analyse des védas
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L'HINDOUISME
LES SOURCES DES RELIGIONS DE L'INDE
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L'HINDOUISME LES SOURCES DES RELIGIONS DE L'INDE
'IUl~ ,lUX poètes. Un vaste cycle mythique lui est attaché, comme il est souvent de règle dans d'autres traditions d'origine
llotib assez divers, dont un des principaux semble être indo-européenne. S'agissant de gérer la fécondité des êtres humains,
ln ' d(-livrance des eaux» au commencement du monde: la richesse de la terre, l'économie de la société, les arcs et les tech
malefique, le démon «bloqueur », Vrtra, en interdisait niques, elle inclut une dimension féminine, présente dans le Veda
ltlflllcnt; Indra le «perce », rompant cet enveloppement sous l'aspect de la grande déesse Aditi. Mais c'est une déesse bien
heur d'existence, négateur de vie et d'histoire : mystérieuse, mère de rous les autres dieux, que l'on appelle sou
vent les aditya, et qui a très peu à voir avec Aphrodite, Vénus ou
Je vais dire à présent les prouesses d'Indra, Cérès. Un parallèle plus sûr peut être érabli entre les Asvin et les
celles qu'a faites les premières le Dieu porce-foudre : Dioscures: dieux jumeaux, cavaliers, ils sont proches des préoccu
il tua le dragon, perça les eaux, pations des hommes, ils guérissent par les plantes et régénèrent
rompit les flancs des montagnes. par leurs connaissances magiques:
Il tua le dragon qui s'accrochait à la montagne [ ... ] Venez, brillants A~vin aux beaux chevaux, agréant,
Comme des vaches mugissantes, courant Ô faiseurs de miracles, les chants de celui qui vous est dévoué,
droit vers la mer les Eaux ont dévalé 1. et prenez les offrandes que nous vous présentons 1.
Les images constellées autour du mythe d'Indra et de Vrtra, Mais expliquer seulement la religion védique par l'idéologie
splendides, marquent la dimension énergétique, la puissance flam tripartie, ce serait l'appauvrir singulièrement, et passer à côté de
boyante d'une action de délivrance d'un univers potentiel, encore ce qui va devenir spécifiquement indien. Ainsi, deux grands dieux
en gestation; elles associent de manière étOnnante les eaux, les sont encore plus importants que ceux que nous venons de citer et
vaches et les aurores qui, jour après jour, rejouent la victoire de la ils attestent les préoccupations fondamentales des adeptes et l'ori
lumière, blanche et féconde comme le lait, la victoire du dharma ginalité de cette théologie: le dieu du feu, Agni, et le dieu du
sur l'adharma, de l'ordre sur le désordre, du rta sur l'anrta, de l'acte breuvage sacré, Soma.
humain conforme aux lois divines sur les forces obscures de l'in Agni, le Feu 2, est le grand intermédiaire entre les dieux et les
agencé. Le cosmos est le théâtre d'un combat permanent, sans hommes: agent de tous les sacrifices, sanglants ou non, il trans
lequel il cesserait d'exister, thème que l'on retrouve plus fortement forme la matérialité des offrandes en une essence subtile, le
marqué encore dans l'ancienne religion iranienne, qui se dévelop « fumet» du repas qu'offrent les hommes et qui nourrit les enti
pera par la suite en Inde à travers le cycle de la lutte entre les dieux tés d'outre-monde; il fait monter les prières et c'est autOur du
(deva) et les démons (asura) pour la possession du breuvage d'im foyer sacré qui le représente que les sacrifiants espèrent recevoir
mortalité et du pouvoir universel. C'est dans cette perspective élar des réponses à leurs demandes. Archétype du célébrant, du prêtre
gie qu'il faut comprendre le patronage d'Indra sur la fonction brahmane sans qui aucun rite solennel ne peut s'accomplir, on dit
guerrière, qui ne consiste pas seulement à disputer des frontières et qu'il est le « chapelain des dieux» ; c'est à lui qu'est consacré le
à protéger le territOire des Arya, même si on l'en prie avec ferveur, premier hymne du premier maf/4a/a du 8,.g Veda, soit les paroles
implorant l'aide de sa bande de jeunes recrues, les Marut, qui initiales de la révélation védique:
deviendront dans l'hindouisme classique les troupes de Siva.
La troisième fonction est répartie entre plusieurs enti tes,
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pèce botanique, mais qui avait évidemment des vertus hallucino tion de réalités inaccessibles au simple mortel. Et les textes posent
gènes. On dit qu'on va chercher «le dieu» très au nord, qu'on une équivalence entre l'état somique et l'extase poétique qui per
l'accueille sous forme d'amoncellements de tiges sur son char, met de composer les hymnes: tous deux sont des «enthousiasmes»
puis on décrit toutes sortes d'opérations de pressurage, de filtrage, au sens propre du terme, c'est-à-dire des expériences dans lesquelles
de fermentation, assimilées à une mise à mort pendant laquelle l'homme se trouve dessaisi de lui-même et saisi tout entier par le
« le dieu crie» ou « mugit ». Lorsque le breuvage est prêt, on porte divin. Cette valorisation de l'extase aura une longue postérité dans
des «toasts» aux différents dieux, et l'ivresse ainsi provoquée est l'hindouisme.
assimilée à une extase. Soma, s'il est bu hors de son contexte reli On ne peut que passer ici sous silence la multitude des autres
gieux, dans un but purement profane, provoque la mort: la puis dieux, les plus grands d'entre eux suffisant sans doute à montrer la
sance qu'il confère est toujours étroitement contrôlée par le tonalité de cette religiosité, à la fois très cosmique et naturaliste,
contexte rituel. Son cycle liturgique témoigne d'un complexe pré réservée à des groupes d'initiés, centrée sur l'acte rituel comme
védique autour des substances intoxicantes, filtres magiques et pacte continuel entre les hommes et les dieux, garant et continua
élixirs d'immortalité, qui SOnt les boissons habituelles des dieux, teur de l'ordre du monde, pourvoyeur de bienfaits matériels et spi
mais ne peuvent être goûtés que par certaines catégories de mor rituels, dispensateur d'immortalité après la mort physique.
tels dans un cadre très spécial et avec des finalités précises: en Certaines divinités qui deviendront les référents majeurs de la
Inde, seuls les Arya - et encore, parmi eux, ceux des deux pre dévotion hindoue, particulièrement Siva et ViSl:m, font de brèves
mières classes - y ont accès, à la fois pour obtenir l'assurance d'une apparitions dans les parties récentes du Veda, tandis que les dieux
vie dans l'au-delà, pour renforcer la puissance royale garante de la védiques seront, eux, désaffectés à partir du développement de
communauté des humains ou pour conférer ponctuellement aux l'hindouisme, sauf Indra et Agni, qui garderont une place privilé
guerriers la fureur de vaincre. giée dans les grands mythes transmis à l'époque médiévale (les
On retrouve toutes ces valeuts dans différentes religions d'ori Pural)a). Nous aurons l'occasion de revenir sur ces évolutions et
gine indo-européenne, disséminées dans leurs mythes et leurs rites, transformations.
où elles prennent des accents spécifiques; le haoma de l'Avesta, le
plus ancien corpus sacré iranien, est très proche du soma védique, Polythéisme et intuition de l'unité du divin
mais plus lointainement se rattachent à ce vieux fonds l'ambroisie
des dieux grecs ou les potions qui rendaient invincibles les tribus L'univers religieux des premiers Indiens est sous le signe d'une
germaniques ou celtes 1. multiplicité de forces qui transcendent et gouvernent la vie; cha
Dans les Veda, cependant, l'élixir, personnifié en un dieu cune a sa fonction et son symbolisme propres. Cependant, divers
majeur, incarne la transformation rituelle du fidèle: l'ingérer, c'est procédés littéraires marquent l'intention de suggérer une unité
prendre le risque de mourir et se qualifier pour une existence plus sous-jacente du réel: beaucoup d'images et d'actions sont inter
haute qui résume la somme des devoirs et des droits de l'Arya, une changeables d'une figure divine à une autre; certains mythes ou
«deuxième naissance» qui, contrairement à l'engendrement natu fragments de mythes sont transverses, comme la création du
rel, ne prendra pas fin avec la mort. C'est aussi acquérir une monde qui peut être attribuée à différents dieux en même temps,
connaissance supérieure, vidya, définie comme «vision» (du verbe sans qu'il y ait une incompatibilité; des hymnes SOnt consacrés
VlD-, qui est naturellement à l'origine de veda), comme contempla aux «tous-les-dieux», sorce d'ensemble qui n'est pas une masse
confuse, mais une addition de compétences supposant l'existence
1. Voir Ysé TARDAN-MASQUELlER, « La bonne marche du cosmos », in de la totalité. Dans cette perspective, le polythéisme n'apparaît
4< Mémoires lacrées », revue Autrement, mars 1994, p. 116-126. pas comme une construction archaïque, incapable de s'élever vers
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