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Brésil : pour une nouvelle politique économique

2006, Mouvements

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Brésil : pour une nouvelle politique économique Tarso Genro, Jose Antonio Fialho Alonso, Flavio Benevett Fligenspan Dans Mouvements 2006/3 (no 45-46), 45-46) pages 187 à 193 Éditions La Découverte © La Découverte | Téléchargé le 05/12/2023 sur www.cairn.info (IP: 54.162.130.160) Article disponible en ligne à l’adresse https://www.cairn.info/revue-mouvements-2006-3-page-187.htm Découvrir le sommaire de ce numéro, suivre la revue par email, s’abonner... Flashez ce QR Code pour accéder à la page de ce numéro sur Cairn.info. Distribution électronique Cairn.info pour La Découverte. La reproduction ou représentation de cet article, notamment par photocopie, n'est autorisée que dans les limites des conditions générales d'utilisation du site ou, le cas échéant, des conditions générales de la licence souscrite par votre établissement. Toute autre reproduction ou représentation, en tout ou partie, sous quelque forme et de quelque manière que ce soit, est interdite sauf accord préalable et écrit de l'éditeur, en dehors des cas prévus par la législation en vigueur en France. Il est précisé que son stockage dans une base de données est également interdit. © La Découverte | Téléchargé le 05/12/2023 sur www.cairn.info (IP: 54.162.130.160) ISSN 1291-6412 ISBN 2707148962 DOI 10.3917/mouv.045.0187 Brésil : pour une nouvelle politique économique La politique économique du gouvernement Lula a provoqué de très vives discussions dans la gauche brésilienne. La quasi totalité des observateurs s’accordent à reconnaître que les orientations macroéconomiques suivies s’inscrivent dans la ligne monétariste des gouvernements antérieurs. La différence réside surtout dans une gestion plus rigoureuse (baisse de la dette) et dans la mise en place de programmes visant à garantir un revenu minimal aux plus démunis. Nous livrons ici une contribution de Tarso Genro, ancien maire de Porto Alegre et ancien ministre du gouvernement Lula, et de deux intellectuels brésiliens. © La Découverte | Téléchargé le 05/12/2023 sur www.cairn.info (IP: 54.162.130.160) C es notes ont pour objectif de discuter des limites et des possibilités d’une nouvelle étape de la politique économique dans un gouvernement démocratique et populaire, dans la perspective d’un nouveau mandat du président Lula.1 Il ne s’agit donc pas de réfuter ce qui a été fait. Ce n’est pas l’objectif de ce document. Nous prétendons proposer les éléments d’une transition vers une nouvelle étape de développement avec des objectifs bien clairs : assurer la continuité de la stabilité des prix et créer les conditions objectives d’une croissance du PIB et de l’emploi qui atteindrait des niveaux plus élevés que ce que nous avons atteint ces 25 dernières années. Durant cette période, le taux de croissance annuel moyen a été le suivant : gouvernement 1. Traduit du portugais par Djamel Sandid et Mouvements. La version ici publiée est légèrement réduite, la version originale est disponible sur le site http://www.tarsogenro.com.br. 2. O Globo, « Caderno de Economia », 15.11.05, p. 24. Figueiro 1979-1985 (2,27 %); gouvernement Sarney 1985-1990 (2,64 %); gouvernement Collor/Itamar 1990-1994 (2,78 %); gouvernement Fernando Henrique Cardoso 1995-1998 (2,56 %); gouvernement Fernando Henrique Cardoso 1999-2002 (2,09 %); gouvernement Lula 2003-2004 (2,74 %). Il est aisé d’en déduire qu’y compris en mettant en œuvre une politique économique efficace en 2005-2006, le gouvernement Lula atteindrait difficilement une moyenne annuelle supérieure à 3,8 % ou 4 %, ce qui représenterait la moyenne la plus importante de tous ces gouvernements, mais qui serait encore en deçà des nécessités du pays. Avec ces résultats, pas besoin d’une démonstration empirique pour conclure que le taux d’investissement reste aujourd’hui en deçà de la moyenne historique et par conséquent en deçà des nécessités du pays. La croissance du PIB et de l’emploi reste à des niveaux modérés en dehors des bénéfices des banques qui, depuis le début du mandat actuel, ont augmenté de 11,34 % comparativement aux 30 mois du second mandat de Fernando Henrique Cardoso.2 MOUVEMENTS N° 45/46 mai-juin-juillet-août 2006 ● 187 © La Découverte | Téléchargé le 05/12/2023 sur www.cairn.info (IP: 54.162.130.160) PAR TARSO GENRO, JOSE ANTONIO FIALHO ALONSO ET FLAVIO BENEVETT FLIGENSPAN © La Découverte | Téléchargé le 05/12/2023 sur www.cairn.info (IP: 54.162.130.160) Frederic Jameson rappelle une observation de La construction d’une société avec des instiSaul Landau : « Jamais le capitalisme, dans son tutions politiques rénovées et des institutions histoire, n’a connu une période aussi longue en économiques qui impulsent la réduction des inégalités n’est pas une « utopie » au sens strict. termes de marge de manœuvre : toutes les forces C’est une « utopie réaliste » dont le contenu a menaçantes qu’il a produites contre lui, même été emprunté à Ernst Bloch. C’est un projet dans le passé – mouvements ouvriers et de pensé comme une action de l’État contre le révolte, partis socialistes de masse, et même les « danger » de « l’éternisation du présent » ou propres États socialistes – semblent être aujourmême de sa décadence. « L’utopie réaliste » d’hui dans un état de désordre total quand ils ne épouse la vision selon laquelle les injustices ne sont pas purement et simplement neutralisés. seront jamais complètement Pour l’instant, le capital internasupprimées, mais qu’il est postional semble être capable de Le système d’objectifs sible de travailler pour un futur suivre sa propre nature et ses brésilien rend meilleur pour tous, en avançant inclinaisons, sans éprouver le et en le construisant, aujourbesoin de prendre les précaule thème d’hui, dans un sens contraire à tions traditionnelles. » de la croissance celui de la barbarie néolibérale. Les gestions actuelles de Voyons quelques éléments gauche dans le monde, dans ce secondaire et amarré révélateurs de cette inégalité cadre, imitent en règle générale de manière très stricte brutale au Brésil, un pays qui a les politiques économiques des beaucoup évolué ces dernières gouvernements monétaristes au contrôle années : 48 % de la population, néolibéraux avec plus ou moins de l’inflation. soit plus de 82 millions de Bréde succès quant à l’application siliens, ont un revenu familial de politiques sociales compen● mensuel inférieur à 520 Reais3 ; satrices. Ce sont des politiques nécessaires pour lutter contre la seuls 35 % de la population misère extrême de manière provisoire mais, d’entre 15 et 17 ans a accès à l’enseignement lorsqu’elles sont considérées comme stratésecondaire ; les chiffres baissent à 7,4 % de la giques pour un « modèle de société », elles tenpopulation d’entre 18 et 24 ans en ce qui dent à faire perdurer des situations d’infraconcerne l’enseignement supérieur ; sur les citoyenneté et d’arriération sur le plan social. 40 millions de domiciles inscrits au cadastre Pour la gauche, attachée aux vieux systèmes dans tout le pays, 10 millions sont considérés de luttes politiques issus de la seconde révolucomme insalubres (bidonvilles, maisons surtion industrielle, il s’agit de chercher une direcpeuplées et précaires, squats) et parmi ceux-ci, tion politique qui, au milieu de la crise de para2 millions n’ont pas d’éclairage électrique ; digmes traditionnels, puisse lier l’idée de justice 27 millions de travailleurs n’ont pas de sécurité avec celle d’une pleine liberté, ouvrant ainsi des sociale ni de droits en matière de travail ; 10 % espaces pour la reconstruction d’une nouvelle de la population contrôlaient 69 % de la culture socialiste démocratique. Ce processus se richesse au XVIIIe siècle, 73 % de la richesse au nomme « révolution démocratique ». Il peut seuXIXe siècle et 75 % au XXe siècle. Il est possible lement être impulsé par ceux qui ont besoin de d’inverser ce cadre. droits sociaux modernes pour vivre dignement Le gouvernement Lula, en presque 3 ans, a et par ceux qui n’acceptent pas de vivre dans réussi à inverser des chiffres catastrophiques une société injuste, abrutie par le règne de la hérités des deux gouvernements de Fernando consommation superflue et démoralisée par la permanence de grandes poches de misère 3. Selon les taux de change, variables, un real équivaut à un tiers ou un quart d’euro. absolue ou par l’insécurité généralisée. 188 ● MOUVEMENTS N° 45/46 mai-juin-juillet-août 2006 © La Découverte | Téléchargé le 05/12/2023 sur www.cairn.info (IP: 54.162.130.160) THÈMES © La Découverte | Téléchargé le 05/12/2023 sur www.cairn.info (IP: 54.162.130.160) Henrique Cardoso et qui ont menacé la stabilité de l’économie brésilienne entre 2002 et 2003. Le taux de change, par exemple, est passé de 3 535 Reais pour un dollar en janvier 2003 à 2 162 Reais en novembre 2005 ; le risque-pays, qui mesure le risque de non remboursement de la dette et conditionne en partie les taux d’intérêts de celle-ci, est passé de 1 329 à 348 points dans la même période ; le taux de chômage est tombé de 11,2 % en janvier 2003 à 9,6 % en septembre 2005. Les exportations ont battu tous les records, passant de 60,3 milliards de dollars en 2002 à plus de 100 milliards en 2005. Pour discuter des possibilités d’une nouvelle étape de la politique économique, nous ne devons pas oublier que les résultats dans la période 2003-2005 ont été, dans une large mesure, déterminés par la remarquable expansion du commerce international, par les prix de divers produits bruts à cotation élevée vendus à l’étranger et par le fait que nous sommes épargnés par les chocs extérieurs. Trois différents groupes de penseurs se sont emparé du débat sur la politique économique du pays. L’un d’entre eux propose une rupture avec les organismes financiers internationaux ainsi que des changements profonds quant à l’insertion du pays dans le scénario global, mais il ne parvient pas à dessiner un « scénario du futur proche », une politique économique durable pour l’après-rupture dans le cadre d’un projet lié à l’État de droit démocratique. À cette rupture succéderait, dans un pays comme le nôtre, un haut degré d’instabilité et décohésion sociale, avec des conséquences imprévisibles. Un autre groupe propose l’approfondissement de la politique macroéconomique actuelle, avec une hausse de l’excédent budgétaire autour de 6 % ainsi qu’une réduction des dépenses, et cela sans augmenter l’imposition, à partir de 2006 et jusqu’en 2009. Ainsi, le taux d’intérêt pourrait baisser de manière importante du fait de l’éloignement de toute perspective de fuite des capitaux. Jusqu’à là, nous continuerions à nous traîner pendant que d’autres pays émergents (l’Inde, la Chine et même l’Argen- tine) croissent à des taux plus élevés. C’est une vision dramatiquement conservatrice qui ne prend pas en considération les larges possibilités offertes par la force politique et économique d’un pays comme le Brésil. Un troisième groupe travaille sur l’hypothèse de réaliser dans un premier temps des changements dans la politique macroéconomique à court terme (taux d’intérêts, taux de change, objectifs définis en termes d’inflation et d’excédent budgétaire, le tout associé à d’autres mesures), afin d’ouvrir une voie pour des projets politiques de moyen et long terme, comme c’est le cas pour la politique industrielle et la reprise en main de l’infrastructure du pays. Étant donné le scénario historique concret, intérieur et extérieur, que nous vivons, accomplir cela dans un contexte démocratique serait un grand pas dans la construction de la nation et dans l’affirmation du processus démocratique républicain. Le principe le plus important, qui définit tout le reste dans la politique économique actuelle, est le « système d’objectifs » qui vise à maîtriser l’inflation. Sur ce point également – et tout particulièrement – le gouvernement Lula a conservé la même politique que l’équipe de Fernando Henrique Cardoso. Le « système d’objectifs » est utilisé comme la référence absolue. La politique économique tourne autour de lui et des oscillations que le « système » impose au taux d’intérêt, conduisant les « objectifs » à assumer un rôle de variable centrale et déterminante. En ayant le contrôle des prix comme objectif central de la politique économique et en utilisant les taux d’intérêt comme instrument de base, le système d’objectifs brésilien rend le thème de la croissance secondaire et amarré de manière très stricte au contrôle de l’inflation. Qui plus est, du fait de l’importance des nouveaux emprunts liés à la consolidation de la dette publique, la manipulation du taux d’intérêt finit par augmenter le coût de celle-ci et par exiger un excédent budgétaire primaire croissant pour contrebalancer le paiement d’intérêts sans cesse plus élevés. La croissance est ainsi sacrifiée de ce côté-là également, du fait de la compression des dépenses publiques. MOUVEMENTS N° 45/46 mai-juin-juillet-août 2006 ● 189 © La Découverte | Téléchargé le 05/12/2023 sur www.cairn.info (IP: 54.162.130.160) Brésil : pour une nouvelle politique économique © La Découverte | Téléchargé le 05/12/2023 sur www.cairn.info (IP: 54.162.130.160) Le « système d’objectifs » n’est ni bon ni mauvais en lui-même, il constitue une des formes possibles de tentative de contrôle de l’inflation. Il a été utilisé dans plusieurs pays ces dernières années, avec les variations qui en découlent. Il a été adopté au Brésil en 1999, après la crise de la dépréciation du change, lorsque nous avons définitivement perdu le paramètre du dollar artificiellement bon marché, qui a causé autant de déformations qu’il a tonifié l’économie lors des quatre années et demie où il fut en vigueur. L’expérience du « système d’objectifs », qui a déjà six ans au Brésil, a montré qu’il est possible de l’améliorer en diminuant la responsabilité qu’il impose à la société. Il se discutera à l’aide, pour le moins, de trois éléments : – L’indice servant de paramètre, ainsi que sa forme de mesure ; – Le rythme de réduction du taux d’inflation au long des années ; – L’intervalle de temps durant lequel on espère que l’objectif soit atteint. Un sujet important de discussion est la vitesse de la chute du taux d’inflation. Le système brésilien prévoit que le Conseil monétaire national fixe les objectifs d’inflation qui doivent être poursuivis par la Banque centrale dans les deux ans qui suivent. C’est un sujet qui acquiert la plus grande importance lorsque l’inflation est haute et que la proposition de l’abaisser rapidement impose un coût élevé à la société via une augmentation des intérêts. Cela a été le cas en 2002 et en 2003. Le système pourrait être perfectionné avec des diminutions plus douces de l’inflation (objectifs) lorsque celle-ci part d’un niveau plus élevé, comme cela a été le cas (12,5 %) en 2002. Un autre aspect est l’intervalle de temps nécessaire pour atteindre l’objectif. S’il s’étale sur l’année civile, tel que le système actuel le propose, il risque de se produire un choc des prix vers la fin de l’année, le taux d’intérêt devant s’élever abruptement de façon significative pour garantir que soit atteint l’objectif. Un moyen de rendre moins rigide cet aspect du système d’objectifs brésilien est de travailler avec un intervalle de temps mobile, par exemple de 12 mois. 190 ● MOUVEMENTS N° 45/46 mai-juin-juillet-août 2006 Un indicateur suivi avec soin par les financiers et les spéculateurs internationaux est la relation dette du secteur public/PIB, qui démontre synthétiquement la capacité du secteur public à honorer la dette intérieure. Étant donné qu’il y a longtemps que le capital financier international vient au Brésil afin de profiter de la rémunération élevée de ses titres publics, il est naturel que les titulaires de ces ressources s’inquiètent des indicateurs de solvabilité du gouvernement et du risque de ne pas récupérer leur capital au moment dû. Or, ce taux avait beaucoup progressé dans les dernières années, dans la période du Real, fondamentalement du fait de l’élévation des taux d’intérêts, qui augmentent mécaniquement un stock de dette déjà élevé. Depuis le second mandat de Fernando Henrique Cardoso, la politique économique propose un excédent budgétaire primaire élevé (au minimum de 3,75 % du PIB) pour payer les intérêts de la dette, essayant d’éviter l’augmentation de celle-ci et, par conséquent, l’augmentation de la relation dette/PIB. Pour en donner une idée, en 2004, l’excédent primaire s’est chiffré à 4,6 % du PIB, ce qui correspond à 81 milliards de Reais. Le paiement de la dette a représenté 128 milliards de Reais. La différence entre ces deux variables est un déficit budgétaire nominal de 47 milliards de Reais. Étant donné que le PIB a augmenté de 4,9 % en 2004, la relation dette du secteur public/PIB a beaucoup diminué pendant l’année, descendant à 51,8 %. Même si elle est encore très haute, il est important de noter qu’il s’agit de la première réduction de cette relation depuis le début du Réal, et également qu’il s’agit d’une réduction significative, l’endettement s’étant élevé à 57,2 % en 2003. Le discours du gouvernement, qui correspond à ce qu’attendent les marchés financiers, est de continuer dans la voie de la baisse de la dette, toujours à partir de l’excédent budgétaire primaire élevé, ce qui dans un second temps permettrait de réduire le taux d’intérêt moyen et de stimuler la hausse du PIB. Évidemment, des trois variables impliquées dans cette projection, la seule que tout gouvernement domine com- © La Découverte | Téléchargé le 05/12/2023 sur www.cairn.info (IP: 54.162.130.160) THÈMES © La Découverte | Téléchargé le 05/12/2023 sur www.cairn.info (IP: 54.162.130.160) plètement est l’excédent primaire, puisque dans primaire, d’un demi-point de pourcentage par le « système d’objectifs », le taux d’intérêt est lié exemple, en diminuant en conséquence l’excéau taux d’inflation, qui dépend lui-même, entre dent à un peu moins de 4 % du PIB. Cela aurait par exemple libéré en 2004 environ 8 milliards autres, des prix internationaux. De son côté, la de Reais, qui auraient pu être utilisés pour des croissance du PIB dépend de beaucoup de investissements d’infrastructures et de provariables, dont l’expansion du marché internagrammes sociaux. Pour se faire une idée de tional, qui a été favorable ces trois dernières l’impact positif d’une mesure comme celle-ci, le années mais qui peut se retourner. total des investissements programmés au budCe que le gouvernement Lula a fait en termes get fédéral était en 2004 de 12 milliards de d’administration des comptes publics a été techReais. Les investissements dans niquement correct à un moment le secteur de l’énergie et des politique donné. Il est clair que L’option politique transports, par exemple, pourl’option politique était d’amélioétait d’améliorer raient ainsi croître substantiellerer la collecte des impôts, de ment de façon durable. faire des dépenses modérées en la collecte des impôts, Il est clair qu’une option de matière sociale et d’infrastrucde faire des dépenses cet ordre pourrait impliquer tures, pour obtenir la hausse des l’augmentation de la relation excédents primaires et, avec modérées en matière dette/PIB pour deux ou trois cela, d’essayer de réduire, au fil sociale et ans. Quelques économistes du temps, la relation dette/PIB. considèrent cela comme un La question qui se pose est de d’infrastructures, grave recul, parce cela ébranlesavoir comment entamer une pour obtenir la hausse rait la confiance du système nouvelle étape. Celle-ci implique trois dimensions : des excédents primaires. financier, augmenterait le « risque pays » et, par consé– La possibilité de réduire la quent, le taux d’intérêt intérieur. charge fiscale, avec une réforme Néanmoins, il est possible de fiscale qui vise la rationalisation ● voir les choses autrement. Il est de l’imposition ; vrai que les créanciers intérieurs et extérieurs – L’augmentation des dépenses dans les infradoivent être convaincus, de manière formelle structures et le secteur social ; ou tacite, qu’il s’agirait d’une mesure temporaire – L’augmentation de l’efficacité des dépenses afin de se donner du souffle pour atteindre une publiques. croissance plus cohérente. Si cela était possible, Le premier aspect dépendrait d’une initiative et il semble que cela le soit, le capital étranger politique forte du gouvernement, qui en consticontinuerait à parier sur le pays. Il suffit de voir tuant une majorité parlementaire, montrerait l’importance des flux de capital productif qui sincèrement sa volonté de réduire la charge fiss’investissent au Brésil pour comprendre que cale. D’autre part, ces mesures seraient combicette mesure ne causerait pas de secousse nées avec des propositions concrètes pour importante et qu’elle pourrait même produire le réduire l’évasion et les niches fiscales, compenmouvement contraire. Dans un second temps, sant ainsi la réduction du taux de fiscalité par une augmentation de la collecte, la rationalisala relation dette/PIB s’améliorerait du fait de la tion et la modernisation de leurs méthodes de croissance plus rapide du PIB. Il est clair qu’un contrôle administratif et juridique. changement de politique de cet ordre, et qui En ce qui concerne la politique budgétaire, touche à des intérêts aussi forts, pourrait proune proposition serait d’augmenter les duire quelques tensions initiales, exigeant une dépenses d’infrastructures et du secteur social, nouvelle répartition du financement extérieur, en se servant en partie de l’excédent budgétaire avec davantage de capital productif et moins de MOUVEMENTS N° 45/46 mai-juin-juillet-août 2006 ● 191 © La Découverte | Téléchargé le 05/12/2023 sur www.cairn.info (IP: 54.162.130.160) Brésil : pour une nouvelle politique économique © La Découverte | Téléchargé le 05/12/2023 sur www.cairn.info (IP: 54.162.130.160) capital spéculatif. Un tel changement ne pouryeux du système financier international. Ces rait donc pas être provoqué dans un moment résultats extérieurs ont produit une avancée des d’instabilité, et était donc par exemple exclu au indicateurs traditionnels, ceux que le système début du gouvernement Lula, mais l’améliorafinancier international considère avec apprétion de la confiance extérieure dans les derhension. La relation entre la dette extérieure et nières années a donné une marge de les exportations de biens et services a baissé manœuvre pour une option comme celle-ci. rapidement durant cette période de trois ans, Quant à l’augmentation de l’efficacité des montrant ainsi la diminution de la vulnérabilité dépenses publiques, une commission au somextérieure de l’économie brésilienne. C’est exacmet, multipartite et impliquant de fortes qualitement ce « crédit » dont le pays a besoin pour fications techniques, pourrait réduire le taux d’intérêt intérieur proposer des mesures à court, et pour réorienter sa politique Lula promettait moyen et long terme. Elle pourfiscale sans être soumis à une de la croissance rait notamment soumettre ces crise de financement. Tout dépenses au « contrôle social », indique que ce « crédit » est mûr et de l’emploi sur une base locale et régionale. depuis 2004, mais le gouverneet il a réussi à avancer. Cette question est la plus diffiment n’a pas suffisamment cile, parce qu’elle touche à des démontré sa volonté de l’utiliser Dans un second intérêts régionaux politiqueau profit de la croissance. Ce mandat, son succès ment forts et à de nombreux que les capitaux internationaux intérêts corporatifs. De ce fait, recherchent le plus, ce sont des serait de faire grandir elle devrait être traitée de occasions de parier sur des marmanière appropriée à travers l’économie à un rythme chés qui offrent une perspective une ample « concertation ». Mais crédible de croissance et de plus élevé et avec il est tout à fait possible de travalorisation. Le Brésil n’a pas été un fort processus vailler en ce sens. capable de l’offrir et le cycle de Tout semble en tout cas indicroissance mondiale qui produit d’inclusion sociale. quer que la situation difficile des un environnement favorable années 2002 et 2003, liée à la pour l’investissement étranger mise en place du nouveau gouest peut-être en train de passer. ● vernement, s’est de plus en plus Viser la croissance éconoéloignée, principalement quand mique en impliquant l’État à traon examine les indicateurs des comptes extévers l’augmentation des investissements d’infrarieurs brésiliens. Il est vrai que, depuis 2003, le structure, attirer le capital étranger productif et contexte international a beaucoup aidé, avec la préserver la santé des comptes extérieurs reprise de la croissance mondiale et l’augmentaimplique de fermer la porte à une partie du tion du commerce international qui s’en est suicapital étranger spéculatif. En réalité, il s’agit vit. Cela a permis la croissance des quantités d’un échange dans lequel la réduction des intéexportées par le Brésil et a impulsé les prix de rêts intérieurs diminue l’attraction des capitaux ses marchandises, principalement des produits flottants et met à leur place du capital productif agricoles et d’élevage ainsi que des produits (investissement direct). Si l’option est celle-ci, il sidérurgiques. La continuité de l’exubérante faudra se protéger des oscillations les plus croissance chinoise et la reprise en Argentine fortes du marché financier international. À ont aussi beaucoup aidé le Brésil. L’année 2005 l’exemple d’autres pays, il est nécessaire d’imsera la troisième année consécutive d’excédent poser d’emblée des restrictions au capital spédans les transactions courantes, ce qui est le culatif, avec l’utilisation de périodes de quaransigne le meilleur et le plus fiable possible aux taine, l’augmentation des taxations et/ou des 192 ● MOUVEMENTS N° 45/46 mai-juin-juillet-août 2006 © La Découverte | Téléchargé le 05/12/2023 sur www.cairn.info (IP: 54.162.130.160) THÈMES Brésil : pour une nouvelle politique économique nando Henrique Cardoso promettait, lors de son second mandat, de la croissance et de l’emploi. Il n’a pas réussi et le résultat de ces deux gouvernements a été d’engendrer plus d’inégalité sociale et une détérioration structurelle de l’économie. Lula promettait de la croissance et de l’emploi et il a réussi à avancer. Dans un second mandat, son succès serait de faire grandir l’économie à un rythme plus élevé et avec un fort processus d’inclusion sociale et de distribution du revenu. Dans un contexte politique difficile marqué par les dénonciations en cours sur des faits de corruption politique de la part du Parti des travailleurs, cette perspective offrirait à Lula une vraie possibilité pour se différencier – positivement – de Fernando Henrique Cardoso et de maintenir un espace politique propre au PT et à ses alliés, en tant que partis réunis autour de la croissance économique, de la création de nouvelles opportunités pour les classes populaires et de la redistribution de revenus. En l’adoptant, le gouvernement ferait un grand pas dans la construction de la nation. ● © La Découverte | Téléchargé le 05/12/2023 sur www.cairn.info (IP: 54.162.130.160) MOUVEMENTS N° 45/46 mai-juin-juillet-août 2006 ● 193 © La Découverte | Téléchargé le 05/12/2023 sur www.cairn.info (IP: 54.162.130.160) réductions sur le rapatriement des profits avant un certain délai. Faute de quoi, on perd le contrôle sur le taux de change (du fait de la fuite potentielle des capitaux) et sur le délai de remboursement de la dette publique (puisque ces capitaux étrangers viennent chercher une valorisation prometteuse avec les emprunts publics). De même, l’utilisation de mécanismes étatiques pour imposer des limites à la variation du change, pour éviter une valorisation excessive du Real afin de maintenir un bon rythme des exportations et pour donner de la prévisibilité au secteur productif, est une politique légitime et nécessaire dans un contexte « d’incertitudes globales » et de politiques agressives de commerce extérieur de la part des pays riches traditionnellement protectionnistes. Fernando Henrique Cardoso a été élu pour son premier mandat en mettant à son crédit le « Plan Real » et la stabilisation des prix. Les quatre années de stabilisation ont conduit la société à penser cette situation comme une conquête à laquelle on ne doit pas toucher. Fer-