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Journal de la Société des

Africanistes

Quelques remarques sur le quaternaire de l'Afrique tropicale et


équatoriale
Jean Lombard

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Lombard Jean. Quelques remarques sur le quaternaire de l'Afrique tropicale et équatoriale. In: Journal de la Société des
Africanistes, 1935, tome 5, fascicule 2. pp. 175-180;

doi : https://doi.org/10.3406/jafr.1935.1591

https://www.persee.fr/doc/jafr_0037-9166_1935_num_5_2_1591

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QUELQUES REMARQUES
SUR LE QUATERNAIRE DE L'AFRIQUE
TROPICALE ET ÉQUATORIALE,
PAR
Jean LOMBARD.

Les formations quaternaires de l'Afrique intertropicale ont fait l'objet


d'études fragmentaires dont le nombre et l'importance varient beaucoup
d'une région à l'autre, et paraissent surtout fonction de l'intérêt qu'ont
fait surgir les premières recherches par leur production en vestiges
paléontologiques et préhistoriques. C'est ainsi qu'en Afrique orientale
les gisements de la vallée de la Semliki, des terrasses du lac Victoria,
des dépôts d'Oldoway — pour ne citer que les plus importants — ont
dès l'abord fixé l'attention des chercheurs ; tandis que la monotonie
des faunes tchadiennes ou nigériennes, par exemple, ainsi que la stérilité
des dépôts congolais, ont contribué à réduire dès l'origine l'attention
que beaucoup de voyageurs auraient portée sur les formations
superficielles.
De l'inégalité dans l'état des connaissances résulte très généralement
un état psychologique peu favorable aux essais de synthèse, ou, tout au
moins, à la conduite rationnelle de ces essais. Le domaine propre de la
géologie en Afrique centrale en a fourni des illustrations frappantes. La
raison essentielle en est certainement dans le peu de valeur du critère
lithologique pris isolément.
Mais en ce qui concerne le Quaternaire, l'argument géologique rejoint
des données paléogéographiques et paléobiologiques plus clairement
établies que pour les périodes anciennes. Et, par cette voie, on aboutit à une
confrontation possible avec les arguments tectoniques d'une part,
climatiques d'autre part. On peut donc pour le moins poser, en ce qui concerne
la plus récente période géologique, des hypothèses de travail qui ne se
formuleraient pas ou qui paraîtraient osées pour les époques précédentes.
L'argument climatique a d'abord été invoqué pour tenter de situer les
formations quaternaires de l'Uganda et du Kenya dans la chronologie
européenne. Après plusieurs années de tâtonnement, une hypothèse due
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à G. G. Simpson, Directeur de l'Office météorologique de Londres, a
permis une tentative de synthèse claire dans ses grandes lignes. Cette
hypothèse admet que les périodes glaciaires, liées aux radiations solaires,
se groupent nécessairement par paires: l'une survenant pendant la période
ascendante du cycle, l'autre pendant la période descendante. On aurait
donc, en Europe, le groupe Gùnz-Mindel et le groupe Riss-Wùrm,
séparés par l'interglaciaire Mindel-Riss à climat à peu près normal. Cette
réduction des périodes glaciaires septentrionales à deux groupes essentiels
a permis à E. J. Wayland l de proposer leur parallélisme avec les deux
grandes périodes pluviales généralement admises en Afrique orientale.
L'interglaciaire Mindel-Riss trouve alors son équivalent dans l'interpluvial
kamaso-gamblien .
Quelle que soit la valeur de cette correspondance entre les variations
des climats d'Europe et celles des climats d'Afrique pendant le
Quaternaire ancien et moyen, elle nous paraît justifier qu'une attention
particulière soit portée sur les données recueillies en Afrique orientale, et elle
semble autoriser certaines tentatives pour en élargir territorialement la
portée .
Semblables tentatives exigent, à leur tour, des hypothèses de travail.
On peut admettre, semble-t-il, que, dans certaines limites de latitude et
d'altitude, l'argument climatique vaut pour une grande étendue territoriale.
A chaque climat correspond un mode de sédimentation dominant dont le
caractère essentiel est en rapport avec les conditions de climat. Si aucune
autre donnée ne s'y oppose, on pourra donc tenter de paralléliser des
formations sédimentaires de même caractère sur l'ensemble de la région
considérée.
D'autre part, les modifications fondamentales du réseau hydrographique
peuvent être dues pour partie à des changements de climat ; elles impliquent
en outre, parfois, d'importants mouvements tectoniques. L'argument
tectonique, lors des paroxysmes, peut également valoir pour une grande
étendue territoriale, et appuyer, de ce fait, des parallélismes entre les
grands événements hydrographiques.
Ajoutons qu'ici comme ailleurs, la succession similaire, dans plusieurs
régions, de phénomènes comparables peut être considérée comme un
argument en faveur de la possibilité d'un parallélisme.
On trouve une application immédiate de ces remarques dans la
comparaison des dépôts du Tchad et du Haut-Niger. R. Furon 2 a donné de

1. E. J. Wayland. — Past climates and prehistoric cultures, in Anual Report of the


Geological Survey Dep. of Uganda for the year 1932; Entebbe, 1933; pp. 55-57,
table IV.
2. R. Furon. — Introduction à la géologie du Soudan occidental. Bull. Agence
Générale des Colonies, n° 283 ; Paris, 1932 , pp. 62-65 des tirages à part.
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ces derniers une coupe qu'il considère comme typique. Quoiqu'il n'ait
présenté ce document que pour fixer la position de certaines formations
latéritiques, il a bien voulu me donner verbalement des précisions sur la
nature des dépôts y figurés. Il en résulte que les alluvions du Niger ancien
contiennent des sables éoliens remaniés indiquant l'existence de dunes
antérieures aux limons à Melania et fragments de poterie. C'est dans ces
limons notamment qu'est creusée la vallée actuelle du fleuve.
Il y a donc eu une période sèche paléo-nigérienne dont la limite
supérieure dans la chronologie nous est donnée par les dépôts fossilifères sus-
indiqués.
Les travaux de Garde, Freydenberg, Tilho, entre autres, ont signalé,
d'autre part, que le lac Tchad actuel étend ses eaux dans les dépressions
d'un pays de dunes anciennes; et l'on sait que les dépôts du lac paléo-
tchadien — ou, pour mieux dire, les alluvionnements du réseau
hydrographique paléo-tchadien — contiennent les mêmes Mollusques fossiles
que les dépôts nigériens susvisés.
Au Tchad comme au Niger, il y a donc eu une période sèche antérieure
à l'extension maximum du réseau hydrographique dont la réduction
progressive aboutit au régime actuel.
Or, des ossements d'Hippopotames et de Suidés, recueillis à Ounianga
(Titesti), témoignent d'une fossilisation complexe dont le premier stade
comporte le remplissage des cavités médullaires par des matériaux
détritiques partiellement éoliens К L. Joleaud a été amené à situer cette faune
dans le Quaternaire ancien, à une époque où régnait au Tibestiun climat
tropical humide.
En rassemblant les données qui viennent d'être résumées, on obtient
la succession suivante :
4) évolution tendant vers l'état de chose actuel;
3) période (humide) de grande extension des réseaux hydrographiques ;
2) période sèche de sédimentation éolienne ;
i) période humide de la faune d'Ounianga.
Si l'on admet l'extension territoriale de l'argument climatique, cette
succession, qui vaut incontestablement pour le Tchad et semble pouvoir
être appliquée au Niger, peut être mise en parallèle avec les changements
de climat de l'Afrique orientale. Diverses solutions sont possibles a priori;
mais une discussion du problème tenant compte en particulier de l'âge
probable de la faune d'Ounianga et de la position des alluvions
fossilifères, aboutit à faire correspondre la période 1) à la phase pluviale kama-
sienne, et la période 3) à la phase pluviale gamblienne. Les Mammifères
1. L. Joleaud et J. Lombard. — Conditions de fossilisation et de gisement des
Mammifères quaternaires d'Ounianga Kébir (Tibesti sud-oriental). Bull. Soc. Géolog.
de France (5), III ; Paris, 1933, pp. 239-243.
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d'Ounianga trouvent ainsi leur place à côté de ceux des niveaux inférieurs
d'Oldoway, au Pleistocene ancien.
Ainsi que M. M. Robert l'a noté, « les vastes plateaux concaves qui se
partagent les territoires du plateau intérieur africain donnent à
l'hydrographie du continent un caractère fondamental, bien personnel. Les grands
bassins fluviaux ont un caractère intérieur. Dans chacun des grands
plateaux concaves, on voit les cours d'eau descendre des zones périphériques
et converger vers les régions centrales de la dépression » '. Si ce schéma
a été quelque peu altéré par l'intervention des déversoirs océaniques, il
exprime bien ce qu'indiquent les données de la paléogéographie nigérienne,
tchadienne et congolaise.
Les dépôts limoneux fossilifères auxquels nous avons déjà fait allusion,
et que l'on suit du Niger au Nil, permettent de fixer une limite inférieure
pour la date de capture du haut Niger par le bas Niger, d'une part; pour
la séparation complète, par les voies superficielles, du Tchad et du Nil,
d'autre part.
Les vissicitudes de l'alluvionnement du bas Nil suggèrent à M. L. Joleaud
(communication verbale) une relation de cause à effet entre la phase
limoneuse de cet alluvionnement et la capture du lac Victoria par le fleuve
égyptien. Ce dernier événement est situé de façon précise par E. J. Way-
land {pp. cit.) à la fin de la phase pluviale gamblienne soit, d'après lui, au
Pleistocene récent ou au Néopléistocène ancien ; et ce même auteur semble
lier ce phénomène à la dernière phase paroxysmale du Fossé éthiopien.
De son côté, et se basant sur des arguments d'ordre différent, L. Joleaud 2
écrit : « Le début de l'époque de formation des limons du Nil. . . remonte
donc à l'aurore du Néopléistocène. » Ces deux auteurs sont donc
remarquablement d'accord.
Aucune donnée revêtant une précision analogue ne nous est fournie
par la région congolaise. Nous savons seulement que l'hydrographie de
l'Uganda a cessé de s'écouler vers le Congo au début de la phase pluviale
kamasienne. Ce fait semble indiquer qu'à cette époque aucun
rajeunissement important de relief ne s'était encore manifesté du côté de l'océan
Atlantique ; si l'on considère qu'actuellement le Congo menace à nouveau
le lac Victoria par les affluents de la Malagarasi. L'étude des captures des
affluents du haut Chari par les éléments du bassin de l'Oubangui-M'Bomou,
et l'examen des conditions d'établissement de. cette dernière artère,
indiquent un caractère récent qui s'accorde bien avec la remarque
précédente.
1. M. Robert. — Le Centre africain.. Bruxelles, 1932, p. 240.
2. L. Joleaud. — Chronologie des Phénomènes quaternaires, des Faunes de
Mammifères et des Civilisations préhistoriques de VAfrique du Nord . V, Congr. Intern.
d'Archéologie ; Alger, 1930.
REMARQUES SUR LE QUATERNAIRE DE b' AFRIQUE TROPICALE ET ÉQUATORIALE 179
On peut observer par ailleurs que, de part et d'autre de la « cuvette »
congolaise, deux industries lithiques à caractères fondamentalement
différents : le Tumbienau Sud-Ouest et l'Uélien au Nord-Est, sont demeurées
absolument distinctes et ont évolué indépendamment sans aucune influence

ЛГАЛА t

Fm. 21. — Carte schématique montrantla répartition des industries tumbiennes etuéliennes
par rapport aux divers éléments géographiques mentionnés dans le texte.

réciproque. On peut voir là l'indication d'une impossibilité de


communication entre le Bas-Congo et les Uele au Néolithique africain.
Nous n'entendons pas que cette séparation n'ait eu qu'une cause
hydrographique. Il existe, en effet, une remarquable coïncidence entre la bor-
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dure de la zone actuellement occupée par la forêt équatoriale1, la limite
d'extension des formations alluviales du lac congolais (système de la
Busira), et celle de la zone des marécages résiduels. La courbe altimé-
trique de 500 mètres suit aussi approximativement le même tracé. Mais
nous pensons que l'existence d'une vaste nappe d'eau paléo-congolaise a
dû puissamment empêcher le contact entre les Tumbiens et les Uéliens à
une époque qui ne paraît pas pouvoir être plus ancienne que le Néopléis-
tocène moyen ou ancien.
Nous sommes donc amené à envisager, en ce qui concerne
l'établissement du déversoir congolais, une époque peut-être un peu plus jeune mais
sensiblement correspondante à celle à laquelle semblent s'être produites
les autres modifications importantes de llvyxlrographie de l'Afrique
tropicale et équatoriale. Cette époque est celle d'un paroxysme tectonique en
même temps que d'un changement de climat.
En résumé, on voit se dessiner une classification chronologique
possible des phénomènes qui ont illustré le Quaternaire de l'Afrique
tropicale et équatoriale, dont les grandes phases seraient, en partant de la plus
ancienne :
1. Période humide de la faune d'Ounianga Kebir (Hippop. amphibius,
Sus scrofa) — période pluviale kamasienne — Pleistocene ancien et début
du Pleistocene moyen ;
2. Période sèche : dunes au Niger et au Tchad — interpluvial kamaso-
gamblien — fin du Pleistocene moyen ;
3. Période humide correspondant au maximum d'extension des réseaux
hydrographiques du Niger, du Tchad, et peut-être du Congo —
développement du réseau intérieur Nyanzéen — phase pluviale gamblienne —
Pleistocene récent ;
4. Période post-pluviale du Néopléistocène, comportant elle-même des
variations de régime, mais tendant vers l'établissement des conditions
actuelles, au cours de laquelle se situeraient : la capture du bassin
nyanzéen par le Nil ; le retrait du Tchad et l'assèchement du bassin nigérien ;
l'établissement du déversoir nigérien.

Au moment où je rédigeais cette note, M. L. Joleaud a bien voulu me


communiquer un travail qu'il venait d'achever, dans lequel des
préoccupations analogues sont traitées avec beaucoup plus de détail et étendues
vers l'Afrique du Nord. Nos conclusions chronologiques sont très
sensiblement concordantes.
1. J'ai exposé quelques-unes des raisons qui me portent à croire que cette forêt
n'a pas sensiblement régressé dans : J. Lombard, L'étude des sols en Afrique
Équatoriale française ; comment elle se présente. Revue scientifique, 18 oct. 1934.

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