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Gadsby
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Title: L'histoire des Gadsby

Author: Rudyard Kipling

Translator: Arthur Austin-Jackson


Louis Fabulet

Release date: July 15, 2024 [eBook #74052]

Language: French

Original publication: Paris: Mercure de France, 1908

Credits: Véronique Le Bris, Laurent Vogel and the Online


Distributed Proofreading Team at
https://www.pgdp.net (This file was produced from
images generously made available by the Bibliothèque
nationale de France (BnF/Gallica))

*** START OF THE PROJECT GUTENBERG EBOOK L'HISTOIRE DES


GADSBY ***
RUDYARD KIPLING

L’Histoire
des Gadsby
CONTE SANS INTRIGUE

TRADUIT PAR
LOUIS FABULET et ARTHUR AUSTIN-JACKSON

SIXIÈME ÉDITION

PARIS
SOCIÉTÉ DV MERCVRE DE FRANCE
XXVI , RVE DE CONDÉ , XXVI

MCMVIII
ŒUVRES DE RUDYARD KIPLING
A LA MÊME LIBRAIRIE

LE LIVRE DE LA JUNGLE , traduit par Louis Fabulet et Robert


d’Humières. Vol. in-18 3.50
LE SECOND LIVRE DE LA JUNGLE , traduit par Louis Fabulet et
Robert d’Humières. Vol. in-18 3.50
LA PLUS BELLE HISTOIRE DU MONDE (La plus Belle Histoire du
Monde. Le Perturbateur du Trafic. La Légion perdue. Par-
dessus bord. Dans le Rukh. Un Congrès des Puissances.
Un Fait. Amour des Femmes), traduit par Louis Fabulet et
Robert d’Humières. Vol. in-18 3.50
L ’HOMME QUI VOULUT ÊTRE ROI (L’Homme qui voulut être Roi.
La Porte des Cent mille Peines. L’Étrange chevauchée.
L’Amendement de Tods. La Marque de la Bête. Bisesa.
Bertran et Bimi. L’Homme qui fut. Les Tambours du « Fore
and Aft »), traduit par Louis Fabulet et Robert d’Humières.
Vol. in-18 3.50
KIM , roman, traduit par Louis Fabulet et Charles Fountaine-
Walker. Vol. in-18 3.50
LES BATISSEURS DE PONTS (Les Bâtisseurs de Ponts. Petit
Tobrah. Namgay Doola. En Famine. Au fond de l’Impasse.
Les Finances des Dieux. La Cité des Songes), traduit par
Louis Fabulet et Robert d’Humières. Vol. in-18 3.50
STALKY ET C ie, roman, traduit par Paul Bettelheim et
Rodolphe Thomas. Vol. in-18 3.50
SUR LE MUR DE LA VILLE (Sur le Mur de la Ville. Trois et un…
de plus. L’Histoire de Muhammad Din. Lispeth. L’Autre.
Moti-Guj-Mutin. Une Fraude. La Libération de Pluffles.
L’Arrestation du Lieutenant Golightly. Une affaire de
chance. Dans l’erreur. Le Cas de divorce Bronckhort. Wee
Willie Winkie. En plein orgueil de jeunesse. Sans bénéfice
de clergé), traduit par Louis Fabulet, précédé d’une Étude
sur Rudyard Kipling par André Chevrillon. Vol. in-18 3.50
LETTRES DU JAPON , traduit par Louis Fabulet et Arthur Austin-
Jackson. Vol. in-18 3.50
L ’HISTOIRE DES GADSBY , roman, traduit par Louis Fabulet et
Arthur Austin-Jackson. Vol. in-18 3.50
LE RETOUR D ’IMRAY , (Le Retour d’Imray. Dray wara yow dee.
Le Rickshaw-Fantôme. 007. Le Bisara de Pooree. Au bord
de l’Abîme. Le Chef du district. Le Navire qui s’y retrouve.
Naboth. Les Bornes mentales de Pambé Serang. Eux. A
mettre au dossier), traduit par Louis Fabulet et Arthur
Austin-Jackson. Vol. in-18 3.50
IL A ÉTÉ TIRÉ DE CET OUVRAGE
Sept exemplaires sur papier de Hollande,
numérotés de 1 à 7.

JUSTIFICATION DU TIRAGE

Droits de traduction et de reproduction réservés pour tous pays, y compris la


Suède et la Norvège.
PAUVRE CHÈRE MAMAN

L’épervier sauvage au ciel balayé de


vent,
Le cerf à la plaine salubre,
Le cœur d’un homme au cœur d’une
fille
Comme c’était au temps
d’antan.

(Chanson bohémienne.)

DÉCOR : — Chambre de MISS MINNIE THREEGAN à Simla. MISS


THREEGAN dans l’embrasure de la fenêtre, en train de fouiller
dans un tiroir plein de toutes sortes de choses.
MISS EMMA DEERCOURT , amie de cœur, qui est venue passer la
journée, assise sur le lit, en train d’agencer le corsage d’une robe
de bal et une touffe de muguet artificiel. Cinq heures trente, par
un chaud après-midi de mai.

MISS DEERCOURT. — Et il a dit : « Je n’oublierai jamais cette


danse », et, naturellement, j’ai répondu : « Oh, comment pouvez-
vous être sot à ce point ! » Penses-tu, chérie, qu’il avait une
intention ?
MISS THREEGAN (sortant du fouillis un long bas de soie lavande).
— Tu le connais mieux que moi.
MISS D. — Oh, tâche d’être sympathique, Minnie ! Je suis sûre
qu’il a une intention. Au moins j’en serais sûre s’il n’était pas
toujours à monter à cheval avec cette odieuse Mrs. Hagan.
MISS T. — Je le suppose. Comment diable s’arrange-t-on,
lorsqu’on danse, pour passer à travers ses talons les premiers ?
Regarde-moi cela, si ce n’est pas honteux ? (Elle tend le talon du bas
sur sa main ouverte pour en faire l’inspection.)
MISS D. — Ne t’en occupe pas ! Impossible à raccommoder. Aide-
moi à arranger ce maudit corsage. J’ai passé le lacet comme ceci, je
l’ai passé comme cela et je ne peux pas arriver à mettre le bombé
en place. Et cela, où le mettrais-tu ? (Elle montre les muguets.)
MISS T. — Aussi haut sur l’épaule que possible.
MISS D. — Suis-je assez grande ? Je sais que cela fait paraître
May Olger bancale.
MISS T. — Oui, mais elle n’a pas tes épaules. Les siennes
ressemblent à une bouteille à vin du Rhin.
LE PORTEFAIX (frappant à la porte). — Le capitaine sahib est là.
MISS D. (se levant avec effarement, et se mettant à la recherche
de son corset qu’elle a banni eu égard à la chaleur du jour). — Le
capitaine sahib ? Quel capitaine sahib ? Oh, bonté divine, et je ne
suis qu’à demi vêtue ! Eh bien, tant pis, je ne me dérangerai pas.
MISS T. (avec calme). — Inutile, en effet. Ce n’est pas pour nous.
C’est le capitaine Gadsby. Il s’en va faire une promenade à cheval
avec maman. Il vient en général cinq jours sur sept.
VOIX D’ANGOISSE (d’une chambre intérieure). — Minnie, cours
donner du thé au capitaine Gadsby, et dis-lui que je serai prête dans
dix minutes ; et, écoute, Minnie, viens ici un instant, tu serais si
gentille !
MISS T. — Oh, zut ! (A haute voix.) Fort bien, maman.
Elle sort et réapparaît au bout de cinq minutes, les
joues rouges et en se frottant les doigts.
MISS D. — Comme tu es rouge ! Qu’est-il arrivé ?
MISS T. (chuchotant de toutes ses forces). — Vingt-quatre pouces
de taille, et il faut que tout rentre. Où sont mes porte-bonheur ? (Elle
fouille sur la table de toilette, et se passe, dans l’intervalle, la brosse
sur les cheveux.)
MISS D. — Qui est ce capitaine Gadsby ? Je ne pense pas l’avoir
jamais rencontré.
MISS T. — Oh si, pour sûr. Il est du clan Harrar. J’ai dansé avec
lui, mais je ne lui ai jamais parlé. C’est un grand garçon jaune,
absolument un poussin frais éclos, avec une é-norme moustache. Il
marche comme ceci (elle imite la démarche de la cavalerie), et il fait
« Ha-hmm ! » du fin fond de la gorge lorsqu’il ne trouve rien à dire.
Maman le goûte. Pas moi.
MISS D. (distraitement). — La cire-t-il, cette moustache ?
MISS T. (occupée avec la houppe à poudrer). — Oui, je le pense.
Pourquoi ?
MISS D. (se penchant sur le corsage et cousant avec ardeur). —
Oh, rien… seulement…
MISS T. (sévèrement). — Seulement quoi ? Allons, dis, Emma.
MISS D. — Eh bien, May Olger — elle est fiancée à Mr. Charteris,
tu sais — disait… — Tu me promets de ne pas le répéter ?
MISS T. — Oui, je te le promets. Qu’a-t-elle dit ?
MISS D. — Que… que d’être embrassée (tout d’un élan) par un
homme qui ne cirait pas sa moustache, c’était… comme si l’on
mangeait un œuf sans sel.
MISS T. (du haut de sa grandeur, avec un mépris écrasant). —
May Olger est une horreur, et tu peux le lui répéter. Je suis heureuse
qu’elle ne fasse pas partie de mon clan… Il faut que j’aille donner à
manger à cet homme. Ai-je l’air présentable ?
MISS D. — Oui, parfaitement. Fais vite et passe-le à ta mère, pour
que nous puissions causer. Moi, je vais écouter à la porte pour
entendre ce que tu lui dis.
MISS T. — Pour ce que je m’en soucie. Je t’assure que je n’ai pas
peur du capitaine Gadsby.
Comme preuve, elle pénètre dans le salon d’un grand
pas masculin suivi de deux petits pas écourtés, ce
qui produit l’effet d’un cheval rétif entrant. Elle
manque LE CAPITAINE GADSBY , lequel est assis dans
l’ombre du rideau, et elle jette tout alentour un
regard désespéré.
LE CAPITAINE GADSBY (à part). — La pouliche, mâtin ! doit avoir
pigé cette allure à l’étalon. (Haut, se levant.) Bonsoir, miss
Threegan.
MISS T. (ayant conscience qu’elle rougit). — Bonsoir, capitaine
Gadsby. Maman m’a chargée de vous dire qu’elle sera prête dans
quelques minutes. Ne prendriez-vous pas du thé ? (A part.) J’espère
que maman va se dépêcher. Qu’est-ce que je vais bien dire à ce
grand animal-là ? (Haut et brusquement.) Du lait et du sucre ?
LE CAP. G. — Pas de sucre, me-erci, et fort peu de lait. Ha-
hmmm.
MISS T. (à part). — S’il fait cela, je suis perdue. Je vais rire. Je
sais que je vais rire !
LE CAP. G. (tirant sur sa moustache et la regardant de côté, au
bas de son nez). — Ha-hmmm. (A part.) Me demande ce dont la
petite bécasse peut parler. Faut risquer le coup cependant.
MISS T. (à part). — Oh ! mais, c’est une torture ! Il faut que je
dise quelque chose.
TOUS LES DEUX ENSEMBLE. — Êtes-vous allé…
LE CAP. G. — Je vous demande pardon. Vous alliez dire…
MISS T. (qui est restée à regarder la moustache avec une
fascination pleine de respect). — Ne prendriez-vous pas des œufs ?
LE CAP. G. (regardant d’un air effaré la table à thé). — Des œufs !
(A part.) Diable ! c’est l’heure où elle fait quelque dînette. Je suppose
qu’on lui a essuyé la bouche pour me l’envoyer tandis que la mère
est en train de mettre ses frusques. (Haut.) Non, merci.
MISS T. (pourpre de confusion). — Oh ! ce n’est pas cela que je
voulais dire. Je ne pensais pas pour un instant à des mou — à des
œufs. Je voulais dire du sel. Ne prendriez-vous pas du s… des
bonbons ? (A part.) Il va me prendre pour une folle furieuse. Je
voudrais bien que maman arrive.
LE CAP. G. (à part). — C’était bien une dînette, et elle en a honte.
Mâtin, elle n’a pas l’air si mal, lorsqu’elle rougit comme cela. (Haut,
en puisant lui-même dans l’assiette.) Avez-vous vu ces nouveaux
chocolats chez Péliti ?
MISS T. — Non, j’ai fait ceux-ci moi-même. De quoi ont-ils l’air ?
LE CAP. G. — Ceux-ci !… Dé-licieux. (A part.) Et c’est un fait.
MISS T. (à part). — Oh, zut ! il va croire que je suis en quête de
compliments. (Haut.) Non, ceux de Péliti, naturellement.
LE CAP. G. (avec enthousiasme). — Pas à comparer avec ceux-ci.
Comment les faites-vous ? Je ne peux arriver à ce que mon
khansamah [1] comprenne la plus simple chose en dehors du
mouton et du poulet.
[1] Cuisinier indigène.

MISS T. — Oui ? Je ne suis pas un khansamah, vous savez. Peut-


être que vous lui faites peur. Il ne faut jamais faire peur à un
domestique. Il perd la tête. C’est de très mauvaise politique.
LE CAP. G. — Il est d’une si effroyable bêtise.
MISS T. (se croisant les mains sur les genoux). — Il faudrait
l’appeler tout tranquillement et lui dire : « O khansamah jee ! »
LE CAP. G. (commençant à s’intéresser). — Oui ! (A part.)
Imaginez ce petit poids-léger disant : « O khansamah jee » à mon
farouche Mir Khan !
MISS T. — Puis vous lui expliqueriez le dîner, plat par plat.
LE CAP. G. — Mais je ne sais pas parler le langage du pays.
MISS T. (d’un air protecteur). — Vous devriez passer l’examen des
langues orientales et essayer.
LE CAP. G. — Je l’ai fait, mais il ne semble pas que j’en sois plus
habile pour cela. Et vous ?
MISS T. — Je n’ai jamais passé l’examen. Mais le khansamah est
très patient avec moi. Il ne se fâche pas quand je parle de topees
(chapeaux) de mouton, alors que je veux dire des têtes, ou que je
commande des maunds (tonnes) de grain, alors que je veux dire des
livres.
LE CAP. G. (à part, avec une forte indignation). — Je voudrais voir
Mir Khan se montrer grossier vis-à-vis de cette petite ! Allons, allons !
ne nous emballons pas. (Haut.) Et vous y entendez-vous aussi pour
ce qui est des chevaux ?
MISS T. — Un peu… pas beaucoup. Je ne sais pas les
médicamenter, mais je sais ce qu’il faut qu’ils mangent, et c’est moi
qui suis chargée de l’écurie.
LE CAP. G. — Vraiment ! Vous pourriez m’aider, alors. Qu’est-ce
qu’on doit donner à son saïs [2] , dans les montagnes ? Mon brigand
dit huit roupies parce que tout est si cher.
[2] Palefrenier.

MISS T. — Six roupies par mois, et une roupie de supplément à


Simla… Ni plus ni moins. Et un coupeur d’herbe gagne six roupies,
cela vaut mieux que d’acheter l’herbe au bazar.
LE CAP. G. (avec admiration). — Comment savez-vous ?
MISS T. — J’ai essayé l’un et l’autre.
LE CAP. G. — Vous montez donc beaucoup à cheval ? Je ne vous
ai jamais vue sur le Mall ?
MISS T. (à part). — Je ne l’ai pas croisé plus de cinquante fois.
(Haut.) Presque tous les jours.
LE CAP. G. — Sapristi ! Je ne savais pas cela. Ha-hmmm ! (Il tire
sur sa moustache et reste silencieux l’espace de quarante secondes.)
MISS T. (éperdument, et se demandant ce qui va arriver). — Elle
est très bien. A votre place je n’y toucherais pas. (A part.) C’est la
faute à maman qui n’est pas venue plus tôt. Je vais être grossière !
LE CAP. G. (se bronzant sous le hâle, et ramenant sa main très
promptement). — Hein ! Quo-oi ! Oh, oui ! Ha ! ha ! (Il rit d’un air
gêné.) (A part.) Ah ! bien, elle en a un sacré toupet ! Je n’ai jamais
encore vu une femme me dire cela. Ce doit être une mâtine, sans
quoi… Ah ! cette dînette !
VOIX SORTANT DE L’INCONNU. — Tchk ! tchk ! tchk !
LE CAP. G. — Bonté divine ! Qu’est-ce que c’est que cela ?
MISS T. — Le chien, je crois. (A part.) Emma écoutait, et je ne le
lui pardonnerai jamais !
LE CAP. G. (à part). — Ils n’ont pas de chien. (Haut.) On n’eût pas
dit un chien, n’est-ce pas ?
MISS T. — Alors, ce devait être le chat. Allons dans la verandah.
Quel délicieux après-midi !
Elle pénètre dans la verandah et regarde au loin dans
les montagnes en plein soleil couchant. Le capitaine
suit.
LE CAP. G. (à part). — Des yeux superbes ! Je m’étonne de ne les
avoir jamais encore remarqués. (Haut.) Il doit y avoir un bal au
palais vice-royal mercredi. Pouvez-vous me réserver une danse ?
MISS T. (brièvement). — Non ! Je n’ai pas besoin de vos danses
par charité. Vous ne m’invitez que parce que maman vous a dit de le
faire. Je saute et je bouscule. Vous le savez bien !
LE CAP. G. (à part). — C’est vrai, mais ce n’est pas aux petites
filles à comprendre ces choses-là. (Haut.) Non, sur ma parole, je ne
le sais pas. Vous dansez à merveille.
MISS T. — Alors pourquoi vous arrêtez-vous toujours après une
demi-douzaine de tours ! Je croyais que dans l’armée les officiers ne
contaient jamais de craques.
LE CAP. G. — Ce n’était pas une craque, croyez-moi. Je sollicite
réellement le plaisir d’une danse avec vous.
MISS T. (avec malice). — Pourquoi ? Est-ce que maman ne veut
plus danser avec vous ?
LE CAP. G. (plus vivement que ne le réclament les circonstances).
— Je ne pensais pas à madame votre mère. (A part.) Petite poison,
va !
(regardant toujours par la fenêtre). — Hein ? Oh, je vous
MISS T.
demande pardon. Je pensais à autre chose.
LE CAP. G. (à part). — Eh bien ! je me demande ce qu’elle va
pouvoir dire encore. Je n’ai jamais vu une femme me traiter de la
sorte. Autant être — le diable m’emporte, — autant être sous-
lieutenant d’infanterie. (Haut.) Oh ! je vous en prie. Je n’en vaux pas
la peine. Madame votre mère n’est-elle pas encore prête ?
MISS T. — Je pense que oui ; mais promettez-moi, capitaine
Gadsby, que vous ne ferez plus faire deux fois de suite le tour du
Jakko à ma pauvre chère maman. Cela la fatigue tant !
LE CAP. G. — Elle prétend qu’aucun exercice ne la fatigue.
MISS T. — Oui, mais elle souffre après. Vous ne savez pas, vous,
ce que c’est que les rhumatismes, et vous ne devriez pas la retenir
dehors si tard, quand il se met, le soir, à faire frais.
LE CAP. G. (à part). — Les rhumatismes ! Il me semblait aussi
qu’elle descendait de cheval un peu tout d’une pièce. Huuuou ! On
s’instruit tous les jours. (Haut.) Je suis fâché de l’apprendre. Elle ne
m’en a pas parlé.
MISS T. (troublée). — Naturellement non. La pauvre chère
maman ne l’eût pas fait. Et il ne faut pas non plus aller raconter que
je vous l’ai dit. Promettez-moi que vous ne le répéterez pas. Oh,
capitaine Gadsby, promettez-le-moi !
LE CAP. G. — Je suis muet, ou… je le serai dès que vous m’aurez
accordé cette danse, et une autre… si vous voulez bien prendre la
peine de penser une minute à moi.
MISS T. — Mais cela ne vous plaira pas le moins du monde. Vous
le regretterez affreusement ensuite.
LE CAP. G. — Cela me plaira par-dessus toutes choses, et ce que
je regretterai, ce sera de ne pas avoir obtenu davantage. (A part.)
De par tous les diables, qu’est-ce donc que je me mets à dire ?
MISS T. — Fort bien. Ce sera vous-même que vous aurez à
remercier si l’on vous écrase les pieds. Dirons-nous la septième ?
LE CAP. G. — Et la onzième. (A part.) Elle ne peut pas peser plus
de cent livres, et même alors, elle a le pied ridiculement petit. (Il
jette les yeux sur ses propres bottes de cheval.)
MISS T. — Elles reluisent superbement. Je peux presque me mirer
dedans.
LE CAP. G. — Je me demandais s’il me faudrait me servir de
béquilles pour le reste de mes jours au cas où vous me marcheriez
sur les pieds.
MISS T. — Fort probablement. Pourquoi ne pas changer la
onzième pour un quadrille ?
LE CAP. G. — Non, je vous en prie ! Il faut que ce soient deux
valses. Ne voulez-vous pas les marquer ?
MISS T. — Je ne reçois pas tant d’invitations que je doive les
embrouiller. Ce sera vous le coupable.
LE CAP. G. — Attendez pour voir ! (A part.) Elle ne danse pas
parfaitement, peut-être, mais…
MISS T. — Votre thé doit être froid maintenant. En voulez-vous
une autre tasse ?
LE CAP. G. — Non, merci. Ne trouvez-vous pas qu’il fait plus
agréable dehors sous la verandah. (A part.) Je n’ai jamais vu encore
de cheveux prendre cette couleur au soleil couchant. (Haut.) C’est
comme un tableau de Dicksee.
MISS T. — Oui ! c’est un merveilleux coucher de soleil, n’est-ce
pas ? (Crûment.) Mais qu’est-ce que vous savez, vous, des tableaux
de Dicksee ?
LE CAP. G. — Je retourne en Angleterre de temps en temps. Et je
n’étais pas sans connaître les musées. (Nerveusement.) Il ne faut
pas croire que je ne suis qu’un Philistin à… moustache.
MISS T. — Je vous en prie ! Je vous en supplie ! Je suis si fâchée
de ce que je vous ai dit tout à l’heure. J’ai été affreusement impolie.
C’est parti sans y penser. Est-ce que vous ne connaissez pas la
tentation que l’on a parfois de dire des choses horribles et
offensantes pour le seul plaisir de les dire ! J’ai peur d’y avoir cédé.
LE CAP. G. (épiant la jeune fille qui rougit). — Je crois connaître
ce sentiment-là. Ce serait terrible si nous y cédions tous, n’est-ce
pas ? Par exemple, je pourrais dire…
PAUVRE CHÈRE MAMAN (entrant, amazone, chapeau d’homme et
bottes). — Ah ! le capitaine Gadsby ! Fâchée de vous faire attendre.
J’espère que vous ne vous êtes pas trop ennuyé. Ma petite fille vous
a tenu conversation ?
MISS T. (à part). — Je ne regrette pas d’avoir parlé des
rhumatismes. Non ! non ! Je ne regrette qu’une chose, c’est de
n’avoir pas mentionné aussi les cors.
LE CAP. G. (à part). — Quelle honte ! Je me demande l’âge qu’elle
a. Cela ne m’était pas encore venu à l’idée. (Haut.) Nous avons
discuté « Shakespeare et les harmonicas » [3] dans la verandah.
[3] Goldsmith. Le Vicaire de Wakefield.

MISS T. (à part.) — Qu’il est gentil ! Il connaît cette citation. Ce


n’est pas un Philistin à moustache. (Haut.) Au revoir, capitaine
Gadsby. (A part.) En voilà une main, et quelle poigne ! Je ne crois
pas que ce soit avec intention, mais il m’a rentré les bagues dans les
doigts.
PAUVRE CHÈRE MAMAN. — Est-ce que Vermillon n’est pas encore
là ? Oh, oui ! Capitaine Gadsby, ne trouvez-vous pas que la selle est
trop en avant ? (Ils passent dans la verandah de devant.)
LE CAP. G. (à part). — Comment, diantre, saurais-je ce qu’elle
préfère ? Elle m’a dit qu’elle raffolait des chevaux. (Haut.) Je crois
que oui.
MISS T. (s’en venant dans la verandah de devant). — Oh ! ce
Buldoo ! Il faut que je le lui dise. Il a raccourci la gourmette de deux
anneaux, et c’est chose que Vermillon déteste. (Elle sort et va à la
tête du cheval.)
LE CAP. G. — Laissez-moi faire cela.
MISS T. — Non. Vermillon me comprend. N’est-ce pas, vieux ?
(Elle desserre adroitement la gourmette, et caresse le cheval aux
narines et sous le cou.) Pauvre Vermillon ! Est-ce qu’on voulait lui
couper son menton ? Là !
LE CAPITAINE GADSBY considère l’intermède avec une
admiration non déguisée.
PAUVRE CHÈRE MAMAN (vertement à MISS T. ). — Tu as, je pense,
oublié ton hôte, ma chère amie.
MISS T. — Bonté divine ! Mais oui ! Adieu. (Elle bat promptement
en retraite à l’intérieur.)
PAUVRE CHÈRE MAMAN (rassemblant les rênes dans des doigts
empêchés par des gants trop étroits). — Capitaine Gadsby !
LE CAP. GADSBY se baisse et fait le marchepied. PAUVRE
CHÈRE MAMAN tâtonne, stationne trop longtemps, et
passe au travers.
LE CAP. G. (à part). — Je ne peux pas tenir en l’air cent soixante
livres toute une éternité. Ce sont vos rhumatismes. (Haut.) Je ne
peux croire que j’aie été si maladroit. (A part.) Si ç’avait été Petit-
Poidsléger, elle se fût enlevée comme un oiseau.
Ils sortent à cheval du jardin. Le capitaine se laisse
distancer.
LE CAP. G. (à part). — Comme cette amazone la pince sous les
bras ! Peuh !
PAUVRE CHÈRE MAMAN (avec le sourire effacé de seize saisons, le
pire pour l’échange). — Vous êtes terne, cet après-midi, capitaine
Gadsby.
LE CAP. G. (éperonnant d’un air las). — Pourquoi m’avez-vous fait
attendre si longtemps ?

Et cætera, et cætera, et cætera.

(UN INTERVALLE DE TROIS SEMAINES )

LA JEUNESSE DORÉE (assise sur les balustrades en face de l’hôtel


de ville). — Hé, Gaddy ! Venez de promener la Gorgonzola ! Nous
pensions tous que c’était à la Gorgone [4] que vous faisiez la cour.
[4] Dans la société anglo-indienne chacun reçoit un
surnom.

LE CAP. G.(d’un ton foudroyant). — Espèce d’ourson ! Qu’est-ce


que nom de D. cela peut bien vous faire ?
Il se lance, à l’adresse de la JEUNESSE DORÉE , dans
tout un sermon sur la retenue et le savoir-vivre,
lequel aplatit l’autre comme une lanterne
vénitienne. Il s’éloigne courroucé.
(AUTRE NOUVEL INTERVALLE DE CINQ SEMAINES )

DÉCOR. — Extérieur de la nouvelle bibliothèque de Simla par un soir


de brouillard. MISS THREEGAN et MISS DEERCOURT se rencontrent
au milieu des rickshaws. MISS T. porte un paquet de livres sous le
bras gauche.

MISS D. (ton égal). — Eh bien ?


MISS T. (ton ascendant). — Eh bien ?
MISS D. (emprisonnant le bras gauche de son amie, enlevant tous
les livres, plaçant les livres dans une rickshaw, revenant au bras,
s’emparant de la main par le troisième doigt et cherchant). — Eh
bien ! C’en est une vilaine fille ! Et tu ne m’en aurais pas soufflé mot !
MISS T. (modestement). — Il… il… il n’a parlé que hier dans
l’après-midi.
MISS D. — Tous mes souhaits, ma chère. Et je vais être
demoiselle d’honneur, n’est-ce pas ? Tu sais que tu l’as promis il y a
si longtemps.
MISS T. — Cela va sans dire. Je te raconterai tout demain. (Elle
entre dans la rickshaw.) Oh ! Emma !
MISS D. (avec un intense intérêt). — Oui, chère amie ?
MISS T. (piano). — C’est parfaitement vrai… à propos… de l’…
œuf.
MISS D. — Quel œuf ?
MISS T. (pianissimo prestissimo). — L’œuf sans le sel. (Forte.)
Chalo ghar ko jaldi, jhampani ! [5]
[5] A la maison, jhampani.
LE MONDE EXTÉRIEUR

Certaines gens d’importance.

DÉCOR. — Fumoir du Degchi Club. Dix heures et demie, par une


soirée étouffante pendant les pluies. Quatre hommes dispersés
dans des attitudes pittoresques et des fauteuils. Entre en scène
BLAYNE , des Irregular Moguls, en tenue du soir.

BLAYNE. — Phuuu ! On devrait bien pendre le juge dans sa


boutique. Ici, khitmatgar ! Un poora [6] whisky pour m’enlever le
goût de la bouche.
[6] Fort.

CURTISS (Royal Artillery). — Ah, c’est cela, vraiment ? Qu’est-ce


qui diable a pu vous faire aller dîner chez le juge ? Vous connaissez
sa bandobust [7] .
[7] Cuisine.

BLAYNE. — Pensais que cela ne pouvait être pire que le club ;


mais je parierais qu’il achète de la liqueur de vidange, et qu’il la
drogue de gin et d’encre. (Regardant autour de la pièce.) Est-ce tout
ce que vous êtes, ce soir ?
DOONE (des Travaux Publics). — On a appelé Anthony pendant le
dîner. Mingle avait mal au ventre.
CURTISS. — Miggy meurt du choléra une fois par semaine
pendant les pluies, et se saoule de chlorodyne dans l’intervalle. Bon
petit type, quand même. Du monde chez le juge, Blayne ?
BLAYNE. — Cockley et sa memsahib, qui paraît affreusement pâle
et éreintée. Une jeune fille quelconque — n’ai pas saisi le nom — en
route pour les montagnes, sous l’égide des Cockley — le juge et
Markyn, frais arrivé de Simla… dégoûtant de bonne santé.
CURTISS. — Seigneur Dieu, que de splendeurs ? Y avait-il assez
de glace ? La dernière fois que je broutai là, j’en eus tout un
morceau… presque aussi gros qu’une noix. Qu’est-ce que disait
Markyn ?
BLAYNE. — Il paraît que tout le monde se donne du bon temps,
là-haut, malgré la pluie. Sacrebleu, cela me rappelle ! Je savais bien
que je n’étais pas venu pour le simple plaisir de votre société. Des
nouvelles ! De grandes nouvelles ! C’est Markyn qui me l’a raconté.
DOONE. — Qui est-ce qui est mort ?
BLAYNE. — Personne, que je sache ; mais Gaddy a fini par se
laisser mettre le grappin dessus !
TOUS EN CHŒUR. — Comment, diable ! Markyn s’est payé votre
tête. Pas GADDY !
BLAYNE (fredonnant). — « Oui-da, en vérité, en vérité, en vérité !
En vérité, en vérité, je te le dis, » Théodore, le présent de Dieu !
Notre Philippe ! La chose a été promulguée.
MACKESY (avocat). — Peuh ! Les femmes promulgueront
n’importe quoi. Que dit l’accusé ?
BLAYNE. — Markyn m’a dit l’avoir congratulé avec circonspection…
une main tendue, l’autre prête à se mettre en garde. Gaddy a piqué
un fard et a déclaré qu’il en était ainsi.
CURTISS. — Pauvre vieux Gaddy ! Ils y arrivent tous. Qui est-elle ?
Écoutons les détails.
BLAYNE. — C’est une jeune fille… dont le père est un certain
colonel Quelque Chose.
DOONE. — Simla en est bondé, de filles de colonels. Soyez plus
explicite.
BLAYNE. — Attendez donc. Quel était son nom ? Three… quelque
chose. Three…
CURTISS. — Trois Étoiles [8] , comme on dit en français. Gaddy
connaît cette marque-là.
[8] En anglais, trois se dit three.

BLAYNE. — Threegan… Minnie Threegan.


MACKESY. — Threegan ! N’est-ce pas un petit brin de fille aux
cheveux rouges ?
BLAYNE. — Quelque chose comme cela… d’après ce que dit
Markyn.
MACKESY. — Alors, je l’ai rencontrée. Elle était à Lucknow la
saison dernière. Possédait une maman atteinte de jeunesse
chronique, et dansait abominablement. Dites-moi, Jervoise, vous
avez connu les Threegan, n’est-ce pas ?
JERVOISE (fonctionnaire de vingt-cinq années de service, se
réveillant de son somme). — Hein ! Qu’est-ce que c’est ? Connu qui ?
Comment ? Je me croyais au pays, Dieu vous confonde !
MACKESY. — La petite Threegan est fiancée, à ce que dit Blayne.
JERVOISE (avec lenteur). — Fiancée… fiancée ! Par exemple ! voilà
qui ne me rajeunit pas ! La petite Minnie Threegan fiancée. C’était
encore l’autre jour que j’allais au pays avec elle sur le Surat — non,
le Massilia — et elle se traînait à quatre pattes au milieu des ayahs.
Elle m’appelait le « Tic Tac sahib » parce que je lui montrais ma
montre. Et c’était, cela, en 67… non, 70. Bon Dieu, comme le temps
marche ! Me voici un vieillard. Je me rappelle quand Threegan
épousa Miss Derwent — fille du vieux Hooky Derwent… mais c’était
avant vous. Ainsi, le petit bébé est fiancé pour avoir un petit bébé à
son tour ! Qui est l’autre insensé ?
MACKESY. — Gadsby, des Hussards Roses.
JERVOISE. — Connais pas. Threegan a vécu dans les dettes, s’est
marié dans les dettes, et mourra dans les dettes. Doit être content
de se voir débarrassé de la petite.
BLAYNE. — Gaddy a de l’argent… le veinard. Une terre au pays
aussi.
DOONE. — Il sort de la haute. Peux pas arriver à comprendre
comment il s’est laissé pincer par la fille d’un colonel, et (regardant
prudemment autour de lui) d’infanterie indigène encore ! Sans vous
offenser, Blayne.
BLAYNE (avec raideur). — Non, au contraire, me-erci.
CURTISS (citant la devise des Irregular Moguls). — « Nous
sommes ce que nous sommes », hein, mon vieux ? Mais Gaddy était
en général un type si supérieur. Pourquoi n’est-il pas allé au pays
choisir sa femme ?
MACKESY. — Ils sont tous pareils quand ils arrivent au tournant
dans la ligne droite. Vers trente ans, un homme commence à en
avoir assez de vivre seul…
CURTISS. — Et de l’éternelle côtelette de mouton le matin.
DOONE. — En général, c’est de la chèvre morte, mais continuez,
Mackesy.
MACKESY. — Une fois qu’un homme a pris cette voie, rien ne le
retiendra. Vous rappelez-vous Benoît de votre service, Doone ? On le
transféra à Tharanda lorsque son tour vint, et il épousa la fille d’un
poseur de la voie, ou quelque chose d’approchant. C’était l’unique
femelle de l’endroit.
DOONE. — Oui, le pauvre idiot ! Cela brisa du coup ses chances
d’avancement. Mrs. Benoît avait l’habitude de vous demander :
« C’est-y qu’on vous verra à la danse, ce soir ? »
CURTISS. — Voyons, après tout ! Gaddy n’a pas fait un mariage
au-dessous de lui. Il n’y a pas de sang noir dans la famille, je
suppose.
JERVOISE. — De sang noir ! Pas pour un anna. Vous autres,
jeunes garnements, vous parlez comme si le monsieur faisait un
honneur à la jeune fille en l’épousant. Vous êtes tous trop infatués
de vous-mêmes…, il n’y aurait jamais rien d’assez bon pour vous.
BLAYNE. — Pas même un club désert, un sacré sale dîner chez le
juge, et une station aussi insalubre qu’un hôpital. Vous avez
parfaitement raison. Nous sommes une collection de sybarites.
DOONE. — De luxurieux coquins vautrés dans…
CURTISS. — L’éruption de chaleur entre les épaules. J’en suis
couvert. Espérons que Béora sera plus frais.
BLAYNE. — Uhhhou ! Est-ce qu’on vous envoie, vous aussi,
camper ? Je croyais que les artilleurs avaient une feuille blanche.
CURTISS. — Non, malheureusement. Deux cas hier — l’un est
mort — et si nous en avons un troisième, nous nous en allons. Est-
ce qu’on peut chasser, à Béora, Doone ?
DOONE. — Le pays est sous l’eau, sauf le morceau contre la
Grand Trunk Road. J’y étais hier à visiter un bund [9] , et j’y ai trouvé
quatre pauvres diables à leur dernière étape. C’est plutôt mauvais,
d’ici à Kuchara.
[9] Barrage.

CURTISS. — Alors, nous sommes à peu près certains d’écoper


dans les grandes largeurs. Ah ! je ne craindrais pas de changer avec
Gaddy pour quelque temps. L’amour avec Amaryllis à l’ombre de
l’hôtel de ville, et le reste. Oh ! pourquoi ne vient-il pas quelqu’un
m’épouser, au lieu de me laisser aller dans un camp de choléra ?
MACKESY. — Demandez cela au comité du cercle.
CURTISS. — Animal ! voilà qui va vous coûter une tournée.
Blayne, qu’est-ce que vous prenez ? Mackesy est à l’amende pour
immoralité. Doone, avez-vous une préférence ?
DOONE. — Un petit verre de kummel, s’il vous plaît. C’est un
excellent carminatif par ce temps-ci. C’est Anthony qui me l’a dit.
MACKESY (signant un bon pour quatre verres). — Châtiment on
ne peut plus injuste. Je pensais seulement à Curtiss en Actéon
poursuivi autour des billards par les nymphes de Diane.
BLAYNE. — Il faudrait que Curtiss fît l’importation de ses nymphes
par chemin de fer. Mrs. Cockley est l’unique femme de la station. Elle
ne quitterait pas Cockley, et il fait de son mieux pour arriver à ce
qu’elle s’en aille.
CURTISS. — Cela, c’est bien ! A la santé de Mrs. Cockley. A
l’unique femme de la station, et une femme sacrément brave !
TOUS (buvant). — Une femme sacrément brave !
BLAYNE. — Je suppose que Gaddy amènera sa femme ici à la fin
du froid. Ils se marient presque immédiatement, je crois.
CURTISS. — Gaddy peut remercier son étoile de ce que les
Hussards Roses sont tous en détachement et pas au quartier général
pendant ces chaleurs, sans quoi il se trouverait arraché aux bras de
son amour, sûr comme la mort. Avez-vous jamais remarqué la liberté
d’esprit avec laquelle la cavalerie britannique s’adonne au choléra.
C’est parce qu’ils coûtent si cher. Si les Roses avaient tenu bon ici, ils
seraient partis camper il y a un mois. Oui, je voudrais bien
décidément être à la place de Gaddy.
MACKESY. — Il ira au pays après son mariage, et donnera sa
démission… vous verrez cela.
BLAYNE. — Pourquoi ne le ferait-il pas ? N’a-t-il pas de l’argent ?
Est-ce qu’il y en aurait ici un seul d’entre nous si nous n’étions pas
tous des gueux ?
DOONE. — Pauvre vieux gueux ! Que sont devenues les six cents
roupies que vous avez subtilisées à notre table le mois dernier ?
BLAYNE. — Elles se sont donné des ailes. Je crois qu’un
commerçant quelque peu entreprenant en a eu sa part, et qu’un
shroff [10] a gobé le reste… Ou, pour mieux dire, je les ai dépensées.
[10] Usurier.

CURTISS. — Gaddy, lui, n’a jamais de sa vie eu affaire à un shroff.


DOONE. — Vertueux Gaddy ! Si j’avais, moi, trois mille roupies par
mois, qui me viennent d’Angleterre, je ne crois pas que j’aurais
affaire à un shroff.
MACKESY (bâillant). — Oh ! c’est une vie délicieuse ! Je me
demande si le mariage en augmenterait le charme.
CURTISS. — Demandez à Cockley… avec sa femme qui meurt à
petit feu !
BLAYNE. — Allez au pays demander à quelque petite sotte de s’en
venir par ici — qu’est-ce que dit Thackeray ? — « au splendide palais
d’un proconsul indien ».
DOONE. — Ce qui me rappelle. Mon logis laisse passer l’eau
comme un crible. J’ai eu la fièvre, la nuit dernière, d’avoir dormi
dans un marécage. Et le pire, c’est qu’il n’y a rien à faire à un toit,
jusqu’à ce que les pluies soient passées.
CURTISS. — Qu’est-ce qui vous chiffonne ? Vous n’avez pas, vous,
quatre-vingts piou-pious en train de pourrir, à conduire dans le
courant d’un fleuve.
DOONE. — Non, mais je suis tout en clous et en jurons. Je suis un
véritable Job par tout le corps. C’est pure pauvreté de sang, et je ne
vois aucune chance de devenir plus riche… ni de l’une ni de l’autre
façon.
BLAYNE. — Ne pouvez-vous pas prendre un congé ?
DOONE. — C’est là l’avantage que vous autres, les gens de
l’armée, vous avez sur nous. Dix jours, ce n’est rien à vos yeux. Moi,
je suis si important que le gouvernement ne peut me trouver de
remplaçant si je m’en vais. Ou-ui, je voudrais être à la place de
Gaddy, quelle que puisse être sa femme.
CURTISS. — Vous avez passé le tournant de la vie dont Mackesy
parlait.
DOONE. — Certes, je l’ai passé, mais je n’ai jamais encore eu la
brutalité de demander à une femme de partager mon existence par
ici.
BLAYNE. — Sur mon âme, je crois que vous avez raison. Je pense
à Mrs. Cockley. C’est une véritable ruine que cette femme.
DOONE. — Absolument. Parce qu’elle reste ici en bas. Le seul
moyen de la conserver en état serait de l’envoyer dans les
montagnes pendant huit mois — et la même chose avec n’importe
quelle femme. Je me vois prenant femme dans ces conditions.
MACKESY. — Avec la roupie à un shilling six pence. Les petits
Doone deviendraient des petits Doone de Dehra avec un bel accent
chi-chi de Mussourie à rapporter à la maison pour les vacances.
CURTISS. — Et une paire de belles cornes de sambhur à porter
pour Doone, franco de port, offertes par…
DOONE. — Oui, c’est une perspective enchanteresse. En passant,
la roupie n’a pas encore fini de baisser. Le temps viendra où il faudra
nous trouver heureux si nous ne perdons que la moitié de notre
solde.
CURTISS. — J’aurais cru qu’un tiers suffisait comme perte. Qui
est-ce qui gagne à l’arrangement ? C’est ce que je voudrais bien
savoir.
BLAYNE. — La question d’argent ! Je vais me coucher si vous vous
mettez à vous chamailler. Grâces soient rendues, voici Anthony… qui
a l’air d’une ombre.
Entre ANTHONY , du corps médical des Indes, très pâle
et très fatigué.
ANTHONY. — Bonsoir, Blayne. Il pleut à torrents. Apporte-moi un
whisky-soda, khitmatgar. Les routes sont quelque chose d’affreux.
CURTISS. — Comment va Mingle ?
ANTHONY. — Très mal, et plus de peur encore. Je l’ai passé à
Fewton. Mingle aurait tout aussi bien pu commencer par l’appeler au
lieu de me tracasser.
BLAYNE. — C’est un petit type nerveux. Qu’est-ce qu’il a, cette
fois-ci ?
ANTHONY. — Ne saurais trop dire. Le ventre très mauvais et
jusqu’ici une peur bleue. Il m’a demandé tout de suite si c’était le
choléra, et je lui ai répondu de ne pas faire la bête. Cela l’a calmé.
CURTISS.— Pauvre diable ! La frousse fait la moitié de la besogne
chez un homme de cet acabit.
ANTHONY (allumant un cheroot). — Je crois fermement que la
frousse le tuera s’il reste en bas. Vous savez la somme d’ennui qu’il a
causée à Fewton pendant ces trois dernières semaines. Il fait tout ce
qu’il peut pour mourir de peur.
CHŒUR GÉNÉRAL. — Pauvre petit diable ! Pourquoi ne s’en va-t-il
pas ?
ANTHONY. — Ne peut pas. Il a sa permission en règle, mais il est
tellement à fond de cale qu’il ne peut la prendre, et je ne crois pas
que sa signature vaudrait quatre annas. Ceci en confidence,
toutefois.
MACKESY. — Toute la station le sait.
ANTHONY. — « Je suppose qu’il me faudra mourir ici », a-t-il dit,
en se tordant en travers de son lit. Il est absolument persuadé qu’il
va s’en aller ad patres. Et je sais pertinemment qu’il n’a rien de plus
qu’un ventre de temps humide, si seulement il pouvait prendre un
peu le dessus.
BLAYNE. — C’est mauvais, c’est très mauvais. Pauvre petit Miggy !
Bon petit type tout de même. Dites donc ?
ANTHONY. — Quoi « dites donc » ?
BLAYNE.— Eh bien, écoutez… voici… Si c’est comme cela…
comme vous dites… moi, je dis cinquante.
CURTISS. — Je dis cinquante.

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