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Nouvelles pratiques sociales

Le sens de la communauté chez les jeunes Hindous de


Montréal : entre le Gange et le Saint-Laurent
Lomomba Emongo, Kalpana Das and Gilles Bibeau

Volume 14, Number 1, June 2001 Article abstract


The concept of cultural community or ethnocultural community is closely
La dynamique partenariale : un état de la question related to immigration in Quebec. The definitions given in research works,
social interventions or governmental policies do not always seem to
URI: https://id.erudit.org/iderudit/008330ar correspond to reality. Between the definitions received from different authors,
DOI: https://doi.org/10.7202/008330ar schools or governmental programs, and reality, we chose to give priority to
what the young Hindus met at the time of our research had to say. It appeared
that the definitions received, as well as our presuppositions at the beginning of
See table of contents
our research are shaded by what the young Hindus had to say. This motivated
us to re-examine, through the point of view of the second generation, the
integration of the ethnocultural communities in a country like Quebec.
Publisher(s) Undoubtedly, this brings new material for thought to social sciences and other
fields involving social and political issues.
Université du Québec à Montréal

ISSN
0843-4468 (print)
1703-9312 (digital)

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Emongo, L., Das, K. & Bibeau, G. (2001). Le sens de la communauté chez les
jeunes Hindous de Montréal : entre le Gange et le Saint-Laurent. Nouvelles
pratiques sociales, 14(1), 152–168. https://doi.org/10.7202/008330ar

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◆ Le sens de la
communauté chez
les jeunes Hindous de
Montréal: entre le Gange
et le Saint-Laurent
Lomomba EMONGO
Institut interculturel de Montréal
Kalpana DAS
Institut interculturel de Montréal
Gilles BIBEAU
Université de Montréal

La notion de communauté culturelle ou communauté


ethnoculturelle est étroitement liée à l’immigration au Québec. Les
définitions qui lui sont données en fonction d’une recherche, d’une
intervention ou d’une politique gouvernementale ne semblent pas
toujours correspondre à la réalité. Entre les définitions reçues des
auteurs, des écoles, des courants ou des programmes gouverne-
mentaux et la réalité, nous avons choisi de donner la parole en
priorité aux jeunes Hindous rencontrés lors de notre recherche-
action. Il nous est apparu que les définitions reçues, de même que
nos propres présupposés au début de notre recherche se trouvent
nuancés par ce que nous ont dit les jeunes rencontrés. Ce qui incite
à réexaminer, à travers le point de vue de la deuxième génération,
l’intégration des communautés ethnoculturelles dans un pays
comme le Québec. Sans doute y a-t-il là matière à réflexion à la
fois pour les sciences humaines et pour tout ce qu’englobent les
préoccupations sociales.

© 2001 – Presses de l’Université du Québec


Édifice Le Delta I, 2875, boul. Laurier, bureau 450, Sainte-Foy, Québec G1V 2M2 • Tél. : (418) 657-4399 – www.puq.uquebec.ca

Tiré de : Nouvelles pratiques sociales, vol. 14, no 1, sous la direction de Jean-François René et Lise Gervais.
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The concept of cultural community or ethnocultural community


is closely related to immigration in Quebec. The definitions
given in research works, social interventions or governmental
policies do not always seem to correspond to reality. Between
the definitions received from different authors, schools or
governmental programs, and reality, we chose to give priority
to what the young Hindus met at the time of our research had
to say. It appeared that the definitions received, as well as our
presuppositions at the beginning of our research are shaded by
what the young Hindus had to say. This motivated us to re-
examine, through the point of view of the second generation,
the integration of the ethnocultural communities in a country
like Quebec. Undoubtedly, this brings new material for thought
to social sciences and other fields involving social and political
issues.

INTRODUCTION

Le présent article fait suite à une recherche-action conduite par l’Institut


interculturel de Montréal (IIM) et intitulée Pratiques identitaires et résolution
des problèmes dans la communauté hindoue de Montréal1. La dimension
psychosociale de la santé mentale des immigrés hindous est au cœur du
projet. Plus que les troubles de comportement et les diagnostics psychia-
triques, la santé mentale renvoie aux conceptions des différentes cultures
relativement à l’équilibre ou à la paix intérieure, à la quête d’harmonie non
seulement avec soi-même mais également avec le reste de la société, la
nature, le cosmos et le divin.
Cette recherche-action a été l’occasion d’explorer ce que signifie la
collectivité aux yeux des membres de la communauté hindoue de Montréal.
La méthodologie se voulait proche de l’anthropologie culturelle ; mais, en
même temps, elle a cherché à faire émerger des conditions permettant la
modification des conceptions et des pratiques. De telle sorte que, dans cet
article, nous entendons revisiter la conception que l’on a généralement d’une
communauté ethnoculturelle au Québec, et ce, à la lumière de la conception

1. Projet réalisé avec la collaboration de Ranjana Jha, à titre de personne-ressource de la commu-


nauté hindoue et grâce au soutien financier du ministère du Patrimoine canadien. Il s’inscrit dans
la dynamique de partenariat de l’IIM avec l’Équipe de recherche-action en santé mentale et culture
(ÉRASME), dont la coordination est assurée par Ellen Corin, anthropologue et psychiatre à l’Uni-
versité McGill et au centre de recherche de l’Hôpital Douglas. ÉRASME existe depuis 1993 et
fonctionne grâce à la subvention d’équipe allouée par le Conseil québécois de la recherche sociale
(CQRS). Son champ de recherche est essentiellement la santé mentale dans une perspective
pluraliste, au regard tant des communautés ethnoculturelles que du mouvement alternatif au sein
de la société québécoise. Trois grandes structures composent ÉRASME, en plus des chercheur(e)s
universitaires issu(e)s d’horizons divers : l’Institut interculturel de Montréal (IIM), la Table de
concertation pour les réfugiés et les personnes immigrantes (TCRI) et le Regroupement des
ressources alternatives en santé mentale du Québec (RRASMQ).

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qu’ont nos répondants de leur propre communauté. Il n’est pas certain, en


effet, que le sens de notions telles que groupe ethnique, communauté cultu-
relle, communauté ethnoculturelle, minorités visibles et bien d’autres soit le
même dans le langage courant ou les études scientifiques que pour ceux qui
sont désignés par ces catégories. Par ailleurs, nous avons ajouté une dimen-
sion interculturelle à notre démarche méthodologique. En effet, les partenaires
communautaires communément appelés personnes-ressources sont ici consi-
dérés comme des chercheurs à part entière, appelés à assumer conjointement
le projet, de sa conception à la diffusion de ses résultats, en passant par sa
réalisation, son évaluation, etc.
L’instrument principal de la recherche était un guide d’interviews semi-
dirigées, adapté selon les groupes de personnes interrogées. Nous avons aussi
recouru à la technique d’animation de groupes. Ainsi, nous avons atteint
quatre catégories de répondants et réalisé une soixantaine d’interviews avec
les parents, les experts traditionnels, les professionnels et les jeunes Hindous.
Cet article met l’accent sur les jeunes et s’inspire des 20 interviews indivi-
duelles et des 5 animations de groupes réalisées avec eux. Les jeunes ont
été sélectionnés suivant trois cohortes : les 13 à 15 ans, les 16 à 20 ans et
les 20 à 25 ans. Ces trois cohortes correspondent plus ou moins à trois degrés
de scolarité : le secondaire, le cégep et l’université. Nous avons tenu compte
d’autres critères de sélection relativement à la situation de leur famille : les
catégories socioéconomiques, la région d’origine en Inde, la langue verna-
culaire des parents, leur lieu de mariage (en Inde ou ailleurs dans le monde),
le type de mariage (de même caste ou mixte). En dehors de quelques
déséquilibres internes à l’échantillon réel que nous avons pu atteindre, nos
données sont suffisamment riches en contenu pour alimenter un article sur
le sens que les jeunes Hindous de Montréal donnent à leur communauté.
Le fait de choisir des jeunes se justifie par la position charnière qu’ils
occupent entre la génération des parents nés en Inde ou ailleurs dans le
monde et la prochaine génération d’enfants qui naîtront et vivront au Québec.
À cheval entre deux références, le pays d’origine de leurs parents (l’Inde) et
le Canada ou le Québec, les jeunes Hindous de Montréal nous ont livré un
discours multiréférentiel sur la communauté ethnoculturelle à laquelle ils sont
censés appartenir. Comme nous le verrons, leur perception de la place, du
rôle et du sens de la communauté hindoue (indienne ou sud-asiatique) en
contexte d’immigration est révélatrice des dimensions et des nuances qui ne
sont pas toujours visibles d’emblée. Par exemple, si les conflits d’identité sont
inévitables du fait du choc des cultures, ils n’aboutissent pas nécessairement
à un tiraillement sans issue. D’autre part, les deux références de nos répondants
finissent par se conjuguer, sans toutefois se confondre, dans une même
expérience transnationale et transculturelle de quête d’identité.

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Par ailleurs, nous aurions aimé jeter un regard rétrospectif sur notre
propre recherche-action. Faute d’espace, nous ne pourrons malheureusement
pas aborder la question de la pertinence de nos préconceptions au sujet de
la communauté Hindoue de Montréal, au regard de ce que pensent les jeunes
Hindous rencontrés. En attendant d’y revenir dans un autre article, l’intérêt
de ce texte est de faire ressortir le visage empirique et le sens d’une commu-
nauté ethnoculturelle vue de ses membres. Cela devrait permettre de soulever
des interrogations face au discours ethniciste, tant officiel que scientifique.
Qu’entendent les jeunes Hindous de Montréal par « communauté hindoue » ?
Telle est la question directrice de notre démarche.

DE LA COMMUNAUTÉ HINDOUE DE MONTRÉAL

Son visage empirique : diversité et ambiguïté

Pour la plupart des jeunes Hindous que nous avons abordés, il existe bel et
bien une communauté hindoue à Montréal. Celle-ci leur apparaît comme une
réalité plurielle, composite, comme le laisse entendre cette jeune universitaire,
bengalie par ses parents :
The Hindu community is so diverse ! So you can’t really say there is a certain
kind of Hindu community. Amongst Hindus themselves, they are all
separated by language or regional differences.
Ainsi, d’après ce que nous ont dit les jeunes rencontrés, nous avons
relevé trois caractéristiques générales du visage empirique de la communauté
hindoue de Montréal,

La mosaïque originaire
Au premier degré, pourrait-on dire, la diversité communautaire concerne les
personnes, les Hindous eux-mêmes. Mais il ne s’agit pas du fait biogénétique
selon lequel il n’existe pas deux êtres humains identiques ; il s’agit plutôt d’élé-
ments culturels qui permettent aux Hindous de se distinguer les uns des autres,
comme la langue vernaculaire, la région géographique d’origine, la caste,
ou jâti, le lignage, les pratiques spirituelles, etc. À ce niveau, la diversité
renvoie aux appartenances qui prennent source dans le pays d’origine. En
effet, il est remarquable que des jeunes Hindous nés ou ayant grandi au
Québec ou au Canada se perçoivent comme appartenant à une mosaïque
préalable à l’immigration de leurs parents :
I don’t see myself as being part of any community. I see myself as being
part of two groups. My parents come from Karnataka, but we are really
Tamillians and the Tamillians here are Sri Lankan. And if you have
Tamillians they are Ayers, but we’re not Ayers, we’re Ayengars. Even

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different from them too. So if we were going to go to a temple we wouldn’t


know which one to go to because North Indians pray to Vishnu more, South
Indians will pray to all the Shiva deities. All the Tamil temples that they
have here are all in praise of Dianaturgay or Murga : there is no Vishnu deity.
So we tend to be isolated sitting at home. So I feel generally that I’m an
Indian and that’s it. Yeah, I see myself as a Gujrati person !
Ainsi, dans cette mosaïque culturelle et spirituelle qui ressemble, à
certains égards, à un labyrinthe, l’identification du jeune Hindou emprunte
des avenues qui peuvent sembler tortueuses. Mais au-delà du labyrinthe, cette
même personne se reconnaît toujours et tout de suite sur plusieurs plans :
sur le plan du lignage (If you have Tamillians they are Ayers, but we’re
not Ayers, we’re Ayengars) ; sur le plan régional (I see myself as a Gujrati
person) ; sur le plan national (I feel generally that I’m Indian). À travers
ses parents, le jeune Hindou de Montréal se trouve enraciné dans un plura-
lisme inhérent à la culture et au pays d’origine, un pluralisme reconnu et
accepté par les Hindous bien avant leur émigration. Ce pluralisme articule
les différences dues au lieu d’origine ou de naissance (Karnataka), à l’appar-
tenance à un lignage (Tamillians, Ayers, Ayengars), à la région d’origine
(Gujrat), aux pratiques spirituelles (Vishnu, Shiva deities) et, plus largement,
à la nation (l’Inde).
L’enracinement du jeune dans la mosaïque originaire de l’Inde ne relève
pas seulement d’une « mythologie », du mythe d’un pays qu’il n’a que peu ou
pas connu. Loin de n’être qu’un pays imaginé, voire imaginaire, l’Inde repré-
sente pour lui davantage que ce qu’il peut en apprendre des parents ou des
livres. En fait, l’Inde fait partie intégrante de l’expérience interculturelle du
jeune Hindou de Montréal : alors même qu’il porte sur l’héritage indien de
ses parents un regard partiellement chargé de présupposés issus de la culture
occidentale, il s’identifiera, à partir d’un certain âge, comme étant d’abord
et avant tout d’origine indienne. De la même façon, la plupart des organisa-
tions communautaires hindoues de Montréal, du Québec ou du Canada s’ins-
crivent dans une expérience interculturelle similaire : tout en s’inspirant
fondamentalement de l’héritage indien quant aux valeurs qu’elles véhiculent,
elles ne relèvent pas moins des exigences et des normes organisationnelles
légales de la société hôte.

L’ancrage culturel et spirituel hindou


Au deuxième degré, la diversité communautaire concerne les espaces asso-
ciatifs significatifs des Hindous vivant au Québec. Ces espaces sont généra-
lement prédéterminés par les éléments distinctifs que l’on a évoqués : la langue
vernaculaire, la région géographique d’origine, les pratiques spirituelles, la
caste, ou jâti, le lignage. Leur dénominateur commun est leur ancrage
culturel et spirituel hindou. Par espaces associatifs significatifs, il serait

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inexact d’entendre des associations hindoues du Québec. Il s’agit plutôt de


différentes expressions de cette communauté, à la fois de libre adhésion et
se voulant aussi proches que possible de l’héritage indien, des traditions
indiennes. On pourrait citer, à titre d’exemple, différents lieux culturels
d’apprentissage (comme les écoles de danse ou de langues), de culte (comme
les temples), mais aussi différentes fêtes religieuses et culturelles (comme le
Diwali, le Holi).
Or, le discours des jeunes que nous avons rencontrés est ambivalent
au sujet de ces espaces associatifs significatifs. D’une part, ils attendent d’eux
qu’ils préservent, transmettent et favorisent la culture hindoue auprès de la
jeune génération vivant au Québec ou, plus généralement, en dehors de l’Inde
originaire, comme nous l’a confié ce jeune universitaire :
I expect them basically to keep our culture alive. Just to show the young
people, you know, the people who are born here, that there is another cul-
ture that they are part of and that they shouldn’t forget about it. My
responsibility is to learn it, to be aware of it and not to forget about it also !
D’autre part, nos jeunes répondants n’ont parlé qu’indirectement de
ces espaces associatifs significatifs d’ancrage culturel et spirituel hindou. Ce
qui laisse supposer deux choses : soit qu’ils les connaissent mal, soit qu’ils
n’y trouvent qu’un intérêt limité. Nous avons pu déceler, à l’aide des données
recueillies, certaines raisons pouvant expliquer cet état de fait. Premièrement,
quelques jeunes trouvent malsaine l’immixtion de la politique dans certaines
de ces structures. Voici un témoignage à ce sujet :
I don’t go to the temple that often ; but I pray at home and everything.
Because I find the Hindu society now is turning more into a political thing.
It’s not a religious thing, it’s like : I want to be president of this Mandi !
D’autres jeunes ont stigmatisé certaines classifications internes de
ces structures comme autant de formes de discrimination entre les Hindous
eux-mêmes :
Indian people have a lot of stereotypes, a lot of negative stereotypes. For
one thing, Indians claim not to be racist, but I believe they are prejudiced
toward certain races and nationalities... Within the same community there
is racism : it’s twisted, brahmin, lower class...
La contradiction apparente entre les attentes des jeunes à l’égard des
espaces associatifs significatifs hindous et ce jugement peu nuancé, voire
définitif, exprime un malaise certain chez nombre de nos répondants. Sans
doute le regard qu’ils jettent sur la diversité inhérente à leur héritage d’origine
ainsi que le sens qu’ils donnent à cette diversité méritent-ils d’être explicités.
D’abord, les jeunes ne récusent pas la diversité, mais ils fustigent les préjugés
et les stéréotypes. Ensuite, leurs attentes montrent bien que les espaces

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associatifs significatifs d’ancrage culturel et spirituel hindou représentent,


malgré tout, un lien essentiel pour la conservation, l’apprentissage et la trans-
mission de la culture d’origine. Enfin, leurs propos indiquent que les jeunes
Hindous de Montréal ont largement adopté la perception occidentale à travers
laquelle ils jugent et, parfois, condamnent des aspects de leur héritage indien.
Car ce qu’ils perçoivent comme une forme de racisme interne à une même
communauté d’immigrés à Montréal relève, en Inde, d’une organisation
sociale basée sur la distinction entre des castes selon le critère de pureté-
impureté, notamment dans la tradition brahmanique.
Deux réflexions complémentaires d’ordre général nous sont suggérées
à ce propos. D’une part, le pluralisme recèle des pièges inhérents, en dépit
de l’esprit de tolérance qui l’accompagne. La diversité culturelle et religieuse
interne à une société peut cacher des inégalités sociales criantes, suivant le
prisme étranger à travers lequel elle est considérée. Lorsque le jeune Hindou
que nous avons rencontré parle de racisme interne à la communauté hindoue
de Montréal, il met fort probablement l’accent sur les inégalités sociales qu’il
voit se profiler derrière les distinctions entre castes. Tandis que le point de
vue de ses parents, s’appuyant sur les enseignements de l’hindouisme, met
l’accent sur la distinction entre les castes pures et les castes impures. D’autre
part, ces pièges n’apparaissent jamais aussi nettement que dans un contexte
étranger. La découverte d’une autre manière d’organiser la société, le recul
géographique et historique qui peut modifier l’angle de vision et, en l’occur-
rence, le jugement, voilà quelques-uns des éléments de ce contexte. Quant
aux jeunes que nous avons rencontrés, largement imprégnés du modèle
égalitaire de la société occidentale, leur besoin de s’unir autour de l’héritage
indien et de s’y ressourcer se trouve heurté par la discrimination qu’ils
pressentent derrière les castes, par exemple. Ainsi, la diversité apparaît
comme un lieu de division possible. En tous les cas, c’est là une des conclu-
sions que l’on peut tirer de ce qui précède, une conclusion plus proche de la
perception qu’ont certains jeunes rencontrés des structures de leur commu-
nauté. Disons, pour nuancer, que la diversité communautaire apparaît à
certains jeunes comme une notion ambivalente, voire ambiguë. Quelle est
l’influence de l’immigration sur cette perception des espaces associatifs
significatifs hindous qui, pourtant, se veulent aussi proches que possible de
l’héritage indien ? Voilà une question importante, sur laquelle il nous est
malheureusement impossible d’élaborer davantage dans le cadre de cet article.

Les services et l’entraide en contexte québécois


Au troisième degré, la diversité concerne les organisations communautaires
hindoues. Toutefois, la notion d’« organisations communautaires » hindoues
ne recouvre pas l’ensemble des structures organisationnelles des Hindous de

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Montréal. Des distinctions existent à l’interne et à l’externe. À l’interne


d’abord, il y a lieu de distinguer trois groupes :
– Les espaces associatifs significatifs. Comme nous l’avons déjà men-
tionné, ils sont formés sur la base d’éléments tels que la langue
vernaculaire, la région géographique d’origine, les pratiques spiri-
tuelles, la caste, ou jâti, le lignage, etc. Bien entendu, les affinités
d’origines sont parfois sujettes à des adaptations en raison du
contexte migratoire.
– Les structures traditionnelles hindoues. Enracinées dans les traditions
millénaires de l’Inde et de l’Asie du Sud, elles sont reproduites au
Québec, où elles ne bénéficient généralement pas de la reconnais-
sance légale. Les pandits, aryuveds et autres astrologues hindous
travaillent, pour ainsi dire, dans la clandestinité au Québec. Faut-il
le préciser, ces structures traditionnelles hindoues ne fonctionnent
pas en vase clos et leur action rejoint de manière complémentaire
bien des aspects du travail social en général.
– Les organisations communautaires hindoues reconnues. Formées
par des Hindous et enregistrées conformément à la loi québécoise
ou canadienne, elles doivent remplir les conditions d’admissibilité,
peu importe leur orientation. Par exemple, tout en étant des struc-
tures traditionnelles, les temples hindous de Montréal doivent, pour
se faire enregistrer, disposer d’un conseil d’administration, d’un
président, d’un trésorier, etc.
À l’externe, les organisations communautaires hindoues se distinguent
de celles des autres communautés, qu’elles soient ethnoculturelles ou québé-
coises de souche ; cette distinction tient surtout à la provenance géographique
des membres. Elles se distinguent également des organisations intermédiaires
à ancrages multiples. Suivant le discours officiel québécois, les organisations
intermédiaires sont censées travailler en interconnexion avec les communautés
et les institutions publiques, particulièrement à l’ère de la désinstitutionna-
lisation et du virage ambulatoire. Elles se distinguent, en troisième lieu, des
structures officielles du réseau professionnel.
Cela dit, qu’elles soient reconnues ou pas, d’ordre spirituel ou non, les
organisations communautaires hindoues ont pour orientation fondamentale
de fournir services et entraide à leurs membres. Si toutes affichent des
intérêts communs avant tout pragmatiques et liés aux problèmes courants
des Hindous en contexte migratoire, certaines ne se composent pas des seuls
Hindous, et leurs services ne sont pas exclusivement réservés aux Hindous.
La langue vernaculaire, la région géographique d’origine, les pratiques
spirituelles, la caste, ou jâti, ou encore le lignage, ne sont pas toujours à

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l’origine de ces organisations communautaires – même si ces dimensions s’y


retrouvent forcément. Ce sont des structures simples, quand elles se limitent
à leurs membres, ou complexes, lorsqu’elles regroupent plusieurs orga-
nisations. On peut citer des structures d’accueil et d’orientation, d’insertion
sociale, de soutien, d’accompagnement, d’entraide et de solidarité. Par
ailleurs, à la question de savoir s’ils en connaissent suffisamment l’existence,
les jeunes Hindous de Montréal répondent le plus fréquemment qu’ils en
savent bien peu de chose, pour ne pas dire à peu près rien du tout. Écoutons
une jeune universitaire :
I know that there are lawyers and stuff, but as far as a specific service or a
place where you can go, I’ve never heard of anything. There are mostly
medical services.
Les jeunes Hindous fréquentent-ils ces organisations qui sont censées
constituer des ressources de leur communauté et qui sont appelées à répondre
à leurs besoins en contexte migratoire ? La méfiance semble prédominer chez
nos répondants. Les filles se sont montrées les plus méfiantes et les plus
critiques. Une étudiante du cégep se demande :
Would you want to trust an Indian person knowing that they could be
somehow related to you ?
Tandis qu’une universitaire renchérit :
If I was going through a divorce I wouldn’t go to anyone in my community.
People tend to talk and they take something minute and make it into
something big for no reason.
Cette crainte de l’indiscrétion sera confirmée par des garçons. Un jeune
universitaire résume la situation :
There would be a fear of a little networking : people talking to other people
and telling them : “ this person’s son has a problem and this is what happens
in his house.” I’d quite be afraid of that.
Par ailleurs, la diversité des organisations communautaires vue sous
certains angles ne semble pas faire l’affaire de tous les jeunes. C’est le cas
de cette universitaire qui a du mal à articuler ses différents engagements
communautaires :
It’s weird because everything is segregated. There is one group, another and
another.
Le moins que l’on puisse dire est que ce propos exprime un malaise,
non généralisé mais significatif, relatif à l’instabilité des groupes, d’une part,
et à un manque de cohésion possible entre eux, d’autre part. Pour d’autres
jeunes, tel cet universitaire, la multiplicité des organisations communautaires
est plutôt stimulante :

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There is Gujrat Samaj, which I’m a part of. There’s also the Bharat Bhavan,
which I’m also a part of. We were first part of Bharat because that’s basically
the Patel Samaj and my Dad has life membership there. We just recently
became members of Gujrat Samaj because I have a lot of friends who go there.
Bien entendu, il serait intéressant de pousser plus avant et de sonder
les motivations d’un tel débordement d’engagement communautaire, d’éva-
luer les bienfaits que l’on peut recueillir de chaque engagement particulier,
de relever la complémentarité ou les oppositions qui les caractérisent, mais
tel n’est pas le propos de cette étude.
En définitive, on peut s’étonner de ce que bien des jeunes Hindous se
montrent si peu proches des organisations communautaires au sens indiqué.
D’une part, nous nous attendions à ce qu’ils les fréquentent plus qu’ils ne
semblent le faire réellement ; d’autre part, ces organisations essentiellement
articulées sur le contexte migratoire québécois devraient en principe répondre
mieux aux préoccupations des Hindous de la deuxième génération nés au
Québec. Mais le fait est que d’attribuer à ces jeunes l’appartenance à une
communauté hindoue de Montréal ne suscite pas automatiquement en eux
un sentiment d’appartenance. Il n’empêche que la diversité constitue la
caractéristique majeure du visage empirique de la communauté hindoue de
Montréal. D’une ambiguïté positive ou négative, suivant les points de vue,
celle-ci ne comporte pas de valence univoque, du moins selon les jeunes que
nous avons rencontrés. Cette ambiguïté marque aussi bien les organisations
d’ancrage culturel et spirituel hindou que certaines organisations plus articulées
autour du contexte migratoire québécois.
On peut noter aussi, comme autre indication importante, que la majorité
de nos répondants se sentent plus attachés aux espaces associatifs significatifs
d’ancrage culturel et spirituel hindou, en principe plus éloignés d’eux dans
l’espace et le temps, qu’envers les organisations ancrées dans le contexte
migratoire québécois, en principe plus proches d’eux. Le paradoxe, si cela en
est un, peut s’expliquer. D’abord, il n’y a pas tellement longtemps que l’Inde
fait l’expérience de la modernité venue d’Occident ; en regard des traditions
millénaires de l’ensemble du sous-continent sud-asiatique, l’organisation
moderne, tant étatique qu’associative ou communautaire, est quelque chose
de relativement nouveau pour les ressortissants indiens, même lorsqu’ils ont
émigré. En même temps, les Hindous, comme tous les immigrés, éprouvent
la nécessité de s’organiser lorsqu’ils vivent en contexte migratoire ; mais leurs
organisations s’inscrivent dans l’expérience interculturelle que connaissent
tous les immigrés vivant à cheval entre le pays d’origine et le pays hôte. Rien
n’est plus normal que de voir les jeunes interrogés osciller entre les conceptions
nord-américaines et les conceptions indiennes, entre la référence à leur pays
de naissance ou d’adoption qu’est le Canada et la référence au pays d’origine
de leurs parents qu’est l’Inde.

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162 Hors thème

Au demeurant, nous n’avons fait que reprendre ici un échantillon de


cette diversité ambivalente et ambiguë. Nous n’excluons pas la possibilité de
dégager d’autres degrés, voire d’expliciter davantage la complexité inhérente
à l’une ou l’autre des facettes du visage empirique de la communauté hindoue
ci-dessus esquissé. En attendant, le sens que donnent les jeunes Hindous à
leur communauté se ressent de cette ambivalence et de cette ambiguïté
caractéristiques de la diversité communautaire hindoue.

Son sens chez les jeunes : spiritualité et pragmatisme

Le sens de la communauté, est-on tenté d’affirmer, évoque un idéal de


communauté. Les jeunes Hindous rencontrés nous invitent à nous en tenir
à la diversité comme indicateur majeur du visage empirique de leur commu-
nauté, mais aussi de l’ambivalence et de l’ambiguïté qui marquent cette
diversité. À partir de là, leur sens de la communauté se laisse entrevoir à
travers deux termes clés : l’appartenance à un univers hindou, en tant que
socle fondamental à la fois culturel et spirituel, et les appartenances fonc-
tionnelles au pays d’immigration, en tant que données pragmatiques, tantôt
juridiques, tantôt sociologiques, suivant la conjoncture.

La référence à l’Inde
Le sentiment d’appartenance est un élément qui est souvent revenu dans le
propos de nos répondants et sur lequel reposerait fondamentalement leur
sens de la communauté. Ce sentiment renvoie constamment à l’Inde, le pays
d’origine de leurs parents. Quant à la communauté, elle se présente à nos
répondants comme une réalité émergente qui accompagne le besoin
d’ancrage ou d’ajustement identitaire des (futurs) membres. À ce titre, la commu-
nauté prend forme dans le cadre d’une quête identitaire de ses membres,
quête identitaire qu’elle sert à cristalliser en retour. En outre, la communauté
se présente comme une réalité préalable, dans laquelle on naît et l’on se
retrouve, à un degré ou à un autre. Dans ce sens, elle procure à ses membres
une identité de fait – disons d’origine –, ancrée dans l’héritage spirituel et
culturel des parents. Le sentiment d’appartenance se ressent fortement de
cette double valence. Le jeune se trouve pris entre son identité de fait au sein
d’une communauté déjà là et son besoin d’identification au sein de la même
communauté en mouvement, spécialement en contexte migratoire. Ce qui
donne sens à la communauté, pour lui, tient de ce fait et de ce besoin, de
son identité reçue, pour ainsi dire, et de son identité en construction. Selon
nos répondants, la responsabilité réciproque est un élément fondamental qui
régule l’oscillation du jeune entre les deux pôles, qui d’ailleurs ne s’excluent
pas mutuellement. D’un côté, il y a ce que les jeunes attendent de la
communauté, au-delà d’un apport matériel ou d’un soutien financier :

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Le sens de la communauté chez les jeunes Hindous de Montréal 163

To give people like us the sense that we are a part of the community ; and
not only that, but also spiritual “upliftment” is so important nowadays.
D’un autre côté, il y a ce que la communauté est en droit d’attendre de
ses membres :
My responsibilities towards the community are basically to promote the
culture as much as I can and to hear other people’s problems. ‘Cause I’m
sure I’ve shared similar problems with other Indian kids.
Cadre d’échange et de partage, la communauté s’entend aussi comme
lieu de communion spirituelle. À ce titre, elle distille la convivialité et articule
la cohésion entre tous ses membres (personnes, familles, organisations,
regroupement d’organisations). Plus que tout, la communauté donne sens à
ce que l’on est au départ et au fond de soi-même : des Hindous ! Le fait de
former une communauté va de pair avec le fait de se laisser porter et, en
quelque sorte, définir par la même communauté. La culture joue ici un rôle
de tout premier plan, pour autant qu’elle habite et traverse ce lieu de commu-
nion spirituelle en chacun de ses membres et en chacune de ses expressions
collectives. De telle sorte que la responsabilité réciproque entre le jeune
Hindou et sa communauté a son ancrage dans la culture, dans les expressions
et les manifestations culturelles ou à caractère religieux. Le sens de la commu-
nauté réside donc dans la vitalité de la culture hindoue au Québec. C’est elle
qui souligne la présence hindoue dans le pays d’immigration. Un élève du
secondaire est on ne peut plus explicite à ce sujet, comparant la commu-
nauté à un regroupement fondé sur la culture :
The community is an association and represents that Indians, even outside
India, can stay together, and can have some say, and can start building some
Indian culture here and other places out of India.
La communauté n’est donc pas une somme arithmétique d’individus
et d’organisations en contexte québécois. Son sens, selon nos répondants,
ne s’épuise pas dans la seule provenance géographique des individus qui la
composent. À travers la culture et la spiritualité vécues, elle se révèle active
et vivante, non pas enfermée dans sa spécificité mais ouverte à la mosaïque
culturelle québécoise, voire canadienne. Les jeunes rencontrés se voient
comme partie prenante de cette présence active et vivante. Ils pensent que
la vie et la survie de leur communauté en Amérique du Nord en dépendent,
ainsi que s’en émeut une étudiante de cégep :
I expect them [community organizations] to get the youth more involved,
rather than enfolding only the parents, because we will be taking care of
the community later on. I feel I should be putting effort into it because if I
didn’t do it, who else would ?

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164 Hors thème

La vitalité de la culture et de la spiritualité hindoues rejoint, chez nos


répondants, leur vie quotidienne au Québec, notamment à travers des activités
collectives (cultural shows), des festivités religieuses (religious festivals) ou
des activités d’apprentissage d’un instrument de musique (piano, guitare,
tabla, etc.), d’une danse ou d’une langue indienne. Au demeurant, le sens
de la communauté chez les jeunes Hindous de Montréal renvoie avant tout
à l’Inde. En même temps, cette référence implique la vitalité des modes
d’expression culturels et spirituels d’héritage indien dans le pays d’immigra-
tion. Jusqu’à quel point les jeunes Hindous sont-ils réellement attachés à cette
référence ? Nous n’approfondirons pas la question ici. On retiendra seulement
que cette référence à l’Inde ne constitue pas un refuge ou une fuite dans un
pays imaginaire ; elle évoque plutôt un fondement quant à l’identité du jeune
au-delà des frontières et quant à sa perception de sa communauté en terre
québécoise. Autant la communauté lui apparaît comme ambivalente et
ambiguë, réalité de fait et réalité émergente, autant son sentiment d’appar-
tenance n’est pas une donnée stable, un acquis tranquille. Il a ses temps forts
et ses temps faibles, suivant les saisons culturellement plus ou moins actives,
suivant les expériences personnelles plus ou moins édifiantes et suivant l’âge
aussi, si l’on en croit cet universitaire :
I was never really attached to the Hindu community before, but now being
older, being able to appreciate things for what they are, it’s a good thing
there is a Hindu community.

La référence au Québec et au Canada


Tout cela étant, les répondants ajoutent au sens de la communauté une
dimension pragmatique, en relation immédiate avec leur situation au Québec
et au Canada. Relevons d’abord une double négation. À la question de savoir
s’ils se sentaient appartenir à une collectivité particulière, mais faisant partie
intégrante du Québec ou du Canada, les jeunes rencontrés ont unanimement
répondu non. Cette première négation prend le biais d’une critique, à certains
égards acerbe, de la société hôte :
This is a valueless society here ! Dog eats dog world, every man for himself.
[...] It’s too cut throat a society. There is no sense of brotherly love or
anything like that.
D’un autre côté, lorsqu’on veut savoir s’ils ont le sentiment d’appartenir
à une communauté ethnoculturelle spécifique venant de l’Inde ou de l’Asie
du Sud, les mêmes jeunes disent ne même pas être des immigrants. Mais au
lieu de conduire à la revendication du statut de Québécois ou de Canadien,
par exemple, cette deuxième négation va chercher plus loin que l’Amérique
du Nord :

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Le sens de la communauté chez les jeunes Hindous de Montréal 165

I don’t really consider myself as a member of an immigrant community. I


don’t know, I don’t like saying immigrant community. I think of it as an
Indian community, but like a Indo-Canadian community...
Une déduction hâtive conclurait tout de suite à un paradoxe. On serait
devant deux rejets : à la fois le refus de s’identifier au Québec ou au Canada,
et le refus de s’identifier à l’Inde ou à l’Asie du Sud. Sous un autre angle,
cette double négation rend visible une dynamique réversible. La dynamique
de l’identité de distance, la première, s’exprime plutôt négativement, telle
que nous la recueillons de la bouche d’une jeune universitaire :
I definitely am not Québécoise ! But I couldn’t say that I’m Canadian because
I’m not. And I can’t say that I’m totally Indian either. I would say that I’m
Indo-Canadian.
Ensuite, la dynamique de l’identité de proximité s’exprime de façon
positive, suivant le propos d’un étudiant de l’Université Concordia :
I consider myself Indo-Canadian, because I am an Indian but born and raised
in Canada !
Identité ambiguë ou ambivalence identitaire ? Ou bien, peut-être, une
sorte de non-identité ? Disons plutôt que l’une ou l’autre ne font que rendre
compte de la toile de fond sur laquelle se détachent les références et les
appartenances du jeune Hindou de Montréal. La dynamique ici révélée va
au-delà de la simple cohabitation stratégique des deux références, des deux
modèles, des deux appartenances ; elle va aussi au-delà d’une certaine forme
de tolérance passive, de la reconnaissance, dans l’indifférence, des spécificités
et des limites territoriales de chaque référence, modèle ou appartenance. La
dynamique, ici, est réversible dans ses expressions et annonce la possibilité
d’interpénétration réelle de ce qu’elle permet de distinguer à travers l’expé-
rience individuelle des jeunes rencontrés. C’est une dynamique complexe et
multidimensionnelle, qui confronte les héritages indien et québécois, ou plutôt
canadien, qui transcende l’un et l’autre une fois qu’ils sont assumés par le
jeune concerné. On en arrive ainsi à une identité conjuguée, qui ne se limite
pas à l’Inde et au Canada selon le parcours migratoire de chacun, comme
l’illustre le propos suivant :
I’m Canadian. I’m also British : I have a British passport. So I’m a Hindu-
Canadian-British, or something like that.
On l’aura remarqué, le jeune Hindou de Montréal se reconnaît à travers
l’Inde et le Canada, ce dernier incluant le Québec. Toutefois, se sentir indien
n’évoque pas la même chose que se sentir canadien : indien par son ancrage
culturel et spirituel hindou, il appartient au Canada et au Québec par
naturalisation ou par la naissance, mais aussi par son effort d’adaptation et
d’épanouissement au lieu et au moment. Il s’agit d’une appartenance de fait,

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166 Hors thème

plutôt formelle et fonctionnelle, dans laquelle l’école et l’université deviennent


des conditions de l’épanouissement matériel et financier. Comment le jeune
Hindou vit-il son sentiment d’appartenance partagé entre la référence à l’Inde
et celle au Québec dans le Canada ? Cette question ne sera malheureusement
pas examinée ici. Mais on peut retenir que le sens de la communauté chez
lui s’articule à la jonction de deux références. Cette articulation a lieu dans
la distance et la proximité de l’une et l’autre référence ; elle suppose la
possibilité de conflits entre elles et de reconstruction à partir d’elles, dans
l’expérience personnelle, où la culture d’origine nourrit la culture du pays
hôte, et vice versa.

CONSIDÉRATIONS CONCLUSIVES
Entre le Gange et le Saint-Laurent
Répétons que le sens de la communauté, chez les jeunes Hindous rencontrés,
relève à la fois de l’univers hindou comme socle et fondement culturels et
spirituels, par les parents, et d’autres appartenances de fait, plutôt fonction-
nelles, qu’elles soient sociales ou juridiques. Ce sens de la communauté se
cristallise dans l’articulation de deux temps et de deux espaces, du proche et
du lointain, du familier et de l’étranger. On pourrait parler de mémoire
plurielle, à la fois immédiate et médiate, dont le sens réside dans la trans-
cendance du temps et de l’espace.
D’une part, la mémoire immédiate articule le temps et l’espace d’ici,
le temps et l’espace qui s’étendent à partir de l’arrivée des parents et dans
lesquels l’héritage de l’Inde s’efforce de prendre racine. La mémoire médiate,
elle, articule le temps et l’espace de là-bas, le temps qui a eu cours et l’espace
qui s’étend jusqu’au départ des parents et dans lesquels les enfants nés ou
grandissant au Québec (mais aussi leurs parents) s’efforcent de reprendre ou
de garder pied. Si elles sont distinctes, ces deux mémoires ne sont absolument
pas dissociables, parallèles ou successives dans l’expérience cumulative et
articulatoire qu’est le processus migratoire. Dans le même ordre d’idées, ces
deux mémoires ou, mieux, ces deux expressions de la mémoire plurielle en
contexte d’immigration ne se confondent pas, alors même qu’elles se rejoignent
par la racine et par le feuillage. L’une renvoie à l’autre, et vice versa.
En somme, la communauté hindoue de Montréal puise la sève qui lui
donne sens au bord du Gange ; elle s’entend alors comme l’univers hindou
auquel renvoient les différentes expressions communautaires d’ancrage
culturel et spirituel hindou que nous avons appelées plus haut les espaces
associatifs significatifs. La communauté hindoue de Montréal digère la sève
originaire des rives du Gange et se remodèle, au moins partiellement, suivant
les sinuosités du Saint-Laurent. Elle s’entend alors comme le champ des

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Le sens de la communauté chez les jeunes Hindous de Montréal 167

appartenances de fait, plutôt fonctionnelles, au pays d’immigration, auxquelles


renvoient les différentes organisations communautaires hindoues, structurées
et redéfinies en fonction des conditions existentielles et des exigences juri-
diques locales. Ces articulations de la distance et de la proximité forment une
sorte de nœud chez les personnes et les structures hindoues, un nœud que
nos répondants énoncent en des termes clairs : « I am Indo-Canadian ! »
Affirmation et négation tout à la fois, ce nœud identitaire des jeunes de la
deuxième génération se vit comme un espace transitoire, et la communauté
hindoue elle-même s’y entend comme un espace plus large et plus complexe
que ses manifestations locales, puisant à la fois dans l’héritage originaire de
l’Inde et dans certaines influences nord-américaines. Autrement dit, ces jeunes,
canadiens et hindous, trouvent et donnent sens à leur existence, tant comme
personnes que comme communauté, à l’intersection de deux négations et
de deux affirmations identitaires circulant entre le Gange et le Saint-Laurent.

Deux interpellations

Étant donné le sens que les jeunes Hindous donnent à leur communauté, la
notion de communauté ethnoculturelle, d’usage courant au Québec plus
qu’ailleurs au Canada, mérite d’être remise en question. Le terme même de
communauté ethnoculturelle apparaît lié à la question constitutionnelle du
Québec, beaucoup plus qu’à la réalité des immigrés. En effet, le terme a vu
le jour dans le cadre des discussions entourant La politique québécoise de
convergence culturelle (1978), suivie de Autant de façons d’être québécois,
Plan d’action du gouvernement du Québec à l’intention des communautés
culturelles (1981), tous deux élaborés comme solutions de rechange à La
politique du multiculturalisme pancanadien (1971). Cela étant, à en croire
les jeunes Hindous que nous avons rencontrés (mais aussi leurs parents), la
réalité des communautés ethnoculturelles du Québec ne s’épuise ni dans l’ori-
gine géographique ni dans le critère linguistique de la langue maternelle autre
que le français et (ou) l’anglais. Dans les faits, préalablement à leur immigra-
tion au Canada et à la diversité interne au pays hôte, les Hindous de Montréal
ont hérité d’une diversité plusieurs fois millénaire quant à la provenance
géographique, à la culture d’origine, à la religion, à la langue maternelle, etc.
Cette dimension prémigratoire constitue en soi une nuance importante, au
point de vue sociopolitique local, quant à ce que l’on pourrait appeler la
communauté hindoue de Montréal. De telle sorte que, sans être tout à
fait ce que la société hôte veut qu’elle soit, mais sans être non plus tout
à fait à l’image de ce qu’elle est au pays d’origine, la réalité de la commu-
nauté hindoue de Montréal prend forme dans un entre-deux, à travers une
expérience fondamentalement interculturelle. Le propos des jeunes Hindous
rencontrés pose donc une double interpellation :

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168 Hors thème

– Par la naissance et le statut juridique subséquent, les jeunes Hindous


de Montréal ne sont pas des immigrés en Amérique du Nord, tandis
que par l’héritage culturel et spirituel reçu des parents, ils sont et
demeurent des Hindous. Le fondement de leur spiritualité hindoue
se mêle au pragmatisme fonctionnel de leur insertion sociale dans
le pays hôte, mais sans s’y confondre ! Ce faisant, ils interpellent
la génération et l’héritage de leurs parents, en même temps que
l’assertion québécoise de la communauté ethnoculturelle.
– Par leur double appartenance, indienne et canadienne (plus que
québécoise), les jeunes Hindous de Montréal sont une génération
de la transition. Située en marge des clivages ethniques théoriques,
partagée entre la distance et la proximité aussi bien avec le pays
d’origine qu’avec le pays hôte, cette génération interpelle la manière
dont les sciences humaines vont questionner une société d’immigra-
tion comme le Québec, qui se cherche tant à l’intérieur qu’à l’exté-
rieur, comme diversité culturelle intrinsèque et comme peuple ou
nation spécifique parmi d’autres, au sein ou en dehors du Canada.

Bibliographie
DELEURY, Guy (1978). Le modèle hindou. Essais sur les structures de la civilisation de
l’Inde d’hier et d’aujourd’hui, Paris, Hachette, 403 pages.
KANUNGO RABINDRA, N. (1984). South Asian in the Canadian Mosaic, Montréal, Kala
Bharati, 186 pages.
KAKAR, S. (1985). Le monde intérieur : enfance et société en Inde, Paris, Les Belles Lettres,
213 pages.

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