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Rfrences
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~ H l m ~ l l U l l l ~ l ~ H l ~ l l AIRIQUEUA : SOOOBELGIQUE : 1,SO(UNADA.10.95SUN 00" : 7( GRHi : UO( LllAN :ltOOOllP lUXEBOURG:J,10( uoc :ilDH PORIUGl l: J,801 SUISSE : BCHf 10" : 10001Pf TUNISIE _ 7,90 TNO --- ----- Facebook : La culture ne s'hrite pas elle se conquiert LMERUSSE LES TEXTES FONDAMENTAUX A ~ \ W b ~ ~ ~ ' fu:. MARTI N LUTHER KING. FRANTZ/ANON ... LA PENSEE NOIRE LES TEXTES FONDAMENTAUX Facebook : La culture ne s'hrite pas elle se conquiert MIEUX VIVRE EN CE MONDE Par Catherine Golliau DITORIAL Q ui suis-je? Comment vivre? Ces questions, l'Inde se les pose depuis des millnaires, et les rponses ont t multiples. Car il n'y a pas une , mais des sagesses indiennes : la qute d'absolu des adeptes du Veda, le refus de la souffrance du bouddhisme, le principe de non- violence des jans (dont, 2 500 ans plus tard, Gandhi fera une arme contre le colonialisme) .. . Penses trs complexes qui, bien avant Platon ou Aristote, s' interrogent sur la notion de ralit ou sur l'im- portance du langage. Au contraire des monothis- mes dans J'attente d' un bon- heur aprs la mort, les sages de l'Inde s'intressent des voies de salut qui permettent tout simplement de mieux vivre en ce monde. La civilisation indienne est pragmatique, d'o son rapport respectueux la nature, l'importance qu'elle Longtemps, l'Occident a trait l'Inde avec mpris, lui refusant mme le droit d'tre philosophe. accorde au corps et son nergie et les techniques sophistiques de mditation qu'elle a dveloppes pour en tirer parti. Longtemps, l'Occident l'a trai- te avec mpris, lui refusant mme le droit d'tre philosophe. Aujourd' hui, logiciens et physiciens du monde entier se passionnent pour ses spcu- lations. Mais que disent vraiment ses textes ? Trop souvent, nous nous contentons de les lire travers Je filtre des vulgarisateurs. Le Point Rfrences vous propose de les dcouvrir ici, directement, avec l'aide de commentaires rdigs par les meilleurs spcialistes franais . Une invitation une autre connaissance . .. En couverture : Un vieux sage Bnars. Sylvain Leser /Le Desk Le Point Rfrences 3 Facebook : La culture ne s'hrite pas elle se conquiert Sommaire Textesfondan1entaux SAGESSES DE L'INDE 6 AUX FONDEMENTS DE LA PENSE INDIENNE 6 Par Michel Hulin AUX ORIGINES TAIT L'ORDRE 10 Par Catherine Golliau Textes et cls de lecture 12 Repres : les principaux dieux 32 du panthon hindou QUAND l'HOMME SE CRE PAR SES ACTES 36 Par Catherine Golliau Textes et cls de lecture 38 Repres : Moines contre asctes 48 QUI EST cc JE? 50 Par Michel Angot Textes et cls de lecture 54 Repres : la force du tantrisme 72 QUAND l' ABSOLU RENCONTRE L'ORDINATEUR 76 Par Catherine Golliau Textes et cls de lecture 78 Repres : Quand l' islam adopte la caste 90 Occident : la fin du mpris 92 Par Roger-Pol Droit Chronologie 94 Lexique 98 Bibliographie 104 :0 "' . ~ ~ i ~ "' Un ermite devant sa cabane, o1! "' @) gouache sur papier du xv111' s. 4 Le Point Rfrences Facebook : La culture ne s'hrite pas elle se conquiert Rduire quelques pages la trs riche biblio- thque des textes fonda- mentaux indiens relve de la gageure, voire de l'imposture : on n'em- brasse pas la mer. Et il est trs difficile, mme Des extraits des livres sacrs des principales religions du sous-continent. en se condamnant au saupoudrage - dans notre cas, invitable-, de faire un choix objectif entre les multiples trai- ts du Veda, les grandes popes, les canons bouddhiques, jans, sikhs, sans parler vi- demment des six coles philosophiques de l'hin- douisme, des traits d'esthtique et de politi- que, ce qui laisse encore de ct la littrature so- trique, tantrique, sou- fie, etc. Nous avons donc choisi de publier et de commenter ici des extraits des livres sacrs des principales religions du sous-continent, sans traiter toutefois le Coran. De mme, si les grandes coles de pense sont reprsentes, nous n' avons pas choisi de publier de penseurs musulmans, qui ont dj fait l'objet d'un prc- dent hors-srie du "l'oint (Les textes fondamen- taux de la pense en Islam, nS). De mme, no.us ne pr- sentons ni posie profa- ne, ni textes politiques - d'o l'absence de l 'Arthasastra de Kau- tilya -, ni de textes plus intimes, comme le cl- bre Kmastra. Chaque groupe de textes est prcd d'une intro- duction vise plus his- torique que spculative pour permettre de com- prendre dans quel contexte ils ont t la- bors. Le lecteur trouvera droite le texte lui-mme, et gauche son com- mentaire, qui l'explique, prsente son auteur quand il est identifi, et rappelle sa postrit. Les mots graisss et accom- pagns d'un astrisque sont retrouver dans le lexique. C.G. Dcryptages LES LIEUX DE SAVOIR 106 Tombouctou, les trsors de Sankor Par Valrie Marin La Mesle Marcel Detienne Le terreau du totalitaire, c'est une "Histoire soi et pour soi" PORTRAIT Les errances d' Athanasius Kircher Par Sophie Pujas 116 LA MMOIRE LONGUE 119 La maison du docteur Blanche Par lise Lpine IDES ET ESSAIS 124 Le Point Rfrences s Facebook : La culture ne s'hrite pas elle se conquiert Facebook : La culture ne s'hrite pas elle se conquiert Michel Hulin est professeur mrite de philosophie indienne compare l'universit Pa ris-IV. Il est l'auteur, entre autres, de Shankara et la non-dualit (Bayard, 2001), L'Inde des sages (Oxus, 2008), Comment/a philosophie indienne s'est-elle dveloppe ? La querelle brahmanes- bouddhistes (Panama, 2008) et de La Mystique sauvage (PUF, 2008). Bnars, sur les rives du Gange, un homme enseigne un enfant. SAGESSES DE L'INDE Introduction Puisant sa source dans l'antique Veda, la pense indienne se construit comme une exgse de textes sacrs, oriente vers la recherche de la dlivrance. AUX FONDEMENTS
DE LA PENSEE INDIENNE Par Michel Hulin L es premires traces d' une pense spculative en Inde se rencontrent vers le milieu du second millnaire avant notre re, dans certains hymnes duRig-Veda" (cf p. 12). Ces spculations se dveloppent et s'affinent dans des textes comme les Brhmana " et les ranyaka" (vers 1000 av. l-.), consa- crs une interprtation sotrique, c'est--dire cache , du rituel vdique. Elles passent au premier plan dans les Upanishad" (de 800 400 av. J.-C. environ, cf p. 14), textes initiatiques axs sur le thme d'une correspondance entre les lments constitutifs de la personne et les structures du cosmos. Ces spculations dbouchent sur l'iden- tification mystique de l'me individuelle (tman) et de 1' me du monde ou brahman *. Ce sont elles qui inaugurent vraiment la philosophie indienne. C'est cette poque, galement, qu'mergent des ides force comme le renonce- ment (sannysa) et la non-violence (ahims "). Effervescence religieuse Mais partir de 500 av. J.-C. environ, particulirement dans la moyenne val- le du Gange, apparat toute une effer- vescence religieuse qui conteste le sacrifice vdique et la prminence de la caste* des brahmanes*, les prtres. La plupart de ces mouvements religieux ont t phmres, mais deux au moins, ceux fonds par le Bouddha* (cf p. 38) et par le Jina (cf p. 46), ont t l'origine de grands ordres monastiques et ont peu peu dvelopp leurs propres philosophies, indpendantes de la tra- dition des Upanishad. Aprs y avoir fleuri durant quelque quinze sicles, le bouddhisme a fini par disparatre du sol indien. Le janisme, lui, a persist jusqu' nos jours, mais cantonn cer- taines rgions et milieux sociaux. Il existe aujourd' hui un consensus pour considrer que la philosophie indienne scolastique a pris forme aux alentours du dbut de l're chr- tienne, la faveur des multiples dbats publics organiss alors dans les cours de temple, les monastres, les cours royales, etc. En Inde, le point de dpart de la rflexion est moins I' tonnement aristotlicien* que le sentiment que quelque chose ne colle pas , tant dans l'ordre de la connais- sance que dans celui de l'action. L'ide prvaut que l'image du monde procure par la perception sensible a quelque chose de factice, alors mme qu' elle ordonne les apparences de manire rela- tivement cohrente. S'y ajoute le soupon qu'un intrt cach nous incite ne pas remettre en question cette image du monde. D'o un malaise aussi profond que sournois, celui-l mme que le Bouddha, dans son clbre sermon de Bnars (cf. p. 38) a dsign comme dukkha" ou souffrance . JI ne s'agit pas d'une ignorance pure et simple, mais d'une sorte de non-savoir (avidya) ou de pseudo-savoir dans lequel nous Le Point Rfrences Les textes fondamentaux 7 Facebook : La culture ne s'hrite pas elle se conquiert Introduction SAGESSES DE L'INDE 8 baignons tous de la naissance la mort, sans jamais nous en distancier. Cette dimension collective du non-savoir s' apprhende au mieux travers le para- digme * du songe o le rveur se sent pris dans une trame d'vnements dont il n'a pas conscience d'tre le metteur en scne. C'est dire qu'en Inde, l'accs au savoir authentique ne s'opre pas, comme en Occident, travers un redres- sement patient et systmatique des inexactitudes inhrentes lexprience sensible brute, mais travers une brus- que rupture avec cette dernire, un vritable rveil du songe de la vie. Tout sage indien se voit - et est vu - comme un veill . C'est d'ailleurs le sens mme L'autodidacte n'existe pas en Inde, en quelque domaine que ce soit: tout matre s'est form auprs d'un matre qui a eu lui-mme un matre. du terme bouddha, qui est un qualifica- tif et non pas un nom propre. Or ceci entrane deux consquences capitales. La pre- mire: de mme que le rveil est produit par quelque choc extrieur et non comme un dvelop- pement de I' intrigue du rve, de mme le sage indien ne s'veille pas par ses propres forces, mais travers un secours qui lui est apport de l'extrieur. La seconde : de mme que le rveil opre un retour un tat de conscience ant- rieur rput plus authentique, de mme l'veil spirituel restitue au sage un savoir absolu qu'il avait comme oubli. Et ces consquences ont leur tour des cons- quences. D'un ct, l'autodidacte n'existe pas en Inde, en quelque domaine que ce soit : tout matre s'est form auprs d'un matre qui a eu lui-mme un matre. De l'autre, on n'chappe la rgression l'infini qu'en posant un Matre primitif : tantt l'absolu lui-mme ou brahman ; plus frquemment une figure divine qui en est l'hypostase*: Vishnou (cf p. 32), Shiva (cf p. 32), la Desse (cf p. 32), etc. C'est cette figure qui aurait initialement dispens le savoir des sortes de pro- phtes ou de voyants, appels rishis, lesquels l'auraient transmis aux lignes humaines. En mme temps, l'ignorance Les textes fondamentaux Le Point Rfrences mtaphysique* tant congnitale l'homme (saha-ja) , elle ne fait qu' un avec la condition humaine. C'est dire qu'elle aussi mane de labsolu. Cette dimension transcendante de l'ignorance est appe- le my ou illusion cosmique , terme qui, dans la mythologie vdique, dsi- gnait Je pouvoir des dieux de tromper au combat leurs adversaires (les dmons ) en dployant tout un arsenal de leurres . Il y a l une thmatique hautement spculative, aux termes de laquelle l'absolu est la fois le mal et le remde : d' un ct, il se dvoile gratui- tement aux hommes, leur dispensant un savoir auquel ils seraient incapables d'accder par leurs propres forces, de l'autre c'est de lui que procde l'igno- rance dans laquelle les tres finis sont plongs ds l'origine. Une rvlation initiale De l dcoule une conception des rapports entre temps et vrit aux anti- podes des conceptions occidentales. La vrit - et avec elle l'ordre social juste - ne rside pas dans )'avenir, comme le terme idal d'un progrs indfini de la connaissance; elle se situe dans Je pass, dj oublie, dj perdue. Nous n'avons pas la conqurir un jour pour de bon, mais la retrouver, la reconqurir. C'est pourquoi la philoso- phie indienne ne se considre pas comme une discipline autonome. Elle a besoin de puiser dans une rvlation initiale (tel est le sens du terme shruti , synonyme de Veda) , au sens o une plante doit puiser sa sve dans Je sol. Initialement, elle se conoit comme une simple exgse des textes sacrs et de leurs parties constituantes, comme les Upanishad. Mais parce que le passage du temps n'amne par lui-mme qu'obs- curcissement et dgradation, cette rvlation doit tre comprise comme continue, de manire s'adapter la dchance intellectuelle et morale pro- pre des poques plus tardives. C'est ainsi que le Veda va se trouver com- plt par les popes: le Mahbhrata (incluant la Bhagavadgt) (cf p. 22), Je Rmyana (cf p. 28), plus tard les tan- tras, les gamas , etc. Paralllement, Facebook : La culture ne s'hrite pas elle se conquiert au cours des premiers sicles de notre re, la discipline philosophique tech- nique prend forme autour de recueils de stras (litt. fils conducteurs ) , sortes d'aphorismes qui jalonnent les tapes de l'enseignement d'un matre et qui, leur tour, exigent un commen- taire pour tre compris. Elle se dve- loppe ainsi, quasiment jusqu' nous, comme une littrature de commentaires de commentaires, inspire en dernire analyse du mme Veda. Vers la dlivrance Quelle sera la thmatique dominante de ce vaste corpus de textes? Au pre- mier chef, uhe rflexion sur Je contenu mme de l'veil. L'exprience SAGESSES DE L'INDE n'ont pas l'habitude de rattacher la philosophie. Si la mditation sur la dlivrance est au cur de cette rflexion philosophi- que, celle-ci ne se dsintresse pas pour autant du domaine des apparences . Si des courants comme le Vednta* (cf p. 64) ou le bouddhisme dit du Grand Vhicule (cf p. 44) ont parfois tendance n'y voir qu'un chaos ind- chiffrable, d'autres coles comme le Nyya* ou le Smkhya (cf p. 58) s'ef- forcent d'y discerner des rgularits qui font signe vers l'unit ultime. Est comprendre dans ce sens la clbre doctrine des quatre buts de l'homme , laquelle met la dlivrance en srie avec ordinaire une fois comprise comme asservissement aux apparences, son verso cach prendra le nom de dlivrance (moksha , nirvna chez les bouddhistes). Or, celle-ci est cense reposer sur un savoir absolu, lequel n'est pas acquis mais retrouv. En un sens, donc, elle est elle-mme ternelle, passant seulement du virtuel l'actuel. Et il en ira de mme La philosophie indienne a dvelopp toutes sortes de pratiques mditatives et asctiques que les Occidentaux n'ont pas l'habitude de rattacher la philosophie. de son sige, l'me ou le Soi (tman). D' un autre ct, cependant, l'me ne nous est connue qu'en devenir, coin- ce entre la naissance et la mort. La solution de cette contradiction sera donne par la notion de samsra ou transmigration (apparente) des mes depuis un pass sans commencement. L'attention se tourne alors vers le mca- nisme psychologique par lequel s'opre cette distension temporelle de l'me. C' est ainsi que la philosophie indienne revient inlassablement l'analyse de la perception sensible, et tout spcia- lement des illusions des sens. Le pro- blme, pour elle, est de saisir sur le vif comment ce qui est donn aux sens comme directement prsent est en fait construit ou projet. Dans le sillage de ces recherches, elle a t amene dvelopper-sous l'appellation gnrale de yoga - toutes sortes de pratiques mditatives et asctiques que les Occi- dentaux nourris de pense grecque trois autres buts, infrieurs mais lgiti- mes : kma (le plaisir), artha (la richesse et le pouvoir), dharma (le maintien d'un ordre social juste). Chacun de ces buts fait l'objet de trai- ts normatifs, ou shstras censs, eux aussi, avoir t l'origine commu- niqus aux hommes par la divinit. Cette doctrine a pour complment celle dite des quatre stades de vie , qui dcrit Je droulement d'une vie humaine idale. Dans le mme ordre d'ides, on trouve sur Je plan sociocosmologique la thorie des phases d'expansion et de rsorption de l'univers (kalpa-pralaya) , et celle des ges du monde (yuga) qui explique l'alternance des dcaden- ces et des renouvellements dans le devenir de la socit. Toutes ont en commun l'ide d' un temps cyclique, image mobile de l'ternit , excluant par l mme toute espce de philosophie de l'histoire, a fortiori toute notion de progrs. Introduction Le Point Rfrences Les textes fondamentaux 9 Facebook : La culture ne s'hrite pas elle se conquiert Introduction LES TEXTES FONDATEURS Les crits vdiques, les popes comme les premiers ouvrages spculatifs qui fondent la pense indienne, n'ont qu'un souci: encourager l'homme prserver l'ordre du monde. AUX ORIGINES TAIT l:ORDRE ... Par Catherine Golliau O commence l'histoire de l'Inde ? II y a trs longtemps, srement. Mais quand ? La culture indienne traditionnelle ne s'est pas intresse aux dates et l'ordre des v- nements. Obsds par le maintien de l'ordre du monde, le dharma* , ceux qui ont compos les plus grandes popes guerrires, le Mah- bhrata ou le Rmyana, re. Malheureusement, son criture est demeure in dchiffre, la laissant dans le silence. Pourquoi a-t-elle disparu? Probablement fut-elle victime d'un drame cologique. Mais certains crurent longtemps qu'elle avait t dtruite par des nomades venus du nord, vers le 11 millnaire, l'poque o Babylone domine la Msopotamie. Immigrs du lointain Cau- n'ont pas eu le culte de l'histoire telle que J'en- Les Occidentaux feront des case, cousins probables des Iraniens, ces envahis- seurs glorifient dans leurs corpus de textes sacrs, le Veda ( savoir ), la tendent les Occidentaux. Ils sont dans le mythe, la dure, la rptition qui fait oublier le change- ryas une ethnie dominatrice, la race des Seigneurs . ment, source de chaos et de perturbation. II faut ainsi attendre le xne sicle de notre re pour que, prenant modle sur les chroniqueurs qui chantent la gloire des nouveaux envahisseurs musulmans, un brahmane* du Cachemire com- pose la premire chronique en sanskrit , le Rjatarangin. Mythes, histoire et archologie Pour connatre les temps les plus reculs de l'Inde, ceux o s'enracine la pense indienne, les historiens doivent donc s'en remettre le plus souvent aux mythes, gardiens de la mmoire ternelle, et l'archologie. C'est elle qui a per- mis de faire le lien entre Ashoka * (111 sicle av. J.--C.), figure mythique du bouddhisme, et l'em- pereur qui , le premier, unifia le sous-continent, dispersant partout des colonnes sculptes sa gloire, dont les lions accoupls sont devenus le symbole de l'Inde indpendante. C'est grce l'archologie encore que surgit du pass dans les annes 1920 la trs sophistique civilisation de Mohenjo-Daro *, qui aurait fleuri dans la large valle de l'lndus du v" au ne millnaire avant notre 10 1 Les textes fondamentaux Le Point Rfrences grandeur des lments, l'essence de la vie (le soma) , la vache qui les nourrit, le cheval qui les porte. Leurs dieux s'appelaient Indra*, Agni, Surya. On ne retrouve pourtant dans leur langue, le sanskrit*, ni le mot maison ni le mot labour , termes qu'ils emprunteront aux peuples soumis, ces dashyas trop bruns qu'ils mprisent. Pourquoi les appel- le-t-0n rya? Cet adjectif signifie noble ," moral , pur en sanskrit. Dans le Veda, il ne s'applique pas un peuple, mais l'lite qui pratique les sacrifices, les brahmanes ou prtres. Les Occi- dentaux en feront une ethnie dominatrice, la race des Seigneurs , fable aux funestes cons- quences. Or, que sait-On de ce peuple? Pas grand- chose, si ce n'est ce qu'en disent ses textes. Leur obsession? Maintenir lordre du monde. Ce peu- ple longtemps errant craint plus que tout le dsordre. Associ la parole sacre, celle du Veda, le sacrifice rituel doit maintenir le dharma, l'ordre du monde. Leur culte s'organise autour de rites complexes dcrits prcisment par les textes : fabrication des briques une date propice pour monter un autel provisoire en plein air, purification des sols, allumage du feu qui portera Facebook : La culture ne s'hrite pas elle se conquiert La bataille entre Yudhisthira* et Jayadratha*, une scne du' Mahbhrata; bas-relief en terre cuite de la priode Gupta* (v' s.). les offrandes aux dieux ... Chaque fois qu'il est offert, le sacrifice a la taille d'un homme , affirme le Satapatha-Brhmana. Veda et Brhmana Ce n'est videmment pas un hasard si c'est par le sacrifice du gant Purusha, l'homme fondamen- tal, que naissent le monde et sa loi. Sa bouche fut le Brahmane, de ses bras, on fit le Guerrier, ses jambes, c'est le Laboureur, le Serviteur naquit de ses pieds , affirme le Rig-Veda (cf p. 12), le premier corpus des textes sacrs du Veda, compos probablement vers 1500 avant Jsus-Christ. Certains Brhmana vont se prolonger par des chapitres purement spculatifs qui vont constituer les premires Upanishad (cf p. 14). Ainsi la Brihadranyaka-Upanishad (cf p. 18), date du VIe sicle avant notre re, est-elle le quatorzime et dernier livre de la trs volumineuse Satapatha- Brhmana. Mais tandis que les brahmanes, qui sont aussi les rudits du temps, rflchissent, les temps changent : les pasteurs cdent le pas aux agriculteurs, apparaissent des villes, des royaumes, de nouvelles faons d' honorer l'Absolu. Vers le 1 millnaire avant notre re, des hommes se retirent dans la fort pour Ds le premier millnaire, Des hommes se retirent vivre en asctes. Se dve- loppe alors le yoga, qui propose une spiritualit plus intrieure. Puis vers le VIsicle avant notre re, ct des formules rituel- les et des pomes, appa- raissent dans le corpus vdique de longs dvelop- pour vivre en asctes, remettant en cause le rituel vdique. pements, les Brhmana . Leurs auteurs (non identifis) examinent pas pas un rituel suppos connu dans le but de dmontrer que chaque geste, chaque parole, chaque offrande a sa raison d'tre car la liturgie est une manifestation du dharma ; sa mise en uvre le renforce. Le brahman , d'o ces ouvrages tirent leur nom, est l'nergie myst- rieuse produite par l'acte rituel. Il est l'Absolu, le Principe l'origine de tous les phnomnes. dans la valle du Gange, se multiplient les courants contestataires, d'o natront le bouddhisme et le janisme. Au ni" sicle avantJ.--C., l'pope du Mahbhrata illustre encore le souci des dieux de maintenir l'ordre du monde, mais dans son sixime livre, laBhagavadgt, c'est le dieu Krishna (cf p. 24) lui-mme qui invite le hros s'abandonner lui, vivre en lui, dans un lan mystique qu'ignorait jusque-l le vdisme. Les brahmanes vont devoir s'adapter. .. Le Point Rfrences Les textes fondamentaux 11 Facebook : La culture ne s'hrite pas elle se conquiert Cls de lecture LES TEXTES FONDATEURS ICI:: - cc .... z: .... :& :& = u .... .... 12 La naissance du monde selon le Rig-Veda L 'hindouisme* n'est pas moins une religion du Livre que le judasme ou l'islam : ses croyances et ses rites trouvent leur origine dans un ensemble de textes en sanskrit* dsign sous le nom de Veda, le Savoir >>, texte source com- pos de traditions orales consi- dres comme des rvlations. Compos probablement vers le II millnaire, au moment o com- mencent les invasions aryennes, et achev vers le vm sicle avant notre re, il tmoigne du mtis- sage entre la culture des noma- des rya, qui commencent alors s'installer dans l'Inde du nord- ouest, et les apports des popu- lations locales. Les quatre Veda Pendant des sicles, le Veda ne sera que parole, transmise ora- lement dans les familles de hautes castes *. Ce n' est qu' partir de l'apparition du boud- dhisme et du janisme (Y" sicle avant J.-C., cf p. 34 et 42) que des groupes de brahmanes * se mirent compiler le canon vdique*, lorganisant en qua- tre collections (samhits) : le Rig-Veda, d'abord, ou Veda des hymnes. qui comprend des tex- tes remontant au dbut du Il" millnaire. Initialement des- tin aux prtres, il est le plus sacr, le plus connu des Indiens, galement le plus accessible en traduction. Le deuxime recueil, le Yajur-Veda recense les formules sacrificielles (yajus). Le Sma-Veda, recueil de mlodies, est un ouvrage l'usage des chantres o il est dit comment psalmodier ou chanter les versets du Ri{fVeda. Plus tardif, I'Atharva-Veda a une position part : du nom du roi mythique qui l'a rvl, Athar- van Angirasa, il tait destin au chapelain royal et traite des sujets les plus varis, des char- mes de longue vie comme de spculations philosophiques. L'hymne s'interroge sur l'existence mme de Dieu avant la cration, sur l'unit de la ralit, le dsir, la valeur de l'ascse ... ces recueils s'ajoutent des uvres rassembles par genre : les Brhmana , qui instituent les rites et en commentent le symbolisme, les ranyaka , trs sotriques, et les Upa- nishad *, premiers grands textes spculatifs, surtout axes sur la qute d'une sagesse per- mettant de supprimer toute souffrance. cet ensemble s 'ajoutera plus tard la Bhaga- vadgt, issue du Mahbhrata (cf p. 20). La naissance du monde Les deux hymnes ci-<:ontre sont extraits du Rig-Veda. Ils expli- quent , chacun leur manire, l'origine du monde. Les potes vdiques se sont passionns pour cette question et y ont rpondu par des mythes assez divers, mais qui obissent un schma constant : d' une situa- tion prcosmique merge une organisation stable et hirarchi- se des choses et des tres. Le premier extrait est l'un des plus connus des textes vdi- Les textes fondamentaux Le Point Rfrences ques. Il s' interroge sur l'exis- tence mme de Dieu avant la cration, sur l'unit de la ralit, le chaos des origines, le dsir, la valeur de l'ascse. Ces ques- tions nourriront plus tard abon- d amm en t la philosophie indienne. Le doute fondamental qu' il exprime face au divin est tenu par certains comme le fondement mme de cette civi- lisation. Le Sacrifice comme reproduction de la cration Le deuxime texte, aujourd'hui encore rcit quotidiennement par les brahmanes, est tout aussi important . Le sacrifice de Purusha, l'homme primordial, prsent comme tant l'origine de la naissance de l'univers, nonce les lois fondatrices du vdisme puis de l' hindouisme : un ordre cosmique possdant deux dimensions, l'une en soi, le dharma*, l'autre en acte, le rita, manifest par l'acte rituel et la parole sacre. Au centre de cet difice sym- bolique et pratique, le Sacri- fice ,qui reproduit la cration du monde mais aussi le main- tient et le rgnre, tout en attribuant l'homme une place centrale. Dmembr, le corps de Purusha est la source de toute chose dans la nature, des hommes, mais aussi des hym- nes sacrs et des dieux, orga- niss en un tout harmonieux et hirarchis. Ce texte fait aussi remonter l'origine du monde l'organisation sociale indienne, stratifie en quatre fonctions ( Brahmane >>, Guerrier >>, '' Laboureur et Serviteur ) . C.G. Facebook : La culture ne s'hrite pas elle se conquiert LES TEXTES FONDATEURS L'Homme est tout ce qui est, ce qui fut et ce qui sera e Ni le non-tre n'existait alors, ni !'tre,/ W Il n'existait l'espace arien, ni le firma- ment au-del./ Qu'est-ce qui se mouvait puissamment ? O ? Sous la garde de qui ?/ tait-ce l'eau, insondablement profonde? Il n'existait en ce temps ni mort, ni non-mort ;/ Il n'y avait de signe distinctif pour la nuit ou le jour./ L' Un respirait de son propre lan, sans qu' il y ait de souffle./ En dehors de Cela, il n'existait rien d'autre. !' origine les tnbres taient caches par les tnbres./ Cet univers n'tait qu' onde indis- tincte./ Alors, par la puissance de !'Ardeur, !'Un prit naissance,/ [principe] vide et recouvert de vacuit. Le Dsir en fut le dveloppement originel, / (dsir] qui a t la demande premire de la Conscience./ Enqutant en eux-mmes, les Po- tes surent dcouvrir / par leur rflexion le lien de !'tre dans le non-tre. Leur corde tait tendue en transversale./ Qu'est- ce qui tait au-dessous? Qu' est-ce qui tait au-dessus ? / Il y avait des donneurs de semence, il y avait des pouvoirs./ L'lan spontan tait en bas, le Don de soi tait en haut . Qui sait en vrit, qui pourrait ici proclamer d'o est ne, d'o vient cette cration secon- daire ?/ Les dieux [sont ns] aprs, par la cra- tion secondaire de notre [monde] ./ Mais qui sait d'o celle-ci mme est issue? Cette cration secondaire, d'o elle est issue,/ si elle a fait l'objet ou non d' une institution, - / celui qui surveille ce [monde] au plus haut firmament / le sait seul-, moins qu'il ne le sache pas ? RIG-VEOA, SECTION 10, HYMNES SPlCUIATIFS OU VEDA, TRAD. L RENOU GALLIMARD, UNESC0, 1957. L'Homme [Purusha] a mille ttes, mille yeux, mille pieds, / aprs avoir couvert la Terre de toute part, il a dbord de dix doigts./ L'Homme est tout ce qui est, ce qui fut et ce qui sera./ Il est matre aussi de l'immortel dont par la nour- riture il dpasse la croissance. / Telle est sa taille, et plus grand encore est l'Homme./ Tous les tres sont un quart de sa mesure, les trois autres sont l'immortel au ciel. / Avec ces trois quartiers, L'Homme est mont l-haut. / Mais !'autre quart est demeur ici, d'o il a dvelopp en tout sens / les choses qui mangent et celles qui ne mangent pas./ De lui est ne la Virj, et de la Virj , L'Homme./Sitt n, il a dpass la terre en arrire comme en avant. / Quand les dieux tendirent le Sacrifice avec l'Homme pour obla- tion* ,/ Le printemps fut son Beurre, !'t son Bois, l'automne son Oblation./ Sur la Jonche ils arrosrent la Victime, l'Homme, n au com- mencement : / Les Dieux le sacrifirent et aussi les saints et les potes./ De ce Sacrifice consom- mation totale, le Beurre diapr fut recueilli : / De l furent fabriques les btes de l'air, de la fort et des villages./ De ce Sacrifice consom- mation totale sont ns hymnes et mlodies,/ Les mtres en sont ns, nes les chvres et les brebis./ Lorsqu'ils divisrent l'Homme, en com- bien de parties l'ont-ils arrang? /Que devint sa bouche, que devinrent ses bras? / Comment s'appellent ses jambes et ses pieds? / Sa bouche fut le Brahmane, de ses bras, on fit le Guer- rier,/ ses jambes, c'est le Laboureur, le Serviteur naquit de ses pieds./ La Lune est ne de son esprit, le Soleil est n de son il, / De sa bouche Indra* et Agni, de son souffle est n Vyu. / L'Air est issu de son nombril , de sa tte le Ciel s'est dvelopp./ De ses pieds la Terre, de son oreille les Rgions : ainsi se constitua le monde / [ . .. ] lorsque les Dieux tendant le sacrifice, lirent l'Homme pour victime./ Les Dieux ont sacrifi le Sacrifice au Sacrifice : telles furent les lois primordiales./ Les pouvoirs de cet acte ont atteint le Ciel, l o sont les saints antiques et les Dieux. HYMNE DE rHOMME , RIGVEDA, 1().90, /N LE VEDA, TRAD. !. VARENNE, US DEUX OCANS/ DENOL, 2003. Le Point Rfrences Les textes fondamentaux Veda .... 1- >C .... 1- .... ..... 13 Facebook : La culture ne s'hrite pas elle se conquiert Cls de lecture LES TEXTES FONDATEURS 14 L'tman selon la Chandogya-Upanishad L es Upanishad* sont la philosophie indienne ce que les prsocratiques sont la philosophie occiden- tale : elles inspirent par leurs intuitions, elles noncent sim- plement des vrits que les philosophies devront dvelop- per et justifier. Il s' agit donc pour la philosophie de repenser clairement ce qu'elles disent confusment, de dmler ce que ces noncs ont d'obscur, mais aussi d'clairant et d'di- fiant. La Chandogya-Upanishad est, avec la Brihadranyaka- Upanishad (cf p. 18), l'une des plus anciennes (v1 sicle av. J.-C.) et des plus importantes par son contenu philosophique. Elle met en scne un dialogue entre un brahmane*, Uddlaka Aruni, et son fils , Shvetaketu. La cause du monde " Tout ce qui est est brahman , affirme le pre. Le mot sanskrit brahman est probablement le plus nigmatique de la philoso- phie indienne ancienne. li appa- rat dans la littrature cultuelle des Brhmana* (vers le x si- cle av. J.-C.) pour dsigner la puissance obscure de la parole qui accompagne le geste sacri- ficiel , l'efficacit invisible et inviolable de l'acte sacr. Or les Upanishad lui donnent un sens nouveau : c'est la cause matrielle immanente au monde, le commencement et la fin, la substance mme dont le monde est fait. Celui qui en a conscience se trouve dans la paix parce qu'il sait que la cause seule existe absolument, le monde n'en tant que le produit. Face la ralit absolue de cette cause, l'homme C'est par l'tman que l'tre humain est prsent toutes choses et lui-mme. dispose d' une partie de cette puissance sous la forme de son " intention , c'est--dire de sa pense motive. L'intention moti- vante est galement la cause matrielle de ses actions, qui sans elle n'existent pas. Voil pourquoi elle a la puissance de conduire l'homme, aprs la mort, l o elle le destine survivre, ds cette vie. Les Upanishad reviennent souvent sur cette ide: les penses de l'homme le destinent une existence post mortem conforme leur valeur ici-bas. Il importe donc que les intentions de l'homme soient pures, s'il dsire survivre dans un sjour pur. La doctrine du karma* se pr- figure ici, avec l'ide que les intentions morales de l'agent dessinent l'avance son destin moral aprs la mort. Il existe dans la littrature des Upanishad un second terme qui forme un couple avec le mot brahman: il s'agit d'tman, tra- duit ici par me . En effet, Les textes fondamentaux Le Point Rfrences l'homme peut s'accorder au bmh- man par son intention, condi- tion que celle-ci soit bonne, mais elle ne suffit pas le relier tout ce qui existe. C'est pourquoi il existe aussi, dans son tre le plus intime, une ralit matrielle absolue, la fois la plus petite et la plus grande, la plus int- rieure et la plus embrassante, que I' Upanishad nomme tman. C'est par lui que l'tre humain est prsent toutes choses comme il est prsent lui-mme, car il se sait par cette puissance cause de tout ce qui existe pour lui. La conscience de cette unit absolue sera le thme privilgi au vnl" sicle par le philosophe Shankara (cf p. 64). Les deux autres extraits insistent sur l'unit constitutive de tous les tres : quelle que soit leur individuation, les vivants ont part l'tre (sat) qui les fait exis- ter, parce qu'il est l'unit vivante qui fait d'eux ce qu'ils devien- nent individuellement. La mdi- tation conclut l'identit entre l'tre, on pourrait crire l'tre, et la nature de l'tre humain : ce par quoi justement il se sait tre fait galement l'tre de tous les vivants. D'o le " Tu es cela (tat tvam as1). Rpte dans cette Upanishad comme un refrain, cette parole en concentre l'en- seignement : l'individu est cela, il n'est que cela, l'tre imperson- nel et intime tous les vivants comme soi-mme. Marc Ballanfat, spcialiste de philosophie indienne, traducteur, entre autres, de La Bhagavadgt (Garnier-Flammarion, 2007), coauteur de Philosophies d'ailleurs (Hermann, 2009). Facebook : La culture ne s'hrite pas elle se conquiert LES TEXTES FONDATEURS Elle est la seule ralit, c'est l'tman Upanishad ... .... >C ... .... ... ...
1. Tout ce qui est est brahman. Il faut, en y reconnaissant le commencement, la fin et le prsent de tout, tre dans la paix. L'homme est intention; il est, en sortant de la vie, selon qu'il en a dans ce monde conu l'intention. Il faut exercer son intention. 2. Esprit pur, n'ayant pour corps que vie, pour forme que lumire, pour concept que vrit, pour essence qu'espace, source de toute acti- vit, de tout dsir, de toute perception d'odeur ou de got, embrassant tout ce qui est, muette, indiffrente, 3. Cette me, qui est au-dedans de mon cur, est plus petite qu'un grain de riz, qu'un grain d'orge, qu'un grain de moutarde, qu'un grain de mil, que le noyau d' un grain de mil ; cette mme me qui est au-dedans de mon cur est plus grande que la terre, plus grande que l'es- pace, plus grande que le ciel, plus grande que tous les mondes. 4. Source de toute activit, de tout dsir, de toute perception d'odeur ou de got, embras- sant tout ce qui est, muette, indiffrente, est cette me qui est au-dedans de mon cur. C'est brahman mme. Celui qui se dit : En sortant de ce monde je le joindrai '" en vrit, il n'y a [pour lui] aucun doute. Ainsi dit Chandilya- Chandilya. CHANDOGYMJPllNISHAD, 111, 14, TRADUCTION ORIGINALE. 1. Pour faire le miel, mon ami , les abeilles recueillent les sucs des plantes les plus diver- ses, les ramnent l'unit d'un seul suc. 2. Les divers sucs ne se distinguent pas l'un comme le suc de telle plante, l'autre comme le suc de telle autre. De mme, en vrit, mon ami, toutes les cratures, bien que plongeant dans l'tre, ignorent qu'elles plongent dans l'tre. 3. Ici-bas, tigre ou lion, loup ou sanglier, ver ou papillon, mouche ou moustique, quoi qu'elles soient, elles gardent leur individualit. 4. Quant l'essence subtile, c'est par elle que tout est anim; elle est la seule ralit, c'est l'tman ; et toi-mme, Shvetaketu, tu es cela. - "Seigneur, reprit le fils, instruisez-moi encore. - Soit, mon ami! 1810.,Vl, 9. 1. " Si, mon ami, on frappait ce grand arbre que voici la racine, tout en perdant de sa sve, il continuerait de vivre. De mme si on le frappait au tronc, ou si on le frappait au sommet, tout en perdant de sa sve, il continuerait de vivre. Pntr par l'tman, par la vie, aspirant avide- ment les sucs de la terre, il demeure en joie. 2. Mais si la vie abandonne une branche, elle sche ; une seconde, elle sche de mme ; une troisime, elle sche aussi; si elle abandonne tout , il sche tout entier. De mme, mon ami, sache ceci: 3. En vrit, l'tre, abandonn par l'me vivante, meurt ; l'me ne meurt pas. C'est par cette essence subtile que tout est anim; elle est la seule ralit ; elle est l'tman. Toi-mme, Shve- taketu, tu es cela. " Seigneur, reprit le fils , instruisez-moi encore. " Soit! IBID., VI, 12. 1. " Apporte-moi un fruit de ce nyagrodha. " Le voici, Seigneur. " Partage-le. Le voici par- tag. " " Qu'y vois-tu? " Un nombre de petites graines, Seigneur. " Eh bien! partage une de ces graines. " En voici une partage, Seigneur. " Qu'y vois-tu? Rien, Seigneur. 2. Le pre reprit : " Cette essence subtile qui chappe, mon ami, notre perception, c'est en vertu de cette essence subtile que cet arbre, si grand qu'il soit, se dresse. 3. Crois, mon ami. Cette essence subtile anime tout; elle est la seule ralit ; elle est l'tman. Toi-mme, Shvetaketu, tu es cela. " Seigneur, instruisez-moi encore. " Soit! IBID., VI, 1H2. Le Point Rfrences Les textes fondamentaux 15 Facebook : La culture ne s'hrite pas elle se conquiert Cls de lecture LES TEXTES FONDATEURS a: - Cl .... z .... & & a u .... .... 16 L'tre et l'origine du monde selon la Chandogya-Upanishad D ans cet extrait de la Chandogya-Upanishad, le dialogue se poursuit entre Uddlaka Aruni, le pre, et son fils Shvetaketu. Ici, la mditation se concentre sur la relation entre les proprits des choses inanimes et la cause qui les fait tre. La com- paraison avec les produits de l'artisanat, qui sont autant de transformations d'une matire, dfinit l'immanence de la rela- tion entre !'tre et les tres : ceux-ci procdent de l'tre matriel qui les constitue. Si lon peut dire de toutes les cho- ses individuelles, en effet, qu'el- les sont ou qu'elles existent, alors cela signifie que l'tre est leur ralit matrielle (satya) , car sans cet tre immanent tout ce qui est, les choses ne seraient pas. Elles sont la trans- formation de cette ralit mat- rielle qui les fait tre. On retrouve ici, entre les choses et !'tre matriel, la relation d'immanence qui dfinit gale- ment le rapport entre les tres vivants et l'tman (cf p. 14) qui les constitue. Le non-tre n'est ni n'existe Le deuxime extrait explicite la doctrine de l' tre sous- jacente au discours d'Udd- laka. La Chandogya-Upanishad affirme avec fermet que la cration ex nihilo ne se laisse pas penser, s'il est vrai qu'on ne pense que ce qui est. Du nant, on pourrait tout penser comme tout dire, en somme tout imaginer, parce que, trs prcisment, le non-tre n'est ni n' existe. Voil pourquoi ce texte se refuse -poser l'exis- tence d' un non-tre initial , parce que cela reviendrait La philosophie indienne ne manifeste pas la prdilection pour le nant que l'Occident a souvent cru y discerner. lui accorder une forme d'tre, s' il est vrai qu'tre et exister ne se distinguent pas. Or, la philosophie indienne ne mani- feste aucune prdilection pour le nant, contrairement ce que l'Occident a souvent cru discerner en Inde. L'tre engendre toutes choses Encore convient-il de caract- riser cet tre primitif. ( eka) et la non-dualit ( advitya) le dfinissent, parce que tout tre vient de lui, au commen- cement ( agre ), dans la mesure o il y a un commencement. En ralit, celui-ci n'est que relatif l'expansion de l'tre primor- dial ; le temps commence au moment o les tres procdent de !'tre rel. Avant cela, il n'y a pas lieu d'voquer le temps ni le commencement. L'ontolo- gie * , c'est--dire l'tude de l'tre, se mue en thorie de la cration du monde, quand Les textes fondamentaux Le Point Rfrences !'tre initial devient la matrice qui enfante les lments pri- mordiaux : le feu, les eaux et la nourriture. On peut probablement s'ton- ner que !'tre initial prouve le dsir d'engendrer les choses et se demander si le dsir le caractrise lgitimement. N'est- on pas ici devant un cas exem- plaire d'anthropomorphisme? En ralit, les philosophies indiennes distinguent deux formes de dsir : il existe un dsir coupable, celui que l'ima- gination engendre dans l'esprit pour l'garer, mais il y a aussi le dsir authentique qui a sa source en soi (tman) . La gnration des choses et des tres une fois initie, !'tre achve de diffrencier tout ce qui est selon deux modalits : l'introduction en chaque tre L'tude de l'tre se mue en thorie de la cration du monde : l'tre initial devient la matrice qui enfante les lments primordiaux. vivant de ce qui fait son essence, son me vivante ; l'application chaque chose d'un nom et d' une apparence. Le processus d'individuation commence alors, puisqu'il est possible de diffrencier les choses, selon le nom qu'on leur donne et l'aspect matriel qu'elles prennent. M.B. Facebook : La culture ne s'hrite pas elle se conquiert LES TEXTES FONDATEURS Upanishad Au commencement, mon ami, - il n'y avait que l'Etre
4. De mme, mon ami, que par un mor- ceau d'argile on connat tout ce qui est argile, les diverses modifications n'en tant que distinction de nom et affaire de langage et n'y ayant qu' une ralit, l'argile; 5. De mme, mon ami, que par un morceau de cuivre on connat tout ce qui est cuivre, les diverses modifications n'en tant que distinction de nom et affaire de langage, et n'y ayant qu'une ralit, le cuivre ; 6. De mme, mon ami, que par une seule lame on connat tout ce qui est fer, les diverses for- mes n'en tant que distinction de nom et affaire de langage et n'y ayant qu' une ralit, le fer : ainsi en est-il, mon ami, de cet enseignement. 7. - Srement mes vnrables matres ne savaient pas cela. S'ils avaient su, comment ne me l'auraient-ils pas dit? Mais vous, Seigneur, dites-le moi. - Soit, mon ami , rpondit-il. CHANDOGYA-IJPANISHAO, VI, 1, 4, TRADUCTION ORIGINALI. 1. De toutes choses au commencement, mon ami, il n'y avait, seul et sans second, que !'tre. Quelques-uns disent, il est vrai : De toutes cho- ses, au commencement, il n'y avait, seul et sans second, que le nant. De ce nant naquit l'tre. 2. Mais comment, continua-t-il, en serait-il ainsi, mon ami? Comment l'tre natrait-il du nant? En vrit, c'est l'tre qu'il y avait au commen- cement, l'tre, seul et sans second. 3. Il pensa: Puiss-je multiplier! Puiss-je enfan- ter! Et il produisit le te jas [feu-chaleur] . Le te jas pensa: Puiss-je me multiplier! Puiss-je enfan- ter! Et il produisit les eaux. Et c'est ainsi que toutes les fois qu' un homme pleure ou transpire (par l'effet de la chaleur, de la peine ou de la fatigue), un liquide se produit. 4. Les eaux pensrent : Puissions-nous nous multiplier! Puissions-nous enfanter! Elles pro- duisirent la nourriture. C'est ainsi que partout o il pleut, la nourriture est en abondance. C'est de l'eau que nat la nourriture. IBID., Vl , 2. L'tre pensa : Je veux, par l'me vivante, entrer dans ces trois rgnes (ciel, atmosphre, terre) et tablir la distinction du nom et de la forme. Je les veux faire chacun triple (en les combinant avec les deux autres). Et il entra dans les trois rgnes par l'me individuelle et tablit la dis- tinction du nom et de la forme. Il fit triple chacun d'eux. 1810.,Vl,3. 1. Uddlaka Aruni dit son fils Shvetaketu : Connais de moi, mon ami, la vrit sur le som- meil. Quand on dit d' un homme qu'il dort, il est alors uni l'tre. Il est entr en lui-mme; c'est pourquoi on dit qu'il dort; c'est qu'il est entr en lui-mme. 2. Comme un oiseau attach par un fil vole de droite et de gauche et, ne trouvant aucun autre lieu o se poser, finalement se rfugie au lieu mme o il est li, de mme, mon ami, l'esprit de l'homme, aprs avoir vol de place en place, ne trouvant nulle part ailleurs o se fixer, se rfugie dans le souffle; car l'esprit, mon ami, est li au souffle. 1810., Vl,8. Le Point Rfrences Les textes fondamentaux ... .... >C ... .... ... ... 17 Facebook : La culture ne s'hrite pas elle se conquiert Cls de lecture LES TEXTES FONDATEURS a: - .. Sujet et conscience selon .... z ... & & la Brihadranyaka-Upanishad Q u ...
18 L a Brihadranyaka-Upani- shad (v1 sicle) est l'une des plus importantes Upani- shad d'un point de vue philoso- phique, et l'une des plus ancien- nes. Elle donne la parole au brahmane* Yajnavalkya, qu'in- terroge son pouse, Maitrey. Le premier extrait choisi reprsente probablement le passage Je plus clbre del' Upanishad, celui o se concentre le testament spiri- tuel du brahmane. Le dsir qui vient de soi Deux enseignements s'y super- posent. Le premier dveloppe le paradoxe du dsir de soi : parce qu'on a conscience de l'objet, on s'imagine que Je dsir en procde, comme si l'objet avait Je pouvoir de produire le dsir. Certes, on ajoute en gn- ral que l'objet engendre le dsir parce qu'on le juge digne d'tre aim ou dsir, mais cela ne suffit pas. En vrit, l'inverse est vrai : dsirer son poux ou l'aimer, c'est prendre conscience du dsir qui vient de soi. Si le dsir n'tait pas dj prsent en soi, s' il n'manait pas de soi, alors nul objet ne pourrait Je provoquer. Pourtant, une grossire erreur consisterait faire ainsi de soi (tman) le seul objet digne d'tre regard, cout, comme si l'on pouvait s 'objectiver, et se regar- der comme on contemple un tableau. Il n'en est rien. Quand !'Upanishad dit c'est soi qu'il faut regarder , Je soi est l'unique source du regard, le soleil invi- sible d'o mane la lumire de la conscience. Pourquoi? La rponse se trouve la fin de cet extrait. Le soi ne peut pas tre l'objet d'une connaissance, parce qu'il en est l'unique source. Ce passage est d'une importance philosophique considrable : il n'est pas facile, en effet, de se convaincre de sa vrit. Quand on se regarde, la syntaxe induit en erreur quand elle fait de soi un objet, marqu en sanskrit* par la terminaison de l'accusatif. La rflexion remet le rapport l'endroit en faisant de soi la source, ce que marque le texte qui dcline le mot tman au nominatif. Cela signifie que le sujet, ce que chacun est pour soi, ne peut ni ne doit jamais tre dcrit la manire d'un objet. Le soi est l'unique source du regard, le soleil invisible d'o mane la lumire de la conscience. De plus, si l'on traduit tman par principe conscient , il faut prciser qu'il s'agit d' un sujet impersonnel, dans la mesure o se comprendre, c'est se com- prendre comme identique l'tre impersonnel qui fait des tres ce qu'ils sont. On ne parle pas ici d'une conscience ferme sur soi, mais d'une conscience qui s'ouvre aux autres par cela mme qui la constitue, savoir d'tre soi de faon impersonnelle. L'tre comme lment cosmique infini Le second enseignement concerne la partie la plus nig- matique du discours, l o le brahmane tient des paroles qui vont effrayer Maitrey. La mdi- tation peut, si l'on en croit les Les textes fondamentaux Le Point Rfrences paroles de conclusion, s'orienter vers une doctrine matrialiste de l' tre : Il n' y a pas de conscience perceptive aprs la mort. En ralit, l' Upanishad offre un point de vue diffrent, mais pas totalement imprvu. En effet, il s'agit ici de l'mer- gence de !'tre comme englobant suprme, lment cosmique infini; c'est le symtrique de !'tre primordial (cf p. 12), savoir !'tre dans sa gnralit englobante, dans son extension indfinie. Il est donc logique d'en dduire que cet tre immens- ment tendu disparat la suite des lments qui lui ont donn naissance, selon le principe de causalit matrielle. Par suite, la conclusion n'a plus rien de choquant dans la mesure o la conscience perceptive qui accompagne !'tre englobant s'teint elle aussi quand il dis- parat. Qu'y aurait-il percevoir quand plus rien n'existe? Le second extrait conduit, par des comparaisons successives, la dcouverte du caractre inaltrable et pur du principe conscient (tman) en l'homme. S'il passe d'un corps au suivant, s'il transmigre selon Je circuit des existences (samsra*) que les actes passs le destinent poursuivre, pourtant il n'en est pas affect et demeure pure conscience. Les textes philoso- phiques en fourniront plus tard la raison : Je principe de la conscience n'est pas un facteur d'action, il n'agit pas ni ne subit l'action d'un autre. Voil pour- quoi, tel le souffle prsent dans le monde, il circule dans les tres sans en tre altr. M.B. Facebook : La culture ne s'hrite pas elle se conquiert LES TEXTES FONDATEURS Upanishad ... .... >C ... C'est soi qu'il faut regarder .... ... ....
Alors Maitrey : Que ferais-je de ce qui ne me donnerait pas l'immortalit? C'est ce que vous savez, Seigneur, que je vous demande de me dire " ( ... ]. Et il dit : En vrit, ce n'est pas pour le dsir qu'on a de lui qu'un poux est cher, mais c'est pour le dsir qui mane de soi que l'poux est cher. ( ... ] Ce n'est pas pour le dsir qu'on a des tres qu'ils sont chers, mais pour le dsir qui mane de soi. Nul objet n'est cher pour le dsir qu' on a de lui, mais pour le dsir qui mane de soi. C'est soi qu'il faut regarder, couter, sur soi qu'il faut rflchir et mditer. Maitrey, quand on se regarde, qu'on s'coute, qu'on rflchit sur soi et qu'on a l'intuition de soi, alors on obtient la connaissance de tout cela. [ ... ] Comme un morceau de sel jet dans l'eau s'y dissout et il n'y a pas moyen de le saisir, mais en quelque point qu'on prenne de l'eau toujours on trouve du sel, de mme en vrit cet lment englobant est infini, sans limites, tout-cons- cience. Aprs tre n des lments matriels, il prit leur suite. Il n'y a pas de conscience perceptive aprs la mort. Voil ce que j'ensei- gne. Ainsi parla Yajnavalkya. [ ... ] L o il y a comme dualit, l'un sent l'autre, l'un voit l'autre, l'un entend l'autre, l'un inter- pelle l'autre, l'un pense l'autre, l'un peroit l'autre ; mais quand on est soi le tout de chacun (et chacun le tout de soi), alors qui sentirait-il, et par qui ? Qui regarderait-il, et par qui ? Qui couterait-il, et par qui ? Qui interpellerait-il, et par qui ? qui penserait-il , et par qui ? Qui percevrait-il , et par qui? Ce grce quoi on peroit tout, par quoi le percevrait-on? Le prin- cipe conscient de toute perception, par quoi le percevrait-on ? BRIHAORANYAKAUPANISHAO, Il, 4, TRADUCTION ORIGINALE. 3. De mme qu' une chenille, arrive au bout d' un brin d' herbe, se contracte pour une nou- velle avance, de mme ce principe conscient, secouant le corps, se dpouillant de l'ignorance, se contracte pour une nouvelle avance. 4. De mme qu'un artiste, reprenant la matire d' une figure, la faonne en une nouvelle forme plus belle, de mme ce principe conscient, quand il a secou son corps, quand il s' est dcharg de l'ignorance, se donne une nouvelle forme plus belle, d' anctre ou de musicien cleste, de dieu ou de Prajpati ou de Brahm ou d'autres tres. 5. En vrit, il est absolu, ce principe qui est fait de conscience, qui est pense, qui est vie, qui est vue, qui est oue, qui est terre, qui est eau, qui est air, qui est espace, qui est lumire et qui est tnbre, qui est dsir et qui est dta- chement, qui est colre et douceur, qui est justice et injustice, qui est tout. [ .. . ] 6. L'homme de dsir va, par la vertu des actes, au but o son esprit s'est attach. Quand il a puis les effets de ses actes, quels que ceux-ci aient pu tre, du monde o ils l'avaient conduit, il revient ici-bas ce monde des actes. Voil pour celui qui dsire. Quant celui qui ne dsire pas, qui est sans dsir, qui est libr du dsir, qui a atteint l'objet de son dsir, qui ne dsire que soi, ses souffles lui ne s'chappent pas ; n'tant rien d'autre qu'absolu, il se fait absolu. 7. C'est quoi se rapporte cette stance : " Lorsqu'ils sont tous rejets, les dsirs qu'il portait en son cur, alors le mortel devient immortel ; ds ici-bas, il jouit de l'absolu. Comme une peau de serpent morte gt aban- donne sur une fourmilire, tout de mme gt le corps. Quant au souffle, qui est au-del du corps , immortel, il est l'absolu, l' nergie, roi. Je te donne, Seigneur, mille vaches , dit Janaka de Videha. 1810.,IV,4. Le Point Rfrences Les textes fondamentaux 19 Facebook : La culture ne s'hrite pas elle se conquiert Cls de lecture LES TEXTES FONDATEURS CIC = Le dharma i selon le Mahbhrata (( L e Mahbhrata est pour moi de plus en plus "pr- .... sent" dans une Inde contemporaine qui a peut-tre oubli ses intentions premires mais qui continue de vivre de sa substance profonde , cri- vait la grande indianiste Made- leine Biardeau en 1986 propos de la plus ancienne et de la plus prestigieuse des popes indiennes. Cruelle histoire pourtant que cette grande (maha) geste des Bharata (100000 versets!), o les morts se comptent par mil- liers. Elle est pourtant devenue l'pope indienne par excel- lence, la matrice des mythes et l'un des monuments de la culture brahmanique. Conu probable- La littrature, le thtre, la danse et le cinma de Bollywood s'inspirent de ses rcits. ment aprs le 1v sicle avant J.-C. , ce rcit n'a cess d'tre prsent dans la conscience indienne. La littrature, la sculp- ture, la miniature, le thtre, la danse et aujourd'hui le cinma de Hollywood s'inspirent de ses rcits. Trs tt, le Mahbhrata est considr comme " un cin- quime Veda* ,bien qu'il soit trs diffrent par la forme et le fond des textes qui composent la Rvlation (shruti ). Le sixime de ses dix-huit livres est en effet la Bhagavadgt " Le Chant du bienheureux seigneur , l'un des textes les plus vnrs de l'hindouisme* (cf p. 22). Rput l'uvre d'un seul auteur, Vyasa, " l'arrangeur ou le diffuseur , le Mahbhrata est un pome oral en sanskrit* destin tre psalmodi, d'o de trs nombreuses variantes. Pour certains, c'est une compi- lation ralise sur plusieurs sicles, pour d'autres, comme Madeleine Biardeau, l' uvre est trop cohrente pour avoir plusieurs auteurs. Sa significa- tion aussi fait dbat. Est-ce le reflet des affronte- ments entre les rya s'installant dans le sous-continent et les tribus autochtones, au ne mil- lnaire avant notre re, ou une rponse littraire la crise reli- gieuse et intellectuelle du ye si- cle avant J.-C., qui provoqua entre autre l' avnement du bouddhisme et du janisme (cf p. 38 et 46) ? C'est en effet du dharma , de l' ordre du monde, qu'il est question ici. Une guerre de clans travers le conflit qui oppose deux clans d'une mme famille, le Mahbhrata raconte com- ment les dieux essayrent de restaurer l'ordre du monde en se dbarrassant ... des hommes. Deux camps s'affrontent : d' un ct, les cinq frres Pndava, dont le roi Yudhisthira et Arjuna, le guerrier parfait. Face eux, leurs cousins Kaurava mens par Duryodhana. Ils ont chass Yudhisthira de son trne et contraint les cinq frres l'exil. Dans le premier extrait, Arjuna a conquis la belle Draupadi. Mais pour viter des frictions avec ses frres qui troubleraient le dharma, il dcide qu'elle sera l'pouse de toute la fratrie. Elle les suivra donc dans leurs tribu- lations et incarnera, comme la 20 Les textes fondamentaux Le Point Rfrences Arjuna tirant l'arc pour obtenir ta main de Draupadi (peinture de ta fin du x1xs.). Pour restaurer l'ordre du monde, les dieux tentent de se dbarrasser ... des hommes. St du Rmyana (cf p. 28), le modle de l'pouse idale. Dans le second extrait, le combat est termin. Seuls survivent les Pn- dava. S'lve alors, en une lgie magnifique, la maldiction de Gndhr, mre de Duryodhana et des Kaurava, et femme de Dhirtarshtra, qui se prsente aussi comme la mre de tous les morts. Elle vient maudire Krishna (cf p. 22), le conseiller des Pn- dava qui, avant la bataille, a encourag se battre le guerrier Arjuna qui doutait de l'utilit de tuer ses cousins (cf p. 24). Incar- nation de Vishnou (cf. p. 32) mais aussi du destin (daiva) , Krishna accuse Gndhr de la respon- sabilit du massacre. N'a-t-elle pas mis au monde ceux qui ont caus le trouble ? Quant Yud- histhira le Pndava, sa rponse rvle sa vraie nature : il est lui- mme l'incarnation du dharma et, au final , celui qui tient le dcompte des vivants et des morts. C.G. Facebook : La culture ne s'hrite pas elle se conquiert LES TEXTES FONDATEURS Mahbhrata Pourquoi les as-tu regards prir avec indiffrence?
Les frres Pndava viennent de se pr- senter incognito un concours de tir l'arc dont l'enjeu est la belle princesse Draupadi. Arjuna a gagn l'preuve et revient avec la jeune fille. Arrivs l'atelier du potier, les deux clbres fils [ ... ] allrent trouver leur mre et lui pr- sentrent, tout rjouis, Yajnaseni [Draupadi] comme l'aumne qu'ils avaient reue. Se trou- vant l'intrieur de la maison, elle ne voyait pas ses deux fils et leur dit : - Partagez l'aumne entre vous tous. Ensuite Kunti vit Krishna et s'exclama : Mal- heur! Qu'ai-je dit! Effraye d'avoir commis un acte contraire au dharma, elle se mit rflchir. Elle alla dire Yudhisthira : - Tes deux frres cadets ont introduit auprs de moi la fille du roi Drupada. Comme l'ac- coutume, j'ai dit qu'ils se la partagent, sans faire attention. [ . .. ] la vue de Draupadi, les nergiques Pndava, les sens bouleverss, devinrent la proie du dieu Amour. En effet, la ravissante beaut de Pancali [Draupadi] avait t faonne par le Crateur lui-mme. Elle tait suprieure toute autre et captivait le cur de toutes les cratures. Com- prenant ce qu'exprimaient et ressentaient ses frres, Je fils de Kunti Yudhisthira se remmora tout ce qu'avait Dvaipayana. Craignant qu'il ne survienne entre eux quelque dissension, le roi dit ses frres runis : - La merveilleuse Draupadi deviendra notre pouse tous. LE MAHBHRATA, LIVRE 1, TRADUCTION J.M. PETERFALVI, FLAMMARION, 1986. La bataille est termine et l e sol jonch de morts ... Gndhr dit Krishna : " Les Pndava et les fils de Dhirtarshtra se sont consums les uns les autres. Pourquoi les as-tu regards prir avec indiffrence, Janrdana? Tu avais Je pou- voir [d'empcher ce massacre] car tu avais beaucoup de serviteurs et une grande arme. De plus, on t'coutait des deux cts. C'est donc volontairement que tu as assist avec indiffrence l'extermination des Kuru, destructeur de Madhou au bras puissant! Puisque tu as fait cela, tu rcolteras Je fruit de ton acte! J'ai acquis un peu de pouvoir asc- tique en obissant mon poux. J'utiliserai ce pouvoir si difficile obtenir pour te maudire, toi le porteur du disque et de la massue. Puis- que tu as laiss s'entre-tuer les Kuru et les Pndava qui taient de proches parents, tu tueras tes proches parents, Govinda. Toi aussi, dans trente-six ans, une fois que tes parents, tes compagnons et tes fils auront t tus , pendant que tu parcourras la fort comme quelqu'un qui n'a pas de protecteur sans tre vu ni reconnu de personne, tu trouveras la mort d' une manire ignoble. [ ... ] - Lve-toi, lve-toi, Gndhr! Ne laisse pas ton cur aller la tristesse. C'est par ta faute que les Kuru ont pri. En effet, ton misrable fils Duryodhana tait envieux et plein d'arrogance, mais tu l'as mis au-dessus de tout en approuvant ses mauvaises actions comme si elles taient justes. Pourtant, il tait cruel, enclin aux hosti- lits, et il a pass outre aux injonctions des anciens. Comment peux-tu vouloir m'imputer une faute qui est la tienne? Quand on plaint ceux qui sont dj morts ou perdus, on ne fait qu'accrotre son malheur en tant malheureux. On subit inutilement un double malheur. Une femme brahmane* met au monde son rejeton pour qu'il se livre l'asctisme, une vache pour fournir un animal de trait, une jument pour donner un coursier, une femme sdra pour donner un serviteur, une femme vaishya pour fournir un gardien de troupeaux, une princesse kshatriya * met son enfant au monde pour qu'il soit tu. Dhirtarshtra [ . .. ] rejeta les tnbres nes de son inintelligence et interrogea Dharmarja Yudhisthira : - Tu connaissais le nombre des guerriers quand ils taient vivants. Si tu le sais, dis-moi combien ont t tus. - roi, rpondit Yudhisthira, un milliard six cents millions vingt-six mille hommes ont t tus. Le nombre des disparus [survivants?] s'lve vingt-quatre mille cent soixante-cinq. /BIO., LIVRE XI. Le Point Rfrences Les textes fondamentaux ... .... >C ... .... ... .... 21 Facebook : La culture ne s'hrite pas elle se conquiert Cls de lecture LES TEXTES FONDATEURS a: - et: .... :z ... :E :E = u ... .... 22 L'obtention de la sagesse selon la Bhagavadgt .. A l'intrieur de l'pope du Mahbhrata (cf. p. 20), la Bhagavadgt reprsente aux yeux des hin- dous l'pisode le plus secret, donc le plus mystique. Alors que la bataille dcisive entre les deux armes est imminente, le valeureux guerrier Arjuna s'effondre sur son char et refuse de combattre. C'est le moment que choisit son cocher, qui n'est autre que le dieu Krishna (cf p. 32), pour lui rvler sa nature divine et le conduire sur la voie du dtachement mystique. Mais, pour cela, encore faut-il que le guerrier gravisse les degrs qui le sparent de cette libration. Tel est le but du chant II : enseigner comment briser l'attachement qui le lie aux actes rituels et se librer du cercle des renaissances (samsra*) . Richesse et pouvoir Krishna vient d'exhorter Arjuna sortir de cet apitoiement honteux sur lequel s' ouvre le pome. Dans le passage du chant li, traduit ici, il ouvre les yeux du hros sur son attache- ment coupable aux rituels et les consquences d ' un tel investissement . Pour le dieu, si le Veda (cf. p. 12) com- mande aux prtres (brahma- nes*) , et aux guerriers (ksha- triya ), d ' accomplir des sacrifices, ceux-ci en se confor- mant ces belles paroles ne font qu'exprimer leur dsir d'obtenir richesse et pou- voir . Or puisque tout dsir tend vers sa satisfaction, laquelle est phmre et finit par s'puiser, celui qui sacrifie n'obtient qu'un ciel provi- soire et impermanent. Critique svre de la religion vdique, autant dans sor fondement doctrinal que dans ses prati- ques cultuelles, qui peut s'ex- pliquer par l'influence que la prdication bouddhiste (cf. p. 38) a pu avoir sur le brah- manisme, au 111 ou au 11 sicle avant notre re, poque pro- bable de la composition de la Bhagavadgt. La suite montre la voie que doit suivre Arjuna s' il dsire se dtacher des rituels vdi- ques et se consacrer l'obten- tion de la sagesse, ce que la tradition occidentale nomme philosophie . Toute l'argu- mentation repose sur le double Arjuna doit se consacrer l'obtention de la sagesse, ce que la tradition occidentale nomme philosophie . sens du karma* , la fois acte rituel et action dsintresse. D'un ct, il est certain que le dtachement concerne les actions sacrificielles, parce qu'elles impliquent un monde pourvu de qualits sensibles et d'objets que le sacrifiant dsire obtenir. D' un autre ct, le dieu invite Arjuna prati- quer l'ascse (yoga*) du dsin- tressement, qui va lui permet- tre d ' agir dans le pur dtachement intrieur, l'esprit et l'intelligence librs de l'ins- tabilit qui les lie au monde sensible. Voil pourquoi il n'est Les textes fondamentaux Le Point Rfrences Krishna et Arjuna, peinture du x1x s. pas contradictoire d'enseigner la fois que l'acte est infrieur la pense (strophe 49), car il signifie ici le sacrifice, et d'affirmer que la perfection n' est rien d' autre que le dta- chement dans les actes (stro- phe 50), ceux que tout homme doit continuer d'accomplir pour prserver le bien-tre du monde. Rien n'est donc plus difficile obtenir : se dtacher des dsirs, des objets sensibles, du ciel que promettent les paroles vdiques, mais ne pas sombrer dans l'inac- tion individuelle, la torpeur psy- chologique et l'anantissement de toute entreprise humaine. La fin du passage dessine la voie que doit suivre le guerrier-ascte afin de se librer des obstacles qui nuisent son intelligence (buddhl) et qui l'enferment dans le circuit infernal des renaissan- ces. L'influence bouddhique se retrouve ici dans le type de rai- sonnement utilis, celui que l'on retrouve dans les sermons de Bouddha* o l'esprit remonte, un un, les chanons qui consti- tuent la relation de mutuelle dpendance (prattia-samutpda) entre!' effet et la cause ou, inver- sement, descend la chane des dpendances, de la cause vers l'effet ultime. M.B. Facebook : La culture ne s'hrite pas elle se conquiert LES TEXTES FONDATEURS Bhagavadgt Car l'acte est de loin infrieur l'exercice de la pense
42-44. Les ignorants, eux, profrent de belles paroles et s'attachent la lettre des paroles sacres en disant qu'il n'existe rien d'autre ; tout leurs dsirs, ils s'en remettent au ciel. Leurs propos se conforment des rituels multiples et complexes en vue d'obtenir richesse et pouvoir ; qu'en rsulte- t-il? Renatre, tel est le fruit de leurs actes. Comme ils aspirent la richesse et au pouvoir, leur esprit en est obsd ; donc, pour eux, la connaissance ne peut trouver l'assise stable qui J'assure d'elle-mme.[ ... ] 46. Le monde et ses trois qualits sont l'objet des paroles sacres. Arjuna, dtache-toi de ce monde aux trois qualits, dpasse les contrai- res, demeure en permanence dans l'tre, par- del l'action ou Je repos ; sois en possession de toi-mme. Un puits abondamment rempli est un profit pour tous, ainsi en va-t-il du brahmane, instruit aux sources de tous les savoirs sacrs. 47. Fais de l'action ta proccupation principale, sans jamais en attendre de bnfices. Que Je bnfice de J'acte ne soit pas ta motivation, pas plus que la complaisance dans l'inaction. 48. Exerc l'ascse, accomplis tes actes avec dtachement . Qu' il te soit gal de russir ou d'chouer. Avoir une me gale est le propre de l'ascse. 49. Car J'acte est de Join infrieur l'exercice de la pense. En elle, cherche refuge. Pitoyables sont ceux que le bnfice motive. 50. Exerc cette pense, on perd de vue les actes, bien ou mal faits . Par consquent, entrane-toi cette discipline. Le dtachement dans les actes, voil la perfection. 51. Quand ils ont acquis par la pense cette matrise, les sages se dsintressent du bnfice des actes et se librent du lien des renaissances. Ils gagnent la demeure de l'immortalit. 52. Quand ton intelligence aura travers J' cran de l'illusion, alors tu te dtourneras avec dgot des savoirs sacrs, ce qu'il faut en entendre et ce qui en a t compris. 53. Quand ta pense, gare par la tradition sacre, trouvera la stabilit et se tiendra, immo- bile, dans la paix intrieure, ce moment tu atteindras Je dtachement. [ ... ) 62-63. L' homme se prend penser aux objets, et il s'y attache. De l'attachement nat le dsir, du dsir la rivalit, de la rivalit l'aveuglement; on en oublie ce que l'on sait ; la pense, alors, n'est plus rien ; et l'homme sombre en la per- dant. 64. Mais quand il s'avance dans le monde des objets, et que ses sens, disciplins, n'prouvent plus ni dsir ni dgot, il se matrise alors et atteint la srnit. 65. Avec la srnit, arrive la fin de tous ses tourments. Avec l'apaisement de l'esprit, son intelligence ne tarde pas prendre sa pleine mesure. 66. Pas de discernement sans discipline; sans discipline, pas de mditation ; sans mditation, point de paix. Qui trouverait Je bien-tre sans la paix? 67. Car l'esprit, soumis au tumulte des sens, entrane avec lui la clairvoyance du sage, tel le vent emportant le navire sur les flots. 68. Voil pourquoi, guerrier aux bras puissants, celui qui parvient dgager entirement ses sens du monde sensible rencontre la plnitude de la sagesse. 69. Quand il fait nuit pour tous les tres, l'homme du silence s'efforce d'y voir. Les tres croient tre veills. Lui seul n'y voit que la nuit. 70. Comme l'ocan recueille l'afflux des eaux tout en restant gal, il est en paix, celui en qui se perdent tous les dsirs, non celui qui court aprs les dsirs. 71. Quand, dtach de tout attrait et de tout lien, il s'avance et ne dit plus : C'est moi ni moi, je , il arrive la paix dfinitive. 72. Voil la demeure absolue. JI n'erre plus celui qui l'a trouve. Serait-ce son dernier instant, c'est la libration suprme qu'il atteint. BHAGAVADGTA, CHANT Il, TRADUCTION M. BALLANFAT, GARNIER-FLAMMARION, 2007. Le Point Rfrences Les textes fondamentaux .... .... >C .... .... .... .... 23 Facebook : La culture ne s'hrite pas elle se conquiert Cls de lecture LES TEXTES FONDATEURS a: -c 1- :z .... :& :& L'ascse selon la Bhagavadgit c::t u .... ... 24 L 'ascse (yoga , en sans- krit) est au centre du chant VI de la Bhagauad- gt (n sicle av. J.-C.) . Cette pratique est dj connue depuis bien longtemps des religieux. Les dialogues du Bouddha voquent ainsi au 1v sicle avant J.-C., et de nombreuses reprises, l'exis- tence de cercles de renonants vivant dans les forts et se livrant des austrits extr- mes (tapas en sanskrit*). Un bonheur sans gal Parmi ces asctes, certains avaient quitt la socit brah- manique parce qu'ils en contes- taient les normes socioreligieu- ses, centres exclusivement autour du sacrifice. Ils leur pr- fraient des valeurs plus indi- viduelles o il s ' agissait de rechercher se librer, par la connaissance ou les actes, de la roue des renaissances* . Aprs avoir pratiqu lui-mme de longues annes les pires En un lieu de solitude, l'ascte est assis, immobile, en mditation, l'ascse concernant aussi bien le corps que l'esprit. macrations, le Bouddha renon- cera aux austrits extrmes, qui l'ont convaincu que tout excs nuit la qute de la lib- ration. On retrouve cette recher- che du juste milieu , fonde sur la ncessit du dosage, dans cet extrait de la Gt, pourtant un texte brahmanique. La description s'ouvre sur une scne telle que la reprsente- ront plus tard les miniatures indiennes : en un lieu de soli- tude, l'ascte est assis, immo- bile, en mditation, l'ascse concernant aussi bien le corps que l'esprit (manas). La doc- trine philosophique sous- jacente cette pratique soli- darise les activits corporelles et mentales , et va jusqu' considrer que l' esprit n' est rien d'autre qu' un organe int- rieur, vers lequel convergent les diverses informations sen- sorielles. On comprend mieux pourquoi les strophes de ce chant insis- tent sur l'instabilit mentale et la ncessit de la contrler. L'ascte, mieux que quicon- que, prouve cette dispersion des penses chaque fois qu'il s'installe pour mditer, et, par contraste, le dtachement qu'il finit par obtenir, force d'exer- cices, lui procure un bonheur sans gal (strophe 27). Unit de soi et du brahman Mais que ressent-on quand on gote la paix intrieure? Les strophes 27 29 dcrivent l'exprience de l'absolu (brah- man ) : l'ascte se voit en tous les tres et voit tous les tres en soi . Ce vers prend tout son sens si l'on se rappelle que le pronom rflchi soi traduit le sanskrit tman, dj mentionn par les Upanishad (cf p. 14) dans la perspective de l'unit absolue entre soi et la puissance impersonnelle, le brahman, prsent en tout ce qui est. De cette faon, l'as- cse culmine avec la libra- Les textes fondamentaux Le Point Rfrences tion, car le pratiquant vit en l'absolu . Mais elle peut tre aussi batitude divine, et cette hypothse semble, dans le pome lui-mme, tre privil- L'ascse culmine avec la libration, car le pratiquant vit en l'absolu . gie. Ainsi, les strophes finales expriment un climat dvotion- nel d' une grande intensit. L'exprience change de nature car il s ' agit alors de goter l' unit par la communion avec le divin. La voie de la dvotion Par un effet de symtrie, les strophes remplacent donc l'absolu impersonnel des Upa- nishad par la personne divine, ce qui transforme entirement le but de l'ascse : il s' agit de se fondre en dieu, de s'unir lui en une relation proche de ce que le christianisme nomme la mystique. Nombreux sont ainsi les passages de la Gt o le dieu Krishna (cf p. 28) s'adresse sur un ton amical Arjuna pour l'inviter l'adorer, se confier et s'abandonner lui. Une autre voie s'ouvre alors l'ascte, celle de la dvotion (bhaktl), s' il consent dpasser l'absolu imperson- nel pour atteindre l' amour divin. partir du x sicle, c'est dans la Bhagauadgt que les cou- rants de dvotion qui vont se rpandre en Inde et valoriser le culte de Krishna trouveront leur inspiration. M. B. Facebook : La culture ne s'hrite pas elle se conquiert LES TEXTES FONDATEURS Celui qui s'unit intimement Bhagavadgt .... .... >C .... .... moi a trouv l'unit parfaite e 10-13. L'ascte doit se discipliner sans relche. Qu'il se fixe dans un lieu soli- taire, seul avec lui-mme, contrlant son esprit : il n'a pas d'attente, rien ne lui fait envie. En un lieu purifi, qu'il installe fermement un sige, ni trop haut ni trop bas, couvert d'un tissu, d' une peau ou garni d'herbes. Puis, une fois entr dans la posture, qu'il concentre son esprit sur un point, en matrisant son activit mentale et ses sens. Qu' il pratique l'ascse pour se purifier. Qu'il tienne fermement ensuite, aligns et immobiles, le corps, la tte et le cou, concentrant son regard vers l'extrmit de son nez, sans le laisser errer ailleurs. 14. Paisible, toute crainte chasse, fidle son vu de chastet, il se matrise mentalement, recueilli en moi , dans la posture : moi seul l'occupe. 15. Il poursuit son ascse sans interruption, matre de son mental, et accde la paix, la suprme libration : il prend demeure en moi. 16-17. Mais l'ascse, ce n'est ni l'excs de nour- riture ni le jene intgral, ni un sommeil exces- sif ni davantage une privation de sommeil ; c'est doser nourriture et exercice, conomiser ses gestes quand on agit, mesurer son temps de sommeil et de veille. Voil l'ascse qui met fin la misre. 18. Quand son activit mentale, une fois contr- le, se stabilise d'elle-mme, et qu'il s'est coup de tout dsir, on dit alors que l'ascte " a trouv l'unit . 19. La flamme de la lampe, sans un souffle d'air, ne vacille pas. Tel est, dit-on, l'ascte qui sou- met son mental et pratique le dtachement de soi-mme. 20-21. Quand l'esprit se calme, rsorb par la pratique de l'ascse, qu'on ressent alors la joie de se contempler par soi-mme et qu'on aper- oit par la pense un bonheur sans gal, au-del des sensations, si l'on s'y tient, on ne s'carte pas du vrai. 22. Quand on l'a trouv, on juge que rien d'autre ne lui est suprieur. Aucun malheur, aussi funeste soit-il, ne peut branler celui qui s'y tient. 23. Sache que cet tat se nomme " dtachement " puisqu'il a pour but de rompre le lien avec la misre. C'est l'ascse, qu'il faut pratiquer avec persvrance, l'esprit mobilis. 24-25. Quand on s'est affranchi de tous les dsirs qui naissent de l'imagination, tous sans excep- tion, que l'esprit contrle l'ensemble des sens, on s'installe peu peu dans le calme, avec la ferme rsolution de fixer son esprit sur soi et de ne penser rien d'autre. 26. Chaque fois que l'esprit se disperse, inca- pable de repos, instable, il faut le discipliner, le soumettre soi. 27. Un bonheur sans gal comble l'ascte l'esprit apais ; la passion s'est teinte, toute tache s'en est alle : il vit en l'absolu. 28. L'ascte se discipline sans relche, pur de toute tache et dcouvre sans effort le bonheur infini d'prouver l'absolu. 29. Il se voit en tous les tres et voit tous les tres en soi. Maintenant qu'il a trouv l'unit par l'ascse, il porte un regard gal sur tout. 30. Il me voit en toutes choses et voit toutes choses en moi. Alors, je ne disparais pas ses yeux, il ne disparat pas aux miens. 31. L' ascte qui m' adore en tous les tres, conscient de leur unit, o qu'il vive maintenant, il vit en moi. 32.11 voit que tout se vaut l'aune de l'absolu : bonheur ou malheur. On reconnat en lui le suprme ascte. [ ... ) 46. L'ascse est suprieure la pratique des austrits, suprieure la seule qute du savoir et l'observance des rituels. Deviens donc un ascte, Arjuna. 47. Entre tous les asctes, celui qui s'unit inti- mement moi, qui se confie moi, qui m'aime, celui-l, mes yeux, a trouv l'unit parfaite. BHAGAVAOGTA, CHANT VI , TRADUCTION M. BALLANFAT, ~ GARNIERFLAMMARION, 2007. Le Point Rfrences Les textes fondamentaux .... ... 25 Facebook : La culture ne s'hrite pas elle se conquiert Cls de lecture LES TEXTES FONDATEURS ll:IC -c .... z .... == == = u .... .... 26 Le Yoga-stra de Patanjali L e yoga (mthode) consti- tue l' une des principales dimensions de la pratique spirituelle dans les pays indiens. L'uvre de rfrence en est le Yoga-s tra* ou For- mulaire sur le yoga >,un groupe de 195 aphorismes noncs vers le li e sicle avant J. -C. uvre anonyme qui, un mill- naire aprs, fut attribue au lgendaire Patanjali*. Les plus anciens manuscrits connus ne remontent pas avant le XIV" si- Le yoga est cc l'arrt des fluctuations du mental , tat de silence veill prlude la dlivrance. de, plus de 1500 ans aprs son laboration. Quant au commen- taire (prsent ici en italique) attribu Vysa, un brahmane* du v1 sicle, il est aujourd'hui le seul qui demeure des nom- breux crits que le Yoga-stra aura suscits. Expriences et thorie Qu'est-ce que le yoga? Patanjali le dfinit comme l'arrt des fl uctuations du mental , tat de silence veill prlude la dlivrance, conue comme le divorce entre !'Esprit et le com- pos humain (corps et mental). Le but est l'isolement de !'Esprit et la disparition du compos humain. Ce yoga ancien, ignor dans le Veda , est connu au pays de Gautama le Bouddha* (cf p. 38) et de Mahvra le Jina (cf p. 46), qui vivaient prs de Bnars vers le v sicle avant J.-C. Avant de devenir des reli- gions, bouddhisme et janisme furent des formes de yoga. Le Yoga-stra est un texte dif- ficile car il utilise des mots courants pour des ralits inhabituelles, et si le sanskrit * dispose d' un vocabulaire pr- cis sur ce sujet, rien de corres- pondant n'existe dans nos langues . Comme d'autres traits ult- rieurs, il se compose de trois parties : il dcrit d' abord, comme dans le premier texte ci-contre, des expriences psychosomatiques qui relvent de la mystique ; il prsente une mthode pour accder ces expriences et, troisime com- posante, il les intgre dans le cadre d' une thorie gnrale de l'homme et de l'univers. Expriences, mthodes et tho- rie sont chacune appele yoga, partir du Jr millnaire. Toutes sont fondes sur une esp- rance : celle du Yoga-stra est ainsi l'assomption de l'Homme en tant que principe spirituel, devenu pur Esprit dbarrass de toute dimension corporelle et mentale. Les traits du yoga rpondent toutefois un cadre sociologi- que prcis : le Yoga-stra est ainsi crit pour ceux qui pen- sent, sans limitation de statut, de sexe, de religion. Il s'adresse ceux qui, revenant du yoga - le silence veill -, veulent comprendre des expriences hors normes et dstabilisantes. En effet, en fonction du degr d' apaisement du mental, le monde objectif change peu peu d'apparence et les repres Les textes fondamentaux Le Point Rfrences du quotidien s'altrent profon- dment. Comme le yogin (pratiquant du yoga) peut rp- ter l'exprience et que ce qu'il peroit alors apparat plus vrai, il peut perdre le got du monde de surface. Le yoga prsent par le Yoga-stra a peu voir avec celui que les matres indiens ont diffus la fin du x1xe sicle en Occident. Le second stra ci-contre s 'in- terroge ainsi sur la ralit. Patanjali y parle des sana, (postures), qui sont toujours assises. Les couples de contraires " dont il est question sont par exemple le chaud et le froid. La posture, comme les autres techniques numres ici , est destine ceux des yogin, qui, proches du but , n'ont pas encore russi l'at- teindre. Le hathayoga Il est clair que le yoga prsent par le Yoga-stra a peu voir avec celui , postural et thra- peutique, que les matres indiens ont diffus l'extrme fin du x1x sicle en Occident. Ce yoga rcent est souvent nomm hathayoga, du nom d'un ouvrage fameux, La petite lampe du hathayoga " (le yoga de la force ) , qui daterait du xv" ou du xv1 sicle. partir des annes 1950, ce yoga indien est pratiqu comme une forme de gymnastique douce et de relaxation. M.A. Facebook : La culture ne s'hrite pas elle se conquiert LES TEXTES FONDATEURS Yoga-stra .... .... Il s'ensuit que les couples de contraires ne l'assaillent plus >C .... .... .... ...
42. Parmi [ces adquations], celle qui est mle des fictions propres aux mots, aux objets et aux notions est dite adquation discursive. Par exemple, il y a le mot [i. e. le son] vache , il y a l'objet vache et il y a la notion vache : on constate que, bien que distincts, c'est sans les distinguer qu'on les emploie. Puisque, quand on les distingue, les proprits du mot, de l'objet et de la notion sont respectivement diffrentes, leur voie est donc distincte. Soit un objet, une vache par exemple, [expriment) par le yogin en tat d'adquation sympathique, lors d'une exprience de connaissance parfaite dtermine par l'apaisement parfait [du mental) ; si l'objet est li des fictions mentales sur le mot, la chose et l'ide, on dit que l'adquation qui en est mle est discursive . Mais si la mmoire a t dbarrasse de la convention linguistique, que l'exprience de connaissance parfaite lie l'apaisement parfait [du mental] est vide des conceptions lies aux fictions provenant des paroles et des raisonne- ments l'objet est tenu exactement sous sa forme propre, c'est--dire qu'il est circonscrit la forme de sa propre nature sans plus : une telle ad- quation sympathique est dnue de toute dis- cursivit; c'est la perception immdiate la plus haute, c'est elle qui est le germe de toute parole, de tout raisonnement car c'est d'elle que proc- dent paroles et raisonnements. Cette vision ne s'accompagne d'aucune connaissance lie une parole ou un raisonnement. Par consquent, cette vision du yogin ne d'un apaisement parfait du mental dnu de toute discursivit n'est mle d'aucun autre moyen de connaissance. 43. Quand le [mental] est compltement purifi de la mmoire, [l'adquation] qui est comme vide de sa propre forme et o brille l'objet tel qu'en lui-mme est non-discursive. LE YOGA-STRA DE MTAN/ALI. LE YOGMJHSHYA DE VYSA, STRA 1, 43, TRAD. MICHEL ANGOT, LES BELLES LETTRES, 2oo8. 46. La posture est ferme et confortable. IBID. STRA Il, 46. 47. Grce la relaxation dans l'effort ou l'iden- tification avec l'infini, [il atteint la posture]. Commentaire de Vysa : Le yogin parfait la posture par le repos dans l'effort continu de manire ce que son corps ne tremble pas. Ou bien le mental identifi l'infini produit la pos- ture. IBID., STRA Il, 47. 48. JI s'ensuit que les couples de contraires ne l'assaillent plus. IBID. , STRA Il, 48. Le Point Rfrences Les textes fondamentaux 27 Facebook : La culture ne s'hrite pas elle se conquiert Cls de lecture LES TEXTES FONDATEURS a: - c .... z: .... :E :E = u .... ... 28 Le Rmyana de Vlmki C ompos vers le 11 sicle avant notre re, le Rmyana, ou voyage de Rma , raconte en prs de 100000 vers les durs combats du prince Rma. Comme le Mahbhrata (cf p. 20), cette pope illustre la lutte pour le maintien du dharma* , l'ordre du monde. Ici, comme le raconte l'auteur prsum qui en est aussi le narrateur, Vlmki ( l'homme la termitire en sanskrit *), le fauteur de trou- bles est le dmon Rvana qui cause des ravages impunment, grce une promesse obtenue du dieu Brahm (cf p. 32). Seul un homme peut le combattre, d'o la dcision de Vishnou de s' incarner dans un humain, comme l'explique ici le premier extrait. Compos alors que le bouddhisme (cf p. 38) bnficie du soutien du pouvoir, notam- ment sous le rgne de l'empe- reur Ashoka* (v. 269-232 av. J.-C.), le Rmyana peut tre interprt comme une arme de guerre brahmanique* contre la religion rivale. D'o l'insis- tance sur le sacrifice, rite vdi- que* par excellence ; d'o le fait que Rvana rgne sur l'le de Lanka, assimile Ceylan (Sri Lanka actuel), o le bouddhisme est alors solidement tabli. Ce n' est toutefois ici pas le brahmane* qui a la prmi- nence, mais le guerrier (ksha- triya *), reprsent par Rma, roi-guerrier parfait, respectueux de l'ordre : injustement priv de son trne d'Ayodhya, il part sans se plaindre en exil dans la fort avec son pouse St. C'est l que Rvana enlve la jeune femme. Rma et St exils dans la fort. Aprs l'ultime combat, cosmique, St revient son poux, mais Rma la rpudie. Le deuxime extrait prend place la fin de l'uvre. Aprs l'ul- time combat cosmique men contre les dmons par Rma, aid des singes et des ours, St revient son poux. Mais celui- ci, convaincu qu'elle a couch avec Rvana, la rpudie. Pour prouver sa vertu, la jeune femme se soumet avec succs au jugement par le feu (ordalie). Rma retrouve ensuite son trne, mais la rumeur publique maintient que la reine a t souille par le dmon. Le dharma est rtabli Par devoir, Rma chasse donc sa femme et leurs jumeaux, qui seront levs avec l'aide d' un ascte. Devenus adultes, les fils reviennent la cour et se font reconnatre. Appele revoir Rma, St, nomme ici Vaideh, fille de Videha , et " princesse de Mithil ,par rfrence son royaume d'origine, en appelle la desse Terre dont elle est l'incarnation pour convaincre Les textes fondamentaux Le Point Rfrences de son innocence, puis dispa- rat. Aprs des annes de soli- tude, Rma se rvlera pour ce qu'il est, un avatar* de Vishnou, et montera au ciel. Unis l'in- terface du ciel et de la terre, les deux hros rtabliront ainsi le dharma. Plus encore que le Mahbhrata, le Rmyana eut une influence dcisive sur l'art et la culture, en Inde comme en Asie du Sud- Est. Rares sont les temples o la pierre ne rappelle pas l'un de ses pisodes difiants. Et ds le 11 sicle de notre re se multi- plient traductions et variations, jusqu'au Cambodge et Java. L'une des plus clbres est l'lr- mvatarram ( L' avatar de Rma ) de Kamban, crite vers le x sicle en langue tamoule et devenue le symbole de la gran- deur de la culture du Sud de l'Inde, face celle, sanskritiste, du Nord. Au fil des variations, les personnages vont voluer en fonction des intrts locaux - Ceylan, le dmon Rvana n'a ainsi plus rien de malfique ... - et des auteurs : Klidsa (vers le 1v" sicle) imagine La ligne de Raghu , brodant sur l'histoire de la dynastie solaire de Rma ; au vm sicle, Bhavabhuti com- pose !' Uttararmacarita, " la dernire histoire de Rma ; au xv1 sicle, Tuls-Ds rdige le Rmcaritmnas, le " Lac de mon- tagne ou de la quintessence de la vie de Rma . Aujourd'hui, c'est le cinma et la bande des- sine qui rinventent le Rmyana. Mais St demeure le modle de la femme-pouse idale, et Rma le paradigme de l'homme viril, dfenseur des valeurs... C. G. Facebook : La culture ne s'hrite pas elle se conquiert LES TEXTES FONDATEURS L'univers entier paraissait boulevers Rmyana .... ..... >C .... ..... .... ....
la demande des dieux, irrits par les ravages causs par le dmon Rvana, le dieu Vishnou accepte de s'impliquer dans la lutte pour l e dharma. Ayant accord cette faveur aux dieux, le divin Vishnou, en pleine possession de lui-mme, rfl chit au lieu o il pourrait s'incarner dans le monde des hommes. Alors, le dieu aux yeux en ptales de lotus se divisa en quatre et se choisit pour pre le roi Dsaratha. [ . .. ] ce mme moment, ce roi clatant, le destructeur de ses ennemis, offrait une oblation* pour avoir des fils, dsirant une descendance[ ... ]. Alors surgit du feu du sacrifiant un tre prodigieux la splendeur sans gale, immensment fort et vaillant[ ... ]. - Bienheureux, sois le bienvenu, dit Je roi en joignant les mains ; Que puis-je faire pour toi ? - roi , dit Je serviteur de Prajpati [Brahm], par ton culte aux dieux, voici ce que tu as mrit aujourd' hui. Tigre des rois, c'est du riz au lait prpar par les dieux. Prends-Je, il te procurera une progniture, te portera bonheur et fortifiera ta sant. Donne-le manger tes pouses car elles en sont dignes. Alors tu auras d'elles les fils que tu as demands en offrant ce sacrifice, roi. LE RMYANA, FIN DU CHAP. XV ET D!BUT DU CHAP. VI, !D. M. BIARDEAU ET M . .C. PORCHER (DIR.), I!> GAUIMARD, BIBLIOTHQUE DE IA PLIADE, 1999. St est reprise par la terre. C'est Rma qui parle d'abord en s'adressant l 'un de ses conseillers brahmanes. Je fais entire confiance tes paroles, lui dit-il. Vaideh [St] m'avait dj assur de sa bonne foi , devant les dieux, et je J'avais reprise chez moi aprs qu'elle eut prt serment. Mais la rumeur publique eut finalement raison de moi et je rpudiai Maithil [St] . Ce fut par crainte du peuple et bien que je fusse convaincu de l'innocence de mon pouse que j'envoyai St en exil ; daigne me pardonner cette dcision. Je reconnais comme mes fils les jumeaux qui ont chant devant nous. Puiss-je aujourd'hui retrouver l'affection de la pure Maithil, au milieu de vous tous. Lorsqu'ils apprirent les intentions de Rma, les plus minents des dieux accoururent tous ensemble au serment de St [ ... ]. Joignant respectueusement les mains, baissant la tte et regardant vers le sol, sous tous les regards qui la fixaient, St, vtue de safran sombre, commena parler : Si ma pense ne fut jamais occupe par un autre que Rma, je demande la desse Mdhav [la desse Terre] de m'accueillir en son sein! Si je respecte Rma aussi bien en pense qu'en actes ou en paroles, je supplie la desse Mdhav de m'accueillir en son sein! Si telle est bien la vrit- que je n'ai jamais connu personne d'autre que Rma -, je supplie la desse Mdhav de me faire une place en son sein! Tandis que Vaideh jurait ainsi de son innocence, il se produisit un prodige : de la surface de la terre qui se fendit s'leva un trne divin nul autre pareil, que soutenaient de Jeurs ttes des serpents d'une puissance colossale, avec Jeurs corps divins pars de joyaux clestes. Puis la desse Terre prit Maithil dans ses bras et, lui souhaitant la bienvenue, l'installa sur ce trne. Tandis qu'aussitt St s' enfonait dans les sjours souterrains, assise sur ce trne, une pluie de fleurs ininterrompue tombait sur elle. Ce spectacle suscita une immense clameur dans les rangs des dieux, qui tous flicitaient la reine pour sa perfection. Dans les airs, les dieux la flicitrent ainsi plusieurs reprises, tant la vision de St rejoignant le sein de la terre les emplissait de bonheur. Simultanment, les asc- tes et les rois, tigres des hommes, qui se trou- vaient rassembls sur l'aire sacrificielle, taient tous frapps de fureur. Et , dans les airs et sur la terre, parmi tous les tres mobiles ou immo- biles, les Dhnava la taille colossale, dans les mondes souterrains, les rois des serpents, les uns poussaient des cris de joie. [ ... ] Tout le monde tait fascin par la descente de St dans les entrailles de la terre et cependant l'univers entier paraissait boulevers. IBID., CHAP. XCVIII. Le Point Rfrences Les textes fondamentaux 29 Facebook : La culture ne s'hrite pas elle se conquiert Cls de lecture LES TEXTES FONDATEURS a: - c 1- z: .... 15 15 Les Lois de Manu et l'ordre naturel et u .... ... 30 L es Lois de Manu sont aujourd' hui l'une des rf- rences traditionnelles de l'Inde contemporaine, tout en tant l'un des textes sanskrits* les plus connus en Occident. Attribu comme souvent un personnage lgendaire, cet ouvrage, qui n'a reu son titre qu'au XJX" sicle, a beau n'tre en aucune manire un code juri- dique, il a constitu une autorit en matire de religion et de nor- mes sociales, ce qu'on appelle le dharma* . Ce que l'on peut faire ou ne pas faire Fruit d'une compilation et de refontes successives poursuivies jusqu'au dbut du premier mil- lnaire, il reprsente une sorte d'quilibre entre deux univers contradictoires qui ont conjoin- tement form le brahmanisme* : les valeurs du yoga* et les nor- mes pratiques du Veda (cf p. 12).AinsideceversetoManu (IV, 138) dit : li faut que le brah- mane* dise le vrai. loge de la vrit? Le texte poursuit : Il faut dire le vrai plaisant, ne pas dire Je vrai dplaisant, ni Je plaisant qui n'est pas vrai. Manu prne le vrai dans les limites de la com- passion, corrigeant ainsi le dire vrai vdique* par la compassion yogique (et bouddhique). De mme, un sacrifice vdique a tout pour choquer Je yogin (pra- tiquant du yoga) : on tue et on mange des animaux, on agit, on parle, on chante, tandis que les valeurs de compassion et de bienveillance sont absentes. Mais le yoga, lui aussi, choque un brahmane vdique avec son apologie du silence et son refus de la beaut du monde dont on veut s'chapper. Difficile, donc, a priori, de concilier ces contrai- res. Mais les brahmanes, qui, avec les rois, sont les premiers destinataires de ce texte, valori- seront le mlange propos par Manu, parce qu'il pose en termes prcis les rgles de ce que l'on peut faire et ne pas faire. Le premier texte ci-<:ontre tmoi- gne parfaitement de ce balance- ment. L' enseignement sur la nourriture y rencontre J 'une des valeurs centrales du yoga, J'ahims (non-violence ) que Gandhi (cf p. 88) interprtera au XX" sicle d'une manire poli- tique. Que l'on comprenne non-dsir de nuire (o l'essentiel est Je dsir) ou absence de nuisance (o l'essentiel est de ne pas nuire), ce que l'on doit faire en tant que devoir s'oppose ce Chacun porte en lui sa propre destine et prpare celles qui suivront. que l'on doit faire comme obli- gation. Certes, quand il s'agit pour Je yogin de sortir du monde, il n'y a pas de problme. Mais quand il s'agit de faire de l'ahims une pratique sociale, comment faire, puisque la vie se nourrit de la vie? Et, plus important pour un brahmane, le Veda prescrit que, lors d'un sacrifice, l'officiant doit tuer un bouc et manger sa chair. Manu pose donc les rgles (il ne peut manger de viande que dans des cas trs prcis) et rsout ainsi le conflit . .. Les textes fondamentaux Le Point Rfrences Le second passage traite un aspect du karma ( acte ), notion issue du yoga, dont le principe est que chacun vit les consquences de ses actes pas- ss. Les actes s'accompagnent toujours d'un rsidu qui va deve- nir une graine et germera un jour : chacun porte donc en lui sa pro- pre destine et prpare celles qui suivront. Parce que les yogin veulent mettre un terme leur prsence au monde, ils cherchent striliser ces graines afin de se soustraire au cycle des vies. le construis ce que je suis ... Cette notion, adopte par la suite par les brahmanes, les Lois de Manu en formulent une thorie, laquelle va constituer l'une des principales rfrences pour tous ceux qui sont engags dans le monde. Manu distingue ainsi entre les actes bons ( les mri- tes ) et les mauvais dont la com- binaison prpare nos vies futures. Les mrites peuvent s'accu- muler et former le compagnon du trpass dans l'au-del, avant que de nouveau il ne s'incarne sur terre. Ainsi avec Manu, cha- cun fabrique ses vies futures, et mme la qualit de son au-del. Si Dieu (ici Prajpati) existe, il n'est ni un juge, ni un crateur, ni Je but de la vie. li n'est qu'un organisateur et c'est donc sans son intervention que les actes mrissent dans Jeurs consquen- ces. Selon les poques, de telles thories ont pu tre interprtes diversement. Dans un sens fata- liste : le kanna crase l'tre ds la naissance. Dans le sens de la libert personnelle : je construis ce que je suis ... M.A Facebook : La culture ne s'hrite pas elle se conquiert LES TEXTES FONDATEURS Lois de Manu Dans un sacrifice, tuer n'est pas tuer
La mort cherche tuer les brahmanes parce qu'ils manquent rciter les Veda et respecter les rgles du bon com- portement, qu'ils s'adonnent la paresse et fautent dans le domaine de la nourriture. Il devra manger de la viande quand elle est consacre pour le sacrifice, sur l'ordre des brahmanes, quand la rgle le prescrit ou quand sa vie est en danger. Prajpati [Brahm] a form le monde entier comme nourriture pour le souffle de vie ; tous les tres mobiles et immobiles sont nourriture pour le souffle de vie. L'immobile est nourriture pour le mobile, l'dent pour le dent, le sans-mains pour celui qui a des mains et le timide pour le brave. Le mangeur n'est pas souill en mangeant des tres mangeables, mme s' il en mange jour aprs jour car le crateur a lui-mme organis les mangeurs et les mangeables. Le sacrifice est une raison pour manger de la viande , voil dit la tradition la rgle des dieux. Le faire d'autres fins est la loi des dmons. Quand un homme mange de la viande, qu'elle ait t achete, acquise ou offerte par un tiers, aprs qu'il en a fait l'offrande aux dieux et aux anctres, il n'est pas souill. Sauf en cas de ncessit, un deux-fois-n qui connat les rgles ne doit pas manger de viande en infraction ces rgles. S'il mange de la viande en infraction ces rgles, aprs la mort, il sera mang par ce qu'il a mang. Dieu n de lui-mme a cr les animaux domes- tiques pour les sacrifices, et le sacrifice est pour la prosprit de l' univers entier. Donc dans un sacrifice, tuer n'est pas tuer. Il n'y a pas de faute manger de la viande, [boire] de l'alcool, s'accoupler. Ce sont l des activits normales des tres ; mais s'en abstenir procure de grands fruits. LOIS DE MANU, V, 4-57, TRADUCTION ORIGINALE DU SANSKRIT PARTIR DE fDITION DE P. OLIVELLE, MANU'S CODE OF LAW. A CRITICAL EDITION AND TRANSLATION OF THE MNAVMJHARMASHSTRA, Cl OXFORD UNIVERSITY PRESS, 2oos. En route vers l'autre monde, que l' homme len- tement accumule du mrite comme les termites [lvent peu peu] leur demeure, afin d'avoir un compagnon pour l'autre monde, tout en veillant n'affliger aucun tre. Car l-haut il n'a pour compagnons ni son pre, ni sa mre, ni ses fils et sa femme, ni ses parents ; seul le mrite se tient son ct. C'est seule que nat une crature, seule qu'elle meurt. Seule elle jouit des fruits des actes bons, et aussi des fruits des actes mauvais. Abandonnant le corps mort la terre comme un morceau de bois ou une motte de terre, les parents s'en vont dtournant leur face tandis que le mrite suit [le mort] . Pour avoir un compagnon dans la mort, que sans cesse on accumul.e du mrite, lentement ; avec le mrite pour compagnon, il franchira les tnbres infranchissables. C'est ce compagnon qui conduit rapidement vers l'autre monde l'homme de mrite ; il est radieux, revtu d'un corps thr tandis que ses fautes disparaissent par l'ardeur asctique. Il devra toujours entretenir des relations avec les gens d' un rang le plus lev possible et viter ceux d' un rang infrieur, s'il veut lever sa famille un rang suprieur. IBID., IV, 238-243. Le Point Rfrences Les textes fondamentaux .... .... >C .... .... .... ..... 31 Facebook : La culture ne s'hrite pas elle se conquiert Repres LES TEXTES FONDATEURS 32 Les principaux dieux du panthon hindou Si les dieux sont nombreux dans l'hindouisme*, rsidence l'Univers ou lmmen- chacun n'est toutefois qu' une facette du principe se-fort (Brahmavrinda) . Ses de tout, le brahman*. Regroupes au sein de la noms sont multiples : Em- Trimrti, trois dieux sont particulirement mis en bryon-d'or (Hiranya-garbha), avant : Brahm, Vishnou et Shiva . En fonction de Cavalier-du-cygne (Hamsa- ses gots, le dvot peut choisir d'honorer particu- vhana), Grand-pre et lirement l'un ou l'autre. Nous prsentons ici les aeul (Pitmaha), Grand- divinits les plus connues. matre (Brihas-pati), Pre- mier-barde Ordon- nateur Vedhas) , Agni, Feu . Polycphale et triple forme , le dieu tri- Celui-qui-faonne (Druhina, multiforme, il est le dieu du feu pie -, aux cts de Vishnou Shastri), Support (Dhtri, de l' poque vdique, devenu, (cf p. 34), le conservateur Vidhtri), Matre-du-monde par la suite, le dieu du Sud- et de Shiva (cf p. 34), le des- (Lokesha), Principe-indestruc- Est. tructeur . Dieu quatre ttes tible-de-la-Parole (Akshara- - la cinquime fut rduite en Brahm), N-du-nombril Asura, dmon . Personnifi- cendres par le troisime il de (Nabhi-ja), etc. Si des images cation du dsordre du monde, Shiva - et quatre bras, il est de Brahm ornent la plupart ces dmons terrifiants sont les souvent reprsent comme un des temples, il n'est vnr que ennemis traditionnels des dieux homme dans la force de l'ge, dans le temple de Pushkara, dont ils veulent prendre la place. qui porte la barbe. Soit il tient dans le Rajputana, et n'est un Redoutables guerriers qui peu- dans chacune de ses mains les objet de culte que sous la forme plent les rgions infernales, ils quatre Veda* (cf p. 12), soit il fminine de Shakti. Il est mari possdent l'art de la magie. les tient dans une seule main Sarasvat ou Brahm. et brandit dans les autres divers Brahm. Il est !'tre-immense, accessoires : un sceptre, une Durg, la Desse, l' lnacces- !'Absolu, la forme personnifie louche sacrificielle, un rosaire, sible , Celle dont on appro- - et masculine - du Brahman un arc et une cruche d'eau. Il che difficilement , Celle dont suprme, l'immensit. Il trouve est galement reprsent de- il est dangereux d'approcher . son origine dans le Prajpati bout sur le lotus qui sort du Elle est la Desse vierge, mais vdique, avant de devenir dans nombril de Vishnou endormi. Il aussi la Mre universelle telle l'hindouisme l' une des trois a pour monture un cygne, sym- que la dfinit la Dev Upani- divinits de la Trimrti* - la bole de la connaissance, et pour shad : Elle dont l' tre-im- Les textes fondamentaux Le Point Rfrences mense et les autres dieux ne peuvent eux-mmes compren- dre la forme est appele l'ln- connaissable. Elle dont la li- mite ne peut tre trouve est appele l' illimite. Elle qui seule est partout prsente est appele !'Unique. Elle est la conscience transcendante dans toute connaissance. Elle est le vide dans tous les vides. Elle, au-del de qui il n'est point d'au-del, est appele l' lnac- cessible. Desse guerrire, archtype des divinits fmini- nes indpendantes, elle revt parfois des formes effrayantes, comme Cmund, Destructri- ce-des-dmons , que le Mr- kandeya purna dcrit ainsi : Une desse noire, terrible voir. Elle portait une pe, un lacet, une lourde massue et, autour de son cou, un collier de ttes de morts. Dessche, vieille et hideuse, elle tait vtue d'une peau d' lphant. La bouche ouverte, la langue pendante, les yeux injects de sang, elle emplissait de ses cris les quatre coins du ciel. Mais Durg est aussi Cand la Vio- lente , la Furie , Gaur la Facebook : La culture ne s'hrite pas elle se conquiert LES TEXTES FONDATEURS Repres Brahm aux-quatre-visages >, peinture indienne du x1x' sicle. Krishna enfant sur une feuille de lotus, peinture indienne du xv111' sicle. Fauve et surtout Kl la seule crasse du corps de sa tika* est son symbole graphi- divinit trs populaire au nord Noire . Jeune et fminine, mais mre. Parce qu' il dfia son pre que. Destructeur des obstacles, de l'Inde, mais aussi Java. toujours agressive, elle est qui lui trancha la tte, il se vit charitable et dispensateur de alors revtue d' une peau de adjoindre la tte du premier tre dons, Ganesa est le dieu du sa- Krishna. Nomm le Noir tigre, pare d'un collier de cr- dont Shiva croisa la route. Avec voir, mais aussi de l'entreprise. en raison de son teint sombre, nes et d' une ceinture o se sa tte d'animal et son corps Il a pour monture une souris, cet avatar* de Vishnou est mlent ttes et mains coupes. d'homme, son appartenance au Msha-ka. descendu sur terre, dans le Ses dix bras brandissent autant rgne animal et au genre hu- Mahbhrata pour tablir la d'armes de guerre. Accompa- main, il est l' union de deux Garuda, Verbe-ail . Moiti religion de l'amour. Mais gne des dmons femelles contraires, le microcosme et le vautour, moiti homme, invin- l'image du dieu guerrier de la Dkini, les mangeuses de chair macrocosme. Si le Rig-Veda en cible, il sert de vhicule au dieu Bhagavadgt, appel aussi crue, Kl a pour ville ponyme fait mention, il n'apparat sous Vishnou. Il se nourrit presque Bhagavant, le Bienheureux Calcutta, dformation de Kli- sa forme actuelle que dans le exclusivement de serpents, Seigneur, vont se superposer ghat, et joue un rle majeur Mahbhrata (cf p. 20) . Ganesa pour lesquels il prouve une dans la littrature tardive, dans le tantrisme. n'a qu'une dfense, mais quatre haine mortelle, et a pour celle des purnas*, et notam- bras. Tandis que deux de ses pouse Unnati ( Progrs ). ment le Bhagavata-Purna, Ganesa ou Ganesh, Souve- mains tiennent un lacet et un celle d' un dieu-enfant, puis rain-des-catgories , ou Gana- crochet, les autres font un Hanumn. Demi-dieu tte d' un jeune berger dont sont pati, Chef des troupes . Dieu geste d'apaisement et celui de singe, loyal serviteur et alli amoureuses les bergres. tte d'lphant, ce dieu par- d'accorder un don. Sa trompe hroque de Rma dans le R- Krishna fait l'objet d'une dvo- ticulirement populaire est l'un est tordue, il est obse, vtu de myana (cf p. 28), il est dou tion toute particulire depuis des deux fils de Shiva et de Pr- rouge, ses membres recouverts d'une force lgendaire et de le dveloppement de la bhak- vat, et a t faonn avec la de pte de santal rouge. Le svas- pouvoirs fabuleux. C'est une ti*, partir du x sicle. .. Le Point Rfrences Les textes fondamentaux 33 Facebook : La culture ne s'hrite pas elle se conquiert Repres LES TEXTES FONDATEURS 34 ... Prvat, Fille de la montagne . pouse lgitime, fidle et terrestre de Shiva, la fille de !'Himalaya porte aussi le nom de Um, la Bienfai - sante . Incarnant les cinq principes des lments, elle a pour symbole le nombre cinq. Sarasvat ou Brahm. Desse de la parole et du savoir, elle est la gracieuse pouse de Brahm . Ancienne desse- rivire, elle est assise sur un lotus et porte un croissant de lune sur le front. Elle est la patronne des arts ainsi que l' inventrice du sanskrit*. Elle possde deux ou huit bras et a pour principaux attributs un luth, un livre, un rosaire et un crochet. Shiva, Gracieux . Avec cinq ttes, trois yeux par visage, cinq paires de bras et quelque mille noms, Shiva est la troi- sime divinit de la Trimrti . Il apparat tardivement dans les textes vdiques comme un autre nom du dieu Rudra, la fois terrible et consola- teur. Dans le Mahbhrata, il est associ Vishnou ( Le Grand-dieu est partout mais on ne peut le voir. ll est le crateur, le souverain du monde. Il est le suzerain de ['tre-Immense, de l' imma- nent et du Roi -du-ciel. Tous les tres clestes, de l' tre- lmmense aux gnies du mal le vnrent. ). La mythologie en fait aussi un dieu ascte, pratiquant le yoga. C'est une divinit ambivalente, destruc- teur universel, mais aussi bienveillante, rparatrice et dispensatrice de grce, la fois dieu de la mort et du sommeil, de la danse et de la puissance sexuelle. Ses com- pagnons sont les Ga na, dieux mineurs de la terre, du ciel et de l'atmosphre, les Vishva, ou Principes-universels, et les esprits mauvais comme les Bhairava ( Esprits-te rr i- bles ), les Bhta ( Fant- mes ) ou les Dkini (Ogres- ses ). Shiva est souvent reprsent couvert de cen- dres, portant le croissant de la Lune du cinquime jour sur le front et des bracelets au haut des bras. Des serpents et un collier de ttes de morts entourent son cou, ses che- veux sont en broussaille et il est revtu d' une peau de ti- gre. Il a pour arme emblma- tique un trident (trishla) . Les bas-reliefs ou les statues le montrent souvent en train de danser la danse cosmique (tandava) par laquelle, alter- nativement , il amne le monde l'existence et l'anantit. Ou assis, en corn- Le linga, symbole de Shiva dans les sanctuaires. SHIVA, QUI DU CENTRE DE L'INDISTINCT MET TOUT LE DIVERS Puisse ce dieu nous confrer une intelligence bnfique, Lui, tre unique, sans forme, qui - matrisant ses pouvoirs - ordonne les multiples formes pour un but donn et de bien des manires, Lui en qui l'univers se rsout la fin et l'origine. Il est le feu, le soleil, le vent, la lune [ ... ]. On gagne la paix jamais lorsqu'on connat Shiva, plus subtil que la subtilit mme, Lui qui du centre de l' indistinct met tout le divers, qui - multiforme - embrasse lui seul tout l'univers. C'est Lui le Protecteur du monde dans le temps, [ ... ] cach dans tous les tres, qui les voyants de caste brahmanique et les divinits sont assujettis. Lorsqu'on L'a reconnu comme tel, on tranche les liens de la mort. Quand on L'a connu aussi supra-subtil que la crme au-dessus du beurre fondu - Shiva cach dans tous les tres, Dieu unique qui embrase tout l'univers - on est libr de tout lien. Ce Dieu, Artisan universel jamais install dans le cur des tres, on le reconstitue par le cur, la rflexion et le sens interne. Ceux qui savent cela deviennent immortels. Quand il n'y a point de tnbres, alors qu'il n'y a ni jour, ni nuit, ni tre, ni non-tre, c'est cela Shiva, !'Absolu. Shvetshvatara Upanishad, IV, d'aprs A_-M. Esnoul (traduction), in L'Hindauisme, Fayard-Denol, 1972. Les textes fondamentaux Le Point Rfrences Facebook : La culture ne s'hrite pas elle se conquiert pagnie de son pouse Prvat, sur le dos de sa monture, le taureau Nandin. Dans les sanctuaires, sa reprsentation la plus commune est le linga ( signe ), une pierre de forme cylindrique mergeant d'un disque lgrement vid en forme de bassin pourvu d' un versoir. Une premire interprtation voit dans le linga une reprsentation du sexe masculin, le disque tant leyoni (l'organe fminin) . Une lgende raconte ainsi que Shiva aurait perdu son pnis sous l'effet d'une maldiction lance par des maris furieux quand il avait courtis leurs pouses. Mais le linga est aussi le symbole de la puis sance spirituelle et l'nergie continue de la vie. Shiva a t lev au rang de divinit unique, absolue et au dessus du monde, par un cer tain nombre d'coles ou sectes suffisamment puissantes pour influencer la religion et la philosophie indienne, notam ment le Saivasiddhnta et le Virasiva du Cachemire. Skanda, jet de sperme . Fils de Shiva et de Prvat, n de la seule semence de Shiva. Appel aussi Kumra, le Chaste-adolescent , car il symbolise l'abstinence sexuel le. Il est pourvu de six visages et possde deux ou douze bras, selon les textes. ll corn mande l'arme des dieux et a pour attributs la sakti, une sorte de javelot, et le coq. Il a pour monture ordinaire un paon, Paravani ( l'Anne ), tueur du Temps. Son histoire est principalement conte dans le Mahbhrata. C'est un dieu au culte trs ancien et les ftes qui lui sont consa cres sont nombreuses en Inde du Sud. Sri, Fortune . pouse mo dle de Vishnou, elle est la desse de l'harmonie et accom pagne son mari dans chacune de ses avatra. Elle porte ga lement le nom de Lakshm, et est parfois reprsente avec quatre bras. C'est une desse qui n'a pas de temple. Vishnou. Deuxime divinit de la Trimrti* et objet d'un culte particulirement fervent et populaire, ce dieu trs corn plexe est le conservateur de l'univers, qu' il rsorbe pen dant son sommeil. Il est Vishnou parce qu' il conquiert tout , peut-on lire dans le Mahbhrata . Il a le corps sombre, noir ou bleu, et quatre bras. droite, sa main basse serre une conque, sa main haute un disque gauche, un arc et/ou un lotus se trouvent dans sa main haute, une mas sue dans sa main basse. La conque symbolise l'origine de l'existence, le disque repr sente le mental, l'arc corres pond au pouvoir d' illusion, le lotus est l' image de l'univers et la massue est la puissan ce-de-connatre . Ses bras sont orns de bracelets, il porte une guirlande, un dia dme et des boucles d'oreilles. Sa poitrine est orne d' une mche de poils dors et d'un joyau. Un mince voile d'or ceint ses hanches. Vishnou a pour pouse Sr ou Lakshm, la Fortune , et pour princi pal compagnon Visvaksena, le Conqurant-universel . Sa LES TEXTES FONDATEURS Repres 0 VISHNOU 1 Alors qu'Arjuna (hros de l'pope du Mahbhrata) doute avant la bataille qui va l'opposer aux Kaurava, ses cousins, Krishna lui rvle qu'il est un avatra de Vishnou. Le Bienheureux Seigneur dit : "( ... ] Regarde Mes formes par centaines et par milliers. Elles sont varies, divines. [ ... ] Mais Moi , Tu ne peux Me voir par cet il [de chair] qui est tien : Je te donne l'il divin. Regarde Ma puissance yogique souve raine! "[ ... ] Alors le fils de Pndu vit ramass en cette place - le corps du Dieu des dieux - l'univers entier avec ses multiples parties. Et envahi d'tonnement, le poil hriss, la tte incline en un salut, [il) dit au Dieu : " Dieu, je vois en Ton corps tous les dieux aussi bien que les divers groupes d'tres[ ... ]. je ne Te vois ni fin, ni milieu, ni corn mencement, Seigneur universel et omniforme ! Je Te vois[ ... ] avec Ton diadme, Ta mas.sue, Ton disque et cet clat ardent qui illumine tout alentour, inaccessible nos mesures humaines. Tu es l' imprissable, le suprme Objet connatre, le suprme r ceptacle de tout le divers : Tu es l'immuable, le Gardien de l'ter nelle Loi [dharma], telle est ma conviction! [ ... ] Le Bienheureux Seigneur dit : "Je suis le temps qui fait dprir les mondes[ ... ]. Mme sans ton intervention, ils ne seront plus tous ces guerriers rangs dans ces armes adverses. En cons quence, lve-toi, conquiers la gloire en triomphant de tes enne mis. jouis d'un rgne prospre. C'est par Moi qu'ils ont t an trieurement promis la mort [ ... ]. Ne te tourmente pas : combats. Bhagavadgt, XI, trad. A.M. Esnoul et O. Lacombe, Seuil, 1976. monture est l'oiseau Garuda. On le reprsente souvent en dormi sur le serpent d' infini tude enroul sur lui-mme et flottant sur l'Ocan chaotique, durant le temps o l'univers a disparu. Le dieu rve le monde vanoui et le maintient dans sa mmoire afin qu' son r veil, Brahm surgissant de son nombril le recre nouveau. Vishnou incarne ainsi l'immu tabilit qui s'oppose l' image dynamique de Shiva. Mais garant de l'ordre du monde, le dieu peut descendre sur terre quand le dharma* est menac, par l' intermdiaire d' ava tara* (du sanskrit Avatr, descente vers le bas ). La doctrine classique en recense dix, dont certains sont des animaux, mais d'autres des hros diviniss tels Khrishna ou Rma, le prince du R myana (cf p. 28) . Sandrine Fillipetti, avec Catherine Golliau Le Point Rfrences Les textes fondamentaux 35 Facebook : La culture ne s'hrite pas elle se conquiert Introduction LES CONTESTATIONS En essayant de rpondre au problme du cycle des renaissances, le janisme et le bouddhisme vont faire de l'homme un acteur de son propre destin. QUANQ l:HOMME SE CREE PAR SES ACTES Par Catherine Golliau E t .si la libration de l'homme ne dpendait que de lui-mme ? l'est de l'Inde, dans les rgions de l'actuel Bihar et de !'Uttar Pradesh, entre les villes de Bnars et de Patna, vont natre vers les VI et v" sicles avant notre re deux courants de pense qui vont rvolutionner la pense indienne : le bouddhisme* et le ja- nisme.Est-ce un hasard? Tous les deux naissent dans une rgion o le brahmanisme* n'est pas dominant, et o se for- ment des royaumes puis- nique. Car l'homme, pour le Bouddha, se cre par ses actes. L' homme est responsable de lui- mme. Les dieux sont renvoys leurs intrigues. Mieux, au brahmanisme soucieux du maintien de l'ordre du monde, le Bouddha oppose le principe contraire, l'impermanence. Rien n'est fixe, tout est illusion, et la seule chose dont l'homme puisse parler, c'est de ce qu'il exp- rimente. De mme, il va nier la place sacre du langage, essentiel dans sants contrls par des Pour le Bouddha, tous les tres l'univers vdique puis- que les mots du Veda sont porteurs d' une ra- lit intangible. Or, pour l'veill, le langage n'est qu'une approximation de princes kshatriya*. C'est l peut-tre que serait n le yoga (cf p. 26), dont bouddhisme et janisme se sont nourris. Le prince vivants sont gaux, ce qui exclut le systme des castes. Gautama Shakyamuni, futur Bouddha*, serait n au V" sicle au Npal, dans une ville proche de la frontire indienne actuelle. Il abandonne un jour les siens et sa vie d'opulence pour recher- cher l'origine de la souffrance de l'homme. Aprs une dizaine d'annes de mortifications qui ne lui apportent rien, il dcouvre grce la mdi- tation que c'est en renonant toute passion et dsir que l'homme peut se librer de sa souf- france. Ce jour-l, il devient le Bouddha, !'veill. Il commence alors prcher, fonde une petite communaut de moines itinrants, attire les foules et convertit les puissants. Le monde est impermanence Son enseignement ? Mme s ' il reprend des termes vdiques et certains principes des Upa- nishad (cf p. 14), il est rvolutionnaire : une remise en cause radicale de l'univers brahma- 36 1 Les textes fondamentaux Le Point Rfrences notre exprience. La ra- lit ne pouvant tre fixe, elle ne peut tre exprime, le langage n'est que pure convention. Exit donc l'idologie du Veda, cette vision du monde fonde sur la puret, l'ingalit sociale et le rle fondamental des sacrifices, outils de mdiation entre l' homme et les dieux dont les brahmanes* ont le monopole. Pour le Bouddha, puisque les actes sont rtribus en fonction des intentions, bonnes ou mauvaises, tous les tres vivants, hommes ou singes, hommes ou femmes , de haute ou de basse castes*, sont gaux. Le systme des castes n'a plus de justi- fication. Exit le brahmanisme. Contrairement ce qui est souvent crit, pour- tant, il n'est pas certain que le bouddhisme soit une raction au vdisme. Pour Johannes Bron- khorst, professeur l'universit de Lausanne (Aux origines de la philosophie indienne, Infolio, 2008), son rival est d'abord le janisme, n avant Facebook : La culture ne s'hrite pas elle se conquiert Moines bouddhistes Bodhgay (Bihar), sur les lieux supposs de l'illumination du Bouddha .. lui au Bihar et qui, comme lui, essaie de rsoudr'e le problme des cycles des renaissances. L'vitement de la violence D'ailleurs, la biographie de Gautama Shakya- muni, telle que la prsente la tradition, ressem- ble curieusement celle de Mahvra, guide spirituel et rformateur du janisme. On dirait mme qu'elle a t calque sur elle : Vardhamna Ntaputta, dit Mahvra (Le Grand Hros) , est n quelques dizaines d'annes avant Bouddha dans un village du Bihar, lui aussi dans une famille kshatriya. 30 ans, il a abandonn ses biens et sa famille pour mener pendant douze ans une vie d'ascse : entirement nu, suppor- (cf p. 88), qui avait grandi dans un environnement jan. Mais Mahvra prne galement un asctisme extrme que refuse Je bouddhisme, adepte du juste milieu. Dans l'un de ses discours, le Bouddha se moque ainsi des jans, disant que s'ils voulaient tant souffrir, c'est qu'ils avaient srement beau- coup pch ... Les deux courants s'opposeront en des dbats soutenus, ce qui n'empchera pas Je bouddhisme d'emprunter son concurrent le principe des lignes de matres ayant atteint la libration, les lrthankara. Dans Je courant bouddhiste du Mahyna (cf p. 42), !'veill ne serait ainsi que Je vingt-cinquime de la srie des bouddhas, une autre srie devant suivre. Mais si l'un et l'autre mouvements se divisent en de nombreux courants, tant les quolibets, il finit par atteindre l' omnis- cience (kevala) et deve- nir un saint (arrhat). Pendant les trente annes Le janisme prne un asctisme extrme que refuse le bouddhisme, adepte du juste milieu. leur destin sera trs dif- frent. Le janisme ne sera que peu ou pas proslyte et restera cantonn l'Inde, alors que le boudd- suivantes, il dlivre un message de paix, d'amour et de non-violence envers tous les tres vivants . Qui a copi l' autre ? Les deux penses diffrent pourtant grande- ment. Oppos la notion de puret, ignorant le brahman* , l'absolu, le janisme met l'accent sur l'vitement de la violence, i'ahims* , le " refus de nuire , que popularisera Gandhi hisme, aprs tre devenu religion quasi officielle sous l'Empire maurya* (lv<-n sicles av. J.-C.), disparatra progressive- ment du sous-continent, dpass par l'hin- douisme* , puis radiqu physiquement par l'islam. La pense de l'Inde ne se comprend cependant pas sans eux : ils vont profondment influencer la pense brahmanique qui, tout en les combattant, va aussi s'en inspirer. Le Point Rfrences Les textes fondamentaux 37 Facebook : La culture ne s'hrite pas elle se conquiert Cls de lecture ... a: LES CONTESTATIONS - c .... z: ... 1: 1: Bouddha et la Mise en mouvement de la roue du Dhamma 0 u ... .... 38 V oici, un peu abrg, le fameux premier sermon du Bouddha* ,dit de la Mise en mouvement de la roue du Dhamma. Ce terme en langue pli* (dharma, en sanskrit*) ne nomme pas, dans le boudd- hisme, la loi sociocosmique >, mais lenseignement du Bouddha en tant qu'il est conforme la ralit. Toute la doctrine se trouve ici rsume sous quatre rubriques : d'abord - premire noble vrit - l'existence est souffrance, mal-tre, malaise. Le Bouddha, l'veill, quand il l'nonce, ne se prvaut d'aucune autorit : c'est l'exprience com- mune qu' il prend tmoin. Ou peut-tre plutt l'opinion com- mune du milieu o il a vcu, dans lequel nul ou presque ne doutait qu'il y et des vies pas- ses et futures. Cela est central : que nous importerait en effet que la vie soit quelque peu insa- tisfaisante si elle tait renferme entre les bornes troites de la naissance et de la mort? La souffrance et la soif La souffrance dont il est question ici prend tout son pathtique de ce qu'elle est notre condition depuis des temps sans com- mencement et pour aussi long- temps que nous n'en aurons pas tari la source, qui est la deuxime noble vrit, dite l'origine de la souffrance . Dans ce texte, c'est la soif qui est donne pour telle - les concupiscences, en somme. Dans d'autres textes, ce rle est attribu l'ignorance, entendue comme tendance se prendre pour soi-mme , ou se prendre pour un soi (tmagrha) : l'individu est, pour La roue du dharma. La souffrance dont parle le Bouddha est notre condition depuis des temps sans commencement le bouddhisme, un flux d'l- ments corporels et mentaux instantans, se succdant en un enchanement causal appel coproduction conditionne (cf p. 40), sans noyau permanent ni structure stable qui puisse tre juste titre appel moi . On voit donc bien les liens troits qu'il y a entre la mprise du soi et toutes les passions sub- sumes sous le nom de soif : sans le point de rfrence de ce soi fictif, ni le dsir, ni la colre, la haine, l'envie, la prsomption ne seraient possibles ; rcipro- quement, sans ces passions, le ct imaginaire et inconsistant du moi nous apparatrait bien plus facilement. La troisime noble vrit est l'af- firmation de l'existence d'un tat sans souffrances, le nirvna*. Cet tat n'est gure dcrit posi- tivement ; il est simplement pos Les textes fondamentaux Le Point Rfrences comme non-production de la souffrance ds lors que ses cau- ses, ignorance et passions, ont t radiques. La quatrime noble vrit, du chemin , indi- que comment y parvenir en pratique. Cette voie est dtaille deux reprises dans le texte sous la forme du noble sentier octuple ; elle lest aussi dans la dclinaison des quatre nobles vrits sous seize modalits. Les trois prceptes Mais il est plus ais d'en com- prendre l'esprit par le biais des trois prceptes : discipline thi- que, recueillement ou mdita- tion, discernement ou sagesse. Contrairement ce que veut croire le nobouddhisme occi- dental, le pratiquant doit com- mencer par conformer ses murs la morale bouddhique traditionnelle (codifie dans les listes de vux des lacs ou des religieux). Sans ce minimum de maitrise de soi, toute prtention mditer serait drisoire : la mditation, selon les doctrines communes du bouddhisme, consiste avant tout fixer l'es- prit sur une pense choisie. Chez l'individu qui se sera ainsi arrach l'alination, le discer- nement - fruit de l'analyse fine des facteurs de l'existence - pourra prendre sa pleine mesure: seule en effet la fixation ferme de l'esprit sur les vrits connues par l'intelligence la lumire de la tradition peut ren- verser laccoutumance aux ides fausses et aux passions. Stphane Arguillre, chercheur au CNRS, est l'auteur, entre autres, du Vocabulaire du bouddhisme (Ellipses, 2002). Facebook : La culture ne s'hrite pas elle se conquiert LES CONTESTATIONS Bouddhisme C'est la cessation complte de cette "soif" _fi\ Ainsi ai-je entendu : Une fois, le Bien- ~ heureux sjournait au parc des Daims, lsipatana, prs de Brnas [Bnars] . Il s'adressa aux cinq bhikkhus [moines] et dit : " bhikkhus, il existe deux extrmes qui doivent tre vits par quelqu'un qui est arriv une vie sans foyer:[ ... ] S'adonner aux plaisirs des sens, ce qui est infrieur, vulgaire, mondain, ignoble et engendre de mauvaises consquen- ces, et s'adonner aux mortifications, ce qui est pnible, ignoble, et engendre de mauvaises consquences. Sans aller ces deux extrmes, [ ... ]le Tathgata [Bouddha] a dcouvert la Voie du milieu qui prodigue la vision, qui donne la connaissance, qui conduit la quitude, la sagesse, l'veil et l'mancipation. Et quelle est[ ... ] cette Voie[ ... ]. Ce n'est que la Noble Voie octuple, savoir: le point de vue correct, la pense correcte, la parole correcte, l'action correcte, le moyen d'existence correct, l'effort correct, l'attention correcte et la concen- tration mentale correcte. [ ... ] Voici[ ... ] la vrit noble dite dukkha* . La naissance aussi est dukkha, la vieillesse est aussi dukkha, la maladie est aussi dukkha, la mort est aussi dukkha, tre uni ce que l'on n'aime pas est dukkha, tre spar de ce que l'on aime est dukkha, ne pas obtenir ce que l'on dsire est dukkha. En rsum, les cinq agrgats d'appropriation sont dukkha. Voici [ ... ] la vrit noble dite de l'apparition de dukkha. C'est cette " soif produisant la r- existence et le re-devenir et qui est lie une avidit passionne, qui trouve une nouvelle jouissance tantt ici , tantt l, c'est--dire la soif des plaisirs sensuels, la soif de l'existence et du devenir, la soif de la non-existence. Voici [ ... ] la vrit noble dite de la cessation de dukkha. C'est la cessation complte de cette "soif , c'est la dlaisser, y renoncer, s'en lib- rer, s'en dbarrasser. Voici [ ... ] la vrit noble dite le Sentier condui- sant la cessation de dukkha. C'est la Noble Voie octuple, savoir le point de vue correct, la pense correcte, la parole correcte, l'action correcte, le moyen d'existence correct, l'effort correct, l'attention correcte et la concentration mentale correcte. [ ... ] C'est avec la comprhension:" Ceci est la vrit noble dite dukkha que, dans les choses qui n'avaient pas t entendues auparavant, s'est leve en moi la vision, s'est leve en moi la connaissance, s'est leve en moi la sagesse, s'est leve en moi la science, s'est leve en moi la lumire. bhikkhus, c'est avec la comprhension:" Cette vrit noble dite dukkha doit tre comprise que [ ... ]s'est leve en moi la vision,[ . .. ]. C'est avec la comprhension :" Cette vrit noble dite dukkha a t comprise que, dans les cho- ses qui n'avaient pas t entendues auparavant, s'est leve en moi la vision,[ ... ]. C'est avec la comprhension :" Ceci est la vrit noble dite l'apparition de dukkha que [ ... ]s'est leve en moi la vision,[ ... ]. C'est avec la comprhension :" Cette vrit noble dite l'apparition de dukkha doit tre dtruite que[ ... ] s'est leve en moi la vision,[ ... ). C'est avec la comprhension:" Cette vrit noble dite l'apparition de dukkha a t dtruite " que [ .. . ]s'est leve en moi la vision,[ ... ). C'est avec la comprhension :" Ceci est la vrit noble dite la cessation de dukkha " que[ ... ) s'est leve en moi la vision, [ ... ). C'est avec la comprhension :" Cette vrit noble dite la cessation de dukkha doit tre atteinte que[ ... ) s'est leve en moi la vision,[ ... ]. C'est avec la comprhension:" Ceci est la vrit noble dite le sentier conduisant la cessation de dukkha que[ ... ) s'est leve en moi la vision, [ ... ]. C'est avec la comprhension :" Cette vrit noble dite le sentier conduisant la cessation de dukkha doit tre parcourue " que[ ... ) s'est leve en moi la vision,[ .. . ). C'est avec la comprhension:" Cette vrit noble dite le sentier conduisant la cessation de dukkha a t parcourue " que[ ... ] s'est leve en moi la vision, [ ... ). OHAMMA-CAKKAPPfWATTANA-SUTTA (LES QUATRE NOBLES V{R/T{S), IN MHAN WllAYARATNA, SERMONS OU BOUDDHA,> SEUIL, 2oo6. Le Point Rfrences Les textes fondamentaux 39 Facebook : La culture ne s'hrite pas elle se conquiert Cls de lecture ... a: - c .... LES CONTESTATIONS :z ... :& :& La coproduction conditionne c:: u ... .... 40 L a coproduction condi- tionne (acela-sutta) est indniablement la doc- trine la plus centrale, la plus spcifique et la plus constante du bouddhisme, sous toutes ses formes et toutes les po- ques. Elle ressort avec une singulire clart de cet extrait du canon pli*, la plus ancienne des compilations de l'enseigne- ment du Bouddha*, mme s'il n'a t couch par crit qu'au 1' sicle avant J.-C. La tradition veut en effet que les sermons du Bouddha aient t transmis de manire intgralement orale pendant les premiers sicles. Son objet, l'tat insatisfaisant de l'individu , est cela mme dont il tait question dans le texte prcdent sous l'intitul de la premire " noble vrit (cf p. 38). Le Bienheureux , le Bouddha, rpond aux questions de l'as- cte nu Kassapa : la souffrance de l'individu est-elle produite La constatation de la souffrance est le point de dpart de tout l'enseignement du Bouddha. par lui-mme (ou, mieux : par elle-mme) ? Ou a-t-elle sa cause hors de l'individu qui en ptit -voire: hors d'elle-mme, dans d'autres phnomnes ? Ou bien est-elle produite par une com- binaison de ces deux types de causes ? Ou surgit-elle sponta- nment et sans cause ? ces quatre questions , qui paraissent puiser toutes les possibilits, le Bouddha rpond pourtant par la ngative, alors qu'il ne peut pas vouloir dire que la souffrance n'existe pas, puisque sa constatation est le point de dpart de tout son enseignement. C'est que, pr- cisment, la coproduction conditionne ne dsigne pas simplement l'interdpendance de tous les phnomnes, comme on le lit souvent. Ni agent ni patient D'abord, l'ide d' une interd- pendance de chaque phno- mne l'gard de la totalit des autres n'est pas une ide communment admise dans le bouddhisme : elle est mme trs rare et n'apparat claire- ment que dans une seule cole du bouddhisme tardif chinois, le Huayen, et dans ses prolon- gements corens et japonais. Mme sous une forme plus raisonnablement rduite, cette conception ne signifie pas exactement qu' un phnomne - ici la souffrance - soit produit par une constellation de causes et conditions fortuitement ru- nies l'instant immdiatement antcdent . vrai dire, la coproduction conditionne ne caractrise pas seulement la manire dont les choses sont produites - sans qu' il y ait ni agent , ni patient pro- prement parler. C'est aussi, et peut-tre surtout, le nom de leur mode d'tre : quand on dit que l'arc-en-ciel se produit en dpendance de la pluie, de la lumire du soleil , de la posi- tion du spectateur, etc. , il n'est pas pour autant rellement produit ; il n'est un effet qu'au Les textes fondamentaux Le Point Rfrences sens o l'on parle d'un effet de manche : une apparence, ou une apparition, sans teneur aucune, qui n'est rien de rel s'ajoutant aux facteurs qui conditionnent sa manifesta- tion - d' o la doctrine de la Pour le bouddhisme, les existences successives sont un processus sans sujet ni substance, un cc dfil incessant de perceptions . vacuit , qui va s' panouir chez l'un des penseurs fonda- mentaux du Mahyna, Ngr- juna (cf p. 56). Le cycle des existences Cela dit, pour revenir de la question de la nature des cho- ses celle de leur mode de production, les lments dont cette prsentation ancienne et classique dresse la liste se com- prennent par rfrence deux ou mme trois vies successives, dans une conception du monde o l'homme erre dans le cycle des existences depuis des temps sans commencement. Mais ce qui importe, c'est de bien voir que le bouddhisme ne conoit pas ses existences successives comme le fait d'une me substantiellement identi- que, qui voyagerait d' un corps l'autre, et donc, proprement parler, comme une rincarna- tion ou mtempsychose*, mais comme un processus sans sujet ni substance, dfil incessant de perceptions . S.A. Facebook : La culture ne s'hrite pas elle se conquiert LES CONTESTATIONS Bouddhisme Conditionne par la naissance se produit la dcrpitude _fi'\ Ainsi ai-je entendu : une fois, le Bien- ~ heureux sjournait Kalandaka-nivpa, dans le parc des bambous, prs de la ville de Rjagraha. Un jour, le Bienheureux, s'tant habill de bon matin, prit son bol [ .. . ],puis entra dans la ville de Rjagraha pour recevoir sa nourriture. ce moment-l, un ascte nu appel Acela-Kassapa vit de loin le Bienheureux en qute de nourriture. L'ayant vu, [ ... ] Kassapa s'approcha du Bien- heureux et changea avec lui des compliments de politesse et des paroles de courtoisie, puis se tint debout l'cart sur un ct. [ ... ) Kassapa dit : Si l' honorable Gautama [Bouddha] nous le permet, s' il veut nous donner l'occasion d'couter sa rponse, nous voulons l'interroger sur un certain point. Le Bienheureux dit : Ce n'est pas le moment pour questionner, Kassapa, nous sommes parmi les maisons. [ . . . ) Lorsque cela fut dit par le Bienheureux, [ ... ) Kassapa persista : Ce n' est pas une grande chose que nous voulons vous demander. Le Bienheureux dit : Demandez alors, Kas- sapa, ce que vous voulez. [ . .. ) Kassapa demanda : " L' tat insatisfaisant [dukkha 1 de l'individu, honorable Gautama, est-il quelque chose de cr par lui-mme ? - Ce n'est pas comme cela qu'il se produit, Kassapa. - L'tat insatisfaisant de l' individu, honorable Gautama, est-il quelque chose de cr par quelqu' un d'autre ? - Ce n'est pas comme cela qu'il se produit, Kassapa. - Si l' tat insatisfaisant de l'individu n'est pas quelque chose de cr par lui-mme, si l' tat insatisfaisant de l'individu n'est pas quelque chose de cr par quelqu' un d' autre, alors, honorable Gautama, l'tat insatisfaisant de l'individu est-il quelque chose apparu par hasard ? - Ce n'est pas comme cela qu'il se produit, Kassapa. - L'tat insatisfaisant de l'individu, honorable Gautama, est-il une chose non existante? -Si, Kassapa, l'tat insatisfaisant de l'individu n'est pas une chose non existante. L'tat insa- tisfaisant de l'individu est une chose existante. [ ... ) - Comment cela peut-il tre alors, honorable Gautama? [ ... ) - Lorsque l'individu commet des actes et que le mme individu reoit leurs rsultats - comme vous l'avez dit au dbut par les mots : "l'tat insatisfaisant de l'individu est cr par lui- mme" -, une telle affirmation se rduit la thorie ternaliste. Lorsqu'on dit qu' un individu commet des actes et qu'un autre obtient leur rsultat - c'est--dire l'opinion selon laquelle on est dans l'tat insatisfaisant cause de la faute d'un autre-, une telle affirmation se rduit la thorie annihiliste. Dans ce cas, Kassapa, le Tathgata [Bouddha) enseigne la Doctrine sans aller ces deux extrmes, mais selon la Voie du milieu, selon laquelle : conditionnes par l'ignorance se produisent les compositions mentales ; conditionne par les compositions mentales se produit la conscience ; conditionns par la conscience se produisent les phnomnes mentaux et physiques ; conditionnes par les phnomnes mentaux et physiques se produisent les six sphres; conditionn par les six sphres se produit le contact [ ... ] ; conditionne par le contact [sensoriel et mental] se produit la sen- sation; conditionne par la sensation se produit la soif; conditionn par la soif se produit I' atta- chement ; conditionn par l'attachement se produit Je processus du re-devenir ; condition- ne par le processus du re-devenir se produit la naissance ; conditionns par la naissance se produisent la dcrpitude, la mort, les lamen- tations, les peines, les douleurs, les chagrins, les dsespoirs. De cette faon se produit ce monceau de dukkha. [ ... ] Cela tant dit, l'ascte nu Kassapa dit au Bien- heureux :" C'est merveilleux, Vnr[ ... ]. De mme que l'on redresse ce qui est renvers, [ ... ]que l'on indique le chemin !'gar ou que l'on apporte une lampe dans l'obscurit[ ... ], le Bienheureux a rendu claire la doctrine de nombreuses faons . ACELA-SUTTA (LA COPRODUCTION CONOITIONN{E), IN MHAN WIJAYARATNA, SERMONS OU BOUDDHA, (C) SEUIL, 2006. Le Point Rfrences Les textes fondamentaux ... .... >C ... .... ... ... 41 Facebook : La culture ne s'hrite pas elle se conquiert Cls de lecture LES CONTESTATIONS ... a: - .. .... z ... IE IE a u ... .... 42 Le Stra du Lotus, selon le Bouddha A u cours du 1er sicle de notre re, le boud- dhisme connat une inflexion dcisive avec l'appa- rition du Mahyna ou Grand Vhicule. Le texte dont ce pas- sage est issu, le Stra du Lotus, en est la premire grande proclamation. Ce mouvement se caractrise d'abord par un changement d'orientation thi- que : les pratiquants y sont invits, non plus seulement chercher l'apaisement de leurs souffrances dans le nirvna * au moyen de la simple abolition de l'ignorance et des passions, mais tendre vers le suprme et parfait veil , un tat gal celui du fondateur du boudd- hisme, et cela par compassion envers tous les tres : cet veil est en effet cens permettre de faire le bien des tres l'infini, comme on le dcouvre la lec- ture de cet extrait. Le Grand Vhicule Ce qui caractrise le Grand Vhi- cule, ce n'est nullement, comme on le lit parfois, un renonce- ment au nirvna personnel qui serait un maintien perptuel dans les souffrances du sam- sra*, le cycle des existences o l'on erre sous l'emprise de l'ignorance et des passions, pour y faire le bien des tres. Au contraire, l'tat vis est plus parfait- et sans doute bien plus heureux encore- que celui vers lequel tendait la tradition ant- rieure, rebaptise pjorative- ment Petit Vhicule en raison de ses objectifs purement indi- viduels. Mais cet tat est surtout caractris par une puissance bien plus vaste d'agir pour le bien d'autrui. C'est ce dont parle notre texte : la mtaphore du grand nuage s'levant au-dessus des mondes illustre d' abord l'ampleur de cette puissance du Bouddha*. Elle n'est cependant pas revtue d'attributs divins incompatibles avec le cadre doctrinal du bouddhisme: ainsi, si !'veill a pour chaque tre une gale et infinie bont- c'est ce qui est illustr par l'analogie de la pluie unique et des capa- cits diverses des plantes absorber l'eau dverse-, il ne peut venir au secours de chaque tre que dans la mesure des dispositions et des aspirations de celui-d. En somme, selon la tradition, il en va des Bouddhas comme de soleils rpandant sans parti pris leur lumire en Le Bouddha est conu comme agissant de manire parfaitement adquate, mais sans concept ni intention. tous sens, mais dont les rayons peuvent tre empchs d'attein- dre certains lieux par les obs- tacles que sont l'ignorance, les passions ou le manque de mri- tes. Il est comme une lune dont le reflet se forme spontanment sur toute surface rflchissante, mais non ailleurs, sans qu'il y aille, de la part du Bouddha, d'une grce arbitrairement dis- pense ou refuse. La puissance du Bouddha n'a donc rien de celle d'un Dieu crateur et sou- verain de l'univers. La parabole a par ailleurs un autre sens : l'action du Bouddha est qualitativement une; c'est Les textes fondamentaux Le Point Rfrences Bouddha de Gandhara (nord de l'Inde), l" -11' sicle aprs J.-C. la rceptivit diffrencie des tres, et elle seule, qui fait qu'elle parat se dployer en d' innombrables expdients, toujours parfaitement adquats leurs destinataires. La para- bole souligne aussi un autre aspect des choses : le Bouddha est conu comme agissant la fois de manire parfaitement adquate, et cependant sans concept ni intention - il rpond aux besoins des tres de la manire la plus idoine, sans avoir calculer son action, spontanment, et cela en mani- festant d'innombrables incar- nations la fois dans une infi- nit de mondes. On se demande parfois, lire les textes, quelle est, dans cette immense activit salvatrice, la part qui revient en propre au Bouddha, et celle qui est le fait des tres convertir , dont les particula- rits dterminent la manire singulire dont le Bouddha se manifeste eux. S.A. Facebook : La culture ne s'hrite pas elle se conquiert Je suis celui qui expose la Voie _ I'\ Kyapa, imagine, par exemple, les r herbes et les arbres, les forts et les simples qui poussent de par les monts et les fleuves , les valles et les sols du monde tricosmique ; dans leur diversit et leur varit, chacun est diffrent par son nom et sa forme. Une dense nue va couvrir l'ensemble du monde tricosmique ; en un mme moment , elle se rpand en une pluie gale, dont l'humidit fertilise universellement herbes et arbres, forts et simples [ ... ] : les arbres grands et petits, selon qu'ils sont de haute, moyenne ou basse taill e, en reoivent chacun. Avec la pluie d'un seul et mme nuage, ils obtiendront, confor- mment leur nature sminale, de crotre, de fleurir et de porter des fruits. Bien que ns d' un mme sol, fertiliss d' une mme pluie, herbes et arbres sont tous distincts les uns des autres. Il te faut le savoir, Kyapa, il en va tout de mme pour )'Ainsi-Venu [le Bouddha] : il appa- rat au monde comme surgit le grand nuage; il porte, de sa grande voix, l'universalit des dieux, hommes et titans du monde, de mme que le grand nuage couvre universellement les terres du monde tricosmique. Au sein d' une grande foule, il proclame ces paroles : " Je suis l'Ainsi-Venu, le Digne d'offrande, au savoir cor- rect et universel, muni de science et de pratique, bien parti, comprenant le monde, hros suprme, dompteur, prcepteur des dieux et des hommes ( ... ], qui mne l'Extinction ceux qui n'y sont pas encore. Les existences prsentes et venir, je les connais en leur ralit, je suis lomniscient, l'omnivoyant, celui qui connat la Voie, celui qui ouvre la Voie, celui qui expose la Voie. Vous tous, multitude de dieux, d' hommes et de titans, devez venir ici afin d'couter la Loi. ce moment, toutes sortes d'tres, en d'in- nombrables milliers de myriades, viennent auprs de l'veill et coutent la Loi. L'Ainsi- Venu discerne alors le caractre aigu ou obtus des facults des tres, leur nergie ou leur inertie, et leur expose la Loi selon ce qu'ils peuvent en supporter, en d'innombrables vari- ts, les menant tous la joie et l'obtention allgre de bienfaits. Ces tres, ayant entendu la Loi, sont soulags pour l'existence prsente LES CONTESTATIONS Mahyna .... .... >C .... et, pour l'existence suivante, renatront en des lieux propices, o ils recevront, selon leur voie, la flicit et obtiendront encore d'entendre la Loi. Une fois qu'ils l'auront entendue, ils seront dgags des obstacles et, au sein des diffrents enseignements, conformment ce que leur force permettra, ils entreront graduellement dans la Voie, de la mme faon que, le grand nuage ayant rpandu sa pluie sur les herbes et les arbres, les forts et les simples, selon leur nature sminale, ils bnficient en totalit de l'aspersion et chacun obtient de crotre. La Loi que prche l' Ainsi-Venu a un unique aspect, une unique saveur, savoir l'aspect de dlivrance, l'aspect de dgagement, l'aspect de disparition, parachev dans la science de toutes les espces. Ceux des tres qui entendent la Loi de l'Ainsi-Venu, soit qu'ils la prservent, la rci- tent ou la pratiquent telle qu'elle a t expose, ne se rendent pas compte des mrites qu'ils acquirent ainsi. Comment cela se fait-il ? C'est que seul l'Ainsi-Venu connat l'espce, l'aspect, la substance et la nature d'un tre, ce quoi il pense, ce quoi il rflchit, ce quoi il s'exerce [ ... ]. La varit des terres o demeurent les tres, seul )'Ainsi-Venu la peroit en sa ralit, avec une lucidit laquelle rien ne fait obstacle. [ .. . ] Les herbes et les arbres, les forts et les simples, ne savent pas d'eux-mmes qu'ils sont de nature suprieure, moyenne ou infrieure, alors que l'Ainsi-Venu sait qu'il s'agit d' une Loi d' aspect unique et de saveur unique ( .. . ]. L' veill, ayant pris connaissance de cela, consi- dre les dsirs dans la pense des tres et se soucie de prserver ces derniers : c'est pourquoi il ne leur prche pas immdiatement la science de toutes les espces. SADDHARMAPUNDARKASTllA, CH. IV, TRAD. J.-N. ROBERT, LE STRA DU LOTUS,> LIBRAIRIE ARTHME FAYARD, 1997. .... .... .... Le Point Rfrences Les textes fondamentaux 43 Facebook : La culture ne s'hrite pas elle se conquiert Cls de lecture .... a: - .. ..... LES CONTESTATIONS :z .... :& :& Le Stra de /'Entre Lank c:: u .... .... 44 P robablement dat du 1' sicle aprs J.-C., ce stra* prsente le ver- sant thorique du Mahyna qui, outre sa dimension thique, telle qu'elle apparat dans le Stra du lotus (cf p. 42), se caractrise aussi par son ouver- ture sur la spculation philo- sophique. Dans ses premires constructions doctrinales, le bouddhisme* prsentait les choses et les tres en les com- parant des nues d'atomes matriels et mentaux instanta- ns, issus de la '' coproduction conditionne (cf p. 36). Si le moi est une illusion, c' est que l'individu, comme tout le reste, est un flux d' lments instantans, chaque moment des constellations de phno- mnes y dterminent la pro- duction des vnements du moment suivant. Les " touts sont des fictions , mais les par- Idaliste, la pense bouddhique s'est achemine vers une ngation de toute ralit extrieure l'esprit. ties infinitsimales (matrielles ou mentales) sont relles ; comme elles ne durent qu'un instant, toute ide d'une " chose subsistante ou d' un vne- ment tendu dans le temps est sans rfrent rel. Les particules n' en existent pas moins dans l'instant o elles sont produites. En somme, dans ces premires conceptions, il fallait l'illusion un substrat rel - la nacre que l'on prend pour de l'argent, ou la corde raye prise dans la pnombre pour un serpent. Avec le Mahyna, le bouddhisme en est venu poser que " la vie est un songe : la dissolution de ce mince rsidu de ralit a t toujours plus loin, selon deux axes principaux (qui, chez certains auteurs tardifs, ont d'ailleurs fini par se combiner). La vacuit D' un ct, dans le style de la Prajnpramit auquel Ngr- juna (cf p. 56) a donn son expression argumente, s'est dveloppe une philosophie de la vacuit , allant jusqu' poser que les composants ne sont pas plus rels que leurs composs, que les parties sont en dernire analyse aussi insai- sissables que les touts. D' un autre ct, comme dans cet extrait, la pense bouddhi- que s'est achemine vers une ngation de toute ralit ext- rieure l'esprit. Inspirs sans doute par une mditation sur le rve et mus par les contra- dictions des thories bouddhi- ques antrieures de la percep- tion, les auteurs de l'idalisme bouddhique en sont venus imaginer l'esprit comme " l'toffe dont sont faits nos songes - les perceptions de l'tat de veille autant que les hallucinations du sommeil.D'o cette comparaison de l'ocan et des vagues . Elle n'est d'ailleurs pas sans difficult dans le contexte du boud- dhisme: il n' est pas port, au fond, distinguer la matire de Les textes fondamentaux Le Point Rfrences la forme - ce qu'est une chose de ce de quoi elle est faite. C'est pourquoi cette doctrine de la " conscience fondamentale devait faire l'objet d'pres dbats, d' autant qu'elle a, ds Cette conscience fondamentale, appele ici esprit , se dmultiplie, se faisant la fois le thtre, le spectateur et la danseuse . le dbut, t perue comme rintroduisant le " Soi des brahmanes* , si constamment ni depuis les origines du bouddhisme. Toujours est-il que c'est cette conscience fon- damentale, appele ici " esprit , qui se dmultiplie, se faisant la fois " le thtre, le spectateur et la danseuse , selon un autre passage du mme texte. Une hallucination L'esprit, abus par le spectacle d'illusions qu' son insu il se donne lui-mme, y ragit par des passions, motives par cette hallucination, qui sont leur tour causes, au travers des empreintes qu' elles laissent dans l'esprit, de pseudo-per- ceptions futures . On devine aisment les difficults que les bouddhistes peuvent avoir eu combiner cette doctrine, selon laquelle l'esprit de chacun est en somme enferm en lui- mme, " sans portes ni fen- tres , avec le puissant idal altruiste que l'on a vu dans l'extrait prcdent .. . S.A. Facebook : La culture ne s'hrite pas elle se conquiert LES CONTESTATIONS Les consciences naissent avec l'esprit Mahyna .... .... >C .... .... .... ..... _ I'\ Quatre raisons sont ncessaires la , naissance de la conscience visuelle. Lesquelles ? 1. Le fait de saisir [des objets extrieurs ) et de croire leur ralit sans comprendre qu'ils ne sont que des per- ceptions; 2. la vaine habitude de s'attacher aux formes depuis des temps sans commen- cement ; la nature mme de la conscience ; [ ... ) 4. le plaisir de percevoir les formes et les couleurs dans leur varit. C'est bien pour ces quatre raisons, Mahmati, que la conscience fondamentale produit sa surface, comme une eau agite, les vagues des consciences. Et il en est des autres conscien- ces sensorielles comme de la conscience visuelle. Dans les particules et les espaces vides de chaque facult sensorielle, la conscience visuelle et les autres consciences drives apparaissent subitement comme les formes dans un miroir, ou progressivement comme les vagues que le vent soulve sur l'ocan : sur l'ocan de l'esprit, le vent des objets soulve des vagues qui se succdent sans interruption. Mahmati , les apparences issues de cette cause ne sont ni une ni multiples ; leurs actions et leur naissance sont relies entre elles par des liens trs profonds. Avec son corps et ses cinq sens, l'individu drive de l'incapacit reconnatre la nature vritable des formes et des autres objets des sens. [ ... ] Mahmati, les mditants qui entrent en extase ne sont pas conscients des mouvements sub- tils de leurs schmas habituels . Ils pensent que leur extase est l'effet de l'arrt des conscien- ces, mais ce n'est pas le cas puisqu' ils n'ont pas aboli les germes de leurs habitudes. Ils appellent extinction des consciences leur simple dsintrt pour les objets. Les activits de la conscience fondamentale sont si subtiles, Mahmati, que seuls les boudd- has* et les bodhisattvas* peuvent les recon- natre, et non les adeptes des deux vhicules infrieurs ou les non-bouddhistes , quelle que soit la force de leur concentration et de leur connaissance. Seuls ceux qui , s' adonnant une mditation conforme au rel , ont assez de sagesse pour comprendre les particularits des niveaux spirituels et le sens des textes, de mme que les racines de bien accumules l'infini par les bouddhas, seuls ceux-l peuvent saisir [les activits de la conscience fondamen- tale] sans se perdre en fictions sur ce que leur propre esprit leur donne percevoir. [ ... ) Le Vnr des mondes [Bouddha] reprit alors en vers : Il en est comme des vagues gantes Que le vent soulve sur l'ocan, Ces immenses rouleaux qui creusent De profonds ravins sans rpit . L'ocan de la conscience fondamentale Reste toujours le mme Quand l'agite le vent des mondes d'objets En formant toutes les vagues des consciences Qui se reproduisent en se chevauchant. [ .. . ) Il faut savoir que les sept consciences, Dont le mental, sont galement ainsi : De mme que l'ocan et les vagues, Les consciences naissent avec l'esprit. De mme que les mouvements de l'eau Crent mes vagues de l'ocan, De mme les diffrentes consciences Naissent de la conscience fondamentale. L'esprit, le mental et la conscience mentale Sont de ce fait des aspects de la conscience. Ces huit consciences ne prsentent pas [de diffrences En tant qu'elles ne sont ni sujet ni objet. l'image de l'ocan et des vagues Qui ne sont point diffrents, Il est impossible de trouver quelque [diffrence Entre les consciences et l'esprit. STllA OE L'ENrRtE A LANK, Il, 9. TRAD. P. CARR, LIBRAIRIE ARTHME FAYARD, 2oo6. Le Point Rfrences Les textes fondamentaux 45 Facebook : La culture ne s'hrite pas elle se conquiert Cls de lecture LES CONTESTATIONS .... a: - ... .... :z .... :& :& c:::t u .... ... 46 Les gamas jans L e janisme, ou jinisme, tire son nom du mot sanskrit* Jina, Je vainqueur , celui qui est arriv vaincre ses pas- sions. Remontant pour ses adeptes aux temps les plus reculs, cette religion apparat historiquement avec Je vingt- q ua tri me Tirthankara (frayeur de voie , en sanskrit), Vardhamna (599-527 av. J.-C. selon la tradition) . galement appel Mahvra, grand hros , il rforma au v1 sicle avant J.-C. Ja doctrine reue de ses matres et organisa la com- munaut. Son enseignement, transmis oralement de gnra- tion en gnration des disci- ples privilgis puis mis par crit, probablement vers le ive sicle avant J.-C., est au fon- dement des textes canoniques, les gamas* . Se vaincre soi-mme Leur leon essentielle ? C'est en l'homme, et en lui seul, que se trouve la solution pour se dlivrer des cycles de renais- sances. Pour le janisme en effet, l' homme est dual , la fois me et matire (karma*) . Or le karma imprgne son me et l' loigne de la perfection. L'homme doit donc tre capable de Je vaincre. Mais il ne suffit pas pour cela de renoncer au dsir, comme dans le boudd- hisme* . La Dlivrance (moksha*) pour un jan passe par un terrible combat contre soi-mme, comme le rappelle ici cet extrait du Uttaradhyayana- stra, un texte de 36 chapitres o se mlent aphorismes et rcits. L' homme doit d'abord se vaincre lui-mme. Mais corn- Mahvra, grand hros du janisme. Vahims implique un vgtarisme strict et une attention de tous les instants l'autre. ment se vaincre? Le deuxime extrait insiste sur les voies plu- rielles qui permettent d'attein- dre cette libration, notamment l'tude des textes sacrs et le comportement juste, qui vite de crer du karma, les actes nocifs qui alimentent le passif de l'individu et le condamnent irrmdiablement au cycle des renaissances. Se dlivrer, c'est viter les actes mauvais, sou- vent des blessures infliges aux autres tres, les hommes bien sr, mais aussi les lments, la flore et la faune. Pour le janisme, l'homme en effet n'est qu' un parmi les mil- liers de composants du monde. Rien ne justifie qu' il puisse, mme pour ses besoins, encore moins pour son plaisir, porter atteinte autrui. Car tout est li, comme le rappelle le troi- sime texte ci-contre, extrait du Sutrakritanga, l'un des plus Les textes fondamentaux Le Point Rfrences importants du janisme. li expose de manire trs image le prin- cipe de l'ahims, "les non-dom- mages ou l'absence de dsir de nuire toutes les formes de vie, que nous traduisons par principe de non-violence. L' ahims est la pierre angulaire de l'thique et de la doctrine jan. Elle implique le vgtarisme le plus strict, mais aussi une attention de tous les instants l'autre, d'o ces Indiens nus qui , sur les routes, balayent la terre devant eux pour viter de bles- ser les formes les plus minus- cules de la vie. Gandhi (cf p. 88) largira cette notion au combat politique. Les nus et les blancs Mais l'ahims ne protgera pas le janisme des conflits. En 79 aprs J.-C. , la communaut se divisa officiellement en deux courants, d'un ct les digam- baras, les " nus , et les suetm- baras, les " blancs . Les digam- baras firent de la nudit une condition indispensable de la Dlivrance, et exclurent les femmes de l'accs la perfec- tion. Surtout, ils vont s'opposer l'authenticit du canon des suetmbaras, et conclure la perte dfinitive des textes anciens, prfrant s'en remet- tre l'autorit des " Pres de l'glise , Jeurs matres, mme si les principes des deux cou- rants demeurent quasiment les mmes. Tout au long des ges, le souci de puret et d'or- thodoxie va continuer de tra- vailler le janisme, provoquant l'apparition de nombreuses sectes se rattachant aux sue- tmbaras. C. G. Facebook : La culture ne s'hrite pas elle se conquiert LES CONTESTATIONS Ja nis me .... .... >C .... .... Bats-toi avec toi-mme .... ..... _ I'\ Un homme aura beau avoir vaincu des milliers et des milliers de vaillants enne- mis, plus grande sera sa victoire s'il ne vainc personne d'autre que lui-mme. Bats-toi avec toi-mme ; pourquoi te battre avec des ennemis extrieurs? Celui qui vainc lui- mme en travaillant sur lui-mme obtiendra le bonheur .. . Le soi est difficile vaincre, mais quand le soi est vaincu, tout est vaincu. UITARADHYAYANA-STllA, TRADUCTION ORIGINALE DE Apprends la vraie route qui mne la dlivrance finale, celle que les Jinas ont enseigne. Cela dpend de quatre causes et est caractris par le savoir juste et la foi. Le savoir juste, la foi , l'attitude droite et le dpouillement ; c'est la route enseigne par les Jinas qui ont atteint le plus haut savoir. Le vrai savoir, le comportement conforme la foi , et l'austrit - celui qui suit cette voie obtiendra la batitude. Le savoir comprend cinq volets : 1. Struta, celui qui drive des livres sacrs ; 2. la perception ; 3. le savoir supranaturel; 4. le savoir des penses de l'autre ; 5. Kevala, le savoir le plus lev, illimit. [ ... ] Celui qui atteint le comportement juste grce l'tude des stras* , que ce soit les angas ou d'autres uvres, celui-ci crot par l'tude des stras. Celui qui comprend correctement une vrit amliore sa comprhension de la vrit, juste comme une goutte d' huile s'tend sur la surface de l'eau, celui-ci croit grce la sug- gestion. Celui qui connat vraiment le canon, c'est--dire les onze angas, les prakirnas, et les drishtivadas, crot grce la comprhension des textes sacrs. Celui qui comprend la vraie nature de toutes les substances grce aux preu- ves et aux arguments logiques, celui-l crot par un cursus d'tude complet . [ ... ] Celui qui pratique sincrement tous les devoirs qu'impliquent le savoir juste, la foi , et le compor- tement droit, obtenu grce l'asctisme et la discipline, celui-l crot par l'exercice religieux. Celui qui s'carte des doctrines nocives alors mme qu'il ne connat pas les doctrines sacres ou qu'il n'est pas au courant des autres systmes, celui-ci crot par un bref expos. Celui qui crot dans la vrit des ralits, dans les stras, le comportement juste, tels qu'ils ont t expliqus par les Jinas, celui-l crot par la Loi. Sans foi, il n'est pas de connaissance, sans connaissance, il n'y a pas de conduite vertueuse, sans vertus, il n'y a pas de dlivrance, et sans dlivrance, il n'y a pas de perfection. IBID. Ces catgories d'tres vivants ont t dclares par les Jinas : la terre, l'eau, le feu, le vent, l'herbe, les arbres et les plantes. Et les tre anims, la fois ceux qui pondent des ufs et ceux qui donnent naissance des tres constitus, ceux qui sont gnrs par la boue et ceux qui le sont par les fluides. Sache et comprends que tous dsirent le bonheur. Celui qui les blesse fait souffrir sa propre me et renatra indfiniment sous la forme de l'un d'entre eux. Chaque tre, n en haut ou en bas dans l'chelle de la cration, parmi les tres anims ou immo- biles, rencontrera sa mort. Quelles que soient les fautes que commet celui qui agit mal chaque renaissance, cause d'elles, il doit mourir. Dans ce monde ou dans les autres, les pcheurs souffrent eux-mmes de ce qu'ils ont inflig aux autres, une centaine de fois , ou ils connaissent d'autres punitions. vivre dans le samsra* , ils acquirent toujours un nouveau karma et souffrent pour leurs erreurs. Certains quittent leur mre et leur pre pour vivre comme des asctes, mais ils utilisent du feu. Le prophte Mahvra a dit : Est mchant celui qui tue un tre pour la satisfaction de son seul plaisir. Celui qui allume un feu tue des tres vivants ; celui qui l'teint tue le feu. En consquence, un homme sage qui examine bien la Loi ne devrait pas allumer de feu. La terre contient la vie, et l'eau contient la vie ; les insec- tes qui sautent ou volent tombent dans le feu ; [ ... ] tous ces tres sont brls par le fait d'al- lumer un feu. SUTRAKRtrANGA. Le Point Rfrences Les textes fondamentaux 47 Facebook : La culture ne s'hrite pas elle se conquiert Repres LES CONTESTATIONS Moines contre asctes Le bouddhisme est une pense du juste milieu qui mitives et des criminels. Par bnficiaient d' un niveau de refuse l'excs et les mortifications, d' o une vie deux fois, le Parivara ' dit vie largement suprieur ce- monastique plutt confortable, en rupture avec la qu' on s' installe dans la fort lui de la population sculire tradition indienne. par stupidit, par confusion ; qui les entourait. On peut donc un homme qui lit domicile penser que ce bien- tre tait Tel que nous l'imaginons Quand ce souverain, qui l'on dans la fort est anim de mau- moins d la mditation qu' aujourd' hui , le moine attribue peut-tre tort un rle vaises intentions, empl i de des administrateurs habiles et bouddhiste est un individu vi- majeur dans l'organisation du convoitise ... Un autre texte, une bonne gestion. vant seul dans la fort, serei- bouddhisme indien, voque le Mu/asarvastivada-vinaya, se Certes, ces recueils mention- nement assis au pied d'un arbre cette religion, il utilise le mot moque lui aussi de ces ermites nent la mditation, et sous <!' et plong dans une profonde sangha, qui signifie commu- et les prsente comme turbu- plusieurs appellations diffren- li ::; mditation. Or, si de tels hom- naut, association, compagnie, lents, irresponsables, et sou- tes, mais ils ne la citent que t'. <( mes purent exister certaines terme qui semble appartenir vent comme des dviants rarement, et jamais de ma- c j priodes de l'histoire du boud- une srie d'expressions em- sexuels. nire trs positive. Au mieux ~ dhisme indien - et existent pruntes par les bouddhistes elle demeure un idal embl- ~ peut-tre encore aujourd'hui aux premires guildes corn mer- On s'installe matique vague et strotyp. t9 dans des pays corn me le Sri ciales indiennes. De mme, rien dans les vestiges Lanka ou la Thalande - , ils dans la fort archologiques ne confirme demeurent des exceptions. Ces Irresponsables ermites par stupidit, qu'elle avait une place claire- religieux ne sont ni ceux qui C'est certainement le dsir par confusion. ment attribue dans l'organi- rdigrent les rgles monasti- d'viter les affres de l'asctisme sation des monastres. Difficile ques qui nous sont parvenues radical, et l'image ambivalente, donc de voir comment elle ni ceux qui difirent les bti - repoussante et mme effrayan- Dans le mme temps, les pouvait constituer l'essence ments dont l'archologie nous te que cette pratique avait auteurs du Vinaya - le corpus de la vie religieuse telle que la a permis de retrouver les ves- auprs du grand public, qui a de rgles qui organise la vie concevaient les vinayas ... tiges. Ce n'tait pas l' individu pouss le bouddhisme mar- des communauts monasti- Mais que savons-nous donc de isol, celui que l'Inde moderne ginaliser de plus en plus l'er- ques - reconnaissent volon- la vie quotidienne dans ces appelle le sdhu, que s'adres- mite mditant et solitaire de tiers que leurs communauts premires communaut s saient ces rdacteurs, mais la fort, ses yeux doublement vivent bien, dans des bti- bouddhistes? Nous n'avons des groupements . C'est coupable: on lui attribuait des ments confortables, bien meu- retrouv jusqu'i ci qu'une d'ailleurs en tant que commu- pouvoirs magiques tenus pour bls, et qu' ils bnficient seule rgle quotidienne, nauts que le bouddhisme perturbants et dangereux, et il d' une nourriture et de bois- dans le Mu/asarvastivada-vi- apparat dans l'histoire, tra- vivait dans la fort, espace sons excellentes. Comme les noya, dont plus d'un spcia- vers les dits du roi Ashoka* considr comme le repre des moines chrtiens du Moyen liste pense qu'i l est nettement au 111 ' sicle avant notre re. btes sauvages, des tribus pri- ge, ces moines bouddhistes plus archaque que la plupart 48 Les textes fondamentaux Le Point Rfrences Facebook : La culture ne s'hrite pas elle se conquiert Disciples pleurant la mort du Bouddha, fresques d'Ajant (v' sicle). des autres vinayapitakas. Cette rgle ne fait pas rf- rence la mditation, mais montre au contraire une com- munaut occupe par le rituel et contrainte de nombreuses obligations pour rpondre aux vux de ses donateurs et de ses mcnes. La journe dmarre et se ter- mine par une runion com- mune avec encensoir, encens et chants en l' honneur de Bouddha*. On annonait la date du jour, avant de commen- cer la rcitation des versets canoniques pour le mrite du donateur ou du propritaire du monastre, pour tous les bien- faiteurs de la communaut, cits individuellement et par leur nom, et pour les divinits locales protectrices de la com- munaut. Selon le nombre de bienfaiteurs et de dieux, cette rcitation pouvait prendre trs longtemps, et l'ensemble deva(t tre rpt deux fois par jour, une fois par la communaut en tant qu'assemble, et ensuite individuellement par chaque membre. Des rgles orga- nisant les activits saisonnires des moines, reprises dans plu- LES CONTESTATIONS Repres sieurs vinayapitakas, vont dans la mme direction. Tous ces recueils voquent des btiments permanents d' une architecture labore, ou des complexes rsidentiels dans lesquels vivaient les commu- nauts bouddhiques. Ils taient appels viharas ou aramas, deux termes traduits de ma- nire approximative par mo- nastres . Les vestiges que nous avons retrouvs n'appa- raissant qu'au 1" sicle avant Mme s'il existait des btiments permanents, les communauts n'taient que temporaires. notre re, il est bien sr diffi- cile d'imaginer que les vinayas aient t rdigs antrieure- ment. Il semble toutefois que, mme s' il existait des bti- ments permanents, les com- munauts n' taient que tem- poraires et fluides, et se reconstituaient chaque anne. Certains moines vivaient seuls et demeuraient itinrants, allant d' un endroit l'autre. C'tait seulement avec l'arrive des pluies de mousson, et pour une priode d'au moins trois mois, qu'un moine devait re- joindre un vihara et signaler par un rituel formalis son appartenance une commu- naut donne. La gestion du sangha Cette priode de stabilit pou- vait sembler le moment idal pour poursuivre une dmarche spirituelle, mais c' tait aussi celui pendant lequel les fidles avaient un accs assur aux moines, et les vinayas indi- quent clairement que leurs besoins taient prioritaires. Ainsi, quand un fidle deman- de sa prsence l'occasion d'un mariage, d'une naissance ou d' une maladie, le moine doit absolument rpondre son appel et peut dans ce cas s'absenter du vihara jusqu' sept jours. Il doit aussi tenir le vihara propre et en bon tat, ce qui implique qu'il sollicite des donations, qu' il prte contre intrt une partie des fonds du monastre, ou qu'il emprunte de l'argent pour la communaut. Il doit supervi - ser les rparations ou les nou- velles constructions, et pour cela acheter l'quipement ncessaire, organiser et payer la main-d'uvre, suivre les travaux et s'occuper des dona- teurs mcontents ; il doit soi - gner les malades et les infir- mes de la communaut, etc. Certains bouddhistes se plai - gnent dj dans les premiers stras de cette vie trop occu- pe aux tches matrielles. Mais c'est aussi travers cette gestion du sangha que s'est manifest le rayonnement de la foi bouddhique ... Gregory Schopen, spcialiste du bouddhisme indien, professeur l'UCLA, auteur, entre autres, de Buddhist Monks and Business Matters. Still More Papers on Monastic Buddhism in lndia (University of Hawai'i Press, 2004). (Article traduit de l'amricain par Catherine Golliau, dj paru dans Le Bouddha, collection du Point " Les matre-penseurs , n' s.) 1. Texte en langue pli* qui consti tue la dernire section de l'une des versions du Vinaya. Le Point Rfrences Les textes fondamentaux 49 Facebook : La culture ne s'hrite pas elle se conquiert Introduction L'GE CLASSIQUE son apoge, du veau xe sicle, l'Inde des philosophes, qu'ils soient hindouistes, bouddhistes ou jans, se passionne d'abord pour l' tman, le soi. QUI EST cc JE >>? Par Michel Angot L 'Inde ancienne n'a connu ni philosophes de profession ni mme de discipline philo- sophique. Pourtant, la production philoso- phique y fut considrable : plus de huit mille titres recenss ce jour, sans inclure les indits. Tous crits en sanskrit*, non plus la langue sacre du Veda que les brahmanes* continuent rciter, mais une langue mot phonique, et si je parle, il accompagne l'locution. Aux 1xe-xe sicles, Abhinavagupta et ses partisans constitueront un langage sacr et secret fond sur la valeur des phonmes. Selon eux, depuis une sorte de Big-Bang, la dynamique des phonmes dploie le monde. Ces formes de la parole sont nommes mantras* , d'un mot vdique qui dsignait les nouvelle, le sanskrit classique . Artificielle bien des gards, elle est pour l'Asie du Sud ce qu'est alors le latin pour l'Europe. Quant aux pro- Certains bouddhistes iront jusqu' nier l'existence du monde, qui est simple chatoiement d'apparences. formules rcites pen- dant les rituels. Mais l, les mantras deviennent la forme la plus efficiente de la Parole, tenue pour ducteurs de ces uvres, ce sont des pandits, rudits qui, au-del des textes sacrs de leurs coles respectives (Upanishad pour certains brahmanes, tantras* ou gamas* pour d'autres, sermons du Bouddha*, etc.), sont tous rompus aux mmes disciplines de base, en premier lieu la grammaire et l'analyse des textes. L'rudition grammaticale et linguistique trouve sa source dans la grammaire de Pnini (vers le IV" sicle av. J.-C.) . Entrer dans l'intimit du mot, c'est en effet analyser le rel. Plutt que de dire qu'un objet a un nom, il vaut mieux dire que le nom a un objet. Lemotgauh (vache) et l'objet vache sont en relation ncessaire, c'est le dharma* qui les associe ternellement. Ce trinme bra- hmanique mot/objet/ reprsentation sera remis en cause par le bouddhisme* pour qui la rela- tion entre ralit psychologique et mot est contingente. Certains bouddhistes iront mme jusqu' nier l'existence du monde, chatoiement d'apparences donnant une information sur sa propre inanit. ces critiques svres, la rponse brahmanique sera double : elle a d'abord dve- lopp l'ide du pada, Ia notion en quelque sorte. Si j'coute, le pada est produit par l'audition du 50 1 Les textes fondamentaux Le Point Rfrences l'nergie mme de la divi- nit. Pour Abhinavagupta, Dieu est phonique, il est grammairien. l'uvre et les commentaires Mais ,la Rvlation, parce que lacunaire et contra- dictoire, rend aussi obligatoire l'exgse, qui est une discipline part entire, de mme que la logique et la controverse : le dbat est essentiel. On attend ainsi du vaincu qu'il devienne le dis- ciple du vainqueur, sa honte rejaillissant sur son cole. L'enseignement est organis en fonction : il faut pouvoir rpondre aux questions, ce qui impose de pouvoir parler de tout. La majorit des uvres produites sont donc des commen- taires qui, avec le temps, deviennent si importants qu'ils s'imposent mme au texte comment. Ainsi du Brahma-stra par rapport aux Upanishad (cf p. 14) ou du Commentaire de Shankara (cf p. 64) par rapport au mme Brahma-stra ... Mais le savoir est un legs de l'ternit; le penseur ne se veut pas original, mais originel, et c'est malgr lui, sans Je vouloir, qu'il labore des penses nouvelles. Les uvres sont d'ailleurs largement anonymes : l'auteur du Yoga-stra (ue sicle avant J.-C., cf p. 26) est inconnu et il faut attendre plus Facebook : La culture ne s'hrite pas elle se conquiert L'GE CLASSIQUE Introduction Un yogin* devant sa cabane, gouache sur papier du xv11 1' s. de mille ans pour voir l'ouvrage attribu un Patanjali* mythique. Telles sont les conditions du dbat philosophique : impersonnel, il fait la part belle lrudition scolastique*. Quant son objet, il est d' abord spirituel. Le grand Shankara (vm sicle) ne tient pas un discours philosophi- que pour constituer le Vednta *, mais pour se taire et raliser son esprance hors le monde. L' un des noms indiens contemporains de la philosophie ancienne est moksha-shstra, trait sur la dlivrance . En son ge d'or, du V au x sicle de notre re, cette philosophie sera domine par l' affronte- ment entre les philoso- rieurs. Avoir un descendant est l'autre voie pour gagner l'immortalit : Il a pay sa dette, il a trouv l'immortalit, celui qui a vu le visage d'un fils n de lui , dit l'Aitareya-Brhmana, une partie du Veda. partir des v11-v1 sicles avant J.-C., les brahmanes commencent toutefois s'intresser l'intriorit en laborant sur le mot tman : le soi . l'origine le cur des choses, il devient le soi intrieur. Il faut mdi- " ter le soi intrieur car en lui est l'unit de tous ! (Brihadranyaka-Upanishad, 1, 4, 7). ::> 'o ~ Une dissolution du mol ~ Le mme texte rappelle toutefois la ncessit } d'engendrer des fils pour survivre: la dcouverte E de l'intriorit personnelle ne dbouche pas sur j la volont d'chapper la vie. D'ailleurs les ~ Upanishad vdiques ne connaissent pas le mot . ~ moksha : libration . l'oppos, les formes ~ d e yoga* que l'on connat alors font vivre la ~ dissolution du moi. Et, vers le 11 sicle, le Yoga- ~ stra (cf p. 26) dcrit la dissolution de l'objet ::,; mental dans le sujet, puis celle finale du sujet ~ (moi, je, ego, etc.) dans une pure pense dloca- lise. Paralllement, les bouddhistes analysent l'individualit que nous appelons moi et recon- naissent cinq lments associs qui nous donnent l'impression d' tre une personne Oe corps, la sensibilit affective, l'quipement notionnel, les tendances hrites et la conscience d'attention). Chacun d'entre eux peut tre je :une coupure au doigt et j'ai mal, mon amour me quitte et je souffre. L' quipement notionnel dsigne l'en- semble de ce que j'ai mmoris et qui rend les actes possibles. Le quatrime lment est consti- tu par l'hritage de notre pass. Si je t'aime aujourd'hui , c'est que dj nous nous sommes aims. Ces cinq lments sont toujours ensem- bles: " moi est un tre pluriel mme si je le pense singulier. Comme phies brahmaniques drives des Upanishad et celles issues de la pr- dication de Bouddha. La controverse sur l'tman, I.:individualit que nous appelons moi est un tre pluriel, le note Ngrjuna (cf p. 56), brahmane ralli au bouddhisme, le choix est entre un moi pluriel et un moi singulier ; mais je ne mme si je le pense singulier. le soi, se trouve alors au cur des dbats. Dans le Veda, les brahmanes en effet ne connaissent pas l'me, et n'ont donc pas de thorie sur son immortalit. Ne pas mourir signifie survivre grce la gloire de son nom, comme Dieu l'voque dans le Rmyana (cf p. 28), propos de son auteur Vlmki : Tant que le rcit que tu auras fait circulera, tu sjour- neras dans mes mondes suprieurs ou inf- crois pas ce moi pluriel. Quant au moi singulier, il faudrait qu' il soit ind- pendant de ce qui est moi. Je ne se reconnat pas dans un tel moi. De tels propos ont t prsents sous des jours divers. Ainsi de la discussion entre le moine bouddhiste Ngsena et le roi Milin da, dans Les Entretiens de Milinda et de Ngsena (peut-tre au n sicle aprs J.-C.) . Comment t'ap- Le Point Rfrences Les textes fondamentaux 51 Facebook : La culture ne s'hrite pas elle se conquiert 1 ntrod uction L'GE CLASSIQUE pelles-tu? , demande Milinda au moine. Pour lui rpondre, Ngsena numre les fameux cinq lments, mais s'avre n'tre ni l'un d'en- tre eux, ni leur somme, ni leur possesseur. " Ngsena, je te pose question sur question, lui rpond le roi. Je ne vois pas ce Ngsena. C'est un mot et rien d'autre. Qui donc est-ce l? Voil le problme pos : la langue, mon sentiment, mon entourage m'assurent que je existe. Mais je ne le trouve pas, je ne se trouve pas. Je est un simple nom. L'horizon de la libration spirituelle La position bouddhiste est la premire qui soit pose thoriquement. Mais vers l're chrtienne vint le moment o les brahmanes commencrent laborer eux aussi des thories de la libration. Le Veda est rinterprt, notamment la notion d'tman. La philosophie nat alors dans l'horizon de la libration spirituelle: mme un ouvrage de logique comme le Nyya-stra souscrit d'un principe de continuit. C'est ce je qui se souvient que le Nyya nomme tman. S'il y a souvenir, il faut bien que quelque chose se souvienne. Tous les philosophes ne s'accordent pas toutefois pour nommer tman le principe o sont entreposs les impressions latentes et les souvenirs. Aux yeux des brahmanes, c' est dans la philosophie du langage qu'il faut cher- cher les arguments les plus puissants, comme le dveloppe ici le Nyya-Vrttika d'Uddyo- takara: " Dire "l'tman n'existe pas" en accolant les deux expressions l"'tman" et "n'existe pas" est une pure contradiction. L'tman dsigne une ralit et "n' existe pas" la nie. Or, chaque fois que l'on nie quelque chose, c'est qu'impli- citement on affirme sa prsence ailleurs. Au v111< sicle, Shankara (cf. p. 64) dmontrera l'existence d' un tman confondu avec !'Esprit. L' tman n'est plus alors ce que je regarde, mais ce qui regarde et n'est jamais regard. Contre toutes les coles de son cette esprance: " Quand Pour Shankara, l' tman n'est temps, Shankara affirme que l'tman est la condi- tion de tout cela, et n'est pas cela. ont t dtruites les unes aprs les autres les ides fausses concernant la douleur, la naissance, l'activit et les afflictions, plus ce que je regarde, mais ce qui regarde et n'est jamais regard. " L'tman, le soi en tant que support du dploie- leur destruction conscutive amne la dli- vrance. Le Nyya-stra et son commentaire par Vtsyyana laborent toute une thorie de l't- man. Ainsi de sa permanence. " Chez un enfant nouveau-n, le dsir du lait maternel est perceptible en raison de son comportement et un tel [dsir) n'est pas [conce- vable] sans qu'il ait dj l'habitude de la nour- riture. -Quel raisonnement permet-il de prou- ver cela?- C'est que l'on constate que les tres incorpors qui souffrent de la faim ont un dsir de nourriture qui est fonction de la continuit mnsique parce qu'ils ont l'habitude de la nourriture. Aussi dit-on que le dsir de nour- riture chez un nouveau-n n'existerait pas sans qu' il ait auparavant [expriment] un corps. C'est ainsi quel 'tman qui s'est dparti de son premier corps et en endosse un autre, se sou- venant de la nourriture laquelle il tait habi- tu auparavant, dsire le lait maternel. C'est pourquoi on dit que l'tman ne change pas quand le corps change, qu' il est toujours l aprs le changement du corps. Cet argument fond sur la notion de mmoire est constam- ment utilis : ce que nous appelons les gnes est interprt ici comme relevant de l'existence 52 1 Les textes fondamentaux Le Point Rfrences ment des moyens de connaissance, est tabli antrieurement ce dploiement mme. Et il ne se laisse pas nier [ ... ). Pass, futur, prsent, l'objet de connais- sance peut varier, mais pour le sujet connaissant, il n'y a pas de changement car le mode de sa nature propre est d'tre ternellement prsent. C'est pourquoi, mme si le corps tait rduit en cendres, le soi-mme ne serait pas dtruit, tant par essence ternellement prsent (Brahma- stra-bhshya, II , 3, 7). Au xv1 sicle, Vijnna Bhikshu, commentant le Yoga-stra (cf. p. 26), s'interroge encore sur la nature paradoxale de l'tat de yoga, quand il y a pense sans objet. Les six darshanas " Est-ce que, comme dans l'activit, l'tman se tient alors comme pure conscience et ne voit plus rien parce que les objets visibles sont absents, eux qu'il connat ordinairement en tant que fluctuations du mental ? s'interroge-t-il. Avec le temps toutefois, le dbat sur l'tman va devenir une srie de dogmes se rduisant des mots. Il est vrai qu' partir du x sicle, quand les bouddhistes disparaissent, les brahmanes philosophes cessent peu peu d'tre inventifs : ils se contentent de classer les coles, et de Facebook : La culture ne s'hrite pas elle se conquiert L'GE CLASSIQUE Introduction Du 'f au x1F sicle, Nland (Bihar) abrita une prestigieuse universit bouddhique accueillant des milliers d'lves et d'enseignants. rdiger des abrgs. Prvaut alors un syncrtisme niveleur autour d' un vague Vednta. On cre de toutes pices un cadre o sont reus six syst- mes de philosophie appels darshanas*, visions . Au XIX 0 sicle darshana devient syno- nyme de philosophie, et ce cadre est aujourd'hui prsent comme ayant Bien sr, cette filire , ivant o chacun est en route vers une humanit spirituelle est hirarchise, mais c'est dans la hirarchie que gt l'esprance : je suis une instance dans la filire des tres et j'irai plus loin, plus haut. Pense volutionniste* ? Cela y ressemble un peu, mais au lieu que la toujours exist. Ce n'est pourtant qu' une prsen- tation hindoue tardive, au service d'objectifs contemporains : affirmer l'existence d'une lndian En toute entit vivante, du brin d'herbe au dieu, s'impose d'abord la continuit du vivant. slection naturelle telle que l'a pense Charles Darwin* soit le moteur de l' volution et que l ' homme en soit le philosophy en face d'une Western philosophy . Or la richesse de la philosophie indienne n'est pas l. L'homme produit de la nature La question qu'elle pose n'est pas, comme en Grce, Qu' est-ce que l' homme ? , mais au contraire : Qui suis-je ? Elle est fonction d' une anthropologie mise en place quand se diffuse la thorie de la rtribution des actes. Celle-ci ne fait pas de l'homme le centre du monde en dialogue avec Dieu. Car toute entit vivante, du brin d' herbe au dieu, n'existant qu'en fonc- tion d'actes raliss dans des vies antrieures, s'impose d'abord la continuit du vivant: ce que nous appelons l'homme, c' est l'animal humain, une possibilit entre toutes les formes du vivant. moment suprieur, ici toutes les espces sont toujours disponibles, et chacun peut parcourir toute l'chelle jusqu' son sommet spirituel. Ds lors, il n'y a gure de diffrence entre la culture et la nature. C'est prcisment ce qu'intgre la notion de dharma, !'ordre universel, la loi : l'homme est le produit de la nature, laquelle ne lui est pas donne, mais rsulte de l'ensemble des actes. Nous sommes ceux qui construisons la nature et en sommes donc responsables. N'est-ce pas ce que nos socits occidentales sont en train de dcouvrir aujourd' hui ? Michel Angot, auteur, entre autres, de L'Inde classique (Les Belles Lettres, 2001), Prires hindoues , in Comment les hommes parlent aux dieux (Le Seuil, 2007), et du Yoga-stra de Patanjali et le Yoga-Bhshya de Vysa (Les Belles Lettres, 2008). Le Point Rfrences Les textes fondamentaux 53 Facebook : La culture ne s'hrite pas elle se conquiert Cls de lecture L'GE CLASSIQUE ... a: - .. ..... z ... :& :& a u ... .... 54 Le Ntya-shstra ou l'esthtique T raitsanskrit* d'esthti- que l'usage des potes et des acteurs-danseurs, le Ntya-shstra relate la nais- sance mythique du thtre en Inde et tablit sa fonction leve en mme temps que son but sacr. Conu dans le monde cleste, il aurait t mis en uvre par le sage Bharata, qui le transmit au monde des humains, pour apporter le plai- sir esthtique et la connais- sance. Rgles et conventions Dans les faits, rien ne nous ren- seigne sur l'origine gographi- que de ce texte compos de trente-six chapitres et de 6 000 versets, non plus que sur sa date (estime entre 200 ans avant et 200 ans aprs J.-C.) , le contexte de sa rdaction ou son auteur prsum. Des frag- ments sont parvenus en Europe la fin du XIX 0 sicle grce des traductions et des commentai- res en franais et en anglais. Au xx sicle, des spcialistes indiens vont tablir des ditions critiques qui recoupent divers manuscrits du texte du Ntya- shstra ainsi que son commen- taire majeur, l'Abhinavabharati, du philosophe shivate du Cachemire Abhinavagupta (x sicle). Le trait (shstra) dfinit les multiples rgles, conventions et concepts fondamentaux cen- ss s'appliquer tous les arts. Il le fait dans une profusion propre au gnie indien, classant avec un grand souci du dtail les diffrents gestes, mimiques, rites, formules, etc. Sa concep- tion du thtre, ntya, runit tout la fois la danse, le chant, la musique instrumentale, le jeu, le mime, la posie, mais aussi les fards aux couleurs symboliques, les ornements et les costumes. Toutes les rgles y sont dfinies : les usages musi- caux, la potique, la composi- tion dramatique, qui prconise entre autres un dnouement heureux (pas de tragdie dans la conception indienne); l'ar- chitecture, les proportions et l'orientation du lieu de repr- sentation; les qualits des publics, qui doivent ragir en fonction du type de l'uvre; les rituels ncessaires avant de construire la scne pour la puri- fier, ceux indispensables avant de commencer la reprsenta- La brivet de ses aphorismes offre de multiples interprtations, d'o la varit des styles de danse en Inde. tion, etc. S'il prtend tout orga- niser, ce texte n'est pourtant pas un carcan : la brivet de ses aphorismes, obscurs par- fois, ainsi que la richesse infinie de la langue sanskrite, offrent en effet de multiples interpr- tations et applications, d'o la varit des styles de danse et de thtre en Inde. Quelle est aujourd'hui la valeur du Ntya-shstra pour le monde artistique indien? Des traits potiques et esthtiques plus tardifs s'y sont rfrs ou l'ont adapt. Source d'inspiration pour les artistes des traditions Les textes fondamentaux Le Point Rfrences Thtre du Sud de l'Inde, peinture de Raja Ravi Varma (1848-1906). classiques, ses principes ne constituent cependant pas un dogme, mais une rfrence res- pecte. La plupart des matres l'ignorent souvent, l'enseigne- ment de leur art tant li la transmission orale. Paradoxale- ment d'ailleurs, c'est la vigueur des pratiques thtrales et artis- tiques modernes qui a amen les rudits s'intresser ce texte. Une transmission sculaire En revenant au trait, ils se sont alors rendu compte que l'on retrouvait dans les rgles un certain nombre des pratiques (la thorie du rasa ou saveur de l'exprience esthtique, les techniques du geste sign et du corps, des motions) pr- conises dans les traditions thtrales et danses, qui se sont transmises de manire ininterrompue depuis des si- cles. L'empreinte de quelques principes esthtiques du Ntya- shstra se remarque aussi dans la peinture, la littrature et le cinma indien contempo- rains. Martine Chemana, enseignante- chercheuse, directrice du Centre lndia, auteur de Kathakali. Thtre traditionnel vivant du Kerala (Gallimard, 1994). Facebook : La culture ne s'hrite pas elle se conquiert L'GE CLASSIQUE Je fais le Cinquime Savoir qui s'appellera Thtre Ntya-shstra .... ... >C .... ... .... .... 7. Que vos Prsences s'clairent d'abord, et rassemblent ici leurs penses, pour entendre la naissance du Savoir du Thtre, produit de la Parole divine. li.[ ... ] les Dieux dirent au Grand-pre : nous voulons quelque chose qui nous rjouisse, quelque chose voir et entendre! 12. Le commerce du Savoir sacr, on ne peut le faire entendre aux gnrations serviles. Extrais-en donc un nouvel et Cinquime Savoir 1 pour les gens de toutes castes*. [ ... ] 14. Les lois de la justice, de la richesse et de la gloire avec explication pratique et tableau d'en- semble ; la reprsentation, pour le monde venir, de toutes les formes d'activit; 15. la substance de toutes les sciences, la mise en uvre de tous les mtiers; de tout cela en y joignant les Mythes, je fais le Cinquime Savoir qui s'appellera Thtre. [ ... ] 25. Je reus de lui [Brahm] la vision du Savoir dramatique ; et j' en enseignai les exercices et la pratique, exactement mes fils . [ ... ] 40. J'employai la tournure Verbale, !'Hroque et la Fantastique, pour raliser l'action dra- matique dont l'agencement tait ma tche. [ ... ] 41. [ ... ]emploie aussi la tournure Gracieuse. [ ... ] 44. La tournure Gracieuse, costume de ten- dresse, produite de la Saveur rotique, mais que les hommes ne peuvent pratiquer sans le concours de cratures fminines.[ ... ] 49. Swti fut charge de la musique instrumen- tale, avec la troupe de ses lves ; et, dirigs par Nrada, les Musiciens clestes furent char- gs de la musique vocale. [ .. . ] 54. " Alors, pour la fte de !'tendard et du mas- sacre des Titans et des Fils-de-Coupure [Emp- cheurs ], devant la foule frmissante des Immor- tels, au jour triomphal du Grand Indra* , 55. je fis d'abord la bndiction, compose en paroles propices, articule en huit membres, faste et conforme aux mesures sacres. 56. Juste aprs s'enchanaient le prologue, reprsentant comment les [Empcheurs] furent vaincus par les Dieux - la Provocation, !'cla- tement du conflit, la Scission, les Dissensions et la Bataille. [ ... ] 60. " Et tous les autres Dieux, transports de joie par cette sance, selon les attributs divers de leurs natures, 61. vinrent offrir leurs dons particuliers, et tour tour ils donnrent mes fils Dialectes, Senti- ments, Saveurs, Forme, Force, joyaux et orne- ments. [ ... ] 95. " Le hros du drame est protg par Indra, l'hrone par la Rivire-Parole, le bouffon par le son Om, les autres rles par le Ravisseur. [ ... ] 105. " Ce n'est pas exclusivement votre nature [Fils-de-Coupure] ni celle des Dieux que repr- sente le Thtre ; mais il dcrit les manifestations de ce Triple monde tout entier. 106. "Tantt la loi, tantt le jeu, tantt la richesse, tantt la quitude, tantt le rire, tantt la guerre, tantt la passion, tantt la mort violente. [ .. . ] 110. " ... revtu des manifestations diverses de la vie, incarnant les phases diverses de l'action, j'ai fait ce Thtre conforme au mouvement du monde. [ .. . ] 111. [ ... ] " de l'nergie tendue au relchement du jeu, il donne toutes les joies. 112. " Ainsi par les Saveurs, les Sentiments et tous les modes du mouvement, ce Thtre sera pour tous une source d'enseignements. 113. " ... pour tous le Thtre offrira un refuge dans c ~ t t e vie. 114. " Montrant les chemins de la loi, de la gloire, de la longue vie et de la grce, fortifiant l'intel- ligence, ce Thtre sera pour tout le monde une source d'enseignements. 115. " Pas de connaissance, pas de mtier, pas de science, pas d'art, pas de forme d'activit ni de mthode qui ne soient visibles dans ce thtre. 118. " Toutes les natures individuelles du monde, avec leurs mlanges propres de bonheur et de malheur, prsentes par la mimique corporelle et les autres moyens d'expression : c'est cela qu'on appelle Thtre. 119. "Au Savoir sacr, la science et aux mythes, il fournira un lieu d'audience, et la foule un divertissement : tel sera ce Thtre. " NATYA-SHSTRA, CH. 1, TRADUCTION R. DAUMAL, GALLIMARD, 1970. 1. les quat re aut res Savoirs sont : Rig, Soma, Yajur et Atharva-Vedo*. Le Point Rfrences Les textes fondamentaux 55 Facebook : La culture ne s'hrite pas elle se conquiert Cls de lecture .... a: L'GE CLASSIQUE - .. .... Ngrjuna et le doute mthodique z .... li li Q u .... ... 56 C ' est probablement au n sicle aprs J.-C. que Ngrjuna, un brah- mane* ralli au bouddhisme, compose en sanskrit* les Stan- ces du milieu par excellence. Elles sont commentes quatre sicles plus tard par Candrakrti dans sa Glose aux mots clairs, dont on a retrouv au sicle dernier le manuscrit original. Ces deux uvres allaient faire le tour du monde bouddhiste, consciencieusement dformes et adaptes en chinois, tibtain et autres langues. Une logique originale La pense de Ngrjuna a pro- fondment tonn les logiciens contemporains, qui se sont demand si celui-ci n'avait pas cr une logique originale. Sa mthode consiste en effet ne jamais prendre position : il rpond en montrant les contra- dictions du questionneur, de sorte qu' la fin, il ne reste rien auquel l'esprit puisse accrocher ses certitudes. De plus, fait rarissime en sanskrit philoso- phique, Ngrjuna montre une certaine ironie, envers les autres et envers lui-mme. Il est conscient du caractre nga- tif de sa mthode qui ruine les fondements de toutes les croyances en remettant en effet en cause la fois les grandes vrits du bouddhisme de son temps mais aussi, et surtout, les principes mmes d'o nous parlons, pensons et agissons, notamment le moi. Il rvle ainsi que les objets de perception sont en fait des objets de croyance, que les entits auxquelles nous faisons Ngrjuna, vers le 11 sicle aprs J.-C. spontanment confiance sont vides de ralit. D' o l'ide d'apaisement : une fois le men- tal apais, la goutte phnom- nale, c'est--dire la chose arti- ficiellement isole par le mental, se rvle cause et rintgre le flot causal. Dans le texte ci-contre (en ita- lique), il s' en prend la per- sonne mme du Bouddha* et son enseignement. Le Bouddha n'a jamais exist, assure-t-il, loin des doctrinaires qui embar- rasseront les formes de boud- dhisme ultrieur. Gnralisant ce qui fut sans doute l'intuition fondamentale du matre fonda- teur, Ngrjuna dmontre que si la causalit est gnrale, jamais les causes ne cessent, et notamment, jamais elles ne s'arrtent dans les choses, fus- sent-elles les plus discrtes. Avec Ngrjuna, le nirvna* n'est ainsi pas seulement l'ex- tinction du moi, il est la remise en question du fait qu' il y ait quelque chose teindre. Il passe de l'ide d'extinction l'extinction de l' ide : c'est l'ide mme de niruna qui doit tre teinte. On imagine qu'un tel person- nage sentait le soufre. Pourtant on le surnomma le Second Les textes fondamentaux Le Point Rfrences Bouddha >, et la lgende dit qu'il dirigea l'universit boud- dhique de Nland : il savait ce qu'tait le monde et il connut la renomme. Si tu rencontres le Bouddha, tue-le 1 La disparition du bouddhisme en Inde lui a vit la torsion idoltre dont un auteur comme Shankara (cf p. 64) est l'objet. Sa pense, toutefois, concen- tre dans des uvres courtes, serait incomprhensible sans commentaires. Et celui de Can- drakrti fait plus qu'expliquer sa pense. Vivant au v1 sicle, l'poque o se dveloppe le Mahyna (cf p. 42), le Grand Vhicule, il utilise des conceptions de son temps. la parole ouverte tous du Bouddha historique, il substitue la parole secrte de tous les bouddhas, le Bouddha historique n'est plus alors en effet qu'un bouddha parmi tous ceux qui ont vcu et sont appe- ls le devenir. La bouddhit est en chacun de nous, il s'agit de la dcouvrir. Dans cette forme de bouddhisme, on tu- die de prfrence les stras* cachs '" Celui qui est cit ici porte le nom d'une pithte du Bouddha, tathgata, parvenu l'tat non diffrenci '" Comme Ngrjuna, Candrakrti affirme que le Bouddha n'a jamais rien dit : le matre fait silence et les disciples entendent l'cho de leurs propres questionnements. C' est la mme ide qui , plus tard, sera mise en formule par Llo Tsi * : Si tu rencontres le Bouddha, tue-le! M.A. Facebook : La culture ne s'hrite pas elle se conquiert L'GE CLASSIQUE De son vivant mme, Ngrjuna .... .... >C .... .... le Bienheureux existe-t-il? Q) De son vivant mme, le Bienheureux existe-t-i l ? . . . Cela n'est fond que si un non-tre et un tre sont fonds. Si l 'extinction n'est ni un non-tre ni un tre. Qui pourra dire ni un non-tre ni un tre ? Que le Bienheureux existe au-<iel de l'arrt, on ne peut le dire. Qu'il n'existe pas? Ou les deux la fois ? Ou ni l'un ni l'autre? On ne peut le dire. De son vivant mme, le Bienheureux existe-t-il? On ne peut le dire. N'existe-t-il pas ? Ou bien les deux la fois? Ou ni l'un ni l'autre? On ne peut le dire. De l'extinction au devenir, il n'y a pas de diff- rence. Du devenir l'extinction, il n'y a pas de diff- rence. L'extrme limite de l'extinction est l'extrme limite du devenir. Entre les deux, il n'y a pas le moindre intervalle, ft-il le plus subtil. Au-<iel de l'arrt, est-ce la fin, etc. ? L'ternit, etc. ? Les opinions supposent un nirvna*, un terme aprs quoi, un terme avant quoi. Toutes les entits tant vides, quoi imputer une non-fin ? quoi une fin? Sans fin et avec fin, ni sans fin ni avec fin, quoi l'imputer? Quoi est-il lui-mme sans plus, quoi est-il autre? Quoi est-il ternel, quoi est-il non ternel? Quoi est-il non ternel et ternel ou encore ni l'un ni l'autre? Bni soit l'apaisement de l'emprise, bni l'apaise- ment de la pluralit [des mots et des choses]. Jamais /'veill n'a enseign le moindre point de doctrine qui que ce soit. C'est dans ces termes que s'exprime le saint Stra du Tathgata cach : Shntamati ! La nuit o le Tathgata [le Bouddha] s'est veill la plnitude de l'veil indpassable et la nuit o il s'apprtait s'teindre compl- tement et absolument, l rien, pas une seule syllabe n'est sortie de la bouche du Tathgata, il n'a pas parl, et il ne parle pas et il ne parlera pas, jamais. Et tous les tres selon de quoi ils sont dlivrs, ayant des buts et des statuts dif- frents, imaginent que le Tathgata dit une parole varie adapte aux uns et aux autres. Selon les circonstances diffrentes, il leur vient l'esprit : Le Bienheureux nous a enseign ce point de doctrine , Nous coutons le Tathgata enseigner ce point de doctrine alors qu'il n'labore ni concepts ni thories. Car, Shntamati, le [ma- tre Bouddha] "Advenu ainsi" est dbarrass de la pluralit linguistique et phnomnale produite par les rmanences causes du rseau de tous les concepts et thories , etc. Ainsi. " Tous vides d'identit, hors la parole, hors les syllabes, purs et apaiss : Qui connai ainsi les lments, on le nomme Jeune, veill -Si donc la Loi d'aucune sorte n'a t enseigne quiconque et nulle part par !'veill, comment connaissons-nous les cours divers de sa parole [constituant les critures du bouddhisme]? [ ... ] C'est ainsi que le Bienheureux a dit : Le Tathgata est un simple miroir de la Loi pure, sans que [les afflictions] ne s'y coulent Il n'y a l nulle ralit, personne n'est ainsi, il n'y a pas de Tathgata. Un reflet qu'on voit sur tout le monde. Et cela est expliqu en dtail dans le "Sens secret" des paroles du Tathgata. Et ainsi parce qu'aucun enseignement sur les catgories ontologiques spares en vue du nirvna n'a jamais exist, d'o existerait un nirvna procdant d'un enseignement de ces catgories de dharma* ? Par consquent, le nirvna [ainsi conu] n'existe pas et c'est ce que dclare le Bienheureux : Le nirvna n'est pas le niruna, a enseign le Protecteur du monde, C'est un nud form avec J'espace vide et c'est par l'espace qu'il est dnou. De mme : Pour ceux, Bienheureux!, qui imagi- nent que quelque chose [un dharma] apparat ou disparai, !'veill n'apparai pas. lis ne surmontent pas le devenir [samsra*] ceux qui recherchent un nirvna qui soit quelque chose. Pourquoi? Parce que[ ... ] l'extinction est l'apaisement de tous les accidents [les phnomnes], la cessation de toutes les motions et commotions. CANDRAKRTI, GLOSE AUX MOTS CLAIRS, COMMENTAIRE SUR UNE STANCE DE NGRJUNA (XXIV), TRADUCTION ORIGINALE. Le Point Rfrences Les textes fondamentaux .... .... 57 Facebook : La culture ne s'hrite pas elle se conquiert Cls de lecture ... L'GE CLASSIQUE a: - .. .... z ... & & a u ... .... 58 Les Strophes du Smkhya L es philosophies brahma- niques* ont une histoire, qu'il est utile de prendre en compte quand on cherche les situer les unes par rapport aux autres. Si certaines, comme la Mmms (cf p. 60), puisent dans la Parole vdique une forme de connaissance sacre, soustraite toute critique pos- sible, d'autres, au contraire, sont probablement nes l'extrieur La souffrance est au fondement de la constitution psychique de l'homme. de la philosophie brahmanique originelle avant de la rejoindre et d'ytrouver place. Le Smkhya reprsente l'une de ces coles tard venues au brahmanisme. La preuve en est qu'il se montre trs critique envers le Veda ,. auquel il reproche d'ignorer la distinction entre la pense et la conscience. Cela n'empchera pas le brahmanisme de lui emprunter d'autant plus ais- ment cette thse. Pessimisme moral Les Strophes du Smkhya, dont ce texte est extrait, sont le trait de base de cette cole. Il fut compos probablement au IV" sicle de notre re et traduit bien le climat de pessimisme moral qui rgne alors en Inde. Sous l'influence du bouddhisme (cf p. 38) et du janisme (cf p. 46), deux courants intellec- tuels dj enclins souligner le malheur inhrent la con di- tion humaine, le Smkhya pose la misre (dukkha )au fonde- ment de sa mditation sur la constitution psychique de l'homme. Ici, pour le commen- tateur Vcaspati Mishra (x 0 si- cle ), cette misre se manifeste bien entendu sous la forme de la souffrance physique et sociale que les hommes se cau- sent les uns aux autres, de la fatalit corporelle et matrielle dont des tres surnaturels ~ o n t responsables, mais surtout sous l' apparence de la souf- france morale qui provient de soi . Or, s'il apparat clairement que l'individu n'a pas les moyens d'agir pour supprimer les deux premires formes de misre, indpendantes de lui, on peut prsumer que la misre ne en soi peut disparatre, certaines conditions. Il existe en effet des facteurs de confusion qui emp- chent l' individu de prendre une claire connaissance de lui- mme. Parmi ceux-l, les acti- vits mentales jouent un rle dterminant dans la mesure o le sujet pensant confond presque spontanment les op- rations de la pense avec la lumire de la conscience. On trouve dans l'cole du Yoga* (cf p. 26), que la tradition asso- cie au Smkhya, les raisons de cette confusion : le mental, tel un clair miroir, capte la lumire de la conscience, ce qui expli- que pourquoi le sujet confond la conscience avec la pense. Mais le Smkhya s ' efforce d'tablir les preuves de l'exis- tence de la conscience, comme on le voit dans le passage traduit ici. Les textes fondamentaux Le Point Rfrences Parmi les cinq arguments vo- qus, le troisime met en lumire la distinction pense/ conscience. Le raisonnement adopt est le suivant : les acti- vits de la pense se produisent spontanment et ne requirent pas d'elles-mmes le concours de la conscience. L' cole du Smkhya enseigne cet gard un matrialisme psychique que la majorit des autres coles Le Smkhya s'efforce d'tablir les preuves de l'existence de la conscience. indiennes acceptent : la pense est naturelle l'homme, comme l'est la respiration, et il existe un grand nombre de penses ou d'ides, relativement confu- ses ou bien inacheves, dont le sujet ne prend jamais vrita- blement conscience. On peut mme considrer, la limite, que la pense pourrait se drou- ler en l'homme sans qu'il en prenne simultanment conscience, ce qui est une autre faon de comprendre que les penses se forment sans la conscience, mais sont ensuite diriges par elle, savoir tournes vers tel ou tel objectif ou destines un certain usage. On est donc en droit d' en conclure que la conscience use des oprations mentales en vue de telle ou telle fin, comme un marin se sert des vents et des courants pour faire avancer son navire ou comme un spor- tif utilise les mouvements de la respiration pour oxygner son corps. M.B. Facebook : La culture ne s'hrite pas elle se conquiert L'GE CLASSIQUE Strophes du Smkhya ... ... La conscience existe 1. Triple est l'obstacle que constitue la misre. Voil pourquoi on dsire connatre le moyen de le supprimer. l'objection selon laquelle il est vain de dsi- rer le connatre, parce qu'il existe dj d'autres moyens connus, on rpond qu'il n'en est rien: ces moyens n'ont ni un caractre ncessaire ni un caractre absolu. Commentaire : En effet, on ne dsirerait pas connatre l'objet de ce trait [la misre] : - si la misre n'tait pas prsente dans le monde; - ou bien si on ne dsirait pas mettre fin la misre ; - ou bien si, avec le dsir d'y mettre fin, on n'avait pas les moyens de la supprimer. Or, on pourrait manquer de tels moyens pour deux raisons : soit parce que la misre serait perma- nente, soit parce qu'on n'aurait pas la connais- sance complte de ses remdes ; - ou bien si, ayant les moyens de la supprimer, on estimait que la connaissance de l'objet, acquise par ce trait, ne lui serait pas ad- quate ; - ou bien parce qu' on jugerait qu' il existe d'autres moyens plus efficaces. cet gard, il est faux de penser que la misre n'existe pas, ou bien qu' on ne dsire pas y mettre fin, ce que prcise la strophe triple est l'obstacle >. La misre est triple parce qu'il existe trois espces de misre : celle qui provient de soi, celle qui vient des tres vivants et celle qui est produite par des tres surnaturels. 2. En vrit, le recours fond sur la parole vdique est semblable aux moyens dj prou- vs : il s'accompagne d'impuret, d'imperma- nence et d'excs. li en existe un autre, qui est prfrable et oppos ceux-l : la connaissance intuitive du manifest [la pense) , du non- manifest [la nature] et de la conscience. Commentaire : Voici le sens littral de la strophe. ceux-l , c'est--dire aux moyens rituels de supprimer la misre, un moyen est oppos , c'est !'in- tuition de la distinction essentielle entre la pense claire et la conscience ; il en existe un autre >, c'est--dire pour soulager la misre, qui est donc prfrable >. Or, on loue dans la parole vdique sa capacit abolir la misre; cela est vrai si les Veda contiennent bien l'injonction de la mettre en pratique. La connaissance de la distinction essentielle entre la pense et la conscience est galement digne d' tre loue. Cependant, entre ces deux moyens louables de soulager la misre, on prfre ici la connaissance intuitive de la distinction essentielle. [ ... ] 17. Les agrgats ont leur finalit en autre chose; ce qui possde les trois qualits naturelles a son oppos ; les choses sont diriges; un sujet fait l'exprience du monde ; on uvre en vue de l'isolement librateur. [Pour ces cinq raisons) la conscience existe. Commentaire [de la troisime preuve) : Voici une autre raison pour laquelle la conscience existe : les choses sont diriges >. Les choses, en effet, sont composes de trois qualits natu- relles pour autant que quelque ralit les dirige. Voici ce que l'on observe : tout ce qui est dou de qualits, qu'elles soient plaisantes, dplai- santes ou trompeuses, est dirig par autre chose, comme le char est dirig par les rnes. Or, la pense a la proprit d'tre plaisante, dplaisante ou trompeuse : donc elle est, elle aussi, gouver- ne par une autre ralit, laquelle ne possde pas ces trois qualits : c'est la conscience. Le Point Rfrences VCASPATI MISHRA, AU CLAIR DE LA VlRtr, COMMENTAIRE DES STROPHES OU SMKHYA, TRADUCTION ORIGINALE. Les textes fondamentaux :.c ... ... ... ... 59 Facebook : La culture ne s'hrite pas elle se conquiert Cls de lecture ... a: L'GE CLASSIQUE - .. ..... Le Mmms-stra z: ... :E :E et l'interprtation du Veda Q u 60 L 'ensemble des hymnes religieux les plus anciens de l'Inde est regroup sous le terme gnrique Veda , tymologiquement " le savoir suprieur, qui a pour objet les puissances du monde et les rituels institus pour les domes- tiquer. Or on trouve dans le Veda lui-mme, et plus tard dans le bouddhisme, des crits qui nient l'efficacit des sacrifices et remettent en cause la validit de la parole vdique (cf p. 70). Devant ces attaques, les philo- sophes brahmaniques* vont dployer une argumentation serre afin de soustraire dfi- nitivement le Veda aux critiques de ses adversaires. Considre comme la plus technique des six grandes coles ( darshana ) de l'Inde brahmanique, la Mmms va ainsi entreprendre de fixer les rgles de l'interpr- tation lgitime de la Parole vdique, ce qui participe indi- rectement la formation d' une tradition hermneutique* dont vont bnficier toutes les autres coles. Texte et commentaire Le texte le plus ancien de l'cole est une chane (stra) de propositions sous formes d'aphorismes. Ces Mmms- stra, qui ont t attribus au " prophte (risht) Jaimini et dont la rdaction peut se situer dans les premiers sicles de l're chrtienne (mais le fond est, coup sr, plus ancien), sont diviss en douze chapitres d'importance ingale. Mais ce type de texte est si laconique qu' il est incompr- hensible sans un commentaire qui l'accompagne et l'claire. Aprs celui du grammairien Shabara (v sicle), Je plus ancien, Kumrila Bhatta rdige au vu sicle un long commen- taire versifi qui fera date. Son but tait de lutter contre les arguments de l'cole de logique (Nyya *, cf p. 62), pour qui le Veda avait t compos par un auteur divin, d'o il tirait son autorit. La position de Kumrila au contraire tient en deux argu- ments: d'abord, la Parole vdi- que ne peut pas avoir d'auteur, et c'est justement du fait de cette absence que sa validit est incontestable. La Parole du Veda ne tient sa valeur que d'elle-mme, ce qui exclut l'autorit d'un auteur divin. Cet argument a de quoi sur- prendre un Occidental habitu adosser l' ternit de la parole rvle l' ternit de Dieu, mais en Inde, c'est la Parole vdique elle-mme qui rvle les dieux. Tout part d'elle, d'o sa force. Aucune personne, qu'elle soit divine ou humaine, n' est donc sus- ceptible, selon le commenta- teur, de produire des paroles aussi impratives et qui s' im- posent tout homme d' une manire aussi normative. D'o il rsulte, c'est le second argument, que Je savoir contenu dans les paroles du Veda est soustrait toute contestation. Parler d'autorit Les textes fondamentaux Le Point Rfrences du Veda peut prter confu- sion pour un Occidental, puis- que depuis Rome l'autorit d'un ordre ou d'une injonction renvoie son auteur (auctor/ auctoritas). C'est la valeur ou la puissance de l'auteur d'une parole qui fonde son autorit. La Mmms renverse l'ordre de priorit : la Parole ne tient sa valeur que d'elle-mme, ce qui exclut prcisment l'auto- rit d' un auteur divin. Com- ment le sait-on? Un modle d'argumentation Parce que la signification est sans auteur, dmontre Shabara dans l'extrait de son commen- taire :" Aucune perception n'en fournit la preuve, et les autres [moyens de connaissance] sont fonds sur la perception qui les prcde. Ce raisonnement s'applique au Veda: si la parole vdique commande l' homme d' agir en fonction du Bien (dharma) qu' elle lui rvle, comment un auteur, ft-il divin, pourrait savoir ce qu' est le Bien, puisque seul le Veda en est l'origine? En ce sens, la Mmms juge lgitime de sacraliser la Parole vdique, comme on sacralise une connaissance pour mieux la soustraire toute discussion. Aprs le v111 sicle, o com- mence s'affirmer le succs du Vednta * (cf. p. 64), la Mmms continuera d'tre tudie dans les cercles brahmaniques comme un modle d'argumen- tation juridique et comme une doctrine qui justifie les rgles de conduite des gens de bonne caste*. M. B. Facebook : La culture ne s'hrite pas elle se conquiert L'GE CLASSIQUE Parce qu'aucun auteur n'en est l'origine Mm ms-stra ... .... >C ... .... ... ... Q) 1. Le dsir de connatre le Bien ultime s'ensuit donc. 2. Le Bien ultime [auquel aspirent les hommes] est une finalit que l'injonction vdi- que fait connatre. Commentaire : 68. Les objections concernant [la Parole vdi- que] sont faciles lever : il n'existe aucun non- ciateur ; c'est pourquoi il s'avre encore plus impossible de douter de la validit du Veda. 69. En ce sens, sa validit repose justement sur son indpendance l' gard d'un non- ciateur. C'est pourquoi votre adoration [d' un auteur divin] devient inapproprie. D'ailleurs, il faudrait que le Veda ne possdt aucune validit pour admettre une telle thse. [ .. . ] 70. Par suite, il n'est pas faux d' en dduire que personne n'a l'aptitude pour l' enseigner. Quant tous les raisonnements prouvant le contraire, nous leur rpliquerons plus tard. 71. Le discours d' un locuteur humain, au contraire, repose sur l'autorit d'autres moyens de connaissance, ceux-ci venant manquer, celui-l est mis en faute. L' autre discours [celui du Veda] n'en dpend d'aucune faon . 72. L'incompatibilit des injonctions vdiques avec les diffrents moyens de connaissance, voil donc ce qui fait leur validit ; autrement, elles leur seraient subordonnes. 73. La validit de l'autre discours [vdique] ne lui vient pas de sa compatibilit avec [ dif- frents moyens de connaissance]. Il faudrait admettre pour cela qu' un seul moyen, l'ex- clusion des autres, permettrait de connatre le mme objet [mieux que ne le fait le Veda] . 74. Or, l la dlimitation [d' un objet] peut s'obtenir par d' autres moyens de connais- sance, il est certain que cet objet n' a pas t dlimit correctement par le premier [moyen] . 75. supposer que [chaque moyen de connais- sance] tienne son autorit de son accord avec les prcdents, il faudrait un autre moyen de connaissance pour valuer cet accord ; nous n'obtenons ainsi qu' une rgression l'infini. 76. moins que l' un de ces moyens tienne sa validit de soi-mme. Mais alors, pourquoi la refuser au premier moyen [le Veda]? MfMMS ET COMMENTAIRE VERSIFI! DE KUMARILA BHATIA, VII' SICLE, TRADUCTION ORIGINALE. 5. Quant la relation entre le mot et l'objet, elle s'engendre de soi-mme. C'est une injonction qui la fait connatre et elle n'induit pas en erreur. En outre, lorsqu'il s'agit d' un objet inconnu, c'est elle qui a validit parce qu'elle est ind- pendante [des autres moyens de connais- sance]. Commentaire : prsent, quelle est donc la relation [entre le mot et l'objet]? C'est ~ l l e en vertu de laquelle l'objet vient tre connu quand le mot est entendu. Mais alors, celle-d est produite, comme on l'a montr auparavant. Nous pensons donc qu' un tre humain a invent la relation entre les mots et leurs objets avant d'en faire usage en composant le Veda. Voici ce que nous rpondons : la relation est bien tablie parce qu'elle est sans auteur. Objection : mais comment peut-on avoir lacer- titude que cette relation soit sans auteur? Rponse : parce qu' aucun auteur n'en est l'origine. Objection : comment le savoir? Rponse : Aucune perception n'en fournit la preuve, et les autres [moyens de connaissance] sont fonds sur la perception qui les prcde. MfMMS ET COMMENTAIRE DE SHABARA, V' SICLE, TRADUCTION ORIGINALE. Le Point Rfrences Les textes fondamentaux 61 Facebook : La culture ne s'hrite pas elle se conquiert Cls de lecture L'GE CLASSIQUE ... a: - .. .... z ... :E :E c c.:a ... .... 62 La Comprhension de la ralit, de Shntarakhsta L es coles philosophiques indiennes se constituent souvent en deux tapes : au dbut de l're chrtienne, elles laborent des formulaires, opuscules composs de faon extrmement laconique, pour que les disciples puissent les apprendre facilement et parti- ciper des dbats en disposant d ' une rserve d'arguments; ensuite, partir du 1v" sicle, vient le moment des grands Personne n'hsite dduire de la vue d'une cruche l'existence du potier. commentaires et des traits qui dveloppent l'envi des cha- nes de raisonnements difficiles suivre. La Comprhension de la ralit est un texte du vm si- cle qui appartient cette seconde catgorie : vritable trait de l'art de la logique, il a t compos pour critiquer les arguments thistes des philo- sophies brahmaniques* et expliciter la position athe du bouddhisme* (cf p. 38). Shntarakhsta, l'auteur bouddhiste de ce trait, atta- que les positions thologiques dfendues par les philosophes de l' cole de logique (Nyya *). Les logiciens thistes, en effet, construisent des infrences en vue de prouver l'existence d ' un dieu suprme. Techni- quement , une infrence com- prend quatre lments : un sujet, une proprit prdique du sujet, la raison (hetu) qui sert de moyen terme entre le sujet et le prdicat, enfin l' exemple. On peut ainsi affir- mer : toute chose (sujet) ren- voie une cause intelligente (prdicat), parce qu' elle est compose d'un arrangement de parties (raison), l'image d' une cruche (exemple). D' o l'on dduit, par gnralisation, que l'observation du monde comme ensemble de choses permet d'infrer l'existence d'un dieu intelligent. Comme on le voit, cette infrence repose sur un argument bien connu des thologiens occi- dentaux : l'arrangement des parties dont toute chose est compose rfre une cause intelligente, qui n' est autre que Dieu. L'infrence indienne pr- suppose ainsi l'existence d' une finalit intelligente inhrente la nature des choses, comme l' illustre ici l'exemple de la cruche, car personne n' hsite dduire de la vue de ce rci- pient l' existence du potier qui l'a fabriqu . Une cause intelligente En gnral , le bouddhiste s'ef- force de rfuter l'infrence de ses adversaires en attaquant la validit de chacun de ses constituants. Dans le cas de l'existence de Dieu, il lui est facile de dmontrer d' abord que la raison est invalide. En effet, il n'est pas du tout prouv que toute chose soit un com- pos analysable en termes d'arrangement. Certes le bouddhisme enseigne que les choses, et l'tre humain parmi elles, ne sont rien d'autre que des agrgats, mais il ne s'ensuit pas que l' agrgat soit identique un arrangement de parties. Les textes fondamentaux Le Point Rfrences On peut bien infrer le potier quand on aperoit la cruche, mais on risque aussi d' aboutir au mme rsultat la vue d'une fourmilire, ce qui est mani- festement faux. De plus , la raison logique permet peut- tre de dduire une cause intelligente, mais l'identifica- tion de cette cause un dieu ordonnateur demande tre dmontre. En effet , les attri- buts classiques du dieu suprme (l ' ternit, l'unicit, l'omniscience, par exemple) se rvlent incompatibles avec Un dieu ternel ne peut rien produire, parce que toute production implique la temporalit. le rle dmiurgique, c' est-- dire comme source de toute chose, que l' infrence veut lui donner. Ainsi un dieu ternel (sujet) ne peut rien produire (prdicat), parce que toute production implique la tempo- ralit (raison), comme on le voit avec la cruche. Les dbats thologiques entre les bouddhistes et les brahma- nes* ont dur plusieurs sicles, chaque camp cherchant rfu- ter les infrences adverses au moyen de contre-infrences. Leur intrt est double : ils ont rendu la logique indispensable l'argumentation philosophi- que; ils ont incit les boudd- histes clarifier leur opposition au brahmanisme en leur per- mettant de dvelopper la fois un athisme de principe et une doctrine religieuse de l'omnis- cience du Bouddha. M. B. Facebook : La culture ne s'hrite pas elle se conquiert L'GE CLASSIQUE Sh nta ra khsta .... .... Des tres ternels ne produisent aucun effet >< .... .... .... .... Q) 46. Certains affirment qu' un dieu est la cause de l'existence des choses, aucun facteur inconscient ne produi- sant de soi-mme ses effets. 47-48. Une chose, qu'elle soit perceptible par deux sens ou imperceptible et objet de dbat, possde une cause intelligente, contrairement aux atomes [ternels]. En voici la raison : toute chose qui se prsente comme un arrangement des parties qui la composent renvoie une cause intelligente, l'exemple de la cruche. [ ... ] 56. Dans la premire infrence, la raison voque n'est pas concluante, parce qu'il n' est pas dmontr que le contact appel arrangement existe, ni qu'il existe une unit substantielle. [ ... ] 61-62. Il est lgitime, quand on aperoit, par exemple, des temples, d'infrer qu'ils ont un auteur intelligent, cause de la particularit de leur arrangement. Une telle particularit, si on l'observait dans les choses telles que les corps, les montagnes et le reste, permettrait de prouver que la conclusion recherche est juste. 63. En effet, une rgle logique tablit qu' un effet dont on connat [la cause] permet, par association et exclusion, lorsqu'il est observ, d'infrer l'existence de sa cause. 64. Mais on n'observe dans les choses aucun arrangement particulier de ce genre, parce qu'il n'en existe pas dans les corps ni dans Je reste. Ce n'est donc plus qu'un mot. 65. Cependant , si l'on affirme qu'un tel arran- gement existe, il produit plutt Je doute et l'erreur, comme d'infrer l'existence d'un potier la vue d'une fourmilire. [ .. . ] 71. Cependant, si l'implication n'est pas admise dans cette infrence, personne ne vous emp- che de la dmontrer au moyen d'un (autre] raisonnement. 72. Mais en ralit, on ne la dmontre pas partir d'un tre qui serait ternel, unique, omnis- cient et pourvu d'un intellect ternel, parce qu'aucune raison n'a les proprits qui permet- tent d'infrer un tel tre. Par suite, aucune implication n'est possible. 73. Ainsi est-il certain que les maisons, les escaliers, les portes des villes, les tours et Je reste permettent d'infrer qu' une multitude d'artisans aux penses les plus diffrentes les ont produits. 7 4. De la mme faon, la raison de votre infrence s'oppose ce que vous dsirez prouver, mais dmontre qu'il existe une multitude d'auteurs des choses, aux penses les plus diffrentes. 75. Ainsi vous voulez tablir une implication sur la base d' un tre intelligent comme cause du monde, au lieu que c'est la seconde implica- tion [la pluralit des causes] qui nous apparat vidente. 76. Des tres ternels ne produisent aucun effet, parce que cela s'oppose la succession et la simultanit [inhrentes la production] . Or, la succession dans les objets implique la suc- cessivit dans les penses. 77. Parce qu'elle rfre des objets connaissa- bles successivement, l'intelligence divine op- rerait de faon successive, comme l'intelligence de Devadatta par rapport des objets successifs : les flammes du feu se suivent sans interrup- tion. 78-79. Nous postulons que la cruche n'est qu'un agrgat d'atomes ; Je potier, qui la fabrique, fait que les atomes s'agrgent, rien de plus. Donc la proprit que vous voulez prouver [la pro- duction par une cause intelligente] n'est pas exclue dans le cas des atomes, alors qu'ils sont pour vous un contre-exemple puisqu'ils sont ternels. 80. Si vous postulez l'existence en gnral d'un facteur intelligent des choses, alors nous som- mes d'accord : les actes sont responsables de la diversit des choses. LA COMPRlHENSION DE LA RlALITl, CHAP. 2, TRADUCTION ORIGINALE. Le Point Rfrences Les textes fondamentaux 63 Facebook : La culture ne s'hrite pas elle se conquiert Cls de lecture ... L'GE CLASSIQUE a: - .. .... z ... :E & c::t u ... ..... 64 Shankara, le brahmane et la connaissance S hankara (vm sicle) est le penseur majeur du Vednta* le mouvement spculatif indien dominant partir du xvu sicle. De lui pourtant on ne sait rien. Mme son nom n'est pas assur. Le Shankara hindou d'aujourd' hui est compltement lgendaire et ce que l'on prtend qu'il a fait ou dit ne cadre pas avec ses commentaires rudits, d'une grande rigueur intellec- tuelle. Ce qu'il a vcu tait de !'ordre du yoga*. Mais il rejette les rfrences du yoga tradi- tionnel , celui du Yoga-stra* , parce que non vdiques*, et il tient par principe tout jus- tifier partir du Veda (cf p. 12), dont il commente les neuf Upanishad* . Il com- mente aussi trois autres uvres dont le Brahma-stra Formu- laire sur le brahman d'o est extrait le texte ci-contre. l'opinion et la Rvlation Shankara emploie le mot bra- hman pour dsigner la ralit vraie, la fois Esprit et exis- tence, qui n'est ni le mental ni un objet existant. Ici, il rflchit sur les moyens de le connatre pour le vivre, ce souci du vcu tant gnral dans la pense brahmanique*. Le texte prend la forme d' une discussion entre deux points de vue successi- vement noncs dans le stra formule : la premire opi- nion (en italique) promeut le tarka, l ' effort de l' esprit humain. La seconde, que dfend Shankara, conoit la raison humaine comme guide par la Rvlation et finalement par le brahman lui-mme. Shan- kara n'imagine pas que l'acti- vit de l'esprit puisse dbou- cher sur autre chose que l' opinion. Mme celle des fon- dateurs des grandes philoso- phies selon lui n'est pas stable. Or ce qu'il recherche, c'est une vrit confondue avec le per- manent. Le langage aussi joue son rle : il est comme le double des per- ceptions. La pluralit que l'on peroit et que Shankara nomme dualit , se reflte dans la structure linaire du langage. Le Veda, bien que rvl, est fait de mots et n'chappe pas Je n'ai pas l'exprience du brahman, je suis l'exprience. ce dfaut. Les rares phrases o il parle du brahman non plu- riel( non duel dit Shankara) ne font que le dsigner sans l' atteindre. Seule une exp- rience directe de la non-dualit chappe en sa nature la dua- lit. Mais c'est une exprience du silence. Les mots ne peuvent en rendre compte que mala- droitement : car je n' ai pas l'exprience du brahman, je suis !'exprience. Et le je qui dis je n'est pas celui qui est je. Vient donc le moment o la Rvla- tion, ayant jou son rle, est remise avec les autres outils mondains. L s' arrte le dis- cours, et la philosophie : elle doit dboucher sur une exp- rience non discursive. Shankara dnonce la navet d'une pense qui s'imagine pou- voir apprhender l'Esprit, sans que celui-ci n'ait la secrte ini- Les textes fondamentaux Le Point Rfrences Shankara (v111 sicle). tiative de son apparition. Sa dmarche se veut originelle, tourne vers la source, l d'o les mots se dtournent, que l'esprit ne saisit pas (Taittirya- Upanishad, II, 7). Mais s'il ironise sur cette prtention de l'esprit, il n'est pas non plus un adepte de la foi du charbonnier. Si l'exprience ultime n' est pas d'ordre intellectuel, le chemin sans chemin qu'est sa ralisa- tion l'est hautement : il passe par le sanskrit* et l'analyse du langage. Ce que je crois tre Le texte mentionne aussi l'ide de << libration '" Pour Shankara, c'est un avnement : le moment o la libert en droit de !'Esprit devient une ralit vcue en fait. Les textes de rfrence affirment ainsi Je suis le brah- man. Mais si je suis le brah- man en droit, je ne le vis pas de fait. La pense de Shankara est juste l, entre ce que je crois tre, et que j'ignore en fait. Le monde de la dualit est igno- rance, sa ralit mal assure est illusoire : ce serait une illu- sion que de vouloir changer une illusion. M. A. Facebook : La culture ne s'hrite pas elle se conquiert L'GE CLASSIQUE Shan ka ra Les opinions humaines sont discordantes Q) Voici une autre [raison] pour ne pas se fier au seul raisonnement dans les matires accessibles par la Rvlation. C'est que les raisonnements qui cartent la Rvlation, fonds sur la seule opinion des hommes, manquent de fermet: il n'y a pas de frein l'opinion. Ainsi voit-on les raison- nements conus avec effort par certains habi- les tre reconnus comme spcieux par d'autres plus habiles et ainsi de suite : tablir les rai- sonnements sur une base ferme est impossible parce que les opinions humaines sont discor- dantes. - Mais ne pourrait-on pas considrer comme fond le raisonnement qu'agre quelqu'un dont la valeur minente est bien connue, Kapi/a fie fondateur du Snkhya], etc. - Mme ainsi la base ferme [de tout raisonne- ment] continue manquer parce que ces fon- dateurs [ .. . ] se contredisent mutuellement bien que chacun s'accorde reconnatre leur valeur minente. -a) Nous formulerons alors les infrences autre- ment afin qu'elles soient exemptes du dfaut d'tre mal fondes. On ne peut dire : Tout rai- sonnement manque de fondement , car c'est par le raisonnement qu'on tablit le manque de fondement des raisonnements : voyant le carac- tre mal fond de certains, on imagine le carac- tre mal fond des raisonnements de mme espce. b) De plus si tous les raisonnements taient mal fonds, toute /'activit humaine cesserait: c'est en concevant une certaine homognit du pass et du prsent que les hommes agissent pour, dans l'avenir, gagner du bonheur et viter du malheur. c) Par ailleurs, quand on voit la Rvlation se contredire, on tablit le sens correct en cartant le sens apparent : c'est par le raisonnement qu'on le fait en considrant la forme des propositions en question. d) De plus, Manu [XII, 105-106, cf p. 30] dit : .. [. .. ]Celui qui applique la parole vdique et /'enseignement du dharma* un raisonnement qui ne contredit pas l'enseignement du Veda, lui et pas un autre, il connat le dharma. e) Et ce que vous nommez /'absence de fermet du raisonnement c'est justement ce qui fait sa beaut car c'est en rejetant les raisonnements vicieux que l'on peut en tablir d'autres qui sont dnus de vice. Rien ne prouve que si l'an est un imbcile, [son cadet] doit aussi tre un imb- cile. Par consquent imputer aux raisonnements le dfaut de manquer de base stable ne tient pas. - [Si] mme il en tait ainsi, la consquence indsirable serait l'absence de libration. Certes le caractre bien fond du raisonnement est avr pour certains objets, mais il entrane un dfaut pour l'objet transcendant dont il est question ici et de ce dfaut rsulte que le [seul] raisonnement ne permet pas la libration. Car la [ralit transcendante], trs profondment secrte dans sa manire d'tre essentielle et dont dpend la libration, sans la Rvlation, ne peut mme pas tre devine. Ne relevant pas du domaine sensible, elle ne peut tre perue; manquant de signes, etc. , elle ne peut tre inf- re, etc. De plus, tous les thoriciens de la lib- ration s'accordent dire qu'elle procde d'une connaissance droite; or celle-ci est invariable puisque relative un donn rel, que la ralit est un donn invariable et qu'on appelle com- munment connaissance droite la connais- sance adquate tel objet, par exemple savoir que le feu est chaud. Cela tant, nulle discordance d'opinion n'est possible entre ceux qui accdent cette connaissance, tandis que les opinions formes par le seul raisonnement se contredisant sont incompatibles. ( ... ]Et nous ne pouvons rassembler dans un seul lieu et au mme moment tous les tenants passs, futurs et prsents du raisonnement pour que soit reconnue comme connaissance droite telle doctrine au contenu uniforme et portant sur un unique objet. Par consquent notre conclusion est que par l'efficace de la Rvlation conjointe celle du raisonnement qui se conforme elle, [nous connaissons] le brahman conscient comme cause et substance de l'univers . BRAHMASTllA.IJHSHYA (Il, Hl), TRADUCTION ORIGINALE. Le Point Rfrences Les textes fondamentaux ... .... >C ... .... ... ... 65 Facebook : La culture ne s'hrite pas elle se conquiert Cls de lecture ... a: - c L'GE CLASSIQUE .... :z ... :& :& L'idalisme radical du Yogavsistha a u ... ... 66 T exte jouissant d'une grande faveur en Inde, mais mconnu en Occi- dent, le Yogavsistha se prsente comme un Rmyana philoso- phique (cf p. 28) de dimension considrable. Il met en scne et expose l'enseignement donn par le sage (risht) Vasistha au hros Rma, enseignement d'une nature telle qu'il le conduit la dlivrance (moksha ). L'autonomie de la conscience Compos au Cachemire partir d'un noyau originel intitul le Mokshopya, compos vers 975, le Yogavsistha fit l'objet d'un processus d'amplification qui se poursuivit sur plusieurs si- cles jusqu' atteindre finale- ment 28 000 versets environ dans sa version longue. Pur chef-d'uvre, il reprsente assurment l'un des sommets de la philosophie indienne. Il se recommande plus d'un titre : premirement par l'at- trait de sa structure narrative qui fait alterner au sein d'un rcit-cadre des sections didac- tiques, des apologues*, des homlies* religieuses et des contes philosophiques. Ses qualits littraires sont gale- ment exceptionnelles : produit hautement labor et raffin de la culture lettre et savante, il est rdig dans la langue orne de la posie sanskrite*. Sur le plan de la pense sur- tout, il est essentiel de par la philosophie subtile qu'il pro- fesse, et qui s'inscrit la croi- se du Vednta* (cf p. 64), de l'idalisme bouddhique et du shivasme* du Cachemire ou Trika. Illustration tire d'un manuscrit du Yogavslstha (xv11 sicle). Aucune doctrine philosophique indienne n'a t aussi loin dans le sens de l'idalisme (le terme tant pris dans son acception technique) et dans l'affirmation de l'irralit du monde. Aucune n'a assum une telle radicalit, l'exception du bouddhisme idaliste du Yogcra-Vijfina- Aucune doctrine indienne n'a t aussi loin dans le sens de l'idalisme et dans l'affirmation de l'irralit du monde. vda (Ive-v sicles), et du cou- rant Prakshnanda du Vednta (xv1 sicle). S'il est vrai que l'idalisme se prsente comme une doctrine de l'autonomie de la conscience, l'intrt de ce texte est de manifester com- ment l'idalisme de la percep- Les textes fondamentaux Le Point Rfrences tion trouve se muer en un idalisme absolu. Rfutant la thse de l'existence spare du monde, il tablit que les choses n'existent pas en soi, indpen- damment de l'acte mental qui les apprhende : dans la mesure o le monde n'existe que dans et par l'esprit, intrieurement et relativement lui, il n'existe que pour autant qu' il est peru. Otez toutes choses Or, voici qu' la faveur de son reploiement, le monde se mue en un vide d'immensit. Celui-ci se dilate la mesure de l'uni- vers au sein mme de l'espace cosmique ou du firmament (vyoman) de la Conscience uni- verselle. C'est ainsi que l'va- cuation des apparences mon- daines ne laisse plus subsister que l'ternelle prsence trans- lucide de la pure Conscience, attendu que l'autorvlation de la Conscience absolue ne saurait advenir qu' titre de rsidu de l'anantissement du monde : tez toutes choses, que j'y voie , disait Paul Valry (Monsieur Teste). Ds lors, on conoit que ce soit la suppres- sion mme des sensations et des perceptions qui constitue le moyen de salut prn ici , pour autant que l'annulation de toute existence conduit la destruction du mental (manonasha), seule solution pour gurir de la grande mala- die de l'existence. Franois Chenet, professeur de philosophie indienne et philosophie compare Paris IV, auteur entre autres de Lo Philosophie indienne (Armand Colin, 1998). Facebook : La culture ne s'hrite pas elle se conquiert L'GE CLASSIQUE Yogavsistha Il n'existe que le pur principe de la Conscience universelle Q) Vasishtha dit : prsent, Rma, je vais t'enseigner le meilleur de ce qu'il y a connatre afin que soit discrdite ta croyance l'existence spare du monde, savoir qu'il n'existe que le pur principe de la Conscience universelle, au-dessus de toutes les imaginations forges par les hommes. [ ... ] C'est pourquoi, Rma, jamais il n'a exist, ni n'existe, ni n'existera de monde spar. C'est la pure Conscience qui, venant se manifester en tant que monde, dploie la cration en elle- mme. Ainsi, Rma, tant donn l'absolue non-existence de ce monde visible, il est certain que c'est le Brahman qui est Tout, travers l'espace infini. La connaissance du monde visi- ble est dtruite par la destruction de toutes ses causes ; mais la persistance de ses causes dans l'esprit fera resurgir la vue le visible mme aprs son extinction extrieure. L'abso- lue cessation du monde phnomnal ne saurait tre ralise que par la suppression de ses causes [nos actes et nos dsirs] ; mais si ces dernires ne sont pas supprimes dans l'esprit, comment peux-tu parvenir supprimer le visi- ble? Il n'est aucun moyen de dtruire notre conception errone du monde, l'exception de la totale extirpation des visibles de notre vue. li est certain que la manifestation du monde visible ne consiste que dans la conception intrieure que nous en avons dans J'espace vide de la Conscience ; et que la conscience que nous avons de moi , toi et lui sont de fausses impressions dans notre esprit comme dans les contes merveilleux. Ainsi ces monta- gnes, ces terres et ces mers, la rvolution des jours et des nuits, des mois et des annes, la connaissance que ceci est un on [kalpa] et que ceci n'est qu' un instant, la connaissance que ceci est la vie et que ceci est la mort, tout ceci n'est que la conception [errone) de notre esprit. De mme la connaissance de la dure et de la fin d'un on et d'un grand on, celle de la cration et celle de son commencement et de sa fin, tout ceci n'est que la conception [errone) de notre esprit. C'est l'esprit qui conoit des millions d'ons et des billions de mondes, la plupart tant rvolus et nombre d'entre eux encore venir. C'est ainsi que les quatorze rgions des sphres plantaires et toutes les divisions del' espace et du temps - les sept ocans et les quatre ges du monde [yuga) - sont contenus dans l'espace infini de la Conscience suprme. L' univers continue et il se dploie de lui-mme dans la Conscience suprme d'une manire aussi apaise que jadis et tout au long de l'ternit; et il resplendit des particules de la lumire de cette Conscience suprme, de mme que le firmament est plein de la radiance de la lumire solaire. [ ... ) Vasistha dit : Rma, c'est en russissant construire le pont de la victoire dans le combat contre ces ennemis que sont les cinq sens que l'on peut franchir l'ocan de la transmigration, et par nul autre moyen. L'tude des traits nor- matifs et prescriptifs [shstra], la compagnie des sages, la pratique assidue des vertus, tels sont les moyens de parvenir au contrle des sens. Seule la victoire sur les sens permet de raliser la non-existence des objets la vue. Je t'ai enseign, gracieux Rma, les causes de l'apparition et de la disparition du monde, pareilles au soulvement et au repos des vagues de l'ocan du monde. Il n'est point besoin d' un long discours pour te dire que l'esprit est le germe de l'arbre des actions. L'extirpation de ce germe ds le dbut empche la croissance de l'arbre appel le monde, ce qui contrecarre l'accomplissement des actes qui en sont les fruits . C'est l'esprit [manas] qui est toutes cho- ses [i.e. lagent de toutes les actions) . Aussi est-ce en le gurissant que l'on peut gurir tous les troubles et toutes les maladies qu'engendre l'illusion du monde. C'est parce qu'il est sujet l'garement que l'esprit s'imagine [ tort] qu'il nat et qu'il meurt. C'est l'esprit qui est respon- sable de la servitude, c' est lui qui est aussi responsable de la dlivrance quand il s'immerge dans la connaissance du Soi . YOGAVSISTHA, IV, 2, 8-J.8 ; IV, 4, 1-4 ET 5, 9, TRADUCTION ORIGINAU. Le Point Rfrences Les textes fondamentaux .... ... >C .... ... .... .... 67 Facebook : La culture ne s'hrite pas elle se conquiert Cls de lecture L'GE CLASSIQUE .... a: - .. ..... :z .... :& :& a u .... ... 68 Le Syadvadamanjari de Mallisena L e mot sanskrit* dars hana , que l'on traduit par philosophie, cole philosophique , signifie litt- ralement la vision, la perspec- tive que l'on prend sur le monde, le point de vue. Les philosophies indiennes se pr- sentent ainsi comme autant de visions partielles, incompltes et provisoires d' une ralit qui les englobe et les dpasse. N vers le v ie sicle avant Jsus- Christ dans la valle du Gange, peu prs en mme temps que le bouddhisme, et comme lui en raction la trop grande importance prise par le ritua- lisme dans le brahmanisme* , le janisme (cf p. 46) a dve- lopp une cole de pense trs La richesse infinie des choses ne se laisse jamais entirement embrasser par la pense humaine. active. Celle-ci insiste notam- ment sur le fait que toute com- prhension humaine de la ra- lit est ncessairement partielle, qu'elle implique invitablement l'adoption d'une perspective. Mais il n'y a pas lieu de le dplo- rer, dans la mesure o la vrit que recherche la philosophie se traduit ncessairement dans une modalit ou une autre du discours, ce que manifeste l'em- ploi en sanskrit du mode de l'optatif. Cela ne signifie pas que l'accs la ralit soit interdit l'homme ni qu'il lui soit impos- sible de dpasser la partialit du point de vue qu'il adopte. Encore faut-il qu'il en prenne pleinement conscience. Seul le sage se montre digne d'une telle humilit. Le point de vue du sujet Considr comme l'un des plus importants commentateurs des textes canoniques, le philoso- phe jan Hemachandra (1089- 1172) composa au xne sicle un pome particulirement repr- sentatif de cette approche du rel : les Soixante Stances qui dlimitent un autre chemin. Mais il est d' une telle concision qu'il faut lire le Syadvadamanjari, le commentaire que Mallisena rdigea au sicle suivant, pour en expliciter toutes les cons- quences. Du ct de la ralit, il s'agit de dmontrer que la richesse infinie des choses ne se laisse jamais entirement embrasser par la pense humaine. Le jinisme se montre en effet doublement sensible l' infinit des des choses. D'abord, toute chose, dment comprise, se rvle infinie dans la complexit de ses composants, les atomes matriels qui la constituent. Ensuite, il se trouve que le monde est infini dans son ten- due, impossible dlimiter, enfermer dans un tableau fixe et dfinitif. Penser, c'est donc adopter un point de vue, c'est considrer un seul aspect du monde, l'exclusion de tous les autres aspects possibles et lgitimes. Pour attnuer cette partialit, on peut bien passer d'un aspect au suivant, mais il n'en demeure pas moins que toute ide ou pense traduit le point de vue Les textes fondamentaux Le Point Rfrences du sujet qui pense. Hlas! peu d'hommes ont conscience du caractre partiel et partial de chacune de leurs penses; ils s'emparent de leurs ides en s' imaginant saisir des vrits absolues, ce qui leur fait affir- mer de faon imprieuse: Cela existe absolument . Au contraire, le sage s'lve la vrit de toute perspective et il se contente de dire : " Il se peut que cela existe. Du ct du discours, la vrit perspec- tiviste devient encore plus claire. Il n'existe aucun nonc, Le monde est infini dans son tendue, impossible dlimiter, enfermer dans un tableau fixe et dfinitif. en effet, qui n'implique l'ex- pression d' un certain point de vue. Si l'on objecte qu' il en existe o lon affirme sans doute possible l'existence d'une chose, du genre Cette cru- che-ci existe , alors le philo- sophe rpond que cette propo- si t ion n' est qu' une des modalits possibles du dis- cours, l'exclusion des autres. Voil pourquoi il faudrait dire: " II se peut que cette cruche-ci existe, cet instant, en ce lieu , ce qui implique l'ide de son absence ou de son inexistence, tel autre moment, en tel autre lieu. La logique du discours dcoupe alors la ralit selon sept modalits, qui reprsen- tent autant de modes possibles d'un nonc sur les proprits (existence, couleur, forme, etc.) d' une chose. M.B. Facebook : La culture ne s'hrite pas elle se conquiert L'GE CLASSIQUE Syadvada ma nja ri .... .... >C .... .... Il se peut que cela existe .... ... Q) 22. La ralit est essentiellement consti- tue de proprits en nombre infini. dfaut de le savoir, il est impossible de bien saisir son existence. Que tes arguments soient donc les rugissements du lion quand il effraye les antilopes que sont les mauvais logiciens. Commentaire : La ralit d'une chose, c'est son existence pleine et entire, dans l'ordre de l'anim, de l'inanim et du reste ; [cette ralit] est essentiellement constitue de proprits en nombre infini. Les proprits, qui sont infinies dans les trois temps et indnombrables, sont les modalits simul- tanes et successives [de la chose] . 23. La chose existe pour autant qu'on juge de faon synthtique, sans tenir compte des modes ; or, la mme [chose] , analyse, n'a pas d'exis- tence substantielle. Tu as vu ce qui est digne d'tre vu par les sages, savoir qu'il existe sept modalits du discours que l'on exprime selon diffrentes perspecti- ves. Commentaire : La chose est juge de faon synthtique, au sens o elle est exprime en liant ensemble [les proprits], sans tenir compte de leurs modes, parce qu'on ne veut pas les exprimer. La chose, cela signifie ce dans quoi rsident des qualits, des modes. Elle est de six espces : la chose bonne ; la [chose] mauvaise ; l'espace; le corps; le temps et l'tre vivant. [ ... ] Voici le premier nonc, sur le mode affirmatif : Il se peut que la chose existe trs prcis- ment. Le deuxime, sur le mode ngatif : Il se peut que la chose manque trs prcisment d'exis- tence. Le troisime, en coordonnant l'affirmatif et le ngatif : Il se peut que la chose, trs prcis- ment, existe et n'existe pas. Le quatrime, en niant la coordination de l'af- firmatif et du ngatif : Il se peut que tout soit trs prcisment inexprimable. Le cinquime, sur le mode affirmatif, avec la ngation de l'affirmatif et du ngatif: Il se peut que tout, trs prcisment, soit et que tout soit inexprimable. Le sixime, sur le mode ngatif, avec la ngation de l'affirmatif et du ngatif: Il se peut que tout, trs prcisment, manque d'existence et que tout soit inexprimable. Le septime, sur le mode affirmatif et ngatif, avec la ngation de l'affirmatif et du ngatif :" Il se peut que tout, trs prcisment, soit et que tout manque d'existence et que tout soit inex- primable. [ ... ] 28. L'objet peut tre affirm de trois manires : il existe absolument, il existe, il se peut qu' il existe, selon le mauvais point de vue, le pur point de vue et le discours de la vrit. Mais toi, tu vois la ralit en suivant le chemin du pur point de vue et celui de la vrit. Fuis le mauvais point de vue ! Commentaire : Celui qui adopte le mauvais point de vue s'ex- prime ainsi : Cela existe absolument ; par exemple La cruche existe absolument. Cette personne, en attribuant absolument l'existence cette chose, en exclut les autres proprits et particularise cette proprit [l'existence] qui ne correspond qu' son propre point de vue. Son point de vue est mauvais parce qu'il est faux, et il est faux parce qu'il bannit les autres proprits, pourtant prsentes [dans la chose] . Le pur point de vue consiste noncer l'exis- tence : La cruche que voici existe. En dcla- rant que l'existence correspond un point de vue personnel, on fait sienne, l'gard des proprits restantes, la ccit relative de l'l- phant [qui ne voit qu'un aspect]. Or, cela n'est pas un mauvais point de vue car on n'exclut pas ces proprits diffrentes. Mais ce n'est pas non plus le discours de la vrit car celui-ci est marqu par le mode de l'optatif il se peut . Voici ce discours : Il se peut que cela existe , savoir Il se peut, d' une certaine faon, que la chose existe. Et sa vrit rside dans le fait que le rsultat obtenu ainsi est en accord avec la perception et qu'il est propre empcher le rsultat contraire. Toute chose, en vrit, existe par rapport soi et n'existe pas par rapport autre chose, pour le dire une fois de plus. MALLISENA, SYADVADAMAN/ARI, COMMENTAIRE DES SOIXANTE STANCES QUI O{L/MITENT UN AUTRE CHEMIN, TRADUCTION ORIGINALE. Le Point Rfrences Les textes fondamentaux 69 Facebook : La culture ne s'hrite pas elle se conquiert Cls de lecture L'GE CLASSIQUE ... a: - .. 1- z: ... :& :& c::: u ... .... 70 La critique du matrialisme selon Syanamdhava L es hymnes religieux les plus anciens de l'Inde, appels Veda (cf p. 12), commandent au brahmane* de pratiquer des sacrifices s'il veut obtenir en retour une rtribution terrestre (par exemple, des enfants, des richesses, etc.) ou cleste, sous la forme d' un sjour parmi les anctres ou les dieux. Or, il s'est trouv trs tt des esprits incrdules prts contester la ralit de l'efficacit des sacrifices ou en dnoncer la supercherie ; ils seront bap- tiss matrialistes par les brahmanes. La littrature vdi- que les mentionne avec horreur et n'hsite pas les peindre sous les couleurs les plus som- bres. Mais qui sont-ils ? Le matrialiste rejette l'existence de l'au-del, donc des sacrifices, et donc des Veda. L'mergence du bouddhisme, au v sicle avant notre re, va brouiller les cartes : les textes brahmaniques vont, de manire dlibrment provocatrice, assimiler ces philosophes contestataires avec les pen- seurs bouddhistes, adversaires, eux aussi, de la religion des sacrifices, mme s 'ils le sont pour des raisons diffrentes (cf p. 38). Tous vont tre pr- sents comme des ngateurs des Veda, bien qu' ils n' aient rien en commun. Or sait-on ce que professaient les matrialistes? L'histoire n'a conserv aucun de leurs textes. Ceux qui les ont criti- qus ont pourtant glos sur leurs positions, afin de les condamner, quitte, comme dans le texte tardif ci contre, dat du xv sicle, leur attri- buer des thories qui n'taient pas les leurs. Ici , Syanamd- hava prsente le matrialisme comme l'avocat d'une morale primaire du plaisir, thse que l'on a de bonnes raisons de croire imaginaire ou du moins tendancieuse. Bien qu'il soit difficile de retra- cer fidlement les contours de la philosophie matrialiste, un consensus se dgage aujour- d' hui pour lui accorder un cer- tain nombre de thses. La pre- mire concerne les lments : l'homme est un compos uni- quement matriel ; la seconde se dduit de la prcdente : l'existence d'une conscience ou de quelque autre principe de nature immatrielle est exclue; la troisime s'ensuit : la conscience est corporelle ; d'o la quatrime : l'homme s ' anantit aprs la mort; et finalement la dernire : le mat- rialiste rejette l'existence de l'au-del, donc des sacrifices, et donc des Veda. Causalit matrielle Reste une nigme : le fait que, dans la littrature vdique elle- mme, existent des passages qui se laissent interprter la lumire de la philosophie des matrialistes. Les Upanishad (cf p. 14), en particulier, non- cent des propositions sur la causalit matrielle du principe absolu (brahman *) comme sur la disparition de toute pen- Les textes fondamentaux Le Point Rfrences se consciente aprs la mort : Il n'y a pas de conscience aprs la mort , assure l' une d'entre elles. Un adversaire invent 1 Que faut-il en penser ? N'y a-t-il pas ici la tentative de nier la permanence du principe conscient (tman) , donc de remettre en cause tout l'difice philosophique qui repose sur lui ? On comprend que le brah- Les brahmanes prsentent le matrialisme comme l'avocat d'une morale primaire du plaisir. manisme ait pris peur devant le caractre matrialiste d' un nonc double sens sur la conscience et qu' il se soit aussi senti justifi identifier les bouddhistes, qui niaient l'exis- tence d'un tman, des nihilis- tes. Les textes bouddhiques ne critiquaient-ils pas svrement les preuves de l'existence d' un dieu ordonnateur du monde (cf p. 62) ? De manire gnrale, l'importance de l'cole des matrialistes se signale au fait qu'elle est toujours en tte des doxographies* mdivales parce qu'elle reprsente la phi- losophie que Je brahmanisme juge le plus svrement et qu'il rfute donc, avant toutes les autres. Faute de textes, on est d'ailleurs en droit de se deman- der si les brahmanes n'ont pas invent en partie cet adver- saire.. . M.B. Facebook : La culture ne s'hrite pas elle se conquiert L'GE CLASSIQUE Matrialisme Il n'existe pas de conscience aprs la mort Q) En premier lieu, lui, le " matrialiste , adepte de la doctrine de Brihaspati, chef de file des ngateurs, comment peut-il s'adresser au seigneur suprme pour en attendre la flicit cleste? En vrit, il est difficile de s' arracher son influence : elle s'est insinue si loin. Tout d'abord, la majorit des hommes la subis- sent. Voici la strophe populaire qu'ils suivent fidlement : " Tant que la vie dure, vivons dans les plaisirs! li n'est rien que la mort n'atteigne! Quand le corps est rduit en cendres, d' o renatrait-il ? Ils ne font , ensuite, que se confor- mer aux traits de politique et d'rotique, quand ils jugent que les biens de l'homme se rduisent deux, le profit et le plaisir. Enfin, ils nient que l'autre monde puisse signifier quoi que ce soit. En tout cela, on voit bien que ces hommes-l pousent la doctrine des " matrialistes . C'est pourquoi on lui donne un autre nom, plus appro- pri celui-l, " philosophie populaire . Dans cette doctrine, la ralit est identifie aux quatre lments matriels, savoir la terre, l'eau, le feu et l'air. Ils vont se mlanger diver- sement pour donner forme au corps et engen- drer la pense consciente, l'image des agents de fermentation, qui [se combinent et] donnent naissance au pouvoir enivrant [de la boisson] . Une fois que ces lments disparaissent, [la pense consciente] prit d'elle-mme. cet gard, [la Brihadranyaka-Upanishad] l'affirme :" Ces lments matriels engendrent l'intgralit des activits mentales ; ces derni- res disparaissent immdiatement leur suite. Il n'existe pas de conscience aprs la mort. lis en dduisent que la prsence soi (tman) se rduit au corps, tel qu'il est qualifi par la pense consciente. Deux raisons le prouvent, selon eux : aucun argument ne dmontre que la prsence soi excde la ralit corporelle ; il n'existe aucun argument de ce genre parce que la perception constitue, dans leur doctrine, l'unique moyen de connaissance et qu'ils refu- sent ce statut l'infrence ou aux autres moyens de connatre. [ .. . ] Mais, dira-t-on, supposer que le bonheur suprme dans l'autre monde n'existe pas, com- ment feront les spcialistes du rituel pour se justifier d'accomplir l'oblation* dans le feu et les autres sacrifices, qui exigent de fortes dpen- ses d'argent et beaucoup d'efforts? Cette objection ne risque pas d'mousser le tranchant de leurs arguments. - Incohrence, contradiction et redondance sont les fautes qui ternissent [les Veda] . - Les docteurs des Veda, pleins d' habilet et de malice, se contestent les uns les autres ; ceux qui prnent la voie de la connaissance contes- tent ceux qui professent la voie de l'action, et rciproquement. - Les trois Veda sont prtexte aux plus subtils bavardages. - Les sacrifices, comme l'oblation dans le feu, ont pour seule et unique finalit de subvenir la vie [des brahmanes] . Ainsi se justifie la parole de Brihaspati : Pra- tiquer l'oblation dans le feu, apprendre les trois Veda, brandir le trident et s 'enduire de cendres 1 , voil des moyens de subsistance pour qui n'a ni intelligence ni force de caractre. Cela conduit les matrialistes aux trois conclu- sions suivantes : - L'enfer n'est autre que la douleur, d'une pine par exemple. - Le seigneur suprme, c'est le roi , souverain de la terre. - La libration est la dissolution du corps. SYANAMDHAVA, PllllORAMA DES POINTS DE VUE, TRADUCTION ORIGINALE. 1. Ri tuel shivate. Le Point Rfrences Les textes fondamentaux ... .... >C ... .... ... .... 71 Facebook : La culture ne s'hrite pas elle se conquiert Repres L'GE CLASSIQUE La force du tantrisme la mode aujourd'hui en Occident, le tantrisme transgressives, noyau dur regard extrieur l' Inde qui est souvent vendu comme une doctrine spi ri - d'o est n tout le systme et souligne cette omniprsence tuelle forte connotation sexuelle . En ralit, qui en forme en quelque sorte - dont en effet les hindous ont comme l'explique ici Andr Padoux, il relve d' une le cur. D'autre part, et assez rarement conscience. Mais approche du divin trs complexe, o la sexualit tt, ses doctrines et celles de l'existence des rvlations tan- n'est qu' un moyen parmi d' autres d' accder ses pratiques qui heurtaient le triques a t assez tt recon- l'Absolu . moins l'orthodoxie du monde nue. Ds le x' sicle le grand brahmanique ont pntr la matre cachemirien Abhinava- Tantra signifie littralement qui ." en se rpandant dans socit indienne. On n'en fini- gupta crivait dans son grand trame et dsigne la fois toute l'Inde, ont profondment rait pas ainsi d'numrer tout trait, le Tantrloka : Toutes une vision du monde, les traits modifi le cours de l'hindouis- ce qui, dans l'univers hindou, les traditions existant dans le qui la codifient et les pratiques me. Pour la premire fois en est d'origine tantrique, prescrit monde ne sont que des frag- qu'elle implique. sotrique et effet, les textes porteurs de ses dans les tantras ou dans d' in- ments spars de la mme polymorphe, ce mouvement est enseignements se sont prsen- tradition unique. difficile dater. Il se transmet ts comme rvls par des Le tantrisme de matre disciple comme un divinits, et non comme spon- Omniprsente Desse complment sotrique du tanment apparus et existant n'existe, n'a de Mais plus encore que ces as- brahmanisme dominant. Dans de toute ternit, comme le sens, que vcu pects concrets, visibles, c'est des crits complexes et parfois sont ceux du Veda* et ceux insparablement l'idologie qui est essentielle. crypts, il semble qu'il soit qui l'ont suivi. Le tantrisme a Une action, un comportement, apparu au grand jour partir apport des lments rituels en corps et esprit. ne sont tantriques que s'ils du if--v1' sicle de notre re et et doctrinaux qui , en s'ajou- sont vcus comme tels. C'est se soit dvelopp en impr- tant, avec la bhakti*, la dvo- nombrables traits : l'architec- l' ide, la vision, avec et selon gnant et en remodelant tout tion, la tradition brahmani- ture, l' iconographie, l'organi- laquelle on excute une ac- l' hindouisme, faisant de lui que, l ' ont modifie en sation et le fonctionnement des tion, un rite, qui fait que l'op- ce qu' il est devenu jusqu' nos profondeur pour en faire ce temples, l'initiation des prtres, ration est ou non tantrique. jours. Peut-on parler d' une qu'on appelle l' hindouisme . les panthons, les prat iques Le tantrisme n'existe, n'a de rvolution tantrique comme Le tantrisme a ds lors survcu rituelles et notamment l'ado- sens, que vcu consciemment, le font parfois aujourd'hui des sous deux aspects. D'une part, ration des divinits (la puja) , insparablement en corps et chercheurs? !:expression est de faon intense, chez un petit l' usage des chakras ou des esprit. Or cette vision est avant discutable, mais se justifie nombre d'initis qui en vivent mandalas, de tout ce qui tout celle d'un univers man parce que le tantrisme a ap- les enseignements et suivent concerne les mantras, etc. de la divinit omniprsente, port des lments nouveaux ses pratiques rituelles, mme On pourrait dire que c'est un qui agit par son nergie, la 72 Les textes fondamentaux Le Point Rfrences Facebook : La culture ne s'hrite pas elle se conquiert L'GE CLASSIQUE Repres Sculptures du temple de Kandariy Mahdeva Khajuraho, dans le centre de l'Inde (x1 sicle). shakti*, laquelle cre, impr- c'est le jeu divin de ['nergie. (mais parfois dcrite comme l'apparition de la Parole d'o gne et anime tout ce qui Pour l'tre humain, c'est vivre montant du cur ) , se nat l'univers : Suprme ner- existe et notamment l' tre dans et avec cette nergie, s'y dresse dans le corps pour d- gie, pure Conscience, compa- humain. Cette nergie est identifier, pouvoir la capter et, passer le sommet du crne et gne de Shiva, ternelle, omni- aussi la Desse, sous toutes par elle, aller vers la libration s'unir ['Absolu divin, le dieu prsente, flicit ternelle, ses formes paisibles ou redou- qui est fusion totale avec cette Shiva ou un autre (cf p. 32), transcendant l'espace et le tables, divinit toute-puis- puissance. Plus que dans les Suprme temps, et pourtant prsente sante aux aspects multiples. traditions vishnouites* et shi- dans tous les corps humains, vates* dualistes, c'est dans les Splendeur, elle se tient dans l'espace du Une fusion totale systmes shivates non dualis- entoure des cur, brillante tel l'clair, en- Celle, par exemple, que le Yo- tes - surtout cachemiriens - vagues fulgurantes roule sur elle-mme comme ginhridaya dcrit comme su- que l'on trouve le tantrisme le un serpent endormi . En cette prme Splendeur, entoure des plus intense et profond, repo- de ses nergies. Desse fulgurante, favorable, vagues fulgurantes de ses ner- sa nt toujours sur le compos plus subtile que le subtil, se gies trnant au centre du humain - corps-esprit. pour se fondre en lui et arriver tiennent tous les dieux, tous shrcakra, le diagramme de Corporelles sont les voies de la au salut : procs humain, cos- les mantras, tout ce qui fait les puissance qui n'est que la forme kundalini* (notion tantrique!), mique et divin que dcrit no- mondes. Elle est faite de brah- qu'elle assume pour crer et nergie divine et humaine, qui, tamment le Shradtilaka, man-son ... On trouve en elle la dtruire l'univers. Le tantrisme, love au niveau du prine trait du x11' sicle, en le liant triade de puissance du
Le Point Rfrences Les textes fondamentaux 73 Facebook : La culture ne s'hrite pas elle se conquiert Repres L'GE CLASSIQUE soleil, de la lune et du feu. Omnipntrante, elle est l' nergie phonique animatrice et cratrice de l'univers. lmmenslfler le mol On voit l comment toute pra- tique yogique tantrique tend cosmiser le corps en le faisant participer au jeu dynamique de l'nergie divine. Cela apparat aussi dans le fonctionnement de la Roue des nergies du systme Krama du shivasme cachemirien, avec la spirale tourbillonnante des Kl (cf p. 32), la fois desses et ner- gies qui animent les sens et La jouissance transcende ouvre la voie la fusion en l'Absolu. l'activit mentale de l' tre hu- main. La douzime d'entre elle, la plus haute, abolit le temps et plonge l' tre dans le Vide ultime qui contient tout le dif- frenci. lmmensifier le moi, briser ses limites et non l'abolir, tel est l'apport du tantrisme , a dit justement Lilian Silburn. Dans le Kramastotra, un hymne aux Kl , Abhinavagupta s'adresse ainsi la Desse qui les domine toutes : Ce nectar de la conscience l' clat ful- gurant qui flue spontanment en vagues innombrables et varies, il rside en Toi. Toi seule il appartient. Toi sont aussi [ces vagues]. glorieuses manifestations simultanes, quand apparaissent et dispa- raissent lune, soleil et feu dont la beaut explose en cration, permanence et dissolution. Calcutta, une statue contemporaine en terre cuite reprsentant la desse Kl. 74 Dans cette perspective, la my est une tape dans le processus cosmique crateur intrieur la divinit. Elle n'est pas pure illusion, mais magie cratrice vivante. Ce qu'elle fait appara- tre participe de la puissance, de la Ralit divine. C'est pour- quoi on peut en utiliser les lments pour la transcender vers !'Absolu vivant qui la pro- duit et qui l'anime. Tel est le sens du principe tantrique se- lon lequel l' initi peut utiliser pour aller vers la libration ce qui est ordinairement conu comme y faisant obstacle, en particulier la passion (kama). qui est dynamisme, libert. Cette libration toutefois s'ob- tient en cette vie, l'tre libr transcendant le monde tout en le dominant. Le kama, dans ce cas, peut tre le dsir sexuel Les textes fondamentaux Le Point Rfrences - d'o les pratiques qui ont fait la mauvaise rputation du tan- trisme. Rserves de trs rares initis, celles-ci impliquent de fait plus de rites de purification ou de propitiation, de complexes et difficiles reprsentations men- tales, de plonges spirituelles, que de jeux amoureux. Il n'y a l aucune licence. L'orgasme partag qui couronne le rite, Facebook : La culture ne s'hrite pas elle se conquiert L'GE CLASSIQUE Repres est li la monte de la kun- Il est intressant de noter que intense ou une chute dans le de son corps avec un objet dalin; la jouissance transcen- plus de mille ans avant Marcel vide. Ce trait dit ai nsi : [ ... ] poi ntu, si l'on tient alors son de ouvre la voie la fusion en Proust et sa Recherche du dans la terreur ou l'anxit [au esprit fix sur ce point, l'accs !'Absolu. Mais la sublimat ion temps perdu, l'auteur d'un tan- bord] d'un prcipice, quand on clatant Bhairava [se pro- de l'action dans la seule repr- tra ait pu avoir pens qu'en fuit le champ de bataille, quand duira] . Autant de moyens (on sentation mentale peut mener faisant concider un moment on prouve une vive curiosit, pourrait en citer bien d'autres) au mme but. C'est ce que dit du pass avec un autre du pr- quand dbute ou se termine la pour l'adepte tantrique de cette stance d'un ancien trait sent, la mmoire fait transcen- faim, etc., un tat qui est l'es- transcender sa condition, et der le temps. Du fait de la vision sence du brahman [se rvle] . d'arriver vi vant cet tat de La beaut des intense, dynamique du tan- Il y a l concentration intense, dlivrance que dcrivait ainsi trisme, la jouissance esthtique sur la situation vcue, mais le grand Abhinavagupta : Il rites cre un tat joue galement un grand rle. l' interruption subite de l' tat consiste en un ensevelissement de joie qui ouvre Les auteurs soulignent, par intense peut aussi crer une dans la non-dualit de notre l'exprience exemple, la beaut des rites, fusion avec !'Absolu : Lorsque, propre nature, identique la car elle cre un tat de joie physiquement gar, on a subjectivit infinie s'mer- du divin. qui ouvre l'exprience du tourn de tous cts en toute veillant d'elle-mme. Alors, divin. Le candidat l' initiation hte au point de tomber l'ensemble des ralits de !'uni- shivate, le Vijbnabhairava (La shivate que l'on amne devant terre, grce l'arrt de l'effer- vers considr jusqu'alors Connaissance de Bhairava - /'Ab- l'autel fleuri o l'on a plac les vescence de l'nergie, la condi- comme asservissant se dvoile solu) . Matresse des Dieux! mantras des dits, est tion suprme apparat. Il y a comme le jeu multiforme de si l'on se remmore intensment bloui par leur beaut au aussi la fixation du regard sur notre joie surabondante. le plaisir qu'a donn une femme, point de perdre connaissance. un objet ou sur l'espace, joint par les baisers, les caresses et Mais tous les plaisirs, la musi- l'arrt de la pense : Si on Le suprme yogln les treintes, mme en l'ab- que, les fleurs, les boissons fixe le regard sur un rcipient, Roi des Yogin*, merveill, il sence de cette nergie [de cette mme, peuvent faire accder une cruche ou autre, en faisant contemple la masse des tres qui femme] se produit un afflux de de mme un au-del du plai- abstraction de ses parois, si l'on surgit de sa conscience ou s'y flicit. sir immdiat. son point le rsorbe comme une multitude Il ne s'agit pas l d'une rverie plus haut, la jouissance esth- Tous les plaisirs de reflets apparaissant et dispa- rotique, mais de la revivis- tique cre un tat analogue raissant dans un miroir ... Il de- cence d'un tat intense, d'une l'exprience mystique - et cela peuvent faire meure frapp d'merveillement absorpt ion dans l'nergie d'autant plus parfaitement accder un lorsque la Ralit plei nement sexuelle : la puissance de l' ima- que cet tat est partag, disait au-del du panouie jaillit de manire im- gination cratrice de l'adepte Abhinavagupta, qui fut aussi prvisible en toute son harmonie fait pntrer son nergie in- le plus grand thoricien indien plaisir immdiat. et sa sublimit. Le suprme yogin terne dans la voie mdiane de l'est htique et notamment se tient ferme ; il ne relche pas o monte la kundalin, faisant du thtre (cf p. 54) . parvient s'absorber en ce son treinte et le flux mprisable ainsi natre en lui la flicit [vide], cet instant, grce des naissances et des morts qui du brahman* . La dlivrance cette absorption, on s' identi- frappe de terreur le monde entier La mmoire ou remmoration Mais il y a aussi des choses plus fiera lui. Que l'on fixe le n'existe plus pour lui 1 Triomphe (smarana) joue un grand rle surprenantes pour les Occiden- regard sur un lieu dpourvu de la paix dans la gloire de l'ner- dans la vie spirituelle, particu- taux : le Vijnnabhairava nu- d'arbres, de murs, de monta- gie divine. lirement dans le shivasme. mre ainsi pas moins de deux gnes, etc. Dans l' tat mental Abhinavagupta, encore lui, dit cents moyens de s'ouvrir l'ab- d'absorption, on devient un Andr Padoux, spcialiste ainsi : La mmoire est le rap- solu o est mise en jeu l'inten- tre dont toutes les fluctuations du tantrisme hindou, auteur, pel l'esprit. Elle est ce qui fait sit de la sensation physique mentales ont disparu. Au lieu ent re autres, de L'nergie apprhender ce qui est ant- et, avec elle, de la tension men- de l'ouverture au vide, une de la parole (Fata Morgana, rieur toute modalit et qui tale, que celle-ci soit pousse concentration intense de l'at- 1994) et de Comprendre en est donc la nature profonde, son maximum d' intensit, ou tent ion, mme sur un point le tantrisme (Albin Michel, l'essence propre, laquelle est qu'au contraire, elle soit brus- douloureux, peut galement 2010). la Conscience au sens le plus quement interrompue en ouvrir !'Absolu : Aprs avoir haut de ce terme. cra nt un choc motionnel perc une partie quelconque 1. Traduction de Michel Hulin. Le Point Rfrences Les textes fondamentaux 75 Facebook : La culture ne s'hrite pas elle se conquiert Introduction LES TEMPS MODERNES Sous la frule anglaise comme aprs l'indpendance, la pense indienne est marque par les influences croises qui s'tablissent entre l'Inde et l'Occident. QUAND l:ABSOLU RENCONTRE l:ORDINATEUR Par Catherine Golliau U n rouet, symbole d'indpendance cono- mique, mais aussi d'enracinement dans la culture du pass; un pagne, pour !'austrit; un principe, l'ahims* , la non-violence : le Mahtm Gandhi (1869-1948) va imposer l'Oc- cident l'image du guide spirituel qui fait de la politique avec de la mtaphysique* sous forme de slogans simples. Celui qui disait Je suis un idaliste pratique va mener la lutte pour l'ind- pendance avec la philoso- nes*, devenus interprtes et passeurs culturels, de leurs guerriers, qui vont constituer les deux tiers des bataillons anglais. Ce soutien est toute- fois fragile, comme l'illustre en 1857 la Rvolte des cipayes. La distribution de cartouches qu'il faut dchirer avec les dents provoque une catas- trophe : des soldats sont convaincus qu'elles sont enduites de graisse animale, tabou pour des hindous. La rumeur entrane la mutinerie de bataillons entiers, bientt phie hindoue : Dieu seul est, rien d'autre n'existe , ce qui implique de suivre sans compromis les prin- cipes de justice et de vrit. Les Britanniques Aprs la Rvolte des cipayes, soutenus par des notables ruraux dpossds de leurs terres ou brims par le fisc, et par leurs pay- sans. En quelques mois, les Anglais n'oseront plus brusquer les traditions indiennes. n'en attendaient pas tant, eux qui pourtant ont tout fait pour prserver la tradition dans leur bel Empire des Indes. Ne vont- ils pas pour cela rinventer l'Inde en privilgiant l'hindouisme* et son systme de castes* aux dpens des autres composantes du pays? L'Inde des hautes castes C'est pourtant une socit pour le moins com- posite qu'ils dcouvrent au xvu sicle : l'empire musulman moghol* est en pleine dliquescence au nord, le territoire est morcel en de petits royaumes rivaux. Le sous-continent est une mosa- que de langues, de sectes et religions parfois trs rcentes, comme cet tonnant syncrtisme qu'est le sikhisme (cf p. 78), monothisme inspir du Principe absolu de l'hindouisme et du soufisme. Mais la conqute britannique se fait avec le sou- tien actif des hautes castes, qui offrent aux nou- veaux envahisseurs les talents de leurs brahma- 76 1 Les textes fondamentaux Le Point Rfrences la valle du Gange et l'Inde centrale sont feu et sang. Il faut aux Britanniques le ferme soutien du Sud, qui a toujours fonctionn sparment du Nord, du Bengale et du Panjab pour mater la rbellion. Mais le traumatisme est irrparable, tant chez les Indiens, blesss par la violence de la rpression, que chez les Britanniques, dorna- vant enclins la peur. partir de l, ils ne vont plus oser brusquer les traditions indiennes. Lesquelles? Celles que leur vendent leurs secrtaires ou collaborateurs, des lettrs et donc des brahmanes : une Inde domine par l'organi- sation des castes, que conforte la pense du Vednta *, cette mtaphysique de !'Absolu dont, au vm sicle, Shankara (cf p. 64) fut le chantre et qui s'est finalement impose partir du XVII" sicle comme la pense dominante de l'Inde intellectuelle. Pourquoi? Peut.{!tre, comme l'explique l'indianiste Jean Varenne, parce que le Vednta incarnait effectivement ce qui tait fondamental dans l'hin- Facebook : La culture ne s'hrite pas elle se conquiert Vers 1933. Gandhi utilise le rouet emblmatique de sa lutte contre les monopoles anglais et pour l' indpendance de l'Inde. douisme, le sentiment intime que, dans l'ordre philosophique, il existe une hirarchie des valeurs, comme il en existe une dans tous les aspects du dharma*, que ce soit dans l'ordre social (systme des castes) ou dans l'ordre religieux (le panthon, lui aussi, est hirarchis) . C'est ce Vednta qu'tu- diera Schopenhauer*, et que des rformateurs comme Rmakrishna (cf p. 82), Vivekananda (cf p. 84), ou Sri Aurobindo Ghose * feront conna- tre aux Occidentaux. le mal d'absolu Dus par les monothismes ou par le matria- lisme, certains de ces derniers vont se laisser pntrer, voire sduire, par la culture de leurs matres. La colonisation a unifi l'Inde en lui apportant une lingua franca : l'anglais. Les princes, les propritaires fonciers, et pendant longtemps les employs de l'administration soutiendront l'Empire. C'est donc avec, ou contre, la culture occidentale que vont se construire les principaux penseurs modernes. Rabndranth Tagore (cf p. 86) tait ainsi le fils d'un fondateur du Brahmo Samaj , mouvement thiste bengali fond dans les annes 1830, sou- cieux de l'mancipation des femmes et de la suppression des castes. Lui-mme, dans son ashram de Santinitekan, va fonder des fermes modles et une universit convaincre qu'il existe un absolu, " quelque chose qui permet l'union de tou- tes les croyances, et que, notamment grce au yoga* , l'homme peut Aujourd'hui, les visiteurs rudits du seul grand sanskritiste o s'enseignent aussi bien les mathmatiques que les danses traditionnelles. Ce traumatis de l'enseigne- de Bnars sont tous Occidentaux ... dpasser dans cette vie la condition humaine. Aurobindo parlera ainsi d' idal du supra-humain , notion qui rejoint celle, nietz.s.. chenne*, du Surhomme. C'est donc en " mal d'absolu , au sens littral, que beaucoup d'Occi- dentaux partiront dans les annes 1970 la recher- che de gourous* censs leur ouvrir les voies de la connaissance. leurs risques et prils. Mais la relation coloniale n'est jamais sens unique, et les Indiens se sont eux aussi laiss ment des bons pres y fait galement appliquer des principes ducatifs alors rvolutionnaires. Et aujourd' hui? Parce qu'aprs 1947, les gouverne- ments indiens ont mis l'accent sur la formation technologique, les informaticiens indiens sont rputs parmi les meilleurs au monde. Mais il n'y a plus qu'un seul grand sanskritiste Bnars, et comme le rappelle l'indianiste Michel Hulin, si les visiteurs rudits font la queue pour le rencon- trer, ils sont tous Occidentaux ... Le Point Rfrences Les textes fondamentaux 77 Facebook : La culture ne s'hrite pas elle se conquiert Cls de lecture .... a: - .. .... LES TEMPS MODERNES z .... :E :E c u .... L'Adi Granth et Guru Nanak .... ..... 78 L es sikhs se sont dots, au dbut du xv11 s!cle, d' un livre sacr, 1'Adi Granth ( Livre Premier ), dont leur dixime et dernier Gur *, Gobind (1666-1708), fit son suc- cesseur au dbut du XVIII" sicle. C'est depuis en l'di Granth qu'ils vnrent la prsence divine dans leurs temples et leurs foyers. Une illumination Ce livre est crit en sant-bhs, forme de hindi ancien ml d'lments panjabis, sanskrits* et persans. Il fut compil par le cinquime Gur des sikhs, Arjan (1563-1606), en 1604, partir de ses hymnes ainsi que de ceux de ses prdcesseurs la tte de la communaut sikhe et de ceux d'autres saints potes de ce temps. Les deux pomes ci-contre sont tirs de ce livre et ont pour auteur Gur Nnak (1469-1539), le fondateur de cette religion. Alors qu'en Inde du Nord, l' hindouisme* Un Dieu unique, crateur et inconnaissable, extrieur l'homme et prsent en lui. connaissait une efflorescence des cultes de dvotion (bhakti ), ce mystique du Pan- jab entreprit de longues pr- grinations la suite d'une illu- mination, puis fonda un village o il rassembla des disciples (sikhs) qui formrent le Nnak Panth (ceux qui suivent la voie de Nnak ). Il leur prcha la foi en un Dieu unique, crateur et inconnaissable, extrieur l'homme et prsent en lui. Les sikhs reprsentent aujourd' hui moins de 2 % de la population indienne, et si deux millions d' entre eux sont installs l'tranger, les deux tiers conti- nuent vivre au Panjab, leur rgion d'origine, o ils sont en majorit des ruraux. Le premier de ces pomes donne une dimension cosmique l'rat, crmonie hindoue d'offrande de lumire qui consiste, la fin du culte rendu une image divine, faire tour- ner devant cette dernire une ou des lampes huile allumes en chantant des hymnes et en faisant brler des btonnets d'encens. Dans le deuxime, Nnak glorifie le Nom de Dieu tout en proclamant Son ineffa- bilit. Le vrai Gur On retrouve dans ces pomes certains grands traits de la thologie de Nnak et de sa voie d'accs au divin. Au cur de son enseignement est la foi en un Dieu unique rvl par sa cration. Ce Dieu est le vrai Gur tout-puissant, infini, ter- nel , sans forme ni attributs, inconnaissable, ineffable et omniprsent. la fois extrieur l'homme et prsent en lui, il peut lui manifester sa grce et le fait ainsi accder la Vrit qui seule subsistera la fin des temps. Sans cette grce, l'homme s'gare dans la qute des biens de ce monde ou la recherche du salut sous la conduite de mauvais matres. Les textes fondamentaux Le Point Rfrences Avec cette grce, un tre humain peut se dfaire de son illusion sur le monde, et se mettre sur la voie de la dlivrance en cou- tant en son cur la voix du Seigneur - appele gur (ma- tre) par Nnak - murmurer le Mot . La fusion en Dieu Ce dernier lui rvle l' Ordre divin , l'enseignement de Dieu, qui est tout la fois le principe de l'harmonie universelle et l'indication d' un salut possible. Pour entendre cet Ordre, l' homme doit purifier son essence spirituelle, liminer ce Gur Nnak propose une discipline qui consiste principalement en la remmoration et la rptition du Nom divin. que le second texte appelle ici ses arrirs , car son ego est prisonnier de la vie matrielle et de ses fautes . Aussi Nnak lui propose-t-il une discipline, qui consiste principalement en la remmoration et la rptition du Nom divin. L' homme peut ainsi obir !'Ordre et s'lever jusqu'au royaume de la Vrit : lorsqu'il y accde, son essence rgnre se fond en Dieu dans une suprme batitude. Denis Matringe, directeur de recherche au CNRS, auteur, entre autres des Sikhs, histoire et tradition des lions du Ponjob (Albin Michel, 2008). Facebook : La culture ne s'hrite pas elle se conquiert LES TEMPS MODERNES Le sikhisme C'est par l'enseignement du Gur que se manifeste la lumire L'rat cosmique Il est dans le ciel un plateau sur lequel soleil, lune et toiles sont les lampes. Le parfum de santal venu de l'est est l'encens, le vent est l'ventail et les vgtaux sont les fleurs , Dieu de lumire! Refrain : Quelle grandiose rat, destructeur de la transmigration, est ton rat! La timbale qui rsonne est le son non frapp. Tu as des milliers d'yeux et pourtant, tu n'as pas d'yeux ; tu as des milliers de formes et pourtant, tu n'en as pas une seule. Tu as des milliers de pieds immaculs et pour- tant, tu es sans pied ; tu es sans parfum et pourtant, tes parfums sont des milliers; ainsi vas-Tu, garant. {refrain} En chacun est la lumire divine, et c'est Lui. C'est de par Sa lumire qu'en chacun est la lumire. C'est par l'enseignement du Gur que se mani- feste la lumire. C'est ce qui Lui plat qui est l'rat. {refrain} Mon cur est toujours avide du suc du lotus des pieds de Hari ; j'en suis assoiff. Accorde au coucou Nnak l'eau de Ta grce, qui lui permettra de se tenir en Ton Nom. [refrain} DI GRANTH, P.13 (TOUTES LES !DITIONS ONT UNE PAGINATION STANDARD DE 1430 PAGES), TRADUCTION ORIGINALE. Ton Nom Si je vivais des ges et des ges ne me nourrir que de vent, Dans ma grotte ne voir soleil ni lune et sans un rpit pour dormir, Je ne saurais exprimer Ta grandeur ni glorifier assez Ton Nom. Refrain : Toi le Vridique, le Sans-Forme, Dont toujours j 'entends chanter les louanges, si Tu le veux, on Te dsire. Si l'on m'gorgeait et me dmembrait, si l'on me moulait la meule, Si l'on me brlait au feu du bcher, que je ne fusse plus que cendres, Je ne saurais exprimer Ta grandeur ni glorifier assez.Ton Nom. [refrai11] Si j'tais un oiseau, si je volais librement travers les cieux Et si nul ne pouvait m'apercevoir, si je ne buvais ni mangeais, Je ne saurais exprimer Ta grandeur ni glorifier assez Ton Nom. [refrain} Nnak ! Si je lisais tous les livres et si j'en comprenais le sens Si jamais je ne devais manquer d'encre, Si j'crivais comme le vent, Je ne saurais exprimer Ta grandeur ni glorifier assez Ton Nom. [refrain] IBID., P. 14-15. Le Point Rfrences Les textes fondamentaux .... ..... >C .... ..... .... ..... 79 Facebook : La culture ne s'hrite pas elle se conquiert Cls de lecture LES TEMPS MODERNES ... a: - .. ..... :z ... li li Q u ... .... 80 Le Dasam Granth, attribu Gur Gobind L e sikhisme n'a pas un, mais deux livres s ~ c r s . Si Je premier est l'Adi Granth, le second, le Dasam Granth (Livre du dixime " Gur), est attribu au dixime et dernier Gur, Gobind, et fut compil vers 1730 par l'un de ses disci- ples. Mais une partie de son contenu est peu conforme l'enseignement des premiers Gur et seules certaines de ses compositions sont considres par les plus rigoristes d'entre les sikhs comme faisant partie de leur corpus de textes sacrs. Rsistance arme Selon la tradition, Gobind intro- duisit dans Je sikhisme des changements majeurs. Il cra en 1699 un ordre martial, appel Khls ( les Purs ) , dans lequel pouvaient tre initis les sikhs prts se battre pour la justice et la dfense de leur religion. Les membres de cet ordre devaient adopter cinq symbo- les distinctifs dont le nom pan- jabi commence par la lettre K (cheveux et barbe non coups, peigne pour retenir les cheveux, bracelet mtallique, pe et culotte courte porte sous les vtements). Ils devaient aussi ajouter leur nom Singh ( Lion ) pour les hommes et Kaur ( Princesse ) pour les femmes , ne pas fumer, ne pas consommer de viande prove- nant d' animaux tus selon le rite musulman. Les hommes ne devaient pas avoir de relations avec des musulmanes, etc. Ces changements, qui contrai- rement ce que rapporte la tradition prirent place graduel- lement au cours du xvm sicle, doivent tre rapports la rsistance arme des sikhs, durant cette priode, tant contre le pouvoir moghol* de Delhi que contre les envahis- seurs afghans qui venaient faire des razzias de grande envergure au Panjab. Ils sont sensibles en de nombreux passages du Dasam Granth, et notamment dans une grande fresque po- tique o Gobind raconte sa vie et se prsente, sur un mode trs hindou, comme envoy par Dieu sur terre pour restaurer le dharma , lordre du monde : le premier extrait est tir de ce pome tonalit pique intitul Bacittar ntak ( le drame mer- veilleux ) . Gobind se prsente comme envoy par Dieu sur terre pour restaurer le dharma, l'ordre du monde. Au xvm sicle continuent par ailleurs d'tre rdigs des tex- tes qui ont encore aujourd'hui un statut quasi sacr pour les sikhs : des hagiographies de Gur Nnak crites en panjabi simple et appeles Janam-skh ( rcits de naissance ). Ils racontent la vie du premier gur sikh travers des sries d'pi- sodes lchement relis entre eux et de manire diffrente selon les traditions constitues aux xvn et xvm sicles. Toutes les Janam-skhtraitent d'abord de l'enfance dans le village de Talvandi au Pandjab et des signes annonciateurs de la mis- sion divine, du passage l'ge Les textes fondamentaux Le Point Rfrences Gur Gobind (1666-1708). adulte dans la ville de Sultan pur, de l'illumination mystique vers l'ge de 30 ans, des tournes de prdication et de conver- sion, grand renfort de mira- cles, dans l'Inde et au-del, et des dernires annes passes par Nnak au milieu de ses dis- ciples dans sa ville de Kartar- pur. Inspires de modles musulmans soufis*, les Janam- skh empruntent certaines de leurs anecdotes des sources hindoues ou soufies. Elles sont le moyen par lequel les sikhs, aujourd'hui comme hier, pren- nent connaissance de la vie de Nnak et ont jou un rle impor- tant tant pour la projection de J'image de Nnak que pour la cohsion de la communaut. Mais il est frappant de consta- ter que les Janam-skh com- poses au xvm sicle ignorent tout des changements interve- nus dans le sikhisme avec Gur Gobind. Ces textes s'attachent aussi contextualiser les hym- nes de Nnak prservs dans l'di Granth en imaginant les circonstances dans lesquelles ils auraient t composs. D.M. Facebook : La culture ne s'hrite pas elle se conquiert LES TEMPS MODERNES Je t'ai cr pour rvler la Voie Le sikhisme .... .... >C .... .... .... .... Maintenant, je raconte ma propre his- toire, Et comment, alors que je me livrais aux austrits, je fus amen ici. O se trouve le mont Hem Kunt, Il y a sept pics alentour. Cette montagne est appele Les-Sept-Pics ; C'est l que les rois Pndava pratiqurent [le yoga. J'tais alors dans mes plus extrmes austrits, Et j'adorais Shiva et Kl. Comme je pratiquais ainsi mes austrits S'opra le passage de la dualit !'Unit [avec Dieu]. Mes parents aussi adoraient l'ineffable, Pratiquant le yoga de diverses manires. Je ne songeais pas venir ; Aux pieds du Seigneur, j'tais tout [Son coute. Le Seigneur me fit alors comprendre ce [qu'il attendait de moi ; Il m'envoya dans le monde en me parlant ainsi. [ ... ] " En toi je chris Mon fils ; Je t'ai cr pour rvler la Voie. Tu vas donc rtablir le dharma Et empcher les hommes de faire le mal. Me tenant les mains jointes et baissant la tte, [je dis : " La Voie prvaudra, avec Ton assistance. DASAM GllANTH, BACITTAR NTAK, TRADUCTION ORIGINALE. Alors Bb 1 franchit l'ocan, et il se fit un grand bruit dans un lieu proche de Talvandi. Tous ceux qui l'entendaient affluaient. Les gens disaient : "c'est un fakir* de Dieu qui est n, il a pour nom Nnak, il est imprgn de Dieu. Beaucoup de gens se rassemblrent, et ils devenaient ses disciples. Qui venait tait enchant. Les couplets que Bb composait avaient la force de l'vidence. Il composa ce couplet, que chantaient les fakirs qui ont un bton la main : Le mensonge finira, Nnak, et la fin la vrit prvaudra [di Granth, p. 22] . Alors, chez Nnak " est rpt !'Unique Nom [di Granth, p. 72] . On se mit lui adresser force louanges, il se fit une trs grande clameur. Hin- dous, musulmans, yogis, renonants shivates, tudiants brahmaniques* , asctes, anachortes, jans nus, vishnouites, ermites et matres de maison, renonants vishnouites, khans, mirs, percepteurs, matres des terres, tous ceux qui venaient taient enchants. Tous le louaient. Prs du village o se tenait Bb vivait un per- cepteur. Qui est cet homme? demanda-t-il. Quel qu'il soit, tous prononcent son nom avec amour. Non seulement il a sduit des hindous, mais il a aussi ruin la foi de musulmans. Et s'agissant de musulmans, peut-On parler de foi si elle s'adresse un hindou? Mais allez, en selle, allons-y voir! Quand il enfourcha son cheval, celui-<:i se mit trembler. Quand il le monta le lendemain, en chemin l'animal devint aveugle ; ne voyant plus rien, il s'assit. Les gens disaient : Nous avons peur, nous ne pouvons rien dire ; mais Nnak est un grand pr 2 Dvoue-toi lui! Alors le percep- teur se mit louanger Nnak. Et alentour, les gens se mirent se prosterner devant Nnak. Le percepteur remonta cheval , mais il tomba aussitt ; il ne voyait plus rien. Alors les gens lui dirent : Eh, matre, tu as oubli, toi qui montes cheval, que Nnak est un grand pr. Rends-toi auprs de lui pied, si tu veux recevoir sa bn- diction. Alors le percepteur poursuivit pied. Quand il fut proximit de la cour de Nnak, il se mit faire des salutations. Il s'approcha, tomba aux pieds de Bb et fut rempli de joie. Bb le garda trois jours auprs de lui. Le percepteur tait trs heureux et lui prsenta cette requte : Bb-j! Si tu me l'ordonnes, je construirai un village en ton nom, il s'appellera Kartarpur (la ville du Crateur), un dharamshl 3 y sera tabli. Alors le percepteur dit au-revoir. Dites : Louange Dieu! PRTAN /ANAMSKH/, TRADUCTION ORIGINALE DU PANOJABI. 1. Bb signifi e Papa , terme honorifique et affectueux pour dsi gner Nnak. 2. Pir signifie ancien , ti tre des matres spi rituels musulman et, par extension, de tout saint homme. 31. Un dharamshl est un centre de vie religieuse et communautaire. Le Point Rfrences Les textes fondamentaux 81 Facebook : La culture ne s'hrite pas elle se conquiert Cls de lecture ... a: - .. .... LES TEMPS MODERNES :z ... :& :& Les Entretiens de Rmakrishna 0 c.:t ... .... 82 S hri Rmakrishna est le nom religieux de Gadd- har Chattopdhyya (1836-1886), un brahmane* du village bengali de Kamarpukur. Issu d' une famille pauvre et trs pieuse, il devient 20 ans pr- tre de la desse Kl (cf p. 32) au temple de Dakshineswar, dans la banlieue nord de Cal- cutta. Commence alors pour lui une formidable exprience mystique qui durera plus de dix ans : il se Il ne voulait ni prcher, ni convertir, convaincu que les religions sont toutes des chemins qui mnent Dieu. donne physiquement et spiri- tuellement la Desse, la Mre, qu'il va aimer d'un amour fou. Son comportement bizarre - il se met marcher quatre pattes parce qu'il se prend un temps pour une incarnation du dieu singe Hanuman (cf p. 32); il chante pendant des heures puis tombe en extase pendant des semaines, etc. - le fait d'abord prendre pour un dment, et il doit la protection des fonda- teurs du temple de rester en libert, et de pouvoir approfon- dir sa formation religieuse. II s'initie au tantrisme (cf p. 72) auprs d' une prtresse brah- mane, puis apprend le Vednta* (cf p. 64) auprs d' un moine errant, Tota Puri, avant de se passionner quelque temps pour l'Islam puis pour le christianisme. Sa rputation de saint homme ne fait que grandir, et peu peu, son rayonnement le fait mme reconnatre comme un avatar*, une descente du dieu Vishnou sur terre. partir des annes 1870, il entre en contact avec des personnalits bengalis, notam- ment Keshav Sen, chef de l'une des branches du Brahmo Samaj, mouvement proche de l'esprit des Lumires europennes, qui rejetait le polythisme, le culte des images, l'infaillibilit des Veda* et, pour certains mem- bres, la croyance en la rincar- nation. Ce mouvement prnait galement la promotion de la femme indienne et rejetait le systme des castes*. Entretiens familiers Sduit par la personnalit hors du commun de Rmakrishna, ce brahmane qui un jour, sans souci des rgles de puret, balaya avec ses cheveux la demeure d'un Intouchable, Kes- hav Sen le mit en contact avec la socit cultive et occiden- talise de Calcutta, alors capi- tale de l'Empire britannique. Le petit prtre vit alors venir lui des hommes d'ge mur, sou- vent membres du Brahmo Samaj, mais aussi de nombreux jeunes gens, issus de tous les milieux. Que cherchent-ils chez ce mystique qui ne voulait ni prcher, ni convertir, convaincu que les religions sont toutes des chemins qui mnent Dieu? Homme sans vritable duca- tion, ne parlant que le bengali, Rmakrishna n' tait pas un thologien. Il n'crivait d'ailleurs pas, mais confiait son enseignement ses fidles lors d'entretiens familiers, o il questionnait, multipliait les anecdotes, et o il chantait Les textes fondamentaux Le Point Rfrences souvent, notamment les po- sies du pote mystique Ram- prasad (1720-1781) qui eut sur sa vocation une grande influence. Mahendranath Gupta, qui signait M., a retranscrit entre 1882 et 1886 ces Entre- tiens, appels aussi " vangile de Rmakrishna . L'extrait ci-contre le montre en train de discuter avec Keshav, dj trs affaibli par la tuber- culose dont il mourra quelques semaines plus tard. Alors qu'il attendait que Je malade puisse quitter sa chambre, le gourou* a connu une longue extase, et en est sorti pour voquer l' union avec Je divin, J'Un, qui ne peut-tre qu'exclusive, une dvotion totale, d'o le rejet du mariage (bien que lui-mme ait t mari par sa famille, union non consomme), de l'argent, de l' ambition, de l'ego. Le " matre rit, plaisante, dans un dialogue plein de fracheur. Le matre plaisante, dans un dialogue plein de fracheur. L'homme rayonne d'humanit, de sagesse et de tolrance. Son message n'a rien en soi de trs original : Rmakrishna est un hindouiste orthodoxe. Mais l'homme rayonne d'humanit et de sagesse, de tolrance et d'ouverture, d'o peut-tre le succs que son message - se dpasser dans l'amour de Dieu - rencontrera non seulement en Inde, mais en Occident o le diffusera son hritier spirituel Vivekananda (cf p. 84). C.G Facebook : La culture ne s'hrite pas elle se conquiert LES TEMPS MODERNES R ma kr ish na On n'attire pas Dieu avec des richesses mais avec de l'amour Shri Rmakrishna s'adresse Keshav dans une pice remplie de disciples. Aprs avoir connu Dieu, on le recon- nat en toutes choses, mais sa plus haute mani- festation, c'est l'homme. Et parmi les hommes, ce sont les dvots au cur pur. Ceux qui ont entirement perdu le dsir du sexe et de l'ar- gent (silence gnral). En redescendant de l'extase [samdhi], en quelle compagnie pour- rait-on se tenir? Celle des dvots au cur pur, qui ont renonc au sexe et l'argent. Sans eux, on ne pourrait plus vivre aprs avoir cbnnu Dieu. Celui qui est !'Absolu est aussi !'nergie pri- mordiale. Nous l'appelons brahman, ou encore purusha [principe mle] quand nous pensons lui comme inactif, et shakti* , prakriti, quand nous pensons lui comme crant, conservant et dtruisant l'univers. Celui qui est purusha est aussi prakriti; Mle et Femelle, source de joie l'un comme l'autre. Si vous connaissez un homme, vous connatrez aussi sa fille. Si quelqu' un vient chez votre pre, il fera la connaissance de votre mre (Keshav rit) . Pour savoir ce qu'est l'obscurit il faut connatre la lumire. Pour savoir ce qu'est la nuit, il faut connatre le jour (Keshav rit encore). Pour savoir ce qu'est le plaisir, il faut connatre la douleur. Comprends-tu cela? [ . . . ) La chambre tait pleine de gens qui les cou- taient et les regardaient avidement. Une chose les surprit : pas un instant, il ne fut question entre eux de la sant de Keshav, seulement de Dieu. Shri Rmakrishna ( Keshav). - Vous autres Brahmos [membres du Bramo Samaj), pourquoi dcrivez-vous tellement la grandeur de Dieu? Seigneur, tu as fait la lune, tu as fait le soleil , les toiles ... quoi bon tout cela? Bien des gens admirent le jardin, mais peu cherchent connatre le propritaire [babu] . Pourtant, lequel est le plus important, du jardin ou de son propritaire? Quand on va boire du vin, quoi bon compter les tonneaux chez le marchand ? Une bouteille de vin suffit me soler. Je n'ai jamais demand Norendro [un disciple] comment s'appelle son pre, et combien de maisons il possde. Je vais te dire quelque chose : comme les hommes aiment leurs propres richesses, ils pensent que Dieu doit aimer les siennes. Ils croient qu'en vantant sa richesse, ils vont lui faire plaisir. [ ... ] On n'attire pas Dieu avec des richesses mais avec de l'amour. Ce qui l'intresse, ce n'est pas l'argent, mais l'amour, la dvotion, l'extase, le discernement, la renonciation. [ ... ] Shri Rmakrishna ( Keshav, en souriant). - Il y a de bonnes raisons pour que tu sois malade. Beaucoup d'tats exalts sont alls et venus par ton corps, c'est pourquoi tout cela lui arrive maintenant. Au moment de l'extase on ne remar- que rien, mais plus tard, le corps est frapp. Je vois les gros navires sur le Gange : d'abord il ne se passe rien, et puis oh! Loin derrire le bateau une norme vague vient frapper la berge avec bruit, ou mme en arrache un morceau qui tombe dans l'eau. Quand un lphant pntre dans une hutte, il casse tout autour de lui. De mme l'motion religieuse dtruit cette maison du corps quand elle y pntre. Ou encore, au dbut d'un incendie, on voit des choses qui prennent feu et l, puis tout coup, la maison entire s'enflamme avec un bruit terrible. Le feu de la connaissance com- mence par consumer la colre, la luxure et les autres passions, puis il s'attaque au sens du moi, et enfin il dvore tout. Tu voudras bien en finir, mais Il ne te lchera pas tant qu'il restera en toi quelque chose soigner. Ton nom a t inscrit sur le registre de l'hpital, tu n'en sortiras pas comme a. Tant que la maladie n'est pas compltement gurie, le Docteur Saheb' ne permet pas qu'on s'en aille. Pourquoi as-tu laiss inscrire ton nom? En entendant cette comparaison avec l'hpital, Keshav se mit rire. li ne pouvait plus s'arrter : il se retenait, puis riait de nouveau. LES ENTNETIENS OE RMAKRISHNA, RECUEILLIS PAR SON DISCIPLE M. (MAHENDRANATH GUPTA), CHAP.11, TRAD. C. MAIX, CERF, 1996. 1. Allusion la mani re dont on appelait en Inde le mdecin, souvent britannique, sahib signifi ant monsieur , matre . Le Point Rfrences Les textes fondamentaux .... ... >C .... ... .... ..... 83 Facebook : La culture ne s'hrite pas elle se conquiert Cls de lecture ... a: - c ..... LES TEMPS MODERNES :z ... E E Vivekananda et le nohindouisme c:::t u ... .... 1 ssu d'un milieu bengali ais, Narendranath Dutta nat en 1863 d'un pre moderniste et d' une mre trs pieuse. Brillant tudiant, il rencontre par curiosit en 1881 le clbre Rmakrishna (cf p. 82) et le prend peu peu pour guide sur la voie escarpe du Vednta * (cf p. 64). la mort du sage, le jeune homme se voit confier sa petite communaut, puis reoit le titre sanskrit* traditionnel de swami ( celui qui sait ) et un nouveau nom: Vivekananda. Devenu moine errant, il dcou- vre la diversit et les maux de l'Inde, qui raniment son patrio- tisme et son dsir d'agir. C'est ainsi qu' il s'invite au premier Parlement mondial des reli- gions , tenu Chicago durant !'Exposition universelle de 1893. Vivekananda s'y impose comme le reprsentant de son pays et de sa tradition, auxquels il offre leur premire tribune interna- tionale. Frappant les esprits par son charisme, il incarne l'universalisme de cette assem- ble novatrice, comme le mon- tre le prsent discours, clbre en Inde, tant par son affirmation de la fraternit de tous les croyants que de la supriorit de l'hindouisme* ... La mre des religions En effet, Vivekananda se pose en porte-parole de cette tradi- tion, selon lui la mre - c'est- -dire la premire - des religions par son antiquit et son nombre de fidles. Il lui donne ainsi une unit et mme un leadership symbolique en un temps o les Britanniques n'y voient au contraire qu'un fatras de supers- titions idoltres. Faisant de sa patrie le berceau de la tolrance religieuse- n'a-t-elle pas accueilli aussi bien les juifs que les zoroastriens* - , il renverse un autre strotype imprialiste, puisque c'est l'Inde, et non l'Oc- cident, qui est ses yeux la mieux place pour diffuser ce progrs civilisateur. Surtout que son pays ne se contente pas d'accepter les diffrences, en croire deux citations de la sacro- sainte Bhagavadgt (cf p. 22), mais il reconnat aussi la vrit de toutes les confessions. Cach jusqu'ici au monde, ce fonds commun tous les cultes est, d' aprs le swami, reconnu comme tel par le seul hin- douisme : un trsor qui permet certes la rconciliation univer- selle, mais qui fait aussi de cette tradition la " religion suprme , cense dtenir la cl de toutes les autres. Vivekananda transforme ainsi habilement ce " Parlement mon- dial en caution et en vitrine plantaires de la fiert, voire de la suprmatie indienne. Plus, il discrdite d'ventuels contra- dicteurs en les qualifiant par avance de " sectaires ," bigots et " fanatiques : d' horribles dmons dont le rgne s'achve justement avec cet vnement multireligieux fondateur, gage d'volution pour la " socit humaine . Spirituels de tous les pays, unissez-vous ... der- rire les hindous, semble ainsi dire le swami progressiste, au ton fort moderne. Le deuxime texte est extrait d' une autre intervention ce Parlement : il y rompt avec l'hindouisme traditionnel et fait Les textes fondamentaux Le Point Rfrences Vivekananda (1863-1902). Avec la Rmakrishna Mission, Vivekananda modernise et exporte un Vednta simplifi. preuve d'un humanitarisme trs critique, faisant honte aux mis- sionnaires et aux chrtiens indif- frents la misre des " paens . Figure cl du rveil national et religieux de l'Inde, Vivekananda cre en 1897 la Rmakrishna Mission, mouvement proslyte qui modernise et exporte un Vednta simplifi. Avant de mou- rir puis en 1902, il s'impose comme l'aptre de ce no-hin- douisme soucieux de l'unit profonde des religions, de leur compatibilit avec la science et de leur service des pauvres. Devenu une rfrence incon- tournable de Gandhi Auro- bindo Ghose* , il est aussi l'un des premiers enseigner le yoga* et ses techniques l'Ouest, qui voit en lui un pion- nier du dialogue interreligieux. ricVinson Facebook : La culture ne s'hrite pas elle se conquiert LES TEMPS MODERNES Vivekananda ... .... Nous acceptons toutes >< ... .... les religions comme vraies Surs et Frres d'Amrique, me lever pour rpondre votre accueil chaleu- reux et cordial me remplit le cur d'une joie inexprimable. Je vous remercie au nom de l'ordre des moines le plus ancien du monde, je vous remercie au nom de la mre des religions et je vous remercie au nom des millions et des millions d'hindous de toutes classes et sectes. Je remercie aussi certains orateurs de cette tribune qui, propos des dlgus orientaux, vous ont dit que ces hommes venus de nations lointaines pouvaient fort bien rclamer l'hon- neur d'apporter aux autres pays l'ide de tol- rance. Je suis fier d'appartenir une religion qui a appris au monde la tolrance et l'accep- tation de tous. Nous ne croyons pas seulement la tolrance universelle, mais nous acceptons toutes les religions comme vraies. Je suis fier d'appartenir une nation qui a donn refuge aux perscuts et aux rfugis de toutes les religions et de toutes les nations de la terre ; ( .. . ) de vous dire que nous avons rassembl en notre sein les restes les plus purs des Isra- lites, venus se rfugier chez nous en Inde du Sud l'anne mme o leur temple sacr a t dtruit par la tyrannie romaine. Je suis fier d'appartenir la religion qui a donn asile et qui protge encore le reste de la grande nation zoroastrienne. [ ... ] Frres, voici quelques lignes d' un hymne rpt depuis ma tendre enfance comme il l'est chaque jour par des millions d'tres humains : Tout comme les divers cours d'eaux jaillis de sources diffrentes se fondent tous dans la mer, de mme, Seigneur, les divers chemins pris par des hommes de sensibilits diffrentes - quelle que soit leur apparence, droite ou tortueuse - mnent tous Toi. La prsente convention, qui est l'une des assem- bles les plus augustes jamais tenues, est en elle-mme une justification et une dclaration au monde de la merveilleuse doctrine prche dans la Gt : Quiconque vient Moi, sous quelque forme que ce soit, Je viens lui ; tous les hommes luttent sur diffrents chemins qui, finalement, mnent Moi. Le sectarisme, la bigoterie et le fanatisme, son horrible enfant, ont longtemps possd cette belle Terre. Ils l'ont remplie de violence, l'ont trs souvent trempe de sang humain, ont dtruit la civilisa- tion et rduit des nations entires au dsespoir. S'il n'y avait pas eu ces horribles dmons, la socit humaine serait bien plus avance qu'elle ne l'est aujourd' hui. Mais ils ont fait leur temps ; et j'espre fermement que la cloche qui a tint ce matin en l'honneur de cette convention pourra sonner le glas de tout fanatisme, de toutes les perscutions par l'pe ou par la plume, et de tous les sentiments peu charitables entre des personnes cheminant vers le mme but. SWAMI VIVEKANANDA, ADRESSES AU PARLEMENT DES RELIGIONS , PREMltRE INTERVENTION, 11SEPTEMBRE1893, IN UVRES COMPLlTES, VEDANTA PRESS, 1947, TRADUCTION ORIGINALE. Les chrtiens doivent toujours tre prts pour une bonne critique et cela ne vous gnera gure, je pense, si j'en fais une petite. Vous, chrtiens, qui aimez tant envoyer des missionnaires pour sauver les mes des paens, pourquoi n'essayez- vous pas de sauver leurs corps de la disette? En Inde, pendant les terribles famines, des mil- liers de gens sont morts de faim, pourtant vous, chrtiens, n'avez rien fait . Vous couvrez l'Inde d'glises, mais le besoin criant de l'Orient n'est pas la religion - il n' en manque pas - mais le pain que rclament les gorges dessches des masses souffrantes de l'Inde brlante. Ils nous demandent du pain, nous leur donnons des pierres. C'est insulter un peuple affam que lui offrir de la religion. C'est insulter l'homme affam que de lui apprendre la mtaphysique*. En Inde, un prtre qui prcherait pour de l'argent serait exclu de sa caste* et se ferait cracher dessus. Je suis venu chercher de l'aide dans un pays chrtien pour mon peuple dmuni, et je ralise pleinement comme il est dur d'obtenir l'aide des chrtiens pour des paens. IBID., QUATRltME INTERVENTION, 20 SEPTEMBRE 1893. Le Point Rfrences Les textes fondamentaux ... .... 85 Facebook : La culture ne s'hrite pas elle se conquiert Cls de lecture LES TEMPS MODERNES ... a: -c ..... z ... :& :& c:::t u ... .... 86 La posie de Rabndranth Tagore 1 ssu d'une riche famille ben- gali alliant tradition et modernit, Rabndranth Tagore (1861-1941) est, pour son pays comme pour le monde, l'artiste indien par excellence. Bien avant sa mort, il obtient une reconnaissance internatio- nale seulement comparable celle de son ami Gandhi (cf p. 88) et devient de son vivant une autorit morale, une icne, presque un prophte. Auteur de 300000 vers, c'est d'abord comme pote qu'il devient cl- bre, mais il est aussi romancier, philosophe et dramaturge ( cer- tains de ses rcits seront adap- ts au cinma). Mais Tagore est de surcrot instrumentiste et compositeur, peintre, pdago- gue - il va fonder l'universit de Shantiniketan, prs de Cal- cutta-, rformateur et militant indpendantiste ainsi qu'aptre de la rconciliation universelle. Singulier personnage rayonnant d' humanisme et de crativit, qui n' est pas sans voquer un Victor Hugo, voire un Lonard de Vinci. l'inde, Mre aimante Dans cette uvre si riche se dtachent les deux chants au destin exceptionnel que nous publions ici. Compos par Tagore en 1911 sous le titre bengaliJana- Gana-Mana (Tu es le souverain de toutes les mes), le premier est devenu en 1950, trois ans aprs l'indpendance, l' hymne national indien. Il est form des premires lignes d'une louange au dieu Brahma (cf p. 32), l'as- pect crateur du divin dans l'hindouisme* . galement connue comme le Chant matinal Rabndranth Tagore (18611941). Tagore est le premier Indien, et le premier crivain asiatique, obtenir le prix Nobel de littrature. de l'Inde dans sa version com- plte, cette prire honore autant la mre-patrie que son cleste dmiurge, qualifi de Mre aimante dans un glissement du masculin au fminin typiquement indien. Le salut, le rveil libra- teur et surtout l'unit - dans la diversit- du pays sont ici cl- brs, travers ses rgions (Pan- jab, Sindh .. . ), ses montagnes (Vindhyas, Himalayas) et ses grands fleuves, (la Yamuna et le Gange) ainsi que ses diverses communauts religieuses, les hindous ayant la place d'honneur et les chrtiens la dernire avec les musulmans .. . Sans oublier les grandes preuves nationales, dont la rvolution , ce qui dtonne un peu dans un cantique et montre bien le souci manci- pateur de Tagore. Compos en 1905, le deuxime chant, Amar Shonar Bang/a (Mon Bengale dor) loue les beauts naturelles Les textes fondamentaux Le Point Rfrences et maternelles de sa terre natale, le Bengale. Or, en 1972, il sera lui aussi choisi comme hymne national, mais par le jeune Bangladesh qui vient d'accder l'indpendance ... Choix qui en dit long sur ce que reprsente Tagore pour le sous-continent : le gnie national au sens le plus fort du terme ... mais pour deux tats diffrents! Cas sans prc- dent historique, qui souligne la complexit identitaire mais aussi une certaine unit culturelle de l'Inde. Mais Tagore s'est aussi impos la postrit pour un autre fait d'arme : il est le premier Indien, et le premier crivain asiatique, obtenir le prix Nobel de litt- rature. Il le doit la traduction anglaise de son recueil potique bengali Gitanjali, devenu L'Of- frande lyrique en franais (tra- duction d'Andr Gide). Sensible la condition fminine, Tagore s'y identifie une humble pau- vresse qui mendie l'attention de son royal amant, l'ternel absent. Unissant l'amour humain et l'amour divin, c' est la fois l'me individuelle et celle de l'Inde qui chantent ainsi leur manque et leur plnitude. L'u- vre est au confluent des tradi- tions potiques et mystiques orientales - on pense videm- ment aux romances de Krishna et Rhd, ou de Rma et St, (cf p. 26) - et occidentales (cf. le Cantique des cantiques*). Ami de nombreux intellectuels et artistes europens, notamment de !'crivain Romain Rolland* (1866-1944), Tagore s' impose ainsi comme l'un des grands passeurs culturels entre l'Inde et l'Occident. . V. Facebook : La culture ne s'hrite pas elle se conquiert LES TEMPS MODERNES Rabndranth Tagore Toi qui dispenses l'Inde sa destine Tu es le souverain de toutes les mes, Toi qui dispenses l'Inde sa destine Ton nom soulve les curs du Panjab, du Sindh, du Gujarat, du Maharashtra, du Dra- vida, de I'Orissa et du Bengale! Il rsonne dans les montagnes des Vindhyas et des Himalayas, se fond dans la musique de la Yamuna et du Gange et est chant par les vagues de l' ocan Indien! Ils prient pour avoir ta bndiction et chantent tes louanges Le salut de notre peuple est dans tes mains! Tu es le souverain de toutes les mes Toi qui dispenses l'Inde sa destine! Victoire, victoire, victoire toi. Ton appel gracieux clame continment, nous l'coutons avec attention Hindous, bouddhistes, jans, sikhs, parsis, musulmans et chrtiens, l'Orient et l'Occident accourent au pied de Ton trne, pour tisser la guirlande de l'amour. Toi qui fais l'unit de notre peuple! [ ... ] La vie suit un sombre chemin, avec ses hauts et ses bas Mais nous autres, plerins, le parcourons d'ge en ge[ ... ] Au cur de la froce rvolution, ta conque sonne[ . .. ] Durant la plus sinistre des nuits, quand tout le pays, malade, perdait conscience Tes bndictions incessantes veillaient toujours [ ... ] travers peurs et cauchemars, Tu nous as protgs sur tes genoux, Mre aimante! Toi qui enlves la misre de notre peuple ( ... ] La nuit se termine, et le soleil s'est lev sur les collines orientales Les oiseaux chantent, et une noble brise de bon augure verse l'lixir d'une nouvelle vie L'Inde, qui dormait, est maintenant rveille par le halo de ta compassion tes pieds nous posons nos ttes. Victoire, Victoire, Victoire Toi, Suprme Roi! [ ... ] JANA-GANA-MANA, HYMNE NATIONAL DE rlNDE, TRADUCTION ORIGINALE. Mon Bengale dor, je t'aime tes cieux, ton air font toujours chanter comme une flte mon cur. Au printemps, ma mre le parfum de tes manguiers me transporte de joie Ah, quel vertige! l'automne, ma mre dans les rizires panouies j'ai vu de doux sourires tout tre recouvert! Ah, quel tissu de beaut, d'ombres d'affection et de tendresse as-tu tendu au pied des banians et le long des rives! ma mre, les paroles de tes lvres sont du nectar mes oreilles![ ... ] Si la tristesse, ma mre, jette son voile sur ton visage mes yeux se remplissent de larmes! AMAR SHONAR BANGlA, HYMNE NATIONAL DU BANGLADESH, TRADUCTION ORIGINALE. Le Point Rfrences Les textes fondamentaux .... .... >< .... .... 87 Facebook : La culture ne s'hrite pas elle se conquiert Cls de lecture ... a: - c ..... LES TEMPS MODERNES z ... :& IE L'ascse du Mahtm Gandhi c::t c.:t ... .... 88 C inquante ans aprs son assassinat par un int- griste hindou qui lui reprochait sa dfense des musulmans et des intoucha- bles , Mohandas Karamchand Gandhi (1869-1948) concourait encore dans Time Magazine pour le titre d' homme le plus influent du xx sicle . Qu'a-t-il donc apport l'humanit? Une faon d'tre et de vivre fonde sur la qute radicale de la justice individuelle et collec- tive, la croise d' influences orientales et occidentales comme celles du janisme (cf p. 42) et de !'crivain russe Lon Tolsto* . Un gnie politique Mais c'est comme figure de proue du mouvement indpendantiste indien, puis comme Pre de la nation , que ce petit avocat ori- ginaire du Gujarat, form Lon- dres puis migr en Afrique du Sud, a pris sa pleine stature : celle d'un gnie politique, mais aussi Dans un sicle de fer, une icne plantaire capable de rconcilier l'thique et le politique, le spirituel et le temporel, autour de la non-violence. d'un matre de vie. De quoi deve- nir une icne plantaire - pres- que un prophte - capable de rconcilier dans un sicle de fer l'thique et le politique, le spiri- tuel et le temporel, autour de la non-violence (ahims ), son principe cardinal (cf p. 46). Mlange des genres ? Pas en croire Gandhi lui-mme, qui affirmait : Ma vie est mon mes- sage. Ce qui explique sa rdac- tion de cette Autobiographie, l'un de ses rares livres parmi la centaine de tomes rassem- blant tous ses crits, articles et discours, le plus souvent de circonstance. Tir de l'intro- duction de ce fort volume, publi entre 1927 et 1929, le texte ci-contre en donne les cls. Pour Gandhi , il ne s' agit pas d' entreprendre une vritable autobiographie , mais de conter ses nombreuses exp- riences de vrit . Sous-titrant l'ouvrage, elles sont en effet ses yeux l'essentiel de sa vie et la source-jusqu'ici secrte-de son influence politique connue de tous. Or ces exp- riences - experiments en anglais, terme plus scientifique qu'existentiel - ont un fil conducteur cach : la qute de Dieu , de l'accomplissement de soi , du moksha* (la lib- ration du moi et du cycle des renaissances, selon l 'hin- douisme*) , ou encore de cette fameuse Vrit . Dsobissance civile Mots qu'il rend synonymes en privilgiant toutefois la Vrit, forme unique sous laquelle il dit adorer l'ternel - seul vri- tablement rel. Devant elle, le chercheur authentique doit s'humilier plus bas que terre, comme l'enseignent les grandes religions dont Gandhi reconnat l'gale valeur. Mais peut-on tre humble en se mettant en scne dans un livre ? Oui, rpond le Les textes fondamentaux Le Point Rfrences Mahtm (Grande me ), titre sanskrit* attribu aux saints et qu'il refusa toujours, juste- ment par modestie. Ici, pas de narcissisme ses yeux, mais La vrit est la forme unique sous laquelle Gandhi affirme adorer l'ternel, seul vritablement rel. simple rvlation de la consti- tution au jour le jour de la science du Satyagraha (treinte de la vrit ), comme il appelle sa mthode de dso- bissance civile non violente. Vgtarisme, Jene, travail manuel et chastet Pragmatique, cette nouvelle forme de militance implique un constant travail intrieur qui , pour Gandhi, se traduit par le vgtarisme, le jene, le travail manuel, la chastet ... Son but? Devenir soi-mme le change- ment que l'on veut pour le monde , comme il le rsume par ailleurs. C'est cette ascse, vcue au cur de la cit et enseigne par l'exemple, qui unifie spiri- tualit, religion, morale, politi- que et vie quotidienne, en un mot tout ce que l'Occident moderne s'ingnie sparer. Une austrit dont l'Inde libre s'est elle aussi bien vite loi- gne dans les faits, tout en fai- sant de Gandhi un symbole national ... aujourd'hui pourtant en partie contest. .V. Facebook : La culture ne s'hrite pas elle se conquiert LES TEMPS MODERNES Gandhi ... ..... La vrit est principe >< ... .....
souverain Je voudrais simplement conter l'histoire de mes nombreuses expriences de vrit ; et comme ma vie consiste exclu- sivement en expriences de cette nature, il est vrai que ce rcit prendra forme d'autobiogra- phie. [ ... ] Un compte rendu cohrent de toutes ces expriences ne sera pas sans profit pour le lecteur. Mes expriences dans le domaine politique ne sont plus un secret non seulement pour l'Inde mais dans une certaine mesure pour le monde civilis . Elles n'ont mes yeux pas grande valeur, et le titre de Mahtm que j'y ai gagn, en a, par suite, encore moins [ ... ] Mais j'aurais certainement plaisir narrer mes exp- riences dans le domaine spirituel : je suis le seul les connatre, et c'est d'elles que je dtiens la mesure d'influence dont je dispose dans le domaine politique. [ ... ] Ce que j'ai tent laborieusement, langui de mener bien, ces trente annes, c'est d'attein- dre l'accomplissement de soi, de voir Dieu face face, de parvenir au moksha. Je ne vis, je ne me meus, je n'ai d'tre que dans la pour- suite de cette fin. Tout ce que j'accomplis par le moyen de la parole ou de l'crit, comme toutes mes aventures [ .. . ] politiques, tendent vers cette mme fin. Mais comme je n'ai pas cess de croire, tout au long de ma route, que ce que peut faire un homme, tous le peuvent, mes expriences n'ont pas t menes dans le secret du cabinet, mais aux yeux de tous, et je ne pense pas que ce fait trahisse ou diminue leur valeur spirituelle. ( ... ]Elles ressortissent l'esprit, ou plutt la morale; car la morale constitue l' essence de la religion. Seuls, les sujets de religion que peut comprendre tant l'enfant que l'adulte auront place dans ce rcit. Si j'arrive les dcrire dans un esprit d' humilit et sans passion, maint autre exprimentateur y puisera nourriture et soutien pour sa marche en avant. [ ... ] Je ne prtends rien de plus que le savant qui, s'il mne ses expriences avec le summum d'exactitude[ ... ], ne pose jamais ses conclusions en point final, mais garde l'es- prit ouvert en face d'elles. J'ai explor les pro- fondeurs de l'introspection[ ... ]. Et pourtant, je suis loin de prtendre que mes conclusions prsentent un caractre d'infaillibilit. [ ... ] [Mais elles] me paraissent absolument exactes et me semblent, pour le temps prsent, offrir un caractre dfinitif. Sinon, je ne fonderais pas mes actes sur elles. [ ... ] Mon propos tant de rendre compte de diverses applications pratiques de ces principes, j'ai donn ces chapitres le titre de Expriences de Vrit. Bien entendu, y figureront les expriences de non-violence, de clibat et d'autres principes de conduite qui passent pour distincts de la vrit. Mais mes yeux la vrit est principe souverain, qui en enrobe nombre d'autres. La vrit dont il s'agit ici n'est pas seulement [ . .. ] vrit relative comme nous la concevons, mais Vrit absolue, Principe ternel, qui est Dieu. II existe d'innombrables dfinitions de Dieu, parce que Ses manifestations.sont innombrables. [ ... ] Mais j'adore Dieu comme Vrit seulement. Je ne L'ai pas encore trouv, mais je Le cherche sans relche. Je suis prt sacrifier ce que j'ai de plus cher la poursuite de cette qute [ ... ]. Et chaque jour la conviction se renforce en moi, qu'il n'est d'autre ralit que Lui, que tout le reste est irrel. [ ... ] Il est une autre conviction qui s'est raffermie en moi : que tout ce qui m'est possible, l'est mme un enfant. [ ... ]Le quteur de vrit doit s'humilier plus bas que poussire [ . .. ],si bas que ce soit la poussire mme qui puisse le fouler. Alors, mais alors seulement, verra-t-il luire un faible clair de vrit. [Les critures hindoues] illustrent abondamment cette vidence. De mme que le christianisme et l'islam en portent amplement tmoignage. [ ... ] Mon propos est de dcrire des expriences qui ont trait la science du Satyagraha ; non pas de dire quel homme de bien je suis. En me jugeant moi-mme, j'essaierai d'tre aussi pre et dur que la vrit [ .. . ]. AUTOBIOGRAPHIE, TRADUCTION GEORGES BELMONT, PUF, 1950. Le Point Rfrences Les textes fondamentaux ... .... 89 Facebook : La culture ne s'hrite pas elle se conquiert Repres LES TEMPS MODERNES Quand l'islam adopte la caste Prsent dans le sous-continent indien depuis le v111 sicle, l'islam y est rest minoritaire. Il s'est adapt son environnement hindou, tout en demeurant le frre ennemi . Quand elles se lancrent la domination, on ne dcompte en conqute de l'Inde, au v111' sicle, 1872 et 1874, lors des premiers les forces musulmanes taient- recensements organiss par les elles mues par le souci de la Britanniques, que 20% de musul- guerre sainte? C'est peu proba- mans, installs essentiellement ble. Les premiers conqurants, au Bangladesh, au Pakistan ac- d'obdience sunnite*, turent et tuels et au Cachemire. dtruisirent beaucoup, temples hindous comme monastres Guerriers, commerants bouddhiques*, mais ils avaient et artisans ... surtout en tte le pillage, puis la Il semble que ce soient surtout recherche de nouveaux territoi- les avantages politico-conomi- res. Ils ne cherchrent donc pas ques qui aient encourag les islamiser tout prix. Par la conversions : les nouveaux mu- suite, les grands moghols*, sulmans taient principalement l'exception d'Aurangzeb* au des guerriers, des commerants, xv11' sicle, se montrrent plutt des artisans qui travaillaient pour tolrants. l.'.lnde est d'ailleurs la cour royale. D'autres apparte- considre par la plupart des naient aux mtiers de service, thologiens comme Dar ul-is- comme les bouchers, les orf- lam (Maison d' islam) et non vres ... ou du spectacle, tels les Dar ul-harb (Maison de la danseuses ou les musiciens. Les guerre). brahmanes* et les intouchables Cette quasi-absence de prosly- semblent en revanche avoir lar- tisme explique des personnalits gement boud l'islam et prfr aussi riches et complexes que le statut de dhimmis, prot- celle du pote Kabir (XVI' sicle), gs .Il leur permettait de prati- la fois hindouiste* et soufi*. Mais, quer leur culte et d'avoir leur surtout, elle permet de compren- propre systme juridique en dre pourquoi, aprs six sicles de change du paiement d'une taxe discriminatoire - la jizya. Situa- tion qui, en Inde, n'avait d'ailleurs rien d'exceptionnel : dans les tats hindous, les non-hindous taient aussi considrs comme infrieurs. Hindous et musul- mans avaient donc des concep- tions assez proches de la gestion des religions ... Aujourd'hui , malgr l'exode en- gendr par la partition de 1947 et la cration du Pakistan, l'Inde compte encore l'une des plus importantes communauts mu- sulmanes au monde, soit prs de 140 millions de fidles: l'une des plus importantes communauts au monde. 140 millions de fidles (13 % de la population indienne). Les mu- sulmans indiens respectent vi- demment les principes de l'islam, au premier chef les cinq pi - tiers : la profession de foi, les cinq prires quotidiennes, le jeune du Ramadan, l'aumne lgale et le grand plerinage La Mecque. Mais l' islam s'est profondment intgr au monde 90 Les textes fondamentaux Le Point Rfrences indien. Si les fidles enterrent leurs morts, ce qui les distingue des hindous qui les incinrent, ils ont intgr le systme des castes* et pratiquent les mmes rites de passage (mariage, nais- <U "' sance, etc.). La pratique de la dot E est l' inverse de ce qui se passe ~ :$ dans les pays arabes : c'est la ~ famille de la fille qui paie et non ~ celle du garon. Et en cas d'hri- "' ~ tage, il arrive malheureusement "O que la coutume locale prdo- " "' "O mine sur la loi islamique : les " "' femmes, qui devraient selon le "' 19 Coran hriter de la moiti de ce que reoivent leurs frres, n'h- ritent de rien. L'exil pakistanais La partition a toutefois provoqu un important traumatisme, en- core palpable, notamment dans le Nord, du fait des massacres nombreux et des transferts de population dont ont eu souffrir les deux communauts. Ce drame a excit la haine de certains hin- dous, qui accusent les musul- mans d'en tre responsables parce qu'ils ont rclam la cra- tion d'un tat musulman ind- pendant. Craignant en effet de se retrouver sous la domination hindoue du fait de l'arithmtique Facebook : La culture ne s'hrite pas elle se conquiert Ajmer, au Rajasthan, des fidles attendent l'heure de la prire. lectorale, les lites musulmanes s'taient inquites au dbut du xt sicle de la monte en puis sance du parti du Congrs, qui rclamait l' indpendance mais avait du mal prouver qu' il tait indien et lac. Les Britanniques avaient alors utilis les musul- mans comme un contrepoids. Puis, l'indpendance venue, ceux- ci avaient fond le Pakistan ... Les musulmans rests en Inde se sont alors referms sur eux-m- mes. Comme le rappelle Aminah Mohammad-Arif, chercheuse au CNRS : rexil de 1947 a surtout touch les lites les plus cultives et progressistes, qui se sont ins- talles au Pakistan. Aujourd'hui, en Inde, la plupart des musul- mans sont relgus au bas de l'chelle sociale. Il existe bien sr une classe moyenne musul- mane, instruite et bien organise, particulirement dans des villes comme Bombay, Ahmedabad ou Bangalore. Ces gens-l envoient leurs enfants dans des institu- tions laques. Mais depuis le dbut du x1x' sicle, on constate un retard de la population mu- sulmane qui s'est accumul au fil des dcennies, ajoute en- core la chercheuse. Convaincus que de toute faon ils seraient discrimins, beaucoup de musul- LES TEMPS MODERNES Repres mans ont renonc envoyer leurs enfants dans les coles gouver- nementales laques et les univer- sits. Ils vont dans des coles coraniques, pas forcment fon- damentalistes, mais qui ne les prparent pas russir les concours de la fonction publique ou entrer dans des coles d'in- gnieurs! Les musulmans sont donc plus souvent artisans ou commerants qu'informaticiens, surtout dans le Nord de l'Inde. Et sur le plan social et culturel, ils se montrent plutt conserva- teurs, ce dont la femme est la premire victime, comme l'a dmontr en 1985, l'affaire Shah Bano. Rpudie, cette pouse avait rclam devant la Cour suprme indienne une pension alimentaire. Celle-ci la lui ac- corda, conformment la loi indienne. Mais cette dcision provoqua un toll chez les conser- vateurs musulmans qui rappel- rent, dans ce cas, la prmi- nence de la loi personnelle musulmane qui stipule qu' partir du moment o la femme est divorce, ce n'est plus son mari de pourvoir ses besoins. Pour viter les ennuis, le Premier ministre Rajiv Gandhi fit passer en 1986 une loi qui interdit aux femmes musulmanes de deman- der une pension alimentaire! robtention d'un code civil uni- forme, qui aurait t favorable cc Aujourd'hui, en Inde, la plupart des musulmans sont au bas de l'chelle sociale. la femme musulmane, est alors devenue le cheval de bataille des nationalistes hindous, ouverte- ment opposs aux musulmans, ce qui a dcourag les progres- sistes de soutenir le projet... De- puis une vingtaine d'annes il est vrai , les relations entre hin- dous et musulmans sont deve- nues difficiles. Les discriminations Les tensions ont t avives d'un ct par de multiples actes terro- ristes, lis au mouvement ind- pendantiste du cachemire, et par des attaques de mafieux musul- mans, Bombay notamment, de l'autre par la monte en puis- sance de l'hindouisme* politique et son intolrance. Les massacres intercommunautaires provoqus par la destruction de la mosque du Moghol* Bbur* Ayodhya, la ville lgendaire de Rma (cf p. 28). en 1992, mais aussi les meutes sanglantes orchestres en 2002 par le Parti du peuple indien (BIP). le parti nationaliste hindou du Gujarat, ont laiss des squelles profondes. Or, il suffit d'une tincelle, jeter un cochon devant une mosque, tuer une vache ... et les politiques savent que, juste avant une lection, il est facile de stimuler le rflexe antimusulman, toujours payant lectoralement. Sous-reprsents politiquement (5 % seulement des lus). peu prsents dans la fonction publi- que, les musulmans se plaignent d'tre les victimes d'une politique de discrimination, ce qui n'est que partiellement vrai, du fait de la politique discriminatoire de l'tat indien en faveur des mino- rits. Et il existe malgr tout des lments unificateurs importants entre les communauts ... unies dans le mme amour du cinma. Car ces dernires annes Bol- lywood, le cinma indien, les stars comme les scnaristes ou les metteurs en scne sont sou- vent musulmans ... Laurence Moreau Le Point Rfrences Les textes fondamentaux 91 Facebook : La culture ne s'hrite pas elle se conquiert Conclusion ROGER-POL DROIT 92 Et si Ngrjuna et consorts venaient remettre en cause nos vieux concepts philosophiques? Aprs avoir longtemps ni l'existence d'une philosophie indienne, l'Occident commence reconnatre sa modernit.
OCCIDENT : LA FIN DU MEPRIS E ntre l'Europe et la philosophie indienne, l'histoire peut presque se rsumer une tragi-comdie. Le rideau s'ouvre tard, seu- lement la fin du xvrn sicle. C'est Calcutta, partir de 1785, que quelques Britanniques - notamment Charles Wilkins (1749-1836) et le pote William Jones (17 46-1794)- commencent connatre le sanskrit*. Leurs traductions et Jeurs articles vont enflammer vre le bouddhisme*, en se trompant sur son sens et sa porte. Le nirvna* est interprt tort comme un anantissement, le bouddhisme comme un cc culte du nant (Victor Cousin*), une glise du nihilisme (Ernest Renan*), fonde par le Bouddha, qui devient le Grand Christ du Vide sous la plume d 'Edgar Quinet*. Tout ce que les doctrines bouddhiques peuvent avoir d'effectivement dcon- l'Europe. Le bouddhisme est certant et de difficile saisir sert alors fabriquer une sorte d'pouvantail. Le spiritualisme dominant est heurt de plein fouet par cette trange pense o l'on ne trouve alors que du vide, ni me ni ego, et aucune substance. Le premier acte est celui de Fenthousiasme et de l'esprance. Pendant une cinquantaine d'an- nes, tandis que les universits multiplient les chaires de sans- krit, les philosophes dcouvrent en Inde une terre philosophi- que , une sorte d'outre-Grce interprt tort comme un culte du nant ... Et l'Inde philosophique est purement et simplement nie. plus originaire, plus antique, parfois plus sauvage. Le romantisme, des deux cts du Rhin, rve alors d'une Renaissance orientale : Schopen- hauer* clbre dans les Veda (cf p. 12) et les Upanishad (cf p. 14) la premire sagesse du monde. Ses contemporains annoncent l'essor prochain d'un nouvel humanisme, n des retrou- vailles de l'Orient et de l'Occident. Sous le rgne de Louis-Philippe (1830-1848), les manuels de philosophie accordent mme une bonne place la philosophie indienne et ses diffrents syst- mes. Dans les distributions des prix, les Essais sur la philosophie des hindous (1827) de Colebrooke (1765-1837) figurent en bonne place. Le trouble, l'inquitude, bientt l'aversion caractrisent au contraire le deuxime acte. Ce qui change, principalement, c'est qu'on dcou- Les textes fondamentaux Le Point Rfrences Ce monstre fabriqu de toutes pices - un bouddhisme lugubre et destructeur, dsireux d'en finir avec le dsir, l'individu, la vie mme - n'est sans doute pas l'unique cause de l'clipse de l'Inde chez les philosophes d'Eu- rope. Il faut compter aussi avec les colonialismes, le repli des travaux rudits dans de nouvelles institutions de recherche, l' avnement du scien- tisme .. . entre autres. En tout cas, aprs Nietzs.. che*, l'Inde philosophique sombre dans l'oubli. Pire : elle est purement et simplement nie. Rien que chez les Grecs Ce qu'on raconte J'acte III ? C'est monstrueux mais simple : la philosophie existe seulement chez les Grecs et les Allemands. Nur bei den Grischen ( Rien que chez les Grecs ) : la formule, reprise de Hegel*, se trouve l'i den- Facebook : La culture ne s'hrite pas elle se conquiert ROGERPOL DROIT Conclusion tique, au xx sicle, chez Husserl* et Heidegger*. la rigueur, on peut acclimater ses concepts, sous une forme rabougrie, chez quelques peu- ples de seconde zone, qui dclinent dans leurs dialectes les mots originaires des Hellnes et des Germains ... Mais la philosophie ne saurait tre autochtone nulle part ailleurs! L'Orient, pour sa part, ne connatrait donc que sagesses, spiritualits, littratures et posies. De concepts et de dmonstrations, point. Pas plus que d'on- tologie* ni de mtaphysique*. Peu importe que ce soient l des contre-vri- ts, voire de complets dlires. L'autorit attribue la parole de Heidegger, grand prtre de!' option tout-grec (comme on dit losophiques. Nouveaut : l'pistmologue com- pare de faon rigoureuse la dissolution bouddhiste des entits avec les consquences de la physique quantique* ou avec la dmarche de Wittgenstein*. Car, dans toute l'histoire de la pense, ce sont les analyses de ce logicien bouddhiste qui dissolvent le plus radicalement toutes les entits. Pour Ngrjuna, en effet, n'existent que des relations. Rien ne subsiste, de manire originaire et close, ni du ct du sujet, ni du ct des objets. Tout advient par interdpendance, de faon mobile, volutive. Ainsi, nous avons l'habitude de considrer qu'un fils existe parce que son pre l'a engendr. Nous croyons vident que le tout-nuclaire ), a install une chape de plomb sur la phi- losophie indienne au milieu du sicle dernier. En particulier dans l'enseignement philoso- phique. Alors s'est droul un curieux spectacle : d'un ct, les orientalistes accumulaient Des philosophes qui pre doit exister " d'abord , comme lment premier. Et le fils en provient, comme un effet suit d'une cause. Pourtant, rien n'interdit de voir la situation tout autrement : c'est en effet la naissance de l'enfant qui fait de cet .homme un pre, et donc ne sont pas indianistes commencent prendre en compte l'apport d'uvres indiennes. thses et traductions, transformant de par le monde 1' indologie et la bouddhologie en grandes disciplines savantes, rendant incontes- table, pour tout esprit alphabtis, qu'un mat- riau philosophique gigantesque existe en Inde, tandis que, d' un autre ct, les professeurs de philosophie enseignaient bravement que rien, dans ces contres, n'avait d'intrt ou de consis- tance. Le domaine sanskrit Heureusement, des annes 1980 nos jours, l'acte IV montre que le mythe a vcu et dj s'tiole. Nier l'existence de toute philosophie dans le domaine sanskrit devient difficile, la passer sous silence s'avre malais. Au fil des ans, le paysage change: des collections se sont cres, des traductions se diffusent. En outre, dsormais, des travaux d'pistmologie* ou de mtaphysique recourent des uvres du domaine sanskrit comme des rfrences non moins pertinentes que celles de l'hritage grec. C'est sans doute l'uvre du bouddhiste Ngr- juna (cf p. 56) qui inspire le plus de commen- taires, en raison de sa puissance logique comme de sa singularit. Ce ne sont pas les exemples qui manquent. En 2010, Michel Bitbol, dans De l'intrieur du monde (Flammarion), scrute avec minutie les arguments du matre bouddhiste, en les consi- drant avant tout comme des dmarches phi- le cre en tant que pre . Sans pre, pas de fils, mais aussi : sans fils , pas de pre! Ils se produisent l'un l'autre, en interdpendance, et aucun des deux ne prexiste cette interaction. Chacun n'existe qu'en fonction de la relation qui l'unit l'autre. On peut voir l la matrice d'une rvolution pistmologique. Nous connais- sons un monde dont nous faisons partie, sans jamais atteindre un point de vue du dehors qui permettrait de considrer la ralit en la contemplant de l'extrieur. Pourtant, cette limite ne disqualifie pas nos savoirs : pluriels, rela- tionnels, volutifs, ils nous modifient autant que nous les transformons. Tout rcemment, le philosophe Frdric Nef, dans La Force du vide (Seuil, 2011), rapproche les raisonnements de Ngrjuna au sujet de la vacuit des questions ontologiques les plus contemporaines issues de la philosophie ana- lytique*. Ainsi, au cours du quatrime acte, des philosophes qui ne sont pas indianistes ni sans- kritistes commencent prendre en compte, rigoureusement, l'apport d'uvres indiennes. Le cinquime acte reste crire. Il se pourrait qu'il rserve des surprises. Roger-Pol Droit est chercheur en philosophie au CNRS et enseigne Sciences-Po. Il est l'auteur, entre autres, de L'Oubli de l'Inde. Une anne philosophique (Seuil, 2004) et, avec Monique Atlan, de Humain. Une enqute philosophique sur ces rvolutions qui changent nos vies (Flammarion, 2012). Le Point Rfrences Les textes fondamentaux 93 Facebook : La culture ne s'hrite pas elle se conquiert Chronologie SAGESSES DE L'INDE 94 g ooo ans d'histoire indienne Les envahisseurs et les empires se sont succd sur un sous-continent qui n'est parvenu faire son unit politique que sous la domination britannique. 7000 av. J.<. Premiers signes d' levage et d'agriculture observs dans le Nord de l'Inde. 48oo-1500 av. J.<. Civilisation urbaine de l'lndus et de l'Hakra, dont les villes principales sont Mohenjo-Daro et Harappa. Trs dveloppe sur le plan technique et conomique, disposant d'une criture (non encore dchiffre), elle s'tend sur une aire qui- valant par la taille l'Europe occidentale, dont le cur tait constitu des actuelles provinces.pakistanaises du Panjab et du Sind. On a retrouv des reprsentations d'un tre peut-tre divin, portant une coiffe corne, qui pourrait tre un anctre de Shiva, et de nombreux sceaux et statuettes fminines. 1700-1500 av. J.<. Invasion et sdentarisation progres- v. 599-527 av. J.<. Vie de Mahvra, le lina, fondateur du janisme. v. 566-486 av. J.<. Vie prsume de Siddhrta Gautama, le Bouddha* historique, fondateur du bouddhisme. v. 530-519 av. J.<. Conqute du Panjab par les Perses. 327-325 av. J.<. Expdition d'Alexandre le Grand en Inde. Fondation de colonies grecques en Bactriane (Afghanistan actuel). 321-185 av. J.<. Empire maurya. sive dans la valle de l' lndus, puis du Gange, des ryas, des- v. 300-200 av. J.<. Composition du Mahbhrata. cendants d'un peuple nomade originaire du Caucase. v. 1800-1200 av. J.<. Composition du Rig-Veda, partie la plus ancienne des Veda*. v.1000-800 av. J.<. Composition probable de l'Atharva- Veda. Composition probable des Brhmana ainsi que des ranyaka*. Ces derniers, composs par des asctes forestiers, sont les premiers opposer la voie du renoncement la culture du sacrifice porte par les Veda. v. 80G-400 av. J.<. Composition des grandes Upanishad, derniers textes majeurs de la tradition vdique. cette poque commencent se dvelopper dans le Nord-Est de l'Inde des coles en rupture dclare avec les traditions issues du Veda. v. &oo-400 av. J.<. Essor de royaumes et de rpubliques aristocratiques en Inde du Nord. Les textes fondamentaux Le Point Rfrences v. 269-232 av. J.-C. Rgne d'Ashoka*, empereur de la dynastie maurya, qui tend son empire jusqu'au Deccan, au sud de l'Inde. Diffusion du bouddhisme. 200-100 av. J.<. Rdaction du Rmyana. 100 av. J.<.-100 apr. J.<. Rdaction du Ntya-shstra qui pose les principes thoriques et techniques du thtre, de la musique, de la danse, et leur donne une origine divine. v. 80 av. J.<. Invasion scythe (Shakas) dans tout le Nord- Ouest de l'Inde. Composition des premiers purnas* (Oharma-shstra, Vednta-stras, Yoga-stras, Smkhya Kriks, etc.). ge d'or de l'art du Gandhara, syncrtisme grco-bouddhique. o. Dbut de l're chrtienne. Facebook : La culture ne s'hrite pas elle se conquiert SAGESSES DE L'INDE Chronologie Les lions et la cc roue de la cc colonne d'Ashoka , rige au 111' sicle av. f .C. Sarnath (Uttar Pradesh), sont devenus des symboles de l'Inde. 78-144. Kanishka, roi des Koushn, nomades originaires de Chine, prend le pouvoir dans le Nord-Ouest de l'Inde. 79. Scission du janisme. 320-535. Empire gupta*, qui contrle le Nord de l'Inde. 1v sicle. ge d'or de l'art du Mathura, art bouddhique aux sculptures en grs rose d' une extrme finesse. L'ico- nographie du Bouddha* et la symbolique de ses gestes se fixent. Ces rgles seront adoptes par le reste de l'Asie. 495-520. Raids des Huns, venus de Sibrie v1 sicle. Essor du commerce et diffusion de la culture in- dienne en Asie du Sud-Est. Composition des premiers tantras*. Dbut du dclin du boud- dhisme. 574. Fondation de la dynastie Pallavas qui va rgner sur tout le Sud de l'Inde. 628. Trait mathmatique de Brahmagupta, qui introduit le zro et est l'origine des chiffres arabes . vm sicle. Essor des clans rajpoutes en Inde du Nord. Vie du philosophe Shankara. 712. Conqute du Sud du Pakistan par les Arabes. Premier tat arabe dans le Sindh. 770. Fondation de la dynastie pl au Bengale. 1x sicle. Essor du shivasme au Cachemire. Composition du Bhgavata Purna. 907-1279. Empire cola de Tanjore. 950 (7)-1015. Vie de Abhinavagupta, matre du shivasme cachemirien. 962-1186. La dynastie musulmane des Ghaznvides domine la valle de l' lndus. Diffusion du soufisme* en Inde. 1136. Fondation de l' Empire hindou de Vijayanagar, au sud de la pninsule indienne. 1206. Fondation du sultanat de Delhi. Les Turcs matrisent une grande partie du bassin du Gange. Le Point Rfrences Les textes fondamentaux 95 Facebook : La culture ne s'hrite pas elle se conquiert Chronologie SAGESSES DE L'INDE 96 moghol Jalaluddin Muhammad Akbar (1542-16oS) et sa cour recevant des missionnaires jsuites, dtail d'une miniature du sicle. 1347. tablissement du sultanat Bahmani au Deccan. 1398. Mise sac de Delhi par le Mongol Tamerlan. 1469-1539. Vie de Gur Nnak, fondateur du sikhisme. 1498. Le Portugais Vasco de Gama dbarque Calicut. 1526-1530. Le Turco-Afgan Bbur (1483-1530) met fin au sultanat de Dehli et fonde l' Empire moghol*. 1539. Dbut des missions jsuites. 1556-1605. Rgne de l'empereur moghol Akbar (1542-1605). marqu par de nombreuses conqutes et une grande tol- rance religieuse. Les textes fondamentaux Le Point Rfrences 1565. Dfaite de l'empire de Vijayanagar contre les musul- mans Talikota. 1588-1601. Les sikhs difient le Temple d'or Amritsar (Panjab) . 160o. Cration, Londres, de l'East lndia Company, capitaux privs et ayant le monopole commercial entre l'Angleterre et l'Asie. 1602. Dbut de la prsence hollandaise en Inde. 1632-1643. Dsol par la mort de son pouse prfre, l'empereur moghol Shah lehan fait difier Agra (Uttar Pradesh) un merveilleux mausole de marbre, le Taj Mahal. 1658-1707. Rgne du Moghol Aurangzeb*. Les Upanishad sont traduites en persan par le prince moghol Darah Sukhoh. 1664. Dbut de la prsence franaise en Inde. 1707. Mort d'Aurangzeb et dbut de l'clatement de l'Em- pire moghol. 1763. Trait de Paris qui reconnat la mainmise de l'Angle- terre sur l'Inde. Les Franais ne conservent que cinq comptoirs (Chandernagor, Karikal, Mah, Pondichry et Yanaon) . 1798-1818. !.'.East lndia Company domine la plus grande partie de l'Inde. 1828. Rm Mohan Roy fonde au Bengale le Brahmo Samaj, un mouvement religieux thiste inspir la fois de l' hin- douisme, de l'i slam et du christianisme, qui refuse les castes et veut promouvoir les femmes. 1836-1886. Vie du mystique Rmakrishna. 1857-1858. Rvolte des cipayes : des soldats hindous de hautes castes se mutinent contre les Britanniques qu'ils accusent de vouloir leur faire manger de la graisse ani - male. Soutenue par des notables ruraux, leur mutinerie se propage l' Inde centrale. Celle-ci va constituer un traumatisme irrparable. 1863-1902. Vie du philosophe Vivekananda. 1867. Fondation de la madrasa (cole musulmane) de Doband. Facebook : La culture ne s'hrite pas elle se conquiert SAGESSES DE L'INDE Chronologie 1869. Naissance, dans le Gujarat, de Mohandas Karamchand Gandhi. 1875, Dayananda Sarasvat fonde l'Arya Samaj, mouvement rformateur hindouiste. 18n. La reine Victoria devient impratrice des Indes. 1885. Cration du parti nationaliste, le Congrs national indien. 1967-1984. lndira Gandhi*, fille de jawaharlal Nehru est Premier ministre. Instauration en Inde d'un rgime socia- liste. 1971. Signature d'un trait d'amiti et de coopration indo- sovitique. Indpendance du Pakistan oriental qui devient le Bangladesh. 1974, Premier essai nuclaire de l'Inde. 1975. tat d'urgence proclam par lndira Gandhi pour se 1889. Naissance de Jawaharlal Nehru*, futur premier Premier maintenir au pouvoir. ministre de l'Inde indpendante. 1980. Fondation du Bharatiya Janata Party (BJP, Parti du 1897. Fondation des Missions Rmakrishna par Vivekananda. peuple indien), un parti fondamentaliste hindou. 1906. Fondation de la Ligue musulmane. Juillet 1984. Profanation par l'arme du Temple d'or sikh Amritsar ; assassinat d' lndira Gandhi par des sikhs. Son fils 1913. Rabndranth Tagore (1861-1941), l'auteur de Gitan- Rajiv la remplace ja/i, reoit le prix Nobel de littrature. 1920. Gandhi russit faire adopter le programme de non- coopration au parti du Congrs national indien. 1920-1921. Dcouverte de la civilisation de l' lndus la suite des fouilles des sites de Mohenjo-Daro et de Harappa, par le Britannique lohn Marshall. 1930. Gandhi dclenche le mouvement de la dsobissance civile pour l' indpendance. Le pote Mohammed lqbal pro- pose un tat musulman spar. 1946-1947. Violences intercommunautaires au Bengale et au Panjab, qui vont faire des milliers de morts. 1947. Indpendance de l'Inde, et cration de l'tat musulman du Pakistan. La partition s'accompagne de transferts de po- pulations et de massacres. Nehru dirige l'Union indienne. 1948. Gandhi est assassin le 30 janvier par un extrmiste hindou. Premier conflit indo-pakistanais. 1955, Confrence de Bandung, en Indonsie. Nehru devient le porte-parole des pays non-aligns. 1962. La Chine envahit l'Inde et s'empare de territoires la frontire sino-indienne. 1964. Mort de Nehru. 1965. Deuxi me guerre indo-pakistanaise et cessez-le-feu. 1991. Assassinat de Rajiv Gandhi par une extrmiste tamoul. Dbut de la libralisation de l'conomie. 1992. Ayodhya, des hindous dtruisent une mosque construite sur un site consacr Rma, avatar de Vishnou. Des meutes intercommunautaires meurtrires clatent dans toute l'Inde. 1998. Coalition au pouvoir dirige par le BIP. 1999. Guerre entre l' Inde et le Pakistan, propos du Cache- mire. 2001. Attentat contre le Parlement indien, que Delhi impute au Pakistan. 2002. Massacre de musulmans au Gujarat. 2003. L'Inde annonce le rtablissement des relations diplo- matiques avec le Pakistan. 2004. Retour au pouvoir du parti du Congrs. 2008. Un commando d'origine pakistanaise sme la terreur Bombay. 2010. L'Inde est la troisime puissance conomique d'Asie. Le Point Rfrences Les textes fondamentaux 97 Facebook : La culture ne s'hrite pas elle se conquiert Lexique AB LEXIQUE A-B gama. Ensemble de textes considrs comme rvls auxquels se rfrent les tantras et la plupart des rituels des grands temples. Ahims. En sanskrit*, l' vitement de la violence. Dsigne le principe de non-violence absolue, fondamental dans la religion jan. Akbar (1542-1605). Considr comme le plus grand des moghols*, il agrandit considrablement l'empire transmis par son pre Humayun et pratiqua une politi- que religieuse trs tolrante, accueillant notamment des hindous dans son admi- nistration. li invita dbattre les reprsen- tants des grandes religions, en particulier les jsuites de Goa, pour mieux les conna- tre, puis fonda en 1581 une religion de la lumire (Dn-i-llhn. syncrtisme emprun- tant l'islam, au christianisme et, surtout, au janisme, et dont il espra sans succs qu'elle serait un facteur d'unit pour l'em- pire. li interdit le suicide des veuves, mais autorisa nouveau la construction de temples hindous. Bien qu' illettr, il fut un grand mcne et un grand btisseur. Apologue. Fable ou rcit fictif, caractris par sa brivet, qui dveloppe une morale en usant d'exemples et d'allgories. ranyaka. Du sanskrit*, forestier. Au pluriel, dsigne une classe de textes vdiques, en prose ou en vers, riches en spculations thologiques qui annoncent les Upanishad* . Aristote (384322 av. J.-C.). Philo- sophe grec qui fonde en 335 Athnes sa propre cole, le Lyce. Le corpus de ses Les textes fondamentaux uvres tel qu' il a t conserv ne regrou- pe que des notes de cours non destines tre publies. li comprend quatre groupes d'uvres: les crits logiques (l' Organon), les textes sur la .Philosophie de la nature, les 14 livres de la Mtaphysique, enfin les uvres morales. Sa pense ne pntra le monde latin qu'au x111' sicle, o elle pro- voqua une crise en remettant en cause la toute-puissance de la thologie. Ashoka (v. 304-232 av. J.-C.). Troi- sime empereur de la dynastie Maurya. D'aprs la tradition, qui n'est pas confirme par les recherches historiques, il eut un dbut de rgne trs autoritaire puis, saisi de remords suite la conqute sanglante du Kalinga (actuel Orissa), il se convertit au bouddhisme et pratiqua une politique trs humaniste. Il a laiss de nombreuses stles et colonnes o il dcrit ses ralisa- tions. Aurangzeb (1618-1707). Arriv au pouvoir en 1658, ce fils de Shah )ahan (qui difia le Taj Mahal), tend les frontires de l'empire moghol*, mais rompt avec la tolrance de ses prdcesseurs, s'opposant ainsi au soufisme, trs populaire en Inde. li bannit toutes reprsentations, entranant le dclin de l'art de la miniature et de la danse, et encourage la destruction des temples hindous. Cette politique entrana une instabilit chronique qui le fora dplacer sa capitale de Delhi Aurangbd (Maharastra) o il mourra. Avatar. Du sanskrit* avatr, descendre . Dsigne les manifestations sur terre du dieu Vishnou quand le dharma*, l'ordre sociocos- mique, est menac. Les plus clbres sont Krishna (cf p. 32), qui a donn naissance de nombreux cultes, et Rma (cf p. 28). Bbur. Voir moghol*. Bhakti. Dsigne dans l'hindouisme* la dvotion et la communion avec Dieu. Dans le tantrisme (cf p. 32), il dsigne plutt la Desse, la puissance du Seigneur et la Le Point Rfrences conscience. Nomme galement le mouve- ment pitiste qui se dveloppe dans l'hin- douisme partir du x' sicle. Bodhisattva. Dans le bouddhisme, terme sanskrit* dsignant celui qui se destine devenir bouddha aprs avoir accumul mrite et sagesse plusieurs vies durant. Bouddha/bouddhisme. veill . Individu qui, pour le bien-tre de tous les tres, a obtenu la libration finale. D'aprs la tradition, le Bouddha historique serait le prince Siddhrta Gautama, n vers 556 avant ).-C. dans le nord de l' Inde, et qui aurait trouv la voie du salut par l'limi- nation du dsir Bodhgay, dans le Bihar. !:enseignement de Bouddha, ou boud- dhisme, est fond sur quatre nobles v- rits : l'existence de l'homme est conta- mine par le mal, source de souffrance, il est victime des passions et des dsirs, et seule l'extinction dfinitive du cycle in- fernal de ses dsirs peut lui permettre de se librer et d'atteindre l' veil. Pour ce faire, il doit suivre la Voie (autodiscipline, mditation, etc.). Le bouddhisme indien engendra plusieurs courants. Petit Vhi - cule (Hnayna, Theravada ... ) est un terme l'origine polmique, li la contro- verse avec le Mahyna (1" sicle aprs ).-C., cf p. 42). Le Mahyna, ou Grand Vhicule, considrait que l' idal de com- passion qu' il mettait en avant avait une vision plus vaste que la libration person- nelle prne par les coles plus anciennes. De celles-ci , seule demeure le Theravada - reprsent dans tout le Sud-Est asiatique. Le Mahyna a atteint la Chine ds le 11 ' sicle, o il donnera le chan (zen, au Japon) . Driv radical du Mahyna, le Vajrayna ou Vhicule du diamant (v1 1' sicle) associe la mditation des pratiques magiques codifies dans les tantras, d'o son nom de bouddhisme tantrique. li est prsent au Tibet et en Mongolie. Brahman. !:Absolu, l'au-del des dieux. Facebook : La culture ne s'hrite pas elle se conquiert Brhmana. Textes spculatifs vdiques centrs sur l'explication du brahman, antrieurs aux Upanishad*. Brahmane. Membre de la caste la plus leve dans la hirarchie religieuse hin- doue, cense tre la plus proche de [' Es- sence, le brahman . ce titre, il est vou la garde de la Rvlation, le Veda*, et jouit d' un grand prestige spirituel. Ses rgles de vie svres (vgtarisme strict) en font thoriquement un modle pour les fidles. Brahmanisme. Terme gnrique qui dsigne toutes les thories ou philosophies fondes sur deux postulats essentiels : il existe une ralit surnaturelle rvle par le Veda* ; il existe une unit absolue entre la ralit permanente psychique (tman) et le brahman. C-D cantique des cantiques. Livre bibli- que qui rassemble des pomes de prove- nances diverses (lude, Syrie ... ). Ce chant d'amour entre un homme et une femme a d'abord t rejet pour son caractre pro- fane et sensuel. Il fut admis dans le canon hbraque aprs que rabbi Akiba (synode de Yabneh ou lamnia : 90-100) en a fait admet- tre une lecture allgorique, voyant dans le texte une description de la relation de Dieu son peuple. Cette lecture a t reprise par les chrtiens, comme symbole du rapport entre Dieu et l'glise. Caste. Catgorie sociale hrditaire lie la fonction de l'individu. Le systme vdi- que en compte l'origine quatre : les brah- manes (prtres), les kshatriyas* (guerriers), les vaishiyas (commerants et artisans), les sudras (ouvriers et serviteurs). Sont consi- drs comme intouchables ou hors-castes ceux qui sont occups aux tches les plus impures comme nourrir ou tuer le btail. Bien que n' tant pas reconnu par la Consti- tution de 1947, le systme des castes fonc- tionne encore en Inde. Chakra. Groupe de divinits souvent fminines (yogini), objet d'un hommage en srie au cours d'une sance rituelle. Dsigne aussi le centre du corps subtil o elles rsident. Cousin, Victor (1792-1867). Pro- fesseur de philosophie !' cole normale et la Sorbonne, il fut le premier intro- duire en France les thses de Hegel* avec son Cours d'histoire de la philosophie (1828) . Il eut un intense activit ditoriale, tra- duisant tout Platon et publiant les uvres compltes de Descartes. Darshana. Littralement: vision. Dsigne, partir du 'f sicle environ, les six grands systmes philosophiques de l'hin- douisme : la Mmms (cf p. 6o, exgse du Veda') et le Vednta* (cf. p. 62, mtaphy- sique de l'tman, le soi), le Nyya* (logique) et le naisheshika (analyse des rgles de la nature), le Smkhya (cf p. 58) et le yoga (cf p. 26), deux systmes qui combinent la dialectique de l'esprit celle de la matire. Darwin, Charles (1809-1882). Naturaliste anglais, dont les travaux sur l'volution des espces vivantes ont rvo- lutionn la biologie. Ses uvres les plus marquantes furent L'Origine des espces (1859) et L'Expression des motions chez les hommes et les animaux (1872). Si sa thorie de l'volution fut accepte de son vivant, celle de la slection natu- relle dut attendre les annes 1930 pour tre admise scientifiquement. Dharma. En sanskrit*, la racine dahr si- gnifie porter, mais aussi fixer. Dans le vdisme, dsigne l'ordre cosmique et ses conditions, notamment l'organisation de la socit en castes. Dans le bouddhisme, dsigne la voie pour atteindre !'veil. Doxographie. Dveloppe par Aris- tote (1v" sicle av. 1.-c.), cette mthode Le Point Rfrences BG Lexique transcrit et classe, que ce soit par ordre chronologique ou par thmes, les opinions mises par les philosophes. Dukkha. Terme bouddhique en langue pli* dsignant l' insatisfaction, l'incerti- tude, l' impermanence. E-G pistmologie. Dsigne en philosophie la thorie des connaissances. Dans un sens plus courant, l'tude de la connaissance scien- tifique, la philosophie des sciences. volutionnisme/volutionniste. En anthropologie, thse selon laquelle les s o c i ~ t s humaines progressent d'un tat dit primitif vers les socits civili - ses. Elle fut remise en cause notamment par Claude Lvi-Strauss. Fakir. Ascte musulman. Gandhara. Royaume situ au nord-ouest du Pakistan et l'est de l'Afghanistan, qui exista du 1er millnaire avant 1.-C. jusqu'au 'f sicle. Il vit la naissance du Mahyna (cf p. 42), le bouddhisme du Grand Vhicule. Gandhi, lndira (1917-1984). Femme politique indienne, sans lien de parent avec le Mahtm Gandhi (cf p. 88). Fille unique de Jawaharlal Nehru*, forme Cambridge, entre trs tt dans la lutte contre le natio- nalisme, elle devient grce son pre pr- sidente du Congrs en 1959, puis ministre de l'information et de la Communication. Premier ministre en 1966, son autoritarisme est contest et de nombreuses difficults sur le plan intrieur fragilisent son pouvoir. Son lection est invalide en 1975, mais elle refuse de dmissionner, proclame l' tat d'urgence, gouverne par dcrets, muselle la presse et rprime l'opposition. Elle perd les lections de 1977, mais revient au pouvoir en 1980. Luttant pour l'affermissement du pouvoir central, elle se montre intraitable Les textes fondamentaux 99 Facebook : La culture ne s'hrite pas elle se conquiert Lexique Gl vis--vis de la revendication d'autonomie des sikhs. En juin 1984, elle autorise l'arme entrer dans le Temple d'or d'Amritsar, lieu saint des sikhs, pour y dloger des militants arms. a s s a u t fait des centaines de morts. lndira Gandhi est assassine en octobre par deux de ses gardes, de confession sikh. Ghose, Aurobindo (1872-1950). Fils de famille form Cambridge et de- venu enseignant, il s'illustre dans la lutte pour l' indpendance au Bengale, tout en dveloppant une philosophie axe sur l'avenir de l'homme, l'ge nouveau de !'Esprit et l'apparition d'une espce nou- velle. En 1910, il s' installe avec quelques disciples Pondichry. partir de 1926, il laisse la direction de son ashram la Mre , la Franaise Mirra Alfassa (1878- 1973), et ne communique plus avec ses disciples qu' de rares occasions, se consa- crant ses crits. Aprs sa mort, la Mre fonde un centre d'ducation Pondichry, puis Auroville o sont dvelopps de nou- veaux concepts urbains, une architecture et une ducation novatrices. Gourou ou gur. Matre spirituel. Gupta. Dynastie d'origine gangtique qui rgne sur le nord de l'Inde du milieu du 111' sicle 535. H-1 Hegel, Georg Wilhelm Friedrich (1770-1831). Philosophe allemand dont le systme philosophique prtend atteindre le savoir absolu par la rconciliation de la pense avec la ralit. Karl Marx (1818- 1883) sera profondment influenc par sa philosophie de l'histoire et sa mthode, la dialectique. Parmi ses uvres : La Phno- mnologie de l'esprit (1807) et La Science de la logique (1812-1816). Heidegger, Martin (1889-1976). Philosophe allemand qui a domin la 100 1 Les textes fondamentaux scne philosophique en Europe continen- tale avant guerre avec la publication d' tre et Temps (1927), o il dveloppe une inter- prtation nouvelle de la question de l'tre partir du temps. Il vit plus tard dans le rgne de la technique l'achvement de l'histoire de la mtaphysique* inaugure par les Grecs, et notamment par Platon. Un temps confin dans un exil intrieur pour sa collaboration avec les nazis, il re- trouva toute son audience, en France no- tamment, grce son disciple Jean Beauf- fret, ami de Lacan, lui-mme grand admirateur de Heidegger. Hermneutique. Art d' interprter et d'expliquer les textes, qu' ils soient profanes ou sacrs. Hindouisme. Terme forg au x1x' sicle par les Britanniques pour dsigner le magma de croyances et de pratiques - htroclites mais ayant un certain air de famille - qu' ils dcouvraient en Inde. Religion aux mille dieux, l'hindouisme est d'abord une croyance fonde sur les textes antiques du lleda* qui affirment la ncessit du maintien de l'ordre universel, le dharma*. Il prne une organisation hirar- chique et fonctionnelle de la socit en quatre castes* , o l'individu n'a de sub- stance et de valeur qu'en fonction du rle que lui attribue d'avance sa naissance. Il coopre, par le rite et l'action, l'entretien du dharma. Cet ordre a pour divinit tut- laire Vishnou (cf p. 32) qui incarne la concor- dance du pouvoir temporel des kshatriyas* et de celui, spirituel, des brahmanes*. En face, se manifeste la logique de rvolte du dieu Shiva (cf. p. 32), incarne par les asctes, les renonants (sannyasin). Homlie. Sermon ralis sur un point de doctrine religieuse. Husserl, Edmund (1859-1938). Philosophe allemand, pre de la phno- mnologie, prnant un retour aux choses mmes et une description rigoureuse des phnomnes tels qu' ils se donnent la conscience, avant toute explication. Le Point Rfrences Husserl compta notamment parmi ses disciples Heidegger*. Hypostase. Le mot hupostasis dsigne, chez les philosophes noplatoniciens, un des niveaux de la ralit. La premire hypostase est l'Un, la seconde, l'intellect, la troisime, l'me. Pour la thologie chrtienne, le terme dsigne les trois personnes de La Trinit (Dieu le Pre, le Fils et le Saint-Esprit). Indra. Roi des dieux dans la mythologie vdique*. J-N Jayadratha. Personnage du Mahbhra- ta (cf. p. 20) qui, aprs avoir enlev Draupadi, la femme des frres Pndava, est l'origine de plusieurs pisodes sanglants. Karma. Du sanskrit*, faire. Ensemble des consquences des actes (karman) de la vie d'un individu. Kshatriyas. Guerriers, dtenteurs du pouvoir dans le systme hindou des castes*. Leur patron est le dieu Indra* et leur couleur emblmatique, le rouge. Les kshatriyas sont de moins en moins nombreux en Inde, no- tamment parce que beaucoup se sont convertis l'islam sous les moghols*. Kundalin. Dans le yoga*, nergie loge dans l'os sacrum, symbolise par un serpent enroul trois fois sur lui-mme. Dans le tantrisme (cf p. 72), autre nom donn la Desse, symbole de conscience et de vie. lin Tsi (1xe sicle). Fondateur d'une branche du bouddhisme* chinois chan (zen), qui, transplante au Japon vers le x111' sicle, devint la secte Rinza. Il tait partisan d'une approche brutale pour provoquer l'tat d'veil chez le disciple. Il disait ainsi : Adeptes, voulez-vous voir les choses conformment au dharma*? Gardez-vous seulement de vous laisser garer par les autres. Tout ce que vous Facebook : La culture ne s'hrite pas elle se conquiert rencontrez au-dehors, comme au-dedans de vous-mmes, tuez-le. Si vous rencontrez le Bouddha, tuez le Bouddha ! Madhyamaka. La voie mdiane , l'une des deux grandes coles philosophi- ques du Mahyna (cf p. 42), fonde par Ngrjuna (cf p. 56) au 1" sicle. Mandala. En sanskrit*, cercle, et par extension, sphre, environnement, com- munaut. Diagramme symbolique boud- dhique utilis pour dsigner l'entourage sacr d'une dit qui sert de support de mditation. Mantra. En sanskrit*, protection du mental . Courte formule sacre rcite lors de pratiques mditatives pour protger l'esprit de l'adepte. Maurya. Dynastie fonde par Chandra- gupta Maurya (v. 340-v. 291 av. 1.-c.). Elle dirigea le premier empire indien couvrant la quasi-totalit du sous-continent. Les Mauryas dirigeaient leur empire depuis leur capitale de Pataliputra (Patna) dans le Magadha, actuel Bihar. Ils seront ren- verss en 187 av. 1.-c. par les Shungas. Mtaphysique. Titre donn au 1" sicle quatorze traits d'Aristote par Andronicos de Rhodes parce que ces livres venaient dans son dition aprs la physique (meta ta phusika) . Cette branche de la philosophie vise tudier ce qui est commun tous les tres, au-del des sciences particulires (l'tre, le beau, le vrai). Pour Heidegger*, le rgne actuel de la technique marque la fin de la mtaphysique , expression re- prise par lacques Derrida. Mtempsychose. Migration des mes d'un corps l'autre aprs la mort. Moghol. Nom donn l'empire fond en 1526 par le conqurant turco-mongol d'origine afghane Bbur (1483-1530) . Ce terme drive de mongolistan, terres mon- goles, ces steppes d'Asie centrale conquises jadis par Gengis Khan et dont tait origi - naire sa famille, les Timourides. moghol se dveloppe jusqu' la fin du rgne d'Aurangzeb* puis entame, aprs sa mort en 1707, un long dclin. Il est battu plusieurs fois par les Perses avant que les Britanniques se dbarrassent en 1858 de Bahdur Shh Zafar, rest souverain en titre malgr la colonisation de l'Inde. Mohenjo-Daro. Nom d'un village de la valle de l'lndus o l'on dcouvrit au dbut du xx' sicle les ruines d'une civili - sation trs sophistique antrieure au Veda*, datant probablement de 4500-1500 avant 1.-C., et qui s'tendait surtout le nord de l'Inde actuelle. Moksha. Terme sanskrit* pour la lib- ration de l'me. Nehru, Jawaharlal (1889-1964). Avocat form Cambridge, militant du parti du Congrs et ami de Gandhi (cf p. 88), il devient Premier ministre (15 aot 1947) d'une Inde qu'il veut dmocratique et pluraliste, mais ne parvient pas empcher la cration du Pakistan. Sur le plan cono- mique, il s' inspire des mthodes sovitiques de planification et d' industrialisation. Il cherche aussi maintenir la neutralit de l'Inde pendant la guerre froide et lance le mouvement des pays non-aligns la confrence de Bandung (1955). En 1956, il organise la rvolution verte en Inde, afin de moderniser l'agriculture. Il ne par- vient pas viter une guerre avec la Chine qui dmontre la faiblesse militaire de l'Inde. Il meurt au pouvoir, en 1964, aprs avoir plac sa fille lndira .Gandhi* la tte du parti du Congrs. Nietzsche, Friedrich (1844-1900). crivain et philosophe allemand qui remet en cause la morale philosophique et reli - gieuse traditionnelle en annonant la mort de Dieu. la suite de la falsifica- tion de ses textes par sa sur, nazie convaincue, ses concepts de surhomme et de volont de puissance ont t in- Le Point Rfrences MP Lexique justement ruprs par les idologues du Ill' Reich . Il est l'auteur, entre autres, d'Ainsi parlait Zarathoustra (1883-1885) et de La Gnalogie de la morale (1887). Nirvna. La paix transcendante, qui est le but ultime des fidles bouddhistes. Nyya. En sanskrit*, raisonnement, principe, rgle. Nom donn l'cole brah- manique de logique. 0-P Oblation. Action d'offrir quelque chose une divinit. En philosophie, tude de l'tre en tant qu'tre, c'est--dire des pro- prits gnrales et des fonctionnements de ce qui existe. Pli. Langue indo-aryenne parle autrefois en Inde et dans laquelle sont rdigs les premiers textes bouddhiques. Elle est uti- lise aujourd'hui comme langue liturgique du bouddhisme theravada. Paradigme. Point de vue ou reprsen- tation du monde reposant sur un concept ou un courant de pense dfini . Patanjall (11 sicle av. J.-C.). Philo- sophe et grammairien probablement du nord de l'Inde, rput tre l'auteur du Mahbhsya, Grand Commentaire , sur la grammaire de Pnini (1v' sicle av. 1.-C.) . La tradition le confond avec l'auteur du Yoga-stra, rvl en Europe par Schopenhauer*. Philosophie analytique. labor la fin du x1x' sicle et au dbut du xx' si- cle partir des travaux des philosophes et logiciens Gottlob Frege (1848-1925) et Ber- trand Russell (1872-1970), ce mouvement vise clairer les grandes questions phi- losophiques travers une approche ana- lytique des lments du langage. Cette Les textes fondamentaux 1 101 Facebook : La culture ne s'hrite pas elle se conquiert Lexique PS mthode permet ainsi de clarifier les ides et les concepts dtermins par un langage jug trompeur ou approximatif. Phonme. Plus petite unit sonore permettant de distinguer un mot d'un autre, et que l'on puisse isoler par segmen- tation dans la chane parle. Physique quantique. Ensemble de thories physiques tudiant les phnomnes au niveau des particules lmentaires l'ori- gine de toute matire. Elle obit au prin- cipe d'incertitude de Heisenberg, d'o le rapprochement avec Ngrjuna (cf p. 56). Propitiation. Fait de rendre propice : en religion, un sacrifice permet d'attirer la bienveillance des dieux. Purna. Longs pomes didactiques dont le plan est immuable : rcit de la cration du monde, gnalogie des dieux, prsentation de l're cosmique laquelle nous apparte- nons, et enfin gnalogie royale. Le Vishnou- purna et le Bhagavata-purna font partie des textes les plus sacrs du vishnouisme*. Q-5 Quinet, Edgar (18o3-1.875). Historien franais, professeur au Collge de France de 1841 1845. Ardent rpublicain, il est rvoqu en mme temps que Jules Michelet pour avoir exprim lors de ses cours ses opinions anticlricales. Dput en 1848, il s'exile la suite du coup d'tat de 1851 qui fonde le second Empire, et ne rentre en France qu' la chute de Napolon 111 en 1870. Il est lu dput l'Assemble nationale en 1871, il meurt en 1875, juste avant l'avnement d- finitif de la Rpublique. Renan, Ernest (1823-1892). crivain franais, passionn de sciences et fervent catholique, il adhre la pense de Darwin* et publie plusieurs ouvrages consacrs l' tude des religions. Professeur d'hbreu 102 1 Les textes fondamentaux au Collge de France, il fait paratre en 1863 une Vie de Jsus dans laquelle il tente de concilier religion et rationalisme. fouvrage fait polmique, au point que le pape le sur- nomme le blasp.hmateur europen ,et Renan perd sa chaire. Il aura cependant une influence notable sur de nombreux crivains catholiques franais, tels que Paul Bourget, Maurice Barrs et Charles Maurras. Rolland, Romain (1866-1944). Prix Nobel de littrature en 1915 pour son uvre majeure, jean-Christophe, cet crivain hu- maniste et grand amateur de musique se passionne pour la thorie de la non-vio- lence de Gandhi (cf p. 88), qu'il contribue faire connatre en Occident en crivant sa biographie (1942). Il fut un ami de Rabn- dranth Tagore (cf p. 86) et s' intressa aux rformistes hindouistes comme Rma- krishna (cf p. 82) et Vivekananda (cf p. 84). Roue des renaissances. Dans le bouddhisme, symbole du samsra, le cycle des renaissances. Samsra. !'.existence mondaine, le cycle des renaissances o l'on souffre des dou- leurs de la naissance, de la vieillesse, de la maladie et de la mort. Sanskrit. Langue indo-aryenne dans laquelle ont t composs les textes sacrs du Veda* . Langue liturgique des brah- manes, elle est aussi la langue de la philosophie et de la culture, particulire- ment en Inde du Nord, au moins jusqu'au x11 sicle. Schopenhauer, Arthur (1788 186o). Philosophe allemand issu d'une riche famille de banquiers, il vit en clibataire, sans responsabilit sociale, enclin la mlancolie et au cynisme. Idaliste athe, ouvert la pense indienne et au bouddhisme*, il ex- pose sa philosophie dans son ouvrage majeur, Le Monde comme volont et reprsentation (1819), qui ne connatra le succs qu'aprs sa rdition, bien plus tard. Le Point Rfrences Scolastique. Du latin scho/a, cole. Terme aujourd'hui pjoratif pour dsigner des formes de savoir rudites, mais sans originalit. Shakti. Terme sanskrit* pour pouvoir, force, par extension l'nergie fminine. Shivasme. Ensemble de traditions spirituelles et de pratiques centres sur le culte du dieu Shiva (cf p. 32), qui rassem- ble environ 25 % des hindous. Shruti. Du sanskrit*, audition, oreille, ensemble des textes du canon vdique, du Rig-Veda (cf p. 12) aux Upanishad*, censs avoir t rvls oralement aux premiers sages, les rishis. Silburn, Lilian (morte en 1993). Initie et devenue elle-mme matre spi - rituel la fin de sa vie, cette indianiste fut une pionnire de la dcouverte du shi- vasme cachemirien. Soufisme. Traduisant l'arabe tasawwuf, dsigne en gnral la mystique de l'is- lam, bien qu' il relve pour certains de l' sotrisme le plus pur. C'est une qute active de !'Absolu divin mobilisant une doc- trine, des organisations initiatiques (les confrries ou tarqa) et des mthodes spiri- tuelles transmises oralement de matre disciple. Apparu vers la fin du v111' sicle, il s'est perptu plus ou moins discrtement selon les contextes sociopolitiques parfois hostiles. Il est trs populaire en Inde o il a introduit le culte des saints. Parmi les confr- ries aujourd'hui les plus importantes dans le monde : les Naq-shbandi, en Asie cen- trale et en Turquie, Neh'matollhi, en Iran, Mevlevi (derviches tourneurs), en Ana- tolie et en Europe balkanique, Qadiri et Chadilite, au Maghreb et au Proche-Orient, et enfin Tijani, en Afrique. Certaines ont des relais en Europe et en France, du fait des migrations internationales et de l'intrt croissant qu'elles suscitent chez les Occi- dentaux, surtout depuis les travaux du mtaphysicien Ren Gunon et des islamo- logues Louis Massignon et Henri Corbin. Facebook : La culture ne s'hrite pas elle se conquiert Sunnisme. Doctrine de ceux qui se prsentent comme les partisans de la sunna . Cette obdience reprsente 90 % des musulmans dans le monde. Elle s'op- pose au chiisme et aux autres mouvements de l' islam par le rle qu'elle attribue la communaut (umma) et aux textes de la tradition (hadith, Sra) pour complter l'enseignement du Coran. Stra. Fil , en sanskrit*. Chanes de sentences et prceptes dveloppes par chaque cole hindouiste* ou darshana* (Vednta*, yoga*, etc.) . Chaque chane est pourvue d'un commentaire attribu un personnage fictif, l'ensemble faisant en- suite l'objet de multiples exgses. Svastika. Terme sanskrit* qui apparat dans les popes Rmyana et Mahb- hrata, et signifie ce qui apporte la bonne fortune . Symbole religieux d'origine aryenne, dont la forme est celle d'une croix compose de quatre potences prenant la forme d'un gamma grec, d'o l'appellation de croix gamme . Ce symbole est utilis par le bouddhisme* et en Chine pour sym- boliser l' ternit. Les nazis en firent leur emblme en en inversant le sens. T-Z Tantra. Texte ou recueil de rituels et doctrines sotriques. Tolsto, Lon (1828-1910). crivain de premier plan avec ses romans Guerre et Paix (1869) et Anna Karnine (1877), cet aristocrate russe mne partir des annes 1870 une qute thico-spirituelle qui colore ses crits. voluant vers une sorte d'anar- chisme mystique, il se dtache peu peu de ses biens et prne une vie sobre, morale, proche de la nature. Pacifiste et vgtarien, il critique les institutions oppressives, l' in- galit sociale ainsi que la violence. Devenu un matre penser, il marque profondment Gandhi (cf p. 88), avec qui il eut une corres- pondance suivie, et Romain Rolland*, parmi bien d'autres. Trimrti. Triade divine (littralement : triple forme divine ) constitue par les trois dieux auxquels les hindous attribuent le rle de crateur, protecteur et destruc- teur du monde : Brahm, Vishnou et Shiva (cf p. 32) . Upanishad. Traits spculatifs qui pro- longent les Veda*. Chaque cole brahma- nique a voulu se doter d'une Upanishad pour exposer sa doctrine. Face au dvelop- pement du bouddhisme* (v" sicle avant 1.-C.), ces textes, prsents comme rvls, se sont multiplis. Au 1" sicle, on en comp- tait plus d'une centaine et on a continu en produire jusqu' l' poque contempo- raine. Les noms qui leur sont donns indi- quent leur rattachement une branche du Veda (Yogatattva, par exemple : texte l'usage des adeptes du yoga*) . Veda. En sanskrit*, savoir . Nom donn par la tradition hindoue un en- semble de textes rdigs en sanskrit ar- chaque qui jouent un rle analogue celui de la Bible pour le judasme et le christianisme. Le Veda a valeur normative dans tous les domaines intressant la vie religieuse (rites, croyances) et sociale (or- ganisation idale de la socit, thique politique) . Vednta. En sanskrit*, aboutissement du Veda*. Terme qui, au dpart, dsignait les Upanishad*, puis le plus important courant philosophique hindou, fond sur le non- dualisme et dvelopp par Shan ka ra (cf. p. 64). Les nohindouistes tels Rmakrishna (cf. p. 82), AurobindoGhose* et Ramana Maharshi (1879- 1950) s'y sont rfrs. Vdisme/vdique. Dsigne la pre- mire phase du dveloppement des reli- gions en Inde (v. 18oo-goo av. 1.-C.), mais aussi l'ensemble des croyances et des rites sacrificiels fonds sur les textes sacrs des quatre Veda* . Le Point Rfrences SZ Lexique Vihara. Terme pli* pour temple ou monastre dans le bouddhisme* ancien. Vishnouisme. Courant centr sur le culte de Vishnou, aujourd'hui le plus im- portant en Inde (80 % des hindouistes) et fond sur les bases thoriques du Vednta* . La Bhagovadgt, le Vishnu-purna, les Bhakti-stra et, surtout, le Bhagavad-pu- rna sont les principaux textes sacrs de ce mouvement. Wittgenstein, Ludwig (1889- 1951). Logicien et philosophe britannique d'origine autrichienne. Il rdige le Tractatus /ogico-philosophicus en 1921, dans lequel il s'appuie sur l'tude scientifique des atomes pour apprhender le monde comme un ensemble de faits indpendants les uns des au.tres, mais dont la structure logique donne une cohrence au monde. Il accorde une importance prpondrante l'tude du langage, pige pour la philosophie, qui doit s'en affranchir afin de n'tre pas un simple nonc de thses mais une activit de clarification de la pense. Yoga. Le yoga est l'une des six coles de philosophie indienne, dont le texte de rf- rence est le Yoga-stra (cf p. 26) . Yogin. Pratiquant du yoga*. Yudhisthisra. ~ u n des cinq frres Pn- dava qui, dans l'pope du Mahbhrata, s'opposent au clan des Kaurava. Zoroastrien. Fidles de Zoroastre, pro- phte et rformateur religieux iranien qui vcut au v1 sicle avant 1. -C. dans l'actuel Turkmnistan occidental. Sa doctrine exal- tait la responsabilit humaine commande par la volont de Dieu et donna naissance au zoroastrisme, religion officielle qui do- mina la Perse sassanide (224-651) jusqu' l'arrive des musulmans. Refusant de se convertir, certains zoroastriens s'enfuirent en Inde, o ils s' tablirent sous le nom de parsis. Le personnage inspira Nietzsche* dans Ainsi parla Zarathoustra. Les textes fondamentaux 1 103 Facebook : La culture ne s'hrite pas elle se conquiert Bibliographie SAGESSES DE L'INDE Bibliographie Sa uf exception, ne sont mentionns ici que les ouvrages utiliss pour la rdaction du dossier et non cits ailleurs. GNRALITS LES TEMPS VDIQUES BOUDDHISME L'GE CWSIQUE LES TEMPS MODERNES BOIVIN (Michel), Histoire de l'Inde, PUF, coll Que sais-je?, 2005. CHENET (Franois) dir., Nirvno, Cahier de l'Herne n63, ditions de l'Herne, 1993. COEDES (Georges), Les tats hindouiss d'Indochine et d'Indonsie, De Bocca rd, 1964. CRAVEN (Roy C.), L'Art indien, Thames & Hudson, 2005. DHEURY (Guy), Le Voyage en Inde. Anthologie des voyageurs fronais (1750-1820), Robert Laffont, coll. Bouquins, 2003. FILLIOZAT (Pierre-Sylvain), Dictionnaire des littratures de l'Inde, PUF, coll. Quadrige , 1994. MARKOVITS (Claude), Histoire de l'Inde moderne, 1480-1950, 1994. SEN (Amartya), L'Inde. Histoire, culture et identit, Odile Jacob, 2007. AU BOYER {Jeannine), Lo Vie publique et prive dons l'Inde ancienne, PUF, 1970. BIARDEAU (Madeleine), Le Mahbhrata. Un rcit fondateur du brahmanisme et son interprtation, Seuil, 2002. MALAMOUD (Charles), Lo Danse des pierres. tudes sur Io scne sacrificielle dons l'Inde ancienne, Seuil, 2005. RENOU (Louis), Hymnes spculatifs du Veda, traduits et annots, Gallimard, 1956. Uponishods du Yoga, trad. Jean Varenne, Gallimard/Unesco, 1971. BLOCH {Jules), Les Inscriptions d'Asoko, Les Belles Lettres, coll. La voix de l'Inde, 2007. FAURE (Bernard), Bouddhismes, philosophies et religions, Flammarion, 1998. MEUWESE (Catherine), textes tablis et annots par, L'Inde du Bouddha, vue par des plerins chinois sous Io dynastie Tong (v111 sicle), Calmann-Lvy, 1968. CHALIAND (Grard), Koutilyo. Arthosostro. Trait politique et militaire de l'Inde ancienne, ditions du Flin, 1998. DROIT (Roger-Pol), dir., Philosophies d'ailleurs, Les penses indiennes, chinoises et tibtaines, tome 1, avec notamment Marc Ballanfat et Michel Hulin, Hermann, 2009 FILLIOZAT {Jean), Lo Dodrine classique de Io mdecine indienne. Ses origines et ses parallles grecs, cole franaise d'Extrme-Orient, 1975. HULIN (Michel), L'Inde des sages, Oxus, 2008. 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(( L e sel vient du Nord, l'or du Sud, l'argent du pays des Blancs, mais la pa- role de Dieu, les choses saintes et les belles histoires ne se trou- vent qu' Tombouctou. Aux belles paroles du dicton popu- laire qualifiant la cit de sable et d'argile, au nord du Mali, cor- respondent des traces crites : quelque 200 000 manuscrits conservs dans la rgion jusqu' nos jours constituent la m- moire retrouve d' un ge d'or de Tombouctou, situ entre les xve et XVIe sicles de notre re. Proche du fleuve Niger, Tim Bouktou , le lieu-dit de Bouk- tou , du nom d' une vieille . ~ femme nomade qui, selon la ~ lgende, y aurait tabli son cam- i pement, devient partir du ~ xue sicle une tape importante 1' du trafic des caravanes venues ~ du nord qui laissent l leurs 9 marchandises pour qu'elles soient ensuite transportes vers le sud par pirogues. La ville se dote au x1v" sicle d' une impo- sante mosque, Djingareyber. Mais celle d' o va rayonner Tombouctou un sicle plus tard se nomme Sankor. Sous le rgne des empereurs de la dynastie songha (entre 1468 et 1591), la cit n'est plus seu- lement celle du commerce de l'or, du sel et des esclaves. Autour de la dite universit de Sankor , elle devient celle du savoir, l'un des plus importants foyers de culture islamique : Il y a Tombouctou de nombreux juges, docteurs et prtres tous bien appoints par le roi. Il ho- nore grandement les lettres , crit Lon l'Africain (1488- v. 1552) dans sa Description de l'Afrique (cf encadr p. 108). Avec la progression de l'islam lie au commerce, d'rudits voyageurs venus d'gypte, Le Point Rfrences 1 107 Facebook : La culture ne s'hrite pas elle se conquiert Les lieux de savoir DCRYPTAGES Il Tombouctou au dbut du xv1e sicle Les boutiques des tisserands de toiles de coton sont nombreu- ses. Les toffes d'Europe parviennent aussi Tombouctou, ap- portes par les marchands de Berbrie. Les femmes de la ville ont encore la coutume de se voiler le visage, sauf les esclaves qui vendent toutes les choses que l'on mange. Les habitants sont fort riches, surtout les trangers qui sont fixs dans le pays, si bien que le roi actuel a donn deux de ses filles en mariage deux frres commerants en raison de leur fortune. Il y a plusieurs puits d'eau douce Tombouctou; de plus, lors de la crue du Niger, l'eau arrive jusqu' la ville par des canaux. Les grains et les bestiaux sont en trs grande abondance, si bien que la consommation de lait et de beurre est considrable. Mais on manque beaucoup de sel, parce que celui-ci est apport de Te- ghaza, qui est environ 8oo km de Tombouctou ... Il y a Tombouctou de nombreux juges, docteurs et prtres, tous biens appoints par le roi. Il honore grandement les lettres. On vend aussi beaucoup de manuscrits qui viennent de Berbrie. On tire plus de bnfice de cette vente que de tout le reste des marchandises ... Au lieu de monnaie frappe, on emploie des morceaux d'or pur et, pour les achats minimes, des cauri,s, c'est- -dire des coquillages apports des les Maldives dans l'ocan Indien et dont quatre cents valent un ducat. Lon rAfricain, Description de l'Afrique, 1507. ... de tout le Maghreb et d'An- dalousie - certains Andalous trouvant refuge dans ce carre- four de culture aprs la prise de Grenade par les chrtiens en 1492- changent Tombouctou avec les savants locaux qui, eux- mmes, voyagent l'tranger. Cette circulation du savoir est atteste par celle des manus- crits copis et recopis . Ils constituent la base de l'ensei- gnement pluridisciplinaire que les lettrs (ulemas) dispensent, moyennant finances, aux tu- diants qui convergent vers la capitale du royaume songha. L'appellation d'universit cor- respond un enseignement dlivr un large public, tra- vers une myriade de petits lieux 108 1 Le Point Rfrences d'tudes. Savoir diffus orale- ment et par crit. Les manus- crits sont crits en arabe, langue savante d'une Afrique subsaha- rienne qui a connu une premi- re phase d'islamisation sous la dynastie marocaine des Almo- ravides (autour de l'an 1000). Si les matres commentent ora- lement les textes religieux en ~ ' 2 .. :.s'i ~ ~ i ~ i j " ? .; D'rudits voyageurs venus d'gypte, de tout le Maghreb et d'Andalousie changent Tombouctou avec les savants locaux. langues locales, ce n'est que beaucoup plus tard que certains manuscrits, dits ajamis, utilise- ront l'alphabet et la graphie arabes comme outils de trans- cription des langues de la r- gion, le peul, le songha et le bambara. Les mtiers du livre Le grand dynamisme des m- tiers du livre, attest par les noms des artisans inscrits sur les couvertures, et le com- merce lucratif des manuscrits, crits avec un calame, roseau taill en pointe, sur diffrents supports dont trs tt le pa- pier, font aussi de la ville une plaque tournante de l'dition. Mais qu' apprend-on Tom- bouctou ? L' historien amri- cain John Hunwick a rpertori les principales disciplines en- seignes : l'histoire, la pda- gogie - qui implique alors la grammaire - , les commentai- res du Coran, l'apprentissage de la langue arabe et le droit, ncessairement musulman. L'islam fut d'abord un moyen de rgulation de la socit, assur par le droit religieux qui rgit la vie sociale comme la pratique individuelle de l'is- lam , explique Bernard Sal- vaing, spcialiste de l'histoire de la culture islamique en Afri- que de l'Ouest. Enfin les crits de dvotion pullulent, prires, loges du prophte, sans omettre des textes soufis qui augmenteront avec le temps, mais se trouvent dj dans i'uvre d'un des plus minents professeurs de l'po- que, Ahmed Baba (1556-1627) . Issu d' une grande famille de gouverneurs de Tombouctou, celui-ci enseignait notamment le droit, mais il est l'auteur de nombreux ouvrages, dont un runit des biographies de sa- Facebook : La culture ne s'hrite pas elle se conquiert DCRYPTAGES Les lieux de savoir ~ 9 7 . Abique Occidentale. -TOMBOUCTOU La foqvo de Saoltoro ao nod de la ville, <Ontroitc ven XI silcle t llttlloo GMralt A. O. 1. Fortlv, Dar .11.,....aaet1oa ftoUnll De la prise de la ville, en 1894, l' indpendance du Mali , en 1959, Tombouctou fut possession franaise. vants de son temps, combien mfiantes , explique Jean- 1838) et d'autres aventuriers du prcieuses pour cette histoire Michel Djian, auteur d'un livre XIX sicle, l'anthropologue aile- intellectuelle. Il nous laisse un paratre sur le sujet 1 mand Heinrich Barth a ainsi portrait de celui qui fut son Conscients de l'importance du dcouvert en 1853 dans la rgion propre matre, le savant noir patrimoine culturel et religieux un manuscrit du xvu sicle, fon- Mohammed Bagayogo, natif de que reprsentaient leurs livres, damental pour la connaissance Djenn, autre grande ville de les gens de Tombouctou ont, du Pays des Noirs : Tarikh l'Empire songha, qui tmoigne, es-Soudan ( Histoire du Sou- parmi d'autres, de l'existence dan ) , chronique d'un natif de de bibliothques au Moyen ge Tombouctou qui cite notamment (cf encadr p. 111). Les souve- Ahmed Baba et contribua large- rains de l'empire aimaient les ment l'histoire savante de sa beaux livres, et les lettrs ac- ville (cf encadr p. 111 ) . cumulaient les ouvrages. L'ouvrage est traduit en franais Mais en 1592, les Marocains en 1898, sous l'impulsion d' une reprennent le contrle de Tom- mission scientifique franaise, bouctou. Ahmed Baba, dpor- mais les recherches s'interrom- t Marrakech, demeure de pent. Ces trsors patrimoniaux longues annes en exil au Ma- ne sont pris en compte qu'aprs roc avant de pouvoir revenir malgr les vicissitudes de l'his- l'indpendance du Mali, dans son lieu de naissance au soir toire et les conditions climati- les annes 1960, avec l'aide de de sa vie. ques, conserv les manuscrits I'Unesco. Les familles locales ont t au secret dans leurs maisons, En 1973 est cre la seule insti- marques par l'histoire d'Ah- dans des malles, ou les ont ca- tution publique de la ville, med Baba qui s'est fait voler chs dans des sacs qu'ils ont fait 1' Institut des hautes tudes et sa bibliothque par les Maro- enfouir dans le sable du dsert. de recherches islamiques Ah- cains. Elles redoutaient les Parti sur les traces du fameux med-Baba , qui dispose depuis pillages et sont restes trs explorateur Ren Cailli (1799- 2009 d' un nouveau bti- Le Point Rfrences 1 109 Facebook : La culture ne s'hrite pas elle se conquiert La plus grande partie des manuscrits tombouctiens appartiennent des bibliothques prives. ... ment, financ par l'Afrique du Sud, avec pour missions de collecter, cataloguer et numri- ser les 25 000 livres et manus- crits, dont des chefs-d'uvre enlumins qui ont continu de s'crire et de s'changer au fil d' une tradition lettre reste vive jusqu'au xo sicle. Des bibliothques prives Si, aux cts du premier direc- teur du centre Ahmed-Baba, le Malien Mahmoud Zouber, des spcialistes, amricains puis norvgiens, ont commenc de dfricher cette manne crite, ce n'est pourtant que tout rcem- ment qu'une poigne d'acteurs a pris ce capital en charge. Au- del du phnomne touristique que suscite la cration d'une trentaine de bibliothques pri- ves ouvertes la visite par des hritiers, rares sont ceux qui s'engagent sur Je fond: Ismal Diadi, l'un des descendants de l'historien Mahmud Kati, auteur 110 1 Le Point Rfrences des chroniques Tarik/;I a/Fettach, sur l'histoire de l'Empire songha aux xve et xv1 sicles, aussi fa- meuses que le Tarikh es-Soudan, a ainsi ouvert au public en 2003 Je Fondo Kati , dans une de- meure typique des riches Tom- bouctiens. Mais cet aute,ur d'un livre sur les Juifs Tombouctou, B Depuis qu'al-Qaida au Maghreb islamique a pris le dsert en otage, Tombouctou la fascinante devient Tombouctou l'interdite. enseignant l'universit de Gre- nade, a surtout remont la piste de son anctre parti de Tolde en 1468 pour l'actuel Mali. La mme dmarche anime Abdel Kader Hadara, qui a ouvert la bibliothque Mamma Hadara partir des archives de ses anc- tres, soit environ 9000 manus- crits, dont un catalogue de 4 000 titres. On y trouve une somme de documents juridiques de grande valeur pour les tra- vaux sur l'histoire, la vie cono- mique et les rapports sociaux dans la rgion, une masse de documents littraires et histori- ques d'intrt local, des pomes, des gnalogies de gens illustres, des histoires d'une famille, des correspondances , assure Geor- ges Bohas, spcialiste de la lan- gue arabe. L'exploitation d'un tel corpus permettra d'en savoir plus sur ce que fut Tombouctou du xve au XD< sicle, et d'crire l'histoire de la rgion du point de vue du colonis. Un partena- riat entre la bibliothque Mam- ma Hadara et l'cole normale suprieure de Lyon, o enseigne Bohas, marque une premire initiative de la recherche fran- aise. ditions critiques et pu- blications destines un plus Facebook : La culture ne s'hrite pas elle se conquiert grand public commencent voir le jour notamment aux ditions Grandvaux 2 qui , sous la hou- lette du mme Georges Bohas, de Bernard Salvaing et des cher- cheurs du groupe Vecmas (Va- lorisation et dition critique des manuscrits arabes subsaha- riens), ont lanc une collection Manuscrits du dsert . Une autre, " Belles histoires de Tom- bouctou , en rfrence au dicton cit plus haut, va voir le jour. Ce programme inclut la formation de spcialistes africains pour renforcer le noyau dur des cher- cheurs maliens. Griots et tradition crite Plus de cinq sicles aprs la grande poque de Sankor, l'aventure commence seule- ment : " Il ne faut pas attendre forcment des manuscrits qu'ils renouvellent compltement nos connaissances, mais leur mise en rseau rvlera une histoire de l'Afrique de l'Ouest sur diff- rentes poques et l'importance d'une culture dont Tombouctou n'est qu' une face apparente , conclut Salvaing. Depuis une dizaine d'annes, les finance- ments trangers ne manquent pas .. . mais la tche est immense. La carence en arabisants connaisseurs de cet islam afri- cain, longtemps jug " priph- rique , comme d' historiens de l'Afrique connaissant l' arabe explique la lenteur du processus, et le regard extrieur confinant l'Afrique sa tradition orale ra- lentit encore la recherche en France. Enfin, de l'intrieur, Jean- Michel Dj ian avance l'obstacle constitu par la forte puissan- ce des griots, qui dtiennent la tradition orale et s' opposent l'vidence d'une tradition crite dans l'histoire du continent afri- cain . Celle-ci continue pourtant de se transmettre : le pote ma- Il Mohammed Bagayogo, un maitre en islam L'rudit Ahmed Baba dcrit son matre : Mohammed-ben-Majmoud-beAbou-Bekr, le Ouankori, le Tom- bouctien. - Il est plus connu sous le nom de Baghyo'o [ ... ].Il fut notre ma- tre tous et notre protecteur. Jurisconsulte, thologien, rudit, vertueux, pieux, dvot, il tait une des meilleures cratures ver- tueuses de Dieu, un savant pratiquant, un homme empreint de bont. [ ... ] Il s'occupait des affaires des autres, se nuisant au besoin pour leur rendre service. Il tait indulgent pour ll!llrs faiblesses. chl!f'Ch les mettre d'accord et les engageait aimer la science, suiwe ses enseignements, y mpla)ler tous nt frquenter les savants et tre d'une docilit parfaite. Il prodiguait tou ses livres les plus prdeux, les plus rares et auxqt1els Il ten le plus; jamais il ne les rdamalt ensuite, quelle que fut la science dont ils traitaient. Il perdit a si une grande quantit de ses llvn!s, Dieu lui en sache gr. Parfois un tudiant se prsentait sa porte et demandait un livre : il le donnait mme S3'f'Oir qui il ava affaire. C'tait vraiment tonl\ilnt qu'il aglt ainsi : le t Pout tre agrable Dieu, malgr la passion qu' il avait pour les res qu'il collectionnait avec ardeur, soit en en achetant soit en en faisant copier. Un jour, j'allai le trouVfr pour lui demand r des ouvrages de grammaire. Il cherdla daM blbliot et me donna tout c qu'il y put trouver. Il a uBe grande paden pour enseigner ; il y consacrait tous les Instants du jour et and Il s'agissait de faire apprendre quelque chose d'utile un bfttre (homme de peu]. il ne se dcourageait jamais ... Abclerrahman ben Abdallah ben lmran ben Amir Es-Sa'd, Tarikh es-Soudan, tracl. O. Houdas et E. Benoist, d. Leroux, Paris, 1898. lien Albakaye Ousmane Kounta, issu d'une ligne d'rudits soufis, est plong dans la traduction des pomes des temps anciens de sa ville natale. Et son compa- triote !'crivain lbrahima Aya entreprend d'y construire une bibliothque accueillant les li- vres du monde entier que tout un chacun ddicacerait en signe de solidarit avec sa ville, aujourd' hui enclave par les nouvelles menaces du dsert. Car depuis qu'Aqmi ( al-Qaida au Maghreb islamique) a pris le dsert voisin en otage, Tombouc- tou la fascinante, la mystrieuse, est devenue l'interdite, vide de ses touristes, tout le moins franais. Valrie Marin La Mesle 1. l es Manuscrits de Tombouctou. Secrets, mythes et ralits, paratre en juin aux ditions JC Latts. 2. Georges Bohas, Itinraire d'un arabisant, Grandvaux, 2012. Le Point Rfrences 1 111 Facebook : La culture ne s'hrite pas elle se conquiert Entretien DCRYPTAGES Le nationalisme se nourrit de mythes que les historiens aident fabriquer. C'est contre cette entreprise d'idalisation que se bat l'historien Marcel Detienne. Au nom du droit au comparatisme. Marcel Detienne Le terreau du totalitaire, c'est une "Histoire soi et pour soi" ' A !'cole pratique des hautes tudes (EPHE), au dbut des annes 1960, la vision de la Grce est revisite par une nouvelle g- nration d' historiens. Leur objectif? Dpous- sirer le terrain des tudes classiques. Leurs noms? Jean-Pierre Vernant (1914-2007), Pierre Vidal-Naquet (1930-2006) .. . et Marcel Detienne, aujourd' hui professeur inrite de l'universit Johns-Hopkins aux tats-Unis. Sa passion de la vrit, ce dernier l'investit dornavant dans un nouveau champ d'action : les reprsentations identitaires et les mythologies nationalistes de notre poque. Parcours d' un rebelle. le Palnt : Des tudes grecques, vous tes pass l'anthropo- logie. Ce n'est pas la spcialit la plus vidente a priori pour comprendre la Grce antique_. Marcel Detienae: J'ai d'abord tudi les classiques grecs Lige, mais force d'entendre les hell- nistes parler du miracle grec et de cette Gr- ce si admirable qui nous aurait tant donn, j'ai fini par m'ennuyer. Je suis parti prendre l'air. Rome, d'abord, avant de rejoindre Paris, o j'ai assist, au dbut des annes 1960, aux sminai- res d'anthropologie que Louis Gernet tenait !'cole pratique des hautes tudes. Jean-Pierre Vernant les suivait galement. C'est l que j'ai dcouvert une Grce bariole, multiple, si neuve. Gernet nous invitait dtecter les singularits, dcouvrir les traces de penses sous-jacentes. Plus tard, avec Jean-Pierre, nous avons compar le culte des morts d' une culture l'autre. Com- ment traiter les dfunts ? On peut les enterrer, 112 1 Le Point Rfrences les manger, les transformer en anctres, les di- fier, les oublier ou en tre possd. Dans beau- coup de cultures africaines, au contraire des Grecs, les morts sont pris trs au srieux, ils deviennent des anctres qui interviennent constamment dans la vie quotidienne et dans les crmonies. Pourquoi, en Grce, les morts sont-ils si lgers? Au XIX 0 sicle, Fustel de Cou- langes avait pourtant magnifi l'importance du foyer et le caractre sacr des morts, qui auraient forg la personnalit de la Grce ancienne. LP.: Ce n'est pas le cas? M.D.: C'est un beau conte pour lycens, qui ont aussi t convis croire que l'histoire de Fran- ce commenait avec les Grecs : Nos Grecs ! Tout cela tait revoir; il fallait mettre la Grce en regard d'autres cultures. De nouvelles ques- tions ont alors surgi. Toujours avec Vernant, j'ai crit un livre sur la mtis, l'intelligence de la ruse, que les hellnistes associent au seul Ulys- se d'Homre. Nous, nous sommes alls plus loin, en cherchant comment les Grecs fabri- quaient de la mtis quand ils parlaient de la chasse, des comportements du poulpe, du re- nard ou du sophiste ... Dans un autre livre, je me suis demand comment l'althia, la vrit grecque, tait apparue avant de faire son entre dans la philosophie avec Parmnide. J'ai tudi une srie de traditions, mais aussi les spculations de sectes comme le pythagorisme et l'orphisme, pour montrer que la vrit y ap- paraissait comme un attribut de certains Facebook : La culture ne s'hrite pas elle se conquiert DCRYPTAGES 1 Entretien Le Point Rfrences 1 113 Facebook : La culture ne s'hrite pas elle se conquiert Entretien DCRYPTAGES matres de vrit , tels que le pote, le devin, le matre de justice, en amont ou en marge du pome de Parmnide. LP.: Dans quel but? M.D.: Mais pour mieux comprendre ce que si- gnifiaient les mots " philosophie ou " sagesse avant leur tiquetage scolaire! LP.: Mme l'ide de la mythologie, vous la remettez en cause?_. M.D.: Oui, mais c'est d'abord pour montrer qu'il s'agit d' une catgorie grecque. En anthropologie, la Grce s'est avre dominante, parce que c'est l, disait-on, que l'humanit tait passe une fois pour toutes du mythe la raison , de la pense mythique la premire rationalit. Claude Lvi-Strauss, qui nous avait beaucoup influencs, proposait de faire travailler les my- thes dans leurs rapports, leurs combinaisons, et d'analyser les codes ou niveaux de significa- tion ... Mais il disait aussi qu' un mythe est peru comme un mythe " par tout lecteur du monde entier . Formule qui m'a frapp. L P. : Pour quelle raison? M.D.: Pour que le mythe soit lu, il faut d'abord qu'il soit crit, qu'il entre dans ce qui s'ap- pelle, de Platon jusqu' nous, la " mythologie . D'o une srie de questions : comment trans- crit-on un " mythe ? Qu'appelle-t-on " mythe, M.D.: Bien sr que non. Je veux dire simplement qu'elle n'est pas la seule, et qu'il faut renoncer lui attribuer, elle seule, l'mergence d'une rationalit absolue. Ici aussi, Je comparatisme peut servir mieux comprendre les choses. L'criture grecque a certainement jou un rle dans cette affaire, en permettant de crer des nouveaux produits intellectuels, des cartes, de la gomtrie, des traits sur la dmonstration, l'observation des maladies ... Pourquoi? Sans doute parce que le systme d'criture, en Grce, n'est pas le fait de scribes et d'une caste, comme en Chine ou en Msopotamie, o il faut passer dix ou vingt-cinq ans avant d'tre vu comme un vrai lettr . En Grce, tout Je monde pouvait trs tt lire et crire. Ds le vue sicle avant notre re, l'criture alphabtique circule partout. Trs tt, aussi, elle entre dans la vie publique. L P. : criture et politique sont donc lies? M.D.: En Sicile, ds Je vme sicle avant Jsus- Christ, chaque colonie grecque crit ses lois, comme celles qui stipulent que le sang de la communaut - de la polis - ne doit pas tre vers. Dans le champ du politique, les rapports entre les individus d'une mme " communaut ont chang. L'homicide devient une affaire grave. Se dveloppent aussi de nouvelles pra- tiques collectives qui , du ct d'Athnes, se nommeront " dmocratie , le pouvoir du peu- ple. Mais il y a en Grce plus de mille cits, et autant de pratiques d'assem- ici et l? Dans !'Antiquit, des " mythographes se sont mis coucher par crit une srie de rcits locaux. Et au IV" sicle avant notre re, des philoso- phes ont oppos vigoureuse- ment mythologie et philoso- phie. Le logos, la raison, va ainsi devenir chez Aristote ~ { Ce sont les Grecs ble o les gens dbattent ensemble de ce qui semble les concerner tous. Et ce n'est pas seulement dans ce pays que se dveloppent des pratiques d'assemble. Au lieu de croas- ser que " la dmocratie est qui ont dfini ce qui est et ce qui n'est pas "mythologique". l'antithse du muthos, le rcit. Alors que chez Homre, les deux termes avaient un sens peu prs quivalent. Ce sont donc les Grecs qui ont dfini ce qui est et ce qui n'est pas " mytholo- gique . Il s'agit d'une fabrication culturelle. D'autres socits sont riches en fictions, en beaux et grands rcits, leur vie est peuple de mille petits et moyens dieux, mais " la mytho- logie oppose la raison, cela n'existe pas pour eux. L P.: Mais vous ne niez pas que la Grce a dvelopp des formes de pense rationnelle, comme la philosophie, le droit ou la gomtrie_ 114 J Le Point Rfrences grecque - le mot l' est , bien sr-, il faut aller ailleurs, au plus loin, compa- rer, voir comment on prend la parole dans tant de groupes et de socits, comment sont dis- poss les participants, ce qui se discute ou non, comment les dcisions sont prises et se- lon quelles procdures ... LP.: Mais vous montrez aussi que ride de fondation politique n'est pas universelle_ M.D.: Les Athniens ont imagin une petite my- thologie de I'autochtonie, dont ils se dclaraient les seuls propritaires vie. La fondation d'Ath- nes, c'est une affaire de famille, d'hritage, de sang noble. J'ai souhait rassembler des cher- Facebook : La culture ne s'hrite pas elle se conquiert cheurs autour de cette question, pour savoir comment on fonde , d'une culture l'autre, dans la Grce archaque, en Chine, au Japon, dans le Caucase, etc. Comment cela se passe-t-il concrtement dans des confi- DCRYPTAGES Entretien L P. : Mais quel est le problme? M.D.: C'est une folle mythe-idologie , une fabri- cation d'historiens qui se mlent de politique. C'est obscne, faux et dangereux! Quel est le pro- blme? Cela conduit la droite gurations singulires? Pour nous, l'ide de fondation semble venir de Rome et de son fonda- teur Romulus, alors qu'il s'agit d'une bande d'immigrs, et fiers de l'tre! Des spcialistes du Japon nous ont appris que dans ce pays, l'ide de fondation n'existe pas. On ne fonde pas, Beaucoup d'historiens franais prtendent que la France est "incomparable", comme leur Grce. de Barrs, Vichy, au Front na- tional d'hier et de demain. Dans les entreprises de ce genre, on ne compare pas : la France est prsente comme incompara- ble , c'est elle qui a fait la vraie Rvolution, qui a donn Las- caux .. . Le prsident de la Rpu- on restaure ce qui tait dj l. Pour crer du comparable, il suffit d'expri- menter. J'ai propos d'oublier l'ide de fondation, et de parler plutt de faire son trou . Comment fait-On son trou en Chine quand on implante une colonie? Est-ce qu'on apporte le dieu du sol ? Et Rome, qu'apporte-t-0n avec soi, outre la violence? Des pnates, des dieux lares, ou bien Vesta, la desse du foyer? Comment font les Juifs qui colonisent aujourd'hui Jrusalem? Amnent- ils la Torah, procdent-ils des gestes d'ordre rituel? Voil comment il faut procder. Pour avan- cer, il convient d'instaurer un dialogue fructueux entre des historiens et des anthropologues d- cids travailler ensemble. LP. :Vous trouvez que ce dialogue manque chez les historiens franais? M.D.: Beaucoup d' historiens franais sont du cru, ils prtendent que la France est incompa- rable comme l'est et doit l'tre leur Grce. En 1986, dans L'identit de la France, Fernand Brau- del a tenu redire que les grottes prhistoriques de Lascaux, c'est la France. Imaginez-vous! Pierre Nora, historien l'Acadmie franaise, a rcemment crit une introduction la rdition complte de l'uvre d' Ernest Lavisse, celle-l mme qui a t enseigne la communale jusque dans les annes 1970. Lavisse, cet his- torien qui, dans les annes 1880, avait mis en chantier une Histoire de la France dans laquelle celle-ci devait natre d'elle-mme. Plus rcem- ment, en marge des Lieux de mmoire, le mme Nora affirme que seule la France possde une mmoire , tandis que les Anglais ont pour leur part la tradition . Encore de l'incompa- rable, qui n'est pas seulement destin la gent acadmicienne, si l'on s'avise que le mme di- teur entend contribuer au rarmement moral de la France . blique exige maintenant d'ouvrir une Maison de l'histoire de France , aprs avoir cr un odieux ministre de l'identit nationale et de l'immigration ... Ces gens- l rcusent la possibilit mme de mettre en perspective , de se poser des questions, de re- mettre en cause leurs catgories toutes faites. L P. : Mais la France est-elle vraiment la seule cultiver ainsi son histoire 1 M.D.: Bonne question. En ce moment, justement, je travaille sur les nouvelles smantisations du vocabulaire de l' autochtonie, de ceux qui se lvent aujourd'hui en Europe pour dfinir les socits par des racines, de la terre, du sang, de l'authen- tique, de l'historiai. En Europe, nombreuses sont les populations qui s'inscrivent dans des histoires complexes, avec des revendications identitaires fortes, comme la Pologne, la Roumanie, la Hongrie, la Serbie. Souvent la rfrence aux Grecs, aux Romains, aux Indo-Europens revient en force. Et le phnomne est mondial. Regardez outre-Atlan- tique, comment on fabrique du native'" du vrai Amricain, avec des manuels d' histoire tantt intgristes, tantt mtisss, en cinquante couleurs- tats diffrents. C'est fascinant. Rappelez-vous que Barack Obama a d produire son acte de naissance parce qu'il est n Hawaii, et que la question s'est pose de savoir si un Hawaen tait vraiment un Amricain .. . Ajoutez cela la question de l'identit numrique . Comment fabrique-t-0n une identit digitale? Quel est rapport entre l'iden- tit et le corps ? Comment s'est fabrique l'ide de la personne? Voil sur quoi je travaille en ce moment, en parallle avec mes recherches sur les polythismes dans le monde, sans cesser de mettre en questions - au pluriel! - tout ce qui s'affirme sur le mode de l'unique, en croyant nous faire oublier que le vieux terreau du totalitaire, c'est une Histoire soi et pour soi . Propos recueillis par Franois Gauvin Le Point Rfrences 1 115 Facebook : La culture ne s'hrite pas elle se conquiert Portrait DCRYPTAGES Les errances Kircher Esprit encyclopdique, d'une curiosit infinie, ce militant de la foi dcouvrit beaucoup. Mais se trompa et trompa plus encore. E n cette anne 1650, Atha- nasius Kircher (1601-1680) affirme avoir perc le mys- tre des hiroglyphes gyptiens. L'Europe lettre est en moi. Ce coup d'clat fait du jsuite une sommit scientifique avec la- quelle il faut dsormais comp- ter. Le voil qui correspond avec le mathmaticien Marin Mersenne (1588-1648), l'astro- nome Pierre Gassendi (1592- 1655) ou encore le jeune Gott- fried Leibniz (1646-1716), l'un des futurs pionniers de la ratio- nalit philosophique. Kircher publie plusieurs livres sur la langue des pharaons, tous reus avec admiration : Obeliscus Pamphilius (1650), dipus /Egyptiacus (1652-1654), Obe- lisci /Egyptiaci (1666) et Sphinx mystagoga (1676). Des traductions de fantaisie Pourtant, cette prtendue d- couverte n'est qu'une illusion : Kircher voit dans les hirogly- phes un pur systme sotri- que et symbolique, non un al- phabet, et il faudra attendre le x1x sicle et Jean-Franois Champollion pour enfin com- prendre l'criture de l'ancienne gypte. L'humaniste Fabri de Peiresc, protecteur de Kircher, concevra d' ailleurs quelques soupons, lorsque le jsuite prtendra dchiffrer des hiro- glyphes purement invents (cf encadr p. 117). Comment Kircher a-t-il pu crire deux 116 Le Point Rfrences
-;, t;; 0 u 9 Athanasius Kircher (1601-1680) n'est plus connu aujourd'hui que pour ses erreurs. mille pages de traductions, alors que pour un cartouche dont on sait aujourd' hui qu'il dsigne l'empereur Domitien, il est capable de produire trois pages sur l'histoire d' Isis et d'Osiris! C'est vraiment, sinon de l'imposture, de la fantasma- gorie complte! s'amuse aujourd' hui l'historien et es- sayiste Jean-Marie Blas de Ro- bls, qui s' est tellement pas- Facebook : La culture ne s'hrite pas elle se conquiert sionn pour Je personnage qu'il l'a mis en scne dans son ro- man L o les tigres sont chez eux (Zulma, 2008). Fantasmagorie, peut-tre. Mais comment a-t-il pu convaincre avec autant de brio l'lite scientifique? Quel homme tait-il? Les informations sur sa personnalit manquent cruellement. Ce que l' on sait surtout de lui, c'est qu'il tait d' une intelligence exception- nelle, un esprit particulire- ment brillant, l'un des derniers hommes capables de matriser l'ensemble des savoirs d' une poque. m ~ ~ Esprit brillant, Kircher fut l'un des derniers hommes capables de matriser l'ensemble des savoirs d'une poque. Fils d' un docteur en thologie n en 1601 Geisa, au cur de l'Allemagne, Athanasius est un enfant prodige. 16 ans, cet lve des jsuites lit le syriaque avec autant d'aisance que le latin, Je grec et l'hbreu. Chas- Les figures toutes supposes, la fantaisie du peintre cc Spcialiste des hiroglyphes, Athanasius Kircher consacre beaucoup d'imagination leur dchiffrement ... Il avait insr l'interprtation d'un oblisque gyptien que ledit Barachias tmoigne avoir vu sur le bord de la mer Rouge, et qu'il attribue Osiris. Et y avait encore insr une sienne in- terprtation d'un oblisque mis en taille-douce entre ceux de Rome en l'dition de Hervartius, comme si c' taient ceux de Saint-Jean-de-Latran; mais je dcouvris incontinent que les figu- res taient toutes supposes, la fantaisie du peintre, comme des grotesques, qui n'avaient aucun rapport avec les vraies figu- res hiroglyphiques du mme de l'oblisque du Latran [ ... ].Ce que je fis voir [ Kircher], et avouer enfin, bien qu'avec peine, car il avait trouv de belles interprtations, et bien autorises, de toutes les figures contenues ou de la plus grande partie. En quoi il y avait bien admirer, comme l'esprit humain est ais surprendre, et comme l'imposture est aucune fois puissante, ce dont il fut bien honteux au bout du compte. Et en eut bien du regret maintenant qu'il a t contraint d'avouer l'quivoque qu'il en avait prise, ayant laiss, sans oser l'entre- prendre, l'interprtation du vrai oblisque de Saint-Jean-de- Latran, pour s'amuser celui o il n'y avait rien de vrai que les dimensions et la forme de la pierre et de ses ornements, toutes les figures ayant t supples plaisir. lettre de Fabri de Peiresc, cite in Joscelyn Godwin, Athanasius Kircher. Le thtre du monde, trad. C. Moysan, C Imprimerie nationale, 2009. DCRYPTAGES Portrait s d'Allemagne par la guerre de Trente Ans, il s'tablit en Avignon, puis Rome, o il de- vient un homme influent sous la protection du pape Urbain VIII et de ses successeurs. En une quarantaine d'ouvrages, il va aborder la plupart des domai- nes scientifiques : sciences naturelles, volcanologie, ma- gntisme, astronomie ... Rien n'chappe sa curiosit-mais celle-ci l'gare parfois. Gants, dragons et sirnes Peut-tre parce que ce savant est d'abord un religieux engag. Les troubles auxquels il a as- sist dans sa jeunesse, au cur d'une Europe o s'affrontent catholiques et protestants, l'ont- ils convaincu que l'glise devait tre dfendue par tous les moyens? Ambitieux saps doute, mais surtout profondment croyant, il n'aura de cesse de mettre son rudition au service de sa foi , quitte passer ct des grandes avances scientifi- ques de son temps. Il se pro- nonce ainsi contre le systme copernicien, pour prfrer Je modle ancien qui place l' hom- me au centre de l'univers, com- me Je montre son ltinerarium exstaticum (1656), rcit d'un voyage dans le systme solaire. Il nie les rsultats des exprien- ces du physicien Evangelista Torricelli (1608-1647) qui d- montrent l'existence du vide. Lui est convaincu que l'on peut faire renatre les plantes de leurs cendres ; il croit aux gants, aux dragons, aux sirnes, et aux cratures fabuleuses; il prend la peine de dresser la liste des cratures nes d'accouplements contre-nature : la girafe (issue d' une panthre et d' un cha- meau) , le tatou (croisement d'une tortue et d' un hrisson) , ou encore la marmotte (mi- martre, mi-cureuil). Le Point Rfrences J 117 Facebook : La culture ne s'hrite pas elle se conquiert Comme beaucoup d'hom- mes de son temps, le jsuite est attach tablir la vrit litt- rale de l'Ancien Testament. Il rve d'une langue universelle, cho de celle parle avant la maldiction de la tour de Babel, selon laquelle Dieu aurait puni les hommes en les contraignant parler plusieurs idiomes. Il a rat avec gnie la rationalit! analyse encore Jean-Marie Blas de Robls. Pour moi, c'est un dinosaure, quelqu' un qui tient plus du Don Quichotte que d'un scientifique de son poque. Astronomie et mdecine Pourtant, cet adepte des anges est capable (parfois) de rigueur scientifique, comme d' intui- tions fort justes. En 1638, il accompagne Frdric de Hesse- Darmstadt en Italie du Sud, en Sicile et Malte. L' occasion pour lui d' assister aux rup- tions de l'Etna et du Strom- boli, et de descendre au bout d' une corde dans le Vsuve en tat d'ruption latente (cf en- cadr ci-contre). Il sait faire preuve l' occasion d' esprit d'observation, comme en 1656, lorsque la peste bubonique se dclare Rome. Kircher exa- mine le sang des cadavres au microscope pour dterminer les causes de l'pidmie, et suggre que la maladie peut tre dclenche par des ger- mes, des micro-organismes, et non par des humeurs, comme on le pensait alors. Passionn par l'astronomie, il fabrique un tlescope pour observer les taches solaires, et est aussi l'un des premiers dpeindre Ju- piter et Saturne, qu' il repr- sente toutefois sans son an- neau complet. De m me livre-t-il de nombreuses obser- vations pertinentes sur les comtes et les clipses, utili- ses plus tard par des astrono- 118 Le Point Rfrences Il Je crus que je plongeais le regard dans le royaume des morts En 1638, Athanasius Kircher se fait descendre au bout d'une corde dans le cratre du Vsuve. j'atteignis Portici, la ville au pied de la montagne, et de l je fus conduit par un brave paysan qui connaissait le chemin, auquel je payais une belle somme. Au milieu de la nuit je gravis la montagne par des chemins durs et accidents. Quand j'eus atteint le cratre, c'est horrible raconter, je le vis tout allum de feu, avec une exhalaison intolrable de soufre et de bitume brlant. Abasourdi par le spectacle inou, je crus que je plongeais le regard dans le royaume des morts, et voyais les phantasmes horribles de dmons, pas moins. je perus le grognement et la secousse de la montagne affreuse, la puanteur innommable, la fume noire mlange des globes de feu que le fond et les flancs de la montagne vomis- saient continment d'onze endroits diffrents, me forant par moments la vomir moi-mme ... Quand l'aube se leva, je dcidai d'explorer avec zle toute la structure intrieure de la montagne. je choisis un endroit sr o je pouvais trouver une prise de pied ferme, et descendis jusqu' un gros rocher la surface plane auquel la pente de la montagne donnait accs. L j'installai mon pantomtre et mesurai les dimensions de la montagne. Athanasius Klrcher, Mundus subterraMUS (1664), in Joscelyn Godwin, Athanasius Kircher. Le thtttre du monde. mes comme Giovanni Dome- nico Cassini (1625-1712) . Kircher est aussi un pionnier des tudes orientales. Sa rpu- tation et son influence dans les cercles romains lui permettent de correspondre avec des j- suites du monde entier, notam- ment ceux installs en Chine o la Compagnie de Jsus est pr- sente depuis le XVI" sicle. Parmi eux, Martin Martini (1614-1661), l'un de ses anciens lves de- venu le mathmaticien attitr de la cour impriale. Kircher lui-mme avait rv d'y tre envoy, au point de solliciter en vain une mission sur place. Qu' cela ne tienne : il compi- lera les observations de ses correspondants (dont certains se sentiront d'ailleurs pills) pour signer l'un de ses ouvrages les plus influents, la China mo- numentis illustrata (1667). Alors imposteur ou gnie ? Kircher tait l'enfant de son temps, nourri de curiosits scientifiques, mais aussi adep- te d' une conception du monde dpasse. Aprs sa mort , Rome en 1680, son nom tombe dans l' oubli. La postrit le jugera anachronique, la tra- ne des grandes rvolutions de son sicle. Mritait-il un t el ddain? Le jsuite curieux mais peut-tre trop parpill incar- nait pourtant l'un des derniers flamboiements de l'utopie hu- maniste : un rve de savoir universel. Sophie Pujas Facebook : La culture ne s'hrite pas elle se conquiert ~
~ 11. ~ <9 DCRYPTAGES La mmoire longue La maison du docteur Blanche De 1821 1890, Montmartre puis Passy, la famille Blanche soigna et rconforta les beaux esprits du sicle en proie la folie. Au centre, la Folie-Sandrin, premire maison de sant du docteur Blanche, aujourd'hui rue de Norvins, Montmartre. O n n' imagine pas qu'il puisse rester Montmar- tre un recoin d'authenti- cit. Il faut dpasser la place du Tertre et prendre la rue de Nor- vins, qui serpente en biais sur la Butte, pour trouver la vaste grille du numro 22, peut-tre le dernier rempart contre l'assaut des touristes. Derrire les bar- reaux, une vole de marches, une jolie cour la franaise. Au fond, la demeure, immacule, presque mditerranenne der- rire ses volets clos. Difficile de croire que cet endroit, au XIX" si- cle, tait peupl de fous. C'est pourtant ce qu' annonce une plaque, installe devant l'difice. Ici se tenait la clinique du doc- teur Blanche, spcialiste des maladies mentales. C'est un ha- sard pourtant si la maison, di- fie en 1795, s'appelle la Folie- Sandrin ,du nom de son premier propritaire, un riche marchand de vin. Une folie , l'poque, tait une maison de campa- gne. Naissance de l'asile Montmartre n'tait alors qu'un village tranquille o poussait le raisin. En 1808, la folie est rachete par un mdecin, Pierre-Antoine Prost, qui la convertit en maison de sant. L'endroit va accueillir de grands laisss-pour-compte : les fous. Avant la Rvolution, ils sont enferms en prison sur ordre du roi ou sur placet de leur fa- mille. En 1788, deux mdecins, Franois Doublet et Jean Colom- bier, dnoncent auprs du gou- vernement le terrible sort fait aux alins, et prconisent la cration d'asiles psychiatriques. Ces institutions verront lente- ment le jour, jusqu' la loi de 1838 qui impose chaque d- partement d'ouvrir un tablis- sement psychiatrique. Dj, Philippe Pinel (1745-1826) est l'uvre. Nomm l'hpital de Bictre le 6 aot 1793, celui que l'on baptisera le pre de la psychiatrie franaise prco- nise une mthode humanis- te : couter, consoler, rassu- rer , et change les mthodes de traitement. Esprit Blanche, son lve, va donner leurs Le Point Rfrences 1 119 Facebook : La culture ne s'hrite pas elle se conquiert La mmoire longue lettres de noblesse ces pratiques. Jeune mari, il ra- chte la folie Sandrin en 1821. Voisin du compositeur Hector Berlioz, proche du pote Alfred de Vigny, il est dcrit par Alexan- dre Dumas comme l'ami de tous les fous intelligents . Le critique Jules Janin, l'une des stars du Journal des dbats, d- crit ainsi sa pratique dans son Histoire de la littrature drama- tique (1853): Tel qu'on lui avait conduit, qui se croyait Homre ou Talma, il le renvoyait, au bout de six mois, persuad qu'il s'ap- pelait Boniface ou Bernard [ . .. ]. Mais autant il tait sans piti pour les humiliations mrites, autant il tait plein de grce et de bienveillance paternelle pour l'artiste dcourag, pour l'cri- m DCRYPTAGES vain mal compris, pour le rvo- lutionnaire convaincu, pour l'me grande et souffrante, pour l'intelligence puise avant l'heure; alors il apaisait, il cal- mait, il consolait, il relevait , il encourageait son malade. li le ramenait dans les sentiers connus ; il le traitait comme un pre traite son enfant. Luxe, calme et douceur : son institution fonctionne selon un schma quasi familial. Les ali- ns bnficient d'entretiens particuliers et partagent les repas de la famille. Mais le " co- cooning a un prix : 3000 francs par an, une somme considra- ble pour l'poque. Trop cher pour madame Aupick, mre de Baudelaire qui, en 1860, renonce y placer son fils , d- Je m'appelle le frre terrible Grard de Nerval entretiendra avec mile Blanche une relation complexe, qui s'exprime dans cette lettre dlirante, parseme d'allusions sotriques. Je ne sais plus si vous avez trois ans ou cinq ans, mais j'el) ai plus que sept et j'ai des mtaux cachs dans Paris. Si vous m'ap- pelez vous-mme le GO je vous dirai que je m'appelle le frre terrible. [ ... ] Vous vous plaignez de ce que je vous avais mca- nis[ ... ], devant Emmanuel je n'avais parl que de mes douleurs et de mes plaies; j'en ai naturellement sept. Je n'ai montr que celle du pied, les autres ont t vues par mon pre, et par une dame qui est fidle et isralite [ ... ).Ainsi, mon cher mile, je me mets nu devant vous : n' abusez pas de mes confidences, je vous donne volontairement des armes mme contre moi parce que n'ayant que des amis, je ne puis supporter la pense d'avoir pour l'avenir combattre mme un nuage d'inimiti[ ... ). Au revoir, mon cher m i l e , je sais que vous m'enfermez pour que je travaille et si je ne fais que vous crire votre sollicitude pour ma gloire aura t bien utile. Votre affectueux, Grard de Nerval. 120 1 Le Point Rfrences Lettre de Nerval mile Blanche, 13 octobre 1855, in uvres compltes, 1, GalUmard, Bibliothque de la Pliade, 1989. truit par la drogue et les mala- dies vnriennes. Mais en dpit de son cot, la clinique ne d- semplit pas. Les traumatismes de la Terreur et les stigmates de l'Empire ont marqu les es- prits. La folie fleurit, elle est mme en vogue, porte au pi- nacle par les romantiques, avi- des de tourments, puis par les symbolistes. Rimbaud n'crit-il pas, dans sa Saison en Enfer : J'ai jou de bons tours la folie, et le printemps m' a ap- port l'affreux rire de l'idiot ? Au XIXe sicle, des clats poti- ques maillent jusqu'aux rap- ports des psychiatres. La muse folle Dans les archives de la Salp- trire, auscultes par l'histo- rienne Laure Murat (La Maison du docteur Blanche, JC Latts, 2001), on peut lire le commen- taire suivant : Elle a vu le Soleil tomber ses pieds. Une note pratique qui s'apparente un pome ... Libre des cachots, la folie insuffle au sicle une ins- piration nouvelle. La mlancolie, chante en vers par Verlaine, Mallarm ou Huysmans, n'est plus une tare, c'est un atout lit- traire. Perdre l'esprit semble d'ailleurs l'poque l'apanage des auteurs les plus en vue. Il est vrai que la consommation de nouvelles drogues -l'opium, le haschisch, !'absinthe-, mais aussi certaines maladies vn- riennes comme la syphilis (trs la mode, elle aussi) favorisent le dveloppement des patholo- gies mentales. Grard de Nerval , l'auteur dli- cat des Filles du feu, en sait quelque chose. Je suis le T- nbreux, - le Veuf, - !'Inconso- l , se plaint l' auteur d'El Des- dichado qui, aprs avoir connu l'horreur de la maison de cor- rection Sainte-Colombe lors d'une premire crise, s'empres- Facebook : La culture ne s'hrite pas elle se conquiert se de courir chez le docteur Blanche chacune de ses at- taques nerveuses . Il y est intern une premire fois pour manie , en 1841, est re- mis sur pied, mais doit y revenir en 1853. Esprit Blanche n' est plus l, mort un an plus tt : la clinique a t reprise par mile, son fils . La famille Blanche a quitt la folie Sandrin, devenue trop petite, pour s' installer Passy, dans l'htel de Lamballe, 17, rue Berton, actuelle rue du Roc. quelques pas de l vit Balzac, qui voquera plusieurs fois Je docteur Blanche dans sa Comdie humaine. Le meilleur des hommes La vaste proprit, qui sous la monarchie a accueilli les favoris du roi , jouit d'un parc de cinq hectares : le prestige des lieux ajoute la rputatio.n mondaine de l'tablissement. On dfile c chez les Blanche en crinoline et redingote, partageant qui un dner mondain, qui une sance de bains tides destins cal- mer les nerfs. mile Blanche, comme son pre, favorise le dialogue et l'coute. Il semble ainsi qu'en guise de thrapie il ait encourag Nerval crire. Je vous envoie deux pages qui doivent tre ajoutes celles que je vous ai remises hier , crit le pote au meilleur des hommes . Je continuerai cette srie de rves si vous vou- lez, ou bien je me mettrai faire une pice. Le pote ne gurira pas. La nuit du 26 jan- vier 1855, il se pend une grille de la rue de la Vieille-Lanterne, Paris. Un chec pour Blanche, qui conserve pourtant la confiance de l'lite intellectuel- le et artistique. Il noue des liens d'amiti avec les Halvy, clbre famille d'ar- tistes et d' intellectuels dont plusieurs membres vont occu- 0 t ~
u @ DCRYPTAGES La mmoire longue per ses chambres. Il accueille Charles Gounod, momentan- ment perdu pour l'art , selon Le Figaro du 8octobre1857. En proie de graves bouffes dli- rantes, le compositeur ressort guri, le 14 octobre 1857 . mile Blanche {182cri893) en 1890. La Commune de 1870 fragilise l'quilibre de l'institution. Blan- che nourrit son petit monde en cultivant les lgumes de ses serres, mais l'homme est affai- bli. Le 5 janvier 1872, la raison sociale de l'institution est cde au docteur Andr-Isidore Meu- riot, mme si, entour de ses plus fidles amis, les Halvy, le collectionneur d' art Joseph Fioupou, le critique Edmond Matre, et Georges Bizet, dont la femme fait partie des pension- naires de la maison, mile conti- nue de superviser le traitement des patients les plus atteints. son grand regret, son fils Jac- ques-mile (1861-1942) embras- se une carrire de peintre et d'crivain. Le jeune homme fr- quente Degas, Boldini, Puvis de Chavannes et Henri de Rgnier. C' est lui qui ramne rue de Passy, en 1890, n marchand de tableaux hollandais de 33 ans, Tho Van Gogh, frre de Vin- cent, en proie une excitation maniaque . Le jeune homme ne survit pas sa dmence. Pas plus que le dernier patient d'mile, Guy de Maupassant, qui entre la clinique en 1892, dtruit par la syphilis. Il y meurt en juillet de l'anne suivante, laissant derrire lui une produc- tion l.ittraire hante par la folie, qu'il a dcrite et analyse bien avant d'avoir succomb au ter- rible mal , crit Le Figaro lors de l'admission de )'crivain la clinique. Le 15 aot 1893, mile succom- be son tour, d' un cancer des intestins. Le tout-Paris se pres- se son enterrement. Mais la clinique ne survit pas sa gloi- re et priclite doucement. Le docteur Meuriot reoit encore quelques patients, dont l'di- teur Albin Michel. En 1922, la proprit est vendue, la clinique transfre rue de Charonne, puis Villeneuve-Saint-Georges. Aprs avoir t occupe par les nazis pendant la Seconde Guer- re mondiale, la maison de Passy revient finalement l'ambas- sade de Turquie. Derrire les fentres, aujourd'hui, on ne voit que des bureaux. Dans le parc ont pouss des rsidences en bton. Difficile, moins d'tre illumin , de retrouver en ces lieux la villa fashionable, et mme aristocratique dcrite par Nerval .. . lise Lpine Le Point Rfrences 1 121 Facebook : La culture ne s'hrite pas elle se conquiert L'.ESPRIT ANGLAIS Shakespeare, Lewis Caron, Oscar Wilde ... L'humour pince-sans-rire des Anglais vaut bien le " mot d'esprit .. dont les Franais sont si fiers. GALEMENT DISPONIBLES : LA PENSE POLITIQUE Machiavel, Locke, Rousseau, Tocqueville, Marx ... liMMi@Mij:i LES TEXTES QUI ONT CHANG LE MONDE Copernic, Darwin, Einstein, Freud, Luther, Marx .. l;[email protected]@I PENSER !:HOMME Sartre, Camus, Foucault , Levinas
LA PENSE JUIVE Mamonide, Mendelssohn, Buber, Levinas, Arendt... i;MMCiiltb1:1 SHOPENHAUER, KIERKEGAARD, NIETZSCHE l;Mlilfitli:W MYTHES ET MYTHOLOGIES dipe, Sisyphe, Osiris, Icare i;MiiliMil LA PENSE CHINOISE: Confucius, Lao-Tseu, Tchouang-Tseu ...
LE LIBRALISME Smith, Tocqueville, Hayek ... l;MMi61t$iji LAFRANC- MAONNERIE Graham, Anderson, Ramsay ... La franc-maonnerie fascine autant qu'elle rebute, mais que se cache+il derrire cette mauvaise rputation ? Rf.: 314016 LE CHRISTIANISME saint Paul, saint Thomas, Luther, Wesley .. . LA PHILOSOPHIE MODERNE Spinoza, Kant , Hegel l;MllCl@is!li !:ROTISME Ovide, Sade, Bataille, Apollinaire .. i;MMi&t.$11 LA PSYCHANALYSE Freud, Jung, Ferenczi , Klein, Lacan .. i;fuiii@t.!il LES RELIGIONS D'ASIE hindouisme, bouddhisme, taosme
LA PENSE EN ISLAM Avicenne, Averros, Al -Ghazali , Ibn Khaldoun .. . .. LA PENSE ANTIQUE Aristote, picure, Platon l;Miiijt.pt;i !:SOTERISME kabbale, franc-maonnerie, soufisme ... LES RELIGIONS MONOTHISTES judasme, christianisme.islam COMPRENDRE L'.AUTRE C'est dans l'opposi - tion aux autres que l'homme se dfintt le plus aisment. ,.:. LA LIBERT L'homme n'a pas de nature .. . Il n'est ri en de dtermin a priori. En cela rside sa totale libert. Rf. : 314058 LE BONHEUR Epicure, Marc- Aurle, Rousseau, Bouddha, Confucius ... Bonheur, flicit, sr- nit, jouissance : les noms varient , la qute demeure. Rf.: 314012 Le coffret reliure Ce superbe coffret en toile tisse vous permettra d'archiver tous vos hors-sries. Facebook : La culture ne s'hrite pas elle se conquiert LA RENAISSANCE Ptrarque, Montaigne, Pic de la Mirandole, Ficin, rasme ... La Renaissance nous apporte lenvie de recrer le monde. Rf.: 314076 LE ROMANTISME Goethe, Hugo, Musset, Byron ... Les romantiques annon- cent ce que nous sommes: individualistes, en qute de repres et d'idaux. Rf.: 314053 LA PENSE NOIRE Malcolm X, Aim Csaire, Martin Luther King, Frantz Fanon .. . Des cris de douleur ou de rage, mais aussi des appels au pardon ... Rf.: 313100 l.'.ME RUSSE Dostoevski , Tolsto, Pouchki ne, Tchekhov, Gogol .. . L'me russe si passionne, ngatif de l'esprit franais, intellectuel et retenu ? Rf.: 314070 PENSER LA MORT Platon, Snque, picure, Confucius .. . Penser la mort, n'est-ce pas d'abord penser la vie? Mais que vaut cette vie, quand la science offre l'es- prance de l'immortalit? Rf.: 314044 LES TEXTES MAUDITS : Ovide, Spinoza, Sade ... Mourir pour des livres? Combien de cor ps calci ns tmoignent travers les sicles de ce sacrifice ? Rf.: 313077 SEXE ET RELIGIONS Toutes les religions se sont passionnes pour le sexe, mais toutes n'en ont pas eu peur. Rf.: 314066 LA PENSE DES LUMIRES Voltaire, Rousseau, Diderot, Hume ... Les Lumires ont im- pos la raison contre la superstition. Rf.: 314039
FRANAIS Montaigne, Voltaire, Beaumarchais, Hugo ... On loue la grandeur de l'esprit Franais, son l- gance, son intelligence et sa profondeur. Mais existe-t-il vraiment? Rf. : 313072 [.i? OU 1, je commande des hors-sries du Point au prix unitaire de 6,50 . PHSX C\I ;a
"' ::> "' -::> 5f .2. J'indique la rfrence des hors-sries choisis : LLJ Hors-srie(s) au prix de 6,50 : .... .. .................. ........ ..... .. .... ... ........ .. .............................. .. ........................ 1 1 1 1, L_l_J Participation aux frais de port : .......... ................ ........ ... .... ....................... ........................ ... .. ... ..... .... ..................... L1J, LLJ Coffret(s) reli ure au prix de 11,50 : .. .... ....... .. ... ... ................ , ............. ............ ....................................... ... 1 1 1 1, L_l_J 5 TOTAL de ma commande Mil;t#JM=n 1 Je joins mon rglement de : 0 Par chque l'ordre du Poi nt 0 Par carte bancaire Date d'expiration : 1 Date et signature Cryptogramme : SaMsez les 3 derniers inscrits au verso de YOtre carte Je suis abonn au Point: D oul 0 NON Si oui, j'indique mon n' d'abonn 1 91:! 74 avenue du Maine, 75682 Pari s Cedex 14 - Tl. : 01 55 56 71 26 ... .. ioMOW SEBOO S.A. au capital de 10 100 160 e. 312 408 784 RCS PARIS. MES COORDONNEES Prnom : -------------------- Adresse :-------------------- Code postal : Vi lle : _________ _ e-mai l : --------------------- Conformment la loi informatique et Liberts, vous dis1X>sez d'un droit de rectification aux informations vous concer- nant. Elles pourront tre cdes des organismes extrieurs sauf si vous cochez la case ci-contre D Dans la li mite des stocks disponibles. Dlai de livraison : 4 semaines maximum. Facebook : La culture ne s'hrite pas elle se conquiert Ides et essais DCRYPTAGES Ides et essais Archologie ...... QUMRAN, OU LA FAUSSE PISTE Loin des thories du complot, ce que nous apprennent vraiment les manuscrits de la mer Morte. Q uelle est la vritable origine des manuscrits de la mer Morte 7 Depuis leur dcou- verte par des Bdouins en 1947 dans des grottes du dsert de Jude, ces vieux textes juifs ont suscit bien des interrogations et des fantasmes. Qui les avait rdigs 7 Pourquoi les chercheurs mettaient-ils si long- temps en rvler la teneur 7 tait-ce parce qu'ils mettaient en danger le dogme chrtien 7 Dans ce livre crit quatre mains avec son pouse Claudia, le bibliste Simone Paganini, de l' Institut d' tu- des bibliques et thologiques de l' universit d' lnnsbruck (Autriche), dresse le bilan des dernires recher- ches et tord le cou aux rumeurs, notamment la thorie d'un complot du Vati can, quitte dcevoir les amateurs de mystre. Probablement rdigs entre le 11 si- cle avant ).-C. et le 1' sicle aprs J.-C., ces textes entreposs sous forme de rouleaux ont souvent t rduits en poudre par le manque de soins de ceux qui les ont dcou- verts, puis tudis. Entreposs aprs leur dcouverte dans des conditions lamentables, quelques- uns n' taient plus que fragments. Ceux qui ont chapp au massacre ont t analyss pendant de lon- gues annes dans des conditions chaotiques par une petite quipe de savants individualistes dont les 124 1 Le Point Rfrences maux personnels, alcoolisme et dpression notamment, ont ajout au gchis. Ces conditions de travail expliquent, selon Paganini , la len- teur des rsultats, et l'exaspration des chercheurs empchs de tra- vailler sur une source aussi exci- tante. Car que rvlent ces manuscrits 7 Des dizaines de textes d'une littra- ture juive dont l'existence mme n' tait pas souponne. Mais contrai rement la thse qui a orient ds le dpart les recherches, ils n' ont que peu voir avec les Essniens, ces radicaux de la puret dont saint Jean-Baptiste aurait t proche, et qui auraient influenc Jsus. De sources multiples, ils t moignent au contraire de la vie religieuse trs agite que connat le monde juif sous les dynasties des Hasmonens puis des Hrodiens. Ils remettent ainsi en question la place donne aux pharisiens par le Talmud de Babylone ; ils clairent galement sur les sources intellec- tuelles et thologiques qui ont ali- ment l'entourage de Jsus. Ainsi ce texte, qu'on pourrait croire extrait du rcit de !'Annonciation : Et l'ange lui dit : Ne crains pas, Marie, car tu as trouv grce auprs de Dieu. Saint Luc ? Pas du tout : il est issu du fragment 4Q246, ant- rieur de plusieurs dcennies au texte vanglique. Dcouverte dran- geante pour qui veut lire les van- giles de manire littrale mais qui , pour l'historien, dlivre une source d' information inoue sur les origines du christianisme. Quant Qumrn, ce site archolo- gique que l' on a voulu lier aux manuscrits des grottes, son origine reste un mystre ... On sent souvent dans ce livre l' irritation des auteurs devant le gaspillage d' informations, mais aussi les fadaises qui ont tor- pill l'exploitation du trsor de Qumrn. Mais on peut leur faire crdit de leur fair-play : leur biblio- graphie indique mme les thses qu ' ils condamnent. Du bel ouvrage. Catherine Golliau Simone et Claudia Paganini, Qumrn, les ruines de la discorde, traduction Viviane Dutaut, Bayard, 299 p., 19 . Facebook : La culture ne s'hrite pas elle se conquiert DCRYPTAGES Ides et essais Littrature TRADUIRE, QUELLE HISTOIRE 1 11 c eci n'est pas un manuel de traduction, annonce '' d'emble la quatrime de couverture. Mais un guide de voyage. Ici, point de mthode, point de thories fastidieuses sur les techniques de tra- duction, mais une histoire tisse de multiples anec- dotes, qui nous mne de Babel au procs de Nurem- berg en passant par l' vangile selon saint Matthieu, les coles d'Istanbul ou encore les shunkouliu, ces irrsistibles petits rcits satiriques chinois qui ont donn bien du fil retordre des gnrations de traducteurs chevron- extrait) . l'heure o le dbat fait rage entre les dfenseurs d' un anglais conqurant et ceux qui, comme Claude Hagge, dnoncent le danger d' une langue hgmonique, vecteur d'une pense unique, le propos de cette ode au mot juste prend tout son sens. Victoria Gairin ns. Qu'est-ce qu' une belle infidle ? Peut- on tout traduire? La substitution est-elle une trahison? Y a-t-il autant de traductions que de traducteurs? Autant de questions auxquelles David Bellos, professeur de littra- ture franaise et com- pare Princeton, tente de rpondre. Chez cet amoureux des mots, on croise Charlie Chaplin, Christophe Colomb, mais aussi Marot, Kafka, Perec, Luther, Makine .. . ainsi que des dynasties, voire des communauts de tra- ducteurs au rle politi - que essentiel (voir noter Il David Bellos, Le Poisson & le Bananier. Une histoire fabuleuse de la traduction, traduit de l'anglais par Daniel Loayza avec la collaboration de l'auteur, Flammarion, 394 p., 22,90 . Les jeunes de la langue Dans les dernires annes du 'Jl:ol sicle, Venise envoya Istanbul, pour des priodes de deux ans, des plni- potentiaires chargs d'administrer le bailo, quelque chose comme une cole de traduction. Le bailo recru- tait travers tous les territoires vnitiens ou ottomans des adolescents qu'on appelait les jeunes de la langue[ ... ] pour en faire de loyaux sujets de La S- rnissime, capables de parler italien et de s'entretenir avec les Turcs. Un grand nombre de ces recrues pro- venait de la communaut hellnophone de confession catholique romaine qui habitait Pra (Phanari en grec), un quartier d'Istanbul, et les Phanariotes finirent par devenir une caste de traducteurs hrditaires au sein du monde stratifi de la socit ottomane. [ ... )Ces talents leur valurent la fortune et la noblesse. David Bellos, Le Poisson & le Bananier. Une histoire fabuleuse de la tmduction, Flammarion, 2012. Voter avec Rousseau ou les Confessions (Livre de Poche) . Mais qu' a Rousseau nous dire, l'heure des lections qui s'an- noncent? Dans un essai trs pda- gogique, Jean-Paul Jouary fait le point sur la pense politique de l' auteur du Contrat social. Le suf- frage universel, la place de l' ar- gent, les droits des trangers : appuye sur de larges extraits, sa dmonstration revient sur les thses essentielles de Rousseau concernant l'art d'tre citoyen. Et dmontre qu ' elles peuvent s' inscrire dans les dbats d'aujourd'hui. Sophie Pujas 2012, anne Rousseau. l'occa- sion du tricentenaire de sa nais- sance, les rditions se multi- plient. L'occasion de relire le Discours sur l'origine et les fonde- ments de /' ingalit parmi les hommes (Garnier-Flammarion), Jean-Paul Jouary, Rousseau, citoyen du futur, Le Livre de Poche, 236 p., 5,50 . galement disponible en Audiolib, lu par l'auteur et Daniel Mesguich. Le Point Rfrences 1 125 Facebook : La culture ne s'hrite pas elle se conquiert Ides et essais DCRYPTAGES Histoire MARIANNE, MARS El LLAISE ET BONNET PHRYGIEN l'heure o la trs tricolore Marseillaise est parfois siffle dans les tribunes des stades, l'historien Bernard Richard revient sur les symboles de la Rpublique et de ses valeurs. Q uelle est la signification des trois couleurs du dra- peau? D'o vient la devise Libert, galit, Fraternit ? Quelle est l ' origine du bonnet phrygien? L'h istorien Bernard Richard, spcialiste des symboles rpublicains, a dcortiqu chaque signe incarnant la Rpublique et ses valeurs , son origine, sa signifi cation, ses transformations. Les Emblmes de la Rpublique auraient insi pu s' appeler Com- ment la Rpublique a construit sa promo . Compose initialement par Rou- get de Lisle pour l' arme du Rhin en 1792, puis adopte et rebap- tise par les troupes fdres montant sur Paris pour dfendre la patrie en danger, La Mar- seillaise est l'exemple mme du symbole fdrateur d' un pays en crise. Pendant les guerres rvo- lutionnaires, tel gnral rclame un renfort de mille hommes ou une dition de La Marseillaise . Un autre affirme : )'ai gagn la bataille, La Marseillaise comman- dait . Consciente de son impact sur les troupes, la Convention la dclare chant national le 14 juillet 1795. La figure de Marianne, personni - fi cation de la Rpublique, sera elle aussi vnre quasi religieu- sement dans les milieux rpubli - cains, particulirement en pro- vince. Il n'est pas rare la fin du 126 1 Le Point Rfrences x1x sicle de voir des processions avec sa statue, et les maires de l' poque installent un buste son effigie pour marquer leur attachement la Rpublique . Mais en ces temps troubls o la Rpublique est souvent contes- te, il faut justifier et expliquer les symboles chaque change- ment de rgime . En 1880, on discute ainsi encore du sens vri - table du 14-)uillet comme fte nationale. Que doit-on comm- morer : la prise de la Bastille (1789) ou la Fte de la Fdration (1790)? Pour ne froisser per- sonne, aucune anne n'est prci- se . En 1900, l' inauguration de la statue de Garibaldi Dijon est aussi source de scandale . La veille, des calotins ont recouvert d' immondices ce symbole du rpublicanisme lacard . Au conseil municipal, les socialistes mena- cent : La prochai ne fois que des manifestations clricales se pro- duiront au sujet de Garibaldi, on dboulonne saint Bernard ! Aujourd'hui que l' identit natio- nale et la protection de la rpu- blique laque sont redevenues des enjeux politiques, Bernard Richard n'est pas le dernier dplorer un dsintrt croissant des Franais pour les symboles de Marianne. Mais pourquoi insiste-t -il sur la mconnaissance suppose des Franais issus de l' immigration? )'ai cherch comprendre pour- quoi certains jeunes d' origine trangre sifflaient La Marseillaise, par exemple. )'en ai conclu qu' ils devaient mal connatre son his- toire, ou qu' ils rejetaient le sym- bole d' une France qui ne les accepte pas. Je ne leur jette pas la pierre, notre pays a failli, mon sens, son devoir d' intgration. Mais je me suis peut-tre mal exprim ... Peut-tre. Il n'emp- che, son voyage au pays des sym- boles et des lieux de mmoire rpublicains vaut le dtour. Sabrina Dufourmont Bernard Richard, Les Emblmes de la Rpublique, CNRS ditions, 430 p., 27. Facebook : La culture ne s'hrite pas elle se conquiert DCRYPTAGES Ides et essais Champion des mots et des dicos Spcialiste du savoir pur et dur, la maison Honor Champion, dirige par Jean Pruvost, se refait une jeunesse avec des ouvrages futs et rudits .. Comment faire exister et durer dans le temps un livre dont on sait ds le dpart qu'il ne sera pas un bestseller? C'est le dfi qui se pose Jean Pruvost, directeur ditorial d'Honor Champion. Longtemps, le quai Malaquais, deux pas de l'Acadmie fran- aise, abrita l'historique maison d'dition et librai- rie fonde en 1874 par un ancien commis de librai- rie, Honor Champion (1846-1913). L'autodidacte deviendra l'diteur de la correspondance de Cha- teaubriand, mais aussi d'un Atlas linguistique de la France et de collections prestigieuses comme la Bibliothque littraire de la Renaissance. Depuis sa cration, quelque 7000 livres sont sortis de cette maison rachete en 1965 par l'diteur suisse Michel Slatkine. Et si la librairie, plus petite, est aujourd'hui situe prs du thtre de l'Odon, elle est toujours dote d'un opisthodome : Le mot vient du grec opistho, " l'arrire", l o le lecteur vient s'asseoir, prcise son directeur. Honor Champion se veut l' diteur de l' rudition plaisante. Grand collectionneur de dictionnaires devant l'ternel, Jean Pruvost a mis sa passion au service de sa maison en lanant la collection Champion les dictionnaires, avec au programme le Dictionnaire du dsir de la Politique LA GUERRE LGITIME? des droits de l'homme, dont l' intervention libyenne. Il existe des bonne chre, le Dic- tionnaire de Londres ou encore le Diction- naire du football . Il propose aussi la col- lection Champion les mots , petits livres pour tous qui racontent l'histoire d'un mot sur cinq sicles, Le Chat, Le Chocolat, ou encore Les lections, avec un index, marque de fabrique de la maison. Mais aussi, pour mieux faire connatre des auteurs en marge des grands classiques du catalogue, Champion passeurs d'ides, inaugure avec La Comtesse de Sgur, raconte par Michel Legrain. Je souhaite ouvrir la maison un public cultiv ou passionn , explique Jean Pruvost. Reste tre rentable ... Dans le crneau du savoir pur et dur, rares sont ceux qui peuvent s'offrir le Dictionnaire Beckett (180 euros), cartonn dans le clbre jaune Champion et prsent dans toutes les bibliothques et labora- toires de recherche. Fabriqu pour la prennit de la recherche fondamentale, ce type d'ouvrage est soutenu par des subventions. De fait, sur 150 nou- veauts annuelles, seuls quelques titres dpassent les 300 exemplaires et passent alors en broch, ven- dus 50% moins cher. Nous ne publions pas ici un livre pour faire des fortunes. Mais parce qu' il doit exister. Noble mission ... Yalrie Marin la Mesle L a tentation du bien est-elle plus dangereuse que celle du mal? Les idaux dmocratiques sont- ils condamns s' autodtruire? Telles sont les questions auxquelles s'attache Tzvetan Todorov dans un essai volontairement polmique : Les Ennemis intimes de la dmocra- tie. Le penseur y pointe le paradoxe de valeurs humanistes que l' Occi - dent s'est arrog le droit d' imposer par la violence, parfois en les liant des intrts plus concrets . Il recense les guerres menes au nom guerres lgitimes : celles d'autod- fense[ ... ], celles qui empchent un massacre (l' intervention vietna- mienne qui a interrompu le gno- cide cambodgien, en 1978-1979, en serait un rare exemple), estime-t-il. Ne sont en revanche pas lgitimes les guerres[ ... ) dont la justification est d' imposer un autre pays un ordre social suprieur ou d' y faire rgner les droits humains. Car la certitude de dtenir un modle uni- versel mnerait l'arbitraire. Le philosophe s'efforce de dresser la gnalogie de ce messianisme politique , hrit des Lumires, et dont la colonisation fut une cons- quence. Plus tonnamment, il met en parallle la monte de ce mes- sianisme avec celle de l'idologie nolibrale et des populismes, tou- tes revendiquant la libert comme un horizon ncessaire. mditer. S. P. Tzvetan Todorov, Les Ennemis intimes de la dmocratie, Robert Laffont, 259 p., 20 . Le Point Rfrences 1 127 Facebook : La culture ne s'hrite pas elle se conquiert Ides et essais DCRYPTAGES Presse ... UN XIXe SIECLE DE PAPIER Plus de soixante chercheurs dressent un tableau de l'ge d'or de la presse : le x1xe sicle, qui voit la France entrer dans l're mdiatique. A h! le temps bni o la presse crite tait florissante, tirait des centaines de milliers d'exemplai res et trouvait des millions de lecteurs! C'tait ily a un sicle ... Depuis, elle n'a cess d' tre concurrence par de nouveaux mdias : radio, tlvision, Internet. Signe des temps : Le Petit Journal n'est plus aujour- d'hui un grand quotidien d'information, mais une mission satirique sur une chane prive largement diffuse en ligne. Que reste- t-il de cet ge d'or? Pour le dcouvrir, plongez-vous dans La Civilisation du journal . Cette somme monu- mentale, issue de dix ans de recherches par plus de soixante chercheurs, s' attache montrer comment, au x1x" sicle, l'entre dans l're mdiatique s'est accom- pagne d'un changement de civilisation sans prcdent, marqu par la primaut de l' vnement. Apparat une scansion nouvelle dans le temps des hommes : la lec- ture quotidienne du journal. Mutation littraire, puis- que le modle du texte imprim remplace celui, rh- torique et ancien, du discours ou de la conversation. Les cadences effrnes de la publication conduisent crivains et journalistes de nouvelles pratiques d' cri - ture, cratrices de nouveaux genres et esthtiques. La publication en feuilleton gnre de nouveaux rythmes narratifs ; le triomphe du rcit (notamment dans le fait-divers) favorise l'extension du roman et du repor- tage ; les exigences de l' information suscitent un idal de neutralit et de concision, favorisent la fois une esthtique du fragment et une conception raliste de la littrature. Surtout, le peuple ou la foule , objet de tant de craintes politiques, se mue progressi- vement en public , avec des identits sociales et culturelles aussi diverses que les priodiques censs leur donner voix. Aprs la civilisation du livre (Lucien Febvre) est donc venue la civilisation du journal . Et la rvolution mdiatique et numrique actuelle? Ce n'est peut-tre qu'une nouvelle tape dans cette mta- morphose. Anthony Mangeon Dominique Kallfa, Philippe Rgnier, Marie-ve Threnty, Alain Vaillant (dir.), La Civilisation du journal. Histoire culturelle et littraire de la presse franaise au x1Jf sicle. Nouveau Monde ditions, coll. Opus Magnum , 1762 p., 39 . noter Dlicate alchimie du mtissage L'essentiel est de danser en mesure et de suivre les pirouettes du jour , crit Daryush Shayegan propos des vnements du printemps arabe, qui lui font rver d'un sisme comparable en Iran, sa terre natale. Dj, il observe avec quelle aisance et dextrit les jeunes s'incorporent dans le monde virtuel, quel point ils sont prdisposs l' intangible, la magie des apparitions soudai- nes, la mtamorphose des formes subtiles . La socit change et se mtisse plus vite que les politiques. Mais comment suivre cette trans- 128 1 Le Point Rfrences formation protiforme ? Recueil d'articles o se mlent annotations de voyageur, parfois triviales, voire naves, et rflexions rudites sur la mondialisation et ses consquences, La Conscience mtisse convoque tour tour Jean Baudr'illard, Chris- tian Jambet ou Lonard de Vinci pour mieux comprendre le choc des ren- contres entre esprit des Lumires, traditions religieuses, et exigence dmocratique. Ainsi , dans les annes 1970, pourquoi Heidegger est-i l devenu le penseur ftiche de nom- bre d' islamistes? Pourquoi la culture de la Perse, si brillante, a eu si peu d' cho en Occident? Comment s'adapter une tradition qui s'ef- fondre face une modernit brutale et immature? lve d' Henry Corbin qui l' a aid dcouvrir sa propre culture, indianiste et spcialiste du soufisme, Daryush Shayegan nous offre l une belle et bonne leon d' ouverture qui pousse l' intro- spection : quel est notre mtissage propre? ~ ~ Oaryush Shayegan, La Conscience mtisse, Albin Michel, 272 p., 22 . Facebook : La culture ne s'hrite pas elle se conquiert DCRYPTAGES Ides et essais Histoire COMMENT DES RAISINS VERTS .... SAUVERENT LA FRANCE ... Jean Vitaux revisite les grands vnements en scrutant le fond des casseroles. Qj e la face de la Terre et t change si le nez de Cloptre avait t plus court, la chose est de notorit publique. Mais que le destin de Carthage tienne une figue (cf extrait) et que celui de Louis XVI et pu ne pas tre scell Varennes si l'apptit du souverain ne l'avait pouss s' arrter dans une auberge lors de sa fuite alors qu' il venait de dvorer dans sa voiture buf mode en gele, poulet et veau froid, voil des informations plus confidentiel- les. Et saviez-vous que la bataille de Valmy, en 1792, aurait pu ne pas tourner l'avantage de la Rpublique franaise si les Prussiens affams ne s'taient jets sur un arrivage de raisins verts qui leur infligea une dysentrie, les mettant hors de combat? C'est un savoureux voyage que nous convie Jean Vitaux : ce gastro-entrologue historien revisite de grands vnements de l'histoire en scrutant le fond des casseroles. Il s'intresse ici la gastronomie vnementielle , comme la qualifie Jean Tulard qui signe la prface, ces vnements de l'histoire indis- La figue de Carthage Caton l'Ancien fut l'artisan du dclenchement de la troisime guerre punique. Lors d'une mission d'enqute carthage en 157 avant notre re, il M ulcr par la prosprit retrouve de carthage. Ds lors, il se fit l'artisan de sa destruction : "Delenda est carthago" ("il faut dtruire carthage"). Cependant les snateurs n'taient pas dcids se lancer dans une guerre coteuse. caton utilisa un subterfuge qui a t rapport par l'abb Lhomond, grammairien du xvnf sicle, dans son ouvrage en latin De viris il/ustri- bus urbis Romae a Romula ad Augustum (Des hom- JEAN VITAUX LES PETITS PLATS DE L'HISTOIRE sociables de la chre, bonne ou mauvaise. Qu'il s' agisse d' un banquet, comme celui dont l' inter- diction dclencha la rvo- lution de 1848, du sige de Paris en 1870 qui poussa les restaurateurs accommoder jusqu'aux lphants du Jardin d' ac- climatation, ou de la nais- sance d' un mythe natio- nal , le camembert, pendant la Grande Guerre. Alors que le pain et le gruyre constituaient l'alimentation de base des poilus, les producteurs de camemberts proposrent aux armes leurs fromages un prix plus comptitif. C'est ainsi qu'en 1918 jusqu' 1 million de calendos furent livrs chaque mois dans les tranches, marquant la mmoire des soldats. De retour leur foyer, ceux-ci en rclamrent leur fromager. Le calendos tait lanc. Voil donc un ouvrage dguster, sans craindre le sort du marquis de Louvois, ministre de la Guerre de Louis XIV, mort d'avoir trop mang. Alix Ratouis Jean Vitaux, Les Petits Plots de l'histoire, PUF, 208 p., 17 . mes illustres de la ville de Rome de Romulus Auguste) : "ll apporta la curie une figue prcoce, et secouant sa toge, il la fit voir tous; comme les snateurs admiraient sa beaut, caton leur deman- da quand ils pensaient qu'elle avait t cueillie. lis affirmaient qu'elle leur paraissait toute frache. 'Pour- tant, sachez qu'elle a t cueillie il y a trois jours carthage ; voil quelle proximit nous sommes de l'ennemi: carthage n'tait en effet qu' trois jours de navigation de Rome. Cette harangue inquita les snateurs, qui se rsolurent dclarer la guerre:' Jean Vitaux, Les Petits Plots de l'histoire, PUF, 2012. Le Point Rfrences 1 129 Facebook : La culture ne s'hrite pas elle se conquiert Ides et essais DCRYPTAGES "' c L e livre s'appelle_Les rythrens, et non pas l'Erythre. Son auteur n'a jamais t dans ce petit pays de la corne de l'Afrique, cras par l'une des plus terribles dictatures qui soit. Son rcit litt- raire donne pourtant entendre ces rythrens qu'il rencontre depuis 2004, eux qui ont russi fuir un camp de travail ou la prison, ce qu'est devenu leur pays . Il raconte leurs parcours, qui s'entre- croisent avec le sien : celui d'un journaliste que l ' rythre a envahi . Ds son arrive au . bureau Afrique de Reporters sans frontires, Lonard Vincent est frapp par l' indiffrence qui entoure ce coin d'Afrique dont lui-mme ne sait rien. Sa curiosit le conduit enquter sur le rgime d'lssayas Afewerki . Aprs avoir men le pays l' indpendance au bout de trente ans de gurilla, ce leader acclam en hros entrane son peuple dans une guerre avec l'thiopie et, depuis noter rythre ; CE QUE DENONCE ; LEONARD VINCENT La littrature plutt que le journalisme pour briser le mur d'indiffrence qui protge l'une des pires dictatures d'Afrique. la paix, fait de l'rythre sa chose. Le pays est ferm depuis 2001, anne o Afewerki muselle la presse et emprisonne ses frres d'armes aux aspirations rformis- tes. Trop expos pour se rendre sur place, le journaliste ras- tains de ceux qui m'ont fait confiance et m'ont donn la cl de leur pays, comme s' ils m'avaient choisi. j'avais aussi une attirance personnelle pour ce peuple abacha [abyssin], dont la culture et l' ima- gerie me touchent. En 2008, Lo- semble les informations .-----------, n a rd Vincent quitte RSF et se met crire pour dire la solitude des rythrens, et leur rsignation cette solitude. Seule la litt- rature pouvait rendre la substance humaine de ce qu'ils ont vcu. La chute d'Afewerki , ce Saturne national, il ne l'imagine venir travers son rseau de confrres exils, de migrants dbarqus Lampedusa, de militants qui peinent construire une opposition, et cela dans la discrtion, puisqu'Afewerki les tra- que distance. C'est son dsarroi de professionn(!l impuissant que l'auteur transmet dans ce rcit poignant, habit par l'attachement profond qui lie Mis- ter Leonardo ses amis rythrens et leur cause. Il ne sait pas trs bien dire pourquoi. j'ai entretenu une relation fraternelle avec cer- que de son entourage. Alors Vincent prendra l'avion pour l'rythre. D' ici l, et jusqu'au bout du possible, il aura dit ce qu' il sait . Valrie Marin La Mesle Lonard Vincent, Les rythrens, Rivages, 246 p., 17 . Un manuel radicalement internationaliste C'est un livre crit dans les annes 1950 pour !'Unesco, qui l'a refus sans explication. Dommage : Lucien Febvre et le alors jeune Franois Crouzet y racontaient l'histoire de France sous l'angle du mtissage. Glonfl. Nous sommes des sang-mls, une synthse de l'Europe , affirme ce manuel qui traque aussi bien l'origine des noms que celle des habitudes alimentaires. Mme s'il 130 1 Le Point Rfrences n'est plus aux normes de l'historiographie contemporaine, ce livre doit tre lu d' urgence. Pour son regard sur le problme de l'identit. Pour son ton aussi, qui fait qu'on le dvore comme un roman. C.G. Lucien Febvre et Franois Crouzet, Nous sommes des sang-mls, manuel de civilisation franaise, Albin Michel, 380 p., 22 . Facebook : La culture ne s'hrite pas elle se conquiert Facebook : La culture ne s'hrite pas elle se conquiert LE MAHBHRATA CONT SELON LA TRADITION ORALE I N ~ D ! T Facebook : La culture ne s'hrite pas elle se conquiert