Traduction Des Textes Sacrés Coran
Traduction Des Textes Sacrés Coran
Traduction Des Textes Sacrés Coran
Alexis Nouss
Théologiques, vol. 15, n° 2, 2007, p. 5-13.
DOI: 10.7202/017770ar
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LIMINAIRE
Alexis NOUSS
Département de linguistique et de traduction
Université de Montréal
Il se tient devant, hésitant. Il sait qu’il doit entrer mais il ignore jusqu’où
il peut pénétrer. Il a certes reçu des instructions mais celles-ci seront-elles
suffisantes pour éclairer ses choix en cas de besoin ? De surcroît, il doit
rendre compte de l’expérience à d’autres : il a précisément pour mission de
rapporter les résultats de son avancée dans l’espace intérieur, plutôt que
de les garder pour lui. Espace du dedans, du sacré, certes, mais combien
sacré ? Que sait-il, d’ailleurs, du sacré, dans la mesure où celui-ci ne saurait se
divulguer ? Et puis il se demande aussi comment l’espace pourrait demeurer
sacré alors que lui l’aurait foulé. Du dehors, il distingue des sons, perçoit
des couleurs. Celles-ci lui semblent familières, bien qu’elles ne devraient pas,
puisque ce monde-là est en principe radicalement différent de ce monde-ci,
le sien.
Il eût fallu la plume de Kafka dont ces lignes maladroites s’inspirent
pour présenter efficacement les affres d’un traducteur confronté à un texte
dit sacré. Pro-fanum (devant le temple) : face à sa tâche comme face au texte,
le traducteur est irrémédiablement profane et suspect de possible profana-
tion. Il entretient avec l’original un rapport d’extériorité, un peu comme un
croyant se sentirait face au divin. Quand bien même serait-il totalement
athée, il ne pourrait négliger la charge de sacralité que revêt le texte auquel
il s’attache dans l’économie de sa réception, ce qui le distingue des autres
formes scripturaires, y compris de celles du domaine littéraire. Si la traduc-
tion biblique a souvent servi en Occident de modèle à la théorisation de
l’acte traductif, il n’empêche qu’elle demeure soumise à des paramètres qui
lui sont exclusifs, problématique qui constitue la préoccupation du présent
numéro.
Dans un ouvrage qui n’a rien perdu de sa pertinence, L’homme et le
sacré, Roger Caillois (1972) distinguait deux formes de sacré : le sacré de res-
pect, qui commande les interdits et le sacré de transgression, qui autorise
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par décision impériale, ils furent gravés sur 190 stèles (avec plus de 600 000
caractères), afin d’en perpétuer les enseignements auprès des générations
successives d’étudiants de l’institution collégiale de l’Empire chinois.
Le texte sacré affiche en fait une double sacralité, dans la mesure où au
sacré attribué à sa provenance ou opéré par sa réception — en ce sens com-
parable à celui dont peuvent être investis des objets ou des gestes dans les
pratiques rituelles — s’ajoute celui de sa nature langagière qui, pour ce qui
est des traditions spirituelles traitées dans le présent numéro, renvoie à une
faculté humaine qui fait le lien avec la transcendance divine ou avec une
réalité autre que celle du quotidien. Que ce soit le Verbe du Créateur ou la
nature magique de la parole, un énoncé langagier, oral ou écrit, participe
d’un code jouissant d’un statut particulier parmi les dispositifs sémiotiques.
Si l’on admet le postulat herméneutique selon lequel l’acte traductif ne
s’attache pas simplement au texte (sens et forme), mais qu’il doit prendre
en compte la situation socioculturelle et la tradition interprétative dans les-
quelles il est entrepris, la traduction du texte sacré inclut une troisième
dimension qui entraîne sa spécificité parmi les pratiques traductives, à
savoir l’horizon et le dispositif de réception qui le rendent sacré. Une telle
procédure de sacralisation textuelle varie selon les courants théologiques,
les institutions religieuses, les langues et les codes en présence. Cette diver-
sité est rarement considérée dans les pensées herméneutiques, y compris
celles qui sont liées à des traditions religieuses qui prennent généralement
la sacralité textuelle pour acquise1. Elle devrait, par ailleurs, intéresser les
approches non confessionnelles, puisque, en dernier regard, le sacré est une
forme de mise en discours. Cette dernière expression n’est pas innocente
puisque, lorsque dans la préface de Naissance de la clinique, Foucault
dénonce la méthodologie du commentaire face aux productions discur-
sives, supposant un message à saisir sans que toutefois le signifié ne s’y
épuise, il la fait remonter à sa source historique qui est, selon lui, l’exégèse
du texte révélé. Si l’analyse des discours doit se garder de tomber dans l’im-
passe du commentaire, il importe que le modèle de celui-ci n’inspire pas une
démarche traductive faisant l’économie des cadrages historiques produi-
sant le texte sacré en tant que tel.
Ceci nous permet de préciser un point sur l’usage de la notion d’her-
méneutique de la traduction, qui est généralement citée pour ne nommer
que la part d’interprétation dans le processus traductif. La traduction, loin
1. Paradoxalement, les écoles mystiques sont souvent plus attentives à cette question et
examinent la nature des dispositifs de sacralisation afin d’en contrôler les modalités.
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3. Les indécidables sont dans la pensée derridienne ces termes ou notions dont le sens
résiste à la fixation binaire (ceci ou cela) de même qu’ils résistent au dépassement
vers un palier résolutoire.
4. Pour une relecture récente de la notion de sacré et sa réinterprétation dans une pers-
pective politique, voir Agamben (1997).
5. Voir Caillois (1972, 40-41). Caillois cite également les domaines linguistiques poly-
nésien, amérindien et japonais quant à la désignation du surnaturel.
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6. Qu’on me permette de ne pas gloser sur ma propre réflexion dans le cadre de ce limi-
naire et de renvoyer le lecteur au résumé de mon article.
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rappela que la racine spend (d’où respondere) revêt une grande importance
dans le vocabulaire religieux. S’appuyant sur l’expérience de sa participation
à l’entreprise de La Bible, nouvelle traduction (BNT) et empruntant le point
de vue de la théologie chrétienne, Alain Gignac réfléchit sur la possibilité de
validation d’une « bonne traduction chrétienne ». Il revient pour cela sur
l’ambition de la BNT de redonner à la Bible sa capacité d’être lue, en accord
avec la sensibilité contemporaine attachée à la production littéraire. Ce que
visait la collaboration entre un exégète et un écrivain relevait de la volonté
d’entendre à nouveau le texte biblique dans son actualité, sa capacité à
parler une langue d’aujourd’hui, la rencontre des deux collaborateurs anti-
cipant, d’une certaine manière, la rencontre souhaitée entre le lecteur et le
texte et assurant l’équilibre entre texte-source et texte-cible. Après la descrip-
tion des difficultés d’un geste herméneutique qui considère le texte comme
un organisme vivant et sa lecture comme un dialogue — d’abord avec soi-
même —, les images prenantes d’une randonnée en forêt ou de la visite
d’une cathédrale aident Alain Gignac à préciser la redéfinition du sacré
qu’il propose en le déplaçant du côté de la réception — l’humaine réception
— et non plus de la source. Ceci lui permettra en conclusion de n’accepter
la notion de texte sacré que si celle-ci implique une expérience de foi, quelle
que soit la langue dans la prolifération admise des traductions.
Pour Gaafar Sadek et Salah Basalamah, la question de la traduction du
Coran, si elle se pose sur le plan théologique, n’est pas moins riche de don-
nées à analyser dans une triple perspective, historique, sociologique et tra-
ductologique. Traduire le texte coranique se pose comme nécessité en raison
de la dynamique expansive de l’islam dès ses débuts, le Livre révélé en
arabe circulant auprès de populations non-arabophones. Juristes et théo-
logiens se sont affrontés sur la question, d’autant que tout au long de l’his-
toire, des traductions ont été produites à des fins polémiques. Passant en
revue de nombreuses traductions en diverses langues et à diverses époques,
les auteurs articulent avec une grande précision analytique les notions permet-
tant d’évaluer la justesse de ces entreprises : le souci interprétatif, le poids
politique, l’exactitude linguistique. Un concept particulier à la tradition
coranique, celui de l’inimitabilité du texte sacré, vient jouer en regard de la
visée universaliste portée par le message révélé et oriente les termes du
débat : nature et statut de la langue arabe, rapport de la forme et du sens,
usages du texte coranique dans la liturgie, représentations et fonctions res-
pectives du texte révélé et de ses traductions. En toute rigueur herméneu-
tique, un triple mouvement vient interroger le Coran lui-même, les
conditions actuelles de sa réception et la théorie littéraire moderne pour
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Références
AGAMBEN, G. (1997), Homo sacer. Le pouvoir souverain et la vie nue / trad.
par M. Raiola, Paris, Seuil.
BENVENISTE, É. (1969), Le Vocabulaire des institutions indo-européennes,
Paris, Minuit.
BRUNS, G.R. (1992), Hermeneutics Ancient and Modern, New Haven /
London, Yale University Press.
CAILLOIS, R. 1972 [1950], L’homme et le sacré, Paris, Gallimard (Idées).
DERRIDA, J. (2001), Foi et savoir, Paris, Seuil (Points/Essais).
MESCHONNIC, H. (1999), Poétique du traduire, Lagrasse, Verdier.