lieuxdits #15
Faculté d’architecture, d’ingénierie architecturale, d’urbanisme de l’Université catholique de Louvain
recherche
Recyclage de l’urbain bruxellois
Analyse typo-morphologique de la ressource : les tissus mixtes bruxellois
Barbara Le Fort
Bruxelles, comme d’autres métropoles
post-industrielles européennes, a hérité
d’un important parc immobilier industriel faisant l’objet de nombreux projets
de reconversion. Si le déclin industriel
bruxellois a sonné le glas de nombreuses
activités manufacturières, il n’a pas pour
autant créé un chancre urbain au cœur
de la ville, dans la partie centrale de la
zone du canal. En effet, en marge des reconversions lourdes des grandes manufactures iconiques du début du xxe siècle
et de l’émergence des lofts et espaces
de bureaux au design industriel, se
trouvent des espaces productifs intégrés
au tissu urbain résidentiel et hébergeant
encore de nombreuses activités économiques de taille modeste. Ces dernières
profitent de la combinaison de trois facteurs : le prix faible d’un foncier dévalorisé, la localisation centrale proche des
quartiers les plus denses de la capitale
et la diversité des superficies planchers
des bâtiments généralement implantés
en cœur d’îlot sur des parcelles originellement larges et profondes. Ces mêmes
facteurs attirent aujourd’hui les acteurs
de la rénovation urbaine voyant en ces
parcelles des opportunités de projet
pour "améliorer les quartiers" du "croissant pauvre" bruxellois.
Abordé sous l’angle spatial, qu’il soit en
friche – un déchet résultant du déclin
de l’activité industrielle – ou non, le bâti
industriel en cœur d’îlot devient une ressource d’espace et de projet au cœur
de la ville dense. Mais à ce titre, force
est de constater le manque cruel d’une
connaissance fine de cette ressource.
La recherche vise dès lors à produire le
recensement et la description spatiale et
typo-morphologique de la ressource :
les tissus mixtes bruxellois. La cartographie inédite de ces tissus induit une
nouvelle géographie bruxelloise. Les
premiers résultats de cette cartographie
offrent un éclairage nouveau sur le débat
et les essais de production de la métropole mixte et productive.
Tissus bâtis mixtes
Les espaces semi-industriels présents
dans la vallée industrielle bruxelloise
sont intégrés au sein des îlots. Ces îlots
urbains ont été progressivement saturés par des processus de densification,
consolidant dans un même front de rue
une juxtaposition de petites industries,
des maisons de patrons et de modestes
maisons
d’ouvriers
(Vandermotten,
2014). Un mélange fonctionnel de différentes typologies architecturales caractérise ces îlots, avec un très haut degré
de saturation. Nous les appelons "tissus
bâtis mixtes".
S’inscrivant dans la suite des recherches
sur la typo-morphologie des tissus ur-
bains bruxellois (Lacour et al., 1987 ; De
Visscher, 2013 ; Ledent, 2014), cet article
présente une exploration typo-morphologique des configurations bâties qui
organisent des îlots mixtes. Notre étude
considère les bâtiments et les parcelles
comme des premiers éléments urbains.
L'approche dézoome progressivement
pour caractériser la structure qui lie les
éléments urbains : le tissu urbain (Caniggia & Maffei, 2000). Notre grille d'analyse
pour les études de cas est construite
sur la conjonction de trois composantes
des tissus urbains : les configurations
de parcelles, les configurations bâties
et la depth configuration ou profondeur
du front bâti (Panerai et al, 1999 ; Habraken, 2000 ; Clossick, 2017). Le front
de rue est l'échelle de base pertinente
pour l'analyse du tissu urbain (Porta &
Romice, 2010 ; Carmona, 2014).
Trois conditions stratégiques
des espaces semi-industriels
en cœur d’îlot
L'étude de cas "Quai de l'Industrie" est
un exemple paradigmatique de la corrélation entre les formes de parcelles, les
configurations bâties et l'organisation de
la relation à la rue, les trois conditions
stratégiques pour l’implantation et le
maintien d’espaces semi-industriels en
cœur d’îlot (figure1).
Le front de rue analysé fait partie d'un
îlot mixte urbanisé entre 1868 et 1899
suite au développement industriel du
quartier Heyvaert, de part et d'autre du
nouveau canal de Charleroi (inauguré en
1832). Un tracé régulier de rues formant
de grands îlots a été conçu à travers
les parcelles agricoles à la demande
des industriels afin de développer leurs
activités. La trame qui en résulte semble
répondre au besoin d'un environnement
urbain équilibré mélangeant usines,
entrepôts, petits ateliers, maisons de
patrons et d’ouvriers et petits magasins de quartier. Le tracé des parcelles
traduit une hétérogénéité typologique
répondant à différentes conditions
d’implantation. On observe alors dans
le même front de rue : grandes implantations semi-industrielles, petits ateliers
urbains, rez-de-chaussée commercial
avec étages habités.
Sur des parcelles larges (> 9m) et importantes situées aux médianes du
rectangle, on trouve des configurations
bâties homogènes qui accueillent une
typologie architecturale industrielle –
tous les bâtiments sont exclusivement
conçus pour accueillir une activité productive, logistique ou économique, y
compris les espaces administratifs –
avec une relation physique et visuelle
directe de l'espace industriel à la rue.
2
Caractérisation des espaces
verts urbains privés - exemples.
Sources : TVBuONAIR 2017 /
CREAT-UCL 2017 / Ségolène
Gréant 2017
3
L’outil dynamique (Réalisation :
CREAT, 2017)
4
Les démarches mises en oeuvree
TVBuONAIR (Source :
CREAT)
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Entre la médiane et l'angle, on trouve
des parcelles de taille intermédiaire
(entre 7,5 et 9 m) qui accueillent configurations bâties mixtes : un front bâti résidentiel, variante du modèle de la maison
bruxelloise, avec une porte cochère
ou de garage permettant l’accès à une
cour, un entrepôt ou un atelier à l’arrière.
Le rez-de-chaussée est parfois utilisé
comme vitrine commerciale de l’activité
installée à l’arrière.
Enfin, à l'angle de l’îlot on trouve des
parcelles étroites (6m) avec peu de
profondeur. La situation compliquée
de l’angle est résolue par l’implantation
d’un magasin de proximité ou un horeca
au rez-de-chaussée profitant de l’emplacement stratégique du carrefour.
1
La depth ou profondeur du front de rue
qui permet l’accessibilité aux espaces
productifs depuis la rue est traduite
physiquement et spatialement en trois
système-entrées (figure 2). Dans la configuration homogène productive, le système-entrée unique présente l'interface
d'un seul type d'espace, un entrepôt par
exemple. Le système-entrée séparé, que
l’on trouve aussi dans les configurations
mixtes, dissocie les entrées logistiques
- accès appropriés pour les véhicules à
moteur vers les espaces productifs et
de stockage - des espaces administratifs ou domestiques - accès piéton aux
espaces de bureaux ou aux espaces
résidentiels. Enfin, le système-entrée
double intègre à la fois l'accès logistique, administratif et domestique via
une seule entrée. Dans cette configuration, l'accès est partagé entre les utilisateurs d'espaces résidentiels côté rue et
les utilisateurs d'espaces semi-industriels à l'arrière.
Dans la construction de configurations mixtes, la profondeur permet un
fort potentiel relationnel entre l'espace
public et le cœur d’îlot semi-industriel.
Ce potentiel relationnel, combiné au
mélange de configurations parcellaire
et de typologie architecturale, contribue
à l'intensité des tissus urbains mixtes.
Parce qu'elles permettent un mélange
fonctionnel et des adaptations, ces morphologies mixtes fonctionnent comme
des métabolismes résilients (Clossick,
2017 ; Feliciotti, 2017).
Matrice typo-morphologique
2
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L’établissement d’une typologie des
configurations semi-industrielles apparaît plus que nécessaire pour cartographier et étudier plus globalement
les tissus semi-industriels bruxellois
et rendre compte de cette variation. La
configuration bâtie ainsi que les systèmes-entrée associé au mode d’occupation de la parcelle par le bâti – saturé,
sur cour, en recul ou ouvert – sont les
trois critères qui définissent les types
(figure 3). Ce dernier critère offre deux
recherche
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informations. D’une part il indique la
part de saturation de la parcelle et donc
la possibilité d’une densification ou le
besoin d’une dédensification. D’autre
part, il donne une indication sur l’activation de l’espace public par le front bâti
qu’il constitue : les implantations saturées et sur cour présentant un front bâti
fermé (dans un contexte bruxellois de
tissu consolidé de maisons mitoyennes)
à l’inverse des implantations en recul et
ouvertes.
Carte des configurations
mixtes, premiers résultats
La matrice typo-morphologique permet
de donner à chaque parcelle étudiée une
valeur. La cartographie qui en résulte
nous permet de montrer la complexité
du tissu construit mixte et ses différentes échelles pertinentes. Elle met en
valeur les différents modes de coexistence morphologique entre typologies
productives, mixtes, commerciales et
"non productives" (résidentiel/bureaux/
aménités) (figure 4). Par exemple pour
le quartier Heyvaert (Cureghem), nous
observons des îlots carrés mixtes présentant la même distribution de configurations productives que le cas d’étude
présenté ci-dessus. Les petits nœuds
commerciaux apparaissent clairement
aux carrefours des rues (parcelles commerciales d’angle). La Chaussée de
Ninove, la Chaussée de Mons et la rue
Ropsy-Chaudron émergent comme
axes commerciaux.
La dimension de l’îlot, et en particulier
sa profondeur, ainsi que la largeur de
parcelles sont deux déterminants fondamentaux de l’implantation d’activité
dans le tissu. En effet, plus l’îlot est important, plus il pourra accueillir des parcelles larges et profondes permettant
l’implantation d’activité productive : des
configurations mixtes sur des parcelles
entre 7,5 m (système-entrée double) et
9m de large (système-entrée séparé) et
généralement des configurations homogènes sur des parcelles de plus de 9 m
de large. À l’inverse plus l’îlot est petit
et étroit plus il accueillera des implantations résidentielles (parcelles de 6m de
large).
1
Le Canal et la rue Heyvaert
sont les deux axes productifs
primaires le long desquels s’installent les implantations productives les plus importantes. Les
rues de Gosselies et Liverpool
présentent un front bâti mixte
(couronne d’îlot résidentiel et
cœur productif).
2
Deux typologies bâties permettent l'implantation d'activité productive en cœur d'îlot :
homogène productif, ou mixte.
La relation à la rue, ou depth, se
fait via trois systèmes-entrée :
unique, séparé ou double.
3
Matrice typo-morphologique
constituée à partir de trois
critères : la configuration bâtie,
le système-entrée et le mode
d’occupation de la parcelle (en
construction).
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recherche
Conguration «Productive»
Conguration «Mixte»
4
Conguration «Commerce»
Carte des configurations
mixtes,
Conguration
«Non-Productive»
zoom sur le quartier
Heyvaert
(en construction, situation juin
2018)
Références bibliographiques
CANIGGIA, G., & MAFFEI, G.
L. (2000). Composition architecturale et typologie du bâti : 1. lecture
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Recherche Diffusion.
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l'Europe des marchands à la capitale
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4
Conclusion
Conguration «Productive»
Conguration «Mixte»
Conguration «Commerce»
Conguration «Non-Productive»
Par l'angle typo-mophologique, cette recherche apporte de nouvelles connaissances pour définir le tissu urbain mixte
à différentes échelles. Les premiers
résultats plaident en faveur d'une analyse et de représentations multi-échelles
pour caractériser les tissus urbains
mixtes bruxellois. En effet, on observe un
mélange typologique à l'échelle du bâtiment, à l'échelle du terrain, à l'échelle de
la rue et enfin à l'échelle du quartier. Ces
différentes échelles doivent être prises
en compte dans les projets d'urbanisme
qui envisagent la protection et le renforcement de la diversité fonctionnelle. De
plus, pour envisager des configurations
mixtes, les urbanistes bruxellois doivent
cesser de penser le territoire bruxellois
en termes d'îlots urbains mais bien en
termes système rue-front bâti.