008330ar
008330ar
008330ar
ISSN
0843-4468 (print)
1703-9312 (digital)
Tous droits réservés © Les Presses de l'Université de Montréal, 2001 This document is protected by copyright law. Use of the services of Érudit
(including reproduction) is subject to its terms and conditions, which can be
viewed online.
https://apropos.erudit.org/en/users/policy-on-use/
Tiré de : Nouvelles pratiques sociales, vol. 14, no 1, sous la direction de Jean-François René et Lise Gervais.
Le sens de la communauté chez les jeunes Hindous de Montréal 153
INTRODUCTION
Tiré de : Nouvelles pratiques sociales, vol. 14, no 1, sous la direction de Jean-François René et Lise Gervais.
154 Hors thème
Tiré de : Nouvelles pratiques sociales, vol. 14, no 1, sous la direction de Jean-François René et Lise Gervais.
Le sens de la communauté chez les jeunes Hindous de Montréal 155
Par ailleurs, nous aurions aimé jeter un regard rétrospectif sur notre
propre recherche-action. Faute d’espace, nous ne pourrons malheureusement
pas aborder la question de la pertinence de nos préconceptions au sujet de
la communauté Hindoue de Montréal, au regard de ce que pensent les jeunes
Hindous rencontrés. En attendant d’y revenir dans un autre article, l’intérêt
de ce texte est de faire ressortir le visage empirique et le sens d’une commu-
nauté ethnoculturelle vue de ses membres. Cela devrait permettre de soulever
des interrogations face au discours ethniciste, tant officiel que scientifique.
Qu’entendent les jeunes Hindous de Montréal par « communauté hindoue » ?
Telle est la question directrice de notre démarche.
Pour la plupart des jeunes Hindous que nous avons abordés, il existe bel et
bien une communauté hindoue à Montréal. Celle-ci leur apparaît comme une
réalité plurielle, composite, comme le laisse entendre cette jeune universitaire,
bengalie par ses parents :
The Hindu community is so diverse ! So you can’t really say there is a certain
kind of Hindu community. Amongst Hindus themselves, they are all
separated by language or regional differences.
Ainsi, d’après ce que nous ont dit les jeunes rencontrés, nous avons
relevé trois caractéristiques générales du visage empirique de la communauté
hindoue de Montréal,
La mosaïque originaire
Au premier degré, pourrait-on dire, la diversité communautaire concerne les
personnes, les Hindous eux-mêmes. Mais il ne s’agit pas du fait biogénétique
selon lequel il n’existe pas deux êtres humains identiques ; il s’agit plutôt d’élé-
ments culturels qui permettent aux Hindous de se distinguer les uns des autres,
comme la langue vernaculaire, la région géographique d’origine, la caste,
ou jâti, le lignage, les pratiques spirituelles, etc. À ce niveau, la diversité
renvoie aux appartenances qui prennent source dans le pays d’origine. En
effet, il est remarquable que des jeunes Hindous nés ou ayant grandi au
Québec ou au Canada se perçoivent comme appartenant à une mosaïque
préalable à l’immigration de leurs parents :
I don’t see myself as being part of any community. I see myself as being
part of two groups. My parents come from Karnataka, but we are really
Tamillians and the Tamillians here are Sri Lankan. And if you have
Tamillians they are Ayers, but we’re not Ayers, we’re Ayengars. Even
Tiré de : Nouvelles pratiques sociales, vol. 14, no 1, sous la direction de Jean-François René et Lise Gervais.
156 Hors thème
Tiré de : Nouvelles pratiques sociales, vol. 14, no 1, sous la direction de Jean-François René et Lise Gervais.
Le sens de la communauté chez les jeunes Hindous de Montréal 157
Tiré de : Nouvelles pratiques sociales, vol. 14, no 1, sous la direction de Jean-François René et Lise Gervais.
158 Hors thème
Tiré de : Nouvelles pratiques sociales, vol. 14, no 1, sous la direction de Jean-François René et Lise Gervais.
Le sens de la communauté chez les jeunes Hindous de Montréal 159
Tiré de : Nouvelles pratiques sociales, vol. 14, no 1, sous la direction de Jean-François René et Lise Gervais.
160 Hors thème
Tiré de : Nouvelles pratiques sociales, vol. 14, no 1, sous la direction de Jean-François René et Lise Gervais.
Le sens de la communauté chez les jeunes Hindous de Montréal 161
There is Gujrat Samaj, which I’m a part of. There’s also the Bharat Bhavan,
which I’m also a part of. We were first part of Bharat because that’s basically
the Patel Samaj and my Dad has life membership there. We just recently
became members of Gujrat Samaj because I have a lot of friends who go there.
Bien entendu, il serait intéressant de pousser plus avant et de sonder
les motivations d’un tel débordement d’engagement communautaire, d’éva-
luer les bienfaits que l’on peut recueillir de chaque engagement particulier,
de relever la complémentarité ou les oppositions qui les caractérisent, mais
tel n’est pas le propos de cette étude.
En définitive, on peut s’étonner de ce que bien des jeunes Hindous se
montrent si peu proches des organisations communautaires au sens indiqué.
D’une part, nous nous attendions à ce qu’ils les fréquentent plus qu’ils ne
semblent le faire réellement ; d’autre part, ces organisations essentiellement
articulées sur le contexte migratoire québécois devraient en principe répondre
mieux aux préoccupations des Hindous de la deuxième génération nés au
Québec. Mais le fait est que d’attribuer à ces jeunes l’appartenance à une
communauté hindoue de Montréal ne suscite pas automatiquement en eux
un sentiment d’appartenance. Il n’empêche que la diversité constitue la
caractéristique majeure du visage empirique de la communauté hindoue de
Montréal. D’une ambiguïté positive ou négative, suivant les points de vue,
celle-ci ne comporte pas de valence univoque, du moins selon les jeunes que
nous avons rencontrés. Cette ambiguïté marque aussi bien les organisations
d’ancrage culturel et spirituel hindou que certaines organisations plus articulées
autour du contexte migratoire québécois.
On peut noter aussi, comme autre indication importante, que la majorité
de nos répondants se sentent plus attachés aux espaces associatifs significatifs
d’ancrage culturel et spirituel hindou, en principe plus éloignés d’eux dans
l’espace et le temps, qu’envers les organisations ancrées dans le contexte
migratoire québécois, en principe plus proches d’eux. Le paradoxe, si cela en
est un, peut s’expliquer. D’abord, il n’y a pas tellement longtemps que l’Inde
fait l’expérience de la modernité venue d’Occident ; en regard des traditions
millénaires de l’ensemble du sous-continent sud-asiatique, l’organisation
moderne, tant étatique qu’associative ou communautaire, est quelque chose
de relativement nouveau pour les ressortissants indiens, même lorsqu’ils ont
émigré. En même temps, les Hindous, comme tous les immigrés, éprouvent
la nécessité de s’organiser lorsqu’ils vivent en contexte migratoire ; mais leurs
organisations s’inscrivent dans l’expérience interculturelle que connaissent
tous les immigrés vivant à cheval entre le pays d’origine et le pays hôte. Rien
n’est plus normal que de voir les jeunes interrogés osciller entre les conceptions
nord-américaines et les conceptions indiennes, entre la référence à leur pays
de naissance ou d’adoption qu’est le Canada et la référence au pays d’origine
de leurs parents qu’est l’Inde.
Tiré de : Nouvelles pratiques sociales, vol. 14, no 1, sous la direction de Jean-François René et Lise Gervais.
162 Hors thème
La référence à l’Inde
Le sentiment d’appartenance est un élément qui est souvent revenu dans le
propos de nos répondants et sur lequel reposerait fondamentalement leur
sens de la communauté. Ce sentiment renvoie constamment à l’Inde, le pays
d’origine de leurs parents. Quant à la communauté, elle se présente à nos
répondants comme une réalité émergente qui accompagne le besoin
d’ancrage ou d’ajustement identitaire des (futurs) membres. À ce titre, la commu-
nauté prend forme dans le cadre d’une quête identitaire de ses membres,
quête identitaire qu’elle sert à cristalliser en retour. En outre, la communauté
se présente comme une réalité préalable, dans laquelle on naît et l’on se
retrouve, à un degré ou à un autre. Dans ce sens, elle procure à ses membres
une identité de fait – disons d’origine –, ancrée dans l’héritage spirituel et
culturel des parents. Le sentiment d’appartenance se ressent fortement de
cette double valence. Le jeune se trouve pris entre son identité de fait au sein
d’une communauté déjà là et son besoin d’identification au sein de la même
communauté en mouvement, spécialement en contexte migratoire. Ce qui
donne sens à la communauté, pour lui, tient de ce fait et de ce besoin, de
son identité reçue, pour ainsi dire, et de son identité en construction. Selon
nos répondants, la responsabilité réciproque est un élément fondamental qui
régule l’oscillation du jeune entre les deux pôles, qui d’ailleurs ne s’excluent
pas mutuellement. D’un côté, il y a ce que les jeunes attendent de la
communauté, au-delà d’un apport matériel ou d’un soutien financier :
Tiré de : Nouvelles pratiques sociales, vol. 14, no 1, sous la direction de Jean-François René et Lise Gervais.
Le sens de la communauté chez les jeunes Hindous de Montréal 163
To give people like us the sense that we are a part of the community ; and
not only that, but also spiritual “upliftment” is so important nowadays.
D’un autre côté, il y a ce que la communauté est en droit d’attendre de
ses membres :
My responsibilities towards the community are basically to promote the
culture as much as I can and to hear other people’s problems. ‘Cause I’m
sure I’ve shared similar problems with other Indian kids.
Cadre d’échange et de partage, la communauté s’entend aussi comme
lieu de communion spirituelle. À ce titre, elle distille la convivialité et articule
la cohésion entre tous ses membres (personnes, familles, organisations,
regroupement d’organisations). Plus que tout, la communauté donne sens à
ce que l’on est au départ et au fond de soi-même : des Hindous ! Le fait de
former une communauté va de pair avec le fait de se laisser porter et, en
quelque sorte, définir par la même communauté. La culture joue ici un rôle
de tout premier plan, pour autant qu’elle habite et traverse ce lieu de commu-
nion spirituelle en chacun de ses membres et en chacune de ses expressions
collectives. De telle sorte que la responsabilité réciproque entre le jeune
Hindou et sa communauté a son ancrage dans la culture, dans les expressions
et les manifestations culturelles ou à caractère religieux. Le sens de la commu-
nauté réside donc dans la vitalité de la culture hindoue au Québec. C’est elle
qui souligne la présence hindoue dans le pays d’immigration. Un élève du
secondaire est on ne peut plus explicite à ce sujet, comparant la commu-
nauté à un regroupement fondé sur la culture :
The community is an association and represents that Indians, even outside
India, can stay together, and can have some say, and can start building some
Indian culture here and other places out of India.
La communauté n’est donc pas une somme arithmétique d’individus
et d’organisations en contexte québécois. Son sens, selon nos répondants,
ne s’épuise pas dans la seule provenance géographique des individus qui la
composent. À travers la culture et la spiritualité vécues, elle se révèle active
et vivante, non pas enfermée dans sa spécificité mais ouverte à la mosaïque
culturelle québécoise, voire canadienne. Les jeunes rencontrés se voient
comme partie prenante de cette présence active et vivante. Ils pensent que
la vie et la survie de leur communauté en Amérique du Nord en dépendent,
ainsi que s’en émeut une étudiante de cégep :
I expect them [community organizations] to get the youth more involved,
rather than enfolding only the parents, because we will be taking care of
the community later on. I feel I should be putting effort into it because if I
didn’t do it, who else would ?
Tiré de : Nouvelles pratiques sociales, vol. 14, no 1, sous la direction de Jean-François René et Lise Gervais.
164 Hors thème
Tiré de : Nouvelles pratiques sociales, vol. 14, no 1, sous la direction de Jean-François René et Lise Gervais.
Le sens de la communauté chez les jeunes Hindous de Montréal 165
Tiré de : Nouvelles pratiques sociales, vol. 14, no 1, sous la direction de Jean-François René et Lise Gervais.
166 Hors thème
CONSIDÉRATIONS CONCLUSIVES
Entre le Gange et le Saint-Laurent
Répétons que le sens de la communauté, chez les jeunes Hindous rencontrés,
relève à la fois de l’univers hindou comme socle et fondement culturels et
spirituels, par les parents, et d’autres appartenances de fait, plutôt fonction-
nelles, qu’elles soient sociales ou juridiques. Ce sens de la communauté se
cristallise dans l’articulation de deux temps et de deux espaces, du proche et
du lointain, du familier et de l’étranger. On pourrait parler de mémoire
plurielle, à la fois immédiate et médiate, dont le sens réside dans la trans-
cendance du temps et de l’espace.
D’une part, la mémoire immédiate articule le temps et l’espace d’ici,
le temps et l’espace qui s’étendent à partir de l’arrivée des parents et dans
lesquels l’héritage de l’Inde s’efforce de prendre racine. La mémoire médiate,
elle, articule le temps et l’espace de là-bas, le temps qui a eu cours et l’espace
qui s’étend jusqu’au départ des parents et dans lesquels les enfants nés ou
grandissant au Québec (mais aussi leurs parents) s’efforcent de reprendre ou
de garder pied. Si elles sont distinctes, ces deux mémoires ne sont absolument
pas dissociables, parallèles ou successives dans l’expérience cumulative et
articulatoire qu’est le processus migratoire. Dans le même ordre d’idées, ces
deux mémoires ou, mieux, ces deux expressions de la mémoire plurielle en
contexte d’immigration ne se confondent pas, alors même qu’elles se rejoignent
par la racine et par le feuillage. L’une renvoie à l’autre, et vice versa.
En somme, la communauté hindoue de Montréal puise la sève qui lui
donne sens au bord du Gange ; elle s’entend alors comme l’univers hindou
auquel renvoient les différentes expressions communautaires d’ancrage
culturel et spirituel hindou que nous avons appelées plus haut les espaces
associatifs significatifs. La communauté hindoue de Montréal digère la sève
originaire des rives du Gange et se remodèle, au moins partiellement, suivant
les sinuosités du Saint-Laurent. Elle s’entend alors comme le champ des
Tiré de : Nouvelles pratiques sociales, vol. 14, no 1, sous la direction de Jean-François René et Lise Gervais.
Le sens de la communauté chez les jeunes Hindous de Montréal 167
Deux interpellations
Étant donné le sens que les jeunes Hindous donnent à leur communauté, la
notion de communauté ethnoculturelle, d’usage courant au Québec plus
qu’ailleurs au Canada, mérite d’être remise en question. Le terme même de
communauté ethnoculturelle apparaît lié à la question constitutionnelle du
Québec, beaucoup plus qu’à la réalité des immigrés. En effet, le terme a vu
le jour dans le cadre des discussions entourant La politique québécoise de
convergence culturelle (1978), suivie de Autant de façons d’être québécois,
Plan d’action du gouvernement du Québec à l’intention des communautés
culturelles (1981), tous deux élaborés comme solutions de rechange à La
politique du multiculturalisme pancanadien (1971). Cela étant, à en croire
les jeunes Hindous que nous avons rencontrés (mais aussi leurs parents), la
réalité des communautés ethnoculturelles du Québec ne s’épuise ni dans l’ori-
gine géographique ni dans le critère linguistique de la langue maternelle autre
que le français et (ou) l’anglais. Dans les faits, préalablement à leur immigra-
tion au Canada et à la diversité interne au pays hôte, les Hindous de Montréal
ont hérité d’une diversité plusieurs fois millénaire quant à la provenance
géographique, à la culture d’origine, à la religion, à la langue maternelle, etc.
Cette dimension prémigratoire constitue en soi une nuance importante, au
point de vue sociopolitique local, quant à ce que l’on pourrait appeler la
communauté hindoue de Montréal. De telle sorte que, sans être tout à
fait ce que la société hôte veut qu’elle soit, mais sans être non plus tout
à fait à l’image de ce qu’elle est au pays d’origine, la réalité de la commu-
nauté hindoue de Montréal prend forme dans un entre-deux, à travers une
expérience fondamentalement interculturelle. Le propos des jeunes Hindous
rencontrés pose donc une double interpellation :
Tiré de : Nouvelles pratiques sociales, vol. 14, no 1, sous la direction de Jean-François René et Lise Gervais.
168 Hors thème
Bibliographie
DELEURY, Guy (1978). Le modèle hindou. Essais sur les structures de la civilisation de
l’Inde d’hier et d’aujourd’hui, Paris, Hachette, 403 pages.
KANUNGO RABINDRA, N. (1984). South Asian in the Canadian Mosaic, Montréal, Kala
Bharati, 186 pages.
KAKAR, S. (1985). Le monde intérieur : enfance et société en Inde, Paris, Les Belles Lettres,
213 pages.
Tiré de : Nouvelles pratiques sociales, vol. 14, no 1, sous la direction de Jean-François René et Lise Gervais.