
-239-
Conclusion : la relation ville-village, migration ou circulation?
Cette étude nous a permis d'entrevoir une modification du comportement socioculturel chez la plupart des migrants, notamment pour les
individus dont la durée de migration fut longue. Cette modification
entraîne des clivages vis-à-vis des non migrants sur un certain nombre
d'éléments socioculturels. L'aptitude du migrant à innover, dans le
domaine agricole et extra-agricole, a donc pu être mise en évidence et
constitue un potentiel non négligeable pour le développement de la
zone.
Au regard de ces quelques données, le pouvoir de rétention du monde
rural paraît fortement tributaire de la dégradation des conditions du
marché du travail en ville. Ainsi, les difficultés d'insertion en ville
maintiennent les jeunes au village alors que, comme le rappelle E. Le
Bris et A. Quesnel (Le Bris E. et Quesnel A., 1991) « leurs objectifs et
leurs stratégies, de plus en plus individuelles, s'inscrivent dans le
monde urbain ». Si, comme nous l'avons souligné précédemment, la
migration pour une partie importante des migrants (essentiellement
ceux qui accepteraient de repartir sans toutefois entamer des
démarches actives) s'inscrit dans une stratégie de maintien et de
reproduction de l'exploitation ; cette dernière, pour les jeunes (les plus
dynamiques au départ), n'est plus qu'un lieu de repli momentané. Ils
ne migrent plus dans un mouvement bipolaire sur le long terme mais
ils circulent, leurs séjours sont plus courts en raison de la récession. Il
y a peut-être une intensification des flux dans les deux sens mais peuton véritablement parler d'un renversement des rôles affectés au couple
ville/village : la cité, traditionnel lieu d'attractivité, deviendrait-elle le
pôle répulsif au bénéfice du village ? L'essentiel des migrants n'ont pas
choisi ce retour ; que ce soit pour des nécessités de succession ou en
raison de la récession il s'est imposé à eux ; ils adoptent, pour une
grande partie d'entre eux, une attitude attentiste, dans la mesure où
la ville ne leur offre pas les garanties suffisantes pour un nouveau
départ, cependant la grande majorité n'exclut pas cette éventualité. La
migration étant une recherche de mieux être, ils sont en position de
repli au village. Malgré tout, cette situation ne les empêche pas de se
réinsérer au lieu d'origine.
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l’IFORD, 4, 113p
-241-
Travaux de la Société d’Écologie Humaine
c/o UMR 6578 du CNRS - Adaptabilité Humaine : Biologie et Culture
Université de la Méditerranée, Faculté de Médecine
27, boulevard Jean-Moulin, 13385 Marseille cedex 5
Directeur de la Publication : Nicole Vernazza-Licht
Déjà parus :
L’homme et le lac 1995
Impact de l’homme sur les milieux naturels : Perceptions et Mesures 1996
Cet ouvrage est issu, pour l’essentiel, des travaux présentés aux VIIIe journées scientifiques
de la Société d’Écologie Humaine (SEH), qui se sont tenues à Orléans en juin 1996.
Ces journées étaient organisées par :
- la Société d’Écologie Humaine
- l’équipe du DEA « Environnement, Temps, Espaces, Sociétés », Université d’Orléans
- l’UMR 6578 « Adaptabilité Humaine : Biologie et Culture », CNRS-Université de la
Méditerranée, Marseille
- le laboratoire Population-Environnement, Université de Provence/Orstom, Marseille
- le laboratoire ERMES, Orstom, Orléans
Il a bénéficié du soutien financier du département Environnement, Technologies et
Société de l’Université de Provence, Marseille
Dépôt légal : 4e trimestre 1998
ISBN : 2-9511840-2-6
ISSN : 1284-5590
Tous droits réservés pour tous pays
© Éditions de Bergier
476 chemin de Bergier, 06740 Châteauneuf de Grasse
[email protected]
VILLES DU SUD
ET
ENVIRONNEMENT
Éditeurs scientifiques
Daniel Bley, Jacques Champaud, Patrick Baudot,
Bernard Brun, Hélène Pagezy, Nicole Vernazza-Licht
1997
Le terme environnement, popularisé par la conférence de Rio implique
toujours une référence a des questions complexes mettant en jeu la durabilité
des modes de vie humains. L'expression « environnement urbain » l'illustre
bien, en particulier dans les Villes du Sud, pratiquement toutes touchées par
un essor démographique considérable. Ce dernier crée ou accentue des
problèmes enchevêtrés concernant aussi bien les urbanistes que les médecins,
les responsables administratifs que la qualité de vie quotidienne des habitants.
Milieu apparemment totalement artificiel, la ville continue à entretenir des
rapports étroits avec l'environnement « naturel », que ce soit en raison des
risques (géomorphologiques et biologiques), par les échanges avec le milieu
rural, ou encore par la persistance - voire le développement - de l'agriculture
intra-urbaine. Il n'est jusqu'aux jardins et balcons fleuris qui ne réintroduisent
la nature dans la ville.
À travers des études de situations locales comme par des réflexions sur les
outils et les méthodes, c'est donc dans toute sa diversité et sa complexité que
l'ouvrage aborde la question de l'environnement dans les villes du Sud : la
première partie traite de la perception et de la gestion de leur environnement
par les habitants des villes alors que la seconde partie aborde plutôt les
relations que les villes entretiennent avec le milieu rural, en examinant la
mobilité des personnes mais aussi de tout un flux de biens matériels.
Avec les contributions de :
Myriam ARMAND-FARGUES, René-Joly ASSAKO ASSAKO, Serge BAHUCHET, Moïse M.
BALLO, Patrick BAUDOT, Daniel BLEY, Ronan BOUDIGOU, Hamid BOUKIR, Bernard BRUN,
Georges COMPAORÉ, Jacques CHAMPAUD, Balla DIARRA, Pierre GASSELIN, Marina
GOLOUBINOFF, Kornelia IOVEVA-BAILLON, Idrissa KABORÉ, Marie-Jo MENOZZI,
Emmanuel NGWE, David NZOUANGO, Hélène PAGEZY, Emmanuelle PHILIPPOT, M a h a m a d o u
SALL, Théodore TREFON, Nicole VERNAZZA-LICHT
Photo de couverture : Jacques Champaud
Photo arrière : Hélène Pagezy
ISSN1284-5590
ISBN 2-9511840-2-6