Linguiste: Le E.T
Linguiste: Le E.T
Linguiste: Le E.T
! \.
. :. '
_.
Le linguiste dont il est question ici est le linguis-
te de terrain, celui qui va travailler dans la region O&,est
parlbe la lanque ou le type de langues qui fait l'objet hè ses
recherches. Il existe en .effet une possibilite de cons%títuer
un corpus en bibliotheque dans certains cas, ou d'avoir la-docu- .
mentation quasiment tì domicile grace B un individu originaire
de la communaute linguistique dont le parler est en observation.
et que ses affaires ont amen& dans le pays du linguiste : Btudier
le tibetain B Paris n'offre, par l k s temps qui courenf, 'pas
de difficult& insurmontables. . I ' .
Ce linguiste donc n'a d'autre moyen de recueillir
le corpus dont il a besoin, que de pratiquer l'interrogatoire
de locuteurs, membres de la communaute linguistique qui l* int&
resse,, et ces locuteurs sont ses informateurs. I1 semble bien '
. . - .
14 15
vieillard. détenteur d'un savoir particulier (guérisseur. conteur, res ou non, par lesquelles il risque de tenter de pallier 'ses
chasseur., .), dont l'interrogatoire ou la fréquentation 3 des lacunes ou ses hésitations (la connaissance d'une langue véhicu-
fins d'information nécessite la presence d'un tiers. informateur- laire ne semble pas &tre url handicap : elle est le plus souvent
interprdte-traducteur, qui peut avoir un r61e déterminant dans ressentie directement comme un idiome à part), (d) connaltre .. ..
le bon deroulement de l'enquête. puisque s a mission est non suffisamment la langue du chercheur pour comprendre les questions
seulement d'assurer la compréhension entre chercheur et informa- posées. qui sont généralement tres simples et peuvent Btre expli-
teur de base, mais aussi de memoriser certaines informations quées s'Il se présente une difficulté. Le sexe de l'informateur
dans la langue vernaculaire pour les répeter ensuite en vue ne présente pas matibre 3 critdre : il est des cas oil une femme
de leur notation. de traduire les enregistrements sur bande sera meilleure informatrice qu'un homme ou la seule source
magnétique qu'il aura faits lui-meme éventuellement, ou auxquels d'informations possible (vocabulaire culinaire, vocabulaire
il aura assisté ( 2 ) - sur la culture...), d'autres au contraire oil le recours B'une
Le choix de l'informateur repose s u r quelques crith- femme serait une grave erreur, mais cela surtout dans le domaine
res simples, mais il est aussi affaire d'idiosyncrasie : ce des enquetes sur la tradition orale ; pour les enquetes par
personnage essentiel va. pendant des heures. voire des jours questionnaires, l'expérience a montré que de tres bons resulta'ts
ou des scmaines, &tre face B face avec le chercheur, o u tout peuvent &tre obtenus avec des informatrices, restees plus atta-
au moins se trouver 3 proximite immédiate, et un minimum de chées, souvent, que les hommes de m@me formation ou instructidn;
sympathie r6ciproque est par conséquent requis. Tous les criteres a la langue maternelle, et qui la pratiquent dans. un cercle
objectifs étant positifs. le courant peut fort bien ne pas passer familial feminin. tres conservateur dans ce domaine : la superio-
entre les protagonistes, et il est alors sage de ne pas insister: rité feminine en matiere langagit?re est du reste reconnue, et
la prudence veut que l ' o n ne recrute pas un informateur de facon une personne recommand6e au linguiste parce que parlant "comme
ferme et définitive B premiere vue, mais 'qu'une p6riode d'essai une vieille femme" offre une garantie certaine de par€aite connais-
soit prevue d'un commun accord. . sance de la langue. , .'
L'informateur, qu'il s'agisse d'enquêtes pas question- A trivai1,ler avec, un seul informateur, le risque
. . naires ou de l'informateur-traducteur-interpr&te, doit (a) appar- est grand, .dans le cas d'enqu&tes approfondies; de recueillir '
tenir B la communauté linguistique sous observation et en &tre une variante tr&s, trop personnelle. un idiolecte do en partie
reconnu membre B part entiere, (b) avoir un contact permanent d l'absence de dialogue vernaculaire. émai116 d'erreurs plus
ou trds fréquent avec cette communaut6. qui lui assure la prati- ou moins involontaires, soit que l'informateur ait mal compris
que courante de la langue sans interferences avec d'autres l a n - la question, soit qu'ignorant ou n'ayant pas'sur l'instant la
gues (cas de personnes revenant dans leur village apr& un long réponse correcte et se 'refusant a le reconnaltre, i l improvise
séjour d l a ville. en milieu cosmopolite) et lui permet, en ou opte pour une approximation. D'oil l'intérêt de l'équipe d'in-
cas de besoin. d'avoir recours aux lumi6res d'un membre plus formateurs simultanés, selectionnés selon les memes criteres.
596 de sa famille o u de son entourage, (c) de préférence ne I l est possible de déterminer par interrogatoire s'il existe
parler couramment que la langue de sa communauté en fait d e des variantes dialectales, généralement objets de moquerie,
- vernaculaire. ceci afin de limiter les interférences, volontai- et d'orienter les recherches en conséquence.
. .. -
.. .
..
,
10 19
. ...
Mais comment procéder pour trouver ce ou ces infor- s'en remettre à un intermédiaire du cru : pretre, enseignant,
mateurs, prendre contact avec eux, les recruter ? commercant, retraité, susceptible de lui faire rencontrer rapide-
Lorsque le chercheur arrive sur son terrain, la ment des candidats potentiels. Le truchement de 1 'administratipn
politesse la plus élémentaire veut qu'il rende visite aux repré- est à exclure car (1) ses représentants ne sont pas origjnaires
sentants officiels de 1'Etat : préfet ou sous-préfet, brigade de la région étudiée dans la plupart des cas, t ? ) il y a de
de gendarmerie ou approchants. les demominations étant variables forts risques pour que la ou les personnes recommandées le soient
mais les fonctions semblables. Muni des autorisations, ordres par esprit de clientele par conséquent. I1 est en tout cas impé-
de mission et autres sésames qui lui garantissent en principe ratif de devenir tres vite autonome dans le' choix proprement
le déroulement paisible de ses activités, le chercheur a tout dit, et de ne pas se laisser imposer un informateur qui ne fait
int6ret à expliquer en termes simples l'objet de ses Btudes, manifestement pas l'affaire.
B ne laisser planer aucun mystere sur ses déplacements. ses La rencontre de travail demande un lieu paisible,
horaires et ses fréquentations futures. De la cordialitk' de à l'abri des bruits et des allées ,et venues. Si le fond sondre
ce premier contact dépend souvent sa liberté de manoeuvre, mais du village .traditionnel est supportable,.une perturbation sérieu-
un exces de convivialité de la part des autorités locales peut se est apportée par la proximité d'un poste à transistors,' les
avoir un effet tr6s néfaste sur leurs administrés, futurs inter- pétarades de véhicules, le vacarme d'un atelier ou d'un chant:er'
locuteurs. I1 est en particulier fortement déconseil16 de deman- proche. Aussi désuet que cela puisse paraltre, la table et l'es
der l'hébergement dans un local administratif. chaises sous le baobab, a l'kart, demeurent une solution tr8s
&pres avoir sacrifié aux mondanités, le chercheur valable, mais l'auvent de case, 1 'arri8re-boutique, la salle
se fait voir dans les endroits fréquentés : marché, boutiques, d'Bcole - vide -, une pisce du logis que s'est trouvé le cher-
lieu d'arrivée des pirogues. C'est le moment de poser quelques cheur conviennent également, si les conditions de tranquillité
questions qui permettent de se situer aupr6s de la population s'y trouvent respectees. Informateur(s) et chercheur droibent
("comment appelle-t-on ceci dans votre langue ? " ) et d'attirer pouvoir se faire'face [c'est un détail trds important pour Ùne
les sympathies, car les gens sont généralement très surpris compréhension cor;ecte de part et d'autre), à moins de 2 metres
et satisfaits que l'on puisse s'intéresser B leur parler. Si de préférence.
l'on ne trouve pas directement d'informateur par ce moyen, il Une enquete par interrogatoire occasionne une éviden-
a cependant pour effet de susciter des curiosités. et il est te tension nerveuse chez les participants, et il est recommandé
bien rare que quelques candidats ne se présentent pas rapidement, qu'elle se déroule de préference au moment od chacun se sent
qui s'ils ne sont pas conformes aux desiderata du linguiste le plus dispos. habituellement a une heure matinale, mais 'cela
lui serviront de démarcheurs. Cette approche est Bvidemment celle reste 3 établir entre les intéressés, le rythme de vie de l'infor-
B employer quand sont prévues des enqudtes longues, ou de fré- mateur pouvant fort bien diverger considérablement de celui
quents retours sur le mdme terrain, qui impliquent que l'on du chercheur. Les veillées mortuaires, en particulier, perturbent
a des contacts, que l'on y est connu et reconnu. Dans le cas constamment les horaires établis trop strictement et un informa-
d'enqudtes courtes, dont il n'est pas prévu qu'ellesd6boucheront teur somnolent n'est d'aucune utilité. Dans la mesure du possi-
plus tard 'sur des enqudtes plus completes, le linguiste doit ble, on peut prévoir des séances de 2 à 3 heures de travail,
I
I
'\
..
20 21
.- .
. .
tation peut &tre u n e marque de sympathie, et le changement doit parmi les anthropologues, car il étudie le ph&nom&-e social
&tre simultané chez informateur et chercheur, alors que l'inver- par excellence - la langue - e n limitant ses contacts avec la
se sanctionne une erreur de jugement ou un manque d'éducation communauté linguistique concern& B la fréquentation, parfois
chez le chercheur qui le met e n position délicate. br&ve. d'un nombre restreint d'individus, et n e passe par copsé-
Souvent, le chercheur est amené 3 rendre quelques quent pas par les aFfres qui semblent saisir certains de ses
services Q l'informateur ou d son entourage, mais il doit opérer collegues d'autres disciplines, pour qui le terrain devient
une trIs serieuse sélection parmi l e s sollicitations, le pr&t le thédtre d'un véritable psychodrame.
d'argent étant totalement exclu, sauf comme avance sur le salaire
de l'informateur et dans des limites raisonnables. Son vehicule
est tres recherché, et la meilleure solution consiste. Q n'accep- Andre JACQUOT .
ter le transport de personnes et de biens que sur des trajets -L
. ,:
r i
. .
..
CHERCHEURS ET INFORMATEURS
TOME 11
La forme et le contenu des artides n'engagent que la responsabilité Bulletin n"34 Décembre ,1988.
de leurs auteurs.
'I