2012-Gestion_des_risques_lies_aux_soins__perspectives (1)
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net/publication/287532088
Gestion des risques associés aux soins : état des lieux et perspectives
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Etienne Minvielle
Ecole Polytechnique/Institut de Cancérologie Gustave Roussy
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Gestion des risques associés aux soins : état des lieux et perspectives
Résumé Summary
La gestion des risques associés aux soins a fait l’objet Many actions have been committed in the area of Risk
de nombreuses actions ces dernières années en France. management during the last years in France. The objec-
L’objectif de cet article est double, descriptif, en réali- tive of this article is two-fold: descriptive, presenting an
sant une synthèse de ces démarches, et critique. overview of the state of the development, and analytic.
Il s’avère que si la connaissance sur les causes de sur- It appears that if the knowledge of the causes of the
venue des évènements indésirables est plus précise, et undesirable events is more precise, and the official
que le cadre législatif s’est renforcé dans de nombreux rules have been reinforced, the safety regulation has to
domaines, la régulation de la sécurité reste encore à be improved and consolidated. Between the imperative
consolider. De nombreuses actions sont désormais for improving safety at the local level and the needs for
mises en œuvre sur le plan de la déclaration des évène- a better accountability, this article advocates some new
ments indésirables et du développement des outils ways for consolidating this safety regulation.
d’analyse (revue de morbi-mortalité, check-list, notam- Prat Organ Soins. 2012;43(1):35-45
ment). Par contre, une question persiste sur l’équilibre
à trouver entre les interventions demandées par les
pouvoirs publics et l’auto-évaluation conduite par les
professionnels.
Entre le souci de proximité dans l’accompagnement des
professionnels à des fins d’amélioration et la quête de
transparence sur le sujet, cet article expose des pistes
de ce que pourraient être les perspectives de cette régu-
lation.
Prat Organ Soins. 2012;43(1):35-45
Mots-clés : Sécurité des soins ; gestion des risques ; Keywords: Safety of care; risk management; regulation;
régulation ; performance ; indicateurs ; mortalité ; performance; indicator; mortality; management.
management.
Adresse pour correspondance : Étienne Minvielle, Institut Gustave-Roussy, 114, rue Édouard-Vaillant, F-94805 Villejuif Cedex, France.
E-mail : [email protected]
Premièrement, à la faveur de dysfonctionnements En France, une première enquête nationale sur les évè-
majeurs à fort retentissement médiatique, l’opinion nements indésirables liés aux soins (ENEIS) a été
publique et les pouvoirs publics ont pris conscience de conduite en 2004 et renouvelée en 2009. L’étude ENEIS
l’existence et de la gravité du risque médical. L’affaire de 2009 a montré la persistance des incidents graves
du sang contaminé, liée à la transmission du virus de liés aux soins : 6,2 évènements indésirables graves
l’immunodéficience humaine (VIH) à l’occasion de (EIG)1 liés aux soins étaient survenus pour 1 000 jour-
transfusions sanguines, a marqué en France un premier nées d’hospitalisation ; un tiers de ces évènements a été
tournant à cet égard. Il est hautement probable que jugé évitable et donc accessible à une politique de
l’affaire Mediator® mette fortement en cause les évolu- réduction des risques liés aux soins. En extrapolant les
tions engagées depuis. résultats, on peut estimer le nombre d’EIG à une four-
chette allant de 275 000 à 395 000 par an, dont 95 000
À dires d’experts, alors qu’un degré de satisfaction glo- à 180 000 EIG évitables. Les EIG évitables étaient
bale élevé des patients à l’égard de leur système de généralement associés à l’une des expositions ou l’un
santé a longtemps retardé la prise de conscience du des mécanismes suivants : un acte invasif (notamment
risque médical, on constaterait désormais une moindre les interventions chirurgicales), un produit de santé
tolérance vis-à-vis de l’erreur médicale ou de l’évène- (médicament ou dispositif médical implantable), une
ment indésirable évitable [1]. L’aversion au risque peut infection associée aux soins.
même aboutir à un paradoxe, à l’instar de ce qui a été
observé dans le secteur de l’aviation civile : plus le D’après les éléments recueillis par une étude de la
risque d’accident est faible, plus l’accident qui se pro- Commission européenne [4], l’incidence d’évènements
duit est jugé inacceptable. Cette situation peut conduire indésirables est plus faible pour les soins de ville que
à une tyrannie de l’exigence de « risque zéro » et com- pour les établissements de santé. Cependant, en termes
promettre la démarche même de gestion des risques. absolus, un nombre important de patients est suscep-
Celle-ci serait alors jugée illégitime puisque accordant tible d’être concerné par la médecine de ville.
de la valeur à l’erreur et aux enseignements qu’on peut
en tirer [2]. Il s’agit essentiellement d’évènements indésirables liés
à la consommation de médicaments. Ainsi, l’étude
Pourtant, ainsi que le révèle le suivi barométrique orga- EMIR (Effets indésirables des médicaments), menée en
nisé par la Direction de la recherche, des études, de 2007 par le réseau des centres régionaux de pharmaco-
l’évaluation et des statistiques (DREES) [3], l’opinion vigilance, conduit à une estimation globale du nombre
publique est partagée sur l’évolution de la qualité des annuel d’hospitalisations dues à des effets indésirables
soins en France. En ce qui concerne la médecine de ville, de médicaments (144 000), ce qui représente un taux
une faible majorité (51 %), en 2010, dit ressentir une d’incidence de 3,60 %. Les accidents hémorragiques
amélioration, 28 % considèrent que la qualité des soins des médicaments anticoagulants de la classe des antivi-
est restée identique et 20 % qu’elle s’est détériorée. Les tamines K (AVK) arrivent au premier rang des acci-
opinions à l’égard de l’hôpital sont plus critiques : dents iatrogènes.
37 % (cinq points de plus qu’en 2009), considèrent que
la qualité s’y est détériorée. Dans l’ensemble, les Troisièmement, il est probable que la pression assuran-
personnes interrogées reconnaissent que le risque zéro tielle a joué un rôle dans le développement de la place
n’existe pas (95 % en 2010, soit trois points de plus accordée à la sécurité. Aussi, dès lors qu’ils étaient
qu’en 2008, neuf points de plus qu’en 2000). confrontés à une hausse continue de leur prime en res-
ponsabilité civile professionnelle (RCP), les médecins
Deuxièmement, au-delà des affaires liées à un risque exerçant des spécialités à risque ont accepté de s’enga-
particulier, l’existence et la gravité du risque médical ger dans la démarche d’accréditation, en contrepartie
ont été établies par des enquêtes. Ainsi, des études ont d’une aide à la souscription de l’assurance. Sur le
été conduites, d’abord aux États-Unis et au Royaume- terrain, les exigences des assureurs sont citées comme
Uni, puis dans les autres pays de l’Union européenne,
pour mettre en évidence la prévalence d’évènements 1 Un évènement indésirable est un évènement défavorable pour le patient, plus
indésirables liés aux soins. Celle-ci est apparue signifi- lié aux soins (stratégies et actes de traitement, de diagnostic, de prévention ou
cative, de l’ordre de un pour 1 000 journées d’hospita- de réhabilitation) qu’à l’évolution de la maladie. Est considéré comme grave
un évènement associé à un décès ou à une menace vitale, à un handicap ou à
lisation, soit un taux d’incidence largement supérieur à une incapacité, ou à la prolongation de l’hospitalisation d’au moins un jour.
forces motrices de l’engagement dans des démarches d’autres dimensions de la qualité. À titre d’exemple,
d’amélioration de la sécurité des soins, tant par les l’accès des patients aux structures de soins les plus
médecins libéraux que dans les établissements de santé. appropriées à leur état clinique, dans un délai raison-
nable, est favorable à la sécurité des soins ensuite
Dans ce contexte, cet article vise à établir un état des prodigués [7].
lieux des actions menées dans le domaine ces dernières
années en France et à mettre en perspective la question
de la régulation de la sécurité des soins. Entre le souci MÉTHODES et outils
de proximité dans l’accompagnement des profession-
nels à des fins d’amélioration et la quête de transpa- Cette distinction conceptuelle, selon laquelle l’amélio-
rence sur le sujet, cet article expose des pistes de ce que ration générale de la qualité des soins peut servir la
pourrait être cette régulation. sécurité des soins mais ne saurait suffire, est importante
en matière de définition et de conduite de politique
publique. Les démarches qualité qui ont été promues
DÉFINITIONS dans les entreprises au cours des années 1990 et 2000
ont certes permis des progrès mais ont souvent cédé au
L’analyse de la sécurité des soins est indissociable de risque de bureaucratisation. Celui-ci se caractérise par
celle de sa qualité. Dans les documents officiels, en la formalisation minutieuse des processus et manières
France, les deux termes apparaissent souvent juxtapo- de faire existantes, sans questionnement systématique
sés, sans qu’il y ait de définition unique et consensuelle de leur pertinence, et par la difficulté d’intégrer dans la
de ces concepts, qui permettrait de tracer une frontière structure le spécialiste de la qualité, le qualiticien. Le
nette. management de qualité s’est ainsi fréquemment senti
peu impliqué dans la démarche. Ce n’est pas tant la
La qualité est une notion plus large que la sécurité, conception même des démarches qualité qui est en
dans la mesure où la qualité peut s’étendre à d’autres cause que sa mise en œuvre observée en pratique.
aspects de la prise en charge des patients que les soins
proprement dits (exemple des droits des patients) et elle Se préoccuper de sécurité, c’est s’intéresser aux éven-
englobe, aux côtés de la sécurité, d’autres approches. tuels incidents ou risques d’incidents qui peuvent sur-
venir dans le système de soins. Or, en plaçant la notion
L’Institut américain de médecine (Institute of medicine, de risque au centre, le manager est invité à l’identifier
IOM), pionnier dans ce domaine [5], définit la qualité et à réinterroger de manière périodique, à partir des
comme : « la capacité, des services de santé destinés observations ainsi effectuées, les outils de gestion mis
aux individus et aux populations, d’augmenter la pro- en place. La maîtrise des risques n’est pas sensée être
babilité d’atteindre les résultats de santé souhaités, en confiée à des spécialistes mais intégrée dans l’activité
conformité avec les connaissances professionnelles du quotidienne.
moment ».
Dans ce contexte, pour augmenter la sécurité des soins,
Se basant sur ces travaux, l’Institut de recherche et de les pays anglo-saxons, puis les États membres de
documentation en économie de la santé (IRDES) a pro- l’Union européenne, se sont inspirés des méthodes
posé de retenir, au sein de la qualité, les dimensions d’analyse et des dispositifs de gestion des risques déve-
d’efficacité, de sécurité, de réactivité, d’accès et d’effi- loppés dans d’autres secteurs d’activité, tels que l’avia-
cience, tout en reconnaissant que d’autres approches tion civile et le nucléaire, qui constituent également des
existaient, fondées sur la pertinence dans le recours systèmes complexes, porteurs de risques potentielle-
(appropriateness), la pertinence dans le temps (timeli- ment graves.
ness), l’approche patient (patient centeredness), la conti-
nuité, la satisfaction ou la compétence technique [6]. Schématiquement, les dispositifs de gestion des risques
se découpent dans les grandes étapes suivantes :
Pour ne pas faire de la qualité une notion trop englo- –– l’identification et le signalement des évènements
bante, au sein de laquelle se dilueraient les priorités des indésirables liés aux soins ;
politiques publiques et les nécessaires arbitrages qui y –– l’analyse des évènements indésirables pour en déter-
sont associés, il est proposé ici : miner les causes ;
–– d’exclure l’efficience de la qualité ; –– la conception et la mise en œuvre d’actions de
–– de considérer que les notions de qualité et de sécurité prévention des facteurs de risque de survenue des
ne se confondent pas mais s’inscrivent dans un conti- évènements indésirables, ou near miss, ainsi que
nuum. Autrement dit, la sécurité des soins doit faire d’actions de réduction du risque ;
l’objet d’une attention à part même si son améliora- –– le suivi de ces actions et de leurs résultats afin d’as-
tion peut ponctuellement découler de la promotion surer le bouclage du dispositif.
Or, pour chacune de ces étapes, les recherches et expé- Les systèmes de recueil de données sur les risques
rimentations menées dans les pays occidentaux ont médicaux, actuellement mis en œuvre en France (les
autorisé des progrès, sans toutefois parvenir à l’esquisse principales « vigilances »), sont encore largement lacu-
d’un dispositif optimal. naires. D’une part, les études nationales de prévalence
ne sont menées que périodiquement (tous les cinq à six
Enfin, pour être opérationnel, un tel dispositif doit être, ans) et ne couvrent que partiellement les soins de ville ;
d’une part piloté au bon niveau, c’est-à-dire doté du elles ne répertorient pas tous les incidents ou
pouvoir décisionnel et des leviers requis pour la gestion quasi-accidents.
des risques, et, d’autre part, être mis en œuvre au sein
d’une organisation appropriée, c’est-à-dire réactive et D’autre part, les systèmes de signalement par les pro-
disposant de moyens suffisants pour mettre en œuvre fessionnels de santé, développés par les agences sani-
ses missions. taires françaises, souffrent de difficultés méthodologiques
notables, qui limitent les possibilités d’exploitation des
1. Identification et signalement des évènements résultats pour évaluer les risques réels : sous-déclara-
indésirables liés aux soins tion massive ; absence de définition consensuelle et
distinction imprécise entre erreurs, évènements indési-
Pour caractériser les zones de risque dans le système de rables, évènements indésirables graves, presque acci-
soins, la réalisation d’études épidémiologiques ne peut dents ; difficultés fréquentes à établir un lien de
pas suffire. En effet, certains évènements indésirables causalité, notamment en l’absence de boucle de retour
sont trop rares (par exemple, les erreurs relatives à et d’analyses locales de l’incident [10].
l’identité du patient) ou spécifiques à un contexte donné
pour pouvoir être repérés de cette façon. On ne dispose donc pas de marqueurs de risque qui
soient à la fois fiables et exhaustifs, ou du moins
Par ailleurs, le concept de médecine fondée sur les représentatifs des principaux dysfonctionnements à
preuves (evidence based medicine, EBM), s’il repose l’œuvre dans le système. Pour autant, comme exposé
essentiellement sur la recherche d’un niveau de preuve supra, quelques indications peuvent être données, à
suffisant, fourni par des études randomisées, ne donne pas grands traits, sur l’ordre de grandeur de la prévalence
assez de place à l’expérience professionnelle des prati- des EIG (1/1 000) ainsi que sur les principales zones de
ciens pour que ceux-ci se l’approprient complètement [8]. risques : actes invasifs (notamment les interventions
chirurgicales), produits de santé (médicament ou dispo-
Dans ce contexte, l’approche privilégiée consiste à par- sitif médical implantable), infections associées aux
tir des évènements avérés, et donc de réaliser une éva- soins.
luation des risques a posteriori. Les erreurs ne sont alors
plus considérées uniquement comme des fautes pas- 2. Analyse des évènements indésirables
sibles de sanctions mais comme des sources précieuses pour en déterminer les causes
d’information et d’enseignement sur le risque médical
et ses causes. Ainsi, les revues de morbidité et de mor- Pour déterminer les causes des évènements indésirables
talité (RMM), menées depuis plusieurs années dans les liés aux soins, le modèle d’analyse conceptualisé dans
établissements de santé, visent à tirer de l’analyse les années 1990 par le professeur James Reason de la
d’évènements graves des enseignements sur les forces Manchester University, dit modèle de Reason, s’est pro-
et les vulnérabilités existantes, afin de mener des actions gressivement imposé comme l’une des principales réfé-
d’amélioration de la qualité et de la sécurité des soins. rences. En effet, en allant au-delà des circonstances
immédiates de l’accident, il aide à comprendre pour-
De cette vertu reconnue à l’erreur, découle l’impor- quoi celui-ci survient. Plus précisément, il considère
tance de garantir la déconnection entre gestion collec- que les systèmes complexes recèlent des facteurs de
tive du risque et mise en cause individuelle de la risque qui se combinent et créent un cheminement
responsabilité, par l’anonymisation des données recueil- possible vers l’accident, au travers des barrières du sys-
lies ou la création de protections juridiques spécifiques tème. Même si une erreur humaine constitue fréquem-
[9]. Ainsi, aux États-Unis, la loi prohibe la poursuite ment la cause immédiate d’un évènement indésirable,
d’un professionnel de santé, même au pénal (no shame, sa survenue est favorisée par un contexte technique et
no blame), s’il s’engage dans la recherche des causes et organisationnel générateur de risques (causes latentes).
des défaillances systémiques. Une logique similaire
prévaut dans l’aviation civile. Dans la charte d’Air Appliquée au secteur des soins de santé, cette méthode
France, par exemple, la déclaration d’évènements indé- d’analyse a généralement permis de relativiser l’impor-
sirables est une obligation pour les agents, la compa- tance des défaillances individuelles, dès lors qu’elle
gnie s’engageant en retour à ne pas engager d’action mettait en lumière les causes liées à l’organisation des
disciplinaire. soins [11, 12].
En France, l’expérimentation sur la déclaration obliga- en action préventive. En effet, les causes observées
toire des EIG, conduite par l’Institut de veille sanitaire dans la survenue d’un évènement indésirable n’ont pas
(InVS) en 2010 2, a fait apparaître une typologie des la garantie d’être reproductibles dans le temps. Perrow
circonstances, ou causes immédiates, dans lesquelles se [13] a ainsi montré combien les combinatoires de
sont produits le plus fréquemment les EIG : retard au causes observées dans des accidents survenus dans des
diagnostic ou à la prise en charge, ou prise en charge organisations à haut risque sont singulières.
inadaptée (28 %) ; mauvaise utilisation d’un dispositif
médical ou d’un matériel paramédical (14 %) ; erreur Au total, les insuffisances des marqueurs de risque se
médicamenteuse (11 %) ; chute (10 %). En outre, il conjuguent à la difficulté de déterminer les causes
ressort de l’évaluation de cette expérimentation que les latentes, et leur caractère reproductible pour expliquer
établissements participants ont jugé, dans leur grande l’incapacité à ce jour des pouvoirs publics de dessiner
majorité, que le dispositif était utile, dans la mesure où une cartographie des risques sanitaires induits par le
il permettait une acculturation des équipes et un partage fonctionnement du système de soins ; et a fortiori de
d’expérience entre établissements. Toutefois de nom- procéder à l’exercice de quantification et de hiérarchi-
breux freins ont été signalés : les doutes persistants de sation des risques, normalement associé à celui de
quelques praticiens sur l’utilité du système, notamment cartographie.
en l’absence de retour d’expérience ; la crainte de sanc-
tions (perte d’image de marque, sanctions de la part de 3. Conception et mise en œuvre d’actions
la hiérarchie, plaintes des patients) ; le doublonnage des de réduction du risque
outils de vigilance et de déclaration des évènements
porteurs de risques (EPR). Dans ces circonstances, on comprendra aisément que la
conception et la mise en œuvre d’actions de réduction
La détermination des causes latentes, d’ordre organisa- des risques ont été faites de façon empirique et progres-
tionnel et systémique, est un exercice beaucoup plus sive, en fonction des progrès réalisés en matière d’ana-
délicat, d’autant plus que la description des EIG décla- lyse des évènements indésirables liés aux soins. On
rés n’est pas toujours assez précise pour en comprendre peut ainsi schématiquement distinguer plusieurs angles
précisément les circonstances et que des investigations d’approche qui, il faut le souligner d’emblée, sont mis
approfondies peuvent s’avérer nécessaires. À titre d’il- en œuvre à différents niveaux (national, régional, local),
lustration, l’administration d’un mauvais médicament par différents acteurs (pouvoirs publics, assurance
ou d’une dose inappropriée peut être liée à une série de maladie, professionnels de santé et usagers) :
facteurs : l’étiquetage du produit, qui prêterait à confu-
sion ; des modalités de stockage non sécurisées ; un • La sécurité des produits de santé (médicaments et
défaut de communication entre le prescripteur et la per- dispositifs médicaux) et de leurs conditions d’utili-
sonne chargée de l’administration ; une identification sation. Dans cette approche, il s’agit d’évaluer le
du patient insuffisamment claire. ratio bénéfice / risque intrinsèque à la consommation
d’un produit de santé.
Cet exemple illustre également la difficulté de détermi-
ner le niveau adéquat pour conduire l’exercice d’ana- • La sécurité des pratiques des professionnels de santé.
lyse des risques : au niveau de chaque spécialité Cette préoccupation tient non seulement à l’analyse
médicale ? Au niveau central en inter-spécialités ? Au des défaillances professionnelles ou de pratiques
niveau de chaque établissement de santé ? déviantes susceptibles de conduire à un évènement
indésirable, mais aussi au constat plus général d’une
Toutefois, la mise en évidence de l’importance des risques grande disparité de pratiques entre professionnels de
systémiques ne doit pas conduire à occulter l’importance santé.
du facteur humain. C’est au contraire la capacité du
professionnel de prendre de bonnes décisions dans des • La sécurité de l’organisation interne des établisse-
situations à risque imprévues – appréhendée dans la ments de santé. L’exemple du circuit du médicament
notion de résilience – qui peut s’avérer déterminante. en établissement de santé est à cet égard symptoma-
tique. En effet, il recouvre en réalité deux circuits,
Par ailleurs, les conclusions des analyses de causes se distincts et interconnectés, faisant intervenir de mul-
heurtent dans certains cas à la difficulté de les traduire tiples acteurs [14]. Le premier circuit, clinique, est
celui de la prise en charge médicamenteuse du patient
2
hospitalisé, depuis son entrée au moment où son trai-
Le principe d’une obligation de déclaration à l’autorité administrative
compétente des EIG autres que les infections nosocomiales a été posé par la tement personnel est pris en compte, jusqu’à sa sortie
loi n° 2004-806 du 9 août 2004 relative à la politique de santé publique ; la au moment où une prescription, qui sera dispensée en
mise en œuvre de cette disposition a été subordonnée à une expérimentation ville, est effectuée. Au sein de l’hôpital, ce circuit cli-
préalable, d’une durée maximale de trois ans, placée sous la responsabilité
de l’InVS. nique inclut les phases de prescription, dispensation,
administration. Le second circuit, logistique, concerne des personnes (diffusion d’une culture de sécurité des
le médicament en tant que produit, de l’achat jusqu’à soins, par exemple via des RMM ; recommandations
la délivrance dans l’unité de soins, rejoignant le cir- de bonnes pratiques, auto-évaluation) ;
cuit clinique au stade ultime, celui de l’administra- –– la planification territoriale de l’offre de soins qui
tion du médicament au patient. peut être obtenue de façon coercitive (octroi / retrait
d’autorisation d’exercice) ou incitative (primes à
• La sécurité de l’organisation des parcours de prise l’installation, tarification des activités, mise à dispo-
en charge des patients, qui mobilise tant les établis- sition de moyens).
sements de santé que la médecine de ville. Les don-
nées relatives aux risques liés aux parcours de soins, Ces approches ont des degrés de contrainte et d’oppo-
telles que des orientations inappropriées, l’absence sabilité différents. Elles se déploient et produisent
ou la rupture de prise en charge, sont encore parcel- également des effets sur des temporalités différentes.
laires [15]. Pourtant, le développement des maladies Certaines de ces actions visent à prévenir les facteurs
chroniques et des alternatives à l’hospitalisation rend risques de survenue des évènements indésirables, plutôt
le risque plus prégnant [16]. Dans son rapport de juin que de les réduire a posteriori. Cette approche permet
2011 relatif à la perte d’autonomie, le Haut Conseil d’aborder la gestion des risques dans un climat plus
pour l’avenir de l’assurance maladie a ainsi insisté sur serein, favorable à des modes d’apprentissage et au
la nécessaire continuité des différents modes de prise développement d’actions préventives. Ainsi, ont vu le
en charge des soins pour les personnes âgées en situa- jour des méthodes d’évaluation spécifiques comme les
tion de perte d’autonomie. Il s’agit aussi de traiter les trigger tools, l’analyse des modes de défaillance, de
effets de bord (side effects) de l’hospitalisation, telle leurs effets et de leur criticité (AMDEC) et l’analyse
qu’une prescription médicamenteuse inadaptée à la préliminaire des risques (APR), ainsi que des outils de
sortie de l’hôpital (produits non disponibles en ville, prévention du risque tels que la check-list opératoire ou
risque de non observance du traitement). les approches d’identito-vigilance.
• La sécurité de l’organisation territoriale de l’offre Ces approches ont en commun de souligner l’impor-
de soins. Cette approche tient, d’une part, au postulat tance des conditions locales dans lesquelles vont se
que le nombre d’actes réalisés ainsi que l’expérience développer ces démarches préventives. À cet égard,
des professionnels et l’organisation adaptée qui en l’évaluation de la culture de sécurité au sein des équipes
découlent sont corrélés à la sécurité des soins ; d’autre médicales et soignantes est devenue une autre compo-
part, à la nécessité d’assurer, le cas échéant, un accès sante importante de la gestion des risques. Selon le
rapide aux soins requis par l’état clinique du patient. niveau de culture, les actions préventives et l’apprentis-
sage s’ancreront plus ou moins aisément dans les pra-
tiques collectives des équipes, soulignant le besoin
Cette description schématique des différentes approches d’étudier minutieusement les modalités d’implantation
de la sécurité des soins fait apparaître un très grand de cette culture [17].
nombre d’acteurs et de facteurs de risque, qui exigent
la conjugaison d’actions de différents ordres. Par ail- Toutes ces actions correspondent davantage à une
leurs, le choix des modalités a été également déterminé logique de promotion de démarches continues d’amé-
par les leviers d’actions à disposition des régulateurs. lioration de la sécurité des soins que de sanction de
Au total, en France, les régulateurs mobilisent une large pratiques déviantes ou dangereuses. Elles doivent donc
palette d’outils. À nouveau schématiquement, on peut être conçues comme complémentaires des actions
distinguer différents types d’action : d’inspection et de contrôle organisées par ailleurs.
–– la prescription de normes, par voie réglementaire,
telles celles relatives aux caractéristiques techniques 4. Suivi de ces actions et de leurs résultats
des produits de santé (médicaments et dispositifs afin d’assurer le bouclage du dispositif
médicaux) ;
–– la modification des comportements en influençant Pour être complet, un dispositif de gestion des risques
l’intérêt à agir des différents acteurs de la sécurité des doit comporter un mécanisme de bouclage ou de retour
soins. Plusieurs leviers peuvent être mobilisés à cette d’expérience, qui implique une mesure de l’effectivité
fin, en fonction de la sensibilité des acteurs à ces et de l’efficacité des actions engagées. Les informa-
leviers : obligation instaurée par le cadre réglemen- tions ainsi recueillies doivent permettre une révision
taire (obligation de formation continue, protocoles régulière de la cartographie des risques et des actions à
opposables tels que la check-list au bloc opératoire), entreprendre pour les réduire.
incitation financière (récompenses / sanctions), ému-
lation par la pratique du benchmark, incitation faisant De manière plus générale, la démonstration d’un impact
appel à l’éthique et la responsabilité professionnelles positif constitue une forte préoccupation des pouvoirs
publics, non seulement du fait des contraintes budgé- sécurité stricto sensu, le projet de recherche CLARTE,
taires qui peuvent exiger des arbitrages entre disposi- soutenu par le ministère de la santé et la HAS, vise à défi-
tifs, mais aussi car il en va de la crédibilité même des nir des indicateurs de sécurité des soins pour évaluer,
dispositifs auprès des professionnels de santé qui les d’une part, la fréquence des évènements indésirables
portent et donc de leur efficacité. liés aux soins à partir des bases médico-administratives
des établissements de santé français (Programme de
Or, si les études d’impact réalisées au cours des der- médicalisation des systèmes d’information, PMSI) et,
nières années ont pu ponctuellement mettre en évidence d’autre part, la culture de sécurité chez les profession-
des effets sur les pratiques des professionnels de santé, nels de santé. Seules quelques expérimentations ont été
l’exercice est beaucoup plus embryonnaire et complexe engagées à ce stade.
en termes d’impact sur l’état clinique des patients [18].
Or il apparaît que les indicateurs de process et les Quant au chantier ouvert sur l’élaboration et la diffu-
i ndicateurs de résultats ne sont pas toujours
sion d’indicateurs de mortalité dans les établissements
convergents. de santé, il a peu avancé à ce jour. Le modèle développé
au Royaume-Uni est pourtant riche d’enseignements à
Dans ce contexte, un symposium relatif à l’impact des cet égard. Des indicateurs de résultats sont publiés par
programmes qualité, organisé par la Haute Autorité de établissement et par type d’interventions. Par ailleurs,
santé (HAS) en avril 2010 en collaboration avec le dans le cadre d’un programme intitulé Patient reported
British Medical Journal, avait permis de mettre en outcomes measures (PROMs), les patients sont invités
exergue l’importance du développement de la recherche à remplir un questionnaire pré- et postopératoire per-
sur le résultat clinique (outcome research) et le déve- mettant d’apprécier leur douleur et capacité de mobilité
loppement d’indicateurs à partir de cet objectif final [19].
(reverse indicators).
Il faut souligner que si la demande des pouvoirs publics
Au total, disposer d’indicateurs relatifs à l’état clinique est forte pour le développement de tels indicateurs, les
des patients pourrait avoir un double intérêt : disposer difficultés de mise en œuvre sont également impor-
de marqueurs de risques plus fiables que les vigilances, tantes ; il s’agit en particulier de résoudre des questions
et suivre l’efficacité des actions de gestion du risque d’ajustement à la gravité des patients et de capacité à
engagée. comparer des évènements qui restent malgré tout rares
dans la plupart des cas.
Or, les indicateurs et les données qu’il serait nécessaire
de mobiliser à cette fin sont encore insuffisants en Le développement des indicateurs est également très
France à ce jour. dépendant des sources de données disponibles. À cet
égard, dès la mise en place du projet COMPAQ-Hpst, il
5. Des progrès à attendre du côté de la construction est apparu que le PMSI, conçu dans un objectif d’éva-
d’indicateurs et de l’exploitation des données luation médico-économique, recueillait des données
médicales ? (codes diagnostics et actes en lien avec des séjours ano-
nymisés) qui ne permettaient pas une mesure de la qua-
Les indicateurs relatifs à l’état clinique des patients lité des processus réalisés au cours des séjours.
sont encore très rares. Ainsi, les indicateurs, développés
sous l’égide de la HAS et du Ministère de la santé, Le dossier médical du patient avec un recueil ad hoc
généralisés en 2011 dans les établissements de méde- d’informations a, par conséquent, été retenu comme
cine-chirurgie-obstétrique (MCO), sont relatifs à la base pour les indicateurs qualité de la HAS. Mais il
tenue du dossier patient, au délai d’envoi des courriers s’agit dans la grande majorité des cas de dossiers papier
en fin d’hospitalisation, à la traçabilité de l’évaluation dont l’exploitation est particulièrement lourde.
de la douleur, au dépistage des troubles nutritionnels, à L’informatisation des dossiers patients dans les établis-
la tenue du dossier anesthésique et à la prise en charge sements de santé est encore peu répandue.
médicamenteuse de l’infarctus du myocarde après la
phase aiguë. Ils évaluent ainsi des modes de coordina- Se pose alors la question de l’équilibre entre, d’une part
tion fondés sur une information partagée, elle-même l’intérêt de ces indicateurs pour les établissements de
gage de réduction des risques. Le tableau de bord des santé et le système et, d’autre part, le coût et niveau de
infections nosocomiales évalue pour sa part des actions contrainte qu’ils représentent [20].
et procédures mises en place, mais pas l’impact des
infections sur les résultats cliniques. Quant au suivi par registres, des initiatives ont été lan-
cées, restreintes à des activités spécifiques. La Société
Toutefois, plusieurs projets sont en cours et pourraient française de cardiologie, par exemple, a mis en place
être porteurs d’améliorations sensibles. En matière de plusieurs registres nationaux depuis 2005.
Dans ces circonstances, deux voies pourraient être • Compte tenu des pouvoirs que lui a conférés le légis-
explorées pour faciliter l’évaluation de l’amélioration lateur, quels sont les leviers à la disposition des pou-
de la sécurité de soins : l’ouverture de l’accès au sys- voirs publics pour mettre en œuvre les dispositifs
tème national d’information inter-régimes d’assurance qu’ils conçoivent ?
maladie (SNIIRAM) d’une part, et la mise en place du
dossier médical partagé (DMP), d’autre part. À cet égard, la diffusion publique d’indicateurs de sécu-
rité, et plus généralement l’obligation de rendre des
comptes sur ces sujets, fait débat [21]. Elle peut repré-
QUELLE RÉGULATION EN FRANCE DE senter une incitation à l’amélioration de la sécurité, et
ET / OU PAR LA SÉCURITÉ DES SOINS ? non une menace [22]. Mais il peut lui être préféré l’ap-
proche dite de l’internal reporting : on rend des comptes
1. Quel partage de responsabilité entre à une structure indépendante sur tous les évènements
professionnels de santé et pouvoirs publics ? indésirables. La structure gère au cas par cas la relation
avec le professionnel ainsi que la synthèse proposée à
Face à cet enjeu global, les pouvoirs publics et la HAS l’attention du grand public. Ainsi, le professionnel de
doivent se positionner entre, d’un côté l’accompagne- santé est amené à reconnaître plus facilement et à
ment des opérateurs dans leurs démarches de réduction apprendre de ses erreurs et à trouver des points d’amé-
des risques et, de l’autre côté, la gestion directe de ces lioration [23].
risques, que ce soit par l’analyse directe des zones de
risque, l’élaboration de recommandations ou le Les interactions entre normes et outils de soft law
suivi / évaluation / contrôle des actions engagées. Il ne doivent par ailleurs être conçues de façon dynamique.
s’agit pas tant d’un choix binaire que d’un curseur à En effet, si la norme peut fixer un niveau d’exigences
placer, en fonction de considérations à la fois d’effica- que les opérateurs s’efforceront d’atteindre en mobili-
cité et de faisabilité. sant des référentiels développés par des institutions
telles que la HAS, elle peut aussi être utilisée pour vali-
Autrement dit, les pouvoirs publics doivent s’attacher à der et généraliser des bonnes pratiques identifiées, dif-
répondre aux questions suivantes : fusées et testées sur le terrain. Elle doit également tenir
compte des critères favorisant l’adoption par les profes-
• D’après les connaissances disponibles, quel est le sionnels [24].
levier le plus efficace pour traiter chacune des zones
de risque dans le système de soins ? Schématique- Enfin, pour les responsabilités attribuées aux profes-
ment, la modification des pratiques des profession- sionnels de santé, se pose la question de l’équilibre
nels est sans doute favorisée par une appropriation entre approche individuelle et approche collective.
par les professionnels de la santé de la légitimité de Cette dernière pouvant être organisée par spécialité
la démarche et par la diffusion d’une culture de ges- médicale, au sein des établissements de santé ou par
tion des risques au sein des établissements de santé ; filière de soins.
mais peut-être l’instrument réglementaire peut-il
s’avérer indispensable pour prohiber certaines pra- 2. Les pouvoirs publics mettent-ils en œuvre
tiques ou comportements ou pour promouvoir cer- une stratégie nationale d’amélioration
tains équipements ou modes d’organisation. En raison de la sécurité des soins ?
de la diversité des causes des risques, une palette de
mesures peut être nécessaire. En ce qui concerne le partage des responsabilités entre
les différents acteurs institutionnels, on constate une
• Au regard du contexte plus large, incarné notam- forte dispersion, quelle que soit l’approche de la sécu-
ment par les négociations conventionnelles, quelle rité des soins considérée. Les descriptions ci-dessous ne
acceptabilité prévisible des dispositifs mis en œuvre prétendent pas à l’exhaustivité ; elles illustrent simple-
par les pouvoirs publics, quelle probabilité que les ment la complexité du système de régulation de la
personnes concernées acceptent de participer ? Cette sécurité des soins. Ainsi :
question est déterminante pour des dispositifs tels
que les vigilances qui requièrent, pour être effi- • La sécurité des produits (médicaments et dispositifs
caces, une participation active des professionnels de médicaux) relève en premier lieu de la responsabilité
santé. de l’Agence française de sécurité sanitaire des pro-
duits de santé (AFSSAPS) qui, pour l’évaluation du
• En termes de crédibilité du dispositif, l’autorégula- rapport bénéfice / risque de ces produits, applique une
tion par la profession / la spécialité suffit-elle ou faut-il législation essentiellement d’origine communautaire.
que le contrôle de l’efficacité du dispositif soit garanti La HAS remplit un rôle de « deuxième rempart » à
par les pouvoirs publics ? l’occasion de l’évaluation des produits de santé, en
vue de leur remboursement par la sécurité sociale. La • Pour l’identification des évènements indésirables liés
surveillance du marché et les mesures de police sani- aux soins, l’AFSSAPS gère sept types de vigilances :
taire, telles que les retraits des produits du marché, pharmacovigilance, hémovigilance, matériovigilance,
sont de la compétence de l’AFSSAPS. réactovigilance, biovigilance, cosmétovigilance, phar-
macodépendance ; l’InVS, la surveillance des infec-
• La sécurité des pratiques s’inscrit dans le champ de tions nosocomiales et l’expérimentation en 2010 de
compétences de la HAS, chargée par le législateur la déclaration des EIG ; l’ABM, l’AMP-vigilance ; la
d’élaborer des recommandations de bonnes pratiques. HAS, la déclaration des évènements porteurs de
Cependant, d’autres institutions sont appelées à risque (EPR), organisée dans le cadre de l’accrédita-
formuler des recommandations sur des champs spé- tion des médecins exerçant des spécialités à risque.
cifiques : l’Institut national du cancer (INCa) en
matière de cancérologie, l’Agence de la biomédecine • En ce qui concerne l’analyse des évènements indési-
(ABM) en matière d’assistance médicale à la pro- rables, conduite pour en identifier les causes, elle
création (AMP). Quant à l’interdiction de pratiques revient en général à l’institution en charge du sys-
potentiellement dangereuses, la loi ne prévoit cette tème de signalement. Par exemple, pour les disposi-
possibilité que pour les actes à finalité esthétique. tifs médicaux, c’est l’AFSSAPS qui analyse les
Les décisions relatives à la suspension d’un praticien données issues de la matériovigilance. Toutefois,
appartiennent au directeur général de l’ARS. l’analyse au niveau central peut se doubler d’une ana-
lyse au niveau local, dans l’établissement de santé ;
• L’organisation interne des établissements de santé au niveau régional, par l’ARS ; au sein de la spécia-
s’inscrit dans le cadre de la réglementation élaborée lité médicale, pour les EPR.
par le Ministère de la santé. En particulier, la loi
n° 2009-879 du 21 juillet 2009 portant réforme de • Pour la conception et la mise en œuvre d’actions de
l’hôpital et relative aux patients, à la santé et aux ter- réduction des risques, les initiatives se sont multi-
ritoires (dite loi HPST) a modifié en profondeur la pliées, en fonction des missions des uns et des autres.
gouvernance hospitalière et a notamment inclus dans À titre d’illustration, l’information sur les produits de
le champ des responsabilités des conférences et des santé est fournie aux professionnels de santé tant par
commissions médicales d’établissement (CME) la l’AFSSAPS que par la HAS et par l’UNCAM. Les
qualité et la gestion des risques liés aux soins. L’orga- recommandations de bonne pratique sont élaborées
nisation interne relève ensuite de la responsabilité des par la HAS mais aussi par les sociétés savantes et,
instances dirigeantes de l’établissement. Elle peut être pour certaines activités, par des agences spécialisées
influencée par l’intermédiaire des relations contrac- telles que l’INCa ou l’ABM. Les actions de gestion
tuelles avec les ARS, traduites dans les contrats pluri du risque à prendre à l’hôpital sont déterminées tant
annuels d’objectifs et de moyens (CPOM), ainsi que par le Ministère de la santé, via la réglementation,
via la fixation des tarifs des groupes homogènes de que par la HAS, via la certification des établisse-
séjour (GHS) par le Ministère de la santé. ments de santé. L’Agence nationale d’appui à la per-
formance (ANAP) peut également jouer un rôle via
• L’organisation des parcours de soins fait intervenir de les contrats de performance qu’elle signe avec cer-
multiples opérateurs, eux-mêmes régulés par diffé- tains établissements de santé.
rents acteurs. À titre d’illustration, les répartitions de
compétences entre les professions de santé sont fixées • Quant au suivi des actions ainsi engagées, les don-
par voie réglementaire. Les négociations convention- nées qui seraient nécessaires, notamment celles issues
nelles sont menées, séparément avec chacune des du SNIIRAM (Système national d’information inter-
professions, par l’Union nationale des caisses d’assu- régimes d’assurance maladie), sont aux mains de
rance maladie (UNCAM). La HAS, pour sa part, a l’UNCAM et, à ce titre, peu mobilisables par les
élaboré des guides relatifs aux affections de longue autres acteurs de la gestion du risque.
durée (ALD).
Cet éclatement des responsabilités, en matière de sécu-
• La planification et l’organisation de l’offre de soins rité des soins, selon plusieurs lignes de partage,
relève essentiellement des ARS, en fonction d’orien- engendre des risques d’incohérence, voire de concur-
tations ou de réglementations fixées au niveau natio- rence, entre les actions engagées. Au-delà, c’est l’effi-
nal, que ce soit pour l’offre de soins hospitalière ou cacité même de la régulation de la sécurité des soins
la médecine de ville. qui est compromise.
Un même éclatement des responsabilités existe si l’on Les risques inhérents à l’éclatement des responsabilités
considère les différentes composantes de la gestion des entre les acteurs institutionnels pourraient être réduits
risques associés aux soins. par l’action fédératrice d’un chef de file ou bien par
une convergence « naturelle » des actions entreprises lorsqu’ils affichent leurs scores en matière de qualité
vers un même objectif. Or, ni l’une, ni l’autre des pour accroître leur attractivité ; tout label de qualité est
conditions ne semble actuellement réunie. alors vu comme « un éventuel avantage concurrentiel
dans la chasse à l’acte ou au patient » [25]. Toutefois,
D’une part, si le Ministère de la santé doit s’affirmer d’après les études conduites à ce sujet, l’influence des
comme chef de file, force est de constater sa faiblesse informations diffusées sur le comportement des usagers
en termes de moyens et de légitimité face aux institu- apparaît généralement comme faible [26].
tions du champ sanitaire.
D’autre part, une convergence naturelle présuppose une
concordance des objectifs poursuivis par les différents
acteurs institutionnels, qui n’existe pas dans le système
RÉFÉRENCES
de régulation actuel. Par conséquent, les leviers poten-
tiellement les plus efficaces pour réduire les risques 1. Amalberti R, Bruneau C, Desplanques A, Degos L. Viewing
associés aux soins sont susceptibles d’être mobilisés à the safety imperative from the French policy perspective. Qual
d’autres fins. Saf Health Care. 2009;18(6):420-1.
2. Carlet J, Fabry J, Amalberti R, Degos L. The zero risk
En particulier, l’UNCAM dispose de nombreux leviers concept for hospital-acquired infections (HAI): a risky busi-
vis-à-vis des professionnels de santé, tels que les inci- ness! Clin Infect Dis. 2009;49(5):747-9.
tations financières accordées dans les négociations
conventionnelles, les visites des délégués de l’assurance 3. Institut BVA. Suivi barométrique de l’opinion des Français
à l’égard de la santé, de la protection sociale, de la précarité,
maladie (DAM), les outils informatiques de contrôle de
de la famille et de la solidarité. Synthèse des principaux
l’activité des établissements de santé et des profession-
enseignements de l’étude. Paris : DREES / BVA ; 2011.
nels libéraux. Mais l’UNCAM les utilise en priorité
[http://www.sante.gouv.fr/IMG/pdf/synthese_bva2010.pdf]
pour l’atteinte de ses propres objectifs, parmi lesquels
la sécurité des soins occupe un rang secondaire. 4. Conklin A, Vilamovska AM, de Vries H, Hatziandreu E.
Improving patient safety in the EU, assessing the expected
De toute façon, la coexistence de multiples dispositifs, effects of three policy areas for future action. Santa Monica,
dont la mise en cohérence n’est pas visible, nuit à leur CA: RAND Corporation, RAND Europe; 2008.
efficacité. En effet, la plupart des dispositifs exigent 5. Committee on Quality of health care in America, Institute
une participation active des opérateurs de la santé, qui of medicine. Crossing the quality chasm: a new health system
ne sera obtenue que pour des dispositifs jugés compré- for the 21st century. Washington, DC: The national academies
hensibles, utiles et crédibles. press; 2001.
6. Or Z, Com-Ruelle L. La qualité des soins en France : com-
ment la mesurer pour l’améliorer ? Paris : IRDES ; 2008.
CONCLUSION. LA SÉCURITÉ DES SOINS :
UN OUTIL DE LA RÉGULATION GLOBALE 7. Coldefy M, Com-Ruelle L, Lucas-Gabrielli V. Distances et
DU SYSTÈME DE SOINS ? temps d’accès aux soins en France métropolitaine. Questions
d’économie de la santé (164). Paris : IRDES ; 2011/04.
Au total, il n’existe pas en France à ce jour de régula- 8. Millat B. Accréditation des praticiens : un nouveau para-
tion de la sécurité, en l’absence de stratégie explicite et digme d’organisation, de fonctionnement et d’enseignement
globale de gestion du risque sanitaire inhérent au fonc- des spécialités à risque. Revue hospitalière de France.
tionnement du système de soins. 2010;(536).
Quant à la régulation du système de santé par la sécu- 9. Degos L. Santé : sortir des crises ? Parsi : Ed. Pommier ;
2011.
rité, pour atteindre d’autres objectifs tels que la maîtrise
des dépenses ou l’accès aux soins, elle est embryon- 10. Amalberti R, Gremion C, Auroy Y, Michel P, Salmi R, Par-
naire. Pourtant, la performance en matière de sécurité neix P, et al. Les systèmes de signalement des évènements
des soins, mesurée au travers d’indicateurs de qualité et indésirables en médecine. Études et résultats (584). Paris :
de sécurité des soins, des résultats de la certification et DREES ; 2007.
de ceux de l’accréditation, comme du recours à des 11. Kohn LT, Corrigan J, Donaldson MS, eds. To err is
méthodes d’auto-évaluation (RMM, REX – Retour human: building a safer health system. Washington, DC: The
d’expérience) pourrait être intégrée dans les choix national academies press; 2000.
régissant les restructurations de l’offre de soins ou les
attributions de financements. 12. Leape LL, Berwick DM. Five years after to err is human:
what have we learned? JAMA. 2005;293:2384-90.
La régulation pourrait aussi se faire via les choix des 13. Perrow C. Normal accidents. New Jersey: Princeton Uni-
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