sous-culturecctJRMB2009
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Baptiste CLERET
Doctorant à l‟IAE de Caen – NIMEC
3, rue Claude Bloch – BP 5160 14075 Caen Cedex
E-mail : [email protected]
Résumé : En s‟inscrivant dans le courant de la Consumer Culture Theory (CCT), qui accorde
une place centrale au consommateur comme producteur de culture (Ozcaglar-Toulouse et
Cova, 2008), cet article a pour objectif de réaliser un état de l‟art des différentes approches
théoriques du concept de sous-culture juvénile, particulièrement celles issues du courant
britannique des Cultural Studies. Après avoir abordé l‟historique du concept de sous-culture
au sein des Cultural Studies, nous reviendrons sur les notions centrales et les critiques
apportées à ce champ, pour terminer par la présentation des théories contemporaines dites
« post sous-culturelles » et leurs applications.
Abstract: The consumer as a “culture producer” (Ozcaglar-Toulouse and Cova, 2008) is being
an important part in the Consumer Culture Theory trend (CCT). It‟s in this context that this
article aims to realize a state of the art of the various theoretical approaches of the youth
subcultures‟ concept, particularly those from the British trend of Cultural Studies. First of all,
the history of the subculture concept and then the main beliefs and the criticisms of this field
are mentioned, in order to finish with the presentation of the contemporary theories called
“post-subcultural”, and its uses.
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1
L‟auteur tient à remercier Le Dr Neil Guppy, directeur du département de sociologie de l‟Université de
Colombie Britannique (UBC) de Vancouver pour son invitation et son soutien dans l‟élaboration de ce travail.
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Si le nombre de travaux sociologiques sur les mouvements juvéniles s‟est fortement accru
dans les années 70, notamment au sein du Centre for Contemporary Cultural Studies (CCCS)
de Birmingham créé en 1964, l‟origine du terme „sous-culture‟, comme moyen de décrire les
comportements distincts de la jeunesse, reste floue (Bennett et Kahn-Harris 2004). Pour
Blackman (2005), les premières théories sous-culturelles émanent de la psychologie
britannique, particulièrement celles issues des travaux de Burt (1925) et Bowlby (1946),
associant le terme „sous-culture‟ à une forme de déviance, de déficience mentale et de
« socialisation inadéquate ». La notion de déviance sera reprise au sein des travaux de l‟école
de Chicago pour décrire les comportements juvéniles américains.
Milton M. Gordon (1947) donne une des premières définitions de la notion de sous-culture
comme étant la « subdivision d‟une culture nationale, composée d‟une combinaison de
situations sociales telles que la classe, le milieu ethnique, la résidence régionale rurale ou
urbaine, l‟affiliation religieuse, mais formant dans leur combinaison une unité fonctionnelle
ayant un impact sur la participation individuelle. » Cette définition propose une segmentation
de la population et un attachement à des structures sociales particulières, ce qui sera fortement
critiqué notamment par John Irwin (1970). Robert K Merton (1957) fut également une figure
importante de la sociologie de la déviance en développant le concept de « moyens et
d‟objectifs ». Les formes de déviance sont alors vues comme une solution adaptée aux
groupes issus de la classe ouvrière dans leur quête de richesse et d‟ascension sociale.
La notion de déviance sous-culturelle est davantage attachée à la jeunesse à partir des travaux
d‟Albert K. Cohen (1956) qui, dans son ouvrage Delinquant Boys : The culture of the Gang,
popularise le terme sous-culture et l‟utilise pour étudier les mouvements jeunes. Il remarque
alors que la jeunesse ouvrière n‟arrive pas à s‟intégrer dans la société et trouve, dans les sous-
cultures et les actes délinquants, un système de valeurs permettant la formation d‟une
collectivité et l‟attribution d‟une position dans la hiérarchie sociale.
Howard S. Becker (1963) dans Outsiders ira même plus loin en soutenant que « les groupes
sociaux créent la déviance en instituant des normes dont la transgression constitue la
déviance », insistant sur le fait que la déviance n‟existe pas en soi mais est construite par les
rapports sociaux au travers d‟un processus « d‟étiquetage ».
L‟un des premiers chantiers théorique de la sociologie britannique et des Cultural Studies
sera alors de rompre avec l‟idée d‟une sous-culture systématiquement déviante. Lors de la
British National Deviance Conference, à la fin des années 60, Phil Cohen tenta de casser
l‟association entre sous-culture et pathologie. L‟idée de Phil Cohen deviendra la base de la
théorie sous-culturelle du Center for Contemporary Cultural Studies de Birmingham.
Les premiers travaux issus de l‟école de Birmingham se placent dans la continuité de ceux de
Richard Hoggart (1970 [1957])2 et de son ouvrage La culture du pauvre, récit
autobiographique exposant les conditions de vie ouvrières britanniques d‟après-guerre ainsi
2
Traduction française par J. C. Passeron de l‟ouvrage de Richard Hoggart intitulé « The Uses of Literacy:
Aspects of Working-Class Life with Special References to Publications and Entertainments”.
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que l‟influence de l‟industrie culturelle sur le quotidien des classes populaires (Mattelart et
Neveu 2003). Cette première vague de travaux se concentre sur l‟observation de
communautés locales (P. Cohen 1972 ; Patrick 1973), reflétant ainsi les modèles de la
sociologie américaine dans un contexte britannique, en utilisant « les outils d‟observation des
cultures jusque-là réservés aux sociétés „primitives‟ » (Mattelard et Neveu 2003).
La publication de l‟ouvrage Resistance Through Rituals (Hall et al. 1976) donne une nouvelle
direction aux travaux des Cultural Studies, passant d‟une vision locale à une perspective plus
large sur la classe sociale, dans laquelle les sous-cultures juvéniles sont interdépendantes.
Stuart Hall définit les sous-cultures comme « des sous-ensembles, des structures plus petites,
plus localisées et différenciées, dans un réseau culturel plus large » (Hall & al. 1976, p.13). Il
précise que la sous-culture, « bien que différente dans ses préoccupations, ses formes et ses
activités, partage quelque chose en commun avec la culture parente. » (Hall & al. 1976).
Pour les chercheurs du CCCS, Les sous-cultures juvéniles ouvrières seraient alors des
structures d‟opposition et de résistance à la culture parente et à l‟hégémonie, c'est-à-dire à la
domination des aspects majeurs de la société au travers des institutions sociales, dans la
formation d‟une culture sociétale à l‟image de la classe dominante (Hall et al. 1976). Le
concept de résistance à l‟hégémonie capitaliste s‟inspire des travaux de Gramsci (1971), selon
lesquels les rapports de classe dans les sociétés capitalistes sont centrées autour d‟une bataille
hégémonique continue, dans laquelle la bourgeoisie obtient son pouvoir, non pas par la
domination et le contrôle économique mais par le consentement et le contrôle idéologique
(Bennett et Kahn-Harris 2004). Les sous-cultures résolvent alors, de façon imaginaire, des
problèmes qui, d‟un point de vu matériel, restent non résolus (Clarke, 1976).
D‟autres chercheurs remarqueront la prédominance des hommes et l‟absence d‟analyse du
rôle joué par les femmes au sein des sous-cultures juvéniles (Mc Robbie et Garber 1975 ;
McRobbie 1981, 1991).
La manifestation concrète de cette résistance se fait au travers du style adopté par chaque
sous-culture dont la principale fonction est de définir les frontières du groupe vis-à-vis des
autres groupes (Hall et al. 1976). L‟émergence d‟un style ne se fait pas au travers de la
création d‟objets et de sens ex nihilo mais par la transformation et le réarrangement
d‟éléments issus de la société, donnant naissance à un cycle sous-culturel.
Le style constitue la face visible d‟une sous-culture, un moyen de rassemblement pour les uns
et de différenciation pour les autres. Ces styles distincts, parfois « spectaculaires » (Hebdige
1979) se situent au centre d‟une relation dialectique entre « l‟appropriation juvénile » et
« l‟incorporation industrielle » (Clarke et al. 1976) qui constitue les bases du cycle sous-
culturel observé par les chercheurs du CCCS.
Plus qu‟une simple façon de s‟habiller, le style sous-culturel incarne un style de vie, une
représentation matérielle du besoin de résistance des mouvements juvéniles. C‟est au travers
du style, que les membres de ses sous-cultures vont tenter de remplir ce que P. Cohen (1972)
définit comme la fonction latente des sous-cultures, un besoin « d‟exprimer et de résoudre,
mais „magiquement‟, les contradictions qui demeurent masquées ou sans solution dans la
culture des parents ». Les sous-cultures jeunes remplissent une fonction de socialisation au
détriment des agents sociaux que peuvent être la famille ou l‟école (P. Cohen, 1972).
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Pour Hall et Jefferson (1976), la création d‟un style sous-culturel se fait lorsque « les activités,
les pratiques et les perspectives se cristallisent autour de certaines formes expressives
cohérentes mais extrêmement limitées » formant ainsi un véritable « ensemble stylistique ».
Phil Cohen (1972) distingue au sein du « style » ou de « l‟ensemble stylistique » quatre sous-
systèmes qui peuvent être divisés en deux types de formes fondamentales (figure 1.).
Les formes « plastiques » (vêtements et musique) ne sont pas directement produits par la
sous-culture mais sont sélectionnés et investis d‟une valeur sous-culturelle. Les formes dites
« infrastructurelles », quant à elles, sont plus résistantes à l‟innovation mais reflètent les
changements réalisés dans les formes plastiques.
C‟est au travers de l‟analyse et de l‟observation de ses formes que Hebdige dressa un portrait
de la sous-culture punk et des caractéristiques générales du style (encadré 1.).
Pour analyser les sous-cultures et l‟articulation de ces sous-systèmes, Cohen (1972) distingue
trois niveaux d‟analyse :
- Une analyse historique, qui isole la problématique spécifique d‟une fraction de classe
particulière, dans ce cas, la classe ouvrière. En effet, pour les chercheurs de Birmingham,
une sous-culture juvénile ne peut naître qu‟à l‟intérieur de la classe ouvrière, car le besoin
de résistance ne peut venir que des classes dominées.
- L‟analyse sémiotique ou structurelle des sous-systèmes. En d‟autres termes, la façon dont
ils sont articulés ainsi que les transformations réelles de ces sous-systèmes d‟un moment
structurel à un autre. Ce niveau d‟analyse tente de comprendre le sens et les valeurs
communes aux différents éléments sous-culturels.
- l‟analyse phénoménologique qui se caractérise par l‟observation de la manière dont la
sous-culture est vécue en dehors, par ceux qui en sont les porteurs ; les jeunes.
L‟observation participante sur les lieux de rassemblements est un des outils
méthodologiques les plus répandus au sein des travaux de l‟école de Birmingham.
Au-delà des fonctions que peut remplir le style au sein d‟un mouvement juvénile sous-
culturel, les travaux des Cultural Studies revendiquent également la dimension cyclique
inévitable du style et des sous-cultures juvéniles basée sur l‟opposition entre la jeunesse et
l‟industrie culturelle. Pour Hall et al (1976), la relation dialectique entre la jeunesse et le
marché juvénile provient du développement des industries du loisir et de la mode, symbole de
la société de consommation d‟après-guerre.
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Dans son ouvrage Sous-culture : le sens du style, Dick Hebdige(2007 [1979]) analyse les
différentes influences culturelles britanniques (teddy boys, mods, rastafari) pour expliquer
la signification et l‟articulation de la sous-culture punk, « reflet déformé de toutes les
principales sous-cultures d‟après guerre » (p.28).
Partant d‟une observation sur le terrain, en cataloguant les différentes sous-cultures
britanniques d‟après-guerre et leurs influences, il aboutit alors à une théorie du style basée
sur une subdivision en quatre formes.
Une forme de communication intentionnelle accordant du sens à la sous-culture au
travers des significations données à ses objets, à ses vêtements (T-shirts déchirés,
coupes de cheveux).
Le style est également une forme de « bricolage », concept emprunté à Lévi-
Strauss (1962), basé sur le réarrangement d‟éléments et d‟objets en transformant
leurs significations originales comme, par exemple les drapeaux britanniques
cousus au dos de parkas.
En s‟inspirant des travaux de Paul Willis (1978), Hebdige décrit le style comme
une forme d‟homologie, une symbiose entre les membres, les objets et les
significations d‟une sous-culture formant ainsi un ensemble ordonné et cohérent.
Les vêtements trash, l‟usage de drogues, les comportements obscènes formaient
une unité dont l‟objectif était l‟apologie du chaos.
Enfin le style est vu comme une pratique signifiante, un moyen de reconnaissance
pour les membres, et de différenciation pour les non initiés, donnant ainsi
naissance à une véritable « guérilla sémiotique » (Eco 1972 ; Hebdige,1979). Les
valeurs et les significations propres à chaque sous-culture sont alors véhiculées par
le style et les attributs qui le composent.
Si, pour Hebdige (1979), le style incarne à la fois ces quatre formes tout au long du
développement de la sous-culture, il soutient également que l‟ensemble stylistique
recouvre une dimension cyclique qui « s‟achève invariablement par la diffusion et la
banalisation du style sous-culturel concerné. » (Hebdige 1979, p.91).
Le marché industriel juvénile (a) est considéré, ici, comme un promoteur de l‟idéologie
capitaliste, tentant d‟intégrer les loisirs des jeunes dans une dynamique commerciale. Le
premier acte de défiance de la population juvénile, vis-à-vis du marché est de s‟approprier (b)
les objets pour leurs propres usages. L‟identité de groupe se forge autour de l‟acte de
bricolage (c), défini comme « le réarrangement d‟un ensemble d‟objets de telle façon que
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leurs significations originales et leurs usages sont transformés en quelque chose de différent et
de non conventionnel » (Clarke, 1976).
Selon le CCCS, cet « acte de défiance stylistique » est motivé par le désir de réaffirmer une
identité de classe et d‟incarner cette identité dans un style sous-culturel propre (Hodkinson et
Deicke 2007). Lorsque l‟on assiste à une « fusion stylistique » entre des objets réarrangés et
une identité de groupe, une homologie (d) est faite pour exprimer que les objets deviennent le
groupe et le groupe les objets (Clarke 1976).
Les nouvelles significations attachées aux objets sont en accord avec les valeurs véhiculées
par les sous-cultures juvéniles. Le style apparaît alors comme un ensemble cohérent de
résistance sous-culturelle (e) et est reconnu comme tel par les industries du commerce.
Alors que le style est étiqueté comme « authentique », il est victime de son succès et sujet au
mimétisme. Le style se diffuse dans et en dehors de son contexte original. La diffusion (f)
d‟un style sous-culturel vers le marché de la mode n‟est pas simplement un « processus
culturel », mais un réel réseau de nouvelles institutions économiques et commerciales (Hall et
al. 1976). En parallèle de ce phénomène de diffusion, le style est soumis à un mécanisme de
défusion, processus par lequel le style est disloqué du contexte et du groupe qui l‟a produit
pour être repris et en faire une proposition commerciale, particulièrement au travers des
nouveautés stylistiques qu‟elle fait naître. Le processus de diffusion et de défusion aboutit à la
classification de la sous-culture. C‟est à ce moment qu‟elle est nommée et caractérisée.
L‟émergence médiatique de la sous-culture provoque ce que Stanley Cohen nomme une
« panique morale » (g), une réaction populaire face à des pratiques culturelles jugées comme
étant « une menace pour les valeurs et les intérêts d‟un société » (Cohen 1972).
Les médias sont impliqués dans la dénomination en définissant les styles et les lieux
symboliques, les produits « phares » et les comportements de consommation.
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L‟engouement médiatique et populaire laisse peu à peu la place à une incorporation (h)
industrielle et commerciale. Le style se banalise, s‟épuise et devient un style supplémentaire
dans ce que Polhemus nommera « le supermarché de styles » (1997). Hebdige (1979)
distingue alors deux formes d‟incorporation. La forme marchande, caractérisée par « la
transformation des signes culturels en objets de consommation standardisés » (Hebdige 1979
p.98) et la forme idéologique au travers de la redéfinition des comportements déviants par le
courant dominant.
Introduit par Redhead (1990) puis développé par Muggleton (2000), le mouvement post sous-
culturel est centré sur une vision postmoderne des mouvements juvéniles contemporains où le
choix personnel n‟est pas articulé autour de la structuration de classe, de genre ou d‟ethnicité
(Muggleton 2000) et dans laquelle « les notions d‟identité sont construites plutôt que données,
fluides plutôt que fixes » (Bennett 1999).
Cette vision postmoderne de la (sous-)culture jeune rassemble dans un même mouvement les
critiques adressées aux travaux de Birmingham, telles que la surpolitisation des sous-cultures
(Cohen, 1980), l‟imperméabilité de leurs frontières (Bennett 1999) et le rôle secondaire joué
par les médias dans leur développement (Thornton 1995) (Encadré 2.).
Au début des années 1990, le Manchester Institute for Popular Culture, avec Steve Redhead à
sa tête, utilise les scènes de musique techno, rave et house pour apporter une critique
postmoderne à la théorie sous-culturelle du CCCS. L‟avènement des raves et des scènes
techno serait alors la base de « clubcultures » dans lesquelles tous les styles seraient mélangés
autour d‟un objectif apolitique.
Les travaux réunis au sein du mouvement post sous-culturel, appelée aussi théorie sous-
culturelle postmoderne, s‟inspirent des apports théoriques de sociologues tels que Michel
Maffesoli (1988) ou Max Weber (1921) pour se distinguer de « l‟orthodoxie théorique » du
CCCS (Blackman 2005) et ainsi construire de nouveaux concepts tels que les néo-tribus ou
les styles de vie.
Alors que les sous-cultures résistantes des années 70 provenaient de la classe ouvrière, les
« scènes » urbaines contemporaines, tels que les raves ou la techno, sont le théâtre de
rassemblements fluides et hybrides (Bennett 1999) où les groupements juvéniles ne se
constituent pas sur des critères de classes sociales mais sur le partage d‟un affect au sein de
groupements appelés « tribus », élément central de la pensée Maffesolienne (Muggleton,
2000). Les tribus ne comprennent pas de pratiques stables d‟inclusion ou d‟exclusion, elles
sont intégratives et distinctives en même temps (Muggleton 2000). Elles incarnent des formes
3
Paul Willis participera à un chapitre de l‟ouvrage Resistance Through Rituals (Hall et Jefferson, 1976) mais ne
contribuera pas à la section dédiée à la théorie sous-culturelle du CCCS.
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de sociabilité « ouvertes » au milieu desquelles les individus circulent, passant d‟un groupe à
l‟autre, d‟une conception identitaire à une autre.
Ueno (1997) parle même de « tribus urbaines » pour personnifier des « sous-groupes sociaux
basés sur une sous-culture urbaine (juvénile) qui consiste à partager des choix de style, de
goûts, de modes, de comportements et de rituels ».
La théorie sous-culturelle postmoderne, basée sur la notion de « tribu », est étroitement liée à
la théorie des styles de vie qui positionne le choix individuel comme facteur clé dans la
formation identitaire Blackman 2005).
S‟inspirant des travaux de Max Weber (1919), certains auteurs (Featherstone 1991 ; Chaney
1996 ; Miles 2000 ; Bennett 2000) éprouvent une grande désaffection pour le concept de sous-
culture et cherchent à élaborer le concept de « style de vie » à sa place. Ils argumentent que la
consommation permet aux jeunes de construire des style de vie alternatifs dans lesquels les
produits fonctionnent comme des ressources culturelles dont les significations sont créées
dans le quotidien des jeunes au travers de valeurs collectivement partagées (Bennett et Kahn-
Harris 2004).
Pour Bennett (2000), la théorie des styles de vie place un nouvel accent sur la compréhension
des significations culturelles collectives, inscrites dans la consommation, qui permet aux
jeunes de construire leurs propres formes de signification et « d‟authenticité ». Pour observer
cela, Bennett reste au niveau individuel de « scénarios locaux », suggérant que les jeunes
peuvent inscrire leurs propres visions locales dans une culture plus globale.
Si les travaux de Miles (2000) se rapprochent de ceux de Bennett dans la critique de la théorie
sous-culturelle du CCCS ainsi que l‟émergence de styles de vie, son approche est cependant
différente. En effet il suggère que les styles de vie ne sont pas individualisés par nature mais
se construisent à travers l‟affiliation et la négociation.
Il peut être alors intéressant d‟observer des mouvements juvéniles tels que le Hip-hop au
regard de la théorie sous-culturelle des Cultural Studies dans le but de mettre en place des
actions marketing adaptées à ce type de mouvements, plus ancrés et revendicatifs.
Conclusion
Le développement récent du courant de recherche CCT au sein du marketing actuel montre
bien la place grandissante que prennent les dimensions socioculturelles et idéologiques dans
la consommation et les recherches qui s‟y intéressent (Arnould et Thompson 2005). C‟est
dans ce sens. Que cette recherche souhaite s‟inscrire
Par son approche marxisante, le courant des Cultural Studies propose une interprétation
politique et culturelle des comportements juvéniles. Il oppose à la société capitaliste, des sous-
cultures juvéniles dont la panoplie stylistique incarne une véritable forme de résistance.
Au travers de sa théorie sous-culturelle, le CCCS se distingue donc nettement de l‟approche
postmoderne et peut donc fournir un cadre explicatif complémentaire. En effet, la résurgence
de thèmes de recherche comme la classe sociale ou la résistance témoignent de ce besoin de
se réapproprier les travaux historiques qui ont abordé ces problématiques. Il peut être
pertinent d‟analyser les mouvements culturels juvéniles actuels en prenant en compte le
contexte socio-historique dans lequel ils naissent, se développent et se diffusent.
De plus, la théorie stylistique proposée par les travaux de l‟école de Birmingham peut être une
clé de compréhension des significations et des valeurs incarnées dans les produits et les
marques consommés par les membres d‟une sous-culture. L‟objectif pouvant être de dresser
une grille d‟analyse dynamique des sous-cultures, permettant une étude prédictive et
compréhensive de la consommation au sein des mouvements culturels contemporains.
D‟un point de vue méthodologique, il serait alors intéressant d‟étudier, au travers d‟outils
ethnographiques classiques (observation, immersion) et de méthodes plus récentes (analyse
photo et vidéo, Netnographie), les comportements de consommation juvéniles au sein de ces
mouvements, certes nés dans une société postmoderne, mais dont les classes sociales et le
rapport à une culture dominante restent toujours ancrés dans leur cycle de vie, de la naissance
à la récupération, de l‟effet de mode à la banalisation.
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