Brésil : pour une nouvelle politique économique
Tarso Genro, Jose Antonio Fialho Alonso, Flavio Benevett Fligenspan
Dans Mouvements 2006/3 (no 45-46),
45-46) pages 187 à 193
Éditions La Découverte
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https://www.cairn.info/revue-mouvements-2006-3-page-187.htm
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ISSN 1291-6412
ISBN 2707148962
DOI 10.3917/mouv.045.0187
Brésil :
pour une nouvelle politique économique
La politique économique du gouvernement Lula a provoqué de
très vives discussions dans la gauche brésilienne. La quasi totalité
des observateurs s’accordent à reconnaître que les orientations
macroéconomiques suivies s’inscrivent dans la ligne monétariste
des gouvernements antérieurs. La différence réside surtout dans
une gestion plus rigoureuse (baisse de la dette) et dans la mise en
place de programmes visant à garantir un revenu minimal aux
plus démunis. Nous livrons ici une contribution de Tarso Genro,
ancien maire de Porto Alegre et ancien ministre du gouvernement
Lula, et de deux intellectuels brésiliens.
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C
es notes ont pour objectif de discuter
des limites et des possibilités d’une
nouvelle étape de la politique économique dans un gouvernement démocratique et
populaire, dans la perspective d’un nouveau
mandat du président Lula.1 Il ne s’agit donc pas
de réfuter ce qui a été fait. Ce n’est pas l’objectif de ce document. Nous prétendons proposer
les éléments d’une transition vers une nouvelle
étape de développement avec des objectifs
bien clairs : assurer la continuité de la stabilité
des prix et créer les conditions objectives d’une
croissance du PIB et de l’emploi qui atteindrait
des niveaux plus élevés que ce que nous avons
atteint ces 25 dernières années.
Durant cette période, le taux de croissance
annuel moyen a été le suivant : gouvernement
1. Traduit du portugais par Djamel Sandid et
Mouvements. La version ici publiée est légèrement
réduite, la version originale est disponible sur le
site http://www.tarsogenro.com.br.
2. O Globo, « Caderno de Economia », 15.11.05,
p. 24.
Figueiro 1979-1985 (2,27 %); gouvernement Sarney 1985-1990 (2,64 %); gouvernement Collor/Itamar 1990-1994 (2,78 %); gouvernement Fernando
Henrique Cardoso 1995-1998 (2,56 %); gouvernement Fernando Henrique Cardoso 1999-2002
(2,09 %); gouvernement Lula 2003-2004 (2,74 %).
Il est aisé d’en déduire qu’y compris en mettant
en œuvre une politique économique efficace en
2005-2006, le gouvernement Lula atteindrait difficilement une moyenne annuelle supérieure à
3,8 % ou 4 %, ce qui représenterait la moyenne la
plus importante de tous ces gouvernements, mais
qui serait encore en deçà des nécessités du pays.
Avec ces résultats, pas besoin d’une démonstration empirique pour conclure que le taux d’investissement reste aujourd’hui en deçà de la
moyenne historique et par conséquent en deçà
des nécessités du pays. La croissance du PIB et de
l’emploi reste à des niveaux modérés en dehors
des bénéfices des banques qui, depuis le début
du mandat actuel, ont augmenté de 11,34 % comparativement aux 30 mois du second mandat de
Fernando Henrique Cardoso.2
MOUVEMENTS N°
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PAR
TARSO GENRO,
JOSE ANTONIO
FIALHO ALONSO ET
FLAVIO BENEVETT
FLIGENSPAN
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Frederic Jameson rappelle une observation de
La construction d’une société avec des instiSaul Landau : « Jamais le capitalisme, dans son
tutions politiques rénovées et des institutions
histoire, n’a connu une période aussi longue en
économiques qui impulsent la réduction des
inégalités n’est pas une « utopie » au sens strict.
termes de marge de manœuvre : toutes les forces
C’est une « utopie réaliste » dont le contenu a
menaçantes qu’il a produites contre lui, même
été emprunté à Ernst Bloch. C’est un projet
dans le passé – mouvements ouvriers et de
pensé comme une action de l’État contre le
révolte, partis socialistes de masse, et même les
« danger » de « l’éternisation du présent » ou
propres États socialistes – semblent être aujourmême de sa décadence. « L’utopie réaliste »
d’hui dans un état de désordre total quand ils ne
épouse la vision selon laquelle les injustices ne
sont pas purement et simplement neutralisés.
seront jamais complètement
Pour l’instant, le capital internasupprimées, mais qu’il est postional semble être capable de
Le système d’objectifs
sible de travailler pour un futur
suivre sa propre nature et ses
brésilien rend
meilleur pour tous, en avançant
inclinaisons, sans éprouver le
et en le construisant, aujourbesoin de prendre les précaule thème
d’hui, dans un sens contraire à
tions traditionnelles. »
de la croissance
celui de la barbarie néolibérale.
Les gestions actuelles de
Voyons quelques éléments
gauche dans le monde, dans ce
secondaire et amarré
révélateurs de cette inégalité
cadre, imitent en règle générale
de manière très stricte
brutale au Brésil, un pays qui a
les politiques économiques des
beaucoup évolué ces dernières
gouvernements monétaristes
au contrôle
années : 48 % de la population,
néolibéraux avec plus ou moins
de l’inflation.
soit plus de 82 millions de Bréde succès quant à l’application
siliens, ont un revenu familial
de politiques sociales compen●
mensuel inférieur à 520 Reais3 ;
satrices. Ce sont des politiques
nécessaires pour lutter contre la
seuls 35 % de la population
misère extrême de manière provisoire mais,
d’entre 15 et 17 ans a accès à l’enseignement
lorsqu’elles sont considérées comme stratésecondaire ; les chiffres baissent à 7,4 % de la
giques pour un « modèle de société », elles tenpopulation d’entre 18 et 24 ans en ce qui
dent à faire perdurer des situations d’infraconcerne l’enseignement supérieur ; sur les
citoyenneté et d’arriération sur le plan social.
40 millions de domiciles inscrits au cadastre
Pour la gauche, attachée aux vieux systèmes
dans tout le pays, 10 millions sont considérés
de luttes politiques issus de la seconde révolucomme insalubres (bidonvilles, maisons surtion industrielle, il s’agit de chercher une direcpeuplées et précaires, squats) et parmi ceux-ci,
tion politique qui, au milieu de la crise de para2 millions n’ont pas d’éclairage électrique ;
digmes traditionnels, puisse lier l’idée de justice
27 millions de travailleurs n’ont pas de sécurité
avec celle d’une pleine liberté, ouvrant ainsi des
sociale ni de droits en matière de travail ; 10 %
espaces pour la reconstruction d’une nouvelle
de la population contrôlaient 69 % de la
culture socialiste démocratique. Ce processus se
richesse au XVIIIe siècle, 73 % de la richesse au
nomme « révolution démocratique ». Il peut seuXIXe siècle et 75 % au XXe siècle. Il est possible
lement être impulsé par ceux qui ont besoin de
d’inverser ce cadre.
droits sociaux modernes pour vivre dignement
Le gouvernement Lula, en presque 3 ans, a
et par ceux qui n’acceptent pas de vivre dans
réussi à inverser des chiffres catastrophiques
une société injuste, abrutie par le règne de la
hérités des deux gouvernements de Fernando
consommation superflue et démoralisée par la
permanence de grandes poches de misère
3. Selon les taux de change, variables, un real
équivaut à un tiers ou un quart d’euro.
absolue ou par l’insécurité généralisée.
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THÈMES
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Henrique Cardoso et qui ont menacé la stabilité
de l’économie brésilienne entre 2002 et 2003.
Le taux de change, par exemple, est passé de
3 535 Reais pour un dollar en janvier 2003 à
2 162 Reais en novembre 2005 ; le risque-pays,
qui mesure le risque de non remboursement de
la dette et conditionne en partie les taux d’intérêts de celle-ci, est passé de 1 329 à 348 points
dans la même période ; le taux de chômage est
tombé de 11,2 % en janvier 2003 à 9,6 % en
septembre 2005. Les exportations ont battu tous
les records, passant de 60,3 milliards de dollars
en 2002 à plus de 100 milliards en 2005.
Pour discuter des possibilités d’une nouvelle
étape de la politique économique, nous ne
devons pas oublier que les résultats dans la
période 2003-2005 ont été, dans une large
mesure, déterminés par la remarquable expansion du commerce international, par les prix de
divers produits bruts à cotation élevée vendus à
l’étranger et par le fait que nous sommes épargnés par les chocs extérieurs.
Trois différents groupes de penseurs se sont
emparé du débat sur la politique économique
du pays.
L’un d’entre eux propose une rupture avec
les organismes financiers internationaux ainsi
que des changements profonds quant à l’insertion du pays dans le scénario global, mais il ne
parvient pas à dessiner un « scénario du futur
proche », une politique économique durable
pour l’après-rupture dans le cadre d’un projet
lié à l’État de droit démocratique. À cette rupture succéderait, dans un pays comme le nôtre,
un haut degré d’instabilité et décohésion
sociale, avec des conséquences imprévisibles.
Un autre groupe propose l’approfondissement de la politique macroéconomique
actuelle, avec une hausse de l’excédent budgétaire autour de 6 % ainsi qu’une réduction des
dépenses, et cela sans augmenter l’imposition,
à partir de 2006 et jusqu’en 2009. Ainsi, le taux
d’intérêt pourrait baisser de manière importante
du fait de l’éloignement de toute perspective de
fuite des capitaux. Jusqu’à là, nous continuerions à nous traîner pendant que d’autres pays
émergents (l’Inde, la Chine et même l’Argen-
tine) croissent à des taux plus élevés. C’est une
vision dramatiquement conservatrice qui ne
prend pas en considération les larges possibilités offertes par la force politique et économique
d’un pays comme le Brésil.
Un troisième groupe travaille sur l’hypothèse
de réaliser dans un premier temps des changements dans la politique macroéconomique à
court terme (taux d’intérêts, taux de change,
objectifs définis en termes d’inflation et d’excédent budgétaire, le tout associé à d’autres
mesures), afin d’ouvrir une voie pour des projets
politiques de moyen et long terme, comme c’est
le cas pour la politique industrielle et la reprise
en main de l’infrastructure du pays. Étant donné
le scénario historique concret, intérieur et extérieur, que nous vivons, accomplir cela dans un
contexte démocratique serait un grand pas dans
la construction de la nation et dans l’affirmation
du processus démocratique républicain.
Le principe le plus important, qui définit tout
le reste dans la politique économique actuelle,
est le « système d’objectifs » qui vise à maîtriser
l’inflation. Sur ce point également – et tout particulièrement – le gouvernement Lula a
conservé la même politique que l’équipe de
Fernando Henrique Cardoso. Le « système d’objectifs » est utilisé comme la référence absolue.
La politique économique tourne autour de lui et
des oscillations que le « système » impose au
taux d’intérêt, conduisant les « objectifs » à assumer un rôle de variable centrale et déterminante. En ayant le contrôle des prix comme
objectif central de la politique économique et
en utilisant les taux d’intérêt comme instrument
de base, le système d’objectifs brésilien rend le
thème de la croissance secondaire et amarré de
manière très stricte au contrôle de l’inflation.
Qui plus est, du fait de l’importance des nouveaux emprunts liés à la consolidation de la
dette publique, la manipulation du taux d’intérêt finit par augmenter le coût de celle-ci et par
exiger un excédent budgétaire primaire croissant pour contrebalancer le paiement d’intérêts
sans cesse plus élevés. La croissance est ainsi
sacrifiée de ce côté-là également, du fait de la
compression des dépenses publiques.
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Brésil : pour une nouvelle politique économique
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Le « système d’objectifs » n’est ni bon ni mauvais en lui-même, il constitue une des formes
possibles de tentative de contrôle de l’inflation.
Il a été utilisé dans plusieurs pays ces dernières
années, avec les variations qui en découlent. Il
a été adopté au Brésil en 1999, après la crise de
la dépréciation du change, lorsque nous avons
définitivement perdu le paramètre du dollar
artificiellement bon marché, qui a causé autant
de déformations qu’il a tonifié l’économie lors
des quatre années et demie où il fut en vigueur.
L’expérience du « système d’objectifs », qui a
déjà six ans au Brésil, a montré qu’il est possible de l’améliorer en diminuant la responsabilité qu’il impose à la société. Il se discutera à
l’aide, pour le moins, de trois éléments :
– L’indice servant de paramètre, ainsi que sa
forme de mesure ;
– Le rythme de réduction du taux d’inflation au
long des années ;
– L’intervalle de temps durant lequel on espère
que l’objectif soit atteint.
Un sujet important de discussion est la vitesse
de la chute du taux d’inflation. Le système brésilien prévoit que le Conseil monétaire national
fixe les objectifs d’inflation qui doivent être poursuivis par la Banque centrale dans les deux ans
qui suivent. C’est un sujet qui acquiert la plus
grande importance lorsque l’inflation est haute et
que la proposition de l’abaisser rapidement
impose un coût élevé à la société via une augmentation des intérêts. Cela a été le cas en 2002
et en 2003. Le système pourrait être perfectionné
avec des diminutions plus douces de l’inflation
(objectifs) lorsque celle-ci part d’un niveau plus
élevé, comme cela a été le cas (12,5 %) en 2002.
Un autre aspect est l’intervalle de temps
nécessaire pour atteindre l’objectif. S’il s’étale
sur l’année civile, tel que le système actuel le
propose, il risque de se produire un choc des
prix vers la fin de l’année, le taux d’intérêt
devant s’élever abruptement de façon significative pour garantir que soit atteint l’objectif. Un
moyen de rendre moins rigide cet aspect du
système d’objectifs brésilien est de travailler
avec un intervalle de temps mobile, par
exemple de 12 mois.
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MOUVEMENTS N°
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Un indicateur suivi avec soin par les financiers et les spéculateurs internationaux est la
relation dette du secteur public/PIB, qui
démontre synthétiquement la capacité du secteur public à honorer la dette intérieure. Étant
donné qu’il y a longtemps que le capital financier international vient au Brésil afin de profiter
de la rémunération élevée de ses titres publics,
il est naturel que les titulaires de ces ressources
s’inquiètent des indicateurs de solvabilité du
gouvernement et du risque de ne pas récupérer
leur capital au moment dû. Or, ce taux avait
beaucoup progressé dans les dernières années,
dans la période du Real, fondamentalement du
fait de l’élévation des taux d’intérêts, qui augmentent mécaniquement un stock de dette déjà
élevé. Depuis le second mandat de Fernando
Henrique Cardoso, la politique économique
propose un excédent budgétaire primaire élevé
(au minimum de 3,75 % du PIB) pour payer les
intérêts de la dette, essayant d’éviter l’augmentation de celle-ci et, par conséquent, l’augmentation de la relation dette/PIB.
Pour en donner une idée, en 2004, l’excédent
primaire s’est chiffré à 4,6 % du PIB, ce qui correspond à 81 milliards de Reais. Le paiement de
la dette a représenté 128 milliards de Reais. La
différence entre ces deux variables est un déficit budgétaire nominal de 47 milliards de Reais.
Étant donné que le PIB a augmenté de 4,9 % en
2004, la relation dette du secteur public/PIB a
beaucoup diminué pendant l’année, descendant à 51,8 %. Même si elle est encore très
haute, il est important de noter qu’il s’agit de la
première réduction de cette relation depuis le
début du Réal, et également qu’il s’agit d’une
réduction significative, l’endettement s’étant
élevé à 57,2 % en 2003.
Le discours du gouvernement, qui correspond à ce qu’attendent les marchés financiers,
est de continuer dans la voie de la baisse de la
dette, toujours à partir de l’excédent budgétaire
primaire élevé, ce qui dans un second temps
permettrait de réduire le taux d’intérêt moyen et
de stimuler la hausse du PIB. Évidemment, des
trois variables impliquées dans cette projection,
la seule que tout gouvernement domine com-
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THÈMES
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plètement est l’excédent primaire, puisque dans
primaire, d’un demi-point de pourcentage par
le « système d’objectifs », le taux d’intérêt est lié
exemple, en diminuant en conséquence l’excéau taux d’inflation, qui dépend lui-même, entre
dent à un peu moins de 4 % du PIB. Cela aurait
par exemple libéré en 2004 environ 8 milliards
autres, des prix internationaux. De son côté, la
de Reais, qui auraient pu être utilisés pour des
croissance du PIB dépend de beaucoup de
investissements d’infrastructures et de provariables, dont l’expansion du marché internagrammes sociaux. Pour se faire une idée de
tional, qui a été favorable ces trois dernières
l’impact positif d’une mesure comme celle-ci, le
années mais qui peut se retourner.
total des investissements programmés au budCe que le gouvernement Lula a fait en termes
get fédéral était en 2004 de 12 milliards de
d’administration des comptes publics a été techReais. Les investissements dans
niquement correct à un moment
le secteur de l’énergie et des
politique donné. Il est clair que
L’option politique
transports, par exemple, pourl’option politique était d’amélioétait d’améliorer
raient ainsi croître substantiellerer la collecte des impôts, de
ment de façon durable.
faire des dépenses modérées en
la collecte des impôts,
Il est clair qu’une option de
matière sociale et d’infrastrucde faire des dépenses
cet ordre pourrait impliquer
tures, pour obtenir la hausse des
l’augmentation de la relation
excédents primaires et, avec
modérées en matière
dette/PIB pour deux ou trois
cela, d’essayer de réduire, au fil
sociale et
ans. Quelques économistes
du temps, la relation dette/PIB.
considèrent cela comme un
La question qui se pose est de
d’infrastructures,
grave recul, parce cela ébranlesavoir comment entamer une
pour obtenir la hausse
rait la confiance du système
nouvelle
étape.
Celle-ci
implique trois dimensions :
des excédents primaires. financier, augmenterait le
« risque pays » et, par consé– La possibilité de réduire la
quent, le taux d’intérêt intérieur.
charge fiscale, avec une réforme
Néanmoins, il est possible de
fiscale qui vise la rationalisation
●
voir les choses autrement. Il est
de l’imposition ;
vrai que les créanciers intérieurs et extérieurs
– L’augmentation des dépenses dans les infradoivent être convaincus, de manière formelle
structures et le secteur social ;
ou tacite, qu’il s’agirait d’une mesure temporaire
– L’augmentation de l’efficacité des dépenses
afin de se donner du souffle pour atteindre une
publiques.
croissance plus cohérente. Si cela était possible,
Le premier aspect dépendrait d’une initiative
et il semble que cela le soit, le capital étranger
politique forte du gouvernement, qui en consticontinuerait à parier sur le pays. Il suffit de voir
tuant une majorité parlementaire, montrerait
l’importance des flux de capital productif qui
sincèrement sa volonté de réduire la charge fiss’investissent au Brésil pour comprendre que
cale. D’autre part, ces mesures seraient combicette mesure ne causerait pas de secousse
nées avec des propositions concrètes pour
importante et qu’elle pourrait même produire le
réduire l’évasion et les niches fiscales, compenmouvement contraire. Dans un second temps,
sant ainsi la réduction du taux de fiscalité par
une augmentation de la collecte, la rationalisala relation dette/PIB s’améliorerait du fait de la
tion et la modernisation de leurs méthodes de
croissance plus rapide du PIB. Il est clair qu’un
contrôle administratif et juridique.
changement de politique de cet ordre, et qui
En ce qui concerne la politique budgétaire,
touche à des intérêts aussi forts, pourrait proune proposition serait d’augmenter les
duire quelques tensions initiales, exigeant une
dépenses d’infrastructures et du secteur social,
nouvelle répartition du financement extérieur,
en se servant en partie de l’excédent budgétaire
avec davantage de capital productif et moins de
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Brésil : pour une nouvelle politique économique
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capital spéculatif. Un tel changement ne pouryeux du système financier international. Ces
rait donc pas être provoqué dans un moment
résultats extérieurs ont produit une avancée des
d’instabilité, et était donc par exemple exclu au
indicateurs traditionnels, ceux que le système
début du gouvernement Lula, mais l’améliorafinancier international considère avec apprétion de la confiance extérieure dans les derhension. La relation entre la dette extérieure et
nières années a donné une marge de
les exportations de biens et services a baissé
manœuvre pour une option comme celle-ci.
rapidement durant cette période de trois ans,
Quant à l’augmentation de l’efficacité des
montrant ainsi la diminution de la vulnérabilité
dépenses publiques, une commission au somextérieure de l’économie brésilienne. C’est exacmet, multipartite et impliquant de fortes qualitement ce « crédit » dont le pays a besoin pour
fications techniques, pourrait
réduire le taux d’intérêt intérieur
proposer des mesures à court,
et pour réorienter sa politique
Lula promettait
moyen et long terme. Elle pourfiscale sans être soumis à une
de la croissance
rait notamment soumettre ces
crise de financement. Tout
dépenses au « contrôle social »,
indique que ce « crédit » est mûr
et de l’emploi
sur une base locale et régionale.
depuis 2004, mais le gouverneet il a réussi à avancer.
Cette question est la plus diffiment n’a pas suffisamment
cile, parce qu’elle touche à des
démontré sa volonté de l’utiliser
Dans un second
intérêts régionaux politiqueau profit de la croissance. Ce
mandat, son succès
ment forts et à de nombreux
que les capitaux internationaux
intérêts corporatifs. De ce fait,
recherchent le plus, ce sont des
serait de faire grandir
elle devrait être traitée de
occasions de parier sur des marmanière appropriée à travers l’économie à un rythme chés qui offrent une perspective
une ample « concertation ». Mais
crédible de croissance et de
plus élevé et avec
il est tout à fait possible de travalorisation. Le Brésil n’a pas été
un fort processus
vailler en ce sens.
capable de l’offrir et le cycle de
Tout semble en tout cas indicroissance mondiale qui produit
d’inclusion sociale.
quer que la situation difficile des
un environnement favorable
années 2002 et 2003, liée à la
pour l’investissement étranger
mise en place du nouveau gouest peut-être en train de passer.
●
vernement, s’est de plus en plus
Viser la croissance éconoéloignée, principalement quand
mique en impliquant l’État à traon examine les indicateurs des comptes extévers l’augmentation des investissements d’infrarieurs brésiliens. Il est vrai que, depuis 2003, le
structure, attirer le capital étranger productif et
contexte international a beaucoup aidé, avec la
préserver la santé des comptes extérieurs
reprise de la croissance mondiale et l’augmentaimplique de fermer la porte à une partie du
tion du commerce international qui s’en est suicapital étranger spéculatif. En réalité, il s’agit
vit. Cela a permis la croissance des quantités
d’un échange dans lequel la réduction des intéexportées par le Brésil et a impulsé les prix de
rêts intérieurs diminue l’attraction des capitaux
ses marchandises, principalement des produits
flottants et met à leur place du capital productif
agricoles et d’élevage ainsi que des produits
(investissement direct). Si l’option est celle-ci, il
sidérurgiques. La continuité de l’exubérante
faudra se protéger des oscillations les plus
croissance chinoise et la reprise en Argentine
fortes du marché financier international. À
ont aussi beaucoup aidé le Brésil. L’année 2005
l’exemple d’autres pays, il est nécessaire d’imsera la troisième année consécutive d’excédent
poser d’emblée des restrictions au capital spédans les transactions courantes, ce qui est le
culatif, avec l’utilisation de périodes de quaransigne le meilleur et le plus fiable possible aux
taine, l’augmentation des taxations et/ou des
192 ●
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THÈMES
Brésil : pour une nouvelle politique économique
nando Henrique Cardoso promettait, lors de son
second mandat, de la croissance et de l’emploi.
Il n’a pas réussi et le résultat de ces deux gouvernements a été d’engendrer plus d’inégalité
sociale et une détérioration structurelle de l’économie. Lula promettait de la croissance et de
l’emploi et il a réussi à avancer. Dans un second
mandat, son succès serait de faire grandir l’économie à un rythme plus élevé et avec un fort
processus d’inclusion sociale et de distribution
du revenu. Dans un contexte politique difficile
marqué par les dénonciations en cours sur des
faits de corruption politique de la part du Parti
des travailleurs, cette perspective offrirait à Lula
une vraie possibilité pour se différencier – positivement – de Fernando Henrique Cardoso et de
maintenir un espace politique propre au PT et à
ses alliés, en tant que partis réunis autour de la
croissance économique, de la création de nouvelles opportunités pour les classes populaires
et de la redistribution de revenus. En l’adoptant,
le gouvernement ferait un grand pas dans la
construction de la nation. ●
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MOUVEMENTS N°
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réductions sur le rapatriement des profits avant
un certain délai. Faute de quoi, on perd le
contrôle sur le taux de change (du fait de la
fuite potentielle des capitaux) et sur le délai de
remboursement de la dette publique (puisque
ces capitaux étrangers viennent chercher une
valorisation prometteuse avec les emprunts
publics). De même, l’utilisation de mécanismes
étatiques pour imposer des limites à la variation
du change, pour éviter une valorisation excessive du Real afin de maintenir un bon rythme
des exportations et pour donner de la prévisibilité au secteur productif, est une politique légitime et nécessaire dans un contexte « d’incertitudes globales » et de politiques agressives de
commerce extérieur de la part des pays riches
traditionnellement protectionnistes.
Fernando Henrique Cardoso a été élu pour
son premier mandat en mettant à son crédit le
« Plan Real » et la stabilisation des prix. Les
quatre années de stabilisation ont conduit la
société à penser cette situation comme une
conquête à laquelle on ne doit pas toucher. Fer-